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Sous la direction de

Préface de Laurent-Éric Le Lay

© ODILE JACOB, NOVEMBRE 2019

15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS

www.odilejacob.fr

ISBN : 978-2-7381-4765-3

Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-


5  et 3  a, d'une part, que les «  copies ou reproductions strictement réservées à
l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part,
que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration,
«  toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le
consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art.
L.  122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon
sanctionnée par les articles L.  335-2 et suivants du Code de la propriété
intellectuelle.

Composition numérique réalisée par Facompo


Préface

PAR LAURENT-ÉRIC LE LAY

La résilience ! Connaissez-vous ? Cette capacité, après un traumatisme


aussi violent soit-il, de rebondir pour reprendre le cours d’une vie et même
pour certains de devenir plus forts. Les personnes ayant connu l’horreur
peuvent s’en sortir. Le malheur n’est pas une fatalité, il peut même être
« merveilleux », comme l’écrit si bien Boris Cyrulnik dans un ouvrage de
référence sur le sujet.
Le sport  ! Qu’a-t-il à voir avec la résilience  ? C’est une question que
nous nous sommes souvent posée avec le docteur Philippe Bouhours. Est-il
possible que le sport soit utilisé comme un outil de résilience ? Peut-il par
sa pratique, son exigence, sa passion, ses valeurs, permettre à certains
d’enclencher un processus de résilience pour sortir d’un cauchemar dans
lequel un malheureux hasard de la vie les a plongés ?
Pour réfléchir à toutes ces questions, Philippe Bouhours m’a proposé
d’en parler à Boris Cyrulnik. Et c’est ainsi qu’un dimanche nous sommes
allés poser directement la question au père de la résilience qui nous avait
chaleureusement invités à déjeuner chez lui, dans son jardin, sur les bords
de la Méditerranée.
Le sujet l’a intéressé de suite et il a décidé d’organiser un séminaire de
travail sur le sujet. Sans doute sa passion pour le sport, le rugby en
particulier, n’y a-t-elle pas été étrangère. L’idée était de réunir un groupe de
spécialistes pour comprendre, partager et écouter différents témoignages et
travaux sur le sport et sa capacité à constituer un outil de résilience. C’est
ainsi qu’un groupe de travail s’est formé avec Carl Blasco (triathlète),
Daniel Costantini (entraîneur sportif), Jérôme Gallion (rugbyman),
Christian Jeanpierre (journaliste sportif), Jean-Christophe Klotz (cinéaste,
réalisateur), Sophie Perez (psychologue, ressources humaines), André
Rauch (écrivain). Il s’est réuni régulièrement pendant plusieurs années et je
profite de cette occasion pour les remercier de leur disponibilité, de leur
implication et de l’enthousiasme sans faille qu’ils ont montré pendant tout
ce temps. Ce livre a pour ambition de partager avec vous quelques-uns de
nos travaux qui montrent que le sport est bien plus qu’un jeu.
Homme de médias et de sports, j’ai toujours été fasciné par la passion
qui accompagne les événements sportifs. Les journaux s’y sont vite
intéressés, comprenant que rapporter ces émotions était source d’intérêt.
Les amateurs d’histoires se rappelleront que le Tour de France a été créé par
un journal, L’Auto, au début du XXe  siècle, pour en augmenter les ventes.
L’arrivée de la télévision a amplifié le phénomène en permettant à chacun
de voir en direct les exploits sportifs de leurs champions, où qu’ils soient
sur la planète.
Dans un stade, entre amis et même seul chez soi, regarder un événement
sportif fait parfois vivre des émotions telles que tout le monde peut,
l’espace d’un instant, devenir hystérique. Un soir de juillet 2018, comme il
y a vingt ans, la France a explosé de joie autour de son équipe de football
qui lui redonnait la fierté d’être une nation championne du monde.
L’événement était tel qu’il a dépassé le cercle des passionnés et concerné
tous les Français, quels que soient leur âge, leur sexe, leur culture ou leur
religion.
Ces émotions collectives se répètent régulièrement : médailles d’or des
Français aux Jeux olympiques, grands chelems au rugby, matches en cinq
sets à Roland-Garros, Tour de France avec des millions de Français chaque
année sur les routes…
Ce que nous vivons en France, tous les pays le vivent. Souvent autour
des mêmes sports, parfois autour de certains en particulier en raison de leur
histoire et de leur culture. Mais, quelle que soit la discipline, le sport est un
langage universel. À l’heure où nos générations bâtissent l’Europe et où le
besoin d’une culture commune est nécessaire, n’oublions pas que le sport
est un patrimoine que nous partageons.
L’image du fan regardant un match à la télévision, une bière dans une
main et une part de pizza dans l’autre, n’est pas qu’une caricature. Et même
si ces moments de convivialité sont importants pour mieux vivre ensemble,
ce n’est pas parce qu’on aime le sport et qu’on le regarde qu’on est sportif.
Sans pratique, il est difficile d’imaginer la mise en place du processus de
résilience qui va avec le sport.
Pourtant l’expression « un esprit sain dans un corps sain » est connue de
tous et démontrée par de multiples études. Alors comment convaincre  ?
Comment motiver chacun d’entre nous de pratiquer ne serait-ce que
quelques dizaines de minutes de marche quotidienne ? Beaucoup d’actions
sont menées par l’État, les associations, les entreprises et le mouvement
sportif. Il serait injuste de ne pas souligner ces efforts. Mais je suis
convaincu que l’on peut faire plus.
La France a l’honneur d’organiser la coupe du monde de rugby 2023 et
les Jeux olympiques de 2024. Pourquoi ne pas en profiter pour développer
l’image d’une nation résolument tournée vers le sport  ? Plus de pratique
dans les écoles, les universités, les entreprises, plus d’éducateurs, plus
d’infrastructures… Nous savons que le système éducatif français peut être
excellent pour former des élites, mais curieusement il a toujours considéré
le sport comme une matière annexe. Prendre le pari de former nos enfants à
la pratique sportive de manière plus intensive n’a pourtant que des
avantages  : apprentissage des valeurs, dépassement de soi, poursuite
d’objectifs, respect des règles, santé… Ainsi en grandissant nos enfants
disposeront d’un outil de plus pour bien vivre, mieux vivre, et surtout ils
sauront que le sport peut les aider en cas de coup dur. À l’heure où le vivre
ensemble est plus que jamais une nécessité, le sport est une solution.
Le sportif, héros de temps de paix

PAR BORIS CYRULNIK

Quelle drôle d’idée d’appeler un sportif « héros » ? Ce mot désigne un


demi-dieu à connotation religieuse, un chef de guerre qui a sauvé son
peuple en se sacrifiant pour lui 1. En temps de paix, ce mot indique qu’un
homme est au-dessus du commun, un personnage de film ou de roman dont
les aventures extraordinaires nous enchantent par leurs exploits et nous
racontent une histoire édifiante. Dans tous les cas, le héros provoque en
nous un sentiment d’admiration, de plaisir et de gratitude parce que par son
exploit, il compense un sentiment de faiblesse.
Il est normal de se sentir faible, quand on est petit. C’est le moment de
notre développement où nous avons besoin d’un héros qui nous sauve. Le
danger est parfois réel, mais quand on ne connaît pas le monde où l’on vient
d’arriver, tout événement est un danger potentiel parce qu’on n’en a pas
l’expérience et qu’on ne sait pas comment s’y adapter. À ce stade, nous
avons besoin d’une figure sécurisante que, plus tard, nous appellerons
« maman ». Sa simple présence nous sauve d’un danger réel ou imaginaire
puisque, à ce stade de notre développement, sans expérience de l’existence,
nous ne savons pas faire la différence.
À peine sommes-nous sécurisés par le héros maman, que nous voyons
régulièrement autour d’elle une figure familière que  nous  appellerons
«  papa  ». Cette silhouette est plus distante, elle n’a pas la même forme
sensorielle que «  maman  », elle nous sauve des dangers de la rue et du
monde extérieur au foyer. Quand le héros-papa est là, il va tuer les
méchants : nous ne craignons plus rien et nous pouvons apprendre à nous
socialiser. Alors, nous allons à l’école où nous rencontrons d’autres petits
héros quotidiens. Pour les filles, le héros de cette étape est souvent une
grande qui montre comment il faut se comporter pour maîtriser la relation et
ne pas se laisser dominer. Les amitiés entre petites filles sont intenses,
intimes, et échappent souvent au regard des adultes. Pour les garçons, les
petits héros sont plus faciles à repérer. C’est souvent un bon sportif, celui
qui court plus vite ou joue le mieux au football. On envie les bons élèves
parce qu’ils obtiennent l’estime des adultes, mais on ne les héroïse pas.
Alors que celui qui court vite est au-dessus du commun  ; et celui qui
marque des buts sauve son équipe de la défaite. Ils provoquent dans l’âme
du petit garçon (et de plus en plus chez les petites filles) un sentiment de
gratitude et d’admiration : « Merci d’avoir sauvé l’honneur de l’équipe de
football du lycée, je t’admire toi, mon héros », pourraient-ils dire.
Remarquez que dans « admirer » il y a « ad » et « miroir », ce qui veut
dire  : «  Je m’admire en toi, j’aimerais être comme toi, rapide, habile et
sauveur de mon groupe sportif ; on m’aimerait beaucoup si je parvenais à
devenir comme toi un buteur ou un défenseur héroïque 2.  » Le héros en
temps de paix constitue pour l’enfant une image d’identification. Après
maman qui sécurise, papa qui dynamise, le héros sportif indique une
direction. Il révèle nos rêves d’avenir, il donne forme à nos désirs  :
«  J’aimerais devenir comme ce héros que j’admire  », dit souvent l’enfant
qui demande à ses parents de lui acheter des objets de héros  : des épées
comme celle de Zorro qui terrorise les riches qui terrorisent les pauvres, des
capes de Superman qui vole au secours des faibles, des maillots de football
avec le nom du joueur admiré. Cette image identificatoire, qui donne du
plaisir et provoque un fort attachement, indique la direction des efforts que
l’enfant devra faire : se muscler, écouter l’entraîneur, respecter le règlement
afin de gagner le match, à la loyale.
Quand arrive la puberté, on constate alors une sexualisation des
comportements. Les petits (garçons et filles) jouaient gentiment,
apprenaient à faire des passes, sautaient de joie quand ils marquaient un but,
et n’étaient pas désespérés quand l’adversaire gagnait le match. À partir des
cadets (14-16 ans), les garçons veulent gagner, par l’habileté et la force,
mais ils commencent à tricher pour obtenir ce résultat. Quand l’adversaire
gagne ou domine, on voit apparaître des comportements de frustration  :
protestations, coups d’épaule, tacles et triches, s’il le faut. L’adversaire se
comporte de même, ce qui provoque des cris, des indignations, des
bousculades et parfois des bagarres. Quand on joue pour gagner, la fin
justifie les moyens 3.
Les filles jouent pour gagner, elles aussi, mais c’est autre chose qu’elles
veulent gagner  : c’est le plaisir d’être ensemble, le plaisir d’accorder de
l’importance à des choses qui n’en ont pas, et le plaisir de démontrer
qu’elles peuvent faire aussi bien que les garçons. Elles ne trichent pas,
respectent les règles et se bagarrent peu. À partir de la puberté, les réactions
émotionnelles sont différentes selon les sexes, et se manifestent sur le
terrain comme dans la vie sociale, où les femmes sont rarement
délinquantes. Elles héroïsent des garçons footballeurs et en font une
référence, affirmant qu’elles tendent vers ce modèle et réaliseront des
performances aussi bonnes que les siennes.
Les performances physiques dépendent de l’affectivité, différente pour
les garçons et pour les filles. Ces exploits sportifs sont liés à la sécurisation
des familles. Quand les enfants désirent suivre le chemin désigné par leur
héros, et qu’ils sont invités dans des institutions de sport-études, on constate
que, plus ils sont éloignés de leur famille, plus leurs performances sont
altérées. Au point que les entraîneurs-formateurs envisagent aujourd’hui de
développer des centres locaux-régionaux afin de ne pas provoquer des
séparations brutales. On constate le même phénomène pour les études après
le bac. Les ados qui sont obligés de s’inscrire dans une faculté éloignée du
domicile familial ont 50 % d’échec de plus que ceux qui restent dans leur
famille.
Le héros sportif qui révèle les aspirations de l’admirateur doit être
intériorisé comme une image paternelle qui sécurise affectivement et
dynamise socialement. C’est pourquoi les transgressions de Zidane au cours
de la finale du championnat du monde en 2006 ou de Henry au cours du
match de qualification pour l’Afrique du Sud ont été vécues de manière
radicalement opposées. Zidane, en donnant un coup de tête dans la poitrine
de l’Italien qui le marquait d’un peu trop près, a peut-être fait perdre le
match à l’équipe de France, mais quand on apprend que l’Italien proférait
des insultes sexuelles à l’égard de la mère et de la sœur de Zidane, le geste
qui nous a fait perdre devient un acte héroïque : il a sauvé l’honneur de ces
deux femmes. Voilà comment nous sommes, nous les Français  : nous
préférons perdre, mais nous sauvons l’honneur. Le talentueux Thierry
Henry a fait gagner le match, mais en trichant. Il a dévié le ballon de la
main vers le pied d’un coéquipier qui a marqué le but. Honte sur nous, les
Français : il a souillé la victoire, il a sali notre honneur. Les héros meurent
ou sont vaincus, mais que leur mort est belle quand ils se sacrifient pour
nous !
« Ce héros sportif que vous voyez est du même sang que moi, pourrait
dire l’admirateur. Il donne au monde une image de morale et de beauté. Je
m’inscris dans cette filiation, je poursuis le même combat.  » Tel est le
message politique et esthétique dont les scénarios héroïques sont porteurs 4.
Le héros sportif devient facilement le sujet d’un mythe. Quand j’étais
enfant, dans les années d’après-guerre, mes copains et moi, on adorait Ben
Barek. On ignorait l’homme réel, on ne savait rien de ses origines, de sa
culture et de sa vie de famille. Mais, puisqu’il avait marqué des buts qui
avaient donné la victoire à l’équipe de France, nous cherchions à raconter
quelques histoires merveilleuses où il avait dribblé, marqué des buts ou
contré un adversaire qui s’apprêtait à nous infliger une défaite. Ces récits,
limités au football, répétés sans nuances, nous donnaient un grand bonheur,
proche d’une affection imaginaire pour un homme réel que nous ne
connaissions pas. Nous ne racontions que ses exploits héroïques dont nous
renforcions l’image stéréotypée.
Ces héros du quotidien constituent l’image dont nous avons besoin.
Quand on est petit, il nous faut une image identificatoire qui nous renforce.
Mais quand on est adulte et qu’on se sent amoindri par un développement
difficile ou par son appartenance à un groupe humilié, le héros dont nous
avons besoin prend la figure d’un rédempteur qui rachète nos fautes. Ce
héros qui paie pour nous sauver est plus moral que physique. C’est un saint
ou un guerrier qui se sacrifie pour que l’on se sente moins coupable. Quand
on vit dans l’univers de la faute, ces héros moraux ont une fonction
thérapeutique.
Le héros sportif, lui, est plus physique que moral. Aux Jeux
olympiques, la morphologie des champions est parfaitement adaptée à la
performance qu’ils rêvent de réaliser. Les lanceurs de poids ont un gabarit
hyperpuissant, les coureurs de fond ont un thorax étroit et des jambes fines,
les sauteurs sont de longues araignées et les sprinters ont des muscles
galbés. Les athlètes qui n’ont pas un corps adapté à la performance
souhaitée n’ont aucune chance d’être vainqueurs.
Les sprinters sont presque toujours noirs. Il est difficile de penser que la
mélanine, ce pigment qui colore leur peau, explique leur vélocité. En
revanche, le galbe de leurs muscles et leurs longs tendons d’Achille
expliquent leur foulée élégante et rapide. Ce déterminisme génétique
n’exclut pas les déterminants psychologiques et socioculturels, car il faut
aussi qu’ils se plaisent à courir et que la société leur propose des lieux
d’entraînement. Ce fait est facile à constater puisque, jusqu’à maintenant,
un seul Blanc est parvenu à courir le 100 mètres en moins de 10 secondes :
Christophe Lemaitre aux longues jambes et au fin thorax musclé a couru en
9,92 secondes.
Ce constat est tout de suite idéologisé. Aux Jeux olympiques de 1936 à
Berlin, Hitler a quitté le stade pour ne pas avoir à reconnaître la supériorité
physique de Jesse Owens, le Noir américain aux quatre médailles d’or 5.
Plus récemment, Jean-Marie Le Pen a fait de la qualité physique des jeunes
Noirs une preuve de l’existence du déterminisme biologique de la race, ce
qui est un contresens. La calvitie est, elle aussi, génétiquement déterminée
chez certains hommes ; le bulbe pileux de la peau du crâne est très sensible
à la testostérone. Ce déterminant génétique n’est pas suffisant pour parler de
la race des chauves.
Une victoire sportive due à la qualité physique et psychique d’un
compétiteur possède un implicite idéologique qui donne un sens social et
politique à la performance. Quand la France a remporté le championnat du
monde de football en 1998, cette victoire a aussitôt pris la signification
d’une nation unie qui intègre les hommes de couleurs différentes. Quand les
accords d’Oslo en 1995 ont donné l’illusion d’une paix au Proche-Orient,
c’est un match de football qui a été chargé de représenter la victoire et la
fête palestinienne. De même qu’un soldat accepte de mourir en héros pour
donner à son peuple une victoire physique ou morale, un sportif dédie son
succès à son groupe d’appartenance. Quand Alphonse Halimi, né à
Constantine, remporte le championnat du monde de boxe poids coq, face à
l’Irlandais Freddie Gilroy, il s’écrie : « J’ai vengé Jeanne d’Arc », tant il se
sent français. Mais quand le judoka Djamel Bouras dédie sa médaille
olympique «  aux musulmans du monde entier  », il dévoile un sentiment
d’appartenance très différent.
Lorsqu’on perd une guerre, on peut mourir en héros. Le général Custer,
lors de la bataille de Little Big Horn en 1876, commet une série de fautes
militaires qui donnent la victoire à la coalition indienne dirigée par le Sioux
Sitting Bull. Il sera pourtant héroïsé par des dizaines de films, le montrant
seul survivant au milieu de ses hommes tués, tenant encore tête aux
méchants Indiens, avec un tronçon d’épée brisée. « On est comme ça, nous
les Américains  » signifie l’héroïsation de ce général responsable de la
défaite.
Il est pourtant facile de faire dériver une image. Partant du héros dont
on a besoin pour se sentir moins faible ou réparer une humiliation, on
l’oriente rapidement vers une idole. Jesse Owen, avec ses réelles qualités
physiques, est devenu l’icône de la lutte antiraciste  ; de nombreux
Allemands se sont laissé convaincre et sont venus féliciter le Noir
triomphant qui avait ridiculisé les idées racistes. Mais en rentrant aux États-
Unis, le champion redevenait le Nègre qui n’avait pas les mêmes droits que
les Blancs. Beaucoup de jeunes aujourd’hui adorent les tee-shirts imprimés
avec la belle image du Che Guevara avec sa barbe de gauche et son étoile
marxiste 6. En adorant l’image et en ignorant la vie et la théorie de ce
révolutionnaire, ils en ont fait une idole qui ne veut plus rien dire.
Depuis les années 1980 est apparu, en France, un phénomène sportif qui
ne concerne ni les héros ni les surhommes. Le jogging, course lente et
longue comme une promenade, n’a pas de champion ni de héros. De plus en
plus de femmes revêtent une tenue de sport et courent en bavardant avec
une copine ou avec leur compagnon. Elles ne veulent pas sauver la France
ni gagner une médaille prouvant leur surhumanité. Elles veulent courir,
maigrir, prendre une douche et aller au travail. Les coureurs anonymes,
antichampions, antihéros prouvent que l’épanouissement personnel, le bien-
être physique et mental sont devenus une valeur de la culture occidentale. Il
ne s’agit plus de sacrifices ni de réparation d’une humiliation. Un tel
événement ne mérite pas une narration épique 7, on court, on bavarde, on se
sent mieux, c’est tout. Mais cette agréable banalité devient la preuve d’une
culture en paix. Dans un pays en guerre, le jogging n’existe pas.
Le héros sportif est soumis comme tout héros à la dérive sémantique et
à une récupération idéologique. Selon son contexte culturel, il peut signifier
l’intégration des étrangers dans une belle France à construire ensemble, la
revanche d’un Nègre prouvant qu’il n’est pas un être inférieur ou le
triomphe de Narcisse qui ne pense qu’à lui-même et à gagner beaucoup
d’argent en méprisant ses supporters idolâtres.
Un événement glorieux est facile à pervertir. Les films de Leni
Riefenstahl devaient montrer le corps mince et musclé de beaux jeunes gens
blonds, illustrant la qualité de la race aryenne 8. Emil Zátopek devait
remporter la victoire des courses de 5 000 et 10 000 mètres en 1948 et en
1952, pour prouver la qualité de l’organisation communiste. Et dans les
universités américaines, on n’hésite pas à engager, à fort prix, des
champions de basket de façon à augmenter les inscriptions payantes de
nouveaux étudiants.
C’est dans le récit que se constitue l’héroïsme 9. De nombreuses
performances extraordinaires n’ont jamais été racontées parce que la société
n’en voyait pas l’usage. À l’inverse, quelques événements sans importance
dans le réel ont été transformés en épopée de façon à galvaniser les
spectateurs et les faire marcher comme un seul homme. L’héroïsation est
une procédure psychosociale. Un groupe choisit parmi quelques candidats
celui qu’il va adorer à mort. Le héros rallume l’espoir et panse
l’humiliation.
Nos sociétés modernes ayant renoncé aux empires coloniaux, ayant
vaincu les régimes totalitaires, n’ont plus aucune raison d’engendrer
d’épopées de grands héros. Quelques héros momentanés suffisent en temps
de paix, pour nous venger d’une défaite au rugby ou pour faire briller un
groupe auparavant amoindri. Mais un langage totalitaire est un train de
renaître 10. Il décrit ses martyrs, ce qui est une manière de légitimer sa
propre violence. Quels sont les héros que ce nouveau discours social va
susciter  ? Les héros de temps de guerre apportent la preuve d’une société
malade. Nous allons bientôt regretter ces héros de temps de paix que
constituent les bataillons de sportifs.
Sport et résilience : une mise
en perspective

PAR PHILIPPE BOUHOURS

Le sport et la résilience forment un couple original, intéressant de


questionner. Le sport est plus qu’une simple performance physique. C’est,
comme la résilience, une affaire relationnelle, psychologique,
anthropologique, individuelle et collective. L’interrogation de la base de
données Google Scholar, en utilisant les mots «  sport  » et «  résilience  »,
permet d’extraire en 0,02 seconde 86 500 occurrences. En utilisant la base
de données Medline, on trouve, avec les mêmes termes, 250 références de
publications scientifiques. La comparaison de ces deux résultats montre à la
fois la popularité du thème et le petit nombre de travaux scientifiques,
souvent très récents, qui s’y réfèrent.

De la résilience et du sport
Boris Cyrulnik définit la résilience comme «  la capacité à réussir, à
vivre, à se développer en dépit de l’adversité 1 » et « la reprise d’un nouveau
développement après un traumatisme 2  ». Autrement dit, la résilience est
cette reprise d’un développement après une agonie psychique traumatique,
décrite selon plusieurs approches sur le plan biologique, psychologique et
social. Perçue comme un processus dynamique 3, elle représente la réponse
adaptative d’une personne face à l’adversité, en fonction de ses propres
capacités émotionnelles et cognitives 4.
Si la résilience permet à un individu de retrouver un équilibre
psychologique et une renaissance sociale après des événements
traumatiques, qu’en est-il chez les sportifs ? Ont-ils une capacité inhérente à
leur pratique à mieux faire face aux épreuves de la vie que la population
générale ?
Il est aujourd’hui établi que la pratique du sport est bénéfique sur le
plan physiologique et la santé mentale. À titre d’exemple, quand on
compare un groupe d’athlètes à un groupe de non-sportifs, on peut observer
l’impact significatif des facteurs de résilience chez les sportifs et une
amélioration de leur qualité de vie 5. En 2015 une importante revue de la
littérature sur l’approche psychologique de la résilience dans le sport et ses
implications dans la recherche et la pratique clinique a ainsi été menée 6.
Certes, elle fait plus particulièrement état des capacités d’adaptation d’un
sportif face à la difficulté d’une compétition que la démonstration d’un
processus strictement résilient tel que nous l’avons défini plus haut, mais
elle permet largement de préciser plusieurs thèmes illustrant notre sujet. Il
apparaît que la trajectoire de vie d’un sportif est un élément clé de son
devenir et de sa réussite  : l’existence de bons facteurs internes
(motivationnels) et externes (soutien sociologique et psychologique)
conditionnera en effet sa réponse adaptative face à l’adversité (blessures,
contre-performances…). Mais que se passe-t-il chez un sportif face au
drame et à la catastrophe ?
Pour Boris Cyrulnik, la résilience est dynamique grâce aux processus
que l’individu met en place : la défense, la protection, l’équilibre face aux
tensions, l’engagement, le défi, la relance, l’évaluation, la signification, la
positivité de soi et la création. Ces différents processus contribuent à
rompre la ou les trajectoires négatives d’un individu pour faire face au
traumatisme 7. Lors de la constitution de notre groupe de travail « Sport et
résilience  », nous avons opté en partie pour l’étude de cas uniques
permettant d’illustrer plusieurs types de sportifs résilients et de contextes
sociétaux et sportifs à travers lesquels des facteurs de résilience pouvaient
être décrits  ; certains de ces thèmes constituent la trame même de cet
ouvrage collectif.

Mesurer la résilience dans le sport


Plusieurs de ces processus ou critères sont explorables et mesurables sur
la base des différentes échelles développées pour évaluer la résilience. Ces
échelles tiennent compte de la complexité de telles mesures 8, notamment la
Connor-Davidson Resilience Scale qui comporte 25 items (CD-RISC 25) et
sa version révisée en 10  items (CD-RISC 10), dont l’utilisation est
pertinente dans la pratique sportive 9.
Les études très récentes réalisées chez les sportifs permettent également
de dégager des éléments de personnalité qui concourent à apprécier la
résilience et ses mécanismes sous-jacents. Trois composantes sont centrales
pour évaluer la résilience : la mesure de l’adversité, les capacités positives
d’adaptation et les facteurs de protection 10. Dans une population de
coureurs américains aux qualités résilientes, on a observé que ces derniers
éprouvent plus souvent des expériences émotionnelles comme
l’enthousiasme, l’excitation et l’intérêt et se montrent nettement moins
énervés, affligés ou irritables 11. De manière générale, la performance
athlétique décroît quand apparaissent l’anxiété et l’agressivité ; à l’inverse,
elle s’améliore quand le sportif est capable de prendre la responsabilité de
ses erreurs, de faire preuve de patience dans la douleur et la maladie ou tout
simplement de tolérer la défaite et d’accepter les remontrances de
l’entraîneur. Trois facteurs de résilience apparaissent déterminants dans le
sport  : la détermination individuelle, la solidité physique et le contrôle
émotionnel associé à la maturité psychique 12.
Aux antipodes, on trouve l’antirésilience conduisant au
surinvestissement ou à la confrontation. Les facteurs de l’antirésilience sont
l’abandon, l’isolement, l’absence de sens, l’humiliation, la honte, le
désengagement et le ruminement du passé 13.

Une relation à double sens


Lors de la pratique de nos séminaires, plusieurs thèmes nous ont permis
de relier sport et résilience. Le repérage de l’action résiliente semble
implicite dans plusieurs situations, comme le sport de haut niveau, le
handicap, les conditions extrêmes de vie ou les situations de fin de carrière.
Il n’existe pas un seul principe qui fonde ce lien, mais des circonstances
précises qui favorisent une relation dans les deux sens : soit la résilience a
un impact dans le sport, soit, à l’inverse, l’action du sport enclenche un
processus adaptatif de résilience. Afin d’illustrer notre propos, nous allons
revenir sur certains de ces thèmes en raison de leur valeur emblématique et
démonstrative : le sportif résilient, le champion olympique, le coach tuteur
de résilience et l’équipe, les jeunes face à la pratique sportive, le sport et la
santé, le handicap et, enfin, les circonstances traumatiques de guerre ou de
catastrophe.

Le sportif résilient
La blessure chez un sportif est un moment déterminant au cours duquel
tout, entre déni et détresse, peut se jouer. Les interactions entre le sportif et
les soignants et l’efficacité des soins et des soutiens sociaux sont ici
essentielles pour la guérison. Plusieurs étapes interviennent dans le
processus résilient qui est à l’œuvre  : la gestion des émotions, la
visualisation de la guérison, la construction de la confiance dans le retour au
sport et la résistance mentale 14.
Après une blessure, la résilience du sportif dépend également de son
haut niveau de compétition, de sa force et de son endurance, mais aussi et
surtout du fait qu’il a précédemment subi d’autres accidents 15, la résilience
étant le fruit de facteurs intrinsèques individuels. Chez des rugbymen
quadriplégiques jouant en fauteuil roulant, les facteurs de résilience
dépendent ainsi de leur capacité au changement et de l’expérience acquise
avant l’adversité 16.

Les athlètes olympiens : au-delà


de l’impossible
La ferveur pour les héros n’est pas près de s’éteindre et seule
l’extinction progressive de la flamme olympique à la fin du cycle des jeux
nous interpelle sur la précarité du temps. Claire Carrier dans l’ouvrage Le
Champion, sa vie, sa mort rappelle que « le sportif olympique est le dernier
champion des valeurs sur lesquelles la société tente de s’appuyer. Elles
impliquent forcément le respect de l’autre, le respect de la règle du jeu, de
la progression dans un rituel d’épanouissement et non pas d’éclatement 17 ».
Les athlètes olympiens sont à la fois guidés par la tâche à accomplir et
centrés sur eux-mêmes, l’équilibre de ces deux forces conduisant à
accentuer leur motivation et leur orientation sur le but à atteindre 18.
Dès le début, la pratique du sport de haut niveau expose les sportifs au
stress et au risque. Pour résister à cet environnement exigeant, surmonter
l’adversité et persévérer, un sportif doit fortifier ses caractéristiques
positives personnelles ainsi que la qualité de ses relations sociales et de son
soutien affectif. Ces qualités sont, en effet, des composantes de la
résilience 19. En comparaison, les champions olympiques possèdent des
qualités psychologiques spécifiques (motivation, focalisation, confiance)
qui les protègent de l’influence des événements stressants négatifs, tout en
facilitant la réponse optimale associée à la performance sportive 20.

Le coach, tuteur de résilience


La place de l’entraîneur est déterminante dans le processus résilient,
qu’il s’agisse d’une pratique sportive individuelle ou d’équipe 21. Le coach
interagit comme un équilibriste, entre sécurisation et dynamisme, entre
autorité et choix. Il est un subtil mélange de responsabilité, de confiance, de
passion et de conviction, ce qui n’exclut pas la capacité à douter. Il est le
représentant de la figure parentale. Si cette dernière vient à manquer, il peut
suppléer le manque, qui ne passe pas uniquement par l’intellectualisation de
la relation au sportif ou de la technique, mais par l’empathie et
l’attachement.
Hubert Ripoll, dans son ouvrage Le Mental des coachs 22, insiste bien
sur l’équilibre délicat du coaching. Créant le lien, l’osmose avec le sportif
ou l’équipe, il dépend avant tout de la personnalité du coach lui-même.
Bien sûr, un entraîneur rencontre aussi l’adversité dans sa propre vie, et ce
sont les mêmes qualités que celles des sportifs qui lui permettent de
rebondir  : ténacité, espoir, courage, capacités mentales positives pour
transformer les situations difficiles en opportunité. En ce sens, sportifs et
entraîneurs symbolisent les deux faces de la même pièce 23.
L’attitude d’un coach peut se révéler efficace en maintenant la pression
sur les athlètes, en exigeant un haut niveau de performance, mais elle doit le
faire sans amoindrir la motivation et tout en accentuant les capacités de
résilience 24, notamment par un important soutien social pour prévenir le
burn-out induit par le stress 25. De la posture du coach sportif, lui-même
soumis au stress, et de sa résilience dépendront donc les résultats qu’il
obtient et les accomplissements de ses sportifs 26. Le capitaine de l’équipe
tient une place particulière, il est l’interface de l’entraîneur sur le terrain et,
par son attitude et sa motivation, conditionne en partie les performances 27.
De la même façon, l’équipe dans son ensemble peut développer une
pratique résiliente en se protégeant collectivement des effets négatifs des
stresseurs externes, adoptant une dynamique et un processus psychosocial
qui protège le groupe 28.

Les jeunes face à la pratique sportive


Il est communément admis que la pratique du sport chez les enfants et
les adolescents contribue favorablement à leur développement personnel.
Toutefois, pour aboutir à un résultat adéquat, un apprentissage régulier, le
respect des règles et le suivi par un entraîneur sont ici nécessaires. En effet,
le sport en lui-même n’est pas suffisant pour provoquer ce développement
et encore moins pour permettre un processus résilient. Tout dépend de
l’encadrement et des appuis familiaux, sociaux, organisationnels ou
institutionnels qui vont se présenter, ou pas, sur le chemin des jeunes
sportifs 29.
Chez les jeunes, la résilience présente les mêmes caractéristiques que
chez les adultes ; elle repose sur la capacité à surmonter les épreuves, à faire
face aux risques et à vaincre l’adversité, tout en accroissant le bien-être 30.
La présence d’un tuteur de résilience s’y révèle toutefois d’une importance
cruciale 31. Avec des individus présentant des facteurs de vulnérabilité,
comprendre comment le sport peut engendrer la construction d’une
résilience, permettant la transition vers l’âge adulte, et négocier les étapes
psychiques et physiques propres à l’adolescence sont essentiels. En cas de
comportements à risques ou de comportements antisociaux, la pratique
sportive permet le développement de valeurs positives comme l’altruisme,
l’esprit d’équipe, l’engagement, le sentiment d’appartenance 32, valeurs qui
sont implicitement en jeu dans la résilience. Son but n’est pas uniquement
de « donner tout ce que l’on a », mais de le faire dans des conditions qui
facilitent l’épanouissement de la personnalité et l’édification d’un monde
intérieur.
Il existe aujourd’hui une multitude de programmes pour la jeunesse et le
sport. Ils sont appliqués en milieu scolaire ou universitaire, dans des
associations sportives ou même par le biais d’organisations caritatives et
humanitaires. L’Union européenne a ainsi lancé des programmes sur le
thème « Accompagnement et encadrement par le sport de jeunes exposés au
risque de radicalisation » (EAC/S17/2017). Éviter le prosélytisme chez des
jeunes vulnérables, tout en renforçant le développement de l’identité et le
sentiment d’appartenance, et favoriser la tolérance, l’intégration et le
dialogue interculturel sont des éléments cardinaux de ce programme.
De nombreuses études insistent sur les caractéristiques spécifiques des
actions à entreprendre pour pouvoir proposer aux adolescents un
environnement sportif favorable. Le coaching doit être adapté afin d’aider
les jeunes à croire en leurs capacités, à modéliser un travail solide et
éthique, à augmenter leurs capacités de communiquer et leur autonomie ou
encore à faciliter leur adaptation face aux situations stressantes 33. Dans un
groupe d’adolescentes, son impact positif a ainsi pu être observé sur la
capacité de développement face à l’adversité, les relations interpersonnelles
et l’épanouissement identitaire 34.
La valeur thérapeutique du sport est mise en avant de manière globale
dans de nombreux pays et par plusieurs chercheurs, notamment dans le
domaine de la santé mentale :
–  en Norvège une étude a montré dans une population de garçons les
bienfaits de l’activité physique sur la symptomatologie dépressive 35 ;
– à Hong Kong l’exploration d’une population de jeunes adolescents a
souligné combien l’activité physique renforce le bien-être
psychologique grâce à la présence de facteurs de résilience 36 ;
–  aux États-Unis une étude de garçons en âge scolaire, avec suivi
longitudinal et comparatif, a établi que la pratique d’un sport dans un
contexte résilient diminue les pensées suicidaires ou le risque de
tentatives 37.
Par ces résultats, on mesure combien le sport chez l’enfant et
l’adolescent va avec l’apprentissage de la résilience. Plusieurs programmes
sportifs sont désormais développés en ce sens 38.
Chez les jeunes, la pratique sportive repose sur un équilibre. Il  faut
concilier l’impact familial, la dimension adéquate du coaching et
l’engagement approprié de l’institution, du club. Toute  rupture de cette
harmonie peut être préjudiciable (environnement disproportionné par
rapport à l’effort demandé, surspécialisation dans un sport, performance
non atteignable…). De facto, il n’est pas rare d’observer un résultat opposé
à celui recherché et, par exemple, la survenue de blessures ou d’un burn-
out. Dans ces cas, ce sont plutôt des facteurs antirésilients qui apparaissent.
De nombreux autres domaines seraient, bien sûr, à considérer  ;
signalons encore la nécessité de prendre en compte la problématique du
dopage chez les jeunes et les actions de prévention qui s’imposent.

Sport et santé
Nombre de travaux scientifiques semblent indiquer que la pratique du
sport accroît la durée de vie, en particulier sur la  facilitation de la
transcription des télomères, laquelle est favorisée au cours de l’exercice. Or
on sait que le raccourcissement des télomères (l’extrémité des
chromosomes) joue un rôle prépondérant dans le processus du
vieillissement 39. Il est sûrement excessif d’établir une relation de causalité
entre le déterminisme ou l’impact génétique et le sport, mais cette approche
a le mérite de bien souligner ce qui est communément admis aujourd’hui
dans le domaine de la santé : l’apport essentiel du sport dans la prévention
de certaines maladies comme l’hypertension artérielle et le diabète.
Qu’il s’agisse de l’adulte jeune ou de la personne âgée, plusieurs études
mettent l’accent sur les liens entre qualité de vie, bien-être, sport et
résilience 40. Une activité physique régulière évite un style de vie sédentaire
et induit une activité physiologique et psychologique positive 41 protectrice
du stress ou des maladies chroniques. Dans une étude concernant le niveau
d’activité physique et les symptômes de dépression et d’anxiété, conduite
sur une cohorte de 33  908  Norvégiens suivis pendant onze ans, il a été
montré que la pratique d’une activité physique d’une à deux heures par
semaine peut prévenir la dépression 42.
Le sport comme mode de vie, la marche, l’activité physique soutenue
pourraient jouer un rôle dans la résilience face aux perturbations
émotionnelles, sorte de guide vers une forme de bonheur 43. Le sport est à
l’interface d’un modèle psychologique, physique et social où le sujet est le
propre acteur de sa santé, dans une perspective individuelle ou plus globale
vis-à-vis de l’organisation de la société qui en tire ainsi un bénéfice
substantiel.

Handicap et résilience sportive


La résilience sportive face au handicap est certainement le thème qui a
été le mieux documenté et exploré, souvent grâce à la publication de
témoignages qui relatent des parcours de vie, depuis le traumatisme initial.
Ces récits ont valeur d’exemple pour la population et exercent aussi pour le
traumatisé un travail autothérapeutique qui favorise la guérison ou donne la
force de mieux surmonter le handicap.
Hubert Ripoll a bien insisté sur les spécificités du contexte sportif
comme terrain de résilience 44. Le sport permet de développer la confiance
et l’estime de soi. Il est générateur d’accomplissement pour la personne et
facilite au-delà de soi la réparation qui peut s’inscrire dans un processus
militant ou associatif dont l’objet sociétal est évident.
De Ryadh Sallem à Philippe Croizon, ces hommes ont su de manière
hors norme relever le défi du handicap par des exploits sportifs saisissants.
Ryadh Sallem utilise souvent le terme de « résistance » quand il parcourt le
monde avec l’équipe de France de Rugby-fauteuil ; Philippe Croizon défie
la force des océans à la nage dans des traversées homériques alors qu’il est
amputé des quatre membres 45. Ces deux hommes ont en commun d’avoir su
se reconstruire et de forger une résilience jour après jour qui provoque
l’admiration et entraîne l’exemplarité au bénéfice des autres, handicapés ou
non. L’intérêt grandissant du public pour les Jeux paralympiques qui font
suite aux Jeux olympiques permet de souligner à quel point sport et
résilience sont associés et contribuent aux valeurs universelles et
humanistes 46.

Guerres et catastrophes : l’apport du sport


et de la résilience
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en dehors du monde
occidental, environ deux cents guerres ou conflits armés se sont déroulés. À
tout moment, il existe environ quarante conflits actifs qui se développent
dans le monde. Depuis cinquante ans, le nombre de réfugiés s’est accru
considérablement. Parmi les plus exposés, on trouve les enfants, qui sont en
première ligne. Le phénomène particulier des enfants soldats est aussi
largement présent. Toutes ces populations doivent faire l’objet d’une prise
en charge spécifique, ce à quoi s’attellent principalement les organisations
internationales, gouvernementales et non gouvernementales.
Sport très emblématique, le football est régulièrement employé dans les
programmes de réhabilitation et de développement social. Le coaching peut
être focalisé sur la confiance, le respect, la responsabilité et ainsi faciliter
l’intégration sociale entre différentes communautés 47. Bien que le football,
principe de jeu basé sur l’attaque et la défense, soit mimétique de la guerre,
il permet de ressouder un groupe, une communauté, et de promouvoir la
construction de la paix après une période de conflits à travers l’expérience
sportive positive et collective qu’il génère.
De même les effets dévastateurs du terrorisme, des prises d’otages
peuvent être contrés par la mise en place de programmes éducatifs et
sportifs, renforçant la résilience et réduisant l’impact des événements
traumatiques 48. Au cours des catastrophes naturelles, comme les
tremblements de terre hautement destructeurs, ce sont des programmes de
réhabilitation psychosociaux, incorporant le sport, qui sont proposés à des
jeunes. Dans ce cadre, l’impact des coachs est un vecteur essentiel de la
réussite du projet 49.

On devient résilient comme on devient


champion…
Sport et résilience sont deux thèmes qui se complètent parfaitement et
s’enrichissent mutuellement. Tout dans le sport appelle au dépassement de
soi et c’est souvent dans l’adversité que le champion se dépasse. Pour un
individu traumatisé par la vie, le sport est un moyen de rebondir et de
renouer avec la réussite après la défaite, la maladie, les échecs personnels.
La résilience nécessite des capacités d’adaptation et concourt à
l’accomplissement de soi. Tout comme on ne naît pas champion, mais
qu’on peut le devenir par l’effort et la persistance, on ne naît pas résilient,
mais il est possible de le vivre si des circonstances particulières nous y
conduisent, parfois même sans le savoir, déclenchant une absolue nécessité
de se battre pour réapprendre à exister.
La résilience au cœur du mental
des champions

PAR HUBERT RIPOLL

Devient-on un champion parce que l’on a subi une blessure psychique


et pour atténuer celle-ci ? Étrange paradoxe que d’imaginer nos champions
triomphants, colosses aux pieds d’argile. Qu’en est-il  ? Plusieurs années
passées à accompagner certains de nos plus grands champions et
championnes, valides 1 et handicapés 2, m’ont appris que certains d’entre
eux, et non des moindres, étaient porteurs de blessures, et que celles-ci
étaient, pour une part non négligeable, à la source de leurs succès.
Chez les sportifs valides, les blessures sont de nature essentiellement
affective, liées à une carence de la relation, notamment au sein de la famille.
Soit que les parents aient été absents, qu’ils aient été dans l’incapacité
d’accompagner sereinement l’enfant, et qu’ils leur aient proposé une image
tourmentée d’eux-mêmes  ; offrant, dans tous les cas, une relation peu
sécure. Ces blessures peuvent être de nature psychosociale, consécutives à
des formes d’exclusion sociale, culturelle, ethnique ou religieuse. Elles
entraînent souvent une personnalité caractérisée par un manque d’estime de
soi et de confiance en soi. Celui qui se construit dans l’insécurité, qu’elle
soit familiale ou sociale, est, pour atténuer sa blessure, à la recherche
incessante de reconnaissance, que le sport, plus que toute autre activité,
permet d’obtenir. Chez les personnes handicapées motrices ou sensorielles,
les blessures sont physiques, du fait du handicap, mais également affectives,
du fait de sa stigmatisation sociale 3. Mes enquêtes révèlent, de façon
contre-intuitive, que la résilience par le sport de personnes handicapées est
plus sereine et plus aboutie que chez les valides.
Des entretiens conduits avec des champions valides, remontant au
fondement de leur passion pour le sport, et passant en revue l’ensemble de
leurs carrières, montrent comment le sport leur a permis d’apaiser leurs
blessures, chacun à sa manière. Écoutons certaines icônes du sport français
évoquer leur environnement familial ou social et leur investissement dans le
sport.

« Je ne voyais pas mon père tout le temps et cela me déséquilibrait.


J’ai aussi été témoin de grandes souffrances qu’a connues ma mère,
et ça m’a marqué durablement. J’ai aussi connu d’importantes
difficultés personnelles, ça a été dur, mais ça a été un facteur
d’émotion et de souffrance qui m’a fait grandir. Oui, ce déséquilibre
m’a perturbé, et le karaté m’a permis de me dépasser, de me
sublimer. J’étais un enfant introverti, très craintif, peureux même. Je
n’arrivais pas à m’exprimer, je ne pouvais pas regarder quelqu’un
dans les yeux, et voilà que je pratique un sport, où j’envoie un coup
de pied, deux coups de pied et je commence à être craint, à être
respecté. Je suis donc devenu un enfant peureux dans la vie et
vraiment méchant sur un tatami, très méchant.  » Alexandre
Biamonti, champion du monde de karaté 4.
« Si j’ai fait du sport avec cette volonté de réussir, c’est que lorsque
j’étais jeune, je n’avais pas dans les yeux des autres la valorisation
nécessaire. Le sport m’a permis de changer cette image aux yeux
des autres et pour moi-même. J’ai eu la volonté de passer du rôle de
souffre-douleur à celui qui est respecté. Une sorte de revanche en
quelque sorte. » Bruno Martini, champion du monde de handball 5.
«  Ce qui m’a préparé à être champion, c’est le fait d’arriver en
France, à l’âge de 10 ans. J’ai connu un changement de position
sociale et j’ai eu l’envie d’en retrouver une. C’est cela qui a forgé
mon caractère. Fils de haut fonctionnaire en Iran, vivant dans les
beaux quartiers, j’arrive en France en 1986, petit Iranien, pour
vivre dans une HLM. Il y a mieux que d’être Iranien, en France,
l’année des attentats du Hezbollah. » Mayar Monshipour, champion
du monde de boxe 6.

Pour l’enfant en difficulté du fait d’une relation non sécure, le sport


devient un moyen de s’affirmer aux yeux des autres et, plus
fondamentalement, de restaurer l’estime de soi et se réassurer  : «  Quand
j’étais plus jeune, on s’en prenait à moi, on adorait se foutre de ma gueule,
me rabaisser uniquement parce que je ne parlais pas, dit Christophe
Lemaitre, champion d’Europe d’athlétisme. Je ne pouvais pas me défendre,
j’étais trop introverti, trop timide. Du coup, comme je ne disais rien, on
continuait à s’en prendre à moi  : j’étais une proie facile. Aujourd’hui,
comme je fais des performances de haut niveau, ces mêmes gens qui se
moquaient de moi ne me font plus rien. Au contraire, quand ils me voient,
ils se taisent, ils me respectent. Quand ils me croisent, ils me disent : Salut,
ça va ? Comme si on était des potes depuis toujours. Ça me fait rire et moi
j’en profite un peu 7. »
Pour quelles raisons le sport est-il plus souvent investi que d’autres
domaines d’expression, artistique ou scientifique, offrant un exutoire et une
forme d’expression à la souffrance de l’enfant ? Parce que le sport traverse
les cultures et les classes sociales, proposant, indépendamment des habitus
socioculturels, un moyen d’expression dès le plus jeune âge. Parce qu’il
offre à l’enfant un exutoire et un engagement corporel intense qui
correspond à son besoin d’action et de réussite. Parce qu’il est une porte
ouverte sur l’imaginaire, permettant à l’enfant esseulé, blessé, en mal
d’identité, de grandir dans la présence forte des icônes de la spécialité prises
comme modèles à atteindre auxquels il peut très tôt s’identifier. Son
champion lui montre la voie. «  Numéro un, sinon rien !  », disent de leurs
motivations premières les enfants blessés s’étant accomplis dans et par le
sport. Enfin parce que le sport est un formidable creuset de relations
affectives grâce auxquelles l’enfant, à la recherche d’une reconnaissance
qui lui a fait défaut, pourra se reconstruire.
Lorsque l’environnement familial ou social est défaillant, le processus
d’affiliation à la communauté sportive va faciliter, chez l’enfant en
difficulté, la recherche de contact avec une figure d’attachement.
Généralement l’entraîneur, souvent substitut parental, qui fait cause
commune avec son protégé. Celui-ci, apaisé par l’attention exacerbée portée
sur lui, pourra se persuader que c’est bien parce qu’il a des qualités et qu’il
le mérite que son mentor s’en occupe sans mesure, à l’écoute de sa
progression, à l’affût de ses moindres bobos, à la recherche de ses succès.
Certains n’hésitant pas à considérer le coach (littéralement celui qui conduit
l’équipage) comme le père spirituel, paré des qualités que le père et la mère
ne possèdent pas. Il s’agit de la reconnaissance de ses pairs, équipiers
d’entraînement, à qui l’enfant montrera sa volonté à l’entraînement et sa
bravoure dans le combat. Réussissant mieux qu’eux, le futur champion se
fera admettre d’eux alors que, très souvent, esseulé ou malmené dans sa
famille, et dans la difficulté de gérer la relation à autrui, il se voit conforté, à
l’école notamment, dans son image dévalorisée. Il s’agit enfin de la
reconnaissance sociale que confère l’accès sur la plus grande marche des
podiums. Reconnaissance universelle s’il en est, le médaillé olympique est
adoré, adulé, honoré. Preuve qu’il vaut bien plus que l’absence de
reconnaissance de la part des parents ou de leurs substituts.
Un nombre important de réussites et de succès mondiaux sont dus à
cette alchimie dont le creuset fécond est l’absence de relation apaisante et
sécure dans l’enfance et la reconstruction par le sport. Effectivement, le
sport leur a permis de se reconstruire et, par cela même, d’atteindre une
forme de reconnaissance et d’estime de soi. Ont-ils pour autant résilié ? Pas
vraiment.
Résilier signifie atteindre l’équilibre ; en quelque sorte « une propension
à un épanouissement général 8  » et non obtenir une réhabilitation
narcissique. Or pour beaucoup l’équilibre atteint grâce à la victoire est très
instable et douloureux, construit non pas dans la souffrance de l’effort mais
par la souffrance et pour elle-même, aux dépens du plaisir, comme s’ils
devaient encore expier quelque chose dans leur quête de reconnaissance,
incapables d’atteindre l’homéostasie dans la sérénité d’un accomplissement
personnel  : «  Je ne me sens exister que si je souffre, dit un finaliste
olympique de triathlon. Je parle de souffrance tout le temps mais c’est une
saine souffrance, c’est une souffrance qui me permet de me galvaniser, de
me comprendre, de me grandir et de devenir toujours meilleur dans ce que
je fais 9. »
Chez beaucoup de personnes blessées psychiquement du fait d’une
malaimance ou d’une maltraitance, l’équilibre est atteint par la recherche de
la reconnaissance d’autrui et par le succès. Mes enquêtes montrent que les
sportifs recherchant la reconnaissance qui leur a fait défaut de la part de leur
environnement familial ou social s’engagent souvent dans une recherche de
satisfaction de l’ego afin d’exister dans le regard de l’autre, qui est une
façon d’exister dans le regard qu’ils portent sur eux-mêmes. Or celui-ci
passe, dans leurs imaginaires, par une recherche effrénée de succès, peu
importe par quel moyen.

« Je n’ai pas connu mon père mais j’ai eu une mère géniale, dit un
champion du monde de ski, c’est pour elle que je suis là. Jeune, j’ai
été assez dur, j’ai eu une crise d’adolescence assez compliquée.
J’avais besoin de reconnaissance, et pour m’exprimer, ce ne fut pas
l’école, mais le sport. Ça a été mon refuge, et je m’y suis exprimé en
me donnant à fond. J’ai pratiqué plusieurs sports, judo, ski, rallye,
avec toujours le désir d’être le premier, et je l’ai été.  » Guerlain
Chicherit, champion du monde de ski free ride 10.

Alors, le désir d’être numéro un pour exister à tout prix fait que l’arène
sportive devient un lieu où l’on fait la guerre  : «  À mes débuts, la
compétition était le lieu de ma vengeance. J’étais en colère, non pas de ma
vie mais de ma non-reconnaissance due à mes échecs scolaires. J’avais de la
colère aussi envers les autres athlètes. Une colère peut-être naturelle parce
que plus on monte dans le haut niveau plus la compétition devient dure et
l’on se fait des ennemis. Chacun est là pour éliminer l’autre, le détruire,
c’est animal. C’est l’art de la guerre 11. »
Chez ces sportifs, la recherche de succès est porteuse, jusqu’au moment
où un événement, échec ou réussite, vient contrecarrer la belle dynamique.
Ainsi, tant que les causes responsables de la carence affective, et son besoin
de compensation, ne sont pas dépassées, l’équilibre est précaire, les effets
de la réussite sont éphémères, le besoin de se réassurer par le succès est
permanent et la résilience est inaboutie. Car ceux qui subliment leurs
blessures par la réussite et la satisfaction de l’ego sont, le plus souvent,
addicts aux renforcements sociaux produits par la réussite et son cortège de
gratifications symboliques et matérielles. Ils n’en ont que plus de difficultés
à s’en passer. Chez eux, une victoire chasse l’autre mais gare à la défaite.
En effet, ces sportifs sont, de manière assez systématique, plus sujets au
doute, au stress et abandonnent plus facilement en cas d’échec que les
sportifs qui pratiquent pour s’accomplir et pour le plaisir. Chez certains,
c’est la réussite qui est destructrice, incapables qu’ils sont de se remettre du
chemin de Damas accompli à l’obtenir. Telle Marion Bartoli, s’étant
construite douloureusement, championne à Wimbledon, exprimant
immédiatement après sa victoire le début d’une nouvelle carrière… forcée
d’admettre quelques jours plus tard  : «  J’ai subi beaucoup de blessures
depuis le début de l’année. Je suis le circuit depuis si longtemps, et j’ai
vraiment forcé et tout donné pendant ce Wimbledon. J’ai senti que j’avais
épuisé toute l’énergie restante dans mon corps. J’ai réalisé mon rêve et ça
restera avec moi pour toujours, mais maintenant mon corps n’arrive plus à
tout supporter 12. » Et quand, pour quelques-uns, ces obstacles sont dépassés
en payant le prix fort, la fin de carrière rappelle au héros qu’il est
irrémédiablement déchu. Une « petite mort » redoutable à assumer, du fait
de la disparition des renforcements extrinsèques et du retour à l’anonymat.
L’atterrissage est difficile pour ces colosses aux pieds d’argile : « C’est un
des plus gros traumatismes. Je me disais  : “Toi aussi, mon corps, tu me
lâches, je ne veux plus te voir.” Pendant six mois je me suis rasé et lavé
dans le noir pour ne pas me voir changer. Je ne voulais plus me voir, je
n’acceptais pas de laisser ainsi le corps qui avait été mon instrument de
domination… J’ai vécu ma retraite sportive comme une sorte de perte
d’identité. Qu’allais-je faire de ce que j’avais appris ? Qu’allais-je faire de
mes journées  ? À quoi j’allais servir  ? C’est quoi maintenant  ? Mon
atterrissage a pris quatre ans 13. »
Ainsi fonctionne le mental des champions, capable de les sublimer ou
de les abattre. Ces effets, toujours difficiles à surmonter, et quelquefois
ravageurs, peuvent être atténués, voire compensés, par un déplacement de
l’orientation motivationnelle vers la poursuite de buts d’accomplissement
caractérisés par la recherche de plaisir dans la pratique et la recherche de
progrès. Le rôle du coach d’entraînement, véritable accompagnant et
souvent tuteur de résilience, est ici capital. Lui seul peut équilibrer son
athlète afin qu’il obtienne un ratio motivation extrinsèque/motivation
intrinsèque acceptable. Cela par son attitude vis-à-vis de la réussite et des
échecs et la façon dont il en tire les conséquences, au jour le jour, de
manière formelle, et plus encore informelle. La tâche est pour certains plus
délicate qu’il n’y paraît, car pour parvenir à modifier le regard de son
athlète sur ses objectifs et sur lui-même, le coach doit lui-même être animé
de motivations intrinsèques. Ceux tirant la satisfaction de leur ego, en
recueillant la gloire qu’ils n’ont pas eue au cours de leur carrière d’athlète,
de la réussite de leur élève, renforcent celui-ci dans la poursuite irraisonnée
de succès sans lui permettre de pallier les conséquences de l’échec. En effet,
«  en même temps qu’il transmet un savoir, l’entraîneur peut –  pour le
meilleur et pour le pire  – tout aussi bien transférer à son athlète des
signifiants familiaux, des empreintes personnelles particulièrement inscrites
dans son économie affective 14  ». Ainsi «  l’histoire familiale influence
l’entraîneur sur les modalités d’engagement dans la pratique d’entraînement
et ses attentes vis-à-vis de l’entraîné 15  ». Et pour le tandem faisant route
commune vers la gloire, «  résilier n’est pas sublimer  » mais faire de sa
blessure un objet d’élévation de soi-même en réinvestissant autrement la
relation blessée.
J’ai rencontré quelques grands champions ayant réussi à opérer ce
réinvestissement. Quelquefois après de redoutables épreuves, terrassés par
le doute, le stress et la peur de mal faire, au risque, pour l’un d’entre eux,
d’avoir un temps envisagé le suicide à la suite de la perte d’un titre mondial.
Dans tous les cas, cette « renaissance », car c’est bien de cela qu’il s’agit,
eut lieu à la suite d’un investissement affectif envers la personne du coach.
Celui-ci investissant son élève de sa totale confiance. Vérifiant ici la
formule de Sofia Jowett 16, auteure du modèle de co-orientation, qui définit
comment le coach et son athlète partagent leurs buts, et selon laquelle c’est
lorsque le coach a confiance dans son athlète et que l’athlète en confiance
en son coach que l’équilibre est atteint. Un champion du monde m’avait
confié avoir toujours été terrassé par le stress avant d’avoir connu cette
relation de reconnaissance par le coach : « Auparavant, je ne faisais pas du
sport pour le plaisir. Je le faisais pour autre chose, pour réussir, et réussir,
c’était être le meilleur, en handball ou dans un autre sport… Si j’ai fait du
sport avec cette volonté de réussir, c’est que lorsque j’étais jeune, je n’avais
pas dans les yeux des autres la valorisation nécessaire. Le sport m’a permis
de changer cette image aux yeux des autres et pour moi-même. J’ai eu la
volonté de passer du rôle de souffre-douleur à celui qui est respecté. Une
sorte de revanche en quelque sorte 17. » Et ce ne fut que lorsqu’il fut investi
de la confiance du coach – confiance que le père ne lui avait pas accordée –,
au moment le plus critique d’un match international, qu’il dépassa cet état.
Un coach avec qui il me confia avoir noué, après de nombreuses années
d’équipage commun et de compagnonnage apaisé, une relation filiale. Son
tuteur de résilience.
J’ai longtemps cherché, au-delà des exemples rapportés au cours de mes
enquêtes chez des sportifs valides, une plus ample confirmation de mon
hypothèse de la relation entre la blessure psychique, la recherche de la
satisfaction de l’ego et la persistance de l’insécurité exprimée par le doute
et le stress de la compétition. Je l’ai trouvée chez d’autres champions, ceux-
là, handicapés sensoriels ou moteurs, au cours d’une recherche 18 dont
l’objet était de comprendre, via des entretiens, comment ceux-ci ont pu
renaître de leurs blessures tant physiques que psychiques.
Ces entretiens montrent que ces sportifs échappent au risque de
surinvestissement de l’ego et de sa composante narcissique, parce qu’étant
essentiellement –  voire exclusivement  – portés vers la recherche de buts
d’accomplissement et de progrès. Très probablement, et pour une très large
part, parce que le traumatisme causé par le handicap ayant envahi toute la
sphère émotionnelle, rationnelle et relationnelle, la recherche de progrès et
d’accomplissement de soi passe largement avant la recherche de satisfaction
de l’ego :

« Je veux d’abord prendre une victoire sur moi-même, me battre et


vaincre mes propres émotions. Moins que le lien direct avec
l’adversaire dont je ne peux pas gérer la performance. Donc il me
faut obtenir le meilleur de moi-même. J’accorde plus d’importance
au travail bien fait qu’à la satisfaction de l’ego.  » Cédric Fèvre-
Chevalier, champion paralympique de tir à la carabine 19.
«  Je joue plutôt pour obtenir le meilleur de moi-même que pour
battre mon adversaire. Après, on est deux, et si l’autre se dit la
même chose, c’est la meilleure qui gagne. Si je perds en ayant donné
le meilleur, je me dis : d’accord, l’autre est plus forte mais tu as fait
de ton mieux et sur ce coup-là, ce n’était pas toi la plus forte.  »
Isabelle Lafaye Marziou, championne paralympique et du monde de
tennis de table 20.
« Peu importe les résultats dès lors que je sais que je suis capable
de donner le maximum de moi-même dans la préparation et dans la
compétition. Après mon titre à Londres, si j’ai une médaille d’or à
Rio, tant mieux, mais ce que je recherche c’est de m’accomplir
personnellement. » Marie-Amélie Le Fur, championne paralympique
et du monde d’athlétisme 21.

Il faut ici remarquer que dans tous les cas, la résilience n’a été possible
que parce que la personne handicapée a bénéficié d’un accompagnement
sécure de la part des parents ou de leur substitut. À savoir  : une
reconnaissance non ambiguë de la personne considérée positivement, une
acceptation de son handicap, un lien affectif sécurisant et une ouverture
réaliste et non timorée au monde physique et social. L’ensemble conférant
un sentiment de sécurité personnelle, qui crée la perception d’être à sa place
et de se trouver bien dans son corps – malgré le handicap –, au fondement
de la confiance de base qui permettra d’oser et de se réaliser.
Ces champions m’ont également appris que la recherche de
l’accomplissement de soi n’atténue en rien la rage de vaincre  ; deux
motivations jugées souvent à tort comme incompatibles par les valides :
« Je m’entraîne pour me dépasser, pour prendre du plaisir, me fixer
des objectifs ambitieux, progresser par rapport à moi-même mais la
compétition amène un enjeu qui me fait encore plus progresser.
Battre les autres… je suis très content de battre les autres. Même si
ce n’est pas non plus un moteur, c’est ce qui me motive le plus et je
suis très vexé si je me fais battre. Cela m’est arrivé une fois ou deux
et je l’ai très mal vécu. Je me suis découvert quelque part un esprit
de combattant que je ne me connaissais pas. Cela ressort de temps
en temps, je dois avoir cela au fond de moi.  » Nicolas Moineau,
champion du monde d’escalade handisport 22.

Plus à la recherche de la victoire sur eux-mêmes que sur les autres et la


recherche de profits symboliques ou matériels, ceux-ci sont peu, voire pas,
affectés par le stress, assument plus facilement leurs échecs et anticipent
mieux leur après-carrière. Ces champions m’ont également confirmé
qu’être à la recherche de l’accomplissement de soi épargne de la peur de
l’échec et de ses conséquences.

« Une carrière comprend beaucoup d’échecs et j’ai pris le parti de


ne pas faire un drame sur chacun et de m’en servir pour rebondir.
Sans ces échecs et ces difficultés rencontrées, je n’aurais pas
compris autant de choses. Je n’ai pas honte de mes échecs ; le tout
est de les accepter, d’en parler et de les analyser pour s’en servir…
Mon échec aux Jeux paralympiques de Pékin a été un moteur pour
la préparation des Jeux  de Londres. Parce que j’ai appris à
redécouvrir mon corps, à savoir quels objectifs je voulais poursuivre
et à comprendre ce que le sport demande de sacrifice. Sans ces Jeux
de Pékin et cette chute, je n’aurais pas compris. » Marie-Amélie Le
Fur 23.
La conséquence d’un investissement dans l’accomplissement de soi
épargne des perturbations du stress, celui-ci devenant un allié.

« Le stress, je dois faire avec dans beaucoup de compétitions, dit un


champion paralympique de tir. Je n’en suis que meilleur. Même si je
ne suis pas vraiment à l’aise dedans, j’arrive à l’utiliser et à en faire
24
une force. » Cédric Fèvre-Chevalier .

Enfin, chez les champions handicapés, la fin de carrière est perçue plus
sereinement que chez les valides, comme une forme de prolongement et
non comme une déchirure après une épopée triomphante. Portés vers le
militantisme, ces champions, exclus par une société peu conciliante avec
eux, éprouvent un sentiment d’acceptation de la part de leur communauté,
se sentent inscrits dans une dynamique sociale au sein de laquelle ils
pensent avoir un rôle à jouer, qu’ils commencent à jouer du temps de leur
carrière et qu’ils prolongent une fois éloignés d’elle. Chez eux, la résilience
a une dimension sociale et passe par le partage.
Il est admis que la résilience n’est pas réductible à une motivation
d’accomplissement 25 et que la recherche de reconnaissance sociale ne
permet pas de résilier véritablement. Pourtant, les personnes handicapées,
en s’accomplissant en tant que personne et pour soi-même, parviennent à
résilier. Cet accomplissement produit en effet d’importantes répercussions
psychologiques. À commencer par sortir de l’entre-deux 26, cette zone
limite, mal définie et inconfortable, dans laquelle ces personnes se trouvent,
souvent laissées pour compte, dans les environnements sociaux ou
professionnels habituels. En effet, grâce au sport et à la réussite, la personne
handicapée accède à un statut valorisé qui associe sa condition de handicapé
et sa dimension de sportif, jusqu’à –  dans les pays anglo-saxons et
nordiques  – ne plus être reconnu qu’en tant que champion et sortir
véritablement de l’entre-deux. Le succès sportif, à la condition que la
reconnaissance sociale ne soit pas le moteur de l’action mais sa
conséquence, constitue ainsi un rite de passage permettant de conquérir un
nouveau statut. Ainsi, la recherche d’accomplissement de soi conduit la
personne handicapée à être reconnue pour ce qu’elle produit et que la
société reconnaît. Le regard porté sur elle change, avec, en retour, une
image valorisée de soi et un renforcement de l’estime de soi. Comme le
révèlent les propos relatés ci-dessous, la victoire remportée sur soi-même,
en s’accomplissant, non pas malgré le handicap, que celui-ci soit natif ou
acquis, mais grâce à lui, permet de résilier et d’accéder à un équilibre de vie
et à un épanouissement personnel :

« Je crois que le handicap peut être une chance de nous permettre
de vivre des situations extraordinaires. Voyante, je n’aurais
probablement pas participé à des Jeux paralympiques, visité autant
de pays, rencontré autant de personnes, connu les mêmes émotions.
J’ai une vie extraordinaire que je n’aurais jamais eue si j’avais été
valide. » Sandrine Aurières-Martinet, championne du monde et vice-
27
championne paralympique de judo .
«  Mon “merveilleux malheur”, c’est lorsque je dis que mon
handicap a été une opportunité dans la vie. Au début on se dit : “Tu
as eu une maladie de merde qui va dégénérer, qui va te pourrir ton
quotidien, et qui va t’emporter à la fin.” Et cette maladie de merde
te met sur une voie rêvée qui t’offre des opportunités formidables
dans ta vie. Et ce merveilleux malheur entre en écho avec ma propre
histoire.  » Cécile Hernandez-Cervellon, championne du monde et
vice-championne paralympique de snowboard 28.

Comme ces deux championnes, la plupart des champions ayant


participé à mon enquête témoignent d’un épanouissement et d’un sentiment
d’accomplissement que n’expriment pas les sportifs valides à la recherche
de renforcements narcissiques par la reconnaissance sociale.
Interrogés –  via une échelle de Likert étalonnée de 1 à 7  – sur leur
sentiment perçu de bonheur personnel, de sentiment d’accomplissement de
soi et de confiance en leur après-carrière, mes témoins estiment être
parvenus au bonheur (5,6/7), s’être accomplis en tant que personne (5,5/7)
et être confiants pour leur après-carrière (5,7/7) ; des scores étonnamment
élevés eu égard aux histoires personnelles et aux épreuves psychologiques
endurées.
Ainsi, l’approche différentielle de sportifs valides et handicapés révèle :
–  que la réparation des blessures peut, au cœur du mental des
champions, jouer le rôle d’un booster et être à l’origine du succès ;
–  qu’elle permet d’atteindre une forme d’équilibre tout en ne
garantissant pas la résilience et une absolue stabilité psychique ;
–  que cette instabilité résulte principalement d’une image de soi
dévalorisée, incomplètement réhabilitée malgré l’expérience gratifiante
de la réussite sportive ;
–  que la recherche de satisfaction de l’ego et la recherche de
reconnaissance narcissique entraînent une fragilité au stress et à
l’échec ;
– que la résilience obtenue par l’accomplissement de soi épargne de la
peur de l’échec et du stress de l’enjeu ;
–  que la construction de soi dans la complémentarité avec les autres
entraîne un surmoi social, apaise la fin de carrière sportive et facilite la
reconversion ;
– que l’équilibre de vie est plus difficilement atteignable à la suite d’un
traumatisme affectif que d’un traumatisme physique.
Enfin, force est d’admettre que les champions valides et leurs coachs
ont beaucoup à apprendre de leurs homologues handicapés sur la façon de
s’investir dans le sport, de gérer leurs motivations, d’atteindre l’équilibre et
de mettre en œuvre les conditions favorables à la victoire.
Santé émotionnelle et sport :
un cercle vertueux

PAR MARK MILTON

Le sport et l’univers de la psychologie ont tous deux beaucoup évolué


au cours des dernières décennies, particulièrement depuis notre passage au
e
XXI  siècle. Nous allons, dans les pages qui suivent, découvrir la rencontre
qui est en train de s’opérer entre ces deux mondes, ainsi que l’impact de
cette évolution sur le développement du sport et de l’être humain.

La santé émotionnelle
Qu’est-ce que la santé émotionnelle  ? Nous savons tous ce que l’on
entend par santé physique et santé mentale. L’Organisation mondiale de la
santé (OMS) définit la santé mentale comme «  un état de bien-être dans
lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la
vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa
communauté 1 ».
Le concept de santé émotionnelle, quant à lui, est apparu beaucoup plus
récemment, s’appuyant sur le mouvement de démocratisation de la
psychologie entamé à la fin du XXe  siècle. Ainsi la santé émotionnelle est
sortie du champ exclusif de la médecine pour se développer dans celui de la
société en général et devenir, petit à petit, l’affaire de tous. Sa définition
varie selon les cultures et les sensibilités, et elle évoluera certainement avec
le temps.
La santé émotionnelle peut être comprise comme un état de bien-être
émotionnel, qui englobe une conscience croissante, au fil des expériences
de notre vie, de l’impact de nos émotions sur les autres aspects de notre
santé, physique, mental et spirituel (sens de la vie). La santé émotionnelle
implique notre capacité à accueillir nos émotions. Elle peut être comprise
comme un espace nous permettant de prendre conscience de la qualité de
notre état d’esprit, de nos pensées, de notre présence, et surtout, de leur
impact sur notre vie, nos relations et notre environnement. Cette conscience
nous amène à la notion du savoir-être, qui peut être définie comme la
capacité à mettre en cohérence nos valeurs profondes avec nos interactions ;
avec soi, les autres et notre environnement.
L’arrivée du concept d’intelligence émotionnelle et de la psychologie
positive, conjointement à celui de la résilience à la fin des années 1990, a
provoqué un mouvement de popularisation de la psychologie, désormais
accessible à un large public. On a assisté à une véritable explosion de
publications sur le développement personnel et du traitement de ce sujet par
les médias. En parallèle, la croissance et la diffusion générale du coaching
ont également nourri la conscience collective de l’impact des émotions sur
la vie quotidienne des individus. La psychologie humaine est ainsi sortie du
domaine réservé de la médecine et de la science.
Depuis, des millions de personnes venues de tous horizons et désireuses
de contribuer au bien-être des autres se sont formées, par une multitude
d’approches différentes, pour comprendre et améliorer la santé
émotionnelle dans des environnements très variés, tels que le management,
l’éducation, la médiation, l’art, et bien entendu le sport. Venus du monde
sportif, les coachs se retrouvent désormais dans tous les secteurs. Cette
fonction de coach s’est intégrée naturellement dans notre société, mais
n’oublions pas qu’il y a moins de vingt ans, parler d’écoute, d’empathie, de
soutien et de bienveillance paraissait bien «  psy  » pour la plupart d’entre
nous.
Nous pouvons donc considérer que la notion de santé émotionnelle est
née de l’émergence d’une prise de conscience collective de l’impact de nos
émotions sur notre santé et notre bien-être, et de la réalisation que chacun
d’entre nous gagne à mieux se connaître et à développer son savoir-être
pour trouver son meilleur potentiel de bien-être et mieux vivre ensemble.

Sport et psychologie : une histoire


qui remonte à l’Antiquité
La pratique du sport remonte à plusieurs millénaires, les premiers Jeux
olympiques sont censés avoir pris place en 776 av. J.-C. À cette époque les
dieux et le symbolique occupent une grande place dans la société, mais
aussi dans le sport ; l’art est également présent, lors des remises de prix des
poèmes peuvent être lus aux gagnants. Pendant l’Empire romain, les auriges
des chars de course, les cochers, sont peut-être les premiers héros sportifs,
adulés par les foules durant plus d’un millénaire.
Le terme de psychologie remonte, lui, au XVIe siècle et puise ses racines
dans le latin et le grec ancien, psukhē signifiant le « souffle », l’« esprit »,
l’«  âme  », et logia la «  science  », l’«  étude  », la «  recherche  ». Jusqu’au
e
XIX   siècle, la psychologie est considérée comme une branche de la
philosophie. Bien plus tôt, Platon (427-348 av. J.-C.) et Aristote (384-322
av. J.-C.) se sont déjà intéressés aux émotions et à la pensée.
On notera que les racines de ces domaines sont ancrées dans les valeurs
profondes de la société de l’époque, en lien avec les dieux, l’âme, l’esprit et
l’art.
Depuis un peu plus d’un siècle, le sport et la psychologie vivent de
grandes mutations et se démocratisent. Ces deux domaines se rapprochent
aussi de plus en plus, bien que leur union ait été annoncée il y a plusieurs
siècles. En effet, l’Empire romain citait déjà « un esprit sain dans un corps
sain », citation que le rénovateur des Jeux olympiques, le Français Pierre de
Coubertin (1863-1937), transformera en «  un esprit ardent dans un corps
musclé ».

Une nouvelle science et de nouveaux Jeux


olympiques
Ces deux domaines ont beaucoup évolué depuis la fin du XIXe siècle. La
psychologie est devenue une science reconnue, une discipline à part entière
au carrefour de la neurologie et de la psychiatrie, tandis que le sport est
marqué par la réforme des Jeux olympiques et la création du Comité
international olympique (CIO).
En 1894, la réforme des Jeux olympiques permet au sport de se
développer et de véhiculer des valeurs humaines fortes qui s’appuient sur
l’amitié et le respect. En créant le CIO, Pierre de Coubertin a en effet pour
ambition de faire du sport un modèle de paix et d’harmonie, protégeant un
ensemble de valeurs qui vont au-delà des terrains de compétition. Historien
et pédagogue, il place l’éducation au centre de ses réflexions et, comme
nous le verrons plus loin, les opportunités qui s’ouvrent aujourd’hui
nourrissent son ambition. Cela dit, certains se sont parfois servis de la
popularité universelle des Jeux olympiques à des fins politiques, notamment
Adolf Hitler qui en a fait en 1936 un outil de propagande du nazisme. Le
sport devient alors un puissant vecteur de communication.

Psychologie humaniste et développement


personnel
e
Après la Seconde Guerre mondiale, au milieu du XX   siècle, la
psychologie entre dans une nouvelle ère avec l’arrivée de la psychologie
humaniste et ses nouvelles perspectives pour les relations humaines. Celle-
ci est fondée sur une représentation positive de l’être humain, doté d’une
capacité innée à s’auto-actualiser, se connaître, et mobiliser ses forces de
croissance et ses tendances positives naturelles pour développer son
potentiel.
Abraham Maslow (1908-1970) est l’un des grands protagonistes du
développement de soi. Il a créé la théorie de la motivation et des besoins,
représentée par la pyramide des besoins, dite pyramide de Maslow 2. Il part
du principe que plus nos besoins humains sont satisfaits, tels que se nourrir,
s’abriter, être en sécurité, plus nous évoluons vers d’autres besoins, tels que
les besoins affectifs, d’appartenance, d’estime, pour ensuite rejoindre le
haut de la pyramide décrite par la réalisation de soi, le sens que nous
donnons à notre vie. Indépendamment de la hiérarchie des besoins,
l’actualité de la pyramide de Maslow est certainement due à la
reconnaissance de la notion de besoins humains universels. Cette
conscience que tous les êtres humains partagent des besoins communs est le
terreau qui permet de rétablir les liens et la paix lors de désaccords ou de
conflits. L’important travail de Marshall Rosenberg 3 (1934-2015), élève de
Carl Rogers et créateur de la communication non violente, diffusée dans le
monde entier, en est le témoin.
Carl Rogers 4 (1902-1987) est également un acteur important de cette
nouvelle ère, il est le créateur de l’approche centrée sur la personne,
initialement fondée sur le principe de la non-directivité. Dans le monde
thérapeutique, il a mis l’accent sur la qualité de la relation entre le soignant
et le patient, avec au centre les valeurs de l’écoute empathique, de
l’authenticité et du non-jugement. Au-delà du monde thérapeutique, ces
valeurs et attitudes fondamentales ont influencé la relation d’aide et
l’accompagnement humain de manière générale, dont le coaching.
De nombreuses approches alors inspirées par ce courant de la
psychologie humaniste se sont développées à partir des années 1950 jusqu’à
ce jour, sous le terme de «  développement personnel  »  : analyse
transactionnelle, Gestalt, PNL, art-thérapie, sophrologie et bien d’autres.
Également, depuis quelques années, les pratiques ancestrales de la
méditation et du yoga se sont répandues auprès du plus grand nombre,
contribuant à la diffusion de la pleine conscience. Pour la revue française
Sciences humaines, « les techniques de développement personnel visent à la
transformation de soi : soit pour se défaire de certains aspects pathologiques
(phobie, anxiété, déprime, timidité), soit pour améliorer ses performances
(mieux communiquer, gérer son temps, s’affirmer) 5 ».

Sport et bien-être
Dans les années 1970, le sport devient une source de promotion et de
prévention de la santé physique, notamment avec l’arrivée de nouvelles
activités telles que le jogging, l’aérobic et le fitness. Une nouvelle culture
naît ainsi, celle du bien-être, du soin de son corps, de la connaissance de son
corps et de ses besoins. Faire du sport pour développer et cultiver sa santé
physique est même une recommandation médicale, une hygiène de vie.
Pour beaucoup, c’est un mode de vie sociale. Le fait que ces préoccupations
n’existaient pas il y a moins de quarante ans montre la capacité de
changement de l’être humain et nous permet d’imaginer ce que nous
sommes capables de créer avec des intentions au service de la vie et du
bien-être. La même évolution est en train de se produire aujourd’hui avec la
démocratisation de la psychologie et le développement de la connaissance
de soi dès l’enfance.

Du développement personnel
à la connaissance de soi
À la fin des années 1990, une révolution silencieuse démarre avec la
démocratisation de la psychologie. Parmi de nombreux événements, on peut
citer l’arrivée de l’intelligence émotionnelle avec l’ouvrage de Daniel
Goleman 6, la psychologie positive de Martin Seligman 7, la pleine
conscience, avec notamment Jon Kabat-Zinn 8 et Thich Nhat Hanh. Le
concept de résilience, introduit dans les pays francophones par Boris
Cyrulnik, amène un nouveau regard sur la capacité de l’être humain à
rebondir lors d’expériences difficiles, voire traumatiques. Tous ces
événements contribuent à la popularisation de la psychologie  ; des mots
comme résilience, empathie, écoute, compétences sociales, soutien et
bienveillance ont pris une nouvelle signification dans la société
d’aujourd’hui.
Les millions de livres vendus chaque année sur le développement
personnel et son évolution dans le monde de l’entreprise et du travail en
général contribuent à transformer les relations humaines au travail. Dans de
nombreux pays, la notion de «  compétences sociales  », appelées aussi
softskills, est non seulement devenue un terme commun pour les managers,
mais elle fait partie de l’évaluation des compétences professionnelles. En
moins de vingt ans, le coaching, issu du monde sportif, s’est introduit dans
pratiquement tous les domaines et dans le monde entier.
Parallèlement, depuis le début des années 2000, de nombreux projets
scolaires à travers le monde invitent des enfants à développer leurs
compétences émotionnelles et relationnelles. Celles-ci se sont répandues
dans le monde anglophone sous le nom de Social and Emotional Learning
(SEL). Les enfants apprennent à identifier et à nommer leurs émotions et à
écouter celles des autres. Ils développent ainsi des capacités d’écoute, de
gestion de leurs frustrations et des conflits auxquels ils sont inévitablement
confrontés. Avec l’arrivée d’approches centrées sur la pleine conscience, ils
apprennent aussi à repérer et à cultiver leur calme intérieur, pour vivre plus
en paix avec eux-mêmes et en harmonie avec les autres. Cette capacité à
apprivoiser leur intériorité, à mieux se connaître et être en relation avec
l’autre donne la perspective de l’éducation de demain.
Les enfants qui développent ces valeurs et ces compétences par le sport
ou à l’école parlent simplement d’apprendre à se connaître, et non de
développement personnel. L’évolution de cette tendance éducative mène
certainement vers une nouvelle ère et une forme de transition, où on passe
du développement personnel à la connaissance de soi. À l’origine, le
développement personnel puise ses racines dans la guérison, alors que la
connaissance de soi vise la prévention, soit l’anticipation des défis
inévitables qui nous attendent tous. Cette différence d’intention de départ,
de la guérison à la prévention, conduit vers d’autres horizons porteurs
d’espoir pour les nouvelles générations.
Alors que l’apprentissage des compétences socio-émotionnelles se
répand auprès des jeunes, des bancs d’écoles aux grands écrans, avec des
films tels que Vice-Versa de Walt Disney et Pixar, cette nouvelle dimension
éducative est désormais au seuil des portes du sport. La dimension
relationnelle qui est centrale dans le coaching hors du monde sportif s’invite
aujourd’hui dans le sport.

Sport et connaissance de soi


En 2016, les fédérations nationales belge, française et suisse de football
ont fait de la connaissance de soi un de leurs objectifs pédagogiques. Les
départements techniques nationaux ont choisi d’intégrer la connaissance de
soi comme compétence à part entière à développer dans le football de
demain. Cette intégration se fera au niveau des entraîneurs nationaux en
France et au niveau de la formation des entraîneurs du football de base en
Belgique et en Suisse.
Parmi les intentions pédagogiques, il y a le travail central sur la
conscience du comportement et de l’attitude. Les trois fédérations
distribuent l’ouvrage commun Le Football, un terrain vers la connaissance
de soi 9 aux entraîneurs concernés. Qu’il soit orienté sur le bien-être ou sur
la performance, l’objectif est de rendre cette nouvelle compétence
accessible et attractive au plus grand nombre, des jeunes aux adultes qui
n’ont peut-être jamais fait l’expérience d’un travail de développement
personnel.
En 2007 l’UEFA a invité la fondation suisse Education 4  Peace,
initiatrice et éditrice de cet ouvrage, à concevoir un projet visant à réduire la
violence dans le football et la société. Ce projet a été nommé « Maître de
tes Émotions », avec l’intention de rendre cette compétence attractive pour
les jeunes. Il est proposé d’introduire cette attitude comme une cinquième
compétence, après les compétences physique, technique, tactique et
mentale.
Les trois compétences de base, physique, technique et tactique, se sont
développées de manière pointue ces dernières années. Grâce à l’évolution
des approches et des outils pédagogiques, la connaissance et la transmission
de ces compétences de base aux sportifs atteignent un point où la marge de
progression devient mince. Sur le plan physique, les histoires de dopage
témoignent des limites atteintes naturellement par l’être humain. La
quatrième compétence, la compétence mentale, développée dans le sport
d’élite avec l’arrivée du coach mental dans les années 1980, est surtout axée
sur la concentration, l’endurance, la connaissance de ses propres limites
physiques pour améliorer la performance individuelle. La cinquième
compétence, soit l’attitude, implique des compétences relationnelles et
émotionnelles, la conscience et le développement de la qualité de nos liens
avec nous-mêmes, les autres et notre environnement.
Bien que le projet ait été initialement orienté vers le football de base
avec un but social, pour favoriser notamment le respect et le fair-play,
l’expérience de cette nouvelle compétence, menée sous forme de nombreux
accompagnements et formations, a gagné le football professionnel. Ce
nouvel axe pédagogique s’est confirmé être un besoin partagé par
beaucoup. De multiples témoignages de joueurs, joueuses et coachs ont
révélé qu’apprendre à rester maître de soi dans les situations à haute tension
émotionnelle permet d’augmenter sa performance.
Un axe central pour permettre aux jeunes, et aux moins jeunes, de
s’intéresser à la connaissance de soi est de diffuser des témoignages de
grands sportifs sur leurs expériences. Celles et ceux qui ont vécu un
comportement qu’ils regrettent, qui sont capables de se remettre en question
et de partager ce qu’ils ont appris de cette expérience, sont les nouveaux
héros. Parmi les témoignages marquants, citons celui de Zinedine Zidane :
« À mes débuts j’avais beaucoup de peurs. C’est en osant les confronter que
j’ai appris à me connaître, à développer ma confiance en moi et à prendre
conscience de mon potentiel. Le soutien de mes parents a été essentiel. Ils
m’ont toujours soutenu sans exiger que je sois le meilleur. J’ai pu évoluer
dans la confiance, sans pression. Aujourd’hui, en qualité d’entraîneur, mon
but est de mettre mes joueurs dans les meilleures conditions physiques, bien
sûr, mais aussi émotionnelles. Mon expérience m’amène à favoriser
l’échange avec et entre les joueurs, à les aider à mieux se connaître et à
exprimer ce qu’ils ressentent. Je suis convaincu que la connaissance de soi a
un impact sur la performance et contribuera à la beauté du football de
demain. »
De plus en plus de sportifs et de grands clubs utilisent des approches
comme la méditation ou le yoga dans leurs formations. La connaissance de
soi permet de lier performance et santé émotionnelle ; le sport est un terrain
vaste et important pour ce développement.
L’histoire et les origines du sport, soit les valeurs, le divertissement, la
santé et le bien-être, ont l’avantage d’offrir un environnement prédisposé
pour s’y entraîner. Toutefois, il est essentiel que la culture du sport se
transforme et abandonne le paradigme du « vainqueur à tout prix ». Cela est
vrai tant sur le terrain que dans l’univers de la gouvernance sportive menée
par les dirigeants.
En ce début du XXIe siècle, le cercle vertueux est en place. Alors que la
connaissance de soi contribue à l’évolution du sport, le sport permet à l’être
humain de développer la conscience de son comportement, d’apprendre à se
connaître et de faire évoluer sa santé physique, mais aussi émotionnelle.

Une perspective d’avenir
«  Le sport a le pouvoir de changer le monde parce qu’il a le pouvoir
d’inspirer les êtres. Autour de nous, rares sont les actions capables d’unir
les peuples. Le sport parle à la jeunesse dans un langage qu’elle comprend.
Il fait naître l’espoir là où, auparavant, n’existait que le désespoir. Il est plus
fort que la politique et que les gouvernements pour briser les barrières
raciales, vaincre la discrimination et les préjugés », disait Nelson Mandela.
Prendre conscience de ces changements profonds survenus en si peu de
temps laisse imaginer le potentiel d’évolution pour demain si nos priorités
sont centrées sur des valeurs au service de l’être humain et de la vie. Une
conscience collective s’éveille et un basculement, parce qu’une certaine
partie de la population partage ces valeurs (masse critique), semble
aujourd’hui possible malgré la souffrance humaine existant. Les nouvelles
générations en portent l’espoir. De nombreux jeunes aujourd’hui vivent à
partir d’autres valeurs que celles apparues après la Seconde Guerre
mondiale, telles que le matérialisme ou l’importance du statut social.
Apprendre à se respecter, tout en respectant l’autre, prendre soin de
l’environnement, cultiver la gratitude, apprendre à se connaître afin d’avoir
du discernement entre nos intérêts personnels et ceux du collectif, telles
sont les intentions et les valeurs manifestées par de plus en plus de jeunes
désireux de créer un monde où il fait bon vivre.
Se rendre compte que cette évolution s’est opérée en moins de vingt ans
et écouter la soif de l’être humain pour plus d’équité, de paix et de respect
dans ses relations et son environnement donnent de l’espoir en l’avenir. Le
sport comme terrain d’entraînement à la connaissance de soi est une
opportunité que toutes les fédérations, associations et clubs sportifs sont
invités à saisir.

Moins de souffrance et plus de paix


Notre capacité à faire face à l’adversité de la vie détermine notre avenir.
Le sport offre la particularité de développer notre expérience face à
l’adversaire, mais aussi de devenir plus conscients et responsables de nos
comportements. La vie de tous est faite d’adversité, des petites contrariétés
aux grands conflits, de la perte d’emploi à la perte d’un être cher. Notre
capacité à faire face à cette adversité sous toutes ses formes, à l’accueillir, à
la gérer, à la transcender, insuffle nos prochains pas. Le sport est ce terrain
d’expérimentation où nous pouvons apprendre à nous connaître, ainsi
qu’exercer et développer notre résilience. Cette ouverture offerte par le
sport est peut-être notre plus grande chance pour vivre moins de souffrance
et plus de paix, individuellement et collectivement.
Le sport : simple pansement
ou processus résilient ?

PAR CARL BLASCO

Coluche plaisantait, dans une de ses parodies, en déclamant qu’il n’y a


pas plus con que les sportifs car « le temps qu’ils passent à courir, ils ne le
passent pas à se demander pourquoi ils courent ». Il n’était pas si loin de la
vérité, mais ce temps passé à courir, ce chemin doit mener le sportif vers
une introspection, qui devient, à son tour, source de progression.
L’individu qui pratique le sport de manière régulière instrumentalise sa
discipline pour répondre à des besoins personnels : perdre du poids, apaiser
sa nervosité, se maintenir simplement en forme, etc. Parfois, la pratique va
jusqu’à la souffrance, et l’individu sportif va alors puiser dans cette
souffrance de la pratique une satisfaction qui le conduit à réitérer son effort
jusqu’à toujours plus de douleur, et ce jusqu’à la haute performance.
Qu’est-ce qui, dans ces cas les plus extrêmes, motive ces individus,
puisque la condition physique et le « plaisir » de la pratique ne peuvent, de
toute évidence, suffire à expliquer ce qui anime ces sportifs  ? Précisons
toutefois que la quête de la progression ou l’addiction à la douleur dans
l’activité sportive ne sont pas l’apanage des athlètes de haut niveau, mais
peuvent concerner tout pratiquant poussé dans ses ultimes retranchements
par ses efforts, et ce quels que soient les résultats ou scores qu’il peut
obtenir.
L’étude des comportements et des témoignages d’athlètes de haut
niveau révèle que la plupart ont en commun un passé tourmenté, prenant ses
racines dans l’enfance  : pour eux, le sport est comme une réponse
instinctive, une source d’expression salutaire. Pour mieux comprendre cette
quête de la douleur, cette recherche, nous allons nous attacher ici à
identifier les sources de la détermination du pratiquant, avant d’étudier
comment l’attitude d’un individu évolue à travers son activité physique,
puis comment son attitude évolue vis-à-vis de lui-même.
À cet effet, dans un premier temps, nous allons encadrer le profil type
du sportif et son interconnexion avec le sport. Ensuite, nous décrirons les
effets d’une activité physique poussée sur le mental, afin de comprendre
quels sont les « soins palliatifs » que le sport peut lui procurer. En effet, et
on le sait depuis 2013, la pratique du sport est un processus résilient. Dans
un entretien donné au quotidien Le Monde le 21 février 2013, Boris
Cyrulnik, neurologue, psychiatre et défenseur infatigable de la notion de
résilience, affirme ainsi  : «  On ne peut pas dire que les sportifs sont
résilients car il s’agit d’un processus. Mais le sport est un facteur de
résilience très précieux 1.  » La pratique du sport de haut niveau permet
d’ajouter une pierre à l’édifice de cette réflexion, pierre qui se fonde sur
l’analyse des comportements d’athlètes et de leur relation à la souffrance
sous le joug des fédérations.
Le lien entre activité sportive et « pansement » – évoqué dans le titre de
notre texte  – peut paraître audacieux, mais cette analogie est là pour
désigner une réponse imparfaite aux blessures profondes de l’individu. De
manière académique, le sport est défini comme la mise en œuvre d’une ou
plusieurs qualités physiques telles que les activités d’endurance, de
résistance, de force, de coordination, d’adresse, de souplesse, etc. Pour sa
part, le «  pansement  » est utilisé, dans son interprétation littérale, afin de
protéger la plaie (contre une infection, une irritation) et l’isoler du milieu
extérieur, pour permettre une meilleure cicatrisation en maintenant un
milieu humide favorable sur le lit de la plaie, pour faire cesser un
saignement minime en comprimant les petits vaisseaux  ; ou encore, pour
rapprocher les bords d’une plaie. En définitive, le pansement est une étape
avant la guérison, mais aussi un palliatif à la protection naturelle.
Quant à la résilience, elle revient à tirer quelque chose de sa souffrance,
à dépasser l’adversité par une reprise de développement. D’une épreuve,
d’une déchirure peut alors naître le meilleur, et on réussit parfois à extraire
d’un événement traumatisant, un engagement politique, psychologique,
artistique ou sportif. Le processus résilient, enchaînement ordonné de faits
ou de phénomènes répondant à un certain schéma et aboutissant à quelque
chose, semble ainsi caractériser un individu, solide face aux épreuves de la
vie, capable de les affronter selon les forces qui lui ont été données enfant :
«  Le blessé de l’âme pourra reprendre un développement infléchi par
l’effraction dans sa personnalité antérieure 2. »
Pourtant tous les enfants ou adultes n’accèdent pas spontanément à un
processus résilient, lequel a parfois besoin d’être stimulé, pour éclore : c’est
une démarche sinueuse, un chemin plein de détours et de contraintes, un
parcours de mensonges vers la vérité, une période de protection et de
convalescence, d’adolescence. Ce processus est particulièrement intéressant
à étudier chez les enfants, où les sujets les plus prometteurs identifiés par
les fédérations sportives sont aussi, parfois, les enfants les plus traumatisés.
Chez ces derniers, en effet, le traumatisme subi peut se traduire par une
désorganisation du comportement menant à une intense agitation 3, laquelle
induit des capacités physiques surprenantes.
Il faut, toutefois, faire une distinction dans le profil de l’athlète, ce
dernier adoptant l’activité sportive pour répondre à un inconfort ou un
confort inadapté à ses besoins de protection qu’elle soit émotionnelle ou
physique. On parlera d’involution pour les personnes les plus âgées ou de
révolution pour les personnes les plus jeunes.
En tout état de cause, cette analyse est celle du praticien, non pas
psychologue, mais sportif, celle d’un retour du terrain, une vision empirique
et pragmatique de l’habitation et de la réhabilitation de l’athlète.

Une stratégie d’évitement émotionnel

Une rupture avec l’« un-confort »


Dans son excellent ouvrage L’Éloge de la lucidité, Ilios Kotsou écrit  :
«  Les activités qui occupent une certaine importance dans nos vies
impliquent la plupart du temps une part d’inconfort, qu’il s’agisse de faire
du sport, de changer de mode d’alimentation, de s’occuper d’un enfant,
d’une personne malade ou de se lancer dans un nouveau projet. Prenons le
cas de la course à pied, une activité que j’essaie de pratiquer régulièrement
pour rester en forme. Vous ne me croirez peut-être pas mais le plus ardu
pour me lancer est de franchir la distance qui me sépare de mes chaussures.
Pourquoi est-ce si compliqué  ? Dans mon cas, il représente par exemple,
après une journée de stress, le fait d’affronter mon sentiment d’inconfort par
rapport à l’effort à produire, sentiment qui augmente encore si je compare
avec les alternatives possibles “lire, manger du chocolat” 4. » Kotsou ajoute
que la bonne nouvelle, c’est que plus il court et moins l’effort lui semble
difficile, car les bienfaits de l’exercice commencent à se faire sentir 5. Dans
cette analyse, il est indispensable de ne pas être l’esclave de ses émotions ;
le salut résidant dans l’action peut se présenter comme un théorème de
l’évasion par le sport : transition entre un état d’« un-confort » vers un état
d’inconfort pourtant salutaire.
LA DIFFICILE MENTALISATION DES CAUSES
DE L’ENGOUEMENT SPORTIF

Qu’il soit confronté à un traumatisme ou à une épreuve dans sa vie


personnelle, le sportif se refuse parfois à reconnaître qu’il est dans une
situation de détresse qu’il pourrait éventuellement résoudre en ayant recours
à la psychanalyse. Il se dénie le droit d’être en difficulté émotionnelle ou
psychologique, et tente de pallier le tumulte de ses pensées et digressions
sentimentales en passant par l’oubli physique. Il n’a, dans l’action, plus de
contact avec son altérité, et se déshumanise profondément. Son corps n’est
plus le reflet de son comportement, et ses pensées sont bridées par
l’exercice. Penser au corps évite de se prendre la tête… Le philosophe John
Locke disait déjà que rien n’est dans la pensée qui n’ait d’abord été dans les
sens. Ne peut-on dès lors considérer que le sport échappe à la pensée afin
que soit d’abord donné un nouveau sens à la vie  ? La récompense est un
vaste oubli pendant l’effort, mais un oubli de quoi ? Le sportif l’ignore, et à
la limite peu lui importe, tant que sa carrière se déroule correctement.
Raphaël Poirée, célèbre biathlète français, rapporte en ce sens que «  c’est
dans le sport, dans l’entraînement que je suis moi-même, que je crie tout ce
qui est enfoui au plus profond de mon âme et que je  cache même à mes
proches 6 ».
Cette logique de l’effort conduit l’athlète tout droit vers ce que l’on
appelle la bigorexie, maladie reconnue par l’OMS comme une addiction et
qui concerne les personnes devenues dépendantes d’une pratique excessive
du sport – 15 % environ des personnes pratiquant entre 1 heure et plusieurs
heures de sport par jour pourraient être touchées. Même s’il n’y a pas de
profil type pour cette pathologie et que la haute compétition n’est pas une
condition nécessaire pour la développer, car tout dépend de l’individu et de
sa nature dépendante. Par ailleurs, cette dynamique ne s’inscrit pas dans la
solitude, mais dans la recherche connexe d’un groupe d’appartenance, quête
instinctive d’un « cadre de soin ».
Le problème réside dans le fait que plus le temps passe, plus ce sportif
se trouve contraint d’augmenter les doses pour ressentir le même
apaisement. Il se trouve confronté à un besoin irrépressible et compulsif de
pratiquer régulièrement et intensivement une ou plusieurs activités
physiques et sportives, en vue d’obtenir des gratifications immédiates, et ce
malgré des conséquences négatives à long terme sur la santé physique,
psychologique et sociale.

UN ENVIRONNEMENT NOUVEAU POUR CASSER


LES « RE-PÈRES » ET CRÉER LA RUPTURE AVEC L’« UN-
CONFORT »

Pères, pairs et repères


Le legs paternel revêt une importance majeure dans la construction de
l’individu, que ce soit par action ou par omission. C’est la raison de ce jeu
de mots entre père et « re-père », dans la mesure où la place du père revient
constamment dans les ouvrages présentés 7.
De nombreux athlètes reconnaissent que la violence paternelle, ou
l’absence d’image paternelle, est l’un des fondements de leur motivation, de
leur quête. Cette quête n’est pas pour autant clairement identifiée. S’agit-il
d’une envie de «  tuer  » le père  ? Ou de se débarrasser de l’oppression
familiale, pour gagner une famille de substitution, celle de l’équipe, et une
figure patriarcale en la personne de l’entraîneur ?
Pour l’athlète, tuer le père, c’est le dépasser, en lui montrant, au travers
de la performance, ce besoin de l’aimer comme un père, et non comme un
oppresseur. Il se représente dans une logique amour-répulsion, car l’enfant,
par crainte de perdre l’amour du parent, relativise les sévices de façon à
préserver l’image du parent gentil malgré tout 8.
Face à une guerre mentale qu’il ne peut gagner contre lui-même, face à
l’impossibilité pour lui de résoudre le problème psychologique, l’athlète va
donc tenter de s’élever au-dessus de ses émotions en leur préférant la
souffrance corporelle, plus facilement compréhensible et maîtrisable,
l’interprétation des maux, telle que la gestion de la blessure, étant assurée
par l’entraîneur. La démarche pourrait être tout aussi efficace avec un
psychanalyste, mais le sport permet de trouver une alternative de confort à
l’impératif d’une résilience rapide pour sortir d’une situation désagréable.
Le sport et le club deviennent une base de sécurité et d’expression, qui
évitent à l’athlète de rester figé dans une sorte de peine muette. L’effort
physique a un effet cathartique, apaisant et libérateur, comme les pleurs 9.
Le lecteur d’autobiographies de sportifs de haut niveau découvre parfois,
médusé, l’inconfort paradoxal de ces individus censés symboliser le parfait
équilibre entre le mental, le physique et l’hygiène de vie, alors qu’ils sont
issus d’un environnement qui les a poussés à la révolte.
Les lignes tracées révèlent le plus souvent une enfance marquée par un
événement de rupture entre un avant confortable et un après de
marginalisation. Le choix de faire du sport, et cela de manière parfois très
intensive, peut représenter un ultime mouvement personnel d’insurrection,
le choix d’un nouveau monde, protégé, de nouvelles règles et de nouvelles
interactions. Il s’agit d’un changement drastique de repères entre deux vies.
En partant à la recherche d’une rupture totale avec un monde dont on ne
maîtrisait pas tout à fait les règles, au profit d’un système simple et
valorisant, on découvre une nouvelle communauté d’appartenance et
d’identification répondant au besoin de l’individu en souffrance.
Pourtant, les règles de la communauté des sportifs ne sont pas moins
contraignantes que les règles familiales ou civiles. Elles le sont souvent plus
encore, alliant contraintes physiques, mentales et fair-play en plus des
objectifs de performance. Le couperet est, aussi, plus aiguisé en cas de
défaillance. Pour comprendre ce processus de la résilience, il faut donc
identifier les facteurs de protection les plus importants, ceux qui servent à
créer une barrière contre les facteurs de risque, à prévenir la maladie
mentale, à éviter les réactions pathologiques sur le long terme –  par
exemple, le soutien de la communauté sous forme d’interactions positives
entre les adultes et les jeunes, hors contexte familial ou, chez l’enfant,
l’acceptation inconditionnelle par une personne plus âgée, ce qui soutient
l’épanouissement de son estime de soi. Une conscience est sollicitée  :
conscience de soi, de sa densité et de ses limites. Une conscience d’être là,
qui renarcissise au besoin.
Cette fuite vers un monde moins contrôlé est facilitée par
l’identification, chez le sportif, d’une logique dite de « performance » qui le
pousse à se transcender, bien loin de la pratique ludique ou à vocation
d’entretien, pour viser la compétition. La violence de cette préparation
requiert des ressources qui ne sont pas seulement physiques, mais
également émotionnelles.

Du sport à la compétition : une nouvelle rupture-


pansement
Pour Kilian Jornet, alpiniste, spécialiste des efforts extrêmes, la
compétition est « un lieu où je ne vois rien, où je n’entends rien, mais où je
perçois tout, comme si mon corps avait vu avant moi 10  ». De fait, la
compétition implique un contrôle du corps et du psychisme dans des états
bouleversés, une capacité intrinsèque à se mettre dans un espace d’éveil
intérieur pour être le plus rapide, le plus vif, le plus intuitif possible. Le
corps devient un environnement spécifique, un allié, un outil pour créer sa
propre performance et un état d’être.
Lorsqu’on se lance dans une activité sportive, c’est pour sortir d’un lieu
et entrer dans un autre dans un va-et-vient entre le monde réel et le monde
privé que l’athlète veut se créer pour apprivoiser ses craintes en
expérimentant une inexistence inexplorée. Cette ouverture vers la
compétition correspond pour David Le Breton, dans son remarquable
ouvrage Passion du risque, à une recherche délibérée du vertige, du
désordre provisoire, qui amène à percevoir la complicité que l’on peut tisser
avec sa discipline, à brouiller un temps les repères de la normalité, pour
sortir d’une zone de confort au sein d’un milieu social et culturel régi par
des règles souvent trop précises 11.
Le sportif cherche à brusquer sa façon de faire, sa manière de penser. Le
sport et sa discipline deviennent la source même de son engagement,
supporté par l’« instrument » qu’il a façonné pendant des heures, des jours,
des années d’entraînement. L’athlète veut «  s’éclater 12  », comme pour
ouvrir et se libérer d’une contention corporelle et d’un corps «  costume  »
trop étroit, trop limité par l’éducation et les croyances imposées par la
société. Il s’agit d’une rupture, d’un dérèglement momentané et nécessaire
d’avec soi et le monde environnant. L’expérience de la rupture implique et
révèle une cessation de l’état d’union et une perte de contenance 13. Le sport,
l’effort physique, la compétition, deviennent dans ce cas un nouveau
contenant, sécurisant et structurant ; le corps, un objet de soin et d’extrême
attention.
Lorsque le triathlète Ludovic Chorgnon se lance en 2015 le défi
d’enchaîner 41 Ironman (soit 41 enchaînements de trois sports comprenant
3,8 kilomètres de natation, 180 kilomètres de vélo, et 42,195 kilomètres de
course à pied) en 41 jours, il dira à la presse, quelques heures après l’arrivée
de sa dernière épreuve : « C’était trop court 14 ! »
On commence ainsi à comprendre que la performance physique à
travers la compétition, malgré cet effort surhumain, n’est possible que si le
sportif accepte de donner du sens à ce dérèglement, à cette rupture qui, dans
un premier temps, est vécue à travers la rencontre de ses propres limites. Ce
n’est que plus tard qu’il pourra envisager d’affronter l’autre en tant
qu’adversaire.
Adversaire est un terme choisi, car l’athlète de haut niveau perçoit
souvent l’autre comme une digression dans son rituel d’entraînement : son
regard est agressif, il le rejette. La perception que l’athlète a de lui-même
est le plus souvent tout aussi défavorable, et c’est le travail sur le corps qui
compense alors la mésestime. Cette difficulté à réaliser son altérité se situe
dans un passé présportif, mais est renforcée dans le cadre du sport de haut
niveau.
Le milieu restreint de l’équipe permet un apprentissage de l’altérité,
mais reste balisé par des règles préservant le sportif d’une trop grande
empathie qui pourrait obérer ses chances de victoire. La compétition, le
chronomètre deviennent également un indicateur, une métrique de la
valorisation personnelle, tout en encadrant les digressions émotionnelles de
l’athlète. C’est un point salutaire pour le compétiteur.

La démarche sportive en vue de l’évitement


émotionnel
Le sportif évolue sans le savoir. En réalité, c’est à travers sa marche que
le sportif effectue sa « dé-marche ».

L’ACTE MÉDITATIF : JOIE, SOUFFRANCE


ET DÉCOUVERTE DU SOI

Le premier pas vers l’insurrection


La démarche sportive a le même effet que la démarche artistique ou
musicale  : on déporte ailleurs son état émotionnel. Le sport devient une
lutte qui s’engage à un autre niveau d’organisation que celui où se tiennent
les rapports d’homme à homme 15. On l’observe typiquement dans le cas de
défis de groupe.
Prenons l’exemple d’un groupe d’entreprise qui se lance le défi de
participer à un marathon. Ce défi va mobiliser, chez chacun des
participants, sa créativité, celle qui va lui permettre d’inventer une nouvelle
manière d’être avec lui-même, mais surtout d’être avec les autres. Cette
créativité est nécessaire pour préparer ce défi et pour se préparer à une
éventuelle défaite dans la compétition. Si l’on interroge plusieurs personnes
dans ce groupe d’entreprise 16 sur les raisons de leur participation à ce
marathon, les réponses seront différentes dans la forme, mais sensiblement
égales sur le fond :

« L’effort me permet de contrôler quelque chose que l’on a choisi et


que l’on ne nous impose pas. »
« Plus je cours, plus je suis. »
« Me sentir libre de tester cette liberté que me procure le sport, en
prenant le temps de contempler cette liberté. »
«  Faire du sport, c’est apprendre à ralentir dans un monde qui va
vite. »
« Lorsque je fais du sport, je fais quelque chose de simple. »
« Aller loin seul et tous ensemble. »
« L’effort physique, c’est Être, sans avoir à devenir. »
« La souffrance de l’effort, c’est du plaisir inconnu. »
« Découvrir l’ivresse de la douleur et de la fatigue. »
« Réussir ensemble. »

Au-delà du groupe, le corps du sportif devient, dans ce cas, un allié de


sa performance et de sa fuite vers le bien-être  ; son corps devient le
partenaire de son projet sportif.
En réalité, le sport, c’est simple. Il suffit d’être attentif à ses sensations,
et de prendre le risque d’être à travers le sport. C’est un sentiment profond
et secret, dont le cri en lui-même semble devenir une expérience libératrice.
Freud parle du rêve, en disant qu’il est la voie royale vers l’inconscient 17,
mais on pourrait en dire autant de ce cri qui surgit de l’inconscient corporel
et de la respiration, qui au moment de l’effort se situe à un niveau plus élevé
qu’une respiration de repos, qui n’implique que le haut des poumons. Ici on
parle d’une respiration qui implique l’organisme tout entier et
particulièrement la région de l’estomac et du diaphragme, siège des
émotions. Ce cri primal marque la fin de la lutte 18. Cette région de la
ceinture pelvienne correspond également au fief des émotions et des
tensions résultant du stress. Cette tension endogène se maîtrise également
au travers du rituel pour le sportif.

Le rituel stabilisateur : un pansement affiné


Le rituel est une succession d’actes précis et répétitifs, destinés à
faciliter l’apprentissage. On le retrouve principalement dans les domaines
religieux et pédagogique, notamment pour protéger les enfants dans le cadre
de changement de repère(s). Mais il peut s’agir aussi d’un rituel
pathologique, comme dans le trouble obsessionnel compulsif qui se traduit
par des actes répétés, fondés sur une croyance, et qui visent à protéger d’un
danger et plus principalement de l’autre.
Dans le sport, le rituel est omniprésent, depuis l’habillage jusqu’au
comportement sur le terrain. Le tennisman Rafael Nadal, en intégrant divers
19
rituels à son jeu , illustre cette manière de se protéger et de consolider
l’environnement de sa discipline. Ou encore Björn Borg, qui décide de ne
plus se raser quatre jours avant le tournoi de Wimbledon en 1976, et
20
annonce qu’il ne le fera pas avant d’être éliminé .
Ces rituels personnels semblent avoir toujours existé dans le sport, mais
ils se développent de plus en plus et se complexifient, principalement en
raison de l’accroissement de la pression extérieure sur les athlètes.
Sébastien Magne, psychologue du sport, l’explique bien  : «  À certains
moments, au lieu de cogiter et commencer à douter, le rituel permet de
rester serein et passer à l’étape suivante. Il est exécuté pour être plus fort
que la peur, l’appréhension et le doute. Par la répétition du geste, le rituel
permet de diminuer au maximum l’imprévu et l’inconnu, qui sont eux
21
toujours inhérents au sport .  » Protéger l’estime de soi, ainsi que son
environnement, passe par un processus codifié, qui peut être fondé sur une
croyance pour éviter de se laisser emporter par le doute et la perte de son
intégrité.
On peut ici considérer que le sport étouffe la créativité sous la
répétitivité, visant à l’acquisition, par l’automatisme du geste, d’un schéma
standard qui est imposé au corps. Le côté positif est qu’il permet, via la
domination de sa matière, de parvenir à la domination de soi, à l’acquisition
d’un pouvoir sur les choses et sur soi-même et, finalement, au plaisir de
s’imposer et de se retrouver dans un environnement reconnu et maîtrisé.
Dès lors le rituel propose une méthode récurrente nécessaire pour qu’on
puisse se sentir chez soi dans son propre corps, dans la technique, dans sa
matière et dans le monde de la compétition 22. La créativité émergerait alors
du style, de l’originalité et de l’autorité dont fait preuve le sportif face à sa
discipline.
Tous les athlètes le savent, réfléchir trop avant l’action peut suffire à
faire échouer et c’est à ce stade qu’interviennent utilement les petites
routines gestuelles. La rumination gêne la concentration et la performance
des tâches motrices  : «  Habituellement les athlètes sont plus performants
quand ils font confiance à leur corps plutôt qu’à leur cogitation, ou aux
consignes de leur coach, si celles-ci prennent trop de place 23. »
Une façon de ne pas trop se laisser envahir par ses pensées intrusives
serait donc de favoriser l’action, afin de ne pas accaparer l’hémisphère
gauche, et de s’empêcher de trop cogiter afin de mieux réguler ses
agitations émotionnelles. Cogitations et ruminations sont un dénominateur
commun aux athlètes, à la fois atouts et handicaps.

AUX SOURCES DES COGITATIONS CHEZ L’ATHLÈTE

De l’origine des maux
Il est communément admis que la résilience réside dans le fait de
parvenir à rebondir, après une souffrance ou un trauma, en puisant dans ses
capacités internes. Elle ne fonctionne pas en tout ou rien, encore moins en
totale réussite ou en total échec. De surcroît, le processus de résilience peut
être fluctuant au cours de la vie.
En clair rien n’est définitivement déterminé et acquis. Pire, l’état de
résilience n’est pas définitif ou stable, car nous voyons davantage le
processus de résilience comme un procédé vivant, une sorte de boucle
rétroactive à l’infini qui a pour fonction d’améliorer l’état psychologique,
qui peut être le moyen d’un mieux-être qui nécessite un retour régulier à
l’analyse pour permettre un certain équilibre.
Pour les spécialistes, la résilience apparaît comme relative, partielle ou
n’ayant pas abouti. Toutefois, elle permet d’apprendre à réagir plus
rapidement dans les périodes difficiles, avec cette possibilité de penser avec
une vision globale et systémique. Elle permet de réduire le temps d’accès à
la reprise en main. En d’autres termes, une fois qu’on a pris conscience de
ce phénomène (trauma/choc versus processus résilient), on peut apprendre à
réformer soi-même ses propres schémas de pensée, à se libérer des états
d’âme négatifs et à acquérir un équilibre d’une plus grande maturité
affective. La résilience, ce n’est donc pas « faire avec », c’est « faire de »,
tirer quelque chose de sa souffrance et ne pas s’en accommoder.
La structure de personnalité et les mécanismes de défense apparaissent
ici comme ces outils opératifs incontournables. Cependant, d’autres facteurs
clés interviennent et doivent être pris en compte. Parmi eux, à condition que
leurs interactions soient manifestement positives, figurent les ressorts
psychodynamiques de la résilience, rassemblés sous le sigle NMO  :
narcissisme, mentalisation et objet :
–  le narcissisme, que nous rapprochons de la notion d’ego, dans ses
dimensions primaire et secondaire, suit une construction et une
évolution particulières, notamment dans les situations de trauma ou de
choc ;
– la mentalisation, processus à part entière, est un mécanisme réflexif
qui se construit dans la confrontation du réel et du construit, de l’ego et
de l’environnement extérieur ;
–  l’objet, que nous ne nommerons pas transitionnel, mais qui s’y
apparente fortement, apporte le point d’attache qui apparaît dans le
tumulte. Dans une certaine mesure, cet objet peut être attaché, voire
confondu, avec le tuteur de résilience.

De l’utilité des mots
Nous posons comme postulat que le sport est un environnement propice
et utile à un remaniement économique. Il se présente comme le seuil et la
matière qui fournit à l’individu une réelle mécanique de maturation et de
prise de recul par rapport à son état psychosomatique.
Il peut être défini comme la mise en œuvre d’une ou plusieurs qualités
physiques, qui vont prendre sens dans les activités d’endurance, de
résistance, de force, de coordination, d’adresse et de souplesse. Quelle que
soit la spécialité choisie, cette réflexion inclut toutes les formes de pratique,
notamment le sport loisir, le sport aventure, le sport santé, le sport scolaire
ou encore l’éducation physique et sportive. Si la compétition est présentée
comme le Graal, il existe en effet d’autres formes de pratique mettant plutôt
en avant le plaisir, la santé, l’éducation ou l’épanouissement personnel.
Cette pratique sportive comporte un intérêt notable dans un processus
de (re)conquête de l’homéostasie personnelle, qu’elle soit psychique,
physique ou encore mentale. L’activité physique, appréhendée comme un
vecteur d’évolution, revêt même la double qualité de pansement et de
processus résilient pour un individu qui souffre ou qui a subi un choc
émotionnel important.
Plus précisément, le sport pansement correspond à la période
transitionnelle, cette sorte d’espace temporel inéluctable et bénéfique pour
l’individu qui a besoin de toute urgence de stopper les dérives, de recoller le
puzzle cognitif et émotionnel de son trauma, de faire le point sur l’état de
son ego face au choc et d’évaluer son niveau de résistance. L’effet de la
pratique active va apporter une métrique de la situation, recréer les repères
nécessaires à toute évolution, voire révolution, incontournable épreuve de
dépassement du soi, pour recouvrer l’énergie suffisante à une reconstruction
postévénement. Cette période de mise en sécurité de l’individu, ce
pansement, doit permettre la cicatrisation superficielle des émotions, afin
que l’accès au raisonnement, à l’analyse des faits, soit rétabli. Le
pansement, que peut être l’activité sportive, doit également retenir la
prolifération des ruminations internes, source de graves déséquilibres
psychologiques. Cette toute première étape se présente comme un prérequis
à un temps plus long et plus complexe qu’on peut appeler le processus
résilient.
Ce processus résilient se présente comme un enchaînement de faits ou
de phénomènes qui répondent à un certain schéma et aboutissent à un état
qualifié de mieux-être ou de stable. Cette suite continue d’opérations
conscientes et inconscientes constitue le fondement même de la
consolidation personnelle. L’objectif de ces mouvements intérieurs et
interactionnels consiste à atteindre une résistance accrue aux chocs et doit
permettre à l’être convalescent de calmer ses propres mécanismes
interprétatifs de défense.
Ainsi, l’individu va alterner, de façon plus ou moins consciente, les états
de prise de conscience, d’éveil face à la compréhension d’un phénomène,
les états de réflexivité mentale et psychique permettant d’apprendre de ses
modes de fonctionnement et de dysfonctionnement et les états de feedbacks
(rétroactions), positifs ou négatifs, marquant la valeur de ses interprétations
et le degré de réalité et de clairvoyance de ses comportements à travers des
interactions et des expériences d’altérité avec l’environnement.
De la souffrance à la douleur,
du pansement au processus résilient

Ego et décroissance : le chemin vers


l’apaisement
Concernant l’ego, Eckhart Tolle écrit de façon décisive : « La structure
même du soi égoïque comporte un besoin d’opposition, de résistance et
d’exclusion destiné à maintenir le sentiment de séparation dont dépend sa
survie. C’est donc “moi” contre “l’autre”, “nous” contre “eux”. L’ego a
besoin d’un conflit avec quelque chose ou quelqu’un. Cela explique
pourquoi on recherche la paix, la joie et l’amour, sans pouvoir les tolérer
très longtemps. On prétend vouloir le bonheur, mais on est accroché au
malheur 24. »

LA STRUCTURE ÉGOÏQUE ET LE CONDITIONNEMENT


DE L’ESPRIT

La structure égoïque dans le processus résilient


Nos humeurs et nos réactions émotionnelles ne sont pas directement
conditionnées et orientées par les événements de notre vie, mais par
l’analyse que nous en faisons. Un trauma agit comme une effraction
narcissique, en créant une désorganisation de l’ego, de l’appareil psychique
dans son ensemble et, bien souvent, de l’équilibre somatique. C’est la
genèse de l’individu et les marqueurs de comportements qui le définissent
qui vont rentrer en jeu dans la lecture d’une situation traumatisante. Le
même événement vécu par des personnes différentes fait en effet apparaître
des réactions différenciées, voire complètement opposées.
Le choix des tuteurs de résilience et le temps nécessaire pour se
remettre en piste sont, eux aussi, très contrastés : « Ce n’est surtout pas une
question d’acquis ou d’inné, mais d’histoire personnelle. Ce qui donne la
force d’affronter, c’est la confiance développée avant le traumatisme  : un
enfant qui a souffert d’un manque affectif de ses parents réagira plus
vivement, car l’événement traumatisant rouvrira une blessure 25. »
Le temps pansement, défini précédemment, est donc un temps
psychologique et cognitif crucial pour la sortie de l’état d’inertie et de
rumination qui suit un événement traumatisant. Mais, in fine, c’est bien le
processus résilient, qui caractérise l’individu comme «  solide  » face aux
épreuves de la vie, qui va déterminer les nouveaux référentiels.
L’activité émergente, tout au long de ce processus résilient, suit des
étapes circulaires qui ont chacune un rôle dans l’acceptation, puis le
dépassement de la situation. L’individu doit passer par la maîtrise des
réflexes de rumination, accéder au principe de pause consciente qui redonne
accès au raisonnement et confère l’impulsion suffisante pour la
reconstruction intérieure.
Au-delà du processus résilient, c’est tout un fonctionnement global qu’il
s’agit de mobiliser pour faire face à une situation traumatique, à un choc ou
simplement aux situations stressantes. La nécessité de sortir de l’état de
blocage et de régression appelle une mécanique de sortie de crise avec soi-
même qui doit permettre d’enclencher une nouvelle dynamique de
développement. Ce qui pose la question de la souffrance interne et de ses
effets sur la personne et ses modes d’interaction au monde.

L’activité mentale égoïque à la source des ruminations


Pour parvenir à s’extirper de son état végétatif, on peut appliquer une
26
méthode progressive et itérative fondée sur l’observation du dépassement
de situations dégradées. Quand on est constamment confronté à son activité
mentale égoïque, on a tendance à ruminer et à ressasser les problèmes ou
encore à revivre en boucle le choc et ses conséquences. Ces pensées 27
inondent sans interruption l’esprit, provoquant la confrontation avec son
ego, ses propres limites, ses expériences, sa condition sociale. Cependant,
les capacités intrinsèques de chacun peuvent permettre d’accéder à un état
de prise de conscience qui ouvre un champ d’analyse et d’introspection
insoupçonné. Il devient alors possible d’accéder à l’état de décroissance
personnelle, véritable machine à sortir de la lecture égoïque des situations,
pour se doter d’un automatisme mental de prise de recul et de confrontation
au réel. Après une période plus ou moins longue de répétition du système
de pensée, une nouvelle porte s’ouvre, celle de l’activité mentale
consciente.
Le Moi est le produit d’un processus d’identification autocentré. Une
fois suffisamment alimenté et fertile, l’ego devient le centre de tous nos
intérêts et ancrages psychologiques, qu’ils soient positifs ou négatifs.
Comme la sexualité, le sport permet de ralentir la rumination et de cesser de
tourner autour de son ego, l’esprit étant capté par les sens, l’activité
physique et chimique.
L’activité mentale-ego est centrée sur le moi, sorte d’esclavage cognitif
basé sur le jugement et la mise en avant du Moi. On ne cherche que le
réconfort de son ego à travers les événements qui ont marqué notre passé ou
les perspectives qui pourraient venir structurer notre avenir. Le présent ne
revêt plus aucun intérêt  : seuls les construits mentaux et les émotions
agissent.
S’il prend de multiples formes, ce phénomène égoïque s’accroche à une
seule et même émotion  : la peur. Cet état émotionnel est le véhicule de
toutes les ruminations, qui sont le ressassement d’événements et de
contenus épisodiques présents dans notre mémoire à long terme.
La rumination est similaire à l’inquiétude, à cette différence qu’elle se
focalise principalement sur les émotions et les mauvaises expériences du
passé, alors que l’inquiétude se concentre sur les événements du futur.
Rumination et inquiétude sont d’ailleurs toutes deux associées à l’anxiété et
aux autres états émotionnels négatifs.
La rumination est un moyen de répondre à la détresse en appliquant une
répétitivité passive (lamentation) sur les symptômes de la détresse, sur ses
causes et sur ses conséquences possibles. Il est toutefois important de
préciser que la rumination est plus répandue chez les personnes pessimistes,
névrosées et agissant de manière négative. D’où l’attention toute
particulière portée sur la typicité des individus résilients avant le trauma 28.
L’ego étant présent à tout instant dans nos interactions, dès lors
qu’apparaissent des menaces ou des souffrances, les pires pensées vont
venir paralyser le système cognitif après un épisode traumatique et les
émotions prendre le dessus et canaliser toute l’attention, le discernement.
Notre capacité à raisonner s’amenuise ou se focalise sur des points propres
à notre condition, à notre intimité.
Si les individus qui ruminent ne sont pas forcément atteints de
dépression, les études ont néanmoins démontré qu’ils sont davantage sujets
à des épisodes dépressifs plus longs 29. La rumination étant directement
corrélée au niveau de stress post-traumatique perçu, il est important de
traiter à la source le fonctionnement morbide de l’ego.
De façon plus courante, notre ego répond favorablement à l’envie, à la
jalousie, à l’orgueil, qui sont des moteurs de choix pour la rumination et
l’activation du mental-ego à tout instant. La comparaison avec autrui, le
jugement ou encore la conscience des différences entre soi et ses alter ego
créent un désordre mental important chez le traumatisé et vont enclencher
toute une batterie de digressions et de ressassements morbides. Dans un tel
état, même les réactions positives renvoient à la position et à la valeur de
l’ego. Rien n’y fait.
L’activité sportive peut ici jouer un rôle, en offrant un moyen d’occuper
l’esprit et de libérer les hormones adaptées à l’atteinte d’un état de contrôle,
même temporaire. À l’image des exercices de respiration qu’il est bon de
répéter en cas de stress 30, elle enclenche une respiration sur laquelle on se
concentre  : en quelques instants les pensées négatives ne peuvent plus
envahir l’esprit. Elle vient panser le fonctionnement cognitif et, pendant le
temps de l’effort, corps et esprit tout entiers font une pause salvatrice et
récupératrice. Même si l’apparition subite d’une certaine lucidité n’est que
de courte durée, elle est toutefois déterminante pour le sursaut et pour aider
à la découverte d’une issue possible 31.
Le sport-pansement est ici d’une efficacité redoutable, car il crée le
terreau utile et suffisant pour de nouvelles pousses, de nouveaux
raisonnements. L’exercice physique va pouvoir se substituer aux autres
comportements addictifs (alcool, drogue) et jouer un rôle palliatif
temporaire dans le mécanisme de reprise ou d’apprentissage des actions de
survie pour la personne blessée.

LA PAUSE COGNITIVE COMME VECTEUR D’UN MIEUX


ÉMOTIONNEL

Dans une situation dégradée, post-traumatique ou anxiogène, notre


mémoire, particulièrement notre mémoire épisodique, mémoire à long
terme faite d’ancrages mnésiques émotionnels et mémoriels, nous joue des
tours et nous fait replonger constamment dans le passé.
Vouloir refaire le passé est une erreur monumentale, car le processus
d’identification, dans ce cas, fonctionne sans cesse et cette croissance
personnelle de l’ego entraîne une augmentation du Moi, voire la création de
fausses identités ; on en oublie la vie, le présent.
Comme nous l’avons souligné, le passé n’a aucun avenir pour une
personne qui arrête d’avoir peur, pour un être qui choisit de décroître pour
vivre le moment présent. Cette pause-conscience 32 apporte l’éveil, vers soi,
vers le monde, vers les autres, étape incontournable pour le convalescent
qui va alors pouvoir poser les armes de sa discorde et de sa fermeture au
monde. Cette prise de conscience ouvre à nouveau le champ des possibles,
fait surgir des actions envisageables pour lui, le reconnecte avec ses proches
et sa vie.
La multiplication de ces allers-retours, entre l’état égoïque centré sur soi
et l’environnement qui l’entoure, pose les bases de la pause-conscience à
travers un processus de connexion-déconnexion au monde. Ces actions
itératives, mentales et émotionnelles, couplées à une activité centrée sur le
corps, vont déclencher de nombreuses connexions positives, propices à la
réactivation.
Ainsi, seule la décroissance personnelle peut permettre de (re)devenir ce
que nous sommes vraiment, c’est-à-dire une conscience capable d’aimer,
dotée de volontés constructives et altruistes. Elle permet l’apparition de
l’intelligence, du raisonnement et de la  planification de l’action, de la
capacité de décision éclairée, de la maîtrise des automatismes cognitifs pour
(re)devenir compétent.
La pause-conscience, expérimentée et devenue fréquente, permet
d’accéder au travail de décroissance personnelle qui sera le vecteur de l’agir
et du mieux agir. Cette décroissance personnelle se présente comme le
chemin obligatoire pour se donner accès au processus résilient visé. Sans ce
travail préalable, on ne peut enclencher la résilience.
Ici encore le processus qui se met en marche n’est pas une suite
ininterrompue d’actes répétitifs, plutôt une activité d’essais-erreurs, à
l’image du processus d’apprentissage chez les enfants, qui bâtit au fur et à
mesure le référentiel résilient. Ce cercle vertueux «  éveil-décroissance
personnelle  » va se systématiser dans les principes actifs et réflexifs pour
aboutir à une grille de lecture renforcée de l’ego, du monde et des
interactions avec ce monde.
Cette décroissance personnelle redonne la capacité d’agir, redonne le
choix de se dépasser, de tenter sans avoir peur de l’échec. C’est aussi cette
décroissance qui prévient certains passages à l’acte comme le suicide, car
l’ego est désormais moins au centre de cette moulinette infernale du Moi.
À partir de ce moment clé, il devient possible de (re)vivre le moment
présent, car l’attention est totalement ouverte à chaque instant. Les qualités
physiologiques et physiques, les sens s’expriment normalement. Les
qualités sensorielles ne sont plus amoindries et on peut désormais écouter,
regarder, sentir ce qui se passe en soi et à l’extérieur de soi.
La distanciation avec son ego, la nouvelle maîtrise de ce dernier
donnent accès à un degré de raison plus important. La course au « tout faire,
tout avoir, tout de suite  » n’est plus le mode de fonctionnement
systématique. Désormais, le processus interne «  observation, préparation,
action » est maîtrisé.

Le processus résilient commence lorsque


s’arrête le sport

L’INTERACTION CONSCIENTE COMME


CONSTRUCTION DE L’ALTÉRITÉ

Cette recherche de mieux-être et de sortie de crise intérieure passe par


l’ouverture et l’attention aux sens, l’acceptation et la recherche de l’altérité.
L’activité mentale conscience devient le berceau de nouvelles briques
intérieures et personnelles qu’il convient de faire grandir et de développer.
Dans ce nouvel état, l’action devient prédominante et salvatrice,
porteuse de sens. L’évitement des interactions fait place à la prospection de
rapports constructifs avec les autres. L’individu (re)devient connecté au
présent et le vit comme tel. L’activité mentale consciente intègre
l’interaction et l’ouverture. Les interactions, verbales ou non verbales, entre
individus sont souvent considérées comme un lieu d’actualisation et de
manifestation des principes d’organisation humaine constitués par ailleurs ;
elles sont aussi un lieu privilégié où se construisent, où émergent les formes
sociales, cognitives et linguistiques de l’être. L’interaction avec l’autre est
ici le lieu idéal, nouveau ou retrouvé, de la construction de liens, de la
cognition sociale et de la communication positive. Lorsqu’autrui parle, je
l’écoute, je lui réponds et je prends en compte ce qui m’a été transmis.
La rumination est mauvaise pour la santé et conduit en principe à un
déséquilibre psychologique, voire à la dépression. Penser ou parler des
causes de la rumination peut aider. Une fois les réflexes de l’activité
mentale consciente systématisés, tous les ressassements et autres pensées
égoïques ne disparaissent pas, mais peuvent être appréciés et traités selon
un tout autre prisme mental. L’altérité est une des solutions majeures pour
la confection d’une communication plus opérationnelle et plus objective –
 en tout état de cause moins subjective et autocentrée.
Lorsque les individus partagent un sentiment avec d’autres dans un
contexte relationnel, ils ont plus de chances de surmonter ces problèmes.
Au contraire, lorsqu’ils pensent intérieurement d’une manière répétitive et
ressassent leurs problèmes, ils ont tendance à souffrir de dépression.
Les ruminations et les remises en cause constantes de notre Moi sont
dues à notre activité mentale et émotionnelle, qui laisse la part belle aux
comparaisons et aux évaluations. À l’inverse, l’acceptation de la différence
de l’autre, l’écoute active de ses positions et opinions placent dans une
progression personnelle et sociale, véritable catalyseur de constructions
positives quotidiennes.
Toutefois, l’ego peut encore faire réapparaître des dérives et des
tendances à replonger dans l’état mental-ego ; en ce sens, il peut constituer
une limite à ce processus de distanciation. C’est ce qui se produit dans
l’abnégation, qui n’est pas de la décroissance, mais plutôt l’inverse dans la
mesure où elle renforce l’ego – « je suis capable de faire passer les autres
avant, les autres ne le feraient pas pour moi  ». On doit toujours rester
vigilant devant les signes avant-coureurs d’une rechute ou d’un manque
d’ancrage de son activité mentale. D’autres dérives sont à prévenir, comme
le syndrome d’hyperactivité ou le déficit d’attention, qui sont de grandes
sources de défaillance, tant du point de vue social qu’individuel.

L’ARRÊT DU SPORT MARQUE LE DÉBUT


DE LA RÉSILIENCE

« Je n’ai plus envie de souffrir », tels ont été les mots d’explication à la
presse prononcés par Michel Platini pour expliquer son départ en retraite.
En réalité, cette réponse aux médias marque, verbalise la fin de la nécessité
de souffrir comme une solution déclarative. «  Je n’ai plus envie de
souffrir  », telle pourrait bien être aussi la sublime réponse de l’impétrant
dans le processus résilient.
L’expérience nous enseigne ceci. La souffrance arrive, et elle est
désagréable, différente de la souffrance d’avant qui semblait diffuse et
motivante. Avant, elle était intériorisée et faisait comme partie de la vitesse
–  il y a une unité «  souffrance-vitesse-technique  » que l’athlète connaît
bien. Désormais elle est comme étrangère, et elle dérange. Elle touche la
peau, vient agresser comme un élément exogène qui ne fait plus partie des
muscles. Désormais elle suscite un rejet épidermique, comme si elle était
excessive. L’athlète ne l’accepte plus, car il ne la reconnaît plus.
En réalité il faut distinguer ici souffrance et douleur. Ici l’athlète ne
ressent pas la souffrance, il ressent la douleur. Avant, la souffrance était
réconfortante, car elle était l’étalon de la vitesse et de la performance, de
l’état de forme physiologique, de la capacité à se battre contre la
concurrence. Elle était insufflée à mon escient. L’autre, la douleur, est
massive  : une masse s’abat sur le corps entier. Elle ne correspond pas au
sens de l’effort, qui est de savoir distiller la puissance avec parcimonie.
C’est en vérité dans l’émancipation de la souffrance et dans le rejet de la
douleur que réside l’amorce du processus résilient. L’athlète en phase de
résilience va se libérer de sa chrysalide sportive pour effectuer une nouvelle
transhumance vers un monde qu’il est prêt maintenant à accepter, après un
long chemin personnel.
Cette évolution humaine et humaniste nécessite une période
d’incubation, d’une durée plus ou moins longue, pour acquérir les outils de
gestion de l’altérité. C’est là que réside en réalité la double ironie de la
résilience chez le sportif. On observe tout d’abord que les athlètes les plus
rapides sont ici les plus lents. Quelqu’un de très lent est en réalité quelqu’un
qui prend le temps de réfléchir à sa stratégie et à l’économie psychique. Il
ne doit pas s’encombrer et reste concentré sur les sensations de son corps et
sur la direction. Comme l’escargot, il va doucement pour ne pas se faire
emporter par sa coquille, qui est la base de protection. Certes, il est lent,
mais il optimise, il se sécurise. La lenteur n’est qu’une notion de vitesse, et
l’escargot ne connaît pas la lenteur.
Par ailleurs, le sport est le pansement qui mène au processus résilient et
l’en éloigne également. L’enjeu pour l’athlète est de savoir s’arrêter et se
délester du sport pour s’ouvrir à la progression. À l’origine de la souffrance
et à travers la compétition, un athlète est prêt à mourir pour sa discipline et
pour exister au regard des autres qu’il ne veut pas voir. À la découverte de
la douleur, il renonce à mourir, car il ne veut pas faire de peine à l’autre
qu’il recherche ou redécouvre. Le processus résilient peut démarrer
lorsqu’il devient enclin à rechercher le regard de son tuteur de résilience, et
que ce dernier n’est plus sur la ligne d’arrivée.
Sport paralympique et résilience

PAR OTTO J. SCHANTZ

Quand en 1956, lors des Jeux de la XXVIe  olympiade, l’hymne des


États-Unis résonne dans le stade de Melbourne, Harold Connolly a du mal à
réaliser ce qui lui arrive. Au lieu de se tourner vers la bannière étoilée de
son pays, son regard reste fixé sur les spectateurs dans les tribunes. Le
Soviétique Mikhail Krivonosov, médaillé d’argent de cette compétition de
lancer de marteau, lui pose la main sur la hanche pour le diriger dans la
bonne direction afin qu’il respecte le protocole olympique. Connolly est
dépassé par les émotions, il ne peut pas croire qu’il est champion
olympique. À la demande des photographes qui veulent qu’il lève les mains
en signe de victoire, il n’élève que son seul bras droit  : suite à des
complications périnatales et à de multiples fractures dans l’enfance, son
bras et sa main gauche sont en effet atrophiés et malformés. Dans ses
mémoires d’enfance, il rapporte : « J’ai commencé à me considérer comme
un exclu […] et j’ai réagi en ignorant mes compagnons éclopés. Je voulais
entrer dans la société normale. J’étais une personne handicapée et je
connaissais cette lutte sans fin de tout essayer sans réussir. À l’époque on ne
traitait pas les handicapés avec dignité. Je ne supportais pas d’être traité
autrement 1.  » En  1991, il avouera à un journaliste du New York Times  :
«  Rien que la pensée d’être traité de manière paternaliste me rendait
malade. Je voulais jouer selon les règles, et non pas selon des règles
adaptées aux handicapés 2.  » Si Connolly n’était pas né avec un bras
atrophié, il n’aurait probablement pas consacré tant d’énergie, d’efforts et
de temps à l’entraînement de ses bras pour compenser son handicap, voire
pour dépasser des athlètes dits valides.
Le témoignage de Jérôme Thomas, ancien champion du monde et
médaillé de bronze aux Jeux olympiques de Sydney en boxe, va dans le
même sens  : «  Quand j’ai commencé la boxe, j’étais un enfant frêle, je
devais peser 25 kilos, j’étais petit et maigre. Mais l’entraîneur ne m’a
jamais fait remarquer ma petite taille et ma petite forme physique. Pour
moi, cela a toujours été une motivation, une façon de prendre ma revanche
sur la vie. » Et il précise qu’il a retourné sa déficience en avantage : « Avec
le temps et les nombreux entraînements, j’ai fait de ce handicap une force.
Une force mentale, bien sûr, mais aussi un atout dans mon jeu. Je suis
malgré mon handicap au côté gauche – mon bras est plus court que le droit
et je n’ai pas de muscle au pectoral – plus rapide de ma gauche. J’arrive à
surprendre mes adversaires et à les toucher sans qu’ils ne s’y attendent. Je
dois avoir la plus grande explosivité des boxeurs amateurs au monde 3. »

Des exploits extraordinaires
Ces deux sportifs ont réussi au plus haut niveau. Leur handicap de
départ s’est révélé un avantage à l’arrivée. De même pour Wilma Rudolph
qui, après avoir souffert de poliomyélite, s’est acharnée à exécuter ses
exercices de rééducation afin de retrouver le contrôle de ses jambes et qui a
finalement surcompensé son déficit en devenant la femme la plus rapide du
monde. L’élégance de son style et sa vélocité de course lui ont même valu
dans les années 1960 le surnom de «  gazelle noire  » –  expression censée
décrire sa foulée ample et légère, qui n’est pas sans connotation raciste.
Il y a bien d’autres sportives et sportifs qui ont fait de leur présumée
faiblesse une force. En 2006, le Néo-Zélandais Mark Inglis gravit l’Everest
avec deux prothèses qui remplacent ses pieds, auparavant gelés lors d’une
ascension du Mount Cook. Le 21 mai  2013, Arunima Sinha, ancienne
joueuse de volley-ball et de football de niveau national amputée d’une
jambe (en dessous du genou) suite à un accident, atteint elle aussi le
sommet le plus haut du monde. Le Français Phillipe Croizon, qui a perdu
ses bras et ses jambes dans un accident, traverse quant à lui la Manche à la
nage, une épreuve considérée comme « l’Everest » des nageurs de longues
distances.
On pourrait aisément rallonger la liste des personnes en situation de
handicap qui ont réussi de tels exploits. Nombreux sont les athlètes
paralympiques qui ont fait preuve de résilience, qui ont surmonté les
adversités, qui ont trouvé la merveille dans leurs malheurs pour réussir à
être à la hauteur, voire battre ceux que l’on appelle les athlètes « valides 4 ».

Handicap de naissance et handicap


au cours de la vie
Le processus de résilience diffère selon que la déficience est de
naissance ou consécutive à un traumatisme. Dans ses mémoires, Oscar
Pistorius, « l’homme le plus rapide sans jambes », raconte que c’est à l’âge
de 3 ans qu’il a compris que ses jambes étaient différentes de celles des
autres, sans y voir non plus un problème : tous les matins, son frère mettait
ses chaussures et lui, tout naturellement, chaussait ses prothèses. «  C’était
exactement la même chose pour moi », explique-t-il 5. De même, le pasteur
allemand Rainer Schmidt, qui a gagné de nombreuses médailles aux Jeux
paralympiques comme joueur de tennis de table, ne s’est rendu compte de
sa différence que le jour de sa scolarisation dans une école spécialisée – il
en parle comme d’un «  choc de culture  ». Voyant tous ces enfants
difformes, il éclate en pleurs. Il prend alors conscience qu’il se trouve dans
cette école parce qu’il ne correspond pas à la norme avec ses moignons de
bras –  sa malformation prénatale est due aux effets tératogènes de la
thalidomide, un médicament sédatif et antinauséeux utilisé par certaines
femmes enceintes dans les années 1950-1960 6.
Pour ceux qui se trouvent en situation de handicap dès la naissance ou
le jeune âge, on observe un processus plus ou moins lent et long au cours
duquel ils tentent d’être acceptés, d’être comme les autres, voire de
dépasser ceux qui sont considérés comme « normaux ». L’Irlandais Ronan
Tynan, chanteur ténor renommé, médecin et multiple champion
paralympique, a relaté dans son autobiographie sa participation à une course
de sacs dans son école 7, qui va marquer durablement son attitude envers la
vie. Il ressent d’abord une énorme déception de n’avoir terminé que
deuxième, après avoir été encore en tête à quelques centimètres de la ligne
d’arrivée ; puis il éprouve le sentiment d’être victime d’une injustice ; enfin,
il se rend compte que, malgré ses jambes atrophiées dues à une phocomélie,
il a réussi à battre de nombreux concurrents. C’est à partir de ce moment
qu’il décide de ne plus jamais revendiquer la moindre faveur à cause de son
handicap et de devenir champion. Certes, en sport, il ne sera jamais
compétitif au niveau olympique, comme Harold Connolly ou Jérôme
Thomas, et ses succès sportifs se limiteront aux compétitions
paralympiques, mais dans le domaine de la musique, il réussira hors
catégories en devenant l’un des meilleurs ténors du monde.
Beaucoup d’athlètes qui sont nés avec un handicap ont eu la chance de
grandir dans un milieu leur permettant de le vivre plus ou moins comme
une normalité ; ils ont profité d’un environnement favorable leur offrant dès
l’enfance des tuteurs de résilience. Ce soutien social est tout aussi important
dans le cas d’un handicap résultant d’un accident ou d’un traumatisme. Les
sportifs et sportives qui se trouvent dans cette situation vivent en général le
processus de résilience différemment des handicapés de naissance. Ils
passent par des moments de dépression extrêmement difficiles, pouvant
mener jusqu’à des tentatives de suicide comme dans le cas de l’athlète
Wojtek Czyz, amputé à l’âge de 21 ans d’une jambe, avant qu’il ne
devienne champion paralympique 8. Philippe Croizon lui aussi a fait deux
tentatives de suicide avant d’accepter finalement son handicap et de devenir
un sportif accompli. Après un premier stade de déni, de refus de la réalité, il
importe de pouvoir accepter la nouvelle situation afin de ne pas sombrer et,
finalement, de reprendre goût à la vie et de rebondir.

Athlète handicapé : un oxymoron


Communément, le sport est considéré comme un des moyens privilégiés
pour aider les personnes en situation de handicap à se prendre en charge et à
améliorer leur autonomie. Il peut être un facteur de résilience et le succès
sportif est, en général, le signe d’une résilience réussie. Toutefois, cela ne
va pas de soi. L’expression «  athlète handicapé  » est bien un oxymoron 9,
car le sens commun associe l’idée d’athlète à celle d’un corps sain,
dynamique, vigoureux et beau ; en contraste, le handicap évoque un corps
malade, apathique, chétif et mutilé.
Par définition tout athlète handicapé est déficient  : pour avoir le statut
d’athlète paralympique il doit présenter une déficience minimale définie par
le règlement. En raison de cette déficience il fait partie des personnes en
situation de handicap, mais il est aussi un sportif qui s’entraîne afin
d’augmenter ses capacités athlétiques et de réussir des performances qui
méritent respect et admiration. Le nombre de personnes qui, malgré des
déficiences sévères, font preuve de capacités sportives extraordinaires est
impressionnant et les médias témoignent régulièrement de ces performances
sensationnelles. L’époque est révolue où la « réhabilitation » constituait le
seul objectif de l’activité physique et sportive pour les personnes en
situation de handicap. Désormais, celles-ci revendiquent le même droit au
sport que tout le monde, dans toute sa diversité, sous toutes ses formes et
modalités : elles pratiquent de nombreux sports pour des raisons de santé ou
de récréation, mais aussi à haut niveau, à la recherche de performances
singulières, de records.

Le sport comme remède psychique


et physique
De nombreuses études montrent que les activités physiques et sportives
sont bénéfiques pour les personnes en situation de handicap, aussi bien sur
le plan physique que sur le plan psychique 10. Celles-ci contribuent, en effet,
à réduire le stress 11, améliorent le contrôle d’humeur 12 et combattent la
dépression ainsi que certains symptômes d’anxiété 13. Pour les personnes en
situation de handicap, la pratique sportive peut aussi devenir une source
d’empowerment, de démarginalisation : c’est une occasion de se prendre en
charge et de faire preuve de capacités physiques et mentales 14. Par ailleurs,
elle favorise les interactions et les expériences sociales 15 et contribue à
l’augmentation de l’estime de soi et du bien-être général 16.
Une étude a ainsi comparé la qualité de vie de 30 athlètes amputés et
paraplégiques de haut niveau avec celle de 30  personnes comparables qui
ne pratiquaient pas de sport. Les résultats indiquent que les sportifs sont
plus satisfaits de leur vie, aussi bien sur le plan physique, psychique que
social 17. Ce sentiment de bien-être s’améliore probablement en fonction de
l’intensité de la pratique sportive et du succès : les athlètes de haut niveau
en situation de handicap semblent avoir une perception de leur niveau de
bien-être plus positive que leurs pairs qui ne pratiquent le sport que pour le
loisir 18. Pourtant, le sport n’est pas forcément un facteur de résilience
capable de compenser le handicap, comme l’on pourrait le croire en
étudiant les biographies de certains champions paralympiques. En mesurant
la résilience auprès de 204 athlètes atteints de déficiences physiques, on a
pu constater que les scores sur l’échelle de résilience de Wagnild et Young
étaient en moyenne significativement moins élevés que dans des études
comparables avec des groupes de personnes dites «  valides  ». Des
différences ont également été retrouvées selon le type de handicap : plus les
capacités fonctionnelles du corps sont réduites et plus le score de résilience
est faible 19.
Pour faire face à la perte de fonctions naturelles, un appareillage
approprié et efficace est essentiel. Il peut permettre de rétablir la mobilité et
d’autres fonctions du corps. La pratique sportive contribue à développer une
maîtrise habile des prothèses ou des fauteuils et aide ainsi à accepter et à
«  incorporer  » ces appareillages qui deviennent alors une ressource
matérielle de résilience 20. Sous certaines conditions, cet appareillage peut
même permettre de dépasser la catégorie paralympique pour accéder au
niveau olympique, comme dans le cas d’Oscar Pistorius qui, amputé de
deux tibias, a participé aux Jeux olympiques de Londres en 2012. De tels
dépassements à l’aide de la technologie ne vont pas sans susciter des débats
passionnels. En effet, ils perturbent la hiérarchie habituelle du sport qui,
selon une logique gravée dans les représentations collectives, établit des
classements sur la base de qualités et d’efforts naturels, proscrivant toute
aide artificielle. Pourtant, vu les progrès technologiques, il faut s’attendre
dans l’avenir à ce que certaines athlètes ne compensent pas seulement leurs
déficiences, mais deviennent de véritables cyborgs dépassant les limites des
capacités humaines…
Le sport dans le processus de résilience
Un modèle du processus de résilience a été établi qui, selon les qualités
individuelles de résilience et selon l’environnement social, aboutit à
distinguer quatre types de réintégration après un traumatisme provoquant
une situation de handicap  : 1)  la  réintégration résiliente, 2)  l’homéostasie
bio-psycho-spirituelle, 3)  la  réintégration avec une perte, ou 4) la
réintégration dysfonctionnelle 21.
En termes de résilience, le sport semble avoir deux fonctions
essentielles  : d’une part il constitue un espace qui permet et favorise les
interactions avec d’autres personnes, notamment les membres du club
sportif ou les coéquipiers qui généralement constituent un support social
considérable  ; d’autre part, il procure de nombreuses occasions et
expériences qui peuvent avoir un effet favorable sur le processus lui-même
de résilience. Le sport peut favoriser le sentiment d’auto-efficacité, il offre
des occasions d’apprendre et de pratiquer des stratégies pour faire face aux
difficultés (coping skills) ; il aide à adopter des attitudes positives et fournit
des occasions permettant d’apprendre à se motiver et à persister 22.
Sur la base de ce modèle, le processus de résilience a été analysé auprès
de sportifs victimes d’un traumatisme de la colonne vertébrale. Douze
hommes entre 21 à 41 ans, tous joueurs de rugby en fauteuil, ont été
interviewés afin de mieux comprendre le rôle du sport dans l’évolution de
la résilience 23. Les entretiens confirment que le sport procure des
expériences de réussite. Une pratique régulière et intense permet en général
de constater des progrès de performance qui favorisent un sentiment d’auto-
efficacité, de pouvoir, de confiance en soi et de maîtrise de soi 24. Les
athlètes confirment que le sport favorise l’apprentissage de coping skills et
qu’il aide à adopter une attitude positive, à se fixer des objectifs et à se
focaliser sur l’important 25. Mais l’étude montre avant tout que le sport est
un moyen de se procurer des ressources sociales ; les interactions avec les
coéquipiers qui ont un vécu similaire sont un soutien considérable pour ces
athlètes et contribuent à les aider à surmonter les problèmes dus à leur
traumatisme 26. Tous les participants de l’étude soulignent l’importance de
l’aide des autres, notamment de la famille, des amis, des coéquipiers, des
entraîneurs, des amis ou encore des collègues 27. En tête des facteurs de la
résilience, «  vient la rencontre avec une personne signifiante  », comme le
constate Boris Cyrulnik 28. L’importance de ce type de ressources est
confirmée par les autobiographies de certains athlètes de haut niveau. Par
exemple, le champion de course en fauteuil Mustapha Badid 29 souligne le
soutien de son frère, l’athlète olympique et paralympique Oscar Pistorius 30
et la multiple championne paralympique australienne Louise Sauvage 31
mettent en avant l’aide de leurs parents respectifs, le sprinter Wojtek Czyz 32
celle de son entraîneur.
Le sport d’équipe semble une ressource sociale particulièrement
efficace. Certes, la pratique des sports individuels ne se limite pas aux
compétitions individuelles contre d’autres sportifs, notamment lors des
entraînements. Pourtant, on risque d’être plus souvent confronté de manière
isolée à des situations de concurrence rude. John Maclean 33, coureur et
triathlète australien en fauteuil, rapporte ainsi dans son autobiographie son
sentiment d’isolation et d’exclusion par ses concurrents après avoir gagné la
qualification tant convoitée pour les épreuves d’une course de 1 500 mètres
en fauteuil, dite de démonstration, lors des Jeux olympiques dans sa ville
natale de Sydney en 2000.

Le mouvement sportif pour les personnes


en situation de handicap
Durant la Première Guerre mondiale déjà, on utilise le sport comme
moyen de réhabilitation pour les personnes ayant subi des blessures
traumatiques  ; dans les hôpitaux américains et allemands, on essaie
d’accélérer ainsi le processus de réhabilitation chez les blessés de guerre,
mais c’est dans le but de les renvoyer le plus rapidement possible sur le
champ de bataille… Ce sont, toutefois, ces activités de réhabilitation qui
vont être, peu de temps après la Seconde Guerre mondiale, à l’origine du
mouvement paralympique.
Le 29 juillet 1948, le chirurgien Ludwig Guttmann organise, en effet,
une compétition pour les personnes en situation de handicap dans son
hôpital de Stoke Mandeville où il soigne des vétérans blessés de la moelle
épinière. La date a été choisie pour des raisons symboliques : le même jour,
à une trentaine de kilomètres de distance, se déroule l’ouverture des Jeux de
la XIVe olympiade à Londres. Dès son origine, le mouvement paralympique
est attiré par les Jeux olympiques et va se battre pour obtenir ce statut et
cette reconnaissance. Guttmann, comme beaucoup de dirigeants
paralympiques, rêve de rejoindre le mouvement olympique. Ils nomment
leurs jeux « Jeux olympiques pour les paralysés », « Jeux olympiques pour
les handicapés  », «  Torontolympiad  » et, finalement, «  Jeux
paralympiques ».
Après la première édition de 1948, le docteur Guttmann va réorganiser
cette compétition tous les ans, et c’est en 1952 qu’elle devient
internationale avec la participation d’athlètes hollandais. Malgré ses
aspirations olympiques, l’objectif principal de Guttmann demeure la
rééducation par le sport, qu’il utilise comme moyen de réinsertion et de
rééducation de ceux qu’on appelle à l’époque les «  grands blessés de la
moelle épinière ». Sur le plan médical, le médecin améliore leur traitement
par l’application systématique d’activités physiques ; sur le plan sportif, il
est à l’origine du mouvement paralympique, mais, comme il le précise lui-
même, son objectif principal est de réinsérer ces personnes dans la vie du
pays pour qu’elles redeviennent des contribuables, des tax payers. Ce qu’il
veut au fond, c’est une véritable intégration qui leur permette de participer
et contribuer de nouveau à la société au lieu d’en être dépendants.
Les Jeux paralympiques vont ainsi évoluer rapidement. En 1960, à
Rome, lors des premiers Jeux paralympiques, il n’y a encore que 400
participants de 23 pays et ces jeux sont réservés aux athlètes en fauteuil. Un
peu plus de cinquante ans après, en 2012 à Londres, six fois plus de pays
(164) et dix fois plus d’athlètes (4  200), appartenant à une multitude de
catégories de déficience, y participent. Et, en 2016, plus de 4 300 athlètes
de 159 pays ont participé aux Jeux paralympiques de Rio de Janeiro.

Les Jeux paralympiques : un festival


de résilience ?
En 2004 dans le stade olympique d’Athènes, Wojtek Czyz se demande
qui est ce monsieur qui lui a remis la médaille d’or et lui a serré la main. Il
l’a déjà vu tellement de fois à la télévision, mais dans son état de transe, il
ne reconnaît pas Gerhard Schröder, le chancelier du pays pour lequel il
participe aux Jeux paralympiques. Wojtek Czyz est débordé par l’émotion :
à Athènes son rêve est devenu réalité, comme il l’avouera dans ses
mémoires intitulés Comment j’ai perdu ma jambe et comment je me suis
retrouvé 34. Tout comme Philippe Croizon 35 et de nombreux autres athlètes
paralympiques, il raconte qu’il considère son accident comme une chance,
qu’il a triomphé de son passé grâce au sport et que son malheur est
finalement devenu ainsi « merveilleux 36 ».
En lisant les biographies impressionnantes de certains athlètes
paralympiques, on pourrait avoir tendance à souscrire sans hésiter au titre
de l’article, paru dans une revue allemande spécialisée dans le coaching, qui
présente les Jeux paralympiques comme un «  festival de la résilience 37  ».
Pourtant, ces Jeux et le concept même de résilience appliqué aux personnes
en situation de handicap ne sont pas sans susciter des contestations,
notamment par les personnes en situation de handicap elles-mêmes.

Des attitudes ambiguës
La jeune femme qui monte sur la plus haute marche du podium, après
avoir gagné la finale du 100 mètres papillon, est triste. Elle aurait tant aimé
participer, tout comme en 2008 à Pékin, aux Jeux olympiques, et pas
seulement aux Jeux paralympiques – à la suite d’un accident de scooter, sa
jambe gauche a dû être amputée au niveau du genou. Mais la nageuse sud-
africaine Nathalie du Toit a raté en 2012 sa qualification olympique pour le
10 kilomètres nage en eau libre, battue d’un dixième de seconde par sa
compatriote Jessica Parker. Quatre ans auparavant, en terminant quatrième
les 10 kilomètres aux championnats du monde, elle s’était qualifiée pour les
Jeux olympiques à Pékin où elle avait réussi à obtenir la seizième place
malgré son handicap 38.
Les attitudes envers le mouvement paralympique sont généralement
ambiguës  : d’un côté, on admire la volonté et les prouesses des athlètes
paralympiques et on les considère comme des héros qui ont surmonté leur
sort difficile  ; de l’autre, on éprouve de la pitié pour eux. Si les Jeux
olympiques reflètent une sorte de darwinisme social dans les arènes
sportives, les Jeux paralympiques, par contre, évoluent dans un espace de
liminalité, logés dans un entre-deux 39. Ils ne font pas vraiment partie du
sport-spectacle, professionnel et féroce, mais ils ne sont pas non plus un
téléthon, un événement caritatif. Étrangement, le mouvement paralympique
ne semble pas utiliser le potentiel créateur qui caractérise en général les
stades de liminalité 40 ; il tend plutôt à copier son grand frère, le mouvement
olympique, prenant ainsi le risque de rester une pâle copie à l’ombre de
l’original. De leur côté, en perpétuant les standards de beauté physique, de
fitness, en propageant la logique de la performance absolue, les Jeux
olympiques contribuent à exclure les personnes en situation de handicap,
car ils encouragent une vision du monde ableist, par référence aux
personnes capables (« able  ») et sans handicap, qui se trouvent posées en
norme sociétale.
L’écart entre les deux Jeux et les deux mouvements est plus large que
les dirigeants des deux organisations ne veulent le faire croire. Les Jeux
olympiques et les Jeux paralympiques se trouvent en opposition binaire et
hiérarchique. Tant que la logique de la performance absolue dominera dans
le sport, tous ceux qui ne font pas partie des spectaculaires catégories du
plus haut niveau resteront à la marge. Les sportifs et plus encore les
sportives paralympiques seront considérés comme des athlètes de deuxième
classe. Ils seront les perdants dans un monde sportif basé sur le marché et
l’entreprise libre 41. Certes, il y a bien des athlètes paralympiques qui attirent
l’attention des médias et qui sont devenus des stars, mais leur notoriété se
limite encore trop souvent à leur pays d’origine, comme c’est le cas de
Louise Sauvage pour l’Australie, Rick Hansen pour le Canada, Béatrice
Hess pour la France ou Teresa Perales pour l’Espagne. Pour dépasser la
seule notoriété nationale, il leur faut d’abord dépasser les frontières du
cercle paralympique et avancer sur le territoire olympique – comme l’a fait
notamment Oscar Pistorius, classé par le magazine Time parmi les cent
personnes les plus influentes du monde, qui en a fait la « définition même
de l’inspiration au niveau mondial 42  ». Malheureusement, ce même
Pistorius est devenu peu après surtout connu pour son implication dans un
horrible crime…
Actuellement les Jeux paralympiques sont le deuxième événement
multisport dans le monde. Depuis les Jeux de 1988 à Séoul, où les athlètes
paralympiques ont pour la première fois utilisé les mêmes installations
sportives que leurs collègues olympiques, l’intérêt des médias pour cet
événement s’est considérablement développé. Des études montrent
cependant que sa couverture médiatique est toujours beaucoup moins
importante que celle des Jeux olympiques 43. De plus, les athlètes
paralympiques sont souvent présentés de manière stéréotypée comme
victimes de leur sort, comme différents ou autres. Les Jeux paralympiques,
et avec eux les participants, sont ainsi toujours marginalisés 44.
Comme les athlètes paralympiques ne correspondent en général pas aux
valeurs socialement construites que l’on attribue aux sportifs et sportives de
haut niveau – la force physique, la virilité et l’attrait érotique –, ils suscitent
relativement peu d’intérêt auprès des médias et du grand public 45. Les
sportives paralympiques souffrent même d’une triple discrimination : elles
ne répondent souvent pas à l’image de l’athlète physiquement indemne et
«  capable  », n’ont pas la virilité des sportifs et ne possèdent pas le sex-
appeal de la plupart des sportives olympiques 46. Cette médiatisation, plus
ou moins discrète et stéréotypée selon les pays, ainsi que le faible intérêt du
public peuvent être ressentis comme l’expression d’un manque de
reconnaissance du mouvement paralympique. Cela ne contribue pas à
augmenter l’estime de soi des athlètes en situation de handicap. S’ils
profitent d’un certain respect et d’une certaine attention, ce n’est
généralement que pour la courte période des Jeux. Quelques rares athlètes
paralympiques comme Oscar Pistorius peuvent attirer l’attention publique
sur une période plus longue. Mais ils doivent cet intérêt moins à leurs
exploits sportifs qu’à leur statut de cyborg et à une intrusion dans le monde
olympique qui suscite de vives discussions publiques.

Le sport, un facteur de résilience pour


tous les athlètes en situation
de handicap ?
Pour l’athlète paralympique le sport peut être un facteur de résilience,
notamment quand il réussit et quand il reçoit de la reconnaissance. Mais la
pratique sportive de haut niveau est aussi un stress. L’entraînement
contraignant et épuisant s’ajoute à tous les inconvénients et obstacles dus à
la déficience auxquels ces personnes sont confrontées dans leur vie
quotidienne. Beaucoup d’athlètes paralympiques souffrent aussi du manque
de reconnaissance publique. Ils fournissent les mêmes efforts que les
athlètes olympiques mais, aussi bien sur le plan symbolique que matériel,
leurs récompenses sont en général nettement inférieures. Ce manque de
reconnaissance peut constituer un facteur antirésilient. Lors de nos
interviews avec des participants aux Jeux paralympiques, nous avons
ressenti la frustration de ces athlètes pour qui les médailles paralympiques
ne sont finalement que des « médailles en chocolat ».
Certains athlètes semblent refouler ce manque de reconnaissance en
fuyant dans une fausse équivalence entre Jeux paralympiques et
olympiques. Ils ne font pas la différence entre olympique et paralympique.
Beaucoup d’athlètes se bercent ainsi de l’illusion d’être des athlètes
olympiques. Lors de nos interviews, nous avons souvent entendu des
phrases comme : « j’ai participé aux Jeux olympiques » ou « j’ai gagné une
médaille olympique  ». Certes, le rêve peut être un facteur de résilience 47,
mais quand ce rêve n’est qu’illusion et quand cette illusion s’évapore deux
semaines après les Jeux parce que personne ne s’intéresse plus à vous,
l’expérience paralympique peut devenir une expérience antirésiliente. Après
avoir cru investir tous ses efforts dans la construction d’une cathédrale, pour
reprendre la fable des casseurs de cailloux attribuée à Charles Péguy 48, on
se rend compte que finalement c’était pour la petite chapelle à l’ombre de la
cathédrale…
Processus de résilience et environnement
social et culturel
Le processus de résilience individuel ne peut pas être dissocié de
l’environnement, social et culturel. C’est souvent ce dernier qui dresse les
barrières antirésilientes 49, car c’est la société qui définit les critères de
réussite et de bien-être. Dans le domaine du sport de haut niveau, seule la
performance absolue est vraiment reconnue. Sur les stades on est dans le
règne du survival of the fittest et le sport de haut niveau est un facteur de
résilience principalement pour ceux qui réussissent à mettre en scène leurs
performances selon les normes dictées par les « valides ».
Voilà pourquoi Katherine Runswick-Cole et Dan Goodley sont
convaincus qu’il ne suffit pas d’augmenter les capacités individuelles et le
soutien familial si l’on veut favoriser la résilience des personnes en
situation de handicap  : il faut aussi mettre en cause les barrières sociales,
structurelles et liées aux attitudes qui sont antirésilientes dans la vie de ces
personnes 50. Dans une perspective constructiviste, le processus de résilience
peut être perçu «  comme le résultat de négociations entre des individus et
leur environnement qui ont comme but d’obtenir les ressources permettant
de se définir en bonne santé malgré des conditions considérées
communément comme adverses 51  ». Selon cette définition, les ressources
disponibles pour les individus –  ressources individuelles, sociales, mais
aussi matérielles, y compris les aides technologiques pour compenser des
pertes fonctionnelles – influencent donc largement le processus.

La résilience : un concept controversé


dans le domaine du handicap
Dans les disability studies, la discipline universitaire qui étudie le
handicap, le concept de résilience est controversé 52. On lui reproche
notamment d’être trop individualiste et trop axé sur des résultats qui se
réfèrent aux critères de la « normalité ». Effectivement, comme le souligne
Boris Cyrulnik, «  certaines structures sociales proposent aux blessés des
types de développement qui limitent la résilience 53 ».
Alors, les Jeux paralympiques sont-ils vraiment un festival de
résilience  ? Au vu des nombreuses biographies d’athlètes en situation de
handicap qui considèrent le sport comme un facteur essentiel de leur vie
réussie, on est tenté de répondre affirmativement, sans aucune hésitation.
Pourtant, des critiques remettent en question l’impact des Jeux
paralympiques, ou d’autres compétitions sportives de même nature, sur la
communauté des personnes ordinaires en situation de handicap : celles-ci ne
pourraient pas s’identifier avec ces sportifs et sportives extraordinaires qui
souvent ressemblent à des cyborgs, affûtés pour la compétition.
Dans le Washington Post du premier juillet 2001 la journaliste Kathie
Wolfe relate l’anecdote suivante  : «  “Vous devez être tellement excitée  !
C’est génial ce que les personnes aveugles peuvent faire !”, a dit la femme
debout à côté de moi au Starbucks il y a quelques semaines. J’ai gémi
intérieurement tandis que je repliais ma canne blanche et je me suis assise
avec mon café. Erik Weihenmayer venait de devenir le premier homme
aveugle à escalader le mont Everest, ce qui lui avait valu une apparition
dans le show télévisé Today et à la une du magazine Time. Les gens voyants
étaient inspirés à nouveau et je savais ce qui allait arriver. “Alors ?, a-t-elle
poursuivi, quand allez-vous vous mettre à escalader le mont Everest ?” 54 »

Les athlètes paralympiques comme


modèle ?
Les stars parmi les athlètes en situation de handicap qui font la une des
journaux et que l’on voit souvent sur les écrans de télévision ne sont pas
représentatives. Sans doute, au niveau individuel, le sport peut contribuer à
la résilience des athlètes, particulièrement de ceux qui réussissent dans leur
sport ; il peut les aider à sortir du « ghetto du handicap 55 », à mener une vie
autonome et accomplie, à être respectés, voire admirés. Mais de nombreux
représentants des disability studies et des militants issus de la communauté
des personnes en situation de handicap critiquent cette image stéréotypée du
supercrip – du « super-estropié 56 ». Elle ne sert en rien à l’émancipation de
la grande masse des personnes en situation de handicap ; en revanche, elle
nuit à leur résilience en suggérant que ce ne sont que les performances
extraordinaires qui méritent le respect. À ceux qui ne sont pas capables de
fournir des performances spectaculaires, la société refuse le respect et le
soutien social qui pourraient constituer des facteurs de résilience. Ainsi,
après les Jeux paralympiques de Londres en 2012, des membres de la
communauté britannique des personnes en situation de handicap se sont-ils
fait traiter de feignants et de parasites vivant sur le dos de l’État, au lieu de
fournir des efforts comme les athlètes paralympiques qui avaient bien
montré de quoi on est capable en situation de handicap pourvu qu’on le
veuille 57.
Pour la plupart des personnes en situation de handicap, ces supercrips
ne représentent pas un modèle à suivre, car ils ne sont pas du tout
représentatifs de la majorité 58. Certains affirment même que les Jeux
paralympiques contribuent finalement à la marginalisation de la
communauté des personnes en situation de handicap. L’existence de jeux à
part, pour des personnes identifiées comme étant en situation de handicap,
est pour Gerard Goggin et Chistopher Newell 59 un douloureux et permanent
rappel d’inégalité et d’injustice et sa présence perpétue le discours de
«  besoins spécifiques  » et «  d’événements spécifiques  ». L’existence de
deux Jeux distincts risque de renforcer et de cimenter le clivage entre les
athlètes olympiques et paralympiques, entre « handicapés » et « valides ».

Logique sportive et handicap


Aussi longtemps que le sport de haut niveau ne changera pas sa logique
de recherche de la performance absolue, il est utopique de penser que les
Jeux paralympiques, qui doivent se contenter d’exploits relatifs, vont
devenir des jeux vraiment parallèles aux Jeux olympiques. Le niveau du jeu
et le niveau des performances paralympiques seront toujours comparés aux
standards olympiques. Sans changement radical, il y aura toujours les jeux
glamours de première classe pour l’élite athlétique et les jeux de deuxième
classe pour les courageux paralympiens qui ont su surpasser leur « terrible
sort ».
Dans notre société friande de spectacles sportifs et obsédée par
l’apparence physique, la prouesse physique est souvent un indicateur de la
valeur générale d’une personne et de sa résilience, dans le sport mais aussi
dans d’autres domaines. En séparant le sport d’élite entre athlètes
« valides » et athlètes « handicapés », on risque de pérenniser l’image d’une
personne en situation de handicap qui vaut moins qu’une personne non
handicapée et d’aller ainsi à l’encontre de la capacité de résilience et de
l’empowerment de la communauté des personnes en situation de handicap.
La convention de 2006 relative aux droits des personnes en situation de
handicap, conçue par l’Organisation des nations unies (ONU), rappelle et
réaffirme que les droits communs à tous les hommes s’appliquent
entièrement aux personnes en situation de handicap et qu’ils doivent donc
leur être garantis dans tous les domaines de la société. Dans la plupart des
États de notre planète il y a une forte volonté politique de mettre en pratique
cette convention de l’ONU et d’œuvrer en faveur de l’inclusion sociale de
ces personnes. L’un des seuls domaines où leur exclusion ne semble pas
être mise en question est le sport de haut niveau. Sera-t-il un jour possible
de démolir ce dernier bastion du traitement inégal des personnes en
situation de handicap et de rendre le sport de haut niveau accessible pour
des compétitions inclusives ? Ou est-ce que la logique du sport s’oppose à
tout effort d’inclusion 60 ?
Si l’on demande à Marla Runyan ce qui a été son plus grand triomphe
sportif, elle ne va probablement pas mentionner ses cinq médailles d’or
paralympiques, mais sa huitième place en finale des 1 500 mètres lors des
Jeux olympiques de Sydney –  l’ordre de son palmarès sportif sur sa page
Internet témoigne qu’elle valorise les performances obtenues dans des
compétitions ordinaires  : d’abord ses deux participations aux Jeux
olympiques, sa quatrième place au marathon de New York, sa cinquième
place au marathon de Boston, etc., avant ses médailles paralympiques 61.
C’est en tant que participante aux Jeux olympiques qu’elle est reconnue
comme sportive de haut niveau à part entière ; cette reconnaissance est une
condition fondamentale du processus de résilience.
La logique du sport spectacle dans le sport d’élite ne connaît pas
véritablement de catégories  ; c’est l’absolu, le superlatif qui compte,
conforme à la devise olympique «  plus vite, plus fort, plus haut  ». Tous
ceux qui n’entrent pas dans ces critères sont des perdants sur le marché de
l’attention publique, à moins qu’ils ne puissent compenser leur faible
capital en performances absolues par d’autres facteurs médiatiques –  la
beauté et le charme pour certaines ou le fantasme du cyborg (Oscar
Pistorius). Pourtant, en modifiant les règles et l’équipement sportif, même
les compétitions olympiques pourraient davantage être rendues accessibles
aux athlètes en situation de handicap 62. Par exemple, le fait d’ajouter un
signal optique au signal acoustique pour donner le départ en natation a
permis de gommer le handicap de Terence Michael Parkin, un nageur sud-
africain atteint de surdité, lors de sa participation aux Jeux olympiques de
Sydney et de remporter une médaille d’argent sur 200 mètres brasse.
Pourquoi ne pas considérer le fauteuil roulant comme un équipement
sportif, tout comme la bicyclette, et introduire des courses en fauteuil pour
tous, indépendamment d’une catégorisation en personnes handicapées et
non handicapées  ? Il y a de nombreux sports et disciplines sportives qui
pourraient être rendus accessibles aux personnes handicapées, comme le
développé couché en powerlifting, différentes formes de tir, certaines
classes de bateaux à voile ou encore le tandem en cyclisme, pour n’en citer
que quelques-uns.

Respect et accessibilité
C’est en améliorant l’accès aux sports, par des mesures
d’accommodation et d’adaptation des équipements ou des règles, qu’on
pourra promouvoir l’inclusion des sportives et sportifs en situation de
handicap et favoriser davantage leur résilience 63. Toute catégorisation
risque de créer des structures hiérarchiques et hégémoniques et, finalement,
de marginaliser les groupes qui ne sont pas conformes à un modèle de sport
qui, somme toute, ne valorise vraiment que la performance absolue. Le fait
d’avoir deux catégories de Jeux, les uns pour les athlètes paralympiques, les
autres pour les athlètes olympiques, entretient une vision qui rabaisse les
uns et fait des autres la norme d’excellence.
Ce ne sont pas les standards de la société non handicapée qui devraient
procurer les référentiels exclusifs pour le succès de la résilience chez les
personnes en situation de handicap, même s’il y en a parmi elles qui
remplissent largement ces critères. Pour dépasser l’oxymoron «  athlète
handicapé » il faut, d’un côté, réduire le handicap par une amélioration de
l’accessibilité du sport et, de l’autre, redéfinir le terme d’«  athlète  » en
respectant aussi la performance individuelle relative. Pour que le sport
puisse développer tout son potentiel de résilience, aussi bien pour les
athlètes paralympiques de haut niveau que pour la large communauté de
personnes en situation de handicap, nous devons réduire les obstacles
handicapants, en supprimant les barrières d’accès au sport, y compris au
sport de haut niveau, afin d’améliorer l’inclusion et le respect de ces
personnes. Mais il faut aussi redéfinir le terme de «  sport  » et (re)mettre
davantage l’accent sur ses valeurs intrinsèques, tout en reconnaissant la
performance relative. «  En termes de processus de base par lequel un
homme ou une femme avance sur la route vers ou sur l’échelle de la
perfection relative, il y a en effet peu de différence philosophique entre
“olympisme” et “paralympisme”, entre athlète “olympique” et athlète
“paralympique” », insiste Fernand Landry 64.
Sport olympique et sport de haut niveau pour les personnes handicapées
ne sont pas incompatibles. Mais une inclusion durable des athlètes
handicapés dans la logique du sport de haut niveau demande des efforts
pour élargir au maximum les possibilités d’accès, pour que ces athlètes
puissent trouver des activités dans lesquelles ils peuvent être compétitifs au
plus haut niveau. Les Jeux olympiques devraient devenir plus accessibles
pour les athlètes en situation de handicap et les Jeux paralympiques, au lieu
de vouloir imiter leur grand frère olympique et suivre la logique du sport-
spectacle, se souvenir des valeurs de coopération, de solidarité, de
sociabilité et de performance relative, pour offrir ainsi un festival de joies et
de rencontres aussi à ceux qui sont atteints de déficiences sévères.
La reconnaissance des performances relatives comme de véritables
performances sportives et la reconnaissance des personnes en situation de
handicap comme des membres de notre société à part entière permettraient
à ces personnes de percevoir et de développer leurs capacités particulières.
Cette reconnaissance est une condition sine qua non pour développer une
estime de soi par le sport, qui peut alors devenir un puissant tuteur de
résilience 65.
Aventure, marche et résilience avec
des jeunes en souffrance

PAR DAVID LE BRETON

L’aventure comme ressource éducative


L’« aventure » s’érige aujourd’hui en outil à destination de la jeunesse,
renouant avec l’esprit du scoutisme et des expériences éducatives et
pédagogiques nées au début du XXe  siècle 1. Expéditions, raids, sports-
aventures emmènent des jeunes en souffrance ou en délicatesse avec la loi
sur les routes, les montagnes, les fleuves, les déserts, ou les mers, dans les
brousses ou ailleurs, sollicitent leur engagement physique et leur courage,
même si le plus souvent les dangers relèvent davantage du fantasme ou de
la méconnaissance du terrain que de réelles menaces. Les pratiques du
travail social se renouvellent et cherchent à atteindre les jeunes qui nouent
une relation privilégiée avec le risque. Parachutisme, escalade, alpinisme,
trekking sont ainsi devenus des activités de prédilection entre les mains des
éducateurs ou des animateurs. Certes, parler ici de « pratiques à risque » est
une manière de solliciter plutôt un imaginaire du risque. Sauter en
parachute après quelques cours ou escalader une paroi en étant bien assuré
n’expose guère au danger, mais pour le jeune impliqué dans ces activités,
l’appréhension vaut comme une instance de fabrication du sens, l’épreuve
octroie une meilleure confiance en ses capacités physiques ou morales,
restaure l’estime de soi et apprend à se situer au sein d’un groupe.
Par leur intensité physique, l’émotion née des risques perçus, réels ou
imaginaires, l’aspect collectif de l’entreprise, la responsabilité engagée les
uns envers les autres, ces pratiques de pleine nature ouvrent une voie
propice à l’acheminement du jeune vers l’autonomie. L’émotion qu’elles
dégagent, corollaire de la peur, de la fatigue, de l’arrachement à soi parfois
nécessaire pour l’accomplissement des gestes requis, marque la mémoire et
agit sur le sentiment d’identité plus efficacement (surtout pour ces
populations de jeunes en souffrance ou ayant maille à partir avec la justice)
que ne le ferait une activité plus tranquille et sédentaire. Mais le moteur de
ces entreprises est rarement (sinon jamais, pour des raisons éthiques et
déontologiques) le risque réel (sinon, pour eux, le risque de la rencontre
avec d’autres), mais plutôt le risque dans l’imaginaire (souvent urbain) du
jeune.
L’engagement dans une activité commune impliquant le voyage, c’est-
à-dire le dépaysement des repères et la confrontation à l’altérité, amène le
jeune à découvrir ses limites et il les accepte en voyant qu’il n’est pas le
seul à être déconcerté ou mis en difficulté. L’étayage du groupe, l’égalité
des situations, la confiance qui s’est instaurée autorisent à tolérer la peur,
l’indécision et à les transformer en occasion de mûrissement. S’il n’y a pas
de jugement, de mépris, de ressentiment les obstacles cessent d’être des
cassures narcissiques et deviennent des éléments d’une expérimentation sur
soi dans un contexte de relations propices au monde et aux autres. Le
voyage se mue alors pour chaque jeune en un espace de reconquête de soi
dans la relation aux autres, une étoffe de sens est instaurée qui rend le
monde plus hospitalier, plus accessible à la parole, à la négociation. Une
zone intermédiaire entre soi et l’autre, le dehors et le dedans s’ouvre alors
comme une possibilité de trouver un goût de vivre dans un univers de
création qui évoque ce que Winnicott nomme « cette zone intermédiaire de
l’expérience par laquelle ne se pose pas la question de savoir si elle
appartient à la réalité intérieure ou extérieure (partagée) [et qui] constitue la
partie la plus importante de l’expérience infantile. Tout au long de la vie,
elle se maintient dans cette expérience intense qui est celle des arts, de la
religion, de la vie imaginative, de la création artistique 2 ».
S’agissant de la marche, le danger est sans doute moindre, on y retrouve
cependant une logique de défi sur la longue durée. Elle sollicite une
endurance physique pendant plusieurs mois, une acceptation de l’incertitude
des événements en cours, l’accord de ne pas utiliser de portable ou
d’écouter de la musique. Pour ces jeunes qui ne se déplacent guère que d’un
pied d’escalier à un autre dans leur quartier, une marche de longue haleine
est une expérience insolite et qui relève d’un défi. D’autant qu’elle n’entre
pas dans une logique sportive. Pas de compétition avec les autres mais
seulement avec soi-même.
L’esprit de ces activités repose sur la conviction que rien n’est jamais
perdu dans une existence. Même si les conditions actuelles sont encore
néfastes, elles ne le sont jamais de manière définitive. Ce sont des
ajustements provisoires à des situations défavorables (maltraitances,
indisponibilité, abus sexuels, délinquance, etc.). Le jeune dispose de
ressources intellectuelles, relationnelles et physiques qu’il ne soupçonne pas
toujours et que seules les circonstances actualisent. Les «  séjours de
rupture  » s’inscrivent dans cette logique de démantèlement des anciennes
manières d’être pour une réinvention de soi sous une forme plus lucide,
active, avec une  estime de soi renouvelée, dans la conviction qu’il est
quelqu’un de valable. Le jeune qui s’est senti en danger en menant à terme
une expédition éprouvante, prend conscience de ses ressources
personnelles, il est fier d’avoir réussi. Plonger le jeune dans une situation
difficile, et, à ses yeux, dangereuse ou incertaine, en le laissant développer
avec les autres sa créativité et son courage est aujourd’hui un domaine
important des activités physiques de pleine nature dans le cadre du travail
social, même si ces activités, comme le souligne Thierry Trontin 3, l’un des
acteurs engagés dans ces pratiques, sont loin d’être acceptées par
l’ensemble de la profession et des institutions.

Des jeunes en rupture
La marche est souvent guérison, elle procure la distance physique et
morale propice au retour sur soi, la disponibilité aux événements, le
changement de milieu et d’interlocuteurs, et donc l’éloignement des
routines personnelles. Elle ouvre à un emploi du temps inédit, à des
rencontres, selon la volonté de chance du marcheur ou du voyageur…
Comme l’anthropologie recherchant le « regard éloigné », elle est propice à
une redéfinition de soi. Ces ressources propres à la marche et au voyage
sont souvent utilisées par le travail social comme activités de médiation
proposées aux jeunes en souffrance.
Le mal de vivre adolescent ou l’immersion dans la délinquance ne sont
nullement une fatalité, ils n’augurent en rien d’une voie toute tracée. Chez
ces adolescents délinquants ou immergés dans les conduites à risque, les
tuteurs de résilience que sont les parents ou les enseignants, les adultes de
leur entourage ont échoué à les réconcilier avec le monde, à leur donner le
goût de vivre. La parole d’August Aichhorn reste pertinente aujourd’hui  :
«  Une carence éducative est à l’origine de tout délit. Celui qui y a été
poussé ne peut être tenu pour responsable et la priorité doit être de remédier
à cette carence éducative 4.  » Bien entendu, il ne s’agit nullement
d’«  excuser  », mais de prévenir ou de pallier ces failles pour donner leur
chance à ces jeunes.
La formule de la résilience pour un individu est toujours singulière, elle
n’est jamais la résultante de schémas préétablis ou d’une structure
psychique quelconque. Avec les mêmes soutiens, les uns s’en sortent,
d’autres non. Seul importe ce que le jeune fait de ces structures, des
soutiens dont il dispose, il n’est jamais passif devant les circonstances, il
s’approprie son histoire pour la transformer, il n’est jamais sous l’influence
pure des autres à son entour depuis sa naissance, mais de ce qu’il fait lui-
même de ces influences. Il est toujours en négociation avec les événements,
il ne les prend jamais de plein fouet, il dispose de ressources de sens
propres à les amortir, ou pour un autre à les amplifier s’il campe dans une
position de victime qui lui donne un statut, une reconnaissance par défaut.
La plupart de ces jeunes en souffrance trouvent un jour une issue et
donnent une signification et une valeur à leur existence. De ce moment le
juge a posé un premier jalon en surprenant le jeune délinquant qui
s’attendait à une répression de ses actes ou à une sévère admonestation. Son
système d’attente vole soudain en éclat devant un homme ou une femme
d’autorité qui loin de lui imposer la prison ou une punition lui demande de
choisir lui-même entre une sanction ou une longue marche. La marche est
une suggestion inattendue, elle ne bénéficie guère de valorisation, surtout
pour les jeunes générations, avec son éloge de la lenteur, du silence, de la
contemplation, de l’intériorité, etc. 5. En revanche, elle a l’attrait d’une tâche
impossible, elle est un défi qui devient acceptable si le jeune apprend
qu’une poignée d’autres ont réussi. Une longue marche est aussi à ses yeux
une aventure, un accomplissement physique, un dépaysement susceptible de
l’attirer. S’il accepte cet appel de l’ailleurs, il rompt le temps circulaire de
sa délinquance ou de ses routines de souffrance. Il n’est plus dans un temps
prévisible et répétitif, il relance la durée vers l’inattendu. Il commence un
travail intérieur sur la personne qu’il sera peut-être au terme de l’épreuve, il
retrouve un projet et coupe court à ses ruminations antérieures. Pour
d’autres jeunes, la surprise est venue de la proposition déconcertante d’un
travailleur social de les emmener ailleurs, dans un autre pays pour une
longue marche, en opposition avec les activités habituelles de leur
établissement. Rupture radicale de la sédentarité qui imprègne ces jeunes
pour remettre leur corps en marche, les amener à nouveau à la sensorialité
heureuse du monde, aux émotions, à l’effort. Elle favorise l’esprit
d’indépendance, la prise d’initiative, la curiosité, la confiance en l’autre, la
solidarité, l’estime de soi.
L’association Seuil, fondée par Bernard Ollivier, prend en charge des
jeunes que lui confient des services de l’État (juge des enfants, inspecteur
de l’ASE…) pour une expérience de mise à distance de l’entourage
immédiat et dans un objectif de réinsertion sociale qui repose sur l’idée que
ces jeunes disposent de ressources qu’ils ne soupçonnent pas. Ce sont des
mineurs, entre 15 et 18 ans. Avec un(e) accompagnant(e), ils effectuent
autour de vingt-cinq kilomètres par jour à pied pendant un peu plus de trois
mois sur un parcours de 1 800 kilomètres environ, sac au dos, sans portable,
sans console de jeux, sans musique, sans alcool, sans cannabis ou autres
produits psychoactifs. Difficile austérité mais plus exaltante sans doute que
celle de la prison. Prix à payer pour un retour au lien social.
En amont il y a des entretiens, des rencontres pour interroger leur
volonté de partir et de mener l’expérience à son terme, les jauger, identifier
leurs failles ou leurs forces. Une telle entreprise ne s’effectue pas sans un
désir du jeune de changer quelque chose de son rapport au monde. Il ne
s’agit pas de lui donner un sac à dos et de le laisser partir, un dispositif
soigneusement pensé accompagne la démarche. Le jeune est un acteur de
son projet, il le réfléchit, n’ignore ni ses devoirs ni ses droits, et il sait
pouvoir à chaque instant trouver l’interlocuteur dont il a besoin s’il va mal.
Tous disent ne jamais se sentir exclu d’un échange ou d’une réunion les
concernant. Les parents ont également leur mot à dire quand ils sont encore
impliqués auprès de leurs enfants.
Certains ont déjà un parcours judiciaire, bénéficient d’une liberté
conditionnelle ou d’un aménagement de peine  ; d’autres sont signalés par
des travailleurs sociaux car ils entrent dans une zone de turbulence sans
avoir encore de soucis avec la justice, ils sont mal dans leur peau et
commencent à se disloquer. Le jeune, bien entendu, est volontaire, sachant
qu’il peut renoncer à tout moment. Il reçoit au départ un appareil photo
pour nourrir une mémoire visuelle de son expérience, le rendre attentif aux
lieux, aux situations, aux visages, qu’il lève à nouveau les yeux sur le
monde et les autres, et renonce à l’hypnose de l’écran. Il est encouragé à
tenir un journal de sa progression. Les jours de repos sont consacrés à la
visite de lieux intéressants du voisinage pour le rendre éventuellement plus
curieux du monde qui l’entoure s’il ne l’était pas déjà auparavant.
Le jeune peut écrire à ses parents ou à ses amis. Le responsable de
marche reste en contact régulier avec l’association. Chaque semaine un
rapport corédigé par le jeune et son accompagnant est envoyé à
l’association qui éventuellement le transmet aux parents, au juge, à
l’éducateur référent. Une série de petites procédures veillent à la sécurité du
cheminement et organisent la possibilité d’une intervention immédiate en
cas de problème.
Les accompagnant(e)s sont des hommes ou des femmes sans profil
professionnel déterminé, ils viennent de tous les milieux, ils se sentent
concernés par ce projet, par un long cheminement avec le jeune. Ils
acceptent un emploi du temps aléatoire et permanent pour un salaire
modeste. Ils n’ont aucun préjugé sur le jeune qu’ils encadrent, ils ne
connaissent que des bribes de son histoire et ne l’enferment jamais dans une
réputation, une imposition de statut qui rendrait vaine l’expérience de
rupture. Le jeune doit sentir qu’il a une chance de se déprendre des rôles
anciens qui parfois lui pesaient. La marche proposée est encadrée par une
série d’objectifs comme celui de lui permettre l’élaboration de repères pour
vivre avec les autres, développer son autonomie, sa confiance en lui et dans
les autres, l’amener à se construire pour le temps du retour et notamment à
travers un projet professionnel. Les premières rencontres avec les
représentants de Seuil sont décisives, il importe d’emblée de créer la
confiance : « J’ai senti qu’ils voulaient vraiment m’aider », dit l’un d’eux.
«  Ils étaient différents des éducateurs qui me suivent d’habitude  », dit un
autre. Leur sécurité et leur santé sont garanties par le certificat médical du
départ mais aussi par les soins portés en cas de blessures, d’ampoules ou de
fatigue. La marche n’est pas une quête de performance mais un
cheminement intérieur qui appelle d’abord la reconnaissance des soucis ou
des joies du jeune. Elle se teste d’ailleurs durant une semaine avec l’équipe
d’accompagnement afin de préciser les règles, se répartir les tâches, se
préparer physiquement.
L’engagement de l’accompagnant dans l’aventure est aussi un outil
essentiel. Tout au long du jour et de la nuit, il est soumis aux mêmes efforts,
aux mêmes joies et aux mêmes soucis. À l’écoute, il  protège, explique,
encourage, rappelle le cadre… Le jeune et lui se forgent une histoire
commune, une mémoire, qui fait toute la valeur de l’expérience, ils gèrent
ensemble le budget, cuisinent, font leur lessive, etc. À la fin du premier et
du second mois de randonnée, l’équipe de soutien composée du responsable
de marche, du (ou de la) psychologue et/ou de l’éducateur ou éducatrice du
jeune se rend sur place pour évaluer le parcours, revenir sur d’éventuelles
tensions entre les deux marcheurs. Après un mois, un ou deux comarcheurs
se relaient à tour de rôle pour une semaine, pour introduire des différences,
une rupture des routines minuscules qui s’établissent au fil du parcours.
Lors de sa progression le jeune pense à sa réinsertion, il est conseillé,
accompagné à ce propos pour ne pas le laisser démuni à son retour. Pendant
trois mois il est livré à son intériorité, à sa réflexivité, mais au sein d’un
dispositif de soutien discret et efficace. Il est en permanence reconnu et
soutenu. Il y a une fête pour le départ et une fête pour le retour. Manière de
traduire la scansion symbolique induite par la marche. Les rapports
hebdomadaires rédigés par le jeune et son compagnon de route montrent, au
fil des jours, comment il évolue, s’ouvre aux autres 6.
Des expériences proches sont menées dans d’autres cadres. Ainsi, par
exemple, Thierry Trontin, éducateur spécialisé, emmène des jeunes marcher
dans le désert marocain. Ce sont des jeunes abîmés, déjà en rupture, placés
dans des établissements d’aide à l’enfance. Il part par exemple avec sept
jeunes sous l’égide d’un guide berbère dans l’Atlas, à Merzouga, avec des
dromadaires pour porter le matériel et un hébergement assez sommaire à la
belle étoile avec des duvets et des couvertures. À la différence de Seuil, une
telle entreprise compose avec le nombre, les tensions, les conflits ouverts.
Les éducateurs y demeurent des professionnels accoutumés à gérer les
groupes, à accompagner les jeunes. Mais une ritualisation accompagne la
progression. L’équipe rencontre chaque jeune individuellement pour
mesurer son désir d’ailleurs et de changement, elle les réunit ensuite autour
d’un repas, les jeunes ont fait connaissance, rêvé du voyage, dit leurs peurs,
leurs espoirs. Sur les lieux, un bâton de parole paré de ficelles de différentes
couleurs récupérées sur le harnachement des dromadaires autorise une
distribution fluide de la parole lors des soirées où les jeunes font le point sur
le voyage. Il devient au fil de la marche une source de changement de
regard les uns sur les autres, il donne la parole sur un mode solennel qui
restaure le poids des mots et du silence. Quant aux éducateurs, plongés dans
les mêmes découvertes et les mêmes fatigues que les jeunes, leur
qualification professionnelle est débordée même si elle demeure  : «  Nous
devenons un peu des guides, ou plutôt des aînés qui ont dépassé certaines
épreuves de la vie et peuvent en parler à certains moments 7. » Là aussi le
retour est ritualisé par des rencontres, des repas et la publication d’un
ouvrage qui met en scène le périple des jeunes en leur donnant la parole.

Retour
Pour nombre de ces jeunes, leur marche est un accomplissement, elle
vient mettre un terme aux échecs qui émaillent leur existence et elle
restaure leur estime de soi, elle leur rend confiance pour affronter ce qui
était le plus dur pour eux avant leur départ  : une intégration sociale
heureuse. L’un d’eux dit combien il est désormais différent  : «  Quand je
suis parti, j’étais un blaireau. Depuis que je suis revenu, je suis un héros. »
Phrase emblématique que Bernard Ollivier aime à citer. Un tel périple en
effet n’est pas donné à tout le monde, il marque une existence tout entière.
Souvent le fait de vivre plusieurs mois de marche dans des conditions
d’existence qui tranchent avec l’ordinaire, amène les parents à découvrir au
retour un grand jeune homme ou une jeune fille en pleine santé alors qu’ils
ont vu partir un enfant maladroit et mal dans sa peau. Un père est ému de
voir que son fils a non seulement mûri mais aussi grandi, l’éducateur
précise : « Non, monsieur, il s’est redressé. » Trois mois plus tôt, voûté, les
yeux au sol, il n’osait pas regarder ses interlocuteurs dans les yeux.
D’innombrables autres marches pourraient être ainsi mises en
perspective pour montrer combien elles amènent le jeune à mûrir et lui
donnent le désir de grandir. L’ouverture au monde se traduit par
l’apprentissage de la langue du pays traversé, la découverte de la lecture :
« Il s’est mis à lire », « Il a étudié le Coran et le connaît mieux que nous
maintenant, et il a parcouru aussi la Bible et la Thora », etc. Il s’agit bien de
«  marches de rupture  », donnant lieu à une réconciliation avec soi et les
autres. Le jeune rompt les cercles vicieux où il s’essoufflait, brise les
routines de sa souffrance, de son agressivité, de ses trafics ou de ses vols.
Mais simultanément il vit une expérience de retrouvailles avec le lien social
après un détour, un cheminement initiatique. Il redevient apte à se projeter
dans le temps pour réfléchir à une formation ou chercher un emploi. Batoul,
en situation d’échec, reprend goût aux savoirs scolaires. Rémi confirme son
intérêt pour la mécanique moto et envisage de s’y former à son retour. Il
pense à l’écriture d’une lettre de motivation pour un emploi. Delphine
décide de devenir éducatrice canine…
Hamed a frappé un éducateur, adolescent timoré, mère effacée, père
brutal. Il a totalement désinvesti l’école et ignore ce qu’est l’Italie, où il va
marcher plusieurs mois, se demande si les dinosaures existent, s’il y a la
mer en France, etc. Il n’aime pas écrire, il enregistre avec une caméra une
mémoire de sa marche. Il n’a aucune autonomie et agace parfois son
accompagnant. Le soir, au gîte, ils font du théâtre ensemble, écrivent des
intrigues, et Hamed joue avec passion. Pour son anniversaire, quand il est
autorisé à parler à ses parents, son père répond mais raccroche vite,
plongeant l’adolescent dans la déprime. Peu à peu le chemin érode
l’amertume et l’amène à réfléchir. Et puis il y a la découverte de la mer, la
beauté des lieux, l’issue du voyage. Il a réussi. Il décide d’être paysagiste.
Valéry découvre avec étonnement qu’on lui fait confiance. «  Pendant la
marche j’ai beaucoup parlé avec Olivier (son accompagnant). Je lui ai dit
des choses que je n’ai jamais dites à personne. Ça me faisait du bien d’en
parler. Et surtout j’étais sûr qu’il le garderait pour lui. » Il se transforme au
fil du chemin, il n’est plus le même à l’arrivée. Il est néanmoins condamné
à un an de prison pour d’autres affaires restées en suspens. «  Mais en
sortant, c’était fini les bêtises. Je n’ai pas recommencé avec la drogue. La
marche, c’est quelque chose qui m’a vraiment aidé. J’ai pris confiance en
moi. Et quand on me disait : “T’as fait des conneries”, je répondais : “Oui,
mais j’ai fait quelque chose de bien, et c’est la marche.” 8 » Ces jeunes ont
souvent refusé l’école, mais au fil du temps ils réinvestissent leur avenir,
découvrent l’importance de la réussite scolaire ou de la nécessité d’une
formation professionnelle. Le chemin est une reconstruction, un
remaniement profond du sentiment de soi. Certes, il n’est pas un miracle
éternellement renouvelé, le jeune doit être partie prenante de son désir de
changer, mais rares sont ceux qui récidivent.
Pour le jeune empêtré dans son histoire, mal dans sa peau, délinquant et
confronté à des parents dépassés, mal aimants ou maltraitants, la marche est
une échappée belle loin des ruminations. Et loin aussi du groupe de copains
qui enferment en soi, contraignant à des comportements attendus. Elle est
une suspension des contraintes d’identité et du poids qui les accompagne.
Se défaire de soi, des images qui lui collent à la peau, est pour lui une
chance, la découverte qu’un autre monde est possible et qu’il n’est
nullement voué à la fatalité. Sur les routes, face à des interlocuteurs qui lui
font confiance d’emblée, ignorent les étiquettes qui induisent ses
comportements, il a la possibilité de se reconstruire. Ces mineurs à
problèmes sont aussi victimes des préjugés intériorisés qui les amènent à se
comporter comme on attend qu’ils se comportent. La coexistence avec des
hommes et des femmes qui les voient autrement, sous une forme propice et
confiante, exerce un effet symbolique considérable. Pour une fois les
adultes ne sont pas là pour les réprimander ou leur interdire des activités
mais pour « inter-dire », c’est-à-dire partager avec eux, négocier les faits et
gestes de la vie quotidienne dans une mutuelle reconnaissance. Même les
relations à l’autorité sont transformées quand des adolescents sont
contraints de demander leur chemin à un policier qui leur répond
paisiblement avec le sourire. Quand le jeune arrive au bout du chemin ce
n’est pas seulement le regard qu’il porte sur lui-même qui s’est transformé,
mais aussi celui de ses parents, de ses frères et sœurs, de sa famille, de ses
amis. Il est valorisé, admiré.
Malgré les difficultés inhérentes à un groupe de sept jeunes aussi mal
dans leur peau les uns que les autres, Thierry Trontin fait lui aussi un bilan
heureux du parcours. L’un des jeunes comprend que s’il va mal il est moins
périlleux de s’isoler que de chercher l’affrontement  ; une jeune en refus
scolaire négocie son retour à l’école, obtient son bac et poursuit ses études.
Un autre marqué par le Front national découvre la valeur de
l’interculturalité et abandonne son racisme en se mettant à chanter des
textes de Brassens, un autre se réconcilie avec sa famille. Le journal de bord
du groupe dit la douleur du retour en France mais aussi l’émerveillement
des découvertes, des rencontres, le chemin intérieur parcouru. Comme le dit
Thierry Trontin lui-même, le séjour de « rupture » se double d’un « séjour
de suture ».
La marche est un sas pour disparaître de soi, échapper aux contraintes
de l’identité 9. Pendant des mois le jeune prend justement la clé des champs.
Il laisse chez lui son état civil, son histoire, ses soucis, ses responsabilités
sociales, familiales ou professionnelles. Il est libéré aussi des impositions
de statut qui lui enjoignent d’être à la hauteur d’un « bon coup » ou en tout
cas de tenir en permanence sa «  réputation  » auprès de son public
coutumier. Il est de sa seule initiative de se dévoiler et de donner des
informations à ce propos à ceux et celles qu’il croise sur les sentiers. La
marche allège le fardeau parfois d’être soi, relâche les pressions qui pèsent
sur les épaules, les tensions liées aux responsabilités sociales et
individuelles. Hors de la trame familière du social, il n’est plus nécessaire
de soutenir le poids de son visage, de son nom, de sa personne, de son statut
social… Le jeune tombe les éventuels masques de sa vie personnelle car
personne n’attend de lui qu’il joue un personnage. Il est anonyme, sans
engagement autre que l’instant qui vient et dont il décide de la nature. Pour
une durée plus ou moins longue, il change son existence et son rapport aux
autres et au monde, il est un inconnu sur la route ou les sentiers. Il est en
congé de son histoire et s’abandonne aux sollicitations prodiguées par le
chemin. Cette suspension, cette échappée belle hors de toute familiarité
rendent propice la métamorphose personnelle. D’un bout à l’autre
l’adolescent est plongé dans des circonstances radicalement différentes de
celles de sa vie habituelle.

Métamorphoses
La marche est un détour pour retrouver le lien social et non plus y être
en porte-à-faux. Le jeune est amené à un recul sur la signification de son
comportement, ce qui le suscite, son incidence sur les autres grâce à la
présence d’un aîné qui n’est pas là pour « venger » la « société » mais pour
lui permettre d’avancer dans une meilleure connaissance de lui-même. Il y a
chez un jeune moins une mauvaise volonté qu’une souffrance enfouie qui
l’éloigne parfois de la réciprocité du lien social. La souffrance aussi possède
ses routines et ses ornières dont il faut lui donner les moyens de sortir. La
punition au sens classique renforce en lui l’idée de son extériorité au monde
et son combat pour ne pas s’y soumettre. Proposer une longue marche c’est
le prendre par surprise et lui donner une chance là où il craignait une
punition. Une telle attitude l’inscrit d’emblée dans la reconnaissance et non
dans la subordination tout en le rappelant cependant à ses responsabilités.
Ce n’est pas la vie qui est devant nous mais la signification que nous lui
prêtons, les valeurs que nous mettons en elle. Le jeune en rupture avec son
existence ne sait plus où il va, où il en est, il a l’impression d’être devant un
mur invisible et d’être condamné à piétiner à jamais devant un monde qui
lui échappe. Sortir de l’impasse impose la force intérieure d’y projeter une
allée de sens, de se fabriquer une raison d’être, une exaltation, provisoire ou
durable, de renouveler le sentiment d’existence. La fenêtre que le jeune
dessine dans le mur de son impuissance et qu’il finit enfin par ouvrir tient
parfois au chemin ouvert par une marche de longue durée. Marcher c’est
retrouver son chemin.
La marche dénude, dépouille, invite à penser le monde dans le plein
vent des choses et rappelle au jeune l’humilité et la beauté de sa condition.
Elle est l’occasion d’une purification de soi, d’un examen de conscience.
Elle amène à se reprendre, à clarifier sa relation aux autres ou au monde
lors de périodes de turbulences personnelles. Toute marche de longue durée
aboutit à la même transformation intérieure 10. En mettant le corps au centre
sur un mode actif, elle rétablit le jeune dans une existence qui lui échappe
au regard de son histoire meurtrie et de conditions sociales et culturelles qui
le mettent encore à mal. Le recours à la forêt, à la montagne, aux sentiers,
est un chemin de traverse pour reprendre son souffle, affûter ses sens,
renouveler sa curiosité, et connaître des moments d’exception éloignés des
routines du quotidien. Bien entendu le jeune ne découvre que ce qui était
déjà en lui, mais il lui fallait ces conditions de disponibilité pour ouvrir les
yeux, accéder à d’autres couches du réel et mobiliser les ressources qui
dormaient en lui. Mais s’il ne se transforme pas en artisan de son existence
rien ne se fait, il passe son chemin en laissant derrière lui une chance qu’il
n’a pas su saisir. La qualité de présence des accompagnants est justement là
pour le soutenir et l’amener à mettre au jour ses capacités. Ces mois de
marche peuvent ne posséder qu’une valeur minime si le jeune ne les
transforme pas en un cheminement intérieur, s’il ne lâche pas la bride de ses
soucis, s’il n’amorce pas une réconciliation avec les autres. Ils emmènent
infiniment loin et pourtant au cœur de soi, et aboutissent au retour au
sentiment d’y voir plus clair, d’avoir élagué bien des tracas. Tout dépend
surtout de ce que le jeune lui-même fait de ce temps de disponibilité,
d’ouverture, ce temps qui n’appartient qu’à lui, où il importe de savoir qui
l’on est et où l’on va dans son existence.
La marche est confrontation à l’élémentaire. Certes, elle s’inscrit dans
un espace imprégné de social et de culturel, mais elle est surtout tellurique.
En soumettant à la nudité du monde, elle sollicite le sentiment du sacré. Ces
jeunes marcheurs découvrent la nuit avec stupeur quand aucune lumière des
magasins ou de l’éclairage urbain ne vient la détruire, ils voient les étoiles
qu’ils n’avaient jamais vues, ils entendent un silence qui les effraie mais les
bouleverse aussi. Ils apprennent à se taire ensemble sans que la
communication soit interrompue. Ils se sentent à leur juste place, immergés
dans une zone magnétique où vivre possède enfin une évidence lumineuse.
En découvrant le monde à pas et à hauteur d’homme ils se mettent en
posture de se découvrir soi, de retrouver un essentiel qui n’appartient qu’à
soi mais qui signe parfois une renaissance. Les lieux possèdent parfois un
don de guérison ou de rétablissement de soi. La marche est aussi une
manière de retrouver son centre de gravité après avoir été jeté à l’écart de
soi par les événements de la vie. Elle rétablit une échelle de valeurs que nos
routines tendent à faire oublier. Dans ces conditions, chacun est nu devant
le monde qui l’entoure, il se sent responsable de ses actes, il est à hauteur
d’homme et peut difficilement oublier son humanité élémentaire.
Une longue marche poursuit par des moyens insolites le chemin
éducatif au cœur du travail social, en continuant à voir le jeune comme un
interlocuteur qui vaut la peine qu’on discute avec lui, et non un intrus qui
perturbe le fonctionnement collectif. Elle est susceptible de rompre une
histoire personnelle douloureuse ou en porte-à-faux, les expériences à ce
propos sont innombrables. Elle est possibilité d’une redécouverte de
l’étonnement d’exister, elle est propice pour chacun, surtout pour ceux qui
avaient oublié combien le monde est étendu au-delà des murs de leur
habitation. La durée du cheminement, son issue positive sont des données
puissantes pour restaurer ou construire l’estime de soi, la confiance en ses
ressources propres. Ces voyages nourrissent une démarche initiatique, ils
procèdent à une lente remise au monde, une renaissance. Au terme de la
marche le jeune n’est plus le même qu’au départ.

Valeur de l’accompagnement
La marche et le voyage n’ont aucune vertu intrinsèque de rétablissement
du goût de vivre. Ces actions mettent le jeune dans des conditions
favorables à une reprise en main de son histoire, elles ménagent des tuteurs
de résilience par la qualité et la réciprocité de la relation
d’accompagnement, les innombrables rencontres avec les populations
locales. «  Le processus de résilience permet à un enfant blessé de
transformer sa meurtrissure en organisateur du moi à condition qu’autour de
lui une relation lui permette de réaliser une métamorphose  », écrit à ce
propos Boris Cyrulnik 11. Il est en position de nouer un empowerment, une
capacité à renverser les conditions affectives et relationnelles jusqu’à
présent défavorables pour reprendre le contrôle de son existence. Dans cet
environnement sécurisant, il est en mesure d’échapper aux impositions de
statut qui l’enferment sous l’angle réducteur des troubles qu’il génère. Son
« identité négative » n’est plus de mise. Il redevient l’artisan lucide de son
existence. La notion de « zone d’arrimage psychique » avancée par Michel
Lemay 12 s’applique parfaitement à la mouvance relationnelle en jeu dans ce
genre de dispositif.
Il ne s’agit en aucun cas d’assister le jeune mais de l’aider à s’aider à
s’en sortir. Ce sont des initiatives fondées sur la confiance et sur le fait de
créer ensemble un cheminement à travers le temps et les éventuelles
sinuosités du chemin. Le jeune n’est ni livré à lui-même ni sous tutelle, il
est accompagné dans un contexte de mutuelle reconnaissance même si
l’aîné porte une responsabilité plus grande à son égard. L’autonomie mise
en œuvre est modulée par le fait de vivre ensemble, de partager un projet.
L’accompagnant(e) n’est pas là pour le réprimer ou limiter ses mouvements.
L’autorité exercée rejoint l’étymologie. Il est celui ou celle qui rend le jeune
auteur de soi, lui rappelle le cadre, qui rend le parcours moins menaçant.
Pendant des semaines ou des mois, le jeune se dit avec un adulte qui
accueille sa parole et se présente également comme support fiable
d’identification. Par son comportement, ses gestes, son regard, sa voix,
l’accompagnant(e) maintient une présence solide et rassurante. La rencontre
est au cœur du dispositif, elle implique chez lui une constance, une
patience, une endurance pour maintenir face au jeune une présence solide et
compréhensive, mais sans complaisance. Pour nombre des jeunes impliqués
dans ces longues marches, les adultes de référence n’ont jamais assumé leur
responsabilité d’éducateurs ni même parfois de parents. Ils ont vécu
longtemps une absence de containing et un manque de reconnaissance de
leurs proches. Personne n’a jamais cru en eux, personne ne les a investis
d’amour et d’attention. L’accompagnant(e) est parfois soumis à des tests,
des exigences hors du cadre défini, et sa tâche est de continuer à assurer une
bonne contenance en sachant amortir les moments de tensions, sans jamais
se départir de son rôle. Il absorbe les dissensions sans que le jeune perde la
face ou se sente incompris. La résilience se noue dans les échappées belles
de la relation, les paroles, les confidences, les silences, les émotions, les
partages, les épreuves surmontées ensemble… Elle n’est pas donnée, elle se
tisse au fil du chemin. Ces actions proposant un accompagnement de longue
durée sont centrées sur la singularité du jeune, à travers patience, parole,
silence, écoute, partage, mais sans le solliciter directement, il est dans son
rythme, ses attentes. Rien n’est forcé de ses défenses. Il s’en affranchit de
lui-même quand la confiance est créée.
Dans certaines histoires de vie une ou plusieurs rencontres établissent
des échappées belles par les significations inattendues qu’elles dévoilent et
qui enracinent soudain à la vie. Ce sont des rencontres initiatiques car elles
provoquent l’amorce d’une renaissance. Elles rompent avec l’amertume et
ouvrent un chemin. Elles sont parfois brèves, l’autre ne mettait pas toujours
dans son geste ou sa parole un tel poids d’existence, il ne s’en souvient pas
toujours. Mais leur réception a agi à la manière d’une chimie intérieure pour
cristalliser autre chose. Elles ont changé le regard sur soi et sur le monde,
brisé les anciennes routines de sens, et nourri une reprise en main plus
propice de son existence. Ce sont des personnes qui ont prodigué sans
toujours le savoir une confiance qui a surpris le jeune et lui a ouvert un
autre horizon. Comme des sourciers, elles ont fait jaillir des ressources et
des significations que le jeune possédait déjà à son insu et que les
circonstances extérieures neutralisaient. Parfois elles ont seulement écouté
avec amitié, elles n’ont pas jugé, elles ont accrédité la parole du jeune.
Le fait d’aller au bout du chemin donne au jeune l’élan pour se
reconstruire 13. Il apprend de son infortune initiale et il en fait une force
intérieure, une maturation pour reprendre son existence en main. Mais il
fallait en amont ce dispositif d’accompagnement, cette lente décantation
opérée par la marche, cette qualité de relation qui a redéfini son existence
en profondeur. Le jeune sait d’où il vient, mais sa tâche est de forger son
histoire à venir en s’efforçant de rompre avec les violences qu’il a
traversées, en se dépouillant de ce qu’elles ont provoqué en lui d’amertume,
de ressentiment. Il est dans la nécessité d’abandonner un jour la rumination
de la victime pour endosser la force intérieure de qui devient désormais
l’artisan de son existence. La résilience est un processus toujours en
mouvement, une sollicitation des ressources intimes mises à l’épreuve au fil
des circonstances. Elle n’est jamais linéaire mais toujours en prise sur
l’environnement, et donc sur les significations que le jeune projette à son
propos. Les autres qui comptent à ses yeux jouent un rôle essentiel dans la
reconquête de soi pour le meilleur ou pour le pire. Ils sont quelquefois des
obstacles majeurs en s’opposant au jeune, en lui refusant toute confiance,
tout amour, et toute compréhension. Ou bien, à l’inverse, leur
encouragement, leur présence, en favorise l’essor.
Le jeune à la fois répare son histoire, se dégage de ses actions
antérieures sans les nier pour investir le temps qui vient de manière
heureuse. Au fil du chemin il se construit une capacité à sentir la relativité
des choses, à accepter la pluralité des mondes et à devenir un acteur parmi
les autres dans la reconnaissance de leurs différences mais aussi de sa
valeur propre. En changeant le regard sur soi, en démentant les jugements
dépréciatifs, il se dépouille des comportements anciens qui lui collaient à la
peau et composaient son personnage aux yeux de son entourage, il entre
dans une autre dimension de son existence. Il n’est plus dans la pesanteur
des comportements qui s’imposaient à lui sous la contrainte symbolique du
regard des autres ou du fait de la puissance d’attraction du soulagement
éprouvé par le recours à l’alcool, à la drogue, aux scarifications, etc. Cette
modification du sentiment de soi est une autre naissance.
À quoi s’accrocher quand
on raccroche ?

PAR MAKIS CHAMALIDIS

Si l’idée de s’accrocher jusqu’au dernier point, jusqu’à la dernière


minute est au cœur de la compétition sportive, elle représente l’ADN même
du principe de résilience. S’accrocher dans les moments critiques d’une
compétition, voire d’une carrière, signifie rester compétitif et, donc, dans la
course. Puis, quand arrive le moment de raccrocher les crampons, démarre
l’ultime défi, celui de trouver la branche à laquelle s’accrocher pour
continuer à vivre après avoir été. Cette rupture que représente la fin de
carrière pour les hauts compétiteurs peut se révéler traumatique, que ce soit
pour le sportif qui a tout gagné ou pour celui qui a arrêté sans pouvoir
s’accomplir 1.
Aujourd’hui notre intérêt s’oriente davantage vers les grands sportifs
qui ont su créer du mythe autour de leur personnage. Il est question de ceux
qui ont su marquer les esprits non seulement par leurs exploits sportifs,
mais aussi par leur personnalité, leur style, leur différence. Comme d’autres,
ils étaient inscrits sur les listes ministérielles des sportifs de haut niveau,
mais grâce à leur singularité, souvent mal interprétée, ils sont devenus des
champions 2 qui nous intriguent encore bien après leur mort symbolique ou
réelle.
Notre intérêt pour cette population spécifique s’explique aussi par le fait
que ces personnalités complexes et ambiguës sont d’habitude pauvrement
ou mal décrites et peu comprises. Dans l’inconscient collectif, elles sont
associées à des superhéros tout-puissants qui ne doutent jamais, alors même
que ces icônes peuvent parfois manquer de sérénité juste avant leur
compétition. Comment s’imaginer qu’elles peuvent aussi se retrouver en
train de tout remettre en question dans les vestiaires ou de vomir dans les
toilettes pour évacuer la peur ? Une peur avec laquelle elles sont devenues
intimes et qu’elles vont transformer quelques instants plus tard en une
création de performance sublime.
Mais qu’est-ce qui reste de leurs principes d’excellence au-delà de leurs
carrières spectaculaires ? Sont-ils capables de résilience ou est-ce que leur
système de fonctionnement les empêche de s’accrocher  ? Les
questionnements autour de ces perles rares qui, une fois le Graal touché,
redescendent sur Terre intriguent :
–  Que devient ce surinvestissement, cette quête obsessionnelle de
réussir ? Comment remplir de sens une nouvelle raison d’être ?
– Comment oublier ce sentiment de toute-puissance quand on est obligé
de s’investir ailleurs et sans la même expertise ?
–  Quelles ressources sont nécessaires pour s’accrocher et avoir un
sentiment de soi décent et vital ?
–  Comment peut-on aider ces personnes à accepter de ne plus
fonctionner sur un mode de vie hyperstimulant ?
Le mot est dit, on est dans la tribu des « hyper 3 », à savoir :
– hyperdoués : une capacité motrice, intellectuelle bien au-dessus de la
moyenne sinon un talent général d’exploiter son talent ;
– hypersensibles : une émotivité « à fleur de peau », une réactivité hors
norme avec le sens du détail « au coin de l’œil » ;
–  hyperactifs  : un cerveau constamment en ébullition, imposant la
difficulté de se poser et récupérer ;
– hyperrapides : une compréhension immédiate des situations, un coup
d’œil chirurgical, l’intégration des données nouvelles, une motricité et
une coordination alignées ;
– hypermalins : la capacité de savoir par où passer pour obtenir ce que
les autres n’auront pas ;
–  hyperseuls  : une solitude malgré des sollicitations permanentes, des
remises en question quotidiennes et le sentiment de ne pas être compris.
C’est ici l’occasion de rectifier une idée reçue selon laquelle le sportif
de haut niveau doit baigner dans le bien-être pour être performant. Or
comment accéder au sommet si l’on n’est pas habité par cette obsession
d’aller au bout d’une quête intime  ? Et quand l’analyse est approfondie,
comme nous le propose François Ducasse 4, le compte rendu révèle que le
champion est loin de baigner dans un équilibre émotionnel stable parce
qu’il :
– joue de sa singularité ;
– n’écoute pas tout ce qu’on lui dit ;
– écoute son désir et ses convictions, parfois contre la loi du milieu, et
au risque d’être isolé ;
– n’accepte pas d’être formaté ;
–  a le courage de souffrir pour s’améliorer  ; il peut même trouver du
plaisir dans la souffrance pour débloquer un plaisir secondaire.
Ces gens-là avancent sur un fil étroit, ils ne seront tranquilles qu’au
moment où ils arriveront au bout de leur mission. Dans le meilleur des cas,
ils trouveront un peu d’équilibre dans ce déséquilibre… Au début de nos
recherches dans les années 1990 le tennisman Yannick Noah le formulait
avec les mots suivants  : «  On ne peut pas jouer au tennis au plus haut
niveau si on n’a pas connu des manques, des carences affectives 5.  »
L’ancien leader du tennis français avait déjà intégré la dimension résiliente
sans pour autant la nommer. La recherche d’équilibre est ranimée, ravivée
quand il faut désinvestir sa carrière et donner du sens à des nouveaux
projets pour continuer à être après avoir été.

Désir, entourage, positionnement :


un triptyque essentiel
Fin de carrière rime avec perte  : perte de ses objectifs de résultats
(remporter telle compétition, obtenir tel classement…), perte de ses
objectifs de moyens (respecter ses routines, soigner sa récupération, gagner
en endurance mentale…), perte de ses échéances (se préparer
minutieusement pour être prêt le jour «  J  »…) et perte de son cadre
(structure, staff, règles de vie…). Pour se réorganiser le sportif de haut
niveau a besoin de temps et surtout de modifier son rapport au temps. La
gamme émotionnelle varie du soulagement au choc émotionnel, mais des
questionnements répétitifs surgissent quand il se retrouve devant son miroir
en quête de sens :
– « Pourquoi me lever le lundi matin ? »
–  «  Est-ce que je pourrai revivre les mêmes émotions rares que celles
pour lesquelles je me suis autant préparé pendant toutes ces années ? »
– « Que va devenir ce corps ultra-performant ? »
– « Qui peut comprendre ce que je suis en train de vivre ? »
Cette armada de questions nous amène à examiner trois ingrédients
indispensables à la réussite d’une aventure personnelle ou collective. Des
notions qui nécessitent d’être reconsidérées sous l’angle de la fin d’une
époque et d’une reconstruction identitaire, à savoir :
– Que devient le désir d’exceller ? Peut-il se transformer en désir de se
prendre en charge, de se respecter malgré l’absence d’une source de
gratification majeure ?
–  Est-ce que l’entourage proche du champion est capable de l’aider à
s’en sortir  ? Sinon faut-il le faire évoluer pour bénéficier de
compétences adaptées à la nouvelle situation ?
– Comment défendre une position claire dans cet espace « entre deux »
quand on manque cruellement de repères ?
Le champion est amené à faire appel à son intelligence de son parcours
« hors parcours » au moment de faire ses adieux, et prendre les rênes de son
après-carrière demande à revoir ces ingrédients sous une nouvelle lumière.

Réévaluer son désir
Combien de jeunes (sportifs) sont partis conquérir le monde avec un
poids énorme sur les épaules qu’ils ont su transformer en quelque chose de
créatif  ? Une revanche à prendre, un complexe d’infériorité, une dette
familiale, un sentiment d’humiliation, un besoin de reconnaissance… Le
milieu sportif est plein de récits de résilience qui surgissent pour la plupart
longtemps après la fin de carrière, quand le héros peut enfin avouer d’où il
vient vraiment et par où il est passé. D’autres préfèrent en parler le plus vite
possible pour briser un tabou ou se débarrasser d’un secret familial.
L’événement traumatique agit comme un véritable point de non-retour à
partir duquel la mission se construit, le retour en arrière est inapplicable et
insensé.
Selon Arsène Wenger, l’entraîneur historique de l’équipe de football
d’Arsenal, «  beaucoup de footballeurs qui ont perdu un frère puisent leur
force dans l’idée d’être fort pour deux 6  ». La force du champion est sa
fragilité  ! C’est ce que révèle régulièrement le travail clinique en milieu
sportif comme dans le cas de ce jeune joueur de tennis évoluant longtemps
dans l’ombre de son frère aîné. Ce grand frère plus doué était promis à un
avenir radieux tracé dans le tennis professionnel jusqu’au jour où il a subi
un accident de moto qui lui a fait perdre une jambe, détruisant tous ses
espoirs d’ascension sportive. Quelque temps après cet accident, il confie
alors une mission à son frère adolescent : « Maintenant c’est à toi de jouer
et de faire ce que je ne pourrai jamais accomplir.  » Qu’on transmette un
poids ou qu’on libère le chemin, dans les deux cas, il s’agit d’une mission à
accomplir. Quelques années plus tard le petit frère en question réussira à se
hisser parmi les cinq meilleurs joueurs du monde.
En 2007, nous avons demandé à une douzaine de champions ce qu’ils
défendaient pendant leur carrière autrement que le résultat sportif 7. Dans
leur intimité, ils avaient tous le sentiment, conscient ou inconscient, d’être
investis d’une mission, ce sentiment qui donne du sens à la pratique et qui
libère de l’énergie quand d’autres ne peuvent plus avancer. Parmi les idées,
idéaux, styles et causes défendus, nous retrouvions par exemple :
– démontrer à tous ceux qui m’ont rabaissé que je peux y arriver ;
– rétablir mon lien à la filiation : j’ai compensé l’absence de mon père
en prenant comme substitut mon entraîneur pour qui j’étais prêt à tout
faire ;
– rembourser la maison hypothéquée de mes parents ;
– laver le sentiment d’humiliation lié à une dette familiale (je pars à 14
ans à l’autre bout du monde pour gagner, ramener des titres et éponger
la dette) ;
– une fille du Maghreb peut réussir dans le milieu du grand froid ;
– prouver qu’on peut réussir à gagner des grands titres dans l’athlétisme
sans se doper ;
–  démontrer qu’on peut devenir le meilleur joueur du monde dans un
sport dominé par une centaine de millions de Chinois qui ont les
meilleurs entraîneurs, les meilleurs joueurs et qui s’entraînent plus que
personne d’autre.
Ces missions donnent au projet le sens dont il a besoin  ; elles sont
nécessaires pour se transformer en quête absolue. Mais, une fois la mission
accomplie et avec elle le caractère forgé, que devient ce désir de prouver la
capacité à aller jusqu’au bout ? Certes, on peut encore vivre longtemps sur
ses acquis et pourquoi pas en tirer des bénéfices secondaires ? Mais vient un
moment où le besoin de renouveau, le besoin de faire ses preuves, de se
défier, de se révéler surgit.
Et si les champions ont pour la plupart de quoi vivre, leur mission
initiale a peut-être moins de sens qu’auparavant, ils n’arrivent pas
forcément à la renouveler, à se régénérer. Ils peuvent continuer à
s’accrocher à leurs valeurs (travail bien fait, respect des consignes, souci du
détail…), mais est-ce qu’ils peuvent chercher le même type d’émotions lors
d’une prise de parole en entreprise 8 ? Trouver une nouvelle mission ou faire
valoir sa mission initiale ailleurs nécessite d’enlever une couche de peau qui
remet le champion de nouveau à nu. Dans cet espace «  entre deux  » des
questions surgissent. C’est un moment de négociation avec soi-même :
– « J’en suis où dans ma vie ? »
– « Qu’est-ce qui est encore possible ? »
– « Comment faire pour me respecter ? »
– « Qu’est-ce que j’ai vraiment envie de faire ? »
– « Comment canaliser ma rage, mon esprit de revanche, mon besoin de
réparation ? »
En attendant, nous observons pendant cette phase un flottement
identitaire avec cette absence de désir qui caractérise la dépression. Et là
aussi, les champions ne font pas les choses à moitié. Ils sont prêts à côtoyer
les extrêmes en s’isolant, en s’enfermant chez eux et en passant des mois
entiers en peignoir à la maison, rideaux fermés. Déboussolés, désorientés,
en perte de repères. La honte est installée. Ils restent chez eux mais ne
savent plus où ils habitent. Pendant quelques mois – souvent plus – ils vont
tout faire à l’inverse de ce qui les a amenés à s’élever.
Durant cette période transitoire le surinvestissement sportif n’est plus
possible. C’est là où certains vont jusqu’à développer d’autres sources de
dépendance, à l’image de ce nageur qui a commencé à se laver les mains
une trentaine de fois par jour pour rester en contact avec l’eau et retrouver
des sensations. Pour d’autres, la dépendance peut devenir destructrice
quand ils sombrent dans un vice, l’alcool, la drogue, le jeu… Et comme tout
bon jusqu’au-boutiste ils ne perdent pas l’habitude d’aller vers l’extrême.
En attendant d’accéder à un nouveau désir, l’animal blessé se réfugie dans
la solitude et parfois même dans la destruction.
Certes la dépression constitue un élément vital du travail de deuil à
effectuer, elle nous rappelle que le champion a donné une partie intime de
sa personne, elle est par conséquent indissociable à ce moment de ce grand
flottement. En revanche, le désir nous aide à exister, il est impossible de
créer ou de se dépasser sans qu’il y ait un sens. Le désir est ainsi plus que
jamais lié au sentiment d’identité : « Une fois que je sais ce que je veux (et
ce que je ne veux pas), je peux exister avec une vision d’où je veux aller. »
Pour savoir où aller, le besoin de se tourner vers autrui s’avère vital. Les
offres et demandes ne manquent pas, encore faut-il trouver une nouvelle
mission qui a du sens. Certains champions se contentent d’un business
lucratif, un statut qui leur permet de continuer un train de vie confortable, là
où d’autres cherchent un projet fort ou une idée forte à défendre.
Et que dire de la perte d’un objet outil aussi fondamental que le corps
hyperperformant  ? Pour certains champions très attachés à leur physique,
hypernarcissiques, la fin de carrière est synonyme d’« abandon corporel ».
Le témoignage de ce triathlète illustre à quel point la célébration du corps
peut tourner en honte existentielle  : «  Pendant un an, je ne me suis pas
rendu compte, mais je n’osais plus me regarder dans le miroir. C’était un
moment important, j’ai refusé de l’accepter. Je me rasais ou je me lavais
dans le noir. Cela a été difficile pour moi de le dire, mais je l’ai écrit, c’est
un traumatisme important 9. »
Mettre des mots sur ce qu’on ressent peut constituer la base d’une
élaboration psychique. Le passage à la verbalisation et à l’écriture révèle un
des talons d’Achille du milieu sportif où la prise de notes, voire l’écriture
n’est pas encore un réflexe naturel. Pour Daniel Costantini, ancien
sélectionneur de l’Équipe de France de handball, «  en sport collectif en
particulier, le verbe, la plupart du temps, est complètement confisqué 10  ».
Faisant référence au milieu du football de très haut niveau, il souligne qu’ils
fonctionnent «  sans utiliser le verbe  ». Le verbe, cette nourriture peu
exploitée, sous-estimée mais tellement bien maîtrisée par les grands
entraîneurs et autres accompagnateurs qui savent à quel point certains mots
peuvent donner du sens et des ailes.
«  Ne venez pas à l’entraînement, venez vous entraîner  !  » Si des
champions comme Stéphane Diagana se rappellent encore des années plus
tard de phrases qui les ont marqués, c’est que leurs entraîneurs (Fernand
Hurtebise en l’occurrence) ont su chercher le verbe qui fait la différence
pour faire passer leur message. Le sérail reste comme souvent enfermé dans
ces traditions orales où le vocabulaire reste limité, même s’il y a une
tendance à se former et à s’ouvrir vers d’autres milieux du côté de certains
entraîneurs. Parfois on a l’impression qu’il n’y a que 15-20 mots clés qui
servent de manière exclusive pour échanger, expliquer tout, à l’image de
certaines chaînes de radio qui passent toujours les mêmes chansons sans se
renouveler ou chercher des musiques plus sophistiquées.
Selon François Ducasse il est nécessaire d’ouvrir « le ventre des mots »
– par exemple, « la discipline, la rigueur, le mental, le talent, la pression, la
concentration, le projet, la confiance » – pour les décliner et les rendre plus
aptes à l’appropriation. Autrement le grand mot sera utilisé comme un mot
magique, «  comme s’il suffisait de le prononcer pour que les choses
adviennent 11 ».
Et même si le sportif n’est pas nourri par des textes ou par la culture
comme les comédiens ou chanteurs, il a besoin de se nourrir de mots qui ont
du sens pour lui. À lui de s’entourer de personnes porteuses d’une
nourriture intellectuelle à la hauteur de ses ambitions. Dans son travail de
sensibilisation et de prise de conscience des dimensions culturelles de nos
discours, Jérôme Bruner s’interroge sur le récit en tant que mode de pensée.
Pour lui, la dynamique du récit ne se déclenche que lorsqu’apparaît une
rupture dans la banalité 12.
Le business des partages d’expérience de champions en entreprise nous
livre une illustration caractéristique de la difficulté à se renouveler. Quand
le champion raconte son parcours, le public le regarde avec des gros yeux
d’enfant et se réjouit d’avoir touché du bout des doigts une aventure
exceptionnelle. Une semaine plus tard, quand on leur demande ce qu’ils ont
retenu, on note peu de contenu, plutôt des traces émotionnelles  : «  il est
sympathique », « quel courage »…
Les champions qui peuvent aller plus loin en racontant leur récit se font
plus rares. En dehors du désir de partager son expérience, cela demande
l’effort de «  penser son sport et sa carrière  » pour être capable d’extraire
l’essence de son vécu. Quand vient la prise de recul, la mise en mots par
l’interprétation des sens est plus délicate sans aide extérieure. Pourtant, il y
a un vrai besoin de pouvoir raconter son histoire pour identifier les
différentes étapes, compartimenter son récit et être ainsi rassuré sur la clarté
de son histoire personnelle  : «  Voilà ce que j’ai vécu, voilà ce que j’ai
appris, voilà comment je me suis créé grâce au sport. » Penser des mots et
les sortir de sa bouche est déjà une manière de lâcher prise. C’est comme si
aller voir ailleurs permettait de mieux revenir et, pourquoi pas, d’aider à
l’éclosion d’un nouveau désir.

Savoir s’entourer : revoir sa garde


rapprochée
Contrairement au sportif lambda, le champion a appris, tout au long de
sa carrière, à ne pas écouter «  le dernier qui a parlé  ». Il a fait son
«  casting  » en fonction de ses objectifs et priorités pour questionner les
bonnes personnes et savoir qui écouter. Et quand le besoin est là, se confier
à un tiers sans être jugé est une condition pour évacuer la tension. Cela
clarifie les choses et aide à se positionner pour trouver sa place sur le terrain
et en dehors. C’est le principe de la garde rapprochée, constituée de
quelques personnes compétentes dans leur domaine (entraînement,
management, physique, psychologie…) et de totale confiance.
À ce titre le tennisman Roger Federer a établi sa « règle de 24 heures » :
après une défaite, il ne prend aucune décision importante sous 24 heures. Il
laisse « refroidir le moteur » et consulte sa garde rapprochée pour prendre la
meilleure et l’ultime décision possible pendant que d’autres céderaient à
leur impulsivité, risquant de ne pas pouvoir revenir sur leurs actes ou leurs
jugements pris à la hâte.
Certes la garde rapprochée sert aussi à envoyer des piqûres de rappel sur
l’identité du champion, à l’image des grands films de boxe quand le
protagoniste se trouve dans un moment de doute avant le grand combat.
Comme par hasard, il y a toujours une scène où un proche vient lui rappeler
son identité (« n’oublie pas qui tu es »), son style (« n’oublie pas ce que tu
sais bien faire ») et sa mission (« n’oublie pas pourquoi tu es là »).
C’est tellement rassurant d’avoir quelqu’un qui sait (nous) faire parler
de nous. Cela contribue à construire une personnalité qui crée du lien avec
les autres, qui nous fait revenir de manière sélective sur notre passé et qui
nous prépare en même temps à affronter un futur que nous imaginons 13.
Quand cette narrativité est cohérente, elle permet de « raconter une histoire
en y intégrant des événements conflictuels et en les résolvant, c’est-à-dire
en leur donnant un sens tout en maintenant le fil de l’histoire qui continue
d’évoluer 14 ».
Accompagner le champion passe indéniablement par cette capacité de
l’habiller avec des mots aussi délicats que pointus. Plus on cherche à être
précis dans ses mots pour décrire ce qui nous arrive et ce qu’on a à faire,
plus on a des chances d’être précis dans son geste. Ainsi la précision du
geste est indubitablement liée à la précision des mots par laquelle passent
les ressentis et la densité des émotions.
Tout au long de sa carrière le champion se doit de choisir les personnes
les plus compétentes pour lui faire passer des caps. Tel entraîneur m’a fait
progresser jusqu’à tel niveau mais est-il capable de m’amener encore plus
haut, aura-t-il la pertinence à laquelle j’aspire  ? C’est le cas de l’athlète
Marie-José Pérec qui n’a pas hésité à déménager aux États-Unis, puis en ex-
Allemagne de l’Est, pour rejoindre de nouveaux entraîneurs même si elle
avait très bien réussi avec ses anciens entraîneurs  : «  Chaque fois que je
savais qu’un autre entraîneur pouvait m’apporter quelque chose de plus,
j’étais prête à quitter et repartir pour une nouvelle aventure 15. »
Le champion sait ce qu’il veut et il s’organise pour l’obtenir. C’est
propre à sa démarche de tout faire pour avoir un coup d’avance. J’agis au
lieu de réagir  : évaluer les compétences de mon staff, savoir filtrer entre
l’affectif et le professionnel, accepter qu’on ne peut pas plaire à tout le
monde…
Si l’ego souvent surdimensionné du champion est nécessaire pour forger
son chemin, il peut constituer un frein à sa performance dans un futur rôle
professionnel. Ce n’est pas rare du tout qu’on continue à faire
systématiquement référence à sa carrière pendant l’étape de transition qui
suit la fin. Mais quand la lumière n’est plus sur soi et qu’on entraîne, par
exemple, des jeunes, ces derniers peuvent aussi être écrasés par ce Moi
grandiose du champion. À  lui de chercher à étoffer ses bagages
pédagogiques plutôt que de rester sur les « Moi je… » ou « T’as qu’à faire
comme moi  ». Quand le champion de football Diego Maradona était
sélectionneur de l’équipe nationale d’Argentine, une grande partie des
joueurs lui reprochait de ne faire référence qu’à son propre parcours comme
si c’était aussi simple de le copier…
Comment et avec qui faire son bilan sur :
– son accomplissement ;
– ses regrets, ses remords ;
– les compétences transférables dans d’autres domaines de la vie ;
– les leçons de vie à intégrer pour la suite ?
Pour Marc Levêque, la fin de carrière «  produit la rupture du lien
multidimensionnel qui unissait le sportif à sa communauté, lui conférait une
identité sociale et soutenait son estime de soi 16  ». Le champion gardera
peut-être un lien avec son entraîneur, son kinésithérapeute ou son manager,
mais ces figures d’attachement sont-elles aptes à répondre aux besoins et
aux attentes de leur protégé au moment de l’arrêt de carrière  ? La fin de
carrière ouvre de nouveaux défis à relever et, avec eux, de nouvelles
compétences à chercher.
L’ancienne garde rapprochée risque de ramener le champion au passé. Il
n’est pas certain que ses compétences suffiront pour l’aider à se projeter sur
le futur, sur d’autres voies. Ses membres ont aussi besoin de faire leur deuil
du champion. À eux de reconnaître le besoin du champion de se regarder
dans la glace pour passer à autre chose. C’est maintenant à leur tour de se
repositionner pour le laisser partir, tracer sa route vers de nouveaux
horizons.
Qui peut donc comprendre l’épreuve traversée à ce moment-là ? À qui
peut-on se confier  ? Qui peut aider à mettre des mots sur les grands
moments d’une vie ? L’intimité du traumatisme et l’orgueil du champion lui
interdisent d’aller demander de l’aide.
La fin de la carrière signifie aussi la fin de l’exutoire et, avec elle,
l’impossibilité de sublimer pour ceux qui n’ont rien pu construire de sensé à
côté. Et gare à ceux chez qui le naturel revient au galop quand il n’y a plus
l’énergie et l’agressivité canalisées par l’investissement sportif…
Il y a ici un vrai besoin de s’ouvrir et de se repositionner, quitte à faire
évoluer sa garde rapprochée. C’est peut-être le moment de s’investir dans
une formation, le temps de repartir sur de nouvelles bases, tout en intégrant
ses expériences antérieures. C’est un apprentissage vers d’autres types de
fonctionnement, la rencontre avec de nouveaux guides et tuteurs, ceux qui
peuvent montrer le chemin. Le champion peut alors s’accrocher parce qu’il
accepte un nouveau défi qui lui ouvre la voie de la résilience  : «  La
possibilité de rencontrer des lieux d’affectation, d’activités et de paroles que
la société dispose parfois autour du blessé offre les tuteurs de résilience qui
lui permettront de reprendre un développement infléchi par la blessure 17. »
Enfin, rares sont les champions qui font la démarche de se faire
accompagner soit par une aide psychologique soit par des tuteurs et des
formateurs qui font office d’ouverture et de garde-fou. Mais quand on fait
preuve d’intelligence et d’humilité, l’idée de se former n’est pas bien loin.
Comment ne pas penser à Zinedine Zidane qui a épousé la voie de la
formation, puis accepté d’entraîner pendant plusieurs années l’équipe
réserve du Real Madrid avant de devenir un grand entraîneur ?
On redécouvre un lien pédagogique à travers de nouveaux
accompagnateurs qui demandent qu’on se repositionne pour avancer. Et
rien n’empêche d’être créatif en allant chercher des techniques qui ont fait
leurs preuves dans le travail individuel et groupal, à l’image des groupes
Balint 18.

Se positionner entre le tout ou rien


Impossible de gravir les échelons pour devenir champion sans savoir
tracer sa route. L’objectif étant notamment de donner la priorité à son
projet, sans s’éparpiller et perdre de l’énergie précieuse. Ce sont des
moments où l’on ne peut pas faire autrement que faire confiance à son
instinct si l’on veut continuer à percer.
Comment alors baliser son chemin en fin de carrière sans avoir un
projet fort et sans savoir ce que l’on veut ? On peut vite se retrouver entre
une carrière riche et une période de désarroi sans repères. Et comme dans
tout « d’entre-deux », on est tiraillé et coincé entre deux extrêmes. Difficile
de trouver un juste milieu, surtout que grand nombre de champions ne
connaissent pas la demi-mesure et oscillent entre le « tout » et le « rien ».
Dans le cadre des séminaires «  Sport et résilience  », Boris Cyrulnik a
bien décrit ce moment où l’on se retrouve dans un cul-de-sac comme un
traumatisme insidieux : « Je suis déchiré parce que je rêvais et je n’ai pas
d’autre voie, je n’ai pas de néodéveloppement possible. Je ne suis pas
champion, donc je ne suis rien 19.  » Cette vision très clivée reflète bien le
caractère du milieu sportif où l’on cherche souvent en vain la nuance parmi
des stéréotypies langagières opposant deux extrémités comme  : «  T’as
confiance ou pas ? » Comme si c’était aussi simple que ça ! On esquive la
complexité de l’être humain qui est considéré comme fait d’un bloc et on
laisse la place au « prêt-à-penser des formules magiques 20 ». Les exemples
ne manquent pas et nous montrent à quel point les sportifs et leur entourage
« font le yo-yo » en zappant au passage le juste milieu :
– « J’ai des bonnes sensations » vs « je ne sens rien du tout ».
– « Je me lâche » vs « je suis inhibé(e) ».
– « Je suis en pleine confiance » vs « je ne vaux rien du tout ».
– « J’ai tout compris » vs « je ne comprends rien ».
– « Je suis champion » vs « je ne suis rien ».
– « Je vise l’autonomisation » vs « je suis infantilisé ».
Dans le monde des « hyper », qu’ils soient sportifs ou autres, malgré la
finesse et la sensibilité existantes, il y a peu de place pour la nuance :
– « Soit je me couche à 20 heures soit à 4 heures du matin ! »
– « Soit je ne bois pas une goutte d’alcool soit je me mets minable. »
– « Soit je ne dis rien, soit je pète un câble. »
Et puis nous connaissons tous ce moment quand les autres cherchent à
nous enfermer dans une dimension binaire : qui n’est pas sorti d’une séance
de cinéma sans entendre la fameuse injonction contradictoire sous forme de
question  : «  Alors, t’as aimé ou pas  ?  » Comme s’il n’y avait que deux
choix alors que l’argumentaire pourrait prendre une tournure un peu plus
nuancée : « J’ai aimé les acteurs mais pas le scénario. »
Faut-il nuancer ou rester dans le clivage  ? Certains parmi les autres
performeurs non sportifs comme l’acteur Édouard Baer positionnent ces
allers-retours entre deux extrêmes comme la condition sine qua non de leur
créativité : « Je n’ai pas la bonne distance avec moi-même. Je m’aime trop
ou je me déteste trop. Le jour où je serai à l’aise j’arrêterai de faire du
théâtre ou du cinéma, d’écrire, je me poserai et je m’adonnerai à la
contemplation 21. »
Et s’il fallait composer avec ces extrêmes et, au lieu de les opposer,
faire avec  ? Le «  tout ou rien  » devient alors «  tout et rien  » puisque les
deux entités cohabitent. D’autres, comme la chanteuse Feist, commencent à
se lasser des yo-yo émotionnels : « Comme un peu tous les artistes, j’ai pris
conscience que je vivais constamment entre deux extrêmes, que mes hauts
étaient très hauts et mes bas très bas. Jusque-là je subissais ce zapping
émotionnel, j’y étais même devenue accro. Je commence juste à sortir de
cette addiction. J’ai voulu en explorer toutes les facettes, pour y mettre du
sens, tenter de ne plus la subir 22. »

Comment continuer à être après avoir


été : le triptyque inversé
En fin de carrière, le champion est amené à se positionner, son mode de
fonctionnement est défié et il doit rendre des comptes à lui-même. La
comptabilité des résultats sportifs laisse la place à une renégociation de son
sentiment d’identité à laquelle il n’est pas spécialement préparé. C’est un
défi pour son entourage que de lui procurer l’espace adéquat dans lequel il
peut s’exprimer pour ensuite élaborer. C’est une réflexion qui le pousse à
une rupture émotionnelle et physique qui servira de base pour un nouveau
défi.
On ne naît pas champion, on le devient. La carrière sportive de haut
niveau se construit à partir d’un désir fort qui est pris très au sérieux, puis
étayé par un plan performant, puis un positionnement conséquent qui aide à
tracer sa route sur un long chemin parsemé d’embûches et d’obstacles.
L’ordre de passage au sein du triptyque « désir, entourage, positionnement »
est totalement remis en question quand sonne le moment de la fin de
carrière.
D’abord parce que cette rupture provoque un choc traumatique suivi
d’une période dépressive. Il y a un passage obligatoire par l’épreuve de la
souffrance et de l’acceptation de la réalité avant de « re-vivre ». Ce constat
nous amène à évoquer l’hypothèse selon laquelle un nouveau désir ne peut
éclore que si l’on change de posture, puis d’environnement. Le schéma
initial se trouverait alors inversé  : le «  re-positionnement  » induit par le
choc de l’arrêt demande de faire évoluer sa garde rapprochée ; celle-ci ainsi
que le travail personnel amènent des stimulations nécessaires avant d’avoir
de nouveau accès à son désir.
Entre les muscles d’Hercule et le talon d’Achille le jeu sportif amène
inexorablement au «  je  » du champion, là où le moi se révèle, là où la
résilience opère. Jusque-là encadré et accompagné, la rupture entraîne le
champion à rentrer dans un nouveau processus de vie, forcé de se
reconnecter avec l’essentiel  : lui-même. Une perte de contrôle à
contrôler 23…
C’est un véritable passage vers une autre souffrance libératrice du
plaisir de se renouveler. Boris Cyrulnik résume ce délicat virage à prendre
comme une victoire de la vie sur la souffrance : « J’ai été plus fort que la
souffrance, j’ai été plus fort que la mort. Maintenant, je me remets à vivre
parce que je suis fier de moi 24. »
La reconversion du sportif de haut
niveau, un modèle de résilience ?

PAR AURÉLIE NAVEL-GIRARD

La «  reconversion  », celle qui ouvre au changement, changement de


profession certes, mais pas seulement, s’est vue s’ériger dans le paysage
sportif, au beau milieu d’une horde de principes inhérents au sport de haut
niveau comme l’entraînement, la compétition… Après avoir participé,
l’essentiel serait-il devenu de se reconvertir  ? La maxime de Pierre de
Coubertin aurait trouvé là une évolution…
C’est ainsi que des entités visant à accompagner des athlètes retraités
dans leur processus de reconversion ont vu progressivement le jour : parmi
elles, « l’unité spécialisée dans la reconversion des sportifs de haut niveau »
née en 2013 à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la
performance (INSEP). Mais cela ne saurait être l’apanage et la
préoccupation du seul coq bleu-blanc-rouge puisque plus tôt, au niveau
européen, s’était déjà créé dès 1993 un groupe d’intérêt spécial sur la
transition de carrière subsistant sous le sigle SIG-CT (Special Interest
Group on Career Transitions). La recherche, notamment anglo-saxonne,
s’est donc elle aussi prise d’intérêt, alimentée et accompagnée d’un certain
engouement médiatique, à la recherche de témoignages « vivants », parfois
même «  sur-vivants  », serions-nous tentés d’ajouter, au vu de la tonalité
sombre et mortifère des récits. Ne parle-t-on pas de «  petite mort du
champion 1 » ?
Pourtant, non pas de mettre en doute son implantation, ni même sa
légitimité, la place occupée par la reconversion dans le champ du sport de
haut niveau reste à l’heure d’aujourd’hui quelque peu «  bâtarde  », tantôt
acceptée, voire pensée, tantôt reléguée au banc de touche ou, dans une
moindre mesure, remise à plus tard. L’explication est, somme toute, très
sommaire  : comment penser l’impensable  ? Car penser à elle, c’est
finalement penser à la finitude, celle du champion, du héros cuirassé contre
les maux, contre la mort, celui que l’on croyait invincible, éternel.
Et avec elle, c’est le retour douloureux d’une question existentielle et
sans réponse qui traverse tous les peuples, âges et époques  : qu’y a-t-il
après la mort  ? Les enfants ont eux beaucoup d’imagination, nous les
adultes un peu moins, coincés entre l’enfer et le paradis, saupoudrés de
culpabilité consciente et inconsciente. Je me souviens d’un de ces petits
patients qui m’avait confié à propos du petit garçon de la première planche
d’un test figuratif appelé le TAT (Thematic Aperception Test) : « On dirait
qu’il essaie de se réconforter avec son imagination.  » Projection de lui-
même pour cet enfant envahi par son monde interne, fait d’angoisses de
morcellement, dont l’apparition et la création imaginaire de monstres
effrayants, parfois dévorants, au milieu d’une connaissance experte sur les
« tournades » – forme de néologisme, altération langagière s’inscrivant en
lieu et place du signifiant « tornade » – avait pour fonction de le protéger un
temps soit peu de ses angoisses envahissantes. Si j’en avais appris beaucoup
ce jour-là sur les tornades, j’en avais aussi beaucoup appris sur la fonction
de son imaginaire : contenir.
Contenir la mort, physique, psychique : y a-t-il plus belle façon trouvée
par l’homme que de fantasmer la vie, et pourquoi pas, de la mettre en
scène ? La mort, en l’occurrence celle du champion, deviendrait alors, dans
nos rêves les plus fous, une nouvelle chance pour une autre naissance. C’est
le temps de la reconversion, le chemin de la résilience.

Le temps de la résilience
Le temps, ce partenaire privilégié avec lequel le sportif de haut niveau
doit compter et composer, parfois même jouer, fractionnant sa journée, son
année, sa carrière, en multiples temps distincts, programmés, contrôlés,
devient plus que jamais son acolyte avec l’arrêt du sport de haut niveau. En
effet, la reconversion est un processus dynamique qui s’inscrit dans une
certaine temporalité. Ce n’est d’ailleurs pas le fruit du hasard si on lui a
accolé le concept de «  transition  », comme pour souligner l’idée qu’il
faudrait prendre son temps ou, tout du moins, que se reconvertir prendrait
du temps. Le temps est exigeant  : il demande respect. Et la résilience s’y
soumet : elle n’est pas innée, elle n’est pas offerte, elle se construit au fil de
son histoire, des opportunités et des rencontres.
Sur un plan théorique, Taylor et Ogilvie (1994) sont les premiers à
s’être intéressés et arrêtés sur cette temporalité spécifique de la
reconversion du sportif de haut niveau 2  : ils retracent, qui plus est, de
manière schématique et hiérarchique, le parcours entier d’un tel processus,
distinguant et représentant ses différentes étapes successives sur un plan
vertical. Verticalité qui ne va pas sans rappeler le mouvement de clepsydre,
du temps qui s’écoule, et ce passage délicat, ce rétrécissement du goulot de
l’étape trois, nommée « qualité de la transition de carrière ». En amont, les
raisons de la retraite selon leur degré de contrainte (blessure, désélection,
conflits…), puis les facteurs internes et externes liés à l’adaptation, parmi
lesquels on peut mentionner le soutien social, les stratégies de faire face, la
planification de la retraite ou encore l’identité de soi. C’est ce que nous
pourrions finalement appeler le temps pragmatique de la reconversion.
Mais qu’en est-il du temps psychique ? Qu’en est-il lorsque celui-ci ne
se superpose pas au temps pragmatique ? Reste-t-il encore du temps pour la
résilience ou l’horloge s’enraie-t-elle ?
Le temps psychique, le temps intérieur, lui, ne peut être schématisé,
encore moins calculé, mesuré : il se pense, se vit, s’intériorise pour pouvoir
s’élaborer. C’est un autre temps, une sorte de hors temps. Celui qui
permettra au sportif de haut niveau retraité de désinvestir libidinalement son
objet d’amour, désormais perdu. Ce n’est en effet qu’au prix de ce
douloureux mais nécessaire travail du deuil, qu’une chance pour une autre
naissance pourra d’abord se rêver, pour ensuite prendre éventuellement
place dans le réel. Les énergies libidinales, en se détachant de l’objet perdu
sport, pourront de nouveau être mises à profit, partir à la conquête d’autres
lieux de convoitise et le sujet réinvestir de nouveaux objets de plaisir. Mais
pas de conquête sans rêverie  ; pas de rêverie sans manque, sans perte. Le
manque comme objet cause du désir, en référence à Lacan. L’athlète retraité
serait-il alors une forme d’illustration du manque  ? Non qu’il ait été, du
temps de son règne, édifié par la complétude, même s’il la recherchait avec
avidité, ou alors l’objet sport n’aurait pas trouvé sa place, mais avec l’arrêt
du haut niveau, c’est une perte à multiples facettes à laquelle il doit
désormais se confronter  : perte du sport et de sa pratique intensive, perte
d’un corps performant et esthétique, perte d’un statut social hautement
valorisé, perte d’un environnement surprotecteur. La perte dans tous ses
états. Il faut injecter une bonne dose d’imagination pour se réconforter… La
tâche se complique d’autant qu’il s’agit de rêver à d’autres objets, alors que
l’objet d’amour définitivement perdu est encore présent dans le réel, parfois
sous ses yeux, derrière l’écran, et que les autres, les survivants,
«  s’amusent  » encore avec. C’est là en effet une spécificité de la retraite
sportive de haut niveau : l’objet perdu reste « objet de jouissance 3  » pour
d’autres, «  pour ses rivaux  ». La tentation d’y rester attaché, l’illusion
d’entretenir la même relation privilégiée pour échapper au vide du moi est
grande. Et avec elle, le risque de voir le déni devenir un véritable
compagnon de fortune dont il sera difficile de se séparer. Comment
combattre l’adversité lorsque l’adversaire n’est pas ? La résilience s’empare
de la souffrance pour lui résister.
J’aime à me rappeler la parabole de Cyrulnik 4 qui, à propos de la
formation des perles dans les huîtres, explique que celles-ci sont la
résultante d’un système autodéfensif de l’huître contre un petit, mais
sérieux agresseur, les grains de sable. Et d’ajouter  : «  La perle naît donc
d’une blessure au creux d’un coquillage, et sans blessure, pas de perle. Il y a
bien des perles dans nos vies qui naissent de nos blessures. » Il est de ces
reconversions qui sont des bijoux.

De la résiliation à la résilience : l’histoire


d’Achille
Seul le suffixe change. Il n’y a qu’un pas. Un pas de souris, un pas de
géant, un pas à pas…, toutes les formes sont envisageables : la résilience est
singulière.
Celle d’Achille résonne comme un modèle de fluidité.
Achille est âgé de 37 ans et occupe le poste de recruteur français pour
un grand club de football européen. Il a mis fin à sa carrière de footballeur
professionnel il y a maintenant quatre ans. De cette fin de carrière, il dit
qu’elle a été prématurée, non préparée, non choisie : un subtil mélange de
désélection, de conflits avec l’entraîneur et de blessure récurrente. Une
combinaison détonante qui aurait bien pu faire perdre pied et plonger dans
le marasme d’une fin de carrière tragique, l’une de celles que les médias
aiment à nous conter. Mais le conte a le pouvoir de l’acceptation de
l’invraisemblance. Et c’est le point d’ancrage du mouvement de résilience
d’Achille qui, au détour d’une désélection forcée et d’une résiliation de
contrat à venir de même tonalité, négocie férocement sa dernière année et
accepte en contrepartie une proposition peu banale que certains auraient
sans doute rapidement écartée (ne serait-ce que d’un point de vue
financier) : un poste de recruteur pour son club. C’est sans doute aussi ce
que croyaient ses dirigeants en la lui formulant  : arriver à éloigner ce
fervent combattant. Ils avaient juste omis la maxime suivante : Achille sait
et aime se laisser surprendre, offrant un terrain de jeu balisé à ses capacités
de rêverie. Sans quoi il n’aurait pu accéder à cette demande originale et
inattendue. Achille se prend à rêver à cette nouvelle fonction, s’investit
pleinement pour se créer progressivement un large réseau de relations
professionnelles qui l’emmènera vers une embauche par l’un des plus
grands clubs européens. Un nouveau sélectionneur est né. Celui qui a
justement été désélectionné  ! L’inattendu semble avoir agi comme un
révélateur chez Achille, créant une savante et puissante alchimie intérieure
au service de la résilience et de sa reconversion.
Achille n’en est pas à son premier « coup d’inattendu » ! Il en est même
un habitué. Déjà plus tôt, en plein examen universitaire, il avait choisi,
assis, face à sa copie, de laisser crayon et dissertation pour aller rejoindre le
ballon rond, sans aucune piste à suivre, si ce n’est celle de son cœur, de son
désir, de sa rêverie, celle de son Moi. Et pourtant, au bout : le monde de la
professionnalisation. Enfin  ! Plus tard encore, alors même qu’il rompt à
deux reprises son contrat avec son club relégué en troisième division,
refusant ce qu’il juge inacceptable pour son narcissisme, il accepte
étonnamment (lui-même en est encore surpris) de signer en quatrième
division de l’autre côté de la Manche. Au bout : non pas un long tunnel qui
rapatrie vers la France, mais une expatriation aux couleurs de la réussite et
de l’adaptation dont Achille est le principal acteur. Il multiplie les
récompenses, les titres de meilleur buteur, les articles de presse, les photos,
l’argent et, plus encore, de l’inattendu né de l’inattendu : une remontée en
seconde division.
L’acceptation de l’invraisemblance n’appartient pas qu’au monde
imaginaire. Lorsqu’on lui offre la chance de se déployer dans le réel, elle
vient même toucher des points de ressources internes, parfois simplement
en sommeil, parfois insoupçonnés, qui jaillissent alors en éclaireurs de la
résilience. « Et la lumière fut », nous enseigne la Genèse. Et un peu plus :
« Ce fut le premier jour. » La naissance a besoin d’un créateur. Achille est
son propre créateur. Mais l’imaginaire n’est pas une source à l’état brut, à
ciel ouvert  : il doit être borné et transformé, au risque de perdre son
propriétaire dans ses abysses les plus profonds. Symboliser, se représenter
pour ne pas s’égarer : Achille est chevronné 5.
Souvenez-vous aussi  : au commencement, Dieu le créateur sépara les
éléments pour les faire naître (le ciel-la terre, la lumière-les ténèbres…).
Autrement dit : pas de naissance sans séparation. Se séparer de ce costume
de sportif de haut niveau qui colle à la peau, prendre le risque de se sentir
nu, dévêtu. Achille s’est déshabillé pour endosser un nouveau rôle social,
qui plus est (ici aussi de l’inattendu naît de l’inattendu) davantage valorisé.
« Je ne pouvais pas rêver mieux », confiera-t-il.
Le temps pragmatique semble avoir un peu été court-circuité au profit
du temps psychique ; pourtant, la perle s’est formée. Néanmoins, à l’instar
du héros grec qui, lors de la guerre de Troie, se révèle vulnérable par ce
talon que sa mère n’a pas pu plonger dans les eaux du fleuve Styx qui
offrent l’immortalité, notre Achille a lui aussi sa fragilité  : une relation
conjugale peu épanouissante. Et si pour l’instant c’est elle qui vient nourrir,
en vase communicant, son assouvissement professionnel, l’équilibre est
précaire, dangereux. Les éclaireurs de la résilience ne suffisent peut-être
pas…
La reconversion n’est pas linéaire  : elle est singulière, en mouvement,
bercée sans cesse par les flots de la vie, les événements, les rencontres,
traversée par l’internalité de son capitaine, ses mouvements psychiques.
Elle ne peut, par conséquent, être à l’image de ces fins de match,
dichotomique, avec deux seules issues possibles, arrêtées et antipodiques :
la réussite versus l’échec. La vie ou la mort  ! «  Un bonbon ou un sort  »,
disent à la cantonade les petits halloweeniens derrière leurs masques aux
allures effrayantes, qui symbolisent la mort ; cela laisse finalement peu de
place au véritable choix, celui qui appartient au sujet. La thérapie, parce
qu’elle se veut justement respectueuse de cette subjectivité, apporte en
images la complexité dans laquelle se déplie une sorte de spectre de la
reconversion. Il y a bien de ces reconversions parmi nos rencontres, qui
sont, tels des intermédiaires, mitigées. Elles aussi sont emmenées par les
éclaireurs de la résilience, ceux-là mêmes qui ont conduit Achille vers cette
autre naissance, offrant un lieu d’expression à ses potentialités psychiques,
ses capacités imaginaires et de symbolisation. Et pourtant, le curseur s’est
comme arrêté, la résilience est passée sous silence. C’est qu’elle a besoin,
en plus, d’être portée, d’être supportée.

Les supporters de la résilience
Des supporters, les sportifs de haut niveau en ont bien connu au temps
de leur gloire, emportés par l’élan d’actes d’amour sincères, vrais, ceux qui
prennent source dans le Moi, sans recherche a priori de bénéfice
secondaire, si ce n’est celui de se sentir vivant. Mais l’amour n’est que
conquête incessante  : il ne peut être gardé en lieu sûr, il est incertain,
soumis à la temporalité, prêt à filer à toutes pattes, à s’évaporer. Le sportif
retraité en fait bien souvent la douloureuse expérience ou alors il est élevé
au rang de figure mythique. Combien avouent se sentir seuls, délaissés,
abandonnés  ? À la perte de l’objet d’amour s’ajoute le sentiment de perte
d’amour des prétendants eux-mêmes, «  endeuillés  », en mal d’objet
d’amour, puisque leur héros n’est plus. Les mouvements de foule ont ceci
de tragique qu’ils peuvent embarquer dans leur sillage tout un chacun qui se
trouve sur son chemin. L’entourage du sportif retraité est malheureusement
parfois sur ce chemin, à l’épreuve lui aussi de la perte. La relation doit
opérer un changement. On sait, dans le deuil, l’importance de la présence de
l’entourage comme agent étayant 6, lequel, une fois endeuillé, risque de
compliquer le deuil, obstruant l’expression émotionnelle dont l’un des
avatars est le maintien dans la culpabilité. Dans ce contexte, et sans doute
en attendant que les relations de chacun à la perte se nouent différemment,
ce sont d’autres supporters, des « supports-à-être » qui vont initier le sportif
retraité à la résilience. Ces tuteurs de résilience sont aux couleurs de la
mixité  : parfois juste de passage, parfois même insoupçonnés ou bien, au
contraire, bien installés, au côté du résilient à jamais. Mais ils ont tous en
commun ce pouvoir de convoquer le changement, tels des révélateurs du
Moi, de ses potentialités. Ils sont aussi toujours investis par le résilient en
tant qu’agents «  nouveaux  », soit qu’ils n’aient jamais eu à rencontrer
l’athlète maintenant retraité, soit que leur relation soit désormais déprise de
la valence négative de la perte de statut. Car pour résilier, un athlète retraité
a besoin d’une reconnaissance et d’une acceptation dans et par l’autre de sa
nouvelle condition, lui assurant un sentiment de sécurité personnelle. Ce
n’est qu’à ce prix que l’alchimie peut agir, les capacités de rêverie se
remettre en marche : oser rêver à un après autrement, sans l’objet d’amour.
Achille, lui, a trouvé sur la route de sa reconversion, un chief scout, un
de ceux dont la fonction est justement de recruter de nouveaux joueurs dans
un club. De son œil aguerri, ce dernier a repéré en l’ex-joueur de football un
ailleurs potentiellement nouveau  : un autre regard a ainsi été posé sur
Achille, qui s’y est accroché comme un nouveau-né s’accroche au regard de
sa mère, il y a pris appui pour s’élever et s’assurer qu’une chance pour une
autre naissance allait participer au réel. Mais le signifiant lui-même n’a-t-il
pas aussi résonné de manière singulière pour Achille qui est devenu quasi
bilingue  ? Tiré de l’anglais, scout signifie en effet «  éclaireur  »  : Achille
venait de trouver un chef éclaireur. Une sorte de guide en somme, capable
de réveiller et de coordonner ce que nous avons appelé les éclaireurs de la
résilience, les potentialités psychiques. Quoi de plus « parlant » qu’un chef
éclaireur, qu’un chief scout, pour conduire sur le chemin de la
reconversion  ? Les tuteurs de résilience sont ainsi éligibles pour diverses
raisons dans lesquelles l’inconscient a toute sa place.
Pourtant, à l’épreuve de la singularité, on trouve aussi, de façon non
intuitive, des tableaux qui résistaient malgré tout. Non que la seule
évocation du changement sous-entendu dans la reconversion convoque chez
ces personnes une forme de conservatisme dans lequel se meut un
renforcement des mécanismes défensifs, mais bien parce qu’une grande
figure est absente du discours : le conjoint.

Reconversion et couple résilient :


l’histoire d’Arthur
Première figure étayante du champion, le partenaire sexuel n’a de cesse
au cours de sa vie conjugale, menée auprès de son héros apollonien, de le
supporter dans sa dimension active, de l’encourager dans ses efforts, sa
pratique sportive intensive. Mais l’être conjugal ne saurait échapper à sa
valence passive, celle qui consiste à endurer et dans laquelle il est pris,
parfois à son insu. Endurer les contraintes liées à l’exercice du sport de haut
niveau, parmi lesquelles figurent les multiples déménagements, avec la
nécessité de s’adapter socialement, professionnellement, familialement. Le
changement est comme le fil conducteur de leur histoire de couple. Mais
jamais sans le ballon rond, jamais sans les baskets, jamais sans la raquette.
Jamais sans son/leur objet d’amour, en somme. La triangulation, la
dimension œdipienne, avec tout son cortège de rivalités, de fantasmes
meurtriers et d’ambivalences, se joue et se rejoue dans l’acte sportif lui-
même 7, mais aussi sans doute dans la nébuleuse sportive. Le couple est à
l’épreuve de sa solidité ; et parfois, la génitalité ne peut advenir en son sein,
pris par les avatars de la scène œdipienne. La rupture guette.
Le parcours d’Arthur est l’illustration d’un de ces empêtrements
pulsionnels, prisonnier de fantasmes œdipiens vivaces dont on ne peut se
défaire 8, reléguant la génitalité à un avenir incertain. Arthur est âgé de 42
ans et occupe à temps partiel un poste d’entraîneur adjoint pour une équipe
de football de niveau CFA, après avoir pris appui sur un de ses amis, un de
ces supports à être. Il dit s’y épanouir, s’enrichir, avare d’une vie désormais
libérée de contraintes cadenassantes, formatantes. Pourtant, la résilience ne
semble pas avoir résisté aux souffrances laissées par l’arrêt du sport de haut
niveau  : le manque, le vide laissé est encore prégnant, malgré les années,
malgré les ressources internes. Arthur a en effet mis fin à sa carrière de
footballeur professionnel il y a sept ans, embourbé dans un conflit conjugal
rapidement devenu un conflit parental persistant et récalcitrant. Bien sûr,
blessures et lassitude se sont elles aussi invitées au nombre des raisons,
mais elle court, la maladie d’amour, et semble-t-il à grand galop, infiltrant
toute la fin de carrière d’Arthur. Pour preuve, celui-ci se servira de cette
rupture amoureuse pour métaphoriser sa retraite sportive ; à propos de son
arrêt, il dira  : «  C’est comme une relation amoureuse et du jour au
lendemain ça s’arrête et en général si vous aimez quelqu’un et qu’elle vous
quitte, vous souffrez, c’est difficile, y a pas de remède. »
Arthur, membre de la Table Ronde, reviviscence de la scène œdipienne
où s’entremêlent séduction, trahison et conflit de loyauté, a perdu sa
Guenièvre : elle s’en est allée, et le ballon rond n’y a pas résisté. Il a dû être
abandonné, en partie, en tant qu’objet de jouissance primaire, pour assurer
le bon maintien d’Arthur dans sa fonction paternelle. Les deux pertes sont
désormais liées à jamais sur un plan fantasmatique. La douleur, comme
l’amour d’ailleurs, sait malheureusement se multiplier. On considère
actuellement, de manière consensuelle, le cumul d’événements de vie
comme un facteur de risque de complication du processus de reconversion
chez un sportif de haut niveau. Perdre le conjoint, devenir disjoint en
somme : la coupure est franche, cinglante, sanglante, la plaie à ciel ouvert
pour celui qui n’a pu symboliser la séparation inhérente au conflit œdipien.
Celle d’Arthur a pénétré son enveloppe psychique : la peau, mal cicatrisée,
s’est durcie, formant une carapace rigide contre toute menace d’agression
extérieure 9. La herse s’est abaissée, l’huître refermée, la perle est devenue
inaccessible.
Il est de ces histoires qui, bon gré mal gré, réinterrogent. Celle d’Arthur
pose la question de la place et du rôle de l’être conjugal dans le processus
de reconversion. Une particularité sans nom, liée aux conditions même de la
pratique du sport de haut niveau dans lesquelles se vit nécessairement le
couple conjugal. Une partition à quatre mains, dont une nouvelle chance
pour une « re-naissance » pourrait bien dépendre.
Et il est encore, comme le rappellent les médias, d’autres cas bien plus
sombres, prêts à passer de l’autre côté, à s’abandonner 10. La blessure
comme objet de création et de révélation du Moi, de ses potentialités,
devient alors meurtrissure, objet d’aliénation à la souffrance. C’est que
l’alchimie n’a pas pu se créer, les embryons se former, l’autre naissance se
déployer. La mort, celle du héros, si elle ne peut être évitée, n’a pas non
plus pu être sublimée : elle l’a pour une fois emporté sur ces habitués des
podiums, sur ces adeptes de la plus haute marche, celle où rien ne peut
atteindre en apparence. À propos de ces consécrations sportives qui élèvent
au rang de champion, on a parlé d’ailleurs de « victoire homéopathique sur
la mort 11 » offrant à leur détenteur bien plus qu’un titre reconnu et valorisé
par le sociétal  : un sentiment de toute-puissance et de contrôle de
l’existence. Glorieuse lorsqu’elle l’est à son tour, la reconversion pourrait
bien s’apparenter à une forme de réactualisation concluante de l’acte
sportif, proposant cette fois bien plus qu’une victoire sur la mort : une autre
naissance.
e
Sportifs et III  Reich, histoires
de résilience

PAR CAROLINE FRANÇOIS

« Je n’oublierai jamais les fleurs des crématoires


Vues par le dernier souffle de mes frères tombés
J’ai dans mon cœur trop de blessures
Je n’oublierai jamais le granit des carrières
Porté à en mourir par mes frères tombés
J’ai dans mes bras trop de fatigues
Je n’oublierai jamais les chiens des brumes grises
Lancés sur les abats de mes frères tombés
J’ai dans mes yeux trop de colères
Je n’oublierai jamais l’aube du dernier jour
Projetée sur le front de mes frères tombés
J’ai dans mon sang trop de lumière
Ô mes fils d’un aujourd’hui blafard
Comprenez-vous cette fidélité ? »
Yves-Pierre BOULONGNE, 11 juin 1971.

La lecture de ce texte de Yves-Pierre Boulongne 1, issu d’un recueil de


poèmes dont l’écriture a commencé en déportation à Buchenwald et s’est
poursuivie longtemps après son retour des camps, nous questionne sur le
sort des sportifs de haut niveau pendant les années noires de l’avènement du
IIIe  Reich à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces sportifs qui ont
participé aux Jeux olympiques de Berlin, ceux qui n’y sont pas allés, ceux
qui auraient dû se rendre aux suivants et qui, à défaut, ont été mobilisés
pour la guerre, ceux que l’occupation allemande dans leurs pays respectifs a
obligés à se cacher ou à entrer en Résistance, les éloignant des terrains
d’entraînement, ceux qui, finalement, rattrapés par la fureur nazie, ont été
arrêtés, déportés ou assassinés. Et enfin ceux, bien peu nombreux, qui ont
survécu, que leur reste-t-il de leur expérience concentrationnaire et des
humiliations répétées  ? Après l’épreuve –  qui n’a rien de sportive  – ces
héros des temps modernes sont-ils parvenus à surmonter les chocs et
traumatismes psychiques et physiques subis pendant ces années  ? Ont-ils
retrouvé le chemin des terrains d’entraînement ? Ont-ils trouvé les ressorts
nécessaires pour se reconstruire ?
À la sortie de la guerre et des camps, les sportifs déportés doivent se
reconstruire après ce qui est considéré comme «  la référence en tant que
situation paroxystique cumulant tous les dangers 2 ». Il est donc intéressant
de relire leurs parcours à travers le prisme de la résilience et de tenter de
faire apparaître ce processus de résilience, la « capacité de ne pas se briser
(de “rebondir”) sous l’effet des pires chocs 3 ». Cette histoire est compliquée
à écrire, car les sportifs déportés ont très peu témoigné en public et encore
moins à l’écrit sous forme d’autobiographie 4. Il existe d’autres paroles,
celles des compagnons d’infortune 5 et, enfin, quelques biographies 6. C’est
donc avec un matériau épars, inégal, parfois tardif par rapport aux faits
évoqués, qu’il faut reconstituer ces parcours pour comprendre si le sport a
permis de « surmonter les blessures de la vie ».

La mise à l’écart des sportifs indésirables


Dès les premiers mois suivant leur accession au pouvoir en Allemagne
en 1933, les nazis mettent en œuvre, dans tous les domaines y compris celui
du sport, les principes énoncés par Adolf Hitler dans Mein Kampf : « Il ne
devrait pas se passer de jour où le jeune homme ne se livre, au moins une
heure matin et soir, à des exercices physiques, dans tous les genres de sport
et de gymnastique. […] Ainsi le sport n’est pas destiné seulement à rendre
l’individu fort, adroit et hardi, mais il doit aussi l’endurcir et lui apprendre à
supporter épreuves et revers 7. » Les instances sportives, comme les clubs,
passent rapidement sous le contrôle des cadres ou des soutiens du parti nazi,
tandis que hommes, femmes et enfants sont embrigadés dans des
organisations de loisirs, relevant tout autant d’activités sportives que
culturelles et inspirées par le modèle fasciste 8. Ces dispositifs constituent
un rouage majeur de l’endoctrinement nazi à destination des masses. Par
ailleurs, conformément à l’idéologie raciste nazie, le sport et la pratique
sportive se voient appliquer, dès avril 1933, les lois et les mesures
d’exclusion décrétées à l’encontre des Juifs : interdiction de leur présence
dans les championnats allemands 9, puis exclusion progressive des
compétitions, des clubs, des terrains d’entraînement et des bases de loisirs.
Il faut toutefois rappeler que dans toute l’Europe existent, depuis la fin du
e
XIX   siècle, des paragraphes aryens dans les règlements internes de
nombreux clubs et que, depuis les années 1920, un antisémitisme virulent
en Europe centrale conduit de nombreux sportifs juifs à l’exil afin de
pouvoir poursuivre leur carrière sportive. La France, comme l’Italie 10, a
bénéficié dans ses championnats de l’arrivée de ces hommes et femmes
déracinés pour lesquels la reconnaissance sportive est un vecteur
d’intégration et de nouveau départ 11.
En contrepoint de l’exclusion des uns par l’idéologie du IIIe Reich, il y a
la mise sur orbite d’autres figures, car « les régimes totalitaires ont besoin
de fabriquer un grand nombre de héros, afin de produire une littérature où
vont baigner les foules 12  ». Incarnation archétypale de l’idéal aryen, les
succès de ces sportifs sont instrumentalisés pour promouvoir la politique
nazie auprès de la population 13. Le boxeur Max Schmeling en est une
parfaite illustration  : le 19 juin 1936, lors d’un combat pour le titre de
champion du monde poids lourds aux États-Unis, il affronte et bat le boxeur
noir américain Joe Louis. À quelques semaines de l’ouverture des Jeux
olympiques à Berlin, cette victoire est célébrée avec faste par les nazis pour
démontrer le bien-fondé de leurs théories raciales. « Le combat commence
à 3 heures du matin. Au douzième round, Schmeling met le Nègre K.-O.
Merveilleux, un combat spectaculaire et excitant. Schmeling s’est battu
pour l’Allemagne et il a vaincu. Le Blanc contre le Noir, et le Blanc était un
Allemand 14 », relate Goebbels dans son journal.

Les Jeux olympiques de Berlin :


la démonstration de l’amélioration
physique de la race allemande
L’organisation des Jeux olympiques d’hiver à Garmisch Partenkirchen
et d’été à Berlin, confiée à l’Allemagne de la République de Weimar, va
être mise au service de la promotion du IIIe  Reich sur la scène
internationale 15.
Pour cela, il faut convaincre le CIO et surtout le Comité olympique
américain du respect par l’Allemagne de l’idéal de Pierre de Coubertin, car
la participation des États-Unis est compromise par des mouvements de
boycott. Les nazis s’engagent à ce que des athlètes juifs figurent dans
l’équipe nationale si leurs résultats sont suffisants pour les sélections. En
1935, le Reichssportführer, Hans von Tschammer und Osten, invite
l’escrimeuse Hélène Mayer à rejoindre l’équipe allemande. Le CIO, les
ambassades et consulats allemands reçoivent la copie du courrier de Von
Tschammer und Osten et Hélène Mayer avec la mention «  à utiliser si
nécessaire  ». Rassurés, les membres du CIO et le Comité olympique
américain laissent donc les Jeux se dérouler à Berlin 16.
Excepté le cas controversé d’Hélène Mayer, le régime a réussi à écarter
tous les athlètes juifs de l’équipe olympique allemande. L’histoire
douloureuse de Gretel Bergmann, championne d’Allemagne de saut en
hauteur, congédiée de l’équipe allemande dès que la nouvelle du départ du
bateau de l’équipe américaine vers Berlin est annoncée, en est l’illustration
parfaite 17. Pourtant il y a bien eu des sportifs juifs à Berlin, même si, pour
chacun d’entre eux,  c’est  un choix sportif ou politique 18. Sur le podium
d’escrime féminin, les deux médaillées d’or et de bronze sont Ilona Elek et
Ellen Preis, respectivement juives hongroise et autrichienne  ; l’équipe
hongroise de water-polo qui remporte la médaille d’or compte en son sein
plusieurs athlètes juifs.
Pour certains sportifs juifs ayant fait le voyage à Berlin, l’histoire prend
des allures de cauchemar quand ils se retrouvent aux prises avec les
manœuvres politiciennes de leur fédération. Le cas des coureurs américains
du relais 4 x 100 mètres Marty Glickman et Sam Stoller en est un exemple
singulier. Le 8 août, la feuille du relais est transmise à la presse américaine ;
les quatre relayeurs sont Sam Stoller, Marty Glickman, Foy Draper et Frank
Wykoff. Pourtant, quelques heures plus tard, ce sont Ralph Metcalfe, Jesse
Owens, Foy Draper et Frank Wykoff qui foulent la piste du stade. Que
s’est-il passé dans les vestiaires ? Les entraîneurs évoquent la crainte d’une
équipe allemande secrète qui pourrait priver les Américains du titre et des
mauvaises performances lors des séances d’entraînement. Mais c’est une
tout autre version dont se souvient Marty Glickman dans ses mémoires 19,
celle de la trahison d’Avery Brundage et des entraîneurs Robertson et
Cromwell pour plaire à l’hôte allemand  : retirer de l’équipe les deux
athlètes juifs et modifier l’ordre sportif du relais pour empêcher Jesse
Owens (pourtant finisseur) de couper la ligne d’arrivée devant les
photographes 20. Marty Glickman rapporte l’annonce du changement dans
les vestiaires quelques heures avant la course. Il relate notamment
l’intervention de Jesse Owens en leur faveur et la réponse cinglante de
l’entraîneur lorsqu’il souligne que ce sont les deux athlètes juifs qui sont
remplacés et que cela sera reproché aux entraîneurs à leur retour aux États-
Unis : « Nous courons le risque. » Décision visiblement moins assumée par
l’un des deux entraîneurs qui, le lendemain de la course, prononce cette
phrase lourde de sens  : «  Marty, j’ai fait une terrible erreur. S’il te plaît
pardonne-moi 21.  » Marty Glickman rappelle enfin la dernière ligne du
compte rendu de la course par le journaliste Jesse Abramson du Herald
Tribune  : «  Ce n’est qu’une coïncidence qu’ils soient aussi les seuls
coureurs juifs de l’équipe 22. »
Cette éviction, l’une des seules connues dans l’histoire olympique
américaine, provoque un traumatisme que Marty Glickman mettra des
années à surmonter ; Sam Stoller, lui, n’y arrivera pas réellement 23. Ils n’en
reparleront d’ailleurs jamais ensemble. Au moment de l’entrée en guerre
des États-Unis, Marty Glickman, peut-être pour se « rebeller » contre cette
exclusion, décidera de s’engager dans l’armée américaine. L’épisode
berlinois influencera toute la suite de sa vie.
Malgré les controverses qui entourent le changement de coureurs, les
Américains s’imposent et privent ainsi les dignitaires nazis du succès dans
cette épreuve reine de la piste. Après avoir défait au saut en longueur le
champion allemand Lutz Long, Jesse Owens offre une quatrième médaille
d’or à son pays avec le relais. Son triomphe lors des Jeux de Berlin ternit un
peu le succès que les nazis retirent des Jeux 24. Malgré tout ils remplissent
leur double objectif de voir leurs athlètes remporter plus de médailles que
l’équipe américaine 25 et de faire état à la face du monde de la puissance de
la nation allemande : « Des compétitions sportives, des concours, des jeux
endurcissent des millions de jeunes corps et nous les montrent de plus en
plus sous un jour qu’on ne leur connaissait plus depuis peut-être mille ans.
Un nouveau type d’humain, rayonnant de beauté, est en train de croître
[…]. Ce type d’homme [nous  l’avons  vu] apparaître aux yeux du monde
entier pour la première fois l’an dernier, au cours des Jeux olympiques 26. »

Un sportif qui chute est un héros déchu


Les figures de Max Schmeling, de Lutz Long et d’Hélène Mayer
illustrent l’intérêt du régime pour les sportifs victorieux qu’il soutient et met
en avant tant qu’ils gagnent. Mais, malheur à ceux qui échouent, qui
doutent ou défient le pouvoir. Deux ans après les Jeux de Berlin, le 22 juin
1938, dans un contexte international tendu suite à l’Anschluss et à quelques
semaines de la conférence d’Évian et des accords de Munich, le boxeur
américain Joe Louis prend sa revanche et bat Max Schmeling par K.-O.
dans le Yankee Stadium de New York. À son retour en Allemagne, ce
dernier, humilié, est désavoué par le pouvoir puisque d’une certaine
manière sa défaite illustre l’échec de l’idéologie nazie 27. Au même moment,
l’Allemagne annexe les territoires des Sudètes. Les citoyens d’origine slave
sont considérés comme inférieurs dans l’échelle raciale des nazis. Or Max
Schmeling refuse de se séparer de sa femme Anny Ondra d’origine tchèque.
Il commence à prendre ses distances avec l’idéologie officielle. Comprend-
il à ce moment-là qu’il a été manipulé par le régime  ? En tout cas,
l’évolution de sa position ne souffre aucun doute. Ainsi, durant les
événements de la Nuit de Cristal, le 10  novembre 1938, il cache dans un
hôtel les deux enfants d’un de ses amis : Henri et Werner Lewin. Il les aide
à quitter l’Allemagne via l’Italie en direction de Shanghai.
Lors du déclenchement de la guerre, alors que la plupart des athlètes
sont envoyés loin du front, il sera incorporé dans une unité de parachutistes,
en première ligne, puis grièvement blessé au genou durant la bataille de
Crète. Après-guerre, pour subvenir à ses besoins, il reprendra, malgré tout,
les combats, notamment dans des cantonnements de l’armée américaine
jusqu’au 28 septembre 1947. Il fera l’objet d’une enquête et d’une
condamnation de la part de la Commission d’épuration allemande devant
laquelle il ne fait pas état du sauvetage des enfants juifs lors de la Nuit de
Cristal. Dans les années 1950, il cherchera à retrouver Joe Louis et se liera
d’amitié avec lui. Ce n’est que lors d’un dîner à Las Vegas en 1989 que les
enfants sauvés lors de la Nuit de Cristal rendront publique leur histoire et le
rôle de Max Schmeling 28.
Pourquoi ce silence ? A-t-il été ce héros, sauveur d’enfants ? A-t-il été
complice d’un régime qui l’a utilisé tacitement ou auquel il a vraiment
adhéré à un moment  ? Ou tout simplement s’est-il considéré comme un
homme ordinaire, un sportif pris au milieu d’événements dont il n’a pas
mesuré l’ampleur et les conséquences 29 ?
D’autres sportifs, face au pouvoir nazi, ont eu une prise de conscience
plus précoce et plus affirmée, à l’exemple du champion cycliste Albert
Richter. En juillet 1934, il remporte le championnat de cyclisme allemand.
À l’issue de la course, devant les reporters présents pour la séance de
photographies officielles, toutes les personnes autour du vainqueur font le
salut nazi, lui, fixe les objectifs avec une main ostensiblement posée sur sa
cuisse et le coude gauche négligemment posé sur l’épaule de son entraîneur
juif. Son attitude dévoile à la fois une défiance vis-à-vis du pouvoir et un
soutien à un individu honni par le régime. Albert Richter ne cède pas à cette
atmosphère délétère : il refuse de se séparer de son entraîneur et de porter le
maillot à croix gammée 30.
Cette attitude a été qualifiée par l’historien Martin Broszat de
Resistenz 31. Elle témoigne du comportement d’individus qui, hors  d’une
période de guerre, prennent le risque de mettre en jeu leur carrière ou leur
vie pour manifester leur opposition au pouvoir en place. Il ne s’agit en rien
d’une résistance armée, d’une action concertée, d’un engagement militant
dans une organisation politique. Il est question ici de « restaurer les droits et
la capacité d’agir des individus broyés par le système hitlérien 32 ».

Le sport pour rester libre


À partir du déclenchement de la guerre, cette forme de désobéissance
civile va se transformer pour certains sportifs en résistance armée. Ils
redeviennent des hommes et des femmes porteurs de valeurs et de
convictions, en opposition avec celles prônées par le régime nazi : « Cette
dramatique aventure que nous vivons aujourd’hui est la suite logique de
l’idéal commun pour lequel nous avons combattu 33.  » Ces sportifs
retrouvent dans les réseaux de résistance les valeurs humanistes et
combatives du sport. Citons les exemples de Janusz Kusociński 34 en
Pologne et de Werner Seelenbinder 35 en Allemagne, au cœur du Reich. En
France, un mouvement de résistance prend le nom de Sport libre, Robert
Mension et Auguste Delaune en sont les leaders 36. Ce dernier, arrêté le
6 décembre 1940, est interné dans le camp de Choisel (Châteaubriant) où il
participe à la constitution de la baraque sportive. L’appellation « baraques
sportives  » recouvre la mise en place, dans les camps d’internement en
France comme en Italie, d’activités sportives. Elles permettent de lutter
contre le désœuvrement et la mélancolie des internés livrés à eux-mêmes
toute la journée. Pour d’anciens sportifs, ces baraques et leurs activités sont
des exutoires, des endroits où la pratique d’une activité physique rappelle la
normalité de la vie d’avant, permet de se concentrer sur l’enjeu du moment
et renforce les liens de sociabilité 37. L’idée de se maintenir en bonne forme
physique en vue d’une possible évasion n’est jamais loin non plus, ce qui,
dans l’esprit des résistants, maintient l’espoir de reprendre le combat.
L’ambivalence du sport dans l’univers
concentrationnaire : entre espace
de survie et traumatisme des consciences
Il existe, plus que pour tout autre sport, un lien particulier entre
l’univers des camps et la boxe. Tout d’abord, c’est un sport populaire et
largement répandu qui peut se pratiquer sans équipement, et qui procure
tout de suite la sensation de combat  ; c’est aussi l’une des disciplines
sportives mises en avant par Adolf Hitler  : «  La boxe, c’est forcément
brutal ! Pourquoi ? Il n’y a pas de sport qui, autant que celui-là, développe
l’esprit combatif, exige des décisions rapides comme l’éclair et donne au
corps la souplesse et la trempe de l’acier 38. » Il n’est donc pas étonnant de
la retrouver dans l’univers concentrationnaire. D’après Noah Klieger,
plusieurs boxeurs ont combattu à Auschwitz III pendant le printemps et
l’été 1944 39.
Les exemples de boxeurs juifs à Auschwitz, mis au défi contre des
kapos, des détenus de droit commun ou des gardes SS, sont évocateurs
d’une relation asymétrique et cruelle. Bien mieux nourris que les détenus
juifs, non soumis au travail forcé et sans réelle crainte de représailles, les
kapos, les droits communs et bien entendu les SS peuvent mener leur
combat sans entrave : « Ah ! Je dois avoir une drôle de dégaine quand je me
présente en face de l’autre. Avec mes 38 kilos. Les SS et les kapos se
marrent. Mon adversaire aussi. Les déportés ont peur 40.  » La mort d’un
détenu ne constitue pas un obstacle à ce combat sportif : « Je n’avais jamais
combattu pour un tel cachet  : la vie en cas de victoire, la mort en cas de
défaite. Je ne me faisais pas d’illusions. J’étais sûr que si le kapo me battait,
il m’achèverait. Il ne pouvait pas en être autrement 41.  » Ces combats
évoquent, dans une forme totalitaire et moderne, les combats de gladiateurs
durant lesquels le directeur du camp ou l’officier SS s’attribue le rôle de
César  : «  Le combat allait commencer. Soudain, stupéfaction. Murmures.
L’Oberscharführer, le commandant du camp, arrive. Escorté de ses SS. Ils
venaient assister à la mise à mort 42. » Bien au-delà de l’enjeu de vie ou de
mort qui peut découler de l’issue du combat, c’est bien la portée humaine et
symbolique qui préoccupe les boxeurs désignés, comme le raconte Gabriel
Burah  : «  Bibi… c’est du tout cuit… Tu vas le ridiculiser. Nous sommes
tellement avec toi… qu’il n’est pas possible que tu ne sentes pas tes forces
décuplées… Tu combats pour nous contre cet assassin… Tu ne peux pas
perdre 43. »
Par-delà la seule dimension sportive, l’attitude du boxeur Gabriel
Burah, tout comme celle du nageur Alfred Nakache, révèle l’ambivalence
d’un sport dévoyé dans l’univers concentrationnaire. Lorsqu’à la suite de
nombreuses humiliations subies dans les bassins de rétention d’eau, obligé
par les gardes à aller y ramasser toutes sortes d’objets, le champion français
décide de nager clandestinement un dimanche à l’insu de ses geôliers, il fait
naître une sorte d’admiration et d’attente de la part de ses camarades du
camp. Noah Klieger, qui a partagé ce moment avec lui, en laisse un
témoignage émouvant 44. Il relate que les déportés sont venus le voir pour
savoir si Alfred Nakache nagerait encore le dimanche suivant, envisageant
ainsi de penser au lendemain, voire au jour d’après. Chez les déportés, cette
lueur d’espoir et d’humanité provoque un sentiment bien plus fort encore :
«  “Le plus beau jour de ma vie, monsieur… Ça va vous sembler drôle…
C’est à Auschwitz. C’est le jour où Bibi a mis K.-O. le kapo allemand.”
Voilà ce que disait vingt ans plus tard Albert Wargon à un ami que je
[Gabriel Burah] lui présentais. Le plus beau jour de ma vie… C’était à
Auschwitz 45. »
Le souvenir de ces regards et de ces paroles constituera pour Burah et
Nakache l’un des ressorts de leur reconstruction après-guerre, tout comme
un autre élément, le lien puissant les unissant à leurs camarades, lien qui se
poursuivra après le retour de déportation : « La résilience résulte ainsi d’une
double interaction  : entre l’individu lui-même (les “empreintes de sa vie
antérieure”) et son entourage, et entre “facteurs de risque et facteurs de
protection 46”. »
Pour ces athlètes, ces liens se sont parfois tissés à l’intérieur des camps
avec des déportés issus du sérail sportif  : «  J’interroge un déporté. Il est
français. Je m’appelle Bibi Burah… Je suis boxeur. Et moi, Lamps…
Justement y a des boxeurs ici. Tu dois les connaître. Y a Camos, Gardebois
et Jo Attia. Je les connais tous les trois. Camos et Gardebois avaient été
champions de France. Tu peux leur dire que je suis là ? Je leur dirai de venir
te voir dans le block de quarantaine. Le soir, je recevais un colis de
provisions. Je n’ai jamais su si c’était Camos, Gardebois ou Jo Attia qui me
l’avait fait parvenir 47. »
Parfois même ce lien « sportif » transcende les relations et rapproche un
déporté de son bourreau. Par deux fois, dans le camp d’Auschwitz, Sim
Kessel a eu la vie sauve grâce à la connexion qu’il a établie avec
l’évocation de sa carrière de boxeur. Tout d’abord avec un SS : « Je lui dis
simplement, en allemand : – Boxeur ? Il me regarda surpris. – Boxeur, ya !
Il n’attend pas que je m’explique, il a tout compris. J’ai, moi aussi, le nez
cassé. Entre nous deux, le courant mystique s’est établi, en dépit des
différences prodigieuses qui nous séparent. […] Le service rendu, au nom
de la boxe, n’avait pas pour nous deux la même signification. Pour moi,
c’était tout. Pour lui, rien 48. » Puis avec un kapo : « Je lui dis qu’un boxeur
ne peut pas tuer un boxeur. Que lui, l’ancien champion, le compagnon de
Schmeling, n’a pas le droit de m’assassiner. Il me regarde surpris : – Tu as
boxé ? Je lui explique, je lui cite des noms, je lui raconte ma carrière 49. »
La solitude dans les camps est un facteur de fragilité alors que le groupe
génère un sentiment de protection, ce dont témoigne Alfred Nakache à son
arrivée à Buchenwald en janvier 1945 dans le journal que tient Roger
Foucher-Créteau  : «  Tu ne peux t’imaginer mon cher Roger combien fut
grande ma joie de te revoir, il me semblait revoir un peu de notre France,
car j’étais horriblement seul dans ce camp de Pologne 50. » À son retour en
France, après un passage au Lutetia, Nakache rejoint Toulouse, ses
coéquipiers du TOEC (Toulouse olympique employés club) et son
entraîneur pour se reconstruire et c’est par la pratique sportive qu’il reprend
goût à la vie, tout comme Gabriel Burah : « Comme c’était dur ! Je me suis
entraîné comme ça pendant trois ou quatre semaines. J’en ai bavé. Mais
maintenant je suis guéri. Ou presque. Le sport, c’est un merveilleux remède.
Pour le physique et pour le moral 51. » Le retour au sport, c’est aussi ce qui
permet à Noël Vandernotte, plus jeune médaillé olympique français en
1936, de surmonter le traumatisme de l’exécution de son coéquipier par les
Allemands le 20  octobre 1941  : «  Alors que je me promène avenue de
Grammont à Tours, je découvre, comme la plupart des passants, l’affiche
relatant les exécutions. […] Un nom, un seul, retient instantanément mon
attention, celui d’Hubert Caldecott, mon ami. Je jette un rapide et dernier
coup d’œil pour avoir confirmation de cette vision fugitive qui me
transperce le cœur. Oui, j’ai bien lu, c’est bien lui dont le nom figure en
lettres noires dans la liste des victimes sacrifiées pour l’exemple. […] Le
coup est rude, j’enrage et une douleur vive m’envahit peu à peu. C’est un
coup de poignard qui m’atteint en plein cœur et depuis, ce triste jour est à
jamais gravé dans ma mémoire 52.  » Après-guerre, avec ses frères, il
reprendra l’entraînement, mais les moyens sont dérisoires, seul le plaisir
retrouvé d’être ensemble, de se transcender par le sport permet en partie
d’oublier les conditions de pénuries et le délabrement des équipements 53.
Alors que Noël Vandernotte, comme tant d’autres sportifs, se prépare à
«  revivre ces formidables compétitions quadriennales auxquelles j’ai eu la
chance de participer si jeune en 1936 à Berlin […]. Persuadé d’avoir ma
place olympique, j’accentue ma préparation de rameur en m’entraînant
quotidiennement sur l’Erdre et, dans le même temps, je me forge, avec
méticulosité et abnégation, une robuste musculature en maniant les poids et
haltères 54 ». L’annonce de sa non-sélection provoque chez lui un sentiment
terrible et montre que la reconstruction psychique après les épreuves est
lente, difficile et fragile : « Quand l’heure de la sélection sonne en vue du
rendez-vous olympique sur la Tamise, j’ai la très désagréable surprise, sans
avoir été prévenu, d’être évincé du groupe France. À mes yeux cette
trahison s’apparente à un véritable “coup de poignard” qui me tue, plus
qu’il ne me blesse. […] Mon amertume est immense, je suis furieux,
indigné. Comme j’ai un caractère entier, je décide sur-le-champ de mettre
un terme à ma carrière en aviron 55. »
D’autres sportifs auront la chance d’aller défendre les couleurs
françaises à Londres en 1948. Alfred Nakache sera de ceux-là. Malgré son
entraînement efficace et toute sa volonté, il ne peut effacer les années de
privation et de mauvais traitements dans les camps. Il ne remporte pas de
médaille mais l’important pour lui est ailleurs, il passe le témoin à ses
coéquipiers, à la jeune génération à laquelle il va désormais se consacrer.
Les Jeux de Londres sont également le but qui a soutenu Éva Székely
durant toute la période de la guerre. Son témoignage, publié des décennies
après la fin de la guerre 56, montre à quel point la force mentale et la volonté
peuvent permettre à un individu de surmonter les événements. Éva Székely,
née à Budapest, n’a que 9 ans lorsqu’elle écoute à la radio les commentaires
enflammés des journalistes présents à Berlin pour les Jeux olympiques. Elle
décide à ce moment-là qu’elle deviendra elle aussi championne olympique.
Huit ans plus tard, lorsque les Allemands regroupent les Juifs de Budapest
avant de programmer leur déportation, elle se cache dans une maison
protégée par la Suisse. Luttant contre le désespoir qui la gagne à cause de
cet enfermement, elle se lance à corps perdu dans un entraînement physique
harassant, montant et descendant pendant des heures les escaliers de la
maison : « Cinq paliers, trente-six escaliers, trente-neuf allers-retours, tout
le monde pense que je suis devenue folle 57.  » À la fin de la guerre, elle
reprend l’entraînement  : «  Je suis en vie, maintenant je dois gagner 58.  »
Après un échec à Londres où elle termine quatrième de la finale du 200
mètres brasse et cinquième du relais 4 x 100 mètres nage libre, elle se
remobilise afin de poursuivre son rêve qui devient réalité en 1952 à
Helsinki avec la victoire sur 200 mètres brasse.
Mais, pour beaucoup de sportifs, le retour des camps et la reprise d’une
vie ordinaire sont plus compliqués. Les itinéraires de Jacob Kozelchik,
Shlomo Arouch et Hertzko Haft illustrent cette fragilité, cette cassure dans
le processus de résilience. Dans les années 1930, Jacob Kozelchik s’est fait
connaître aux États-Unis dans un cirque ambulant où il incarne un homme
de force. En 1936, il assure la protection de Max Schmeling lors de sa
tournée américaine. À des années de distance, ce travail va lui sauver la vie.
Arrêté en Pologne, en janvier 1943, il est déporté à Auschwitz. À l’arrivée
sur la rampe, il tente de faire connaître ses liens avec Max Schmeling, peut-
être en indiquant qu’il a été son sparring-partner 59. La notoriété de
Schmeling est telle que cela lui a probablement permis de passer la
sélection. Il est alors affecté au block 11. Il est notamment chargé d’amener
les condamnés devant le mur de la mort et de les déshabiller avant qu’ils
soient fusillés. À la Libération, il se marie avec une rescapée et émigre en
Palestine mandataire où il est reconnu et dénoncé comme ancien kapo
d’Auschwitz  : il est jugé pour collaboration avec les nazis. Mis à l’index,
rejeté par sa femme, éloigné de son fils, il meurt en 1953. Pourtant, certains
déportés affirment qu’il a contribué à leur sauver la vie en les cachant dans
sa chambre, au lieu de les placer dans les cellules à station debout, en leur
fournissant des morceaux de pain 60. Ce n’est que très récemment que son
fils, à l’issue d’une longue enquête, a rétabli la vérité et réhabilité son
père 61. Malgré toute sa force et son courage, Jacob Kozelchik n’a pas réussi
à faire face à son passé et à ses zones d’ombre.
L’incroyable polémique 62 entre Shlomo Arouch et Jacques Razon
illustre, quant à elle, la difficulté à gérer le traumatisme de la déportation et
de la survie dans les camps. Le premier, dont la biographie a été adaptée au
cinéma, est accusé par le second d’avoir menti et de s’être emparé de son
histoire. Peut-être Shlomo Arouch a-t-il eu besoin de se réinventer une
histoire afin de surmonter le traumatisme  ? Il s’est en effet créé un
personnage de héros, un destin hors norme porté aux nues par une fiction à
Hollywood 63. Tout s’écroule quand un autre homme, qui s’est reconstruit de
manière différente dans un autre pays, porte plainte pour usurpation. Il fait
voler en éclats la légende et, par là même, l’univers mental de Shlomo  :
«  Tout récit est une falsification du réel puisqu’il s’agit d’aller chercher
dans notre mémoire les images et les noms qui vont construire un autre réel,
dans la représentation cette fois, comme une traduction. » Le héros chute et,
même s’il reste une part de vérité et une zone d’ombre dans cette histoire, le
mythe est brisé.
L’univers des camps a brisé de nombreuses carrières, il a aussi, de
manière totalement perverse, créé celle de Hertzko Haft. Jeune Polonais de
16 ans originaire de Bełchatów, il est raflé et déporté à Auschwitz avant
d’être transféré au camp de Jaworzno. Alors qu’il n’a jamais boxé, il est
forcé à disputer de multiples combats pour le bon vouloir d’un gradé du
camp. En 1946, Hertzko Haft remporte un tournoi de boxe réservé aux
displaced persons devant 10 000 spectateurs. Peu après, il émigre aux États-
Unis et débute une courte carrière de boxeur professionnel forte de vingt et
un combats, dont treize victoires. Le 18 juillet 1949, il perd le dernier
combat de sa carrière par K.-O. au troisième round contre le futur champion
du monde des poids lourds, Rocky Marciano. Son fils n’a longtemps connu
que la carrière américaine de son père, ignorant les circonstances qui lui
avaient permis de devenir boxeur professionnel. Il décrit son père comme
« un être cruel et violent 64 » ; il lui faudra du temps pour comprendre « tout
ce qu’il avait dû endurer dans son existence 65  ». Ce n’est qu’à l’âge de
78 ans, environ soixante ans après ce qu’il avait vécu dans les camps, que le
père se confie, en 2003, à son fils. Ce dernier a consigné sa biographie 66
dans un livre avec les réserves suivantes : « Mon père était analphabète, il
ne pouvait lire que les comics et les colonnes de résultats dans les pages
sportives des journaux […] il ne pouvait, de ce fait, recourir à des œuvres
historiques ou autres documentations pour y vérifier ses souvenirs 67. »

Existe-t-il une résilience spécifique chez


les sportifs de haut niveau ?
La reprise du sport après la guerre a permis, à de nombreux sportifs
évoqués dans ce texte, un retour à la vie même si, pour la plupart, le
passage par les camps a mis un terme à leur rêve de gloire. Peut-on dire
qu’il y a une spécificité dans le processus de résilience des sportifs de haut
niveau ? Sûrement pour ce qui est des qualités physiques et de l’endurance
mentale qui sont des qualités essentielles pour poursuivre une carrière de
haut niveau  : «  Je m’en suis tiré parce que j’étais physiquement solide et
parce que j’ai constamment lutté contre le découragement. Sans doute aussi
parce que j’ai su m’adapter, acquérir les réflexes de défense qui me
permettaient d’éviter ou de mieux supporter les coups, de la même façon
que les boxeurs esquivent ou encaissent, mais surtout parce que le hasard
m’a servi et, dans maintes circonstances, sauvé 68. » Mais les destins brisés
d’Attila Petschauer, de Tola Vologe ou de Victor Young Pérez nous
rappellent que cela ne suffit pas et que même les sportifs les plus armés, les
plus forts ou les plus titrés, ont été comme tant d’hommes ordinaires broyés
par l’arbitraire, l’absurdité et la violence aveugle du système nazi.
Parmi les sportifs qui sont revenus des camps, certains ont su découvrir
au plus profond d’eux-mêmes cette faculté identifiée par Boris Cyrulnik.
Les personnes résilientes qui « ont connu ce réel impensable ont rencontré
l’ambivalence qui est au cœur de la condition humaine. C’est peut-être ce
qui explique leur absence de haine, et leur possibilité de résilience 69 ». Elles
ont pu reprendre une autre forme d’existence. Finalement, c’est bien cela
que Yves-Pierre Boulongne exprime dans cette phrase écrite à Buchenwald
le 30 janvier 1945  : « Voilà mes chers amis la plus grande leçon de notre
détention, de ce grand match que nous disputons depuis déjà tant d’années.
Je sais bien que les records sont loin, peut-être à jamais impossibles à
reconquérir, mais si, de cet emprisonnement nous tirons chacun la leçon qui
s’impose, nous n’aurons pas perdu notre temps… et il y aura encore de
beaux jours pour la France. À bientôt mes amis, au départ d’une nouvelle
course pour la vie 70. »
Présentation des contributeurs

Carl Blasco est thérapeute-psychopraticien à Saint-Raphaël. Diplômé


d’éthologie, de thérapie par le jeu et la créativité et de thérapie
psychocorporelle, ancien athlète de haut niveau en triathlon (quatrième
mondial en 2000  ; sélectionné olympique en 2000 et 2004), il a
également été conseiller technique de la Ligue Côte d’Azur de triathlon
de 2011 à 2012.
Philippe Bouhours est psychiatre, spécialisé en thérapie comportementale et
cognitive. Il a effectué des recherches fondamentales au sein du
laboratoire LENA (CNRS, hôpital de la Pitié-Salpêtrière) dans le
domaine des neurosciences, puis de la recherche appliquée et du
développement de médicaments pour le système nerveux central. Il est
auteur d’articles scientifiques portant sur la cognition, l’anxiété, la
dépression, la schizophrénie, l’épilepsie et la maladie d’Alzheimer. Il a
coanimé pendant plusieurs années, avec Boris Cyrulnik et Laurent-Éric
Le Lay, un groupe de travail sur le sport et la résilience.
Makis Chamalidis est docteur en psychologie. Né en Allemagne de parents
grecs, il vit à Paris depuis 1990. Il a préparé plus de 500 sportifs et
entraîneurs de haut niveau à des événements majeurs dans une vingtaine
de disciplines. Depuis 1997, il est le psychologue-référent à la
Fédération française de tennis. Il est le coauteur du livre Champion dans
la tête.
Boris Cyrulnik est neuropsychiatre. Directeur d’enseignement à l’université
de Toulon-Sud-Clinique de l’attachement et des systèmes familiaux, il
anime différents groupes de recherche sur la résilience. Il est l’auteur de
nombreux essais qui sont tous des best-sellers dont Un merveilleux
malheur, Sauve-toi, la vie t’appelle et, plus récemment, La nuit,
j’écrirai des soleils.
Caroline François est historienne, spécialiste de la question du sport et de la
Shoah. Commissaire général de l’exposition Le Sport européen à
l’épreuve du nazisme, chargée des expositions itinérantes au Mémorial
de la Shoah, elle a codirigé Sport, corps et sociétés de masse. Le projet
d’un homme nouveau.
David Le Breton est professeur de sociologie à l’université de Strasbourg.
Membre de l’Institut universitaire de France, membre de l’Institut des
études avancées de l’université de Strasbourg (USIAS), il a publié de
nombreux ouvrages dont En souffrance. Adolescence et entrée dans la
vie ; La Peau et la Trace. Sur les blessures de soi ; Conduites à risque.
Des jeux de mort au jeu de vivre  ; Disparaître de soi. Une tentation
contemporaine ; Marcher. Éloge des chemins et de la lenteur ou encore
Éloge de la marche.
Laurent-Éric Le Lay est actuellement le directeur des sports de France
Télévisions. Il a été notamment président d’Eurosport et de TF1
Publicité.
Mark Milton a créé en 2002 la fondation suisse Education 4 Peace (E4P)
qui œuvre pour promouvoir la connaissance de soi dans l’éducation à
travers le sport pour les nouvelles générations. Il a aussi présidé la
fédération internationale IFOTES qui a organisé, avec E4P et le soutien
de l’OMS, le premier congrès sur le thème de la santé émotionnelle.
Coauteur des livres Le Football, un terrain vers la connaissance de soi
et Maître de tes émotions, il collabore actuellement avec diverses
fédérations sportives nationales et internationales, dont la DTN de la
FFF.
Aurélie Navel-Girard est psychologue clinicienne et exerce actuellement au
CMPP de Nancy. Titulaire d’un doctorat sur les déterminants de la
qualité du processus de reconversion sportive de haut niveau, elle est
spécialiste de la psychologie des activités physiques et sportives.
Hubert Ripoll est professeur des universités (Aix-Marseille université) et
psychologue. Il est président honoraire de la Société française de
psychologie du sport. Il a travaillé auprès de plusieurs équipes de
France et avec de nombreux champions olympiques et champions du
monde. Ses recherches croisent des expériences singulières de
champions sportifs et les connaissances scientifiques du domaine. Il a
notamment publié Le Mental des champions, Le Mental des coachs et
La Résilience par le sport.
Otto J. Schantz est professeur à l’université de Koblenz-Landau, à
Coblence en Allemagne, où il dirige la section des sciences sociales et
humaines appliquées aux études des activités physiques et sportives. Il
s’intéresse particulièrement au sport comme phénomène culturel.
Membre fondateur du conseil de recherche du Comité international
olympique, il a dirigé plusieurs ouvrages, dont les Œuvres complètes de
Pierre de Coubertin et Un siècle du Comité international olympique.
De Boris Cyrulnik chez Odile jacob

Préparer les petits à la maternelle (dir.), 2019.


La nuit, j’écrirai des soleils, 2019.
Histoire de la folie avant la psychiatrie (dir. avec Patrick Lemoine), 2018.
Psychothérapie de Dieu, 2017.
La Folle Histoire des idées folles en psychiatrie, 2016.
Ivres paradis, bonheurs héroïques, 2016.
Les Âmes blessées, 2014.
Résilience. De la recherche à la pratique (dir. avec Marie Anaut), 2014.
Résilience et personnes âgées (dir. avec Louis Ploton), 2014.
Sauve-toi, la vie t’appelle, 2012.
Résilience. Connaissances de base (dir. avec Gérard Jorland), 2012.
Quand un enfant se donne « la mort ». Attachement et sociétés, 2011.
Famille et résilience (dir. avec Michel Delage), 2010.
Mourir de dire. La honte, 2010.
Je me souviens…, « Poches Odile Jacob », 2010.
Autobiographie d’un épouvantail, 2008.
École et résilience (dir. avec Jean-Pierre Pourtois), 2007.
Psychanalyse et résilience (dir. avec Philippe Duval), 2006.
De chair et d’âme, 2006.
Parler d’amour au bord du gouffre, 2004.
Le Murmure des fantômes, 2003.
Les Vilains Petits Canards, 2001.
Un merveilleux malheur, 1999.
L’Ensorcellement du monde, 1997.
De l’inceste (avec Françoise Héritier et Aldo Naouri), 1994.
Les Nourritures affectives, 1993.
TABLE

Préface, par Laurent-Éric Le Lay

Le sportif, héros de temps de paix, par Boris Cyrulnik


Sport et résilience : une mise en perspective, par Philippe Bouhours

La résilience au cœur du mental des champions, par Hubert Ripoll

Santé émotionnelle et sport : un cercle vertueux, par Mark Milton

Le sport : simple pansement ou processus résilient ?, par Carl Blasco

Sport paralympique et résilience, par Otto J. Schantz

Aventure, marche et résilience avec des jeunes en souffrance, par David Le Breton

À quoi s'accrocher quand on raccroche ?, par Makis Chamalidis


La reconversion du sportif de haut niveau, un modèle de résilience ?, par Aurélie Navel-Girard

Sportifs et IIIe Reich, histoires de résilience, par Caroline François

Présentation des contributeurs

De Boris Cyrulnik chez Odile jacob


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1.  Cyrulnik B. (2016), Ivres paradis, bonheurs héroïques, Odile Jacob.
2.  Merle S. (2012), Super-héros et philo, Bréal.
3.  Cyrulnik B. (2006), « Autobiographie virile », in R. Frydman, M. Flis-Trèves (dir.), À quoi
rêvent les hommes ?, Odile Jacob.
4.  Rogel T. (2012), Sociologie des super-héros, Hermann.
5.  Fredj J. (dir.) (2011), Le Sport européen à l’épreuve du nazisme. Des J.O. de Berlin aux J.O.
de Londres, Mémorial de la Shoah.
6.  Muxel A. (1998), «  Les héros des jeunes Français  : vers un humanisme politique
réconciliateur  », in P. Centlivres, D. Fabre, F. Zonabeni, La Fabrique des héros, Maison des
sciences de l’homme.
7.  Chaliand G. (2014), Le Temps des héros, Robert Laffont.
8.  Riefenstahl L. (1938), Les Dieux du stade, film documentaire réalisé lors des Jeux
olympiques de Berlin en 1936 et sorti en 1938. Voir aussi Klemperer V. (1926), LTI. La langue
du IIIe Reich, Albin Michel.
9.  Eco U. (1975), De Superman au surhomme, Grasset.
10.  Carrière J.-C., (2015), Croyance, Odile Jacob.
1.  Cyrulnik B. (1999), Un merveilleux malheur, Odile Jacob.
2.  Cyrulnik B. (2012), « Limite de la résilience », in B. Cyrulnik, G. Jorland (dir.), Résilience,
connaissances de base, Odile Jacob.
3.  Rutter M. (2012), « Resilience as a dynamic concept », Development and Psychopathology,
24 (2), p. 335-344.
4.  Fletcher D., Sarkar M. (2013), «  Psychological resilience  », European Psychologist, 18, p.
12-23.
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resilience, quality of life, and anxiety », Archives of Clinical Psychiatry, 39 (3), p. 85-89.
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literature and implications for research and practice  », International Journal of Sport and
Exercise Psychology, 13 (3), p. 243-257.
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Connor-Davidson Resilience Scale (CD-RISC) », Depression and Anxiety, 18 (2), p. 76-82.
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performers ? », Measurement in Physical Education and Exercise Science, 17 (4), p. 264-280.
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and Exercise, 2016, 23, p. 31-39.
12.  Subhan S., Ijaz T. (2012), « Resilience scale for athletes », FWU Journal of Social Sciences,
6 (2), p. 171-176.
13.  Cyrulnik B., séminaire « Sport et résilience » organisé par Eurosport, le 30 novembre 2009
et le 7 juin 2011, document ronéoté, non publié.
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and return to play », Physical Medicine and Rehabilitation Clinics of North America, 25 (4), p.
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39.  Diman A., Boros J., Poulain F. et al. (2016), « Nuclear respiratory factor 1 and endurance
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40.  Koo J.-E., Lee G.-U. (2013), « The relationship of baby boomers’ participation motivation
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43.  Richards J., Jiang X., Kelly P. et al. (2015), «  Don’t worry, be happy  : Cross-sectional
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44.  Ripoll H. (2016), La Résilience par le sport, Odile Jacob.
45.  Croizon P. (2012), J’ai traversé la Manche à la nage, Gawsewitch.
46.  Compte R. (2015), «  Résilience par le sport  : un chemin inédit pour les personnes en
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48.  Vetter S. (2016), « Resilience enhancing program for youth survivors of the Beslan school
hostage-taking », Sports-Based Health Interventions, Springer, p. 129-137.
49.  Kunz V. (2009), « Sport as a post-disaster psychosocial intervention in Bam, Iran », Sport in
Society, 12 (9), p. 1147-1157.
1.  Ripoll H. (2008/2012), Le Mental des champions, Payot ; Ripoll H. (2012), Le Mental des
coachs, Payot.
2.  Ripoll H. (2016), La Résilience par le sport, Odile Jacob.
3.  Goffman E. (1975), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Minuit.
4.  Ripoll H. (2008/2012), Le Mental des champions, op. cit., p. 30.
5.  Ibid., p. 31.
6.  Ibid., p. 31.
7.  Le Monde, 12 mai 2012.
8.  Pourtois J.-P., Humbeeck B., Desmet H. (2012), Les Ressources de la résilience, PUF, p. 10.
9.  Communication de Carl Blasco au séminaire « Sport et résilience » organisé par Eurosport le
8 novembre 2010, document ronéoté, non publié.
10.  Ripoll H. (2008/2012), Le Mental des champions, op. cit., p. 25.
11.  Entretien avec Carl Blasco, finaliste olympique de triathlon, non publié.
12.  Le Nouvel Observateur, 15 août 2014.
13.  Entretien avec Carl Blasco, non publié.
14.  Levêque M. (2005), Psychologie du métier d’entraîneur, Vuibert, p. 68.
15.  Ibid., p. 57.
16.  Jowett S. (2005), « The coach-athlete partnership », The Psychologist, 18 (7), p. 412-415.
17.  Martini B., in Ripoll H. (2008/2012), Le Mental des champions, op. cit., p. 59.
18.  Ripoll H. (2016), La Résilience par le sport, op. cit.
19.  Ibid., p. 69.
20.  Ibid., p. 70.
21.  Ibid., p. 70.
22.  Ibid., p. 71.
23.  Ibid., p. 125.
24.  Ibid., p. 118.
25.  Pourtois J.-P., Humbeeck B., Desmet H. (2012), Les Ressources de la résilience, op. cit.,
p. 14.
26.  Ancet P. (2011), « La reconnaissance par le regard comme source de l’estime de soi », in M.
Piot (dir.), Handicap, estime de soi, regard des autres, L’Harmattan, p. 17-47.
27.  Ripoll H. (2016), La Résilience par le sport, op. cit., p. 95.
28.  Ibid., p. 60.
1.  OMS (2014), 10 faits sur la santé mentale, OMS.
2.  Maslow A., Prigent A. (1964), L’Accomplissement de soi. De la motivation à la plénitude,
Eyrolles.
3.  Rosenberg M. (2004), Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs), La Découverte.
4.  Rogers C. (2005), Le Développement de la personne, InterÉditions.
5.  Collectif (2011), «  Apprendre à vivre. Des philosophies antiques au développement
personnel », Les Grands Dossiers des Sciences humaines, 23.
6.  Goleman D. (1997), L’Intelligence émotionnelle, J’ai lu.
7.  Seligman M. (2011), La Fabrique du bonheur. Vivre les bienfaits de la psychologie positive
au quotidien, InterÉditions.
8.  Kabat-Zinn J. (2012), Au cœur de la tourmente, la pleine conscience, J’ai lu.
9.  Milton M., Schmider C. (2016), Le Football, un terrain vers la connaissance de soi, E4P
Éditions.
1.  Cyrulnik B. (2013), « Assigné à résilience », Le Monde, 21 février 2013.
2.  Cyrulnik B. (2003), Le Murmure des fantômes, Odile Jacob, p. 17.
3.  Organisation mondiale pour la santé (2005), «  Mental health assistance to the population
affected by the tsunami in Asia  »
(https://www.who.int/mental_health/resources/tsunami/en/index1.html).
4.  Kotsou I. (2014), Éloge de la lucidité. Se libérer des illusions qui empêchent d’être heureux,
Robert Laffont, p. 133-139.
5.  Ibid., p. 39.
6.  Poirée R. (2013), On ne naît pas champion, on le devient, Jacob-Duvernet, p. 28.
7.  Voir en ce sens, Leveaux A. (2015), Sexe, drogue et natation, Fayard  ; Jornet K. (2013),
Courir ou mourir. Le journal d’un sky-runner, Arthaud Poche.
8.  Cyrulnik B. (2003), Le Murmure des fantômes, op. cit.
9.  Maudsley H. (1876), The Physiology of Mind, 3e édition.
10.  Jornet K. (2013), Courir ou mourir, op. cit., p. 40-41.
11.  Le Breton D. (2000), Passion du risque, Métailié, p. 22.
12.  Ibid., p. 23.
13.  Kaës R. et al. (1997), Crise, rupture et dépassement, Dunod, p. 24.
14.  L’Équipe, 11 août 2015.
15.  Laborit H. (1976), Éloge de la fuite, Robert Laffont, p. 33.
16.  Reportage France 2, « Je cours, donc je suis ».
17.  Freud S. (2012), L’Interprétation du rêve, PUF, p. 520.
18.  Janov A. (1970), The Primal Scream, G. P. Putnams’ Sons Inc., traduction française (2009),
Le Cri primal, Flammarion, « Champs essais », p. 148-149.
19.  www.tennis-tactique.com/habitude-rituel-tic-nadal/
20.  https://noustcg.wordpress.com/agenda-2014-2015-du-tcg/
21.  http://nttw.co/rituels-superstitions-jeu/
22.  Jeu B. (1987), Analyse du sport, PUF, p. 28-29.
23.  Delatour V. (2012), «  Les petits rituels qui font les grands sportifs  », Le Cercle psy
(http://le-cercle-psy.scienceshumaines.com/les-petits-rituels-qui-font-les-grands-
sportifs_sh_29448).
24.  Tolle E. (2003), Quiétude, Ariane Éditions, p. 21-29.
25.  Cyrulnik B. (2013), « De la souffrance peut naître le meilleur », 11 mai 2013 (www.psy-
luxeuil.fr).
26.  Marquis S. (2015), On est foutu, on pense trop !, La Martinière.
27.  Ibid.
28.  Muris P., Roelofs J., Meesters C., Boomsma Muris P., Roelofs J., Meesters C. (2004),
« Rumination and worry in nonclinical adolescents », Cognitive Therapy and Research, 28 (4),
p. 539-554.
29.  Ibid.
30.  O’Hare D. (2012), Cohérence cardiaque 365, Thierry Souccar Éditions.
31.  Kotsou I. (2014), Éloge de la lucidité, op. cit.
32.  Marquis S. (2015), On est foutu, on pense trop !, op. cit.
1.  Litsky F. (2010), « Harold Connolly, who beat odds in Olympics and romance, dies at 79 »,
The New York Times, 20 août 2010
(http://www.nytimes.com/2010/08/20/sports/20connolly.html).
2.  Ibid.
3.  Allain E., «  L’étoile montante de la boxe amateur  » (http://www.sport-
avenir.com/interview.php?idinterview=52&page=2).
4.  Cyrulnik B. (1999), Un merveilleux malheur, Odile Jacob.
5.  Pistorius O. (2009), The Blade Runner, Virgin.
6.  Schmidt R. (2004), Lieber Arm ab als arm dran  : Was heißt hier eigentlich behindert  ?,
Gütersloher Verlags-Haus.
7.  Tynan R. (2002), Halfway Home : My life ‘til Now, Scribner.
8.  Czyz W., Erb A. (2014), Wie ich mein Bein verlor und so zu mir selbst fand  : Die
unglaubliche Geschichte eines Goldmedaillengewinners, Edel.
9.  Cyrulnik B. (1999), Un merveilleux malheur, op. cit.
10.  Hanrahan S. J. (2007), « Athletes with disabilities », in G. Tenenbaum, R. C. Eklund (dir.),
Handbook of Sport Psychology, Wiley, 3e édition, p. 845-858 ; Graham R., Kremer J., Wheeler
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and disability  : A grounded approach  », Journal of Health Psychology, 13 (4), p. 447-458  ;
Blauwet C., Willick S. E. (2012), « The Paralympic Movement : Using sports to promote health,
disability rights and social integration for athletes with disabilities  », PM & R the Journal of
Injury, Function, and Rehabilitation, 4 (11), p. 851-856.
11.  Latimer A. E., Martin Ginis K. A., Hicks A. L., McCartney N. (2004), « An examination of
the mechanisms of exercise-induced change in psychological well-being among people with
spinal cord injury », Journal of Rehabilitation Research and Development, 41 (5), p. 643-652.
12.  Graham R., Kremer J., Wheeler G. (2008), «  Physical exercise and psychological well-
being among people with chronic illness and disability : A grounded approach », art. cit.
13.  Hicks A. L., Martin K. A., Ditor D. S., Latimer A. E., Craven C., Bugaresti J., McCartney
N. (2003), « Long-term exercise training in persons with spinal cord injury : Effects on strength,
arm ergometry performance and psychological well-being », Spinal Cord., 41 (1), p. 34-43.
14.  Graham R., Kremer J., Wheeler G. (2008), «  Physical exercise and psychological well-
being among people with chronic illness and disability : A grounded approach », art. cit.
15.  Blinde E. M., McClung L. R. (1997), «  Enhancing the physical and social self through
recreational activity  : Accounts of individuals with physical disabilities  », Adapted Physical
Activity Quarterly, 14 (4), p. 327-344  ; Wilhite B., Shank J. (2009), «  In praise of sport  :
Promoting sport participation as a mechanism of health among persons with a disability  »,
Disability and Health Journal, 2 (3), p. 116-127 ; Lundberg N. R., Taniguchi S., McCormick B.
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sports and recreation participation among individuals with a disability  », Journal of Leisure
Research, 43 (2), p. 205-225.
16.  Berger R. J. (2008), «  Disability and the dedicated wheelchair athlete  : Beyond the
“Supercrip” critique », Journal of Contemporary Ethnography, 37 (6), p. 647-678.
17.  Yazicioglu K., Yavuz F., Salim Goktepe A., Kenan Tan A. (2012), « Influence of adapted
sports on quality of life and life satisfaction in sport participants and non-sport participants with
physical disabilities », Disability and Health Journal, 5 (4), p. 249-253.
18.  Campbell E., Jones G. (1994), « Psychological well-being in wheelchair sport participants
and nonparticipants », Adapted Physical Activity Quarterly, 11, p. 404.
19.  Luiz Cardoso F., Sacomori C. (2014), « Resilience of athletes with physical disabilities : A
cross-sectional study », Revista de Psicología del Deporte, 23 (1), p. 15-22.
20.  Tessier P. (2015), Le Corps accidenté. Bouleversements identitaires et reconstruction de soi,
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21.  Richardson G. E. (2002), «  The metatheory of resilience and resiliency  », Journal of
Clinical Psychology, 58 (3), p. 307-321.
22.  Ibid.
23.  Machida M., Irwin B., Feltz D. (2013), « Resilience in competitive athletes with spinal cord
injury : The role of sport participation », Qualitative Health Research, 23 (8), p. 1054-1065.
24.  Ibid., p. 1061.
25.  Ibid., p. 1060.
26.  Ibid.
27.  Ibid., p. 1059.
28.  Cyrulnik B. (2001), Les Vilains Petits Canards, Odile Jacob, p. 225.
29.  Badid M., Le Glou D. (1992), Mouss, J.-C. Lattès.
30.  Pistorius O. (2009), The Blade Runner, op. cit.
31.  Sauvage L., Heads I. (2002), Louise Sauvage : My Story, HarperCollins.
32.  Czyz W., Erb A. (2014), Wie ich mein Bein verlor und so zu mir selbst fand, op. cit.
33.  Maclean J., Connolly P. (2005), Sucking the Marrow Out of Life : The John Maclean Story,
Murdoch Books Australia.
34.  Czyz W., Erb A. (2014), Wie ich mein Bein verlor und so zu mir selbst fand, op. cit.
35.  Tessier P. (2015), Le Corps accidenté, op. cit., p. 258.
36.  Cyrulnik B. (1999), Un merveilleux malheur, op. cit.
37.  Brockert S. (2012), «  Die Resilienz-Festspiele  : Von behinderten Menschen lernen heißt
leben lernen », Coaching Heute, p. 5-6.
38.  Hahn T. (2012), « Manchmal gibt es kein Trost », Süddeutsche Zeitung, 1er septembre 2012.
39.  Murphy R. F. (1987), The Body Silent, Norton.
40.  Witter Turner V. (1969), The Ritual Process  : Structure and Anti-structure, Aldine
Publisher ; Van Gennep A. (1909/1981), Les Rites de passage, Picard.
41.  Kell P., Kell M., Price N. (2008), « Two games one movement ? The Paralympic versus the
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Empowerment or Side Show ?, Meyer & Meyer, p. 155-166.
42.  Gregory S. (2012), «  Oscar Pistorius  », Time, 18 avril 2012
(http://content.time.com/time/specials/packages/article/0,28804,2111975_2111976_2112134,00.
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43.  Schantz O. J., Gilbert K. (2001), «  An ideal misconstrued  : Newspaper coverage of the
Atlanta Paralympic Games in France and Germany », Sociology of Sport Journal, 18, p. 69-94.
44.  Ibid. ; Schantz O. J., Gilbert K. (dir.) (2012), Heroes or Zeros ? The Media’s Perception of
Paralympic Sport, Common Ground Publishing.
45.  DePauw K. P. (1997), « The (In)Visibility of DisAbility  : Cultural contexts and “sporting
bodies” », Quest, 49 (4), p. 416-430.
46.  Sherill C. (1997), «  Paralympic Games 1996. Feminist and other concerns  : What’s your
excuse ? », Palaestra, 13, p. 32-38.
47.  Cyrulnik B. (1999), Un merveilleux malheur, op. cit., p. 182.
48.  Cyrulnik B. (2007), Parler d’amour au bord du gouffre, Odile Jacob.
49.  Ungar M. (2004), « A constructionist discourse on resilience : Multiple contexts, multiple
realities among at-risk children and youth  », Youth & Society, 35 (3), p. 341-365  ; Ungar M.
(2012), « Social ecologies and their contribution to resilience », in M. Ungar (dir.), The Social
Ecology of Resilience : A Handbook of Theory and Practice, Springer, p. 13-31.
50.  Runswick-Cole K., Goodley D. (2013), « Resilience : A disability studies and community
psychology approach », Social and Personality Psychology Compass, 7 (2), p. 67-78.
51.  Ungar M. (2012), « Social ecologies and their contribution to resilience », art. cit., p. 242.
52.  Hutcheon E., Wolbring G. (2013), «  “Cripping” resilience  : Contributions from disability
studies to resilience theory  », M/C Journal, 16 (5) (http://www.journal.media-
culture.org.au/index.php/mcjournal/article/view/697) ; Hutcheon E., Lashewicz B. (2015), « Are
individuals with disabilities and their families “resilient” ? Deconstructing and recasting a well-
intended concept », Journal of Social Work in Disability and Rehabilitation, 14 (1), p. 41-60.
53.  Cyrulnik B. (2012), «  Limites de la résilience  », in B. Cyrulnik, G.  Jorland (dir.),
Résilience. Connaissances de base, Odile Jacob, p. 191-214.
54.  Wolfe K. (2001), « He’s your inspiration, not mine », Washington Post, 1er juillet 2001.
55.  Page S. J., O’Connor E., Peterson K. (2001), « Leaving the disability Ghetto : A qualitative
study of factors underlying achievement motivation among athletes with disabilities », Journal
of Sport & Social Issues, 25 (1), p. 40-55.
56.  Silva C. F., David Howe P. (2012), «  The (in)validity of supercrip representation of
Paralympian athletes », Journal of Sport & Social Issues, 36 (2), p. 174-194.
57.  Howe P.  D., Silva C. F. (2014), «  The Paralympic Games and the agenda of
empowerment », in Jackson D. et al. (dir.), Reframing Disability ? Media, (Dis)Empowerment,
and Voice in the 2012 Paralympics, Routledge, p. 202-217.
58.  Peers D. (2009), Governing Bodies  : A Foucaultian Critique of Paralympic Power
Relations, mémoire, University of Alberta, 2009 ; Purdue D. E., Howe P. D. (2015), « Plotting a
Paralympic field : An elite disability sport competition viewed through Bourdieu’s sociological
lens », International Review for the Sociology of Sport, 50 (1), p. 83-97.
59.  Goggin G., Newell C. J. (2005), Disability in Australia  : Exposing a Social Apartheid,
University of New South Wales Press.
60.  Schantz O. J. (2013), « Le mouvement paralympique : une contribution à l’empowerment
des personnes en situation de handicap  ?  », in B. Andrieu, F. Félix (dir.), Éthique du sport.
L’Âge d’homme, p. 741-752 ; Schantz O. J., Gilbert K. (2012), « The Paralympic Movement :
Empowerment or disempowerment for people with disabilities  ?  », in H. Lenskyj, S. Wagg
(dir.), The Palgrave Handbook of Olympic Studies, Palgrave Macmillan, p. 358-380 ; Schantz
O. J. (2018), «  Is competitive sport one of the last bastions excluding persons with
disabilities ? », Journal of Paralympic Research Group, 9, p. 27-41.
61.  Runyan M., « Running Highlights » (http://www.marlarunyan.net/running/).
62.  Schantz O. J. (2001), « Compatibility of Olympism and Paralympism : Ideal and reality »,
in Barcelona Olympic Foundation (dir.), Disabled Sport : Competition and Paralympic Games.
Proceedings of the IVth Olympic Forum Barcelona, November 2001, Barcelona Olympic
Foundation.
63.  Ibid.
64.  Landry F. (1995), «  Paralympic Games and social integration  », in M. Botella, M. de
Moragas Spa, The Keys to Success  : The Social, Sporting, Economic and Communication
Impact of Barcelona ‘92, Centre d’Estudis Olímpics i de l’Esport, p. 124-138.
65.  Tousignant M. (2012), «  La culture comme source de résilience  », in B. Cyrulnik, G.
Jorland (dir.), Résilience, op. cit., p. 137-151.
1.  Sur l’histoire de ces activités d’aventure et sur leurs usages contemporains, Le Breton D.
(2017), Conduites à risque. Des jeux de vie au jeu de mort, PUF, ou Le Breton D. (2004),
Passions du risque, Métailié.
2.  Winnicott D. W. (1969), De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, p. 124-125.
3.  Trontin T. et al. (2006), Au pays des cinq museaux. Carnet de voyage, Éducateurs voyageurs-
Passeurs de vie.
4.  Aichhorn A. (2007), Cliniques de la délinquance, Champ social Éditions, p. 120.
5.  Le Breton D. (2012), Marcher. Éloge des chemins et de la lenteur, Métailié ; Le Breton D.
(2014), Éloge de la marche, Métailié.
6.  Pour un bilan de cette expérience, voir Le Breton D., Marcelli D., Ollivier B. (dir.) (2012),
Marcher pour s’en sortir, Érès.
7.  Trontin T. et al. (2013), Les Petits Princes, Éducateurs voyageurs-Passeurs de vie, p. 16.
8.  Témoignage recueilli in Le Breton D., Marcelli D., Ollivier B. (dir.) (2012), Marcher pour
s’en sortir, op. cit., p. 154.
9.  Le Breton D. (2015), Disparaître de soi. Une tentation contemporaine, Métailié.
10.  Le Breton D. (2012), Marcher, op. cit. et Le Breton D. (2014), Éloge de la marche, op. cit.
11.  Cyrulnik B. (2001), Les Vilains Petits Canards, Odile Jacob, p. 252.
12.  Lemay M. (2006), «  La résilience, mythe et réalité  », in B. Cyrulnik, P.  Duval (dir.),
Psychanalyse et résilience, Odile Jacob.
13.  Cyrulnik B. (2008), Autobiographie d’un épouvantail, Odile Jacob, p. 51 sq.
1.  Chamalidis M. (2000), Splendeurs et misères des champions, VLB-Éditeur.
2.  Pour respecter la fluidité du texte, nous ne faisons pas la distinction entre le masculin et le
féminin. Il va de soi que nous englobons les deux sexes.
3.  Notion empruntée à François Ducasse.
4.  Ducasse F. en collaboration avec M.  Chamalidis (2006), Champion dans la tête. La
psychologie de la performance dans le sport et dans la vie, Éditions de l’Homme.
5.  Communication personnelle. Toute citation nominative relève d’un témoignage en dehors du
secret professionnel.
6.  Communication personnelle.
7.  Voir le film de Ducasse F., Chamalidis M. (2007), Je défends.
8.  Certains attaquants dans le football nous ont confié que « la sensation de marquer un but était
plus fort qu’un orgasme ».
9.  Communication de Carl Blanco au séminaire « Sport et résilience », organisé par Eurosport
le 7 juin 2010, document ronéoté, non publié.
10.  Constantini D., Ibid.
11.  Ducasse F. (2011), La Boîte à outils de l’entraîneur et du performeur, Éditions de
l’Homme, p. 35.
12.  Bruner J. (2002), Pourquoi nous racontons-nous des histoires ?, Retz.
13.  Ibid.
14.  Zigante F., Borghine A., Golse B. (2009), «  Narrativité des enfants en psychothérapie
analytique : évaluation du changement », La Psychiatrie de l’enfant, 52 (1), p. 5-43.
15.  Communication personnelle.
16.  Levêque M. (2008), Psychologie de l’athlète. Radiographie d’une carrière de sportif de
haut niveau, Vuibert, p.  70. Pour plus de détails sur le caractère dynamique et
multidimensionnel de l’arrêt de carrière sportive, voir Stéphan Y., Bilard J., Ninot G. (2005),
« L’arrêt de carrière sportive de haut niveau : un phénomène dynamique et multidimensionnel »,
Movement & Sport Sciences, 2005, 54, p. 35-62.
17.  Cyrulnik B. (2001), Les Vilains Petits Canards, Odile Jacob, p. 20.
18.  Chamalidis M. (2012), « Continuer à être après avoir été. Le passage délicat vers la fin de la
carrière sportive », in G. Decamps (dir.), Psychologie du sport et de la performance, De Boeck,
p. 319.
19.  Cyrulnik B. au séminaire «  Sport et résilience  », organisé par Eurosport le 7  juin  2010,
document ronéoté, non publié.
20.  Chamalidis M. (2010), « La force du résister », in A. Gutmann, P. Sullivan (dir.), Résister et
vivre au croisement des disciplines et des cultures. Colloque de Cérisy, Éditions Ophrys, p. 168.
21.  Jaxel-Truer P. (2016), « Édouard Baer, un sérieux comique », M Le magazine du Monde, 30
décembre 2016.
22.  Interview dans le journal Elle du 16 juin 2017.
23.  Expression que nous empruntons à Stéphanie Buisson.
24.  Cyrulnik  B. au séminaire «  Sport et résilience  », organisé par Eurosport le 7  juin  2010,
document ronéoté, non publié.
1.  Eisenberg F. (2007), Fin de carrière et reconversion des rugbymen professionnels en France,
Provale.
2.  Taylor J., Ogilvie B. (1994), «  A conceptual model of adaptation to retirement among
athletes », Journal of Applied Sport Psychology, 6, p. 1-20.
3.  Bauche P. (2004), Les héros sont fatigués. Sport, narcissisme et dépression, Payot et Rivages,
p. 154.
4.  Cyrulnik B. (1999), Un merveilleux malheur, Odile Jacob.
5.  Son protocole Rorschach est riche de symbolisations et, particulièrement, de pulsions
agressives. En témoignent ses formations réactionnelles de qualité, dont Freud soulignait la
valeur hautement adaptative sur le plan social, à condition qu’elles ne soient pas utilisées de
manière rigide.
6.  Bacqué M.-F., Hanus M. (2000), « Qu’est-ce que le deuil ? », in M.-F. Bacqué, M. Hanus, Le
Deuil, PUF, « Que sais-je ? ».
7.  « Vouloir le titre, c’est symboliquement en tuer le détenteur, positionné en totem », rappelle
Bauche P. (2004), Les héros sont fatigués, op. cit., p. 116.
8.  La réactivation du féminin au protocole Rorschach en devient à cet égard particulièrement
anxiogène, voire dépressiogène.
9.  Ce qui se traduit par une forme de désinvestissement objectal au Rorschach, chargé, en outre,
de contenus peau. Sur le reflet d’une fragilisation des assises narcissiques, voir Chabert C.
(1997), Le Rorschach en clinique adulte. Interprétation psychanalytique, Dunod.
10.  En 2007, Alfermann et Stambulova les situaient aux alentours de 20  %  : Alfermann D.,
Stambulova N. (2007), «  Career transitions and career termination  », in G. Tenenbaum, R. C.
Eklund, Handbook of Sport Psychology, Wiley, p. 712-736.
11.  Bauche P. (2004), Les héros sont fatigués, op. cit., p. 115.
1.  Boulongne Y.-P., Mémoire rayée, Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1982. Athlète français,
coureur à pied, résistant, Yves-Pierre Boulongne (1921-2001) est déporté à Buchenwald en
1943. Après-guerre, il devient professeur d’éducation physique, pédagogue, écrivain spécialiste
de Pierre de Coubertin.
2.  Maffre Castellani F. (2005), Femmes déportées. Histoires de résilience, Des femmes-
Antoinette Fouque, p. 14.
3.  Ibid.
4.  Glickman M., Isaacs S. (1996), The Fastest Kid on the Block : The Marty Glickman Story,
Syracuse University Press  ; Dahan A. (1970), Bibi. Les aventures de Gabriel Burah, Fayard ;
Kessel S. (1970), Pendu à Auschwitz, Solar.
5.  Klieger N. (2008), La Boxe ou la vie, Elkana.
6.  Baud D. (2009), Alfred Nakache, le nageur d’Auschwitz, Carbonne.
7.  Hitler A. (1925/2008), Mein Kampf, mon combat, Nouvelles Éditions latines.
8.  «  Visite des Dopolavori. Une gigantesque organisation de loisirs après le travail, pour les
classes laborieuses. Bonne idée. Nous devrions mettre sur pied quelque chose de semblable. Le
peuple après le travail. Sport, détente, hôpitaux, tourisme. Tout cela me fait une excellente
impression », « 4 juin 1933 », Journal de Goebbels, Tallandier, 2007, p. 128.
9.  La fédération allemande de boxe exclut le champion en titre Erich Seelig et interdit aux
boxeurs et arbitres juifs de participer à des championnats allemands. En juillet, ce sera le cas de
la fédération d’échecs.
10.  Le football italien bénéficie jusqu’en 1926 (charte de Viareggio) du talent de nombreux
joueurs et entraîneurs hongrois comme Ferenc Hirzer et Jenö Karoly. Voir Dietschy P. (2010),
Histoire du football, Perrin, p. 203.
11.  Klein E. (2009), Les Loups. Témoignage d’un déporté. Matricule  126026, Le Manuscrit-
Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Coureur d’origine hongroise, il a remporté plusieurs
championnats nationaux. En mars 1923, il est sélectionné pour une épreuve internationale de
cross-country qui se déroule en France. Bien que terminant seizième, il se voit offrir la
possibilité de s’établir en France et de faire venir sa famille.
12.  Cyrulnik B. (2016), Ivres paradis, bonheurs héroïques, Odile Jacob.
13.  Le boxeur Primo Carnera est une figure du régime fasciste.
14.  « 20 juin 1936 », Journal de Goebbels, op. cit., p. 305.
15.  «  Tout le monde vante notre organisation. Aussi bien était-elle éblouissante. Merveilleux
tableau final, dans le cadre des montagnes éternelles. Puis extinction des feux. Les Jeux d’hiver
sont terminés », « 17 février 1936 », Journal de Goebbels, op. cit., p. 268.
16.  «  Lettre de Sigfrid Edström à Avery Brundage, 8 février 1934  », Université de l’Illinois,
collection Avery Brundage.
17.  Berlin 36, de Kaspar Heidelbach, Allemagne, 2009, fiction, 100 minutes ; Hitler’s Pawn :
The Margaret Lambert Story, de George Roy, États-Unis, 2004, documentaire, 59 minutes.
18.  Epstein H. (2011), Un athlète juif dans la tourmente, La Cause des Livres.
19.  Glickman M., Isaacs S. (1996), The Fastest Kid on the Block, op. cit.
20.  Ibid., p. 26.
21.  Ibid., p. 26.
22.  Ibid., p. 21.
23.  Ibid., p. 32.
24.  « L’après-midi au stade. Grande agitation. Umberto et Göring sont également là. Épreuves
excitantes. Nous, les Allemands, obtenons une médaille d’or, les Américains trois, dont deux
grâce à un Nègre. C’est une honte ! L’humanité blanche devrait avoir honte ! Mais qu’est-ce que
cela peut bien faire là-bas, dans ce pays sans culture  ? Le Führer est très emballé par les
performances allemandes », « 5 août 1936 », Journal de Goebbels, op. cit., p. 316.
25.  «  Compétition d’aviron à Grünau. Courses excitantes. Sur les sept qui se donnent,
l’Allemagne remporte cinq médailles d’or. Ça n’avait encore jamais eu lieu. Nous nous
réjouissons avec le Führer qui est dans tous ses états. C’est une allégresse ! Et un bienfait pour
les nerfs. Le public est merveilleux. […] Nous récoltons aussi une médaille d’or au handball.
Nous sommes ainsi loin en tête. La première nation sportive du monde ! », « 15 août 1936 »,
Journal de Goebbels, op. cit., p. 317.
26.  Adolf Hitler, discours d’ouverture de la Grande Exposition de l’art allemand, Munich, 18
juillet 1937.
27.  « Après cette défaite, je n’existais plus pour Hitler, mon nom avait disparu des journaux »,
Schmeling M. (1977), Erinnerungen, Bertelsmann.
28.  Die Welt, 5 décembre 2004.
29.  Max Schmeling conclut : « En regardant en arrière, je suis presque heureux d’avoir perdu
ce combat. Imaginez que je sois revenu en Allemagne avec une victoire. Je n’avais rien à voir
avec les nazis, mais ils m’auraient donné une médaille. Après la guerre, j’aurais pu être
considéré comme un criminel de guerre », USA Today, 4 février 2005.
30.  Viotte M. (2005), Albert Richter, le champion qui a dit non, documentaire de 52 minutes,
Gédéon Programmes.
31.  Fontana L. (2012), « Le sport allemand sous le nazisme entre adhésion et dissidence », in
G. Bensoussan, P. Dietschy, C. François, H. Strouk, Sport, corps et sociétés de masse. Le projet
d’un homme nouveau, Armand Colin.
32.  Wieviorka O. (2016), «  L’expérience française  : une expérience transposable  ?  », in H.
Camarade, S. Goepper (dir.), Résistance, dissidence et opposition en RDA, 1949-1990, Presses
universitaires du Septentrion, p. 319.
33.  Note d’Alfred Nakache dans le cahier de Roger Foucher-Créteau à Buchenwald : Foucher-
Créteau R. (2001), Écrit à Buchenwald, 1944-1945, Les Indes savantes.
34.  Athlète polonais, vainqueur du 10  000 mètres aux Jeux olympiques de Los Angeles en
1932. Il sert dans l’armée polonaise pour combattre l’invasion allemande de son pays, puis
rejoint un mouvement de résistance. Il est arrêté le 26 mars 1940, torturé et fusillé dans la forêt
de Palmiry pendant l’Action AB visant à éliminer les intellectuels et les élites socio-
économiques polonaises.
35.  Lutteur, champion d’Allemagne en 1933, il refuse de faire le salut nazi lors de la remise de
médaille et il est suspendu pour seize mois de toute compétition. Dès la préparation des Jeux
olympiques de 1936, il rejoint la résistance communiste antinazie au sein du groupe de Robert
Uhrig. Arrêté avec une quarantaine de membres du réseau le 4 février 1942, il est décapité le 24
octobre 1944.
36.  Ksiss N. (2012), «  Le réseau Sport libre et la persécution des sportifs juifs sous
l’Occupation. La Résistance face à l’antisémitisme d’État dans le sport », in G. Bensoussan, P.
Dietschy, C. François, H. Strouk, Sport, corps et sociétés de masse, op. cit.
37.  «  Le challenge athlétique de Choisel est un acte de résistance et de patriotisme. Il a une
valeur de régénération en ce qu’il permet de souder les internés politiques, d’échapper à l’ennui
et à l’oppression, de se reconstituer psychiquement » : Clastres P. (2014), « La baraque FSGT
du camp de Choisel (début juin 1941) », Sport et Plein Air, décembre 2014.
38.  Hitler A. (1925/2008), Mein Kampf, op. cit.
39.  Klieger N. (2008), La Boxe ou la vie, op. cit., p. 46.
40.  Dahan A. (1970), Bibi, op. cit., p. 290.
41.  Ibid., p. 292.
42.  Ibid., p. 290.
43.  Ibid., p. 290.
44.  Ces séances de natation eurent lieu au cours de l’été 1944. Témoignage de Noah Klieger
dans Meunier C. (2001), Alfred Nakache, le nageur d’Auschwitz, documentaire de 52 minutes,
Zagarianka productions-Doriane films.
45.  Dahan A. (1970), Bibi, op. cit., p. 294.
46.  Maffre Castellani F. (2005), Femmes déportées, op. cit.
47.  Dahan A. (1970), Bibi, op. cit., p. 297.
48.  Kessel S. (1970), Pendu à Auschwitz, op. cit., p. 147.
49.  Ibid., p. 182.
50.  Foucher-Créteau R. (2001), Écrit à Buchenwald, op. cit.
51.  Dahan A. (1970), Bibi, op. cit., p. 331.
52.  Charpentier H. (2015), Noël Vandernotte, l’extraordinaire destin du plus jeune médaillé
olympique de l’histoire, Atlantica, p. 214.
53.  «  Le sport en France au sortir de la guerre c’est beaucoup d’improvisation, un manque
patent d’équipement et un absolu besoin de héros. C’est aussi une promesse : celle d’une liberté
retrouvée. Hier, c’était Vichy, un sport contraint. Demain appelait une volonté de rupture. Tout
était à faire, à reconquérir  »  : Pierre Mazeaud, ancien secrétaire d’État à la Jeunesse et aux
Sports 1973-1976, L’Équipe Magazine, no 1694, 3 janvier 2015.
54.  Charpentier H. (2015), Noël Vandernotte, op. cit., p. 264.
55.  Ibid., p. 265.
56.  Székely É. (1993), «  Because I wanted to be an Olympic champion  », in A. Handler, S.
Meschel (dir.), Young People Speak : Surviving the Holocaust in Hungary, Franklin Watts.
57.  Ibid., p. 48.
58.  Ibid., p. 48.
59.  « Jacob, kapo en chef du Bunker et tueur officiel. Je le connaissais de vue et de réputation.
Quelques années avant la guerre, il avait été l’entraîneur du fameux boxeur allemand Max
Schmeling qui fut un temps champion du monde. Interné depuis longtemps à Auschwitz comme
juif et aussi, je crois, comme communiste, Jacob était devenu kapo. Il gardait les prisonniers
punis de cachot et tuait, quand on lui en donnait l’ordre, d’un coup de revolver dans la nuque »,
Kessel S. (1970), Pendu à Auschwitz, op. cit., p. 179.
60.  « Avant moi, personne, j’en suis sûr, n’est sorti vivant de ses mains. S’il avait été jugé,
j’aurais apporté mon témoignage. Mais quel poids pouvait-il avoir dans la justice des
hommes ? », Kessel S. (1970), Pendu à Auschwitz, op. cit., p. 184. L’auteur n’a visiblement pas
connaissance du procès qui a eu lieu vingt ans avant la parution de son livre.
61.  Ninio R. (2015), Mon père était un kapo, documentaire israélien de 90 minutes, Arbel
Television.
62.  Washington Post, 1er mai 2009.
63.  Young R. M. (1989), Triumph of the Spirit, fiction américaine de 120 minutes.
64.  Kleist R. (2013), Le Boxeur, Casterman.
65.  Ibid.
66.  Haft A. S. (2006), Harry Haft  : Survivor of Auschwitz, Challenger of Rocky Marciano,
Syracuse University Press.
67.  Kleist R. (2013), Le Boxeur, op. cit.
68.  Kessel S. (1970), Pendu à Auschwitz, op. cit.
69.  Préface du livre de Maffre Castellani F. (2005), Femmes déportées, op. cit.
70.  Note de Yves-Pierre Boulongne dans le cahier de Roger Foucher-Créteau, le 30 janvier
1945 ; Foucher-Créteau R. (2001), Écrit à Buchenwald, op. cit.

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