Vous êtes sur la page 1sur 3

A propos de la fiche pédagogique

On peut exprimer son désarroi quant à l'élaboration d'une fiche pédagogique et prétendre même
qu'après des années d'expérience on devient forgeron, plus besoin alors de préparer une fiche ou
recourir tout simplement à la fiche préparée dans les années précédentes. Mais une hantise demeure,
celle de Monsieur l'inspecteur qui a du nez. Mais ceux qui n'attendent plus de promotion n'ont rien à
craindre, peut être. Ainsi, selon cette logique, la préparation d'une fiche semble désormais l'apanage
des débutants dans le métier ou de ceux qui attendent encore une promotion. Cependant, dans la
réalité, beaucoup de débutants ou ceux qui attendent une promotion ne préparent pas toujours de fiche
ou la préparent à la hâte, à la dernière minute. Et pourquoi pas puisqu'il s'agit de préparer la même
leçon, celle qu'on préparait depuis des années ! A l'égard de la préparation d'une fiche pédagogique,
débutants et anciens ont presque la même attitude : la préparation d'une fiche est un fardeau, et si on la
prépare ou on simule sa préparation c'est par hantise du spectre de Monsieur l'inspecteur. Cependant,
comment se fait-il que des professeurs, pratiquant encore l'enseignement dans le primaire ou dans le
cycle qualifiant, et après une longue expérience et même après de grandes publications d'ouvrages sur
la grammaire ou l'étude de texte, non seulement préparent toujours une fiche, mais ils la préparent de
manière plus subtile et plus étoffée que celles préparées dans les années précédentes? Ces professeurs
n'ont-ils pas derrière eux non seulement une longue expérience mais aussi un savoir que Monsieur
l'inspecteur peut ne pas posséder ? Est-ce par hantise du fantôme de Monsieur l'inspecteur qu'ils
préparent des fiches ? Qui devait, en principe, guider l'autre, ce genre de professeurs ou Monsieur
l'inspecteur ? Il semble que nous ne sommes pas conscients du métier de l'enseignant, et lorsque c'est
Socrate qui dit « Tout ce que je sais c'est que je ne sais rien », et c'est ce qui semble dire également ces
grands professeurs qui préparent encore des fiches, qu'allons-nous dire, nous, pauvres et misérables ?
Que savons-nous, même après des années d'enseignement, sur les catégories grammaticales, sur les
fonctions, sur la phrase, sur l'énonciation, sur la rhétorique, sur les méthodes d'approcher un texte,
etc ? Rien que des bribes. Nous ne sommes que doutes et incertitudes, et devant l'élève, plus pauvre et
plus misérable que nous, nous ne sommes que mensonges et informations erronées, nous le sentons au
fond de nous-mêmes mais nous ne faisons aucun effort pour savoir le pourquoi de cette pauvreté et de
cette misère ! Au lieu que la classe ne soit que plaisir, elle devient, à cause du doute et de l'incertitude,
à cause du fantôme de Monsieur l'inspecteur, un calvaire.

Le principe est qu'après des années d'enseignement, toute une bibliothèque devait être derrière
l'enseignant s'il veut se permettre de dire un jour qu'il sait « peu de choses », mais le grand principe
c'est qu'après des années de métier et de lecture, l'enseignant devait arriver à une relative certitude de
ses informations, à une petite confiance dans son rôle de transmettre l'information, ce qui lui permet,
non seulement de se retrouver et de confronter la classe et Monsieur l'inspecteur avec un sentiment
d'aise et de satisfaction, mais aussi de s'interroger, de se perfectionner et pourquoi pas de créer et
d'inventer en commençant par l'élaboration d'une fiche où doit s'afficher sa touche de créativité. Si le
musicien se retrouve dans l'outil de son instrument et le peintre dans celui de son pinceau, l'enseignant
doit se retrouver dans l'outil de sa fiche lorsque son métier devient sa vocation. L'élaboration d'une
fiche sur une leçon est une sorte d'auto-formation et de recyclage permanents. Ces grands professeurs
qui préparent toujours une fiche, alors qu'ils n'ont plus besoin de le faire, s'ils le font, c'est parce qu'ils
sont conscients qu'après des années de préparation d'une fiche sur « la phrase complexe », par
exemple, à chaque préparation, ils découvrent qu'ils ne savent pas encore grand-chose sur la phrase
complexe. Ils se rendent compte que dans le texte support qu'ils ont choisi, cette fois, pour relever les
occurrences de cette phrase, certains énoncés posent problème. Commence alors pour eux une
nouvelle quête qui oblige à revisiter les livres de grammaire dont ils se disposent, car on ne prépare
pas une leçon uniquement à partir d'un seul document ou d'un seul ouvrage, ça serait un leurre, mais à
partir de toute une bibliothèque. A chaque fois, une nouvelle découverte, à chaque fois un nouveau
sentiment de bonheur et de plénitude. Une certitude s'ajoute à une autre certitude, une confiance
s'ajoute à une autre confiance. Serons-nous capable de dégager d'un texte d'une quarantaine de lignes,
sans aucun problème et sans quête, toutes les propositions subordonnées sans mot subordonnant et de
relever leur nature? Ne faut-il pas, pour mener à bien cette étude, mobiliser toute une armada de
connaissances qui fait appel au jeu de la parataxe formelle, au jeu des modes et des temps verbaux, au
jeu des structures corrélatives, au jeu de l'interrogation, au jeu de l'infinitif et du participe, etc ? Il en
est de même pour toute leçon préparée, car chaque leçon vous engloutit dans un abîme de leçons. Mais
quel plaisir et quelle satisfaction en découvrant et en se découvrant ! Si nous ne maîtrisons pas des
choses ou nous les ignorons encore, la préparation d'une fiche pédagogique sur une leçon est
l'occasion de remédier à nos failles en s'auto-formant de façon durable. La problématique de la
préparation d'une fiche donc n'a aucun rapport avec l'ancienneté et Monsieur l'inspecteur, mais avec
tout un destin : ou bien l'enseignant transforme son métier en vocation, et il est un homme heureux, ou
bien restera misérable et malheureux.

Or, une fiche pédagogique n'est pas seulement l'occasion de s'auto-former, sa vraie créativité est dans
l'invention, à chaque fois, d'une stratégie. A mon sens, la phase la plus importante de la conception
d'une fiche pédagogique est celle de la description du déroulement de la séance de l'activité. Plus la
description du déroulement de la séance est minutieuse et détaillée, plus la fiche revêt une certaine
créativité, voire une crédibilité. Lors du déroulement de toute activité en classe, le plus important
serait, d'abord, la réaction des élèves, ensuite les amener à bon escient à assimiler l'objectif visé. Pour
atteindre ce but, l'enseignant pose des questions, suggère des idées, propose des pistes, etc, et souvent
les réponses des élèves sont erronées ou inattendues, l'enseignant alors, qui a prévu ces réponses, doit
reformuler ses questions, tente, par des détours, de rapprocher les élèves de la bonne réponse. Toutes
ces questions, ces suggestions, ces propositions, ces reformulations et ces détours pour stimuler la
classe doivent être, en principe, mentionnées sur la fiche. En ce sens, la fiche pédagogique semble
refléter, par anticipation, la scène de la séance exactement comme elle devait se dérouler en classe
depuis le début de l'activité jusqu'à sa fin. La seconde phase, dans la préparation d'une fiche, consiste à
signaler ce qui peut constituer des traces écrites, à quel moment, comment, quoi … ? La troisième et la
dernière phase, c'est de prévoir des exercices d'intégration, ou ce qu'on appelle « exercices
d'application » ou « exercices d'appropriation ». Cela dit, rien n'est parfait cependant, des fois c'est
même raté. L'essentiel est la créativité de l'enseignant dans sa stratégie de concevoir le contenu d'une
fiche.

De même, toute activité, intégrée dans une progression, devait être motivée et servir l'intitulé du projet
pédagogique initial. Ainsi, dans le sillage d'un projet qui consiste à étudier, avec des classes de 2ème
année secondaire qualifiant, un conte philosophique, Candide de Voltaire, l'enseignant, étant en
connaissance de cause de l'œuvre au programme, aussi bien au niveau de son contenu qu'au niveau de
son esthétique, sait bien que l'arme mobilisée par l'auteur pour faire une satire sociale grinçante est «
l'ironie ». On peut s'interroger alors de la place d'une séance sur « l'ironie » dans la progression du
projet. Après une première séquence (ou les premières séances) dont les activités, à travers l'étude de
quelques passages de l'œuvre, consistent à découvrir de façon particulière le genre et ses
caractéristiques, et de manière générale sa principale thématique, est-il temps, de consacrer une
nouvelle séquence aux procédés linguistiques et rhétoriques mobilisés et dont la première séance serait
l'étude de cette trope en tant que figure macrostructurale. Pour les élèves, qui n'ont appris à reconnaître
l'ironie qu'à travers certaines figures microstructurales (antiphrase », hyperbole …), l'étude de cette
figure, reconnue comme une constante de l'œuvre, et à ce moment de la progression du projet, ne peut
être que plus motivée. Pour ce faire, notre support, qui permettra d'étudier les principaux procédés
mobilisés par ce type de rhétorique, sera un groupement de textes tirés principalement de l'œuvre.

Remarque : On peut rétorquer et répéter le même cliché éternel : « Avec quels types de classes
comptons-nous travailler telle ou telle leçon, le niveau misérable des élèves le permette-il, etc?», et
nous feignons ignorer que l'élève est souvent victime de notre déplorable niveau à nous, qui ne
sommes que doute et incertitude. Laissons l'élève tranquille, les enseignants conscients du métier et de
la réalité ne se posent plus de telles questions stéréotypes, certains, et c'est extraordinaire, quand ils se
sentent faits pour l'art d'enseigner, et après la publication de grands ouvrages, espèrent quitter le lycée
ou l'université pour pratiquer désormais l'enseignement dans le primaire

Vous aimerez peut-être aussi