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L'approche néo-institutionnelle : des concepts, une méthode, des résultats

Article  in  Cahiers d économie Politique / Papers in Political Economy · June 2003


DOI: 10.3917/cep.044.0103

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Claude Menard
Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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L'APPROCHE NEO-INSTITUTIONNELLE : DES CONCEPTS,
UNE METHODE, DES RESULTATS1

Claude MENARD2

Résumé : L'approche néo-institutionnelle, qui a connu des développements considérables au cours des
vingt dernières années, constitue un "programme de recherche progressif". Ce programme repose sur un
noyau dur de concepts s'appliquant à des objets bien identifiés, les modes de gouvernance, l'environ-
nement institutionnel où ils trouvent racine, et l'interaction qui les anime. Les coûts de transaction
jouent un rôle clé dans ce dispositif. L'article examine pourquoi il en est ainsi, aborde des points con-
troversés, et fait état d'un certain nombre de percées récentes de cette théorie en économie, mais aussi
en histoire et en sciences politiques.

Abstract: New Institutional Economics has developed considerably over the last twenty years, quali-
fying as a "progressive research program". This program is based on a hard core of concepts that apply
to well identify objects: the alternative modes for organizing transactions, the institutional environment
in which they are embedded, and the interaction between these dimensions. Transaction costs play a
major role in this approach. This paper examines why it is so, it deals with several controversial issues,
and it provides examples of recent breakthroughs in economics, but also in history and in political sci-
ences.

Classification JEL: B5, D2, D7, K2, L, P5

1. INTRODUCTION

Comme l'indique son nom même, l'approche néo-institutionnelle s'est constituée et s'arti-
cule autour de la question des institutions. La proposition centrale développée dans les pa-
ges qui suivent peut se résumer à ceci : le programme néo-institutionnel est, eu égard à cette
question, un "programme de recherche progressif" au sens de Lakatos (1976), doté d'un
noyau dur de concepts portant sur des objets spécifiques et bien identifiés, et dont le do-

1. Je tiens à remercier les participants au Colloque "Qu'a-t-on appris sur les institutions" et à des séminaires
donnés à l'Ecole Normale Supérieure, à l'Université de Sceaux, et à l'Université Erasmus (Rotterdam) pour
leurs commentaires sur une première version. Je voudrais mentionner en particulier Bertrand Bellon, Chris-
tian Bessy, Joelle Farchy, Maarten Janssen, Philippe Mongin, Isabelle This-Saint Jean, et Bernard Walliser
pour la précision et l'utilité de leurs remarques. Je reste bien entendu seul responsable des erreurs et opinions
émises dans ce texte.
2. Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), ATOM, ménard@univ -paris1.fr.

Cahiers d'économie politique, n° 44, L'Harmattan, 2003.


Claude Ménard

maine d'application s'approfondit par rapport aux questions initialement posées tout en
s'étendant rapidement à de nouvelles questions (Canguilhem, 1968, Introduction).

La proposition corollaire, et je vais bien entendu m'efforcer de justifier ces propositions,


consiste à soutenir que sous l‘aspect apparemment un peu éclaté de ce programme de re-
cherche, se profile un élément unificateur puissant, l'approche en termes de coûts de transac-
tion.

Pourquoi, demandera-t-on, mettre l'accent d'entrée de jeu sur l'approche transactionnelle?


Pour une raison simple, notée très tôt par Ronald Coase, qui a sans cesse rappelé depuis ce
point essentiel (Coase, 2001): les transactions se situent au cœur de l'activité économique. En
effet, sans dispositifs efficaces pour assurer les transactions, on ne peut tirer parti des avan-
tages de la division du travail, et l'organisation de la production qui résulte de celle-ci per-
drait tout son sens. Par transaction, j'entends, dans la lignée de Williamson (1985, p.1), les
transferts de droits d'usage entre unités technologiquement séparables. L'idée de "droits
d'usage", que j'injecte ici dans la définition de Williamson, m'apparaît particulièrement impor-
tante. Le transfert de droits de propriété n'en est en effet qu'un aspect, essentiel bien enten-
du, pour comprendre les mécanismes des marchés. Mais l'entreprise intégrée organise aussi
des transactions en son sein, ce que Demsetz (1991) préfère appeler des transferts de "droits
administratifs". Par ailleurs, à un niveau plus général, il existe des modalités sociales de trans-
fert de droits autres que les droits de propriété, par exemple lorsqu'une société organise sys-
tématiquement des transferts de droits collectifs. Ainsi, la définition que je viens de proposer
a le mérite d'une grande généralité, tout en pouvant devenir spécifique en fonction des objets
étudiés. Elle combine abstraction et précision, ce qui est ce qu'on attend du concept clé d'une
théorie.

Or, l'idée même de dispositifs indispensables à l'organisation de ces transferts de droits


entraîne aussitôt une conséquence majeure. S'il existe des dispositifs alternatifs, alors ces
dispositifs ont des coûts relatifs qu'il est possible de comparer. L'accent ainsi mis sur les
coûts s'explique par le fait que je privilégie ici une approche d'économiste. J'insiste sur ce
point en raison de l'importance de la diffusion des thèses néo-institutionnelles dans de nom-
breuses autres sciences sociales, en particulier en sciences politiques, en histoire économi-
que, et en théorie du management. Bien que je fasse parfois référence à certains de ces
développements, le rapide survol que je propose ici s'en tient pour l'essentiel aux travaux en
économie.

L'article s'organise en trois grandes parties. La section deux revient sur les principaux
concepts utilisés et les conséquences qui en résultent dans la définition des objets de re-
cherche du programme néo-institutionnel. La section trois discute des problèmes de métho-
des, qui ont donné lieu à des attaques du programme néo-institutionnel par un certain
nombre d'économistes, "orthodoxes" comme "hétérodoxes". Enfin la quatrième section fait
état de façon très sommaire de certains résultats que je considère comme particulièrement im-
portants, et soulève des questions dont on peut penser qu'elles nourriront les développe-
ments de l'approche néo-institutionnelle dans les années qui viennent. On en tirera enfin un
certain nombre de conclusions.
L'approche néo-institutionnelle

2. LES CONCEPTS CLES DE L'ECONOMIE NEO-INSTITUTIONNELLE

Il est certes un peu lourd de commencer l'exposé des apports d'une théorie par des défini-
tions. Mais comme il s'agit aussi de positionner ici l'approche néo-institutionnelle par rapport
à des paradigmes alternatifs, en partie complémentaires et en partie concurrentiels, l'exercice
se révèle presque inévitable. Une partie de ce qui distingue différentes approches des institu-
tions tient en effet à l'objet que ces approches se donnent.

2.1. Point de départ

En première approximation, on peut adopter la distinction assez simple, et désormais clas-


sique, proposée par Lance Davis et Douglass North (1971, pp. 6-7) et développée plus fine-
ment par North en 1990, entre environnement institutionnel et arrangements institutionnels.
L'environnement renvoie aux règles du jeu, règles politiques, sociales, légales, qui délimitent
et soutiennent l'activité transactionnelle des acteurs, alors que les arrangements renvoient
aux modes d'utilisation de ces règles par les acteurs, ou, plus exactement, aux modes d'orga-
nisation des transactions dans le cadre de ces règles. Coase, dans sa Conférence de Prix No-
bel, a donné un contenu beaucoup plus précis et satisfaisant, me semble-t-il, à ces
arrangements, en parlant de "structures institutionnelles de la production" (Coase, 1991).

Or, il faut noter que la distinction ainsi proposée a progressivement induit deux volets du
programme de recherche néo-institutionnel . Un premier volet, plutôt global, explore la nature
et le rôle des institutions en mettant en relief leur dimension historique (North, 1981; Greif,
1998 ; Aoki, 2001). Sur ce versant, les concepts d'enforceability (ex-ante) et d'enforcement
(ex-post) jouent un rôle clé 3 : sous l'angle économique, un environnement institutionnel ne se
caractérise pas seulement par la production de règles et/ou de normes (d'où le problème des
types de règles), mais aussi et surtout par la production de dispositifs destinés à la mise en
œuvre de ces règles et par leur mise en œuvre effective. L'analyse de ces dispositifs est une
pièce maîtresse du programme néo-institutionnel.

Un deuxième volet est de nature plutôt microéconomique. Il est sans doute le mieux
connu des économistes, et porte sur l'étude des modes d'organisation des transactions, des
arbitrages entre ces modes, et de leur efficacité comparée, avec une forte dimension analyti-
que 4. Le concept de contrat incomplet y joue un rôle essentiel, pour au moins deux raisons
distinctes.

D'abord, le recours à l'idée que les contrats jouent un rôle structurant dans l'organisation
des transactions permet de traduire de façon précise la dimension relationnelle inhérente au

3 Il n'existe pas de traduction satisfaisante de ces termes en français. On utilise règle générale le terme
d'exécutoire, qui ne rend que partiellement compte de la réalité du concept anglais, et qui laisse échapper la
distinction entre ex-ante et ex-post notée ci-haut.
4. Pour des synthèses, voir Williamson, 1985 ; Joskow, 1988 ; Crocker et Masten, 199X ; Klein et Sh e-
lanski, 1995, Rindfleisch et Heide, 1997.
Claude Ménard

concept même de transaction. Ensuite, l'idée que pratiquement tous les contrats sont incom-
plets conduit naturellement à l'exigence d'une analyse approfondie des dispositifs de coordi-
nation complémentaires aux accords contractuels (même implicites), par exemple les formes
que prend le "commandement" dans la création et l'allocation des ressources.

2.2. Retour sur le concept d'institution.

Revenons donc sur le concept d'institution qui sous-tend le déploiement de l'analyse


dans les directions qu'on vient d'indiquer. Il n'y a pas, on le sait, de définition universelle-
ment acceptée de ce qu'est une institution et de ce que sont les institutions. Dans un sens
très restrictif, minimaliste, une institution peut être vue comme toute convention entre deux
agents. Pour beaucoup, l'institution est un équilibre entre stratégies des agents participants à
un "jeu" (au sens de la théorie des jeux, bien sûr). Aoki a récemment poussé très loin l'ana-
lyse en ce sens (Aoki, 2001). D'autres encore mettent l'accent sur le fait que l'institution a trait
aux règles mêmes qui régissent le jeu, des sortes de méta-conventions, en somme. Suivant en
cela les pistes indiquées par North (1990), je voudrais proposer une définition plus précise,
qui a pour intérêt principal de mieux délimiter le champ de l'analyse et, par là, de mieux éclairer
le programme de recherche néo-institutionnel. Par institution, j'entends donc un ensemble de
règles durables, stables, abstraites et impersonnelles , cristallisées dans des lois, des tradi-
tions ou des coutumes, et encastrées dans des dispositifs qui implantent et mettent en œu-
vre, par le consentement et/ou la contrainte, des modes d'organisation des transactions.

Cette définition implique un certain nombre de points sur lesquels je voudrais insister.

Le premier est que stabilité et durabilité sont essentielles à l'identification et la caractéris a-


tion des règles du jeu qui "signent" une institution. La Nouvelle Economie Institutionnelle
fait l'hypothèse qu'il y a une variabilité très faible des institutions au cours du temps, en par-
ticulier par rapport aux modes de gouvernance (ou modes organisationnels). Une consé-
quence importante s'en déduit aussitôt : il y a différenciation forte des horizons temporels de
l'analyse. Williamson a ainsi proposé de penser les institutions en termes séculaires, alors
que les arrangements organisationnels sont essentiellement intra-séculaires (Williamson,
2001).

Deuxième point, ces règles du jeu sont abstraites et impersonnelles au sens où elles
transcendent non seulement les individus, mais aussi les organisations. Elles les transcen-
dent en ceci qu'elles sont perçues comme non arbitraires, s'imposant de façon non discré-
tionnaires à toute une classe d'agents ou d'entités bien définies (Hurwicz, 1987). Une règle
qui varie au gré des individus auxquels elle s'applique ne peut prendre appui sur des disposi-
tifs stables et elle se heurte très vite aux problèmes de sa mise en œuvre. Les règles et
contraintes taillées sur mesure ne sont pas interprétées par les agents auxquels elles s'appli-
quent comme des institutions, mais, selon les cas, comme des privilèges arbitrairement attri-
bués à certains ou comme des mesures coercitives et injustes. De cette tension résulte sans
doute un des éléments clés de la dynamique des institutions.

Enfin, les institutions ont un caractère normatif. Elles n'existent que par les dispositifs qui
définissent "l'ensemble limité des alternatives acceptées à un moment donné dans une socié-
L'approche néo-institutionnelle

té" (North, 1986). De ce point de vue, les institutions ont une double face, dont résulte un
apparent paradoxe. D'un côté, elles restreignent nécessairement et considérablement le do-
maine d'action des agents individuels, et requièrent de ce fait des mécanismes d'enforcement.
De l’autre côté, elles permettent le développement de l’activité transactionnelle. L'analyse
des dispositifs destinés à rendre effectives les règles requises par cette activité constitue une
composante essentielle de l'analyse néo-institutionnelle et explique le rôle que des auteurs
comme Coase ont pu tenir dans l'essor des programmes de "droit et économie".

J'ai proposé ailleurs de qualifier ces dispositifs spécifiques de "micro-institutions".

L'analyse de ces micro-institutions, par exemple les instances de "régulation" par rapport
aux lois générales qui les cadrent, me paraît être un champ de recherche prioritaire. Mais, d'un
autre côté, les institutions peuvent élargir le domaine d'action des agents en sécurisant leurs
transactions. De nombreuses études de North (résumées dans son ouvrage de 1981), mais
aussi d'Alston et Libecap (1996) sur les droits de propriété illustrent ce point. Les péripéties
de la transition vers le marché des économies centralement planifiées constituent une exp é-
rience in vito, et douloureuse, de ce rôle clé des institutions.

Une question très intéressante dérive assez naturellement de la définition que j'ai propo-
sée ci-haut, et cette question tend à prendre une place non négligeable dans la littérature ré-
cente : peut-on parler d'institutions privées ? La réponse néo-institutionnelle est "oui", et des
exemples en ont été donnés et analysés (voir la série d'articles de North et al. sur la "Law
Merchant", par exemple, Milgrom, North et Weingast 1989)

2.3. De quelques conséquences de la conception néo-institutionnaliste des institutions.

L'examen de la conception des institutions auquel je viens de me livrer, et qui ne touche


bien entendu qu'une partie des problèmes posés, me conduit à apporter des précisions sur
quelques aspects que je considère comme cruciaux pour des recherches futures.

D'abord, en quoi le concept de transaction joue-t-il un rôle dans la définition proposée? Il


est en réalité central car en tant qu'économistes opérant dans le cadre de cette conception on
s'intéresse en priorité aux institutions et aux dispositifs d'accompagnement (les "microinstitu-
tions") qui vont faciliter les transactions et réduire leurs coûts. Or, le point clé de ces disposi-
tifs, c'est à la fois l'enforceability, ou la capacité d'implémenter ex-ante des règles et des
procédures de mise en œuvre réalisables, et l'enforcement, ou les dispositifs nécessaires
pour rendre ces règles opérationnelles ex-post, de manière à sécuriser les transactions des
agents. Ainsi, l'adoption d'une règle de droit sur la protection des marques doit prévoir la
possibilité de recours aux tribunaux, mais n'aurait pas de pertinence sans la mise en place
d'appareils administratif et judiciaire adéquats (pour des illustrations, voir Ménard, 1996 ;
Ménard et Valceschini, 1999).

Ensuite, peut-on parler d'institutions efficaces ? Je sais que je vais susciter beaucoup de
désaccords sur ce point, mais je vais défendre l'idée que "OUI", au sens où il y a efficacité
comparative. Certaines institutions sont plus favorables que d'autres au développement
d'un volume important de transactions, d'où la possibilité de mieux tirer parti de la division du
Claude Ménard

travail ; et à la réduction du coût des transactions, d'où la possibilité d'une accumulation plus
forte. Qu'on pense, par exemple, aux règles et dispositifs régissant le transfert des droits de
propriété dans l'immobilier, et à leur différence entre pays. L'hypothèse qu'on fait, et qui peut
être étayée par des études comparatives, est donc qu'il existe des institutions porteuses de
facilités transactionnelles et qui par là permettent de tirer un meilleur parti de la division du
travail. Alston propose de qualifier ces institutions de "growth enhancing", ce qui est peut-
être une qualification plus adéquate que le terme "efficace". En tout état de cause, l'idée cen-
trale, que North (1971, 1981) a très tôt mis de l'avant et que Greif (1993,1998) a récemment dé-
veloppée sur des exemples très précis, reste la même : il existe des dis positifs institutionnels
qui, dans la durée, ont des effets dynamisant plus importants que d'autres.

Enfin, dernière remarque, cela ne veut pas dire que le critère d'efficacité des institutions
soit le seul à prendre en compte. D'une part, on retrouve ici le vieux clivage entre "efficacité"
et "équité". La réduction des coûts de transaction et l'accroissement en volume et même
éventuellement en qualité des transactions qu'elle permet, peuvent fort bien s'accompagner
d'une amplification dévastatrice des inégalités, ou d'effets induits catastrophiques pour l'en-
vironnement. Un certain nombre de politologues et d'historiens ont commencé à utiliser le
concept de transactions pour analyser les arbitrages qui se font entre efficacité et équité au
plan politique ou pour expliquer des bifurcations historiques majeures 5.

D'autre part, le critère d'efficacité ne dit rien sur la stabilité des institutions : des institu-
tions parfaitement inefficaces en ce qu'elles empêchent l'essor des transactions ou accrois-
sent sérieusement leurs coûts, peuvent en effet rester en place très, très longtemps (Greif,
1998).

2.4. Quid des arrangements institutionnels ?

On aura remarqué que dans tout ce qui précède, j'ai peu parlé de l'autre volet du pro-
gramme de recherche néo-institutionnel, plus micro-analytique, qui concerne ce que Davis et
North (1971) appelaient les "arrangements institutionnels" et qui a engendré toute la littéra-
ture récente sur les modes de gouvernance (Williamson, 1996). Je m'abstiendrai de dévelop-
per cet aspect, de manière à centrer l'attention, dans l'espace imparti, sur la question cruciale
posée, qui porte sur les institutions au sens général. On doit pourtant garder présent à l'es-
prit que, dans l'approche développée ici, les modes d'organisation ont nécessairement un en-
racinement institutionnel6. Je reviendrai brièvement sur certains aspects de cette question
dans la dernière section ("Résultats"), ne serait ce qu'en raison de la nécessité d'éclairer l'in-
teraction entre l'environnement institutionnel et ces modes organisationnels, un point où
l'approche néo-institutionnelle a aussi progressé significativement.

3. METHODE.

5. Je pense, par exemple, aux travaux de Ferejohn, McCubbins, Weingast en sciences politi-
ques, de Engerman, Nye, Sokoloff en histoire.
6. Pour des développements sur ce point, voir Ménard (1995).
L'approche néo-institutionnelle

Une des difficultés majeures sur laquelle bute l'analyse économique lorsqu'elle aborde les
institutions a trait à des problèmes de méthodes. La question se pose en effet de savoir si la
boîte à outils classique de l'économiste est adéquate à cet objet. La réponse est complexe
parce que les outils techniques et les hypothèses sous-jacentes s'emboîtent inextricablement.

Il est hors de question de m'étendre longuement ici sur les problèmes de méthode posés
par (et auxquels se heurte) le programme néo-institutionnel7. Mais je crois essentiel d'en dire
quelques mots parce qu'une bonne partie des critiques des "hétérodoxes" comme des "or-
thodoxes" à l'égard de ce programme de recherche se cristallise là-dessus.

3.1. Une méthode "standard"...

En un sens, l'économie néo-institutionnelle ne présente aucune originalité méthodologi-


que concernant sa démarche de recherche. Elle se soumet à la logique classique révélée par
l'histoire des sciences, y compris des sciences sociales. En effet, elle entend prendre appui
(1) sur une théorie, c'est-à-dire un ensemble de questions bien circonscrites et de concepts
construits pour analyser ces questions ; (2) sur des modèles élaborés à partir de ces
concepts, mobilisant les instruments analytiques qui permettent de générer des propositions
testables sur des classes de phénomènes bien délimités ; et (3) sur des tests effectivement
destinés à confronter ces propositions à des données, soit par l'intermédiaire de la mesure (y
compris des tests économétriques), soit par le recours à des simulations, abstraites (théorie
des jeux) ou appliquées (expérimentation).

On relèvera pourtant une première différence, qui est aussi source de difficultés majeures
tant dans les relations avec l'approche standard qu'à l'intérieur du programme de recherche
lui-même. Les visées modélisatrices mentionnées ci-dessus s'accompagnent en effet d'une
exigence de "plausibilité" concernant les hypothèses sous-jacentes. Ceci conduit assez sys-
tématiquement les auteurs néo-institutionnels à retenir deux hypothèses clés: l'hypothèse de
rationalité limitée et l'hypothèse de comportement opportuniste. La première heurte la sensi-
bilité "néo-classique" dans la mesure où elle conduit à questionner le postulat de maximisa-
tion, ce qui rendrait moins féconde, sinon impossible, l'utilisation des outils qui s'y attachent.
La deuxième gêne fort les auteurs "hétérodoxes", qui y voient une continuation de l'idée que
les agents sont essentiellement calculateurs, ce qui en ferait des êtres "a-sociables" et donc
des abstractions peu pertinentes pour l'analyse des phénomènes sociaux réels. Je ne pré-
tends pas avoir de réponse satisfaisante par rapport à ces deux "gênes". Je constate simple-
ment que ces difficultés n'ont pas empêché le programme de recherche de progresser
rapidement, ainsi que j'essaierai de le montrer dans la section suivante. Et je pense que nous
pouvons aussi nous inspirer de l'histoire des sciences pour nourrir une certaine confiance :
règle générale, lorsqu'une question pertinente est posée, elle finit par engendrer les outils
d'analyse adéquats.

7. Pour une approche un peu plus détaillée, voir Ménard, 2001. On trouvera aussi des remarques très
intéressantes, quoique d'un point de vue totalement différent, dans Laffont 1999.
Claude Ménard

3.2. …mais qui mobilise aussi des éléments originaux.

On peut trouver trace de cette exigence de méthodes nouvelles, d'exploration à l'aide de


techniques non conventionnelles, dans au moins deux directions. Or, la prise en compte de
celles-ci me parait indispensable si on veut comprendre les progrès réalisés dans l'analyse
des institutions et si on veut aller plus loin sur ces thèmes.

La première direction est celle de l'analyse comparative. On ne peut procéder à l'analyse


des institutions de façon purement axiomatique. L'identification même des règles du jeu et
l'étude de leur fonctionnement, de leur impact sur les performances des modes organisation-
nels et, plus généralement, sur la dynamique des organisations, supposent de baliser le ter-
rain de recherche par des points de comparaison. Comparaison ne signifie pas description.
Les études comparatives menées par les néo-institutionnalistes sont guidées par une théorie,
l'approche transactionnelle. Dans l'état actuel des recherches, de nombreux travaux8 ont re-
cours à un mixte d'analyses qualitatives et de modèles théoriques assez "locaux", destinés à
rendre compte de l'émergence et du fonctionnement de certaines règles.

Un cas typique me semble celui du modèle développé par Milgrom-North-Weingast pour


rendre compte de la nature et du rôle de la "Law Merchant" dans les foires du Moyen Age.

De même, Avner Greif dévelope toute une série de modèles destinés à rendre compte des
dispositifs d' "enforcement" et de leur place dans le développement du commerce méditerra-
néen aux 11e, 12e et 13e siècles. Dans un autre registre, on peut citer les travaux de McCub-
bins, Weingast, etc. sur l'impact des règles politiques d'un système fédératif par rapport à un
système centralisé dans la mise en place d'un ordre transactionnel.

Une deuxième direction concerne le recours aux études de cas, si controversé par nombre
d'économistes du "mainstream". Les études de cas jouent un rôle particulièrement important
dans la mise au jour et l'analyse des règles générales du jeu, mais aussi dans l'étude arrange-
ments institutionnels ou modes d'organisation (un exemple emblématique est celui de l'ab-
sorption de Fisher Body par General Motors. Voir le numéro spécial du Journal of Law and
Economics, avril 2001). La plupart des auteurs oeuvrant dans le domaine néoinstitutionnel ne
me paraissent pas souffrir de l'allergie assez répandue chez les économis tes, pour des raisons
obscures, à l'égard d'études de "cas" servant de point d'appui pour le développement théori-
que. La raison en est peut-être dans un malentendu. Si on entend par étude de cas les mono-
graphies descriptives, alors les néo-institutionnels partagent le scepticisme des économistes
conventionnels. Mais, peut-on qualifier de "monographique" l'étude de la manufacture
d'épingle, qui sert à construire le concept de division du travail ; ou l'étude d'une équipe de
baseball, qui permet de produire la théorie du tournoi ; ou l'analyse de la franchise de la télé-
vision par câble à Oakland, qui conduit à une interprétation profondément nouvelle de l'arbi-
trage entre modes d'organisation ? Dans ce cas, il faudrait dédaigner une bonne partie des
développements théoriques en économie.

8. Des précisions et les références sont fournies dans la section suivante.


L'approche néo-institutionnelle

4. RESULTATS

Le fond conceptuel et les problèmes méthodologiques étant ainsi posés, de quels acquis,
provisoires bien sûr, peut faire état le programme néo-institutionnel eu égard à l'analyse et la
compréhension de la nature et du rôle des institutions ? Ici aussi, il est exclus de procéder à
un inventaire exhaustif tant la richesse des résultats accumulés est grande. Si on porte le re-
gard sur les vingt dernières années de ce programme, le bilan paraît en effet impressionnant.

L'économie standard ne s'y trompe pas, qui y prélève de plus en plus de questions et de
résultats. Je me contenterai de rappeler ici trois directions du programme qui me paraissent
particulièrement fructueuses.

4.1. L'analyse des arrangements (ou modes) organisationnels et des arbitrages entre ces
arrangements.

Un premier volet, sans doute celui qui a progressé le plus rapidement, en particulier à par-
tir des années 1980, concerne les "arrangements institutionnels", ou, selon la terminologie
que j'ai plutôt privilégiée jusqu'ici, les modes organisationnels. Il s'agit ici du programme, dé-
sormais bien connu et reconnu, impulsé par Williamson (1975). On dispose sur ce volet de
prédictions précises et testables, donc réfutables. Je soulignerai trois points en particulier.

Le premier pour rappeler le nombre tout à fait impressionnant d'études et de tests sur l'in-
tégration et la quasi-intégration, études fondées sur le concept d'actifs spécifiques, et, à un
degré nettement moindre, sur la variable d'incertitude entourant les transactions. Comme
l'ont dit un certain nombre d'auteurs (voir, par exemple, Joskow 1991 ; 2002), l'analyse de l'in-
tégration est le "success story" du programme néo-institutionnel. Les concepts mis en œuvre
permettent de mieux comprendre comment se détermine le périmètre de l'entreprise, et com-
ment se font les arbitrages entre arrangements institutionnels alternatifs. Un certain nombre
de tests comparatifs ont aussi montré que l'explication néo-institutionnelle se révèle particu-
lièrement "performante" par rapport à des explications alternatives (Poppo et Zender, 1998 ;
Rindfleisch et Heide, 1997 ; Whinston, 2001).

Un deuxième apport que je voudrais souligner concerne le très net essor, depuis une di-
zaine d'années, des études sur une classe alternative d'arrangements, les formes organisa-
tionnelles hybrides (parfois qualifiées d'arrangements institutionnels "non standards"). On
entend par là des modes de gouvernance reposant sur des accords entre entités juridique-
ment autonomes, mais qui mettent en commun un sous-ensemble de décisions économiques,
arrangements visant à conserver les avantages incitatifs du marché tout en mettant en place
des dispositifs de réduction des comportements opportunistes. Des exemples maintenant
classiques sont ceux des réseaux d'entreprises, de la franchise, des groupements de produc-
teurs. Bien qu'un certain nombre de travaux lui soient antérieurs, l'article qui a véritablement
lancé ces études est celui de Williamson (1991). Cet auteur y développait l'idée restée jusque
là assez intuitive d'arrangements stables se situant entre le marché et les "hiérarchies", com-
plexifiant ainsi considérablement le tableau qu'il avait esquissé dans son ouvrage de 1975. Un
résumé des caractéristiques de ces arrangements a été proposé dans Ménard (1997), et les
Claude Ménard

études se multiplient depuis pour mieux connaître et comprendre les contrats qui sous-
tendent ces accords et, plus généralement, les mécanismes de coordination et d'incitation qui
en assurent la pérennité (voir, par exemple, Brousseau et Glachant (ed), 2002 ; Lafontaine et
Reynaud, 2001 ; Ménard 2003).

Par contre il y a un certain paradoxe sur le versant microanalytique du programme néoins-


titutionnel, et qui tient au sous-développement relatif des études portant sur les caractéris ti-
ques internes des organisations intégrées. En effet, compte tenu de l'importance accordée
dès 1937 à "la nature de la firme" par le fondateur de la mouvance néoinstitutionnelle, Ronald
Coase, et compte tenu de ce que les premières recherches de Williamson 9 portaient précis é-
ment sur les propriétés internes de l'entreprise intégrée et la façon dont elles déterminent à la
fois ses avantages par rapport au marché et ses limites, on aurait pu s'attendre à un essor ra-
pide des travaux en ce sens. Or, les progrès dans cette direction sont encore minces, comme
l'ont souligné un certain nombre d'auteurs (voir par exemple les nombreuses contributions au
Journal of Economic Perspective, Avril 1998).

Ainsi, on dispose de très peu d'études à ce jour portant sur les dis positifs internes à l'en-
treprise qui lui permettent d'organiser les transactions en interne de façon efficace (Gibbons,
2001), ou encore sur la façon dont la spécificité des actifs humains joue sur l'organisation du
travail et donc l'efficacité relative de l'entreprise par rapport à d'autres arrangements institu-
tionnels. Une partie de l'explication tient dans la difficulté à obtenir des données. Mais, on
peut penser que le cadre analytique doit aussi être développé. Les préoccupations néo-
institutionnelles rejoignent là celles d'économistes plus proches du noyau central du mains-
tream (par exemple, Holmstrom, 1999).

4.2. L'analyse d'un certain nombre de dispositifs institutionnels et de leurs effets sur l'or-
ganisation des transactions.

Une deuxième direction de recherche fructueuse concerne l'analyse des institutions pro-
prement dites. Les travaux de Douglass North ont évidemment joué un rôle très important
dans le déploiement de cette dimension du programme néo-institutionnel. Mais, là aussi, plu-
sieurs volets sont à prendre en compte.

D'abord, des progrès ont été faits concernant l'analyse comparative des dispositifs insti-
tutionnels, permettant de mettre en relief leur rôle dans la différenciation des trajectoires de
développement en raison de leur impact sur le volume et les modalités d'organisation des
transactions. La dimension politico-juridique tient ici une place particulièrement importante,
et le concept d'"enforceability" joue un rôle clé dans ces analyses qui ont inspiré en partie le
rapport annuel de la Banque Mondiale (2001) par ailleurs décevant. Pour être plus précis, je
donnerai ici trois exemples particulièrement significatifs : (1) Le travail d'Avner Greif, compa-
rant les dispositifs politiques mis en place à Gènes et à Venise aux 12ème et 13ème siècles et
conduisant à des choix organisationnels et des trajectoires de développement fortement dif-

9. Voir, par exemple, son remarquable article de 1967 sur "Hierarchical Control and Optimum Firm
Size".
L'approche néo-institutionnelle

férenciées ; (2) Les travaux de Sokoloff, Engerman et Haber (2001) sur la croissance comp arée
des USA et de l'Amérique Latine; ou encore (3) ceux de Lee Alston et al. (1996) sur le rôle des
droits de propriété de la terre dans la dynamique américaine (et ses ratés).

Ensuite, il convient de noter les travaux qui ont permis l'identification et l'analyse des rè-
gles institutionnelles "efficaces" (ou inefficaces), au sens où elles permettent un accroisse-
ment du volume des transactions et une réduction de leurs coûts. Il faut mentionner en
particulier l'essor remarquable des études sur l'intersection entre droit et économie (en parti-
culier le droit des contrats et les droits de propriété), qui a été largement initié et piloté par
Coase, dans le cadre de ses fonctions éditoriales pour le Journal of Law and Economics10.

Moins connu, en particulier en France où ces développement peu d’écho jusqu’à mainte-
nant, mais très dynamique est le mouvement néo-institutionnel se développant à l'intersec-
tion de l'économie et des sciences politiques, par exemple sur la nature et le rôle d'un système
"fédéral", sur les avantages relatifs de son degré de centralisation, et sur son impact dans l'
"enforceability" des règles du jeu. Si une partie importante de ces études a porté sur le sys-
tème américain (Weingast, Ferejohn, McCubbins), elles sont aussi en train d'être étendues à
d'autres cas de figure, par exemple le Brésil (Mueller) ou l'Argentine (Spiller et Tommasini).

Il faut enfin prendre note d'un certain nombre de travaux plus formalisés, portant essen-
tiellement sur la question de la stabilité institutionnelle, par exemple dans l'analyse des fac-
teurs qui déterminent un équilibre institutionnel et des facteurs qui induisent le passage d'un
équilibre à un autre. Les travaux pionniers de Hurwicz (1987), sur le "design institutionnel",
qui en restaient à une conception très grossière des institutions comme système de transmis-
sion de messages, ont ainsi cédé la place à des travaux beaucoup plus précis sur les condi-
tions de stabilité de règles du jeu bien définies, qu'elles relèvent de normes (Aoki, dans
Menard 2000 ; Aoki 2001), de règles politiques (McCubbins, 1999), ou de dispositifs sociaux
cadrant l'organisation microéconomiques des transactions (Ensminger, 1992).

4.3. L'analyse des interactions entre l'environnement institutionnel et les modes organisa-
tionnels.

Ce qui précède amène assez naturellement à faire état d'autres résultats, plus récents en-
core et donc largement en cours d'élaboration et d'approfondissement, portant sur la façon
dont l'environnement institutionnel interagit avec les arrangements organisationnels qui se
déploient dans son cadre. Les nombreuses études néo-institutionnelles des dix dernières an-
nées sur les phénomènes de régulation/dérégulation (au sens anglais) ont permis d'avancer
sur ce point, en particulier dans trois directions.

D'abord, nous disposons dorénavant d'une bien meilleure connaissance de l'imp act qu'a
le choix des règles du jeu sur la façon dont vont se déterminer les modes d'organisation des
transactions, et donc sur l'arbitrage entre ces modes, ainsi que sur les performances qui vont

10. On trouvera une présentation succincte de ces apports dans la préface du juriste Yves-Marie Mor-
rissette (Coase, 2000).
Claude Ménard

en résulter. Qu'on pense par exemple aux travaux de Joskow et Schmalensee (1997) sur la fa-
çon dont ont été découpées les entreprises d'Etat en Russie, aux travaux du même Joskow
sur la déréglementation du secteur électrique (Joskow 1991b, 1998), aux études de Levy et
Spiller (1994 ; 199) sur la transformation institutionnelle du secteur des télécommunications,
ou à celles coordonnées par Shirley (2002) dans le secteur de l'eau. Un développement inté-
ressant concerne l'utilisation de l'économie expérimentale pour tester les comportements de
ces règles du jeu (voir par exemple, Staropoli, 2001).

Une deuxième série de résultats intéressants sur cet axe a trait à l'analyse de l'impact des
cadres légaux sur le choix des modes de gouvernance et sur leurs performances. Il y a
d'abord toute une série d'études portant sur la manière dont sont définis les droits de proprié-
té et les conséquences qui en résultent dans la façon d'organiser les transactions. J'en don-
nerai pour exemple les travaux d'Alston, Libecap et Mueller (199) sur l'agriculture américaine
ou brésilienne, ou les travaux de Libecap et Wiggins (1985) sur l'exploitation des champs pé-
trolifères. Il y a ensuite les travaux sur les lois cadrant le fonctionnement des entreprises, par
exemple les lois concernant les "corporations" et leurs conséquences sur le mode de gou-
vernance (illustrés, par exemple, par Marc Roe, 2002). Il y a enfin les analyses concernant le
rôle du système légal dans la définition, l'élaboration et l'exécution des contrats (on pense ici
aux travaux d'Alan Schwartz (1992), entre autres). Tous ces travaux convergent, malgré leur
diversité, en ce qu'ils mettent en lumière les règles qui articulent le droit aux choix organis a-
tionnels.

Je voudrais terminer cette revue, non exhaustive, loin s'en faut, en mentionnant aussi une
série de travaux en cours de publications qui font de plus en plus apparaître le rôle central
des "micro-institutions", qui s'intercalent entre les règles du jeu globales balisant l'environ-
nement institutionnel d'une part, et les agents, les organisations, ou les accords contractuels
qui les lient d'autre part. Des études convergentes (Levy et Spiller, 1994 ; Shirley (ed.), 2002 ;
Ménard et Shirley, 2002) montrent en effet le rôle clé de ces dispositifs dans les choix organi-
sationnels qui sont faits et dans les performances observées une fois ces choix faits. L'intérêt
de ces travaux est aussi, peut-être surtout, d'identifier progressivement quelles sont ces
micro-institutions clés, de faire apparaître comment elles sont étroitement liées à des sec-
teurs d'activités. S'esquisse ainsi une théorie des institutions relais, articulant les règles du
jeu générales aux modes effectifs d'organisation des transactions. Ce sont ces institutions re-
lais qui, selon toute vraisemblance, font toute la différence eu égard à l'efficacité des institu-
tions composant l'environnement institutionnel global et qui déterminent largement les
différences de performance, expliquant pourquoi le même mode de gouvernance (parfois la
même entreprise) réussit dans un environnement et échoue dans un autre.

5. CONCLUSION

Je n'ai présenté ici qu'une partie, infime 11, des apports récents de l'analyse néoinstitution-
nelle à la connaissance de ce que sont les institutions et de la façon dont elles fonctionnent

11. Pour une vision plus complète, on pourra se reporter à Ménard (2003) et Ménard et Shirley
(2003).
L'approche néo-institutionnelle

et interagissent avec les arrangements auxquels elles servent de support et de cadre. Comme
on l'a vu, il y a plutôt abondance. On en conclura, j'espère, que le programme néo-
institutionnel est effectivement "progressif", qu'il continue d'ouvrir de nouveaux chantiers, et
qu'il mérite donc discussion.

Si je devais retenir quelques points absolument centraux de ces apports, je mettrais évi-
demment de l'avant les concepts de transaction et de coûts de transaction, avec tout l'appa-
reil analytique qui les entoure. Mais, j'insisterais aussi sur l'analyse qui se développe autour
des problèmes d'"enforceability" et d'"enforcement", sur la nature et les caractéristiques des
contrats incomplets, et sur l'idée devenue centrale dans le programme néo-institutionnel qu'il
existe une variété importante de modes organisationnels alternatifs, entre lesquels se font
d'incessants arbitrages, arbitrages où jouent à la fois les règles de l'environnement institu-
tionnel et les caractéristiques internes propres à ces modes d'organisation. Je noterais enfin
l'étude des conditions caractérisant l'efficacité et la stabilité des dispositifs institutionnels.

Des problèmes majeurs subsistent évidemment, dont j'aurais sans doute dû faire davan-
tage état. J'en mentionnerai trois qui me tiennent particulièrement à cœur. (1) Nous avons en-
core très, très peu progressé sur la question de l'innovation, en particulier sur la nature et les
articulations des innovations organisationnelles et des innovations institutionnelles. (2)
Nous ne comprenons pas ou très peu les mécanismes d'encastrement des incitations dans
leur environnement organisationnel et dans la dimension institutionnelle. (3) Nous avons très
peu avancé dans la direction d'une analyse des comportements des agents qui permette d'al-
ler au delà des hypothèses, assez ad hoc, de rationalité limitée et de comportements oppor-
tunistes. En particulier, nous nous débattons toujours avec la fameuse hypothèse de
rationalité. Nous partageons là, je crois, une difficulté commune à toutes les théories écono-
miques accordant une place centrale à l'analyse des institutions. Il en résulte un problème
majeur : nous avons tendance à produire des théories locales, nous manquons, au delà du
concept de transactions qui ne peut pas tout faire, d'une théorie plus générale. En un sens,
on peut en tirer une conclusion optimiste : il y a encore de beaux jours pour la recherche sur
les institutions.
Claude Ménard

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