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Faire l’éloge de l’erreur en classe de FLE, est-ce bien raisonnable ? La question
mérite d’être posée car les réflexions innovantes servies par les pédagogues et les didacticiens sur les bienfaits de l’erreur paraissent parfois bien éloignées de la réalité de la classe où l’erreur préoccupe plus qu’elle n’exalte. Vécue comme un simple essai, une petite faute dans l’exercice puis comme un échec récurrent de l’apprentissage, l’erreur est omniprésente dans le chef des apprenants. Son statut évolue selon les différents stades de l’apprentissage alors qu’au niveau de l’enseignant, l’erreur le renvoie automatiquement au constat pessimiste de l’inefficacité de son enseignement. Les conséquences sur la relation entre enseignant et apprenants peuvent être terribles. L’enthousiasme a fait place à l’incompréhension et l’absence d’authenticité altère la qualité du lien entre le prof et ses élèves. Les symptômes sont fréquents : des élèves passifs constamment dans l’attente de la fin de l’exercice, de l’activité, du cours, du semestre, de l’année et des enseignants complètement déstabilisés par les impondérables des rouages de l’apprentissage. En classe, le malaise est palpable et il est accentué par les représentations réciproques des origines de l’erreur. En effet, les enseignants lui attribuent les causes suivantes : chouya de paresse, concentration défectueuse, motivation fantôme et responsabilité inexistante. Du côté des apprenants, les explications traduisent un certain mal-être au sein de la relation pédagogique : l’échec est dû au hasard, à la chance et même à un mauvais horoscope puis pire encore, à des croyances du type “le prof ne m’aime pas” ou “je suis trop nul”. Alors, après l’agacement, le dépit… le fatalisme s’installe. Les causes évoquées par les deux parties ne les impliquent pas, elles leur sont complètement externes et fondées plus sur des impressions que sur des faits. Et au moment où l’erreur est débusquée, la subjectivité des uns et des autres, leurs ressentis et leurs représentations biaisées continuent de saboter la qualité de leur relation en impactant plus profondément l’apprentissage. D’une part, il y a le syndrôme de Caliméro qui reflète la déresponsabilisation des élèves face à l’erreur : je n’y suis pour rien, passons à autre chose et le célèbre syndrôme de l’encre rouge qui touche bon nombre d’enseignants angoissés à l’idée de laisser passer une faute. Il y a là comme un devoir moral auquel l’enseignant se soumet dans la crainte du jugement des élèves d’abord, des parents, de la direction et même de l’institution. Ainsi, pour aller à l’encontre de ces ressentis coupables, des attributions externes à l’erreur, de ces réactions tantôt épidermiques tantôt fatalistes, il est indispensable de prendre du recul et d’objectiver la rencontre du trio (enseignant, apprenant et erreur) à l’aide d’une analyse et d’une palette de mesures à prendre. L’analyse des erreurs en classe de FLE La littérature propose différentes approches. On peut classer les erreurs selon la compétence qu’elles affectent (PO, PE, CO, CE), selon la gravité (des approximations vs contresens), selon la fréquence (les erreurs systématiques voire fossilisées vs les erreurs occasionnelles dues à la fatigue, à l’émotion). Jean-Pierre Astolfi propose une typologie fondée sur les causes de l’erreur dont s’inspire le classement ci-dessous. A. Les erreurs liées à la compréhension des consignes ou des attentes Parfois, la tâche est exprimée de manière trop floue ou imprécise aux yeux de l’apprenant alors qu’elle est évidente dans le chef de l’enseignant. À l’injonction isolée « Complète », les apprenants réagissent en toute bonne foi mais ce qu’ils produisent risque d’être « à côté » des attentes de l’enseignant. Pour éviter cette perte d’efficacité et ôter toute confusion, il est donc impératif de préciser la consigne en mentionnant le contenu et le format attendus dans l’exercice. B. Les erreurs liées aux opérations mentales inappropriées ou aux démarches inexistantes En FLE, cela concerne plus particulièrement les activités de réception où la notion d’erreur est moins binaire que dans un exercice de grammaire ou dans un texte lacunaire. Il est question ici d’approximations, de procédures inadéquates ou encore d’absence de démarche. Par exemple, les apprenants se jettent souvent tête baissée dans la lecture d’un texte. Cette attitude quoique spontanée risque d’aboutir à des approximations au niveau de la compréhension et de générer découragement et démotivation. D’où l’importance de toujours accompagner les activités de réception d’un projet de lecture ou d’écoute et d’enseigner les démarches d’appropriation du texte à travers le recours explicite aux stratégies de lecture ou d’écoute. C. Les erreurs liées aux représentations préexistantes On touche ici à l’aspect plus linguistique de l’apprentissage du FLE auquel on cantonne souvent le traitement des erreurs sans prendre en compte les dimensions évoquées précédemment. Ces représentations erronées ont deux origines. D’une part, il est question des interférences avec la langue maternelle ou d’autres langues apprises. Elles peuvent être sémantiques : influencé par l’anglais, l’apprenant « a attendu la cérémonie » au lieu de la forme correcte « a assisté à la cérémonie » ou syntaxiques avec la célèbre formulation « je suis 15 ans » influencée par l’expression correspondante dans la plupart des langues germaniques. On a souvent stigmatisé ce contact linguistique. À une époque, on l’évitait à tout prix. Aujourd’hui, on se rend compte que ces interférences sont le témoin de l’interlangue de l’apprenant, il correspond à sa compétence dans la langue cible, à un moment donné de son apprentissage. Il est même considéré comme un atout dans le développement de la conscience métalinguistique des apprenants qui constituera une stratégie efficace face à ce type d’erreurs. D’autre part, ces erreurs sont dues à la langue cible. Et, le caractère aléatoire de la langue française truffée d’exceptions et d’explications à la logique un peu bancale est loin de faciliter la tâche des apprenants. Les apprenants en FLE sont confrontés souvent au phénomène de la surgénéralisation. L’exemple type est la conjugaison du verbe faire avec la forme erronée « vous faisez » ou la généralisation de la terminaison du passé simple en a « il réponda ». Cela s’explique par le caractère profondément aléatoire du français. Actuellement, on prend le temps d’y faire face, de comparer, d’explorer avec l’apprenant (quand c’est possible) d’autres systèmes linguistiques. Évidemment, toute erreur ne devient pas non plus un prétexte à la conceptualisation, à une comparaison ou à un cours de linguistique contrastive. Il est à nouveau question, comme c’est souvent le cas dans le métier d’enseignant, de savants dosages quant au choix des erreurs à traiter, au moment de les traiter et à la façon de les traiter. D. Les erreurs liées à la complexité de l’activité ou à la surcharge cognitive Cela concerne particulièrement le FLE enseigné dans une perspective actionnelle puisque la tâche est complexe par définition: elle mobilise compétences et ressources linguistiques. La production écrite, par exemple, correspond à une lasagne de tâches. En effet, l’apprenant cherche des idées, les organise en paragraphes, articule des phrases et doit encore contrôler son orthographe. La mémoire de travail est donc sollicitée pour toute cette série de tâches alors que lors d’une dictée ou d’un texte lacunaire par exemple, la totalité de l’espace de traitement de la mémoire de travail est consacrée à garantir la bonne graphie ou à combler la petite lacune. Pour répondre à la surcharge cognitive et à la complexité de la tâche, des dispositifs peuvent être mis en place en classe de FLE. Ils s’intègrent dans le processus d’apprentissage déterminé par la séquence. Celle-ci garantit, en effet, la cohérence des activités et propose notamment la découverte d’un texte qui servira de modèle à une production écrite. L’intervention de l’enseignant accompagne tout ce processus de manière efficace et diversifiée. Avant la production écrite En amont de l’acte d’écriture, l’enseignant élabore une grille de critères et d’indicateurs, indispensables à la réussite des dispositifs innovants et à une évaluation positive et bienveillante. En effet, ils définissent clairement les attentes, priorisent les erreurs à traiter et facilitent la planification de la remédiation. Cinq critères sont recommandés pour les activités de production : respect du type de texte, respect de l’intention, cohérence, ressources linguistiques spécifiques à la séquence, ressources linguistiques générales. Chaque critère est alors décliné en un indicateur spécifique à la tâche demandée. Pendant l’acte d’écriture Après avoir préparé et balisé le travail en amont, on arrive au cœur du processus, à l’acte d’écrire. Il n’ y a aucun secret, il n’existe qu’une règle : faire écrire et réécrire le plus souvent possible. C’est là qu’apparaissent les écrits en devenir, ces textes qui s’opposent aux écrits définitifs, normés, évalués. Ces textes vont au-delà du traditionnel brouillon : ils sont des moments de construction du savoir, d’appropriation des démarches, de conceptualisation, des moments de réflexion avec un retour sur ce qui a été fait, dit, compris. Évidemment, ces productions peuvent être réalisées selon différents dispositifs qui, à chaque fois, doivent être accompagnés des critères et indicateurs, préalablement établis. Source image : Isabelle Delnooz Un exemple de dispositif : le comité de révision (travail en petits groupes) Source image : Isabelle Delnooz Après la production écrite La dernière étape du processus est celle de la valorisation des écrits des apprenants et du moment délicat de l’évaluation. Qu’elle soit sommative ou formative, elle doit être positive et bienveillante. À côté du signalement, du traitement, de l’intégration des erreurs dans le processus d’apprentissage, il est impératif de valoriser le chemin parcouru par l’apprenant à l’aide de commentaires, de logos et pourquoi pas de stickers chez les plus jeunes. Une attitude en contradiction avec la culture de la note encore fortement ancrée dans nos institutions et notre représentation collective de l’apprentissage. Conclusion Intégrer l’erreur au cœur de nos pratiques plutôt que de les refouler améliorera sans nul doute la qualité de la relation entre l’enseignant et les apprenants. Cela favorisera la mise en place d’un climat de confiance propice à un apprentissage efficace. L’enseignant, quant à lui, est outillé pour analyser et traiter les erreurs avec professionnalisme. Les élèves, eux, sont responsabilisés et ils développent, grâce à une perception objective de l’erreur, non seulement leurs compétences linguistiques mais aussi leur conscience métalinguistique. Alors, oui, sans hésiter, faisons l’éloge de l’erreur!
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