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Les deux couleurs

Mémoire pour le cours


« Obstacles et facilitations à l’apprentissage »
Proposé par Rozenn Guibert & Michel Bruston
2003-2004
Marc Pédron

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Sommaire

Introduction...........................................................................................................3
1er partie.................................................................................................................3
Césare Lombrozo et son œuvre...................................................................3
J’accuse.......................................................................................................4
Les deux couleurs........................................................................................4
2 partie...............................................................................................................4
ème

La motivation..............................................................................................5
La mémoire.................................................................................................9
La résignation..............................................................................................9
L’abstrait par le concret, une facilitation ?................................................10
3 partie.............................................................................................................10
ème

Le contexte du Centre de Rééducation Professionnelle (CRP).................10


Obstacles liés aux contextes......................................................................11
L’obstacle rencontré en logique combinatoire..........................................12
Conclusion...........................................................................................................22
Bibliographie.......................................................................................................23

3/24
Introduction
Par obstacle, nous entendons immédiatement quelque chose de négatif, de gênant voire, à
éviter. Pourtant, un apprentissage qui en serait dépourvu, serait soupçonnable à bien des
égards, au niveau de l’institution le proposant et des participants. J’illustre mon propos dans la
1ère partie. La 2ème partie s’appuie sur les recherches menées par Alain Lieury, sur la mémoire
et sur la motivation. Effectivement, il n’existe pas d’apprentissage sans motivation (hormis le
lavage de cerveau) et ne pas tenir compte des caractéristiques de la mémoire, c’est prendre le
risque d’amener certains stagiaires vers la résignation. La 3ème partie est consacrée à un cas
d’obstacle que j’ai eu en logique combinatoire m’ayant motivé de suivre le cours « Obstacles
et Facilitations ».

1er partie
L’obstacle possède des vertus, et l’une d’elles est le non consentement à des théories
douteuses. Il n’est pas toujours aisé d’argumenter à l’encontre d’un enseignement, d’autant
plus, si celui-ci est socialement reconnu. Cependant il est possible, à défaut de contredire, de
ne pas adhérer à un enseignement. La nuance est importante : « Je crois que… » est une
affirmation ; « Je crois le contraire » est une négation active ; « Je ne crois pas que… » est une
négation passive. L’obstacle idéologique est de cette sorte. Le premier exemple, cité dessous,
illustre un enseignement où probablement des étudiants ont vécu un tel obstacle. Le second
exemple, représente la critique du savoir facile, où l’apprentissage de l’Histoire dans une
classe de troisième, se résume à l’apprentissage des dates, des noms, de quelques concepts
clés sans, a priori, un réel investissement intellectuel des élèves. Le dernier exemple, montre
la situation où le formateur doit s’investir dans le savoir de l’autre, pour surmonter un
obstacle commun.

Césare Lombrozo et son œuvre

Vers la fin du XIX siècle, à l’Université de Turin exerçait Césare Lombroso, professeur de
Psychiatrie et de Médecine légale. Voici un extrait de se qu’il écrivit dans un de ses
ouvrages1.
« …nous voyons de même, de nos jours, les Japonais, bien plus avancés que les Chinois dans
la voie du progrès, à cause sans doute de leur mélange avec les races malaises. L’inoculation
du sang germanique expliquerait la précoce civilisation de la Pologne et peut-être même le
fait qu’en Franche-Comté on remarque les plus grands révolutionnaires dans le domaine des
sciences. Des effets analogues sont dus aussi aux changements de climat, qu’on pourrait
nommer un croisement climatérique : c’est celui-ci qui éleva en Europe le Sémite à une
hauteur de génie qu’il n’a pas en Asie, et qui transforma l’Anglo-Saxon en Américain bien
plus libre et plus génial. »

Quoi de plus inquiétant, si ce n’est ces étudiants acquiesçant les magnifiques courbes
statistiques démontrant la validité de ces études ; qu’ils reçurent pour les « supérieurs à la
moyenne », la bénédiction d’un diplôme validant un savoir que d’autres n’eurent pas. Les
sensés étaient recalés. Comment étaient-ils perçus ? Comment cette Université gérait ces
abandons ? Je ne propose aucune réponse à mes questions, seulement l’importance de se
1
L’anthropologie criminelle et ses récents progrès. 1891, Bibliothèque de la philosophie contemporaine, P156.

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questionner sur sa pertinence, quel que soit le savoir que l’on prodigue; par exemple dans
mon domaine, l’informatique, s’il n’est pas obsolète par rapport aux besoins de l’industrie.

J’accuse

Lorsque j’étais professeur de technologie dans un collège, les élèves de troisième avaient
étudié l’affaire Dreyfus à l’occasion du centenaire de Zola. Ils proposaient un exposé de fin
d’année lors de la fête de l’école. Intéressé, je souhaitais poser quelques questions. Cependant
mon enthousiasme s’estompait rapidement à la question : « Sur quelle preuve, Zola s’est
appuyé pour dénoncer l’armée française ? ». Aucune réponse tangible. L’absence de cette
question dans leurs réflexions, indique la possibilité qu’ils auraient pu aussi bien faire le
même travail anti-Dreyfusard dans un autre contexte. Ils étaient dans l’ensemble de bons
élèves sans difficultés. Ainsi le cours d’Histoire n’était pas un apprentissage sur le « comment
faire de l’Histoire » mais réussir un examen où l’institution favorise « le par cœur » en dépit
de la réflexion. Le problème se rencontre dans les formations courtes en informatique où le
logiciel est découpé en une multitude de performances en ignorant la gestion de l’outil dans
son ensemble. De cette manière le stagiaire parvient à réaliser sa formation sans encombre,
cependant lorsqu’il se retrouve seul, loin du centre de formation, il rencontre les réelles
difficultés du logiciel et comme dans beaucoup de cas, exploite mal ses connaissances sur le
programme, voire abandonne.

Les deux couleurs

Dans notre civilisation, nous décomposons en sept couleurs l’arc en ciel. Il existe une culture
qui le décompose en deux couleurs : une couleur chaude et une couleur froide. Elle a pour
origine le fait qu’il existe deux catégories de fleurs : les chaudes et les froides. Notre système
n’étant pas adapté à ce concept, les botanistes ont dû puiser dans le latin, ces deux termes. Or
imaginons un formateur, expliquant notre système à un stagiaire possédant l’autre
représentation : obstacle ! Si le formateur n’a pas connaissance des autres possibilités (il
existe aussi une décomposition en cinq couleurs), il aura de grandes difficultés, voire
l’impossibilité de transmettre la représentation de nos couleurs. J’esquisse ce qui est le
principal rôle d’un formateur : la fonction de facilitation dans l’apprentissage. Elle existe dans
sa manière de faire et lorsqu’il existe un obstacle, elle passe par l’explicitation des
représentations de l’autre (et de la sienne) et de sa compréhension. Cela prend du temps, mais
c’est l’élément faisant la différence avec n’importe quel autre procédé d’apprentissage
dépourvu de relation humaine. Si le formateur ne réalise pas cet effort, il peut fort bien être
remplacé par la plupart des logiciels pédagogiques concernant les savoirs encyclopédiques. La
question serait dès lors, la prégnance de la motivation du stagiaire.

2ème partie
Des quelques auteurs que j’ai étudiés, à Alain Lieury revient le mérite d’être plus accessible
par les résultats de ses recherches, et la lisibilité de ses ouvrages en facilite l’accès.
Effectivement, l’écueil de certaines démonstrations (ou théories) repose sur la négligence du
temps passé pour un élève ou des moyens mis en œuvre. Cette erreur d’analyse a été le succès

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de la « PEI2 » où, suite à une recherche mené à l’AFPA3, il a été constaté que la source du
progrès se trouve plus dans le temps consacré au stagiaire par le formateur, que la méthode
elle-même.

Je commencerai par la motivation, ce qui semblerait paradoxal à mes propos ci-dessus, puis
qu’il n’est pas exploitable concrètement mais hypothétiquement. Cependant, cela me permet
de mieux appréhender chaque stagiaire, surtout lorsqu’il s’agit de réinsertion professionnelle.
Une partie de mon récit porte sur la mémoire et aide à quantifier le nombre d’informations
possibles durant un cours. Le chapitre suivant traite des recherches qu’ Alain Lieury a
menées sur les conséquences d’une surcharge d’information. Pour conclure, je me suis inspiré
de recherches sur la place du concret dans les domaines abstraits, tels que la logique
combinatoire.

La motivation

« La motivation désigne l’ensemble des mécanismes biologiques et psychologiques qui


permettent le déclenchement de l’action, l’orientation, l’intensité et la persistance. »

Il existe plusieurs courants pour expliquer le concept de motivation. B. Weiner (1992),


les a répartis en deux catégories qui sont « l’Homme-machine » et « l’Homme-dieu » ; pour
l’un, l’Homme est fondamentalement agi par des causes qui le dépassent, telles que des forces
inconscientes (psychanalyse), des stimuli (behaviorisme), des déterminations sociales
(sociologie classique). Pour l’autre, l’Homme est pleinement conscient et rationnel. Ce
courant a proposé depuis la seconde moitié du XXe siècle, des théories cognitives de la
motivation. J. Nuttin (1980) présente une vision de la motivation humaine caractérisée par la
recherche intentionnelle du progrès à travers la construction de buts, plans et projets
personnels. La spécificité de la motivation humaine est le dynamisme d’autodéveloppement et
la directionnalité. Par le dynamisme d’autodéveloppement, le chercheur suggère qu’il ne soit
pas nécessaire d’avoir de stimulation pour entrer en action (contrairement à la théorie
béhavioriste), car il existe une tendance inhérente au fonctionnement humain, à progresser
vers des buts personnels de plus en plus avancés, contrairement au fonctionnement animal ou
à celui de l’ordinateur, reproduisant des cycles d’actions préprogrammés. Par la
directionnalité, l’individu s’avère capable de se donner lui-même des orientations, des
finalités pour déclencher, modifier et réguler ses actions, contrairement à un animal. Toutefois
la notion la plus importante, qui tranche sur le monde animal et l’univers des machines, est la
perspective d’avenir. Elle est la condition sine qua non, dans la construction des buts
personnels s’inscrivant inévitablement dans un horizon temporel à plus ou moins long terme.
Un lien est possible entre cette notion et celle d’anticipation du renforcement à propos de
l’apprentissage.

Pour saisir ce concept d’anticipation du renforcement, un détour chez Y. Pavlov et ses


successeurs est le bienvenu. Ce physiologiste russe a découvert vers la fin du XIX siècle, le
conditionnement. Lorsque l’on répète le couplage de deux excitants, l’un nouveau comme un
signal sonore, l’autre de la nourriture pour le chien, on s’aperçoit au bout de plusieurs
dizaines de répétitions, que le signal sonore déclenche la salivation avant même la présence de

2
Programme d’Enrichissement Instrumental
3
Alain Moal, « La question du transfert des acquis dans les re-médiations cognitives », Les cahiers de
Beaumont, n°74/75 – mai-juin 1997

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la viande4. Ce son est devenu, par le couplage et la répétition, un excitant conditionné. La
suite des recherches montre que le conditionnement ne se fait que si le couplage est suivi
d’une récompense, appelée renforcement.

C. Hull ajoutera qu’il faut un besoin pour que le renforcement ait un effet. Les rats
apprennent d’autant plus vite que le besoin est fort (la faim) et que le renforcement (la
nourriture) est donné à la fin de chaque essai. Cependant dans la nature, l’adaptation ne peut
se faire que sur le modèle d’essais-erreurs, car de nombreuses erreurs seraient fatales, par
exemple manger une plante toxique. De ce fait, il faut tenir compte de l’apprentissage social.
Miller et Dollard ont entraîné un rat « leader » à recevoir de la nourriture dans une branche
d’un labyrinthe en forme de T. Dans la deuxième phase, un rat naïf est placé derrière le rat
leader à chaque essai. On observe que le choix du rat naïf se fait au hasard, il ne suit pas
spontanément le démonstrateur : l’imitation n’est pas innée. Dans la troisième phase, le rat
naïf est renforcé par de la nourriture chaque fois qu’il prend la même allée que le
démonstrateur ; au bout de plusieurs essais, le rat naïf devient imitateur. L’anticipation du
renforcement (ou anticipation symbolique du renforcement)5 tel que le désir d’une promotion
professionnelle, une augmentation possible, est un levier puissant dans l’apprentissage. A titre
d’exemple, les jeux d’argent devraient selon le renforcement négatif (on perd plus que l’on ne
gagne) résigner les joueurs même les plus « inconditionnels » ; or c’est bien l’attrait
hypothétique du gain qui maintient la motivation. L’anticipation du renforcement (l’idée du
gain), se montre plus puissante que le renforcement immédiat (la perte continuelle d’argent).

Toutes les motivations ci-dessus sont de types extrinsèques. C’est à dire que
l’apprentissage est motivé par un élément extérieur du savoir à cristalliser. Le renforcement
est le propre de toutes formes de motivations extrinsèques ; cependant il ne faut pas en abuser,
cela provoquerait un effet Crespi6, où les performances diminuent.

Loin des chocs électriques ou bananes, H. Harlow découvrit avec les singes, le besoin
de curiosité. Dans une cage fermée, chaque singe doit apprendre à discriminer un carton bleu
d’un carton jaune et lorsqu’il appuie sur le bon carton, la récompense est l’ouverture d’une
fenêtre avec vue sur une pièce où différentes « animations » sont prévues (ex : un train
électrique). La récompense n’est donc pas, comme à la mode behavioriste, de la nourriture,
mais une stimulation cognitive. L’expérience peut durer un mois sans satiété. H. Harlow de ce
fait, oppose les motivations d’exploration (motivations intrinsèques) aux besoins
physiologiques et homéostatiques.

La motivation intrinsèque se nourrit d’elle-même ; le plaisir d’apprendre les échecs à


titre d’exemple. Elle ne provient d’aucune contrainte, elle est de la volonté du joueur à
s’améliorer dans la discipline qu’il a choisi. On parlera d’autodétermination. Son antonyme
est la résignation (appelé aussi amotivation).

4
Tandis que l’apprentissage avec un renforcement négatif (ex : choc électrique) conditionne l’animal après le
premier ou deuxième choc. C’est observable chez les individus ayant certaines peurs tel l’automobile après un
accident.
5
Ce renforcement est propre à l’Homme.
6
Nom du chercheur ayant découvert que des rats habitués à recevoir une forte récompense avaient une chute de
performance lorsqu’ils recevaient une quantité normale de nourriture.

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Comportement autodéterminé

Motivation intrinsèque

Motivation extrinsèque

Amotivation
Absence d’autodétermination

La motivation vue comme un continuum en fonction de l’autodétermination


Schéma inspiré de la théorie de Deci & Ryan 1985

Les divers renforcements ont sur cette motivation un effet négatif. Plusieurs
expériences l’ont démontré7. Tout type de renforcement est nuisible car par essence, l’intérêt
suscité par l’apprentissage n’est pas le fruit de conditions extérieures mais l’amélioration ou
l’appropriation de nouvelles compétences de la discipline choisie par le stagiaire. Un schéma
résume quatre comportements possibles, selon la compétence perçue du stagiaire et le degré
de son autodétermination :

Dans le centre de rééducation professionnelle où je travaillais, une formatrice


s’occupait du projet professionnel et par le biais des valeurs mises par les stagiaires dans leur
7
Voir « Motivation et réussite scolaire », Lieury, P28-32.

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profession, elle tâchait de transformer le sentiment de contrainte dû à la situation, de les
mener vers l’autodétermination ; tandis que nous autres, formateurs techniques, devions tenir
compte de leur fragilité psychique, en oeuvrant sur une stratégie de valorisation de leur image
de soi.

La motivation selon deux composants


Schéma inspiré de la théorie de Deci & Ryan 1985

Pour conclure sur la motivation, il n’existe pas d’apprentissage possible en l’absence


de celle-ci. Son apport sur la performance serait d’un peu plus de 10%. Ce pourcentage est
fragile car il résulte de deux observations non longitudinales sur des motivations extrinsèques
avec un renforcement de type « fait de ton mieux ». De plus, l’ajout de cette motivation se
joint à d’autres préexistantes. L’observation entre un passionné et un stagiaire peu motivé,
prouve qu’à long terme, la motivation est un facteur important au même titre que la capacité
d’apprentissage elle-même.

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La mémoire

Ce chapitre vous propose quelques résultats d’expériences, toujours tirées des ouvrages
d’Alain Lieury, m’ayant aidé dans ma pratique de formateur.

Tout d’abord il n’existe pas, comme le suggère le philosophe pédagogue La Garanderie, des
sujets de type « visuel » « auditif » etc. ; l’image obtiendrait une légère supériorité au mot
pour les termes concrets dans la mémorisation. Cela est dû au principe du double codage :
lorsque vous voyez l’image d’une voiture, automatiquement votre cerveau vous renvoie son
équivalent verbal. Cependant cette image perçue sera transformée. Une expérience avec des
enfants à qui l’on montrait différentes images, contenait l’image d’un cochon bleu ; les
enfants se rappelaient d’avoir vu un cochon mais rose. Le souvenir n’est pas une copie
perceptive, mais un codage de l’information. Notre Mémoire comporte différentes mémoires
dont l’une se nomme mémoire sémantique ; son rôle est de stocker les concepts. Cette
mémoire possède une immense capacité et à long terme. Seulement elle n’est pas accessible
directement. Pour emmagasiner une nouvelle information conceptuelle, il faut passer par
d’autres modules tels que la mémoire épisodique. Toutes les voitures que vous avez pu voir
sont stockées dans cette zone. Cette somme permet d’atteindre la mémoire sémantique et d’en
réaliser un concept. Pour améliorer l’apprentissage, il est intéressant d’appréhender un
nouveau concept sous différentes formes à différents moments. Alain Lieury propose la
notion d’apprentissage multi épisodique. L’apprentissage « par cœur » est aussi un bon moyen
s’il est conçu intelligemment ; pour cela, il faut connaître les caractéristiques de la mémoire
« à court terme ». Elle est directement accessible mais extrêmement volatile et limitée, en
moyenne, à sept concepts. Par exemple, lorsque vous réalisez l’opération mentalement : « 3 +
4 = » vous mobilisez quatre concepts. L’opération : « 1 + 2 + 1 + 1 + 1 + 1 = » : si l’opération
en soit n’est pas plus compliquée, elle mobilise douze « emplacements » rendant la tâche
ardue voire impossible si la personne n’a pas recours à des stratégies de catégorisation. La
catégorisation permet de dépasser cette capacité de sept éléments. Exemple : « arbre :
pommier, chêne, pin, saule ; animaux : chien, chat, girafe, zèbre ; poisson : carpe, thon, sole,
truite ». Quatre ensembles de quatre éléments apportent de bons résultats. Une expérience
dont les résultats ont été traduits sous forme d’évaluation sommative sur 20, faisait passer de
8, sans catégorisation, à 14 avec une bonne catégorisation. Ce type d’apprentissage n’est pas
très apprécié, cependant il est parfois indispensable. Par exemple, pour la formation de
technicien de maintenance en informatique, il est indispensable de savoir qu’un byte en
anglais est un octet en français, c’est à dire huit bits et qu’un bit c’est une valeur qui
correspond soit à zéro, soit à un. En apprenant par cœur, on apprend aussi à catégoriser et à
être plus disponible à l’acquisition de procédures telles que les fonctions logiques.

Notre mémoire à court terme est limitée, en moyenne, à sept concepts. Que se passe t’il durant
un cours, lorsqu’il existe une surcharge d’information ?

La résignation

Une expérience avec une carte de géographie surchargée d’information montrait que si
les élèves « rapides » et « moyen » augmentaient le nombre d’items (sans atteindre la totalité
sur 5 essais), les élèves « lents » basculaient après le troisième essai vers une baisse au
quatrième et cinquième essai du nombre d’items reconnus. Ils avaient acquis la résignation.
Aussi la croyance de certains enseignants : « Plus je donne de l’information, plus il en

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restera » est non seulement erronée mais produit cet effet pervers de la résignation, où les
performances d’apprentissage baissent. D’autres expériences furent réalisées confirmant ce
phénomène. La résignation n’est pas une attitude innée mais acquise lors d’un apprentissage,
qu’elle est conditionnée d’une manière générale, lorsqu’il n’est plus possible de percevoir de
lien entre ses actions et l’environnement qui les entoure.

L’abstrait par le concret, une facilitation ?

Si l’image est légèrement plus efficace que le mot pour un terme concret, l’abstrait et les
procédures ne répondent pas aux mêmes caractéristiques d’apprentissage. Une expérience fût
menée à propos de l’apprentissage des fractions. Les opérations d’additions étaient apprises
par un groupe à l’aide d’images (une demi tarte pour ½), l’autre groupe en travaillant
uniquement avec les nombres. Lors de l’évaluation, les écarts de performance entre les deux
groupes augmentaient avec la difficulté des problèmes et pour l’addition de deux fractions
n’ayant pas le même dénominateur, le groupe « images » étaient dans de réelles difficultés
dues à la méthode proposée.

Si l’image peut aider la compréhension du concept de base de la fraction, elle devient une
fausse facilitation concernant l’application des opérations. Je constate ce problème dans la
croyance que les produits informatiques sont systématiquement plus « performants » que le
papier crayon et la gomme pour l’apprentissage. Une recherche sur les experts, avec entre
autres, une étude sur les violonistes, concluait que c’était le nombre d’heures d’entraînement,
de répétition, le facteur déterminant le niveau de l’instrumentiste. C’est en forgeant que l’on
devient forgeron.

3ème partie
Le contexte du Centre de Rééducation Professionnelle (CRP)
Cette partie en italique, est un extrait d’un de mes précédents travaux, où, en l’occurrence, je
devais présenter le centre « Suzanne Masson ».

La création d’un CRP est souvent, à l’origine, une initiative syndicale ou ecclésiastique. Ce
sont donc des établissements privés, gérés par des associations à but non lucratif, et
regroupés pour nombre d’entre eux, au sein de la FAGERH8 (Fédération des Associations
Gestionnaires et des Établissements de Réadaptation pour Handicapés). D’autres sont
publics comme ceux de l’ONAC (Office National des Anciens Combattants). Le CRP
« Suzanne Masson » fut créé en 1950 suite à une convention signée entre l’USTM9 Seine de la
CGT et la Sécurité Sociale. Les locaux actuels ont été inaugurés en 1981 au 41 avenue du Dr
Arnold Netter Paris 12ème. Le bilan durant ses 50 années d’existence est de 13 876 stagiaires
formés dont 9 000 réinsérés dans un emploi qualifié dans la profession apprise. Il rééduque
260 handicapés en moyenne par an dans les domaines de l’électronique, l’automatisme et
informatique ; les formations sont de niveau V (CAP BEP), niveau IV (BAC pro) et
récemment niveau III (BTS) ; elles sont homologuées par le ministère du travail ; l’ingénierie
se réalise en partenariat avec la FAGERH et l’AFPA ; l’actualisation des besoins
8
Elle fédère 14 associations gestionnaires et plus de 80 établissements de préorientation et de rééducation
professionnelle sur les 113 répartis sur l’ensemble du territoire.
9
Union Syndicale des Travailleurs de la Métalurgie.

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technologiques est entretenue principalement par les enquêtes réalisées par les formateurs
lors des visites de leurs stagiaires en PAE (Période d’Application en Entreprise) auprès des
responsables d’encadrement de l’entreprise. Le centre perçoit 1200 f par jour par stagiaire
de la Sécurité Sociale ; pour obtenir l’équilibre budgétaire, il lui faut un taux de remplissage
de plus de 75%. Les orientations des travailleurs handicapés sont proposées par les
psychologues de l’AFPA avec l’aval de la COTOREP. Il faut savoir que plus de 80% des
stagiaires avant l’entrée en formation, sont au chômage depuis plus d’une année et que 40%
des stagiaires percevaient moins de 3600f par mois. Durant la formation, ils perçoivent
l’intégralité de leur salaire antérieur s’ils ont travaillé au moins 6 mois durant une année ou
12 mois durant 2 ans et cela, même si cette condition était établie 10 ans avant la formation ;
sinon le stagiaire ne remplissant pas ces conditions gagne 90% de l’indemnité forfaitaire :
3800f. Cette situation est rare, se sont souvent les jeunes stagiaires ayant peu d’expérience
professionnelle qui sont dans cette situation. La nature de la prise en charge est due, pour les
2/3 des stagiaires, d’une maladie longue durée et pour 1/3 suite à un accident de travail ou
une maladie professionnelle.
Les formations durent 17 mois ; elles correspondent aux formations de douze mois d’AFPA
mais avec le suivi médico-social en plus. Elles sont entrecoupées par deux Périodes
d’Application en Entreprise (PAE).
La PAE est fondamentale pour la réinsertion du stagiaire ; dans un premier temps, il
appréhende le secteur professionnel auquel il se forme techniquement ; dans un deuxième
temps, il peut obtenir une promesse d’embauche dans l’entreprise où il a effectué son second
stage d’application. Le mémoire (pour le diplôme universitaire des professionnels de
l’insertion des travailleurs handicapés) de Jean Claude Melis, concluait que c’était la
méconnaissance des travailleurs handicapés chez les employeurs qui était l’un des
principaux frein à leur réinsertion. Ces derniers préférant verser la contribution au fond de
développement pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées.

Obstacles liés aux contextes.

Dans ce contexte, trois principaux obstacles peuvent se présenter à certains stagiaires :

Un obstacle idéologique : le centre est dirigé par le syndicat de la C.G.T. et beaucoup


de formateurs sont issus de ce syndicat.

Un obstacle lié à l’image de soi : « Je suis dans un CRP parce que je suis handicapé. ».
Le travail est, de prime abord, basé sur les représentations : être travailleur handicapé
ne signifie pas être handicapé, c’est un droit ; CRP ne signifie pas Atelier Protégé :
l’objectif est qu’à l’issue de la formation, ils aient un emploi avec un statut de salarié
ordinaire.

Plus complexe est la représentation des métiers, pouvant mener à des blocages. Le
travail d’une de mes collègues, responsable du projet professionnel, consistait à
réaliser avec le stagiaire des « portraits » de son ancien métier, afin de trouver un
emploi dans le domaine de la maintenance informatique selon les critères de ce
portrait. Par exemple : un ex-camionneur cherchera un poste où il existe de nombreux
déplacements, sans horaire, retrouvant ainsi les mêmes critères du métier de
camionneur, dans son nouvel emploi.

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Les obstacles et les facilitations durant un module de logique
combinatoire

J’étais responsable d’un module de logique combinatoire pour un nouveau groupe de


stagiaires. Tenant compte des propositions sur l’apprentissage multi épisodique, le module
était entrecoupé de QCM sondant les savoirs encyclopédiques, d’évaluations demandant la
compréhension et la conception de logigrammes10, testant un savoir plus abstrait, et
d’applications pratiques sur des simulateurs logiques à câbler. Le premier cours traitait de la
technologie des ordinateurs pour introduire la notion du binaire, de l’octet. Puis les fonctions
logiques, ayant parfois recours à des exemples de la vie quotidienne.

Introduction

La première difficulté en logique combinatoire est le concept de l’écriture des nombres dans
de la base deux (binaire), nombres comportant deux chiffres : 0 et 1. Aussi j’interpellais le
groupe avec la question suivante : « Pourquoi comptons-nous avec la base 10 ? ». Le groupe
ne trouvant pas, je leur montrais mes mains et l’un des stagiaires a fait le
rapprochement : « Parce que nous avons dix doigts ? ». J’ai par la suite expliqué que d’autres
civilisations ont adopté d’autres bases et que nous continuons à exploiter l’une d’elle (la base
soixante) par le biais de l’heure (hormis les unités de temps inférieures à la seconde qui est dû
à notre civilisation telle que la milliseconde). Une fois cette notion de base comprise, nous
abordions le binaire. Pourquoi les ordinateurs utilisent-ils cette base ? Pendant que le groupe
émettait des hypothèses, je me suis approché de l’interrupteur et j’ai éteint l’éclairage. Puis
j’ai rallumé. J’ai recommencé en disant : « Lumière, pas de lumière » (à ce moment là,
certains stagiaires se sont inquiété de la santé mentale de leur nouveau formateur) ; puis
« courant, pas de courant » et pour finir « zéro, un ». Je leur ai expliqué que la technologie
actuelle des ordinateurs ne reconnaît que deux états : présence ou absence de tension (des
centres de recherches travaillent sur le laser pour remplacer la tension). Cela a provoqué un
étonnement : « deux chiffres, c’est peu » sous-entendu par une erreur de raisonnement : « la
base deux c’est cinq fois moins que la base dix ». J’ai alors expliqué à titre d’exemple, que
grâce à ces zéros et uns il est possible de stocker sur un DVD une encyclopédie. Les stagiaires
acquiesçaient et pourtant la comparaison entre les deux bases persistait. Alors je leur ai
proposé de trouver le nombre de combinaisons possibles avec un nombre à deux chiffres en
base deux. La réponse était rapide : quatre. Néanmoins, une bonne réponse pourrait cacher
une erreur de raisonnement. Avec trois chiffres ? « Six ! ». Dès lors j’ai inscrit au tableau les
trois chiffres avec toutes les combinaisons possibles en binaire et leur équivalence en décimal.
Binaire Décimal
000 0
001 1
010 2
011 3
100 4
101 5
110 6
111 7

10
Schéma qui présente les relations logiques des entrées et sorties en faisant abstraction de toute technologie.

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Trois chiffres possèdent huit combinaisons. Puis j’ai recommencé avec quatre chiffres. Á
partir de cinq chiffres (trente deux combinaisons), je leur ai demandé de comprendre car je
n’aurais plus de place sur le tableau… Et puisqu’ils avaient compris, je leur ai proposé
d’estimer le nombre de combinaisons possibles avec trente-deux chiffres. Lorsque je leur ai
annoncé un peu plus de deux milliards, leur représentation qu’avec la « base deux, c’est peu »,
est devenu moins prépondérante. Je suis revenu à un nombre à huit chiffres. Ce nombre est
une unité de base en informatique appelée octet (octo venant du grec signifiant huit)
permettant 256 combinaisons. Je leur ai proposé le tableau suivant pour obtenir la valeur
équivalente en décimal avec un exemple binaire, le nombre 1010 0110.

128 64 32 16 8 4 2 1

1 0 1 0 0 1 1 0

Pour connaître le nombre en décimal, il suffit d’additionner les « poids » où il existe 1 ; notre
nombre devient 2+4+32+128=166 ; ainsi 1010 0110 en binaire correspond à 166 en décimal.
Dans mon élan, j’ai souhaité aller plus loin dans mes explications en remplaçant les « poids »
par 20 jusqu’à 27 et comparer avec un autre tableau décimal de 100 jusqu’à 103. Cependant je
négligeais le prérequis de connaître la notion de puissance et surtout l’explication « quel que
soit x, x0=1 », m’emmènerait dans un dédale d’explications. Interrompre l’explication en
invoquant le fait que les stagiaires ne sont pas au niveau est une des approches les plus
maladroites et malhonnêtes. Persister dans les explications, signifiait un détour à travers les
mathématiques, or je n’avais rien préparé sur ce sujet et je risquais de m’éloigner de l’objectif
du cours. Alors j’ai continué doucement le cours puis voyant la plupart des stagiaires
décrocher, je leur ai annoncé que je me détournais du programme et qu’il était temps de
prendre une pause bien méritée. C’était un peu lâche mais entre deux maux, mieux vaut
choisir le moindre (surtout lorsqu’on est à son origine).

Après la pause, je suis revenu à l’éclairage de la salle. Je commandais les lampes avec
l’interrupteur tout en proposant aux stagiaires la convention suivante : l’interrupteur est une
entrée et les lampes une sortie. Sur cela, je leur ai dessiné le schéma suivant :

C’est ce que l’on appelle un schéma de développement en électricité (il représente tous les
fils). Pour la logique, l’interrupteur est remplacé par un bouton poussoir (un bouton poussoir
ne conserve pas en mémoire la position contrairement à l’interrupteur, c’est le cas de la
plupart des sonnettes : elle sonne tant que vous appuyez sur le bouton).

S
A

14/24
Si j’avais nommé S (comme Sortie) la lampe, je n’avais pas nommé le bouton poussoir E
(comme Entrée) mais A pour les raisons suivantes : lorsque j’aurais deux entrées, il sera
préférable d’employer A et B pour les distinguer au lieu de E1 et E2, et puis, c’était la
nomination employée sur une notice en anglais que je leur avais remise (voir plus loin).

L’avantage de ce type de schéma est qu’il propose une notation familière où il est possible de
se représenter si le circuit est ouvert ou fermé. Tous ces schémas m’étaient indispensables
pour analyser avec le groupe une fonction logique. Le logigramme par sa notation, ne propose
pas cette facilitation.

Deuxième convention : lorsque que je n’appuyais pas sur le bouton, il était au repos, c'est-à-
dire à 0, tout comme la lampe lorsqu’elle était éteinte. Lorsque j’appuyais, il était à 1 et la
lampe s’allumait également. J’ai donc proposé la table de vérité correspondant au montage :

A S

0 0

1 1

Une règle à connaître pour les schémas de développement : ils sont toujours représentés avec
les commandes au repos.

Pour chaque présentation d’une nouvelle fonction logique, je proposais une analogie de la vie
courante puis le schéma de développement, sa table de vérité et sa notation en logigramme.
J’allais du concret vers l’abstrait hormis pour le cas du NON (NOT).

L’inverseur (NOT)

Dans le cas de l’inverseur, j’ai proposé l’analyse de son fonctionnement par le biais d’un
schéma de développement et de sa table de vérité. Je ne me suis pas servi d’analogie. Donner
un exemple avec « ne…pas » est une fausse facilitation : « ne pas être grand » ne signifie pas
« être petit ».

A S

0 1
A S 1 0

15/24
Une nouvelle difficulté est apparue : le bouton poussoir était au repos mais la lampe éclairait.
Quel était le sens de ce schéma ? « Ce n’est pas logique ! ». Alors j’ai donné l’exemple du
TGV sans entrer dans les détails techniques : lorsque le système de commande tombe en
panne (entrées à zéro), les freins sont activés. Le machiniste donne l’ordre, afin que le train
avance, le « non-frein ». Ainsi, pour entrée « non-frein »=1 a pour conséquence : sortie
frein=0. J’ai proposé le premier logigramme :

A S

Le ET (AND)

L’exemple donné dans la vie courante était la lettre recommandée pour « Madame ET
Monsieur » où pour l’avoir la présence des deux signatures est impérative. Le schéma de
développement où les deux boutons poussoirs devaient être à 1 pour que la lampe soit
également à 1, a posé moins de problèmes de compréhension que le « NON ».

A B S

0 0 0
S 1 0 0
A B
0 1 0

1 1 1
A S
B

Le OU (OR)

En introduction, j’ai repris l’exemple de la lettre recommandée avec « Madame Ou


Monsieur » où la condition était l’une des deux personnes ou les deux. Cela a emmené mon
explication vers le fait qu’en logique deux types de OU peuvent être déterminés : le « OU
inclusif », qui correspond à l’exemple de la lettre recommandée et le « OU exclusif » qui
correspond à l’exemple de la vie courante : « Fromage ou dessert » du menu dans un
restaurant. Je leur ai proposé bien sûr d’essayer dans un restaurant, le « OU inclusif » … En
ce qui concerne le cours, nous allions nous intéresser uniquement au « OU inclusif » (et qui
sera appelé dorénavant « OR »). Comme pour le « AND », la compréhension du schéma de
développement du « OR » et sa table de vérité n’a pas provoqué de difficultés majeures.

A B S

0 0 0

1 0 1
A S
16/24 0 1 1
B
1 1 1
A S
B

Après la présentation des quatre fonctions logiques, nous passions à la pratique avec les
simulateurs logiques.

Durant cette étape, je veillais à la méthodologie des stagiaires. C’est la compétence la plus
importante exigée chez un technicien. Faisaient-ils le schéma de développement sur un
brouillon ? Marquaient-ils les fils câblés sur ce brouillon ? Ce genre de détails est très
révélateur des problèmes à venir chez certains stagiaires. Il est possible de manquer une
évaluation, que durant quelques temps les apprentissages ne soient pas fameux car le stagiaire
a des ennuis hors formation, mais pour la méthodologie, cela renvoie non pas à un savoir
faire, mais plus à un savoir être. Demander une modification de celui-ci, génère diverses
résistances de la part du stagiaire et si l’on échoue sur cela, c’est l’insertion du stagiaire qui
est vouée à l’échec, quel que soit son niveau de technicité. Aux stagiaires qui avaient des
difficultés durant la pratique, je demandais systématiquement leurs brouillons pour voir si les
fils câblés étaient repérés. Si ce n’était pas le cas, je devenais très maladroit pour le
dépannage : au fur et à mesure de ma recherche, j’enlevais tous les fils, je m’en excusais et lui
proposais de recommencer le montage avec un brouillon. Cette attitude s’avère toutefois
dangereuse car il faut savoir nuancer selon le stagiaire : l’un comprendra le comique de la
situation, un autre voudra régler votre compte sur le champ. Mais finalement, les stagiaires
comprennent quel est votre mode de fonctionnement ; votre respect à leur égard, votre
intransigeance avec vous-même, avec eux et surtout vos efforts de préserver la salle de cours
comme un lieu protégé de tout jugement. Ainsi au fur et à mesure, même le plus dur des
stagiaires avait le droit de voir son montage intégralement démonté s’il n’avait pas été
méthodique.

La séance suivante a commencé par un QCM. La difficulté relevée est qu’il n’était pas
suffisant de comprendre : les notations devaient être apprises par cœur car elles ne pouvaient
pas être déduites d’une quelconque réflexion.

Cette séquence consistait à apprendre les fonctions « NAND » (NON-ET) et « NOR » (NON-
OU). Elle permettait de revenir sur les difficultés précédentes, à l’élaboration de leur schéma
de développement, de leur table respective, à la découverte de deux nouvelles notations : le
« NAND » et le « NOR ».

17/24
NAND
NAND AND
A B
S S
0 0 1 0

A 1 0 1 0
S
0 1 1 0
B
1 1 0 1

Sur cette table de vérité, j’ai mis en


comparaison le « NAND » et le « AND »,
pour saisir cette notion d’inversion et
comprendre qu’il suffit de connaître l’un
des deux pour retrouver l’autre.

NOR
NOR OR
A B
S S
0 0 1 0

1 0 0 1
A B S
0 1 0 1

1 1 0 1

Pour la pratique, il n’était plus question de reproduire le schéma de développement mais


d’utiliser une puce. J’avais des puces dont les « NAND » et les « NOR » étaient à trois
entrées. Cela ne me semblait pas d’une difficulté majeure, et pourtant il s’est avéré à l’origine
d’un obstacle (tout au moins son symptôme) pour une stagiaire. J’avais expliqué qu’il ne
fallait pas laisser cette troisième entrée sans être connectée, sinon cela équivaudrait à une
entrée à 1 (c’est dû à la technologie TTL), donc les stagiaires tenaient compte de cette
caractéristique.

Pour leurs montages, je remettais ce document (voir page 18) où le stagiaire devait repérer les
informations pertinentes ; c’était la difficulté majeure du TP, dans la mesure où le texte étant
en anglais, les résignait de prime abord. Mon travail à ce stade était de les guider vers les
éléments qu’ils pouvaient reconnaître et, par conséquence, de les amener à surpasser leur
représentation : « je suis nul en anglais, donc je ne peux pas exploiter ce document. ».

18/24
Nous étions en groupe pour décrypter cette notice :

19/24
- « Alors qu’est-ce que vous reconnaissez ?».
Un moment de silence puis :
- « Il y a un logigramme en bas à droite, quatre NAND je crois. »
- « Et qu’est-ce qu’il y a sur ce logigramme ? »
- « Les entrées… 1A, 1B, 1C… »
Un autre : « Les sorties 1Y, 2Y… »
- « Oui, est-ce que l’on peut les retrouver ailleurs sur la notice ?»
De nouveau un moment de silence puis tout le monde a trouvé des A, des B, des C et des Y
partout sur le document. Comme il s’agissait de futurs techniciens en maintenance
informatique et non d’électroniciens, je me suis chargé de faire ressortir à leur place les
informations primordiales tout en leur montrant ma démarche. J’ai distribué à chaque binôme,
une puce. Ma démonstration avait pour objectif de montrer qu’un technicien (quelque soit son
domaine) doit prendre son temps pour observer, lire, repérer et noter les informations
pertinentes.
Ensuite je leur ai indiqué que la puce distribuée correspondait au schéma de câblage en haut à
droite de la fiche. Dès lors :

- « Qu’est ce que l’on retrouve sur le dessin de brochage de la puce ? »


- « 1A, 1B… les entrées et les sorties »
- « Exact mais c’est quoi VCC, GND ? »
Silence.
« C’est l’alimentation. VCC c’est le 5 volt et GND, la masse qui vaut 0 volt. N’oubliez pas :
présence de tension=1 et absence de tension=0 »

Ce type de travail est d’autant plus efficace que le groupe est serein face à l’adversité. Mes
propos peuvent paraître naïfs, mais je vois souvent des lieux d’apprentissage tristes où le
stagiaire à peur d’être ridicule. Et cela est souvent dû au formateur qui possède lui-même la
peur de ne pas savoir ou de se tromper. Être exigeant ne veut pas dire tout puissant et prendre
son activité au sérieux ne veut pas dire non plus se prendre au sérieux. Un collègue me disait
qu’il ne démarrait jamais un cours sans que le groupe ait rie d’une anecdote créant de la sorte
un climat favorable pour bouleverser les représentations (Il anime un atelier de philosophie
dans un centre d’insertion de jeunes de 18 à 26 ans)

Le montage d’un « NAND » à deux entrées

Première constatation : Les composants doivent être alimentés. Certes, cela va de soi,
cependant un logigramme ne tient pas compte des conditions de fonctionnement des diverses
technologies. Pour ce cas, il s’agissait de la technologie « TTL ».

Seconde constatation : Le logigramme n’est pas un schéma de câblage, Le schéma de câblage


doit être conçu par les stagiaires, à partir de la documentation et du logigramme. En leur
laissant le temps de réflexion sur cette conception, je leur proposais le mien :

Pour la troisième entrée, j’ai


Vcc probablement proposé au groupe de la
A C mettre sur « Vcc », cela correspond à
une entrée à 1, ce qui n’a pas d’influence
B
sur la combinaison entre les deux autres
entrées dans le cas d’un « NAND ».
Dans une même situation avec un
« NOR », il aurait fallu mettre la
GND troisième entrée sur « GND » (à 0).
20/24
Les difficultés étaient de savoir repérer le brochage et être méthodique lors du câblage. Cette
phase était très importante, car celui qui avait résisté à toutes les méthodes proposées
auparavant ne parvenait pas à réaliser le montage. Ainsi je devais affronter sa colère :
- « Mais vous pouvez m’aider ! »
- « Sans schéma, je ne peux rien faire. »
Un autre stagiaire : « Mais fais d’abord le schéma ! »
Le groupe se régulait.
Cette étape franchie, chaque binôme créait un circuit et proposait la table de vérité au tableau.
Les autres devaient d’abord trouver le logigramme puis faire le montage. A ce stade, il
s’agissait de jongler avec les fonctions logiques, de posséder un niveau d’abstraction
supérieur.

La séquence suivante a débuté par un QCM et les résultats étaient pour la majorité au-dessus
de deux tiers de bonnes réponses. Seuls deux stagiaires confondaient les notations entre
« AND » et « OR » et la difficulté relevée (je n’y avais pas pris garde auparavant) était la
rédaction des tables de vérité.
La séquence suivante a de nouveau débuté par un QCM, et j’ai constaté une amélioration pour
le groupe hormis pour un stagiaire. Il ne retenait pas les notations et cela devenait pour lui
insurmontable. Il avait apparemment des problèmes de concentration et il a dû interrompre sa
formation durant cette période pour des raisons médicales.

L’objectif de la séquence était l’apprentissage du théorème de Norman : A . B = A + B et

A + B = A . B avec la barre au dessus de la lettre ou de l’ensemble signifiant : inverse.

L’erreur à ne pas commettre et que j’ai commise, consistait à expliquer ce théorème ; il ne


s’explique pas, il se démontre. De ce fait, mes explications étaient mal structurées et lors du
dernier QCM, ma maladresse était patente. Je me suis excusé auprès du groupe et j’ai repris la
démonstration du logigramme avec sa table de vérité correspondant au « OR ».

Un « OR » avec des « NAND »

A B S
A
0 0 0
S 1 0 1

0 1 1
B 1 1 1

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Avec le « NAND » équivalent à un « NOT » :

A S
A S
(Ā) 0 1

1 0

Nous retrouvions le théorème :


_ _
A.B=A+B

Les stagiaires devaient réaliser par la suite les montages d’un « OR » et d’un « AND » avec
des « NAND » possédant trois entrées.

Lors de l’évaluation de la séance suivante, je demandais le logigramme du « OR » avec des


« NAND ». Une stagiaire avait réalisé celui-ci :

Durant la pratique, elle n’éprouvait aucune difficulté majeure et parvenait à réaliser ses
montages. Lors de la correction, je lui ai expliqué le non-sens d’une entrée sans valeur
déterminée dans son logigramme. L’essence de la logique combinatoire étant l’analyse d’un
système par l’observation du comportement des sorties selon les états déterminés des entrées.
Pourtant lors de l’évaluation finale, elle a réitéré cette erreur. Il me semblait qu’elle avait saisi
la notion de fonction logique mais peut-être qu’elle privilégiait le plan de montage au
détriment d’une démarche plus abstraite. Pour elle, un « NAND » avait obligatoirement une
entrée figée à la masse. L’obstacle était d’autant plus insurmontable qu’elle réussissait ses
montages. Elle s’était acquise une représentation fonctionnelle de la logique combinatoire. Le
simulateur primait sur le logigramme, le résultat sur la manière (erreur fréquente chez les
stagiaires en microinformatique).

22/24
Une facilitation aurait été qu’elle réalise le montage correspondant exactement à son
logigramme et qu’elle en fasse la table de vérité. Elle aurait pu comparer sa table à celui du
« OR ».

La dernière séquence était consacrée à la lecture d’une carte téléphonique à l’aide du


simulateur. Les notions d’apprentissage étaient la base 16 avec les nombres hexadécimaux et
la notion d’adressage. Les stagiaires devaient concevoir le schéma puis le montage. C’était un
« bonus » que je leur proposais et la difficulté était grande, mais elle était dans un contexte où
je ne les évaluais pas formellement, c’était ma manière de clôturer la logique combinatoire.
La stagiaire était parvenue à réaliser le montage, lire la carte téléphonique et remplir un
tableau représentant le contenu de la carte selon l’adresse, tandis que d’autres stagiaires
peinaient alors qu’ils avaient assimilé les logigrammes.

Conclusion
Conclure un mémoire sur ce thème, n’est-ce pas en soi un obstacle, tant le problème est
complexe ? Si les symptômes d’un obstacle sont observables, les causes sont hypothétiques.
La pertinence du diagnostique dépend de la vision globale du formateur. En guise
d’illustration, je prendrai appui sur mon expérience professionnelle. L’outil informatique fait
partie de la vie du formateur désormais. Beaucoup rédigent leurs cours, leurs travaux dirigés à
l’aide du traitement de texte. Mais je constate que peu connaissent certaines règles de mise en
page et cette méconnaissance rend le document peu attrayant, freinant l’intérêt des stagiaires à
sa lecture. Beaucoup de formateurs cherchent des éléments de réponse à travers des stages de
pédagogie, de psychologie ou autre et trouveront une explication plausible tandis que,
parallèlement, un simple imprimeur signalera que le document est illisible et un professeur de
français signalera des tournures de phrases maladroites. La situation risque de s’aggraver avec
le WEB et le « e-learning » où certains promoteurs confondent volontiers conception d’un
produit multimédia exploitant le potentiel de l’informatique avec transcription de documents
du format papier au format Web : lire sur un écran est moins confortable et je constate que
très souvent des formateurs ou des stagiaires impriment ces documents alors que la mise en
page n’est plus adaptée à une impression. Moi-même j’ai subit une légère pression du
directeur de l’école (Actuellement je travaille pour l’insertion de jeunes de 18-26 ans sans
qualification) pour inclure du « e-learning ». Ainsi les stagiaires, d’un bas niveau scolaire,
auraient pu être confrontés à des difficultés supplémentaires dues à la croyance au « tout
informatique » de la direction, négligeant les recherches à propos de l’autoformation :
l’obstacle est dans l’œuf.

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Bibliographie
J’ai évoqué Alain Lieury comme principale source d’information, cependant d’autres auteurs
m’ont influencé dans ma réflexion. Aussi, je propose tous les ouvrages m’accompagnant dans
ma démarche professionnelle même s’ils ne sont pas cités dans ce mémoire.

Alain Lieury et F. Fenouillet, Motivation et réussite scolaire, Paris, Dunod, 1996


Alain Lieury, Mémoire et réussite scolaire, Paris, Dunod, 1997

La mise en page devenant une compétence implicite liée à l’usage du traitement de texte, je
vous recommande cet ouvrage :
Yves Perrousseaux, Mise en page & impression, Gap, Atelier Perrousseaux éditeur, 1999

Pour comprendre le côté « obscur » de la formation :


Mireille Cifali, Le lien éducatif : contre-jour psychanalytique, Paris, PUF, 1994.

Pour réviser les principes de base du métier :


Jean-Paul Martin & Émile Savary, Formateur d’Adultes, Lyon, Chronique Sociale, 1999

Pour apprendre à communiquer « correctement » ou plus exactement, ne pas être le principal


obstacle de l’apprentissage :
Jean-Claude Abric, Psychologie de la communication –Méthodes et théories, Paris, Armand
Colin, 1996

Les deux derniers ouvrages révèlent la complexité des interactions et des comportements
humains :
Gustave-Nicolas Fischer, La psychologie sociale, Paris, Éditions du Seuil, 1997
P. Watzlawick J. Helmick Beavin Don D. Jackson, Une logique de la communication, Pour la
traduction française : Paris, Éditions du Seuil, 1972.

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