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En physique, pour comprendre

Grenoble Sciences
Grenoble Sciences est un centre de conseil, expertise et labellisation de l’ensei-
gnement supérieur français. Il expertise les projets scientifiques des auteurs dans
une démarche à plusieurs niveaux (référés anonymes, comité de lecture inte-
ractif) qui permet la labellisation des meilleurs projets après leur optimisation.
Les ouvrages labellisés dans une collection de Grenoble Sciences ou portant la mention
« Sélectionné par Grenoble Sciences » (« Selected by Grenoble Sciences ») corres-
pondent à :
»»des projets clairement définis sans contrainte de mode ou de programme,
»»des qualités scientifiques et pédagogiques certifiées par le mode de sélection (les
membres du comité de lecture interactif sont cités au début de l’ouvrage),
»»une qualité de réalisation certifiée par le centre technique de Grenoble Sciences.

Directeur scientifique de Grenoble Sciences


Jean Bornarel, Professeur à l’Université Joseph Fourier, Grenoble 1

On peut mieux connaître Grenoble Sciences en visitant le site web :


http://grenoble-sciences.ujf-grenoble.fr

On peut également contacter directement Grenoble Sciences :


Tél (33) 4 76 51 46 95, e-mail : grenoble.sciences@ujf-grenoble.fr

Livres et pap-ebooks
Grenoble Sciences labellise des livres papier (en langue française et en langue
anglaise) mais également des ouvrages utilisant d’autres supports. Dans ce contexte,
situons le concept de pap-ebook qui se compose de deux éléments :
»»un livre papier qui demeure l’objet central avec toutes les qualités que l’on connaît
au livre papier,
»»un site web corrélé ou site web compagnon qui propose :
››des éléments permettant de combler les lacunes du lecteur qui ne possèderait pas
les prérequis nécessaires à une utilisation optimale de l’ouvrage,
››des exercices de training,
››des compléments permettant d’approfondir, de trouver des liens sur internet…
Le livre du pap-ebook est autosuffisant et certains lecteurs n’utiliseront pas le site
web compagnon. D’autres pourront l’utiliser, et chacun à sa manière. Un livre qui
fait partie d’un pap-ebook porte en première de couverture un logo caractéristique.
Le lecteur trouvera le site compagnon du présent livre à l’adresse internet suivante :
http://grenoble-sciences.ujf-grenoble.fr/pap-ebooks/viennot

Grenoble Sciences bénéficie du soutien du Ministère de l’Enseignement


supérieur et de la Recherche et de la Région Rhône-Alpes
Grenoble Sciences est rattaché à l’Université Joseph Fourier de Grenoble
En physique, pour comprendre
Laurence Viennot
Avec la collaboration de Philippe Colin, Jean-Luc Leroy-Bury,
Ivan Feller et Stéphanie Mathé

17, avenue du Hoggar


Parc d’Activité de Courtabœuf - BP 112
91944 Les Ulis Cedex A - France
En physique, pour comprendre
Cet ouvrage, labellisé par Grenoble Sciences, est un des titres du secteur
Sciences de la matière Collection Grenoble Sciences (EDP Sciences), qui regroupe des
projets originaux et de qualité. Cette collection est dirigée par Jean Bornarel, Professeur
à l’Université Joseph Fourier, Grenoble 1.
Comité de lecture de l’ouvrage
›› G. Aubert, professeur émérite, Université Joseph Fourier, Grenoble I, Conseiller scien-
tifique CEA / DSM / Irfu
›› J. Ogborn, professeur émérite, Institute of Education, University of London
›› J. Ricard, professeur émérite, Université Paris Diderot, Paris VII. Membre de l’acadé-
mie des sciences
›› M. Veyssié, professeur honoraire, Université Pierre et Marie Curie, Paris VI
Cet ouvrage a été suivi par Jean Bornarel pour la partie scientifique et par
Anne-Laure Passavant et Sylvie Bordage du centre technique Grenoble Sciences pour
sa réalisation pratique. Les dessins ont été réalisés par Simone Gerlier, Pixel Project.
L’illustration de couverture est l’œuvre d’Alice Giraud, d’après : rayons lumineux
– W. Kaminski ; jets d’eau – Gorazd Planinšič ; Effet Doppler –Pbroks 13, Wikimedia ;
Montgolfières – Jean-Simon Asselin, Flickr.
Cet ouvrage a été publié avec le soutien du Centre de Formation des Doctorants pour
l'Insertion Profesionnelle (CFDIP, Université Paris-Diderot).
Autres ouvrages labellisés sur des thèmes proches (chez le même éditeur)
Naissance de la Physique (M. Soutif) • L’Asie, source de sciences et de techniques (M. Soutif)
• Description de la symétrie. Des groupes de symétrie aux structures fractales (J. Sivardière) •
Symétrie et propriétés physiques. Des principes de Curie aux brisures de symétrie (J. Sivardière)
• Introduction à la mécanique statistique (E. Belorizky & W. Gorecki) • Mécanique Statistique.
Exercices et problèmes corrigés (E. Belorizky & W. Gorecki) • La Cavitation. Mécanismes phy-
siques et aspects industriels (J. P. Franc et al.) • La Turbulence (M. Lesieur) • Turbulence et
déterminisme (M. Lesieur en collaboration avec l'institut universitaire de France) • Magnétisme :
I Fondements, II Matériaux (Sous la direction d'E. du Trémolet de Lacheisserie) • Spectroscopie
de résonance paramagnétique électronique, fondements (P. Bertrand) • Spectroscopies infra-
rouge et Raman (R. Poilblanc & F. Crasnier) • Du soleil à la terre. Aéronomie et météorologie de
l'espace (J. Lilensten & P.L. Blelly) • Sous les feux du Soleil, vers une météorologie de l'espace
(J. Lilensten & J. Bornarel) • La Mécanique Quantique. Problèmes résolus, Tome I et II (V.M.
Galitski, B.M. Karnakov &V.I. Kogan) • Mécanique - De la formulation lagrangienne au chaos
hamiltonien (C. Gignoux & B. Silvestre-Brac) • Problèmes corrigés de mécanique et résumés de
cours. De Lagrange à Hamilton (C. Gignoux & B. Silvestre-Brac) • Physique des diélectriques
(D. Gignoux & J.C. Peuzin) • Physique des plasmas collisionnels. Applications aux décharges
hautes fréquences (M. Moisan & J. Pelletier) • Energie et environnement. Les risques et les
enjeux d'une crise annoncée (B. Durand) • L'énergie de demain (Groupe Energie de la Société
Française de Physique Sous la direction de Jean-Louis Bobin, Elisabeth Huffer & Hervé Nife-
necker ) • Les milieux aérosols et leurs représentations (A. Mailliat) • Physique et Biologie (B.
Jacrot) • Éléments de Biologie à l'usage d'autres disciplines, de la structure aux fonctions (Phi-
lippe Tracqui & Jacques Demongeot) • Sciences expérimentales et connaissance du vivant. La
méthode et les concepts (Pierre Vignais & Paulette Vignais)
et d’autres titres sur le site internet : http://grenoble-sciences.ujf-grenoble.fr
ISBN 978-2-7598-0656-0
© EDP Sciences, 2011
Préface

Il y a bientôt dix ans, j’écrivais la préface de l’un des nombreux ouvrages que
Laurence Viennot a consacrés à l’enseignement de la physique, ouvrage intitulé
précisément « Enseigner la physique ». J’y insistais sur la désaffection des étudiants
pour les filières scientifiques, très marquée aux États-Unis mais qui n’épargne pas les
pays européens et la France en particulier.
Ce nouvel ouvrage, « En physique, pour comprendre », aborde le problème sous
un angle original que la première phrase nous révèle d’emblée : « La physique doit
plaire, c’est, nous dit-on, urgent : en ce début du troisième millénaire, l’audience
baisse, nous allons manquer de physiciens. »
Il ne faut pas se méprendre, Laurence Viennot ne s’est pas ralliée au clan des péda-
gogues qui prétendent transformer tout enseignement en activité ludique. Certes, on
peut apprendre en jouant mais l’objectif qu’elle s’est fixé est autrement plus ambi-
tieux puisqu’il s’agit non pas tant d’apprendre que de comprendre aux fins d’en
tirer une satisfaction intellectuelle bien plus profondément motivante. Pour nombre
d’élèves ou d’étudiants, la physique ne va guère au-delà de « on applique la for-
mule » pour réussir « à faire » le problème posé dans le respect le plus strict des
conventions explicitées par les instructions détaillées des programmes officiels. Le
système est suffisamment encadré et codifié pour que l’on puisse apprendre sans
comprendre, ce qui n’est effectivement pas très séduisant.
« En physique, pour comprendre », n’est pas un livre facile mais il peut heureusement
être abordé par celles des entrées de la table des matières qui inspireront (ou intrigue-
ront) plus fortement le lecteur. C’est aussi un livre qui dérange et il peut même inter-
peller les physiciens les plus avertis. Pour ne citer que l’un des exemples qui illustre
la couverture, il y a beaucoup de choses à comprendre avant d’embarquer dans une
montgolfière, fut-elle la « montgolfière d’enseignement » du paragraphe 6.1 !
La formule choisie du site web associé au livre permet de tirer le meilleur profit des
nombreuses références bibliographiques. C’est ainsi qu’un autre exemple qui illustre
la couverture, les bouteilles percées de l’annexe D, nous propose une belle collection
d’erreurs historiques et grande fut ma déception d’apprendre que le génial Léonard
de Vinci n’avait pas soumis ses conclusions en la matière à une vérification expéri-
mentale, tout de même plus facile à réaliser que pour ses machines volantes.
Je recommande la lecture de ce livre non seulement à tous mes collègues enseignant
la physique et les autres disciplines scientifiques, à quelque niveau que ce soit, mais
aussi aux étudiants, aux futurs enseignants et à tous ceux qui prendront plaisir à
comprendre…

Guy Aubert
Professeur émérite à l’université Joseph Fourier de Grenoble
Conseiller d’État en service extraordinaire honoraire
Ancien directeur général du Centre National de la Recherche Scientifique
Table des matières

Introduction 1

Première partie - S'approprier le raisonnement :


des mots, des images, des fonctions
Chapitre 1 - Comprendre : des outils incontournables 9
1.1 Des mots qu’il faut comprendre 9
1.2 L’image : parle-elle vraiment d’elle-même ? 10
1.3 Des graphiques et des fonctions 15
Chapitre 2 - Invariances surprenantes 17
2.1 Introduction 17
2.2 La vitesse de la lumière dans le vide 17
2.3 La propagation des signaux mécaniques 19
2.4 Les coefficients de frottement 20
2.5 Quand la masse ne compte pas 21
2.6 Le miroir 22
2.7 Puissance et non-évidence des invariances 24
Chapitre 3 - L’analyse des dépendances fonctionnelles, un outil puissant 27
3.1 Numérique ou fonctionnel ? 27
3.2 Avant même les valeurs : la forme de la relation 28
3.3 Surveiller l’intervention d’une lecture causale des relations 29
3.4 Des facteurs non apparents dans une relation entre grandeurs : pas toujours
sans importance 32
3.5 Des dépendances fonctionnelles et des graphiques : un exemple en optique
géométrique 33
3.6 Des trésors négligés, des risques à expliciter 38
XII En physique, pour comprendre

Chapitre 4 - Mise en pratique 41


4.1 Introduction 41
4.2 Le champ du miroir 44
4.3 La déviation d’une particule chargée par un champ magnétique 46
4.4 Glissade sur un plan incliné 49
4.5 Le projecteur de diapositives 52
4.6 Flottaison entre deux liquides non miscibles 57

Deuxième partie - La physique : facteur de rapprochement


Chapitre 5 - L es rapprochements entre phénomènes par type
de dépendance fonctionnelle 67
5.1 Introduction 67
5.2 Signaux différés : des astres aux chauves-souris 68
5.3 L’effet Doppler version graphique 72
5.4 Encore plus de liens ? Doppler et Römer 77
5.5 Investir ? 80
Chapitre 6 - Les rapprochements entre approches différentes d’un même phénomène 83
6.1 Une montgolfière d’enseignement 83
6.2 Un rituel qui pactise avec l’incohérence 84
6.3 Une mise en relation très inhabituelle 86
6.4 Des témoignages de satisfaction intellectuelle 87
6.5 Toujours plus de liens ? Le poids et la pression du gaz 89
6.6 L’intérêt des changements d’échelle d’analyse 90

Troisième partie - La simplicité : ruine ou triomphe


de la cohérence ?
Chapitre 7 - Les expériences simples : comment en optimiser l'usage 95
7.1 Simplicité vaut-elle pertinence ? 95
7.2 La balance d’Archimède 96
7.3 Le verre d’eau retourné 97
Table des matières XIII

7.4 L’éprouvette retournée 101


7.5 Au-delà des rituels 102
7.6 Les explications-échos et le raisonnement linéaire causal 104
7.7 Quand l’expérience simple pare le raisonnement simpliste 110
7.8 Le « baromètre d’amour »  111
7.9 Remarques finales 113
Chapitre 8 - Vulgariser la physique : quelle place pour le raisonnement ? 117
8.1 Mission incontournable, mission impossible? 117
8.2 Raisonnement, rigueur : quelques points critiques 119
8.3 Une tendance des profanes : les histoires en faveur 122
8.4 Auteurs (comme enseignants) : tendances à « l’explication-écho » 123
8.5 Une réelle marge de manœuvre 126
Conclusion 129
Annexe A - Ce que l'ouvrage doit à la didactique de la physique 135
Annexe B - Le poids de l’air, les chocs des molécules : quel rapport ? 137
B1 Analyse classique d’une colonne d’air isotherme 138
B2 Une autre façon de voir les choses 139
B3 Molécules, leurs chocs et leur poids : proposition d’analyse 140
B4 Remarques finales 141
B5 Le poids des molécules : un sondage auprès de professeurs en formation 143
Annexe C - Le raisonnement linéaire causal 147
Annexe D - Quand la physique devrait se conformer à la croyance :
des bouteilles percées 151
Annexe E - De futurs journalistes ou médiateurs scientifiques
se prononcent devant une incohérence 157
Annexe F - Les « facilités » de la communication : hiérarchisation
des risques par des élèves de Seconde 167
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Introduction

La physique doit plaire, c’est, nous dit-on, urgent : en ce début du troisième millé-
naire, l’audience baisse, nous allons manquer de physiciens. Bien des enseignants
répondront qu’elle doit plaire de toute manière, dès lors qu’elle est proposée comme
matière d’enseignement. Maintenant, comment plaire ?
Ce texte propose une réponse partielle. Partielle mais relative à un aspect essen-
tiel, du moins pour de nombreux enseignants. Certes, les objectifs d’enseignement
relèvent d’un choix avant tout politique. Mais pour choisir, il faut connaître ce qu’il
y a d’accessible au catalogue, à un prix abordable. Il est question ici de la satisfac-
tion intellectuelle de ceux qui apprennent1. Le lecteur jugera lui-même à quoi peut
bien servir le fait que nos élèves éprouvent du plaisir à raisonner en physique. Ce
texte s’attache à présenter des éléments susceptibles d’aider les enseignants qui le
souhaitent à agir de manière plus accentuée sur ce terrain.
Les enseignants, bien sûr, cela compte beaucoup plus que les textes officiels, même
si l’influence de ces derniers est forte. Si on leur parle de satisfaction intellectuelle,
beaucoup diront qu’ils n’ont pas attendu des encouragements pour avoir cette belle
ambition. Mais tant de contraintes s’interposent ! Le réalisme est donc un incon-
tournable invité dans ce débat, et la modestie est nécessaire. Pourtant il n’est pas
interdit d’envisager que les moyens à l’origine de tel ou tel effet bénéfique puissent
se partager largement, dans un contexte réaliste d’enseignement ou d’information
scientifique.
Dans quelle mesure et comment peut-on enseigner dans des conditions réalistes tout
en favorisant la satisfaction intellectuelle de nos élèves ?

1 Plusieurs chercheurs ont inscrit l’expression même de « satisfaction intellectuelle » dans leur
problématique de recherche. Ainsi Viennot L. (2006) Teaching rituals and students, intellectual
satisfaction, Phys. Educ. 41, 400-408 (http://stacks.iop.org/0031-9120/41/400) ; Feller I. (2008)
Usage scolaire de documents d’origine non scolaire en sciences physiques. Eléments pour un état
des lieux et étude d’impact d’un accompagnement ciblé en classe de seconde, Thèse, Université
Paris Diderot (http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00366318/) ; Feller I., Colin P. & Viennot L.
(2009) Critical analysis of popularisation documents in the physics classroom. An action-research in
grade 10, PEC, 17(17), 72-96 ; Mathé S. & Viennot L. (2009) Concern for coherence in journalists
and science mediators-to-be: are they open to this prospect? PEC, 11 (11), 104-128.
2 En physique, pour comprendre

Le propos du livre s’inscrit dans cette question, évidemment de façon limitée. L’at-
tention se centrera sur la façon dont quelqu’un qui apprend peut s’approprier un
raisonnement en relation avec la physique. Nous ne parlons pas de « démarche(s)
scientifique(s) », ni même plus modestement de « démarche d’investigation »,
expressions qui ont été très centrales dans les textes officiels français. C’est essen-
tiellement à l’intelligibilité et à la cohérence d’un raisonnement formulé – par un
élève, un auteur, une supposée autorité, de manière générale un interlocuteur – que
nous nous intéressons ici. Intelligibilité et cohérence : comment inviter quelqu’un à
ne pas renoncer sur ces deux terrains, comment apprécier le bonheur de celui qui, ne
renonçant pas, se voit grandir intellectuellement ?
Ces questions semblent situer les bénéficiaires supposés de cette démarche dans une
attitude relativement passive, en réception de message. Marcherait-on à contre cou-
rant, en ces temps où l’on valorise l’action du sujet ?
Oui et non. Ce qui est souligné ici est l’importance de la prise de connaissance au
sens fort de l’expression, au sens actif, justement. Former en science n’est pas seule-
ment former à la découverte, ni encore moins former directement à la découverte. Le
futur citoyen, et même le futur chercheur, auront à prendre connaissance de ce que
d’autres ont dit en matière de science. La façon dont on se situe devant les résultats
ou prises de position des autres est cruciale. Même le chercheur ne passe pas tout
son temps à chercher tout seul, loin de là. Il regarde aussi ce que font les autres, et se
demande ce qu’il en comprend. « Il ne suffit pas d’avoir la solution d’un problème,
il faut savoir en profiter »2 : ce message que nous adressons à nos élèves vaut plus
largement.
Invoquer cette aptitude, c’est faire référence à ce que l’on nomme souvent l’esprit
critique. Ici, c’est essentiellement à l’une de ses composantes que nous nous intéres-
sons : la recherche de l’intelligibilité, dans une visée d’évaluation de la cohérence
et du champ d’application du propos analysé. Approche limitée, donc, puisque n’y
sont pas abordées, notamment, la pertinence sociale des questions traitées, ou encore
l’image du développement de la science donnée par tel ou tel texte.
Mais il ne s’agit pas non plus d’une démarche qui se limiterait aux pratiques cou-
ramment recommandées, et certes très utiles, de « contrôle du résultat » d’un calcul,

2 Viennot L. (1997) Corrigés modes d’emploi, document LDAR (ex. LDSP), Université Paris
Diderot, p 2.
Introduction 3

via des techniques classiques telles l’analyse dimensionnelle, ou encore celle des cas
limites3.
L’ambition qui inspire ce livre est plus large. Il s’agit de susciter, via une compré-
hension approfondie, la satisfaction intellectuelle des élèves. Pour cela, nous misons
ici sur la cohérence interne des théories physiques en usage4, et sur leur pouvoir pré-
dictif. La question est de savoir comment amener les élèves à en prendre conscience.
Pourtant, avant de s’embarquer dans une évocation lyrique des vertus de la satisfac-
tion intellectuelle, il faut bien convenir que celui qui cherche à maîtriser un raison-
nement explicatif est confronté au préfixe du terme « satisfaction » (du latin satis : à
suffisance) : qu’est-ce donc qui va « suffire » pour accéder à la compréhension ?
Ogborn et al. (1996)5 soulignent qu’un raisonnement en sciences physiques, en
termes de pouvoir explicatif, est comme « la pointe d’un iceberg » : il surmonte une
masse de théorisation implicite, qui donne leur sens à la fois à l’explication fournie
et à la question posée6. Les auteurs proposent cette analyse à propos des explications
des enseignants en classe, mais celle-ci s’applique aussi aux raisonnements dits « de
sens commun » : dans les deux cas, l’argumentation s’appuie sur des éléments admis
sans discussion – sous la ligne de flottaison de l’« iceberg » – , soit parce qu’appris
en classe auparavant et déjà quasi métabolisés, soit parce que relevant de l’évidence
attribuée par Bachelard7 à la connaissance commune.
Poursuivant l’analogie, il semble qu’un fondement essentiel pour la satisfaction
intellectuelle de celui qui cherche à comprendre soit sa propre adaptation à la « ligne
de flottaison » de « l’iceberg » qu’on lui propose. L’insécurité que génère la situation
contraire est bien connue, et tout enseignant qui se respecte s’efforce de l’éviter. Au
demeurant, il arrive que certains sentiments de sécurité soient bien abusifs : nous
verrons des cas où l’intérêt peut surgir quand on comprend que l’on n’avait pas
compris. Il arrive surtout – en fait toujours – que l’on doive se contenter d’un certain

3 Voir plus loin, chapitre 1, note 21. A propos de l’esprit critique, on peut regretter que cette attitude
ait été, en fait, peu évaluée au baccalauréat. Voir à ce sujet la thèse de M. Rigaut (2005) L’épreuve
écrite de physique au baccalauréat : analyse du point de vue du contrat didactique, une étude
centrée sur les années 1999 et 2000, Université Paris 7.
www.matthieurigaut.net/public/docs/these_didactique_matthieu_rigaut.pdf
4 A titre d’exemple : les lois de Newton.
5 Ogborn J., Kress G., Martins I. & McGillicuddy K. (1996) Explaining Science in the Classroom,
Buckingham: Open University Press, 13.
6 Ils évoquent à ce propos l’analogie de comportement entre le Lithium, le Sodium et le Potassium
lorsqu’on en jette un morceau dans l’eau, et l’explication liée à la classification périodique des
éléments, ou encore les commentaires en termes de molécules sur les changements d’états de l’eau.
7 Bachelard G. (1938) La formation de l’esprit scientifique, Vrin, Paris.
4 En physique, pour comprendre

niveau de maitrise des concepts en cause. « Satis », suffisamment. Mais où donc se


situe cette ligne de flottaison qui permet de faire émerger plus de compréhension
sans trop d’explicitations inutiles ou périlleuses ? Nulle réponse absolue, bien sûr,
dans ce livre, juste des explorations au voisinage de celle habituellement admise.
On sent bien aussi que l’appropriation d’un raisonnement n’est pas seulement l’ac-
ceptation « suffisante » de chacun des maillons de l’argumentation. A l’opposé de
ce réductionnisme intellectuel, on peut éprouver ces sortes de déclics dont on ne sait
dire les parts d’affectivité et de rationalité qu’ils impliquent. A en croire De Bro-
glie8, « Une doctrine qui parvient d’un seul coup à réaliser une vaste synthèse […]
produit incontestablement sur le théoricien une impression de beauté et l’incline à
croire qu’elle renferme une grande part de vérité. »
Pourquoi ne pas penser qu’à tout niveau de l’apprentissage ce type de sentiment puisse
être rencontré, et motiver l’effort d’aller plus loin dans l’exploration intellectuelle ?
Sans aller jusqu’à la « vaste synthèse » évoquée par De Broglie, souvent, le plaisir
intellectuel s’associe à une extension des possibilités générées par le raisonnement.
Ainsi, la convergence des conclusions de raisonnements empruntant des chemine-
ments différents est une fête intellectuelle. On est loin de l’idée qu’une seule expli-
cation suffirait, du moins pour le plaisir. Une explication pour un vaste champ de
phénomènes, ou plusieurs cheminements pour l’un d’entre eux9 : dans les deux cas
le plaisir intellectuel ne rime pas avec pingrerie. Même si, finalement, l’explication
qui semble la plus économe sera déclarée la plus « belle »10. On peut se contenter
d’une démonstration pour décider qu’une conclusion est valide, mais pour le plaisir,
qui peut affirmer qu’une explication suffise ?
On a beaucoup dit que l'on apprenait d’autant mieux que l’on était motivé. Et d’ajou-
ter que la motivation pouvait venir du sentiment d’utilité de la science, ou de son
lien avec les techniques et les conditions de fonctionnement de la société. Egalement
invoqué, le rêve, l’émerveillement potentiellement attachés à certains sujets, images
à l’appui, tels la cosmologie ou les phénomènes à l’échelle nanoscopique. Dans un
autre registre, un facteur favorable peut être le cadre de l’activité, comme celui des
projets en université ou des Travaux Personnels Encadrés lancés en France en classe
de Première en 1997. Il n’est pas question de nier le rôle de ces aspects dans l’envie

8 De Broglie L. (1941) Continu et discontinu en physique quantique, Albin Michel, Paris, p 87.
9 Voir l’exemple de la montgolfière au chapitre 6.
10 R. Feynmann écrivait dans The character of physical laws (1965), traduction H. Isaac, J.M. Levy-
Leblond et F. Balibar (La nature des lois physiques) en 1980 au Seuil, p 38 : « Mais la gravitation
est simple et c’est bien là le phénomène le plus impressionnant (…). Elle est simple et donc belle ».
Introduction 5

de s’approprier ou de développer un raisonnement, cependant les exemples don-


nés ici les laissent au second plan. Voilà bien la question centrale de cet ouvrage :
en accompagnant un élève sur la route d’un raisonnement, peut-on lui procurer un
plaisir intellectuel indépendamment des facteurs de motivation usuellement mis en
avant ? Cela vaut-il l’effort d’essayer11 ? Car c’est bien d’un effort qu’il s’agit : les
cheminements proposés n’excluent pas l’abstraction, tout en se voulant accessibles.
Les joies afférentes rappellent davantage la randonnée en montagne – y compris
dans l’évocation d’un sport accessible à tous – qu’une séance de bronzage au bord
de l’eau.
Les quelques remarques qui précèdent font, bien sûr, écho à celles qui émaillent
régulièrement nos textes officiels d’orientation de l’enseignement. En ce sens, elles
n’apparaissent pas comme bien neuves. Mais toute la question est de déplacer le
curseur de nos pratiques pour mettre à profit les incitations ainsi proclamées. Le réa-
lisme rendrait-il vaines ces exhortations ? Nous l’entendons dire souvent, les élèves
n’auraient pas le sens critique et les enseignants n’auraient pas le temps de les aider
sur ce terrain. Mais ici le parti pris est de refuser d’identifier réalisme et fatalisme.
L’ouvrage est loin d’aborder l’ensemble des pratiques susceptibles de favoriser l’ap-
prentissage de la physique, notamment en matière d’expérimentation. Il doit être
compris comme un simple appel à dépasser quelques-uns de nos rituels, pour plus
de plaisir partagé.
Les propositions qui suivent sont illustrées par des exemples de pratiques ensei-
gnantes adaptées, typiquement, à la fin de l’enseignement secondaire ou au début
du supérieur, mais extensibles, dans leur principe, à d’autres niveaux. Les contenus
de physique associés sont délibérément simples. Les blocages liés aux tendances
communes du raisonnement et les rigidités des rituels d’enseignement sont poin-
tés, dans la perspective de faciliter des décisions pédagogiques mieux informées.
En particulier, les ingrédients communément mis en œuvre pour rendre la physique
« attrayante » sont revisités, qu’il s’agisse de petites manipulations surprenantes ou
de textes de vulgarisation.
La première partie de l’ouvrage analyse et illustre quelques composantes d’une acti-
vité de raisonnement fructueuse en physique. En bonne place parmi les outils évo-
qués : les dépendances fonctionnelles et les graphiques associés, dont l’illustration
se limite à quelques cas simples (en 3.5 et au chapitre 4). Une seconde partie déve-
loppe l’intérêt qu’il y a à confronter divers phénomènes dont le traitement relève du

11 L’idée d’un effort intellectuel est très communément exclue dans la définition de ce que devrait être
la vulgarisation scientifique. « La vulgarisation se targue d’offrir une science sans douleur. », à en
croire B. Jurdant (1975) La vulgarisation scientifique, La Recherche, 53, 149.
6 En physique, pour comprendre

même formalisme, et différentes approches pour l’analyse d’une même situation. La


troisième partie relativise les mérites des expérimentations conduites dans la ligne
des « petites manips », lorsque celles-ci sont à ce point parées de vertus qu’elles
en abaissent le niveau de vigilance des utilisateurs. Il s’agit d’en compléter l’usage
habituel par une réflexion approfondie, qui tienne compte notamment des tendances
communément observées chez les enseignants. Les thèmes ainsi abordés rejoignent
celui de la vulgarisation.
La conclusion reprend l’idée que nos choix, d’enseignants comme de vulgarisateurs
éventuels, sont plus ouverts qu’il n’y paraît, et donc que notre responsabilité est
d’autant plus engagée.
Chapitre 1

Comprendre : des outils incontournables

1.1 Des mots qu’il faut comprendre


Si l’on décide d'entrée que, pour s’approprier un raisonnement, un élève doit com-
prendre les termes employés, on tombe dans le registre « mission impossible ».
Comprendre ? Oui mais jusqu’où ? Il faudrait chaque fois définir le niveau précis de
compréhension visé, en tout cas celui qui permet une intelligibilité (minimale ?) d’un
raisonnement donné. Donnons quelques exemples, juste pour attirer l’attention sur
des pseudo-évidences que l’on peut souhaiter surveiller de plus près :
−− Un texte de mécanique parle de « particule », ou de « point matériel ». Considérer
qu’il s’agit d’un point de masse m est un peu court … et bien peu physique, vu la
densité de masse infinie que cela semble impliquer. On peut souhaiter aller plus
loin dans la compréhension de ce modèle.
−− Un exercice d’optique amène à trouver la « région de l’espace » visible dans un
miroir par un « œil » situé à telle distance de ce miroir, lequel est carré et de telle
dimension. Un raisonnement mené en réponse à cette question devrait assumer
une signification pour « région d’espace » (décrite via une longueur ? une sur-
face ? un angle ? un angle solide ?) et « œil » (modélisé par un point ? une pupille
suivie d’une lentille et d’un écran ? un système visuel comprenant la zone corres-
pondante du cerveau ?)12.
−− Le fait qu’un mouvement soit « uniforme » ne concerne pas, dans les usages en
cours, sa direction, mais dire qu’un champ vectoriel – magnétique par exemple –
mérite cet attribut, c’est affirmer que sa direction est aussi partout la même : le
décodage est indispensable, pour comprendre les raisonnements relatifs à ces
domaines.

12 Voir Chapitre 4, Exercice 4.2.


10 En physique, pour comprendre

La difficulté, s’il s’agit d’aider à l’appropriation d’un raisonnement, est de se situer


juste à la limite, chez l’interlocuteur, entre la zone d’évidence où l’explicitation serait
lassante et celle des incompréhensions insoupçonnées : si un terme chinois est inséré,
la question du sens de ce terme se posera toute seule, mais rien n’attire l’attention sur
un terme familier dont la signification n'est pourtant pas évidente. Cette question du
sens des termes employés est cruciale en vulgarisation scientifique, même si elle est
loin d’être la seule à faire obstacle. Ainsi l’usage des métaphores, déjà répandu au
sein même des disciplines, y est porteur de bien des embûches : trous noirs et matière
noire : s’agit-il du même noir ? Et, même en restant sur un terrain relativement sco-
laire et familier, cette question du sens des mots employés se pose de manière beau-
coup plus aigüe que l’on ne pourrait le croire. Que dire de « l’agitation thermique »,
grande vedette de nos cours de thermodynamique, dès la classe de seconde : parle-t-
on de vitesse, ou d’énergie cinétique13 ?
Préciser le sens des mots : voilà typiquement un terrain où seuls les exemples pren-
dront un éventuel intérêt, les discours généraux souffrant, eux aussi, d’une apparente
évidence.
Les obstacles à l’appropriation d’un raisonnement sont parfois subtils, et résident
dans des absences, dans ce qui n’est ni explicité ni évoqué par une image. Sans doute
est-ce là la catégorie la plus représentée dans nos exemples. Mais, comme pour le
vocabulaire, on est dans un registre appelant mesure et nuances : pas question de tout
expliciter, évidemment. Les choix sont à faire en fonction des risques d’incompré-
hension, à évaluer donc en fonction de la cible.
Entre évidence, redondance et sous-estimation des difficultés, la marge est parfois
faible et le parcours d’explication difficile à négocier. Point de règles générales ici,
mais quelques exemples qui mettront en contraste la désinvolture dont l’usage d’en-
seignement ou de vulgarisation semble parfois témoigner et les bénéfices d’un effort
d’explicitation à coût raisonnable.

1.2 L’image : parle-elle vraiment d’elle-même ?


En collaboration avec Philippe Colin
Pour compléter l’explicitation verbale et/ou autoriser une description allégée, on
peut choisir de s'appuyer sur une image. Puissant auxiliaire du discours, l’image n’a
guère besoin d’être défendue, car elle n’est que peu questionnée par les enseignants.
Pourtant, en analysant les enquêtes menées dans le sillage d’illustrations d’ouvrages

13 Voir Chapitre 3, notes 48 et 49.


Chapitre 1 - Comprendre : des outils incontrounables 11

d’enseignement ou de textes d’examen, elle peut éveiller des soupçons14 : les


figures 1.1 à 1.6 fournissent des exemples choisis en optique et susceptibles d’inter-
venir dans l’enseignement à un niveau élémentaire comme avec des étudiants plus
avancés. Ces exemples d'image ne comportent pas, à proprement parler, d'erreurs,
mais elle peuvent induire des interprétations qui, du point de vue de la physique,
posent problème (références en note 14). Dans chaque figure, sont présentés sur la
gauche des schémas ou figures recontrées dans les ouvrages scolaires ou univer-
sitaires dans un contexte qui est rappelé. Sur la droite de la figure, on trouve des
interprétations formulées par les étudiants, éventuellement la légende qui peut poser
problème et une mise au point de notre part ou une suggestion.

Interprétation d'élèves : Les « rayons » seraient des


objets visibles …
« La loupe est utilisée pour montrer que les rayons
sont très petits. » (Seconde)
« La loupe sert à voir la trajectoire des rayons qui
sont infiniment petits et que nous ne pouvons pas
voir. » (Terminale)
« La figure nous montre que la lumière se propage
en ligne droite (grâce à la lumière blanche que l’on
peut voir). » (Terminale)
Mise au point : Un faisceau lumineux éclaire la
surface rugueuse et cette lumière est diffusée dans
toutes les directions. Les « rayons » sont des outils
théoriques et non des objets visibles.
Figure 1.1 - A model for a rough surface which diffuses the light (Un modèle
pour une surface rugueuse qui diffuse la lumière) d'après Karplus15

14 Colin P., Chauvet F. & Viennot L. (2002) Reading images in optics: students « difficulties
and teachers » views, International Journal of Science Education, 24 (3), 313‑332 ; Viennot L.,
Chauvet F., Colin P. & Rebmann G. (2005) Designing Strategies and Tools for Teacher Training,
the Role of Critical Details. Examples in Optics, Science Education, 89 (1), 13‑27. Pour tout ce
qui concerne interférences et diffraction, voir, dans le sillage de la thèse de P. Colin : Colin P.
& Viennot L. (2000) Les difficultés des étudiants post-bac pour une conceptualisation cohérente
de la diffraction et de l’imagerie optique, Didaskalia, 17, 29‑54 ; Colin P. & Viennot L. (2001)
Using two models in optics: Students, difficulties and suggestions for teaching, Physics Education
Research, American Journal of Physics Sup. 69 (7), S36‑S44. Pour un résumé sur ces thèmes :
Viennot L. (2002) Enseigner la Physique, De Boeck, Bruxelles, chapitres 1 et 5.
De façon plus générale, la « grammaire de l’image » et ses modalités de décodage ont fait l’objet de
très nombreuses études. Voir par exemple Kress G. & Van Leeuwen T. (1996) Reading Images:
the Grammar of Visual design, Routledge & Kegan Paul, London.
15 Karplus R. (1969) Introductory physics. A model approach, Benjamin INC., New York, W.A., 124.
12 En physique, pour comprendre

% Interprétation d'élèves : La flèche oblique


'LUHFWLRQ $ semble interprétée comme un rayon
GHVUD\RQV - (visuel ?) :
GXVROHLO ' « Les rayons terrestres croisent les rayons
& solaires. » (Seconde)
« CD est dans l’ombre, AB aussi. » (Seconde)
Suggestion : Il faudrait éviter d’utiliser une
/LJQHGHYXH même symbolisation pour des rayons et pour
G¶XQREVHUYDWHXUVXUOD7HUUH une ligne de visée.

Figure 1.2 destinée à expliquer la visibilité d’un satellite


de Jupiter, Io d'après Botinelli et al 16

Interprétation d'élèves : La lumière serait


« déviée ». Les trajets émergents seraient
S1
chacun l’unique continuation du rayon
P
S incident correspondant :
« La lumière est déviée. » (Seconde)
S2 « La lumière est déviée (raturé). La lumière
ne peut pas suivre ces trajets. » (Terminale)
Mise au point : Ce qui intervient au niveau
des trous est un phénomène de diffraction.

Suggestion pour un dessin moins


S1 ambigu ci-contre :
Ce schéma suggère le phénomène de dif-
S fraction. Il signale comment analyser
l’éclairement de l’écran en divers points.
S2 Cela implique la sélection des trajets de
lumière pertinents pour chaque point d’ar-
rivée considéré (« sélection par l’aval »).

Figure 1.3 - Le principe des interférences par les trous d’Young (S : point de la source
de lumière, S1, S2 : ouvertures quasi ponctuelles dans le premier écran, en P : récepteur)

16 Version très simplifiée d’une image figurant dans l’ouvrage : Botinelli L., Brahic A.,
Gouguenheim L., Ripert & Sert J. (1993) La Terre et l’Univers, Hachette, Paris, p 121.
Chapitre 1 - Comprendre : des outils incontrounables 13

Interprétation des étudiants : Le point M serait l’image d’un


point à l’infini, les rayons seraient « déviés » …

M « Tous les pinceaux lumi-


neux issus des trois trous
convergent en un même point
Onde plane M de l’écran. En effet, ces
incidente
trois faisceaux proviennent
de l’infini (…) » (Première
Objet diffractant Ecran au plan année universitaire)
focal image
« Les rayons incidents sont parallèles à l’axe et sont
déviés d’un même angle. Tous les rayons émer-
gents arrivent sur la lentille parallèles entre eux. »
(Première année universitaire)
« Les rayons lumineux arrivant sur les fentes sont parallèles
entre eux. Au passage des fentes, ces rayons sont déviés mais
restent parallèles entre eux. » (Première année universitaire).
Mise au point : Les trajets de lumière en cause ne corres-
pondent pas à une seule et même onde plane. Au-delà des
trous c’est un modèle ondulatoire qui convient et il n’y a
généralement pas concordance de phase en M.
Figure 1.4 - Obtention de la figure de diffraction d’un objet

Commentaire (problématique) de cette figure : Pour une direction u donnée, les surfaces d’onde
correspondant aux rayons diffractés sont des plans perpendiculaires à u. (manuel scolaire)

X X )¶
6
2 ' 2 6¶

(
/ /

Mise au point : Il est incohérent de parler de front ou de plan d’onde associés aux rayons
diffractés alors que les tracés symbolisent des trajets de lumière dont la phase dans un tel
plan n’est pas la même, en général (d’où les calculs classiques de l’amplitude lumineuse
résultante). Le parallélisme de ces trajets suggère abusivement qu’il s’agit d’une onde plane.
Figure 1.5 - Schéma d'un manuel scolaire17

17 Bertin M., Faroux J.P. & Renault J. (1986) Optique et physique ondulatoire ; Optique
géométrique et optique physique. Phénomènes de propagation Cours de physique, 3e édition,
Marketing, Paris.
14 En physique, pour comprendre

En fait, il n’y a pas de règles permettant de qualifier a priori une image comme
bénéfique ou dangereuse. Le risque de brouiller le message dépend évidemment
de l’accent choisi pour celui-ci, qu’il serait trompeur de croire univoque. Pour en
décider, la population envisagée comme cible est un paramètre essentiel. Vérité en
deçà d’une ligne d’objectifs, erreur au-delà.
Ainsi, la figure 1.6a montre une photo suggérant l’existence de « rayons maté-
rialisés », d’un type souvent utilisé pour mettre en évidence la propagation recti-
ligne. Dans un cours introductif d’optique élémentaire, un usage désinvolte de la
photo (figure 1.6 a)) pourrait laisser penser que des rayons de lumière, visibles, cir-
culent dans le plan du support horizontal, rectilignement comme il se doit. Dans la
figure 1.6 b), les traces sinueuses que constituent les impacts de lumière renvoient
le dispositif à la catégorie appropriée : celle des ombres. Chaque point d’une trace
lumineuse est visible par rediffusion de la lumière reçue, qui est parvenue là par
un trajet rectiligne non parallèle au support. Ce recalage est aussi un soulagement :
comment les soi-disant « rayons » horizontaux pourraient-ils ne pas contenir leur
source, située deux centimètres au dessus de la feuille support ?

a) b)
Figure 1.6 - a) Une petite ampoule, située derrière un
écran où sont découpées des fentes parallèles, produit
des traces lumineuses sur le support ; le dispositif b)
permet d'éviter une lecture au premier degré : les
traces observées sont dues au phénomène d’ombre, ce
ne sont pas des rayons18. Photos W. Kaminski.

Ce type d’image et la démonstration effective correspondante peuvent donc induire


en erreur sur la nature de la lumière. Celle-ci est invisible « de profil », on ne la voit
pas se propager comme on verrait passer un train : de la lumière, on ne détecte ici que

18 Viennot L. (2004) The design of teaching sequences in physics - Can research inform practice?
Lines of attention. Optics and solid friction In Research on Physics Education, Proceedings of the
International School of Physics Enrico Fermi (Italian Society of Physics), Course CLVI, Societa
Italiana di Fisica, Bologna, 505-520.
Chapitre 1 - Comprendre : des outils incontrounables 15

les impacts sur le support de l’expérience. Mais il faut relativiser ces critiques dans
les cas où l’usage de telles « visualisations » de la lumière n'ont pas pour objectif de
conceptualiser la lumière elle-même.
Un autre exemple est très répandu : les images en « fausses couleurs », en astrophy-
sique ou dans le domaine nanoscopique. Par exemple tel « cliché » d’un atome le fait
apparaître comme un joli rond bleu. Cela ne trompera pas un physicien, mais il vaut
mieux prévenir le lecteur d’une revue de vulgarisation pour jeune public que l’atome
n’est pas bleu19.
Les remarques concernant l’image sont donc à considérer sans perdre de vue le
caractère relatif des éventuels inconvénients dénoncés.

1.3 Des graphiques et des fonctions


Plus ou moins bien présentés, les graphiques sont en général mieux définis quant au
message qu’ils sont censés porter, et donc moins sujets à caution que les images à
composantes figuratives ou symboliques. Mais parfois, dans leur absence d’ambi-
güité, ils apparaissent paradoxalement menaçants et se voient taxés d’abstraction
redoutable. A l’opposé de l’image, souvent abusivement créditée de transparence, le
graphique n’apparait pas comme un support naturel pour le raisonnement, mais plutôt
comme une figure imposée. La situation semble relativement simple lorsqu’il s’agit
d’un graphique liant deux variables d’espace, telle la représentation d’une fonction
y = f (x). Encore que, s’il s’agit d’une trajectoire, celle-ci sera parfois abusivement20
comprise comme le trajet d’une route sur une carte géographique. Mais s’il s’agit
d’une fonction qui met en jeu le temps, y = f (t) par exemple, la perplexité s’installe.
Il faut rendre justice à cet outil théorique que constitue un graphique représentant
une fonction. Il est lié, constitutivement, à l’analyse des dépendances fonctionnelles,
lesquelles sont le fer de lance du raisonnement en physique.
Revenons sur cette expression : « dépendance fonctionnelle ». Elle complète l’idée
qu’une formule offre une possibilité de calcul. Une formule permet en effet de cal-

19 Voir par exemple dans La lumière et la matière, brochure (MNSER 2005) éditée pour les lycéens
à l’occasion de l’année mondiale de la physique, la figure 21 page 13, dont la légende se borne à :
« Atome de xénon (tache bleu clair) sur un support de nickel, vu par … »
20 Enregistrée dans un référentiel différent, la trajectoire d’un mobile est différente, alors que le tracé
d’une route n’est pas modifié dans un tel changement. Cette distinction n’est nullement intuitive
(Viennot L. (1996) Raisonner en physique, la part du sens commun, De Boeck, Bruxelles, p 68.
Etude originale : Saltiel E. & Malgrange J.L. (1979) Les raisonnements naturels en cinématique
élémentaire, Bulletin de l’Union des Physiciens, 616, 1325‑1355.)
16 En physique, pour comprendre

culer une valeur de grandeur à partir d’autres qui sont connues. Mais si on lit la
formule comme une relation de dépendance fonctionnelle, le champ des possibilités
de raisonnement s’ouvre : c’est tout un ensemble de transformations qui s’invite
dans l’analyse21. Partant d'un état déterminé, si l’on augmente telle grandeur en gar-
dant telle autre constante, il se passe telle chose … Des évaluations numériques sur
un état on passe aux transformations mutuellement dépendantes de grandeurs. Et si
changer une grandeur ne change rien pour une autre, on a mis au jour une invariance.
Autrement dit, une situation analysée devient l’emblème de tout un ensemble plus
large. Si l’invariance est surprenante – nous en verrons des exemples – c’est bien sûr
beaucoup plus intéressant que lorsqu’elle semble évidente.
Ces préoccupations fonctionnelles amènent vite sur un terrain qui dépasse de loin
la technique. Elles font découvrir le pouvoir de description synthétique réellement
fascinant des théories physiques et leur élégante compacité. Au-delà de la boîte à
outils, des aspects plus affectifs pourraient bien intervenir à cette occasion. Nous
parlons ici de la satisfaction qu’il peut y avoir à comprendre, bonheur parfois pro-
fond et sans doute éphémère, mais – qui sait ? – peut-être bien suivi de plus d’effets
qu’il n’y paraît.

21 Cela donne notamment la liberté d’aller explorer les « cas limites » correspondant à ce qu’il advient
d’un phénomène lorsqu’une variable présente dans la formule tend vers 0 ou vers l’infini. Ces cas
limites étant éventuellement connus par d’autres voies (sens commun, problème déjà résolu…),
cela permet un contrôle de la formule.
Chapitre 2

Invariances surprenantes

2.1 Introduction
La couleur des cheveux de l’expérimentateur n’influe en général pas sur le résultat
d’une expérience, pas plus que la disposition des planètes ou la valeur de tel indice
boursier. Alors pourquoi indiquerait-ton les facteurs qui n’ont pas d’influence sur le
phénomène étudié ?22 Dans l’enseignement d’une notion, dans le texte d’un exer-
cice classique, il est traditionnel de ne mentionner que ce qui « compte » a priori,
et qui s’identifie souvent aux grandeurs dont les symboles figurent dans les expres-
sions algébriques mises en œuvre. Ceci résulte d’un processus de décantation draco-
nien. L’histoire des idées est souvent celle de la disqualification de grandeurs qu’on
croyait pertinentes. Une rédaction typique d’exercice reflète cet acquis et y rajoute
une couche de simplification concernant d’autres grandeurs qu'il faudrait en principe
prendre en compte : ô combien de « frottements négligés »… C’est déjà bien assez
compliqué comme cela, entend-on dire.
Laissons de côté, provisoirement, la question d’une modélisation parfois excessive-
ment simplificatrice et considérons ce que l’on ne dit pas sur ce qui ne compte pas,
ou plutôt ce que l’on ne met pas en valeur comme tel. Or ce qui donne de la valeur à
une invariance (une non-dépendance), c’est son caractère surprenant. Illustrons cela
par quelques exemples.

2.2 La vitesse de la lumière dans le vide


Il est assez bien connu que la lumière, dans le vide ou, ce qui revient à peu près au
même : dans l’air, va très vite. Sa vitesse, notée c, vaut à peu près 300 000 km/s

22 Dès 1983, une enquête de S. Rozier (L’implicite en physique : les étudiants et les fonctions de
plusieurs variables, mémoire de tutorat, DEA de didactique, Université Paris 7) explorait cette
question. Voir aussi Viennot L. (1996) Raisonner en physique, De Boeck, Bruxelles, chapitre 9.
18 En physique, pour comprendre

(c = 2,99792458.108m.s–1). Un symbole habituel et une valeur : a-t-on fait le tour de


la question ? Lorsque l’on précise un peu les choses, on en vient à des considérations
beaucoup plus intéressantes.
La vitesse de la lumière ? De quelle radiation parle-t-on ? Pour la lumière visible,
chacun sait qu’elle implique une infinité de longueurs d’onde (ou de fréquences,
comme on voudra) correspondant chacune à une couleur. Au delà du spectre visible,
par exemple dans les ondes radio, cela reste vrai. On ne parle plus de couleur (tout en
gardant souvent l’adjectif « monochromatique » pour une onde de longueur d’onde
donnée). Mais toutes ces ondes (ou radiations) vont-elles à la même vitesse ?
Un deuxième implicite à surveiller : s’agissant d’une valeur de vitesse, il faut habi-
tuellement préciser le référentiel.
En fait, on omet souvent d’en parler parce que cela ne compte pas. Pour toutes les
longueurs d’onde (soit toutes les fréquences), les radiations électromagnétiques,
visibles ou non, ont la même vitesse (en termes savants: « vitesse de phase ») dans
le vide, et cela dans tous les référentiels galiléens23. Ce dernier point est particuliè-
rement stupéfiant, et il a fallu du temps pour s’en convaincre : les noms fameux de
Michelson et Morlay sont attachés à cette incroyable constat, dès 1881. Celui-ci
fût longtemps remis en chantier, jusqu’à ce qu’Einstein tranche la question en 1905,
dans son fameux article sur la relativité restreinte24.
En début d’université, les étudiants sont majoritairement capables de dire que la
vitesse de la lumière est une constante et de donner la valeur de c. Mais nombre
d’entre eux ignorent, ou du moins ne peuvent formuler, les invariances que l’on vient
de rappeler25. Cela vaut donc la peine de les souligner.

23 Une infinité de référentiels en translation rectiligne et uniforme les uns par rapports aux autres, et
dans lesquels s’appliquent, pour des objets ayant des vitesses faibles devant celle de la lumière, les
lois de Newton.
24 Einstein A. (1905) Zur Elektrodynamik bewegter Käorper, Ann. d.Ph., 17, 892‑921 (traduction par
Solovine, Gauthier-Villars, 1955, 5). Voir aussi : Einstein A. (1907) Relativitätsprinzip und die
aus demselben gezogenen, Folgerungen Jahrbuch der Radioaktivität, 4, 411-462 & 5, 98-99.
25 Viennot L. (1996) Raisonner en Physique, De Boeck, Bruxelles, p 172‑173.
Chapitre 2 - Invariances surprenantes 19

2.3 La propagation des signaux mécaniques


Des signaux mécaniques comme une bosse sur une corde ou un son dans l’air
peuvent se décrire par une onde dont la vitesse ne dépend que du milieu26. Que l’on
demande maintenant ce qu’il advient lorsque l’émetteur du signal est plus puissant –
la corde est secouée « plus fort » ou quelqu’un crie plus fort – et voilà qu’une bonne
proportion des personnes interrogées27 prédit que l’ébranlement se propagera plus
vite. Pourtant l’énoncé enseigné – la vitesse ne dépend que du milieu – est connue
chez ces personnes. Mais, ce qui est certain, c’est que celles-ci n’ont pas réalisé une
partie de ce que cela signifiait, c’est-à-dire une chose surprenante : la puissance de
l’impulsion n'intervient pas dans la vitesse de propagation.

Les deux cordes sont identiques, et leur


tension est la même.
Quelle bosse arrivera la première au mur ?

Figure 2.1 - Une situation pour souligner la signification d’un énon-


cé bien connu : « Pour une corde tendue, la vitesse de propagation
d’une bosse ne dépend que de la masse linéique et de la tension. »
Dans ce modèle, la course de bosses est jouée d’avance : Egalité !

Profiter d’une connaissance comme celle-ci, à l’énoncé rituel – la vitesse de propa-


gation ne dépend que du milieu – implique de questionner pour les uns, de mettre en
valeur pour les autres, une invariance surprenante. On mesure alors que les théories
physiques ne sont pas juste un recueil d’analyses de situations que l’on sait traiter,

26 Ceci dans un milieu dit « non dispersif », où les ondes de fréquences variées se propagent toutes
à la même célérité, la forme de la « bosse » se conservant. L’expression de la vitesse de phase (ou
célérité) du son est c = 8 M B ½, où R est la constante des gaz parfaits, M la masse molaire du gaz,
RTγ

T la température absolue et γ un coefficient dépendant du nombre d’atomes présents dans une


molécule de gaz ; celle de la vitesse de propagation d’un ébranlement sur une corde est c = 8 Tm B ½
où T est la tension et μ la masse linéique de la corde.
27 Voir Maurines L. & Saltiel E. (1988) Mécanique spontanée du signal Bulletin de l’Union des
Physiciens, 707, 1023‑1041 ; Viennot L. (1996) Raisonner en physique, De Boeck, Bruxelles,
p 158‑160.
20 En physique, pour comprendre

elles ont un pouvoir rassembleur pour des cas de figure que l’on pouvait croire dis-
tincts et qui ne le sont pas à tout point de vue.
Il ne manque parfois qu’un soupçon d’explicitation pour déclencher cette bénéfique
surprise.

2.4 Les coefficients de frottement


Les coefficients de frottements statique ou dynamique pour deux surfaces en inte-
raction couplent la valeur d’une composante normale de force de contact FN et celle
de sa composante tangentielle FT. Dans les cours élémentaires classiques sur le frot-
tement28, le coefficient μs permet de calculer la valeur maximale de la composante
tangentielle admissible sans glissement : FT ≤ μsFN et le coefficient μd permet de
trouver la valeur de la composante tangentielle une fois le glissement déclenché :
FT = μd FN. Pour un bloc rectangulaire de masse m glissant sur un plan incliné (d’un
angle θ par rapport à l’horizontale), l’écriture des bilans de forces et du principe
fondamental de la dynamique, le frottement de l’air étant « négligé », conduit à la
valeur de l’accélération tangentielle (axe orienté vers le bas) : a = g (sinθ – μd cosθ).

Droit dans la pente on ob-


serve une course de skieurs de
corpulences très différentes,
avec les mêmes skis sur la
même neige. Lequel arrivera
le premier en bas de la pente ?

Figure 2.2 - Une situation qui permet de souligner ce que signifie la solution clas-
sique d'un exercice sur les frottements : « L’accélération d’un skieur le long de la
ligne de plus grande pente vaut : a = g (sinθ – μd cosθ) », μd coefficient de frotte-
ment de glissement et g accélération de la pesanteur. Selon ce modèle, la course
des skieurs serait jouée d’avance : Egalité ! D’où vient l’invraisemblance ?

28 Pour une mise au point sur l’historique et les limites de ce modèle simple, on pourra lire Besson U.,
Borghi L., De Ambrosis A. & Mascheretti P. (2007) How to teach friction: Experiments and
models, American Journal of Physics, 75 (12), 1106‑1113; et Besson U. (2005) Le mésoscopique
en physique et en didactique, Bulletin de l’Union des Physiciens, 873, 441-462.
Chapitre 2 - Invariances surprenantes 21

Imaginons – cas d’un examen de première année de premier cycle universitaire – que
ce bloc soit censé modéliser un skieur dans la ligne de plus grande pente d’une piste.
La solution est là, présentée à un groupe de travaux dirigés29. Que peut-on utilement
ajouter ?
Une question : si deux skieurs en tout point identiques ont des skis de largeur dif-
férente, que nous prédit la solution ci-dessus à leur propos ? On ne voit pas dans
l’expression de l’accélération a la largeur de ski. Cette grandeur, la largeur du ski,
serait-elle non pertinente, ou se cache-t-elle dans le coefficient μd ? Sinon il faut
admettre la solution de cet exercice qui prédit l’arrivée simultanée des deux skieurs
partis en même temps.
Ainsi est introduite une question que l'énoncé avait permis de négliger : de quoi
dépendent ces coefficients et de quoi ne dépendent-ils pas ? Il est surprenant que μd
et μs ne dépendent pas de l’aire de contact. On peut discuter la valeur de ce modèle.
Il faut au moins réaliser ce qu’il implique.
La modélisation peut se compléter par l’idée que des aspérités, plus nombreuses en
cas d’aire de contact plus grande, sont aussi d’autant moins écrasées et donc moins
actives dans le frottement. L’un compensant l’autre, le résultat pourrait être le même.
C’est en tout cas cette invariance que l’on enseigne couramment, plus ou moins
explicitement. La souligner, alors qu’elle est surprenante, c’est inviter les élèves à
une activité intellectuelle beaucoup plus gratifiante que la simple attribution d’une
lettre à un coefficient, qui va rentrer dans une formule et permettre un calcul.

2.5 Quand la masse ne compte pas


Parmi les grandeurs qui n’ont pas l’air de compter beaucoup, la masse occupe une
place de choix. Etonnant, sachant que, cette fois, on trouve toujours le symbole cor-
respondant au départ des textes de cours et d’exercices de mécanique élémentaire.
Etonnant aussi au regard de l’expérience courante.
La raison est bien sûr que, lorsque la valeur des forces impliquées est proportion-
nelle à la masse, le principe fondamental de la dynamique, (associé classiquement
à la formule F = ma 30) conduit à écrire l’égalité de deux termes proportionnels à
cette grandeur, qui « s’élimine ». Reprenons l'exemple du skieur schématisé par un
parallélépipède rectangle. Prenons-en un autre de même forme mais beaucoup plus

29 Voir Exercice 4.4.


30 Notations classiques : F : vecteur force totale exercée sur une « particule » de masse m, a :
accélération de cette particule.
22 En physique, pour comprendre

léger (moins dense). Peut-on croire, là encore, que ces deux skieurs, partis ensemble,
vont arriver ensemble au bas de la piste ? L’invariance du résultat par rapport à la
masse n’est ici que le reflet de l’oubli volontaire des forces de frottements visqueux
sur l’air, de module FV. Celles-ci ne dépendent pas de la masse, le résultat cinétique
en dépend donc : en divisant par m les éléments du bilan pour obtenir la valeur de
l’accélération, il reste un terme – celui qui est associé au frottement sur l’air – com-
portant cette grandeur au dénominateur : a = g (sinθ – μd cosθ) – FV / m. Plus la
masse est grande, plus ce terme retardateur, – FV / m, est faible, d’où l’intérêt d’être
un champion très dense !
Même non passionné par la descente à ski, on peut garder des réflexions précédentes
une formulation générale : en mécanique élémentaire31, si toutes les forces exer-
cées sur l’objet dont on analyse le mouvement sont proportionnelles à sa masse,
celle-ci est un paramètre non pertinent ; si au contraire, certaines de ces forces n’en
dépendent pas, le mouvement de l’objet en dépend. Pourquoi alors la fusée de « On
a marché sur la Lune », moteur coupé, ne serait-elle pas attirée par l’astéroïde Adonis
alors que le capitaine Haddock, imprudemment sorti sous l’emprise de l’alcool, s’en
rapproche dangereusement32 ? Certainement pas parce que le pauvre capitaine serait
moins massif que la fusée (moteur coupé, donc aussi passive que lui).
Quant aux spectrographes dits « de masse », ils exploitent l’existence de forces dues
au champ électrique, qui, elles, ignorent la masse de l’objet dévié : d’où l’influence
de celle-ci dans la déviation observée. Pour la même raison, la trajectoire d’une par-
ticule chargée dans un champ magnétique dépend notamment de sa masse.

2.6 Le miroir
Exercice bien classique en première ou en début d’université : le champ d’un miroir.
La loi de Descartes en quatre traits de crayon (figure 2.3) et voilà le problème
résolu.
Résolu mais pas terminé, du moins pas de manière très intéressante. Si l’on décide
de s’intéresser à la portion de plan parallèle au miroir et visible par « un œil » situé
dans ce plan33, cela revient à se demander quelle portion d’elle-même une personne
pourra voir dans sa glace.

31 Le cas considéré ici est celui d’un référentiel galiléen. Dans un système à deux ou plusieurs corps,
dont le centre de masse ne s’identifie pas avec celui du plus massif, la situation se complique.
32 Voir Hergé, On a marché sur la Lune, Dargaud, Paris, p 8.
33 Voir Chapitre 4, Exercice 4.2.
Chapitre 2 - Invariances surprenantes 23

On peut faire une simulation miniaturisée de cette situation en distribuant dans une
classe des petits miroirs carrés de 1 cm de coté34, ainsi que des petits cartons (carrés
de 4 cm de côté) quadrillés au même format que les petits miroirs (carrés de 1 cm
de coté) et percés en leur centre. En regardant à travers le trou central, œil collé au
carton dont les carreaux sont tournés vers le miroir, on peut compter combien on en
voit ; ceci revient à compter combien de centimètres carrés de son propre visage sont
visibles dans le miroir. Et chacun de compter : « quatre » répondent les premiers
étudiants, « moi aussi » enchainent les autres. Il n’est pas immédiat d’entendre : « ça
ne dépend pas de la distance ! ». Peu à peu, on voit les uns et les autres rapprocher et
éloigner leur miroir. Il est frappant de lire dans les gestes des personnes la succession
des opérations intellectuelles : mesurer, dans la fixité de l’attention, puis mettre à
l’épreuve une possible invariance en bougeant le bras.

Į Corrigé : on peut imaginer


G P que la réponse attendue
par l’enseignant est le des-
sin représenté ci-contre,
fondé sur l’égalité des
angles d’incidence et de
réflexion. Pour plus de
commodité, l’échelle n’est
pas la même dans les deux
dimensions.

Figure 2.3 - Un corrigé classique pour la question du champ


du miroir : soit un miroir plan circulaire de 10 cm de diamètre.
Si on place l’œil à 1 m, sur l’axe du miroir, représentez sur un
dessin la région de l’espace que l’on peut voir dans ce miroir.

Intéressante car inattendue, cette non-dépendance par rapport à la distance signifie


qu’il ne sert à rien de reculer pour voir sa ceinture dans la glace, si une première
inspection rapprochée ne l’y a pas déjà fait apparaître.

34 Tels ceux qui ornent les boules chargées de réfléchir la lumière, qui tournent au plafond des soirées
festives. Manipulation suggérée par W. Kaminski, communication personnelle.
24 En physique, pour comprendre

Comme souvent, l’invariance surprenante relève de deux facteurs qui se compensent


et dont l’un seulement était pris en compte spontanément.
En matière de frottement, on pensait que l’aire de la surface de contact était déter-
minante sans réaliser que l’écrasement des aspérités était amoindri d’autant si cette
aire augmentait. Avec un petit miroir, on s’imagine qu’en reculant on casera plus de
sa propre surface dans une sorte de cône de visibilité sous-tendu par le miroir et dont
la pointe serait à la position de l’image de l’œil dans le miroir. Mais on oublie que
l’angle au sommet de ce cône (α en figure 2.3) diminue dans l’affaire. Le théorème
de Thalès assure l’exacte compensation : l’image de l’œil est toujours deux fois plus
éloignée du sommet de ce cône que ne l’est le miroir. Donc la surface du plan de
l’œil qui est visible est toujours quatre fois plus grande que celle du miroir.
En terme d’intérêt, quoi de commun entre le tracé des quatre traits de la figure 2.3
et l’épisode que l’on vient de décrire, riche de ses composantes complémentaires :
expérimentation collective35, formulation de l’invariance, débat, démonstration
revisitée ?
Certes, les facteurs d’intérêt habituellement reconnus sont aussi bien là : « petite
manip », débat, et lien avec la vie courante. Pourquoi les bouderait-on ? Cela n’inva-
lide pas l’idée que la mise à jour d’une invariance inattendue est en soi source de
satisfaction, même si l’on ne peut pas toujours analyser simplement, comme ici, à la
fois l’attente initiale commune et la raison du résultat surprenant36.

2.7 Puissance et non-évidence des invariances


Comment ne pas s’extasier lorsqu’on découvre une invariance inattendue ? Voilà
donc un ensemble vaste de situations pour lesquelles, une fois l’une d’entre elles
traitée, il n’est plus nécessaire de se fatiguer, sinon pour spécifier précisément le
domaine en question. Généraliser abusivement conduit à des déconvenues, mais le
faire insuffisamment est injurier la puissance de la solution. La fonction y = Constant,
ainsi qu’elle apparait souvent, demande en physique à être spécifiée : constante
vis-à-vis de quelles variables intéressantes, et sensibles aux variations de quelles
autres ?37. Les deux versants de cette analyse seront repris sous plusieurs angles

35 Il existe actuellement un consensus pour faire précéder toute manipulation d'un échange et d'une
formulation, par les élèves, des résultats qu'ils pensent observer. C’est délibérément que la gestion
proposée pour cet épisode est différente : l’émergence progressive de la question de l’invariance
est ici visée, et serait court-circuitée par la gestion classiquement proposée.
36 Noter que c’est beaucoup moins facile dans le cas de la vitesse de phase d’une onde.
37 Voir Viennot L. (1996) Raisonner en physique, De Boeck, Bruxelles, chapitre 9.
Chapitre 2 - Invariances surprenantes 25

dans la suite de cet ouvrage, la répétition en la matière ne semblant pas a priori trop
nuisible, au vu des pratiques courantes. Nous verrons en particulier que ce qui vaut
pour la valeur d’une grandeur s’applique également à des déclarations plus quali-
tatives. Ainsi cette proclamation, commentaire fréquent à propos de la relation des
gaz parfaits (pV = nRT, en notations habituelles) : « Tous les gaz, dans la mesure
où ils peuvent être assimilés à un gaz parfait, se comportent de la même manière ».
Evidemment, tout dépend de ce que l’on appelle « comportement » (voir ci-après au
chapitre 3). Le risque d’incompréhension est là. La thermodynamique n’est pas le
seul domaine où ces préoccupations soient pertinentes.
Une variable dont l’absence d’influence a de quoi surprendre, cela se célèbre. Un
plaisir à surveiller, néanmoins.
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Chapitre 3

L’analyse des dépendances fonctionnelles,


un outil puissant

3.1 Numérique ou fonctionnel ?


En parle-t-on assez, des « formules » de la physique ! Elles sont de sinistre réputa-
tion. Un centrage exclusif sur cet aspect est à juste titre fréquemment dénoncé. Et
l’on entend souvent vanter la valeur d’explications « sans aucune formule ».
Tout le monde sait que ces « formules » permettent de calculer une grandeur à partir
de toutes les autres qui y figurent aussi. Mais si l’on en reste là, il n’y a plus grand-
chose à leur crédit. On peut dépasser cet usage simplement calculatoire des relations
entre grandeurs, qui permet d’attribuer une valeur à l’une d’elle dans telle ou telle
situation que les autres contribuent à définir. Il est en effet bien plus fructueux de
considérer aussi, ou même avant tout, l’usage fonctionnel de la relation : si telle
grandeur augmente, les autres sauf une restant inchangées, il se passe telle chose
pour cette dernière grandeur.
Ainsi la deuxième loi de Newton, F = ma .
Dans un ensemble d’objets rigidement fixés les uns aux autres et partageant la même
accélération, le plus massif est celui qui subit la plus grande force résultante. Ou
encore : un objet peu résistant sera d’autant plus menacé de rupture que l’accéléra-
tion qu’on lui impose est importante ; et s’il s’agit des supports a priori extrêmement
fins38 qui éloignent de son enveloppe l’intérieur d’un cryostat prévu pour une tem-

38 L’existence de matériaux à mémoire de forme permet de disposer de supports relativement


résistants, rétractables une fois réalisée ce que l’on nomme souvent l’apesanteur (on peut préférer
« l’impesanteur »), laquelle se traduit par l’absence d’interaction de l’objet avec un support, l’un et
l’autre étant immobiles dans le référentiel de la station (ce dispositif fût employé pour le satellite
PLANCK, lancé en mai 2009, en charge d’analyse directionnelle du fond diffus cosmologique).
28 En physique, pour comprendre

pérature extrêmement basse, le tout embarqué dans une fusée chargée de mettre un
satellite en orbite, cela pose un problème aigu au décollage.
Parfois ce type d’analyse fonctionnelle peut fonctionner en sens inverse. On a l’in-
tuition des dépendances, on y retrouve la formule. Imaginons ainsi que l’on cherche
à se souvenir de l’expression du rayon de courbure R de la trajectoire d’une particule
chargée (de charge q et de masse m) dans un champ magnétique, B . On sait qu’elle
implique une fraction, deux grandeurs sont au numérateur, deux autres au dénomi-
nateur. « qB sur mv » ou « mv sur qB » ? Trou de mémoire ! Une brève analyse de ce
qui contribue à l’inertie de la particule (m et v) et de ce qui est susceptible d’interve-
nir dans la force responsable de la courbure (q et B), formuler que tourner peu c’est
être sur une trajectoire à grand rayon de courbure, et le doute n’est plus possible :
R = mv .
qB
Tels sont, sur des exemples élémentaires, les types de raisonnement qui deviennent
disponibles quand on se place dans le registre fonctionnel. Leur valeur est en principe
très reconnue par une large majorité d’enseignants de physique. Il est d’autant plus
opportun d’y revenir. Il s’agit de contribuer à accroître leurs chances d’intervenir
fortement dans la pratique et de souligner quelques pièges éventuels à leur propos.

3.2 Avant même les valeurs : la forme de la relation


Il est un exercice classique entre les classiques39 : justement, le calcul du rayon de
courbure (R) de la trajectoire d’une particule chargée (charge q) dans un champ
magnétique B . L’expression de la force, dite « de Lorentz », exercée sur la par-
ticule est F = q ( v # B ) . Avant de s’interroger sur la valeur des grandeurs, on peut
observer que la force est toujours perpendiculaire au vecteur vitesse v (donc à la
trajectoire), du fait du produit vectoriel impliqué.
Donc un champ magnétique, dans ce modèle, ne saurait modifier la vitesse linéaire
de la particule. Seule la direction du mouvement est susceptible d’être affectée par
le champ. Il est frappant à ce propos que tant de professeurs stagiaires en formation,
sans parler des étudiants, se trouvent déstabilisés par la question suivante, posée
devant un corrigé donné dans le cas où B est uniforme: si le champ B n’est plus

39 Voir Chapitre 4, Exercice 4.3.


Chapitre 3 - L'analyse des dépendances fonctionnelles, un outil puissant 29

uniforme, la vitesse linéaire est-elle toujours constante ?40 On vient de le rappeler :


l’expression de la force justifie une réponse affirmative et signifie qu’aucun champ
magnétique ne peut augmenter ou diminuer la vitesse d’une charge. On en sait tout
de même davantage avec cette formulation, même si l’on peut avoir la note maxi-
mum à l’exercice standard sans avoir jamais explicité cette puissante conclusion.
L’invariance d’un résultat, la généralité d’une conclusion : tout sauf des banalités.
En matière de forme des relations, il faut se réjouir que certaines soient très opportu-
nément soulignées dans la pratique enseignante courante. Ainsi les relations linéaires
entre grandeurs vectorielles, au premier chef en mécanique élémentaire. Ecrire la
seconde loi de Newton avec un terme de force constant, c’est préparer une solution
où l’on peut séparer ce qui concerne chaque dimension de l’espace. Là, on voit bien
la puissance de la théorie, aussi réduite celle-ci soit-elle. On sait ainsi, sans calcul,
qu’une force agissant dans une seule direction ( 0y par exemple) ne changera rien à
l’évolution d’un mobile dans la direction perpendiculaire ( 0x )41.
Qu’il s’agisse d’exemples classiques ou non, on ne soulignera jamais assez ce type
de conclusion.

3.3 Surveiller l’intervention d’une lecture causale des relations


Contrairement à une idée reçue, l’intervention de grandeurs dans une relation
n’est pas nécessairement en correspondance simple avec une analyse causale de la
situation.
Ainsi, la situation proposée par Marie Curie à ses jeunes élèves42. Il est question
d’un petit ballon immergé dans une cuve pleine d’eau. Il est troublant que les notes
de son élève Isabelle Chavannes soient ainsi formulées :

40 Cette question, qui ne fait appel qu’à des choses « bien connues », doit sa mention ici à un fait
d’expérience personnelle, sur quinze ans de formation de professeurs stagiaires (environ trois
cent cinquante personnes, donc) : ceux-ci ne se l’étaient jamais posée auparavant, à de rarissimes
exceptions près, et restaient souvent perplexes quant à la réponse à donner. On peut même
s’entendre alors demander si la relation reste valable dans le cas d’un champ non uniforme.
41 Un exercice proposé lors d’une enquête à des élèves de Terminale met en scène cette propriété
pour un spectrographe de masse : le temps de transit d’une particule de charge et vitesse données,
parallèlement aux, et entre les plaques d’un condensateur plan dépend-il du fait que celui-ci soit
chargé ou non ? Outre l’occasion d’un taux d’échec important, on peut y trouver une source de
réflexion intéressante pour les élèves (Rigaut M. & Viennot L. (2002) Réduire le théorème du
centre d’inertie : jusqu’où ? Bulletin de l’Union des Physiciens, 841, 419‑426).
42 Leçons de Marie Curie, recueillies par Isabelle Chavannes en 1907. Physique élémentaire pour
les enfants de nos amis (2003) ouvrage coordonné par Leclercq B., EDP Sciences, Paris, p 33.
30 En physique, pour comprendre

« Qu’est-ce qui a pressé sur le ballon qui est dans l’eau ? L’eau, évidemment, mais
aussi l’air qui presse sur l’eau. Cette dernière pression se transmet à travers l’eau.
Quand ce ballon était à la surface de l’eau, c’était seulement la pression atmosphé-
rique qui le pressait ; quand je l’ai enfoncé dans l’eau, il a eu à supporter la pression
atmosphérique et la pression de l’eau. »

Figure 3.1 - Petit ballon immergé dans une cuve pleine d'eau.
Deux lectures dans cette situation simple :
› Une vision causale de la pression hydrostatique. Explication de Marie
Curie, rapportée par une élève : Qu’est-ce qui a pressé sur le ballon
qui est dans l’eau ? L’eau évidemment mais aussi l’air qui presse sur
l’eau. Cette dernière pression se transmet à travers l’eau.
› Lecture newtonnienne de la situation : Qu’est-ce qui a pressé sur le
ballon qui est dans l’eau ? L’eau.
z
Dans l'expression p(z) = patm + ρgz, il y a bien deux termes dans l’ex-
pression de p(z), mais cette grandeur caractérise localement l’eau et
détermine son interaction avec le ballon.

Si l’on enlève les parties de ce raisonnement mises ici en gras italique, le texte est
parfaitement cohérent. C’est l’eau qui exerce sur la surface du petit ballon (enfoncé
à une profondeur z) des forces de contact dues à la pression, celle-ci répondant à
l’expression p = p0 + ρgz (grandeurs en notations habituelles, axe 0z dirigé vers
le bas, origine à la surface de l’eau). Même si cette relation comprend deux termes
respectivement en relation avec la pression atmosphérique, p0, et avec la profondeur
d’immersion, z, c’est bien l’eau et elle seule qui exerce des forces de contact sur
l’enveloppe du ballon. Une lecture causale ne doit pas faire oublier la stricte signifi-
cation de la relation.
On trouve aussi, pour un niveau de compétence plus élevé43, un cas où la relation
cache de façon troublante ce qui détermine la valeur d’une grandeur. Il s’agit de
l’expression du champ électrique E au voisinage d’un conducteur en équilibre élec-
trostatique : E = εσ0 n , n désignant un vecteur unitaire normal au conducteur dirigé
vers l’extérieur au point considéré, σ la densité surfacique locale de charge et ε0 la
permittivité du vide (figure 3.2).

43 Typiquement, en France : deuxième année universitaire ou classe préparatoire aux grandes écoles,
deuxième année.
Chapitre 3 - L'analyse des dépendances fonctionnelles, un outil puissant 31

E= σ
n E1
ε0
E1 contribution au champ
E2 des charges situées sur le conducteur
E2 contribution directe au champ
d’une charge extérieure (ici positive)

Figure 3.2 - Le champ électrique au voisinage d’un conducteur est


normal à celui-ci. Son expression ne mentionne, en matière de charge,
que la densité surfacique σ, au voisinage du point considéré, mais ce
champ résulte de la contribution de toutes les charges de l’univers (ici,
une seule charge extérieure, positive, est représentée, et σ est négative).

Lorsqu’on interroge sur les sources de ce champ E , c’est massivement que l’on
s’entend répondre qu’il s’agit des seules charges situées sur le conducteur (loca-
lement, ou bien sur l’ensemble du conducteur)44. Pourtant, le principe de super-
position impose que le champ en un point quelconque d’un dispositif quelconque
soit la somme des contributions de toutes les charges présentes dans l’univers. La
seule source admissible par les élèves devrait-elle se voir dans la formule45 ? Il se
trouve que la variable σ s’adapte aux contributions cumulées de toutes les charges
présentes, à l’extérieur du conducteur comme à sa surface, pour en retraduire à elle
seule les effets au voisinage du point concerné. La puissance et le caractère non
intuitif des théorèmes d’électrostatique apparaissent bien ici, et il n’est pas interdit
de s’extasier sur le fait qu’une expression aussi réduite rende compte de situations
potentiellement aussi variées.
Il faut donc considérer avec prudence une lecture causale par trop directe des rela-
tions entre grandeurs physiques. Cette remarque s’étendrait d’ailleurs avec profit
aux relations statistiques indûment interprétées comme si « corrélation » signifiait
« relation causale », celle-ci faisant de plus l’objet d’une orientation arbitraire. Mais
ceci est une autre histoire.

44 Voir l’étude à ce propos Rainson S. & Viennot L. (1998) Charges et champs électriques : difficultés
et éléments de stratégies pédagogiques en Mathématiques Spéciales Technologiques, Didaskalia 12,
p 31-59, et Viennot L. (2002) Enseigner la physique, De Boeck, Bruxelles, chapitre 4, p 131-155.
45 Dans l’étude de Rainson (note précédente), il est à ce propos fait mention du syndrome de « la
cause dans la formule ».
32 En physique, pour comprendre

3.4 Des facteurs non apparents dans une relation entre grandeurs :
pas toujours sans importance
Le risque que nous commentons maintenant s’apparente au précédent. Il arrive que
des variables susceptibles d’intervenir dans un phénomène soient ignorées sous pré-
texte qu’une formule importante ne les contient pas. Ainsi la masse moléculaire des
gaz. Prenons-les « parfaits », ces gaz, pour simplifier, d’ailleurs ils sont souvent si
proches de cet état… Alors, nous pouvons utiliser la célèbre formule pV = nRT, en
notations habituelles46. Nous pourrions croire, hypnotisés par la relation des gaz par-
faits, que la masse moléculaire n’a aucune importance ici47. Pourtant, à température
donnée, la vitesse moyenne des molécules dépend de la masse moléculaire du gaz48 :
c’est ainsi que parler dans l’hélium, gaz de faible masse moléculaire, confère une
voie aigrelette, du fait d’une vitesse moléculaire moyenne supérieure à celle de l’air
dans les mêmes conditions. Pour la même raison, l’hélium diffuse plus rapidement,
à température donnée, que tout autre gaz dit « plus lourd ». Voilà pour l’aspect ciné-
tique. Quant au comportement d’un gaz dans un champ gravitationnel, il ne faut pas
s’attendre à ce que la masse moléculaire n’intervienne pas. Si l’hélium est utilisé pour
la sustentation des ballons, c’est parce que c’est un gaz « léger ». Les propriétés de
l’atmosphère, et même son existence, ont beaucoup à voir avec cette grandeur sou-
vent ignorée : la masse moléculaire du gaz. Tout ceci devrait relativiser le péremp-
toire slogan, scolairement répandu, qui revient à peu près à ceci : « à faible pression,
tous les gaz ont un comportement identique »49. Or, cet énoncé se borne à rappeler,
par précaution, que le gaz doit être dilué pour relever du modèle du gaz parfait.

46 p : pression, V : volume, n nombre de moles, soit le nombre de molécules N divisé par le nombre
d’Avogadro (A = 6,023 1023), R : constante des gaz parfaits, T : température absolue.
47 Voir sur ce thème les travaux de Chauvet F. (2004) Une simulation pour explorer un modèle
cinétique de gaz en seconde, Bulletin de l’Union des Physiciens 98 (866), 1091‑1105, ainsi que ses
documents de formation en ligne : http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0306d/Gaz_a.htm
48 Les relations classiques montrent qu'à température T donnée, la vitesse quadratique moyenne v 2
1 3
est inversement proportionnelle à la masse moléculaire m : ec = 2 m v2 =
kT , où ec est l’énergie
2
cinétique particulaire moyenne et k la constante de Boltzmann ( k = R n = R ). Notations :
N A
voir note 46.
49 L’influence de la masse moléculaire d’un gaz, et même cette grandeur elle-même, ne sont pas
mentionnées dans le programme de la classe de Seconde en usage dans la décennie 2000-2010
(MEN-Bulletin Officiel Hors série n°12, Août 1999). Le slogan mentionné ici est l’équivalent de
phrases trouvées dans les ouvrages scolaires, ainsi Physique Seconde, Hachette Education, 2000,
Durandeau et al., p 124 : « A faible pression, tous les gaz ont un comportement identique, celui
d’un gaz idéal appelé gaz parfait ». La notion scolaire floue « d’agitation thermique », entité qui
serait liée à la température, brouille encore les cartes : c’est en effet l’énergie cinétique moyenne
par particule qui est directement liée à la température (voir note précédente).
Chapitre 3 - L'analyse des dépendances fonctionnelles, un outil puissant 33

Il est important de souligner la puissance des lois, leur impressionnante généra-


lité. Mais un regard aiguisé sur ce qu’elles disent vraiment peut éviter de gênants
paradoxes.

3.5 Des dépendances fonctionnelles et des graphiques :


un exemple en optique géométrique
Affirmer l'utilité de représenter les fonctions par des graphiques, c’est risquer d’être
taxé d’évidence. En effet, comme beaucoup de principes rappelés dans ce livre, il
n’y a là rien de neuf. Il faut un exemple pour justifier d’y revenir. Un exemple qui
illustre que la distance pourrait se réduire de la doctrine à la pratique. Profitons de
cette occasion pour reconsidérer la ligne de partage entre les habitudes et les visions
de principe.
Restons dans l’élémentaire, ici l’optique géométrique élémentaire.
Dans les conditions dites « de Gauss », dont le rappel serait fastidieux ici, une
relation lie la position d’un « point-objet » (A), source de lumière, et celle de son
image (A’) formée par une lentille mince ou un miroir sphérique. Comptées sur un
axe (perpendiculaire à la lentille ou au miroir) orienté traditionnellement dans le
sens supposé de la lumière incidente, de gauche à droite sur le schéma, et à partir du
centre O de la lentille ou du sommet S du miroir, les abscisses de ces positions sont
désignées respectivement par p (ou encore OA , ou SA ), et par p’ (ou encore OA’ ,
ou SA’ ). Les foyers étant désignés par F et F’ sont associés aux distances focales
f = OF et f’ = OF’ ou leur équivalent pour les miroirs. Etre expert en la matière
suppose de connaître les formules liant ces grandeurs algébriques. Lentille conver-
gente ou divergente ? Une seule formule suffit : 1 – 1 = 1
p’ p f’
Une mine d’applications en découlent. Selon les signes des grandeurs impliquées,
les divers cas de figure se déclinent à l’envi : image réelle (p’ >0), image virtuelle
(p’<0), pour une lentille convergente (f’ >0) ou divergente (f’ <0) et selon que l’ob-
jet est à telle ou telle position par rapport au foyer. Un vrai festival. La collection
des schémas correspondants décourage la mémorisation, mais ceux-ci peuvent se
retrouver grâce aux règles simples régissant les rayons de construction. Passant aux
miroirs, qu’ils soient concaves (f’<0) ou convexes (f’ >0), il suffit de changer un
signe dans la formule : 1 + 1 = 1
p’ p f’
et ce qui vient d’être dit se transpose.
34 En physique, pour comprendre

L’opération de base des exercices classiques consiste à appliquer la formule idoine


pour calculer une grandeur à partir des deux autres. L’intervention d’inverses est
agaçante, on peut vite faire une erreur numérique. Peu de recours lorsqu’on cal-
cule mal, à part un essai de construction géométrique toujours un peu coûteux en
temps. Et peu d’intérêt si l’on reste au seul plan numérique. Il y a bien quelques
énoncés fonctionnels en circulation dans la pratique courante. Ainsi celui-ci : « si
l’on déplace l’objet de gauche à droite, l’image formée par une lentille convergente
en fait autant », quitte à « sauter d’un bout de l’axe à l’autre » (+ ∞ à – ∞). Bien, et
pour une lentille divergente ? Là, personne ne sait, mis à part les grands spécialistes.
Proposons un abord plus résolument fonctionnel, à la faveur d’une transformation
des formules précédentes. Prendre des origines d’abscisses aux foyers ( FA ou F’A’ )
conduit aux formules dites « de Newton »50.
Alors, les correspondances objet-image dans les lentilles se résument par la relation :
FA . F’A’ = – f ’ 2
Et pour les miroirs (les foyers F et F’ sont alors confondus):
FA . F’A’ = f ’ 2
Plus d’inverses, seulement deux variables algébriques, rebaptisons-les d et d’, dont
le produit est constant. Un graphique représentant leur relation prend la forme d’une
hyperbole centrée à l’origine (les miroirs : d.d’ >0) ou de la courbe symétrique par
rapport à l’un quelconque des axes (les lentilles : d.d’ <0). Si l’on souhaite revenir
aux variables p et p’, il n’y a qu’à effectuer les changements de variables inverses :
p = d – f’, p’ = d’ + f’.
La traduction graphique de tels changements de variable est un déplacement de l’hy-
perbole appropriée parallèlement à chaque axe, d’une valeur – f’ ou f’, selon les cas.
Le résultat est reporté en figures 3.4 et 3.5, qui résument toutes les correspondances
de position pour les lentilles minces et les miroirs sphériques, dans l’approximation
de Gauss.

50 Pour les lentilles, l’équivalence peut se montrer grâce aux relations équivalentes suivantes :
1 – 1 = 1 soit : (p – p’) . f’ = pp’ soit : – f’2 + (p’ – p) f’ + pp’ = – f’2
p’ p f’
soit : (p’ – f’) (p + f’) = – f’2 ou FA . F’A’ = – f’ 2
Chapitre 3 - L'analyse des dépendances fonctionnelles, un outil puissant 35

d’ = F’A’

f’

0 d = FA

Figure 3.3 - Relation entre abscisses de l’objet et de l’image, avec origine aux
foyers, dans le cas d’une lentille mince convergente (f’ > 0) : d = FA , d’ = F’A’

Ces figures peuvent se reconstituer à l’aide de deux transparents, comportant, l’un,


une hyperbole centrée, et l’autre, simplement, deux axes perpendiculaires gradués en
valeur de la focale f’. Un jeu de décalage des transparents réalise ce miracle : toute
l’optique géométrique élémentaire, version positions, avec deux transparents sim-
plissimes. Effet garanti … pour qui sait lire un graphique et associer un changement
d’origine à un changement de variable du type « simple décalage ».
36 En physique, pour comprendre

a) Lentille convergente OA’ = p’

0
f’ OA = p

B
F’ A’
A 0
B’
Schéma usuel pour
un cas particulier

b) Lentille divergente OA’ = p’

B
B’
A F’ A’ 0

Schéma usuel pour


un cas particulier
f’

0 OA = p

Figure 3.4 - Relations de conjugaison pour les lentilles minces dans le cas
a) d'une lentille convergente et b) d'une lentille divergente. Les schémas
usuels sont rappelés à côté des graphiques p’(p) (p = OA , p’ = OA’ )
Chapitre 3 - L'analyse des dépendances fonctionnelles, un outil puissant 37

a) Miroir convexe SA’

f’

0 SA

B
B’

A S A’ F’

Schéma usuel pour


un cas particulier

b) Miroir concave SA’

B
F’
A’
A S
B’

Schéma usuel pour


un cas particulier
f’

0 SA

Figure 3.5 - Relations de conjugaison pour les miroirs sphériques


dans le cas a) d'un miroir convexe et b) d'un miroir concave. Les
schémas usuels sont rappelés à côté des graphes SA’ ( SA )
38 En physique, pour comprendre

On peut déjà être satisfait d’avoir un résumé du champ concerné aussi concis,
maniable et facilement mémorisable. Mais c’est son utilisation fonctionnelle qui lui
vaut une place dans ce chapitre. Revenons à cette histoire d’objet et d’image qui,
avec une lentille mince, se déplacent dans le même sens, pour dire vite. En termes
fonctionnels, cela donne : la fonction p’(p) est croissante. Elle l’est en effet, comme
le rappelle la figure 3.3. Mais il est maintenant clair (figure 3.4) que c’est aussi le cas
pour une lentille divergente. Quant aux miroirs, ils sont associés à une fonction p’(p)
décroissante (figure 3.5). Ils déplacent donc l’image dans le sens opposé au déplace-
ment de l’objet sur leur axe. Le miroir plan ne fait pas exception, comme l’illustrent
la forme limite de la formule (p’ = – p) pour une valeur infinie de la distance focale,
et le graphique associé (la seconde bissectrice).
Tout exercice d’optique peut être transformé pour mettre à profit les vertus de tels
graphiques. Dans les pages qui suivent51, le lecteur pourra comparer une version
classique et sa reformulation, assorties de leurs corrigés respectifs. Il apparait, au
moins, que les activités intellectuelles correspondantes sont différentes. On pourrait
bien conclure que l’idéal, pour cette situation, est de résoudre les deux versions de
l’exercice, puis d’en comparer et synthétiser les approches. Pour l’instant, consta-
tons au moins que l’éventail des actions possibles est plus ouvert que ne le sug-
gère la pratique courante. Ceci tout en notant bien l’effort d’abstraction accru que
nécessite l’approche fonctionnelle illustrée ici et, de façon générale, la pratique des
graphiques.

3.6 Des trésors négligés, des risques à expliciter


En matière d’approche fonctionnelle, les quelques rappels de ce chapitre n’ont
d’autre prétention que de contribuer à une mise en acte plus effective des injonc-
tions habituelles. Il n’est pas si fréquent, en effet, d’honorer celles-ci à propos des
situations discutées ici. On peut même dire, par exemple à propos de l’optique géo-
métrique, que c’est rarissime. Reste à se demander pourquoi, alors que les bénéfices
sont patents. Dire que l’approche fonctionnelle est balayée par des rituels n’est pas
une explication, ce n’est que la reformulation de cette rareté. Il est vrai que les sché-
mas géométriques de conjugaison occupent bien le terrain des exercices proposés
habituellement en optique, avec leur cortège de calculs élémentaires et fastidieux.

51 Voir Chapitre 4. Exercice 4.5. Sur l’évaluation de la pratique des graphiques au baccalauréat
(années 1999 et 2000), voir l’étude de M. Rigaut (2005, université Paris 7) : L’épreuve écrite de
physique au baccalauréat : analyse du point de vue du contrat didactique.
www.matthieurigaut.net/public/docs/these_didactique_matthieu_rigaut.pdf
Chapitre 3 - L'analyse des dépendances fonctionnelles, un outil puissant 39

Mais il vaut la peine de considérer également une approche porteuse de bénéfices


complémentaires.
Quant à la nécessaire vigilance sur les variables que tel ou tel calcul fait dispa-
raître, elle rencontre un problème d’une autre nature : celui des raccourcis de la
langue naturelle en matière de dépendance fonctionnelle. « Dépendre » ou « ne pas
dépendre » de telle variable se révèle souvent une formulation inappropriée, car
incomplète. « La moyenne du carré des vitesses des molécules d’un gaz ne dépend
que de sa température » est un énoncé que l’on peut juger à la fois vrai52, s’il s’agit
d’un gaz de composition donnée, et faux, si cela devait se traduire par des comparai-
sons entre gaz de compositions différentes. Plutôt que d’espérer ne jamais prononcer
d’énoncé ambigu, il vaut mieux s’attacher à expliciter leur signification et à éviter
ainsi des risques qui menacent tout le monde.
C’est donc essentiellement à une prise en compte explicite des rouages de l’ana-
lyse physicienne, ici dans sa composante fonctionnelle, qu’invitent les quelques
exemples de ce chapitre.

52 En approximation classique, mais sans nécessité que ce gaz soit parfait : Diu B. et al. (1989)
Mécanique Statistique, Hermann, Paris, p 350-352.
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Chapitre 4

Mise en pratique

4.1 Introduction
Les textes qui suivent illustrent les variations que l’on peut conduire autour d’un
texte d’exercice standard, en s’inspirant des réflexions qui précèdent. L'objectif n'est
pas de fournir une quelconque rédaction idéale. On peut sans doute trouver bien des
défauts aux suggestions proposées. Le but est d’ouvrir l’éventail de ce qui est pos-
sible dans un cadre classique. Les propositions présentées ont été mises en œuvre en
première année universitaire en physique.
Trois des textes de ce chapitre illustrent directement une activité de critique de solu-
tion d’exercice.
La philosophie qui sous-tend ce type de proposition est la suivante : savoir prendre
connaissance du travail des autres – relativement à la science – est une aptitude uni-
versellement utile. Ceci non seulement pour le futur citoyen, l’élève qui copie sur
son voisin, l’étudiant qui apprend un cours, mais aussi pour le futur chercheur. Or
l’examen critique d’un texte est une activité qui ne s’improvise pas, mais requiert
une éducation.
La forme illustrée ici est celle de l’analyse de corrigé banal d’exercice standard : il
s’agit d’exemples extraits de feuilles de Travaux Dirigés de première année universi-
taire ou de livres d’enseignement, y compris de Terminale. Quant au corrigé qui sert
de base au travail proposé, le « texte » utilisé peut se réduire à une trame de calcul
ou un schéma, ou bien comporter quelques liens verbaux. Le but n’est pas d’évaluer
les mérites de tels « textes », mais d’en prolonger l’usage par une réflexion stimulée.
On peut s’étonner que, dans cette proposition, les élèves soient censés disposer du
corrigé dans la foulée de l’énoncé de l’exercice. C’est un scénario non obligatoire,
bien sûr, mais fait pour illustrer fortement la différence entre cette activité de critique
42 En physique, pour comprendre

et celle de recherche de solution. Il est évident que ces deux formes de travail ont
vocation à s’imbriquer. Mais n’en pratiquer provisoirement qu’une présente l’avan-
tage suivant : totalement débarrassé de l’angoisse du calcul, l’élève n’a plus qu’à
réfléchir à celui qu’il a devant les yeux. Dans le même temps d'enseignement qu’en
version classique, l’exercice est utilisé autrement.
L’expérimentation sur cet exercice inhabituel a été menée et évaluée positivement
en Terminale, et également pratiquée en travaux dirigés durant deux semaines, dans
une section entière de DEUG à l’université Paris 7 devant les enseignants en titre.
On trouvera dans les documents relatifs à ces deux expériences une série d’autres
propositions d’explication de texte53. Une série de types de question y est proposée
et illustrée. Sans en faire un dogme ni une liste limitative, on peut y trouver au moins
une source d’inspiration. Les thèmes ou propositions directes de question sont pré-
sentés dans l'encart suivant :

Thèmes ou propositions d'interrogations


• La signification des symboles ou expressions verbales utilisés dans le texte
analysé.
• L’influence du codage dans la désignation des symboles et dans l’écriture des
relations algébriques du texte : cette rubrique renvoie à ce que l’on désigne
souvent par « convention de signe ». On peut ainsi demander comment se
modifient les écritures d’un calcul quand on change l’orientation d’un axe de
codage (ainsi « l’axe des z »).
• Les hypothèses du texte : on examine ici les fondements mêmes de l’argumen-
tation du texte. Cette rubrique correspond à des questions souvent difficiles,
par exemple :
−− Où telle hypothèse intervient-elle ?
−− Sur quelle hypothèse telle affirmation repose-elle ?
−− Que doit-on changer si l’on change telle hypothèse ?
−− Analyser les ordres de grandeurs qui justifient telle hypothèse.
• Le déroulement du calcul, ainsi :
−− Telle égalité est-elle démontrée dans le texte à partir d’une autre ? Ou bien
« parachutée » (du type « or on sait que… ») ?

53 Groupe A. Cros (1983) Les exercices en classe terminale, Bulletin de l’Union des Physiciens, 659,
385-416 ; Viennot L. (1987) Corrigés : mode d’emploi, Université Paris Diderot (Paris 7), LDSP
(maintenant : Laboratoire de Didactique André Revuz).
Chapitre 4 - Mise en pratique 43

−− Où se situent les simples intermédiaires de calcul ?


• Le résultat : c’est la signification de la conclusion qui est en cause ici, ainsi :
−− Enoncer le résultat avec des phrases
−− Contrôle du résultat : homogénéité, cas limites
−− Comment telle grandeur varie-t-elle lorsque telle autre croît, les autres res-
tant inchangées ?
−− Evaluer l’ordre de grandeur de telle grandeur dans telle ou telle circonstance.
• Un prolongement : il s’agit de prolonger un peu le calcul présenté dans le texte
pour en tirer des informations supplémentaires.

On reconnait là cette recherche du sens que visent les chapitres précédents, et, plus
particulièrement, la préoccupation de développer l’analyse fonctionnelle, au-delà
d’une seule pratique numérique des relations : celle qui se limite à « trouver la for-
mule » pour en faire un moyen de calcul du résultat (« l’application numérique »).
Les redoutables et fructueuses questions sur les hypothèses rejoignent, elles aussi,
des thèmes développés précédemment. A la clef, la découverte d’invariants et celle
de possibilités de généralisation.
En conformité avec le parti pris de simplicité qui marque ce livre, les exemples livrés
ici concernent la physique dite élémentaire. Plus qu’un catalogue, on vise l’illustra-
tion d’une démarche. Ces textes concernent :
−− le champ d’un miroir ;
−− la déviation d’une particule dans un champ magnétique ;
−− le glissement d’un bloc sur un plan incliné ;
−− un projecteur de diapositives ;
−− la flottaison entre deux fluides non miscibles.
Ils reprennent des contenus qui ont déjà servi de support aux réflexions livrées anté-
rieurement, que l’on ne détaillera donc pas à nouveau ici. Les éléments de « réponses
attendues » fournis ne sont pas davantage exhaustifs, étant admis que le lecteur de
ces lignes connait bien les solutions classiques de tels exercices.
44 En physique, pour comprendre

4.2 Le champ du miroir


Le champ du miroir est un thème déjà abordé au chapitre 2, on propose tout d'abord
aux étudiants un énoncé d'exercice et sa solution classique. On pose ensuite des
questions pour déclencher les échanges ou enrichir la mise en scéne décrite en 2.6.
Les commentaires à destination de l'enseignant correspondent dans ce qui suit aux
phrases en italiques.

Enoncé et correction courante


Soit un miroir plan circulaire de 10 cm de diamètre. Si on place l’œil à 1m, sur
l’axe du miroir, représentez sur un dessin la région de l’espace que l’on peut
voir dans ce miroir.
On peut imaginer que la réponse attendue par l’enseignant est un dessin du
type représenté en figure 4.1, fondé sur l’égalité des angles d’incidence et de
réflexion. Pour plus de commodité, l’échelle n’est pas la même dans les deux
dimensions.

α d=1m

Figure 4.1 - Un corrigé classique pour la question du champ du miroir

Proposition pour aller plus loin


Pour une meilleure compréhension de la situation, on peut poser à l’élève (ou
mettre en scène comme décrit dans le texte paragraphe 2.6) les questions sui-
vantes, après l'étude de l'énoncé de l’exercice et de la solution proposée :
Chapitre 4 - Mise en pratique 45

−− Par quelle(s) grandeur(s) peut-on caractériser la « région de l’espace » à


laquelle on s’intéresse ici ?
Les grandeurs suivantes sont utilisables : angle au sommet α du tronc de cône
limitant l’espace visible ; angle solide correspondant; diamètre de la par-
tie visible de l’observateur. On peut discuter leurs mérites respectifs, leurs
relations.
−− Comment varie la région de l’espace en question lorsqu’on éloigne l’œil du
miroir ? L’observateur peut-il voir une plus grande portion de lui-même ?
Cette portion de l'observateur, en considérant qu’il s’agit d’un cercle comme
si l’observateur était plat, a toujours, en vertu du théorème de Thalès, un dia-
mètre double de celui du miroir, donc une surface quadruple. Voir par exemple
la figure 4.2, qui, comparée à la figure 4.1, laisse inchangée la longueur de la
ligne verticale pointillée, au niveau de l’œil.

α d = 1,5 m

Figure 4.2 - Modifier la distance entre œil et miroir ne modifie pas la par-
tie du plan vertical de l’œil qui est visible dans le miroir (voir figure 4.1) :
la surface de celle-ci est toujours quadruple de celle du miroir

−− Il s’agit de vision. Avec le premier dessin, on ne peut pas comprendre com-


ment l’observateur voit un objet. Complétez-le pour que l’on comprenne le
trajet du faisceau de lumière qui permet à l’observateur de voir une piqûre
d’insecte sur son visage. S’agit-il d’un faisceau convergent ou divergent ?
Malgré la faveur dont jouit habituellement la réponse : faisceau convergent,
renforcée par une lecture superficielle de la figure 4.1, il s’agit d’un faisceau
divergent. Le dessin sur la figure 4.3 souligne bien l’importance de l’étendue de
la pupille : on ne voit pas grand-chose « avec un seul rayon » (cette expression
46 En physique, pour comprendre

n’a d’ailleurs, bien sûr, pas de sens) ! Pour une analyse encore plus avancée,
on peut y associer le fait que les limites du champ de visibilité ne correspondent
pas à une discontinuité.

α d=1m

Figure 4.3 - La lumière diffusée par une piqûre d’insecte, dans le


plan vertical de l’œil, pénètre dans la pupille en un faisceau divergent

4.3 - La déviation d’une particule chargée par un champ magnétique


Ce thème a déjà été abordé précédemment en 3.2. Ce qui suit est une proposition de
texte à soumettre, telle quelle, aux étudiants (les (rares) remarques pour l'enseignant
sont en italiques).

Lisez attentivement ce texte, paru il y a quelques années dans un livre de Terminale :

Etude de la trajectoire d’une particule chargée dans un champ magnétique


Le champ B est uniforme ; la vitesse initiale v 0 est orthogonale à B .
Considérons une particule de masse m, de charge q, pénétrant dans un champ
magnétique uniforme B . La vitesse initiale v 0 est orthogonale aux lignes de
champ. Négligeons le poids de la particule ; elle peut donc être considérée
comme soumise à la seule force d’origine électromagnétique :
F = q^ v # B h
Chapitre 4 - Mise en pratique 47

L’accélération a est liée à la force appliquée par la relation fondamentale de la


dynamique :
ma = q ^ v # B h
A tout instant, le vecteur a est orthogonal à B .

B7

ν0
q<0 0

N T
F
ν
C R

Figure 4.4 - Trajectoire d'une particule chargée dans un champ magnétique B

La trajectoire est tout entière dans le plan perpendiculaire à B et contenant v 0 .


Supposons q < 0 : le trièdre v , B , F est inverse. Nous en déduisons le sens de
la déviation.
Dans le repère de Frenet, nous avons :
F = m ^ a N + aT h
2
= m v N + m dv T = q ^ v # B h
ρ dt
et donc : F .v = 0 $ aT = 0
dv = 0 $ v = v = Cte
dt 0
2
q ^ v # B h = mv . N
ρ
La relation entre les normes et les valeurs absolues s’écrit:
2
q v B sin α = mv
ρ
avec ρ : rayon de courbure de la trajectoire.
48 En physique, pour comprendre

Or : v = v0 et sin α = 1 (α = 90°)
mv 20 mv0
d’où : q v0 B = $ ρ=
ρ qB
Le rayon de courbure est constant, la trajectoire est un cercle de rayon :
mv0
R=
qB

Répondez ensuite aux questions suivantes


(Il s’agit, à titre d’exemple, d’une liste de questions envisageables, dont les
réponses empiètent les unes sur les autres : à chacun de choisir ou de reformuler.)
−− Que représentent les symboles a N, a T et α ?
−− « Négligeons le poids de la particule » : par rapport à quoi ? Imaginer la zone
d’un spectrographe de masse, où, avant l’impact sur le détecteur, la particule
n’est soumise à aucune autre force que son poids. Que néglige-t-on alors, pour
traiter la trajectoire comme un segment de droite ?
−− Comment change la trajectoire si le signe de la charge est changé ? Analyser la
façon dont le calcul est algébrisé : l’appel aux barres de valeurs absolues pour
la charge est-il nécessaire, et la grandeur ρ pourrait-elle être négative, tout en
gardant une signification au calcul ?
−− Comment le rayon de courbure varie-t-il avec chacun des (autres) paramètres
de la situation ? Faites de cette discussion un moyen mnémotechnique pour
éviter d’inverser la fraction donnant l’expression de ce rayon de courbure.
−− Enoncez la propriété de la force qui permet d’affirmer que le mouvement est
uniforme.
−− Le mouvement est-il encore uniforme
• si le champ magnétique B n’est plus uniforme ?
• si le champ magnétique est uniforme et la vitesse initiale non perpendicu-
laire à B ?
−− Quelle(s) est(sont) l’(les) hypothèse(s) du texte qui condui(sen)t à affirmer
que la particule chargée a une trajectoire plane ?
−− Quel est le mouvement de la particule si v 0 est parallèle au champ uniforme
B ? S’agit-il d’une trajectoire stable ?
−− Le fait que le champ B soit uniforme intervient à plusieurs reprises dans cette
démonstration. Récapitulez où et comment.
Chapitre 4 - Mise en pratique 49

−− Donnez un ordre de grandeur pour les valeurs de v, B, R, au LHC (Large


Hadron Collider au CERN, à Genève) ?

4.4 Glissade sur un plan incliné


Ce thème a précédemment été abordé au paragraphe 2.4. Ce qui suit est une pro-
position de texte à soumettre, telle que, aux élèves. Les phrases en italiques sont à
destination de l’enseignant.

Lisez d’abord (le début de) cet exercice et son corrigé : le skieur, dans une version courante

Saut à ski : énoncé


Un skieur de masse m descend une piste constituée d’un tronçon AB rectiligne
qui fait un angle θ avec l’horizontale, de longueur AB = L1 et d’un tronçon BC
rectiligne horizontal de longueur L2.
On note g la norme de l’accélération de la pesanteur. On suppose qu’il y a frot-
tement entre les skis et la neige : on note respectivement μs et μd les coefficients
de frottement statique et dynamique.
A
L1

θ B L2 C

Figure 4.5 - Les éléments d’une piste de ski impliqués dans le problème du saut à ski

a) Le skieur est à l’arrêt sur le tronçon AB. Représenter sur un schéma les
forces qui s’exercent sur le skieur. Donner la valeur (norme) de la force de
frottement en fonction de θ. Pour que le skieur puisse rester à l’arrêt sur la
pente (sans l’aide de ses bâtons), il faut que θ soit inférieur à une valeur
maximale θ0. Donner l’expression de θ0.
b) On suppose maintenant que l’angle θ est tel que le skieur peut glisser sur
la piste. Il démarre de A avec une vitesse nulle à l’instant t = 0. Déterminer
l’accélération du mouvement du skieur.
50 En physique, pour comprendre

c) En choisissant un axe 0x confondu avec AB et ayant son origine en A, établir


l’équation horaire du mouvement.
d) Soit t1 le temps mis par le skieur pour arriver en B. Déterminer la valeur de
μd en fonction de g, θ, L1 et t1. Donner la valeur de la vitesse v1 du skieur au
point B en fonction de L1 et de t1.
Les notes d’un enseignant comportent le schéma ci-dessous et les quelques
lignes de corrigé qui suivent. Lisez-le attentivement (il n’y a pas de faute de
calcul).

f
N

P Figure 4.6 - Schéma de


θ
modèle simplifié du skieur

a) f = f = mg sin θ
f < μs mg cos θ $ θ < θ0 avec tan θ0 = μs
b) f = μd mg cos θ
ma = mg sin θ – μd mg cos θ
a = g [sin θ – μd cos θ]
c) x = 1 g [sin θ – μd cos θ] t2
2
d) L1 = 1 g [sin θ – μd cos θ] t 21
2
2L
d’où μd = 1 [sin θ – 21 ]
cos θ gt 1
v1 = at1 = g [sin θ – μd cos θ] t1
2L 1
d’où v1 =
t1

Répondez ensuite aux questions suivantes


Quel est le signe de g dans ce texte?
Partie a) :
Que signifie θ dans les deux lignes de « corrigé » consacrées au cas statique ?
S’agit-il
−− de l’angle pour lequel le skieur peut démarrer ?
Chapitre 4 - Mise en pratique 51

−− d’un angle pour lequel il peut glisser ?


−− d’un angle pour lequel il ne peut pas glisser ?
La grandeur θ est-elle algébrisée ici ?
Partie b), c), d) :
Le mouvement du skieur qui glisse est-il :
−− uniforme ?
−− uniformément accéléré ?
−− autre cas ?
Quelle que soit votre réponse, dites à quelle propriété du frottement et/ou à
quelle hypothèse cela est dû.
Luc Alphand (triple champion du monde de descente) démarre dans les condi-
tions du texte, en même temps qu’un frère supposé de même carrure (du point
de vue géométrique) mais beaucoup plus léger. Arriveront-ils en même temps
en bas
−− selon le modèle présenté ici ?
−− en réalité ?
Discutez : dans quels cas la masse du mobile n’intervient-elle pas dans la (une
dimension) ou les (plusieurs dimensions) équations horaires du mouvement ?
Luc Alphand et son hypothétique jumeau, maintenant supposé de même cor-
pulence (géométrie et masse), démarrent dans les conditions du texte, en même
temps. L’un a des skis deux fois plus larges, et de même longueur que l’autre.
Selon le modèle présenté ici, arriveront-ils en même temps ? Quelle que soit
votre réponse, dites à quelle propriété du frottement et/ou à quelle hypothèse cela
est dû, et discuter.
Un contrôle de vraisemblance de l’expression trouvée pour l’accélération a
peut se faire en examinant le signe de cette grandeur. En effet, le skieur, de
vitesse initiale nulle, qui se met à glisser ne remonte pas spontanément la pente
et donc cette valeur de a doit, au moins au départ, être positive, avec le choix
d’orientation fait pour l’axe 0x , vers le bas. Cela impose-t-il une condition par-
ticulière ? Discutez (on considérera l’expérience courante : lorsqu’on pousse un
meuble pour le déplacer, on est surpris par la brusque diminution de résistance
au moment où le meuble démarre). (On retrouve là le fait que μs > μd)
52 En physique, pour comprendre

Dans le texte, rien n’est dit sur le skieur, excepté qu’il a une masse non nulle. Le
schéma du corrigé suggère-t-il que ce skieur est considéré comme ponctuel ?
Une telle hypothèse est-elle requise pour mettre en œuvre ce corrigé, sinon
que représente le point de concours des forces représentées ? La composante
normale à la piste de la force exercée par la piste sur le skieur passe-t-elle ou
non par le centre de masse de celui-ci ? L’interaction de frottement avec le sol
est-elle de valeur uniforme sur toute la surface de contact ? Justifiez bien votre
réponse.
Dans le traitement qui vous est proposé pour ce problème, le coefficient μd
dépend-t-il de θ ? Discutez de ce point de vue son expression donnée dans le
corrigé, item d).

4.5 Le projecteur de diapositives


Ce thème a déjà été abordé antérieurement au paragraphe 3.5. Est proposée une révi-
sion enrichie de l'énoncé du problème avec un pont entre présentation classique et
présentation graphique proposée.

Version classique d'énoncé :


On souhaite projeter sur un écran, situé à une distance L, une diapositive de
hauteur h (L est la distance entre l’écran et la diapositive). Pour cela, on dispose
d’une lentille convergente de focale f’.
Où faut-il placer la lentille pour que l’image se forme sur l’écran ? A quelle
condition sur f’ et L cela est-il possible ? Combien y a-t-il de positions
envisageables ?
Donner l’expression littérale des positions demandées.
Faire l’application numérique. On prendra f’ = 10 cm et L = 4 m. Simplifier le
résultat en utilisant le fait que f’ est petite devant L. Pour cela, on rappelle que
lorsque x est petit devant 1, 1 + x ≈ 1 + x/2. Laquelle des positions de la len-
tille choisissez-vous et pourquoi ?

Version enrichie d'énoncé :


Les parties A et B de cet exercice peuvent se traiter indépendamment.
Chapitre 4 - Mise en pratique 53

A - Représentation graphique de la conjugaison optique


Montrer que la formule de conjugaison habituelle entre les positions respectives
de l’objet (p = OA ) et de son image (p’ = OA’ ) formée par une lentille de focale f’
peut se mettre sous la forme (p’ – f’) (p + f’) = – f’2. En effectuant le changement
de variables d = p + f’, d’ = p’ – f’, exprimer et représenter la fonction d’(d).
Représenter sur un autre graphique la fonction p’(p), dans le cas f’ > 0. Indiquer
les valeurs de p pour lesquelles p’ = – p. Montrer que si A1 (OA1 = p1) et A’1
( OA’1 = p’1) sont conjugués, A2 (OA2 = – p’1) et A’2 ( OA’2 = – p1) le sont aussi.
Utiliser cette courbe pour trouver les positions de l’objet qui remplissent les
deux conditions suivantes : l’image est réelle et plus grande que l’objet.

B - Etude algébrique de la situation du projecteur de diapositives


On souhaite projeter sur un écran, situé à une distance L, une diapositive de
hauteur h (L est la distance entre l’écran et la diapositive). Pour cela, on dispose
d’une lentille convergente de focale f’ :
Où faut-il placer la lentille pour que l’image se forme sur l’écran ? A quelle
condition sur f’ et L cela est-il possible ? Combien y a-t-il de positions
envisageables ?
Donner l’expression littérale des positions demandées.
Faire l’application numérique. On prendra f’ = 10 cm et L = 4 m. Simplifier le
résultat en utilisant le fait que f’ est petite devant L. Pour cela, on rappelle que
lorsque x est petit devant 1, 1 + x ≈ 1 + x/2. Laquelle des positions de la len-
tille choisissez-vous et pourquoi ?
Interprétation graphique

Tracer sur le graphique p’(p) demandé dans la partie A la droite représentant


la fonction p’ = L + p et l’utiliser pour retrouver les réponses aux premières
questions de la partie B.
Reporter sur le graphique p’(p) la position p trouvée pour la diapositive étudiée
en B et vérifier qu’elle est compatible avec votre réponse à la dernière question
de la partie A.
54 En physique, pour comprendre

Eléments de corrigé pour la version enrichie


(la partie B est identique à la version classique)
Partie A
On pose p = OA , p’ = OA’ , f’ = OF’
La formule de conjugaison habituelle est, quel que soit le signe de f’ :
1 – 1 = 1
p’ p f’
Soit f’ (p – p’) = pp’
or (p’ – f’)(p + f’) = – f’2 + f’ (p’ – p) + pp’
d’où (p’ – f’)(p + f’) = – f’2
Si on pose d = p + f’ et d’ = p’ – f’
la relation (p’ – f’)(p + f’) = – f’2
s’écrit dd’ = – f’2
La courbe représentative est une hyperbole.
La fonction p’(p) se déduit de la fonction d’(d) par changement de variables, ce
qui correspond, pour la courbe, à un changement d’axes.
Dans le cas d’une lentille convergente (f’ > 0), on obtient la figure 4.7 ci-dessous.
p’

A2 p’2 = – p1

A1 2f’

p1 –2f’–f’ p

Figure 4.7 - Courbe représentative de la conjugaison


objet-image pour une lentille convergente de focale f’
Chapitre 4 - Mise en pratique 55

p’

4f’

f’

–2f’ –f’ 0 p

Figure 4.8 - Traduction graphique de la contrainte


de distance imposée (L) entre objet et écran

Les sommets de l’hyperbole se trouvent aux abscisses telles que


p’ = – p et (p’ – f’)(p + f’) = – f’2
Soit : p + f’ = ± f’
donc p = 0 ou p = – 2f’
Il y a symétrie par rapport à la deuxième bissectrice, donc si un point associé à
A1(p1, p’1) est sur la courbe, il en est de même du point associé à A2(p2 = – p’1)
et (p’2 = – p1).
Pour que l’image soit réelle (p < – f’) et plus grande que l’objet (p’ > – p), il
faut et il suffit, comme l’indique le graphique de la courbe de conjugaison, que
– 2f’ < p < – f’
Partie B
La distance objet-image AA’ = AO + OA’ = – p + p’

est fixée p’ – p = L (1)


56 En physique, pour comprendre

de plus 1 – 1 = 1 (2)
p’ p f’
(1) + (2) $ p2 + Lp + f’L = 0
p est solution d’une équation du second degré qui a deux racines si et seulement
si L2 – 4f’L > 0, soit : L > 4f’ (il y a une racine double si L = 4f’).
4f’
p = L c– 1 ! 1– m et p’ = L + p
2 L
p = L ^ – 1 ! 1 – 0, 1 h
2
Or, pour x petit devant 1,
2
1 + x . 1 + x + x +... donc 1 – 0, 1 . 1 – 0, 05 – 0, 001
2 8
soit 1 – 0, 1 . 0, 949 ,

ce qui conduit à :
p1 ≈ – 3,898 m p’1 ≈ 0,102 m
p2 ≈ – 0,102 m p’2 ≈ 3,898 m
On choisit la position p2, car alors p’2 > p2, ce qui assure un grandissement
p’
linéaire γ supérieur à 1 en valeur absolue (γ = ) : l’image est donc plus
p
grande que la diapositive qui sert d’objet.
Partie C
La relation p’ = L + p est l’équation d’une droite de pente – 1, d’ordonnée à
l’origine L. Pour que l’image se forme sur l’écran, il faut mettre la lentille à
l’une des positions correspondant aux abscisses des deux points d’intersection
de cette droite avec la courbe de conjugaison (figure 4.8). La position limite
d’une telle droite pour qu’il existe des solutions est donnée par la tangente au
point [– 2f’, 2f’] elle intervient pour L = 4f’.
La position d’abscisse p2, très voisine de – f’, est bien dans la zone (hachurée
sur la figure 4.8) telle que – 2f’< p < – f’, qui représente l’ensemble des points
conjugués tels que l’objet est réel et l’image plus grande que l’objet. Cette
image est inversée.
Chapitre 4 - Mise en pratique 57

4.6 Flottaison entre deux liquides non miscibles


Il est courant de proposer l’exercice suivant lors d’un enseignement d’hydrostatique.
La trame d’un corrigé – indiquée à la suite – permet d’évaluer la simplicité for-
melle du traitement classique. Les messages pour l'enseignant sont toujours donnés
en italiques.

Version classique : énoncé


Un corps solide cylindrique de hauteur H, de section droite S et masse volu-
mique moyenne ρs est situé dans un récipient où se trouvent deux liquides non
miscibles, de masses volumiques respectives ρ1 et ρ2, telles que ρ1 > ρs > ρ2.
Déterminer la position d’équilibre du cylindre, en supposant que celui-ci est
lesté (à l’intérieur) de manière à rester vertical.
On peut choisir d’ajouter, ou non, l’un et/ou l’autre des commentaires suivants :
−− Le corps flotte sur le premier liquide seul (ρ1 > ρs) et non sur le second seul
(ρs > ρ2).
−− L’équilibre hydrostatique « entre deux liquides » peut intervenir selon l’une
des modalités a ou b représentées en figure 4.9.
On peut demander aussi de préciser la condition du lest (centre de masse du
cylindre en dessous du centre de poussée des fluides en cause).

Trame de corrigé
Pour toute position du cylindre, la relation fondamentale de l’hydrostatique,
Δp = – ρ gΔz (axe des z orienté vers le haut), peut être utilisée pour évaluer, dans
chaque fluide, la contribution à la poussée d’Archimède du « volume déplacé »
correspondant (hauteurs respectives h1 et h2). Les différences de pression entre
sections horizontales basse et haute des portions de cylindre immergées dans,
respectivement, les liquides 1 et 2 sont données par :
Δp1 = ρ1 gh1 et Δp2 = ρ2 gh2
La contribution éventuelle de l’air à la poussée d'Archimède (cas b) en
figure 4.9) peut être négligée par rapport aux deux autres parce que la masse
volumique de l’air est, typiquement, mille fois plus faible que celle des liquides.
58 En physique, pour comprendre

h2
Liquide 2 H Liquide 2 h2
H
h1 h1

Liquide 1 Liquide 1

Figure 4.9 - Deux situations différentes pour un solide cylindrique


en équilibre hydrostatique entre deux liquides non miscibles. a) Le
cylindre est recouvert par le liquide 2. b) Le cylindre n'est pas recou-
vert par le liquide 2. Une partie du cylindre est en contact avec l'air.

La position d’équilibre du cylindre en situation de flottaison est donnée par un


bilan newtonien impliquant le poids du cylindre et les poussées des liquides sur
chaque face. Dans cette configuration, la contribution des liquides s’évalue par
la différence des forces exercées sur les faces horizontales basse et haute du
cylindre, ce qui met en jeu la différence ΔpT des pressions à ces deux altitudes.
Du fait de la valeur constante admise pour la pression atmosphérique au voisi-
nage du cylindre, cette différence ΔpT est, dans le cas b) comme dans le cas a),
égale à la différence des pressions entre la face horizontale inférieure immergée
dans le liquide 1 et la section droite supérieure de la partie immergée dans le
liquide 2.
ΔpT = Δp1 + Δp2 soit ΔpT = ρ1 gh1 + ρ2 gh2

Le bilan newtonien à l'équilibre s’écrit donc


(ρ1h1 + ρ2h2) Sg – ρs HS g = 0,
soit ρ1h1 + ρ2h2 = ρs H

ou encore h1 = (ρs H – ρ2 h2) / ρ1 (1)

On note aussi, d’après le bilan newtonien, que la différence ΔpT des pressions
entre les niveaux bas et haut du cylindre vaut, à l’équilibre hydrostatique,
Δpéq = ρs gH (2)
Les relations ne préjugent en rien de la situation particulière en cause (a) ou b)
en figure 4.9). Elles supposent seulement une situation de flottaison, c’est-à-
Chapitre 4 - Mise en pratique 59

dire qu’il y ait assez de liquide 1 pour que le solide flotte et ne repose pas sur
le fond du récipient.
Dans le cas a), où le cylindre est recouvert par le liquide 2, on a :
h1 + h2 = H
La relation (1) donne alors
h1 = h2 (ρs – ρ2) / (ρ1 – ρs) (3)

ou encore : h1 = H (ρs – ρ2) / (ρ1 – ρ2) (4)

Dans le cas b), c'est la hauteur de liquide ajoutée qui fournit la valeur de h2 et
permet d’utiliser directement la relation (1) pour trouver h1.
Enfin, la relation (2) souligne bien que la différence de pression nécessaire à la
flottaison, Δpéq, ne dépend (à valeur donnée de g) que du cylindre lui-même, via
sa densité moyenne ρs et sa hauteur H.

Une autre approche, plus perturbante


On peut appréhender le problème d’une façon qui, bien que formellement équi-
valente, se révèle bien différente du point de vue de l’intuition en proposant le
questionnaire suivant54 :
On considère le solide cylindrique précédent dans la situation de flottaison sur
le liquide 1 seul.
Question : si l’on rajoute une certaine quantité de liquide 2 par-dessus le
liquide 1 (en recouvrant ou non le cylindre : voir cas a) et b) de la figure 4.9),
qu’advient-il du cylindre ?
1 - Il monte par rapport à sa position initiale définie par rapport au fond du réci-
pient (pourquoi et jusqu’où ?).
2 - Il descend par rapport à sa position initiale (pourquoi et jusqu’où ?).
3 - Il reste à sa position initiale (pourquoi ?).

54 Ce questionnaire est inspiré d’une enquête récente : Bennhold C. & Feldmann G. (2005) Instructor
Notes On Conceptual Test Questions, In Giancoli Physics - Principle with applications, 6th Edition,
Pearson, Prentice Hall, p 290-291. Dans cette enquête, les questions sont posées légèrement
différemment. Dans l’échantillon concerné (début d’université, effectif non spécifié), 75 % des
étudiants donnent des réponses de type 2 ou 3. Voir aussi : Viennot L. (2011) Floating between two
liquids : http://education.epsdivisions.org/muse/twoliquid.pdf
60 En physique, pour comprendre

La solution de l’exercice présenté précédemment fournit la réponse. L’équilibre


hydrostatique se produit, d’après la relation (1), pour une valeur de h1 d’autant
plus faible que celle de h2 est élevée. Donc, plus on rajoute de liquide 2, plus
le cylindre atteint une altitude élevée. En d’autres termes, la contribution à la
poussée d’Archimède du liquide 2 est additive, plus h2 est élevée plus cette
contribution est grande.
On peut aussi s’inspirer du cas où le liquide rajouté est le même que le liquide 1 :
alors le cylindre remonte et flotte à la nouvelle surface.
L’exercice pourrait donc sembler relativement simple et sans surprise. Pourtant
ce questionnaire peut faire apparaître une forte proportion de réponses de type 2
ou 3, et beaucoup d’incertitude.
Une centration sur le poids de liquide surajouté peut justifier la réponse 2, l’idée
que le liquide 2 est inapte à faire flotter le cylindre peut favoriser la réponse 3.
Dans les deux cas le raisonnement est invalidé par son caractère local : on ne
considère que l’endroit où s’est visiblement produite la modification : le haut
du cylindre, éventuellement l’interface entre les deux liquides.
Cette remarque contribue à justifier la proposition suivante.

Pour une meilleure compréhension de la situation physique : exploiter des graphiques


Les questions d’hydrostatique mettent en jeu, de manière cruciale, le gradient
de pression. Si l’on représente graphiquement la dépendance de la pression p à
l’altitude z (comptée à partir du fond du récipient), on visualise cet aspect, ici
via la pente de la droite représentative de la fonction p(z).
On peut donc amener les étudiants à tracer un tel graphique comme en
figure 4.10, représentant la pression en fonction de l’altitude sans (courbe en
pointillés) ou avec (courbe trait continu noir) le second liquide.
Comprendre la relation entre un tel graphique et la situation physique n’est pas
d’un abord immédiat. Il faut donc y consacrer un peu de temps. La proposition
d’un travail sur cette base est donc d’investir dans une représentation qui est
moins familière qu’un calcul algébrique, mais qui donne accès à une compré-
hension mieux ciblée sur l’essentiel, et libère des impasses de l’analyse exclu-
sivement locale.
Chapitre 4 - Mise en pratique 61

Par ricochet, on peut espérer que ce type d’activité contribue, à la longue, à une
meilleure appréhension de la relation linaire en physique sous sa présentation
graphique.
Ici, il pourra se révéler utile de discuter tout d’abord les questions suivantes :
−− Signification physique d’une droite horizontale ?
−− Signification de la pente d’une droite ?
−− Signification de deux segments de droite parallèles ?
−− Qu'advient-il du graphique si la pression atmosphérique augmente ?
−− L’ordre de grandeur de la pression atmosphérique comparé à celui des diffé-
rences de pression dans cette situation, permet-il de situer l’origine des pres-
sions à l’intersection des axes ?
Une fois ces aspects clarifiés, la phase d’exploitation proprement dite peut
commencer.
p

Surface
du liquide 1
Surface
du liquide 2

patm

0 z1 z2 z

Figure 4.10 - Graphiques représentant la pression p en fontion de l'altitude z


avec pour origine le fond du récipient. Deux situations sont représentées.
Celle d'un seul liquide 1 dans le récipient ; l'altitude de la surface du liquide
est z1 (courbe en pointillé). Celle où un liquide 2 (ρ2 < ρ1) est ajouté au des-
sus de 1 : z2 est l'altitude de la surface du liquide 2 (courbe en trait continu).

Remarques à formuler ou susciter, et discuter avec les élèves :


−− Rajouter le liquide 2, c’est modifier tout le champ scalaire des pressions dans
le récipient. Ce point est essentiel pour libérer le raisonnement des limites
d’une analyse locale.
62 En physique, pour comprendre

a) p

∆péq
H

∆péq
patm

0 zi h1 z
H

b) p

∆péq
H

∆péq
patm

0 zi h1 h2 z
H

c) p

∆péq
H

∆péq
patm

0 zi h1 h2 z
H

Figure 4.11 - Utilisation des graphiques p(z) en ajustant « l'équerre


graphique » représentant Δpéq en vertical et H en horizontal.
a) Avec le liquide 1 seul, le cylindre dépasse dans l'air.
b) Le liquide 2 a été ajouté copieusement. Comme ρ2 < ρs, le cylindre ne
dépasse plus la surface de liquide à l'air. Néanmoins sa surface inférieure a
monté par rapport à la position zi de a (h1 est plus petite que dans le cas a).
c) On a ajouté assez peu de liquide 2 et le cylindre dépasse à nouveau à l'air
(h2 est égal à l'épaisseur de liquide 2). Là encore, h1 est plus petit que dans
le cas a) donc le cylindre a monté par rapport à cette situation.
Chapitre 4 - Mise en pratique 63

−− L’ approximation faite plus haut sur le rôle de l’air – sa contribution négli-


geable à la poussée d’Archimède – a un équivalent graphique : une valeur
constante de la pression atmosphérique au voisinage du récipient.
−− Ce qui compte pour évaluer la poussée des fluides sur le cylindre, c’est la
différence ΔpT des pressions au niveau des faces inférieure et supérieure du
cylindre, c’est-à-dire à deux altitudes qui diffèrent de H (hauteur du cylindre).
Sa valeur à l’équilibre, Δpéq, est déterminée par l’objet lui-même (son poids,
sa section droite).
−− Etablir un diagnostic sur telle ou telle position du cylindre (équilibre ou
non, résultante des forces vers le haut ou vers le bas) revient à voir com-
ment s’ajuste au graphique, caractéristique du milieu fluide, ou non, une sorte
d’« équerre graphique », ensemble des segments perpendiculaires caractéris-
tiques du cylindre, représentant les valeurs de Δpéq et de H. La manipulation
mentale – ou même physique – de cette « équerre graphique » jusqu’à son
calage sur les pentes des droites représentant le champ des pressions sym-
bolise l’adaptation mécanique de l’objet au milieu fluide. L'ensemble de la
figure 4.11 présente les diverses situations possibles.

Expérimentation
Un matériel extrêmement simple (verre en plastique ou en verre, tube de médi-
cament ou œuf en plastique (type Kinder) lesté, eau, huile) permet de réaliser
tous les cas de figure de façon imbriquée avec les analyses algébriques et gra-
phiques présentées ici.
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Chapitre 5

Les rapprochements entre phénomènes


par type de dépendance fonctionnelle

5.1 Introduction
Si l’on discute le rapport bénéfices/coût pour l’approche fonctionnelle et sa traduc-
tion graphique, il ne faut pas se limiter à une situation physique particulière. En
effet, outre l’élégance des solutions qu’elle offre, cette approche facilite l’accès à
un aspect remarquable de la physique même élémentaire – sans préjuger des autres
sciences : peu de lois rendent compte de nombreux phénomènes55. Il importe bien
sûr, dans l’enseignement, de mettre l’accent sur cet acquis prodigieux sans lui laisser
perdre sa puissance à force d’évidence supposée. Or il existe un facteur supplémen-
taire de rapprochement : celui qui rassemble des phénomènes régis par des dépen-
dances fonctionnelles de même forme mathématique. Ainsi le modèle de l’oscilla-
teur harmonique, thème central par exemple du programme de Terminale de 199556,
encore très présent à ce niveau dans le programme suivant57, ou encore thème en
faveur pour l’introduction des ondes58. De même, la distribution de Poisson, l’expo-
nentielle décroissante, le facteur de Boltzmann ont une puissance théorique à faire
rêver tout enseignant de physique.

55 Voir le programme de Quatrième de 1992, BO n° 31 du 30 Juillet 1992, p 2088 : « L’enseignement


doit faire ressortir que la physique est un élément de culture essentiel en montrant que le monde est
intelligible et que l’extraordinaire richesse et complexité de la nature et de la technique peut être
décrite par un petit nombre de lois physiques universelles qui constituent une représentation cohérente
de l’univers ». Le terme anglais « parsimony » est utilisé couramment pour traduire cette idée.
56 MEN (1995) Bulletin Officiel de l’éducation Nationale du 16 février 1995, Programme de
Terminale scientifique.
57 MEN (2001) Bulletin Officiel de l’Education Nationale, Hors série, 30 Août 2001, Programme des
lycées, Cycle Terminale. Applicable à la rentée 2002.
58 e.g. Crawford F.S. (1965) Berkeley Physics Course, 3, Waves, McGraw-Hill Company, New York.
68 En physique, pour comprendre

Le parti pris maintenu de simplicité nous suggère l’exemple de la plus accessible


des fonctions, la dépendance linéaire : y = ax (a étant un coefficient indépendant des
variables x et y). Ici, ce sera d = vt , relation assortie de divers changements d’origine
pour les variables. Verbalement, cela veut dire que la distance parcourue à vitesse
constante augmente dans le même rapport que la durée du parcours. Nous voilà avec
des problèmes de trains qui se croisent en perspective.
Pourquoi pas ? Mais convenons que s’y limiter n’a rien d’excitant.
Pour illustrer une approche alternative, nous ferons, un peu plus qu’auparavant,
explicitement mention de travaux de recherche récents. Situons bien le propos, une
fois encore. Le principe de pratique enseignante en cause ici n’est pas neuf, on parle
seulement de mise en pratique : accent envisageable, dosage accessible, exemple
inusité et/ou surprenant de relative simplicité, effet produit sur diverses audiences.

5.2 Signaux différés : des astres aux chauves-souris


En collaboration avec Ivan Feller
Le programme de Seconde lancé en 200059 mentionne le thème des signaux différés,
illustrés à l’échelle cosmique : la lumière des astres nous parvient après un délai,
dû au fait que la lumière ne se propage pas à vitesse infinie. Pour la lune, la durée
du voyage de l’information lumineuse est d’un peu plus d’une seconde ; pour le
soleil, elle est de l’ordre de 8 minutes ; pour les étoiles et les galaxies on arrive vite
au million d’années voire quelques ordres de grandeur de plus. Dans le document
d’accompagnement, on trouve une « situation-problème » destinée à attirer l’atten-
tion sur ce point (figure 5.1). Deux extra-terrestres d’aujourd’hui (c’est précisé)
contemplent des terriens poilus qui essaient de faire du feu. La question posée par
l’un des extra-terrestres à son compagnon est renvoyée à l’élève : à quelle distance la
planète d’observation peut-elle bien être de la Terre ? Si l’on datait la scène terrestre
à, disons, trois cent mille ans avant notre ère, il en découlerait que cette distance
vaudrait trois cent mille années-lumière.
Susceptible d’attirer l’attention, ce document l’est en effet. Car les nécessités du
dessin – il faut reconnaître la Terre – nous valent d’y observer commodément divers
continents, sur un joli fond bleu. Or, on imagine mal que, vue à une telle distance,
la Terre apparaisse autrement que comme un point, sans parler de sa problématique
luminosité.

59 MEN, Bulletin Officiel, Hors série 12 Août 1999, Programme de Seconde Générale, Document
d’accompagnement du programme de physique de Seconde, MENRT-CNDP-GTD, 2000.
Chapitre 5 - Les rapprochements entre phénomènes par type de dépendance fonctionnelle 69

Activité B2 - Une image…en différé !


Cette image peut être tirée sur transparent et rétroprojetée.
Elle pose une situation-problème autour de laquelle on peut organiser une dis-
cussion du groupe classe.

La scène se passe en l’an 2000.


Pouvez-vous répondre à la question que se pose cet extra-terrestre ?

Figure 5.1 - Un document proposé dans le document d’accompagnement


du programme de Seconde (programme 2000) (voir le document
couleur sur le site web compagnon de ce pap-ebook)
70 En physique, pour comprendre

Cette anecdote illustre l’« enfer pédagogique » pavé de ces bonnes intentions d’illus-
tration, déjà commentées plus haut, et qu’il peut être utile d’exploiter positivement.
Une façon de le faire est de conduire une analyse critique de ce document avec les
élèves, notamment sous l’angle des contraintes de l’illustration vulgarisante60.
Reprenons le thème des liens entre phénomènes. Des étudiants de première année
ont été invités à trouver un phénomène familier relevant de la même description
formelle. Quelquefois vient cette réponse très pertinente : le décalage entre la vue
d’un éclair et la perception auditive d’un coup de tonnerre. Il est utile alors de figurer
sur un graphique (figure 5.2) les courbes – des droites, en fait – représentant la pro-
pagation des divers signaux en cause. Les pentes de ces droites indiquent la vitesse
de chaque signal. L’échelle des graphiques s’adapte aux phénomènes. Ainsi pour les
signaux interplanétaires, il importe que la pente de la droite n’apparaisse pas comme
infinie ; pour le cas de l’éclair, au contraire, on souligne que l’arrivée du signal lumi-
neux est quasi instantanée au regard de celle du son.

Distance à l’observateur

Evénement :
décharge électrique
α

0 Perception visuelle Perception auditive Temps

Figure 5.2 - Type de graphique utilisé pour représenter les perceptions d’un
événement atmosphérique : l’éclair lumineux est perçu avant le « coup de ton-
nerre » ; la pente de la droite représentant l’avancée du signal sonore tg α, est
négative, de valeur proche de 330 m.s–1. Il faut adapter la graduation des axes.

Les travaux qu’on peut organiser sur cette base sont simples sans être immédiats,
accessibles si l’on y porte une certaine attention, et d’une grande pertinence en

60 Une recherche récente a permis d’évaluer ce type de stratégie d’enseignement : voir la thèse d’Ivan
Feller (2008) Usage scolaire de documents d’origine non scolaire : éléments pour un état des
lieux et étude d’impact d’un accompagnement ciblé, Université Paris Diderot (Paris 7). En ligne :
http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/36/63/18/PDF/These_Ivan_FELLER_op.pdf. Voir aussi
l’annexe F et l’article : Feller I., Colin P. & Viennot L. (2009) Critical analysis of popularisation
documents in the physics classroom. An action-research in grade 10, Problems of Education in the
21st century (17) 72-96.
Chapitre 5 - Les rapprochements entre phénomènes par type de dépendance fonctionnelle 71

matière de formation. Dans des contextes variés et sur des échelles de temps diffé-
rentes, on voit à l’œuvre le même formalisme : on éprouve alors cette valeur d’uni-
fication d’une théorie physique. Au passage, l’outil mathématique en cause y gagne
en familiarité, ce qui n’est vraiment pas un luxe.
Les arguments souvent développés61 à propos de l’oscillateur harmonique ou de
l’exponentielle décroissante trouvent ici à s’illustrer avec un formalisme encore plus
simple : autant ne pas se priver des bénéfices potentiels. En tout cas, il ne paraît
pas approprié de confondre « beaucoup plus simple » avec « trop simple pour être
intéressant ».
En effet, une fois maîtrisée la lecture des graphiques espace-temps discutés ici, nous
voilà armés pour évoquer les échos, le sonar des sous-marins, les chauves-souris et
les papillons. Pour ce dernier exemple, on peut comprendre, par exemple, pourquoi
les chauves-souris ont une distance minimale et une distance maximale de détection
d’obstacle (voir figure 5.3 et sa légende).

Distance de l’obstacle à l’observateur

0 Temps

Figure 5.3 - Type de graphique utilisé pour représenter un signal sous


forme de salves avec écho sur un obstacle fixe (chauves-souris, papillons).
Un obstacle trop proche imbriquerait les arrivées et départs du signal
pour une même salve. Un obstacle trop lointain imbriquerait les arrivées
et départs du signal pour deux salves différentes. La graduation des axes
est à adapter au phénomène (Rumelhard G., communication personnelle)

61 En fin de cycle secondaire et au-delà.


72 En physique, pour comprendre

5.3 L’effet Doppler version graphique


En collaboration avec Jean-Luc Leroy-Bury
Notre exercice de style unificateur peut sans peine être poussé plus loin.
Prenons l’effet Doppler, affaire de signaux qui se propagent, donc bon candidat au
regroupement avec nos premiers exemples.
De quoi s’agit-il ?
On s’en souvient : des signaux périodiques (de période TS ou de fréquence νS), leur
source (S), un récepteur (R), une vitesse de propagation c (pour une onde : vitesse de
phase, que nous notons c pour la lumière dans le vide). En cas de mouvement relatif
entre récepteur et source (de vitesse relative νR), la période de réception TR est don-
née par une relation du type TR –TS = vR . Selon les cas62, la période T à mettre au
T c
dénominateur s’identifie à TR ou à TS.
Comment le montrer, au-delà des classiques figures de fronts d’onde qui se rap-
prochent ou s’éloignent les uns des autres avec le mouvement de la source, ou que
rencontre avec une plus ou moins grande fréquence un observateur qui se déplace ?
A une dimension63, il est fréquent de représenter le phénomène à l’aide d’objets
déposés par une source sur un élément transporteur (bouchons dans une rivière,
tache d’encre sur un tapis roulant) lequel avance par rapport au milieu à la vitesse de
propagation du signal c.
La source est susceptible de se déplacer à la vitesse νS par rapport à ce même milieu.
Ce modèle s’adapte facilement au cas où c’est le récepteur, voire la source et le
récepteur, qui se déplace(nt) par rapport au milieu.
La figure 5.4 résume ce modèle élémentaire et le petit calcul qui conduit à la formule
appropriée, dans le cas d’un récepteur qui s’éloigne d’une source.

62 Pour une source en mouvement par rapport à un milieu (vS), récepteur immobile,
(TR – TS)/TS = vS/c ; pour un récepteur en mouvement (vR), par rapport à un milieu, source
immobile, (TR – TS)/TR = vR/c. Le cas de l’effet Doppler relativiste (c’est-à-dire de la propagation
de la lumière dans le vide) légèrement plus complexe, n’est pas abordé ici. Pour de faibles vitesses
relatives entre source et récepteur, toutes les expressions se rejoignent au premier ordre. Voir par
exemple Bouyssy A., Davier M. & Gatty B. (1988) Physique pour les sciences de la vie, tome 3 :
les ondes, Belin, Paris.
63 Toute la fin de ce chapitre est reprise d’une étude en collaboration avec J.L. Leroy Bury. En
particulier, les figures sont reprises de l’une ou l’autre des publications suivantes : Leroy-
Bury J.L. & Viennot L. (2003) Doppler et Römer : physique et mathématique à l’œuvre, Bulletin
de l’Union des Physiciens, 859, 595-1611 ; Viennot L. & Leroy J.L. (2004) Doppler and Römer:
what do they have in common? Physics Education, 39 (3), 273-280.
Chapitre 5 - Les rapprochements entre phénomènes par type de dépendance fonctionnelle 73

Instant Instant
L1 de départ d’arrivée
S R
c
τ τ + L1/c

L2
vR TR = TS + (L2 – L1)/c
S R
c
τ + TS τ + TS + L2/c

L2 = L1 + vR TR (TR – TS)/TR = vR/c

Figure 5.4 - Exemple de modèle et de calcul élémentaires pour un cas d’effet Doppler
Des taches sont déposées sur un tapis roulant (de vitesse c par rapport
au milieu) par une source S (de période TS, immobile par rapport au
milieu). Les tâches sont recueillies par un récepteur R (de période TR),
en mouvement par rapport à la source à la vitesse constante vR

Quel rapport avec notre affaire de relation linéaire, à part la formule d = vt évidem-
ment à l’œuvre dans ce calcul ? Et même : où est le problème, s’il y en a un ?
Il y en a un. De nombreux élèves à divers niveaux pensent bien, avant ou après ensei-
gnement, que le décalage en période entre signaux reçus et émis est dû à la vitesse
relative entre récepteur et source. En témoignent leurs « waaaaahhoouou » évoca-
teurs de courses de formule 1, ainsi que des résultats d’enquêtes plus formelles64.
Mais ils répondent aussi comme si, cette vitesse relative étant donnée, la distance
comptait dans cette histoire, alors que cette grandeur ne figure pas dans la relation
traduisant l’effet Doppler.
Ils ont de bonnes raisons de penser cela, chaque fois que distance et vitesse rela-
tive sont couplées. C’est le cas de la vitesse radiale (projetée sur la ligne qui joint
source et récepteur) et de la distance au mobile lorsque, par exemple, une voiture de
formule 1 passe à vitesse constante devant la tribune où est l’observateur, à bonne
distance.

64 Références en note précédente.


74 En physique, pour comprendre

C’est surtout le cas pour le rougissement des galaxies associé à l’expansion de l’uni-
vers, très en faveur dans les media. La question n’est vraiment pas de faire un procès
d’incompréhension aux élèves65, mais de les aider à s’y retrouver.
On peut donc souhaiter mettre l’accent sur le fait que la substantifique moelle du
phénomène, pour l’effet Doppler, c’est sa dépendance à la vitesse relative entre
source et récepteur66.
On peut rapprocher cette préoccupation de la perspective illustrée au début de ce cha-
pitre : mettre à profit les graphiques exprimant la propagation unidimensionnelle des
signaux, ici celle de l’intersection des fronts d’onde et de la ligne joignant source et
récepteur. Partant de la figuration graphique du phénomène de réception par un récep-
teur à distance fixe de la source (figure 5.5), aussi à l’œuvre lorsqu’on analyse l’écho
sur un obstacle fixe (figure 5.3), il est naturel de regarder ce qui se passe si l’obstacle
ou le récepteur se déplace, à vitesse constante, par rapport à la source S (figure 5.6).

Récepteur
l
na
Sig

α
Source
TR
TS

t
Figure 5.5 - Graphe horaire de la propagation de signaux émis à in-
tervalles réguliers par une source périodique immobile par rapport au
milieu, et reçus par un observateur également immobile par rapport au
milieu : la période de réception TR est égale à la période d’émission TS.

65 Il est particulièrement compréhensible que ceux-ci soient perdus lorsqu’on leur présente sur la
même figure (dans le même référentiel ?) une longueur d’onde partant de la source, si l’on interprète
ainsi un « vermicelle » dessiné sur la source, et une autre différente (autre « vermicelle ») arrivant
sur le récepteur, dont le signal semble dès lors connaître l’existence avant d’être parvenu au but.
Voir par exemple Bottinelli L., Brahic A., Gouguenheim L., Ripert J. et Sert J. (1993) La Terre
et l’Univers, Col. Synapses, Hachette Éducation, Paris. L’effet Doppler-Fizeau. Encadré, p 137 ;
ou Françon M. (1986) L’optique moderne et ses développements depuis l’apparition du laser,
Col. Liaisons scientifiques, Hachette-CNRS, Paris, p 74.
66 Pour simplifier, nous évoquons le cas le plus général où l’un ou l’autre de ces éléments est immobile
par rapport au milieu, si milieu il y a, ou bien au cas de la lumière dans le vide.
Chapitre 5 - Les rapprochements entre phénomènes par type de dépendance fonctionnelle 75

Récepteur
∆xR
x β TS
TR

aln
Sig
α
Source

Figure 5.6 - Graphe horaire du déplacement de signaux émis à inter-


valles réguliers par une source immobile par rapport au milieu, et reçus
par un observateur qui s’en éloigne à vitesse constante v par rapport au mi-
lieu: la période de réception TR est supérieure à la période d’émission TS.
Le déplacement de l’observateur pendant la période TR, ΔxR, s’exprime de deux
façons : ΔxR = vTR = c(TR – TS) soit (TR – TS) / TR . = v/c.

Récepteur
l
na
Sig

Source
α
β ∆xS
TR
TS

Figure 5.7 - Graphe horaire du déplacement de signaux reçus par un observateur


immobile par rapport au milieu, et émis à intervalles réguliers par une source qui
s’y déplace à vitesse constante vS : la période de réception TR est inférieure à la
période d’émission TS. Le déplacement de la source pendant la période TS, ΔxS,
s’exprime de deux façons : ΔxS = vS TS = c (TS – TR), soit, en posant u = – vS, pour
exprimer une vitesse d’éloignement (ici négative), (TR – TS) / TS = u/c
76 En physique, pour comprendre

Récepteur

aln
Sig
α
∆xS
TS β
TR Source
t

Figure 5.8 - Graphe horaire pour une situation analogue à celle traitée en fig-
ure 5.6, la source s’éloignant cette fois de l’observateur S : la période de récep-
tion TR est supérieure à la période d’émission TS. Comme pour la situation de
la figure 5.7, le déplacement de la source pendant la période TS, ΔxS, s’exprime
de deux façons : ΔxS = vS TS = c (TS – TR) soit, en posant u = – vS pour exprimer
une vitesse d’éloignement (cette fois positive), (TR – TS) / TS = u/c.

Le lecteur pourra construire lui-même d’autres cas, par exemple celui où la source
se déplace comme en figure 5.8 et le récepteur comme en figure 5.6. Il pourra aussi
vérifier que si source et observateur ont même vitesse par rapport au milieu, les
périodes de réception et d’émission sont identiques.
Les lignes obliques régulièrement espacées croisent maintenant la ligne oblique tra-
duisant le mouvement du récepteur. Les écarts temporels sont – c’est visible sur le
graphique – différents de ceux observés dans le cas du récepteur fixe. Autrement dit,
la période de réception est différente, supérieure quand le récepteur s’éloigne de la
source, inférieure quand il s’en rapproche.
On voit bien que c’est une question de pentes, et que tout déplacement de droite
parallèlement à elle-même (variation de distance) ne change rien à la période de
réception. Cela veut dire qu’au fond de la classe l’élève entend la même note qu’au
premier rang, lorsque l’enseignant émet un son pur, mais que celui qui se déplacerait
rapidement entendrait une note différente.
Est-ce à dire que l’on en reste à un niveau qualitatif assez flou ? Peut-on retrouver
la relation en cause ? La réponse tient en la considération de deux pentes, et de
triangles rectangles associés. Comme le suggère bien le graphique de la figure 5.6,
la variation de distance source-récepteur entre deux réceptions, ΔxR, peut se calculer
Chapitre 5 - Les rapprochements entre phénomènes par type de dépendance fonctionnelle 77

dans chacun d’entre eux : c (TR – TS) = vR.TR. Seuls des temps et des pentes (ou des
coefficients directeurs, en termes plus orthodoxes) et un écart entre deux positions
sont intervenus dans ce calcul ; ce n’est pas du tout le cas des distances globalement
parcourues par le signal. L’accent est mis sur l’aspect variationnel (le lecteur pourra
vérifier l'intérêt de la méthode à l'aide des figures 5.5, 5.6, 5.7, et 5.8 et contruire lui-
même d'autres cas).
Il ne s’agit donc pas d’un exercice un peu artificiel de gymnastique mentale, destiné
à améliorer la pratique des graphiques. Ceux-ci peuvent être mis véritablement au
service d’une solution dépouillée, centrée sur l’essentiel. Au demeurant, il n’est pas
interdit de se réjouir si la pratique des graphiques et la compréhension de la signifi-
cation des coefficients directeurs sortent renforcées de l’épisode.

5.4 Encore plus de liens ? Doppler et Römer


Presque deux cents ans avant Doppler, l’astronome danois Ole Christensen Römer
était confronté à un effet de déplacement relatif entre source et récepteur (1676).
Source : l’un des satellites de Jupiter, par exemple Io, qui diffuse vers la Terre la
lumière qu’il reçoit du Soleil, quand il n’est pas caché pas Jupiter. Récepteur : un
observateur derrière une lunette de l’observatoire de Paris. Déplacement relatif :
principalement67 celui qui résulte du mouvement orbital de la Terre. En observant les
retards ou les avances d’émergence des satellites de Jupiter selon la saison, Römer
conclut que la vitesse de la lumière avait une valeur finie dont il fournit un bon
ordre de grandeur. Sa démonstration cumulait les effets de décalage sur un diamètre
entier de l’orbite terrestre. Mais on peut en donner une formulation équivalente qui
souligne qu’il s’agit d’un effet Doppler avant la lettre (ou du moins avant son décou-
vreur officiel).
Résumons donc la fiche signalétique ci-dessus. Source : Io, qui fait de Jupiter une
sorte de gyrophare de période 42,5 heures. Récepteur : un observateur sur Terre.
Déplacement relatif : associé aux mouvements orbitaux de la Terre et de Jupiter. Si
ce dernier était fixe par rapport au soleil, sa distance à la Terre évoluerait d’une sai-
son à l’autre comme une constante à laquelle s’ajouterait la valeur de la projection
du rayon vecteur Soleil-Terre sur l’axe Jupiter-Soleil, autrement dit une fonction
harmonique. C’est presque ce que l’on observe. La figure 5.9 reproduit les données
de position correspondantes. Nous voilà loin d’une droite.

67 Jupiter se déplace aussi par rapport au Soleil.


78 En physique, pour comprendre

r(t) (en u.a)


Terre
6

Signal
2

0 Jupiter

t
Figure 5.9 - Graphe horaire du déplacement de la Terre par rapport à Jupiter
(référentiel jovien ; ua : unité astronomique, soit la distance moyenne de la
Terre au Soleil). Quelques lignes obliques évoquent la propagation de signaux
lumineux périodiques, depuis Jupiter vers la Terre (références en note 63).

Que fait-on en physique lorsqu’une courbe a le tort de ne pas être droite ? On en


prend « un petit bout » (plus canoniquement, on s’intéresse à « l’approximation
linéaire locale » de la fonction) et l’on raisonne avec ce segment de droite. Dans
notre cas, lorsqu’on est au voisinage d’un extremum de distance entre planètes, tout
se passe comme si le récepteur était à distance constante de la source : il n'existe
pas d’effet Doppler (figure 5.10). Sur les flancs de l’orbite, vue de Jupiter, la situa-
tion est autre : la vitesse relative est maximale, dans un sens ou dans l’autre ; effet
Doppler assuré (figure 5.11). D’un couplage entre position et distance, on est passé
ici à un « anti-couplage ». Pour les distances les plus éloignées de la valeur moyenne,
c’est-à-dire de la distance Jupiter-Soleil, il n’y a pas de décalage de type Doppler.
Pour deux positions correspondant à cette même distance, les décalages prennent
leurs valeurs extrêmes.
De plus, ces graphiques sont une bonne occasion de retrouver la signification princi-
pale de la découverte de Römer. Il suffit de se demander ce que devient la figure 5.11
quand on suppose infinie la vitesse de propagation du signal. Les droites représenta-
tives de la propagation se redressent alors, pour devenir verticales : alors, il n’y aurait
aucune différence entre période de réception et période d’émission (figure 5.12).
Römer a donc mis en évidence que la vitesse de la lumière n’était pas infinie.
Chapitre 5 - Les rapprochements entre phénomènes par type de dépendance fonctionnelle 79

Il arrive que l’astronomie vienne au secours de l’enseignement, pourvu que l’on


songe à en profiter.
x

Terre
TR

Jupiter
TS

t
Figure 5.10 - A un extremum de distance entre la Terre
et Jupiter, on observe l’émergence périodique d’un
satellite de Jupiter sans décalage de type Doppler

Terre

TR

Jupiter
TS

t
Figure 5.11 - Quand la distance entre la Terre et Jupiter
a une valeur intermédiaire, l’émergence d’un satellite de
Jupiter est observée avec un décalage de type Doppler
80 En physique, pour comprendre

Terre

TR

Jupiter
TS

t
Figure 5.12 - Si la vitesse de la lumière était
infinie, il n’y aurait aucun effet Doppler, quelle
que soit la vitesse relative entre la Terre et Jupiter

5.5 Investir ?
Cet exercice de style nous a donc promenés du simple coup de tonnerre à l’effet
Doppler et à la découverte de Römer, en passant par l’usage de graphiques fami-
liers à ceux qui enseignent la relativité et les « lignes d’univers » qui y fleurissent.
Et pourtant nous n’avons eu besoin que de cette relation liant distance parcourue,
vitesse constante et durée de parcours.
Les plus réticents diront qu’en fait de simplicité on peut mieux faire. En effet, les
calculs sont inexistants ou élémentaires mais il faut savoir lire un graphique. Nous
le disions plus haut, dès qu’une variable n’est plus d’espace, la difficulté monte
d’un cran. Des enseignants de mathématiques confrontés à ces analyses en témoi-
gnaient68 : ils avaient du mal. Ils ne sont pas tout à fait les seuls dans ce cas69.

68 Intervention Leroy-Bury et Viennot en stage de formation « Modélisation » à l’IREM de Paris,


2003.
69 Auprès de physiciens, cette difficulté s’est aussi manifestée : en formation IUFM (deux groupes
d’une trentaine de stagiaires 2e année) et en licence « sciences physiques » (deux groupes d’une
vingtaine d’étudiants, 3e année) ; référence en note 63.
Chapitre 5 - Les rapprochements entre phénomènes par type de dépendance fonctionnelle 81

Le prix à payer, en termes d’abstraction, est donc réel. L’exercice de style présenté
ici vise l’illustration de cette idée : il s’agit d’un investissement rentable. Une rela-
tion, et voilà qu’une foule de phénomènes s’ouvre à la compréhension. En prime,
une propriété de la physique est soulignée, celle d’être synthétique.
De plus, il n’est guère cohérent, si l’on trouve cela difficile, de ne pas préparer avec
un simple coup de tonnerre ou quelques chauves-souris ce que l’on va utiliser ensuite
avec l’enseignement de la relativité et ses fameuses « lignes d’univers ». Pourquoi
introduire ces dernières, cette fois brutalement et comme un outil sans mystère,
auprès d’élèves de première année universitaire médusés que l’on a voulu « épar-
gner » jusque là ?
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Chapitre 6

Les rapprochements entre approches


différentes d’un même phénomène

Le chapitre précédant rapprochait des phénomènes à première vue différents sous la


bannière d’une même relation entre variables. Celui-ci déclinera le thème des liens
d’une manière complémentaire : c’est ici un seul phénomène, ou du moins un seul
contexte, qui rassemble nos réflexions. Il y sera question d’approches différentes,
notamment par l’échelle de description adoptée : macro ou mésoscopique, ou même
particulaire. Une fois encore, l’exemple sera banal, et la physique adaptée réputée
simple.

6.1 Une montgolfière d’enseignement


Si l’on s’autorise un ton un peu caustique, on peut définir l’objet « montgolfière d’en-
seignement ». Pour une telle montgolfière, l’enveloppe ouverte à la base définit un
espace intérieur de volume V, à l’intérieur duquel se trouve de l’air à température Tint
et pression pint. L’ensemble, voyageurs compris, a une masse M. Il faut bien simpli-
fier, et oublier provisoirement, par exemple, les turbulences générées par les brûleurs
pour admettre qu’il y a équilibre. Dans un premier temps, les résultats n’en pâtiront
pas trop et l’on pourra peut-être comprendre déjà beaucoup de choses. L’extérieur est
également à définir : de l’air à la pression atmosphérique (pext = p0) et de tempéra-
ture Text. Il est tout à fait courant70 d’ajouter à la modélisation l’égalité des pressions
intérieure et extérieure (pint = pext = p0), au motif que l’enveloppe est ouverte.
Une solution classique repose sur le théorème d’Archimède : la poussée de l’air
extérieur sur l’ensemble est opposée au poids d’un volume V 71 d’air extérieur. Reste

70 A titre d’exemple : D.C. Giancoli (2005) Physics (6th ed): « Instructor Resource Center »
CD-ROM, Prentice Hall.
71 En négligeant par rapport à cette valeur celle du volume des matériaux de la nacelle et des cordes
de suspension.
84 En physique, pour comprendre

à évaluer ce poids ainsi que celui de l’air intérieur, pour faire un bilan de forces qui
puisse légitimer l’équilibre requis. Les poids en question, correspondant au même
volume, se différencient par suite de valeurs différentes de la densité de l’air, elle-
même liée aux variables déjà introduites par la relation des gaz parfaits, à peine
Mp
transformée : ρ = . En trois ou quatre écritures facilitées par l’égalité des termes
RT
de pression, on peut relier les températures (via leurs inverses) et les données du
problème72. Nous voilà en mesure de savoir jusqu’à quelle température chauffer l’air
intérieur pour envisager un décollage, ou encore une stabilité ultérieure une fois en
l’air.

6.2 Un rituel qui pactise avec l’incohérence


Faut-il s’inquiéter des simplifications inhérentes à cette approche commune du
problème, classiquement proposée, notamment aux étudiants de première année
universitaire ?
Certes oui. La physique, on le sait, commence par simplifier ses objets par la pen-
sée. Mais là, on tombe sur une hypothèse qui, prise au pied de la lettre, enverrait
la montgolfière au sol encore plus vite que le temps pris pour en saisir la raison. Si
les pressions étaient, en tout point, égales à une valeur unique (« la pression atmos-
phérique »), la résultante des forces de pression sur l’enveloppe, de la part des gaz
présents, serait nulle. En effet chaque portion de l’enveloppe subirait deux forces
exactement opposées. Ou encore, aucune direction de l’espace ne serait privilégiée
pour ce qui est des gaz : pourquoi pousseraient-ils alors vers le haut ? Ou encore, et
c’est sans doute le plus choquant, utiliser le théorème d’Archimède, c’est exploiter
la condition sine qua non de sa pertinence : l’existence de gradients de pression,
accompagnateurs indispensables de l’hydrostatique en situation de gravité. La pres-
sion de l’air externe diminue entre le niveau de l’ouverture et celui du sommet. Il
en est de même pour l’air interne. Mais comme celui-ci est moins dense, la pres-
sion diminue moins vite, de bas en haut, à l’intérieur qu’à l’extérieur. Partant d’une
valeur considérée comme identique au niveau de l’ouverture, les pressions internes
et externes ne sont plus égales ailleurs, notamment au sommet de la montgolgière :

72 Pour une montgolfière de masse totale mc (pour les éléments solides), compte tenu de l’expression
Mp
de la masse volumique ρ dans un gaz parfait de masse molaire (moyenne) M, ρ = et du
RT
p p
théorème d’Archimède, le bilan d’équilibre newtonien s’écrit : mc + M int V = M ext V . En
R Tint R Text
admettant que les pressions moyennes intérieure et extérieure sont très voisines de leur valeur p0 à
l’ouverture, ce bilan conduit à la relation : [1/Text – 1/Tint] = mc R/(p0MV).
Chapitre 6 - Les rapprochements entre approches différentes d'un même phénomène 85

la plus élevée est la pression interne. On commence alors à saisir que l’enveloppe
puisse être gonflée et maintenue en l’air malgré le poids de l’ensemble.

pint > pext ∆pint = – ρint g ∆h


ρint < ρext ∆pext = – ρext g ∆h
Δh

pint = pext p

pint
pext

p ouverture haut h

Figure 6.1 - Eléments pour comprendre la sustentation d’une montgolfière,


ici représentée avec une forme cylindrique pour faciliter la compréhension
de l’effet des forces de pression sur l’enveloppe (voir le texte et la note 73).

Cette analyse est résumée en figure 6.1 et illustrée avec une étrange montgolfière,
cylindrique pour raison d’économie formelle : point besoin d’intégrale compli-
quée pour admettre (et même vérifier formellement) que le théorème d’Archimède
se réconcilie avec l’analyse locale des forces agissant sur l’enveloppe. L’analyse
globale qu’autorise le théorème du gradient73 et sa conséquence en hydrostatique
(l’expression de l’interaction d’Archimède) rejoint le bilan mécanique, local et plus
direct, des forces en jeu. Deux approches, s’éclairant mutuellement, concourent à la

73 Théorème du gradient, applicable à une surface fermée S délimitant un volume V, et à un champ


scalaire, ici p : ##S pdS = ###V grad p dV ; or dans un fluide en équilibre de masse volumique ρ
on a grad p = ρ g . Le théorème d’Archimède en découle immédiatement.
Ce théorème amène ici à la relation [1/Text – 1/Tint] = mc R/(p0MV) (voir note précédente).
Autre approche, ici avec une montgolfière cylindrique de hauteur Δh et de surface de base S, on a
au premier ordre, au niveau du haut de celle-ci : pext ≈ p0 – ρ–ext gΔh et pint ≈ p0 – ρ–int gΔh. La force
de sustentation qui en découle sur la face horizontale supérieure, de surface S, équilibre le poids
des éléments solides si et seulement si mc g = (pint – pext) S, ce qui conduit à la même expression
que par le traitement global [1/Text – 1 /Tint] = mc R/(p0MV).
86 En physique, pour comprendre

compréhension du phénomène. Pour beaucoup d’étudiants, nous y reviendrons, ce


fut l’occasion d’accéder à la substantifique moelle du théorème d’Archimède.

6.3 Une mise en relation très inhabituelle


Arrêtons-nous sur le caractère inhabituel de cet exercice de style.
Plusieurs études concordent quant à la réaction de personnes consultées à propos
d’un exercice comportant l’hypothèse incriminée (en bref « la même pression par-
tout »). Invitées à préciser ou à compléter le texte, la quasi-totalité de ces personnes
rappellent consciencieusement ce qu’est un gaz parfait. Personne ne signale l’absur-
dité de considérer la pression comme uniforme, ou identique de part et d’autre de
la paroi, ni encore moins ne propose cette formulation plus réaliste : les pressions
moyennes, interne et externe, sont très voisines.
De quelles personnes s’agit-il ? Des étudiants de première (N = 15) ou troisième
année universitaire (N = 50), ces derniers se destinant à l’enseignement (N = 36) ou
à des professions du journalisme et de la médiation scientifique (N = 14)74. Certes
dira-t-on : « les étudiants n’ont pas le sens critique, ils ne songent qu’à appliquer
des formules ». Voyons donc les enseignants. Outre ceux qui écrivent des livres75 et
certains autres qui rédigent les sujets de partiel de première année universitaire, des
enseignants stagiaires en IUFM en première année d’exercice, invités à améliorer
la rédaction du texte prototypique, rejoignent massivement la cohorte des scrupules
sur le gaz parfait sans rien dire de l’égalité des pressions : tous76 s’accommodent de
l’incohérence latente. Qui peut jurer n’avoir jamais manifesté un tel aveuglement ?
C’est que, lorsqu’une analyse permet de trouver le résultat de l’exercice traité,
le jugement s’anesthésie. La valeur numérique trouvée pour la poussée d’Archi-
mède – méthode classique – est peu affectée par l’hypothèse incriminée, et ceci fait
de cet exemple un cas d’école. Lorsqu’on déclare égales les pressions moyennes
interne et externe, l’erreur faite sur leur valeur est en effet très faible et modifie
peu le résultat du calcul des densités moyennes correspondantes, qui en revanche
dépendent fortement de la température. La poussée d’Archimède s’en tire bien, si
l’on ose dire. Mais l’écart des pressions est indispensable conceptuellement. Certes

74 Viennot L. (2006) Teaching rituals and students intellectual satisfaction, Phys. Educ. 41, 400-408.
http://stacks.iop.org/0031-9120/41/400 ; Mathé S. (2006) L’esprit critique d’étudiants peu spécialisés
en physique, avant et après mise en alerte, Mémoire de Master Didactique, Université Paris Diderot.
Voir annexe E.
75 Limitons nous à la citation de Giancoli, donnée en note 70.
76 A une exception près : 129 sur 130.
Chapitre 6 - Les rapprochements entre approches différentes d'un même phénomène 87

très faible, cette différence multipliée par les centaines de mètres carrés d’enveloppe
concernés rend bien compte de la sustentation.
La valeur d’une mise en regard de plusieurs approches pour un phénomène donné
n’est donc pas une hypothèse sans fondement. Mesurons bien, une fois encore, que
ce n’est pas vers cette démarche que mène naturellement la facilité.

6.4 Des témoignages de satisfaction intellectuelle


Il faut, en regard d’une exigence accrue, apprécier les bénéfices qu’il y a à dépasser
un peu les rituels scolaires. Voici quelques éléments d’appréciation quant à l’effet
de séances individuelles (entretiens) ou collectives (séances en cadre universitaire
standard), limitées dans le temps (une demi heure) et consacrées à un travail de
questionnement et de mise au point sur la base des lignes qui précèdent77. Le niveau
académique des personnes concernées va de la première année universitaire à la
seconde année d’IUFM pour des professeurs du second degré (PLC2) en formation.
Il est important de préciser, concernant les étudiants, qu’il s’agit de personnes dont
la section d’appartenance n’est nullement sélective, et qui ne sont même pas toutes
déterminées à poursuivre en physique78. Ce ne sont pas non plus leurs réactions à
un questionnement initial sur l’exercice habituel qui les désignent comme épris de
cohérence. On l’a dit, pratiquement aucune de ces personnes ne détecte spontané-
ment l’absurdité de l’hypothèse incriminée ici. C’est pourtant un ensemble significa-
tif de réactions que l’on observe en fin d’interaction sur ce sujet.
Lors d’une série de 15 entretiens individuels d’une demi-heure, en première année
universitaire, tous les étudiants concernés ont jugé cette discussion accessible et
importante à mener malgré le temps qu’elle avait pris. Leurs réactions vont de la
satisfaction à la colère rétroactive.
La satisfaction peut s’exprimer de manière simple et forte :
−− « C’est moi qui vous remercie, j’ai appris … beaucoup ! »
−− « Ça ne m’a pas semblé long. »
−− « Merci à vous, si vous avez d’autres trucs comme ça, je reviens ! »

77 Viennot L. (2006) Teaching rituals and students intellectual satisfaction, Phys. Educ. 41, 400-408.
http://stacks.iop.org/0031-9120/41/400 ; Viennot L. (2006) Modélisation dimensionnellement
réductrice et traitement « particulaire » dans l’enseignement de la physique, Didaskalia, 28, 9-32.
78 On observe des réactions – similaires – d’un groupe d’étudiants en formation (troisième année
universitaire) aux métiers du journalisme ou de la médiation scientifique : Mathé S. & Viennot L.
(2009) Stressing the coherence of physics: Students journalists and science mediators reactions,
Problems of education in the 21st century, 11 (11), p 104-128. Voir annexe E.
88 En physique, pour comprendre

Elle ne signifie pas l’illusion d’avoir tout compris, ni d’être tout de suite capable
d’éclairer à son tour un camarade. Elle est, semble-t-il, lié au sentiment d’être dans la
ligne d’un objectif respectable et qui balaie l’ennui, d’y avoir passé un temps utile :
−− « On se rend compte que c’est beaucoup plus intéressant d’avoir compris ... l’es-
prit critique c’est ce qu’il y a de plus important pour ma vie. »
−− « Bon, les explications, y faut pas juste les dire comme ça, vous m’avez fait réflé-
chir, moi, même si on a du mal, c’est bien de réfléchir, on apprend beaucoup. »
−− « Vous m’avez fait réfléchir, moi, merci ! »
La colère est celle d’avoir perdu son temps dans le passé :
−− « Ah si, ça vaut la peine, c’est ça qui est intéressant, autrement, ben, on est des
robots. »
−− « Par exemple moi, j’suis en première année, du jour au lendemain je vais faire
de la recherche, alors je reviens en arrière, je trouve une hypothèse qui, ben, dans
l’exercice, elle est fausse, donc mon passé il est fondé sur du faux, quoi ! »
−− « Bien sûr que je préfère, ça rime à quoi de faire l’exo sans comprendre ! »
−− « Pourquoi c’est la première fois que quelqu’un me dit ça ? »
Notons aussi le réalisme de ces étudiants qui renvoient, en version positive ou néga-
tive, les enseignants à leur rôle :
−− (Plus intéressant ?) « Absolument, à partir du moment où on nous apprend à le
faire. »
−− « Mais moi, personnellement si j’ai un exercice, si j’ai une hypothèse dedans, pas
à un partiel, mais après, si j’ai le temps, je vais le faire, réfléchir dessus. »
Un traitement en groupe en licence (troisième année universitaire) a donné lieu au
même jugement – oui cela vaut la peine d’y consacrer ce temps (le même qu’en
entretien, soit environ une demi heure) – chez 18 des 21 étudiants présents, dont
17 ajoutaient, sur question explicite, y avoir pris un réel plaisir (coté 3 ou 4 sur une
échelle de 1 à 4).
Il faut bien noter qu’il ne peut s’agir d’un enthousiasme suscité par la nouveauté du
sujet, des applications fulgurantes, des révélations incroyables. Qu’une interaction
personnelle en entretien soit un facteur favorable n’est pas à exclure, mais l’effet se
maintient, semble-t-il, dans un cadre collectif.
Osons suggérer que le plaisir était celui du raisonnement, de l’impression de maî-
triser un tant soit peu les éléments rationnels d’un jugement de cohérence formelle.
Chapitre 6 - Les rapprochements entre approches différentes d'un même phénomène 89

6.5 Toujours plus de liens ? Le poids et la pression du gaz


Que ce soit sur interpellation ou grisé par l’expérience d’approfondissement, on peut
se retrouver au défi de la poursuivre. Tel l’arroseur arrosé, celui qui commence à
questionner se retrouve vite requis d’aller plus loin. On peut objecter que, en toute
rigueur, la dépendance de la pression à l’altitude, dans un gaz, n’est pas linéaire
mais exponentielle décroissante, comme l’exploite un exercice classique de début
d’université, jolie initiation aux procédures différentielles et intégrales. Ajoutons
qu’il faut beaucoup d’audace pour considérer que le gaz dans une montgolfière est à
l’équilibre, entre deux salves des brûleurs. Bien sûr. Alors pourquoi faire tant d’his-
toires ? La réponse est, concernant l’hypothèse discutée ci-dessus, qu’il ne s’agit pas
d’une obscure quatrième décimale à prendre ou à ne pas prendre en compte pour plus
ou moins de précision. Il est question de reconnaître ou de nier le principe-même du
phénomène.
S’il s’agit de poursuivre dans la ligne amorcée ici, c’est donc aussi sur une question
de fond que l’on peut préférer se diriger : le poids d’un gaz, de quoi s’agit-il ?
Il est le plus souvent admis sans discussion qu’une colonne d’atmosphère exerce sur
le sol une force égale à son poids. Même si l’on oublie de le préciser, il s’agit alors
d’une situation d’équilibre. L’argumentation est simple : un bilan newtonien sur le
système « colonne d’atmosphère » suivi d’une application de la troisième loi de
Newton. Mais cette simplicité et l’imparable argument newtonien ne dissipent pas
une question : certes « il faut bien que … », mais comment cela se fait-il ? Comment
les molécules qui frappent le sol « connaissent-elles » le poids de toutes celles qui
sont situées au dessus d’elles ? Comment se fait-il que la pression due aux chocs
des molécules sur le sol corresponde exactement à ce que dicte un bilan newtonien,
c’est-à-dire la valeur obtenue en divisant le poids d’une colonne d’air par l’aire de
sa base ? On trouvera, en annexe B, une proposition pour rendre mécaniquement
plus compréhensible ce résultat aussi banalement appliqué que surprenant, pour peu
qu’on y réfléchisse pour de bon. Les sondages évoqués à ce propos auprès de profes-
seurs stagiaires notamment, mettent en œuvre des formulations qui se veulent – et
se révèlent – perturbantes, ainsi : les molécules exercent-elles sur le sol la même
force que si toutes celles de la colonne en cause se touchaient, immobiles ? Quelques
résultats d’enquête reproduits en annexe B laissent soupçonner combien la réponse
est contre-intuitive. Dans la proposition de clarification, on voit se glisser le fac-
teur g, accélération de la pesanteur, que rien n’introduit dans les cours habituels sur
90 En physique, pour comprendre

les gaz – discrétion rarement justifiée79. De manière significative, susciter ce type


d’interrogation en amène d’autres, ainsi : « Mais alors, lorsque la pression atmos-
phérique varie, comme nous en informe tous les jours la météorologie nationale, ce
résultat reste-t-il vrai ? ». Et voilà relativisée, de manière salutaire, la vision d’une
atmosphère en équilibre.
Lorsqu’on pousse un peu l’exigence du raisonnement, c’est bien souvent que les
questions pertinentes se réactivent et s’enchaînent ainsi.

6.6 L’intérêt des changements d’échelle d’analyse


Pas plus que les autres, cet exemple, qui confronte une analyse globale à une autre
plus locale, voire particulaire, n’épuise le sujet qu’il illustre. Plus largement, l’apti-
tude à passer d’une échelle de description des phénomènes à l’autre est d’un bénéfice
souvent crucial en termes de compréhension. En particulier, l’intérêt d’une échelle
intermédiaire entre le macroscopique et celle – nanoscopique – des phénomènes
atomiques et moléculaires n’est plus à démonter. Cette échelle « mésoscopique »
permet de définir des valeurs locales de grandeur, par exemple de pression et de
température, tout en moyennant les effets moléculaires, proprement ingérables autre-
ment. En hydrodynamique, par exemple, il semble qu’on n’ait pas le choix, l’unité
de raisonnement – si l’on peut dire – est mésoscopique : c’est « l’élément de volume
de fluide ». Mais il est moins habituel de mettre en œuvre cette échelle en hydrosta-
tique. Ceci permet pourtant, par exemple, de mieux comprendre que la surpression
au plafond d’une grotte sous-marine (figure 6.2) n’est pas nulle ; ceci via l’ana-
lyse détaillées des interactions répulsives entre les éléments fluides ou solides du
système80.
Il n’est pas habituel non plus de traiter les frottements de façon à apaiser certaines
révoltes intellectuelles : « Le sol, il est horizontal, il est lisse, il ne peut pas pousser
(un marcheur vers l’avant) » . Alors que ceci peut se faire en évoquant des aspérités

79 Ce n’est même pas le cas pour un chapitre s’intitulé « L’air qui nous entoure » du programme de
Seconde générale en France (2000 : MEN 1999).
80 Situation proposée dans Pugliese-Jona S. (1984) Fisica e Laboratorio, vol. 1, Loescher, Turin, et
exploitée dans sa thèse par Besson U. (2001) ; voir aussi quelques publications en note suivante).
Il est souvent avancé que le rocher ne pousse pas sur l’eau, et surtout qu’il n’y a pas « d’eau au
dessus » du niveau du plafond de la grotte.
Chapitre 6 - Les rapprochements entre approches différentes d'un même phénomène 91

mésoscopiques emboitées, entre sol et semelle, vision qui rapproche la situation de


celle des starting-blocks et réconcilie intuition et formalisme81.

Figure 6.2 - Situation des deux poissons, pour une question qui se révèle
perturbante : la pression de l’eau est-elle la même pour les deux poissons ?

On peut bien dire à chaque fois qu’« il faut bien que… »82 un point dans la grotte
soit à la même pression que le point en pleine mer de même profondeur, ou que le
sol pousse le marcheur vers l’avant, selon l’exigence du bilan newtonien. Mais la
réconciliation entre ces nécessités d’une analyse macroscopique et une vision plus
mécaniste, à échelle mésoscopique, se révèle d’un grand bénéfice, à en croire les
commentaires d’élèves recueillis.
Parcourant dans l’autre sens l’éventail des échelles, il arrive aussi que l’illustration
macroscopique d’effets intervenant à échelle beaucoup plus réduite soit, au mini-
mum, très stimulante pour la réflexion. L’équipe de didactique de Pavie nous pro-
pose ainsi, toujours à propos des phénomènes de frottement, une expérience intro-
ductive à la dissipation d’énergie83. Un chariot lancé contre un mur rebondit, en
ce qui ressemble à une collision quasi-élastique ; ceci n’est plus le cas lorsque des
lames oscillantes sont montées sur ce chariot. Alors, la collision avec le mur se tra-
duit par la mise en branle des lames, et le chariot qui leur sert de support ne rebondit

81 Viennot L. (2002) Enseigner la physique, De Boeck, Bruxelles, chapitre 3. Sur l’étude de Besson,
voir le même ouvrage, chapitre 3. Sur un plaidoyer en faveur d’une approche mésoscopique, voir
aussi : Besson U. & Viennot L. (2008) Modèles à l’échelle mésoscopique dans l’enseignement
de la physique, Exemples du frottement solide et de la pression dans les fluides, in Viennot L.
(dir.) Didactique, épistémologie et histoire des sciences – Penser l’enseignement, Collection
Sciences, histoire et société, PUF, Paris, 30-59 ; Besson U. & Viennot L. (2004) Using models at
mesoscopic scale in teaching physics: two experimental interventions on solid friction and fluid
statics, International Journal of Science Education, 26 (9), 1083-1110.
82 Ugo Besson a particulièrement souligné cette idée, voir références en note précédente.
83 Besson U., Borghi L., De Ambrosis A. & Mascheretti P. (2007) How to teach friction:
Experiments and models, American Journal of Physics, 75 (12), 1106-1113. Vidéo téléchargeable
http://fisicavolta.unipv.it/Didattica/Energia/ITA/irrevers.htm
92 En physique, pour comprendre

plus sur l’obstacle. Tout n’est pas dit sur la dissipation d’énergie, phénomène interne
au(x) corps qui s’échauffe(nt), accompagné ou non de transfert thermique entre ce(s)
corps et l’extérieur. Mais cette expérience offre un très bon point de départ pour
aborder ce thème quelque peu mystérieux.
En bref, il est souvent très fructueux, des élèves nous le confirment, de mettre en
œuvre plusieurs points de vue, voire différentes échelles d’analyse, pour rendre
compte d’un même phénomène. Souhaitons que les exemples évoqués ici aient
plaidé efficacement en faveur de cette idée. Mais quoiqu’il en soit, son importance
va bien au-delà, et chacun pourra choisir comment l’illustrer.
Chapitre 7

Les expériences simples : comment en optimiser l'usage

7.1 Simplicité vaut-elle pertinence ?


Au moins la question vaut-elle la peine d’être posée : à se reposer sur des soi-disant
évidences, ou obligations de simplifier, ne fait-on pas dangereusement disparaître la
saveur, voire la substance même de la physique ?84 Illustrée plus haut avec des ques-
tions bien réduites, en apparence, cette question peut se retourner en une tonifiante
proposition : à propos de la moindre question, un raisonnement physique respec-
tueux de la cohérence peut être le support d’une avancée conceptuelle et, risquons
le mot, d’une satisfaction intellectuelle. Selon la manière dont elle est déclinée, la
« simplicité » peut se révéler suspecte ou très bénéfique.
Cette double face de la « simplicité » s’illustre à nouveau, dans ce qui suit, à propos
des « petites manips », objets de toutes les faveurs en ces temps où l’attractivité
est un maître mot. Afin d’épargner au lecteur trop de dispersion dans des méandres
théoriques, cette illustration se fera en reprenant des situations en rapport avec des
thèmes de physique élémentaire déjà évoqués : mécanique et statique des fluides.
La faveur dont jouissent beaucoup de « petites manips » tient à leur résultat sur-
prenant, certains disent « contre-intuitif »85. Dans un premier niveau d’analyse, la
surprise générerait l’intérêt, et contribuerait à inciter les jeunes à poursuivre dans
une direction scientifique. Plus simplement, elle améliorerait l’image des sciences et
des scientifiques. Dire que le résultat d’une expérience étonne revient à dire que la

84 Voir en particulier sur ce thème l’intéressante brochure : Le partage des savoirs scientifiques,
enjeux et risques, Réalités Industrielles (mai 2007, coord. M.J. Carrieu-Costa), série des Annales
de l’Ecole des Mines, ESKA, Paris.
85 Richard Emmanuel Eastes (2004) Un outil pour apprendre : Intérêts, limites et conditions
d’utilisation de l’expérience contre-intuitive, Bulletin de l’Union des Physiciens, 1197-1208 et
Annexe expérimentale de l’article précédent : http://udppc.asso.fr/bup/866/08661197.zip - Site de
l’Union des Professeurs de Physique et de Chimie.
96 En physique, pour comprendre

prédiction qui vient à l’esprit des non-spécialistes à son propos est erronée. Avant de
poursuivre, il est donc utile de s’attarder un instant sur l’analyse de telles « erreurs ».

7.2 La balance d’Archimède


Le dispositif représenté en figure 7.1a suggère une question : si une boule de pâte à
modeler est immergée, maintenue par un fil à mi-hauteur du récipient, le plateau de
la balance qui lui sert de support va-t-il s’enfoncer, rester au même niveau ou s’éle-
ver ? La proportion de la prévision erronée majoritaire – le plateau reste à la même
altitude – avoisine couramment 80 % ou plus, notamment chez des « moniteurs » de
physique86. En fait, le plateau s’enfonce bien nettement. La boule immergée subit
une force dite « d’Archimède » de la part de l’eau, l’ensemble eau- récipient subit
donc de la part de la boule la force réciproque, en vertu de la troisième loi de New-
ton. Avant immersion, l’ensemble eau-récipient, à l’équilibre, subissait son propre
poids et l’action du plateau, de valeur opposée. La balance indiquait le poids du réci-
pient plein d’eau. Après immersion, l’ensemble eau-récipient, subissant une force
supplémentaire vers le bas, ne peut être en équilibre sans une augmentation de la
force vers le haut qu’exerce sur elle le plateau. L’enfoncement du plateau traduit le
déséquilibre ainsi créé, tout en générant l’augmentation de force requise pour l’équi-
libre (figure 7.1b).

Figure 7.1 - L’expérience de « la balance d’Archimède »


a) L’indication de la balance est égale au poids de l’ensemble eau+verre
b) Une fois la boule immergée, l’indication de la balance est supérieure
au poids de l’ensemble eau+verre

86 Doctorants en stage de formation à l’enseignement, effectif cumulé sur 15 ans (1994-2011), 340.
Chapitre 7 - Les expériences simples : comment en optimiser l'usage ? 97

Lorsque celui-ci est à nouveau atteint, la valeur de l’interaction entre le plateau et


l’ensemble eau-récipient est supérieure à celle du poids de cet ensemble. La balance
n’indique plus le poids du récipient plein d’eau, mais une valeur supérieure. C’est
comme si un piston avait poussé l’eau vers le bas.
S’il s’agit de trouver les racines de l’erreur commune – au-delà du simple constat :
« c’est contre-intuitif » –, plusieurs hypothèses non exclusives se présentent sur la
base de recherches antérieures.
On peut avancer que tout le monde croit qu’« un objet exerce (toujours) son poids
sur son support », pseudo-règle ici démentie par le récipient rempli d’eau87. L’erreur
aurait donc une racine plus large que la simple ignorance.
On peut remarquer aussi que la loi des actions réciproques est ici malmenée, car
ignorer l’action de la boule sur l’eau revient à contredire cette loi. L’erreur de prévi-
sion sur le mouvement du plateau rejoindrait ainsi de nombreux autres cas88.
Une formulation plus psychologique rattacherait le fait de négliger la troisième loi de
Newton à un schéma mental de type Agent/Patient89 qui introduit une dissymétrie
constitutive dans l’interaction.
Comme des cercles concentriques, ces formulations élargissent progressivement les
interprétations candidates. Nous les retrouverons plus loin. Un second exemple va
dès maintenant souligner qu’elles peuvent, en effet, servir souvent.

7.3 Le verre d’eau retourné


La figure 7.2 illustre une manipulation facile à réaliser. Rien de plus simple : un
verre, de l’eau et un bout de carton. Moyennant une bonne humidification de celui-
ci, l’ensemble retourné ne laisse pas s’échapper l’eau.

87 Remarquer que ce contre-exemple intervient en situation statique. En cas d’accélération du


support – voir les problèmes d’ascenseurs – il est un peu mieux compris que l’objet n’exerce pas
toujours son poids sur son support (cette formulation approximative paraphrase l’usage courant).
88 Viennot L. (1982) L’action et la réaction sont-elles bien égales et opposées ? Bulletin de l’Union
des Physiciens, 640, 479-485 ; Menigaux J. (1986) La schématisation des interactions en classe
de troisième, Bulletin de l’Union des Physiciens, 683, 761-778; Brasquet M. (1999) Actions,
interactions et schématisation, Bulletin de l’Union des Physiciens, 816, 1220-1236.
89 Andersson B. (1989) The experiential Gelstalt of Causation: a common core to pupils
preconceptions in science, European Journal of Science Education, 8 (2), 155-171.
98 En physique, pour comprendre

Figure 7.2 - Un verre d’eau recouvert d’un carton et retourné

Il n’est pas rare que vienne l’explication suivante : l’atmosphère pousse le carton vers
le haut, et cela empêche l’eau de tomber. Il arrive même que l’on ajoute sans sourciller
que l’action de l’atmosphère sur le carton est cent fois plus importante que le poids de
l’eau90. Doit-on conclure, dès lors, que le carton supporte sans peine cette charge ?

Eléments de l’explication
courante91 :
Le carton subit le poids de
l’eau.
L’atmosphère supporte le
poids de l’eau et le carton ne
tombe pas.
Ci-contre, à droite : schéma
illustrant avec un facteur de
disproportion non respecté,
l’ordre de grandeur des forces
mentionnées dans l’explica-
tion courante.
Figure 7.3 - Une expérience simple qui donne lieu
couramment à une explication problématique92

90 Atelier de formation d’enseignants, Mai 2006, référence réservée.


91 Ces éléments sont par exemple présents dans la notice de l'atelier cité en note précédente.
92 Viennot L. (2010) Physics education research and inquiry-based teaching: a question
of didactical consistency, in K. Kortland (ed.). Designing Theory-Based Teaching-
Learning Sequences for Science Education, Cdβ press, Utrecht, 39-56 et Viennot L,
Planinšič G., Sassi E. & Ucke C. (2010) Various experiments involving fluid statics:
http://education.epsdivisions.org/muse/example-fluids-documents/fluids7.pdf
Chapitre 7 - Les expériences simples : comment en optimiser l'usage ? 99

On est ici devant un cas différent du précédent. Au-delà d’une prévision éventuelle-
ment erronée (l’eau va tomber), c’est le commentaire explicatif courant qui mérite
analyse.
Le carton subit l’action de l’atmosphère vers le haut, et s’il ne subissait vers le bas
qu’une force égale au poids de l’eau, cent fois moindre, il ne pourrait être en équi-
libre. Le suggérer viole la cohérence, si l’on admet la seconde loi de Newton.
Il est donc faux, dans ce cadre, d’affirmer que le carton subit, vers le bas, « le poids
de l’eau ». Il subit une force beaucoup plus importante, opposée à, et de l’ordre de
celle exercée par l’atmosphère (figure 7.4).
Pour comprendre la genèse de l’explication commune, on peut avancer l’existence
de sources éventuelles maintenant familières. Au mieux, l’ambiguïté n’y est pas
levée quant aux idées suivantes, déjà relevées :
−− Il est courant de croire qu’« un objet exerce (toujours) son poids sur son sup-
port », pseudo-règle ici démentie par le verre d’eau retourné.
−− La loi des actions réciproques est négligée. En effet, penser que le carton subit
une force importante de la part de l’atmosphère devrait conduire à la question de
la réciproque, impossible à assurer si ce léger objet ne subissait lui-même qu’une
faible force vers le bas de la part de l’eau.
−− Une vision de la situation en termes d’Agent (l’atmosphère) et de Patient (ce qui
risque de tomber) serait favorable à l’explication abusivement réduite que l’on
analyse ici.
Ajoutons à cette liste un autre caractère de l’explication commune qui semble ano-
din, alors qu’il est probablement le plus déterminant et le plus répandu.
−− Pour analyser un système d’objets en interaction, on commence par une extré-
mité, là où il se passe quelque chose93, et souvent on s’y limite.
Ici, l’endroit où il risque de se passer quelque chose, c’est la partie basse du verre.
Or, à ne regarder que là, l’essentiel échappe à l’analyse. La figure 7.4 récapitule les
principales (du point de vue de leur valeur94) forces en présence.

93 Dès 1981, S. Fauconnet soulignait l’importance de ce phénomène dans sa thèse : Etude de


résolution de problème : quelques problèmes de même structure en physique, LDSP, Université
Paris 7.
94 Les forces de capillarité, notamment, ont un rôle important dans le fait que l’air extérieur ne pénètre
pas au dessus du carton mais leurs valeurs restent faibles par rapport à celles des autres forces en
jeu.
100 En physique, pour comprendre

Les forces représentées :


Terre/eau (poids de l’eau) Verre

atmosphère/carton
atmosphère/fond du verre
eau/carton
eau/fond du verre Eau
main/verre

Carton

Chaque rectangle pointillé


regroupe les éléments d’un
bilan sur l’objet concerné
(a)
Composants dissociés

Décalage latéral des flèches :


pour faciliter la lecture.
Ordres de grandeurs non respectés :
en fait, il y a un facteur de l’ordre
de cent entre les valeurs des (b)
interactions atmosphère/carton Composants regroupés :
et Terre/eau (poids). ensemble eau - verre - carton

Figure 7.4 - Les principales forces en action dans la situation du verre d’eau retourné sont
représentées en considérant ses constituants séparément (a) ou de façon regroupée (b). Ne
sont pas représentées ici, pour simplifier le schéma, l’interaction entre verre et carton95, le
poids du carton et celui du verre. Ces forces, même si les premières peuvent jouer un rôle
important, sont faibles devant les autres ou du moins, en tenir compte ne rend pas légitime
l’idée que « le carton » ou « l’atmosphère » ne font que « supporter » le poids de l’eau.

95 Celle-ci peut s’envisager a priori comme répulsive (solide-solide) ou comme attractive (via la
capillarité). Des situations de remplissage variées peuvent conduire à un équilibre analogue avec
de l’air dans le verre. Voir à ce propos Weltin H. (1961) A paradox, Americal Journal of Physics,
29 (10), 711-712.
Chapitre 7 - Les expériences simples : comment en optimiser l'usage ? 101

Il y apparaît que le poids de l’ensemble verre-eau et l’action opposée du support sur


le verre sont de faible importance devant les interactions de type compression (air-
carton, carton-eau, eau/fond du verre, fond du verre/air) liées à l’atmosphère : là est
le phénomène central.
Pour cet exemple comme pour le précédent, les raisons susceptibles d’expliquer
erreurs ou explications communes sont les mêmes. Pointe ici une idée qui pren-
dra une place importante dans la dernière partie de ce livre : en situation de devoir
expliquer certains phénomènes, il est fréquent, même chez les physiciens, de mettre
en œuvre des raisonnements qui font écho à ceux des non-spécialistes. De ce jeu de
miroirs, la cohérence de la physique ne sort pas renforcée.

7.4 L’éprouvette retournée


Une éprouvette retournée sur une cuve pleine d’eau et contenant elle-même de l’eau
n’est pas très différente du verre que l’on vient de mettre en situation analogue. En
bas de l’éprouvette, on retrouve la surface libre de la cuve, à la pression atmosphé-
rique. Dans l’éprouvette se trouve de l’eau, qui s’y maintient. Au dessus, avec ou
sans couche gazeuse intermédiaire, est le fond de l’éprouvette maintenue par une
main ou tout autre support. Les forces en jeu se transposent d’une situation à l’autre,
seule leur importance relative peut changer. Plus la hauteur de la colonne d’eau est
élevée, moins l’interaction de celle-ci avec le fond de l’éprouvette est importante. On
le sait, pour dix mètres d’eau, cette interaction devient quasi-nulle, et si l’on élève
encore l’enveloppe de verre, la pression de vapeur de l’eau à cette température déter-
mine et limite la très faible interaction entre le fond et le contenu de l’éprouvette.
L’équivalent de l’idée fausse désignant l’atmosphère comme support de l’eau du
verre retourné est ici celle que la pression atmosphérique en surface de la cuve sou-
tient le poids de la colonne d’eau de l’éprouvette, sans autre force à considérer. Or,
par exemple, pour deux mètres d’eau au dessus du niveau de la cuve, la compression
en haut de l’éprouvette serait, à l’équilibre, celle correspondant à quatre cinquièmes
de pression atmosphérique (figure 7.5).
Lisons ce qu’Isabelle Chavannes rapporte des leçons de Marie Curie aux enfants de
ses amis, justement à propos de cette situation96 :
« Elle (l’eau) reste jusqu’en haut du tube. Qu’est-ce qui soutient l’eau dans ce tube ?
Qu’est-ce qui soulève cette colonne d’eau de 2 m ? C’est la pression atmosphérique

96 Chavannes I. (2003) 1907. Leçons de Marie Curie aux enfants de nos amis, EDP Sciences, Paris, p 46.
102 En physique, pour comprendre

qui appuie sur l’eau du récipient. Dans le tube, il n’y a pas d’air et aucune pression
n’est exercée sur l’eau. »
On retrouve les mêmes caractères d’explication que ceux qui accompagnent cou-
ramment le verre d’eau retourné. L’idée de support se retrouve dans le « soutien ».
L’agent de ce soutien, ou de ce soulèvement, est l’atmosphère, implicitement chargée
de compenser le poids de l’eau. Les choses se passent en bas de la colonne, tandis
que l’interaction entre celle-ci et le verre en haut de l’éprouvette est explicitement
niée, au mépris de ce qu’exige un équilibre newtonien.

Explication citée :
« Qu’est-ce qui soulève cette
colonne d’eau de 2 m ? C’est la
pression atmosphérique qui appuie
sur l’eau du récipient. Dans le
tube, il n’y a pas d’air et aucune
2m
pression n’est exercée sur l’eau. »
(référence en note 95)
patm Ci-contre, à droite : Schéma
explicitant l’ordre de grandeur
des forces agissant sur la colonne
d’eau évoquées dans l’explication
ci-jointe.

Figure 7.5 - Une situation analogue à celle du verre plein d’eau et retourné :
une éprouvette sur une cuve à eau. L’explication citée (voir le texte) a les
mêmes caractéristiques que l’explication commune concernant le verre.

Et c’est un prix Nobel qui parle, il est vrai à travers son élève. C’est dire que les
limites déjà soulignées, en matière d’explication, ne sont pas des phénomènes aléa-
toires et marginaux. Ce ne sont pas non plus des détails relevant d’un purisme stérile.
Ces limites entament la cohérence-même du propos.
Ce thème sera repris plus loin. Le phénomène est trop important et trop peu souligné
pour qu’on s’inquiète d’y mettre un accent trop fort. Le but, pourtant, n’est pas de se
complaire dans la dénonciation. A peu de frais, en effet, on peut réorienter la présen-
tation d’une expérience qui prête le flanc à la critique et, très probablement, modifier
son impact sur les interlocuteurs concernés.

7.5 Au-delà des rituels


Remarquons déjà que l’expérience de la boule immergée d’Archimède, telle qu’elle
est présentée antérieurement en 7.2, prend à contrepied l’habitude enseignante. Il est
Chapitre 7 - Les expériences simples : comment en optimiser l'usage ? 103

en effet courant de mettre l’accent sur le fait que la boule, une fois immergée, tire
moins sur le fil ou le ressort qui la supporte. Les leçons rapportées par Isabelle Cha-
vannes mentionnent même abondamment la « perte de poids » d’un corps immergé97.
Plus largement encore, on parle pratiquement toujours de la poussée d’Archimède,
celle de l’eau comme « agent » sur la boule (« patient »), qui la « subit », voire la
« reçoit »98. On peut au contraire souligner, comme dans les programmes français
de troisième en 1992, qu’il s’agit d’une interaction. La situation du verre posé sur la
balance (figure 7.1) met, elle, l’accent sur cette force réciproque tant négligée. On
en apprend donc autre chose, surtout si l’expression « interaction d’Archimède » est
martelée à ce propos.
Quant à l’expérience du verre d’eau, une légère modification ne laisse plus planer
les dommageables ambiguïtés que l’on vient de souligner. Puisque la question du
support risque d’envahir abusivement cette question, en fait dominée par la com-
pression atmosphérique, mettons le verre à l’horizontale (figure 7.6) et analysons
les composantes de forces dans cette direction. A l’horizontale, l’atmosphère joue
le même rôle qu’à la verticale : le rôle principal, celui de compression. Sortir de la
disposition rituelle verticale permet de mettre en lumière l’essentiel99. Et ce n’est ni
plus compliqué ni plus coûteux.

Figure 7.6 - En situation horizontale, l’eau du verre représenté en figure 7.2


ne s’écoule pas davantage que dans la situation verticale des figures 7.2 et 7.3

97 Par exemple p 64 : « (…) dans l’eau, on perd une partie de son poids. »
98 Par exemple : Allègre C. (2006) Un peu plus de science pour tout le monde, Odile Jacob, Paris, p 31.
99 Il s’avère que le résultat de cette expérience modifiée peut surprendre même un physicien
(constatation de l’auteur, non formalisée par une recherche).
104 En physique, pour comprendre

7.6 Les explications-échos et le raisonnement linéaire causal


En matière de prévision ou d’explication, les deux exemples précédents illustrent
la complicité de fait entre les tendances communes d’experts supposés et celles de
novices. C’est le moment d’introduire un label évocateur, celui d’« explication-
écho », chargé de rappeler cette proximité. Ce faisant, nous ne nous prononçons
pas sur l’intentionnalité du dit « expert supposé » – désignant par là celui qui pense
donner une explication experte. Il n’est pas exclu, par exemple, que Marie Curie ait
choisi de ne parler que d’une extrémité de la colonne d’eau surplombant la cuve,
afin de ne pas « compliquer » les choses, cela même au prix d’une grave entorse à la
cohérence newtonienne. Le propos est ici de souligner la très grande occurrence de
fait d’explications se présentant comme expertes et possédant la même structure que
celles des non-spécialistes. Ces « explications-écho » véhiculent les mêmes limites
que celles qui marquent le raisonnement commun.
La structure d’explication la plus significative à cet égard est sans doute celle du
« raisonnement linéaire causal ». L’annexe C rappelle les fondements de ce modèle
de raisonnement et illustre le contraste que celui-ci présente avec le modèle des évo-
lutions « quasi-statiques » ou « quasi stationnaires », si répandu en physique. C’est
à travers ce contraste que le raisonnement linéaire causal prend tout son intérêt pour
l’interprétation des difficultés de ceux qui apprennent.
Ainsi, imaginons un système de deux ressorts (de longueurs au repos et raideur
connues) mis bout à bout, suspendus au plafond, sur l’extrémité basse duquel on
tire doucement. Le système peut être décrit par plusieurs variables (longueurs des
ressorts, tensions des ressorts, longueur totale, force extérieure sur le ressort du bas).
Des relations simples lient ces variables, ne serait-ce que celle qui lie la longueur
totale à celle de chaque ressort. Lorsque le système s’allonge sous la traction exté-
rieure, l’analyse dite « quasi-statique » du système consiste à considérer que les
valeurs des diverses variables évoluent toutes en même temps, tout en respectant en
permanence quelques relations simples. Celles-ci permettent de résoudre certaines
questions – par exemple celle de la valeur du déplacement du point de jonction pour
un allongement total donné.
Un raisonnement linéaire causal typique, dans un tel cas, consiste à s’intéresser
d’abord à ce qui se passe à l’extrémité basse de l’ensemble, en associant par exemple
force extérieure, raideur du ressort du bas et déplacement du point bas (abusivement
associé à l’allongement du ressort du bas, qui est moindre). « Le ressort du bas
s’allonge, la tension de ce ressort se transmet au ressort du haut, lequel, au bout
Chapitre 7 - Les expériences simples : comment en optimiser l'usage ? 105

d’un certain moment, s’allonge aussi. », peut-on lire sous la plume d’un élève100.
Même sans le support visuel d’une ligne ou d’un circuit, qui sollicite naturellement
un parcours quasi géométrique de la pensée, on observe fréquemment des explica-
tions qui « partent » d’un phénomène simple ou de l’évolution d’une seule variable,
et poursuivent par une chaine de déterminations causales de type « une cause-un
effet ». Il n’est pas question de variables évoluant toutes en même temps sous la
contrainte permanente de relations simples (telle pV = nRT pour les gaz parfaits101)
mais d’une séquence d’évolutions portant sur une seule variable à la fois, chacune à
son tour. « Alors », tel est le connecteur typique de ce qui ressemble à une histoire :
« Le volume diminue, alors la densité augmente, alors le nombre de chocs augmente,
alors la pression augmente »102, ou encore : « On chauffe le gaz, la température
augmente, alors la pression augmente, alors le volume augmente »103. Indépendam-
ment du risque d’erreur associé, on observe ici la structure de récit du commentaire
explicatif commun.
Par delà les erreurs particulières engendrées, c’est toujours pour ne pas avoir tenu
compte en même temps de plusieurs aspects pertinents du système que le raisonne-
ment linéaire causal se met en défaut. Même en se restreignant au cas simple des
transformations quasi-statiques104, on ne peut savoir ce que devient la pression d’un
gaz sans regarder en même temps son volume et sa température, ou sans considérer
à la fois les transferts mécanique et thermique d’énergie qui le concernent. Pour
reprendre la situation plus simple des deux ressorts mis bout à bout évoluant lente-
ment, on ne peut savoir ce qu’il advient du ressort du bas lorsqu’on tire dessus sans
connaître les caractéristiques du ressort du haut.

100 Très symptomatique du raisonnement linéaire causal, un énoncé aussi explicite n’est pas souvent
rencontré, contrairement aux traces calculatoires de cette vison de la situation. Voir Fauconnet S.
(1981) Etude de résolution de problèmes : quelques problèmes de même structure en physique,
Thèse de troisième cycle, Université Paris 7, p 112.
101 cf cet ouvrage, Chapitre 3, note 46.
102 Cette explication, communément donnée pour une compression quasi-statique adiabatique, ne dit
rien de la température. Sa conclusion pourrait être invalidée expérimentalement par la mise en
contact simultanée du système avec une source froide. Voir : Rozier S. (1988) Le raisonnement
linéaire causal en thermodynamique classique élémentaire, Thèse, Université Paris 7 ; Viennot L.
(1996) Raisonner en Physique, De Boeck, Bruxelles, chapitre 5 ; Viennot L. (2004) Raisonnement
commun en physique : relations fonctionnelles, chronologie et causalité, in Viennot L. et Debru C.
(dir.), Enquête sur le concept de causalité, PUF, Paris, p 7-29.
103 Explication communément donnée pour une détente quasi-statique isobare. Voir référence en note
précédente.
104 Cet adjectif signifie précisément que chaque état du système peut être assimilé à un état d’équilibre,
ce qui autorise « en permanence » l’usage de relations simples relatives à ce cas (ainsi la relation
des gaz parfaits).
106 En physique, pour comprendre

Après ce bref rappel, reprenons le fil de nos manipulations simples. Au passage, le


lecteur aura noté que le centrage sur une seule extrémité du système a déjà retenu
notre attention. Le verre d’eau retourné, l’éprouvette qui maintient une colonne d’eau
au dessus d’une cuve : deux occasions d’observer que l’analyse se restreint, com-
munément, à un antagonisme qui se jouerait en bas, là où l’eau risque de s’écouler.
Prenons maintenant l’exemple d’un événement plus dynamique, sans doute plus pro-
pice au récit : le siphonage d’une cuve.
Marie Curie nous donne sa version, via son élève Isabelle Chavannes105 : L’eau
contenue dans la longue branche du siphon s’écoule. Un vide se fait et la pression
atmosphérique fait monter dans la petite branche l’eau du récipient dans lequel elle
est plongée.

patm

patm

Figure 7.7 - Une situation de siphonage

La structure linéaire causale saute (maintenant) aux yeux :


L’eau contenue dans la longue branche du siphon s’écoule → Un vide se fait → la
pression atmosphérique fait monter dans la petite branche l’eau du récipient (…)
Certes, le fait de remplacer une absence de connecteurs, ou bien le mot « et » par
une flèche d’implication est le fruit d’une interprétation. Mais le critère le plus fiable
pour déclarer une structure linéaire causale va apparaître rapidement. Commençons
par la fin : si la pression atmosphérique fait monter dans la petite branche l’eau
du récipient, c’est parce qu’il y a un vide (implicitement : au dessus du récipient,
quelque part dans le tube). Mais, de l’autre côté aussi, l’extrémité du tube est à
la pression atmosphérique. Alors ? Passons sur le deuxième maillon – Un vide se

105 Chavannes I. (2003) 1907. Leçons de Marie Curie aux enfants de nos amis, EDP Sciences, Paris, p 62.
Chapitre 7 - Les expériences simples : comment en optimiser l'usage ? 107

fait – qui pose notamment la question de l’endroit où se produit l’événement, et de


son caractère plus ou moins temporaire, voire purement hypothétique106. Le premier
maillon est une affirmation non justifiée L’eau contenue dans la longue branche du
siphon s’écoule. Est-ce à dire qu’il s’agit d’une évidence, par exemple : sans support,
l’eau doit tomber (nous sommes en paysage familier) ?
Cette affirmation, notons-le bien, se fait indépendamment de l’ensemble du système.
On parle bien de la longue branche, mais est-ce parce qu’elle est plus longue que
l’autre, ou bien parce qu’elle débouche à l’air libre, et que c’est là qu’il risque de se
passer quelque chose ?
Or, on n’a rien compris au fonctionnement d’un siphon si l’on ne réalise pas que cette
même branche qui débouche à l’air libre peut donner lieu à circulation de l’eau en
sens inverse. Il suffit de mettre la cuve plus bas que l’orifice à l’air libre (figure 7.8),
et pas une goutte ne s’en échappera au moment de libérer cet orifice. Au contraire,
l’eau remontera dans cette branche et ira remplir un peu plus la cuve.

patm

patm

Figure 7.8 - Un dispositif de siphon à contre-emploi, représenté


juste après libération de l’orifice situé à gauche sur la figure

Un siphon est typiquement un système où l’on est contraint de regarder des deux
côtés à la fois. Suggérer le contraire est un déni frontal de l’analyse physique perti-
nente, ce n’est pas juste un détail mineur.
La pratique courante est pourtant très compatible avec cette lecture du phénomène.
Citons, par exemple, C. Santamaria107. Sur un dessin sans mystère du dispositif de
siphon, et qui souligne la dénivellation entre surfaces libres par une lettre H, on voit
sur la branche à l’air libre, de fait la plus longue, l’étiquette suivante : « Le poids du

106 Il est fréquent d’entendre que si l’eau ne montait pas côté cuve, il se créerait un vide, ce qui est
impossible.
107 Santamaria C. (2007) La physique tout simplement – Ne vous noyez pas dans un verre d’eau,
Ellipses, Paris, p 28.
108 En physique, pour comprendre

liquide à droite va suffire pour entraîner le liquide présent dans le tube à gauche »,
tandis que du côté de la cuve (à gauche sur le dessin) cette idée est reprise : « le
liquide est entraîné par celui présent à droite ». « Entrainement » : mot magique ?
Certes l’auteur, par l’usage du terme « suffire », vise sans doute une comparaison108
entre ce qu’il y a du côté de l’extrémité à l’air libre et ce qu’il y a côté cuve. Mais
si l’on s’intéresse au lecteur d’un tel texte, qui cherche à comprendre, force est de
constater qu’il reste vraiment beaucoup de maillons de raisonnement à sa charge.

a) En situation statique (axe orienté vers le haut) pA, pB : pressions aux points A et B
dans le liquide
A
patm – pA = ρgh1
h1 pB – pA = ρgh2
donc, puisque
h2
h2 – h1 = H
pB – patm = ρgH (on peut écrire cette
H égalité directement)
Ici H>0 et pB – patm > 0
B

b) Après libération de l'extrémité B, la cuve se


vide

patm

patm

Figure 7.9 - En situation statique a), une pression supérieure à la pression


atmosphérique s’exerce sur l’objet fermant l’extrémité la plus basse du tube, à
gauche sur la figure. En b) l'extrémité est libérée, l'eau s'écoule vers l'extérieur.

108 D’ailleurs à considérer avec prudence : il suffirait que le conduit soit plus large du côté de la
cuve pour qu’un faible poids d’eau du coté de la branche à l’air libre « entraîne », pour reprendre
l’expression de l’auteur, un plus grand poids côté cuve. Voir à ce propos l’instructive video
proposée par G. Planinšič : http://www.fmf.uni-lj.si/~planinsic/PEMbG.htm
Chapitre 7 - Les expériences simples : comment en optimiser l'usage ? 109

Alors ? Mission impossible ? Les figures 7.9 et 7.10 présentent une analyse de la
situation statique précédant la libération de l’extrémité du tube qui sera dès lors à
l’air libre. La simple écriture de deux bilans hydrostatiques règle la question. Il en
ressort que, dans le cas des figures 7.7 et 7.9, et du fait de ce qui se passe du côté
cuve avec le niveau de fluide plus haut que B, la pression statique avant libération de
l’extrémité à l’air libre est plus grande que la pression atmosphérique. Libérer cette
extrémité revient à abaisser brutalement la pression exercée sur l’eau à cet endroit, la
colonne d’eau de ce côté-là n’est plus en équilibre, du fait d’une différence de pres-
sion trop faible sur ses extrémités. Elle tombe. Simultanément, la pression en haut
du tube diminue, et la partie côté cuve, en déséquilibre, se met en branle vers le haut.

a) En situation statique (axe orienté vers Rappel :


le haut)
pB – patm = ρgH
A Ici H<0
h2
et pB – patm < 0
B h1
H
patm

b) Après libération de l'extrémité B, l'eau


s'écoule vers la cuve

patm

patm

Figure 7.10 - En situation statique a), une pression inférieure à la pres-


sion atmosphérique s’exerce sur l’objet fermant l’extrémité la plus haute
du tube, à gauche sur la figure. En b) après libération de l'extrémité,
l'eau s'écoule vers la cuve et remonte dans la partie gauche du tube.

Dans le cas des figures 7.8 et 7.10, et du fait de ce qu’il se passe du côté de la
cuve avec le niveau de fluide plus bas que B, la pression statique avant libération
est inférieure à la pression atmosphérique. Libérer l’extrémité à l’air libre revient à
augmenter brutalement la pression à cet endroit, la colonne d’eau de ce côté-là n’est
plus en équilibre.
110 En physique, pour comprendre

Cette colonne d’eau monte. Simultanément, la pression en haut du tube augmente, la


colonne d’eau du côté de la cuve est en déséquilibre et se met en branle vers le bas.
Comme pour toute rupture d’équilibre, on peut discuter l’idée de simultanéité, rela-
tive ici à l’échelle de temps de notre perception. Mais on est très loin, en employant
ce mot, de trahir autant l’analyse physique que lorsqu’on ne considère qu’un coté du
siphon pour prédire l’évolution de cette partie du système.

7.7 Quand l’expérience simple pare le raisonnement simpliste


Verre d’eau, éprouvette et siphon : ce paysage aquatique intentionnellement réduit
offre un cadre pour l’analyse de phénomènes intellectuels en fait relativement géné-
raux. Ils prêchent pour qu’une grande attention soit portée à l’explication visée,
quelle que soit l’apparente banalité de la situation physique en cause. Revenons
maintenant sur ce que le dispositif matériel lui-même peut apporter pour faciliter
l’appropriation des éléments d’explication jugés centraux.
Par exemple, le verre d’eau était mis en situation horizontale (comme en figure 7.6).
Que faire dans le cas du siphon ?
Une suggestion en droite ligne avec l’analyse développée dans les lignes précédentes
est de présenter la branche du dispositif qui pend dans le vide, pleine d’eau et obturée
par un doigt ou tout autre bouchon, un écran dissimulant le reste, cuve et branche
immergée. Question à proposer : que va faire l’eau lorsque le bouchon sera enlevé,
sachant que personne, derrière l’écran, n’agit sur l’eau en aspirant ou en soufflant
dessus, ou encore avec un piston. On peut faire mentir toute prévision en montant ou
en descendant la cuve derrière l’écran (figure 7.11). La seule bonne réponse est : cela
dépend, justement, de l’altitude (relative) de la surface libre de la cuve. Le but n’est
pas de piéger pour piéger, mais bien d’introduire l’idée centrale : du comportement
d’un tel système, on ne peut rien dire en n’en regardant qu’une partie. Non moins
importante : l’idée que ce sont les différences qui mènent le monde, en tout cas les
phénomènes physiques. Voici un dernier exemple de mise en scène expérimentale
ciblée sur cette idée, pour enfoncer le clou.
Chapitre 7 - Les expériences simples : comment en optimiser l'usage ? 111

A
B

Figure 7.11 - Un écran cache le siphon. Le personnage A d'une part obstrue


ou non avec sa main droite l'extrémité du siphon et d'autre part avec sa main
gauche peut monter ou descendre la cuve suivant la verticale (le tube est
souple). Si B annonce que l'eau va s'écouler, A peut lui donner raison ou tort !

7.8 Le « baromètre d’amour »


Un dispositif à succès, répondant au label poétique de ce sous-titre, est représenté en
figure 7.12. L’usage standard est d’augmenter la température du récipient inférieur
pour y générer une augmentation de pression (la pression de vapeur saturante du
liquide). L’effet est spectaculaire.
Ce pourrait être un exercice pour le lecteur que de deviner l’usage transformé que
nous allons proposer. Les différences mènent le monde, disions-nous plus haut, c’est
ce qui ressort du deuxième principe de la thermodynamique109. Une seule source de
chaleur n’a jamais fait un moteur. Dans la première utilisation envisagée ici, c’est
une différence de températures que l’on introduit, majorant ainsi la différence de

109 Boohan R. & Ogborn J. (1997) ont construit un programme d’enseignement fort pertinent sur ce
thème, pour des élèves du secondaire : Differences, energy and change: a simple approach through
pictures, New ways of teaching physics - Proceedings of the Girep International Conference 1996
in Ljubliana, S. Oblack, M. Hribar, K. Luchner, M. Munih, Board of Education Slovenia. Cette
idée, sans doute trop novatrice, n’a pas débouché sur une mise en œuvre à large échelle.
112 En physique, pour comprendre

pression initiale. On peut en faire autant par un jet d’eau très froide sur la partie supé-
rieure. Et c’est encore une majoration de la différence de pression entre les récipients
qui met le liquide en branle.

a) b)

Figure 7.12 - a) Le « baromètre d’amour » est constitué de deux récipients en


verre dont les fonds sont reliés par une colonne verticale. Dans chaque récipi-
ent, le gaz est enfermé entre la paroi de verre et la surface du liquide. Dans cet
équilibre, une légère différence de pression entre les deux récipients maintient un
peu de liquide dans la colonne de jonction. b) Lorsque l'on réchauffe le récipient
du bas avec les mains, le liquide jaillit de la colonne dans le récipient du haut. On
obtient le même résultat en versant de l'eau très froide sur le récipient du haut.

Bénéfice conceptuel attendu : celui que nous visons depuis quelques pages, c’est-
à-dire s’affranchir de l’explication minimale qui fait écho au raisonnement linéaire
causal, et souligner que ce sont les différences qui comptent ici : en prime, un
abord facilité à l’explication du canard oscillant que rien ne semble devoir fatiguer
(figure 7.13).
Chapitre 7 - Les expériences simples : comment en optimiser l'usage ? 113

Figure 7.13 - Fixé au bord d’une coupe pleine d’eau, ce « canard » oscille
jusqu’à ce que, par manque d’eau, son bec reste à sec.
a) Par suite d’une plus faible pression du gaz dans le récipient du haut,
celui-ci est partiellement rempli de liquide ; une charge importante de
liquide dans le bec fait basculer le canard.
b) Le canard pique du bec dans l’eau, ce qui libère, via le tube central, la
communication entre les gaz des deux récipients ; les pressions gazeuses
s’égalisent brutalement et le liquide retombe.
c) L’évaporation de l’eau génère un refroidissement du bec, une différence
de température entre le haut et le bas, et une différence de pression qui fait
remonter le liquide (on se retrouve dans le cas a) et le processus continue).

On le voit, les deux expériences analysées plus haut sous la rubrique « baromètre
d’amour » ne sont pas de trop comme préparation à la compréhension du fonction-
nement de ce mystérieux jouet détaillé figure 7.13.

7.9 Remarques finales


Reprenant le titre de cette partie du livre, on voit bien, sur quelques exemples de
manipulation, l’écart qui sépare la simplicité cher payée de celle qui met en valeur
l’essentiel. Pour des effets que l’on peut estimer si divers, ce n’est pas la difficulté
expérimentale de la mise en scène choisie qui fait la différence, ni même le temps
d’enseignement nécessaire. Mettre un verre plein d’eau à l’horizontale plutôt qu’à la
verticale ne coûte rien de plus. Ce qui ne va pas de soi, c’est d’accepter de reconsi-
dérer nos rituels et nos explications qui font trop directement écho au sens commun.
Ce qui peut nous y amener, c’est l’objectif d’illustrer le haut degré de cohérence des
théories physiques, en l’occurrence élémentaires, et celui de susciter, à ce propos,
du plaisir chez ceux qui apprennent. Si seul l’effet de surprise est visé, les réflexions
qui précèdent risquent bien d’apparaître comme coupage de cheveux en quatre. Mais
si l’on vise la cohérence, ou du moins si l’on souhaite éviter de la mettre manifes-
tement à mal, cela vaut la peine d’y réfléchir à deux fois avant de présenter des
114 En physique, pour comprendre

pseudo-explications en faisant semblant d’y croire. Ceci vaut au delà de celles qui
comportent des erreurs, telles l’idée que le carton qui couvre le verre d’eau retourné
subit, vers le bas, « le poids de l’eau ».
Beaucoup plus souvent, en effet, il n’y a pas d’erreur franche dans ce qui est avancé,
seulement des choses dommageables que l’on laisse penser, ceci d’autant plus que
les explications proposées se calquent sur le sens commun. Cette apparente désinvol-
ture peut provenir – outre de l’habitude – de l’ignorance du risque. Les expériences
de rayons matérialisés110 ne posent problème que parce que l’on a communément
tendance à croire que la lumière se voit « de profil », comme un train qui passe.
Les diverses occasions de penser qu’un objet « exerce son poids sur son support »
ne méritent l’attention, et un traitement ciblé, que par la grande faveur dont jouit à
tort cette idée. En termes positifs cette fois, on peut choisir de souligner combien les
systèmes physiques nécessitent la prise en compte de plus d’une variable, plus d’une
position, plus d’un effet local. Alors, refroidir le haut du « baromètre d’amour » n’est
pas une fantaisie gratuite, cela va au coeur du phénomène.
Parmi ce que l’on peut laisser penser par inadvertance, le plus contestable est sans
doute qu’une explication soit fournie quand elle ne l’est pas, ou si peu. Les siphons
dont on commence par dire que l’eau s’écoule dans la branche du tube ouverte à
l’air libre, ouverture en position basse, sont bien mal « expliqués » si l’on ne sait
pas pourquoi cette eau s’écoule. Evidence ? Un tuyau ouvert vers le bas ne saurait
que perdre son eau ? Certes non, puisqu’il suffit d’abaisser la cuve à siphonner pour
que celle-ci « ravale », si l’on s’autorise cette image, l’eau du tube. Alors ? Si l’on
redoute de prendre en compte l’ensemble du système, il semble qu’il serait moins
grave de dire que la situation est compliquée et difficile à expliquer, plutôt que de
sembler exclure un cas de figure dérangeant, au mépris du principe-même de ce
dispositif. On peut illustrer le coeur du phénomène, à savoir le rôle de la différence
d’altitude entre niveaux d’eau à l’air libre, et en rester là : au moins la cohérence
n’est-elle pas violée.
Il faut noter que ce n’est pas toujours par désir délibéré de simplifier que sont pro-
duites des explications tronquées, voire fausses. La très grande proximité d’explica-
tions communes d’enseignants avec celles d’élèves laisse planer un doute. Partage
de l’« évidence » supposée, ou mise en résonance consciente? Ces explications-écho
ne suscitent pas souvent la révolte ou l’interrogation chez les élèves, par définition.
Du moins cela est-il vrai dans un premier temps. Mais que répondra-t-on plus tard

110 Voir Chapitre 1, Figure 1.1.


Chapitre 7 - Les expériences simples : comment en optimiser l'usage ? 115

à la colère d’étudiants qui se voient enfin pris au sérieux : « Pourquoi est-ce la pre-
mière fois que l’on me dit ça ? »111.
Ces quelques exemples jouent ici le rôle de paraboles. C’est sans difficulté que
les mêmes idées se transposeraient à d’autres situations un peu moins simples, par
exemple en hydrodynamique – un domaine particulièrement pousse-au-crime car
aussi complexe que propice aux manipulations surprenantes112. Ô combien de « théo-
rèmes de Bernoulli » du style « moins de pression – plus de vitesse » (ou l’inverse),
moins oublieux de leur célèbre auteur que des conditions d’application, et dont la
généralisation tournerait dès lors à l’absurde. Que l’on songe seulement aux pertes
de charges dans une conduite d’eau cylindrique horizontale, où l’incompressibilité
du fluide (l’une des conditions d’application du théorème de Bernoulli) impose à
ce fluide (à considérer ici comme visqueux, et donc échappant au-dit théorème) la
même vitesse pour des pressions bien différentes en début et en fin de conduite113.
Générer l’effet de surprise n’impose pas de brader l’explication, il vaut mieux se
contenter de la surprise et ne pas prétendre expliquer, ou alors s’entourer de quelques
précautions.
Ces petites manipulations nous rapprochent donc beaucoup de questions familières
en matière de vulgarisation.

111 Voir Chapitre 6, à propos de la montgolfière, ce commentaire d’étudiant à qui l’on vient
d’expliquer l’absurdité de l’hypothèse habituelle (pression identique à l’intérieur et à l’extérieur
de l’enveloppe).
112 Nous renvoyons par exemple le lecteur à l’explication fournie par le groupe Stray Cats (Stray
Cats: Lively physics & exciting experiments, ikiiki-wakuwaku demonstrations, 2005, ICPE Delhi.
yoji.iida@ nifty.com et al.) pour l’effet de lifting affectant une balle de golf en rotation.
113 Ce sont pourtant des lignes de courant parallèles que représente le dessin qui accompagne une
« explication » de ce type : « On sait que la pression et la vitesse sont liées. Imaginons qu’il existe
une différence de pression entre deux points voisins dans l’air. A cause de cette différence de
pression, l’air est soumis à une force qui tend à l’accélérer vers l’endroit où la pression est plus
faible ; en quelque sorte, l’air est poussé par la forte pression. Autrement dit, la vitesse augmente
dans la région où la pression est plus faible. On peut donc résumer en disant que la vitesse est plus
grande là où la pression est plus faible et, de façon équivalente, que la vitesse est plus petite là où la
pression est plus forte. », Cousteix J. (2001) Un avion, comment ça vole ? in : Graines de Sciences
Vol. 3, Le Pommier, Paris ; Bouchard J.M., Jasmin D. & Léna P. (éds). Voir aussi : Fourcade S.
& Collinart P. (2008) Les manips contre-intuitives, Livret d’utilisation, La Maison des sciences,
Paris, p 11 « Quand la vitesse d’un fluide augmente, la pression à l’intérieur de celui-ci diminue
(loi de Bernoulli) ».
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Chapitre 8

Vulgariser la physique :
quelle place pour le raisonnement ?
114

8.1 Mission incontournable, mission impossible ?


Cela ne se discute plus : il est dans les missions des enseignants, chercheurs et ensei-
gnants-chercheurs d’œuvrer pour que des non-spécialistes accèdent à une meilleure
compréhension des modes de travail et des résultats de la science, en l’occurrence
de la physique. Les journalistes, les éditeurs sont là pour aider les tenants supposés
du savoir à s’exprimer au mieux auprès de divers publics. Une tension s’installe,
bien sûr, chez l’auteur et ceux qui l’accompagnent, entre le désir d’être le plus exact
et complet possible et celui d’attirer une large audience. Une vaste littérature s’est
attachée, dans le dernier quart de siècle, à analyser cette difficulté115.
Le but des quelques pages qui suivent est juste de mettre à profit les préoccupations
exprimées plus haut pour alimenter une réflexion sur la place du raisonnement en
vulgarisation.
Autant les illusions du partage de la science, les ambiguités afférentes, les pièges
d’une langue en usage sur ce terrain, ont été commentés116, autant la question du rai-
sonnement postulé chez « la cible » reste peu évoquée. On parle davantage d’inacces-
sible exactitude que de raisonnement trop exigeant. Certes, il est acquis que l’effort
requis du lecteur, du spectateur ou de l’auditeur est à minimiser. B. Jurdant expri-

114 Ce chapitre reprend très largement le contenu d’un article antérieur : Viennot L. (2007) La physique
dans la culture scientifique : entre raisonnement, récit et rituels, Aster, n° spécial « Science et
récit », 44, 23-40.
115 Par exemple : Roqueplo P. (1974) Le partage du savoir, Le Seuil, Paris ; Jeanneret Y. (1994)
Ecrire la science, PUF, Paris, où l’on trouve une bibliographie thématique.
116 Lévy-Leblond J.M. (1986) Mettre la science en culture, Anais, Nice ; Jacobi D. (1987) Textes et
images de la vulgarisation scientifique, Peter Lang, Berne ; et référence note précédente.
118 En physique, pour comprendre

mait dès 1975117 cette prise de position, parlant de vulgarisation et de ses ambitions
supposées, « celle-ci ne met en jeu pour ce faire, aucune contrainte particulière. La
vulgarisation se targue d’offrir une science sans douleur. Cela est d’ailleurs conforme
à sa vocation d’ouverture… ». Le partage de certains bénéfices associés à la science
par le plus grand nombre se conçoit en effet mal sans que s’y associe une dimension
de plaisir. Mais la nécessité de développer la culture scientifique chez nos élèves va
aussi souvent avec le souhait de développer leur esprit critique. Il s’agit de mettre
ces jeunes esprits en mesure d’exercer plus tard une citoyenneté responsable118. Or,
si le développement de l’esprit critique comme aptitude à détecter l’incohérence doit
quelque chose à une certaine rationalité, et si celle-ci contribue aussi à l’image que
l’on peut avoir de la science, alors il faut sans doute que le raisonnement ne soit pas
le paria de la « mise en culture de la science » dont parle Lévy-Leblond119. Plaisir et
raisonnement sont l’un et l’autre souhaitables : un couple improbable ?
Tous les auteurs ne semblent pas se résigner à cette exclusion, comme en témoignent
certains, engagés qu’ils étaient dans l’élan qui accompagna l’année 2005, « Année
mondiale de la physique ». E. Brezin120 explique ainsi, au moment de préciser les
intentions du livre Demain la Physique (2004) : « Son ambition est de montrer que
les questions posées ne sont pas l’effet d’un quelconque arbitraire mais d’une logique
interne qui nous a conduits immanquablement là où nous sommes (…). Il nous a
semblé qu’il était néanmoins possible de présenter en langage ordinaire, sans équa-
tions ni long investissement préalable dans la lecture d’ouvrages difficiles, les inter-
rogations auxquelles sont confrontés les physiciens de notre temps. ». Et B. Diu121,
quelques années auparavant, revendique aussi des objectifs multiples et son refus
de les opposer : « Voici – nous dit-il – un livre de physique, véritablement, volon-
tairement, passionnément, de vraie physique, sans faux fuyants ni faux semblants.
Sa spécificité, toutefois, qui est aussi sa raison d’être, réside en ceci qu’il tente de
présenter les sujets abordés – voilà sans doute une gageure – à un niveau accessible

117 Jurdant B. (1975) La vulgarisation scientifique, La Recherche, 53, 149.


118 Ainsi les objectifs généraux affichés dès 1992, MEN-BO Hors série du 24-09-1992, 74-75, pour
l’enseignement de la physique et de la chimie au collège et au lycée : « Cet enseignement… entend
développer chez l’ensemble des élèves les éléments d’une culture scientifique (…), il doit former
les esprits (…) à la critique (…) la physique intervient dans les choix politiques, économiques,
sociaux, voire d’éthique ; l’enseignement de la physique doit contribuer à la construction d’un
« mode d’emploi de la science et de la technique » afin que les élèves soient préparés à ces choix. »
119 Note 116.
120 Introduction à l’ouvrage : Aspect A., Balian R., Balibar S., Brezin E., Cabane B., Fauve S.,
Kaplan D., Léna P., Poirier J.P., Prost J. (2004) Demain la physique, Odile Jacob, Paris.
121 Diu B. (2000) Traité de physique à l’usage des profanes, Odile Jacob, Paris.
Chapitre 8 - Vulgariser la physique : quelle place pour le raisonnement ? 119

aux profanes ». Ce préambule pose avec une clarté toute particulière l’alliance de
l’authentique et de la passion, en matière de science.
Les réflexions qui suivent s’attachent au fonctionnement d’entreprises relevant d’un
tel pari. Elles mettront à profit les analyses et certains exemples développés dans
les chapitres précédents pour tenter d’éclairer cette question : comment un auteur
engagé sur une telle voie peut-il augmenter ses chances d’y progresser ? Et du côté
de « la cible », quels germes peut-on semer dans le cadre même d’une formation
scolaire ou universitaire pour que les futurs lecteurs, voire acteurs, de vulgarisation
soient ensuite mieux armés pour en faire un usage éclairé ?

8.2 Raisonnement, rigueur : quelques points critiques


La terminologie, la sémiologie de la vulgarisation ont été au cœur d’études appro-
fondies122. Métaphores, analogies et mélanges de genres s’imposent à l’analyse aussi
bien comme candidats à la facilitation de la diffusion de la science que comme accu-
sés potentiels de tous les détournements. Mais, ici, le curseur s’éloigne des questions
de désignation ou d’évocation pour se rapprocher, de la mise en lien des arguments
produits relativement à une question donnée. Quelques éléments relevés dans le type
de texte pointé ci-dessus amorceront un questionnement sur les risques d’entrave à
l’ambition supposée de l’auteur : donner ses chances à l’exercice du raisonnement.

La question occultée
Une superbe expérience (en référence à celle de Fizeau, en 1849) à été réalisée à
l’automne 2005 dans le ciel de Paris, dans le cadre de l’année mondiale de la phy-
sique : un faisceau laser vert partant de l’observatoire de Paris allait se réfléchir sur
un miroir à Montmartre et revenait vers son site de départ où un dispositif adéquat
permettait de mesurer la durée du voyage et donc la vitesse de la lumière. Le site
« AMP Ile de France » comme divers documents123 célébraient l’expérience et en
expliquaient le principe, voire le dispositif. Une question pourtant ne figurait dans
aucun de ces documents: le spectacle était superbe, mais comment donc pouvait-on
voir ce trait d’un vert intense, à bords nets, dans le ciel de Paris ? Nous y reviendrons.

122 Voir notamment Jacobi D. (1987) Textes et images de la vulgarisation scientifique, Peter Lang,
Berne.
123 Radvanyi P. (2006) Un rayon vert dans la nuit blanche, Bulletin de la Société Française de
Physique, 152, 32 ; Bobin J.L., Lequeux J. & Treps N. (2006) « C’était c à Paris », Bulletin de la
Société Française de Physique, 153, 31.
120 En physique, pour comprendre

Explication ou tautologie ?
Supposons cette fois la question posée, par exemple celle de la raison pour laquelle
la vitesse de la lumière dépend du milieu traversé. Or dans un document visant l’in-
formation d’un large public124, on lit : « Dans un milieu transparent, comme le verre
par exemple, la lumière se propage moins vite parce que son indice de réfraction est
supérieur à celui de l’air. ». Rien de faux dans chacune des affirmations constituant
cette phrase, mais le « parce que » qui les relie n’est pas à prendre au pied de la lettre,
car ces deux propositions signifient la même chose.

Les liens qui restent implicites


Un thème en faveur dans la diffusion des acquis récents de la science est celui des
atomes que l’on dit « froids ». Dans la brochure déjà citée125, on en apprend à ce
sujet : « Le prix Nobel a été décerné en 1997 à Claude Cohen Tanoudji, Steven Chu
et Bill Phillips, pour avoir démontré le principe du refroidissement des atomes par
laser à des températures extrêmement basses, de l’ordre du millième de degré au des-
sus du zéro absolu. (…) Les atomes froids sont maintenant utilisés dans les horloges
atomiques qui mesurent le temps avec une précision extraordinaire (…) ». Affirma-
tions tout à fait exactes, mais non reliées. Pour un physicien, il va sans dire qu’être
« froid » signifie, s’agissant d’atomes, avoir une vitesse faible dans le référentiel
d’étude. Mais un profane aura plus de chance d’y comprendre quelque chose s’il est
informé du lien ici implicite : « L’intérêt des atomes froids, c’est donc qu’ils sont
lents », comme on pense bien à nous le dire126 dans l’ouvrage Demain la physique,
déjà cité.

Les liens niés


Les risques de paralysie du raisonnement sont majorés lorsque les affirmations pré-
sentées semblent concerner des phénomènes relevant chacun d’une modélisation dif-
férente. Ainsi peut-on lire dans un texte plus ancien127 :
« La pression du liquide sur les parois (…) est assez facile à comprendre (…) les
molécules sont serrées (…) elles appuient dessus comme les voyageurs du métro.
(…). Pour le gaz, c’est moins facile…les molécules ne sont plus serrées du tout (…).

124 Jacquier B. & Vannimenus J. (2005) La lumière et la matière, EDP Sciences, Paris, p 6.
125 Référence en note précédente, p 16.
126 Page 126 du livre cité en note 120.
127 Maury J.P. (1987) L’atmosphère, Palais de la Découverte, Hachette, Paris, p 44-45.
Chapitre 8 - Vulgariser la physique : quelle place pour le raisonnement ? 121

C’est en cognant la paroi et en rebondissant qu’elles appuient dessus ». Le lecteur


est prévenu d’une rupture dans l’explication, supposée « moins facile » pour les gaz.
D’un modèle de tassement – répulsif – de corps compressibles en contact on passe
à celui d’une vision cinétique. Les molécules de liquide ne donneraient-elles lieu à
aucune collision, ni donc à aucune pression dite « cinétique » ? Tel n’est pas du tout
le cas, puisque celle-ci, typiquement mille fois supérieure à celle du gaz, n’est pas
complètement annihilée par les forces attractives entre molécules de liquide. L’uni-
cité du modèle de la théorie cinétique est ici battue en brèche, sans doute au nom de
l’accessibilité.

Le raccourci qui peut suggérer l’incohérence


Autre exemple d’un choix de rédaction qui peut se discuter du point de vue de l’éta-
blissement de liens. L’impression d’incohérence peut surgir cette fois d’un raccourci
susceptible de conduire à un rapprochement abusif . Il s’agit du «rayonnement cos-
mique fossile (…) qui (…) baigne l’espace sans plus interagir avec la matière », la
phrase suivante stipulant : « C’est en 1964 qu’il fût découvert par hasard (…) »128. Si
l’on comprend – c’est-à-dire sait déjà – que la matière désormais globalement diluée
rencontrée par le rayonnement fossile affecte ce dernier infiniment moins que dans
les premiers temps de l’univers, tout va bien. Mais, dans l’ignorance, on peut inter-
préter le premier énoncé comme celui d’une incapacité inhérente à ce rayonnement
à interagir avec la matière quelle qu’elle soit: après tout, on a entendu dire bien des
choses sur le neutrino ! Alors, la suite crée un choc, car on voit mal comment pourrait
être découvert par hasard quelque chose qui n’interagirait pas, en l’occurrence, avec
l’antenne de Penzias et Wilson.
Ces quelques exemples illustrent des choix de rédaction dont il serait peu avisé de
juger dans l’absolu, sans une double référence, d’une part à l’objectif de l’auteur,
d’autre part au lecteur. Posant, à titre d’hypothèse, que l’auteur souhaite donner sa
chance au raisonnement, reste à considérer le lecteur. Ce qui pour l’un constitue un
raccourci dommageable sera décodé aisément par l’autre. Et il s’agit d’anticiper.
C’est l’attitude que l’on peut saluer par exemple chez cet auteur prévenant, qui com-
mente le très médiatique refroidissement des atomes par laser : « (…) la découverte
a priori paradoxale (…) qu’une utilisation judicieuse du laser peut permettre non
pas de chauffer la matière mais de la refroidir à des températures proches du zéro
absolu129». A travers cette allusion à une difficulté éventuelle, le lecteur se voit cré-

128 Diu B. (2000) Traité de physique à l’usage des profanes, Odile Jacob, Paris, p 280.
129 Aspect A., Balian R., Balibar S., Brezin E., Cabane B., Fauve S., Kaplan D., Léna P.,
Poirier J.P., Prost J. (2004) Demain la physique, Odile Jacob, Paris , p 134.
122 En physique, pour comprendre

dité d’un souci de cohérence, s’agissant d’un objet qui sert le cas échéant à découper
des matériaux et dont il a bien dû lire déjà quelque chose comme « le faisceau laser
est très puissant »130. Si l’on a ce souci respectueux du lecteur, il devient naturel de
souhaiter connaître certaines caractéristiques probables de ses modes de pensée.

8.3 Une tendance des profanes : les histoires en faveur


Un déterminant majeur de la lecture qu’un non-spécialiste peut faire d’un message
relatif à la science est signalé depuis longtemps. La « connaissance commune » dont
Bachelard se fit l’analyste131 fût l’un des thèmes-sources des études didactiques des
trois dernières décennies sur les « conceptions » de ceux qui apprennent, c’est-à-dire
des vues très répandues sur les concepts scientifiques et/ou la nature de la science
dont les chercheurs ne situaient pas l’origine dans l’enseignement. Par exemple, on
a déjà signalé une tendance commune à transformer abusivement les concepts en
choses, typiquement un rayon lumineux compris comme un objet visible de partout.
Autre illustration de cette approche commune : une image optique, comprise comme
voyageant en bloc de la source aux autres éléments d’un parcours préférablement
horizontal, jusqu’à un écran chargé de la recueillir132. Il n’est pas très risqué d’ad-
mettre que de telles tendances de pensée agissent comme des filtres, sélectionnant en
quelque sorte la partie du message compatible avec la bande passante personnelle du
récepteur, ou, dans un langage moins évocateur de transmission unidirectionnelle,
déterminent des résonances particulières.
On peut penser que cela s’applique largement à une tendance majeure du raisonne-
ment commun, le raisonnement linéaire causal133. Cette structure de raisonnement
préférée, en règle générale, des « profanes » n’est pas sans lien avec ce qu’ils com-

130 Jacquier B. & Vannimenus J. (2005) La lumière et la matière, EDP Sciences, Paris, p 4.
131 Bachelard G. (1938) La formation de l’esprit scientifique, Vrin, Paris.
132 Viennot L. (1996) Raisonner en Physique, De Boeck, Bruxelles, chapitre 2.
133 Voir cet ouvrage, annexe C.
Chapitre 8 - Vulgariser la physique : quelle place pour le raisonnement ? 123

prennent d’un message en rapport avec la science134. L’effet est sans doute d’au-
tant plus fort que l’auteur lui-même se met, en quelque sorte, en résonance avec les
caractères du raisonnement commun. C’est là un trait très fréquent chez qui souhaite
être entendu « sans douleur », pour reprendre l’expression de B. Jurdant (ibid.),
et même avec bonheur, en donnant à l’auditeur ou au lecteur l’impression de com-
prendre l’essentiel, à travers une histoire. L’« explication-écho », déjà illustrée en
chapitre 7, trouve en vulgarisation un terrain de choix.

8.4 Auteurs (comme enseignants) : tendances à « l’explication-écho »

Mise en résonance avec les tendances communes du raisonnement :


des histoires trop simples
Ainsi, les formes communes du raisonnement s’invitent volontiers comme inspi-
ratrices du style vulgarisant. Les tenants du savoir, dans l’habit duquel nous nous
glissons lorsque nous commettons un ouvrage de vulgarisation, ne sont pas exempts
de tendances dont il vaut mieux être averti, pour une meilleure maîtrise de nos effets.
Quelques exemples sont proposés pour appuyer cette idée.
En matière de raisonnement commun, et donc de caractéristique probable des « pro-
fanes », la tendance à traiter abusivement les concepts comme des objets ordinaires
est l’une des plus manifestes. Du coté des auteurs, il n’est certes pas dit que la lumière
se voit de profil, comme un train que l’on verrait passer. Mais ne pas dire comment
se voyait le faisceau vert qui tranchait le ciel parisien de l’automne 2005135, n’est-ce
pas faire comme s’il se voyait parce qu’il était là ?

134 On trouvera dans Viennot L. (1996) Raisonner en Physique, De Boeck, Bruxelles, p 126,
l’exemple d’une « explication » des changements d’état de la forme : Au début : le gaz → la
température décroît → l’énergie cinétique décroît → les molécules ne peuvent plus résister aux
interactions → elles s’agglutinent dans l’état liquide → puis dans l’état solide. 77 % des étudiants
de première année consultés (N = 181) disent en comprendre que, à l’équilibre, l’énergie cinétique
moyenne par particule est plus faible dans la phase liquide que dans la phase solide, ce qui est
inexact. Hypothèse : la lecture chronologique des arguments suggère, ou « laisse penser » (sauf
précaution ultérieure, en fait présente dans l’ouvrage en cause), cette idée : au début, le gaz, à la
fin, le liquide, entre temps, la diminution de la température et celle de l’énergie cinétique, laquelle
est donc nécessairement plus basse à la « fin », c’est-à-dire dans le liquide.
135 Radvanyi P. (2006) Un rayon vert dans la nuit blanche, Bulletin de la Société Française de
Physique, 152, 32 ; Bobin J.L., Lequeux J. & Treps N. (2006) « C’était c à Paris », Bulletin de la
Société Française de Physique, 153, 31.
124 En physique, pour comprendre

Le raisonnement à une seule variable, quant à lui, est une ressource précieuse bien
souvent surexploitée. Dans un texte136 révisé depuis, on pouvait lire : « Les avions
volent très haut, à une altitude où les molécules sont beaucoup moins nombreuses
et donc la pression de l’air extérieur sur le hublot est beaucoup plus faible qu’au
niveau de la mer ». Quelques pages plus loin, s’agissant d’une montgolfière, on
précisait que chauffer l’air interne avait pour effet que celle-ci contenait « de moins
en moins d’air ». La simple cohérence suggère qu’alors l’air est moins dense et
donc la pression plus faible, hypothèse fatale à la sustentation. Bien sûr, c’est un
autre chemin qu’empruntait ensuite l’explication proposée, en référence au principe
d’Archimède. On trouvera en annexe D une autre illustration des ravages d’une
analyse abusivement réduite à une seule variable, en l’occurrence à propos des jets
d’eau émergents d’une bouteille percée. La cohérence semble ainsi bien souvent
mise entre parenthèses, au profit d’explications au coup par coup bien similaires à ce
que l’on observe couramment chez les élèves.
Enfin et surtout, la structure chronologique des explications communes s’observe
dans nombre de propositions vulgarisantes. L’explication fournie pour le siphon
citée au chapitre précédent137 a déjà illustré ce point avec netteté. Partir de l’extré-
mité à l’air libre du tube rempli d’eau, et prétendre comprendre ce qui s’y passe, puis
évoquer un vide quelque part dans le fluide, puis aller voir ce qui se passe du côté
de la cuve, cela revient à nier l’essentiel : tout le système doit être pris en compte
simultanément pour prévoir le comportement de chacune de ses parties. L’analyse
locale dont Fauconnet138 dénonçait la non-pertinence, s’agissant de deux ressorts
en série, sévit donc encore ici.
Quant à la permanence, elle est en grand danger d’oubli. Ainsi la serre139. Combien
de fois ne trouve t-on comme « explication », pour une serre, le fait que le rayonne-
ment solaire rentre puis se trouve « piégé » par tel ou tel phénomène et donc qu’il en
ressort moins qu’il n’en rentre. Schématiquement : il rentre du rayonnement → une
partie en est piégée → la température intérieure augmente. La plupart du temps, il
n’est pas explicité qu’il s’agit là d’un régime de montée en température, mais qu’il
existe des régimes permanents ou quasi-permanents pour ce phénomène, avec des
flux énergétiques dont les puissances d’entrée et de sortie sont (quasi-)équilibrées.

136 Maury J.P. (1989) La glace et la vapeur, qu’est-ce que c’est ? Palais de la Découverte, Paris, p 27.
137 Chavannes I. (2003) 1907. Leçons de Marie Curie aux enfants de nos amis, EDP Sciences, Paris, p 62.
138 Fauconnet S. (1981) Etude de résolution de problèmes : quelques problèmes de même structure
en physique, Thèse de troisième cycle, LDPES, Université Paris 7.
139 Viennot L. (1996) Raisonner en Physique, De Boeck, Bruxelles, p 124. Voir aussi Viennot L.
(2004) Raisonnement commun en physique : relations fonctionnelles, chronologie et causalité in
Viennot L. et Debru C. (Eds.) Enquête sur le concept de causalité, PUF, Paris, 7-29.
Chapitre 8 - Vulgariser la physique : quelle place pour le raisonnement ? 125

Un tour sur la toile nous apporte des images cataclysmiques, tant le déséquilibre
entre entrée et sortie du rayonnement suggèrerait l’explosion fatale de la planète
si seulement on se préoccupait de la permanence de validité de l’image : la nuit
aussi ?140 Pour la salade à l’abri d’une serre de température stable ou même décrois-
sante141, par exemple la nuit, on ne peut plus dire qu’alors il rentre plus d’énergie
qu’il n’en sort .
Autre exemple d’explication en forme de récit. Un auteur déjà cité142 évoque le
« rayonnement cosmique fossile, que l’expansion de l’univers a abandonné sur le
bord de la route, il y a de cela une dizaine de milliards d’années, et qui, depuis,
baigne l’espace intersidéral sans plus interagir avec la matière. ». Le squelette chro-
nologique de ce passage comporte ces trois épisodes : Le rayonnement interagit avec
la matière → l’expansion l’a abandonné → il baigne l’espace (depuis). Comment
le profane peut-il percevoir la permanence de l’expansion, et le constant refroidis-
sement du rayonnement ? Comprendra-t-il que les quelque 2,7 °K que l’on mesure
actuellement ne constituent pas la fin de l’histoire ? L’effet de ce texte n’a pas été
évalué et dépend évidemment du public. Soulignons simplement que la question
mérite attention.

L’impact durable des rituels d’enseignement


Moins subtils, d’autres effets sont susceptibles d’affecter le discours ou les produc-
tions de scientifiques s’attachant à diffuser quelque chose de la science. Il s’agit des
habitudes acquises sur les bancs de l’école et de l’université, reflets de celles de nos
propres enseignants. Quelques exemples, là encore. Il est rituel – et d’ailleurs sans
conséquence lourde, il faut le reconnaître – d’affirmer que la diffraction s’observe
pour des ouvertures dont le diamètre est « proche de la longueur d’onde »143. Imagi-
nons seulement (suffit-il de ne pas y penser ?) ce que seraient nos efforts de travaux
pratiques s’il fallait utiliser des fentes de largeur de l’ordre du demi micron ! Heu-
reusement qu’un facteur mille nous assure des flux lumineux plus raisonnables, tout
en autorisant l’étude de la diffraction.

140 Voir par exemple : http://www.cea.fr/jeunes/mediatheque/animations_flash/a_la_loupe/l_effet_


de_serre ; et aussi des documents officiels : Ministère de l’Education Nationale, de la Recherche
et de la Technologie. L’effet de serre (1998) In Programmes et Accompagnement du cycle central
(5ème, 4ème), CNDP, Paris, 92-93, rééd. 1999.
141 Même si la température intérieure reste supérieure à celle de l’extérieur.
142 Diu B. (2000) Traité de physique à l’usage des profanes, Odile Jacob, Paris, p 280.
143 Nicolle J. (2005) Lumière sur la lumière, Réflexiences, 2, 6.
126 En physique, pour comprendre

Autre refrain, pourtant dénoncé depuis longtemps144 : « En optique, fréquence équi-


vaut à couleur »145. On va même jusqu’à parler, comble de négation du biologique,
de « couleurs invisibles à l’œil nu »146, alors que la couleur est une réponse percep-
tive à la lumière reçue. En matière de couleurs par définition « visibles », il n’y a pas
correspondance bi-univoque entre couleur et fréquence. Ainsi, on peut voir du jaune
sans qu’aucune « fréquence jaune » ne soit présente dans le spectre de la lumière
reçue147, même si le célèbre doublet du sodium est bien jaune. Quant à trouver une
fréquence magenta…
En matière de rituel, on se souvient aussi de la montgolfière « isobare » – pour dire
vite – discutée au chapitre 6. Nulle surprise à en retrouver la trace dans un contexte
de vulgarisation148 !

8.5 Une réelle marge de manœuvre


Certes, pourrait-on dire, plus de rigueur ne nuirait pas. Mais voilà le spectre d’une
physique rébarbative qui se profile à l’horizon. Et puis, est-ce si grave de faire
quelque approximation ici ou là ? Au vu des limites inhérentes à la vulgarisation, la
marge de manœuvre y serait-elle si faible que même cette question n’aurait pas lieu
d’être ?
Les exemples présentés plus haut sont là pour souligner des choix qui sont bel et bien
ouverts. Ils offrent des éléments à méditer si l’on ambitionne de donner ses chances
au raisonnement du lecteur, de l’auditeur, de l’interlocuteur, sans pour autant l’acca-
bler sous un flot d’éléments formels ou techniques. Une expérience récente avec un

144 Voir Chauvet F. (1994) Construction d’une compréhension de la couleur intégrant sciences,
techniques et perception : principes d’élaboration et évaluation d’une séquence d’enseignement,
Thèse Université Denis Diderot, Paris 7, p 17. Voir aussi (versions française et anglaise) :
http://www.lar.univ-paris-diderot.fr/sttis_p7/color_sequence/page_mere_fr.htm.
Pour une introduction simple et efficace à la synthèse additive des couleurs, voir aussi : Planinšič G.
(2004) Color light mixer for every student, The Physics Teacher, (42) p 138-142 ; et Planinšič G.
& Viennot L. (2010) Shadows: stories of light, http://education.epsdivisions.org/muse/example-
shadows-documents/SHADOWS_stories_of_light.pdf
145 Diu B. (2000) Traité de physique à l’usage des profanes, Odile Jacob, Paris, p 242.
146 Maarek S. (2002) :
http://lamap.inrp.fr/?Page_Id=10&Action=2&Element_Id=498&DomainScienceType_Id=14
147 C’est par exemple le cas lorsqu’on superpose sur un écran blanc en lumière blanche les impacts de
deux faisceaux laser, l’un rouge, l’autre vert.
148 Maury J.P. (1987) L’atmosphère, Palais de la Découverte, Hachette, Paris, p 67.
Chapitre 8 - Vulgariser la physique : quelle place pour le raisonnement ? 127

petit groupe de futurs journalistes scientifiques les montre très ouverts à une telle
réflexion149.
On peut décider de signaler des questions qui se posent – pourquoi voit-on le fais-
ceau laser ? – même sans y répondre150 ; d’expliciter des liens que notre vocabulaire
professionnel déguise – ces atomes « froids » dont l’intérêt est qu’ils sont « lents » – ;
de dire le soi-disant évident – telle la permanence de l’expansion de l’univers – ; de
reconnaître le surprenant – tel le fait que ces lasers notoirement synonymes de puis-
sance participent à un refroidissement – ; d’admettre que certains phénomènes ne
sont pas déterminés par une seule variable, alors que tant d’énoncés le suggèrent à
tort. Sur tous ces points, on décide d’autant plus lucidement que l’on est averti de
ses propres tendances, dont l’élémentaire humilité impose d’admettre qu’elles sont
probablement très largement partagées.
Surtout, on peut apprendre à ne pas mettre sur le même plan toutes les libertés prises
avec la théorie physique adaptée au sujet traité. Effectivement, certains « détails »
peuvent être passés sous silence et certaines inexactitudes délibérément prises en
charge dans la modélisation choisie, lorsque l’essentiel du message reste préservé.
Tout autre est la situation, par exemple, de la montgolfière « isobare », où le principe
même du phénomène est passé à la trappe. A ne pas savoir hiérarchiser les facilités
mises en œuvre pour la présentation de la science au plus grand nombre151, relati-
vement à leur impact sur la compréhension, un auteur risquerait de brouiller com-
plètement son message tout en poursuivant l’illusion d’être accessible. Le lecteur,
l’auditeur ont leur part à ce travail, faute de quoi ils risquent bien, eux, de prendre
au pied de la lettre, ou de l’image, des informations trompeuses. Les plus vigilants
peuvent alors rester frustrés devant ce qui ressemble bien à de l’incohérence.
On ne peut pour autant nier la difficulté. Ce n’est pas sans raison que l’alliance du
raisonnement et du plaisir semble un peu contre nature, même si l’on rebaptise le
second terme de façon plus spécifique et plus adaptée : « satisfaction intellectuelle ».

149 Mathé S. & Viennot L. (2009) Stressing the coherence of physics: Students journalists’ and
science mediators’ reactions, Problems of education in the 21st century, 11 (11), 104-128. Voir
annexe E.
150 En l’occurrence, la diffusion Rayleigh par les molécules de l’air joue un rôle crucial dans la netteté
du faisceau vert observé (de fréquence plus favorable, pour ce phénomène, que celle d’un faisceau-
laser rouge), netteté que « la diffusion par les poussières », rituellement invoquée, expliquerait mal
à elle seule.
151 Il s’agit d’un thème introduit et exploré au niveau de la classe de Seconde par Ivan Feller dans
sa thèse (2008) : Usage scolaire de documents d’origine non scolaire en sciences physiques.
Eléments pour un état des lieux et étude d’impact d’un accompagnement ciblé en classe de seconde
Université Paris Diderot (Paris 7). Voir annexe F.
128 En physique, pour comprendre

Les réussites dans ce domaine ne s’obtiennent pas sans beaucoup d’attention.


Longue est la liste des « petites manips » soi-disant illuminantes (voir chapitre 7),
des images-chocs, des explications vibrantes, qui sont des impasses pour le raison-
nement. Puisqu’il s’agit ici de choix, on peut faire celui de privilégier illuminations,
chocs et vibrations émotionnelles – soit dit sans ironie. Mais si l’on vise, pour le
« profane », la satisfaction de sentir qu’il raisonne et qu’il en recueille les fruits152, il
est sans doute indispensable d’avoir une conscience précise des aspects quelque peu
techniques évoqués plus haut. Certes, mettre en histoire, c’est toujours un peu mettre
en familiarité, et cela peut se révéler adapté. En témoignent ces récits cosmiques
dont les astrophysiciens ont su faire si bon usage. Pour autant, il faut savoir garder
sous surveillance les éventuelles conséquences – sur le plan de la cohérence – des
scénarios explicatifs qui font trop bien écho aux tendances communes du raisonne-
ment, notamment ceux de trame exclusivement linéaire causale.

152 Viennot L. (2006) Teaching rituals and students’ intellectual satisfaction, Phys. Educ., 41,
400-408. http://stacks.iop.org/0031-9120/41/400 ; Viennot L. (2005) Les valeurs de la science,
Science et Avenir, Hors série, 144.
Conclusion

L’ambition annoncée pour ce texte était de contribuer à rendre effectif le souhait


– universellement proclamé – de promouvoir la compréhension et le raisonnement
dans l’enseignement de la physique. Le niveau choisi reste ici relativement élémen-
taire. Les exemples proposés peuvent en effet éclairer des démarches de vulgarisation
et des enseignements de physique depuis l’initiation jusqu’aux premières années à
niveau universitaire. Les idées directrices visent, elles, une application plus générale.
Quelles sont-elles ?
La visée de départ est de souligner un caractère de la physique, du moins pour sa par-
tie stabilisée : l’élégance et la parcimonie des théories. Peu de lois rendent comptent
de nombreux phénomènes, comme on pensait bien à le rappeler, dès 1992, dans le
programme de physique français pour la classe de Quatrième.
Savourer une telle conquête intellectuelle suppose de la respecter : l’invitation à la
cohérence interne en découle. On ne peut pas, dans cette perspective, énoncer une
loi – telle une loi de Newton – assortie de son domaine d’application et la violer
l’instant d’après, par exemple en annonçant des forces non équilibrées pour jus-
tifier un équilibre mécanique, ou en niant de fait qu’une interaction associe deux
forces réciproques opposées. Positivement, cette fois, s’ensuit le désir de souligner
la puissance de l’approche fonctionnelle des relations, de mettre en valeur des liens
entre analyses de phénomènes qui semblaient bien divers à première vue, et aussi
de souligner la convergence d’approches différentes – par exemple par l’échelle de
description – pour un même phénomène.
Sur ces terrains, les exemples utilisés répondent à un parti pris de simplicité. C’est
un verre d’eau retourné qui sert à pointer l’idée – ruineuse en matière de cohérence
newtonienne – qu’un objet exerce toujours son poids sur son support. C’est un autre
verre sur une balance qui souligne la réciprocité – souvent ignorée – de l’interac-
tion entre l’eau qu’il contient et une boule immergée. Un siphon, un « baromètre
d’amour » et un infatigable canard oscillant nous rappellent que ce sont les diffé-
rences qui mènent le monde. En matière de formalisme unificateur, c’est une simple
relation de proportionnalité qui sert de fil conducteur au traitement de phénomènes
aussi divers que le décalage entre son et lumière reçus pour une décharge atmos-
130 En physique, pour comprendre

phérique, le système de détection d’obstacle des chauve-souris, et la découverte de


Römer sur la valeur finie de la vitesse de la lumière.
C’est précisément l’occasion de relativiser cette apparence de simplicité. Notam-
ment en vulgarisation, mais pas seulement, le spécialiste présumé qui s’exprime sur
un exemple « simple » risque fort de verser dans la désinvolture. A cela deux rai-
sons, sans doute. L’une est qu’un auditoire peu avancé en physique est aussi réputé
peu critique. L’autre est que nos rituels nous ont fait perdre le sentiment du danger.
D’où l’insistance sur l’intérêt d’analyser plus en profondeur certains sujets réputés
triviaux. Mais ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas seulement d’éviter les erreurs
de raisonnement, telle l’affirmation sans nuance qu’une montgolfière peut subir sans
dommage la même pression de chaque côté de son enveloppe. Le but proposé est que
l'on accède à plus de satisfaction intellectuelle, si possible.
Toute la question est dans cette interrogation : est-ce possible ? On connait la ten-
tation du fatalisme enseignant : tant de contraintes pèsent … Qu’apporte donc l’ou-
vrage, qui puisse prétendre affecter positivement la pratique de l’enseignement ?
C’était annoncé : en matière de grands principes, il n’y a rien de neuf dans ce petit
livre. Si les grandes idées ne sont pas en cause, quid des petites ? On peut répondre
d’au moins deux manières.
L’une est que le lecteur recueille deux ou trois suggestions pour compléter sa batterie
personnelle d’outils d’enseignement. Ces hyperboles de conjugaison optique, on n’y
avait pas pensé ; cette montgolfière soi disant « isobare », on va y faire plus atten-
tion ; ce verre d’eau retourné trouvera aussi bien son utilité à l’horizontale ; quant
à faire travailler de temps en temps les élèves sur une trame de corrigé, tous calculs
fournis, voilà une bonne occasion de se recentrer sur le sens des éléments de solution
proposés, et sur leur potentiel pour traiter des situations physiques apparentées.
Une autre manière est de voir la trace d’une démarche dans cette lecture. Alors,
l’imperfection des suggestions faites deviendra secondaire. Si le lecteur venait à
dépasser l’auteur sur son propre terrain, cela signerait le partage d’une vision de
l’enseignement.
C’est souvent sur des détails bien pensés qu’avancent les grandes idées, et sur des
manques d’attention qu’elles trébuchent. On peut avoir beaucoup de sympathie
pour telle ou telle « méthode d’enseignement ». A elle seule, quelle qu’elle soit, une
méthode ne peut pas grand-chose, sans une grande attention portée à tout ce qu’elle
laisse indéterminé : le diable est dans les détails. Mais il n’est pas le seul. Le plaisir
de penser s’y alimente aussi.
Conclusion 131

Les détails, certes, ne sont pas tous porteurs de tels enjeux. C’est bien ce qui autorise
à passer certains aspects des phénomènes physiques sous silence. Explicitement ou
implicitement, sous couvert de modélisation ou non, on suit la vulgate enseignante :
« On ne peut pas tout dire du premier coup ». Ceci est d’autant plus légitime que les
omissions en question n’entament pas l’essentiel du message ni sa cohérence interne.
La vulgarisation n’est pas seule à reposer sur cette estimation, l’enseignement s’y
adosse aussi.
Ce que ce livre souligne, en positif ou en négatif, ce sont des aspects fins de l’ensei-
gnement – déclarations, pratiques, omissions … – qui sont critiques, c’est-à-dire
susceptibles de porter à conséquence intellectuelle, voire affective. A partir de là, les
questions s’enchaînent.
Du côté des éventuelles conséquences négatives de pratiques désinvoltes, c’est-à-
dire du « diable » du proverbe : est-ce donc vraiment important de laisser penser des
choses fausses, tout particulièrement quand on n’a rien dit de faux ?
Versant positif, celui des profits engrangés pour avoir pris au sérieux à la fois la phy-
sique et les élèves : que valent ces enthousiasmes d’un moment, pour avoir traité un
peu à fond un thème, quand on ne peut pas en faire profiter les autres ?
Il revient à chaque personne en charge d’enseignement ou de vulgarisation d’ap-
précier les réponses qu’il ou elle souhaite donner à ces questions, compte tenu des
contraintes ressenties, des risques et des bénéfices potentiels.
Quoiqu’il en soit, on ne peut plus ignorer, en matière de risques, ceux qu’ont abon-
damment décrits les études sur les difficultés communes de ceux qui apprennent.
Dès lors, c’est bien la responsabilité de chaque expert, en situation de faire partager
un peu de physique à d’autres moins avancés, que de mesurer les probables consé-
quences de ses choix. Or, paradoxalement, un phénomène tend à entraver cette appré-
ciation. Conditionnés par nos habitudes, incrustés dans nos rituels, nous empruntons
volontiers dans nos explications les chemins du sens commun, renforçant à plaisir
les risques afférents. Les raisonnements à une seule variable occupent sans retenue
ce terrain, la gestion commune de l’expérience « attractive » entretient volontiers
l’illusion qu’on y voit directement le concept, les messages clandestins des images
ne sont pas mis à distance. De ce point de vue, ce n’est pas un luxe que de s’informer
un peu sur nos tendances à « l’explication-écho » – celle qui met en résonance le sens
commun sans en encadrer les effets. Ainsi, la maîtrise de nos envolées explicatives
peut beaucoup gagner à un simple examen de la structure de nos arguments, lesquels
enchaînent si souvent des déterminations causales binaires – une cause, un effet –,
qui les font ressembler aux histoires que l’on raconte aux enfants.
132 En physique, pour comprendre

Du côté des bénéfices potentiels, là aussi la situation pose question : pour dire vite,
il faut les vivre pour y croire. A moindre coût, que ce soit en temps d’enseignement
ou en matériel, des émergences de plaisir intellectuel s’observent chez les étudiants :
intense émotion pour l’enseignant ! Mais comment mettre plus de rationalité dans la
mesure de tels effets, comment en évaluer les conséquences à long terme ? Voilà qui
n’est pas simple. Très peu d’études de recherche abordent la question du plaisir pris
par les étudiants à raisonner et à voir leur compréhension progresser. Souvent, les
aspects affectifs sont envisagés comme conditions d’apprentissage, voire de recru-
tement dans les études scientifiques ; le plaisir de raisonner et de comprendre n’est
pas appréhendé comme un produit de l’enseignement hautement désirable en lui-
même. A ce titre, quelques résultats d’enquête cités ici, encore parcellaires, offrent
une vision encourageante de ce qui est possible en la matière, à la faveur d’actions à
la fois marginales et décisives. Ils autorisent au moins ce constat : en exploitant les
leviers qui font l’objet de ce livre, on a pu susciter chez des lycéens ou étudiants non
triés sur le volet des commentaires magnifiques, tels celui-ci : « Vous m’avez fait
réfléchir, moi, merci. ». Souhaitons que tous les efforts développés dans l’enseigne-
ment et les media pour rendre attrayantes la physique en particulier et les sciences
en général ne fassent pas perdre de vue cette très profonde satisfaction qui peut
s’attacher, chez tout un chacun, à l’exercice du raisonnement pour un peu plus de
compréhension.
Pour ce bel objectif de formation, il existe de réelles marges de manœuvre.
Annexes
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Annexe A

Ce que l'ouvrage doit à la didactique de la physique

Les propositions et discussions rassemblées dans cet ouvrage s’enracinent, de près


ou de plus loin, dans une pratique de recherche en didactique. Nous en citons cer-
tains résultats, lorsqu’ils interviennent de près. Mais les principes de base d’une telle
pratique ne sont jamais loin, même lorsque le caractère de recherche formelle n’est
pas, à strictement parler, au rendez-vous. Situons rapidement le décor de ce point de
vue.
Les didacticiens ne sont pas les seuls à souligner l’intérêt, pour l’enseignant, de
connaître l’état de son auditoire en matière de compréhension des concepts, ceci
avant enseignement. Cela semble aller de soi, mais ce n’est que relativement récem-
ment qu’ont été mesurées l’importance et la cohérence relative d’idées communes
que l’on ne pensait pas avoir enseignées à nos élèves. « Conceptions », « idées
naïves », « idées de sens commun », sont quelques uns des labels employés à ce pro-
pos depuis le développement explosif des études menées sur ce terrain dès la fin des
années 70. Largement partagées, ces « idées communes » se sont souvent révélées
très résistantes à l’enseignement. D’abord prétexte à des recommandations belli-
queuses – il s’agissait de combattre tout cela – ces découvertes ont, en tout cas, été en
résonance avec le parti pris de considérer l’élève comme acteur essentiel dans l’éla-
boration de ses propres connaissances. Notons que cette prise de position n’implique
pas une forme radicale de « constructivisme » qui finirait par exclure l’enseignant.
Mais le fait est que, lors des années quatre vingt, l’attention s’est considérablement
centrée sur l’élève. L’acteur principal de l’acte d’enseigner – l’enseignant(e) – n’y
a rejoint son élève comme objet central de la didactique que plus récemment, il y
a quinze ans environ. L’attention au contenu enseigné, elle, n’a pas subi d’éclipse
dans la trentaine d’années que l’on vient d’évoquer. Par définition de la didactique,
les études revendiquant ce label s’attachent à la compréhension d’aspects relatifs à
un contenu précis, à la base disciplinaire, même si d’autres thèmes plus transver-
saux s’invitent dans le débat. Evidemment, un centrage sur le contenu ne va pas
136 En physique, pour comprendre

sans des limitations sévères: ainsi les aspects sociologiques et psychologiques des
situations scolaires passent au second plan, malgré leur importance cruciale. Cette
spécialité revendiquée par la didactique impose aux chercheurs d’avoir une connais-
sance approfondie des contenus en cause. Plutôt que de « connaissance » d’ailleurs,
il vaut mieux parler de l’humilité laborieuse qu’il convient d’adopter en abordant un
contenu dont la familiarité masque souvent les subtilités.
Cet ouvrage s’adresse principalement à des enseignants, et nous nous intéressons
aux faits d’enseignement qui peuvent nous instruire. Mais qu’est-ce qu’un « fait »
dans ce domaine ? Les restaurants du personnel bruissent souvent des conversations
d’enseignants : « je leur ai fait ça et alors … ». Suivent des faits, dont les notes
moyennes de contrôle, et des jugements. Ce que vise la recherche en matière de
« fait » est plus compliqué. S’il s’agit d’un dispositif d’enseignement que l’on sou-
haite évaluer, par exemple, il faut travailler la précision sur plusieurs terrains : les
objectifs conceptuels, les attentes du chercheur aussi bien en matière d’obstacles
que de chemins d’apprentissage, les démarches d’enseignement mises en œuvre, les
indicateurs retenus pour apprécier, sur cette toile de fond, ce qui se passe au cours de
la mise en œuvre du dispositif et ce qu’il en résulte à la fin, y compris après plusieurs
semaines. Indicateurs qualitatifs – tels des éléments de dialogue en classe – et quan-
titatifs – tests et comptages – se conjuguent, idéalement, pour éclairer l’appréciation.
Notamment, il est bien utile d’évaluer ce que l’on perd éventuellement sur un terrain
en gagnant sur un autre. Il n’est pas si fréquent, car bien difficile, de parvenir à une
évaluation un tant soit peu consistante. C’est l’objectif des chercheurs.
Ici, nous livrons des expériences au statut inégal en termes d’évaluation. Le cas
échéant, les « faits » avancés seront signalés comme relevant très clairement
d’une démarche de recherche, et non seulement d’essais personnels plus ou moins
concluants.
Annexe B

Le poids de l’air,
les chocs des molécules : quel rapport ?

Cette Annexe reprend presque intégralement un article de même titre : Viennot L.


« Le poids de l'air, le choc des molécules : quel rapport ? ». Bull. Un. Prof. Phys.
Chim., mars 2010, vol. 104, n° 922, p 263-268, reproduit ici avec l’aimable autori-
sation de l’éditeur.
Cette note propose et discute des éléments de réponse à cette question: comment se
fait-il que la pression due aux chocs des molécules sur le sol corresponde exactement
à ce que dicte un bilan newtonien, c’est-à-dire la valeur obtenue en divisant le poids
d’une colonne d’air par l’aire de sa base ?
Une question récurrente, notamment en formation de stagiaires, traduit le malaise
que génère le thème du poids de l’atmosphère : comment les molécules qui frappent
la surface du sol « savent-elles » que leurs chocs doivent répercuter le poids de la
colonne d’air au-dessus d’elles ?
Faute d’expérimentation préalable avec des élèves ou des étudiants – ou presque –
les éléments de réponse proposés ici ne visent qu’à alimenter une discussion sur
ce qui peut être dit à ce sujet. S’ils pouvaient contribuer à dissiper l’impression de
mystère ou permettre de mieux la localiser, ils auraient atteint leur but.
Après une brève évocation du traitement classique de l’atmosphère isotherme, une
formulation plus intrigante du résultat associé à cette banale question de cours est
proposée, suivie d’éléments de raisonnement qui n’ont d’inédit que le rapproche-
ment d’une vision particulaire et de la considération de la gravité. Cette présentation
vise, autant que faire se peut, la simplicité.
138 En physique, pour comprendre

B1 Analyse classique d’une colonne d’air isotherme


Il est classique d’analyser une colonne d’air isotherme, de surface de base dS, de la
façon résumée ci-dessous. Il s’agit ici de la pratique physicienne commune, sachant
qu’une présentation beaucoup plus compatible avec un traitement mathématique des
différentielles est tout à fait possible153.
Une tranche comprise entre les altitudes z et z + dz (figure B1) est soumise, de la part
de l’air extérieur, à deux forces inégales de directions opposées, agissant sur les faces
horizontales situées à ces altitudes. La résultante des autres forces exercées par l’air
extérieur sur la tranche considérée (forces qui sont horizontales) est nulle.

z + dz
z

Figure B1 - Schéma pour une colonne d’atmosphère

La force résultante d 2 F exercée par l’air extérieur à la tranche sur celle-ci vaut
donc : d 2 F = [p(z) – p(z+dz)] dS u où u est un vecteur unitaire vertical dirigé vers
le haut.
On peut écrire cette égalité : d 2 F = – dp dS u

Par ailleurs, le poids de la tranche d 2 P vaut d 2 P = – gρ (z) dz dS u où ρ(z) est la


masse volumique de l’air à cette altitude.
A l’équilibre, la résultante de toutes les forces exercées sur la tranche est nulle :
d2 P + d2 F = 0
et donc gρ (z) dz dS u + dp dS u = 0 (1)
dp
soit = – gρ (z) (2)
dz

153 Artigue M., Menigaux J.& Viennot L. (1988) Questionnaires de travail, Les différentielles, IREM-
LDPES, Université Paris 7, p 70 et Artigue M., Menigaux J.& Viennot L. (1990) Some aspects of
students, conceptions and difficulties about differentials, European Journal of Physics, 11, 262-267.
Annexes 139

Enfin, la relation des gaz parfaits (pV = nRT, en notations habituelles), que l’on
Mp
considère comme applicable ici, permet d’écrire ρ = où M est la masse molaire
RT
moyenne de l’air.
dp Mg
Donc =– dz (3)
p RT
Et, en atmosphère isotherme,
Mgz
p (z) = p0 exp c – m où p0 est la pression à l’altitude z = 0. (4)
RT
La force exercée par la colonne sur le sol vaut – p0 dS u . Un bilan global de forces
sur la colonne permet, compte tenu de la troisième loi de Newton, de dire que le
poids dP de la colonne vaut également dP = – p0 dS u
On trouve aussi le poids P de la colonne par un calcul intégral :

dP = – #0 z gρ dz dS u
soit dP = – #0 z g Mp
RT
dz dS u = – g MdS
RT
#0 z pdz u (5)

RT
Et, puisque #0 z pdz = p0 mg (6)

dP = – p0 dS u (7)
Autrement dit, le produit de la pression de la colonne d’air à l’équilibre au niveau
du sol par la surface de contact entre sol et colonne est égal au poids de la colonne.

B2 Une autre façon de voir les choses


L’affaire pourrait en rester là, sans autre questionnement. Un bilan newtonien global
pour une atmosphère en équilibre est un argument sans appel, et l’intégrale confirme
la relation entre poids et pression au sol. Pourtant, comme souvent, un argument
formel du type « il faut bien que » ne satisfait pas pleinement. Ceux qui ne s’en
contentent pas, souvent loin d’être des débutants, passent parfois par une reformula-
tion du résultat équivalente à celle-ci :
Les chocs des molécules au sol se traduisent par une force égale au poids de toutes
celles qui sont au dessus, comme si celles-ci se touchaient en situation statique.
Alors ce résultat – certes sans appel – apparaît comme plus intrigant. On peut en
chercher une autre approche dans un raisonnement plus local. C’est l’objet de la
proposition suivante.
140 En physique, pour comprendre

B3 Molécules, leurs chocs et leur poids : proposition d’analyse


Dans une boîte cylindrique à faces horizontales d’altitudes z, z + Dz, une particule de
masse m (la seule à occuper l’intérieur, vide par ailleurs) fait l’aller et retour entre
ces deux faces. Sa vitesse, verticale, a pour module v à l’altitude inférieure et v + Dv
à l’altitude supérieure, du fait de la gravité. Le temps de chute, comme celui de la
remontée, vaut Dt. Sur chaque face, le choc a pour effet de « retourner » la quantité
de mouvement.

]¨] Peut-on montrer que l’action de cette par-


X ticule sur la boîte est en moyenne égale au
] poids de la particule ?

Signalons déjà que ce résultat paraît tout de suite beaucoup plus problématique
que son équivalent global, concernant le poids de l’atmosphère. Lors d’un sondage
auprès d’étudiants de licence, 12 étudiants sur 13 pensaient ce résultat inexact, pour
une molécule, alors que la relation entre poids de l’atmosphère et pression au sol leur
avait semblé a priori sans mystère. Voyons donc un moyen de nous en convaincre.

A un instant donné, la force exercée par la boîte sur la particule obéit à la deuxième
dp
loi de Newton : f = ma = où p est la quantité de mouvement de la particule (en
dt
gras ici pour éviter la confusion avec la pression).
Pendant une période de temps de durée T, la valeur moyenne de cette force est

F moy. (boîte sur part.) = ` 1 j


T
T
#0 f dt

Dp
=`1j
T
T
#0 dp =
T
(8)

Dp est l’accroissement de quantité de mouvement dû à la boîte sur la période de


durée T.
Considérons une durée T = 2 Dt, soit un aller et retour de la particule. Deux chocs ont
eu lieu, à des vitesses de valeurs respectives v et v + Δv.
−− Variation de la quantité de mouvement p pour un choc en haut de la boîte :
– 2m(v + Δv) u
−− Variation de la quantité de mouvement pour un choc en bas de la boîte :
2m(v) u
Annexes 141

−− Variation de la quantité de mouvement due à la boîte pour un aller et retour :


Δ p = – 2m(Δv) u
Or l’accroissement de vitesse entre le haut et le bas est déterminé par la pesanteur, il
s’agit d’une chute libre : D v = g Dt , soit Dv u = – g Dt u

Donc Dp = 2m g Dt u

et, d’après (8) : F moy (boîte sur part.) = 2mg Dt u


2Dt
Soit F moy (boîte sur part.) = mg u (9)

La force exercée par la particule sur la boîte vaut donc, en moyenne, – mg u , c’est-
à-dire le poids de la-dite particule. La particule, via les chocs sur les parois de la
boîte, exerce sur celle-ci, en moyenne, une force égale à son poids.
Ce raisonnement est valable quelle que soit la valeur de la vitesse v .
Il s’applique à la composante verticale de toute vitesse particulaire non verticale.
Les chocs intervenant entre particules conservent la quantité de mouvement. Le
fait qu’ils puissent intervenir au cours de la période considérée ne change pas la
moyenne dans le temps des forces exercées par les molécules sur les parois ou le sol.
Enfin, en l’absence de parois horizontales, le transfert de quantité de mouvement à la
couche considérée de la part des voisines est le même que celui dû aux parois fictives
considérées ici. C’est d’ailleurs ainsi que, classiquement, l’on ne distingue pas la
pression sur une paroi de celle existant au sein d’un fluide à l’équilibre.
Donc ce raisonnement rejoint ce résultat bien justifié par ailleurs : l’action des molé-
cules au sol, via les chocs, est la même que si toutes les molécules de l’atmosphère
étaient empilées, immobiles sur le sol.

B4 Remarques finales
En admettant qu’on puisse trouver dans l’approche ci-dessus une source d’éclaircis-
sements, il reste à savoir comment en faire profiter les élèves et à quel niveau. On
peut dégager plusieurs aspects a priori favorables ou qui au contraire constituent des
obstacles potentiels à la compréhension.
D’une part, on peut se demander comment l’argument global « il faut bien que le
théorème du centre d’inertie soit satisfait » peut l’être, au niveau local d’une molé-
cule. D’autres travaux ont montré les bénéfices de tels changements d’échelle dans
142 En physique, pour comprendre

l’analyse. Outre un meilleur accès à la compréhension, on atteint là le type de


démarche de mise en lien qui souligne toute la puissance et l’élégance d’une théorie
physique, en l’occurrence la mécanique newtonienne ici appuyée par la théorie ciné-
tique des gaz. En fait de lien, ce ne sont pas, d’ailleurs, seulement le local et le global
qui sont ici réconciliés, mais aussi une vision statique et la dynamique des chocs.
Pour autant, il ne faut pas sous-estimer les difficultés, notamment celle qui résulte de
l’usage de moyennes. Il existe là une source potentielle de brouillage puisque, jus-
tement, l’aspect individuel – l’analyse de la dynamique d’une molécule – s’y dilue
quelque peu.
On peut noter que la thermodynamique n’entre en scène que très discrètement.
Comme on peut s’y attendre, elle est absente lorsqu’il s’agit d’une molécule. Il est
moins évident a priori que la distribution des vitesses n’affecte pas la conclusion
établie avec une molécule au niveau d’une tranche, un fait qui tient à ce que, juste-
ment, cette conclusion ne dépend en rien de la vitesse. Dans la même ligne d’analyse
purement newtonienne, on montre qu’un sablier retourné en régime permanent (il
y a encore du sable en haut et il y en a déjà en bas) exerce sur la balance la même
force qu’en situation statique, sans écoulement. Cet exemple peut d’ailleurs servir à
démystifier la question du poids de l’atmosphère.
La relation des gaz parfaits n’entre en scène que lorsqu’il faut relier masse volumique
et pression et faire un calcul intégral. Discrète, mais recélant ce qu’il reste de mys-
tère, la thermodynamique nous dicte qu’en situation isotherme c’est le nombre de
particules qui rend compte de la variation (exponentielle décroissante) de la valeur
des forces mutuelles entre tranches : la densité de particules est plus grande au sol
qu’en altitude. Il faut avouer que les tentatives de raisonnement mécaniste – au-delà
des habituels « il faut bien » – butent quelque peu à ce niveau, pour imaginer com-
ment les molécules « savent », cette fois, où et dans quelle proportion s’accumuler.
Il fallait bien que Boltzmann s’en mêle154.

154 Pour une discussion sur ce point, on pourra consulter notamment l’article : Devaud M.
& Treiner J. (2010) Théorie cinétique de la pesée d’un gaz, Bulletin de l’UDPPC, 104 (928),
1021-1024 ; ainsi que Viennot L. (2011) Le poids de l’air, le choc des molécules : il fallait bien
que Boltzmann s’en mêle, Bulletin de l’UDPPC, 105 (932), 313-315. Le point de vue statistique,
essentiel pour aller plus loin, est présenté au niveau fin de secondaire, de manière très intéressante,
dans le livre : Ogborn J. & Whitehouse M. (Eds.) (2001) Advancing Physics A2, Institute of
Physics Publishing, Bristol and Philadelphia, p 113-120.
Annexes 143

B5 Le poids des molécules : un sondage auprès de professeurs


en formation
Le questionnaire suivant a été proposé à un groupe de professeurs stagiaires en for-
mation (deuxième année d’IUFM, PLC2, N = 19) :

Dans une boîte cylindrique à faces horizontales d’altitudes z, z+Δz, une par-
ticule de masse m (la seule à occuper l’intérieur, vide par ailleurs) fait l’aller
et retour sur une trajectoire verticale entre ces deux faces, sous l’action de la
gravité et des chocs sur les parois (il a été reprécisé oralement que les collisions
étaient élastiques, et la boîte fixée à un support massif).
]¨]

]
• Question 1
L’affirmation suivante, en italique :
L’action de cette particule sur la boîte est en moyenne (dans le temps) égale
au poids de la particule.
est-elle exacte ? □ oui □ non □ je ne sais pas
Expliquez votre réponse :
• Question 2
L’affirmation suivante, en italique :
L’action des molécules au sol, via les chocs, est la même que si toutes les molé-
cules de l’atmosphère étaient empilées, immobiles sur sol.
est-elle exacte ? □ oui □ non □ je ne sais pas
Expliquez votre réponse :
• Question 3
z
z + dz
z

Figure 1 - Schéma pour une colonne d’atmosphère


144 En physique, pour comprendre

Lors de l’analyse d’une colonne d’atmosphère, il est classique d’écrire, que :


pour une tranche à l’équilibre comprise entre les altitudes z et z + dz (figure 1),
la force résultante d 2 F exercée par l’air extérieur à la tranche sur celle-ci et
le poids de la tranche d 2 P sont tels que d 2 P + d 2 F = 0 , avec d 2 P = – g ρ(z)
dz dS u où ρ(z) est la masse volumique de l’air à cette altitude.
L’affirmation en italique, ci-dessus :
est-elle exacte ? □ oui □ non □ je ne sais pas
Expliquez votre réponse :
• Question 4
L’affirmation suivante, en italique:
Le poids d’une colonne d’atmosphère est égal à l’action de cette colonne sur le
sol.
est-elle exacte ? □ oui □ non □ je ne sais pas
Expliquez votre réponse :

Les taux de réponses, très différents selon les affirmations proposées, montrent que
leur équivalence n’est nullement évidente.

N = 19 Exacte Inexacte Je ne sais pas


Affirmation 1
5 10 4
(une molécule)
Affirmation 2
5 9 5
(molécules empilées)
Affirmation 3
8 3 8
(une tranche d’atmosphère)
Affirmation 4
11 5 3
(une colonne d’atmosphère)

Réponses d’enseignants stagiaires concernant chaque affirmation, ici rappelée par la


mention, entre parenthèses, du système concerné. Toutes les affirmations sont exactes.
Annexes 145

L’affirmation 4, par un effet d’habitude ou bien du fait du caractère macroscopique


du système concerné, suscite un bon score de réponses correctes. Les moins bonnes
réponses concernent la molécule isolée, très inhabituelle. Notons que lorsqu’elle est
posée en premier, l’affirmation 4 peut susciter une approbation unanime : ce fût le
cas lors d’un sondage dans un petit groupe de 13 étudiants en troisième année uni-
versitaire155. La déstabilisation observée chez les enseignants stagiaires tient donc
très probablement au rapprochement de questions rituelles avec d’autres qui sont
nettement plus perturbantes.
Il a été possible, avec le groupe d’étudiants de licence, de recueillir leurs jugements
après qu’ils se soient vu proposer la clarification des annexes B2 et B3. Ces étudiants
l’ont unanimement jugée comme « valant la peine malgré le temps d’enseignement
nécessaire » (une demi-heure). Explicitement questionnés sur ce thème, 12 de ces
étudiants disent y avoir trouvé du plaisir. Voici quelques-uns des commentaires :
−− « Cela m’a permis de prendre conscience de la difficulté de l’enseignement et
surtout de la précision nécessaire. De plus, cela m’a permis de mieux comprendre
le sens physique alors qu’avant, je regardais surtout l’aspect mathématique de la
question. On est allé plus loin que les simples questions des problèmes et je pense
que pour enseigner, c’est très important: cela permet de mieux orienter le cours
que l’on fait et surtout d’avoir du recul et de mieux répondre aux questions des
élèves. »
−− « Explique simplement une question fondamentale pas très facile à expliquer
intuitivement aux élèves. »
−− « Quelques difficultés à analyser le système réduit à une seule molécule. Pour bien
traiter un exercice, il est toujours meilleur de bien comprendre l’énoncé, physi-
quement et mathématiquement. »
−− « Commentaire général : je pense que c’est très bien de traiter plus à fond chacun
des sujets, cela a permis d’avoir les idées claires et d’être beaucoup plus précis. »
−− « J’aime me poser des questions que je ne me suis jamais posées auparavant. »
Le commentaire d’une enseignante expérimentée, interrogée en entretien individuel,
mérite également l’attention :
(Une seule molécule dans une boîte)
−− « Ça revient à dire, être au fond de la boîte, et donc … transmettre le poids,
euh, par le fond de la boîte, ou être en ballade dans toute la boîte en exerçant

155 En licence « Physique pour l’enseignement », Université Paris Diderot, 2007.


146 En physique, pour comprendre

des actions, des forces pressantes, …ça revient au même. Pourquoi ça revient au
même, …euh…??? »
(Après explication)
−− « Ah oui, c’est que d’habitude, quand on étudie un gaz, on néglige la pesanteur…
on ne le fait pas dans un champ de pesanteur. (…) On a montré dans cette boîte-là,
pourquoi la pression était plus grande là (face inférieure) que là (face supérieure),
on l’a montré avec g. »
Annexe C

Le raisonnement linéaire causal

En matière de raisonnement, une tendance commune majeure est de réduire de


manière drastique l’analyse des dépendances fonctionnelles : une cause, un effet, tel
est le schéma préféré en la matière. Ainsi en physique (on n’abordera pas ici d’autres
domaines de choix de ce point de vue, telle l’économie) : « La densité du gaz dimi-
nue, donc sa pression diminue », « U = RI, la résistance augmente donc la tension
U augmente », quand ce n’est pas « plus vite donc plus loin », autant d’énoncés
familiers qui ne disent rien de variables a priori pertinentes, respectivement la tem-
pérature du gaz, l’intensité du courant ou la durée du trajet. Et lorsque la multiplicité
des variables est prise en compte, c’est une forme bien particulière qui structure le
raisonnement commun : le raisonnement linéaire causal156, dont les traits ont été
dégagés sur la base des travaux de S. Fauconnet157, J.L. Closset158 et S. Rozier159.
En bref, le raisonnement commun adopte volontiers la structure d’une chaine linéaire
d’implications dont chaque maillon mentionne un seul phénomène (f), portant sur
l'évolution d'une seule grandeur: f1 → f2 → f3 → ...fn. On retrouve là la réduction
de l’analyse fonctionnelle déjà signalée160.

156 Viennot L. (1996) Raisonner en Physique, avec la contribution de Benseghir A., Caldas H.,
Chauvet F., Closset J.L., Kaminski W., Maurines L., Menigaux J., Rainson S., Rozier S.
et Saltiel E., De Boeck, Bruxelles, chapitre 5 ; Viennot L. (2004) Raisonnement commun en
physique : relations fonctionnelles, chronologie et causalité in Viennot L. et Debru C. (dir.)
Enquête sur le concept de causalité, PUF, Paris, p 7-29.
157 Fauconnet S. (1981) Etude de résolution de problèmes : quelques problèmes de même structure
en physique, Thèse de troisième cycle, Université Paris 7.
158 Closset J.L. (1983) Le raisonnement séquentiel en électrocinétique, Thèse de troisième cycle,
Université Paris 7.
159 Rozier S. (1988) Le raisonnement linéaire causal en thermodynamique classique élémentaire.
Paris, Thèse, Université Paris 7.
160 Voir cet ouvrage, en 2.6.
148 En physique, pour comprendre

Voici un exemple de réponse commune161, en l’occurrence pour expliquer l’augmen-


tation de pression lors de la compression adiabatique d’un gaz parfait :
« Le volume décroît → la densité augmente → le nombre de chocs augmente → la
pression augmente. »
On le voit, les variations de la température et la vitesse des molécules n’y sont pas
considérées. Mais un trait plus spécifique concerne le statut de la flèche ici chargée
de symboliser le rapport entre deux phénomènes successivement évoqués dans la
chaine explicative. En effet, une flèche posée entre deux prédicats pourrait représen-
ter une implication logique : « donc ». Autre éventualité : la flèche pourrait signi-
fier le déclenchement d’un événement ultérieur, « ensuite ». Mais c’est en fait le
confort d’une ambiguïté qui domine : « alors », ou « then » n’explicitent pas les parts
respectives de l’implication logique et d’une chronologie subreptice (Tableau 1).

Tableau 1 - Plusieurs langues, même ambigüité du terme de statut


intermédiaire, lequel évoque à la fois, en proportion indéterminée,
une implication logique et une succession chronologique

Statut ↓ Français Anglais Espagnol


Logique donc therefore por eso
Intermédiaire alors then entonces
Chronologique ensuite later después

Or cette mise en récit de l’explication-même suinte de divers indicateurs – notam-


ment l’usage très fréquent du futur : « si la densité augmente, la pression va augmen-
ter » – et parfois elle s’affiche ouvertement dans les commentaires recueillis lors des
enquêtes fondatrices de cette analyse. Ainsi :
Pour deux ressorts pendus au plafond en série, l’extrémité inférieure étant tirée par
un expérimentateur162:
« Le ressort du bas s’allonge, la tension de ce ressort se transmet au ressort du haut,
lequel, au bout d’un certain moment, s’allonge aussi. »
Ou encore :
Pour expliquer la dilatation d’un gaz parfait lors du chauffage isobare (Rozier ibid.) :
« On chauffe → la température augmente → la pression augmente → le volume aug-
mente » puis, devant l’objection que la détente est isobare : « Dans un premier temps

161 Référence en note 156.


162 Déjà cité. Référence en note 100.
Annexes 149

la pression augmente, puis, on relâche le piston, le volume augmente et la pression


redevient comme avant. »
Cette forme de raisonnement en termes d’histoire a été observée chez les élèves
et les étudiants dans une étendue de contextes et avec des fréquences impression-
nantes. Or, si ce schéma peut convenir lorsqu’on analyse une chaine d’événements
effectivement successifs, il s’oppose frontalement à la modélisation des évolutions
de systèmes à plusieurs variables conduites sous l’approximation quasi-statique ou
de régime quasi-permanent ; c’est-à-dire quand on considère que plusieurs variables
caractérisant chacune l’ensemble du système évoluent (quasi) simultanément sous
la contrainte permanente de quelques relations simples, lesquelles traduisent un état
d’équilibre ou de régime permanent : typiquement, pV = nRT (en notations habi-
tuelles) pour un gaz parfait, ou bien un bilan équilibré de flux énergétiques pour un
bolomètre. Les termes en italique dans la phrase précédente sont dans un rapport
d’opposition terme à terme (Tableau 2) avec cette fiche signalétique du raisonnement
linéaire causal :
les événements envisagés sont souvent décrits à l’aide d’une seule grandeur, et
en tout cas simplement ;
ces événements sont, plus ou moins explicitement, compris comme successifs,
et donc comme temporaires – du moins leur considération est-elle temporaire.
Ce qui est englouti dans cette mise en histoire de l’explication, c’est l’approche
élémentaire de phénomènes où l’on néglige les durées de propagation interne au
système étudié par rapport à celles qui caractérisent son évolution globale. Et bien
sûr, la simultanéité et la permanence passent à la trappe.

Tableau 2 - Les termes de l’opposition entre raisonnement linéaire


causal et des analyses couramment mises en œuvre en physique

Des analyses d’usage courant en physique : Raisonnement linéaire causal


les transformations quasi statiques, les régimes
quasi-permanents de non-équilibre
(en évolution lente)

Plusieurs variables Des phénomènes simples

sont pris encompte


évoluent (quasi) simultanément
successivement

sous la contraintes de relations permanentes. et temporairement.


7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Annexe D

Quand la physique devrait se conformer


à la croyance : des bouteilles percées163

Le cas présenté ici est tout à fait remarquable par l’ancienneté du problème traité et
par la fréquence historique des erreurs associées, ceci malgré des remises au clair
publiées elles aussi depuis longtemps. C’est en quelque sorte un cas d’obstination
culturelle164, en l’occurrence dans l’erreur.
Entre gens instruits de physique la chose est bien claire : la pression dans un fluide
augmente avec la profondeur. Il vaut mieux ajouter « fluide à l’équilibre » pour
que l’énoncé soit correct mais en cas d’oubli, le contexte peut servir d’excuse à
l’implicite. Toujours est-il que l’idée de montrer cette dépendance par rapport à la
profondeur est tentante pour le vulgarisateur. Là se situe probablement l’origine des
illustrations récurrentes présentées dans les figures D1 a). La portée des jets d’eau
issus d’une bouteille percée y est représentée croissante avec la distance entre trou et
surface libre. Cela suggère – certains diront : cela montre – qu’au niveau de chaque
trou une pression croissante avec la profondeur est à l’œuvre.
Sauf que, si l’on s’avise de faire l’expérience – il est alors préférable d’utiliser un
dispositif de trop plein qui stabilise la hauteur totale d’eau – on observe la situation
représentée dans la figure D1 b) : une portée maximale pour le trou à mi-hauteur, des
portées égales pour des trous symétriques par rapport à celui-ci.

163 Voir pour plus de détail : Planinšič G., Ucke C. & Viennot L. (2011) Holes in a bottle
filled with water: which water jet has the largest range? Muse project of the EPS-PED :
http://education.epsdivisions.org/muse/example-water-jets-bottle-with-holes/bottlewithholes.pdf
et aussi Planinšič G. & Viennot L. (2011) Jets and inverted jets: a matter of differences 2011
http://education.epsdivisions.org/muse/Inverted_jets.pdf
164 Josip Slisko a depuis longtemps développé ce point de vue, sur la base d’un relevé d’articles
dont tous ceux cités ici (à l’exception des textes d’auteurs français) : Slisko J. (2009) Repeated
errors in physics textbooks: what do they say about the culture of teaching? Physics Community
and Cooperation, GIREP 2009, University of Leicester. Voir aussi Slisko J. (2006) Errores en los
libros de texto de física: ¿cuáles son y por qué persisten tanto tiempo? Sinectica, 27, p 13-23.
152 En physique, pour comprendre

Comment tant d’auteurs depuis Léonard de Vinci ont-ils pu utiliser ce dispositif


sans le mettre physiquement et systématiquement à l’épreuve ? Ce n’est pas faute de
démentis. Torricelli avait déjà fait le ménage de telles croyances vers 1640165. Les
dénonciations n’ont pas manqué depuis. Rien à faire : encore récemment, en France,
trois ouvrages166 exploitent ainsi cet exemple où la physique semble réinventée pour
conduire à une visualisation instructive.

a)
Santamaria C.166 Hibon M.166

Quillet A.166

Grimsehl E.164 - 167 de Vinci L.168

165 Voir Slisko J. (2009) références en note précédente.


166 Hibon M. (1996) La physique est un jeu d’enfant, Activités d’éveil scientifique, Armand Colin,
Paris, p 126 ; Santamaria C. (2007) La physique tout simplement, Ellipses, Paris, p 7 ; Quillet
(1993) Encyclopédie Autodidacte Quillet, Quillet, Paris, p 220.
167 Grimsehl E. (1912) Lehrbuch der Physik, Leipzig und Berlin : Verlag von B. G. Teubner,
figure 261, p 239 cité par Slisko J. (2006) Errores en los libros de texto de física: ¿cuáles son y por
qué persisten tanto tiempo? Sinectica, 27 (13-23), p 19.
168 Leonardo da Vinci (1828) Del moto e misura dell' acqua di Leonardo da Vinci. A spese di
Francesco Cardinali, Bologna. Copie digitalisée de Harvard College Library, Google books.
http://www.archive.org/stream/raccoltadautorii10card#page/n537/mode/2up
Annexes 153

b)
Atkins J.K. 169 Planinšič G.

Figure D1 - La portée des jets issus d’une bouteille d’eau percée 169
a) De manière récurrente, on trouve des illustrations qui annoncent que le jet
du bas a la plus grande portée. Cela montrerait, soi disant, que la pression
hydrostatique augmente avec la profondeur : un rituel qui ne date pas d’hier.
b) En fait la vitesse d’éjection augmente bien avec la distance du trou à la
surface de l’eau, mais la durée de chute, elle, augmente avec la distance de ce
trou au support (dépendances non linéaires). C’est finalement le produit de ces
deux distances qui détermine la portée des jets sur le support. Lorsque les val-
eurs de ces distances s’échangent (trous symétriques par rapport au milieu),
les portées sont égales.

On peut incriminer un manque de vigilance, évidemment. S’y ajoute une


confusion entre l’exactitude d’une conclusion (la pression augmente …) et
la valeur d’une démonstration. Celle-ci est déjà problématique dans son prin-
cipe (voir la trame du calcul ci-dessous) : on veut montrer l’augmentation
de la pression hydrostatique alors que l’on met en œuvre une situation dyna-
mique. Or le traitement formel de la situation classiquement utilisé revient,
sous couvert du théorème dit « de Bernoulli »170, à évaluer la vitesse de sortie
comme si l’eau était tombée depuis la surface en chute libre, à pression constante –
ironie suprême. Difficile, alors, de lier la portée du jet à une pression de sortie ; va
donc pour une autre variable : la vitesse de sortie de l’eau, qui est horizontale. Celle-
ci dépend bien (via son carré) de la profondeur du trou.

169 Atkins J.K. (1988) The great water-jet scandal, Physics Review, IOP Science, 23 (3), p 137-138.
170 Lors de l’écoulement en régime permanent d’un fluide parfait (c’est-à-dire non visqueux)
incompressible (de masse volumique ρ), en présence de gravité (g), la quantité suivante est
conservée le long d’une ligne de courant : v2/2 + p/ρ + g z où v est la vitesse d’écoulement et p la
pression au même point d’altitude z. Pour un écoulement irrotationnel, cette quantité est la même
dans tout le fluide.
154 En physique, pour comprendre

Mais on se heurte là à une autre difficulté: cette variable n’est pas la seule qui compte.
La durée de chute hors de la bouteille contribue également à l’avancée horizontale
de l’eau avant impact. C’est finalement le produit de ces deux facteurs qui explique
ce que l’on observe. Vitesse de sortie et durée de chute sont respectivement liées (via
leur carré) à la distance du trou à la surface et à sa distance au support. Le produit de
ces distances répond bien à la disposition effective des impacts.
Un facteur au lieu de deux : il n’en faut pas plus, bien souvent, pour qu’une expli-
cation « simple » tombe dans l’absurde. Car c’est bien d’absurde qu’il s’agit : ima-
gine-t-on un trou au niveau du support de la bouteille et dont sortirait un jet à portée
maximale ?
Il est certes un peu plus compliqué de donner les éléments d’explication détaillés
ici. Mais on évite l’incohérence en sollicitant un raisonnement qu’au moins cer-
tains lecteurs non spécialistes ne jugeront pas inaccessible. On évite aussi le ridicule
d’être en contradiction flagrante avec une expérience que quiconque peut reproduire
en faisant des trous avec un clou chauffé dans une bouteille en plastique dont on a
découpé le haut.
Le calcul classique
Il est classiquement fait appel au théorème de Bernoulli pour cette situation. Ceci
suppose que le régime d’écoulement soit permanent et que le liquide soit incompres-
sible et non visqueux.
L’application de ce théorème à deux points d’une ligne de courant (figure D2), d'alti-
tudes respectives zA et zB, situés l’un à la surface libre (A) et l’autre à la sortie de
l’eau (B, de hauteur h) conduit à écrire :
vA2 / 2 + pA / ρeau + g zA = vh2 / 2 + pB / ρeau + g zB (1)

H νh
B

Figure D2 - L’application du théorème de Bernoulli à deux points


d’une ligne de courant pour l’écoulement de l’eau au sein de la bouteille
Annexes 155

On considère ensuite que la vitesse vA d’écoulement à la surface libre (l’aire de celle-


ci est très supérieure à celle du trou) est quasi nulle par rapport à celle de sortie du
trou considéré, vh. La valeur de la pression de l’eau en écoulement est la même au
niveau de la surface libre et à la sortie du trou : c’est la pression atmosphérique. La
relation (1) s’écrit alors
patm / ρeau + g zA = vh2 / 2 + patm / ρeau + g zB
Le carré de la vitesse de sortie, vh2, est donc proportionnel à la différence zA – zB,
soit à la différence entre l’altitude H de la surface par rapport au support, et celle du
trou h :
v2h = 2g (H – h) (2)
Notons que cette relation est celle que l’on obtiendrait avec un modèle de chute libre
de l’eau. La relation ph – patm = ρg (H – h), où ph – patm est la différence de pression
entre les altitudes h et H, n’est pas pertinente ici puisqu’elle suppose un équilibre
hydrostatique, alors que l’eau qui s’écoule accélère.
Une seconde quantité intervient dans l’évaluation de la portée du jet : la durée de
chute libre de l’eau, tch, qui est telle que h = ( 1 ) g tch2.
2
2
Son carré, tch , est donc proportionnel à l’altitude h du trou, mesurée depuis le sup-
port de la bouteille sur lequel s’observent les impacts :
tch2 = 2h / g (3)
Considérant que l’eau sort horizontalement de la bouteille, la portée du jet, d, s’ob-
tient en multipliant la vitesse de sortie, vh, par la durée de chute, tch.
d = vh tch = 1 [h(H – h)]½ (4)
2
La portée du jet dépend donc du produit de deux distances dont la somme est H. Si
l’on fixe la valeur de H par un système de trop-plein, on observera un régime per-
manent d’écoulement où la portée maxima interviendra pour le trou à mi hauteur,
d’altitude :
hm = H / 2
Deux trous symétriques par rapport à celui-ci seront, dans ce modèle, à l’origine de
jets de même portée.
Il faut préciser que la réalisation pratique de l’expérience confirme ces valeurs rela-
tives des portées des jets mais non leur valeur tout court. Des questions relatives aux
trous ainsi qu’à la viscosité de l’eau se posent. Pour plus de détail, voir l’article en
ligne cité avec le titre de ce texte (Planinšič et al. 2011).
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Annexe E

De futurs journalistes
ou médiateurs scientifiques
se prononcent devant une incohérence

(Annexe rédigée avec Stéphanie Mathé)


L’intérêt de la cohérence des théories physiques : l’avis de non-spécialistes
Il peut sembler curieux de consulter, sur le thème cité en titre, des étudiants de troi-
sième année universitaire ne se destinant ni au professorat ni à une carrière de phy-
sicien ou d’ingénieur. Les auteurs de l’étude171 ont voulu, justement, prendre un
risque. Il est en effet commun d’arguer que le plaisir du raisonnement est un luxe de
spécialiste. Souligner la cohérence, la parcimonie – pour reprendre le terme anglais –
des théories physiques, et leur efficacité dans la prédiction des phénomènes serait
une préoccupation justifiée seulement par le besoin professionnel futur, et requérant
une compétence avancée. Les apprentis journalistes ou médiateurs mentionnés ici
sont donc, pour cette étude, avant tout des non-spécialistes, d’ailleurs assez hétéro-
gènes dans leur formation préalable172.
Il s’agissait d’abord d’étendre à cette population une investigation antérieure auprès
d’étudiants en physique (première ou troisième année), dont les résultats sont briève-
ment rapportés en chapitre 6, et qui utilise le support de cette « montgolfière d’ensei-
gnement » modélisée de manière si problématique. Ces étudiants s’y étaient vu propo-
ser un effort – très accompagné – d’analyse d’un texte d’exercice proclamant l’égalité
de la pression interne et de la pression externe de l’air environnant la montgolfière.
Le lecteur retrouvera en chapitre 6 à la fois la critique d’une telle hypothèse, qui se
traduit par une résultante nulle des forces exercées par l’air (interne et externe) sur
chaque portion d’enveloppe, et, argument plus global, ne privilégie aucune direc-

171 Mathé S. & Viennot L. (2009), référence en note 78.


172 Voir la légende de la Table 1.
158 En physique, pour comprendre

tion pour l’action de l’air : on voit mal comment émergerait de cela une poussée
verticale. La proposition de clarification résumée au chapitre 6 (figure 6.1) repose,
elle, sur l’élément théorique central de l’hydrostatique : l’existence de gradients de
pression. L’absence de vigilance des enseignants sur cette hypothèse, aussi banale
qu’incohérente, est tout à fait impressionnante. Mais il est non moins frappant de
voir la réaction des étudiants qu’une demi-heure, en groupe ou individuellement,
a suffi à éclairer. Certes, dans cette première étude comme dans celle que rapporte
cette annexe, ce ne sont pas les performances des sujets sur le plan conceptuel qui
sont finalement évaluées, mais leurs réactions sur la valeur de l’expérience qu’ils
viennent de vivre. On y retrouve beaucoup de témoignages de satisfaction intellec-
tuelle, et quelques signes de colère rétrospective : « Pourquoi est-ce la première fois
que l’on me dit ça ? »
La question de l’investigation auprès de non-spécialistes est donc d’abord celle-ci :
va-t-on observer le même type de réaction, associant l’affectif et le conceptuel, chez
des étudiants pour qui la physique elle-même occupe une place limitée aussi bien
dans leur passé que dans leur avenir ? Dans l’affirmative, l’hypothèse d’un élitisme
du raisonnement cohérent et du plaisir associé prendrait un peu de plomb dans l’aile.
On peut aussi voir dans cette étude un élément susceptible d’éclairer la formation
des futurs journalistes ou médiateurs scientifiques, voire un plaidoyer pour orienter
celle-ci de manière bien spécifique. Nous reviendrons en conclusion sur ce point fort
sensible, très sujet à polémique.
L’enquête : principaux résultats
14 étudiants visant les professions du journalisme ou de la médiation scientifique ont
été interrogés en entretien à propos d’une simulation d’article sur le fonctionnement
d’une montgolfière (Encadré E1), où figure l’hypothèse habituelle d’égalité des pres-
sions interne et externe.
Annexes 159

Encadré E1 - Une simulation d’article, à critiquer


Le fonctionnement de la montgolfière

Un peu de physique…
Comment un engin aussi gros qu’une montgolfière arrive-t-il à s’élever dans les airs ?
Grâce à la poussée d’Archimède ! On la connaissait pour les corps plongés dans l’eau,
eh bien, elle existe aussi dans l’air, comme dans n’importe quel fluide. La montgolfière,
comme tout corps plongé dans l’air, subit donc une force verticale vers le haut égale au
poids du volume de fluide – ici, c’est l’air qui nous entoure – déplacé.
En effet, pour que la montgolfière s’élève, la poussée d’Archimède doit l’emporter sur
deux autres forces qui tendent à la tirer vers le bas : le poids de l’air à l’intérieur de
l’enveloppe et le poids que représente la nacelle et son contenu.
Pour le jour du décollage, considérons ce dernier fixé. Quant à la poussée d’Archi-
mède, elle dépend à la fois de la masse volumique de l’air déplacé et du volume du
corps plongé dans ce fluide – le volume de la montgolfière. Mais pour le temps du vol,
ces deux paramètres sont également imposés.

C’est donc sur le poids de


l’air à l’intérieur de l’enve-
loppe que l’on peut agir et
qui peut faire pencher la
balance. Mais comment ?
Grâce aux brûleurs placés
à l’entrée de l’enveloppe et
qui vont réchauffer cet air.
En effet, la densité d’un gaz
dépend de la pression et de
la température. Pour ce qui
est de la pression, elle est la
même à l’intérieur et à l’ex-
térieur, du fait de l’ouverture
au bas de l’enveloppe, par
laquelle l’air peut commu-
niquer. Pour ce qui est de la
température, en chauffant
l’air, on va le rendre moins
dense, donc moins pesant.
A partir d’une certaine température, en pratique de l’ordre de 100° C, le poids de l’air
dans l’enveloppe sera assez faible pour que la poussée d’Archimède vainque le poids
de la nacelle ajouté au poids de l’air intérieur. La montgolfière peut alors s’élever !
160 En physique, pour comprendre

La trame de l’entretien figure en Encadré E2.

Encadré E2 - Les étapes de l’entretien


Etape 1

a) On demande à l’étudiant(e) son avis sur le fait que les pressions interne et externe
sont déclares égales.
b) On tente d’invalider cette hypothèse sur la base des deux raisons développées dans
le texte : l’argument de symétrie, et l’analyse mécanique locale.
c) On explique le théorème d’Archimède pour amener l’idée que la pression dépend
de l’altitude (z) et de la densité (ρ).
d) On dessine le graphique des pressions interne et externe en fonction de l’altitude
et on souligne qu’il y a une différence entre ces pressions, en particulier en haut de
l’enveloppe.
e) On relie cette différence de pression à la force résultante de l’action de l’air interne
et externe sur l’enveloppe – ce qui est plus facile avec un modèle de montgolfière
cubique.

Etape 2

On recueille les jugements de valeur des étudiants quant à cette approche plus
rigoureuse :
a) On demande si tout a été bien compris.
b) On demande si l’étudiant(e) peut réexpliquer cela à un autre étudiant.
c) On demande à quel type de public on pourrait expliquer cette question.

Etape 3
a) On demande à l’étudiant(e) s’il (ou elle) a apprécié ce type de dialogue, et s’il (ou
elle) y a trouvé du plaisir. On demande alors d’évaluer, sur une échelle de 1(faible)
à 4 (fort), ce plaisir.
b) De même, on leur demande d’évaluer le rapport qualité/prix (en temps d’enseigne-
ment) sur une échelle de 1 (faible) à 4 (élevé).
c) On demande à l’étudiant(e) s’il (ou elle), une fois journaliste, prendrait le risque
d’introduire des diagrammes, des graphiques et des formules pour expliquer le fonc-
tionnement d’une montgolfière, ou s’il (ou elle) estime que cela compliquerait inu-
tilement l’explication.
Annexes 161

Les résultats résumés en Table 1 font apparaître les traits d’ensemble suivants.
Les premières réactions ne portent pas sur la physique du phénomène mais, comme
il est attendu dans cette filière de formation, sur la lisibilité de l’article : on ne saurait
s’en étonner.
Sur sollicitation, l’analyse de l’hypothèse incriminée est laborieuse. Beaucoup
d’étudiants sont gênés par la conscience de leur faible maîtrise du domaine. Plutôt
que d’empoigner eux-mêmes l’argumentation, ils se reportent vers la chose écrite
– l’article – et peinent à prendre de la distance vis-à-vis d’elle. Sur deux arguments
disponibles pour contrer l’hypothèse, qui lui associent respectivement une symétrie
sphérique ou une force nulle sur toute portion d’enveloppe, le second se révèle de
loin le plus à-même de déclencher une réaction.

Int. (en charge de conduire l’entretien) : Et en regardant un peu plus en détail


sur un petit bout de l’enveloppe …. Si la pression est la même à l’intérieur et à
l’extérieur, les forces qui correspondent à la pression, elles sont égales donc…
Céline : Ça va s’annuler.
Int. : Oui, des deux côtés c’est la même chose, ok ? Partout sur l’enveloppe, tu
répètes la même chose, donc qu’est-ce qui se passe sur l’enveloppe dans sa globa-
lité ? Si tout s’annule deux à deux ?
Céline : Ben elle… ah oui, mais tu m’as dit que c’était pas comme un ballon de
baudruche… ben elle bouge pas… je sais pas… elle bouge pas ?
Int. : Oui voilà. Si les forces s’annulent deux à deux, il n’y a pas de force globale
qui s’applique sur elle (l’enveloppe). Donc ce n’est pas un peu bizarre, ce qu’il
raconte là ? Surtout qu’en dessous, on met la nacelle, donc il y a un poids.

Cette réaction peut être forte sans clore le débat. Ce n’est souvent qu’après plusieurs
étapes de ce type que l’expression nette d’une défiance par rapport au texte écrit
se manifeste clairement (voir en Table 1 les traces de ce type de décalage). Ceci se
produit surtout quand la poussée d’Archimède est comprise véritablement, voire
quasi redécouverte, comme relevant essentiellement de l’existence d’un gradient de
pression (Table 1).
Les commentaires sont alors sans appel :
Nuno : Là (article), il entend que la pression est la même… donc rien ne va
plus ! Il parle uniquement d’un problème de température et la pression serait la
même… mais du coup, la poussée d’Archimède ne s’applique pas, non ?
162 En physique, pour comprendre

Laurence : Donc du coup, y a pas du tout de variation de pression d’après ce qu’il


est en train de dire, donc en fait, on sait pas du tout d’où vient sa poussée !
Int. : Donc au niveau du sommet de la montgolfière…
Carine : On a une pression intérieure qui est supérieure à une pression extérieure.
Int. : Exactement.
Carine : Ce qui fait que ça monte. Ce qui n’est pas du tout le cas là-dedans ! (Elle
montre l’article)
Int. : Non, ça n’est pas vraiment expliqué dans l’article.
Carine : Ah non ! Parce que honnêtement, en lisant l’article, j’avais pas compris
ça comme ça. Le fait qu’il dise que la densité dépend de la pression et de la tempé-
rature, pour moi, on était vraiment à pression constante tout le temps et c’était en
faisant varier la température que… mais en fait, du coup, la température fait varier
la pression aussi. C’est ce qui n’est pas expliqué en fait.
Table 1 - Etapes dans le parcours intellectuel des étudiants :
prise de conscience de l’incohérence et attitude critique

Nom et domaine
Lien entre Quand on leur
du dernier diplôme Intervention Interven-
Première poussée demande s’ils
a : architecture de Explication tion des
question d’Archimède pourraient
b : biologie D’emblée l’argument de locale graphiques
sur et gradient de expliquer à
m : mathématique symétrie Etape 1b Etapes 1d
l’hypothèse pression leur tour.
i : technique Etape 1b et 1e
Etape 1c Etape 2
j : physique

Nuno (b) C0 I/C I I I

Ludovic (b) C0 I I I C

Laurence (b) C0 I I I/C I

Carine (b) I I/C

Adeline (j) I I/C

Céline (b) I/C

Côme (i) I C

Damien (b) I C

Dima (b) I I/C

Anna (m) I I/C

Marion (j) C0 I I C

Emmanuelle (a) C0 I I/C

Laura (j) I I C

Thomas (j) I C
Annexes 163

« I » indique quand les étudiants prennent clairement conscience de l’incohérence de


l’hypothèse incriminée.
« C0 » signale l’existence, d’emblée, de signes d’attitude critique, non particuliè-
rement centrés sur l’hypothèse ; « C » signale quand les étudiants s’appuient sur
l’incohérence de l’hypothèse pour critiquer l’article explicitement ou pour revenir
de façon critique sur leur propre attitude en début d’entretien.
Rien de commun entre les commentaires à cette étape et ceux du début. Il n’est plus
question de rechercher désespérément des souvenirs scolaires défaillants, le raison-
nement est en marche, avec les outils du bord, reconnus comme utiles. La satisfac-
tion qui en résulte est patente (13 étudiants sur 14 la déclarent valant 3 ou plus sur
une échelle de 1 à 4). En témoignent ces extraits de dialogue :
Côme : Ah ouais ! Ça me plait toujours de comprendre des trucs ! Donc là t’as
fait un heureux ! J’aime bien !
Laurence : Oui. Je dirais 3 (sur une échelle de 1 à 4) parce que, justement, comme
c’est parti sur quelque chose qui était pas évident pour moi, c’est encore plus de
plaisir à découvrir avec quelqu’un et en y participant. C’est encore plus plaisant,
la satisfaction est encore plus développée, pour toutes les difficultés que t’arrives
à passer.
Nuno : Je crois même que… c’est non seulement utile mais c’est aussi… là j’ai
pu comprendre, j’ai pu raisonner, j’ai pu faire mon petit graphe de telle sorte à
comprendre tout ce raisonnement-là, par l’intermédiaire de cette formule qui m’a
été expliquée, donc oui, pour moi, c’est même obligatoire!
Int. : Et ta note ?
Nuno : Je dirais que ce serait de l’ordre de 4. Plus t’en apprends, mieux c’est.
Int. : Ah ! Tu mets 4 là ?!
Nuno : Bon, alors disons 3… non, mais c’est difficile de noter entre 3 et 4 !
Disons 3,5 ! Parce que point trop n’en faut ! Mais aussi, tu es passée là par des
incontournables.
Marion : Si pour aller plus loin dans l’explication il faut passer par là, oui, je
pense que c’est important.
Int. : Est-ce que tu penses que ça vaut le coup d’utiliser cette explication-là, si
jamais tu devais écrire un article ou autre, même si ça prend du temps, même si
c’est plus compliqué ?
Laurence : Si ça vaut le coup ? C’est bizarre comme question ! Oui, bien sûr ça
vaut le coup !
164 En physique, pour comprendre

Int. : Parce qu’on pourrait dire que l’article est suffisant …


Laurence : Ben, je serais mal placée pour dire que « non, finalement, ça sert à
rien »!
Int. : Mais il y en a qui m’ont dit que c’était trop compliqué …
Laurence : Non non ! C’est pas du tout trop compliqué ! Franchement, en phy-
sique je suis une bille et je me base sur un niveau lycée à peu près et c’est pas du
tout mon truc ! Donc là, oui, ça vaut le coup !
Reste les commentaires sur ce que l’expérience leur inspire pour leur future pra-
tique professionnelle. A ce moment de l’entretien, après ce qu’ils ressentent comme
un acquis de compréhension et/ou comme une valorisation de leur potentiel de rai-
sonnement, les étudiants concernés professent des intentions que d’aucuns jugeront
naïves. Ce sont ces intentions qui sont soulignées ici, et non leur valeur prophé-
tique. Il apparait que ces non-spécialistes ne rejettent pas le risque d’une certaine
exigence intellectuelle. L’idée d’un nécessaire compromis avec le réalisme éditorial
n’est pas absente, mais chez la plupart des étudiants consultés, cela ne conduit pas
au renoncement.
Int. : Et tu te sens capable de l’expliquer à quel public ?
Laurence : A des adolescents. Parce que je pense qu’au lycée, on commence à voir
des choses de cet ordre-là et sans utiliser de formule, c’est un peu délicat, et à des
plus jeunes que ça, j’aurais beaucoup de mal à l’expliquer, je pense.
Cette étude fournit donc des indices qui plaident dans le sens suivant : si l’objec-
tif d’une formation de futurs journalistes comprenait celui de donner une idée du
fonctionnement des modèles et théories, ne serait-ce qu’en physique élémentaire, le
public en question n’opposerait pas une résistance aussi forte qu’on l’entend souvent
prédire.
En conclusion
Les idées qu’appuie cette investigation limitée se situent donc à deux niveaux.
Celui, d’abord, de l’élitisme supposé qui marquerait le projet de faire réfléchir les
étudiants un peu plus avant que ne le font nos rituels d’enseignement. On ne voit
pas, dans ces résultats, la trace de la pertinence d’un tel point de vue. Nos premiers
sujets d’expérience (chapitre 6) n’avaient rien de présélectionné, ceux de cette étude
le sont ... par leurs compétence et implication probablement réduites. L’intérêt et
le plaisir qu’ils manifestent en large proportion s’expriment, pourrait-on dire, dans
l’instant; si l’on hésite à dire qu’il s’agit d’une attitude gratuite, c’est pour ne pas la
dévaloriser.
Annexes 165

Le second niveau de discussion soulevé par ces résultats est celui des objectifs de
la formation de ce public. Certaines réactions à l’étude décrite ici s’apparentent à
une levée de boucliers contre l’idée que la cohérence de la description physique a
quelque chose à faire dans la formation d’un journaliste. La vision sous-jacente de
la science elle-même est en cause, bien entendu. Parler du large degré de cohérence
interne et de pouvoir prédictif de la physique peut encore heurter ceux qui crain-
draient un scientisme sans nuance. Ensuite, le travail de vulgarisation n’est pas celui
d’un journaliste ni encore moins celui d’un enseignant. Chaque spécialité appelle des
compétences bien particulières. A l’évidence, cette étude serait bien loin du compte
si elle prétendait trancher les débats liés à ces points de vue.
Au moins appuie-t-elle l’idée qu’il serait utile de définir précisément les objectifs de
la formation en science de futurs professionnels du journalisme et/ou de la médiation
scientifiques. Sans doute vaudrait-il la peine d’y regarder à deux fois si l’on était
tenté d’affirmer que l’illustration de la cohérence interne et du pouvoir prédictif des
théories abordées n’y avait pas sa place.
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Annexe F

Les « facilités » de la communication :


hiérarchisation des risques
par des élèves de Seconde

Annexe rédigée avec Ivan Feller sur la base de sa thèse :


Usage scolaire de documents d’origine non scolaire – Eléments pour un état des
lieux et étude d’impact d’un accompagnement ciblé en classe de seconde
http://tel.archives-ouvertes.fr/index.php?halsid=pbve94l9ghg3l40qfa4kii7t97&
view_this_doc=tel-00366318&version=1 ; et référence en note 60.
Il est souvent proclamé que la formation scientifique doit amener les élèves à l’exer-
cice responsable de la citoyenneté. L’esprit critique est en première ligne des objec-
tifs alors affirmés. L’ouverture des élèves aux medias scientifiques et l’aptitude à les
« lire », au sens large, sont considérées comme des gages de formation ultérieure
tout au long de la vie. Comment ne pas souscrire à de tels souhaits ? D’autant que
l’on espère, bénéfice co-latéral, associer à l’éducation sur ces plans des moments
motivants pour les élèves.
Les visites de musée ont fait l’objet de nombreuses études, mais on sait moins com-
ment un professeur peut s’y prendre, dans sa classe, pour faire intervenir la vulgari-
sation de manière fructueuse, ceci de manière non invasive par rapport aux rigueurs
du programme et du temps limité. Une étude en classe de Seconde apporte des élé-
ments sur les conditions d’un tel exercice de formation.
Il s’agit d’abord de définir l’objectif de manière un peu moins globale que via l’ex-
pression fatidique : développer l’esprit critique.
Un choix possible, celui retenu par l’étude en question, est de travailler sur des docu-
ments – « papier » pour des raisons pratiques – qui soient en lien avec les concepts
enseignés cette année-là, sans pour autant s’y limiter. L’un des buts est de dégager le
168 En physique, pour comprendre

message principal, en évitant notamment que celui-ci ne soit réduit, justement, à ce


qui relève du programme. Il peut être également souhaité que l’élève soit capable de
détecter les invraisemblances que le rédacteur aura mises en œuvre. Appelons « faci-
lités » ces simplifications, métaphores, exagérations ou autres éléments improbables
que l’auteur d’un document utilise parfois dans le but de se faire comprendre. Un tra-
vail suggéré par l’étude est de conduire les élèves à relativiser les conséquences pro-
bables de ces facilités, en termes de compréhension173. Illustrons ces deux thèmes
à l’aide du document déjà cité (ET), évoquant des extra-terrestres qui observent la
Terre de très loin (figure F1).

Figure F1 - Le document « ET »

Le message principal peut être ainsi formulé : la vitesse de la lumière étant finie,
l’information portée par la lumière nous parvient décalée dans le temps, ce qui, pour
d’importantes distances, conduit à d’importants décalages.
Une réduction de ce message à sa dimension purement scolaire à ce niveau – la
classe de Seconde – consiste à ne retenir ici qu’une seule chose : on peut faire un

173 On retrouve ici une préoccupation centrale dans l’étude décrite dans l’annexe précédente : former
les élèves à prendre position sur des éléments d’un texte susceptibles de poser un problème de
cohérence.
Annexes 169

calcul de distance entre planètes si l’on connait l’antériorité de l’événement observé,


c'est-à-dire l’époque où les terriens faisaient ainsi (en étant, notamment, poilus) du
feu. En bref, avec les valeurs de deux grandeurs on peut calculer celle de la troisième
grâce à la formule d = vt. Passerait alors à la trappe cette partie du message : ce que
nous voyons s’est produit il y a longtemps, car, du fait de la valeur finie de la vitesse
de la lumière, le signal reçu a mis du temps à nous parvenir. Pour qui a compris, ces
deux formulations peuvent sembler équivalentes. Le fait est qu’elles ne sont pas
exprimées avec la même fréquence avant et après formation.
Dans la catégorie « facilités », on peut ranger le fait que les ET parlent français,
qu’ils sont deux sur une minuscule planète et que leur télescope serait bien en peine
de permettre l’observation de poils d’humain sur Terre, etc. Plus sérieusement, c’est-
à-dire avec plus de conséquences probables pour la compréhension, on observe que
la Terre est représentée beaucoup trop grosse pour sa distance supposée (de l’ordre
de la centaine de milliers d’années-lumière). On comprend bien que cela soit plus
facile de représenter les continents, afin que la Terre soit reconnaissable. Mais, pour
les ordres de grandeur relatifs au message principal, cela verse dans l’incohérence.
Une lecture éclairée du document, au moins pourrait-on le souhaiter, devrait per-
mettre d’expliciter cet embryon d’analyse.
Le parti pris de l’étude est que la compréhension du message principal et la hiérar-
chisation des « facilités » associées sont des objectifs en fait liés. La progression de
l’élève se ferait, sur ces deux plans, de manière imbriquée.
Sur cette base, une expérimentation en classe de Seconde, répétée trois années de
suite, a impliqué au total 94 élèves. Elle n’a occupé chaque année que 4 heures et
demi d’enseignement, sur la base de trois documents illustrés, dont celui qui vient
de servir d’exemple. Pour chacun de deux premiers documents, sans rentrer dans les
détails de l’expérience, les élèves étaient amenés à donner leur avis sur le message
principal, sur les « facilités » du document, sur son intérêt. Pour chacun de ces points,
une discussion guidée par l’enseignant revenait – en demi-groupe de classe – sur une
sélection de réponses des mêmes élèves à un questionnaire individuel préalable. A
plusieurs reprises – début et fin de chaque session, lors d’un travail autonome sur le
troisième document, et à la fin de l’année –, un questionnaire permettait de faire le
point sur l’état d’avancement de la réflexion de chaque élève.
D’une année sur l’autre, les résultats sont très stables, ce qui permet de regrouper les
effectifs correspondants.
Dans le cas du document « ET », plus de la moitié des élèves en restaient, avant
tout enseignement sur ce terrain, à la lecture scolaire : avec deux données, on peut
170 En physique, pour comprendre

calculer la distance entre planètes. Après l’épisode d’enseignement correspondant,


cette proportion passait au quart des élèves : signe à la fois d’un progrès et d’une
difficulté persistante. Au-delà des chiffres, un extrait de débat illustre bien le type de
travail en cause :

Transcription du débat Commentaires


Le professeur (P) mentionne des réponses (ou
« propositions ») antérieures d’élèves :
P– Que pensez-vous de la proposition 5 : « L’ob- Le débat est lancé sur la place
jectif de ce document est de nous faire réaliser prise par la distance entre pla-
l’immensité de la distance année-lumière ? » nètes dans message principal.
A– Bah non, puisque c’est pour comprendre que la
lumière n’arrive pas instantanément.
P– Donc que pensez-vous de ce que dit l’élève ? Occasion de faire la distinction
Est-ce que c’est faux ? « correct du point de vue de la
physique / identification du mes-
B– C’est pas l’objectif, c’est vrai mais c’est pas
sage principal ».
l’objectif principal.
P– Donc c’est quoi l’objectif principal alors ?
C– Bah c’est de nous faire comprendre que la
lumière met un certain temps à nous parvenir…
D– En fait c’est la (proposition) 2 qui est correcte.
P– La (proposition) 2 : On cherche à nous L’enseignant cherche à vérifier
faire comprendre que la propagation de la que le groupe adhère à l’idée que
lumière n’est pas instantanée car l’extra-ter- cet énoncé constitue bien le mes-
restre qui vit en l’an 2000 voit une image de sage principal.
la Terre préhistorique. Qu’en pensez-vous ?
Collectif– Oui ! La réponse collective spontanée
est un indice fort dans ce sens.

Encadré F1 - Extrait du débat sur le message principal du docu-


ment ET. P : professeur ; A, B, C, D : élèves. En gras : les réponses
antérieures d’élèves à un questionnaire écrit, mises ici en discussion

Quant aux « facilités» du document, c’est surtout leur absence totale de mise en
perspective qui marque les réponses des élèves avant enseignement. Après la session
correspondante, c’est un tiers d’entre eux qui mentionne la taille de la Terre en tête
des éléments problématiques du document : là encore, ce progrès très modeste fait
prendre la mesure de la difficulté. Le débat intervenu entre temps donne une image
plus positive, à retenir en complément.
Annexes 171

Transcription du débat Commentaires


P– Il n’a que deux habitants sur la planète ET. L’enseignant pointe une « facilité ».
Que pensez-vous de cette affirmation ? L’élève juge ce détail anecdotique.
A– C’est vrai, mais c’est un dessin, on ne va quand
même pas représenter toute la population qu’il
y a sur Mars.

P– D’accord. La question est de savoir si cela vous L’enseignant lance le débat sur son
gêne pour comprendre le message principal. caractère d‘obstacle éventuel à la
Collectif– Bah non, ça n’a pas d’importance ! compréhension.
Les élèves, collectivement, n’y
voient pas un obstacle pour la
compréhension.

(…) (Même type de dialogue sur deux


autres propositions : la reproduc-
tion spontanée du processus est un
indice de la progression des élèves.)

P– Oui d’accord. Attendez, je lis : Ce n’est pas pos- L’enseignant lance une proposition
sible de voir ces détails (les terriens sont poilus plus discutable.
et ils essaient de faire du feu) avec un téles-
cope surtout si l’on se trouve à 300000 années-
lumière. Alors, qu’en pensez-vous ? Est-ce que
ça peut gêner la compréhension du message
principal ? Spontanément, les élèves se tournent
D– Bah non ! Respecter les échelles, c’est pas le vers le problème du respect des
but de l’auteur. Que le télescope soit grand ou échelles. On tente de les faire s‘ex-
petit, ça ne change rien. primer sur l’obstacle potentiel que
P– D’accord. cela représente.
E– Bah c’est par rapport à la (proposition) 6. Il Les élèves semblent considérer cette
dit que l’échelle est mal choisie. Mais c’est pas facilité comme anodine à l’instar
du tout le but de l’auteur que de respecter les des précédentes.
échelles. Ebauche de considération du point
C– Oui, on ne va pas dessiner une planète et puis de vue du dessinateur. Mais l’obs-
l’autre à des milliers d’années-lumière ; on tacle potentiel associé au non res-
n’aurait pas la place. pect des échelles n’est pas repéré.
D– En fait, la façon de nous montrer la chose, ça
nous permet de mieux comprendre. L’enseignant tente d’amener le
P– D’accord, alors moi, je vous demande ce que débat sur la représentation de la
vous pensez de l’élève qui a dit : on a l’impres- Terre...
sion que les ET sont justes à coté de la Terre.
C– Bah oui, c’est la seule qu’on voit à l’œil nu.
172 En physique, pour comprendre

Transcription du débat Commentaires


P– Et alors, si l’on est si près, est-ce que la lumière
va mettre 300 000 années avant de nous
arriver ?
D– Bah non, ça mettra beaucoup moins de temps. L’enseignant pointe l’incohérence
P– Alors posons-nous la question dans l’autre due à l’échelle de représentation
sens : si on avait représenté la Terre à 300 000 de la Terre.
années-lumière, qu’aurait-on vu ?
Collectif– Bah rien !
F– Un point.
P– Alors pourquoi l’auteur l’a-t-il représentée
comme ça ?
G– Bah c’est pour comprendre que c’est la Terre. Cet élève repère que cette facilité
P– D’accord, alors si on fait la Terre comme un à une raison d’être du point de vue
point, est-ce que l’on peut quand même com- de la lecture de l’image.
prendre le message principal ?
H– Bah oui, c’est ce qu’ils disent qui nous permet La discussion de cette « raison
de comprendre : je vois des terriens… d’être » conduit rapidement à sa
P– D’accord. Alors est-ce qu’il y avait besoin de remise en cause.
représenter la Terre comme ça ?
Collectif– Non !
P– Vous m’avez dit au départ : les histoires
d’échelle, ce n’est pas grave. Alors qu’en
pensez-vous ?
I– Bah oui, là c’est plus grave.

Encadré F2 - Extrait du débat sur les « facilités » du document


ET. P : professeur ; A, B, C, D : élèves. En gras : les réponses
antérieures d’élèves à un questionnaire écrit, mises ici en discussion

Le second document utilisé, plus complexe autant par la structure que par les
concepts en cause, s’est révélé plus propre au travail collectif qu’aux performances
individuelles. On y observe encore à la fois la difficulté que les élèves éprouvent à
dépasser une lecture purement scolaire du message principal et leur faible détection
des « facilités » critiquables du document.
Mieux dominées pour le troisième document, ces difficultés soulignent en tout cas
l’effort requis pour accéder à une lecture un tant soit peu profitable de tels textes.
Annexes 173

S’agirait-il alors d’un travail à contre-courant, substituant une corvée formelle à


l’insouciante et gratifiante lecture d’un document illustré ? Ecoutons les intéressés, à
l’issue de leur troisième et dernier travail, effectué cette fois en autonomie :
−− « J’ai trouvé ce travail très instructif, il m’a permis de pouvoir étudier un docu-
ment en profondeur et aussi d’apprendre la rédaction d’une critique d’un texte de
vulgarisation scientifique. Je pense qu’un document de ce type devrait comporter
des explications simples mais claires. Le fait de trop simplifier certaines notions
rend le texte parfois peu compréhensible. (…). Ce travail m’a aussi permis de
me rendre compte que, la physique, c’est aussi savoir tirer des informations d’un
document et d’en retenir l’essentiel et pas seulement effectuer des calculs et faire
des TP. »
−− « J’ai trouvé ce travail plutôt difficile car il demande de la réflexion pour fournir
une critique argumentée. Il m’a permis d’innover en abordant ce sujet de physique
de façon littéraire et pour cela j’y ai consacré plusieurs heures. »
−− « Premièrement, ce travail m’a aidé à développer un esprit critique. A présent,
je comprends mieux pourquoi il faut consulter plusieurs sources pour être sûr de
l’information que l’on avance. Aussi, il est intéressant d’analyser un document,
et de savoir précisément ce que l’on comprend et ce que l’on ne comprend pas. »
−− « Ce travail m’a appris qu’il faut prendre le temps de lire, et non survoler un
article, car il peut être très intéressant. Il ne faut pas s’arrêter à cause de quelque
chose que l’on ne comprend pas. Il m’a également fait comprendre que je pouvais
m’intéresser à un sujet qui, à première vue, ne m’aurait pas attiré si je n’avais
pas été obligé de travailler dessus. (...) En définitive, ce devoir m’a fait prendre
conscience de beaucoup de choses auxquelles je n’aurais pas réfléchi autrement. »
Un indice retient également l’attention. A l’issue de la formation, un bilan sur l’en-
semble de l’année et des activités a fait apparaître, à propos de celle décrite dans
cette annexe, une meilleure réaction chez les élèves qui n’envisageaient pas une
spécialisation scientifique que chez leurs camarades qui visaient une Terminale S.
A travers ce bilan, les futurs scientifiques se montrent plus souvent sceptiques sur
l’utilité d’un tel travail. Une observation à confirmer et, éventuellement, à prendre en
compte, afin d’accompagner d’actions mieux informées les habituelles incantations
à l’esprit critique.
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

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