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Éditorial

Former pour refonder !

Pierric Bergeron,

« Chaque enseignant bénéficiera de huit journées de formation » ; si cet


affichage ministériel était louable, dans la mise en œuvre, les choses se sont
compliquées. Certains échos sur la formation des enseignants de collège
laissent très pessimiste quant à la réussite de la réforme. Non pas qu'ils soient
tous négatifs, mais parce qu'ils témoignent d'une hétérogénéité patente des
situations.
Dans la façon dont est perçue la formation d'abord, car en plus des craintes
légitimes devant le changement, un certain nombre d'enseignants, obéissant à
des consignes syndicales, refusent la formation. Néanmoins, comme le
signale Mara Goyet sur son blog « on assiste davantage à des phénomènes de
bordélisation molle qu'à des mouvements de contestation ». Reste que la
minorité agissante rend le positionnement des formateurs difficile.
Pourtant, les mêmes qui dénoncent le risque d'une réforme qui développerait
des disparités entre établissements contribuent, en sabotant les formations, à
entretenir l'inégalité, car quel autre outil trouver que les temps de formation
pour assurer une harmonisation et créer des pratiques pédagogiques
communes ?
Ensuite, cause ou conséquence, il y a hétérogénéité dans le contenu de
formations trop diverses, variant selon les environnements, la présence ou
non de représentant de l'institution, de chef d'établissement et de l'expérience
des formateurs, soumis, dans cet état de réelle tension, à la crainte de
mécontenter. Ainsi, nombre d'enseignants perçoivent un message consensuel
brouillé et semblent pouvoir faire ce qu’ils veulent ou ne rien pouvoir faire de
nouveau.
On entend souvent dans les stages : « Ah mais tout ce que propose la
réforme, on le fait déjà. » Voila une entrée intéressante ! Car, comme le dit
une formatrice : « Finalement, sur le terrain, on voit que quand on en arrive
au registre des pratiques et dispositifs auprès des élèves, beaucoup sont
intéressés et quittent leurs habits de ronchons. » Pour réussir ces formations,
il ne faudra laisser aucune question sans réponse et donner plus d'autonomie
aux équipes enseignantes ; enfin, considérer que la formation, avec tous ses
défauts, est la variable nécessaire pour la réussite du changement ; il faudra
former pour réformer.
Avant-propos

AVANT-PROPOS
Place au débat

Nicole Bouin, Jean-Michel Zakhartchouk,

Neurosciences et pédagogie ? Les Cahiers pédagogiques participent à cet


envahissement suspect et succombent à cette mode inquiétante ? Comme si
des études encore fragiles pouvaient nous être d’une quelconque utilité pour
enseigner ! Se rangerait-on du côté de ces politiciens, souvent bien peu amis
des pédagogues, qui voient dans l’application des neurosciences le salut pour
apprendre à lire, écrire, compter ? Nul besoin de caution scientifique pour
savoir que la mémoire n’est pas un enregistreur simpliste, qu’il existe de
multiples voies pour apprendre ou qu’il faut lutter contre les conformismes
altérant notre jugement.
Neurosciences et pédagogie ? Très bon thème pour un dossier ! À l’heure où
se développent les travaux qui nous permettent d’en savoir plus sur notre
fonctionnement cognitif, il est temps que les Cahiers s’emparent de cette
thématique, tout juste affleurée dans un précédent dossier sur la mémoire.
Risque de prescriptions scientistes ? Les neuroscientifiques ne sont-ils pas les
premiers à nous alerter contre les « neuromythes », contre les falsifications,
entre marchandisation et idéologie ? Les praticiens qui travaillent avec eux
vivent souvent une aventure passionnante et il est important de faire écho à ce
mouvement de fond qui, s'il n’est pas la panacée, constitue un espoir pour une
autre école plus attentive à l’acte d’apprendre.
Il ne s’agit surement pas de choisir entre des postures inconciliables :
défiance absolue ou engouement sans réserve. C’est pour cela qu’on trouvera
dans ce dossier des points de vue contradictoires, reflets de débats qui
traversent les chercheurs comme les praticiens. Entre les positions extrêmes,
il y a ceux qui cherchent un maillon manquant entre le labo et la classe,
interface psychopédagogique entre les neuroscientifiques et les professeurs.
Nous aurions pu titrer ce dossier « Les (neuro)sciences cognitives ». En effet,
la connaissance que nous commençons à avoir du cerveau à travers
l’imagerie médicale ou les mécanismes cellulaires et moléculaires de
l’organisation neuronale ne seraient pas mobilisables dans l’enseignement
sans les pistes de recherches fournies en amont et les voies de mise en œuvre
tracées en aval par la psychologie cognitive.
La compétence 3 de l'actuel référentiel professionnel invite à « connaitre les
élèves et les processus d'apprentissage » à partir des « apports de la
recherche ». Le référentiel de 2010 mentionnait même « les mécanismes de
l’apprentissage dont la connaissance a été récemment renouvelée,
notamment par les apports de la psychologie cognitive et des
neurosciences ». Il nous parait difficile aujourd’hui d’ignorer les très
nombreuses recherches qui peuvent éclairer l’exercice de notre métier, à
commencer par celles qui concernent la plasticité cérébrale dont nous n’avons
pas fini d’explorer les implications pédagogiques.
Dans une première partie du dossier, nous abordons les relations complexes
et orageuses entre les (neuro)sciences cognitives et l’enseignement. Nous
donnons ensuite la parole aux lanceurs d’alertes, à ceux qui dénoncent les
simplifications abusives, les mirages dangereux, les escrocs qui surfent sur la
vague du « Apprenez à… en dix leçons ». Nous avons enfin et surtout voulu,
dans la troisième partie, faire la part belle aux nombreuses expérimentations
en classe : celles qui mettent en application des modèles scientifiques
stabilisés sous le contrôle d’universitaires, celles qui s’appuient sur des
théories parfois dénoncées comme neuromythes, mais qui inspirent pourtant
notre pédagogie et peuvent se révéler efficientes sur le terrain à défaut d’être,
pour l’instant, validées par les chercheurs.
La neuroéducation est une science jeune, naturellement controversée,
heureusement en débat et nous avons voulu contribuer à ce débat, du point de
vue des enseignants qui cherchent à explorer toutes les pistes susceptibles de
nourrir leur pratique tout en restant prudents, en particulier en rappelant que
cet éclairage s’ajoute à tous les autres et n’en remplace aucun.
Actualité
Les formations collège, un premier
bilan contrasté
Dans un contexte de relative urgence et compte tenu du
champ de ruines qu’est devenue la formation continue depuis
sa destruction programmée dans les années 2000, les
formations institutionnelles sur la réforme du collège, dans
bien des cas, ne se passent pas comme on le souhaiterait.
Cependant, les échos que nous avons sont pour le moins
hétérogènes.

La rédaction,

On a pu lire ici ou là des récits ironiques ou des réquisitoires sévères sur la


manière dont se passent les formations sur la réforme du collège. Des
témoignages à charge, venant souvent d’opposants à priori à la réforme, ce
qui nous fait parfois mettre en doute leur objectivité. Il y a certes de la
déception, parfois de la colère devant une certaine incompétence ou
inconséquence venant de participants qui, par ailleurs, approuvent la réforme,
mais aussi de la satisfaction quand des réponses sont données, des outils
proposés, une mise en œuvre amorcée.
Les témoignages qui suivent ont été fournis par plusieurs sources. Nos
remerciements vont à ceux, adhérents du CRAP-Cahiers pédagogiques ou
non, qui nous ont aidés à dresser ce constat.

DES CRITIQUES
On nous a signalé le caractère pesant et ennuyeux de certains diaporamas
initiaux, même s'il faut bien mettre tout le monde au même niveau
d’information. Lors des échanges entre IPR (inspecteur pédagogique
régional) et participants, on constate parfois un manque de clarté sur les
questions qui peuvent être posées et auxquelles il peut y avoir des réponses et
ce qui est hors champ d'une journée centrée sur la pédagogie. Le manque
d’anticipation des objections se fait parfois sentir. Et les apports sont-ils
toujours suffisants pour rassurer les enseignants parfois assommés devant tant
de nouveautés d'un seul coup ?
Une enseignante en Bretagne reproche aux formateurs de se contenter de
mettre les stagiaires en groupes, sans s’assurer que le travail se fait, et de
donner des consignes trop floues. Une autre rapporte le manque de fermeté de
l’inspecteur-animateur qui lance une activité intéressante, mais se défend
d’obliger les participants à aller jusqu’au bout de ce qui est proposé, comme
s’il n’assumait pas le dispositif. Une collègue de l’académie d’Orléans-Tours
regrette que des travaux de groupes intéressants ne soient pas suivis de mise
en commun.
On regrette aussi l’absence d’exemples concrets de mise en œuvre, de
documents comme il en circule dans des stages syndicaux. Même si les
discussions entre collègues sont souvent riches et constructives ou si on est
satisfait d’avoir par exemple réfléchi aux futurs EPI (établissement à
pédagogie innovante).
Parfois, cela ne se passe pas très bien du fait de l’attitude de certains
collègues. Une participante brestoise avoue même sa « honte » : bavardages,
commentaires à voix haute, attitude contradictoire, ne supportant pas « ce qui
vient d’en haut », mais râlant quand il faut construire par soi-même et que
rien ne « descend ».
Un participant d’une formation à Strasbourg estime que, finalement, le temps
de la formation aurait été mieux utilisé lors de journées banalisées dans les
établissements, avec des instructions claires pour préparer la rentrée 2016 et
des ressources documentaires et humaines pour y aider.

D’AUTRES TÉMOIGNAGES DAVANTAGE POSITIFS


D'autres participants, en revanche, témoignent de formations bien préparées,
où les questions n’ont pas été éludées (Isabelle, enseignante de SVT). Prendre
le temps d’échanger avec les collègues a paru précieux (Christine, sciences
physiques). Angèle, professeure de lettres, a trouvé la formation concrète,
abordant bien la question de l’utilisation des marges en fonction des postes, et
le discours tenu rassurant, même si la charge de travail nécessaire n’a pas été
occultée.
Pour Caroline d’Atabékian, participant à une journée disciplinaire « lettres
» sur Paris, animée par deux IPR, impression positive : une intervention «
grain de sable » est passée quasi inaperçue, car les IPR ont longuement
répondu en donnant beaucoup de solutions. Les enseignants, en sortant,
avaient le sentiment d'avoir appris des choses et d'être mieux préparés.
Florence Castincaud, qui a participé à une journée décentralisée dans
l’académie d’Amiens, a apprécié le sérieux du déroulé du stage où 150
personnes représentaient une vingtaine de collèges et étaient réparties en
ateliers variés (liés directement à la réforme ou indirectement comme
l’évaluation et la différenciation). Un ensemble dense, qui a fait basculer le
groupe vers du constructif ; les collègues visiblement opposés à la réforme
ont gardé leurs griefs pour ailleurs, les autres ont trouvé de quoi nourrir leurs
pratiques et repartir dans un esprit positif malgré les difficultés, avec la
possibilité de consulter de nombreux documents utiles sur m@gistere
académique.
À noter
Ce qu’il vaut mieux éviter de faire
Proclamer qu’il faut tout changer, révolutionner les pratiques, sous-entendu conservatrices.
Proclamer qu’au fond, il n’y a pas grand-chose à changer, il suffit au fond d’une légère
réorganisation de ce qu’on fait déjà, voire de changer les mots plus que les pratiques.
Dire que la vérité est dans le transversal, l’interdisciplinaire ; sous-entendu, défendre sa discipline,
c’est être un conservateur rétrograde.
Dire que ce qui reste essentiel, c’est sa discipline ; les EPI ne sont que des croisements thématiques
qui n’empêchent pas que chacun fasse son cours dans son coin. Et surtout éviter le « pédagogisme »
(sic !).
Laisser entendre que la réforme, c’est simple, « il suffit de… ».
Laisser entendre que la réforme est très complexe, faire tout pour que ça apparaisse comme une
usine à gaz sophistiquée qui fait peur.
Mettre l’organisationnel en premier, au détriment de la pédagogie.
Négliger l’organisationnel, en clamant que « l’intendance suivra ».
Partir d’exemples concrets, conçus comme modèles, sans organiser une discussion et en faire
quelque chose dans le déroulé du stage.
Partir d’exemples pour dire ce qu’il ne faut pas faire, sans qu’il y ait une analyse collective, pointant
les points positifs et les insuffisances de contrexemples.
#Jedessine
Que faire des mètres cubes de dessins d'enfants arrivés à la
rédaction de Charlie Hebdo après l'attentat ? Il y en a eu plus
de 10 000 : « Pas question de les laisser dans des cartons »,
assure Agathe André, ancienne journaliste à Charlie Hebdo et
présidente de Dessiner, Créer, Liberté, association cofondée
par Charlie Hebdo, SOS Racisme et la FIDL (Fédération
indépendante et démocratique lycéenne). Il y a donc un livre,
sorti le 7 janvier 2016, et une exposition itinérante et gratuite,
à partir de fin janvier.

Cécile Blanchard,

Le livre #Jedessine comprend 150 dessins, accompagnés de textes de Boris


Cyrulnik, car, précise Agathe André, dessiner, « c'est un premier pas vers la
résilience ». Les dessins sont classés selon huit thématiques : « Soutenir
Charlie », « Liberté de conscience », « Liberté d'expression », « Valeurs de la
République », « L'engagement », « L'égalité », « Le refus du terrorisme »,
« La création ». L'exposition reprend à peu près tous les dessins du livre.
Itinérante, dix villes devraient l'accueillir en 2016, en commençant par
Angoulême, au moment du festival de la BD. C'est le réseau Canopé qui
s'occupe du routage des panneaux mobiles vers les mairies ou médiathèques
qui les accueilleront.

DES INTERVENTIONS EN CLASSE


Le projet bénéficie en effet d'une convention triennale avec les ministères de
l’Éducation nationale et de la Culture, assortie de dotations financières. En
réponse aux demandes des enseignants d'outils et de temps dédiés pour
aborder ces drames, l'exposition est conçue comme complémentaire
d'interventions en classe autour de dessins choisis avec l'enseignant. Ces
interventions sont adaptées selon l'âge, avec trois tranches : 8-13 ans, 13-16
et 16-18.
L'intervention se fait autour d'une quarantaine de dessins, choisis pour créer
le débat. Il y a deux temps : un premier en petits groupes avec deux ou trois
dessins à décrypter, pour apprendre à lire une caricature, un dessin de presse.
Puis, un temps en plénière avec tous les élèves, autour de quelques dessins un
peu plus problématiques ou ambigus. Elle se clôt sur une invitation des
enfants à continuer à créer, dessiner, débattre, en lien avec la plateforme
participative qui sera lancée par FranceTV éducation, sur laquelle il sera
possible de télécharger de nouveaux dessins.

PARLONS-EN
Bien sûr, les classes où ont lieu les interventions vont aussi voir l'exposition.
Elles y trouvent un panneau intitulé « Parlons-en », avec des dessins pour
amorcer le dialogue sur des sujets plus sensibles. « Ce sont des dessins dont
on ne saisit pas trop le point de vue de l'auteur, ou carrément racistes, ou
prônant la peine de mort », explique Agathe André. La visite se fait avec une
méditation, sinon, le panneau en question est replié, pour ne pas laisser les
enfants seuls face à ça.
De son côté, Canopé a mis en ligne un ensemble de fiches ressources à
destination des enseignants : sur la liberté d'expression, la caricature et le
dessin de presse, les valeurs de la République, la citoyenneté et l'engagement,
le traitement médiatique d'évènements phares de l'actualité, la radicalisation
et le complotisme et le tabou du meurtre. Le réseau a aussi le projet
d'organiser des formations sur ces thématiques.
« Le projet, c'est d'aider les enfants à comprendre la complexité du monde »,
dit Agathe André. « Les dessins des plus petits disent l'impact de
l'information en boucle, le traumatisme, la confusion, etc. Des mômes qui
dessinent des assassinats, ce n'est pas rien. »
RÉFÉRENCES Site de Canopé : https://www.reseau-canope.fr/je-dessine.html
Site participatif de France Télévision :
https://www.francetv.fr/temoignages/dessinez-creez-liberte/
Le système traite comme égaux des
élèves inégaux
Née au Venezuela, ayant étudié aux États-Unis et en Suisse,
Agnès Van Zanten en tire un regard distancié, dont elle se sert
pour mieux examiner les inégalités de notre système éducatif.

Agnès Van Zanten, Directrice de recherche à l'Observatoire sociologique du


changement au CNRS-Sciences politiques
Propos recueillis par Cécile Blanchard

Vous travaillez actuellement sur la fabrication des élites dans le système éducatif
français, en ce qu'elle a d'inégalitaire. Que pouvez-vous nous en dire ?

Il ne faut pas penser la formation des élites comme à part et déconnectée du


reste du système d'enseignement. Les responsables des filières d'élite disent
ne faire qu'enregistrer des inégalités qui existent déjà dans le système. Certes,
ils ne peuvent pas remédier à tout, mais une partie du fonctionnement dudit
système est orienté par l'existence même de ces filières ! Dans le système
français, on met beaucoup l'accent sur la compétition, avec le modèle du
concours, conçu comme le modèle le plus pur de compétition méritocratique,
indépendant de la position sociale, de l'argent. En fait, on n'est pas dans une
compétition ouverte mais dans une logique de tournoi, définie par James
Rosenbaum. Il y a des épreuves et des perdants à chaque épreuve, qui sont
éjectés du système ou concourent pour des places de bas niveau. Les étapes
successives de l'orientation font partie des épreuves. Au fur et à mesure, seul
un petit groupe, toujours plus petit, est admis à concourir.
Ce modèle engendre plusieurs choses : l'idée que seuls quelques-uns peuvent
arriver jusqu'au bout. De fait, les institutions d'élite sont de taille très faible
comparées à Harvard ou Oxford. Il impose aussi une définition très calibrée
de l'excellence, que les concours sont censés mesurer dans l'absolu : très
généraliste, et liée à la capacité à restituer une énorme somme de
connaissances. Bien évidemment, cela retentit sur le système dans son entier.

La compétition scolaire ouverte devient presque un modèle souhaitable ?

La compétition est valorisée en France comme élément de la méritocratie, de


l'élitisme républicain, comme émulation. Mais on est très loin du modèle de
la compétition ouverte, que je n'idéalise pas du tout, même si cela représente
déjà un cas de figure beaucoup plus favorable que la compétition fermée dans
une logique de tournoi.Avoir une compétition vraiment ouverte permettrait
de se demander si elle est vraiment nécessaire.

Vous dites que les élites scolaires bénéficient d'un double parrainage, familial et
scolaire ?

Oui. Quand on interroge des jeunes qui sont dans le système d'élite, ils ont
l'impression de mériter leur place parce qu'ils travaillent beaucoup. Ils ne se
rendent pas compte que leur excellence est un construit social qui doit
beaucoup au parrainage familial et que ce n'est pas la norme. La socialisation
familiale prépare les élèves, on le sait depuis Bourdieu, mais il y a aussi
l'accompagnement de la scolarité sur tout ce que l'école délègue, la capacité à
faire les bons choix d'école, d'option ou de filière. La dimension économique
joue aussi un rôle important, avec les cours particuliers, les séjours
linguistiques, les séances chez un psychologue au moindre accroc. Il y a une
construction familiale de l'excellence et le système traite comme égaux des
élèves inégaux.
Mais les parents ne font qu'utiliser une possibilité est offerte par le système, à
travers l'existence d'écoles privées ou publiques, des sauts de classe,
d'options, de filières. L'offre que propose l'institution se prétend égalitaire
mais ne l'est pas. À travers les options, se dessinent des parcours peut-être pas
d'excellence, mais protégés : allemand première langue, puis latin, classe
européenne, etc. La représentation de l'égalité chez les enseignants reste de
pousser quelques élèves jusqu'au bout plutôt que tous. Ils ne proposent pas le
même choix à tous les élèves. Et le dévouement des enseignants aux élèves
d'élite est supérieur à celui dont bénéficient les élèves défavorisés, à travers la
personnalisation des conseils, le temps consacré à chaque copie. Il y a une
satisfaction à s'investir auprès d'élèves qui vont réussir : les résultats sont
visibles et valorisants, c'est assez naturel.
En outre, la valeur de l'élève est conditionnée à l'établissement fréquenté. La
sélection en tient compte : dans les CPGE (classe préparatoire aux grandes
écoles) d'élite ou les filières d'élite des universités, les notes sont recalculées
selon l'établissement d'origine de l'élève. Les acteurs sociaux tendent à
majorer la portée de cette influence.

Dans notre précédent numéro, Pierre Merle évoque son engagement contre les
inégalités, déterminé selon lui par les résultats de ses recherches. Et vous, êtes-
vous une chercheuse engagée ?

Bien sûr. Même si on peut discuter de ce qu'on entend par engagement. La


question des inégalités a motivé mes choix de sujets dès le départ, notamment
ma préoccupation par rapport à l'échec des enfants issus de l'immigration.
Mais je m'inscris en faux contre l'idée qu'il faudrait se focaliser sur les
publics en difficulté pour travailler ces questions. Travailler sur les élites
provoque des soupçons de complaisance, mais pourtant on ne comprend pas
comment fonctionne le système en ne travaillant que sur les élèves ou les
établissements défavorisés.
Au-delà du choix du sujet, mon engagement personnel, c'est de faire les
recherches les plus honnêtes, sans adopter une posture de dénonciation, mais
en étant attentive au rôle des différents acteurs. En outre, si je n'ai pas
d'engagement politique ou militant, je m'attache à rendre compte de mes
recherches dans tous les espaces possibles, vers les publics défavorisés aussi.
Je cherche à présenter mes résultats de façon accessible, je refuse de garder
une communication strictement scientifique. Je me sens comme une
sociologue très engagée, même si je ne suis pas engagée dans l'action.

Vous avez connu d'autres systèmes éducatifs que le système français, est-ce que
cela joue dans votre observation de ce dernier ?

C'est une expérience qui s'éloigne dans le temps, mais qui a été renforcée par
mes voyages et mes séjours en tant que professeure invitée dans d'autres
pays, comme la Finlande ou la Suède. Je pense que cela m'aide à garder de la
distance et à être dans une attitude comparative. Je ne m'identifie ni
positivement ni négativement au système, je ne suis ni dans l'adhésion ni dans
la dénonciation. Et lorsque je mène une recherche sur les établissements
d'élite, je ne suis pas cataloguée dans un sens ou un autre par rapport à mon
parcours.
Le pacte d'excellence belge
L’école belge francophone ne va pas bien : inégalitaire,
discriminante, les échecs y sont pléthoriques, les résultats aux
tests internationaux montrent que le fossé entre les écoles
Rolls-Royce et les écoles poubelles ne cesse de s’agrandir. En
2015, toutefois, a émergé une volonté collective de faire
véritablement bouger les lignes. Deux initiatives de grande
envergure (mais ne disposant pas du tout des mêmes moyens)
ont en effet vu le jour ces derniers mois. Deuxième épisode, le
Pacte pour un enseignement d’excellence.

Xavier Dejemeppe,

Le courageux Contrat pour l’école de 2005, initié par le Gouvernement


d'alors, avait donné lieu à quelques réformes prometteuses comme la mise en
place du décret inscription ou encore la généralisation des évaluations
externes et la mise à disposition de nouveaux moyens financiers pour
l’encadrement des élèves en difficultés. Hélas, la situation ne s’arrange pas
vraiment peut-être parce que ces réformes ont peu d’effets sur ce qui se joue
entre les murs de la classe, là où se construisent la réussite et, surtout, l’échec
de nos élèves.
En 2015, le Pacte d’excellence est une initiative de la ministre de
l’Enseignement, Joëlle Milquet. Pour le dire vite, le gouvernement
francophone veut qu’un Pacte pour un enseignement d’excellence soit mis en
chantier pour les dix prochaines années. Par « excellence », il faut entendre la
détermination à viser l’ambition maximale pour tous les élèves et non une
référence à un élitisme mal placé. Ce Pacte se veut un projet participatif,
positif et dynamique entre les acteurs. Pour ce faire, il propose une approche
personnalisée et souhaite investir et miser sur les personnels de
l’enseignement, les élèves, les parents, les syndicats, et non avant tout dans
les structures. L’école, c’est d’abord 130 000 acteurs de l’éducation et 890
000 élèves qui méritent d’être au centre du processus. Le Pacte propose de
remettre la pédagogie au centre du processus et non les systèmes et de
déployer l’autonomie et l’innovation pédagogique des acteurs. Apparemment
une bonne idée.
Des experts universitaires et des organismes privés ont d’abord rédigé deux
rapports dont la qualité scientifique a été justement saluée (diagnostic fin et
identification de thématiques prioritaires pour l’avenir). Ces documents de
référence sont censés piloter la deuxième phase des travaux qui se veut plus
participative et opérationnelle. À cet effet, douze groupes de travail ont été
créés, qui planchent sur des questions essentielles comme l’adaptation des
compétences aux savoirs et aux besoins du XXIe siècle, l’intégration du
numérique, l’amélioration du parcours scolaire de l’élève et la lutte contre
l’échec et les inégalités scolaires, ou encore la réforme de la formation
initiale et continuée. Bref, il y a du pain sur la planche pour ces experts issus
du monde de l’école, des syndicats, des réseaux. Les délais sont courts,
puisque la ministre veut des résultats pour le mois d’avril 2016, afin de faire
des propositions dès la rentrée 2016. Notamment avec l'idée de généraliser
les bonnes pratiques dont on sait pourtant qu’elles sont inhérentes à
l’engagement pédagogique des enseignants, qui les mettent en place dans un
contexte précis, ce qui en limite le transfert.
Toujours est-il qu'enseignants, parents, étudiants ont la possibilité d’envoyer
une contribution écrite, de participer à des groupes de travail thématiques ou
à des groupes de discussion. On verra donc si cette large consultation sera de
nature à alimenter le travail des groupes d’experts qui, pour le moment, se
remuent les méninges quasi à huis clos. Mes étudiants en troisième année de
formation (futurs professeurs de collège) ont déjà réfléchi à quelques
propositions qu’ils enverront aux groupes de travail concernés.
Une fois le Pacte rédigé, c’est le Gouvernement qui aura le dernier mot, qui
sera peut-être : « Terminus, tout le monde redescend… sur Terre. » En
attendant, on peut visiter le site du Pacte où l'on trouve beaucoup d’articles et
documents intéressants : http://www.pactedexcellence.be/
L ’école face aux crises de société
En réaction aux attentats terroristes qui ont marqué ces
derniers mois, la réponse éducative a logiquement été
avancée comme une solution privilégiée pour combattre le
radicalisme. Il eut été surprenant qu’on estime que l’école n’a
rien à faire et rien à dire de particulier sur des questions telles
que la religion, le fanatisme, la laïcité ou encore le racisme.
On peut néanmoins garder un certain sens critique et
s’interroger sur la place réelle de l’école dans la fabrication de
la jeunesse et, par voie de conséquence, la production de la
société.

Olivier Rey,

Une tendance forte de l’éducation depuis plusieurs années, au-delà de la


conjoncture dramatique récente, est en effet d’intégrer de nouveaux
programmes d’éducation transversaux pour éduquer à la citoyenneté, éduquer
à la laïcité, éduquer à l’environnement, éduquer à la santé, éduquer au
numérique, etc. C’est souvent un moyen de faire bouger les frontières
disciplinaires pour prendre en compte dans l’enseignement les évolutions
scientifiques, culturelles et sociales. Ces « éducations à » ont souvent en
commun de viser des compétences, c’est-à-dire des changements de
comportements tout autant que l’acquisition de connaissances. Nous
disposons de peu d’informations en revanche sur les résultats de ces
programmes transversaux sur les comportements effectifs.

L’ÉCOLE FAIT-ELLE LA SOCIÉTÉ ?


Plus globalement, on pourrait invoquer la métaphore de la poule et de l’œuf
pour noter qu’on ne sait pas grand-chose de l’impact de l’école sur la société.
Des travaux d’histoire et de science politique pourraient être convoqués pour
montrer que la façon dont on a sélectionné les élites par la distillation scolaire
n’est pas étrangère au malaise actuel dans le gouvernement de nos
institutions. D’autres travaux de sociologie pourraient être convoqués pour
montrer que les inégalités de réussite à l’école sont essentiellement le fruit
des inégalités sociales qu’entérinent, voire aggravent, certains processus
scolaires.
La forme scolaire typiquement française est sans doute très liée à la
centralisation et à la division du travail administratif caractéristiques des
institutions françaises. On sait que l’école a eu une communauté de destin
avec la construction de la République à la fin du XIXe siècle, ce que François
Dubet a résumé par la jolie formule de « programme républicain » de l’école
qui semble en difficulté depuis la fin du siècle dernier. Cela nous autorise-t-il
à affirmer que, comme l’école a accouché de la République, elle pourrait
accoucher d’autres formes sociales ? Cela semble bien imprudent.
Depuis le développement des médias de masse et surtout du numérique, on ne
manque pas de prophéties sur la fin du monopole de l’école sur la
transmission des savoirs. Il est vrai que depuis la popularisation de la Bible
par l’imprimerie jusqu’à l’affichage des résultats de Wikipédia en tête des
réponses sur Google, du chemin a été parcouru ! Mais la mise à disposition
des connaissances est-elle synonyme d’éducation ?
À contrario, on pressent que la scolarisation de masse, trait commun de
l’ensemble des sociétés développées depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale, ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur le cours de la société.
Quelles sont les conséquences tangibles d’au moins quinze ans de
scolarisation commune de la jeunesse ?

ATTENTION AUX PACKAGES ÉDUCATIFS VENUS D’AILLEURS !


Les hypothèses en la matière sont affaire de convictions et d’intuitions plus
que de savoirs, et cela devrait nous inciter à une certaine prudence. Or, dès
que la société est confrontée à une crise, on a tendance à avancer que l’école
est la réponse avant même d’avoir précisément défini la question. Et on
multiplie les « éducations à » dans les programmes, alimentées par des
actions, au demeurant parfaitement louables et généreuses dans leurs
intentions, mais conçues à l’extérieur de l’école ou à ses marges pour venir
irriguer les acteurs éducatifs de kits, de dispositifs, de guides ou de mallettes
sur tel ou tel problème sensible. Ce faisant, on oublie parfois un peu vite que
l’enseignement est un métier et qu’il ne suffit pas de porter une cause pour
disposer des compétences nécessaires à la formation et l’éducation des
jeunes.
Les enseignants se font parfois les complices de leur propre dépossession
professionnelle, en invoquant le manque de formation ou une certaine
angoisse légitime devant des enjeux de société qui les dépassent. Pourtant, ils
sont, au fond, les mieux placés pour intégrer dans leurs pratiques les
questions sensibles et pour choisir la meilleure façon de les présenter à des
élèves qu’ils connaissent bien. Certes, il faut pointer les mises à jour
nécessaires en termes de connaissances ou les insuffisances de certains cadres
disciplinaires pour prendre en charge des sujets que la nation estime devoir
être au centre des contenus d’enseignement. Il est en revanche probablement
contreproductif d’utiliser l’école et ses acteurs comme un lieu passif pour y
déverser des contenus préemballés.
Il convient finalement de trouver l’équilibre entre les prérogatives
particulières de l’école en matière d’éducation et les responsabilités qui
relèvent de la société dans son ensemble.
Pour paraphraser un ancien Premier ministre, l’école ne peut pas résoudre
tous les problèmes du monde, mais elle doit en prendre sa part !
L'école change avec le numérique ?
Nipédu, ce sont des émissions à télécharger ou écouter en
ligne, animées par Nicolas Durupt, IEN, Régis Forgione,
professeur des écoles et Fabien Hobart, formateur. On y parle
école, éducation et numérique. Ils assureront une chronique
pour les Cahiers pédagogiques, ci-dessous sur les conditions de
la transition numérique à l'école.

Nipédu,

Dans notre podcast consacré au Greid SVT (Groupe de réflexion et


d’expérimentation informatique disciplinaire en sciences de la vie et de la
Terre) de l’académie de Créteil, Vincent Audebert, IA-IPR (inspecteur
d'académie-inspecteur pédagogique régional) de SVT, Laurent Economidès
et Guillaume Azéma, enseignants de SVT, nous avaient présenté leurs
initiatives pédagogiques pour faire « apprendre par et pour le numérique ».
Passionnés, nos trois invités étaient passionnants.
Ils proposaient des pistes inspirantes pour créer les conditions d’une entrée
volontaire des enseignants dans le numérique éducatif, avec des projets
disciplinaires et des pratiques à la fois exigeantes dans l'acquisition de
contenus académiques et soucieuses de la formation de l'élève citoyen de
cette « société qui vient ».
Pour mobiliser sans effrayer, l'équipe du Greid SVT a choisi de faire feu de
tout bois : formation personnalisée, accompagnement par les pairs,
valorisation des initiatives enseignantes, recherche-action, développement
professionnel, analyse de pratique. Surtout, il s’est agi pour ce groupe
d’incarner cette conversion numérique dans les modalités de formations et les
outils de travail proposés.
Pour le Greid SVT, former à la pratique, c'est former par la pratique dans une
logique de « dialectique outil-objet ». Pour mettre en avant les bénéfices
d'une pédagogie coopérative, quoi de plus logique que de proposer en
formation l'utilisation d'un espace de travail collaboratif ? De même les
possibilités pédagogiques offertes par la ludification ne peuvent être
comprises que si l'enseignant expérimente lui-même l'apprentissage via un
jeu sérieux dans son parcours de formation.
Dans le cadre du Plan numérique pour l'éducation, les collectivités
territoriales avec les équipes pédagogiques achèvent l’installation
d’équipements mobiles et consolident les réseaux wifi. Passés le déploiement
de matériel et la formation technique, qui constituent bien souvent le point
d’achoppement, l’enjeu est bien de mobiliser les équipes et de créer une
dynamique collective et individuelle pour assurer cette « métamorphose
numérique ».
Un exemple concret dans un contexte de formation initiale et continue ?
Pourquoi pas une action coordonnée de l'Éducation nationale avec l’ESPÉ,
dans laquelle les enseignants d’un réseau d’éducation prioritaire et les
stagiaires construisent ensemble des savoir-faire liés à l'intégration
pédagogique du numérique : ouverture des classes aux expérimentations,
mémoires de master rendant compte de la mise en œuvre réfléchie de cette
intégration, productions numériques des classes mises au service de l'analyse
de pratique, validation d’UE (unités d'enseignement) de master pour donner
du sens et valoriser l’implication des enseignants.
Les conditions du « changement de l'école avec le numérique » ne reposent
assurément pas sur le seul effort matériel pour équiper les établissements.
L'accompagnement proposé aux enseignants doit faire sens, en donnant à voir
les possibilités offertes par des pratiques innovantes et stimulantes pour les
élèves et les enseignants, en faisant des propositions de formations incarnées
avec des formateurs convaincus, dans une perspective de développement
professionnel pour que l'enseignant perçoive sans mal l'intérêt à s'engager sur
ce chemin.
Les enseignants entre l’éthique
professionnelle et la
démocratisation scolaire

Jean-Pierre Obin, Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale


Membre du comité de parrainage des Cahiers pédagogiques, il a
piloté un rapport présenté par le think tank Terra Nova en septembre 2015 qui demande
une refonte de la formation et des ESPÉ pour rééquilibrer la part du professionnel et de
l'académique.

Pour la presse, on le sait, les trains n’arrivent jamais à l’heure. Et pour le


formateur de personnels de direction qui, comme moi, travaille à partir de cas
réels apportés par les stagiaires, les enseignants témoignent souvent
d’éthiques bien singulières !
Un premier, surpris par ses collègues la sacoche bourrée de rouleaux de
papier hygiénique, leur déclare qu’il a toujours eu pour principe de « vivre
sur la bête ». Un autre, professeur de collège, incite ses élèves à rédiger un
tract appelant à se mettre en grève contre la réforme du collège. Un autre
encore, professeur de lycée professionnel, refuse d’évaluer des comptes
rendus de stage de ses élèves, au motif que les textes ne l’obligent qu’à en
« assurer le suivi » mais pas plus. J’arrêterai là les exemples, je n’ai pas la
prétention de tirer des lois générales de l’étude des pathologies. Pourtant,
cette méthode pourrait se révéler intéressante : n’a-t-elle pas réussi à Freud en
son temps ?
Plus sérieusement, la liberté pédagogique reconnue aux enseignants n’est rien
d’autre que la possibilité, pour une très grande variété d’éthiques
professionnelles (ce que chacun estime bon de faire avec ses élèves), de se
déployer librement d’une école à l’autre, voire au sein de la même école
d’une classe à l’autre, et, dans l’enseignement secondaire, d’un professeur à
l’autre dans la même classe. Bien sûr, il existe des injonctions au travail en
équipe, mais il ne s’agit là aussi que de recommandations d’ordre éthique : a-
t-on jamais vu un enseignant sanctionné parce qu’il préférait travailler seul ?
Cette diversité éthique en matière pédagogique est-elle une bonne ou une
mauvaise chose pour la réussite des élèves ? Georges Felouzis, dans son livre
sur L’efficacité des enseignants, observe que les professeurs efficaces sont
ceux qui enseignent aux élèves tels qu’ils sont (et non tels qu’ils aimeraient
qu’ils soient), qui préjugent aussi de leur capacité à réussir (et non qui sont
persuadés du caractère inéluctable de leur échec), et qui « ajustent leurs
conceptions et leurs pratiques en se centrant sur les élèves plutôt que sur la
discipline dans sa forme académique ».
Ce qui fait réussir les élèves, ce ne sont pas des pratiques particulières, mais
l’attitude générale de l’enseignant envers eux. Plus que de bonnes pratiques,
on devrait donc parler d’une bonne éthique, et y former. Une éthique
démocratique qui s’oppose évidemment à celle de l’élitisme, qui n’est
efficace que pour une petite minorité d’élèves, ceux qui réussiraient de toute
façon ; or, c’est cette éthique élitiste qui est au cœur de notre système
éducatif.
1. Des relations complexes.
Savoir tisser des liens
L'avenir de la formation des enseignants en neurosciences
éducatives ne peut s'intégrer en quelques heures, ni consister
à appliquer des méthodes clé en main, comment alors
l'envisager dans une perspective d'évolution du métier ?

Pascale Toscani, Directrice du laboratoire Grene (Groupe de recherche en


neurosciences éducatives), université catholique de l’Ouest

Le cerveau passionne, mais l'évolution des connaissances neuroscientifiques


suscite parfois dans les établissements scolaires des manifestations de crainte
ou d’enthousiasme excessives. Soit les enseignants sentent pointer une
menace de scientisme qui dériverait inévitablement vers une déshumanisation
du système éducatif, soit ils espèrent que les découvertes en neurosciences
fourniront enfin une réponse claire pour comprendre toutes les subtilités du
fonctionnement du cerveau et résoudre ainsi les difficultés scolaires.
Former les enseignants aux neurosciences éducatives est une démarche
intellectuelle qui demande un haut niveau d'analyse et de visée éducative : les
neurosciences éducatives tissent des liens étroits avec la sociologie de
l'éducation, la philosophie de l'éducation, les sciences de l'éducation,
l'éthique, la biologie, l'anthropologie. Ainsi, l’intégration des neurosciences
éducatives offre-t-elle en effet une formidable possibilité pour l’école
d’entrer dans la complexité telle que la définit Edgar Morin.
Toute formation en neurosciences devrait s'accompagner de quelques
précautions : combattre la sursimplification des contenus scientifiques par
une attitude réflexive et, surtout, par une étude épistémologique destinée à
déterminer l’origine, la logique, la valeur et la portée des contenus de ces
connaissances neuroscientifiques. La connaissance du cerveau représente
bien trop d’enjeux futurs dans le domaine de l’éducation pour être spoliée par
des sessions clés en main, qui reposeraient sur des solutions ou des outils à
consommer ! On ne change pas ce qui se passe dans une classe en changeant
simplement les outils pédagogiques.
La diffusion et l'interprétation des neurosciences éducatives supposent donc
que les formateurs s’imposent des regards croisés, acceptent des
confrontations scientifiques. Les connaissances superficielles ou acquises de
façon hâtive courent le risque d'être artificielles, simplistes et subjectives.
Les thématiques phares en neurosciences telles que la gestion du stress, les
émotions, les intelligences multiples sont effectivement importantes, à
condition que leur mise en œuvre contribue à changer le regard que l'on porte
sur l'apprentissage et que le projet d'intégration des neurosciences soit porté
par toute une équipe pédagogique dont les différents membres travaillent
ensemble sur le long terme. Certaines formations ressemblent
malheureusement à des méthodes clés en main racoleuses : « booster votre
mémoire », « apprenez à être attentif », « gérez votre stress », etc.
Gardons-nous de la précipitation et engageons une coopération universités-
écoles : le monde de la formation prend brusquement conscience que les
neurosciences ne sont pas une mode franco-française, mais qu'elles font
l’objet de recherches internationales. Et comme ces mêmes recherches
progressent à grande vitesse, on trouve logique et indispensable de se lancer
le plus vite possible dans l’aventure, quitte à le faire tête baissée.
Un travail de remise en cause des conceptions erronées est en particulier
indispensable parce qu'il est garant de l'évolution de la formation, mais il
pose de nouvelles exigences aussi bien dans les contenus que dans les
démarches. Il se traduit notamment par un changement de regard sur celui qui
apprend et un changement de posture pour celui qui enseigne.
DES CHANGEMENTS INCONTOURNABLES
Dès le départ les neurosciences nous disent avec force que l'élève n'est pas
forcément celui que nous croyons, il dispose notamment d’un potentiel
d’apprentissage quasiment illimité là où l’école a l’habitude de catégoriser,
de hiérarchiser et de chiffrer. Se former à des contenus neuroscientifiques ne
peut se concevoir sans une analyse réflexive profonde de sa propre vision de
l'homme, que cette vision soit cognitive, psychique ou sociale.
Beaucoup de nos croyances actuelles à propos de la mémoire, de l'inhibition
cognitive, de l'attention, de l'intelligence sont erronées. Cela ne veut pas dire
qu'il faille tout balayer d’un trait de plume et repartir à zéro, ni effacer les
traces de pédagogie et de didactique qui sont des héritages précieux et riches
dans les démarches d’apprentissages. Mais c’est l’ensemble de l’architecture
de la formation qui est à reconstruire à partir d’une logique en cascade ou en
étapes.
Une première étape doit associer des connaissances actuelles sur le
fonctionnement du cerveau et la remise en cause des conceptions erronées de
ces mêmes connaissances propres aux apprentissages : l’intelligence, la
mémoire ou de l’attention.
Une deuxième étape permet de se donner des repères pour repenser en
profondeur la notion d’apprentissage à la lumière des neurosciences. Qu'est-
ce qu'un cerveau qui apprend et comment apprend-il ? Les réponses à cette
question sont aussi à partager avec les élèves pour leur permettre de gagner
en confiance en eux et en autonomie.
Une troisième étape vise à définir de nouvelles attitudes professionnelles
pour que l’école prenne en compte cette refonte des démarches
d’apprentissage ouvertes et diversifiées. Il y a autant de manières d'apprendre
que de cerveaux.
Cette architecture ne pourra se concevoir qu’en acceptant de tisser des liens
entre les apports des neurosciences, ceux des sciences humaines et les savoirs
expérientiels des enseignants confrontés tous les jours au terrain. Si le
système scolaire ne se donne pas les moyens d’évoluer et d’entrer ainsi de
plain-pied dans le XXIe siècle, il risque de manquer la révolution des
neurosciences, comme il tarde à prendre en compte la révolution numérique.
Pour réussir l'arrivée des neurosciences dans le champ de l'éducation,
l'université et l'école doivent imaginer un espace de coopération égalitaire de
partage de compétences. Dès lors, on ne peut plus imaginer des formations de
type top-down, pour lesquelles l'université dispenserait un savoir que les
enseignants appliqueraient. Cette coopération doit être une préoccupation
essentielle dans les processus de formation à venir.
Ces obstacles épistémologiques sont comme des arbres en travers du chemin
qui nous obligent à nous arrêter pour reconsidérer la suite du parcours. Pour
connaitre, pour comprendre, pour se modifier et évoluer, il faut mettre en
confrontation ses croyances, ses savoirs souterrains, en d'autres termes,
comprendre ses erreurs de compréhension et d'interprétation, surtout
lorsqu’elles concernent un champ aussi complexe que celui du
fonctionnement du cerveau. Donner accès aux neurosciences sans proposer
un travail épistémologique, c'est un peu faire croire qu'un arbre peut vivre et
tenir debout sans ses racines.

UNE PERSPECTIVE D’ÉVOLUTION DU MÉTIER


Dans l'avenir, qui décidera de ce que doivent savoir les enseignants au sujet
des neurosciences ? Qui décidera de la pertinence des résultats des recherches
neuroscientifiques et de ce qui doit en être transmis ?
L’efficacité de la formation continue ne se joue pas dans un placage de
connaissances nouvelles sur des expériences anciennes. Lorsque des
établissements scolaires entrent dans des parcours de formation en
neurosciences, nous voyons s’éloigner peu à peu les positions tranchées entre
la théorie « qui ne sert à rien » et « les recettes qui ne fonctionnent
évidemment jamais ». Ce qui reste pourtant présent et bien ancré dans les
mentalités reste la crainte de ce qui est nouveau, non pour sa nouveauté elle-
même, mais par peur de ne pas être compétent, de ne pas savoir faire devant
les élèves.
Bien souvent, les formations des enseignants sont de type descendant, ce qui
renforce l’idée que toute solution ou toute amélioration vient de l’extérieur et
de l’expertise de quelques-uns. En réalité, ceux qui sont supposés ne pas
savoir savent énormément de choses. Comme les savoirs neuroscientifiques
sont facilement disponibles, cela a pour conséquence la surinformation, ou
leur sursimplification. Les formateurs des enseignants ne doivent pas se
rendre complices des marchands d’idées fausses ; ils participeraient à la
création de nouveaux neuromythes. Par ailleurs, les enseignants ne doivent
pas être des consommateurs de protocoles déjà établis par des formations clés
en main, ils n’ont pas à se situer en exécutants.
Pour sortir de cette impasse, le champ des neurosciences éducatives offre une
possibilité de collaboration solide entre les universités et les écoles sur des
protocoles de recherche. Cette coopération aurait l'avantage de permettre un
lâcher prise par rapport aux certitudes des uns et des autres, de favoriser le
doute, le scepticisme, l’ouverture au débat et à l’écoute, à la polémique et à la
créativité, finalement à la coconstruction de savoirs en neurosciences
éducatives. La recherche fondamentale est nécessaire, tout autant que son
investissement dans la pratique, ce sont deux entités indissociables non
hiérarchisées, qui se vivent dans une coprofessionnalisation transversale et
transdisciplinaire. Si les enseignants ont leur place à l'université comme
chercheurs associés, les universitaires ont la leur dans les établissements
scolaires, pour se confronter au réel. Collaborons entre universités et écoles
en France sur nos initiatives pédagogiques de neurosciences éducatives, et
partageons ces initiatives avec d'autres pays européens. Cela permettrait de
sortir de notre ethnocentrisme pédagogique, mais aussi de se mettre à
l'épreuve d'autres regards. Sortir du noyau dans lequel nous sommes
enfermés pour vivre en réseaux.
Ce serait effectivement une opportunité si universitaires et enseignants,
s’emparant de la liberté pédagogique qui transparait dans les nouvelles
orientations, se tenaient prêts à collaborer pour participer aux projets
communs d'éducation et d'apprentissage, autour des neurosciences.
Si les neurosciences éducatives sont une aventure prometteuse, elles
représentent aussi des espoirs pour l’école du XXIe siècle : puisque le
ministère de l'Éducation propose une autonomie plus importante des
établissements scolaires, vivons-la aussi à travers la coopération université-
école autour des neurosciences éducatives, champ disciplinaire commun à
toutes les écoles du monde.
Un futur qui se prépare
aujourd’hui ?
Le Centre de recherches interdisciplinaires (CRI) préfigure-t-il
la direction que devrait prendre l'école de demain ?

François Taddéi , Chercheur à l'Inserm et directeur du centre de recherches


interdisciplinaires
Ange Ansour, Professeure des écoles et présidente des Savanturiers

« Les sciences sont des temples où d’abstraits piliers


Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
[...]
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Axiomes, théories et émotions se répondent. »
(à la manière de Baudelaire, Alicia, classe de terminale)
Un jour ordinaire dans le Centre de recherches interdisciplinaires (CRI). Des
étudiants, des chercheurs, des entrepreneurs, des enseignants et des élèves
s’affairent dans ce lieu ouvert à tous ceux qui souhaitent participer à l’effort
collectif de recherche et d’innovation aux frontières du vivant et de
l’apprendre. Les technologies socratiques développées par ce centre depuis
une trentaine d’années tablent sur l’intelligence collective pour faire
progresser les connaissances et ont contribué à déplacer les débats éducatifs
dès l’aube du XXIe siècle. Aujourd’hui, la présence d’élèves d’âge scolaire
dans ce lieu n’est plus un sujet d’étonnement. De fait, nos écoles sont
conçues pour être ouvertes sur tous les lieux de savoir, de production et de
citoyenneté. Nous reconnaissons pleinement le potentiel créatif, analytique et
participatif des élèves dès leur plus jeune âge.

FLASHBACK
Il n’en fut pas toujours ainsi ! L’ancien système scolaire reposait
essentiellement sur le principe d’antagonisme, sur les apories : il fallait se
ranger du côté des disciplinaires ou des interdisciplinaires, les résultats des
sciences de l’éducation et ceux des neurosciences n’entraient pas en dialogue,
les professeurs étaient soit laxistes, soit passéistes. On opposait même
pédagogues et républicains. On parlait du numérique (ce substantif était très
usité au début du siècle), qui serait soit levier soit carrément obstacle à la
réussite scolaire. Les neuroscientifiques doutaient de la rigueur scientifique
des chercheurs en sciences de l’éducation et ces derniers fustigeaient le
réductionnisme des sciences cognitives ! Il est vrai qu’à l’époque, les
disciplines universitaires protégeaient jalousement leur périmètre et leurs
prérogatives et revendiquaient des appellations intangibles. La persistance
des acteurs de l’époque à n’avoir que des lectures univoques de la réalité
complexe des apprentissages les condamnait à l’impasse et précipitait
inexorablement de très nombreux élèves dans l’échec. Quelle triste époque !

RETOUR À 2015, TOUJOURS AU CRI


Le propre de l’activité de recherche est le questionnement et l’exploration
sans tabou de toutes les frontières, avec pour seuls outils la raison et le souci
éthique du bien commun. Les activités de recherche et d’enseignement
pratiquées au Centre de recherches interdisciplinaires reposent sur les 6 P
inspirés des pratiques médicales : prédiction, prévention, personnalisation,
participation, échanges entre pairs et progrès. Traduites dans la culture
scolaire, les 6 P seraient déclinés ainsi : l’enseignement doit permettre de
prédire les réussites tout comme les points de vigilance en s’appuyant sur la
collecte des données et de prévenir massivement l’échec et non de le traiter
une fois enkysté. L’école doit reconnaitre les différences individuelles et ne
pas chercher à les nier au nom d’une préconception de l’élève idéal. Cette
personnalisation n’est pas contraire au principe du vivre ensemble : l’élève
participe à la construction des savoirs et le travail collaboratif entre pairs est
recherché. Enfin, il est reconnu à chaque enfant un inaliénable horizon de
progrès permanent. Afin d’atteindre cet idéal, il nous faut multiplier et croiser
les approches. En tant que chercheurs et praticiens de l’école et de ses
frontières, nous ne pouvons adopter une posture idéologique de rejet d’un
champ d’investigation scientifique au profit d’un autre. Seul un travail
interdisciplinaire mobilisant big data, adaptive learning, neurosciences et
sciences de l’éducation nous permettra de faire un pas supplémentaire vers
l’idéal d’une école démocratisante et créative.
En s’appuyant sur les résultats de la recherche en psychologie cognitive,
André Tricot définit les quatre grandes catégories de processus à l’œuvre
dans tout apprentissage : le processus d’engagement ; le processus
attentionnel ; le processus qui concerne la réalisation de la tâche ; le
processus qui concerne la famille des processus d’apprentissages eux-mêmes.
André Tricot argumente qu’une bonne connaissance du fonctionnement de
ces quatre processus est à même d’aider les enseignants dans leur travail de
design pédagogique. En d’autres termes, il situe la connaissance en matière
de psychologie cognitive en amont de la classe, au moment où l’enseignant
conçoit et planifie les situations d’apprentissage. En revanche, aucune
prescription n’est faite au sujet de l’interaction en présentiel entre
l’enseignant et l’élève où entre en jeu l’expertise enseignante : son agilité, sa
capacité de s’adapter ici et maintenant à l’élève, à diversifier ses stratégies
d’enseignement, à mobiliser dans sa bibliothèque mentale les gestes, les
supports, les postures les plus indiqués face à une réussite ou un échec, qu’ils
soient individuels ou collectifs. À aucun moment ce chercheur ne met en
opposition les acquis des sciences de l’éducation et les résultats de la
psychologie cognitive : c’est la valeur explicative et opératoire du modèle qui
lui donne sa force. De leur côté, les enseignants sont en droit de mobiliser
tous les acquis scientifiques et didactiques au service de leurs élèves, pour
enrichir leur réflexion et diversifier leurs stratégies d’enseignement. Nous
souscrivons pleinement à cette approche qui transcende les clivages non
scientifiques. Nous allons encore plus loin, en quittant le pur territoire de la
recherche et en relevant le défi du terrain.
Avec le programme Les Savanturiers, nous essayons d’approcher cet idéal en
prenant comme modèle des apprentissages le processus d’engagement dans
les connaissances qu’est l’activité de recherche. Le chercheur, l’élève et
l’enseignant sont des travailleurs du savoir et partagent le souci de l’exigence
de résultat : tout apprentissage est inscrit dans une visée productive et de
partage.
Le CRI participe par la recherche et l’action à la préfiguration de cette école,
en affirmant que chacun d’entre nous connait quelque chose, que personne
d’entre nous ne sait tout, que les problèmes complexes exigent une approche
intégrative et que, par conséquent, nous avons tous à gagner à partager les
savoirs et à construire ensemble les solutions éducatives, scientifiques et
sociales de demain.
En complément
Le CRI
François Taddéi : chercheur à l'Inserm et directeur du centre de recherches interdisciplinaires
Ange Ansour : traductrice, professeure des écoles et directrice des Savanturiers
CRI : Le CRI, fondé en 2005 par Ariel Lindner et François Taddei, propose de formations
universitaires (licence Frontières du vivant, master Approches interdisciplinaires du vivant, école
doctorale Frontières du vivant, le master EdTech et plusieurs diplômes universitaires). Le CRI
accueille l'unité de recherche 1001 de l'Inserm. En parallèle, depuis septembre 2013, le CRI a initié
Les Savanturiers-École de la recherche, un programme éducatif à la croisée de l'action, de la
formation et de la recherche.
En complément
Une typologie proposée par André Tricot
Comment les connaissances scientifiques sur la manière dont les élèves apprennent peuvent inspirer
les praticiens. André Tricot propose une typologie très éclairante. Une approche en termes de transfert
de connaissances : informer les enseignants des résultats des recherches, à eux d’en faire ce qu’ils
veulent (sur le modèle des relations entre biologie et médecine), traduire les résultats de la recherche
en recommandations, conseils, préconisations (modalité intéressante quand elle est fondée sur une
méta-analyse de résultats, un ensemble convergent de résultats), produire une innovation sur le terrain
en se fondant sur un résultat de recherche (mais parfois bien difficile de savoir si les résultats viennent
du contenu de l’innovation ou du simple fait qu’il y a eu innovation) ; l’ingénierie : des méthodes sont
utilisées pour concevoir des systèmes d’enseignement, les connaissances deviennent des ressources ;
la recherche-action : le chercheur accompagne une innovation sur le terrain.
BON À SAVOIR Le 28 mai 2016, le CRAP-Cahiers pédagogiques organisera en partenariat avec
le CRI un débat autour de ce numéro des Cahiers, à Paris. Demandes de
renseignement : crap@cahiers-pedagogiques.com
Mes bricolages avec ce qu'on sait
du cerveau

Jean-Michel Zakhartchouk, Professeur de français honoraire

Quand j’ai débuté dans l’enseignement, mon ignorance était totale sur le
fonctionnement de l’attention de la mémoire, de la motivation, etc. Quel
contraste avec les connaissances pointues en théories du texte, en
linguistique, en études littéraires ! Merci les Cahiers pédagogiques qui m’ont
peu à peu conduit à me documenter, à lire des ouvrages peut-être aujourd’hui
contestables, simplistes, tout ce qu’on voudra, mais qui m’ont amené à me
pencher sur l’acte d’apprendre (Gabriel Racle, Brigitte Chevalier, etc.). Il y a
eu ce bel atelier sur la mémoire avec Marie-Danielle Pierrelée, qui s’est
achevé par une savoureuse chanson sur la rencontre entre une dendrite et un
axone.
Puis, je me suis lancé dans la formation, et m’appuyant sur des lectures et sur
la réflexion au sein d’une équipe de formateurs (académie d’Amiens), j’ai
proposé des pistes pédagogiques à partir d’informations sur ce qu’on peut
savoir du fonctionnement du cerveau, en me servant de vulgarisateurs
géniaux comme Lieury, mais aussi de son « ennemi théorique », La
Garanderie, sans craindre le grand écart. J’ai toujours été surpris de ce que,
loin d’enfoncer des portes ouvertes en distinguant mémoire à court terme et à
long terme ou en mettant en garde contre les conceptions simplistes de
l’action de mémoriser (la mémoire comme magnétophone ou appareil photo),
je faisais faire des découvertes aux stagiaires. Les apports plus théoriques
opérés lors de stages intitulés « Mémorisation et attention » ou « Qu’est-ce
qu’apprendre ? » s’appuyaient, il est vrai, sur des mises en situation vécues,
moments forts et souvent féconds, j’en suis convaincu, pour la suite, le retour
en classe.
En même temps, nous avons travaillé durant trois ans autour de la notion
d’attention dans un groupe de recherche-formation, aboutissant à une
brochure du CRDP. Occasion de lire des chercheurs (peu nombreux à
l’époque si on compare à aujourd’hui), mais aussi de tester lors de formations
ou dans nos classes nos pistes de travail.
J’ai aussi, dans mes classes, essayé de mettre en œuvre ce que j’ai pu glaner :
l’aide à la mémorisation, en tenant compte de la diversité des manières de le
faire (tant pis si tout n’est pas toujours fondé scientifiquement !), en
communiquant également aux élèves quelques données du fonctionnement de
la mémoire (j’ai utilisé notamment un des joyaux de la série « C’est pas
sorcier » sur le sujet), avec souvent un vif intérêt de ces derniers, surtout
quand on utilisait diverses petites expériences (la vidéo du gorille, la création
d’images mentales yeux fermés, etc.). J’entends bien la nécessaire vigilance
vis-à-vis des neuromythes, mais si la distinction cerveau gauche-cerveau
droit incite à trouver d’autres chemins pour apprendre, si la théorie des profils
d’apprentissage conduit à personnaliser davantage nos approches, faut-il les
rejeter brutalement ? J’ai plus que des doutes sur l’homéopathie, mais
comment ne pas constater qu’elle fonctionne sur nombre de patients ?
Quoi qu’il en soit, moi qui n’ai guère eu de formation scientifique au départ,
je me suis depuis longtemps intéressé à ces questions qui touchent
nécessairement tous les enseignants et devraient faire partie d’un socle
commun de formation, même si le champ à explorer est encore vaste et bien
vastes les promesses de connaissances futures.
Un déclencheur
Une formation déclenche chez cette enseignante l'envie
d’aller plus loin et fait écho à sa pratique comme à ses
recherches personnelles. Et cet écho se prolonge dans son
école.

Myriam de Dreuille, Enseignante spécialisée, école Lamazou, Paris

La formation de trois jours sur les fonctions cognitives que j’ai suivie avec
Pascale Toscani m’a poussée à approfondir mes connaissances et m'a donné
envie de m’inscrire au diplôme universitaire (DU) Neurosciences et
apprentissage tout au long de la vie, à l'université catholique de l'Ouest,
espérant y trouver des éléments complémentaires à la formation d’enseignant
spécialisé. Et j’ai eu la chance d’être retenue.
Cette année de formation s'est révélée extrêmement riche en découvertes et
en rencontres. Les apports scientifiques et les nombreux échanges entre
étudiants fournissent des bases solides pour un travail personnel de recherche
et des outils pour une lecture critique des découvertes dont les médias se font
souvent le relai.
Après cette année, je suis toujours aussi émerveillée par les formidables
capacités du cerveau qui permettent de nombreux apprentissages grâce à la
plasticité cérébrale. Je suis émerveillée par cette complexité que nous
commençons à entrevoir. Les recherches neuroscientifiques nous offrent de
nouveaux outils pour réfléchir à nos pratiques pédagogiques, pour les
analyser et pour penser des dispositifs innovants. Elles confirment et
expliquent certaines intuitions ; par exemple, j’ai découvert de nombreuses
similitudes entre le travail fait en regroupement d’adaptation et celui présenté
en neurodidactique sur l’inhibition cognitive en lien avec les travaux
d’Olivier Houdé sur le raisonnement.
Finalement, ce DU, sans apporter de réponses toutes faites, est le début d’un
cheminement d’enseignant chercheur : le champ d’exploration qui s’ouvre à
nous est immense. C’est aussi une école d’humilité, où la prudence, face à la
complexité de l’être humain, est nécessaire et où l’importance d’une réflexion
éthique est primordiale.
La formation m’a apporté des connaissances sur les principales fonctions
cognitives qui me servent au quotidien dans mon travail auprès d’élèves en
grande difficulté scolaire ainsi que dans la mission de personne ressource au
sein de l’établissement. Cela nous permet de mieux repérer les besoins des
élèves, non seulement en fonction d’une didactique, mais aussi par rapport à
ces fonctions qui sont mobilisées dans toutes les disciplines grâce à une
meilleure lecture des résultats des évaluations FAR-CLES et des bilans
neuropsychologiques de certains élèves.
Petit à petit, avec le soutien du chef d’établissement, c’est toute l’école qui
entre dans une réflexion dans ce domaine ; d’abord par des échanges
informels puis, lors d’une concertation, par une présentation autour de cette
question : « Pourquoi s’intéresser aux neurosciences en tant
qu’enseignant ? » Un extrait vidéo d’Albert Jacquard a suscité étonnement et
débat au sein de l’équipe sur la notion d’intelligence, en faisant jaillir de
nombreuses questions. Cette expérience est à l’origine des Café-Neuro, mis
en place dans l’établissement à la rentrée 2015. Les enseignants qui le
souhaitent se retrouvent une fois par mois, autour d’un café gourmand.
À partir d’un extrait vidéo ou d’un article, l’objectif est d’échanger librement
et de se familiariser avec les apports des neurosciences, dans une démarche
de coformation. C’est une préparation à la journée pédagogique prévue avec
la venue d’un membre du Grene. Cela pourra conduire à repenser nos
pratiques et pourquoi pas à mener un projet de recherche-action dans les
années futures.
Pour que s’activent les neurones
Le cerveau a une grande capacité à modifier ses connexions
neuronales pour s’adapter et apprendre. Aux enseignants
d’utiliser cette plasticité et de favoriser l’activation neuronale
répétée.

Steve Masson, Professeur à l’université du Québec à Montréal, directeur du


Laboratoire pour la recherche en neuroéducation

Apprendre change le cerveau. Littéralement. Lorsqu’on apprend, de


nouvelles connexions neuronales peuvent se former et des connexions
existantes peuvent se renforcer, s’affaiblir ou même se défaire. Loin d’être
immuable, la structure du cerveau change donc constamment pour s’adapter à
de nouvelles situations.
Il existe un ensemble de mécanismes qui régissent ces modifications
cérébrales. L’un d’eux s’applique à la plupart des apprentissages scolaires, on
peut le résumer ainsi : les neurones qui s’activent ensemble se connectent
ensemble. Donc, si deux neurones sont assez près l’un de l’autre et qu’ils
s’activent de façon simultanée et répétée (le mot « répétée » est important
ici), un ensemble de processus biochimiques provoque la création de
nouvelles connexions et, progressivement, un renforcement de l’efficacité des
connexions entre les neurones impliqués. Proposé pour la première fois par
Donald O. Hebb, ce principe a été vérifié expérimentalement à de
nombreuses reprises. De nos jours, ce mécanisme est connu sous le nom de «
potentialisation à long terme ».

MARCHER EN FORÊT
Pour mieux comprendre le mécanisme et ses retombées sur l’apprentissage et
l’enseignement, le cerveau est souvent comparé à une forêt dans laquelle
l’apprenant marche. Densément peuplée d’une végétation abondante, la
marche y est donc difficile initialement. Pour se déplacer, l’apprenant doit
pousser les branches avec ses bras en plus d’écraser l’herbe et les petits
arbustes avec ses pieds. Le passage répété du marcheur crée progressivement
un sentier qui est de plus en plus facile à emprunter. Bien vite, ce sentier
devient une voie privilégiée pour passer rapidement du point A au point B.
En contrepartie, si l’apprenant n’emprunte plus le sentier pendant un certain
temps, les herbes, les arbustes et les arbres y reprennent lentement leur place
et le sentier disparait progressivement.
Lorsqu’on apprend, des processus similaires prennent place dans le cerveau.
Au début d’un apprentissage, il est difficile pour l’élève d’accomplir la tâche
demandée, parce qu’il n’a pas encore développé ses « sentiers », c’est-à-dire
les connexions neuronales requises. Pourtant, chaque fois qu’il essaie, des
neurones s’activent et, en s’activant, ces neurones se connectent
progressivement ensemble et augmentent l’efficacité de leurs connexions.
Après plusieurs activations cérébrales, les neurones deviennent donc de plus
en plus connectés, ce qui permet aux influx nerveux de circuler dans le
cerveau de plus en plus aisément et efficacement. Ainsi, lorsque l’élève
s’entraine, c’est-à-dire active son cerveau à plusieurs reprises pour accomplir
une certaine tâche, il développe des chemins qui lui permettront d’accomplir
la tâche demandée de plus en plus facilement et rapidement. Si, au contraire,
un élève cesse de s’entrainer et d’activer les neurones en lien avec un
apprentissage particulier, les connexions neuronales associées à cet
apprentissage vont s’affaiblir progressivement, jusqu’à se défaire. Tout
comme les sentiers d’une forêt peuvent disparaitre s’ils ne sont pas
entretenus, les réseaux de neurones peuvent se défaire s’ils ne sont plus
mobilisés.
LES LIENS AVEC L’ÉDUCATION
Ce mécanisme lié à la plasticité cérébrale permet de mieux comprendre
certains phénomènes éducatifs, et en tout premier lieu la nécessité de la
pratique et de la répétition. Pour apprendre, il faut changer les connexions
dans son cerveau et, pour y arriver, les neurones doivent s’activer ensemble
de façon répétée. Ensuite, ce mécanisme permet aussi de comprendre
pourquoi les élèves oublient souvent ce qu’ils apprennent : si les neurones
liés à un certain apprentissage ne s’activent plus durant un certain temps,
leurs connexions s’affaiblissent naturellement. Voilà pourquoi, certaines
erreurs sont difficiles à corriger pour les élèves, lorsqu’elles résultent de
réseaux de neurones solidement établis dans le cerveau, ces réseaux ne
pouvant pas être modifiés aisément.
De façon plus fondamentale, ce mécanisme mène à redéfinir le concept même
d’apprentissage. Au niveau cérébral, apprendre, ce n’est pas juste modifier
son comportement pour répondre à une question ou accomplir une tâche.
Apprendre, c’est modifier ses connexions neuronales. Ainsi, ce n’est pas
parce qu’un élève est incapable de répondre à une question ou de résoudre un
problème après un enseignement qu’il n’a rien appris, qu’il n’a pas
commencé à modifier ses sentiers cérébraux. Si un élève semble ne rien avoir
appris, ce n’est pas nécessairement parce que rien n’a changé dans son
cerveau, c’est peut-être que les réseaux de neurones qui ont commencé à
s’établir dans son cerveau ne sont pas assez consolidés pour que l’on puisse
observer, au niveau comportemental, des changements dans sa façon de
répondre ou d’accomplir une tâche.

L’IMPORTANCE DE L’ACTIVATION NEURONALE RÉPÉTÉE


En éducation, il est souvent dit que l’élève doit être actif dans ses
apprentissages. Que s’il est passif, il n’apprendra pas. Mais ce qui est
important, c’est l’activité du cerveau. Un cerveau actif est un cerveau qui
apprend. Ainsi, même s’il met la main à la pâte et manipule du matériel, un
élève peut apprendre très peu de la réalisation d’une activité d’apprentissage
si son cerveau n’est pas activement engagé. À l’opposé, un élève peut
apprendre d’un enseignement magistral ou d’une démonstration, même s’il
ne fait rien d’autre qu’écouter, à condition que son cerveau soit engagé et
qu’il active ses neurones. L’important, ce n’est donc pas qu’un élève soit
actif physiquement, mais plutôt que les réseaux de neurones en lien avec
l’apprentissage visé s’activent, parce que les neurones qui s’activent
ensemble se connectent ensemble.
S’il est nécessaire que le cerveau s’active pour apprendre, cela n’est toutefois
pas une condition suffisante pour réaliser la plupart des apprentissages
scolaires. Le cerveau doit non seulement s’activer, mais il doit s’activer à
plusieurs reprises pour le même objet d’apprentissage. C’est l’une des plus
importantes contraintes qu’impose le fonctionnement cérébral sur les
apprentissages. Il faut donc, en tant qu’enseignant, choisir et séquencer les
activités pédagogiques afin de s’assurer que, pour chaque objectif
d’apprentissage, les élèves aient la chance de mobiliser leurs savoirs ou
habiletés et d’activer leur cerveau un assez grand nombre de fois. Combien
de fois ? Cela dépend de plusieurs facteurs, dont le degré de difficulté de
l’objectif d’apprentissage. En général, il est conseillé d’aller jusqu’à un
surapprentissage en continuant les activités menant aux activations
neuronales, même lorsque l’élève est capable de répondre aux questions ou
d’accomplir les tâches demandées, afin que les réseaux de neurones
s’établissent le plus solidement possible, ce qui contribuera à éviter l’oubli
rapide et l’affaiblissement des connexions neuronales.
Bien que la pratique et la répétition soient essentielles à la plupart des
apprentissages, il n’est toutefois pas suffisant de simplement répéter pour
apprendre. La répétition sans activation cérébrale ne contribue pas à
l’apprentissage. Par exemple, demander aux élèves de lire à plusieurs reprises
un texte ou de refaire le même type d’exercices un trop grand nombre de fois
ne constituent pas des approches efficaces. La répétition passive et excessive
peut démotiver l’élève et le désengager totalement de l’activité. S’il n’est pas
engagé, son cerveau ne s’active pas et, si son cerveau ne s’active pas, il
n’apprend pas. Loin de contribuer à l’activation neuronale répétée, la
répétition bête est incompatible avec le fonctionnement cérébral.

LA PRATIQUE DE LA RÉCUPÉRATION EN MÉMOIRE


Le principe neuroéducatif de l’activation neuronale répétée est compatible
avec un grand nombre de pratiques d’enseignement. Toutes celles qui
encouragent les élèves à activer et réactiver les neurones liés à une habileté
ou une connaissance précise sont à privilégier, notamment questionner les
élèves, leur demander d’enseigner ou d’expliquer une notion ou une
procédure, faire interagir les élèves les uns avec les autres, etc. Un vaste
corpus de recherches en éducation et en psychologie cognitive met clairement
en évidence l’importance de la récupération en mémoire dans les processus
d’apprentissage (testing effect). Chaque fois que l’on demande à un élève de
mobiliser ses connaissances ou ses habiletés pour accomplir une tâche, il
consolide ses apprentissages. Demander aux élèves de récupérer en mémoire
à de nombreuses reprises, c’est leur demander d’activer de façon répétée les
réseaux de neurones liés au contenu à récupérer. Et cela contribue à
l’activation neuronale répétée.
Une étude de Zaromb et Roediger, en 2010, montre par exemple qu’il est
significativement plus bénéfique d’avoir quatre périodes d’étude
entrecoupées de quatre périodes de tests plutôt que d’avoir huit périodes
d’étude. Ainsi, lorsque les élèves doivent faire des tests, ils apprennent en
moyenne deux fois plus. Au niveau cérébral, ce résultat s’explique
notamment par le fait que les périodes de tests activent davantage les réseaux
de neurones liés aux notions apprises que les périodes d’étude qui sont
probablement plus passives. Les tests et les examens ne servent donc pas
simplement à vérifier le niveau d’apprentissage des élèves : ils contribuent
eux-mêmes significativement à l’apprentissage et à l’activation répétée des
neurones. D’ailleurs, d’autres recherches montrent que de lire ses notes de
cours ou même de souligner les passages importants d’un texte ne constituent
généralement pas des stratégies d’étude efficaces. Les meilleures stratégies
sont celles où les élèves s’exercent à récupérer en mémoire l’information à
plusieurs reprises, en se faisant questionner par un collègue ou en se
questionnant eux-mêmes, à l’aide de questions sur des fiches, par exemple. Il
s’agit donc de mettre en œuvre un enseignement où l’on donne la chance aux
élèves d’activer les neurones associés à leurs apprentissages, en proposant
des activités pédagogiques variées nécessitant de récupérer en mémoire et
d’utiliser plusieurs fois certaines connaissances, habiletés ou procédures.
Croire que les neurosciences vont révolutionner l’enseignement et résoudre
tous les problèmes d’apprentissage des élèves est bien entendu
dangereusement exagéré. Aucune approche ne peut prétendre à elle seule
rendre compte de tous les problèmes complexes et multifactoriels liés aux
apprentissages scolaires. En revanche, mieux connaitre l’influence et les
contraintes qu’exercent le fonctionnement et l’organisation du cerveau sur les
apprentissages peut parfois nous aider à identifier les pratiques
d’enseignement les plus compatibles avec les mécanismes biologiques dont
dispose le cerveau pour apprendre.
Apprendre à résister aux
automatismes
Récemment, l’imagerie cérébrale a permis de démontrer
l’existence, chez l’enfant comme chez l’adulte, de deux formes
complémentaires d’apprentissage neurocognitif :
l’automatisation par la pratique et le contrôle par l’inhibition.

Olivier Houdé , Professeur à l’université Sorbonne Paris Cité (USPC), directeur du


Laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de
l’enfant, CNRS

Dans le cas de l’automatisation, c’est initialement la partie préfrontale (avant)


du cerveau qui est activée, car la mise en place des habiletés nécessite un
contrôle et un effort cognitif (apprendre par cœur une liste de mots, par
exemple), puis ces habiletés s’automatisent avec l’apprentissage et c’est la
partie postérieure du cerveau, ainsi que les régions sous-corticales, qui
prennent le relai. Dans le cas inverse ( désautomatisation), il s’agit
d’apprendre à inhiber les automatismes acquis pour changer de stratégie
cognitive. L’imagerie cérébrale a permis de montrer le changement qui se
produit dans le cerveau des élèves lorsque, sous l’effet d’un apprentissage, ils
passent, au cours d’une même tâche de raisonnement, d’un mode perceptif
facile, automatisé, mais erroné, à un mode logique difficile et exact (voir
Figure 1). Les résultats indiquent un basculement très net des activations
cérébrales, de la partie postérieure du cerveau au cortex préfrontal
(dynamique cérébrale inverse de l’automatisation).

DE L'AUTOMATISATION À L'INHIBITION
Le premier type d’apprentissage (l’automatisation par la pratique) correspond
aux connaissances générales, bien établies, apprises par la répétition, la
mémorisation, et qui doivent être connues de tous, comme les programmes à
l’école, par exemple. À l’inverse et complémentairement, le second type
d’apprentissage (le contrôle par l’inhibition) fait appel à l’imagination, à la
capacité à changer de stratégie de raisonnement en inhibant les automatismes
habituels. C’est apprendre à résister.
À l’école, depuis toujours, on apprend surtout par la répétition, la pratique et
l’automatisation. C’est très bien mais, comme on vient de le voir, le cerveau
des élèves doit aussi apprendre à raisonner par le schéma inverse : inhiber ses
automatismes. Il serait donc très utile de développer à l’école une pédagogie
du cortex préfrontal, notamment l’exercice de la capacité d’inhibition du
cerveau. L’inhibition est, en effet, une forme de contrôle attentionnel et
comportemental qui permet aux enfants de résister aux habitudes ou
automatismes, aux tentations, distractions ou interférences, et de s’adapter
aux situations complexes par la flexibilité. C’est un signe d’intelligence. Le
défaut d’inhibition peut expliquer des difficultés d’apprentissage (erreurs,
biais de raisonnement) et d’adaptation tant cognitive que sociale.
Par exemple, une erreur massive observée à l’école élémentaire concerne les
problèmes dits « additifs » à énoncé verbal : « Louise a vingt-cinq billes. Elle
a cinq billes de plus que Léo. Combien Léo a-t-il de billes ? » La bonne
réponse est la soustraction 25 - 5 = 20, mais souvent les enfants ne
parviennent pas à inhiber l’automatisme d’addition déclenché par le « plus
que » dans l’énoncé, d’où leur réponse erronée : 25 + 5 = 30. En orthographe,
fréquemment les enfants d’école élémentaire font la faute « je les manges ».
Ce n’est pas qu’ils ignorent la règle selon laquelle il n’y a pas de « s » à la
première personne du singulier dans les verbes du premier groupe (manger,
trouver, etc.), mais ils sont incapables d’inhiber l’automatisme « après les, je
mets un s ». La tentation est ici trop grande pour eux, en raison de la
proximité du terme « les » dans la phrase. L’enfant doit donc apprendre à
inhiber, grâce à son cortex préfrontal, cette réponse dominante et
automatique, pour acquérir la flexibilité d’appliquer une autre stratégie de son
répertoire orthographique. On pourrait croire que cela ne concerne que les
enfants. Mais combien de courriels ne reçoit-on pas de collègues ou amis qui
écrivent « je vous le direz » au lieu de « je vous le dirai ». C’est exactement
le même défaut d’inhibition frontale, renforcé par la rapidité de l’écriture
électronique.

REVISITER PIAGET
La pédagogie du cortex préfrontal est donc une pédagogie pour la vie ! Il ne
suffit pas de connaitre les règles (par la pratique, la répétition, etc.) ; il faut en
permanence inhiber nos automatismes. Tant en France qu’au Canada
(l’équipe d’Adele Diamond à Vancouver notamment), des expériences
d’interventions pédagogiques pilotes de ce type sont aujourd’hui menées dans
les écoles pour exercer le contrôle cognitif : inhibition, flexibilité, etc. Elles
sont directement issues de la meilleure compréhension que nous avons des
mécanismes d’apprentissage du cerveau.
Même la célèbre théorie du psychologue suisse Jean Piaget (1896-1980) a pu
être récemment revisitée, dans notre laboratoire en France, par l’imagerie
cérébrale et la théorie de l’inhibition cognitive. Au XXe siècle, la théorie des
stades de l’intelligence de Piaget a profondément marqué la psychologie, le
monde de l’éducation et le grand public. On sait qu’une tâche emblématique
de Piaget pour tester l’intelligence de l’enfant était la conservation du
nombre. Devant deux rangées de jetons de même nombre (cinq jetons par
exemple), mais plus ou moins écartés spatialement dans chaque rangée,
l’enfant jusqu’à 7 ans environ considère qu’ « il y a plus de jetons là où c’est
plus long » (rangée la plus écartée), ce qui est une erreur d’intuition
perceptive. La réussite après 7 ans (réponse : « même nombre de jetons dans
les deux rangées ») traduisait selon Piaget le passage d’un stade perceptif
prélogique au stade de la pensée logicomathématique concrète. Cette tâche a
été reprise de façon informatisée en IRMf avec des enfants d’école maternelle
et élémentaire, révélant qu’elle mobilisait non seulement les régions du
cerveau dédiées au nombre (le cortex pariétal), mais aussi les régions du
cortex préfrontal dédiées à l’inhibition des automatismes : ici l’automatisme
selon lequel en général la longueur varie avec le nombre (voir Figure 2). Cela
amène à réviser la théorie de Piaget en y ajoutant le rôle clé de l’inhibition
cognitive comme mécanisme positif du développement de l’intelligence chez
l’enfant.
Légende Figure 1 : Reconfiguration postéro-antérieure du cerveau lorsque
les élèves trouvent la solution logique d’un problème. Entre ces deux clichés,
j'ai appris à l’élève à inhiber un automatisme erroné de raisonnement. C’est
un exemple de neuropédagogie cognitive qui exerce le cortex préfrontal.
Légende Figure 2 : Résultats d’IRMf des enfants lors de la résolution de la
tâche de conservation du nombre de Piaget. Selon ce cliché original, on voit
qu’un large réseau neuronal est recruté, impliquant à la fois le cortex
pariétal pour le nombre (comme l’aurait prédit Piaget) et, à l’avant, le cortex
préfrontal pour l’inhibition cognitive (comme je le prédis).
POUR EN SAVOIR PLUS Olivier Houdé, Apprendre à résister, éditions Le Pommier, 2014, et
http://olivier.houde.free.fr/Houde-Piaget-IRMf.bmp
Neurosciences, situations
complexes et répétitions
Une expérience pratique menée depuis trois ans à partir d’un
éclairage neuroscientifique, avec des résultats dépassant,
pour l’instant, les plus belles espérances.

Joseph Stordeur, Orthopédagogue, maitre assistant à la haute école Charleroi


Europe

Notre cerveau est modulaire, ce sont des réseaux de neurones bien


spécifiques qui sont responsables de tout ce que nous pouvons vivre, de la
marche à la lecture en passant par la joie et la tristesse. Découvrir que ces
réseaux de neurones doivent être sollicités pour devenir fonctionnels change
la perspective pour l’école, qui peut avoir un rôle décisif sur l’environnement
de nos élèves. De plus, pour éviter l’autonomisation d’un module par rapport
à la complexité nécessaire au fonctionnement neuronal efficace, il est
indispensable de construire dès le départ les relations entre modules. C’est
cette interaction modulaire qui justifie de travailler en situation complexe, à
l’opposé des situations simplifiées par l’enseignant, soi-disant pour faciliter
la tâche de l’enfant.
La découverte du fonctionnement neuronal au niveau des synapses a été un
choc important par rapport aux habitudes des pratiques de classe. Lors d’une
sollicitation simple de l’environnement, l’influx nerveux se transmet d’un
neurone à l’autre, essentiellement grâce aux échanges d’ions sodium. Seule
une sollicitation beaucoup plus importante peut provoquer aussi des échanges
d’ions calcium, qui, en réagissant avec les protéines kinases du neurone, vont
construire les traces de l’apprentissage. En creusant cette découverte,
beaucoup de difficultés rencontrées s’éclairent. Il ne suffit pas de comprendre
pour garder des traces d’un apprentissage. Des sollicitations plus importantes
et répétées sont indispensables pour maintenir, sur le long terme, les traces
créées. Comment assurer ces sollicitations dites tétanisantes ? En répétant
l’activité, en provoquant des évocations individuelles, surtout pour les enfants
n’ayant pas déjà dans leurs réseaux neuronaux les structures d’accueil des
nouvelles informations, qu’elles relèvent du domaine cognitif, affectif, social
ou moteur.
Cette répétition pose cependant un problème. Passer une carrière
d’enseignant à se battre contre les exercices automatisés pour finir par
justifier les répétitions fréquentes, quel paradoxe ! Pourtant, celles-ci sont
indispensables parce qu’elles permettent la création, chez tous, des schémas
cognitifs, espèces de cartes mentales spécifiques à la complexité de chaque
apprentissage. L’erreur historique devant les difficultés du drill a été de
s’opposer aux répétitions plutôt qu’au découpage des matières.

DES HYPOTHÈSES À L'ACTION


Toutes ces découvertes ont modifié peu à peu la conception du travail autour
des apprentissages. Les autres lectures concernant les apprentissages du
calcul, de la lecture, de la perception, de la formation des images mentales
n’ont fait que confirmer ces premiers éléments. Les similitudes qui
apparaissent, à partir d’entrées et de sources différentes, donnent du crédit
aux affirmations ci-dessus, les font sortir du statut de simples hypothèses
scientifiques et nous autorisent à nous en servir comme moteur d’action, sans
en tirer pour autant des conclusions hâtives et simplistes. C’est aux
sollicitations de l’environnement que chacun doit ce qu’il est. L’absence de
certaines sollicitations ne permet pas la construction des schémas cognitifs de
base nécessaires à la réussite scolaire.
Par ailleurs, des sollicitations inadéquates construisent des traces de schémas
cognitifs inadaptés et contre lesquels il faudra lutter en construisant des
schémas cognitifs parallèles peu à peu plus efficaces. Toute la difficulté de la
remédiation vient de là : les traces construites ne se suppriment pas. Elles
doivent être remplacées par un schéma cognitif, un réseau neuronal
fonctionnel plus adéquat, mais en confrontation perpétuelle avec le ou les
schémas fonctionnels existants. Ces derniers, consommant moins d’énergie,
sont privilégiés par le cerveau dans son fonctionnement automatique. D’où la
résistance apparente au changement. Construire de nouveaux chemins
neuronaux en sortant des ornières des habitudes de fonctionnement demande
parfois un héroïsme dont beaucoup ne peuvent faire preuve sans un soutien
inconditionnel de l’enseignant.

UNE MISE EN PRATIQUE


C’est avec ces représentations qu’en 2012, une enseignante et moi-même
avons transformé le fonctionnement d’une classe pour répondre mieux aux
exigences de nos découvertes en neurosciences. Il s’agissait d’une classe de
vingt-cinq enfants de 3 ans et demi à 6 ans (2e et 3e maternelles en Belgique).
Pour assurer des sollicitations pertinentes suffisantes, l’horaire est organisé
en deux ou trois périodes d’apprentissage vrai par jour. Une période
d’apprentissage est prévue sur plus ou moins quarante-cinq minutes
effectives, pour ne pas devoir courir dans le travail de sollicitation de chacun.
Cette période prévue va varier au fur et à mesure des progrès des enfants.
L’organisation de l’horaire assure la répétition de chaque activité proposée
pendant au moins cinq jours consécutifs. Les enfants sont ainsi amenés à
accepter la non-réussite comme normale, parce que momentanée. Ils prennent
confiance en eux par la prise de conscience de la progression dans la maîtrise
de ce qui est demandé. Mais ils acquièrent aussi la confiance dans les
propositions difficiles de l’enseignante par la maitrise de l’activité au bout de
quelques jours. Cette confiance dans l’enseignante comme soutien des
apprentissages vrais (et non comme juge, évaluateur de ce que l’on sait faire)
favorise la motivation à affronter la difficulté pour apprendre.

SITUATIONS COMPLEXES
Les situations proposées sont toujours des situations complexes pour obliger
la décomposition-recomposition de la situation et ainsi assurer les
interconnexions neuronales nécessaires à la bonne formation de l’intelligence
de tous les enfants. Ne sont considérées comme bonne activité
d’apprentissage que celles où tous les enfants sont en difficulté. En d’autres
termes, une activité dans laquelle une bonne partie des enfants (toujours les
mêmes !) arrivent à réaliser facilement la consigne n’est pas considérée
comme utile sur le long terme pour réduire progressivement les écarts.
Le travail d’apprentissage se réalise, non par ateliers, mais avec le grand
groupe. Chaque enfant dispose d’un matériel individuel à manipuler lui
permettant ses propres essais et erreurs, d’abord dans la compréhension du
problème et ensuite dans sa réalisation possible. Il s'essaie sur les
propositions de travail en développant son autonomie. Il peut prendre des
initiatives avant une intervention éventuelle de l’enseignante. Dans un petit
groupe, l’enfant devient vite dépendant des sollicitations continues de
l’adulte. Les interactions entre enfants à partir de leur matériel sont aussi
possibles, et parfois encouragées.
L’enseignante observe et sollicite en se centrant sur le ou les processus à
mettre en œuvre, et non sur la réalisation d’un produit. Elle accepte donc
toujours des réalisations momentanées très différentes et parfois assez
éloignées du produit attendu en fin d’apprentissage. Une grande importance
est accordée à la construction des représentations et à leurs structurations
mentales. Les produits, comme preuves de réussites, arrivent presque
toujours après trois à cinq jours.
Nous attendions un développement plus pertinent de tous les enfants sur le
plan des compétences de base nécessaires pour aborder l’école primaire et
notamment la capacité à se construire des représentations pour comprendre
une histoire entendue ou lue, la maitrise d’un vocabulaire actif et passif plus
important pour tous les enfants, une bonne représentation des quantités (et
pas seulement des mots de la litanie) et de la démarche de base pour
mémoriser un savoir déclaratif, ainsi que la construction d’une conception de
l’école centrée sur l’apprentissage plutôt que sur le contrôle du savoir déjà là
et donc appris en famille !

DES RÉSULTATS ENCOURAGEANTS


Il est toujours difficile d’affirmer soi-même la réussite d’un projet, mais
quelques indicateurs nous ont encouragés à continuer et à approfondir
l’expérience toujours en cours. Dès la première année de l’expérience, tous
les enfants ont construit les maitrises attendues, même si elles étaient encore
fragiles chez certains. Ils maitrisaient mieux les outils de base pour aborder la
lecture et la numération. Ils avaient moins peur de se tromper ; ils étaient
donc davantage prêts pour apprendre, ce qui fut spontanément constaté
l'année suivante par les enseignantes de première année primaire, année de
l’apprentissage officiel de la lecture et du calcul.
Si nous attendions des progrès chez les enfants et s’ils ont été assez
rapidement meilleurs que ce que nous espérions, nous avons été surpris par
d’autres effets positifs, notamment chez les parents et les collègues. Les
parents ont régulièrement manifesté leur étonnement positif sur ce que leurs
enfants arrivaient à raconter de retour à la maison. Loin du traditionnel « on a
joué », ce qu’ils font pourtant aussi. Et ils continuent de s’exprimer
positivement par rapport au travail réalisé et non par rapport aux produits,
puisqu’il n’y a pratiquement rien dans le cahier ! Les collègues de travail,
dont certains avaient leur enfant en classe, se sont aussi interrogés par rapport
aux progrès des enfants. Ils ont voulu comprendre. La contagion a fait le reste
pour provoquer une véritable envie de se former. Et c’est actuellement toute
une équipe qui est motivée pour faire évoluer ses pratiques sur les mêmes
principes.
POUR EN SAVOIR PLUS Joseph Stordeur, Comprendre, apprendre, mémoriser, éditions De
Boeck, 2014.
Marylène Bolle et Joseph Stordeur, Je mesure dès la maternelle et après (3 à 8 ans), éditions Atzéo,
Floreffe, Belgique, 2015.
Faire attention
Dialogue avec un chercheur, éminent spécialiste de l’attention
(voir biblio sur notre site) et le directeur d’un centre de
formation d’enseignants qui coordonne une expérimentation
fondée sur ses travaux.

Jean-Philippe Lachaux , Directeur de recherches en neurosciences cognitive à


l'Inserm
Propos recueillis par Nicole Bouin
Thierry Chevallier, Directeur de l'Oratoire, centre de formation de professeurs
des écoles et d'enseignants spécialisés

En quoi les neurosciences peuvent-elles permettre aux enseignants de mieux


enseigner ?

J.-P. L. : Je ne suis pas du tout convaincu que les neurosciences puissent


apporter quelque chose de radicalement nouveau, parce que toutes les bonnes
idées ont déjà été trouvées par les enseignants au contact avec les élèves
quotidiennement ; par contre, elles peuvent recentrer sur les meilleures idées
et donner confiance aux enseignants en révélant les fondements scientifiques
de ces intuitions. Ça conforte et ça étaye, mais on ne peut pas être prescriptif,
il faut rester humble. Les neurosciences peuvent aussi éliminer des barrières ;
le sport et la lecture, ce n’est pas si différent au niveau neuronal, c’est
l’acquisition de procédures, l’entrainement de circuits neuronaux spécialisés.
On peut apprendre du sport des bonnes pratiques pour l’apprentissage de la
lecture.
T. C. : Ce n’est pas la baguette magique qui va résoudre tous les problèmes
dans la classe, c’est un peu le danger de cette mode ; par contre, ça va
apporter les preuves scientifiques, par l’image en particulier, d’éléments
pédagogiques mis à jour intuitivement, on s’aperçoit que ce qu’on a mis en
place correspond à quelque chose de réel dans le cerveau. Einstein a décrit le
modèle mathématique de la relativité générale qu’on a démontré ensuite par
l’expérience. Là c’est l’inverse, l’expérience existe et on va la valider
scientifiquement. Ça peut éventuellement indiquer ce qu’il faut éviter, sans
être caricatural pour autant. Par exemple, ça aide à comprendre pourquoi il ne
faut pas placer l’enfant en situation d’attention divisée en montrant des
images qui ne sont pas en lien avec ce qu’on est en train d’expliquer.

Nos élèves sont souvent persuadés d’être multitâches, aurions-nous affaire à des
mutants capables d’attention partagée ?

J.-P. L. : On met un adolescent en tâche d’attention soutenue, tout se passe


très bien, je lui demande alors de citer des animaux dont le nom commence
par « c » et là, impossible. Il a reconnu qu’il était incapable de faire deux
choses à la fois. Ce qu’ils arrivent à faire en même temps, envoyer un SMS
dans la poche tout en écoutant un cours, ce sont des choses qui demandent
assez peu d’attention, très simples, presque automatiques. Ils peuvent écouter
le cours mais pas le comprendre en tapant un texto, ils restent à un niveau très
superficiel. Il n’y a pas de traitement actif de l’information, d’apprentissage
possible, dans ces conditions. Nous faisons en ce moment cette même
expérience sous imagerie cérébrale pour voir pourquoi ça coince, quelle est la
zone commune qui devrait participer aux deux activités et qui ne peut pas, ce
qui crée le conflit. On ne peut pas à la fois lire un texte pour le comprendre et
compter le nombre de verbes qu’il contient. C’est comme vouloir déplacer sa
main à la fois vers la droite et vers la gauche, c’est impossible puisque le
même muscle doit faire deux choses différentes, avec les neurones c’est
pareil.

Comment peut-on développer les capacités d’attention de nos élèves dans une
société du zapping et de la surabondance d’images, comment construire des cours
qui les captivent alors qu’ils s’adonnent à des jeux vidéos qui saturent leur circuit
de la récompense et que nos programmes sont, à priori, moins attrayants ?
J.-P. L. : Ce n’est même pas la peine d’essayer de se déguiser en Mickey ou
de faire des laser games dans la classe. Je ne vois pas d’autres solutions que
de suivre un programme de type ATOL (Attentif à l'école). Il faut poser le
problème avec eux, leur dire « on va arrêter la course à l’armement en
termes de distraction, on ne va pas transformer les cours en jeux vidéos.
Vous êtes en train de vous coincer dans un mode d’attention extrêmement
segmenté et il va falloir que vous appreniez à évoluer dans tous les modes
d’attention, sur des durées longues. » On va leur montrer comment
fonctionne l’attention. Il y a tellement de stimulations aujourd’hui qu’il faut
leur apprendre à échantillonner leurs expériences. C’est le système
« exploration-adaptation ». Le comportement rationnel consiste à prendre un
peu, puis aller voir à côté et de papillonner pour être sûr qu’on n’est pas passé
à côté d’une énorme source de récompense en restant coincé sur une seule
source qui nous paraissait satisfaisante. L’hyperstimulation invite à tester le
rapport bénéfice-cout pour savoir comment obtenir la meilleure récompense
possible à moindre effort.

On se demande actuellement si les recherches sur le réseau par défaut, cet état
cérébral en activité quand nous sommes dans un état de rêverie, d’évocations
spontanées, ne pourraient pas nous fournir des pistes pour comprendre les
troubles de l’attention. Qu’en pensez-vous ?

Nous constatons que le réseau par défaut s’active quand il y a des distracteurs
externes, par exemple une sonnerie de téléphone alors qu’on est en train de
travailler. Il y a certainement un lien avec l’attention. L’enfant dans la lune,
dans son petit monde interne est en train de suractiver le réseau par défaut et
il a du mal à basculer dans le mode d’attention à ce qu’on lui demande. La
flexibilité suppose une vue aérienne qui permet de garder à l’esprit le
contexte dans lequel on mène une tâche principale, de pouvoir quitter
momentanément cette tâche principale pour gérer rapidement une tâche
secondaire avant de revenir à la tâche principale quand elle requiert toute
notre attention. C’est une capacité supérieure du cerveau qu’on ne trouve pas
chez l’animal et qui arrive plus tard, chez l’adolescent, voire l’adulte.

Vous écrivez que le cerveau attentif est le fruit de dix ans de recherches consacrées
à la fusion de connaissances théoriques et intuitives concernant l’attention. Vous
évoquez les liens entre le mode réel de la perception et le mode virtuel de nos
images mentales visuelles, auditives et motrices, la série de gestes mentaux qui
permettent d’exécuter une tâche. Quelle est votre position par rapport à
l’introspection et la gestion mentale ?

J.-P. L. :Je ne connais pas bien la gestion mentale, mais j’en entends
fréquemment parler. D’après ce que j’ai pu comprendre, Antoine de la
Garanderie s’appuyait sur une démarche introspective. La plupart des
chercheurs utilisent énormément l’introspection, ne serait-ce que pour mettre
au point des expériences. Ça ne fournit pas des vérités en soi, il faut les
valider. Il n’est pas du tout étonnant, s’il a développé une bonne qualité
d’introspection, qu’il soit arrivé à des conclusions proches du fonctionnement
cérébral tel que nous le découvrons par les neurosciences. Ce qui m’étonne,
c’est qu’ils ne soient pas cinquante à l'avoir fait.
T. C. : En tant que scientifique, je dis qu’il faut être clair sur d’où on parle,
d’un point de vue scientifique ou pédagogique. Si on a une bonne
connaissance des concepts de la gestion mentale, ça peut être un excellent
outil pédagogique, mais si on utilise approximativement quelques aspects
superficiels qu’on a lus dans une revue de bas niveau, il peut y avoir des
dérives importantes et ça peut vite devenir désastreux.

Thierry, comment en êtes-vous arrivé à coordonner l’expérimentation sur le


terrain des travaux de Jean-Philippe Lachaux ?

Nous l’avions fait intervenir deux jours pour une formation de formateurs et
de tuteurs. Il s’est dit intéressé par un projet de recherche avec les écoles et
nous étions bien placés pour le mettre en lien avec des enseignants.
L’expérimentation est actuellement menée par trente enseignants sur dix
écoles de la région, dont une école complète à Trévoux. Ils construisent des
ateliers intégrés à des moments d’apprentissages disciplinaires ou sur des
activités transversales non disciplinaires, selon la façon dont ils s’approprient
le protocole proposé. Ils disposent de vingt fiches réalisées par Jean-Philippe
et de sa bande dessinée (à paraitre). Chaque atelier comporte trois étapes : la
compréhension du fonctionnement du cerveau expliqué avec un lexique
ajusté à l’âge des élèves et les illustrations de Jean-Philippe ; la prise de
conscience par chaque enfant de ce qui le distrait de la tâche en cours ; la
recherche de ce qui peut l’aider à revenir dans la tâche.
Les activités sont chronométrées pour évaluer les progrès accomplis, avec
une gradation dans la difficulté. Ils acquièrent un vocabulaire spécifique qui
leur permet de nommer les activités mentales et d’échanger avec les
enseignants sur ces activités invisibles : maximoi et minimoi, l’abeille, la
petite voix dans la tête, etc. Ils apprennent aussi ce qu’est, concrètement, la
concentration, à découper et planifier la tâche, à programmer et maintenir
leur attention. Ils doivent peu à peu être en capacité de transférer ces acquis
sur des activités différentes en dehors de l’atelier et accéder à une certaine
autonomie.

Vous parlez de concentration et d’attention, quelle différence faites-vous entre les


deux ?

J.-P. L. : La concentration n’est pas une notion scientifique contrairement à


l’attention, on ne parle jamais de concentration en neurosciences, c’est un
terme de la vie courante qui est utilisé en pédagogie. Dans le langage
scientifique, on distingue d’ailleurs l’attention exécutive, l’attention
sensorielle, l’attention partagée. La concentration, c’est une attention qui va
être stabilisée sur un objet ou une tâche unique pendant un certain temps. Or,
le joueur de foot qui est concentré sur son match est attentif à la fois aux onze
joueurs de l’équipe adverse, aux dix joueurs de son équipe, aux mouvements
du ballon, ce n’est pas du tout un objet unique, c’est une cible constante et
complexe. En fait, si l'on considère les joueurs sur le terrain (et le ballon)
comme un objet complexe (un peu comme une nuée d'oiseaux), l'attention
n'est pas si divisée que ça.
T. C. : Être attentif, c’est se concentrer de manière très ponctuelle sur
différents points et l’ensemble de ces points de concentration représente
globalement l’attention sur une tâche complexe.
À noter
Les trois types d'attention
L’attention sélective est liée aux stimulations provenant de nos sens et à celle sur laquelle nous
décidons de nous focaliser ; l’attention exécutive renvoie à un processus mental pour exécuter une
tâche ; l’attention soutenue relève d’un effort maintenu de la vigilance, l’attention partagée ou divisée
au fait de mener deux actions en parallèle.
2. Alertes et précautions
Neuroéducation : attention danger
!
L’auteur, qui fait autorité sur le sujet sur le plan international,
après avoir constaté la fin du neuroscepticisme, met en garde
les neuroaccros contre les neurocharlatans, neurotrafiquants
et neuromanipulateurs !

Bruno Della Chiesa, Enseignant chercheur à la Harvard University Graduate


School of Education

Au tournant du siècle, alors que la neuroscience éducative (NE) n’était que


balbutiante, la principale force qui s’opposait à son émergence était, au-delà
d’un scepticisme bien compréhensible à l’époque, l’indifférence du monde de
l’éducation pour la compréhension des mécanismes cérébraux. Bien que le
potentiel de la nouvelle discipline ait été très vite identifié par les
enseignants, une forte résistance se manifestait chez les décideurs du
domaine, comme souvent, en retard de plusieurs guerres, et davantage
encore, bien que pour de tout autre raison, au sein des sciences de
l’éducation. Une quinzaine d’années plus tard, tout cela appartient à l’histoire
: tant le scepticisme (peu informé) que les résistances (non informées) des
origines ont pratiquement disparu. La NE est désormais populaire dans le
milieu éducatif (ce qui, en principe, devrait être une bonne chose), au point de
faire l’objet d’un véritable effet de mode, ce qui implique nécessairement de
nouveaux défis.
Dès le début des années 2000, une autre difficulté apparait : partout, on voit
émerger (de manière spontanée en apparence) et dangereusement proliférer
divers neuromythes, dont la dissémination rapide n’épargne aucune région du
globe. Les médias de masse, qui rapidement s’agrippent à l’attractivité de la
NE (il faut dire que le cerveau fait vendre), s’en emparent et se mettent à
sursimplifier à outrance, comme leur logique les y pousse toujours et à
généraliser indument certains résultats scientifiques. Mais la campagne contre
quelque mythe que ce soit est tout sauf simple. Aussi étrange que cela
paraisse, des aberrations pseudoscientifiques du type brain gym ou
programmation neurolinguistique (PNL, pour les intimes) ont encore de
beaux jours devant elles. La raison principale en est que les mythes sont
généralement bien plus simples à comprendre que les avancées scientifiques.
Sans même parler des méthodologies, des protocoles de recherche, bref, de la
complexité de toute démarche authentiquement scientifique. Contrairement
au neuroscepticisme initial, cette autre maladie infantile, à caractère viral,
n’est pas encore éradiquée.

NEUROCHARLATANISMES : PSEUDOEXPERTS ET HISTRIONS


Mais ce n’est pas tout. Depuis le début des années 2010 environ, de nouveaux
problèmes se répandent, chacun plus difficile encore à traiter que son
prédécesseur. Pour commencer, en raison du côté vendeur du cerveau, de soi-
disant experts (comme de juste autoproclamés), abreuvent qui veut les
entendre de leurs délires, et balancent sur le marché leur camelote sous la
forme de prétendus « programmes de formation », de « cours clé en main »
(en ligne ou non), et autres produits du même tonneau. Pour couronner le
tout, ces prétendus experts se comportent souvent comme des gourous en
possession de la panacée, allant parfois, comme on peut l’observer en France
par exemple, jusqu’à se percevoir comme les uniques détenteurs (si ce n’est
possesseurs) légitimes de la discipline. L’expérience scientifique de tels
« neuroéducateurs », selon l’étiquette dont ils aiment généralement
s’affubler, est au mieux faible, et en fait, la plupart du temps, inexistante.
Mais pourquoi devraient-ils donc se soucier de tels détails, à partir du
moment où il est de toute manière presque impossible aux profanes, et donc,
entre autres, aux journalistes,de distinguer un véritable spécialiste d’un
neurocharlatan ? Ce problème n’est, bien entendu, pas spécifique à la NE : il
suffit par exemple de penser au changement climatique.
Pire encore : même si une faible minorité de ces neurocharlatans sont plus ou
moins en état de faire la distinction entre science sérieuse et dépotoir
pseudoscientifique (la vaste majorité d’entre eux n’en étant tout simplement
pas capable), cela ne compte guère dans leurs préoccupations : du moment
que ça se vend, tout est permis. Ainsi, la plupart des neurocharlatans sont en
fait des neurotrafiquants, qui magouillent avec des outils qu’ils ne
comprennent pas, sans se préoccuper un seul instant des conséquences
potentielles. La logique à l’œuvre ici, une fois de plus, est celle du marketing,
qui n’a évidemment rien à voir avec celle de la science. Malheureusement,
elle a par contre beaucoup à voir avec la politique, et peut avoir, comme les
faits le confirment, une influence réelle sur les politiques et pratiques
éducatives, d’autant plus que ce qui touche à la compréhension du cerveau est
à la mode. Nous avons ici affaire à deux risques majeurs dont nous devons
prendre conscience.

NEUROCRÉDIBILITÉ ET NEUROJUSTIFICATIONS : LE BON


GRAIN ET L’IVRAIE
Le premier risque est lié à la crédibilité de l’ensemble de la discipline. Si le
profane ne peut, comme c’est (assez naturellement) le cas, différencier entre
science et pseudoscience, la déception à plus ou moins court terme est
inévitable. Or, plus élevées sont les attentes, plus profondes seront les
désillusions. Lorsque les utilisateurs en bout de chaine
(neuroaccros potentiels ou déjà dépendants) commenceront à comprendre que
ce qu’ils ont acheté comme réponse ultime à leurs questions ne fonctionne
pas (puisque charlatans et trafiquants ne peuvent évidemment satisfaire les
attentes de leurs clients), ils seront tentés de rejeter en bloc tout ce qui
contient le préfixe « neuro », voire le simple mot « cerveau » : dans
l’incapacité de distinguer entre le bon grain et l’ivraie, ils jetteront le bébé
avec l’eau du bain. Il faudra alors des années à la NE pour s’en remettre,
recouvrer son honneur perdu et retrouver son potentiel informatif en matière
d’éducation (politiques, pratiques, approches, etc.). Éviter ce piège constitue
déjà une raison suffisante pour que les acteurs du champ agissent rapidement.
Le second risque, lié au premier mais plus dangereux, car infligeant des
dommages bien plus vastes, concerne l’impact des utilisations politiques de la
NE. Nous le savons tous : ce qui est à la mode n’est que trop souvent
immédiatement adopté par les consommateurs démunis d’outils de réflexion,
qui ne peuvent exercer quelque forme d’examen critique que ce soit. Par
conséquent, toute pseudoscience de caniveau se voit acceptée de la même
manière que la science sérieuse, et ce phénomène n’épargne pas la NE. Si la
pseudoNE était simplement sans danger et pouvait être considérée comme
une sorte de placébo (le brain gym, par exemple), peut-être n’aurions-nous
pas à tant nous en inquiéter, même si l’effet placébo ne doit pas être pris à la
légère ; mais le risque décrit ici n’a rien à voir avec le caractère sérieux ou
non du travail de recherche utilisé. Que les neurocharlatans et
neurotrafiquants qui investissent le terrain en soient conscients ou non, ce
qu’ils distribuent n’est pas un simple produit inerte et anodin, qui ne servirait
qu’à faire du fric (ce qui serait déjà discutable !), même s’il s’agit là de leur
seule intention (cachée, d’ailleurs, la plupart du temps). Ce qu’ils vendent, ce
sont des armes capables de justifier n’importe quel programme politique,
aussi méprisable ou terrifiant soit-il. Nimbées qu’elles sont de l’aura
respectable et donc respectée de la science (même si, pour la pseudoscience,
ce n’est à l’évidence pas justifié), ce sont, en matière éducative, des armes de
prescription massive.
NEUROPIRATES, NEUROMANIPULATEURS : CYNIQUES DE
TOUS PAYS
La science ne peut et ne devrait jamais nous dicter notre conduite
d’éducateurs, de citoyens, et d’êtres humains. La science, quelle qu’elle soit,
n’a pas à nous dire que faire, en particulier quand il s’agit d’éducation : les
politiques et pratiques éducatives sont fruits de la politique avec un grand P
(et donc, idéalement, de l’éthique) et non de la science (avec un grand ou un
petit « s », qui n’est ni en situation, ni en droit de nous dire ce qui est bon ou
mauvais, ce qui est désirable ou non, surtout quand il s’agit de nos enfants, et
donc du futur de notre humanité). L’opinion publique l’ignore ; on ne peut
guère le lui reprocher, sachant que les statisticiens eux-mêmes, techniciens
zélés des pouvoirs qui les manipulent à leur insu, l’ignorent aussi. Mais,
confronté à un public mal informé, l’on pourrait faire passer à peu près tout et
n’importe quoi pour la conséquence logique de découvertes scientifiques ou
pseudoscientifiques. Et cela se produit bel et bien ! Dans de nombreux pays
aujourd’hui, les neuromanipulateurs ou neuropirates prolifèrent, se recrutant
de préférence parmi les politiciens cyniques qui ne reculent devant aucune
distorsion ni aucun détournement de la science, fiable ou non, pour justifier,
soutenir et finalement mettre en place leurs agendas (idéologiquement
déterminés à l’avance, bien entendu) : il serait par exemple possible, et même
assez facile, en se fondant sur des résultats scientifiques distordus ou sur des
considérations prétendument scientifiques, de prôner une discrimination
ethnique dans les écoles. Dès 2002, dans la publication Comprendre le
cerveau - vers une nouvelle science de l'apprentissage ?, la brain team du
CERI (Centre pour la recherche et l'innovation dans l'enseignement), que
j’avais l’honneur et le plaisir de diriger, a commencé à mettre en garde, certes
très discrètement, les lecteurs citoyens face à de telles dérives, lorsque des
débats quant aux objectifs potentiels de la discipline ont commencé à se faire
jour.
Lors donc, que faire ? Nous n’entraverons de toute manière pas l’avancée de
la science, bien entendu. Un tel objectif serait d’ailleurs aussi insensé que
dérisoire. Mais nous n’avons pas le droit de garder le silence et de ne rien
faire, comme si les phénomènes pointés ci-dessus n’étaient pas notre
problème : ces abus sont bel et bien notre problème, en tant qu’éducateurs et
citoyens. Alors que, sur les terres nouvelles de la neuroaddiction,
commençaient à proliférer neurocharlatans, neurotrafiquants et autres
neuromanipulateurs, une nouvelle expression a commencé à faire florès :
neuroéducation, terme surtout répandu dans des langues comme le français
plus qu'en anglais ou russe. Je n’ai jamais aimé ce terme, pour différentes
raisons, l’une d’entre elles étant qu’il semble indiquer que nous devrions
éduquer des neurones, ce qui est ridiculement réducteur ; une autre est qu’il
fait écho à la programmation neurolinguistique des années 1970, de sinistre
mémoire ; une autre encore est l’aspect accrocheur du terme, qui suinte
davantage les jingles marketing que les agendas scientifiques ou les visées
éducatives.

NEURODANGERS : EN GUISE DE CONCLUSION (PROVISOIRE)


Je suggère que désormais, lorsque l’un ou l’autre d’entre nous sera amené à
plonger un public pour la première fois dans le bain de la NE, nous
commencions toujours le parcours initiatique en présentant les limites de la
discipline et en soulignant l’importance d’apprendre à effectuer des
distinctions : toute conversation, tout cours, tout programme de formation,
tout produit éducatif (en ligne ou non), tout ouvrage dissertant de
neuroscience éducative devrait faire apparaitre, dans son introduction, un
panneau danger : ne jamais même commencer à discuter des potentiels
bénéfices de cette discipline, qui sont bien réels, sans d’abord en faire
comprendre les tenants et aboutissants, et mettre en garde contre les
potentiels détournements, abus et dangers. On ne devrait proposer le label «
neuroéducation » que pour désigner les activités des charlatans, trafiquants et
autres pirates, de manière à les distinguer du travail responsable que nous
pourrions continuer à nommer « neurosciences éducatives ». Ce serait un
premier pas ; si nous y parvenons, nous attirerons l’attention du champ et
celle d’acteurs extérieurs au champ sur la cruciale et nécessaire distinction à
opérer non seulement entre ce qui est scientifiquement solide et ce qui ne
l’est pas, mais également sur ce qui est politiquement et socialement
responsable et ce qui ne l’est pas.
La gestion mentale, compatible
avec les neurosciences ?
Pour l'auteur, beaucoup des intuitions d'Antoine de La
Garanderie ont été confortées par les découvertes récentes
des neurosciences. La recherche de liens entre les deux
approches est légitime, mais à condition de se prémunir
contre toute forme d’amalgame préjudiciable à la bonne
intelligence de l’une et de l’autre.

Jean-Pierre Gaté, Professeur à l’université catholique de l’Ouest

« Ce qui est possible mérite d’avoir sa chance », disait Albert Camus. Le


philosophe et pédagogue français Antoine de La Garanderie (1920-2010)
approuverait très certainement cette assertion, du point de vue où il se place.
Partant de l’observation et de l’interrogation d’élèves en situation
d’apprendre (Les profils pédagogiques, 1980), l’auteur a pu mettre à jour la
diversité et la singularité des procédures mentales et des « stratégies
gagnantes » qu’ils sont capables de mettre en œuvre, pour peu qu’on les
éclaire sur ce plan.
Dans le rapport au savoir, chacun fonctionne d’une manière qui lui est
propre. Les uns ont recours de préférence aux mots qu’ils se donnent, les
autres aux images qu’ils se construisent dans leur tête, d’autres encore
privilégient la relation tactile ou kinesthésique avec l’objet. Ces différentes
médiations dont se sert la pensée participent de l’appropriation des
connaissances. La Garanderie a pu les discerner grâce à l’introspection, qui
consiste en une interrogation directe des sujets en situation de tâche, afin de
recueillir leur témoignage sur ce qu’ils font dans leur tête pour parvenir à
accomplir une tâche.
Plutôt qu’une simple technique d’apprentissage ou de remédiation, la gestion
mentale se présente comme une démarche éducative visant à accompagner
l’être humain dans sa quête de sens, à travers la rencontre et le dialogue noué
avec lui, quels que soient son âge, son origine sociale et son niveau de
réussite. En cela, elle se veut au service du développement et du progrès de
chacun.

UNE INTUITION ANCIENNE


Dans un article datant de 1988, « Le neuronal et le mental : perspectives
expérimentales » (Cahier Binet Simon), La Garanderie s’interrogeait sur une
possible rencontre entre sa théorie et le courant des neurosciences dont
l’émergence lui apparaissait prometteuse. La gestion mentale qu’il venait de
fonder ne pouvait-elle pas s’enrichir de cet apport scientifique ? Il proposait
alors que soient entreprises de part et d’autre des observations et des
expériences « dont pourraient résulter des conceptualisations harmonieuses
et mutuellement éclairantes » au service de l’éducateur et du pédagogue.
Cette préoccupation fut récurrente dans son œuvre et elle s’est alimentée de
rencontres fréquentes avec des scientifiques de haut niveau : Changeux,
Berthoz, etc. Mais qu’en est-il aujourd’hui, au regard de l’avancée
spectaculaire des neurosciences ? De nombreux praticiens chercheurs en
gestion mentale poursuivent cette voie d’un rapprochement. C’est le cas, par
exemple, de Guy Sonnois, qui s’attèle à cette problématique dans un article
publié dans Initiative et formation (n° 26, juin 2013) : « Quels sont les liens
que l'on peut établir entre la gestion mentale, approche philosophique de la
connaissance et de l’être humain, et les découvertes scientifiques les plus
récentes des neurosciences ? »
Certes, la gestion mentale ne relève pas seulement d’une approche
philosophique, c’est surtout une théorie de l’action pédagogique qui part de
données empiriques patiemment recueillies dans la rencontre avec les sujets.
Elle n’a pas besoin de rechercher une quelconque caution scientifique du côté
des neurosciences ni d’ailleurs du côté de la philosophie. Elle se doit de
conquérir elle-même sa légitimité et sa validité au moyen d’une analyse
approfondie des observations qu’elle conduit, d’une évaluation rigoureuse
des actions qu’elle engage ainsi que d’un approfondissement critique de ses
concepts et outils propres. Cependant, des voies de convergence paraissent
possibles entre hypothèses de la gestion mentale et acquis des recherches en
neurosciences.

PAS DE SÉPARATION MENTAL-CÉRÉBRAL


La gestion mentale comme les neurosciences refusent le dualisme cartésien
corps-esprit. À la suite de sa rencontre avec le professeur Berthoz en 1997,
La Garanderie déclare : « Je ne crois pas qu’il y ait d’un côté la conscience,
les phénomènes mentaux, et, de l’autre, le cerveau et ses phénomènes.
L'union du cérébral et du mental est selon moi indissociable. »
De nombreuses études utilisant les techniques d’imagerie fonctionnelle
illustrent ce rapport entre le mental et le cérébral. Désormais, nous n’avons
plus besoin de lésions pour localiser les fonctions mentales. On peut observer
le cerveau en action. Ainsi : exécuter une action et seulement penser à cette
action activent les mêmes structures dans le cerveau ; la répétition mentale
d’un geste renforce la force physique, sans qu’aucune contraction n’ait été
observée ; les zones activées quand on pense à un mot abstrait sont
différentes que lorsqu’on pense à un mot concret. Ces différents exemples
viennent corroborer les propres intuitions de La Garanderie sur le rôle de
l’évocation et du geste mental dans la maitrise d’une activité physique ou
intellectuelle. Des corrélations existent bel et bien entre l’activité cérébrale et
l’activité mentale. Il convient de s’en aviser et de les préciser davantage par
des programmes de recherche alliant l’observation scientifique du cerveau et
le dialogue introspectif.

PROJET MENTAL ET REPRÉSENTATION DE L’ACTION


Selon la gestion mentale, l’élève doit être en situation de projet pour
apprendre, cela implique de sa part un consentement, une disponibilité, une
visée intentionnelle en présence de ce qui est à connaitre. Or, les
neurosciences ont montré toute l’importance du cortex préfrontal qui
intervient comme support de l’état mental « avoir l’intention de », ainsi que
des représentations de but ou d’action qui viennent ensuite donner un contenu
à cet état mental.
Lorsqu’en gestion mentale on invite les élèves, avant de se lancer dans une
tâche, à vivre en pensée, par les évocations qu’ils se donnent, les actes qu’ils
ont à réaliser, leur cerveau n’est-il pas comme préparé par cette
représentation d'action qui leur assurerait ainsi une exécution précise et
sécurisée ? Leurs témoignages l’attestent et convergent sur ce point avec le
fonctionnement cérébral. On trouverait donc là des justifications
neurologiques de cette activité que la gestion mentale désigne par projet
mental, projet d'acte.

D'AUTRES CONVERGENCES
Les rapports entre le cerveau et l’affectivité illustrent d’une autre manière
cette alliance du corps et de l’esprit. Antonio Damasio attribue aux émotions
un rôle capital dans la constitution de la conscience. En témoigne son livre
L'autre moi-même, les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des
émotions (2010). Or, La Garanderie établit un rapport très net entre les
émotions (précipitantes, paralysantes, etc.) et les images mentales qui s’y
rapportent. Il préconise de replacer le rôle de l’émotion dans le déroulement
d’une conduite mentale, d’en faire prendre conscience au sujet, de manière à
équilibrer l’énergie affective et les besoins de l’action. Ces éléments ne sont
pas si éloignés des thèses d’un Damasio.
Mais il est un point essentiel sur lequel peuvent se rejoindre les deux
approches. La conception de La Garanderie postule l’éducabilité de chacun.
En raison de sa plasticité et de sa nature perfectible, la personne est en
mesure d’actualiser toutes ses ressources (dont son intelligence), pour peu
qu’un pédagogue attentif l’accompagne, sans céder au fatalisme de
l’influence du milieu social ou de l’hérédité. En établissant des « profils
pédagogiques » (à partir des dominantes évocatives et de l’orientation des
projets de sens), l’auteur exprime clairement sa volonté qui est non seulement
de révéler au sujet les potentialités qui l’habitent, mais aussi de l’ouvrir à
d’autres démarches, à des fins d’optimisation et d’enrichissement. L’objectif
n’est donc pas d’enfermer le sujet dans son type de gestion, contrairement à
une interprétation superficielle et abusive qu’on a pu faire de ses propos.
Les neurosciences rejettent également l’idée d’un cerveau figé, mais montrent
combien il est appelé à se développer tout au long de la vie. La plasticité
mentale rendant possible cette « modifiabilité structurelle de l’intelligence » a
son correspondant du côté d’une plasticité cérébrale : le cerveau se modifie à
chaque instant en fonction de ce que nous vivons, il sait s’adapter, se
reconfigurer, voire se recycler. Le développement cérébral est donc
étroitement lié à l’apprentissage, de même que l’adaptation est également
possible pour chaque organisme. Au final, la personne n’est pas figée dans
ses savoirs et ses compétences, elle est capable de changement. Chez La
Garanderie, ce principe de plasticité cérébrale est au cœur de l'anthropologie
éducative qui repose sur une vision résolument personnaliste et humaniste de
l’éducation. La valeur de la personne, abordée dans son unicité, porteuse de
potentialités singulières à explorer et ouverte à l’universel, constitue bien un
principe fondateur de sa pédagogie.
À L’ÉCOUTE DES DIFFÉRENCES
Mais qu’en est-il de la singularité de chacun dans son rapport au monde ?
Comment tenir compte des différences individuelles et les accueillir comme
autant d’opportunités ? Pourquoi certains réussissent et d’autres pas ? Quelles
sont les méthodologies mentales adoptées par ceux qui réussissent et
comment faire découvrir à ceux qui sont en échec leurs propres stratégies ?
Cela a été le point de départ des travaux de La Garanderie, qui a alors mis en
évidence des différences de traitement mental des objets de perception et
déterminé plusieurs familles d’habitudes mentales, aboutissant ainsi à la
notion de profil.
Or, les neurosciences reconnaissent également ces différences dans la
manière d’utiliser son cerveau. Celui-ci, au même titre que les autres organes
du corps, peut varier en masse et en densité d’un individu à l’autre. De même,
il a été démontré que chacun se sert d’une manière particulière de ses
hémisphères cérébraux, en fonction de la tâche à effectuer ou de
l’environnement. Il y a donc là un parallélisme intéressant à souligner qui
aboutit à des préconisations pédagogiques complémentaires à propos de la
perception, de l’image mentale et, plus largement, de la mise en œuvre des
gestes mentaux dans l’activité d’apprentissage.
POUR EN SAVOIR PLUS Antoine de La Garanderie, Réussir ça s’apprend, éditions Bayard (coll.
Compact), 2013, Initiative et formation : www.ifgm.org
Intelligence(s) : du quantitatif au
qualitatif
« Intelligence » : un mot qui fait peur. Pourtant, la théorie
d'Howard Gardner renouvèle le concept. L'auteure avait
rencontré ce chercheur pour les Cahiers. Qu'est-ce qui attire
une praticienne vers les intelligences multiples ?

Sylvie Abdelgaber, Professeure d'anglais dans un lycée de l'Essonne

Au lieu d'une échelle verticale graduée de chiffres qui vous classent de bête à
génial, avec la théorie des intelligences multiples, c'est une palette de huit
formes d'esprit qui est proposée. Sur le terrain, cette théorie connait du succès
auprès d’équipes, d’établissements, mais n'est-elle pas un peu trop simple ? Il
est vrai que les formulations même du chercheur américain, leur côté
pragmatique, ne « font pas sérieux » dans notre pays, qui n’a pas les mêmes
traditions de vulgarisation scientifique. Toute traduction peut susciter de tels
chocs culturels.
La mise au pluriel, effectuée par l'universitaire d'Harvard, me permet de
travailler la notion sans tabou. En classe, autour de textes sur des génies du
monde anglophone, je fais souvent une séquence « intelligence » où il est
question de ce pluriel. Je peux aussi parler d'autisme, autour du narrateur de
The Curious Incident of the Dog in the Night-time, qui comprend le monde
par sa dimension spatiale, ou autour du film Rainman qui montre les
incroyables calculs du héros incarné par Dustin Hoffman. Cela permet de
faire de l'intelligence un objet de découvertes plutôt que de mesures chiffrées,
discriminatoires. Les huit formes dégagées par la théorie de Gardner nous
servent à dire nos différences. Les écoles américaines qui utilisent le concept
procèdent à une observation fine des enfants et de leurs capacités, sans leur
attribuer des catégories rigides. Il m'arrive de faire travailler ça à mes élèves
en huit groupes, les retours et les échanges sont toujours passionnants.
Souvent, mes élèves découvrent par exemple que leur capacité à interagir
avec les autres peut s'appeler intelligence. Cela conforte leur estime d’eux-
mêmes et me donne de nouvelles raisons pour défendre le travail collaboratif,
où chacun apporte son point de vue.
J'ai la tâche de tester chez mes élèves des compétences langagières. Savoir
que la compréhension et la production de mots sont localisées dans nos
cerveaux dans des modules séparés, cela soutient mon travail. J'ai appris des
neurosciences (simplifiées) que la compréhension est gérée pour toutes les
langues dans une aire singulière, celle de Wernicke, tandis que la formation
des mots, et sans doute les règles de syntaxe sont élaborées séparément pour
chaque langue dans de (multiples) aires de Broca : de quoi nourrir ma
réflexion. Je peux admettre le fonctionnement modulaire mis à jour par les
découvertes du laboratoire de Harvard. Les laboratoires du futur m'en diront
certainement plus, plus tard, sur d'autres détails à ma portée. En attendant,
rejeter les intelligences, multiples ou au singulier, me parait frileux.
L'intelligence n'aurait-elle pas sa place dans le vocabulaire scientifique ? Je
sais le poids des mots ! Un laboratoire de Harvard n'aura pas choisi celui-là
sans raison.

ÉVITER LES INEXACTITUDES


Il est important cependant d’éviter les confusions. Si nous décidons de parler
des intelligences multiples, alors utilisons le vocabulaire de la théorie :
évitons l’assimilation du spatial au visuel, et ne mélangeons pas avec les «
profils pédagogiques » de La Garanderie. Évitons aussi de renommer «
intelligence écologique » l'intelligence naturaliste.
Si j’ai souvent constaté que certains de mes élèves vont plus vite que d'autres
à comprendre et utiliser les phénomènes linguistiques, je n'attribue pas cela
uniquement aux fonctionnements des zones linguistiques du cerveau. Il s'agit
souvent de confiance en soi, de motivation, d'habitude à y parvenir facilement
: la psychologie et la sociologie m'aident à comprendre ces phénomènes, qui
se laissent rarement simplifier eux aussi. Curieuse, je tâche de comprendre,
parfois présente à mes élèves ou utilise plusieurs théories, évitant de les
déformer malgré d'indispensables simplifications. La recherche n'a pas fini de
m'étonner ! Je trouve qu'une part de mon métier consiste à partager avec mes
élèves mon intérêt pour ses découvertes. Si cela nous aide en langue, et nous
fait pratiquer l'anglais avec quelques connaissances et beaucoup de passion,
alors j'y trouve un intérêt multiple !
Non, l'effet Mozart n'existe pas !
En tant que philosophe accompagnant des scientifiques dans
le cadre de La main à la pâte, l’auteure de Mon cerveau, ce
héros dénonce les impostures de fausses sciences à travers
quelques exemples de neuromythes.

Elena Pasquinelli, Philosophe, La main à la pâte, Institut d’études cognitives,


École normale supérieure

En 1998, l’État de Floride adopte une loi pour que les écoles maternelles
diffusent de la musique classique aux enfants. La même année, et après avoir
lu que l’écoute de la musique de Mozart peut augmenter le QI, le gouverneur
de la Géorgie demande 105 000 dollars pour la production et la distribution
de musique classique aux nouvelles mères, afin qu’elles la fassent écouter à
leurs enfants. Les sénateurs votent en faveur de cette proposition (le
gouverneur venait de leur faire écouter la Sonate n° 9 de Beethoven). D’où
vient l’idée que l’écoute de la musique classique, notamment de Mozart,
puisse développer d’un coup notre intelligence ? En 1993, trois chercheurs
américains comparent les effets cognitifs de trois situations : l’écoute d’une
sonate de Mozart, d’une musique relaxante et une situation silencieuse. Dans
la « situation Mozart », les résultats montrent une augmentation de 8 à 9
points chez des adultes à des tests de capacité spatiale extraits d’une vaste
batterie de tests utilisés pour mesurer le QI. Les médias s’emparent
immédiatement de la nouvelle, qui fait le tour du monde. On parle alors d' «
effet Mozart », et on vante les bénéfices de l’écoute de la musique,
notamment de Mozart (mais pas seulement) sur l’intelligence.
Malheureusement, depuis, d’autres laboratoires n’ont pas été en mesure de
reproduire les mêmes résultats. L’effet Mozart a ainsi été démystifié. Fin de
l’histoire ? Nous sommes plutôt à son commencement. Le concept d’un effet
positif de la musique classique sur l’intelligence se répand. Les produits pour
enfants, bébés et fœtus, basés sur l’Effet MozartTM (devenu entretemps une
marque de fabrique), sont vendus à des millions d’exemplaires. Le marché
japonais en est arrivé à proposer des bananes cultivées avec l’aide de la
musique de Mozart, les « bananes Mozart » : plus douces que les autres selon
leur producteur, et du saké brassé sur les notes de la musique classique où
Mozart l’emporte encore une fois sur Bach, Beethoven, et la musique jazz.
Pourtant, l’étude originelle ne mesurait pas l’effet de la musique sur les
enfants, ni sur les bananes ou le saké, d’ailleurs. Elle ne permettait pas, non
plus, d’extrapoler que l’écoute de Mozart aurait un impact à long terme sur
l’intelligence.

D’AUTRES NEUROMYTHES
Le cas de l’effet Mozart n’est pas isolé, loin de là. Les mythes sur le cerveau
abondent. Certains sont entretenus à but commercial : c’est le cas des
techniques de Brain Gym qui promettent d’améliorer les apprentissages
scolaires et de vaincre les troubles de l’apprentissage à l’aide de quelques
exercices physiques de gym, pas très différents des gestes que nous
accomplissons tout au long de la journée. L’un des exercices préconisés, par
exemple, consiste à porter un bras vers la jambe du côté opposé, pour croiser
les mouvements et ainsi renforcer les liens entre les deux hémisphères ; or,
ces liens existent chez tout le monde (sauf les personnes avec des anomalies
anatomiques du cerveau très visibles et handicapantes ou qui ont subi une
chirurgie assez radicale) : ils sont justement assurés par une structure du
cerveau, le corps calleux, constitué de fibres qui connectent les deux
hémisphères. En outre, si vous y pensez un instant, le genre d’exercice
miraculeux décrit, nous l’accomplissons chaque fois que nous marchons,
endossons vêtements et chaussures, etc. Il est donc possible de se rendre
compte que quelque chose cloche, qu’on est en présence d’un neuromythe,
même si on ne possède pas des compétences très avancées en neurosciences.
Ce n’est pas toujours le cas, cependant. Est-ce vrai que la plus grande part
des apprentissages se joue avant 3 ans ? Ou bien est-ce que la plasticité du
cerveau est telle qu’on peut tout apprendre à tout âge de la même manière et
selon les mêmes modalités ? Qu’on peut entrainer le cerveau comme si c’était
un muscle ? Pour répondre à ces questions, il faut se pencher sur les
découvertes récentes des neurosciences, analyser la littérature qui rapporte les
résultats des tests conduits sur différentes méthodes d’entrainement.

LE CERVEAU N'EST PAS UN MUSCLE


Or, le cerveau n’est point un muscle, et comme beaucoup d’enseignants l’ont
constaté par leur pratique, il est très difficile de l’amener à généraliser et à
transposer ce qu’on a appris dans un domaine à un autre. Le cerveau est
pourtant plastique : il a la capacité de se modifier et d’intégrer de nouveaux
apprentissages, et il garde cette capacité toute la vie ; grand-mère ne vient-
elle pas d’apprendre à utiliser une tablette électronique ou un téléphone pour
appeler les siens ? Les modalités selon lesquelles le cerveau retient ces
apprentissages varient cependant avec l’âge, et avec les contenus.
Certains apprentissages, plus liés au développement du cerveau et aux
capacités sensorielles, de reconnaissance des stimulus de l’environnement ou
sociaux, se font tôt dans la vie et ont plus de mal à se modifier par la suite.
D’autres apprentissages ne présentent aucune difficulté supplémentaire par la
suite, voire, au contraire, nécessitent un degré de maturité plus important
pour s’effectuer. Lecture et écriture ne s’apprennent pas dans le berceau, et
n’apparaissent pas avec le développement naturel de l’enfant ou par
immersion dans un certain environnement, comme c’est le cas pour
apprendre à marcher et à parler. Certains apprentissages nécessitent
l’assistance d’un enseignant bienveillant et de bonnes stratégies. C’est le cas
notamment des apprentissages culturels (l’apprentissage des inventions que
notre espèce a su enchainer au cours de son histoire).
Quant à améliorer son fonctionnement cognitif par des entrainements
méthodiques (par des techniques de braintraining, le sudoku, les échecs), rien
ne prouve pour le moment que leurs effets s’étendent aux situations normales
de nos vies quotidiennes, et il se peut que ces effets se limitent à améliorer les
performances directement entrainées, ou des capacités marginales par rapport
à ce qui est en jeu dans l’acquisition de nouvelles compétences et
connaissances. Les solutions miracles sont rarement des solutions efficaces et
elles devraient faire sonner notre petite alarme antineuromythes : apprendre à
lire, à compter, à raisonner comme des scientifiques, des historiens, des
géographes, à s’exprimer, à argumenter et à penser de manière critique
demande effort. Plutôt que de chercher à faire passer le message qu’on peut
apprendre sans effort, il faudrait inventer de bonnes stratégies pour que les
enfants et les adultes soient motivés à faire l’effort nécessaire pour apprendre.

DES CONSÉQUENCES PARFOIS BIEN FÂCHEUSES


Plusieurs neuromythes sont sans conséquence ou presque pour notre bienêtre.
D’autres ont des conséquences indirectes : mettre ses efforts et son argent
dans des méthodes dont on n’a pas prouvé les effets risque de détourner ces
mêmes efforts et argent d’autres méthodes plus efficaces. D’autres encore ont
des conséquences directes : ainsi, le fait d’ignorer le fonctionnement de la
mémoire ou de l’attention peut nous amener à surestimer les tâches que nous
pouvons gérer en même temps. Il existe aussi des mythes bienveillants pour
les élèves, mais qui peuvent entraver une rencontre positive et efficace entre
éducation et neurosciences.
C’est le cas de la théorie des intelligences multiples ou des différents styles
d’apprentissage. Ces théories constituent en fait la traduction en jargon
scientifique du constat que tous les élèves ne sont pas pareils, que leurs gouts
et penchants comptent, et du souhait d’arriver à des formes plus
personnalisées d’éducation qui prennent en compte les différences
individuelles plutôt que de les stigmatiser. Cependant, me semble-t-il, la
science peut permettre de répondre à ces objectifs mieux que n’importe
quelle pseudoscience, même bienveillante. Il s’agit, en collaboration avec les
enseignants, de mener des recherches suivies sur les différences
interindividuelles et les stratégies pertinentes pour les prendre en compte.
Sinon, on s’expose au risque des simplifications excessives et de la diffusion
de méthodes sexys mais inefficaces ; à long terme, on perd confiance dans le
fait que les sciences du cerveau peuvent réellement apporter quelque chose à
l’éducation.

DE VRAIS APPORTS
Mieux comprendre le fonctionnement de l’attention et ses limites, les
caractéristiques de la mémoire et ce qui rend une histoire plus mémorable
qu’une liste de faits, les difficultés cachées de certains apprentissages pour le
cerveau, tout cela peut aider l’enseignant à trouver ses repères, à prendre les
bonnes décisions et à comprendre difficultés et atouts des élèves. Chaque
enseignant en tiendra compte à sa manière, selon sa personnalité, celle des
élèves, et les circonstances de son activité.
En fait, la collaboration entre enseignants et chercheurs peut produire de vrais
GPS : des méthodes qui répondent bien au fonctionnement du cerveau, du
moins à ce qu’on en sait aujourd’hui, et qui ont su prouver leur efficacité en
laboratoire et en classe. Les méthodes pour l’apprentissage de la lecture ou
des mathématiques, des sciences et du raisonnement, par exemple, ne sont
pas toutes semblables et la recherche empirique permet de les distinguer de
manière beaucoup plus efficace que les impressions personnelles ou
l’expérience.
Le cerveau humain, résultat de millions d’années d’évolution qui en ont
sculpté anatomie et fonctions, sait répondre à une immense quantité de
problèmes qui se posent sur le chemin de la survie et de la reproduction ; il
sait aussi construire des cathédrales, des appareils scientifiques, des
institutions sociales hypercomplexes ; il peut apprendre à lire et décoder ces
lignes, en extraire un sens. Mais le cerveau a aussi ses limites, que souvent
nous ignorons. D’où l’importance de créer des passerelles à deux directions
entre éducation et sciences du cerveau et de la cognition. Il ne s’agit pas, pour
les enseignants, de subir ou d’importer passivement les connaissances
scientifiques, mais de se les approprier dans la mesure où elles leur sont
utiles, et de contribuer à en produire de nouvelles qui répondent à leurs
besoins de professionnels de l’éducation, à leur expérience de l’apprentissage
en classe.
Quelle diffusion, entre engouement
et prudence ?
Les enseignants intègrent-ils dans leurs pratiques des
résultats de recherches sur les neurosciences ? Synthèse d’un
travail réalisé pour un mémoire professionnel de master
MEEF.

Cannelle Birault, Étudiante en master MEEF, Isfec Aquitaine

Au niveau national, il semble que la difficulté de diffusion des


neurosciences au sein du système éducatif relève des difficultés rencontrées
par n’importe quel autre sujet. Le facteur humain revêt en effet un caractère
décisif, quel que soit le poste occupé (national, académique, local).
Cependant, le positionnement du ministère de l’Éducation nationale joue un
rôle capital dans la diffusion des apports des neurosciences. La Dgesco
s’intéresse à la question : « Il y a une nécessité absolue d'actualiser les
apports des praticiens et de s'appuyer sur les avancées des sciences
cognitives, particulièrement dans la compréhension des mécanismes
d'apprentissage, explique Florence Robine, directrice générale. Cela doit
nous apporter une réduction du poids des déterminismes sociaux dans l'échec
scolaire. » Le ministère s’engage dans la formation de ses cadres en
organisant un colloque en 2012, « Sciences cognitives et éducation », puis, en
2014, « Comment les sciences cognitives peuvent-elles irriguer le système
éducatif ? ». On ne peut pas pour autant y voir une impulsion au niveau
national, le ministère préconisant une certaine prudence.
À l’inverse de l’enseignement public, l’enseignement catholique sous contrat
bénéficie d’une organisation à taille humaine. Cela facilite et favorise
l’analyse des besoins issus de l’évolution de la société et de la demande du
terrain. En Aquitaine, par exemple, un tiers des établissements privés ont
bénéficié de formations sur les neurosciences, notamment avec l’intervention
de Gervais Sirois, du Centre d’étude et de développement pédagogique
(Cedep) du Canada, et de Pascale Toscani, responsable du Groupe de
recherche en neurosciences éducatives (Grene).
Éric Segouin, inspecteur de l'Éducation nationale chargé de formation dans
l’académie de Bordeaux, confirme l’importance d’actualiser les
connaissances sur les mécanismes d’apprentissage par une expertise en
neurosciences, mais précise : « Le danger est dans les deux sens, négation
des besoins de terrain réels avec une formation standardisée ou focalisation
sur des travaux récents dont on ignore les bénéfices en termes d'amélioration
de la performance des élèves. »
Cette recommandation de vigilance est également la conclusion d’un rapport
de 2012 de l’Office parlementaire d’évaluation scientifique des choix
scientifiques et technologiques intitulé L’impact et les enjeux des nouvelles
technologies d’exploration et de thérapie du cerveau : « La rapidité avec
laquelle les neurosciences et l’imagerie cérébrale ont surgi non seulement
dans le champ des sciences sociales mais également dans la vie quotidienne,
soulève des interrogations. Cette rapidité apparait très décalée par rapport à
la prudence des neuroscientifiques eux-mêmes… »

FORMATION INITIALE ET FORMATION CONTINUE


Les responsables des ESPÉ semblent reconnaitre l’enjeu lié à la diffusion des
neurosciences. D’après Jacques Mikulovic, directeur de l’ESPÉ d’Aquitaine,
« la compréhension du processus d’apprentissage, pour être plus simple,
représente une connaissance importante pour appréhender la manière dont
on pourrait mobiliser les élèves pour enseigner ». Cependant les avis restent
partagés, deux visions s’opposent. Si certains se montrent neurosceptiques,
de nombreux responsables sont persuadés qu'une meilleure connaissance du
fonctionnement du cerveau permettra une modification des gestes
professionnels. Dans le contexte actuel de restructuration de la formation
initiale, l’intégration des neurosciences semble être un détail. Il faut laisser à
cette nouvelle institution le temps de construire sa nouvelle identité. Les axes
en faveur de la diffusion se diversifient. Des conférences sont proposées aux
étudiants. Il existe des collaborations avec des laboratoires de neurosciences,
comme à Lyon. Le recrutement de neuroscientifiques est engagé au sein de
certains de ces établissements. L’offre de dispositifs recherche-action va
s’étoffer afin de mettre en discussion, capitaliser et irriguer la formation de
ces connaissances.
L’offre en formation en lien avec les neurosciences se diversifie. Aucune
collaboration n’est envisagée dans l’élaboration d’une proposition commune.
Toutes sont différentes tant sur le format, le contenu, les intervenants et le
public visé. Le projet Neurosup(formation hors cadre institutionnel) a profité
d’un vide de formation sur cette thématique, l’augmentation fulgurante du
nombre de classes adhérentes à ce projet démontre un engouement croissant.
Certains responsables pédagogiques académiques émettent quelques critiques
sur cette formation, mais reconnaissent que cela induit l’élaboration d’une
proposition institutionnelle. Sur l’académie de Bordeaux, pour la deuxième
année consécutive, des neuroscientifiques sont intervenus auprès de
directeurs et chefs d’établissement. La création d’un réseau d’enseignants
formateurs en neurosciences est en projet. En 2015, un séminaire a été
organisé pour la Journée de l’innovation « Apprendre à apprendre, apports
des sciences cognitives ». Certaines académies ont déjà intégré des
formations dans leur plan académique. D’autres académies précurseures
accompagnent des dispositifs de recherche-action (Clermont-Ferrand) ou des
groupes formation-action (GFA) (Caen). Tous les possibles restent à venir.
Entre neurosciences et éducation :
les chainons manquants
Comment combler l’espace entre production de connaissances
neuroscientifiques et développements de pratiques
éducatives ? Comment trouver les chainons manquants ?

Jérôme Prado , Laboratoire Langage, cerveau et cognition, CNRS


Marie-Line Gardes, Université Lyon 1, ESPÉ Lyon

Il parait clair que les connaissances issues des neurosciences sont utiles dans
les pratiques éducatives. Mais l’application des recherches issues des
neurosciences à la salle de classe soulève cependant plusieurs difficultés.
Une première difficulté réside dans le manque de communication entre
chercheurs en neurosciences et professionnels des sciences de l’éducation. La
plupart des neuroscientifiques ignorent ou sous-estiment les recherches
actuelles en sciences de l’éducation. Lorsque Stanislas Dehaene écrit « je dis
aux éducateurs : ne prenez pas les enfants pour des têtes vides que vous allez
remplir, mais pour des systèmes abstraits capables d’apprentissage », il
montre une certaine méconnaissance du métier d’enseignant et surtout de la
recherche en didactique. En effet, de Piaget aux travaux les plus récents, les
théories constructivistes font partie du savoir professionnel de base d’un
enseignant et on ne saurait imaginer aujourd’hui un enseignant qui verrait
l’enfant comme une tête vide et non-constructeur de ses connaissances. Le
risque de ce type de communication est le rejet massif de la part des
professionnels de l’éducation (chercheurs et praticiens) des approches
éducatives basées sur les neurosciences. Les neuroscientifiques ne sont pas
les mieux placés pour communiquer avec les enseignants et il faudrait des
personnes dédiées pour faire le lien, des didacticiens par exemple.
Du côté des enseignants et des chercheurs en sciences de l’éducation, un
manque de connaissances en psychologie et neurosciences peut conduire à
une simplification, voire une mauvaise interprétation des résultats
scientifiques. Ceci peut déboucher sur la mise en œuvre dans les classes de
méthodes pédagogiques, au mieux inefficaces, au pire dangereuses pour
l’apprentissage. Le concept de neuroéducation est maintenant utilisé par
certains pour justifier de théories et de pratiques parfois discutables. Citons
pêlemêle les notions de styles d’apprentissage, gestion mentale,
programmation neurolinguistique ou intelligences multiples. Ainsi, une
mauvaise application de cette dernière théorie, par ailleurs très controversée,
peut amener certains à dire à une élève qui est supposée avoir une
« intelligence musicale » de faire ses devoirs avec la télévision allumée. S’il y
a bien un enseignement que l’on peut tirer des recherches en psychologie
cognitive sur l’attention, c’est qu’il n’y a rien de tel pour perturber les
apprentissages ! L’un des premiers enjeux de la neuroéducation est donc de
réussir à faire communiquer les chercheurs et les praticiens, afin d’éviter ces
écueils.
Une deuxième difficulté est méthodologique : il n’est pas si facile de
transférer les résultats et méthodes du laboratoire vers la salle de classe. Pour
certains neuroscientifiques comme Dehaene, les recherches dans la salle de
classe doivent répondre aux mêmes règles que celles qui sont menées en
laboratoire : « Seule la comparaison rigoureuse de deux groupes d’enfants
dont l’enseignement ne diffère que sur un seul point permet de certifier que
ce facteur a un impact sur l’apprentissage. » Or, pour bien des chercheurs en
éducation, cette méthodologie est difficilement applicable dans la salle de
classe au regard du nombre important de variables à contrôler. Ils doutent de
la capacité à n’isoler qu’une seule variable dans ces expérimentations, mais
aussi que la variable qui a été isolée dans les conditions contrôlées de
laboratoire serait la seule qui aurait une incidence sur le résultat final dans la
classe. En fait, il est probablement plus intéressant d'envisager ce qui peut
permettre de connecter les laboratoires aux salles de classe, plutôt que vouloir
trouver des applications directes. Et pour nous, il existe (au moins) deux
chainons manquants entre neurosciences et éducation : l’étude du
comportement et les études didactiques.

L’ÉTUDE DU COMPORTEMENT
Intéressons-nous au rôle précis qu’occupent les neurosciences au sein de la
psychologie cognitive (c’est-à-dire l’étude des processus mentaux qui sous-
tendent les fonctions cognitives, comme le langage ou le raisonnement). Il
s'agit ici de comprendre quels sont les processus mentaux (la mémoire,
l’imagerie spatiale, etc.) qui sont impliqués dans telle ou telle activité (lire,
raisonner, calculer, etc.). Pour ce faire, le chercheur va mettre au point des
expériences dans lesquelles il espère manipuler l’engagement de certains
processus mentaux et mesurer l’effet de cette manipulation sur le
comportement des participants.
Imaginons qu’un chercheur fasse l’hypothèse que la capacité à estimer
approximativement des quantités numériques (par exemple décider si un
nuage de points comporte plus ou moins de points qu’un autre) contribue
d’une manière ou d’une autre à l’apprentissage de l’arithmétique élémentaire
(par exemple 2 + 3). Le chercheur pourrait mettre au point une expérience au
cours de laquelle il demanderait à des enfants de s’entrainer à estimer des
quantités de nuages de points, puis mesurerait ensuite les performances en
arithmétique de ces enfants. Si l’estimation de quantités numériques est l’une
des fondations du calcul arithmétique, alors on peut faire l’hypothèse d’un
effet bénéfique de l’entrainement à la tâche d’estimation de nuages de points
sur le calcul arithmétique. Cette expérience, conduite récemment aux États-
Unis, montre effectivement que les performances en arithmétique d’enfants
de 6-7 ans sont meilleures après un entrainement à une tâche d’estimation de
nuages de points qu’après un entrainement à une autre tâche contrôle. Les
chercheurs en ont donc conclu qu’il y aurait bien un lien entre estimation de
quantités numériques non symboliques et apprentissage de l’arithmétique
élémentaire.

NOUVELLES MÉTHODES
Il n’y a encore pas si longtemps de cela, l’étude du comportement était le seul
outil disponible au chercheur pour étudier les fonctions mentales. Mais les
trente dernières d’années ont vu l’avènement de nouvelles méthodes de
neuro-imagerie qui permettent de mesurer l’activité cérébrale des participants
lorsqu’ils effectuent une tâche donnée. L’une des plus populaires de ces
méthodes est l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, qui permet
de mesurer l’activité cérébrale de façon dynamique en tout point du cerveau.
L’effet des manipulations expérimentales n’est maintenant plus seulement
mesurable sur le comportement des participants, mais également sur leur
activité cérébrale.
Reprenons l’exemple de l’étude plus haut. Au vu des résultats
comportementaux obtenus, on peut se demander par quel(s) mécanisme(s) le
fait d'estimer des quantités numériques peut améliorer le calcul arithmétique.
L’une des possibilités, suggérée par les chercheurs eux-mêmes à l’origine de
l’étude, est que l’estimation de quantités numériques et le calcul arithmétique
pourraient faire appel à des mécanismes mentaux similaires. La neuro-
imagerie permet ici de tester cette hypothèse : on peut en effet imaginer que
la même région cérébrale pourrait être activée lors de la tâche de comparaison
de nuages de points et lors de la tâche de calcul arithmétique.
Quel serait le résultat le plus pertinent dans ce que l’on vient de décrire pour
les professionnels de l’éducation ? Serait-ce le fait que s’entrainer à estimer
des quantités numériques rend les enfants meilleurs en calcul arithmétique ?
Ou bien le fait que l’estimation de quantités numériques et le calcul
arithmétique font appel à la même région cérébrale ? Ce lien n’est intéressant
pour l’éducation que si entrainer l’estimation de quantités cause une
amélioration des performances de calcul. Parler de ce lien aux professionnels
de l’éducation serait une perte de temps s’il n’y avait pas de conséquences sur
le comportement, et ce, même si on montrait que les mêmes régions
cérébrales étaient activées dans les deux tâches. Le fait qu’il y ait des
conséquences sur le comportement suggère des pistes pour améliorer
l’apprentissage de l’arithmétique à l’école (par exemple en mettant davantage
l’accent sur des contenus pédagogiques se focalisant sur l’estimation de
quantités non symboliques). Pour l’éducation, la neuro-imagerie n’est utile
que parce que les informations qu’elle fournit permettent d’expliquer des
changements comportementaux. Après tout, l’école est jugée sur son
efficacité à modifier le comportement, pas sur son efficacité à modifier le
cerveau. Voilà pourquoi l’étude du comportement est un premier chainon
manquant entre neurosciences et éducation.

LES ÉTUDES DIDACTIQUES


De nombreuses recherches en psychologie cognitive et neurosciences
s’arrêtent à la porte de la salle de classe, ce qui illustre bien les difficultés à
appliquer les méthodes des sciences cognitives à la salle de classe. Une
exception : l’étude sur l’apprentissage de la lecture par Stanislas Dehaene et
Édouard Gentaz (voir encadré).
En effet, cette étude sur la lecture est l’une des premières expérimentations
menée en France par des chercheurs en sciences cognitives dans une salle de
classe pour tester l’efficacité de méthodes pédagogiques fondées sur la
recherche fondamentale, avec une méthodologie comparative entre un groupe
test et un groupe contrôle. Même si elle peut être discutée, il y a une réflexion
en amont sur le choix des méthodes et des outils didactiques utilisés en classe
et surtout une prise en compte de l’importance d’accompagner et de former
les enseignants, tant au niveau de l’avancée des recherches en sciences
cognitives qu’au niveau des pratiques pédagogiques et des outils. Concernant
la méthodologie et les critiques émises par Roland Goigoux, nous désirons
apporter quelques éléments de réponses issus de la didactique (ici, du
français).
Tout d’abord, une analyse didactique des contenus des méthodes
d’enseignement de la lecture dites classiques pratiquées dans les classes
contrôles permettrait de pouvoir comparer à priori les méthodes
d’enseignement du groupe expérimental et du groupe contrôle et, notamment,
identifier les points essentiels sur lesquelles elles diffèrent et les effets sur les
apprentissages. Ensuite, une analyse des séquences didactiques conduites
dans les classes expérimentales et dans les classes contrôles permettrait de
savoir si ce qui était prévu s’est réellement passé ou pas. Les données
recueillies permettraient de mener une analyse à postériori des séquences
d’enseignement effectuées, puis une confrontation des analyses à priori et
à postériori permettrait de valider des effets sur les apprentissages.
Au sein de ces études, une analyse des outils didactiques construits par les
chercheurs et utilisés par les enseignants en classe pourrait également être
conduite pour répondre à sa seconde critique. Cela permettrait de prévoir puis
d'analyser leurs effets sur les apprentissages, d’observer leur appropriation
par les enseignants et l’usage qu’ils en font. Une analyse didactique des tests
proposés serait également intéressante pour identifier précisément les
compétences évaluées en lecture. Enfin, une analyse des contenus de
formation des enseignants pourrait également apporter des éléments
intéressants pour expliquer et interpréter les résultats des chercheurs. Notons
que le didacticien peut, à minima, faire ces analyses, mais il peut également
participer activement à l’élaboration de séquences d’enseignement, de
scénarios de formation ou de constructions d’outils didactiques.
CONSTRUIRE UN PONT
Au final, nous pensons qu’il est possible de construire un pont entre
neurosciences et éducation, mais que ceci demande de considérer les deux
chainons manquants. Un premier est l’étude du comportement : les
neurosciences ne sont la plupart du temps intéressantes pour l’éducation que
parce qu’elles permettent d’informer sur le comportement. Il est donc
primordial de ne pas dissocier les neurosciences des sciences
comportementales. Un deuxième chainon manquant est la didactique. En
effet, les sciences cognitives sont très intéressantes pour permettre
d’identifier des pratiques pédagogiques qui seraient efficaces pour
l’apprentissage et suggérer ainsi des actions pédagogiques à expérimenter
dans des classes. Mais les recherches en sciences de l’éducation sont tout
aussi importantes pour étudier les processus d’apprentissage dans des
situations réelles et complexes de la classe. Nous pensons qu’il y aurait tout à
gagner à croiser la méthodologie expérimentale avec celle de l’ingénierie
didactique. Cela enrichirait de manière significative les résultats portant sur
les effets de séquences pédagogiques sur les apprentissages.
Zoom
Une étude critiquée
L’étude sur l’apprentissage de la lecture par Stanislas Dehaene et Édouard Gentaz avait pour but de
mesurer les effets d’un entrainement cognitif fondé sur le déchiffrage et la compréhension sur les
performances en lecture d’enfants scolarisés en CP par rapport à une méthode dite classique.
L’hypothèse était que les entrainements cognitifs favorisent de manière optimum l’apprentissage de la
lecture dans la mesure où ils sont élaborés à partir des résultats en sciences cognitives qui montrent
l’importance de ces deux types de compétences pour apprendre à lire. Le déchiffrage comprend la
conscience phonémique (capacité à reconnaitre, identifier et manipuler les phonèmes) et la maitrise du
code alphabétique (capacité à connaitre et utiliser les correspondances graphèmes-phonèmes). Il est
évalué par la précision et la rapidité de la lecture des mots isolés. La compréhension est une
compétence qui permet d’accéder au sens d’un énoncé (oral ou écrit), finalité première de
l’apprentissage de la lecture. La méthodologie qui a été utilisée dans cette étude était celle de
l’expérimentation randomisée (où on fait intervenir le hasard). Elle s’est déroulée dans quatre-vingts
classes de CP d’enseignants volontaires, répartis, après tirage au sort, en deux groupes : quarante
classes expérimentales dont les enseignants bénéficiaient d’outils didactiques conçus par les
chercheurs et d’une formation à leur utilisation et aux principes qui les sous-tendent et quarante
classes contrôles dont les enseignants s’engageaient à utiliser leurs méthodes habituelles. Au début de
l’année, tous les enfants étaient évalués avec des tests destinés à mesurer leur niveau de lecture.
Ensuite, pendant six mois, ils bénéficiaient soit d’entrainements cognitifs fondés sur le déchiffrage et
la compréhension (en plus de l’enseignement classique) pour le groupe expérimental, soit d’un
apprentissage classique de la lecture pour le groupe contrôle. À la fin de l’année, ils étaient à nouveau
testés (avec le même test) pour mesurer leur niveau de lecture. Les résultats montrent qu’à la fin de
l’année de CP, « les élèves des classes expérimentales ne lisaient pas mieux que ceux des classes de
contrôle ». Les chercheurs expliquent ce résultat décevant par un manque de formation des
enseignants (une vingtaine d’heures sur l’année). Roland Goigoux a critiqué cette étude sur plusieurs
aspects : le modèle théorique d’apprentissage de la lecture fondant l’expérience, le choix de certains
outils didactiques ainsi que leur conception, la méthode expérimentale adoptée et la démarche
d’expérimentation randomisée appliquée dans l’enseignement. Ainsi, pour lui, si aucune étude
comparative des méthodes d’apprentissage de lecture n’a permis d’établir une meilleure efficacité de
tel dispositif méthodologique sur tel autre, « ce n’est pas parce que toutes les pratiques se valent mais
parce que la variable méthode, trop grossière et mal définie, n’est pas une variable pertinente pour
une telle recherche ». Il fait l’hypothèse « que les pratiques efficaces présentent des traits communs
qui ne coïncident pas avec les typologies classiques de méthodes et que plusieurs manières de faire
peuvent aboutir à des effets similaires ». S’il semble arborer ces critiques pour défendre sa
méthodologie d’enquête pour étudier l’influence des pratiques d’enseignement de la lecture et de
l’écriture sur la qualité des apprentissages et reconnaitre une certaine complémentarité entre les deux
méthodologies, nous pouvons regretter qu’il ne mette pas en évidence les aspects novateurs et positifs
de cette expérimentation d’une part, et les articulations entre les deux méthodologies d’autre part. Car
selon nous, c’est précisément ce point qui est intéressant et qui peut permettre de construire un pont
entre les sciences cognitives et la salle de classe.
Jérôme Prado et Marie-Line Gardes
3. Des expérimentations ... à suivre
Découvrir son cerveau pour mieux
apprendre
Les neurosciences s’invitent dans les salles de classe dès
l’entrée à l’école primaire, elles enrichissent les pratiques
enseignantes, en proposant notamment de prendre en
compte le fonctionnement neurocognitif de l’élève pour
permettre la construction des connaissances et des
compétences scolaires.

Céline Lanoé, Psychologie du développement, ESPÉ, université de Caen


Amélie Lubin, Psychologie du développement, Paris Descartes
Sandrine Rossi, Psychologie cognitive,
université de Caen
LaPsyDÉ, CNRS

Nous savons que les connaissances des enfants sur le cerveau peuvent être
modifiées sous l’effet, par exemple, de la participation à une étude en
imagerie cérébrale. Prêter son cerveau à la science est inhabituel et
exceptionnel. L’enfant y rencontre son cerveau, organe des apprentissages.
Cette expérience le conduit à réviser ses conceptions naïves à propos de la
pensée, du cerveau, et de leurs relations.
Nous avons questionné des enfants âgés de 8 ans ayant participé à un
protocole de recherche en imagerie cérébrale sur leurs conceptions naïves des
relations pensée-cerveau relatives à plusieurs fonctions cognitives : basiques
(voir et parler), scolaires (lire et compter) et mentales (rêver et imaginer)
(Figure 1). Les résultats montrent que ces enfants considèrent que le cerveau
est nécessaire pour toutes ces fonctions plus fréquemment que les enfants
appariés en âge, sexe et niveau scolaire qui n’ont pas participé à ce protocole.
Mais surtout, ils manifestent une meilleure compréhension des relations
pensée-cerveau en matérialisant la pensée pour les fonctions mentales.
Toutefois, ces relations sont moins claires pour les fonctions basiques et
scolaires, ce qui interroge sur la capacité des élèves à identifier les relations
d’interdépendance entre la pensée et le cerveau dans les apprentissages à
l’école. Ainsi, découvrir son cerveau en participant à une recherche
scientifique a un impact éducatif, mais qui semble toutefois insuffisant.
Figure 1. Illustration du personnage présenté à l’enfant pour la fonction
scolaire « Compter ». Pour répondre à la question « De quoi Julie a besoin
pour compter ses chats ? », les enfants doivent choisir une ou plusieurs cartes
réponses parmi un œil, la pensée, une main, le cœur, le cerveau et la bouche.
On peut alors observer si l’enfant associe ou non la pensée et le cerveau selon
les différentes fonctions cognitives (adapté de Rossi et al. 2015).

DES CONNAISSANCES POUR ACQUÉRIR D’AUTRES


CONNAISSANCES
Les programmes sur le cerveau sont rarement intégrés dans le système
éducatif, avec des variations notables selon les pays (par exemple, en France,
le cerveau n’est abordé dans les programmes scolaires qu’à partir de la 1re
scientifique). Pourtant, ils pourraient contribuer à développer la conscience
réflexive des élèves sur leur fonctionnement cognitif et ainsi les aider à mieux
apprendre. Une piste de recherche innovante consiste à proposer aux élèves
de découvrir leur cerveau et sa plasticité, et d’en évaluer les impacts sur leurs
théories implicites de l’intelligence et leurs compétences scolaires. Deux
théories implicites de l’intelligence ont été identifiées chez les élèves. Elles
ont un effet important sur leur façon d’appréhender les apprentissages
scolaires. La première, dite statique, concerne les élèves qui pensent que leurs
habiletés intellectuelles sont fixes donc non modifiables, tandis que la
seconde, malléable, fait référence aux élèves qui considèrent qu’elles peuvent
être développées et modifiées en permanence grâce aux efforts cognitifs.
Nous avons mené une étude auprès d’élèves d’école élémentaire, dont
l’objectif était d’étudier le bénéfice d’un programme pédagogique
neuroéducatif centré sur la façon dont le cerveau fonctionne et se développe.
Deux groupes ont été constitués : l’un a suivi un programme pédagogique sur
la découverte du cerveau, tandis que l’autre a bénéficié d’un programme
pédagogique sur la découverte du monde du vivant. Trois séances de
quarante-cinq minutes ont été proposées aux élèves du CE1 au CM2. Le
programme pédagogique neuroéducatif était constitué de trois séances portant
sur la manière dont le cerveau fonctionne et se développe, réparties sur deux
semaines (rôle et anatomie cérébrale, développement cérébral et plasticité
cérébrale). Le programme portant sur le monde du vivant était de mêmes
durée et fréquence et traitait de la naissance, croissance et reproduction des
êtres vivants. Les élèves ont été interrogés à trois reprises : lors d’un prétest
avant le programme, à court terme lors d’un posttest immédiat à la fin du
programme, et à moyen terme lors d’un posttest différé un mois et demi après
la fin du programme. Le contenu des épreuves proposées était identique et
comportait une mesure du degré d’accord avec la théorie implicite dynamique
de l’intelligence et une évaluation des performances scolaires à travers des
challenges chronométrés en lecture et en calcul.
Figure 2
Nous avons montré que seul le programme neuroéducatif permettait aux
élèves de CM1-CM2 d’accroitre leur degré d’accord en une théorie
dynamique de l’intelligence à moyen terme influait positivement sur les
performances en lecture à court terme chez les CM1-CM2 et à moyen terme
chez tous les élèves ainsi qu’en calcul à court terme chez les élèves de CE1-
CE2.
Cette étude est la première, à notre connaissance, à montrer l’intérêt de
développer, dès l’école élémentaire, des connaissances sur le cerveau. Elle
permet également d’envisager l’intérêt de telles interventions auprès d’élèves
en difficultés scolaires, afin qu’ils retrouvent motivation et confiance en leur
potentiel intellectuel.
Nos études ouvrent des perspectives pédagogiques sur la nécessaire
sensibilisation au rôle majeur du cerveau dans les apprentissages scolaires.
Grâce à un partenariat entre chercheurs et professionnels de l’éducation, nous
souhaitons accompagner tous les élèves, dès leur plus jeune âge et tout au
long de leur scolarité vers cette connaissance. Découvrir son cerveau est
résolument essentiel pour mieux apprendre !
RÉFÉRENCES Un ouvrage : Rossi et alii, Découvrir le cerveau pour exercer le contrôle cognitif,
Canopé, sous presse.
Le cerveau est l’organe de l’apprentissage. Il est fondamental de former non seulement les élèves, mais
également les enseignants à son fonctionnement. Mieux connaitre son cerveau, c’est comprendre ses
processus mentaux et développer ses connaissances métacognitives. Ce projet ambitieux peut être mis
en œuvre dès l’entrée à l’école primaire. C’est l’objectif poursuivi dans un ouvrage destiné aux
enseignants d’école maternelle. Il est composé d’une introduction scientifique fournissant à
l’enseignant des informations sur le développement cognitif et neurocognitif de l’élève, en mettant
l’accent sur le rôle fondamental des fonctions de contrôle cognitif (attention, inhibition, flexibilité)
dans les apprentissages scolaires. Elle est suivie de quatre séquences pédagogiques. La première, «
Mon cerveau, ma boite à trésors », permet à l’enseignant de former ses élèves sur ce qu’est le cerveau,
comment il grandit, à quoi il sert et sa plasticité. Les trois suivantes se focalisent sur les fonctions de
contrôle cognitif telles que l’attention (« se concentrer, c’est réussir »), l’inhibition (« stop : réfléchis
avant d’agir ») et la flexibilité cognitive (« change de chemin »). L’enseignant pourra ainsi les exercer
au cours d’activités pédagogiques en privilégiant une approche métacognitive. Une séquence
supplémentaire offre des applications sur un matériel scolaire dans les domaines du respect d’une
consigne, du nombre et du langage, en visant à amener l’élève à prendre conscience des pièges qu’il
peut rencontrer dans ses apprentissages et des outils cognitifs dont il dispose pour parvenir à les
surmonter.
Développer l’inhibition sur le
terrain des classes
Des enseignants constitués en groupe de formation-action, en
partenariat avec le laboratoire d’Olivier Houdé, cherchent à
appréhender les stratégies erronées qu’il convient d’inhiber et
d’écarter comme autant d’obstacles à l’apprentissage.

Corinne Sourbets, IEN préélémentaire Caen

Corinne Hervé, enseignante en CE1, expose des situations qu’elle a


observées. En mathématiques, elle note que parmi les erreurs fréquentes, un
grand nombre d’élèves se trompent souvent lorsqu’ils écrivent sous la dictée
des nombres entre soixante-dix et quatre-vingt-dix-neuf. On trouve
fréquemment six dizaines ou huit dizaines en réponse à ce qu’on entend en
premier : soixante et quatre-vingt. Quand on analyse ses erreurs dans d’autres
domaines, on s’aperçoit qu’elles semblent relever du même type de
fonctionnement.
En lecture, un élève recherche, par automatisme ou habitude, dans le texte
des mots repérés dans la question pour donner une réponse :
« Maman, maman au secours, j’ai peur ! Sébastien se débattait dans son lit,
recouvert de sueur. Sa maman arriva et le prit dans ses bras […]. »
Question posée par l’enseignant : « Qu’est-ce qui est arrivé à Sébastien ? »
Réponse de l’élève : « Sa maman. »
Enfin, lors du travail sur la sériation temporelle où l’élève doit dessiner ce
que l’on avait avant mais aussi ce que l’on a rajouté, il ne dessine que ce qu’il
voit, c’est-à-dire l’élément rajouté.
Prises séparément, chacune de ces erreurs semble indépendante. Par contre,
elles pourraient bien montrer que cet élève semble très sensible aux leurres
perceptifs : « J'écris ce que je vois ou ce que j’entends. »
Du point de vue de l’enseignant, il s’agit de comprendre ce qui se joue chez
cet élève et d’être très à l’écoute de ses procédures. La mise en place de
situations dans lesquelles les élèves argumentent permet ce regard et cette
analyse. L’élève peut alors comprendre que s’il s’est trompé, c’est parce qu’il
est resté prisonnier de ses cadres habituels et qu’il utilise des procédures
automatisées, des stratégies spontanées (heuristiques), rapides et d’apparence
efficace qui conviendraient dans certains contextes, mais pas ici. La difficulté
pour l’enseignant est alors de comprendre ces cheminements intellectuels qui
conduisent l’élève dans une impasse, d’alerter celui-ci et de l’aider à
comprendre que ses erreurs ne sont pas dues à une absence de réflexion, mais
qu’il est prisonnier de ses cadres heuristiques.

ATTENTION, ROUTINE !
Lorsque l’erreur est commise par un grand nombre d’élèves, l’enseignant doit
alors se demander quels mécanismes dans sa classe, mais aussi en amont,
produisent ces heuristiques. Par exemple, beaucoup d’élèves en CE1 mettent
un « e » à fleur. Quand on les interroge, ils expliquent que c’est un nom
féminin. Ici, ils utilisent la stratégie de l’accord de l’adjectif à l’écriture du
nom. De même, ils ont des difficultés à résister aux leurres sémantiques en
résolution de problèmes de comparaison où ils associent l’addition à
l’expression « de plus que » ou la soustraction à l’expression « de moins que
».
Dans ces deux cas, il semblerait que les heuristiques se mettent en place lors
d’apprentissages précédents et pour lesquels elles représentaient des
algorithmes toujours vrais : l’adjectif au féminin prend toujours un « e » ; la
recherche du référé connaissant le référent et la relation de comparaison «
Sophie a cinq bonbons de plus (relation) que son frère. Il a trois bonbons
(référent) ; Combien Sophie a-t-elle de bonbons ? (référé) ».
Il faut alors permettre aux élèves d’expliciter leurs procédures, en laissant
émergents des arguments contradictoires puis, dans un second temps, en leur
faisant prendre conscience que ce qui était vrai auparavant peut constituer
dorénavant un piège et qu’il faut rester vigilant, pour pouvoir si nécessaire
modifier les stratégies. L’erreur de l’élève en particulier demande donc à
l’enseignant une compréhension des automatismes qui sont propres à cet
apprenant, et l’erreur des élèves va le conduire à interroger sa pratique et,
plus largement, la logique mise en œuvre lors des années précédentes.
Patrice Couppey, enseignant en CLIS (classe pour l'inclusion scolaire),
évoque que, dans le cas où l’on demande à un élève de comparer une dizaine
et neuf unités, on lui demande souvent « là où il y en a le plus », ce qui induit
des erreurs de la part des élèves. C’est seulement lorsque la cause de l’erreur
est comprise que l’enseignant peut mettre en place les remédiations adaptées.
« Il peut s’agir d’un dysfonctionnement attentionnel, alors j’entreprends un
travail sur la métacognition, sur le fonctionnement du cerveau, plus
précisément je propose à mes élèves des jeux tels que Jacques a dit, Ni oui ni
non, ou encore 1,2,3… soleil propres à exercer l’inhibition comportementale.
Les élèves connaissent le but de ces jeux, et savent que j’attends d’eux un
réinvestissement en classe. Si j’ai identifié qu’il s’agit d’une mauvaise
stratégie, alors j’entreprends un travail sur la détection de piège et
l’inhibition inhérente à la réussite d’un tel problème. Si j’ai identifié que
l’élève ne possède pas les prérequis parce qu’il ne parvient pas à les
mémoriser, alors je lui propose des stratégies pour qu’il parvienne à retenir
la notion. Si j’ai identifié que l’élève ne possède pas les prérequis parce qu’il
ne comprend pas les notions, alors je mets en place de nouvelles séances
d’apprentissage, en variant la situation didactique et ou pédagogique pour
l’aider à mieux comprendre. J’ai travaillé plus spécifiquement sur
l’inhibition comportementale en classe de CLIS et observe des résultats très
satisfaisants. »

DE FORTS BESOINS DE FORMATION


Ces enseignants montrent en quoi la formation aux neurosciences aide à
mieux comprendre le fonctionnement du cerveau et donc à utiliser ces
nouvelles connaissances pour modifier ses pratiques. Dans la continuité de
ces échanges avec l'équipe de recherche, nous proposons aux enseignants
volontaires de poursuivre ce travail, en collaboration avec des chercheurs et
les conseillers pédagogiques formés pour élaborer des modules
d'enseignement en français et en mathématiques intégrant la dimension
d'inhibition de certaines procédures d'apprentissage. Pour la recherche, cela
permet de réinterroger les stades de développement intellectuel de l'enfant
selon la description de Piaget et pour les équipes pédagogiques, de bénéficier
à terme d’outils d’aide face à des obstacles récurrents d’apprentissage par un
entrainement à l’inhibition.
Nous pensons qu’il est donc possible d’améliorer les capacités de contrôle
cognitif grâce à des programmes d'intervention durant l'enfance. Toutefois,
ces programmes sont encore le plus souvent destinés à un contexte de
remédiation cognitive. Leur contenu n’est pas toujours relié aux situations
rencontrées en classe par l’élève et, lorsque c'est le cas, de tels programmes
relèvent le plus souvent des pratiques d’enseignants spécialisés. À l’école, si
les enseignants reconnaissent la pertinence d’exercer les capacités de contrôle
cognitif auprès de leurs élèves, ils ne sont pas toujours formés aux concepts
manipulés, faisant part de leur difficulté, voire incapacité à transposer
correctement les concepts dans le domaine pédagogique. En France, leur
usage ne fait pas partie des programmes scolaires, ce qui n’encourage pas les
enseignants à y avoir recours, c’est pour cette raison que notre projet est
innovant et conduit à utiliser les résultats de ce groupe de formation-action
dans le cadre de la formation continue pour les années à venir.
REMERCIEMENTS Groupe de formation-action conduit grâce à la confiance des Dasen (directeurs
académiques des services de l'Éducation nationale) du Calvados et des recteurs
de l’académie de Caen depuis 2010 et grâce à la collaboration avec les chercheurs Sandrine Rossi,
Céline Lanoë et Amélie Lubin.
Apprendre à tenir son chien de
garde
S’entrainer à l’affirmation de soi non violente en prenant en
compte nos trois systèmes de motivation, une manière
possible de canaliser de façon acceptable notre agressivité et
de modifier durablement le contenu du journal télévisé de 20
heures !

Daniel Favre, Enseignant chercheur dans l’équipe « Didactique et socialisation » du


Lirdef, université de Montpellier

Grandir pour un être humain consiste souvent à pouvoir réguler


consciemment ses propres comportements. Dans les Cahiers, n° 449, j’ai
essayé de montrer que les comportements sur lesquels nous avons une prise,
un contrôle possible, sont précisément ceux qui ont tendance à s’estomper en
tant que réflexes archaïques. Ainsi, si nous ne marchons pas à quatre pattes
alors que ce type de locomotion est programmé dans notre moelle épinière et
s’exprime chez le nourrisson quand on lui chatouille la plante d’un pied, c’est
parce que ceux-ci vont progressivement être naturellement inhibés. Cette
inhibition spontanée est observable quelques semaines après la naissance : le
même chatouillis ne provoque plus la séquence motrice propre aux
quadrupèdes que nous sommes. Mais c’est grâce à cela qu’on va pouvoir
apprendre à marcher, c’est-à-dire apprendre à réguler et à coordonner
l’ensemble des muscles nécessaires pour développer une locomotion
bipédique en réponse à nos intentions conscientes de déplacement. Cela, la
plupart des humains y arrivent en un an, les années suivantes permettront le
perfectionnement, la rapidité, la précision, l’esthétique.
Ce n’est pas le cas des comportements associés à notre survie ; ainsi nous
avons peu de prise consciente sur la digestion, voire sur la respiration. Mais
qu’en est-il des autres comportements vitaux : boire, se nourrir, se reproduire,
préserver notre intégrité corporelle, psychologique et territoriale ? Ils se font
sentir à nous par des sensations connues : la soif, la faim, le désir sexuel et,
dans le cas de la préservation de notre intégrité personnelle, par la colère qui
traduit l’agressivité. On appelle aussi « pulsions » ce qui nous motive à rester
durablement en vie et « compulsion » ce qui prend la forme d’une addiction
comme la compulsion alimentaire qui incite à manger au-delà de ses besoins.
D’une manière générale, l’humanité a su éduquer ses jeunes pour éviter le
cannibalisme, pour limiter le viol, mais concernant l’agressivité, nos livres
d’histoire et les actualités nous montrent qu’apprendre à réguler son
agressivité devrait être urgemment au programme de toutes nos écoles !

CE QUE NOUS NE POUVONS PAS CHANGER


Replaçons tout d’abord notre agressivité dans son contexte naturel, puisque
nous faisons partie des milliards d’êtres vivants partageant la biosphère de
cette planète. L’agressivité correspond à une pulsion biologique vitale, et
comme les autres citées plus haut, elle relève d’une programmation
biologique de l’hypothalamus. Or, les fonctions de l’hypothalamus sont
quasiment identiques chez l’ensemble des mammifères. Comme pour les
autres comportements élémentaires, le système nerveux exerce sa régulation
par le biais de deux commandes antagonistes : l’une excitatrice, l’autre
inhibitrice. Ainsi, de même qu’il existe un centre de l’appétit et un centre de
la satiété, il existe un centre excitateur de l’agressivité dans l’hypothalamus
postérolatéral et un centre inhibiteur de l’agressivité dans l’hypothalamus
ventromédian.
Grâce à ces deux sources complémentaires, l’hypothalamus peut ajuster
finement aux nécessités de l’existence la réponse agressive primaire du
mammifère que nous sommes. Le système nerveux végétatif
orthosympathique est alors stimulé, ce qui se traduit par une augmentation de
la fréquence cardiaque et respiratoire, une libération de sucre vers les muscles
et le cerveau, un hérissement des poils, une ouverture des pupilles, le
mammifère, quel que soit son sexe ou son âge est prêt à griffer et à mordre !
Ressentie comme un « je pourrais le tuer, si je ne me retenais pas ! », cette
réponse hypothalamique automatique relève de circuits nerveux dont le
câblage est d’origine génétique et sur lequel l’éducation a très peu de prise.
C’est une réponse primaire, peu différente d’un individu à l’autre au sein
d’une même espèce, et qui se manifeste tôt, par exemple lorsque des enfants
se battent entre eux.
Mais plus l’enfant grandit, plus sa réponse hypothalamique va dépendre de
systèmes sophistiqués d’interprétation de la réalité, comme le montre
l’exemple suivant. Une institutrice sépare deux garçons de 5 à 6 ans en train
de se battre, puis demande au plus agressif : « Pourquoi le tapes-tu aussi
fort ? », et l’élève répond : « Mais maitresse, il m’a regardé ! »

SÉCURITÉ OU DANGER ?
Niché au fond de notre cerveau, il existe un capteur, sensible aux messages
de notre entourage et capable de les mémoriser durablement. Il a dû jouer un
rôle primordial dans la survie de nos ancêtres car faute d’un instinct signalant
les dangers, celle-ci dépendait des réactions de leurs éducateurs pour
distinguer ce qui était dangereux ou non.
Pour comprendre la violence, et surtout la prévenir, il est donc utile de
comprendre comment le cerveau traite les instructions provenant de
l’entourage humain. S’agit-il d’un dressage ou d’une éducation ? Où se
trouve le chien de garde ? Quel est son maitre ? Et que se passe-t-il lorsque le
maitre est absent ?
Au-delà de l’organisation primaire de la réponse agressive par
l’hypothalamus, interviennent d’autres structures nerveuses qui installent un
premier filtre cognitif et émotionnel entre la perception des évènements et la
réponse hypothalamique. Ces structures nerveuses sont le cortex temporal,
l’archéocortex (noyaux de l’hippocampe), indispensable pour reconnaitre,
mémoriser et analyser les perceptions, et les noyaux du septum et de
l’amygdale qui donnent une dimension émotionnelle aux évènements perçus.
Les noyaux amygdaliens détectent le danger par la vue et déclenchent très
rapidement, comme un chien de garde, une réponse agressive par excitation
du centre de l’agressivité de l’hypothalamus. Cette capacité à réagir très
rapidement aux menaces a sans doute joué un rôle important dans la survie de
nos ancêtres. Les noyaux amygdaliens sont activés en réponse à des signaux
de menace engendrant la peur ou par des affects négatifs, comme en produit
la vue de certains spectacles.

IMITATION ET MÉMORISATION
C’est ce filtre qui permet d’attribuer à un évènement la connotation (pas
toujours consciente) « contribue à ma sécurité » ou « constitue un danger
pour moi » ou encore « neutre ». À ce niveau de l’organisation cérébrale,
l’éducation précoce joue un rôle prépondérant, car c’est en grande partie elle
qui va différencier ce qui est dangereux ou bénéfique. Outre les expériences
personnelles, la peur des chiens, de l’eau, des étrangers va donc dépendre de
la manière dont les autres réagissent face à ces évènements. Ensuite, par
imitation et mémorisation, certaines situations seront immédiatement
détectées comme dangereuses et entraineront la fuite ou l’attaque.
L’environnement humain construit ce premier système d’interprétation en
indiquant ce qui peut être perçu comme sécurisant et donc agréable et ce qui
doit être interprété comme dangereux et donc désagréable. Certes, il y a le
plus souvent des différences interindividuelles, mais qui sont difficilement
détectables au sein d’un groupe social homogène. Dans un tel groupe, chacun
aura appris à redouter ou apprécier tel type d’individu ou de comportement
et, par exemple, à déterminer ce qui semble constituer ou non une
provocation pour justifier son agressivité. Dans certains groupes humains, le
chien de garde est dressé pour attaquer « ce qui n’est pas comme nous », alors
que dans d’autres, il est éduqué pour reconnaitre les dangers réels, en
particulier grâce à l’éducation à l’empathie.
Mais, quelle que soit l’éducation reçue, tout être humain dispose d’un second
système d’interprétation qui peut lui permettre d’inhiber des réponses
apprises, même si elles sont devenues quasi automatiques dans une culture
donnée.

LA DÉLIBÉRATION CONSCIENTE
Dernière structure du cerveau produite par le processus de l’évolution, les
lobes frontaux humains ne sont engagés dans aucune fonction vitale, leur
retrait n’empêche donc pas de vivre, mais c’est ce qui relève de la personne
ou d’un sujet qui disparait avec eux. C’est en effet la seule structure du
cerveau dont le fonctionnement soit associé à la conscience. La faim peut
assaillir le jeune enfant, mais il arrive un moment où il peut, grâce à ses lobes
frontaux, prendre conscience de la sensation de faim, la reconnaitre et la
nommer ; il en va de même des autres désirs et des peurs, de la colère et des
divers ressentis qui constituent notre vie affective. Sur le plan anatomique, les
lobes frontaux sont connectés à tout le reste du cerveau, mais leur rôle est
essentiellement inhibiteur. C’est grâce à eux que l’on peut se retenir de
manger et attendre l’heure du repas. Dans le cas de l’agressivité, il s’agit
d’apprendre à rester en contact conscient avec ce que nous ressentons, en
particulier la colère, de manière permanente.
Cette pulsion biologique vise le maintien de notre intégrité physique (ou celle
de nos proches), mais aussi de notre intégrité psychologique (notre colère se
développe lorsqu’on nous traite comme un objet et qu’on nous manipule), ou
encore l’intégrité de notre territoire à travers les objets matériels (portable,
sac à main, frontières, etc.) ou de notre territoire symbolique. Et la colère
associée à un sentiment d’insécurité se développe lorsque se présente une
menace dans ces différents domaines. Inversement, se sentir bien traité
physiquement et psychologiquement, accepté en tant que personne et voir ses
différents territoires respectés peut alors engendrer un sentiment de sécurité et
restaurer notre motivation de sécurisation.
Cette motivation peut devenir une motivation d’addiction lorsque ce
sentiment de sécurité s’étend exagérément dans le domaine matériel
(surabondance d’objets matériels dont on ne peut plus se passer),
psychologique (besoin de marques de soumission ou de dépendance de la part
d’autrui), ou dans celui des idées (nation, parti, idéologies diverses
scientifiques ou non, dieux, etc., dont on vit très mal la remise en question ou
simplement la dérision).
Contrairement à l’agressivité, nos travaux de recherche sur la violence ont
montré que celle-ci peut devenir un besoin acquis addictif, conscient ou non,
de rendre les autres faibles et impuissants, pour pouvoir soi-même, lorsque
nous sommes dans cette motivation d’addiction, se sentir fort et puissant et
ainsi combattre l’anxiété résultant d’un très fort sentiment d’insécurité. Le
rapport existant entre l’agressivité et la violence devient comparable à celui
qui relie le comportement alimentaire et le plaisir qui l’accompagne en
motivation de sécurisation, avec la boulimie qui correspond à un besoin
insatiable de manger pour combattre des ressentis et des pensées anxiogènes.

LE RÔLE DES LOBES FRONTAUX


Dans notre cerveau, l’instrument du dialogue avec notre chien de garde, qui
mérite le statut de maitre, ce sont les lobes frontaux. Il est bien utile de les
connaitre, car c’est d’eux que nous tirons notre liberté. Métaphoriquement, ils
constituent une cabine de pilotage qui offre une prise sur le temps, l’espace et
nos émotions, ils permettent de prendre conscience et nous donnent la
possibilité d’apprendre, d’imaginer, d’inventer, d’explorer, d’expérimenter,
de faire preuve d’empathie. Ils nous donnent aussi la possibilité de désobéir
aux déterminismes sociaux.
Mais si les lobes frontaux peuvent inhiber le fonctionnement du cerveau
affectif et émotionnel, l’inverse est également vrai. Notre liberté d’action et
de pensée réside dans la possibilité de ne pas obéir à l’impulsivité. Cela
suppose d’avoir le choix entre se laisser aller à un débordement émotionnel
(chagrin, euphorie, colère, etc.) ou, au contraire, le moduler ou même
l’inhiber selon nos projets. Pour conserver ce choix, cette liberté, il est
nécessaire de rester en contact avec tous nos ressentis, de pouvoir penser,
nommer, reconnaitre, exprimer ce que l’on sent, mais aussi de pouvoir sentir
ce que l’on pense pour ne pas se faire prendre dans la pensée dogmatique et
déformer le réel. Cela implique que l’école puisse développer cette double
aptitude, puisque tant que les parents ne l’auront pas appris quelque part,
l’école reste le lieu principal pour ce type d’apprentissage.
Encore faut-il que les textes ministériels de cadrage insistent sur ce point et
lui donnent de l’importance, d’où ma satisfaction au départ quand j’ai lu cet
extrait du socle commun au printemps dernier :
« L'élève exprime ses sentiments et ses émotions en utilisant un vocabulaire
précis. […] L'élève apprend à résoudre les conflits sans agressivité, à éviter
le recours à la violence grâce à sa maitrise de moyens d'expression, de
communication et d'argumentation. Il respecte les opinions et la liberté
d'autrui, identifie et rejette toute forme d'intimidation ou d'emprise.
Apprenant à mettre à distance préjugés et stéréotypes, il est capable
d'apprécier les personnes qui sont différentes de lui et de vivre avec elles. Il
est capable aussi de faire preuve d'empathie et de bienveillance. »
Mais résoudre les conflits sans agressivité me semble biologiquement
impossible : compte tenu de ce que nous venons de voir, nous ne pouvons pas
supprimer une pulsion de vie, tout au plus et c’est suffisant, lui donner un
cadre légitime et une forme pour s’exprimer, afin d’éviter qu’elle ne dégénère
pas en violence.
Zoom
La guerre des chaudrons et des boiteux
Je viens d’arriver dans un lycée professionnel industriel. Dans mon emploi du temps, une heure
hebdomadaire d’histoire-géographie, placée après l’EPS, dans une classe de BEP composée à moitié
d’élèves de chaudronnerie et à moitié d’élèves de la filière du bois. Ils sont regroupés en enseignement
général pour apprendre à vivre ensemble. Un défi difficile à relever, si on ne fait rien pour fonder le
groupe en vie de classe. Chaque semaine, ils arrivent en se bousculant bruyamment dans
l’encadrement de la porte, ils règlent les contentieux liés au match qui vient d’avoir lieu en EPS,
convoitent les mêmes places, celles qui sont les moins exposées au regard du professeur et qui leur
permettent de se retrouver en travaux de groupes entre copains. Ils se donnent des coups d’épaule, se
lancent des regards assassins, s’invectivent, se cherchent. Disons-le tout net, chaudrons et boiteux,
comme on dit ici, se détestent et n’ont aucune envie de se retrouver dans la même classe. Un jour
étonnamment calme, je constate qu’il manque la moitié des élèves, partis en séjour d’intégration en
eaux vives, selon les boiteux qui me disent sans détour leur plaisir de se retrouver sans les chaudrons,
qui peuvent bien rouiller dans leur mare ou se noyer, ils ne les pleureront pas. J’essaie de les
interroger sur la source d’une telle inimitié, de leur faire prendre conscience du ridicule de la situation,
mais je n’obtiens que des réponses stéréotypées et stériles du type « ils sont pas comme nous », « c’est
eux qu’ont commencé ! », « c’est tous des c..., y’a rien à en tirer ». Je viens justement de lire avec
grand intérêt Transformer la violence des élèves de Daniel Favre et je me propose de leur expliquer la
théorie du chien de garde. D’abord prudents, puis franchement intéressés, ils écoutent, questionnent,
reformulent, analysent, très fiers d’avoir eu accès à une théorie pour intellos et d’avoir tout compris ce
qu’il dit, le gus qu’a écrit un livre. Je les quitte à midi en me disant que si ça ne va surement pas
changer grand-chose à la situation dans l’immédiat, ça pourrait avoir des effets à long terme. La
semaine suivante, je retrouve les bousculades habituelles et une altercation violente éclate entre un
chaudron et un boiteux. Le ton monte, les torses se bombent, je sens qu’on ne va pas pouvoir éviter le
passage à l’acte et je m’approche pour m’interposer en me disant qu’entre le balèze irascible et le petit
nerveux, je pourrais bien prendre des coups. C’est alors que le petit téméraire crache sur le costaud
colérique, qui sort calmement un Kleenex de sa poche pour essuyer son survêtement souillé en
s’adressant sentencieusement au cracheur ébahi : « Toi, tu ferais bien d'apprendre à tenir ton chien de
garde ! » Silence total dans la salle. Le moment de stupéfaction passé, j’ai demandé aux boiteux
d’expliquer aux chaudrons ce qu’ils avaient compris de mon cours de la semaine passée et, pour une
fois, ils avaient quelque chose à se dire. Un de ces instants de jubilation qui nourrissent notre passion
du métier !
Nicole Bouin
Professeur de lettres-histoire en lycée professionnel
POUR EN SAVOIR PLUS Daniel Favre, Transformer la violence des élèves, cerveau,
motivations, apprentissage, éditions Dunod, 2013.
Daniel Favre, L’addiction aux certitudes – ce qu’elle nous coute et comment en sortir, éditions Yves
Michel, 2013.
Daniel Favre, Cessons de démotiver les élèves, dix-neuf clés pour favoriser l’apprentissage, éditions
Dunod (nouvelle édition 2015).
Sept approches de la conscience
phonologique
L'auteur s’est formé en passant un diplôme universitaire au
Centre référent pour les troubles du langage et des
apprentissages, au CHU de Nancy. Il rend compte d'une
expérimentation sur le terrain, fondée sur les intelligences
multiples, objet de débat dans ce dossier.

Philippe Durand, Enseignant spécialisé

L’expérimentation que j’ai menée concerne un groupe de quatre élèves de


grande section de maternelle repérés par leur enseignante comme présentant
des difficultés importantes en conscience phonologique. Afin d’évaluer et de
situer précisément ces difficultés, ils ont passé les tests de la batterie Batelem
concernant la segmentation et la conscience phonologique. Les résultats ont
confirmé un retard par rapport à ceux attendus à leur âge. Il s’agit d’élèves
bien intégrés et coopératifs en classe. Un d’entre eux rencontre aussi des
difficultés dans les activités graphiques. Un autre élève fait partie d’une
famille où des cas de dyslexie ont été repérés, ce qui renforce l’hypothèse
d’une dyslexie, sans qu’il soit possible de poser un diagnostic en maternelle.
Tous les quatre ont participé à un module de prévention que j’organise dans
le cadre de mes interventions d’enseignant spécialisé chargé des aides à
dominante pédagogique. Le travail est mené en petit groupe, dans un endroit
isolé du reste de la classe, à raison d’une douzaine de séances de trente
minutes environ. Certaines séances sont doublées, afin de mieux ancrer
l’objectif recherché. En fonction des difficultés, trois objectifs ont été définis.
Ils visent à améliorer la capacité d’écoute auditive, la capacité à reconnaitre
un phonème commun à plusieurs mots et la capacité à repérer un phonème à
l’intérieur d’un mot, en attaque, au milieu ou en final de mots (rimes).
Chaque séance comprend plusieurs parties, avec un temps de mise en route et
de préparation à l’activité, un jeu auditif comme le loto des sons, ou musical,
et une activité longue centrée spécifiquement sur un des objectifs et qui prend
appui sur ce que Gardner a défini comme des « intelligences multiples ».
Enfin, elle se termine par un temps de rappel de l’activité, afin d’aider les
enfants à intégrer et à mémoriser la notion qui a été travaillée.
Pour moi, la théorie des intelligences multiples permet surtout de proposer
des entrées différentes dans les apprentissages, pour révéler le potentiel de
chacun et varier les formes d’exercices pour maintenir l’intérêt des enfants.

DES SÉANCES À DOMINANTES QUI EXPLORENT TOUTES LES


ENTRÉES
Séance 1 : Intelligence musicale et rythmique
Objectif : Repérer des mots contenant certains phonèmes dans une comptine
étudiée de façon auditive.
Déroulement : Les enfants écoutent une comptine contenant un phonème
particulier (exemple : le « i » dans « Pomme de reinette et pomme d’api »), la
mémorisent puis la chantent. Ensuite lors d’une écoute, deux enfants frappent
sur un instrument de musique lorsqu’ils entendent « i » et les deux autres
valident ou non. Ensuite, les rôles sont inversés.
Séance 2 : Intelligence verbale
Objectif : Trouver le phonème qui revient souvent et que l’on entend donc
souvent. Améliorer les capacités de discrimination auditive.
Déroulement : Les enfants écoutent une comptine construite autour d’un
phonème particulier. Ils doivent deviner ce son et ensuite repérer des mots le
contenant. Puis les enfants doivent proposer d’autres mots contenant ce son.
Enfin, la séance se termine par un jeu de Pigeon vole, où il faut attraper les
mots énoncés lorsqu’ils contiennent le phonème étudié.
Séance 3 : Intelligence kinesthésique
Objectif : Associer un phonème à un geste (en s’appuyant sur la méthode
Borel-Maisonny).
Déroulement : Un enfant doit faire deviner à un autre un mot sur une planche
d’images. Chaque élève dispose d’une carte représentant une douzaine de
mots et de quelques cartes gestuelles associées aux phonèmes travaillés. L’un
des élèves exécute d’une main le geste du phonème concerné et de l’autre
indique avec ses doigts la place du phonème dans le mot (première, deuxième
ou troisième syllabe). Les autres enfants doivent trouver le mot à l’aide de ces
informations. Le gagnant est celui qui a reconnu le plus de mots et placé le
plus de jetons sur sa grille.
Séance 4 : Intelligence logicomathématique
Objectif : Repérer un phonème en fonction de sa place dans le mot (première,
deuxième ou troisième syllabe).
Déroulement : Chaque élève dispose d’un jeu de piste contenant des images
de mots et un dé avec les chiffres 1, 2 ou 3. Les enfants lancent le dé et
doivent positionner leur jeton sur le premier mot rencontré sur la grille où le
phonème est dans la position indiquée par le dé. Exemple pour le phonème
[o], si le dé indique 2, il faut aller sur la case « chapeau ».
Séance 5 : Intelligence visuelle et spatiale
Objectif : Repérer un mot contenant le phonème recherché à partir d’une
représentation graphique.
Déroulement : Les élèves disposent de cartes sur lesquelles il y a une flèche
dirigée de gauche à droite (sens de la lecture). Le maitre place sur cette flèche
un jeton en début, au centre ou en fin de mot. Ce jeton représente la place du
phonème étudié. Les élèves doivent piocher une carte image où le phonème
est situé à la place indiquée.
Séance 6 : Intelligence intrapersonnelle
Objectif : Consolider les acquis en participant à une activité individuelle de
tri d’étiquettes en fonction d’un phonème précis.
Déroulement : Lors d’une première séance, les élèves doivent trier des
images de mots en fonction de la présence ou non d’un phonème, quelle que
soit sa position. Dans une seconde séance, les élèves doivent trier en fonction
de la position du phonème dans le mot (début, milieu ou fin).
Séance 7 : Intelligence interpersonnelle
Objectif : Être capable d’expliquer à d’autres un jeu, de traiter en retour des
informations et de s’adapter pour travailler en coopération.
Déroulement : En fin de période, les quatre élèves font jouer toute la classe, à
trois, des jeux qu'ils ont découverts au cours des séances : loto des sons,
pêche aux rimes sur le tableau interactif, écoute d’une comptine avec frappé
d’un phonème. Ils doivent expliquer la consigne et vérifier la compréhension
et le bon déroulement du jeu.

DES RÉSULTATS ENCOURAGEANTS


Les enfants ont été évalués avant et après le module, par deux tests
concernant la segmentation et la conscience phonologique sur les treize tests
de la batterie Batelem-R qui balaient les acquis scolaires des enfants de 5 à 8
ans. Toutes les épreuves proposées permettent de comparer la note obtenue
par l’enfant à des normes nationales, en proposant des tableaux et des courbes
d’étalonnage qui aident à situer la performance du sujet par rapport à ses
pairs et à lui-même.
L’épreuve de segmentation consiste à scander les syllabes lors de la répétition
d’une comptine énoncée oralement par l’examinateur. Lors de l’énonciation,
l’adulte donne le texte lentement par vers, mais sans détacher les syllabes.
L’épreuve de conscience phonologique consiste à rapprocher des segments
homophones dans de petits groupes de mots représentés par des images. Pour
faciliter l’opposition, un intrus figure dans les séries d’images ; il n’a pas de
communauté phonémique avec les autres mots.
Exemple : pour l’item 1, on présente les images suivantes, lapin-orange-
sapin, et on demande à l’élève de mettre ensemble « les étiquettes qui ont un
nom un peu pareil ou un morceau du nom un peu pareil quand on écoute bien
». Les mots sont énoncés et répétés. Les étiquettes sont présentées par trois
puis par cinq. L’élève doit justifier son rapprochement d’étiquettes.
Ce module suivi en milieu d’année a permis d’améliorer nettement les
résultats des élèves, même si cette expérimentation n’a pas été menée de
façon scientifique sur un nombre important d’enfants en difficulté, en
parallèle avec un groupe témoin présentant les mêmes difficultés et n’ayant
pas suivi le module. Ce travail ne prétend pas apporter de preuve de
l’efficacité de la méthode, il montre modestement comment un enseignant
spécialisé peut s’inspirer de recherches scientifiques pour construire des
pratiques de remédiation.
La 6e mémento
Le témoignage d’une équipe qui s’efforce de trouver les
moyens de renforcer la mémoire sémantique des élèves. Le
déclencheur : une conférence autour des neurosciences.

Jessica Egron, Professeure de lettres classiques, collège Saint-Exupéry, Ermont (95)


Martin Gallienne, Professeur de technologie, collège Saint-
Exupéry, Ermont (95)

Après avoir écouté Jean-Luc Berthier, spécialiste des neurosciences


cognitives appliquées à l’apprentissage et à la formation en Ile-de-France,
nous avons eu envie d’utiliser quelques-uns des apports de cette conférence
avec nos élèves. C’est ainsi qu’une équipe d’enseignants volontaires s’est
constituée et que la 6e mémento est née, une classe dont les élèves ont été
choisis au hasard. Pour nos débuts, nous nous sommes concentrés sur la mise
en place de deux outils communs facilement utilisables dans toutes les
disciplines.
Tout d’abord, les encarts de mémorisation qui consistent à présenter les
essentiels des cours sous forme d’un tableau à deux colonnes : les questions à
gauche et les réponses à droite. Ces mémentos permettent aux élèves de
retrouver rapidement l'essentiel de chaque cours, mais aussi de se questionner
de manière active et autonome, au lieu de simplement relire de façon passive.
Ensuite, un sac à souvenirs contenant des cartes qui reprennent, sous forme
de questions-réponses (recto verso), les connaissances présentes dans les
mémentos. Le sac à souvenirs reprend le principe de la réactivation répétée
dans le temps, nécessaire à la consolidation des connaissances à long terme.
Les cartes de la semaine 1 se retrouvent donc dans le sac en semaine 3, 7 et
14, en plus des cartes de la semaine en cours. Cela nous permet d’éviter les
effets d’oubli. Pour nous repérer, nous mettons sur les cartes une gommette
dont la couleur change toutes les semaines.
Au début de chaque cours, les élèves sont interrogés sur deux ou trois cartes
tirées au sort par le professeur et écrivent leurs réponses sur leur ardoise.
Cette étape ne doit pas excéder cinq minutes. L’enseignant pose rarement des
questions de sa discipline, puisque les cartes de toutes les disciplines sont
mélangées. Le sac à souvenirs est devenu un véritable rituel de la classe : les
élèves le réclament !
Afin que les élèves acceptent ces outils, il nous a semblé nécessaire de les
impliquer et de leur faire comprendre notre démarche. Nous avons donc
inclus dans leur emploi du temps une heure d’accompagnement personnalisé
supplémentaire, pour qu’ils prennent conscience du fonctionnement de leur
cerveau. Au programme : les différentes mémoires, les besoins du cerveau
(hygiène de vie et gestion du stress), les méthodes de mémorisation
proposées par des auteurs comme Pascale Toscani.
Cette expérimentation s’inscrit dans le nouveau socle commun, en particulier
dans le deuxième domaine « Les méthodes et outils pour apprendre ». Ce
n’est qu’un début, nous comptons bien poursuivre l’expérience en mesurant
les effets induits et en cherchant à en évaluer l’efficacité.
Apprendre l'espace à l'école
Une équipe de chercheurs travaille sur les apprentissages
scolaires ayant trait aux compétences spatiales : une
thématique sous-estimée à la croisée de différents champs
disciplinaires, sciences de l’éducation, psychologie cognitive et
neurosciences.

Natacha Duroisin, FNRS, université de Mons


Véronique D. Bohbot, Professeure associée, McGill
University
Marc Demeuse, université de Mons

Qu’est-ce que la cognition spatiale ? Il s’agit de ce processus par lequel


l’individu perçoit, emmagasine, rappelle, édite et communique les
informations spatiales dont il dispose sur un environnement fréquenté. À
partir de ces informations, l’individu peut notamment concevoir des cartes
cognitives, représentations de l’environnement qu'il crée mentalement. Il les
utilise pour se rendre d’un endroit à l’autre de la ville, lorsqu’il prend des
raccourcis ou lorsqu’il indique le chemin à suivre à une autre personne. De ce
point de vue, l’espace n’est plus seulement considéré comme un objet que
l’on apprend et que l’on utilise pour agir (comme des contenus disciplinaires
en géométrie par exemple), il constitue également un moyen pour
appréhender et comprendre les processus cognitifs impliqués lors d’activités
diverses. C’est en ce sens qu’est considérée la cognition spatiale par les
chercheurs en sciences cognitives et en neurosciences. Un des objectifs
principaux poursuivis est de comprendre comment sont interprétées et
organisées en mémoire les informations spatiales pour être réutilisées
ultérieurement, dans des situations d’apprentissage, en lien avec la navigation
spatiale notamment.
Pour naviguer dans un environnement, l’individu peut principalement
recourir à deux types de stratégies. Plusieurs années après les recherches
menées par Tolman sur le rat en 1948, c’est en 1978 que ces deux stratégies
ont été décrites par John O'Keefe, colauréat du prix Nobel de médecine 2014,
et son collègue Lynn Nadel. L’une est spatiale, c’est-à-dire que l’individu
élabore des cartes cognitives à l'aide de repères et d'indices visuels pour
déterminer où il se trouve et où il veut se rendre. L’autre stratégie est de type
stimulus-réponse, c’est-à-dire que l’individu ne prête pas attention à son
environnement et effectue les trajets de façon automatique, à la manière d’un
GPS (deuxième rue à droite, troisième rue à gauche).

CARTES MENTALES OU STIMULUS-RÉPONSE


Les récentes recherches réalisées en neurosciences par le professeur Bohbot
et son équipe au Douglas Mental Health University Institute, McGill
University, ont mis en évidence que les individus qui utilisent une stratégie
spatiale sont les seuls sujets à présenter une activité significative de
l'hippocampe lors de tâches de navigation dans des environnements virtuels.
Ils ont aussi remarqué une diminution de l’activité cérébrale chez ceux qui
utilisent une stratégie de type stimulus-réponse. Cette activité a été observée à
l'aide de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Cette équipe de
recherche a également montré que la stratégie de mémoire spatiale est
associée à plus de matière grise au niveau de l'hippocampe. Il s’agit d’un fait
important, puisque l’on sait que la diminution de la substance grise dans
l'hippocampe est un facteur de risque pour de nombreux troubles
neurologiques et psychiatriques et le développement, à plus long terme, de
pathologies telles que la dépression ou l'Alzheimer. En outre, ces chercheurs
ont démontré que les gens ont de moins en moins recours à la stratégie
spatiale avec l'âge. Nous avons pu confirmer ce résultat par des recherches
menées avec des enfants et des adolescents âgés de 6 à 15 ans, puisqu’il est
apparu qu’à partir de 10-11 ans, la stratégie spatiale préférentiellement
adoptée était une stratégie de type stimulus-réponse.
Sur la base de ces découvertes en neurosciences et compte tenu du fait qu’il
est fondamental d’exercer la navigation spatiale pour préserver les structures
cérébrales, nous avons analysé les programmes d’études et les évaluations
nationales et internationales, afin d’identifier les compétences de navigation
qui étaient exercées et évaluées dans l’enseignement primaire et secondaire.
Il en ressort que la navigation spatiale n’est exercée qu’entre 5 et 12 ans, qu’il
n’est pas fait mention de cette compétence dans les programmes de
l’enseignement secondaire, et qu’elle n’est, à aucun moment du cursus
scolaire, formellement évaluée.

DÉVELOPPER LES HABILETÉS SPATIALES À L’ÉCOLE ET HORS


DE L’ÉCOLE
En bref, que retenir de ces recherches pour améliorer l’enseignement ?
Il s’avère primordial d’exercer les habiletés spatiales, notamment la
navigation spatiale, chez les élèves, d’autant plus que ces habiletés spatiales
ne font l’objet que de rares évaluations.
Dès l’enseignement primaire, il est important d’expliquer à l’élève son
fonctionnement cognitif et la manière dont il peut entretenir ces capacités
cognitives.
Il est fondamental d’exercer les stratégies spatiales chez les élèves dès le plus
jeune âge, afin de stimuler leur hippocampe. Plusieurs pistes concrètes
peuvent être poursuivies par les enseignants de maternelle, primaire et de
secondaire (toutes disciplines confondues) :
aiguisez le sens de l’observation du détail : sensibilisez les élèves à
l’espace qui les entoure ;
que ce soit en classe ou en dehors de celle-ci (dans la cour de récréation
ou en ville), prenez le temps de faire remarquer à vos élèves que l’espace
est composé d’une multitude d’objets aux couleurs et formes variées. Ces
objets peuvent les aider à se situer dans l’environnement, à prendre des
repères, à se faire comprendre par autrui, etc. ;
dans des exercices sur support papier-crayon, apprenez également à vos
élèves à faire attention aux détails. En géographie, prenez le temps de leur
faire observer les cartes et demandez-leur de prêter une attention aux
contours des pays par exemple. Vous proposerez ensuite des exercices
ludiques sous la forme de casse-tête ;
travaillez les relations entre les points de repère ;
lors de sorties, demandez à vos élèves de prêter une attention
particulière à l’emplacement des repères qui composent l’environnement
(tel bâtiment est à droite de tel autre bâtiment). Cet exercice permettra
également de travailler la latéralité des enfants (gauche-droite) ainsi que le
processus de décentration (c’est-à-dire le changement de perspectives) ;
en classe, lors d’un exercice papier-crayon ou avec du matériel concret,
demandez à vos élèves d’exprimer la position de plusieurs objets (tel
solide est situé ou représenté à droite d’un autre solide) ;
invitez l’élève à réaliser des cartes cognitives de son environnement ;
lorsqu'ils ont pris connaissance d’un environnement, demandez à vos
élèves de le représenter sur une feuille de papier blanc. Commencez par
des exercices simples, faites-leur dessiner la classe, la cour de récréation
ou encore l’école (point de vue allocentrique ou vue du dessus). Des
exercices plus complexes pourront ensuite être réalisés : dessin du plan de
la ville, d’un itinéraire précédemment parcouru (de la gare à l’école, par
exemple). Avec les plus jeunes élèves, il est possible d’utiliser du matériel
concret pour concevoir cette représentation ; vous pouvez, par exemple,
proposer de réaliser la maquette de la classe en mettant à disposition des
objets miniatures représentant le mobilier ;
incitez les élèves à parcourir de nouveaux itinéraires (cela les
contraindra à développer une bonne représentation de l’espace dans lequel
ils évoluent) ;
si c'est possible, demandez à vos élèves de se rendre en classe en
empruntant un autre chemin que d’habitude (en traversant d’autres salles,
par exemple). Lors d’une sortie, demandez-leur de vous indiquer les
directions à prendre et le chemin à emprunter, faites-les réfléchir à de
nouveaux itinéraires ;
utilisez du matériel concret pour représenter des concepts plus abstraits ;
en mathématiques, optez pour l’utilisation de réglettes cuisenaires
(appréhender les nombres en observant la longueur et la couleur des
réglettes), faites découvrir les notions de distance en les faisant parcourir
physiquement (un centimètre et dix centimètres avec le doigt, dix et cent
mètres en marchant dans la cour de récréation) ou en utilisant un même
instrument (un décamètre, par exemple, pour leur faire découvrir ce que
sont dix mètres et ce qu’est le kilomètre) ;
en sciences, faites apprendre la notion de volume en manipulant des
cubes de dimensions différentes.
LE SITE DE L'AUTEUR D’autres exercices et informations peuvent être trouvés en vous rendant
sur nos sites internet : www.espace-abstraction.be (site internet proposant
des situations d’apprentissage et des informations théoriques sur le développement de compétences
spatiales chez les élèves du primaire et du secondaire), www.vebosolutions.com (site internet sur la
santé cognitive).
Neurosciences et culture
d'établissement
Un établissement s’appuie sur les recherches en sciences
cognitives menées par Pascale Toscani et voit les effets
positifs d’un projet ambitieux au profit de la réussite de tous
les élèves.

Thierry Loiseau, Directeur du collège Saint-Charles à Angers

Notre projet s’intitulait « Les sciences cognitives au service de la


différenciation pédagogique : de la compréhension des mécanismes cognitifs
à l'aménagement du temps scolaire ». Un groupe de pilotage a été constitué
avec dix-sept volontaires de toutes disciplines et des dispositifs Segpa
(section d’enseignement général et professionnel adapté), EGPA
(enseignement général et professionnel adapté) et ULIS (unité localisée pour
l'inclusion scolaire), s’engageant dans une charte pour deux ans, à suivre un
cursus de formation sur les neurosciences de deux heures mensuelles pendant
toute la durée du projet, à partir en formation au Canada sur les vacances
scolaires, à mettre en œuvre un protocole expérimental sur deux classes
choisies. Un autre groupe était constitué de membres ne pouvant s'engager
sur tous les points de la charte.
Nous ne cherchions aucunement à créer un groupe d'experts délimité par des
compétences nouvelles et toute notre organisation s'est efforcée d'ouvrir le
groupe de pilotage à de nouveaux membres volontaires. Nous avons pu ainsi
nous élargir peu à peu avec une cinquantaine de personnes impliquées au
total, sur les soixante-dix professeurs que compte l’établissement.
À l'issue de la durée contractuelle de notre engagement avec l'Ifucome
d’Angers (Institut de formation aux métiers de l'enseignement de l'université
catholique de l'Ouest), le groupe de pilotage a proposé de poursuivre le
travail par la création d'un outil d'apprentissage à destination des collégiens,
sous la forme d'un livret d'exercices sur les neurosciences : Les neurosciences
au cœur de la classe. Le partage du travail au sein de l'équipe en permit la
réalisation totale (textes et illustrations), sous le contrôle scientifique de
Pascale Toscani. L'aventure des neurosciences vécue au sein de notre
communauté éducative venait de marquer, d'une façon essentielle et durable,
l'ensemble de nos représentations et de faire évoluer notre façon de vivre
notre mission.

DES APPORTS BÉNÉFIQUES


Une première dimension concerne la relation pédagogique de proximité.
Notre relation aux élèves a évolué, avec plus de bienveillance et plus de
reconnaissance de la singularité de chacun. Le sujet réel efface l’élève
épistémique, abstrait, avec une prise en compte plus affirmée de la gestion de
ses émotions. Une attention particulière a été portée aux mots employés par
l’équipe éducative pour désigner les performances ou les attitudes des élèves.
D'autre part, étayés par les apports conceptuels et scientifiques des
neurosciences, nous sommes désormais plus armés pour comprendre les
gestes d'apprentissage, nous pouvons alors mieux en cerner les difficultés et
les accompagner en différenciant plus finement notre approche. Une
difficulté rencontrée auprès d'un enfant peut devenir un sujet d'interrogation,
de recherche, afin de la comprendre en finesse et de la réduire. Cette posture
nouvelle devenue la règle a modifié la représentation que nous avions de
notre métier en développant collectivement une éthique de la responsabilité
pour faire de nous des enseignants chercheurs, non dans l'acception
universitaire de l'expression, mais pour désigner des éducateurs non résignés
devant des constats d'échec.
L’apport des neurosciences a permis aux élèves d’aborder le concept général
de l’intelligence et sa déclinaison individuelle, avec la découverte, pour
certains, qu’ils étaient intelligents au sens où, dotés d’une même structure
cérébrale, ils étaient en capacité de la mobiliser comme chacun, suivant des
modalités personnelles. Ce fut pour certains élèves une véritable révélation au
regard de leurs résultats scolaires parfois très moyens et un levier pour
développer estime de soi et confiance en soi.
Sur un autre registre, les neurosciences permirent également de démystifier la
mémoire qui pouvait apparaitre comme une capacité dont on hérite ou pas,
comme un don. Faire découvrir les mécanismes de la mémoire et les gestes
qui permettent de la développer a justifié avec pertinence et force la nécessité
de l’attention, première étape essentielle de la mémorisation, en favorisant la
boucle phonologique.

UNE SECONDE DIMENSION : L'ORGANISATION DE


L'ÉTABLISSEMENT
Ce travail commun a stimulé l'expression d'une véritable culture
d'établissement qui a interrogé nos valeurs en mettant l’accent sur la
confiance qui facilite la coopération. Les portes de nos classes se sont
ouvertes plus facilement, accueillant le regard de l'autre dans une commune
volonté d'enrichir nos pratiques. En proposant de nombreux champs
d'investigation, les neurosciences ont également éveillé chez certains
enseignants de l'établissement le désir d'approfondir leurs compétences dans
certains domaines (travail coopératif, mémorisation, intelligences multiples,
gestion du stress, compréhension fine de la lecture), pour devenir des
personnes ressources auprès de la communauté éducative. Par ailleurs,
l'erreur fait maintenant partie intégrante du projet comme un élément de
formation et la communauté éducative se révèle globalement une
organisation apprenante, assumant l'incertitude comme une dimension
nécessaire de son évolution heuristique. Ainsi, des temps d'échange de
pratiques ont été institués régulièrement dans le collège. Dans la cohérence de
notre démarche de recherche, nous choisissons de promouvoir la culture du
risque prometteur contre la permanence de l’inefficacité.
Enfin, et au-delà de notre organisation locale, nous devons régulièrement
puiser dans notre environnement pour faire appel à des partenaires extérieurs
qui viennent consolider nos apprentissages dans des situations où nos
compétences sont insuffisantes. Ainsi, très récemment, l'accueil de plusieurs
enfants présentant des troubles du spectre autistique nous a conduits, loin de
refuser cette situation dans un premier temps inquiétante, à proposer
l'intervention d'une spécialiste auprès de l'ensemble de l'équipe, afin de nous
étayer sur ce sujet et d'en comprendre plus finement les problématiques.
Par leur approche rafraichissante et nouvelle, les neurosciences ont pu
interpeler chacun d'entre nous à des degrés divers, avec une résonance
différente, mais elles ont réveillé en nous le gout du défi : celui d'apprendre,
de comprendre les obstacles à surmonter pour apprendre, de partager
collectivement une nouvelle vision de l'école. Les neurosciences nous ont
permis d'ouvrir ce chemin d'une façon singulière et joyeuse. Que ce souffle
nouveau puisse nous permettre de dissiper progressivement la brume légère
du doute et, qui sait, nous dévoiler, à terme, la métamorphose attendue de
l'école.
Méditation, enfance et
apprentissages font-ils bon ménage
?
La méditation de pleine conscience s’installe dans notre
monde contemporain comme une technique efficace du
mieux vivre. Peut-elle avoir sa place dans l’univers de
l’éducation ? Réponses d’une spécialiste réputée qui montre
ses bénéfices pour les enfants et les adolescents.

Jeanne Siaud-Facchin, Psychologue clinicienne et créatrice des programmes


pour enfants et adolescents Mindful UP.

Notre cerveau, qui prend plus de 6 000 décisions par jour, échappe à notre
conscience la grande majorité du temps. Nous réagissons souvent de façon
réactive dans de nombreuses situations, et ce pilotage automatique nous
conduit parfois à des attitudes, des émotions, des décisions qui nous éloignent
de nos souhaits profonds, de notre nature véritable. Nous ne choisissons plus
ce qui nous convient vraiment, nous sommes l’objet de la programmation
parfois ancienne de notre cerveau. La méditation de pleine conscience permet
de retrouver, en nous, la possibilité de choisir, de décider. Un nouvel espace
est créé, qui nous appartient, en propre.
Sur un plan fonctionnel et neurophysiologique, c’est du côté de la plasticité
cérébrale que nous pouvons objectiver le mécanisme. Contrairement à ce que
nous avons longtemps pensé, notre architecture cérébrale ne se fige pas à
l’adolescence, mais peut se modifier à chaque âge de la vie. Créer de
nouvelles synapses, ouvrir de nouvelles connexions interneuronales, dessiner
de nouveaux circuits restent possibles à chaque instant. La méditation permet
de tracer de nouvelles voies, des chemins de traverse qui nous permettent de
sortir de nos ornières mentales habituelles et nous invitent à retrouver la
liberté de choisir un nouveau chemin. Au sens propre donc, comme au sens
figuré.
Les adolescents comprennent bien ce discours et l’idée de reprendre le
pouvoir sur leur cerveau les séduit. La perspective de développer de
nouvelles ressources, de se sentir plus libres, de ne pas être des êtres
programmés correspond au besoin de cet âge de devenir soi-même.

QUAND LE STRESS S’ÉLOIGNE


On le sait, le mauvais stress est celui qui nous paralyse et envahit toutes nos
possibilités de réfléchir et d’agir. Face à un contrôle, nous nous retrouvons
alors dans l’incapacité de nous concentrer et de mobiliser nos compétences.
Et le stress de ne plus arriver à se concentrer accentue le stress, c’est la
spirale infernale. Ce lien entre stress et mobilisation intellectuelle, expliqué
aux adolescents, leur ouvre la possibilité nouvelle de réagir autrement au
stress. En sachant par exemple qu’une seule respiration ample permet de faire
chuter de 90 % le niveau d’adrénaline.
Dans ce contexte, nous avons formalisé des programmes adaptés aux enfants
et ados, les programmes Mindful UP. Ils proposent, en six ou huit séances
des exercices simples, ludiques, faciles à mettre en place pour initier les
enfants et adolescents à cette pause avec eux-mêmes et avec les autres, à ce
retour essentiel vers les ressources nichées au fond d’eux, à la compréhension
de leurs mécanismes de fonctionnement, cognitifs et émotionnels. Avec la
pleine conscience, les enfants retrouvent la tranquillité d’esprit qui va les
rendre pleinement disponibles aux apprentissages.
Favoriser des pratiques de pleine conscience, avant un devoir, un cours, un
enseignement, un contrôle, un examen, apaise le stress et facilite l’accès à ses
connaissances et la récupération des connaissances en mémoire à long terme.
Toutes les ressources deviennent accessibles, la confiance en soi est
optimisée.

LA MÉDITATION À L’ÉCOLE
Proposer dans les petites classes des moments de pause, le matin pour
commencer la journée, après la récréation pour laisser se décanter toute
l’agitation, avant un cours ou un contrôle pour les plus grands, après un
conflit entre deux élèves ou entre l’un d’entre eux et l’enseignant, donne aux
élèves la possibilité d’accéder à une réserve de calme, d’apaisement intérieur,
d’espace de sécurité où ils pourront aller puiser de multiples ressources. Pour
se sentir prêt à entrer en apprentissage, l’esprit clair, les préoccupations mises
à distance, le stress apaisé.
À long terme, les enfants qui auront été très tôt initiés sauront que, à chaque
moment de leur vie, il suffit de se relier à ce que l’on ressent pour se sentir
totalement présent à ce qui se passe et que cette présence leur donne une
immense énergie.
Nous proposons d’introduire la méditation de pleine conscience à l’école à
partir de deux paliers distincts.
Premier palier : l’enseignant propose lui-même des exercices à ses élèves, de
la maternelle à la terminale. Dans notre expérience, nous avons régulièrement
formé des équipes pédagogiques, en trois ou quatre sessions : présenter la
mindfulness (qu'on peut traduire par pleine conscience), les études, les
bénéfices, pour les adultes, pour les enfants, pour les apprentissages, pour les
relations interpersonnelles, pour l’apaisement émotionnel. Puis des séances
où les enseignants font, pour eux, l’expérience de la pleine conscience. La
méditation est un partage, que les enseignants doivent d’abord vivre. Puis les
exercices sont explicités et analysés. Enfin, une régulation permet aux
enseignants de partager leurs expériences dans leurs classes et de s’ajuster. Le
constat de tous ? Même les plus réticents, ceux qui avaient peur que leurs
élèves de lycée se moquent, sont stupéfaits de l’accueil et de l’impact de ces
pratiques avec leurs classes. Et ce sont eux, les élèves, qui deviennent les
meilleurs promoteurs de cette nouvelle façon d’être et qui donnent envie à
d’autres professeurs de se former. Une étude américaine récente le confirme
en chiffres : 69 % des adolescents de 14-15 ans soumis à un programme de
mindfulness ont dit qu’ils avaient apprécié cette pratique et qu’ils
continueraient pour 74 %.
Second palier : des programmes Mindful UP en groupe classe (ou plus) qui
peuvent être conduits dans l’établissement scolaire par des intervenants
extérieurs formés à cette pratique. Dans ce cas, les programmes complets sont
mis en œuvre et les enseignants sont invités à participer, à suivre les séances.
Actuellement, une recherche avec les programmes Mindful UP est menée à
grande échelle avec les collèges de l’académie de l’Essonne. Des groupes
avec des enfants en difficultés scolaires, des groupes avec des enfants en
réussite, des groupes contrôle. Les premiers résultats sont vraiment très
encourageants.

LA FORCE DU GROUPE
Pratiquer la méditation ensemble, respirer ensemble, transforme les liens et
renforce la cohésion de la classe. L’autre, le copain, l’ami, le camarade sont
vus, perçus différemment. Quelque chose de la sensibilité de chacun a été
touché. De la vulnérabilité aussi. Une forme de douceur s’installe.
Imperceptiblement parfois, mais très nettement. Une douceur faite de plus
d’écoute, de bienveillance, de générosité, d’affection, de tolérance pour les
autres. Souvent la dynamique de groupe, bien connue en psychologie, se
remet à fonctionner. Ma classe, celle à laquelle j’appartiens, celle avec
laquelle je vis, celle avec qui j’ai partagé ces moments précieux, est perçue
comme la « bonne » classe. La classe, sa classe, devient un endroit refuge où
l'on se sent en sécurité, écouté, accepté, et même compris.
Lorsque le professeur participe activement au programme, les bénéfices pour
le groupe classe sont encore amplifiés. Les rapports se modifient entre élèves
et enseignant. Il s’est joué quelque chose d’authentique, d’intime, qui va
considérablement consolider une confiance réciproque. Chacun aura pu poser
un regard nouveau sur l’autre et découvrir des facettes de sa personnalité et
de sa sensibilité qu’un travail habituel en classe laisse le plus souvent de côté.
Les enseignants sont souvent étonnés face à certains élèves. Ils ne
s'attendaient pas à découvrir chez celui-là toutes ces qualités cachées par ses
difficultés scolaires quotidiennes, ils n’avaient pas envisagé que cet élève
violent était en réalité profondément malheureux, que les conflits perpétuels
autour de l’insolence n’étaient que le reflet d’un sentiment de grande solitude,
ne se sentant jamais compris et reconnu il avait besoin d’instaurer ces
rapports troublés avec l’adulte.
En réalité, introduire la méditation à l’école, c’est préparer un monde où
chacun, à son rythme, saura, pourra profiter profondément de sa vie, de ses
ressources et trouver du sens à chaque pas. Le défi de l’éducation de demain
?
Un exercice pour le stress et la concentration pour les ados
Avant un contrôle, un examen, le stress est d’abord dessiné sur une feuille, qui est ensuite pliée en
quatre ou roulée en boule sur le bureau. Se détacher de son stress crée, symboliquement, un espace
intérieur dégagé. Le stress est là, mais dehors et non plus dedans. Puis, poser simplement les mains sur
le rebord du bureau, pieds à plat sur le sol, parallèles, si possible le dos droit sur la chaise. Premier
temps, on serre le bord du bureau très fort et on se concentre sur les sensations des doigts qui se
crispent, presque jusqu’à une tension douloureuse. On reste serré quelques instants. Puis on relâche
vivement et on perçoit les sensations nouvelles dans les mains ouvertes. Une grande respiration, un
espace mental est maintenant libéré pour se concentrer sur son travail. À faire essayer à ses ados, en
leur expliquant au préalable pourquoi ça marche : se centrer sur ses sensations réduit la production de
cortisol (hormone du stress) et libère la mémoire de travail, mémoire à court terme indispensable pour
l’activité intellectuelle et la concentration.
Zoom
Gros plan sur quelques exercices
Les pratiques proposées ci-dessous sont courtes et peuvent facilement être proposées directement par
les enseignants dans les classes. L’enseignant est là pour accompagner chaque élève, afin qu’il puisse
faire l’exercice du mieux possible. Aucun objectif n’est à atteindre, ce que l’enfant vit doit toujours
être respecté. On ne peut ni ne doit blâmer un enfant car il « n’y arrive pas » ou qu’il « ne fait pas bien
». En classe, les exercices se font sur les chaises le plus souvent. En rond si possible, afin de favoriser
les échanges et de créer une unité de groupe. Pour les plus petits, il est aussi possible de s’assoir par
terre sur des coussins ou des tapis, type tapis de yoga. D’autres exercices se font debout ou en
mouvement. Une petite gamme de propositions, au fil de la journée :
rentrer dans la classe doucement, en ralentissant l’allure et en avançant à petit pas tout en percevant
chaque mouvement du corps qui se déplace ;
s’assoir, en décomposant chaque étape, puis sentir tous les points de contact du corps avec la chaise ;
poser les mains sur le bureau, comme pour l’attraper, le serrer fort, toute l’attention centrée sur les
sensations dans les mains : crispées, relâchées, une fois, deux fois, trois fois ; ressentir, juste
ressentir ;
la respiration, la reine de la pleine conscience : où est-elle cette respiration qui me fait vivre et à
laquelle je ne prête que très rarement attention ? Est-ce que je la sens plutôt dans mon ventre qui se
gonfle doucement quand l’air entre et se dégonfle tranquillement quand l’air ressort ? Est-ce que je
peux mieux la sentir avec ma main sur mon ventre et percevoir ma main bouger au gré de mon
souffle ? Ou bien dans ma poitrine, qui elle aussi se soulève puis se rétracte chaque fois que je
respire ? Et si c’était dans mon nez, ou plus exactement dans mes narines que je peux sentir l’air qui
passe, qui me chatouille, qui est un peu plus frais au moment où j’inspire et un peu plus chaud quand
il ressort de mes narines ? Avec le souffle, on peut inventer de nombreux exercices : la coque de
noix qui flotte sur le va-et-vient du souffle, les vagues qui vont et viennent dans la mer, le ballon que
l’on gonfle puis qu’on dégonfle. Peu importe, toute inspiration est bienvenue. L’essentiel est de
donner des images qui permettent aux enfants de mobiliser leur attention sur la sensation de leur
respiration. Il ne s’agit pas de penser à son souffle, mais de s’y relier. Ressentir. Encore et encore.
Pour les plus grands et les adolescents, toujours rappeler que si la respiration calme, dégage un espace
à l'intérieur de soi, que si le souffle éloigne le stress, c’est parce que cela a un fondement
physiologique. La respiration bloque les hormones du stress et active celles de l’apaisement. C’est
chimique, pas seulement psychologique ! C’est une façon de ne plus être le jouet de son mental. Une
phrase qui prend une vraie portée à cet âge de la vie où l’on entend tout diriger et où l’on supporte mal
d’être soumis à une autorité quelconque. Insistons avec eux : c’est leur mental qui est le plus
tyrannique et qui les oblige à faire des tas de choses qui ne leur conviennent pas. Avec le souffle, ils
peuvent reprendre le contrôle sur leur cerveau.
J. S.-F.
POUR EN SAVOIR PLUS Derniers ouvrages de l'auteure : Tout est là, Juste là. La méditation de
pleine conscience pour les enfants et les ados aussi !, éditions Odile
Jacob, 2014 ; Mais qu’est-ce qui l’empêche de réussir ?, éditions Odile Jacob, octobre 2015.
Ceci n’est pas une tasse
Où on montre comment les recherches de Stanislas Dehaene
peuvent aider des enseignants de maternelle et de CP à
prévenir une difficulté bien connue de l’apprentissage de la
lecture : la confusion des lettres en miroir.

Bénédicte Dubois, Responsable de formation BEP-ASH, IFP Nord-Pas-de-Calais

Le domaine d'apprentissage qui a bénéficié du plus grand nombre d'études


scientifiques est sans conteste la lecture. C'est l'un des sujets qu'étudie
Stanislas Dehaene, membre du Collège de France et du pôle de recherche
NeuroSpin à Saclay. Avec son équipe, il a mis en évidence l’idée que
l’apprentissage de la lecture spécialise certaines aires du cortex visuel pour la
reconnaissance des chaines de lettres et les relie aux codes des sons du
langage. C’est ainsi qu’a été identifiée une région du cerveau appelée
« région de la forme visuelle des mots » ou « boite à lettres du cerveau ». Il
s’agit d’un endroit qui se situe à la jonction des lobes occipital et temporal et
qui se spécialise progressivement pour reconnaitre les mots écrits. Avant
d’apprendre à lire, cette aire n’est pas inactive, mais elle sert à reconnaitre les
visages, les objets et les formes géométriques.
Apprendre à lire consiste finalement à recycler un morceau de ce cortex afin
qu’une partie des neurones qui s’y trouvent réorientent leurs préférences vers
la reconnaissance des lettres, c’est ce qu’on appelle la théorie du recyclage
neuronal.
Ce recyclage neuronal explique beaucoup de choses, notamment les erreurs
en miroir que font les enfants et les personnes illettrées (confusions entre les
lettres b, d, p, q et écriture du prénom de droite à gauche). Pourquoi ? Parce
que cette partie du cerveau qui sert à reconnaitre les objets et les visages ne
peut pas s’empêcher de juger que des images symétriques en miroir
correspondent à un seul et même objet. Cette propriété est devenue un
désavantage pour l’apprentissage de la lecture. L’enfant doit distinguer les
lettres p et q, b et d, alors que son système visuel les juge parfaitement
identiques. En effet, une tasse reste une tasse, que l’anse soit orientée à droite
ou à gauche, alors que ce n’est pas le cas de ces lettres. Le cerveau doit donc
apprendre à traiter que ce sont des objets différents. Beaucoup d’élèves
confondent transitoirement les lettres en miroir. C’est un phénomène normal
et tous passent par cette étape.
Connaissant ces aspects relevés par les équipes scientifiques, les enseignants
des classes maternelles et de CP ne devraient plus s’inquiéter des confusions
de leurs élèves au sujet des lettres en miroir au début de l'apprentissage de la
lecture. Ils peuvent envisager de nombreuses activités de discrimination
visuelle et les associer à de l’écriture pour activer la voie dorsale, qui relie la
vision aux aires motrices commandant nos gestes, et qui distinguent
l’orientation des objets. Surtout, ils s’attacheront à expliciter la différence de
traitement que requièrent les lettres par rapport aux objets, pour aider les
enfants à prendre conscience de cette difficulté.
À vos marques, prêts… apprenez !
Un projet né de la collaboration entre une professeure
d’anglais, une professeure d’histoire-géographie et EMC et un
professeur de psychologie. Depuis quatre ans, ces trois
personnes ont essayé d’innover dans la façon d’aider les
élèves à apprendre et ont tenté d’évaluer objectivement la
portée de leur action.

André Tricot,Professeur d'université en psychologie à l'École supérieure du


professorat et de l'éducation, Midi-Pyrénées
Stéphanie Lontano, Professeure d’anglais, collège René-Soubaigné, Mugron,
Landes
Emmanuelle Cauvy, Professeure d’histoire-géographie, collège René-Soubaigné,
Mugron, Landes

Le point de départ de ce projet vient d’un double constat : quand il s’agit de


mémoriser des faits, les élèves sont souvent peu efficaces sur la durée et ils y
prennent peu de plaisir. Pourtant, dans nos disciplines, la mémorisation est
une composante non négligeable des apprentissages. Comment mémoriser les
différents mots interrogatifs de l’anglais pour se les approprier, au point de
pouvoir s’en servir spontanément et sans les confondre ? Notre réponse : vive
la pédagogie de détour par le jeu !

PRINCIPES DE FONCTIONNEMENT
Quatre principes simples de fonctionnement ont été élaborés à partir
d’apports de la recherche :
1. S'engager dans la tâche. Les élèves sont mis en activité d'apprentissage :
le travail est réellement fait par l'élève. « Il est dur de refuser de jouer,
alors que cinquante élèves et deux professeurs jouent ! »
2. Consentir des efforts. Les élèves consentent des efforts pour réaliser la
tâche, le jeu, quelles que soient les difficultés. « Il est dur de ne pas refaire
une partie, même quand on a perdu ! »
3. Persévérer dans la mémorisation. Créer des situations d'apprentissage
pour que les élèves persévèrent quand il y a des difficultés qui se
présentent et qu'ils commencent à douter qu'ils vont réussir. « Il est dur de
renoncer face à de nouveaux jeux toutes les semaines et de résister à la
possibilité de progresser à son rythme en rejouant à des niveaux plus
faciles pour soi ! »
4. Développer le sentiment d'autoefficacité. Quand ils gagnent, les élèves
continuent à jouer ! Quand ils perdent, ils continuent à jouer ! Dans les
deux cas, ils sont gagnants, parce qu’ils mémorisent des connaissances.
Concrètement, durant l'heure d'« atelier mémo » pour les élèves de deux
classes de 6e, nous testons les jeux que nous avons créés (une dizaine à ce
jour) en lien avec les programmes de nos disciplines. Durant l’atelier, les
élèves jouent et mémorisent les notions ciblées par chacun des jeux. Nous
veillons à établir un lien avec les cours habituels et à les faire réfléchir sur
l'intérêt cognitif des jeux utilisés. Ainsi des actions sont mises en place au
sein de nos cours : temps de jeux ritualisés au sein du cours, évaluations de
mémorisation, réutilisation des notions.

QUELLE ÉVALUATION ?
La façon d’évaluer la portée de ce projet comptait deux aspects : un aspect
interne, fondé sur l’observation des élèves, de leur implication, de leurs
réussites et de leurs difficultés ; un aspect externe fondé sur l’utilisation d’un
outil d’évaluation standardisé qui mesure les aspects affectifs des
apprentissages : les stratégies d’apprentissage des élèves, leurs croyances à
propos d’eux-mêmes et leurs préférences d’apprentissage. Le test SAL
(Students’ Approaches to Learning, Marsh et al.) a été conçu et validé pour
l’OCDE, dans le cadre de PISA. La méthodologie d’élaboration du test et sa
validation sont d’une très grande rigueur. Notre idée était d’utiliser ce test en
début et fin d’année, puis de vérifier si les élèves progressaient.
L’évaluation interne est très positive. La mémorisation lexicale en anglais sur
la longue durée est plus efficace. Elle permet alors d’aborder plus facilement
le travail sur la construction d'expression (ainsi, maitriser les pronoms
interrogatifs aide à se focaliser sur le choix et la place de l’auxiliaire). Les
notions en HG-EMC sont bien mieux maitrisées au cours de l'année et leur
mémorisation facilite l'accès aux diverses tâches d'apprentissage (en 6e, la
mémorisation de la notion de littoralisation en amont du chapitre facilite la
lecture et la compréhension de paysages littoraux et la réalisation de croquis).
L'ambiance de travail en cours est dynamique et vivante, les élèves sont, pour
la majeure partie d’entre eux, impliqués et acteurs dans l'acquisition de
connaissances.
L’évaluation externe est moins probante. Chaque année, les élèves des deux
classes de 6e participant au projet ne progressent pas plus en moyenne qu’une
classe témoin. Quand on regarde ce qu’il y a derrière cette moyenne, on
constate surtout que les résultats divergent. Parfois, une classe progresse
nettement dans un domaine, mais régresse dans l’autre. Les préférences
d’apprentissage d’une classe de 6e « jeu » peuvent avoir des scores plus
élevés que ceux de la classe témoin, mais c’est l’inverse avec les croyances à
propos d’eux-mêmes !
Ces résultats incohérents montrent que l’outil d’évaluation n’était
probablement pas adapté pour rendre compte de l’évolution des stratégies des
élèves. L’évolution de la conscience d’apprendre entre le début et la fin de
l’année n’est peut-être pas mesurable par un questionnaire de positionnement.
Daniel Pennac, dans Chagrin d’école, écrit : « Statistiquement tout s'explique,
personnellement tout se complique. » Pour nous, statistiquement rien n’a pu
être montré, pédagogiquement tout s’est illuminé.
Outils
Ups and downs
Règle du Ups and Downs : deux joueurs s'affrontent pour retrouver les questions anglaises qu'ils ont
tenté de mémoriser en cinq minutes. La partie se déroule sous la surveillance d'un joueur vérificateur
qui a la liste des questions à mémoriser et compte les points.
Le but est de faire sentir et mémoriser le schéma rythmique des questions anglaises (répétition d'un
auxiliaire que les élèves oublient régulièrement When does he go? What time do you play? ou How
are you feeling? What is he watching?, etc.).
Ce jeu repose sur un plateau du célèbre jeu anglais Snakes and Ladders. Il est adapté de Mario
Rinvolucri, Grammar games. Cognitive, affective and drama activities for ESL students, Cambridge
University Press, p. 31-32, 1995.
Quelques définitions

Nicole Bouin,

Les neurosciences cognitives désignent le domaine de recherche dans lequel


sont étudiés les mécanismes qui sous-tendent la cognition : perceptions,
attentions, motricité, langage, mémoires, raisonnement, compréhension,
imagination, émotions, apprentissages, conceptualisation, planification,
inhibition, actions, etc. Le pluriel est justifié par le nombre de branches
concernées : neurobiologie cellulaire ou moléculaire, neuroanatomie,
neuroendocrinologie, neurochimie, neurophysiologie, neuropathologie,
neurolinguistique, neurosciences comportementales, neurosciences sociales,
psychologie cognitive, neurosciences cliniques, neuropsychologie, imagerie
cérébrale, neurosciences computationnelles (modélisation informatique), etc.
Neuroéducation n’est pas un terme consensuel. Pour certains, il sent le
charlatanisme, alors que c’est le titre officiel de la chaire d’universitaires
reconnus au Québec ; pour d’autres, il est synonyme de neurosciences
éducatives ou éducationnelles et de neuropédagogie. Steve Masson en donne
une définition simple : « mieux comprendre le cerveau pour mieux enseigner
».
Un neuromythe est une croyance infondée scientifiquement ou une
extrapolation erronée de travaux scientifiques qui donne lieu à des dérives.
Bruno della Chiesa a utilisé ce terme dans un rapport de l’OCDE intitulé
Comprendre le cerveau, naissance d’une science de l’apprentissage. Depuis,
tous les neuroscientifiques dénoncent des neuromythes comme la brain gym,
« tout se joue avant 3 ans », les styles d’apprentissage, cerveau droit-cerveau
gauche, les périodes critiques, l’utilisation de 10 % de notre cerveau, les
différences liées au sexe, etc.
La plasticité cérébrale (neuroplasticité, plasticité neuronale ou synaptique)
désigne la capacité du cerveau à modifier l'organisation de ses réseaux de
neurones (cellules nerveuses) en fonction des expériences vécues.
La modularité cérébrale est une hypothèse selon laquelle la vie mentale est
sous-tendue par le fonctionnement coordonné d'un ensemble de processeurs
cognitifs spécialisés. Ainsi, chaque module serait responsable d'un type
particulier de traitement de l'information. Il y aurait donc un module pour la
reconnaissance de visages, un autre pour le traitement des sons de parole, un
troisième pour l'orientation dans l'espace, etc.
Le recyclage neuronal est le processus par lequel le cerveau utilise une
région pour une autre fonction que celle qu’elle assure initialement. Stanislas
Dehaene fait l’hypothèse que le cerveau n’est pas programmé pour lire et que
des régions ont été détournées de leur fonction première pour contribuer aux
réseaux qui permettent à l’homme de lire.
L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) est utilisée
pour visualiser indirectement l’activité d’un organe par l’enregistrement des
variations locales minimes du flux sanguin. L’IRMf du cerveau est
notamment très utilisée en neurosciences pour étudier en détail l’activité
neurale lors d’évènements sensorimoteurs, perceptifs, émotifs ou cognitifs.
L’attention est le processus de sélection et d’activation de certains réseaux
de neurones aux dépens des autres et suppose une mise en disponibilité de
tous les canaux sensoriels orientée vers la recherche et l’enregistrement de
certaines informations, d’où l’expression « attention perceptive » ou
sensorielle mais on distingue surtout :
l’attention sélective ou focalisée qui est la capacité de maintenir son
attention sur une cible lorsque des distracteurs sont présents. Il s’agit de
trier les informations pour retenir celles qui sont pertinentes au regard de
l’objectif visé ; l’attention exécutive désigne la capacité de contrôler notre
comportement en fonction des objectifs que nous nous assignons ;
l’attention divisée ou partagée est la capacité de répartir les ressources
attentionnelles sur deux ou plusieurs tâches de manière simultanée ;
l'attention soutenue consiste à maintenir un niveau d’efficience
adéquat et stable au cours d’une activité d’une certaine durée sollicitant un
contrôle attentionnel continu, une vigilance.
La concentration pourrait désigner la réduction du champ des
perceptions, une forme de focalisation, l’attention serait une ouverture
vers l’extérieur et la concentration une intériorisation.
La mémoire permet d’enregistrer des informations venant d’expériences et
d’évènements divers. Les différentes mémoires mettent en jeu des réseaux
neuronaux distincts interconnectés qui fonctionnent en étroite collaboration.
On distingue trois étapes : l’encodage, le stockage ou rétention et la
récupération ou le rappel.
La mémoire perceptive ou sensorielle est celle des perceptions
(images, sons, odeurs, gouts, sensations tactiles), avant même qu’elles
prennent une signification.
La mémoire à court terme est la capacité de retenir des données
limitées en volume (sept items en moyenne) et dans le temps (de quelques
secondes à une minute), contrairement à la mémoire à long terme.
La mémoire de travail suppose la transformation, la manipulation,
l’organisation, même minimes, des données stockées à court terme.
Certains ne distinguent pas mémoire à court terme et mémoire de travail.
La mémoire explicite ou déclarative ou consciente : on peut verbaliser
les souvenirs. Elle comprend la mémoire épisodique et la mémoire
sémantique.
La mémoire épisodique ou anecdotique est celle des évènements
autobiographiques conscients, le souvenir de moments vécus, des
expériences subjectives.
La mémoire sémantique est la mémoire du savoir et des connaissances
conscientes.
La mémoire implicite ou non déclarative ou inconsciente ne
s’exprime pas par des mots, mais par l’exécution d’actions automatiques.
Elle comprend la mémoire procédurale, les représentations perceptives, les
conditionnements émotionnels, les réflexes conditionnés.
La mémoire procédurale est une mémoire implicite, celle des
automatismes comme faire du vélo ou nouer ses lacets.
Les fonctions exécutives ou de haut niveau permettent l’adaptation aux
situations nouvelles ou complexes. Parmi celles-ci nous retrouvons :
la planification qui permet d’organiser l’action en programmant son
déroulement dans le temps par étapes ;
la flexibilité qui renvoie à la capacité de réorienter la pensée et l’action
afin de traiter des situations de différentes manières ;
l’inhibition qui bloque les informations ou actions non pertinentes.
4. Sur le site des Cahiers
pédagogiques
Stimuler les fonctions exécutives
A partir d’une étude de cas, un doctorant s'interroge sur les
possibles utilisations de la méthode Tomatis pour aider les
élèves souffrant de troubles des apprentissages à améliorer le
contrôle des fonctions exécutives.

Matthieu Paré, Doctorant, Université Sherbrooke, Québec

Dans les années 2000 les approches neurocognitives témoignent en faveur de


l’entraînement des fonctions cognitives à l’école en se basant sur l’hypothèse
de la plasticité du cerveau. Les recherches scientifiques dans ce champ
soulignent que certains enfants n’activent pas ou peu l’une des fonctions
exécutives importantes au plan du comportement et de leurs apprentissages :
l’inhibition. L’inhibition est l’une des trois fonctions exécutives de base avec
la flexibilité et la mise-à-jour. Cette dernière fonction est fondamentale pour
permettre non seulement l’apprentissage mais aussi la capacité à auto-
régulariser les émotions. Ainsi, on ne peut pas apprendre si l’on est incapable
de faire abstraction des informations internes comme externes non pertinentes
pour l’apprentissage en cours, par exemple les bruits avoisinants ou la rêverie
de la fin de semaine.

LE CAS DE FÉLIX
J’ai rencontré Félix, un jeune Vietnamien lorsqu’il avait 6 ans à l’école
Montessori de Magog au Québec. Il m’a été présenté par la direction et les
enseignants comme un enfant turbulent, agressif envers les pairs et la famille,
inattentif, impulsif et hyperactif. Enseignants et parents, arrivés à une
impasse, envisageaient de le médicamenter. Nous avons établi dès l’entrée en
1ère année un plan d’intervention très complet : mesures d’éducation
spécialisée individuelle au quotidien, groupe d’habiletés sociales
hebdomadaire, rencontre en psychoéducation individuelle, travail sur la
dynamique familiale à la maison, accompagnement des enseignants, carnet de
comportements, etc. La mise en place de telles mesures psychoéducatives a
permis d’encadrer Félix dans toutes les sphères de sa vie et, aux dires de tous,
a entrainé une nette amélioration dans presque tous les domaines. Toutefois
Félix présentait toujours un retard considérable du développement de ses
capacités d’attention. C’est alors qu’est entrée en scène la méthode Tomatis,
un traitement audiopsychophonologique qui se réfère à la psychiatrie, la
neurologie et la psychologie des comportements. A la suite de cette prise en
charge Félix a montré plus de calme, il s’est apaisé, l’agitation motrice et
l’hyperactive ont diminué. Il semble qu’il ait pu prendre ainsi son gouvernail
émotionnel en main par le biais de l’amélioration des fonctions exécutives.

LES EFFETS ATTRIBUÉS À LA MÉTHODE TOMATIS


Cette méthode est utilisée pour les troubles de l’audition, de la voix, du
langage, de l’équilibre, mais aussi pour lutter contre l’échec scolaire. En
effet, il semblerait que les impacts positifs aient été observés sur des enfants
de l’enseignement primaire souffrant de troubles des apprentissages. Cette
méthode permettrait de favoriser d’abord le « développement et maintien de
l’équilibre psychophysiologique », de diminuer les troubles comme la
dyslexie, la dysorthographie, la dyscalculie et les retards d’apprentissages.
Les objectifs de la méthode thérapeutique sont l’entrainement de l’écoute,
l’amélioration des capacités de perceptions, la stimulation de la motricité,
l’augmentation de la concentration, le développement du langage, de la
conscience de soi, de l’énergie et de la motivation, la régulation de l’équilibre
végétatif, etc. Cette méthode serait susceptible d’améliorer significativement
les fonctions vestibulaires telles que la motricité fine, la posture, l’équilibre et
la coordination, mais aussi, elle permettrait de diminuer les troubles du
comportement tels que l’impulsivité, l’agressivité, les troubles d’attention et
de la concentration, l’hyperactivité, symptômes présents chez les jeunes
présentant un TDA/H (Trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité)
avéré. La méthode favoriserait la communication et la socialisation, chez les
jeunes autistes par exemple. Trois cents écoles polonaises participent à une
expérimentation sur cette base dans le cadre du programme européen de lutte
contre l’échec scolaire.
Le Docteur Liliana Sacarin a conduit une étude exploratoire auprès de 25
élèves de 7 à 13 ans atteints d’un TDA. Elle a montré que la méthode
Tomatis avait renforcé la myélinisation des voies auditives qui augmente la
vitesse de traitement des signaux auditifs. Ce changement permettrait une
meilleure intégration des différents systèmes sensoriels et une meilleure
harmonie entre les systèmes nerveux sympathique et para-sympathique et
améliorerait significativement le fonctionnement cognitif, la conscience
phonologique, le décodage des phonèmes lors de la lecture et l’attention
auditive.

LE PRINCIPE DE LA MÉTHODE
Concrètement la méthode Tomatis consiste à apprendre ou à réapprendre à
bien écouter par un processus de stimulation auditive à l’aide d’un appareil
électronique qui active alternativement l’oreille entre des phases de travail et
de repos, de relâche et de tension. La stimulation auditive par entraineur
électronique, ou un modulateur de fréquences, consiste à permettre au
cerveau de régulariser l’écoute dite interne (osseuse) par rapport à l’écoute
dite externe (aérienne). La musique de Mozart, entre autres, est utilisée,
filtrée et perçue par l’intermédiaire d’un casque avec conduction aérienne et
osseuse, dans l’optique de créer une gymnastique auditive qui (ré)apprend au
cerveau à gérer les différents sons de manière optimale. En soi, cette méthode
ne touche pas seulement la capacité d’écoute, mais aussi la capacité à
communiquer par les liens qui existent entre l’oreille, le thalamus, les
amygdales et le cortex. Comme le stipule la première loi de l’oto-rhino-
laryngologiste Tomatis : « La voix ne contient que ce que l'oreille entend ».
Ainsi en augmentant le spectre des fréquences bien entendues l’enfant
augmente en même temps sa capacité vocale. Cela nous amène à considérer
la deuxième loi du médecin : « si on donne la possibilité à l'oreille d'entendre
de nouveau correctement des fréquences qui jusque-là n'étaient plus ou plus
bien perçues, alors elles deviennent de nouveau immédiatement et
consciemment perceptibles dans la voix ».
Dans cette optique, améliorer les capacités d’écoute d’un enfant revient à
développer son langage qui, on le sait maintenant, est directement lié aux
apprentissages scolaires et aux difficultés comportementales.
La méthode Tomatis n’est pas nouvelle et elle est régulièrement critiquée
pour son manque d’assises scientifiques car les recherches qui la concernent
n'ont pas réalisé de protocoles scientifiques rigoureux. Les neurosciences
pourraient permettre enfin de vérifier les intuitions de son fondateur et les
constats des praticiens.
RÉFÉRENCES Dominique Habellion, Eduquer l’oreille pour prevenir les agressions sonores,
Revista Psicologia & Saúde Gerardo Restrepo, Émotion, cognition et action
motivée: une nouvelle vision de la neuroéducation, Neuroéducation 3 (1 ), 9-17
Dormir pour apprendre
Les neurosciences s’intéressent aussi au sommeil, à son rôle
concernant la mémoire et l’appropriation des connaissances.
Qu’en est-il des troubles du sommeil et de ses conséquences
sur les apprentissages ?

Stéphanie Mazza, Laboratoire d'Etude des Mécanismes Cognitifs (EMC)


Université Lumière Lyon 2

Plusieurs études en neurosciences ont démontré l’effet du sommeil sur la


mémorisation. Nous avons tous expérimenté les effets d’une mauvaise nuit de
sommeil sur notre capacité à mémoriser. Ce que nous savons moins, c’est que
le sommeil joue rôle majeur sur ce que nous avons appris, car le sommeil qui
suit un apprentissage nous permet de le consolider pour le rendre stable et
durable. Ebbinghaus, en 1885, puis Jenkins & Dallenbach en 1924, ont été les
premiers à s’intéresser à l'influence d'une période de sommeil sur la mémoire.
Ils ont montré que le nombre d’informations retenues était plus important
lorsqu’une période de sommeil séparait l’apprentissage de la restitution,
plutôt qu’une période d’éveil. Ils ont alors proposé l’idée qu’une période de
sommeil aurait un effet protecteur sur les informations mémorisées, réduisant
ainsi l’oubli. Mais plus qu’un rôle passif de protection contre les
interférences, le sommeil permettrait de transformer une trace mnésique
labile en une trace stable, plus permanente et moins sensible aux
interférences. Ainsi le sommeil permet de restructurer les souvenirs, de les
intégrer à d’autres connaissances et même participe à l'effacement des
informations les moins pertinentes. Il n’est donc pas étonnant d’observer une
augmentation de la quantité de sommeil, notamment de sommeil profond et
de sommeil paradoxal, pendant la nuit qui suit un apprentissage mais aussi
une altération de ce processus de consolidation en cas de privation de
sommeil.

REPLAY
En fait la consolidation nocturne des apprentissages pourrait être liée à la
réactivation spontanée pendant le sommeil des régions cérébrales impliquées
au moment de l’apprentissage. Des chercheurs ont pu montrer en étudiant des
Diamants Mandarins endormis, que ces oiseaux rejouaient mentalement
pendant leur sommeil les mélodies de sifflements apprises au cours de la
journée. Chez le rat, des données récentes ont montré que les neurones
activés au cours de l’apprentissage se réactivaient selon la même rythmique,
au sein des cortex sensoriels et de l’hippocampe (régions essentielles au
processus de mémorisation) au cours de la période de sommeil qui suivait
l’apprentissage. Ce phénomène, nommé « replay », a également été observé
chez l’humain grâce à la neuro-imagerie et pourrait sous-tendre le processus
de consolidation de la mémoire pendant le sommeil. On a pu ainsi observer
que les performances lors de la restitution de paires de mots, ou d’images
sont meilleures chez les enfants lorsqu’une période de sommeil a suivi
l’apprentissage. Ou encore qu’une sieste, après un apprentissage, suffisait à
améliorer les capacités de flexibilité et de généralisation de jeunes enfants
face à du matériel langagier.

UN SOMMEIL DE QUALITÉ, OUI, MAIS COMMENT ?


On le sait, trop d’enfants sont affectés de troubles du sommeil (un bon tiers) :
difficultés d’endormissement, réveils nocturnes, insomnies… Ces enfants
souffrent, plus fréquemment que les bons dormeurs, de retards de croissance,
de troubles du comportement et de la gestion des émotions, et plus
globalement d’une réduction de leur qualité de vie. Les difficultés
d’apprentissages sont souvent un motif menant les parents à consulter un
professionnel de santé.
Une étude, menée par Gozal et son équipe, a montré que les troubles du
sommeil étaient 6 à 9 fois plus fréquents chez les enfants les moins
performants de leur classe, par rapport à la population générale. Ainsi, ils ont
montré que 80% de ces enfants présentaient un trouble du sommeil, mais
surtout que la prise en charge de cette difficulté nocturne améliorait leurs
performances scolaires. Une étude australienne s’intéressant aux
performances scolaires d’enfants âgés de 7 à 12 ans a mis en évidence une
augmentation significative des difficultés en lecture ou arithmétique chez des
enfants présentant des troubles du sommeil. Par ailleurs, alors que les adultes
en manque de sommeil peuvent avoir des épisodes de somnolence, cela se
traduit chez l’enfant par l’énervement et l’hyperactivité, d’où des troubles de
l’attention et du comportement.
Malgré la forte prévalence des troubles du sommeil chez l’enfant, peu de
familles consultent leur pédiatre. Inversement, peu de pédiatres questionnent
en routine les enfants ou leurs parents sur d’éventuelles difficultés nocturnes.
Cette constatation s’explique d’une part par le manque d’attention que nous
portons sur les conséquences du manque de sommeil sur notre
fonctionnement et d’autre part par le fait que les pédiatres sont
insuffisamment formés sur les outils d’investigation du sommeil de l’enfant.
Il s’agit donc de restaurer chez les enfants et de leurs parents des
comportements adaptés et de bonnes habitudes concernant le sommeil. Cette
mise en place d’une bonne hygiène de sommeil devra porter sur
l’environnement : réduire le bruit, la lumière, rendre la chambre confortable,
supprimer la télévision de la chambre, la tablette et le téléphone, respecter un
rythme (maintenir des horaires réguliers de coucher et de lever tous les jours
de la semaine, respecter un volume de sommeil suffisant en fonction de l’âge
de l’enfant, réserver du temps pour l’activité physique au cours de la
journée), contrôler l’excitation physiologique (établir un rituel de coucher
apaisant, réduire la consommation d’excitants, associer le coucher à un
moment d’apaisement).
Tout cela ne peut se faire, bien entendu, que par un travail commun entre
l’école et les parents, afin de préserver ce moment si important pour la
réussite « diurne » des enfants. C’est pourquoi nous avons lancé un projet de
recherches sur les troubles du sommeil des moins de 12 ans, projet porté par
le laboratoire d’étude des mécanismes cognitifs de l’université de Lyon et
l’hôpital Femme-Mère-Enfant de Lyon et soutenu par l’Agence Nationale de
la Recherche. Nous souhaiterions dans ce cadre mener une étude pilote avec
certaines écoles de la région Rhône-Alpes pour mettre en place un dispositif
de dépistage et de prévention des troubles du sommeil. Ce projet sera réalisé
en collaboration avec des médecins et des infirmières scolaires, notamment
dans le cadre de la visite médicale obligatoire. Nous souhaiterions également,
en collaboration avec les instituteurs, mettre en place des ateliers
pédagogiques pour expliquer aux enfants le sommeil, son rôle et son
importance.
Nous envisageons également de réaliser des conférences d’information pour
poursuivre le dialogue avec des parents qui nous ont souvent dit manquer de
connaissances sur le sujet. A suivre…
Des apports qui restent
discutables…
Une contribution qui serait plutôt mesurée quant à l’apport
possible des neurosciences à la pédagogie. N’en serions-nous pas
finalement encore à une préhistoire de leurs rapports ?

Catherine Reverdy et Marie Gaussel , Chargées d’étude et de recherche


à l'Institut français de l’Éducation –
ENS de Lyon

Que veulent les enseignants ? Ils aimeraient pourvoir gérer l’hétérogénéité de


leur classe. Ils aimeraient donner une chance de réussite à tous les élèves. Ils
aimeraient que chaque élève soit motivé pour apprendre et consacre toute son
attention à ce qui se passe en classe. Ils aimeraient gommer les différences
entre les élèves grâce au savoir. Ils aimeraient que les élèves soient heureux
d’être à l’école. Bref, si on pouvait leur proposer des méthodes, des idées, des
formations qui puissent exaucer leurs vœux, tout serait parfait. C’est là que la
neuro-éducation entre en scène car elle promet tout cela.

LA MONTÉE EN PUISSANCE DE LA « NEURO-ÉDUCATION »


Nous avions publié en 2013 un Dossier d’actualité sur les relations entre
neurosciences et éducation (« Neurosciences et éducation : la bataille des
cerveaux ») reprenant de nombreuses recherches issues des neurosciences et
s’intéressant à l’enseignement pour tenter de mieux comprendre comment
s’articulaient ces deux champs scientifiques. Ce sujet s’était imposé comme
une évidence à l’époque, tellement les recherches à la frontière entre ces deux
domaines abondaient. Par exemple, des formations institutionnelles étaient de
plus en plus souvent organisées sur la thématique des neurosciences, des
noms de chercheurs neuroscientifiques (Dehaene, Ramus, Vidal, etc.)
commençaient à circuler dans le système éducatif, et le débat de 2007 sur les
méthodes de lecture était encore très présent dans les esprits, se cristallisant
autour du caractère scientifique ou non des recherches en éducation, par
rapport aux recherches neuroscientifiques (voir par exemple notre article de
blog Eduveille « La guerre des sciences »).
Nous nous étions donc attaquées à ce fameux pont entre neurosciences et
recherches en éducation, étant beaucoup plus familières des deuxièmes que
des premières. Et comme tout le monde, en travaillant sur ce sujet, nous nous
sommes dit que cette nouvelle science allait révolutionner l’enseignement et
qu'enfin, apprendre deviendrait non seulement plus facile mais serait aussi
désormais un plaisir pour tous !
La rédaction de ce dossier nous a permis ainsi de mieux connaître les
avancées en neurosciences, dans les domaines du langage, des
mathématiques, de la lecture, l’importance des émotions, le fait que la
mémoire est en réalité un ensemble de systèmes de mémoire, le rôle joué par
l’attention des élèves. Nous avons également découvert l’existence des
neuromythes, ces croyances qui sont une déformation erronée de certains
résultats neuroscientifiques, et qui sont pourtant ancrées chez une grande
partie de la population, bien qu’une abondante littérature de recherche les
dénonce depuis le début des années 2000. À titre d’exemple, citons les styles
d’apprentissage : de nombreux enseignants sont persuadés que chaque élève
apprend selon un style bien déterminé (auditif, visuel ou kinesthésique). Cette
croyance n’est cependant pas étayée scientifiquement : rien ne prouve que les
styles existent et qu’ils puissent aider en quoi que ce soit l’apprentissage des
élèves, mais ils ont pourtant un grand succès et peuvent être utilisés de bonne
foi en classe, apportant malheureusement un risque de stigmatisation des
élèves et de limitation de leurs capacités d’apprentissage.
Parallèlement des travaux de recherche sont parus sur le phénomène de
« médicalisation de l’échec scolaire » (titre du livre de Stanislas Morel publié
en 2014), soulignant le fait qu’il y a une tendance assez forte en France
depuis la fin des années 1980 à recourir aux traitements médico-
psychologiques dès qu’un élève est en échec scolaire, en cherchant à
répondre à ses « besoins éducatifs particuliers » et en essayant de repérer ses
« défaillances individuelles ». Cette attention forte portée au médical a pour
conséquence que les enseignants ne sont plus les seuls à pouvoir intervenir
sur les difficultés des élèves, ce qui les dédouane d’une certaine façon et ne
les incite pas à chercher d’autres réponses pédagogiques plus adaptées. On
pense par exemple ici aux troubles des apprentissages comme la dyslexie ou
la dyscalculie : il paraît impensable aujourd’hui de ne pas faire appel aux
professionnels de santé.
Tout ceci a fait que les chercheurs neuroscientifiques sont particulièrement
écoutés de nos jours dans le monde de l’éducation et que les attentes en
termes d’outils, de méthodes et de connaissances sur les liens entre cerveau et
apprentissage soient fortes du côté des enseignants, des politiques, des
parents… De notre côté, après de nombreux livres et articles lus (y compris
dans le champ de la philosophie), après des rencontres et des entretiens avec
des spécialistes, c’est la grande désillusion. Mais commençons par un aperçu
des recherches actuelles, vues par la discipline qui s’est créée à la frontière
entre neurosciences et éducation : la « neuro-éducation ».

COMMENT LA « NEURO-ÉDUCATION SE DÉFINIT-ELLE ELLE-


MÊME ? »
La « neuro-éducation » est aussi appelée neurosciences cognitives de
l’éducation, neuro-pédagogie ou encore, terme plus ancien, neuropsychologie
de l’éducation. L’objectif de la « neuro-éducation » est d’adapter
l’enseignement aux fonctionnement et capacités du cerveau, bref de créer de
meilleures manières d’enseigner, d’adopter des stratégies bénéfiques à tous
les élèves. Comment ? En utilisant des techniques récentes d’imagerie et de
stimulation cérébrale qui nous montrent comment le cerveau réagit à tel ou tel
stimulus (c’est-à-dire des lettres, des sons, des nombres) et quelle partie du
cerveau est plus spécifiquement sollicitée. Ou encore, en expliquant comment
la, ou plutôt les, mémoires fonctionnent et comment les connaissances
transforment les circuits neuronaux.

BIEN SÛR, LA « NEURO-ÉDUCATION » DÉNONCE LES


NEUROMYTHES…
Tout naturellement, de nombreux articles de « neuro-éducation » ont pour
objectif premier de dénoncer les neuromythes. Cette démarche est en effet
indispensable pour qu’il n’y ait pas d’idées fausses ou mal interprétées se
propageant sur le fonctionnement du cerveau. Les neuromythes sont
particulièrement bien établis en Amérique du Nord et les « neuro-
éducateurs » du Canada et des États-Unis sont mobilisés sur la transmission
d’informations neuroscientifiques issues des recherches. Mais cette
transmission est difficile et il n’est pas rare qu’en dénonçant les neuromythes,
ils échouent dans cette tâche, voire ils en introduisent parfois de nouveaux.
Ceci est dû à plusieurs raisons : tout d’abord, la fascination que les images
sur le cerveau exercent sur le public ; ensuite, le désir d’obtenir des réponses
plus tranchées et qui vont plus loin que les recherches elles-mêmes, qui sont
assez limitées comme nous le verrons dans les applications pédagogiques.

… ET INFORME DES « GRANDS PRINCIPES » DU CERVEAU


Premièrement, le cerveau est plastique, il se transforme tout au long de
la vie en fonction des apprentissages.
Deuxièmement, le recyclage neuronal permet aux connexions
synaptiques de se modifier en formant de nouvelles connexions entres
neurones (nouvelles synapses), en renforçant ou supprimant certaines
synapses (élagage) selon la régularité de leur utilisation.
Troisièmement, le principe de l’inhibition permet aux élèves de résister
aux automatismes cognitifs afin de s’adapter à des situations plus
complexes grâce à la flexibilité de ses circuits neuronaux (certains circuits
neuronaux doivent être inhibés pour permettre aux structures initiales de
s’adapter).
Et enfin, l’attention qui permet de filtrer et de sélectionner les
informations pertinentes. Le système de l’attention est complexe car il est
formé par trois sous-systèmes : l’alerte, l’orientation et le contrôle
exécutif. Ces systèmes modulent l’activité cérébrale, il appartient donc à
l’enseignant de tenir ses élèves « en alerte » au « bon niveau » et faciliter
ainsi une concentration sélective (on se concentre sur la bonne tâche, on
ne se disperse pas). Mettre l’accent sur l’attention permettrait même de
lutter contre les inégalités sociales (Dehaene, 2013).
Une fois que l’enseignant a pris conscience de ces principes, il lui suffit de
savoir qu’en plus de l’attention, l’engagement actif, le retour d’information et
la consolidation sont les autres piliers de l’apprentissage. En effet, il ne faut
pas oublier de stimuler les systèmes de mémoires pour que la connaissance et
les savoirs restent et s’organisent dans notre système cérébral.

MAIS IL N’Y A PAS DE RÉELLES CONSÉQUENCES SUR LES


PRATIQUES PÉDAGOGIQUES
Que faire alors de toutes ces informations dans le cœur de la classe, dans ses
pratiques pédagogiques, au-delà de grands principes généraux sur la manière
d’apprendre, et non forcément sur les meilleures façons d’enseigner ?
Précisons d’emblée que les neurosciences ne sont pas tournées
« naturellement » vers une application dans l’enseignement. Leur objectif est
d’étudier la manière dont fonctionne une certaine partie du cerveau lors d’une
tâche d’apprentissage ciblée et hors de tout contexte scolaire (voir à ce propos
les expérimentations du laboratoire « Langage, cerveau et cognition »). Le
travail qui reste à faire pour savoir comment traduire en séquence
pédagogique cohérente les résultats des recherches en laboratoire reste
souvent très difficile et se heurte à toutes les autres contraintes scolaires et
sociales de cet environnement (niveau d’enseignement, horaires,
programmes, prise en compte du groupe, etc.). Par exemple, un article portant
sur l’application des recherches sur l’inhibition (Lubin et al., 2012) propose
un apprentissage spécifique pour éviter des « pièges » en orthographe,
comme les différentes manières de compléter la phrase « Léo les aim_ »
(« e », « es » ou « ent »). Pour cela, les auteurs de l’article testent un
« apprentissage à l’inhibition » sur 25 enfants de 10-11 ans qui tombent dans
les « pièges » lors d’un premier test. Cet apprentissage est basé sur un
dispositif didactique (carte attrape-piège) et une explicitation des pièges, par
rapport à un apprentissage « classique » (pas d’évocation du « piège » et
seule mise en évidence du verbe et du sujet). La conclusion de l’article porte
sur l’amélioration des résultats des élèves ayant suivi l’apprentissage à
l’inhibition (75 % de réponses correctes contre 50 %) et propose de
« sensibiliser le terrain éducatif à l’importance du contrôle cognitif dans les
apprentissages ». Les résultats obtenus ne sont pas interrogés : qu’en est-il
des élèves qui échouent après tous les tests ? Les causes d’échec peuvent-
elles résider ailleurs que dans le cerveau des élèves ? Est-ce que tous les
apprentissages dits « classiques » sont identiques et quelle influence ont-ils
sur les résultats des élèves ? Quels liens directs y a-t-il entre le choix du
dispositif pédagogique et ce que l’on sait sur le fonctionnement de
l’inhibition ?
C’est une impression de flou, d’imprécisions et de méconnaissance de la
culture scolaire que nous laissent à chaque fois les articles de « neuro-
éducation », domaine qui promet beaucoup de changements dans
l’enseignement, mais qui cherche à les apporter par les données brutes des
neurosciences, en confondant appropriation des connaissances sur le cerveau
et amélioration des pratiques pédagogiques. Comme si l’interprétation
d’images du cerveau suffisait à donner des solutions pour mieux enseigner.
BIBLIOGRAPHIE Stanislas Dehaene, « Les quatre piliers de l’apprentissage, ou ce que nous
disent les neurosciences », ParisTech Review, 2013.
Marie Gaussel et Catherine Reverdy, « Neurosciences et éducation : la bataille des cerveaux »,
Dossier d’actualité Veille et Analyses IFÉ, n° 86, septembre 2013 .
Amélie Lubin , Céline Lanoë , Arlette Pineau et Sandrine Rossi, « Apprendre à inhiber : une
pédagogie innovante au service des apprentissages scolaires fondamentaux (mathématiques et
orthographe) chez des élèves de 6 à 11 ans », Neuroéducation, 2012, vol. 1, n° 1, p. 55-84.
Face aux troubles de l'attention
On entend beaucoup parler de l'hyperactivité et des troubles
de l’attention. Qu’en disent les travaux scientifiques et qu’en
faire à l’école ?

Agathe Marcastel, Psychologue-Neuropsychologue, Laboratoire Dynamique du


Langage, Université Lyon 2, Lyon. Agathe.Marcastel@univ-
lyon2.fr

Le Trouble de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH) est un trouble


neurodéveloppemental caractérisé par une forte impulsivité, une importante
distractibilité et une hyperactivité motrice. Il touche 5 à 10 % des enfants
d’âge scolaire dont 2/3 demeurent impulsifs et inattentifs à l’adolescence,
11% le restant au-delà de 26 ans.
L’impulsivité se caractérise par de grandes difficultés à supprimer
volontairement des comportements ou des paroles inadaptés à la tâche en
cours. Par exemple, en classe, lorsqu’un enfant a tendance à débuter un
exercice sans lire la consigne jusqu’au bout (au risque de manquer une
information essentielle), lorsqu’il n’attend pas la fin de la question pour
répondre ou qu’il a du mal à attendre son tour, il fait preuve d’impulsivité.
Ces comportements sont normalement évités grâce à des capacités d’auto-
régulation qui sont déficitaires dans le TDAH. Des fautes d’étourderie, une
attitude rêveuse, des difficultés à terminer un travail ou à le faire dans les
temps parce que d’autres pensées viennent l’interrompre, des retards
fréquents, la perte récurrente du matériel, ou l'oubli des consignes dans les
exercices ou les jeux sont autant d’indicateurs d’un manque de contrôle de la
distractibilité.
L’hyperactivité motrice est quant à elle sous-tendue par un manque de
contrôle de l’activité motrice. Elle se traduit sur le plan comportemental par
des difficultés à rester en place et à s’empêcher de bouger les mains et les
jambes tout en souffrant de cette agitation. Elle n’accompagne pas
nécessairement le trouble de l’attention, ce qui peut retarder le diagnostic.
Chez l’adulte, l’hyperactivité disparaît souvent pour laisser place à un
sentiment d’agitation intérieure.

ÉVALUATION ET PRISE EN CHARGE DU TDAH


En France, le diagnostic est posé par un neurologue. Il se base sur un
entretien avec le patient, qui permet de retracer son histoire de vie et
d’évaluer la gêne générée au quotidien par le trouble. Les réponses à des
questionnaires contribuent aussi à dépister le TDAH, de même qu’un examen
médical et des tests neuropsychologiques ciblant les capacités attentionnelles.
Suivant l’âge et le retentissement de la pathologie dans le quotidien, une prise
en charge pharmacologique peut être envisagée. Elle consiste en de petites
doses de psychostimulant permettant de rééquilibrer la neurotransmission, ce
qui exerce un effet calmant propice à une meilleure régulation du
comportement et de l’attention. Ce traitement est généralement donné aux
enfants et aux adolescents ayant un TDAH modéré ou sévère. Lorsque des
contre-indications aux traitements existent ou lorsque la prise de
psychotropes n’est pas souhaitée, des thérapies alternatives peuvent être
proposées (techniques de relaxation ou de méditation). Des remédiations
cognitives sont aussi proposées. Elles entraînent les fonctions cognitives
déficitaires comme l’attention soutenue ou la mémoire de travail et sont
basées sur un ensemble d’exercices dont le niveau de difficulté est
hiérarchisé. L’objectif est de stimuler, dans un premier temps, des processus
élémentaires de façon répétée, puis de s’appuyer sur les progrès afin de
recruter des processus de plus haut niveau.
Au Laboratoire Dynamique du Langage (DDL), nous développons de
nouveaux outils permettant d’affiner le diagnostic et la prise en charge des
patients TDAH adolescents et adultes. En effet, les fonctions cognitives
perturbées dans le TDAH sont celles dont le développement prend le plus de
temps au cours de la vie, et les tests qui existent pour les enfants sont
inadaptés pour les patients plus âgés. Aujourd’hui nous disposons d’encore
peu d’éléments sur les déficits sous-jacents au TDAH des adolescents et des
adultes et nos travaux proposent de compléter ces connaissances. Des
épreuves informatisées sont donc créées afin de tester de manière fine deux
mécanismes cognitifs spécifiquement déficitaires dans le TDAH : le contrôle
de la distractibilité et l’inhibition volontaire de réponse.

LE TDAH AU QUOTIDIEN
L’impulsivité associée au TDAH est un facteur majeur de marginalisation de
l’enfant, qui agit trop souvent sans suivre les règles du jeu, interrompt les
conversations, intervient à l’école de façon peu pertinente et initie parfois des
bagarres. A l’âge adulte, ces difficultés restent très présentes et peuvent
retentir négativement sur des décisions aux enjeux plus importants que
pendant l’enfance. Cette pathologie est aussi connue pour accroître les
risques de comportement addictif par rapport à l’alcool, aux drogues, au jeu.
Elle constitue un facteur de risque d’initiation précoce à l’utilisation de
substances psychoactives, mais est aussi associée à une durée plus élevée de
la dépendance et à une rémission deux fois plus lente. L’entrée dans l’âge
adulte, avec l’augmentation des responsabilités et la nécessité d’une plus
grande autonomie, pose des problèmes difficiles à dépasser en cas de TDAH.

FOCUS SUR UNE ÉTUDE


Nous avons proposé à huit adultes TDAH de réaliser un bilan attentionnel
composé d’épreuves standardisées et de nouvelles épreuves créées au
laboratoire afin de caractériser finement le profil de chaque patient. Certains
troubles ne se révèlent qu’en situation imposant de fortes demandes
cognitives, ce que n’évaluent pas forcément les tests disponibles
actuellement. Elles sont complétées par une épreuve réalisée en EEG
(électroencéphalographie), permettant de mesurer l’activité cérébrale durant
une tâche où il faut appuyer sur une touche à l’écoute d’un certain son et
inhiber la réponse si le son est différent. Cette mesure nous permet de
comprendre quelle stratégie cognitive est mise en place lors du processus
d’inhibition. Celui-ci peut être planifié de manière proactive, c’est-à-dire en
amont de la commande motrice, ou de manière réactive, en supprimant au
dernier moment les activations motrices. Chez les participants sans
pathologie ces processus se réalisent de manière systématique dans chaque
situation d’inhibition de réponse. Chez les participants TDAH nous nous
sommes rendus compte que certains s’appuient uniquement sur le mode
proactif tandis que d’autres privilégient le mode réactif. D’autre part
l’activation de ces modes est plus faible que chez les participants sans
pathologie. La faible activation d’un seul des deux modes d’inhibition de
réponse se traduit sur le plan comportemental par l’impulsivité des
participants TDAH.
La remédiation cognitive est une piste prometteuse quant à la réduction des
symptômes liés au TDAH chez l’adulte. Il est vraisemblable qu’une
répétition de l’entraînement permette de prolonger et d’approfondir les
bénéfices. Peu coûteuse, facilement installable sur les ordinateurs personnels,
cette prise en charge est par exemple adaptée aux étudiants durant les
vacances scolaires. Chez les plus jeunes, en complément ou non d’une prise
en charge pharmacologique, l’impact de cette remédiation pourrait être
extrêmement positif sur la vie en classe et les apprentissages en permettant un
contrôle plus actif du comportement. Un protocole est d’ailleurs mis en place
auprès d’adolescents TDAH. Cette recherche est en cours, mais ouvre la voie
à des pistes thérapeutiques nouvelles, sans contre-indications médicales, sans
effets secondaires et caractérisées par une grande facilité de prise en main.
Les intelligences multiples au
Centre de documentation
L'auteure a utilisé la théorie des intelligences multiples pour
construire le centre de documentation dans lequel elle
travaille aujourd’hui. Une voie qui , à ses yeux, favorise l'accès
aux apprentissage et l'autonomie des élèves.

Marjorie Decriem, Professeure en sciences de l’information et de la


documentation au Lycée International de Los Angeles

Dans le roman dystopique de Veronica Ruth, la société est divisée en 5


factions : Erudits, Altruistes, Audacieux, Sincères, Fraternels. Les individus
sont classifiés selon leurs aptitudes et leurs qualités, ce qu’on peut rapprocher
de la théorie des intelligences multiples d’Howard Gardner. Certains
adolescents vont, bien entendu, se rebeller et attaquer le système de
« classement » proposé. Il est clair qu’il ne s’agit pas de cantonner chacun à
une seule facette, d’enfermer l’individu dans une case.
Howard Gardner a défini 8 profils d’intelligences dans des travaux présentés
dans les années 80, notamment dans Les formes de l’intelligence. Il n’était
pas pédagogue mais psychologue, ses travaux basés sur des expériences
menées en laboratoire ont connu un certain succès dans les milieux de
l’éducation. Chacun posséderait en lui ces 8 formes d’intelligences à des
niveaux d’expertise différents. En tenant compte d’un certain nombre de
nuances et de précautions, il me semble que la théorie des intelligences
multiples peut apporter une autre vision de nos élèves, et notamment dans le
cadre d’un Centre de Documentation, en premier lieu pour l’aménager.

LE QUATRIÈME LIEU
J’ai eu la chance de participer au déménagement du campus secondaire et
donc de me retrouver avec un espace de type loft à aménager en centre de
ressources. Des études sur les premières bibliothèques publiques bâties sur le
modèle des intelligences multiples ont vu le jour aux Etats-Unis et j’ai bien
entendu choisi de m’intéresser à toutes ces innovations pour essayer de faire
du Centre de Documentation un lieu où l’élève peut se sentir bien et où je
peux en même temps remplir au mieux mes missions pédagogiques. Je me
suis également interrogée sur la véritable place du Centre de Documentation
dans la vie et l’apprentissage des élèves. Il me semble qu’en intégrant
désormais la dimension numérique le Centre de documentation se situe, non
plus comme un lieu central, mais comme un lieu intermédiaire, le quatrième
lieu après la maison, l’école et la bibliothèque « traditionnelle », qui doit à la
fois fournir les informations, mais aussi les outils d’apprentissage.

LA PÉDAGOGIE DE L’ÉTONNEMENT
La prise en compte des différentes intelligences (verbolinguistique, spatiale,
naturaliste…) peut donc participer, non seulement à la différenciation
pédagogique mais également à l’individualisation pédagogique dans un
centre de documentation. Il ne s’agit pas bien entendu de mettre en place une
analyse psychologique approfondie de chacun des 400 élèves qui le
fréquentent, mais d’être en mesure de leur fournir à un moment donné les
outils nécessaires pour optimiser leur manière de travailler et stimuler le goût
d’apprendre en les surprenant.
Il me semble donc judicieux d’offrir aux élèves la possibilité d’identifier
leurs formes d’intelligences de façon informelle, pas par des tests directs,
mais à travers une série de reconnaissances, afin de les valoriser et de les
motiver.

SERIOUS GAME À L’ŒUVRE


A travers son livre Tous Intelligents Stéphanie Crescent associe les
apprentissages aux actions et aux émotions. Apprendre est un processus
mécanique soumis à de nombreux facteurs environnementaux, naturels et
culturels. Le fait d’offrir un environnement riche en stimulations est donc une
première étape dans le processus de formation de l’enfant. Néanmoins la
confiance, l’émulation, le soutien sont également des éléments motivants,
notamment pour les élèves en difficulté. L’identification et la mise en valeur
des forces de chacun à travers par exemple des modes d’expression
privilégiés (dessin, musique, oralité…) est donc d’une importance capitale.
Les jeux de stimulation et d’identification (création d’avatars avec les
qualités et les défauts…) peuvent se révéler être de bons outils pour cibler
les schémas de comportement.
Pour ma part j’utilise un questionnaire sans prétention scientifique mais de
type « test de personnalité » basé sur le roman Divergent en associant
chacune des 5 castes ou factions à un type d’intelligence dominante. A partir
de là nous engageons la conversation sur la société que cela entraînerait, sur
les points d’identification… J’insiste sur le fait que je ne souhaite pas mettre
en place un test scientifique mais un outil scolaire qui permet d’engager la
discussion et de valoriser les élèves.
https://www.playbuzz.com/marjah10/a-quelle-faction-appartiens-tu
Dans la revue Cerveau & Psycho Gervais Sirois propose la mise en place
d’outils plus visuels à destination des plus jeunes, comme une étoile qui
permettrait d’identifier les comportements à partir des activités faites en
classe. Il existe de nombreux dispositifs ludiques pour parler des intelligences
multiples (Mallette de jeux http://mallettedepaixdagogie.over-blog.com/).
A partir de ces premières séances, nous travaillons sur la valorisation des
particularités de chacun et la façon de les prendre en compte dans les
expériences pédagogiques menées au Centre de Documentation.
LA DIVERSIFICATION DES SUPPORTS
Je suis parfois effrayée de voir certains supports de cours. Si ces documents
ne me parlent pas à moi, je ne suis pas sûre qu’ils parleront aux élèves. Bien
sûr ils sont commentés en cours mais les possibilités offertes aujourd’hui par
le numérique et les pédagogies actives nous permettent de diversifier les
approches et de faire en sorte que chaque élève puisse comprendre,
mémoriser et obtenir des résultats satisfaisants.
L’Education aux Médias et à l’Information fournit un cadre intéressant pour
ces expériences pédagogiques. Les processus de lecture, de recherches,
d’analyse et de recul critique sur l’information, qu’elle soit d’ordre fictionnel
ou informatif, nécessitent la mobilisation de nombreuses stratégies,
notamment au niveau de la résistance cognitive comme l’explique Olivier
Houdé dans son ouvrage Apprendre à résister. Au cours de notre formation
des automatismes de pensée se mettent en place, une partie de l’apprentissage
consiste à inhiber ses premières réactions pour réussir à mettre en place des
stratégies adaptées. Le recours aux intelligences multiples peut permettre de
faciliter ces actes de résistance en offrant des outils qui interpellent l’élève
dans son propre fonctionnement cognitif.
Sur l’exemple de la rédaction d’une bibliographie, je vais présenter des
affiches au-dessus des étagères de livres et de l’espace informatique, des
exemples numériques sur le site de Centre de Documentation, une capsule
vidéo méthodologique à utiliser en autonomie, des fiches de travail à
remplir…
MÉTHODOLOGIE ET RESTITUTION
Pour rester pragmatique il est bien évident que la diversification des
stratégies d’apprentissages ne peut pas être totale ni systématique. D’après
mon expérience deux domaines de compétences s’y prêtent particulièrement
bien.
Tout ce qui relève de la méthodologie : l'analyse de consignes, de
documents est conditionnée par le fonctionnement et les particularités
cognitives de chacun.
Les restitutions, par exemple dans le cadre de lectures ou d’exposés,
peuvent être laissées à la discrétion de l’élève en proposant un nombre de
supports limité et en insistant sur les critères de validation de la
réalisation.
Donner à chacun la possibilité de valoriser ses points forts aura de toutes les
façons un impact positif sur les situations d’apprentissage, mais on ne saurait
s’arrêter là. On se doit d’offrir la possibilité de développer les types
d’intelligences dites « non dominantes » en diversifiant les activités pour
favoriser l’acquisition de compétences notamment en info-documentation.

PROPOSER DES ACTIVITÉS CHALLENGES


Selon Olivier Houdé ce n’est pas notre profil qui conditionne nos capacités
d’apprentissages, c’est notre capacité à nous adapter et à nous « appuyer sur
nos points forts ». Le conformisme scolaire est parfois la seule différence
entre les « bons élèves » et les « mauvais élèves ». Les élèves qui réussissent
le mieux dans un cadre scolaire sont souvent ceux qui sont capables d’adapter
leur fonctionnement aux situations proposées par l’enseignant. Or la
diversification, la mise en danger, permet non seulement de valoriser des
élèves perçus comme peu scolaires, mais aussi de briser les perceptions que
les élèves ont d’eux-mêmes, construites au cours de leur parcours scolaire.
Ainsi la mise en place d’activités de jeux de rôle, de théâtralisation (prendre
la parole devant les pairs), la responsabilisation au sein de la classe (faire
l’appel, être le maitre du jeu dans certaines situations pédagogiques), le
passage par l’oral, voire par le dessin, sont parfois des étapes nécessaires
pour créer des situations inédites.
Bien entendu la difficulté consistera à trouver le juste équilibre entre la
nouveauté (effet de surprise, mise en danger), la répétition pour familiariser
les élèves avec ces exercices et en faire de véritables situations
d’apprentissages avec le risque de la baisse de la motivation si l’exercice est
trop difficile (prise de parole en public) ou trop répétitif.

DES OUTILS TRANSVERSAUX


La particularité de l’Education aux Médias et à l’Information est de
s’appréhender comme une trans discipline qui permet d’acquérir des habiletés
info-documentaires transversales et utilisables dans différents contextes
disciplinaires ou extrascolaires.
Divina Frau-Meigs, directrice du CLEMI, propose de définir l’EMI selon 7
grands axes les 7C : Compréhension, Critique, Créativité, Citoyenneté,
Consommation, Communication inter-Culturelle et Conflit (sa résolution).
L’acquisition de ces habiletés nécessite la combinaison de projets concrets en
lien avec les disciplines et la mise en place de stratégies cognitives pour
permettre l’acquisition de « réflexes » info-documentaires. Dans ce cadre les
forces intellectuelles de chacun sont mises en œuvre et les zones de confort
peuvent être transcendées.

Les cartes mentales


Le travail en cartes mentales stimule un certain nombre de profils
d’intelligences. Le fait de passer par l’image, le codage en discours mental,
l’idée de classement, d’organisation spatiale stimulent et peuvent résonner
pour un grand nombre d’étudiants.
Même avec les élèves les plus jeunes je ne propose pas de correction, un
point sur lequel mes collègues sont frileux. Nous faisons une mise en
commun et je demande aux élèves de noter ce qu’ils n’avaient pas mentionné.
Certains collègues pensent que les élèves devraient tous avoir le même
support d’apprentissage. Mais il me semble que l’appropriation individuelle
de représentations personnelles est plus importante que la conformité
structurelle à un cours type.
Exemples de cartes sur un même sujet : Les dangers de l’Internet abordés en
classe de 6e. On y retrouve les mêmes informations mais sous des formes
radicalement différentes

Les dessins d’idées


Xavier Delengaigne dans son livre Mémoriser sans peine propose un grand
nombre d’astuces de mémorisation. Le sketchnoting que je traduis par
« dessin d’idées » est également une technique qui peut parler à plusieurs
profils d’élèves. Cela se rapproche de la carte mentale mais je le travaille en
deux étapes. D’abord on s’attache à dessiner (pas de mots) des éléments qui
nous viennent sur un thème puis on en parle lors d’une mise en commun et on
ajoute légendes et liens logiques sur le dessin. Ce procédé est très intéressant
pour des brainstormings ou des rappels de notions car on identifie ce qui est
mémorisé et ce qui reste flou.

La prise de notes collectives et les fiches de cours


individuelles
Pour les étudiants de lycée, dans le cadre notamment du cours de philosophie,
nous essayons de mettre en place une méthodologie de prise de notes en
proposant des stratégies collectives : un secrétaire est chargé de prendre les
notes durant le cours et les communique aux autres élèves de la classe sur un
support numérique. Les autres élèves sont ainsi libérés de cette tâche pour
écouter et participer.
Le cours fait également l’objet d’un prolongement personnel. Chaque élève a
l’occasion de proposer une ressource (article de magazine, site web, news…)
autour du sujet abordé, le but étant d’associer les forces de chacun et de
proposer un dépassement de ses habitudes intellectuelles dans une
perspective d’émulation collective.
Pour conclure, il me semble que les Centres de Documentation, par leur statut
de lieu d’inspiration pour des pédagogies actives et par le biais également de
l’EMI sont un terrain privilégié pour des expériences cognitives. La théorie
des intelligences multiples, par sa diversité et ses nuances, est un des axes qui
peuvent enrichir la démarche d’apprentissage. Il est bien évident que chaque
élève existe dans sa singularité, son individualité, mais en même temps
pourquoi se priver des outils qui peuvent mettre nos élèves sur la voie de
l’autonomie, leur apprendre à connaitre leurs potentialités et leurs points
faibles pour les amener à « apprendre à apprendre », à avancer sur le chemin
de la « divergence » ?
Tableau d’exemples d’activités
insérer ici le tableau sous forme d'image (dropbox)
BIBLIOGRAPHIE Véronique Roth, Divergent, Nathan, 2011.
Howard Gardner, Les formes de l’intelligence, Odile Jacob, 1997.
Gervais Sirois, « Quel est votre profil d’intelligence ? », Cerveau&Psycho n° 68, mars - avril 2015, p.
32-39.
Stéphanie Crescent, Tous intelligents ! : aider son enfant à l'école, Odile Jacob, 2014.
Véronique Garas, Claudine Chevalier, « Les intelligences multiples vécues à l’école »,
Cerveau&Psycho n° 68, mars - avril 2015.
Olivier Houdé, Apprendre à résister, Editions Le Pommier , 2014.
Divina Frau-Meigs, interviewée en juin 2014 par Stéphanie de Vanssay.
Xavier Delengaigne, Mémoriser sans peine, Interéditions, 2012.
Mathieu Vidar, « Intelligences multiples », Emission La tête au carré, France Inter, 11 mars 2015.
De l’importance d’inhiber les
détails
A partir d'une recherche menée par des orthophonistes et
neuropsychologues une réflexion sur les risques d'une attention
trop grande aux « détails ».

Nathalie Bedoin, Enseignant-chercheur en psychologie; Laboratoire Dynamique


Du Langage, l’Université Lyon 2

Comment appréhende-t-on une scène visuelle un tant soit peu complexe ? On


peut se concentrer, soit sur les détails, soit sur l’organisation spatiale de la
scène en adoptant une approche globale. Ainsi en lecture, l’attention visuelle
porte sur l’identité des lettres, mais aussi sur la configuration des lettres dans
le mot. Ce dernier mode de traitement global n’est pas une simple
appréciation du contour de l’objet et, en lecture, il permet de coder la position
des lettres entre elles pour identifier le mot.
Le système visuo-attentionnel humain privilégie l’analyse globale. Ainsi, un
environnement riche n’est pas spontanément perçu comme chaotique, ce qui
réduit l’anxiété. En lecture, cela permet d’échapper à la forte attraction
qu’exercent les lettres, en tant que détails facilement identifiables et familiers.
Les ressources attentionnelles sont alors suffisantes pour prendre aussi en
compte les relations spatiales entre les lettres et coder leur position. Cela
permet par exemple de distinguer LOIN de LION.
La lecture rapide des mots passe par une procédure par adressage mettant en
correspondance l’ensemble des graphèmes codés dans leur position, avec les
représentations du lexique orthographique. Cette procédure est nécessaire à
l’identification des mots irréguliers (comme monsieur) et plus rapide que la
procédure par assemblage qui associe séquentiellement un phonème à chaque
graphème et reconstruit la forme phonologique complète du mot. Notre
hypothèse est que l’adressage implique de traiter spontanément la
configuration globale et de refréner le traitement des détails pour que
l’identité des lettres ne monopolise pas l’attention et que la lecture soit
suffisamment rapide et efficace.

LES DYSLEXIQUES DE SURFACE ANORMALEMENT ATTIRÉS


PAR LES DÉTAILS
Le test SIGL©, étalonné sur 430 participants, est l’aboutissement de plusieurs
années de recherches sur les capacités à analyser un même objet visuel (un
mot écrit, un dessin, un paysage…) en focalisant l’attention de façon locale
sur l’identité des détails (en lecture : l’identité des lettres) ou de façon globale
sur la structure d’ensemble (en lecture : les relations spatiales entre les lettres,
l’organisation orthographique du mot). Il montre que, contrairement aux
enfants dyslexiques souffrant de déficits phonologiques majeurs, les enfants
dyslexiques de surface négligent la configuration globale des objets visuels :
leur attention est anormalement attirée par les détails. Cela pourrait expliquer
les difficultés à coder la position des lettres et à élaborer le lexique
orthographique nécessaire à l’adressage. C’est pourquoi ils lisent lentement
et traitent particulièrement mal les mots irréguliers.
D’autres études montrent que les enfants dyslexiques de surface échouent en
rappel immédiat d’une série de cinq lettres présentées simultanément très vite
à l’écran car leur fenêtre visuo-attentionnelle serait trop étroite. Nous
identifions les mots en articulant la reconnaissance de la forme globale et des
lettres qui la composent. Ces lecteurs en difficulté ne s’intéressent pas
suffisamment au fait que les détails participent à la configuration générale.
Récemment utilisé auprès d’étudiants dyslexiques, le test SIGL associé à un
bilan neuropsychologique (Projet ETUDYS) montre les liens entre ces deux
déficits et les difficultés en lecture (mots et textes) et en orthographe chez
l’adulte dyslexique dont il devient possible de préciser le profil.

REMÉDIATION DE L’INHIBITION VOLONTAIRE DES DÉTAILS


Des expériences ont montré que l’avantage du traitement visuel global se met
en place entre 6 et 11 ans, période cruciale pour l’apprentissage de la lecture.
L’inhibition volontaire des détails s’améliore progressivement alors que les
capacités d’inhibition de la configuration globale restent stables. (Cf
l’encadré)
Afin de développer des compétences attentionnelles favorables à la lecture
par adressage, un programme d’exercices informatisés vise à dissuader les
lecteurs de trop privilégier l’identification des détails. Une étude auprès de 20
enfants dyslexiques présentant ce trouble apporte des résultats encourageants
après 20 séances de 20 minutes. L’inhibition des détails s’améliore
significativement, conduisant à une lecture plus efficace. Des progrès
significatifs sont observés en recherche visuelle d’indices verbaux et la
lecture de texte devient moins morcelée. La lecture des mots isolés est
facilitée (en particulier celle des mots irréguliers) et la sensibilité à la
fréquence des mots augmente, suggérant que l’enfant se tourne vers la
procédure par adressage.
Divers déficits attentionnels peuvent contribuer aux difficultés en lecture.
L’un d’eux consiste en un équilibre atypique des modes d’analyse global et
local. Il semble possible de remédier à cette anomalie chez l’enfant et il est
vraisemblable que les recherches dans ce domaine puissent éclairer d’un jour
nouveau les difficultés cognitives rencontrées par des enfants, au-delà de la
dyslexie.
En complément
Inhibition volontaire et capacités d’inhibition
Ce type de matériel permet de tester des mécanismes cognitifs importants pour l’identification des
mots écrits, en évitant de placer l’enfant ou le patient directement dans une situation de lecture. Deux
exemples de stimuli hiérarchisés sont présentés ci-contre. Il s’agit de la grande lettre A (global)
constituée de la répétition de la lettre M (local). On demande au sujet de se concentrer au niveau
global pour décider si la lettre présentée à ce niveau est A ou M ; ensuite on lui demande de
sélectionner le niveau local pour décider entre A et M.

Extrait de Nathalie Bedoin, « Troubles visuo-attentionnels, troubles de l’orientation spatiale et de


l’attention temporelle dans les dyslexies développementales », Rééducation Orthophonique, numéro
spécial, numéro 262, p. 27-53, 2015.
Mon intérêt pour les sciences
cognitives, ma pratique raisonnée
des neuromythes…
Itinéraire d'une enseignante et formatrice qui s'intéresse
depuis trente ans aux neurosciences

Nicole Bouin , PLP Lettres-Histoires

Professeur de lettres-histoire en LP particulièrement attachée à la lutte contre


l’échec scolaire depuis 1975, c’est par mon intérêt pour la psychologie que
j'ai découvert les sciences cognitives. Dès les années 90 j'ai obtenu de la
Directrice du CNFETP de Lyon l’autorisation de monter des stages de
formation continue que nous avions intitulés « Pour mieux comprendre et
mieux apprendre avec la psychologie cognitive ». Fabrice Bak y enseignait
les théories de l’apprentissage depuis Piaget et nous cherchions à cerner les
invariants et les spécificités des pédagogies de la médiation à travers les
interventions de spécialistes.
Lors d’un congé pour formation en 2004 j’ai validé une licence de
psychologie à l'université Lyon 2, On parlait alors beaucoup des neurones
miroirs et j’ai compris à travers cette théorie le bien fondé de la pédagogie de
l’imitation pour certains apprentissages. Les mêmes neurones s'activent
quand je vois quelqu’un faire, quand j’imagine que je fais ou lorsque je fais
vraiment moi-même une certaine action. Cela ouvre forcément des pistes
pour les professeurs comme pour les entraîneurs sportifs. Les cours de
neurosciences, des lectures et des participations à des colloques ont conforté
mon intuition que les enseignants ne pouvaient pas ignorer plus longtemps les
apports que les liens entre les sciences « dures » et les sciences humaines
nous permettent d’entrevoir.

DES MÉRITES DE L'INTROSPECTION COGNITIVE


Je confesse par ailleurs que la pédagogie des gestes mentaux colore ma
pratique depuis une vingtaine d’années. Je n’ignore pas qu’aucune recherche
scientifique n’en a pour l’instant validé les fondements. Par contre ce modèle
empirique m’a permis de comprendre les difficultés de bien des élèves,
d’aider beaucoup d’entre eux à réaliser comment ils apprenaient, à découvrir
leurs dispositions naturelles comme de nouvelles façons de faire, à prendre
confiance et à gagner en autonomie par la découverte de l’introspection
cognitive. Car il s’agit bien de les amener à prendre conscience de la façon
dont ils encodent les connaissances à assimiler et travaillent « dans leur tête »
et non d’un mode de perception privilégié. De nombreuses recherches, de
Pashler à Kraemer pour ne parler que des plus connues, démontrent qu’on
n’apprend pas mieux si on nous parle ou si on nous montre les notions à
acquérir, quel que soit notre mode d’évocation favori. Ce n'est pas surprenant
mais il s’agit là du profil d’enseignement et non du profil d’apprentissage, du
mode de présentation des connaissances, de ce qui se passe à l’extérieur de la
« boîte noire ». Antoine de la Garanderie travaillait, lui, sur la création
d’images mentales à partir de la réalité, en interne donc, et nous prétendons
que la prise de conscience de la façon dont nous faisons vivre les notions
dans notre tête, de la forme sous laquelle nous évoquons spontanément, dont
nous manipulons mentalement ces évocations, favorise les activités
métacognitives dont personne aujourd’hui ne conteste la pertinence. De là à
penser que la réactivation des ces évocations mentales pourrait avoir un lien
avec l’activation répétée des réseaux neuronaux chère à Steve Masson, il n’y
a qu’un pas que nous avons franchi lors d’un stage d’une semaine à Aix-en-
Provence l’été dernier avec lui. Il suffit de proposer à n’importe quel
auditoire une tâche de mémorisation et de demander ensuite à chacun
comment il s’y est pris pour constater que nous recourons tous à des
procédures spécifiques. Pour constater aussi à cette occasion que beaucoup, y
compris parmi les enseignants, n’y avaient jamais vraiment réfléchi avant, du
moment que l'objectif était atteint. Si dans la dimension macro
organisationnelle tous les cerveaux fonctionnent globalement de la même
façon il ne fait guère de doutes que chaque personne met en œuvre une micro
organisation qui lui est propre. Et je suis convaincue que savoir comment on
procède pour être attentif, pour mémoriser, pour comprendre, pour abstraire,
pour imaginer… fait partie de la formation de base de tout enseignant qui est
un professionnel des activités cognitives. En effet, comment guider les élèves
pour leur permettre de découvrir les mécanismes par lesquels ils apprennent
sans être au clair avec les nôtres ? Ne serait-ce que pour ne pas construire des
cours et des évaluations qui favorisent toujours les mêmes. Cette pratique
pédagogique n’aurait aucun rapport avec les neurosciences, c’est bien
possible, même si j’ai du mal à croire que ce qui touche un même organe et
une même fonction peut n’avoir aucun lien. La localisation cérébrale de ces
évocations n’est pas avérée, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne puisse pas
l’être un jour. Des tablettes sumériennes datant de 3200 ans avant Jésus
Christ font mention de l’utilisation de décoctions de feuilles de saule pour
traiter fièvres et douleurs alors que le mécanisme d’action de l’acide
acétylsalicylique (Aspirine) n’a été mis en évidence qu’en 1971. Les services
des grands brûlés qui font intervenir auprès de leurs patients des « coupeurs
de feu » ignorent totalement comment cela peut bien fonctionner, ils
constatent seulement qu’ils soulagent la douleur et favorisent la cicatrisation.
Sans doute saurons-nous un jour pourquoi et comment alors que cela paraît
aujourd'hui relever de la pensée magique.
Dans le même ordre d'idées il n’existe peut-être pas de substrat biologique
aux « intelligences multiples » mais pouvoir dire aux élèves dont les scores
logico-mathématiques et verbaux sont faibles qu’ils ne sont pas pour autant
dépourvus de compétences par ailleurs est important. Non l’intelligence n’est
pas, ou pas seulement, ce que mesure le test de Binet et Simon ! En ce qui me
concerne, j’ai décidé qu’à partir du moment où le modèle sur lequel je
m'appuie respecte l’éthique inhérente à ma mission, amène des résultats
positifs évaluables et un bien être aux élèves, quand bien même ils seraient
imputables à un effet placebo, une illusion fertile ou un « neuromythe
bienveillant », il constitue une hypothèse de travail recevable. Le principe «
primum non nocere » s'applique aussi en pédagogie, je veille donc à ne
jamais enfermer les élèves dans une « catégorie » qui les contraindrait, à ce
que mes croyances pédagogiques leur ouvrent au contraire de nouvelles
possibilités, à ce que chacun soit reconnu et respecté comme un être unique et
éducable. On nous dit souvent que les théories scientifiques sont caricaturées
et déformées par les journalistes mais la pédagogie des gestes mentaux est
souvent ramenée par ses détracteurs à quelques contre vérités qui la vident de
tout son sens et qui en gomment toutes les finesses. Le dialogue serait facilité
si les opposants à cette philosophie commençaient par s'y former, ils
pourraient alors la critiquer en connaissance de cause et nous éclairer
utilement sur ses failles. On condamne souvent ces pratiques au nom de
dérives auxquelles elles donneraient lieu mais on ne peut évaluer une pratique
à l'aune de ses dérives car toute théorie connaît des dérives.
Depuis longtemps je m’investis dans l’accompagnement d’enfants souffrant
de troubles des apprentissages, (dys, TDA, troubles du spectre autistique…)
et je m’intéresse beaucoup aux expériences qui démontrent que des jeunes à
qui on explique le fonctionnement du cerveau, les causes de leurs difficultés,
les mécanismes en jeu, reprennent confiance en eux, progressent et se
contrôlent mieux, se remotivent quand ils réalisent que l’entraînement et le
travail sur eux les amènent à progresser. Lorsqu’ un enfant souffrant de
troubles de l’attention avérés comprend à travers la BD de Jean-Philippe
Lachaux pourquoi son esprit est comme un petit sac en plastique dans le vent,
quand un enfant intellectuellement précoce découvre dans les pages
consacrées par Joseph Stordeur aux circuits calcium et sodium pourquoi il
doit faire l’effort de continuer à travailler une notion qu’il a comprise pour la
retenir, ils prennent leur formation en charge, restaurent leur image d’eux-
mêmes, gagnent en autonomie et en efficacité. Comme je l’explique dans
l'article « La guerre des chaudrons et des boiteux », la théorie du chien de
garde de Daniel Favre m’a aidée à amener des adolescents à contrôler leur
agressivité. L’action vérifiée de la médiation de pleine conscience sur les
neurones nous autorise à conseiller cette pratique aux élèves souffrant de
troubles de la concentration et d’hyperactivité. Je pourrais citer des dizaines
d’exemples de recherches qui ont inspiré mes pratiques et ma posture
d’enseignante de terrain sans mettre, je crois, mes élèves en danger.

LA CARTE N'EST PAS LE TERRITOIRE... MAIS PERMET DE S'Y


REPÉRER
J’entends bien les neurosceptiques expliquer que l’IRM fonctionnel est
l’objet de tous les fantasmes des neurophiles, qu’en réalité les séduisants
hémisphères qui clignotent comme des sapins de Noël ne sont en aucun cas
des photographies de cerveaux en action mais des reconstructions incertaines
de phénomènes enregistrés sur plusieurs sujets, lissées, filtrées
statistiquement… mais peut-on pour autant remettre en cause l’existence des
aires cérébrales liées aux activités verbales, motrices, sensorielles ou aux
fonctions exécutives ou au repérage dans l’espace ? Peut-on aller jusqu’à
affirmer, comme certains le font, que la dyslexie n’existe pas, qu’elle est une
construction sociale sans aucun soubassement biologique ? Peut-on nier que
l’architecture du cerveau influence les apprentissages et impose des
contraintes comme elle offre des ressources ? Il faut se défier de tout
applicationnisme hasardeux, de tout réductionnisme simpliste et de toute
instrumentalisation périlleuse, nous sommes bien d’accord sur ce point.
L’approche neuroscientifique sert la psychologie cognitive qui irrigue les
sciences de l’éducation et il ne s’agit que d’une approche qui n’exclut en rien
les autres. Les (neuro)sciences cognitives ne se substituent pas aux sciences
de l’éducation, elles s’y intègrent. Il ne s’agit pas d’appliquer des recettes
arbitrairement déduites de recherches caricaturées et dénaturées mais de
s’approprier une culture fournissant un cadre de compréhension générale qui
éclaire nos pratiques. La plasticité cérébrale, que personne ne conteste plus,
justifie la foi en l’éducabilité que nous prônions sur des fondements éthiques
et nous donne des arguments crédibles face à ceux qui la rejettent en arguant
le réalisme pragmatique. De même que les recherches menées sur émotion et
cognition nous donnent des raisons de plaider pour une école bienveillante et
prenant en compte le besoin des élèves de se sentir en sécurité affective pour
apprendre. Les théories du recyclage neuronal de la région de la
reconnaissance des objets au service de la lecture incitent les enseignants à
expliciter la différence entre la perception des objets et celle des lettres, dont
l’orientation est capitale, pour prévenir des difficultés d’apprentissage au CP.
Les recherches sur l’inhibition nous invitent à entraîner nos élèves à repérer
les cas dans lesquels ils vont devoir sortir de l’autoroute pour emprunter un
chemin de traverse. Savoir que le dyscalculique n’apprécie pas les quantités,
les ordres de grandeur, oriente sur des exercices de remédiation adéquats. Là
encore des dizaines d’exemples de recherches qui impactent potentiellement
l’enseignement pourraient être cités.
En conclusion s’initier aux mécaniques causales sous-jacentes permet à
l’enseignant de s’imprégner de grands principes qui orientent sa pratique. Il
ne s’agit ni de plaquer ni d’appliquer aveuglément mais d’affiner l’intuition
pédagogique. Corréler l’introspection qualitative subjective et l’observation
scientifique quantitative et objective, ce qu’Antoine de la Garanderie appelait
déjà en 1987 « le neuronal et le mental » pourrait ouvrir des pistes que nous
ne devons pas négliger. Mais nous ne nous y trompons pas, la carte des
neurosciences n’est pas le territoire de l’enseignement. Non la carte n’est pas
le territoire mais elle permet de s’y repérer.
Bibliographie Sitographie
Filmographie

Nicole Bouin , co-coordonnatrice du dossier

BIBLIOGRAPHIE
Comprendre le cerveau – naissance d’une science de l’apprentissage ,
OCDE Editions, 2007.
277 pages et 13 graphiques pour dresser un panorama des connaissances
actuelles et des découvertes sur le cerveau dans le domaine des sciences
cognitives : comment le cerveau apprend de la naissance à la vieillesse,
l’impact de l’environnement, littératie, numératie, neuromythes, éthique des
neurosciences.
Stanislas Dehaene, La Bosse des Maths, Odile Jacob, nouvelle édition de
2014.
Cet ouvrage dense rassemble les données sur l’arithmétique et le cerveau
sous un angle biologique pour montrer comment l’architecture cérébrale
permet de faire des mathématiques. Il explore le concept de nombre, l’algèbre
et la géométrie, la dyscalculie grâce à l’éclairage de l’IRM fonctionnel.
Stanislas Dehaene, Les neurones de la lecture , Odile Jacob, nouvelle
édition de 2012.
L’auteur aborde le processus de la lecture sous l’angle des neurosciences et
s’appuie sur les plus récentes techniques d’imagerie médicale pour élaborer
une hypothèse scientifique, celle du recyclage neuronal pour déchiffrer
l’écriture. Il tente par là d’expliquer les échecs d’enfants et de suggérer des
pistes pédagogiques. Préface de Jean-Pierre Changeux.
Olivier Houdé, Apprendre à résister, Le Pommier, 2014.
L’auteur expose de manière claire et étayée sa théorie de la « résistance
cognitive » et de l’inhibition de ce qui « va de soi », avec de nombreux
exemples aussi bien chez les bébés que chez les adolescents. Aux confins des
neurosciences, de la psychologie et de la philosophie.
Joseph Stordeur, Comprendre, apprendre, mémoriser . Les neurosciences
au service de la pédagogie, de boeck, 2014.
L’auteur explique comment des recherches neurobiologiques peuvent donner
lieu à des expérimentations sur le terrain et favoriser certaines démarches
pédagogiques : perceptions, représentations, langage, lecture, numération,
motivation… On peut lire la présentation de l’ouvrage sur le site des Cahiers
pédagogiques. Du même auteur on pourra lire un ouvrage plus adapté à
l’enseignement primaire :
Joseph Stordeur et Christine Jamaer - Oser l’apprentissage à l’école – de
boeck, 2e édition de 2013.
Pascale Toscani, Les neurosciences au cœur de la classe, Chronique
Sociale, 2e édition de 2014
Cet ouvrage réunit d’abord plusieurs articles sur les relations entre les
neurosciences et l’enseignement. Il propose dans une deuxième partie des
éléments théoriques sur la plasticité cérébrale, les intelligences multiples, le
stress, l’hygiène de vie, la mémoire avec des fiches pratiques pour travailler
avec les élèves. Préface de Bruno della Chiesa. Du même auteur on pourra
lire :
Pascale Toscani, Apprendre avec les neurosciences : Rien ne se joue avant
6 ans, Chronique Sociale, 3e édition de 2015.
Elena Pasquinelli, Mon cerveau ce héros, mythes et réalité, Le Pommier,
2015.
L’auteur dénonce et analyse les neuromythes dans ce petit ouvrage plein
d’humour. Du même auteur on pourra lire un ouvrage plus épais :
Elena Pasquinelli, Du labo à l’école : science et apprentissage, Le
Pommier, 2014.
Chargée de mission à La main à la pâte cette philosophe de formation nous
offre un récit enlevé, bourré d'anecdotes mais aussi de réponses aux questions
que se posent les enseignants. Dense mais très bien construit.
Daniel Favre, Cessons de démobiliser les élèves, 19 clés pour favoriser
l’apprentissage, Dunod, 2e édition de 2015.
Pour permettre aux élèves de se remotiver pour les apprentissages l’auteur
s’appuie sur des notions neurobiologiques et donne des exemples de mises en
application au quotidien dans la classe. Ce livre aborde la dimension affective
de l’apprentissage en entend démontrer que la violence et l’échec scolaire ne
sont pas des fatalités.
Jean-Philippe Lachaux, Le cerveau attentif, Contrôle, maîtrise et lâcher-
prise , Odile Jacob, 2013.
Ce spécialiste des fonctions exécutives part de l’introspection pour tenter de
faire le pont entre ses recherches à l’INSERM sur l’attention et la vie
quotidienne. Ce premier ouvrage est très pointu mais l’auteur a le sens de la
métaphore éclairante.
Un deuxième ouvrage, plus accessible, vient de paraître, il vise plutôt la mise
en pratique dans la vie quotidienne des découvertes des neuroscientifiques et
on attend avec impatience la version BD pour aider les enfants à comprendre
le fonctionnement de leur cerveau et à développer leurs capacités d’attention.
Jean-Philippe Lachaux, Le cerveau funambule. Comprendre et
apprivoiser son attention grâce aux neurosciences, Odile Jacob, 2015.
Jeanne Siaud-Facchin, Mais qu’est-ce qui l’empêche de réussir ?
Comprendre pourquoi, savoir comment faire, Odile Jacob, 2015.
Cette psychologue clinicienne qui a fondé les centres Cogito’Z consacrés au
diagnostic et à la prise en charge des troubles des apprentissages explore dans
son dernier livre les causes de l’échec scolaire en s’appuyant sur sa propre
expérience et des données des neurosciences affectives.
Christopher Chabris et Daniel J. Simons , Le gorille invisible ou quand
nos intuitions nous jouent des tours, Le Pommier, 2015.
Deux universitaires américains, connus notamment pour cette fameuse
expérience du « gorille » qui est ici décryptée avec ses prolongements
récents, nous mettent en garde contre nos intuitions, une trop grande
confiance dans nos capacités de mémorisation et de mener plusieurs tâches à
la fois. Humour, clarté, un ouvrage à recommander comme outil pour «
résister » à la pensée conformiste.
Jean-Marie Besnier, Francis Brunelle, Florence Gazeau, Un cerveau très
prometteur, Le Pommier, 2015.
Un dialogue à quatre voix (un philosophe, un neurobiologiste, une coach
entreprise et la directrice des éditions du Pommier) autour de l’intérêt et des
limites des neurosciences. Un vrai dialogue, sans logique binaire, où il est
question notamment des rapports entre le cerveau et la conscience, des
dangers du « transhumanisme », de ce que nous savons et de ce que nous ne
savons pas… Stimulant.
La neuroéducation, Dossier coordonné par Steve Masson, ANAE N° 134
de mars 2015.
Attention, revue assez technique, plutôt à destination des professionnels de
l’« Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant ». On y
retrouve des texte de Steve Masson, d’Elena Pasquinelli ou de Céline Lanoë
dans une version plus universitaire.
Le Cerveau de William Rostène et Jacques Epelbaum - Illustrations de
Sophie Hérout - Collection "Les minipommes" des éditions Le Pommier
- 2015.
En attendant la BD de Philippe Lachaux un support pour expliquer aux
enfants comment fonctionne leur cerveau.

SITOGRAPHIE
Sur le site du Collège de France, 135 cours de Stanislas Dehaene et de ses
invités : http://www.college-de-france.fr/site/stanislas-
dehaene/_audiovideos.htm
Sur le site du colloque « L’aventure des neurosciences, des territoires de
la recherche aux défis de l’éducation », les communications des
intervenants au colloque
: http://www.uco.fr/evenements/colloqueneurosciences/communications/
Sur le site de l’association pour la recherche en neuroéducation de
nombreux films et documents
: https://www.youtube.com/user/ANeuroeducation
Le site de l’INSERM qui comporte un onglet « Neurosciences, sciences
cognitives » : http://www.inserm.fr/#
Le site de la Fédération pour la recherche sur le cerveau
: http://www.frc.asso.fr/Le-cerveau-et-la-recherche/A-la-decouverte-du-
cerveau
Le site de Canal U donne accès à 242 films sur les neurosciences classés par
thèmes, niveaux et auteurs :
https://www.canal-u.tv/recherche/?
q=Neurosciences&submitProgramSearch=Ok&simpleform_submitted=searc
hbar-form&fromSimpleForm=1
Visible learning de John Hattie répertorie plus de 800 méta-analyses qui
résument plus que 50 000 études individuelles sur les pratiques
pédagogiques. Il en a publié une synthèse dans un livre paru en 2009,
malheureusement pas encore traduit en français. En tout 250 millions
d’élèves ont été concernés par ces recherches sur la réussite et
l’apprentissage. L’auteur élargit constamment sa base de données avec de
nouvelles recherches. Le site présente une partie des 138 facteurs d’influence
qu’il évalue dans son livre : http://visible-learning.org/fr/john-hattie-
classement-facteurs-reussite-apprentissage/
Les animations 3D de neuroanatomie de Lyon 1 : L’encéphale :
https://www.youtube.com/watch?v=Z8Nk-
XlgXwA&list=PL8D9CD9F5D13C93FC
Le neurone et la libération
des neurotransmetteurs :
https://www.youtube.com/watch?
v=LrzWhuKYxew&list=PL8D9CD9F5D13C93FC&index=10

Le cerveau à tous les niveaux, blog canadien fournissant des explications


adaptées au niveau du lecteur : http://lecerveau.mcgill.ca/intermediaire.php
Le site du National Geographic, très bien fait mais en anglais
: http://ngm.nationalgeographic.com/2007/11/memory/brain-interactive

FILMOGRAPHIE
Vice versa (titre anglais bien préférable «Inside out »)
Un film d’animation grand public des studios Pixar (réalisé par Pete Docter)
qui est aussi un voyage dans le cerveau d’une pré-adolescente où coexistent
pour le meilleur et pour le pire des émotions fondamentales telles que Joie,
Tristesse ou Colère. En dehors du plaisir qu’on a à admirer un graphisme et
une créativité exceptionnels, ce peut être une bonne introduction à un travail
en classe sur les diverses dimensions du cerveau.
Des conférences de Steve Masson, en particulier « Mieux connaître le
cerveau peut-il nous aider à mieux enseigner ? » (1 heure) :
https://www.youtube.com/watch?v=V8Xjbb1CWVE
Les vidéo-montages de Jean-Philippe Lachaux sur Le cerveau funambule
:
Marcher sur la poutre (14 minutes) : https://www.youtube.com/watch?
v=bYwNzRkDiwk
Pouce, index, majeur (12 minutes) : https://www.youtube.com/watch?
v=wTz7XcWb4jk
Les bulles d’attention (14 minutes) : https://www.youtube.com/watch?
v=WWpPBoV-PkA
Une intervention de Jean-Philippe Lachaux :
https://www.youtube.com/watch?v=GbMWsmZJM2Q
L’émission « Les pouvoirs extraordinaires de notre cerveau » diffusée le
16 septembre 20014 sur France 2 (115 minutes). Un extrait :
https://www.youtube.com/watch?v=43bJdHIkoG0
Une intervention d’Elena Pasquinelli sur les neuromythes à l’Ecole
normale supérieure (110 minutes) :
https://www.youtube.com/watch?v=i3-O2ImT3-g
Une conférence de Bernard Mazoyer sur le cerveau de la connaissance :
Physiologie de la cognition et images du cerveau à l’Université de tous les
savoirs en 2000 (77 minutes) sur l’IRM fonctionnelle et la localisation
cérébrale.
https://www.canal-
u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/le_cerveau_de_la_connaissance_p
hysiologie_de_la_cognition_et_images_du_cerveau.859
La cartographie du système cérébral (83 minutes)
https://www.canal-
u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/la_cartographie_du_systeme_cereb
ral.1222
La conférence de Jean-Luc Berthier « Les neurosciences au service de la
pédagogie » (2 heures 25)
http://lachepaslecole.ac-versailles.fr/Conference-Les-neurosciences-au-
service-de-la-pedagogie
Le cerveau et ses automatismes, émissions d’Arte :
La magie de l’inconscient (43 minutes) : https://www.youtube.com/watch?
v=PYJYEOXUgFk
Le pouvoir de l’inconscient (43 minutes) : https://www.youtube.com/watch?
v=dEdLNvNHwMY
Les étonnants pouvoirs de la transformation du cerveau, émissions d’Arte
:
1ère partie (41 minutes) diffusé le 21 janvier 2012
http://www.dailymotion.com/video/xnvyvz_les-etonnants-pouvoirs-de-
transformation-du-cerveau-partie-1-2_tech
2e partie (53 minutes) diffusé le 25 janvier 2015
https://www.youtube.com/watch?v=FU5KSMzxmsg
C’est pas sorcier : Cerveau 1 : Les sorciers se prennent la tête (26
minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=qWr8yA-ZhBI
C’est pas sorcier : Cerveau 2 : J’ai la mémoire qui flanche (26 minutes)
: https://www.youtube.com/watch?v=Wz0lrKSRtmE
Les neuromythes, conférence d’Elena Pasquinelli (113 minutes)
: https://www.youtube.com/watch?v=i3-O2ImT3-g
Les neuromythes, interview de Bruno della Chiesa (114 minutes)
: https://www.youtube.com/watch?v=9AhdB5El9ak
Attention à l’attention, enregistrement de l’émission les Savanturiers sur
France Inter
http://davidtribal.com/blog/blog/2015/11/05/attention-a-lattention-jean-
philippe-lachaux-chercheur-en-neurosciences-sur-france-inter/
Verra-t-on notre cerveau fonctionner en direct ? Emission science
publique sur France culture
http://www.franceculture.fr/emission-science-publique-10-11-notre-attention-
est-elle-maitrisable-2011-05-27
Les éditions du Pommier, au
service de la vulgarisation
scientifique
Cette maison d’édition diffuse depuis quelques années pour
les jeunes et les moins jeunes des ouvrages qui donnent des
clés pour mieux comprendre le monde qui nous entoure, et
notamment dans les domaines touchant de plus ou moins
près aux neurosciences. Juliette Thomas, responsable
d'édition, répond à nos questions.

Juliette Thomas, Responsable d'édition


propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

Quels sont les différents domaines abordés et notamment dans le domaine des
sciences ?

Nous abordons tous les domaines scientifiques, des nanosciences aux


neurosciences, de l'astrophysique à la génétique et nous avons à cœur de
montrer que les frontières de ces différents domaines sont poreuses et
autorisent de vivifiantes réflexions croisées ; nous sommes également
l'éditeur de Michel Serres, l’un des rares philosophes contemporains à
proposer une vision du monde qui associe les sciences et la culture. Parce que
pour nous, la science fait partie de la culture...

Quels sont les ouvrages, les outils que vous proposez plus particulièrement aux
enseignants ?

Nous proposons
des outils pédagogiques : des guides pédagogiques en collaboration
avec La main à la pâte ; les Minipommes, une série documentaire jeunesse
conçue pour les enseignants de CM1 et de nombreux ouvrages –
notamment au sein de notre collection « Éducation » qui sont destinés à
tous ceux qui se préoccupent d'accompagner les apprentissages
scientifiques des enfants.
des outils de mise à niveau par rapport à la culture scientifique en tant
que telle (la collection des Graines de sciences, celle des Petites pommes
du savoir, notamment).
des outils de réflexion : spécifiquement avec la collection Les Défis de
l'éducation, sachant qu'une grande partie du catalogue du Pommier donne
matière à réflexion!

Comment travaillez-vous avec les auteurs pour proposer des thématiques qui
soient utiles aux enseignants ?

Nous partons du principe que les sciences font partie de la culture et que
l'enseignant est un passeur au même titre que nous. Et nous entretenons un
lien fort avec l'équipe de La main à la pâte, fruit d'une étroite collaboration
au long cours.

Pouvez-vous citer quelques ouvrages de référence ? Des auteurs qui collaborent


régulièrement chez vous ?

Parmi les guides pédagogiques que nous éditons en collaboration avec La


main à la pâte, Les écrans, le cerveau et l'enfant a la particularité de traiter
d'un sujet qui n'avait jamais été abordé auparavant et dont l'importance va
grandissant ; 29 Notions-clés pour savourer et faire savourer la science
fournit aux enseignants une « petite bible scientifique » articulée au socle de
compétences et de connaissances. Nous venons de publier Idées de science,
idées sur la science pour enseigner les sciences de la maternelle à la 3e et
Libérons l'école des notes d'Anthony Van De Kerkhove. Nous avons la
chance de compter Pierre Léna et Yves Quéré, cofondateurs de La main à la
pâte parmi nos auteurs, mais je peux également citer Wynne Harlen ou
encore la regrettée Mireille Hartmann.
Et chez toi ça va ?
Sur mes lèvres

Adeline Entraygues, Professeure documentaliste à Bordeaux

Nous sommes début septembre ; je suis affectée dans un nouvel


établissement, en tant que documentaliste. Je découvre les habitués du CDI,
les lecteurs de mangas, les ordinateurs qui ne fonctionnent pas, le fonds
documentaire pauvre et décousu et la température glaciale et puis, une élève
pas comme les autres.
Elle, c'est Manon, cheveux châtains attachés en queue de cheval, petite,
souvent en jean et veste de jogging et l'écharpe de son copain autour du cou.
Elle veut faire du dessin et elle est fan de mangas.
Je retiens tout de suite son prénom, car elle vient souvent et elle adore
discuter avec moi ; elle est bavarde. Elle semble avoir besoin des adultes, de
leur reconnaissance. Elle parle des livres qu’elle aime, de ses devoirs, de ses
coups de blues. De temps à autre, elle ne comprend pas tout ce que je lui dis
et souvent elle me fait répéter, mais qu’importe, c’est Manon.
Elle est entière, un jour fragile, à fleur de peau, et le lendemain heureuse et
extravertie. Fière, forte ou faible et fragile.
Parfois, je la sens présente au CDI, avec moi et ses camarades et parfois
absente, demeurant dans sa bulle et dans sa tête.
Elle a des yeux expressifs qui regardent profondément, des idées bien
arrêtées sur ses lectures et de l’ambition pour réussir tout ce qu’elle
entreprend.
Et un jour, je comprends pourquoi : pourquoi elle me fait répéter, pourquoi
elle me regarde toujours fixement quand je parle, pourquoi elle semble un
peu différente et à la fois tellement semblable aux autres adolescentes de son
âge, pourquoi elle est si fragile. Pourquoi elle en veut parfois à la vie.
Pourquoi, tout simplement.
Manon est sourde, mais elle sait lire sur les lèvres et parle comme vous et
moi.
Elle me parle d’elle et de sa scolarité avec des blessures, mais de son avenir
avec de l’espoir : à cause de son handicap, difficile de concilier ses difficultés
et ses rêves d’adolescente presque comme les autres.
Mais elle a une force et un courage extraordinaires : elle a réussi à se
transformer en une lycéenne ordinaire dans un établissement scolaire normal.
Car c'est une adolescente normale mais qui lit, sur mes lèvres.
La petite phrase

Fabienne Rousseau, Professeure d'anglais au collège Georges-Onslow,


académie de Clermont-Ferrand

« Tu me donnes ton emploi du temps ? Que je regarde si t’es pas dans ma


salle ? »
Petite phrase du début d’année, tellement entendue qu’elle en devient
anodine. Mais à bien y réfléchir, l’est-elle vraiment ? Pas tant que ça : elle
semble être l’expression d’une réalité qui n’a rien d’innocent ou d’inoffensif.
La réalité du gilet de laine à demeure sur le dossier de la chaise du bureau, le
gilet que l’on ne porte jamais. La réalité des posters aux murs dont la colle du
Scotch a fusionné avec les couleurs des coins.
Pourquoi cette injonction m’a-t-elle toujours exaspérée ? Parce que je n’avais
pas encore eu le temps de parcourir ce fameux emploi du temps que j’avais
attendu toute la matinée ? Parce que j’étais nouvelle et qu’à peine arrivée, on
voulait me montrer que je n’étais pas la bienvenue ? Était-ce le ton, mielleux
et à la fois autoritaire, celui du chantage affectif ? Ou était-ce cette
propension tristement humaine qui voudrait que l’on transforme les
périmètres en territoires ?
Les années passaient, les années scolaires se succédaient, les sarcasmes
étaient devenus ma lassitude et ma colère. Puis un jour, ma colère s’est muée
en tristesse. Lors du dernier plan social d’une grande entreprise légendaire du
Nord, les cortèges de ceux que les médias nomment « les victimes des plans
sociaux » se succédaient, longs collectifs impersonnels défilant sous nos
yeux. Et là, en pleurs, l’histoire d’un destin, personnel celui-là : une femme
d’à peu près mon âge défilait pour la première fois de sa vie, après une vie
passée sur la même chaise, au même poste, pendant trente ans. Cette vie de
longs moments, cette vie de petites mains, cette vie à faire bien, voire très
bien, son travail, cette vie consacrée à l’entreprise, cette vie de sacrifices, de
sacrifices vains, non reconnus, non pris en compte, une vie qui nous laisse
juste avec nos émotions à gérer. Des émotions dont on ne sait que faire, si ce
n’est défiler dans la grande avenue de Lille sans que cela puisse changer le
cours du reste de cette vie dont aujourd’hui est le premier jour. Une vie,
qu’on a oublié tout simplement de vivre avec sa tête. Cette vie passée à ne
rien faire d’autre, une vie passée à ne pas savoir changer ni pouvoir évoluer,
une vie passée à ne pas changer de chaise. Vivre parce qu’on a toujours fait
comme ça.
Et là je me suis vue (moi que l’on ne viendrait pas chercher si je ne me
bougeais pas). J’ai ensuite vu un gilet sur le dossier de ma chaise, dans ma
salle, avec mes posters, à faire, refaire, défaire et recommencer la journée de
ma toute première rentrée, tout au long de ces années, jusqu’à ce que ce soit
la dernière, celle où je fermerai la porte de ma salle avant d’aller reporter ma
clé et qu’on me dira : « Non, ce n’est pas la peine, vous pouvez la garder : on
n’en fait plus des comme ça, et de toute façon, on change la serrure à la
prochaine rentrée. »
Léo, Julie et « La Rose bleue »

Nadia Voillequin, Professeure de français, collège Paul-Langevin, Sainte-Savine


(Aube)

Il était une fois un jeune garçon, Léo, qui avait un frère jumeau brillant, à
l’aise à l’oral et entouré de très nombreux copains. Léo, lui, avait de
médiocres résultats en classe et devenait écarlate à la moindre occasion. Il
avait une seule amie : Julie, tout aussi émotive et réservée que lui. Tous deux
cherchaient à se faire oublier, à disparaitre.
Une de leurs professeurs, Fée Français, observait souvent à la dérobée ce duo
de jeunes gens, riches de trésors enfouis au plus profond d’eux-mêmes sans le
savoir encore. Lorsqu’on interrogeait Léo, c’était son frère qui répondait.
Lorsqu’on devait récupérer des documents, c’était son frère qui les donnait.
Lorsqu’on parlait de Léo, on demandait « le frère de... ? » Léo et son frère
vivaient seuls avec leur mère, et Julie vivait seule avec son père.
Un jour, leur professeure leur annonça que la classe allait composer un
recueil illustré et participer à un concours départemental d’écriture. Les
élèves allaient travailler par groupe de deux et écrire un conte merveilleux en
français avant de l’illustrer avec l’Enchanteur Artsplastiques. Les premières
réactions furent vives : les meilleurs cherchaient déjà quelle serait la
récompense ; quant aux mauvais, ils se demandaient pourquoi participer,
puisqu’ils allaient perdre. La Fée Français regarda Léo qui ne disait rien et
qui rougit et Julie, qui ne disait rien non plus et qui baissa la tête.
Quelques jours plus tard, les groupes étaient constitués : Julie et Léo étaient
ensemble, à leur grand soulagement. La Fée Français arriva un matin avec
des cartes magiques et chaque groupe put tirer trois cartes. Julie et Léo
débutèrent alors un voyage inédit aux confins de leur imagination.
Ce voyage allait-il leur permettre de s’épanouir, de se découvrir et, qui sait,
de remporter le concours avec leur conte « La Rose bleue », à la grande
surprise de tous ?
Aujourd’hui, Julie et Léo ne sont plus mes élèves, ils sont dans une autre 5e
que la mienne. Chaque semaine, ils viennent me voir pendant les récréations,
m’empruntent des livres et nous bavardons. Je sens que je suis devenue pour
eux ce que fut pour moi une de mes professeurs de français de collège, que je
n’oublierai jamais. Je sens que l’écriture leur a permis d’accéder à une force
qu’ils n’imaginaient pas en eux : Léo ne rougit plus, plaisante aisément et
Julie ne baisse plus la tête.
Je suis fière et heureuse d’exercer ce métier, certes difficile et ingrat parfois,
mais quel plus grand bonheur que celui de faire relever la tête à un enfant qui
prend conscience de ses compétences ?
Génération Z

David Berland, Enseignant formateur, académie de Versailles

Cours de technologie, jeudi 8 octobre, 10 h 37


Hugo est en train de consulter son compte Facebook sur son téléphone
portable. C'est la deuxième fois que je surprends un élève avec son
smartphone en moins d'un mois. Il semble y en avoir de plus en plus. De quoi
parlent-ils ? Pourquoi éprouvent-ils ce besoin d'être connectés en
permanence ?
Je le vois, cet adolescent d'aujourd'hui, celui de la génération Z, cette Petite
Poucette de Michel Serres : une créature hypermédia en perpétuel
mouvement, il balance entre deux mondes, celui du réel et celui du virtuel.
Hypermédia car il transite entre tablette, smartphone et ordinateurs de tous
genres, entre télévision et internet (avec parfois la télévision par internet sur
son smartphone !).
En perpétuel mouvement car il est pressé, n'a plus de références temporelles,
est abreuvé tel un vulgaire animal qu'on gave de nouvelles médiatiques toutes
plus déprimantes les unes que les autres. Malgré son espérance de vie qui
augmente, cette dernière ne semble être peuplée que de pollution, de mort, de
maladies et de malbouffe : les quatre cavaliers de l'apocalypse n'ont, semble-
t-il, jamais été aussi présents. Comment, dès lors, avoir un peu d'espoir si ce
n'est à travers une autre identité, idéalisée il est vrai, mais qui lui permet de se
détacher, d'oublier pour quelques instants la pression du monde réel qu'il
subit ? Il rejoint un monde dans lequel il peut enfin être acteur, à son rythme,
et non plus juste un simple spectateur à qui on l'impose.
Cette génération est porteuse d'une toute nouvelle culture, d'une toute
nouvelle manière de vivre qui n'a jamais été expérimentée avant ; elle teste,
elle essaie, elle se trompe et apprend, se crée ses propres repères. Elle est
finalement la première à vraiment utiliser le numérique, à être née avec.
Comme le dit Serge Tisseron, c'est la génération de la troisième grande
révolution de la communication et de la transmission du savoir ; après
l'invention de l'écriture et celle de l'imprimerie, elle est celle de l'ère de la
mondialisation numérique. Peut-être est-ce aussi la fin d'un cycle et la
prochaine génération (la génération A ?) sera-t-elle plus stable, ayant
quelques repères numériques, quelques jalons pour la guider ?
Retour au présent. Plan large. Je lui prends son portable et ne peux
m'empêcher de sourire en me disant qu'en tout cas, ce sont bien les parents
d'Hugo, ceux de la génération X, la mienne, qui viendront récupérer son
smartphone dans ma classe. Et il n'y aura rien de virtuel là-dedans.
Eva

Sébastien Souhaité, Professeur de français au collège Louis-Braille, à Esbly (77)

Vendredi matin, je croise Eva, une de mes élèves de 5e, dans les couloirs du
collège :
« Bonjour monsieur. On a français, cet après-midi ?
— Oui, bien sûr Eva. Pourquoi voudrais-tu qu'on n'ait pas français cet après-
midi ?
— Non, c'est juste que j'avais peur que vous êtrez pas là.
— Ah bon, Eva, tu trouves que je suis très pas là ?
— Non, monsieur, j'ai pas dit "très pas là" : que vous êtrez pas là ! Que vous
serez pas là, quoi.
— Ah d'accord. Non, tu vois, je serai là. Enfin, j'êtrerai là. »
Il faut vous dire qu'Eva est une enfant vive et intelligente qui s'est présentée
le jour de la rentrée en m'annonçant : « Monsieur, je vous préviens, je suis
complètement nulle en français. » Du coup, je m'emploie jour après jour à la
convaincre du contraire. Depuis vendredi, certes, je me dis qu'il faut que je
travaille davantage la conjugaison avec elle et sa classe. Je me dis cela, oui,
mais pas seulement. Car je m'aperçois que je suis touché par le rapport
qu'Eva entretient avec la langue. J'aime bien la faille, la dissonance qu'elle
instille dans la conjugaison du verbe « être ». Il me semble que soudain,
quelque chose respire et se dénoue au sein du langage et de sa loi, dont je suis
le gardien supposé. Eva a subrepticement introduit du jeu (et du « je », bien
entendu, beaucoup de « je ») dans la communication. C'est qu'elle a des
choses à dire, Eva, même si, souvent, elle cherche ses mots.
De toute façon, si vous voulez mon avis, ça marche très bien, « vous êtrez »,
c'est même assez pertinent, morphologiquement parlant. Et si ça ne marche
pas complètement (j'entends d'ici gronder les puristes), en tout cas ça rêve. Ça
rêve même beaucoup, cette forme apocryphe du verbe qui refuse d'abdiquer
son être, et qu'Eva me balance comme ça dans le couloir, l'air de rien, sourire
en coin. Bref. Tout ça pour vous dire qu'écrivant ces quelques lignes, avec un
peu de recul, je ne suis pas loin de penser que la leçon de français, vendredi,
c'est moi qui l'ai reçue. Merci, Eva.
S’ouvrir au monde

Jean-Charles Léon, Professeur de musique, collège Stéphane-Hessel, Saint-


Germain-sur-Morin (77)

Stéphanie est entrée dans ma classe de 6e, le premier jour, souriante, un peu,
mais surtout crispée, craintive de tout, les yeux rouges comme si elle pleurait
tout le temps. Sa blondeur extrême et son teint pâle, même après deux mois
de vacances, lui donnaient l’air fragile. Je connaissais sa grande sœur des
années précédentes. Elle avait maintenant quitté le collège ; c’était une enfant
discrète en classe, mais joyeuse et enjouée. J’étais le professeur principal de
Stéphanie et fus rapidement prévenu : elle avait peur de tout et passerait
l’année à pleurer, comme tous les ans depuis son cours préparatoire. Moins
d’une semaine après la rentrée, sa maman me téléphonait : il y avait un
problème des plus importants, elle voulait me voir d’urgence.
Le rendez-vous se passa comme prévu : Stéphanie pleura, sa mère sanglota,
la sœur ainée qui revenait dans l’établissement pour l’occasion était atterrée.
J’eus quelques difficultés, par moments, à ne pas sourire. Rapidement,
j’éprouvais ce que le psychiatre Michael Balint disait aux médecins :
quelquefois, le symptôme est amené par la famille, la mère souvent, mais
n’est pas celui de l’enfant, comme un « symptôme offert », une maladie
donnée par les parents. Je pense à cela quand un père ou une mère me dit «
vous verrez, il est nul en maths », ajoutant un « comme moi ! » un peu fier et
entendu. Et comme une reconnaissance filiale d’une capacité familiale
négative, l’enfant vit ce que les parents disent. La maman était désemparée et
regardait sa petite avec tendresse. Il n’y avait rien à faire, Stéphanie était
comme cela.
Dans ces moments-là, il faut attendre, faire preuve de patience et d’écoute.
Ce qui doit être dit doit l’être pour qu’un dialogue s’ouvre et qu’une parole
puisse être ensuite entendue : toujours écouter la blessure, toujours entendre
d’abord, parler ensuite. Le flot de paroles et de larmes que je subissais me
donnait le temps de réfléchir et de regarder. Stéphanie m’aimait bien et me
faisait confiance. La maman se souvenait de moi, et la sœur était contente de
me donner de ses nouvelles. Le terrain, finalement, était très favorable.
J’insistai d’abord sur l’image positive que les collègues portaient déjà sur
l’enfant, sur ma confiance dans son travail et son futur scolaire. Les larmes
séchèrent rapidement. Je savais pourtant que l’important était ailleurs. Alors
je grondai un peu la mère, comme un vieux professeur qui donne un conseil
éducatif ! C’était drôle. Elle m’écouta, un peu étonnée. Mais je lui dis aussi
qu’elle pouvait jouer un rôle et aider sa fille à se rassurer. Je lui proposai
d’accompagner la classe en sortie, dans un musée parisien ; je sentais que sa
présence serait importante. L’enfant, déjà inquiète d’un voyage qui devait lui
paraitre impossible, accepta, soulagée, la présence de sa mère.
La sortie eut lieu la semaine suivant cette rencontre. Déjà la maman me
prenait pour un grand médecin de l’âme ! Sa fille avait cessé de pleurer et de
vomir avant de venir au collège. Elle s’était remise à sourire et s’épanouissait
à grande vitesse. J’avais, de mon côté, prévenu mes collègues du malêtre de
l’enfant, en leur disant de la placer en classe à côté de sa copine : on
n’apprend jamais mieux qu’à côté de quelqu’un qu’on aime, et je suis
toujours surpris d’avoir à le dire. Stéphanie semblait aimer le projet de la
classe et y participait avec plaisir.
Elles arrivèrent parmi les premiers à la gare, ce matin-là. Stéphanie avait les
joues roses de plaisir et souriait à pleines dents ! Elle s’éloigna rapidement
des adultes pour rejoindre ses copines, mais pas trop. J’occupai la maman en
lui demandant de composter les billets de train. La tâche était longue et
fastidieuse, et son regard se détourna de sa fille ; elle jouait son rôle
d’accompagnatrice.
La sortie fut magnifique ; la classe, divisée en six groupes, fit un atelier de
philosophie déambulatoire, une « promenade socratique » ! Je fus attentif à
ce que la mère et la fille ne soient pas dans le même groupe. Il n’y eut aucun
problème, sinon avec la jeune collègue qui ne supportait pas les bavardages
joyeux mais un peu forts des enfants au retour : elle ne comprenait pas
qu’elle assistait au processus miraculeux de la constitution d’une vraie classe,
celui qui transforme un agrégat humain en groupe collaborant. Les enfants
achevaient de faire connaissance, Stéphanie se découvrait de nouvelles
copines et riait.
De ce jour, elle ne pleura plus, ses résultats s’améliorèrent pour devenir
excellents, elle fut tout sourire lors du concert de fin d’année de la classe, et
mon crédit auprès de la famille n’eut plus de limites. La maman et sa fille,
fusionnelles jusqu’alors, s’étaient autorisées l’une et l’autre à se quitter, à
s’ouvrir au monde, à la béance qui fait peur.
Faits et idées
Le bon conformisme
Chercheur à l’EHESS (École des hautes études en sciences
sociales), Éric Maurin a publié de nombreux travaux qui
auscultent la société française et ses inégalités. Dans La
fabrique du conformisme, bousculant certaines idées reçues à
l’aide d’études et d’enquêtes, il montre que le conformisme
qu’on aurait tendance à ne concevoir qu’en termes négatifs
peut être une manière de maintenir un lien social et avoir des
effets bénéfiques. Il évoque le cas de l’école dans un chapitre
qui nous a donné envie de l’interroger.

Éric Maurin, Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

Qu’en est-il du conformisme scolaire ? Quelle influence exercent les élèves les uns
sur les autres ?

Beaucoup considèrent aujourd’hui l’influence des mauvais élèves sur les


bons comme une véritable tyrannie, un obstacle à la démocratisation scolaire,
le vice au cœur de toute politique de mixité scolaire. Sauf que l’influence
peut aussi s’exercer en sens inverse. En fait, cette influence est malléable et
peut servir de levier à l’action des adultes, parents ou éducateurs.
Les expériences mentionnées dans le livre éclairent cette question. L'une s'est
déroulée dans plusieurs dizaines de collèges défavorisés de la région
parisienne, où le principal a identifié, en début d’année, dans chacune de ses
classes de 3e, cinq ou six élèves qu’il jugeait les plus à risque de décrocher à
l’entrée au lycée. Les familles des élèves à risque des classes tests sont
conviées à des réunions où sont discutés spécifiquement les plans
d’orientation de chacun de ces élèves à risque. Le principal peut s’appuyer
sur un DVD conçu au rectorat, rassemblant des témoignages de parents et
d’élèves ayant vécu une orientation difficile.
En comparant le destin des élèves à risque des classes tests et des classes
témoins sur plusieurs années, nous démontrons que cette intervention du
principal a des effets très importants et durables sur le petit groupe ciblé, avec
une baisse de plus de 40% du nombre de décrocheurs à l’entrée au lycée.
Surtout, à partir de données sur les réseaux d’amis dans les classes, nous
trouvons que l’effet sur un décrocheur potentiel est d’autant plus important
que cet élève compte beaucoup de décrocheurs potentiels parmi ses proches
amis. L’influence du principal sur un élève à risque est d’autant plus grande
que les amis de cet élève ont également été bénéficiaires de l’intervention.
L’influence qu’exercent les élèves les uns sur les autres, même les plus en
difficulté, n’est pas une force qui les entraine fatalement vers le bas. Elle peut
également fonctionner comme un amplificateur pour l’influence des
éducateurs.

Vous évoquez également la constitution des classes. Pourquoi est-ce important, à


l’heure où l'on a tendance à se contenter d’évoquer les discriminations entre
établissements et non à l’intérieur de ceux-ci ?

Les élèves arrivant dans un établissement s’intègrent d’autant mieux et ont en


moyenne des résultats d’autant plus satisfaisants qu’ils ne sont pas séparés de
leurs camarades des années précédentes. Dans certains pays, comme Israël, à
l’entrée du secondaire, on n’hésite pas à demander aux familles de formuler
des vœux à propos des camarades que leurs enfants souhaitent conserver au
collège. Et les évaluations suggèrent que cette politique porte ses fruits. Les
jeunes Israéliens ayant la chance de poursuivre au collège avec leurs amis de
primaire réussissent plutôt mieux dans les années qui suivent. En France,
deux de mes doctorants ont réussi à mettre en évidence des phénomènes
similaires en 2de, à l’entrée au lycée. Les élèves réussissent d’autant mieux
leurs années lycées, puis au bac, que les hasards de la procédure d’affectation
les envoient dans des établissements où ils retrouvent au moins certains de
leurs anciens camarades de collège.
La première raison pour laquelle le groupe de pairs compte, c’est qu’il évite
l’isolement, surtout quand l’environnement scolaire change. La seconde
raison, c’est qu’il peut infléchir les comportements de ses membres, les faire
converger vers celui des membres les plus influents. C’est ce que démontrent
les expériences citées dans mon livre : il vaut mieux avoir des camarades
impliqués dans leurs études que des camarades absentéistes et en voie de
décrochage. La composition des classes est donc un enjeu crucial,
particulièrement en 6e ou en 2de. Il faudrait savoir maximiser les influences
favorables, tout en minimisant les ruptures et les déracinements. C’est un
exercice difficile.
Certains collèges militaires américains ont récemment cherché à optimiser la
composition de leur classe en maximisant les interactions potentielles entre
élèves faibles et forts, et en laissant ensemble les élèves moyens. Leur
hypothèse était que les forts allaient tirer les faibles vers le haut, mais pas
l’inverse. L’expérience fut un échec, avec notamment une baisse des
performances des élèves faibles, trop isolés au sein des classes. On sait
encore peu de choses sur ce que peut être une bonne politique de constitution
des classes et sur la façon dont cette bonne politique doit s’adapter d’un
contexte à l’autre. Il nous manque une expérimentation rigoureuse à grande
échelle sur ce thème.

La sortie de leur milieu d’élèves méritants est souvent décevante pour les élèves
en question, voire contreproductive, affirmez-vous. Sur quoi vous basez-vous ?

La sortie de leur milieu des élèves issus d’établissements défavorisés a deux


types d’effets, qui souvent s’annihilent. Le premier est de plonger les élèves
concernés dans un univers scolaire potentiellement plus stimulant. C’est
l’effet recherché et il est en général positif. Les résultats de nos
expérimentations indiquent en tout cas que lorsqu’une politique tire vers le
haut les camarades d’un élève, cet élève est lui aussi tiré vers le haut, même
s’il n’est pas directement concerné par la politique en question. Mais, par
construction, la sortie de son milieu d’un élève a un autre effet, en moyenne
défavorable celui-là, qui est de couper l’élève concerné de ses anciens
réseaux et de le plonger dans un environnement dans lequel il a davantage de
mal à s’intégrer. Les expérimentations menées dans les ghettos urbains
américains et aidant les familles volontaires de ces ghettos à rejoindre les
quartiers de classes moyennes ont eu des effets très décevants sur les enfants
de ces familles, et notamment les garçons. Ils se retrouvent plongés dans des
univers dont ils ne maitrisent pas les codes et beaucoup finissent encore plus
en difficulté que leurs homologues restés dans le ghetto.
Dans un registre différent, les politiques françaises du type « cordées de la
réussite » peuvent, elles aussi, s’avérer contreproductives. Leur but est de
favoriser l’accès des bons élèves des lycées défavorisés à des institutions
sélectives de l’enseignement supérieur, via notamment des actions de tutorat
exercées par les étudiants de ces institutions. Avec deux de mes étudiants,
nous avons évalué la cordée dont l’école normale supérieure est la tête et qui
implique un réseau de douze lycées défavorisés. Les bons élèves motivés sont
sélectionnés en fin de 2de avec groupes test et témoin définis de manière
aléatoire en fin de 2de. Les résultats sont, là encore, très décevants. Comme le
programme est assez lourd et prend du temps, on constate même des effets
négatifs sur les performances au baccalauréat d’une bonne moitié des élèves
sélectionnés, avec également moins d’ambition dans les choix d’orientation
postbac.

Que faire pour lutter contre la ségrégation scolaire ?

Le ministère a identifié des territoires sur lesquels se trouvent des paires de


collèges proches géographiquement, mais fréquentés par des élèves issus de
milieux sociaux très différents. Les collèges en question vont être invités à
recruter leurs élèves dans une même zone, le ministère espérant qu’il en
résultera à terme un mélange plus important des élèves, une répartition plus
équilibrée des CSP+ et CSP- (catégorie socioprofessionnelle) entre les
établissements. Le point clé, celui des critères qui réguleront effectivement
l’affectation des élèves entre les deux établissements, n’est toutefois pas
abordé, étant laissé à l’initiative des acteurs locaux.
Je ne vois pas très bien les enseignements que l’on pourra tirer de cette
initiative, car quelle que soit l’évolution observée sur ses territoires, il sera
très difficile de dire si on ne l’aurait pas observée de toute façon. Les
territoires volontaires pour des expérimentations de ce type sont en général
pris dans des dynamiques spécifiques. Il sera impossible de savoir si la mise
en place de la nouvelle procédure d’affectation impulse ou non une fuite du
territoire concerné par les familles de classes moyennes, puisqu’on ne se sera
pas donné les moyens de savoir ce qui se serait produit en l’absence de cette
politique. Les travaux de Manon Garrouste et Laurent Davezies ont montré
qu’on observait ce type de fuite quand un collège passe en éducation
prioritaire, et il est difficile d’exclure qu’elle n’ait pas lieu ici aussi. Il
manque les groupes témoins dont le rôle est essentiel.
RÉFÉRENCES Éric Maurin, La fabrique du conformisme, éditions La République des idées, 2015.
Comment naissent les EPI
Établissement à taille humaine (365 élèves), le collège
Marcellin-Berthelot ne manque pas d'atouts pour se lancer
dans une aventure pionnière dans l'académie de Toulouse :
des professeurs engagés depuis longtemps dans la pédagogie
innovante qui essaient de gérer une très forte hétérogénéité
par la dynamique de projet.

Émilie Balavoine, Professeure de lettres classiques


Clémentine Bernard, Professeure de physique-chimie
Jean Chevalier, Principal
Cécile Macary, Professeure documentaliste

En juin 2015, la rectrice de Toulouse présente dans l'établissement la carte


des collèges pionniers qui s'engagent dans la mise en place de la réforme.
Nait alors l'envie, malgré les incertitudes sur les moyens et l'organisation, de
participer à l'ouverture de nouvelles voies pédagogiques. Après une
négociation, le collège est inscrit dans le groupe des pionniers, avec son
environnement et les choix qui lui sont propres.

MISE EN ROUTE
Au conseil pédagogique de juillet, dix projets d'EPI (enseignements pratiques
interdisciplinaires) sont discutés. Ils suscitent l'intérêt de tous, ce qui
témoigne même en fin d'année de l'engagement et de l'intérêt des équipes. De
riches binômes (exemple : lettres-sciences) se construisent et portent avec
pertinence l'objectif de l'interdisciplinarité, tout en réussissant le tour de force
de concilier cycle, compétences, discipline, sans bouleverser les emplois du
temps. Reste alors à informer les familles et les élèves, condition de
l'adhésion au projet et, sans doute, de sa réussite.
Des questions apparaissent : sont-ce de nouveaux itinéraires de découverte ?
Quels temps de concertation pour organiser ? Pendant combien de temps ?
Des emplois du temps bouleversés ? Quel accompagnement des inspecteurs
d'académie-inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) ? Quelle évaluation
? Individuelle ? Notes, compétences ? Une ligne EPI sera ajoutée sur le
bulletin.
La réflexion se poursuit, l'intérêt est là. Il y a une émulation qui intéresse
toute la communauté et qui la met à l'écoute de la réforme à venir. Essayons.
Oui, mais avec la rigueur qu'exige toute expérimentation à partir des thèmes,
des programmes et des compétences à valider. Sur les dix projets présentés,
six sont retenus et validés par le conseil pédagogique dans le cadre de
l'autonomie du collège et sont transmis au rectorat. Ils couvrent le cycle 4, de
la 5e à la 3e.
Deux projets s'intéressent aux lettres et à la physique-chimie, à travers la
vision et les nouvelles fantastiques en 4e, un autre en lettres et en histoire-
géographie en 3e, enfin, en 5e, deux langues se rencontrent pour proposer un
jeu sur les fêtes et coutumes réalisé par les élèves et proposé à l'ensemble des
classes de tout le niveau 5e (l'académie expérimente les deux langues vivantes
en 5e).
Les EPI sont votés au conseil d'administration sans moyen supplémentaire en
juillet, même s'ils demandent un investissement personnel, beaucoup de
temps de travail dans leur élaboration. Les échanges courriels se multiplient
entre professeurs et avec le principal pour connaitre la validation des projets
retenus par le rectorat.
Quatre EPI sont présentés lors de l'assemblée générale de prérentrée.
Parallèlement, six sont menés, les professeurs préférant « bricoler,
expérimenter, essayer sans la pression » et ils présenteront un bilan de leur
expérience pour enrichir la réflexion.
COMMENT CELA FONCTIONNE
Un EPI commence dès septembre (en classe de 4e) et s'achève en décembre.
Cet EPI concerne les sciences physiques et le français sur le niveau 4e et
aborde le thème de la vision. Ainsi, une sélection de scientifiques célèbres,
qui ont mis en avant certaines propriétés de la lumière, sert de fil directeur ;
en français, leurs vie et activité ont été le support d’exposés et de rédactions
(dans le cadre de la méthodologie et de l’étude du mouvement naturaliste).
Ainsi, les élèves ont pu voir comment penser le scientifique hors du cadre de
ses réflexions. Plus encore, il a paru opportun de permettre aux élèves de
rencontrer un opticien, qui leur a montré l’écho toujours actuel de ces
travaux.
Les professeures concernées ont décidé de créer un blog dans lequel elles ont
retracé au fur et à mesure les activités et questionnements, afin de garder une
trace de cette expérimentation.
Les équipes en questionnement, mais préparées avec des projets aboutis,
sollicitent l'expertise des IA-IPR pour s'installer davantage dans le partage de
leur aventure pédagogique interdisciplinaire. En novembre, le premier groupe
a l'occasion de présenter le fruit de leur coopération originale à une IA-IPR
de mathématiques de Nouvelle-Calédonie qui doit porter la réforme outre-
mer. Cette visite permet de faire un point d'étape avec le principal.
Le premier EPI a abouti à la production d'un magazine scientifique sur le
thème de la vision, au format numérique, rédigé de manière collective. Ce
travail a permis à l’ensemble des élèves de s’impliquer sur ce projet. Le
support numérique et le travail en groupe ont favorisé la gestion de
l’hétérogénéité par la différenciation des activités réalisées. L’évaluation, qui
a eu lieu dans chacune des matières au fur et à mesure des activités réalisées,
a été complétée par un vote de l’ensemble des élèves de notre établissement
pour un article de la revue par l’intermédiaire de l’ENT (espace numérique de
travail). C’est ainsi un moyen de valoriser le travail de ces élèves et de
permettre à l’ensemble de la communauté scolaire de découvrir ou
d’approfondir la thématique de la vision.

QUELQUES EFFETS POSITIFS


Les EPI suscitent l'adhésion de la plupart des élèves et permettent une réelle
différenciation pédagogique pour chacun d'entre eux. C'est une chance de
pouvoir apprendre et de développer des compétences, de mieux faire le lien
entre les enseignements. Ils montrent l'intérêt de la coopération avec des
partenaires comme une compagnie de théâtre ou le monde de l'entreprise pour
contribuer aux parcours et créer les passerelles ou des partenariats.
Et si les EPI participent au renouvèlement des pratiques et à l'échange entre
disciplines, ils ne s'accompagnent pas de bouleversements dans l'emploi du
temps et sont adaptables aux besoins des professeurs. Ils contribuent à une
dynamique générale, favorisant l'utilisation d'outils nouveaux,
complémentaires des apprentissages, comme le numérique avec l'application
Folios.
Les EPI peuvent facilement concilier les parcours culturel, citoyen et avenir à
travers leur développement et correspondent pleinement au projet de
l'établissement et au contrat d'objectifs. L'expérience éclaire dans la réflexion
sur les choix à venir dans la répartition accompagnement personnalisé-EPI,
les thèmes, sur les limites matérielles, et sur la dynamique sur les élèves et la
classe, la pertinence ou pas de la coanimation.
Ils constituent pour le chef d'établissement un élément de réflexion
pédagogique qui bouscule et renouvèle les pratiques, en s'appuyant sur
l'expertise des professeurs. Mais le conseil pédagogique tient tout son rôle
d'instance démocratique et pédagogique dans les choix opérés, qui
s'effectuent sur un mode participatif.
Ces dynamiques ne doivent pas cacher les limites d'une généralisation des
dispositifs EPI et AP (aide personnalisée). Matériellement, l'utilisation des
TICE (technologies de l'information et de la communication pour l'école) sera
peut-être une première. Dépasser la discipline pour entrer par le cycle et le
socle constitue un défi et un changement important dans les pratiques qui
demandera à être accompagné. Comment prendre en compte les temps de
concertation et d'échanges dans les emplois du temps, comment faire que
chaque enseignant de cycle 4 trouve sa place, qu'on puisse mettre en valeur
les talents apportés par chacun, élèves et professeurs ?
En tout cas, dans le cadre du bassin et du collège, les professeurs sont
devenus ressources pour accompagner la réforme.
Les parents et l’école, trente ans de
réflexion
La question des relations entre les parents d’élèves et l'école
n'est pas nouvelle. Les Cahiers pédagogiques en parlent et y
réfléchissent depuis plus de quarante ans. Ce hors-série
numérique d'archives des trente dernières années met en
perspective enjeux et débats d'hier et d'aujourd'hui, pointe
les problématiques qui perdurent, mais donne aussi des pistes
pour aller vers plus de dialogue et de coéducation.

EXTRAIT DE L'AVANT-PROPOS

« Un élément essentiel de la professionnalité enseignante »


par Guy Lavrilleux
Force est de constater que, en dépit des nombreuses réformes officielles
annoncées et mises en place durant cette quarantaine d’années, le système a
fort peu évolué. […] La culture du collège, par exemple, demeure celle du
lycée traditionnel (général voire technologique) auquel n’accèderont pas 40
% des élèves et près de 60 % des élèves d’origine défavorisée. Ces derniers
apprennent ainsi au collège le fait qu’ils sont incapables d’aller dans un lycée
traditionnel. Le principe d’homogénéité de l’offre scolaire est toujours
officiellement affirmé mais, dans le même temps, se développe un marché
scolaire privé, dont les classes moyennes usent et abusent abondamment.
Pour la réflexion portée par les auteurs des articles des Cahiers
pédagogiques, c’est tout à la fois la nécessité concrète de dialoguer avec les
familles (ce qui est loin d’être un fait reconnu par la totalité des enseignants)
et celle, plus généralement, de prendre en compte la question sociale qui
s’imposent.

LA RÉFLEXION PÉDAGOGIQUE ?
Ce n’est pas sur leur formation initiale universitaire (et le plus souvent trop
exclusivement disciplinaire) que les enseignants peuvent s’appuyer pour
construire le rapport aux familles. Mais c’est bien une nécessité qui,
d’emblée, va s’imposer dans leur pratique en situation. On sait que la prise en
compte, ou non, de la participation des parents est un élément essentiel de la
professionnalité enseignante, laquelle ne se définit nullement par la seule
présence et l’enfermement dans la salle de classe. […] On sait qu’il y a là un
lieu de débat (de combat ?) avec nombre de collègues formatés, à la
française, à n’envisager leur métier que comme renvoyant à l’instruction et
nullement à l’éducation, très réticents, par exemple, devant la nécessité,
officiellement reconnue depuis la fin des années 60, d’assister à des conseils
et réunions comprenant des parents.

UNE RÉFLEXION ACTUELLE ?


Dans une école française toujours crispée sur les acquis académiques où
l’élitisme républicain se satisfait des 150 000 élèves sortant chaque année du
système sans diplôme et sans avenir, il semble aller de soi, plus que jamais,
qu’aider les élèves, pas seulement dans le cadre de la classe, c’est travailler
également avec leurs parents, et tout spécialement ceux qui n’ont pas eux-
mêmes construit le rapport au savoir indispensable à la réussite des
apprentissages scolaires.
La coéducation prônée depuis longtemps, en particulier par la FCPE
(Fédération des conseils de parents d'élèves), vise à rendre permanents et
constructifs les rapports famille-école. On sait que les relations parents-
enseignants demeurent globalement ambigües ; il s’agit donc du côté des
enseignants, en particulier, de multiplier les occasions, par les pratiques,
d'inclure les parents dans les projets d’école, dans les conditions d’accueil des
enfants, dans l’aide au travail du soir ou dans les activités de communication.

QUELQUES PISTES POUR FORMER LES ENSEIGNANTS AUX


RELATIONS AVEC LES FAMILLES

Peut-on former les enseignants à la relation avec les familles ? Si,


ponctuellement, des expériences ou de véritables modules de formation
peuvent exister, il ne semble pas que cela soit généralisé, en particulier dans
les IUFM (institut universitaire de formation des maitres). Or, il parait
essentiel de mettre les enseignants en position d'établir les contacts les plus
professionnels possibles avec les familles, d'inscrire l'école dans son
environnement. Pour y parvenir, nous proposons d'explorer quelques pistes.

ÉTABLIR DES CONTACTS PROFESSIONNELS AVEC LES


FAMILLES

Savoir tenir un discours pédagogique


Le savoir-faire du pédagogue me semble indissociable d'un savoir-dire à son
sujet. L'enseignant maitre de sa pratique, utilisateur raisonné de méthodes de
travail, observateur fin des comportements d'apprentissage de ses élèves doit
pouvoir rendre compte devant un public non enseignant, en l'occurrence les
familles, de tous ces aspects importants de l'exercice de sa profession. Cela
peut faire l'objet d'une réflexion et d'un entrainement en situation de
formation. Savoir expliquer le choix de ses méthodes, leur intérêt pour les
élèves, les objectifs que l'on s'assigne permettrait aux familles et aux
enseignants d'échanger à propos du parcours pédagogique de l'élève en
partageant des références communes. Il ne s'agit pas pour l'enseignant de
justifier de ses méthodes mais de les exposer, précisant ainsi le champ
pédagogique où il reste maitre de ses décisions, loin des dérives
psychologisantes ou relationnelles. […]

Situer chaque élève parmi ses pairs


Connaitre ses élèves pour eux-mêmes et dans les relations qu'ils établissent
entre eux au sein de la classe comme de l'établissement scolaire revient à
donner aux enseignants les attributs d'une connaissance psychosociologique
de la vie des groupes à l'école. Savoir parler des élèves aux familles consiste
aussi à pouvoir situer, dans les groupes qu'il fréquente, chaque élève par
rapport aux autres personnes (adultes travaillant dans l'établissement et autres
élèves). Discerner les interférences entre la vie de l'enfant dans sa famille et
sa vie d'élève permet à l'enseignant d'affirmer son champ spécifique
d'intervention et, ultérieurement, de mieux rendre compte des stratégies
cognitives des élèves.

Défendre l'école comme institution spécifique


C'est ce que les enseignants savent faire le mieux. En tant qu'agents de
l'institution, ils ont à en promouvoir tous ses aspects, à insister sur l'enjeu de
complémentarité entre école et familles, tout en montrant que l'école demeure
le terrain privilégié d'un certain nombre d'activités très ciblées qui font à la
fois sa spécificité et sa singularité.

INSCRIRE L'ÉCOLE DANS SON ENVIRONNEMENT

L'école est porteuse de valeurs différentes de celles des


familles
[…] Une réflexion à priori, mais aussi en cours de travail sur les valeurs
défendues par les pratiques des enseignants permettra de savoir sur quoi
repose tel ou tel choix, quel type d'homme l'école prépare. Mais ce travail sur
l'espace axiologique de l'école ne saurait être mené sans une reconnaissance,
en parallèle, des valeurs dont chaque élève est porteur et qui lui viennent de
son éducation familiale. L'école doit reconnaitre ces valeurs d'origines
diverses et les faire vivre en harmonie. L'exemple du parcours scolaire de
Khaled Kelkal est, à cet égard, édifiant, dans la mesure où il montre comment
l'école néglige parfois les valeurs dans lesquelles se reconnaissent les élèves
(cf. l'entretien de Khaled Kelkal avec Dietmar Loch dans Le Monde du 6
octobre 1995).

Associer étroitement les familles aux décisions qui


engagent la vie de l'école
La tenue des conseils d'école et autres conseils d'administration ne suffit pas à
impliquer les enseignants dans la vie des établissements. Ces instances utiles
restent trop formelles et la désaffection se mesure aux taux de participation
aux élections. Il faut mettre en place d'autres instances, associatives ou non,
qui impliquent à parts égales familles et enseignants. Il est important que ces
instances aient un réel pouvoir partagé quant aux décisions portant sur la vie
de l'établissement. Les coopératives ou amicales sont le plus souvent les
structures qui peuvent jouer ce rôle. Là où elles fonctionnent, on voit
s'instaurer une vie de type communautaire où des tâches périscolaires
viennent prendre place dans la vie de l'établissement. Dans les écoles
primaires, souvent la bibliothèque centre de documentation (BCD) est un lieu
privilégié pour la mise en place d'activités impliquant familles et enseignants.

Ouvrir l'école sur la vie locale


L'établissement est propriété d'une collectivité territoriale. S'il est d'abord
ouvert pour les activités scolaires, il n'en demeure pas moins qu'une fois le
travail des classes terminé, les installations peuvent devenir le théâtre d'autres
activités. Dans le primaire, on voit souvent des BCD ouvertes aux personnes
du quartier sous l'égide d'un parent d'élève, ou une cour, un préau dévolus à
des activités sportives. Dans le secondaire, les établissements deviennent
plutôt des lieux de formation continue.
Cette ouverture n'est pas le cas général. Il incombe peut-être aux enseignants
de favoriser la mise à disposition des ressources de l'établissement en
direction de catégories de personnes qui en tireront un bénéfice. L'école, lieu
de travail des élèves pendant la journée, peut devenir celui d'adultes et, en
particulier, des familles, le soir ou d'autres jours. Dans cette perspective, une
formation spécifique à cette ouverture pourrait être proposée aux enseignants,
afin qu'ils en deviennent ensuite les artisans. […]
Utiliser la formation comme instrument de nouvelles relations entre les
familles et l'école demeure sans doute un levier assez puissant dont les
formateurs et les responsables pourraient se servir.
Philippe Aubry
Cahiers pédagogiques n° 339, « École et familles », décembre 1995.
Depuis le temps
Science sans conscience
Juin 1979. Dans la rubrique « Tribunes Libres » des Cahiers
pédagogiques, la présidente de l’Association des professeurs
de mathématiques de l’enseignement public (APMEP)
interpelle le ministre Beullac et le président Giscard sur la
suppression de postes de professeur d’École normale et le
démantèlement des instituts de recherche sur l’enseignement
des maths qui résulte de ces politiques. Elle dénonce les
justifications ministérielles « diffamatoires » qui « daubent »
sur le temps de service statutaire des enseignants sans
répondre aux questions de fond sur la formation des
enseignants. Faut-il vraiment prendre au sérieux ce genre
d’argumentaire ?
Le thème du dossier du mois, « outils manuels, outils
conceptuels », interroge la séparation bien française entre
enseignement pratique et théorique, entre concret et
abstrait, entre oral et écrit, et les hiérarchies qui en
découlent. Les articles mettant en cause les clichés qui
débouchent sur la dévalorisation des formations manuelles et
la survalorisation des formations intellectuelles côtoient dans
le dossier des articles qui explorent les articulations
superficielles ou indispensables entre les deux.
L’article le plus polémique du dossier commence par dénoncer
les propos injurieux du député gaulliste Joseph Comiti, qui a
posé cette question à ses collègues à l’occasion du débat
budgétaire: « Savez-vous ce qu’est un concept incitatif exerçant
une influence sociomotrice ? C’est un ballon. » L’auteur de cet
article, Jacques André, est alors formateur de professeurs
d’EPS (éducation physique et sportive). Il a choisi d’examiner
sérieusement la question, en partant de ces « dauberies »
politiciennes dont Claude Allègre fera plus tard également ses
choux gras en inventant de toutes pièces le concept de
« référentiel bondissant », sous prétexte de dénoncer
l’intellectualisme des IUFM (instituts universitaires de
formation des maitres).
Yannick Mével

Yannick Mével,

Dans l’intellectualisme à corps perdu ou les professeurs de gym malades de


la science
Je me suis amusé, moi aussi, à relever quelques phrases extraites d’articles
parus dans la Revue EPS. À propos des jeux sportifs collectifs qui constituent
un domaine privilégié d’études, j’ai noté par exemple : « Sur le canevas des
invariants du jeu sportif, l’équipe brode ses invariants de rôles sociaux
moteurs pour tenter de surfiler les arabesques de l’adversaire et pour la
forcer à en découdre. » (EPS n° 114, p. 35)
N’est-ce pas l’expression de la tentative désespérée de l’enseignant d’EPS
pour être reconnu comme un intellectuel tant par l’administration que par ses
collègues des autres disciplines ? Depuis quelques années, en effet, l’EPS
traverse une crise profonde qui ne traduit pas seulement le malaise général de
l’école, mais encore et surtout la volonté des instances dirigeantes d’imposer
une orientation sportive, ce qui est d’ailleurs pratiquement chose faite. L’EPS
est morte dans les bras du sport et le devenir des enseignants devient de plus
en plus problématique. À quoi bon en effet une formation universitaire pour
arbitrer des matchs et manager des équipes ?
C’est pourquoi les théoriciens de l’EPS se sont lancés dans une recherche de
crédibilité qui prend deux directions : recherche de scientificité, garantie
d’objectivité de rationalité, justifiant à leurs yeux l’existence de l’EPS ;
recherche de spécificité, qui doit apporter à l’EPS une dimension originale.
La caution scientifique implique comme point de départ exclusif la définition
de l’objet, ce qui occulte les finalités éducatives et rejette ce qui n’est pas
quantifiable ou mesurable.
L’obsession scientifique a aussi envahi le domaine de la pratique. À partir des
données psychopsychologiques et des travaux de Wallon et de Piaget
(interprétés pour les besoins de la cause), s’est élaborée une pédagogie qui se
cantonne dans un ensemble de techniques : « Les techniques
d’enregistrement (magnétoscope, magnétophone) permettent d’opposer
commodément au discours de justification péremptoire de la pensée
spéculative la réalité de ce qui s’est effectivement passé. » (Sport et
développement humain, Éditions sociales, p. 161)
Parce qu’apparemment cohérente et rigoureuse, elle apparait comme le seul
mode d’approche des pratiques corporelles : « Il semble difficile d’imaginer
d’autres processus, c’est-à-dire une éducation physique générale visant la
maitrise corporelle en elle-même et qui ne serait pas d’abord l’apprentissage
scientifique des activités physiques de la pratique sociale en devenir. » (Sport
et développement humain, Éditions sociales, p. 206)
Le recours systématique à la science se retrouve dans la formation en UER
des professeurs d’EPS. L’enseignement est centré sur les sciences
biologiques et humaines et de nombreuses références sont faites à la
biomécanique, à la physiologie, à la psychologie expérimentale ; l’essentiel
étant d’affubler des prétentions scientifiques à des pratiques sportives. De là à
compliquer ce qui est simple, à donner du sérieux à ceux qui, à première vue,
peut ne pas le paraitre, il n’y a qu’un pas, qui est très souvent franchi.
La crédibilité scientifique n’est cependant pas toujours suffisante pour
justifier l’EPS et lui faire acquérir ses lettres de noblesse. Il lui faut aussi se
défaire de cette dépendance aux sciences reconnues et obtenir sa propre
autonomie. C’est ainsi que s’exprime la recherche de spécificité qui se traduit
par la création de concepts nouveaux qui rendent complètement hermétique et
réservé aux seuls initiés la lecture de certains textes concernant les activités
corporelles du domaine de l’EPS.
Finalement, à en croire certains de ces théoriciens, le cartable devient
aujourd’hui plus nécessaire pour le professeur de gym que le survêtement.
Tout cela n’est pas sans conséquence.
Un des résultats de cette intellectualisation sans rapport avec le vécu affectif
quotidien est l’aversion exprimée par de nombreux étudiants et enseignants
en EPS à l’égard de toute activité intellectuelle et le refus de toute réflexion
critique, et de toute analyse de leurs pratiques, acceptant à la rigueur de
raisonner sur les bases de la technique ou sur la meilleure recette pour
enseigner telle ou telle activité. Tout questionnement sur le pourquoi faire,
toute remise en cause du cadre institutionnel est jugée inutile voire
dangereuse, et laissé avec mépris aux théoriciens, aux chercheurs.
Quant aux théoriciens et aux nouveaux scientifiques, la plupart, après avoir
accumulé quantité de titres universitaires dans des matières très diverses,
quittent les lieux de la pratique et n’ont plus que de lointains rapports avec les
hommes de terrain, pour ne pas dire même avec l’éducation physique.
En fait, il ne semble pas que cette recherche de crédibilité qui inféode l’EPS
aux exigences scientifiques soit la meilleure façon de justifier et de faire vivre
l’EPS.
Ce n’est qu’en partant des finalités, c’est-à-dire en reconnaissant la priorité
absolue d’un projet humaniste et d’une démarche affectiviste que l’éducation
physique aura enfin un sens et une justification. C’est d’ailleurs l’unique
chance de combler le fossé existant actuellement entre théoriciens et
praticiens.
Bien sûr, l’on peut dire que la démarche la plus adéquate pour lier théorie et
pratique consiste à partir de la pratique pour remonter à la théorie, celle-ci
alimentant à son tour la pratique ou une nouvelle pratique, mais cela n’est pas
suffisant. Il y a une manière de vivre l’une et l’autre et il faudrait faire une
distinction entre le savoir intellectuel et une véritable compréhension qui
concerne et influence tout le comportement. Quand cette compréhension
existe, elle a toujours un effet de transformation sur l’être entier.
Ceci m’amène à dire, par exemple, qu’il faut d’abord vivre les activités
physiques et sportives avant de parler de leur technique et rechercher en
premier le plaisir, éprouver des sensations et non pas se perdre dans une
soumission à leur codification et à leur technicité.
L’important dans ces activités, c’est leur dimension affective, et une pratique
physique qui ignorerait l’affectif, sans réflexion et analyse de soi-même et de
son environnement, n’entrainerait aucun changement psychologique profond,
n'impliquerait pas la personne dans sa totalité.
En définitive, si, de par le cadre institutionnel actuel qui ne permet que des
pratiques médiocres, un certain décalage semble inévitable entre théorie et
pratique, la nécessité de leur lien est indispensable et ne peut être réalisée
qu’à la condition que la théorie soit engagée dans la réalité, contribue à
changer la vie. Cela ne veut pas dire que celle-ci doive épouser la pratique et
se soumettre à elle mais au contraire la rehausser, l’obliger à être toujours
plus exigeante, plus signifiante du projet éducatif.
À ce sujet, Carl Rogers écrit, dans son autobiographie : « Je ne suis pas de
ces gens qui peuvent théoriser ou faire de la recherche dans un coin en se
moquant éperdument de savoir si quelqu’un au monde trouve un sens à leur
travail. Je tiens absolument à ce que mon travail ait une influence. On peut
considérer que c’est un bien ou un mal (je pense que c’est les deux), mais en
tout cas, pour moi, c’est un fait. »
Jacques André
Le livre du mois
Apprendre à enseigner
Collection « Apprendre », PUF, décembre 2015.

Nicole Priou,

La collection « Apprendre » des PUF nous offre depuis dix ans des ouvrages
dont l’ambition est d’établir des ponts entre la recherche et les pratiques en
éducation. La dernière livraison, Apprendre à enseigner, coordonnée par Luc
Ria et Valérie Lussi Borer, donne la parole à quarante-et-un contributeurs qui
dressent complémentairement un état des lieux des ressources sur le travail
enseignant produites actuellement par la recherche.
Le titre de cet ouvrage, Apprendre à enseigner, s’accommode fort bien de
l’ambivalence de sens du verbe « apprendre » en langue française : le livre
vise à la fois à outiller ceux qui apprennent leur métier comme débutants, et
ceux qui les accompagnent dans cet apprentissage comme formateurs, avec le
souci constant de ne pas séparer l’enseignement de l’apprentissage. Son
projet est de « dresser un panorama des problématiques, des outils, des
espaces impliqués dans l’apprentissage du travail enseignant ». Il s’organise
en trois parties. La première, « Connaitre le travail enseignant », s’attache à
« rendre intelligibles les principales clés du travail enseignant en mettant en
avant les prescriptions qui encadrent son déploiement, mais aussi les
dimensions expérientielles des acteurs au travail ». La deuxième, « Des
outils pour apprendre le travail enseignant », rend compte d’expérimentations
en cours donnant des pistes pour « concevoir de nouvelles modalités de
formation en réinterrogeant les espaces, les fonctions et les statuts des outils
de formation ». Enfin, la troisième, « Se développer professionnellement »,
s’intéresse à l’accompagnement de l'apprentissage du métier d'enseignant tout
au long de la carrière, en interrogeant plus particulièrement le rôle des
formateurs et autres personnels en charge de cet accompagnement.
Au-delà de la diversité des contributeurs, quelques constantes traversent
l’ouvrage et contribuent à sa cohérence. Une même vision du métier, celle qui
consiste à « réussir à faire réussir le plus grand nombre d’élèves », oriente
l’ensemble des contributions. Une conviction forte ponctue les propos des
auteurs : la formation ne peut se penser indépendamment d’une prise en
compte de la logique des formés. C’est en prenant appui sur leur activité dans
ses réalisations, ses potentialités et ses empêchements que peut se mettre en
place une formation efficace. On retrouve là l’influence des apports hérités de
la recherche sur l’analyse du travail, apports vus comme des ressources
précieuses pour orienter l’activité des formateurs.
Si le projet de la chaire Unesco dont Luc Ria a la charge est d’être une «
interface hybride pour favoriser la circulation des savoirs », cette
préoccupation se retrouve dans cet ouvrage qu’il codirige avec Valérie Lussi
Borer. C’est sans doute en avançant dans la recherche et la construction
d’ « un monde commun » (pour reprendre le titre donné par Patrick Rayou à
l’excellent premier chapitre du livre) que chercheurs et praticiens, débutants
et experts pourront œuvrer à l’évolution d’un métier qui gagnerait ainsi « en
pertinence, en qualité, avec des effets positifs sur les apprentissages [des]
élèves ».
Pour y parvenir, deux leviers sont valorisés : miser sur l’établissement
comme échelon décisif pour la formation et le développement professionnel
des enseignants ; constituer des collectifs professionnels qui soient à même
de générer des actions concertées pour aider les élèves à apprendre. C’est
déjà à l’œuvre dans certains lieux (de nombreux encadrés présentent ces
« dispositifs remarquables »). Reste à passer à la vitesse supérieure.
Cet ouvrage de référence fournit des analyses et des propositions pour y
parvenir.
L’apprentissage du métier ne se
limite pas aux seules premières
années de formation initiale
Questions à Valérie Lussi Borer et Luc Ria.

Si enseigner est un métier qui s’apprend, comme on le dit souvent au CRAP-Cahiers


pédagogiques, vers quelle piste prometteuse à vos yeux la recherche oriente-t-elle
aujourd’hui pour créer les conditions de cet apprentissage tant du côté de ceux qui
entrent dans le métier que du côté de ceux qui accompagnent cette entrée ?

Notre ouvrage insiste particulièrement sur le fait qu’enseigner peut


s’apprendre de manière efficace à partir de l’étude didactisée des situations
réelles de travail des enseignants dans les centres de formation initiale et au
fil de l’eau dans les établissements scolaires. Deux orientations prioritaires
provenant de nos recherches méritent à nos yeux d’être soulignées.
D’une part, on peut apprendre concrètement à enseigner à partir de l’analyse
de l’activité d’autres enseignants ou de la sienne. Les pistes les plus
prometteuses proviennent de l’usage en formation et pour la formation de
situations d’enseignement et d’apprentissages décrites et analysées au plus
proche de leur mise en œuvre en classe, de ce qu’elles suscitent tant chez les
enseignants (vécu, préoccupations) que chez les élèves (apprentissages du
métier d’élève et apprentissages scolaires). Dans cette perspective, l’outil
vidéo constitue un puissant média pour rapatrier, analyser, faire vivre par
procuration ou encore comparer les traces d’activité des enseignants et des
élèves, et ainsi un puissant catalyseur du développement professionnel des
formés. Mais seulement à condition qu’un cadre éthique rigoureux
circonscrive les interactions, protège les formés de toutes les formes possibles
de dérives concernant l’atteinte de l’image de soi ou de sa propre liberté
pédagogique.
D’autre part, le processus d’apprentissage du métier ne se limite pas aux
seules premières années de formation initiale, mais doit se prolonger tout au
long de la vie professionnelle, pour s’adapter continuellement et le mieux
possible à un métier complexe et évolutif. Plusieurs pistes prometteuses
visent à appréhender la formation et le développement professionnel comme
processus plus que comme produits. Elles soulignent l’importance de
s’intéresser aux dimensions collectives du métier, notamment aux
mutualisations d’expérience professionnelle dans différentes configurations
(entre pairs et experts), mais aussi de renouveler les modalités d’alternance,
ne les concevant plus seulement entre institution de formation et
établissement scolaire, mais plus particulièrement entre situation de travail et
situation de formation dans les établissements eux-mêmes. Ces pistes
nouvelles nécessitent le développement d’un partenariat beaucoup plus étroit
entre formateurs universitaires ou académiques et formateurs de terrain, ainsi
que de repenser la formation des personnels qui accompagnent les équipes
d’enseignants.

Peu de didacticiens parmi vos contributeurs ? C’est un choix ?

Dans cet ouvrage, nous ne voulions pas partir des clivages habituels qui
scindent et parfois figent la dynamique des formations à l’enseignement.
Nous avons choisi de mettre en avant des travaux de recherche s’inscrivant
dans différents ancrages théoriques qui s’attachent à décrire et à analyser
finement le travail des enseignants, des élèves et des enseignants en
formation. La plupart des modélisations du travail produites par ces travaux
essaient de ne séparer ni l’enseignement de l’apprentissage, ni les processus
d’enseignement et d’apprentissage de leurs produits. À partir des pratiques
réelles de classe, ils s’intéressent aux coconstructions de situations scolaires,
aux interactions entre enseignants et apprenants qu’ils visent à identifier et à
« typifier » pour améliorer la conception de situations porteuses
d’apprentissages tant pour les élèves que pour les enseignants en formation.

Vous insistez sur le fait qu’on apprend à enseigner tout au long de sa carrière
professionnelle. Cela ne conduit-il pas à interroger la gouvernance du système,
notamment sur le recrutement et formation des cadres (inspecteurs, chefs
d’établissement) ?

Il est clair que souligner l’importance des milieux de travail pour le


développement professionnel et prioriser cette mission reconfigure les rôles
et identités de tous les acteurs du système. Analyser les moyens par lesquels
s’opère le développement professionnel des enseignants dans les lieux de
travail et réfléchir à comment les soutenir au mieux, reconnaitre que la
professionnalité des formateurs d’enseignants ne se superpose pas à celle des
enseignants (mais requiert une formation spécifique) sont des postulats qui
nécessitent de transformer les rôles des personnels de formation et
d’encadrement et de les coordonner. L’enjeu est de taille car les chercheurs et
formateurs des ESPÉ ou des académies, les décideurs du ministère de
l’Éducation nationale, les chefs d’établissement et les inspecteurs ne
travaillent pas encore de manière suffisamment coordonnée en partageant des
valeurs communes sur ce que signifie « apprendre à enseigner ».
Table of Contents
Couverture
Éditorial
Former pour refonder !
Avant-propos
Place au débat
Actualité
Les formations collège, un premier bilan contrasté
#Jedessine
Le système traite comme égaux des élèves inégaux
Le pacte d'excellence belge
L ’école face aux crises de société
L'école change avec le numérique ?
Les enseignants entre l’éthique professionnelle et la
démocratisation scolaire
1. Des relations complexes.
Savoir tisser des liens
Un futur qui se prépare aujourd’hui ?
Mes bricolages avec ce qu'on sait du cerveau
Un déclencheur
Pour que s’activent les neurones
Apprendre à résister aux automatismes
Neurosciences, situations complexes et répétitions
Faire attention
2. Alertes et précautions
Neuroéducation : attention danger !
La gestion mentale, compatible avec les neurosciences ?
Intelligence(s) : du quantitatif au qualitatif
Non, l'effet Mozart n'existe pas !
Quelle diffusion, entre engouement et prudence ?
Entre neurosciences et éducation : les chainons manquants
3. Des expérimentations ... à suivre
Découvrir son cerveau pour mieux apprendre
Développer l’inhibition sur le terrain des classes
Apprendre à tenir son chien de garde
Sept approches de la conscience phonologique
La 6e mémento
Apprendre l'espace à l'école
Neurosciences et culture d'établissement
Méditation, enfance et apprentissages font-ils bon ménage ?
Ceci n’est pas une tasse
À vos marques, prêts… apprenez !
Quelques définitions
4. Sur le site des Cahiers pédagogiques
Stimuler les fonctions exécutives
Dormir pour apprendre
Des apports qui restent discutables…
Face aux troubles de l'attention
Les intelligences multiples au Centre de documentation
De l’importance d’inhiber les détails
Mon intérêt pour les sciences cognitives, ma pratique raisonnée des
neuromythes…
Bibliographie Sitographie Filmographie
Les éditions du Pommier, au service de la vulgarisation scientifique
Et chez toi ça va ?
Sur mes lèvres
La petite phrase
Léo, Julie et « La Rose bleue »
Génération Z
Eva
S’ouvrir au monde
Faits et idées
Le bon conformisme
Comment naissent les EPI
Les parents et l’école, trente ans de réflexion
Depuis le temps
Science sans conscience
Le livre du mois
Apprendre à enseigner
L’apprentissage du métier ne se limite pas aux seules premières
années de formation initiale

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