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Pour ce 100e titre de la collection, Philippe Meirieu

livre ici un véritable manuel de pédagogie pour l'Ecole


Entre le dire et le faire d'aujourd'hui.
Peut-être exista-t-il un temps où les enfants, en entrant en classe,
se transformaient miraculeusement en élèves et où les maîtres
"faisaient l'école2 spontanément ? de toute évidence, ce temps
Tome 2 n'est plus: les enseignants constatent aujourd'hui, au quotidien,
qu'il ne suffit pas qu'il soit inscrit "ECOLE" sur le fronton d'un
Faire l'Ecole, bâtiment pour qu'il y ait "de l'Ecole" dans l'école; les
comportements qui ont cours ici peuvent être du registre familial
ou clanique; on peut interpeller le professeur comme le membre
faire la classe d'une bande rivale ou exiger de la maîtresse qu'elle remplace
votre mère. On peut aussi se croire sur un plateau de télévision et
considérer que la règle du jeu est bien d'éliminer "le maillon
faible" !
Il est inutile, pourtant, de traiter ces questions sur le registre de la
plante ou de céder à la nostalgie; l'Ecole d'hier est morte... Vivre
Philippe Meirieu l'Ecole d'aujourd'hui ! Profitons-en pour nous recentrer sur les
principes susceptibles de fonder une Ecole pour demain ! Ne
regardons pas indéfiniment en arrière, mais travaillons à "faire de
ESF - Paris – 2004 l'Ecole" maintenant. et c'est parce que nous aurons la volonté
d'"instituer de l'Ecole" que nous saurons, alors, comment "faire la
classe".
Véritable manuel de pédagogie pour l'Ecole d'aujourd'hui, ce livre
permettra ses lecteurs, tout à la fois, de comprendre les enjeux
Philippe Meirieu, auteur de nombreux ouvrages traduits dans le fondamentaux de l'institution scolaire, d'entrer dans les tensions et
monde entier, a enseigné à tous les échelons de l'institution les contradictions qui structurent l'entreprise éducative et de
scolaire. Il a mené de nombreuses recherches sur l'Ecole et décider lucidement de ce qu'ils doivent faire au quotidien dans les
participé, à plusieurs reprises, à des chantiers importants (la situations les plus imprévues.
création du Conseil national des Programmes, des Instituts Construit en brefs chapitres qui peuvent être lus séparément,
universitaires de formation des maîtres, la réforme des lycées de comportant une multitude et d'outils à utiliser en formation et
1998 et la réforme des collèges de 2001). il se consacre dans la classe, il permet à Philippe Meirieu de livrer une synthèse
spécifiquement, depuis trois ans, à la formation initiale et continue qui sera utile aussi bien au professeur débutant qu'à l'expert
des enseignants et livre, dans cet ouvrage, les résultats de ce chevronné, aux formateurs qu'aux cadres éducatifs et aux
travail. chercheurs.
P. 4 de couverture

En préambule …

Il se s'agit, ici, que de quelques bribes de l'ouvrage de


Philippe Meirieu, qui ne reflètent qu'une maigre partie des
1. L'Ecole 14 principes propos qu'il nous offre.
Alors pourquoi cette démarche ?
pour une institution Tout d'abord parce qu'elle m'aide à mieux intégrer la
rigueur et la richesse de sa réflexion.
Ensuite, parce que les traces claires qu'il présente et qui
2. Le maître 11 tensions sont essentielles pour mon travail d'enseignement …
pour un métier

3. La classe 20 repères
pour une pratique

Proposition:
imprimer de différentes couleurs les 4 parties
… s'estompent et
Titre + généralités p. 1 tentent à disparaître lorsque je suis sur le terrain du
1. L'Ecole p. 2 à p. 5 quotidien. Un tel "mémo" me permet de revisiter les
2. Le maître p. 6 à p. 9 principes, tensions et repères proposés, relire quelques
3. La classe p. 10 à p. 15 passages oubliés… et, surtout, revivifier ma pratique !
Quoi qu'il en soit, préférez l'Original !
Après avoir coopé les pages en 4 parties égales, André Glardon
les insérer dans une/des pochettes A6
L'Ecole – 14 principes pour une institution
01. L'Ecole n'est pas seulement un service, c'est aussi une institution
02. Dans une démocratie, les principes fondateurs de l'Ecole
ne peuvent être trouvés que dans les conditions de possibilités

1. 03.

04.
elles-mêmes de l'exercice démocratique
L'institution scolaire n'existe, aujourd'hui, que si ses acteurs incarnent,
au quotidien, les principes qui l'inspirent
La mission fondatrice de l'Ecole est de transmettre aux jeunes générations
les moyens d'assurer, tout à la fois, leur avenir et l'avenir du monde

L'Ecole 05.

06.
La spécificité de la transmission scolaire est de s'effectuer
de manière obligatoire, progressive et exhaustive
L'histoire de l'Ecole et celle de la pédagogie témoignent de l'ambition
des hommes de n'exclure personne du processus de transmission
14 principes 07. Dès lors qu'elle est portée par un principe d'universalité, l'Ecole
se définit non comme un espace privé, mais comme un espace public

pour une institution 08. Dès lors qu'elle est portée par un principe d'universalité, l'Ecole
n'est pas compatible avec la recherche d'une quelconque homogénéité,
qu'elle soit idéologique, sociologique, psychologique ou intellectuelle
09. Pour faire exister un espace public dévolu à la transmission des
connaissances, l'Ecole doit suspendre la violence et la séduction
pour placer l'exigence de justesse, de précision et de vérité
au cœur de son fonctionnement
10. Pour faire exister un espace public dévolu à la transmission des
connaissances, l'Ecole doit suspendre les contraintes de la production
Entre le dire et le faire et considérer qu'il est toujours plus important de "comprendre" que de
Tome 2 "réussir"
11. Parce que "comprendre" est plus important que "réussir",
Faire l'Ecole, faire la classe l'Ecole est un lieu où l'on doit se tromper sans risque
12. L'Ecole doit être à elle-même son propre recours
13. Laïque, l'Ecole contribue à délivrer ceux qui la fréquentent
Philippe Meirieu de toutes les formes d'emprise sur les esprits
14. Ecole de la République, formant les citoyens d'un Etat démocratique,
pour un monde solidaire, l'institution scolaire doit conjuguer
intégration, émancipation et promotion de l'humanité dans l'homme
ESF - Paris - 2004

Principe n° 1 p. 18 Principe n° 2 p. 21
L'Ecole n'est pas seulement un service, Dans une démocratie, les principes fondateurs de
c'est aussi une institution l'Ecole ne peuvent être trouvés que dans les conditions
L'éducation nationale est, en France, un "service public". de possibilité elles-mêmes de l'exercice démocratique
[…] la spécificité d'un "service public" est d'être adossé à l'Etat.: c'est ce
Dès lors que l'Ecole n'est pas seulement un service, mais aussi une institution,
dernier qui garantit la qualité des services rendus à l'ensemble des usagers.
la question se pose de savoir qui en définit les principes. Les parents peuvent
Dans un "service public", nous n'avons pas à changer de fournisseur lorsque
demander qu'on modifie les horaires, les entreprises peuvent solliciter
nous ne sommes pas satisfaits puisque, d'abord, et n'y a pas d'organisme
l'institution scolaire pour que tel ou tel savoir-faire soit plus systématiquement
concurrent et que, surtout, en tant que citoyen, nous participons au contrôle du
développé, les enseignants peuvent souhaiter qu'on améliore leurs conditions
bon fonctionnement de ce service et pouvons, à ce titre et dans ce cadre, peser
de travail… Tout cela peut contribuer à ce que l'on fasse évoluer les modalités
sur son fonctionnement et son évolution. C'est là ce qui fait la différence entre
de l'Ecole, mais ne permet pas d'en définir les finalités.
une entreprise privée et un service public: la qualité des services d'une
Mais où faut-il donc chercher ces finalités ? Tout aussi paradoxal que cela
entreprise privée est garantie par la concurrence qu'elle entretient avec
puisse paraître, dans une démocratie, les principes fondateurs de l'Ecole ne
d'autres entreprises et la possibilité offerte au client de changer de fournisseur.
relèvent pas du choix des citoyens mais, plutôt, des conditions "a priori" qui
En revanche, si l'on a institué des "services publics" à côté du secteur
rendent la démocratie possible: Eduquer et enseigner aux enfants pour
concurrentiel, c'est que l'on considérait qu'il existait des domaines dans
qu'ils puissent prendre leur part à la vie démocratique. Les conséquences
lesquels il fallait fournir à tous les citoyens exactement les mêmes services.
d'un tel impératif peuvent être déclinées sur 4 registres.
A cet égard, l'Ecole est bien un "service public": elle rend des services et doit
Au plan anthropologique, l'Ecole doit permettre la découverte des 3 interdits
absolument les rendre de manière équitable à tous.
fondateurs qui, en amont même de toute organisation démocratique, permettent
Il s'agit de permettre à tous les enfants d'apprendre à lire, écrire et à compter,
à une démocratie de ne pas tomber dans le chaos: l'interdit de l'inceste,
de s'approprier les programmes scolaires nécessaires à leur développement
l'interdit de la violence, l'interdit de nuire.
personnel, à leur intégration sociale et à leur réussite professionnelle.
Au plan politique, l'impératif est de garantir l'existence même de la "polis".
Mais est-on tiré d'affaire pour autant ? Penserait-on, par exemple, que si l'on
C'est pourquoi, l'Ecole doit être être une "Ecole qui rassemble".
réussissait à faire réussir tous les élèves en les plaçant sous électrodes et en
Au plan didactique, l'Ecole doit permettre à chaque citoyen de comprendre le
leur envoyant une décharge électrique à la moindre erreur, l'on aurait créé une
monde qui l'entoure et de prendre sa part aux discussions qui décideront de son
véritable Ecole ?
avenir. Cela commence par la maîtrise des langages fondamentaux, se
Aussi, n'est-il pas possible de réduire l'Ecole à un simple "service", fût-il
poursuit par l'accès aux connaissances nécessaires, s'articule à la formation à
"public"… L'Ecole n'est pas –ne peut pas être- une machine à enseigner et à
une pensée critique capable de discerner le 2savoir2 du "croire". C'est
apprendre. En d'autres termes, la qualité d'une Ecole ne peut se mesurer
pourquoi l'Ecole doit être une "Ecole qui résiste", qui résiste à la toute-
seulement à la satisfaction des élèves, des parents ou des enseignants. On ne
puissance des opinions.
peut pas plus juger de la qualité de l'Ecole à la satisfaction de ses usagers et de
Au plan pédagogique, l'Ecole est celle qui parvient, tout à la fois et dans le
ses personnels qu'on ne peut juger de la qualité de la Justice à la satisfaction
même acte, à "domestiquer" et à "émanciper". Domestiquer pour permettre
des justiciables et des magistrats. La qualité d'un système judiciaire, en effet,
d'entrer dans la "domus", la maison qui existe avant l'arrivée de l'enfant et sans
tient au fait qu'il incarne les principes fondamentaux de la Justice.
laquelle aucun petit d'homme ne peut survivre. La maison dans laquelle il
Ainsi, l'Ecole doit-elle aussi être instituée. Le fonctionnement du "service
devra s'intégrer… quitte, un jour, à en partir. Car l'émancipation est la
public d'éducation" doit toujours être référé aux principes fondateurs de
condition de l'exercice de la démocratie. Sans émancipation, pas de liberté
"l'institution Ecole". Pour faire progresser l'Ecole, il faut savoir comment
possible et pas d'histoire. Une assignation à résidence. L'obligation de
"faire de l'Ecole". Et le maître qui "fait l'école", doit, simultanément, "faire
reproduire le passé. L'9nterdiction d'entrer dans l'avenir.
de l'Ecole".
Principe n° 3 p. 26 Principe n° 4 p. 29
L'institution scolaire n'existe, aujourd'hui, La mission fondatrice de l'Ecole
que si ses acteurs incarnent au quotidien, est de transmettre aux jeunes générations
les principes qui l'inspirent les moyens d'assurer, tout à la fois,
Les enseignants savent bien que ce n'est pas parce que le mot "école" est écrit sur leur avenir et l'avenir du monde
le fronton du bâtiment, que "de l'Ecole" se crée spontanément à l'intérieur. Une
Il n'est pas d'exemple où un être humain ait pu atteindre le statut d'adulte sans
fois dans la cour ou dans la classe, les élèves n'abandonnent pas miraculeusement
que soient intervenus dans sa vie d'autres êtres humains, adultes ceux-là.
leurs comportements sociaux: certains continuent à agir comme s'ils étaient
L'enfant, en vient, vient au monde infiniment démuni et il ne peut grandir que s'il
encore en famille… d'autres restent sous l'emprise de la bande de copains…
est "introduit dans le monde", si des adultes "font les présentations" et prennent en
d'autres se comportent à l'école comme sur un terrain de jeux : le plaisir doit y
charge son arrivée dans la maison. Là il lui faut apprendre les règles de ceux qui
régner en maître et, quand l'ennui pointe son nez, on manifeste brutalement son
l'accueillent. Et ce n'est jamais une affaire de tout repos: l'intégration dans la
mécon-tentement… beaucoup, enfin, transposent en classe les comportements
"domus" est toujours, plus ou moins, une entreprise de "domestication". Il y a des
qu'ils ont devant la télévision… en regrettant que là, on ne puisse pas changer de
horaires à respecter, des habitudes à prendre, des codes à acquérir, une langue à
chaîne !
parler, des obligations auxquelles il faut se soumettre. C'est une longue et difficile
Naguère l'enfant arrivait à l'école, dans l'immense majorité des cas, en étant déjà
entreprise. Mais c'est la condition de survie des enfants que l'on accueille. Et la
"un élève". Ou, au moins, quelqu'un prêt à le devenir.
condition, aussi, de la survie de la maison dans laquelle ils ont été accueillis.
Or, ce qui caractérise la situation actuelle, c'est que les anciennes règles ont volé
Pourtant, dans nos sociétés occidentales, les familles, longtemps, ont laissé les
en éclats sans que de nouvelles aient été clairement définies, ni mises en place.
choses se faire presque toutes seules, indifférentes au succès ou à l'échec de
Face à cela, les enseignants ont parfois le sentiment, comme les escargots,
l'éducation de leurs enfants. Au Moyen-Age, ces derniers, après un sevrage tardif,
d'emporter leur maison avec eux. L'école n'est plus la maison commune dans
étaient livrés à eux-mêmes, quittaient l'univers familial pour vivre leur vie, en
laquelle on arrive pou "faire ce que l'on a à faire", c'est un espace indifférencié où
bande, au contact de la réalité sociale, grappillant leur nourriture ici et là,
il faut reconstruire, chaque jour, chaque heure, sa petite maison personnelle. C'est
trouvant des moyens de fortune pour subsister, acquérant quelques habiletés en
bien évidemment terriblement fatigant et particulièrement décourageant… D'où le
imitant les adultes rencontrés au hasard de leurs pérégrinations.
souhait, plus ou moins explicite, d'une restauration de l'ordre ancien. Mais il est
L'Eglise, inquiète du phénomène, tenta bien de convaincre les parents de leurs
inutile de rêver: nous ne reviendrons pas en arrière !
responsabilités à l'égard de leur progéniture. Mais Sans grand succès. Alors, elle
Faut-il en déduire, pour autant, que l'Ecole n'a plus rien à exiger des élèves et doit
s'efforça de canaliser le mouvement et d'imposer son catéchisme aux enfants
abandonner ses principes ? Faut-il en conclure que l'Ecole doit, tout simplement,
abandonnés en spéculant sur les dangers de l'errance et la peur du loup. Elle y
renoncer à son existence en tant qu'institution ? Bien évidemment non. Mais il faut
parvint le plus souvent. Suite au désastre de la "Croisades des enfants" (1212) et
en revanche réinstituer les règles de l'Ecole quand il suffisait, jadis, de les tenir
certainement pour des raisons plus bassement matérielles, comme la nécessité de
pour acquises. L'enseignant ne peut plus se contenter d'entrer dans la classe et
transmettre l'héritage et de s'assurer la protection du fils ou de la fille quand les
d'attendre que celle-ci se mette spontanément en ordre de marche. Il doit incarner,
forces déclinent, on vit progressivement, à partir du XVe siècle, les parents
faire exister, rendre reconnaissables et mobilisateurs les principes fondateurs du
s'intéresser de plus près à leur progéniture.
projet Ecole. Certains penseront que c'est là un travail bien ingrat… D'autres
Il est probable que l'Ecole, dans ses premiers balbutiements, c'est d'abord et sim-
verront, au contraire, que c'est une immense chance: la chance de substituer à
plement cela: une manière de marquer qu'on aime ses enfants, qu'on veut les élever
des principes de fonctionnements implicites, imposés par la pression sociale et
dans les meilleures conditions possibles, les préserver des joueurs de flûte de
écar-tant ceux qui ne participent pas de la complicité culturelle à l'égard du
toutes sortes. En ce sens, l'Ecole est d'abord une institution habitée par le souci
scolaire, des principes de fonctionnement explicites, offerts à l'intelligence de
d'incarner le passé dans le présent pour faire exister l'avenir. Elle est une
tous, constituant, à la fois, des repères pour les enseignants, les élèves et le corps
création des hommes pour donner corps à la continuité du monde.
social tout entier.

Principe n° 5 p. 31 Principe n° 6 p. 36
La spécificité de la transmission scolaire L'histoire de l'Ecole et celle de la pédagogie
est de s'effectuer de manière témoignent de l'ambition des hommes
obligatoire, progressive et exhaustive de n'exclure personne du processus de transmission
Après tout, dira-t-on, pourquoi l'Ecole a-t-elle la prétention d'occuper, dans le Dès lors qu'une société se donne comme projet de transmettre aux générations qui
processus de transmission, une place privilégiée ? Depuis toujours, une multitude arrivent l'ensemble des savoirs qu'elle a définis comme les fondamentaux de la
de choses se transmettent naturellement, de génération en génération. D'autant citoyenneté, elle se trouve immédiatement confrontée aux difficultés de son
plus que les bibliothèques et les musées sont là et qu'aujourd'hui les médias et entreprise. Rien n'est moins simple, en effet. Et, à vrai dire, tout invite même à y
Internet mettent à la disposition de tous la multitude des connaissances humaines. renoncer. Le projet de l'Ecole semble d'emblée un projet irréaliste et la lutte contre
Il suffit de cliquer et la réponse est là ! Mais renvoyer la transmission à la "l'échec scolaire", un combat perdu d'avance. A moins de revoir ses ambitions à la
demande spontanée des savoirs, c'est se résigner à une inégalité irréduc-tible: baisse, de les adapter aux "contraintes objectives" que l'on rencontre…
l'inégalité de la demande. L'inégalité de la curiosité intellectuelle qui est, elle- Mais, paradoxalement. Ces reculades sont toujours saisies au bond par des
même, inéquitablement répartie dans le champ social. Et il y a beaucoup de individus plus ou moins excentriques et marginaux qu'on nomme "les pédagogues".
naïveté à croire que, parce que quelqu'un veut savoir, , il veut aussi apprendre… Eux, en piégeant les "réalistes" à leurs propre discours, ne cessent de poser la
question des raisons "objectives" censées justifier les abandons éducatifs: de quel
Aussi, l'Ecole est une institution où les apprentissages sont obligatoires, où les
droit dites-vous que tel ou tel enfant ne peut réussir ? Ainsi. Dès le XIIIe siècle,
choses sont organisées pour qu'on ne puisse pas "s'en sortir" sans apprendre, où il
Rousseau formule-t-il un principe essentiel, constitutif de la démarche éducative
ne doit pas être possible de réussir sans comprendre.
elle-même: le perfectibilité de l'homme. Et Helvétius, plus radical encore, affirme:
L'Ecole est aussi un lieu de transmission où les apprentissages sont
"L'éducation peut tout… même faire danser les ours !"
programmés. Un système où les connaissances sont présentées par ordre de
Un autre illuminé sévit à la même époque. Pestalozzi, en 1792, se lance dans une
complexité croissante, selon une conception largement appuyée sur les principes
aventure invraisemblable: aller ouvrir une école dans une ville dévastée par les
de Descartes et de Condorcet. Mais les pédagogues ont assez vite découvert que la
armées du Directoire, lui l'admirateur de la Révolution française ! Enseigner à
progressivité stricte n'est pas toujours le meilleur moyen d'accéder à tous les
ceux qui sont réfractaires à tout enseignement, qui détestent ce que vous
savoirs. £Ainsi, dans une approche inspirée de "l'Ecole nouvelle" et des "méthodes
représentez…
actives", nées ensemble au début du XXe siècle, est-il possible de programmer des
Educabilité: voilà le mot lâché. Le grand enjeu. Le pari fondateur: "Tout enfant,
apprentissages dans l'Ecole à partir de ce qui est, tout à la fois, mobilisateur et
tout homme est éducable"… et l'histoire de la pédagogie comme celle des
accessible pour un sujet donné. Ou, en des termes inspirés de la psychologie de
institutions scolaires n'est rien d'autre que la mise en œuvre toujours plus
Vygotsky, à partir de ce qui se situe dans la "zone proximale de développement"
audacieuse de ce pari: le choix de l'éducation contre celui de l'exclusion.
d'un sujet.
Un pari fondateur du métier lui-même: celui qui ne croit pas à l'éducabilité de ses
Enfin, l'Ecole se donne comme objectif la transmission exhaustive de l'ensemble
élèves ferait mieux d'aller se rhabiller.
des savoirs considérés comme constitutifs du lien social à un moment donné de
Un pari heuristique: sans lui, aucune recherche pédagogique ou didactique mais
l'histoire d'une nation. Cela nécessite un travail d'élaboration des programmes
la simple admiration béate des élus et de leurs aptitudes qui s'éveillent.
qui relève de la responsabilité politique: qu'est-ce qu'il est nécessaire que
Un pari éthique: il faut toujours espérer le meilleur car c'est le seul moyen de le
l'ensemble des citoyens connaisse pour vivre ensemble ? Quels langages doit-on
faire arriver.
pouvoir parler ? Quels outils faut-il maîtriser ? Quelles connaissances historiques,
Un pari prudent: rien ne permet jamais d'affirmer qu'on a tout essayé et qu'il n'y a
artistiques, scientifiques est-il nécessaire de faire partager ? Et comment
plus rien à tenter.
équilibrer les savoirs qui unissent (les forces centripètes), qui renforcent un
Ainsi le projet de transmission, qui est au cœur de l'Ecole, comporte-t-il en lui-
nécessaire sentiment d'appartenance, avec ceux qui ouvrent sur l'extérieur (les
même, dans sa dynamique propre, un caractère universel: dès lors qu'on croit à la
forces centrifuges), préfigurant des solidarités plus larges ?
transmission, on ne peut accepter de limite à celle-ci…
Principe n° 7 p. 39 Principe n° 8 p. 42
Dès lors qu'elle est portée Dès lors qu'elle est portée
par un principe d'universalité, par un principe d'universalité,
l'Ecole se définit non comme un espace privé, mais l'Ecole n'est pas compatible avec la recherche d'une
comme un espace public quelconque homogénéité,
Ouvrir l'Ecole à tous n'est pas un choix parmi d'autres: c'est la vocation qu'elle soit idéologique, sociologique, psychologique
même de cette institution, une exigence consubstantielle de son existence, en ou intellectuelle
complète cohérence avec son principe fondateur. Une école qui exclut n'est pas
une Ecole: c'est une officine de formation, un club de développement personnel, A-t-on suffisamment observé que les regroupements scolaires sont, avec les jurys
un centre d'entraînement pour réussir des concours, un organisme pourvoyeur d'assises, les seuls regroupements humains qui font de l'aléatoire une vertu ? La
de main-d'œuvre ou une colonie de vacances réservée à une élite sociale. classe unique de l'école de Jules Ferry représentait un creuset où se retrouvaient
C'est pourquoi, parce qu'elle appartient à tous, l'Ecole n'appartient à personne. des individus qu'on savait –et qu'on voulait- radicalement différents les uns des
Nul ne peut donc en faire sa chasse gardée, nul ne peut s'approprier son autres, tant sur le plan social qu'idéologique. Un établissement public aujourd'hui
territoire, nul ne peut y imposer sa loi, ses règles de comportement, les n'impose, en principe, aucune autre "communauté" à ses élèves que d'habiter
convictions ou les habitudes de sa communauté. dans le secteur scolaire correspondant. Parce qu'à l'Ecole, il n'est pas nécessaire
Certes, on dira que toute société requiert un acte d'adhésion à des valeurs de se ressembler et, "a fortiori", de s'aimer pour travailler et réussir ensemble.
transcendantes aux individus et aux groupes qui le composent. Mais, dans une C'est bien là une autre manière de dire ce qui spécifie l'Ecole: la classe n'est pas
société démocratique, ces valeurs sont justement les "valeurs communes", une communauté. Sa fonction est de rassembler, autour d'objets culturels
identifiées par l'ensemble des citoyens comme fédératrices. communs, des personnes qui doivent pouvoir exister ailleurs et autrement. Et ce
Elles ne sont pas –elles ne peuvent être- les valeurs d'une communauté sont ces différences mêmes qui donnent aux objets culturels tout leur poids
particulière qui les imposerait aux autres. Si aucune croyance privée ne peut d'universalité. Plus nous différons et plus ce que nous apprenons ensemble, ce
venir légiférer dans l'espace public, c'est, justement, pour que toutes les dans quoi nous nous investissons, ce en quoi nous nous reconnaissons, nous
personnes –y compris dans leur dimension privée- puissent y trouver leur place. rassemble sous le signe de l'universel. Si nous sommes, au contraire, un groupe
"homogène", uni par une complicité sociale ou une connivence culturelle, les
Parce que chacun doit pouvoir y être accueilli pour apprendre, l'Ecole, elle,
objets dont nous nous emparons seront toujours suspects d'être notre propriété
doit être impérativement construite comme un espace public. Elle ne peut se
exclusive: une affaire domestique en quelque sorte…
réduire à la coexistence plus ou moins pacifique de clans; elle ne peut, non plus,
Ce qui pose vraiment problème, ce qui fait question et cristallise les oppositions,
être le lieu d'élection d'un clan parmi d'autres. Fut-il le clan des "enfants sages"
ce n'est pas l'hétérogénéité des niveaux –qu'on peut décider de négliger ou
ou des "bien-pensants". Celles et ceux qui s'insurgent aujourd'hui contre les
s'efforcer de traiter au mieux-, mais bien l'hétérogénéité des comportements qui
"incivilités" à l'Ecole le font parfois en cultivant la nostalgie du "charme discret
dynamitent le cadre scolaire. Dans la classe unique rurale de jadis, dans la classe prestigieuse de
de la bourgeoisie" plutôt qu'en appelant de leurs vœux un véritable ordre lycée, l'hétérogénéité des niveaux existe mais elle est contenue par l'homogénéité des comportements et
scolaire démocratique, c'est-à-dire un espace public qui puisse véritablement l'unité de l'adhésion aux normes scolaires. Il n'en est plus ainsi aujourd'hui. Le regretter est dangereux car le
accueillir tous les enfants. désir d'homogénéité ruine l'Ecole elle-même. Quand elle est idéologique, l'homogénéité fait de l'Ecole un
lieu d'enfermement; quand elle est sociologique, un ghetto; quand elle est psychologique, un cocon douillet;
Espace public, l'Ecole ne peut se contenter de laisser les uns et les autres y
quand elle est intellectuelle, un lieu pauvre où l'on n'appréhende pas les choses d'une autre manière. Le
faire la loi. Elle a à construire des règles de fonctionnement spécifiques. Et cette
communautarisme, sous toutes ses formes, tue l'Ecole et anéantit la possibilité
démarche même est constitutive de son identité. C'est cette démarche qui permet
même de construire une collectivité laïque. Une collectivité qui permet à chaque
la formation du citoyen dans un Etat démocratique. C'est parce que les enfants
sujet d'échapper à l'emprise des groupes qui veulent s'emparer de son esprit,
apprendront à "produire de l'espace public" à l'Ecole qu'ils pourront, ensuite,
s'aliéner son esprit critique et sa liberté.
travailler ensemble à la définition et à la mise en œuvre du "bien commun".

Principe n° 9 p.45 Principe n° 10 p. 48


Pour faire exister un espace public dévolu à la Pour faire exister un espace public dévolu à la
transmission des connaissances, l'Ecole doit suspendre transmission des connaissances, l'Ecole doit suspendre
la violence et la séduction pour placer l'exigence les contraintes de la production et considérer qu'il est
de justesse, de précision et de vérité au coeur de son toujours plus important de comprendre que de réussir
fonctionnement L'enseignant, évidemment, est loin d'être le seul professionnel à mettre l'exigence
de justesse, de précision et de vérité au cœur de sa pratique: le jardinier et le
Dès lors que l'hétérogénéité est reconnue comme valeur fondatrice de l'Ecole, se
chirurgien, l'artiste et le technicien font aussi de cette exigence un principe qui
pose une difficile question: comment faire "tenir ensemble", dans une même
garantit la qualité de leur travail. Et ils ont tous un point commun: ils sont jugés
institution, des personnes qu'aucune affinité ne réunit, qu'aucune conviction
sur le "résultat" de leur action. L'usine, l'atelier, le bureau d'études "produisent"
commune "a priori" ne rassemble ? Comment faire "tenir ensemble" des
des biens matériels ou culturels qui justifient "in fine" leur existence.
personnes qui risquent, en raison, précisément, du caractère à la fois aléatoire
L'Ecole, elle ne "produit" rien. Elle forme. Ainsi, dans l'Ecole, contrairement à
et contraint de leur regroupement, de se précipiter les unes contre les autres
ce qui se passe dans le circuit économique, le "produit" n'est qu'un prétexte.
dans un terrible chaos… ou bien, à l'inverse, de sombrer dans la léthargie,
Exercices, devoirs, dossiers, exposés: tout cela n'a, en soi, aucun intérêt. Ils ne
l'indifférence, le désintérêt et le désinvestissement ?Dans la mesure où les
sont utilisés que dans la mesure où ils permettent de témoigner de compétences
personnes se trouvent dans un espace public où les relations affectives ne font
qui leur survivront très largement. Nul ne conserve toute sa vie tous ses cahiers
plus la loi, il faut identifier ce qui doit faire fonctionner le groupe, le type de
d'écolier… Mais il faut espérer que chacun conservera toute sa vie ce que le
rapport que les individus doivent entretenir entre eux.
travail sur ses cahiers lui aura permis d'acquérir. Ce qui compte, à l'Ecole, ce
Or, puisque c'est la connaissance qui est, ici, l'objet commun, il ne peut s'agir
n'est pas ce qui se voit mais ce dont témoigne ce qui se voit. Ce qui compte, est de
que de l'interaction cognitive. Evitons tout malentendu: l'Ecole ne peut suspen-
ne pas oublier que si les objectifs sont focalisés sur la tâche, l'essentiel se love
dre l'affectivité par décret et chacun, dans la classe, garde légitimement son
dans les buts liés aux compétences visées. A l'Ecole, c'est l'action d'apprendre
quant-à-soi. Mais ce sur quoi il entre en matière avec les autres, c'est le savoir.
qui permet d'acquérir les compétences. Et dès lors que le but est constitué par des
Or, "se mettre en jeu" sur un objet culturel dans un espace public dévolu à la
compétences, les performances réalisées par les élèves ne peuvent être
transmission démocratique ne peut se faire n'importe comment: il ne peut s'agir,
considérées que comme des indicateurs inévitablement approximatifs. Aussi
en particulier, d'en imposer sa vision, voire de prescrire aux autres une
comprend-on le statut paradoxal de tout exercice et de toute évaluation
adhésion ou un rejet en fonction de ses propres goûts, de ses références
scolaires: ils exigent la réalisation d'une performance pour pouvoir en inférer
personnelles. L'objet arbitre entre les opinions, les intuitions, les sentiments des
l'existence d'une compétence; ils focalisent l'attention de celui qui doit apprendre
uns et des autres. Et l'Ecole est précisément une institution où c'est la vérité qui
sur une tâche, alors que ce qui est visé, c'est une habileté mentale stabilisée. Ils
fait la loi et pas les rapports de force. Non point une vérité dogmatique qui
donnent à faire ce qui, en réalité, n'a pas vraiment d'importance… sans pouvoir
s'impose par la seule parole du maître, mais une exigence de vérité porteuse,
nommer ce qui est vraiment important. Aussi, l'élève ne devrait pas placer sa
tout à la fois, de confiance et de critique. Et c'est bien parce que l'enseignant
satisfaction dans la réalisation de la tâche mais dans le progrès intellectuel que le
est "médiateur" que son propre rapport au savoir est si déterminant. Qu'il
franchissement de l'obstacle lui permettra de faire. Or ce décrochage n'a rien
entretienne avec les connaissances qu'il enseigne un rapport dogmatique,
d'évident. Il est contre toutes les habitudes acquises à l'extérieur de l'Ecole. Le
"désintéressé", et son enseignement n'invite plus à "entrer en matière". En
rôle du maître est donc ici essentiel: il doit, en quelque sorte, empêcher que
revanche, que sa parole exprime, en ses maladresses et ses hésitations mêmes,
l'élève puisse "réussir" sans "comprendre".
une exigence intérieure de justesse, de précision, de rigueur, et il peut espérer
Aussi, un enseignant ne peut "faire classe" sans énoncer clairement les consignes
faire partager une dynamique, engager d'autres que lui dans un "mouvement
concernant les tâches à accomplir. Mais il ne peut "faire Ecole" sans désigner et
vers" le savoir et la vérité. Telle est bien la mission du professeur: il n'incarne
évaluer les objectifs d'apprentissage à atteindre.
pas la vérité, mais l'exigence de vérité. Il n'est pas la vérité, il y conduit ou, plus
exactement, permet que ses élèves y parviennent.
Principe n° 11 p. 51 Principe n° 12 p. 54
Parce que "comprendre" L'Ecole doit être à elle-même son propre recours
est plus important que "réussir", Dans la classe où le maître organise les situations d'apprentissage, l'erreur n'est
l'Ecole est un lieu où l'on doit se tromper sans risque pas un accident, c'est une chance. La chance d'accéder, tout à la fois, à la
compréhension et à la volonté qui permettent de ne plus se tromper. Face à
Dès lors que l'on se trouve dans le système de production, l'erreur est toujours, l'erreur, le maître est donc, tout naturellement, le premier recours. Sa présence et
plus ou moins, un échec: elle compromet la qualité du produit et la crédibilité son action doivent engager l'élève à porter sur son erreur un regard critique sans
du producteur. A l'Ecole, en revanche, rien de tout cela: la production ne doit être désespérant, positif sans être complaisant.
pas imposer ses lois. Qu'un individu ou qu'un groupe se trompe et il n'est pas Mais "être un recours" ne signifie pas, pour le maître, être le seul recours. Bien
question, pour le maître, de se contenter de le sanctionner. Qu'un élève répète au contraire. Il est de la responsabilité de l'enseignant de permettre aux élèves de
une erreur et il n'est, évidemment, pas possible de l'exclure pour autant: il faut, considérer leurs erreurs comme des occasions de progresser par eux-mêmes… et
au contraire, redoubler d'efforts pour qu'il comprenne.. Car, puisque, ici, non de renforcer la dépendance à son égard. C'est une exigence de justesse, de
"comprendre" est plus important que "réussir", l'erreur n'est pas un échec. précision et de vérité qui est, ici, le principe organisateur et non la position de
C'est une occasion irremplaçable de réflexion: il faut beaucoup se tromper à "fournisseur exclusif" que pourrait indûment revendiquer l'enseignant. C'est un
l'Ecole, beaucoup réfléchir sur les causes de ses erreurs, pour apprendre à ne processus qui est à promouvoir et non une procédure qui serait à reproduire. Une
plus se tromper dès lors qu'on ne sera plus à l'Ecole. démarche et non un comportement standardisé.
Mais les élèves vivent une injonction paradoxale: "Faites le mieux possible… Pour dire les choses autrement, c'est l'Ecole comme institution qui doit offrir aux
Et, en même temps, acceptez de compromettre la qualité de ce que vous faites élèves la possibilité d'accéder à tous les recours possibles pour progresser, et non
pour permettre à certains d'apprendre !". Au maître, alors, de lever la le maître en tant que personne toute puissante, capable de résoudre à elle seule
contradiction: de dire clairement si c'est la logique de production qui doit tous les problèmes. Ou bien le maître met en place "l'Ecole comme recours", ou
l'emporter (ce qui peut être exceptionnellement légitime dès lors que l'objectif bien il livre ses élèves aux recours du marché: marché affectif… marché
est de valoriser des savoirs et savoir-faire existants) ou la logique de formation: économique… marché financier… Si l'Ecole, qui organise les apprentissages,
il faut alors réhabiliter le tâtonnement, accepter qu'on perde du temps, autoriser sous-traite à d'autres le travail sur les difficultés inhérentes –et nécessaires- de
l'erreur. Mais accepter l'erreur ne signifie nullement excuser systématiquement ceux-ci, elle ne remplit pas sa mission.
le défaut d'attention, de volonté ou de travail. Il ne s'agit pas non plus de C'est donc bien à "l'institution Ecole" de traiter, en interne, les erreurs des
déresponsabiliser le sujet et de promouvoir le "n'importe quoi". Pas question élèves. D'abord, bien sûr, dans le travail même de la classe: il s'agit là d'aider les
d'encourager la facilité, l'improvisation, voire la provocation. Tout cela fait élèves à repérer leurs erreurs, à les analyser, à trouver les moyens d'y remédier et
partie de ce qu'il faut analyser avec l'exigence de rigueur, de précision et de à réinvestir les acquis de cette démarche pour ne plus se tromper.
recherche de la vérité qui traverse l'ensemble des activités scolaires. Repérage, analyse, remédiation, réinvestissement: quatre étapes qu'il faut bien
Le véritable redressement pédagogique n'est pas une rectification: "Tu t'es identifier pour les mettre en œuvre au quotidien. Quatre étapes où le maître doit
trompé: ce n'est pas cela, c'est autre chose qu'il fallait comprendre, dire ou prendre toute sa place, mais non pas toute la place: la confrontation avec les
écrire." Ce n'est pas non plus une injonction: "Fais attention… Tu vois bien pairs (des élèves de même niveau ayant d'autres approches ou des élèves ayant
que tu n'y arriveras pas comme ça !" Ce n'est pas, enfin, une mise sous tutelle: déjà franchi l'obstacle), la consultation des manuels (pourquoi n'y en a-t-il qu'un
"Dorénavant, c'est moi qui vais te guider et tu t'abstiendras de toute initiative !" seul pour chaque discipline alors que la pluralité des approches faciliterait la
Le véritable redressement pédagogique, c'est un "arrêt sur image", un moment compréhension ?), le travail documentaire (qui relève, bien sûr, d'un
où l'on interrompt la frénésie de réussir à tout prix, où l'on se donne du temps apprentissage spécifique), la consultation d'Internet (dès lors qu'elle est accom-
pour comprendre ce qui se passe et où chacun peut trouver de quoi nourrir sa pagnée par un éducateur qui peut alerter l'enfant sur les questions de la fiabilité
détermination individuelle. Il y a quelque chose de "sacré" dans le traitement de des sources, du plagiat, etc.), les enquêtes (qui doivent, bien sûr, être minutieu-
l'erreur: "Une minute… On réfléchit !" Le monde ordinaire, celui où la sement préparées avec le maître)… tout cela constitue de précieux moyens de
production règne en maître, suspend son cours et laisse passer… un peu recours pour permettre de travailler sur l'erreur et donc de progresser.
d'Ecole.

Principe n° 13 p. 57 Principe n° 14 p. 60
Laïque, Ecole de la République,
l'Ecole contribue à délivrer ceux qui la fréquentent formant les citoyens d'un Etat démocratique pour un
de toutes les formes d'emprise sur les esprits monde solidaire, l'institution scolaire doit conjuguer
La laïcité est, à bien des égards, une exception française. Une exception tardive: intégration, émancipation et promotion de l'humanité
elle ne s'impose – et encore de manière tâtonnante- qu'au XIXe siècle. Quand la dans l'homme
laïcité émerge en France, la société est encore très largement sous l'emprise du
clergé catholique. Les protestants, francs-maçons, libres-penseurs, rationalistes, Que l'Ecole doive intégrer, voilà qui ne fait guère de doute. Reste à savoir si
mais aussi quelques catholiques "libéraux" veulent arracher le peuple à l'Ecole doit être l'instrument d'une intégration de type communautaire, justifiant
l'influence qu'ils jugent nocive des clercs: il s'agit d'imposer la Raison contre la une éducation autoritaire, ou de type sociétal, prônant la démocratie tout en
superstition, le sens de la Patrie contre les intérêts communautaires, la présence imposant, en matière éducative, un mode de fonctionnement de soumission !
de l'Etat centralisateur contre les particularismes locaux, la langue française Le pédagogue, lui, tout en écoutant et respectant ceux qui font ces choix, pose le
contre les patois, la promotion par le mérite contre l'hérédité des privilèges. problème autrement. Il est convaincu que ce qui spécifie précisément les savoirs
Ainsi, la laïcité est-elle d'abord combattante… mais aussi émancipatrice. scolaires, c'est qu'ils doivent être, en même temps, des outils d'intégration dans
Convaincue de la supériorité de ses références, elle n'a aucun scrupule à les un contexte donné ET des moyens de s'exhausser au-dessus de ce contexte. Il
imposer, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Hexagone. Puisque la Raison pense que l'Ecole est un lieu où les élèves peuvent apprendre à "faire la vérité" à
réunit les hommes et que les religions les séparent, il n'y a aucune contradiction travers des expériences où ils sont impliqués. A cet égard, ce que l'on a nommé,
à l'imposer par la force au nom de la liberté. depuis plus d'un siècle, les 2méthodes actives" ne sont pas des méthodes parmi
A cet égard, la laïcité, conformément à sa signification historique, représente d'autres. Dans leur principe même, elles incarnent le projet de l'Ecole: mettre un
bien la possibilité donnée à l'enfant d'échapper à sa famille qu'il peut contredire individu en situation de construire son savoir par lui-même en échappant à
sans trahir, s'y opposer sans suspendre son affection, entrer en dissidence sans l'emprise du "sujet supposé savoir". Et c'est le maître qui incarne la recherche de
renier son passé, la refuser sans la rejeter. la vérité ET le refus de tout dogmatisme, deux exigences qu'il faut absolument
Mais l'emprise des familles, dira-t-on, est souvent moins importante aujourd'hui transmettre aux élèves en même temps que les savoirs eux-mêmes, dans le même
que celle du groupe, de la bande, de la tribu auxquels l'enfant appartient. Le acte. Ainsi le maître est-il, simultanément, celui qui lie et qui délie: il lie l'enfant
groupe est implacable… et il constitue une véritable emprise sur les esprits des au monde et, en particulier, à la société qui l'accueille. Mais il délie aussi l'enfant
enfants et des adolescents. Emprise contre laquelle l'Ecole doit lutter: "Tu peux de son assujettissement à ce monde et à cette société. Il l'intègre en lui permettant
penser par toi-même. Tu as le droit de te faire une opinion personnelle, d'avoir d'en maîtriser les codes, les langages et les enjeux. Mais il l'émancipe en même
des goûts personnels, de faire d'autres choix que tes copains." Et cette liberté, temps en lui donnant à penser sur le mécanisme même de cette intégration, en lui
pour n'être point une "liberté de vide", doit être expérimentée en classe. Avec permettant de s'approprier lui-même ce qu'il apprend, de le transférer à sa
l'appui irremplaçable du maître. propre initiative dans d'autres tâches et d'autres lieux, d'analyser sa propre
Au-delà des groupes de toutes sortes, des sectes et des communautés qui démarche.
entretiennent les phénomènes de dépendance et assujettissent les personnes, il Pourtant le pédagogue ne peut en rester là: il ne peut abandonner ses élèves au
existe, aujourd'hui, une très puissante emprise des médias, et tout particu- seuil du monde, dans une sorte de liberté du vide, du choix terrible et sans issue
lièrement de la télévision. Nous ne nous rendons pas compte à quel point elle de renoncer à son appartenance ou renier toute appartenance. Choix impossible
représente une atteinte très grave au principe de laïcité. Il faut que les ensei- parce qu'il manque un troisième terme. Parce qu'il faut qu'un sujet puisse utiliser
gnants fassent la critique de la télévision une priorité de leur travail quotidien. sa liberté pour se relier à d'autres et faire ainsi avancer un peu l'humanité, en lui
Reste enfin, et restera toujours, l'emprise dont il est le plus difficile de se et dans le monde. Ainsi, entre "le relativisme différentialiste" et "l'universalisme
défaire: l'emprise de l'émancipateur lui-même. Les peuples jadis colonisés dogmatique", il y a place pour une pédagogie qui articule les trois mouvements
savent le prix qu'il faut payer pour leur liberté en dépendance à l'égard de leur par lesquels l'humanité fragilement s'élabore: lier, délier, relier.
libérateur !
Le maître – 11 tensions pour un métier

01. Entre éducabilité et liberté,


entre toute-puissance de l'adulte et impuissance du maître…

2.
s

02. Entre transmission d'un savoir figé


et libre découverte de ses propres connaissances,
entre obligation d'apprendre et respect de l'intérêt de l'élève…
s

Le maître 03.

s
Entre formalisation encyclopédique
et soumission au désir d'apprendre,
entre primat du programme et primat du projet…

11 tensions 04. Entre appui sur ce que l'élève sait faire


et rupture avec le donné,
entre utilisation du "déjà-là" et découverte d'autres univers…
pour un métier s

05. Entre obéissance à un monde figé


et pratique de la démocratie à l'Ecole,
entre respect scrupuleux de l'ordre scolaire
et autogestion pédagogique…
s

06. Entre cadre imposé et liberté d'initiative,


Entre le dire et le faire entre accompagnement rigoureux
Tome 2 et émancipation nécessaire…
s

Faire l'Ecole, faire la classe 07. Entre prise de risque nécessaire


et sursis critique indispensable,
Philippe Meirieu entre inhibition et passage à l'acte…
s

08. Entre groupes homogènes et groupes hétérogènes,


entre adaptation aux besoins de chacun
et enrichissement par les différences…
ESF - Paris - 2004 s

09. Entre planification nécessaire et décision impromptue…


s

10. Entre obligation de résultats et obligation de moyens…


s

11. Spécialiste des savoirs à enseigner et expert en pédagogie…

Tension n° 1 p. 66 Tension n° 2 p. 71

Entre éducabilité Entre transmission d'un savoir figé


et liberté, et libre découverte de ses propres connaissances,
entre toute-puissance de l'adulte entre obligation d'apprendre
et impuissance du maître, et respect de l'intérêt de l'élève,
créer obstinément les meilleures conditions faire émerger les questions
possibles et retrouver la genèse des connaissances humaines
pour que l'élève mobilise sa liberté d'apprendre
1. Nul élève ne peut décider de ce qu'il doit apprendre
1. L'éducabilité est un postulat fondateur pour toute 2. Des savoirs imposés deviennent vite des "utilités
démarche éducative scolaires"
2. L'obsession de l'éducabilité conduit à de dangereuses 3. Tout apprentissage véritable requiert la mobilisation de
dérives l'intérêt de l'élève
3. Postuler la liberté d'apprendre est nécessaire pour 4. Erigée en principe absolu, la centration exclusive sur
garantir le caractère éducatif d'un enseignement l'intérêt des élèves renvoie l'apprentissage à l'aléatoire
4. La fixation sur la liberté d'apprendre peut devenir un 5. Les savoirs scolaires peuvent retrouver leur "saveur"
alibi pour se réfugier dans l'abstention pédagogique dès lors qu'on les restitue dans leur genèse
5. Tout éducateur doit postuler l'éducabilité de tous et, en
même temps, respecter la liberté d'apprendre de
chacun
Tension n° 3 p. 76 Tension n° 4 p. 81

Entre formalisation encyclopédique Entre appui sur ce que l'élève sait faire
et soumission au désir d'apprendre, et rupture avec le donné,
entre primat du programme entre utilisation du "déjà-là"
et primat du projet, et découverte d'autres univers,
proposer des situations-problèmes diversifiées ménager des ouvertures
et ouvrir le champ des possibles
1. Pour être conformes aux principes de l'Ecole, les
apprentissages scolaires doivent faire l'objet d'une 1. Tout apprentissage s'articule avec ce que le sujet sait
programmation rigoureuse déjà faire et sur les stratégies qui lui sont familières
2. La temporalité programmatique est vécue comme 2. L'adaptation systématique au déjà-là devient toujours
artificielle au regard de la temporalité de l'élève qui rétention dans le donné elle bloque le développement
apprend du sujet et sa découverte de nouveaux univers
3. Pour un sujet qui apprend, le projet est toujours 3. Le dégagement par rapport au donné permet seul de se
premier dégager de toutes les formes de fatalité
4. Les projets sont relatifs aux personnes et à leur histoire 4. La rupture brutale avec le donné, les intérêts, les acquis,
5. Le maître doit proposer des projets diversifiés de telle les méthodes de travail d'un sujet est génératrice de
manière que les élèves puissent y adhérer et blocages
rencontrer, dans leur exécution, un objectif-obstacle 5. En articulant continuité et rupture, prise en compte du
qui constitue un pallier décisif pour un apprentissage donné et propositions de projets nouveaux, l'activité
pédagogique permet à un sujet de s'assumer et de se
dépasser à la fois

Tension n° 5 p. 89 Tension n° 6 p. 96

Entre obéissance à un ordre figé Entre cadre imposé


et pratique de la démocratie à l'Ecole, et liberté d'initiative,
entre respect scrupuleux de l'ordre scolaire entre accompagnement rigoureux
et autogestion pédagogique, et émancipation nécessaire,
forme progressivement et systématiquement à la mettre en place un processus d'autonomisation
conscience citoyenne en articulant, sur chaque objectif,
étayage et désétayage
1. L'Ecole doit former des citoyens; elle ne peut supposer
cette formation déjà effectuée, au risque de ne jamais 1. L'Ecole doit proposer un cadre strict fait de contraintes
l'accomplir et de ressources qui structurent et soutiennent la
progression de chaque élève
2. Les élèves ne peuvent pas accéder miraculeusement, le
jour de leur départ de l'Ecole ou de leur majorité, à une 2. L'objectif de l'Ecole est de permettre à chaque élève de
citoyenneté à laquelle ils n'auraient pas été préparés se passer de toute forme de tutelle et d'accéder à
l'autonomie
3. La préparation à la citoyenneté doit s'effectuer en
faisant progressivement l'expérience de celle-ci 3. L'accès à l'autonomie n'est pas le transfert automatique
d'acquis scolaires qui seraient spontanément utilisés et
4. L'exercice systématique de la citoyenneté en classe unifiés
abolit la dénivellation nécessaire à toute transmission
et compromet la fonction même de l'Ecole 4. La formation à l'autonomie requiert une formation à la
volonté qui traverse l'ensemble des composantes de
5. La formation à la citoyenneté dans l'Ecole doit l'activité scolaire
s'effectuer dans le cadre d'espaces et de temps définis
par l'adulte en fonction du niveau de développement 5. L'autonomie est un "principe régulateur" de l'action
des enfants, et où ils puissent faire l'expérience pédagogique qui suppose l'articulation étroite d'un
progressive du fait que "l'obéissance à la loi qu'on s'est processus d'étayage et de désétayage
soi-même prescrite est liberté" (J.-J. Rousseau)
Tension n° 7 p. 103 Tension n° 8 p. 110

Entre prise de risque nécessaire Entre groupes homogènes


et sursis critique indispensable, et groupes hétérogènes,
entre inhibition entre adaptation aux besoins de chacun
et passage à l'acte, et enrichissement par les différences,
apprendre à passer le désir croiser en permanence les modes de
au crible de la conscience regroupements

1. Tout apprentissage s'engrène dans un désir et requiert 1. Tout élève a besoin d'être considéré dans sa différence
une prise de risque et regroupé avec d'autres afin d'être pris en charge en
fonction de leurs besoins communs spécifiques
2. Toute prise de risque peut mettre en danger aussi bien
la personne qui le prend ou celles qui l'entourent 2. Les regroupements homogènes risquent toujours de se
pérenniser et d'engendrer des processus d'enfermement,
3. L'Ecole doit apprendre aux élèves de surseoir à la
voire de ghettos
satisfaction immédiate de leur désir et à ne pas
basculer dans le passage à l'acte permanent 3. Tout élève a besoin de travailler avec d'autres ayant des
sensibilités, des stratégies d'apprentissage et des
4. Le sursis à l'acte n'a pas de portée éducative s'il est le
niveaux différents, afin de s'enrichir de ces différences
résultat d'une inhibition ou d'une soumission aveugle à
une obligation 4. Les groupes hétérogènes systématiques présentent des
difficultés de gestion qui, selon les disciplines et les
5. L'éducateur doit reconnaître la légitimité du désir de
objectifs, peuvent compromettre les apprentissages
l'enfant et, simultanément, l'aider à se dégager de la
tentation de la toute-puissance 5. L'Ecole doit articuler groupes homogènes et groupes
hétérogènes, en faisant varier les critères de
regroupement

Tension n° 9 p. 118 Tension n° 10 p. 126

Entre planification nécessaire Entre obligation de résultats


et décision impromptue, et obligation de moyens,
apprendre à exercer son jugement pédagogique se donner collectivement des indicateurs de réussite
et à agir avec discernement
1. L'Ecole ne peut ignorer la demande sociale et politique,
1. Comme tout professionnel, l'enseignant doit disposer au risque de perdre tout crédit auprès de la Nation
de modèles qui lui permettent de penser et d'organiser 2. L'obligation de résultats est contraire au principe même
son action de toute éducation et conduirait à l'éclatement de
2. Les modèles professionnels peuvent être mis en échec, l'institution scolaire
dès lors qu'ils sont utilisés dans une perspective 3. L'Ecole doit se donner comme principe de
"applicationniste", indépendamment de la prise en fonctionnement l'obligation de moyens
compte de la spécificité des contextes et des réactions
des personnes 4. Le fait de ne pas se préoccuper des résultats qu'ils
obtiennent déresponsabilise les enseignants et ne leur
3. L'enseignant doit être capable de prendre des décisions permet pas de lutter contre toutes les formes de fatalité
et de s'adapter en permanence à des situations
imprévues 5. L'Ecole doit se donner des indicateurs d'évaluation
conformes à ses finalités
4. Décider en permanence, en matière pédagogique et
didactique, n'est ni possible, ni souhaitable
5. L'enseignant doit combiner l'usage de modèles,
l'utilisation de routines et la réactivité nécessaire pour
prendre des décisions pertinentes en conscience des
enjeux
Tension n° 11 p. 133

Spécialiste des savoirs à enseigner


et expert en pédagogie,
l'enseignant enrichit en permanence son potentiel
d'action par l'interaction étroite entre ces deux
domaines

1. Le maître doit parfaitement maîtriser les savoirs qu'il


est chargé de transmettre
2. Le maître ne peut se passer de la réflexion pédagogique
3. La pédagogie ne peut ignorer les contraintes
spécifiques à chaque situation d'enseignement
4. La programmation didactique se heurte inévitablement
à la négativité qui impose de penser les problèmes en
termes pédagogiques
5. La réflexion pédagogique et la réflexion sur les
contenus d'enseignement se fécondent mutuellement
La classe – 20 repères pour une pratique

01. Afin de permettre à chacun d'apprendre, la classe est


organisée comme un "espace hors menace"

3. 02.
03.
04.
Dans la classe, les temps et les lieux sont spécifiés…
L'articulation des temps et des lieux sont spécifiés…
Les postures mentales exigées des élèves sont déterminées
à partir du travail qui leur est demandé

La classe 05.

06.
Le travail, dans la classe, d'effectue sur des "objets de
savoir"…
La présence et l'arbitrage des objets permettent de
dépsychologiser la relation pédagogique…
20 repères 07. La classe est un lieu où le statut d'une parole n'est pas
relatif au statut de celui qui l'énonce
pour une pratique 08. La vie de la classe est en permanence référée aux
apprentissages…
09. Le travail demandé est explicité par des consignes…
10. Les consignes renvoient tjs à la représentation de la tâche
à accomplir ET aux activités intellectuelles requises…
11. La tâche permet de mettre l'élève en projet
Entre le dire et le faire 12. La tâche à réaliser n'est pas, en elle-même, l'objectif à
Tome 2 atteindre…
Faire l'Ecole, faire la classe 13. Le réinvestissement dans une tâche nouvelle permet,
à la fois, de mobiliser l'élève et de vérifier une acquisition
14. L'évaluation individuelle reste la pierre de touche…
Philippe Meirieu 15. Le travail par petits groupes doit être régulé…
16. L'exigence de qualité dans l'exécution du travail doit…
17. Afin d'aider l'élève à progresser…
ESF - Paris - 2004 18. La différenciation pédagogique consiste à…
19. La classe est apprentissage de la démocratie…
20. Les sanctions contribuent non à exclure mains à intégrer…

Repère n° 1 p. 149 Repère n° 2 p. 150

Afin d'apprendre à chacun d'apprendre, Dans la classe, les temps et les lieux sont spécifiés et
la classe est organisée comme un "espace hors menace" correspondent, à la fois,
à des activités à mettre en oeuvre et
à des comportements attendus clairement identifiés
Pourquoi ?
Parce qu'apprendre est difficile et requiert toujours une prise de risque, un saut
dans l'inconnu.
L'enseignant a, à cet égard, une responsabilité essentielle: relativiser au moins,
Pourquoi ?
Parce que l'apprentissage ne peut pas être une sorte de fleuve chaotique où les
accompagner si possible l'effort de chacun pour se dégager du donné, "contenir",
élèves seraient emportés et passeraient d'une étape à l'autre sans comprendre
surtout, les réactions collectives afin de faire de la classe un espace où chacun
ce qui leur arrive.
peut prendre le risque d'apprendre parce que les menaces d'humiliations sont
Il y a, en effet, une sorte de "professionnalisme" du travail. scolaire qui est trop
suspendues. Parce que les tâtonnements ne seront pas stigmatisés, que les erreurs
souvent négligée...
seront positivées et que les échecs sont présentés comme dépassables.
Or, l'imprécision des attentes et des consignes pénalise toujours les élèves les
plus fragiles.
Comment ?
Tout est affaire de gestion globale de la classe et des apprentissages.
Affaire de principe: "L'interdiction de la violence physique et verbale, de l'insulte
Comment ?
En affichant l'emploi du temps hebdomadaire avec des codes de couleur et des
et de la moquerie n'est pas négociable."
symboles pour chaque activité.
Affaire de cohérence: l'enseignant ne peut en aucun cas s'autoriser ce qu'il met
En inscrivant au tableau, à chaque début de demi-journée, le déroulement de
hors-la-loi.
l'ensemble des activités, en reprenant brièvement l'objectif de chacune d'entre
Affaire de "climat": "Nous sommes là pour avancer ensemble et non pour faire
elles, en le reliant à ce qui a été acquis précédemment et en expliquant
chuter quiconque."
comment, pour y parvenir, les élèves devront s'y prendre.
Affaire d"'attitude": chaque élève doit se savoir en sécurité et trouver l'enseignant
...
à ses côtés en cas de danger."
Chaque activité doit être clairement présentée comme une "situation de travail"
Affaire de dispositifs: "l'espace hors-menace" doit être matérialisé
qui requiert des comportements et des outils que les élèves ne connaissent pas
Affaire de techniques: donner du temps avant d'exiger une réponse à une
spontanément.
question, laisser chacun s'exercer et réfléchir, ...
Qui peut croire que ces questions sont sans importance pour le bon déroulement
Affaire de roublardise: quand le maître prend des risques lui-même –ou fait
de la classe, l'efficacité du travail, la formation des élèves, l'atteinte de
semblant-, quand il hésite ou tâtonne, il contribue à dédramatiser les
l'objectif... et la sérénité du maître lui-même ?
apprentissages.
Qui peut minimiser ces questions d'organisation matérielle qui ne sont pas de
Affaire de discernement...
l'expression du caprice de l'enseignant, de ses manies, d'un autoritarisme
arbitraire, mais d'une autorité qui incarne les exigences mêmes du travail
engagé ?
Repère n° 3 p. 152 Repère n° 4 p. 154

L'articulation des temps et des lieux fait l'objet de rituels Les postures mentales exigées des élèves
qui permettent de faire émerger les postures mentales exigées sont déterminées à partir du travail qui leur est demandé
des élèves

Pourquoi ?
Pourquoi ? Parce qu'on ne développe pas la même activité mentale, on ne se met pas dans
Parce que beaucoup de choses se jouent, à l'Ecole, dans la capacité de passer la même posture mentale, selon la nature du travail demandé. Nous appelons ici
d'une situation à une autre "posture mentale", une manière de se projeter sur des "objets de travail" –avant
L'objectif est que l'élève se rende mentalement disponible pour le travail qui lui même qu'ils ne deviennent des "objets de savoir"- pour s'y investir avec le
sera demandé, qu'il focalise son attention et que, pour cela, ses activités maximum de chances de les comprendre, c'est-à-dire de les "prendre avec soi".
scolaires soient rythmées de façon suffisamment claire par des rituels qui fassent
sens. Comment ?
L'essentiel, pour l'enseignant, est de concevoir toujours son enseignement en
Comment ? fonction de ce que l'élève doit apprendre et comprendre.
Les rituels ont pour fonction anthropologiques de canaliser, de réguler et de A partir de là, il peut travailler sur un couple essentiel, qui structure la posture
mettre les passions à distance. La politique, la justice, le commerce et le sport les mentale,, le couple "trouver/chercher": qu'est-ce que l'élève doit trouver et
utilisent très largement, et les élèves, dans ces cadres, ne semblent pas les comment il doit le chercher ?
remettre en question. Comment se fait-il alors, que les mêmes adolescents, qui
s'astreignent à respecter des rituels fort anciens, qui pourraient parfaitement les
faire sourire, sur un tatamis de judo, ne puissent pas comprendre que l'Ecole
puisse aussi leur imposer ses rituels propres
Ces rituels ne doivent pas apparaître comme aléatoires et être portés par une
personne aux manies plus particulièrement développées ou qui, par sa fonction,
serait prédestinée à les faire respecter. Ils doivent être assumés collectivement
par toute une école et un établissement. Ils doivent être présentés et expliqués
dans des moments symboliques forts où tous les personnels et éducateurs
apparaissent solidaires, où toute une équipe s'engage à les faire respecter...

Repère n° 5 p. 155 Repère n° 6 p. 157

Le travail dans la classe s'effectue sur des objets. La présence et l'arbitrage des objets permettent de
Un objet est "objet de savoir" dans la mesure où il résiste à dépsychologiser la relation pédagogique;
la toute-puissance de l'imaginaire, ils lestent les conflits d'opinion et confèrent à la parole du
se constitue comme une réalité extérieure au sujet maître sa véritable autorité
et lui permet de s'exprimer "à son propos"
Pourquoi ?
Parce que, pour l'enfant, "l'objectalité" des savoirs scolaires n'est jamais donnée Pourquoi ?
a priori. Quand le maître croit parler "de quelque chose", l'enfant, parfois, croit Parce que les enfants arrivent souvent à l'école, le matin, plains "de bruit et de
qu'on parle "de lui". fureur". Avec une multitude de soucis personnels et d'objets de préoccupations
L'enseignant ne peut se contenter de présenter des objets, de les livrer à divers.
l'imagination des uns, aux fantasmes des autres... et au savoir-faire des "bons Ainsi les classes deviennent-elles parfois des "Cocotte-minute" où la pression
élèves" qui ont, d'emblée, compris ce que l'on attendait d'eux: en construire un affective monte très vite, où la surenchère dans les propos compromet toute
modèle d'intelligibilité et savoir le restituer lors de l'évaluation. possibilité de travail, où rien ne vient lester les relations et de permettre de se
Il revient au professeur de faire exister, dans la classe, de véritables objets de structurer autour d'un travail commun.
savoir qui puissent être appréhendés comme tels par tous et sur lesquels chacun Car là est bien l'enjeu: la classe est un lieu où les relations entre les personnes
pourra, ensuite, exercer son jugement. doivent être construites à partir des objectifs d'apprentissage et non des affinités
Comment ? ou des antipathies de chacun.
Faire exister l'objet en deçà des émotions qu'il suscite, en quelque sorte, le faire
exister dans l'intelligence des élèves comme un "objet de savoir" qui les réunit et Comment ?
sur lequel, ensuite et à côté, rien n'empêche que chacun se mette à rêver, évoque Il n'y a pas de mystère: pour lester le navire quand les tempêtes de l'affectivité le
des images de science-fiction... menacent, il faut y introduire des objets concrets, des matériaux qui viennent
Attention ! Il ne suffit pas de mettre des élèves en cercle et de les faire discuter mettre un peu d'ordre dans le chaos des relations anarchiques.
librement sur la mondialisation ou les rapports hommes-femmes pour former des "La main à la pâte" de Georges Charpak, l'imprimerie à l'école de Célestin
citoyens éclairés... Car le citoyen n'est pas celui qui nie les faits ou refuse de les Freinet...
voir pour se réfugier dans ses seules émotions, c'est celui qui sait distinguer Au moment où -au dire de leurs maîtres- les enfants arrivent en classe de plus en
"savoir" et "croire", une vérité scientifique d'un jugement personnel. plus "excités", il est urgent que les classes se remplissent à nouveaux d'objets qui
puissent venir lester leurs relations. On ne suspendra jamais, pas plus à l'Ecole
Comment ? qu'ailleurs, l'affectivité par décret, mais on peut apprendre à la réguler au sein
En classe primaire, la maîtresse a apporté un objet étrange. Les réflexions d'une activité collective qui fait sens.
fusent: "C'est beau !", "c'est drôle !", "c'est marrant !", "ça fait un peu peur…"
Il faut, sans doute, laisser s'exprimer ainsi les élèves un certain temps. Mais il
faut aussi finir par poser les questions essentielles: "Qu'est-ce que c'est ? A quoi
ça sert ? Comment ça marche ?" Faire exister l'objet au-delà des émotions qu'il
suscite, le faire exister dans l'intelligence des élèves comme un "objet de savoir"
qui les réunit. On touche là, en réalité à la structure fondamentale de toute
communication: il faut "un sujet" (ce dont on parle) et "un prédicat"(ce qu'on en
dit). Car le futur citoyen ne doit se réfugier dans ses seules émotions, il doit
savoir distinguer "savoir" et "croire", une vérité scientifique d'un jugement
personnel.
Repère n° 7 p. 159 Repère n° 8 p. 160

La classe est un lieu où le statut d'une parole n'est pas relatif La vie de la classe est en permanence référée aux
au statut de celui qui l'énonce apprentissages,
et ces derniers préparés et organisés par le maître

Pourquoi ?
Parce qu'à l'Ecole, si quelqu'un a raison, c'est parce qu'il le démontre mieux et Pourquoi ?
non parce qu'il crie le plus fort. Parce que l'Ecole est faite pour apprendre et qu'elle est trop souvent perçue par
Aucun statut ne garantit, en effet, la validité d'une parole a priori. Ni le statut de les élèves comme relevant du strict registre occupationnel. Parce que... Parce
"bon élève", ni celui de "plus âgé" ou de "plus expérimenté, ni celui de "plus que... Parce que... Parce que...
diplômé" Une succession d'activités, même très bien organisées, ne fait pas une classe
réussie.
Comment ? Le bon déroulement apparent des occupations des élèves ne garantit pas, en soi,
Cf. la "pédagogie protestante" de Ferdinand Buisson et Jules Ferry ->: le "libre qu'elles leur permettent de progresser.
examen". En revanche, la référence aux objectifs d'apprentissage constitue une garantie
Ne pas interroger systématiquement le "bon élève" dont on sait qu'il donnera la essentielle, même si elle pose, évidemment, des problèmes et peut aussi basculer
bonne réponse. dans le formalisme.
Oser avouer une approximation ou une erreur. Les corriger soi-même aux yeux
de tous, au lieu de tenter de les dissimuler. Comment ?
Multiplier les occasions de travail documentaire sans hésiter à comparer et à Il faut, sans doute, ne pas trop hésiter à rappeler, même d'une manière qui peut
faire comparer diverses approches -> plusieurs manuels ! apparaître insistante, les "objectifs d'apprentissage".
Ne jamais employer "l'argument d'autorité": "C'est vrai parce que je le dis !" Eventuellement "contrats d'apprentissage" où sont distingués nettement les 2
On peut surtout, dans toutes les disciplines, ne pas se contenter d'enseigner "la niveaux:
vérité", mais son "rapport à la vérité". Car, si la vérité est enseignée comme - ce que je dois savoir au terme de la démarche...
quelque chose que l'on cherche et non comme quelque chose que l'on a, - ce que je dois faire pour y arriver...
immédiatement l'élève vibre autrement. Cela impose que l'Ecole soit, enfin, un lieu où l'on ù l'on "travaille vraiment".
Car c'est ce rapport intime du rapport à soi-même qui fait toute la différence Car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les élèves s'ennuient en classe
entre parce qu'ils n'y travaillent pas assez!
une "vision sacramentelle" de l'enseignement –qui règne dans les sociétés et les Bien évidemment la notion de "situation d'activité" n'est pas à confondre avec le
écoles théocratiques- et bricolage permanent: l'écoute d'un exposé peut être très active...
une "vision critique" de l'enseignement –qui devrait régner dans l'Ecole d'une
société démocratique-.

Repère n° 9 p. 161 Repère n° 10 p. 162

Le travail demandé est explicité par des consignes Les consignes renvoient toujours,
dont la clarté et la précision conditionnent la réussite des d'une part, à la représentation de la tâche à accomplir et,
apprentissages proposés d'autre part, aux activités intellectuelles requises pour
l'effectuer

Pourquoi ?
Aux dires de ceux et celles qui visitent les enseignants dans leur classe, Pourquoi ?
l'imprécision des consignes est une des causes majeures des difficultés des Parce qu'un travail scolaire comporte toujours une "réalisation", une
élèves. "production" une "tâche", visibles, souvent présentées au professeur, presque
Ce n'est pas un hasard: pour l'enseignant –qui, bien évidemment, sait faire toujours évaluées, parfois notées...
l'exercice et connaît parfaitement les objectifs qu'il vise-, les consignes vont en La tâche, c'est ce qui est palpable, qui se conçoit avant même de l'avoir réalisé,
quelque sorte de soi. L'élève, lui, est de l'autre côté du savoir: il ne sait pas ce pour quoi l'on peut disposer de critères de réussite stabilisés.
exactement où l'on veut l'emmener et cherche à ramener l'inconnu au connu. Mais cette représentation préalable ne dit rien –ou pas grand- chose- sur la
manière de parvenir concrètement à faire...
Comment ?
Le choix des mots est évidemment essentiel, comme l'ordre de ceux-ci. Comment ?
Trop souvent les formules utilisées renvoient à des représentations des élèves qui On peut considérablement améliorer les choses en adoptant systématiquement et
ne correspondent pas à celles de l'enseignant parce qu'elles n'ont pas été pour tous les travaux demandés, une présentation standardisée:
suffisamment explicitées. 1. Quel est l'objectif d'apprentissage visé ?
On ne saurait trop, à cet égard, exiger des enseignants qu'ils écrivent clairement 2. Quelle est la tâche que vous allez devoir réaliser et à quels critères nous
leurs consignes... pourrons juger que cette tâche est réussie ?
on ne saurait trop leur demander, non plus, qu'ils respectent eux-mêmes les 3. Quelles sont les différentes phases de la recherche que vous devez
consignes qu'ils donnent... obligatoirement mener et les différentes étapes par lesquelles il vous faudra
passer ?
4. Quelles sont les "questions critiques" auxquelles vous serez inévitablement
confrontés et sur lesquelles nous devrons faire des exercices spécifiques ?
5. Quels sont les différents modes de travail que vous pouvez adopter, en
fonction de vos stratégies cognitives personnelles et selon les conditions de
travail que vous jugez les plus favorables pour vous ?
Bien évidemment, ce questionnement, ainsi formalisé, ne peut s'utiliser sur des
travaux d'une certaine ampleur.
Repère n° 11 p. 164 Repère n° 12 p. 165

La tâche permet de mettre l'élève en projet. La tâche à réaliser n'est pas, elle-même, l'objectif à atteindre.
Elle doit être comprise et utilisée en tant que telle C'est l'objectif qui doit être évalué à travers la tâche

Pourquoi ? Pourquoi ?
Parce qu'on ne peut se mobiliser que pour "faire quelque chose" et que c'est à Parce que l'Ecole n'est pas une entreprise. Parce que...
l'occasion de cette tâche que l'on découvre des problèmes ou des obstacles qui Parce que si la réussite de la tâche était le premier objectif de l'Ecole, on ne voit
permettent de franchir un "saut cognitif". pas pourquoi il serait anormal de copier sur son voisin ou de faire faire son
C'est la tâche qui met en route parce qu'on peut en avoir une représentation devoir par quelqu'un d'autre.
attractive, alors que l'apprentissage, au contraire, inquiète, effraie ou laisse Parce que ce qui reste du passage à l'Ecole, ce n'est pas seulement une pile de
indifférent. cahiers..., mais un ensemble de connaissances, de compétences et de valeurs
grâce auxquelles chacun, selon l'expression de Pestalozzi, aura pu "se faire
oeuvre de lui-même".
Comment ? Ainsi c'est la distinction "tâche / objectif" qui constitue l'une des spécificités
Il ne faut pas croire qu'on pourrait se passer de "la tâche".
essentielles –et, malheureusement, trop insuffisamment repérée- de l'Ecole.
Dans la pédagogie la plus "traditionnelle", l'enseignant utilise, lui aussi, une
C'est parce qu'elle ne cessera d'affirmer que les acquisitions intellectuelles sont
multitude de "tâches mobilisatrices": simplement elles sont de nature différentes,
toujours plus importantes que les productions évaluables –qui ne sont que des
ce sont des exercices, des devoirs et, à la clé, des notes et des classements.
indicateurs possibles et largement aléatoires-, qu'elle évitera de basculer dans
Le choix n'est donc pas d'utiliser la mobilisation par la tâche ou de ne pas
une idéologie de service, alors qu'elle doit se revendiquer délibérément comme
l'utiliser; le choix, c'est de déterminer la tâche qui représente la plus grande
une institution.
cohérence possible entre:
Ainsi, la lutte contre la toute-puissance de la notation est-elle aujourd'hui une
1. les intérêts des élèves qu'on cherche à valoriser
nécessité absolue... (cf. p. 168)
2. les problèmes cognitifs que la tâche permettra de rencontrer
3. les ressources didactiques qu'on pourra mettre à la disposition des élèves
4. les objectifs d'apprentissage qui pourront être atteints par chacun. Comment ?
Commençons par annoncer clairement que la tâche n'est qu'un prétexte:
un prétexte pour s'exercer en situation d'apprentissage,
un prétexte pour vérifier en situation d'évaluation qu'on a acquis certaines
habiletés cognitives ou motrices.
En situation d'apprentissage, il convient de travailler avec les élèves, non pas
seulement sur le "produit fini", mais aussi sur les différentes étapes ... et traces
laissées au cours du processus.
En situation d'évaluation, la tâche, incontestablement, est encore plus
prégnante... On peut donc, pour diminuer cette pression, proposer plusieurs
tâches qui, chacune, peuvent permettre d'évaluer les mêmes acquisitions, mais
dont la pluralité a le mérite de relativiser la portée et de diminuer les effets
parasites.

Repère n° 13 p. 167 Repère n° 14 p. 169

Le réinvestissement dans une tâche nouvelle permet, à la fois, L'évaluation individuelle reste la pierre de touche de
de mobiliser l'élève et de vérifier une acquisition l'efficacité des activités scolaires.
Elle n'est pas conçue pour mettre chaque élève en rivalité
avec les autres, mais lui permettre de se donner des défis à
Pourquoi ? lui-même et les surmonter
Parce que la réussite d'une tâche donnée peut être le résultat d'une simple
conjoncture favorable, de l'application mécanique d'un algorithme, d'un
processus de divination, voire d'une imitation aléatoire.
Parce que la compréhension véritable renvoie, elle, à l'identification d'une Pourquoi ?
"classe de problèmes" dont on reconnaît la spécificité et pour laquelle on utilise Parce que l'Ecole reste d'abord assujettie à son propre projet institutionnel
les outils pertinents. fondateur: transmettre à chacun et à chacune les moyens d'accéder à "l'humaine
on ne peut complètement séparer l'acquisition du réinvestissement: celui-ci ne condition", de se développer en échappant à toutes les formes de fatalité et de
permet pas seulement de vérifier une maîtrise préalable, il est aussi, lui-même, rétention dans le donné.
un moyen de renforcer l'acquisition, voire de se l'approprier vraiment. C'est donc cela qui doit être évalué. Evalué, mais pas nécessairement noté... Car
Un rôle de situation d'évaluation à condition, toutefois, que son statut soit bien rien n'est plus néfaste que la confusion systématique de l'évaluation et de la
précisé et que l'évaluation n'exclue ni le tâtonnement possible, ni l'erreur notation: l'évaluation, en effet, renvoie à "ce qui a de la valeur", tant pour
rectifiée, ni la réflexion avec l'élève sur sa démarche. A condition, en réalité, que l'évaluateur que pour l'évalué, tandis que la notation, dans l'immense majorité
l'évaluation ne soit perçue, ici, comme une sanction mais comme un des cas, consiste à classer une performance parmi d'autres en utilisant, autant
accompagnement... que faire se peut, la fameuse courbe de Gauss...

Comment ? Comment ?
L'essentiel est que l'élève parvienne à dégager un modèle d'intelligibilité -> Commencer par introduire systématiquement des petits exercices,
utilisable dans un ensemble homogène de situations, et cela à partir d'un travail apparemment insignifiants, mais qui vont permettre de ponctuer le déroulement
qu'il fait d'abord nécessairement sur une tâche spécifique. Qu'il ne scelle pas du cours et d'aider à sa régulation:
définitivement une acquisition conceptuelle ou un savoir-faire à un contexte "J'efface le tableau et vous tentez de refaire le schéma; nous analyserons ensuite
particulier trop étroitement délimité. mais qu'il n'utilise pas, non plus, cette les difficultés que vous avez rencontrées."
acquisition ou ce savoir-faire dans des cas où leur usage ne serait pas pertinent. "A la question que je pose, chacun prend le temps de rédiger une réponse
-> Modifier le contexte pour faire percevoir si l'outil intellectuel continue à être personnelle sur son cahier de brouillon et, ensuite, par petits groupes de trois,
utilisable ou s'il devient obsolète. vous stabilisez une réponse collective."
-> Mettre les élèves en situation d'établir eux-mêmes des relations entre ce qu'ils "Où, quand et comment allez-vous pouvoir utiliser ce que nous venons d'observer
ont appris à l'Ecole et les situations qu'ils peuvent rencontrer ou découvrir et de formaliser ?"
ailleurs -> Se tourner vers la pédagogie institutionnelle de Fernand Oury et le principe
-> Utiliser "l'alternance"... car, avant d'être un dispositif institutionnel des ceintures de judo qu'il y a introduit: chaque élève est un niveau donné, qui
l'alternance est une dynamique pédagogique.. correspond à une ceinture, et sur lequel le maître n'a pas à entretenir
d'ambiguïté; il ne s'agit pas de faire le moindre cadeau démagogique à
quiconque: chacun a droit à la vérité sur son niveau. Mais chacun, aussi, a droit
de bénéficier de l'appui du maître et de toute la classe pour accéder au niveau
supérieur
Repère n° 15 p. 171 Repère n° 16 p. 172

Le travail par petits groupes doit être régulé par L'exigence de qualité dans l'exécution du travail doit
l'organisation d'intergroupes traverser l'ensemble des activités scolaires.
afin de garantir à chacun la participation dans les groupes Elle doit être intégrée par chacun comme un moyen de
initiaux dépassement et d'accès au plein épanouissement de soi
et de favoriser la vérification et la mutualisation des acquis

Pourquoi ?
Pourquoi ? Parce que la qualité d'un travail, le soin apporté à son élaboration, la précision
Parce que, si l'on doit exiger l'attention de la classe complète pour un exposé, s'il de son exécution ne sont nullement des éléments supplémentaires qui viendraient
est nécessaire d'organiser, régulièrement, des temps de réflexion ou de travail en sus d'une "réalisation normale". Au contraire, c'est l'exigence de qualité elle-
individuel silencieux, on ne doit pas se priver des ressources exceptionnelles du même, dans ses moindres détails, qui permet d'accéder à l'intelligibilité des
travail de groupe. choses, à une véritable connaissance du monde et à une authentique maîtrise de
La difficulté du travail de groupe tient, pour l'essentiel, au fait qu'on ne maîtrise soi.
pas la répartition des tâches et qu'il se peut parfaitement qu'une partition La travail bâclé n'est pas d'abord une faute morale, c'est une erreur de stratégie
s'impose très vite entre concepteurs, exécutants et chômeurs... intellectuelle, c'est du temps et de ,'énergie investis en vain, c'est un sujet qui
Nous retrouvons donc là la priorité donnée à la tâche sur l'objectif, avec toutes perd toute chance d'accéder à ce qui fait la spécificité du travail scolaire, à ce
les dérives qui l'accompagnent, quand il faudrait s'assurer, au contraire, que le moment privilégié où l'attention, tout entière tendue dans le désir de bien faire,
groupe permet bien la progression de chacun. découvre ce qui fait sens et donne la clef d'un problème, ce qui fait la différence
et permet à une interprétation de se présenter comme un modèle, ce petit détail
qui fait d'une intuition une théorie acceptable.
Comment ?
Préférable d'organiser les groupes de manière aléatoire (billets à tirer).
-> Réunir les élèves en fonction des numéros tirés Comment ?
-> Proposer un travail différent à chaque groupe, chacun des membres d'un S'inspirer de la "pédagogie du chef-d'oeuvre".
groupe devra ensuite restituer le résultat obtenu dans le cadre d'un nouveau Plutôt qu'une multitude de petites activités plus ou moins bien réalisées, il vaut
groupe où il sera le seul à maîtriser le contenu préalablement étudié toujours mieux s'attacher à une activité plus longue, plus complexe, mais qui
-> Constituer la 2ème série de groupes pour lesquels de nouvelles consignes permette de s'engager complètement, de concevoir, de cherche, d'ajuster et de
seront données réajuster les choses avec cette minutie qui fait, tout à la fois, le bon artisan et le
grand savant, le professionnel crédible et le créateur original.

Repère n° 17 p. 174 Repère n° 18 p. 175

Afin de l'aider à progresser, le maître prend chaque élève là La différenciation pédagogique consiste à différencier les
où il est, activités de telle manière que chacun soir, tout à la fois,
mais fait alliance avec lui pour l'aider à se dépasser guidé dans ses apprentissages et
accompagné dans l'accession à son autonomie

Pourquoi ?
Parce que s'engager dans une activité difficile, rencontrer des obstacles dont on Pourquoi ?
ne sait pas, à l'avance, si l'on pourra les franchir, affronter l'incompréhension et, Parce que la richesse de l'institution scolaire, c'est la constitution de groupes où
parfois, le regard négatif des autres qui vous cloue sur place, est toujours une se conjuguent homogénéité et hétérogénéité, droit à la ressemblance et droit à la
épreuve. différence, objectifs communs d'apprentissage et accession de chacun à la
Parce que si l'élève, seul, peut "se jeter à l'eau", décider de lire un poème devant capacité de travailler de la manière la plus efficace pour lui et de "penser par
un groupe ou de contredire toutes les prévisions qui faisaient de lui un "nul" en lui-même".
mathématiques, il a besoin pour cela de "faire alliance" avec un adulte en qui il C'est pourquoi la différenciation pédagogique n'est pas l'atomisation de la classe
a confiance. ou la disparition du cadre scolaire au profit du seul tutorat individuel, de
l'enseignement à distance ou assisté par ordinateur.
Comment ?
"Faire alliance" avec un élève, c'est lui tendre la main afin qu'il se mobilise lui- Comment ?
même. Le principe est d'associer la fermeté dans la programmation et la souplesse dans
C'est prendre sa part de responsabilité d'éducateur sans, pour autant, lui la régulation.
demander de se laisser faire ou de basculer dans la passivité. Installer, d'abord, un cadre en définissant précisément les objectifs communs, les
C'est soutenir son effort et l'engager à l'intensifier puisque, justement, on lui étapes, le temps, les consignes...
montre qu'"on y croit". Habiter, ensuite, le cadre en organisant le travail avec les élèves.
-> Alterner différentes méthodes dans la durée (approches successives et
complémentaires)
-> Ménager des temps de travail individuels (attention portée sur la manière
dont chacun travaille)
-> Mettre en oeuvre des "groupes de besoin" (centrés sur des acquis, des
méthodes... à reprendre)
La classe est un cadre assez "contenant" pour que chacun s'y sente en sécurité
et assez "ouvert" pour que chacun y explore de nouvelles postures et puisse
apprendre à "penser par soi-même"
Repère n° 19 p. 177 Repère n° 20 p. 179

La classe, dans l'ensemble de ses activités, est apprentissage Les sanctions contribuent non à exclure de la classe mais à y
de la démocratie. intégrer:
Elle doit permettre aux élèves elles reconnaissent à l'élève la responsabilité de ses actes et,
d'apprendre à se construire comme un collectif, en même temps, lui permettent de revenir dans le collectif
d'identifier les objets sur lesquels ils peuvent légiférer dont il s'est lui-même exclu
légitimement,
Pourquoi ?
de définir les règles incarnant le "bien commun", Parce que seuls les êtres responsables de leurs actes sont punis.
de les appliquer dans la durée Parce que la sanction est une manière d'honorer la liberté de l'autre. Et peut-
être, même, de l'anticiper.
C'est pourquoi la sanction a un pouvoir d'interpellation: elle s'adresse à la
liberté, la reconnaître et peut la faire exister.
Pourquoi ? Mais on ne peut la manipuler qu'avec d'extrêmes précautions: parce que la
Parce que la société n'existe pas spontanément. Que la "polis" doit être liberté qui, seule, la justifie pleinement, n'est jamais véritablement attestée, la
construite et que chaque génération doit refaire, chaque jour, ce travail difficile sanction doit s'accompagner de cette retenue essentielle qui laisse apparaître
qui consiste à gérer les affaires humaines en tenant, autant que faire se peut, les suffisamment de doute pour donner une chance à l'autre, pour qu'il ne se sente
passions à distance. pas la victime injuste d'une sombre vengeance.
C'est que la démocratie est une idée neuve et une réalité encore bien
évanescente. Bien inquiétante même. Elle requiert, pour être instituée, que nous Comment ?
remplacions délibérément, dans l'éducation que nous donnons à nos enfants, Parce qu'il transgresse les règles de fonctionnement de la classe, soit par la
l'enseignement du catéchisme, qui est affaire de communauté violence, soit par l'indifférence affichée à celles-ci, l'élève met en péril l'activité
par la construction de la loi, qui est affaire de société. du groupe ou absorbe tellement l'énergie du maître que ce dernier n'a plus les
Certes le catéchisme comme la loi s'imposent. Mais dans des registres de moyens de faire son travail.
légitimité radicalement différents. On peut alors "jouer son jeu" et entériner cette exclusion, en le mettant
Le catéchisme tire sa légitimité du passé dans lequel il s'enracine, la loi tire sa définitivement "hors-jeu"... Il trouvera, peut-être une certaine satisfaction à
légitimité du futur qu'elle rend possible. occuper la place du persécuté... On ne gagne rien à exclure celui qui s'est déjà
exclu... sauf à trahir les principes fondateurs de l'Ecole et à chercher la
Comment ? tranquillité et la connivence des élus au lieu de la formation, sans exclusive, des
1. Le maître n'est pas la loi... citoyens.
2. La loi ne fait pas forcément plaisir à tout le monde et ce n'est pas L'objectif est donc d'associer la sanction et l'intégration: la sanction doit
parce que tout le monde fait quelque chose que c'est conforme à la loi... permettre, au prix d'un investissement particulier, une restauration de son image
3. La loi n'est pas une solution aux problèmes des hommes, au sens où l'on parle et un accueil dans le groupe sur de nouvelles bases.
de solution d'un problème de mathématiques... -> Que l'intégration paraisse souhaitable à l'élève.
-> Faire entendre la légitimité des lois de la République et les faire respecter -> Que le prix à payer soit acceptable.
("éducation civique") -> Que la sanction ait une signification.
La question de la sanction n'est donc pas une question séparée, qui relèverait du maintien de l'ordre et
-> Faire comprendre le processus d'élaboration des lois et préparer les élèves à pourrait être traitée indépendamment de l'ensemble du travail pédagogique qui institue l'Ecole.
y participer ("éducation démocratique") La question de la sanction renvoie, tout à la fois, aux principes fondateurs de l'Ecole et à la gestion
quotidienne de celle-ci.
Elle renvoie, surtout, à la cohérence nécessaire et toujours à construire entre ses principes fondateurs et le
moindre geste de chacun de ses acteurs.

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