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Voici l’histoire d’un réfugié. Ce récit s’inspire de faits réels.

Nous allons en premier lieu expliquer la situation politique du Liban. Le Liban est composé
d’une population religieuse très hétérogène. En effet, le recensement de 1932 montre qu’il y a
environ autant de chrétien que de musulman sans rentrer dans les subdivisions. Le gouvernement a
donc été façonné pour représenter à voix égales les différentes confessions. Il est composé d’un
président chrétien maronite, d’un premier ministre musulman sunnite, d’un président musulman
chiite de la chambre des députés et d’un vice président chrétien orthodoxe de la chambre des
députés, ces assignations ne peuvent être modifiés. Des règles culturelles strictes existent comme
l’appartenance à une religion précise ce qui entraîne à son tour une obéissance au règlement de
ladite religion. Ce régime se nomme le confessionnalisme. Certaines lois sont importantes dans ce
réçit comme l’interdiction de se marier avec une personne d’une autre religion et l’homosexualité
qui est passible de mort.

Introduction

Alex a grandi dans une petite habitation dans l’ombre d’une crête avec ses parents. Il allait
étudier dans la minuscule école de Séjoud où il apprenait à compter, à lire et à écrire jusqu’à ce
qu’il commence à travailler dans le tabac de son père. La propriété de ses parents se situe en
surplomb de la ville entre deux champs. Quand Alex regarde dehors et qu’il aperçoit le panorama de
sa maison quelque peu en surplomb, il se demande que vais-je faire dans dix ans? Alors il prend le
temps de s'imprégner du moindre détail, du schéma des rues, des passants, d’entendre peut-être le
sifflement du vent et il se repose la question et la réponse évidente le frappe, il n'aperçoit pas sa
place dehors. Il se rend compte qu’il ne pourra pas vivre comme il l’entend dans ce pays. Il
s’imagine la manifestation d’hier à Beyrouth. Il s’imagine fermier comme le voisin. Il s’imagine
marcher au soleil avec un homme qu’ il aimerait... Il s’imagine comme dans un film américain qu’il
regarde sur sa vieille télé en noir et blanc et où les personnage vive tous dans l’aisance d’un univers
idyllique. À quinze ans déjà il a décidé de quitter le pays. Il se sent étriqué dans cette vie qui
l'empêchera d’aimer qui il veut.

Un an passe et il ne sait toujours pas où aller. En Europe ou en Amérique ? Au Canada ou


aux Etats-Unis ? En France, Angleterre, Espagne, ou Grèce? pense-t-il naïvement. De toute
manière, ses parents ne veulent pas qu’il parte. Lui aussi ne veut pas les quitter. 
Les mois continuent de s'enchaîner jusqu’à ce que son père tombe malade.  Une maladie très
violente qui les fera se déplacer à l'hôpital public de Beyrouth. L’expérience la plus hideuse de la
vie d’Alex - et vous n’avez pas lu la suite. Le centre hospitalier le plus grand du pays était plein à
ras bord. Lorsqu’ ils sont arrivés d’un long trajet en camionnette depuis Sejoud le père se tordant de
douleur, ils ont dû attendre plusieurs heures dans une salle d’attente étouffante empestant une odeur
nauséabonde mêlé de transpiration et de vomi. Trois à quatre heures plus tard, le père est enfin
examiné et, quelques secondes plus tard, le médecin scandait qu’il était atteint d’un virus au nom
imprononçable et qu’il devait impérativement être sous antibiotique et suivre un traitement. Mais
évidemment, il fallait payer. Voilà comment le père d’Alex finit ses jours. Voilà aussi comment Alex
acquit la volonté implacable de partir, fuir la pauvreté, la tristesse, les règles infondées sur qui
aimer.

Le lendemain du décès de son père, Alex visite cinq ambassades et dépose des demandes de
visa de longue durée. Il rentre deux jours plus tard à Sejoud, et attend les réponses de ses demandes
de visa. Sa mère extrêmement ébranlée déprime. Elle ne sort plus et ne souris plus. Alex tient tant
bien que mal le tabac sans son père. Son espoir naïf de partir se transforme en espoir désespéré. En
discutant au tabac, il apprend qu’il est possible de traverser la Méditerranée en bateau pour
rejoindre l’Europe. Certaines personnes le mettent en garde du risque inconscient  des traversées en
mer, d’autres vantent un  tel trajet comme un mauvais moment à passer pour vivre en sécurité en
Europe. Il demande combien coûte le voyage et on lui rétorque qu’il faut beaucoup d’argent, plus
qu’il  n’en possède.

Début du voyage

Alex en reparle donc à sa mère qui au bout de quelques jours finit par céder. Elle accepte et
veut même venir avec lui. Elle comprend que son fils ne peut pas vivre heureux ici. Son secret
l’empêchera de vivre comme il le souhaite, et s' il a l’audace et le courage d'accéder à cette liberté
humaine, il risquera l’exécution.  Alex apprend d’une connaissance qu’il va y avoir un départ dans
un mois. Tout va alors très vite, ils vendent la maison et covoiturent avec une connaissance les 86
kilomètres qui les séparent de Beyrouth.
Ils logent dans un deux pièces à l’écart de la ville. Tous deux ont leurs papiers. Néanmoins,
ils ont peur. Ils ne savent plus quoi penser du passeur. Est ce des êtres inhumains prêt à tout pour
voler, ou des personnes qui viennent en aide à tous ceux qui veulent rejoindre le continent?  Chaque
amis et passants en font un portrait différent. Le doute et l'appréhension rendent les deux semaines
d’attente insoutenables. Le passeur ne s’est pas encore montré. On leur a dit qu’il y a environ une
centaine de kilomètres et des arrêts sur de nombreuses îles, la traversée ne devrait pas prendre plus
d’une demie journée. La veille du jour J, un inconnu les prévient du port où ils doivent se rendre à 6
heures pile et leur demande l’argent environ 5 000 livres libannais. 
Le lendemain à 5 heures, ils sont déjà au lieu du rendez-vous avec deux valises qui
contiennent leurs seules affaires. Le port est minuscule. Un seul ponton avec cinq bateaux dont
deux voiliers. Deux autres bateaux sont constitués d’un amalgame de planches clouté entre elles et
entourés de boudins faisant office de flotteurs. Le dernier bateau uniquement en bois semblait le
plus résistant des trois. Le ciel n’était pas couvert ce qui envisageait peut-être une traversée sans
encombre. Un vent calme faisait onduler doucement la mer. Alex et sa mère s’assirent sur un banc à
proximité des navires. Rapidement, le ponton fut assailli par des voyageurs presque tous avec un
sac ou une valise. Ils sont par deux ou trois, parfois toute une famille réunie. Le silence est mêlé
d’espoir d'appréhension et de peur.

Le passeur vêtu d’un polo bleu marine arrive enfin avec quinze hommes vêtus de amples
vêtements noir. Une voix retentit, intimant de se rassembler. Les dix hommes prennent place autour
de la foule. Le passeur prend la parole et demande de présenter la somme de 2 500 livres libanais
par personne pour embarquer. La foule s’anime de colère, comme Alex ils ont à priori tous déboursé
le même montant la veille . En conséquence de l’agressivité soudaine du rassemblement, les quinze
hommes sortent de leur ceinture un pistolet. Rien à faire, il faut dépenser une nouvelle fois 5 000
livres libanais sous peine d'être abattu. L'inconnu de la veille était un escroc disent ils. Quand
l’ensemble des voyageurs eurent enfin donné leurs derniers centimes, le passeur les invita à empiler
les bagages sur le quai avant d’embarquer. Les affaires seront entreposées dans la soute de l’autre
côté du bateau. Aucune soute n’était visible et aucun bagages à main n’étaient possible, ce qui
enclencha une nouvelle vague de protestations qui fût matée par trois coups de feu en l’air. Un
effroi terrible glaça les passagers qui déposèrent docilement leurs affaires et rentrèrent un à un dans
l'embarcation précaire, celle composée de boudins gonflables. Les pauvres gens dépossédés de tout
leur argent et de tous leurs biens rentraient les mains vides, muet par une angoisse indicible. Les
secondes duraient des heures. Alex et sa mère montèrent à leur tour et purent se rendre compte de la
solidité douteuse de l'appareillage. Un vieux monsieur sprinta tout à coup pour fuir, réalisant que
l’espace viendrait à manquer sur le plancher du bateau. Malheureusement il fût abattu d’une balle
dans les jambes et traîné tout de même jusqu'à l'embarcation de fortune. Alex s’était positionné à
cali fourchon sur le rebord du bateau afin de pouvoir respirer, sinon il risquait d’être asphyxié par le
mur compact de voyageurs. Enfin tous à bord, les deux moteurs se mirent en marche. Le “navire” se
retourna, montrant enfin une soute inexistante. Les affaires seraient sûrement revendues. Comme
s’il avait pitié que nous prenions le large vers une mort presque certaine, le passeur lança une
bouteille d’eau, le comble.
Ainsi commença trois jours atroces, innommables durant lesquels leur vie n’aura tenu qu’à
un fil.
 Alex ne se sent pas bien. Il se rend compte de l’immense farce qu’on leur a jouée.
L’intimidation avec les armes à feu, le vol de leurs seules affaires… Alex se sent vide. Un
cauchemar, je peux peut-être me réveiller espère t-il en silence. Il serait parti d’une manière ou
d’une autre du pays néanmoins. Son homosexualité l’aurait fait fuir dans tout les cas.
La pression des armes à feu disparue, les conversations reprirent lentement. Deux hommes à
l’arrière manoeuvraient. Les premières heures se déroulèrent assis sur le boudin pour Alex, la
meilleure place à n’en pas douter et debout serrée pour sa mère. En effet, tous les passagers qui ne
sont pas sur les flotteurs sont debout compressés étouffant à moitié. Le flotteur est brûlant.
L’horizon est identique où que l’on regarde et l’on peut se demander comment le bateau est dirigé.
La bouteille d’eau qu’on leur avait lancée est vide depuis longtemps. Les gorges sèches font revenir
le silence troublé par le ronronnement monotone du moteur. On entend aussi le doux clapotement
des vagues de temps à autre. Alex commence à ressentir les premières courbatures, la soif,et la
brûlure du soleil.
Le soleil se baisse petit à petit, ce qui doit aider les deux conducteurs à s’orienter. Seulement
quelques murmures s’entendent à présent. Une odeur d'excréments flotte dans l’air. Aucune
embarcation ni aucune terre en vue. La mère d’Alex fatigué par les ballottement s’est affaissée
contre son camarade de derrière qui lui même est affalé sur le flotteur. Alex ferme les yeux et ne
pense plus à rien. Oui à rien. Car rien n’est heureux. Sur ce bateau tout peut vaciller. Le passeur
nous voulait-il du mal ? Ou ne voulait-il que son bien. L’humain n’est qu’un outil pratique pour
s’enrichir. Le meurtre et le vole d’une soixantaine de personnes, voilà ce qui a été organisé, pense
Alex. Qui survivra au voyage? Qui survivra à la faim, à la soif, à la fatigue, à la noyade? Qui pourra
dire si nous arrivons, je suis sain et sauf ! ?
Le soleil va bientôt toucher l’horizon. L’obscurité se fait déjà ressentir. Des regards inquiets
scrutent le ciel et l’horizon en quête d’un signe quelconque. La lumière éblouissante se reflète sur
l’eau, aveuglante. Nous serons vraiment aveugle quand cette lumière sera passée de l’autre côté de
l’eau. Alex observe une dernière fois les visages autour de lui. Des visages très différents mais
identiques en cet instant. Des traits tirés par la fatigue et la douleur de leur position, des yeux voilés,
brumeux qui n’attendent que la fin du martyre.
Le soleil a complètement disparu. Les remous des vagues s’accentuent. La peau d’Alex a
fusionné avec le gonflable. Il dort depuis 2 heures. Une femme est morte il y a deux minutes. Elle
dormait allongée en plein milieu, puis un homme somnolent ne tenant plus sur ses jambes s’est
affalé sur son visage à la suite d' une secousse. Ce monsieur aurait pu se relever si une autre
personne ne s'était pas affalé à son tour sur ses jambes cette fois ci. Pendant trois minutes, la tête de
la femme a été recouverte d’un tissus humide de transpiration. Trois minutes de trop. Personne ne
s'en est rendu compte. Les deux hommes se sont relevés péniblement. L’un a même envié cette
silhouette de femme qui pouvait dormir profondément allongé.
Le soleil va bientôt se lever, exactement de l’autre côté que quand il s’était couché, ce qui
laisse présager qu’ils n’ont pas changé de direction. Une plainte a réveillé Alex. Ils ont découvert le
cadavre. Alex ne s’est jamais senti aussi mal. Son ventre le lacine, et sa gorge le brûle. Ils sont tous
à bout. Nous devrions être à côté de Chypre si les deux hommes ont dirigé correctement mais rien
n’est sûr. Le vent est apparu et charri des nuages. Il risque de pleuvoir. Il va pleuvoir. Les
vaguelettes du premier jour se sont transformées en masses d’eau trouble montant et descendant.
L’embarcation se penche en avant et en arrière. Si le soleil est caché par les nuages plus personne ne
pourra diriger. Des giclés d’eau salé commencent à nous arroser. Les nuages se sont rassemblés
pour cracher les premières gouttes d’un déluge. Le bateau construit à la va vite n'évacue pas le
liquide. Deux centimètres puis deux centimètres encore. Une vraie pataugeoire. Les chaussures ne
permettent pas d’extraire suffisamment d’eau comme l’espère la plus part. Le débit est trop grand.
L’eau monte et le bateau s’enfonce.
Au loin un chalutier vient d'apparaître comme par miracle. Ou un mirage? Ce navire nous a
repéré et se dirige vers nous. Le temps presse. Dans quelques instants les vagues auront la
possibilité de s’engouffrer à leur aise. C’est bon, l’eau arrive pour les passagers au milieu de la
longueur, à la taille. Une seconde plus tard au buste. Ils sont désormais complètement immergés.
Quelques  chanceux s'accrochent désespérément aux extrémités pour rester hors de l’eau. Alex a
perdu de vue sa mère. Il tente lui aussi de garder la tête hors de l’eau, car il ne sait pas nager.
D’autres se sont déjà noyés. Alex ressent la poigne de glace de la mer. Cette substance noir qui tente
de s’infiltrer dans sa bouche et son nez, de l’avaugler. La fatigue de cette traversée inimaginable le
ronge. Il s’acharne, se débat. Il boit la tasse, tousse, crache. Terrifié, énervé, frustré. C’est arrivé si
vite. Alex perçoit du coin de l'œil le navire de pêche qui provoque des remous incontrôlables. Le
sauveur à une vingtaine de mètres jette des gilets de sauvetage. Alex utilise ses dernières forces
pour attraper ce vêtement orange fluo, sa dernière chance.
Les deux pêcheurs grecs essayent de garder leur sang froid. Ils savent qu’ils n’ont pas assez
de gilets. Les naufragés ne savent pratiquement pas nager. La manœuvre est difficile. Il faut d’une
part zigzaguer entre les réfugiés pour leur lancer un gilet et d’autre part il ne faut pas générer des
remous trop importants qui pourraient noyer certains. Le tout le plus rapidement possible. Le centre
de contrôle des excursions en mer  a été averti du naufrage tout comme les autorités grecques. Un
second navire devrait arriver pour transporter ces gens.
Il pleut averse. Tout le monde tient un gilet dans ses mains pour ceux qui sont encore en vie.
Il est dix heures du matin, les autorités en charge de l’immigration vont prendre la relève. Les
libanais sont toujours dans la mer, car le chalutier est trop exigu pour contenir une cinquantaine de
personnes. Un navire trois fois plus grand que le chalutier vient dans notre direction. Ils remercient
notre dévouement et nous autorisent à reprendre nos activités. Ce monstre d’acier s'immobilise à
une centaine de mètres. Deux canots descendent de cet immeuble flottant. Les naufragés se sont
dispersés depuis le temps. Ils sont donc remontés un à un et bénéficient d’un gilet de sauvetage
individuel à présent.
Alex claquant des dents depuis une vingtaine de minutes ne sent plus ses pieds ni ses mains.
Après une longue attente, un canot vient le repêcher. Deux mains puissantes le tirent à bord. Un
homme prend le temps de constater qu’il ne va pas si mal puis lui désigne un banc. Sitôt sauvé,
nous nous déplaçons vers une autre tache orange fluo qui dérive. Alex n’a toujours pas revu sa
mère. Il espère de tout cœur l’apercevoir à l’intérieur des paroies métalliques du navire. Le canot
rempli se dirige vers le chef d'œuvre. 
Les passagers empruntent une échelle pour monter sur le pont principal. Les canots quant à
eux, sont remontés par une grue. Sitôt à bord, du personnel nous distribue des bouteilles d’eau de 25
cl, des amandes et des fruits secs. Ces petites quantités sont censées éviter une overdose. Alex revit
dès l’instant où il ingère l’eau et les fruits secs. Sa tête lui tourne à cause de ce regain d’énergie. Les
blessés sont soignés immédiatement. Alex s’inquiète soudain. Il y a très peu de réfugiés. Où sont
passés les autres? Le vieux monsieur qui s'était fait tirer dessus? Sa mère! Alex demande autour de
lui. Il aperçoit quelques migrants pleurer. L’angoisse lui noue la gorge. Il est paralysé. Il ne veut
plus rien entendre, voir, comprendre. Il ne veut pas croire. Sans s’en rendre compte, il tombe en
arrière évanoui.
Alex est aussitôt pris en charge par les infirmiers. D'autres comme lui n’ont pas accepté la
triste vérité, cette vérité mortelle. Ce navire a donc ramené cinquante chanceux en Grèce. Ils seront
logés au camp de réfugiés le plus grand du pays, le camp de la Moria. Tous passent activement
devant la douane, ils seront identifiés puis on leur demandera le motif de leur fuite. Le Liban n’est
pas en guerre. Ils auront intérêt à bien justifier leur fuite, sinon ils seront reconduits dans leur pays.
Alex rêve d’une femme qui se noie. Elle gigote frénétiquement dans une eau noire opaque.
Lorsque son visage sort de l'eau, elle crie “ à l’aide” avec la voix de la mère d’Alex. Son cri est
suppliant, c’est un cri humain. Le genre de cri qui transmet le plus fort des appels à l’aide. Un cri
qui témoigne de la plus grande des souffrances, qui transperce les oreilles et le cœur. Soudain elle
coule. Mais elle réussit à refaire surface une demi seconde et cette fois, son hurlement est terrifiant,
bestial. Rien d’humain. Le genre de bruit  qui glace la poitrine. Sur ce, elle ne réapparaît plus.
Cependant, Alex l’imagine nettement se débattre sauvagement saisi par la rage de l’injustice. Il
ressasse dans son sommeil ce film destructeur. Au bout de dix visionnages, une conscience familière
émet un fait terrible et libérateur : il ne verra et n'entendra plus jamais sa mère. Elle est perdue pour
toujours. Première étape.
Alex est désormais enseveli par un poids immense, insurmontable. Celui de la culpabilité.
Qu’a t’il fait ? Il a dépossédé sa pauvre mère. Puis il l’a attirée sur le pire des voyages, imaginables.
Ensuite, pauvre, exténuée, assoiffée et affamée, il l’a laissée barboter dans la mer. Pour finir son
œuvre, lui calmement accroché à un gilet de sauvetage a attendu les sauveteur au lieu de sauver sa
propre mère probablement en train d'étouffer sous l’eau à dix mètres de lui. Elle est partie par sa
faute. Elle était à deux doigts d’être ici comme lui en direction de l'Europe. Mais il a fallu qu’il ne
pense qu'à lui. Qu'aurait fait sa mère, elle? Elle l’aurait cherché par tous les moyens. Elle l’a même
peut-être fait à la dernière seconde. Sa conscience d’enfant est détruite par le chagrin. Deuxième
étape.
Sa conscience d’adulte sermonne le reste de sa conscience. Nous ne savions pas, nous
n’aurions pas pu prévoir répète-t-elle. Elle rabâche qu’il faut aller de l’avant. Nous serions vraiment
coupables si nous abandonnions maintenant. Ces paroles réconfortantes permettent à Alex de se
reconstruire, de soulever le lourd fardeau de la responsabilité. Ce n’est plus un enfant, ce n’est plus
un adolescent, c’est maintenant un jeune homme. C’était la dernière étape pour espérer se réveiller.
Une envie pressante réveille Alex. Il est allongé sur un matelas. Un confort qui lui manquait.
Il est à l’étage du bas d’un lit superposé. D’autres semblables tapissent les murs de la salle exiguë.
La nuit se devine à travers un hublot. Il est encore sur un bateau. La tempête s’est calmée. Alex
remarque entre-temps qu’il est habillé d’un T-shirt bleu et d’un short de même couleur, il est pied
nu. Il écoute les ronflements et les souffles discrets. L’inlassable chuintement des vagues se fait
aussi entendre. Une porte se dessine dans la pénombre. Alors, sans un bruit, il s'assit puis se lève et
enfin tend le bras pour abaisser la poignée. Un grincement insupportable, un os qui craque, et
ensuite un autre grincement insupportable. Le couloir dans lequel il évolue n’est éclairé que par une
faible lueur verte indiquant la direction des gonflables de secours. Alex déambule dans les allées à
la recherche des toilettes qu’il finit par trouver. 
Deux hommes en habit de fonction l'intiment de le suivre dans un anglais approximatif. Alex
les suit jusque dans une salle munie d’un bureau croulant de dossier assorti de trois sièges. Alex assi
devant les deux fonctionnaires patiente. Un des hommes sort et est sitôt remplacé par un autre plus
vétuste dans un vêtement fin. Ce dernier commence à traduire les paroles du policier qui est
derrière  le bureau. D’abord des questions de formalité, ton nom, prénom, date de naissance, âge,
nationalité. Puis des questions plus intimes, tu habitais où, qui et où sont tes parents. Enfin, le vif du
sujet, comment vivais tu dans ton pays, pourquoi et comment es tu parti. Les minutes sont longues
et les heures s'enchaînent. Alex peine à trouver ses mots. Mais il dit tout. Il décrit même les
passages difficiles sur ses parents.Son dossier ira dans la case réfugié politique. En temps que
minneur et en l'absence de tueur, il est sûr d’obtenir son droit d’asile. En attendant de lui trouver
une place, il habitera à la Moria où il sera logé et nourri.
Une journée plus tard, le deux septembre 2020 le navire arrive à la Moria, une île à moins de
30 km de la Turquie. Sur cette île se trouve le plus grand camp de réfugiés de la Grèce. D’une
capacité de 20 milles personnes, les conditions de vie des occupants sont précaire tout comme le
recensement et l’administration. De plus, cet endroit isolé subit des émeutes et bagarres
quotidiennes, ce qui aggrave les conditions de vie. Par ailleurs, les normes humanitaires ne sont pas
respectées. Voici ce qui attend Alex.
Dès l'arrivée aux abords du camp, une odeur infecte lui irrite les narines. Des sacs poubelles
partout. Déchets en tous genres, bouteilles plastiques, emballages alimentaires, canettes et
conserves. Il passe enfin l’enceinte du camp qui ressemble au mélange d’une prison et d’une
déchetterie avec l’omniprésence d’ordure et de grillages barbelés. Ils peuvent apercevoir après un
second grillage les premiers réfugiés. Notre cortège longe des abris de fortune et des tantes
insalubres. Personne ne fait attention à nous, nous faisons partie de leur quotidien. Le bâtiment
administratif est le centre de ce labyrinthe terrifiant. Tout le personnel est armé ici. A la suite d’une
série de procédures expéditives pour l’identifier lui et les autres, on les relâche dans la fosse aux
lions.
Ce centre fourmille de gens en tout genre. Certains sont habillés de T-shirt délavé et de jeans
troués. D’autres portent des voiles ou des draps amples. En se baladant entre les infrastructures
branlantes qui sont pour la plupart composés d’une armature en bois sur lesquelles sont tendus des
tissus, il remarque des queues de dizaines de personnes. Sur ces stands sont donnés du matériel de
première nécessité comme des vêtements ou des couvertures. La pauvreté, le dédain des autorités,
les déchets partout. C’est le visage repoussant de l’Europe.

Il ne croise que très peu de libanais, il y a surtout des syriens et des irakiens qui ont fuis la
guerre. Les langues sont multiples et inconnues. L’entraide règne entre les différentes
communautés. L’eau, la nourriture, chacun a sa tache. Alex en discutant commence à comprendre
qu’il lui faut rejoindre un groupe pour survivre. Surtout si il reste plusieurs mois ou années dans cet
enfer comme il le redoute.

En discutant, il se lie d’amitié avec un soudanais. Il lui dit qu’il vient d’arriver et qu’il ne
sait pas quoi faire. Ce jeune avec les cheveux en bataille, l’amène dans la tante de sa famille. Il
s’appelle Bill. Il dort avec son frère et ses deux cousins dans trois mètres carrés. Bill le conseille de
fabriquer un abris avec se qu’il trouve, car la nuit est le moment le plus dangereux. Entre le vole, le
viole et les agressions et les meurtres, mieux vaut dormir entouré. Bill lui propose même leur
protection s’il fabrique une hutte à proximité. Alex déniche des morceaux de bois et des couvertures
souillées. En prenant exemples des masures environnantes, il commence son œuvre. En parcourant
le camp en long et en large, il découvre les robinets. A trois endroits différents, ils sont pris d’assaut
à la moindre gouttes car les coupures sont régulières. Des sanitaires de chantier agrémentent le
paysage. En fouillant les recoins, Alex aperçu des familles de rats.

Il va être 13h00. Le meilleur moment selon Bill pour aller récupérer un panier repas. Avant,
une attente de vingt minutes au soleil et après, le risque de ne rien pouvoir avaler. La ressource la
plus rare nécessite plus de deux heures d’attente, le savon. Une douche par semaine n’est rien
comparé à un douche par semaine avec du savon. Des mouvements de foule se produisent toujours
après une pénurie. Des fois paraît il, quand une émeute se déclenche tout l’approvisionnement est
coupé pendant une journée.

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