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ECONOMIE EUROPEENNE

Cours

Guillaume VALLET

Département
d’Enseignement à
Distance

Licence 2ème année


Semestre 3
2019-2020

© EAD –FACULTE D’ECONOMIE-UGA-


2019-2020-Tous droits réservés
Chapitre 8
Économie européenne

Introduction

L’actualité économique nous parle fréquemment de l’Union européenne (UE),


comme la crise démarrée en 2008 l’a démontré. L’UE est la première zone écono-
mique mondiale avec un produit intérieur brut représentant environ 25 % de
l’ensemble de celui de la planète. Pourtant, si l’UE renvoie à l’Europe, ce n’est pas
toute l’Europe. Bien que l’UE occupe une place centrale dans celle-ci, cet espace
est en effet non unifié, très hétérogène, avec plusieurs États-nations le composant.
C’est même un « bol de spaghetti » pour reprendre l’expression de R. Baldwin
que nous avons utilisée dans le chapitre 7, dans le sens où si l’UE est le cœur de
la région, elle est plus ou moins fortement reliée par tout un ensemble de dispo-
sitifs institutionnels (accords bilatéraux, accords préférentiels…) à d’autres zones
géographiques, plus ou moins proches (Suisse, Maghreb, Turquie, États-Unis…).
Ainsi, l’UE exerce une influence forte sur le développement régional et international
des échanges. Cela signifie qu’elle influence fortement l’économie européenne,
entendu ici selon deux acceptions :
– espace européen de création et de distribution des richesses non totalement
unifié ;
– branche des Sciences économiques étudiant spécifiquement cet objet.
Dans ce chapitre, les deux dimensions seront mêlées pour aborder l’économie
européenne, pour mettre en avant ses caractéristiques, sa puissance, ses limites
comme ses perspectives futures. Notre plan sera le suivant : dans une première
partie, seront abordées les grandes caractéristiques de l’économie européenne. Puis,
dans un second temps, nous mettrons en évidence que l’économie européenne est
sous tensions. Précisons pour terminer cette introduction que compte tenu de la
dynamique et de la force d’attraction de l’UE précisées ci-dessus, une large place
lui sera faite quand nous traiterons de l’économie européenne.

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1. Les grandes caractéristiques de l’économie européenne

Nous décrivons tout d’abord l’architecture de l’UE (1.1), puis nous insistons sur
son « poids » dans différentes dimensions (1.2).

1.1. L’architecture de l’UE

Décrire l’architecture de l’UE suppose de revenir la dimension économique et


monétaire (1.1.1), la dimension sociale (1.1.2) et enfin la dimension politique et
institutionnelle (1.1.3).

1.1.1. La dimension économique et monétaire

Au sein de l’Europe, il y a l’UE. Celle-ci compte 28 membres aujourd’hui, contre 6


en 1957 lors de sa création par le Traité de Rome. Cet énorme accroissement renvoie
à une double dynamique : celle de l’élargissement et de l’approfondissement. Les
deux se renforcent mutuellement car lorsque les pays développent les liens qui
les unissent, ils créent un fonctionnement spécifique (approfondissement) qui est
susceptible de mettre à l’écart les pays non membres. Cela implique alors de faire
partie du « club » (élargissement), nécessitant à nouveau une redéfinition des règles
de fonctionnement renforçant les liens réciproques (nouvel approfondissement).
On peut parler d’intégration, pour faire référence au processus qui consiste à ce
que des pays délègue ou renonce à des éléments de souveraineté nationale pour
former un espace économique commun, voire unique.
Cette dynamique rappelle R. Baldwin cité plus haut qui parle de « théorie des domi-
nos » : les entreprises des pays non membres, qui souhaitent exporter dans la zone
qui s’intègre de plus en plus, font pression sur leurs gouvernements pour en faire
partie. L’UE exerce ainsi des « effets gravitationnels » croissants sur l’extérieur :
sa taille et sa force attirent les plus petits éléments gravitant tout autour, comme
pour le cas des masses en physique. C’est dans cette perspective que l’on comprend
alors l’expression « bol de spaghetti » : soit un pays rejoint le centre, soit il doit
être relié à celui-ci par un lien plus ou moins fort. Dans les deux cas, l’UE accroît
son influence. Cette théorie illustre clairement les incitations à l’adhésion pour
des pays extérieurs à une zone qui renforce son degré d’intégration, et justifie ex
Chapitre 8 • Économie européenne

post les élargissements.


Ainsi, l’Union européenne est passée de 6 États membres au moment de la signa-
ture du traité fondateur de 1957 (Traité de Rome) avec la France, l’Allemagne,
l’Italie et les trois pays du Benelux : la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, à
28 aujourd’hui. La carte ci-après le précise :

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Carte 1 : L’Union européenne en 2015

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Source : Commission européenne, 2015.

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Cette intégration européenne dans le cadre de l’UE se retrouve aussi avec la créa-
tion de la zone euro en 1999. De 11 États membres initialement, elle en compte
19 aujourd’hui. Avoir une seule et même monnaie échangée entre des pays très
divers incarne parfaitement le sens donné précédemment au mot intégration. Elle
correspond en tout cas à l’idée qu’un grand marché comme celui de l’UE fonctionne
mieux avec une seule monnaie.
De plus, comme pour l’UE précédemment, la zone euro est attractive pour les pays
tiers : d’une part, parce que tous les pays de l’UE doivent normalement y adhérer,
en référence à l’acquis communautaire. Cela explique que certains pays comme
le Danemark sont dans une situation d’ancrage de leur monnaie à l’euro, dans la
prévision d’adoption de la monnaie unique, à moyen-long terme ; d’autre part,
certains pays sont « euroisés » de fait, comme le Monténégro.
Attardons nous un peu plus sur cette question monétaire, très importante. Lors de
sa création en 1999, l’euro a été placé sous la responsabilité de la Banque centrale
européenne (BCE). Selon ses statuts, celle-ci a comme objectif prioritaire la stabilité
des prix, et si ce premier objectif est atteint, la recherche de la croissance écono-
mique. La BCE a interprété cette mission à travers une définition de la stabilité
des prix comme étant une progression des prix proche de 2 % par an pour la zone
euro. Avant 2003, c’était la fourchette 0-2 % qu’elle visait ; mais elle a changé en
2003, l’intervalle étant perçu comme donnant de fait une préférence à la déflation.
Ce n’est pas une stratégie de ciblage de l’inflation à proprement parler, mais celle
de la BCE en est proche dans les faits. En somme, la BCE cherche à lutter à la fois
contre l’inflation et contre la déflation. À partir de là, la BCE est libre de se fixer
des objectifs intermédiaires si elle le souhaite (taux de change, croissance de la
masse monétaire…) comme de choisir les instruments les plus appropriés pour
atteindre l’objectif final (taux d’intérêt, achat de titres…). Elle fonde sa décision
aussi bien sur des indicateurs économiques et des indicateurs monétaires. De
même, elle s’appuie sur un système décentralisé où les banques centrales natio-
nales (BCN) des États membres de la zone euro sont associées (Eurosystème),
voire celles de l’UE (Système Européen de Banques centrales). Le schéma page
suivante synthétise ces éléments.
En privilégiant la stabilité des prix, la BCE s’inscrit dans différentes traditions
théoriques que nous avons abordées dans le chapitre 4. Tout d’abord, c’est le cas
de la tradition monétariste de M. Friedman selon laquelle il est indispensable de
surveiller la quantité de monnaie en circulation, car elle influence la croissance
Chapitre 8 • Économie européenne

des prix. Une autre racine se trouve chez la Nouvelle économie classique de
F. Kydland et E. Prescott, qui montrent que la règle monétaire est plus efficace
que la discrétion monétaire de même que l’indépendance politique de la banque
centrale. La BCE se situe dans ce schéma à travers sa définition de la stabilité des
prix, et par le fait qu’elle n’a pas d’ordre à recevoir de la part des gouvernements.
Après cet premier état des lieux de l’économie européenne, nous poursuivons en
abordant la question de l’Europe sociale.

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Schéma 1 : La politique monétaire de la BCE

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Source : Auteur.

1.1.2. La dimension sociale

Quand on fait référence à l’Europe sociale, on parle de deux dimensions :


– l’ensemble des politiques sociales d’accompagnement de l’intégration euro-
péenne par le marché ;
– la diversité et la convergence des politiques sociales des États membres.
Sur le premier plan, on peut considérer qu’il y a eu des avancées indéniables depuis
les origines de l’intégration européenne, mais que ces avancées restent limitées.
Avant de donner quelques exemples, il est essentiel de rappeler que cet état de
fait est en partie la conséquence du respect du principe de subsidiarité, qui stipule
que toute politique pouvant être mise en œuvre au niveau d’un État doit rester du
domaine de compétences de cet État. Autrement dit, une politique au niveau de
Chapitre 8 • Économie européenne

l’UE n’est envisageable que si elle n’est pas déjà réalisée à l’échelon national. Ce
principe limite donc la réalisation de projets communs en la matière.
Pour autant, l’Europe sociale avance quand même, dans un certain nombre de
secteurs. Le premier exemple qui le montre est celui de la Confédération européenne
des syndicats (CES), créée en 1973. Elle regroupe 85 organisations syndicales de
36 pays européens – donc de l’UE comme des pays non membres de l’UE – avec
un total de 60 millions de membres environ. La mission centrale de la CES est

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de défendre les intérêts des travailleurs européens et de les représenter devant
les organes de l’UE. En effet, la législation européenne ayant une influence crois-
sante sur celle des États, et in fine, sur la destinée sociale des travailleurs, la CES
souhaite pouvoir peser sur celle-ci. Plus largement, la CES vise à promouvoir un
modèle social européen qui combinerait « une croissance économique soutenable
accompagnée de niveaux de vie et de travail en hausse constante y compris le plein
emploi, la protection sociale, l’égalité des chances, des emplois de bonne qualité, l’inclu-
sion sociale et un processus de prise de décisions politiques qui implique pleinement la
participation des citoyens ».
Dans un même ordre d’idées, on peut citer la Charte communautaire des droits
sociaux fondamentaux des travailleurs adaptée en 1989. C’est une sorte de prin-
cipes minimaux communs aux pays de l’UE visant à assurer :
– la libre circulation des travailleurs ;
– l’emploi et des rémunérations ;
– l’amélioration des conditions de travail ;
– la protection sociale ;
– la liberté d’association et de négociation collective ;
– la formation professionnelle ;
– l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes ;
– l’information, la consultation et la participation des travailleurs ;
– la protection de la santé et de la sécurité au travail ;
– la protection des enfants, des adolescents, des personnes âgées et des personnes
handicapées.
Cette Charte a influencé l’élaboration d’une Charte européenne des droits fonda-
mentaux singée en 1999 puis complétée en 2007, qui reconnaît un ensemble de
droits personnels, civils, politiques, économiques et sociaux aux citoyens de l’UE
et les inscrit dans la législation de l’UE. Elle fixe des principes dans les domaines
de la dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté, et justice. Elle est censée
s’imposer aux droits nationaux.
Ces exemples confirment l’argument précédent selon lequel des avancées existent,
mais demeurent de moyenne portée ou sont insuffisamment contraignantes. On
Chapitre 8 • Économie européenne

peut le regretter, dans la mesure où sur le plan social, les États de l’UE et les États
européens plus largement, sont confrontés à d’importants défis communs.
Le premier concerne le vieillissement de la population. Celui-ci aura des inci-
dences négatives sur le niveau de la population active comme sur la productivité
du travail, ce qui pourrait justifier une harmonisation des mesures, ou du moins
de l’âge légal de départ en retraite. Or le tableau suivant indique que même si une
convergence officielle s’est opérée au fil du temps, des écarts réels demeurent :

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Tableau 1 : Âge de départ en retraite dans différents pays de l’UE

Âge légal de départ Âge réel de départ


Pays
en retraite en 2013 en retraite en 2013
Allemagne 65 61,6
Belgique 65 58,1
France 62 58,7
Italie 65 60,4
Royaume-Uni 65 63,2
Suède 61-67 63,2

Source : Eurostat, 2015.

Notre deuxième exemple fait référence à l’existence et au niveau d’un salaire mini-
mum. Ce dernier peut être perçu comme une mesure institutionnelle permettant
une protection du travailleur, pour éviter les effets négatifs de la libéralisation du
marché du travail, et de la concurrence européenne. Or, compte tenu des niveaux de
développement très différenciés dans l’UE, des écarts très importants demeurent :

Tableau 2 : Niveaux du salaire minimum dans différents pays de l’UE

En euros, en parité
En euros constants,
Pays de pouvoir d’achat
à temps plein
(PPA)
Irlande 1 462 1 160
Pays-Bas 1 424 1 307
Belgique 1 415 1 549
France 1 365 1 196
Royaume-Uni 1 139 1 156
Grèce 863 894
Espagne 748 766
Portugal 566 638
Chapitre 8 • Économie européenne

Pologne 349 554


République tchèque 319 432
Hongrie 281 433
Roumanie 157 274
Bulgarie 123 233

Source : Observatoire des inégalités, 2015.

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Au-delà de ces exemples, on constate que la vision comme la forme de la protection
sociale diffèrent fortement dans l’UE, et plus largement en Europe. Le tableau
ci-après le synthétise, à travers la présentation des types d’État-providence euro-
péens selon la grille de lecture d’Esping-Andersen :

Tableau 3 : Les différentes formes d’État-providence en Europe

État-providence assurantiel
État-providence résiduel État-providence universel
ou
ou libéral ou social-démocrate
corporatiste-conservateur
Démarchandisation Démarchandisation Démarchandisation forte
faible moyenne
Rôle essentiel des Protection sociale adossée Protection sociale élevée
mécanismes du marché au travail salarié contre les risques sociaux
pour l’assurance Rôle des cotisations sociales Importance des services
Assistance sous (modèle Bismarckien) collectifs
conditions de ressources Rôle de l’impôt (modèle
Beveridgien)
Royaume-Uni, Suisse Allemagne, Autriche, Suède, Danemark, Pays-
Belgique, France, Italie Bas, Norvège

Source : Auteur.

En conclusion sur l’Europe sociale, nous pouvons affirmer que si des avancées
indéniables existent, elles restent limitées du fait du principe de subsidiarité. Les
questions sociales majeures se posent toujours essentiellement au niveau national,
compte tenu des préférences nationales de structures et des niveaux de développe-
ment différents. L’Europe sociale ne semble pas constituer une dimension centrale
de l’intégration, alors qu’elle en est pourtant le cœur. L’économie européenne ne
peut fonctionner de façon efficace et juste sans annexer les questions sociales,
car cela touche à la libre circulation des facteurs, aux effets de rattrapage, à la
concurrence fiscale et sociale… Nous insisterons sur cette dimension plus longue-
ment, mais il est important d’en prendre conscience dès maintenant (Encadré 1).
Nous traitons désormais des aspects politiques et institutionnels, nécessaires à
assimiler pour comprendre le fonctionnement de l’UE.
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Encadré 1 : Le dumping social dans l’UE
À l’issue d’intenses tractations, une directive dite « d’exécution » de la directive sur
le détachement – qui date de 1996 – a été adoptée. Mais elle ne va pas suffisamment
loin. Selon la directive de 1996, lorsqu’une entreprise obtient un contrat dans un
autre pays de l’Union européenne, elle peut y envoyer des travailleurs pour une
durée limitée à deux ans maximum. Cette directive crée un système à deux jambes.
D’un côté, les travailleurs sont payés au salaire du pays d’accueil et c’est le droit du
travail de ce pays qui s’applique. Mais, de l’autre, tout ce qui concerne la sécurité
sociale reste de la compétence du pays d’origine. Ainsi, c’est dans le pays d’origine
que les cotisations sociales salariales et patronales sont acquittées. Cette pratique
du détachement n’a en fait réellement décollé que dans les années 2000, avec les
vagues d’élargissement de l’Union européenne.
[…]. C’est qu’entre-temps, les différences considérables de coût du travail entre pays
européens ont attiré l’attention de « certaines entreprises qui ont compris qu’elles
avaient intérêt à créer une filiale en Pologne pour faire venir des travailleurs polonais
en payant moins de cotisations sociales », explique la professeure [Marianne Dony]
de l’Université Libre de Bruxelles. Au point, explique Werner Buelen, secrétaire
politique de la Fédération européenne des travailleurs du bâtiment et du bois, que
« des États créent des systèmes où les cotisations sont très basses afin d’exporter
des travailleurs. Ce qui permet d’éviter des taux de chômage élevés et de générer
des transferts de fonds envoyés par les travailleurs détachés ».
[…]. Deux types d’abus sont en effet particulièrement fréquents. D’abord, les
entreprises boîtes aux lettres qui s’installent administrativement dans un État
membre de l’Union, mais sans y développer d’activité économique réelle, dans le
seul but de détacher des travailleurs peu coûteux. Le second problème, qu’explique
Séverine Picard, conseillère juridique à la Confédération européenne des syndicats
(CES), concerne « les travailleurs qui ne bénéficient pas des termes dont ils sont
censés bénéficier ».
C. Vallet, « L’Europe minée par le dumping social »,
Alternatives économiques, n° 347, 2015.

1.1.3. La dimension politique et institutionnelle

Au sein de l’UE, il y a plusieurs institutions centrales. Nous présentons ci-après


Chapitre 8 • Économie européenne

celles qui nous paraissent les plus significatives :


– le Parlement européen : il s’agit d’un organe législatif permettant le contrôle
démocratique des institutions européennes. Ses 751 députés sont élus par les
peuples européens depuis 1979 ;
– la Cour de justice européenne : sa mission est d’assurer le respect du droit dans
l’interprétation et l’application des traités ;

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– le Conseil européen : il réunit les chefs d’État et de gouvernement des États
membres. Il possède un rôle d’impulsion des projets ;
– le Conseil de l’Union européenne : c’est en fait le Conseil des ministres des pays
de l’UE. Selon les thèmes importants, les ministres concernés se réunissent
(par exemple, les ministres de l’Agriculture pour les questions agricoles). Il
s’agit d’un organe législatif ;
– la Commission européenne : c’est un organe de proposition et d’exécution de la
mise en œuvre des mesures législatives.
Le schéma simplifié suivant propose une illustration des interactions entre ces
organes :

Schéma 2 : Les principaux organes politiques de l’UE




 
   
 

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Source : Auteur.
Chapitre 8 • Économie européenne

En plus de ces institutions, d’autres jouent un rôle important, même si nous les
considérons comme mineures en comparaison des premières :
– le Comité économique et social : il représente les différentes catégories de la vie
économique et sociale de chaque pays ;
– la Cour des comptes européenne : elle contrôle l’utilisation des fonds européens ;
– la Banque européenne d’investissement : elle accorde ou garantit des prêts à des
organismes publics et des entreprises privées de l’UE ;

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– le Mécanisme européen de stabilité : mis en place lors de la crise de 2007, il a
pour fonction de jouer un rôle de stabilisateur en cas de crise.
En résumé, on le voit, la mise en place de ces institutions s’est faite au fil du
temps, parfois dans un contexte de pragmatisme. Elles permettent d’améliorer le
fonctionnement interne de l’UE, c’est-à-dire qu’elles participent à son approfon-
dissement. Sur ce plan, l’UE a même cherché à se « constitutionnaliser », comme
le résument les étapes suivantes marquées par la signature de différents traités
visant à différents objectifs :
– le Traité de Rome (1957) : instituer les communautés européennes (Communauté
économique européenne (CEE), Communauté européenne du charbon et de
l’acier, Communauté européenne de l’énergie atomique) ;
– l’Acte Unique (1986) : créer un grand marché intérieur ;
– le Traité de Maastricht (1993) : créer une monnaie unique ;
– le Traité d’Amsterdam (1997) : renforcer le Parlement européen et l’application
du Traité de Maastricht ;
– le Traité de Nice (2000) : réformer institutionnellement l’UE pour fonctionner
avec une UE élargie ;
– le Traité établissant une Constitution pour l’UE (2005) : renforcer les institutions
européennes, rapprocher l’UE des peuples, entériner constitutionnellement
le fonctionnement de l’UE (remplacer les traités existant) ;
– le Traité de Lisbonne (2007) : renforcer les institutions européennes, rappro-
cher l’UE des peuples, entériner constitutionnellement le fonctionnement de
l’UE (conserver mais modifier les traités existant).
Si sur le plan intérieur, nous pouvons constater que les progrès sont indéniables,
qu’en est-il au niveau extérieur ? L’UE s’est notamment dotée d’un Haut représen-
tant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (F. Moderini),
ce qui représente une réelle avancée pour peser politiquement sur la scène inter-
nationale. De même, le fait que l’UE parle d’une seule voix dans des institutions
comme l’OMC permet d’avancer plus vite dans les décisions, et d’apparaître unie
aux yeux du monde.
Malgré tout, l’UE reste qualifiée de « nain politique », du moins quand on compare
son poids politique à son poids économique au niveau international. Comme pour
l’Europe sociale, les États ont du mal à déléguer une partie de leur souveraineté
Chapitre 8 • Économie européenne

nationale sur des questions politiques, ce qui freine l’intégration politique. L’exemple
flagrant est celui d’une « Europe de la défense » : projet lancé dès les années 1950, il
n’a jamais vu le jour, tant il s’agit d’un sujet sensible, en particulier pour les grandes
puissances militaires que sont la France ou le Royaume-Uni. Or historiquement,
une grande puissance internationale a toujours été une puissance dans tous les
domaines : économique, monétaire et militaire. C’est donc un problème pour l’UE
pour être véritablement reconnue internationalement.

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Il convient désormais d’investiguer plus en profondeur cette question du « poids »
de l’UE, notamment sur le plan international.

1.2. Le « poids » de l’UE

Pour aborder la problématique du « poids » de l’UE, nous étudions en premier


lieu la question de son élargissement (1.2.1), des échanges de l’UE avec le reste
du monde (1.2.2) et la question de l’approfondissement (1.2.3).

1.2.1. L’élargissement : jusqu’où ?

Depuis sa création, l’UE a accueilli de plus en plus de membres, dénotant une


attractivité croissante. En lien avec ce que nous avons dit au début du chapitre
à propos de la théorie des dominos, l’UE s’est élargie selon les étapes suivantes :
– les 6 fondateurs (1957) : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg,
Pays-Bas ;
– 1er élargissement (1973) : Danemark, Irlande, Royaume-Uni ;
– 2e élargissement (1981) : Grèce ;
– 3e élargissement (1986) : Espagne, Portugal ;
– 4e élargissement (1995) : Autriche, Finlande, Suède ;
– 5e et 6e élargissements (2004 et 2007) : Bulgarie, Chypre, Estonie, Hongrie,
Lettonie, Lituanie, Malte, République Tchèque, Roumanie, Slovénie ;
– 7e élargissement (2013) : Croatie.
En développant sa taille, l’UE donne l’impression d’être un « club », c’est-à-dire
d’un groupe où tous les membres sont égaux en interne, mais qui est discriminant
pour les non membres. D’où le fait que de nouveaux élargissements vont sans
doute continuer à s’opérer, sachant que plusieurs pays sont officiellement candi-
dats : Albanie, Macédoine, Monténégro, Serbie, Turquie. À noter que pour cette
dernière, les liens avec l’UE sont très anciens : un premier accord d’association a
été signé en 1963, ainsi que la participation du pays à l’union douanière de l’UE
depuis 1995. La candidature a été formulée une première fois en 1986, et l’hori-
zon d’une concrétisation en 2021 a même été avancé. Mais cette candidature est
Chapitre 8 • Économie européenne

« sensible », car si la Turquie est très proche économiquement de l’UE, certains


mettent en avant des paramètres géographiques, religieux ou culturels, comme
freins à l’adhésion.
D’autres pays sont aussi potentiellement candidats à l’intégration à l’UE : Bosnie-
Herzégovine, Kosovo et Ukraine, notamment avec les événements de ces dernières
années dans ce pays. Quoi qu’il en soit, tous ces cas posent la question de savoir
jusqu’où faut-il aller, et jusqu’où peut-on aller en ce qui concerne l’élargissement

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de l’UE ? Autrement dit, derrière ces candidatures, il y a l’interrogation relative
aux principes de l’adhésion, et comme on le verra par la suite, de son mode de
fonctionnement interne.
Or, les conditions de l’adhésion sont les suivantes :
– être un État européen : cela renvoie à un critère géographique. Il est cependant
d’établir des frontières « naturelles » de l’UE (DOM/TOM pour la France,
débats sur le territoire turc en Europe…) ;
– être en mesure de reprendre intégralement l’acquis communautaire : un nouvel
entrant doit pouvoir reprendre « tout ce qui a été accompli » depuis 1957, en
matière juridique, économique, monétaire…Il y a également ici la question de
la capacité du pays à être un État démocratique et un État de droit, défendant
certaines valeurs communes aux autres pays de l’UE. Sur le plan économique, il
n’est pas toujours évident pour un nouvel entrant, quand son PIB est inférieur
à la moyenne européenne, de supporter le « choc » de l’adhésion.
Pour cela, il existe notamment l’Instrument d’Aide de Préadhésion (IAP), qui est
un outil permettant de soutenir les réformes dans les pays candidats. Son budget
prévisionnel est de 11,7 milliards d’euros pour la période 2014-2020. Ce fonds aide
ces pays à se développer et à investir dans des secteurs stratégiques.
Ce qui est certain, c’est qu’au-delà de ces principes, la dimension pragmatique
prime souvent. Par exemple, si les nouveaux entrants de 2004 n’étaient sans doute
pas tous prêts au regard de critères juridiques et économiques, la situation parti-
culière des pays sous ancienne influence soviétique a joué un rôle déterminant
dans l’accélération du processus.
De même, l’élargissement n’est pas un processus se réalisant selon des modali-
tés uniques, ou concernant tous les pays européens. Certains pays n’en font pas
partie, délibérément. C’est le cas des pays de l’Espace Économique Européen
(EEE), espace de libre-échange créé en 1991 avec certains pays de l’Association
Européenne de Libre-Échange (AELE, fondé en 1960) et l’UE. Ainsi, la Norvège,
l’Islande et le Liechtenstein sont réticents à l’intégration européenne. Tout comme
la Suisse, qui ne fait ni partie de l’UE, ni de l’EEE : elle est reliée à l’UE par des
accords bilatéraux qui n’offrent pas tous les avantages de l’intégration, mais qui
permettent au pays de conserver une grande partie de son indépendance et de sa
souveraineté nationales (Encadré 2).
Ainsi, bien que la dynamique de l’intégration européenne ne relève pas d’un proces-
Chapitre 8 • Économie européenne

sus uniforme et unifié, elle exerce cependant une force d’attraction indéniable
sur les économies périphériques à la zone. Cela tend à stimuler les échanges et
donc à favoriser la création de commerce. On pourrait alors dire qu’il s’agit d’un
« régionalisme ouvert », car malgré l’antinomie de ces termes, cela signifie que
des échanges vont exister avec le reste du monde.

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Encadré 2 : La Suisse et l’UE : une « intégration non adhésive »
Si la Suisse est au « cœur » de l’Europe sur le plan géographique, elle ne fait pas partie
de l’UE et de la zone euro. Dès les débuts de la construction européenne, la Suisse
a tenu à prendre ses distances vis-à-vis de l’intégration économique et monétaire
européenne, pour des raisons politiques liées aux délégations de souveraineté
aux organes supranationaux de l’UE, mais surtout économiques et financières. En
effet, si la Suisse dépend de longue date des marchés européens, elle est ouverte
aux échanges extérieurs extra-européens. Son taux d’ouverture, évalué à 45 % du
PIB, inclut non seulement les pays de l’UE, mais aussi les pays asiatiques et surtout
les États-Unis. Cela signifie que d’un point de vue économique, le pays est « entre
deux mondes ». Ces derniers sont certes d’une importance respective inégale,
mais ils montrent en tout cas que la situation économique suisse ne peut pas être
pensée dans le cadre d’une dépendance unique à l’égard des marchés européens.
De même, la Suisse est une place financière européenne importante en dehors de
la zone euro, dont les opérations avec des non-résidents sont massives. En lien
également avec une monnaie internationalement reconnue, le pays est parvenu à
construire un avantage comparatif prépondérant dans les domaines bancaire et
financier (10 % du PIB). Plus particulièrement, la Suisse met en avant l’abondance
des capitaux circulant sur son territoire qui induit en comparaison internationale
un « bonus » de taux d’intérêt, qui pourrait disparaître en cas d’une adhésion à
l’UEM, tout comme le « fameux » secret bancaire.
Guillaumin C. & Vallet G., « La Suisse et la zone euro : votre monnaie,
notre problème ? La possibilité d’un ancrage de jure »,
Revue d’économie politique, 122 (5), 2012.

1.2.2. Les échanges de l’UE avec le reste du monde

Dans une image de « cercles concentriques d’intégration », des régions géographi-


quement plus ou moins proches entretiennent des liens plus ou moins privilégiées
avec l’UE, le cœur de l’économie européenne. C’est tout d’abord le cas du partenariat
« EuroMed », institué lors de la Conférence de Barcelone en 1995, qui réunit les
pays de l’UE et 10 États méditerranéens : Algérie, Autorité palestinienne, Égypte,
Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Syrie, Tunisie et Turquie. En 2007, l’Albanie et la
Mauritanie rejoignent également ce groupe. La Libye n’en fait pas partie, mais il
Chapitre 8 • Économie européenne

était prévu qu’elle l’intègre à moyen terme. Les récentes tensions dans ce pays
n’ont pas arrangé les choses.
L’objectif de ce partenariat « EuroMed » est certes de renforcer les liens économiques
via la création d’un marché de libre-échange, mais également de créer un espace de
paix et de sécurité. C’est d’autant plus central aujourd’hui que les menaces terroristes
se sont accrues, et nécessitent une collaboration renforcée. C’est pourquoi les pays
de la Méditerranée bénéficient d’aides européennes à hauteur de milliards d’euros

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par an, notamment via les actions de la Banque Européenne d’Investissement.
Lors de sa mandature, l’ancien Président de la République N. Sarkozy avait lancé
l’idée d’une « Union pour la Méditerranée », qui aurait justement permis selon
d’être plus visible, plus structurée et plus équilibrée en termes de répartition des
pouvoirs. Pour autant, certains comme la Turquie y avaient vu un moyen détourné
de mettre un terme à la possibilité d’une adhésion à l’UE.
Une autre zone périphérique est la Russie, avec qui les rapports sont là encore
particuliers. Effectivement, il s’agit d’un partenaire important, notamment pour
les importations européennes de matières premières (gaz, pétrole), et les expor-
tations européennes en direction de la Russie (biens de luxe, fruits et légumes,
voitures). Mais il existe des tensions, dans la mesure où la Russie est aussi une
puissance économique et politique qui souhaite marquer son indépendance et son
influence sur les pays environnants. La hausse du cours des matières premières
dans les années 2000 a donné des moyens à cette ambition portée par V. Poutine.
Le conflit en Ukraine est tout à fait illustratif de cette situation ambivalente : la
Russie et l’UE savent qu’elles ne peuvent rompre totalement leurs relations directes,
mais elles s’affrontent indirectement pour exercer leur influence sur l’Ukraine.
Troisième type de relation considérée ici : les relations transatlantiques. On a
affaire à un lien ancien et fort entre les continents européen et nord-américain,
qui font que les échanges sont intenses. Ainsi, si l’on rajoute à cela la faiblesse
des droits de douane frappant les échanges entre les deux zones du fait de leur
appartenance commune à l’OMC, il semble que la constitution d’un partenariat
renforcé ne soit pas indispensable. Malgré tout, l’idée d’établir une grande zone
de libre-échange entre l’UE et le Canada (signée le 25 septembre 2014), puis entre
l’UE et les États-Unis, a été lancée en 2013. Il s’agirait de chercher à réduire encore
plus les droits de douane, mais aussi les barrières non tarifaires pour harmoniser
les normes d’échange.
Mais ce projet a été très contesté car les estimations montrent un très faible impact
positif sur la création de commerce : les échanges seraient stimulés à hauteur d’une
fourchette comprise entre 0,3 % et 1,3 % du PIB…sur 10 ans. Surtout, c’est la mise
en place d’un Tribunal arbitral réglant les litiges entre firmes transnationales et
les États qui pose problème : ses jugements se baseraient en priorité sur le fait de
ne pas pénaliser l’activité des entreprises, questionnant clairement l’exercice de
la souveraineté des États-nations.
Enfin, terminons ce rapide panorama en évoquant brièvement les relations de l’UE
Chapitre 8 • Économie européenne

avec les pays émergents. Nous retenons ici la Chine et le Brésil comme représen-
tatifs de ces liens. En ce qui concerne la Chine, un accord de coopération existe
depuis 1985. Aujourd’hui, l’UE est le principal partenaire de la Chine, et la Chine
le deuxième partenaire de l’UE. Ces liens ont même eu tendance à se renforcer
avec la crise, notamment via les IDE chinois en Europe (en Grèce par exemple).
Pour le Brésil, un accord de coopération est là encore en vigueur depuis 1992,
élargi en 1995 aux pays du Mercosur auquel le Brésil appartient. Plus récemment,
un accord de coopération scientifique et technologique a été signé entre les deux

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parties en 2004, de même qu’un partenariat stratégique a été établi en 2007. Il
permet d’aborder des « questions d’intérêt commun ».
Pour conclure, les graphiques ci-après offrent une vision synthétique des principaux
partenaires de l’UE, à la fois pour les importations et les exportations :

Graphique 3 : Partenaires de l’UE au niveau des exportations


 
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Source : Eurostat, 2014.

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Chapitre 8 • Économie européenne

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Source : Auteur.

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En somme, nous pouvons conclure en affirmant que l’UE exerce une force d’attrac-
tion indéniable sur les pays périphériques. Cela crée des situations d’intégration
différenciée, à la fois dans l’intensité des échanges que dans les modalités insti-
tutionnelles choisies pour encadrer ces échanges. C’est dans cette perspective
que des économistes comme R. Baldwin ou J. Baghwati parlent de « Spaghetti
Bowl » pour désigner l’intrication complexe des liens entre l’UE et ses différents
partenaires extérieurs. C’est parce que la zone est dynamique qu’elle s’étend à sa
périphérie à partir de son cœur, mais avec des liens plus ou moins forts et struc-
turés (image du bol de spaghetti).
Toutefois, cette image du bol de spaghetti montre bien que l’élargissement ou
« l’essaimage » de l’UE doivent être reliés à l’autre partie de la dynamique inté-
gratrice de l’UE : l’approfondissement.

1.2.3. L’approfondissement

Pour aborder la question de l’approfondissement, nous commençons par les étapes


de l’intégration selon Balassa (1.2.3.1), puis nous nous focalisons sur l’intégration
monétaire réalisée à travers l’euro (1.2.3.2).

1.2.3.1. Les étapes de l’intégration selon Balassa

L’approfondissement peut être défini de différentes manières. Nous dirons ici que
ce processus désigne l’ensemble des mesures et politiques économiques, sociales et
juridiques prises entre les États membres et/ou par les instances de l’UE, permet-
tant d’accroître leur interdépendance, et à l’UE de renforcer sa dynamique en tant
que zone indépendante. On perçoit alors le lien avec le processus d’élargissement,
dont la réunion des deux permet l’existence d’une double dynamique intégratrice.
Autrement dit, les avancées en matière d’approfondissement s’apparentent à un
renforcement d’un « effet club » au sein de la zone, qui amène les pays extérieurs
à chercher à y rentrer. Cet élargissement entraîne alors à son tour un besoin de
redéfinition des règles du jeu, c’est-à-dire une redéfinition de l’approfondissement.
C’est dans cette perspective que l’approfondissement s’est mis en œuvre au sein
de l’UE, et que l’on peut résumer à partir de la typologie de B. Balassa (1928-1991)
sur les étapes de l’intégration. Plusieurs phases sont identifiées par l’auteur, avec
à chaque fois l’idée d’effets d’engrenage qui poussent à aller plus loin :
Chapitre 8 • Économie européenne

– la zone de libre-échange : dans l’UE, celle-ci a été instaurée avec la création de


la CEE en 1957 ;
– l’union douanière : c’est en 1968 que celle-ci voit le jour dans l’UE. Elle permet
de résoudre certains effets pervers de la seule zone de libre-échange, et de
redonner du pouvoir collectif à la zone. En effet, quand chaque pays possède
un tarif extérieur alors qu’une zone de libre-échange existe, une firme est
tentée de faire entrer son produit dans le pays où la taxe douanière est la

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plus faible, puis de réexporter ensuite comme elle l’entend au sein de la zone.
Le pouvoir est alors du côté de la firme, pas des États, qui perdent certaines
recettes fiscales. À l’inverse, avec l’union douanière, la firme ne peut effectuer
aucun arbitrage selon ce critère, et les États peuvent se partager les recettes.
C’est pour cette raison que la Turquie et l’UE sont dans une situation d’union
douanière notamment ;
– le marché commun : il correspond au franchissement d’une étape décisive puisque
les pays de la zone s’accordent à développer toutes les libertés (biens, services,
capitaux, individus). Dans l’UE, cela s’est réalisé par étapes entre 1968 et 1992,
et montre la volonté de renforcer le degré d’intégration des pays ;
– l’union économique et monétaire : l’union économique signifie l’instauration
d’un marché unique. Ce dernier va plus loin que le marché commun, car il
suppose, une fois les barrières et les restrictions abolies, de renforcer l’har-
monisation voire l’unification des règles de fonctionnement. Par exemple, il
ne suffit pas de dire que les individus peuvent circuler et s’établir librement
dans une zone ; encore faut-il harmoniser les diplômes et instaurer le principe
de reconnaissance mutuelle. En Europe, c’est à partir de la mise en œuvre du
Traité de Maastricht en 1993 que l’on a établi le marché unique dans l’UE.
De plus, « à marché unique, monnaie unique » : l’existence de différentes
monnaies dans un marché unique est vue comme engendrant des coûts supplé-
mentaires, ce qui est une justification pour renoncer aux monnaies nationales
et préférer. Nous détaillons plus largement ci-après, mais il est important à
partir de là de noter deux choses : la construction européenne passe par une
logique de marché concurrentiel, c’est-à-dire d’offre ; ce marché ne peut plei-
nement fonctionner que s’il n’existe qu’une seule monnaie, ce que mettait en
avant entre autres le rapport Emerson de 1990. C’est dans cette perspective
que l’euro a vu le jour en 1999 sous sa forme scripturale ;
– l’union politique : elle suppose de créer des institutions qui se substituent à celles
nationales. Dans l’UE, l’union politique est de ce fait loin d’exister, car cette
étape suppose de déléguer des marges de souveraineté, ce qui est très sensible
sur le plan politique. Par exemple, l’union politique reposerait sur l’existence
d’un impôt communautaire, qui est actuellement très loin d’exister.
Ces étapes de l’intégration possèdent une dimension téléologique. Elles sont aussi
très adaptées à l’analyse de la construction européenne, et moins à d’autres formes
d’intégration régionale ailleurs dans le monde. Ceci étant précisé, nous insistons
Chapitre 8 • Économie européenne

plus lourdement sur l’étape liée à l’intégration monétaire, car dans le cas de l’UE,
l’instauration d’une monnaie unique européenne a marqué une avancée remarquée
dans l’approfondissement.

1.2.3.2. Focus sur l’intégration monétaire : comment est-on arrivé à l’euro ?

L’idée de réaliser une union monétaire ne remonte pas au début des années 1990.
Très tôt, cette perspective émerge, comme en 1957 avec la création d’un Comité
monétaire qui prévoit pour les pays de la CEE une coordination des politiques

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monétaires des banques centrales. Surtout la Conférence de La Haye en 1969,
qui reprend les recommandations du Rapport de R. Barre (1924-2007) en 1969,
préconise l’instauration d’une union économique et monétaire d’ici à 1980.
Effectivement, comme il existe à l’époque des tensions dans le système monétaire
international, un renforcement de l’intégration monétaire européenne est perçu
comme un substitut intéressant à cette défaillance globale.
Une telle vision est confirmée en 1971 par le Rapport Werner, qui insiste sur la
nécessité de concrétiser cette intégration monétaire renforcée par la libéralisation
des mouvements de capitaux, l’intégration des marchés financiers et l’instauration
d’une monnaie et d’une banque centrale communes. Surtout, ce projet voit le jour
avec la création du Serpent Monétaire Européen (1972) : dans le cadre du système
de Bretton Woods, les pays européens prévoient de lier encore plus fortement
leurs monnaies entre elles, à ± 2,25 %.
On parle alors du « serpent dans le tunnel ». Mais ce système devient mort-né
avec l’implosion du système monétaire de Bretton Woods. Malgré tout, l’idée
d’une coopération étroite est lancée, et se renforce avec la mise en place en 1973
du Fonds Européen de Coopération Monétaire (FECOM), qui crée l’European
Currency Unit (ECU) qui est unité de compte européenne définie à partir des
monnaies nationales.
À partir de là, c’est essentiellement l’entrée en vigueur du Système Monétaire
Européen (SME) en 1979 qui marque une étape décisive dans l’intégration monétaire
européenne. Son objectif est simple : lier les monnaies nationales de la zone entre
elles pour éviter des fluctuations trop importantes, et préparer progressivement
leur substitution par une monnaie unique (l’ECU puis l’Euro).
Une telle vision est compatible avec ce que nous avons énoncé précédemment pour
le principe un marché = une monnaie : une monnaie unique stimule les échanges
intra-zone, et redonne des marges de manœuvre à la politique monétaire, selon les
principes du triangle des incompatibilités de R. Mundell en situation de liberté de
circulation des capitaux, il ne peut y avoir simultanément fixité du taux de change
et autonomie de la politique monétaire. Il est alors nécessaire de renoncer à une de
ces dimensions. Dans le cas européen, comme le SME a été retenu tout comme le
principe de liberté de circulation des capitaux, les pays ont privilégié la délégation
de leur autonomie monétaire pour créer une monnaie unique.
Concrètement, l’ECU est construit à partir d’une moyenne pondérée des cours
des monnaies européennes en dollar. L’ECU est donc ce que l’on appelle une
Chapitre 8 • Économie européenne

« monnaie panier ». De cette valeur générale de l’ECU, on en déduit un cours pivot


de chaque monnaie nationale vis-à-vis de l’ECU. L’intérêt de l’ECU est de faire en
sorte que les monnaies nationales ne fluctuent pas de plus ou moins 2,25 % par
rapport au cours pivot. Par contre, si l’on se réfère aux trois fonctions classiques
de la monnaie, l’ECU n’est pas une monnaie à part entière. C’est bien une unité de
compte que l’on peut utiliser pour le libellé des comptes bancaires et des règle-
ments en Europe, de même qu’il peut s’agir d’un instrument de réserve. Mais ce
n’est pas un moyen de paiement.

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Notons que le SME contient une asymétrie endogène : la monnaie qui s’apprécie
ne défend pas sa parité, contrairement à celle qui se déprécie. Cela veut dire que
la banque centrale concernée va devoir calquer sa politique monétaire sur celle
dont la monnaie s’apprécie, ce qui peut être contre-productif si les cycles ne coïn-
cident pas. C’est dans cette perspective que le FECOM a un rôle important, car il
participe à la stabilisation des parités en collaboration avec les banques centrales.
Le bilan du SME est mitigé : s’il a indéniablement apporté une stabilisation des
cours de change, concrétisée par une orientation à la baisse et une moindre vola-
tilité des prix comme des taux d’intérêt, il s’est traduit par une stagnation de la
croissance et de son potentiel. Certains auteurs comme J.-P. Fitoussi et J. Créel
ont dénoncé les modalités de cette intégration monétaire à marche forcée, où de
nombreux pays ont calqué leur politique monétaire sur celle de la banque centrale
allemande, dans le but de respecter la parité.
Or, l’Allemagne devant faire face au début des années au choc de la réunification,
sa banque centrale a augmenté ses taux d’intérêt face à la menace inflationniste et
à la nécessité d’attirer des capitaux. Les autres pays ont suivi au nom du SME, alors
que leur cycle économique aurait plutôt nécessité un assouplissement monétaire.
D’où les conséquences négatives en matière de croissance et d’emploi ainsi que
l’existence de fait d’un SME asymétrique, donnant un poids exorbitant à la poli-
tique monétaire allemande. Cela explique pourquoi le SME est entré en crise
en 1992-1993, avec une sortie temporaire (Italie) ou définitive de certains pays
(Royaume-Uni). La conséquence en a également été un élargissement des bandes
de fluctuations, pour plus de souplesse. Ces mesures ont été salvatrices sur le
plan de la concrétisation du projet initial, puisqu’elles ont permis la stabilisation
souhaitée, et rendu possible l’instauration de l’euro en 1999. Le graphique ci-après
résume les modalités de fonctionnement du SME :

Graphique 5 : Le principe de fonctionnement du SME

 

 
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Chapitre 8 • Économie européenne

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Source : Auteur.

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Nous terminons cette première partie en insistant sur certaines conséquences de
l’approfondissement sur le plan économique.

1.2.3.3. Les conséquences de l’approfondissement

Le renforcement de l’approfondissement, via notamment l’instauration d’un marché


unique, a développé au fil du temps ce que l’on appelle le commerce intra-zone,
c’est-à-dire la part du commerce en Europe des pays européens par rapport à leur
commerce total. La tendance sur le long terme est bien à la concentration des
échanges européens sur une base régionale. Nous en avions eu un aperçu dans
le chapitre 7, mais le graphique ci-dessous en offre une illustration plus précise :

Graphique 6 : Commerce intra-zone de l’UE en 2012

Source : Eurostat, 2014.

Toutefois, ce graphique laisse aussi entrevoir des différences importantes entre les
pays, entre des pays ultra « continentalisés » comme le Luxembourg, et d’autres
plus « ouverts » comme le Royaume-Uni. Cela confirme d’une certaine manière
à nouveau l’image du bol de spaghetti. Un autre point à rappeler est que si la part
moyenne du commerce intra-zone est d’environ 70 % pour l’ensemble de la zone,
Chapitre 8 • Économie européenne

ce chiffre stagne voire est en léger recul si l’on considère la période récente. Ce
n’est pas un bon indicateur pour l’unité et l’unicité du processus d’intégration, et
donc pour l’intégration elle-même.
De même, on remarque que le développement du commerce intra-zone a engen-
dré une convergence en termes de structures productives, dans la mesure où
la majorité du commerce de l’UE est du commerce intra-branche. Toutefois, ce
constat de prime abord doit être nuancé : la convergence n’a été que partielle, et
l’uniformisation des structures est encore très loin. On se retrouve plutôt avec une

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Europe hautement industrialisée (Allemagne, France, Royaume-Uni, Suède) et une
Europe faiblement industrialisée et qui décroche (Espagne, Grèce, Portugal). Les
difficultés actuelles de la zone euro peuvent aussi s’interpréter à l’aune de cette
problématique, comme le rappelle le tableau suivant, avec des chiffres concernant
les périodes d’avant crise :

Tableau 4 : Spécialisation manufacturière de l’UE-15.


Avantages comparatifs révélés par gammes de prix-qualité
(en millièmes des exportations et des importations manufacturières du pays)

Source : CEPII, 2010.

En dynamique, comme un chiffre négatif (positif) indique un renforcement (abais-


sement) de l’avantage, on constate aux extrêmes que l’Allemagne n’avait fait que
renforcer avant la crise sa spécialisation dans le haut de gamme, contrairement à
la Grèce, dont la compétitivité s’érodait.
Cet exemple illustre bien le caractère ambivalent de l’intégration européenne : si
des avancées indéniables se sont accomplies depuis 1957, leur ampleur dépend des
domaines concernés, d’autant qu’elles ne sont pas forcément linéaires. On constate
en effet avec la crise une amplification des tensions, qui questionnent fortement
la dynamique comme le sens de ce projet. Nous nous interrogeons davantage sur
ce fait dans la deuxième partie.
Chapitre 8 • Économie européenne

2. Une économie européenne sous tension

Au cours de cette partie, nous revenons dans une première sous-partie sur les
problèmes et les dysfonctionnements de l’UE (2.1), mais aussi sur le fait que l’UE
est en marche, et donc que des avancées positives sont susceptibles de survenir
dans le futur (2.2).

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2.1. Les problèmes et les dysfonctionnements de l’UE

L’intégration européenne s’est basée sur l’offre de façon trop déséquilibrée, ce


qui en constitue à nos yeux une importante limite (2.1.1). De même, la vision
unique et unitaire de l’intégration monétaire incarnée par l’euro semble poser
des problèmes (2.1.2).

2.1.1. Les limites d’une construction européenne fondée sur l’offre

L’intégration européenne ne peut avancer pleinement si un poids trop important,


voire unique, est accordé à l’offre. C’est dans cette perspective que nous revenons
que le rôle ambigu de la Commission européenne (2.1.1.1) tout comme sur la
défaillance de politiques structurelles au sein de l’UE (2.1.1.2).

2.1.1.1. Le rôle ambigu de la Commission européenne

Quand on fait référence à l’offre de la construction européenne, on pense au


marché unique et par extension à la Commission européenne qui est en charge
de sa dynamique et de sa régulation. En effet, cette institution veille à ce que le
marché intérieur exerce ses effets positifs, en particulier grâce aux économies
d’échelle réalisées. Mais la Commission surveille aussi la constitution de mono-
poles publics et privés, et les aides d’État faussant la concurrence, ce qui nuirait
aux consommateurs et aux nouveaux entrants potentiels.
Elle est d’ailleurs très regardante sur l’existence supposée ou avérée de cartels,
c’est-à-dire des ententes. Sur ce point, il est important de noter que la Commission
européenne ne lutte pas forcément contre les positions dominantes, mais contre les
abus de position dominante. Ainsi, entre juillet 1969 et octobre 2013, 820 sociétés
ont été condamnées par la Commission européenne pour ce genre de faits. Elle
se situe en cela dans la logique de la concurrence pure et parfaite que nous avons
présentée dans le chapitre 2.
Mais la Commission en autorise également, ayant bien conscience que la réalité
économique est davantage l’oligopole que la CPP. Elle cherche ainsi à préserver la
contestabilité du marché, en étant plus pragmatique qu’il n’y paraît : depuis 1990,
plus de 5 500 concentrations ont été réalisées dans l’UE, et elle en a seulement bloqué
24. De même, entre octobre 2008 et septembre 2013, elle a autorisé 400 décisions
relatives à des aides d’États pour un montant d’environ 592 milliards d’euros.
Chapitre 8 • Économie européenne

Cette situation pose de nombreux questionnements quant à la politique de la


concurrence dans l’UE : doit-on faire évoluer ces règles qui peuvent nuire à la
constitution de « champions européens », mieux à même d’affronter la concurrence
mondiale du fait de leur taille ? Faudrait-il aussi une politique industrielle ? Pour
répondre à ces questions, un bref détour par les politiques structurelles de l’UE.

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2.1.1.2. Quid des politiques structurelles de l’UE ?

En lien avec le chapitre 4, rappelons que les politiques structurelles font référence
aux politiques économiques qui visent à une modification profonde du fonction-
nement de l’économie, en transformant les institutions et les comportements des
agents économiques. Leurs buts sont principalement l’amélioration de la compé-
titivité, l’aménagement du territoire et l’équilibre social.
Dans le cadre de l’UE, ces politiques sont laissées aux États, en fonction du principe
de subsidiarité. Il s’agit sans doute d’un facteur limitatif à l’émergence d’entre-
prises très puissantes, car des économies d’échelle et des effets de débordement
existent clairement. Mais cela n’empêche pas des collaborations, dont certaines
sont citées ci-après. C’est en particulier le cas pour le monde de la recherche où
on note, parfois même avant la création de la CEE, le lancement de projets très
importants : le CERN (recherches sur les accélérateurs de particules), Euratom
(recherche nucléaire), la Fondation Européenne de la Science (recherche fonda-
mentale), l’Organisation Européenne de Recherche sur l’Environnement. De même,
le programme Eureka est intéressant dans son mode de fonctionnement, car il
incite à renforcer la dimension européenne : les États européens financent 35 %
des coûts d’une recherche si au moins deux entreprises de deux pays différents
s’associent pour ce programme.
Toutefois, le bilan en matière de coopération dans la recherche est mitigé en
Europe. Si de bons résultats scientifiques émergent, ils ont du mal à se traduire
économiquement, du moins en comparaison avec la recherche américaine ou la
recherche japonaise. Il est aussi difficile d’associer tous les pays européens autour
de projets : on cite souvent EADS comme réussite européenne en matière de
recherche, mais seules des firmes allemandes, anglaises, espagnoles et françaises
ont été parties prenantes du projet. EADS est un consortium, pas le résultat d’une
politique industrielle européenne volontariste.
Celle-ci peine à se traduire positivement dans les faits, comme le montre l’échec de
la « stratégie de Lisbonne » établie en 2000 : les chefs d’États et de gouvernements
avaient défini lors de ce conseil européen la nécessité de faire de l’UE la zone de
la connaissance la plus développée au monde d’ici à 2010. On sait que cette stra-
tégie ne s’est pas réalisée, ne serait-ce que parce que seuls des objectifs avaient
été définis (notamment consacrer 3 % du PIB à la R&D), pas des engagements.
En somme, il n’y a pas de véritable espace européen de la recherche aujourd’hui.
En fait, la grande politique structurelle de l’UE qui a fait sa réussite est la Politique
Chapitre 8 • Économie européenne

Agricole Commune (PAC). Sa genèse remonte à 1957 avec le Traité de Rome dont
l’article 39 précise, dans le contexte spécifique d’après-guerre, quatre grands objec-
tifs pour l’agriculture européenne : augmenter la productivité agricole, garantir la
sécurité des approvisionnements, augmenter le pouvoir d’achat du consommateur
sur ce type de biens et établir un niveau de vie décent pour les agriculteurs. L’idée
est donc de gérer au niveau communautaire les affaires agricoles qui fonctionnaient

224

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jusque-là de manière nationale, en s’appuyant sur le marché unique, la préférence
communautaire et la solidarité financière.
Concrètement, celle-ci s’exerce par la détermination de prix d’orientation (objectif)
et de prix d’intervention (garanti). Il s’agit davantage par ce biais de soutenir les
agriculteurs plus que l’agriculture. C’est le Fonds Européen de Garantie et d’Orien-
tation Agricole (FEOGA) qui gère ces soutiens, que l’on appelle les Mécanismes
Compensatoires Monétaires (MCM). Paradoxalement, avec l’effondrement du
système de Bretton Woods et l’instauration de taux de change flottants, les pays
dont la monnaie se déprécie ont un MCM négatif, et vice-versa. Autrement dit,
les agriculteurs dont la monnaie est faible sont défavorisés.
Le bilan de la PAC apparaît contrasté. Si de 1960 à 1979, la PAC a permis d’atteindre
globalement les quatre objectifs fixés cités plus haut, elle a connu par la suite des
dérives : productivisme, gaspillage, stockage, coûts (en 1988, année record, la PAC
absorbe 63 % du budget communautaire), tensions avec les nouveaux entrants plus
agricoles. En fait, ce sont des dysfonctionnements précoces qui se sont généralisés
avec le temps. On avait pensé très tôt établir quelques quotas (sucre en 1967),
qui sont devenus la norme par la suite : lait en 1984, et surtout mise en place des
Quantités Maximales Garanties (QMG) en 1988 taxant les quantités produites
au-dessus du seuil.
Par la suite, ce sont des politiques de gel des terres, de jachère, de conditionnalité
environnementale et de développement rural qui ont été privilégiées, dans le
but de découpler la production des aides à la production ou de les plafonner. La
Commission européenne a déjà réduit dans le temps les soutiens à la production
(de 20 milliards d’euros en 1990 à 7 milliards d’euros en 2005). À l’heure du
développement durable et de la nécessité de renforcer les moyens alloués à la
recherche, la PAC n’a plus forcément « bonne presse » en Europe, du moins dans
sa version historique. Des réformes centrales vont très certainement voir le jour
dans les décennies à venir.
Des négociations ont d’ores et déjà débuté pour la période en cours (2014-2020). Les
pays moins agricoles comme le Royaume-Uni souhaitent réorienter les 53 milliards
actuels de la PAC qui occupent 38 % du budget de l’UE. D’autres comme la Pologne
veulent en bénéficier davantage du fait de leur potentiel agricole, alors que la France
privilégie le statu quo. L’Allemagne défend une position intermédiaire, dans le sens
où elle est plutôt attachée à l’existant tout en espérant plus de libéralisme, compte
tenu de son propre modèle agricole (modèle des grandes fermes).
Chapitre 8 • Économie européenne

On le constate, la question de la PAC constitue un sujet épineux de l’UE. Malgré


cela, elle montre que des avancées peuvent exister dans l’UE en matière de poli-
tiques structurelles, à condition qu’il existe une réelle volonté politique. L’UE
en aurait bien besoin, à l’heure où l’on déplore un manque de compétitivité face
aux grands enjeux de la mondialisation, en particulier ceux liés aux questions
énergétiques (Encadré 3).

225

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Encadré 3 : La (non) Europe de l’énergie
Après les épisodes de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (1952-
2002), et d’Euratom (1957) – dont la portée était limitée – il aura fallu finalement
attendre février 2015, soit près de soixante ans après le traité de Rome, pour que
Bruxelles annonce un projet d’« Union de l’énergie ». Les enjeux économiques et
géopolitiques sont pourtant très importants dans ce secteur. C’est justement ce
qui rend les États encore moins enclins à abandonner à des institutions communes
une partie de leur souveraineté.
L’Europe est caractérisée depuis sa naissance par la faiblesse de ses ressources
fossiles : Résultat : sa dépendance a empiré au fil du temps et se maintient à un
niveau très élevé en dépit de la multiplication des politiques visant à la réduire. Les
importations énergétiques de l’Union représentent depuis une dizaine d’années
54 % de sa consommation (en volume), contre 45 % dans les années 1990.
[…]. La guerre en Ukraine qui a éclaté au printemps 2014 a été l’élément déclencheur
du projet d’Union de l’énergie. L’actuel président du Conseil européen, Donald Tusk,
ex-Premier ministre d’un pays particulièrement exposé, la Pologne, en a aussitôt
poussé l’idée. Elle a ensuite été reprise par Jean-Claude Juncker dès son arrivée à la tête
de la Commission en novembre 2014 et une première proposition de la Commission
a été formulée en février dernier. Assurer la sécurité des approvisionnements
implique d’« abandonner un modèle économique reposant sur les combustibles
fossiles », de rompre avec une approche de la question énergétique « centralisée et
axée sur l’offre », de modérer la demande et d’avancer sur la voie de l’intégration
des marchés de l’énergie, et en particulier celui de l’électricité.
A. de Ravignan, « Europe de l’énergie : tout reste à faire », Alternatives
économiques, n° 346, 2015.

On le constate, renforcer l’intégration sur ces plans paraît essentiel. C’est aussi le
cas pour tout ce qui concerne la fiscalité.

2.1.1.3. La question de la fiscalité

Quand nous abordons ce sujet, nous ne menons pas de réflexion sur les ressources
propres de l’UE, en particulier les droits de douane prélevés sur les importations.
Au contraire, nous nous centrons sur les fiscalités nationales, dans leurs versants
indirect et direct.
Chapitre 8 • Économie européenne

En ce qui concerne la fiscalité indirecte, il est important de noter pour commencer


que c’est la règle de destination, et non pas d’origine, qui prévaut au sein de l’UE :
lorsqu’un produit est exporté d’un pays vers un autre, il l’est hors taxe, et c’est la
TVA du pays d’accueil qui s’applique. De ce fait, comme le marché intérieur facilite
les arbitrages en termes de prix, il y a eu au fil du temps des avancées sur l’harmo-
nisation des taux de TVA dans l’UE. Cela fait que les taux sont en général compris
entre 5 % et 20 %. Le tableau ci-dessous offre une illustration non exhaustive de
la situation actuelle, avec le cas de cinq pays que nous retenons pour la suite :

226

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Tableau 5 : Taux de TVA dans l’UE

Taux Taux
États Taux réduit
super réduit normal
membres (%)
(%) (%)
Allemagne 7 19
Belgique 6-12 21
France 2,1 5,5-10 20
Royaume-Uni 5 20
Suède 6-12 25

Source : Commission européenne, 2014.

Mais la concurrence est sans doute la plus vive sur la fiscalité directe, du fait de
la mobilité des facteurs. Dans un marché ouvert, les entreprises sont susceptibles
de sélectionner la localisation de leurs IDE, selon leur division internationale du
processus productif et du niveau des prélèvements obligatoires. De ce fait, les
firmes exercent une pression notable sur les États. Il y a alors risque de moins
disant social et fiscal, s’il n’existe pas de coopération.
D’un autre côté, certains soulignent la vertu de ce système. La fiscalité est limitée
au maximum, ce qui serait favorable à l’entreprenariat. De plus, il faut tenir du
rapport assiette fiscale et taux de prélèvement : il serait juste que des petits pays
avec une assiette fiscale plus faible et avec une ouverture internationale plus
grande pratiquent des taux d’imposition très faibles pour attirer les facteurs de
production, pour rester compétitifs face aux grands pays. La concurrence fiscale
ne devient alors un problème que si celui qui utilise un service financé collecti-
vement n’y participe pas : s’il préfère une faible imposition pour un faible service,
il n’y a pas de dysfonctionnement.
Le problème est que les choses ne fonctionnent pas ainsi dans l’UE, et qu’une
régulation serait nécessaire : une entreprise allemande peut très bien utiliser
les services collectifs français (routes par exemple) sans les financer, pour aller
vendre ses produits en Espagne, et faire apparaître ses bénéfices dans un pays où
le taux d’imposition sur les sociétés est minimal (pays baltes). Le pouvoir est alors
clairement du côté des firmes, pas de l’UE.
Chapitre 8 • Économie européenne

Face à ces dysfonctionnements, la possibilité de créer un impôt européen revient


souvent. Ce serait une nouvelle ressource, qui aurait aussi l’avantage de développer
la citoyenneté européenne, l’impôt ayant cette dimension politique. Toutefois, un
tel impôt n’est pas évident à mettre en place car tous les pays ne s’accordent pas sur
sa nécessité ou son niveau, et la question de son contrôle démocratique se pose :
y aurait-il toujours ce lien essentiel entre citoyens et décideurs ?

227

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On le remarque, la fiscalité est une question brûlante au sein de l’UE. Nous termi-
nons ce point par quelques exemples chiffrés sur les différences en la matière,
pour les cinq pays retenus. Nous présentons d’abord la taxation concernant le
facteur travail, puis le facteur capital :

Tableau 6 : Différents taux de taxation, pour une famille avec 2 enfants


avec un salaire mensuel brut de 5 000 euros

Taux de Impôt sur le Charges


Solde après
prélèvements revenu sociales
Pays prélèvements
obligatoires (en % du (en % du
(en euros)
(en % du PIB) salaire) salaire)
Allemagne 39,4 9,7 18,4 3 594
Belgique 45,4 28,7 13,1 2 910
France 45 0,9 22,3 3 838
Royaume-Uni 36,7 20,2 7,4 3 623
Suède 44,4 15,1 5,9 3 946

Source : Eurostat, 2014.

Tableau 7 : Imposition des revenus du patrimoine en euros,


pour 10 000 euros perçus1

Royaume-
Allemagne Belgique France Suède
Uni
Intérêts 2 100 1 225 5 650 4 000 3 000
Dividendes 2 100 2 040 2 990 1 000 3 000
Revenus fonciers 4 430 5 350 5 650 4 000 3 000
Plus-values 2 500 0 3 600 1 390 3 000
mobilières
Plus-values 0 0 2 250 1 390 3 000
immobilières

Source : Olivier Pietri Consultants, 2014.


Chapitre 8 • Économie européenne

La récente crise aurait pu permettre des avancées significatives sur cette théma-
tique, mais ce n’est pas le cas, notamment du fait de la réticence des paradis fiscaux,
présents même au sein de l’UE (Encadré 4).

1. Pour un couple avec un revenu imposable de 180 000 euros, et 5 ans de détention des valeurs mobilières
(12 ans pour l’immobilier).

228

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Encadré 4 : L’optimisation fiscale dans l’UE
LuxLeaks a révélé que le Luxembourg, mais c’est vrai aussi de l’Irlande ou des
Pays-Bas, offre aux entreprises des accords fiscaux secrets et opaques, les rulings,
leur permettant de valider des pratiques destinées à transférer leurs profits vers
les paradis fiscaux. La Commission européenne souhaite que ces accords fassent
l’objet d’un échange automatique d’information entre les administrations fiscales.
Si demain une entreprise française signe un accord avec le Luxembourg, celui-ci
serait obligé d’en informer le fisc français. Cette transparence est bienvenue mais
limitée, puisque ces rulings ne seraient pas rendus publics. De plus, rien ne dit que le
Luxembourg jouera parfaitement le jeu. C’est pourquoi l’OCDE, qui travaille pour le
G20 sur le même sujet, préconise de mettre en œuvre deux outils supplémentaires.
Le premier est l’obligation pour les entreprises de déclarer leurs montages fiscaux
agressifs à leur autorité fiscale. A priori, rien de tel n’est prévu en Europe. Le second
est la comptabilité pays par pays : les multinationales devraient fournir, pour
chaque pays où elles sont implantées, le montant du chiffre d’affaires, le nombre
de personnes employées, et le montant des profits réalisés et des impôts payés. Un
moyen de s’apercevoir si une entreprise réalise des affaires dans un pays et déclare
ses profits dans un autre. Or, la Commission n’est pas décidée à avancer sur le sujet.
C. Chavagneux, « Paradis fiscaux : l’Europe trop timide »,
Alternatives économiques, n° 345, 2015.

Nous poursuivons notre analyse des limites d’une politique européenne trop
centrée sur l’offre, en abordant la question de l’insuffisance de la demande et
d’investissements intérieurs.

2.1.1.4. Les problèmes d’insuffisance de demande et d’investissements


intérieurs dans la zone euro

Comme l’indique le graphique 7 page suivante, la zone euro se situe dans une
situation d’excédent courant en comparaison internationale.
Cela signifie que les exportations globales sont supérieures aux importations
globales, et donc qu’en fonction de l’équilibre macroéconomique, le taux d’épargne
est supérieur au taux d’investissement. Cet excédent courant n’a fait que s’accroître
depuis le début de la crise : de 9 milliards en 2007 à 204 milliards en 2012. Cela
a eu des incidences sur l’euro, puisqu’une zone dégageant des excédents voient
Chapitre 8 • Économie européenne

sa monnaie s’apprécier par rapport aux autres. Selon J. Bibow, cette situation
est plus problématique que positive, car elle signifie surtout une demande et un
investissement internes à la zone faibles. Compte tenu de la taille de la zone euro,
ces deux variables devraient au contraire être au « voisinage du boom », et cette
zone être une des économies motrices de la planète.
Pour que la zone euro, et plus largement l’UE, soient dans la trajectoire souhaitée
par Bibow, il faudrait que l’UE fonctionne de façon plus intégrée, ce qui n’est pas

229

010413_Vallet_eco.indb 229 06/01/2016 13:06:11


le cas aujourd’hui. Cela semble donner raison aux « réticents européens », qui ont
privilégié des formes d’intégration non abouties. Par extension, il y aurait alors
des limites à la vision unique et unitaire de l’intégration monétaire en Europe.

Graphique 7 : Solde courant (en % du PIB) en comparaison internationale





  
  

  

  
 

   





Source : OCDE, 2011.

2.1.2. Les limites de la vision unique et unitaire


de l’intégration monétaire européenne

La première question qui est posée est de savoir si l’UE fonctionne vraiment
comme un club (2.1.2.1). Il est important ensuite de revenir sur les déséquilibres
structurels de la zone euro (2.1.2.2). Enfin, nous insistons sur la problématique
de la libre circulation des personnes en Europe (2.1.2.3).

2.1.2.1. L’UE fonctionne-t-elle vraiment comme un club ?

Dans l’analyse économique, être un club signifie fonctionner selon les principes de
la non rivalité, mais de l’exclusion : un membre doit bénéficier d’avantages qu’un
non membre ne partage pas, sinon, l’adhésion comme le club n’ont aucune raison
d’être. Or ce ne semble pas être le cas pour l’UE, ne serait-ce que parce que la part
du commerce intra-zone plafonne, et que les effets spécifiques de l’intégration
sont limités. C’est encore plus le cas de la zone euro, pour deux raisons. D’une
part, parce que l’endogénéité de l’intégration monétaire, c’est-à-dire la capacité
Chapitre 8 • Économie européenne

de la zone à engendrer des effets intégrateurs, du fait de l’appartenance au même


réseau et de la baisse des coûts de transaction (de change surtout), semble limitée :
contrairement à ce que prédisaient J. Frankel et A. Rose avant la création de l’euro
(deux à trois fois plus de trafic), le commerce supplémentaire paraît plus proche
de + 6 % en moyenne.
D’autre part, certains pays périphériques et même les pays non membres en auraient
profité davantage que les membres du cœur de la zone selon R. Baldwin : + 10 %

230

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pour la Suisse contre seulement + 2 % pour la Finlande ou + 3 % pour l’Espagne.
Ainsi, cela pose la question de la pertinence de l’appartenance à la zone euro
comme le développe J. Sapir, d’autant que les pays de l’UE non membres de la zone
euro ne sont pas soumis à des règles contraignantes concernant l’utilisation de
leur budget. Ils disposent alors de la possibilité de mettre en place des politiques
contra-cycliques tout en bénéficiant d’un degré élevé d’intégration européenne.
Ce constat est appuyé par le fait que la zone euro ne fonctionne pas comme une
Zone Monétaire Optimale (ZMO) au sens de R. Mundell. Une telle zone signifie-
rait en effet que la monnaie utilisée dans une zone correspond à l’ensemble des
besoins de la zone. Ou que dans le cas contraire, des mécanismes stabilisateurs
existent pour compenser les effets négatifs. En conséquence, cela veut dire une
convergence suffisante des préférences nominales et réelles (spécialisations, cycles,
inflation, degré d’ouverture réciproque…) et/ou mettre en place des dispositifs et
des politiques d’ajustements (flexibilité des salaires, mobilité des facteurs, budget
commun stabilisateur).
Or au regard de ces éléments, la zone euro est clairement non optimale. Si en
comparaison, les spécialisations productives sont tout aussi différentes aux
États-Unis, il y existe la mobilité du facteur travail, et surtout un budget fédéral
plus conséquent qui permet des transferts rapides des zones en expansion vers
celles en récession. On le comprend aujourd’hui : la convergence des taux d’inté-
rêt engendrée par l’intégration monétaire n’était qu’un leurre, et les « spreads »
des « PIIGS » (Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne) sont repartis à la hausse
une fois la non optimalité de la zone euro entérinée au moment de la crise. Le
graphique ci-après le confirme :

Graphique 8 : Primes de risque sur les obligations à 10 ans des PIIGS


en points de %

Chapitre 8 • Économie européenne

Source : Datastream, 2012.

231

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En fait, ces primes de risque sur les taux d’intérêt sont essentiellement le reflet
des déséquilibres structurels de compétitivité dans la zone euro.

2.1.2.2. Les déséquilibres structurels de la zone euro

Lors de la première décennie d’existence de la zone euro, on ne s’est pas inquiété


de la polarisation des excédents et des déficits courants entre les pays. On consi-
dérait qu’il s’agissait d’une conséquence des écarts de développement, et qu’un
processus de rattrapage naturel s’opérerait. En effet, les pays les plus pauvres
enregistrent des déficits d’épargne, qui sont comblés par des entrées de capitaux
attirés par une rentabilité relativement plus élevée.
Or il n’y a pas eux pour les pays les plus en retard une augmentation substantielle
de la productivité globale des facteurs, reflet de cette hausse de la compétitivité,
susceptible d’enclencher les effets Balassa-Samuelson pour changer de sentier de
croissance. Par contre, ces pays se sont endettés, voyant leur charge d’endette-
ment s’alourdir alors que le potentiel de création de revenus ne décollait pas. La
zone euro a donc fonctionné à deux vitesses, entre des pays hautement compéti-
tifs capables d’engranger durablement des excédents courants, contrairement à
d’autres en déficits structurels.
Il aurait fallu un mécanisme de solidarité collective permettant de réorienter les
flux au sein de la zone euro pour développer les systèmes productifs et hausser
la productivité pour toute la zone, la rendant de fait plus optimale. Avec la crise
récente, chaque pays déficitaire a au contraire eu tendance à réduire ses déficits
courants seuls, avec le risque de moins disant social, sans coordination ni conver-
gence possible. Il en est ressorti une hétérogénéité productive plus grande au
sein de la zone, renforçant le caractère inadapté de la politique monétaire pour
certains pays. Il en est ressorti également la critique selon laquelle dans une
union monétaire, en l’absence de mécanismes de solidarité, les pays sont tentés
de mettre en place une désinflation compétitive, c’est-à-dire de stabiliser les coûts
salariaux (compétitivité réelle) et de gagner des parts de marché au détriment
des autres partenaires. C’est notamment ce qui a été reproché à l’Allemagne lors
de la décennie 2000.
Une autre façon d’analyser cette zone euro à deux vitesses consiste à considérer
les déficits et les dettes publics. Théoriquement limités à respectivement 3 % du
PIB et 60 % du PIB depuis le Traité de Maastricht pour éviter la « monétisation »
de la dette ou le bail out, ces seuils ont été rarement atteints. Malgré une réforme
Chapitre 8 • Économie européenne

en 2003 permettant de ne pas inclure certains investissements dans le calcul,


ces règles dénotent une vision uniquement négative des déficits et des dettes
publics : dans une optique monétariste, la politique budgétaire est bridée pour ne
pas contrevenir à la politique monétaire.
Sur ce plan, ce sont davantage des dysfonctionnements plus que des solutions
qui sont apparus, renvoyant au modèle de la « poule mouillée » : face à la poli-
tique monétaire de la BCE jugée trop restrictive, les gouvernements sont tentés
d’enfreindre les règles budgétaires pour compenser, ce qui en retour incite la BCE

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à durcir encore plus sa politique monétaire. Une telle stratégie non coopérative
entraîne alors des pertes de croissance significative pour l’ensemble de la zone.
Pour autant, si l’on est loin d’envisager un mécanisme de solidarité plus coopératif,
les choses ont évolué avec la crise. Des indicateurs comme le déficit budgétaire
primaire ou le déficit structurel sont considérés avant le déficit budgétaire courant.
Ainsi, même si un État possède un déficit courant supérieur à 3 %, il est tolérable
s’il fait progresser son déficit structurel vers 0 %. De même, si sa dette publique
est supérieure à 60 % du PIB, il doit la diminuer chaque année à un rythme égal
à 5 % de l’écart entre son endettement et les 60 %. D’autant qu’il existe depuis la
crise une « clause d’investissement », soit lorsqu’un pays redescend sous le seuil
des 3 % du PIB et qu’il parvient à diminuer sa dette. Dans ce cas, il peut retarder
l’atteinte d’un objectif de déficit structurel à 0 % si sa croissance économique est
faible pour financer des projets d’investissement, et donc ne pas les comptabiliser
dans les chiffres du déficit.
Une autre problématique posée par les dysfonctionnements de l’UE est celle de
la libre circulation des personnes, que nous traitons ci-après.

2.1.2.3. La problématique de la libre circulation des personnes

Nous l’avons vu avec les étapes de l’intégration de Balassa, l’intégration économique


et monétaire la plus aboutie est une des phases essentielles du processus. Cela
suppose de consacrer la liberté de circulations des biens, des services, mais aussi
des facteurs de production, dont les individus. Cette liberté, bien qu’envisagée dès
1957, a été entérinée dans l’UE par la signature des accords de Schengen en 1985
et de la Convention de Schengen en 1990, entrées en vigueur en 1995.
Il s’agit ainsi de favoriser la libre circulation des personnes, nécessitant une
harmonisation des pratiques (notamment des diplômes), pour un marché européen
du travail, en suivant certaines recommandations de la théorie des ZMO. Libre
circulation signifie libres mouvements, et également possibilité de libre instal-
lation dans n’importe quel pays de l’UE pour y exercer une activité. Par contre,
la libre circulation ne veut pas dire la fin totale de tout contrôle : simplement, il
n’y a plus de contrôle systématique – qui peuvent être rétablis en cas de graves
problèmes – aux frontières.
Mais ces accords et cette convention ont aussi un volet sécurité commune. Ils
supposent en effet des mesures communes pour contrôler l’immigration, la définition
commune d’une politique d’asile (une seule demande possible pour l’ensemble de
Chapitre 8 • Économie européenne

la zone), et surtout, la mise en place du Système d’Information Schengen (SIS) : le


SIS implique les échanges d’informations en matière de sécurité, gérés par l’office
européen de police (Europol). Cela rend la gestion des problèmes plus efficiente.
Aujourd’hui, ce sont 26 États qui font partie de l’espace Schengen, sachant que les
pays entrés dans l’UE en 2004 ont connu un délai de 7 ans avant d’en faire partie,
et que le Royaume-Uni et l’Irlande ont obtenu une dérogation pour ne pas y parti-
ciper. L’originalité de l’espace Schengen est que des pays non membres de l’UE,

233

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mais reliés à celle-ci par l’EEE (Islande, Liechtenstein, Norvège) ou par des accords
bilatéraux (Suisse) en sont membres. La carte ci-après rappelle ces particularités :

Carte 2 : L’espace Schengen : les adhésions successives


Chapitre 8 • Économie européenne

Source : Eurostat, 2014.

La non concordance pays de l’UE-pays membres de l’espace Schengen nous remé-


more à nouveau l’image du « bol de spaghetti » évoquée précédemment. Plus large-

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ment, cet espace fait aujourd’hui l’objet de plus en plus de critiques. Des défiances
fortes existent toujours quant à la participation de certains pays : Chypre, malgré
sa signature en 2004, n’en fait pas partie pour cause de ses tensions récurrentes
avec la partie turque de l’île. Les États membres refusent aussi toujours l’entrée de
la Bulgarie et de la Roumanie, par crainte vis-à-vis de « l’importation » du crime
organisé, de la corruption et de migrants en provenance de l’est, pour lesquels ces
pays constitueraient une « plaque tournante ».
On constate aussi des problèmes de contrôle et de gestion de l’immigration aux
frontières de l’Europe, notamment du sud. Les tensions dans les pays méditer-
ranéens post « révolutions arabes » ont été révélées au grand jour avec l’arrivée
de flux de migrants, qu’il est difficile de gérer compte tenu des moyens mis à la
disposition des polices des frontières européennes. Dans ce contexte, la fermeture
des frontières, voire la renationalisation de cette politique sont parfois évoquées
par certains États comme solution d’avenir. Des pays comme la Hongrie ont égale-
ment érigé des murs avec des pays frontaliers non membres (Serbie).
On le constate, le processus d’intégration à l’œuvre dans l’UE n’est ni sans tensions,
ni linéaire. Il ne faut toutefois pas oublier que l’UE représente la forme d’intégration
régionale la plus aboutie au monde, qui avance malgré tout. Nous développons
cette idée dans un second point.

2.2. L’UE en marche

L’UE est capable de changer, comme cela a été le cas avec la crise de 2007 (2.2.1). Et
c’est bien parce qu’elle est capable d’évoluer qu’il faut rester optimiste, et exigeant,
et attendre d’autres perspectives futures (2.2.2).

2.2.1. L’UE évolue : l’exemple de la crise de 2007

L’UE a beaucoup changé avec la crise de 2007, en particulier au niveau des insti-
tutions et des règles centrales de la zone euro. On peut le voir tout d’abord avec
la BCE, qui a mené une politique monétaire pragmatique et a vu ses missions
s’élargir. Comme le rappelle E. Le Héron, outre la baisse très rapide de ses taux
de court terme à un niveau proche de 0 % (les « Zero Interest Rates Policies » ou
ZIRP), la BCE n’a pas hésité à recourir :
Chapitre 8 • Économie européenne

– au Quantitative Easing : elle a augmenté la taille de son bilan et sa base moné-


taire. Son bilan est passé de 1 450 milliards en septembre 2008 à environ
3 000 milliards en février 2012, en plein cœur de la crise ;
– au Credit Easing : elle a cherché à modifier la structure des bilans des banques,
en difficulté du fait de leur exposition sur certains segments. La BCE a alors
acheté massivement des titres de ces banques à une valeur supérieure au
marché, ce qui permet un double dividende : améliorer leur bilan (notamment

235

010413_Vallet_eco.indb 235 06/01/2016 13:06:12


en prévision des ratios de « Bâle III » et pour améliorer la fluidité du canal du
crédit bancaire) et stabiliser les cours sur les marchés financiers. Via ces Assets
Back Securities (ABS), la BCE a joué le rôle d’acheteur en dernier ressort, ce qui
est inhabituel. Elle a de ce fait pu contourner les traités européens lui empê-
chant les achats directs de titres de dette d’État, en passant par les banques ;
– à de nouvelles procédures : la BCE a allongé la durée de financement des banques
pour éviter les crises de liquidité et de solvabilité. Elle a particulièrement retenu
le principe des Long Term Refinancing Operations (LTRO) qui permettent à ses
emprunteurs de rembourser dans un délai de 3 ans au lieu des 1 semaine puis
6 mois habituels, avec des collatéraux élargis. Notons aussi la modification des
écarts entre ses trois taux de référence pour privilégier le crédit à l’épargne,
la baisse du taux de réserves obligatoires et les accords de swaps avec d’autres
banques centrale ;
– au rachat de titres de dettes souveraines : comme indiqué pour le Credit Easing,
la BCE a acheté massivement des titres de dettes d’États de la zone euro en
difficulté. Ce fut le cas en mai 2010 avec le Security Market Program (SMP) pour
210 milliards d’euros, puis en septembre 2012 avec la fin des SMP et le début
des Outright Monetary Transactions (OMT). Le gouverneur actuel, Mario Draghi,
a même annoncé en janvier 2015 le rachat de titres de dettes souveraines, à
hauteur de 60 milliards d’euros par mois, jusqu’en septembre 2016.
Il est clair que ces changements sont notables par rapport aux missions et à la
vision originelles de la BCE. Cependant, ses interventions ont été stérilisées, ce
qui fait que la base monétaire de la BCE a peu augmenté en comparaison inter-
nationale, alors que la zone euro a un besoin crucial d’investissements financés
par des fonds nouveaux, pour renouveler son potentiel de croissance (Encadré 5).
La BCE n’a pas non plus été suffisamment claire sur ses intentions en tant que
prêteur en dernier ressort, ce qui a participé à la spéculation contre les titres de
dettes de certains États. Enfin, la BCE est intervenue en contrepartie de la mise
en place de réformes plutôt libérales, en particulier sur le plan budgétaire, alors
que l’ampleur de la crise aurait nécessité un policy mix beaucoup plus actif. On se
souvient à titre d’illustration la mesure radicale prise par la Fed durant la crise :
une politique monétaire active visant à accompagner la relance budgétaire tant
que le taux de chômage américain ne redescend pas en dessous de 6,5 %.
Cet épisode doit servir de leçon pour faire évoluer les débats de la crédibilité vers
la confiance. Celle-ci implique entre autres la fin de la segmentation entre la poli-
Chapitre 8 • Économie européenne

tique monétaire au sens orthodoxe du terme (stabilité des prix liée directement
à une quantité de monnaie en circulation) et la politique financière (stabilité du
système bancaire, financier et immobilier). Même si une banque centrale ne peut
pas tout faire seule et qu’il faut éviter de trop élargir les missions sous peine de
contradictions entre elles, elle doit assurer son rôle de prêteur en dernier ressort
pour éviter le « too big to fail » et les risques systémiques.

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Encadré 5 : Un quantitative easing vert
C’est une idée dont on rêverait que Mario Draghi, le président de la Banque
centrale européenne (BCE), s’empare. Une note présentée le mois dernier par
les économistes Michel Aglietta (Cepii) et Étienne Espagne (France Stratégie)
propose en effet une piste innovante pour sortir la zone euro de la double ornière
– économique et écologique – dans laquelle elle se traîne : permettre à la BCE
d’acheter massivement des titres de dette correspondant à des investissements
« bas carbone » et créateurs d’emplois. Une sorte de quantitative easing vert en
somme, une nouvelle politique monétaire non conventionnelle.
[…]. Elle pourrait, avec la garantie des États via le système bancaire, s’engager à
acheter indirectement aux entreprises des certificats carbone correspondant aux
baisses d’émissions que ces dernières auront réalisées, la réalité de ces baisses
devant être certifiée par la puissance publique. Une telle intervention, qui aurait
pour effet de gonfler les créances détenues par la BCE (ou la dette des États si
la banque centrale décidait de se défaire de ces certificats carbone), ne pourrait
qu’être limitée dans le temps. Mais en faisant redémarrer les investissements et la
croissance, cette politique permettrait de rendre plus réaliste une remontée des
prix du carbone et donc d’entretenir le mouvement ainsi amorcé.
A. de Ravignan, « Un quantitative easing vert »,
Alternatives économiques, n° 346, 2015.

En privilégiant ce cadre de confiance, on peut espérer éviter les effets négatifs


du « paradoxe de la tranquillité » de H. Minsky (1919-1996) et du « paradoxe de
la crédibilité » de C. Borio. Le premier repose sur l’idée que dans un climat de
stabilité, les acteurs économiques peuvent être amenés à prendre de plus en plus
de risques, tout en ayant conscience des dangers potentiels, mais dont ils ne se
méfient pas puisque « tout va bien »…jusqu’à l’effondrement. La stabilité engendre
l’instabilité de façon endogène.
Le second renvoie au fait que le maintien de taux d’inflation bas dans les années
1990 a laissé croire que les banques centrales sont devenues « infaillibles » en la
matière. Les considérant plus crédibles, les acteurs peuvent être amenés à prendre là
aussi plus de risques, et à croire – à tort – qu’elles parviendront toujours à résoudre
une situation de crise problématique : « la crédibilité de l’engagement des banques
centrales à lutter contre l’inflation peut être une épée à double tranchant. D’un côté, la
Chapitre 8 • Économie européenne

crédibilité renforce d’autres facteurs structurels susceptibles de contenir les pressions


inflationnistes. De l’autre, alors que les anticipations d’inflation à long terme sont
mieux ancrées autour de l’objectif de la banque centrale, des phases d’expansion non
soutenable pourraient ne se refléter qu’avec retard dans une accélération de l’inflation.
Ce paradoxe de la crédibilité signifie que la banque centrale peut être la victime de son
propre succès. Maîtriser l’inflation peut contribuer à des modifications dans la dynamique
du système susceptibles de dissimuler les risques auxquels l’économie est exposée ».

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Un second changement fondamental à nos yeux est l’union bancaire. Lancée en
juin 2012, elle va se concrétiser progressivement malgré les réticences nationales.
Il s’agit d’une réforme structurante car elle vise à rompre le cercle vicieux risque
bancaire-risque souverain, à remédier à la fragmentation de l’espace financier
européen et à consolider l’articulation échelon national-échelon européen. L’union
bancaire est donc cruciale pour compléter l’euro et tendre vers un fédéralisme
budgétaire, sans lequel toute union monétaire est impossible. La première étape
de cette réforme a été réalisée à l’automne 2014 avec les stress tests opérés sur les
banques de la zone euro : seules celles éligibles seront susceptibles de bénéficier
du soutien des institutions et des mécanismes de l’union bancaire.
Plus précisément, celle-ci comprend trois volets : le mécanisme de supervision
unique (MSU), le mécanisme de résolution des difficultés bancaires (MRU)
et la garantie européenne de dépôt. Nous les détaillons ci-après, en suivant
J. Couppey-Soubeyran :
– le MSU : la BCE s’en charge, au niveau des banques de la zone euro (et non pas
de l’UE, sauf si un pays en fait la demande). Il s’agit des banques dont l’actif
dépasse 30 milliards d’euros ou 20 % du PIB de leur pays d’origine, soit 130
banques environ. Les banques de plus petite taille continuent à être surveillées
au niveau national ;
– le MRU : la BCE, mais aussi la Commission européenne et les États membres
sont concernés pour prendre des décisions adéquates. L’idée est qu’un fonds soit
abondé par les banques pour privilégier le bail in et non pas le bail out comme
lors de la crise. Les banques doivent prévoir aussi leur démantèlement en cas de
problème d’insolvabilité. Le but du MRU est de prévenir un effet d’engrenage
négatif en cas de difficulté bancaire, renvoyant au déclenchement d’une crise
systémique financée par le contribuable.
Là aussi, des limites subsistent, tant au niveau de la gouvernance précitée, qu’au
niveau de l’efficacité du fonds : ce dernier, qui entrera en fonction en 2015, ne
disposera que d’un montant maximum de 55 milliards en 2023…sachant que
la France a aidé ses banques à hauteur de 413 milliards d’euros ;
– le système européen de garantie des dépôts : les dépôts inférieurs à 100 000 euros
seront garantis.
Enfin, des évolutions ont été constatées en ce qui concerne les déficits et les
dettes publiques dans le cadre du Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC). Deux
questions sont posées sur ce sujet : celle du remboursement des dettes et de leurs
Chapitre 8 • Économie européenne

liens avec le déficit dans la zone euro ; celle de leur statut. Concernant la première
question, il est nécessaire en l’état actuel des choses d’envisager une décote ou
un allongement sur le remboursement, pour permettre aux pays de restaurer
leur potentiel de croissance. Les probabilités de non remboursement n’ayant pas
disparu pour certains pays, il serait plus judicieux qu’ils consacrent leur revenu
à financer des projets productifs locaux.

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Pour la seconde question, la crise a amené à s’interroger sur le statut des dépenses
publiques. D’une part, leur augmentation est profondément liée au contexte de
crise. D’autre part, elles peuvent être productives, d’autant plus dans cette période
de turbulences. C’est d’autant plus essentiel qu’il n’y a pas actuellement de budget
européen d’ampleur à finalité stabilisatrice.
Or dans une union monétaire, la politique monétaire ne peut stabiliser que les
chocs symétriques. Ce serait le rôle de la politique budgétaire, pour l’instant bridée
par les cadres du PSC. Certes comme dans tout « club », des règles collectives
sont nécessaires. Mais ces règles doivent évoluer, pour éviter la « coordination
négative », mieux refléter les choix nationaux de préférences de structures et
tenir compte des effets de débordement européens : plus de marges de manœuvre
budgétaire bénéficiera à toute la zone, maximisant pour les plus en retard les
effets Balassa-Samuelson.
Malheureusement, la réponse apportée durant la crise a surtout été un durcissement
de ces règles budgétaires, avec par exemple le Traité sur la Stabilité, la Coordination
et la Gouvernance (TSCG), appelé aussi « Pacte Budgétaire ». Signé le 2 mars 2012
par 25 États membres (sauf le Royaume-Uni et la République Tchèque), il est entré
en vigueur le 1er janvier 2013. Son but est de favoriser la discipline budgétaire par
le biais de règles et de la coordination des politiques économiques (le chapitre sur
la « coordination des politiques économiques et la gouvernance » semble moins
important que le focus sur les règles). L’article 3 contient d’ailleurs le principe de
la « règle d’or » budgétaire, c’est-à-dire que chaque pays doit viser un équilibre
ou un excédent budgétaire pour éviter de déséquilibrer l’ensemble de l’UE, et a
fortiori de la zone euro.
Concrètement, chaque pays se donne un objectif de moyen terme de ne pas dépasser
0,5 % du PIB pour le déficit structurel. Si un État enregistre une dette inférieure à
60 % du PIB, il dispose même de l’autorisation d’aller jusqu’à 1 % du PIB. Si sa dette
est supérieure à 60 %, il doit s’engager à réduire sa dette d’1/20e chaque année
(pour un État ayant un PIB de 2 000 milliards d’euros, cela représente 100 milliards
chaque année, soit 20 points de PIB, ce qui représente un effort énorme).
Le TSCG est censé toutefois prendre en compte les cycles économiques et l’effet
multiplicateur des dépenses publiques en insistant sur le déficit structurel plus que
sur le déficit courant, de même que des autorisations de dépassement sont tolérées
en cas de « circonstances exceptionnelles » (définies de façon imprécise). Mais il
y a surtout le « mécanisme de correction », accompagné de sanctions financières
Chapitre 8 • Économie européenne

possibles (jusqu’à 0,1 % du PIB).


Cet exemple montre l’urgence de définir un mécanisme budgétaire commun plus
coopératif, obligeant les pays en excédent budgétaire à dépenser davantage pour
aider les pays en déficit à retrouver la croissance, et donc à améliorer leur solde
budgétaire. Des pistes de « droits à déficit » sont aussi mises en avant, fonctionnant
sur le principe des « droits à polluer ». Une telle option vise à accroître la solidarité
collective tout en favorisant une synchronisation renforcée des cycles, même si elle
laisse une place importante à la logique de marché dans la régulation collective.

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Dans ce cadre toujours, on a vu des propositions d’obligations « bleues » et « rouges »
les premières correspondraient aux limites fixées par le PSC et seraient garanties
collectivement par une agence européenne de la dette ; les secondes concerneraient
celles émises au-delà du seuil, et correspondraient au risque-pays. Toutes ces
réflexions montrent le besoin de repenser les mécanismes de solidarité budgétaire,
car sinon, on risque la polarisation au sein de la zone évoquée plus haut.
On pourrait aussi envisager une augmentation du capital de la Banque Européenne
d’Investissement grâce aux apports des pays en excédent, pour financer des
investissements nouveaux dans les pays en déficit. Les revenus créés bénéficie-
raient alors aux deux types de pays. Enfin, terminons par rappeler la proposition
de C. Wyplosz avec son dispositif « PADRE », soit Politically Acceptable Debt
Restructuring in the Eurozone. Ce dispositif serait concrétisé pour étaler dans le
temps (ou annuler) le service de la dette des pays tout en supprimant une part
importante des emprunts nouveaux.
Une agence européenne acquerrait une part significative – au moins la moitié
– de toutes les dettes publiques de la zone euro, en empruntant sur les marchés
4 600 milliards d’euros pour financer cette politique, avec l’aide de la BCE. Ce
serait l’agence qui supporterait le risque, et non plus les pays. En contrepartie, ces
derniers accepteraient de transférer une partie des profits qu’ils réalisent en tant
qu’actionnaires de la BCE (environ 30 milliards d’euros par an), pour rembourser
leur dette. Ils restaureraient ainsi leur crédibilité, créant un climat de confiance
faisant naître des capacités d’endettement futur plus saines.
Nous le constatons, les propositions ne manquent pas pour redresser l’UE et la
zone euro. Beaucoup reste donc à faire pour l’avenir, ce que nous rappelons dans
le point suivant.

2.2.2. Ce qu’il reste à faire

Par souci de clarté, nous distinguons ici les niveaux interne (2.2.2.1) et externe
(2.2.2.2).

2.2.2.1. Sur le plan interne

Les développements précédents ont montré les risques d’une sclérose de l’intégra-
tion européenne, voire de la renationalisation de certaines politiques. Au-delà sur
les coûts et les avantages pour chaque pays, c’est tout le vivre-ensemble européen
Chapitre 8 • Économie européenne

qui est posé. Nous considérons donc qu’une plus grande solidarité est préférable
à un repli national. Cela doit être en premier lieu visible à travers le budget euro-
péen, qui ne représente aujourd’hui que 1 % environ du PIB de l’UE. En référence
à R.A. Musgrave, non seulement son niveau est trop faible dans la perspective de
la monnaie unique, mais sa structure est également inadéquate : il repose sur une
fonction allocative trop importante comparativement aux fonctions de stabilisa-
tion et de redistribution.

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Un budget plus conséquent, soit au moins 10 % du PIB européen, donnerait des
moyens aux ambitions fixés dans les traités. Un soutien plus important serait alors
donné à la demande, ce qui rééquilibrerait le poids des politiques d’offre menées
jusqu’à lors. Si tout ne peut pas non plus venir de l’échelon européen, des réponses
nationales devant aussi être apportées, on peut considérer que des conditions
collectives d’une croissance plus forte seraient réunies.
C’est aussi dans ce cadre qu’en mars 2010, la Commission européenne a présenté
une nouvelle stratégie sur 10 ans appelée « Europe 2020 », censée prolongée la
stratégie établie à Lisbonne en 2000. Ce projet a pour ambition de développer
une croissance « intelligente, durable et inclusive » grâce à une meilleure coor-
dination des politiques nationales et européennes. Plus précisément, plusieurs
grands axes ont été définis : promouvoir les industries sans carbone, investir dans
le développement de nouveaux produits et exploiter les nouvelles possibilités de
l’économie numérique.
Cela passe par de nouveaux objectifs – et non pas engagements à nouveau – chif-
frés : taux d’emploi à 75 %, 3 % du PIB dans la R&D, réaffirmer les objectifs de lutte
contre le réchauffement climatique, réduire le taux de pauvreté de 25 % (soit –
10 millions de personnes pauvres), améliorer les efforts en éducation (réduire de
10 % le taux d’abandon et porter à 40 % la proportion des 30-34 ans ayant obtenu
un diplôme de l’enseignement supérieur). Si ces objectifs doivent être réalisés
nationalement, c’est la Commission qui surveille leur mise en œuvre, sachant
qu’elle investit elle-même 6,4 milliards d’euros dans la recherche et l’innovation.
Ce sont les principaux projets et mesures que nous retenons pour démontrer les
évolutions à l’œuvre ou à souhaiter sur le plan interne. Nous abordons désormais
celles concernant le plan externe, en nous focalisant sur l’euro et la dimension
politique de l’UE.

2.2.2.2. Sur le plan externe

Sur le plan externe, il est certain que la dimension internationale de l’euro est un
des leviers à considérer. Comme le rappelle J.-F. Ponsot, lors de sa création, l’euro
n’était qu’une monnaie régionale, au sens où elle devait couvrir les besoins de la
zone euro prioritairement. C’est pourquoi officiellement la BCE n’encourage ni ne
décourage l’utilisation de l’euro en dehors de la zone euro. Mais l’euro a de facto
une dimension extérieure à la zone, du fait des élargissements, des ancrages de
facto existant et des stratégies de diversification des investisseurs internationaux.
Chapitre 8 • Économie européenne

C’est même une des dimensions fortes de la puissance internationale d’une zone,
car historiquement, une grande puissance internationale est aussi une puissance
monétaire (Encadré 6).

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Encadré 6 : Les privilèges d’une monnaie internationale dominante
Déjà en 1964, ministre des Finances de De Gaulle, Valéry Giscard d’Estaing dénonçait
le « privilège exorbitant » du dollar ! Fort de ce nouveau missile juridique fondé sur
l’utilisation du billet vert dans les transactions internationales, la justice américaine
est en effet susceptible de frapper n’importe quelle société dans le monde. Difficile
d’échapper à une devise utilisée dans plus des deux tiers des échanges mondiaux
(85 % sur les matières premières), et qui constitue 60 % des réserves de change
des banques centrales.
Mais les États-Unis tirent d’autres avantages du statut planétaire du billet vert, surtout
depuis la fin de la convertibilité du dollar en or annoncée par Nixon en août 1971.
À commencer par la compétitivité de l’économie américaine en cas d’érosion du
billet vert face aux autres monnaies. Car les entreprises américaines n’ont pas à se
couvrir contre le risque de change puisqu’elles produisent et facturent en dollars.
[…]. Et pour Barry Eichengreen, économiste à Berkeley, auteur de Un privilège
exorbitant, le billet vert leur apporte d’autres privilèges plus…exorbitants : « Forts
d’un financement extérieur bon marché et de taux d’intérêt structurellement bas,
les ménages américains peuvent vivre au-dessus de leurs moyens ».
La banque centrale américaine, la Federal Reserve (Fed), bénéficie, explique-t-il,
d’un droit de seigneuriage (pouvoir de battre monnaie et de garder une partie de
l’alliage utilisé) mondial. Près des deux tiers des dollars émis par la Fed sont en
effet détenus par des investisseurs non résidents. […]. En qualité de marché des
capitaux le plus puissant du monde, l’Amérique bénéficie, en effet, d’une « prime
de liquidité ». Autrement dit, les actifs libellés en dollars ont cet avantage unique
de pouvoir être cédés instantanément sur le marché. À cela s’ajoute le rôle de
valeur refuge des bons du Trésor américain en cas de tempête financière, comme
après la chute de Lehman Brothers en 2008. Dans son ouvrage Le Piège du dollar,
l’économiste Eswar Prasad, de l’université Cornell, affirme même que cette crise
financière a encore renforcé la position du dollar. En dépit des inquiétudes autour
de la dette abyssale des États-Unis.
J.-P. de La Rocque, « Les privilèges exorbitants du roi dollar »,
Challenges, n° 408, 2014.

Or on voit que l’euro possède un retard important sur le dollar sur ce plan : si
l’euro sert de monnaie d’ancrage pour 49 pays (51 pour le dollar), il n’est utilisé
que pour 30 % des titres de créances mondiaux (45 % pour le dollar), que pour
Chapitre 8 • Économie européenne

25 % comme monnaie de réserve de la part des banques centrales, que pour 7 %


dans les transactions financières (81 % pour le dollar). Surtout, il n’est pas utilisé
comme unité de compte pour les principales transactions de biens et services, et
reste peu utilisé entre deux pays n’échangeant pas cette monnaie (contrairement
au dollar encore une fois, utilisé internationalement fréquemment dans des tran-
sactions entre deux pays hors États-Unis).

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Le fait que la zone euro soit inachevée pour les raisons évoquées précédemment
empêche l’euro de prétendre aux deux caractéristiques de la monnaie internationale
mises en avant par F.A. Hayek : liquidité-acceptabilité et stabilité-prédictibilité.
Détenir un titre en dollar plutôt qu’en euro paraît aujourd’hui plus rassurant. Pour
le Système Monétaire International, développer la dimension internationale de
l’euro peut aussi avoir une utilité. En effet, celui-ci est marqué par « 4 i » selon
J.-F. Ponsot :
– instabilité : des taux de change et de la finance internationale ;
– inéquité : le dollar a un poids exorbitant, et les États-Unis qui l’émettent également ;
– incertitude : le monde est en « otage » de la position extérieure nette des États-
Unis, créant soit des insuffisances de demande, soit un excès de demande avec
le risque de perte de confiance momentanée dans le dollar ;
– insuffisance de la demande mondiale : tout repose sur les États-Unis comme loco-
motive de la croissance mondiale, donc il y a un risque de biais déflationniste
car les déséquilibres courants ont tendance à se polariser au niveau mondial.
La monnaie étant politique, c’est sur cette dimension que nous concluons cette
partie. Beaucoup reste à faire pour faire avancer l’UE, et donc l’économie euro-
péenne. Si des changements ont déjà été réalisés avec la Présidence du Conseil
européen et un représentant de l’UE pour la politique étrangère, des points de
blocage importants demeurent, montrant que les souverainetés nationales ont
du mal à être dépassées.
C’est le cas pour l’Europe de la défense, mais aussi sur la concrétisation d’une
citoyenneté européenne. Bien que réaffirmée dans différents traités, avec désor-
mais le droit d’initiative populaire, la citoyenneté européenne a du mal à coexister
avec la référence à l’État-nation qui perdure. Pourtant, des liens évidents existent
avec l’Europe de la croissance et l’Europe sociale sur lesquelles nous avons insisté
jusqu’ici.

Conclusion

Il y a un siècle, G. Clemenceau (1841-1929) haranguait les troupes françaises dans


les tranchées pendant la « Grande guerre », en n’hésitant pas à se dresser face
Chapitre 8 • Économie européenne

aux Allemands pour dire qu’ils ne gagneraient pas. C’est encore Clemenceau qui
s’opposa à Keynes juste après la guerre pour demander des réparations de guerre
exorbitantes aux Allemands, qui allaient participer à précipiter l’Europe dans un
deuxième conflit dévastateur. C’est sur les ruines de ce désastre qu’a émergé l’idée
d’une autre Europe, que nous avons décrit tout au long de ce chapitre. Quand on
regarde le chemin parcouru en matière d’intégration économique et monétaire,
on mesure l’importance du projet européen, inégalé historiquement et géogra-
phiquement jusqu’ici.

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Mais on a pu aussi souligner que beaucoup reste à faire pour renforcer l’Europe
politique, et mettre en place les conditions pour une Europe de la croissance et
du plein-emploi. Compte tenu du potentiel du continent, et surtout des tensions
et tentations de fragmentation de ce dernier aujourd’hui, des évolutions portées
par l’Europe des peuples apparaissent plus que jamais nécessaires.

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