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L’éloge de l’erreur

21.04.2021

Par Isabelle Delnooz


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l’erreur, vous pouvez la visionner sur l’Espace virtuel !

Faire l’éloge de l’erreur en classe de FLE, est-ce bien raisonnable ? La question


mérite d’être posée car les réflexions innovantes servies par les pédagogues et les
didacticiens sur les bienfaits de l’erreur paraissent parfois bien éloignées de la
réalité de la classe où l’erreur préoccupe plus qu’elle n’exalte.
Vécue comme un simple essai, une petite faute dans l’exercice puis comme un échec
récurrent de l’apprentissage, l’erreur est omniprésente dans le chef des apprenants. Son
statut évolue selon les différents stades de l’apprentissage alors qu’au niveau de
l’enseignant, l’erreur le renvoie automatiquement au constat pessimiste de l’inefficacité
de son enseignement.
Les conséquences sur la relation entre enseignant et apprenants peuvent être terribles.
L’enthousiasme a fait place à l’incompréhension et l’absence d’authenticité altère la
qualité du lien entre le prof et ses élèves. Les symptômes sont fréquents : des élèves
passifs constamment dans l’attente de la fin de l’exercice, de l’activité, du cours, du
semestre, de l’année et des enseignants complètement déstabilisés par les
impondérables des rouages de l’apprentissage.
En classe, le malaise est palpable et il est accentué par les représentations réciproques
des origines de l’erreur. En effet, les enseignants lui attribuent les causes suivantes :
chouya de paresse, concentration défectueuse, motivation fantôme et responsabilité
inexistante. Du côté des apprenants, les explications traduisent un certain mal-être au
sein de la relation pédagogique : l’échec est dû au hasard, à la chance et même à un
mauvais horoscope puis pire encore, à des croyances du type “le prof ne m’aime pas” ou
“je suis trop nul”. Alors, après l’agacement, le dépit… le fatalisme s’installe. Les causes
évoquées par les deux parties ne les impliquent pas, elles leur sont complètement
externes et fondées plus sur des impressions que sur des faits.
Et au moment où l’erreur est débusquée, la subjectivité des uns et des autres, leurs
ressentis et leurs représentations biaisées continuent de saboter la qualité de leur
relation en impactant plus profondément l’apprentissage. D’une part, il y a le syndrôme
de Caliméro qui reflète la déresponsabilisation des élèves face à l’erreur : je n’y suis
pour rien, passons à autre chose et le célèbre syndrôme de l’encre rouge qui touche bon
nombre d’enseignants angoissés à l’idée de laisser passer une faute. Il y a là comme un
devoir moral auquel l’enseignant se soumet dans la crainte du jugement des élèves
d’abord, des parents, de la direction et même de l’institution.
Ainsi, pour aller à l’encontre de ces ressentis coupables, des attributions externes à
l’erreur, de ces réactions tantôt épidermiques tantôt fatalistes, il est indispensable de
prendre du recul et d’objectiver la rencontre du trio (enseignant, apprenant et erreur) à
l’aide d’une analyse et d’une palette de mesures à prendre.
L’analyse des erreurs en classe de FLE
La littérature propose différentes approches. On peut classer les erreurs selon la
compétence qu’elles affectent (PO, PE, CO, CE), selon la gravité (des
approximations vs contresens), selon la fréquence (les erreurs systématiques voire
fossilisées vs les erreurs occasionnelles dues à la fatigue, à l’émotion). Jean-Pierre
Astolfi propose une typologie fondée sur les causes de l’erreur dont s’inspire le
classement ci-dessous.
A. Les erreurs liées à la compréhension des consignes ou des attentes
Parfois, la tâche est exprimée de manière trop floue ou imprécise aux yeux de
l’apprenant alors qu’elle est évidente dans le chef de l’enseignant. À l’injonction isolée
« Complète », les apprenants réagissent en toute bonne foi mais ce qu’ils produisent
risque d’être « à côté » des attentes de l’enseignant. Pour éviter cette perte d’efficacité
et ôter toute confusion, il est donc impératif de préciser la consigne en mentionnant le
contenu et le format attendus dans l’exercice.
B. Les erreurs liées aux opérations mentales inappropriées ou aux démarches
inexistantes
En FLE, cela concerne plus particulièrement les activités de réception où la notion
d’erreur est moins binaire que dans un exercice de grammaire ou dans un texte
lacunaire. Il est question ici d’approximations, de procédures inadéquates ou encore
d’absence de démarche. Par exemple, les apprenants se jettent souvent tête baissée
dans la lecture d’un texte. Cette attitude quoique spontanée risque d’aboutir à des
approximations au niveau de la compréhension et de générer découragement et
démotivation. D’où l’importance de toujours accompagner les activités de réception d’un
projet de lecture ou d’écoute et d’enseigner les démarches d’appropriation du texte à
travers le recours explicite aux stratégies de lecture ou d’écoute.
C. Les erreurs liées aux représentations préexistantes
On touche ici à l’aspect plus linguistique de l’apprentissage du FLE auquel on cantonne
souvent le traitement des erreurs sans prendre en compte les dimensions évoquées
précédemment.
Ces représentations erronées ont deux origines. D’une part, il est question des
interférences avec la langue maternelle ou d’autres langues apprises. Elles peuvent être
sémantiques : influencé par l’anglais, l’apprenant « a attendu la cérémonie » au lieu de la
forme correcte « a assisté à la cérémonie » ou syntaxiques avec la célèbre formulation
« je suis 15 ans » influencée par l’expression correspondante dans la plupart des
langues germaniques.
On a souvent stigmatisé ce contact linguistique. À une époque, on l’évitait à tout prix.
Aujourd’hui, on se rend compte que ces interférences sont le témoin de l’interlangue de
l’apprenant, il correspond à sa compétence dans la langue cible, à un moment donné de
son apprentissage. Il est même considéré comme un atout dans le développement de la
conscience métalinguistique des apprenants qui constituera une stratégie efficace face à
ce type d’erreurs.
D’autre part, ces erreurs sont dues à la langue cible. Et, le caractère aléatoire de la
langue française truffée d’exceptions et d’explications à la logique un peu bancale est
loin de faciliter la tâche des apprenants.
Les apprenants en FLE sont confrontés souvent au phénomène de la surgénéralisation.
L’exemple type est la conjugaison du verbe faire avec la forme erronée « vous faisez »
ou la généralisation de la terminaison du passé simple en a « il réponda ». Cela
s’explique par le caractère profondément aléatoire du français.
Actuellement, on prend le temps d’y faire face, de comparer, d’explorer avec l’apprenant
(quand c’est possible) d’autres systèmes linguistiques. Évidemment, toute erreur ne
devient pas non plus un prétexte à la conceptualisation, à une comparaison ou à un
cours de linguistique contrastive.
Il est à nouveau question, comme c’est souvent le cas dans le métier d’enseignant, de
savants dosages quant au choix des erreurs à traiter, au moment de les traiter et à la
façon de les traiter.
D. Les erreurs liées à la complexité de l’activité ou à la surcharge cognitive
Cela concerne particulièrement le FLE enseigné dans une perspective actionnelle
puisque la tâche est complexe par définition: elle mobilise compétences et ressources
linguistiques.
La production écrite, par exemple, correspond à une lasagne de tâches. En effet,
l’apprenant cherche des idées, les organise en paragraphes, articule des phrases et doit
encore contrôler son orthographe. La mémoire de travail est donc sollicitée pour toute
cette série de tâches alors que lors d’une dictée ou d’un texte lacunaire par exemple, la
totalité de l’espace de traitement de la mémoire de travail est consacrée à garantir la
bonne graphie ou à combler la petite lacune.
Pour répondre à la surcharge cognitive et à la complexité de la tâche, des dispositifs
peuvent être mis en place en classe de FLE. Ils s’intègrent dans le processus
d’apprentissage déterminé par la séquence. Celle-ci garantit, en effet, la cohérence
des activités et propose notamment la découverte d’un texte qui servira de modèle à une
production écrite. L’intervention de l’enseignant accompagne tout ce processus de
manière efficace et diversifiée.
Avant la production écrite
En amont de l’acte d’écriture, l’enseignant élabore une grille de critères et d’indicateurs,
indispensables à la réussite des dispositifs innovants et à une évaluation positive et
bienveillante. En effet, ils définissent clairement les attentes, priorisent les erreurs à
traiter et facilitent la planification de la remédiation. Cinq critères sont recommandés pour
les activités de production : respect du type de texte, respect de l’intention, cohérence,
ressources linguistiques spécifiques à la séquence, ressources linguistiques générales.
Chaque critère est alors décliné en un indicateur spécifique à la tâche demandée.
Pendant l’acte d’écriture
Après avoir préparé et balisé le travail en amont, on arrive au cœur du processus, à
l’acte d’écrire. Il n’ y a aucun secret, il n’existe qu’une règle : faire écrire et réécrire le
plus souvent possible. C’est là qu’apparaissent les écrits en devenir, ces textes qui
s’opposent aux écrits définitifs, normés, évalués. Ces textes vont au-delà du traditionnel
brouillon : ils sont des moments de construction du savoir, d’appropriation des
démarches, de conceptualisation, des moments de réflexion avec un retour sur ce qui a
été fait, dit, compris.
Évidemment, ces productions peuvent être réalisées selon différents dispositifs qui, à
chaque fois, doivent être accompagnés des critères et indicateurs, préalablement établis.
Source image : Isabelle Delnooz
Un exemple de dispositif : le comité de révision (travail en petits groupes)
Source image : Isabelle Delnooz
Après la production écrite
La dernière étape du processus est celle de la valorisation des écrits des apprenants et
du moment délicat de l’évaluation. Qu’elle soit sommative ou formative, elle doit être
positive et bienveillante. À côté du signalement, du traitement, de l’intégration des
erreurs dans le processus d’apprentissage, il est impératif de valoriser le chemin
parcouru par l’apprenant à l’aide de commentaires, de logos et pourquoi pas de stickers
chez les plus jeunes. Une attitude en contradiction avec la culture de la note encore
fortement ancrée dans nos institutions et notre représentation collective de
l’apprentissage.
Conclusion
Intégrer l’erreur au cœur de nos pratiques plutôt que de les refouler améliorera sans nul
doute la qualité de la relation entre l’enseignant et les apprenants. Cela favorisera la
mise en place d’un climat de confiance propice à un apprentissage efficace.
L’enseignant, quant à lui, est outillé pour analyser et traiter les erreurs avec
professionnalisme. Les élèves, eux, sont responsabilisés et ils développent, grâce à une
perception objective de l’erreur, non seulement leurs compétences linguistiques mais
aussi leur conscience métalinguistique. Alors, oui, sans hésiter, faisons l’éloge de
l’erreur!

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