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Pierric Bergeron,
AVANT-PROPOS
Place au débat
La rédaction,
DES CRITIQUES
On nous a signalé le caractère pesant et ennuyeux de certains diaporamas
initiaux, même s'il faut bien mettre tout le monde au même niveau
d’information. Lors des échanges entre IPR (inspecteur pédagogique
régional) et participants, on constate parfois un manque de clarté sur les
questions qui peuvent être posées et auxquelles il peut y avoir des réponses et
ce qui est hors champ d'une journée centrée sur la pédagogie. Le manque
d’anticipation des objections se fait parfois sentir. Et les apports sont-ils
toujours suffisants pour rassurer les enseignants parfois assommés devant tant
de nouveautés d'un seul coup ?
Une enseignante en Bretagne reproche aux formateurs de se contenter de
mettre les stagiaires en groupes, sans s’assurer que le travail se fait, et de
donner des consignes trop floues. Une autre rapporte le manque de fermeté de
l’inspecteur-animateur qui lance une activité intéressante, mais se défend
d’obliger les participants à aller jusqu’au bout de ce qui est proposé, comme
s’il n’assumait pas le dispositif. Une collègue de l’académie d’Orléans-Tours
regrette que des travaux de groupes intéressants ne soient pas suivis de mise
en commun.
On regrette aussi l’absence d’exemples concrets de mise en œuvre, de
documents comme il en circule dans des stages syndicaux. Même si les
discussions entre collègues sont souvent riches et constructives ou si on est
satisfait d’avoir par exemple réfléchi aux futurs EPI (établissement à
pédagogie innovante).
Parfois, cela ne se passe pas très bien du fait de l’attitude de certains
collègues. Une participante brestoise avoue même sa « honte » : bavardages,
commentaires à voix haute, attitude contradictoire, ne supportant pas « ce qui
vient d’en haut », mais râlant quand il faut construire par soi-même et que
rien ne « descend ».
Un participant d’une formation à Strasbourg estime que, finalement, le temps
de la formation aurait été mieux utilisé lors de journées banalisées dans les
établissements, avec des instructions claires pour préparer la rentrée 2016 et
des ressources documentaires et humaines pour y aider.
Cécile Blanchard,
PARLONS-EN
Bien sûr, les classes où ont lieu les interventions vont aussi voir l'exposition.
Elles y trouvent un panneau intitulé « Parlons-en », avec des dessins pour
amorcer le dialogue sur des sujets plus sensibles. « Ce sont des dessins dont
on ne saisit pas trop le point de vue de l'auteur, ou carrément racistes, ou
prônant la peine de mort », explique Agathe André. La visite se fait avec une
méditation, sinon, le panneau en question est replié, pour ne pas laisser les
enfants seuls face à ça.
De son côté, Canopé a mis en ligne un ensemble de fiches ressources à
destination des enseignants : sur la liberté d'expression, la caricature et le
dessin de presse, les valeurs de la République, la citoyenneté et l'engagement,
le traitement médiatique d'évènements phares de l'actualité, la radicalisation
et le complotisme et le tabou du meurtre. Le réseau a aussi le projet
d'organiser des formations sur ces thématiques.
« Le projet, c'est d'aider les enfants à comprendre la complexité du monde »,
dit Agathe André. « Les dessins des plus petits disent l'impact de
l'information en boucle, le traumatisme, la confusion, etc. Des mômes qui
dessinent des assassinats, ce n'est pas rien. »
RÉFÉRENCES Site de Canopé : https://www.reseau-canope.fr/je-dessine.html
Site participatif de France Télévision :
https://www.francetv.fr/temoignages/dessinez-creez-liberte/
Le système traite comme égaux des
élèves inégaux
Née au Venezuela, ayant étudié aux États-Unis et en Suisse,
Agnès Van Zanten en tire un regard distancié, dont elle se sert
pour mieux examiner les inégalités de notre système éducatif.
Vous travaillez actuellement sur la fabrication des élites dans le système éducatif
français, en ce qu'elle a d'inégalitaire. Que pouvez-vous nous en dire ?
Vous dites que les élites scolaires bénéficient d'un double parrainage, familial et
scolaire ?
Oui. Quand on interroge des jeunes qui sont dans le système d'élite, ils ont
l'impression de mériter leur place parce qu'ils travaillent beaucoup. Ils ne se
rendent pas compte que leur excellence est un construit social qui doit
beaucoup au parrainage familial et que ce n'est pas la norme. La socialisation
familiale prépare les élèves, on le sait depuis Bourdieu, mais il y a aussi
l'accompagnement de la scolarité sur tout ce que l'école délègue, la capacité à
faire les bons choix d'école, d'option ou de filière. La dimension économique
joue aussi un rôle important, avec les cours particuliers, les séjours
linguistiques, les séances chez un psychologue au moindre accroc. Il y a une
construction familiale de l'excellence et le système traite comme égaux des
élèves inégaux.
Mais les parents ne font qu'utiliser une possibilité est offerte par le système, à
travers l'existence d'écoles privées ou publiques, des sauts de classe,
d'options, de filières. L'offre que propose l'institution se prétend égalitaire
mais ne l'est pas. À travers les options, se dessinent des parcours peut-être pas
d'excellence, mais protégés : allemand première langue, puis latin, classe
européenne, etc. La représentation de l'égalité chez les enseignants reste de
pousser quelques élèves jusqu'au bout plutôt que tous. Ils ne proposent pas le
même choix à tous les élèves. Et le dévouement des enseignants aux élèves
d'élite est supérieur à celui dont bénéficient les élèves défavorisés, à travers la
personnalisation des conseils, le temps consacré à chaque copie. Il y a une
satisfaction à s'investir auprès d'élèves qui vont réussir : les résultats sont
visibles et valorisants, c'est assez naturel.
En outre, la valeur de l'élève est conditionnée à l'établissement fréquenté. La
sélection en tient compte : dans les CPGE (classe préparatoire aux grandes
écoles) d'élite ou les filières d'élite des universités, les notes sont recalculées
selon l'établissement d'origine de l'élève. Les acteurs sociaux tendent à
majorer la portée de cette influence.
Dans notre précédent numéro, Pierre Merle évoque son engagement contre les
inégalités, déterminé selon lui par les résultats de ses recherches. Et vous, êtes-
vous une chercheuse engagée ?
Vous avez connu d'autres systèmes éducatifs que le système français, est-ce que
cela joue dans votre observation de ce dernier ?
C'est une expérience qui s'éloigne dans le temps, mais qui a été renforcée par
mes voyages et mes séjours en tant que professeure invitée dans d'autres
pays, comme la Finlande ou la Suède. Je pense que cela m'aide à garder de la
distance et à être dans une attitude comparative. Je ne m'identifie ni
positivement ni négativement au système, je ne suis ni dans l'adhésion ni dans
la dénonciation. Et lorsque je mène une recherche sur les établissements
d'élite, je ne suis pas cataloguée dans un sens ou un autre par rapport à mon
parcours.
Le pacte d'excellence belge
L’école belge francophone ne va pas bien : inégalitaire,
discriminante, les échecs y sont pléthoriques, les résultats aux
tests internationaux montrent que le fossé entre les écoles
Rolls-Royce et les écoles poubelles ne cesse de s’agrandir. En
2015, toutefois, a émergé une volonté collective de faire
véritablement bouger les lignes. Deux initiatives de grande
envergure (mais ne disposant pas du tout des mêmes moyens)
ont en effet vu le jour ces derniers mois. Deuxième épisode, le
Pacte pour un enseignement d’excellence.
Xavier Dejemeppe,
Olivier Rey,
Nipédu,
FLASHBACK
Il n’en fut pas toujours ainsi ! L’ancien système scolaire reposait
essentiellement sur le principe d’antagonisme, sur les apories : il fallait se
ranger du côté des disciplinaires ou des interdisciplinaires, les résultats des
sciences de l’éducation et ceux des neurosciences n’entraient pas en dialogue,
les professeurs étaient soit laxistes, soit passéistes. On opposait même
pédagogues et républicains. On parlait du numérique (ce substantif était très
usité au début du siècle), qui serait soit levier soit carrément obstacle à la
réussite scolaire. Les neuroscientifiques doutaient de la rigueur scientifique
des chercheurs en sciences de l’éducation et ces derniers fustigeaient le
réductionnisme des sciences cognitives ! Il est vrai qu’à l’époque, les
disciplines universitaires protégeaient jalousement leur périmètre et leurs
prérogatives et revendiquaient des appellations intangibles. La persistance
des acteurs de l’époque à n’avoir que des lectures univoques de la réalité
complexe des apprentissages les condamnait à l’impasse et précipitait
inexorablement de très nombreux élèves dans l’échec. Quelle triste époque !
Quand j’ai débuté dans l’enseignement, mon ignorance était totale sur le
fonctionnement de l’attention de la mémoire, de la motivation, etc. Quel
contraste avec les connaissances pointues en théories du texte, en
linguistique, en études littéraires ! Merci les Cahiers pédagogiques qui m’ont
peu à peu conduit à me documenter, à lire des ouvrages peut-être aujourd’hui
contestables, simplistes, tout ce qu’on voudra, mais qui m’ont amené à me
pencher sur l’acte d’apprendre (Gabriel Racle, Brigitte Chevalier, etc.). Il y a
eu ce bel atelier sur la mémoire avec Marie-Danielle Pierrelée, qui s’est
achevé par une savoureuse chanson sur la rencontre entre une dendrite et un
axone.
Puis, je me suis lancé dans la formation, et m’appuyant sur des lectures et sur
la réflexion au sein d’une équipe de formateurs (académie d’Amiens), j’ai
proposé des pistes pédagogiques à partir d’informations sur ce qu’on peut
savoir du fonctionnement du cerveau, en me servant de vulgarisateurs
géniaux comme Lieury, mais aussi de son « ennemi théorique », La
Garanderie, sans craindre le grand écart. J’ai toujours été surpris de ce que,
loin d’enfoncer des portes ouvertes en distinguant mémoire à court terme et à
long terme ou en mettant en garde contre les conceptions simplistes de
l’action de mémoriser (la mémoire comme magnétophone ou appareil photo),
je faisais faire des découvertes aux stagiaires. Les apports plus théoriques
opérés lors de stages intitulés « Mémorisation et attention » ou « Qu’est-ce
qu’apprendre ? » s’appuyaient, il est vrai, sur des mises en situation vécues,
moments forts et souvent féconds, j’en suis convaincu, pour la suite, le retour
en classe.
En même temps, nous avons travaillé durant trois ans autour de la notion
d’attention dans un groupe de recherche-formation, aboutissant à une
brochure du CRDP. Occasion de lire des chercheurs (peu nombreux à
l’époque si on compare à aujourd’hui), mais aussi de tester lors de formations
ou dans nos classes nos pistes de travail.
J’ai aussi, dans mes classes, essayé de mettre en œuvre ce que j’ai pu glaner :
l’aide à la mémorisation, en tenant compte de la diversité des manières de le
faire (tant pis si tout n’est pas toujours fondé scientifiquement !), en
communiquant également aux élèves quelques données du fonctionnement de
la mémoire (j’ai utilisé notamment un des joyaux de la série « C’est pas
sorcier » sur le sujet), avec souvent un vif intérêt de ces derniers, surtout
quand on utilisait diverses petites expériences (la vidéo du gorille, la création
d’images mentales yeux fermés, etc.). J’entends bien la nécessaire vigilance
vis-à-vis des neuromythes, mais si la distinction cerveau gauche-cerveau
droit incite à trouver d’autres chemins pour apprendre, si la théorie des profils
d’apprentissage conduit à personnaliser davantage nos approches, faut-il les
rejeter brutalement ? J’ai plus que des doutes sur l’homéopathie, mais
comment ne pas constater qu’elle fonctionne sur nombre de patients ?
Quoi qu’il en soit, moi qui n’ai guère eu de formation scientifique au départ,
je me suis depuis longtemps intéressé à ces questions qui touchent
nécessairement tous les enseignants et devraient faire partie d’un socle
commun de formation, même si le champ à explorer est encore vaste et bien
vastes les promesses de connaissances futures.
Un déclencheur
Une formation déclenche chez cette enseignante l'envie
d’aller plus loin et fait écho à sa pratique comme à ses
recherches personnelles. Et cet écho se prolonge dans son
école.
La formation de trois jours sur les fonctions cognitives que j’ai suivie avec
Pascale Toscani m’a poussée à approfondir mes connaissances et m'a donné
envie de m’inscrire au diplôme universitaire (DU) Neurosciences et
apprentissage tout au long de la vie, à l'université catholique de l'Ouest,
espérant y trouver des éléments complémentaires à la formation d’enseignant
spécialisé. Et j’ai eu la chance d’être retenue.
Cette année de formation s'est révélée extrêmement riche en découvertes et
en rencontres. Les apports scientifiques et les nombreux échanges entre
étudiants fournissent des bases solides pour un travail personnel de recherche
et des outils pour une lecture critique des découvertes dont les médias se font
souvent le relai.
Après cette année, je suis toujours aussi émerveillée par les formidables
capacités du cerveau qui permettent de nombreux apprentissages grâce à la
plasticité cérébrale. Je suis émerveillée par cette complexité que nous
commençons à entrevoir. Les recherches neuroscientifiques nous offrent de
nouveaux outils pour réfléchir à nos pratiques pédagogiques, pour les
analyser et pour penser des dispositifs innovants. Elles confirment et
expliquent certaines intuitions ; par exemple, j’ai découvert de nombreuses
similitudes entre le travail fait en regroupement d’adaptation et celui présenté
en neurodidactique sur l’inhibition cognitive en lien avec les travaux
d’Olivier Houdé sur le raisonnement.
Finalement, ce DU, sans apporter de réponses toutes faites, est le début d’un
cheminement d’enseignant chercheur : le champ d’exploration qui s’ouvre à
nous est immense. C’est aussi une école d’humilité, où la prudence, face à la
complexité de l’être humain, est nécessaire et où l’importance d’une réflexion
éthique est primordiale.
La formation m’a apporté des connaissances sur les principales fonctions
cognitives qui me servent au quotidien dans mon travail auprès d’élèves en
grande difficulté scolaire ainsi que dans la mission de personne ressource au
sein de l’établissement. Cela nous permet de mieux repérer les besoins des
élèves, non seulement en fonction d’une didactique, mais aussi par rapport à
ces fonctions qui sont mobilisées dans toutes les disciplines grâce à une
meilleure lecture des résultats des évaluations FAR-CLES et des bilans
neuropsychologiques de certains élèves.
Petit à petit, avec le soutien du chef d’établissement, c’est toute l’école qui
entre dans une réflexion dans ce domaine ; d’abord par des échanges
informels puis, lors d’une concertation, par une présentation autour de cette
question : « Pourquoi s’intéresser aux neurosciences en tant
qu’enseignant ? » Un extrait vidéo d’Albert Jacquard a suscité étonnement et
débat au sein de l’équipe sur la notion d’intelligence, en faisant jaillir de
nombreuses questions. Cette expérience est à l’origine des Café-Neuro, mis
en place dans l’établissement à la rentrée 2015. Les enseignants qui le
souhaitent se retrouvent une fois par mois, autour d’un café gourmand.
À partir d’un extrait vidéo ou d’un article, l’objectif est d’échanger librement
et de se familiariser avec les apports des neurosciences, dans une démarche
de coformation. C’est une préparation à la journée pédagogique prévue avec
la venue d’un membre du Grene. Cela pourra conduire à repenser nos
pratiques et pourquoi pas à mener un projet de recherche-action dans les
années futures.
Pour que s’activent les neurones
Le cerveau a une grande capacité à modifier ses connexions
neuronales pour s’adapter et apprendre. Aux enseignants
d’utiliser cette plasticité et de favoriser l’activation neuronale
répétée.
MARCHER EN FORÊT
Pour mieux comprendre le mécanisme et ses retombées sur l’apprentissage et
l’enseignement, le cerveau est souvent comparé à une forêt dans laquelle
l’apprenant marche. Densément peuplée d’une végétation abondante, la
marche y est donc difficile initialement. Pour se déplacer, l’apprenant doit
pousser les branches avec ses bras en plus d’écraser l’herbe et les petits
arbustes avec ses pieds. Le passage répété du marcheur crée progressivement
un sentier qui est de plus en plus facile à emprunter. Bien vite, ce sentier
devient une voie privilégiée pour passer rapidement du point A au point B.
En contrepartie, si l’apprenant n’emprunte plus le sentier pendant un certain
temps, les herbes, les arbustes et les arbres y reprennent lentement leur place
et le sentier disparait progressivement.
Lorsqu’on apprend, des processus similaires prennent place dans le cerveau.
Au début d’un apprentissage, il est difficile pour l’élève d’accomplir la tâche
demandée, parce qu’il n’a pas encore développé ses « sentiers », c’est-à-dire
les connexions neuronales requises. Pourtant, chaque fois qu’il essaie, des
neurones s’activent et, en s’activant, ces neurones se connectent
progressivement ensemble et augmentent l’efficacité de leurs connexions.
Après plusieurs activations cérébrales, les neurones deviennent donc de plus
en plus connectés, ce qui permet aux influx nerveux de circuler dans le
cerveau de plus en plus aisément et efficacement. Ainsi, lorsque l’élève
s’entraine, c’est-à-dire active son cerveau à plusieurs reprises pour accomplir
une certaine tâche, il développe des chemins qui lui permettront d’accomplir
la tâche demandée de plus en plus facilement et rapidement. Si, au contraire,
un élève cesse de s’entrainer et d’activer les neurones en lien avec un
apprentissage particulier, les connexions neuronales associées à cet
apprentissage vont s’affaiblir progressivement, jusqu’à se défaire. Tout
comme les sentiers d’une forêt peuvent disparaitre s’ils ne sont pas
entretenus, les réseaux de neurones peuvent se défaire s’ils ne sont plus
mobilisés.
LES LIENS AVEC L’ÉDUCATION
Ce mécanisme lié à la plasticité cérébrale permet de mieux comprendre
certains phénomènes éducatifs, et en tout premier lieu la nécessité de la
pratique et de la répétition. Pour apprendre, il faut changer les connexions
dans son cerveau et, pour y arriver, les neurones doivent s’activer ensemble
de façon répétée. Ensuite, ce mécanisme permet aussi de comprendre
pourquoi les élèves oublient souvent ce qu’ils apprennent : si les neurones
liés à un certain apprentissage ne s’activent plus durant un certain temps,
leurs connexions s’affaiblissent naturellement. Voilà pourquoi, certaines
erreurs sont difficiles à corriger pour les élèves, lorsqu’elles résultent de
réseaux de neurones solidement établis dans le cerveau, ces réseaux ne
pouvant pas être modifiés aisément.
De façon plus fondamentale, ce mécanisme mène à redéfinir le concept même
d’apprentissage. Au niveau cérébral, apprendre, ce n’est pas juste modifier
son comportement pour répondre à une question ou accomplir une tâche.
Apprendre, c’est modifier ses connexions neuronales. Ainsi, ce n’est pas
parce qu’un élève est incapable de répondre à une question ou de résoudre un
problème après un enseignement qu’il n’a rien appris, qu’il n’a pas
commencé à modifier ses sentiers cérébraux. Si un élève semble ne rien avoir
appris, ce n’est pas nécessairement parce que rien n’a changé dans son
cerveau, c’est peut-être que les réseaux de neurones qui ont commencé à
s’établir dans son cerveau ne sont pas assez consolidés pour que l’on puisse
observer, au niveau comportemental, des changements dans sa façon de
répondre ou d’accomplir une tâche.
DE L'AUTOMATISATION À L'INHIBITION
Le premier type d’apprentissage (l’automatisation par la pratique) correspond
aux connaissances générales, bien établies, apprises par la répétition, la
mémorisation, et qui doivent être connues de tous, comme les programmes à
l’école, par exemple. À l’inverse et complémentairement, le second type
d’apprentissage (le contrôle par l’inhibition) fait appel à l’imagination, à la
capacité à changer de stratégie de raisonnement en inhibant les automatismes
habituels. C’est apprendre à résister.
À l’école, depuis toujours, on apprend surtout par la répétition, la pratique et
l’automatisation. C’est très bien mais, comme on vient de le voir, le cerveau
des élèves doit aussi apprendre à raisonner par le schéma inverse : inhiber ses
automatismes. Il serait donc très utile de développer à l’école une pédagogie
du cortex préfrontal, notamment l’exercice de la capacité d’inhibition du
cerveau. L’inhibition est, en effet, une forme de contrôle attentionnel et
comportemental qui permet aux enfants de résister aux habitudes ou
automatismes, aux tentations, distractions ou interférences, et de s’adapter
aux situations complexes par la flexibilité. C’est un signe d’intelligence. Le
défaut d’inhibition peut expliquer des difficultés d’apprentissage (erreurs,
biais de raisonnement) et d’adaptation tant cognitive que sociale.
Par exemple, une erreur massive observée à l’école élémentaire concerne les
problèmes dits « additifs » à énoncé verbal : « Louise a vingt-cinq billes. Elle
a cinq billes de plus que Léo. Combien Léo a-t-il de billes ? » La bonne
réponse est la soustraction 25 - 5 = 20, mais souvent les enfants ne
parviennent pas à inhiber l’automatisme d’addition déclenché par le « plus
que » dans l’énoncé, d’où leur réponse erronée : 25 + 5 = 30. En orthographe,
fréquemment les enfants d’école élémentaire font la faute « je les manges ».
Ce n’est pas qu’ils ignorent la règle selon laquelle il n’y a pas de « s » à la
première personne du singulier dans les verbes du premier groupe (manger,
trouver, etc.), mais ils sont incapables d’inhiber l’automatisme « après les, je
mets un s ». La tentation est ici trop grande pour eux, en raison de la
proximité du terme « les » dans la phrase. L’enfant doit donc apprendre à
inhiber, grâce à son cortex préfrontal, cette réponse dominante et
automatique, pour acquérir la flexibilité d’appliquer une autre stratégie de son
répertoire orthographique. On pourrait croire que cela ne concerne que les
enfants. Mais combien de courriels ne reçoit-on pas de collègues ou amis qui
écrivent « je vous le direz » au lieu de « je vous le dirai ». C’est exactement
le même défaut d’inhibition frontale, renforcé par la rapidité de l’écriture
électronique.
REVISITER PIAGET
La pédagogie du cortex préfrontal est donc une pédagogie pour la vie ! Il ne
suffit pas de connaitre les règles (par la pratique, la répétition, etc.) ; il faut en
permanence inhiber nos automatismes. Tant en France qu’au Canada
(l’équipe d’Adele Diamond à Vancouver notamment), des expériences
d’interventions pédagogiques pilotes de ce type sont aujourd’hui menées dans
les écoles pour exercer le contrôle cognitif : inhibition, flexibilité, etc. Elles
sont directement issues de la meilleure compréhension que nous avons des
mécanismes d’apprentissage du cerveau.
Même la célèbre théorie du psychologue suisse Jean Piaget (1896-1980) a pu
être récemment revisitée, dans notre laboratoire en France, par l’imagerie
cérébrale et la théorie de l’inhibition cognitive. Au XXe siècle, la théorie des
stades de l’intelligence de Piaget a profondément marqué la psychologie, le
monde de l’éducation et le grand public. On sait qu’une tâche emblématique
de Piaget pour tester l’intelligence de l’enfant était la conservation du
nombre. Devant deux rangées de jetons de même nombre (cinq jetons par
exemple), mais plus ou moins écartés spatialement dans chaque rangée,
l’enfant jusqu’à 7 ans environ considère qu’ « il y a plus de jetons là où c’est
plus long » (rangée la plus écartée), ce qui est une erreur d’intuition
perceptive. La réussite après 7 ans (réponse : « même nombre de jetons dans
les deux rangées ») traduisait selon Piaget le passage d’un stade perceptif
prélogique au stade de la pensée logicomathématique concrète. Cette tâche a
été reprise de façon informatisée en IRMf avec des enfants d’école maternelle
et élémentaire, révélant qu’elle mobilisait non seulement les régions du
cerveau dédiées au nombre (le cortex pariétal), mais aussi les régions du
cortex préfrontal dédiées à l’inhibition des automatismes : ici l’automatisme
selon lequel en général la longueur varie avec le nombre (voir Figure 2). Cela
amène à réviser la théorie de Piaget en y ajoutant le rôle clé de l’inhibition
cognitive comme mécanisme positif du développement de l’intelligence chez
l’enfant.
Légende Figure 1 : Reconfiguration postéro-antérieure du cerveau lorsque
les élèves trouvent la solution logique d’un problème. Entre ces deux clichés,
j'ai appris à l’élève à inhiber un automatisme erroné de raisonnement. C’est
un exemple de neuropédagogie cognitive qui exerce le cortex préfrontal.
Légende Figure 2 : Résultats d’IRMf des enfants lors de la résolution de la
tâche de conservation du nombre de Piaget. Selon ce cliché original, on voit
qu’un large réseau neuronal est recruté, impliquant à la fois le cortex
pariétal pour le nombre (comme l’aurait prédit Piaget) et, à l’avant, le cortex
préfrontal pour l’inhibition cognitive (comme je le prédis).
POUR EN SAVOIR PLUS Olivier Houdé, Apprendre à résister, éditions Le Pommier, 2014, et
http://olivier.houde.free.fr/Houde-Piaget-IRMf.bmp
Neurosciences, situations
complexes et répétitions
Une expérience pratique menée depuis trois ans à partir d’un
éclairage neuroscientifique, avec des résultats dépassant,
pour l’instant, les plus belles espérances.
SITUATIONS COMPLEXES
Les situations proposées sont toujours des situations complexes pour obliger
la décomposition-recomposition de la situation et ainsi assurer les
interconnexions neuronales nécessaires à la bonne formation de l’intelligence
de tous les enfants. Ne sont considérées comme bonne activité
d’apprentissage que celles où tous les enfants sont en difficulté. En d’autres
termes, une activité dans laquelle une bonne partie des enfants (toujours les
mêmes !) arrivent à réaliser facilement la consigne n’est pas considérée
comme utile sur le long terme pour réduire progressivement les écarts.
Le travail d’apprentissage se réalise, non par ateliers, mais avec le grand
groupe. Chaque enfant dispose d’un matériel individuel à manipuler lui
permettant ses propres essais et erreurs, d’abord dans la compréhension du
problème et ensuite dans sa réalisation possible. Il s'essaie sur les
propositions de travail en développant son autonomie. Il peut prendre des
initiatives avant une intervention éventuelle de l’enseignante. Dans un petit
groupe, l’enfant devient vite dépendant des sollicitations continues de
l’adulte. Les interactions entre enfants à partir de leur matériel sont aussi
possibles, et parfois encouragées.
L’enseignante observe et sollicite en se centrant sur le ou les processus à
mettre en œuvre, et non sur la réalisation d’un produit. Elle accepte donc
toujours des réalisations momentanées très différentes et parfois assez
éloignées du produit attendu en fin d’apprentissage. Une grande importance
est accordée à la construction des représentations et à leurs structurations
mentales. Les produits, comme preuves de réussites, arrivent presque
toujours après trois à cinq jours.
Nous attendions un développement plus pertinent de tous les enfants sur le
plan des compétences de base nécessaires pour aborder l’école primaire et
notamment la capacité à se construire des représentations pour comprendre
une histoire entendue ou lue, la maitrise d’un vocabulaire actif et passif plus
important pour tous les enfants, une bonne représentation des quantités (et
pas seulement des mots de la litanie) et de la démarche de base pour
mémoriser un savoir déclaratif, ainsi que la construction d’une conception de
l’école centrée sur l’apprentissage plutôt que sur le contrôle du savoir déjà là
et donc appris en famille !
Nos élèves sont souvent persuadés d’être multitâches, aurions-nous affaire à des
mutants capables d’attention partagée ?
Comment peut-on développer les capacités d’attention de nos élèves dans une
société du zapping et de la surabondance d’images, comment construire des cours
qui les captivent alors qu’ils s’adonnent à des jeux vidéos qui saturent leur circuit
de la récompense et que nos programmes sont, à priori, moins attrayants ?
J.-P. L. : Ce n’est même pas la peine d’essayer de se déguiser en Mickey ou
de faire des laser games dans la classe. Je ne vois pas d’autres solutions que
de suivre un programme de type ATOL (Attentif à l'école). Il faut poser le
problème avec eux, leur dire « on va arrêter la course à l’armement en
termes de distraction, on ne va pas transformer les cours en jeux vidéos.
Vous êtes en train de vous coincer dans un mode d’attention extrêmement
segmenté et il va falloir que vous appreniez à évoluer dans tous les modes
d’attention, sur des durées longues. » On va leur montrer comment
fonctionne l’attention. Il y a tellement de stimulations aujourd’hui qu’il faut
leur apprendre à échantillonner leurs expériences. C’est le système
« exploration-adaptation ». Le comportement rationnel consiste à prendre un
peu, puis aller voir à côté et de papillonner pour être sûr qu’on n’est pas passé
à côté d’une énorme source de récompense en restant coincé sur une seule
source qui nous paraissait satisfaisante. L’hyperstimulation invite à tester le
rapport bénéfice-cout pour savoir comment obtenir la meilleure récompense
possible à moindre effort.
On se demande actuellement si les recherches sur le réseau par défaut, cet état
cérébral en activité quand nous sommes dans un état de rêverie, d’évocations
spontanées, ne pourraient pas nous fournir des pistes pour comprendre les
troubles de l’attention. Qu’en pensez-vous ?
Nous constatons que le réseau par défaut s’active quand il y a des distracteurs
externes, par exemple une sonnerie de téléphone alors qu’on est en train de
travailler. Il y a certainement un lien avec l’attention. L’enfant dans la lune,
dans son petit monde interne est en train de suractiver le réseau par défaut et
il a du mal à basculer dans le mode d’attention à ce qu’on lui demande. La
flexibilité suppose une vue aérienne qui permet de garder à l’esprit le
contexte dans lequel on mène une tâche principale, de pouvoir quitter
momentanément cette tâche principale pour gérer rapidement une tâche
secondaire avant de revenir à la tâche principale quand elle requiert toute
notre attention. C’est une capacité supérieure du cerveau qu’on ne trouve pas
chez l’animal et qui arrive plus tard, chez l’adolescent, voire l’adulte.
Vous écrivez que le cerveau attentif est le fruit de dix ans de recherches consacrées
à la fusion de connaissances théoriques et intuitives concernant l’attention. Vous
évoquez les liens entre le mode réel de la perception et le mode virtuel de nos
images mentales visuelles, auditives et motrices, la série de gestes mentaux qui
permettent d’exécuter une tâche. Quelle est votre position par rapport à
l’introspection et la gestion mentale ?
J.-P. L. :Je ne connais pas bien la gestion mentale, mais j’en entends
fréquemment parler. D’après ce que j’ai pu comprendre, Antoine de la
Garanderie s’appuyait sur une démarche introspective. La plupart des
chercheurs utilisent énormément l’introspection, ne serait-ce que pour mettre
au point des expériences. Ça ne fournit pas des vérités en soi, il faut les
valider. Il n’est pas du tout étonnant, s’il a développé une bonne qualité
d’introspection, qu’il soit arrivé à des conclusions proches du fonctionnement
cérébral tel que nous le découvrons par les neurosciences. Ce qui m’étonne,
c’est qu’ils ne soient pas cinquante à l'avoir fait.
T. C. : En tant que scientifique, je dis qu’il faut être clair sur d’où on parle,
d’un point de vue scientifique ou pédagogique. Si on a une bonne
connaissance des concepts de la gestion mentale, ça peut être un excellent
outil pédagogique, mais si on utilise approximativement quelques aspects
superficiels qu’on a lus dans une revue de bas niveau, il peut y avoir des
dérives importantes et ça peut vite devenir désastreux.
Nous l’avions fait intervenir deux jours pour une formation de formateurs et
de tuteurs. Il s’est dit intéressé par un projet de recherche avec les écoles et
nous étions bien placés pour le mettre en lien avec des enseignants.
L’expérimentation est actuellement menée par trente enseignants sur dix
écoles de la région, dont une école complète à Trévoux. Ils construisent des
ateliers intégrés à des moments d’apprentissages disciplinaires ou sur des
activités transversales non disciplinaires, selon la façon dont ils s’approprient
le protocole proposé. Ils disposent de vingt fiches réalisées par Jean-Philippe
et de sa bande dessinée (à paraitre). Chaque atelier comporte trois étapes : la
compréhension du fonctionnement du cerveau expliqué avec un lexique
ajusté à l’âge des élèves et les illustrations de Jean-Philippe ; la prise de
conscience par chaque enfant de ce qui le distrait de la tâche en cours ; la
recherche de ce qui peut l’aider à revenir dans la tâche.
Les activités sont chronométrées pour évaluer les progrès accomplis, avec
une gradation dans la difficulté. Ils acquièrent un vocabulaire spécifique qui
leur permet de nommer les activités mentales et d’échanger avec les
enseignants sur ces activités invisibles : maximoi et minimoi, l’abeille, la
petite voix dans la tête, etc. Ils apprennent aussi ce qu’est, concrètement, la
concentration, à découper et planifier la tâche, à programmer et maintenir
leur attention. Ils doivent peu à peu être en capacité de transférer ces acquis
sur des activités différentes en dehors de l’atelier et accéder à une certaine
autonomie.
D'AUTRES CONVERGENCES
Les rapports entre le cerveau et l’affectivité illustrent d’une autre manière
cette alliance du corps et de l’esprit. Antonio Damasio attribue aux émotions
un rôle capital dans la constitution de la conscience. En témoigne son livre
L'autre moi-même, les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des
émotions (2010). Or, La Garanderie établit un rapport très net entre les
émotions (précipitantes, paralysantes, etc.) et les images mentales qui s’y
rapportent. Il préconise de replacer le rôle de l’émotion dans le déroulement
d’une conduite mentale, d’en faire prendre conscience au sujet, de manière à
équilibrer l’énergie affective et les besoins de l’action. Ces éléments ne sont
pas si éloignés des thèses d’un Damasio.
Mais il est un point essentiel sur lequel peuvent se rejoindre les deux
approches. La conception de La Garanderie postule l’éducabilité de chacun.
En raison de sa plasticité et de sa nature perfectible, la personne est en
mesure d’actualiser toutes ses ressources (dont son intelligence), pour peu
qu’un pédagogue attentif l’accompagne, sans céder au fatalisme de
l’influence du milieu social ou de l’hérédité. En établissant des « profils
pédagogiques » (à partir des dominantes évocatives et de l’orientation des
projets de sens), l’auteur exprime clairement sa volonté qui est non seulement
de révéler au sujet les potentialités qui l’habitent, mais aussi de l’ouvrir à
d’autres démarches, à des fins d’optimisation et d’enrichissement. L’objectif
n’est donc pas d’enfermer le sujet dans son type de gestion, contrairement à
une interprétation superficielle et abusive qu’on a pu faire de ses propos.
Les neurosciences rejettent également l’idée d’un cerveau figé, mais montrent
combien il est appelé à se développer tout au long de la vie. La plasticité
mentale rendant possible cette « modifiabilité structurelle de l’intelligence » a
son correspondant du côté d’une plasticité cérébrale : le cerveau se modifie à
chaque instant en fonction de ce que nous vivons, il sait s’adapter, se
reconfigurer, voire se recycler. Le développement cérébral est donc
étroitement lié à l’apprentissage, de même que l’adaptation est également
possible pour chaque organisme. Au final, la personne n’est pas figée dans
ses savoirs et ses compétences, elle est capable de changement. Chez La
Garanderie, ce principe de plasticité cérébrale est au cœur de l'anthropologie
éducative qui repose sur une vision résolument personnaliste et humaniste de
l’éducation. La valeur de la personne, abordée dans son unicité, porteuse de
potentialités singulières à explorer et ouverte à l’universel, constitue bien un
principe fondateur de sa pédagogie.
À L’ÉCOUTE DES DIFFÉRENCES
Mais qu’en est-il de la singularité de chacun dans son rapport au monde ?
Comment tenir compte des différences individuelles et les accueillir comme
autant d’opportunités ? Pourquoi certains réussissent et d’autres pas ? Quelles
sont les méthodologies mentales adoptées par ceux qui réussissent et
comment faire découvrir à ceux qui sont en échec leurs propres stratégies ?
Cela a été le point de départ des travaux de La Garanderie, qui a alors mis en
évidence des différences de traitement mental des objets de perception et
déterminé plusieurs familles d’habitudes mentales, aboutissant ainsi à la
notion de profil.
Or, les neurosciences reconnaissent également ces différences dans la
manière d’utiliser son cerveau. Celui-ci, au même titre que les autres organes
du corps, peut varier en masse et en densité d’un individu à l’autre. De même,
il a été démontré que chacun se sert d’une manière particulière de ses
hémisphères cérébraux, en fonction de la tâche à effectuer ou de
l’environnement. Il y a donc là un parallélisme intéressant à souligner qui
aboutit à des préconisations pédagogiques complémentaires à propos de la
perception, de l’image mentale et, plus largement, de la mise en œuvre des
gestes mentaux dans l’activité d’apprentissage.
POUR EN SAVOIR PLUS Antoine de La Garanderie, Réussir ça s’apprend, éditions Bayard (coll.
Compact), 2013, Initiative et formation : www.ifgm.org
Intelligence(s) : du quantitatif au
qualitatif
« Intelligence » : un mot qui fait peur. Pourtant, la théorie
d'Howard Gardner renouvèle le concept. L'auteure avait
rencontré ce chercheur pour les Cahiers. Qu'est-ce qui attire
une praticienne vers les intelligences multiples ?
Au lieu d'une échelle verticale graduée de chiffres qui vous classent de bête à
génial, avec la théorie des intelligences multiples, c'est une palette de huit
formes d'esprit qui est proposée. Sur le terrain, cette théorie connait du succès
auprès d’équipes, d’établissements, mais n'est-elle pas un peu trop simple ? Il
est vrai que les formulations même du chercheur américain, leur côté
pragmatique, ne « font pas sérieux » dans notre pays, qui n’a pas les mêmes
traditions de vulgarisation scientifique. Toute traduction peut susciter de tels
chocs culturels.
La mise au pluriel, effectuée par l'universitaire d'Harvard, me permet de
travailler la notion sans tabou. En classe, autour de textes sur des génies du
monde anglophone, je fais souvent une séquence « intelligence » où il est
question de ce pluriel. Je peux aussi parler d'autisme, autour du narrateur de
The Curious Incident of the Dog in the Night-time, qui comprend le monde
par sa dimension spatiale, ou autour du film Rainman qui montre les
incroyables calculs du héros incarné par Dustin Hoffman. Cela permet de
faire de l'intelligence un objet de découvertes plutôt que de mesures chiffrées,
discriminatoires. Les huit formes dégagées par la théorie de Gardner nous
servent à dire nos différences. Les écoles américaines qui utilisent le concept
procèdent à une observation fine des enfants et de leurs capacités, sans leur
attribuer des catégories rigides. Il m'arrive de faire travailler ça à mes élèves
en huit groupes, les retours et les échanges sont toujours passionnants.
Souvent, mes élèves découvrent par exemple que leur capacité à interagir
avec les autres peut s'appeler intelligence. Cela conforte leur estime d’eux-
mêmes et me donne de nouvelles raisons pour défendre le travail collaboratif,
où chacun apporte son point de vue.
J'ai la tâche de tester chez mes élèves des compétences langagières. Savoir
que la compréhension et la production de mots sont localisées dans nos
cerveaux dans des modules séparés, cela soutient mon travail. J'ai appris des
neurosciences (simplifiées) que la compréhension est gérée pour toutes les
langues dans une aire singulière, celle de Wernicke, tandis que la formation
des mots, et sans doute les règles de syntaxe sont élaborées séparément pour
chaque langue dans de (multiples) aires de Broca : de quoi nourrir ma
réflexion. Je peux admettre le fonctionnement modulaire mis à jour par les
découvertes du laboratoire de Harvard. Les laboratoires du futur m'en diront
certainement plus, plus tard, sur d'autres détails à ma portée. En attendant,
rejeter les intelligences, multiples ou au singulier, me parait frileux.
L'intelligence n'aurait-elle pas sa place dans le vocabulaire scientifique ? Je
sais le poids des mots ! Un laboratoire de Harvard n'aura pas choisi celui-là
sans raison.
En 1998, l’État de Floride adopte une loi pour que les écoles maternelles
diffusent de la musique classique aux enfants. La même année, et après avoir
lu que l’écoute de la musique de Mozart peut augmenter le QI, le gouverneur
de la Géorgie demande 105 000 dollars pour la production et la distribution
de musique classique aux nouvelles mères, afin qu’elles la fassent écouter à
leurs enfants. Les sénateurs votent en faveur de cette proposition (le
gouverneur venait de leur faire écouter la Sonate n° 9 de Beethoven). D’où
vient l’idée que l’écoute de la musique classique, notamment de Mozart,
puisse développer d’un coup notre intelligence ? En 1993, trois chercheurs
américains comparent les effets cognitifs de trois situations : l’écoute d’une
sonate de Mozart, d’une musique relaxante et une situation silencieuse. Dans
la « situation Mozart », les résultats montrent une augmentation de 8 à 9
points chez des adultes à des tests de capacité spatiale extraits d’une vaste
batterie de tests utilisés pour mesurer le QI. Les médias s’emparent
immédiatement de la nouvelle, qui fait le tour du monde. On parle alors d' «
effet Mozart », et on vante les bénéfices de l’écoute de la musique,
notamment de Mozart (mais pas seulement) sur l’intelligence.
Malheureusement, depuis, d’autres laboratoires n’ont pas été en mesure de
reproduire les mêmes résultats. L’effet Mozart a ainsi été démystifié. Fin de
l’histoire ? Nous sommes plutôt à son commencement. Le concept d’un effet
positif de la musique classique sur l’intelligence se répand. Les produits pour
enfants, bébés et fœtus, basés sur l’Effet MozartTM (devenu entretemps une
marque de fabrique), sont vendus à des millions d’exemplaires. Le marché
japonais en est arrivé à proposer des bananes cultivées avec l’aide de la
musique de Mozart, les « bananes Mozart » : plus douces que les autres selon
leur producteur, et du saké brassé sur les notes de la musique classique où
Mozart l’emporte encore une fois sur Bach, Beethoven, et la musique jazz.
Pourtant, l’étude originelle ne mesurait pas l’effet de la musique sur les
enfants, ni sur les bananes ou le saké, d’ailleurs. Elle ne permettait pas, non
plus, d’extrapoler que l’écoute de Mozart aurait un impact à long terme sur
l’intelligence.
D’AUTRES NEUROMYTHES
Le cas de l’effet Mozart n’est pas isolé, loin de là. Les mythes sur le cerveau
abondent. Certains sont entretenus à but commercial : c’est le cas des
techniques de Brain Gym qui promettent d’améliorer les apprentissages
scolaires et de vaincre les troubles de l’apprentissage à l’aide de quelques
exercices physiques de gym, pas très différents des gestes que nous
accomplissons tout au long de la journée. L’un des exercices préconisés, par
exemple, consiste à porter un bras vers la jambe du côté opposé, pour croiser
les mouvements et ainsi renforcer les liens entre les deux hémisphères ; or,
ces liens existent chez tout le monde (sauf les personnes avec des anomalies
anatomiques du cerveau très visibles et handicapantes ou qui ont subi une
chirurgie assez radicale) : ils sont justement assurés par une structure du
cerveau, le corps calleux, constitué de fibres qui connectent les deux
hémisphères. En outre, si vous y pensez un instant, le genre d’exercice
miraculeux décrit, nous l’accomplissons chaque fois que nous marchons,
endossons vêtements et chaussures, etc. Il est donc possible de se rendre
compte que quelque chose cloche, qu’on est en présence d’un neuromythe,
même si on ne possède pas des compétences très avancées en neurosciences.
Ce n’est pas toujours le cas, cependant. Est-ce vrai que la plus grande part
des apprentissages se joue avant 3 ans ? Ou bien est-ce que la plasticité du
cerveau est telle qu’on peut tout apprendre à tout âge de la même manière et
selon les mêmes modalités ? Qu’on peut entrainer le cerveau comme si c’était
un muscle ? Pour répondre à ces questions, il faut se pencher sur les
découvertes récentes des neurosciences, analyser la littérature qui rapporte les
résultats des tests conduits sur différentes méthodes d’entrainement.
DE VRAIS APPORTS
Mieux comprendre le fonctionnement de l’attention et ses limites, les
caractéristiques de la mémoire et ce qui rend une histoire plus mémorable
qu’une liste de faits, les difficultés cachées de certains apprentissages pour le
cerveau, tout cela peut aider l’enseignant à trouver ses repères, à prendre les
bonnes décisions et à comprendre difficultés et atouts des élèves. Chaque
enseignant en tiendra compte à sa manière, selon sa personnalité, celle des
élèves, et les circonstances de son activité.
En fait, la collaboration entre enseignants et chercheurs peut produire de vrais
GPS : des méthodes qui répondent bien au fonctionnement du cerveau, du
moins à ce qu’on en sait aujourd’hui, et qui ont su prouver leur efficacité en
laboratoire et en classe. Les méthodes pour l’apprentissage de la lecture ou
des mathématiques, des sciences et du raisonnement, par exemple, ne sont
pas toutes semblables et la recherche empirique permet de les distinguer de
manière beaucoup plus efficace que les impressions personnelles ou
l’expérience.
Le cerveau humain, résultat de millions d’années d’évolution qui en ont
sculpté anatomie et fonctions, sait répondre à une immense quantité de
problèmes qui se posent sur le chemin de la survie et de la reproduction ; il
sait aussi construire des cathédrales, des appareils scientifiques, des
institutions sociales hypercomplexes ; il peut apprendre à lire et décoder ces
lignes, en extraire un sens. Mais le cerveau a aussi ses limites, que souvent
nous ignorons. D’où l’importance de créer des passerelles à deux directions
entre éducation et sciences du cerveau et de la cognition. Il ne s’agit pas, pour
les enseignants, de subir ou d’importer passivement les connaissances
scientifiques, mais de se les approprier dans la mesure où elles leur sont
utiles, et de contribuer à en produire de nouvelles qui répondent à leurs
besoins de professionnels de l’éducation, à leur expérience de l’apprentissage
en classe.
Quelle diffusion, entre engouement
et prudence ?
Les enseignants intègrent-ils dans leurs pratiques des
résultats de recherches sur les neurosciences ? Synthèse d’un
travail réalisé pour un mémoire professionnel de master
MEEF.
Il parait clair que les connaissances issues des neurosciences sont utiles dans
les pratiques éducatives. Mais l’application des recherches issues des
neurosciences à la salle de classe soulève cependant plusieurs difficultés.
Une première difficulté réside dans le manque de communication entre
chercheurs en neurosciences et professionnels des sciences de l’éducation. La
plupart des neuroscientifiques ignorent ou sous-estiment les recherches
actuelles en sciences de l’éducation. Lorsque Stanislas Dehaene écrit « je dis
aux éducateurs : ne prenez pas les enfants pour des têtes vides que vous allez
remplir, mais pour des systèmes abstraits capables d’apprentissage », il
montre une certaine méconnaissance du métier d’enseignant et surtout de la
recherche en didactique. En effet, de Piaget aux travaux les plus récents, les
théories constructivistes font partie du savoir professionnel de base d’un
enseignant et on ne saurait imaginer aujourd’hui un enseignant qui verrait
l’enfant comme une tête vide et non-constructeur de ses connaissances. Le
risque de ce type de communication est le rejet massif de la part des
professionnels de l’éducation (chercheurs et praticiens) des approches
éducatives basées sur les neurosciences. Les neuroscientifiques ne sont pas
les mieux placés pour communiquer avec les enseignants et il faudrait des
personnes dédiées pour faire le lien, des didacticiens par exemple.
Du côté des enseignants et des chercheurs en sciences de l’éducation, un
manque de connaissances en psychologie et neurosciences peut conduire à
une simplification, voire une mauvaise interprétation des résultats
scientifiques. Ceci peut déboucher sur la mise en œuvre dans les classes de
méthodes pédagogiques, au mieux inefficaces, au pire dangereuses pour
l’apprentissage. Le concept de neuroéducation est maintenant utilisé par
certains pour justifier de théories et de pratiques parfois discutables. Citons
pêlemêle les notions de styles d’apprentissage, gestion mentale,
programmation neurolinguistique ou intelligences multiples. Ainsi, une
mauvaise application de cette dernière théorie, par ailleurs très controversée,
peut amener certains à dire à une élève qui est supposée avoir une
« intelligence musicale » de faire ses devoirs avec la télévision allumée. S’il y
a bien un enseignement que l’on peut tirer des recherches en psychologie
cognitive sur l’attention, c’est qu’il n’y a rien de tel pour perturber les
apprentissages ! L’un des premiers enjeux de la neuroéducation est donc de
réussir à faire communiquer les chercheurs et les praticiens, afin d’éviter ces
écueils.
Une deuxième difficulté est méthodologique : il n’est pas si facile de
transférer les résultats et méthodes du laboratoire vers la salle de classe. Pour
certains neuroscientifiques comme Dehaene, les recherches dans la salle de
classe doivent répondre aux mêmes règles que celles qui sont menées en
laboratoire : « Seule la comparaison rigoureuse de deux groupes d’enfants
dont l’enseignement ne diffère que sur un seul point permet de certifier que
ce facteur a un impact sur l’apprentissage. » Or, pour bien des chercheurs en
éducation, cette méthodologie est difficilement applicable dans la salle de
classe au regard du nombre important de variables à contrôler. Ils doutent de
la capacité à n’isoler qu’une seule variable dans ces expérimentations, mais
aussi que la variable qui a été isolée dans les conditions contrôlées de
laboratoire serait la seule qui aurait une incidence sur le résultat final dans la
classe. En fait, il est probablement plus intéressant d'envisager ce qui peut
permettre de connecter les laboratoires aux salles de classe, plutôt que vouloir
trouver des applications directes. Et pour nous, il existe (au moins) deux
chainons manquants entre neurosciences et éducation : l’étude du
comportement et les études didactiques.
L’ÉTUDE DU COMPORTEMENT
Intéressons-nous au rôle précis qu’occupent les neurosciences au sein de la
psychologie cognitive (c’est-à-dire l’étude des processus mentaux qui sous-
tendent les fonctions cognitives, comme le langage ou le raisonnement). Il
s'agit ici de comprendre quels sont les processus mentaux (la mémoire,
l’imagerie spatiale, etc.) qui sont impliqués dans telle ou telle activité (lire,
raisonner, calculer, etc.). Pour ce faire, le chercheur va mettre au point des
expériences dans lesquelles il espère manipuler l’engagement de certains
processus mentaux et mesurer l’effet de cette manipulation sur le
comportement des participants.
Imaginons qu’un chercheur fasse l’hypothèse que la capacité à estimer
approximativement des quantités numériques (par exemple décider si un
nuage de points comporte plus ou moins de points qu’un autre) contribue
d’une manière ou d’une autre à l’apprentissage de l’arithmétique élémentaire
(par exemple 2 + 3). Le chercheur pourrait mettre au point une expérience au
cours de laquelle il demanderait à des enfants de s’entrainer à estimer des
quantités de nuages de points, puis mesurerait ensuite les performances en
arithmétique de ces enfants. Si l’estimation de quantités numériques est l’une
des fondations du calcul arithmétique, alors on peut faire l’hypothèse d’un
effet bénéfique de l’entrainement à la tâche d’estimation de nuages de points
sur le calcul arithmétique. Cette expérience, conduite récemment aux États-
Unis, montre effectivement que les performances en arithmétique d’enfants
de 6-7 ans sont meilleures après un entrainement à une tâche d’estimation de
nuages de points qu’après un entrainement à une autre tâche contrôle. Les
chercheurs en ont donc conclu qu’il y aurait bien un lien entre estimation de
quantités numériques non symboliques et apprentissage de l’arithmétique
élémentaire.
NOUVELLES MÉTHODES
Il n’y a encore pas si longtemps de cela, l’étude du comportement était le seul
outil disponible au chercheur pour étudier les fonctions mentales. Mais les
trente dernières d’années ont vu l’avènement de nouvelles méthodes de
neuro-imagerie qui permettent de mesurer l’activité cérébrale des participants
lorsqu’ils effectuent une tâche donnée. L’une des plus populaires de ces
méthodes est l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, qui permet
de mesurer l’activité cérébrale de façon dynamique en tout point du cerveau.
L’effet des manipulations expérimentales n’est maintenant plus seulement
mesurable sur le comportement des participants, mais également sur leur
activité cérébrale.
Reprenons l’exemple de l’étude plus haut. Au vu des résultats
comportementaux obtenus, on peut se demander par quel(s) mécanisme(s) le
fait d'estimer des quantités numériques peut améliorer le calcul arithmétique.
L’une des possibilités, suggérée par les chercheurs eux-mêmes à l’origine de
l’étude, est que l’estimation de quantités numériques et le calcul arithmétique
pourraient faire appel à des mécanismes mentaux similaires. La neuro-
imagerie permet ici de tester cette hypothèse : on peut en effet imaginer que
la même région cérébrale pourrait être activée lors de la tâche de comparaison
de nuages de points et lors de la tâche de calcul arithmétique.
Quel serait le résultat le plus pertinent dans ce que l’on vient de décrire pour
les professionnels de l’éducation ? Serait-ce le fait que s’entrainer à estimer
des quantités numériques rend les enfants meilleurs en calcul arithmétique ?
Ou bien le fait que l’estimation de quantités numériques et le calcul
arithmétique font appel à la même région cérébrale ? Ce lien n’est intéressant
pour l’éducation que si entrainer l’estimation de quantités cause une
amélioration des performances de calcul. Parler de ce lien aux professionnels
de l’éducation serait une perte de temps s’il n’y avait pas de conséquences sur
le comportement, et ce, même si on montrait que les mêmes régions
cérébrales étaient activées dans les deux tâches. Le fait qu’il y ait des
conséquences sur le comportement suggère des pistes pour améliorer
l’apprentissage de l’arithmétique à l’école (par exemple en mettant davantage
l’accent sur des contenus pédagogiques se focalisant sur l’estimation de
quantités non symboliques). Pour l’éducation, la neuro-imagerie n’est utile
que parce que les informations qu’elle fournit permettent d’expliquer des
changements comportementaux. Après tout, l’école est jugée sur son
efficacité à modifier le comportement, pas sur son efficacité à modifier le
cerveau. Voilà pourquoi l’étude du comportement est un premier chainon
manquant entre neurosciences et éducation.
Nous savons que les connaissances des enfants sur le cerveau peuvent être
modifiées sous l’effet, par exemple, de la participation à une étude en
imagerie cérébrale. Prêter son cerveau à la science est inhabituel et
exceptionnel. L’enfant y rencontre son cerveau, organe des apprentissages.
Cette expérience le conduit à réviser ses conceptions naïves à propos de la
pensée, du cerveau, et de leurs relations.
Nous avons questionné des enfants âgés de 8 ans ayant participé à un
protocole de recherche en imagerie cérébrale sur leurs conceptions naïves des
relations pensée-cerveau relatives à plusieurs fonctions cognitives : basiques
(voir et parler), scolaires (lire et compter) et mentales (rêver et imaginer)
(Figure 1). Les résultats montrent que ces enfants considèrent que le cerveau
est nécessaire pour toutes ces fonctions plus fréquemment que les enfants
appariés en âge, sexe et niveau scolaire qui n’ont pas participé à ce protocole.
Mais surtout, ils manifestent une meilleure compréhension des relations
pensée-cerveau en matérialisant la pensée pour les fonctions mentales.
Toutefois, ces relations sont moins claires pour les fonctions basiques et
scolaires, ce qui interroge sur la capacité des élèves à identifier les relations
d’interdépendance entre la pensée et le cerveau dans les apprentissages à
l’école. Ainsi, découvrir son cerveau en participant à une recherche
scientifique a un impact éducatif, mais qui semble toutefois insuffisant.
Figure 1. Illustration du personnage présenté à l’enfant pour la fonction
scolaire « Compter ». Pour répondre à la question « De quoi Julie a besoin
pour compter ses chats ? », les enfants doivent choisir une ou plusieurs cartes
réponses parmi un œil, la pensée, une main, le cœur, le cerveau et la bouche.
On peut alors observer si l’enfant associe ou non la pensée et le cerveau selon
les différentes fonctions cognitives (adapté de Rossi et al. 2015).
ATTENTION, ROUTINE !
Lorsque l’erreur est commise par un grand nombre d’élèves, l’enseignant doit
alors se demander quels mécanismes dans sa classe, mais aussi en amont,
produisent ces heuristiques. Par exemple, beaucoup d’élèves en CE1 mettent
un « e » à fleur. Quand on les interroge, ils expliquent que c’est un nom
féminin. Ici, ils utilisent la stratégie de l’accord de l’adjectif à l’écriture du
nom. De même, ils ont des difficultés à résister aux leurres sémantiques en
résolution de problèmes de comparaison où ils associent l’addition à
l’expression « de plus que » ou la soustraction à l’expression « de moins que
».
Dans ces deux cas, il semblerait que les heuristiques se mettent en place lors
d’apprentissages précédents et pour lesquels elles représentaient des
algorithmes toujours vrais : l’adjectif au féminin prend toujours un « e » ; la
recherche du référé connaissant le référent et la relation de comparaison «
Sophie a cinq bonbons de plus (relation) que son frère. Il a trois bonbons
(référent) ; Combien Sophie a-t-elle de bonbons ? (référé) ».
Il faut alors permettre aux élèves d’expliciter leurs procédures, en laissant
émergents des arguments contradictoires puis, dans un second temps, en leur
faisant prendre conscience que ce qui était vrai auparavant peut constituer
dorénavant un piège et qu’il faut rester vigilant, pour pouvoir si nécessaire
modifier les stratégies. L’erreur de l’élève en particulier demande donc à
l’enseignant une compréhension des automatismes qui sont propres à cet
apprenant, et l’erreur des élèves va le conduire à interroger sa pratique et,
plus largement, la logique mise en œuvre lors des années précédentes.
Patrice Couppey, enseignant en CLIS (classe pour l'inclusion scolaire),
évoque que, dans le cas où l’on demande à un élève de comparer une dizaine
et neuf unités, on lui demande souvent « là où il y en a le plus », ce qui induit
des erreurs de la part des élèves. C’est seulement lorsque la cause de l’erreur
est comprise que l’enseignant peut mettre en place les remédiations adaptées.
« Il peut s’agir d’un dysfonctionnement attentionnel, alors j’entreprends un
travail sur la métacognition, sur le fonctionnement du cerveau, plus
précisément je propose à mes élèves des jeux tels que Jacques a dit, Ni oui ni
non, ou encore 1,2,3… soleil propres à exercer l’inhibition comportementale.
Les élèves connaissent le but de ces jeux, et savent que j’attends d’eux un
réinvestissement en classe. Si j’ai identifié qu’il s’agit d’une mauvaise
stratégie, alors j’entreprends un travail sur la détection de piège et
l’inhibition inhérente à la réussite d’un tel problème. Si j’ai identifié que
l’élève ne possède pas les prérequis parce qu’il ne parvient pas à les
mémoriser, alors je lui propose des stratégies pour qu’il parvienne à retenir
la notion. Si j’ai identifié que l’élève ne possède pas les prérequis parce qu’il
ne comprend pas les notions, alors je mets en place de nouvelles séances
d’apprentissage, en variant la situation didactique et ou pédagogique pour
l’aider à mieux comprendre. J’ai travaillé plus spécifiquement sur
l’inhibition comportementale en classe de CLIS et observe des résultats très
satisfaisants. »
SÉCURITÉ OU DANGER ?
Niché au fond de notre cerveau, il existe un capteur, sensible aux messages
de notre entourage et capable de les mémoriser durablement. Il a dû jouer un
rôle primordial dans la survie de nos ancêtres car faute d’un instinct signalant
les dangers, celle-ci dépendait des réactions de leurs éducateurs pour
distinguer ce qui était dangereux ou non.
Pour comprendre la violence, et surtout la prévenir, il est donc utile de
comprendre comment le cerveau traite les instructions provenant de
l’entourage humain. S’agit-il d’un dressage ou d’une éducation ? Où se
trouve le chien de garde ? Quel est son maitre ? Et que se passe-t-il lorsque le
maitre est absent ?
Au-delà de l’organisation primaire de la réponse agressive par
l’hypothalamus, interviennent d’autres structures nerveuses qui installent un
premier filtre cognitif et émotionnel entre la perception des évènements et la
réponse hypothalamique. Ces structures nerveuses sont le cortex temporal,
l’archéocortex (noyaux de l’hippocampe), indispensable pour reconnaitre,
mémoriser et analyser les perceptions, et les noyaux du septum et de
l’amygdale qui donnent une dimension émotionnelle aux évènements perçus.
Les noyaux amygdaliens détectent le danger par la vue et déclenchent très
rapidement, comme un chien de garde, une réponse agressive par excitation
du centre de l’agressivité de l’hypothalamus. Cette capacité à réagir très
rapidement aux menaces a sans doute joué un rôle important dans la survie de
nos ancêtres. Les noyaux amygdaliens sont activés en réponse à des signaux
de menace engendrant la peur ou par des affects négatifs, comme en produit
la vue de certains spectacles.
IMITATION ET MÉMORISATION
C’est ce filtre qui permet d’attribuer à un évènement la connotation (pas
toujours consciente) « contribue à ma sécurité » ou « constitue un danger
pour moi » ou encore « neutre ». À ce niveau de l’organisation cérébrale,
l’éducation précoce joue un rôle prépondérant, car c’est en grande partie elle
qui va différencier ce qui est dangereux ou bénéfique. Outre les expériences
personnelles, la peur des chiens, de l’eau, des étrangers va donc dépendre de
la manière dont les autres réagissent face à ces évènements. Ensuite, par
imitation et mémorisation, certaines situations seront immédiatement
détectées comme dangereuses et entraineront la fuite ou l’attaque.
L’environnement humain construit ce premier système d’interprétation en
indiquant ce qui peut être perçu comme sécurisant et donc agréable et ce qui
doit être interprété comme dangereux et donc désagréable. Certes, il y a le
plus souvent des différences interindividuelles, mais qui sont difficilement
détectables au sein d’un groupe social homogène. Dans un tel groupe, chacun
aura appris à redouter ou apprécier tel type d’individu ou de comportement
et, par exemple, à déterminer ce qui semble constituer ou non une
provocation pour justifier son agressivité. Dans certains groupes humains, le
chien de garde est dressé pour attaquer « ce qui n’est pas comme nous », alors
que dans d’autres, il est éduqué pour reconnaitre les dangers réels, en
particulier grâce à l’éducation à l’empathie.
Mais, quelle que soit l’éducation reçue, tout être humain dispose d’un second
système d’interprétation qui peut lui permettre d’inhiber des réponses
apprises, même si elles sont devenues quasi automatiques dans une culture
donnée.
LA DÉLIBÉRATION CONSCIENTE
Dernière structure du cerveau produite par le processus de l’évolution, les
lobes frontaux humains ne sont engagés dans aucune fonction vitale, leur
retrait n’empêche donc pas de vivre, mais c’est ce qui relève de la personne
ou d’un sujet qui disparait avec eux. C’est en effet la seule structure du
cerveau dont le fonctionnement soit associé à la conscience. La faim peut
assaillir le jeune enfant, mais il arrive un moment où il peut, grâce à ses lobes
frontaux, prendre conscience de la sensation de faim, la reconnaitre et la
nommer ; il en va de même des autres désirs et des peurs, de la colère et des
divers ressentis qui constituent notre vie affective. Sur le plan anatomique, les
lobes frontaux sont connectés à tout le reste du cerveau, mais leur rôle est
essentiellement inhibiteur. C’est grâce à eux que l’on peut se retenir de
manger et attendre l’heure du repas. Dans le cas de l’agressivité, il s’agit
d’apprendre à rester en contact conscient avec ce que nous ressentons, en
particulier la colère, de manière permanente.
Cette pulsion biologique vise le maintien de notre intégrité physique (ou celle
de nos proches), mais aussi de notre intégrité psychologique (notre colère se
développe lorsqu’on nous traite comme un objet et qu’on nous manipule), ou
encore l’intégrité de notre territoire à travers les objets matériels (portable,
sac à main, frontières, etc.) ou de notre territoire symbolique. Et la colère
associée à un sentiment d’insécurité se développe lorsque se présente une
menace dans ces différents domaines. Inversement, se sentir bien traité
physiquement et psychologiquement, accepté en tant que personne et voir ses
différents territoires respectés peut alors engendrer un sentiment de sécurité et
restaurer notre motivation de sécurisation.
Cette motivation peut devenir une motivation d’addiction lorsque ce
sentiment de sécurité s’étend exagérément dans le domaine matériel
(surabondance d’objets matériels dont on ne peut plus se passer),
psychologique (besoin de marques de soumission ou de dépendance de la part
d’autrui), ou dans celui des idées (nation, parti, idéologies diverses
scientifiques ou non, dieux, etc., dont on vit très mal la remise en question ou
simplement la dérision).
Contrairement à l’agressivité, nos travaux de recherche sur la violence ont
montré que celle-ci peut devenir un besoin acquis addictif, conscient ou non,
de rendre les autres faibles et impuissants, pour pouvoir soi-même, lorsque
nous sommes dans cette motivation d’addiction, se sentir fort et puissant et
ainsi combattre l’anxiété résultant d’un très fort sentiment d’insécurité. Le
rapport existant entre l’agressivité et la violence devient comparable à celui
qui relie le comportement alimentaire et le plaisir qui l’accompagne en
motivation de sécurisation, avec la boulimie qui correspond à un besoin
insatiable de manger pour combattre des ressentis et des pensées anxiogènes.
Notre cerveau, qui prend plus de 6 000 décisions par jour, échappe à notre
conscience la grande majorité du temps. Nous réagissons souvent de façon
réactive dans de nombreuses situations, et ce pilotage automatique nous
conduit parfois à des attitudes, des émotions, des décisions qui nous éloignent
de nos souhaits profonds, de notre nature véritable. Nous ne choisissons plus
ce qui nous convient vraiment, nous sommes l’objet de la programmation
parfois ancienne de notre cerveau. La méditation de pleine conscience permet
de retrouver, en nous, la possibilité de choisir, de décider. Un nouvel espace
est créé, qui nous appartient, en propre.
Sur un plan fonctionnel et neurophysiologique, c’est du côté de la plasticité
cérébrale que nous pouvons objectiver le mécanisme. Contrairement à ce que
nous avons longtemps pensé, notre architecture cérébrale ne se fige pas à
l’adolescence, mais peut se modifier à chaque âge de la vie. Créer de
nouvelles synapses, ouvrir de nouvelles connexions interneuronales, dessiner
de nouveaux circuits restent possibles à chaque instant. La méditation permet
de tracer de nouvelles voies, des chemins de traverse qui nous permettent de
sortir de nos ornières mentales habituelles et nous invitent à retrouver la
liberté de choisir un nouveau chemin. Au sens propre donc, comme au sens
figuré.
Les adolescents comprennent bien ce discours et l’idée de reprendre le
pouvoir sur leur cerveau les séduit. La perspective de développer de
nouvelles ressources, de se sentir plus libres, de ne pas être des êtres
programmés correspond au besoin de cet âge de devenir soi-même.
LA MÉDITATION À L’ÉCOLE
Proposer dans les petites classes des moments de pause, le matin pour
commencer la journée, après la récréation pour laisser se décanter toute
l’agitation, avant un cours ou un contrôle pour les plus grands, après un
conflit entre deux élèves ou entre l’un d’entre eux et l’enseignant, donne aux
élèves la possibilité d’accéder à une réserve de calme, d’apaisement intérieur,
d’espace de sécurité où ils pourront aller puiser de multiples ressources. Pour
se sentir prêt à entrer en apprentissage, l’esprit clair, les préoccupations mises
à distance, le stress apaisé.
À long terme, les enfants qui auront été très tôt initiés sauront que, à chaque
moment de leur vie, il suffit de se relier à ce que l’on ressent pour se sentir
totalement présent à ce qui se passe et que cette présence leur donne une
immense énergie.
Nous proposons d’introduire la méditation de pleine conscience à l’école à
partir de deux paliers distincts.
Premier palier : l’enseignant propose lui-même des exercices à ses élèves, de
la maternelle à la terminale. Dans notre expérience, nous avons régulièrement
formé des équipes pédagogiques, en trois ou quatre sessions : présenter la
mindfulness (qu'on peut traduire par pleine conscience), les études, les
bénéfices, pour les adultes, pour les enfants, pour les apprentissages, pour les
relations interpersonnelles, pour l’apaisement émotionnel. Puis des séances
où les enseignants font, pour eux, l’expérience de la pleine conscience. La
méditation est un partage, que les enseignants doivent d’abord vivre. Puis les
exercices sont explicités et analysés. Enfin, une régulation permet aux
enseignants de partager leurs expériences dans leurs classes et de s’ajuster. Le
constat de tous ? Même les plus réticents, ceux qui avaient peur que leurs
élèves de lycée se moquent, sont stupéfaits de l’accueil et de l’impact de ces
pratiques avec leurs classes. Et ce sont eux, les élèves, qui deviennent les
meilleurs promoteurs de cette nouvelle façon d’être et qui donnent envie à
d’autres professeurs de se former. Une étude américaine récente le confirme
en chiffres : 69 % des adolescents de 14-15 ans soumis à un programme de
mindfulness ont dit qu’ils avaient apprécié cette pratique et qu’ils
continueraient pour 74 %.
Second palier : des programmes Mindful UP en groupe classe (ou plus) qui
peuvent être conduits dans l’établissement scolaire par des intervenants
extérieurs formés à cette pratique. Dans ce cas, les programmes complets sont
mis en œuvre et les enseignants sont invités à participer, à suivre les séances.
Actuellement, une recherche avec les programmes Mindful UP est menée à
grande échelle avec les collèges de l’académie de l’Essonne. Des groupes
avec des enfants en difficultés scolaires, des groupes avec des enfants en
réussite, des groupes contrôle. Les premiers résultats sont vraiment très
encourageants.
LA FORCE DU GROUPE
Pratiquer la méditation ensemble, respirer ensemble, transforme les liens et
renforce la cohésion de la classe. L’autre, le copain, l’ami, le camarade sont
vus, perçus différemment. Quelque chose de la sensibilité de chacun a été
touché. De la vulnérabilité aussi. Une forme de douceur s’installe.
Imperceptiblement parfois, mais très nettement. Une douceur faite de plus
d’écoute, de bienveillance, de générosité, d’affection, de tolérance pour les
autres. Souvent la dynamique de groupe, bien connue en psychologie, se
remet à fonctionner. Ma classe, celle à laquelle j’appartiens, celle avec
laquelle je vis, celle avec qui j’ai partagé ces moments précieux, est perçue
comme la « bonne » classe. La classe, sa classe, devient un endroit refuge où
l'on se sent en sécurité, écouté, accepté, et même compris.
Lorsque le professeur participe activement au programme, les bénéfices pour
le groupe classe sont encore amplifiés. Les rapports se modifient entre élèves
et enseignant. Il s’est joué quelque chose d’authentique, d’intime, qui va
considérablement consolider une confiance réciproque. Chacun aura pu poser
un regard nouveau sur l’autre et découvrir des facettes de sa personnalité et
de sa sensibilité qu’un travail habituel en classe laisse le plus souvent de côté.
Les enseignants sont souvent étonnés face à certains élèves. Ils ne
s'attendaient pas à découvrir chez celui-là toutes ces qualités cachées par ses
difficultés scolaires quotidiennes, ils n’avaient pas envisagé que cet élève
violent était en réalité profondément malheureux, que les conflits perpétuels
autour de l’insolence n’étaient que le reflet d’un sentiment de grande solitude,
ne se sentant jamais compris et reconnu il avait besoin d’instaurer ces
rapports troublés avec l’adulte.
En réalité, introduire la méditation à l’école, c’est préparer un monde où
chacun, à son rythme, saura, pourra profiter profondément de sa vie, de ses
ressources et trouver du sens à chaque pas. Le défi de l’éducation de demain
?
Un exercice pour le stress et la concentration pour les ados
Avant un contrôle, un examen, le stress est d’abord dessiné sur une feuille, qui est ensuite pliée en
quatre ou roulée en boule sur le bureau. Se détacher de son stress crée, symboliquement, un espace
intérieur dégagé. Le stress est là, mais dehors et non plus dedans. Puis, poser simplement les mains sur
le rebord du bureau, pieds à plat sur le sol, parallèles, si possible le dos droit sur la chaise. Premier
temps, on serre le bord du bureau très fort et on se concentre sur les sensations des doigts qui se
crispent, presque jusqu’à une tension douloureuse. On reste serré quelques instants. Puis on relâche
vivement et on perçoit les sensations nouvelles dans les mains ouvertes. Une grande respiration, un
espace mental est maintenant libéré pour se concentrer sur son travail. À faire essayer à ses ados, en
leur expliquant au préalable pourquoi ça marche : se centrer sur ses sensations réduit la production de
cortisol (hormone du stress) et libère la mémoire de travail, mémoire à court terme indispensable pour
l’activité intellectuelle et la concentration.
Zoom
Gros plan sur quelques exercices
Les pratiques proposées ci-dessous sont courtes et peuvent facilement être proposées directement par
les enseignants dans les classes. L’enseignant est là pour accompagner chaque élève, afin qu’il puisse
faire l’exercice du mieux possible. Aucun objectif n’est à atteindre, ce que l’enfant vit doit toujours
être respecté. On ne peut ni ne doit blâmer un enfant car il « n’y arrive pas » ou qu’il « ne fait pas bien
». En classe, les exercices se font sur les chaises le plus souvent. En rond si possible, afin de favoriser
les échanges et de créer une unité de groupe. Pour les plus petits, il est aussi possible de s’assoir par
terre sur des coussins ou des tapis, type tapis de yoga. D’autres exercices se font debout ou en
mouvement. Une petite gamme de propositions, au fil de la journée :
rentrer dans la classe doucement, en ralentissant l’allure et en avançant à petit pas tout en percevant
chaque mouvement du corps qui se déplace ;
s’assoir, en décomposant chaque étape, puis sentir tous les points de contact du corps avec la chaise ;
poser les mains sur le bureau, comme pour l’attraper, le serrer fort, toute l’attention centrée sur les
sensations dans les mains : crispées, relâchées, une fois, deux fois, trois fois ; ressentir, juste
ressentir ;
la respiration, la reine de la pleine conscience : où est-elle cette respiration qui me fait vivre et à
laquelle je ne prête que très rarement attention ? Est-ce que je la sens plutôt dans mon ventre qui se
gonfle doucement quand l’air entre et se dégonfle tranquillement quand l’air ressort ? Est-ce que je
peux mieux la sentir avec ma main sur mon ventre et percevoir ma main bouger au gré de mon
souffle ? Ou bien dans ma poitrine, qui elle aussi se soulève puis se rétracte chaque fois que je
respire ? Et si c’était dans mon nez, ou plus exactement dans mes narines que je peux sentir l’air qui
passe, qui me chatouille, qui est un peu plus frais au moment où j’inspire et un peu plus chaud quand
il ressort de mes narines ? Avec le souffle, on peut inventer de nombreux exercices : la coque de
noix qui flotte sur le va-et-vient du souffle, les vagues qui vont et viennent dans la mer, le ballon que
l’on gonfle puis qu’on dégonfle. Peu importe, toute inspiration est bienvenue. L’essentiel est de
donner des images qui permettent aux enfants de mobiliser leur attention sur la sensation de leur
respiration. Il ne s’agit pas de penser à son souffle, mais de s’y relier. Ressentir. Encore et encore.
Pour les plus grands et les adolescents, toujours rappeler que si la respiration calme, dégage un espace
à l'intérieur de soi, que si le souffle éloigne le stress, c’est parce que cela a un fondement
physiologique. La respiration bloque les hormones du stress et active celles de l’apaisement. C’est
chimique, pas seulement psychologique ! C’est une façon de ne plus être le jouet de son mental. Une
phrase qui prend une vraie portée à cet âge de la vie où l’on entend tout diriger et où l’on supporte mal
d’être soumis à une autorité quelconque. Insistons avec eux : c’est leur mental qui est le plus
tyrannique et qui les oblige à faire des tas de choses qui ne leur conviennent pas. Avec le souffle, ils
peuvent reprendre le contrôle sur leur cerveau.
J. S.-F.
POUR EN SAVOIR PLUS Derniers ouvrages de l'auteure : Tout est là, Juste là. La méditation de
pleine conscience pour les enfants et les ados aussi !, éditions Odile
Jacob, 2014 ; Mais qu’est-ce qui l’empêche de réussir ?, éditions Odile Jacob, octobre 2015.
Ceci n’est pas une tasse
Où on montre comment les recherches de Stanislas Dehaene
peuvent aider des enseignants de maternelle et de CP à
prévenir une difficulté bien connue de l’apprentissage de la
lecture : la confusion des lettres en miroir.
PRINCIPES DE FONCTIONNEMENT
Quatre principes simples de fonctionnement ont été élaborés à partir
d’apports de la recherche :
1. S'engager dans la tâche. Les élèves sont mis en activité d'apprentissage :
le travail est réellement fait par l'élève. « Il est dur de refuser de jouer,
alors que cinquante élèves et deux professeurs jouent ! »
2. Consentir des efforts. Les élèves consentent des efforts pour réaliser la
tâche, le jeu, quelles que soient les difficultés. « Il est dur de ne pas refaire
une partie, même quand on a perdu ! »
3. Persévérer dans la mémorisation. Créer des situations d'apprentissage
pour que les élèves persévèrent quand il y a des difficultés qui se
présentent et qu'ils commencent à douter qu'ils vont réussir. « Il est dur de
renoncer face à de nouveaux jeux toutes les semaines et de résister à la
possibilité de progresser à son rythme en rejouant à des niveaux plus
faciles pour soi ! »
4. Développer le sentiment d'autoefficacité. Quand ils gagnent, les élèves
continuent à jouer ! Quand ils perdent, ils continuent à jouer ! Dans les
deux cas, ils sont gagnants, parce qu’ils mémorisent des connaissances.
Concrètement, durant l'heure d'« atelier mémo » pour les élèves de deux
classes de 6e, nous testons les jeux que nous avons créés (une dizaine à ce
jour) en lien avec les programmes de nos disciplines. Durant l’atelier, les
élèves jouent et mémorisent les notions ciblées par chacun des jeux. Nous
veillons à établir un lien avec les cours habituels et à les faire réfléchir sur
l'intérêt cognitif des jeux utilisés. Ainsi des actions sont mises en place au
sein de nos cours : temps de jeux ritualisés au sein du cours, évaluations de
mémorisation, réutilisation des notions.
QUELLE ÉVALUATION ?
La façon d’évaluer la portée de ce projet comptait deux aspects : un aspect
interne, fondé sur l’observation des élèves, de leur implication, de leurs
réussites et de leurs difficultés ; un aspect externe fondé sur l’utilisation d’un
outil d’évaluation standardisé qui mesure les aspects affectifs des
apprentissages : les stratégies d’apprentissage des élèves, leurs croyances à
propos d’eux-mêmes et leurs préférences d’apprentissage. Le test SAL
(Students’ Approaches to Learning, Marsh et al.) a été conçu et validé pour
l’OCDE, dans le cadre de PISA. La méthodologie d’élaboration du test et sa
validation sont d’une très grande rigueur. Notre idée était d’utiliser ce test en
début et fin d’année, puis de vérifier si les élèves progressaient.
L’évaluation interne est très positive. La mémorisation lexicale en anglais sur
la longue durée est plus efficace. Elle permet alors d’aborder plus facilement
le travail sur la construction d'expression (ainsi, maitriser les pronoms
interrogatifs aide à se focaliser sur le choix et la place de l’auxiliaire). Les
notions en HG-EMC sont bien mieux maitrisées au cours de l'année et leur
mémorisation facilite l'accès aux diverses tâches d'apprentissage (en 6e, la
mémorisation de la notion de littoralisation en amont du chapitre facilite la
lecture et la compréhension de paysages littoraux et la réalisation de croquis).
L'ambiance de travail en cours est dynamique et vivante, les élèves sont, pour
la majeure partie d’entre eux, impliqués et acteurs dans l'acquisition de
connaissances.
L’évaluation externe est moins probante. Chaque année, les élèves des deux
classes de 6e participant au projet ne progressent pas plus en moyenne qu’une
classe témoin. Quand on regarde ce qu’il y a derrière cette moyenne, on
constate surtout que les résultats divergent. Parfois, une classe progresse
nettement dans un domaine, mais régresse dans l’autre. Les préférences
d’apprentissage d’une classe de 6e « jeu » peuvent avoir des scores plus
élevés que ceux de la classe témoin, mais c’est l’inverse avec les croyances à
propos d’eux-mêmes !
Ces résultats incohérents montrent que l’outil d’évaluation n’était
probablement pas adapté pour rendre compte de l’évolution des stratégies des
élèves. L’évolution de la conscience d’apprendre entre le début et la fin de
l’année n’est peut-être pas mesurable par un questionnaire de positionnement.
Daniel Pennac, dans Chagrin d’école, écrit : « Statistiquement tout s'explique,
personnellement tout se complique. » Pour nous, statistiquement rien n’a pu
être montré, pédagogiquement tout s’est illuminé.
Outils
Ups and downs
Règle du Ups and Downs : deux joueurs s'affrontent pour retrouver les questions anglaises qu'ils ont
tenté de mémoriser en cinq minutes. La partie se déroule sous la surveillance d'un joueur vérificateur
qui a la liste des questions à mémoriser et compte les points.
Le but est de faire sentir et mémoriser le schéma rythmique des questions anglaises (répétition d'un
auxiliaire que les élèves oublient régulièrement When does he go? What time do you play? ou How
are you feeling? What is he watching?, etc.).
Ce jeu repose sur un plateau du célèbre jeu anglais Snakes and Ladders. Il est adapté de Mario
Rinvolucri, Grammar games. Cognitive, affective and drama activities for ESL students, Cambridge
University Press, p. 31-32, 1995.
Quelques définitions
Nicole Bouin,
LE CAS DE FÉLIX
J’ai rencontré Félix, un jeune Vietnamien lorsqu’il avait 6 ans à l’école
Montessori de Magog au Québec. Il m’a été présenté par la direction et les
enseignants comme un enfant turbulent, agressif envers les pairs et la famille,
inattentif, impulsif et hyperactif. Enseignants et parents, arrivés à une
impasse, envisageaient de le médicamenter. Nous avons établi dès l’entrée en
1ère année un plan d’intervention très complet : mesures d’éducation
spécialisée individuelle au quotidien, groupe d’habiletés sociales
hebdomadaire, rencontre en psychoéducation individuelle, travail sur la
dynamique familiale à la maison, accompagnement des enseignants, carnet de
comportements, etc. La mise en place de telles mesures psychoéducatives a
permis d’encadrer Félix dans toutes les sphères de sa vie et, aux dires de tous,
a entrainé une nette amélioration dans presque tous les domaines. Toutefois
Félix présentait toujours un retard considérable du développement de ses
capacités d’attention. C’est alors qu’est entrée en scène la méthode Tomatis,
un traitement audiopsychophonologique qui se réfère à la psychiatrie, la
neurologie et la psychologie des comportements. A la suite de cette prise en
charge Félix a montré plus de calme, il s’est apaisé, l’agitation motrice et
l’hyperactive ont diminué. Il semble qu’il ait pu prendre ainsi son gouvernail
émotionnel en main par le biais de l’amélioration des fonctions exécutives.
LE PRINCIPE DE LA MÉTHODE
Concrètement la méthode Tomatis consiste à apprendre ou à réapprendre à
bien écouter par un processus de stimulation auditive à l’aide d’un appareil
électronique qui active alternativement l’oreille entre des phases de travail et
de repos, de relâche et de tension. La stimulation auditive par entraineur
électronique, ou un modulateur de fréquences, consiste à permettre au
cerveau de régulariser l’écoute dite interne (osseuse) par rapport à l’écoute
dite externe (aérienne). La musique de Mozart, entre autres, est utilisée,
filtrée et perçue par l’intermédiaire d’un casque avec conduction aérienne et
osseuse, dans l’optique de créer une gymnastique auditive qui (ré)apprend au
cerveau à gérer les différents sons de manière optimale. En soi, cette méthode
ne touche pas seulement la capacité d’écoute, mais aussi la capacité à
communiquer par les liens qui existent entre l’oreille, le thalamus, les
amygdales et le cortex. Comme le stipule la première loi de l’oto-rhino-
laryngologiste Tomatis : « La voix ne contient que ce que l'oreille entend ».
Ainsi en augmentant le spectre des fréquences bien entendues l’enfant
augmente en même temps sa capacité vocale. Cela nous amène à considérer
la deuxième loi du médecin : « si on donne la possibilité à l'oreille d'entendre
de nouveau correctement des fréquences qui jusque-là n'étaient plus ou plus
bien perçues, alors elles deviennent de nouveau immédiatement et
consciemment perceptibles dans la voix ».
Dans cette optique, améliorer les capacités d’écoute d’un enfant revient à
développer son langage qui, on le sait maintenant, est directement lié aux
apprentissages scolaires et aux difficultés comportementales.
La méthode Tomatis n’est pas nouvelle et elle est régulièrement critiquée
pour son manque d’assises scientifiques car les recherches qui la concernent
n'ont pas réalisé de protocoles scientifiques rigoureux. Les neurosciences
pourraient permettre enfin de vérifier les intuitions de son fondateur et les
constats des praticiens.
RÉFÉRENCES Dominique Habellion, Eduquer l’oreille pour prevenir les agressions sonores,
Revista Psicologia & Saúde Gerardo Restrepo, Émotion, cognition et action
motivée: une nouvelle vision de la neuroéducation, Neuroéducation 3 (1 ), 9-17
Dormir pour apprendre
Les neurosciences s’intéressent aussi au sommeil, à son rôle
concernant la mémoire et l’appropriation des connaissances.
Qu’en est-il des troubles du sommeil et de ses conséquences
sur les apprentissages ?
REPLAY
En fait la consolidation nocturne des apprentissages pourrait être liée à la
réactivation spontanée pendant le sommeil des régions cérébrales impliquées
au moment de l’apprentissage. Des chercheurs ont pu montrer en étudiant des
Diamants Mandarins endormis, que ces oiseaux rejouaient mentalement
pendant leur sommeil les mélodies de sifflements apprises au cours de la
journée. Chez le rat, des données récentes ont montré que les neurones
activés au cours de l’apprentissage se réactivaient selon la même rythmique,
au sein des cortex sensoriels et de l’hippocampe (régions essentielles au
processus de mémorisation) au cours de la période de sommeil qui suivait
l’apprentissage. Ce phénomène, nommé « replay », a également été observé
chez l’humain grâce à la neuro-imagerie et pourrait sous-tendre le processus
de consolidation de la mémoire pendant le sommeil. On a pu ainsi observer
que les performances lors de la restitution de paires de mots, ou d’images
sont meilleures chez les enfants lorsqu’une période de sommeil a suivi
l’apprentissage. Ou encore qu’une sieste, après un apprentissage, suffisait à
améliorer les capacités de flexibilité et de généralisation de jeunes enfants
face à du matériel langagier.
LE TDAH AU QUOTIDIEN
L’impulsivité associée au TDAH est un facteur majeur de marginalisation de
l’enfant, qui agit trop souvent sans suivre les règles du jeu, interrompt les
conversations, intervient à l’école de façon peu pertinente et initie parfois des
bagarres. A l’âge adulte, ces difficultés restent très présentes et peuvent
retentir négativement sur des décisions aux enjeux plus importants que
pendant l’enfance. Cette pathologie est aussi connue pour accroître les
risques de comportement addictif par rapport à l’alcool, aux drogues, au jeu.
Elle constitue un facteur de risque d’initiation précoce à l’utilisation de
substances psychoactives, mais est aussi associée à une durée plus élevée de
la dépendance et à une rémission deux fois plus lente. L’entrée dans l’âge
adulte, avec l’augmentation des responsabilités et la nécessité d’une plus
grande autonomie, pose des problèmes difficiles à dépasser en cas de TDAH.
LE QUATRIÈME LIEU
J’ai eu la chance de participer au déménagement du campus secondaire et
donc de me retrouver avec un espace de type loft à aménager en centre de
ressources. Des études sur les premières bibliothèques publiques bâties sur le
modèle des intelligences multiples ont vu le jour aux Etats-Unis et j’ai bien
entendu choisi de m’intéresser à toutes ces innovations pour essayer de faire
du Centre de Documentation un lieu où l’élève peut se sentir bien et où je
peux en même temps remplir au mieux mes missions pédagogiques. Je me
suis également interrogée sur la véritable place du Centre de Documentation
dans la vie et l’apprentissage des élèves. Il me semble qu’en intégrant
désormais la dimension numérique le Centre de documentation se situe, non
plus comme un lieu central, mais comme un lieu intermédiaire, le quatrième
lieu après la maison, l’école et la bibliothèque « traditionnelle », qui doit à la
fois fournir les informations, mais aussi les outils d’apprentissage.
LA PÉDAGOGIE DE L’ÉTONNEMENT
La prise en compte des différentes intelligences (verbolinguistique, spatiale,
naturaliste…) peut donc participer, non seulement à la différenciation
pédagogique mais également à l’individualisation pédagogique dans un
centre de documentation. Il ne s’agit pas bien entendu de mettre en place une
analyse psychologique approfondie de chacun des 400 élèves qui le
fréquentent, mais d’être en mesure de leur fournir à un moment donné les
outils nécessaires pour optimiser leur manière de travailler et stimuler le goût
d’apprendre en les surprenant.
Il me semble donc judicieux d’offrir aux élèves la possibilité d’identifier
leurs formes d’intelligences de façon informelle, pas par des tests directs,
mais à travers une série de reconnaissances, afin de les valoriser et de les
motiver.
BIBLIOGRAPHIE
Comprendre le cerveau – naissance d’une science de l’apprentissage ,
OCDE Editions, 2007.
277 pages et 13 graphiques pour dresser un panorama des connaissances
actuelles et des découvertes sur le cerveau dans le domaine des sciences
cognitives : comment le cerveau apprend de la naissance à la vieillesse,
l’impact de l’environnement, littératie, numératie, neuromythes, éthique des
neurosciences.
Stanislas Dehaene, La Bosse des Maths, Odile Jacob, nouvelle édition de
2014.
Cet ouvrage dense rassemble les données sur l’arithmétique et le cerveau
sous un angle biologique pour montrer comment l’architecture cérébrale
permet de faire des mathématiques. Il explore le concept de nombre, l’algèbre
et la géométrie, la dyscalculie grâce à l’éclairage de l’IRM fonctionnel.
Stanislas Dehaene, Les neurones de la lecture , Odile Jacob, nouvelle
édition de 2012.
L’auteur aborde le processus de la lecture sous l’angle des neurosciences et
s’appuie sur les plus récentes techniques d’imagerie médicale pour élaborer
une hypothèse scientifique, celle du recyclage neuronal pour déchiffrer
l’écriture. Il tente par là d’expliquer les échecs d’enfants et de suggérer des
pistes pédagogiques. Préface de Jean-Pierre Changeux.
Olivier Houdé, Apprendre à résister, Le Pommier, 2014.
L’auteur expose de manière claire et étayée sa théorie de la « résistance
cognitive » et de l’inhibition de ce qui « va de soi », avec de nombreux
exemples aussi bien chez les bébés que chez les adolescents. Aux confins des
neurosciences, de la psychologie et de la philosophie.
Joseph Stordeur, Comprendre, apprendre, mémoriser . Les neurosciences
au service de la pédagogie, de boeck, 2014.
L’auteur explique comment des recherches neurobiologiques peuvent donner
lieu à des expérimentations sur le terrain et favoriser certaines démarches
pédagogiques : perceptions, représentations, langage, lecture, numération,
motivation… On peut lire la présentation de l’ouvrage sur le site des Cahiers
pédagogiques. Du même auteur on pourra lire un ouvrage plus adapté à
l’enseignement primaire :
Joseph Stordeur et Christine Jamaer - Oser l’apprentissage à l’école – de
boeck, 2e édition de 2013.
Pascale Toscani, Les neurosciences au cœur de la classe, Chronique
Sociale, 2e édition de 2014
Cet ouvrage réunit d’abord plusieurs articles sur les relations entre les
neurosciences et l’enseignement. Il propose dans une deuxième partie des
éléments théoriques sur la plasticité cérébrale, les intelligences multiples, le
stress, l’hygiène de vie, la mémoire avec des fiches pratiques pour travailler
avec les élèves. Préface de Bruno della Chiesa. Du même auteur on pourra
lire :
Pascale Toscani, Apprendre avec les neurosciences : Rien ne se joue avant
6 ans, Chronique Sociale, 3e édition de 2015.
Elena Pasquinelli, Mon cerveau ce héros, mythes et réalité, Le Pommier,
2015.
L’auteur dénonce et analyse les neuromythes dans ce petit ouvrage plein
d’humour. Du même auteur on pourra lire un ouvrage plus épais :
Elena Pasquinelli, Du labo à l’école : science et apprentissage, Le
Pommier, 2014.
Chargée de mission à La main à la pâte cette philosophe de formation nous
offre un récit enlevé, bourré d'anecdotes mais aussi de réponses aux questions
que se posent les enseignants. Dense mais très bien construit.
Daniel Favre, Cessons de démobiliser les élèves, 19 clés pour favoriser
l’apprentissage, Dunod, 2e édition de 2015.
Pour permettre aux élèves de se remotiver pour les apprentissages l’auteur
s’appuie sur des notions neurobiologiques et donne des exemples de mises en
application au quotidien dans la classe. Ce livre aborde la dimension affective
de l’apprentissage en entend démontrer que la violence et l’échec scolaire ne
sont pas des fatalités.
Jean-Philippe Lachaux, Le cerveau attentif, Contrôle, maîtrise et lâcher-
prise , Odile Jacob, 2013.
Ce spécialiste des fonctions exécutives part de l’introspection pour tenter de
faire le pont entre ses recherches à l’INSERM sur l’attention et la vie
quotidienne. Ce premier ouvrage est très pointu mais l’auteur a le sens de la
métaphore éclairante.
Un deuxième ouvrage, plus accessible, vient de paraître, il vise plutôt la mise
en pratique dans la vie quotidienne des découvertes des neuroscientifiques et
on attend avec impatience la version BD pour aider les enfants à comprendre
le fonctionnement de leur cerveau et à développer leurs capacités d’attention.
Jean-Philippe Lachaux, Le cerveau funambule. Comprendre et
apprivoiser son attention grâce aux neurosciences, Odile Jacob, 2015.
Jeanne Siaud-Facchin, Mais qu’est-ce qui l’empêche de réussir ?
Comprendre pourquoi, savoir comment faire, Odile Jacob, 2015.
Cette psychologue clinicienne qui a fondé les centres Cogito’Z consacrés au
diagnostic et à la prise en charge des troubles des apprentissages explore dans
son dernier livre les causes de l’échec scolaire en s’appuyant sur sa propre
expérience et des données des neurosciences affectives.
Christopher Chabris et Daniel J. Simons , Le gorille invisible ou quand
nos intuitions nous jouent des tours, Le Pommier, 2015.
Deux universitaires américains, connus notamment pour cette fameuse
expérience du « gorille » qui est ici décryptée avec ses prolongements
récents, nous mettent en garde contre nos intuitions, une trop grande
confiance dans nos capacités de mémorisation et de mener plusieurs tâches à
la fois. Humour, clarté, un ouvrage à recommander comme outil pour «
résister » à la pensée conformiste.
Jean-Marie Besnier, Francis Brunelle, Florence Gazeau, Un cerveau très
prometteur, Le Pommier, 2015.
Un dialogue à quatre voix (un philosophe, un neurobiologiste, une coach
entreprise et la directrice des éditions du Pommier) autour de l’intérêt et des
limites des neurosciences. Un vrai dialogue, sans logique binaire, où il est
question notamment des rapports entre le cerveau et la conscience, des
dangers du « transhumanisme », de ce que nous savons et de ce que nous ne
savons pas… Stimulant.
La neuroéducation, Dossier coordonné par Steve Masson, ANAE N° 134
de mars 2015.
Attention, revue assez technique, plutôt à destination des professionnels de
l’« Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant ». On y
retrouve des texte de Steve Masson, d’Elena Pasquinelli ou de Céline Lanoë
dans une version plus universitaire.
Le Cerveau de William Rostène et Jacques Epelbaum - Illustrations de
Sophie Hérout - Collection "Les minipommes" des éditions Le Pommier
- 2015.
En attendant la BD de Philippe Lachaux un support pour expliquer aux
enfants comment fonctionne leur cerveau.
SITOGRAPHIE
Sur le site du Collège de France, 135 cours de Stanislas Dehaene et de ses
invités : http://www.college-de-france.fr/site/stanislas-
dehaene/_audiovideos.htm
Sur le site du colloque « L’aventure des neurosciences, des territoires de
la recherche aux défis de l’éducation », les communications des
intervenants au colloque
: http://www.uco.fr/evenements/colloqueneurosciences/communications/
Sur le site de l’association pour la recherche en neuroéducation de
nombreux films et documents
: https://www.youtube.com/user/ANeuroeducation
Le site de l’INSERM qui comporte un onglet « Neurosciences, sciences
cognitives » : http://www.inserm.fr/#
Le site de la Fédération pour la recherche sur le cerveau
: http://www.frc.asso.fr/Le-cerveau-et-la-recherche/A-la-decouverte-du-
cerveau
Le site de Canal U donne accès à 242 films sur les neurosciences classés par
thèmes, niveaux et auteurs :
https://www.canal-u.tv/recherche/?
q=Neurosciences&submitProgramSearch=Ok&simpleform_submitted=searc
hbar-form&fromSimpleForm=1
Visible learning de John Hattie répertorie plus de 800 méta-analyses qui
résument plus que 50 000 études individuelles sur les pratiques
pédagogiques. Il en a publié une synthèse dans un livre paru en 2009,
malheureusement pas encore traduit en français. En tout 250 millions
d’élèves ont été concernés par ces recherches sur la réussite et
l’apprentissage. L’auteur élargit constamment sa base de données avec de
nouvelles recherches. Le site présente une partie des 138 facteurs d’influence
qu’il évalue dans son livre : http://visible-learning.org/fr/john-hattie-
classement-facteurs-reussite-apprentissage/
Les animations 3D de neuroanatomie de Lyon 1 : L’encéphale :
https://www.youtube.com/watch?v=Z8Nk-
XlgXwA&list=PL8D9CD9F5D13C93FC
Le neurone et la libération
des neurotransmetteurs :
https://www.youtube.com/watch?
v=LrzWhuKYxew&list=PL8D9CD9F5D13C93FC&index=10
FILMOGRAPHIE
Vice versa (titre anglais bien préférable «Inside out »)
Un film d’animation grand public des studios Pixar (réalisé par Pete Docter)
qui est aussi un voyage dans le cerveau d’une pré-adolescente où coexistent
pour le meilleur et pour le pire des émotions fondamentales telles que Joie,
Tristesse ou Colère. En dehors du plaisir qu’on a à admirer un graphisme et
une créativité exceptionnels, ce peut être une bonne introduction à un travail
en classe sur les diverses dimensions du cerveau.
Des conférences de Steve Masson, en particulier « Mieux connaître le
cerveau peut-il nous aider à mieux enseigner ? » (1 heure) :
https://www.youtube.com/watch?v=V8Xjbb1CWVE
Les vidéo-montages de Jean-Philippe Lachaux sur Le cerveau funambule
:
Marcher sur la poutre (14 minutes) : https://www.youtube.com/watch?
v=bYwNzRkDiwk
Pouce, index, majeur (12 minutes) : https://www.youtube.com/watch?
v=wTz7XcWb4jk
Les bulles d’attention (14 minutes) : https://www.youtube.com/watch?
v=WWpPBoV-PkA
Une intervention de Jean-Philippe Lachaux :
https://www.youtube.com/watch?v=GbMWsmZJM2Q
L’émission « Les pouvoirs extraordinaires de notre cerveau » diffusée le
16 septembre 20014 sur France 2 (115 minutes). Un extrait :
https://www.youtube.com/watch?v=43bJdHIkoG0
Une intervention d’Elena Pasquinelli sur les neuromythes à l’Ecole
normale supérieure (110 minutes) :
https://www.youtube.com/watch?v=i3-O2ImT3-g
Une conférence de Bernard Mazoyer sur le cerveau de la connaissance :
Physiologie de la cognition et images du cerveau à l’Université de tous les
savoirs en 2000 (77 minutes) sur l’IRM fonctionnelle et la localisation
cérébrale.
https://www.canal-
u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/le_cerveau_de_la_connaissance_p
hysiologie_de_la_cognition_et_images_du_cerveau.859
La cartographie du système cérébral (83 minutes)
https://www.canal-
u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/la_cartographie_du_systeme_cereb
ral.1222
La conférence de Jean-Luc Berthier « Les neurosciences au service de la
pédagogie » (2 heures 25)
http://lachepaslecole.ac-versailles.fr/Conference-Les-neurosciences-au-
service-de-la-pedagogie
Le cerveau et ses automatismes, émissions d’Arte :
La magie de l’inconscient (43 minutes) : https://www.youtube.com/watch?
v=PYJYEOXUgFk
Le pouvoir de l’inconscient (43 minutes) : https://www.youtube.com/watch?
v=dEdLNvNHwMY
Les étonnants pouvoirs de la transformation du cerveau, émissions d’Arte
:
1ère partie (41 minutes) diffusé le 21 janvier 2012
http://www.dailymotion.com/video/xnvyvz_les-etonnants-pouvoirs-de-
transformation-du-cerveau-partie-1-2_tech
2e partie (53 minutes) diffusé le 25 janvier 2015
https://www.youtube.com/watch?v=FU5KSMzxmsg
C’est pas sorcier : Cerveau 1 : Les sorciers se prennent la tête (26
minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=qWr8yA-ZhBI
C’est pas sorcier : Cerveau 2 : J’ai la mémoire qui flanche (26 minutes)
: https://www.youtube.com/watch?v=Wz0lrKSRtmE
Les neuromythes, conférence d’Elena Pasquinelli (113 minutes)
: https://www.youtube.com/watch?v=i3-O2ImT3-g
Les neuromythes, interview de Bruno della Chiesa (114 minutes)
: https://www.youtube.com/watch?v=9AhdB5El9ak
Attention à l’attention, enregistrement de l’émission les Savanturiers sur
France Inter
http://davidtribal.com/blog/blog/2015/11/05/attention-a-lattention-jean-
philippe-lachaux-chercheur-en-neurosciences-sur-france-inter/
Verra-t-on notre cerveau fonctionner en direct ? Emission science
publique sur France culture
http://www.franceculture.fr/emission-science-publique-10-11-notre-attention-
est-elle-maitrisable-2011-05-27
Les éditions du Pommier, au
service de la vulgarisation
scientifique
Cette maison d’édition diffuse depuis quelques années pour
les jeunes et les moins jeunes des ouvrages qui donnent des
clés pour mieux comprendre le monde qui nous entoure, et
notamment dans les domaines touchant de plus ou moins
près aux neurosciences. Juliette Thomas, responsable
d'édition, répond à nos questions.
Quels sont les différents domaines abordés et notamment dans le domaine des
sciences ?
Quels sont les ouvrages, les outils que vous proposez plus particulièrement aux
enseignants ?
Nous proposons
des outils pédagogiques : des guides pédagogiques en collaboration
avec La main à la pâte ; les Minipommes, une série documentaire jeunesse
conçue pour les enseignants de CM1 et de nombreux ouvrages –
notamment au sein de notre collection « Éducation » qui sont destinés à
tous ceux qui se préoccupent d'accompagner les apprentissages
scientifiques des enfants.
des outils de mise à niveau par rapport à la culture scientifique en tant
que telle (la collection des Graines de sciences, celle des Petites pommes
du savoir, notamment).
des outils de réflexion : spécifiquement avec la collection Les Défis de
l'éducation, sachant qu'une grande partie du catalogue du Pommier donne
matière à réflexion!
Comment travaillez-vous avec les auteurs pour proposer des thématiques qui
soient utiles aux enseignants ?
Nous partons du principe que les sciences font partie de la culture et que
l'enseignant est un passeur au même titre que nous. Et nous entretenons un
lien fort avec l'équipe de La main à la pâte, fruit d'une étroite collaboration
au long cours.
Il était une fois un jeune garçon, Léo, qui avait un frère jumeau brillant, à
l’aise à l’oral et entouré de très nombreux copains. Léo, lui, avait de
médiocres résultats en classe et devenait écarlate à la moindre occasion. Il
avait une seule amie : Julie, tout aussi émotive et réservée que lui. Tous deux
cherchaient à se faire oublier, à disparaitre.
Une de leurs professeurs, Fée Français, observait souvent à la dérobée ce duo
de jeunes gens, riches de trésors enfouis au plus profond d’eux-mêmes sans le
savoir encore. Lorsqu’on interrogeait Léo, c’était son frère qui répondait.
Lorsqu’on devait récupérer des documents, c’était son frère qui les donnait.
Lorsqu’on parlait de Léo, on demandait « le frère de... ? » Léo et son frère
vivaient seuls avec leur mère, et Julie vivait seule avec son père.
Un jour, leur professeure leur annonça que la classe allait composer un
recueil illustré et participer à un concours départemental d’écriture. Les
élèves allaient travailler par groupe de deux et écrire un conte merveilleux en
français avant de l’illustrer avec l’Enchanteur Artsplastiques. Les premières
réactions furent vives : les meilleurs cherchaient déjà quelle serait la
récompense ; quant aux mauvais, ils se demandaient pourquoi participer,
puisqu’ils allaient perdre. La Fée Français regarda Léo qui ne disait rien et
qui rougit et Julie, qui ne disait rien non plus et qui baissa la tête.
Quelques jours plus tard, les groupes étaient constitués : Julie et Léo étaient
ensemble, à leur grand soulagement. La Fée Français arriva un matin avec
des cartes magiques et chaque groupe put tirer trois cartes. Julie et Léo
débutèrent alors un voyage inédit aux confins de leur imagination.
Ce voyage allait-il leur permettre de s’épanouir, de se découvrir et, qui sait,
de remporter le concours avec leur conte « La Rose bleue », à la grande
surprise de tous ?
Aujourd’hui, Julie et Léo ne sont plus mes élèves, ils sont dans une autre 5e
que la mienne. Chaque semaine, ils viennent me voir pendant les récréations,
m’empruntent des livres et nous bavardons. Je sens que je suis devenue pour
eux ce que fut pour moi une de mes professeurs de français de collège, que je
n’oublierai jamais. Je sens que l’écriture leur a permis d’accéder à une force
qu’ils n’imaginaient pas en eux : Léo ne rougit plus, plaisante aisément et
Julie ne baisse plus la tête.
Je suis fière et heureuse d’exercer ce métier, certes difficile et ingrat parfois,
mais quel plus grand bonheur que celui de faire relever la tête à un enfant qui
prend conscience de ses compétences ?
Génération Z
Vendredi matin, je croise Eva, une de mes élèves de 5e, dans les couloirs du
collège :
« Bonjour monsieur. On a français, cet après-midi ?
— Oui, bien sûr Eva. Pourquoi voudrais-tu qu'on n'ait pas français cet après-
midi ?
— Non, c'est juste que j'avais peur que vous êtrez pas là.
— Ah bon, Eva, tu trouves que je suis très pas là ?
— Non, monsieur, j'ai pas dit "très pas là" : que vous êtrez pas là ! Que vous
serez pas là, quoi.
— Ah d'accord. Non, tu vois, je serai là. Enfin, j'êtrerai là. »
Il faut vous dire qu'Eva est une enfant vive et intelligente qui s'est présentée
le jour de la rentrée en m'annonçant : « Monsieur, je vous préviens, je suis
complètement nulle en français. » Du coup, je m'emploie jour après jour à la
convaincre du contraire. Depuis vendredi, certes, je me dis qu'il faut que je
travaille davantage la conjugaison avec elle et sa classe. Je me dis cela, oui,
mais pas seulement. Car je m'aperçois que je suis touché par le rapport
qu'Eva entretient avec la langue. J'aime bien la faille, la dissonance qu'elle
instille dans la conjugaison du verbe « être ». Il me semble que soudain,
quelque chose respire et se dénoue au sein du langage et de sa loi, dont je suis
le gardien supposé. Eva a subrepticement introduit du jeu (et du « je », bien
entendu, beaucoup de « je ») dans la communication. C'est qu'elle a des
choses à dire, Eva, même si, souvent, elle cherche ses mots.
De toute façon, si vous voulez mon avis, ça marche très bien, « vous êtrez »,
c'est même assez pertinent, morphologiquement parlant. Et si ça ne marche
pas complètement (j'entends d'ici gronder les puristes), en tout cas ça rêve. Ça
rêve même beaucoup, cette forme apocryphe du verbe qui refuse d'abdiquer
son être, et qu'Eva me balance comme ça dans le couloir, l'air de rien, sourire
en coin. Bref. Tout ça pour vous dire qu'écrivant ces quelques lignes, avec un
peu de recul, je ne suis pas loin de penser que la leçon de français, vendredi,
c'est moi qui l'ai reçue. Merci, Eva.
S’ouvrir au monde
Stéphanie est entrée dans ma classe de 6e, le premier jour, souriante, un peu,
mais surtout crispée, craintive de tout, les yeux rouges comme si elle pleurait
tout le temps. Sa blondeur extrême et son teint pâle, même après deux mois
de vacances, lui donnaient l’air fragile. Je connaissais sa grande sœur des
années précédentes. Elle avait maintenant quitté le collège ; c’était une enfant
discrète en classe, mais joyeuse et enjouée. J’étais le professeur principal de
Stéphanie et fus rapidement prévenu : elle avait peur de tout et passerait
l’année à pleurer, comme tous les ans depuis son cours préparatoire. Moins
d’une semaine après la rentrée, sa maman me téléphonait : il y avait un
problème des plus importants, elle voulait me voir d’urgence.
Le rendez-vous se passa comme prévu : Stéphanie pleura, sa mère sanglota,
la sœur ainée qui revenait dans l’établissement pour l’occasion était atterrée.
J’eus quelques difficultés, par moments, à ne pas sourire. Rapidement,
j’éprouvais ce que le psychiatre Michael Balint disait aux médecins :
quelquefois, le symptôme est amené par la famille, la mère souvent, mais
n’est pas celui de l’enfant, comme un « symptôme offert », une maladie
donnée par les parents. Je pense à cela quand un père ou une mère me dit «
vous verrez, il est nul en maths », ajoutant un « comme moi ! » un peu fier et
entendu. Et comme une reconnaissance filiale d’une capacité familiale
négative, l’enfant vit ce que les parents disent. La maman était désemparée et
regardait sa petite avec tendresse. Il n’y avait rien à faire, Stéphanie était
comme cela.
Dans ces moments-là, il faut attendre, faire preuve de patience et d’écoute.
Ce qui doit être dit doit l’être pour qu’un dialogue s’ouvre et qu’une parole
puisse être ensuite entendue : toujours écouter la blessure, toujours entendre
d’abord, parler ensuite. Le flot de paroles et de larmes que je subissais me
donnait le temps de réfléchir et de regarder. Stéphanie m’aimait bien et me
faisait confiance. La maman se souvenait de moi, et la sœur était contente de
me donner de ses nouvelles. Le terrain, finalement, était très favorable.
J’insistai d’abord sur l’image positive que les collègues portaient déjà sur
l’enfant, sur ma confiance dans son travail et son futur scolaire. Les larmes
séchèrent rapidement. Je savais pourtant que l’important était ailleurs. Alors
je grondai un peu la mère, comme un vieux professeur qui donne un conseil
éducatif ! C’était drôle. Elle m’écouta, un peu étonnée. Mais je lui dis aussi
qu’elle pouvait jouer un rôle et aider sa fille à se rassurer. Je lui proposai
d’accompagner la classe en sortie, dans un musée parisien ; je sentais que sa
présence serait importante. L’enfant, déjà inquiète d’un voyage qui devait lui
paraitre impossible, accepta, soulagée, la présence de sa mère.
La sortie eut lieu la semaine suivant cette rencontre. Déjà la maman me
prenait pour un grand médecin de l’âme ! Sa fille avait cessé de pleurer et de
vomir avant de venir au collège. Elle s’était remise à sourire et s’épanouissait
à grande vitesse. J’avais, de mon côté, prévenu mes collègues du malêtre de
l’enfant, en leur disant de la placer en classe à côté de sa copine : on
n’apprend jamais mieux qu’à côté de quelqu’un qu’on aime, et je suis
toujours surpris d’avoir à le dire. Stéphanie semblait aimer le projet de la
classe et y participait avec plaisir.
Elles arrivèrent parmi les premiers à la gare, ce matin-là. Stéphanie avait les
joues roses de plaisir et souriait à pleines dents ! Elle s’éloigna rapidement
des adultes pour rejoindre ses copines, mais pas trop. J’occupai la maman en
lui demandant de composter les billets de train. La tâche était longue et
fastidieuse, et son regard se détourna de sa fille ; elle jouait son rôle
d’accompagnatrice.
La sortie fut magnifique ; la classe, divisée en six groupes, fit un atelier de
philosophie déambulatoire, une « promenade socratique » ! Je fus attentif à
ce que la mère et la fille ne soient pas dans le même groupe. Il n’y eut aucun
problème, sinon avec la jeune collègue qui ne supportait pas les bavardages
joyeux mais un peu forts des enfants au retour : elle ne comprenait pas
qu’elle assistait au processus miraculeux de la constitution d’une vraie classe,
celui qui transforme un agrégat humain en groupe collaborant. Les enfants
achevaient de faire connaissance, Stéphanie se découvrait de nouvelles
copines et riait.
De ce jour, elle ne pleura plus, ses résultats s’améliorèrent pour devenir
excellents, elle fut tout sourire lors du concert de fin d’année de la classe, et
mon crédit auprès de la famille n’eut plus de limites. La maman et sa fille,
fusionnelles jusqu’alors, s’étaient autorisées l’une et l’autre à se quitter, à
s’ouvrir au monde, à la béance qui fait peur.
Faits et idées
Le bon conformisme
Chercheur à l’EHESS (École des hautes études en sciences
sociales), Éric Maurin a publié de nombreux travaux qui
auscultent la société française et ses inégalités. Dans La
fabrique du conformisme, bousculant certaines idées reçues à
l’aide d’études et d’enquêtes, il montre que le conformisme
qu’on aurait tendance à ne concevoir qu’en termes négatifs
peut être une manière de maintenir un lien social et avoir des
effets bénéfiques. Il évoque le cas de l’école dans un chapitre
qui nous a donné envie de l’interroger.
Qu’en est-il du conformisme scolaire ? Quelle influence exercent les élèves les uns
sur les autres ?
La sortie de leur milieu d’élèves méritants est souvent décevante pour les élèves
en question, voire contreproductive, affirmez-vous. Sur quoi vous basez-vous ?
MISE EN ROUTE
Au conseil pédagogique de juillet, dix projets d'EPI (enseignements pratiques
interdisciplinaires) sont discutés. Ils suscitent l'intérêt de tous, ce qui
témoigne même en fin d'année de l'engagement et de l'intérêt des équipes. De
riches binômes (exemple : lettres-sciences) se construisent et portent avec
pertinence l'objectif de l'interdisciplinarité, tout en réussissant le tour de force
de concilier cycle, compétences, discipline, sans bouleverser les emplois du
temps. Reste alors à informer les familles et les élèves, condition de
l'adhésion au projet et, sans doute, de sa réussite.
Des questions apparaissent : sont-ce de nouveaux itinéraires de découverte ?
Quels temps de concertation pour organiser ? Pendant combien de temps ?
Des emplois du temps bouleversés ? Quel accompagnement des inspecteurs
d'académie-inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) ? Quelle évaluation
? Individuelle ? Notes, compétences ? Une ligne EPI sera ajoutée sur le
bulletin.
La réflexion se poursuit, l'intérêt est là. Il y a une émulation qui intéresse
toute la communauté et qui la met à l'écoute de la réforme à venir. Essayons.
Oui, mais avec la rigueur qu'exige toute expérimentation à partir des thèmes,
des programmes et des compétences à valider. Sur les dix projets présentés,
six sont retenus et validés par le conseil pédagogique dans le cadre de
l'autonomie du collège et sont transmis au rectorat. Ils couvrent le cycle 4, de
la 5e à la 3e.
Deux projets s'intéressent aux lettres et à la physique-chimie, à travers la
vision et les nouvelles fantastiques en 4e, un autre en lettres et en histoire-
géographie en 3e, enfin, en 5e, deux langues se rencontrent pour proposer un
jeu sur les fêtes et coutumes réalisé par les élèves et proposé à l'ensemble des
classes de tout le niveau 5e (l'académie expérimente les deux langues vivantes
en 5e).
Les EPI sont votés au conseil d'administration sans moyen supplémentaire en
juillet, même s'ils demandent un investissement personnel, beaucoup de
temps de travail dans leur élaboration. Les échanges courriels se multiplient
entre professeurs et avec le principal pour connaitre la validation des projets
retenus par le rectorat.
Quatre EPI sont présentés lors de l'assemblée générale de prérentrée.
Parallèlement, six sont menés, les professeurs préférant « bricoler,
expérimenter, essayer sans la pression » et ils présenteront un bilan de leur
expérience pour enrichir la réflexion.
COMMENT CELA FONCTIONNE
Un EPI commence dès septembre (en classe de 4e) et s'achève en décembre.
Cet EPI concerne les sciences physiques et le français sur le niveau 4e et
aborde le thème de la vision. Ainsi, une sélection de scientifiques célèbres,
qui ont mis en avant certaines propriétés de la lumière, sert de fil directeur ;
en français, leurs vie et activité ont été le support d’exposés et de rédactions
(dans le cadre de la méthodologie et de l’étude du mouvement naturaliste).
Ainsi, les élèves ont pu voir comment penser le scientifique hors du cadre de
ses réflexions. Plus encore, il a paru opportun de permettre aux élèves de
rencontrer un opticien, qui leur a montré l’écho toujours actuel de ces
travaux.
Les professeures concernées ont décidé de créer un blog dans lequel elles ont
retracé au fur et à mesure les activités et questionnements, afin de garder une
trace de cette expérimentation.
Les équipes en questionnement, mais préparées avec des projets aboutis,
sollicitent l'expertise des IA-IPR pour s'installer davantage dans le partage de
leur aventure pédagogique interdisciplinaire. En novembre, le premier groupe
a l'occasion de présenter le fruit de leur coopération originale à une IA-IPR
de mathématiques de Nouvelle-Calédonie qui doit porter la réforme outre-
mer. Cette visite permet de faire un point d'étape avec le principal.
Le premier EPI a abouti à la production d'un magazine scientifique sur le
thème de la vision, au format numérique, rédigé de manière collective. Ce
travail a permis à l’ensemble des élèves de s’impliquer sur ce projet. Le
support numérique et le travail en groupe ont favorisé la gestion de
l’hétérogénéité par la différenciation des activités réalisées. L’évaluation, qui
a eu lieu dans chacune des matières au fur et à mesure des activités réalisées,
a été complétée par un vote de l’ensemble des élèves de notre établissement
pour un article de la revue par l’intermédiaire de l’ENT (espace numérique de
travail). C’est ainsi un moyen de valoriser le travail de ces élèves et de
permettre à l’ensemble de la communauté scolaire de découvrir ou
d’approfondir la thématique de la vision.
EXTRAIT DE L'AVANT-PROPOS
LA RÉFLEXION PÉDAGOGIQUE ?
Ce n’est pas sur leur formation initiale universitaire (et le plus souvent trop
exclusivement disciplinaire) que les enseignants peuvent s’appuyer pour
construire le rapport aux familles. Mais c’est bien une nécessité qui,
d’emblée, va s’imposer dans leur pratique en situation. On sait que la prise en
compte, ou non, de la participation des parents est un élément essentiel de la
professionnalité enseignante, laquelle ne se définit nullement par la seule
présence et l’enfermement dans la salle de classe. […] On sait qu’il y a là un
lieu de débat (de combat ?) avec nombre de collègues formatés, à la
française, à n’envisager leur métier que comme renvoyant à l’instruction et
nullement à l’éducation, très réticents, par exemple, devant la nécessité,
officiellement reconnue depuis la fin des années 60, d’assister à des conseils
et réunions comprenant des parents.
Yannick Mével,
Nicole Priou,
La collection « Apprendre » des PUF nous offre depuis dix ans des ouvrages
dont l’ambition est d’établir des ponts entre la recherche et les pratiques en
éducation. La dernière livraison, Apprendre à enseigner, coordonnée par Luc
Ria et Valérie Lussi Borer, donne la parole à quarante-et-un contributeurs qui
dressent complémentairement un état des lieux des ressources sur le travail
enseignant produites actuellement par la recherche.
Le titre de cet ouvrage, Apprendre à enseigner, s’accommode fort bien de
l’ambivalence de sens du verbe « apprendre » en langue française : le livre
vise à la fois à outiller ceux qui apprennent leur métier comme débutants, et
ceux qui les accompagnent dans cet apprentissage comme formateurs, avec le
souci constant de ne pas séparer l’enseignement de l’apprentissage. Son
projet est de « dresser un panorama des problématiques, des outils, des
espaces impliqués dans l’apprentissage du travail enseignant ». Il s’organise
en trois parties. La première, « Connaitre le travail enseignant », s’attache à
« rendre intelligibles les principales clés du travail enseignant en mettant en
avant les prescriptions qui encadrent son déploiement, mais aussi les
dimensions expérientielles des acteurs au travail ». La deuxième, « Des
outils pour apprendre le travail enseignant », rend compte d’expérimentations
en cours donnant des pistes pour « concevoir de nouvelles modalités de
formation en réinterrogeant les espaces, les fonctions et les statuts des outils
de formation ». Enfin, la troisième, « Se développer professionnellement »,
s’intéresse à l’accompagnement de l'apprentissage du métier d'enseignant tout
au long de la carrière, en interrogeant plus particulièrement le rôle des
formateurs et autres personnels en charge de cet accompagnement.
Au-delà de la diversité des contributeurs, quelques constantes traversent
l’ouvrage et contribuent à sa cohérence. Une même vision du métier, celle qui
consiste à « réussir à faire réussir le plus grand nombre d’élèves », oriente
l’ensemble des contributions. Une conviction forte ponctue les propos des
auteurs : la formation ne peut se penser indépendamment d’une prise en
compte de la logique des formés. C’est en prenant appui sur leur activité dans
ses réalisations, ses potentialités et ses empêchements que peut se mettre en
place une formation efficace. On retrouve là l’influence des apports hérités de
la recherche sur l’analyse du travail, apports vus comme des ressources
précieuses pour orienter l’activité des formateurs.
Si le projet de la chaire Unesco dont Luc Ria a la charge est d’être une «
interface hybride pour favoriser la circulation des savoirs », cette
préoccupation se retrouve dans cet ouvrage qu’il codirige avec Valérie Lussi
Borer. C’est sans doute en avançant dans la recherche et la construction
d’ « un monde commun » (pour reprendre le titre donné par Patrick Rayou à
l’excellent premier chapitre du livre) que chercheurs et praticiens, débutants
et experts pourront œuvrer à l’évolution d’un métier qui gagnerait ainsi « en
pertinence, en qualité, avec des effets positifs sur les apprentissages [des]
élèves ».
Pour y parvenir, deux leviers sont valorisés : miser sur l’établissement
comme échelon décisif pour la formation et le développement professionnel
des enseignants ; constituer des collectifs professionnels qui soient à même
de générer des actions concertées pour aider les élèves à apprendre. C’est
déjà à l’œuvre dans certains lieux (de nombreux encadrés présentent ces
« dispositifs remarquables »). Reste à passer à la vitesse supérieure.
Cet ouvrage de référence fournit des analyses et des propositions pour y
parvenir.
L’apprentissage du métier ne se
limite pas aux seules premières
années de formation initiale
Questions à Valérie Lussi Borer et Luc Ria.
Dans cet ouvrage, nous ne voulions pas partir des clivages habituels qui
scindent et parfois figent la dynamique des formations à l’enseignement.
Nous avons choisi de mettre en avant des travaux de recherche s’inscrivant
dans différents ancrages théoriques qui s’attachent à décrire et à analyser
finement le travail des enseignants, des élèves et des enseignants en
formation. La plupart des modélisations du travail produites par ces travaux
essaient de ne séparer ni l’enseignement de l’apprentissage, ni les processus
d’enseignement et d’apprentissage de leurs produits. À partir des pratiques
réelles de classe, ils s’intéressent aux coconstructions de situations scolaires,
aux interactions entre enseignants et apprenants qu’ils visent à identifier et à
« typifier » pour améliorer la conception de situations porteuses
d’apprentissages tant pour les élèves que pour les enseignants en formation.
Vous insistez sur le fait qu’on apprend à enseigner tout au long de sa carrière
professionnelle. Cela ne conduit-il pas à interroger la gouvernance du système,
notamment sur le recrutement et formation des cadres (inspecteurs, chefs
d’établissement) ?