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Au lycée professionnel

Sommaire, n° 484, novembre 2010

Billet du mois :
Nicole Priou : De la tenue s’il vous plait
Bloc-notes, Philippe Watrelot .......................................................................... 1
Coralie Congnet : Évaluer en cours de formation
pour mieux apprendre ...................................................................................... 44
Catherine Ravelli : Comment se fait un travail ? ............................ 45
Sylvie Gonthier : À l’aide ! .............................................................................. 47
pédagogiques
Actualités éducatives ............................................................................................. 2
changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société
Corinne Marlot, Nathalie Younès, Guillaume Serres :
Le Crap-Cahiers pédagogiques

Au lycée professionnel
Nouvelles prescriptions, nouvelles pratiques .................................. 48
face aux baisses de subvention Témoignages : Accompagnement personnalisé,

Exemplaire réservé : * IUFM SITE DE NANCY MAXEVILLE CTRE DE RESSOURCES DOCUMENTAIRES


Luc Ria, Patrick Rayou, Frédéric Saujat : nouveaux programmes : ce que ça change dans le métier ..... 50
Quels usages de ressources vidéos pour la formation ?
Conclusion : Aziz Jellab : Plaidoyer pour une institution
Nicole Priou : « Souffrances à l’école : agissons ! »
en mutation ............................................................................................................. 53
Marie-Anne Leduby : Le contrôle du travail des enseignants
contribue-t-il à la professionnalisation de leur métier ? Articles à consulter sur notre site :
Sabine Coste et Jean-Yves Viain : La DP3 : à la découverte
des métiers et des lycées professionnels
DOSSIER : Au lycée professionnel .......................................................... 9
Entretien avec Pierre Billet : Quelles conditions pour
Coordonné par Sabine Coste la réussite de lycéens de la voie professionnelle dans le
Éditorial ....................................................................................................................... 10 supérieur ? • Arnaud Ros, Christine Rochette : Travailler

CAHIERS PÉDAGOGIQUES – n° 484 – novembre 2010 : Au lycée professionnel


sur l’orientation vers la voie professionnelle en Segpa
1- Des enseignants qui cherchent, s’adaptent, innovent Sabine Coste, Dominique Zambon : La lutte contre le
Nicole Bouin : Un collectif pour mettre en commun décrochage scolaire dans les LP
difficultés et projets . ......................................................................................... 11 Alexis Lucas, Laurent Lasson : Grâce aux outils numériques,
Stéphane Clerc : Un métier engagé ........................................................ 13 de nouvelles pratiques ?
Patrick Pierre : Faire réussir dans la filière comptabilité ........ 14
Et chez toi, ça va ? ................................................................................................... 59
André Roux : Un lycée nommé désir ? ................................................... 16
Dominique Moinard :
Ludmilla Fermé :
Immortelle professeure de photographie ............................................ 59
Un enseignement de la langue spécifique ? ..................................... 17
Laurent Carceles : Les vêtures numériques ...................................... 59
Rose-Marie Subra-Bosch : Un projet interdisciplinaire
Christophe Rousseau : Inspection : bonjour ! . .................................. 60
pour réconcilier avec l’écriture .................................................................. 18
Sylvie Menet :
Karine Foucher : « À quoi ça sert l’anglais, Madame ? » ......... 20
Une équipe pour un rallye : un super début d’année . ............... 61
Joël Mak dit Mack :
Dans les interstices des programmes d’histoire ............................ 22 Faits et idées ............................................................................................................... 62
Marie Kerhom : Philosopher en lycée professionnel ? ................ 24 Bruno Hubert : Revenir sur les souvenirs d’école
en formation d’enseignants .......................................................................... 62
2- Des élèves à accueillir et à prendre en considération
Sandrine Cortessis : Comment évaluer
Bernard Javaux : Découvrir pour choisir son orientation . ........ 26 une pratique d’enseignement dans un jury de VAE ? ................. 64
Sabine Coste, Dominique Zambon :
Il y a 30 ans dans les Cahiers ......................................................................... 66
L’orientation des élèves, une nouvelle facette du métier . ...... 28
Il y a 40 ans dans les Cahiers :
Céline Lourde Rocheblave : Emmener les élèves
style secondaire et style technique ........................................................ 66
du collège à la vie professionnelle .......................................................... 29
Boumédiene Sid-Lakhdar : Quelles passerelles Le Livre du mois . ...................................................................................................... 68
entre le collège et le lycée professionnel ? ........................................ 31 École : les pièges de la concurrence.

N° 484 - nov. 2010. 65e année- 7,70 


Jean-Pierre Bourreau, Michèle Sanchez : Comprendre le déclin de l’école française ........................................ 68
« Quand est-ce qu’on se met au travail ? » ....................................... 33
Témoignages : Un établissement mobilisé
sur la prévention contre le décrochage................................................. 36
3- Des lycées transformés par les diverses prescriptions
Stéphane Vince : D’une rénovation à des innovations ? ............ 39
Christian Biabiany, Jean-Michel Zakhartchouk :
Du socle commun aux référentiels, Couverture : Nini La Caille
quelle approche par compétences ? ....................................................... 42 Illustrations : Dum

Actualités éducatives Faits et idées


CRAP-Cahiers pédagogiques, 10, rue Chevreul, 75011 Paris. Tél. : 01‑43‑48‑22‑30 - Fax : 01‑43‑48‑53‑21 Les Cahiers et les baisses de subvention Une pratique d’enseignement en VAE ?
http://www.cahiers-pedagogiques.com - crap@cahiers-pedagogiques.com Quels usages des Le livre du mois
Cercle de Recherche et d’Action Pédagogiques
3 782829 107708 04840 vidéos pour la formation ? École : les pièges de la concurrence
Au lycée professionnel
Sommaire, n° 484, novembre 2010 Édition numérique au format PDF

Billet du mois :
Nicole Priou : De la tenue s’il vous plait
Bloc-notes, Philippe Watrelot .......................................................................... 1
Coralie Congnet : Évaluer en cours de formation
pour mieux apprendre ...................................................................................... 44
Catherine Ravelli : Comment se fait un travail ? ............................ 45
Sylvie Gonthier : À l’aide ! .............................................................................. 47
pédagogiques
Actualités éducatives ............................................................................................. 2
changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société
Corinne Marlot, Nathalie Younès, Guillaume Serres :
Le Crap-Cahiers pédagogiques

Au lycée professionnel
Nouvelles prescriptions, nouvelles pratiques .................................. 48
face aux baisses de subvention Témoignages : Accompagnement personnalisé,
Exemplaire réservé : * IUFM SITE DE NANCY MAXEVILLE CTRE DE RESSOURCES DOCUMENTAIRES

Luc Ria, Patrick Rayou, Frédéric Saujat : nouveaux programmes : ce que ça change dans le métier ..... 50
Quels usages de ressources vidéos pour la formation ?
Conclusion : Aziz Jellab : Plaidoyer pour une institution
Nicole Priou : « Souffrances à l’école : agissons ! »
en mutation ............................................................................................................. 53
Marie-Anne Leduby : Le contrôle du travail des enseignants
contribue-t-il à la professionnalisation de leur métier ? Articles à consulter sur notre site :
Sabine Coste et Jean-Yves Viain : La DP3 : à la découverte
des métiers et des lycées professionnels
DOSSIER : Au lycée professionnel .......................................................... 9
Entretien avec Pierre Billet : Quelles conditions pour
Coordonné par Sabine Coste la réussite de lycéens de la voie professionnelle dans le
Éditorial ....................................................................................................................... 10 supérieur ? • Arnaud Ros, Christine Rochette : Travailler

CAHIERS PÉDAGOGIQUES – n° 484 – novembre 2010 : Au lycée professionnel


sur l’orientation vers la voie professionnelle en Segpa
1- Des enseignants qui cherchent, s’adaptent, innovent Sabine Coste, Dominique Zambon : La lutte contre le
Nicole Bouin : Un collectif pour mettre en commun décrochage scolaire dans les LP • Laurent Lasson : Grâce aux
difficultés et projets . ......................................................................................... 11 outils numériques, de nouvelles pratiques ? • Alexis Lucas : Le
Stéphane Clerc : Un métier engagé ........................................................ 13 numérique pour mieux faire écrire
Patrick Pierre : Faire réussir dans la filière comptabilité ........ 14
Et chez toi, ça va ? ................................................................................................... 59
André Roux : Un lycée nommé désir ? ................................................... 16
Dominique Moinard :
Ludmilla Fermé :
Immortelle professeure de photographie ............................................ 59
Un enseignement de la langue spécifique ? ..................................... 17
Laurent Carceles : Les vêtures numériques ...................................... 59
Rose-Marie Subra-Bosch : Un projet interdisciplinaire
Christophe Rousseau : Inspection : bonjour ! . .................................. 60
pour réconcilier avec l’écriture .................................................................. 18
Sylvie Menet :
Karine Foucher : « À quoi ça sert l’anglais, Madame ? » ......... 20
Une équipe pour un rallye : un super début d’année . ............... 61
Joël Mak dit Mack :
Dans les interstices des programmes d’histoire ............................ 22 Faits et idées ............................................................................................................... 62
Marie Kerhom : Philosopher en lycée professionnel ? ................ 24 Bruno Hubert : Revenir sur les souvenirs d’école
en formation d’enseignants .......................................................................... 62
2- Des élèves à accueillir et à prendre en considération
Sandrine Cortessis : Comment évaluer
Bernard Javaux : Découvrir pour choisir son orientation . ........ 26 une pratique d’enseignement dans un jury de VAE ? ................. 64
Sabine Coste, Dominique Zambon :
Il y a 30 ans dans les Cahiers ......................................................................... 66
L’orientation des élèves, une nouvelle facette du métier . ...... 28
Il y a 40 ans dans les Cahiers :
Céline Lourde Rocheblave : Emmener les élèves
style secondaire et style technique ........................................................ 66
du collège à la vie professionnelle .......................................................... 29
Boumédiene Sid-Lakhdar : Quelles passerelles Le Livre du mois . ...................................................................................................... 68
entre le collège et le lycée professionnel ? ........................................ 31 École : les pièges de la concurrence.

N° 484 - nov. 2010. 65e année- 7,70 


Jean-Pierre Bourreau, Michèle Sanchez : Comprendre le déclin de l’école française ........................................ 68
« Quand est-ce qu’on se met au travail ? » ....................................... 33
Témoignages : Un établissement mobilisé
sur la prévention contre le décrochage................................................. 36
3- Des lycées transformés par les diverses prescriptions
Stéphane Vince : D’une rénovation à des innovations ? ............ 39
Christian Biabiany, Jean-Michel Zakhartchouk :
Du socle commun aux référentiels, Couverture : Nini La Caille
quelle approche par compétences ? ....................................................... 42 Illustrations : Dum

Actualités éducatives Faits et idées


CRAP-Cahiers pédagogiques, 10, rue Chevreul, 75011 Paris. Tél. : 01‑43‑48‑22‑30 - Fax : 01‑43‑48‑53‑21 Les Cahiers et les baisses de subvention Une pratique d’enseignement en VAE ?
http://www.cahiers-pedagogiques.com - crap@cahiers-pedagogiques.com Quels usages des Le livre du mois
Cercle de Recherche et d’Action Pédagogiques vidéos pour la formation ? École : les pièges de la concurrence
Billet du mois Les hors-série numériques
des Cahiers pédagogiques
Billet du mois, billet d’humeur… Pour ouvrir chaque numéro, un texte qui réagit,
qui peut faire réagir, par un auteur qui s’engage, qui engage la discussion.

Les Cahiers pédagogiques éditent sous forme


de fichiers au format pdf des numéros portant
sur des thèmes d’actualité, téléchargeables sur
notre site www.cahiers-pedagogiques.com

De la tenue s’il vous plait Aider et accompagner les


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Tenue de classe : tel est le nom du site lancé par le CNDP et promu par le ministre de l’Éduca-
élèves dans et hors l’école
tion nationale le lundi 27 septembre dernier. Tenue de classe : c’est par ce mot d’ordre que les
nouveaux enseignants entreront en contact avec le métier à travers les modules de formation Aider, accompagner pour mieux apprendre, mais
prescrits dans le cadre des mesures de prévention contre la violence à l’école. Comme les mots aussi pour apprendre à se passer d’aide, à devenir
ne sont jamais neutres, l’usage répété de « tenir » questionne. autonome : vaste défi !
Sur le site, deux vidéos en parallèle : un théoricien présente la notion, un praticien évoque les Comment mettre en place des temps spécifiques
pratiques – découpage déjà contestable quant à l’image donnée des rapports entre la théorie et pour les élèves qui en ont le plus besoin, sans que
la pratique. Le praticien explique que la réactivité est une composante essentielle de l’autorité ce soit une mise à l’écart ? Comment aider les élèves
de l’enseignant : « J’explique. Jennifer commence à dire à sa voisine “Tu sais quoi ?” “Non, elle Nicole Priou en dehors de l’école, sans dédouaner pour autant
s’en moque, travaillez.” » Voilà. La classe est tenue. Autorité ? Pouvoir ? Toute parole parasite l’école de sa propre responsabilité ?
au discours de l’enseignant est évacuée… y compris avec un argument douteux : la voisine en
question est probablement tout aussi intéressée parce que Jennifer voudrait bien réussir à lui Bref, comment rendre l’aide et l’accompagnement
dire que par les explications de l’enseignant. La classe est tenue, mais quel statut est donné à pédagogique efficaces ? À l’heure de la mise en place
priori à la parole de l’élève ? La visée n’est plus l’éducation, mais la domestication. Les autres du socle commun de connaissances et de compéten-
conseils – organisation du plan de classe, note de sérieux, etc. – pour tenir sa classe sont en ces à l’école et au collège, de la réforme du lycée, une
cohérence avec une théorie implicite : la paix sociale ne se construit pas avec les élèves, mais question à travailler !
malgré eux, voire contre eux.
Version adaptée à la lecture à l’écran et une version
Si l’autorité « autorise », crée les conditions de rendre davantage auteur et responsable de ses destinée à l’impression. Première édition.
actes, donne du pouvoir d’agir, alors ce n’est pas d’autorité dont il est question ici, mais de
pouvoir et d’emprise. Si la classe « tient », ce qui tient au bout du compte, c’est un ordre appa-
rent et artificiel, une mise en conformité. Mais où et comment s’articulent les trois missions de
l’école éduquer, instruire, socialiser ? Dossier coordonné par Sylvie Grau
On aimerait que ceux qui s’inquiètent tant de la « tenue »… pour les autres en fassent davan- et Jean-Michel Zakhartchouk.
tage preuve eux-mêmes. Croit-on sérieusement que les 27 000 DVD distribués aux professeurs Ce dossier est vendu en ligne sur notre site 7 euros pour les particuliers.  
stagiaires depuis la rentrée scolaire leur permettront de s’emparer de cette question de l’auto- et à télécharger au format PDF. Tarifs avec droits de diffusion :  
rité, de commencer à y répondre ? Comment peut-on à la fois lancer des États généraux de la Une 2e édition sera disponible pour les
sécurité, demander à un conseil scientifique des recommandations, programmer un plan de for-
14 euros pour les établissements scolaires  
acheteurs de la première, sans supplément. et 21 euros pour les médiathèques.
mation à la prévention la violence et supprimer l’année de stage en responsabilité, envoyer les
nouveaux enseignants à temps plein dans les classes, les inciter à des formations qu’ils ne sont
pas surs de pouvoir suivre ? Qu’est-ce qui se tient dans tout cela ? À quoi tient-on vraiment ?
Alors qu’il y a tant à faire, beaucoup d’enseignants aujourd’hui, au lieu de développer leur
pouvoir d’agir, sont empêchés de le faire.
Messieurs les décideurs, un peu de tenue, s’il vous plait.

À l’école avec les élèves roms,


tsiganes et voyageurs
Mis à disposition gratuitement

Six contributions pour donner quelques clés de compréhen-


sion, quelques pistes pour se débrouiller entre, d’une part, le
constat de la « spécificité » des élèves, la reconnaissance de
leurs « besoins éducatifs particuliers », et, d’autre part, la néces-
sité de tendre vers la scolarisation ordinaire, en accord avec le
droit commun que devraient respecter tous les acteurs.
Les Cahiers pédagogiques est une revue indépendante éditée par le Coordonné par Régis Guyon et Michaël Rigolot. Édition
Cercle de recherche et d’action pédagogiques (Crap), association loi 1901 engagée partielle du hors-série numérique à paraitre en janvier 2011.
dans la réflexion sur les pratiques quotidiennes de l’enseignement tout comme dans

www.cahiers-pedagogiques.com
les combats en faveur d’une école plus juste et plus efficace. Ses membres exercent
dans tous les secteurs de l’école, de la maternelle à l’université.
de Philippe Watrelot

Le chiffre du mois
Le premier chiffre du mois n’existe pas. Il est caché.
Il s’agit de celui des démissions des professeurs Le blog du mois
stagiaires qui ont été nommés avec des services Enjeux en éducation
complets ou quasi complets dans les collèges et
http://ecolelogique.blogspot.com/
lycées (la situation est un peu différente pour le
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primaire). Il se murmure que ce chiffre serait assez Jacques Tondreau est un sociologue québécois et syndicaliste qui s’intéresse
élevé dans certaines académies. C’est le symp- depuis longtemps aux enjeux de la recherche en éducation. Son blog offre une
tôme d’une entrée dans le métier très difficile. Ce « veille » très intéressante sur les politiques éducatives menées dans le monde et
sont ces conditions de travail qui aboutissent à permet une approche comparatiste utile à l’heure où les réformes éducatives ne
ce que des personnes qui ont consacré beaucoup peuvent pas se faire sans regarder ce qui se fait ailleurs.
d’énergie et de temps à préparer un concours dif-
ficile en viennent à démissionner après quelques
semaines. La citation du mois
Le deuxième chiffre du mois peut servir à éclairer « Faire émerger de nouvelles élites et lutter contre les inégalités sont deux options
le premier. En Belgique, ce sont 40 % de jeunes différentes dont le succès ne repose pas sur les mêmes bases. Le parrainage des
professeurs qui arrêtent leur métier au cours des meilleurs a un rôle à jouer dans une politique éducative ambitieuse. Il ne sau-
cinq premières années. Ce qui les pousse à mettre rait en tenir lieu. »
un terme à leur carrière ? La pénibilité du travail,
la solitude du prof devant sa classe, le manque de Agnès Van Zanten « Prépas, élites et inégalités »
soutien de la part des collègues et de la direction, Le Monde du 13 septembre 2010
le salaire peu gratifiant, l’absence de reconnais-
sance et le mépris de l’administration.
En Suisse aussi, les enseignants sont très nom- « École du socle commun »
breux à quitter l’enseignement dans les premiè- Le rapport du HCE (Haut Conseil de l’éducation) de cette année 2010 porte sur
res années. C’est de l’ordre de 20 à 50 % selon le collège. Le constat est assez négatif : « Un élève sur cinq (soit chaque année
les cantons. Au Québec, le taux est aussi de 20 %. environ 150 000 élèves) sort du collège en ayant de graves lacunes en français
Enseigner est-il toujours un métier qui attire ? et en mathématiques. » Même si certains ont voulu l’interpréter ainsi, il ne remet
pas en question le collège unique, mais demande au contraire que celui-ci fonc-
tionne vraiment. Il appelle de ses vœux le rapprochement avec l’école primaire
L’ascenseur descend… et la création de « l’école du socle commun » en lieu et place du collège actuel,
On trouve des nouvelles de l’ascenseur social dans dont on sait que, construit comme un « petit lycée », il est conçu pour 30 % d’une
une note de la direction de l’évaluation, de la pros- classe d’âge alors qu’il en accueille près de 100 %. Le HCE espère ainsi que « l’ap-
pective et de la performance (DEPP) comparant le proche par compétences » entrainera « le recul, puis la disparition du redouble-
parcours de deux générations d’élèves entrés en ment ». Il préconise une nouvelle organisation du collège, et cite comme modèle
6e, les uns en 1989, les autres en 1995. L’incidence le collège Clisthène.
du retard accumulé au cours de la scolarité pri- À noter qu’on retrouve cette expression « école du socle commun » dans un autre
maire sur l’orientation de l’élève et sur l’obten- rapport, celui du député Reiss qui se penche sur le statut des écoles primaires.
tion finale du baccalauréat est importante. Seul
un quart des élèves ayant redoublé une fois dans
l’enseignement primaire obtient le baccalauréat.
Le constat est encore plus marquant pour les élè-
ves ayant accumulé plus d’un an de retard à l’en- L’école de Charb
trée en 6e : seulement 13 % d’entre eux deviennent
bacheliers.
Mais au-delà de cette affirmation, c’est surtout le
constat d’un maintien voire d’une aggravation des
inégalités qui saute aux yeux : un enfant d’ouvrier
non qualifié a deux fois moins de chances de deve-
nir bachelier qu’un enfant de cadre ou d’ensei-
gnant. À niveau et retard scolaires comparables,
les disparités de réussite selon le milieu social, le
sexe ou les caractéristiques familiales sont très
importantes, et elles s’aggravent. Un élève dont le
père est enseignant a quatorze fois plus de chances
relatives d’obtenir le baccalauréat que celui dont le
père est ouvrier non qualifié dans le panel 1995,
contre seulement neuf fois dans le panel 1989.
On voit aussi dans cette étude, décidément très
intéressante, que la réussite est aussi plus fai-
ble pour les élèves issus de l’immigration (même
si l’étude établit des différences selon les origi-
nes). Par ailleurs, la situation familiale joue aussi
un rôle : les élèves vivant en famille monoparen-
tale ou recomposée ont une probabilité plus fai-
ble de terminer leurs études secondaires avec le
baccalauréat que ceux qui vivent avec leurs deux
parents.
Vous avez dit « égalité des chances » ?

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 1


A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S

Nous continuons !

Le Crap-Cahiers pédagogiques face aux baisses de subvention

Trois mois après l’annonce par le ministère d’une baisse de notre subvention, où en sommes-nous ?
Nous devons ce point de situation à tous ceux qui nous ont soutenus : adhérents de longue date,
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sympathisants qui nous ont rejoints, lecteurs qui ont témoigné de leur attachement aux
Cahiers pédagogiques sur notre site Internet, syndicalistes et membres des associations amies,
parlementaires qui ont chacun fait connaitre notre situation et montré leur attachement
aux mouvements pédagogiques. Nous tenons ici, solennellement, à tous les remercier.

Au départ de cette mobilisation, un sec appel télépho- dont nous sommes comptables auprès de nos adhé-
nique : «  Le ministère n’est plus en mesure de vous rents et de nos lecteurs qui nous permet d’envisager
accompagner sur un des deux postes de détachés à l’avenir avec cette solution de maintien de nos deux
partir de septembre 2010. » C’est tout autant le pro- détachés. Et nous tenons à rappeler aussi que tout
cédé utilisé que le contenu de cette annonce qui nous cela n’est possible que grâce au bénévolat et à l’en-
a fait réagir, et nous a conduits à informer et mobiliser gagement de nombreux auteurs et adhérents.
autour de notre situation, de concert avec d’autres
mouvements également concernés. Aller vers une autonomie financière n’est pas un ob-
jectif en soi : que le ministère de l’Éducation nationale
L’entretien que le cabinet du ministre nous a fina- soutienne une association mettant à disposition des
lement concédé n’a porté que sur l’explication de professionnels de l’éducation des outils de formation
la décision prise, et nous n’avons pas obtenu de à la qualité largement reconnue, largement utilisés
concessions sur la baisse annoncée de la subven- dans l’institution, est bien la moindre des choses, et il
tion. Nos interlocuteurs ont joué de l’ambigüité des ne nous parait pas que le financement de deux pos-
chiffres et du décalage entre l’année civile et l’année tes d’enseignants et une modeste subvention com-
scolaire. Oui, la baisse de la subvention pour l’année plémentaire soit cher payé pour la contribution du
civile 2010 ne correspond pas à une baisse de moitié, Crap-Cahiers pédagogiques à la mission de service
car elle ne s’applique que sur quatre mois (septembre public de l’Éducation nationale. Mais de fait, dans
à décembre) de salaire d’un des deux détachés. Mais le contexte actuel, cette autonomie financière est le
non, nous n’avons aucune garantie sur 2011, et, au meilleur garant de notre pérennité, et également la clé
final, cela signifierait bien la fin de la subvention d’un de notre autonomie politique et pédagogique.
détaché sur deux.
Cependant, l’équilibre auquel nous parvenons est
Le large soutien qui s’est manifesté autour de notre précaire, et il serait illusoire et dangereux de laisser
association à cette occasion nous encourage à faire croire que nous pourrions nous en sortir seuls. Nous
les efforts nécessaires pour compenser la diminution voulons réaffirmer que cela passe pour nous par la
de la subvention et maintenir le deuxième poste de solidarité, l’inscription dans un ensemble de collectifs
détaché. Avant d’être une décision économique que et de réseaux de défense de l’école et de promotion
nous permettent pour l’instant la progression de la de la pédagogie, au service d’une école démocrati-
diffusion de nos publications et nos réserves, c’est que et de la réussite de tous. Ces questions doivent
bien d’abord un choix politique. Nous voulons pré- être aussi au cœur du débat sur les projets éducatifs
server ces outils de diffusion, d’échanges et de for- dans la perspective 2012 sur lesquels nous souhai-
mation pour accompagner les nécessaires évolutions tons nous engager fortement. Nous n’oublions pas
de l’école que sont nos publications et nos manifes- que nous voulons « changer l’école pour changer la
tations publiques. société, changer la société pour changer l’école ».

Pour cela, il nous faut poursuivre le travail de réorga-


nisation et de modernisation de nos structures et de Le 26 septembre 2010
nos méthodes d’édition. Cela repose sur une grande Pour le bureau du Crap-Cahiers pédagogiques
rigueur dans la gestion et un travail de long terme en- Philippe Watrelot
trepris depuis plusieurs années. C’est cette rigueur

2 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S

À lire sur notre site


Quels usages de ressources vidéos www.cahiers-pedagogiques.com
Transformer l’école : des

pour la formation ?
perspectives pour 2012
Le CRAP-Cahiers pédago-
giques ouvre un espace pour
Luc Ria, Patrick Rayou, Frédéric Saujat avancer des propositions
concrètes en vue d’une véri-
table réforme du système
Le ministère de l’Éducation nationale a mis en ligne à la rentrée 2010-2011 éducatif, inscrite sur le long
ce qu’il nomme un « programme national de formation ». Toutes les propositions terme et s’attaquant à des enjeux
essentiels : le métier enseignant et
rassemblées ne sont pas équivalentes. Le site de l’INRP neopass@action la formation, les programmes et
se distingue par la qualité des ressources proposées. Nous avons voulu en savoir les rythmes, la réhabilitation de la
plus en interrogeant trois des acteurs impliqués dans le lancement de ce site. pédagogie, la réussite de tous les
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élèves. Des contributions de cher-


cheurs et les réactions des lecteurs.
— Luc Ria, Patrick Rayou, Frédéric Saujat, visionner une centaine d’extraits vidéos pour
vous êtes tous les trois à l’image sur la page d’ac- le premier thème proposé (l’accueil et la mise Papy, ça peut exister, un
cueil du site neopass@ction lancé par l’INRP au travail des élèves) pour identifier les carac- futur antérieur ?
pour cette rentrée : est-ce que d’un contexte délé- téristiques de chacune des activités des débu- Une chronique originale et stimu-
lante de Bernard Devanne qui,
tère – la liquidation de la formation profession- tants et leurs effets sur les élèves, comprendre sous la forme d’un feuilleton, illus-
nelle des enseignants – peuvent naitre une bonne la dynamique de transformation de leur acti- tre à travers les dialogues vivants
idée et un bon site ? vité, apprendre de l’expérience d’autres entre une élève de CM1, sa mère et
son grand-père, l’échec de l’école
— Le contexte actuel est effectivement très débutants et de celle d’enseignants plus che- à mettre en œuvre la maitrise de
problématique, notamment pour les ensei- vronnés qui décrivent les gestes profession- la langue par tous les enfants. Un
gnants débutants. Tout le monde s’accorde à nels employés pour dépasser ces situations nouvel épisode chaque vendredi
matin.
reconnaitre au plan international la difficulté critiques. De nombreux autres extraits vidéos
croissante du travail enseignant. Les change- présentent sans compassion ni misérabilisme On achève bien les
ments profonds du rapport à l’autorité, du les analyses des chercheurs au sujet du travail écoliers
rapport à l’école expliquent en grande partie ordinaire des débutants, mais en prenant très Dans l’ouvrage retentissant qu’il
la difficulté à enseigner à des adolescents peu au sérieux leurs difficultés réelles d’exercice vient de publier, Peter Gumbel ose
professionnel au quotidien. poser la question taboue du « bon-
enclins au travail scolaire. Les enseignants heur à l’école ». Cela nous a donné
débutants en France risquent d’être encore — Un site – quelle que soit la qualité des res- envie d’aller plus loin à travers
plus en difficulté puisque leur année de stage sources mises en ligne – peut-il participer à une un entretien avec lui. Le bonheur
n’est-il pas une idée neuve dans
professionnel a été supprimée. Enseigner véritable « formation » des enseignants ? Ne man- l’école française ?
nécessite bien davantage que de l’expertise que-t-il pas l’élément essentiel que représentent
scientifique, même si celle-ci est indispensa- les échanges, les interactions, le travail d’élabo- Georges Charpak n’est plus
ble. Leurs premières heures de classe peuvent ration et de problématisation qui s’opère dans le En hommage au prix Nobel de
devenir de véritables épreuves, sans solutions groupe de pairs et grâce au groupe de pairs ? Que physique et instigateur de La Main
à la pâte, un texte de 2006 paru
concrètes, non pas uniquement dans les éta- deviennent les modalités de formation que vous dans les Cahiers et cosigné avec
blissements des quartiers défavorisés, mais avez chacun à votre manière cherché à promou- Pierre Léna et Yves Quéré est à
plus généralement dans toutes les classes voir : co-observations, autoconfrontations croi- redécouvrir pour sa réflexion sur
hétérogènes de France. sées, entretiens d’explicitation, etc. ? dix ans de pratiques marquées par
la démarche d’investigation, la
Notre projet consiste à dédier aux enseignants — Participer à une formation, oui, très certai- réconciliation entre savoir et faire
débutants des ressources de formation, d’ac- nement, s’y substituer, en aucune manière. Le et l’accès au langage.
compagnement, construites à partir de tra- risque en effet, aggravé par la légitimité que
vaux de recherche en éducation pour éviter lui confère le cadre institutionnel de cette pla-
qu’ils arpentent seuls la sphère profession- teforme, est de laisser penser que nous mon-
nelle pour laquelle les chercheurs ou les for- trons de bonnes ou de mauvaises pratiques
mateurs ont pu identifier les principaux et qu’il suffirait d’éviter les unes et de copier
obstacles et les gestes professionnels pour s’en les autres pour se former. Si nous offrons ces Enseignants/
sortir. Profitant des nouvelles technologies vidéos et les débats qu’elles nourrissent, c’est orthophonistes :
aujourd’hui disponibles par Internet, cette parce que nous avons puisé nous-mêmes à des partenariats,
plateforme intitulée « NéoPass@ction », a été situations réelles dont nous proposons des interactions
développée à l’Institut national de recherche aspects typiques de manière à aider ceux qui et complémentarités
pédagogique (INRP) pour mettre à la disposi- les découvrent à réduire une partie de la com- La dernière publication de la
tion des enseignants débutants et de leurs for- plexité des situations d’enseignement et à s’y revue de l’ANAE (Approche
Neuropsychologique des
mateurs à l’échelle nationale, un ensemble de préparer. Mais ce n’est là qu’un chainon inter- Apprentissages chez l’Enfant) ana-
ressources vidéo et d’analyses en ligne, pro- médiaire, car il est absolument nécessaire que lyse les différences et les convergen-
duites à partir des recherches provenant d’un les utilisateurs les contextualisent, les mettent ces des approches orthophoniques
collectif de chercheurs spécialistes du travail à l’épreuve, seuls et, selon nous de manière et didactiques, en interrogeant plus
particulièrement les démarches de
de plusieurs laboratoires français. plus féconde, à plusieurs, entre pairs, entre travail des acteurs, souhaitant placer
Concrètement, l’accès en parcours libre pour pairs et confirmés, avec des chercheurs… au centre de la réflexion la question
du rapport qu’entretient le profes-
une formation individuelle ou en parcours C’est pourquoi nous avons proposé ce triple sionnel à l’apprentissage du sujet,
organisé à un niveau académique permet de regard, qui ne donne jamais l’interprétation

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 3


A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S

unique de la situation, mais qui, parce qu’il ascendants, fondés sur des dispositifs de co-
patient ou élève. Parmi les contribu-
tions, un témoignage sur des se veut réflexif, ouvre des angles d’attaque en analyse de l’activité des débutants afin d’ac-
groupes de stimulation langagière prise avec les diverses préoccupations des jeu- croitre leur pouvoir d’agir. Il s’agit donc pour
en maternelle et la présentation nes praticiens. Un des risques de ce genre de nous d’une conception du métier et de la for-
d’un aménagement pédagogique
pour venir en aide à un élève en
matériau est l’identification immédiate qu’il mation qui a de l’avenir, parce qu’elle est à
difficulté à l’écrit. facilite chez de jeunes praticiens découvrant, la hauteur des difficultés et des enjeux que
A.N.A.E. n° 109 – http://anae- dans la réassurance ou dans l’inquiétude, les transformations contemporaines du tra-
revue.over-blog.com/ des images qui mettent en scène des aspects vail enseignant véhiculent avec elles. Ce site
saillants du métier. Nous espérons que le n’est qu’un instrument au service d’une telle
Transmettre fait de montrer le même débutant à divers conception. L’efficacité de cet instrument
La revue d’anthropologie Terrain moments de l’année scolaire, le croisement sera finalement attestée par l’appropriation
développe dans son dernier numéro
de regards sur son activité et, surtout, la mise dont il fera l’objet de la part des différents
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la notion de transmission et
d’apprentissage, qu’il s’agisse de en débat dans les collectifs qui utiliseront la acteurs concernés.
pratiques, de représentations ou plateforme créeront l’effet de distanciation — Disposez-vous de soutiens institutionnels ?
d’émotions, invite ainsi à penser les nécessaire à toute formation qui se veut autre
mécanismes complexes qui lient — Cette plateforme de formation consti-
les individus et rendent possible la chose que le mime de gestes empruntés à tue une des ressources du programme natio-
perpétuation du culturel. À noter d’autres et vidés de leur sens. nal de formation1 inauguré par le ministre de
l’enquête d’un ethnologue sur la
transmission des jeux et des compti- Si ces images proviennent très largement de l’Éducation nationale Luc Chatel à la rentrée
nes chez les enfants. situations réelles d’entrée dans le métier, elles scolaire 2010/11. Elle va être diffusée dans
http://terrain.revues.org constituent, aussi, pour les jeunes en forma- tous les établissements scolaires de l’hexa-
tion, de possibles raccourcis d’expériences. gone ainsi qu’au niveau des rectorats devant
L’aider à réussir… La raréfaction regrettable des stages rend impulser de nouvelles modalités de formation
Cosignés par Sylvain Grandserre, aujourd’hui encore plus souhaitable la pro- des enseignants débutants. Elle a pour ambi-
viennent de paraitre chez ESF, trois jection de soi dans des situations qu’on ne
guides destinés aux parents et plus tion de se développer au cours des prochains
largement à tous ceux chargés connaitra que dans l’urgence de l’immersion mois pour proposer aux débutants de nou-
d’accompagner des enfants dans ces non préparée. Espérons que les débutants qui veaux thèmes professionnels dans le premier
trois grandes étapes de la scolarité ont accepté d’être filmés aideront leurs suc- degré et second degré et de nouvelles analy-
que sont l’entrée en maternelle, en
élémentaire et au collège. Procédant
cesseurs à traverser avec plus de sérénité les ses. Une dizaine de laboratoires français et
pas à pas et de façon très pratique premières épreuves du métier. étrangers, spécialistes du travail enseignant,
ces guides regorgent de ressources — Vos références théoriques sont clairement affi- piloteront ce projet ambitieux et innovant de
et de conseils permettant une aide
véritable et sans stress. chées : ergonomie, psychologie du travail. Vous l’INRP consistant à produire des ressources
www.esf-editeur.fr pariez sur la complexité face aux réponses sim- en ligne pour la formation des enseignants,
plistes que d’autres proposent : pensez-vous que pour garantir la rigueur scientifique néces-
« Littérature vous serez suivis ? Entendus ? Un site peut-il réus- saire au dépassement des discours idéologi-
et plaisir de lire » sir à promouvoir une conception du métier, de la ques sur l’enseignement.
La revue de l’APLV (Association des formation là où d’autres – les IUFM notamment
professeurs de langues vivantes) – n’y sont pas souvent parvenus ? Luc Ria
Les Langues Modernes revient dans
son dernier numéro sur le thème de — En effet les références théoriques que nous professeur des universités en sciences
la littérature en cours de langue. partageons nous conduisent à mettre en avant de l’éducation, INRP et laboratoire Paedi,
Maria-Alice Médioni, bien connue la complexité du travail réel des débutants, Clermont universités.
des lecteurs des Cahiers pour ses
contributions à notre revue, coor-
qui doivent organiser l’apprentissage de leurs Patrick Rayou
donne ce dossier dans lequel sont élèves tout en organisant leur propre appren- professeur des universités en sciences
présentées diverses approches pour tissage du métier. De multiples conflits de cri- de l’éducation, laboratoire Circef-Escol
susciter le gout des textes littéraires. tères résultent de cette double orientation de de l’université Paris 8
Citons une expérience de rallye-
lecture en anglais entre des 5es, 2des leur activité, qu’ils s’efforcent de résoudre en Frédéric Saujat
et 6es, un dispositif permettant de arbitrant entre « ce qu’on leur demande » et maitre de conférences HDR en sciences
« prendre pouvoir sur un texte classi- « ce que ça leur demande ». Dès lors que l’on de l’éducation, laboratoire UMR-INRP-Adef,
que » en espagnol ou bien l’analyse université de Provence.
d’un blog littéraire suscitant la
appréhende leur activité à travers les compro-
motivation des élèves. mis issus de ces arbitrages, et non en termes Propos recueillis par Nicole Priou
www.aplv-languesmodernes.org d’écarts aux prescriptions et aux bonnes prati-
ques, les ressources propres à les aider à modi-
Nouvelle plateforme fier les équilibres fragiles sur lesquels reposent
web pour Cap Canal ces compromis, tournent nécessairement
La nouvelle présentation du site de le dos aux réponses simplistes. On pourrait
« la télévision qui aide à grandir » même soutenir que c’est parce que les répon-
apporte simplicité, confort et effi-
cacité dans l’accès à ses ressources
ses proposées ne mutilent pas la complexité
vidéo qui se répartissent en six de l’activité des enseignants débutants que ces
grands thèmes : jeunesse, parenta- derniers comme leurs formateurs peuvent les
lité, formation, école, adolescence reconnaitre et s’y reconnaitre.
et connaissances. On apprécie de
disposer d’un court texte de présen- C’est précisément la validité de ce point de
tation en regard de chaque vidéo vue qui était en passe d’être avérée au sein des
et de ressources « pour aller plus
loin ». Un petit bémol : la nécessité
IUFM, au sein desquels se multipliaient les
expériences autour de scénarios de formation 1 Tenue de classe, côté professeur : http://enseigner.cndp.fr/

4 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S

« Souffrances à l’école : de re-numériser tout le stock ne


permet pas encore l’accès à toutes

agissons ! »
les vidéos.
http://capcanal.tv/

Nicole Priou « Limites et butées »


Tel est le thème du n° 197 de
TRACeS de ChanGements, la revue
Le 22 septembre dernier, une vingtaine d’organisations, dont le Crap, éditée par nos amis belges de Cgé.
se mobilisaient autour de l’AFEV pour la troisième journée du refus de l’échec Bornes to be alive est le sous-titre
scolaire. Ces quelques extraits des débats denses sur le thème « Souffrances donné à ce dossier. Pour ne pas se
perdre dans l’infini des possibles, la
à l’école : agissons ! » pourraient ouvrir à des pistes d’action possibles. limite est une question de survie et
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d’humanité. Dans ce monde où le


Comme les années précédentes, les chiffres du 6e évaluent par compétences, soulignait son marché, la publicité, la toile nous
promettent la liberté d’un monde
« Baromètre du rapport à l’école des enfants intérêt pour la dimension collaborative du tra- sans fin, l’école doit jouer son rôle
des quartiers populaires » permettaient de vail entre enseignants et élèves, et insistait sur premier et rétablir limites et butées :
lancer le débat. Un baromètre qui confirme l’importance de repérer les domaines de com- des limites pour ne pas buter et
des butées pour ne pas se limiter…
que, pour les 760 élèves interrogés, l’école pétence de chaque enfant : « Quand je vois un Quelques articles à lire en ligne, la
est davantage un lieu de stress, d’inquiétude, gosse en échec scolaire, je ne lui demande jamais revue complète sera disponible en
de souffrance, qu’un lieu de plaisir : ils sont “où es-tu mauvais ?”, mais “où es-tu bon ?”. ligne gratuitement après la parution
82,5 % à ne pas aimer ou aimer seulement un L’enfant peut alors repartir dans une compéti- de trois numéros.
peu se rendre au collège. Parmi les souffrances tion intime si on lui fait confiance. » www.changement-egalite.be
évoquées, certaines touchent au relationnel : Claire Brisset remettait en cause quant à elle
les conflits avec les autres élèves sont cités par Prendre le train
la trop grande réserve de nombreux ensei- du concours
70,9 % des élèves, ils sont 52,8 % à déclarer gnants : « Quand on est enfant, on a envie de faire
avoir été personnellement victimes dans leur « Écoles mobiles »
mieux parce qu’on a en face de soi quelqu’un à qui Ce concours, organisé par la SNCF et
école ou collège de problèmes avec les autres on a envie de faire plaisir : je pense qu’on a trop LeWebPédagogique invite les classes
élèves. Si 57 % des élèves ont le sentiment que enseigné aux enseignants qu’il fallait qu’ils gar- du CM1 à la 3e à réaliser une pro-
leurs enseignants s’intéressent à eux, c’est loin dent de la distance. Ne pas trop s’impliquer : cer- duction sur le thème des transports,
d’être une évidence pour les 43 % qui restent. tes, mais ne pas oublier non plus que les enfants
pris sous l’angle du développement
durable, de la citoyenneté ou du
D’autres sources de souffrance touchent ont besoin d’être tirés vers le haut par le besoin de train. Cette production doit être
davantage aux apprentissages : 68,9 % des élè- faire plaisir. » délivrée sous un format numérique
ves ne comprennent pas « certaines fois » ce et déposée en ligne. Date limite de
qu’on leur demande de faire en classe et pour Protéger l’espace privé des enfants dépôt des réalisations : 6 avril 2011.
Les uns et les autres s’accordaient sur le http://lewebpedagogique.com/sncf/
17,4 % c’est « souvent » qu’il leur arrive de concours/
ne pas comprendre ce que l’on attend d’eux. constat que désormais le mode de relation qui
À noter aussi que 45,9 % des élèves enquê- existe dans l’espace scolaire est celui qui existe « Une place
tés (primaire et collège confondus) éprou- à l’extérieur et qui a pénétré le « sanctuaire ». Ils pour chacun,
vent une réelle difficulté à devoir rester assis en soulignaient une conséquence : la pénétra- Une place pour tous »
en classe toute la journée. tion de l’inquiétude à l’intérieur de l’école par L’association Une Souris Verte co-
Les débats, animés avec maitrise et compé- porosité, une inquiétude accompagnée d’une édite avec l’ACEPP (association des
tence par Emmanuel Davidenkoff, permet- responsabilité, voire d’une culpabilité, face aux collectifs enfants parents profes-
désordres sociétaux qui envahissent le champ sionnels) un recueil de repères pour
taient à Marcel Rufo et Claire Brisset, parrain l’accueil d’enfants en situation de
et marraine de cette manifestation, et aux scolaire. Pour Claire Brisset « le monde extérieur handicap et leurs familles dans les
experts invités de commenter ces chiffres du est rentré dans la chambre [des enfants]. Il fau- structures de la petite enfance. Il a
baromètre et de réagir aux courtes séquences drait expliquer aux parents que la sphère de l’in- pour ambition de proposer des pistes
time, l’espace privé doivent être protégés ». de réflexion, prenant appui sur des
vidéos qui ponctuaient la journée. exemples et sur la diversité des pos-
Emmanuel Davidenkoff se saisissait de l’ac- sibles. Chaque chapitre fait l’objet
Restaurer la confiance tualité pour demander aux invités leur avis de fiches qui, à travers des exem-
André Antibi soulignait le poids des pratiques sur la présence des policiers dans l’enceinte
ples, présentent un questionnement,
des principes et des pratiques.
traditionnelles d’évaluation sur le malêtre des scolaire. Si Claire Brisset ne voit pas d’in- www.unesourisverte.org
élèves et plaidait pour une évaluation par convénient majeur à cette présence symbo-
contrat de confiance. Il ajoutait avec malice lique comme figure d’autorité à la condition « Un cahier,
« Peut-on trouver un seul système d’évaluation qu’ils ne soient pas armés, Marcel Rufo est un crayon » pour
en dehors de l’école qui soit du même type ? On plus critique : « Lesquels ? Ceux de la brigade des
ne trouve dans aucune autre situation le mode
les enfants du Mali
mineurs ? Ou un policier très policier ? Un cow- Jusqu’au 30 novembre 2010,
d’évaluation pratiqué par l’école en direction des boy à l’école ça me parait discutable… » Solidarité Laïque, la MAE et la MAIF
élèves. Un professeur qui se fait inspecter n’est organisent leur dixième collecte
pas invité à se mettre dans une salle pendant trois Faire avec les malentendus « Un cahier, un crayon », cette année
heures pour préparer une leçon innovante et nou- La seconde partie de l’après-midi, avec au profit des enfants du Mali. Le
principe est simple : collecter des
velle. Le professeur a tout le temps qu’il veut pour Thomas Sauvadet et Nicole Catheline, se fournitures scolaires neuves (cahiers,
préparer sa leçon. » centrait sur le climat scolaire. crayons, stylos, gommes…) qui
seront ensuite distribuées à la ren-
Marcel Rufo, réagissant à un reportage sur Thomas Sauvadet rappelait l’incompréhen- trée 2011 dans les écoles publiques
un collège de l’Oise où des enseignants d’une sion entre les codes de l’école et ceux des

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 5


A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S

jeunes de rue : « Les familles de milieux popu- l’école sanctuaire, il est nécessaire par contre de
les plus défavorisées. Au-delà de
l’acte de générosité et pour accom- laires ont un rapport au bruit, au contact phy- prendre le soin de reconstruire un cadre à l’échelle
pagner la collecte, Solidarité Laïque sique, à l’espace très différent de celui des classes de la classe, de récréer quelque chose qu’on par-
met à disposition des enseignants et moyennes. Les parents ont des métiers physiques : tage ensemble. Peut-être que cela ce n’est pas
des parents un dossier pour éveiller
les plus jeunes à la solidarité et
le corps est avant tout un corps qui travaille, se fait parce que l’on considère que c’est acquis.
donner un réel ancrage pédagogique nourrit autrement, vit dans un espace restreint Les enseignants sont habitués à avoir un public
à cette opération. qu’il partage avec beaucoup d’autres. Les ensei- de leur catégorie sociale. Les hussards noirs de la
www.uncahier-uncrayon.org gnants, massivement issus des classes moyennes, république connaissaient le public qu’ils ensei-
ont du mal à comprendre ces codes qui ne sont pas gnaient. C’est le travail de l’école au sens large et
Humour les leurs. » Est-ce sans solution ? « Une certaine des enseignants en particulier de reformer quelque
et enseignement connaissance se développe avec l’expérience et chose dans la classe, de recréer une dynamique de
Appel à contribution pour le IXe permet d’avoir une vision plus fine des attitudes, groupe. Il faudrait que l’école ne soit pas réser-
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colloque international de l’Asso- du vocabulaire, des comportements. Dans un pre- vée qu’à ceux qui la connaissent. Le corps est le
ciation pour le développement des
recherches sur le Comique, le Rire et mier temps, le réflexe dominant de l’adulte est de grand oublié de l’école : on ne prend en compte ni
l’Humour (CORHUM) tout prendre comme une agression : parler trop le corps des élèves, ni celui des enseignants. » Cet
On dit : « un ton professoral », « un fort, faire des gestes brusques, de ne pas distinguer héritage judéo-chrétien, complaisance dans
cours magistral », « un ton docte ». ce qui relève du comportement banal du jeune – ce qui fait souffrir, négation du corps, pèse
L’enseignement n’est-il donc fait que qui peut être inapproprié au cadre scolaire, mais sur l’école d’aujourd’hui.
de sérieux, voire d’esprit de sérieux ?
L’humour en situation d’enseigne- qui n’est pas une agression – de ce qui manifeste Elle insiste aussi sur une composante essen-
ment est pourtant un problème une volonté de nuire. » Une autre caractéris- tielle du métier d’enseignant, trop peu prise
délicat. La portée interculturelle de tique des classes défavorisées est d’avoir un en compte : « Il faudrait que les enseignants aient
l’humour en contexte de classe peut
être périlleuse : la plaisanterie risque
rapport à l’avenir inexistant « Plus on monte plus de temps pour observer les élèves. Ils n’obser-
de heurter l’identité et la sensibilité dans l’échelle sociale, plus on a une capacité à se vent pas suffisamment leurs élèves, notamment
de certains élèves. Ce colloque sera projeter dans le futur. Plus vous descendez, plus dans des situations hors apprentissage. Quelqu’un
l’occasion d’aborder le lien entre vous avez des contacts immédiats (précarité, tra-
humour et enseignement dans une qui est seul est désigné à la vindicte. Le rôle de
perspective historique : la pédagogie
vail au noir). Tout l’environnement est dans les l’institution est de veiller à ce que chacun ait sa
va-t-elle dans le sens d’un esprit de soucis quotidiens. C’est difficile dans ce contexte place. Si les adultes ne veillent pas et n’intervien-
sérieux croissant, ou, au contraire, de pouvoir se projeter. » nent pas pour réguler les hiérarchies qui s’instau-
d’une décrispation ?
Marcel Rufo relève, pour y insister, le fait que rent dans les dynamiques de groupe, des élèves en
Contributions à déposer avant
mars 2011. « les ados qui vont mal présentifient ». Ils vivent font les frais. »
www.humoresques.fr
de plus souvent comme une infidélité aux Les fonctions d’accueil et de soutien sont
origines le fait de se projeter dans l’avenir. essentielles. Il faut pour cela une « enveloppe »,
Les mythes à portée Pathologie ou sens de l’adaptation ? Thomas un cadre contenant, proposition que Marcel
des enfants Sauvadet alerte sur la tentation trop rapide de Rufo reprend à son compte « Les enseignants
Les Éditions du Cheval Vert sont « pathologiser ». Il observe aussi que la mise en ont une double nécessité : travailler en équipe,
nées du désir de relier littérature de place par l’enseignant d’une autorité perçue définir leur périmètre pour que les adolescents y
jeunesse et philosophie. La démar- comme légitime ne va pas de soi. « Les enfants trouvent à leur tour leur place. »
che cherche à favoriser un éveil de
de milieux populaires ont une grande expérience
la pensée réflexive chez l’enfant et La fin de l’après-midi donnait une place à
défend l’idée qu’un travail d’ordre de l’autoritarisme (visage, violences verbales et
l’impact de l’architecture scolaire sur le cli-
philosophique peut être conduit avec physiques). La retenue culturelle des enseignants
de jeunes enfants. Deux parutions mat, puis à un retour sur le « modèle finlan-
des classes moyennes et supérieures n’est pas com-
récentes : Le mythe d’Aristophane dais » avec Paul Robert : une école où les élèves
prise : on s’en moque et on la taxe d’hypocrisie. »
ou Au commencement de l’amour se sentent bien, où l’évaluation chiffrée n’in-
et L’anneau de Gygès. Les textes L’une des réponses passe par la nécessité pour tervient pas avant 12 ou 13 ans. Une école en
sont adaptés pour le jeune public et l’enseignant d’occuper l’espace de façon phy-
richement illustrés. Le site de l’édi- tête des classements Pisa. Une source d’inspi-
teur propose des présentations très sique et sonore, de réduire la distance, d’en- ration pour le système français ? Faut-il rap-
complètes de chacun des ouvrages, seigner avec son corps. peler que la Finlande a fortement misé sur la
on apprécie de pouvoir lire en ligne
et visualiser les premières pages. Reconstruire un cadre à l’échelle de la classe formation de ses enseignants ?
www.editionsduchevalvert.fr Pour Nicole Catheline, les souffrances vécues
à l’école rejaillissent souvent sous forme de Nicole Priou
Dixième Rencontre sur pathologie à l’âge adulte. D’où la nécessité d’y
les nouvelles pratiques être attentifs. « S’il ne s’agit pas de revenir sur
philosophiques
Organisée par l’association Philolab,
l’IUFM de Créteil et la revue
Sciences Humaines cette rencontre
propose une table ronde rendant
compte des travaux des six groupes
lancés l’an dernier : Philoécole, Philo
cursus et progressivité, Philosoin,
Philocité, Philoformation, Philo en
entreprise. La rencontre, placée dans L’école, que s’agit-il d’y réussir ?
le cadre de la journée mondiale de À l’occasion des dix ans du Clept, la Bouture organise un troisième colloque les 19 et 20 novembre 2010
la philosophie de l’Unesco, propose à l’IUFM de Grenoble.
aussi des communications sur les
pratiques nouvelles de la philoso- Détails et inscription : www.clept.org

6 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S

Le contrôle du travail phie, des démonstrations de prati-


que, un café philo et du théâtre.

des enseignants contribue-t-il


Rencontres internationales de phi-
losophie les 17 et 18 novembre à
l’Unesco, Paris. Inscription gratuite

à la professionnalisation
et obligatoire.
http://rencontrespratiquesphilo.org

de leur métier ?
Les politiques de lutte
contre les inégalités
et les exclusions
Marie-Anne Leduby éducatives en Europe
et au-delà.
Exemplaire réservé : * IUFM SITE DE NANCY MAXEVILLE CTRE DE RESSOURCES DOCUMENTAIRES

Le colloque Life, tenu à Genève en juin dernier, malgré son sujet quelque peu aride, De la compensation
était une bouffée d’oxygène pour tous ceux qui pensent l’enseignant à l’inclusion ?
comme un ingénieur des apprentissages, capable de génie au quotidien Avec le soutien de l’année euro-
pour inventer de nouvelles voies d’exploration et dotés de savoirs de référence péenne 2010 de lutte contre la pau-
solidement ancrés pour transmettre une culture qui lui préexiste. Ce fut aussi vreté et l’exclusion sociale, l’INRP
organise un colloque international
un moment de reconnaissance adressé par la communauté universitaire sur le devenir des politiques et dis-
à Philippe Perrenoud pour son immense contribution aux sciences de l’éducation. positifs consacré à la lutte contre les
inégalités et les exclusions éducati-
ves en Europe et au-delà.
Le colloque a montré combien les réponses Anne Barrère a montré comment les chefs Ce colloque s’inscrit dans le contex-
sont à rechercher dans la combinaison de trois d’établissement vivent de manière variable te du trentième anniversaire des ZEP
et présentera les résultats de l’étude
facteurs, aucun des facteurs ne pouvant à lui leur rôle de contrôleur du travail enseignant. EuroPEP qui développe une compa-
seul produire une réponse adaptée : Difficile pour eux d’y voir un « sale boulot » raison des politiques équivalentes
- l’enseignant lui-même et la manière dont puisqu’il procède d’un élargissement de leurs dans huit pays européens. Le débat
prérogatives, certains chefs d’établissement sera ouvert sur les nouvelles dyna-
il s’engage dans l’action, conduit son propre miques émergentes en ce domaine
développement, et développe des capacités à échangeant du soutien contre du contrôle, en en Europe et au-delà.
s’inscrire dans des démarches d’auto- et d’in- particulier ceux qui se déclarent centrés sur la Du 29 novembre au 1er décembre
ter-évaluations professionnelles ; réussite des élèves. Leur rôle est en évolution, à Lyon (amphithéâtre Charles
Mérieux, ENS-Lyon campus Monod
mais bien des aspects restent à clarifier du côté et INRP Lyon).
- la place du contrôle et son interaction avec de l’État employeur : entre un modèle bureau-
les autres dimensions de la professionnalisa- www.inrp.fr
cratique et le new public management, ce der-
tion : à quels savoirs les acteurs peuvent-ils se nier a du mal à poser clairement le rôle qui
référer ?
Un long métrage
pourrait être dévolu demain aux chefs d’éta- époustouflant sur la
- la plus ou moins grande capacité des poli- blissement en matière de contrôle du travail philo en maternelle
tiques publiques à conduire les changements enseignant. « Les enfants sont tous philosophes,
nécessaires et à faire confiance aux acteurs du seuls certains le demeurent. » C’est
Quelle formalisation des savoirs de référence
système. en entendant cette affirmation de
de la profession enseignante ? Michel Onfray que la productrice
L’enseignant, un acteur mobilisé Philippe Perrenoud pose le cadre très clai- Cilvy Aupin a l’idée d’un film sur la
et responsabilisé ? rement : « Le contrôle est-il au dedans ou au philosophie pour enfants. Sa ren-
contre avec Pascaline, institutrice en
Léopold Paquay pense que, sous certaines dehors de la professionnalisation ? » Il nous petite et moyenne section dans une
conditions, le contrôle du travail enseignant invite à penser la professionnalisation comme école ZEP, lui permet de concrétiser
peut contribuer à sa professionnalisation. un espace d’environ une dizaine de dimen- son projet. Le travail, en lien étroit
avec les parents, se déroule sur deux
Pour cela, les pouvoirs publics doivent être sions. Le contrôle étant une de ces dimensions, années. L’équipe filme les ateliers où
clairs sur les objectifs et les valeurs auxquel- des questions se posent à tout système éduca- les enfants dialoguent sur des sujets
les ils se réfèrent, associer les enseignants et tif qui travaille l’amélioration des pratiques ou des concepts d’une manière très
libre : le pouvoir, le chef, la liberté,
leur offrir un cadre sécurisant dans un pro- pédagogiques : faut-il maintenir le contrôle l’intelligence… et apprennent ainsi
cessus élargi de développement profession- externe ? Faut-il le supprimer comme au à s’écouter, à construire un discours
nel. Cette manière d’inscrire la question du Québec ou en Finlande ? Comment renforcer et une pensée réflexive. Pascaline
les compétences des enseignants en matière estime que « cette expérience a été
contrôle dans un travail coopératif qui croit une renaissance pédagogique qui l’a
en la capacité des acteurs à se responsabili- d’évaluation de leurs pratiques ? Comment fait progresser ». Des 180 heures de
ser et à s’autoévaluer est difficilement com- renforcer la qualité du contrôle lorsqu’il est rushs sortent aujourd’hui un long
patible avec un système bureaucratique qui maintenu ? Comment impliquer les organisa- métrage époustouflant intitulé « Ce
n’est qu’un début… ».
pratiquerait un contrôle externe descendant. tions professionnelles enseignantes dans cette
réflexion sur le contrôle ? Réalisation de Jean-Pierre Pozzi et
C’est pourquoi ces démarches verticales des Pierre Barougier, sortie en salle le
pouvoirs publics doivent être complétées par Cette manière de problématiser la question 17 novembre.
une mobilisation horizontale des enseignants du contrôle du travail enseignant dans une
via le développement des réseaux d’appren- période où la publication des enquêtes sur Les soirées-débats
tissage professionnel et de mutualisation l’efficacité des systèmes éducatifs et l’évolu- de l’ISP
des pratiques mettant en lien de plus en plus tion des politiques publiques vers toujours Pour la douzième année consécutive,
l’ISP-Faculté d’éducation propose
d’organisations apprenantes chères à Monica plus de rationalisation questionnent l’effica- aux différents acteurs du système
Gather Thurler. cité des pratiques enseignantes, met en évi-

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 7


A C T U A L I T É S É D U C AT I V E S

dence, pour Philippe Perrenoud, la nécessité qu’il est normal d’y apprendre à son rythme,
éducatif un cycle de six conférences
sur les questions qui traversent pour chaque système éducatif de stabiliser enseignants et élèves travaillent dans un cli-
l’école, le système scolaire, et plus des savoirs de référence en la matière. Savoirs mat pacifié sans le levier de la peur de l’échec.
largement l’éducation. En parta- de référence sur lesquels les formateurs, les Le pouvoir scolaire est essentiellement
geant les apports de la recherche
issue des sciences sociales, il s’agit
cadres et les enseignants pourraient appuyer porté par les collectivités locales qui sont les
d’enrichir la réflexion personnelle leurs choix. employeurs des enseignants. Ainsi, le recru-
et collective afin de nourrir une teur, les parents sont des personnes proches
Des politiques publiques dans le long terme ?
pratique professionnelle exigeante identifiables avec lesquels les enseignants ont
et complexe. Chaque conférencier Tous les systèmes éducatifs qui s’interrogent des relations de proximité. On est loin d’une
présentera l’état de ses travaux puis aujourd’hui sur l’efficacité des enseignants, bureaucratie anonyme. Seules les universités
entamera un temps de débat avec
la salle. Le résumé de chaque confé-
des établissements, de leur système dans son et les grandes écoles sont gérées de manière
rence sera mis en ligne. ensemble, ne partent pas avec la même culture centralisée.
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Les conférences se déroulent à en matière de contrôle du travail enseignant,


l’ISP - Faculté d’éducation, tant s’en faut. Agnès Van Zanten a rappelé La formation des enseignants longtemps sous
3, rue de l’abbaye, 75006 Paris. les différentes modalités de contrôle dans un contrôle de l’État a été transférée aux univer-
http://www.isp-formation.fr/
système éducatif de type bureaucratique : les sités en 1961. La Finlande a donc quarante
concours, les programmes, les examens pas- ans de recul sur l’universitarisation de la for-
Éducation nouvelle mation des maitres et c’est un nouveau corps
sés par les élèves, le rôle des organisations pro-
en marche, chantiers fessionnelles, les modes de régulation plus ou professoral qui s’est constitué. Ce n’est plus
d’avenir moins concurrentiels ; le modèle postbureau- le futur employeur qui contrôle la formation,
Ce numéro de Dialogue, par un
cratique tente davantage d’établir une culture mais l’université jugée plus neutre et plus
éclairage des divers champs où le externe, où la recherche en éducation tient
GFEN exerce son action, donne à de l’évaluation et de la régulation par le biais
voir les effets produits par ses pra- des contrats, des conventions. une grande place dans la formation des mai-
tiques, aussi bien dans la maitrise tres. Les deux sources principales de contrô-
des apprentissages que dans la Walo Hutmacher, en décrivant le modèle fin- les sont les autoévaluations des enseignants et
construction de l’estime de soi et landais, nous a fait entrer dans un univers les évaluations des élèves.
le développement personnel. Que culturel assez différent : pas d’inspecteurs,
ce soit en formation ou sur le ter- pas d’examens nationaux, une grande auto- Le modèle finlandais décrit par Walo
rain de la culture et de la création.
nomie des écoles. Comment ce pays a-t-il pu Hutmacher illustre assez bien ce qu’écrivait
Plusieurs articles du numéro expli- Monica Gather Thurler en 1994 : « L’efficacité
citent ce qui, par delà l’appareillage garantir et réussir l’élévation du niveau d’étu-
pédagogique, provoque réussites et des voulues il y a plus de quarante ans ? La des établissements ne se mesure pas : elle se
transformations. Le lecteur pourra loi scolaire principale tient en dix-neuf pages construit, se négocie, se pratique et se vit. »
également puiser dans ce numéro
des repères théoriques et des seulement : elle présente les buts et les prin-
recherches qui étayent les pratiques, cipes. L’ingénierie de formation est dévolue Marie-Anne Leduby
ainsi que des repères historiques. aux autorités locales. La scolarité obligatoire Directrice de l’École des cadres
Dialogue numéro 137, se déroule sans sélection de 7 ans à 16 ans, de l’enseignement catholique
www.gfen.asso.fr pratiquement sans redoublement. Parce

CONT RI B U T I O N S … APPE L À C ON T RIBUTIO NS… A PPEL À CO NTRIBUTIO NS …

Évaluer à l’heure des compétences


À l’heure où les compétences focalisent l’attention, il apparait néces- - en évaluant le travail collectif d’élèves : IDD, TPE, travaux de groupe,
saire de reprendre le questionnement sur l’évaluation en cherchant à travaux à la maison réalisés en groupe ;
repérer ce que l’approche des apprentissages apporte de nouveau. - en évaluant ensemble, en équipe : évaluations conjointes (interdis-
• Nous proposons de consacrer une partie du dossier à la cohérence ciplinaires, transdisciplinaires, épreuves communes) ; la concertation
entre situation d’apprentissage et situations d’évaluation. Nous sol- autour des livrets de compétences, les logiciels de gestion des résul-
licitons des témoignages, des analyses autour de dilemmes profes- tats : ça marche ?
sionnels quotidiens que pose l’évaluation et des propositions pour - en utilisant l’évaluation comme un moment privilégié du dialogue
en sortir. La note : faut-il s’en passer ? Peut-on s’en passer ? Comment pédagogique individualisé : là encore, les compétences apportent-
motiver sans noter ? Comment faire avec les devoirs non rendus ? Quel elles une aide ou embrouillent-elles les choses ?
usage faire des évaluations institutionnelles ?
N’hésitez pas à nous faire part de votre expérience : tous, enseignants
• Nous souhaitons recueillir des récits de pratique, des analyses de à l’école comme au collège ou au lycée, mais aussi chefs d’établisse-
collègues, d’équipes qui se sont appuyés sur les compétences (dans ment, inspecteurs, élèves et parents, vous avez tous quelque chose à
la mise en œuvre du socle, la constitution de groupes de compéten- dire sur l’évaluation.
ces, etc.), un peu, beaucoup… à la folie (!) pour changer l’évaluation
du travail des élèves ; qu’ils aient été convaincus ou pas, qu’ils conti- Pour prendre contact :
nuent ou aient abandonné : quels outils utilisables, avec leur intérêt et Françoise Colsaët
leurs contraintes ? Quels effets sur les changements de pratiques des francoise.colsaet@cahiers-pedagogiques.com
enseignants, sur les apprentissages des élèves, sur les relations avec
Yannick Mével
les familles ?
yannick.mevel@cahiers-pedagogiques.com
• Nous voudrions, enfin, que le dossier montre aussi qu’au-delà de l’in-
citation actuelle à l’évaluation par compétences, les évolutions peu-
vent naitre des situations où l’on travaille autrement :

8 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


Dossier
Au lycée professionnel
Coordonné par Sabine Coste
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Faire de l’or sera peut-être un jour aussi facile que souffler le verre, continua Zénon. À force de creuser de nos dents l’écorce
des choses, nous finirons bien par trouver la raison secrète des affinités et des désaccords… Qu’est-ce qu’une broche mécani-
que ou une bobine qui se remplit d’elle-même, et pourtant cette chaine de minces trouvailles pourrait nous mener plus loin que
Magellan et Améric Vespuce leurs voyages.
Marguerite Yourcenar, L’œuvre au noir, Gallimard, 1968.
Éditorial
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Des lycées en effervescence


Sabine Coste

Depuis la parution du précédent dossier des Cahiers pédago- Comment font les enseignants pour intéresser les élèves des
giques sur le sujet, en 2000, les changements successifs de la LP dans toute leur diversité, souvent fâchés avec les activi-
« voie professionnelle », souvent passés sous silence, ont lar- tés scolaires au sortir du collège ? Les articles regroupés dans
gement modifié le travail des enseignants. La rénovation de la la première partie décrivent des pratiques et des dispositifs
voie professionnelle prévoit, à la rentrée 2009, la généralisa- d’une grande inventivité pour leur redonner l’envie d’ap-
tion du baccalauréat professionnel en trois ans et du dispositif prendre en se centrant sur les contenus disciplinaires ambi-
d’aide et d’accompagnement. Le LP rénové offre, désormais, tieux, en proposant des formes pédagogiques originales.
deux cycles de formation distincts : un cycle court (deux ans) Cela passe aussi par un travail spécifique sur le parcours de
prépare au certificat d’aptitude professionnelle (CAP) et ces élèves, qui fait l’objet de notre deuxième partie, et d’abord
quelques rares brevets d’études professionnelles (BEP), en par une collaboration en amont avec les collègues de collège
parallèle d’un cycle de trois ans conduisant au bac pro, avec la pour donner à l’orientation vers la voie professionnelle un
possibilité d’obtenir un diplôme intermédiaire. réel statut de sujet d’enseignement. Le souci de prévenir le
Afin de répondre à une politique d’élévation du niveau géné- décrochage et son antichambre, l’absentéisme, est également
ral de qualification des élèves, les LP ouvrent, encore plus constant, justifiant la mobilisation de tout un établissement
aujourd’hui, leurs portes à des élèves dont les parcours sont dans différents dispositifs à coordonner. Tout cela implique,
divers : issus d’une classe de 3e Segpa, de collège, ayant sui- là aussi, un élargissement des compétences professionnelles
vis, ou non, l’enseignement de découverte professionnelle, de des enseignants.
trois ou six heures (DP3, DP6), d’une UPI ou d’une classe- Enfin, troisième partie, comment les enseignants s’adaptent-
relai, ou encore réorientés après un passage au lycée général ils aux nouvelles prescriptions, le bac pro en trois ans, les nou-
ou technologique. veaux programmes disciplinaires, etc. ? Des réserves, mais pas
Variété du public, qui se conjugue à la variété des spéciali- de refus, des traductions dans les pratiques, mais qui passent
tés professionnelles. Certaines sections sont plus attractives toujours par des réappropriations spécifiques selon l’existant,
et retiennent les meilleures candidatures à l’entrée, alors que le contexte, avec comme constante le souci d’un « bon travail »,
d’autres peinent à remplir leurs effectifs en accueillant des utile aux élèves.
élèves subissant leur orientation. L’ensemble des témoignages, réflexions et analyses, publiés
Variété enfin des organisations. Le « lycée des métiers » a voca- dans ce numéro de la revue ou mis à disposition sur notre site
tion à regrouper des élèves en formation initiale comme des Internet, montre que le LP est un véritable terreau d’inno-
apprentis d’un Greta ou des élèves de la voie technologique. vations, que le métier ne cesse de s’ajuster, de se transformer
Structures mixtes, établissements à petite dimension regrou- aux rythmes des politiques éducatives. Si nul ne nie les diffi-
pant peu de spécialités, ou encore de l’enseignement agricole : cultés et les inquiétudes, c’est bien l’optimisme de l’action qui
autant de conditions d’enseignement qui influencent aussi le domine, comme le souligne Aziz Jellab dans son plaidoyer au
travail des enseignants. terme de ce dossier.
Les professeurs de LP, déjà amenés à modifier leurs pratiques
par des enseignements transdisciplinaires (les projets pluri- Sabine Coste
disciplinaires à caractère professionnel, PPCP) ou de nouvel- Chargée d’études et de recherche, INRP, Lyon
les modalités d’évaluation (le contrôle en cours de formation,
CCF), sont les expérimentateurs de nouveaux dispositifs. Ce
dossier interroge les différentes facettes du travail : comment
les enseignants ajustent leur travail pour intégrer les dernières
prescriptions ? Quelles ressources mobilisent-ils ?
Dans ce dossier, les très nombreux témoignages d’enseignants
et des personnels avec lesquels ils travaillent montrent que le Pour réagir à ce dossier, dans son ensemble ou à un article
en particulier, vous pouvez contacter la rédaction en chef
LP est un réservoir de nouvelles façons d’exercer le métier, à l’adresse crap@cahiers-pedagogiques.com.
lieu d’une véritable effervescence professionnelle.

10 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


1- Des enseignants qui cherchent,
s’adaptent, innovent
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Un collectif pour mettre


en commun difficultés et projets
Nicole Bouin

En ouverture de ce dossier, la présentation d’un groupe d’enseignants


de lycées professionnels constitué autour de quelques projets forts : pratique2. Nous écoutons la présenta-
mutualiser, se former, produire, rechercher, expérimenter. tion de la situation sans l’interrompre,
nous posons ensuite des questions de
clarification, en évitant jugements et

À
l’origine de notre groupe, un de la retraite, qui font le déplacement interprétations, puis chaque participant
stage intitulé « prévention de depuis la Haute-Savoie, l’Ain, la Loire offre le fruit de ses réflexions et ses pro-
l’illettrisme », qui s’est déroulé et le Rhône. Notre journée commence positions. La multiplicité des approches
en 2008 au Centre national de forma- invariablement par un long tour de table évite la modélisation et invite à l’analyse
tion de l’enseignement technique privé qui permet de poser les « bagages trop systémique, sans que ce soit l’objectif
(CNFETP) de Lyon. Anne Vicher1 lourds » et de faire partager les enthou- premier de l’exercice. La priorité est en
avait été sollicitée pour expliquer ce que siasmes du moment : comment ça va ? effet de permettre au professeur pré-
les méthodes du français langue étran- Quels soucis pédagogiques ? Quelles occupé par une situation qu’il maitrise
gère (FLE) pouvaient apporter à la pra- expériences réussies ? De quoi as-tu mal de s’exprimer dans un cadre sécu-
tique des professeurs de lettres-histoire besoin ? Qu’apportes-tu au groupe risant, d’être écouté par des collègues
de lycées professionnels, confrontés aujourd’hui ? Nous nous efforçons d’al- attentifs et bienveillants et d’envisager
à des jeunes en grande difficulté avec ler à l’essentiel et de garder les détails un certain nombre de pistes possibles
l’écrit pour des raisons diverses (primo-
arrivants, « dys- » en tous genres, défi-
ciences mentales légères, etc.). Cinq des Les jeunes enseignants sont passablement bousculés par ce qu’ils
vingt stagiaires se sont engagés sur une
recherche-action visant à adapter ces découvrent en arrivant sur leur premier poste. Je me souviens
méthodes aux classes de 3e DP6 et de d’Émilie qui s’était dit : « Comme eux ne changeront pas pour
CAP et à opérationnaliser ces apports
universitaires sur le terrain.
moi, c’est à moi de changer pour eux. »
Partager son quotidien
Sept collègues ont rejoint notre groupe pour le repas au cours duquel nous parmi lesquelles il peut trouver celle
baptisé LitterAction, et nous nous réu- partageons les spécialités culinaires de qui lui convient le mieux.
nissons un samedi par mois environ chacun. Le plus souvent, chaque participant
dans les locaux du CNFETP de Lyon Il arrive que l’un d’entre nous rencon- donne des nouvelles des projets en
qui porte l’action, également finan- tre une situation professionnelle parti- cours, réagit à des articles, conseille des
cée par Formiris. Autant de jeunes pro- culièrement difficile et demande alors lectures, des émissions de radio, des
fesseurs que de collègues plus proches un groupe d’accompagnement de la films, des sites, des logiciels, évoque les

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 11


Dossier Au lycée professionnel

apports des stages suivis ou des confé- LitterAction et tous ceux qui se sont laire en particulier. Nous les regardons
rences entendues, propose une nouvelle intéressés à l’expérience ont découvert vivre, nous nous interrogeons et nous
séquence qui a bien marché. Chacun les productions réalisées. Chaque classe en venons à parler « d’éthopédagogie7 »
s’enrichit des découvertes des autres, engagée doit, en effet, rendre une cri- pour comprendre et interpréter les atti-
contribue à la formation continue et tique littéraire, une interview d’auteur, tudes de nos élèves afin d’affiner nos
à la réflexion générale. Robin nous a une production graphique (film, col- analyses et nos postures pédagogiques
initiés aux visites de révision du pro- lage, panneau d’exposition, peinture, et éthiques.
gramme d’histoire-géographie à tra- dessin, photographies, diaporama…) et Les jeunes enseignants sont passable-
vers les rues de Saint-Étienne, il va nous annoncer pour le 25 mai une présenta- ment bousculés par ce qu’ils découvrent
aider à transposer son projet à Lyon ou tion « vivante » (sketch, poème, exposé, en arrivant sur leur premier poste. Je
à Bourg. Philippe est spécialiste d’his- chanson, rap…) en rapport avec un des me souviens d’Émilie qui nous confiait
toire, il décrypte pour nous certains thèmes présents dans les livres. Nous qu’après un moment de stupeur elle
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évènements et en facilite la transposi- avons choisi les œuvres en fonction de s’était dit : « Comme eux ne changeront
tion didactique. Les bédéphiles nous leur accessibilité à des élèves de niveau pas pour moi, c’est à moi de changer pour
aident à construire notre culture dans V, de l’intérêt que les auteurs portaient eux. »
ce domaine. Martine était journaliste, à notre projet et des thèmes abordés : le S’adapter à son époque, à l’évolution de
elle connait le monde de la presse. Irène gout de la lecture chez les adolescents, la société et au contexte culturel, soit,
monte des projets sur le commerce les SDF dans nos villes, l’histoire dans nous le faisons forcément, et certains
équitable avec les CAP vente. Nicole la région, le voyage initiatique d’un ado- d’entre nous depuis plus de trente ans.
invente des « minutes de concentra- lescent… La journée du 25 mai s’est Mais nous nous demandons en per-
tion » pour créer des rituels d’entrée en partagée entre un « défi lecture », des manence jusqu’où ? À partir de quand
cours et fait des émules qui imaginent débats avec les auteurs, une remise de bascule-t-on dans la démagogie, la
des variantes… prix, des ateliers contes, graff, un spec- démission coupable, le renoncement
tacle hip-hop monté par une classe de
Une recherche-action pour développer à notre mission éducative ? Sur quoi
Rive-de-Gier sur le thème du sexisme
les pratiques de lecture lâcher ? Sur quoi tenir ? Le chewing-
et du racisme. Et surtout, les élèves des gum on lâche, le respect du voisin, on
Deux dossiers occupent le reste de six classes se sont retrouvés pour parler
nos samedis. Le premier concerne une tient !
des livres et des thèmes abordés.
recherche-action sur la prévention de Philippe Meirieu a titré l’un de ses
l’illettrisme. Nous avons élaboré des Il nous restera à repérer et mesurer les livres « Pédagogie : le devoir de résister ».
grilles d’évaluation de l’expression apports pour les huit enseignants, les Résister aux élèves, à la facilité, à des
écrite, orale et de la lecture, inspirées deux responsables de CDI et les cent- collègues désabusés, à l’air du temps,
des travaux du Cadre européen com- vingt jeunes engagés. Pour l’instant à l’usure des réformes, aux tendances
mun de référence en langues et adap- Carole dit : « Les résultats dépassent mes lourdes, aux dérives du modernisme, à
tées aux publics accueillis dans les LP. espérances, je n’attendais pas un tel engoue- la morosité ambiante et au défaitisme…
Nous mettons actuellement au point ment, même pas en rêve, comme disent nos Nous avons décidé de le faire ensemble
les exercices qui permettront de les tes- élèves ! » Françoise et Jacqueline confir- et dans la bonne humeur !
ter auprès de nos élèves et nous avons le ment qu’à la veillée dans leurs monta-
projet d’élaborer ensuite les modules de gnes, les élèves essaient d’entrer dans le
Nicole Bouin
« remédiation » adaptés. cercle de ceux qui viennent écouter, lire
ces livres et en parler. Professeure de lettres-histoire en lycée
Nous partageons la conviction de à Lyon, formatrice au CNFETP de Lyon
l’Agence nationale de lutte contre l’il- Comprendre et travailler
lettrisme3 que la meilleure prévention avec de nouveaux élèves
de l’illettrisme passe par la découverte Un sujet récurrent que, par bou-
de la lecture et de la culture. Nous tade, nous nommons « Nos élèves ces
constations amèrement que les prix mutants… ». Des plus jeunes aux plus
littéraires généralement proposés aux expérimentés, tous, nous nous deman- 1 Universitaire de Paris 3 Sorbonne nouvelle, spé-
lycéens restaient hors de portée de nos dons régulièrement comment ne pas cialiste du français langue étrangère, membre du
élèves de lycées professionnels, tant perdre le contact avec des élèves qui conseil scientifique de l’Agence nationale de lutte
contre l’illettrisme, directrice du centre de forma-
par le nombre et la longueur que par la non seulement ne ressemblent pas à tion Ecrimed, auteure de La grammaire progressive
difficulté des œuvres en compétition. ceux que nous avons été, mais qui ne du français pour les adolescents aux éditions Clé.
Nous avons donc décidé de monter ressemblent plus du tout à ceux qui 2 Le GAP tel qu’il est pratiqué et présenté par l’as-
sociation Adaj : www.adaj-accompagnement.net
notre propre manifestation : six clas- étaient en face de nous, il y a seulement
3 Nous remercions Élie Maroun et Éric Nédélec qui
ses de 3e DP64, deux romans5 et deux huit ou dix ans. Absentéisme chroni- ont soutenu le projet à sa fondation et nous ont
BD6, une totale liberté pédagogique que, provocation déconcertante, attitu- utilement conseillés.
de chaque enseignant pour aborder les des choquantes, sexistes, homophobes, 4 Classes de niveau V de LP de Lyon, Miribel, Bourg,
œuvres fournies, des élèves qui commu- propos insultants ou décalés, gestes Sallanches, Cluses et Saint-Étienne.

déplacés, attachement démesuré à des 5 Le garçon qui ne pouvait pas voir les livres en
niquent entre eux, des auteurs qui vien- peinture d’Ellen Willer et La rivière à l’envers de
nent dans les classes et une journée de objets comme le portable ou le bala- Jean-Claude Mourlevat.
fête pour prouver à tous ces jeunes que deur, surprenante relation au corps au 6 L’introuvable d’Alex et Deloupy et Hosni de Maxi-
lire n’est pas ennuyeux et que la culture sein même de la classe, manque d’inté- milien Le Roy.
n’est pas réservée aux vieux et aux intel- rêt pour à peu près tout, refus de l’auto- 7 L’éthologie est la science qui étudie le comporte-
ment humain et animal dans son environnement
los ! Le 25 mai 2010, les six classes, les rité et mépris des contraintes de la vie naturel. Il s’agit donc ici d’étudier l’élève dans le
quatre auteurs, les douze membres de en société en général et de la vie sco- milieu scolaire.

12 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


1- Des enseignants qui cherchent, s’adaptent, innovent

Un métier engagé
Stéphane Clerc

Dans un contexte souvent compliqué, où le sens du travail scolaire


ne va pas de soi, le métier d’enseignant ne peut être qu’une question de
techniques. Ce sont aussi des principes, des valeurs qui aident à avancer. l’exercice d’un métier dans le secteur du
bâtiment, et que celle-ci devra se décli-
ner au travers de leurs prochains rôles
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S
’il est un principe éthique qui sa pratique afin de l’améliorer et deve- de citoyens ou de parents : savoir mon-
est mis à rude épreuve lorsqu’on nir plus efficace. J’affectionne de parler ter des agglos n’est pas plus incompa-
enseigne en lycée profession- de « darwinisme pédagogique » : dans un tible avec un engagement politique ou
nel, c’est bien le principe d’éducabi- tel milieu, soit on survit, soit on périt. syndical qu’avec la lecture expressive
lité. Dans mon établissement, on forme Pour filer la métaphore, la mort passe- d’un conte à ses enfants.
aux métiers du bâtiment des élèves qui, rait par le déni ou l’abandon, parfois Le chemin est laborieux, chaotique,
pour la plupart, n’aiment pas l’école. jusqu’à la dépression, et serait consé- pénible et quelquefois, le décourage-
La majorité rencontre des difficul- quente de l’absence d’adaptation. ment pointe le bout de son nez. Ce sont
tés scolaires importantes depuis plu- Quant à la survie, elle passerait néces- de petites victoires qui sont remportées,
sieurs années et la voie professionnelle sairement par une posture qui prône sans prétention à annihiler toutes les
constitue pour eux une voie par défaut. l’éducabilité de ces jeunes. Cette pos- difficultés accumulées par nos élèves.
Comme on pouvait s’y attendre, la très ture éthique m’a conduit à renouveler La persistance des incivilités, des signes
grande majorité d’entre eux sont issus ma pratique, en tâtonnant progressi- d’ingratitude ou bien encore le déta-
de catégories sociales défavorisées, et vement, en confrontant le fruit de mes chement de certains d’entre eux nous
les situations familiales sont bien sou- lectures théoriques à la réalité du ter- reviennent quotidiennement en pleine
vent problématiques (chômage, sépara- rain. C’est ainsi que je me suis lancé, un figure. Emmanuel Levinas expliquait
tion, absence de papiers, etc.). Tout cela peu à l’aveuglette je dois l’avouer, dans que tout choix éthique qui n’inclut pas
rejaillit sur l’ambiance au sein du lycée la pédagogie de projet. Ce choix a consi- le principe de non-réciprocité est un
où sévissent un fort absentéisme, des dérablement accru ma charge de tra- choix immoral. Le principe d’éduca-
violences verbales et physiques quasi vail, mais en compensation, mes joies bilité ne souffre pas d’une loi s’appa-
quotidiennes, de nombreuses dégrada- en retour ont été immenses. Du théâ- rentant au marchandage : même si je
tions matérielles ou encore un commu-
nautarisme latent.
Enseigner dans ces conditions pour- Il s’agit de les aider à grandir, à penser, et plus spécifiquement
rait paraitre une gageüre. Et pourtant,
hormis les départs en retraite ou vers à les sortir du carcan intellectuel qui consiste à les considérer
d’autres académies, on constate un fai- à travers le prisme exclusif de futurs professionnels.
ble turnover parmi les collègues. Outre
la taille modeste de l’établissement,
la nécessité de se serrer les coudes, de tre au slam, en passant par les contes ou déploie autant d’énergie pour aider ces
faire front face à l’ampleur de la mission les récits d’exploration, les élèves ont élèves, je dois accepter de ne rien rece-
qui nous incombe favorise un esprit été capables d’écrire des textes pour voir en échange. Pas même un merci.
de solidarité et de camaraderie. Pour les soumettre avec brio à des publics Pas plus d’eux que de leurs parents ou
ma part, j’ai toujours souhaité exercer très divers, de concevoir et confection- encore de l’institution scolaire. Dur
cette profession depuis mon enfance, ner les costumes et les décors de leurs précepte que celui-ci, mais que la phi-
et notamment en milieu difficile, aussi spectacles, ou bien de procéder eux- losophie doit nous aider à conscientiser
par conviction politique. En dehors du mêmes à des enregistrements audio- et à tenir.
lycée, j’enseigne depuis deux ans en visuels1. Certes, tous mes élèves n’ont
milieu carcéral. Depuis près de dix ans pas adhéré à ces projets, mais j’aime à Stéphane Clerc
que j’effectue ce métier, je m’y consacre croire que ces derniers sont autant de Professeur de lettres-histoire en lycée
pleinement, avec beaucoup de dévoue- graines semées qui attendent de ger- professionnel à Chalon-sur-Saône
ment, au point de militer désormais mer plus tard. Leur proposer des pro- (Saône-et-Loire)
dans un mouvement pédagogique. jets culturels ambitieux relève du défi,
Même si les conditions d’exercice mais nullement de l’impossible. Il s’agit
s’avèrent difficiles, sans pour autant de les aider à grandir, à penser, et plus
atteindre le degré de gravité des établis- spécifiquement à les sortir du carcan
sements qui font la une des médias, je ne intellectuel qui consiste à les considé-
me montre pas prêt à changer de poste rer à travers le prisme exclusif de futurs
pour l’instant. En effet, je pense qu’en- professionnels. Charge à nous de leur
1 Pour apprécier quelques-uns de ces projets :
seigner dans des conditions ardues faire prendre conscience que leur inser- http://contesdumorey.free.fr/ ou encore :
pousse à porter un regard réflexif sur tion dans la société ne se bornera pas à http://poetesaubat.over-blog.com/

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 13


Dossier Au lycée professionnel

Faire réussir dans la filière


comptabilité
Patrick Pierre

Quelles démarches pour motiver les élèves dans cette filière exigeante,
instrument et que celui-ci ne produit
où l’orientation est trop souvent subie ? L’utilisation de l’informatique et
pas immédiatement le son espéré…
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les périodes de formation en entreprise peuvent être décisifs, mais


obligent les enseignants à développer de nouvelles compétences. Si on veut situer l’élève, dans un pre-
mier temps, dans l’entreprise, il est opé-
rateur de saisie : il fait ce qu’on lui dit

L
L’articulation entre les « ateliers » sans véritablement comprendre pour-
a filière professionnelle comp-
d’informatique et les cours quoi… mais encore faut-il avoir envie de
tabilité et secrétariat peut être
faire. Aussi, pour rendre cette matière
qualifiée, par défaut, de filière Les premiers pas des élèves dans cette
attractive, les outils bureautiques sont
« intellectuelle1 » dans le sens où elle filière sont souvent pénibles, car la
essentiels ! Il faut faire ses gammes !
n’est pas « manuelle », ce qui est une par- comptabilité est une matière plutôt abs-
ticularité dans la voie professionnelle. traite. Par la rigueur de son raisonne- Les cours de bureautique, sorte
Ce constat est vite ressenti par les élè- ment, à la fois concret et théorique, qui d’« ateliers » informatiques, en demi-
ves dont l’activité en enseignement pro- amène progressivement les élèves d’une groupe, sont un moment essentiel de
fessionnel sera partagée entre des cours réflexion à partir du détail à une analyse l’apprentissage, car ils permettent à
synthétique (bilan, compte de résultat, l’enseignant :
centrés sur des savoirs de type « aca-
démique » (comptabilité « sur table », etc.), la comptabilité est un excellent – d’individualiser le plus possible le tra-
économie-droit, secrétariat, communi- moyen pour renouer avec les études. vail des élèves qui doivent travailler en
cation), et une activité sur poste infor- Prenons un exemple concret d’activité autonomie et s’adapter à une situation
matique visant la maitrise de logiciels, proposée aux élèves : une société cher- concrète. Il y a donc un problème à trai-
mais jamais en atelier ni sur un chantier. che à établir un bilan annuel. L’élève, ter, dans un contexte concret, avec des
La difficulté pour les enseignants est de futur comptable de cette entreprise, outils informatiques ; l’élève apprend à
rendre l’enseignement le plus concret devra, souvent sur la base de justificatifs s’adapter, comme dans l’entreprise ;
possible en le faisant ressembler au (factures), enregistrer chaque opéra- – d’être plus proche des élèves grâce
contexte dans lequel les élèves évolue- tion qui modifie le patrimoine de l’en- à des explications individualisées en
ront, c’est-à-dire l’entreprise. treprise, tout au long de l’année, puis fonction des difficultés rencontrées par
établir le bilan en fin d’année et l’analy- chacun ;
Le professeur de « comptabilité » est
confronté à une question essentielle :
comment faire pour restaurer le gout Par la rigueur de son raisonnement, à la fois concret
des apprentissages chez les élèves à par-
tir d’une réalité complexe, l’entreprise,
et théorique, qui amène progressivement les élèves
qu’ils ne découvriront que pendant les à une réflexion à partir du détail pour aller vers une analyse
périodes de formation en entreprise ? synthétique, la comptabilité est un excellent moyen
Les facteurs clés de la réussite des élè- pour renouer avec les études.
ves dans cette filière professionnelle, se
traduisant en difficultés dans le travail
des enseignants, se déclinent en quatre ser : l’entreprise fait-elle des bénéfices ? – d’être dans un climat plus propice au
axes principaux : Est-elle rentable ? Dans un premier travail, l’effet de groupe y est beaucoup
temps, l’élève devra accepter de faire moins marqué qu’en classe entière.
• l’articulation entre les « ateliers » d’in- de la comptabilité (des enregistrements
formatique et les cours ; Le travail de l’enseignant consiste donc
comptables) sans réellement compren- à faire le lien avec les cours de bureau-
• les compétences informatiques éva- dre la finalité de ce travail ; il faut du tique et utiliser le plus possible une
luées en contrôle en cours de formation temps avant d’avoir une vision de ce démarche inductive. L’élève part d’un
(CCF) ; qu’est une entreprise, de son bilan. La cas concret pour aller vers la synthèse,
• les stages et la constitution d’un réseau difficulté rencontrée par l’enseignant ce qui permet de donner du sens à l’ap-
local de partenaires ; est donc de proposer des situations où prentissage des contenus.
les élèves s’engagent dans ces apprentis-
• l’orientation choisie. sages délicats. De plus, la comptabilité Les stages et la difficile constitution
L’action des enseignants dépasse donc est un carrefour de nombreuses autres d’un réseau local de partenaires
largement le cadre des heures de cours disciplines : droit, économie, fiscalité, En bac pro, les élèves doivent effec-
et le lycée puisqu’il s’agit de préparer les analyse financière, contrôle de gestion, tuer vingt-deux semaines de stage au
élèves à rencontrer le monde de l’entre- etc. De quoi décourager nos élèves, cours des trois années de formation.
prise, et inversement. comme lorsqu’on apprend à jouer d’un Mais en période de crise, les entreprises

14 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


1- Des enseignants qui cherchent, s’adaptent, innovent

sont réticentes à accueillir des stagiai- mité que font les enseignants avec les défaut rencontrent d’importantes diffi-
res. Or, ces périodes donnent un sens entreprises, tous les élèves finissent par cultés dans les apprentissages scolaires
véritablement concret à ce que les élè- trouver un stage. Mais la recherche et le ou dans leur comportement, au point
ves apprennent et ils disent souvent « la suivi des stages représentent une véri- de compromettre leur insertion pro-
comptabilité est plus simple à comprendre table compétence de métier que l’ensei- fessionnelle dans cette filière. Pour être
en entreprise ». gnant doit développer. comptable, il faut actuellement au mini-
La recherche et le choix d’un lieu d’ac- mum un BTS et nos élèves de bac pro
L’orientation choisie sont en concurrence avec les élèves de la
cueil en entreprise relèvent de l’équipe
pédagogique. Les élèves peuvent contri- La comptabilité est une discipline sco- filière technologique ou générale. Ceci
buer à cette recherche, mais certains ne laire mal connue au collège, qui, malgré interroge le devenir de la filière compta-
maitrisent pas toutes les compéten- sa complexité, peut redonner l’envie bilité-secrétariat à l’heure du passage du
ces pour être « stagiables ». Les entre- d’apprendre. J’ai eu des élèves ayant bac pro en trois ans, associé à un recru-
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prises demandent qu’on leur présente échoué en 2de générale, et d’autres, tement d’élèves en grande difficulté. En
des candidats opérationnels, attendent orientés « par défaut » en filière profes- attendant, sur le terrain, les enseignants
des élèves qu’ils soient ponctuels, qu’ils sionnelle, pour qui cette voie a été celle travaillent à faire progresser les élèves
adoptent une attitude professionnelle et de la réussite. Grâce à l’utilisation des en faisant preuve de persévérance.
s’acquittent de tâches relativement tech- outils bureautiques, aux stages et à un
Patrick Pierre
Professeur de comptabilité
Les périodes de formation en entreprise donnent un sens
véritablement concret à ce que les élèves apprennent
et ils disent souvent « la comptabilité est plus simple
à comprendre en enteprise ».
niques. Les enseignants doivent donc apprentissage plus inductif, ces élè-
préparer les élèves à la maitrise de com- ves ont pu restaurer leur gout pour les
pétences techniques et sociales à met- apprentissages. Les retours des tuteurs
tre en œuvre dans un environnement en entreprise montrent que ces élè- 1 En aucun cas il ne s’agit de tomber dans l’op-
nouveau. Lors de ces périodes, l’ensei- ves sont vite opérationnels, même si ce position simpliste « manuel/intellectuel » où le
gnant assure le suivi de l’élève, et aide le n’est vrai que pour une partie de nos terme intellectuel désignerait exclusivement ce qui
relève de l’intelligence et où le terme manuel serait
tuteur en entreprise à remplir une grille élèves, ceux pour qui cette orientation dévalorisé en étant ramené à une vision caricatu-
d’évaluation avec de compétences pro- a du sens. rale de « travail avec les mains ». Nous souhaitons
simplement souligner que la comptabilité est une
fessionnelles. La liste est longue et très Par contre, beaucoup d’élèves orien- discipline qui ne nécessite aucune compétence
ambitieuse. Grâce au travail de proxi- tés en comptabilité et en secrétariat par manuelle.

Les compétences informatiques évaluées en CCF


Une particularité de cet enseignement est la façon d’évaluer les élè- est acquise ? S’agit-il d’être capable de reproduire une procédure
ves en contrôle en cours de formation. L’enseignant doit élaborer d’exercice décontextualisé, par exemple effectuer un calcul simple
les sujets, faire passer les épreuves et évaluer les élèves de sa classe. à l’aide du tableur en reproduisant à l’identique ce qu’a montré l’en-
Le nombre de compétences à évaluer, inscrites dans un référentiel seignant, ou bien d’être capable d’utiliser la procédure pour s’adap-
national1, est élevé : quarante-huit compétences en informatique et ter à une situation ? L’enseignant doit construire ses propres repères
trente-cinq autres compétences pour les périodes de formation en pour ne pas proposer une simple reproduction, mais envisager une
milieu professionnel. Ces listes interrogent la notion même de com- situation suffisamment complexe permettant d’évaluer une réelle
pétence. Le sujet est d’actualité avec le débat sur le livret de compé- compétence.
tences. Chacun met derrière le terme des conceptions très différentes L’harmonisation des notes entre enseignants de même discipline
ne permettant pas forcément d’en tirer des ressources opérationnel- du même établissement, ou d’un autre établissement est aussi peu
les pour l’action. Les enseignants de LP sont en demeure d’évaluer aisée. Pourtant, l’informatique est le facteur clé de réussite des élè-
un grand nombre de compétences, mais leur définition en des ter- ves ; avec la maitrise de compétences de base, ils peuvent être rapide-
mes très génériques ou trop larges, souvent peu opérationnelles2 est ment opérationnels en stage et renouer avec une estime de soi et le
source de difficulté. Une compétence trop générale est impossible gout d’apprendre. Comme dans un « atelier » de cuisine, il faut par-
à évaluer. La « bonne échelle » est la condition pour qu’elle soit véri- fois remuer longtemps avant que la sauce ne prenne et il faut égale-
tablement prise en compte dans l’activité proposée. Si la définition ment bien doser les ingrédients.
est trop large, cela peut aboutir à ne faire référence à la compétence
qu’à postériori et donc à remplir à l’envers une grille d’évaluation. Par
exemple, l’enseignant propose son activité et met la note en fonction
de ses objectifs, puis remplit la grille d’évaluation pour se mettre en
« conformité » avec l’institution.
1 http://www.creg.ac-versailles.fr/spip.php?article89
Prenons une compétence issue du CCF d’informatique du bac pro
comptabilité : « Créer et mettre à jour les éléments d’organisation 2 Voir l’ouvrage La langue de coton, de F.B. Huygue, http://www.huyghe.fr/
d’un dossier ». À partir de quand peut-on dire qu’une compétence livre_13.htm

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 15


Dossier Au lycée professionnel

Un lycée nommé désir ?


André Roux

Trois témoignages, deux enseignants et une proviseure,


sur la motivation, le désir d’apprendre : des problèmes à l’acuité professionnel : « Les uns et les autres pren-
particulière en LP ? nent les gamins comme ils sont ! »
Il en va de même du travail en équipe,

M
indispensable en collège de ZEP comme
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arie-Élizabeth est profes- nécessité d’une approche plus indi- en LP. Ce travail en équipe passe aussi,
seur de lettres-histoire et vidualisée est aussi revendiquée par dans son lycée, par l’implication et la
elle enseigne aussi bien à Marie-Élizabeth, par exemple en uti- présence du corps d’inspection qui
des sections tertiaires qu’industriel- lisant l’accompagnement individua- accompagne véritablement les profes-
les. Christophe, pour sa part, est pro- lisé, à raison d’une heure par semaine seurs et les projets.
fesseur de maintenance en équipement avec huit élèves maximum. Les projets
industriel. pluridisciplinaires à caractère profes- « Bien sûr, précise-t-elle, derrière ce qui
sionnel, auxquels l’un comme l’autre pourrait sembler une image idyllique, il y
Nombreux sont les professeurs d’en- a des élèves qui, souvent, n’ont jamais tra-
seignement professionnel qui, avant participe activement, sont aussi l’occa-
sion de travailler différemment tout en vaillé, ou plutôt pas appris à travailler. Il
d’enseigner, ont connu un autre métier y a, de même, l’enjeu d’une orientation qui
et, par là même, un autre regard sur le favorisant, loin d’une approche pure-
ment magistrale, une mise en situation est souvent vécue par défaut ou par man-
monde professionnel. C’est le cas de que d’information sur ce qu’est vraiment le
Christophe. Bien qu’ayant toujours inductive des élèves à partir de la pro-
blématique proposée. métier préparé. » C’est d’ailleurs ce qui
rêvé d’enseigner, il a dans un premier pousse Suzanne à travailler en étroite
temps travaillé cinq ans en entreprise. Il Autant d’exigences qu’ailleurs ! relation avec les chefs d’établissements
tire de son expérience en entreprise un Si certains pensent que l’enseignement et les professeurs principaux des collè-
certain nombre de valeurs qu’il essaie en LP serait quelque peu bradé, pour ges du bassin de formation. Cependant,
d’inculquer et surtout de partager avec ces deux professeurs le respect des élè- comme elle le dit avec conviction : « Il
ses élèves : le respect des horaires et des ves n’a de sens que si l’on est exigeant reste encore beaucoup à faire pour mieux
autres, le sens du travail en équipe, la avec eux. Ainsi, en français, les textes informer nos collègues en amont, mais aussi
nécessité de l’écoute.
Remettre sur les rails
Lorsqu’il reçoit les nouveaux élèves Il tire de son expérience en entreprise un certain nombre
en début d’année ils sont souvent en de valeurs qu’il essaie d’inculquer et surtout de partager
situation d’échec en arrivant du col-
lège, voire de démotivation complète : avec ses élèves : le respect des horaires et des autres, le sens
« à quoi ça sert de travailler, je suis nul ! ». du travail en équipe, la nécessité de l’écoute.
Cette souffrance des élèves est encore
plus prégnante en enseignement géné-
ral. Pour Marie-Élizabeth, la bivalence proposés sont souvent les mêmes que pour donner une autre image de marque de
est un atout pour donner du sens à son ceux étudiés par des élèves de lycée ce qu’est aujourd’hui notre établissement.
enseignement et remotiver les élèves. général. Ce qui diffère, ce n’est pas le Le lycée professionnel est une voie de réus-
« Tu peux y arriver », cette phrase, elle la contenu, mais bien l’approche pédago- site et de plus en plus d’élèves retrouvent le
prononce chaque heure de cours. Mais gique et le regard porté sur l’élève. En désir d’apprendre et peuvent même accéder
pour que les élèves l’entendent vrai- LP plus qu’ailleurs, il faut offrir aux en BTS pour les plus motivés. »
ment, il ne faut pas craindre « d’être en élèves un accès le plus large possible Désir d’apprendre et de réussir pour les
empathie, voire en relation affective, avec aux grands œuvres de la culture. Pour élèves… désir d’être mieux reconnues
les gamins. » Nulle démagogie ni pos- Christophe, notamment à travers les pour les équipes pédagogiques, et si le
ture déplacée dans cette réflexion, sim- stages en entreprises, les élèves doivent lycée professionnel était justement un
plement la certitude « qu’une relation de acquérir un savoir-faire et un savoir- lycée nommé désir ?
confiance est indispensable si l’on veut que être indispensables à leur future inser-
les gamins reprennent l’appétence d’ap- tion professionnelle et cela ne se souffre
Témoignages recueillis par André Roux,
prendre et de travailler ». d’aucune concession ! Éducation & Devenir
Christophe, dans son atelier de main- Suzanne, proviseure, partage pour
tenance ne dit pas alors autre chose : l’essentiel l’avis des deux professeurs.
« Il faut, en même temps, mettre les élè- Ayant longtemps dirigé un collège
ves en situation de travail et les mettre en en ZEP, elle connait bien les difficul-
confiance. Le fait est que l’enseignement tés rencontrées par les élèves et pense
professionnel se déroule la plupart des qu’il y a un point commun fondamen-
séances en demi-groupes et cela nous aide tal entre les équipes pédagogiques des
beaucoup pour suivre les gamins. » Cette collèges situés en ZEP et celles du lycée

16 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


1- Des enseignants qui cherchent, s’adaptent, innovent

Un enseignement de la langue
spécifique ?
Ludmilla Fermé

Comment enseigner la langue française à un public si varié,


aux langues maternelles parfois si différentes ? Comment adapter les enseignants en lettres-histoire au
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notre enseignement du français à un public qui ne cesse d’évoluer, cœur des apprentissages. Nous reste-
dans le cadre d’une réforme qui laisse moins de temps d’enseignement ? rons ainsi des « inventeurs », car une des
spécificités des enseignants du lycée
professionnel est d’être des « expéri-

C
omme l’ont montré Claudine de l’année pour enrichir notre langue mentateurs » pour trouver des solutions
Attias-Donfut et François- commune. Pour cette année de termi- concrètes pour nos élèves. Nos séan-
Charles Wolff, le bilinguisme de nale bac professionnel, j’ai proposé à la ces se construisent à partir du terrain
nos élèves n’est certainement pas une classe de réfléchir à son rapport aux lan- de la classe et nous apprenons autant
barrière à l’apprentissage du français ; il gues du monde, à sa relation avec sa lan- de nos élèves que de nous-mêmes. La
serait même un moteur de la motivation gue maternelle ou paternelle, comme séquence de français se construit alors
des enfants issus de l’immigration. l’avait fait Leïla Sebbar dont nous étu- autour d’un « maillage » très serré entre
dions une des œuvres majeures L’arabe séances de langue, de lecture, d’écriture
Des langues et des élèves et de réécriture coordonnées autour
comme un chant secret. Nous avons pu
Une connaissance fine des langues ainsi aborder le choix fait par certains d’objectifs très précis.
maternelles des élèves, de leur prati- écrivains (en lecture cursive : Abdellatif Ainsi, dans une séquence intitu-
que dans la sphère privée, du nom- Lââbi, Tahar Ben Jelloun, Simone lée « Apollinaire découvre la peinture
bre d’années acquises pour assimiler la Schwart-Bart, François Cheng) de moderne », l’objectif d’apprentissage
langue française peut être, il me sem- décider de métisser la langue française de la classe en 2de professionnelle est
ble, un point de départ très fécond. – langue d’écriture – pour rendre hom- de produire un écrit de type journa-
Comment faire progresser ces élèves mage à leur langue d’origine – parfois listique pour donner son appréciation
qui n’ont qu’une connaissance récente langue de l’oralité. d’une œuvre picturale. Après l’étude
de notre langue avec d’autres dont le
français est la langue maternelle, mais
qui rencontrent d’importantes difficul-
tés langagières, en particulier dans les Comment faire progresser ces élèves qui n’ont qu’une
règles fondamentales ou dans le lexi- connaissance récente de notre langue avec d’autres
que ? Comment un élève hôtelier peut-
il bien mettre en œuvre une consigne de dont le français est la langue maternelle, mais qui rencontrent
découpage si le lexique simple n’est pas d’importantes difficultés langagières ?
assimilé ? Comment un élève de comp-
tabilité peut-il rédiger son rapport de
stage, qui décrit et analyse sa pratique La liberté pédagogique au centre d’un groupement de textes extrait des
professionnelle s’il ne maitrise pas une de l’apprentissage du français Chroniques d’art, il est demandé à la
syntaxe élaborée ? Le travail sur la lan- Les clés de l’apprentissage passent par classe plusieurs travaux d’écriture et de
gue et les langues parlées par les élèves un travail d’équipe des enseignants et réécriture. L’enseignant « dynamise »
est essentiel pour construire leur pro- une appréhension du besoin des élèves alors sa séquence avec des séances de
gression dans les apprentissages, et cela en langue française : la place des élèves maitrise de la langue très ciblées sur
dans tous les domaines enseignés au dans l’espace d’apprentissage, la pensée les difficultés langagières de la classe et
lycée professionnel. et la transmission des savoirs langagiers, qui lui permettent de corriger ses exer-
J’ai travaillé dans ce sens l’an passé. la place centrale de l’évaluation à l’oral cices d’écriture. Soulignons aussi que
Après avoir mené une enquête sur l’ori- et à l’écrit, l’organisation du travail en c’est ce va-et-vient indispensable entre
gine langagière de mes élèves, sur la classe autour de projets d’élèves. la pratique et la théorie, autrement dit
langue parlée à domicile et l’écart pro- La liberté pédagogique a ainsi toujours entre la didactique du français et la
duit et vécu avec la langue française, j’ai été au centre des apprentissages en pédagogie, entre le savoir savant et les
découvert dans ma classe de 1re pro- français au lycée professionnel. Jusqu’à savoir-faire, qui donne naissance à des
fessionnelle trois groupes linguisti- la réforme de l’an passé, nous avions nouveautés bénéfiques pour la classe.
ques différents du français parlé par la l’entière liberté du choix de nos textes Enseignants expérimentateurs, mais
classe : un groupe de lusophones, un et supports. Les nouveaux référentiels, aussi inventeurs.
groupe d’arabophones (langue verna- tout en encadrant l’enseignement dans En quatre ans, sur les anciens cycles du
culaire) et un groupe créole. J’ai mis un genre, un champ littéraire et lan- BEP et du bac professionnel, l’ensem-
en place un long travail sur le lexique gagier (grammatical ou lexical) main- ble des élèves de mes classes progres-
couplé à de la réécriture tout au long tiennent la liberté pédagogique pour sait de façon nette. Mais cela demande

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 17


Dossier Au lycée professionnel

du temps, et c’est bien là le point crucial ves la composant pourront lire et donc jeu de notre enseignement en classe,
de la rénovation de la voie profession- interpréter la modernité d’un poème de à l’heure de la mondialisation. Car, la
nelle que nous pouvons interroger : du Blaise Cendrars dans leur nouveau pro- langue métissée par toutes les apparte-
temps, nous risquons d’en manquer. gramme de 2de professionnelle. nances de nos élèves reste au centre des
Henri Lopès, auteur francophone, interrogations des enseignants de fran-
Rénovation administrative
déclarait : « Les écrivains français racon- çais des lycées professionnels, comme si
ou mutation identitaire ?
tent, dialoguent, se souviennent et s’expri- elle était ce levier indispensable à tous.
Le couplage du cycle en deux ans du
BEP avec le cycle de baccalauréat pro- ment dans un environnement qui leur est
fessionnel permettait aux enseignants familier, dans un français qui n’a pas d’ac- Ludmilla Fermé
de français d’envisager sur le premier cent, sinon celui des variantes régionales. Enseignante en lettres-histoire en lycée
cycle une correction en maitrise de la L’écrivain français écrit français. Nous polyvalent à Clichy (Hauts-de-Seine),
nous écrivons en français2. » Comment formatrice dans l’académie de Versailles
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langue, puis un approfondissement sur


le cycle du bac professionnel en gram- faire passer nos élèves de leur lan-
maire de texte. Désormais, nous ne dis- gue française chaotique, mal apprise,
posons que de trois années, avec un empruntée à une identité mal définie,
1 Patrick Joole, Comprendre des textes écrits, Édi-
taux horaire amoindri. La voie profes- au passé historique parfois chargé, à tions Retz, Pairs, 2008.
sionnelle devait, nous dit-on, se confor- un français commun à tous, langage de 2 Cité par Lise Gauvin, La fabrique de la langue,
mer aux cycles en trois ans et permettre l’univers professionnel ? Tel est l’en- Points Seuil Essais, Paris, 2003, page 258.

un alignement sur le lycée général et


technologique. C’est du côté des pro-
grammes que la rénovation a aussi agi
en introduisant des objets d’étude en
français, objets d’étude qui annoncent
le cycle du BTS. L’ambition de cette
rénovation est donc multiple : permet-

Un projet
tre à un plus grand nombre de nos élèves
d’accéder à un bac + 2 ; leur transmettre
une culture générale et un patrimoine
commun à de nombreux élèves du
secondaire ; articuler les apprentissages
autour de grandes problématiques.
Cette réforme pose la question de
interdisciplinaire
l’identité du lycée professionnel et de la
place accordée au français en son sein.
Ne va-t-il se différencier du lycée géné- pour réconcilier
avec l’écriture
ral et technologique que par les matiè-
res professionnelles ? C’est désormais
aux enseignants de lettres-histoire de
retrouver les « nouvelles entrées péda-
gogiques  » des référentiels afin de Rose-Marie Subra-Bosch
continuer le développement d’un fort
apprentissage du français ancré dans
une constitution significative du champ Un projet faisant du lien entre enseignements professionnel, artistique
culturel. Pourquoi ? Parce que notre et documentaire donne l’occasion de travailler la langue, de l’acquisition
public scolaire n’a pas changé. Il se de vocabulaire à des pratiques d’écriture peu habituelles pour les élèves.
diversifie même. Parce qu’il est néces-
saire de cibler au plus tôt comme l’a

D
montré Patrice Joole1, les obstacles qui eux professeurs stagiaires En tant que professeure documen-
rendent les élèves « mauvais lecteurs », devaient mettre en place un taliste, ma place dans le projet a varié
liés à des références culturelles que nos projet pédagogique dans le selon les besoins des collègues et des
élèves ne possèdent pas. Aux ensei- cadre de leur formation à l’IUFM. élèves tout en me laissant une marge
gnants de construire, avec les nouveaux Enseignant l’un les arts appliqués, pour mettre en pratique des situations
programmes, les outils qui permettront l’autre la vie sociale et professionnelle de « création poésie à partir d’images ».
aux élèves de les surmonter. Mais cela (VSP), ils ont décidé de s’associer dans Au départ, nous avons eu un temps
ne suffira pas et il ne faudra pas alors un projet mené avec une classe de ter- de travail collectif pour cerner le sujet
oublier les acquis de l’enseignement du minale BEP « techniques de l’habitat » avant de le présenter aux élèves. Mon
projet, ou de la pédagogie différenciée et autour de l’idée de construction de apport en tant que documentaliste a
surtout le patient travail sur les difficul- maquettes en déchets recyclables. Ils été d’élaborer à partir d’un thésaurus
tés langagières qui reste indispensable se sont tournés vers le centre de docu- un listing de mots organisés et hiérar-
et qui doit être réalisé en profondeur et mentation et d’information, et j’ai donc chisés sur le thème de l’habitat. Cette
sur une longue durée. C’est parce que la participé à l’élaboration de leur projet, première étape du travail collectif nous
classe aura acquis un lexique minimum d’autant que je connaissais le groupe a permis d’échanger sur les attentes de
et des repères linguistiques que les élè- d’élèves, habitués du CDI. chacun, de vérifier les à priori ou les

18 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


1- Des enseignants qui cherchent, s’adaptent, innovent

méconnaissances sur la discipline de d’immersion dans le projet, les élèves se


l’autre, et de commencer à construire sont interrogés sur les déchets recycla-
un langage commun. bles utilisables, avec l’aide des ensei-
L’objectif de ce projet, pour ma part, gnants d’ateliers.
était de faire pratiquer la recherche Un temps d’écriture s’est appuyé sur
documentaire en vue d’une produc- des recherches documentaires pour
tion poétique tout en guidant les élè- nommer les différentes parties de la
ves sur les questions soulevées par les maison (parties de l’escalier, du toit, des
autres enseignants : quel habitat choi- ouvertures, des pièces…) et citer des
sir et comment le représenter ? Le pro- animaux, fleurs, sommets et autres élé-
jet enfin élaboré, avec le calendrier des ments de l’environnement pyrénéen.
étapes par discipline, les finalités et les
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Ensuite la création d’images a été abor-


objectifs bien ciblés, il nous restait à
dée par une approche du vocabulaire
trouver les moyens pour le mettre en
abstrait en s’appuyant sur les senti-
action.
ments, les émotions, les ressentis, les
Ajuster apports professionnels qualités et les défauts. Grâce à un jeu
et approche littéraire de questionnement, les mots concrets
Après la présentation aux élèves en de la recherche précédente ont été mis
présence des trois enseignants, nous en relation avec les mots abstraits. La
avons alterné des temps de produc- consigne de décrire sous forme poéti-
Textes
de l’atelier d’images
Des objectifs sous-jacents au projet sont apparus, Le silence, si c’était une forme, serait-ce
comme le passage du vocabulaire concret et technique une courbe, une ligne brisée, une spirale,
l’arc de cercle, le trait en dent de scie, des
au vocabulaire abstrait lié aux émotions, aux sentiments. parallèles ?

Le refus, si c’était un espace extérieur


tion « matérielle » en classe et des temps que la création, en utilisant les images de la maison, serait-ce le perron, le toit,
la chatière, le pignon, la gouttière, la
plus réflexifs au CDI. Mon travail visait produites auparavant, a permis d’élabo- tabatière, la corniche ?
à adapter l’écriture personnelle de rer un point de vue personnel sur l’objet
l’élève à une action technique collec- fabriqué à plusieurs. L’amour, si c’était un matériau naturel,
tive, tout en conservant et en valorisant serait-ce le schiste feuilleté gris, l’ardoise
Enfin la dernière activité a consisté à grisée, l’argile rouge, la chaux blanchie ?
le côté littéraire par un jeu d’écritures mettre en commun et à rédiger un texte
allant de la création poésie à l’écriture de 200 mots sous forme informative, Le rêve, si c’était quelque chose pour
d’information. sorte d’inventaire, avec des liens hyper- s’élever, serait-ce une échelle, un escalier,
un banc, un escabeau, une marche, un
Des objectifs sous-jacents au pro- textes pour inclure les productions poé- échafaudage ?
jet sont apparus, comme le passage du tiques et fiches techniques, réalisées
vocabulaire concret et technique au avec l’enseignant de VSP. La performance, si c’était un objet pour
vocabulaire abstrait lié aux émotions, se hausser plus haut, serait-ce une
Redonner du sens à l’écriture poulie, un funiculaire, un escalator, un
aux sentiments. L’acquisition du voca-
Le passage de la lecture à la création téléphérique ?
bulaire s’est effectuée grâce à un temps
de lecture « plaisir » au CDI. Les livres manuelle et écrite a permis de récon-
La chance, si c’était une fleur de chez
et revues sélectionnés avec le profes- cilier les élèves avec l’écriture avec vous, serait-ce le perce-neige, l’édelweiss,
seur d’art ont favorisé l’approche des laquelle beaucoup étaient fâchés. Le tra- la petite pervenche, la gentiane bleue
différents types de constructions loca- vail de groupe a été très stimulant, tant étoilée, la grande gentiane jaune, l’iris
au niveau des élèves que des collègues. sauvage ?
les ainsi que l’ouverture de pistes vers la
création, en insistant sur la nécessité de Le groupe est resté actif au-delà du La tolérance, si c’était un paysage de
s’assurer auprès des référents profes- temps du projet. Lorsqu’un élève a été montagne, serait-ce un lac glacé, un
sionnels du caractère réaliste du projet. primé pour son texte lors d’un concours sommet escarpé, le piémont, la vallée,
de textes poétiques, tous les élèves sont les crêtes, la cime, le peyras, le chemin ou
Pour guider le choix des maisons à venus l’accompagner pour recevoir son le sentier ?
construire, des matériaux à utiliser, j’ai prix, petit clin d’œil des élèves de LP
mis à disposition des élèves des livres La bonté, si c’était un oiseau, serait-ce le
aux élèves du lycée général. troglodyte, la buse, la hulotte, le colvert,
et des revues sur la question, avec une le coq de bruyère ?
consultation par petits groupes. Pour
favoriser le « bain culturel » des élèves, Rose-Marie Subra-Bosch La diversité, si c’était une maison
j’ai fait venir des panneaux et maquettes Professeure documentaliste en lycée d’animaux, serait-ce le gite, le nid, le
professionnel à Aureilhan terrier, l’abri, la boule de mousse, le
de maisons locales fournis par le CAUE (Pyrénées-Atlantique) creux, la ruche ?
(Conseil d’architecture, d’urbanisme et
environnement) de Tarbes. L’avenir, si c’était un instrument de
mesure, serait-ce le thermostat, le
Au CDI, un remue-méninge sur les chronomètre, le cadran solaire, le mètre
types d’habitat a permis de clarifier les à ruban ?
pistes possibles. Après ce premier temps

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 19


Dossier Au lycée professionnel

« À quoi ça sert l’anglais,


Madame ? »
Karine Foucher

Comment répondre à l’éternelle question du sens, particulièrement


Deuxième séance. Nous travaillons
aigüe en lycée professionnel ? L’enseignant doit ruser au quotidien, d’abord sur un texte portant sur le bas-
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rechercher du côté de l’interdisciplinarité, des liens avec la vie réelle, ketball, ce qui nous permet de découvrir
ici en EPS dans des matchs de basket-ball. le vocabulaire utilisé sur le terrain ainsi
que le matériel de jeu : free shot, jump

D
shot… et autour d’activités ludiques :
epuis le plan de rénovation des Je me suis rendu compte qu’un profes- mots fléchés, mots croisés en anglais. Je
langues et le CECRL, la « pra- seur d’EPS doit gérer ses élèves en exté- prends ensuite la classe en binôme avec
tique actionnelle » suppose que rieur, ce à quoi je n’avais jamais réfléchi : mon collègue d’EPS afin d’être capable
nos élèves soient mis dans de réelles « Fais attention, ne rentre pas dans les ves- d’identifier les différentes tactiques de
situations de communication. Le défi de tiaires pour savoir si les élèves sont prêts ! jeu et donc d’être crédible face au jeu
cette séquence qui porte sur le basket- Ne les laisse pas aller chercher le ballon des élèves. Nous nous rendons sur le
ball est de redonner le gout de s’expri- sans ta permission, ne les laisse pas s’as- terrain après être passés par les vestiai-
mer et de communiquer simplement, soir sur les bancs qui sont placés autour res. Et là, les élèves réalisent qu’on peut
mais efficacement en anglais, et de tra- du terrain, sinon ils s’y installeront pour parler anglais en dehors de la salle de
vailler l’expression orale en interac- consulter leur portable dès que tu auras le classe ! Je leur demande donc en anglais
tion, évaluée en bac professionnel. La dos tourné ! Il faut aussi faire participer les de se changer, de prendre le matériel :
tâche finale : être capable de présenter élèves dispensés pendant la séquence ! »… les dossards, les sifflets et les chrono-
l’équipe de basketball de son lycée à une Enfin, nous nous sommes mis d’accord mètres. Les premières minutes sur le
équipe anglaise et de jouer un match en sur la progression des apprentissages, la terrain sont déconcertantes pour les
anglais contre cette même équipe lors gestion du matériel (sifflets, plots, dos- élèves. Tout est là : le matériel, l’envie
de son déplacement en France. sards), les différentes règles de vie sur de jouer, mais aussi la peur de parler en
Des regards sur nos métiers un terrain de jeu. Courageusement, j’ai anglais. Silence, personne ne bouge…
Cette séquence s’inscrit dans un pro- revêtu la tenue qui caractérise habituel- Je leur explique qu’il faut oser parler
jet éducatif et culturel (PEC) dont le lement celle de mon collègue d’EPS. anglais, que dans un premier temps
thème est la découverte et la pratique
de sports anglo-saxons et répond à un
des domaines culturels proposés dans Les premières minutes sur le terrain sont déconcertantes pour
le programme d’anglais. Ce PEC a ren- les élèves. Tout est là : le matériel, l’envie de jouer, mais aussi
contré un réel succès auprès des élèves
d’une classe de 1re année bac profession- la peur de parler en anglais. Silence, personne ne bouge…
nel et leur a permis de se rendre compte
que les professeurs pouvaient travailler
ensemble ! Ces moments de classe peu- Croiser enseignement d’anglais les erreurs ne sont pas importantes et
vent également avoir lieu lors des heures et pratique sportive que l’habitude d’associer des actions
d’activités de projets, en projet pluri- Pendant cette séquence, chaque séance au vocabulaire spécifique va venir au
disciplinaire à caractère professionnel du cours d’anglais s’enchaine avec une fur et à mesure. Je leur demande alors :
(PPCP), lors de l’accompagnement per- séance sur le terrain. « Can you try ? Can you do it ? » Quelle
sonnalisé 6 ou encore lors des stages de J’annonce à ma classe le programme des belle occasion pour moi d’expliquer ce
remises à niveau pendant les vacances. prochaines heures de cours. Après une qu’est l’évaluation positive ! Après vingt
Deux semaines avant le début de la réaction d’étonnement, « Quoi ? Mais on minutes d’entrainement, il est étonnant
séquence, j’ai revu les bases du basket- n’a jamais fait ça avant ! », les élèves ont de constater que les élèves sont capables
ball avec l’aide du professeur d’EPS : adhéré, « C’est cool, Madame. ». de retenir sans difficulté le vocabulaire
dribbler, jouer en défense, travailler le Première séance : travail en classe sur appris en classe, qu’ils osent finalement
rebond offensif, etc. J’ai dû également l’historique du basketball, son inven- s’exprimer en anglais.
réviser le vocabulaire en anglais : to drib- teur et les principaux joueurs connus Motivés par une situation inédite,
ble a ball, to shoot a ball, a defender, a two- par les élèves. Ce travail est réalisé de même les plus timides osent pronon-
hand-shot, etc. Nous sommes ensuite façon ludique en mettant en scène un cer quelques mots, « Don’t forget the
allés sur le terrain de basket pour que je jeu TV fictif mené par un élève qui joue numbers ! Have you got the whistle ? », et
puisse visualiser ce qui était permis de le rôle du présentateur. Le quizz mas- s’interdisent de parler français même
faire ou non lors des actions de jeu. J’ai ter doit alors faire deviner à ses cama- pendant les entrainements. Le non-
suivi mon collègue en cours avec une rades l’identité du personnage : « Guess respect de cette règle, interdiction de
classe de 3e DP6 qui pratiquait ce sport. who he is… ». parler français, entraine l’exclusion de

20 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


1- Des enseignants qui cherchent, s’adaptent, innovent

ceux qui l’auraient oubliée. Un des élè-


ves de l’équipe jaune finit par dire à son
coéquipier : « Stop speaking French ! If
you do it, the team will lose. »
Après avoir installé le matériel et avoir
désigné des arbitres pour les différen-
tes équipes qui s’entrainent, le coup de
sifflet retentit. « Ready ? Go ! » Les arbi-
tres prennent au sérieux la mission qui
leur est confiée : éviter les erreurs de jeu
et signaler le recours au français qui éli-
minerait les participants.
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Cette séance est un succès : les élèves


collaborent et montrent de la bonne
volonté.
L’effort est évident : les élèves veulent
utiliser le vocabulaire approprié pour
avoir le droit de jouer sur le terrain. Le
vocabulaire vu en classe est utilisé et
les élèves s’entraident. Retour au ves-
tiaire. « C’est génial Madame ! Quand est-
ce qu’on recommence ? » (question que les
élèves me posent… en anglais !)
Quelques collègues surpris me croi-
sent en train de revenir des vestiaires.
Bizarre : que fait-elle ici ? J’aurais voulu
leur dire que l’interdisciplinarité per-
met de vivre des moments pédagogi-
ques très enrichissants et intéressants !
Troisième séance. Afin de permettre
aux élèves-arbitres d’étoffer leur voca-
bulaire, nous regardons une vidéo en
anglais. L’interview d’un entraineur
américain permet aux élèves de se ren-
dre compte qu’ils ont acquis un cer- rer que tous les joueurs sont capables - Groupe 1 : mascotte, nom, présenta-
tain nombre de mots de vocabulaire : d’avoir recours à un minimum d’ex- tion de la région du lycée.
« Madame ! J’ai compris ce que l’entrai- pressions en anglais, un quizz est orga- - Groupe 2 : composition de l’équipe
neur demande aux joueurs : il fait comme nisé en classe : « true or bluff ». (l’arbitre, le capitaine, le programme
moi ! » Eh oui, entraineur est un métier Chaque élève dispose d’un carton « vrai » d’entrainement).
que l’on prend à cœur ! ou « bluff ». Un maitre du jeu donne une - Groupe 3 : code d’honneur de l’équipe
Certains élèves de la classe encadrent série d’affirmations sur le vocabulaire (règles et conseils de jeu).
ensuite leurs camarades de la salle de technique de jeu en anglais. Les autres
- Groupe 4 : création d’un poster pré-
classe au vestiaire, puis des vestiaires au élèves doivent répondre en montrant le
sentant le match qui opposera l’équipe
terrain de jeu. L’anglais est de rigueur. bon carton. Cette séance ludique per-
du lycée et celle des camarades anglais
Les élèves jouent le jeu : « No French met de refaire le point sur le vocabulaire
qui vont venir jouer.
guys ! We must win ! » et les techniques de jeu de l’équipe.
Sur le terrain, les élèves s’entrainent et
jouent un match. Le vocabulaire uti-
Un des élèves de l’équipe jaune finit par dire à son coéquipier : lisé dans les vestiaires ne pose plus de
problème, les arbitres s’expriment en
« Stop speaking French ! If you do it, the team will lose. » anglais, ainsi que les coachs de chaque
groupe.
Pendant la séance de jeu, l’impératif Sur le terrain, les élèves de la classe Alors… à la fameuse question : « Ça sert
permet aux joueurs de communiquer ont tous un rôle attitré : encadrement à quoi l’anglais ? » la réponse des élè-
et donc d’être efficaces quant à leur tac- de la classe, arbitres, joueurs. Chacun ves à la fin de la séquence est : « À par-
tique de jeu. L’arbitre joue pleinement des joueurs a recours à des techniques ler avec les autres et pas seulement à faire
son rôle et ne manque pas de demander de jeu précises qu’il sait commenter en des exercices ! »
aux joueurs de l’équipe adverse de sor- anglais.
tir du terrain lorsqu’ils s’expriment en Cinquième séance. La classe est divi- Karine Foucher
français. sée en quatre groupes. Le but de cette Chargée de mission d’inspection d’anglais
Quatrième séance. Afin de revoir les séance est de créer l’équipe de basket- dans l’académie d’Amiens.
règles de jeu en anglais et de s’assu- ball du lycée :

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 21


Dossier Au lycée professionnel

Dans les interstices


des programmes d’histoire
Joël Mak dit Mack

L’enseignement général en LP peut se fixer des objectifs ambitieux :


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prendre en compte ici les évolutions de l’historiographie du côté


de l’histoire de la mondialisation, occasion de répondre aussi frir ce regard plus vaste sur les interac-
à des jeunes dont l’horizon personnel dépasse les limites de l’hexagone. tions entre les civilisations à partir du
xvie siècle ? Pour ce faire, j’ai abordé
ce travail à l’aide de cartes complétant

L
’expérience proposée dans ce ce que l’on nomme en France, l’histoire des données trop réductrices si l’on se
texte a été menée avec une classe globale ou histoire connectée1, ne sem- contentait des orientations proposées.
de vingt-quatre élèves d’une 2de blent pas avoir servi à élargir les points Les élèves ont analysé, la plupart du
de bac pro en trois ans, dans un établis- de vue, à ouvrir ces « récits » individuels temps sans questions préétablies, des
sement dit de proximité en zone rurale ou collectifs que l’on nous demande de espaces géographiques en les voyant se
du département du Rhône. Du fait de sa présenter, à un univers plus vaste de transformer au gré des évolutions géo-
situation géographique et de l’existence rencontres et de brassages. Fort de ces politiques (l’Afrique subsaharienne,
d’un internat en ses murs, cet établis- considérations préliminaires et mal- l’Inde, la puissance maritime chinoise
sement draine un public issu en par- gré la fragilité, certains diraient la pau- en Asie du Sud-est avant et après la pré-
tie du milieu rural local dont le bassin vreté, des outils conceptuels et des sence européenne). En fin de chapitres,
d’emploi est fortement sinistré, et éga- connaissances générales à la disposition les contrôles proposés ont complété les
lement de jeunes venus des banlieues des élèves, il m’a semblé intéressant et premières informations succinctes à
lyonnaises, eux aussi en très grande dif- pertinent, en LP, de leur proposer un l’aide de nouveaux documents. Chaque
ficulté, affectés en troisième, voire qua- regard historique plus à même de tenir corrigé a offert davantage d’informa-
trième vœu. La rencontre de ces deux compte des interactions mondiales sur tions sur la méthode d’analyse des ima-
composantes du public scolaire génère près de quatre siècles. ges et des textes et a fonctionné comme
des incompréhensions certaines, des un complément de cours, utile pour la
Dans les interstices progression et les évaluations suivan-
réticences profondes rarement évo-
quées ni par les élèves, ni par les équi- Tout en s’appuyant sur les nouveaux tes. Afin d’enrichir ces pistes à peine
pes pédagogiques ou administratives, référentiels, je choisis ici d’user de la esquissées, l’utilisation à la fois des nou-
mais qui affleurent continuellement au liberté pédagogique pour élargir la velles consignes sur l’histoire de l’art et
quotidien. Avec un public aussi hétéro-
gène et dans un contexte souvent com-
plexe pour les élèves, les disciplines de Aucun chapitre véritable, sur les trois ans, ne parait intégrer
l’enseignement général focalisent par- la dimension d’une histoire des migrations à laquelle les parents
fois leurs frustrations envers le sys- ou grands-parents de beaucoup d’entre eux appartiennent.
tème scolaire. À l’heure où la mixité
sociale et culturelle devient une néces-
sité encore plus grande, le nouveau pro- vision « européo-centrée » proposée par une approche même succincte des Tice
gramme d’histoire resserre pourtant les les programmes. Dans cette optique, il a permis de renforcer ces nouvelles
regards au mieux sur un monde euro- me paraissait intéressant de concilier perspectives.
péen (en 2de) ou occidental (le poids des deux affirmations du BO, en apparence
L’histoire de l’art comme « élément
États-Unis depuis la fin du xixe siè- contradictoires, l’une visant à « mieux
cle entre autres, en terminale), voire, déclencheur » ?
connaitre et mieux comprendre la diver-
en 1re bac pro, uniquement sur le point sité des sociétés et la richesse des cultu- La directive institutionnelle proposée
de vue hexagonal. La plupart des élè- res » tandis que l’autre est « résolument dans le nouvel enseignement des arts,
ves, réticents à ces discours étriqués, les axé sur une histoire européenne – celle des « donner à chacun une conscience com-
ressentent confusément comme trop humanistes, des découvreurs, des colonisa- mune : celle d’appartenir à l’histoire des
étrangers à leurs préoccupations, à leurs teurs, des révolutionnaires ». Puisque les cultures et des civilisations, à l’histoire
« récits » familiaux. Ainsi, aucun chapi- recommandations précisent que seuls du monde » convenait parfaitement aux
tre véritable, sur les trois ans, ne parait trois sujets sur quatre peuvent être étu- objectifs présentés ci-dessus. J’ai mis
intégrer la dimension d’une histoire diés et que le choix des situations est l’accent sur les représentations que se
des migrations à laquelle les parents fourni par les listes du programme ou faisaient les peuples les uns des autres :
ou grands-parents de beaucoup d’en- à l’initiative de l’enseignant, pourquoi celles des Aztèques ou des Mayas dans
tre eux appartiennent. Dans les choix alors ne pas garder l’ensemble des thé- les gravures espagnoles, ou dans l’autre
actuels, les derniers courants historio- matiques en n’utilisant pour certaines sens celles des conquérants de l’autre
graphiques tels que la world history ou, que les éléments susceptibles d’of- côté de l’océan par les peuples indiens.

22 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


1- Des enseignants qui cherchent, s’adaptent, innovent

apparence insignifiant de ces peintures


pour en arriver à une explication géné-
rale sur la mondialisation des échan-
ges bien avant l’époque contemporaine
offre la possibilité, avec des objectifs
réduits et modestes, dans le cadre d’une
2de de bac professionnel en trois ans, de
montrer à la fois un mécanisme global
et ancien (dès les xviie et xviiie siècles),
mais également à quel point une œuvre
d’art, quel que soit l’appréciation portée
sur elle, reste un formidable document
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d’époque, élément figé par le temps qui


peut s’avérer particulièrement bavard à
qui sait le faire parler. Plusieurs devoirs
des élèves montreront sur cette ques-
tion une compréhension plus subtile
que la relation au cours pouvait le lais-
ser croire.
Un premier bilan ?
La particularité de l’enseignement pro-
fessionnel en France réside jusqu’à
présent dans une volonté étatique de
maintenir un enseignement général et
citoyen important, au-delà des impéra-
tifs, certes nécessaires, mais restrictifs
en milieu scolaire, de « l’employabilité »
du futur salarié. Le débat est déjà ancien
et récurrent4, il n’en demeure pas moins
essentiel. C’est pourquoi, au-delà des
objectifs traditionnels et pluridisci-
plinaires en LP, il paraissait évident,
qu’à nouveaux programmes exigeants,
il fallait proposer un point de vue fort,
Les sources existent, elles sont nom- et ce qui a été étudié précédemment en
capable d’alimenter la réflexion de nos
breuses, comme les codex aztèques cours ? » Bien entendu, il leur a man-
élèves appelés à devenir de nouveaux
postérieurs à la venue espagnole qui qué les éléments nécessaires pour éta-
citoyens, mais également de futurs
montrent également les syncrétismes blir cette interaction entre une peinture
parents. L’enseignant peut être le « pas-
culturels et artistiques en train de se et un programme d’histoire. Pourtant,
seur » de savoirs théoriques et universi-
faire. Dessins, gravures, peintures aux les observations méthodiques de cer-
taires qui trouvent, contrairement à des
détails curieux qui dépaysent fortement tains détails de chaque œuvre (la table
idées reçues, toute leur place, une fois
le regard occidental contemporain, encombrée d’un tapis turc et d’un grand
adaptés au « public », dans le cadre d’un
cette rencontre avec nos élèves pou- plat en faïence blanche et bleue venue
enseignement d’histoire en lycée pro-
vait servir de déclic, telles les œuvres du de Chine, dans la Liseuse à sa fenêtre, le
fessionnel, ambitieux, mais réaliste et
prêtre métis inca, Felipe Guaman Poma chapeau richement décoré de L’officier
loin des discours utilitaristes et réduc-
de Ayala2, qui permettent d’aborder les et la jeune fille riant dont les fourru-
teurs qui ne cessent d’envahir l’espace
thèmes de la rencontre entre deux cultu- res proviennent du commerce de peau
de réflexion actuel.
res, leurs emprunts, leurs rejets. Ce fut entre Français et Hurons ou Iroquois)
la première étape proposée : visualiser permettent détablir l’existence de rela-
ces chocs culturels à travers les expres- tions économiques importantes quan- Joël Mak dit Mack
sions artistiques picturales de chacune titativement entre différentes régions Professeur de lettres-histoire en lycée
des civilisations en présence. Quelques du monde. L’effet est garanti, car la polyvalent à Thizy (Rhône)
semaines plus tard, en partant de curiosité l’emporte, ne serait-ce qu’un
recherches récentes3, nous avons étu- instant. Partir ainsi d’un élément en
dié deux œuvres du peintre hollandais
du xviie siècle, JoanVermeer, en les pro-
1 Une série d’émission sur France Culture a traité de ces nouvelles problématiques y compris dans l’ensei-
posant au regard des élèves dans un pre- gnement, à travers des débats entre historiens autour de l’héritage de Fernand Braudel. Voir http://www.
mier temps seulement comme objet de franceculture.com/emission-les-grandes-traversees-braudel-l-039-historien-monde-archives.html
curiosité. Pendant quelques minutes, ils 2 Voir son ouvrage Nouvelle chronique et bon gouvernement, achevé vers les années 1615.
ont juste indiqué ce qu’ils ont vu, puis 3 Notamment celles de l’historien canadien Timothy Brook qu’il rapporte dans son ouvrage intitulé Le
montré la composition selon des critè- chapeau de Vermeer en montrant ce que les tableaux hollandais montrent, discrètement, d’une première
« mondialisation » (Payot, coll. Histoire, 2010).
res qui leur ont été fournis. Au tableau,
4 Voir l’article de Gilles Moreau, « L’enseignement professionnel ou la défaite d’un projet émancipateur »,
j’ai inscrit une seule question : « Quel dans Le Monde Diplomatique, avril 2004. Version en ligne : http://www.monde-diplomatique.fr/2004/04/
rapport y a-t-il entre ces deux œuvres MOREAU/11109

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 23


Dossier Au lycée professionnel

Philosopher en lycée
professionnel ?
Marie Kerhom

Poser sous l’angle de l’égale dignité du LP par rapport au lycée général,


l’introduction de l’enseignement de la philosophie est de fait un apport phiques : dans quel monde souhaitons-
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considérable pour les élèves, dans leur rapport à eux-mêmes, aux savoirs nous vivre ? La violence peut-elle être
scolaires et aux autres. justifiée ? Cette année, ces élèves ont
aussi travaillé avec une compagnie théâ-
trale à la construction d’un spectacle à

L
’enseignement de la philosophie gumentation orale, mais aussi lors des partir de contes philosophiques. En
en lycée professionnel, préconi- épreuves écrites à caractère culturel BEP, je procédais de la même manière.
sée lors de consultation natio- où le plus souvent les anciens élèves de En bac pro, j’ai travaillé selon deux pra-
nale présidée par Philippe Meirieu, LP sont fortement pénalisés par « leurs tiques différentes : une CRP d’après un
voulait répondre au malaise ressenti manques de références culturelles et de lec- texte de Michel Sasseville sur la relation
par ces élèves qui « s’estiment margina- tures minimales qui permettraient de met- à soi et aux autres, ainsi que deux dis-
lisés », discrédités, refusant « d’être confi- tre à distance les documents proposés dans cussions à visée philosophique (DVP)
nés dans ce qu’ils perçoivent parfois comme les sujets, pour les apprécier de façon com- selon la méthode de Michel Tozzi une
des structures de relégation1 ». Les pro- parative et un peu critique3 ». sur les notions d’éducation civique,
fesseurs engagés dans des expérimen- Mon expérience de pratique l’autre à partir de mythes4.
tations ont souligné la grande richesse philosophique Ces pratiques, différentes dans leur
relationnelle de ces échanges, le plai- Professeur en LP, je me suis souvent forme, ont toutes deux pour fonde-
sir qu’y trouvent les élèves, leur utilité interrogée sur l’absence de philosophie ments le dialogue, le respect et la coopé-
pour le développement du raisonne- dans les programmes des différentes ration. Elles permettent de développer
ment et la formation du jugement cri- classes. Il me semblait que les jeu- des « habiletés de pensée », d’apprendre
tique. Professeurs comme élèves ont nes auxquels j’étais confrontée, même à penser, non pas seuls, mais dans l’inte-
ressenti l’introduction de cet ensei- démunis d’un vocabulaire pertinent, raction avec les autres. Leur objectif est
gnement comme la réparation d’une avaient le plus souvent une expérience la construction d’une pensée critique,
injustice. Certes, des difficultés furent leur donnant une certaine maturité. d’« amener les jeunes à penser de façon plus
relevées, notamment l’immense diffi- Eux aussi étaient soumis aux multiples raisonnable et plus juste et à leur inculquer
culté des élèves face à l’écrit, sous tou-
tes ses formes, comme pour la lecture
et le travail personnel, souvent négligé « La philosophie leur a permis d’affiner leurs analyses
ou occulté. Cependant les apports sont lors des diagnostics de pannes qu’ils doivent mettre en œuvre
indéniables : « Enseignants, inspecteurs,
chercheurs se retrouvent dans le constat pour assurer la maintenance des systèmes automatisés ».
que l’enseignement de philosophie contri-
bue à modifier indubitablement le rapport interrogations sur le sens de leur vie. l’habitude de réfléchir quand ils se trou-
au savoir et au langage des élèves concer- Certes, l’enseignement du français, de vent dans une situation problématique ou
nés, à installer (ou à développer) des atti- l’histoire ou de l’ECJS peut permet- conflictuelle5 ». Elles permettent de pen-
tudes face aux textes, aux concepts, aux tre de mettre en perspective certaines ser notamment d’une façon vigilante
autres, à l’exercice personnel de la pen- interrogations, mais je pensais que l’on contre la doxologie et la démagogie.
sée. » On constate une transversalité des pouvait aller encore plus loin. Depuis
acquis à d’autres disciplines générales, 2002, j’ai assisté à des colloques et sémi- De la construction de l’identité
le français, l’histoire, mais aussi aux dis- naires et me suis formée à différen- à la conceptualisation
ciplines professionnelles : « Les élèves ont tes pratiques en France et à l’étranger. Les élèves de LP souffrent très sou-
manifesté que la philosophie, par l’analyse Aujourd’hui, je les applique et j’essaie vent d’un manque de confiance en eux-
“problématisante” qui la caractérise, leur de faire en sorte que chaque élève béné- mêmes pour diverses raisons. Ils se
a permis d’affiner leurs analyses lors des ficie d’une heure de pratique philoso- sentent dévalorisés par rapport aux élè-
diagnostics de pannes qu’ils doivent mettre phique par semaine. ves des autres sections et à leurs capaci-
en œuvre pour assurer la maintenance des Avec les 3es professionnelles, je tente de tés intellectuelles qu’ils ont tendance à
systèmes automatisés2. » construire une communauté de recher- minimiser. Pratiquer une CRP ou une
Les auteurs estiment que ces apports che philosophique (CRP) selon les tra- DVP avec eux, c’est d’abord leur redon-
bénéfiques ont un impact dans la pour- vaux de Matthew Lipman, à l’aide de ses ner la parole, dans un cadre qui permet
suite des études, notamment en BTS romans ou de ceux de Ann Margareth une reconquête de la confiance en soi,
où les bienfaits de l’enseignement phi- Sharp ou de Michel Sasseville. Ces de se rendre compte qu’ils sont un sujet.
losophique sont sensibles dans l’ar- textes posent des problèmes philoso- Ce travail est d’abord la construction

24 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


1- Des enseignants qui cherchent, s’adaptent, innovent

sembler modestes, mais aussi très ambi-


tieux : ils consistent essentiellement à
offrir un espace de parole où chacun
pourra prendre sa place là où le res-
pect de tous s’installe au fil des semai-
nes, où les outils de raisonnement se
construisent et s’élaborent petit à petit,
où des habitudes de comportement et
de réflexion se prennent. Certaines
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années, ces objectifs consistent seu-


lement à faire en sorte que tous soient
assis, s’écoutent, s’acceptent, réussis-
sent à demander la parole et exposent
leurs raisons. Quand ils sont atteints,
c’est pour moi une grande satisfaction,
c’est un acquis important dans leur vie
d’élève et de futur citoyen. Mais cela
va souvent beaucoup plus loin quand
un de ces élèves objecte à un camarade
qu’il ne peut soutenir cette hypothèse,
car elle n’est pas vraie dans tous les cas
et qu’il propose alors un contre-argu-
ment. Ou quand des élèves décident
de réfléchir ensemble sur des ques-
tions comme « est-ce la volonté ou le désir
qui nous guide ? », « une chose égale-t-elle
nécessairement une autre ? » proposée par
l’un d’entre eux. Quand ils disent à la
de leur identité. Ils ont parfois un rôle problématiser. On émet des hypothèses, fin de la séance que ce sont des problè-
important à tenir : président de séance, les étudie, les valide ou les rejette. On mes auxquels ils n’auraient pas pensé.
reformulateur, observateur. Dans tous tente de dégager des présupposés. On Quand X se rallie aux arguments d’Y
les cas, ils sont participants, ils agissent. argumente, en proposant des raisons qu’il juge pertinents, ou V déclare qu’il
Tout ceci a un impact positif sur l’es- que l’on questionne, acceptant de pren- s’aperçoit qu’il a tendance à générali-
time de soi. Dans cet espace, on y édu- dre le risque de les voir invalidées. On ser… C’est un moment privilégié de la
que sa spontanéité, son impulsivité. est amené naturellement à se remettre semaine, attendu par chacun, où l’on
On ne prend pas la parole, on l’attend. en question, à débusquer des préjugés, apprend à exercer son jugement criti-
On tente de comprendre les raisons à commencer par les siens, à se nuan- que, de façon à ce que, confronté à ces
de l’autre. Le respect s’y travaille et cer, s’autocorriger. On s’entraine à éva- problèmes, on prenne le temps d’éva-
se développe notamment là où il ne va luer les conséquences de ses actions. On luer la réponse qu’on devra soi-même
pas de soi, où parfois la loi du plus fort y apprend à vivre ensemble, se rencon- apporter.
règne. En ce sens, on peut dire que la trer, réfléchir et construire ensemble,
pratique philosophique dans ce cadre et surtout on y apprend à penser par et Marie Kerhom
favorise un climat de paix. On travaille pour soi-même. Professeure de lettres-histoire en lycée
professionnel dans le Finistère

On y apprend à vivre ensemble, se rencontrer, réfléchir


et construire ensemble, et surtout on y apprend à penser
par et pour soi même.
intensément la concentration avec des Un levier pour changer de regard
1 Quels savoirs enseigner dans les lycées ? Rapport
jeunes qui précisément souffrent de son La rencontre avec les nouvelles prati- final du comité d’organisation, mai 1998, p. 17.
manque, car ces deux types de pratique ques philosophiques a été un moment 2 F. Médriane in Actes du colloque Enseigner la
en exigent beaucoup. On approfondit la essentiel de mon parcours. Elle me per- philosophie en LP, p. 28, académie de Reims, 2001,
collection Études et recherches.
question du sens en apprenant à opé- met de réfléchir intensément sur mes
3 L’enseignement de la philosophie en bac pro. Éva-
rer des distinctions, à définir, utiliser propres pratiques pédagogiques. Je luation du dispositif mis en œuvre dans l’académie
un vocabulaire approprié, reformuler ne conçois plus mon enseignement, de Reims, avril 2007, p. 30.
pour se faire comprendre ou s’assurer ni mon rôle de professeur de la même 4 MichelTozzi, Débattre à partir des mythes. À l’école
et ailleurs, Chronique sociale, 2006.
d’avoir bien compris. On s’entraine à façon ; j’ai tendance à faire une plus
5 Matthew Lipman, cité par Michel Sasseville,
la conceptualisation par des exercices grande place au questionnement et La pratique de la philosophie avec les enfants, 2e
progressifs. On apprend à questionner, à l’hypothèse. Mes objectifs peuvent édition, PUL, 2005.

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 25


2- Des élèves à accueillir
et à prendre en considération
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Découvrir pour choisir


son orientation
Bernard Javaux

Dans ce lycée, les enseignants sont mobilisés pour proposer un véritable


sas permettant aux nouveaux élèves de découvrir les filières, Internet. Elle peut également inclure
de faire le point sur leurs motivations et leurs compétences des rencontres avec d’anciens élèves,
pour s’engager dans une formation en toute connaissance de cause. voire des visites d’entreprises.
2. La mise en situation : l’élève doit

D
découvrir l’environnement de chaque
ans notre lycée, la question chaudronnerie, métallerie et systèmes atelier. Le lycée étant aussi une école
de l’orientation est travaillée électroniques numériques. de production, c’est-à-dire produi-
de longue date puisque c’est L’objectif est de permettre à l’élève de sant pour de « vrais » clients extérieurs,
depuis 1972 qu’existe une période faire le choix d’une filière profession- l’équipement technique est celui d’une
dite « d’observation » pour accueillir nelle « en connaissance de cause ». Le entreprise. Le dispositif « d’observa-
les élèves en 2de professionnelle dès la dispositif comprend deux volets, celui tion » prévoit un temps de travail dans
rentrée. de la découverte du métier et celui de chacun des ateliers s’appuyant sur une
Il s’agit de préciser et donner du contenu l’accompagnement. réalisation simple, mais significative
aux informations données en collège :
pour de nombreux élèves, il est impor-
tant de « se rendre compte », de « tester », Chaque élève vient au lycée avec une certaine idée des métiers,
de découvrir l’activité d’un atelier. reposant le plus souvent, sur des à priori. Il est nécessaire
Découvrir les formations, de « retravailler », compléter, rectifier ces images.
évaluer ses compétences
Les élèves qui entrent au lycée profes-
sionnel, 160 environ, sont répartis à la La découverte du métier s’articule (par exemple la fabrication d’un bar-
rentrée dans des groupes provisoires. autour de trois grandes activités : becue de table). Cette activité doit per-
L’emploi du temps conserve les pla- 1. Une information sur la filière qui mettre une double observation : celle de
ges horaires de l’enseignement général, repose en grande partie sur un échange l’élève qui se mesure à la situation pro-
tandis que celles prévues pour l’ensei- interactif à partir des représentations posée, perçoit en travaillant la matière
gnement professionnel sont banalisées spontanées des élèves. Chaque élève les exigences et les qualités requises,
pour proposer des activités de décou- vient au lycée avec une certaine idée des compare ses aptitudes et ses gouts ainsi
verte des métiers. Une rotation est éta- métiers, reposant parfois sur une obser- que les différentes formations propo-
blie pour permettre à tous les groupes, vation et une certaine approche pratique, sées ; celle de l’équipe pédagogique qui
donc à tous les élèves, quel que soit leur mais, le plus souvent, sur des à priori. Il accompagne l’élève dans ce processus,
souhait au moment de l’inscription, est nécessaire de « retravailler », complé- l’observe sans le sanctionner, met en
de « faire la connaissance » de chaque ter, rectifier ces images. L’information valeur pour lui les différents aspects du
filière de formation. L’établissement en porte sur les caractéristiques du métier, métier, évalue ses compétences (l’adap-
propose six : productique mécanique, ses débouchés, la poursuite d’études, en tation à la tâche, la capacité d’initiative,
électrotechnique, bois-agencement, utilisant souvent l’outil informatique et le respect des consignes, le sens esthé-

26 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


2- Des élèves à accueillir et à prendre en considération

tique…) et son intérêt. Compte tenu enfants est organisée par les profes- la réduction de la période de sept semai-
de l’histoire particulière des élèves seurs techniques concernés dans cha- nes (la dernière semaine est consacrée
(certains ayant déjà pratiqué, d’autres cun des ateliers. Car, si les parents ne au bilan et à la décision) à cinq, pour
non…), l’enseignant s’efforcera d’éva- sont pas directement consultés sur le prendre en compte la réforme du bac-
luer la marge de progression de chacun. choix d’orientation des élèves, ils sont calauréat professionnel ; la mise en
Les activités peuvent être réalisées seul encouragés à dialoguer, tout au long de place, après bien d’autres essais, d’une
ou en petit groupe. Elles sont dans cer- la période, avec leur enfant. formation systématique de tous les élè-
tains cas encadrées par des élèves plus ves (et tous les enseignants du niveau
âgés pour permettre un autre dialogue 4. En fin de période, les enseignants de concerné !) aux méthodes d’apprentis-
sur la formation. chaque filière impliqués dans le dispo- sage en lien avec le CNRS de Grenoble
sitif rencontrent les élèves individuel- et l’IFD (organisme de formation). Il
3. Des tests complètent le dispositif. Ils
lement pour faire en sorte d’« ajuster » reste cependant à approfondir encore
cherchent à apprécier par exemple la
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capacité de vision dans l’espace (impor- le bilan et le ressenti de chacun à l’éva- la question difficile de l’évaluation des
tante en agencement et en chaudronne- luation de ses compétences et de sa compétences techniques et de la moti-
rie) ou le passage du schéma au matériel motivation, faite par le professeur. Le vation. Les éléments affectifs ne sont
(en électrotechnique). Ce sont aussi des professeur référent rencontre une der- jamais totalement étrangers aux choix :
exercices de réflexion logiques par l’uti- nière fois l’élève pour l’aider à analyser les sensations (comme l’odeur du bois),
lisation de mécanismes liés au métier la période et ses choix : il pourra s’agir l’ambiance d’un atelier, le plaisir à tra-
ou permettant d’évaluer au terme d’un de revoir les représentations erro- vailler tel ou tel type de matériau sont
processus d’apprentissage ce qui a été nées des métiers et de l’aider à prendre importants. Une orientation ne peut
compris et retenu. conscience des raisons de sa décision. être purement rationnelle.
• Le dispositif a aussi ses limites. Il ren-
contre une difficulté structurelle : celle
Les enseignants rencontrent les élèves individuellement de l’équilibre des sections. Notons
pour faire en sorte d’« ajuster » le bilan et le ressenti de chacun d’abord que le dispositif permet de cor-
riger la dramatique méconnaissance
à l’évaluation de ses compétences et de sa motivation. de plusieurs filières, la chaudronnerie
et la métallerie notamment. Ces deux
Ce temps de découverte oscille entre 5. À la fin de la période, l’élève rem- métiers, qui souffrent d’une « image de
vingt-cinq et trente heures, certaines plit une fiche de trois vœux, inscrits marque » parfois détestable, attirent de
spécialités proches étant regroupées. par ordre de préférence, qu’il doit jus- nombreux élèves et répondent ainsi au
tifier par écrit. La réunion d’admission besoin pressant de main-d’œuvre qua-
Un parcours accompagné lifiée. Remarquons aussi que le disposi-
décide de l’affectation définitive de cha-
L’accompagnement est un élément que élève. Cette commission réunit les tif permet à un nombre non négligeable
décisif du dispositif pour aider l’élève à professeurs d’enseignement profes- d’élèves de « changer d’avis » : 30 à 40 %
bien comprendre les caractéristiques et sionnel et les professeurs référents. d’entre eux remettent ainsi en cause
les exigences de chaque domaine pro- leur souhait initial. Il ne reste que 10 à
fessionnel, à s’évaluer et à combattre 6. Un livret de suivi, remis à chaque 15 % d’élèves qui n’obtiennent pas une
une certaine anxiété à l’arrivée dans un élève, complète le dispositif. Il com- affectation dans le métier demandé en
nouvel établissement et dans l’incerti- prend à la fois des informations sur l’éta- priorité : ces décisions s’appuient sur le
tude de son orientation définitive. blissement, l’organisation de la période constat de compétences ou d’une moti-
et des fiches spécifiques à chaque filière vation non suffisamment affirmées.
Il comprend plusieurs phases :
(mon idée du métier, les qualités requi- Mais selon les demandes dans telle ou
1. Lors de sa demande d’inscrip- ses, mon autoévaluation et mon appré-
tion, l’élève est rencontré individuel- telle section, le niveau d’exigence peut
ciation sur ce temps de découverte du varier. Il faut alors prendre le temps de
lement par un cadre ou un enseignant métier). Les parents sont encouragés à
de l’établissement qui lui présente cette décider en s’appuyant notamment sur
le consulter avec leur enfant. les entretiens avec le professeur référent
« période d’observation ».
Ce dispositif représente une charge et et de faire comprendre à l’élève et à ses
2. Dès le début de la période, chaque une chance importantes pour les équi- parents, la décision prise.
enseignant de 2de professionnelle est pes pédagogiques. Un professeur de
désigné comme « professeur référent », • Nous parlions de lycée professionnel –
lycée professionnel, impliqué dans le voie de garage. Acceptons la métaphore
pour accompagner un groupe d’envi- recrutement des élèves, est missionné
ron sept élèves. Chaque élève est ren- s’il s’agit bien de mettre en valeur le tra-
par l’établissement pour organiser et vail de « reconstruction » de l’identité de
contré individuellement dès le premier conduire la période. La volonté de refu-
jour (qui est banalisé pour accueillir jeunes souvent « cassés » par le collège
ser toute hiérarchie entre telle ou telle unifié (et non unique), engagé par tant
les nouveaux élèves) et quatre fois, au filière est clairement affichée.
minimum, pendant la période. Les pro- d’équipes pédagogiques. « Il s’est remis
fesseurs d’enseignement général sont Un dispositif à ajuster à chanter sous la douche », me confiait un
depuis trois ans pleinement associés à On peut dégager de la mise en place de jour la mère d’un élève qui venait d’en-
ce dispositif. cette initiative pédagogique plusieurs trer au lycée.
3. Une réunion est proposée aux parents enseignements :
de 2de professionnelle dès le premier • Il faut d’abord noter le souci constant Benard Javaux
vendredi de la rentrée : une présen- des équipes de la faire évoluer. Deux Professeur en lycée professionnel
industriel à Lyon
tation des activités proposées à leurs modifications, par exemple cette année :

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 27


Dossier Au lycée professionnel

L’orientation des élèves,


une nouvelle facette du métier
Sabine Coste, Dominique Zambon

Le travail des enseignants de LP est marquée par un élargissement


des tâches, en particulier en matière d’orientation, pour intégrer
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la diffusion d’informations sur les filières préparées, leur valorisation ple une tendance à mettre la barre un
auprès des futurs élèves. Leur activité déborde ainsi le cadre de la classe peu haute dans leur discours : « Pour
et de l’établissement. faire telle formation il faut être bon en
mathématiques, bon en français, il faut de
la précision, de la rigueur, etc. » Ce qui est

L
es lycées professionnels Contribuer aussi à la formation des sans doute vrai, mais une telle présen-
accueillent deux types de publics enseignants de collège tation peut, pour certains jeunes, peu
scolaires. Certains élèves ont un La coopération des enseignants de LP rassurés sur leurs possibilités scolai-
projet professionnel assez clair, ou forgé, avec leurs collègues de collège sur le res, donner une dimension inaccessible
ils ont le sentiment de perdre leur temps champ de l’orientation reste un aspect à la formation, et donc les décourager.
au collège et voudraient bien se former encore peu développé, alors qu’elle est Le discours doit, au contraire, rassu-
rapidement à un métier. L’orientation d’autant plus nécessaire que la rénova- rer le jeune sur sa capacité à accéder à
en LP leur servira essentiellement à vali- tion de la voie professionnelle est enga- un métier, et donc à réussir, dans une
der leur projet, à parfois le démystifier. gée, et que les enseignants de collèges formation qui sera enseignée avec une
Ces jeunes représentent à peu près 20 % ont besoin de prendre pleinement la pédagogie différente de celle du col-
des effectifs entrant en LP. dimension de ce changement. Parfois lège, et dans des modules qui prennent
D’autres subissent leur orientation vers la vision de la voie professionnelle, per- en compte son parcours scolaire anté-
la voie professionnelle contraints et for- çue comme étroite et confuse, joue en sa rieur. Les résultats obtenus au collège
cés, et la perçoivent comme une orienta- défaveur. Le bac pro en trois ans repré- ne sont donc pas considérés comme
tion « par défaut », c’est-à-dire à défaut sente un enjeu important. Il est désor- rédhibitoires pour suivre une forma-
d’avoir pu intégrer la voie générale ou mais indispensable que les enseignants tion en LP. Ce qui sera exigé en LP fait
technologique. Souvent, ce choix ayant de collège puissent actualiser leurs appel à des compétences, des capacités
été pris un peu dans l’urgence, ces élè- connaissances. Le professeur de LP que ces jeunes n’ont pas eu l’occasion
ves n’ont pas de projet précis. La diffi- joue un rôle important dans cette trans- de démontrer encore en collège, mais
culté consiste alors pour les enseignants mission, autant pour les élèves et leurs qu’ils peuvent mobiliser s’ils sont mis
à faire passer un message positif auprès familles que pour leurs enseignants de en confiance !
de ce public à priori peu motivé, ce qui
commence par un travail spécifique dès
le collège avant de prévenir les rancœurs Les professeurs de LP, en particulier des enseignements
de ces élèves. professionnels, ont un rôle important à jouer pour faire
Informer les futurs élèves connaitre les spécialités de leurs établissements aux élèves
Les professeurs de LP, en particulier des de collège.
enseignements professionnels, ont un
rôle important à jouer pour faire connai- Dans certains établissements, souvent
collège, lors de manifestations autour
tre les spécialités de leurs établissements inscrits dans la logique du lycée des
de l’orientation.
aux élèves de collège. Pour leur apporter métiers, les chefs d’établissement et les
des informations, ils interviennent dans Ajuster le discours pour intéresser les
enseignants, ont compris l’enjeu de la
différents dispositifs : lors de séances élèves
diffusion de l’information en amont.
d’information dans les collèges ; dans Pour informer les jeunes en amont Ils sont alors porteurs d’une mission
des opérations « Carrefour des métiers » ; de l’entrée en lycée professionnel, les et d’un discours de développement qui
dans des opérations menées avec les enseignants mobilisent des compéten- consistent à avoir un large recrutement
organisations de professionnels comme ces de communication, en s’efforçant en terme qualitatif et quantitatif. Cela
les Chambres des métiers et de l’artisa- de valoriser l’enseignement profession- concourt à la bonne diffusion de l’image
nat. Ils doivent répondre au besoin des nel sans dissuader les élèves par un dis- du LP sur l’extérieur.
élèves d’avoir quelque chose de « solide » cours trop exigeant sur les attentes des
dans la représentation du métier. Ce tra- enseignants dans les formations parce
vail est délicat, car ces enseignants ne que l’on sait que « les élèves qui iront vers Article rédigé par Sabine Coste (INRP)
et Dominique Zambon (formateur
s’adressent qu’aux 40 % d’élèves de col- la voie professionnelle ne sont pas ceux qui à l’IUFM de Lyon, enseignant à Lyon 1),
lège qui vont s’engager dans la voie pro- ont les meilleurs résultats en collège, c’est à partir d’entretiens réalisés
fessionnelle, en particulier ceux suivant une réalité ». L’expérience révèle de dans l’académie de Lyon
l’option DP6 ou en Segpa. nombreuses erreurs à éviter, par exem-

28 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


2- Des élèves à accueillir et à prendre en considération

Emmener les élèves du collège


à la vie professionnelle
Céline Lourde Rocheblave

Les élèves de lycée professionnel ont en commun de ne pas avoir été compte pas. Ainsi, chacun travaille à
orientés en lycée général, et donc un certain sentiment d’échec. Mais ils son rythme (tandis que certains ne font
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intègrent alors un monde complexe, avec des parcours très divers, de la qu’une série, d’autres finissent les trois)
réussite au décrochage, selon les filières et leur histoire personnelle. et par la même occasion ils s’entrainent
pour une autoévaluation. Petit à petit, la
difficulté augmente : l’exercice de fin de

« L
es élèves, ils sont comment ? méfiance, de tristesse se trouve un élève cours se fait cahier fermé (ce qui impli-
Ce n’est pas trop dur ? » À qui sait et qui est capable de faire. que une attention particulière durant le
ces questions que j’entends cours), les exercices portent sur la séance
Des modalités d’évaluation
souvent, je réponds que non, ce n’est du jour, mais aussi sur les précédentes
qui motivent
pas difficile lorsqu’on a compris que ces (ce qui veut dire que l’élève apprend ses
élèves, comme les autres, demandent Souvent avec ces élèves, ma démarche cours régulièrement). Les élèves appré-
juste qu’on les considère, qu’on les res- commence par des évaluations de début cient ce genre de travail, ils sont sti-
pecte en tant que personne, qu’on les d’année basées sur des critères de nota- mulés, ils ont l’impression d’entrer en
regarde comme n’importe quel élève. tion facilitant l’accès à une note supé- compétition avec eux-mêmes : « allons
Certes, ils ont des difficultés scolaires, rieure à 10. Ainsi, lorsqu’ils brandissent voir jusqu’où je suis capable d’aller ».
mais c’est bien le rôle d’un enseignant leur évaluation avec un16/20 comme
on exhibe une coupe de foot, en signe de Des bacs pros ambitieux
que d’aider à affronter ces obstacles à
des désirs d’avenir ? victoire sur les années passées, leur rap- Pour les élèves de bac pro, la recons-
port à la note est changé. Il m’arrive en truction a déjà été faite auparavant. Y
Une image dégradée
Il faut être honnête, le lycée profession-
nel n’est pas souvent le premier choix On part en CAP lorsqu’on ne peut rien faire d’autre,
des élèves et des parents à la sortie du parce qu’on ne comprend rien, qu’on est nul en tout, qu’on n’a
collège. Mais de fait, le niveau demandé
en lycée général est inaccessible pour plus de considération pour sa personne.
un certain nombre d’élèves. Alors, sur
les conseils de professeurs de collège début d’année de ne pas prévenir d’une accèdent des élèves qui ont fait un BEP
ou des conseillers d’orientation, on se évaluation notée, souvent source d’an- satisfaisant, ou si ce n’est pas toujours le
dirige vers le lycée professionnel où le goisse. Nous faisons le cours avec les cas, ce sont des élèves en qui les ensei-
niveau d’enseignement général sem- élèves et quinze minutes avant la fin, je gnants croient. Pour l’équipe ensei-
ble plus abordable, où la durée d’étu- leur donne un exercice similaire à ceux gnante, la motivation du jeune doit être
des est plus courte, où le professionnel qu’ils ont faits durant la séance. Ils ont le importante et ses stages en entreprise,
est censé remotiver « ces élèves qui n’en droit d’avoir leur cahier ouvert. Quand où il a pu mettre en pratique ses savoirs
peuvent plus de rester assis sur une je ramasse le travail, l’inévitable ques- et ses capacités, sont pris en compte
chaise toute la journée ». tion tombe : « Madame, c’est noté ? » Hé après les résultats. Certains jeunes ne
L’orientation en CAP est souvent per- bien oui ! Toutes les conditions étaient souhaitent pas poursuivre leurs études.
çue comme un échec, c’est synonyme présentes pour que les élèves réussis- Nous, enseignants, essayons pourtant
de médiocrité pour bon nombre de per- sent : pas de problème de révision vu d’en convaincre certains pour un bac
sonnes, même aux yeux des élèves. On que nous venions de faire le cours (et pro et pourquoi pas un BTS. Certains
part en CAP lorsqu’on ne peut rien faire ils l’avaient sous les yeux), pas d’inquié- se laissent tenter, d’autres maintien-
d’autre, parce qu’on ne comprend rien, tude les heures précédentes ou d’ab- nent leur décision. Nous devons res-
qu’on est nul en tout, qu’on n’a plus de sence due à la peur de la mauvaise note. pecter leurs choix. Ne leur avons-nous
considération pour sa personne. Voilà Autre procédé de valorisation : je donne pas appris à devenir des personnes res-
les élèves que l’on accueille en début deux ou trois séries d’exercices gra- ponsables et autonomes pendant leur
d’année avec toute leur rancœur envers duelles dans la difficulté. J’explique cursus scolaire ?
l’institution qui les a démolis, avec une aux élèves qu’une de ces séries doit être Les élèves de bac pro fonctionnent
violence sous-jacente qui peut éclater à obligatoirement notée, à eux de m’indi- beaucoup moins à l’affectif que les
tout moment, avec, surtout, une souf- quer laquelle. À la fin de chaque groupe- autres niveaux. Ils savent qu’il faut
france profonde parce qu’ils ont l’im- ment d’exercices, ils doivent répondre à travailler, que c’est à eux d’agir pour
pression de n’être plus rien. Alors, la question : « souhaites-tu être noté sur atteindre la réussite. Ils ont moins
notre premier travail est de leur appren- cette série ? » L’élève écrit oui ou non, besoin d’être « tutorés ». Pourtant, cer-
dre à se reconsidérer, à leur prouver que ou peut même m’indiquer la note qu’il tains peuvent rencontrer des difficul-
derrière ce masque d’agressivité, de vise et si son travail vaut moins elle ne tés dans les apprentissages ; ils sont

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 29


Dossier Au lycée professionnel

quelquefois surpris du niveau et des D’autres sont des inscrits du dernier lui servira pour sa future orientation.
connaissances exigés par les référen- moment : la veille, leurs parents se sont Mais l’absentéisme peut devenir récur-
tiels, surtout avec les nouveaux bacs aperçus que le lendemain c’est la ren- rent, et si les parents et l’établissement
pros en trois ans. Ils réalisent qu’ils trée et que leur enfant n’est inscrit nulle ne sont pas présents pour négocier un
ne doivent plus se contenter d’être de part, ou a été refusé partout, et que, contrat d’assiduité, c’est le décrochage
bons exécutants, ils doivent apprendre pourtant, il doit continuer une scola- scolaire.
à développer leur esprit critique, leur rité. L’élève se rend compte que la for- Être enseignant en lycée professionnel,
réflexion. Certains élèves sont ravis de mation ne lui plait pas, il commence à c’est écouter les souvenirs douloureux
cette perspective ; pour d’autres, c’est s’agiter, à perturber les cours, à ne plus d’une scolarité chaotique, les soucis
plus compliqué. y venir. C’est le début d’une déscolari- quotidiens, les angoisses du stage, des
Pour éviter que ces élèves se sentent sation, volontaire ou pas. examens, les souffrances de jeunes gens
moins bons ou en difficulté, je leur pro- Autre cas de figure, la mauvaise orienta- que la vie n’épargne pas ; c’est aussi
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pose souvent de travailler en groupe tion. L’élève pensait que cette filière lui écouter les joies d’un élève qui a réussi
ses examens et revient fièrement vous
l’annoncer, le bonheur d’un élève qui
Reconstruire, remotiver, regarder l’avenir, voilà un autre rôle vient d’obtenir son CDI et qui va enfin
du professeur de lycée professionnel. Bien que nos élèves pouvoir partir du foyer familial, la béa-
titude d’une ancienne élève qui vient
aient déjà choisi une filière, ils appréhendent difficilement présenter son nouveau-né, l’émer-
leur avenir. veillement d’un élève qui vient de voir
une exposition de peinture avec le lycée
alors qu’il était entré dans le musée en
dans lequel chaque jeune aura sa place, plairait, il s’était pourtant bien rensei- trainant des pieds.
avec le gestionnaire du temps, le secré- gné, avait fait son stage de 3e dans cette
taire, le rapporteur et l’arbitre. Je vais voie professionnelle. Mais au bout de
Céline Lourde Rocheblave
même jusqu’à imposer les rôles : un trois mois, il découvre que ce n’est vrai-
élève introverti, peu sûr de lui sera le ment pas pour lui. Alors, il faut lui faire Professeure de lettres-histoire-géographie
en lycée professionnel à Blanquefort
rapporteur du groupe, tandis que celui comprendre qu’il doit finir au moins son (Gironde)
qui se trouve très à l’aise se contentera année, que tout ce qu’il peut apprendre
de gérer le temps, par exemple. Peut-
être qu’un élève en difficulté ne dira pas
grand-chose, mais il écoutera et assi-
milera progressivement la manière de
fonctionner, les méthodes de travail des
autres. Il se sentira moins perdu que s’il
se trouvait face à sa feuille en se deman-
dant ce que cet énoncé peut bien vou-
loir dire. Les échanges entre les élèves
leur permettent aussi de comprendre
que tout le monde n’a pas le même avis,
ni la même façon de fonctionner. Il faut
être très persuasif face à certains cama-
rades qui ont des avis inverses et donc
retravailler son idée, développer ses
arguments, reformuler ses phrases.
Reconstruire, remotiver, regarder
l’avenir, voilà un autre rôle du profes-
seur de lycée professionnel. Bien que
nos élèves aient déjà choisi une filière,
ils appréhendent difficilement leur
avenir. Certains ont des rêves extra-
ordinaires (« je veux devenir un grand
chef étoilé aux États-Unis » ou « je veux
devenir chanteuse »), ne les brisons pas :
se mettre en projet permet d’avancer !
D’autres ne voient pas leur lendemain.
Les équipes enseignante et éducative
épuisent, tour à tour, leurs propositions,
leurs aides vers des structures, mais rien
n’y fait. Souvent, il s’agit de difficultés
personnelles : l’élève doit affronter des
problèmes familiaux qui l’empêchent
de se concentrer sur sa scolarité et son
avenir professionnel.

30 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


2- Des élèves à accueillir et à prendre en considération

Quelles passerelles
entre le collège et le lycée
professionnel ?
Boumédiene Sid-Lakhdar
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Les enseignants du lycée professionnel reçoivent désormais


des collégiens à travers une multitude de dispositifs : visites, stages giens, illustrée à travers certains exem-
et hébergement de la classe de 3e découverte professionnelle six heures ples d’actions éducatives.
(3 DP6). Dans le même temps, le collège propose de nombreux parcours La chaussure n’est qu’une excuse
de découverte du monde professionnel. Comment éviter la confusion, Dès qu’il a été possible de nouer une
en faire des dispositifs utiles ? relation stable avec un professeur de
technologie de collège, l’équipe a décidé

D
que les visites des élèves de ce profes-
ans mon lycée professionnel, directe des métiers dans leur lien étroit seur seraient préparées. Accueillis dans
on possède bien des occasions avec le produit final apparait comme une filière de fabrication de chaussures,
de rencontrer des collégiens : dépassée, pour deux raisons : nous avons voulu leur faire comprendre
• La 3e DP6, qui est la manifestation la • L’approche « produit » est le fait du que la chaussure n’était qu’un des sup-
plus marquée de leur présence au sein niveau V d’enseignement, c’est-à-dire ports possibles et qu’il fallait privilégier
du lycée, à raison de six heures hebdo- des CAP. Seuls certains élèves issus de la démarche par compétences.
madaires consacrées à la découverte des 3e présentent le profil d’une orientation La description du processus de fabrica-
métiers. Elle est destinée aux élèves en vers ce niveau. La réalisation du pro- tion associait à chaque étape (création,
rupture avec la scolarité « classique » du duit ou du service est d’une dimension gamme de fabrication, montage et fini-
collège1, l’objectif est de recréer l’envie « exécutive » pour des tâches profes- tion) les indispensables compétences
d’apprendre et de construire un choix sionnelles simples. Ce n’est en général transversales à tous les métiers. Les élè-
d’orientation futur. pas l’ambition des collégiens, même de ves devaient intégrer dans leur esprit la
ceux qui ont vocation à être dirigés vers nécessité d’une formation générale dont
• Il y a aussi des élèves de 4e en alter- l’enseignement professionnel.
nance qui sont reçus trois fois par an on pense souvent, au collège, qu’elle
pour des sessions de découverte d’une • Le lycée professionnel a aujourd’hui disparait dans l’enseignement profes-
semaine chacune. Moins lourde que clairement l’ambition de s’intégrer dans sionnel. Cette formation générale étant
l’approche « résidente » des 3e DP6, elle une démarche de formation « 3 + 3 », aussi bien le fait des disciplines classi-
mobilise cependant les équipes du lycée permettant la passerelle entre le niveau ques (mathématiques, français…) que
IV des baccalauréats professionnels et des interventions de professeurs d’en-
d’une manière très significative.
celui du niveau III des BTS, avec la pos- seignement plus technique3, par exem-
• La classe de non francophones dont
l’ouverture en lycée professionnel est
volontaire et répond à des conditions
particulières2. La dotation horaire L’un des malentendus de ces dispositifs porte sur la notion
pour un apprentissage en atelier est par de « découverte ». L’idée que la découverte professionnelle
contre une initiative de l’équipe péda- s’appréhende à travers l’approche directe des métiers dans leur
gogique du lycée répondant au pro-
jet d’établissement, en dehors de toute lien étroit avec le produit final apparait comme dépassée.
recommandation extérieure.
• Les visites ponctuelles courtes de sibilité, pour les plus méritants, d’une ple. Le projet de découverte devait
collégiens reçus dans les classes, indi- accession au niveau II d’une année prendre en compte :
viduellement ou en groupe, en étant complémentaire, faisant ainsi le lien – une visite auprès d’une ou deux autres
accompagnés par leurs professeurs. avec la licence européenne du système filières afin de repérer, autant que possi-
C’est une initiative volontaire, inscrite LMD. L’objectif est par conséquent ble (l’exercice n’est pas simple dans une
dans le cadre d’un dispositif particulier d’acquérir des compétences transver- visite courte), les compétences trans-
au collège. sales qui leur permettent d’accéder au versales que nous avions identifiées
Du produit à la compétence cycle d’études supérieures. dans la filière d’accueil ;
L’un des malentendus de ces disposi- Des tentatives pédagogiques – le choix de deux niveaux d’enseigne-
tifs porte sur la notion de « découverte ». Dans notre lycée, nous essayons de ment dont impérativement celui d’un
L’idée que la découverte profession- proposer une approche rénovée de la BTS. L’objectif étant de montrer aux
nelle s’appréhende à travers l’approche découverte des métiers par les collé- élèves l’importance prise par ces com-

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 31


Dossier Au lycée professionnel

pétences dans les différents niveaux Ainsi, l’approche des métiers dépassait Des perspectives : une coordination
d’études. la notion du produit final pour signi- à construire
Le geste mimétique comme compétence fier la dimension culturelle et sociale Des temps d’échanges et de coordina-
d’un champ professionnel, quel qu’il tion entre enseignants du collège et du
Curieux de comprendre comment se soit. Lors de la séance de recherche des lycée restent à construire pour clarifier
déroulait une séance d’atelier pour la métiers dans le stand Onisep du CDI, la notion de découverte de la voie pro-
classe de non-francophones, le pro- incluse dans la journée banalisée (ini- fessionnelle, de ses formations et de ses
fesseur nous a répondu : « Nous com- tiative du lycée), la méthode consistait à perspectives. Les rencontres organi-
muniquons avec des gestes, comment acquérir des compétences de recherche, sées à l’initiative d’inspecteurs restent
voulez-vous que je fasse autrement ?4 » En d’identification et de caractérisation des encore trop rares alors qu’elles devien-
fait, au-delà de la boutade du professeur métiers par un simple échantillonnage, nent essentielles à l’ajustement du
se cachait la mise en place d’une démar- l’exhaustivité n’ayant aucun intérêt. travail des enseignants de chaque éta-
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che gestuelle mimétique qui s’apparen- blissement, collège et lycée.


Éviter les ghettos
tait à un véritable effort d’acquisition
de compétences transférables, suscep- La présence de classes de collégiens La zone « entre deux mondes » indé-
tibles de construire des savoir-faire uti- dans un LP, surtout lorsqu’il est inté- terminée s’étend de plus en plus par
les pour toutes autres orientations. Mais gré dans un lycée polyvalent, créé une la création d’un gigantesque « mécano
au-delà, le travail en atelier ne constitue césure visible du fait des différences pédagogico-administratif7 ». Le métier
pas uniquement, comme pour les autres d’âge, de statut, d’origine scolaire et des professeurs de LP avait relevé le
dispositifs mis en place au collège5, une sociale. Réduire ces clivages a aussi été défi de dépoussiérer l’image des filiè-
aide à l’orientation professionnelle pour un objectif constant grâce au « brassage » res professionnelles, de construire
ceux qui l’envisageraient, il est en lui- des professeurs, des élèves, des discipli- de nouvelles compétences et de défi-
même un apprentissage de savoir-faire nes et des niveaux d’enseignement. Par nir des objectifs plus ambitieux. Le
transférables.
Les métiers, la ville, la vie Le métier enseignant change encore et doit s’adapter
Parmi les nombreux projets éducatifs
mis en place pour la 3e DP6, l’un d’en-
à ces nouveaux dispositifs, passerelles qui pourraient être
tre eux, « au fil des quiz », regroupe une encore plus clairement identifiées par une coopération formelle.
équipe pluridisciplinaire, dont un pro-
fesseur de BTS. L’objectif de ce pro-
exemple, des dispositifs de tutorat pour métier change encore et doit s’adapter
jet est de montrer que les métiers sont
les élèves ont été prévus dans des pro- à ces nouveaux dispositifs, passerelles
omniprésents hors du « champ du tra-
jets comme le projet d’écriture mis en qui pourraient être encore plus claire-
vail de production » dans le quotidien
place dans toutes les classes, ou la for- ment identifiées par une coopération
des jeunes collégiens, y compris dans mation de guides pour les journées formelle. Toutes les compétences sont
leurs pratiques de loisir et leurs rêves. « portes ouvertes » de l’établissement. disponibles pour créer des liens et des
L’histoire des hommes, leur lieu d’habi- synergies de manière à intégrer un pro-
tation, la culture et les mœurs ainsi que Pour les professeurs, l’objectif des pro-
jets éducatifs était de briser la barrière jet de poursuite d’études dans les filiè-
les évènements environnants (même res professionnelles pour que cette zone
les plus distrayants comme le sport, le des statuts et des disciplines, notam-
ment entre le lycée professionnel et le floue devienne une vraie perspective
cinéma ou la musique) sont aussi le fruit offerte aux collégiens, futurs lycéens.
du travail d’un professionnel, le fruit lycée technologique. Relevant d’un
lycée polyvalent, cette démarche de
d’un métier.
« brassage » des enseignants a dû être Boumédiene Sid-Lakhdar
Tout au long de l’année, des évènements constamment remise sur le métier vu Professeur d’économie-gestion en lycée
nationaux ou internationaux, culturels, l’instabilité chronique des équipes polyvalent à Paris
sportifs ou sociaux ponctuent le travail enseignantes de l’enseignement géné-
des élèves par l’organisation d’une jour- ral du LP.
née entièrement consacrée aux métiers
qu’inspirent directement ou indirecte-
ment ces évènements. Un quiz est pro-
posé en projection en fin de journée,
d’où le nom du projet. Cinq thèmes
ont été sélectionnés pour cinq journées
1 Le module de découverte professionnelle (six heures hebdomadaires) concerne plus particulièrement un
banalisées6. Trois objectifs principaux public d’élèves volontaires, scolairement fragiles, prêts à se mobiliser autour d’un projet de poursuite de for-
ont donc été définis : mation à l’issue de la classe de 3e : http://eduscol.education.fr/cid45784/la-decouverte-professionnelle.html
– appréhender la réalité des métiers et 2 Proposition du rectorat pour des élèves ayant en principe plus de 15 ans et dont la note en mathématiques
au test du Casnav indique un niveau inférieur à celui exigé en classe de 5e.
des formations professionnelles au tra-
3 Professeur de STI : sciences et techniques industrielles.
vers d’une actualité donnée ;
4 Boumédiene Sid-Lakhdar, « Le travail en atelier et la pédagogie du geste », Cahiers pédagogiques n° 473,
– imaginer un métier dans la réalisation mai 2009.
d’une production artistique (atelier de 5 On peut citer le dispositif de la 3e DP3 ou 6, les ministages et les stages en entreprise de la classe de 3e.
peinture) ; 6 Coupe du monde de rugby, championnat du monde des métiers, rénovation du quartier du lycée, etc.
7 Les difficultés du collège unique : la France à la recherche de son école moyenne. Conférence de Jean-Paul
– situer un métier dans un environne- Delahaye au colloque de l’Association française des administrateurs de l’Éducation nationale
ment historique et culturel. (page 8 du texte reproduit sur le site de l’association). Colloque au lycée Henri IV, janvier 2008.

32 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


2- Des élèves à accueillir et à prendre en considération

« Quand est-ce qu’on se met


au travail ? »
Jean-Pierre Bourreau, Michèle Sanchez

Les projets sont parfois nombreux en LP, dans l’idée de concrétiser


les apprentissages, tisser des liens avec la « vraie vie ». Il peut être utile groupes : en fonction du regroupe-
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tout de même d’en expliciter les démarches avec les élèves, de leur faire ment d’activités choisi, il s’agissait de
prendre la mesure de tout ce qu’ils peuvent y apprendre. répondre à la question : « Quels ont été
les apprentissages réalisés au cours de cette
activité ? » Comme précédemment, cha-

L
e lycée professionnel étant un diverses activités scolaires et extrasco- que proposition devait figurer sur une
lieu de concentration de la dif- laires afin de préparer leurs prestations affichette.
ficulté scolaire, bien des équipes et le financement de leur voyage. • La mise en commun au tableau a per-
ont retroussé les manches pour mettre mis aux camarades et aux enseignants
L’introduction de la « pause réflexive »
en place des pratiques innovantes dans d’apporter quelques éléments complé-
le but de faire réussir la plus grande Il nous a paru intéressant de faire le
point sur les apprentissages réalisés mentaires et de couvrir le tableau de
partie des élèves. Parmi celles-ci, la long en large et de bas en haut.
tout au long de la conduite de ce projet
démarche de projet ne se limite pas aux À l’issue de cette séance, tous les savoirs
lors d’une séance que nous avons bapti-
projets pluridisciplinaires à caractère énoncés ont été regroupés dans un
sée « pause réflexive ». Nous nous som-
professionnel (PPCP), mis en place au document et classés en fonction des
mes retrouvés avec les dix-sept élèves
début des années 2000. Dans l’établis- grands objectifs d’apprentissage de la
de la classe et leurs enseignants pendant
sement mulhousien où nous sommes formation. Ce document récapitulatif
trois heures pour procéder de la façon
affectés, chaque année les projets sont de tous les apprentissages abordés au
suivante :
légion dans le cadre de la classe ou en cours de cette longue démarche de pro-
dehors de celle-ci. Mais les élèves qui • Au tableau, le titre (partie émergée de
l’iceberg) « Salon de la vente, Chalon jet a enfin permis aux élèves de se posi-
participent à un projet, le plus souvent tionner individuellement, à la fois sur sa
de façon ponctuelle, font-ils toujours et 2008 ».
prise de conscience des apprentissages
spontanément le lien avec les savoirs en • Les élèves ont ensuite été invités à en jeu et sur ses acquis.
jeu dans la formation suivie ? réfléchir en binôme à la question : « Quels
sont les actions ou les évènements qui sont Le point de vue des élèves
C’est parce qu’une élève, très studieuse,
d’une classe de terminale bac pro vente, liés à votre participation à Chalon 2008 ? » Étant donné le caractère expérimental
a posé la question qui sert de titre à cet
article à l’issue d’une longue démarche
de projet interdisciplinaire que nous
Les élèves qui participent à un projet, le plus souvent
avons proposé aux professeurs concer- de façon ponctuelle, font-ils toujours et spontanément le lien
nés1 d’aller y voir de plus près. avec les savoirs en jeu dans la formation suivie ?
Le projet consistait, pour les élèves de
cette section, à préparer le Salon péda-
Chaque élément de réponse devait figu- de ce dispositif, il nous a paru intéres-
gogique et commercial des bacs pros de rer séparément sur une feuille de for- sant d’effectuer des entretiens indivi-
la vente qui allait se tenir à Chalon-sur- mat A4, en utilisant un gros feutre. duels avec un certain nombre d’élèves,
Saône en octobre 2008. Ce salon, créé
• À tour de rôle, les élèves sont allés affi- notamment pour essayer de recueillir
en 1992, organisé tous les deux ans, met
cher au tableau leurs réponses, en res- leur point de vue sur ce retour réflexif
en compétition des classes de baccalau-
pectant la chronologie des opérations, sur leur expérience et les apprentis-
réat professionnel de la vente autour
d’une activité avant tout commerciale : ce qui ne s’est pas fait sans problèmes : sages qu’elle leur a permis de réaliser.
il s’agit, pour les classes en compéti- prise en compte des différentes tempo- Autrement dit : en quoi cette « pause
tion, de promouvoir des produits de ralités, simultanéité de certaines actions réflexive », cet arrêt sur image a-t-il per-
leur région en tenant un stand dans une et, au final… encombrement maximum mis de passer de l’implicite de l’action
manifestation commerciale. Sont jugées du tableau (qui couvrait pourtant toute et du projet à l’explicite des apprentis-
les compétences professionnelles, mais la largeur de la salle de classe !). sages visés par les enseignants ?
aussi le savoir-être et d’autres compé- • Avec les collègues et les élèves, nous Il nous faut tout d’abord noter que si,
tences relevant de disciplines généra- avons alors proposé le regroupement de globalement, les élèves disent ne pas
les (arts appliqués, écriture, expression, certaines activités : actions de finance- avoir eu de difficultés à faire le lien entre
connaissance de la région d’origine, ment, préparation du stand, opérations la multiplicité et la variété des activités
etc.). Pour préparer ce salon, les élèves pour la promotion de l’Alsace, etc. et la participation au Salon, ce lien ne
ont été engagés, dès leur arrivée en 1re • Dans une seconde étape, retour à la s’est pas toujours fait spontanément et
année bac pro, en septembre 2007, dans réflexion individuelle, puis en petits automatiquement :

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 33


Dossier Au lycée professionnel

– « En fait, on va dire qu’on en avait


conscience indirectement, car la plupart du
temps, c’était majoritairement des exerci-
ces, donc c’était noté… on voyait plus ça Deux parcours scolaires
comme des exercices que pour Chalon,
comme les inventaires, la vente de choco- Extraits d’entretiens réalisés en mars 2009
lats, les choses comme ça… on a vu plus
ça comme des exercices que pour finan- Deux élèves décrivent leur parcours scolaire, dans lesquels le LP joue un rôle majeur dans la
cer Chalon […]. La visite des musées et mesure où il leur a permis de modifier radicalement leurs rapports à l’école, au savoir et à
l’apprendre pour rentrer dans une dynamique de « réussite scolaire ».
tout ce qui s’en suit, c’était à la base parce
qu’on a vu ça en français, mais c’est vrai – « Je sais pas, je vous connaissais pas avant mais là, y a plus de problèmes ! (rires) Avant,
je les mangeais mes mots (rires). J’avais pas trop un langage professionnel aussi… Parce
que c’était dans l’idée de bien connai- que je l’avoue avant je parlais pas… en fait, c’est pas parce que je parlais mal, j’arrivais pas
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tre sa ville pour pouvoir la promouvoir à à m’exprimer correctement, en fait… En fait comme je m’exprimais devant un jeune, je
Chalon… Y avait toujours quelque chose pouvais m’exprimer devant une personne plus âgée, quoi, un professeur et c’était pas bon,
de lié à Chalon, mais ça, on s’en rendait quoi, par rapport à la vie… en fait.
pas compte, pas forcément tout de suite. » – Par rapport à quoi ?
Les avis sont plus contrastés lorsqu’il – Y a la vie maintenant, exemple, et y a le professeur et, en fait, la façon de s’exprimer sera
pas la même et en fait, ça je l’ai appris au fil des actions et au fil des cours.
s’agit de savoir quand et comment les
– De l’ensemble des cours ?
élèves ont perçu le lien entre la conduite
du projet Chalon 2008 et l’acquisition – Pas dans l’ensemble mais dans une majorité des cours, j’ai appris à m’exprimer…
des connaissances et compétences pour – À partir de quel moment ? Y a-t-il un moment où un déclic s’est produit ?
l’examen. Pour certains, c’était clair dès – En fait, le déclic pour moi s’est passé parce que j’étais sur une liste d’attente, tout au
le lancement du projet : début, j’ai pas été pris pour la 1re bac pro. J’ai d’abord redoublé le BEP, après je l’ai eu. J’étais
sur liste d’attente… et bon, moi, je vous dis, j’étais un élève perturbateur, j’étais un mauvais
– « Ça a toujours été dit : on allait au cho- élève quoi ! j’étais bruyant, je travaillais pas… et en fait quand j’étais pris en première année
colat, d’une part pour récupérer de l’argent en 2007, j’étais pris fin septembre, début octobre. C’était dur à m’intégrer vu que les profs,
pour Chalon, et la deuxième chose c’était ils ont entendu des choses sur moi, que j’étais pas un bon élève et comme c’était un bon
groupe, ils ont eu peur que j’allais les influencer. Et c’est là où j’ai eu le déclic et je me suis
pour prospecter, apprendre à négocier avec dit : tout le monde est bien, moi il faut que je mette comme eux et jusqu’à aujourd’hui, les
les clients, voir comment cela se passe, que profs ils sont contents de moi, j’ai un bon comportement, j’ai des bonnes notes. Les résultats
c’est pas toujours facile, etc. » sont bons, y avait le conseil de classe et ça s’est bien passé. Voilà, c’est là où il y a eu le déclic
Pour d’autres, c’est dans l’« après coup » on va dire, mais c’était bien avant Chalon.
que le lien s’est établi. Parfois, pour cer- – Oui, bien sûr… […] c’est ce moment-là qui a fait déclic par rapport à cette prise de
conscience, en particulier, on ne s’exprime pas de la même façon à l’école comme on le fait
taines actions, il a même fallu attendre ailleurs. C’est ça ?
la séance de « pause réflexive » :
– C’est ça, oui… »
– Le « Mois de l’autre1 », le fait de raconter
des histoires aux enfants dans les écoles pri-
maires, pour moi je pense c’est un travail
de la gestuelle ce qui va nous aider à l’oral, – « En fait, j’ai loupé mes deux 2des… en général, donc j’ai fait une 2de, j’ai redoublé ma 2de
à bien s’exprimer, à rallonger les mots… et j’ai remarqué que ça me plaisait vraiment pas. Et pour moi, c’était arrêter l’école, sur le
parce que les petits, ils ne comprennent pas moment. Alors que j’avais de super notes en 3e. Donc, je me suis dit “qu’est-ce que je vais
faire ?” et on m’a parlé du BEP en un an. Je me suis dit “bon, je vais essayer de raccrocher…
comme nous. Tout ce qu’on faisait comme
c’est ma seule et dernière chance”. Le BEP en un an, je m’en suis sorti très bien et je l’ai eu.
action en fait avait un lien. Je me suis dit que je vais continuer, car ça m’a vraiment plu la vente. C’est vraiment un
– Est-ce que vous l’avez perçu sur le domaine qui m’a donné envie. Ça m’a plu. Donc je dirais que le professionnel m’a beaucoup
moment même ? plu en fait. Autant que le général, c’était dans des classes à trente-cinq, c’était carré les
cours, les profs y t’adressent à peine la parole ! (en insistant bien sur cette expression)
– Non, non pas du tout. C’était vraiment autant en professionnel, y a tout ce qui va avec, y a une ambiance super, les profs sont
plus tard… la semaine dernière, quand à l’écoute, ça m’a vraiment plus. Je pense que c’est ça qui m’a donné envie. Et si l’année
vous êtes venu […] jamais, sur le coup, prochaine maintenant, je veux faire un BTS MRP, c’est grâce à ça aussi, c’est grâce au
professionnel. Si j’ai envie d’aller en BTS, c’est grâce au professionnel.
je me suis dit que c’était par rapport à la
formation. » – Il y a donc un projet BTS, j’entends bien ?
– Tout à fait.
Nous en arrivons donc à la façon dont
– Et avant, qu’est-ce qui s’est passé ?
les quatorze élèves interrogés ont
vécu la séance de retour réflexif sur les – Ben, au lycée, je me suis retrouvée dans des salles… Çà me plaisait pas beaucoup la
générale… on était beaucoup, comme dit… y avait aucun lien avec les profs… vraiment
apprentissages réalisés pendant plus aucun lien… je ne sais pas comment expliquer… c’était monotone comme cours, on
d’un an de démarche de projet. Un s’ennuie… pour moi, y a pas assez de terrain… y a pas assez de… moi, je suis quelqu’un
seul a déclaré que cette séance ne lui j’aime bien bouger, j’aime bien faire des choses… et être en stage pour moi, c’est comme…
avait rien apporté. Tous les autres ont comme un peu de plaisir… c’est pas que être à l’école… et ce lien en professionnel, on a fait
exprimé un avis positif, avec, parfois, des prospections sur le terrain, des choses comme ça, c’est autre chose. C’est tout à fait
différent, je dirais. Maintenant, demain, je sais que je vais aller, essayer de faire un BTS… Si
un réel enthousiasme : je rentre, tant mieux, je sais que je risque un peu de retourner dans ce sens du “général”,
– « Quand je vois le tableau… le tableau mais je pense qu’aujourd’hui je suis consciente que… c’est comme un peu Chalon, si je veux
comment il était tapissé, c’est là, c’est à ce quelque chose, faut se donner les moyens ! Je pense qu’il faudra que je bosse, faut y aller ! »
moment-là où on dit “je m’en rends compte
aujourd’hui” parce que on avait oublié,
tout, tout ce qu’on a fait… ce projet, ça fait

34 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


2- Des élèves à accueillir et à prendre en considération

tellement longtemps qu’on avait prévu de que… par la suite on se rendrait compte constituer un bon tremplin pour per-
le faire… et que quand je vois le tableau et que ça nous a apporté des choses à nous mettre aux élèves d’élaborer un port-
les dates, c’est vrai, c’est depuis telle et telle sans forcément avoir de l’écrit sur les folio de leurs compétences à partir des
date qu’on a fait ceci, qu’on a fait cela… feuilles. C’est peut-être ça où j’ai été sur- activités menées dans le cadre de la
avec le recul, on voit que… que cette séance prise. Même là encore, des fois j’ai l’im- démarche de projet, et ailleurs, dans et
elle a servi. pression encore de pas travailler et par hors l’école, afin de s’inscrire dans une
– Elle a servi à ça, mais est-ce que vous moments… Bon là je réalise petit à petit, démarche de « formation tout au long de
êtes consciente que, par rapport à tout ce vu que ça commence à être la fin de la for- la vie ».
qui a été mis au tableau, ça vous prépare mation que j’ai quand même appris pas Pour les enseignants, « la pause réflexive »
quand même à l’examen ? Ce n’est pas du mal de choses. Même si au début j’avais est l’occasion de lever les malentendus
temps perdu ? l’impression de pas apprendre vu que du type de celui posé par la question
– Ah non, ce n’est pas du temps perdu, j’avais pas beaucoup… Enfin si, on a de dans le titre de cet article en permet-
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parce que les points évoqués que ce soit pour l’écrit, mais pas autant que les années pré- tant aux élèves d’établir le lien entre « le
la préparation de Chalon et ce qu’on a fait cédentes. Et ça, moi j’ai été surprise. Au faire » et « l’apprendre ». Elle peut aussi
la semaine dernière, ça prépare à l’exa- début j’y croyais pas quand on m’a dit que être l’occasion pour les enseignants de
men… parce que dans les PFMP3, dans le je pourrais apprendre beaucoup de choses se laisser surprendre par les capacités
dossier, c’est des points qui vont revenir. » sans forcément… réflexives de leurs élèves pourvu qu’on
– Sans passer par l’écrit. leur donne l’occasion de s’exprimer sur
Une élève a émis un avis plus nuancé :
leur expérience scolaire.
– « Sur le coup non. Je me suis demandé – Voilà : on a de l’écrit, mais pas autant
pourquoi on était là en fait. J’ai pas qu’avant. »
Jean-Pierre Bourreau, Michèle Sanchez
Enseignants et animateurs d’un dispositif
« Et puis on a toujours été habitué, au lycée, au collège, tout, spécifique sur l’accompagnement
des personnels dans la prise en charge
c’est écrire, écrire, écrire et apprendre. C’est-à-dire que depuis des élèves en difficulté
dans les établissements mulhousiens
qu’on est ici, depuis qu’on a commencé ce bac et qu’on prépare du second degré
Chalon, on est plus dans l’oral. »

trop compris l’intérêt. Après quand j’ai Pause réflexive… et au-delà ? 1 Alexandra BATTAS, PLP Vente et Jean-Michel
HIOU, PLP Lettres-Histoire sur la promotion
demandé à Mme E, elle m’a dit sur c’était La séance de « pause réflexive » a donc complète, Clau-dine MANGIN, PLP Vente durant la
pour faire un bilan. Et… même là j’étais permis de rassurer les élèves qui dou- première année et Dounia EL OUAHIDI, PLP Vente la
étonnée qu’on fasse encore un bilan parce taient encore de la capacité d’une deuxième année.
que pour moi mon bilan il était fait dans démarche de projet ambitieuse et bien 2 Opération initiée en 2004 par le Conseil régional
d’Alsace pour inviter les élèves à la tolérance et au
ma tête, et puis y avait pas besoin forcé- conduite par les enseignants à les pré- respect de l’autre.
ment de… Bon, c’est vrai qu’au début parer à l’examen. Au-delà, elle pourrait 3 Période de formation en milieu professionnel.
j’ai pas trop compris en fait… Mais bon
c’est vrai que de remplir cette feuille et de
voir… enfin de le dire à quelqu’un d’autre
que de le garder pour soi, ça permet plus en
fait de voir ce qu’on a accompli. Mais sur
le coup je voyais pas l’intérêt. »
C’est cette élève qui a interpelé son pro-
fesseur de vente au retour de Chalon
en lui posant la question-titre de cet
article. Ailleurs, dans l’entretien, elle
s’explique sur les raisons de sa déstabi-
lisation… et finit par reconnaitre l’inté-
rêt de la démarche de projet, y compris
dans la perspective de la préparation de
l’examen :
– « Des fois c’est l’impression qu’on tra-
vaille pas en fait. On est souvent dans
l’oral ou dans des choses comme ça, et
quand j’étais en BEP c’était beaucoup
d’écrit. Alors euh… Et puis on a toujours
été habitué, au lycée, au collège, tout, c’est
écrire, écrire, écrire et apprendre. C’est-à-
dire que depuis qu’on est ici, depuis qu’on a
commencé ce bac et qu’on prépare Chalon,
on est plus dans l’oral. Alors souvent les
profs nous ont dit qu’on n’aurait pas l’im-
pression de travailler dès le début, mais

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 35


Dossier Au lycée professionnel

Un établissement mobilisé
sur la prévention
contre le décrochage
La mobilisation contre le décrochage des élèves est une préoccupation de longue date
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dans ce lycée professionnel. Différents personnels témoignent de leur action.

Le point de vue du proviseur cial, et direction favorisent le partage des informations sur
les élèves presque en temps réel. Des fiches synthétiques de

C
e lycée professionnel se situe dans la banlieue Est déclarations d’incident sont mises en place pour favoriser la
de Lyon en zone urbaine sensible. Nous accueillons communication, car la réactivité des équipes et des services
environ 400 élèves, y compris des structures spécifi- permet de trouver une solution au problème posé.
ques comme une mission générale d’insertion et des unités Des questions à poser
de formation en alternance. Le pourcentage d’élèves issus de La prise en charge des élèves en situation de décrochage
catégories socioprofessionnelles défavorisées est passé pro- ne repose encore que sur quelques personnes. Ce qui n’est
gressivement de 88 % à 78 %. pas sans risques. Lorsqu’elles quittent l’établissement, elles
L’établissement souffre encore d’une image négative, même emportent leurs compétences professionnelles et savoirs d’ex-
si celle-ci a pu évoluer en même temps que celle de la ville. périences de prévention du décrochage. Faute de mémoire
Dans une grande majorité, les élèves orientés et affectés au écrite, les pratiques éducatives et pédagogiques se transmet-
lycée le sont par défaut du fait de leurs résultats de 3e. tent mal. Le nouveau vient recouvrir l’ancien. On peut regret-
Quand j’ai pris la direction de ce lycée en septembre 2009, j’ai ter que le métier ne repose pas davantage sur l’existant.
découvert une multitude de dispositifs destinés à prévenir le Il est nécessaire de construire une cohérence locale plus
décrochage. La spécificité de chacun d’eux ne me semblait pas efficace en faisant travailler ensemble les personnels aux
clairement définie et ne faisait pas l’objet d‘un écrit formalisé. représentations, attentes et stratégies diversifiées. Ainsi l’ap-
Il a donc été nécessaire de prendre le temps de déterminer plication du règlement intérieur est sujette à interprétations
les objectifs de chaque dispositif et de circonscrire les moda- diverses selon les adultes. Or, les élèves ont besoin d’un cadre
lités de fonctionnement. Les « chefs de projet », terme un peu éducatif très cohérent dont le fonctionnement ne soit ni flou
nouveau pour eux, se sont prêtés de bonne grâce à l’exercice. ni implicite. Le sentiment d’arbitraire et d’injustice peut les
Cela m’a autorisé, lors des premières réunions, à proposer une conduire à des comportements inadaptés. Le climat du lycée
autre répartition des tâches en vue d’une meilleure efficience. est donc dépendant de l’affirmation permanente du règle-
Mon expérience de direction acquise dans d’autres établis- ment intérieur. Il est en lui-même une mesure éducative de
sements de zone urbaine sensible m’a également permis de prévention du décrochage.
solliciter les acteurs sur des propositions qu’ils n’avaient pas Enseigner représente parfois un véritable défi, face à des élè-
envisagées. La mise en place d’outils de suivi informatisés et ves souvent experts de l’empêchement de faire cours pour évi-
simples, de procédures claires, a débouché sur une limitation ter ainsi d’entrer dans l’activité intellectuelle proposée. Entre
des champs d’investigation de chaque dispositif tout en lais- les prescriptions des programmes et la mise en œuvre dans les
sant à chacun une réelle autonomie. classes, il existe bien des dilemmes. Certains enseignants sont
Des points forts à souligner amenés à faire des compromis, négocier une forme de paix
Le lycée compte une cinquantaine de professeurs avec une sta- sociale contre une baisse des exigences. Or, ils sont en recher-
bilité moyenne dans le poste d’environ neuf ans. Elle témoi- che d’efficience et ont face à eux des élèves qui ne sont pas
gne de leur forte implication dans la politique éducative de dupes du travail qu’on leur fait faire.
l’établissement. Ils croient en l’éducabilité de ces jeunes. Ces jeunes attendent des adultes responsables qui ne fuient
La prévention du décrochage reste un objectif majeur de la pas la confrontation avec eux. C’est en posant un cadre péda-
communauté éducative. Afin de favoriser les conditions de la gogique exigeant que l’école leur donnera la possibilité de
jouer le jeu scolaire. Comment parvenir à une meilleure
réussite de tous les élèves, des choix stratégiques, opération-
appropriation des savoirs pour prévenir le décrochage ? Cette
nels et relationnels ont été faits : on recourt au dédoublement
question engage les enseignants dans une démarche réflexive
chaque fois que possible pour obtenir des groupes de douze
et distanciée de leurs pratiques pédagogiques, qui doit se faire
ou quinze élèves par enseignant ; un travail en équipe autour
de façon collective et individuelle.
de projets pédagogiques fédérateurs, des dispositifs d’accueil
des entrants, de dépistage des décrocheurs et de raccrochage Ce constat ne doit pas faire oublier qu’il est passionnant de
scolaire sont mis en place. gérer une équipe aussi investie, inventive et volontaire.
En dehors des réunions « point élèves », « cellule de veille »,
« commission absences », les échanges quotidiens entre col- David Laposse
lègues, enseignants, CPE, assistants d’éducation, médicoso- Proviseur

36 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


2- Des élèves à accueillir et à prendre en considération

Le point de vue d’un enseignant, ment la porte, puis s’installent autour de la table en se pré-
sentant à l’élève qui ne les connait pas, puisque les membres
coordonnateur d’un dispositif choisis ne doivent pas faire partie de l’équipe pédagogique de
de prévention du décrochage l’élève.

L
L’entretien
ors de mon arrivée dans l’établissement en 2005, j’ai
été surpris par la multiplicité des dispositifs permet- La médiation est un lieu de dialogue où la parole de l’élève
tant aux élèves de ne pas décrocher du système sco- est sollicitée. C’est à lui qu’il revient de s’exprimer sur les rai-
laire. La prise en charge de la médiation en 2007 a été pour sons pour lesquelles il se trouve là, à ce moment de sa scola-
moi l’occasion de parfaire ma connaissance de ces dispositifs. rité. Pendant les quarante-cinq minutes de l’entretien, le but
est que l’élève prenne conscience de ses difficultés afin de les
Le dispositif de prévention du décrochage dit cellule de veille surmonter. La question suivante est posée à l’élève : « Sais-tu
Il comprend trois volets : le repérage, la médiation/remédia-
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pourquoi tu es ici parce que nous, nous ne le savons pas ? » L’élève


tion et le suivi avec les évaluations. Le repérage repose sur est alors invité à expliciter les difficultés qu’il rencontre en
les constats effectués dans les concertations (formelles ou présence du professeur principal qui peut intervenir dans
non) d’enseignants, les conseils de classe, par le questionnaire l’échange.
Lycam (voir encadré), la commission de suivi (réunie une fois
À la fin de cette rencontre, l’élève prend des engagements aussi
par semaine) ainsi que la commission absences. La médiation/
concrets que possible afin de pouvoir objectiver les résultats
remédiation englobe plusieurs actions telles que les entretiens
quatre semaines plus tard, lors du bilan. Par exemple, le fait
individuels, le lien avec les familles, les dispositifs d’accompa-
de vouloir réduire le nombre de ses absences de vingt-cinq par
gnement éducatif, le soutien scolaire ainsi que l’accompagne-
mois à dix relève bel et bien d’une responsabilisation. Cela lui
ment de l’élève dans son projet personnel et professionnel. Le
permet de s’autoévaluer, et si nécessaire d’en discuter avec
pôle médicosocial s’inscrit pleinement dans ce deuxième volet
son tuteur qui reste en lien étroit avec l’équipe pédagogique
en faisant émerger des difficultés d’ordre sanitaire et social.
afin de suivre les évolutions. Son rôle d’accompagnement est
Enfin, le dernier volet consiste à évaluer le dispositif dans son
déterminant dans la réussite de l’élève.
ensemble en s’appuyant sur les résultats scolaires, le bilan des
absences et de la médiation. On se rend compte que les interactions avec un jeune en
La médiation médiation constituent un moment éducatif par excellence.
On vise à le responsabiliser à travers les décisions auxquelles
Le « Conseil de médiation », de son premier nom, a été créé en il s’engage. Cette exigence de changement est difficile, voire
1998. Il avait pour fonction d’aider les élèves en passant par le risquée pour certains élèves. C’est pourquoi le tutorat indi-
dialogue et non par la sanction. Aujourd’hui, il s’agit de trou- viduel s’avère nécessaire pour accompagner ce parcours de
ver des solutions aux difficultés que l’élève rencontre, en pri- repositionnement. Les résultats souvent irréguliers au début,
vilégiant le dialogue et la prise de conscience par le jeune. Le se stabilisent au fur et à mesure de la progression de l’élève
recours à la médiation se fait à la suite de nombreuses trans- vers plus d‘autonomie.
gressions des règles de vie collective (absentéisme, manque de
motivation, conflits fréquents avec d’autres élèves ou avec des
enseignants, etc.) ou quand un élève présente un malêtre qui Nicolas Podunavac
nuit à sa scolarité. La médiation repose sur un entretien d’ex- Professeur d’EPS
plicitation et de prise de conscience qui prend en compte ce
qui se passe dans le présent, et avant tout dans sa scolarité au
lycée. Il vise à déclencher des prises de conscience chez l’élève
sur ce qu’il se joue pour lui au plan scolaire. Aucune sanction Le point de vue d’une assistante
n’est attribuée à l’issue d’une médiation. d’éducation à propos d’un tutorat
Structure et fonctionnement avec une élève rebelle
Plusieurs adultes siègent en médiation : le proviseur ou son

S
adjoint, une CPE, deux membres permanents de l’instance et abrina est élève en première année de BEP bioservices
l’élève convoqué avec son professeur principal. Le passage en du lycée. Dès le mois de septembre, elle est plusieurs
médiation dépend de la volonté de l’élève. Si celui-ci prend la fois exclue de cours avec une autre de ses camarades,
décision d’être aidé (suite à une proposition de l’équipe péda- suite à un comportement provocateur envers les enseignants.
gogique), l’assistante sociale de l’établissement le convoque, En octobre, Sabrina est repérée et sanctionnée par plus de
puis lui explique le rôle et le fonctionnement de la médiation. cinq mises en garde pour ses débordements verbaux, son atti-
Elle l’informe de l’obligation de choisir un tuteur (parmi une tude provocatrice et ses comportements agressifs. Fin octo-
liste d’adultes volontaires) et de prendre des engagements à la bre, Sabrina passe en médiation, tandis que sa camarade est
fin de la médiation. Un bilan est réalisé quatre semaines plus exclue définitivement de l’établissement. Quelques semai-
tard en présence du tuteur afin de faire le point et de vérifier nes après sa médiation, Sabrina est convoquée devant le
si les engagements ont été tenus. Un second bilan peut-être Conseil des droits et des devoirs, instance qui rappelle aux
effectué en fonction des besoins de l’élève. élèves leurs obligations et qui sanctionne les manquements
Le rendez-vous est fixé dans la « salle de médiation ». L’élève y aux règles. Sabrina, à la suite du départ de sa camarade exclue
est accueilli par les membres de la médiation, éventuellement par conseil de discipline, prend conscience qu’elle doit chan-
la CPE ou un membre de l’administration si ceux-ci sont pré- ger d’attitude.
sents. L’élève s’installe alors autour d’une table plutôt circu- Elle accepte le tutorat et me choisit comme tutrice. À ce
laire sans se positionner en bout de table, de manière frontale, titre, nous nous rencontrons dans des entretiens. Les pre-
comme dans un tribunal. Les membres de la médiation fer- miers temps, elle tente de me faire abandonner mes atten-

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 37


Dossier Au lycée professionnel

tes et convictions en ne tenant pas ses promesses, en


ne respectant pas ses engagements. Je sais par l’ex-
périence que j’ai acquise durant ma fonction de sur-
veillante d’externat que l’acte de changement chez les
jeunes ne procède pas seulement d’une volonté indivi-
duelle, mais aussi de débats intérieurs déstabilisants.
Ce qu’elle me dit témoigne d’une crise d’identité.
Une part de sa colère est à interpréter comme l’ex-
pression d’une instabilité, voire d’une fragilité à peine
consciente. Je l’incite à mettre son énergie au service de
sa réussite scolaire plutôt que dans l’opposition systé-
matique face aux adultes.
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En tant que tutrice de Sabrina, je rencontre régu-


lièrement son professeur principal qui est aussi son
professeur de technique culinaire pour des bilans
intermédiaires. Nous échangeons sur les difficultés
cognitives et comportementales de cette élève. Il m’ex-
plique qu’il maintient un cadre très exigeant et ne tran-
sige pas. Il sait lui dire non en posant des limites non
négociables. Moi aussi, j’ai envers cette élève une atti-
tude bienveillante et exigeante. C’est ce que j’explicite
ensuite à Sabrina. Peu à peu, elle modifie la représen-
tation qu’elle a des professeurs : ce sont des adultes qui
sont là pour faire leur travail. Elle reconsidère la rela-
tion établie avec les autres, en particulier les adultes.
Elle prend conscience que pour s’affirmer, il existe dire reçu la permission de réussir au lycée professionnel de la
d’autres options que le conflit. part de son père. Son comportement face au travail scolaire
Elle fréquente alors le tutorat très régulièrement sans doute a évolué. Elle change de posture, s’affirme différemment et
parce qu’il lui offre un espace symbolique sécurisant. Elle y prend son indépendance par rapport au tutorat dont elle a
puise la confiance nécessaire pour évoquer un jour sa diffi- désormais moins besoin.
cile relation à son père : il est très déçu de son orientation en En terminale, l’année suivante, elle devient la meilleure élève
lycée professionnel. Pour lui, c’est un échec, et ce jugement de la classe. Quelle métamorphose !
de valeur empêche sa fille d’y réussir. Père et fille ne se parlent
plus depuis la rentrée. Or, tous les deux accordent beaucoup Marianne Fouilleux
d’importance à la réussite scolaire. Comment les aider à sor- Assistante d’éducation
tir de cette impasse ?
Je propose que le père de Sabrina puisse venir rencontrer le Propos recueillis par Myriam Chéreau, chargée d’étude
professeur principal pour parler de cette difficulté. J’ignore au centre Alain Savary de l’INRP et formatrice
ce que se sont dit les deux adultes, mais je constate que cela au centre Michel Delay de l’académie de Lyon.
contribue à pacifier la relation père-fille. Sabrina a pour ainsi

Présentation de l’outil Lycam


Le Lycam est un questionnaire d’origine américaine, mis au point au Quarante-et-un items sont retenus ; le seuil de réponses à risque est
Canada, à objectif préventif. Il permet un dépistage précoce des élè- de dix-huit.
ves susceptibles d’abandonner l’école et une mise en place d’actions La passation dure environ quarante minutes. Elle est recommandée
en fonction du besoin de soutien repéré. Il s’agit de partir des diffi- en octobre et novembre, le conseiller d’orientation est accompagné
cultés des élèves, de leurs motivations, de leur vision personnelle de d’un enseignant (si possible, le professeur principal).
l’école. Le questionnaire est élaboré sur la base de sept dimensions :
L’exploitation des résultats est présentée classe par classe, puis pour
AF : attitude de la famille par rapport à l’école (rôle de la famille dans l’ensemble de ces classes. Au niveau individuel, le score global obtenu
la scolarité) au questionnaire est un indicateur général du risque d’abandon de
PS : projets scolaires (projets aux regards des études, du gout pour l’élève. Le score par dimension permet d’identifier celles qui posent
l’école, le niveau d’aspiration) un problème à chaque élève. La nature de ses réponses nous ren-
RS : rendement scolaire (autoévaluation par l’élève de son rendement seigne sur ses difficultés, sa demande et la remédiation possible.
scolaire : capacité de travail, performances scolaires) L’outil Lycam devient un support intéressant pour un entretien indivi-
duel dans la mesure où les réponses ont été établies par le jeune lui-
CS : confiance en soi (à l’égard des possibilités de réussite scolaire) même, qu’elles soient complètement sincères ou non.
AB : absentéisme (attitudes et comportements liés à la fréquentation Au niveau collectif, on peut mettre en évidence la répartition des élè-
scolaire : acceptation ou non-acceptation des normes du lycée) ves en fonction de l’importance du risque, ainsi que le pourcentage
BS : besoin de soutien des enseignants (qualité des relations de des élèves au-dessus du seuil significatif, par dimension.
l’élève avec les membres de l’équipe éducative),
IE : intérêt pour l’école (intérêt de l’élève pour ses études et pour sa
vie scolaire).

38 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


3- Des lycées transformés
par les diverses prescriptions
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D’une rénovation
à des innovations ?
Stéphane Vince

Préparer le baccalauréat professionnel en trois années au lieu de quatre


a bousculé les esprits et le fonctionnement de tous les acteurs impliqués.
Cette rénovation de la voie professionnelle peut-elle transformer pour l’avenir de l’école du 23  avril
les pratiques pédagogiques ? 2005 avait fixé au système éducatif les
objectifs suivants pour 2010 : 100 %
des élèves ayant acquis, au terme de

L
es lycées professionnels ont constantes du nombre de ses élèves, leur formation scolaire, un diplôme ou
péniblement vécu la remise en malgré des perspectives affichées de une qualification reconnue (1/5 quit-
cause de « leur » baccalauréat poursuite d’études dans l’enseigne- tent le système scolaire sans qualifica-
professionnel, véritable « locomotive » ment supérieur. Sur les 66 % d’une tion actuellement) ; 80 % d’une classe
depuis son lancement dans les années classe d’âge obtenant un bac, on assiste d’âge accédant au niveau du baccalau-
1982-1983. Avec un peu de recul et une à des évolutions qui ne sont pas sans réat ; 50 % d’une classe d’âge accédant
connaissance des stratégies éducati- conséquence : la part des bacs géné- à un diplôme de l’enseignement supé-
ves, nous pouvons poser l’hypothèse raux baisse régulièrement au profit des rieur (42 % en 2008).
que la mise en œuvre du baccalauréat bacs technologiques et professionnels. Un protocole2 a posé les principes de
professionnel en trois ans, ses inciden- Or, pour ces derniers, la poursuite vers la rénovation de la voie profession-
ces économiques, organisationnelles, un diplôme supérieur est plus risquée : nelle. Ses effets se situent à plusieurs
pédagogiques, identitaires, ont consti- 63 % des titulaires d’un bac pro stop- niveaux :
tué comme un test, avant la réforme du
lycée d’enseignement général et tech-
nologique. En tant que formateur-con- Pour garantir une égalité des moyens, la rénovation de la voie
sultant dans le champ de la formation professionnelle, anticipant les évolutions des publics, a introduit
continue, mais mobilisé auprès des
enseignants devant mettre en œuvre le
la notion de passerelle, pouvant être favorisée par des parcours
baccalauréat professionnel en trois ans, individualisés, et le terme d’accompagnement personnalisé.
j’ai choisi de traiter trois aspects de cette
question : l’ouverture politique et stra- pent leurs études après l’obtention de • les référentiels de formation,
tégique induite par la rénovation, les leur diplôme. 15 % poursuivent vers un • les établissements qui devront revoir
incidences organisationnelles sur les BTS avec uniquement 40 % de réus- leur organisation en termes de curricu-
dispositifs de formation et les impacts site. 1,3 % vont en IUT et 4,2 % à l’uni- lums3 proposés aux élèves,
pédagogiques sur les pratiques. versité, les 2/3 échouant en première • les pratiques pédagogiques avec la pla-
Des objectifs ambitieux année1. 10 % vont obtenir un diplôme nification d’accompagnement person-
L’enseignement secondaire en France de niveau bac +2 et 1 % un bac +3. nalisé tenant compte des besoins des
se trouve confronté à des baisses La loi d’orientation et de programme élèves.

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 39


Dossier Au lycée professionnel

Après ce cadre politique et stratégique, de l’apprentissage5 ». naliser leurs équipes, notamment avec
attachons-nous aux aspects organisa- Quoi qu’il en soit, les évolutions péda- l’introduction de nouvelles fonctions :
tionnels, et notamment les dispositifs, gogiques peuvent prendre la forme coordinateur référent du parcours, ani-
les passerelles et les parcours. de l’individualisation des parcours et des mateur de centre de ressources…
Les conséquences des passerelles apprentissages, s’appuyant ou non sur Les lycées professionnels, avec la réno-
Pour garantir une égalité des moyens, un principe de modularisation des cur- vation de la voie professionnelle, se
la rénovation de la voie professionnelle, riculums. Intrinsèquement, ces deux retrouvent à la croisée d’un change-
anticipant les évolutions des publics, a notions sont en étroite articulation : ment : aura-t-il lieu ? Comment ? C’est
introduit la notion de passerelle, pou- « L’individualisation est à la modularisa- justement dans le cadre de cette seconde
vant être favorisée par des parcours tion, ce que le parcours est au territoire. » question que je vais aborder les change-
individualisés, et le terme d’accompa- La modularisation est ainsi amenée ments pédagogiques induits par cette
comme un moyen pour individuali-
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gnement personnalisé. Globalisé, sous rénovation de la voie professionnelle.


la forme d’une dotation horaire par ser les différents curriculums des élè-
ves, car le découpage d’une formation De l’importance d’un positionnement
semaine (environ deux heures et demi
par élèves), il peut être géré différem- en modules de formation peut favoriser « dynamique »
ment selon les initiatives des établisse- des parcours individualisés. Qui dit parcours, dit un point à attein-
ments. Le principe de passerelles intra J’ai pu travailler avec les CFA (centres dre, un objectif final, mais aussi un
ou interlycées (d’enseignement général, de formation d’apprentis) sur l’indi- point de départ, une situation d’entrée
technologique ou professionnel) pose
la question des organisations pensées
et mises en place. En reprenant la défi- Qui dit parcours, dit un point à atteindre, un objectif final,
nition de Jean-Pierre Astolfi4, un dis- mais aussi un point de départ, une situation d’entrée dans un
positif est un ensemble stratégique de
mesures diversifiées, mais cohérentes
processus de professionnalisation, une entrée dans un dispositif.
qui s’appuient sur quatre dimensions :
projective, stratégique, dialogique et vidualisation6 des parcours. Dans la dans un processus de professionnali-
tactique. région Pays de la Loire, depuis 2004, sation, une entrée dans un dispositif.
Qui dit passerelles, dit curriculums sou- un premier travail a permis de propo- Si le projet est clairement énoncé lors
ples, à mettre en place par les équipes ser des parcours (voire des passerelles) d’un démarrage de formation, le repé-
pédagogiques, avec l’appui des direc- pour deux types de jeunes : les plus en rage de la situation initiale de l’appre-
tions et des inspecteurs. Qui dit classes difficulté et les « atypiques » – notion nant est indispensable pour formaliser
hétérogènes renvoie alors à des pédago- regroupant les jeunes qui avaient un un parcours7.
gies différenciées (comme à l’ère du col- niveau ou une qualification supérieurs En pédagogie, ce travail s’intitule le
lège unique). La question est donc de à celui demandé, par exemple des élèves « positionnement » : il s’agit de coéva-
savoir si nous allons vers un renforce- ayant suivi une 2de ou 1re de la voie géné- luer avec l’apprenant d’où il part (ses
ment de la logique « filière » ou bien vers rale ou technologique et se réorientant préacquis), ses moyens (stratégies d’ap-
« la transformation d’une sélection par vers un baccalauréat professionnel. Les prentissages) et de mesurer avec lui les
l’échec en une forme plus subtile, mais non CFA ont tout à la fois installé et outillé efforts que le parcours de formation va
moins égalitaire, de sélection par la durée des centres de ressources et profession- exiger. Dans ce cadre, j’ai pu accom-

Étapes d’une démarche de positionnement


À partir d’exemples puisés dans mon expérience, associés à des réussis et ceux qui soulignent des lacunes ou points de progrès.
ressources fournies par les personnes-ressources, la démarche de • Une évaluation des stratégies d’apprentissage et du rapport à
positionnement a permis de distinguer plusieurs niveaux ou degrés l’autonomie de l’élève. À partir de tests basés sur des situations
à vérifier : d’apprentissage, il s’agit de faire ressentir à l’élève les capacités
• une évaluation des connaissances, des préacquis maitrisés par cognitives qu’il mobilise et son degré d’attente du soutien des pairs
les élèves. Sur ce premier niveau, tout enseignant dispose d’outils ou de l’enseignant.
nécessaires à sa discipline. J’ai pu introduire deux éléments : le • Une évaluation des compétences clés peut venir compléter
principe d’interdisciplinarité et celui des situations-épreuves. ce temps de positionnement. Ce repérage peut fortement
En effet, au lieu de proposer une série d’exercices balayant le aider à répondre à des besoins des élèves par le biais d’ateliers
programme, la notion de situation-épreuve repose sur une méthodologiques centrés sur des situations-problèmes1.
histoire, un fil conducteur réaliste, lié à un contexte professionnel
proche du métier visé par les élèves, ou bien à une situation • Au sein d’une formation professionnelle, comme celle du
sociale dans laquelle ils peuvent se retrouver. S’appuyant sur un baccalauréat professionnel, une évaluation concrète des capacités
copositionnement (l’enseignant donne les outils nécessaires pour techniques par des mises en situation en atelier, laboratoire, etc.
aider l’élève à se positionner), une situation-épreuve demande à • La dernière étape constitue en un entretien permettant d’échanger
l’élève pour chaque exercice : au démarrage, s’il se sent capable entre l’enseignant et l’élève sur l’ensemble des résultats de ce
de faire l’exercice (sinon il passe au suivant), s’il souhaite le positionnement et sur les axes de progrès.
faire avec aide (aides méthodologiques fournies en annexe du
positionnement) ou sans aide ; en fin de positionnement, l’élève doit
pouvoir remplir une grille désignant les exercices qu’il pense avoir 1 Cf. les travaux et références sur le site du Cafoc de Nantes.

40 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


3- Des lycées transformés par les diverses prescriptions

pagner durant plus d’un an un groupe


de douze enseignants, constituant le
groupe-ressources de l’académie de
Nantes. Il s’agissait de former, puis de
suivre, en étroite relation avec un ins-
pecteur, chef de projet, des professeurs
de lycées professionnels. Ceux-ci devai-
ent être à même d’intervenir en trinôme
(enseignants de domaines généraux et
professionnels) auprès d’équipes péda-
gogiques de lycées professionnels.
En appui à mon expérience en forma-
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tion continue, j’ai animé une dizaine


de journées de formation sur la notion
de conseil auprès d’une organisation,
sur les définitions de l’individualisa-
tion dans ses trois acceptions et enfin
sur les démarches de positionnement
avec la mise en œuvre de modalités de
remédiations pour des parcours plus ou
moins individualisés.
L’aspect « dynamique » du positionne-
ment s’inscrit dans une démarche struc-
turée et structurante : une posture de
l’enseignant (coévaluateur), un objec-
tif partagé (recherche avec l’élève de ses
besoins et acquis), des outils multiples,
interdisciplinaires impliquant toute une
équipe pédagogique. Pour donner des
exemples, un positionnement sur cer-
taines des compétences clés a permis de
mettre en place des ateliers méthodolo-
giques interclasse de 2des professionnel- à l’examen et l’emploi. Si un travail pes, des élèves plus motivés pouvant
les, centrés sur les besoins des élèves et d’équipe (avec les moyens allant avec), faire augmenter les statistiques de réus-
développant des capacités nécessaires portée par l’équipe de direction, favo- site aux examens et dans l’insertion ne
au « métier d’élève ». D’autres initiati- rise une mutualisation des expériences, peuvent que donner une bonne image
ves existent, comme un module de pré- des ressources, des pratiques, des pos- de l’établissement.
paration au BTS. tures, chacun a à y gagner.
Dans l’intérêt de tous • Les équipes de direction ont des inté- Stéphane Vince
Ces exemples, principes et réalisations rêts doubles : internes et externes. À Formateur consultant - Cafoc de Nantes
pédagogiques illustrent que de toute l’interne, une mobilisation de ses équi-
contrainte (la rénovation de la voie pro-
fessionnelle a été assez largement criti-
quée et rejetée) il est possible de faire
émerger des innovations pédagogiques.
Dans tout système éducatif, le sou-
1 DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) du ministère de l’Éducation natio-
hait est que tous les acteurs mobilisés nale, « Le devenir des bacheliers : parcours après le baccalauréat des élèves entrés en 6e en 1989 » in Notes
retrouvent leurs intérêts : d’Information du ministère de l’Éducation nationale, 06.01, janvier 2006. Disponible en téléchargement sur
le site du ministère.
• Les élèves, au cœur du processus, ont
2 Il a été signé le 23 mai 2008 par le ministère de l’Éducation nationale et trois organisations syndicales.
comme visée leur projet professionnel Disponible en téléchargement sur le site du ministère.
qui passe par une certification et une 3 Les curriculums de formation renvoient aux progressions et alternances de cours favorisant des parcours
professionnalisation au plus proche de formation.
des métiers. Si leurs besoins, mais aussi 4 Jean-Pierre Astolfi (dir.), Éducation et formation : nouvelles questions, nouveaux métiers, ESF, 2003.
leurs acquis, sont pris en compte pour 5 Aletta Grisay, « La pédagogie de maitrise face aux rationalités inégalitaires des systèmes d’enseigne-
ment », in Michael Huberman, Maitriser les processus d’apprentissage. Fondements et perspectives de la
mieux accompagner leur parcours for- pédagogie de maitrise, Delachaux et Niestlé, 1988
matif, tout concourt à une hausse de la 6 Rappelons que ce terme est assez polymorphe : il y a individualisation, au sein d’un groupe, dans le cadre
motivation durant les études. d’une prise en compte des spécificités de l’hétérogénéité du groupe – proposition d’une pédagogie diffé-
renciée ; mais aussi, à travers une individualisation des situations d’apprentissage avec une prise en compte
• Les équipes pédagogiques ne peu- plus personnalisée des acquis, des stratégies d’apprentissage et des projets de l’apprenant. La troisième
vent qu’être remobilisées si des projets acception, qui peut dans les pratiques mobiliser aussi les deux premières, est nommée l’individualisation
des parcours.
d’établissement prennent en compte
7 Pour illustrer, à travers un projet de voyage en voiture, si je sais où je vais, il faut que je sache d’où je pars,
leurs difficultés à mobiliser les élèves et avec quel véhicule, quels moyens, pour prévoir la durée de mon parcours, son cout, les efforts que cela va me
à les mener dans de bonnes conditions demander.

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 41


Dossier Au lycée professionnel

Du socle commun
aux référentiels, quelle
approche par compétences ?
Christian Biabiany, Jean-Michel Zakhartchouk
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Cet article a pour point de départ une formation de trois jours avec
des formateurs, pour la plupart praticiens devant des classes
en enseignement professionnel, en Guadeloupe. Entre référentiels des Du bon usage des référentiels
diplômes et maintenant le socle commun à la sortie du collège, où en est Dans l’exploitation au quotidien des
l’enseignement professionnel en matière d’approche par compétences ? référentiels, l’habitude de travailler avec
des compétences depuis plus de trente

O
ans n’est pas toujours synonyme d’une
n entend beaucoup dire que là une autre façon d’apprendre que la maitrise dans la mise en œuvre bien
l’approche par compétences restitution faite est toujours gage d’une comprise de l’entrée par les compé-
est une pratique déjà usuelle reconnaissance, l’activité reste margina- tences. Des raisons peuvent être avan-
dans l’enseignement professionnel. lisée, le travail « en commun des disci- cées. Les référentiels qui sont dits « de
Des référentiels très précis existent, plines » s’appuie peu sur des objectifs de certification » sont assimilés fréquem-
avec des listings de compétences très renforcement ou d’acquisition de com- ment à des référentiels de formation.
complets. Est-ce à dire que leur mise en pétences ciblées, en multidisciplinarité. Cela conduit par exemple à exprimer
œuvre coule de source ? Plusieurs par- Il y aurait plutôt soit une « mise à dis- pour un élève en début de formation
ticipants à la formation ont affirmé que position » de certaines disciplines d’en- une compétence terminale à acquérir
les choses n’étaient pas si simples. seignement général au profit des aspects qui est de fait trop complexe et la phase
professionnels et techniques, soit l’op- de mise à portée des apprentissages par
Est-on en avance dans l’enseignement
portunité de recherches documentai- la définition de paliers est ignorée. Un
professionnel ?
res intéressantes certes en lien avec le groupe de travail local notait que, trop
D’une part, dans l’enseignement géné- thème retenu, mais menées de façon très souvent, les compétences n’étaient pas
ral, le cours dialogué traditionnel reste « disciplinaire ». Bien sûr les situations notifiées aux élèves ou étaient difficile-
encore largement pratiqué et il y a sou- varient en fonction des finalités des filiè- ment compréhensibles par eux, parfois
vent peu de lien avec le profession- res (production, services) et des équipes en faible cohérence avec les évaluations.
nel. Ce constat peut s’expliquer par le en place, mais cette tendance est là. L’analyse des fiches d’organisation
fait que pour l’enseignement général, D’autre part, dans le domaine profes- pédagogique de séance est révélatrice
l’existence de programmes remplacés sionnel, il y a à travailler sur le lien entre par leurs diverses dénominations, leur
au fur et à mesure par des référentiels les apports théoriques dits « savoirs réelle exploitabilité, leur réelle exploi-
n’a pas permis aux enseignants de tra-
vailler sur les mêmes bases pour met-
tre en place une transversalité. Pour les La construction de référentiels rigoureux pourrait largement
référentiels en termes de compétences, inspirer les programmes du secondaire, quand l’enseignement
le vocabulaire utilisé n’est pas toujours
harmonisé et ne rend pas toujours lisi-
professionnel doit faire la mutation du travail avec des
ble les concepts qui sous-tendent les compétences vers une entrée par les compétences davantage
disciplines. intégrées conceptuellement.
Le travail par projet est fortement mis
en avant dans les textes relatifs à la associés » et les activités pratiques. La tation, la cohérence de leur contenu. Et
rénovation de la voie professionnelle structuration des référentiels montre c’est précisément dans cette dimension
et constitue autant d’opportunités de l’importance donnée dès leur concep- prévisionnelle que peut s’exprimer une
construire ce lien entre enseignements tion à la distinction entre activités, com- grande part de la « liberté pédagogique »
général et professionnel. Force est de pétences et savoirs associés et à leur de l’enseignant qui aura pour s’aider
constater que même si, sur les aspects mise en relation. C’est la stratégie adop- repéré des difficultés décelées ou pro-
techniques, des dispositifs tels les pro- tée par l’enseignant qui doit redonner bables dans l’apprentissage de telle ou
jets pluridisciplinaires à caractère pro- son sens global aux microcompéten- telle compétence.
fessionnel (PPCP) aboutissent, ils sont ces multiples à acquérir, en les organi- Mais la perception de la fonction des
assez souvent portés à bout de bras, sant au sein de tâches professionnelles « savoirs associés » aux compétences
surtout en fin de parcours par l’équipe par ailleurs clairement définies dans ces comme éléments ressources nécessaire
enseignante pour être terminé dans les référentiels qui ont actuellement une à l’acquisition de ces dernières n’est pas
temps. Même si les élèves approchent forte cohérence rédactionnelle. non plus systématiquement intégrée.

42 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


3- Des lycées transformés par les diverses prescriptions

L’entrée par les activités dans les straté- réussite (valable comme utopie mobili- Il est intéressant aussi de travailler sur
gies observées est la plus fréquente, car satrice, pas comme objectif réaliste) que les marges d’erreur acceptables, ce qui
la plus proche de la réalité du métier. bien des domaines du socle commun, amène d’ailleurs à une réflexion sur les
Des éléments de sens contribuent à surtout formulé comme l’est celui-ci, critères d’évaluation en lien avec une
maintenir des décalages entre les dis- ne seront pas atteints par les collégiens, définition taxonomique propre aux
ciplines, par exemple la subdivision et en particulier ceux qui entrent dans référentiels professionnels : les trois
appliquée des capacités en compéten- l’enseignement professionnel. Et les millimètres de marge tolérés dans la
ces, alors qu’il est clairement admis que collègues de la formation ont bien posé confection d’une console Louis XV,
ce sont les compétences qui, pour leur les problèmes : la réussite à 100 % indispensable dans
maitrise, convoquent des capacités. Ou • la formulation des compétences du d’autres cas.
encore une dénomination en tant que socle laisse souvent à désirer et on est L’enseignement professionnel a sans
compétence de simples savoir-faire ou plus souvent dans les connaissances que aucun doute beaucoup à apporter à
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de gestes techniques du métier. dans de vraies compétences, qui sont la la réflexion globale sur la meilleure
Il n’est pas toujours sûr que la démar- mobilisation de celles-ci dans des situa- manière de mettre l’approche par com-
che suivie soit toujours celle définie par tions un tant soit peu complexes ; pétences au service de la réussite de
le groupe de travail académique déjà • le niveau d’exigence à atteindre devrait tous, en évitant dérives et réductions.
cité : présentation des tâches en rela- absolument être travaillé en collège afin On ne peut que souhaiter que de vrais
tion avec la pratique du métier comme que les enseignants de LP sachent bien échanges puissent avoir lieu, avec le
support à l’acquisition de compéten- positionner l’élève, au-delà des « oui/ socle commun comme point d’appui.
ces, savoirs associés abordés comme non » de l’attestation de fin de 3e.
moyens pour résoudre des problèmes, Christian Biabiany
franchir des obstacles. C’est dans ces Jeu et écarts
Inspecteur de l’Éducation nationale dans
éléments de maitrise conceptuelle à Enfin, il est important d’examiner la l’académie de Guadeloupe
minima que se situe l’axe de progrès question de l’écart inévitable, structu-
Jean-Michel Zakhartchouk
majeur pour les enseignements profes- rel, entre travail prescrit et travail réel1.
Les référentiels de compétences ne peu- Formateur
sionnels. L’implication des élèves est
essentielle, et comme en collège, il faut vent être mis en œuvre dans la réalité de
les faire participer à l’intelligibilité des l’entreprise qu’avec souplesse, même
compétences. si le temps de formation en entreprise

On sait bien, malgré les messages sur la nécessité de 100 %


de réussite, que bien des domaines du socle commun ne seront
pas atteints par les collégiens, et en particulier ceux qui entrent
dans l’enseignement professionnel.
Cependant, ces situations quoique sou- avoisine 40 % du temps pour les ensei-
vent imparfaites traduisent néanmoins gnements professionnels. Il existe des
une habitude ancrée du travail à l’aide divergences de finalités entre les deux
de compétences en lycée professionnel lieux de formation : entre un centrage
sur des éléments conceptuels non stabi- sur la production pour l’un et sur les
lisés. Des principes didactiques facilita- apprentissages pour l’autre, les prati-
teurs propres, notamment en STI, sont ques et les équipements différent, par
de nature à permettre la concrétisation exemple pour le respect de la sécurité
de l’entrée par les compétences par la dans certaines entreprises qui n’est pas
prise en compte de l’hétérogénéité (et sans poser problème alors que la forma-
notamment un mode d’évaluation inté- tion insiste sur le strict respect des nor-
gré à l’apprentissage…). Il est cer- mes. Peut-on, par exemple en dépannage
tain que la construction de référentiels chez un client lui interdire l’accès à sa
rigoureux et selon un schéma précis, cuisine si l’on répare la machine à laver
tel que « capacité/ressources/critères au regard du respect d’un périmètre de
d’évaluation/savoirs associés » pour- sécurité ? Il y a sans doute une manière
rait largement inspirer les programmes de présenter ces pratiques aux élèves,
du secondaire, quand l’enseignement afin que, au retour du stage, ils ne déve-
professionnel doit faire la mutation du loppent pas un scepticisme par rapport
travail avec des compétences vers une
à ce qui est enseigné à l’école, qui serait
entrée par les compétences davantage
coupée du réel. Cela passe sans doute
intégrées conceptuellement.
par le débat et par une insistance sur le
Le socle n’est pas fini à seize ans… fait que le réel est toujours complexe et
Là se pose la question de la continuité que bien des choix sont à faire entre plu-
1 Philippe Perrenoud, « L’autonomie au travail :
avec le collège. On sait bien, malgré les sieurs exigences (par exemple entre éco- déviance déloyale, initiative vertueuse ou nouvelle
messages sur la nécessité de 100 % de logie et économie, rapidité et sécurité). norme ? », Cahiers pédagogiques n° 384, mai 2000.

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 43


Dossier Au lycée professionnel

Évaluer en cours de formation


pour mieux apprendre
Coralie Congnet, Ingrid Duplaquet, Cédric Guillen

Comment une épreuve certificative en CCF peut modifier des pratiques


de classe et aider les élèves à s’impliquer davantage dans l’acquisition versales et pouvaient être réutilisées
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de savoirs et de compétences… avec l’aide du CDI. dans d’autres disciplines. Par exem-
ple, la rédaction de leur analyse et de

G
leur bilan, bien que réalisée dans la dis-
rande nouveauté dans la réno- Des approches complémentaires cipline histoire-géographie, a été éva-
vation des CAP de 2003, toutes Si le professeur documentaliste apporte luée en français, car elle relève aussi de
les épreuves sont en contrôle ici son savoir-faire dans la recherche la compétence maitrise de la langue.
en cours de formation (CCF), y compris documentaire, la complémentarité
Un autre de nos objectifs a été de
les enseignements généraux. L’épreuve devient encore plus évidente quand il
développer des attitudes telles que la
d’histoire-géographie consiste en un s’agit de réfléchir au statut et à l’utilisa-
curiosité, l’esprit critique, l’initiative,
oral où « le candidat présente un dos- tion du document. Spontanément, les
l’autonomie, apprendre à travailler en
sier (constitué individuellement ou par élèves ont tendance à choisir des photo-
groupe.
groupe) comprenant trois ou quatre docu- graphies ; sauf qu’elles ne sont souvent
ments de nature variée […] accompagnés qu’illustratives et n’apportent pas un Pour préparer ce CCF, l’oral a été tra-
d’une brève analyse en réponse à une pro- éclairage général. À nous, professeurs, vaillé dans toutes les disciplines, avec
blématique relative à la situation histori- de leur en faire prendre conscience : des critères d’évaluation communs : en
que ou géographique proposée1 ». « Es-tu certain que cette photographie lettres et histoire-géographie, au CDI,
est caractéristique d’une catastrophe en mathématiques, en enseignement
Ces dossiers sont réalisés au préala- professionnel.
naturelle ? » Dans la même démarche, il
ble par les élèves en cours. Ils rédigent
est important de leur montrer qu’en his- Dernier point sur les intérêts de cette
pour chaque document une analyse et
toire et géographie, la carte et le croquis approche de l’évaluation : le CCF favo-
ensuite un bilan final répondant à la
sont des documents incontournables. rise l’individualisation, dans l’intérêt
problématique. Que l’élève puisse choi-
sir la situation étudiée, parmi les thèmes
du programme, favorise sa mobilisation L’une de nos préoccupations a été de leur montrer que
et son intérêt à réaliser ce dossier.
ces compétences étaient transversales et pouvaient être
Une recherche documentaire guidée
Les élèves commencent alors une
réutilisées dans d’autres disciplines.
recherche documentaire sur divers sup-
ports : livre, périodique, site Internet… Se pose ensuite le problème du repérage de l’élève. Le professeur peut choisir
Ils doivent présenter des documents de des sources et des auteurs, avec l’aide d’évaluer ceux qui lui paraissent prêts
natures différentes : texte, carte, pho- des deux enseignants. Nombreux sont et de donner davantage de temps à des
tos, schéma, graphique, tableau de chif- les élèves qui répondent benoitement : élèves plus en difficulté, la limite étant
fres, etc. Une des premières difficultés « La source de ce document est Internet ! » la date finale de fin de cycle.
est bien de choisir ceux qui leur sem- Reste à valider le document : répond-il
blent les plus pertinents pour répondre à la question posée ? La source est-elle Coralie Congnet
à leur problématique. À cette étape la fiable (qualité de la langue, organisme Professeure-documentaliste
collaboration entre le professeur d’his- officiel, date, point de vue) ? L’élève le
toire-géographie et le professeur docu- comprend-il vraiment ? Est-il capable Ingrid Duplaquet, Cédric Guillen
mentaliste est précieuse. de l’expliquer ? Professeurs de lettres-histoire en lycée
à Bagneux (Hauts-de-Seine)
Au départ, cette recherche doit être Diverses compétences travaillées
fortement guidée : mieux vaut présé- La complémentarité des deux ensei-
lectionner les sites, les documentaires, gnants permet aux élèves de développer
les manuels scolaires, voire les docu- diverses compétences, des connaissan-
ments eux-mêmes avec le professeur ces et des attitudes. Après la réalisation Une version longue de cet article,
documentaliste. Un élève en grande montrant comment le dispositif mis au
du dossier, les élèves ont indéniable-
point pour le CCF des CAP a pu ensuite
difficulté peut avoir comme consigne ment acquis des connaissances plus être repris et adapté pour les bac pro,
de choisir parmi huit ou dix documents approfondies. Ils ont renforcé leurs est disponible sur notre site.
les quatre susceptibles de répondre à compétences de lecture, d’écriture et
sa problématique. Un autre plus auto- de recherche documentaire. L’une de
nome pourra avoir une bibliographie, nos préoccupations a été de leur mon-
une sitographie à exploiter. trer que ces compétences étaient trans- 1 BO n° 29 du 17 juillet 2003.

44 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


3- Des lycées transformés par les diverses prescriptions

Comment se fait un travail ?


Catherine Ravelli

La VAE est un temps exceptionnel d’analyse d’une activité


professionnelle. La participation à des jurys donne l’occasion d’écouter expérience passée. En formation ini-
des actifs expliciter leurs compétences professionnelles, et peut inciter tiale, on sanctionne des connaissances
le professeur à inviter ses élèves, voire lui-même, à en faire autant et compétences qui s’exerceront lors de
pour leurs activités scolaires. situations futures. Dans un cas, on anti-
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cipe, dans l’autre, on revient en arrière.


Aux questions « Avez-vous l’occasion de

P
rofesseure de « lettres-histoire », Diplômes/métier vous exprimer oralement dans le cadre de
j’ai participé à plus d’une ving- Les questions en français portaient votre activité professionnelle ? Avec qui ?
taine de jurys de validation des sur la communication, le traitement Dans quel type de circonstances ? Dans
acquis de l’expérience (VAE). Les can- de l’information, loin de l’étude d’un quel but ? », les stagiaires répondaient :
didats briguaient des brevets profes- poème ou de la structure d’un récit, « Oui, on discute… » Mais ce qu’ils consi-
sionnels et des bacs pros. La procédure bref du référentiel utilisé en cours. Les déraient comme banal était en réalité
de la VAE et la fonction d’accompagna- deux candidats avaient répondu par de vrais échanges professionnels, mis
trice de candidats à cette validation ont des énumérations non rédigées, pros- à jour par un repérage précis des rela-
considérablement influencé mes prati- crites en français « discipline scolaire ». tions de travail, un classement équilibré
ques en classe. L’orthographe, ponctuation et présen- des contenus et une appréciation fine
tation défaillantes de ces réponses, sou- des objectifs. Le « décorticage » des pro-
Vertus du « tas » vent hors sujet, ou l’absence fréquente pos tenus lors d’une journée de travail
Hasard. Un collègue chargé de consti- de réponse, m’ont surprise. Ce sera sou- révèle une complexité de communica-
tuer un jury cherchait un « lettres-his- vent le cas. tion méconnue par les locuteurs eux-
toire » pour le lendemain, j’étais là… Il Mais, lors des entretiens avec le jury, les mêmes.
m’a remis d’autorité deux dossiers volu- candidats montrent une compétence Cela a décalé ma conduite de classe : j’ai
mineux : je devais en prendre connais- singulière, développée par l’accompa- essayé de discerner quelles capacités,
sance en détail. gnement. Ils pensent leur activité, car ils compétences, connaissances mes élè-
J’ai ainsi étudié « en immersion » les en ont analysé et mis les tâches en rela- ves utilisaient, hors des exigences dis-
arcanes du dispositif en analysant les tion ; la pertinence et la rigueur de cette ciplinaires. J’ai proposé des exercices
dossiers de candidats au bac pro, sans réflexion font la différence. Certains particuliers, dans le cours ordinaire des
idée préconçue sur la logique à l’œuvre.
Pour chacun, cent-dix pages de ques- Certains passionnent le jury par la compréhension de leur
tions, assorties de consignes couvrant
les champs disciplinaires du diplôme métier, même si les traces de l’enseignement scolaire qu’ils ont
visé. Pour moi, les rubriques français, suivi sont ténues et la langue incorrecte.
histoire, géographie et éducation civi-
que. Je devais estimer aussi les qualités passionnent le jury par la compréhen- séquences ; la réussite à l’exercice était
rédactionnelles de l’ensemble des dos- sion de leur métier, même si les traces là secondaire.
siers. Nécessité d’une lecture approfon- de l’enseignement scolaire qu’ils ont
Ce qu’on ignore savoir
die. Triple objectif : se saisir finement de suivi sont ténues et la langue incorrecte.
Alors, le prof s’interroge : est-il toujours L’un de ces exercices plait beaucoup :
la problématique d’une VAE, en appré- « Qu’est-ce que je réussis quand je loupe ? »
hender la cohérence, évaluer l’adéqua- pertinent de s’arcbouter sur des aspects
du programme, dans une vaine tenta- Il s’agit de reprendre sa plus mauvaise
tion des réponses. copie du mois et d’y débusquer, malgré
Si j’avais à ce moment bénéficié de la tive de remédier à des lacunes ancien-
la note médiocre à l’exercice ponctuel,
nes, au regard de l’âge souvent avancé
formation spécifique que j’ai eue plus tous les savoirs et compétences qui ont
des lycéens professionnels et des objec-
tard, ma lecture aurait été différente, été mobilisés sans être évalués, car ce
tifs de la filière ? Ne devrait-on pas envi-
plus technique, moins globale. Cette n’était pas l’objet du travail demandé.
sager de faire la part du feu, amener nos
formation sur le « tas » a été bénéfique, La note initiale est alors valorisée en
élèves à apprendre à prendre la distance
car je me suis trouvée dans la situation fonction de ce repérage rétrospectif.
réflexive avec leurs pratiques scolaires
d’un candidat : réfléchir à et restituer Une élève, issue de Segpa, ne savait pas
qui leur permettra, non pas de donner
une pratique. J’ai découvert comment lire une carte, s’embrouillait dans les
du sens aux enseignements qu’ils reçoi-
on pouvait repérer dans une expérience vent, ce qui est absurde, mais peut-être points cardinaux. Ses notes déprimaient
ce qui peut se rapporter aux référen- de saisir le sens des apprentissages qu’ils cette jeune fille soigneuse aux efforts
tiels ; la tentative de découpage dis- font, ce qui leur manque souvent ? toujours vains. Nous nous sommes
ciplinaire d’une vie au travail m’est penchées sur les capacités qu’elle utili-
apparue révélatrice de la prégnance du Concret sait pour présenter ses copies, toujours
modèle académique sur une démarche Une VAE évalue connaissances et com- très propres : elle savait se repérer dans
dissemblable. pétences construites au cours d’une l’espace de la feuille – nom à gauche,

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 45


Dossier Au lycée professionnel

date à droite, titre au centre –, hiérar- en construisant le cours, élucidant du jusqu’alors immuablement distribués
chiser des informations – matière, titre mieux que je le pouvais ce que j’étais en dans mes classes : cela m’a conduite à
de l’exercice en plus gros ou de couleur train de faire, devant les élèves groupés fouiller les compétences de mes élèves,
différente, mots importants soulignés autour du bureau. que je ne percevais pas, enfermée dans
dans ses réponses. Quand elle m’a dit Lorsque j’ai apporté ma documentation une logique disciplinaire. Gardant mes
que la date était à l’Est comme le cou- en classe pour qu’ils observent com- exigences de correction orale et écrite,
teau quand on met la table, j’ai d’abord ment un prof prépare sa leçon, concocte j’ai cependant assoupli mon jugement
été interloquée ; en fait, elle venait de des exercices, fabrique ses corrigés, sur l’orthographe, par exemple. Le
faire le lien entre la carte et le territoire mettant à jour une pratique profession- non-respect de certaines règles est ainsi
avec ses mots à elle. Minuscule appren- nelle invisible, ils ont eu deux réactions. passé du statut de faute (qui confine à la
tissage, immense déblocage. Le souci D’abord, ils ont trouvé que cela prenait morale) à celui d’erreur (que l’on peut
esthétique et le respect des conventions du temps, « c’est long Madame… » (ils rectifier), car, comme les candidats à la
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dont elle faisait preuve dans la pré- croyaient que les profs avaient tout, tou- VAE, les lycéens de LP sont en délica-
sentation de ses copies se sont désor- jours, dans la tête, prêt à l’emploi), puis tesse avec la mise en forme écrite de leur
mais appliqués à ses cartes, elle a fini ils se sont étonnés que j’utilise ce qu’ils compréhension et sont toujours sanc-
par s’amuser à déchiffrer des légendes considéraient être des maths (pourcen- tionnés pour cela. Je ne suis que pro-
complexes. tages, règle de trois), du français (lec- fesseur de français-histoire ; les élèves
ture approfondie), de la VSP (éléments en savent plus que moi dans les autres
Que vient-on de faire ? matières, comme les professionnels
d’hygiène, évolution de la consomma-
Trois élèves, habitués de la copie blan- souhaitant valider leur expérience.
tion, etc.), des arts appliqués (le design)
che, sont allés voter aux dernières
de la démographie pour élaborer, ali- L’esprit de la VAE a pu être utilisé en
municipales. On leur a demandé, dans
menter et illustrer une séance d’his- formation initiale, avec des bonheurs
un compte-rendu collectif, de tout
raconter, depuis l’inscription sur les
listes jusqu’aux résultats. Ils ont surpris Lors de l’accompagnement et l’étude des dossiers de VAE,
leurs camarades : aisance orale, malgré j’ai vu ce qui subsiste des enseignements scolaires après des
quelques « vas-y » intempestifs et un
niveau de langue douteux, précisions années, ce qu’il en est utilisé « au boulot », dans la vie sociale.
sur le mode de scrutin et son déroule-
ment, caractérisation et appréciation
des candidats, sélection des informa- toire sur les Trente Glorieuses. C’est le divers peut-être, mais aussi une indé-
tions. À partir du concret de leur expé- détail de ces éléments qui les a surpris, niable fécondité ; ne serait-ce que parce
rience, nous avons, avec toute la classe, le nombre de livres aussi… et toutes les que j’ai pu à cette occasion relativiser un
construit un cours d’ECJS satisfaisant notes que je prenais. Certains m’ont peu l’importance des matières. Mais il
et différent de ceux qui d’ordinaire bar- donné des conseils, parfois judicieux, ne s’agit pas de proposer une expérience
bent plutôt les élèves. ont eu envie d’en faire autant (« J’peux singulière comme représentative, plutôt
essayer M’dam’ ? »), entrainant quelques d’indiquer comment on peut se saisir
Sur ce modèle, j’ai inauguré avec mes autres, puis la classe. J’ai suggéré qu’ils d’une opportunité, peu fréquente pour
classes des « quarts d’heure de débrie- construisent des exercices eux-mêmes un prof, d’enrichir ses pratiques profes-
fing de cours » : échanges où ils rendent par petits groupes, corrigés compris, sionnelles en se frottant à un public iné-
compte succinctement du déroulement les uns pour les autres. Je dois aussi les dit dans un contexte relevant pour lui
de celui-ci pour en faire le bilan, à par- faire pour être notée par eux. Alors ils d’une logique inhabituelle. Cela ne les
tir de trois questions : qu’avons-nous (la sont plus attentifs que pour des travaux a pas changées radicalement, mais les a
classe) fait ? qu’avez-vous (les élèves) « ordinaires », de ceux qui les ont mis enrichies d’une approche nouvelle.
fait ? qu’ai-je (le prof) fait ? J’ai essuyé en échec avant. Il est tout aussi forma-
des volées de bois vert. Mais retisser Ce constat, plutôt positif, doit cepen-
teur de conduire des élèves à poser les dant être modéré par une question que
régulièrement des liens entre l’expé- bonnes questions aux autres pour véri-
rience, scolaire ou sociale, des élèves je me pose encore. Est-ce la démar-
fier la compréhension d’un texte par che elle-même qui attire les élèves ? Ou
et les nécessaires découpages académi- exemple, que d’en attendre de « bon-
ques que sont les matières enseignées a bien, parce qu’ils ont ainsi l’occasion de
nes » réponses. montrer ce qu’ils savent et savent faire
permis un début d’appropriation par
les jeunes d’un temps scolaire qui leur Lycéens et professionnels ? au sein et au-delà des murs et contrain-
est apparu moins étranger. Appréhender ce que deviennent des élè- tes de l’école, le fait qu’ils se sentent
ves devenus adultes m’a permis de me écoutés, valorisés et reconnus ? Car
Nous nous entrainons aussi à analy- finalement, en mettant au jour ce qu’ils
ser toute une journée : ils sont surpris frayer des voies pour « accrocher » des
jeunes aux conduites scolaires parfois font, c’est d’eux-mêmes qu’ils parlent.
de la quantité de capacités, compéten-
ces et connaissances qu’ils utilisent. Ils inadaptées et, dans quelques cas, d’en
retenir certains au bord de la rupture. Catherine Ravelli
se sentent moins « nuls », le disent en ces
termes. Cela permet de progresser « de Lors de l’accompagnement et l’étude Professeure de lettres-histoire
des dossiers de VAE, j’ai vu ce qui sub- en lycée à Paris
se sentir moins nul ». « Hé Madame, on en
sait des trucs enfin ! » Merci Mélanie. siste des enseignements scolaires après
des années, ce qu’il en est utilisé « au
Ensemble boulot », dans sa vie sociale. Estimer
Comme les candidats à laVAE, j’ai tenté ce que l’expérience permet d’acquérir
de révéler comment un travail se fait m’a menée à intervertir parfois les rôles

46 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


3- Des lycées transformés par les diverses prescriptions

À l’aide !
Sylvie Gonthier

Récit d’une heure d’aide avec quelques élèves de LP, une parmi d’autres, avec les mêmes insatisfactions,
les interrogations récurrentes, les minuscules satisfactions qui contribuent aux grandes réussites.

17 h 20 : « C’est l’heure de l’aide ! » L’heure de l’aide indivi- dans les détails de ce qu’il y a à faire. Amandine fait vaguement
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dualisée, de l’accompagnement personnalisé de l’élève, du des recherches. Quatre élèves manquent toujours à l’appel.
soutien… Et puis, un nouvel arrivant… Il a des exercices de comptabi-
Les questions sont les mêmes depuis dix ans, quel que soit le lité à faire, mais me tient à distance : « Je n’ai pas besoin de vous
nom qu’on ait donné à ce dispositif : comment les aider indivi- pour l’instant. » Comme une impression de ne servir à rien…
duellement ? Comment percevoir la ou les difficultés « justes » 17 h 50 : Je vais jusqu’à la vie scolaire, et signale l’absence des
de tel ou tel élève ? Comment vraiment savoir si on est « effi- trois derniers. Ils vont mener l’enquête. Je retourne près des
cient » ? Maintenant ou plus tard ? Quelles démarches adop- aidés. Je reste cinq minutes avec Amandine pour essayer de la
ter ? Faut-il obliger certains à venir ou bien aider celui qui est redynamiser et la guider dans ses recherches.
volontaire ? À quelle heure ? Avec combien d’élèves ? Faut-il
Élodie m’appelle pour la seconde fois. Je vais travailler avec
les aider sur un contenu disciplinaire propre à notre formation
elle. On finalise le repérage, je l’aide à mémoriser. Elle com-
ou apporter une aide méthodologique plus globale ? Faut-il
prendre appui sur les besoins qu’ils expriment, aussi divers prend de mieux en mieux comment apprendre. Notre travail
soient-ils, ou proposer une démarche unique, mais transfé- commun fonctionne… Je sais que ses notes ont augmenté…
rable à tous ? Ça, c’est un signe !
17 h 25 : J’attends huit élèves, désignés et volontaires, en pre- 18 h : deux nouveaux membres arrivent, extirpés de leur
mière année de bac pro trois ans, métiers de la restauration et chambre par un aide-éducateur. Leur énergie à travailler est
de l’hôtellerie. En voilà déjà deux. Je leur demande ce dont nulle, ou quasi. L’expression de leur visage me fait clairement
elles ont besoin. Élodie souhaite mon aide pour repérer l’es- comprendre que « C’est pas la peine, de toute façon, je sais pas
sentiel dans son cours de sciences appliquées, faire le lien entre pourquoi je dois venir… Ça me gonfle ! »
les schémas et la trace écrite qui les accompagne, et l’interro- Donc, j’abandonne Élodie, constate au passage que les affi-
ger pour l’amener à retenir, lui donner des clés, des moyens ches de ciné avancent bien… Et j’argumente, essaie d’amener
mnémotechniques pour qu’elle arrive enfin « à se rappeler ». les arrivants à mesurer le sens, l’intérêt de leur présence ici.
Je sais que, quand je peux me consacrer à ce travail avec elle, ça Progressivement, malgré leur peu d’entrain, je vais leur faire
lui apporte beaucoup et elle progresse. Elle a envie… accepter d’écrire un texte sur eux, ou sur autre chose, selon les
Amandine a des recherches à faire sur des fruits, pour le cours idées qui me traversent l’esprit sur le moment.
de technologie cuisine. Pas très motivée, elle marmonne ce 18 h 10 : L’ensemble est installé, mais on est déjà près de la
qu’elle a à faire, vaguement. Je l’aide à trouver un site Internet fin… Élodie a avancé, mais n’a pas eu le temps d’apprendre
qui pourrait lui apporter des éléments. complètement sa leçon pour demain. Elle est moins angois-
17 h 30, 35 : Deux autres sont arrivés, après une pause clope à sée, mais aurait bien aimé finir. Amandine a fait des recher-
la porte de l’établissement – « obligé, après huit heures de cours ! ». ches… Il faudra que je voie son prof pour en savoir un peu
Ils n’ont rien à faire… Je leur propose alors de réaliser les deux plus. Une affiche de ciné est terminée, l’inventeur est ravi ! Et
prochaines affiches des films qui seront diffusés, dans le cadre moi aussi. Pour le deuxième, ça reste à terminer. « Ça m’a pris
de la soirée cinéma organisée une fois par mois, au lycée. la tête, et puis, en plus, j’ai pas fini… C’est nul. » Pour le devoir
de comptabilité, les exercices ont l’air faits, mais je n’en sais
Nous avions monté ce projet avec une collègue, en début d’an-
pas plus. Et les deux réticents sont finalement lancés à écrire,
née, dans l’espoir de profiter du nouveau dispositif « accom-
avec intérêt, semble-t-il.
pagnement personnalisé de l’élève » pour trouver une autre
voie, travailler autrement en aide, sous la forme de projets. 18 h 15 : ça sonne ; une élève n’est pas venue. La salle se vide,
On voulait se détacher des cours des élèves et travailler sur j’invite Élodie à sortir, elle serait bien restée plus longtemps…
des compétences transversales, en les amenant à créer diffé- Il aurait fallu passer tellement plus de temps avec chacun
rents documents relatifs à la vie du lycée. Mais il y a loin de d’entre eux ! C’est tellement chaotique ! Et difficile de stabi-
la coupe aux lèvres, et le quotidien s’acharne pour nous invi- liser les habitués : demain, pas d’aide pour cause de réunion,
ter à y renoncer. Il faut bien répondre aux demandes explici- conseil de classe ou autres.
tes des élèves : ils veulent de l’aide pour comprendre ce qu’ils Alors, oui, j’aide, bon gré mal gré. Je reste persuadée que mon
ont à faire, apprendre tel ou tel cours. Pour les autres, ceux qui travail leur apporte, même si je ne sais pas sur quel plan pré-
n’ont « rien à faire », on peut trouver un espace pour s’y essayer, cis, dans quel domaine, et malgré les doutes et les contraintes
puisqu’ils n’ont pas le choix d’être ailleurs… Je tente de les et contingences diverses qui nous sont imposées.
convaincre de s’investir dans la réalisation des affiches.
17 h 45 : Les deux nouveaux membres se lancent, entre Sylvie Gonthier
conviction et apathie. Je passe voir Élodie et Amandine, les Professeure de lettres-histoire en lycée professionnel à Château
deux premières. Élodie peine à y voir clair, si je ne la guide pas Chinon (Indre-et-Loire)

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 47


Dossier Au lycée professionnel

Nouvelles prescriptions,
nouvelles pratiques
Corinne Marlot, Nathalie Younès, Guillaume Serres

De quelles évolutions du métier enseignant, l’accompagnement


personnalisé prévu en lycée professionnel est-il porteur ? Si les conditions activités liées à l’accompagnement sup-
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de sa mise en œuvre sont souvent perçues comme problématiques posent un travail en petit groupe. Ces
par les enseignants, il est l’occasion de reconsidérer, entre autres, derniers sont le plus souvent constitués
la gestion de l’hétérogénéité des élèves, des équilibres entre approches à partir de plusieurs classes et réguliè-
collective et individualisée des apprentissages. rement réorganisés en fonction des pro-
grès des élèves. La négociation entre le
professeur et l’élève est un autre élé-

L
’introduction de l’accompa- elle permet de ne pas être envahi par les ment récurent observé dans ces prati-
gnement personnalisé, élément difficultés sociales des élèves » (ibid.). La ques émergentes et concerne l’enjeu de
majeur de cette réforme, est mise en place de l’accompagnement la tâche, sa finalité, le sens que l’élève lui
perçue par les enseignants comme une personnalisé pourrait peut-être per- donne, ou encore le « projet » individuel.
nouvelle atteinte portée à leur contexte mettre au professeur d’expérimenter Ces formes d’échange, on le compren-
de travail (densité des programmes, une « posture » intermédiaire et moins dra, tendent à transformer la relation
contraintes du contrôle en cours de for- radicale, plus en prise avec la réalité des pédagogique en diminuant l’écart entre
mation, effectifs des classes en progres- élèves de lycée professionnel. les deux postures enseignantes : le sau-
sion, difficultés scolaires importantes veur et l’indifférent.
Des modèles pédagogiques différents
des élèves, etc.). Ils ont alors à compo- Au service des élèves ?
Du point de vue pédagogique, il se
ser avec ce que l’ergonomie du travail
trouve que ces deux postures amènent Du point de vue de l’exercice du métier,
enseignant nomme une surprescrip-
à surinvestir des modèles pédagogiques cette survalorisation de l’échange, fait
tion des objectifs et une sous-prescrip-
bien différents qui orientent les prati- que les professeurs ont toutefois l’im-
tion des moyens : un écart conséquent
ques d’accompagnement. Ainsi, la ten- pression de s’éloigner de la logique de
est observé1 entre une multiplication
sion constitutive entre les trois missions mission, à dimension collective, au pro-
des tâches, de plus en plus diversifiées,
du lycée professionnel (instruire, édu- fit « d’une logique de service, à dimension
demandées aux enseignants et la néces-
quer, socialiser) se retrouve exacerbée plus individuelle » (ibid). Toutefois, l’in-
sité d’invention de moyens qui repose
et vient alimenter les débats et contro- troduction de « l’accompagner » n’impli-
entièrement sur ces derniers.
verses au sein de l’équipe pédagogique, que pas d’inventer un nouveau métier
L’accompagnement personnalisé : vers sur la ou les cibles de l’accompagnement ou de renoncer à son métier actuel. Il ne
un renouvèlement des pratiques ?
La culture du professeur de lycée pro-
fessionnel, de par sa formation uni- La tension constitutive entre les trois missions du lycée
versitaire, est de plus en plus éloignée professionnel (instruire, éduquer, socialiser) se retrouve
de celle des élèves. Mais dans le même
temps, on assiste à une certaine « homo- exacerbée et vient alimenter les débats et controverses
logie de condition2 » dans la mesure où au sein de l’équipe pédagogique, sur les cibles
ces professeurs se sentent dévalorisés de l’accompagnement personnalisé.
par rapport à leurs collègues de l’ensei-
gnement général. Ce ressenti pourrait
conduire les professeurs à adopter deux personnalisé.Vaut-il mieux réassurer les s’agit surtout pas de faire de l’accompa-
types de posture. L’une, la posture de savoirs fondamentaux, développer l’ac- gnement un lieu de remotivation des élè-
« sauveur », plus répandue, consisterait quisition de « méthodes » de travail, (re) ves envers les apprentissages scolaires.
à voir le métier comme un « défi » per- « motiver » les élèves, favoriser l’inser- Par ailleurs, l’éclatement du modèle
mettant de « sauver » les élèves, « le lycée tion professionnelle ou plus en amont, « cellulaire » de la classe et la tendance
professionnel devenant alors une école l’orientation… ou bien tout cela à la observée à aller vers des regroupe-
de la deuxième chance » (ibid.), ce qui fois ? Pour répondre à ces formes émer- ments d’élèves où le professeur ne suit
se manifeste par la mise en œuvre de gentes et renouvelées de « l’apprendre » pas forcément « ses » élèves représen-
pratiques pédagogiques « différentes ». et de « l’enseigner », les professeurs de tent en eux-mêmes un véritable « ren-
L’autre posture consisterait à se tenir lycée professionnel doivent donc déve- versement ». Ces pratiques fragilisent
à distance des élèves, dans une certaine lopper de nouvelles compétences. Parmi l’habituelle position « d’autorité » dont
indifférence, de crainte d’être assimilé celles qui pourraient permettre l’ap- le professeur doit se détacher – tout au
à ce public considéré comme en échec. propriation de ces prescriptions, nous moins momentanément – dans ces nou-
Bien souvent cette deuxième posture voyons se dégager surtout les compéten- veaux espaces de travail. Pour autant,
assure une survie professionnelle « car ces communicationnelles. En effet, les les gestes professionnels ne sont pas si

48 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


3- Des lycées transformés par les diverses prescriptions

cloisonnés qu’il semble y paraitre et il professionnel ainsi qu’entre les moda- est tout aussi dommageable qu’un éli-
se pourrait bien que l’éclatement « loca- lités d’organisation. tisme impitoyable.
lisé » de ce modèle « cellulaire » génère Dans la mise en œuvre du dispositif, • Travailler sur le sens des savoirs se
des « ondes de choc » qui se propageront trois niveaux d’accompagnement sont révèle aussi particulièrement impor-
jusque dans le collectif de la classe et plus particulièrement à articuler, cha- tant. « À quoi ça va me servir de travailler
contribueront efficacement au renou- que niveau étant lui-même un lieu d’ar- sur telle ou telle matière ? » Ce type de
veau des pratiques pédagogiques. ticulation de différentes composantes question revient trop souvent pour
Une mission d’équipe dont nous ne mentionnerons que celles qu’on l’évacue. L’accompagnement
qui nous apparaissent tout particulière- personnalisé devrait permettre un tra-
Enfin, au niveau organisationnel, le
ment déterminantes. vail s’ouvrant à la question du sens de
temps institutionnel accordé aux per- l’apprentissage.
sonnels pour mener à bien leur mission Le niveau d’accompagnement des proces-
sus d’apprentissage • Travailler à la fois sur les contenus et
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d’accompagnement personnalisé reste


un véritable point d’achoppement. Il Agir sur les processus d’apprentissage, sur les méthodes. Devant le constat que
apparait, à l’issue de nos observations, c’est travailler à la fois sur la motiva- les élèves manquent de méthode, il est
que plus on « personnalise » l’enseigne- tion et sur la structuration des appren- tentant de mettre en place des accom-
ment, plus il est nécessaire qu’existe tissages. Plusieurs articulations sont pagnements méthodologiques. Ce que
un collectif, une équipe pédagogique cruciales. nous soulignons ici est l’importance de
ne pas isoler le travail sur les méthodes
en tant qu’instance d’harmonisation. • Avoir confiance dans les possibilités
en le réservant par exemple à des séan-
Or, en ce qui concerne la coordination, de l’élève et susciter ou restaurer cette
ces faites uniquement pour ça et uni-
c’est au mieux les professeurs princi- confiance en soi est un facteur parti-
quement là.
• Structurer les apprentissages. Les
Il est très important de ne pas reléguer l’accompagnement activités intellectuelles que sont l’at-
tention, la mémorisation, l’association,
personnalisé seulement dans des moments dédiés séparés la structuration, la systématisation
du reste de la semaine ce qui le conduirait finalement à rester sont constitutives des apprentissages
périphérique. et ne doivent pas être négligées au pré-
texte de rendre les élèves actifs et d’éla-
borer des projets s’appuyant sur leurs
paux qui sont en charge de « recueillir » culièrement déterminant. On connait centres d’intérêt. Il convient donc de
de manière plus ou moins informelle les bien l’impact délétère du pessimisme se demander si les situations pédago-
« avis » de leurs collègues ; et c’est parfois dans les prédictions des résultats des giques mises en place ne minorent pas
le proviseur adjoint qui organise tout le élèves. Avoir confiance dans le potentiel certaines situations fondamentales dans
suivi. Il apparait donc que pour l’ins- de l’élève sans baisser ses exigences est les apprentissages : découverte, struc-
tant, la dimension organisationnelle fondamental, car l’absence d’exigence turation, mémorisation, entrainement,
l’emporte sur les choix pédagogiques.
Trois niveaux d’accompagnement
à articuler
Cette dernière remarque nous conduit
à interroger l’articulation entre ces
deux dimensions : organisationnelles et
pédagogiques. La gageüre de s’adresser
à tous les élèves (à la fois aux élèves les
plus en difficulté et aux élèves les plus
en réussite comme aux intermédiai-
res) nécessite en effet un engagement
collectif de l’équipe pédagogique pour
gagner en cohérence et construire des
dispositifs intégrés. Il est très impor-
tant de ne pas reléguer l’accompagne-
ment personnalisé seulement dans des
moments dédiés séparés du reste de la
semaine ce qui le conduirait finalement
à rester périphérique. Il est au contraire
nécessaire de penser ce dispositif en
lien avec les autres situations de forma-
tion. Tout l’enjeu va résider là dans la
mise en cohérence des choses. Car l’ar-
ticulation est centrale dans de tels dis-
positifs : l’articulation entre le système
scolaire et les aspirations de l’élève, l’ar-
ticulation entre les matières et entre les
enseignants, entre le lycée et le monde

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 49


Dossier Au lycée professionnel

approfondissement, réinvestissement. de la personnalisation mise en œuvre accord avec les travaux de Françoise
Le niveau d’accompagnement des par- dans les temps réservés à l’accompagne- Lantheaume3, ces « zones de turbu-
cours de formation ment personnalisé, quelles en sont les lence » témoignent plutôt d’un présent
modalités d’organisation. Ceci ne peut agité, plein de ses tentatives d’ajuste-
L’optimisation d’une stratégie dans les
que conduire à envisager la différencia- ments et d’intégration, tout à l’honneur
parcours de formation est également un
tion mise en œuvre dans les supports de l’ingéniosité des équipes en place.
levier essentiel dans l’implication et la
d’apprentissage et le choix effectué
réussite scolaires. L’accompagnement
d’organiser des groupes homogènes ou Corinne Marlot, Nathalie Younès,
personnalisé devrait favoriser une
hétérogènes. Guillaume Serres
meilleure connaissance des acquis et
des besoins de chaque élève pour mieux Quoi qu’il en soit, bien que ce bilan Laboratoire PAEDI (IUFM d’Auvergne –
d’étape soit quelque peu mitigé et université Blaise Pascal)
leur permettre de s’inscrire dans une
progression commune. Deux pistes : même, surtout parce qu’il l’est, il nous
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semble que ces différentes observations


• Articuler les dispositifs d’évaluation Nous publions une version complète de
ne présagent en rien ni du bienfondé
des compétences avec l’engagement de cet article dans le hors-série numérique
ni de l’échec programmé de la mise en
l’élève. Aider et accompagner les élèves, dans et
place de ces dispositifs d’accompagne- hors l’école.
• Articuler les dispositifs d’évaluation ment personnalisé. À notre sens, et en
aux dispositifs d’accompagnement per-
sonnalisé (adaptation/orientation).
1 Le laboratoire PAEDI (IUFM d’Auvergne – université Blaise Pascal) a été sollicité par le rectorat de l’aca-
Le niveau de l’organisation pédagogique démie de Clermont-Ferrand pour mettre en œuvre un dispositif de formation continue, relatif à la mise en
D’ores et déjà les enseignants sont ame- place de l’accompagnement personnalisé en lycée professionnel. Cette contribution s’appuie sur une étude
exploratoire conduite dans plusieurs LP du Puy-de-Dôme.
nés à prendre en compte la diversité des
2 Aziz Jellab, « Les enseignants de lycée professionnel et leurs pratiques pédagogiques : entre lutte contre
élèves dans la classe traditionnelle. Il l’échec scolaire et mobilisation des élèves. » Revue française de sociologie, 2005.
nous faut nous demander, et c’est une 3 Françoise Lantheaume, Les enseignants de lycée professionnel face aux réformes : Tensions et ajustements
des difficultés, quelle est la spécificité dans le travail, INRP, 2008.

Accompagnement personnalisé,
nouveaux programmes : ce que
ça change dans le métier
Ces textes sont extraits d’un ensemble de témoignages recueillis par Alexis Lucas auprès d’enseignants
de lettres-histoire et d’une proviseure de l’académie de Lille, avec la collaboration de Cyrille Larat, IEN EG
histoire-géographie.
Comment la rénovation de la voie professionnelle s’est-elle traduite dans les pratiques des établissements,
des classes ? Quels rôles jouent les nouveaux dispositifs d’accompagnement personnalisé pour lutter contre
l’échec scolaire ? Quelles modifications des démarches de cours et de la posture enseignante induit
l’introduction des objets d’étude ?

Accompagnement personnalisé : Cette interrogation a suscité dans nos équipes une réflexion
pédagogique générale ainsi qu’un réel investissement dans
l’affaire de tous la lutte contre l’absentéisme. Le conseil pédagogique et des
Sophie Borgès réunions d’étape sur le dispositif sont devenus des moments
incontournables pour alimenter la réflexion. Le dispositif se

S
ur le terrain, les acteurs se trouvent confrontés à un construit pas à pas, en alternant expérimentations, réflexions,
écueil : risquer de faire de l’accompagnement person- bilans prospectifs et mutualisations. L’implication de diffé-
nalisé une réplique de l’accompagnement individualisé rents acteurs de la communauté éducative permet des regards
qui, rappelons-le, n’a guère donné de résultats, en termes de croisés très pertinents sur les élèves. Deux difficultés majeu-
décrochage comme de motivation disciplinaire. Comment en res pourtant : les aspects techniques et organisationnels, et
faire un dispositif innovant et performant ? l’évaluation.

50 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


3- Des lycées transformés par les diverses prescriptions

Une évaluation délicate concernés et les répartirait dans différents groupes de projet.
Comment élaborer des indicateurs pertinents d’évaluation ? Mais le dispositif se heurta à la question de l’emploi du temps
Ainsi pour cette élève, qui apprend à articuler correctement décalé des différents intervenants comme l’infirmière ou le
en accompagnement personnalisé. Les enseignants consta- conseiller d’orientation, pour gérer à la demande des besoins
tent qu’elle commence à prendre conscience de son problème, successifs. La souplesse du dispositif se révéla lourde à gérer.
mais ce progrès sera-t-il suffisant pour qu’elle réussisse ses Nous espérons que l’année prochaine le choix d’un horaire
oraux de langue vivante au bac pro ? Le dispositif nécessite commun à tout l’établissement facilite le travail de répartition
une personnalisation des objectifs à atteindre et des indica- et donc de suivi des élèves.
teurs d’évaluation à mettre en place. Ce type d’évaluation se Notre bilan en quelques points. Des avantages certains :
mesure qualitativement, et il nous est bien ardu aujourd’hui • la prise de conscience d’un fonctionnement des disposi-
de quantifier l’apport de l’accompagnement personnalisé par tifs d’aide antérieurs centré sur l’échec, et de la nécessité de
les seuls indicateurs de l’Éducation nationale. créer des groupes d’approfondissement pour dynamiser les
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Des pratiques questionnées meilleurs élèves ;


Qu’apporte l’accompagnement personnalisé aux membres • l’obligation de travailler véritablement en équipe pour
de la communauté éducative et pédagogique ? Sa mise en mener à bien le dispositif.
place, au simple niveau organisationnel, a favorisé le travail Mais aussi, tout de même, des difficultés :
en équipe entre enseignants, direction et inspection. Le chef • Il faut effectuer un vrai suivi des élèves avec objectifs et grille
d’établissement doit jouer pleinement son rôle de respon- de progression pour être efficace.
sable pédagogique dans cette réforme. La réflexion de fond
pour faire de l’accompagnement personnalisé un levier per- • Il faut ménager des temps de concertation réguliers pour le
formant de réussite a également permis de questionner les suivi des réussites et des écueils.
pratiques de tous : • Il faut une concertation et donc un cadrage à l’échelle de
• Les pratiques pédagogiques : les enseignants s’investissent l’établissement.
dans le travail par compétences et doivent s’impliquer dans la
démarche de travail en projet. Alexis Lucas
• Les pratiques d’encadrement : la direction doit ajuster et Professeur de lettres-histoire en lycée professionnel à Roubaix
(Nord)
réajuster son mode de pilotage, à partir d’une démarche col-
laborative de recherche d’indicateurs d’évaluation innovants
et pertinents. Il serait intéressant que ce nouveau dispositif
puisse devenir pour la direction un levier de valorisation des Nouveaux programmes :
porteurs de projets.
• Les pratiques disciplinaires : les inspecteurs mènent une
un soutien à l’ouverture culturelle
réflexion transversale et interdisciplinaire. Aline Chudy

M
• Les pratiques socioéducatives pour les personnes ressources on avis sur ces nouveaux programmes est très posi-
extérieures (assistante sociale, infirmière, conseiller d’orienta- tif. J’ai le sentiment d’ouvrir l’esprit de mes élèves.
tion psychologue) qui interviennent dans l’accompagnement Même si j’ai toujours proposé des textes d’auteurs,
et qui sont associées pleinement à la réflexion pédagogique la démarche est différente et l’élève devient acteur de son par-
des équipes. cours, il construit sa pensée, sa réflexion. Dans l’ancien pro-
gramme, nos séquences et séances s’articulaient davantage
Sophie Borgès autour de notions alors qu’aujourd’hui, nous amenons l’élève
Proviseure adjointe en lycée professionnel à Roubaix (Nord) à réfléchir autour de problématiques. Je suis persuadée qu’il
sera marqué dans sa vie d’adulte par l’étude de ces textes.
Approcher des arts méconnus
Accompagnement personnalisé : Nous proposons aussi davantage d’œuvres picturales, ce qui
enrichit leurs connaissances générales et leur permet d’ac-
pas seulement de l’aide… quérir une maturité dans leur rapport à l’art. La littérature et
Alexis Lucas la peinture leur sont devenues accessibles, voire familières.

D
Lors d’une séquence « des gouts et des couleurs, discu-
ans notre lycée, l’accompagnement personnalisé a tons-en », nous avons travaillé autour de tableaux de Picasso
été l’occasion de repenser le soutien scolaire et la dif- et Magritte, et les élèves ont eu une réaction réfractaire.
férenciation, là où nous le percevions initialement Progressivement, je leur ai appris à regarder autrement, à com-
comme une simple variante des modules de soutien de 2de, ou prendre ce que les œuvres dégagent, l’intention du peintre.
d’un nouvel avatar du PPCP. Lors d’une séquence suivante, d’autres tableaux étaient pro-
Si l’accompagnement personnalisé s’adresse à tous les élè- posés (Courbet, Monnet, Manet…), et leurs réactions avaient
ves, cela n’implique pas, comme nous avons fini par l’admet- déjà évolué : ils ont tout de suite évoqué ce qu’ils ressentaient,
tre, que le dispositif soit obligatoire. Tous les élèves n’ont pas ce qu’ils comprenaient, même s’ils n’appréciaient pas.
nécessairement besoin d’en bénéficier, du moins en même Voici ce qu’en dit Thomas : « J’aime mieux le nouveau pro-
temps, et selon un horaire de cours hebdomadaire immua- gramme parce que c’est vraiment différent du collège, on réfléchit
ble. En effet, comment personnaliser une relation si ce n’est sur les textes, on peut proposer d’autres idées que celles du profes-
en petit comité et en fonction d’un projet précis ? seur et des autres élèves. En plus, je fais les mêmes choses que ma
Il fut convenu que l’enseignant déterminerait les élèves sœur qui est en 2de générale. Mais j’ai eu du mal en histoire-géo-

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 51


Dossier Au lycée professionnel

graphie, repartir loin dans le temps, ça m’a perturbé et je n’ai plus Pour ma collègue de secrétariat et moi-même, une des pistes
l’habitude d’apprendre par cœur, et il a bien fallu. » à explorer était celle de la mise en cohérence des savoirs par
De l’intérêt de l’accompagnement personnalisé l’interdisciplinarité. Celle-ci a pris la forme de choix de thé-
matiques communes avec des temps forts autour de séances
Il est vrai que le programme de 2de fait redécouvrir aux élè-
animées par les deux enseignants.
ves, entre autres, la Renaissance, alors que nous ne traitions
auparavant que l’histoire contemporaine. Les repères dans Ainsi, l’organisation du procès de Thérèse Raquin et de son
le temps étaient très confus : ils m’ont demandé si j’avais complice Laurent a permis d’étudier le parcours de ces per-
connu Léonard de Vinci ! En accompagnement personna- sonnages réalistes (programme de français) tout en traitant
lisé, j’ai demandé à quelques-uns de réaliser une frise chro- une partie du programme d’économie-droit (l’organisation
nologique afin de visualiser les différentes périodes de notre judiciaire) et en travaillant des compétences transversales :
programme. l’oral, l’argumentation, le compte-rendu.
D’autres fois, c’est la forme de restitution du travail de fran-
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Grâce à l’accompagnement personnalisé, Thomas, comme


d’autres, a repris confiance en lui, il a abordé ses difficultés de çais ou d’histoire-géographie qui permettait de travailler des
compétences de communication-organisation (courrier à
compréhension et de mémorisation différemment. En début
entête, affiche, traitement de texte, tableur, prise de note, res-
d’année, il a fallu pour quelques-uns apprendre à appren-
titution orale d’un travail de groupe). L’idée commence ainsi
dre, apprendre à s’organiser, gérer son cahier de textes ; pour
à émerger que des travaux de français ou d’histoire-géogra-
d’autres, apprendre à s’exprimer, à prendre la parole devant
phie pourraient intégrer le portfolio numérique des élèves de
un groupe ; pour d’autres encore, organiser une recherche sur secrétariat.
un thème. Chacun fait en fonction de ses besoins et de ses
aptitudes Ce décloisonnement partiel des disciplines a permis de moti-
ver les élèves par une plus grande cohérence de la formation
Les Tice pour individualiser les apprentissages et de l’équipe enseignante, de faire acquérir des méthodes de
Le projet de la classe est « classe pupitre » : cela consiste à tra- travail et du savoir-être, gain de temps pour chaque discipline.
vailler en salle informatique. Chaque élève travaille sur un Au final, si un quart à un tiers des élèves reste en échec, l’an-
poste. Cela permet d’être attractif, de développer l’oral, d’of- née dernière, c’est la moitié de la section n’avait pas atteint la
frir un parcours différencié aux uns et aux autres. terminale BEP.
Nous avons lu des textes deVictor Hugo, Balzac, Stendhal où
chacun décrivait un personnage principal : Cosette, Raphaël, Jérémie Crépel
Vautrin, Julien Sorel ; puis, à la manière de ces auteurs, mes Professeur de lettres-histoire en LP à Tourcoing (Nord)
élèves ont rédigé un texte sur un personnage en s’inspirant
d’un tableau. Yacine a des difficultés, il a réalisé cinq lignes
avec de nombreuses erreurs, Johan a rédigé vingt lignes.
Gwendoline emploie souvent les mêmes mots et expressions
et est très lacunaire. Peu importe, ils retravailleront leur pro-
duction en fonction de leurs aptitudes et j’apporterai des
remarques grammaticales, lexicales, en fonction des amélio-
rations à apporter. Chacun aura un peu de cours et quelques
exercices en fonction de cela. Yacine révisera le passé composé
à partir d’une feuille de cours et d’exercices « envoyée sur son
poste », Johan révisera le passé simple et Gwendoline repren-
dra son texte à l’aide du dictionnaire des synonymes et d’un
complément de cours sur les substituts nominaux. Chacun
avance à son rythme et ressort de la classe en sachant plus. Ils
ne se sentent pas en situation d’échec.
Lorsque je vois mes élèves « heureux », cela me conforte
dans ma mission… N’oublions pas qu’ils sont au cœur de la
réforme.

Aline Chudy
Professeure de lettres-histoire au LP à Hénin-Beaumont (Pas-de-
Calais)

Nouveaux programmes :
la piste de l’interdisciplinarité
Jérémie Crépel

F
ace à des programmes au contenu plus ambitieux, alors
qu’une bonne partie de nos élèves ne sont pas diffé-
rents et que le temps imparti reste court, un des soucis
majeurs reste la lutte contre le décrochage.

52 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


Conclusion

Plaidoyer pour une institution


en mutation
Aziz Jellab

Aziz Jellab a bien voulu réagir à l’ensemble des contributions.


Il nous propose un regard d’ensemble sur le lycée professionnel
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au prisme de la sociologie, et, à partir de notre dossier,


élèves qui le rejoignent sont rarement
porteurs d’un projet professionnel pré-
de celui de l’innovation pédagogique, qui semble à la fois indispensable
cis et s’interroger sur les transforma-
et bien vivace dans ces établissements.
tions affectant le travail des enseignants
dès lors que le LP cesse d’être l’école

« J
des ouvriers et que ses missions por-
e pense qu’on n’est pas toujours moins le mérite d’attirer l’attention sur tent sur la socialisation des jeunesses
efficace avec les élèves, surtout cet ordre d’enseignement largement populaires articulée aux apprentissa-
quand on pense leur faire cours en méconnu, alors qu’il accueille plus de ges scolaires et professionnels. Nous ne
vue de les mettre en pratique après, ils sont 700 000 élèves, et dont seuls les aspects pourrons pas développer ces différents
vite écœurés, ça n’a pas d’intérêt, alors que les plus spectaculaires font la une des points dans le cadre de cet article. Notre
si on fait de la pratique d’abord, ils vont médias (violences, incivilités, drames propos porte sur quelques éléments
trouver de l’intérêt… En menuiserie, on divers). Cette réforme n’est pas sans sus- participants de l’évolution du LP et de
dit qu’ils ne savent pas faire des divisions, citer des interrogations qui sont autant ses missions. Nous nous pencherons
mais si on donne aux élèves un établi et des de questionnements devant des problè- par la suite sur les innovations pédago-
mesures à faire, ils y arrivent, c’est pas un mes plus ou moins nouveaux, et la lec- giques à l’aune de nos observations et
problème d’intelligence, c’est un problème ture des différentes contributions dans des contributions dans ce numéro des
de façon d’enseigner… Beaucoup d’élèves ce numéro en donne toute la mesure. Cahiers pédagogiques.
ont réussi en LP grâce à une autre pédago- C’est qu’une tension majeure guette les
gie. » (H, 54 ans, chef de travaux, ancien lycées professionnels, les enseignants Le LP, suite du collège ou début
PLP d’électrotechnique). et les élèves en particulier : la distance du parcours professionnel ?
Par sa position spécifique dans le pay- qui s’installe entre la nature des savoirs, Le LP ne s’identifie pas à « l’école »
sage scolaire et celui de la formation en devenus plus théoriques et disons-le, comme univers dont les savoirs valent
général, le lycée professionnel constitue conduisant à scolariser un peu plus les d’abord en eux-mêmes, à l’instar de
un analyseur d’un ensemble d’enjeux savoirs professionnels, et un public sco- la forme scolaire1. Le LP est aussi – et
tels que la démocratisation du système laire réfractaire à la forme scolaire, ayant d’abord pour de nombreux élèves – ce
scolaire, les modes de construction des largement intériorisé le fait que le LP lieu où l’on apprend un métier, un savoir-
savoirs à enseigner, les rapports entre la
formation et l’emploi. Il permet égale-
ment d’interroger cette réalité particu- Cette réforme n’est pas sans susciter des interrogations qui sont
lière qui veut que l’institution produise autant de questionnements devant des problèmes plus ou moins
de l’échec scolaire et, en même temps,
définisse un espace de pratiques visant nouveaux, et la lecture des différentes contributions dans
à y remédier. Mais une remarque préa- ce numéro en donne toute la mesure.
lable s’impose : le terme « lycée profes-
sionnel » couvre en réalité des univers
scolaires extrêmement variés auxquels est un lieu d’apprentissage du métier, faire, et le propos de Loïc, « ce qui est bien
correspondent des expériences d’élè- où l’on se forme à devenir ouvrier ou au LP, c’est les stages qu’on fait en entre-
ves et d’enseignants non moins com- employé. Quelles missions revien- prise », n’est pas anodin. Pour autant, et
plexes. C’est par commodité théorique nent aujourd’hui au LP ? En quoi cette c’est là un écueil auquel le collège contri-
que nous utilisons le terme « lycée pro- réforme transforme-t-elle le travail des bue largement, les savoirs enseignés au
fessionnel » au singulier, tout en admet- enseignants dont la part des sortants LP sont loin d’être des savoirs « prati-
tant qu’au sein de la diversité des de l’enseignement supérieur est appe- ques » ou « manuels ». L’élève entrant
établissements, nous retrouvions de lée à croitre avec la « masterisation » du au LP réalise qu’une part importante
nombreuses régularités dessinant socio- recrutement et de la formation ? Pour du temps scolaire est consacrée à des
logiquement les spécificités de cet ordre saisir les enjeux contribuant à façon- savoirs théoriques et technologiques
d’enseignement. ner tout autant l’expérience scolaire des qui éloignent de l’image du métier,
élèves que le travail des enseignants et d’un rapport « pragmatique » à la prati-
Une réforme du lycée professionnel des équipes éducatives au quotidien, que professionnelle. Comment rendre
porteuse d’interrogations il faut faire un petit rappel historique, compte de la réussite des élèves de LP ?
La réforme du LP – qui est plus une souligner par la suite que le LP ne sau- Est-ce seulement affaire de « déclic »
rénovation –, dite également « baccalau- rait être un univers aux configurations comme ils aiment à le dire, affaire de
réat professionnel en trois ans », a eu au homogènes, insister sur le fait que les transition d’un âge adolescent à un âge

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 53


Dossier Au lycée professionnel

plus « adulte » où l’on se sent par un ciens professionnels provenant de diffé- Des missions en mutation
effet magique devenir « responsable », à rents secteurs. Ce recrutement faisant la La « rénovation de la voie profession-
mesure que l’on se rapproche de l’entrée part belle à la qualification scolaire – et nelle » scelle aussi le sort du CAP. Le
dans la vie active ? Est-ce là un effet de appelé à être renforcé par la « masterisa- LP voit alors se renforcer la hiérarchie
maturation que le LP est censé favoriser tion » de la formation – favorise une dis- entre deux diplômes couvrant deux
via des pratiques pédagogiques spécifi- tance sociale – et culturelle – entre des publics, entre un baccalauréat profes-
ques ? N’est-ce pas plutôt une affaire de PLP issus des classes moyennes et leurs sionnel, appelé à devenir propédeuti-
savoirs dont la maitrise permet à des élè- élèves à l’origine sociale plus populaire. que au BTS, et un CAP dont on peine
ves de se re-construire, de réussir là où Cela renforce les malentendus et met à à voir s’il correspond à une qualification
ils ont échoué au collège ? Sur ce point, l’épreuve des enseignants qui ne peu- professionnelle ou à un diplôme per-
une première recherche2 a permis de vent plus s’appuyer sur des références mettant d’atteindre l’objectif de quali-
voir comment la réussite dans l’ensei- culturelles et symboliques afin de mobi- fier 100 % d’une classe d’âge au niveau
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gnement professionnel permettait à liser leurs élèves. La tâche peut paraitre V. Certes, certains CAP conservent une
des élèves de se mobiliser sur l’ensei- difficile sous le double effet de la scolari- image prestigieuse (dans les métiers de
gnement général, et donnait à voir que sation des savoirs (devenus plus techni- l’esthétique, de la coiffure et de la res-
leur échec au collège ne les condamnait ques et moins professionnels, répondant tauration notamment), mais ils restent
pas à intérioriser durablement le senti- davantage à une logique de « compéten- minoritaires par rapport aux spéciali-
ment d’être incapable de comprendre, et ces » qu’à une « culture du métier ») et du tés les plus répandues et qui accueillent
de ne point être à la hauteur de la com- déclin de la classe ouvrière, qui a long- essentiellement des élèves issus de l’en-
pétition scolaire. Et c’est en observant temps servi d’appui aux pratiques péda- seignement spécialisé ou adapté (Segpa,
les pratiques pédagogiques des profes- gogiques des anciens PLP. 3e d’insertion).
seurs de lycée professionnel (PLP) que
l’on réalise qu’une bonne partie de leur
travail consiste à tenter d’aider les élè- La distance entre les élèves et les référentiels de formation
ves à lutter contre le sentiment d’échec oblige les PLP à davantage d’innovation pédagogique,
en mettant en œuvre d’autres manières
d’enseigner, d’autres conditions suscep- y compris dans l’enseignement technologique et professionnel.
tibles de faciliter les apprentissages3.
Un public nouveau Le travail des PLP visant à mobili- C’est dans ce contexte en mutation que
Les changements affectant le LP ser leurs élèves oblige à de l’innova- les missions des LP changent de nature :
concernent désormais tout autant son tion permanente, une innovation qui il est certes question de qualifier profes-
public, ses enseignants, ses structu- devient synonyme de créativité et d’in- sionnellement et scolairement les élèves,
res et ses missions. Comme dans les vention de son travail au quotidien mais il s’agit aussi de les « réhabiliter » en
anciennes générations, les élèves restent dès lors que le changement concerne accompagnant la maturation d’adoles-
les structures du LP. La réforme du cents à la fois plus jeunes et plus âgés
majoritairement issus de milieux popu-
« bac pro trois ans » redore l’image du que les anciennes générations : ils sont
laires, ont connu des difficultés scolai-
LP puisqu’elle « aligne » la voie profes- plus jeunes, car le redoublement au col-
res au collège, et entretiennent avec les
sionnelle sur la voie générale (en nom- lège enregistre une baisse, et la réforme
savoirs scolaires des rapports tendus et
bre d’années nécessaires à l’obtention alignant le baccalauréat professionnel
parfois « désimpliqués ». Mais les élèves
du baccalauréat4). Mais cela risque sur trois années augure d’une baisse du
qui intègrent aujourd’hui le LP sont taux de redoublement en classe de 3e ;
ceux qui, auparavant, ne poursuivaient de se payer par des abandons d’élèves
plus importants en cours de formation. ils sont plus âgés, car la préparation du
pas d’études à l’issue du collège. C’est baccalauréat professionnel amène à une
là le changement majeur qui affecte le L’argument ministériel, à savoir que
cette rénovation de la voie profession- survie en LP plus longue pour un nom-
LP et en renforce les tensions, car les bre plus important d’élèves (rappe-
élèves qui le rejoignaient initialement nelle vise à réduire le nombre de jeunes
quittant le système scolaire sans quali- lons que seuls 40 % des élèves titulaires
s’orientent, désormais, vers les séries d’un BEP poursuivaient des études en
technologiques du lycée. Ainsi, et avec fication, ne semble guère convaincant.
Et si l’on peut effectivement observer bac pro).
la scolarisation des savoirs enseignés
au LP, la distance entre les élèves et les que près de 64 % des bacheliers pro- Si nous voulions qualifier schématique-
référentiels de formation oblige les PLP fessionnels occupent un emploi sept ment la mutation princeps du LP, nous
mois après leur sortie scolaire, contre dirions qu’auparavant, on intégrait cet
à davantage d’innovation pédagogique,
43 % pour les titulaires d’un BEP, cela ordre d’enseignement parce que l’on
y compris dans l’enseignement techno-
ne permet pas de faire l’économie d’une était issu de milieux ouvriers, tandis
logique et professionnel.
réflexion sur l’accroissement de la part qu’aujourd’hui, on s’y oriente parce que
Des enseignants contraints à innover ? des élèves quittant le LP sans qualifi- l’on est en échec au collège ! (Rappelons
De leur côté, les enseignants de LP cation ou sans diplôme. Cela pèse sur que la part des formations industrielles
connaissent une évolution qui tient au le travail des enseignants, et, au gré de ne couvre que 45 % de l’ensemble des
mode de recrutement : celui-ci continue nombreuses observations de terrain, il spécialités proposées, les formations
à privilégier la qualification scolaire et à apparait que ce sont davantage les stra- tertiaires accueillant la majorité des élè-
minorer les compétences pédagogiques, tégies mises en œuvre pour accueillir et ves, avec un accroissement sensible de la
compétences dont on supposait « l’évi- mobiliser les élèves sur des savoirs plus part des garçons.)
dence » chez les anciennes générations théoriques qui deviennent un élément L’identité du LP et ses missions s’en
de PLP, recrutés en partie parmi d’an- déterminant. trouvent infléchies. Lieu d’une matura-

54 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


Conclusion

tion juvénile – y compris par les appren- institutionnelles peinent à identifier giques. Elles mettent aussi en évidence
tissages scolaires et professionnels –, les démarches pédagogiques et didac- la multiplicité des dispositifs d’aide et
le LP apparait comme un contexte tiques les plus efficaces. Les différents d’accompagnement des élèves ainsi
conservant une autonomie relative à textes proposés ici par des enseignants, que les doutes qui les entourent quant
l’égard des injonctions institution- des chefs d’établissement, des cher- à leur efficacité. Sans revenir sur tou-
nelles. La scolarisation des savoirs, le cheurs et des formateurs témoignent tes les contributions dont les lecteurs
caractère, aux dires des PLP, ambitieux non seulement de la vivacité de l’inno- apprécieront la qualité et l’audace (il en
des référentiels, sont contrebalancés vation pédagogique, mais aussi d’une faut, car innover, c’est aussi prendre des
par la nécessité de construire un espace inventivité qui va de pair avec une pos- risques), nous pointons l’originalité de
de socialisation dans lequel la qualité ture constamment réflexive et qui ne certaines d’entre elles et les retombées
des relations avec les enseignants et les sacrifie ni à l’autosatisfaction, ni au possibles sur la réussite scolaire.
personnels d’éducation parait consti- pessimisme.
L’ouverture culturelle comme point
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tuer à la fois un atout et un obstacle. La Bien des chantiers à travailler d’appui pour les apprentissages
socialisation des élèves devient affaire
Les expériences présentées dans cette Ludmilla Fermé, forte de son expé-
d’écoute, de suivi, mais aussi d’un mode
publication font écho à nos observa- rience auprès d’élèves issus de diffé-
d’enseignement dont l’efficacité reste
tions, mais apportent aussi des répon- rentes aires culturelles, observe que
suspendue au degré d’attachement des
ses inédites qui méritent attention et le bilinguisme devrait être un atout
PLP aux contenus scolaires et à leur
discussion. Quatre thématiques peu- pour l’apprentissage du français. À
capacité à « faire dialoguer » l’accompa- vent être identifiées : l’occasion d’un travail de réécriture
gnement de la maturation juvénile de ayant pour objet la production d’un
leur public et les apprentissages effec- • l’accueil des élèves et leur accompa-
gnement eu égard à l’orientation qui écrit journalistique et dont le contenu
tifs. La massification scolaire et le projet consiste à apprécier une œuvre d’art,
de qualifier tous les élèves ont conduit est le plus souvent contrainte en fin de
collège ; les élèves paraissent moins réfractaires
à « confier » au LP la mission de « récu-
pérer » les plus faibles d’entre eux. Ceci
a transformé profondément les condi-
tions de travail des enseignants. Auparavant, on intégrait cet ordre d’enseignement parce que
L’innovation pédagogique l’on était issu de milieux ouvriers, tandis qu’aujourd’hui,
comme spécificité du LP ? on s’y oriente parce que l’on est en échec au collège !
L’observateur extérieur relève souvent
l’existence d’un souci quasi perma-
• la rénovation de la voie profession- face à l’écrit et plus disposés à travailler
nent chez les PLP : veiller à la stabilité
nelle, les nouveaux programmes et la grammaire. Une élève de terminale
d’un ordre scolaire et faire en sorte que
leurs effets sur le travail des ensei- bac pro secrétariat a écrit dans le bilan
les élèves construisent un autre rap-
gnants, notamment pour ce qui est du diagnostique : « La réécriture m’a per-
port aux études. L’ordre scolaire sem-
recours aux Tice et à différentes straté- mis d’avoir plus de facilité pour rédiger les
ble largement concentrer l’attention
gies en vue d’atténuer la résistance des synthèses en histoire, en français ou dans
des enseignants, mais aussi du person-
élèves à la forme scolaire ; d’autres matières sans faire de fautes d’or-
nel éducatif et administratif, et il parti-
cipe d’une logique princeps : celle d’un • les manières de s’affilier au métier thographe dans chaque phrase. » Cette
travail auprès d’élèves dont l’échec sco- d’enseignant chez les nouveaux PLP, à observation est intéressante, car elle
laire au collège en fait à la fois des « vic- l’heure où l’intégration des IUFM aux montre que les élèves peuvent donner
times » d’un système et des « déviants » universités interroge sur la capacité de une cohérence aux savoirs via la mai-
susceptibles de déstabiliser l’auto- celles-ci à assurer une formation pro- trise d’une activité (l’écriture). D’autres
rité et la légitimité professorales. C’est fessionnelle bien au fait des réalités de pratiques pédagogiques peuvent aussi
l’absence d’un « client idéal » (Howard terrain ; contribuer à l’articulation entre les
Becker) et l’image dominante d’un tra- • la lutte contre le décrochage scolaire enseignements, comme le montre la
vail auprès d’un public défavorisé socia- qui émerge comme un « objet » en soi, contribution de Jérémy Crépel sur l’in-
lement qui amène les PLP à surestimer mobilisant des dispositifs et des équi- terdisciplinarité entre le français, l’his-
le rôle du LP en ne séparant pas les mis- pes et interpelant le LP dans sa mis- toire, le secrétariat et le droit.
sions d’enseignement et de formation sion de qualification professionnelle et Les enseignants invoquent souvent la
de celles, plus larges, de l’éducation. Le scolaire. « motivation » comme dimension fon-
LP apparait, à bien des égards, comme Ces différentes thématiques sont bien damentale conditionnant la réussite des
un « laboratoire pédagogique » tant l’in- sûr interdépendantes ; elles se confon- élèves. Or, et contrairement à un pré-
novation et la nécessaire adaptation aux dent et se superposent parfois (on ne supposé très répandu, on peut « moti-
élèves paraissent tangibles. Cette créa- peut concevoir raisonnablement une ver » les élèves à travers la lecture de
tivité pédagogique met à l’épreuve les séparation entre stratégies pédagogi- textes qui les invitent à construire une
enseignants, mais aussi d’autres acteurs ques, modes d’entrée dans le métier, pensée autonome. Si l’exercice n’est pas
amenés à accompagner la scolarité socialisation au groupe profession- facile, il apporte des résultats promet-
d’élèves plus ou moins impliqués dans nel enseignant et réduction de l’absen- teurs comme le souligne Aline Chudy.
les études. Tout l’enjeu du travail ensei- téisme ou des ruptures scolaires). Pour La contribution de Marie Kerhom
gnant consiste à opérer une articulation autant, elles indiquent bien la com- quant à l’enseignement de la philoso-
heureuse entre socialisation et appren- plexité dont procèdent l’expérience des phie en LP pose que celui-ci y a toute sa
tissages, alors même que les directives élèves et le travail des équipes pédago- place, puisqu’il contribue à forger « une

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 55


Dossier Au lycée professionnel

communauté de recherche philosophi- et à l’accompagnement de candidats à ouvertes – par exemple la place à accor-
que ». De même, la sensibilisation des la VAE, comme ici Catherine Ravelli, der aux milieux professionnels dans le
élèves à l’art s’avère très enrichissante font apparaitre le « dialogue » entre des partenariat LP/entreprises, l’expéri-
dès lors que l’enseignant use de sup- expériences personnelles et qui invite à mentation et la généralisation des dis-
ports novateurs et une entrée histori- se décentrer et à repenser les pratiques positifs de lutte contre le décrochage,
que suffisamment large et étendue pour pédagogiques. les conditions permettant de recon-
qu’elle « parle » aux élèves. La contribu- Les PLP peuvent douter des chances naitre aux savoirs technologiques et
tion de Joël Mak dit Mack est à ce pro- d’insertion professionnelle de leurs professionnels une égale dignité par
pos stimulante. élèves (voir la contribution de Patrick rapport à l’enseignement général, ou
Pierre). Mais cela les met devant une encore les manières permettant d’évi-
De la nécessité de la formation,
contradiction s’ils ne croient pas, à ter l’ethnicisation de certains LP –, il en
du collectif
minima, que les élèves sont éducables. est une que Christian Biabiany et Jean-
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Le travail des PLP consiste à inventer Michel Zakhartchouk posent fronta-


des stratégies de détour : comme le note Le texte de Stéphane Clerc est très inté-
ressant à cet égard ; il y montre com- lement : celle du socle commun dans
Karine Foucher, pour montrer l’inté- l’enseignement professionnel. Le socle
rêt de l’anglais, « il faut ruser au quoti- ment sa découverte de la « pédagogie de
projet », nourrie de lectures psychopé- commun s’avère problématique dans
dien ». Il faut également « individualiser l’enseignement général, car celui-ci
les parcours et les apprentissages », tout dagogiques variées, lui sert de tremplin
pour mobiliser des élèves considérés change régulièrement et rend difficile
en étant bien au fait des compétences et la transversalité et l’articulation avec
des domaines à évaluer (voir l’article de comme incapables de réussir.
l’enseignement technologique et pro-
Stéphane Vince). L’activité profession- La valorisation de la voie profes- fessionnel. Le projet pluridisciplinaire
nelle des enseignants et des personnels sionnelle passe indéniablement par à caractère professionnel n’a guère per-
d’éducation et d’orientation est plus l’ouverture du LP sur l’enseignement mis une réelle consolidation d’un socle
commun, car les activités et les conte-
nus travaillés restent en marge des
Cette créativité pédagogique met à l’épreuve les enseignants, programmes et référentiels. Cela est
mais aussi d’autres acteurs amenés à accompagner la scolarité d’autant plus dommageable que les
d’élèves plus ou moins impliqués dans les études. enseignants tendent à confondre acti-
vités, compétences et savoirs associés.
Le socle commun en LP exige de posi-
que jamais appelée à s’effectuer dans le supérieur. En cela, la contribution de tionner les élèves en ne confondant pas
cadre d’un collectif de travail. De nom- Pierre Billet permet de voir que, dès connaissances et compétences. Cela
breuses expériences décrites ici mon- lors qu’une volonté pédagogique existe, implique une autre pédagogie au col-
trent, si besoin est, l’importance du des bacheliers professionnels peuvent lège, plus centrée sur la mobilisation
travail en équipe, un travail qui bénéficie réussir à l’IUT. des compétences et non sur les connais-
souvent de la stabilité des enseignants. sances maitrisées ou non.
Des questions ouvertes
Enseigner en LP suppose une maitrise On voit ainsi, au terme des différentes
de compétences pédagogiques de plus contributions, que les difficultés pro- Aziz Jellab
en plus complexes (voir la contribution fessionnelles rencontrées par les PLP Professeur de sociologie, directeur
de Nicole Bouin) et qui s’acquièrent n’ont d’égal que leur inventivité et du Ceries, université Lille 3
tant par la formation en IUFM que par leur mobilisation en vue de faire accé-
la rencontre avec le terrain, avec les élè- der les élèves au savoir et à la culture.
ves et les enseignants établis. À l’heure Si de nombreuses questions restent
où l’universitarisation de la formation
des enseignants minore l’alternance
entre le terrain et l’IUFM, le doute
s’installe sur la capacité des nouveaux
PLP à faire face de manière frontale et
peu préparée à l’enseignement, destiné
à un public bien loin des camarades que
l’on a connus en tant qu’élèves5.
Le LP est désormais engagé dans une
pluralité de chantiers et il se pourrait
bien que sa place soit un peu plus recon- 1 Guy Vincent et coll., L’éducation prisonnière de la forme scolaire ?, PUL, 1994.
nue, non seulement dans le champ de 2 Aziz Jellab, Scolarité, rapport aux savoirs et à la socialisation professionnelle chez les élèves de CAP et de BEP,
la formation initiale, mais aussi dans thèse de doctorat, université Paris 8, 2000.
celui de la formation continue, deve- 3 Aziz Jellab, Sociologie du lycée professionnel, Presses universitaires du Mirail, 2008.
nue largement supplantée par la « for- 4 Soixante-seize baccalauréats professionnels en trois ans sont accessibles à la rentrée 2009. Parmi ces
baccalauréats professionnels, cinquante-cinq correspondent à des 2des professionnelles communes, à des
mation tout au long de la vie ». Ainsi, « champs professionnels » (par exemple, une 2de professionnelle « métiers des services administratifs » peut
le rôle du LP dans la validation des conduire aussi bien à un bac pro en secrétariat qu’en comptabilité). Les vingt-et-un autres baccalauréats
acquis de l’expérience (VAE) ouvre de professionnels sont quasiment « filiarisés » : les élèves intégrant une 2de professionnelle poursuivent des
études dans la même spécialité. Quatre BEP ont été maintenus (carrières sanitaires et sociales, conduite et
nouvelles perspectives, intergénéra- service routiers, opticien-lunetier, hôtellerie).
tionnelles et pédagogiques. Les témoi- 5 Aziz Jellab, « La formation des professeurs de lycée professionnel à l’heure de la masterisation. Incertitu-
gnages des PLP participant à des jurys des et interrogations », FDM, Snesup, N° 583, 2010.

56 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


Bibliographie
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Bibliographie
Livres Revues
• Aziz Jellab, Sociologie du lycée professionnel : l’expérience • Françoise Lantheaume, Françoise Bessette-Holland,
des élèves et des enseignants dans une institution en muta- Sabine Coste, « Les inattendus des réformes : hybridation et
tion, Presses universitaires du Mirail, 2008. construction de normes locales. Exemple des lycées profes-
Déstabilisé dans son identité classiquement ouvrière, rat- sionnels » — Spirale, n° 43 (2009)
trapé par des dysfonctionnements divers (ethnicisa- L’étude de la mise en œuvre des projets pluridisciplinaires à
tion, absentéisme, faiblesse du travail collectif au sein des caractère professionnel (PPCP) montre que, de la prescrip-
équipes pédagogiques…), le lycée professionnel s’est vu tion à l’activité, un long travail d’interprétation et de traduc-
confier une mission délicate : être à la fois une école de la tion s’effectue par divers groupes d’acteurs tentant de se
« deuxième chance » et un « lycée des métiers » en phase mettre d’accord sur des façons de faire.
avec le marché du travail – symbole paradoxal d’un système
scolaire qui crée partiellement l’échec tout en inventant des Témoignages d’enseignants
structures censées y remédier. Les interrogations abordées • Alain Chopin, Flaubert est un blaireau, Éditions-dialo-
de front dans ce livre posent pour le moins la question de gues.fr, 2010.
l’avenir d’une institution scolaire méconnue. L’auteur partage des moments de sa vie avec des élèves de
LP. Le livre est un hommage à ces élèves qui, une fois la cara-
• Françoise Lantheaume (dir.), Françoise Bessette-Holland,
pace percée, se nourrissent de Shakespeare ou Marivaux.
Sabine Coste, Les enseignants de lycée professionnel face aux
réformes : tensions et ajustements dans le travail, INRP, 2008. • Christian Cogné, Requiem pour un émeutier. La naissance
Afin de comprendre ce qui se passe entre la parution d’un d’un tiers-monde de l’éducation, Actes Sud, 2010.
texte officiel et son « application » par les enseignants, une Description d’une réalité du LP avec des témoignages saisis-
enquête qualitative a été organisée auprès de personnels sants, cet ouvrage croise analyses philosophique et sociolo-
d’encadrement de l’Éducation nationale et dans deux lycées gique et approche phénoménologique.
professionnels. L’ouvrage en présente les résultats : le pro-
cessus de traduction et d’intégration des nouvelles pres- Rapports et notes
criptions (PPCP, CCF, VAE, etc.), les obstacles rencontrés et les • Ministère de l’Éducation nationale, L’enseignement pro-
solutions inventées – ou pas –, les modifications du travail fessionnel, Bilan des résultats de l’école – Haut conseil de
au quotidien et leur impact sur le métier et l’identité profes- l’éducation, 2009. Disponible sur Internet.
sionnelle, le rôle du management et des organisations loca-
les du travail, etc. • Ministère de l’Éducation nationale, La baisse des sorties
sans qualification. Un enjeu pour l’employabilité des jeunes,
• Florence Laville-Bidadanure (dir.), Rénover la voie profes- Note d’information – DEPP – N° 10-12 aout 2009. Disponible
sionnelle. Actions et projets pour la réussite de tous les élèves, sur Internet.
Scérén, CRDP Bretagne, 2010.
• Céreq, « Vingt ans de bac pro : un essor marqué par la
Cet ouvrage rend compte de démarches pédagogiques
diversité », Bref n° 270, 2010.
visant à accompagner les élèves dans la perspective du bac-
calauréat professionnel en trois ans. Les actions et les pro-
jets proposés ici sont autant de pistes de travail possibles
déclinées selon trois axes : individualisation, responsabilisa-
tion, parcours.

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 57


D’autres articles de ce dossier en libre accès sur notre site
La DP3 : à la découverte des métiers et des lycées professionnels La lutte contre le décrochage scolaire dans les LP
Sabine Coste et Jean-Yves Viain Sabine Coste, Dominique Zambon
Comment organiser au mieux les visites des lycées Cet article a été rédigé à partir d’une enquête menée auprès
professionnels et de différents secteurs professionnels de personnes chargées de la mise en œuvre d’un dispositif
pour que les collégiens ayant choisi l’option DP3 en tirent de « cellules de veille, d’accueil et de suivi » dans des lycées
effectivement parti ? professionnels, et montre comment une orientation
nationale est traduite dans une académie.
Grâce aux outils numériques, de nouvelles pratiques ?
Quelles conditions pour la réussite de lycéens de la voie
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professionnelle dans le supérieur ? Laurent Lasson


Entretien avec Pierre Billet Utiliser toutes les potentialités du numérique pour
travailler différemment l’écrit, pour mettre en place des
Les titulaires d’un bac pro peuvent réussir à l’université,
activités favorisant la collaboration entre élèves, y compris
en témoigne cette école un peu particulière : enseignants
orale, pour aboutir à des productions soignées : dans ce
motivés, effectif réduit et sélectionné, conditions
domaine-là aussi, le lycée pro innove !
matérielles favorables, autant de moyens pour assurer
« l’égalité des chances » pour ces heureux élèves. Le numérique pour mieux faire écrire
Alexis Lucas
Travailler sur l’orientation vers la voie professionnelle en Segpa Recourir au numérique n’est plus un évènement
exceptionnel, à l’efficacité douteuse. Il a modifié la manière
Arnaud Ros, Christine Rochette de faire cours au lycée professionnel.
Préparer au mieux l’orientation d’élèves de Segpa
représente une dimension nouvelle du travail de leurs Évaluer en cours de formation pour mieux apprendre
professeurs, dans la mesure où de plus en plus d’entre eux Coralie Congnet, Ingrid Duplaquet, Cédric Guillen
accèdent aux lycées professionnels avec une large palette Comment une épreuve certificative en CCF peut modifier
de formations. des pratiques de classe et aider les élèves, parfois en grande
difficulté, à s’impliquer davantage dans l’acquisition de
savoirs et de compétences… avec l’aide du CDI. Version
longue de l’article page 44.

Notre prochain Dossier

n° 485, décembre 2010 – La vie scolaire : l’affaire de tous ?


Pour celles et ceux qui travaillent en collège ou lycée, la « vie sco- largement, quels partenariats se créent, dans et hors les établisse-
laire » évoque en général un lieu, où se traitent entre autres les ments, pour faire grandir les jeunes vers l’âge adulte dans le cadre
absences et retards des élèves, des problèmes liés à la discipline, de leur… « vie scolaire » ? Car la « vie scolaire » constitue peut-être le
mais aussi des personnes, constituant « l’équipe vie scolaire », dont trait d’union entre le pédagogique et l’éducatif ; et plutôt que d’être
le CPE (conseiller principal d’éducation). Pour autant, la vie scolaire considérée « à part » par nombre d’enseignants, elle gagnerait à être
n’est-elle que cela ? mieux connue d’eux.
Quelle réalité recouvre donc cette expression aujourd’hui ? Ne s’agit- En donnant la parole à de nombreux acteurs aux statuts différents,
il que de tout ce qui se passe hors de la salle de classe ? Quels en sont ce dossier s’efforce de faire mieux connaitre la réalité de la « vie sco-
les acteurs, au-delà de la seule équipe pilotée par le CPE ? Ne fait-on laire » en 2010, en proposant également un regard sur son évolution
pas parfois de la vie scolaire sans le savoir, tel M. Jourdain faisant de depuis cinquante ans, d’abord pour constater sa dynamique d’inno-
la prose ? Et comment font-ils en primaire où il n’y a pas d’équipe vation, mais aussi pour prendre conscience des limites que certains
dédiée à ces missions ? Pourrait-on même envisager de se passer du pourraient vouloir lui signifier demain.
CPE et de son équipe ? Quelques établissements l’expérimentent…
sans pour autant faire une croix sur « la vie » à ou dans l’école. Plus Coordonné par Patrick Hubert
Pour parler du métier tel qu’on le vit, avec ses moments de crise ou de plaisir, avec le quotidien de la classe et l’extraordinaire qui,
parfois, nous surprend, avec des jeunes et des adultes qui aiment ou détestent l’école mais y passent ensemble leurs journées.
Pour raconter cela avec passion, avec humour. Pour rêver par écrit. Pour saisir un moment sur le vif et le partager.
Et chez toi ça va ?
?
Immortelle professeure de photographie
Passé cinquante ans je dois me rendre à l’évidence. Les sou- lait nous-mêmes les négatifs, on diluait les produits, toutes
venirs de ma propre scolarité primaire et secondaire ne les étapes jusqu’à l’exposition finale. C’est là que j’ai appris,
s’estompent pas avec l’âge. Sans doute est-ce lié à notre pro- du moins mis en pratique, les mesures de capacité, les règles
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fession puisque nous disposons de plusieurs grilles de lecture de trois et les nombres sexagésimaux, car il fallait aussi éta-
pour revisiter notre mémoire d’école. Si nous n’avions pas lonner le temps de tirage en fonction de la température du
conscience à l’époque des procédures utilisées par nos mai- bain. Autant dire que toute erreur était fatale et se suffisait à
tres, celles-ci sont devenues lisibles à postériori. D’ailleurs, elle-même. Nul besoin d’autre punition, quand on vient soi-
consciemment ou non, nous en sommes marqués dans notre même de griller son œuvre par distraction.
pratique quotidienne. On s’en inspire dans le meilleur des cas, Je me souviens que, m’ayant mis un appareil photo entre les
on s’en affranchit le plus souvent. mains en me disant « vas-y », on m’a fait confiance pour la pre-
Commencée dans le milieu des années soixante, ma scola- mière fois. Mon professeur de photographie ne connaissait
rité primaire s’est résumée à un enseignement frontal. Classe pas les Cahiers pédagogiques, mais savait bien que c’est en fai-
surchargée avec le maitre ou la maitresse trônant en face de sant que l’on apprend et que les longs discours ne servent à
nous sur son estrade. En fait, il serait plus juste de parler d’en- rien. On faisait des erreurs de cadrage, on négligeait l’arrière-
seignement brutal. Tant par le savoir déversé que l’on était plan ou la lumière, mais on analysait tout cela après coup de
sommé d’ingurgiter, tous à la même cadence, que par les cor- telle sorte que la leçon était bien assimilée pour la prochaine
rections qui allaient avec. Les châtiments corporels étaient sortie de prises de vue.
tolérés : baguette, règle en fer sur les doigts, fessées et même Le fait que ces pratiques soient hors Éducation nationale et
déculottées. Encore plus sournois, les châtiments moraux fai- que cette matière-là n’y soit même pas enseignée n’y change
saient sans doute plus de dégâts : humiliation, déconsidéra- rien, ce sont elles qui m’ont le plus positivement inspiré dans
tion, mise à l’index. ma pratique enseignante. Autre fait qui n’est pas anodin : mon
Les Cahiers pédagogiques n’étaient pas encore connus dans le professeure (plus exactement mon maitre) qui m’a tout appris
premier degré et les pratiques en étaient très éloignées ! à la maison des jeunes est la seule avec laquelle j’ai gardé un
Deux exceptions cependant : le maitre de CM2, avec le chan- contact jusqu’à ce jour. Et pourtant nous avons quarante ans
gement de décennie (1970), nous a initiés aux travaux de d’écart, c’est-à-dire qu’elle a quatre-vingt-dix ans, mais elle
groupe et à l’éducation physique, deux grandes nouveautés. ne s’est jamais arrêtée. Elle exposait encore le mois dernier.
Comme c’est une sommité locale, le député-maire de Nantes
L’autre exception est culturelle et ne concerne pas directe-
l’a décorée l’an passé et je ne suis pas peu fier d’avoir été son
ment l’Éducation nationale. Le jeudi, jour de congé à l’épo-
élève.
que, mes parents avaient eu la bonne idée de m’inscrire à la
maison des jeunes du quartier en 1969. J’avais choisi l’atelier
photo. Il n’y avait que le noir et blanc à l’époque, mais l’ensei- Dominique Moinard
gnement, bien que différent, y était très exigeant. On enrou-

Les vêtures numériques


Je travaille à Aubervilliers. Quand on me demande ce qui dif- tir de son immeuble un élève dont je fus l’enseignant l’année
férencie des autres adolescents ceux du collège où j’enseigne, passée. Quelques faits pour le placer dans le paysage : le jeune
je réponds : rien. Rien d’autre peut-être que la quantité de Heddy est un élève qui sait travailler, et qui sait le montrer,
misères. Même s’il n’y a pas toujours misère matérielle ou mais qui, le plus souvent, esquive le moment de s’y mettre.
psychologique - heureusement ! -, il y a cette misère qui colle Ainsi, l’année dernière, il avait fallu que j’en réfère à sa mère
à Aubervilliers et qui crée une atmosphère de méfiance entre pour obtenir le premier devoir avec un mois en retard. Ce que
les gens. On se cache déjà beaucoup quand on est adolescent je ne fais qu’en dernier ressort, préférant toujours régler les
- mais sommes-nous bien plus honnêtes une fois adultes ? À problèmes scolaires avec l’élève plutôt que de faire interve-
Aubervilliers, on se cache d’autant plus que se montrer, c’est nir les parents.
être sensible, et donc faible. Je vois donc le jeune Heddy, cette année en 4e, sortir de son
Dans cette ambiance plantée, imaginez qu’un jour, alors que bâtiment. Et le premier geste qu’il a, en même temps que de
je faisais le chemin du collège au métro, je vois, de loin, sor- franchir le seuil, c’est de mettre en route la fonction musi-

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 59


E Et chez toi ça va ?
Pour parler du métier tel qu’on le vit, avec ses moments de crise ou de plaisir, avec le quotidien de la classe et l’extraordinaire qui,
parfois, nous surprend, avec des jeunes et des adultes qui aiment ou détestent l’école mais y passent ensemble leurs journées.
Pour raconter cela avec passion, avec humour. Pour rêver par écrit. Pour saisir un moment sur le vif et le partager.

cale de son téléphone cellulaire. Sans écouteurs. Tout fort. quent l’évolution du personnage, les différents stades de son par-
Irruption sonore au milieu du calme citadin. Personne alen- cours initiatique ».
tour à cet instant, que moi, qui le vois, de loin. Il n’est pas loin Nos regards se sont croisés un instant. « Bonjour Heddy, bon-
du collège. Il croisera sans doute sur le chemin quelque cama- jour m’sieur. » En un éclair, les phrases lues quelques jours
rade. Pourquoi fait-il cela ? Pour braver qui ? Pourquoi pas auparavant traversèrent mon esprit.
d’écouteurs ? Pourquoi ce morceau de rap efficace qui éructe
Alors, toujours pas moyen, presque dix siècles plus tard, de
la violence du monde et de la vie quotidienne diffusé par les
montrer son évolution, de s’inscrire dans le rite de l’entrée
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toussotements phtisiques du petit hautparleur de son appa-


en âge adulte ? Pas plus de regalia signalant qu’on devient un
reil numérique ?
homme ?
Je préparais alors l’agrégation interne. Erec et Enide de
Heddy, comme tant d’ados des années 2000, s’habille et per-
Chrétien de Troyes (écrit à la fin du xiie siècle) était « au pro-
sonnalise son trajet, sa démarche par un morceau de musique.
gramme ». Dans les cours du Cned deValérie Gontero-Lauze,
Sur son passage, celui qui croisera son chemin entendra ce qu’il
j’ai découvert que les arts poétiques médiévaux ne préconi-
voudrait donner à voir. Cette musique qui, dans le reflet du
saient aucun canon pour décrire un homme. Il n’en existait
regard de l’autre, change le point de vue de celui, de celle qu’il
que pour la femme. C’est pourquoi Chrétien, pour ne pas
croise. Pour faire peur, impressionner, séduire. Dire, expri-
féminiser la beauté de son héros quand il le décrit, donne à
mer. Ce changement tant espéré, tant voulu - qu’on aimerait
voir sa grandeur et son évolution par la description de ses
aussi, dans le même temps, retarder ou maitriser - inscrit dans
habits : armure, vêtements précieux… Sa « vêture ». « C’est
le rite de cette bande originale de vie ; rite caché dans les replis
donc le changement de vêture qui marque le plus souvent un chan-
de la petite toux des vêtures numériques.
gement social et s’inscrit dans le rite (entrée en chevalerie avec
adoubement, couronnement avec transmission des regalia, signes
distinctifs du pouvoir). » Et aussi « les changements de vêture mar- Laurent Carceles

Inspection : bonjour !
– Inspection bonjour ! serait peut être bien de l’inscrire plutôt en maternelle, qu’il
– Bonjour Catherine, c’est Christophe… Deux choses : puisse apprendre le français et préparer un CP et on l’ac-
d’abord j’ai besoin d’un ZIL mardi matin pour Mme Monain cueillerait l’année prochaine dans des conditions, comment
qui a un rendez-vous médical… C’est un CM2 ; et ils ne sont dire, plus favorables…
pas faciles : il faudrait un ZIL confirmé… – Impossible. Les élèves non francophones sont accueillis
– Matin seulement ? dans leur classe d’âge. L’école élémentaire est obligatoire et
– Euh oui, c’est prévu comme ça. cet enfant est en âge d’entrer à l’école élémentaire.
– Bon, c’est noté : je vous envoie Sandrine. – Bien sûr. Euh, c’est une situation particulière, il n’a jamais
été scolarisé et va devoir apprendre le français en même temps
– Merci Catherine… Et d’autre part, je voudrais parler à que l’école. Euh, il n’a aucune chance d’apprendre à lire… Ma
madame l’inspectrice, si elle est joignable… ? demande se situe bien sûr dans l’intérêt de l’enfant et sa mère,
– Je vais voir… non seulement n’y serait pas opposée, mais elle m’a sollicité
–… dans ce sens…
– Ne quittez pas, je vous passe madame l’inspectrice… – Madame l’inspectrice d’académie nous a rappelé il y a peu
– Merci Catherine, bonne journée ! la règle en la matière. Ses consignes sont très claires : l’enfant
doit être scolarisé dans sa classe d’âge. Par contre, dans l’inté-
– Allo… rêt de l’enfant, si des ponts peuvent se mettre en place avec la
– Bonjour Madame… maternelle pour que cet élève puisse profiter d’ateliers spéci-
– Bonjour, vous allez bien ? fiques de la grande section, très bien, n’hésitez pas ; nous som-
– Euh oui, je vous remercie. Je voulais vous parler d’un mes toujours dans une logique de cycle.
problème d’inscription : j’ai un petit Miguel qui arrive du – Oui, bien sûr, mais on va multiplier les intervenants : sa mai-
Portugal où il n’a jamais été scolarisé. La maman m’a appelé, tresse, l’enseignante de Clin, celle de grande section… Vous
elle doit repasser ce soir. L’enfant est d’âge CP, mais de fin savez bien, c’est difficile. Le risque c’est que cet élève ne fasse
d’année, il est de décembre. Alors voilà, je me disais que ce pas de CP, compte tenu du fait qu’il n’a jamais été scolarisé,

60 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


Et chez toi ça va ?
?
que l’année prochaine on l’envoie au CE1 pour faire du CP – Peut être, mais c’est la loi monsieur le directeur… Vous me
compte tenu de son retard, et donc qu’il ne fasse jamais de tenez au courant…
CE1 non plus et ainsi de suite… Il est du 12 décembre, ça veut – Je n’y manquerai pas madame l’inspectrice.
dire qu’à vingt jours près…
– Je vous souhaite une bonne journée…
– Il faudra effectivement être très vigilant autour de cet enfant,
– Également madame l’inspectrice, également…
mais je ne doute pas de votre vigilance. En tout cas il doit être
accueilli dans sa classe d’âge, donc au CP, c’est la loi.
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Christophe Rousseau
– Oui, mais parfois la loi est mal faite madame
l’inspectrice…

Une équipe pour un rallye :


un super début d’année
En juin dernier, décision fut prise par la direction, d’une demi- les questions, l’autre des circuits, un troisième des règles à dire
journée d’intégration en 6e, sous forme d’ateliers à élaborer, aux élèves, et enfin le quatrième de la répartition des adultes
avec l’objectif premier d’aider les élèves à se connaitre dans les (les professeurs de 6e, l’assistance sociale, l’infirmière), sur les
groupes classes. Or, les difficultés de la fin d’année, plus agi- postes et aux points stratégiques de l’établissement : c’est un
tée que les années précédentes, une grande fatigue générale et « collège 700 » avec quatre étages et un sous-sol. On fignole
le fait que les équipes classes n’étaient pas construites, nous le lendemain entre deux réunions, on ajoute une feuille de
avaient laissés démunis pour construire quoi que ce soit. Nous pointage pour chaque poste, avec la mission de compter les
nous quittâmes donc dubitatifs en nous demandant comment membres des groupes avant qu’ils ne répondent aux ques-
faire à la rentrée. tions. La direction est stupéfaite de l’efficacité de notre tra-
Prérentrée : deux jours, pour une fois. Entre temps, j’avais vail, c’est vrai ! Même l’intendant accepte d’acheter de quoi
fait les Rencontres du Crap en espérant en tirer de l’énergie. offrir à gouter pour le lendemain !
Gagné ! Je rentrais avec la ferme intention d’arriver à la pré- Le jour J se passe idéalement, le timing est bon, les élèves se
rentrée avec une idée faisable et « préparable » dans le faible déplacent de manière fluide, les groupes apprennent à fonc-
temps imparti avant de recevoir les élèves. Le dieu Internet tionner ensemble. Ils peuvent repérer les professeurs de leur
me dévoila quelques exemples concrets de rallye dans des classe autres que le professeur principal. Tous rencontrent des
petits collèges. Or, nous avons sept classes de 6e, était-ce fai- adultes qu’ils n’ont pas l’habitude de voir, comme l’assistante
sable chez nous ? J’envoyai mes sources à quelques collègues sociale. Certaines règles sont explicitées sur les lieux : pour-
avant la prérentrée et reçus des réponses intéressées, voire… quoi range-t-on les éléments du plateau d’une certaine façon,
soulagées. à la sortie de la cantine ? Ils appréhendent le fonctionnement
Revenons donc à la prérentrée. La principale (toute nouvelle et la géographie du collège. Et, bien sûr, on repère rapide-
et un peu inquiète que rien n’ait été encore préparé) est favo- ment ceux qui « s’agitent ». Les objectifs de départ sont large-
rable au projet. La demi-journée sur le sujet démarre sur les ment atteints et même au-delà. Quel plaisir, à la fin, de voir les
chapeaux de roues. On décide que chaque classe est coupée 184 élèves assis par classe sous les arbres en train de déguster
en trois groupes de sept, et vingt-et-un postes sont identi- le gouter dans le calme et la bonne humeur !
fiés. Une discussion s’engage : est-ce qu’on laisse les élèves Nous pouvons nous féliciter ! Cela fait du bien. Sans le travail
en autonomie ou seront-ils encadrés par un adulte perma- d’une équipe motivée et pleine de ressources, l’idée de départ
nent ? Des collègues sauvent le débat en proposant d’affecter aurait été vide. De l’énergie pour continuer, malgré tout !
une couleur à chaque classe et une forme géométrique à cha-
que groupe, afin de pouvoir les identifier et les compter rapi- Sylvie Menet
dement, repérer les éventuels transfuges… Puis le travail se
répartit spontanément en groupes : l’un s’occupe de trouver

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 61


FRevenir sur les souvenirs d’école Faits & idées

en formation d’enseignants
Bruno Hubert
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Une recherche menée avec des professeurs stagiaires à partir des écrits scolaires qu’ils ont pu
conserver permet de travailler leur rapport au savoir, à l’enseignement, voire de rompre avec des
passifs hérités des parcours scolaires.

L
es travaux de Marta Anadon, Yvon Bouchard, La force de l’objet-trace suscite la parole qui se déploie à par-
Christiane Gohier et Jacques Chevrier avec des ensei- tir du souvenir. La trace re-présente le passé en différé et les
gnantes québécoises ont pointé l’influence de l’enfance éventuels différends causés par la distance temporelle inci-
et plus particulièrement de l’expérience familiale et scolaire teront à la « refiguration » légitimée par les pairs et l’accom-
ainsi que du souvenir de soi comme élève, sur la construc- pagnant. Par la médiation du récit, l’individu accède à une
tion de leur identité d’enseignante. Parce que le sujet-pro- méta-trace, porteuse du travail formatif, espace d’invention
fesseur a trop peu l’occasion de s’interroger sur son propre entre ce qui reste et ce qui a été fondamentalement oublié.
passé scolaire, la présente recherche s’intéresse à ces traces à L’interprétation de son propre mythe conduit le sujet dans
long terme de l’école et notamment aux traces écrites conser- un mouvement d’autoconnaissance en même temps que dans
vées (les cahiers de poésie, de maths, les albums de maternelle, une exploration des possibles humains.
les carnets de classes transplantées…), l’hypothèse étant que Une clinique de l’ancrage
le retour sur les écrits de l’école permet au sujet d’explorer
Parce que la possibilité de retrouver sa posture d’élève lui est
les fondations de son histoire et de son rapport au savoir – au
offerte, le sujet va témoigner de l’histoire qui l’a produit et
sens large, anthropologique de Bernard Charlot : les relations
qui en partie oriente ses actes : « C’est intéressant de prendre
d’un sujet singulier et social aux formes de l’apprendre. Il ne
le temps de réfléchir sur la façon dont on a vécu l’école, le milieu
s’agit pas d’utiliser la trace écrite pour reconstituer le cours
scolaire, les apprentissages, ce qui a forcément une incidence sur
factuel et objectif de ce qui s’est déroulé dans le passé de la
classe, mais de réinscrire cette trace dans l’histoire de la per-
sonne, dans son parcours de formation, tel qu’elle les conçoit L’interprétation de son propre mythe
au moment de l’énonciation, de se livrer à une réappropria-
tion critique de son parcours scolaire1 en ancrant la possibi- conduit le sujet dans un mouvement
lité de nouvelles connaissances, sur l’expérience des mondes d’auto-connaissance en même temps que
antérieurs. dans une exploration des possibles humains.
Des professeurs sur leurs propres traces
La population ciblée est constituée par des enseignants en for- notre façon d’enseigner. » (Estelle) L’analyse des textes mon-
mation initiale et la collecte des données a eu lieu sous la forme tre que le travail réalisé à partir des traces conservées permet
d’une soixantaine d’entretiens non directifs et d’écrits réflexifs l’activation de savoirs d’ancrage. Pour éclairer le processus
associés. Des professeurs des écoles apportent chacun un écrit de fragilisation des enseignants et de l’école, Jacques Lévine
scolaire qu’ils ont conservé, le présentent devant un groupe et Michel Develay2 développent le concept de « désapparte-
de pairs en le recontextualisant et en justifiant leur choix ; ils nance », sentiment étrange que chacun de nous éprouve face
sont enregistrés avec leur accord et ceux qui n’ont plus rien au même qui n’est plus le même, sentiment de déracinement
s’expriment également. Une quinzaine de jours après, cha- face à un monde caractérisé par le dépérissement des ancrages
cun écrit ce que lui a apporté le travail effectué. L’ensemble antérieurs. À l’inverse, ancrer davantage la formation profes-
de cette matière a été transcrit et analysé, d’abord comme des sionnelle sur l’histoire des personnes peut développer de nou-
témoignages et des textes littéraires, les choix théoriques et velles formes d’appartenance et contribuer à assoir trois types
méthodologiques ancrant cette recherche dans les histoires d’ancrage : un réancrage dans le monde de l’enfance et de la
de vie et les approches biographiques. famille, un réancrage dans le monde de l’enfance et de l’école,
À l’instar de Paul Ricœur pour qui la parole développe une fic- et un ancrage dans le monde des pairs. Afin de construire
tion projection des mondes internes, « avec cela on s’entend dire notre identité comme notre rapport au savoir, tous nous aspi-
les choses » (Aurélie), l’intuition n’est pas immédiate et c’est par rons à identifier des voies ancestrales auxquelles nous ratta-
le jeu de distance et de proximité instauré par le langage que le cher, car elles nous servent à vivre le présent et nous rassurent
vécu scolaire peut devenir expérience : « Je n’ai conservé que des pour l’avenir. Accepter cet avant, c’est accepter notamment
traces de maternelle, mais celles-ci m’aident à retrouver une partie que la famille occupe une place fondatrice dans la construc-
de moi que j’ai oubliée. Je les perçois avec mes yeux d’adulte, et cela tion des savoirs, y compris à l’intérieur de l’école, ce que les
me permet de mieux comprendre qui je suis aujourd’hui » (Alice). professeurs oublient trop souvent : « celui-là c’était le seul dans

62 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


Faits & idées
F
la chambre de mes parents et je pense que c’est parce que je suis tre en place des situations, notamment au niveau de l’écriture,
l’ainée et que je rentrais dans les cultures et tout et je pense que c’est qui s’appuient sur le vécu, favorisent l’expression de la per-
ma maman qui a voulu le garder, la plus grande, l’ainée de ses filles sonne et instaurent des espaces de liberté. Rendez-vous pos-
qui commence à écrire alors c’était… » (Aurore) Les écrits scolai- sible entre l’enfant élève et l’adulte professeur, bousculant la
res, entredeux entre scolaire et intime, autorisent l’inscription linéarité du temps, l’écrit scolaire conservé s’avère un possi-
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« dans un monde déjà là », mais aussi à envisager l’éducation ble moment pédagogique point de rencontre entre les savoirs
comme une histoire toujours à écrire, toujours à réinventer. d’expérience et les savoirs théoriques.
Rompre avec le passif scolaire Parce que la démarche mise en œuvre concerne le rapport du
Pour que le professeur fasse de son trajet d’élève une expé- sujet au savoir – celui à apprendre pour l’élève qu’il était, celui
rience, il apparait fondamental que cette histoire scolaire soit à transmettre pour l’enseignant qu’il devient – elle imbrique
verbalisée sans honte, notamment lorsqu’il entretient avec le climat affectif dans lequel on apprend et les problémati-
l’école une relation difficile. Il s’agit bien de se donner les ques cognitives dans un remaniement des représentations
moyens de débusquer ce qui est déjà préconstruit dans son entrainant une remise en cause de soi. Elle articule des faits
regard : « Cette discussion m’a fait prendre conscience de l’impact de connaissance d’ordre psychologique ou sociologique aux
de notre vécu scolaire sur nos pratiques d’enseignement. D’un point normes épistémologiques des disciplines et en ce sens peut
de vue personnel, j’ai un mauvais souvenir de l’école primaire et du être comparée à la psychanalyse de la connaissance bache-
collège et la sensation de ne pas avoir été considérée comme une per- lardienne. Intégrant la dimension singulière dans la forma-
sonne à part entière. Ce n’est qu’au lycée que j’ai pu m’épanouir.
Dans ma pratique d’enseignement, je tente d’avoir une approche
individuelle des élèves et de tenir compte de leurs différences. Après Rompre avec le passif scolaire, c’est prendre
avoir entendu mes collègues s’exprimer, il me semble que je fais par- le pouvoir sur son passé scolaire, le faire
tie de celles qui en devenant enseignantes, espèrent réparer l’image sien, ne plus le subir et le revendiquer comme
de l’école, donner du sens à l’école. » (Séverine) Rompre avec le
passif scolaire, c’est prendre le pouvoir sur son passé scolaire, expérience.
le faire sien, ne plus le subir et le revendiquer comme expé-
rience. Travail de remémoration contre compulsion de répéti- tion des enseignants et revisitant le concept de transmission,
tion, c’est précisément l’opposition qu’examine Paul Ricœur le retour sur les traces scolaires s’appréhende dans une vision
éclairant ainsi cette mémoire blessée qu’il nomme « mémoire anthropologique existentielle critique de la formation, choix
empêchée ». En s’exprimant devant leurs pairs, les professeurs politique qui ne s’impose pas clairement aux nouveaux cadres
laissent place au travail de remémoration et brisent ainsi la spi- de la formation des maitres. La trace scolaire s’affirme par
rale de la répétition. Que cette histoire soit dite dans l’espace ailleurs comme un objet de recherche pertinent pour une ana-
de formation parait primordial ; le travail au sein du groupe de lyse scientifique du champ de l’école.
pairs permet à l’enseignant, d’une part, d’identifier ses modè-
les de référence pour mieux assumer qui il est, d’autre part, de
Bruno Hubert
déployer une posture d’empathie avec ses élèves.
Formateur IUFM, université de Nantes.
Rompre avec le passif pédagogique
Rompre avec le passif scolaire, c’est aussi pour un professeur,
rompre avec le passif pédagogique. La mémoire partagée que
constitue la mise en commun des expériences que chacun
recompose rejoint en fait les pédagogues historiques (Dewey,
Makarenko, Freinet…) sur la nécessité de faire vivre aux élè-
ves des projets ou des situations-problèmes, en leur laissant
une marge d’initiative. Le fait d’avoir été confrontés, élèves, à
des défis, à des obstacles, le fait d’avoir expérimenté, a consti-
tué pour les adultes de notre recherche une expérience qui, à
long terme, se détache des autres activités scolaires. L’analyse
des résultats engage une voie possible pour inscrire l’école
dans une perspective d’apprentissage tout au long de la vie qui
s’appuie sur le triptyque deleuzien du sens décliné par Michel
Fabre en expression, référence, signification. Cela s’avère par-
ticulièrement perceptible pour la problématique de l’écrit
dont la formation peine à faire avancer les pratiques, la place
de l’expression étant dans la plupart des classes réduite à la
portion congrue. Le détour par les traces déclenche l’activa- 1 Michel Fabre, Penser la formation, PUF, 1994.
tion des expériences personnelles pour en faire un objet de 2 Jacques Lévine, Michel Develay, Pour une anthropologie des savoirs scolaires,
connaissance professionnelle et incite les professeurs à met- de la désappartenance à la réappartenance, ESF, 2003.

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 63


FComment évaluer une pratique Faits & idées

d’enseignement dans un jury


de VAE ?
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Sandrine Cortessis

Quatre formateurs d’adultes suisses témoignent de leur participation à un jury attribuant un diplôme
de pédagogie par validation des acquis1. Ils ont dû ainsi assumer des activités nouvelles et inconnues
en évaluant les candidats non pas sur la base d’un parcours scolaire défini d’avance, mais sur la base d’une
expérience professionnelle singulièrement vécue.

P
ourVincent et Bruno2, laVAE était d’abord une opportu- velle réalité qu’ils ont appris à évaluer en VAE. Comme l’ex-
nité offerte à des personnes ayant eu un parcours atypi- plique Vincent : « C’était comme un saut en parachute, et puis,
que de valider une expérience professionnelle pratique, très vite, tu prends tes repères. Grâce à mon parcours, j’ai eu l’oc-
concrète, efficace et singulière. C’est une possibilité d’éviter à casion d’avoir une représentation large de ce que c’est que le métier
des professionnels de se présenter à un examen « par rapport d’enseignant. J’avais donc quand même quelques balises qui m’ont
auquel ils seraient forcément décalés » parce qu’il existe toujours permis d’entrer petit à petit dans le dispositif. J’ai pu raccrocher la
un écart entre ce qu’un élève apprend à l’école et ce qu’un pro- VAE à des éléments que je connaissais. »
fessionnel applique vraiment dans le métier : « il y a franche- Bruno a apprécié de pouvoir s’appuyer sur l’ensemble des
ment plein de choses que l’on a apprises et qui disparaissent. Avec la membres du jury lors de séances de régulation collective :
VAE, on a la possibilité de travailler sur ce qui fonde le métier ! » « On a pu travailler ensemble sur les référentiels et les critères, on
Un enjeu fort pour les candidats a eu des séances de travail durant lesquelles on pouvait clarifier et
LaVAE est une possibilité de faire reconnaitre les acquis pro- construire cette expertise. C’était l’occasion de se rendre compte si
fessionnels de candidats expérimentés, mais non sans risques : on était bien alignés, si mes idées correspondaient à celles des autres
si les candidats ont tout à gagner, ils peuvent aussi tout perdre experts, si on était bien d’accord sur ce que l’on attend des candi-
en se découvrant jugés incompétents du jour au lendemain. dats. Le fait qu’il y ait un collège d’experts était très rassurant. »
La décision des jurés est loin d’être anodine puisqu’elle peut Au cours de ces séances, Bruno et ses collègues ont pu échan-
déboucher aussi bien sur la consécration que sur le discrédit.
Si les jurés que nous avons interrogés semblent conscients
de l’impact de leur décision sur le parcours psychologique et Si les candidats ont tout à gagner, ils peuvent
social des candidats, ils n’en sont pas moins obligés de rendre aussi tout perdre en se découvrant jugés
un jugement pour chacun d’entre eux. En cas d’échec, l’an-
nonce est rude : « Lorsque les candidats obtenaient la validation, incompétents du jour au lendemain.
cela ne posait aucune difficulté, mais lorsque ce n’était pas le cas,
c’était extrêmement difficile pour moi. La première candidate à
ger sur la manière d’interpréter les référentiels et à propos de
laquelle nous avons refusé la validation des acquis s’est mise à pleu-
leurs valeurs et de leurs critères.
rer en apprenant le résultat, elle était pourtant âgée de cinquante
ans. Depuis quarante ans que je forme des maitres, c’était la pre- Pour Vincent : « Le critère ultime, c’est si j’étais dans la classe de
mière fois que je voyais cela ! » ce candidat : est-ce que j’aurais du plaisir à y être ? Est-ce que
j’apprendrais quelque chose ? » Selon Bruno, « l’essentiel pour un
Yves a été confronté pour la première fois à la VAE, lors de la enseignant, c’est qu’il soit réflexif, qu’il réfléchisse à ce qu’il fait,
remise des diplômes de fin d’année de son institution : « Lors qu’il se pose des questions ». Yves semble plus dubitatif au sujet
de la cérémonie, j’ai été surpris de constater la différence entre ceux de l’apport du collectif dans la prise de décision : « J’ai l’im-
qui recevaient le diplôme par VAE et ceux qui le recevaient par voie pression qu’il y a autant de rapport de jugements que de personnes
traditionnelle. Les premiers vivaient la remise du diplôme comme observées, il y a plus de subjectivité dans la VAE qu’en formation. »
un triomphe et laissaient éclater leur joie, alors que les seconds sem- Selon Yves, les experts « se contentent un peu trop de leurs ressen-
blaient absents, peu concernés. » Cet écart en termes de satisfac- tis » pour évaluer les candidats enVAE. Il estime que la forma-
tion a fortement ébranlé Yves, jusqu’alors plutôt partisan de tion des jurés de VAE devrait être plus poussée.
la formation traditionnelle.
De son côté, Vincent n’estime pas qu’une formation spécifi-
Quels critères d’évaluation ? que à la VAE soit nécessaire. Il mise avant tout sur une intui-
Les enseignants interrogés ont suivi une petite formation tion alimentée par son expérience professionnelle : « Quand
théorique, mais c’est surtout en se confrontant à cette nou- j’étais directeur d’établissement scolaire, j’ai su que j’allais enga-

64 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


Faits & idées
F
ger un enseignant après vingt minutes passées dans sa classe. À un pas consciente de ce qu’elle faisait. Elle était persuadée que ses élè-
moment de sa leçon, l’enseignant a pris un transparent et à l’autre ves l’écoutaient, et nous en tant qu’experts au fond de la classe,
bout de la classe un élève s’est levé et a allumé le rétroprojecteur. Ce on voyait bien qu’ils roupillaient ou faisaient autre chose. » C’est
sont de microfonctionnements qui sont installés et qui prouvent que également ce que constate Yves : « J’ai vu des canevas de leçons
cela fonctionne ou pas, mais on peut les objectiver, et ça, c’est l’ex- magnifiques dans des dossiers, mais dans la réalité, en classe, l’en-
pertise, c’est l’expérience ! » Comme ses collègues,Vincent asso- seignant n’arrivait pas à le tenir. »
cie ici la logique de VAE à une logique de recrutement. Pour L’effet de l’expérience VAE sur la pratique professionnelle
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Alain également, « la VAE, c’est tout simplement un moyen de


Faire l’expérience d’un jury de VAE a plutôt conforté Alain
mesurer le niveau professionnel de quelqu’un. On se dit : tiens cette
dans son envie de persister dans l’enseignement. PourVincent
personne, je l’engagerai ou pas. »
et Bruno, la VAE leur a permis d’apprendre à se laisser sur-
Du rôle de formateur à celui de l’évaluateur prendre, à être plus ouverts. Bruno, inspiré par un texte3 sur
Bruno a eu du mal à assumer la responsabilité de juger les l’activité d’évaluation des jurys, considère que la VAE lui
expériences des candidats : « Je me disais : de quel droit on me a appris à évaluer l’activité d’autrui de manière plus posi-
nomme expert ? Pourquoi c’est ma parole qui est importante ? » tive : « Ma façon d’évaluer mes rapports de projets menés par mes
Même difficulté pour Yves : « Un enseignant aime jouer le jeu du apprentis a changé, je formule maintenant mes évaluations en
passeur et pas celui du douanier. » Alain le rejoint : « Moi je pré- positif en disant ce qui est bien, alors qu’avant je ne signalais que
fère former que diagnostiquer. Quand je vois un élève que j’ai suivi,
je le connais, je peux voir s’il a réussi à transférer ce que j’ai voulu
lui transmettre, tandis qu’en VAE, je ne connais même pas les pré- « les candidats VAE n’ont pas à apprendre
noms des candidats. » quelque chose et à recracher un savoir.
Des enseignants différents ? Ils peuvent vraiment partir de leur réalité
Si Alain et Yves se reconnaissent dans la formule « qui ensei- par rapport à ce qu’ils sont. »
gne évalue », Bruno se réjouit du fait que la VAE permette
de rencontrer des enseignants « non formatés ». Ainsi, selon
Bruno, « les gens que l’on forme font des enseignements type “école ce qui manquait. Maintenant, je fais l’inverse et je crois que cela
de pédagogie”. Ils suivent consciencieusement une structure clas- vient de la VAE, ma façon d’évaluer est plus « en bosse4 ». » Yves
sique avec plan de cours, et objectifs formulés. Les candidats de la aimerait travailler à une articulation entre une VAE qui per-
VAE sont beaucoup plus libres dans la façon d’aborder les problè- mettrait de reconnaitre certaines expériences, et une forma-
mes. Certains enseignants ont leur propre système, alors tu décou- tion axée sur une analyse fine de ces expériences passées afin
vres une autre manière de faire, il faut bien accepter cela en disant de les tourner vers l’avenir.
c’est une autre manière de faire, mais c’est juste génial, reconnaitre
le génie d’une autre façon de faire qui est basée sur une expérience et Propos recueillis par Sandrine Cortessis
des lectures personnelles, je trouve cela très enrichissant ». Même senior researcher à l’Institut Fédéral des Hautes études
sentiment du côté de Vincent : « Les candidats VAE n’ont pas à en Formation Professionnelle
apprendre quelque chose et à recracher un savoir. Ils peuvent vrai-
ment partir de leur réalité par rapport à ce qu’ils sont. »
De son côté, Yves doute que ce formatage soit uniquement
réservé aux élèves en formation : « Il y a des candidats à la VAE
suffisamment fins pour s’autocalibrer sur ce qu’ils pensent que l’on
attend. Dans les entretiens explicatifs, je sens parfois que les candi-
dats essaient de donner “la bonne réponse”. Ils partent du principe
que si on leur pose des questions, c’est qu’il y a de “bonnes répon-
ses”. » Ces candidats au lieu de se lancer dans une entreprise de
démonstration de compétences, mettent davantage d’énergie
à séduire ou convaincre les jurés. Ainsi selon Vincent : « C’est
facile de jeter de la poudre aux yeux. À mon avis, ce qui est vrai-
ment objectivable, ce n’est pas le dossier ou l’entretien explicatif,
mais plutôt la mise en situation professionnelle. Quand la per-
1 Selon le guide national suisse de validation des acquis, « la validation des
sonne a vraiment les mains dans le cambouis, elle ne peut plus faire acquis est la procédure par laquelle une institution, une école, une autorité recon-
illusion. » nait que des compétences résultant d’une formation formelle ou non formelle, ou
de l’expérience ont la même valeur que celles d’un titre donné » (Office Fédéral de
Est-ce à dire que les jurés interrogés prôneraient une valida- la Formation Professionnelle, 2007).
tion des acquis basée davantage sur la mise en situation que sur 2 Prénoms d’emprunt.
un dossier écrit ou une argumentation orale lors d’un entre- 3 Jacqueline Magnier, Bernard Prot, « Analyse du travail et formation : le cas de
tien ? Selon Bruno, on trouve dans certains dossiers des repré- la prise de note chez les accompagnateurs en validation des acquis », Orienta-
tion scolaire et professionnelle, vol 32, 2003.
sentations biaisées que les candidats ont d’eux-mêmes : « cette
4 Dans leur texte, Magnier et Prot désignent les modes d’évaluation d’accom-
année, une candidate avait produit un dossier brillant, mais une pagnant selon les termes suivants : l’évaluation en creux (repérage des lacunes)
fois dans sa classe, nous nous sommes rendu compte qu’elle n’était et l’évaluation en bosse (repérage des points forts).

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 65


30 Il y a 30 ans dans les Cahiers
Questions d’aujourd’hui, réponses d’hier ; questions d’hier, réponses
pour aujourd’hui ; cette rubrique noue le dialogue entre les générations
sans nostalgie ni déférence, avec notre passion de transmettre.

Il y a 40 ans dans les Cahiers : style secondaire et style technique


1959 : la France est lancée depuis dix ans à grande vitesse dans la voie de la modernisation industrielle. Cette mutation économique qui ren-
force l’exode rural et s’opère dans un contexte de forte croissance démographique (babyboum et immigration pour le travail) se traduit par
un besoin urgent de formation en général et de formation de techniciens en particulier. La réforme Berthoin prolonge l’obligation scolaire
jusqu’à 16 ans et engage le premier pas vers le « collège unique ». Tout cela génère une effervescence et d’intenses débats sur les contenus
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et les formes de cette indispensable adaptation du système scolaire. Le numéro 16 des Cahiers pédagogiques, daté de novembre 1959, aborde
ce débat à partir de la question de la relation entre enseignement technique et enseignement du second degré : faut-il les rapprocher ou les
dissocier ? François Goblot, alors rédacteur en chef, ouvre largement les colonnes de la revue à tous les points de vue. Voici de larges extraits
de l’une de ces prises de position et de la correspondance entre l’auteur et la rédaction qu’elle a suscitée.

Puisque même les esprits secondaires sont forcés de reconnai- S. D’autres montrent un esprit beaucoup plus porté vers les
tre la nécessité de former des techniciens, puisqu’inversement réalisations concrètes immédiates ; je les nommerai les élèves
des représentants très qualifiés de la technique reconnaissent T. Chacun est mauvais élève quand on prétend le traiter dans
la valeur de la « formation libérale classique », ne s’ensuit-il pas le style qui n’est pas le sien.
qu’on pourrait faire la fusion des deux branches qui consti- […]
tuent actuellement l’enseignement du second degré ?
En poussant les choses à leur point extrême, en opposant S et
Je crois, pour ma part, que la formation rapide de techniciens T le plus nettement possible, je dirai que S éprouve un malaise
nombreux et la formation libérale traditionnelle sont incom- devant l’appareil tant qu’il ne peut lui donner pour arma-
patibles et correspondent d’ailleurs à des dispositions psycho- ture, pour soutien, l’idée qui le légitime. Pour T, au contraire,
logiques complètement différentes chez l’élève. l’existence de l’objet constitue le fait premier. Il n’appréhende
Conserver deux branches distinctes n’aurait d’ailleurs pas l’idée de façon heureuse que dans l’appareil et à travers lui,
grand sens, si chacune ne veillait à maintenir son caractère pour l’amour de lui.
propre et, au besoin, à l’accentuer. D’où je suis placé, ce que T ne vise pas, comme S, à édifier son être intérieur par une
j’observe le mieux, c’est le dommage causé au lycée par la ten- mise en contact avec le réel envisagé de la façon la plus vraie.
dance croissante à mélanger les deux styles, secondaire et T exige, dès l’école, un travail qui le porte au plan où sont ses
technique. ainés qui déjà font œuvre utile dans l’industrie, dans la société.
Il ne vise pas à faire pour être, mais à faire pour faire. L’esprit
de T est avide, non pas de critique interne, mais de confor-
D’où je suis placé, ce que j’observe le mieux misme externe : faire comme font les ainés. Normaliser, c’est,
au sens strict, obtenir que tout le monde désigne les mêmes
c’est le dommage causé au lycée choses par les mêmes mots, emploie les mêmes systèmes
par la tendance croissante à mélanger d’unités, les mêmes symboles. La tendance à normaliser
les deux styles, secondaire et technique. arrive à bousculer gravement les nécessités pédagogiques, au
moins telles qu’elles apparaissent dans le style secondaire.
[…]
De plus en plus, on se préoccupe, en déployant les efforts J’ai parlé jusqu’à présent en suivant la pente toute naturelle
d’une pédagogie souvent remarquable, de rendre la vie un au professeur secondaire, que la présence d’élèves T dans son
peu moins inacceptable, dans nos classes secondaires, à ceux auditoire déçoit forcément (il est déçu de les décevoir !). Dans
qu’on nommait jadis les mauvais élèves (ceux qui sont rebel- ce qui précède, j’ai donc présenté l’élève T en le définissant
les à un usage correct de l’abstraction, qui ne peuvent aisé- beaucoup moins par ses aptitudes que par ses inaptitudes ;
ment se déprendre du particulier pour aller au général…). j’ai énuméré des procédés, pourtant de grande valeur éduca-
Mais alors, l’enseignement n’est plus ce qu’il devrait être pour tive, auxquels il convient de renoncer quand on a affaire à lui,
les bons élèves… parce qu’il ne les aime pas et qu’il ne peut guère en profiter.
Les « bons », les « mauvais » ! Je voudrais pouvoir ne rappeler ces Ne serait-il pas possible de dépasser, maintenant, ces indica-
vocables défectueux qu’à titre historique. Malheureusement, tions trop purement négatives pour reconnaitre et analyser les
beaucoup de gens raisonnent encore comme s’ils croyaient aptitudes particulières de l’élève T, pour suggérer des moyens
qu’entre les élèves qui profitent du lycée et ceux qui n’y vien- d’en tirer parti ?
nent que pour s’y morfondre il y a seulement une différence […]
de degré (dans l’intelligence, l’attention, etc.). Entre les uns Je n’ignore pas que, de même, quand on fait l’éloge de l’ensei-
et les autres, je crois qu’il faut reconnaitre une différence de gnement donné dans le style secondaire, on court un risque
tempérament. de mécontenter certains collègues de la branche technique. Ils
L’enseignement secondaire sans compromission, tel qu’on l’a me diront, par exemple : « Vous êtes vraiment bien bon de vou-
connu (ou peu s’en faut) avant cette guerre, convient à cer- loir nous réserver vos mauvais élèves ! » Mais à cela je réponds
tains élèves que j’appellerai, pour gagner du temps, les élèves que, l’enseignement technique avait existé avant l’enseigne-

66 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


Il y a 30 ans dans les Cahiers
30
ment secondaire, on y aurait sans nul doute détecté aussi des cisément, qu’on peut présumer ainsi moins bien disposés que
« mauvais élèves », des sujets peu « débrouillards » devant les d’autres pour profiter du programme de mathématiques élé-
machines, souvent rêvasseurs ou même un peu ahuris, assi- mentaires, on impose ce programme comme un supplément
milant mal et de mauvais gré un enseignement rapide et utili- s’ajoutant à d’autres soucis déjà bien prenants ! On demande
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taire… l’on aurait dit : « Que le lycée nous en débarrasse ! » à ces élèves un tour de force quasi impossible.

André Ricci, professeur de physique au lycée Carnot, Dijon A. R.

Cher Monsieur Ricci, Cher Monsieur Ricci,


Si vous avez raison, il existe un style secondaire et un style C’est le principe même de cet enseignement qui est en jeu s’il
technique, ayant chacun sa nature, son essence propre. À vous y a incompatibilité entre la recherche de la vérité et les préoc-
lire, on se sent placé à la croisée des chemins : T ou S ? Mais en cupations utilitaires. Celles-ci sont-elles entièrement absen-
fait nous avons devant nous une grande variété de voies diffé- tes de l’enseignement secondaire ? Le but de l’élève, là, est
rentes. N’en est-il qu’une de bonne ? d’être en règle avec son professeur, qui a ses marottes, et avec
les examens, qui ont leur barème de coefficients. L’élève du
François Goblot, rédacteur en chef des Cahiers pédagogiques

Si l’enseignement technique avait existé


Cher Monsieur Goblot,
avant l’enseignement secondaire, on y aurait
Pour aller plus vite et être plus clair, en opposant les deux
mentalités T et S, j’ai fait abstraction des nuances. Je crois sans nul doute détecté aussi des « mauvais
cependant qu’il y a bien, en gros, deux tendances divergen- élèves » et l’on aurait dit : « Que le lycée
tes, encore que chacune d’elles soit diversifiée et qu’il y ait, je nous en débarrasse ! »
le sais bien, une grande différence entre un centre d’appren-
tissage et la classe supérieure d’un collège technique ou d’une
école nationale professionnelle.
Votre dernière phrase me prête un exclusivisme qui n’est pas technique, sans doute, a les mêmes soucis, mais à la discipline
le mien. Je n’écarte pas comme à plaisir tout ce qui n’est pas le des hommes et des institutions s’ajoute celle des choses : celle-
secondaire ! Dans mon article, j’ai reconnu qu’il faut adapter ci atténue peut-être les inconvénients de celle-là. Je crois que
l’enseignement aux tempéraments individuels ainsi qu’aux l’influence d’objectifs utilitaires sur la pensée devrait être ana-
nécessités sociales (et c’est ainsi adapté qu’il constitue une lysée de plus près. J’ai connu des esprits à la fois très abstraits
« bonne voie »). et très attirés par les problèmes techniques. Si l’ouvrier qui
répare votre poste de radio se fait, comme vous me l’écriviez
L’adaptation dans le sens de la technique peut se concevoir
l’autre jour, une idée fausse du phénomène, c’est qu’il n’a pas
de deux façons :
les connaissances suffisantes pour en avoir une idée juste, ce
– ou bien on renonce purement et simplement aux méthodes n’est pas que le souci de trouver la panne le rende inaccessi-
secondaires longues et délicates. ble à toute autre considération. Le travail technique, quand il
– ou bien l’on essaie de remplacer ces méthodes par d’autres n’est pas parcellaire et mécanique, me parait assez favorable à
aussi cohérentes, pouvant procurer aux élèves que leur tem- une méditation désintéressée sur les appareils et les phénomè-
pérament porte vers la technique un épanouissement pleine- nes dont il est l’objet. Il laisse le temps d’une lente imprégna-
ment conforme à leur nature et que l’on s’efforce de pousser tion, d’une maturation, qui naturellement doit être guidée par
le plus loin possible. C’est tout un corps de doctrine qui reste des connaissances théoriques, dont on reconnait d’ailleurs de
ici à créer. plus en plus la nécessité. C’est le non-technicien, surpris par
Le programme de mathématiques élémentaires est très bien les réactions d’un appareil dont il se sert, qui dans son désar-
conçu pour des élèves ayant le temps et le gout de bien le roi s’évade dans les explications mythologiques. Que dans
murir et de le discuter en eux-mêmes. Les élèves des collè- certains cas, dans certaines conditions, la préoccupation du
ges techniques sont-ils dans ce cas ? Il est évident qu’ils n’ont résultat fausse le travail de l’esprit, c’est très probable. En est-
pas le temps ; et pour ce qui est du gout de la pensée théori- il toujours ainsi ? À quoi tient la différence ?
que, le choix fait par eux d’une culture technique permet de
conjecturer que, dès le départ, ils l’avaient moins accusé que F. G.
leurs camarades entrés au lycée. La partie pratique de l’ensei-
gnement qu’on leur a donné depuis leur choix initial ne peut
qu’avoir renforcé leur orientation première. Or, à ceux, pré-

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 67


Le Livre du mois

École : les pièges de la concurrence


Comprendre le déclin de l’école française
Coordonné par Sylvain Broccolichi, Choukri Ben Ayed et Danièle Trancart
La Découverte, 2010, 312 pages

C
eux qui veulent vraiment À l’inverse, dans un département comme
s’attaquer aux problèmes de la Loire, les résultats sont plutôt bons
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l’école française, bien loin d’être et peu inégalitaires pour des raisons
« la meilleure du monde » comme on complexes, parmi lesquelles des tradi-
l’a parfois entendu, devraient prendre tions locales de lien entre enseignants
la peine de lire l’ouvrage que viennent et familles, un attachement au secteur
de publier plusieurs sociologues, suite où l’on vit, la stabilité des équipes, et
à une longue recherche menée par une aussi, à vrai dire, le souci de maintenir
équipe issue de huit laboratoires, de 2002 des effectifs suffisants dans les collèges
à 2006 (avec actualisation pour ce livre). face à la concurrence du privé et au déclin
Sans effets de manche et sans lourdes démographique.
assertions dogmatiques, ce livre très Les auteurs, dont notre amie Françoise
lisible, souvent très précis et concret, est Lorcerie, montrent aussi les considérables
néanmoins accablant pour les politiques carences de pilotage de notre système
menées ces dernières années dans le (par exemple sur les ZEP, avec l’absence
domaine scolaire. de suite donnée à des rapports souvent
Un constat, indiqué dans le sous-titre : les pertinents), ce qui a pour conséquen-
résultats de notre école sont en baisse, ces par exemple la destruction d’un tra-
et un chiffre doit attirer notre attention : vail collectif de plusieurs années, comme
l’augmentation spectaculaire de la pro- dans ce collège des Yvelines, dont nous
portion des lecteurs niveau 1 (c’est-à- avons parlé sous son vrai nom autre-
dire les quasi non-lecteurs) passée de 4 fois dans notre revue, en perdition suite
à 8,5 % en quelques années. Depuis peu, à l’ouverture désastreuse d’un autre col-
la France a rejoint le peloton de tête des lège proche attirant les meilleurs élèves,
pays les plus inégalitaires en matière sco- faute aussi d’une action d’information
laire. Reste à comprendre pourquoi. Les conséquente. Citons aussi ce secteur
auteurs proposent des explications très populaire nantais où des dispositifs sont
convaincantes, mais qui obligent à un mis en péril par une application bornée
regard acéré sur le fonctionnement du de nouveaux textes (aussi intéressants
système : on est alors loin des à peu près soient-ils parfois)…
médiatiques ou des discours convenus de À un endroit du livre, on cite les paro-
trop de politiques. Sans parler de ceux qui les lénifiantes d’un responsable institu-
continuent à affirmer qu’on s’est « trop tionnel clamant que tel collège « ne va
occupé » des élèves en difficulté ! pas si mal » parce que quelques-uns de
Les auteurs ont notamment comparé ses élèves ont eu des mentions au brevet,
les résultats en fin de collège de plu- en ne considérant pas les résultats glo-
sieurs départements. Ils ont eu la sur- baux, et en oubliant que ces mentions
prise de noter que, par exemple, les n’auraient jamais été obtenues sans la
résultats de la région parisienne, la plus prise en compte d’une notation continue
riche de France, étaient inférieurs à ce flatteuse en décalage avec les résultats
qu’on aurait pu attendre, et plus parti- des épreuves écrites nationales. Un bon
culièrement ceux des Hauts-de-Seine et exemple de la cécité de certains qui pré-
des Yvelines, très favorisés socialement. fèrent vanter tout ce qui va dans le sens
Dans ces deux départements, les collè- de la « méritocratie », ne regardant que la
ges populaires ont des résultats moyens réussite des meilleurs, occultant les vrais
plus bas qu’en Seine-Saint-Denis. Plus problèmes, ce qui aboutit bien souvent à
surprenant encore, les élèves des « clas- une démoralisation des acteurs et à une
ses moyennes » de ces départements ont méfiance généralisée.
aussi des résultats médiocres par rap- Bien d’autres aspects sont abordés dans
port à la moyenne nationale. Or, ce sont ce livre important, que nous évoquons
des endroits où l’offre scolaire est forte dans l’entretien avec deux de ses coor-
et où il y a la possibilité de « fuir » les col- donnateurs, notamment sur les pers-
lèges « populaires ». Du coup, ceux-ci ont pectives, pour éviter l’« aggravation
tendance à la ghettoïsation tandis que inexorable » évoquée dans la conclu-
les « bons collèges » font subir une forte sion, heureusement, avec un point
pression, qui souvent décourage ceux qui d’interrogation…
ont du mal à suivre. Tout le monde est
perdant, sauf peut-être la petite élite des Jean-Michel Zakhartchouk
meilleurs. Beau résultat de l’« assouplis- Sylvain Broccolichi, Choukri Ben Ayed
sement de la carte scolaire » ! et Danièle Trancart

68 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


Le Livre du mois
Questions à Sylvain Broccolichi, Choukri Ben Ayed
et Danièle Trancart
— Dans une étude de l’Iredu, il était dit s’avère donc lourde de conséquences concurrence injuste entre des établis-
qu’au fond, tous les élèves gagnaient à sur le climat et les apprentissages. Elle sements confrontés à d’inégales dif-
être dans de « bonnes classes », ce qui jus- semble motivée surtout par le souci de ficultés. Les disparités entre écoles et
tifiait le moindre mal des classes hétéro- conserver ou d’attirer suffisamment entre collèges se sont ainsi creusées, et
gènes. Dans votre étude, vous notez qu’il de « bons élèves », dans des contex- beaucoup d’équipes se sentent dépas-
y a très peu de gagnants avec la concur- tes urbains où se développe de fait une sées par les difficultés auxquelles elles
rence scolaire, que même les « moyens » concurrence entre établissements. Le sont confrontées ; ce qui, par contre-
sont perdants… marché (interne) des classes est donc coup, conduit à remettre en question
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— L’étude Iredu soulignait sur- en partie induit par le marché scolaire le principe du collège unique.
tout les pertes subies dans les « mau- (externe) des établissements, sans tou- — Les sociologues ne sont pas là pour
vaises classes » (bien supérieures aux tefois en être une conséquence méca- donner des solutions, mais pouvez-vous,
gains dans les classes regroupant les nique. La composition des classes est en tant que citoyens peut-être, nous don-
meilleurs élèves), les classes hétérogè- en effet du ressort des équipes d’éta- ner quelques raisons d’espérer contrecar-
nes s’imposant alors comme un moin- blissements, et celles-ci peuvent donc rer le « déclin inexorable » ?
dre mal. Nous ne contestons pas ces mener une réflexion sur les implica-
tions de leurs choix. — Comment nous montrer optimis-
résultats. Nous pointons les contre- tes au vu des évolutions récentes ?
coups d’une extrême hiérarchisation — Ne se trompe-t-on pas de combat Nous craignons au contraire l’ag-
des espaces scolaires, notamment en quand on idéalise le rôle de l’« État » gravation poursuivie des ségréga-
cas de brusque saut d’exigence à l’ar- contre le local, alors que l’exemple fin- tions, des inégalités scolaires et des
rivée dans une nouvelle classe. Ainsi, landais que vous citez souvent montre fréquences d’échec ; ce qui ne nous
il est vraisemblable que les progrès qu’on peut concilier décentralisation et empêche pas d’observer ponctuelle-
soient facilités dans les classes qui démocratisation ? ment de remarquables dynamiques
regroupent des élèves bien disposés — Ni l’État central ni le local ne sont locales. Ces expériences montrent
scolairement… sauf si les d’exigen- en mesure de tout régler seuls, et c’est que les difficultés rencontrées peu-
ces s’y élèvent au point de déstabili- donc leur articulation qui est à inter- vent devenir des défis professionnels
ser, « rabaisser » et démoraliser des roger. En Finlande, c’est en jouant tenables et même stimulants quand
élèves qui réussiraient ailleurs. À ce pleinement son rôle que l’État a créé certaines conditions sont (exception-
sujet, des parents parlent de collèges les conditions d’une autonomie locale nellement) réunies. Il reste à ne pas
et de lycées qui « cassent » les élèves. satisfaisante. En effet, il a d’abord seulement mettre ces exceptions « en
Ils n’imaginaient pas exposer à ça leur su mener des négociations avec les vitrine » pour mieux ignorer la réa-
enfant et croyaient même le protéger différentes catégories de person- lité ordinaire. Y parvenir implique-
en lui donnant accès à une population nels concernés, à commencer par les rait de remplacer les effets d’annonce
d’élèves « triée ». Ces déconvenues se enseignants, et construire un consen- par une véritable (re)construction ins-
produisent surtout dans des zones sus autour du projet de favoriser la crite dans la durée : inviter les profes-
urbaines où la sélectivité des collèges réussite de tous les élèves dans une sionnels et les citoyens à débattre des
privés se développe en même temps structure d’enseignement unique. problèmes actuels, et surtout mutuali-
que la fuite de collèges publics, en Ile- Parallèlement, il a fait évoluer le sys- ser les différents acquis des recherches
de-France notamment. Il nous semble tème de formation des professionnels, et des expériences réalisées en France
utile d’attirer l’attention sur ce double la qualité des conditions de travail et ailleurs. Vous êtes bien placé pour le
tranchant des pseudo « bons » espaces dans les établissements et l’encadre- savoir, de nombreux travaux ont déjà
scolaires (établissement ou classe). ment des élèves, en cohérence avec ces porté sur la formation des enseignants,
— Françoise Lorcerie insiste sur les effets objectifs. Tout en développant l’auto- l’apport de différentes approches
négatifs du « marché scolaire interne » nomie des collectivités locales et des pédagogiques et didactiques, l’aide à la
alors que beaucoup trop d’opposants au établissements, il est resté garant de la réflexion des équipes, les pratiques se
cours actuel de l’école n’évoquent souvent qualité des conditions de scolarisation rapportant aux difficultés des élèves,
que l’externe. dans tout le pays : la preuve, les écarts mais ils restent dispersés et peu, voire
— La constitution de classes très de résultats entre établissements y pas du tout exploités. Un ministère
hiérarchisées en interne est un vec- sont les plus faibles au monde1. Pour vraiment attaché à la réussite de tous
teur de tensions et de ressentiments, y parvenir, il a institué des évaluations devrait donc développer des instances
au niveau d’élèves et de parents bien nationales permettant de savoir quels qui rassemblent, dynamisent et fassent
sûr, mais aussi à celui des enseignants établissements ont besoin d’être sou- fructifier ces avancées. Or, l’INRP, une
à qui sont attribuées les « mauvaises » tenus, tout en parant aux risques de des rares institutions à pouvoir jouer
classes. Quand celles-ci regroupent stigmatisation (les résultats ne sont ce rôle est précisément menacé de dis-
des élèves issus de l’immigration, les pas rendus publics). paraitre en tant qu’institut national,
soupçons de discrimination trou- — En France ces bases n’ont pas été après avoir été progressivement affai-
blent encore davantage les relations posées. L’autonomie locale s’apparente bli. La formation des enseignants est
pédagogiques et la confiance des davantage aux « débrouillez-vous », et, aussi un grand chantier qu’il faudra
familles d’élèves à l’égard de l’institu- surtout en zone urbaine ségréguée, sortir de l’ornière où l’a mise la récente
tion. Cette option ségrégative interne elle a induit des formes larvées de réforme…

Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010 69


Le Livre du mois
— Pour en rester à des mesures plus les coopérations entre praticiens, ins-
modestes, il nous parait urgent de pecteurs, formateurs et chercheurs
développer des modalités pertinen- qu’on mettra au point des disposi-
tes de soutien aux équipes pédagogi- tifs et des pratiques à la hauteur des
ques, et notamment à celles qui sont enjeux. Encore faut-il que les politi-
confrontées aux situations les plus dif- ques nationales et locales favorisent
ficiles. Si l’on veut enrayer les proces- ces coopérations, au lieu de miser sur
sus cumulatifs générateurs d’échecs la concurrence.
que nous avons observés, il faut remo-
tiver et stabiliser ces équipes en leur
accordant des temps d’analyse des dif- 1 On peut le vérifier dans les tableaux détaillés
se rapportant aux variances inter et intra-éta-
ficultés rencontrées avec des person- blissements dans les résultats de Pisa 2006
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nes-ressources. C’est en développant consultables sur le site de l’OCDE ou de Pisa.

Des comptes-rendus d’ouvrages à lire sur notre site


http://www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?rubrique1

École, médiations et réformes curriculaires - Gestion de classes et d’élèves difficiles


Perspectives internationales Jean-Claude Richoz
Sous la direction de Régis Malet Éditions Favre et HEP Lausanne, 2010, 445 pages
De Boeck, 2010 Un ouvrage d’un formateur suisse qui propose des pistes d’action
Près d’une vingtaine de contributions autour de la notion de pour gérer les situations difficiles, qui ne sont pas et ne peuvent
« médiation » dans une perspective internationale, le mot être des recettes simples !
étant utilisé dans plusieurs acceptions : médiation dans l’acte Bien débuter dans l’enseignement
d’enseigner, mais aussi médiations sociales et culturelles.
Convergences et différences à travers les cas de différents pays Françoise Clerc
(Québec, France, Grande-Bretagne, Amérique du Sud…). Hachette éducation, Profession enseignant
Enseigner Hitler : les adolescents allemands 2010, 300 pages
face au passé nazi. Appropriations, Un ouvrage qui ouvre de nombreuses pistes pour débuter dans
le métier en explorant le champ des possibles et dans une
interprétations et usages de l’histoire perspective de « praticien réflexif ».
Alexandra Oeser
L’élève intellectuellement précoce. Protocole
Éditions de la MSH, 2010. 430 pages
d’accompagnement des scolarités difficiles
L’essentiel est dans le sous-titre : un livre passionnant non pas
sur « comment enseigner Hitler », mais sur ce que font les élèves Fabienne Ramond
de cet enseignement, ce qu’ils en comprennent, en quoi ils Scérén CRDP Bourgogne, 128 pages, 2010
l’intègrent à leur vie sociale, dans leurs relations à leurs pairs,
Un ouvrage qui présente de manière très concrète des pistes pour
à l’école, à leur famille, à partir d’une enquête sociologique
aider des élèves « intellectuellement précoces » se retrouvant
remarquable menée à Hambourg et Leipzig.
paradoxalement en échec scolaire. Une approche réaliste d’une
Être étudiant en prison. L’évasion par le haut situation singulière.

Fanny Salane Pratiquer la psychopédagogie. Médiation,


La documentation française, 2010 groupes et apprentissage
Une recherche sociologique qui peut paraitre pointue, mais sous la direction de Serge Boimare
qui, montrant comment des détenus parviennent à mener ou
poursuivre des études supérieures en prison, peut faire réfléchir à
Éditions Dunod, 210 pages, 2010
la place de la pédagogie dans l’enseignement supérieur. Dans cet ouvrage, des professeurs, orthophonistes, psychologues
et psychomotriciens qui interviennent au centre Claude Bernard
La réussite scolaire expliquée aux parents nous racontent leur travail à travers des cas concrets. Ces récits
nous font toucher du doigt la complexité de ce qui est en œuvre
Alain Lieury
quand un élève ne peut pas apprendre, quand l’enfant est à
Dunod, 282 pages, 2010 accompagner dans sa globalité.
Un ouvrage utile pour en savoir plus sur les récents apports de la
psychologie cognitive (mémoire, attention, apprentissages par les
multimédias), mis à la portée de tous par Alain Lieury, expert en
vulgarisation scientifique !

70 Les Cahiers pédagogiques n° 484, novembre 2010


10, rue Chevreul, 75011 Paris.
pédagogiques
Tél. : 01 43 48 22 30 changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société
Fax : 01 43 48 53 21
E-mail : crap@cahiers-pedagogiques.com Site Internet : http://www.cahiers-pedagogiques.com
Les Cahiers pédagogiques se veulent lieu de réflexion collective - sans déférence, car c’est le partage des expériences des uns et des
- sans simplismes, parce que les raccourcis sur le niveau qui monte ou autres, quelle que soit son ancienneté, dans le respect des points de vue,
qui baisse, ou sur l’école d’antan n’ont jamais fait avancer d’un iota les qui ouvre à d’autres possibles, qui fait progresser.
pratiques enseignantes ; Ces principes qui animent l’équipe des Cahiers pédagogiques sont égale-
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- sans tabous, parce qu’on doit pouvoir discuter sans réserves de tout ce ment ceux du Cercle de recherche et d’action pédagogiques (Crap), l’asso-
qui pose problème dans le champ professionnel, des réformes en cours, ciation qui les publie. Adhérer au Crap-Cahiers pédagogiques, c’est donc
du fonctionnement de l’école dans toutes ses dimensions ; soutenir la revue, c’est aussi participer, par des rencontres, des échanges
- sans dogmatisme, car c’est le croisement des réflexions et des pratiques par une liste de diffusion électronique, à la vie d’une association d’ensei-
de chacun, chercheurs, formateurs, enseignants du secondaire et du pri- gnants soucieux de faire évoluer leurs pratiques, de réfléchir sur les pro-
maire, éducateurs, qui peut être utile à chacun ; blèmes de l’école pour mieux la faire progresser. Rejoignez-nous !

Directeur de publication : Laurent Nembrini Comité de rédaction : Michèle Amiel • Patrice Bride • Élisabeth
Bussienne • Florence Castincaud • Marie-Christine Chycki
Rédacteur en chef chargé de la revue : Patrice Bride
Françoise Colsaët • Jacques Crinon • Caroline d’Atabekian
Rédacteur en chef chargé du site : François Malliet Richard Étienne • Hélène Eveleigh • Vincent Guédé • Sylvie Grau
Régis Guyon • Anne Hiribarren • Françoise Lorcerie
Responsables de rubriques : François Malliet • Pierre Madiot • Yannick Mevel
Laurent Nembrini • Raoul Pantanella • Nicole Priou • Michel Tozzi
- Communiqués et Actualités éducatives : Nicole Priou Christine Vallin • Jean-Michel Zakhartchouk
- Des livres pour nous : Jean-Michel Zakhartchouk
Bureau du Crap : Président : Philippe Watrelot
- Et chez toi ça va ? : Hélène Eveleigh Trésorier : Jean-Michel Faivre. Autres membres : Jean-Michel
- Faits & idées : Élisabeth Bussienne Zakhartchouk, Régis Guyon, Philippe Pradel, Florence Castincaud

- Il ya 30 ans dans les Cahiers : Yannick Mével

Correspondants académiques du Crap : Aix-Marseille : Alain Zamaron • Amiens : Rémi Duvert • Besançon : Xavier Pichetti
Bordeaux : Marie-France Ravier • Clermont-Ferrand : Réjane Lenoir • Grenoble : Évelyne Chevigny • Guadeloupe : Judith Salin
Lille : Véronique Vanhaesebrouck • Lyon : Monique Ferrerons • Montpellier : Brigitte Cala • Nancy : Gilles Gosserez • Nantes : Florence
Daniaud • Nice : Hervé Dupont • Paris : Nicole Priou • Poitiers : Nathalie Bineau • Reims : Régis Guyon • Rennes : Chantal Picarda
Strasbourg : Robert Guichenuy • Versailles Nord : Annie Di Martino • Versailles Sud : Florence Grouasil • Belgique : Xavier Dejemeppe

pour envoyer un courrier électronique, écrire à : prenom.nom@cahiers-pedagogiques.com

Ils soutiennent les Cahiers


Le comité de parrainage des Cahiers pédagogiques rassemble des amis de notre revue, des personnalités du monde éducatif qui
nous accompagnent régulièrement, par l’écriture ou la participation à nos manifestations, qui souhaitent manifester leur atta-
chement à nos publications et aux idées qu’elles défendent.
Constituer un lieu de rencontres et d’échanges entre praticiens de l’école, de la maternelle à l’université, un espace d’élabora-
tion et de promotion des idées pédagogiques, a toujours été la vocation des Cahiers, du Crap. Si nous nous abstenons d’excès de
déférence, si nous ne référons pas à des théories ou des conceptions précises en didactique et en pédagogie, nous attachons un
intérêt tout particulier aux travaux et aux points de vue de ces personnalités, et nous les remercions de leur soutien.

Jean-Louis Auduc - François Audigier - Anne Barrère - Christian Baudelot - Francine Best - Alain Bouvier - Dominique Bucheton -
Anne-Marie Chartier - André De Peretti - Michel Develay - François Dubet - Roger-François Gauthier - Violaine Houdart - Phillipe
Joutard - Claude Lelièvre - Danièle Manesse - Philippe Meirieu - Hubert Montagner - Jean-Pierre Obin - Claude Pair - Philippe
Perrenoud - Eirick Prairat - Antoine Prost - Patrick Rayou - Vincent Troger - Anne-Marie Vaillé - Agnès Van Zanten

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Déc. : La vie scolaire : l’affaire de tous ? •
1er abonnement Outre-mer 49 euros 55 euros Jan. : Cultures scolaires, cultures des jeunes •
1 abonnement UE
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56 euros 62 euros Fév. : Le temps d’apprendre • Mars-avril : Les
violences à l’école • Mai : Filles et garçons à
1 abonnement hors UE
er
72 euros 78 euros l’école • Juin : Faire du français, sans exclure
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blissement teneur de mon compte. Je réglerai le différend avec le créancier. Réf : DK.444110.06041.28882940 • Chèque postal ou par chèque
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Billet du mois Les hors-série numériques
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De la tenue s’il vous plait Aider et accompagner les

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Tenue de classe : tel est le nom du site lancé par le CNDP et promu par le ministre de l’Éduca-
élèves dans et hors l’école
tion nationale le lundi 27 septembre dernier. Tenue de classe : c’est par ce mot d’ordre que les
nouveaux enseignants entreront en contact avec le métier à travers les modules de formation Aider, accompagner pour mieux apprendre, mais
prescrits dans le cadre des mesures de prévention contre la violence à l’école. Comme les mots aussi pour apprendre à se passer d’aide, à devenir
ne sont jamais neutres, l’usage répété de « tenir » questionne. autonome : vaste défi !
Sur le site, deux vidéos en parallèle : un théoricien présente la notion, un praticien évoque les Comment mettre en place des temps spécifiques
pratiques – découpage déjà contestable quant à l’image donnée des rapports entre la théorie et pour les élèves qui en ont le plus besoin, sans que
la pratique. Le praticien explique que la réactivité est une composante essentielle de l’autorité ce soit une mise à l’écart ? Comment aider les élèves
de l’enseignant : « J’explique. Jennifer commence à dire à sa voisine “Tu sais quoi ?” “Non, elle Nicole Priou en dehors de l’école, sans dédouaner pour autant
s’en moque, travaillez.” » Voilà. La classe est tenue. Autorité ? Pouvoir ? Toute parole parasite l’école de sa propre responsabilité ?
au discours de l’enseignant est évacuée… y compris avec un argument douteux : la voisine en
question est probablement tout aussi intéressée parce que Jennifer voudrait bien réussir à lui Bref, comment rendre l’aide et l’accompagnement
dire que par les explications de l’enseignant. La classe est tenue, mais quel statut est donné à pédagogique efficaces ? À l’heure de la mise en place
priori à la parole de l’élève ? La visée n’est plus l’éducation, mais la domestication. Les autres du socle commun de connaissances et de compéten-
conseils – organisation du plan de classe, note de sérieux, etc. – pour tenir sa classe sont en ces à l’école et au collège, de la réforme du lycée, une
cohérence avec une théorie implicite : la paix sociale ne se construit pas avec les élèves, mais question à travailler !
malgré eux, voire contre eux.
Version adaptée à la lecture à l’écran et une version
Si l’autorité « autorise », crée les conditions de rendre davantage auteur et responsable de ses destinée à l’impression. Première édition.
actes, donne du pouvoir d’agir, alors ce n’est pas d’autorité dont il est question ici, mais de
pouvoir et d’emprise. Si la classe « tient », ce qui tient au bout du compte, c’est un ordre appa-
rent et artificiel, une mise en conformité. Mais où et comment s’articulent les trois missions de
l’école éduquer, instruire, socialiser ? Dossier coordonné par Sylvie Grau
On aimerait que ceux qui s’inquiètent tant de la « tenue »… pour les autres en fassent davan- et Jean-Michel Zakhartchouk.
tage preuve eux-mêmes. Croit-on sérieusement que les 27 000 DVD distribués aux professeurs Ce dossier est vendu en ligne sur notre site 7 euros pour les particuliers.  
stagiaires depuis la rentrée scolaire leur permettront de s’emparer de cette question de l’auto- et à télécharger au format PDF. Tarifs avec droits de diffusion :  
rité, de commencer à y répondre ? Comment peut-on à la fois lancer des États généraux de la Une 2e édition sera disponible pour les
sécurité, demander à un conseil scientifique des recommandations, programmer un plan de for-
14 euros pour les établissements scolaires  
acheteurs de la première, sans supplément. et 21 euros pour les médiathèques.
mation à la prévention la violence et supprimer l’année de stage en responsabilité, envoyer les
nouveaux enseignants à temps plein dans les classes, les inciter à des formations qu’ils ne sont
pas surs de pouvoir suivre ? Qu’est-ce qui se tient dans tout cela ? À quoi tient-on vraiment ?
Alors qu’il y a tant à faire, beaucoup d’enseignants aujourd’hui, au lieu de développer leur
pouvoir d’agir, sont empêchés de le faire.
Messieurs les décideurs, un peu de tenue, s’il vous plait.

À l’école avec les élèves roms,


tsiganes et voyageurs
Mis à disposition gratuitement

Six contributions pour donner quelques clés de compréhen-


sion, quelques pistes pour se débrouiller entre, d’une part, le
constat de la « spécificité » des élèves, la reconnaissance de
leurs « besoins éducatifs particuliers », et, d’autre part, la néces-
sité de tendre vers la scolarisation ordinaire, en accord avec le
droit commun que devraient respecter tous les acteurs.
Les Cahiers pédagogiques est une revue indépendante éditée par le Coordonné par Régis Guyon et Michaël Rigolot. Édition
Cercle de recherche et d’action pédagogiques (Crap), association loi 1901 engagée partielle du hors-série numérique à paraitre en janvier 2011.
dans la réflexion sur les pratiques quotidiennes de l’enseignement tout comme dans

www.cahiers-pedagogiques.com
les combats en faveur d’une école plus juste et plus efficace. Ses membres exercent
dans tous les secteurs de l’école, de la maternelle à l’université.

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