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com Christine Vallin


L’Édito

lesommaire
actualités éducatives
2 Quatre livres pour changer l’école
4 

5 
Entrez dans les Cercles
des Cahiers pédagogiques ! Michèle Amiel
« Un savoir donne la possibilité de se
Au beau milieu

6 
transformer » Entretien Philippe Meynieu
L’école ailleurs
La Suisse : vingt-six systèmes scolaires
de la nuit
différents Karine Texier Au début, on ne voit rien. On cherche à voir pour-
tant. On plisse un peu les yeux, on lève encore la tête.
L’actualité de la recherche Mais tout est noir. Décidément, il n’y a rien.
7 Le bac n’est pas une fin en soi Et puis on en voit une. Ah mais oui, où avais-je les
Laure Endrizzi yeux, une toute petite. Et une autre, là. Aldébaran…
La chronique d’é.l@b et puis Sirius. L’Alpha du Centaure. Et soudain, le
8 Éduthèque, la culture au bout des doigts rideau du regard se déchire et la Voie lactée se met à
Billet du mois y couler, s’infiltre dans les brèches et inonde tout. Il
9 Modes et dérives en pédagogie fait jour à minuit.
Florence Castincaud C’est ce ciel et ce regard
naissants que nous décrit le
dossier « Observer la classe ».
DOSSIER Lorsqu’au début on ne voit
Observer la classe rien, ou seulement ce que l’on
vous montre, d’un doigt qui
Coordonné par Brigitte Cala
et Hélène Eveleigh éteint tout le reste. Lorsqu’on
observe parfois mieux à travers
Sommaire complet page 11 une grille, mais que parfois,
une grille vous cloue le regard.


perspectives On y apprend aussi que l’on
ne voit que ce que l’on est
n Et chez toi, ça va?
Ah mais oui,


devenu capable de voir, moins
60 Parenthèse furtive Evelyne Barratier ébloui, tout surpris. où avais-je
60 Lecture suivie… d’effets Véronique Flipo Surpris. Peut-être avez-vous les yeux ? »


fait l’expérience de la phrase
61 Orthographe Jean-Charles Léon
à penser, ou de l’idée d’un
62 Moi, ça m’émeut Florence Castincaud pédagogue qui vous revient
63 Dansons la turlutaine Nathalie Bineau soudain, vous poussant à considérer le blouson de
n Faits et idées Mathieu, alors que vous pensiez que tout se jouait
autour du cahier de Léa. Ou peut-être qu’en changeant
64 
Et la classe devient salle de rédaction la place de votre bureau, tout vous est apparu différent.
Monique Royer Évident. Lumineux.
66 
Israël-Palestine dans les manuels Oui, c’est un numéro lumineux qui vous attend, les
scolaires en France auteurs posant tour à tour la petite lanterne qui leur
Sandrine Mansour-Mérien a permis d’y voir plus clair. Dans le dossier, mais aussi
68 S’écrire Collectif dans les rubriques, lanternes en forme de livres pour
mieux comprendre l’école, de moments de classe qui
Le papier du blogueur
font sourire ou qui agacent, de reporters autour du
69 Plume militante Lionel Jeanjeau
monde et de chercheurs qui trouvent. Des lanternes,
n Depuis le temps… preuves que ce métier-là vous affine l’esprit et vous
70 L'observateur observé sculpte le regard, pour peu que l’on continue à plisser
un peu les yeux et à lever encore la tête. n
n Le livre du mois
72 
L’autorité éducative, la construire
et l’exercer Bruno Robbes

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 1

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ACTUALITÉSÉDUCATIVES
leblog le la
dumois chiffre citation

10 %
« Tous les élèves [qui
« Changer l’école ! » relèvent de la grande diffi-
Il suffit de lire les titres des billets du blog culté scolaire] doivent être
de Lionel Jeanjeau pour en comprendre l’esprit Avec la réforme de
et ce qui compte pour lui. Les idées sont accueillis dans des classes
l’éducation prioritaire,
engagées, le raisonnement prend son temps.
l’objectif est que l’écart de hétérogènes et c’est dans ce
Si Lionel Jeanjeau ne faisait pas déjà partie
de notre équipe de revue de presse, performance entre les élèves cadre que les difficultés de
on lui demanderait de l’intégrer. de l’éducation prioritaire et chacun doivent être prévenues
les autres, qui dépasse 30 %,
http://lioneljeanjeau.canalblog.com/ soit réduit à 10 %. et surmontées. »
« Le traitement de la grande difficulté au cours de la
scolarité obligatoire », rapport de l’inspection
générale, novembre 2013

Quatre livres pour changer l’école


Lectures. Voici quatre ouvrages, avec des points de vue fort dissemblables, qui nous aident à avoir un
regard plus lucide sur notre école et sur les pratiques pédagogiques en cours, et sur celles qu’il serait
souhaitable de développer. D’abord, les propositions d’un militant de l’éducation nouvelle comme
alternative aux fausses solutions d’une pédagogie activiste ou insuffisamment explicite pour les élèves.
Ensuite, le chant d’amour pour le système québecois d’un sociologue, ou, plus sérieusement, une analyse
comparative qui plaide pour une école qui ferait davantage aimer le monde. Puis le regard d’une journaliste
spécialisée qui croit beaucoup aux vertus des apports de la recherche scientifique, au risque, diront certains,
de l’applicationnisme. Et, enfin, le point de vue du didacticien sur le statut de l’erreur dans notre école et la
dynamique que pourrait créer une autre manière de la concevoir, comme point de départ d’autres pratiques.
Des moyens de penser l’école d’aujourd’hui, y compris dans les controverses et les débats.

Le rapport à l’école des reposent sur un cadrage flou, ou solli- cation) et grand connaisseur des systèmes
élèves de milieux populaires citent la quotidienneté des élèves. En éducatifs nord-américains.
Jacques Bernardin, éditions difficulté aussi, lorsque dans les pratiques Le livre montre que le Québec était
De Bœck de lecture, les enseignants segmentent en retard sur la France en matière d’ap-
le texte et font passer les élèves à côté de prentissages et de démocratisation. Or,

J
acques Bernardin est un des res- ce qu’en est la compréhension. aujourd’hui, qu’en est-il ? Citons cette
ponsables du GFEN (Groupe fran- Un petit livre clair et incisif, qui se ter- phrase de la conclusion, qui s’appuie
çais d’éducation nouvelle) et il fait mine par des propositions pratiques et à la fois sur diverses observations et sur
ici état de recherches, dont les siennes, des exemples d’activités souhaitables. les résultats PISA : « La qualité de l’école
propres à alimenter notre réflexion sur québécoise est aujourd’hui meilleure que
les moyens à mettre en œuvre pour une celle de l’école française. Les élèves y
réelle « mobilisation cognitive » chez Pour une école apprennent mieux, les inégalités sont
les enfants des classes populaires. Il qui aime le monde plus faibles, les enseignants sont plus
s’agit bien en effet d’aller au-delà d’une Denis Meuret, Presses satisfaits de leur métier, les élèves ont
pédagogie active qui a pour ambition Universitaires de Rennes un rapport moins angoissé à l’appren-
de davantage motiver, mais qui ne per- tissage. » Qu’est-ce qui a amené à cette

I
met pas de les faire entrer pleinement l ne faudrait pas que la publication de situation ? Comment s’en inspirer pour
dans les savoirs scolaires et culturels ce livre dans une édition universitaire, la France ?
indispensables. avec une mise en pages un peu aus-
Comprendre et mettre au jour la tère, éloigne de la lecture tous ceux qui
construction sociale des difficultés d’une s’intéressent à l’école, à ce qui peut la La France enfin
partie de la population scolaire, montrer transformer dans le sens de la réussite du première de la classe
ce qui, dans les pratiques de classe, plus grand nombre. En effet, l’ouvrage Marilyne Baumard, éditions
creuse encore les écarts liés aux caracté- de Denis Meuret est passionnant, écrit de Fayard
ristiques des élèves éloignés de la culture manière souvent agréable et vivante, avec

P
scolaire, notamment dans ce domaine le recours assumé à la subjectivité et artant de l’enquête PISA (celle de
de l’écrit. Sont mis au jour les malenten- l’expression de convictions fortes qui 2009, le livre étant paru à la veille
dus à propos de l’apprentissage qui n’empêchent pas la rigueur et la qualité de PISA 2012), Marilyne Baumard
règnent entre les enseignants et les élèves, des informations qui sont données sur le se demande comment on pourrait faire
entre les familles et l’école. Des élèves se sujet qu’aborde l’auteur, chercheur à pour « inverser la courbe » du déclin de
retrouvent en difficulté quand les pra- l’Iredu (Institut de recherche sur l’édu- notre école, surtout en matière d’inégali-
tiques enseignantes et le travail scolaire cation, sociologie et économie de l’édu- tés. Une des manières serait de prendre

2 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Àliresurnotresitewww.cahiers-pedagogiques.com
■■ Les samedis du CRAP- ■■ Question à Bruno ■■ Tribunes - Le métier possibles » ou faire advenir le « pos-
Cahiers pédagogiques Robbes sur son enseignant sible encore invisible », conclut
Beaucoup de monde pour cette dernier livre, L’autorité PISA a inspiré Florence Castincaud Nicole Priou.
matinée, samedi 14 décembre, éducative. La construire pour un texte sur « Patrick qui garde
autour du jeu du CRAP-Cahiers et l’exercer ses moufles en cours pour écrire le ■■ Tribunes - Laïcité
pédagogiques, organisée par Voilà la présentation d’un ouvrage moins possible et Lessie qui fait Alors que l’on parlait dans les
Roseline Ndiaye à la Cité de la en partenariat avec les Cahiers s’esclaffer les autres quand elle médias de la prise de position de
Villette, avec les interventions de pédagogiques qui ouvre de nom- intervient ». Nicole Priou a rebondi Vincent Peillon concernant le port
Dominique Natanson et Marc breuses pistes pratiques pour exer- lorsque Vincent Peillon a fait savoir d’un foulard pour les mères accom-
Berthou, autour du livre Jouer en cer vraiment une « autorité éduca- que les discussions sur le sujet du pagnant des sorties scolaires, deux
classe en collège et en lycée de Marc tive » en collège et lycée. Des témoi- métier enseignant n’étaient pas tribunes, rédigées par Jean-Michel
Berthou et Dominique Natanson, gnages, des exemples, y compris à « mures ». Reculade ? Nous avons, Zakhartchouk et Philippe Pradel,
puis Antoine Taly et François Taddéi l’étranger. Et une solide et indispen- individuellement et collectivement, membres du bureau du CRAP-
du Centre de recherches interdisci- sable réflexion sur ce qu’est ou doit à prendre une option : se laisser Cahiers pédagogiques, vous ont été
plinaires (CRI). être l’autorité. décourager par « la fermeture des proposées.

en compte davantage ce que nous disent Parmi ces représentations, certaines seront citation et à organiser des situations de
diverses études internationales, diverses des appuis à l’ancrage de nouveaux réflexion ou de débat.
expérimentations qui auraient fait leurs savoirs, d’autres des obstacles. Et c’est Pas de fiches-méthodes toutes faites
preuves. L’auteure, au départ, nous en franchissant les représentations-obs- dans ce livre donc, mais une formidable
explique comment est né PISA et ajoute tacles qu’on passera des paliers et règlera croyance dans l’intelligence des acteurs
que l’important est aussi de disposer de un ensemble de problèmes qui en de la classe, pour trouver les solutions
plusieurs sources évaluatives, ce qu’ou- découlent. Yves Reuter invite les ensei- qui leur seront propres. L’ouvrage d’Yves
blient les « pisaphobes » qui négligent les gnants à décrire et faire décrire le plus Reuter participe à la création de ce nou-
résultats concordants pour la France de précisément les erreurs, à faire parler ou vel imaginaire du métier d’enseignant
Pirls (Programme international de écrire, sous des formes multiples, les induit par la refondation de l’école. Un
recherche en lecture scolaire en CM1) ou élèves sur les difficultés qu’ils ont ren- pari sur la complexité des situations, sur
de la DEPP (Direction de l’évaluation, de contrées, à tenir des cahiers d’incidents, l’intelligence et l’expertise des acteurs
la prospective et de la performance). Puis, à faire des narrations de recherche, des de terrain, sur la discussion pédagogique
elle nous propose un voyage au pays des entretiens individuels ou collectifs d’expli- entre les maitres et les élèves. n
chercheurs, outre-Atlantique, mais aussi
dans le laboratoire de Stanislas Dehaene,
et des expérimentateurs, par exemple du L’école de Charb
dispositif Parler (Parler, apprendre, réflé-
chir, lire ensemble pour réussir), avec
également un détour vers l’Asie pour nous
aider à comprendre les performances
étonnantes de certains pays en mathéma-
tiques. Même si elle reste prudente, l’au-
teure utilise souvent le mot « preuves » et
s’engage parfois un peu loin dans la vali-
dation de recherches qui restent encore
objet de discussion. Reste un livre dont
on louera l’honnêteté, qui invite à lire de
plus près les auteurs cités, les rapports,
et une vision somme toute optimiste de
l’école, puisque ce qui ressort, c’est que
les marges de manœuvre sont importantes
et qu’on est loin d’avoir « tout essayé ».

Panser l’erreur à l’école.


De l’erreur au
dysfonctionnement
Yves Reuter, Presses
Universitaires du Septentrion

P
our Yves Reuter, il faut accepter
l’erreur comme un état transitoire
de l’apprentissage. On apprend en
effet en reliant des connaissances nou-
velles à son système de représentations.

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 3

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ACTUALITÉSÉDUCATIVES
mouvements
pÉDAGOGIQUES
■■ Coopération et
Entrez dans les Cercles
apprentissages : une journée
exemplaire
Le CAPE Nord-Pas-de-Calais a réuni près de
des Cahiers pédagogiques !
650 personnes samedi 11 janvier à Lille. Après Se rencontrer, mutualiser, débattre. Vous vous sentez isolé dans
l’intervention de Marie-Christine Blandin le votre établissement ? Vous voulez échanger avec des collègues et
matin et la tenue d’ateliers animés par les asso- confronter vos pratiques professionnelles de manière productive ?
ciations du CAPE régional, l’après-midi a été Vous voulez participer à l’élaboration de la revue ? Les Cercles des
consacrée à une table ronde sur le thème de la Cahiers pédagogiques répondront à ces attentes.
coopération. Philippe Meirieu, professeur à l’uni-
versité Lumière-Lyon 2, a ouvert l’après-midi
par une conférence pleine de dynamisme. Ont
pris sa suite Pierre Delion, chef du service de
pédopsychiatrie du CHRU de Lille, Éric Favey,
secrétaire du CAPE national et membre du
Conseil supérieur des programmes, et Pierre
Frackowiak, membre du CAPE Nord-Pas-de-
Calais. Ne restait plus à Sylvain Hannebique
qu’à conclure cette journée avec une phrase
d’Albert Jacquart : « Je suis les liens que je

U
tisse. » Que le CAPE suive et soit donc les liens n outil pour collaborer. Les Ils sont portés par une association de
qu’il s’emploie à tisser. Cercles des Cahiers pédagogiques bénévoles, avec des valeurs et des
http://collectif-cape.fr ont été élaborés de manière à convictions : une conception positive
s’adapter à de nombreux usages. En de l’école et de ses professionnels.
effet, on y trouve un forum public, des Nous cultivons la simplicité et la
■■ Colloque : « Faire confiance :
ateliers de réflexion et d’élaboration de convivialité dans les relations à travers
une nécessité pour l’école et ses
acteurs » nos publications, des supports de for- le ton et le style de l’écriture : même si
Éducation & Devenir a organisé, comme chaque mation et des espaces de préparation l’image des Cahiers pédagogiques est
année, un colloque permettant de confronter des articles de la revue. Un cercle tout synonyme de sérieux, il nous semble
et d’échanger les regards sur une probléma- en un, donc. essentiel que chacun, du professionnel
tique qui intéresse tous les acteurs du monde débutant au parent pas toujours assuré,
de l’éducation. Ainsi, les 24, 25 et 26 janvier Pour qui ? se sente accueilli et mis en confiance.
2014, le colloque s’est tenu à Sotteville-lès- Pour les enseignants débutants, qui Portés par notre compétence recon-
Rouen, sur le thème suivant : « Faire confiance : savent qu’il n’est pas toujours facile nue dans l’écriture et l’accompagne-
une nécessité pour l’école et ses acteurs ». d’engager un dialogue avec ses collè- ment à l’écriture, les Cercles ne se
http://www.educationetdevenir.fr gues, lorsqu’on manque encore de recul limitent pas une succession de réactions
et que l’on aurait besoin de conseils, plus ou moins épidermiques à des sou-
au moins d’une oreille attentive. cis ponctuels, juste modérée en cas de
■■ Ligue de l’enseignement : Le
Pour les professionnels plus expéri- débordement. Chacun est attentivement
film Tomboy instrumentalisé
mentés, qui veulent échanger avec leurs suivi par deux animateurs dont le rôle
Le film Tomboy qui aborde le sujet de l’identité
sexuelle fait couler de l’encre, certains allant collègues et confronter leurs pratiques est de donner envie de participer aux
jusqu’à réclamer son interdiction dans les professionnelles de manière productive : débats, de permettre au groupe d’éla-
écoles. La Ligue de l’enseignement prend posi- ne pas noter les élèves, est-ce que c’est borer et de mutualiser des solutions aux
tion : « Nous soutenons sans réserve Céline possible ? À quel niveau d’enseigne- problèmes, d’apporter des documents
Sciammala, réalisatrice de Tomboy, ainsi que les ment ? Cela ne va-t-il pas démobiliser pour mieux approfondir les sujets.
coordonnateurs du programme “École et ciné- mes élèves ?
ma” et les enseignants qui choisissent de mon- Pour les partenaires, puisque la Sur Quels sujets ?
trer ce film à leurs élèves. » volonté de notre association est d’élargir Dans les premiers Cercles ouverts, on
http://www.laligue.org les Cercles et d’y faire participer les échange sur ce qui fait changer un éta-
parents d’élèves, les associations, en blissement, jouer en classe, l’école
particulier celles qui constituent le inclusive, le travail interdisciplinaire, le
■■ Fespi - Pétition pour
CAPE (Collectif des associations parte- travail par compétences, le métier ensei-
l’ouverture de classes à naires de l’école). gnant, ou l’éducation laïque à la morale
Clisthène
par exemple. Mais vous retrouverez
La Fespi (fédération des établissements scolaires
innovants) soutient la pétition de Clisthène, col- Comment ? aussi les appels à contributions aux
lège public innovant de Bordeaux, dont les ensei- Situés hors de l’institution Éducation dossiers et aux rubriques de la revue.
gnants écrivent d’ailleurs très souvent dans les nationale, ils autorisent une parole libre, Ou proposerez un nouveau Cercle ! n
Cahiers pédagogiques. Face aux demandes crois- même si l’appartenance aux Cahiers
santes de familles non satisfaites, l’association pédagogiques implique un échange À bientôt sur
Les amis de Clisthène demande l’ouverture de réfléchi et responsable, avec une impor- cercles.cahiers-pedagogiques.com
classes supplémentaires. tance marquée de l’écrit, du texte à Michèle Amiel
http://tinyurl.com/petitionFESPI construire ou pour réfléchir.

4 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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« Un savoir donne la possibilité


de se transformer »
Entretien. Philippe Meynieu est neurologue. Selon lui, le savoir donne Une aide doit porter sur la vie globale
des clés pour connaitre ce qui nous entrave, pour nous réconcilier et demande d’entrer en contact avec la
avec nous-même et pour mener une lutte sans relâche contre nos personne. Philippe Meynieu s’assoit
obscurantismes. Selon lui encore, une pathologie n’est jamais un plus au fond de son siège. Il raconte sa
élément isolé et le soin s’apparente à un art d’approcher les autres
avec délicatesse et humilité. conscience vive de la fragilité du corps,
qui ne sera disponible que pendant un

P
temps court. Il sait aussi que beaucoup
hilippe Meynieu a hésité, après que nous sommes. Ensuite, qu’une de problèmes viennent de risques pris
sa terminale, entre la philoso- pathologie participe d’un système de à un moment de l’existence. Se récon-
phie et la médecine. Si la vie. » Philippe Meynieu a donc beau- cilier avec soi, aider les autres à le faire.
médecine lui est apparue plus coup relativisé la notion de liberté, et Le neurologue ne se penche pas seule-
commode, la philosophie ment sur l’esprit. « Un être, c’est
continue de l’accompagner au quo- un corps qui pense et qui entre en
tidien, et jusque dans son cabinet relation avec le corps pensant
de consultations. « Plus on a de d’autrui. On devrait tellement se
façons de faire, mieux on appréhende comprendre et s’aimer ainsi, telle-
le monde. » Sa manière de considérer ment être plus à l’écoute d’une
la pathologie s’en trouve largement pulsion de vie. » À l’écoute. Le
ouverte : il s’agit d’un problème de neurologue, dans le secret de son
société d’abord, apportant une cabinet, continuera de l’être,
réponse à « Comment va le même s’il ne s’agit parfois que
monde ? » ; d’un problème écono- d’être là pour recueillir la misère,
mique et politique ensuite. C’est la détresse. Et d’accepter de ne
enfin de l’intime : « Chercher à pouvoir faire davantage.
réduire la souffrance, engager à se Comprendre pour dénouer. Phi-
réconcilier avec son corps et à en lippe Meynieu ne nie pas qu’à
prendre soin, tout cela demande vouloir tout connaitre on enlève-
d’aller vers l’autre, au plus près, pour rait la spontanéité, la surprise.
d’abord chercher à le comprendre. Mais selon lui, le risque des consé-
Pour toutes ces dimensions, la philo- quences de l’innocence est trop
sophie m’est une aide précieuse. » grand : « L’histoire récente, notam-
Si la pensée médicale a une part ment le régime nazi qui reste en
très technique, repère les signes moi un marqueur puissant de ce
de la maladie, les rapproche pour que l’homme est désormais en
arriver à un diagnostic, l’affaire devoir de repousser en lui, ou
n’est pas par avance conclue : « Au Philippe Meynieu ©DR encore les exemples multiples où
début, on ne sait pas où chercher, l’on a tué pour des lendemains qui
quelles questions poser. » Pour le neu- affirme qu’il n’y a pas de liberté sans chantent ou pour un au-delà, me
rologue, la médecine est donc avant connaissance de nos chaines : « Si on poussent à vouloir changer la société
tout une pratique qui s’élabore avec les connait, au moins devient-on en par tous les moyens. » Nos armes sont
l’expérience. Il a très vite compris mesure de les accepter, ou éventuelle- donc pour lui l’intelligence et la raison :
qu’une information ne nous modifie ment d’y renoncer. Cela, la médecine toutes les fois que l’on peut apporter
pas automatiquement, qu’il faut pour me l’a appris, en m’amenant à une de la lumière pour aider à résister à la
cela qu’elle s’intègre et devienne un grande indulgence et même à un atten- manipulation, aux fausses croyances,
savoir : «  Un savoir donne la possibilité drissement pour les gens que je vois à la haine, il faut intervenir. Et c’est en
de se transformer, ou de ne pas se trans- souvent se débattre avec leurs chaines, lui-même qu’il commence la chasse aux
former, autour de cette donnée leurs pathologies et leurs comporte- obscurantismes.
nouvelle. » ments. Tous respectables. Chacun étant Porter de l’attention à ce et ceux qui
Philippe Meynieu n’ignore pas que mon égal. » D’ailleurs, d’emblée, ce qui entourent, se demander ce qu’il est bon
l’homme est loin d’être une machine frappe chez Philippe Meynieu, c’est son de faire, et agir, voilà, pour Philippe
qui répondrait à un stimulus en forme humilité. Peut-être parce qu’il sait qu’un Meynieu, le moyen de ne pas avancer
de leçon hygiéniste, par exemple. « Voir médecin n’est pas un magicien. en bateau ivre. « Voilà même le moyen
énormément de gens en consultation Tout trouble neurologique trouve sa de ne surtout pas regretter un jour
m’a fait rapidement comprendre deux place dans un ensemble avec un métier, d’avoir vécu pour rien. » n
choses : d’abord, qu’en grande partie des enfants, une famille, des habitudes Propos recueillis par Christine Vallin
nous ne sommes pas responsables de ce alimentaires, de loisirs, des croyances.

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 5

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ACTUALITÉSÉDUCATIVES
EN
BREF
Paroles sur le
décrochage
L’école ailleurs
DVD. Le décrochage scolaire est
maintenant reconnu comme un
phénomène massif. Au-delà des
querelles de chiffres, ce coffret regroupe,
La Suisse : vingt-six systèmes
en deux DVD distincts, la parole d’élèves
ayant rompu avec l’école avant d’y
revenir et de parents ayant été
scolaires différents
confrontés à cette situation. On est Systèmes éducatifs. Il y a quelques mois, Karine Texier a quitté la
surpris par la lucidité de ces jeunes Bretagne pour s’installer en Suisse, près de Lausanne. Elle y a trouvé
revenant sur leur parcours. On devine un temps partiel en classe d’accueil pour élèves primo-arrivants non
aussi combien accompagner fut difficile
francophones, complété de cours destinés à des élèves de classes
ordinaires connaissant des difficultés d’apprentissage. Elle nous décrit
pour les parents. À voir ! ce qu’elle a découvert de l’école en Suisse.
www.parolesdecrochage.blogspot.fr

Bulletin d’information

M
ême après six mois d’observation, enfantine (classes de 1re et 2e), ainsi que
de la recherche je suis bien en peine de dresser les classes de 3e et 4e (enfants de 6 à 8
IFÉ. L’Institut français de l’éducation un portrait exhaustif de l’école ans). Dans ce cycle, l’élève ne reçoit
publie chaque mois son bulletin. Le dans ce pays. En effet, la Suisse, ce sont pas de note, mais des appréciations. Il
n° 26 portait notamment sur ses vingt-six systèmes scolaires différents : passe automatiquement dans la classe
partenariats menés avec le CNRS, des un pour chaque canton et pas d’Éduca- supérieure, jusqu’en troisième année.
équipes de recherche, sur les séminaires tion nationale. Quelques aspects sont de À la fin de la quatrième année, il passe
de l’IFÉ à venir. On y retrouve aussi les la compétence du niveau fédéral : le début une épreuve commune de lecture. Si
rubriques habituelles : les nouvelles du ses résultats sont suffisants,
réseau des lieux d’éducation associés à l’élève passe au deuxième cycle,
l’IFÉ (dans ce numéro, voyage au sein du en cinquième année.
blog des LéA), l’actualité en matière de Au deuxième cycle primaire (de
formation des maitres, les publications la 5e à 8e), les élèves commencent
récentes, les interactions avec la à apprendre une première langue
bibliothèque Diderot et l’agenda des étrangère, l’allemand. Puis en 7e,
manifestations scientifiques du mois. ils commencent l’anglais. Dans
Recevez le bulletin et participez-y en ce cycle, les notes (de 1 à 6, avec
envoyant vos actualités particulières. précision au demi-point) sont
http://ife.ens-lyon.fr/ife/ obligatoires. Les enseignants
peuvent décider de maintenir un
Manifestations élève en 6e si ses notes sont insuf-
© DR
Philosophie. Le Collège international fisantes. En fin de 8e, tous les
de philosophie (CIPh) publie sa lettre de l’année scolaire (en aout), les âges de élèves du canton passent les épreuves
d’information et y présente ses début (4 ans) et de fin (15 ans) de l’école cantonales de référence. Les résultats à
manifestations passées et à venir : obligatoire, l’obligation de l’enseignement ces épreuves ainsi que les notes de
séminaires philosophie, arts et et le principe de gratuité dans les écoles l’année déterminent dans quel type de
littérature, débats autour d’un livre, un publiques (nettement plus tangible ici filière secondaire entrera l’élève (géné-
grand colloque sur les Lumières en Chine qu’en France). Pour le reste, l’instruction rale ou professionnalisante).
et en Europe ou des journées d’étude publique est du ressort des cantons. En découvrant la vraie vie des écoles
autour de philosophes de toutes les Récemment, la mobilité des familles romandes, j’ai eu quelques belles sur-
époques. d’un canton à l’autre s’est accrue. Cette prises : l’horaire des élèves qui aug-
http://ciph.org évolution contraint chaque enfant mente progressivement en fonction de
concerné à s’adapter à un nouveau sys- leur âge (de treize heures trente à
« Raconter la vie » tème scolaire, ce qui peut être déstabi- quinze heures d’école par semaine pour
Sociologie. Il s’agit simultanément lisant. Une coordination intercantonale les élèves de 4 ans, jusqu’à vingt-quatre
d’une collection de livres et d’un site s’est penchée sur ce sujet et a conclu heures par semaine pour ceux de 10
internet participatif. Par les voies du livre l’accord Harmos : les cantons se sont ans), les effectifs des classes (de dix-
et d’internet, en faisant sortir de l’ombre engagés à harmoniser programmes sco- sept à vingt élèves dans mon école), le
des existences et des lieux, « Raconter la laires et grilles horaires au sein d’une grand panel de dispositifs d’aide réel-
vie » veut contribuer à rendre plus lisible même région linguistique. lement accessibles pour les élèves en
la société d’aujourd’hui et à aider les L’accord Harmos a également conduit difficulté, ainsi que la reconnaissance
individus qui la composent à s’insérer à une nouvelle architecture des classes sociale (et de revenu !) dont jouissent
dans une histoire collective. Pierre et des cycles. L’école étant obligatoire les enseignants. n
Rosanvallon est le directeur de l’équipe. dès 4 ans, le premier cycle primaire Karine Texier
http://raconterlavie.fr comprend les deux années d’école Professeure des écoles en Suisse

6 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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@ www.cahiers-pedagogiques.com ACTUALITÉSÉDUCATIVES

l’actualité de la recherche ife. ens-lyon.fr/vst

Le bac n’est pas une fin en soi


Recherche. Posséder un certificat de fin d’études secondaires contrôle continu se fonde sur un sys-
est désormais une norme : l’OCDE, dans sa dernière édition des tème de crédits capitalisables qui permet
Regards sur l’éducation (2013), estime que ce sont 83 % des jeunes une validation progressive des modules.
d’aujourd’hui qui, en moyenne, termineront avec succès le deuxième Depuis 2011, on parle beaucoup de
cycle de l’enseignement secondaire au cours de leur vie. C’est donc
grosso modo au lycée que se jouent les équilibres, propres à chaque « bac - 3 bac + 3 » en France. La formule
système éducatif, entre des formations générales humanistes et des s’applique à postériori aux réformes de
formations utiles qualifiantes. l’enseignement professionnel et du lycée
général et technologique. Les multiples

L
dispositifs soutenant la poursuite
e plus souvent, une distinction d’études (orientation active, admission
nette est faite entre les forma- postbac, cordées de la réussite, plan
tions qui ont vocation à accom- réussite en licence, etc.) s’en réclament
pagner l’accès à l’emploi et aussi tous désormais. Mais peu de sys-
celles qui appellent une pour- tèmes éducatifs ont concrètement outillé
suite d’études supérieures. En Allemagne ce continuum. En Allemagne, la forte
et en Suisse, où la différenciation inter- segmentation des formations profession-
vient plus tôt, les études générales restent nelles est compensée par l’existence de
faiblement spécialisées (une filière, des nombreuses passerelles. Au Québec, les
options), alors que l’offre de formations collèges (postsecondaire) et les univer-
professionnelles est fortement clivée. En sités contractualisent des parcours types,
Belgique francophone, l’enseignement de qui permettent aux inscrits de bénéficier
transition s’inscrit dans une perspective d’un programme allégé grâce à une
de poursuite d’études, alors que l’ensei- reconnaissance d’acquis. Le fait d’avoir
gnement de qualification ne le permet opté dès le collégial pour une formation
pas. Au Québec également, le deuxième technique n’est donc pas pénalisant, au
cycle secondaire, filiarisé dans le cas contraire.
Laure Endrizzi ©DR
d’études professionnelles, ne l’est pas Pour autant, la continuité ne repré-
pour ceux qui suivent une formation phone, ce sont aussi les établissements sente pas systématiquement un objectif
générale, bien que les choix d’options qui distinguent les lauréats, sur la base à atteindre, parfois c’est la rupture qui
conditionnent en partie la suite du par- d’évaluations externes non certificatives prévaut. En Suède, les études secon-
cours. En France cependant, la frontière et de contrôle continu ; dès 2014, s’y daires sont marquées par une forte
reste floue : le même baccalauréat pro- ajoutera une épreuve standardisée com- linéarité et une faible sélection, alors
fessionnel est supposé permettre une mune dans le cadre du TESS (test d’en- que l’entrée dans le supérieur est très
insertion professionnelle et autoriser seignement secondaire supérieur). Le fortement régulée. En Suisse, à l’inverse,
l’accès à l’enseignement supérieur. A-level anglais est encore plus libéral : la sélection s’opère strictement en
les élèves choisissent la seule matière amont, dès la fin de l’enseignement
Les épreuves finales qui fait l’objet d’une épreuve finale sur obligatoire, et la poursuite d’études
standardisées : une autre table. Au Québec, l’obtention du supérieures, ouverte à tous les titulaires
exception française diplôme d’études collégiales (DEC) est d’une maturité, demeure une exception,
Le baccalauréat est aussi une excep- soumise à la réussite de deux épreuves comme en Suède.
tion, parce qu’il relève d’une procédure finales communes : une élaborée par le Difficile donc d’apprécier l’efficacité
totalement centralisée et que les ministère, l’autre par l’établissement de telle ou telle scolarité secondaire,
épreuves finales standardisées sont d’accueil. En Suède où il n’existe pas sans approfondir les liens entre quali-
extrêmement nombreuses. d’examen final, les notes du contrôle fication et insertion professionnelle. n
L’Abitur allemand, avec ses cinq continu et des évaluations externes Laure Endrizzi
épreuves obligatoires (dont quatre organisées en cours de formation jouent Chargée d’études, service Veille et analyses
écrites) reste le plus proche du bacca- un rôle capital dans les possibilités ulté- à l'IFÉ-ENS de Lyon
lauréat ; sa conception incombe aux rieures d’études. En Espagne, le bachil-
lands, mais les corrections sont réalisées lerato ne comporte pas non plus
par les enseignants des établissements d’épreuve finale, mais c’est l’examen Pour en savoir plus

d’accueil. En Suisse, l’examen final de d’entrée à l’université qui, pour l’ins- Laure Endrizzi, « Les lycées à la croisée de tous
les parcours », dossier de Veille et Analyses de
maturité relève pour l’instant exclusi- tant, confère le droit de poursuivre des l’IFÉ, n° 88, ENS de Lyon, décembre 2013.
vement de la responsabilité des établis- études supérieures. Dans plusieurs pays http://goo.gl/UAlCxG
sements d’accueil. En Belgique franco- (Angleterre, Québec, Suède, etc.), le

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 7

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ACTUALITÉSÉDUCATIVES
appelà
contribution
Et chez toi, ça va ? la chronique d’é.l@b www.ELAB.fr
Rubrique animée par Françoise
Colsaet
■■ Oui, vous connaissez, c’est une rubrique des Éduthèque, la culture au bout
des doigts
Cahiers pédagogiques. Mais ces textes, qui les
écrit ? Trop peu d’entre vous, nous sommes
toujours à la recherche de textes ! Et nous
souhaitons aussi lire des auteurs nouveaux : tout
le monde, mais vraiment tout le monde peut y Ressources. Lancé au salon de l’éducation, éduthèque est un
écrire, les anciens et les modernes, les jeunes et portail de ressources consultables ou téléchargeables mises
les vieux, les Bretons et les Corses, les décidés et à disposition des enseignants. Lancé au Salon de l’éducation,
les hésitants… éduthèque est un portail de ressources consultables ou
téléchargeables mises à disposition des enseignants sur le
http://goo.gl/lAzjlj
site du ministère de l’Éducation nationale, dans le cadre de
l’opération « Faire entrer l’école dans l’ère du numérique ».
L’école maternelle

U
refondée n portail menant vers des res- les disciplines et tous les niveaux.
sources ? Voilà qui n’est pas Les partenaires ont également veillé
Coordonné par Christophe Blanc
et Valérie Neveu neuf. Mais les partenariats à regrouper sur une seule page
■■ Que sait-on aujourd ’ hui de l’école
montés pour éduthèque sont toutefois d’accueil l’ensemble des ressources
maternelle ? Quelle est donc sa spécificité ? prestigieux : avec la BnF, le centre Pom- ayant un intérêt pédagogique et
Quelles sont les attentes ? Qu’y apprend-on et pidou, l’INA, la Cité de la musique, dédiées au service éduthèque. Autre
pour quoi ? Avec qui ? Ce dossier des Cahiers ou lesite. tv par exemple. On en particularité : l’ouverture de droits
pédagogiques souhaite donner la parole à la
compte douze pour le moment, on en pour un usage pédagogique de façon
communauté éducative dans son sens le plus
large, apporter des éléments de réponse variés, espère plus de vingt pour 2014. Ces gratuite, pour le professeur et son
des témoignages d’expériences concrètes, ressources sont gratuites. Lesite. tv
exprimant des points de vue différents d’acteurs proposera par exemple quarante-cinq
multiples, tous concernés par la première documents, renouvelés régulièrement.
scolarisation.
L’objectif est clair : il s’agit d’encoura-
http://goo.gl/TnVvos
ger les enseignants à utiliser les
richesses en ligne, pour populariser
Vers l’école du socle encore le culturel en classe. Trois clics
et le ballet du Bourgeois gentilhomme
Coordonné par Francis Blanquart,
de Lully s’élève, assorti d’un commen-
Céline Walkowiak et Jean-Michel
Zakhartchouk taire, et les pas des danseurs s’affichent
■■ Vous êtes dans une réflexion individuelle ou
à l’écran : de quoi donner l’envie de établissement (les documents ne
collective autour de « l’école du socle », vous bouger en classe pour apprendre ! sont pas libres, mais on peut enfin
vous lancez dans cette aventure qui va au-delà Certains partenaires permettent un donner des ressources aux élèves
de la liaison école-collège, que ce soit des accès entièrement libre à des res- sans se mettre hors la loi, ce qui
initiatives personnelles, collectives ou pilotées sources jusque-là payantes : ainsi résout la contradiction dans laquelle
par l’institution, votre témoignage nous
intéresse pour ce dossier qui devrait être à l’ordre édugéo, qui offre aux enseignants se trouve un professeur voulant
du jour ces prochaines années. une riche base de cartes et de don- enseigner l’histoire des arts par
http://goo.gl/SXeBsO nées géographiques et un outil de exemple). La grande majorité des
croquis que les élèves pourront utili- documents est téléchargeable, les
ser, puisqu’il est possible de leur créer captures d’écran sont autorisées.
Écritures un compte classe via éduthèque. Ou Cette plateforme ne manque pas
professionnelles encore la Cité de la musique qui
montre et commente un concert et
d’intérêt, intérêt qui s’accroitra avec
le nombre de documents proposés.
Coordonné par Patrice Bride une partition de L’Apprenti sorcier de On espère cependant des développe-
et Philippe Chenot
Dukas. Et le BRGM (Bureau de ments dans deux sens : tout d’abord,
■■ Regardons de plus près nos pratiques d’écri-
recherches géologiques et minières) avec la mise en place d’un moteur
ture, tentons d’en faire des opportunités de
développement professionnel : voilà le pari de qui met à disposition des enseignants de recherche efficace. Ensuite et sur-
ce dossier lancé par les Cahiers pédagogiques. pour leurs préparations de cours de tout, il serait très intéressant que les
http://goo.gl/PQjEKq multiples cartes géologiques. utilisateurs puissent contribuer au
Des portails de ressources, il en développement de la plateforme en
existe, et de très utiles, fournis, et l’enrichissant de leurs expériences et
Les appels à contribution complets souvent sous-utilisés. Ce qui est en mettant en commun les usages
sont à lire sur notre site : particulier à éduthèque, c’est son qu’ils auront fait des ressources. n
www.cahiers-pedagogiques.com point d’entrée unique vers des res-
Pour tout contact : sources numériques pédagogiques
http://www.edutheque.fr/accueil.html
prenom.nom@cahiers-pedagogiques.com. éclectiques, qui concernent toutes

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Florence Castincaud BILLET
DUMOIS

Modes et dérives
en pédagogie
C’était le titre du numéro 330 des Cahiers, en Pour tous ceux, dont nous sommes, qui s’échi-
janvier 1995. Ce pourrait être un dossier à nent à faire bouger les fonctionnements rigides
reprendre régulièrement. Les Cahiers sont-ils un de l’école, l’idée neuve qu’apporte un courant
véhicule des modes de recherche est une
pédagogiques ? Oui, Davantage manne dont ils s’em-
puisque nous sommes affaire de parent avec parfois un
dans les eaux vives des discours excès de conviction,
courants que nous trou- frôlant le dogmatisme
vons novateurs, por-
que de d’un discours prescrip-
teurs de changements
pratiques. » tif et la généralisation
salutaires pour l’école. un peu hâtive.
En 1995, les innova- Il a fallu, dans les Cahiers, à intervalles régu-
tions, largement diffu- liers, se demander à quels élèves profitaient sur-
sées à travers les stages tout les pédagogies dites « actives » ou quelle
Mafpen, c’étaient la validité avait la notion de « profils » d’apprentis-
gestion mentale et La Garanderie, la pédagogie sage ; il a fallu accepter de rethéoriser nos chères
différenciée, « faire émerger les représentations », idées, en les réexaminant comme des hypothèses
l’évaluation formative et les grilles critériées. En de travail à la lumière du réel, qui résiste, à son
2013, il n’y a presque plus de formation continue, habitude. C’est ce que nous avons encore à faire
c’est par d’autres voies que se diffusent les idées en ce moment où l’envie que les réformes réus-
et pratiques nouvelles, le travail par compétences, sissent, que le volontarisme du ministère fissure
les classes sans notes, le numérique et les twit- les immobilismes, pourrait nous pousser à être
tclasses, l’organisation du temps scolaire, etc. ou à paraitre des suiveurs de modes ou d’insti-
Ces modes, souligne le dossier de 1995, sont tutions. Veiller à ce que notre discours ne soit
intéressantes dans leur contenu : elles mettent pas rigide ou intimidant, mais reste ancré dans
l’accent sur un point jusque-là laissé dans la réalité de nos pratiques d’acteurs, à tous les
l’ombre ou proposent des façons de faire qui niveaux, dans l’école. De la théorie, c’est-à-dire
enrichissent l’arsenal pédagogique. Le problème, une réflexion éclairée, plutôt que des théories. n
c’est qu’elles courent sans cesse le risque d’être Florence Castincaud est professeure de français en collège
davantage affaire de discours que de pratiques. à Nogent-sur-Oise (Oise)

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dossier Observer la classe

Différents regards
sur et dans la classe Qui observe ? On ne peut que comparer.
Henri Michaux, Passages, Gallimard, 1963.

Brigitte Cala tant d’observer leur façon de travailler ou de bâiller ?


Formatrice à la faculté d’éducation/ESPÉ de l’académie de Que faire de ces observations ? Quelles en sont les
Montpellier ; correspondante académique du CRAP-Cahiers limites ? Que peut-on observer de l’apprentissage
pédagogiques.
des élèves ?
Hélène Eveleigh De même que l’enseignant observé par un pair
Professeure de français au lycée Évariste-Galois à Noisy-le-Grand ou par un formateur venu le conseiller peut avoir
(Seine-Saint-Denis) et formatrice dans l’académie de Créteil ; le sentiment que l’observateur n’a pas vu ce qu’il
membre du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques.
pense avoir fait, de même les élèves peuvent donner
l’impression de travailler sans le faire, ou le contraire.
Bien des raisons nous ont motivés pour Observer n’est jamais neutre et la subjectivité ne
consacrer un dossier complet des Cahiers pédago- peut pas être évacuée, quels que soient les garde-
giques à ce thème de l’observation dans les classes. fous que l’on se donne, à l’aide de grilles ou de
Un étudiant ne peut s’improviser professeur, assister protocoles. Quant aux élèves eux-mêmes, ils sont
à des cours est une part essentielle de la formation souvent de fins observateurs des usages et pratiques
initiale des enseignants, renforcée à de leurs enseignants et nous n’oublie-
l’occasion de la mise en place des ESPÉ. L’observation rons pas de leur donner la parole.
Mais observer ses élèves fait constam- n’est jamais L’observation n’est jamais qu’une
ment partie de l’activité de tous les qu’une étape étape d’un processus d’apprentissage
enseignants, plus ou moins aguerris : d’un processus ou de formation. Que fait-on de ce que
même un conférencier ne peut se per- d’apprentissage l’on a observé dans l’activité qui s’en-
mettre d’être indifférent à ce qui se passe ou de formation. chaine, pour évaluer, réguler, ajuster,
dans son public ; à fortiori un pédagogue seul ou à plusieurs ? Et il ressort de nos
qui prétend susciter une activité intellectuelle autour articles que les observations sont souvent multi-
d’objets d’apprentissage chez des élèves. La repré- fonctionnelles, que leur analyse fait apparaitre
sentation de l’enseignant qui referme soigneusement d’autres intentionnalités que celles qui étaient affi-
la porte de la classe une fois les élèves rentrés et se chées au départ.
sent seul maitre à bord s’efface de plus en plus au Nous avons modestement retenu un plan organisé
profit de démarches de coobservations dont chacun en fonction de « ce que » l’on observe ou « qui » on
(observateur et observé) tire le plus grand profit. observe : ses élèves ou les élèves d’un autre ; ses
Enfin, il y a tout ce qu’observe, ou n’observe pas, collègues ou soi-même ; un enseignant en formation ;
celui qui vient dans la classe pour cela : le formateur, le professeur ou d’autres élèves observés par les
le conseiller pédagogique, l’inspecteur. élèves.
Alors, « observer », mot clé d’une bonne pratique Nous espérons ainsi aiguiser nos regards pour être
professionnelle ? Mais observer qui, quoi, comment plus attentifs à ce qui se joue dans la classe, dont
et dans quel but ? une part restera toujours, quels que soient les dis-
Qu’observe-t-on dans la classe ? Comment l’ensei- positifs mis en place, mystérieuse et invisible. n
gnant regarde-t-il ses élèves ? Pourquoi est-ce impor-

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Coordonné par brigitte Cala et Hélène Eveleigh

somMaire

n Observer ses élèves


12 Avec un œil habillé Florence Castincaud
14 Ils avaient pourtant compris ! Sylvie Baud-Stef
15 Une source de créativité Jeanne-Claude Mori

n Observer les élèves d'un autre


16 Scènes de la vie en maternelle Véronique Lacoste
19 L'observation attentive Sylvie Hue
20 Mais qu’est-ce qui leur arrive ? Émilie Kochert
21 Ouvrir son regard Angelika Toth, Vijé Franchi

n Observer ses collègues ou soi-même Illustration de couverture : Lilapik - Marie Bernard


Illustrations intérieures : Lili Bé
23 Filmer en classe Serge Leblanc
26 « On n’y voit rien… » Jacqueline Gérard n Et quand les élèves observent
27 Ma façon de faire de la discipline 49 Les élèves, observateurs experts Luc Ria
Françoise Delzongle
51 Voir les autres pour mieux se voir
29 Observer, ça s'apprend Armelle Legars Olivier Haeri, Yves Lancry, Anne Philippon
30 Quelles questions ? Armelle Legars 53 Qu'est-ce qu'ils viennent faire là ?
31 Comment se regarder pédaler ? Sylvie Grau Françoise Ballay
32 Partager doutes et questions Nicole Priou n Relecture
54 Un précieux préalable Richard Étienne
n Observer un enseignant en formation
35 Six dilemmes en quête de hauteur Yannick Mével
37 Un miroir, ça réfléchit Philippe Watrelot à lire sur notre site :
39 Observer l'observation Sylvain Doussot Voir les élèves de dos Françoise Colsaet
41 Déchiffrer le travail Luc Ria Mon corps d’enseignant
43 L’observation des autres, une observation de soi Marion Tellier, Alexandra Gadoni
Nancy Bresson Lettre à un ami formateur Jean-Jacques Latouille
44 De l’observation participante Quand celui qui est observé écrit Bruno Seweryn
ou de la participation observante ?
Observer le monde Françoise Guillaume
Andreea Capitanescu Benetti
Voir à travers une tablette Céline Hergault
45 L’anthropologie en classe, un sport dangereux
Nilima Changkakoti Quand les élèves philosophent Michel Tozzi
46 Les dilemmes de la profession Valérie Hutter
47 Finalement, comprendre Valérie Vincent

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dossier Observer la classe

1. Observer ses élèves


L’enseignant dans la classe est d’abord acteur. Mais il est parfois bien utile de passer de l’autre côté de la
scène, de prendre le temps de devenir spectateur des élèves en activité.

Avec un œil habillé


Entre ce qui était prévu et ce qui s’est réalisé, il y a forcément un contrat didactique était clair ? » Visi-
écart avec beaucoup de phénomènes à observer : ce que les blement, non. Je me suis engagée
ratages nous révèlent. comme une bleue dans quelque
chose que j’ai trop mal explicité. Pra-
tiquer une évaluation à visée forma-
Florence Castincaud, professeure de français en collège à Nogent- tive, ça ne se met pas en place
sur-Oise (Oise)

«M
comme ça en imaginant que tous les
élèves vont voir clairement (et adhé-
a chère, ta intégrer dans leur réécriture. rer à) la recomposition que cela sup-
séquence Certains voient bien, il me semble, pose du rôle du maitre et du rôle des
est en train ce qu’il faudrait faire, mais rechignent élèves. Je repense à Philippe Perre-
de se casser à changer autant leur premier jet. Ils noud[1] : « L’évaluation formative
la figure. » vont s’employer à contourner la suppose toujours un déplacement des
Nous en sommes au tiers de l’heure compromis vers plus de travail sco-
mots clés
et je peux difficilement ignorer ce laire, plus de sérieux dans l’appren-
SMS mental que m’envoie ma Rédaction tissage, moins de défenses contre
conscience pédagogique. Certes, j’en Évaluation formative l’institution scolaire. » Mais je me
vois qui sont bien dans la tâche et rends compte aussi que ça ne marche
dans l’apprentissage : ils reprennent tâche ou à la détourner en jouant la que si le surcroit d’aide de la part du
leur brouillon, ont leur fiche de montre pour ne pas entrer dans maitre, qui repousse le moment de
vocabulaire, échangent une idée l’apprentissage ; ils disent qu’ils n’ont l’évaluation pour s’assurer que cha-
avec le voisin ou la voisine, modi- pas compris mes remarques, ils ne cun a eu le temps de comprendre la
fient vraiment leur écrit initial. voient pas comment améliorer. Ils tâche et d’y entrer, s’accompagne
s’acharnent sur une question d’ortho- d’un surcroit de travail de la part de
Dans le chaudron graphe puis sur la suivante, et pro- l’élève : son texte, il ne va pas l’écrire
de la classe duisent deux lignes péniblement. une fois, mais deux et souvent trois.
D’autres sont dans la tâche mais Je fais ce que je peux ce jour-là, Dans chaque classe, il y a des élèves
pas dans l’apprentissage, à ce que je parce que je veux ramasser quelque qui sont à fond pour, et ravis ;
crois voir. Le brouillon semble être chose à traiter lors de cette dernière d’autres se laissent faire avec
repris à peu près tel quel, le texte est heure avant les vacances. Je m’ob- quelques encouragements et voient
toujours aussi bref, ces élèves cor- serve donc en train de m’acharner
rigent seulement les endroits où j’ai sans gloire sur des apprentissages
inscrit un commentaire. Je dois pas- qui fuient comme l’eau dans une 1  Pour une approche pragmatique de l’évaluation
formative, Philippe Perrenoud, repris dans L’éva-
ser leur rappeler de regarder la fiche passoire. luation des élèves. De la fabrication de l’excellence
de critères et la réserve de vocabu- Deuxième SMS avant la fin de à la régulation des apprentissages, De Boeck édi-
laire, qui font partie des éléments à l’heure : «  Est-ce que tu crois que ton teur, 1998. 

12 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier
1. Observer ses élèves

les progrès ; et d’autres, pendant un Bucheton et quelques autres sur les toujours cette expression prudente).
certain temps, cherchent les failles pratiques d’écriture et la distinction « Le succès des apprentissages, dit
pour avoir l’air de faire sans y mettre entre corriger un texte (disons, le Perrenoud, se joue dans la régulation
de carburant. toiletter), le réviser (faire des amé- continue et la correction des erreurs
liorations locales) et le réécrire (pra- davantage que dans le génie de la
Regarder avec un œil tiquer des aménagements de fond). méthode. »
habillé J’ai cela en tête, mais je ne l’ai pas Je traduis : séances longuement
Le paquet de copies que je rap- traduit en explications et consignes pensées et critères mis au point avec
porte va reposer un peu pour laisser claires pour les élèves dans mes les élèves, d’accord, mais ne pas
décanter mon dépit. Entretemps, je remarques sur leurs brouillons des croire que ça va garantir l’investis-
cherche des biscuits pour avancer ; élèves (que je relis à cette occasion sement de tous dans les progrès
j’ai raté un moment, c’est d’accord, puisqu’ils me les redonnent avec le espérés.
il faut que ça serve à quelque chose. deuxième jet). Bien sûr que ça n’a Et pour que cette régulation puisse
Je cherche donc dans ces copies à pas empêché certains de bien com- se faire, il faut, dit-il, une « observa-
évaluer ce qu’elles pourraient me tion formative », adossée à des
dire de là où ça n’a pas marché, en cadres théoriques sans négliger les
plus des failles susdites, sur le conte- Je cherche des biscuits pour intuitions et éléments moins cadrés,
nu même de la tâche. avancer ; j’ai raté un moment, qui permet de construire une repré-
Quelles améliorations montrent les c’est d’accord, il faut que ça sentation réaliste des apprentissages
copies entre le brouillon et le deu- serve à quelque chose. pour mieux les guider. Dans cette
xième jet ? Locales ou de fond ? Pour- perspective, l’évaluation formative
quoi certains recopient-ils quasiment prendre les enjeux de la tâche ; est une forme parmi d’autres de
un texte identique au premier, à d’autres ne les ont pas vus et sont régulation.
quelques corrections près ? Pourquoi restés dans la logique d’une correc-
certains semblent-ils non pas relire tion sans apprentissage supplémen- Je traduis : ne pas confier aux
leur texte, mais lire mes remarques taire ; d’autres les ont entrevus et tableaux de critères (certes bien
au coup par coup et chercher à y ont profité du flou de la consigne utiles) le rôle de faire comprendre
répondre, négligeant celles qui posent pour les contourner. aux élèves ce qui va ou ne va pas.
des questions de fond sur le texte, Il va falloir voir comment rattraper Réfléchir à la situation de départ de
son sens, sa visée ? Pourquoi certains ça ; je bâtis la mise au point que je l’apprentissage, à la part d’interac-
modifient-ils leur texte pour un résul- ferai à la prochaine séance et vois tions formatives (entre les élèves,
tat qui n’est guère plus pertinent ? comment rattraper du temps d’ap- entre les élèves et l’enseignant)
Et je vois bien, un peu tard, prentissage plus intelligemment qu’elle peut comporter, aux déca-
certes[2], un des points aveugles de conçu sur cette tâche lors des pro- lages et autres surprises que l’on
ma construction didactique. Je me chaines séances. Mais mon obser- rencontre, et aux moments de méta-
rappelle les travaux de Dominique vation à deux lames, assortie d’une cognition que ces prévus ou impré-
relecture du même Perrenoud de vus rendent indispensables. n
2  Je me console en me rappelant Bachelard, qui
chevet, m’amène à une réflexion
dit qu’on ne se rend compte qu’après coup qu’on plus large sur mes pratiques d’éva-
est retombé dans ses erreurs favorites. luation à visée formative (je reprends

Dispositif Dans la peau d'un autre


Écrire et réécrire est une xalement, s’habituer à être passé, évoquer l’avenir.
pratique habituelle dans davantage auteurs de leurs Les élèves ont rendu des
mes classes. Nous en textes, essayer des pos- brouillons plus ou moins
sommes au deuxième écrit tures différentes pour les- aboutis, je les leur rapporte
de l’année de 4e ; après la quelles une partie du annotés avec des ques-
lecture de La Parure de matériau est fournie (c’est tions ou parfois des pro-
Maupassant qui se termine le texte de la nouvelle, c’est positions de modifications
sur une chute brutale, les aussi une réserve de mots locales ou globales ; ils
élèves devaient choisir pris chez Maupassant et doivent, pendant cette
parmi quatre propositions traduisant des émotions, heure, individuellement,
de lettres qu’un person- à disposition sur une fiche), s’en saisir pour reprendre
nage écrirait à un autre, une partie est à inventer : leur texte et l’améliorer,
pour prolonger le récit en après la fin choisie par après une brève introduc-
quelque sorte. En propo- Maupassant, on peut ima- tion de ma part ; c’est la
sant cette consigne, j’es- giner des personnages qui deuxième réécriture de
père entrainer mes élèves s’écrivent pour se plaindre, l’année, je suppose la tâche
à se glisser dans la peau rompre, quémander ou comprise.
d’un autre pour, parado- s’entraider, revenir sur le F. C.

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 13

511.indb 13 29/01/14 17:02


dossier Observer la classe

1. Observer ses élèves

Ils avaient pourtant


compris !
Corriger les travaux d’élèves est souvent une épreuve, classe jaillit alors la réflexion : « À
qui suscite frustration et découragement quand les la Renaissance en fait, il y a eu plein
résultats ne sont pas à la hauteur de ce qu'on a cru de progrès techniques et artis-
observer en classe. Que s'est-il passé ? tiques ! » Et Jules de rajouter : « Oui,
mais après, il y a eu les guerres de
Religion. »
Sylvie Baud-Stef, professeure des écoles Je transcris au fur et à mesure au

C
tableau. Nous relisons ensemble le
lasse de CM1, début du Dans le cadre de ce projet, les scénario avant que le secrétaire de
troisième trimestre. La élèves doivent écrire un sketch la classe ne recopie le tout. Les
boite à outils grammati- d’introduction pour le spectacle. On élèves, vigilants, participent de nou-
caux est déjà bien four- se met d’accord sur la forme : ce sera veau très activement à la réécriture
nie. Les élèves travailleront donc mots clés
en rectifiant, précisant les réponses
aujourd’hui sur la différence entre si nécessaire. Je suis de nouveau très
nature et fonction. On rappelle les Cycle 3 agréablement surprise ! Que s’est-il
Motivation
définitions, on donne des exemples. passé ?
Ils lèvent le doigt à en décrocher la Ces deux exemples diffèrent sur
lune, chacun voulant montrer fière- du type Questions pour un cham- plusieurs aspects. L’un se situe dans
ment ce dont il se souvient. On met pion. Les différents rôles sont distri- la continuité d’une séance de gram-
la leçon dans le cahier. Sur le tableau bués : Sébastien sera l’animateur, maire. L’autre est différé dans le
est encore écrite la dictée flash du Alyssia, Jules et Hugo les candidats. temps, effectué avec une autre ensei-
jour. On reprend alors chacune des L’écriture se fait de manière collec- gnante, dans le cadre d’une séance
phrases en analysant la nature des tive. La classe rentre tout de suite de production d’écrit et non plus
composants et leur fonction. Je suis dans le jeu : questions et réponses d’histoire.
très agréablement surprise : les fusent, parfois sur des aspects rela- Cependant, quand j’analyse rétros-
élèves participent tous activement, tivement pointus. Du fond de la pectivement les observations faites
répondent judicieusement. Je les
félicite ! Rostom, très fier, lance
même : «  Tu as vu, maitresse, on sait
bien utiliser les briques de Lego ! »,
faisant référence à l’image que je
leur ai souvent donnée pour leur
faire saisir l’intérêt et l’importance
de la grammaire.

L’écueil de l’écrit
Après cette phase orale riche et
productive, les élèves ont un exercice
écrit individuel. La difficulté est bien
moindre que celle des analyses de
phrases qu’ils ont produites orale-
ment. Mais vient la phase de cor-
rection : quelle déception ! Sur le
papier, la moitié, voire plus, a lar-
gement confondu nature et fonction.
Que s’est-il passé ?
Autre séance en CM1, en histoire.
Avec ma collègue, les élèves étudient
la Renaissance. Les résultats des éva-
luations sont loin d’être satisfaisants.
Et pourtant les élèves ont travaillé le
sujet, se sont passionnés et ont
même fait des exposés. Ils se sont
d’autant plus intéressés et impliqués
que le projet « danse » que nous fai-
sons ensemble porte sur ce thème.

14 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier
1. Observer ses élèves

lors des séances, je relève des points


de convergence. Les situations qui ne
fonctionnent pas sont celles où les
élèves doivent travailler individuelle- Témoignage
ment à l’écrit. Les consignes et la
situation d’apprentissage paraissent
simples : les élèves ont une évaluation
Une source de créativité
avec des questions ou un exercice avec Faire une pause dans le tourbillon de la classe pour
des consignes. Ce sont des situations observer les élèves : un temps précieux.
classiques et les élèves font ce qu’on
attend d’eux : donner des réponses. L’atelier de graphisme ne fonc- tissages ou d’un point de vue de la
Le contrat didactique est rempli. Pour tionne pas : pourquoi n’y arrivent-ils socialisation de l’enfant, et je
un certain nombre d’entre eux, peu pas ? Un plan incliné est-il néces- constate l’évolution, les progrès
importe si les réponses ne sont pas saire ? L’outil scripteur est-il adapté effectués à l’instant T. Cette obser-
correctes, ils ont fait leur travail. au geste souhaité ? Faut-il que je vois vation dans le temps me permet de
individuellement les élèves les plus positiver, car chaque enfant avance
Dans le feu de l’action en difficulté à la suite de l’accueil ? à son rythme. Ce constat me donne
Dans les autres situations évoquées, Je prends du recul par rapport au du courage, de la motivation pour
les élèves interviennent à l’oral et la dispositif choisi, j’observe ce qui se croire en la réussite de tous mes
phase est collective. La situation passe pour essayer de trouver des élèves, quelles que soient leurs
d’apprentissage est complexe, solutions, ce qui m’évite de rentrer difficultés.
puisqu’ils doivent mobiliser des dans le registre de la culpabilité du Dans mon quotidien d’ensei-
connaissances disciplinaires (en gram- fait de n’avoir pas réussi du premier gnante, l’observation me sert à
maire ou histoire) et des compétences coup. J’impulse des modifications, prendre de la distance pour trouver
transversales (expression orale, pro- tout de suite si possible, ou je diffère des solutions aux problèmes liés à
duction d’écrit, analyse, écoute). Dans dans le temps en réessayant diffé- l’organisation des apprentissages
le feu de l’action, une sorte d’émula- remment avec un autre groupe d’en- dans ma classe. Elle me permet de
tion se met en place pour certains. fants. Suspendre le temps de l’action rester professionnelle en définissant
Pour d’autres, plus attentistes, ce sera pour en consacrer à observer est une le cadre, les interactions mises en
dans un esprit de coopération que démarche qui m’est très formatrice, jeu et en me rendant ainsi efficace
l’expression des uns suscite leur par- qui contribue à me donner des sur l’analyse des facteurs à faire
ticipation. Pour tous, il y a une dimen- réflexes pour ajuster mon travail. varier. Je suis ainsi en position de
sion ludique dans la situation. Dans Lorsque je donne une consigne chercheuse et non d’une remise en
le second exemple, il y a même un de travail, dans le domaine des arts cause de mes compétences profes-
enjeu important, puisque la produc- par exemple, j’observe son interpré- sionnelles qui m’amènerait à une
tion écrite résultante doit s’intégrer à tation par les élèves. Il m’arrive de impasse, une situation de blocage
un spectacle. Les élèves prennent trouver pertinent de valoriser une et, finalement, un échec.
plaisir à tester et confronter leurs manière de faire différente d’un
connaissances. Et dans chacun des élève, produisant un côté esthétique Pour conclure, je dirai qu’observer
cas, il est très net qu’ils ne se rendent intéressant, inattendu. « Nous allons mes élèves et mes pratiques me
plus compte qu’ils sont en situation faire comme Lucie : peux-tu nous parait essentiel. C’est un véritable
d’apprentissage. montrer comment tu fais ? » L’effet vivier d’idées nouvelles, une source
est d’autant plus fort s’il s’agit d’un de motivation qui me permet d’évi-
Frustration, découragement, mais élève en difficulté, en ce sens qu’il ter la routine et de garder le bonheur
finalement une incitation à observer acquiert de la reconnaissance par le d’enseigner ! n
les attitudes des élèves dans des groupe classe. Mon regard, mon Jeanne-Claude Mori
contextes différents. J’ai l’impression intention peuvent être ressentis Professeure des écoles en maternelle en Alsace

de mieux prendre en compte désor- comme un gage de confiance. Tout


mais l’importance du plaisir et de ceci peut être pour lui une source
l’intérêt dans les apprentissages. de motivation, un déclencheur
L’expression orale est riche, la capa- potentiel de réussite dans ses futurs
cité de concentration est limitée, apprentissages.
mais la mobilisation des connais- L’observation de mes élèves est
sances peut se faire très rapidement aussi une source de créativité essen-
quand cela les intéresse. Tenir tielle dans mon travail. Elle me per-
compte de ces observations, est-ce met une proximité, d’être en lien
de la démagogie ? Pour ma part, je étroit avec eux et ainsi de leur pro-
pense que c’est plutôt un moyen de poser des projets adaptés au plus
mieux comprendre son groupe classe près de leurs préoccupations, leurs
et les individualités de chacun, apprentissages leur étant ainsi utiles !
d’évoluer avec ses élèves, d’ajuster Dans les moments de doute, voici
sa pratique et, ainsi, mieux vivre sa un réflexe que j’ai acquis, depuis
classe. n que j’ai eu un élève autiste dans ma
classe. Je regarde d’où je suis partie
en début d’année, dans les appren-

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 15

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dossier Observer la classe

2. Observer les élèves d'un autre


La classe, c’est un collectif géré par l’enseignant, mais aussi des individus singuliers, qui méritent chacun
une attention particulière : d’où l’intérêt parfois d’observateurs comme les intervenants des Rased.

Scènes de la vie
en maternelle
Instants de vie au début d’une journée de classe, avec le regard comme à la guerre. Ils se cachent
particulier sur les enfants que permet l’observation attentive, ici, derrière un meuble, se lèvent et
du psychologue scolaire. tirent. Ils vont chercher deux autres
camarades qui restent en retrait et
isolés depuis qu’ils sont arrivés et
Véronique Lacoste, psychologue scolaire, intervenante en Rased

M
les entrainent à jouer avec eux, ce
qui m’étonne car en les observant,
ardi 26 février 2013, tourne les pages, soulève des rabats je ne pensais pas qu’ils seraient ren-
trois jours avant les pour voir ce qu’il y a dessous. Elle trés si vite dans le jeu.
vacances d’hiver. La regarde l’œil de l’ogre qui regarde Valentine arrive avec son papa,
veille, j’ai demandé par le trou d’une serrure. Elle me dit elle reste à côté de lui pendant qu’il
à l’enseignante, mots clés
parle à la maitresse. Elle regarde
avec qui j’ai l’habitude de travailler, dans la classe sans avoir l’air d’être
si elle voulait bien m’accueillir dans Gestion de la classe présente. Un copain l’aperçoit de
sa classe, dont je suis quelques loin et tout de suite pointe le doigt
élèves. 8 h 20, je cherche une place « j’ai pas peur, il ne peut pas me sur elle et crie à Jules : « Valentine !
pour m’asseoir. La maitresse mordre et me manger » et elle Valentine !  » Jules n’entend pas,
accueille chaque enfant par une bise recouvre l’œil de l’ogre de sa main. occupé à jouer. Ce qui m’étonne
et parle avec les quelques parents Éric, assis à côté de nous, attire aussi, c’est que Valentine aussi ne
présents. mon attention pour me montrer les semble pas entendre, elle ne va pas
Syrielle s’approche de moi, près origamis qu’il déplie en tournant non plus vers Jules, elle qui est tou-
de la table où se trouvent des livres. chaque page de son livre. Il me jours collée à lui, qui le suit à cha-
Elle en prend un, le pose à côté de montre comme ils sont beaux. Mon cun de ses déplacements.
moi. Je pense qu’elle doit à cet ins- attention est partagée entre eux,
tant avoir besoin de mon attention. Syrielle et lui. Un peu plus tard, ils Les filles et les garçons
Elle ouvre le livre à une page et regarderont ensemble un livre. Une maman est en train de dire
regarde l’image. Elle me regarde, me J’entends la petite voix scandali- au revoir à sa petite fille, Alicia, qui
montre l’image et dit : « Il est sée de Jules. Sa sincérité et sa spon- s’éloigne d’elle pour rentrer un peu
méchant, l’ogre. » Sur la page on voit tanéité touchent et amusent les plus dans la classe et a l’air de bien
le ventre énorme et en avant de adultes. Il interpelle la maitresse : vivre la séparation. Je détourne mon
l’ogre. Je m’exclame : « Oh là là « Il a mis le désordre à côté de mon regard et quand je le repose sur elle,
oui !  » Elle ajoute « il fait peur », puis étiquette !  » Je comprends que son je suis surprise de la voir en pleurs,
elle touche le ventre de l’ogre et me camarade a dû déplacer son éti- les yeux rouges. Ça a l’air vraiment
regarde comme si elle venait de faire quette sur le tableau en mettant la difficile pour elle. Sa maman a dis-
une prouesse, toucher le ventre mal- sienne. paru. La maitresse lui adresse des
gré sa crainte. Paul, un garçon costaud, se paroles réconfortantes.
Je sens qu’elle est en train de me fabrique un fusil avec des pièces de Valentine marche au milieu de la
signifier qu’elle est très courageuse. Lego et entraine Jules à faire comme classe, s’approche doucement de la
Son visage est moins rouge. Elle lui. Ils jouent tous les deux à tirer table autour de laquelle d’autres

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Observer la classe
dossier
2. Observer les élèves d'un autre

dessinent. Elle me regarde réguliè- camarade qui tient une arme en Assis à une table, des enfants des-
rement et semble indécise sur ce Lego, la lui prend et la détruit. sinent, deux petites filles l’une à côté
qu’elle veut faire, comme si elle Quand je vois Paul agir ainsi, le mot de l’autre se tiennent les deux mains
n’osait pas. « terreur » me vient à l’esprit. et se regardent. Leurs deux corps
Les garçons jouent toujours à la Je vois Valentine et Jules proches forment comme un cœur.
guerre. Paul mène le jeu, attire à lui l’un de l’autre, face à face. Jules Dans le carré que forment les
l’attention de ses camarades. Il me s’exclame : «  Valentine !  » Ils se sou- bancs, un petit garçon veut prendre
fait penser à un chef de bande. Je rient, échangent quelques mots et des mains d’une camarade une
suis étonnée de voir qu’il peut jouer ne se lâchent plus. J’ai l’impression pièce de Lego. La petite fille se
avec les autres, l’ayant vu à plusieurs que c’est plutôt Valentine qui ne défend. Le petit garçon essaye de la
reprises en retrait. La bande de gar- lâche plus Jules. lui arracher, elle résiste. Dans ce
çons entre dans le carré que forment combat silencieux et dur, la petite
les bancs face au tableau. Petit à Et patati et patata fille se lève, le garçon la suit, ne la
petit, avec d’autres garçons, ils se Lisa arrive avec son papa. Elle lâche pas. Elle arrive à garder sa
mettent à jouer à la bagarre et peu regarde avec beaucoup de distance pièce. Il abandonne. Je pense :
à peu, se bagarrent presque pour de ses camarades dans la classe. Je la « Tout ce qui se passe derrière le dos
vrai. La maitresse est obligée d’inter- trouve moins triste que d’habitude. de la maitresse. »
venir pour leur demander de ne pas Alicia sonne la cloche pour le
jouer avec des pistolets. Elle prend rangement et le regroupement. La
du temps pour leur expliquer qu’à « Tout ce qui se passe derrière maitresse vient de lui donner cette
chaque fois, ça finit mal. Les enfants le dos de la maitresse. » responsabilité. Elle est ravie. Sou-
arrêtent, sauf Paul qui entraine Jules dain, je la vois en pleurs. Paul lui
et continue à jouer. Quelques gar- Elle a beaucoup pleuré en début a volé la cloche et c’est lui qui
çons isolés les uns des autres d’année. Elle était très en colère. Sa sonne, attirant un groupe de copains
regardent et restent silencieux. maman venait d’avoir un bébé. Son à lui. Elle va voir la maitresse qui
Paul s’avance vers Adrien qui se papa lui fait un bisou puis en rétablit l’ordre.
trouve depuis le début à la même demande un. Elle pose sa bouche Au regroupement, la maitresse dit
place, dans un coin entre un banc sur sa joue, reste passive et ne bonjour à chaque enfant. Elle dit
et un meuble. Seul, il joue tranquil- semble pas prête à le quitter. Elle ne « bonjour Valentine » et attend que
lement avec un camion. On entend se met pas à pleurer. Je crois que Valentine lui donne son attention et
Paul pleurer et aller vers la mai- son papa va partir, mais il lui rede- lui réponde. À tour de rôle, elle
tresse. Adrien a repoussé Paul. La mande de lui faire un autre bisou. regarde chacun dans les yeux, l’in-
maitresse lui dit qu’Adrian a peur Son papa est parti, elle se retrouve terpelle tant qu’elle ne le sent pas
de lui et qu’il ne doit pas s’appro- seule, ne bouge pas et semble présent. Quelque chose se modifie
cher de lui (il se fait régulièrement attendre quelque chose. Une copine dans l’aspect de chacun, qui semble
taper par Paul). La maitresse tourne s’avance vers elle et lui prend la en effet devenir présent, bien là.
le dos et Paul s’approche d’Adrien main. Lisa lui sourit. Elles se parlent J’aperçois Hana, les yeux rouges, en
pour lui donner un coup et le pincer. et vont s’assoir toutes les deux à pleurs, deux doigts dans la bouche.
Ma gorge à ce moment-là se serre l’autre bout de la classe avec une Elle a l’air mal et aussi enrhumée.
très fort et je ressens énormément autre camarade. En dessinant, elles Elle regarde la maitresse, lui jette
de violence et de colère difficile à discutent : «  Ma maman, elle m’a des regards comme des appels à
supporter. Paul s’avance vers un acheté ça… (et patati et patata). » l’aide. Celle-ci est trop occupée pour
le voir. Hana a plusieurs fois un
geste vers elle, comme si elle voulait
lui demander quelque chose. La
Zoom Observer, pour moi, c’est… maitresse lui dit bonjour et voit son
désespoir. Elle s’approche, s’accrou-
Observer, pour moi, c’est pas tout puisque c’est moi Observer, pour moi, c’est pit face à elle et lui demande ce qui
une activité que je ne fais qui écris, c’est écrire ce comme peindre sur le lui arrive : « Tu n’as pas le sourire ?
pas spontanément, toute que je vois, ce que je saisis, motif. C’est le carnet du Qu’est-ce qu’il y a ? » Elle prononce :
occupée que je suis à ce que j’entends, ce que dehors. « Mon doudou. » La maitresse lui
suivre mon fil intérieur. je sens, et ce que j’ai le Observer, pour moi, c’est donne la permission d’aller le cher-
Observer, pour moi, c’est temps d’écrire. me mettre à distance d’une cher. Elle revient avec le doudou
un plaisir un peu voyeur. Observer, pour moi, c’est situation où je suis impli- dans les bras, lâche ses deux doigts
Observer, pour moi, c’est pour maintenant, pour être quée, c’est déplier un peu et prend à la place dans la bouche
une pratique profession- là, pour réagir ou pour dif- le lange, c’est sortir mes le bout d’une oreille du doudou. Elle
nelle, en classe, en interven- férer la réaction. bras et un peu les pieds, a l’air de reprendre des forces. Un
tion, le support, le double, Observer, pour moi, c’est c’est me séparer pour pen- peu plus tard, elle ira reposer le dou-
le relai ou l’introduction de pour plus tard, c’est le buti- ser. dou comme la maitresse le lui
l’écoute. Observer, c’est sor- nage pour le miel fait Observer, pour moi, c’est demandera. Elle reviendra s’assoir
tir ses antennes. après, c’est le matériau de me donner les moyens sans mettre les doigts dans la
Observer, pour moi, c’est la réflexion ultérieure, d’aider, d’accompagner. bouche, mais elle se frottera avec
enregistrer, c’est écrire, même si c’est aussi son Sylvie Floc’hlay les mains les cheveux et le visage,
tout, le plus possible, mais starter. comme si cela la réveillait (comme
une sensation électrique). nnn

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dossier Observer la classe

2. Observer les élèves d'un autre

nnn À la fin du regroupement, chose de merveilleux qui le met en Pour Paul, ce moment de transi-
quand la maitresse installe le maté- contact avec une expérience récon- tion est vécu de façon violente. Il
riel sur chaque table, les garçons fortante. Puis ils se réunissent tous doit être terrifié. Peut-être ressent-il
derrière son dos recommencent à les deux autour du même livre. de façon plus vive les angoisses
se bagarrer en silence. Elle le sent, Jules et Valentine mettent du d’abandon, de ne pas arriver à se
me regarde et dit : « Mais qu’est-ce temps à se retrouver. Ils n’entendent tenir ensemble ? Il s’est réfugié der-
qu’ils ont ? » pas leur copain leur signaler qu’ils rière un mur et peut-être attaque-t-il
sont à nouveau réunis. Valentine pour ne pas l’être lui-même ? J’ai le
Analyse semble comme absente, indécise, en sentiment qu’il rapporte à l’école
L’observation que je présente ici attente, et Jules, un peu avant, en quelque chose qu’il vit chez lui. Ça
s’est faite à 8 h 25, à un moment de colère contre son camarade qui a doit être dur pour lui de rentrer en
transition, lorsque les enfants déplacé son étiquette, joue à la contact avec l’autre. Il prend ce que
viennent de quitter la maison pour guerre. les autres ont (la cloche d’Alice). Ou
arriver à l’école. C’est aussi un Lisa arrive. Elle reste passive, prend-il pour avoir l’attention des
moment particulier puisque dans comme figée. Est-ce la douleur ou autres ? Comment rentrer en rela-
quatre jours, ils quitteront l’école peut-être qu’elle attend ? Le papa est tion ? Paul est un enfant qui garde
pour les vacances de Noël. « Chaque attentif, il ne la sent pas encore prête toute la journée ce sentiment très
fin, aussi minime soit-elle, implique et il lui demande un autre bisou. Il fort de la perte et de l’abandon. Il
la perte de quelque chose. Chaque met ainsi l’accent sur « dire au inquiète l’école.
début, aussi minime soit-il, porte en revoir ». Elle reste un moment dans
lui l’angoisse de l’inconnu. Chaque un entredeux. Les premiers mois de C’est la veille de vacances, ce qui
transition réveille des souvenirs ou l’année ont été difficiles pour cette peut aussi accentuer le sentiment de
des “souvenirs sous forme de ressen- tristesse et de perte. Perdre les
tis” (Mélanie Klein) à propos copains, les adultes de l’école, la
d’autres pertes et de débuts anxio-
Certains enfants arrivent maitresse, l’Atsem. Quitter la maison,
gènes plus précoces. » à se sevrer de la relation c’est être confronté à un sentiment
Dans cette observation, on peut avec les parents en reportant angoissant de perte. J’ai eu plusieurs
voir combien quitter la maison est leur attention sur autre chose. fois l’occasion d’observer cette classe
un moment difficile et angoissant. Pour d’autres, c’est plus au début de l’année. Les enfants
Des enfants pleurent, ont les yeux difficile. restaient beaucoup plus isolés. Au
rouges, certains semblent perdus, mois de février, en trouvant diffé-
tristes et seuls, d’autres figés ou petite. Les adultes se sont beaucoup rents moyens pour faire face à la
comme en suspens. D’autres expri- préoccupés d’elle. Elle se laisse séparation et à la perte que repré-
ment leur peur et leur colère à tra- prendre la main par une camarade, sentent les moments de transition,
vers des jeux et des comportements toutes les deux s’assoient autour on peut voir que la plupart ont
violents. d’une table, discutent de leur appris à établir des relations avec
maman. Elles établissent une relation ceux qu’ils rencontrent à l’école. n
Gérer la séparation où l’on peut parler de maman
Toute cette violence. On joue à la ensemble. C’est une façon de rester
guerre, on attaque pour ne pas l’être en contact avec elle. Elles disent que
soi-même. Le jeu peut passer vite à chacune est généreuse, mais aussi
une situation où l’émotion déborde en parlent dans la rivalité (« ma
et on se retrouve dans la vraie maman et pas la tienne »).
bagarre. Est-ce que le jeu ne sert pas Quand sa maman est là, Alice est
à contenir dans un premier temps souriante. Quand sa maman a dis-
la rivalité, la haine, la douleur ? Par- paru, elle est triste et pleure. Elle
fois ça déborde et un geste plus retrouve le sourire avec la cloche et
violent fait mal et parce que ça fait la responsabilité que lui donne la
mal, ça fait basculer le jeu dans une maitresse. Quand on les lui vole, elle
situation qui devient réelle. redevient triste et on retrouve les
Chacun trouve des moyens diffé- pleurs du début. La maitresse
rents pour gérer la séparation, intervient.
l’absence. Certains enfants arrivent à se
En se mettant par deux. Ou sevrer de la relation avec les parents
comme Hana, en mettant deux en reportant leur attention sur autre
doigts dans la bouche, en lançant chose. Pour d’autres, c’est plus
des appels à l’aide à la maitresse difficile.
avec le regard et en demandant son Chez Hana, on voit qu’un rhume
doudou. peut rendre plus vulnérable à la
Syrielle et Éric communiquent séparation et à la perte. Elle n’arrive
avec moi par le moyen d’images qui pas à faire face, c’est trop dur. Elle
Bon à savoir
peuvent symboliser leurs ressentis : demande son doudou et la maitresse
pour Syrielle, à travers l’ogre comprend qu’elle a besoin d’un objet L’analyse de cette observation a été faite
lors d’une discussion de travail réunissant
effrayant, ses craintes et sa peur ; concret qui la met en contact avec plusieurs autres psychologues scolaires.
pour Éric, par les origamis, quelque la maison.

18 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier
2. Observer les élèves d'un autre

L’observation attentive
Présentation d’un dispositif d’observation des relations mer”. L’AVS insiste pour qu’Elouan
entre adultes et enfants, mis au point par Esther Bick lise les syllabes, elle sort deux éti-
pour des nourrissons, mais qui peut être transposé dans quettes, lui fait remarquer que c’est
le contexte scolaire. ce que l’enseignante fait lire aux
enfants. Elouan jette un œil vers le
tableau. Il dit “non, range tes éti-
Sylvie Hue, pychologue scolaire quettes !”, elle insiste, il dit "“non !”",

E
il pousse les étiquettes. Puis il repart
louan est un garçon de 7 gnante ne lui propose pas de respon- dans son jeu de construction, dit que
ans, scolarisé en CP, en sabilité. Quand elle fait l’appel de la c’est un dragon qui crache du feu. »
inclusion scolaire. C’est un cantine, voyant Elouan plongé dans Alors que juste avant Elouan
enfant qui est sur le son dessin et pensant qu’il est indif- cherche le regard, l’attention de
spectre autistique. L’enseignante l’enseignante, au moment où celle-ci
mots clés
explique qu’Elouan perturbe la vient vers lui, c’est le petit garçon
classe par son comportement et elle Ècole inclusive qui la rejette. Il semble en colère et
se sent impuissante à l’aider, pensant ne réussit pas à répondre à sa
qu’elle n’a pas les compétences pour férent à ce qu’elle dit, elle ne l’en- demande. Il n’y arrive qu’un instant
aider un enfant comme lui et qu’il tend pas répondre. Elouan semble plus tard, mais sa maitresse s’est
ne peut pas communiquer avec elle. très en colère de ne pas avoir de éloignée et ne l’entend pas répondre.
Elle délègue le travail de s’occuper responsabilité, il enlève l’étiquette Je réalise le malentendu entre l’en-
d’Elouan à l’auxiliaire de vie scolaire « lecture » de son emploi du temps, seignante et le petit garçon. Ils ont
(AVS), disant très justement qu’elle la jette dans la boite, paraissant mon- tous les deux envie de communiquer
a aussi tous les autres enfants dont trer par ce geste qu’il n’est pas ques- ensemble et ont tous les deux la
elle doit s’occuper. L’enseignante fait tion pour lui de faire sa lecture. sensation d’être rejeté par l’autre.
appel à la psychologue scolaire : je Quand elle s’approche de lui, le petit Ils ne réussissent pas à se retrouver
décide de venir observer Elouan en garçon l’ignore, il est plongé dans sa au même moment, ils semblent tou-
classe, avec l’accord de l’enseignante construction, l’enseignante fait alors jours en décalage d’un temps.
et des parents de l’enfant. pareil et ne regarde pas ce qu’il fait. Lors de la discussion de l’observa-
Le comportement du petit garçon « L’AVS essaye de faire lire Elouan, tion, l’enseignante prend conscience
est difficile, il refuse l’aide de l’AVS. il refuse et continue sa construction. de combien Elouan cherche son
L’enseignante se sent découragée et À un moment, l’enseignante vient attention, qu’il veut la même mai-
a la sensation qu’elle ne peut vrai- voir Elouan, lui demande ce qu’il tresse que les autres enfants et pas
ment rien faire pour lui. construit. Il ne répond pas, ne la seulement l’attention de l’AVS. Elle
Voici un extrait d’observation en regarde pas, elle repart, il dit alors réalise que le petit garçon est en
classe. C’est le début de la matinée, “un camion, le camion de papa pour colère qu’elle s’occupe des autres
l’enseignante vient de faire l’appel transporter les gens, pour aller à la enfants et pas de lui. Elle com- n n n
pour la cantine et n’a pas entendu
Elouan lui répondre.
« L’enseignante appelle ensuite les
enfants pour les responsabilités de la En savoir plus L’observation attentive
semaine, Elouan regarde de temps en
temps sa maitresse, je me demande L’observation de type Bick attentivement, pendant a pour but d’essayer de
si elle va lui attribuer une responsa- consiste à observer un une heure, sans prise de comprendre, le plus fine-
bilité. Elouan n’est pas appelé. Il bébé, de la naissance à 2 notes, le comportement, ment possible, le vécu
donne sa feuille, où il a écrit la date, ans, en relation avec sa les interactions de l’enfant émotionnel de l’enfant
à l’AVS, et va chercher un jeu de mère, son père et son envi- et également ce que l’on dans son environnement
construction. Il enlève, sur son emploi ronnement naturel, une ressent pendant ce temps et ses répercussions sur
du temps, l’étiquette “lecture” qu’il heure par semaine. Elle a d’observation. Dans un les personnes qui l’en-
balance dans la boite des étiquettes. été systématisée, en 1948, second temps, on rédige tourent. La discussion, en
La maitresse, pendant ce temps, passe par Esther Bick, pour com- un compte rendu de tout amenant une pensée sur
d’un enfant à l’autre et vérifie la date pléter la formation des ce qu’on a observé et res- l’enfant, une compréhen-
qu’ils ont écrite. Elle s’approche, psychothérapeutes d’en- senti, de la façon la plus sion de son vécu émotion-
s’adresse à l’AVS qui lui dit qu’Elouan fants à la Tavistock Clinic détaillée possible. Ce nel, permet de diminuer
a bien écrit sa date ce matin. L’ensei- de Londres. Depuis une compte rendu est ensuite la réactivité du profession-
gnante sourit sans regarder Elouan dizaine d’années, ce type lu et discuté dans un petit nel au contact de l’enfant
ni ce qu’il a écrit. Elouan est absorbé d’observation a été étendu groupe d’observateurs, et d’apaiser la relation de
dans sa construction. L’enseignante à l’observation en classe. sous la supervision d’une l’adulte avec l’enfant.
commence la lecture avec les enfants. » Cette méthode d’obser- personne formée à la S. H.
Persuadée qu’Elouan ne s’intéresse vation consiste à observer méthode. Cette discussion
pas à la vie de la classe, l’ensei-

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dossier Observer la classe

2. Observer les élèves d'un autre

nnn prend progressivement que sa


propre sensation d’être rejetée par le
petit garçon et son découragement à
ne pas réussir à communiquer avec Témoignage
lui est juste le ressenti de l’enfant,
qui le lui communique inconsciem-
ment. Par la suite, elle le sollicite
Mais qu’est-ce qui leur arrive ?
davantage pour participer à la vie de Être en retrait, dans une position d’observateur, peut
la classe, sans se laisser perturber par être ennuyeux : que faire quand les élèves se passent
les mouvements de colère et de refus du professeur ?
de l’enfant, ayant compris qu’il réagit
comme cela quand il a besoin de son Un mois de classe. Commençons choix, il me regarde avec un sourire
attention. Progressivement, Elouan cette séance que j’appréhende autant éblouissant.
accepte de participer, il répond à sa que je l’attends. Cette classe, j’en- Je les regarde à mon tour, ils sont
maitresse, commence à s’intéresser tends partout qu’elle est bordéli- impliqués, appliqués, heureux, ils
de plus en plus à ses explications sante, j’ai remarqué qu’ils ne s’épa- échangent entre eux, n’attendent pas
collectives faites au groupe classe, à nouissent pas dans les travaux dits d’aide, ils n’en ont pas besoin tech-
ce qui est écrit au tableau. scolaires. Ils sont nettement plus niquement, mais réclament mon
Lorsque nous travaillons avec des dynamiques lors des séances de approbation, un besoin qu’ils
enfants, comme enseignant, psycho- débats, de croquis, pas tellement lors n’avaient pas exprimé jusque-là. Ils
logue, éducateur, nous pouvons tous des cours dialogués par exemple. se révèlent tellement inquiets de
être pris dans une relation difficile, Alors, allons-y : cette leçon, ils ne plaire, d’être « acceptés », selon le
sans réussir à comprendre ce qui se se la sont pas du tout appropriée, mot qu’ils auront au conseil de
passe et en ayant la sensation de montrons-leur les liens entre les classe. Ils sont heureux parce qu’ils
pourtant faire tellement d’efforts pour notions en jeu, nous allons faire des réussissent, et je suis heureuse,
que cela se passe bien. Pour avoir cartes mentales de révision. À ma quoique je m’ennuie un peu, où est
enseigné pendant quinze ans, avant grande surprise, pour près des trois ma course à travers la classe, où sont
d’être psychologue scolaire, je sais quarts d’entre eux, c’est leur pre- mes interventions souveraines de
la difficulté de ne pas comprendre le mière dans cet exercice, et ils sont maitre ? Elles sont inutiles et malgré
comportement d’un enfant qui per- en 4e. J’ai apporté des exemples, je ma surprise d’être un peu déçue, je
turbe la classe ou refuse de travailler, leur explique les attendus, nous tra- suis surtout ravie d’être presque inu-
de se heurter toujours aux mêmes vaillons ensemble les contenus qu’il tile : ils ont compris qu’ils s’étaient
problèmes avec un groupe classe. faut y inclure. approprié et l’outil et les attendus
Je me prépare à l’épreuve du du cours. Des élèves contents, une
Ce qui me semble essentiel dans ce marathon, je me dis qu’il va falloir professeure satisfaite. n
type d’observation, c’est l’égale courir d’un élève à l’autre rapide- Émilie Kochert
importance que l’on accorde à ce que ment (ils sont trente) pour les aider, Professeure au lycée international
de Saint-Germain-en-Laye,
l’on observe chez l’enfant et aux res- les guider, approuver. animatrice pédagogique au Clemi
sentis de l’observateur en présence Eh bien pas du tout. Les voilà qui
de l’enfant, d’autant plus s’ils sont s’emparent de leur feuille, en ayant
négatifs. Il n’y a absolument aucun tout le matériel demandé, qui
jugement vis-à-vis de ces mouve- essaient, qui tâtonnent, qui se
ments négatifs, qui peuvent traverser lancent joyeusement et très sérieu-
chacun d’entre nous, au contact d’un sement, sans solliciter mes interven-
enfant. Ce sont des communications tions. Je passe l’heure à les observer,
inconscientes que nous adresse l’en- surprise de leurs initiatives aux-
fant, une façon qu’il a de partager son quelles je n’avais pas pensé, de leurs
expérience émotionnelle. Lorsqu’on talents de dessinateurs insoupçon-
peut penser ce que vit l’enfant au nés, de leur enthousiasme, si rare
niveau émotionnel, et donc pourquoi chez eux. Solveï m’appelle, enfin,
on ressent telle ou telle émotion en me dis-je, presque soulagée de me
sa présence, cela aide à tolérer et à trouver une utilité, pour me deman-
ajuster son attitude avec lui, ce qui der si c’est un problème de vouloir
permet d’améliorer la relation du pro- dessiner un port en violet, elle aime
fessionnel avec l’enfant. n le violet. Un peu, non, très décon-
tenancée, j’approuve son initiative.
Federico à son tour me hèle genti-
ment : «  Madame, j’ai imprimé des
Bibliographie
documents personnels, en plus ils
Esther Bick, « Notes sur l’observation de sont en couleur, je peux les prendre
bébé dans la formation psychanalytique »,
in Harris Williams, Les écrits de Martha plutôt ?  » Nous observons ses docu-
Harris et d’Esther Bick, éditions Du Hublot, ments, il n’a en fait pas besoin de
2007.
mes conseils, attend mon regard
Biddy Youell, La relation d’apprentissage,
éditions Du Hublot, 2009. approbateur. C’est la première fois
qu’il s’exprime, j’approuve ses

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Observer la classe
dossier
2. Observer les élèves d'un autre

Ouvrir son regard


Observer des enfants dans la classe est une façon de un enfant sans intervenir et tout en
faire prendre conscience à de futurs enseignants de la ayant un regard actif à son égard
dimension affective de l’enseignement, complémentaire s’avère être pour eux une expérience
à la transmission des savoirs. Il s’agit de leur faire tout à fait différente.
mesurer l’importance de leur place d’adulte de
référence, de les préparer à répondre aux attentes et « difficile de rester
sollicitations des enfants. soi-même »
Dans un premier temps, les étu-
diants confient leur sentiment d’in-
Angelika Toth, doctorante et assistante confort, de frustration et d’étrangeté
au contact d’enfants avec qui ils ne
Vijé Franchi, professeure associée, université s’autorisent pas à établir de lien.
de Genève, faculté de psychologie et des sciences Rester réceptif à l’enfant sans inte-
de l’éducation ragir avec lui met à l’épreuve leurs

«O
envies, leur besoin de jouer ou d’être
bserver pendant fin de l’année un dossier constitué en relation. Avant même de com-
une heure un de deux parties : une réflexion sur mencer à observer, les étudiants se
enfant de moins l’expérience d’observer, et une ana- demandent déjà comment ils vont
de 5 ans dans lyse à partir des observations, du pouvoir dépasser l’inconfort face à
son milieu familial ou social (crèche, vécu émotionnel et relationnel des l’inconnu en l’absence de commu-
école maternelle), trois semaines enfants observés. nication avec l’enfant. Un étudiant
durant » : c’est la consigne que nous souligne : « En tant qu’observateur,
mots clés
donnons à nos étudiants de première il est, en effet, difficile de rester soi-
année en psychologie et sciences de Émotions même : on aurait tant envie d’aller
l’éducation. Ils doivent chercher une Communications vers l’enfant, lui parler, entrer en
famille ou une institution où ils interaction avec lui, mais notre posi-
observeront un enfant qu’ils ne La plupart des étudiants témoignent tion nous l’interdit. »
connaissaient pas auparavant. Dans avoir déjà été en relation d’enseigne- Une autre étudiante se demande
l’observation, ils apprennent à rester ment avec des enfants avant même comment il est possible d’observer
en contact avec l’enfant sans inte- de commencer la formation d’ensei- sans être en contact avec l’enfant :
ragir avec lui, à le suivre et à le lais- gnant du primaire. Certains ont fait « Je pense qu’entrer en relation avec
ser rentrer en relation avec eux sans des remplacements, d’autres ont un enfant sans être en action avec
pour autant lui proposer des activités gardé des enfants. Ils ont une certaine lui est extrêmement ardu, dans le
ou le distraire quand il semble triste familiarité avec le monde de l’enfant sens où l’on n’a pas la facilité
ou en colère. L’observation est faite et de la classe. Cependant, observer qu’offre le contact. » nnn
sans prise de notes, et l’étudiant
rédige après, en décrivant de
manière détaillée en quelques pages
ce qui lui reste de ce moment. Les Dispositif Observer un bébé
observations écrites sont travaillées
par la suite, chaque semaine, dans La méthode d’observation elle est présente dans la la fois sur ce qu’il voit, mais
des petits groupes. attentive des bébés a été formation des futurs ensei- aussi sur ce qu’il ressent
Semaine après semaine, les étu- introduite dans la formation gnants dans plusieurs pays en présence de l’enfant.
diants échangent librement avec leur initiale des psychothéra- européens ainsi que dans Cette posture particulière
groupe, constitué de trois camarades peutes psychanalytiques celle d’autres métiers de ne peut être réalisée que
de cours, leurs impressions sur cette de l'enfant de la Tavistock l’humain, comme par si l’enfant observé est en
expérience nouvelle. Le groupe de Clinic à Londres par Esther exemple dans la formation présence d’une personne
discussion est à la fois un lieu de Bick. Observer un jeune des travailleurs sociaux. de référence qui s’occupe
partage de leurs questionnements, enfant en contexte familial L’observateur adopte une de lui (parents, éduca-
étonnements, inquiétudes vécus ou social s’est avéré parti- posture ouverte et récep- teurs, autre adulte). L’ob-
durant les observations et des élé- culièrement propice au tive à ce que l’enfant com- servateur peut ainsi rester
ments qu’ils ont repérés dans le développement de la com- munique. Pour cela, les tout au long de l’observa-
comportement des enfants observés. préhension de la vie émo- ressentis, associations, tion dans une position non
La lecture à haute voix des observa- tionnelle du bébé et du rêveries de l’observateur participante et être pré-
tions permet de communiquer les jeune enfant et de ses rela- sont mis à l’épreuve pour sent émotionnellement à
ressentis vécus pendant l’observa- tions précoces avec ses essayer de déceler ce qui l’enfant.
tion. Suite à la discussion des obser- parents, la fratrie et les se passe dans le monde A. T., V. F.
vations de chacun, les étudiants autres personnes qui s’oc- interne de l’enfant. L’obser-
réfléchissent à ce qu’ils ont appris cupent de lui. Aujourd’hui, vateur est ainsi focalisé à
de cette expérience. Ils rendent à la

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dossier Observer la classe

2. Observer les élèves d'un autre

nnn L’inquiétude, la peur


de ne pas être capable de res-
ter à sa place d’observateur
apparaissent au même moment
que le doute, l’incertitude
qu’éveille en eux le fait d’ob-
server un enfant inconnu, sans
qu’ils aient un rôle défini pour
l’enfant (babysitteur, ensei-
gnant, etc.). Ces sentiments
d’étrangeté se manifestent par
une série de questions : « Où
vais-je me placer ? », « À quelle
distance ?  », « Comment faire
pour ne pas déranger l’enfant,
le parent, l’enseignant ? »
Ils semblent aussi s’inquié-
ter des éventuels dommages
que leur posture « froide » et
leur « regard intrusif » peuvent
causer aux enfants. Néan-
moins, plusieurs étudiants
évoquent un tournant dans la
relation, lorsque pour la pre-
mière fois l’enfant observé les
regarde et leur fait un sourire. Cette posture, un changement de regard, richesse du monde interne des
reconnaissance et partage d’émotion une sensibilité qui émerge et une enfants, rendues visibles par l’ab-
semblent atténuer le sentiment plus grande compréhension des com- sence de mouvement de leur part.
d’étrangeté. En effet, la peur de ne munications et du jeu des tout-petits. À la fin de la troisième observation,
pas être en relation avec l’enfant Certains mettent l’accent sur un la quasi-totalité des étudiants disent
disparait peu à peu au fil des obser- aspect de la posture de l’observateur, regarder les enfants différemment,
vations et déjà à la deuxième, l’ob- comme par exemple l’attention por- avec une attention aiguisée sur ce
servateur se sent rassuré du lien qui tée sur ses propres réactions et res- qu’ils leur communiquent. La troi-
semble s’établir malgré l’absence sentis en situation d’observation. sième et dernière observation
d’interaction. Ceci rend l’expérience, pour certains, réveille aussi une certaine nostalgie
Leurs doutes, à propos de la pos- « humainement très enrichissante ». chez les observateurs : « J’ai senti
sibilité de garder en tête ce que comme une perte de la relation avec
l’enfant leur communique et ce qu’ils l’enfant. »
vivent en sa présence se déplacent Très vite, les étudiants se Le sentiment d’attachement, ainsi
sur le travail à fournir pour l’évalua- rendent compte de la subtilité que de perte au moment de se dire
tion. Nombreux se demandent « com- et de la richesse du monde au revoir, les envahit et arrive de
ment faire pour retenir tous les interne des enfants. manière inattendue.
détails de l’observation ? », « ne va-
t-on pas tout oublier avant la D’autres affirment leur étonnement À travers cette expérience d’obser-
retranscription ?  ». en parlant de « regard différent » vation, les étudiants font état de
porté sur l’enfant, d’« émerveillement l’ouverture émotionnelle aux
Découvrir l’acuité de la quantité de détails perçus ». enfants. Ils parlent ainsi d’un chan-
L’observation remue la confiance Une étudiante fait le lien entre l’ab- gement de regard porté sur l’enfant,
en soi. Rapidement, après la pre- sence d’interaction et la richesse des mais aussi sur ses propres réactions
mière observation, les étudiants se éléments relevés dans le comporte- internes, d’une plus grande sensibi-
surprennent à découvrir la facilité ment de l’enfant : lité aux états émotionnels de l’enfant
avec laquelle ils retiennent et resti- « Ce sont justement les contraintes et à ses relations, et encore, de leur
tuent dans les détails le déroulement [pas d’interaction, pas de prise de étonnement quant à la richesse des
de l’observation. notes] qui rendent l’expérience si expressions des enfants. n
Pour les étudiants observant en enrichissante, car le nombre infini
collectivité, les modalités du choix de détails que l’on observe est ahu-
d’un enfant parmi d’autres est aussi rissant. Je suis persuadée que si
une source d’inquiétude. Les dizaines j’avais effectué la même observation
de regards d’enfants qui se rivent mais dans un contexte plus interac-
sur eux provoquent aussi bien de la tionnel, je serais passée à côté de
culpabilité qu’une peur d’éveiller, beaucoup de subtilités que l’on ne
chez ceux qui ne seraient pas choisis, peut voir que lorsqu’on s’astreint à
des sentiments d’abandon. un strict rôle d’observateur. »
Avec le temps, les étudiants per- Très vite, les étudiants se rendent
çoivent une évolution dans leur compte de la subtilité et de la

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Observer la classe
dossier

3. Observer ses collègues


ou soi-même
Une capture vidéo, le dispositif du sosie, ou parfois (trop peu souvent ?) un collègue dans la classe :
l’occasion de croiser les regards.

Filmer en classe
Comment de l’expérience professionnelle peut-elle s’acquérir par peu d’expérience, entre ce qu’ils
l’observation de vidéos du travail d’autres enseignants ou du perçoivent d’une situation filmée
sien. Deux modalités à distinguer : voir et commenter la vidéo commentée et ce qu’ils font dans
d’un autre enseignant débutant ou plus expérimenté ; voir et leur classe, constitue un puissant
commenter sa propre activité en classe. levier de transformation de leur acti-
vité professionnelle, à condition
qu’elle soit appréhendée dans une
Serge Leblanc, ESPÉ, université de Montpellier perspective d’accompagnement du

O
développement professionnel. Pour
bserver autrui à travers l’autre tout en maintenant le flux de dépasser les difficultés liées à l’opa-
un film de classe génère leur propre vécu : « Ah là, il a une cité de cette activité d’observation
des effets intéressants à posture qui est contre le tableau, il silencieuse et invisible durant une
exploiter en formation s’appuie comme s’il avait besoin de séance de vidéo formation (mais
initiale dès les premières expériences mots clé
révélée par la recherche), trois points
d’enseignement : réassurance et nous semblent utiles et pertinents.
déculpabilisation, rappel d’expé- Professionnalisation D’abord que les expériences
riences vécues et mises en lien avec potentiellement rappelées en écho
des difficultés typiques ou des pro- soutien. Et ça, on m’avait fait la aux extraits filmiques soient expli-
blèmes professionnels, autoévalua- remarque l’an dernier quand j’avais citées et commentées par les formés :
tion de sa propre pratique à travers fait le stage, j’avais un peu cette atti- « C’est-à-dire, quand ils entrent en
celles d’autrui, anticipation de situa- tude-là […] C’était une formatrice à classe en fait, ils sont debout, ils
tions de classe futures, prévisualisa- l’IUFM, oui, qui était venue nous restent debout, ils doivent sortir
tion de nouvelles façons de faire à visiter et elle m’avait fait cette toutes leurs affaires de maths et
tester et des effets possibles dans sa remarque-là. Heu, ben moi, je ensuite, j’attends le silence pour les
ou ses classes[1]. n’avais pas forcément conscience que faire assoir. » Ensuite, que les pro-
ça renvoyait cette image-là. » longements liés à cette activité com-
Se voir soi-même à Mais l’exploitation de cette moda- parative en termes de pistes de
travers l’observation lité en formation ne va pas de soi. transformations projetées dans une
d’autrui La tendance des formateurs à se situation future soient identifiés : « Je
Le commentaire ci-dessous d’un focaliser rapidement, voire exclusi- vais un petit peu modifier justement
enseignant stagiaire durant le vision- vement sur une analyse en extério- et essayer de réfléchir à modifier,
nage d’une vidéo illustre ce proces- rité à partir de différentes grilles de c’est lorsque j’attends le silence, c’est
sus de dédoublement où les obser- lectures théoriques laisse la plupart vraiment circuler un peu plus dans
vateurs se retrouvent à la fois objet du temps dans l’ombre ces phéno- la salle. » Enfin, que les pistes de
et sujet en se mettant à la place de mènes mimétiques et d’imagination- transformations effectivement mises
création qui s’activeraient à partir en œuvre en classe soient suivies,
1  Serge Leblanc, Carole Sève, « Vidéo formation
des expériences individuelles. Or, en faisant l’objet d’un retour d’expé-
et construction de l’expérience professionnelle », cette activité de comparaison spon- rience : «  Je me suis un petit peu
Recherche et Formation n° 70, 2012. tanée des enseignants, même avec servi de ce que j’avais vu jus- n n n

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dossier Observer la classe

3. Observer ses collègues ou soi-même

nnn tement, ne plus rester devant tion vidéo qui peuvent être vécues, sible) accompagnant leur activité
le tableau à attendre, mais circuler sans risque, dès les premiers pas observable. Cette implication dans
pour montrer que j’attends qu’ils professionnels, constituent donc, la situation passée plus que dans la
soient, enfin qu’ils se mettent rapi- selon nous, une première étape situation présente est une condition
dement en place […]. Le cours importante pour pouvoir accepter importante pour pouvoir accéder à
démarre plus rapidement et les élèves de vivre sereinement, dans un deu- des aspects non conscientisés de
sont plus calmes plus rapidement xième temps et de manière volon- leur activité, et non visibles de
[…]. Quand les élèves me voient, ils taire, des entretiens d’autoconfron- l’extérieur, comme l’illustrent les
se taisent automatiquement tation à sa propre pratique de classe propos de cette formatrice « quand
puisqu’ils savent que, enfin, ils ont elle dit “et là je bous”, parce qu’à
un petit peu imprimé les règles. » aucun moment, et j’ai vu le film
Cette expérience mimétique active
Expliciter des émotions plusieurs fois avec elle, à aucun
à travers laquelle les enseignants
intenses, des préoccupations, moment je ne perçois qu’elle bout,
débutants voient l’autre dans la des focalisations dans la aucun. » L’autoconfrontation sert
vidéo comme eux-mêmes permet situation dont on sait qu’elles de médiation pour adopter le point
non seulement de mobiliser des orientent fortement les de vue de l’enseignant, en l’ame-
connaissances, des expériences pas- façons d’agir. nant à expliciter des émotions
sées, mais est également source de intenses, des préoccupations, des
connaissances en mettant en œuvre qui exposent à priori plus fortement focalisations dans la situation dont
des processus de projections-identi- la personne. on sait qu’elles orientent fortement
fications multiples. Le voir est donc les façons d’agir.
un voir en écho et non un voir pour S’observer soi-même Mais l’enseignant en situation
imiter des aspects formels et super- Cette modalité de remise en situa- d’autoconfronté est doublement
ficiels du comportement de l’ensei- tion dynamique par autoconfronta- observé à travers son propre regard,
gnant. Il se synchronise toujours tion vidéo conduit les enseignants mais également celui de l’autre (for-
avec des connaissances, expériences à mettre en mots leur vécu, en res- mateur ou formés) qui peut être
de classe vécues, plus ou moins tant au plus près de leur expérience perçu potentiellement comme un
proches de la situation visionnée, de classe. Elle les amène à revivre jugement. Cette perception se
qui sont mises en relation et qui per- authentiquement leur expérience construit sur des indices ténus et
mettent de créer des échanges inte- de classe (en intentions, en sensa- peut conduire l’enseignant autocon-
ractifs de type mimétiques (postures, tions, en émotions, en pensées, etc.) fronté à limiter son engagement à
gestes, déplacement, communication, et à expliciter pas à pas la part dévoiler les aspects implicites de son
silence, intonation, etc.) entre l’ensei- opaque (ou non directement acces- activité. Cette attitude de protection
gnant formé et l’enseignant à l’écran.

Des pistes de
transformation Zoom Une nouvelle modalité de formation
réalistes
Durant l’observation de la vidéo L’utilisation de films de l’observation et de l’analyse l’activité, la didactique pro-
de classe, des phénomènes empa- classe et de commentaires grâce aux possibilités de fessionnelle ou le cours
thiques d’émotions, d’intentions, sur ces films est une pra- revisionnement, et donc d’action, ainsi que des
d’action se manifestent de manière tique de formation profes- appréhension accrue de la méthodes associées d’ac-
immédiate ou différée, à condition sionnelle qui se développe complexité des situations cès à l’expérience[1] qui
de trouver un rapport proximité-dis- de plus en plus, pour au de travail. constituent des outils d’ap-
tance satisfaisant entre ce qui est moins quatre raisons. La troisième, d’ordre ins- préhension-analyse essen-
donné à voir et ce qui est vécu par La première, d’ordre tech- titutionnel, concerne la tiels pour éclairer l’opacité
l’enseignant formé qui soit en phase nologique, est la relative volonté de professionna- du travail et de son déve-
avec ses dispositions à agir du simplicité d’enregistrement, liser les dispositifs de for- loppement. Ce contexte
moment. Dans ce type de situation de montage et de commu- mation, la recherche favorise le développement
d’alloconfrontation vidéo, l’accom- nication d’un film, grâce à d’amélioration de l’alter- de nouvelles ressources
pagnement des formateurs est donc la compatibilité numérique nance visant à faciliter les de vidéoformation (par
à penser avec cette double visée : celle des différents outils néces- liens entre le terrain pro- exemple plateforme en
d’aider les formés à se voir par pro- saires pour le faire. fessionnel et les apports ligne NéoPass@ction) et
curation dans l’activité de pairs ou La deuxième, d’ordre péda- de l’université et l’optimi- la création de nouveaux
de quasi-pairs, en prenant conscience gogique, se fonde sur un sation des temps et couts espaces de formation.
de certaines de leurs manières d’agir certain nombre d’intérêts de formation. S. L.
et des effets potentiels sur l’activité perçus, par les formateurs La quatrième, d’ordre théo-
des élèves ; celle de les faire s’inter- et les formés, liés à l’utili- rico-méthodologique, est
roger sur leurs croyances, convictions, sation de ces ressources liée à l’utilisation récente,
façons de faire non ou peu question- filmiques : ancrage commun dans le domaine de l’édu- 1 Frédéric Saussez, Frédéric Yvon,
nées ou conscientisées, afin d’envi- et rapide dans une situation cation et de la formation Analyser l’activité enseignante : des
sager des pistes de transformation professionnelle partagée, des enseignants, de cer- outils méthodologiques et théo-
réalistes, atteignables compte tenu de accès direct au travail des taines théories de l’acti- riques pour l’intervention et la for-
mation, Presses de l’université de
leurs dispositions à agir du moment. enseignants, facilitation de vité comme la clinique de
Laval, 2010.
Ces expériences d’alloconfronta-

24 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier
3. Observer ses collègues ou soi-même

cette médiatisation permet de réfré-


ner leur tendance à porter un juge-
ment normatif et à prescrire. Cette
configuration d’entretien limite éga-
lement la tendance des enseignants
formés à se protéger et à masquer
leurs difficultés et ouvre un espace
permettant de mieux prendre en
compte leur vécu professionnel
d’ordre pédagogique et didactique.
« Et lui (un élève) est en train de me
dire que si on dégonfle le ballon, le
dioxygène sort et l’azote reste à
l’intérieur, alors comment lui mon-
trer que le dioxygène… enfin, qu’il
y a tout qui sort, le dioxygène ne
peut pas rester. Et c’est là où je pars
dans une analogie avec la respiration
et en même temps que je suis en
train de dire l’analogie, je suis en
train de dire une bêtise, et si jamais
il a le malheur de me dire “oui, mais
quand on respire, on garde l’oxygène
et on rejette le diazote”, je me dis
que je vais être embêté pour lui expli-
quer la chose. »

Ces situations d’entretien per-


mettent de trouver un compromis
entre laisser les enseignants débu-
tants dans l’angoisse de leurs
dilemmes ou, à l’inverse, bannir
cette angoisse et refouler les contra-
peut être engendrée par des formu- Enquêter sur soi dictions du métier en réduisant
lations de questions contenant une Pour cela, l’explicitation de l’acti- celui-ci à des savoirs ou des règles
forme de reproche ou une interpré- vité est rendue possible grâce à qu’il suffirait d’appliquer. Elles
tation masquée. Une des difficultés l’adoption par les deux protagonistes donnent également la possibilité
à mener un entretien d’autoconfron- d’une posture adaptée : l’autocon- d’aborder les enjeux didactiques de
tation est de ne pas proposer ses fronté, conscient que la situation la matière enseignée, sans la décou-
propres interprétations de la situa- n’est pas transparente pour autrui, pler des enjeux de l’activité. Ces
tion à travers un questionnement cherche à documenter ce qui a méthodologies potentiellement très
déguisé, ce que ne manquera pas de prometteuses nécessitent une for-
percevoir l’autoconfronté : « Alors mation des formateurs. Leurs usages
cette question, en la revoyant, j’ai Découvrir des choses sur et les effets attendus devraient inté-
l’impression qu’elle m’a mis mal à l’activité qui étaient grer nationalement et localement un
l’aise, parce que j’avais l’impression présentes dans la situation processus de professionnalisation
que ça me mettait en défaut, un peu mais non conscientisées. progressif de l’université à l’établis-
comme si j’avais dû prévoir quelque sement, de la formation initiale à la
chose. » Le caractère dynamique de accompagné d’instant en instant son formation continue, en montant
l’entretien à travers la reprise du action observable ; l’autoconfronteur, crescendo des modalités d’allocon-
visionnage de la vidéo ou une autre en faisant preuve d’empathie et en frontation vers celles de l’autocon-
relance neutre (par exemple « qu’est- s’interdisant tout jugement ou regard frontation. n
ce que tu fais ? » ou « qu’est-ce qui en extériorité, aide à cette enquête
se passe là ? ») atténue ces effets, en et cherche à comprendre la dyna-
faisant disparaitre rapidement cette mique de l’activité de l’enseignant.
attitude de protection qui se limitera, C’est à cette condition de détour par
du coup, à une perturbation passa- la description qu’enseignant et for-
gère. L’observation réalisée à partir mateur vont pouvoir découvrir des
de sa propre vidéo est donc à envi- choses sur l’activité qui étaient pré-
sager ici comme un moyen pour sentes dans la situation mais non
faire revivre à l’autoconfronté ce qui conscientisées, et construire une
était significatif pour lui dans la nouvelle intelligibilité. L’analyse
situation de classe et non pas lui d’entretiens innovants menés par
montrer des aspects inefficaces de des formateurs-tuteurs initiés à
sa pratique. l’autoconfrontation a montré que

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dossier Observer la classe

3. Observer ses collègues ou soi-même

à plusieurs voix

Une professeure de français assiste au cours de sa collègue de mathématiques. La parole à l’une,


puis à l’autre, pour évoquer ce qui s’est déroulé.

« On n’y voit rien… »


L
e lycée dans lequel se déroule cahier de la professeure, pendant que dans un parallélogramme, les diago-
le cours est un établissement les élèves interrogés finissent d’écrire nales se coupent en leur milieu.
à vocation scientifique et ce qu’ils ont fait au tableau, puis la Que s’est-il joué dans ce début de
technique un peu ancien. Les lieux professeure valide l’exercice de géo- cours ? D’abord, à l’évidence, il faut
le disent, trois tableaux à craie dans tenir la classe. Mais au lieu de choi-
mots clés
la salle, dans l’armoire des exem- sir d’imposer un silence qui, dans
plaires du Vicaire savoyard de Rous- 2de la doxa professionnelle, est le gage
seau au programme des prépas Gestes professionnels d’une classe au travail, la profes-
scientifiques récemment. Les élèves seure impose aux élèves d’être
qui composent la classe de 2de obser- métrie en insistant sur le vocabu- « élèves en cours de maths ». La
vée sont majoritairement des gar- laire : points distincts, non alignés. posture physique de l’enseignante
çons. J’imagine donc que même si Et elle donne très rapidement l’exer- quand elle écrit au tableau sans
le cours de maths est un cours qu’ils cice à faire pour le lendemain, dont détourner les yeux de la classe fait
doivent prendre au sérieux, leur âge elle écrit le texte au tableau, sans comprendre le niveau de tension.
va imposer un cadrage serré, d’au- quitter la classe des yeux : « Écrire Elle s’impose sans de vains rappels
tant que nous sommes en première un algorithme permettant de à l’ordre. Son pari est que le silence
heure de l’après-midi, le dernier construire un parallélogramme à par- doit être lié à l’investissement dans
lundi de classe avant les vacances tir de trois points distincts non ali- l’activité, ce qui est d’autant plus
de la Toussaint. gnés. » Elle a eu le souci auparavant délicat que pour le second exercice,
de rappeler rapidement les différentes chaque élève a une solution diffé-
sous le signe du divorce définitions du parallélogramme et rente de celle du voisin ou de celle
L‘entrée en classe des élèves cor- insiste sur la définition à privilégier : inscrite au tableau.
respond à mon attente : bousculade,
bavardages. Ce moment clé s’an-
nonce ici sous le signe du divorce.
Les élèves restent debout alors que Contexte Un regard bienveillant et outillé
la professeure leur rappelle qu’elle
ne veut pas de ce temps mort, Cette observation de classe est parti- alable à l’expérience, d’autant que l’ob-
qu’elle veut qu’ils sortent leurs culière. Elle a été faite, pour ce numé- servateur n’étant pas à même d’entrer
affaires de maths rapidement. Elle ro des Cahiers pédagogiques, par une dans la construction du cours, il risque
annonce le contrôle du cours sui- professeure de lettres, alors que le de s’arrêter à des indices non pertinents.
vant, en donne le programme qui cours observé est un cours de maths. Rappelons que c’est la situation dans
intègre le contenu du cours qui va Les deux professeures (la professeure laquelle se trouve le chef d’établisse-
se dérouler, mais les élèves ne se de lettres qui observe et la professeure ment qui assiste à un cours d’inspection.
mobilisent pas. Un élève dit, assez de maths qui fait le cours) sont amies Nous avons utilisé pour notre analyse
fort pour que je l’entende, « je n’ai de longue date et ont beaucoup tra- les travaux de Dominique Bucheton et
rien noté ». Mais la professeure ne vaillé ensemble dans le cadre de stages son équipe que nous espérons n’avoir
répète pas et garde son rythme. Elle de formation dans l’académie de Cré- pas trahis. Des termes comme « gestes
vérifie maintenant que le travail teil. Leur pari est de tester ce qui est de pilotage, atmosphère, étayage, ajus-
maison est fait. Elle passe dans les observable, de l’extérieur, sans apriori tement, tissage » sont leurs mots et nous
rangs alors que deux élèves sont sur la construction didactique de la renvoyons les lecteurs à leurs articles et
envoyés simultanément au tableau, séance puisque les disciplines sont leur ouvrage sur le sujet, lesquels seront
l’un pour l’exercice de géométrie, différentes, et de comparer avec ce évidemment beaucoup plus fiables et
l’autre pour l’exercice d’algèbre, que perçoit le professeur qui fait le précis que notre modeste travail.
dans les deux cas des algorithmes. cours. Évidemment, comme dans toute F. D., J. G.
Les noms de ceux qui n’ont pas observation, la bienveillance est le pré-
fait le travail sont pointés dans le

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Observer la classe
dossier
3. Observer ses collègues ou soi-même

Ce début de cours est bien une maison. Là encore, la professeure a une solution possible au problème
épreuve de force. Mais alors que garde son cap et ne cède pas à la en fin de séance. Ces gestes sont
beaucoup de collègues auraient scène duale. Elle martèle l’impor- liés aux gestes d’atmosphère, qui
hurlé, menacé, arrêté leur cours tance d’une attitude responsable et trahissent l’éthique du professeur.
parce que le niveau d’agitation était d’élève de lycée (versus élève de Elle n’a pas fait ici des maths devant
effectivement pénible, la profes- collège) face à l’effort. Elle annonce les élèves, mais ce sont les élèves
seure, ici, choisit de ne pas dissocier qui ont fait des maths devant elle.
travail et discipline. On se souvient des conseils de Mon-
C’est la même ligne de conduite Elle n’a pas fait ici des taigne au précepteur des enfants de
que j’observe dans la suite du cours. maths devant les Diane de Foix : « Il est bon qu’il [le
Il s’agit alors d’amener les élèves à élèves, mais ce sont professeur] le fasse trotter devant lui
réfléchir à la preuve. Pourquoi, les élèves qui ont fait pour juger de son train et juger
quelles que soient les données chif- des maths devant elle. jusqu’à quel point il se doit ravaler
frées, l’algorithme de l’exercice pour s’accommoder à sa force. À
aboutit au résultat 0 ? Les élèves sont aussi que des sanctions seront don- faute de cette proportion nous gâtons
déstabilisés et le métier, du profes- nées dès la rentrée des vacances, tout ; et de la savoir choisir, et s’y
seur de lettres comme du professeur comme si une autre façon de gérer conduire bien mesurément, c’est
de maths, nous a montré que le pas le groupe allait se mettre en place. l’une des plus ardues besognes que
intellectuel à franchir est grand pour Ce dont je peux rendre compte, je sache. »
des élèves de 2de quand il y a modé- donc, de ce cours, correspond aux Mais je constate aussi que ces
lisation, généralisation, ou passage gestes de pilotage : organisation du gestes ne sont pas ceux auxquels je
au concept. Alors certains cha- travail de la séance (en grand m’attendais. Une professeure d’expé-
hutent, lèvent le nez et surtout beau- groupe, individuellement, en petits rience qui laisse un tel bruit dans sa
coup demandent de l’aide, ou plutôt groupes), déplacements des élèves, classe ! n
une attention personnelle du pro- outils de travail (cahiers, tableaux, Jacqueline Gérard
fesseur à leur cahier sur lequel ils photocopies). C’est aussi le contrôle professeure de français,
lycée Frédéric-Mistral de Fresnes (Val-de-Marne)
n’ont rien fait de plus que le travail du temps : faire venir un élève qui

Ma façon de faire de la discipline


M
a pratique du pilotage s’ins- mes classes a toujours changé après même une correction complète en
crit et se construit dans la la Toussaint, mes mesures d’explici- forme, parce que je savais que la
durée. Jusqu’aux vacances tation portent leurs fruits. C’est donc difficulté ne permettrait pas à tous
de la Toussaint, je ne sanctionne pas, en début d’année un choix fatiguant de prendre correctement des notes.
mais j’associe l’élève et ses parents à cause du niveau sonore, un choix L’étayage de la démarche à laquelle
au changement d’attitude indispen- qui surprend les élèves (« vous n’êtes je voulais les mener avait été lon-
sable pour progresser. Je repère les pas une prof normale, madame »), guement pensé.
difficultés en mathématiques (sou- mais c’est un choix qui porte ses Mais mes documents pouvaient
vent source d’agitation), j’essaie de fruits à long terme. ne pas correspondre à ce qui se pas-
comprendre au mieux la situation La séance décrite était particuliè- serait en classe. Dès les premières
individuelle de chacun. Je leur rement délicate, puisqu’il fallait minutes du cours, lorsque je vérifie
explique la grande différence entre faire passer les élèves des données que le travail maison est fait, je
le travail qu’ils ont pu faire petits et numériques à des données littérales prends des informations qui me per-
la façon dont ils doivent agir au pour avoir une preuve. Un élève a mettent d’ajuster le cours qui va se
lycée. Pas toujours de compréhension d’ailleurs bien compris quand il a faire. J’ai ainsi repéré, à ma grande
possible, ici et tout de suite. Il faut demandé combien de calculs diffé- surprise, que Samir avait su aller
reprendre le fil des cours chez soi et rents me satisferaient pour avoir la jusqu’à la généralisation, surement
étudier ses notes avant de poser des preuve que l’algorithme fonction- avec son frère, élève de prépa que
questions. À partir des vacances de nait à tous les coups. J’avais pré- je connais aussi. Le camarade Alain
la Toussaint, je sanctionne par la paré divers documents pour baliser avec qui il travaille cette année est
note ceux qui ne veulent pas travail- l’entrée dans la difficulté, pour leur de plus un doublant, élève précoce
ler ainsi. L’atmosphère générale de procurer des outils connus, et avec des difficultés de com- n n n

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dossier Observer la classe

3. Observer ses collègues ou soi-même

à plusieurs voix
n n n portement qui tenait absolu- Les gestes qui me paraissent les Coda
ment à me dire qu’ils avaient plus importants parce que les plus
ensemble établi une preuve. Il me porteurs d’apprentissage sont les Nous nous demandions, avant
fallait reconnaitre leur travail. Loin gestes de tissage. Il s’agit de l’expérience, ce que voyait un obser-
d’être choquée par l’aide éventuel- reprendre ce que les élèves savent, vateur extérieur d’un cours dans une
lement apportée par le frère, je saisis mais aussi de planter les germes discipline qui n’est pas la sienne. À
l’occasion de valoriser Samir, élève d’autres connaissances. J’essaie de l’évidence, il ne voit pas grand-
timide, tout en rejetant le risque pris tisser discipline et travail, discipline chose, même s’il est professeur
si j’avais interrogé Alain, qui a des individuelle et discipline du groupe, depuis plus de trente ans. Alors à
difficultés de passage à l’écrit au discipline dans la classe et réflexion défaut de lister ce qui est observable,
tableau. L’important est qu’il sache sur soi et son orientation, travail nous pouvons faire l’inventaire de
refaire sans ces notes. Je l’interro- dans la classe et travail hors la ce qui ne l’est pas. Du côté du pro-
gerai donc et je pourrai proposer au classe, programme du mois de fesseur qui fait cours, nous ne
groupe une rédaction différente de novembre et programme de mars ou voyons pas la construction didac-
la mienne. avril. Tout ce tissage est évidemment tique et l’ajustement entre le prévu
invisible à un observateur, surtout et le réalisé. Du côté élèves, l’activité
Les gestes de tissage quand il n’est pas de la discipline. intellectuelle n’est observable que
J’ai aussi repéré les élèves qui J’ai toujours beaucoup échangé avec par les remarques à haute voix ;
n’arrivaient absolument pas à com- les stagiaires que j’ai pu avoir dans nous ne passons pas dans les rangs
prendre qu’il pouvait y avoir calcul ma classe. Comment auraient-ils pu lire par-dessus leurs épaules ce qu’ils
avec des lettres. Il faudra en tenir tirer profit d’une séance vue de loin, écrivent. On comprend mieux alors
compte dans leur orientation si les surtout quand cette séance s’écarte l’attachement de certains collègues
choses n’évoluent pas, comme je me des images reçues du bon cours, aux signes du métier, communs à
souviendrai de la réaction de Youssef celui où les mouches volent en fai- toutes les disciplines, identifiés par
qui s’écrie à la fin du cours : « Faire sant du bruit et où le professeur tout le corps social comme signes
des maths comme ça, j’aime ça ! » parle et écrit beaucoup ? n d’un cours réussi : le silence des
J’ai donc préparé longuement cette Françoise Delzongle élèves et la parole du professeur.
séance, mais pendant le cours, j’ai professeure de mathématiques, Communiquer avec les parents sur
lycée Gustave-Eiffel, Cachan (Val-de-Marne)
ajusté rapidement mes gestes en ces données de base pourrait peut-
fonction des informations que je être permettre le changement néces-
prenais en regardant les élèves tra- saire du lycée et changer le bacho-
vailler et en les écoutant. tage en « réfléchis sage ». n

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Observer la classe
dossier
3. Observer ses collègues ou soi-même

Observer, ça s’apprend
Des extraits d’un journal d’une année de préparation aux y allons à trois, deux candidates et
fonctions de maitresse formatrice. Tantôt observatrice, une conseillère pédagogique : l’une
tantôt observée : un va-et-vient formateur. mène l’entretien, les deux autres
observent l’observatrice, et soudain
je commence à comprendre ce qu’est
Armelle Legars, professeure des écoles une démarche de formation, le fait

S
que l’observation n’est qu’un point
eptembre : inscription et des notes ? Que faire de ces observa- de départ pour permettre l’analyse,
validation du sujet de tions ? Comment les enrichir de regards non par le formateur, mais par le
mémoire. J’ai choisi l’op- croisés avec des collègues ? collègue observé lui-même.
tion « anglais ». J’empile Observations en cascade : cette
mots clés
sur ma table de chevet quelques situation était vraiment intéressante.
pédagogues et didacticiens à relire Cafipemf C’est dans le débriefing collectif que
ou découvrir. Maitre d’accueil j’ai senti les choses se clarifier dans
Octobre : je découvre que, de MAT mon esprit. J’ai senti alors que pour
(maitre d’accueil temporaire, je Décembre : premières visites dans moi, l’outil essentiel n’était pas la
devais accueillir des M1 dans ma les classes de mes deux étudiantes, grille d’observation, qui me sert sur-
classe pour partager mes pratiques), premières séances observées. L’une tout de pense-bête pour éviter les
je suis devenue maitre de stage. Je a déjà des compétences solides face oublis fâcheux, mais plutôt la palette
dois aller observer dans leur classe à une classe de cycle 3, elle m’épate de questionnements possibles (cf.
des M2 formées en alternance. Bref, à ce stade de sa formation. Nous dis- encadré).
faire fonction de maitresse forma- cutons didactique, je lui propose une
trice avant d’en avoir construit les entrée différente pour découvrir la « Regard positif »
compétences. notion travaillée, et quelques pistes et « humilité »
Novembre : épreuve d’admissibi- de différenciation. L’autre est en Février : nouvelles visites dans les
lité du Cafipemf[1]. Cinq membres maternelle, et pour sa deuxième jour- classes de mes M2. Je ne mène pas
du jury au fond de ma classe, même née en responsabilité, elle a du mal du tout les entretiens de la même
pas le temps d’identifier leurs fonc- à trouver sa place. J’ai de mon côté manière. C’est aussi le mois de
tions ; mes élèves ne se mettent pas trois semaines d’expérience en mater- l’épreuve de l’observation de séance.
au travail, je rame toute seule à nelle, pendant mon passage à l’IUFM. La jeune collègue m’avoue à la fin,
contrecourant pendant quatre-vingt- Moi aussi j’ai du mal à trouver ma très soulagée, qu’elle avait eu très
dix minutes interminables. place. J’observe et je m’appuie sur peur, la rumeur voulant que les can-
ce que je connais, je repère quelques didats au CAFIPEMF soient parfois
Décentrer le regard leviers qui pourront, je l’espère, lui très durs lorsqu’ils observent en
Être observée : une position difficile, être utiles : ses objectifs sont très classe ! Nos mots d’ordre sont pour-
mais qui m’apprend beaucoup, et flous, ses consignes ne sont pas tant « regard positif » et « humilité ».
plus encore en dehors des situations claires. Globalement, je me demande Le jury me demande ce que j’ai
d’examen. Sentir un regard extérieur ce que j’aurais fait à sa place, et c’est pensé de l’entretien : je pense avoir
m’aide à décentrer le mien, devoir cette réflexion que je lui transmets. réussi à mettre la collègue en
expliciter mes démarches m’incite à Il y a encore beaucoup de travail confiance pour dialoguer de manière
approfondir ma réflexion. C’est un avant de me sentir formatrice ! constructive, mais je sais que le
outil pour lutter contre la tyrannie du Observer un collègue, et après ? déroulé a été un peu trop brouillon,
quotidien, pour créer, dans le déroulé Un maitre d’accueil (ou un maitre j’ai des efforts à faire pour réussir à
trop rapide du temps, des moments de stage) est un enseignant prêt à structurer la conversation. Le jury
de pause indispensables. partager son expérience et sa pra- semble d’accord avec moi, je repars
Pendant l’entretien, je m’appuie tique avec des collègues débutants. plutôt soulagée.
sur mes préparations pour les justi- Mes premières observations et mes Observer pour questionner : ma
fier, j’ai bien observé les élèves et je premiers entretiens s’inscrivaient posture a évolué. J’observe toujours
connais leurs difficultés : mon ana- dans ce cadre, et je n’avais pas en m’appuyant sur mes compétences
lyse sauve mon admissibilité. C’était conscience du chemin à parcourir d’enseignante, mais dans le même
juste une mauvaise journée dans ma pour que ces échanges puissent temps, j’anticipe sur l’entretien. Je
classe de réseau Éclair, et des appren- s’installer dans une véritable ne me mets plus à la place de la
tissages à reprendre à un meilleur démarche de formation. collègue, j’essaie de proposer des
moment. Janvier : formation départementale portes à ouvrir, des pistes à explorer,
Observer les élèves de ma classe : pour les candidats au CAFIPEMF. bref, des questionnements. Objectif :
quels élèves, et à quels moments ? Avec Séance de travail sur l’observation, qu’elle investisse cette observation
quels outils ? Ai-je besoin de prendre puis deux journées dans notre cir- extérieure pour découvrir dans ses
conscription pour s’entrainer, grâce postures ou dans ses choix ce qui
1  Certificat d’aptitude aux fonctions d'instituteur à des collègues qui acceptent de joue dans la mise au travail et les
ou de professeur des écoles maitre formateur. nous recevoir dans leur classe. Nous réussites des élèves. L’analyse n n n

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dossier Observer la classe

3. Observer ses collègues ou soi-même

nnn ne peut exister que dans la


mise à distance, je suis là pour créer
cette possibilité, plus que pour don-
ner des conseils. Témoignage
Mars : restitution du mémoire. J’y
compare notamment plusieurs
façons de mémoriser une comptine
Quelles questions ?
anglaise, et mes élèves se prennent Poser la bonne question, au bon moment, avec les bons
au jeu. Par petits groupes, ils s’ob- mots. Pas si facile lors de l’entretien faisant suite à la
servent eux-mêmes et s’observent séance, ici d’anglais en cycle 3.
entre eux, et découvrent qu’ils
n’apprennent pas tous de la même • Démarrer l’entretien • Aborder les points délicats
manière. Pour certains, c’est plus Il faut d’abord créer une forme de L’enseignement de l’anglais est un
facile avec un support visuel, pour confiance et permettre d’exprimer bon exemple de situation où la pro-
d’autres avec des gestes, pour d’éventuelles tensions. Une première fesseure des écoles peut se sentir
d’autres encore, c’est le rythme ou question générale laisse au collègue vulnérable si sa maitrise de la langue
la mélodie qui permet de retrouver la liberté d’aborder lui-même cer- est insuffisante. Lors de l’un de mes
les mots exacts. tains points délicats : « Est-ce que premiers entretiens, la collègue mul-
Les élèves peuvent aussi apprendre vous pouvez relever ce qui a bien tipliait les erreurs phonologiques.
à s’observer : je me souviendrai long- fonctionné dans la séance, ou ce qui Comment aborder ce point avec déli-
temps de Marie, une petite fille très a posé problème selon vous ? » Cette catesse, pour lui donner des pistes
peu sure de sa capacité à apprendre. question peut orienter le dialogue sans la décourager ou la rendre
Elle a été en échec pour restituer la directement sur le versant de l’ana- encore plus mal à l’aise ? J’ai d’abord
comptine du moment, apprise avec lyse. Si cela semble nécessaire, la posé une question pour lui laisser la
un support visuel, mais elle a retrou- question peut laisser la porte ouverte chance d’aborder elle-même la ques-
vé le sourire en découvrant qu’elle à une expression plus affective dans tion : « Y a-t-il une difficulté par rap-
se rappelait parfaitement la comptine un premier temps : « Comment avez- port à l’enseignement de l’anglais que
du début d’année, apprise avec une vous ressenti cette séance ? » vous souhaiteriez évoquer ? » C’était
aide gestuelle ! • Faire des liens entre les observa- vraiment très général, sans doute
tions et la réflexion à susciter trop, mais elle a aussitôt évoqué ses
Avril : soutenance du mémoire et J’ai repéré une difficulté. Dans un lacunes linguistiques, comme je
fin du suspense : j’obtiens le fameux premier temps, je tâte le terrain pour l’espérais. Ce point exprimé par elle,
sésame. L’an prochain, je demande voir si l’enseignante l’a repérée j’ai donc pu valoriser le fait qu’elle
donc à remplir les fonctions de pro- aussi. Quelques exemples : faisait l’effort de limiter au maximum
fesseur des écoles maitre formateur. – objectif flou ou activité peu per- la place du français au cours de la
Les stagiaires, leurs élèves et les tinente au regard de l’objectif : « Quel séance, et ensuite tenté de lui donner
miens, mes pratiques d’enseignante, était l’objectif de cette activité ?  » ; quelques conseils pour progresser :
la construction de mes compétences – consigne imprécise : « Qu’atten- revoir la liste des consignes, s’ap-
de formatrice : autant de pistes diez-vous des élèves lors de cet puyer sur l’assistante américaine
d’observation qui continueront à exercice ? » présente dans l’école, utiliser des
susciter de nombreuses questions et – atmosphère peu favorable au dictionnaires audios, etc.
peu de réponses. n développement de la confiance : « Que • Prendre en compte les éléments
pensez-vous de l’attitude de vos élèves apportés par le collègue
face à l’anglais ? Quelle attitude atten- Beaucoup de questions sont prêtes
dez-vous ? Qu’est-ce qui peut favoriser avant le début de l’entretien, déjà
ou empêcher cette attitude ? » rédigées sur ma fiche d’observation.
Puis, je mets en parallèle la réponse Mais d’autres viennent au fil de
de l’enseignante et mes observations. l’entretien, pendant lequel je conti-
Si cela correspond, je valide les nue à prendre des notes pour pou-
remarques (« En effet… »), j’essaie voir m’y référer (« tout à l’heure,
d’emmener plus loin : « Qu’est-ce qui vous avez évoqué… ») et ensuite
n’a pas fonctionné ? Comment feriez- demander de repréciser, inciter à
vous la prochaine fois ? Comment allez- aller plus loin.
vous prolonger cette situation lors de • Conclure
la prochaine séance ? » Si cela ne cor- Je garde une question pour la fin :
respond pas, je peux relever quelques « Que retenez-vous de cet entretien ? »
citations de l’enseignante elle-même Cela me permet ensuite de reformu-
ou des élèves, ou encore repérer ler, compléter ou ajuster un détail
quelques productions d’élèves, pour autour des deux ou trois points qui
essayer de faire prendre conscience à me paraissent à moi essentiels, avant
l’enseignante de ce décalage : « Que de nous séparer. n
pensez-vous des réponses de cet élève ? Armelle Legars
Qu’est-ce qu’il n’avait pas compris
dans la consigne ? Pourquoi n’a-t-il
pas réussi à entrer dans la tâche ? »

30 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier
3. Observer ses collègues ou soi-même

Comment se regarder
pédaler ?
L’instruction au sosie est un dispositif très particulier, avons l’habitude de nous voir régu-
qui amène à pousser loin l’observation de soi-même. À lièrement pour organiser le travail de
la découverte, ou redécouverte, de son travail. la classe, en particulier les travaux
interdisciplinaires et l’accompagne-
ment personnalisé. Je suis toujours
Sylvie Grau, professeure de mathématiques au collège très mal à l’aise lors de ces réunions
Sophie-Germain (Nantes) que je dois animer et je n’arrive pas

J
bien à comprendre pourquoi. Isabelle
e me suis lancée il y a du registre du « comment ? », s’il sent reformule en « je ». Ses questions,
quelques années dans un que l’instructeur a besoin de souffler. parfois insistantes, me permettent
master 1 de sciences de Le sosie doit adopter quelques prin- d’évoquer des moments particuliers,
l’éducation. Professeure de cipes de base : vouloir le bien de des tâches, des gestes, mais aussi du
mathématiques, je rêvais d’appro- ressenti. Au bout d’un moment, la
mots clés
cher ces disciplines qui m’ont tou- situation est très déstabilisante, émo-
jours intéressée mais qu’on ne Conduite de réunion tionnellement c’est intenable. En fait,
m’avait jamais enseignées comme je réussis à formuler à quel point ces
la philosophie, la sociologie, l’ergo- l’autre (très important quand l’ins- réunions me stressent, me renvoient
nomie, etc. L’expérience qui m’a le tructeur a des besoins) ; se mettre à une image négative de moi-même.
plus marquée est celle vécue lors la place de, faire silence sur ses « En fait, tu arrives souvent un peu
d’un TD. Il s’agit d’un module où propres projections ; pendant le en retard, tout le monde n’est pas là,
nous apprenons à analyser le travail temps de l’entretien, le sosie n’ana- tu ne retrouves pas les documents et
réel. L’idée est que l’individu qu’on lyse pas, il veut comprendre et se tu envoies quelqu’un les chercher. »
interroge sur son activité n’est que mettre à la place de (il faut s’entêter Isabelle est devenue moi, c’est une
rarement conscient de ce qu’il fait dans cette posture) ; le sosie va adop- sensation très particulière. Je réalise
réellement, il fait beaucoup plus que ter une position la plus similaire que nous portons la même montre,
le travail prescrit, il accumule des possible à celle de l’instructeur. elle prend les mêmes postures, pose
savoirs, de l’expérience qui n’est que Isabelle Vinatier, notre profes- ses mains comme moi, parle comme
rarement formulée, reconnue. seure, propose d’expérimenter l’ins- moi, dit « je » à ma place et je me
truction au sosie et je me porte vois en face, je vois ma souffrance
L’instruction au sosie volontaire. Je dois choisir si possible que j’avais toujours réussi à nier.
Yves Clot, psychologue du travail, une situation qui me met en diffi-
a diffusé en France un protocole culté dans ma vie professionnelle. Les « principes tenus
d’entretien très particulier pour Nous sommes face à face, son regard pour vrais »
prendre conscience du travail réel : est bienveillant, j’apprécie beaucoup Je me souviens que les larmes
l’instruction au sosie. Un sujet volon- cette enseignante et je lui fais étaient très proches, sur une situa-
taire reçoit la consigne suivante : confiance. Le reste du groupe est tion somme toute assez banale, j’ai
« Suppose que je sois ton sosie et que observateur, certains l’observent elle réalisé à ce moment à quel point elle
demain, je me trouve en situation de et d’autres m’observent moi. Le m’affectait au plus profond de moi.
devoir te remplacer dans ton travail. groupe est aussi bienveillant, nous L’analyse par Isabelle Vinatier, les
Quelles sont les instructions que tu nous connaissons bien à cette questions des observateurs ont per-
voudrais me transmettre, afin que période de l’année. Je suis une des mis de mettre en évidence les rai-
personne ne s’avise de la substitu- rares professionnelles, eux sont étu- sons qui m’amènent à faire telle ou
tion ? ». Le volontaire et son sosie diants, ils ont l’habitude de me ques- telle action. Ce qu’on appelle les
sont assis face à face et le sosie for- tionner sur mon métier, j’ai l’habi- « principes tenus pour vrais » qui
mule en « je » tout ce qu’il reformule tude de répondre sans limites. sont les principes qui orientent les
de l’activité, alors que l’instructeur Je commence à donner mes ins- choix, les décisions, les actes.
formule en « tu » ses instructions. tructions : «  Tu prépares la salle en Par exemple, j’étais très en colère
Le transfert entre le « tu » et le « je » mettant les tables face à face pour six contre moi car avant chaque réunion,
permet de se fixer sur la verbalisa- à huit personnes, tu distribues les je préparais toujours un ordre du
tion, qui est première par rapport à photocopies si besoin, tu as de quoi jour, les documents à discuter ou à
l’évocation. Le sosie s’autorise des prendre des notes, tu as préparé étudier ensemble, et pratiquement à
questions du type « pourquoi ? » rela- l’ordre du jour, etc. » Il s’agit pour chaque fois, je n’arrivais pas à retrou-
tives éventuellement aux intentions Isabelle de me remplacer lors de ver ce que j’avais préparé. Je l’avais
ou à des états émotionnels, si l’ins- l’animation d’une réunion de l’équipe oublié chez moi, ou c’était coincé
tructeur l’amène sur ce terrain. Le pédagogique d’une classe de 2de dont dans un paquet de copies. L’analyse
sosie peut ramener à des questions je suis professeure principale. Nous m’a permis de comprendre n n n

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dossier Observer la classe

3. Observer ses collègues ou soi-même

nnn que ce que je ressentais coup plus sereine, je ne perds plus En tout cas, pour l’enseignant,
comme de l’incompétence était en mes notes, mais je ne les sors pas c’est l’occasion d’un retour réflexif
fait un acte posé non consciemment toujours et je sais pourquoi ! sur soi-même qui permet de mieux
pour déléguer. Un de mes « principes Je garde un souvenir très fort de cette comprendre en quoi consiste réelle-
tenus pour vrai » est que le travail expérience. J’ai essayé d’être sosie à ment son travail, quel est son res-
en équipe, la collaboration passe par mon tour, c’est un exercice difficile et senti. Les questions du sosie per-
un partage des responsabilités, une il est préférable d’enregistrer ou filmer mettent de prendre conscience de
participation de tous sans prescrip- pour analyser après l’instruction. Je toutes les tâches, les décisions, les
tion. N’ayant pas mes notes, je n’ai pas eu l’occasion d’en mener avec choix que nous faisons à chaque
demandais donc aux autres de rap- des élèves et pourtant, je suis convain- minute de notre activité. C’est une
peler ce qui était à faire, de prendre cue que ce pourrait certainement être façon de s’observer soi-même. Une
ma place d’animatrice, de prendre une aide précieuse, en particulier pour vraie formation professionnelle ne
les commandes. C’était en fait un améliorer la gestion du stress, prendre peut pas s’appuyer uniquement sur
bon moyen de ne pas me poser en conscience de ses émotions et le travail prescrit, l’instruction au
surplomb dans l’équipe et de per- apprendre à les contrôler. C’est aussi sosie permet une reconnaissance du
mettre à chacun de prendre une une manière d’apprendre à se mettre travail invisible qui, une fois forma-
place dans le groupe, de se sentir à la place de l’autre. Je pense en par- lisé, peut être transmis. n
responsable. Depuis, je suis beau- ticulier à la formation à la médiation.

Partager doutes
et questions
Un débutant dans le métier peut améliorer ses pratiques giaires entre 1993 et 2008[1], les
en observant des experts à l’ouvrage, il peut aussi entretiens menés et les évaluations
apprendre beaucoup, sur des points différents, en de fin de formation analysées avec
observant d’autres novices. Présentation d’un dispositif plusieurs collègues nous ont pro-
de formation cadrant cette démarche. gressivement conduits à constater
avec de plus en plus d’acuité que la
transmission du métier s’opère par-
Nicole Priou, formatrice fois mieux à partir d’échanges,

«J
d’observations, voire de controverses
’ai été très intéressée peut se noyer dans une tasse de thé. entre pairs plutôt que dans la rela-
par les échanges C’est important de rencontrer ses tion avec des experts (formateurs
avec les jeunes col- pairs, de dédramatiser en faisant le ou tuteurs), surtout si ces experts
lègues. On est dans ont une fonction d’évaluation. Avec
mots clés
le doute lorsqu’on débute, et c’est ces derniers, la pression de confor-
important de rechercher ensemble Professeur stagiaire mité et le poids du prescrit, réel ou
des solutions entre gens qui doutent. Apprentissage par les pairs imaginé, ne créent pas toujours les
Parfois, la distance avec la pratique conditions favorables à une analyse
du tuteur est telle qu’elle peut être constat qu’ils éprouvent les mêmes distancée des gestes professionnels
inhibante. Ma tutrice était une magi- doutes, rencontrent les mêmes diffi- et à une autorisation à penser des
cienne et une virtuose : comment cultés. » Marion hypothèses de travail inventives et
aurais-je pu faire aussi bien Ces propos de Claire et Marion originales. Cette distance inhibante
qu’elle ?  » Claire nous semblent assez représentatifs à la pratique de l’enseignant expert
« Au début, on est plein de doutes. d’une dimension trop souvent sous- est bien mise en relief dans un
L’échange avec les pairs, même infor- estimée en formation initiale : l’ap-
mel, même près de la machine à prentissage par et avec ses pairs. 1  Dans le cadre des formations proposées par
café, est une occasion fabuleuse Les écrits professionnels réalisés l’ISP (Institut supérieur de pédagogie) en parte-
d’apprendre. Quand on démarre, on par plusieurs promotions de sta- nariat avec les IUFM de Créteil, Paris et Versailles.

32 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier
3. Observer ses collègues ou soi-même

article de Luc Ria (et alii) : «  La réas- d’échange plus favorable, ça permet cours en amont, les matériaux
surance entre pairs est […] essen- la comparaison sans produire d’inhi- recueillis au cours de ces observa-
tielle, au point que les matériaux de bition, ce qui est parfois le cas quand tions seraient suffisamment riches
recherche portant sur l’activité d’en- on observe le professeur conseiller pour introduire un véritable ques-
seignants plus chevronnés sont pédagogique : je ne pourrai jamais tionnement professionnel et travail-
moins prisés par les stagiaires qui faire ce qu’il fait ! » (Maryse, PLC2, ler à partir de là ensuite.
estiment être trop éloignés de ces 2006). Trois incontournables cependant
derniers dans leurs façons d’interve- balisaient le travail : les observations
nir en classe pour en tirer un quel- Immersion rapide devaient être pratiquées à trois, de
conque bénéfice. L’un d’entre eux Nous en sommes venus, en équipe disciplines différentes, chacun
l’exprime à sa façon : “Ça ne me sert de formateurs, à interroger nos dis- accueillant ses deux collègues
pas vraiment cette vidéo [d’un ensei- positifs de formation initiale et à ensemble et étant reçu à son tour,
gnant chevronné]. Je suis vraiment mettre en place, en tout début d’an- avec un pair, dans leurs classes ;
à mille lieues de sa façon de faire. chaque trinôme était invité à prendre
Mon problème est ailleurs. On verra un temps de concertation en amont
dans quelques années”.[2] » Introduire un véritable des observations pour s’accorder sur
Parallèlement, les échos de sta- questionnement la question suivante : « Si observer
giaires recueillis à l’occasion des professionnel et travailler c’est chercher, qu’est-ce que je cherche
stages de pratique accompagnée à partir de là ensuite. à voir et à recueillir comme données
conduits à plusieurs dans le cadre en allant voir un collègue ? » ; la
des formations PLC2 (avant la mas- née, dans les modules de formation consigne d’orienter son regard sur
térisation) soulignaient très fréquem- générale et commune menés en par- l’observation des élèves tout autant
ment les bénéfices de ces expé- tenariat avec les IUFM de Créteil, que sur celle de l’enseignant était
riences de coobservation et de Paris et Versailles, un dispositif fortement mise en avant.
coanalyse entre pairs : « L’expérience d’observations mutuelles entre pairs Pourquoi ces points d’attention,
du stage de pratique accompagnée a et l’exploitation, en formation, de ces au détriment, peut-être, d’une grille
été très intéressante : on s’est vues observations mutuelles (voir encadré d’observation plus élaborée ?
faire cours avec ce que cela comporte pour le descriptif du dispositif). Le premier misait sur la décentra-
d’effet miroir, beaucoup plus efficace Le choix avait été fait d’immerger tion rendue obligatoire par la non-
dans l’observation d’un pair que rapidement les jeunes collègues dans connivence avec sa discipline d’ap-
d’un collègue expérimenté, parce des pratiques d’observation de leurs partenance, condition favorable
qu’on est dans la même zone de pairs, sans beaucoup de préparation selon nous pour mener une obser-
développement professionnel. On en amont. Un choix qui peut être vation plus attentive des élèves et
progresse plus vite en se regardant discuté, bien sûr, mais qui, s’il résul- de la pertinence des dispositifs
les uns les autres. On a beaucoup tait de contraintes (peu d’heures d’apprentissage qui leur étaient
échangé à deux. Il y a une plus consacrées à la formation générale proposés.
grande proximité, donc un terrain et commune), partait aussi d’une Le second orientait vers un consti-
intuition et d’un pari : sans doute tuant central de l’observation, en par-
2  Recherche et formation n° 51, p. 49. était-il préférable de limiter les dis- tie contre-intuitif : contrairement n n n

Dispositif Extrait du livret du stagiaire, 2007


Les observations doivent per- reuse. Deux journées de lors des modules de forma- pour les enrichir ;
mettre, à partir du cadre de formation seront banalisées tion. L’écrit initial pourra – une mise en lien avec le
référence du métier d’un côté, dans le cadre de la formation ainsi s’enrichir progressive- dossier professionnel.
des pratiques existantes et générale et commune, de ment et figurera dans le dos- En octobre, les intervenants
des représentations du métier façon à permettre la prépa- sier professionnel constitué veilleront à donner les
de l’autre, d’identifier les com- ration de ces observations tout au long de l’année. moyens aux participants de
pétences à développer et à mutuelles, ainsi que la mise Dans cette logique, chaque se construire un contrat d’ob-
renforcer et les moyens pour en œuvre des coobservations intervenant sera vigilant à : jectifs de formation avec des
y parvenir. Une attention par- entre pairs dans leurs établis- – une prise d’appui sur les pistes d’action à travailler
ticulière sera portée sur l’ob- sements (par groupes de questions du groupe de sta- jusqu’en décembre, où des
servation des élèves. Cette trois). giaires en formation ; bilans de positionnement
centration sur l’apprentissage Ces coobservations donne- – une mutualisation des pra- permettront à chaque sta-
des élèves visera à question- ront lieu à un écrit de chaque tiques existantes analysées giaire de faire le point sur
ner les pratiques didactiques participant. Les questions à partir des textes officiels ; ses objectifs de formation,
et pédagogiques, à élargir le professionnelles se déga- – des apports ciblés en de croiser son diagnostic
répertoire d’actions de geant de cet écrit pourront réponse aux questions pro- avec le bilan d’étape du
chaque observateur et de être communiquées au tuteur fessionnelles formulées ; tuteur et de réajuster ses
chaque observé et à initier et reprises avec lui. Elles – une mise en situation de objectifs pour la suite de
progressivement à une pra- gagneront à être reprises par productions avec retour cri- l’année.
tique d’observation rigou- les différents intervenants tique sur ces productions N. P.

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dossier Observer la classe

3. Observer ses collègues ou soi-même

nnn à ce qu’on pense communé- jours sont banalisés pour permettre donne une légitimité au diagnostic
ment, ce ne sont pas tant des données les déplacements de chaque stagiaire qui, du coup, est entendu comme
qui s’imposent que des « cueillies[3] » sur les lieux d’exercice des deux venant d’un pair, là où il l’est parfois
qui sont collectées par l’observateur autres, il n’est pas simple de consti- moins s’il vient d’un expert ; cette
en fonction d’un projet d’observation tuer des trinômes de zones géogra- parole libérée, tout en étant respec-
qui, trop souvent, reste implicite. D’où phiques proches et de caler les ren- tueuse, ne fait pas de cadeau ! Nous
l’importance d’inviter le trinôme à dez-vous ; les résistances des avons souvent été frappés, dans les
s’interroger en amont sur ce que cha- intéressés sur le principe de visites échanges qui suivent, au moment de
cun essaie de voir dans la pratique des entre professeurs de disciplines l’exploitation des observations, par
autres. différentes. le côté brut de décoffrage de certaines
Enfin, l’invitation à observer les interpellations là où, souvent, les
élèves et leurs apprentissages visait formateurs ont un langage plus
à débusquer à priori un piège dans
On évacue ainsi en partie euphémisé, par crainte justement
lequel peut tomber l’observateur le risque de travailler d’être perçus comme surplombants
néophyte : privilégier le pilotage de davantage sur les métiers et prescriptifs (mais moins effi-
la communication au détriment du rêvés ou fantasmés que sur caces ?) ; enfin, parce qu’un travail
pilotage des apprentissages. Faire les métiers vécus et exercés. de questionnement s’est amorcé entre
porter le regard de façon privilégiée pairs, il peut plus facilement se pour-
sur les élèves incite donc à s’inté- Quels bénéfices ? Multiples selon suivre avec des enseignants chevron-
resser plutôt aux apprentissages les formateurs qui en ont suivi la nés ou avec des formateurs.
effectués qu’à la prestation orale de mise en œuvre : on part du réel du
l’enseignant. métier et, d’une certaine manière, ce Les équipes qui se sont succédé à
Il va de soi que les compétences réel est transporté en formation la responsabilité des dispositifs de
attendues avaient été rappelées et ensuite et y demeure. On évacue ainsi formation ont pu en changer cer-
figuraient en bonne place dans le en partie le risque de travailler davan- taines modalités, faire varier les
livret du stagiaire distribué en début tage sur les métiers rêvés ou fantas- consignes, mais toutes les équipes
de formation. més que sur les métiers vécus et qui ont fait de la coobservation entre
Quelles difficultés ? Deux princi- exercés ; la symétrie des statuts et des pairs un élément majeur de la for-
pales : l’organisation : même si deux conditions d’exercice libère la parole mation en ont apprécié les effets. n
et évite la frilosité ou l’inhibition liées
3  L’expression est de Charles Hadji. aux positions de surplomb. Elle

Témoignages Des moments forts


« Au cours de la première observations tant sur l’utili- avons pu constater de nom- quand mes propres explica-
semaine de formation, j’ai sation du tableau, l’aména- breux points communs dans tions ne suffisent pas, je varie
trouvé intéressantes et enri- gement de la salle de cours nos enseignements comme beaucoup les formes de
chissantes les observations que sur notre propre attitude le problème de la gestion du devoirs à la maison. »
mutuelles entre collègues. avec les élèves. J’ai apprécié temps, l’interactivité de nos Yamina
Nous avons beaucoup appris de jouer le rôle d’observateur, séances. Les visites de col- Stagiaire en anglais

sur notre propre cours et puis de donner des conseils lègues dans ma classe et ma
notre manière d’enseigner, à mes collègues. visite dans leur classe ont « Les différentes visites de
grâce aux critiques apportées Nous nous sommes ensuite aussi été des moments très mes collègues stagiaires
par chacun. Quand deux col- revus au cours des séances riches pour apprendre à furent un moment fort de
lègues vous disent qu’ils n’ont suivantes, et ce qui était inté- échanger entre nous. C’était ma formation, car il est tou-
pas compris l’une des ressant est que chacun avait très précieux de connaitre jours extrêmement intéres-
consignes données aux tenu compte des précédentes un regard extérieur et sant d’observer comment vit
élèves, vous êtes forcément remarques et avait ainsi amé- d’échanger, dans un grand une classe. J’ai pu, lors de
contraint de la regarder de lioré ses cours. Quant à nos climat de confiance et de ces moments d’observation,
plus près et ne pas en rendre critiques et observations, respect. Ce travail effectué voir chez les autres ce qui
les élèves responsables. elles avaient été confirmées en début d’année a impulsé parfois n’allait pas dans ma
Observer un cours du fond par nos tuteurs respectifs. Et un style d’échanges avec les propre façon de gérer mes
de la classe permet d’avoir puis, je trouve que c’est une autres enseignants tout au séances. J’ai pu en particulier
plus de recul sur le déroule- bonne préparation pour une long de cette année : il y a essayer de rectifier ma manie
ment d’une séance et de future inspection. » une multitude de petits trucs de toujours parler sans lais-
noter les différentes attitudes Jean-Christophe échangés que j’ai testés dans ser de temps mort pour lais-
des élèves selon que ce soit Stagiaire en lettres mes classes. J’ai utilisé le tra- ser respirer la classe. »
une leçon, un exercice, etc. vail de groupe que je ne pra- Pierre
Après le cours, nous avons « Les visites de collègues de tiquais pas auparavant, je Stagiaire en mathématiques

ensuite échangé nos avis. disciplines différentes ont demande souvent à un élève
Chacun a pu apporter ses été très enrichissantes : nous de réexpliquer à un autre

34 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier

4. Observer un enseignant
en formation
Le stagiaire observe, puis reproduit ? Le formateur observe, puis conseille, voire prescrit ? Pas si simple !

Six dilemmes en quête


de hauteur
Pour un formateur, visiter un stagiaire est une source abondante que nous nous connaissions bien
de questions identitaires et professionnelles, pris qu’il est dans ajoute une pression, ils ne veulent
une multiplicité de regards, de ceux qui sont à la fois un peu ses pas me décevoir. Ce n’est plus seu-
collègues, mais aussi des étudiants en formation, des enseignants lement l’expert qui entre dans leur
en exercice, des responsables de la formation. classe, c’est leur professeur. Par
exemple, lors de la visite de Romain,
j’observe la façon dont il mène le
Yannick Mével, professeur d’histoire-géographie à l’ESPÉ Lille Nord questionnement autour d’un docu-
de France.

J
ment. Lorsque la bonne réponse
n’arrive pas immédiatement, il sim-
’avais souvent accueilli regard extérieur et vous aider à ana- plifie la question. Je ne peux m’em-
moi-même quelqu’un au lyser votre pratique. » Elle m’a répon- pêcher de lui dire au cours de notre
fond de la classe (un ins- du : «  Oui, oui, je comprends. » Et entretien : «  En cours, je vous ai sug-
pecteur, un collègue, un c’est pendant que je traversais la géré un mode de questionnement
stagiaire). J’étais allé de mots clés
alternatif : leur laisser le temps de
nombreuses fois dans la classe de réfléchir au brouillon à la question,
mes collègues quand on travaillait Visite de stagiaire leur faire reformuler la question, faire
Grille d’observation
en équipe, je suis souvent intervenu le lien entre la question et la problé-
en doublette. Et j’avais développé matique du cours. » Bref, me voilà
un rapport plutôt serein avec ces salle de classe vide pour aller m’as- dans le rôle du professeur de didac-
présences étrangères dans ma classe. soir à droite tout au fond que j’ai tique qui prescrit sa bonne méthode.
compris ce qu’elle me disait. Ce À ce moment-là, j’ai l’impression
La posture de l’expert baratin sur le visiteur qui ne vient d’une urgence du conseil, d’une
C’était il y a dix ans. Formateur à pas en évaluateur, je pouvais essayer efficacité du lien entre le cours théo-
mi-temps, enseignant le reste du d’y croire, mais il ne servait à rien rique et la pratique. Sauf que ce lien,
temps, je me prenais pour un col- de le servir au visité. Première leçon : si je ne l’avais pas souligné, Romain
lègue qui vient visiter un autre col- assumer la posture de l’expert du ne l’aurait pas vu. Mon observation
lègue. Mais on devient vite ce que fond de la classe. Mais cela ne résout contribue-t-elle à le rendre plus auto-
les autres font de soi. À peine entré pas la question du rapport entre nome ou lui impose-t-elle une
dans le collège, j’ai été accueilli observation et évaluation. contrainte d’autorité supplémen-
comme le formateur-IUFM-qui-vient- Depuis, j’en ai fait des visites. taire ? Romain me dit qu’il fait
inspecter-le-stagiaire. Par le chef J’observe, du fond de la classe, des comme ce qu’il a observé chez sa
d’établissement et par les collègues enseignants débutants qui sont aussi tutrice. Celle-ci rectifie aussitôt : « Ce
en salle des professeurs. Alors j’ai mes étudiants pour la plupart. J’ai n’est pas tout à fait cela. » Et voilà
commencé par dire à la stagiaire : les mêmes doutes sur ma légitimité, Romain pris dans un petit conflit
« Je ne suis pas inspecteur, vous sur les effets de ma présence sur leur d’autorité et de fidélité. Qui suivre ?
savez. » J’ai cru lire dans ses yeux comportement du jour et celle des Son professeur ou sa tutrice ? Quand
que ça ne rassurait que moi. Alors élèves, sur la tension entre leur je lui dis que cette contradiction est
j’ai ajouté : « Enfin, je veux dire que attente de bons conseils et ma pré- justement ce qui lui donne sa propre
je ne suis pas là pour juger votre tra- occupation de les mettre en posture liberté pédagogique, il me répond :
vail, mais pour vous apporter un d’analyse de leur pratique. Le fait « Oui, oui, je comprends. » n n n

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 35

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dossier Observer la classe

4. Observer un enseignant en formation

nnn Deuxième leçon : c’est en voir, ayant oublié le sens des rubriques par le Bulletin officiel du 25 juillet
amont de la visite qu’il me faut tra- qu’ils avaient pourtant contribué à 2013, et le stagiaire est invité à noter
vailler à la fonction de l’observation. élaborer. Et en cours de séance, les en vis-à-vis sur la page de droite ses
Mais cela ne résout pas la question grilles d’observation sont laissées de observations. Pour les masters 2
du rapport entre les légitimités du côté, pour revenir à des observations (stage en responsabilité), le même
professeur de l’ESPÉ et du tuteur. spontanées. Quatrième leçon : grille référentiel a été utilisé par le rectorat
Il y a quelques années, dans la salle ou pas grille, on ne voit que ce que pour construire la fiche de suivi que
des professeurs de mon lycée, à la l’on est capable de voir. Mais cela ne le maitre de stage remplira en fin de
récréation, un collègue entre furi- résout pas la question du rapport entre stage. Ces deux outils ont été
bard : «  Non mais t’as vu ce que le observation et formation. accueillis sans éclat. Oserai-je dire
stagiaire a ramené ? » Et là, je vois un En avril dernier, j’ai cru pouvoir dans l’indifférence ? Pas toujours.
document que je connais un peu, mettre à profit ces leçons. Une des Lors des visites du mois de novembre,
puisqu’un collègue formateur me l’a innombrables réunions de mise en stagiaires et maitres de stage m’ont
montré la semaine passée, juste avant place des nouveaux masters est consa- demandé ce qu’il fallait en faire. J’ai
que ses stagiaires partent dans les crée aux visites que nous devrons insisté sur l’intérêt de l’outil pour
établissements. C’est une grille d’ob- faire. Les premières interventions discuter des dimensions du métier
servation d’une situation d’appren- défendent la nécessité d’une grille que l’on a parfois tendance à oublier
tissage. Une grille bien innocente que d’observation, « sinon, ils [les sta- ou à trouver toutes naturelles. Ils
les stagiaires ont construite avec le giaires] ne voient rien. Observer, cela m’ont répondu : « Oui, oui, je com-
formateur, pour qu’ils reviennent s’apprend. Il n’y a pas plus opaque prends. » Car tout ce qui vient d’en
avec des choses vues en matière de qu’une classe. Il est indispensable haut est suspect, et surtout, les com-
gestion de classe, de relation didac- d’élaborer un protocole, pour que cela pétences en question ne se situent
tique, de gestes professionnels. Même pas à la même échelle que l’obser-
que, quand mon collègue m’avait vation en classe. Elles relèvent de
montré le résultat du travail avec les Grille ou pas grille, on ne voit valeurs, d’orientations générales de
stagiaires, je m’étais dit : « Waouh ! que ce que l’on est capable position dans l’établissement, quand
Voilà un outil drôlement intéressant ! de voir. ce qui est observable en classe relève
La prochaine fois, il faudra que je du geste professionnel. Pas étonnant
m’en inspire au lieu de laisser partir ne vire pas au stage prétexte ». Les que cela ne soulève pas l’enthou-
les miens avec pour seul viatique un partisans des grilles d’observation siasme. Sixième leçon : ne pas
“bon stage” !  » Mais en salle des pro- s’appuient aussi sur leur propre expé- confondre les niveaux d’observation.
fesseurs, l’objet n’est pas reçu comme rience de chercheurs. L’observation Mais cela ne résout pas le problème
ça : «  Comment ? On nous espionne ? qu’ils proposent est calquée sur les du changement d’échelle du métier.
Mais de quel droit les stagiaires protocoles de la recherche, ce qui lui
jugent-ils les enseignants en poste ? donne une validité scientifique incon- Voilà donc six petites histoires qui
Qui va lire ces rapports ? Des gens qui testable. Alors je raconte ma petite ne prouvent rien et dont j’ai tiré des
ne sont même pas inspecteurs ! » histoire de grille et j’énonce les leçons leçons d’expérience dont le domaine
J’essaie d’argumenter, j’explique que que j’en ai tirées. Rien n’y fait. « Ce de validité est réduit à leur contexte
ce n’est pas du tout cette intention-là, genre de réaction, me dit un collègue et à mes propres limites. Mais elles
qu’il s’agit d’un outil de formation, formateur, prouve l’absence de profes- m’ont permis de formuler quelques
que ça reste entre les stagiaires et les sionnalité de certains maitres de dilemmes professionnels que pose
formateurs, etc. Peine perdue. « Tu stage. » La professionnalisation en l’observation. Je me garde bien d’y
es bien naïf », finit-on par me dire. marche n’a cure de mes scrupules : apporter des réponses définitives.
Troisième leçon : ne pas faire de la « La grille était mal conçue ! Ton col- Tous tournent autour d’un problème
classe des maitres de stage un terrain lègue et toi n’avez pas assez expliqué ! complexe, celui de mon rapport à la
d’observation pour le formateur. Mais Si on explique le protocole à tous les norme. Celui-ci est tout en tension :
cela ne résout pas la question du rap- partenaires, cela ne posera pas de j’ai à la fois des idées arrêtées sur ce
port entre évaluation et jugement. problème ! » Et pourtant, ça coince. qu’il convient de faire dans une situa-
Cinquième leçon : décidément, l’af- tion donnée, et la conviction qu’il
Ça coince… faire ne se joue pas dans la seule n’est pas de prescription possible.
Quelques semaines plus tard, les rationalité professionnelle. Mais cela J’ai à la fois la conviction que les
stagiaires sont de retour. Les miens ne résout pas la question du rapport textes prescriptifs (programmes, réfé-
racontent ce qu’ils ont vu. Des sur- entre pratique et recherche dans la rentiel professionnel, etc.) sont d’in-
prises, des choses banales. Ils ont vu formation. dispensables repères pour la
ce qu’ils pouvaient voir, ce que leur Quoi qu’il en soit, le débat a tourné construction de la professionnalité
maitre de stage leur montrait. Ils ont court du fait de l’urgence. Alors le et l’idée très arrêtée qu’ils ont la froi-
vu les élèves. À l’issue de la séance responsable de la mise en stage des deur des objets technocratiques ; j’ai
de retour de stage, nous faisons le étudiants de master 1 de l’ESPÉ à la fois la certitude d’être à la hau-
point sur la question « à quoi voit-on (stage d’observation) a repris le livret teur de la tâche lorsque, du haut de
qu’une séance est réussie ? ». Ce qu’ils de stage de l’année dernière (du mon expérience, je délivre un conseil,
proposent montre qu’ils ont appris temps de l’IUFM) et l’a adapté. Après et l’impression que cette prise de
quelque chose de leur observation une introduction sur les rôles de cha- hauteur m’empêche souvent d’aider
spontanée. Ceux de mon collègue cun dans le stage, les pages de gauche les stagiaires à construire une attitude
reviennent avec des grilles mal rem- sont consacrées à l’une des compé- réflexive sur leur pratique. n
plies : ils n’ont pas vu ce qu’il fallait tences du référentiel du métier défini

36 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier
4. Observer un enseignant en formation

Un miroir, ça réfléchit
Quand on est au fond de la classe, il y a ce qu’on voit Eh bien si. C’est une expérience
évidemment, ce qu’on croit voir, ce qu’on décide de voir, sans cesse renouvelée, mais quand
et tout ce qui se révèle quand on parle de ce qu’on a vu on est au fond de la classe, c’est
avec celui qu’on a regardé. comme si on revêtait la cape d’invi-
sibilité d’Harry Potter : au bout de
quelques minutes, on devient trans-
Philippe Watrelot, professeur en temps partagé à l’ESPÉ parent, invisible. Les élèves ne vous
de Paris voient plus, ne s’intéressent plus à

A
vous (c’en est même frustrant).
vez-vous déjà pratiqué ment dans la classe, son utilisation de L’expérience est d’ailleurs iden-
la conduite accompa- l’espace et des différents outils à sa tique lorsqu’ils sont filmés. On pour-
gnée ? Lorsqu’on est à disposition (le tableau, le vidéopro- rait croire que l’attrait d’une caméra
côté d’un jeune conduc- jecteur, les supports qu’il utilise, etc.). va changer leur comportement ou
teur, on s’aperçoit qu’on devient amplifier les attitudes. Il n’en est
mots clés
plus expert soi-même, qu’on réap- rien. Le visionnage des petites
prend des choses qu’on avait Formation initiale séquences produites dans le cadre
oubliées. On requestionne aussi ses de la plateforme de vidéos Néo-
pratiques : est-ce que je regarde bien On peut s’intéresser aussi aux inte- Pass@ction le prouve bien. L’in-
aussi souvent dans le rétroviseur ractions avec les élèves : la manière fluence de l’observateur sur l’atti-
qu’on le devrait, est-ce que je mets dont il ou elle donne les consignes, tude des élèves est assez faible.
bien les mains où il faut sur le les questions qu’il ou elle pose, les
volant ? Inversement, celui ou celle interventions auprès des élèves, etc. Ce n’est qu’un point
qui apprend à conduire vous obser- de vue
vera avec beaucoup plus d’attention au fond de la classe Mais si je suis invisible, cela veut-
lorsqu’il ou elle sera à vos côtés et Mais au final, quand je suis au il dire que je suis neutre ? Et objec-
que vous serez vous-même en train fond de la salle, ce qui m’intéresse tif ? Non.
de conduire. Il en va de même pour le plus et ce qui est peut-être le plus Lorsque je suis au fond de la
l’observation en classe. formateur, c’est d’observer les classe, j’y viens avec un projet. Le
La multiplication des stages avec élèves ! Regarder comment ils tra- plus souvent, il s’agit d’observer
la réforme de la formation fait qu’il vaillent ou ne travaillent pas. Les l’enseignant. On a vu plus haut que
y a de plus en plus d’enseignants stratégies mises en œuvre avant de ce n’était pas forcément le plus inté-
qui accueillent des personnes au se mettre (vraiment) au travail, les ressant. Mais même dans cette
fond de la classe et qui vont eux- interactions qui n’ont rien à voir avec observation-là, il faut se méfier de
mêmes assister à des cours. La géné- le cours, les clins d’œil, les commu- ses réactions et considérer que l’on
ralisation de cette pratique est, me nications non verbales, l’usage du n’est évidemment pas objectif.
semble-t-il, un vecteur de progrès portable, les petits mots échangés, L’illusion d’optique est souvent
pour l’école. Pour être depuis huit etc. Mais aussi les difficultés à com- trompeuse. On peut conclure par
ans formateur en temps partagé, j’ai prendre les consignes, les questions exemple à une « forte participa-
acquis la conviction que se placer que l’on n’ose pas poser et que l’on tion » des élèves en constatant que
en situation de formateur et d’obser- demande au voisin, les erreurs que les questions fusent et que le dia-
vateur aide à être un meilleur ensei- l’on peut faire, l’attente de la venue logue est constant entre les élèves
gnant soi-même. La capacité à se de l’enseignant, etc. et la classe. Jusqu’à ce qu’on se
décentrer, à interroger sa propre Tout cela a déjà un effet sur votre rende compte qu’en fait, si on
pratique, le dialogue avec des collè- pratique. À moins d’avoir un égo compte et qu’on fait donc une
gues, tout cela est très favorable à surdimensionné, on ne peut s’empê- mesure plus objective, il n’y a que
l’évolution des pratiques pédago- cher de se dire que si ça se produit cinq ou six élèves en tout et pour
giques. Je souhaite à tous les ensei- dans ce cours, ça doit aussi se pro- tout qui sont intervenus, à plusieurs
gnants de devenir tuteurs et d’ac- duire dans le vôtre. Et évidemment, reprises mais toujours les mêmes.
cueillir des enseignants débutants ça interroge sur sa manière de faire Je conseille donc à celui ou celle
dans leur classe ! et amène à se demander si soi-même qui se trouve au fond de la classe
L’observation, ça profite à tout le on est suffisamment attentif à tous de se lancer dans la mesure de faits
monde : l’observateur et l’observé. ces signes de l’ennui, de la procras- relativement objectifs tels que le
Et au final, aux élèves eux-mêmes. tination ou de la difficulté qui nous nombre d’intervenants ou encore
Quand je suis au fond de la classe, apparaissent si évidents lorsqu’on le nombre de minutes de paroles
je ne peux pas tout observer ! C’est est au fond de la classe. de l’enseignant et des élèves ou du
déjà le premier constat que l’on peut Mais, on me dira que cela n’est temps laissé au travail autonome
faire et presque une évidence. pas possible, que les élèves savent des élèves. Les résultats sont quel-
Il semble évident d’observer un bien que vous êtes là et ne se com- quefois édifiants.
enseignant en train de faire cours. On portent donc pas comme d’habitude. On peut avoir la même illusion
s’attache à sa posture, son déplace- Ce n’est pas possible. d’optique à propos des n n n

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 37

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dossier Observer la classe

4. Observer un enseignant en formation

par situer ce qui vient de se passer


dans une routine et dans une pra-
tique professionnelle. Mes deux
questions rituelles qui ouvrent l’en-
tretien lorsque je vais visiter des
stagiaires sont les suivantes : « Com-
ment situer cette séance par rapport
au quotidien des séances avec cette
classe : habituelle, meilleure, moins
bonne que les autres ? Et pour-
quoi ?  » ; «  Les objectifs fixés pour
cette séance ont-ils été atteints ? Si
non, pourquoi ? »
Ces deux questions ont le mérite
de renvoyer pour la première à une
approche presque statistique des
séances de cours. On peut essayer
de situer sa pratique dans une
norme et une variance vis-à-vis de
cette norme. La deuxième nous rap-
pelle que nous avons toujours des
objectifs (implicites et si possible
explicites) par rapport à une pra-
tique de classe. Et qu’il est bon
d’évaluer la séance par rapport à ce
critère.
Et puis, ces questions ont surtout
l’avantage de donner d’abord la
parole à l’observé et de lui donner
la priorité de la réflexivité. Mais, bien
vite, elles vont être suivies des
remarques et des observations de
l’observateur. Celui-ci offre un miroir
à l’autre, l’amène à mettre l’accent
sur des choses, des gestes qui
semblent évidents et ne pas, ne plus,
mériter d’être questionnés. Il offre
aussi la possibilité d’un décentrage
trop souvent absent d’un métier qui
se vit sur le mode de l’intime.

Un miroir, certes, mais un miroir


qui réfléchit. Avec l’autre, parce qu’en-
nnn apprentissages : on peut se dire parole et d’échange entre les deux seigner est un métier qui s’apprend.
que la classe a compris à partir de personnes impliquées. Ce que l’on Tout le temps et collectivement. n
quelques réponses qui vous font appelle l’« entretien d’explicitation »
croire que, collectivement, les renvoie à toute une méthodologie
notions ont été assimilées ; sauf que que je ne reprendrai pas ici. Je me
« la classe », ça n’existe pas : on a
affaire à une collection d’individus
qui ne sont pas semblables, qui ont
« La classe », ça n’existe pas :
des profils d’apprentissages différents
on a affaire à une collection
et les réponses de quelques-uns ne d’individus qui ne sont
doivent pas masquer les difficultés pas semblables, qui ont
ou l’incompréhension des autres. des profils d’apprentissages
C’est pour cela qu’il est intéressant différents.
d’observer les élèves et non le pro-
fesseur. Et c’est aussi pour cela que bornerai à quelques pistes et
l’observation est utile pour remettre quelques principes. Ceux-ci sont
en question les éventuelles certitudes valables, quel que soit le statut de
du professeur qui se croit confirmé. la personne observée : professeur
Observer, c’est bien, en parler, débutant observé par un enseignant
c’est mieux. Une observation de confirmé ou l’inverse. Il me semble
classe n’a de sens, selon moi, que important, dans la perspective d’un
si elle s’accompagne d’un temps de entretien, de commencer d’abord

38 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier
4. Observer un enseignant en formation

Observer l’observation
Comment éviter le modèle de l’enseignant et de l’élève aussi pour participer, même si c’est
dans la relation qui se noue entre l’observateur et celui indirect, à une évaluation dans le
qui est observé ? L’auteur nous propose un détour par cadre du diplôme), la situation tourne
l’ethnologie pour éclairer la situation. immanquablement à une discussion
autour de la relation entre un pro-
blème et une solution. Ils n’ap-
Sylvain Doussot, formateur et chercheur en didactique prennent pas assez dans la discipline
de l’histoire, université de Nantes travaillée lors de la séance (pro-

U
blème), il faut organiser de telle ou
n dialogue de sourd : telle Comment décrire ce qui se passe ? telle manière l’activité (solution). J’ai
est l’impression désa- On peut d’abord dire que les enjeux beau biaiser (essayer de lui faire dire
gréable que m’a laissée de cette situation singulière nous les solutions possibles, de lui faire
un récent entretien avec dépassent largement. Nos échanges identifier le problème, etc.), le rapport
un étudiant en formation pour deve- reste le même : je suis censé connaitre
mots clés
nir professeur des écoles, suite à et transmettre la solution, et lui écou-
deux visites que j’avais effectuées Formation initiale ter et montrer qu’il la comprend.
dans ses classes de stage. Impression Mais c’est bien ce qui ne peut pas
d’autant plus déstabilisante que s’inscrivent dans un schéma ordinaire fonctionner. Celui à qui je m’adresse
l’échange s’est fait en décalage et d’attentes et d’expériences entre for- est l’objet même de mon analyse :
non à chaud, après l’observation. Car mateur et formé qui a beaucoup à j’en fais un objet, et je voudrais dis-
à chaud, on se trouve des excuses : voir avec la forme scolaire[1] qui divise cuter avec lui en tant que sujet !
la décompression du côté de l’obser- le travail entre celui qui sait et celui C’est bien pourquoi il résiste. Et la
vé, qui risque de chercher à tout qui apprend. La frustration réciproque résistance immédiate consiste notam-
justifier par les circonstances (ce pourrait bien venir d’une conscience ment à renvoyer la situation à des
matin ils étaient agités, il y avait trop de la difficulté à sortir effectivement catégories clivantes : le concret contre
d’adultes dans la classe, etc.), l’im- de ce schéma : je ne veux pas faire l’abstrait, la pratique contre la théorie
provisation du côté de l’observateur de pédagogie avec lui parce que ce ou encore les vrais élèves de l’ensei-
(une prise de notes chaotique, le n’est pas un enfant ; il ne veut pas gnant contre les apprenants, élèves
manque de temps avant la reprise seulement recevoir des conseils, mais théoriques du formateur.
de la classe, etc.). Mais quelques il veut les rendre efficaces.
semaines plus tard, si rien ne change, Ce premier constat oblige à don- La part d’incertitude
c’est le signe d’un problème de fond ner plus de sens aux mécanismes Pour envisager de sortir de cette
dans la relation de formation telle de ce schéma issu de la forme sco- impasse, il faut à nouveau dépasser
qu’elle s’incarne lors des moments laire. De quel droit suis-je là, dans l’échelle de la situation de forma-
d’observation sur le terrain. sa classe, à l’observer ? Pas par auto- tion, et même l’échelle des questions
rité hiérarchique, mais du fait de d’apprentissage. Le problème ainsi
L’insatisfaction mon expertise supposée : je sais. formulé de l’objectivation des sujets
partagée Mais quel est ce savoir qui me don- s’inscrit dans un enjeu central de
Pourquoi un dialogue de sourd ? nerait le droit de juger de l’action toute théorie de la pratique que
Parce que l’étudiant s’efforce de de l’autre ? Ce n’est pas directement nombre de chercheurs éminents ont
m’expliquer qu’il a bien compris mes un savoir d’expérience (j’ai été pro- posé à partir des années 1970 dans
critiques, mais que la difficulté réside fesseur dans le secondaire, jamais les sciences sociales et historiques
dans la mise en œuvre sur le vif, tan- professeur des écoles). Ce peut être (Bourdieu, Geertz, Fabian, Ginz-
dis que je m’échine à pointer les l’expérience de l’observation : je burg). Le biais scolastique agit tou-
points clés que je souhaiterais qu’il peux argumenter en comparant avec jours si l’on n’y prend garde : en
reformule pour me montrer ce qu’il d’autres observations effectuées au faisant de la pratique de l’autre un
changera la prochaine fois. Bref, entre fil des années. Ce peut être aussi la objet d’étude et de discours, l’obser-
lui et moi se creuse le fossé entre la maitrise théorique qui me donne des vateur tend à éliminer la part d’in-
pratique et le discours sur la pratique. outils d’analyse : les concepts didac- certitude qui est pourtant au cœur
Et le pire, et le pire, c’est qu’il s’agit tiques sont précisément construits de la pratique ; celui qui fait classe
d’un futur maitre qui s’en sort bien. pour produire une analyse de don- ne sait pas ce qui va se passer dans
Alors puisqu’il est déjà à l’aise, j’es- nées prises dans la classe. la minute qui suit, tandis que celui
saie de lui faire comprendre qu’il est Quoi qu’il en soit de ma légitimité qui commente après connait la fin
possible d’aller plus loin. Et aller plus (d’ailleurs doublée d’une légalité qu’il de l’histoire.
loin, dans mon domaine (la didac- ne faudrait pas négliger : je suis là Si je reprends les deux légitimités
tique de l’histoire), c’est articuler identifiées ci-dessus à me retrouver
davantage les nécessités de la pratique ainsi dans sa classe, on voit mieux
1  Concept issu de la sociologie qui permet de
de classe et les nécessités des savoirs. rendre compte de la manière dont la relation
comment cela fonctionne. Comme
Mais non : même si l’échange est cor- entre le maitre et l’élève imprègne les relations observateur expérimenté, je compare
dial, l’insatisfaction est partagée. sociales bien au-delà de l’école. les enseignants que j’ai pu n n n

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dossier Observer la classe

4. Observer un enseignant en formation

nnn voir en action. Mais dans ce réciproque, c’est encore bien davan- Reste à savoir comment mettre en
cas, j’ai recours à un empirisme radi- tage le cas dans une situation de œuvre, dans l’échange qui suit l’obser-
cal qui fonde le discours que je tiens formation. Il faut donc que le forma- vation, ce type de travail de cotrans-
uniquement sur des données que je teur accepte lui aussi d’être trans- formation et d’apprentissage.
suis le seul à posséder (c’est égale- formé par la situation. En premier lieu, pour rétablir
ment un des points difficiles à accep- Quelles sont les conséquences de l’équilibre, il faudrait que l’observé
ter dans la situation d’inspection). ce changement de perspective ? puisse fournir un travail d’objecti-
Cette absence de données partagées D’abord le problème, et non pas vation de l’observation. Dire ce qui,
rend le dialogue impossible. Comme seulement la solution, devient un dans la situation, n’a pas pu être vu
observateur théoricien, je mets en enjeu essentiel de l’échange. Le pro- par l’observateur et pour quelles
œuvre une analyse de l’observation blème n’est pas donné par l’obser- raisons. Mais pour que cela ne
(c’est-à-dire des données prélevées vateur comme quelque chose d’in- prenne pas la forme habituelle de la
dans la classe de l’observé), mais discutable. Il n’est pas certain que recherche de justifications, il faudrait
selon des catégories que je maitrise mon constat initial (ils n’ont pas certainement que cela soit dit avant
à priori mieux que l’enseignant. Le appris grand-chose dans telle tout discours de l’observateur. Par
dialogue est, dans cette seconde matière) soit partagé par l’ensei- là, il me semble que l’échange
configuration, au moins inégal. Dans gnant observé. L’estimation de ce devrait s’engager d’abord par écrit,
les deux cas, mon action d’observa- que savent déjà les élèves[3], de ce afin de rendre possible cette simul-
tion reste, quant à elle, hors champ. tanéité de la description de la situa-
Pourtant, le praticien n’est pas le seul tion par les deux parties, sans que
à avoir un point de vue singulier sur
Fournir à l’observé des l’une influence l’autre.
la classe : c’est nécessairement le cas
moyens de voir d’où Ensuite, la situation pourrait être
de l’observateur aussi qui ne voit ni l’observateur le regarde, discutée non pas seulement en réfé-
ne comprend tout. Il faudrait objec- c’est ainsi permettre rence à l’expérience singulière de
tiver l’observation elle-même. en retour un jugement sur l’un et de l’autre, mais également
le monde de l’observateur. en référence à d’autres situations
Une transformation comparables. Soit sous forme de
réciproque qu’est apprendre dans tel ou tel vidéos, soit sous forme de descrip-
Alban Bensa[2] illustre la nécessité domaine doit faire partie de la dis- tions très précises de situations com-
de ce rééquilibrage pour le travail de cussion. C’est donc dans la recons- parables. En introduisant ainsi des
terrain de l’anthropologue. « Désor- truction du problème que peut se éléments de comparaison, on permet
mais, par exemple, sur le terrain, produire une compréhension réci- au dialogue de prendre appui sur
j’informe mes hôtes kanaks des énon- proque, en sortant de la linéarité de des données qui n’impliquent pas
cés ethnologiques globaux les concer- la relation entre problème et solution directement l’observé. En outre, cela
nant (“il ne faut jamais réveiller un qui met l’accent sur la différence de ouvre à des solutions (des modalités
Kanak qui dort”, “le Kanak n’a pas légitimité entre les deux protago- de dispositifs) qui ne sont pas pré-
conscience de son corps”, etc.). C’est nistes (l’un connait la bonne solu- sentées comme des solutions impo-
une belle occasion de franche rigolade tion, l’autre pas). En comprenant ce sées par le formateur : il s’agit d’en
qui invite mes amis, en retour, à ima- qui pose problème d’un point de vue discuter la pertinence, par contraste
giner à propos des Européens des ou de l’autre, on avance vers la com- avec les choix faits par l’observé.
sentences du type : “Il ne faut jamais préhension de l’observation.
déranger un Blanc qui travaille”, Dans mon domaine de formation On voit bien par ces suggestions
etc.  » Objectiver l’observation, c’est et de recherche, reconstruire le pro- que ce changement de perspective
fournir à l’observé des moyens de blème en jeu dans l’échange avec peut difficilement se réduire au peu
voir d’où l’observateur le regarde, cet étudiant pourrait par exemple de temps disponible qui générale-
c’est ainsi permettre en retour un permettre de revenir sur la nature ment préside au choix (au non-
jugement sur le monde de l’obser- des savoirs en histoire. Entre l’appré- choix, donc) d’un face-à-face rapide
vateur. On voit par là qu’il ne s’agit ciation de l’apprentissage du prati- et oral entre formateur et praticien.
pas d’une simple méthodologie sup- cien liée à une production de La médiation de l’écrit et de situa-
plémentaire, mais bien plutôt d’un réponses vraies ou fausses à des tions alternatives nécessite tout un
changement radical de perspective. questions sur les documents, et celle temps de préparation, de réflexion
Bensa dit à ses étudiants : « Pensez du didacticien liée à l’effectivité de et d’écriture. n
votre terrain comme un espace qui la remise en cause des conceptions
vous transforme et qui transforme les des élèves par une prise en compte
gens que vous rencontrez. » On peut des documents comme arbitrage par
voir la situation observée dans la le réel du passé, tout un travail de
classe comme une ethnographie spé- rapprochement est nécessaire. Et la
cifique, mais bien fondée sur les solution, s’il faut en produire une,
mêmes enjeux. Si, même pour un ne peut naitre que de cette compré-
anthropologue, il ne s’agit pas seu- hension commune de la situation.
lement de produire un texte de
savoir, mais d’une transformation
3 Il faudrait d’ailleurs décliner au niveau des
élèves (c’est une des visées du regard didactique)
2  « De l’autre côté du mythe, entretien avec les enjeux de l’objectivation dont ils sont les vic-
Alban Bensa  », Vacarme n° 44, 2008. times dans notre discussion.

40 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier
4. Observer un enseignant en formation

Déchiffrer le travail
Présentation du « simplexe », un outil d’observation du vité de Romain[2], jeune professeur
travail enseignant : repérer des éléments structurants de d’allemand, lors des débuts de cours
l’activité, pour comprendre ce qui est en jeu dans une avec sa classe la plus difficile de
situation et comment les pratiques évoluent. collège éducation prioritaire. Celui-ci
pensait, en début d’année scolaire,
que son attitude silencieuse, les bras
Luc Ria, Institut français de l’éducation de l’École croisés, montrant derrière son
normale supérieure de Lyon bureau une « disponibilité de prof »,

P
allait suffire pour rendre les élèves
aradoxalement, pour faire • une expérience professionnelle attentifs à ses consignes. Ce qui était
face avec pertinence et donnant lieu à une tonalité émotion- mal connaitre ces élèves de 3e, stra-
efficacité à des environne- nelle positive ou négative, selon que tèges pour retarder l’échéance du
ments hypercomplexes, les l’enseignant vit certaines situations travail scolaire. Romain a vécu pen-
êtres vivants mobilisent des proces- mots clés
dant plusieurs mois une véritable
sus d’adaptation relativement mise à l’épreuve de sa légitimité de
simples et basés sur des critères peu Développement professionnel nouveau professeur. Six mois plus
nombreux[1]. De telles solutions ne tard, après de multiples tâtonne-
dénaturent pas la complexité du réel, scolaires comme des passages à ments, Romain accueillait les élèves
elles seraient des réductions éco- risque, des points noirs récurrents dans le couloir pour leur distribuer
nomes et viables compte tenu de ce ou au contraire comme des conjonc- dès le seuil de sa classe une fiche
que perçoivent et vivent les indivi- tures favorables lui procurant des de travail scolaire. Cette modalité
dus. On peut faire l’hypothèse que émotions positives, du plaisir à reflétait son intention d’anticiper le
les enseignants s’adaptent eux aussi enseigner (confort-inconfort) ; plus tôt possible le contrôle de la
aux situations complexes et dyna- • deux préoccupations principales situation, et de positionner d’emblée
miques qu’ils rencontrent dans leurs fondant leur intervention en et ostensiblement les savoirs sco-
classes, selon des modalités à la fois classe : enseigner des savoirs sco- laires comme enjeu de transaction
économes et viables de leur point laires et contrôler l’ordre en classe avec les élèves. Cette nouvelle moda-
de vue. Leur activité serait structurée (enseigner-contrôler) ; lité reposait sur la conviction qu’un
à partir d’organisateurs en nombre • deux types de contenus d’enseigne- exercice écrit effectué individuelle-
limité, rarement identifiés lors d’une ment : la transmission (instruction) de ment avec des consignes minimales
observation et encore moins par savoirs scolaires, mais aussi l’éducation pouvait contribuer de manière effi-
l’enseignant lui-même dans le feu à des valeurs éducatives, citoyennes cace à la diminution du bruit et à la
de l’action en classe. et morales (savoirs-valeurs) ; mainmise sur la classe dans son
• un adressage (simultanément ou ensemble. L’usage de l’écrit favori-
Les fils invisibles alternativement) à un collectif (le sait le découplage provisoire de son
du travail groupe classe) et des individus activité vis-à-vis de celle des élèves
L’enjeu est alors d’identifier la (collectif-individus). et lui permettait d’autres actions
nature des fils invisibles du travail possibles (appel, écriture du plan de
enseignant pour sensibiliser les étu- Ainsi, l’intervention professorale leçon au tableau, supervisions indi-
diants en formation aux différentes en classe peut être résumée par viduelles, etc.).
dimensions qui structurent l’inter- cette visée multidimensionnelle de Représentée graphiquement, en
vention en classe et contribuer ainsi contrôle d’un groupe classe, de s’attachant à quantifier sur une
à leur professionnalisation. Pour être transmission de savoirs scolaires et échelle de 0 à 5 points des valeurs
encore plus formatrice, l’observation d’éducation à des valeurs citoyennes pour chacun des organisateurs à des
mérite d’être complétée par l’expli- et morales à un collectif, tout en périodes d’enseignement distinctes,
citation à postériori par les ensei- prenant en compte des différences la transformation de l’activité de
gnants observés de leurs propres interindividuelles. L’équilibre subtil Romain au cours de ses six premiers
expériences en classe pour en com- entre ces différentes orientations mois d’enseignement peut être
prendre la nature. À cette fin, le (souvent concurrentielles) de l’acti- décrite de la manière suivante :
simplexe est un outil d’observation vité a des incidences importantes, • d’une expérience très éprouvante
et d’analyse du travail enseignant selon les circonstances d’enseigne- à une expérience plus agréable
pour le rendre déchiffrable et com- ment, sur l’instauration des condi- (confort-inconfort) ;
préhensible, sans pour autant le figer tions favorables au déroulement du • d’une préoccupation liée au seul
ni le réduire de manière simpliste. travail scolaire. contrôle des élèves à une préoccupa-
Cet outil combine quatre organisa- Le simplexe peut être utilisé pour tion relative à l’enseignement, n n n
teurs principaux du travail ensei- décrire l’activité ponctuelle, mais
gnant, articulés les uns aux autres : aussi ses transformations sur des
2  Thème 1, activité 1 de la plateforme NéoPass­
temporalités plus longues. Par @ction de l’Institut français de l’éducation de
1  Alain Berthoz, La simplexité, éditions Odile exemple, il permet d’identifier la l’École normale supérieure de Lyon : http://neo.
Jacob, 2009. nature des transformations de l’acti- ens-lyon.fr

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 41

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dossier Observer la classe

4. Observer un enseignant en formation

Transformation de l’activité de Romain en début de cours après six mois d’expérience

nnn à des fins de contrôle des élèves cours chez ces jeunes enseignants. à trouver face à leurs élèves le bon
mais aussi d’apprentissage L’activité des débutants oscille dosage entre leurs missions de trans-
(enseigner-contrôler) ; régulièrement entre la fuite des situa- mission et d’éducation ; ce qui est
• de l’absence de savoirs scolaires tions dans lesquelles leur légitimité pourtant une des clés les plus pré-
à leur usage instrumentalisé à des est en danger et la recherche d’es- cieuses pour l’enseignement en
fins de contrôle des élèves, puis pro- paces-temps plus confortables de milieu hétérogène.
gressivement d’enseignement leur point de vue, au détriment par-
(savoirs) ; de la mobilisation progres- fois de la pertinence de ce qui est Les enseignants débutants sont
sive d’un postulat d’éducabilité de enseigné. Ils éprouvent souvent des souvent focalisés sur les individus
tous les élèves (valeurs) ; difficultés à questionner la nature perturbateurs. Progressivement, ils
• d’une orientation de l’action de des situations professionnelles qu’ils prennent conscience de l’importance
l’enseignant majoritairement vers vivent de manière inconfortable ou d’enrôler tout le collectif le plus tôt
le collectif à un adressage indivi- qui leur échappent en partie. possible. Une autre bascule s’opère
duel pour contrôler le collectif Les débutants ont tendance à se lorsqu’ils parviennent à la fois à
(collectif-individus). focaliser prioritairement sur le tenir le collectif au travail et à régu-
ler les questions découlant de diffi-
Cette représentation s’appuie à la cultés individuelles. n
fois sur des dimensions objectives La transmission de savoirs
(observables de l’extérieur), mais (fantômes dans un premier
aussi subjectives (explicitées à pos- temps) participe au contrôle
tériori) de la transformation de l’acti- des élèves et non l’inverse.
vité de Romain. Elle n’a pas pour
but de spécifier la bonne pratique contrôle des élèves (avec parfois des
en début de cours comme façon conduites d’hypercontrôle très auto-
unique d’intervenir dans ce type de ritaires générant l’effet inverse de ce
situation professionnelle, mais de qu’ils recherchent), en oubliant leur
mettre en valeur la véritable révolu- mission première d’enseignement. Il
tion interne qu’a opérée son activité leur faut généralement du temps pour
(de manière implicite et en plusieurs prendre conscience que l’amorçage
mois) autour de ses principaux du travail des élèves constitue un
organisateurs. levier puissant de contrôle, que la
L’observation systématique de transmission de savoirs (fantômes
l’activité débutante par les cher- dans un premier temps) participe au
cheurs permet de repérer de nom- contrôle des élèves et non l’inverse.
breuses oscillations, allers et retours, De nombreux débutants ont ten-
phénomènes temporaires de polari- dance à prendre les tâches éduca-
sation-dépolarisation autour des tives comme le « sale boulot » qui
organisateurs de l’activité ensei- ne leur incombe pas directement,
gnante décrits ci-dessus. Ces mou- en renvoyant ce registre d’interven-
vements typiques sont révélateurs tion à d’autres acteurs de la com-
du développement professionnel en munauté éducative. Ils peinent alors

42 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier
4. Observer un enseignant en formation

à plusieurs voix

De la collecte à l’analyse
Les textes qui suivent sont proposés par des travail en solo) qui est proposé aux
formatrices universitaires, dans un ordre formateurs et étudiants. Comment aider
qui rappelle le cheminement chronologique l’étudiant à investir complètement ce rôle ?
entre théorie et pratique d’un étudiant Comment s’assurer que les formateurs de
dans un module de formation initiale à terrain accompagneront l’étudiant dans le
l’enseignement primaire en alternance. travail d’observation et de découverte sur le
Premièrement, il découvre la tâche qui terrain ? (Andreea Capitanescu Benetti).
lui incombe et qui, souvent, l’indispose. Suivons alors un étudiant type sur le
« Observer ? Je vais m’ennuyer au lieu terrain. Quels questionnements ? Quelles
d’apprendre à enseigner ! » L’étudiant découvertes ? Quelles difficultés ? (Nilima
est invité à investir le rôle d’observateur, Changkakoti). Finalement, de retour à
pour apprendre à décortiquer l’évidence, l’université, jetons un œil au matériau
à analyser ce qui roule, à questionner récolté (Valérie Hutter) et voyons comment
ce qui dérange (Nancy Bresson). Vient il est travaillé, décortiqué, investi par les
ensuite le contrat de travail sur le terrain étudiants et les formateurs universitaires
(observation, responsabilités partagées, (Valérie Vincent).

L’observation des autres,


une observation de soi
I
l n’y a pas de recherche sans prend ainsi conscience de ce qui les ressent cet enfant intérieur présent
observation préalable, pas met en difficultés, ou au contraire les en chacun de nous. C’est aussi
d’avancée scientifique sans ce stimule positivement. Il découvre éga- prendre le temps de s’identifier à
travail indispensable, attentif et lement la dynamique groupale qui l’enfant réel, de comprendre ce qu’il
patient d’observation. L’observation règne dans la classe, les différents lea- ressent, en écoutant nos propres
est une clé précieuse, mais trop sou- deurs, boucs émissaires, mouvements mouvements internes. Pour un ensei-
vent oubliée. d’alliance qui régissent les petits gnant stagiaire, c’est aussi développer
Observare, en latin, c’est porter son groupes et la classe tout entière. L’ob- des capacités d’observation empa-
attention, surveiller mais aussi res- servation donne alors des clés pour thique, ne pas juger, mais essayer de
pecter, se conformer. L’observation ressentir l’atmosphère émotionnelle de comprendre ce qui se joue dans la
est un outil extraordinaire, mais sou- la classe et apprendre ainsi, ultérieu- relation éducative et pouvoir s’iden-
vent négligé dans le monde ensei- rement, à réguler ces phénomènes. tifier en partie à l’enseignant afin de
gnant qui est un univers actif, un Mais elle permet aussi d’ap- devenir progressivement, de stage en
monde de l’agir, du faire où l’on prend prendre de soi à travers ce que l’on stage, un adulte professionnel.
rarement le temps de la distance, du ressent, ce que l’on vit intérieure- Ce n’est pas à mon sens dans le
recul. « On a la tête dans le guidon », ment. La psychanalyse nous a appris but d’imiter, de reproduire que les
réalisent les professionnels au que l’observateur était impliqué étudiants futurs enseignants sont
moment où, justement, ils ont l’occa- dans le champ d’observation et qu’il immergés à plusieurs reprises, une
sion de la lever un peu. Agir est aussi devait « s’observer en train d’obser- ou plusieurs semaines, dans une
parfois un mode de défense, qui per- ver ». Freud avait proposé le modèle classe auprès de professionnels du
met d’éviter de penser, de ressentir. de l’attention flottante, afin de ne terrain sélectionnés par l’université,
Mais pourquoi observer, à quoi ça pas se limiter à priori à un certain mais pour découvrir et se confronter
sert en définitive ? D’abord à apprendre champ d’observation, « au risque de à ce métier à travers ce qu’il nous fait
des autres. L’enseignant observant sa ne trouver que ce que l’on savait vivre affectivement et en profondeur.
classe apprend à connaitre les élèves d’avance ». Apprivoiser les forts mouvements
individuellement et à repérer leur déve- Observer les enfants, c’est aussi affectifs qui l’habitent, les champs
loppement individuel, mais aussi leurs s’ouvrir à l’autre et à soi-même. Être du transfert et du contretransfert. n
réactions dans différents contextes. Il attentif à l’enfant en soi, à ce que Nancy Bresson

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 43

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dossier Observer la classe

4. Observer un enseignant en formation

à plusieurs voix

De l’observation participante
ou de la participation observante ?
N
os étudiants en formation dans la classe et n’interrogent plus des interactions avec les élèves, de
d’enseignant doivent aller les évidences, en appliquant un style ce qu’on attend de la classe, de
sur le terrain scolaire pour d’enseignant qui leur est offert dans chaque élève, des parents. Il doit
apprendre à faire et à observer le la classe ; regarder la classe comme un fait
faire. Il peut s’agir de sa propre pra- • des formateurs de terrain confinent étrange et non pas comme une
tique ou celle de l’enseignant for- les étudiants dans un rôle de purs réponse à son propre regard normatif
mateur de terrain chez qui le sta- observateurs ; de ce que devraient être l’école, la
giaire est accueilli dans la classe, • des formateurs de terrain donnent classe, la relation avec les parents.
dans l’école. trop peu d’espace-temps à l’étudiant Il ne doit pas se laisser absorber par
À la fin du module d’enseigne- en invoquant le manque de temps, la l’action qui le tiendrait à distance
ment, l’étudiant reçoit de la part de nécessité d’avancer les programmes ; d’un regard réflexif et analytique sur
son formateur de terrain un rapport • des formateurs de terrain consi- ce qui se déroule en sa présence.
de compagnonnage dans lequel nous dèrent les stagiaires comme une simple Il s’agit donc d’être au plus près
découvrons notre étudiant dans sa aide dans la classe, permettant de sup- de l’activité enseignante, de ses
posture dans le terrain éducatif. C’est pléer aux besoins d’encadrement. contraintes, et pouvoir se regarder
à ce moment-là que je découvre par- Ces figures de style sont forcément en faisant « s’observer dans l’activité
fois avec regret que certains forma- schématiques et caricaturales, mais et par l’activité ». n
teurs de terrain reprochent aux étu- donnent à voir des tendances. Ce Andreea Capitanescu Benetti
diants en formation de ne pas avoir que j’aimerais montrer, c’est surtout
suffisamment participé ou de ne pas des situations où le couple « obser-
avoir posé suffisamment de ques-
tions sur la pratique enseignante,
sur la classe, sur les élèves. Et là, Regarder la classe comme
une préoccupation majeure s’impose un fait étrange et non pas
à moi en tant que formatrice univer- comme une réponse à son
sitaire. Comment est-ce que je peux propre regard normatif.
mieux faire comprendre aux deux
protagonistes que durant le temps vation participante » ne tient pas
de terrain, l’étudiant doit adopter ensemble. Pour vraiment endosser
une posture d’observation partici- cette posture de compagnon, les
pante, et que celle-ci soit fortement étudiants stagiaires doivent remplir
encouragée par le formateur de un contrat impossible parfois : d’une
terrain ? part, pouvoir être impliqués suffi-
Tout au long des expériences, j’ai samment dans l’activité enseignante
pu observer que plusieurs dérives et travailler coude à coude avec le
existent dans la compréhension de formateur de terrain ; d’autre part,
ce contrat, « être en observation garder une attitude continue de
participante ». Ce contrat ne va pas questionnement sur le sens, les
de soi lorsque : intentions, les tenants et les abou-
• des étudiants observent unique- tissants de l’activité réalisée par le
ment la pratique du formateur de mentor ou par soi-même.
terrain dans une posture attentiste Je considère que pour l’étudiant
et de retrait ; en formation d’enseignant, le degré
• des étudiants ne savent pas com- de la participation dans une classe
ment intervenir de front dans la est important. Il doit conjuguer à la
classe, par exemple du fait du fois son implication et son rôle de
manque d’espace ou de sollicitations chercheur de l’agir professionnel. Il
directes de la part du formateur de doit éviter de projeter dans sa par-
terrain ; ticipation à la vie de la classe ses
• des étudiants s’engagent forte- représentations d’un travail bien fait,
ment et participent à toute chose d’une bonne gestion de la discipline,

44 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier
4. Observer un enseignant en formation

L’anthropologie en classe,
un sport dangereux
E
xtraits de journaux de forma- à la rigueur, je comprends, observer nalités, même chez des débutants,
tion à deux voix, inventés, pour apprendre comment faire, oui, ça renouvèle sa pratique.
mais fortement inspirés de la j’aimerais savoir comment la FT fait — J’apprends plein de choses sur
réalité. pour que les enfants se tiennent tran- la classe. Par exemple, l’élève au fond
quilles sur les bancs par exemple ; de la classe y est pour des problèmes
n Lundi matin, premier jour avec moi, ça marche pas ! Mais que de comportement, mais moi je l’ai
« Ouf ! Bien contente de me vient faire ici l’anthropologie ? La toujours vu calme ! Du point de vue
retrouver enfin de nouveau sur le différence entre voir et regarder ? enseignement c’est un peu frustrant,
terrain après deux semaines d’uni- L’attention flottante ? Ou l’attention je fais beaucoup de photocopies. La
versité, de retrouver les enfants et ciblée ? Pfff ! Ces universitaires… classe est difficile, la FT ne veut pas
la FT[1] Moi, si je suis dans cette — “Flottant”, ça me parait peu trop me la confier. Elle a fait une
formation, c’est pour devenir ensei- assuré, pas sure que ce soit ce qu’il mauvaise expérience avec un sta-
gnante, ce que je veux c’est prati- me faut. Ciblé, oui, à la rigueur, je giaire récemment, ça lui demande
quer, pratiquer, pratiquer ! J’espère dois trouver une situation problé- trop de reprendre la classe en main
que j’en aurai l’occasion, que je ne matique, je dois donc faire attention après (un peu militaire tout ça ?).
passerai pas trop de temps à obser- aux élèves qui posent problème. Le J’apprends que l’élève du fond de la
ver au fond de la classe, à me tour- problème, c’est que ça tourne dans classe est d’origine étrangère. Je
ner les pouces. cette classe. Ce que je vois là, et que remarque aussi que la FT ne s’occupe
— Je me réjouis de découvrir je n’ai pas vu les premiers jours jamais de lui. Elle trouve qu’il ne fait
mieux la classe, mais j’arrive un peu parce que l’enfant était malade, c’est pas d’effort, elle ne comprend pas
à reculons : la FT avait oublié qu’elle un enfant qui a vraiment des pro- pourquoi il n’apprend pas aussi rapi-
accueillait un étudiant dans sa blèmes avec son métier d’élève : il dement le français que l’élève anglo-
classe. Je m’assieds au fond de la ne se tient jamais tranquille, il phone qui est dans la classe depuis
classe, à ma hauteur il n’y a qu’un n’écoute pas, il pleure et s’accroche à peu près le même temps (lui, il est
seul autre pupitre, isolé, je me à sa mère, il tape vite les autres. J’ai lusophone), elle ne comprend pas ce
demande ce que l’élève a fait pour l’impression qu’il n’a vraiment pas que ses collègues ont fait avant elle ;
se retrouver là ? Nous sommes un compris ce qu’il faisait à l’école. Je en plus, elle n’a pas de soutien, elle
peu exclus tous les deux. » me demande aussi ce que font les a renoncé. Moi, ça me révolte ! »
parents. Je pense que je vais prendre
n Première semaine de terrain cette situation. » n Deuxième période
« J’ai de la chance ! Chez les petits, d’université : mots clés
on ne peut pas se permettre d’être n Vendredi matin, après avoir « Discussions avec les collègues
inactif, donc pas le temps d’observer. enseigné seule un jour sur nos situations, riche. Différents
Il faudra pourtant bien que je m’y « Discussion avec la FT. Je lui points de vue. Quand même, que
colle, je dois ramener deux SEC et avais demandé comment elle faisait font les parents ? Peut-on intervenir ?
commencer à penser une intervention pour tenir sa classe avec autant Où est la limite ? Mieux regarder,
pour la DOI[2]. On nous a dit que d’autorité. Au départ, elle n’a pas recueillir plus d’informations. Quoi,
nous avions à adopter deux postures pu me répondre, elle avait besoin on peut s’observer soi-même ? On
d’observation : l’anthropologue et le de réfléchir. Elle m’a dit que c’était peut s’observer agissant ? Je repars
compagnonnage. Le compagnonnage, mes questions qui l’avaient aidée à sur le terrain avec plus de questions
prendre conscience des ressorts de que de réponses.
son action. C’est pour ça qu’elle tient — Échanges riches. Pas d’accord
1  Formatrice de terrain, dans le jargon de notre
formation. à accueillir des étudiants dans sa pour que ce soit l’enfant et sa famille
2 Ces deux expressions sont des formulations
classe, ça la stimule d’avoir un qui doivent faire tous les efforts. Me
propres à notre formation universitaire. Nous regard autre sur ce qui se passe dans mettre à la place de l’enseignante ?
demandons aux étudiants de récolter des « situa- sa classe, elle est obligée d’expliciter J’ai de la peine. Me mettre à la place
tions éducatives complexes » (SEC), qui seront ce qu’elle fait, lorsqu’elle n’est pas de l’élève ? Plus facile, ça me rappelle
analysées lors des temps universitaires, ainsi dans le feu de l’action, elle peut des choses. L’indignation, qu’en
qu’une démarche d’observation et intervention
(DOI) à mener dans la classe en responsabilité aussi voir ses élèves autrement. Elle faire ? L’aspect systémique ? À creuser,
(une activité, un conseil de classe, un entretien de peut aussi observer (tiens ?) d’autres c’est pas l’aspect qui frappe au pre-
parents, une sortie, etc.). manières de faire, d’autres person- mier abord » nnn

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 45

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dossier Observer la classe

4. Observer un enseignant en formation

à plusieurs voix

n Deuxième terrain
« J’ai pu discuter avec la FT sur
la situation de cet élève, je com-
Les dilemmes
prends un peu mieux, je le regarde
différemment. Il y a même des fois de la profession
A
où j’ai pu le calmer. Je me ques-
tionne quand même sur les parents. près sept ans de travail de élèves (peu de moyens et d’aides,
— En y réfléchissant, je com- formation et plus de 200 manque de formation).
prends (un peu) mieux le découra- situations étudiées[1], il est Le deuxième groupe concerne les
gement de la FT. Elle n’a pas de intéressant ici de se pencher briève- observations liées à l’accueil et
soutien ni de sa hiérarchie, ni de ses ment sur les thématiques récurrentes l’intégration des élèves allophones :
collègues. L’école n’est pas assez qui interpellent, voire angoissent les la complexité soulevée par les étu-
difficile pour avoir droit à un ensei- étudiants stagiaires observant une diants se situe souvent au niveau
gnant de soutien. Ils ne sont pas classe pendant les quatre semaines des structures (classes d’accueil),
encouragés à demander un traduc- complètes de leur temps de terrain. de la collaboration entre profession-
teur pour les entretiens avec les Ce qui ressort des observations de nels concernés par le parcours de
parents (alors qu’ils y ont droit), ce terrain au fil des années révèle les l’élève, des pratiques de classe qui
qui fait que les parents, c’est la complexités de l’apprentissage du intègrent mais parfois excluent. Ces
grande inconnue. J’ai pu discuter métier, de la confrontation à une dernières années, les situations
avec la FT, elle ne s’était pas rendu classe, de la posture du stagiaire concernant la scolarisation des
compte qu’elle interagissait si peu « désormais plus élève mais pas élèves du voyage ou des élèves pla-
avec l’élève. Je me rends compte encore enseignant », des représen- cés dans des centres de requérants
que depuis notre discussion, ça tations d’une norme scolaire. Les d’asile sont plus nombreuses : com-
change (maintenant je suis plutôt ment intégrer les enfants nouvelle-
en pétard avec le système, qu’est-ce Des observations ment arrivés lorsqu’on sait qu’ils
que je vais faire de ça ? Il faudra qui révèlent les pourraient si vite repartir ? Comment
quand même me faire une place permettre aux élèves de donner du
dans ce monde scolaire). »
complexités de sens au travail scolaire dans la pré-
l’apprentissage cipitation ? On voit ici l’impact des
n Fin du module du métier, de la situations sociales et politiques sur
« Beaucoup de choses vécues, confrontation à une les pratiques scolaires.
entendues, beaucoup à faire pour classe, de la posture Un troisième groupe décrit les
l’évaluation. C’est très bien de dire du stagiaire. dilemmes de la profession en termes
qu’il faut apprendre à se questionner, d’organisation du travail : les obser-
mais c’est vraiment frustrant de ne groupes de thématiques que je pré- vations touchent à la gestion du
jamais avoir de réponse. La forma- sente ne sont bien entendu pas groupe classe, à celle du double
trice universitaire nous renvoie les exhaustifs, mais donnent un aperçu degré, à la différenciation, à l’auto-
questions, mais des fois, je voudrais des discussions et analyses qui rité et aux sanctions. Viennent
bien qu’elle nous dise franchement reviennent en force chaque année ensuite les observations se rappor-
ce qu’elle pense, ce qu’il faudrait à travers les récits des étudiants. tant aux relations au sein de la
faire ! Un premier groupe d’observations classe : dans cette quatrième série,
— Un module intense, beaucoup concerne les élèves marqués et mar- les thèmes du bouc émissaire, de
à faire, plein de questionnements. quants : des élèves en grande diffi- l’élève leadeur, des groupes rivaux,
J’apprivoise l’idée de pistes plutôt culté scolaire ou à haut potentiel des agressions verbales ou physiques
que de solutions, c’est vrai que le intellectuel, des élèves violents, des de la part des élèves mais également
séminaire d’analyse de pratique que élèves absents ou effacés, des élèves des enseignants sont récurrents dans
j’ai suivi en même temps que le placés en foyer ou séparés de leur les écrits des étudiants. Elles font
module m’y aide. famille. Les observations se ciblent souvent écho à des observations de
Conclusion : L’anthropologie en souvent sur l’impact de ces élèves soi, car elles touchent à des souf-
classe est un sport dangereux pour sur le reste de la classe, ou sur les frances personnelles des étudiants
un futur enseignant : vous qui entrez pratiques enseignantes qui montrent dans leur parcours d’élève. Lors des
dans cette formation, abandonnez des limites dans la gestion de ces analyses, nous abordons alors des
tout espoir de trouver des solutions questions d’ordre éthique et moral
(toutes faites) ! Un processus, à qui sont parfois plus difficiles à
1 Selon une version adaptée du dispositif du
suivre. » n Gease, cf. Yveline Fumat, Claude Vincens et Ri-
objectiver.
Nilima Changkakoti chard Étienne, Analyser les situations éducatives, Le dernier groupe de situations
ESF éditeur, 2003. concerne les relations entre les

46 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier
4. Observer un enseignant en formation

familles et l’école. Cette thématique après coup pendant l’exercice Mon questionnement en tant que
est un peu alibi : pour chaque com- d’écriture. formatrice concerne donc le rôle,
plexité scolaire (enfants en souf- « Mon FT m’a dit que ses parents mais aussi la méthode, d’observation.
france, gestion de classe difficile, ont divorcé récemment. Je comprends Comment mieux préparer les étu-
élèves qui perturbent, enseignants aujourd’hui pourquoi Xavier a de la diants au travail d’ethnographe sur
aux prises avec des dilemmes édu- difficulté à se concentrer. » le terrain ? Comment leur permettre
catifs, etc.), il y a quelque part le « J’ai appris par la suite que ma de se former dans le domaine des
spectre des mauvais parents, ceux FT a dû convoquer les parents à plu- relations avec les familles, si ces
qui ne viennent pas à l’école, ceux sieurs reprises, mais sans résultat. » moments clés ne sont pas obser-
qui ne savent pas éduquer, ceux qui vables pendant le temps de terrain ?
n’ont pas de moyens, ceux qui sont Comment (et faut-il ?) les aider à
intrusifs, ceux qui etc. Pendant
Comment mieux identifier des moments clés de la
l’écriture du récit ou l’analyse de préparer les étudiants relation entre les familles et l’école
celui-ci, les étudiants tentent d’ap- au travail qui seraient davantage observables
porter quelques solutions aux pro- d’ethnographe sur le (accueil du matin, réunions, sortie
blématiques posées : ils plongent terrain ? de classe, activités parascolaires,
alors dans des explications « fami- soirées portfolio, séances avec le
lialistes[2] » en extériorisant la com- « Comment faire comprendre aux directeur ou la directrice, conseil
plexité de la situation décrite. Pour- parents l’importance des devoirs, d’établissement, commentaires dans
tant, une fois le travail d’analyse pour que Lucie recommence à le carnet de liaison, etc.) et donc
entamé, nous nous rendons compte travailler ? » analysables ? Comment instituer des
que les parents ne sont souvent Nous voyons bien dans ces paroles moments propices aux échanges
qu’une toile de fond dans les récits : (tirées de mon imagination mais reflé- avec les parents, sous le regard for-
les étudiants n’ont, en réalité, pas tant aisément les propos des étu- mateur et bienveillant des formateurs
observé in situ la relation famille- diants) que l’observation est dans de de terrain, pour que les étudiants
école, mais l’ont faite intervenir nombreux cas rapportée : elle relève puissent acquérir une expérience et
surtout de discussions avec les for- une posture professionnelles d’ensei-
mateurs de terrain, de représentations gnants soucieux du travail avec les
2  Chiara Curonici, Patricia McCulloch, « “Avec une partagées au sujet des relations entre familles des élèves ? La question reste
famille pareille…”. Les effets néfastes des explica-
tions “familialistes” sur la scolarité des enfants.
les familles et l’école (souvent néga- ouverte. n
Comment en sortir ? », Thérapie familiale, 4 (31), tives), de légendes urbaines qui cir- Valérie Hutter
2010. culent entre étudiants.

Finalement, comprendre
L
e module de formation que 1. Le schème de désapprobation : les jugements : je tente de guider au sein
j’anime consiste à analyser et novices font le procès, de manière du groupe une réflexion sur la com-
trouver des pistes de réflexion interrogative, de ce qu’ils observent plexité de la situation, en m’appuyant
et d’action dans un problème observé et qu’ils ne trouvent pas normal. sur les recherches en sciences de l’édu-
en stage, présenté sous forme de 2. Le schème d’incrimination : ils cation, bref, en pluralisant les regards.
récit. Quel a été le travail d’observa- cherchent le fautif dans le problème 6. Le schème de retour sur l’inten-
tion des étudiants lors de l’analyse (l’enseignant ? les élèves ?). tion d’enseigner : j’essaie de voir ce
du problème ? Quels nouveaux 3. Le schème de pluralisation des que pourrait faire pédagogiquement
savoirs et pratiques d’observation du inculpés : soit les étudiants, soit moi l’école ou l’enseignant face aux
problème ai-je dû transmettre dans tentons de dépasser l’absurdité d’un conflits présents dans le problème.
ces moments-là et qu’est-ce que cela seul fautif. 7. Le schème de réhabilitation de
a signifié pour moi ? Dans une publi- 4. Le schème central de questionne- l’impouvoir : tout l’enjeu est de tem-
cation à paraitre, Olivier Maulini et ment de la question : soit les étu- pérer chez les étudiants le désir de
moi avons ciblé sept schèmes de diants, soit moi (le plus souvent) tout contrôler et de s’empêcher
guidage plus ou moins activés dans renvoyons le questionnement au d’agir tout de suite.
les interactions entre les étudiants et groupe lui permettant de quitter le
la formatrice universitaire que je suis registre normatif pour le réflexif. Souvent, les étudiants peuvent
lors de l’analyse de ces situations. 5. Le schème de documentation des penser qu’ils ont déjà tout n n n

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dossier Observer la classe

4. Observer un enseignant en formation

à plusieurs voix

nnn observé en écrivant leur situa- l’impouvoir. Mais parfois, malgré gnants[1] » est souvent dominé par
tion et certaines sont tellement bien une analyse et une observation mul- un désir de toute-puissance. Je pen-
écrites que je peux en être convain- tiple et multipliante de regards, les sais aussi qu’il fallait leur montrer
cue moi-même. Cependant, à peine pistes d’action proposées reviennent que tenter d’aborder la complexité
les premières analyses en groupe à des propositions normatives, une est à la fois passionnant et dérou-
s’ébauchent-elles que nous plon- attente de réponses toutes faites et tant, parce que cela permet d’un
geons dans la boite noire de la com- pragmatiques. Elles sont utiles côté de mieux contrôler son action
plexité et que l’observation doit certes, mais font parfois main basse en (prochaine) situation de classe,
s’affiner. Les étudiants mobilisent sur la réflexivité engagée en amont. mais d’un autre, comprendre et
assez vite et d’eux-mêmes les trois Ce constat me contrarie encore et dominer totalement la complexité
premiers schèmes : de désapproba- me pousse à croire que la pratique est humainement impossible.
tion, d’incrimination et de plurali- En fait, nous touchions, en fin
sation des inculpés. La prise de Transmettre aux étudiants d’analyse et donc souvent trop tard,
position, pas très loin du jugement sans temps pour continuer, à ce qui
de valeur parfois, est typique de ces
un savoir particulier, permettait de développer la pensée
trois premières phases : les étudiants
fait d’une certaine réflexive par excellence, c’est-à-dire
cherchent à mieux observer et lucidité sur la réalité la conscience des conflits de valeurs
observent effectivement de nouvelles de la condition humaine, (souvent cachés) en jeu dans le pro-
données, même probablement les donc de celle des blème, des limites de son action et
95 % du problème. Mais face à enseignants primaires. de la résistance d’autrui, du fait que
l’indignation que peut parfois pro- l’unanimité sur la solution morale
voquer le problème soulevé, ils se de l’observation pourrait aussi se d’un problème est impossible dans
cantonnent parfois à une posture diversifier sur des pans encore nos contextes démocratiques[2].
normative, peinent à prendre à bras- méconnus. Par exemple, comparer Pour la formatrice que je suis, je
le-corps le problème autrement et à le problème soulevé avec des situa- restais divisée entre une envie pro-
aller chercher les 5 % qui restent. tions extrascolaires et sociales où il fonde de transmettre ces aspects aux
est aussi soulevé, et aller observer étudiants et une impression de ne
Les 5 % d’ombre de telles situations. pas pouvoir répondre aux questions
Cependant, je prends souvent Enfin, le schème de réhabilitation pragmatiques des novices, comme
appui (non sans difficulté) sur cette de l’impouvoir. Il intervenait la plu- une résistance à dire ce qu’il faudrait
phase plus émotive et controversée, part du temps en fin de processus faire, préférant leur enseigner à se
pour activer moi-même le quatrième d’analyse du problème, où, malgré libérer de leur obsession de tout
schème de questionnement de la l’observation du problème, la désap- contrôler, réhabiliter leur impouvoir.
question. À ce moment, le groupe probation, la documentation des Comme ma carrière de formatrice
d’étudiants et moi basculons dans jugements, le questionnement de la en est plutôt à ses débuts, j’attends
un autre registre de l’observation et question, bref, malgré l’analyse, je et je tente d’accepter d’attendre de
partons éclaircir les 5 % d’ombre commençais à sentir qu’il fallait voir si c’est un bon savoir pour de
qui ne vont pas de soi. Avec le transmettre aux étudiants un savoir futurs enseignants. n
schème de documentation des juge- particulier, fait d’une certaine luci- Valérie Vincent
ments, je demande aux étudiants dité sur la réalité de la condition
d’observer ce que disent des auteurs humaine, donc de celle des ensei-
en sciences de l’éducation sur le gnants primaires. Ce savoir deman-
problème posé, pour regarder autre- dait une nouvelle posture observante
ment, différemment, plus profondé- pour les étudiants : forts de l’analyse
ment. Cette phase est loin d’être du problème faite en amont, je ten- 1 Ada Abraham, Le monde intérieur des ensei-
évidente pour certains, car elle fait tais non seulement de faire en sorte gnants, éditions EAP, 1982.
office de rupture avec leurs pre- qu’ils observent la situation telle 2  Jürgen Habermas, De l’éthique de la discussion,
mières opinions et observations. qu’elle était, mais aussi de l’accepter éditions Flammarion, 1992.
J’active le schème de retour sur telle qu’elle était, même si nous avi-
l’intention d’enseigner, en invitant ons trouvé des pistes d’action. Face
les étudiants à observer les autres à l’observation et le constat de la
En savoir plus
pratiques enseignantes, les siennes complexité de chaque problème
propres et parfois les miennes. Je éducatif, on ne peut plus humain, Le module de formation évoqué dans cet article
est intitulé : « Approches transversales : situations
les engage finalement à s’observer je sentais qu’il fallait transmettre éducatives complexes – relations, institutions
aussi eux-mêmes, leurs désirs, leurs une certaine humilité, mais une et diversité des acteurs ». Une présentation est
disponible en ligne : http://www.unige.ch/fapse/
limites et leur impuissance, en mobi- humilité intelligente, parce que le SSE/teaching/eat1/index.html
lisant le schème de réhabilitation de «  monde intérieur des ensei-

48 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier

5. Et quand les élèves


observent
Et ils voient beaucoup de choses, écoutons-les…

Les élèves,
observateurs experts
Dans la classe, les élèves observent sans cesse leurs enseignants en nous faut alors éviter d’être isolé et
train d’intervenir. Ils sont attentifs aux moindres indices qui tenter de nous réinscrire dans le col-
pourraient révéler leurs hésitations, leurs tâtonnements, notamment lectif pour exister de nouveau. »
ceux des plus jeunes enseignants qui apprennent leur métier devant Ainsi, avec certaines classes, la
leurs yeux. Leur observation est souvent animée par l’intention reconquête de sa propre légitimité
d’échapper à l’ennui en classe tout en évitant les ennuis scolaires. passe par une réinscription physique
dans son territoire symbolique et
disciplinaire.
Luc Ria, Institut français de l'éducation de l'École normale
supérieure de Lyon

L
Le premier contact
Dès l’observation des premiers pas
a façon dont les élèves un pli familier de leur propre monde de Romain devant le seuil de sa
observent est une acti- et une façon typique d’y réagir : porte (professeur d’allemand débu-
vité rarement dévoilée, « Dès qu’on a une bagarre on est tant en difficulté en début d’année
et pourtant potentielle- excité, on a envie de dire à tout le scolaire lors de la mise au travail de
ment féconde pour monde ce qui s’est passé et on voit sa classe de 3e), les élèves relèvent
mieux saisir la dynamique complexe son comportement hésitant : « S’il
mots clés
de ce qui se joue en classe. Dans le ne dit pas bonjour, ça montre qu’il
cadre d’un programme de recherche Autorité est un petit peu mal à l’aise ; s’il est
sur le travail réel des enseignants, Gestion de classe timide, alors là, c’est pas la peine de
nos prises de vue se focalisent sur venir nous faire cours [rires], les
l’activité des débutants pour conce- pas qu’il y a un professeur devant élèves vont l’écraser directement
voir des ressources vidéos pour leur nous, il n’existe pas ; dès qu’il y a [rires]. » Leurs propos sont ici plutôt
formation[1]. Mais peut-on former une bagarre, les professeurs humoristiques que provocateurs. Par
ces futurs enseignants sans tenter n’existent plus pour nous. On hurle contre, ils montrent comment les
de comprendre les logiques même dans la classe, on fait notre show, élèves ont tendance à construire
des élèves, la façon dont ils inter- comme on peut dire. » Ce témoignage spontanément des catégories d’intel-
prètent, selon leurs propres fins, les illustre comment s’opèrent réguliè- ligibilité du type d’enseignant obser-
scénarios pédagogiques qui leur sont rement des bascules difficilement vé, avec son lot d’exigences poten-
proposés ? contrôlables entre les logiques du tielles dont dépendent étroitement
Lors du visionnement de l’activité monde agité des élèves et la logique leurs propres actions et marges de
de Séverine (jeune professeure de scolaire à peine instaurée. À la manœuvre. Ils observent ensuite
français), perturbée lors de son moindre agitation, les enseignants Romain, les bras croisés, attendant
entrée en classe par les suites d’une débutants peuvent se retrouver le silence des élèves avant la pre-
bagarre ayant eu lieu dans le couloir, « gommés » et voir leurs modalités mière consigne, et confirment sans
les élèves reconnaissent rapidement d’intervention annihilées. Ce que hésiter : « Si l’enseignant attend que
confirme une professeure chevron- les élèves soient calmes pour com-
née familière de ce type d’oscillation mencer son cours, cela ne sert à rien,
1  Luc Ria, Serge Leblanc, « Conception de la pla- dans l’engagement des élèves : « Les cela peut durer une heure [rires]. »
teforme de formation NéoPass@ction à partir
d’un observatoire de l’activité des enseignants
élèves ont tendance à nous faire dis- Ces premières réactions s’appuient
débutants : enjeux et processus », Activités, 8 (2), paraitre en développant en classe leur sur leur expérience de très nombreux
2011, http://www.activites.org/v8n2/v8n2.pdf propre bulle de vie personnelle. Il débuts de cours (quasiment n n n

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 49

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dossier Observer la classe

5. Et quand les élèves observent

nnn un millier par année scolaire), l’analyse d’Alexandra, jeune profes- ces situations d’attente, en profite-
pendant lesquels les actions des seure de français qui souligne ce ront pour fragiliser son dessein. Pour
enseignants et celles des élèves se moment particulièrement délicat que le cours débute, un double
jaugent, se calibrent, convergent ou pour les débutants : « Il faut prendre simulacre doit s’opérer : l’enseignant
non vers un même objectif. Si les un vrai courage à deux mains qui est doit jouer son « rôle de prof », en
élèves pointent, en regardant les celui de s’imposer, ça demande une s’appuyant sur les plis ordinaires
vidéos, l’importance d’un cadre prise de risque, une mise en avant d’une forme scolaire qu’il aura
d’accueil convivial de la classe, ils de soi-même qui n’est pas évidente. construite ostensiblement avec ses
estiment peu fécondes les attentes Ça demande de croire à sa solidité, élèves pour que ceux-ci, en l’obser-
autoritaires et interminables avant ça ne veut pas dire que l’on est solide, vant in situ, s’y inscrivent et jouent
leur mise au travail. Leur analyse ça veut dire qu’on croit que l’on peut pleinement leur rôle d’élèves. Car
converge avec celle d’enseignants jouer le rôle. Ce n’est pas forcément contrairement à une idée reçue, les
expérimentés, qui insistent sur la faire preuve de puissance ou d’auto- élèves (même dans ce genre d’éta-
nécessité d’éviter ces longs face-à- blissement) ont plutôt envie de bien
face anxiogènes pendant lesquels Croire à ce rôle pour que les faire leur métier d’élève en début
l’autorité des novices est souvent en d’année scolaire ; c’est seulement
jeu. Une collègue expérimentée
élèves y croient à leur tour. quand les mauvaises notes et la las-
insiste : « Il faut mettre les élèves au situde apparaissent, quelques
travail rapidement pour que ce soit rité, mais c’est croire à ce rôle pour semaines après, que les choses se
le travail qui petit à petit structure que les élèves y croient à leur tour. » compliquent.
leur activité, sans attendre au début Comme Romain, les enseignants
un calme illusoire. » Cette tendance ne font pas forcément preuve d’une Les clÉS d’une entrée en
est fréquemment observée en milieu autorité naturelle lors de leur pre- classe réussie
difficile : l’ordre en classe n’est pas mière expérience de classe avec des En parcourant les autres vidéos
une condition première à l’installa- publics peu scolaires. Ce premier le d’enseignants mobilisant différentes
tion du travail, mais la conséquence reconnait avec franchise : « Je ne sais configurations de début de cours,
de l’impulsion donnée par l’ensei- pas crier. » D’ailleurs, le faut-il ? les élèves commentent leurs actions
gnant concernant un projet impli- L’autorité professorale est plutôt une tout en décryptant les clés qui par-
quant le plus grand nombre d’élèves. lente construction professionnelle ticipent de leur point de vue à leur
fondée sur une légitimité scientifique efficacité. Par exemple, ils évaluent
Un double jeu de rôle et des valeurs (humaines) éducatives favorablement la mise au travail de
En observant plus longuement et mobilisant des savoir-faire ad hoc- Rémy, jeune enseignant de SVT, qui
Romain qui peine à prendre sa classe pour intervenir avec pertinence. distribue dès l’entrée en classe un
en main, les élèves estiment : « Il ne Malgré tout, si l’enseignant ne s’im- petit bilan à compléter : « Ça com-
prend pas son autorité, on a l’impres- pose pas personnellement, il le peut mence bien, c’est bien, car les élèves
sion que ce n’est pas lui le prof, que en mobilisant le potentiel de la situa- qui sont tête en l’air, un bilan, ça va
ce sont les élèves qui font leur loi. Il tion présente (encore faut-il trouver un petit peu les rassurer pour réviser
faut qu’il montre que c’est lui le prof. l’ouverture) pour engager le collectif pour leur contrôle. » Ils trouvent
Là, on dirait qu’il est un élève comme sur un travail ou un projet structuré. aussi pertinente sa façon de rentrer
les autres. » Ce constat d’une fonc- S’il fait au contraire du surplace en par le travail et non par le cadrage
tion à prendre ou d’un rôle à jouer attendant des conditions meilleures, des règles scolaires : « Il y a plusieurs
en début de cours converge avec les élèves, observateurs experts de élèves qui n’ont pas enlevé leurs
oreillettes, leur capuche, il ne va pas
s’arrêter sur plusieurs élèves, il ne
fait pas partie de la police. Les élèves
rentrent, l’enseignant leur donne une
En savoir plus feuille, les autres, ils se concentrent,
il vient après vers la personne concer-
Comprendre les logiques des élèves née. » Même si les avis divergent,
les élèves pointent majoritairement
Cet article repose sur une expérimentation en cours personne dans des situations de classe, des res- le caractère plus favorable d’une
menée en collaboration avec Valérie Lussi Borer, sources vidéoscopiques peuvent enrichir l’offre de remarque individuelle sur le registre
enseignante-chercheuse du laboratoire Craft de la formation pour comprendre les logiques des nou- des règles scolaires à respecter plutôt
faculté des sciences de l’éducation de Genève, dans velles générations d’élèves, notamment ceux effec- que devant l’ensemble du groupe
le cadre des travaux de la chaire Unesco « Former tuant leur scolarité dans des établissements d'édu- classe : « Je préfère que l’on vienne
les enseignants au XXIe siècle » de l’Institut français cation prioritaire. me voir directement, "s’il te plait,
de l'éducation de l'École normale supérieure de enlève ta capuche", plutôt que l’on
Lyon. Il s'agit d’identifier l’intérêt de l’usage de Concrètement, une demi-douzaine d’élèves de 4e me le demande devant tout le monde
témoignages d’élèves, disponibles sur la plateforme et de 3e d’un établissement d'éducation prioritaire en fait. » Les élèves apprécient par-
de vidéoformation NéoPass@ction, pour compléter de la banlieue parisienne ont accepté de visionner ticulièrement la façon dont Lucie
les analyses croisées d’enseignants débutants, les activités typiques d’enseignants débutants sur (professeure de mathématiques)
d’enseignants chevronnés et de chercheurs autour la plateforme NéoPass@ction, lors de la mise au emploie un système gradué et très
de situations caractéristiques du travail enseignant. travail de leurs élèves, et d’effectuer des commen- structuré de sanctions lors de la véri-
Sans prétendre remplacer l'expérience en première taires. fication des devoirs à effectuer à
domicile : «  Le fait de donner plu-

50 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

511.indb 50 29/01/14 17:02


Observer la classe
dossier
5. Et quand les élèves observent

sieurs chances avant l’heure de rete- siblement lors du décryptage des viduellement avec un peu de recul.
nue quand les devoirs ne sont pas vidéos à postériori : favoriser un Ils assistent en effet toute l’année à
faits permet à chacun de pouvoir se accueil convivial tout en proposant des configurations d’entrée en classe
rattraper. » Ils relèvent aussi l’am- un cadre structuré et structurant et de mise au travail plus ou moins
biance de classe chaleureuse main- (mais « sans être flic ») ; produire de variées, plus ou moins attractives,
tenue dans la classe par Cécile, pro- la nouveauté et de l’envie chez les cadrant de ce fait plus ou moins bien
fesseure plus expérimentée de élèves tout en conférant au cadre leur énergie et leur attention en
français, malgré l’opposition mani- d’accueil des règles récurrentes d’or- début de cours. Aux premières loges,
feste d’un élève qui a décidé de ne ganisation scolaire ; entrer le plus tôt ils deviennent progressivement des
pas s’assoir à la place indiquée pré- possible dans le travail scolaire sans observateurs critiques exigeants,
alablement dans le plan de classe : oublier de rappeler (en synchrone ou faisant parfois payer au prix fort les
« Là, l’enseignante ne crie pas, elle en décalé) les règles nécessaires pour enseignants qui négligent ces
préserve une ambiance agréable, l’ordre scolaire ; prendre en main un moments cruciaux pour les rendre
c’est bien pour les autres élèves. » collectif tout en ciblant des interven- acteurs d’un projet stimulant. Si
Nourrie par ces observations tions plus individuelles, etc. l’ennui en classe est évité, les ennuis
conjointes, l’activité entre protago- des enseignants (débutants) seront
nistes de la situation de classe est Finalement, la lucidité dont font alors en partie minimisés. n
circulaire : l’enseignant définit par preuve les élèves pendant l’observa-
son action celle des élèves qui, en tion de vidéos d‘enseignants en Sitographie
retour, la redéfinit. Cette dynamique action n’est pas surprenante. Le Plateforme de formation NéoPass@ction de
d’engendrement des activités est problème est que souvent, collecti- l’Institut français de l’éducation de l’École
normale supérieure de Lyon : http://neo.
marquée par plusieurs lignes de ten- vement, ils perdent leur lucidité et ens-lyon.fr
sion, que les élèves pointent osten- l’exigence dont ils font preuve indi-

Voir les autres


pour mieux se voir
Proposer à des lycéens fâchés avec l’école d’observer le des enseignants ? Qu’attendent-ils
comportement de classes au travail, du Vietnam à la des élèves ? Pour reprendre un
salle d’à côté, c’est participer à la construction de leur concept du sociologue Danilo Mar-
métier d’élève. tuccelli, il s’agit d’une « extrospec-
tion ». Pour s’émanciper, les jeunes
ont besoin de comprendre les atten-
Olivier Haeri, Yves Lancry, Anne Philippon, enseignants dus de l’école. Comment réagir à
au microlycée de Sénart (Seine-et-Marne) l’oral ? Pourquoi écouter les réponses

P
des autres, alors qu’on a demandé
remière séance d’accom- enseignement conservateur, ou bien la parole ? Pourquoi faire un exercice
pagnement personnalisé le passage au cours duquel Robin écrit, alors qu’il sera corrigé
pour nos jeunes lycéens Williams pousse un élève dans ses quelques instants plus tard ?
en cours de raccrochage : retranchements avant de s’effacer. Notre démarche ne se situe pas
nous visionnons un reportage sur la dans une approche psychologique,
mots clés
journée d’un enfant d’une dizaine en demandant aux jeunes de cher-
d’années au Vietnam. On y observe Décrochage cher en eux des réponses et des
ses conditions de travail, le rapport Métier d’élève ressources pour réussir leur scolarité.
à l’autorité du maitre, la pause Il s’agit ici, par l’observation et par
déjeuner et la sieste qui ont lieu Au travers de ces vidéos, ou l’analyse des situations observées,
dans la salle de classe. À l’issue de d’autres encore montrant des écoles de donner du sens au fonctionne-
sa journée d’école, il part prendre alternatives comme Summerhill ou ment d’une école qui a pourtant
des cours de français. Deuxième le lycée autogéré de Paris, il s’agit contribué à leur échec. Cette extros-
document : un extrait du Cercle des d’observer le positionnement res- pection ne vise pas à une compré-
poètes disparus, pour la description pectif du professeur et des élèves : hension abstraite de la pédagogie
des lieux et des uniformes. En fonc- sont-ils actifs ? S’agit-il d’un cours ou des règles de l’école, mais à une
tion des réactions des élèves, nous magistral ? Travaillent-ils sur le intelligence de l’école à l’échelle de
avons choisi un extrait montrant un même objet ? Quels sont les objectifs l’individu. nnn

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 51

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dossier Observer la classe

5. Et quand les élèves observent

perturber le déroulement du cours.


Selon les groupes, les élèves choi-
sissent soit de se répartir les élé-
ments à observer, soit de tous rem-
plir la totalité des éléments de la
grille. Pendant dix à quinze minutes,
ils observent et prennent des notes.
Ils se réunissent ensuite pour mettre
en commun leurs observations. Au
retour dans leur classe, les différents
groupes présentent le résultat de
leurs observations, y compris leurs
éventuels désaccords. Les auditeurs
sont invités à relever ce qui les sur-
prend ou les questionne et à cher-
cher des points communs entre les
différentes observations.
En permettant aux élèves de se
mettre en posture d’observateurs des
situations de classe sur les premières
semaines de l’année scolaire, nous
les invitons à relever les spécificités
de leur structure de raccrochage.
Cela permet de distinguer ce qui se
voit, ce dont on peut rendre compte
avec la plus grande objectivité pos-
sible, de ce que le jeune en pense,
de ses réactions par rapport à des
situations scolaires. C’est justement
nnn Pour guider les élèves dans élèves ; prises de parole. Cette pre- parce que les jeunes se sentent par-
leurs observations, nous élaborons mière grille d’observation est ensuite ticulièrement concernés par des
par étapes successives un ensemble testée sur un second extrait vidéo. situations de classe que ce travail
de questions, qui constituera une Deuxième séance : il s’agit cette exigeant pour dissocier le constat et
grille. Le travail sur la première fois d’aller observer pour de vrai le commentaire est intéressant. Ils
vidéo consiste à décrire tout ce qui dans une salle de classe. Les élèves peuvent ainsi percevoir les tensions
caractérise l’école, en restant dans assistent par groupe de deux à qui les traversent au cours de cet
la description, en gardant pour soi quatre au début d’un cours dans une exercice.
les impressions ou les jugements. classe différente de la leur. Ils Ces observations permettent de
Après une mise en commun de ces conviennent d’abord d’une réparti- travailler sur les spécificités du
observations, nous avons cherché à tion dans l’espace, pour diversifier microlycée, en les confrontant à
les regrouper : description de la les angles de vue et pour éviter leurs représentations de l’école. Ils
salle ; positionnement, gestuelle du d’être assis ensemble. Cela leur per- sont alors attentifs aux faibles effec-
professeur ; positions, activités des met d’être plus discrets, de moins tifs dans les classes, à la proximité
entre les enseignants et les jeunes,
à la possibilité d’articuler les appren-
tissages collectifs avec des réponses
Zoom Et dans un lycée ordinaire ? à des besoins singuliers. Mais ils
notent aussi tout ce qui témoigne
À quelles conditions ce gnants observés, soumis moins dans un premier de la posture de l’élève en classe :
travail réalisé dans un éta- au regard parfois critique temps, que les enseignants « élèves pas trop motivés car ils
blissement expérimental de leurs élèves, doivent encadrants doivent être regardent leur portable », « un élève
pourrait-il être transposé comprendre et accepter ceux qui sont observés. perturbateur  », « les pieds s’agitent
dans un autre contexte ? la démarche mise en place. Oser cette place nouvelle sous les tables  », mais aussi « per-
Dans l’emploi du temps Les élèves eux aussi de l’élève est sans aucun sonne ne regarde par la fenêtre ».
des élèves, un moment de doivent avoir bien assi- doute déstabilisant, mais Toutes ces observations montrent
l’accompagnement per- milé les objectifs de ce c’est aussi ouvrir la porte que les élèves ont intégré des codes.
sonnalisé en début d’année travail : il est nécessaire de à une nouvelle relation du Il s’agit maintenant d’en prendre
peut être consacré à cette prendre le temps de leur jeune à l’école, qui l’aide conscience et d’en discuter.
expérience. Le nombre expliquer cette démarche, à exercer son métier Les échanges entre les élèves qui
d’élèves doit être restreint nouvelle pour eux. La bien- d’élève de façon respon- suivent l’observation sont l’occasion
à un groupe d’une quin- veillance doit être de rigu- sable et avec plaisir. de confronter des représentations
zaine, afin que la parole eur de la part des élèves O. H., Y. L., A. P. différentes du métier d’élève. Les
puisse circuler facilement. comme des enseignants. finalités des situations pédagogiques
Plus délicat, les ensei- Il nous semble donc, au sont mieux comprises, critiquées ou
acceptées. Progressivement, une

52 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Observer la classe
dossier
5. Et quand les élèves observent

nouvelle image de l’école se


construit, dans laquelle l’élève n’est
plus spectateur, mais acteur. Il choi-
sit d’entrer dans le métier d’élève Témoignage
tel qu’il est en train de le définir et
de le négocier avec ses camarades.
Ce temps d’échange permet éga-
Qu'est-ce qu'ils viennent faire là ?
lement aux élèves qui le souhaitent Que voient et que pensent les élèves de ces adultes qui
d’exprimer leur souffrance passée s’invitent dans leur classe ?
vis-à-vis de l’école. C’est aussi pour
chacun l’occasion de prendre n Années 60 a donnée l’observateur du fond de
conscience de facteurs clés expli- J’ai 4 ans. Ce matin, des étran- la classe !
quant son décrochage scolaire : iden- gères sont venues à l’école.
tifier ses blocages dans les appren- «  Des étrangères ? n Années 80
tissages ou dans sa posture d’élève — Oui, elles ne parlaient pas, elles Je m’appelle Martin. Je suis au CP.
est une première étape essentielle ne disaient rien. Elles étaient toutes Souvent, il y a des gens qui viennent
dans le raccrochage. habillées pareil. Elles se sont collé le nous voir en classe. La maitresse
Le fait de pouvoir s’exprimer, dos au mur, elles sont restées debout nous dit qu’ils sont là pour
d’être écouté, entendu par les autres tout autour de la classe. Elles nous apprendre, qu’elle aussi elle
est le début de l’élaboration d’une regardaient. apprend. Bon, et nous ? Ce matin,
autre relation à l’école. — Mais elles venaient de quel j’ai décidé de monter un coup, j’ai
pays ? demandé aux copains de toute la
Enfin, c’est aussi l’occasion de — Attends, je ne sais plus. Ah si, classe de s’assoir sur les chaises que
confronter les attentes des élèves c 'était… des Autrichiennes ? Non ! Françoise avait installées pour les
vis-à-vis d’une structure différente Normaliennes !  » gens, pendant qu’elle leur parlait
qui œuvre au raccrochage avec les dans le couloir. Nous, on est restés
principes et valeurs de cet établis- n Années 60 très silencieux, et on a fait semblant
sement. Les jeunes prennent J’ai 8 ans. Maintenant je suis habi- d’être les gens. On regardait d’un
conscience de la démarche pédago- tuée, et toujours ravie de la venue air entendu ce qui était affiché, com-
gique de leur établissement et se dans notre classe des normaliennes ment c’était décoré.
l’approprient. Le sentiment d’appar- et de leur professeur. Je sais qu’elles Alors j’ai dit calmement aux gens :
tenance à la structure microlycée se nous observent et j’ai à cœur « Entrez les enfants, et faites comme
développe et contribue également d’adopter l’attitude que je suppose si on n’était pas là. »
au raccrochage. n attendue, à ne pas faire comme à
l’ordinaire, à surjouer, bref, à cabo- n Années 90
tiner. En outre, j’ai le sentiment On m’appelle Stéph. Je n’ai pas
d’aider les demoiselles normaliennes demandé à venir ici, au CEP. Déjà
à devenir maitresse, et aussi ma y’a les éducateurs, alors en plus y’a
maitresse, de lui permettre à elle un instit ! Comme si on était des
aussi d’être admirée. Je suis si fière mômes ! L’autre jour, j’ai eu la rage,
quand elle lit ma rédaction devant y’a une femme qui est venue en
tout le monde ! classe, c’est pas touristique ici,
qu’est-ce qu’elle est venue faire là ?
n Années 70 L’instit nous a dit que c’est une
Je suis en 4e. Un jeune étudiant conseillère, d’académie je crois, non,
vient passer quelques jours au fond pédagogique. Tu parles, encore une
de la classe pendant les cours de assistante sociale qui va marquer
français, en stage d’observation. Je des choses sur moi, je me suis levée
cherche à attirer son regard, son vers elle et je lui ai dit : « C’est quoi
attention, animée par le désir de que vous écrivez, madame ? Arrêtez
reconnaissance de mes talents d’écrire. » Elle a bien vu que j’avais
Pour en savoir plus
d’écriture ! Si seulement il pouvait la rage, je supporte pas qu’on me
Le microlycée de Sénart
donner une leçon au professeur, qui regarde, ni qu’on écrive sur moi. n
Notre établissement accueille des élèves
raccrocheurs, de 17 à 26 ans, qui ont
d’office nous colle un zéro pour cinq Françoise Ballay
vécu une rupture scolaire de quelques fautes d’orthographe, même et sur-
mois à plusieurs années, et souhaitent tout à nos rédactions ! Je suis vexée
reprendre leurs études pour passer un
baccalauréat ES, L ou STMG. Le travail par autant de rigidité ! Juste avant
présenté dans cet article est mené avec de disparaitre de notre lycée, la cor-
la classe RALY (retour au lycée), qui
accueille des élèves ayant quitté l’école en rection de notre dernier devoir lui
fin de collège ou durant une classe de 2de est confiée, c’est la jubilation et la
générale ou professionnelle. Au moins trois
séances d’accompagnement personnalisé revanche : 18 !
y sont consacrées, encadrées par deux Ce jour-là, j’ai l’impression d’avoir
enseignants.
remporté une grande victoire ! J’es-
le site du microlycée :
http://www.micro-lycee.ac-creteil.fr/ père vraiment que notre professeur
en titre aura retenu la leçon que lui

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 53

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dossier Observer la classe

Relecture

Un précieux préalable
Le point de vue d’un relecteur avisé sur ce dossier : genevoise montrent une nouvelle
observer n’a rien évident ; c’est un acte professionnel qui fois les apports de la Tavistock Clinic
ne prend de sens que dans l’analyse de l’ensemble de à Londres : Esther Bick (1964) y a
l’activité, associant les acteurs et celui qui a observé. construit un protocole d’observation
du jeune enfant qui permet d’initier
les (futurs) enseignants à la dimen-
Richard Étienne, professeur émérite de l'université de sion affective de l’enseignement. Il
Montpellier s’agit de faire en sorte que les
apprentis enseignants passent de la
« Monsieur Palomar cherche à pré- propre. C’est ainsi que s’est répandue vision des élèves vus comme un
sent à limiter son champ d’observa- l’observation, avec ses deux com- monobloc à la perception de ce que
tion ; s’il considère un carré d’à peu mères que sont la recherche d’objec- « l’enfant leur communique et ce
près dix mètres de rivage sur dix tivité et la détection d’obstacles. qu’ils vivent en sa présence » (Ange-
mètres de mer, il peut dresser un André de Peretti fait souvent lika Toth et Vijé Franchi). Ainsi,
inventaire de tous les mouvements remarquer qu’il y a loin du regard l’observateur s’observe observant et
de vagues qui s’y répètent avec une de l’inspecteur (qui n’est pas sans détermine que toute observation
fréquence variée dans un intervalle rapport avec le Surveiller et punir dans les métiers de l’interaction
de temps donné. » (Italo Calvino, de Michel Foucault) à la pratique de humaine a un impact sur la personne

C’
Palomar, Giulio Einaudi, 1983.) l’audit (qui fonde sa recherche d’ef- observée et sur celle qui observe.
ficacité sur l’écoute). En effet, la Cette méthode impose de se passer
est grâce à Alain première définition de l’observation de toute prise de notes pour écrire
Bouillet que j’ai qui vient à l’esprit, c’est de consi- le compte rendu, plus tard, sur la
découvert Palo- dérer qu’il y a devant soi un objet base de ce qui a été mémorisé.
mar et la lecture que l’on scrute. D’où cette illusion (Angelika Toth et Vijé Franchi)
d’Italo Calvino de l’objectivité liée au retrait, à la Mais à quoi sert ce changement de
m’a convaincu de la nécessité de for- prise de distance. Or, qu’y a-t-il de posture en rupture avec trois siècles
mer à l’observation, qu’elle soit de plus subjectif, d’intersubjectif que de transmission de connaissances à
recherche ou poursuive une autre la relation de travail, notamment des élèves types tels que conçus par
finalité, sans jamais céder à l’illusion dans le cadre de la classe et dans la rationalisation introduite à la fin
d’une certitude qui naitrait d’une celui, plus complexe encore, de la du XVIIe siècle, par une forme sco-
attention méthodique consacrée à un formation quand des enseignants, laire qui ne prend pas en compte leur
objet délimité aussi géométriquement voire des étudiants, font la classe en personnalité ? C’est la condition du
que ci-dessus. Ce n’est pas ce dossier présence d’observateurs ? Et que dire passage d’un élitisme républicain qui
qui viendra démentir cette posture de cette situation du certificat d’apti- sélectionne les meilleurs en les sou-
résolument précautionneuse. tude aux fonctions de professeure mettant à la distillation fractionnée
des écoles maitresse-formatrice que (« l’école des vaincus » de François
On n’y voit rien ! narre Armelle Legars ? Des élèves Dubet) à une approche plus démo-
Jacqueline Gérard reprend le titre qui travaillent, un stagiaire qui cratique et soucieuse de chaque per-
d’un livre de Daniel Arasse pour éva- enseigne, la candidate qui l’observe sonne. L’observation devient attitude
luer son observation du cours de sa puis s’entretient avec lui, le tout ethnographique et sert à mieux com-
collègue professeure de mathéma- sous le regard des cinq examina- prendre les situations éducatives
tiques et professeure principale d’une teurs ! Ce qui lui fait écrire : « Sou- complexes. Cette démarche permet
classe de 2de dans un lycée technique. dain, je commence à comprendre ce d’« instituer des moments propices
Tout ce qui est décrit comme course qu’est une démarche de formation, aux échanges avec les parents », entre
de vitesse par la narratrice devient le fait que l’observation n’est qu’un autres. Et Valérie Vincent en tire un
lenteur appliquée et expliquée dans point de départ pour permettre l’ana- principe qui la guide dans son travail
la deuxième partie du texte où la lyse, non par le formateur, mais par de formatrice : « Je sentais qu’il fallait
parole est restituée à l’actrice princi- le collègue observé lui-même. » transmettre une certaine humilité,
pale. Comment cela est-il possible ? mais une humilité intelligente ». Car,
Depuis Claude Bernard et sa méthode Un point de départ ? dans toute situation éducative com-
expérimentale, confiance est faite à Alors, l’observation ne serait plexe, il y a une occasion de déve-
la démarche des sciences exactes bonne qu’à jeter aux orties, victime lopper la pensée réflexive, « c’est-à-
dont tout l’effort consiste à produire d’une rupture épistémologique qui dire la conscience des conflits de
des lois pour ce qui est prévisible et la disqualifierait ? Nous devrions valeurs (souvent cachés) en jeu dans
reproductible. Une pomme, ça ne nous mettre à la recherche du savoir le problème, des limites de son action
parle pas, même quand ça tombe ! caché dans l’agir professionnel et et de la résistance d’autrui ». Réflé-
Les sciences humaines se sont ins- reprendre l’incitation de Donald chir, c’est commencer par recueillir,
pirées de ces méthodes, privant les Schön ? En fait, rien n’est aussi comme on le fait dans l’observation
humains de la parole, qui est leur simple et les textes issus de l’équipe participante, puis essayer de penser

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Observer la classe
dossier
Relecture

à nouveaux frais à partir de ce recueil tage des dispositifs didactiques qu’à les procédures de recherche se
d’informations. leur aide personnelle ou à leur muaient en démarche de formation ?
accompagnement, quand bien même L’article de Sylvie Grau nous montre
S’observer pour cette dimension pédagogique ne doit qu’il peut y avoir vagabondage de
s’évaluer et s’impliquer pas être négligée. l’un à l’autre, car, dans ce cas par-
À l’instar du cinéma où l’on passe Des formateurs en sont venus, ticulier, une procédure de formation
son temps à attendre, dans la classe selon Nicole Priou, « à interroger nos pour les ouvriers de la FIAT, l’ins-
traditionnelle chaque élève doit dispositifs de formation initiale et à truction au sosie (« demain, tu es
patienter pour présenter sa perfor- mettre en place, en tout début d’an- absent au travail, indique à ton
mance orale ou physique. Céline née, […] un dispositif d’observations remplaçant ce qu’il doit faire pour
Hergault[1] a trouvé une parade à mutuelles entre pairs et l’exploitation, exécuter tes tâches ») a été reprise
cette inaction dans la tradition de en formation, de ces observations par la recherche, notamment la
l’éducation physique et sportive : mutuelles ». L’idée est évidente au didactique professionnelle. Elle est
elle propose à ses élèves de 5e d’uti- vu des théories de l’apprentissage : mise en œuvre ici dans un master
liser une tablette numérique afin de il est difficile de comprendre l’activité de formation de formateur : « Elle
pratiquer une observation différée d’un expert quand on est novice. Cela [Isabelle Vinatier] prend les mêmes
« pour améliorer [leurs] capacités rappelle un dispositif montpelliérain postures, pose ses mains comme moi,
motrices en attaque ». Des groupes de visites formatives (Alain Lerouge) dit « je » à ma place et je me vois en
sont organisés avec un rôle tournant ou de visites à visée formative (Alain face, je vois ma souffrance que
entre deux lutteurs, un arbitre, un j’avais toujours réussi à nier. » Ainsi
marqueur et un vidéaste. Points forts s’élargit le cercle de l’observation,
et points faibles sont identifiés par Et si, en changeant ce qu’on et l’on peut, sans artéfact technique,
les élèves eux-mêmes qui choisissent doit changer, les procédures observer l’autre « comme un autre
ceux qu’ils vont travailler dans des de recherche se muaient soi-même », pour détourner le titre
ateliers spécifiques. Deux effets prin- en démarche de formation ? de Paul Ricœur.
cipaux sont alors observés : une
dévolution[2] de la tâche de l’ensei- Jean) dans lequel des quatuors de Observer, parler,
gnant aux élèves et une implication stagiaires allaient s’observer à tour analyser
de chaque élève qui devient auteur de rôle, avant de mener entre eux L’article de Serge Leblanc permet
de ses stratégies et parcours d’ap- une analyse sous le contrôle d’un de réinsérer l’observation dans le
prentissage. Donc, le retour réflexif formateur et du tuteur, qui ne pre- cadre dynamique du développement
sur la pratique est indispensable naient la parole que lors de la reprise personnel. L’utilisation de la vidéo
pour entrer dans le contrat didac- de fin de séance. Bien sûr, on objec- sous toutes ses formes donne le
tique et, si le recours à la tablette tera que des difficultés d’organisation loisir d’observer ce qui n’était que
numérique ajoute un zeste de moti- rendent improbable cette démarche. fugace, soumis à la prise de notes
vation, il peut être remplacé par une Il ne manquera pas non plus d’oppo- ou à l’utilisation de grilles, ou
fiche comportant les items pour le sants à cette rencontre de pairs qui encore mémorisé sans outil. Cette
recueil des observations. peuvent résister à une pratique aussi facilité offerte par le rejeu à l’infini,
C’est d’abord elle-même qu’ob- impliquante. De fait, témoignages et l’arrêt sur image et autres ralentis
serve Florence Castincaud, avec une recherches établissent que tout dis- est contrebalancée par la souffrance
classe de 4e dont les élèves doivent positif d’observation repose sur une que crée l’autoconfrontation, définie
reprendre un « premier jet » grâce éthique, mais aussi sur une progres- comme un visionnage différé de son
aux conseils et remarques qui leur sivité que ne manquent pas de sug- action en vue de la renseigner du
sont prodigués. Mais cela ne marche gérer plusieurs articles. point de vue des intentions, des
pas ; pis, elle avoue : « Je me suis Le plus pertinent (et percutant !) prises d’indices et des règles que
engagée comme une bleue dans est celui de Sylvain Doussot qui fait l’on suit. Il y a là une forme de vio-
quelque chose que j’ai trop mal expli- remarquer : «  Celui auquel je lence qui rend impossible l’acte de
cité. » L’observation des erreurs m’adresse est l’objet même de mon formation recourant directement à
qu’elle a commises (outre les SMS analyse : j’en fais un objet, et je vou- l’autoconfrontation. Heureusement,
mentaux qu’elle s’adresse pendant drais discuter avec lui en tant que une approche didactique différente
la séance !) l’incite à reprendre les sujet ! » S’inspirant d’Alain Bensa, il a pu être adoptée en passant par
conseils didactiques de Dominique propose de rééquilibrer la relation, l’alloconfrontation, où il s’agit d’es-
Bucheton sur la réécriture d’un texte en abandonnant cette posture de sayer de comprendre l’action d’un
et les encouragements de Philippe surplomb qui a fait tant de dégâts, pair agissant dans des situations
Perrenoud (1998) à fonder une pour considérer la pratique de typiques comme l’entrée en classe.
« observation formative […] qui per- l’autre comme intelligente et intel- « Ces expériences […], qui peuvent
met de construire une représentation ligible. Mais comment la décrypter être vécues, sans risque, dès les pre-
réaliste des apprentissages pour sans l’aide de cet autre qui en miers pas professionnels, constituent
mieux les guider ». Autrement dit, détient la raison ? Comment obtenir […] une première étape importante
l’observation du travail des élèves ce « changement de perspective », pour pouvoir accepter de vivre serei-
sert tout autant, sinon plus, au pilo- sinon en changeant le rapport habi- nement […] des entretiens d’auto-
tuel de la formation et de la confrontation à sa propre pratique
1  Article à consulter dans la partie du dossier figu- recherche, la première demandant de classe qui exposent à priori plus
rant sur notre site. des recettes à la seconde ? Et si, en fortement la personne. » Encore une
2  Pour reprendre le terme de Guy Brousseau. changeant ce qu’on doit changer, fois, l’observation seule ne n n n

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 55

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dossier Observer la classe

Relecture

nnn permet pas d’imputer réelle- Et les élèves, les a-t-on perdus de est d’abord finalisée par une inten-
ment une activité mentale ou des vue ? Non, ce n’est certainement pas tion qui impose de faire un choix,
gestes professionnels à une autre ou le cas, puisque ce même Luc Ria ici, pour Michel Tozzi[3], celui de
un autre que soi-même. L’étape, nous convie à en faire des « obser- découvrir et connaitre les fonctions
préparée, de l’autoconfrontation vateurs experts des situations de de président, de reformulateur, de
constitue la finalité de la démarche classe ». Le fait est que certaines synthétiseur, d’animateur, de discu-
pour recueillir le point de vue de conceptions didactiques caricaturales tants dans une DVDP ; c’est ensuite
l’enseignant, ses émotions, ses pré- oublient que ce sont des personnes le prélude à une analyse, si possible
occupations et ses focalisations. et n’en font que des sujets supposés collective : «  observer, c’est bien, en
Mais la suspension du jugement et, apprendre. Or, ce sont eux qui, les parler, c’est mieux », affirme juste-
plus encore, l’assurance pour l’auto- premiers, jugent et jaugent les ensei- ment Philippe Watrelot. Et Françoise
confronté de ne pas être jugé ne sont gnants. Leurs pratiques s’ajustent à Colsaet complète le tableau en sou-
guère faciles à obtenir, car il y faut celles des enseignants (parfois en lignant que « le rôle de tuteur, ça
de la volonté organisationnelle (évi- les contrecarrant, parfois en entrant s’apprend, que l’observation des
ter de mélanger certification et for- dans le contrat didactique). Et ces pratiques devrait être une compé-
mation) et de l’autocontrôle chez pratiques suivent des logiques d’au- tence professionnelle qu’on développe
les formateurs qu’un entrainement tant plus énigmatiques pour des chez tous les enseignants, avec des
préalable permet de mettre en place. enseignants débutants, qui ne sont collègues jeunes ou pas » et en sou-
Enfin, il y a chez les personnes en haitant « participer à des réunions
formation cette tendance à résister d’analyse de pratiques, avec d’autres
à l’analyse qui est d’autant plus L’observation-inspection tuteurs[3] ».
compréhensible que nous avons vu détentrice de vérité est mise
plus haut l’épreuve vécue par Sylvie de côté, même dans les textes Alors, tout est pour le mieux dans
Grau lors d’une instruction au sosie. écrits par les inspecteurs. le monde des observateurs ? Il sem-
blerait que non à la lecture de cer-
Outiller pas issus pour la plupart des établis- tains textes avec lesquels je n’ai pas
Luc Ria systématise et simplifie sements d’éducation prioritaire où désiré polémiquer, car la tendance
l’outillage qui permet d’observer le « dès qu’on a une bagarre, on est majoritaire de ce dossier est bien de
travail enseignant : son simplexe excités […] et on voit pas qu’il y a confier à l’observation un rôle majeur,
comporte quatre axes, le premier un professeur devant nous » et où mais qui ne se joue que comme un
étant la tonalité émotionnelle qui « si l’enseignant attend que les élèves pré-texte, le seul vrai texte étant celui
nous caractérise entre le confort et soient calmes pour commencer son de l’échange verbal, du développe-
l’inconfort ; le second pouvant se cours, cela ne sert à rien, cela peut ment et de l’apprentissage, lequel ne
résumer à la discipline comme durer une heure [rires] ». La perti- peut se passer de l’action pour qu’il
double préoccupation de l’enseigne- nence de ces observations peut être y ait une réflexion sur cette action,
ment, faire acquérir des savoirs et partagée par les enseignants voire, dans le meilleur des cas, pen-
contrôle de l’ordre nécessaire à cet lorsqu’ils vont confronter leurs dant cette action. L’observation-ins-
apprentissage ; le troisième opposant façons de faire, les verbaliser, les pection détentrice de vérité est mise
ces savoirs à transmettre (l’instruc- analyser et faire l’hypothèse d’en de côté, même dans les textes écrits
tion) aux valeurs sur lesquelles est modifier certaines. Le recours aux par les inspecteurs. Le recours à des
fondée l’école de la République élèves dans l’observation de la vie outils techniques favorise sans doute
(l’éducation) ; et le quatrième allant de la classe permet de mieux com- l’observation et l’explicitation de son
du collectif (la classe) à la personne prendre ce qui se joue dans les situa- activité par l’acteur, individuel ou
que représente chaque élève. Nulle tions, et d’en tirer des conséquences collectif, qui mobilise ce qu’il sait
contradiction entre les extrémités de en termes d’autoformation. faire pour faire ce qu’il a à faire. Il en
chaque axe, puisque le principe dia- Mais ce n’est bien sûr pas le seul profite également pour apprendre et
logique cher à Edgar Morin impose intérêt de l’attention portée aux se développer, surtout si une analyse
de les traiter pleinement (d’où une élèves ; car ce qu’ils font concerne est faite à postériori dans le cadre de
échelle de 0 à 5). Ce simplexe ne aussi et surtout leurs apprentissages : la boucle évaluative qui se sert du
peut être renseigné que grâce à une toutes ces démarches d’observation, recueil d’informations pour trouver
interaction entre un observateur exté- participantes ou non, secondées ou des pistes d’amélioration. Dans ce
rieur et la personne confrontée aux non par des traces recueillies d’une dossier, les observés obtiennent rapi-
traces de son activité. Enfin, les manière ou d’une autre, formalisées dement leurs galons d’observateurs,
recherches confirment que c’est la dans des entretiens ou des écrits, ne même s’ils ont besoin d’accompa-
régularité et la continuité de la coo- servent qu’une finalité, faciliter leurs gnateurs au fait de ces démarches
pération entre chercheurs, formateurs apprentissages. Or, il est si facile complexes pour en profiter pleine-
et enseignants qui permet d’accom- d’être abusé ! On est « au fond de la ment. C’est démocratique, efficace,
pagner le développement profession- classe », on voit les élèves « de dos » pertinent et cela me réjouit. n
nel. On est bien loin des seuls temps et il est formateur de donner aux
institutionnels de formation et plus élèves, à certains élèves, le rôle
proche d’une démarche d’établisse- d’observateurs, par exemple à l’occa-
ment formateur ou, si l’on préfère, sion d’une discussion à visée démo-
d’un environnement formateur à cratique et philosophique (DVDP).
créer ou à développer dans l’établis- Ainsi se vérifient les deux grands 3  Article à consulter dans la partie du dossier
sement scolaire. principes de toute observation ; elle figurant sur notre site.

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À LIRE sur notre site

Voir les élèves de dos d’une réalité objective qu’il suf- Quand les élèves
Françoise Colsaet firait de retranscrire. philosophent
Quand on est au fond de la classe Michel Tozzi
d’un stagiaire, on a le temps de se Quand celui qui est Pour des élèves, participer à une
poser beaucoup de questions sur observé écrit discussion à visée démocratique
ce qu’on fait là, sur ce qu’on peut et philosophique est formateur ;
y faire pour être utile au moment Bruno Seweryn être placé dans la situation du
du retour sur l’observation. Depuis quinze ans, un inspecteur spectateur ne l’est pas moins,
demande aux enseignants qu’il comme première étape d’une
inspecte de rédiger après l’entre- analyse de ce qui se joue dans
Mon corps d’enseignant tien un écrit réflexif, support les échanges.
d’un nouvel échange.
Marion Tellier,
Alexandra Gadoni
Ce qu’on voit en filmant un Observer le monde
enseignant dans une classe, c’est
Françoise Guillaume
d’abord un corps, de face ou de
dos, en mouvement ou immo- Il y a mille choses à apprendre
bile, des gestes, plus ou moins du quotidien, pourvu qu’on y soit
volontaires, plus ou moins mai- attentif. Il y a mille occasions
trisés. On le voit, mais on en d’enseigner à partir d’observa-
parle peu, par égard aux enjeux tions d’élèves, si on en fait un
d’image. Une excellente raison point de départ pour des
de travailler cette question en apprentissages.
formation.

Voir à travers une tablette


Lettre à un ami formateur Céline Hergault
Jean-Jacques Latouille
Utiliser une tablette numérique
Les comptes-rendus d’observa- pour capturer des vidéos donne
tion rédigés par des stagiaires un regard différent sur les acti-
semblent souvent insatisfaisants. vités menées dans un cours
C’est sans doute qu’il faut dépas- d’EPS : quand voir faire en différé
ser une représentation trop aide les élèves à faire.
simple d’une observation limpide

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perspectives Etcheztoiçava?
Evelyne Barratier. Ce texte est issu de l’atelier des rencontres 2013 à Saint-Barthélémy-d’Anjou : « Écrire son quotidien au travail ».

“ Parenthèse furtive
Un lieu

la porte à clé, mais Diane
7 h 45. Je traverse la cour déjà inondée de soleil et a oublié son manteau. Je Je repars
joyeuse, pour me diriger d’un pas pressé vers la salle vais être en retard. Aux discrètement, de la
des professeurs sous le cloitre. Je pousse la lourde toilettes, le collègue de chaleur au cœur.
porte de bois moulurée. La lumière printanière n’a physique me happe pour
pas encore réussi à traverser les fenêtres trop hautes détailler sa colère contre
du vieux bâtiment religieux. Les abat-jours jaunâtres un élève de ma classe. J’écoute, il faudra qu’on se
filtrent une clarté artificielle et terne. Les gens s’entre- revoie. Les escaliers sont libres. J’arrive dans la queue
croisent selon un itinéraire immuable tout en sur- devant la machine à café. La sonnerie me surprend,
veillant leur montre : casier, machine à café, panneau alors qu’un gobelet me brule les doigts. Il faut
d’affichage, ordi du matin. Bonjours fugaces. Quelques remonter.
groupes se font et se défont au hasard d’une confi-
dence ou d’une anecdote. J’entre dans la ronde Une personne
jusqu’à la sonnerie aigüe où chacun de nous rejoint Sa porte est entrouverte et il est à son bureau. En
sa classe. face de lui, le fauteuil est disponible. Je passe la tête,
apparemment il griffonne un schéma à bulles, son
Un moment outil favori pour réfléchir. Il lève le nez. Un sourire
9 h 55. La sonnerie de la récréation retentit. Le temps m’engage à entrer. Il cale son dos contre le dossier et
me bouscule. En dix minutes, je dois traverser un suspend un instant son travail. Parenthèse furtive.
véritable labyrinthe pour aller dans la classe suivante, On reprend le fil d’une discussion sans fin, on
tout en passant par la salle des professeurs trois étages construit, on déconstruit à l’envi. Je dépose ma colère
plus bas. Mélina n’a pas encore ouvert son agenda, ou mon inquiétude, je la regarde à distance et cela
Jérémy m’apporte son carnet pour une demande de m’apaise. Mais déjà quelqu’un d’autre est là, collègue
rendez-vous. Marin n’a pas compris ce qui est écrit ou élève qui vient raconter son histoire au responsable
au tableau. Je réponds, j’écris, mais je ne suis déjà de niveau. Je repars discrètement, de la chaleur au
plus là. Je bouscule et je n’aime pas ça. Il faut fermer cœur. n

Véronique Flipo. Professeure de biotechnologies santé environnement dans l’académie de Versailles et formatrice en formation continue dans le domaine transversal

“ Lecture suivie… d’effets



A
la rentrée, je découvre une heure sur mon Avant de nous lancer
emploi du temps intitulée « EGP » ; enten- dans cette lecture en Quelle chance ! Du
dez « enseignement général à visée pro- classe, commence un tra- transversal institué
fessionnelle ». Quelle chance ! Du trans- vail d’équipe entre nous avec les élèves de
versal institué avec les élèves de terminale (même s’il est très infor- terminale du nouveau
du nouveau bac pro ASSP (accompagnement, soins mel, car nous n’avons bac pro ASSP !
et services à la personne) ! La professeure des services pas de temps de concer-
à la personne que je suis s’en réjouit. tation institué). Nous
C’est alors que ma collègue Albane Lesure, profes- sollicitons plusieurs collègues pour lire ce livre. La
seure des soins à la personne, me propose de mener lecture en est facile, poignante, mais les thèmes abor-
avec elle la lecture suivie du livre Une larme m’a sauvée dés méritent que nous y réfléchissions entre profes-
d’Angèle Lieby (2013, éditions Pocket) avec les deux sionnels pour anticiper les réactions des élèves et
groupes de notre classe. Ce livre est celui d’une femme discerner entre nous. Nous échangeons, avec nos
qui témoigne de sa pleine conscience pendant le coma collègues issues du milieu infirmier, sur la maladie
dans lequel elle a été plongée. Elle veut montrer l’im- subie par l’auteure, sur cette question de la conscience
portance du rôle relationnel du personnel hospitalier, en état de coma et sur l’attitude du personnel dans
même en présence d’une personne inerte. de tels cas. Nous évoquons les points qui risquent de

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Etcheztoiçava?

heurter les élèves (les soins douloureux pour le et bientraitance, le statut du malade (patient, sujet
patient, par exemple) et ceux qui vont faire débat ou objet, personne souffrante, membre d’une famille,
(les greffes d’organes, l’euthanasie, etc.). etc.), sur la nécessité du travail en équipe et des
Je fais lire à ma collègue le livre de Serge Boimare, décisions à prendre de façon collégiale.
La peur d’enseigner (éditions Dunod), qui expose Deuxième séance de lecture, très réclamée au milieu
l’importance du nourrissage culturel et d’une méthode de quatre heures de cours. Élodie propose que chacune
pour ces moments de lecture en classe. Nous conve- lise à tour de rôle, et surprise ! Tout le monde est
nons de la nécessité, après chaque lecture avec les d’accord. Rabia s’exclame : « Mais Marion, pourquoi
élèves, de prendre un temps de restitution collective tu dis que tu ne sais pas lire, tu lis bien ! » Et moi
suivi d’un débat. d’ajouter : «  Tu vois, Cindy, il suffit juste que tu lises
Le groupe d’élèves que j’ai en classe accueille le sans te précipiter et alors tu lis sans problème. » La
projet avec vivacité. Les trois jeunes en difficulté avec lecture est toujours aussi concentrée, avec quelques
le français déclarent « moi je ne lirai pas », d’autres, exclamations quand le récit évoque des situations
« pourquoi lire un livre ? on n’aime pas lire », et la trop dures. Je leur donne ensuite l’occasion de déposer
déléguée de résumer « on préfèrerait lire une revue ». ces émotions fortes qu’elles ont pu ressentir, avant
Je les taquine en leur disant : « Désolée, mais on ne de débattre. Le caractère profondément humain du
va pas lire Closer en classe, vous pouvez lire des revues texte lu peut convoquer l’histoire personnelle de
chez vous pour vous distraire. » J’explique qu’il n’y chaque individu. Le cadre offert, d’écoute respec-
a pas d’obligation à ce que chacune lise et qu’il est tueuse, a permis que le groupe puisse contenir et
impératif de ne pas se moquer, de ne pas faire de porter ce qui a pu émerger. Ce témoignage passionné
commentaire sur la qualité de la lecture de telle ou oblige également à éveiller l’esprit critique des jeunes,
telle camarade. à relativiser les propos de l’auteure.
Vient le premier jour de notre lecture suivie. Les Le partage fort a renforcé les liens de cette classe
élèves me demandent si elles peuvent s’installer et on le ressent dans les autres cours. Cette activité,
confortablement dans la salle. « Bien sûr, j’allais vous que nous menons avec ma collègue sur deux groupes
le proposer ! Moi aussi je vais me mettre dans votre en parallèle, nous permet d’échanger, d’avancer
cercle. » Je commence la lecture, histoire d’amorcer ensemble et tout simplement de nous réjouir de voir
l’ambiance, de se mettre dans le rythme. Rapidement ces jeunes adhérer et faire leur ce projet.
des élèves demandent à lire. Un silence d’une Que du bonheur ! Du bonheur à emmagasiner, à
incroyable densité se fait. Ce récit fait son effet, il partager, pour se rappeler que notre métier est
intrigue, il captive. Une jeune qui avait déclaré haut formidable !
et fort qu’elle ne lirait pas demande à faire la lecture. La semaine prochaine, la classe va partir en stage.
Ensuite, vient la narration par le groupe de ce qui Elles sont désolées que leur lecture soit interrompue.
vient d’être entendu et le débat. Quelle qualité des Savoir patienter, prendre le temps de la maturation,
échanges ! On discute sur les notions de maltraitance c’est aussi très formateur ! n

Jean-Charles Léon. Professeur d’éducation musicale à Esbly (77)

“ Orthographe

C
urieuse expérience qu’écrire, pour moi, de instituteurs sur mes
témoigner sur mes désordres orthographiques feuilles, celui de cette gen- La faute d’orthographe,
passés. Curieuse expérience pour moi, car la tille professeure de fran- toujours, m’obsède et
faute d’orthographe, toujours, m’obsède et çais, en 5e, qui savait que me désigne du doigt.
me désigne du doigt. Écrire, c’est d’abord une je connaissais l’ortho-
source d’angoisses et de problèmes, une source de graphe bien mieux que ce
blocages et d’échecs. Ce sont, je pense, les lointaines que je montrais alors, m’opprimaient et me faisaient
réminiscences de mon passé d’écolier qui viennent peur. Quelquefois, douce et attentive, elle se plaçait
encore me hanter : le regard de ma mère sur ma façon derrière moi lors des dictées, et me tapotait gentiment
d’écrire ou de me tenir, sur mon orthographe, l’absence la tête de son stylo, à chaque faute, pour attirer mon
de mon père qui, malade alors que j’abordais ma sco- attention. Souvent, je corrigeais à l’instant ce que je
larité secondaire, disparut de ma vie pendant des venais de tracer, maudissant ma faiblesse. Encore main-
années, pour devenir une ombre allongée dans sa tenant, je ne supporte pas que quelqu’un me regarde
chambre fermée. L’éventualité de la faute m’angoisse, écrire ou se penche sur ma feuille ; tout de suite, je
me fait paniquer encore maintenant. Le regard de mes perds mes moyens, j’hésite, je me trompe. Je me n n n

À vos plumes ! Pour parler du métier tel que vous le vivez, évoquer ses moments de crise ou de plaisir, saisir sur le vif le quotidien ou
l’extraordinaire, prenez contact avec nous en envoyant vos écrits à helene.eveleigh@cahiers-pedagogiques.com

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perspectives I Etcheztoiçava?

n n n souviens de la honte ressentie après chaque dictée J’ai été un bon élève jusqu’à la classe de 6e, que j’ai
rendue et du nombre de fautes annoncé. Il faut dire que abordée avec un an d’avance, malgré mon orthographe.
la règle était dure à l’époque : quatre points en moins J’étais un lecteur infatigable, lisant, alors que j’avais
par faute, pas moins. Même à deux points, voire un, je 11 ans à peine, Soljenitsyne, auquel je ne devais pour-
n’aurais pas réussi à entrer dans le barème. Non seu- tant rien comprendre. Je continuais à être un enfant
lement je n’avais aucune chance de gravir cette échelle, vif et curieux, mais je devins incapable d’ouvrir un
mais mes quelques progrès ne servaient à rien, n’étaient livre autre que ceux de l’épouvantable bibliothèque
pas reconnus ; le premier barreau était trop haut. de mes parents, incapable d’apprendre une leçon autre-
Souvent je repose mon stylo plutôt que de prendre ment qu’en assistant aux cours que je perturbais pour-
le risque d’écrire. Le correcteur orthographique de tant. J’étais, et je le suis encore, me dit-on, remarquable
mon ordinateur me rassure, même si je suis un peu à l’oral, capable de tenir des conversations, d’animer
honteux, parfois, de m’en remettre à lui. L’accord des séminaires ou de participer à des conférences inter-
marotique reste un mystère, alors que je connais la nationales, de débattre, d’argumenter, de faire illusion,
loi à appliquer. Appeler ainsi l’accord du participe mais incapable d’écrire sans craindre la honte et la
passé avec l’auxiliaire avoir me fait rire et me procure faute qui me désignerait. En cette année de 5e, mon
la sensation douce d’avoir mis un nom sur la bête père était entré à l’hôpital, mon habileté scolaire éga-
que je n’arrive pas toujours à dompter. Parfois je me lement. Écrire me confronte encore à ma propre
retrouve face au tableau, devant mes élèves, la main enfance et à cette part de moi que les élèves, tous les
tremblante, incapable d’assumer mon geste. Je m’ar- ans, font remonter. Et dans les premiers jours de sep-
range alors pour tracer des lettres ambigües, souhai- tembre, chaque année, je scrute avec anxiété les enfants
tant ardemment que le lecteur, l’enfant qui me que le hasard place dans ma classe ; je les observe avec
regarde, pourra penser que l’orthographe que j’em- obstination, dans les premiers jours de septembre,
ploie sous les ratures illisibles est la bonne. J’espère pour commencer à comprendre, pour chercher la part
qu’il ne mettra pas en doute ce que je suis par le d’eux-mêmes que je pourrais saisir, redoutant de mettre
simple constat d’un désordre orthographique ; j’espère au jour celle qui m’a fait souffrir et que je ne veux pas
qu’il ne mettra pas à jour mon passé. J’ai la pénible qu’ils connaissent.
sensation de l’escroquerie. Tous les ans, malgré mon expérience, certains me
Et pourtant, j’écris sans faute maintenant, ou transpercent, me touchent et me détruisent à
presque, quand je suis dans de bonnes dispositions. nouveau. n

Florence Castincaud. professeure de français en collège dans l’Oise

“ Moi, ça m’émeut

M
i-décembre, à l’heure des remises de bulletins Au fil des mois, Resté seul en fin d’heure, un
en mains propres réservées aux pas brillants, il s’est laissé avoir jour, il accepte enfin un dia-
mon collègue et moi recevons Bruno et sa par un texte plus logue à peu près franc :
mère. intéressant que les « C’est ça mon problème,
Bruno l’éternel grognon, épuisé quand il a écrit autres. explose-t-il, l’écrit, j’y arrive
trois lignes, protégé à toute heure de nos assauts pas. » Bon, eh bien, à partir
pédagogiques par son blouson étroitement fermé et de là, on peut se bâtir un
ses moufles noires qu’il ne quitte qu’après injonctions programme possible, genre Vygostky, n + 1 et tout
répétées. Bruno qui tâche de provoquer une querelle ça. Quand on a le pied dans la porte, c’est plus facile
avec un copain à chaque début d’heure, histoire de d’entrer.
repousser le moment de se mettre au travail. Bruno Or donc, ce soir, Bruno est là, nez sur son bulletin
qui n’a jamais son livre ; si un jour il l’apporte, c’est assorti d’avertissements. Sa mère, calmement : « Tu
qu’il a oublié son classeur, histoire d’équilibrer. sais pourtant que pour ce que tu veux faire, ça n’ira
Peu à peu, quand même, au fil des mois, il s’est pas si tu continues comme ça ! » Nous demandons de
laissé avoir par un texte plus intéressant que les autres, quoi il s’agit. Il n’ose pas. Finalement, on y arrive :
ou un extrait de film auquel il n’arrivait pas à résister. il veut être gynécologue. Cette fois, il a plutôt un petit
Il a donné une idée, émis une analyse. Entre deux sourire timide.
rires pour la galerie, évidemment, pour ne pas faire Je ne sais pas vous, mais moi ça m’émeut, ce gars
trop sérieux ; mais quand même, il a été piégé, est de 14 ans qui ose un rêve aussi inattendu, aussi
entré dans la réflexion, il… Non, il n’est pas passé à incongru.
l’écrit, là, le cheval se cabre, il peste, refuse, n’a pas Qui a dit « attention, cet élève devant vous que vous
de feuille, en trouve une, brouillonne trois lignes. admonestez est peut-être votre futur médecin » ? n

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Etcheztoiçava?

Nathalie Bineau. professeure de français en lycée

“ Dansons la turlutaine

P
our rejoindre l’étage, je dois me frayer un Une jeune fille à « embabouiner », signifie-
chemin parmi un conglomérat d’élèves. Loin arpente les couloirs, t-il « emballer un babouin
devant, dans le hall méconnaissable, des un plateau à la main : dans un paquet cadeau pour
jeunes filles dansent sur une musique dif- roses des sables, le zoo » ou désigne-t-il « l’ac-
fusée par un hautparleur ; applaudissements. tion d’une baleine imitant le
truffes en chocolat.
Dans la salle des professeurs, Patrice joue de la guitare cri d’un babouin pour com-
comme tous les ans. Les collègues affalés sur les cana- muniquer avec un panda ? »
pés reprennent nonchalamment les paroles de la Munies de leurs définitions insolites, les élèves
chanson ; leur mollesse résulte sans doute tout autant écrivent un court texte, à la manière d’un croquis,
de la digestion du repas de Noël que de la fatigue de qui saisit un moment de leur journée et réutilise un
la période scolaire presque achevée. ou plusieurs mots oubliés. Amanda a choisi la turlu-
Je rejoins la salle qui m’est attribuée pour l’après- taine, qui désigne « une danse qui se pratique uni-
midi et installe les tables en U et une rame de papier. quement en bougeant les oreilles  » : «  Dans quinze
Après la sonnerie, neuf jeunes filles, élèves de 2de, minutes, ça sonne. Il faudra se rendre en salle 211
élèves de 1re prennent place. Elles ont choisi, dans mais d’abord les billettes, ça presse trop. Malheureu-
un copieux menu, de participer à un atelier d’écriture sement, toutes les portes sont bloquées par des gens
pour jouer avec les mots : cadavres exquis, détour- qui dansent la turlutaine en écoutant le concert. Ouf,
nements de proverbes, puzzle verbal, etc. les billettes d’en haut sont libres. Lucie m’attend
Comme mise en bouche, je leur propose un cadavre devant en servant de portemanteau. Quand je sors,
exquis. elle est contaminée : elle remue les oreilles en rythme. »
Le cadavre exquis, écrivent Paul Éluard et André Comme nous traversons les derniers instants sco-
Breton dans leur Dictionnaire abrégé du surréalisme laires de cette année 2013, j’invite ensuite les partici-
est « un jeu de papier plié qui consiste à faire composer pantes à écrire quelques « je me souviens » à la manière
une phrase ou un dessin par plusieurs personnes, sans de Georges Perec, en leur proposant d’écrire ce qui
qu’aucune d’elles puisse tenir compte de la collabo- est commun plutôt que ce qui relève de l’intime. Clara
ration ou des collaborations précédentes ». La première évoque « la première fois qu’elle a regardé les listes
phrase du cadavre exquis du jour doit débuter par des élèves des classes de 2de et l’angoisse ressentie »,
un verbe à l’infinitif et poursuivre par un complément ; tandis que Justine « se souvient de s’être perdue dans
elle a forcément un rapport avec le lycée. Les phrases le lycée et être arrivée dans un couloir bleu ». Amélie
suivantes proposeront des définitions à l’aveugle : « se souvient de la première fois où elle a entendu la
« C’est… c’est aussi… c’est encore… c’est enfin… » sonnerie du lycée en se demandant ce que c’était (en
Cela donne par exemple ceci : « Allumer l’ordina- l’occurrence une musique de western) ».
teur, c’est profiter des bons moments, c’est encore se Nous terminons l’après-midi par la rédaction d’un
promener dans la rue, c’est encore se faire piquer par extrait du journal d’un objet, juste avant de quitter
une méduse, c’est enfin savoir dire stop. » Ou cela : l’établissement et de le laisser entièrement à ses
« Apprendre une leçon, c’est parler doucement, c’est mêmes objets. Clara rédige le journal d’une chaise
aussi avoir froid, c’est encore écouter de la musique sur le point de lancer un mouvement de revendication
c’est enfin chevaucher une licorne. » contre les mauvais traitements et pour le respect des
Nous poursuivons avec des détournements de pro- quatre pieds par terre.
verbes. Je leur parle du personnage décalé, Hermile Nous rangeons la salle, mettons les chaises sur les
Lebel, dans Incendies de Wajdi Mouawad, qui trans- tables avec délicatesse, « merci de votre implication,
forme de manière poétique des phrases toutes faites : bonnes vacances ». Je ferme la porte à clé.
« Rome ne s’est pas construite en plein jour », dit-il Une jeune fille arpente les couloirs, un plateau à
pour exprimer qu’il faut se laisser du temps. Les la main : roses des sables, truffes en chocolat ; ce sont
jeunes élèves s’essayent à l’exercice à l’aide d’un les réalisations de l’atelier chocolat qu’elle offre à
corpus de proverbes : « Point de texto, bonne nou- tous ceux qu’elle croise. Je rencontre aussi sur mon
velle », écrit l’une ; « chassez le naturel, il ira voir chemin d’anciens élèves de terminale, venus ce jour-
ailleurs », écrit l’autre. là, entre fin de période universitaire et vacances,
Nous nous attaquons ensuite aux définitions de mots chercher leur diplôme du baccalauréat. Je prends de
oubliés. Que signifie par exemple « frisque » ? Ce mot leurs nouvelles, ils sont ravis de dire que tout va bien,
s’applique-t-il à « quelqu’un capable de prendre un nous nous faisons la bise à présent, « passez de belles
énorme risque quand il fait froid » ou qualifie-t-il « une fêtes, révisez bien pour vos partiels ».
météo à la fois froide et chaude ? » Et un « zinzolin » ? La cour se vide comme le parking. Nous partons
Est-ce « une personne très étourdie » ou une « couleur un peu plus tôt ce vendredi soir. n
oscillant entre le transparent et le multicolore ? » Quant

À vos plumes ! Pour parler du métier tel que vous le vivez, évoquer ses moments de crise ou de plaisir, saisir sur le vif le quotidien ou
l’extraordinaire, prenez contact avec nous en envoyant vos écrits à helene.eveleigh@cahiers-pedagogiques.com

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 61

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perspectives I Faits&idées

Et la classe devient salle de rédaction


Monique Royer. Erick Bureau et Alain Devalpo se sont rencontrés sur les bancs de la Sorbonne en fac d’histoire. Le premier est devenu
enseignant, le second journaliste après un détour par l’animation socioculturelle, et de leur amitié est né le projet « Journalistes en
herbe » devenu « Globe Reporters ». Le résumé est simple et l’ambition est grande : « dresser un pont entre éducation et journalisme par
le biais du numérique ». Rencontre avec deux concepteurs d’une éducation numérique et de l’information vivante et animée par les
élèves eux-mêmes.

A
vec Globe Reporters, la classe se transforme avaient fondé une association de défense des élé-
en salle de rédaction dont les envoyés spé- phants. En Colombie, il avait permis un dialogue avec
ciaux sont des journalistes de métier, qui un ethnolinguiste basque, au Sénégal avec un fermier
enquêtent et interviewent selon les demandes éleveur de crocodiles. L’an passé, avec l’opération « Il
des élèves, devenus pour l’opération leurs était une fois la révolution en Tunisie », les élèves se
rédacteurs en chef. Du Laos à la Tunisie, en passant sont questionnés sur les conséquences de l’agriculture
par Haïti ou le Sénégal, l’espace francophone est visité. sur la pénurie en eau, par l’intermédiaire d’un témoin
Plusieurs matières sont investies : histoire-géographie, rencontré par Alain Devalpo. Cet agriculteur puise au
français, éducation au développement durable, notam- plus profond de la nappe phréatique l’eau qui, une
ment. Classes du primaire, du secondaire, Segpa, lycée fois recyclée, lui servira aussi à arroser ses végétaux.
général ou professionnel, tous peuvent participer. L’asso- D’une confrontation entre image et témoignages sont
ciation porteuse du projet, Le retour de
Zalumée, regroupe des journalistes, des
enseignants et des acteurs du numérique
qui puisent dans les retours enthousiastes
des participants l’envie d’aller plus loin
encore. « Je tenais à vous envoyer un
courriel pour vous dire le plaisir que j’ai
à voir la curiosité des élèves s’affiner,
l’attention qu’ils portent à l’écoute des
interviews, le plaisir qu’ils ont à retrouver
leurs questions et à découvrir les ques-
tions des autres élèves », écrit par
exemple une enseignante de CM1.
L’idée des « Journalistes en herbe » est
née d’une correspondance entre Alain
Devalpo, alors en reportage au Chili, et
les élèves d’Erick Bureau pour la radio
scolaire dont il était le responsable. Nous
sommes en 1998, le numérique en est à
ses prémices, les échanges se font sur des
cassettes audios envoyées par courrier.
Les outils rudimentaires n’empêchent
pas l’intérêt de l’initiative d’apparaitre Classe de Casamance©DR
rapidement. En 2004, Alain Devalpo
rentre en France. Les deux amis décident d’ouvrir le ainsi nés de multiples apprentissages en géographie,
projet à d’autres enseignants et d’autres journalistes : français, sciences et vie de la Terre ou développement
se met en œuvre une éducation numérique et de l’infor- durable.
mation, où les élèves agissent pour comprendre. « Globe Reporters n’est pas une chose à faire en
« Il existe de nombreuses initiatives sur l’éducation plus, mais s’intègre dans la classe », souligne le jour-
aux médias, avec le Clemi (Centre de liaison de l’ensei- naliste. Le projet s’inscrit en effet dans les programmes
gnement et des médias d’information) par exemple », et chaque enseignant se l’accapare, l’adapte à la
souligne Alain Devalpo. L’analyse des informations, matière qu’il enseigne, au niveau à qui il le destine,
la création de journaux scolaires, l’investigation sur l’intègre dans une logique pédagogique.
les médias sont présentes dans les classes. Là, il s’agit La base est la même pour tous : dans un pays de
pour les élèves d’être producteurs de contenus, loin la francophonie, un journaliste trouve un interlocuteur
de leur univers, par le biais d’un reporter sur le terrain. apte à répondre à la curiosité de la classe. L’envoyé
« Alain a le don de trouver des témoins pertinents », spécial prend soin aussi de préciser en début d’inter-
témoigne Erick Bureau. Le club média de son collège view qu’il est le relai d’enfants ou d’adolescents. Et
avait choisi de s’intéresser aux éléphants lors de la en échange, il recueille bien souvent de l’intérêt.
campagne au Laos. Les élèves ont pu dialoguer par « Zéro refus à ce jour », note Alain Devalpo. Du maté-
l’intermédiaire d’Alain Devalpo avec des Français qui riel collecté la classe crée ses propres usages. Une

62 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Faits&idées

école primaire parisienne a étendu son travail sur impliquées. Globe Reporters en espère cinquante, puis
Haïti vers une collecte pour aider les familles victimes 100 d’ici trois ans. Les classes de CLIS et de Segpa
du grand séisme et vers des conteurs pour mieux sont prioritaires et ce n’est pas un hasard, car avant
connaitre la culture du pays. Selon les niveaux, selon d’être journaliste pour France Culture, Le Monde diplo-
les matières, l’interprétation pédagogique revêt une matique ou RFI, Alain Devalpo a travaillé dans le
gamme étendue et variée, la mise en forme peut être secteur socioculturel, dans des centres de loisirs ou
sonore, textuelle ou graphique, artistique ou factuelle. des classes transplantées. Il a contribué à la création
Une enseignante de collège témoigne en tout cas de de la Cité des enfants à la Cité des sciences de la
la richesse des matériaux collectés : « Merci pour tout Villette et milité au sein des Céméa, association d’édu-
ce que vous nous envoyez. C’est précieux de rapprocher cation populaire. C’est là qu’il a découvert la pédagogie
les mondes et de faire toucher d’un peu plus près les active et, en reliant ses répertoires professionnels, a
réalités haïtiennes. » fait naitre le projet d’un journalisme participatif. Il
Dans son collège, Erick Bureau utilise Globe Repor- apprécie de venir dans les écoles présenter les contours
ters comme un projet structurant pour son club audio- de l’aventure avant de devenir un intermédiaire entre
visuel qui rassemble une douzaine d’élèves, et une les élèves et les témoins, avant de revenir pour décou-
bibliothèque de ressources qu’il utilise en travaux vrir ce que les matériaux bruts sont devenus une fois
pratiques dans sa classe. Des groupes sont constitués façonnés par la pédagogie.
en fonction de thématiques. Ils restituent leur travail De prochaines campagnes se vivront sans doute
sous forme d’exposés, en utilisant le son et l’image aussi dans des classes tunisiennes, étant donné le
par le biais du tableau numérique interactif. Dans le soutien rencontré là-bas auprès des autorités locales.
groupe, chaque élève a une mission particulière, quelle Des missions plus brèves sont également proposées
que soit sa maitrise de l’écrit ou de ses connaissances sur un évènement ou une thématique précis. Les
projets s’étoffent et les besoins de par-
tenariats aussi, puisque les projets
mobilisent des journalistes, utilisent le
numérique, et les soutiens institution-
nels ne pourront à eux seuls répondre
aux constantes évolutions d’un projet
prometteur. Pour financer les initiatives
se déroulant dans leur établissement,
les enseignants recherchent des sub-
ventions, notamment au travers des
classes à PAC (projets artistiques et
culturels). « C’est un bon moyen de
mesurer leur motivation et de les impli-
quer dans le projet », souligne Alain
Devalpo. Mais l’ambition de Globe
Reporters implique de trouver d’autres
fonds, à hauteur des volontés qui
affluent, séduites par ce journalisme
participatif en version scolaire.
Être citoyen du monde, cela s’ap-
prend. Découvrir d’autres univers et
retranscrire cette découverte pour la
Classe au Laos©DR partager est une compétence qui se
construit au fil d’une expérience vécue,
sur le sujet abordé : « Tous sont responsables d’une d’une implication active. Erick Bureau et Alain Deval-
partie du travail. Tous sont intégrés dans les travaux po l’ont depuis longtemps compris et regardent avec
de groupe, y compris ceux qui ont des soucis de dys- surprise et enthousiasme leur projet, né de l’amitié,
lexie. Nous utilisons les compétences de chacun », grandir et grandir encore.n
témoigne l’enseignant. Cette année, le club audiovi-
suel accueille beaucoup de nouveaux élèves de 6e et
de 5e. L’heure est à la découverte et à la maitrise des
outils et de l’écriture radiophonique qui permettront
ensuite, à partir des riches matériaux récoltés, de
construire des séquences sonores postées sur le site
du collège. Et les sources seront variées, avec Alain
qui sera leur envoyé spécial en Turquie et Tatiana au
Congo.
Depuis 2006, ce sont près de 350 journalistes en Pour en savoir plus
herbe qui découvrent chaque année des horizons Globe Reporters : http://globereporters.couleurmonde.com
lointains et explorent l’actualité, la retranscrivent et Contact : globereporters@gmail.com
la partagent. Dix à quinze classes par an sont ainsi

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 63

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perspectives I Faits&idées

Israël-Palestine dans les manuels scolaires


en France
Sandrine Mansour-Mérien. Au Sénat, un colloque sur « les représentations du conflit israélo-palestinien dans les manuels scolaires »
a été organisé en novembre 2013. Sandrine Mansour-Mérien est docteure en histoire et chercheuse au Centre de recherches en histoire
internationale et atlantique à l’université de Nantes, et auteure d’une étude sur le sujet. Elle présente dans cet article le déséquilibre,
dans les manuels scolaires, de la présentation de la situation israélo-palestinienne. Yannick Mével, professeur d’histoire-géographie et
membre du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques, sans contester ces conclusions mais en les relativisant, insiste sur le rôle de
l’enseignant pour éviter, quoi qu’il en soit, de s’enferrer dans la logique de guerre, camp contre camp, par trop manichéenne.

V
ers une information scientifique. menace pour Israël, Arafat étant d’ailleurs considéré
« Aujourd’hui comme hier, les manuels dans le Nathan Cote comme « le partisan d’une ligne
résultent d’une sélection de contenus. Dans dure, qui abandonne progressivement le terrorisme ».
des disciplines telles que l’histoire, la géo- Le Bordas indique qu’« Israël doit désormais faire face
graphie et les sciences humaines en général, à l’OLP », avec en rappel l’objectif de l’OLP qui est
les choix s’opèrent logiquement sur la base des intérêts la destruction d’Israël.
politiques du moment. » Ainsi s’exprime le professeur
Paolo Bianchini dans son article consacré aux manuels
scolaires et paru dans le journal Manière de voir[1] de
cet automne.
Sujet à la fois touchant l’histoire et la géographie,
Israël-Palestine dans les manuels scolaires reflète de
manière nette l’enjeu des intérêts politiques, puisque
ce conflit demeure jusqu’à ce jour non résolu, et ce,
malgré les nombreuses résolutions votées par l’ONU.
L’étude que nous avons entreprise dans le cadre d’une
analyse sur l’ensemble des manuels scolaires de ter-
minale en histoire (L-ES, bac pro et STG pour l’année
2012) laisse apparaitre un contenu qui épouse large-
ment le seul et unique point de vue occidental. Peu
ou pas de points de vue des pays arabes eux-mêmes,
et une justification sans cesse renouvelée des actions
faites d’abord par le mouvement sioniste puis par
l’État d’Israël. Pour étayer notre propos, nous don-
nerons quelques exemples sur les thèmes majeurs
abordés.

Sans discussion
Le point de départ de cette section de l’Histoire,
incluse dans le chapitre « Moyen et Proche-Orient »,
est la déclaration Balfour, cependant que la légitimité
juridique de cette déclaration n’est jamais discutée.
L’installation de l’immigration juive est mentionnée,
sans jamais évoquer le dessein politique et idéologique
du sionisme. Les adhérents au sionisme sont présentés
comme de nouveaux agents de la modernisation
(notamment par l’agriculture, alors que plus de 60 %
de la population palestinienne était agricole au début
du XXe siècle) ou des immigrants qui ont acheté la
terre. La question de l’expulsion de la population
n’est mentionnée en tant que telle que par un seul
manuel, le Hatier. Pour le Belin, il s’agit d’une « recom-
position démographique » ou des « réfugiés »
(Magnard, Nathan Cote), mais sans explication.
© éditions Bordas

Le nationalisme palestinien revêt une forme de


terrorisme mais jamais de résistance (le mot n’apparait
jamais pour les Palestiniens), et représente une

1  Manière de Voir, Le Monde diplomatique, octobre-novembre 2013

64 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Faits&idées

Quant à la colonisation, à l’exception de quelques devient celui d’Israël » ; ou le titre du chapitre dans
cartes qui marquent les points de présence des colo- le Hachette : « Israël et la question palestinienne ».
nies en Cisjordanie, le seul manuel qui montre une Les cartes mentionnent Tel Aviv comme capitale, mais
photo lointaine d’une colonie est le Magnard. Le mur, beaucoup indiquent Jérusalem celle d’Israël.
dans le Nathan STG par exemple, est présenté comme Or, actuellement et malgré l’apport considérable des
« le mur de sécurité séparant Israël de la Cisjordanie », ouvrages de ceux que l’on appelle « les nouveaux his-
ou dans le Bordas où il est noté que « depuis l’été toriens israéliens » (Benny
2002, Israël construit une barrière de séparation en Il existe une attitude Morris, Ilan Pappé, Avi
Cisjordanie afin d’empêcher toute intrusion de terro- assez générale à Shlaïm), les manuels sco-
ristes palestiniens », sans mentionner sa condamnation présenter les faits dans laires français présentent
par la Cour pénale internationale en 2004 qui en avait une vision qui n’est pas
exigé la démolition, ni les conséquences sur le terri-
un sens peu critique celle des réalités scientifi-
toire palestinien de sa construction.
du discours politique quement étudiées. Cer-
Sur la question de l’eau, un des enjeux du mur et du moment. tains manuels sont plus
de la politique d’annexion de la Cisjordanie, pas de pondérés que d’autres,
commentaire sur sa gestion pour Israël au détriment nuancent quelque peu, mais il existe une attitude assez
des Palestiniens. Au contraire, le Magnard indique : générale à présenter les faits dans un sens peu critique
« La Cisjordanie et Gaza disposent de nappes phréa- du discours politique du moment. Les thèmes qui
tiques indispensables à l’économie israélienne. » La ressortent de la lecture complète et non linéaire (textes,
phrase justifie ainsi le besoin d’eau d’Israël, sans images, questions, titres, cartes) nous donnent à croire
indiquer l’illégalité de cette mesure selon le droit que les Juifs ont des droits « naturels et historiques »
international. sur la terre de Palestine-Israël et que les Arabes en
général, les Palestiniens en particulier, constituent une
Le poids des photos menace pour le sionisme, puis pour Israël. Il est donc
Quant au choix des images, nous constatons la urgent de déconstruire cette version de la réalité, pour
même présentation : les images de violence sont tou- apporter aux élèves une approche plus conforme à la
jours celles des Palestiniens (attentats, Intifada), réalité, y compris historique. n
aucune ne montre les violences quotidiennes faites Sandrine Mansour-Mérien
par les soldats israéliens contre la population pales- Docteure en histoire

tinienne. Cette phrase du Magnard est à ce titre très


éloquente : «  À partir de 1965, le problème palestinien

Prise de position Quel rôle pour le cours d’histoire ?


Une lecture rapide desdits manuels des manuels aient un parti pris, mais pluralité des camps.
montre en effet que le point de vue plutôt qu’ils ne s’en rendent même pas Car dans cette affaire ce qui ne convient
palestinien est très peu présent, et compte, tant ils répètent une vulgate. pas, c’est l’idée qu’il y aurait les Pales-
certaines citations des manuels dans Ce que l’on sait en tant qu’enseignant, tiniens contre les Israéliens, chacun
l’article sont la reproduction de dis- c’est que si on évite de lire la leçon en constituant une entité monolithique,
cours partisans pro-israéliens. Cepen- filigrane, les manuels permettent la alors que tout tend à l’inverse à mon-
dant, il ne serait pas bon d’opposer confrontation des actes et des discours trer que ces entités (Israéliens, Pales-
une vérité scientifique au discours des au regard des résolutions de l’ONU. tiniens) sont des configurations
manuels : l’important selon moi est discursives au service des propagandes
d’interroger plutôt le statut de l’infor- Vulgate contre vulgate des acteurs pluriels. Prendre ces dis-
mation scientifique. Les nouveaux En fait, ce qui est à mettre en cause, cours pour la réalité, c’est s’enfermer
historiens israéliens dont il est question c’est l’organisation du texte des dans la logique de la guerre. On peut
adoptent en effet des positions nuan- manuels selon un récit univoque (vul- au moins diviser chacun des deux
cées et respectueuses des populations gate), quel qu’il soit. S’il s’agit de subs- groupes en partisans de la négociation
et des résolutions de l’ONU, et sont tituer à une vulgate une autre vulgate, et partisans de la guerre. Il me semble
donc beaucoup plus recommandés fût-elle plus conforme à des positions que la seule solution, en terminale,
que la vulgate proposée par les de défense des droits de l’homme, ça consiste à envisager la question sous
manuels. Mais pour autant, leur dis- ne résout rien et ce n’est surtout pas l’angle des discours affrontés dans la
cours n’est pas la vérité. De la même le rôle du cours d’histoire. S’il s’agit de chronologie, en mobilisant des docu-
manière, un collage de citations proposer de renvoyer dos à dos les ments qui en illustrent la diversité, sans
extraites de manuels tend à durcir la belligérants au nom d’une neutralité chercher à établir une vérité qui comp-
thèse du parti pris. scientifique, c’est d’une grande naï- terait les points.
Sur cette question comme sur d’autres veté quant à la nature du texte de Yannick Mével
d’ailleurs, il est bon d’éviter une lecture l’Histoire. Il reste à proposer aux élèves Professeur d’histoire-géographie

univoque des manuels. Le plus grave des documents de propagande des


n’est sans doute pas que les auteurs deux camps, ou plutôt de la grande

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 65

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perspectives I Faits&idées

S’écrire
Collectif. Écrire à plusieurs un article au terme d’un stage école centré sur l’enseignement de l’écriture constituait un projet évident
pour cette équipe. Il s’agissait de questionner, en écrivant leur rapport à l’écriture, dans une démarche d’analyse des pratiques profes-
sionnelles associée à un questionnement didactique.

N
ous avons postulé qu’écrire constituerait tion” à l’école. Aujourd’hui encore, écrire m’est difficile.
« un puissant instrument cognitif de déve- Je n’écris que pour moi. De ce fait, je peux écrire sans
loppement professionnel[1] » nous permet- avoir peur d’être jugée. En toute objectivité, je n’ai
tant d’expliciter des valeurs et des savoirs jamais été douée : on ne peut pas écrire comme l’on
personnels et professionnels, de ces valeurs parle et je suis très spontanée. Alors, quand je dois
qui font agir. Nous avons aussi postulé que le soi-élève écrire un mot aux parents dans le carnet de liaison,
influençait le soi-enseignant et que le rendre tangible cela me prend du temps.
nous aiderait à nous construire notre cheminement. « Écrire, c’est laisser Tous ces obstacles per-
Cet article n’est pas une juxtaposition de points de une trace qui peut sonnels ont une grande
vue, mais une écriture intégrative. Nous n’avons pas être relue et influence sur mon ensei-
évacué nos doutes, voire nos inhibitions, et avons
interprétée. Comme je gnement : je ne propose
même choisi de les rendre apparents en écrivant ce pas beaucoup de rédac-
texte à la première personne. Écrire ensemble dans
sais que chaque mot tions à mes élèves. La
le champ professionnel n’est pas si simple. Écrire écrit sur une copie est réflexion collective m’a
expose, écrire s’expose. Il a été posé que l’écriture décortiqué, j’évite au en quelque sorte récon-
serait « un espace d’élaboration d’une pensée située, maximum de laisser ciliée avec l’écriture. »
reliée et formalisée », manière de suivre Alain André des traces. » « Écrire. Pour moi
et Mireille Cifali sur la contrainte d’acceptation de aussi une épreuve. Le
l’expérience de l’autre dans sa propre écriture. fait que je sois obligée ici de me mettre en situation
me permet surtout de me remettre dans un rôle d’élève
Écrire ? soumis à la critique de l’autre. Écrire, c’est laisser une
« J’ai toujours aimé écrire. Petit, je voyais ma mère trace qui peut être relue et interprétée. Comme je sais
écrire son journal. Aujourd’hui encore, écrire est un que chaque mot écrit sur une copie est décortiqué,
moment pour me retrouver. Un plaisir incomparable. j’évite au maximum de laisser des traces. »
Jouer avec les mots, transcrire une émotion, raturer,
douter, pour moi tout cela en fait partie. En aucun Faire écrire ?
cas, je ne le vois comme un obstacle. Sans doute cela « Ne pas proposer d’activité de rédaction pour éviter
influe-t-il sur mon enseignement : écrire est une d’entrer dans l’analyse des textes des élèves ? Assuré-
constante. » ment insatisfaisant. Dans la théorie, j’adorerais faire
« Je ne peux dire que ce soit aussi idyllique pour écrire mes élèves parce que pour moi, je ne vois pas
moi ! L’angoisse de la page blanche, depuis combien de problème de fond. Mais il y a la pratique ! Pour
de temps n’y avais-je pas été confrontée ? Mon mémoire moi, le problème vient surtout de la difficulté à les
professionnel date de 2005 : huit ans déjà. Huit années aider à reprendre leur travail, surtout dans les grandes
pendant lesquelles j’ai pourtant corrigé, évalué les classes. Je me retrouve impuissante devant des textes
textes de mes élèves et j’ai oublié. Oublié combien il incompréhensibles et je passe des heures à corriger.
pouvait être difficile d’être confrontée à cet exercice. Enfin, corriger, c’est une façon de parler parfois ! »
Il aura fallu ce stage et ce « Un sentiment large-
projet pour de nouveau me ment partagé et qui a per-
questionner. Suis-je capable mis de questionner le texte
de comprendre ce que res- idéal (idée) qui constitue
sentent mes élèves, de les notre propre référence impli-
aider à progresser ? » cite. Améliorer, c’est rendre
« Tout texte a vocation à meilleur, mais quoi et par
être lu. Et les lecteurs rapport à quoi ? Et au-delà,
s’érigent bien souvent en que renvoie l’erreur, pour
juges de ce que nous moi, pour mon élève ? »
sommes. Enfant, je n’aimais « Pour la réécriture, il y a
©Philippe Charpentier

pas écrire. J’avais en horreur vraiment un effet “par où


ce que l’on appelle “rédac- commencer” assez découra-
geant pour tous. Il faut
nous déculpabiliser quant
1  Jacques Crinon et Michèle Guigue, à la correction et aux aides
« Écriture et professionnalisation »,
Revue française de pédagogie, n° 156,
apportées aux élèves. Désor-
p. 117-169, 2006. mais, j’ose réécrire une par-

66 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Faits&idées

tie des textes des enfants, en leur laissant un segment dit, autrement, le travail du rapport au savoir (que
bien précis à retravailler. Ou leur demande de retra- d’autres nomment aussi « dispositif d’analyse des
vailler tout leur texte en portant leur attention sur un pratiques professionnelles ». On n’a pas fait part des
critère très précis. Notre réflexion commune m’a permis échanges, très riches pourtant, autour du texte devenu
d’envisager d’évaluer autrement. Nos échanges m’ont objet collectif. Écrire est éminemment singulier. Main-
offert de réfléchir à la définition de critères précis et tenant, nous le comprenons un peu mieux. Une pre-
peu nombreux, quitte à prendre en charge d’autres mière étape essentielle pour penser l’enseignement.n
obstacles périphériques à ce que l’on vise prioritaire-
Article coordonné par Christophe Blanc, conseiller
ment. Un consensus s’est dégagé. » pédagogique, et corédigé avec Marina Baudelot,
Stéphanie Bouchaud, Nathalie Dubus, Clémentine Humbert-
Un objet collectif Gonzalez, Carole Lagniez, Mélanie Laté, Clémentine Novel,
« C’est un peu psychanalytique d’écrire comme ça François Pineaux, Sophie Prevelato et Michèle Zenou,
sur nous ! » : une phrase lâchée lors d’un moment enseignants de l’école élémentaire, rue Mademoiselle à Paris.
de discussion informelle sur notre rédaction. Et qui

Le papier du blogueur http://lioneljeanjeau.canalblog.com

Plume militante
P
arfois, la question me taraude : « Pourquoi est-ce mes articles, vérifiant si par hasard je ne porte pas
que tu tiens ton blog ? » Tenir un blog, c’est expo- atteinte à son intégrité, ou pire, à son identité.
ser sa parole à la critique des autres, se mettre à Mais voyons les choses autrement. Cette angoisse,
nu. Mais en qualité de professionnel, et de fonction- en réalité, c’est plutôt du trac. Le trac inhérent à toute
naire, c’est encore autre chose : c’est rajouter volontai- confrontation avec un public dont on attend les réac-
rement du stress à un métier qui n’en manque pas. tions. Car tenir un blog, c’est aussi une occasion unique
Être blogueur, alors, c’est se créer de se confronter à la réflexion, loin
une forme d’angoisse. Angoisse de des rôles que l’institution fait jouer
ne pas savoir qui, dans votre entou- à chacun d’entre nous. J’écris sur
rage professionnel, vous lira ou vous mon travail parce que je crois en lui,
a lu. Angoisse de ne pas savoir qui en sa capacité à faire bouger les
répond à vos billets sous pseudo- choses. J’écris parce que j’assume
nyme. Et si Untel lisait ce que j’ose ma position réformatrice, au cœur
dire de sa profession, de ses idées ? d’un univers qui l’est si peu. J’écris
Et si les gens que je côtoie chaque parce qu’au-delà de la routine, il faut
jour me lisaient, sans me le dire ? garder un peu de hauteur pour com-
Mon lecteur, c’est peut-être mon prendre ce que l’on fait, et le faire
supérieur hiérarchique, forcément mieux. Tenir mon blog, c’est ma
un peu inquiet de voir un « subor- façon de militer. Ma parole y est
donné », comme on disait dans libre, mes opinions s’y diffusent.
l’administration d’antan, tenir des Elles s’y croisent avec d’autres, sou-
propos hostiles envers l’institution. vent contradictoires, voire inconci-
C’est peut-être aussi mon collègue liables, mais toujours de cette
qui surveille du coin de l’œil ce que Lionel Jeanjeau ©DR confrontation il ressort quelque
je dis, friand de pouvoir me le ressortir à l’occasion chose : le plaisir de mieux comprendre les choses, de
d’une réunion de travail, d’une rencontre, d’une dis- mieux appréhender les enjeux. Le plaisir, en somme,
cussion autour de la machine à café, trop heureux de de prendre ma place, si modeste qu’elle soit, dans la
pouvoir pointer mes contradictions lorsque les aléas longue et lente réflexion sur l’évolution de notre sys-
des injonctions me conduisent à appliquer des poli- tème. Un bon antidote à une autre angoisse : la peur
tiques que je ne cautionne pas en tant que blogueur. de mal faire mon travail au quotidien, faute de me
Mon lecteur, c’est peut-être enfin quelqu’un parmi les questionner assez sur ses enjeux. Tenir un blog militant,
enseignants, les parents, les élèves, les délégués syn- pour un cadre, c’est finalement la plus voluptueuse et
dicaux de tous horizons. Ce lecteur-là est sans doute la moins contraignante des formations. n
le plus tatillon de mes lecteurs, guettant le moindre de Lionel Jeanjeau

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 67

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perspectives I Depuisletemps…

L'observateur observé
Les tribulations d’un élève pour l’amener à modifier son des-
Mai 1983. Le gouvernement professeur qui se cherche sin, ou à le compléter : j’ai sur la table
Mauroy 3 l’a fait sans le dire. Le Comme au bon vieux temps, mon- le reflet de ce qu’ils croient, et je suis
tournant de la rigueur. Finies les sieur l’inspecteur arrive dans ma classe, sure de ne pas passer à côté de leurs
grandes réformes, on gère. Pourtant, s’installe au fond et me regarde officier. préoccupations.
pour ce qui touche à l’enseignement, Évidemment, il a fallu qu’il vienne dans Mais, pendant ce temps-là, monsieur
tout n’est pas joué : la réforme des la plus mauvaise classe de 6e de l’éta- l’inspecteur s’ennuie, chuchote avec les
universités reste à adopter, le grand blissement. Dans cette classe, les jours élèves, et lorsqu’il donne des informa-
service public de l’éducation qui doit fastes, un élève sur deux n’a pas oublié tions générales, seuls les initiés com-
intégrer public et privé n’est pas son classeur. Eh bien, aujourd’hui, c’est prennent, situation qui pourrait être
encore enterré. Le ministre Savary un bon jour : seulement deux classeurs comique, mais qui en fait est inconfor-
peut espérer changer le lycée oubliés, et tous ont fait le travail deman- table, car je sais bien que ma prestation
(Antoine Prost lui remettra un dé. Ravie, je passe d’un élève à l’autre n’est pas à mon avantage et, quoi qu’on
rapport en ce sens dans quelques pour voir le travail. Le sujet : les plantes en dise, il n’est pas agréable de s’en-
mois) et d’abord le collège. Le en hiver. Nous sommes sortis plusieurs tendre dire qu’on n’est pas bon ! De
rapport Legrand (février 1983) donne fois dans la cour pour observer arbres, toute façon, c’est comme ça, on verra
naissance à la rénovation des arbustes et plantes herbacées, prendre bien.
collèges. C’est la révolution culturelle, L’heure se passe ainsi, et dans le der-
mille fleurs vont s’épanouir. Les Pendant ce temps-là, nier quart d’heure, j’ai terminé mes
militants pédagogiques n’ont pas monsieur l’inspecteur tête-à-tête, nous résumons le résultat
attendu ce grand soir pour s’engager
s’ennuie, chuchote de nos observations qui viendront com-
pléter les schémas, dernière mouture à
dans le changement ! Ainsi ces
professeurs de biologie dans le
avec les élèves, et faire pour la prochaine heure.
dossier des Cahiers pédagogiques
lorsqu’il donne des Certes, j’aurais pu faire un beau
n° 214, « Enseigner la biologie ». Et informations numéro d’estrade en dessinant au
parmi eux, Nicole Dubois. Est-elle en générales, seuls les tableau le schéma classique des types
avance sur son temps ? Sans doute initiés comprennent. biologiques, mais qu’en serait-il resté
pas tant que cela. Sauf sur un point : dans la tête de mes élèves ?
elle s’intéresse à l’observation. les températures, et aujourd’hui,
Observer en classe ? L’idée serait-elle sixième semaine, c’est la synthèse : il Je suivrai tout de même
si nouvelle ? Le terme est rare dans fallait représenter sur un paysage toutes « Quand on constate que ce résumé
les Cahiers pédagogiques. Ou est-ce les observations faites dehors et en traduit les acquisitions de cinq heures
un effet de vocabulaire qui fait que classe. Volontairement, je n’écris rien de classe, il y a lieu de s’interroger sur
l’on nommait autrement ce geste au tableau, car mon objectif était de le profit tiré par les élèves », mais quel
professionnel ? L’article fonctionne voir si, en laissant les élèves trouver un est le sens d’un résumé ? « Nous savons
comme une mise en abime de mode de représentation des types bio- bien qu’une expérience scientifique ou
différents niveaux de l’observation logiques (que je modifierai si néces- pédagogique ne peut être conduite
dans la classe. Voici une enseignante saire), je n’arriverais pas à mieux leur qu’avec des objectifs nettement fixés »,
qui fait observer ses élèves, sa faire acquérir d’une part les notions donc comme je n’ai pas dit à mes élèves
matière n’est-elle pas une science où biologiques, d’autre part la nécessité quels étaient mes objectifs, c’est que je
l’observation joue un rôle d’une schématisation, notamment pour n’en avais point !
déterminant ? Et tandis qu’ils indiquer nettement les températures Heureusement, la petite phrase qui
observent, elle les observe aux différentes altitudes et la position suivait me redonnait espoir : « Je suivrai
observant, pour adapter ce qu’elle des bourgeons. Il me semblait que si tout de même avec intérêt l’évaluation
leur enseigne. Mais voilà qu’un j’arrivais à atteindre ces deux objectifs, qui pourra être faite ultérieurement. »
troisième larron s’en mêle. je n’aurais pas perdu mes six heures. Elle l’a été, monsieur l’inspecteur en a
L’inspecteur. Il vient l’observer, elle, Or, aujourd’hui, ils ont tous leur pay- été informé et m’a répondu fort civile-
enseigner et, la voyant observer ses sage. Certains m’émerveillent par l’har- ment qu’il viendrait à l’occasion en
élèves observant, il ne voit rien. Du monie des couleurs et même le plus discuter avec moi. C’était il y a deux
coup, c’est elle qui, par un mauvais étale sur son bureau un ans. Je l’attends encore.
spectaculaire effet de miroir observe dépliant à quatre volets sur lequel il a Enfin et pour finir. Un conseil, gardez-
l’observateur en difficulté d’observer. collé les plantes. Ils ont travaillé, et avec vous bien de dire que vous êtes heu-
À la page suivante, un décalogue gout, ce qui me semble intéressant. reux : «  Mme Dubois bénéficie dans son
imaginaire non signé. Juste là pour établissement de bonnes conditions de
montrer la diversité des discours des Seuls les initiés travail ; son service de dix-huit heures
inspecteurs, en ces temps révolus. comprennent réparties sur cinq matinées lui laisse
Pour réaliser mes objectifs, il faut certainement le temps nécessaire à la
maintenant que je travaille avec chaque préparation des leçons et au suivi du

68 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Depuisletemps…

travail des élèves (contrôle des classeurs, correction doit établir une progression (dès le jour de la rentrée
des exercices). » Comment dois-je comprendre ce si possible).
dernier paragraphe ? Deux solutions : ou bien j’ai fait Principe n° 4- Corolaire des 2 et 3 : La progression
tout cela, mais étant donné les conditions dans les- s’élabore en l’absence des élèves et en dehors de toute
quelles je me trouve, c’est normal ; ou bien je ne l’ai contamination par leurs désirs, leurs besoins et toute
pas fait, et alors là, c’est grave ! Je penche d’ailleurs sollicitation de l’actualité.
pour la deuxième solution, car la dernière phrase du Principe n° 5- Les élèves n’ont aucune existence,
rapport est sans ambigüité : « Je peux donc l’engager aucune réalité entre deux cours de biologie.
à tout mettre en œuvre pour donner à son action Principe n° 6- Les élèves n’ont pas de passé (même
pédagogique une meilleure efficacité. » scolaire).
Et moi qui croyais qu’en laissant tâtonner mes Principe n° 7- Les élèves apprennent par osmose.
élèves, j’étais plus efficace qu’en leur plaquant au Principe n° 8- La didactique de la biologie repose
tableau des vérités toutes faites. sur les principes 3, 4, 5 et 6, et sur le mythe de la
Nicole Dubois redécouverte.
Principe n° 9- L’enseignant de biologie peut (doit ?)
« Vous voudriez que tous les élèves tout ignorer des méthodes d’apprentissage des élèves
réussissent ? » … ou les dix principes facilitant la structuration des connaissances, la
d’un inspecteur de passage mémorisation.
Principe n° 1- Hors de la biologie point de salut. Principe n° 10- La valeur d’un orchestre se mesure
Principe n° 2- La biologie inscrite au programme au brio du choryphée et la valeur du choryphée se
d’une année est une, progressive et sans faille. mesure à la pseudo-activité socratique des élèves. n
Principe n° 3- Corolaire du n° 2 : On peut et on

Blanche dérive, installation, sculpture, dimension, L.6 m. x h.1,70 m. x l. 2 m., Marseille, 2013©DR
Cette réalisation est issue de l’exposition personnelle de Lise Couzinier « L’eau est-elle la même des deux côtés du
bateau ? » présentée de novembre à décembre 2013 à Marseille dans le cadre du Festival POC 2013. Cette exposition est
une invitation aux voyages, à une rencontre entre eau douce et eau salée, où la frontière est parfois hésitante.
L’ensemble de ses œuvres est humaniste, sensible et accessible. Elle place l’homme au centre de sa démarche, le met en
scène face aux éléments, à sa propre nature et à ses semblables. Avec poésie et humour, elle multiplie les propositions,
telle une sportive engagée dans sa pratique, les mains nues et sur le terrain, convoquant corps et esprit sur la même ligne
artistique. http://lisecouzinier.wordpress.com
Le portrait de Lise Couzinier par Monique Royer : http://www.cahiers-pedagogiques.com/L-art-des-minots-dans-la-ville

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 69

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perspectives I Lelivredumois

L’autorité éducative, la construire et l’exercer


Bruno Robbes (dir.), Repères pour agir, Scéren-CNDP-CDDP/CRAP-Cahiers pédagogiques, 2014.

P
our l’auteur et les différents Si les jeunes ont besoin d’un cadre sécu-
contributeurs du livre, l’auto- risant et contenant pour se construire,
rité n’est pas innée, elle ne ce cadre n’est agissant qu’au travers des
relève pas du charisme, elle adultes qui l’investissent.
s’élabore au jour le jour et Une autre piste est particulièrement
reste, de façon permanente, « en féconde : le « collectif ». On ne fait pas
construction ». Une orientation générale autorité tout seul. Les dynamiques col-
qui va à contrecourant d’un certain lectives d’établissement facilitent l’exer-
esprit ambiant en quête d’une restau- cice de l’autorité de chacun, mais tra-
ration de l’autorité d’hier pensée comme vaille-t-on suffisamment sur leur mise
l’attribut quasi sacré de ceux qui la en œuvre ?
possèdent. Tout est bon à prendre dans cet
Si ce mode d’autorité, légitimé par ouvrage précieux, tant du côté des réfé-
un principe de transcendance, a pu rences théoriques que des récits d’expé-
fonctionner dans des sociétés patriar- riences et des principes d’action. Les
cales marquées par une organisation voix croisées de chercheurs et d’acteurs
hiérarchique, « le mouvement d’éman- diversement situés dans le champ édu-
cipation critique de la modernité » rap- catif (enseignants, chefs d’établisse-
pelé par Eirick Prairat le rend inopérant ment, formateurs, conseillers principaux
en ce qu’il « ne cesse de faire l’éloge de d’éducation, parents), loin de diluer le
l’égalité ». Une analyse partagée par propos, lui donnent au contraire consis-
François Dubet pour qui « la crise de consistant, certes, mais « avec ses fra- tance et crédibilité.
l’autorité est la conséquence fatale de gilités ». Sa consistance s’appuie sur Formulons le souhait que sa lecture
la modernité, qui rationalise et désen- ses valeurs, ses convictions et son apti- en soit largement conseillée dans les
chante le monde » et par Daniel Marcelli tude à assumer la dissymétrie des places ESPÉ et dans les établissements sco-
qui souligne, lui aussi, que « dans une dans la relation éducative. Mais elle laires, qu’elle contribue à modifier les
société démocratique, fondée sur le prin- n’est pas rigidité : elle reste vulnérable discours simplistes et réducteurs sur
cipe d’égalité des individus, […] il n’est aux failles inhérentes à la condition l’autorité et la tenue de classe et qu’au-
plus possible de conserver une définition humaine, aux erreurs toujours possibles delà de « trucs pour agir », elle fournisse
de l’autorité qui s’appuie sur une hié- et aux affects qui traversent toute rela- aux éducateurs des outils pour penser.
rarchie implicite et inégalitaire ». tion. Ne pas l’accepter peut mener à Car on aura compris que pratiquer une
Quels peuvent donc être alors les confondre pouvoir et autorité. autorité qui se veut éducative consiste
ressorts de l’autorité aujourd’hui ? Or l’autorité, nous dit Daniel Marcelli, moins à tenir une classe ou assujettir
Pour Dubet, « dans une société démo- loin d’être une manifestation de domi- des élèves qu’à trouver collectivement
cratique, on obéit à une loi parce qu’on nation de l’autre, est un « non-acte » de les voies d’une relation et d’une organi-
la pense juste » et, ajoute-t-il, « il nous qui a su « renoncer à son pouvoir de sation qui les aident à se mettre en mou-
faut donc construire l’autorité et sa légi- contrainte ou de soumission par la force vement pour apprendre et grandir. n
timité en la faisant découler de la justice ou par la séduction ». Et c’est parce qu’il Nicole Priou
scolaire et en l’inscrivant dans un art n’a pas été contraint de se soumettre
de vivre ensemble des sociétés démocra- que le plus faible peut accepter d’obéir
tiques ». Les nombreux témoignages et et reconnait l’autorité de celui qui res-
récits d’expériences de praticiens (sou- pecte l’éventualité de sa désobéissance
vent appuyés sur la pédagogie institu- et de sa transgression. Penser l’autorité
tionnelle) lui donnent raison en mon- comme une attitude de retenue (de la
trant l’intérêt d’associer les élèves à force ou de la séduction) là où il est
l’élaboration collective des règles de fréquent de la penser sur le mode
fonctionnement et à leur contrôle. unique de l’intervention, ouvre des
Mais on pourra aussi mettre l’accent sur perspectives tout à fait intéressantes.
quelques traits saillants qui nous paraissent Une des conditions de l’autorité réside
particulièrement pertinents, bien que peu bien dans « l’engagement personnel,
inscrits dans les mentalités. l’autorisation d’être partie prenante
D’abord (et cela ressort à la fois dans d’une relation, avec et parfois au-delà de
les récits d’expériences et les propos de notre statut » (M. Cifali). Un engagement
chercheurs), l’adulte qui a de l’autorité qui ne va pas sans risque : celui de toute
est, comme le rappelle Mireille Cifali, relation qui cherche à être authentique.

70 I Les Cahiers pédagogiques I N° 511 I Février 2014

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Lelivredumois

questionsà
taires : méthodologies d’analyse de
Bruno Robbes situations, monographies de la péda-
gogie institutionnelle, plateforme
Pour François Jacquet-Francillon, nous NéoPass@ction, etc.
sommes passés d’une « culture des
humanités classiques qui avait pour but Dans le chapitre 5 sur « les relations
de faire des individus “distingués” sépa- d’autorité dans l’établissement », on
rés culturellement du reste de la socié- voit bien la diversité des fonctionne-
té » à une « culture destinée à nous ments des collectifs que sont les éta-
rendre semblables et non pas diffé- blissements. La division du travail
rents », ce qui affecte l’autorité du (conseiller principal d’éducation d’un
maitre. Partagez-vous ce constat ? côté, enseignants de l’autre) qui
On pourrait soutenir à l’inverse n’existe pas dans tous les pays (dans le
qu’avec l’essor de l’individualisme livre, exemples de la Finlande ou de la
comme valeur sociétale dominante, Nouvelle-Zélande) n’est-elle pas en
les personnes cherchent à se distin- France un obstacle à une mise en œuvre
guer davantage les unes des autres, réussie de l’autorité éducative ? Dans
dans un environnement concurren- quel sens faudrait-il faire bouger les
tiel où la culture est d’abord un Bruno Robbes ©DR choses ?
modèle économique qui les norma- Je pense en effet que l’habitude des
lise certes, mais avec subtilité, Vous affirmez, dans votre livre, que « la professeurs français à sous-traiter les
puisqu’elle est capable d’adapter ses recette est un leurre » et proposez des questions de discipline, de sanction,
stratégies aux singularités. « outils pour penser » plutôt que « des d’autorité et à abuser de l’exclusion
Si les humains ont en eux cette trucs pour agir ». Est-ce déjà possible est un obstacle, d’abord à l’exercice
double aspiration à être à la fois en formation initiale ? Ou plutôt envi- de l’autorité des professeurs eux-
semblables et distincts, il faut se sageable en formation continue ? mêmes, ce dont peu sont conscients.
demander pour quelles finalités, et C’est possible et même souhaitable, Car demander à quelqu’un d’exercer
quels environnements leur permet- à la fois en formation initiale et l’autorité à sa place, c’est faire dis-
traient de la satisfaire. S’agit-il de continue, à condition de travailler paraitre la sienne. Pour autant, il
leur faire croire qu’ils sont distincts en tenant compte des préoccupations existe des situations limites où un
ou semblables par l’illusion, la des professionnels (celles des ensei- professionnel, aussi expérimenté
séduction, donc au final de les sou- gnants débutants ne sont à priori soit-il, peut avoir besoin de (voire
mettre, ou de les aider à devenir pas celles des plus expérimentés, ce même doit !) faire appel à d’autres.
toujours davantage auteurs d’eux- qui n’exclut pas de les faire travailler Pour une mise en œuvre réussie de
mêmes, en reconnaissant que cette ensemble sur les mêmes situations), l’autorité éducative, il importe
quête jamais achevée d’exister dis- en variant les lieux d’exercice (la d’abord de distinguer les situations
tinctement des autres passe irréduc- diversité des terrains d’expérience qui relèvent de la responsabilité du
tiblement par d’autres ? Une vision est une richesse pour l’analyse), en professeur dans sa classe et qu’il doit
marchande de la culture et des multipliant les situations étudiées traiter seul, de celles d’un niveau de
connaissances ne peut que limiter qui présentent en contexte plusieurs gravité supérieur qui requièrent
les ambitions et les exigences qua- réponses possibles (afin d’éviter l’intervention d’un tiers, donc la
litatives, au risque de l’emprise et l’effet modélisant de la réponse qui collaboration entre professionnels.
de l’asservissement des individus. a fonctionné dans une situation don- Cela suppose une réflexion de
La place des contrecultures, des née). Il s’agit d’abord de mettre au l’équipe éducative en entier. Si l’au-
pratiques culturelles alternatives ou jour des principes directeurs qui torité ne se partage pas, un accord
minoritaires est essentielle. Sur ces guident les actions, des chemine- entre professionnels sur des procé-
deux aspects, l’autorité enseignante ments réflexifs qui explicitent les dures claires ainsi qu’une cohérence
est directement concernée à travers décisions prises et les buts poursui- minimale sur des principes d’action
l’accès à des lieux culturels de qua- vis, plutôt que de compiler les communs favorisent l’exercice de
lité, les objets culturels et les sup- bonnes pratiques. Il ne s’agit pas, l’autorité de chacun. Enfin, il serait
ports de connaissance proposés aux comme le dit Eirick Prairat à propos temps de former professeurs et
élèves. Aujourd’hui d’ailleurs (et de la sanction éducative, de « faire conseillers principaux d’éducation
c’est réconfortant), dans les dis- voir », mais de « donner à penser ». à analyser ensemble ces situations
cours d’enseignants comme de la Ainsi, plusieurs textes de l’ouvrage qui les concernent. Dans les ESPÉ
plupart des chercheurs traitant de résultent de l’utilisation de dispositifs telles qu’elles se mettent en place
ces questions, on oppose de moins nombreux dont nous disposons actuellement d’après mes informa-
en moins culture, savoir et aujourd’hui, pour répondre à des tions, cela est malheureusement loin
pédagogie. besoins de formation complémen- d’être acquis. n

Février 2014 I N° 511 I Les Cahiers pédagogiques I 71

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cahierspédagogiques
10 rue Chevreul, 75011 Paris. Tél. : 01 43 48 22 30 - Fax : 01 43 48 53 21 crap@cahiers-pedagogiques.com

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Croiser sans dogmatisme les réflexions, pratiques et expériences de chacun, enseignants et personnels
du secondaire et du primaire, chercheurs, formateurs, éducateurs, parents
Discuter sans réserves de tout ce qui pose problème dans le champ professionnel, des réformes en cours,
du fonctionnement de l’école dans toutes ses dimensions
Dépasser les simplismes, parce que les raccourcis sur le niveau qui monte ou qui baisse ou sur l’école
d’antan n’ont jamais fait avancer d’un iota les apprentissages et l’éducation de la jeunesse d’aujourd’hui

Ces principes qui animent l’équipe des Cahiers pédagogiques sont également ceux du Cercle de recherche et d’action péda-
gogiques (CRAP), l’association qui les publie. Adhérer au CRAP-Cahiers pédagogiques, c’est donc soutenir la revue, c’est aussi
participer, par des rencontres, des échanges par une liste de diffusion électronique, à la vie d’une association d’acteurs du
monde éducatif soucieux de faire évoluer leurs pratiques, de réfléchir sur les problèmes de l’école pour mieux la faire progresser.

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Directrice de publication : Florence Castincaud Rédaction en chef : Patrice Bride, Christine Vallin
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Comité de rédaction : Correspondants académiques du CRAP :


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Ils soutiennent les Cahiers n Jean-Louis Auduc n François Audigier n Anne Barrère n Christian Baudelot n Francine Best
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Le Crap-Cahiers pédagogiques est soutenu pour son fonctionnement par le ministère de l’Éducation nationale

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