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DALE CARNEGIE-Triomphez-Des-Soucis, VIVEZ Que Diable...
DALE CARNEGIE-Triomphez-Des-Soucis, VIVEZ Que Diable...
essentiellement à ma bonne étoile, et aussi aux avis que?avais glanés autour de moi. En somme je m étais î
î
jeté à 'eau ». J'entrepris alors d'analyser les erreurs ״ue j'avais commises et, surtout, je pris la ferme
résolution de chercher à pénétrer tous es se^'ets du mécanisme boursier avant de m engager dans de nouvelles
opérations. Je m'arrangeai donc pour taire "a connaissance d'un certain Burton Castles, un des spéculateurs les
plus heureux qu'on eut jamais vus à Wall Street. J'espérais pouvoir profiter largement des conseils qu'il me
donnerait directement ou indirectement, car, depuis longtemps deja, il . rea ™ chaque année des bénéfices
substantiels ; et je savais fort bien qu'une réussite aussi constante ne pouvait s'expliquer uniquement par une
veine persistante.
Castles commença par me poser quelques questions concernant mes premières opérations puis, il m appnt ce
qui, à mon avis, est le principe le plus important de toute spéculation. « Voyez-vous, me d.t-.l, chaque fois
que je passe un ordre de bourse, je fixe en même emp q s une limite des pertes ; si j'achète un titre a, mettons,
cinquante dollars l'unité, je donne immédiatement un ordre de « limite des pertes » a quarante-cinq dollars.
C'est-à-dire qu'au cas ou le cours de ce titre descendrait à quarante-cinq, .1 sera vendu auto matiquement, ce
qui limite ma perte a cinq po.nts A condition de choisir vos premiers investissements
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d'une façon à peu près intelligente, conclut le vieux renard, vous allez faire en moyenne des profits de dix,
vingt-cinq, ou même cinquante points. Par consé quent, du moment que vous limitez vos pertes à cinq points,
vous pourrez vous permettre de vous tromper au moins une fois sur deux ; cela ne vous empêchera pas de
gagner encore pas mal d'argent. »
j'ai adopté immédiatement ce principe, et je l'applique encore aujourd'hui, il a économisé, aux clients qui me
confient leurs fonds ainsi qu'à moi-même, des milliers de dollars.
Un peu pius tard, je me rendis compte que cette méthode de limiter les pertes pouvait s'appliquer à des choses
tout à fait étrangères à la Bourse. Je commençais à mettre des ordres limitatifs sur des tracas et des soucis qui
n'étaient nullement d'ordre financier — sur toutes les préoccupations, les craintes, les ressentiments que
j'éprouvais. Et dès le début, j'obtins des résultats incroyables.
Pour ne citer qu'un exemple : je déjeune souvent avec un ami qui est incapable d'être à l'heure. Autrefois, il
me faisait attendre et perdre la moitié du temps dont je disposais avant d'arriver au rendez-vous. Finalement,
je lui parlai de ma décision de limiter tous mes ennuis. « Mon vieux Bill, lui expliquai-je, en ce qui concerne
nos déjeuners, je place, aujourd'hui même, un ordre limitatif de dix minutes très exactement. Si ton retard
dépasse dix minutes cinq secondes, notre rendez-vous sera annulé, purement et simplement, et tu ne me
trouvera plus. »>׳
En entendant ce récit, je n'ai pu m'empêcher de penser : Mon Dieu — quel malheur que je n'aie pas eu, dans le
temps, assez de bon sens pour mettre des >< ordres limitatifs » sur mon impatience, mes éclats de colère, mon
désir de me justifier à mes propres yeux, mes regrets, bref, sur tout cet ensemble mental
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TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
et émotif qui provoque le surmenage ! Pourquoi n'avais-je pas l'intelligence — une dose vraiment infime
aurait suffi — de prendre la mesure de chaque nouvel ennui et de me dire : « Allons, mon petit vieux, cette
histoire vaut juste tant de tracas ou de réflexion, ou même de colère — et pas davantage. » Pourquoi au nom
du ciel n'ai ־je pas agi ainsi ?
je puis dire cependant qu'à une occasion au moins, j'ai fait preuve d'un peu de bon sens. Et c'était même une
occasion très grave — une véritable crise dans ma vie — un moment où je voyais mes rêves, mes projets
d'avenir et le travail de plusieurs années s'évaporer en fumée. Voici ce qui était arrivé : Lorsque j'avais une
trentaine d'années, je décidai tout à coup de gagner ma vie en écrivant des romans. J'allais devenir un
deuxième Jack London, un nouveau Thomas Hardy. Je pris ce projet tellement au sérieux que je m'embarquai
pour l'Europe — où je pouvais vivre confortablement avec quelques dollars, dans cette époque du
fonctionnement forcené de la planche à billets qui avait précédé à la première guerre mondiale. J'y passai en
effet deux années, travaillant courageusement à mon chef-d'œuvre. Je le baptisai « Le Blizzard » (la tempête
de neige). Un titre admirablement choisi, car l'accueil fait par les éditeurs à mon grand roman fut au moins
aussi glacial que le blizzard le plus impitoyable qui ait jamais balayé les plaines du Dakota. Quand,
finalement, mon agent littéraire me dit que mon manuscrit ne valait rien, que je n'avais aucun don. aucun
talent pour les œuvres d'imagination, mon cœur faillit s'arrêter de battre. Je quittai son bureau sans répondre,
complètement hébété. 11 m'avait assommé aussi sûrement qu'au moyen d'un coup de matraque sur la tête.
Puis, peu à peu, je compris que je me trouvais à un croisement de chemins, que je devais prendre une décision
d'une portée énorme.
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Qu'allais-je faire ? Quel chemin allais-je prendre ? Des semaines passèrent avant que je fusse en mesure de
secouer mon engourdissement. A ce moment-là, je n'avais pas encore entendu parler du principe des « ordres
limitatifs de pertes ». Mais aujourd'hui, regardant en arrière, je vois que j'ai inconsciemment appliqué cette
méthode. Je comptabilisai les deux années perdues à pâlir sur mon « roman » pour leur valeur exacte — la
valeur d'une noble et malheureuse expérience —- et revins à mes occupations antérieures : l'organisation de
cours éducatifs pour adultes. Pendant mes loisirs, j'écrivais des biographies et des ouvrages non imaginaires,
comme celui que vous êtes en train de lire.
Puis-je dire aujourd'hui que je suis heureux d'avoir pris cette décision ? Et comment ! Heureux est un mot
trop faible. Chaque fois que j'y pense, je pourrais sauter et danser de joie. Je puis dire sans mentir que, depuis
cette époque déjà lointaine, je n'ai jamais perdu fût-ce seulement une heure à me lamenter sur le fait que je ne
suis pas devenu un second Jack London.
En d'autres termes : nous agissons stupidement chaque fois que nous payons pour un objet quel conque un prix
exagéré en soucis ou en chagrins qui, inévitablement, rongeront notre santé.
C'est pourtant exactement ce que firent les compo siteurs Gilbert et Sullivan, les auteurs de quelques-unes des
plus délicieuses opérettes : Patience, le Mikado, H. M. S. Pinafore. Ces deux hommes savaient admirablement
écrire des textes joyeux et une musique très gaie, mais ils ignoraient à un degré vraiment ',amentable l'art de
se créer une existence joyeuse et gaie. Ils étaient capables de créer des chefs-d'œuvre, mais incapables de
contrôler leurs nerfs. Le motif de la discorde qui devait littéralement empoisonner ïeur vie durant des années
fut -r- je vous le donne en
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mille — le prix d'un tapis! Avouez qu'il eût été difficile de trouver une raison plus futile. Sullivan avait
commandé ce tapis pour le théâtre qu'ils venaient d'acquérir. Quand Gilbert vit la facture, il sortit de ses
gonds. Après des semaines d'âpres disputes, ils portèrent finalement leur différend devant les tri bunaux, et à
partir du jour du jugement, ils ne s'adressèrent plus jamais la parole. Quand Sullivan avait achevé îa
composition de la musique pour une nouvelle production, il envoyait la partition par la poste à Gilbert qui, à
son tour, après avoir écrit les paroles, renvoyait le tout à Sullivan, également par la poste. Un soir, ils furent
obligés de venir ensemble devant le rideau pour saluer le public, mais ils se placèrent chacun à un bout de la
scène et s'inclinèrent l'un vers la droite, l'autre vers la gauche, de manière à ne pas se voir, ils n'avaient pas
assez de bon sens pour placer un « ordre limitatif des pertes » sur leur ressen timent comme l'avait fait par
exemple le président Lincoln.
Un jour — c'était pendant la Guerre de Sécession — Lincoln, en entendant ses amis dénoncer amèrement les
manœuvres de ses adversaires, déclara : « Vous êtes certainement plus rancuniers que moi. Peut-être ne le
suis-je pas assez ; mais j'ai toujours eu l'impression que le ressentiment est une chose plutôt néfaste pour
celui qui le nourrit. Aucun de nous n'a le temps de passer la moitié de son existence à se quereller. En ce qui
me concerne, dès qu'un homme cesse de m'attaquer, j'oublie ce qu'il a pu dire ou faire contre moi dans le
passé. »
J'aurais voulu qu'une ׳de mes tantes — la tante Edith — se fût montrée aussi peu rancunière que Lincoln. La
pauvre femme habitait avec l'oncle Frank une ferme hypothéquée de la cave au grenier, infestée de cafards et
entourée de terres d'une pau
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vreté incroyable, lis avaient une vie très dure — ils devaient peiner et s'échiner pour chaque cent. Mais la
tante Edith adorait acheter, de temps en temps, une paire de rideaux de tulle ou d'autres bricoles de ce genre
pour égayer quelque peu leur maison vraiment trop nue. Elle pouvait se permettre l'acquisition de ces objets
de luxe parce que Dan Eversol, le propriétaire du petit bazar de Maryville, lui faisait souvent crédit. Mais ces
dettes préoccupaient terriblement oncle Frank. Comme tous les paysans, il détestait laisser des factures
impayées ; donc, un beau jour, il demanda en secret à Dan Eversol de ne plus faire crédit à sa femme. Quant
la tante Edith apprit cela, elle se mit dans une rage golle — et près de cinquante ans plus tard, elle était
encore folle de rage ! C'est elle qui m'a raconté l'histoire — pas une fois, mais au moins cent fois. Lors de ma
dernière visite à Mary-ville — ma tante avait alors près de quatre-vingts ans
— je lui dis : « Ma tante, l'oncle Frank a eu tort de t'humilier ainsi, j'en conviens ; mais, franchement, ne
crois-tu pas que ta colère et tes lamentations continuelles pour une histoire vieille de cinquante ans sont
infiniment plus graves que ce que l'oncle a fait ? » (J'aurais tout aussi bien pu m'adresser à un sourd !)
La tante Edith a payé une lourde rançon pour le ressentiment implacable qu'elle avait nourri pendant si
longtemps. Cette rançon était sa propre tranquillité d'esprit.
Benjamin Franklin a commis, à l'âge de sept ans, une erreur dont il devait se souvenir pendant soixante-dix
ans. Il était tombé amoureux.— si l'on peut dire — d'un sifflet qu'il avait aperçu dans la vitrine d'un marchand
de jouets, Terriblement ému, il entra dans la boutique, vida sa tirelire sur le comptoir et offrit toutes ces
pièces de monnaie en échange du sifflet
— sans même songer à s'enquérir du prix. « De
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retour à !a maison, raconte-t-il dans une lettre écrite soixante-dix ans plus tard, je me promenais à travers
toutes les pièces en soufflant dans mon sifflet. Mais quand mes frères et sœurs, tous plus âgés que moi,
découvrirent que j'avais payé pour ce sifflet beaucoup plus qu'il ne coûtait en réalité, ils se moquèrent
bruyamment de moi, et je me mis à pleurer, tant j'étais vexé. »
Bien des années plus tard, quand Franklin était ambassadeur à Paris, il se rappelait encore que le fait d'avoir
payé trop cher ce sifflet lui avait causé plus de chagrin que le sifflet ne lui avait donné de joie. Mais, en fin
de compte, ce fut là une leçon vraiment peu coûteuse. « En grandissant, raconte Franklin, à mesure que
j'apprenais à observer et à analyser les actes de mes semblables, je retrouvais de plus en plus souvent la même
erreur. Beaucoup de gens avaient payé — tout au moins à mon avis — un prix exagéré pour le sifflet convoité.
En somme, je crois qu'une grande partie des malheurs dont nous souffrons provient d'une fausse estimation de
la valeur réelle des choses, et du fait que nous payons trop cher pour nos sifflets. »
Gilbert et Sullivan avaient payé trop cher pour leur « sifflet » La tante Edith avait commis la même erreur.
Moi, Dale Carnegie, j'en ai fait autant — à maintes occasions. Et même Léon Tolstoï, l'immortel auteur de «
Guerre et Paix, Anna Karénine », etc. ne se rendait pas toujours compte du prix des choses. Le grand
romancier était, durant les vingt dernières années de sa vie, probablement l'homme le plus vénéré du monde
entier. Entre 1890 et 1910, un flot ininterrompu d'admirateurs venait, en une sorte de pèlerinage, à sa
propriété, dans l'espoir de l'apercevoir, d'entendre le son de sa voix ou même de pouvoir baiser l'ourlet de son
vêtement. La moindre de ses phrases était aussitôt notée, presque comme s'il se fût agi d'une
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révélation divine. Mais en ce qui concerne sa vie quotidienne. Tolstoï avait, à soixante-dix ans. encore moins
de bon sens que Franklin n'en avait à sept ans. Pour dire les choses carrément, il en était totalement dépourvu.
Voici pourquoi j'avance une opinion aussi singulière. Tolstoï avait épousé une jeune fille qu'il aimait ten -
drement. Ils furent tellement heureux l'un avec l'autre que, très souvent, ils s'agenouillaient pour prier le
Seigneur de faire durer leur bonheur si pur, leur extase si passionnée. Malheureusement, la jeune femme était
d'une jalousie maladive. Elle se déguisait en paysanne et épiait les moindres mouvements de son mari, même
lorsqu'il se promenait simplement dans la forêt. Bientôt, des scènes violentes éclatèrent entre les époux. La
femme devint jalouse — même de ses propres enfants — à un tel point qu'un jour, elle s'empara d'un fusil et
troua d'une balle la photographie de sa fille. Il lui arrivait de se rouler par terre, tenant un flacon de poison
contre sa bouche, et de menacer de se suicider, pendant que ses enfants se serraient dans un coin de la pièce et
hurlaient de frayeur.
Que fit alors Tolstoï ? Mon Dieu, on trouverait normal qu'il cassât la vaisselle et brisât le mobilier — il aurait
eu de bonnes excuses pour donner ainsi libre cours à sa colère. Mais il fit pire que cela — il se mit à tenir un
journal dans lequel il attribua toute la faute à sa femme ! C'était cela — son « sifflet ». Il avait décidé de
prendre toutes les précautions en son pouvoir pour que les générations futures fussent persuadées de son
innocence. Et que fit alors sa femme, en réponse à ces accusations ? Eh bien, elle arracha ;oui d'abord les
pages du journal et, naturellement, les brûla. Puis, elle entreprit de son côté la rédaction d'un journal dans
lequel son mari tenait le rôle du
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coupable, pour ne pas dire du traître. Finalement, elle écrivit même un roman, intitulé « A qui la faute ? > ׳. où
elle représentait son mari comme une sorte de monstre, tandis qu'elle était, bien entendu, une martyre.
Et tout cela pour arriver à quoi ? Pourquoi ces deux êtres s'obstinaient-ils à transformer leur foyer en ce que
Tolstoï lui-même appelait « un asile d'aliénés » ? il y avait évidemment plusieurs raisons à cela. L'une d'elles
était leur désir forcené de nous impressionner — nous, cela veut dire vous et moi, puisque nous formons la
postérité dont l'opinion les préoccupait tant ! Or, est-ce que nous donnerions aujourd'hui seulement un fifrelin
pour savoir lequel des deux était fautif 9 Certainement pas — nous sommes bien trop préoccupés par nos
propres problèmes pour perdre ne fût-ce qu'une minute à penser à ceux du ménage Tolstoï. Quel prix
effroyable ces deux malheureux n'ont-ils pas payé pour leur « sifflet » ! Cinquante années d'une existence
infernale — uniquement parce que ni l'un ni l'autre n'avaient assez de bon sens pour crier : « Halte ! », qu'ils
n'avaient pas un sens suffisant des valeurs pour dire : « Voyons, cette histoire prend des , proportions
vraiment grotesques. Limitons-les immédiatement. Nous gâchons notre vie. Cessons ce petit jeu — il n'a que
trop duré. »
Je suis persuadé que la faculté d'apprécier tout a sa juste valeur est l'un des secrets essentiels d'une véritable
tranquillité d'esprit, d'une sérénité parfaite. Et je crois que nous pourrions éliminer sur-le-champ cinquante
pour cent de nos tourments si nous établissions une sorte de barème, un étalon-or privé, afin de mesurer, en
unités de force nerveuse, la valeur ou l'importance que telle ou telle chose a pour nous.
Donc, afin de briser l'assaut continuel de vos tourments avant que les tourments ne vous brisent, appliquez la
règle n" 5 :
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Chaque fois que vous êtes tenté de gâcher votre force nerveuse, arrêtez-vous et posez-vous d'abord les trois
questions suivantes :
1) Combien cette chose qui me préoccupe vaut-elle réellement pour moi ?
2) A quel moment devrais-je placer un « ordre limitatif des pertes » dans cette histoire — et ne plus y
penser ?
3) Quel est exactement le prix maximum que je dois payer pour ce «sifflet»? N'aurais-je pas déjà payé plus
qu'il ne vaut ?
VI
N'ESSAYEZ PAS DE SCIER DE LA SCIURE
En écrivant ces paroles, je laisse errer mon regard par la fenêtre ; juste devant moi, je vois, dans mon jardin,
quelques empreintes de dinosauriens, fixées pour l'éternité dans l'argile schisteuse. Ces empreintes m'ont été
cédées par le Musée de l'Université de Yale ; et je possède une lettre du conservateur de ce musée affirmant
qu'elles ont été faites il y a 180 millions d'années. Même le Mongol le plus primitif ne songerait pas à revenir
en arrière de 180 millions d'années pour essayer de changer la forme de ces empreintes. Pourtant, une telle
tentative ne serait guère plus bête qu'une grande partie de nos tourments, pour la bonne raison que nous ne
pouvons même pas revenir en arrière de 180 secondes pour changer ce qui s'est passé — ce que beaucoup
d'entre nous s'obstinent à vouloir faire. Nous pouvons évidemment chercher à modifier les effets d'un
événement qui s'est produit 180 secondes auparavant ; mais il nous est absolument impossible de changer
quoi que ce soit à l'événement lui-même.
Il n'y a qu'une seule manière de réfléchir au passé d'une façon utile, constructive : c'est l'analyse objec
BRISEZ L'ASSAUT DE VOS SOUCIS
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tive de nos erreurs qui nous permet d'en tirer au moins une leçon profitable — ensuite, il vaut mieux les
oublier.
Aujourd'hui, je sais qu'il en est ainsi ; mais quant à savoir si j'ai toujours eu le courage et la sagesse d'agir
selon cette vérité, c'est une toute autre question. Pour y répondre, laissez-moi vous raconter l'histoire
vraiment fantastique qui m'est arrivée il y a un certain nombre d'années. A cette époque-là, j'avais réussi à
réaliser un chiffre d'affaires de 300.000 dollars — sans qu'il m'en fût resté un cent de bénéfice. Voici
comment cela s'était produit : j'avais lancé une vaste entreprise de cours d'éducation pour adultes, ouvert des
succursales dans plusieurs villes de province, et dépensé sans compter pour la publicité. Or, j'étais tellement
absorbé par mon travail pédagogique que je n'avais ni le temps ni le désir de m'occuper du côté financier de
l'affaire. J'étais d'ailleurs encore trop naïf pour me rendre compte qu'il m'aurait fallu un directeur très capable
qui aurait surveillé et réglé ies « frais généraux » — je croyais qu'il suffisait d'encaisser beaucoup d'argent
pour en gagner beaucoup.
Finalement, au bout d'un an, je fis une découverte qui « doucha » brutalement mon enthousiasme. Je constatai
que malgré nos recettes énormes, nous n'avions pas réalisé le moindre bénéfice. J'aurais alors dû faire deux
choses : primo, faire preuve d'autant de bons sens que George Washington Carver, le célèbre savant noir,
lorsqu'il apprit la faillite de la banque à laquelle il avait confié toutes ses économies — quarante mille
dollars. Comme un ami lui demandait s'il se rendait compte qu'il était à présent un homme pauvre, Carver
répondit simplement : Oui, je sais», et continua de travailler. Il effaça de son esprit cette perte pourtant très
dure d'une façon
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si totale que, par la suite, il n'en parlait plus jamais.
Secundo, j'aurais dû analyser soigneusement mes erreurs et en tirer une leçon durable.
Mais, pour avouer toute la vérité, je ne fis ni l'un ni l'autre. Je m'abandonnai, pour ne pas dire je me plongeai
dans un tourbillon de tourments. Pendant des mois, je vécus dans une sorte d'hébétude : je ne dormais plus, et
je maigrissais à vue d'œil. Au lieu de profiter de cette malheureuse expérience, je redoublais d'efforts, mais
toujours dans la même direction, et recommençais à commettre les mêmes erreurs, quoique sur une échelle
plus petite.
Je suis évidemment quelque peu gêné d'admettre ma propre stupidité ; mais j'ai découvert depuis long temps
qu'il m'est bien plus facile d'enseigner à vingt élèves ce qu'il faut faire, que de mettre en pratique mon propre
enseignement.
Comme je regrette de ne pas avoir eu la chance de suivre les cours du Collège George Washington de New-
York, et d'étudier sous la direction de Mr. Brandwine — l'ancien professeur d'un de mes amis, Mr. Allen
Saunders !
Saunders me raconta, un soir, qu'il doit à Mr. Brandwine, professeur d'hygiène à ce collège, une des leçons les
plus précieuses qu'il eût jamais reçues. « Je n'avais à ce moment-là que douze ou treize ans, mais, déjà, je me
tourmentais continuellement. Je me tracassais sans cesse au sujet des erreurs et des « gaffes » que j'avais
commises. Chaque fois que j'avais donné un devoir à un de mes professeurs, je passais une nuit entière à me
retourner dans mon lit et à me ronger les ongles, obsédé par la crainte de recevoir une mauvaise note.
Constamment, je pensais à ce que je venais de faire et souhaitais ardemment de m'y être pris différemment, je
me rappelais ce que j'avais dit et regrettais de ne pas l'avoir dit autrement.
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Puis, un matin, nous pénétrâmes, comme d'habi tude, dans l'amphithéâtre des Sciences Naturelles, et voilà
notre « prof », Mr. Brandwine qui. en nous voyant arriver, pose sur son pupitre une bouteille de lait. Nous
nous assîmes, regardant avec étonnement cette bouteille, et nous demandant ce qu'elle venait faire dans notre
cours d'hygiène. Brusquement, Mr. Brandwine bondit sur ses pieds, balaya d'un revers de main la bouteille
dans l'évier et s'écria : « Plus la peine de gémir, une fois le lait renversé ! »
Il nous réunit ensuite autour de l'évier et nous montra les débris de la bouteille. « Regardez bien, dit-il. car je
voudrais que vous reteniez cette leçon jusqu'à la fin de vos jours. Le lait est perdu — vous voyez qu'il a passé
dans le tuyau de vidange ; nous aurons beau nous arracher les cheveux et nous cogner la tête contre le mur,
cela n'en fera pas revenir une seule goutte. Evidemment, avec un peu de réflexion et de prudence, on aurait pu
sauver ce lait. Mais maintenant, il est trop tard — tout ce que nous pouvons faire, c'est de nous résigner à
cette perte, de l'oublier, et de passer à un autre sujet. »
Le souvenir de cette petite démonstration, conclut mon ami, est toujours resté vivant dans mon esprit, alors
que j'ai oublié depuis longtemps mes connaissances autrefois si solides en géométrie ou en latin. En somme,
j'ai appris, en ces quelques minutes, plus de choses vraiment utiles pour la vie que pendant mes quatre années
de collège. J'ai appris à éviter autant que possible de renverser du lait, mais aussi, à ne plus y penser une fois
que le malheur était arrivé et que le lait avait passé dans le tuyau de vidange. »
Je suis sûr que certains de mes lecteurs vont sourire en voyant que cette longue histoire ne servait qu'à
illustrer une de ces vérités rabâchées et vieilles comme le monde : Plus la peine de gémir, une fois
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le lait renversé. Je me rends parfaitement compte de la banalité, pour ne pas dire de la platitude de cette
maxime. Mais je sais aussi que ces adages poussiéreux sont la quintessence de la sagesse des siècles, le fruit
des expériences souvent amères de nos ancêtres. Je vais même plus loin : si nous appliquions toujours les
règles qui, sous forme de proverbes et d'adages, contiennent le meilleur de l'héritage spirituel des générations
passées, nous mènerions tous une exis tence pratiquement parfaite. Tout le monde connaît ces vieux
préceptes ; mais il y a un abîme entre le fait de les savoir par cœur et la volonté de s'y con former. D'ailleurs,
j'ai écrit cet ouvrage beaucoup moins pour vous raconter quelque chose de nouveau que, surtout, pour vous
faire rentrer dans le crâne des vérités évidentes et vous amener à agir en consé quence.
J'ai toujours admiré les hommes capables d'exprimer une vieille vérité d'une façon nouvelle, saisissante et
pittoresque. C'est ce que fit par exemple le vieux Fred Shedd, propriétaire de la « Gazette de Phila delphie», à
l'occasion d'un discours devant une promotion de l'Université. « Combien d'entre vous ont déjà scié du bois ?
demanda-t-il. Que ceux qui connaissent ce travail lèvent la main. — Presque tous les jeunes gens avaient
manié une scie au moins une fois dans leur vie. — « Bon — mais combien d'entre vous ont déjà scié de la
sciure ? » Pas une main ne se leva. — « Bien sûr ! s'exclama Mr. Shedd. On ne peut pas scier de la sciure.
C'est du bois déjà scié. Et c'est la même chose pour le passé. Chaque fois que vous vous tracassez au sujet
d'événements qui se sont passés, vous essayez tout simplement de scier de la sciure. »
J'ai fait la connaissance de Connie Mack, le grand vétéran du base-bail, alors qu'il avait quatre-vingts ans.
Comme je lui demandais s'il lui était arrivé de
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se tourmenter à cause des parties que son équipe avait perdues, i! répondit en haussant les épaules :
— Oui, bien sûr, — dans le temps. Mais il y a belle lurette que je me suis débarrassé de cette manie stupide.
Je m'étais aperçu que cela ne servait à rien du tout. On ne peut pas gâcher du plâtre avec de l'eau qui a déjà
passé le long de la rivière. »
Evidemment, on ne peut pas gâcher du plâtre avec l'eau qui a déjà passé le long de la rivière — pas plus qu'on
ne peut rattraper cette eau pour faire tourner la roue d'une scierie située dans le haut de la vallée. Mais on
peut parfaitement graver des rides dans son visage et faire pousser des ulcères dans son estomac.
J'ai eu récemment le plaisir de dîner avec Jack Dempsey. Tout en savourant la dinde aux airelles, il me parla
du combat qui lui coûta son titre de champion du monde et fit de Gene Tunney le roi des poids lourds. Comme
on peut bien s'en douter, cette défaite fut un coup très dur pour son orgueil. « A peu près vers le milieu du
combat, raconta-t-il, je compris brusquement que j'étais un vieil homme. A la fin du dixième round, j'étais
toujours debout — mais c'était a peu près tout. J'avais les yeux presque fermés, la peau de ma figure avait
éclaté en plusieurs endroits... Comme à travers un brouillard, je vis l'arbitre lever la main de mon adversaire,
proclamant ainsi sa victoire, le n'étais plus champion du monde. Sous la pluie battante, je descendis du ring et
m'en allai lentement vers mon vestiaire, fendant péniblement la foule. Des hommes essayaient de me serrer la
main, d'autres avaient des larmes aux yeux...
Un an plus tard eut lieu la revanche entre Tunney et moi. Mais ce fut inutile. J'étais fini, pour de bon. Au
début, j'eus beaucoup de mal à ne pas me tourmenter, jusqu'au jour où je me suis dit : «Je ne vais pas vivre
dans le passé, gémir sur ce qui est fait. Je
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veux encaisser ce coup, comme j'en ai encaissé tant d'autres, mais sans aller au tapis. »
Et c'est ce qu'il fit. Comment ? Seulement en se répétant sans cesse : « Je ne veux pas me tourmenter pour le
passé ? » Non — cela l'aurait simplement forcé de ruminer continuellement ce passé. Il y arriva en acceptant
courageusement sa défaite, en l'inscrivant au compte des pertes et profits, et en se concentrant ensuite sur ses
projets d'avenir. Il y arriva en ouvrant son célèbre restaurant à Broadway, et en dirigeant le Grand Hôtel du
Nord, dans la 57 e rue. Il y arriva en s'occupant tant et si bien de choses constructives, tangibles, qu'il n'avait
plus le temps ni le désir de penser au passé. «J'ai eu, durant ces dix dernières années, une vie plus heureuse
qu'à l'époque où j'étais encore champion du monde, conclut Jack Dempsey. »
Souvent, en lisant des biographies ou encore en observant des gens qui se débattent dans des circons tances
pénibles, je suis étonné de voir avec quelle facilité certains hommes peuvent passer leurs malheurs au compte
des pertes et profits pour continuer ensuite à mener une existence passablement heureuse.
Un jour, j'ai visité la célèbre prison de Sing-Sing. Je fus particulièrement frappé par le fait que la plupart des
détenus paraissaient à peu près aussi heureux que les hommes libres, vivant de l'autre côté des murs. J'en
parlai au directeur qui m'apprit qu'à leur arrivée à Sing-Sing, les criminels étaient presque toujours amers,
aigris, rongés par toutes sortes de ressentiments. Mais, au bout de quelques mois, tous, sauf les moins
intelligents, passaient l'éponge sur les événements qui les avaient conduits en prison, ils s'installaient dans
leur nouvelle existence, acceptaient calmement les règlements et la routine du pénitencier et en tiraient le
meilleur parti possible. Le directeur me cita l'exemple d'un détenu qui, employé comme jardinier, chantait
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en cultivant ses légumes et ses fleurs derrière les murs impitoyables de la prison.
Ce détenu-jardinier qui chantait faisait preuve de bien plus de bon sens que la plupart d'entre nous. Il savait
que, de toute façon, tout l'or du monde et toutes les armées de l'univers ne peuvent changer le passé en quoi
que ce soit. Donc, imitons-le et rappelons-nous constamment la règle n° 7.
N'essayons pas de scier de la sciure.
QUATRIEME PARTIE
SEPT FAÇONS DE CULTIVER UNE ATTITUDE SUSCEPTIBLE DE VOUS APPORTER LA PAIX ET LE BONHEUR
I
NEUF MOTS QUI PEUVENT CHANGER TOUTE VOTRE VIE
Ii y a quelques années, on me demanda de répondre, dans le cadre d'une émission radiophonique, à la question
suivante : Quelle est la leçon la plus impor tante que la vie vous ait jamais donnée ?
Je n'eus guère besoin de réfléchir : de tout ce que l'expérience m'a enseigné, la chose de loin la plus
précieuse, la plus vitale est l'importance de ce que nous pensons. Si je savais ce que pense mon voisin, je
saurais ce qu'il est. Ce sont nos pensées qui font notre personnalité. Notre attitude mentale est le facteur X
qui détermine essentiellement notre destinée. Emerson a dit : « L'homme est ce qu'il pense durant la journée...
» C'est d'ailleurs l'évidence même — comment pourrait-il en être autrement ?
A présent, je sais avec une certitude absolue que
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 132
le choix judicieux de nos pensées est, de tous les problèmes que nous devons résoudre, le plus important
— en fait, presque l'unique problème. Si nous savons choisir nos pensées, nous serons toujours dans la bonne
voie — celle qui mène tout droit vers la solution de toutes nos difficultés. Marc-Aurèle, le grand philosophe
qui, il y a dix-huit siècles, régnait sur l'Empire Romain, a résumé cette vérité en neuf mots
— neuf mots qui peuvent fort bien changer le cours de votre existence : Notre vie est ce que nos pensées en font.
Marc-Aurèle a incontestablement raison. Si nos pensées sont joyeuses, nous serons joyeux. Si nous pensons à
notre misère, nous serons misérables. Si nous entretenons des pensées angoissées, nous finirons par avoir
peur. Si nous sommes obsédés par la crainte de tomber malades nous risquons de tomber malades. Si nous
pensons continuellement à la possibilité d'un échec, nous échouerons certainement Si nous nous complaisons
dans les récriminations et les gémissements, tout le monde nous évitera. « L'homme n'est pas ce qu'il pense
être. Mais ce qu'il pense, il l'est», a dit Norman Vincent Peale.
Veux-je dire par là qu'il faille adopter une attitude d'insouciance béate envers tous nos problèmes ? Non,
malheureusement, la vie n'est pas aussi simple que cela. Mais je recommande à tout le monde une attitude
positive, au lieu d'une mentalité purement négative. En d'autres termes, nous devons évidemment nous
occuper de nos difficultés, mais non nous en préoccuper. Vous vous demanderez peut-être où est la différence.
Permettez-moi de l'illustrer par un exemple. Chaque fois que je traverse une des rues du centre de New-York,
là où la circulation est particulièrement dense, je m'occupe de ce que je fais, c'est-à-dire que j'avance
prudemment, regardant à
133
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
droite et à gauche — mais je ne suis pas préoccupé. S'occuper d'un problème, cela signifie qu'on étudie la
difficulté et prend les mesures afin de la surmonter. Se préoccuper, cela veut dire tourner en rond, inu -
tilement, comme une bête affolée dans une cage.
Un homme peut parfaitement s'occuper de façon très sérieuse des problèmes auxquels il doit faire face, il peut
lutter de toutes ses forces pour redresser une situation menaçante et, en même temps, marcher la tête haute,
un œillet à la boutonnière. C'est ce que fit, par exemple, Lowell Thomas, un des plus célèbres reporters-
photographes de notre époque. J'ai eu l'honneur d'être l'associé de Thomas au moment où il présentait ses
remarquables documentaires sur les campagnes de Lawrence et d'Allenby. durant la pre mière guerre mondiale.
I homas et ses assistants avaient filmé la guerre sur cinq ou six fronts différents ; ils avaient surtout rapporté
un magnifique reportage sur le fameux Colonel Lawrence et sa pittoresque armée arabe, ainsi qu'un autre sur
la conquête de la Terre Sainte par le Général Allenby. La projection de ces films, accompagnée d'une
conférence commentant ces deux campagnes, fit sensation à Londres et dans le monde entier. L'ouverture de
la saison de l'Opéra de Londres fut retardée de six semaines pour permettre à Thomas de continuer à
passionner les foules avec cette chanson de geste moderne dans la plus grande salle de Londres, l'Opéra de
Covent Garden. Après son succès phénoménal à Londres, Thomas entreprit une tournée triomphale qui le
conduisit dans un grand nombre de pays étrangers. Puis, il consacra deux années à un documentaire sur la vie
indigène aux Indes et en Afghanistan. Mais à la suite d'une série d'incroyables coups de malchance,
l'impossible se réalisa : Thomas se retrouva à Londres, complètement ruiné. J'étais avec lui à ce moment-là.
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 134
Je me souviens encore des maigres repas dont nous devions nous contenter dans des restaurants à prix fixe, et
encore pouvions-nous manger là uniquement parce que Thomas avait emprunté de l'argent à un ami, un
peintre écossais. Or, voici enfin où je voulais en venir : même lorsque Thomas était plongé jusqu'au cou dans
des dettes criardes, et qu'il se débattait au milieu d'une véritable cascade de déceptions amères, il était tendu,
certes, il luttait de toutes ses forces, mais il ne se tourmentait pas. 11 savait que dès l'instant où il se laisserait
abattre par ses revers de fortune, il deviendrait une épave, un être perdu, dont les services ne seraient plus
utiles à personne — même pas à ses créanciers. Pour cette raison, il achetait chaque matin, en sortant de chez
lui. une fleur qu'il mettait à sa boutonnière, puis, il descendait Oxford Street d'une démarche souple, la tète
haute. Il se forçait de penser uniquement d'une façon positive, courageuse, il s'interdisait de perdre confiance.
En somme, il considérait les coups que le destin lui avait assenés comme faisant partie de l'entraînement
parfois pénible auquel il faut se soumettre si l'on veut atteindre le haut de l'échelle.
De même, notre attitude mentale exerce une influence étonnante, presque incroyable sur nos forces physiques.
J. A. Hadfield, le célèbre psychiatre anglais, cite un exemple frappant de ce fait dans son remarquable
ouvrage : « La Psychologie du Pouvoir. »
«J'ai demandé à trois hommes, écrit-il, de se soumettre à certains tests destinés à vérifier l'effet d'une
suggestion purement mentale sur leur énergie physique que j'allais mesurer au moyen d'un dynamo mètre. Les
trois sujets durent étreindre l'appareil de toutes leurs forces, et ceci dans trois situations différentes. »
Le premier essai eut lieu dans des conditions nor
135 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
maies et permit d'établir que la force moyenne de ces hommes atteignait 50,5 kilos (il s'agit de l'effort d'une
seule main).
Ensuite, Hadfield mit ses sujets en état d'hypnose et leur expliqua qu'ils étaient très faibles. Aussitôt, leur
pression sur le dynamomètre tomba à 14,5 kilos — moins que le tiers de leur force normale. (Un de ces
hommes était un boxeur professionnel ; mais dès qu'il fut persuadé de sa faiblesse, il déclara que « son bras
droit était grêle, maigre comme celui d'un enfant sous-alimenté. »)
Pour sa troisième expérience, Hadfield expliqua à ses trois sujets, toujours en état d'hypnose, qu'ils étaient
très forts ; et, immédiatement, leur pression sur le dynamomètre monta à 71 kilos. C'est-à-dire: la puissance
réelle d'un homme imbu de sa force est cinq fois supérieure à celle du même individu lorsqu'il se croit faible.
Tel est le pouvoir de notre attitude mentale.
Pour mieux illustrer cette puissance magique de notre pensée, voici une des anecdotes les plus éton nantes de
l'Histoire américaine. Elle pourrait fournir le sujet d'un gros livre ; mais soyons bref. Par une froide nuit
d'octobre, peu de temps après la fin de la guerre civile, une femme dans le dénuement le plus complet, sans
gîte ni ressources, frappa à la porte de «la mère Webster», veuve d'un capitaine au long cours, qui habitait une
vieille maison à Amesbury, dans le Massachusetts.
En ouvrant la porte, la mère Webster vit une créature frêle, chétive, « un pauvre paquet tremblant de peau et
d'os, pesant tout au plus une cinquantaine de kilos ». L'étrangère se présenta sous le nom de Mrs. Glover et
expliqua qu'elle était à la recherche d'un foyer où elle pourrait réfléchir calmement et élaborer un grand projet
qui l'absorbait jour et nuit.
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 136
— Pourquoi ne resteriez-vous pas ici ? dit Mrs. Webster. Je vis toute seule dans cette grande maison.
Mrs. Glover aurait pu habiter chez la mère Webster jusqu'à la fin de ses jours, si le gendre de cette dernière
n'était venu de New-York pour y passer ses vacances. En découvrant la présence de l'étrangère, il hurla: «Je
ne veux pas de vagabonds ici » et mit la pauvre femme à la porte. Durant quelques minutes, elle resta là,
immobile, frissonnant sous une pluie battante, puis, elle s'éloigna lentement, cherchant un autre abri.
Et maintenant, j'arrive au point surprenant, extra ordinaire de cette histoire. Cette « vagabonde » devait avoir,
sur la pensée et la formation morale de l'univers tout entier une influence plus profonde que n'importe quelle
autre femme. A l'heure actuelle, des millions d'adeptes dévoués vénèrent son nom — Mary Baker Eddy — la
fondatrice de la « Christian Science », !Eglise du Christ Scientiste).
Pourtant, jusqu'à ce moment-là, la vie ne lui avait guère apporté que des malheurs — la maladie, le chagrin, le
désespoir. Son premier mari était mort peu de temps après leur mariage. Son second mari l'avait abandonnée
pour s'enfuir avec une femme mariée. Il devait d'ailleurs finir ses jours dans un asile de , vieillards. Elle
n'avait qu'un enfant — un garçon qu'elle^ avait dû confier, après une longue maladie qui avait épuisé ses
maigres ressources, à des étrangers, alors que l'enfant n'avait que quatre ans. Cette famille quitta, un jour, la
ville sans même laisser à la mère la moindre indication de leur nouveau domicile, et la pauvre femme ne
retrouva son fils que vingt-sept ans plus tard.
Etant depuis toujours de constitution faible et de santé délicate, Mary Baker Eddy s'était intéressée de très
bonne heure à ce qu'elle appelait « la science de laguérison de l'esprit». Mais le tournant dramatique,
137 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
décisif de sa vie se situe à l'époque où elle se trouvait à Lynn, dans le Massachusetts. Un jour d'hiver, alors
qu'elle descendait une petite rue, elle glissa sur le verglas, tomba et resta évanouie sur le trottoir. Sa chute
avait provoqué une lésion tellement grave de la colonne vertébrale que son corps était continuel lement
ébranlé par des spasmes d'une violence inouïe. Le médecin s'attendait à une issue fatale. Il déclara que, même
si, par miracle, elle devait survivre, elle ne pourrait plus jamais marcher.
Gisant sur ce qu'elle croyait être bientôt son lit de mort, Mary Baker Eddy ouvrit sa bible et, par suite d'une
inspiration divine, devait-elle dire plus tard, tomba sur ce passage de saint Matthieu : « Et ils lui amenèrent
un homme frappé de paralysie, étendu sur une civière ; et Jésus dit au paralytique : Mon fils, prends courage ;
tes péchés te sont pardonnés... Lève-toi, et rentre à la maison. Et le paralytique se leva et rentra chez lui. »
Ces paroles firent surgir en elle un tel courant de force et de foi, un élan tellement puissant vers sa guérison
que, comme elle l'a relaté plus tard, «elle se leva immédiatement et quitta l'hôpital ».
« Ce fut cette expérience miraculeuse, déclare Mrs. Eddy, qui me fit comprendre, en l'espace de quelques
instants, comment je pouvais arriver à me sentir heureuse, et, surtout, à rendre heureux mes semblables...
J'acquis la certitude scientifique du fait que l'Esprit est la base et l'origine de tout, et que nos actes et nos
sentiments sont, en réalité, des phénomènes mentaux. »
C'est ainsi que Mary Baker Eddy est devenue la fondatrice et la Grande Prêtresse d'une nouvelle religion :
l'Eglise du Christ Scientiste — l'unique grande religion fondée par une femme — une foi qui compte des
disciples dans le monde entier.
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 138
Vous vous dites probablement : « Tiens, tiens, ce Mr. Carnegie cherche à faire des prosélytes pour l'Eglise du
Christ Scientiste. » Mais c'est faux. Je ne suis pas un adepte de cette secte. Cependant, plus je vis, plus je suis
convaincu de l'immense puissance de la pensée. Ayant passé trente-cinq ans à instruire des adultes, je sais que
tout être humain peut chasser ses craintes et ses préoccupations, se débarrasser de nien des maladies et
transformer son existence, en changeant sa manière de penser. Je le sais ! J'ai observé des centaines de fois
des transformations presques incroyables — j'en ai vu tant quelles ne m'étonnent même plus.
Je suis absolument persuadé que notre tranquillité d'esprit et notre joie de vivre ne dépendent pas de ! endroit
où nous nous trouvons, ni de ce que nous possédons, ni même de ce que nous sommes, mais uniquement de
notre attitude mentale. Les conditions extérieures n'ont qu'une influence minime sur notre honheur. Prenons
par exemple l'histoire du vieux John Brown qui fut pendu pour s'être emparé de l'arsenal de Harpers Ferry et
avoir essayé d'inciter les esclaves à la révolte. Le jour de l'exécution, il partit pour l'échafaud, assis sur son
cercueil. Le geôlier qui l'escortait était nerveux et inquiet. Mais le vieux John Brown, lui, était parfaitement
calme. Levant son regard vers la crête bleuâtre des montagnes de Virginie, il s'exclama : « Quel beau pays !
C'est !a première fois que j'ai l'occasion de voir tout cela ! »
Ou prenons l'exemple de Robert Falcon Scott et de ses compagnons — les premiers Anglais à atteindre le pôle
sud. Leur voyage de retour fut probablement le plus effroyable que des hommes aient jamais entrepris. Ils
n'avaient plus de vivres ni de combustibles. Il leur était impossible d'avancer car une furieuse tempête de
neige faisait rage pendant
139
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
onze jours eî onze nuiîs — un vent si féroce, si coupant, qu'il entamait et tailladait la surface de la glace
polaire. Scott et ses compagnons savaient qu'ils allaient mourir ; ils avaient d'ailleurs emporté une certaine
quantité d'opium en prévision d'une issue fatale. Une bonne dose d'opium, et ils pouvaient s'allonger sur le sol
et s'abandonner à des rêves merveilleux pour ne plus se réveiller. Mais ils dédaignèrent ce moyen d'évasion
trop facile, et moururent « en chantant des chants joyeux ». Nous le savons parce qu'une expédition de
secours découvrit, huit mois plus tard, une lettre à côté de leurs corps gelés.
Eh bien oui — si nous nourrissons des pensées courageuses et sereines, nous pourrons jouir de la beauté du
paysage pendant que, assis sur notre cercueil, nous partons pour l'échafaud ; nous pourrons faire retentir nos
tentes de chants joyeux tout en mourant de faim et de froid.
Milton, le poète aveugle, avait déjà découvert cette vérité trois cents ans plus tôt :
L'esprit est un inonde à part, et il peut en lui-même transformer l'Enfer en Ciel, et le Ciel en Enfer.
Les illustrations les plus parfaites de cette maxime nous sont fournies par Napoléon et Helen Relier. Napoléon
avait; certainement tout ce que la plupart des hommes désirent le plus : la gloire, le pouvoir, la richesse — et
pourtant, il a dit, à Sainte-Hélène : « De toute ma vie, je n'ai connu six jours de bonheur. » Tandis que Helen
Keller — aveugle, sourde et muette — a déclaré : « J'ai trouvé la vie si belle ! »
En cinquante ans, la vie m'a appris au moins une chose . « Rien ni personne ne peuvent nous apporter la paix,
à part nous-mêmes. »
En somme, j'essaie simplement de répéter ce que
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX E l BONHEUR
140
le poète Emerson a si bien exprimé dans la conclusion de son essai sur « La Confiance en Soi-même » : Une
victoire politique, une hausse substantielle des rentes d'Etat, la guérison d'un être qui vous est cher, le retour
d'un ami ou encore tout autre événement purement extérieur remonte votre moral, et vous pensez
immédiatement que tout ira mieux pour vous. Ne croyez pas cela. C'est impossible. Rien ni personne ne
peuvent vous apporter la paix, le bonheur, la sérénité, à part vous-même. »
Epictète, le grand philosophe stoïcien, a dit qu'il est bien plus important de chasser des pensées néfastes de
notre esprit que d'enlever des tumeurs et des abcès de notre corps. Epictète a vécu il y a environ dix-neuf
siècles, et cependant, la médecine moderne l'approu verait. Le Docteur Canby Robinson a déclaré que, sur cinq
malades admis à l'hôpital John Hopkins, quatre souffraient de maux provoqués, tout au moins en partie, par le
surmenage nerveux et la fatigue émotive, et ceci même chez des personnes présentant des troubles purement
organiques. « Ces derniers proviennent fréquemment d'une adaptation défectueuse à la vie et aux problèmes
de la réalité. »
Montaigne avait adopté comme devise . « L'homme est malmené non pas tant par les événements que, surtout,
par ce qu'il pense des événements. » Et il est difficile de contester que notre opinion des évé nements ne
dépend que de nous-mêmes.
Que veux-je dire par là ? Ai-je vraiment l'effronterie inconcevable de vous dire — alors que vous êtes écrasé
par vos tourments, et que vos nerfs « se mettent en boule » — ai-je vraiment l'effronterie inconcevable de
prétendre que, même dans ces conditions, vous pouvez changer votre attitude mentale par un effort de volonté
? Parfaitement — c'est exactement ce que je veux dire. Et ce n'est pas tout — je vais vous
141 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
montrer comment il faut s'y prendre. Sans doute faut-il se donner un peu de mal pour y arriver, mais, au fond,
c'est un secret très simple.
Le professeur William James, certainement la première autorité mondiale en matière de psychologie pratique,
a fait l'observation suivante : « Apparemment, l'action suit la pensée ; mais, en réalité, l'action et la pensée se
produisent simultanément. Et en réglant l'action qui est placée sous un contrôle plus direct de notre volonté, nous pouvons
indirectement régler nos pensées qui, en principe, échappent au contrôle de la volonté. »
En d'autres termes, William James nous apprend que nous ne pouvons pas changer immédiatement nos
sentiments simplement en décidant• de «penser à autre chose » — mais que, par contre, nous pouvons
parfaitement changer nos actes. Et qu'en changeant nos actes, nous changerons automatiquement nos
sentiments.
« Par conséquent, explique-i-il, l'unique moyen — moyen souverain et volontaire — de retrouver la joie que vous avez
perdue, c'est de prendre une attitude joyeuse, de parler et d'agir comme si la joie vous était déjà revenue. »
Vous vous demandez si un truc aussi simple « rend » toujours ? Eh bien, moi, je puis vous dire qu'il rend à
merveille. Essayez donc vous-même : souriez, d'un sourire large, jovial, spontané ; redressez les épaules,
respirez profondément, et chantez ce qui vous passera par la tête. Si vous ne savez pas chanter, alors, sifflez.
Si vous n'arrivez pas à siffler, fredonnez. Vous constaterez rapidement qu'il vous est matériellement,
physiquement impossible de rester maussade, triste et déprimé alors que toute votre attitude respire un bonheur
radieux !
Je viens de vous exposer une de ces petites vérités fondamentales dont la connaissance et l'application
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 142
peuvent facilement faire des miracles dans la vie de nous tous. Je pense par exemple à une femme que je
connais fort bien — c'est pour cette raison que je préfère taire son nom — qui pourrait se débarrasser
radicalement de toutes ses misères si elle connaissait ce secret. Elle est âgée, veuve depuis plusieurs années
— ce qui est triste, je l'admets — mais a-t-elle jamais essayé de se comporter comme une personne heureuse ?
Certainement pas ; si l'on lui demande comment elle se sent, elle répond: «Oh, je vais bien», mais son
expression et le ton pleurnichard de sa voix disent très nettement : « Seigneur — si vous saviez tous les
malheurs qui me sont arrivés ! » Elle a l'air de vouloir vous reprocher d'être heureux en sa présence. Des
centaines de femmes sont plus mal loties qu'elle ; f assurance-vie de son mari la met à l'abri du besoin jusqu'à
la fin de ses jours, et ses filles, mariées depuis longtemps, l'accueillent à tour de rôle, de sorte qu'elle ne
manque pas de compagnie. Mais je ne l'ai jamais vue sourire. Elle se lamente sur l'avarice et l'égoïsme de ses
trois gendres — quoiqu'elle passe chez chacun d'eux plusieurs mois par an. Elle se plaint de ne jamais
recevoir le moindre cadeau de ses filles — mais elle-même couve anxieusement son argent « pour ses vieux
jours ». Bref, cette femme est une véritable calamité d'abord pour elle-même, mais aussi pour toute sa famille.
Mais — est-ce inévitable ? C'est là le vrai malheur — elle pourrait parfaitement se transformer d'une belle-
mère aigrie, amère et hargneuse en une parente aimée et estimée — si seulement elle le voulait. Tout ce
qu'elle aurait à faire pour opérer cette transformation, ce serait de commencer à agir joyeusement
— à agir comme si elle voulait dispenser un peu de gaieté autour d'elle, un peu d'affection et d'amour — au
lieu de concentrer, et par conséquent de gâcher, ses sentiments sur sa propre personne.
143 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
Je connais aussi un certain H. J. Englert, de Tell City, dans l'indiana, qui est encore de ce monde uniquement
parce qu'il a découvert ce secret. Il y a dix ans, Mr. Englert attrapa la scarlatine ; et quand il fut rétabli, il
découvrit que cette maladie avait entraîné pour lui une conséquence assez grave, une néphrite. Il consulta
toutes sortes de médecins, « même des charlatans », me raconta-t-il, mais aucun ne put le guérir.
Puis, un peu plus tard, d'autres complications se déclarèrent. Sa pression monta brusquement. Il se fit
examiner de nouveau, et le docteur l'informa que sa pression avait atteint 214, c'est-à-dire un point fatal,
d'autant plus qu'elle allait certainement encore augmenter. Très charitablement, le médecin lui conseilla de
mettre aussitôt de l'ordre dans ses affaires.
«Je rentrai, raconte Mr. Englert, vérifiai si j'avais bien effectué tous les versements pour mon assurance-vie,
puis, après avoir imploré du Ciel le pardon de mes péchés, je m'abîmai dans une méditation morose. Bien
entendu, je rendis tout le monde malheureux. Ma femme pleurait du matin au soir, mes enfants sanglotaient,
et quant à moi-même, je m'enfonçais de plus en plus dans mon désespoir. Cependant, après avoir passé une
semaine à gémir sur mon sort, je commençai à réfléchir. « Voyons, me dis-je, tu te conduis comme un
imbécile. Tu as peut-être encore une bonne année à vivre — alors, pourquoi n'essaies-tu pas d'être heureux
tant que tu es encore de .ce monde ? »
Je redressai les épaules, me forçai à sourire, et m'ingéniai à agir comme si j'étais en parfaite santé. Au début,
ce fut difficile, je l'admets — mais je con tinuais à m'imposer une attitude aimable et même joyeuse ; et cela
soulagea non seulement ma famille, mais aussi moi-même.
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 144
Presque aussitôt, je me rendis compte que je commençais à me sentir mieux — en fait, je me sentais presque
aussi bien que je le prétendais ! Mon état s'améliorait constamment. Et aujourd'hui — alors que, depuis des
mois, je devrais être couché dans ma tombe — non seulement je suis heureux et bien portant, mais, par-dessus
le marché, ma pression est redevenue normale ! Une chose est certaine : la prédiction de mon médecin se
serait inévitablement réalisée si j'avais continué de penser que j'étais « fichu ». Heureusement, j'ai donné à
mon corps une chance de se guérir tout seul, et cela simplement en changeant mon attitude mentale ! »
A présent, permettez-moi de vous poser une question : puisque le simple fait d'agir joyeusement et de nourrir
des pensées positives de santé et de courage avait suffi pour sauver cet homme, pourquoi n'essaierions-nous
pas de supporter quelques minutes de plus nos petits chagrins, nos petites misères ? Pourquoi persis terions-
nous à rendre malheureux nos proches et nous-mêmes, alors qu'il nous est possible de créer la joie,
simplement en agissant joyeusement ?
D'après la Genèse, le Créateur a donné à l'homme la domination de la terre entière... un cadeau vraiment
énorme. Mais, quant à moi, j'avoue que des préro gatives aussi exorbitantes ne m'intéressent guère. Tout ce
que je désire, c'est la possibilité de me dominer moi-même — de dominer mes pensées, mes craintes, mon
âme. Et je suis heureux de savoir que je peux acquérir cette domination, et même à un degré étonnant, chaque
fois que je le veux, uniquement en contrôlant mes actes — qui, à leur tour, contrôlent mes réactions.
Rappelons-nous toujours ces paroles de William James : une grande partie de ce que nous nommons le Malheur...
peut être transformée en un Bonheur tonique par un simple changement de notre attitude
145 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS...
mentale. I l suffit fréquemment d'abandonner nos craintes — et de vouloir lutter.
Donc, luttons pour notre bonheur.
Si vous voulez vraiment cultiver une attitude mentale qui vous apportera la paix et le bonheur, suivez la règle
n° 1 :
Pensez, et agissez joyeusement — et vous serez joyeux.
LES RANCUNES SE PAIENT — ET MEME TRES CHER
Une nuit, alors que je me trouvais en voyage dans le Parc National de Yellowstone, j'étais assis, en compagnie
d'autres touristes, sur une terrasse, en face d'un épais bois de sapins. Brusquement, la bête que nous
attendions, la terreur de la forêt, l'ours grizzli, apparut dans la lumière des projecteurs et se mit à engloutir
les détritus que les cuisines du Parc jetaient a cet endroit. Un garde-forestier à cheval se tenait près des
touristes et leur parlait de la vie des ours et surtout du grizzli. Il nous apprit que celui-ci est l'animal le plus
fort de l'hémisphère occidental, à l'exception du buffle et, peut-être, de l'ours Kadiak. Cependant, je
remarquai ce soir-là que notre grizzli permettait à un autre animal — un seul — de rester près de lui et. même
de partager son repas : c'était un skonse 1 . Le grizzli savait parfaitement qu'il aurait pu écraser ce skonse d'un
seul coup de patte. Pourquoi ne le
( ! ) Le sk on se p os séd an t d es glan d e s remp li e s d' u n li q u i d e i n f eel, sa ch ai r d égage u n e pu an t eu r te ll e q u' e ll e est i n eome st tb le.
147 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
faisait-il pas ? Parce que l'expérience lui avait appris que cela n'en valait pas la peine.
Moi aussi, j'ai fait cette constatation. Quand j'étais encore un gamin courant, pieds nus, dans les prairies du
Missouri, j'attrapais souvent, au collet, des skonses à quatre pattes ; plus tard, devenu un homme, il m'est
arrivé de rencontrer quelques skonses à deux pattes qui rôdaient dans les rues de New-York. Une expé rience
longue et pénible m'a appris que ni l'une ni l'autre de ces deux espèces ne valaient la peine de s'en occuper.
En haïssant nos ennemis, nous leur donnons un grand pouvoir sur notre vie : pouvoir sur notre sommeil, notre
appétit, notre pression, notre santé et notre tranquillité d'esprit. Nos ennemis danseraient de joie s'ils savaient
seulement à quel point ils nous tourmentent, nous harcèlent, nous « rendent la pareille ». Notre haine ne leur
cause certainement aucun mal, mais, en revanche, elle transforme notre propre vie en un cauchemar de tous
les instants.
« Si des gens égoïstes cherchent à vous tromper, à abuser de votre gentillesse, à profiter de votre bonne foi,
cessez de les fréquenter, ignorez-les, mais n'essayez pas de leur rendre la pareille. En tentant de vous venger,
vous ferez bien plus de mal à vous-même qu'à la personne que vous voulez atteindre »... Qui, à votre avis, a
bien pu écrire ces paroles ? Quelque idéaliste au regard égaré de prophète ? Pas du tout. J'ai trouvé ces
phrases dans une circulaire éditée par la police de Milwaukee.
Comment votre désir de « rendre la pareille » pourrait-il vous faire du mal ? De plusieurs façons. D'après le
magazine «Life», il pourra même ruiner définitivement votre santé. « Le défaut caractéristique le plus
répandu parmi les personnes souffrant d'hypertension est l'esprit rancunier, déclare l'auteur d'un
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 148
article paru dans « Life ». Lorsque la rancune est chronique, elle entraîne une hypertension chronique et des
troubles cardiaques. »
Un de mes amis vient d'avoir une grave crise cardiaque. Son médecin lui ordonna de garder le lit et, surtout,
de ne pas se mettre en colère, à aucun prix, quoi qu'il pût arriver. Les médecins savent qu'une personne
souffrant de troubles cardiaques peut fort bien mourir d'une crise de colère. Cela vous paraît
invraisemblable ? Eh bien — il y a quelques années, un restaurateur de Spokane. dans l'Etat de Washington,
est mort, sur le coup, d'une crise de colère. J'ai là, dans mon dossier, une lettre du commissaire de police de
cette ville qui relate les circonstances de cet accident : « Un certain William Falkaber, âgé de soixante-huit
ans, propriétaire d'un café-restaurant, s'est tué en se mettant dans une colère folle parce que son cuisinier
s'obstinait à boire le café dans une soucoupe, au lieu de se servir d'une tasse. Le restau rateur était tellement
scandalisé qu'il prit son revolver et se mit à poursuivre le cuisinier — et s'écroula, foudroyé par une rupture
d'anévrisme, ses doigts encore serrés sur le revolver. Le médecin légiste a déclaré, dans son rapport, que la
rupture d'anévrisme avait été causée par la colère. »
Vous voyez donc que Jésus, en disant « Aimez vos ennemis » n'a pas seulement fixé à ses disciples une ligne
de conduite morale, il leur a donné en même temps un conseil médical que la Science du XX e siècle ne peut
qu'approuver. Et. en plus, il leur a indiqué un moyen d'embellir. Je connais — et vous connaissez également
— des femmes au visage durci par la haine et littéralement défiguré par les rancunes. Tous les soins
esthétiques du monde entier ne pourraient réparer ces ravages comme le ferait un cœur plein d'indulgence, de
tendresse et d'amour.
149 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
La haine détruit non seulement notre tranquillité d'esprit, mais même toute joie de vivre et jusqu'aux plaisirs
les plus simples, comme par exemple celui de manger un bon repas. La Bible a déjà exprimé cette vérité en
disant : « Mieux vaut dîner joyeusement d'un plat d'herbes que manger un bœuf rôti, assaisonné de haine. »
Ne croyez-vous pas que nos ennemis se frotteraient les mains en apprenant que notre ressentiment envers eux
nous épuise, nous fatigue et énerve, nous enlaidit, affaiblit notre cœur et, probablement, abrège notre vie?
Si nous ne pouvons aimer nos ennemis, si nous ne pouvons être bons pour eux, soyons au moins bons pour
nous-mêmes. Aimons-nous suffisamment pour ne pas leur permettre de devenir les maîtres de notre bonheur,
de notre santé, et jusqu'aux rides de notre visage. Comme l'a dit si bien Shakespeare :
Garde-toi bien de chauffer, pour ton ennemi, une fournaise si brûlante qu'elle risque de roussir tes propres vêtements.
Jésus, en nous demandant de pardonner « soixante-dix-sept fois » à nos ennemis, nous donne un excellent
conseil pratique. J'ai dans mes dossiers, par exemple, une lettre d'un certain George Rona. habitant actuel -
lement la ville d'Upsala, en Suède. Rona avait été avocat à Vienne, jusqu'à l'invasion de l'Autriche par les
nazis. A ce moment-là, il s'était enfui en Suède. N'ayant pu emporter la moindre somme d'argent, il se vit
immédiatement force de chercher du travail. Comme il parlait et écrivait couramment plusieurs langues, il
espérait trouver une place de correspondant dans une maison d'exportation. Mais la plupart des maisons
auxquelles il s'adressait répondirent que, du
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 150
fait de la guerre, elles ne voyaient pour l'instant aucune possibilité d'engager un correspondant en langues
étrangères, qu'elles prenaient cependant bonne note de son nom... etc. Un commerçant, pourtant, écrivit à
George Rona la lettre suivante : « Vos idées concernant mes affaires sont complètement fausses, et même
ridicules. Tout d'abord, je n'ai nullement besoin des services d'un correspondant ; ensuite, même s'il m'en
fallait un, je ne vous engagerais jamais, car vous n'êtes même pas capable de vous exprimer correctement en
suédois. Votre lettre grouille de fautes. »
Quand George Rona lut cette singulière réponse, il se mit dans une rage folle — aussi folle que les colères
homériques de Donald le Canard. De quel droit ce Suédois lui reprochait-il de ne pas savoir la langue ! Bon
sang de sang, le lettre de ce bonhomme grouillait, elle aussi de fautes ! Rona entreprit donc de rédiger une
réponse destinée à faire comprendre a ce grossier personnage sa façon de penser. Puis, il se ravisa. « Un petit
instant, se dit-il. Au fond, comment puis je savoir que cet individu n'a pas raison ? J'ai étudié le suédois, mais
ce n'est tout de même pas ma langue maternelle — il est donc fort possible que :'aie fait certaines fautes sans
m'en rendre compte. Dans ce cas, je ferais bien, de me perfectionner si je , .eux avoir une chance de trouver un
emploi. Après tout, cet homme m'a peut-être rendu un grand service, quoiqu'il n'en ait certainement pas eu
l'intention. Le :ait qu'il s'est exprimé en termes désobligeants ne diminue en rien ma dette de reconnaissance
envers lui. Je m'en vais donc lui écrire pour le remercier. »
Arrivé à ce point de ses réflexions, George Rona déchira la lettre « salée » qu'il avait déjà terminée, et en
écrivit une autre disant : « Vous avez été très aimable d'avoir bien voulu me répondre, et j'apprécie
151 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
votre geste d'autant plus que vous n'avez pas besoin d'un correspondant en langues étrangères. Je suis navré
d'avoir commis une erreur aussi grossière concernant votre firme. Je m'étais permis de m'adresser à vous
parce qu'on m'avait indiqué votre maison comme une des plus importantes dans le domaine de l'exportation.
Quant aux fautes de grammaire que vous avez relevées dans ma lettre, elles m'avaient échappé. Je ne me
rendais pas compte à que! point je m'exprimais mal. Dès aujourd'hui, je vais essayer, avec un zèle accru, de
me perfectionner en suédois et d'éliminer ces fautes dont j'ai honte. Je tiens à vous remercier de m'avoir aidé
à m'engager dans la voie d'un tel perfectionnement. »
Quelques jours plus tard, George Rona reçut de ce négociant une lettre l'invitant à venir le voir. Rona y alla
— et fut engagé. Ainsi, il découvrit tout seul qu'une réponse apaisante peut calmer ia colère.
Peut-être ne sommes-nous pas suffisamment au-dessus des faiblesses humaines pour pouvoir aimer nos ennemis, mais, par
égard pour notre santé et notre propre bonheur, pardonnons-leur et oublions-les. C'est ce que nous avons de mieux, de
plus sensé, à faire. « Etre victime d'un vol, d'une injustice, ce n'est rien, a dit Confucius, à moins que nous ne
continuions à y penser. » J'ai demandé; un jour, au fils du général Eisenhower, si son père ne nourrissait
jamais de ressentiments. « Oh, non, répondit-il. Papa ne per drait pas une seule minute à penser à des gens
qu'il n'aime pas. »
Un vieux proverbe dit qu'un homme incapable de se mettre en colère est certainement stupide, mais que
l'homme qui ne se met jamais en colère est indis cutablement un sage.
C'était aussi le système de William J. Gaynor, ancien maire de New-York. Violemment attaqué et
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 152
calomnié par la presse du parti adverse, il fut finalement victime d'un attentat perpétré par un fanatique qui le
blessa très grièvement. Lorsqu'il était à l'hôpital, luttant pour sa vie, il déclarait souvent : « Chaque soir, je
pardonne tout à tous mes ennemis. » Vous estimez que c'est pousser l'idéalisme trop loin ? Que c'est faire
preuve d'une douceur et d'une magnanimité exagérées ? Eh bien, consultez donc le grand philosophe allemand
Schopenhauer, l'auteur de « L'Etude du Pessimisme». Voilà un homme qui considérait la vie comme une
aventure futile et pénible. Il respirait littéralement l'ennui et la mélancolie ; et pourtant, il proclamait, des
profondeurs de son désespoir, que « dans la mesure du possible, nous devons éviter d'éprouver des
ressentiments envers qui que ce soit ».
J'ai eu l'occasion de demander à Bernard Baruch — le conseiller attitré de six présidents des Etats-Unis :
VVilson, Harding, Coolidge, Hoover, Roosevelt et Truman — s'il lui arrivait d'être énervé par les attaques de
ses adversaires. « Personne ne peut m'humilier ou m'énerver, répondit-il. Je ne le per mettrai pas. »
A travers les siècles, l'humanité s'est agenouillée devant les êtres qui, à l'instar du Christ, se refusaient à
nourrir la moindre haine envers leurs ennemis. Plus d'une fois, j'ai admiré, dans le Parc National Jasper, au
Canada, la splendeur d'une des plus belles montagnes d'Amérique — un mont portant le nom d'Edith Cavell,
l'infirmière anglaise qui, le 12 octobre 1915, fit face, courageusement et calmement comme une sainte, au
peloton d'exécution allemand. Son crime ? Elle avait caché, soigné, nourri dans son appartement de Bruxelles
des soldats anglais et français, elle les avait aidés à s'échapper en Hollande. Comme, ce matin d'octobre,
l'aumônier anglais pénétrait dans sa cellule à la prison militaire de Bruxelles, Edith Cavell prononça deux
153
TR IO MPHE Z DE VOS SOUC IS.
phrases qui, par la suite, ont été gravées pour ! , éternité dans le bronze et le granit : « Je me rends compte que
le patriotisme seul ne saurait suffire. Je dois dépouillei toute haine, toute amertume envers qui que ce soit. »
Quatre ans plus tard, son corps fut transféré en Angle terre, et un service funèbre fut célébré à Westminster
Abbey. Aujourd'hui, une statue de granit se dresse en face de la Galerie Nationale — une statue qui rappelle
aux passants une des gloires les plus pures de l'Angle terre. «Je me rends compte que le patriotisme seul ne
saurait suffire. Je dois dépouiller toute haine, toute amertume envers qui que ce soit. »
Le moyen le plus sûr d'oublier ses ennemis est de se consacrer entièrement à une cause beaucoup plus grande
que nous-mêmes. Alors, les insultes et les manifestations d'hostilité que nous subissons n'auront plus aucune
importance, puisque nous allons ignorer tout ce qui ne concerne pas directement notre cause. Afin de mieux
illustrer ma pensée, laissez-moi vous raconter un événement dramatique qui s'est produit, en 1918, dans les
forêts immenses de l'Etat de Mis-sissipi. Un lynchage ! Laurence Jones, un instituteur noir, allait être lynché !
J'ai visité, il y a quelques années, l'école fondée par Laurence Jones — l'Ecole Rurale de Piney Woods —
pour faire une conférence devant les élèves. Aujourd'hui, cet établissement est connu dans le pays tout entier,
mais l'incident dont je veux vous parler remonte à l'époque fiévreuse de la première guerre mondiale. A ce
moment-là, on murmurait dans le centre de l'Etat de Mississipi que les Allemands fomentaient une émeute
parmi les noirs. Laurence Jones, lui-même un nègre, fondateur de l'école et, en même temps, pasteur de la
communauté noire, était accusé de jouer un rôle très actif dans la préparation de cette révolte. Un groupe de
Blancs avait entendu, en passant devant l'église, Jones
ATT I T U D E P O U R A P P O R T E R PA I X E T B O N H E U R 1 5 4
lancer à ses ouailles : « La vie est une bataille dans laquelle chaque nègre doit s'armer et se battre afin de
survivre et de réussir. »
S'armer ! Se battre i Cela fut suffisant. Eperonnant leurs chevaux, les Blancs, très excités, alertèrent les
fermiers des environs, réunirent une foule hurlante et revinrent à l'église. Ils mirent un nœud coulant autour
du cou du pasteur noir, le traînèrent le long de la route sur un ou deux kilomètres, le placèrent sur un tas de
branchages, frottèrent des allumettes et furent sur le point de le pendre et de le brûler vif en même temps
quand, tout à coup, quelqu'un s'écria: «Qu'il nous fasse un sermon avant de flamber! Un sermon!» Et
Laurence Jones, debout sur son bûcher, le nœud coulant autour du cou, parla pour sa vie et, surtout, pour sa
cause. Il avait reçu son diplôme à l'Université de Iowa en 1907. Sa loyauté, sa droiture, son intel ligence et
son savoir, et, aussi, son talent de musicien lui avaient valu l'estime affectueuse de ses camarades et de ses
professeurs. Après avoir reçu son diplôme, il avait refusé l'offre d'un hôtelier de l'établir, et aussi celle d'un
mécène local qui voulait lui permettre de parfaire son éducation musicale. Pourquoi ? Parce qu'il brûlait d'une
passion visionnaire. Ayant lu la biographie de Booker T. Washington, il avait résolu de consacrer sa vie à
l'instruction de ses frères de race les plus misérables, les plus illettrés. Dans ce but, il se rendit dans la région
la plus arriérée des Etats du Sud — un endroit situé à une trentaine de kilomètres de Jackson, dans le
Mississipi. Ayant engagé sa montre au Mont-de-Piété pour 1,65 S, il ouvrit son école — au beau milieu des
bois. Une souche d'arbre lui servit de pupitre. Laurence Jones entreprit d'expliquer à ces forcenés qui
voulaient le lyncher la lutte qu'il avait dû mener pour instruire au moins sommairement les garçons et les
fillettes noirs, pour faire d'eux de
155 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
bons fermiers, de bons mécaniciens, des cuisinières, des ménagères. Il leur parla des hommes blancs dont
l'assistance lui avait permis de fonder l'Ecole de Piney Woods — des Blancs qui lui avaient donné du terrain,
des matériaux de construction, des cochons, des vaches et aussi de l'argent afin de le mettre en mesure de
poursuivre sa tâche.
Lorsque, plus tard, quelqu'un demanda à Laurence Jones s'il haïssait les hommes qui l'avaient traîné le long
de la route pour le pendre et le brûler vif, il répondit: «J'étais trop occupé à plaider la cause de mon œuvre
pour les haïr — trop absorbé par cette cause qui dépasse de si loin ma propre personne. D'ailleurs, je n'ai
jamais eu le temps de me disputer, et personne ne m'obligera à m'abaisser suffisamment pour pouvoir le haïr.
»
A mesure que Laurence Jones parlait, avec son éloquence sincère et émouvante, qu'il plaidait non pour lui-
même, mais pour sa cause, la foule furieuse se calmait. Finalement, un vétéran de la Guerre de Sécession
déclara : « Je commence à croire que ce jeune homme dit la vérité. Je connais les Blancs dont il a mentionné
les noms. Ce garçon fait du beau travail. Nous avons commis une lourde erreur. Notre devoir serait de l'aider,
au lieu de le pendre. » Otant son chapeau, le vieillard joignit le geste à la parole et fit une quête qui rapporta
cinquante-deux dollars quarante cents — aucun de ces hommes accourus pour pendre le « sale nègre » ne se
déroba à son devoir.
Fpictète a déjà fait remarquer dix-huit siècles avant notre ère que nous récoltons ce que nous avons semé, et
que, d'une façon ou d'une autre, le destin s'arrange toujours pour nous faire payer nos méfaits. « A la longue,
dit-il, chaque homme payera la rançon des actes immoraux qu'il a pu commettre. Celui qui se souvient
constamment de cette vérité ne sera jamais
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 156
en colère envers qui que ce soit, il ne blâmera, n'in sultera, ne détestera personne. »
L'homme le plus détesté, le plus calomnié et le plus attaqué de l'histoire américaine était probablement
Abraham Lincoln. Pourtant, d'après Herndon, son biographe. « Lincoln ne jugeait jamais ses semblables
suivant ses sympathies ou ses antipathies personnelles. Lorsqu'il s'agissait de trouver un titulaire pour tel ou
tel poste, Lincoln admettait parfaitement qu'un de ses adversaires pouvait être tout aussi qualifié qu'un de ses
partisans. Même s'il se trouvait que l'homme le plus apte pour ce poste l'avait attaqué ou calomnié, Lincoln
l'appelait, tout comme il aurait fait appel à un ami si celui-ci avait eu les qualifications néces saires... Je ne
pense pas qu'il ait jamais déplacé un fonctionnaire à cause d'une divergence de vue ou d'une antipathie
personnelle. »
Or, Lincoln dut parfois se défendre contre l'hostilité des hommes mêmes qu'il avait appelés aux plus hautes
fonctions. Et cependant, il croyait que « personne ne devrait être blâmé pour ce qu'il a fait ou omis de faire.
Nous sommes tous le produit des conditions d'exis tence, des circonstances, du milieu ambiant, de l'éducation
que nous avons reçue, des habitudes acquises et de notre hérédité. Ce sont ces facteurs qui, depuis toujours,
ont formé et formeront notre caractère. »
Lincoln a peut-être raison, après tout. Si vous et moi avions hérité de nos ancêtres les mêmes parti cularités
physiques et mentales que nos ennemis, si la vie nous avait traités exactement comme elle les a traités,
donnant à nous comme à eux les mêmes joies, les mêmes chagrins, nous agirions certainement comme eux. Il
nous serait impossible d'agir autrement. Comme l'a dit si bien le philosophe Clarence Darrow : « Tout savoir,
c'est tout comprendre, et cela ne permet
157 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
plus de juger, ni de condamner. » Donc, au lieu de haïr nos ennemis, plaignons-les et remercions Dieu de ne
pas leur ressembler trop.
En résumé : Afin de cultiver une attitude mentale susceptible de vous apporter la sérénité et le bonheur,
observez la règle n" 2 :
N'essayezjamais de rendre la pareille à vos ennemis, car en tentant de vous venger, vous ferez beaucoup plus de mal à vous-
même qu'aux personnes que vous voulez atteindre. Suivez l'exemple du général Eisenhower : ne perdez jamais ne fût-ce
qu'une minute à penser aux gens que vous n'aimez pas.
Ill
NE SOYEZ PAS REVOLTE PAR L'INGRATITUDE DES GENS
Récemment, lors d'un voyage dans le Texas, jt fis la connaissance d'un industriel qui était littéralement dévoré
d'indignation. On m'avait prévenu qu'au bout de dix minutes de conversation, il allait me raconter ses
malheurs, et c'est ce qu'il fit en effet. L'incident qui l'avait tant révolté s'était produit onze mois aupa ravant,
mais il bouillait toujours de colère. En fait, il ne pouvait parler de rien d'autre. Le brave homme avait
distribué, à l'occasion des fêtes de Noël, une somme de dix mille dollars entre ses trente-quatre employés —
ce qui faisait environ trois cents dollars pour chacun d'eux — et pas un seul n'avait eu l'idée de le remercier. «
Vraiment, je regrette de leur avoir donné seulement un cent ! » se lamentait-il.
« Un homme en colère est toujours plein de poison », a dit Confucius. Cet homme était tellement plein de
poison que je le plaignais sincèrement. Il devait avoir environ soixante ans. Or les compagnies d'assurances
sur la vie ont calculé que l'homme vit, en général, encore les deux tiers — et peut-être un peu plus longtemps
— des années restant à courir entre son âge présent et -on quatre-vingtième anniversaire. Par conséquent, cet
industriel avait encore, si rien de grave ne lui
159
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
arrivait, quatorze ou quinze années à vivre. Pourtant, i! avait déjà gâché presque une année par son amertume
et son ressentiment. Vraiment, je le plaignais.
Au lieu de donner libre cours à son indignation et de gémir sur ! , ingratitude humaine, il aurait pu se demander
pourquoi, en somme, son geste généreux n'avait pas produit l'effet escompté. Peut-être avait-il payé ses
employés au-dessous du tarif, tout en exigeant d'eux un travail de forçat. Peut-être considéraient-ils cette
prime de Noël non pas comme un cadeau, mais comme un salaire supplémentaire auquel ils avaient droit.
Peut-être s'était-il montré si dur, si inapprochable que personne n'avait osé le remercier. Peut-être les
employés avaient-ils eu l'impression qu'il leur donnait cette prime parce que, de toute façon, la majeure partie
des bénéfices aurait été absorbée par les impôts.
D'un autre côté, les employés étaient peut-être égoïstes, mesquins et mal élevés. Peut-être ceci, peut-être
celà... Je n'en sais pas plus long que vous. Je sais par contre que le vieux Samuel Johnson a dit : « La
gratitude est le fruit d'une grande culture. Vous ne la trouverez pas chez des gens grossiers. »
Voici donc enfin ce que je voulais faire ressortir : cet homme avait commis l'erreur navrante, quoique très humaine,
de s'attendre à un geste de gratitude. Il connaissait mal la nature humaine.
Si vous sauviez un homme d'une mort certaine, vous penseriez qu'il vous en serait reconnaissant, n'est-ce
pas ? Eh bien, Samuel Leibovvitz qui était un de nos plus grands avocats criminels avant de devenir magistrat
a sauvé soixante-dix-huit hommes de la chaise électrique ! Et combien d'entre eux ont, à votre avis, eu l'idée
de lui exprimer leur gratitude ou, tout au moins de lui envoyer une carte de Nouvel An ? Combien ?
Devinez... Oui, oui, c'est bien cela... pas un seul !
160
ATT I T U D E P O U R A P P O R T E R PA I X E T B O N H E U R
Jésus guérit en l'espace d'un après-midi dix lépreux — mais combien d'entre eux ont pris la peine de le
remercier ? Un seul. Vous pouvez vérifier dans Saint Luc. Lorsque le Seigneur se retourna vers ses disciples
et leur demanda : « Où sont donc les neuf autres ? », il découvrit qu'ils étaient tous partis en courant, partis
sans un mot de remerciements. Alors, laissez-moi vous poser une petite question : De quel droit vous, moi, ou
encore cet industriel du Texas, nous attendrions-nous à plus de gratitude pour nos petites faveurs que le Christ
n'en a reçu pour ces guérisons miraculeuses ?
Dans les questions d'argent, la reconnaissance n'est pas plus grande. Disons même que c'est encore pire !
Charles Schwab me raconta un jour qu'il avait sauvé un caissier de banque qui .avait spéculé à la bourse avec
des fonds appartenant à sa firme. Schwab, pris de pitié, avait remboursé les sommes détournées afin de sauver
le caissier de la prison. Vous croyez, sans doute, que, par la suite, cet homme s'est montré reconnaissant ?
Bien sûr... pendant deux ou trois mois. Puis, il manifesta tout à coup une violente anti pathie pour Schwab et
attaqua publiquement celui qui lui avait épargné un long séjour dans un pénitencier.
Si vous donniez à un de vos proches parents un million de dollars, vous supposeriez qu'il vous en serait
reconnaissant, n'est-ce pas ? C'est ce que fit Andrew Carnegie. Mais si Carnegie avait pu ressortir de sa tombe
quelques semaines seulement après sa mort, il aurait été indigné d'entendre ce parent le maudire et salir sa
mémoire ! Pourquoi le bénéficiaire d'un cadeau aussi royal se conduisait-il ainsi ? Parce que le Vieux
Carnegie avait laissé 365 millions à des œuvres de charité — et lui avait «jeté quelques pauvres miettes », un
malheureux million !
C'est peut-être lamentable, mais c'est ainsi. La
161 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
nature humaine n'a jamais changé — et probablement, elle ne changera pas tant que vous vivrez. Alors, n'est-
il pas plus intelligent d'en prendre son parti ? De se montrer aussi froidement réaliste que l'était Marc-Aurèle,
un des hommes les plus perspicaces, les plus fins qui eussent gouverné l'Empire Romain ? Un jour, il nota
dans son journal : « Aujourd'hui, je vais rencontrer des gens qui parlent trop — des gens égoïstes, prétentieux,
ingrats. Je n'en serai ni surpris ni choqué, car je ne saurais m'imaginer un univers où il n'existerait pas des
individus pareils. »
Voilà qui est sensé, ne trouvez-vous pas ? Si tant de gens ont tant d'occasions de se lamenter sur l'ingra titude
de leurs semblables, à qui la faute ? A la nature humaine — ou à notre ignorance de la nature humaine ? Ne
nous attendons donc pas toujours à des manifestations de gratitude. Alors, s'il devait nous arriver de recevoir
une marque quelconque de reconnaissance, nous en serions très agréablement surpris. Si nous n'en recevons
pas, nous trouverons cela naturel.
Voici donc le premier point que j'essaie de faire ressortir dans ce chapitre :
/ / est tout à fait normal que les gens oublient d'exprimer ou même d'éprouver de la gratitude ; par conséquent, si nous nous
attendons à être récompensés par des manifestations de gratitude, nous nous exposons seulement à une cascade de
déceptions pénibles et amères.
Je connais ici à New-York une femme qui se plaint constamment de sa solitude. Aucun de ses parents ne
cherche à lui tenir compagnie, au contraire, ils l'évitent — et cela n'a rien d'étonnant. A ses rares visiteurs,
elle raconte durant des heures tout ce qu'elle a fait pour ses nièces quand celles-ci étaient encore petites : elle
les a soignées quand elles avaient la
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ATT I T U D E P O U R A P P O R T E R PA I X ET B O N H E U R
rougeole, les oreillons et la coqueluche ; c'est elle qui, pendant des années, les a logées et nourries ; c'est
encore elle qui a payé à l'aînée l'école commer ciale, et accueilli chez elle la cadette jusqu'à son mariage.
Est-ce que ses nièces viennent au moins la voir ? Oui, bien sûr, de temps en temps par acquit de con science.
Mais elles redoutent ces visites ; elles savent qu'elles seront obligées d'écouter pendant des heures et des
heures une litanie ininterrompue de récriminations, de soupirs et de reproches à peine déguisés. Et lorsque
cette femme s'aperçoit qu'elle a si bien tourmenté ses nièces qu'elles ne veulent plus venir du tout, elle a ce
qu'elle appelle une « crise », c'est-à-dire une attaque cardiaque. Et cette attaque n'est nullement simulée. Loin
de là — son médecin m'a confirmé qu'elle souffre de nervosité cardiaque et de palpitations. Mais il a ajouté
qu'il ne peut rien pour elle — ses troubles sont d'origine émotive.
Ce qu'il faut en réalité à cette femme, c'est un peu d'affection et de sollicitude. Malheureusement, elle
s'obstine à appeler cela de la gratitude. Et personne ne lui manifestera jamais ni affection ni gratitude, parce
qu'elle les exige. Elle croit que cela lui est dû.
Or, il existe des milliers de femmes dans ce cas, des femmes rendues malades par « l'ingratitude », la
solitude, le manque d'affection. Ces malheureuses ignorent que, dans ce monde, l'unique moyen de recevoir
un peu d'affection est de ne plus la quémander et de commencer soi-même à chérir ses proches sans escompter
d'être payé en retour.
Vous trouvez que cela serait faire preuve d'un idéalisme vraiment trop abstrait, pour ne pas dire visionnaire ?
Pas du tout. C'est faire preuve de bon sens, tout simplement. Et c'est certainement le meilleur moyen, pour
vous aussi bien que pour moi. de trouver
!66
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
le bonheur auquel nous aspirons tous. Je vous parle en parfaite connaissance de cause, pour avoir constaté
l'efficacité de cette méthode dans ma propre famille. Ma mère et mon père donnaient toujours, et uniquement
pour le plaisir d'aider les autres Nous étions très pauvres — mon père était constamment couvert de dettes. Et
pourtant, mes parents s'arrangeaient toujours pour envoyer, tous les ans, une petite somme à un orphelinat, le
Foyer Chrétien à Cou ne il Bluffs, dans le lovva. Jamais, ils n'eurent l'idée de visiter cet établissement. I! est
probable qu'à part une lettre polie, ils ne reçurent jamais le moindre remerciement, et cependant, ils
s'estimaient amplement récompensés par la joie d'avoir secouru des enfants pauvres — sans désirer ni espérer
la moindre gratitude.
Je pense aujourd'hui que mon père répondait, à peu de choses près, à !a définition que donnait Aristote de
l'homme idéal — l'homme qui mérite plus que les autres d'être heureux. « L'homme idéal, a dit Aristote,
éprouve une joie profonde en rendant service à ses semblables : mais il est honteux chaque fois qu'un de ses
semblables lui rend service. Le fait de venir au secours d'un autre confère à l'homme une marque de
supériorité, tandis que le fait de recevoir un secours constitue une marque d'infériorité. »
Et voici maintenant le second point que je voudrais faire ressortir :
S i vous désirez trouver le bonheur, cessez de réfléchir à la gratitude ou à l'ingratitude des gens, et donnez uniquement pour
la joie de donner.
Depuis peut-être dix mille ans, des parents se sont arraché les cheveux à cause de l'ingratitude de leurs
enfants.
Le Roi Lear de Shakespeare s'exclame : « Combien la dent envenimée du serpent est moins cruelle, moins
déchirante que la douleur d'avoir un enfant ingrat ! »
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 164
Mais, au fait, pourquoi les enfants seraient-ils reconnaissants — à moins que leurs parents ne leur aient appris
à l'être ? L'ingratitude est une chose naturelle — comme les mauvaises herbes. La gratitude est comme la
rose. File a besoin, pour s'épanouir, d'être nourrie, arrosée, soigneusement cultivée, constamment préservée.
Si nos enfants sont ingrats, d qui la faute ? Peut-être à nous. Car si nous ne leur avons pas appris à se montrer
reconnaissants envers d'autres personnes, pourquoi se montreraient-ils reconnaissants envers nous ?
Je connais un homme qui a de bonnes raisons de se plaindre de l'ingratitude de ses beaux-fils. Employé chez
un fabricant de caisses, il s'échinait à un travail pénible pour gagner — il était payé aux pièces — une
quarantaine de dollars par semaine, c'est-à-dire un salaire plutôt maigre. Il eut le malheur de tomber
amoureux d'une veuve pourvue de deux fils presque adultes. Il l'épousa, et elle le persuada d'emprunter de
l'argent afin d'envoyer les deux garçons au collège. Avec ses quarante dollars par semaine, il devait donc
payer la nourriture, le loyer, l'habillement etc., et. en plus, assurer le remboursement et les intérêts de la
somme empruntée. Il le fit. pendant quatre ans, travaillant comme un forçat, sans jamais se plaindre.
Vous croyez, sans doute, qu'il recevait des remer ciements ? Profonde erreur ; sa femme trouvait normal qu'il
se tuât au travail et se privât de tout, — et les garçons étaient du même avis. L'idée qu'ils pussent devoir
quelque chose à leur beau-père — ne fût-ce qu'un mot de gratitude — ne les effleurait même pas.
A qui la faute ? Aux deux jeunes gens ? Oui, certai nement ; mais leur mère était bien plus fautive qu'eux. Elle
estimait qu'il eût été malheureux « d'accabler ces enfants d'un sentiment de dette morale » ; elle ne
165 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
voulait pas voir « ces petits débuter dans la vie avec un fardeau sur les épaules ». Par conséquent, elle ne
songeait jamais à dire : « En vous envoyant au collège, votre beau-père fait vraiment preuve d'une générosité
princière. » Loin de là — elle trouvait naturel de déclarer : « C'est bien le moins qu'il puisse faire ! »
Elle croyait ainsi ménager ses fils, mais, en réalité, elle leur inculquait l'idée dangereuse que le beau-père
leur devait leur subsistance. Une idée dangereuse entre toutes — car l'un de ses enfants essaya, un beau jour,
de faire « un emprunt » dans la caisse de son pairon, et échoua en prison !
N'oublions jamais que nos enfants seront essentiellement ce que nous avons fait d'eux. Un exemple ? le
voici : ma tante maternelle — pour être précis, Mrs. Viola Alexander, 144 West Minnehaha Parkway, à
Minneapolis — n'a jamais eu à se plaindre de « l'in gratitude » de ses enfants. A l'époque où je n'étais encore
qu'un gamin, elle accueillit sa propre mère, devenue veuve, pour lui offrir un foyer douillet, une vieillesse
confortable ; un peu plus tard, elle invita la mère de son mari à venir vivre chez elle. Aujourd'hui encore, j'ai
seulement besoin de fermer les yeux pour revoir les deux petites vieilles assises devant la grande cheminée
dans la salle commune de la ferme de la tante Viola. Est-ce qu'elles la « dérangeaient » ? Oh, assez souvent,
je suppose. Mais elle n'en laissait jamais rien paraître. Elle aimait sa mère et sa belle-mère — elle les
dorlotait, les gâtait, leur donnait l'impression d'être chez elles. 11 faut dire aussi que la tante Viola avait six
enfants ; pourtant, l'idée qu'en ouvrant sa maison à ces deux vieilles femmes, elle avait agi d'une façon
particulièrement généreuse ne lui venait jamais. Pour elle, c'était seulement naturel et juste, elle n'avait fait
qu'obéir à son bon cœur.
Qu'est devenue la tante Viola ? Voilà plus de vingt
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 166
ans qu'elle a perdu son mari ; mais elle a six enfants, qui, tous, sont mariés aujourd'hui — c'est-à-dire que six
ménages se disputent affectueusement la joie de l'accueillir, de lui offrir un foyer. Ses enfants l'adorent,
chacun trouve qu'elle ne reste pas assez longtemps chez lui. De la gratitude ? Vous n'y êtes pas du tout. C'est
de l'amour, dans sa forme la plus pure. Mes six cousins et cousines ont connu, durant toute leur enfance, la
chaleur bienfaisante d'une bonté radieuse ; quoi d'étonnant à ce qu'ils désirent, aujourd'hui que la situation est
renversée, rendre cet amour et cette affection à celle qui avait toujours été bonne et affec tueuse ?
Rappelons-nous donc constamment qu'afin d'in culquer à nos enfants le sens de la reconnaissance, nous
devons leur donner l'exemple de la reconnaissance. N'oublions jamais que même les tout petits savent écouter
— et qu'ils enregistrent soigneusement nos paroles. Par exemple, la prochaine fois que vous serez tenté de
déprécier, en présence de vos enfants, un cadeau ou une attention, ravisez-vous. Ne dites pas : « Regardez
cette nappe ridicule que la cousine Edith nous a offerte pour Noël. Elle l'a brodée elle-même, cela se voit.
Elle n'a pas déboursé un cent. » Dites plutôt : « Mon Dieu, combien d'heures la cousine Edith a-t-elle dû
travailler pour broder cette jolie nappe ! Elle est vraiment gentille. Je vais lui écrire tout de suite pour la
remercier. » De cette façon, vous parviendrez à donner à vos enfants l'habitude d'apprécier ce qu'on leur offre,
et de manifester leur gratitude.
En résumé : Pour ne pas ressentir amèrement ingratitude des autres, pour vous épargner toute déception,
observez donc la règle n° 3 :
A) Au lieu d'espérer une parole ou un geste de gratitude, et de vous indigner lorsque vous ne recevez
167
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
ni !'un ou l'autre, attendez-vous toujours à l'ingra titude la plus complète. Rappelez-vous que le Christ a guéri,
en une seule journée, dix lépreux — et qu'un seul d'entre eux Lui a exprimé sa reconnaissance. Pourquoi
seriez-vous mieux récompensé que le Seigneur ne l'a été ?
B) Souvenez-vous que. pour trouver le bonheur, il faut non pas exiger des manifestations de gratitude, mais
donner généreusement pour le plaisir de donner.
C) N'oubliez pas que la gratitude n'est pas une qualité innée, mais une vertu acquise, « cultivée ». Par
conséquent, si vous voulez que vos enfants se montrent reconnaissants, vous devez leur en donner l'habitude, en faisant
vous-même preuve de gratitude envers les autres.
ÎV
DONNERIEZ-VOUS CE QUE VOUS POSSÉDEZ POUR UN MILLION DE DOLLARS?
Un jour, j'eus !'idée de demander à un de mes meilleurs amis, Harold Abbott — il habite Webb City, dans le
Missouri — comment il arrivait a ne jamais se tourmenter. Il me répondit en me racontant une histoire
tellement passionnante — quoique, à première vue, elle puisse paraître anodine — que je ne l'oublierai
jamais.
— Autrefois, je me tourmentais souvent, trop souvent même, commença-t-il. Mais j'ai changé depuis le jour
où, descendant West Dougherty Street, je vis un spectacle qui devait me libérer pour toujours de cette manie.
Tout se passa en dix secondes peut-être, mais ce petit laps de temps fut suffisant pour m'apprendre plus sur
l'art de vivre que je n'en avais appris pendant les dix années précédentes. Je traversais alors une époque très
difficile. J'avais été, pendant deux ans, propriétaire d'une petite épicerie ; mais les affaires ne marchaient pas
du tout — elles marchaient même si mal qu'après avoir perdu toutes mes économies, j'avais été obligé de faire
des dettes considérables. Finalement, j'avais dû fermer mon magasin, juste trois jours avant l'événement —
car cela en fut un pour moi
169 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
— dont je vais vous parler. Ce matin-là, je me rendais à la Banque Commerciale et Industrielle afin d'em -
prunter une petite somme pour pouvoir m'en aller à Kansas City, où j'allais essayer de trouver une place. Je
marchais comme un homme vaincu. J'étais complè tement abattu, désespéré. Puis, tout à coup, je vis, venant
en sens inverse, un vieillard qui n'avait pas de jambes. 11 était assis sur une sorte de petite plate forme en
planches, montée sur des roues de patins à roulettes. Il se déplaçait à l'aide de deux blocs de bois, un dans
chaque main, qu'il posait alternativement sur le sol pour se pousser en avant. Il venait de tra verser un
croisement, et j'arrivai à sa hauteur juste au moment où il allait se hisser sur le trottoir. Comme il se
renversait en arrière pour faire pencher sa plate forme de manière à la faire monter sur le trottoir, nos regards
se rencontrèrent. Et alors — ce malheureux, ce cul-de-jatte m'adressa un large sourire. « Quelle belle matinée,
n'est-ce pas ? » me dit-il joyeusement. Je le dévisageai, stupéfait, et brusquement, je me rendis compte à quel
point j'étais riche. J'avais mes deux jambes — je pouvais marcher. J'eus soudain honte de ma faiblesse. Si cet
homme pouvait être heureux, joyeux et plein de confiance alors qu'il n'avait pas de jambes, je pouvais
certainement l'être tout autant avec mes deux jambes. J'eus l'impression de sentir ma poitrine se gonfler.
J'avais eu l'intention de solliciter du directeur de la banque un prêt de cent dollars. A présent, j'allai lui en
demander deux cents. J'avais pensé lui expliquer que je désirais partir à Kansas City pour essayer de trouver une
place. Mais à présent, je lui annonçai d'un ton assuré que j'allais à Kansas City pour trouver une place. Et — tenez-
vous bien — on m'accorda sur-le-champ un prêt de deux cents dollars, et, une heure après mon arrivée à
Kansas City, je trouvai une bonne place. »
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 170
J'ai eu l'occasion de faire la connaissance d'Eddie Rickenbacker, le jeune aviateur qui, après la chute de son
appareil, errait avec ses camarades, entassés sur un radeau en caoutchouc, dans le désert infini du Pacifique,
sans eau ni provisions, sans le moindre abri contre les morsures brûlantes d'un soleil impi toyable, sans espoir
d'être recueilli — et cela pendant vingt et un jours. « Cette épreuve m'a révélé une chose extrêmement
importante, me dit-il. Tant que vous avez toute l'eau fraîche que vous pouvez boire, et toute la nourriture que
votre estomac peut absorber, vous n'avez même pas le droit de vous plaindre de quoi que ce soit. »
Le journal Time a publie un article sur un sergent qui avait été grièvement blessé à Guadalcanal. La gorge
percée par un éclat d'obus, il avait perdu tant de sang que sept transfusions furent nécessaires poui le sauver.
Ne pouvant articuler la moindre parole, il écrivit sur un bout de papier : «Est-ce que je vais m'en tirer ? » Le
médecin répondit « Oui ». Puis, le blessé posa une seconde question : « Vais-je pouvoir parier ? » De
nouveau, le médecin répondit affirmati vement. Alors, le sergent traça, d'une écriture éner gique : « Dans ce
cas, pourquoi, au nom du ciel,'me fals-je tant de mauvais sang ? »
Pourquoi ne vous poseriez-vous pas, en ce moment même, la même question ? Très probablement, vous allez
découvrir que vous vous tourmentez pour des raisons relativement insignifiantes.
Environ quatre-vingt-dix pour cent de ce qui forme notre vie sont des circonstances normales, satis faisantes,
et dix pour cent à peu près nous sont défavorables. Pour être heureux, il suffit de se concentrer sur ces quatre-
vingt-dix pour cent de bonnes choses, et d'ignorer — ou, mieux, d'oublier — les dix pour cent qui constituent
notre part de malheur. Par contre,
171 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
si nous tenons à nous tourmenter, à nous aigrir et à souffrir d'un ulcère de l'estomac, nous n'avons qu'à
ruminer continuellement nos raisons de méconten tement — ces dix pour cent de malheur — et à oublier les
quatre-vingt-dix pour cent de bonheur.
Jonathan Swift, l'auteur des « Voyages de Gulliver », était le pessimiste le plus noir, le plus absolu que la
littérature anglaise ait jamais produit. Il était tel lement navré d'être venu au monde que, le jour de son
anniversaire, il s'habillait de noir et observait un jeûne rigoureux. Et pourtant, ce désespéré chronique se
rendait parfaitement compte de l'influence bien faisante de la bonne humeur et de la joie sur notre état de
santé. « Les meilleurs médecins du monde entier, proclamait-il, sont le docteur Régime, le docteur Sérénité,
et le Docteur Joie. »
Eh bien — nous tous pouvons disposer gratui tement, et tous les jours, du matin au soir des soins éclairés du
«docteur Joie», en pensant continuellement aux richesses incroyables que nous possédons — des richesses qui
dépassent de loin les trésors fabuleux d'Ali Baba. Accepteriez-vous de vendre vos Jeux yeux pour un milliard
de dollars ? Combien cxigeriez-vous pour vos deux jambes ? Pour vos mains ? Votre ouïe ? Vos enfants ?
Faites le total de votre actif, et vous constaterez que vous ne le céderiez pas pour tout l'or amassé par Ford,
Rockefeller et Pierpont Morgan ensemble.
Seulement, est-ce que nous apprécions notre bonheur ? Pas du tout. Comme Schopenhauer l'a dit : « Nous
pensons rarement à ce que nous possédons, mais toujours à ce qui manque. » Et c'est justement cette tendance
de penser toujours à ce qui nous manque qui constitue la plus grande tragédie de notre vie. Elle a
probablement causé plus de misère que toutes les guerres et toutes les épidémies de l'Histoire.
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 172
Ce fut cette manie qui transforma John Palmer d'un « brave type comme les autres en un vieux ronchonneur »
et ruina presque son ménage. John Palmer vit au numéro 30 de la 19 e Avenue à Paterson. New Jersey. C'est
lui-même qui m'a raconté son histoire :
« Peu de temps après ma démobilisation, j< me suis établi à mon propre compte. Je travaillais dur, jour et
nuit. Au début, tout alla très bien. Puis, les ennuis commencèrent. Je n'arrivais pas à me procurer les pièces
détachées et les appareils dont j'avais besoin. Je commençais à craindre d'être obligé de tout aban donner, de
fermer mon garage. Je me tracassais tant que, d'un brave type comme tous les autres, je me transformais en un
vieux ronchonneur insupportable. Je devenais si maussade, si agressif et désagréable que... ma foi, à l'époque,
je ne m'en rendais pas compte ; mais aujourd'hui, je comprends que j'ai failli tuer l'amour de ma femme. Puis,
un jour, un ancien combattant, un garçon encore jeune, mais terriblement mutilé, qui travaillait pour moi, me
dit : « Vraiment, Johnny, tu devrais avoir honte. A te voir, on croirait que personne au monde n'a autant
d'ennuis que toi. En admettant même que tu sois obligé de fermer ta boutique pour l'instant — et après ? Tu la
rouvriras un peu plus tard quand les affaires iront mieux. Tu as tant de raisons d'être content de ton sort, et tu
ne fais que rouspéter du matin au soir. Mon vieux, je donnerais cher pour être à ta place. Regarde-moi. Il ne
me reste qu'un bras, un éclat d'obus m'a enlevé tout un côté de la figure, et pourtant, je ne me plains jamais.
Si tu ne cesses pas de grogner et de maugréer, tu ruineras non seulement ta boutique, mais par dessus le
marché ta santé, ton ménage, et tu finiras par dégoûter tes amis. »
« Ce petit sermon me donna à réfléchir. Je n'avais
173
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
encore jamais envisagé mon existence sous cet angle-là ; maintenant, je me rendis compte qu'en somme, je
n'étais guère à plaindre. Je décidai donc de changer, de redevenir l'homme calme et courageux que j'avais été
— et, ma foi, cela ne fut pas très difficile. »
Je puis vous citer encore un autre cas, celui d'une amie, Lucile Blake, dont la vie avait failli tourner à la
tragédie avant qu'elle n'eût appris à se réjouir de ce qu'elle possédait, au lieu de se tourmenter pour ce qui lui
manquait.
J'avais fait la connaissance de Lucile à l'époque où nous étudiions tous les deux à l'école de journa lisme de
l'Université de Columbia. Dix années plus tôt, elle avait eu le choc le plus grave de toute sa vie. Elle habitait
alors la ville de Tucson, dans l'Arizona. Je vous livre son histoire telle qu'elle me l'a racontée :
«J'avais vécu depuis un certain temps dans un véritable tourbillon d'activité : j'étudiais l'orgue à l'Université,
je donnais des leçons dans une école du soir pour adultes, je faisais des conférences sur la musique classique.
En plus, j'étais continuellement invitée à des soirées qui se prolongeaient tard dans la nuit, j'allais souvent
danser, je faisais de longues promenades à cheval, au clair de lune.. Un beau jour, alors que j'étais sur le point
de sortir, je m'évanouis. Le cœur ! « Il va falloir que vous gardiez le lit pendant un an, me dit le médecin.
Repos absolu — votre vie est à ce prix. » Et comme je lui demandais s'il pensait que j'allais retrouver mes
forces, il haussa les épaules et éluda la question.
« Passer toute une année au lit — comme une infirme — et, peut-être finir quand même par mourir ! J'étais
épouvantée, terrifiée. Pourquoi ce malheur m'arrivait-il? Qu'avais-je fait pour le mériter? Je sanglotais et
pleurais à longueur de journée. Je me révoltais contre mon sort. Mais je gardais le lit, comme le médecin
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 174
me l'avait ordonné. Puis, un de mes voisins, un jeune peintre, vint me voir et me dit : « Pour l'instant, vous
pensez qu'il est horrible d'être obligé de garder le lit pendant un an. Mais vous verrez que ce n'est pas horrible
du tout. Vous allez avoir le temps de réfléchir, de faire plus ample connaissance avec vous-même. Votre esprit
se développera et mûrira au cours de ces douze mois bien plus qu'il n'a pu le faire durant les quelque vingt-
cinq années que vous avez vécues jusqu'à présent. » Peu à peu, en effet, je me calmais, et je m'efforçais de
m'intéresser à des Sujets que, jusqu'alors, j'avais négligés et même dédaignés. Un soir, j'entendis à la radio
une phrase singulière : « On peut exprimer seulement ce que l'on ressent dans sa propre conscience. » J'avais
déjà lu ou entendu des phrases de ce genre, mais à présent que j'étais clouée à mon lit, ces paroles, au lieu de
glisser sur moi, me pénétraient et prenaient en quelque sorte racine en moi. Je me mis à réfléchir, et je résolus
de lutter contre ma terreur et ma mélancolie, de bannir de mon esprit tout ce qui pouvait ralentir ou compro -
mettre ma guérison, de ne penser qu'au bonheur, à la joie, à la santé. Chaque matin, dès mon réveil, je me
forçais de passer en revue toutes mes raisons d'être heureuse. Pas de douleur. La belle musique que trans -
mettait la radio. Mes yeux qui me permettaient de voir, mes oreilles qui me permettaient d'entendre. Le plaisir
de pouvoir lire pendant des heures et des heures. Une bonne nourriture. De bons amis. Au bout de quelques
semaines, j'étais si joyeuse, je recevais tant de visites, que le médecin fit mettre à ma porte une pancarte
interdisant l'entrée de ma chambre à plus d'une personne à la fois.
« Il y a maintenant neuf ans que je suis guérie, et je mène à nouveau une existence active, bien remplie.
Aujourd'hui encore, je suis heureuse d'avoir
175 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
passé toute une année au lit, car c'était une année magnifique et, surtout, infiniment utile. Bien entendu, j'ai
conservé l'habitude de faire chaque matin le bilan de tout ce que je possède —je n'y renoncerais pour rien au
monde. Et je vais vous faire un aveu — j'ai honte d'avoir appris à vivre seulement au moment où je craignais
de mourir. »
En somme, Lucile Blake a découvert, sans s'en rendre compte, la même vérité que le vieux Samuel Johnson
avait formulée deux siècles plus tôt. « L'habi tude de considérer le bon côté de chaque événement, a dit
Johnson, est infiniment plus précieuse qu'une rente de mille livres par an. »
Remarquez que cette phrase a été écrite non pas par un optimiste incurable, mais, au contraire, par un homme
qui, pendant vingt ans, a connu l'angoisse du lendemain, la misère, la faim — pour devenir finalement un des
premiers écrivains de sa génération et le plus brillant causeur de la littérature anglaise.
Un philosophe américain, Logan Pearsall Smith, a ramassé un véritable trésor de sagesse dans ces quelques
lignes : « Il y a, dans notre vie, deux buts que nous devons nous efforcer d'atteindre : d'abord, d'obtenir ce
que nous voulons ; ensuite, de nous en réjouir. Seuls les hommes les plus intelligents par viennent au second
de ces buts. »
Aimeriez-vous savoir comment on peut transformer même la corvée quotidienne de la vaisselle en un
véritable plaisir ? Alors, laissez-moi vous parler d'un livre admirable, intitulé «Je voulais voir ! », écrit par
Mrs. Morghild Dahl, une femme qui, pendant cinquante ans, était pratiquement aveugle.
«Je n'avais qu'un œil, écrit-elle dans le premier chapitre, et la pupille était à tel point couverte de petites
écailles cornées que je ne pouvais voir qu'à travers une fente dans le coin gauche de l'œil. Afin
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 176
de voir, par exemple, un livre, j'étais obligé de le tenir tout près de ma figure et de tourner mon œil aussi loin
que possible vers la gauche. »
Mais elle n'acceptait aucune manifestation de pitié, elle refusait toute concession à son infirmité. Etant
enfant, elle aurait voulu jouer au « ciel et enfer » avec les gosses du voisinage, mais elle ne pouvait voir les
marques tracées à la craie. Alors, quand les autres enfants étaient rentrés chez eux, elle se mettait à quatre
pattes et rampait sur le pavé, le visage près du sol, pour suivre les traits, centimètre par centimètre. Bientôt,
elle connaissait chaque pouce de la rue où elle jouait avec ses petis amis, si bien qu'elle était devenue
imbattable à tous les jeux où il s'agissait de courir. Pour lire, elle se servait de livres imprimés en gros
caractères, tenant les pages si près de son œil que ses cils touchaient le papier. Ainsi, elle arriva à obtenir
deux diplômes : l'un, de culture générale, de l'Université de Minnesota, l'autre, celui de licenciée ès-lettres,
de l'Université de Columbia.
Elle débuta comme institutrice dans le petit village de Tvvin Valley, dans le Minnesota, et poursuivit sa
carrière dans l'enseignement jusqu'à ce qu'elle devînt professeur de littérature et de journalisme au Collège
Augustana, à Sioux Faiis, dans le Dakota Sud. Elle devait y rester pendant treize ans ; en plus de son travail
au collège, elle faisait des conférences litté raires dans les clubs féminins de la région et même à la radio.
«J'avais toujours gardé, dans mon subconscient, la peur d'une cécité totale, raconte-t-elle dans son livre. Afin
de surmonter cette hantise, j'avais adopté une attitude joyeuse, presque exubérante, envers tous les problèmes
de la vie. »
Puis, en 1943, alors qu'elle avait atteint l'âge de cinquante-deux ans, un miracle se produisit : une opération,
faite à la célèbre clinique Mayo, qui augmenta
177 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
sa faculté visuelle d'une façon presque incroyable — elle voyait à présent quarante fois mieux qu'auparavant.
Un univers nouveau, infiniment beau et passionnant s'ouvrit devant elle. Elle éprouva un plaisir intense à
faire tant de choses qui lui avaient été interdites jusqu'alors, — même à laver sa vaisselle. «Je joue d'abord
longuement avec l'écume blanche, si fine, qui flotte dans la bassine, explique-t-elle. Je plonge mes mains
dans l'eau et saisis une grosse boule d'infimes bulles de savon. Je les approche de la lumière, et dans chacune
d'elles, je vois briller les couleurs d'un arc-en-ciel en miniature. »
Regardant par la fenêtre de sa cuisine, elle s'émer-vailla « du vol capricieux des moineaux traversant les gros
flocons de neige ».
Elle éprouva une telle extase à contempler les bulles de savon et à observer les moineaux qu'elle plaça à la fin
de son livre ces paroles : « Seigneur, mon Maître, Notre Père qui êtes aux Cieux, je vous remercie — je vous
remercie ! »
Est-ce qu'une chose pareille vous viendrait à l'idée — remercier Dieu parce qu'il vous permet de faire votre
vaisselle, contempler un amas de bulles de savon et observer des moineaux volant dans la neige ? Non, n'est-
ce pas ? Eh bien, vous devriez avoir honte. Car depuis votre naissance vous vivez dans un pays féerique, un
monde infiniment beau ; seulement, vous — comme d'ailleurs tous vos semblables — vous étiez trop aveugle
pour voir, trop rassasié pour vous réjouir.
Si vous voulez vraiment triompher de vos soucis, si vous voulez enfin commencer à vivre, suivez donc la
règle n° 4 :
Comptez vos raisons d'être heureux — et non vos malheurs.
V
CHERCHEZ A VOUS CONNAITRE VOUS-MEME, ET A ETRE VOUS-MEME N'OUBLIEZ JAMAIS QUE
PERSONNE N'EST EXACTEMENT COMME VOUS
J'ai dans mes dossiers une lettre d'une certaine Mrs. Allred, habitant Mount Airy, en Caroline du Nord. «
Comme enfant, j'étais excessivement émotive et timide, écrit-elle. D'autre part, j'étais toujours trop forte, et
mes joues rebondies me faisaient paraître encore plus grasse que je ne l'étais déjà. Ma mère était très « vieux
jeu » ; elle estimait notamment inutile et risible toute coquetterie vestimentaire. Elle disait toujours : « les
robes ajustées s'usent vite, tandis qu'elles durent si on leur donne plus d'ampleur » ; et elle m'habillait en
conséquence. Je n'allais jamais au théâtre, ni au concert, ni au bal. A l'école, je refusais de jouer avec mes
petites camarades — je ne voulais même pas faire du sport. Bref, j'étais d'une timidité maladive. Je me sentais
«différente» des autres, et, surtout, terriblement indésirable.
« A vingt-quatre ans, je me mariai, avec un homme qui était mon aîné de plusieurs années. Mais je restais
toujours la même. Tous les membres de ma belle
179
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
famille étaient des gens parfaitement équilibrés et sûrs d'eux ; en somme, ils étaient exactement ce que
j'aurais dû être — mais ce que, malheureusement, je n'étais pas. Je fis de mon mieux pour les aimer, sans y
parvenir. Chaque tentative qu'ils faisaient pour me mettre en confiance me poussait seulement à me recro -
queviller davantage dans ma coquille. Je devenais de plus en plus nerveuse et irritable. J'évitais jusqu'à mes
amies les plus intimes, au point de me cacher dès que j'entendais sonner à la porte de notre maison. J'étais «
impossible » ; je m'en rendais compte, et je tremblais à l'idée que mon mari pourrait, lui aussi, s'en
apercevoir. Alors, chaque fois que nous nous trouvions ensemble en public, je m'efforçais d'être gaie, joyeuse,
et, bien entendu, je forçais la note. De cela aussi, je me rendais compte ; après chacune de ces soirées
pénibles, j'étais, pendant plusieurs jours, encore plus déprimée que d'habitude. Fina lement, mon désespoir fut
tel que je me demandais pourquoi je m'obstinais à prolonger cette existence. Je commençais à songer très
sérieusement au suicide.
« Ce fut une remarque tout à fait accidentelle qui changea le cours de ma vie. Un jour, ma belle-mère, parlant
de l'éducation de ses enfants, dit : « Dans toutes les circonstances, j'ai tenu à ce qu'ils fussent eux-mêmes... »
Etre soi-même ! Ce fut cette petite phrase qui me révéla la vraie cause de ma détresse. En l'espace d'un éclair,
je compris que je m'étais rendue malheureuse moi-même, en essayant de me modeler d'après une conception
qui ne correspondait en rien à mon caractère.
« Le lendemain matin, j'étais une autre femme ! Je commençais enfin à être moi-même. Je m'efforçais d'abord
d'étudier ma propre personnalité, de comprendre qui j'étais, de me rendre compte de mes qualités et aussi de
mes points faibles. Après avoir
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 180
essayé patiemment tous les styles et toutes les couleurs, je choisis des vêtements qui, je le sentais, m'avan -
tageaient. J'entrepris de renouer mes relations d'autre fois et de chercher de nouveaux amis. J'entrai dans un
club féminin, et je me souviens encore de ma frayeur quand on me demanda pour la première fois de prendre
la parole en public. Mais à chaque discours que je faisais, mon courage et mon assurance s'affirmaient. Ce fut
une guérison lente, très lente — cependant, ma timidité disparaissait, je reprenais goût à la vie, et aujourd'hui,
je suis infiniment plus heureuse que je n'avais jamais osé l'espérer. A présent, j'ai mes propres enfants à
élever, et je m'efforce de leur inculquer la leçon qu'une expérience amère m'a apprise : « Dans toutes les
circonstances, soyez vous-mêmes ! »
Il faut avoir la volonté d'être soi-même. Et c'est un grand problème qui, comme l'a dit le Docteur James
Gordon Gilkey, « s'est toujours posé à tous les hommes ». Par contre, le désir de ne pas être soi-même se
trouve souvent à l'origine de névroses, de psychoses et de complexes maladifs, sans que l'indi vidu atteint s'en
rende compte. Cette déformation mentale — le besoin d'imiter quelqu'un d'autre — fait surtout des ravages à
Hollywood. Sam Woods, un des producteurs les plus connus de la cité du cinéma, déclare que c'est là
justement la plus grande difficulté avec tant de jeunes acteurs qui viennent solliciter un rôle : les amener à
être eux-mêmes. Tous préfèrent paraître sur l'écran comme un Clark Gable ou une Ingrid Bergmann de
deuxième choix. « Le public est rassasié de ce genre-là, leur explique Sam Woods. Il voudrait enfin voir autre
chose. »
Avant d'entreprendre ses grandes productions, comme « Good bye. Mr. Chips » et « Pour qui sonne le glas»,
Sam Woods avait travaillé pendant de nombreuses années dans une agence immobilière. Il
181 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
estime que Fart cinématographique et les affaires sont régis par les mêmes principes. « 11 est inutile, déclare-
t-il, de vouloir à tout prix singer les autres. En général, on n'aime pas les perroquets qui répètent ce qu'ils ont
entendu. L'expérience m'a appris qu'il est toujours préférable de laisser tomber, aussi vite que possible, les
gens qui s'efforcent de passer pour ce qu'ils ne sont pas. »
J'ai récemment demandé à Paul Boyton, chef du personnel d'une de nos plus grandes entreprises industrielles,
quelle était à son avis la plus grave erreur commise par les gens qui sollicitent un emploi. J'étais sûr que
Boyton allait pouvoir me renseigner mieux que quiconque ; au cours de sa carrière, il a interrogé plus de
soixante mille candidats ; il a d'ailleurs écrit un excellent livre : « Six Manières de Trouver une Place. » il m'a
répondu : « L'erreur la plus grossière que l'on puisse commettre lorsqu'on cherche un emploi, c'est de ne pas
être soi-même. La plupart de ceux qui se présentent essaient de deviner les réponses que j'attends d'eux, au
lieu d'être francs et de m'expliquer carrément ce qu'ils savent ou ne savent pas faire. Mais cette méthode ne
les mène nulle part, pour la bonne raison qu'aucun homme sensé n'engagera un employé qui n'est qu'une
imitation. Personne ne veut d'une fausse pièce. »
Si je parle avec tant de conviction de la nécessité d'être soi-même, c'est que mon expérience personnelle —
une expérience coûteuse et douloureuse — m'a démontré le danger que l'on court en voulant copier les autres.
Voici comment je suis arrivé à comprendre cette vérité : Lorsque, ayant dit adieu au* champs de blé du
Missouri, je débarquai à New-York, je m'inscrivis aux cours de l'Académie des Arts dramatiques. Je rêvais de
monter sur les planches. J'avais eu une idée de génie — tout au moins le croyais-je — qui
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 182
devait me permettre d'atteindre le succès par un raccourci ; une idée tellement simple, tellement infaillible,
que je me demandais souvent comment elle n'était encore jamais venue à d'autres garçons aussi ambitieux que
moi. J'allais étudier la façon par laquelle les grands acteurs de cette époque obtenaient leurs « effets ».
Ensuite, je n'avais qu'à imiter les meilleurs gestes et expressions de chacun d'eux, de manière à devenir une
sorte de combinaison brillante, triomphale de tous ces héros de la scène. Que c'était bête, ridicule, absurde !
J'ai dû gaspiller plusieurs années avant de me faire rentrer dans mon épaisse caboche de paysan qu'il me
fallait être moi-même, et que je ne pouvais jamais être quelqu'un d'autre.
Une expérience aussi déprimante aurait dû être pour moi une bonne leçon, pensez-vous. Malheu reusement, il
n'en était rien. Pas pour moi — j'étais trop stupide. Il me fallait une deuxième leçon. Quelques années plus
tard, j'entrepris d'écrire un livre sur l'art de prendre la parole en public — mais alors, un livre qui, j'en étais
persuadé, allait être supérieur à tout ce qu'on avait écrit sur ce sujet. Pour pondre ce chef-d'œuvre, je
m'inspirais du même principe que j'avais déjà appliqué comme apprenti-acteur : j'allais emprunter les idées
d'un grand nombre d'autres auteurs et les réunir dans un seul ouvrage — un ouvrage qui contiendrait alors
absolument tout. Je me mis donc à lire des dizaines de livres traitant ce sujet, puis, je consacrai une année
entière à la tâche d'incorporer tout ce que j'y avais trouvé, dans mon manuscrit. A la fin, cependant, je
commençais à me rendre compte qu'une fois de plus, j'avais fait fausse route. En mélangeant les idées de je ne
sais plus combien d'auteurs différents, j'avais composé un pot-pourri si artificiel, si sec et ennuyeux que, très
certainement, personne n'allait avoir le courage de le lire jusqu'au
183
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
bout. Je résolus donc de déchirer ce travail qui m'avait coûté douze mois d'efforts patients, et de recommencer
à zéro. Seulement, cette fois, je me disais : « Il faut que j'écrive à ma façon, à la façon de Dale Carnegie, avec
tous les défauts et les insuffisances que cela comporte. Je vois bien que je perds seulement mon temps en
essayant d'être quelqu'un d'autre. » Ayant débarrassé mon cerveau et ma table de travail de tout ce que j'avais
« emprunté » à d'autres auteurs, je retroussai mes manches et fis ce que j'aurais dû faire tout-de-suite : je
rédigeai un manuel basé uniquement sur mes propres observations, sur ma propre expé rience de «professeur
d'éloquence». J'avais enfin la grande vérité que Sir Walter Raieigh (je ne parle pas de l'explorateur, mais d'un
de ses descendants qui, en 1904, était professeur de littérature à Oxford) avait formulée en disant: «Je suis
incapable d'écrire un livre comparable aux œuvres de Shakespeare. Mais je suis parfaitement capable d'écrire
un livre par moi-même. »
Donc, soyez toujours vous-même. Suivez le sage conseil qu'Irving Berlin donna à George Gershwin. Quand
ces deux musiciens se rencontrèrent pour la première fois, Berlin était déjà célèbre, mais Gershwin n'était
encore qu'un obscur compositeur travaillant pour trente-cinq dollars par semaine chez un éditeur de musique
de New-York. Berlin, impressionné par le talent de Gershwin, offrit à celui-ci une place de secrétaire musical
à cent dollars par semaine. Mais il ajouta: «Je vous conseille de refuser mon offre. Si vous acceptez de
travailler pour moi, vous allez peut-être devenir un petit Berlin. Par contre, si vous vous obstinez à rester
vous-même, vous finirez par devenir un grand Gershwin. » Gershwin eut l'intel ligence de tenir compte de
cette mise en garde ; lentement, étape par étape, il s'éleva et devint un des
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 184
compositeurs les plus caractéristiques de la nouvelle musique américaine.
Charlie Chaplin, Bob H ope et des di/.aines d'autres acteurs durent, eux aussi, apprendre cette leçon que je
m'efforce d'expliquer dans ce chapitre et de vous inculquer d'une façon durable. Ils l'ont apprise au prix d'une
expérience pénible, coûteuse — tout comme moi.
Quand Charlie Chaplin débuta au cinéma, son directeur de production exigea qu'il imitât un comique
allemand qui était alors un des grands favoris du public. Et Chaplin ne sortit du rang que le jour où il résolut
de passer outre et de composer son propre personnage — d'être lui-même. Bob H ope végétait pendant des
années, gagnant péniblement sa vie en faisant des numéros de claquettes ; puis, il eut l'idée d'agrémenter son
numéro de quelques traits comiques, de bons mots et de « blagues » — et, du jour au len demain, il émergea de
l'obscurité, parce qu'il était enfin lui-même, je pourrais ajouter encore des cen taines d'autres exemples, mais
tirons maintenant la leçon de tout ceci :
Si vous désirez cultiver une attitude mentale qui vous assure une sérénité parfaite et vous libère de vos
tourments, observez la règle n° 5 :
N'imitez pas les autres. Cherchez à bien comprendre votre personnalité, et soyez vous-même.
VI
LE DESTIN NE VOUS A DONNÉ QU'UN CITRON ? EH BIEN — FAITES UNE CITRONNADE
A l'époque où j'écrivais ce livre, j'eus l'occasion, un jour, de bavarder avec Robert Maynard Hutchinson,
recteur de l'Université de Chicago. Et, bien entendu, je lui demandai, au cours de notre conversation,
comment il s'y prenait pour triompher de ses soucis. «Je me suis toujours efforcé, répondit-il, de suivre le
conseil que m'a donné mon ami Julius Rosenwald, président d'une grosse affaire industrielle : Le destin ne
vous a donné qu'un citron ? Eh bien — faites une citronnade. »
Evidemment, un homme de cette intelligence, un grand pédagogue, est capable d'agir ainsi. Quant aux
imbéciles, ils font exactement le contraire. Lorsque l'imbécile constate que le destin, au lieu de lui faire
cadeau d'un lingot d'or, lui a donné un citron, il s'affale sur sa chaise en gémissant : « Je suis battu d'avance.
A quoi bon lutter ? Je n'ai pas une chance de m'en tirer. » Puis, il accuse Dieu et les hommes, crie à l'injustice
et commence à s'apitoyer sur lui-même. L'homme sage, par contre, en voyant qu'il possède tout juste un
malheureux citron, dira : « Quelle leçon pourrais-je bien tirer de ce coup de malchance ? Que
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 186
puis-je faire pour améliorer ma situation ? Comment vais-je transformer ce citron en une délicieuse ci -
tronnade ? »
Le grand psychologue Alfred Adler qui a consacré toute sa vie à l'étude des réserves cachées d'énergie que
possède tout être humain, a déclaré : « Une des qualités les plus merveilleuses de l'homme est certai nement sa
faculté de transformer un désavantage en un avantage. »
Laissez-moi vous raconter l'histoire d'une femme qui a parfaitement réussi à « faire de son citron une
excellente citronnade ». Il s'agit de Mrs. Thelma Thompson, habitant 100, Morningside Drive, à New-York.
Durant la guerre, m'écrit-elle, mon mari était affecté à un camp d'entraînement, sur les bords du désert de
Mojave, dans le Nouveau Mexique. Je le rejoignis pour être près de lui. Mais l'endroit était sinistre. Dès le
premier jour, je détestais ce pays, je le haïssais. Jamais encore, je n'avais été aussi malheureuse. La plupart du
temps, mon mari était absent, participant aux manœuvres qui se déroulaient en plein désert, et je restais seule
dans notre misérable baraque. La chaleur était intolérable — près de cin quante degrés à l'ombre des cactus.
Personne à qui j'aurais pu parler, à part quelques Mexicains et Indiens qui ne savaient pas un mot d'anglais.
Un vent brûlant, soufflant du matin au soir, de sorte que ma nourriture, et jusqu'à l'air que je respirais, étaient
pleins de sable — du sable — encore du sable !
J'étais si abattue, je m'apitoyais tant sur mon propre sort que j'écrivis à mes parents pour leur dire que j'allais
rentrer à New-York, que j'étais incapable de rester un seul jour de plus dans cet enfer. Plutôt vivre en prison !
En guise de réponse, mon père m'envoya une feuille portant deux lignes — deux
187
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
lignes qui chanteront toujours dans mon cœur — et qui devaient changer complètement le cours de mon
existence :
Dans une cellule de prison, deux hommes accrochés
[aux barreaux de la fenêtre, L'un ne voit que les murs délabrés, l'autre contemple
[les étoiles.
Je lus ces lignes, une fois, deux fois, dix fois. Et, brusquement, j'eus honte de mon attitude. Je résolus de
chercher ce qu'il y avait de bon dans ma situation actuelle : j'allais contempler les étoiles.
Je me liai d'amitié avec les indigènes, et je fus stupéfaite de voir leurs reactions. Dès que je mani festais le
moindre intérêt pour leurs poteries et leurs tissus faits à la main, ils m'offraient des pièces uniques — les
mêmes qu'ils avaient refusé de vendre à des touristes. J'étudiai les formes bizarres, extraordinaires des cactus,
des yuccas et des « arbres de Josué ». J'observai les mœurs des chiens de prairie, je m'émer veillai des
couchers de soleil, si majestueux dans le désert, je me mis à collectionner les coquillages enterres dans le
sable depuis des millions d'années, derniers vestiges de l'époque où le désert avait été le fond d'un océan.
Quelle était donc la cause de ce changement sur prenant ? Le désert, lui, n'avait pas changé. Les Indiens non
plus. Mais moi, j'avais changé. Ou, plutôt, mon attitude s'était transformée, au point que cette époque
malheureuse devint l'aventure la plus passionnante de ma vie. J'étais stimulée et même excitée par cet univers
nouveau que je venais de découvrir. Si bien que j'écrivis un livre sur ce pays étrange — un roman qui a été
publié sous le titre « Les Clairs Remparts »... J'avais regardé par la fenêtre
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 188
de la prison que je m'étais créée moi-même, et j'avais trouvé les étoiles. »
The 1 ma Thompson avait redécouvert une vieille vérité que les Grecs enseignaient déjà cinq cents ans avant
Jésus-Christ : « Les meilleures choses sont les plus difficiles. »
Il y a quelques années, je fis, dans un coin perdu de la Floride, la connaissance d'un fermier qui avait réussi à
faire une citronnade même avec un citron venimeux. En arrivant sur cette propriété qu'il venait d'acheter, cet
homme avait eu une terrible déception. La terre était tellement stérile qu'il ne pouvait ni faire pousser des
fruits, ni élever des porcs. Rien ne vivait sur ce sol maudit, à part quelques chênes-nains et des légions de
serpents à sonnette. Puis, il eut une grande idée : il allait transformer son acquisition désastreuse en une
affaire magnifique, une entreprise florissante, en tirant profit justement de cette abon dance de serpents à
sonnette. Au grand étonnement de tout le monde, il se mit à vendre de la viande de serpent en boîtes. Lors de
ma visite qui remonte à plusieurs années, je pus constater qu'environ vingt mille tou ristes visitaient chaque
année son élevage de serpents. C'était, en effet, une entreprise prospère. Des milliers de fioles contenant du
poison recueilli des dents même des dangereux reptiles étaient expédiées chaque semaine aux laboratoires
spécialisés dans la fabrication des sérums anti-venimeux ; les peaux étaient vendues à des prix fabuleux pour
permettre aux élégantes des grandes villes de porter des chaussures et des sacs en serpent. Quant aux
conserves de viande de serpent, elles partaient, par cargaisons entières, dans tous les pays du monde. J'achetai
une carte illustrée, montrant les bâtiments de la ferme, et la postai au petit village récemment surgi du sol et
baptisé fièrement « Serpent-ville, Floride » — en l'honneur d'un homme qui, d'un
189 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
citron venimeux, avait su faire une belle citronnade.
Au cours de mes explorations psychologiques à travers la vie présente et passée des Etats-Unis, j'ai eu la
chance de rencontrer des dizaines d'hommes et de femmes qui ont prouvé qu'ils étaient capables de «
transformer un désavantage en un avantage ».
Le défunt William Bolitho, l'auteur de « Douze Hommes contre les Dieux », formula ce principe de la manière
suivante : « L'essentiel dans la vie n'est pas la faculté de tirer profit de ses gains. N'importe quel imbécile en
est capable. Ce qui importe vraiment, c'est de savoir profiter des pertes que l'on subit. Pour cela, il faut de
l'intelligence ; et c'est ce talent qui fait toute la différence entre l'homme sensé et l'idiot. »
Bolitho a écrit cette phrase après avoir perdu une jambe dans un accident de chemin de fer. Mais je connais
un homme qui a perdu les deux jambes et qui a réussi le tour de force de transformer cet incon vénient — le
mot est plutôt faible — en un avantage. 11 s'agit d'un certain Ben Fortson dont je fis la connais sance à Atlanta
(Géorgie), dans l'ascenseur de mon hôtel. Comme je montais dans l'ascenseur, je remarquai un homme, à
l'expression satisfaite et même joyeuse, un cul-de-jatte, assis au fond de la cabine dans son fauteuil roulant.
Quand l'ascenseur s'arrêta à son étage, il me pria, d'une voix agréable, de bien vouloir me pousser pour lui
permettre de faire sortir son fauteuil. «Je suis vraiment navré, ajouta-t-il, de vous déranger ainsi », et je le vis
sourire, d'un sourire jovial et plein de bonté.
Durant plusieurs heures, je ne pus penser qu'à cet infirme si visiblement satisfait de son sort. Fina lement, je
me mis à sa recherche et lui demandai de me raconter l'histoire de sa vie. Il s'exécuta de bonne grâce, en
souriant.
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 190
— L'accident qui a fait de moi un infirme s'est produit en 1929. J'étais parti pour couper des perches de
hickory afin d'avoir des tuteurs pour mes haricots. J'avais chargé les tuteurs dans ma vieille Ford, et j'étais
déjà sur le chemin du retour, quand, tout à coup, une des perches glissa sous la voiture et bloqua la dirèction
au moment précis où j'allais prendre un tournant assez brusque. Ma voiture passa par-dessus un talus et
s'écrasa contre un arbre. Les médecins constatèrent que j'avais une grave lésion de la colonne vertébrale. Mes
deux jambes étaient paralysées.
«J'avais alors vingt-quatre ans, et depuis cet accident, je n'ai plus jamais fait un seul pas. »
Etre condamné, à l'âge de vingt-quatre ans, à passer le reste de sa vie dans un fauteuil roulant ! Je lui
demandai comment il avait trouvé la force de supporter son malheur si courageusement, et il répondit : « Je le
supportais très mal. Je me révoltais, je clamais mon désespoir. Puis, à mesure que les années passaient, je me
rendais compte que ma révolte ne servait à rien, sauf à accroître encore mon amertume. Finale ment, je
remarquai que les gens autour de moi se montraient bons et aimables pour le pauvre infirme que j'étais. Donc,
je devais au moins m'efforcer d'être bon et aimable envers eux.
— Est-ce que, aujourd'hui, vous considéreriez votre accident toujours comme une terrible cata strophe ? lui
demandai-je.
— Non, répondit-il sans hésitation. Je suis presque heureux qu'une telle chose me soit arrivée.
Il m'expliqua qu'après avoir surmonté le choc et repris son équilibre moral, il avait commencé à vivre dans un
univers différent. Il s'était mis à lire et avait fini par devenir un passionné de bonne littérature. En quatorze
ans, il avait lu au moins quatorze cent livres qui lui avaient ouvert des horizons nouveaux.
191 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
qui avaient enrichi son existence plus qu'il ne l'aurait jamais cru possible. Il commença également à s'inté -
resser à la musique classique ; à présent, les grandes symphonies qui, autrefois, l'ennuyaient tant, l'émeuvent
profondément. Mais, surtout, il avait maintenant le temps de réfléchir. « Pour la première fois, je fus en
mesure de considérer le monde et la vie d'une façon vraiment intelligente, — je dirais mieux philosophique —
et de me rendre compte de la véritable valeur des choses. Je commençais à comprendre que, le plus souvent,
les buts que j'avais poursuivis jusqu'alors, ne valaient guère les efforts que j'avais faits pour les atteindre. »
Ses lectures lui ayant donné le goût des questions politiques, il entreprit des études économiques et sociales,
il s'y appliqua avec une telle ardeur que, bientôt, il faisait des discours et des conférences — toujours dans
son fauteuil roulant ! Il commençait à connaître beaucoup de gens, les gens commençaient à le connaître et
aujourd'hui, Ben Fortson, l'infirme, est gouverneur de l'Etat de Georgia !
*
* *
Il y a maintenant trente-cinq ans que je dirige à New-York des cours pour adultes, et j'ai découvert qu'une
grande partie de mes élèves regrette, avant tout, de ne pas avoir pu aller à l'Université. Ils sem blent croire que
l'absence d'une telle formation constitue un lourd handicap. Je sais que ceia n'est pas toujours vrai, car j'ai
connu des centaines d'hommes qui peuvent s'enorgueillir d'une belle carrière sans avoir jamais mis les pieds à
l'Université. C'est pourquoi je raconte souvent à mes élèves l'histoire d'un homme qui n'avait même pas pu
terminer l'école communale.
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 1 9 2
11 était d'une famille extrêmement pauvre. A la mort de son père, les amis avaient dû se cotiser pour que le
défunt eût au moins un cercueil. Quant à sa mère, elle fut obligé de prendre un emploi dans une manu facture
de parapluies, où elle travaillait dix heures par jour pour rapporter encore de l'ouvrage à la maison et
continuer jusqu'à minuit.
Le gamin élevé dans cette misère avait une grande passion : le théâtre. Il faisait partie d'un groupe
d'amateurs, organisé par la paroisse. Le fait de jouer devant un public, aussi peu nombreux qu'il fût, d'être
admiré et applaudi lui procura une sensation tellement merveilleuse qu'il décida de faire des discours — des
discours qui, bientôt, débordèrent le cadre trop étroit du théâtre d'amateurs et abordèrent des problèmes
politiques. A l'âge de trente ans, il fut élu à l'Assemblée Législative de l'Etat de New-York. Mais sa formation
et son instruction étaient d'une insuffisance lamen table pour un poste comportant de telles responsa bilités. Il
étudiait scrupuleusement les textes longs et compliqués pour ou contre lesquels il devait voter — mais, en ce
qui le concernait, ces propositions de loi auraient tout aussi bien pu être écrites dans la langue d'une tribu
indienne. 11 était inquiet et ahuri quand on le bombarda membre de la commission des Eaux et Forêts — lui
qui n'avait encore jamais vu de forêt, il était encore plus inquiet, plus ahuri, quand on le nomma membre de la
commission de contrôle de la Banque d'Etat, alors qu'il n'avait encore jamais eu de compte en banque. Il m'a
avoué qu'à cette époque-là, il s'était senti tellement découragé qu'il aurait volontiers donné sa démission s'il
n'avait pas eu honte d'admettre sa défaite devant sa mère. Dans son désespoir, il prit la décision d'étudier
seize heures par jour et de transformer ainsi le citron que le destin lui avait attribué en une excellente
citronnade. Et il
193 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
réussit, au delà de ses espoirs les plus hardis : d'un petit politicien local, il devait devenir une des person -
nalités les plus marquantes de la nation, l'homme que le New York Times a appelé « le citoyen le plus populaire
de New-York ».
Savez-vous de qui je veux parler ? D'AÏ Smith — l'homme que, quatre fois de suite, des élections triomphales
ont installé au palais du gouverneur de l'Etat de New-York — un fait sans précédent! En 1928, il était le
candidat du parti démocrate aux élections présidentielles. Six universités — parmi elles Columbia et Harvard
— ont conféré des grades honoraires à cet homme qui n'avait même pas terminé ses études élémentaires !
Il m'a dit lui-même que rien de tout cela ne lui. serait arrivé s'il n'avait pas travaillé seize heures par jour pour
transformer son infériorité en supériorité.
Nietzsche a défini ainsi l'homme idéal : « C'est celui qui non seulement grandit dans l'épreuve, mais aime et
recherche les difficultés et les obstacles. »
Plus j'étudie la carrière des hommes de génie, plus je sens s'affirmer ma conviction que la plupart d'entre eux
se sont distingués justement parce qu'ils ont débuté dans la vie avec un handicap qui les incitait à faire des
efforts exceptionnels et à se fixer des buts grandioses. Comme l'a dit William James : « Nos infirmités nous
apportent une aide inattendue. »
En effet, il est très probable que Milton aurait été un moins grand poète s'il n'avait été aveugle, que
Beethoven n'aurait pas atteint les sommets de la musique s'il n'avait pas été sourd.
La carrière brillante d'Hélène Keller fut certainement inspirée et même rendue possible par sa cécité et sa
surdité.
Si Tchaikovsky n'avait pas été frustré de sa part
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 194
de bonheur, s'il n'avait pas été poussé presque jus qu'au suicide par l'incompréhension haineuse et hystérique
de sa femme, il n'aurait peut-être jamais pu composer son immortelle «Symphonie Pathétique».
De même, si Dostoïevsky et Tolstoï n'avaient pas eu une existence aussi tourmentée, ils n'auraient
probablement pas écrit leurs chefs-d'œuvre.
Charles Darwin, l'homme dont les théories hardies transformèrent radicalement la conception scienti fique de
la vie sur notre terre, a déclaré nettement que son infirmité /lui avait apporté une aide inattendue. « Si je
n'avais pas été physiquement une telle épave, je n'aurais certainement pas été capable de fournir les efforts
d'ordre intellectuel qui m'ont permis de formuler mes théories. »
Le même jour où naquit Darwin, un autre bébé vint au monde dans une cabane en planches perdue dans les
forêts du Kentucky. Son père, un simple bûcheron, s'appelait Lincoln, et l'enfant reçut le prénom d'Abraham.
Lui aussi devait trouver un secours inattendu justement dans sa pauvreté. Si Lincoln avait été élevé dans une
famille aristocratique qui l'aurait envoyé à l'Université de Harvard, s'il avait eu une vie conjugale heureuse,
sans nuages, il n'aurait peut-être jamais trouvé' au plus profond de son cœur les phrases sacrées qu'il prononça
lors de sa réélection à la présidence des Etats-Unis — les paroles les plus belles, les plus nobles qu'un chef
d'Etat eût trouvées: «Je m'efforcerai de n'être méchant envers personne, d'être généreux et chari table envers
tous... »
*
* *
Et maintenant, tirons pour notre profit la morale pratique de ce que j'ai exposé dans ce chapitre.
195
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
Supposons que vous soyez découragé au point de croire que vous n'arriverez jamais, avec ie citron que le
destin vous a donné, à faire une citronnade. Eh bien, essayez quand même, pour deux raisons — faites un
effort, puisque, de toute façon, vous n'avez rien à perdre et tout à gagner.
Voici la première de ces raisons : Vous avez toujours au moins une chance de réussir.
Et voici la seconde : Même si vous ne réussissez pas, la simple tentative de transformer votre handicap en
avantage vous forcera à regarder en avant, au lieu de regarder constamment en arrière ; elle vous donnera des
idées positives qui chasseront vos pensées néga tives ; elle libérera en vous des énergies créatrices et vous
incitera à travailler, à vous occuper tant et si bien que vous n'aurez plus ni le temps ni l'envie de ruminer ce
qui est. de toute façon mort et enterré.
Par conséquent, si vous tenez à votre sérénité et à votre bonheur, essayez donc d'appliquer la règle n" 6 :
Le destin ne vous a donné qu'un citron ? Eh bien — ingéniez-vous à en faire une citronnade.
VII
COMMENT SE GUÉRIR DE LA MÉLANCOLIE EN QUINZE JOURS
A l'époque où je commneçais à écrire ce livre, j'eus un jour l'idée d'offrir un prix de deux cents dollars pour
l'histoire la plus exemplaire, la plus frappante sur le sujet suivant : Comment j'ai triomphé de mes soucis.
J'avais choisi comme arbitres de ce concours un grand industriel, un recteur d'Université et un jour naliste de
la radio. Nous reçûmes un grand nombre de manuscrits, parmi lesquels nous fîmes un premier tri. Finalement,
notre comité retint deux récits au lieu d'un seul — tous les deux si beaux, si magnifiques que nous jugeâmes
impossible de donner la préférence à l'un ou à l'autre. Nous fûmes donc obligés de par tager le prix. Voici l'une
de ces histoires — celle que raconte un employé d'une usine de moteurs, Mr. C. R. Burton. habitant 1067
Commercial Street, à Springfield, dans le Missouri.
«J'ai perdu ma mère lorsque j'avais neuf ans. commence Mr. Burton, et mon père quand j'en avais douze. Mon
père trouva la mort dans un accident, mais ma mère quitta tout simplement notre maison, il y a de cela dix-
neuf ans ; je ne l'ai jamais revue, pas plus que mes deux petites sœurs qu'elle avait
197 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
emmenées avec elle. L'accident de mon père eut lieu trois ans après le départ de ma mère. Il avait acheté,
avec un associé, un café dans une petite ville du Missouri ; et cet homme profita de l'absence de mon pere que
ses affaires avaient appelé dans une autre ville, pour vendre le café — comptant, bien entendu — et Pour «
lever le pied ». Un ami télégraphia à mon père de rentrer d'urgence ; et dans sa hâte, papa jeta sa voiture
contre un arbre et fut tué sur le coup. Il laissait, en plus des deux fillettes que ma mère avait emmenées, cinq
enfants. Mes deux tantes, quoi qu'elles fussent vieilles, malades et pauvres, recueillirent les trois aînés. Mais
personne ne voulait de moi ni de mon petit frère. Nous restâmes à la merci de la municipalité. Déjà, nous
étions hantés par la peur d'être appelés des orphelins et d'être traités comme tels. Bientôt, cette crainte devint
réalité. Pendant quelques mois, je tiouvai asile chez une famille pauvre. Mais les temps étaient durs, le chef
de famille perdit son emploi, de sorte qu'il ne pouvait plus se permettre le luxe de nourrir une bouche de plus.
Ensuite, Mr et Mrs. Loftin m'emmenèrent dans leur ferme, à une quinzaine de kilomètres de la ville. Mr.
Loftin avait soixante-dix ans, il souffrait d'un zona tenace qui l'obligeait presque constamment à garder le ht.
Il me dit que je pouvais rester chez lui aussi longtemps que je m'abstiendrais de voler, de mentir, et que
j'obéirais strictement à lui et à sa femme. Ces trois règles devinrent mon évangile, je les obser vais
scrupuleusement. Je commençais à aller à l'école, mais, au bout d'une semaine, je refusais d'y retourner! et
voici pourquoi. Un soir, j'étais rentré à la maison en pleurant à chaudes larmes, parce que ies autres enfants
avaient fait de moi leur souffre-douleur: ils se moquaient de mon grand nez, me traitaient de « pauvre nigaud
» et de « morveux d'orphelin ». J'étais
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 198
tellement vexé et furieux que j'aurais bien voulu me battre avec toute la classe. Mais le vieux Mr. Loftin m'en
dissuada en disant : « N'oublie jamais qu'il faut beaucoup plus de force morale pour s'en aller tran quillement
et refuser la bagarre, que pour rester et se bagarrer. » Je supportais donc silencieusement les railleries et les
humiliations, jusqu'au jour où un gamin ramassa, dans la cour de l'école, une poignée de fiente de poule et me
la lança à la figure. Alors, je me ruai sur lui et le laissai plus mort que vif sur le carreau. Du coup, je me fis
quelques amis ; ils disaient que mon adversaire n'avait eu que ce qu'il méritait.
«J'étais très fier d'une belle casquette que Mrs. Loftin m'avait achetée. Un jour, une des grandes filles me
l'arracha, la remplit d'eau et l'abîma complètement. Elle expliqua qu'elle avait voulu « mouiller mon épaisse
caboche de paysan pour éviter que la paille qui occupait chez moi l'espace réservé d'habitude au cerveau ne se
desséchât».
« Je ne pleurais jamais à l'école, devant les autres, mais, une fois rentré à la maison, je donnais libre cours à
mon désespoir. Puis, un beau jour, Mrs. Loftin me donna un conseil qui devait avoir raison de tous mes
malheurs et transformer mes ennemis en amis. « Mon petit Ralph, dit-elle, ils ne te tourmen teront plus, ils
cesseront de te traiter de « morveux d'orphelin », si tu commences à f intéresser à eux et à essayer de leur
rendre service chaque fois que tu en trouveras l'occasion. » Je suivis ce conseil. Je me mis à travailler avec
acharnement ; et quoique, en peu de temps, je fusse le premier de ma classe, per sonne ne me jalousait, parce
que mes camarades se rendaient compte que je me mettais en quatre pour les aider.
« Les uns venaient me demander conseil pour leurs compositions, les autres, incapables de les rédiger
199 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
même à l'aide de mes indications, acceptaient avec empressement mon offre de les faire entièrement, de sorte
qu'ils n'avaient qu'à les recopier. Un de mes camarades n'osait avouer à ses parents qu'il ne pouvait faire ses
devoirs tout seul. Il prétendait donc s'en aller à la chasse à l'opossum. Puis, il se glissait dans la cour de la
ferme de Mr. Loftin, attachait ses chiens et étudiait ses leçons sous ma direction. Je dus même aider, pendant
plusieurs soirées, une des grandes filles à résoudre des problèmes de mathématique.
« La mort et le malheur s'abattirent sur plusieurs familles du voisinage. Deux fermiers moururent, un
troisième s'en alla, abandonnant sa femme. Ainsi, quatre foyers ne comptaient plus, ensemble, qu'un seul
homme valide — moi. Pendant deux ans, j'aidais ces trois veuves de mon mieux. En rentrant de l'école, je
m'arrêtais chez elles, leur coupait du bois, trayais leurs vaches, soignais le bétail. A présent, les gens, au lieu
de me poursuivre de leurs sarcasmes, me bénissaient. Tout le monde me considérait comme un ami. Je pus
m'en rendre compte lors de ma démobilisation. Le jour de mon retour à la maison, plus de deux cents fermiers
vinrent me voir ; certains d'entre eux avaient fait plus de cent kilomètres, prouvant ainsi la sincérité de leur
désir de me revoir et de constater que j'étais vraiment sain et sauf. Si je mène aujourd'hui une existence
pratiquement exempte de soucis, je dois ce bonheur à deux facteurs : je ne suis jamais resté oisif, et j'ai
toujours été heureux de pouvoir aider mes voisins et amis. J'ajoute qu'il y a à présent treize ans que personne
ne me traite plus de « morveux d'orphelin ».
Un triple ban pour C. R. Burton ! Voilà un homme qui sait se faire des amis — et qui sait également comment
s'y prendre pour triompher de ses soucis, et pour jouir de la vie !
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 200
Voici encore un autre exemple, celui du défunt Dr. Frank Loope, de Seattle, dans l'Etat de Washington. 11
était infirme pendant les vingt-trois dernières années de sa vie. Et pourtant, mon ami Stuart Whithouse,
directeur et rédacteur en chef de l'Etoile de Seattle, m'a dit: «J'ai interviewé le Dr. Loope peut-être vingt fois ;
et je n'ai jamais rencontré un homme moins égoïste, ou plus heureux de vivre, que ce grand malade. »
Comment cet infirme, condamné à ne plus quitter son lit jusqu'à la fin de ses jours, réussissait-il à tirer tant
de satisfactions de son existence ? Je vous laisse le soin de deviner... En se lamentant, en maudissant son
destin ? Non pas... En s'apitoyant sur son propre sort, en exigeant d'être le centre de l'attention et de la
sollicitude générale? Pas davantage. Il y arriva, beaucoup plus simplement, en adoptant la devise du Prince de
Galles: « Ich dien » (Je sers). Il se procurait les noms et les adresses d'autres infirmes et s'efforçait de relever
leur moral — et en même temps le sien — en leur écrivant des lettres gaies, encou rageantes. Un peu plus tard,
il organisa un club de correspondance pour infirmes, dont les membres s'écrivaient régulièrement les uns aux
autres. Finalement, il transforma ce club en une organisation immense qui, sous le nom de « Société des
Enfermés » englobait tout le territoire des Etats-Unis.
Toujours cloué dans son lit, il écrivait une moyenne de quatorze cents lettres par an, et apportait une joie
supplémentaire à des milliers d'infirmes en procurant des appareils de T. S. F. et des livres à ses « Enfermés».
Quelle est, au fond, la différence essentielle entre le Dr. Loope et tant d'autres gens ? C'est très simple : le Dr.
Loope avait en lui le feu sacré qui brûle dans le coeur de tout homme ayant un bût, une mission. Il avait la
joie de savoir qu'il servait une idée — ou.
201
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
encore mieux, un idéal — infiniment plus noble, plus grand que sa propre existence, au lieu d'être, pour
employer une formule de G. B. Shaw, « un pauvre petit tas de douleurs et de récriminations qui se lamente
parce que l'univers ne veut pas se consacrer uni quement à son bonheur».
Le grand psychiatre Alfred Adler employait fré quemment, pour guérir des personnes atteintes de mélancolie,
une méthode d'une simplicité vraiment étonnante. Il leur disait : « Vous pouvez guérir en deux semaines, si
vous appliquez strictement la prescription suivante : Chaque matin, cherchez un moyen de faire plaisir à
quelqu'un. »
A première vue, ce traitement paraît si extraordinaire que je nie sens obligé de l'expliquer, de le commenter,
en citant un passage du livre remarquable du Dr. Adler: Ce que la vie devrait signifier pour vous. 51 dit, en effet,
dans le chapitre consacré à la mélancolie :
« La mélancolie est une sorte de ressentiment soigneusement entretenu envers tout le monde, quoique le
malade, afin de s'attirer la sympathie et la solli citude constante de son entourage, prétende être littéralement
écrasé par le sentiment de ses propres fautes. Les souvenirs d'enfance d'un mélancolique sont toujours
quelque chose dans ce genre : « Je me rappelle qu'un jour, j'avais envie de m'étendre sur le divan. Mais mon
frère venait de s'y coucher. Alors, j'ai tellement pleuré qu'il était obligé de me céder la place. »
« Souvent, les mélancoliques sont tentés de se venger en se donnant la mort, et le médecin doit, avant tout,
bien se garder de leur donner une excuse pour leur suicide. Quant à moi, je m'efforce toujours d'atténuer la
tension dans laquelle ils vivent, en leur proposant, comme première mesure de guérison, le
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 202
principe suivant : « Ne faites jamais ce que vous détestez faire. » Cette prescription peut paraître modeste,
mais, à mon avis, elle atteint la racine même du mal. Du moment qu'un mélancolique peut faire tout ce qu'il
veut, qui pourra-t-il accuser de le contrarier ? De quoi se vengerait-il ? Je lui dis encore : « Si vous avez
envie d'aller au théâtre, allez-y. Maintenant, si, une fois en route, vous découvrez qu'au fond, vous ne tenez
plus à passer la soirée au théâtre, eh bien, n'y allez pas. » Ainsi, je place le malade dans la meilleure situation
possible. En agissant ainsi, il pourra satisfaire son désir d'indépendance absolue et de supériorité. Il
ressemble à Dieu, dans ce sens qu'il peut faire ce qui lui plaît. D'un autre côté, cette ligne de conduite ne
cadre pas très bien avec sa manière habituelle de vivre. Il veut dominer et accuser les autres, mais si ceux-ci
sont du même avis que lui, il est dans l'impossibilité de les dominer, c'est-à-dire de leur imposer ses goûts,
ses préférences. Cette recommandation a toujours provoqué un grand soula gement, et jusqu'à présent, je n'ai
encore eu aucun suicide parmi mes malades.
« En général, le mélancolique répondra : « Mais, justement, rien ne m'intéresse. » Je m'attends à cette
réponse, car je l'ai entendue tant de fois. « Dans ce cas, lui dis-je, abstenez-vous de faire ce que vous n'aimez
pas faire. » Mais, parfois, le malade soupire : « J'aimerais rester toute la journée au lit. » Je sais que, si je lui
permets, il n'y tiendra plus du tout, alors que, si j'essaie de l'en dissuader, il se révoltera. Par con séquent,
j'acquiesce tojours.
« Voici donc la première règle. La seconde s'attaque plus directement à leur manière de vivre. Je leur dis : «
Vous pouvez guérir en deux semaines, si vous appliquez strictement la prescription suivante : Chaque matin,
cherchez un moyen de faire plaisir
203 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS...
à quelqu'un. » 11 est facile de comprendre le sens de ce conseil. Les mélancoliques n'ont qu'une idée dans la
tête : « Comment pourrais ־je créer des ennuis à quelqu'un ? » Les réponses que me donnent mes malades sont
très intéressantes. Les uns disent: « Rien de plus facile pour moi. Toute ma vie, j'ai essayé de faire plaisir aux
gens que je connais. » En réalité, ils n'en ont jamais rien fait. Je leur demande d'y réfléchir, mais je sais qu'ils
n'y penseront même pas. Je leur explique : « Quand vous n'arrivez pas à vous endormir, utilisez ces heures
pendant lesquelles vous attendez le sommeil à chercher de quelle façon vous pourriez faire plaisir ou rendre
service à quelqu'un. Vous ferez ainsi un grand pas vers la guérison. » Lorsque je les revois le lendemain, je
les interroge : « Avez-vous réfléchi à ma suggestion ? » Invaria blement, ils répondent : « Non, je n'en ai pas
eu l'occasion, car hier soir, je me suis endormi aussitôt après avoir éteint la lumière. »
« D'autres répondent : « Docteur, vous m'en demandez trop. Vous comprenez, j'ai tant de soucis moi-même. »
Je leur dis alors : « Je me rends compte que vous devez tout d'abord penser à vos propres soucis ; mais vous
devriez cependant penser de temps en temps aux autres. » De cette façon détournée, j'essaie d'orienter leurs
pensées vers leurs semblables. La plupart répliquent alors : « Pourquoi m'occuperais-je des autres ? Les autres
ne cherchent jamais à me faire plaisir. » Je réponds : « Parce que cela contri buera à votre guérison. Les autres
finiront, eux aussi, par tomber malades. » Il ne m'est arrivé que très rarement d'entendre un mélancolique me
déclarer: « Vous savez, docteur, j'ai beaucoup réfléchi à ce que vous m'avez dit hier. »
« En résumé, tous mes efforts tendent vers un seul but : éveiller et accroître chez le malade un certain
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 204
intérêt social. Je sais que la véritable cause de son mal est l'absence de tout désir de coopération avec ses
semblables, et je tiens à ce que lui-même le com prenne également. Dès qu'il réussit à établir le contact avec
les personnes vivant autour de lui, sur une base d'égalité et de solidarité, il est guéri. Ce sont les indi vidus
férocement égoïstes, incapables de s'intéresser à quiconque hormis eux-mêmes, qui rencontrent les plus
grandes difficultés dans la vie et qui, par surcroît, font le plus de mal. »
En somme, le Dr. Adler nous recommande avec insistance de faire, chaque jour, une bonne action. Qu'est-ce
qu'une bonne action ? « C'est, dit le prophète Mahomet, celle qui fait apparaître un sourire sur le visage d'un
autre. »
Vous vous demandez certainement pourquoi le principe de la bonne, action quotidienne aurait une influence
aussi heureuse sur celui qui l'applique ? Parce qu'en cherchant à faire plaisir à d'autres, nous cessons de
penser uniquement à nous-mêmes ; et c'est justement cette pensée qui fait naître nos tour ments, nos craintes,
notre mélancolie.
Je connais une femme qui n'a pas eu besoin de chercher, pendant deux semaines, un moyen de faire plaisir à
quelqu'un afin de se guérir de sa mélancolie. Mrs. Moon, directrice d'une école commerciale dans la
Cinquième Avenue à New-York, a réussi à vaincre sa mélancolie en un seul jour — simplement en s'effor çant
de donner un peu de joie à deux petits orphelins. Je vous livre son histoire telle qu'elle me l'a racontée :
« il y a cinq ans, j'étais en train de sombrer dans un chagrin proche du désespoir. Après quelques années d'une
vie conjugale très heureuse, j'avais perdu mon mari, emporté par un mal foudroyant. A mesure que les fêtes de
Noël approchaient, ma tristesse augmentait. Jamais encore, je n'avais passé
205 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS...
la Noël toute seule ; et je redoutais cette épreuve. Certes, des amis m'avaient invitée à venir fêter chez eux,
mais j'avais -refusé sous je ne sais plus quel prétexte, ne me sentant pas le courage d'assister à une soirée où
tout le monde allait être gai et joyeux ; je ne voulais pas que ma peine, inscrite trop visi blement sur mon
visage, troublât le plaisir des autres convives. Je préférais souffrir seule, sans imposer à mes amis le pénible
spectacle de mon malheur. La veille de Noël, je quittai mon bureau à trois heures de l'après-midi et m'en allai
lentement le long de la Cinquième Avenue, cherchant vainement à surmonter mon chagrin. Une foule
heureuse, exubérante, se pressait sur les trottoirs — chaque couple qui passait, chargé de paquets, me
rappelait douloureusement mon bonheur à jamais perdu. Je ne pouvais absolument pas supporter l'idée de
rentrer dans un appartement vide, j'étais littéralement terrifiée en pensant à ma solitude. Je ne savais que
faire, je luttais pour retenir mes larmes. Après avoir erré pendant peut-être une heure, je me retrouvai au
terminus d'une ligne d'autobus. Je me souvins alors que, souvent, nous, mon mari et moi, avions pris au
hasard un autobus sans même, savoir où il allait nous mener, partant en quelque sorte à l'aventure. Je montai
donc dans le premier autobus que je trouvai. Une bonne demi-heure après avoir traversé l'Hudson, j'entendis
le receveur annoncer ; Terminus. Je descendis. Je ne connaissais pas l'endroit, une petite localité de banlieue,
calme et paisible. Comme l'autobus ne devait repartir que dans une dizaine de minutes, je remontai lentement
une rue plantée d'arbres et bordée de villas. Passant devant une église, j'entendis les belles sonorités d'un
orgue jouant «Nuit sacrée, Nuit de Noël». J'entrai. L'église était vide, à part l'organiste. Je m'assis sur un
banc. Les lumières d'un magnifique arbre de Noël
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 206
brillaient dans la nef décorée comme des myriades d'étoiles. Les accords graves du cantique — et aussi le fait
que, ce jour-là, j'avais complètement oublié de prendre un peu de nourriture — commençaient à me donner
envie de dormir. J'étais exténuée, physi quement et moralement. Je finis par m'assoupir.
« A mon réveil, je me demandais tout d'abord où je me trouvais. Effrayée, je regardai autour de moi et aperçus
deux petits enfants, venus probablement pour admirer l'arbre de Noël. L'un des deux, une fillette, me montrait
justement du doigt en chuchotant à son frère : « Tu crois que c'est le Père Noël qui l'a apportée ? » Comme je
m'étais levée assez brusquement, ils prirent peur, mais se calmèrent dès que je leur eus adressé la parole. Ils
étaient pauvrement vêtus. Je leur demandai où étaient leurs parents. « Nous n'avons pas de parents»,
répondirent-ils.
«Je reçus comme un choc. Voilà deux pauvres gosses, deux orphelins qui étaient certainement bien plus
malheureux que je ne l'avais jamais été. J 'eus brusquement honte de mon chagrin, de ma manie de m'apitoyer
sur moi-même. Je les emmenai d'abord dans un café où nous prîmes un bon chocolat, puis dans un bazar où je
leur achetai des sucreries et quelques cadeaux. Ma sensation de solitude disparut comme par enchantement.
Ces deux orphelins me donnaient les seuls instants de bonheur que j'eusse connus depuis des mois. En
bavardant avec eux, je compris à quel point j'avais été heureuse dans mon enfance, ayant toujours passé les
fêtes de Noël dans une atmosphère de bonheur, entourée de l'amour et de la tendresse de mes parents. En
somme, ces deux petits orphelins firent beaucoup plus pour moi que je ne faisais pour eux. Grâce à eux, je me
rendis compte que, pour être heureux, il faut s'efforcer de rendre heureux quelqu'un d'autre. J'ai découvert que
le
207 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
bonheur et la joie sont contagieux. En donnant, nous recevons également. En aidant ces pauvres petits, en leur
montrant un peu d'amour, j'ai réussi à triompher de mes tourments, à surmonter mon chagrin, à avoii
l'impression d'être devenue une autre femme. Et j'étais vraiment une autre femme — pas seulement à ce
moment-là, cette veille de Noël, mais encore durant toutes les années qui ont passé depuis cette rencontre
dans l'église. »
Je pourrais remplir un livre avec les histoires de personnes qui, en oubliant leur malheur, ont retrouvé la joie
de vivre et la santé. Prenons par exemple le cas de Margaret Yates, une des femmes les plus populaires dans la
Marine des Etats-Unis.
Mrs. Yates est romancière, mais aucun de ses romans policiers n'est aussi passionnant que le récit véridique
de l'aventure qu'elle a vécue le jour où les Japonais attaquèrent notre flotte à Pearl Harbour. A ce moment-là,
il y avait un an que Mrs. Yales souffrait de graves troubles cardiaques. Elle était obligée de passer vingt-deux
heures sur vingt-quatre au lit. Le plus long trajet qu'elle pouvait entreprendre consistait en une brève
promenade au jardin, afin de respirer le grand air et de pouvoir s'exposer, très prudemment, au soleil. Et
même pour ces quelques pas, elle devait s'appuyer au bras d'une domestique. Elle m'a dit qu'à cette époque-là,
elle pensait ne plus jamais recouvrer ses forces. Mais je préfère lui céder la parole.
« Il est certain que je n'aurais jamais recommencé à vivre normalement, si les Japs, en attaquant Pearl
Harbour, ne m'avaient pas donné une secousse tel lement forte que je fus arrachée brutalement de mon
enlisement. A peine la première vague d'avions eut-elle passé que toute la ville fut plongé dans le chaos et la
confusion. Une bombe tomba si près de ma maison
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 208
que la déflagration me jeta en bas du lit. Des camions de l'armée furent envoyés en hâte aux différents
campement pour emmener les femmes et les enfants des soldats et des marins dans les centres établis dans les
écoles. En même temps, la Croix-Rouge téléphonait a ceux qui disposaient d'une habitation assez grande pour
accueillir des sinsitrés. Comme ils savaient que j'avais mon appareil sur ma table de chevet, ils me
demandèrent de jouer le rôle d'un centre de rensei gnements. Je notai donc les endroits où les familles des
soldats et des marins avaient trouvé refuge, et la Croix-Rouge informa les diverses unités de l'armée et de la
flotte que les hommes devaient me téléphoner pour apprendre la nouvelle adresse des leurs.
«Je sus bientôt que mon mari, le capitaine de frégate Robert Yates, était sain et sauf. Toute la journée, je
m'efforçais de rassurer et d'encourager des femmes inquiètes sur le sort de leurs maris ; et j'essayais de
consoler celles qui étaient devenues veuves — elles étaient malheureusement très nom breuses. Deux mille
cent dix-sept officiers, soldats et marins furent tués au cours de cette journée tragique, et neuf cent soixante
furent portés manquants.
« Au début, je répondais aux appels téléphoniques tout en restant couchée dans mon lit. Puis, je travaillais
assise. Au bout de quelques heures, j'étais dans un tel état de surexcitation qu'oubliant complètement ma
faiblesse, je sortis du lit et m'installai à une table. En essayant d'aider tant de femmes bien plus mal heureuses
que je ne l'étais, je me rendais compte que jusqu'alors, j'avais beaucoup trop pensé à moi-même. Mes troubles
cardiaques n'ont pas disparu, mais je ne me remets plus jamais au lit, sauf pour les huit heures de sommeil de
chaque nuit. Je sais aujourd'hui que, sans l'attaque japonaise sur Pearl Harbour, je serais probablement restée
une demi-infirme jusqu'à la fin
209
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
de ma vie. Evidemment, je me trouvais si bien dans mon lit. J'étais l'objet d'une sollicitude constante, et je ne
comprenais pas qu'à mon insu, je perdais ainsi toute volonté de guérir.
« L'attaque de Pearl Harbour fut une des plus grandes catastrophes dans l'histoire américaine, mais en ce qui
me concerne, elle fut un véritable bienfait. Cette terrible tragédie me fit découvrir en moi-même des forces
dont je n'avais jamais soupçonné l'existence. Elle me força à détourner mon attention de mon lamen table «
Moi » et à la concentrer sur le sort des autres. Elle donna à ma vie un but, quelque chose de grand, de
vraiment important. Je n'avais plus le temps de penser à moi-même. »
Un bon tiers des gens qui se précipitent chez le psychiatre pourrait probablement se passer du médecin, à la
seule condition d'imiter l'exemple de Margaret Yates, c'est-à-dire de chercher un moyen d'aider quelqu'un
d'autre. Ne croyez pas que ce soit là une idée née dans mon cerveau. Je ne fais que répéter et amplifier ce qu'a
dit le psychiatre Cari Jung : « Environ trente pour cent de mes clients, a-t-il déclaré, souffrent non pas d'une
névrose cliniquement définissable, mais bel et bien de l'inutilité et du vide qui caractérisent leur existence. »
Pour exprimer la même chose d'une façon plus imagée, ils ont en quelque sorte manqué le bateau qui devait
les emporter pour un beau voyage, et les voilà sur le quai, accusant tout le monde, sauf, bien entendu, eux-
mêmes, et demandant que l'univers compatisse à leur malheur et exauce leurs désirs férocement égoïstes.
Peut-être allez-vous grommeler, en lisant ce passage : « Ma foi, les histoires que nous raconte ce brave
Carnegie ne m'impressionnent guère. Moi aussi, je pourrais avoir un geste de bonté envers deux pauvres
orphelins que j'aurais rencontrés un soir de Noël ;
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 210
et si j'avais été à Pearl Harbour. j'aurais, volontiers fait ce que Margaret Yates a fait. Mais pour moi, les
choses se présentent tout autrement ; je mène une existence très ordinaire, très quelconque. J'ai un travail
fastidieux, affreusement monotone, qui m'occupe huit heures par jour. 11 ne m'arrivé jamais rien de
sensationnel. Comment voulez-vous que je me pas sionne pour les malheurs des autres. Et d'abord, pourquoi
les aiderais-je ? Quel avantage pourrais-je y trouver ? »
Une question très naturelle à laquelle je m'effor cerai cependant de répondre. Aussi monotone que votre
existence puisse être, vous rencontrez certai nement au moins deux ou trois personnes tous les jours, n'est-ce
pas ? Et alors, que faites-vous, en ce qui concerne ces gens ? Vous contentez-vous de les considérer avec
indifférence, pratiquement sans les voir, ou essayez-vous de découvrir pourquoi ils sont parfois tristes ou
maussades ? Prenons par exemple le facteur — cet homme qui, chaque année, parcourt des centaines de
kilomètres pour vous apporter votre courrier à domicile. Est-ce que vous avez déjà cherché à savoir où il
habite, lui avez-vous demandé de vous montrer une photo de sa femme et de ses gosses ? Avez-vous songé,
une seule fois, à lui dire qu'il doit être fatigué de faire tous les jours le même trajet, quel que soit le temps ?
Et tous les autres que vous voyez continuellement — le petit commis de votre épicier, le vendeur de journaux,
le cireur de chaussures au coin de votre rue ? Eux aussi sont des êtres humains, tout comme vous — des êtres
chargés de soucis et de tourments, avec leurs rêves secrets, leurs ambitions inavouées. Et ils seraient
certainement heureux de partager leurs soucis, leurs rêves et leurs ambitions avec quelqu'un. Mais est-ce que
vous leur en avez donné la possibilité ? Leur avez-vous manifesté un
211 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
intérêt sincère, spontané ? Voilà l'aide dont je veux parler. Pour aider l'humanité — l'humanité de votre petit
univers — vous n'êtes nullement obligé de devenir une seconde Florence Nightingale, ou un grand réfor -
mateur social ; vous pouvez, si vous le voulez, vous mettre à l'œuvre dès demain, en vous occupant de ceux
que vous rencontrez.
Quant aux avantages que vous y trouverez, ils sont indéniables. Un bonheur singulièrement accru, une
satisfaction infiniment plus grande, la fierté de vous-même ! Aristote a appelé cette attitude « un égoïsme
éclairé ». Zarathoustra a dit : « Faire du bien à ses semblables n'est pas seulement un devoir. C'est une joie,
car en agissant ainsi, on fortifie sa santé et son bonheur. » Et Benjamin Franklin a résumé cette vérité par une
formule très simple : « Lorsque vous êtes bon pour les autres, vous êtes très bon pour vous-même. »
Penser aux autres, cela ne vous aidera pas seulement à oublier quelque peu vos propres soucis ; cela vous
permettra aussi de vous faire beaucoup d'amis, et de mener une existence plus heureuse. Comment cela ? Eh
bien, je vais céder la parole au professeur William Phelps de l'Université de Yale que j'ai eu l'occasion
d'interroger sur ce sujet :
«Je ne pénètre jamais dans un hôtel ou un magasin, ou encore une boutique de coiffeur, sans dire un mot
aimable aux gens que j'y rencontre. J'essaie de leur montrer que je les considère comme des individus — non
seulement comme un rouage d'une machine. Je fais par exemple un petit compliment à la jeune fille qui me
sert dans un magasin, en lui disant qu'elle a un charmant sourire ou de beaux cheveux. Je demande au coiffeur
qui me rase s'il n'est pas trop fatigué de rester debout toute la journée. Je lui demanderai peut-être aussi
pourquoi il a choisi ce métier —
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 212
combien de temps il travaille dans ce salon, ou à combien de clients il a coupé les cheveux. Je vais même
l'aider dans ses calculs — une moyenne de tant de coupes par jour, tant de journées de travail par an, et ainsi
de suite. J'ai souvent constaté qu'il suffit de montrer aux gens qu'on s'intéresse à eux pour les voir sourire. Je
serre toujours la main du porteur qui se charge de mes bagages. Cela lui donne un peu de courage et le met de
bonne humeur pour le reste de la journée. Tenez — l'année dernière, par une journée particulièrement torride,
je déjeunais au wagon-restaurant du train pour New Haven. Le wagon était bondé, il y régnait une chaleur de
fournaise, et le service était d'une lenteur désespérante. Quand le garçon put enfin m'apporter le menu, je
remarquai : « Ces pauvres types qui travaillent dans votre cuisine surchauffée doivent être à bout de forces. »
Le garçon se mit à jurer. D'abord, je crus qu'il était furieux. Mais je compris vite mon erreur. « Bonté divine,
s'exclama-t-il. tous les gens qui viennent ici, n'arrêtent pas de se plaindre — de la nourriture, du service qui
est trop lent, de la chaleur, des prix. Voilà dix-neuf ans que j'entends ces récriminations, et vous êtes le
premier qui ait jamais eu l'idée de manifester un peu de sympathie pour les cuisiniers qui suent sang et eau
dans leur réduit brûlant. Je voudrais bien que nous ayons d'autres clients comme vous. »
« En somme, ce garçon était stupéfait de voir que je considérais les cuisiniers nègres comme des êtres
humains, et non comme de simples rouages dans la grande organisation qu'est une ligne de chemins de fer. Ce
que les gens demandent, c'est justement un minimum d'égards pour eux en tant qu'individus. Chaque fois que
je rencontre, dans la rue, un homme avec un beau chien, je lui exprime mon admiration pour la beauté de la
bête. Puis, je continue mon chemin
213 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
et, quelques pas plus loin, je me retourne : très souvent, je vois l'homme en train de caresser le chien, avec un
sourire satisfait. Mon appréciation de l'animal a confirmé, je dirais même renouvelé, la sienne.
« Un jour, alors que je me promenais dans la cam pagne anglaise, j'ai rencontré un berger, et en bavardant, je
lui ai exprimé mon admiration, très sincère d'ailleurs, pour l'intelligence et la force de son chien. Comme je
m'éloignais, je regardai par-dessus mon épaule : le chien avait mis ses pattes de devant sur la poitrine de son
maître qui le caressait et lui parlait doucement. En montrant à ce berger que je m'intéressais à lui et à son
compagnon, j'avais fait deux heureux : l'homme et la bête. »
Pouvez-vous vous imaginer qu'un homme qui distribue des poignées de main aux porteurs dans les gares et
aux chasseurs d'hôtel, qui manifeste sa sym pathie pour les cuisiniers noirs forcés de travailler dans une
chaleur inhumaine, qui s'extasie sur la beauté du chien d'un passant — pouvez-vous vous imaginer qu'un tel
homme soit morose, en proie à toutes sortes de tourments, qu'il puisse avoir besoin des soins d'un psychiatre ?
Non — cela vous paraît impossible, n'est-ce pas ? De toute évidence, cet homme-là ne peut être que joyeux,
sûr de lui, plein d'allant. Comme le dit si bien un proverbe chinois•: « Un peu de parfum adhère toujours à la
main qui offre des roses. »
*
**
La petite histoire que je vais vous raconter main tenant n'intéressera que mes lectrices. Les hommes n'ont qu'à
sauter cet alinéa qui relate comment une jeune fille timide et malheureuse s'y est prise pour amener plusieurs
hommes à la demander en mariage.
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 214
Je puis dévoiler ce petit stratagème car la jeune fille est aujourd'hui grand-mère. 11 y a quelques années, j'ai
passé une nuit sous son toit (et celui de son mari). J'avais fait une conférence dans la ville qu'elle habite ; et
le lendemain matin, elle m'emmena dans sa voiture à une gare, distante d'une cinquantaine de kilomètres, d'où
je pouvais prendre un train direct pour New-York. Durant le trajet, comme nous parlions des différentes
façons de se faire des amis, elle me dit tout à coup : « Mr. Carnegie, je vais vous raconter quelque chose que
je n'ai encore avoué à personne — pas même à mon mari » (je vous préviens tout de suite que son histoire est
bien moins passionnante que vous ne le croyez probablement). « La grande tragédie de mon enfance et de ma
jeunesse, commença-t-eile. était notre pauvreté. Tout en faisant partie de ce que l'on peut appeler les
premières familles de Philadelphie, ma ville natale, nous ne pouvions jamais recevoir aussi largement et
brillamment que le faisaient les parents des autres jeunes filles de mon milieu. Mes robes n'étaient jamais de
bonne qualité, ni de très bonne coupe ; j'étais cependant obligée de les porter très longtemps, de sorte que,
souvent, elles étaient démodées et, par surcroît, trop petites pour moi qui grandissais vite. J'en ressentais une
telle honte, une telle humiliation que, fréquemment, je pleurais et sanglotais dans mon lit. A la fin, mon
désespoir — le mot n'est pas trop fort pour décrire mon état d'esprit — me donna l'idée d'interroger, chaque
fois que j'étais invitée à une soirée, mon voisin de table sur ses occupations, ses goûts personnels, ses projets
d'avenir. Je leur posais toutes ces questions non pas parce que je m'inté ressais particulièrement à ce qu'ils
faisaient ou pensaient, mais uniquement pour les empêcher de détailler ma toilette. Or, il se passa une chose
singulière : en écoutant ces jeunes gens parler d'eux-mêmes, je
215 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS...
commençais à m'intéresser vraiment à ce qu'ils disaient, tant et si bien que, parfois, j'oubliais complètement
ma robe mal coupée ou défraîchie. De plus — et c'était bien là le plus étonnant de l'histoire — comme je
savais écouter, mes cavaliers prenaient plaisir à ma compagnie. Peu à peu, je devenais le jeune fille la plus
recherchée de notre groupe, et, finalement, trois garçons me demandèrent ma main. »
(Eh bien, Mesdemoiselles : voilà comment il faut s'y prendre pour trouver un mari !)
* *
Je sais que certains de mes lecteurs vont dire : «Tout ce bavardage sur l'intérêt que nous devons porter aux
autres n'est qu'un fatras de bêtises ! Du baratin de curé I Avec moi. ça ne prend pas. J'ai l'intention de mettre
dans ma poche autant d'argent que possible — de saisir tout ce qui vient à portée de ma main — et de le saisir
maintenant — quant aux autres, en ce qui me concerne, ils peuvent tous aller au diable ! »
Ma foi, si c'est là votre manière de voir, je n'y peux rien ; chacun a le droit de vivre à sa façon. Je vous ferai
remarquer que, si vous avez raison, alors tous les grands philosophes dont l'Histoire a conservé les noms —
Jésus, Confucius, Bouddha, Platon. Aristote, Soc rate. Saint François — ont incontes tablement tort. Et comme
vous considérez peut-être avec un profond mépris l'enseignement des grands maîtres religieux, permettez-moi
d'appeler à la rescousse un grand athée dont le conseil aura sans doute plus de poids auprès de vous. L'athée
américain le
ATTITUDE POUR APPORTER PAIX ET BONHEUR 2 1 6
plus célèbre du XX 0 siècle, le grand écrivain Théodore Dreiser, n'a jamais manqué une occasion de ridiculiser
la religion — toutes les religions. Pour lui, la Bible n'était qu'un recueil de contes de fées, et la vie « une
histoire grotesque, écrite par un imbécile, bourrée de phrases grandiloquentes et d'accès de fureur hystérique,
affreusement vide et dénuée de sens ». Pourtant, Dreiser prêchait toujours un des principes essentiels du
christianisme — l'amour du prochain. « Si l'homme veut trouver au moins un peu de joie durant son séjour sur
terre, déclarait-il, il doit s'efforcer d'améliorer et d'égayer non seulement sa propre vie, mais aussi celle des
autres, car sa joie dépend de celle des autres, tout comme la leur dépend de la sienne. »
Maintenant, un dernier conseil. Si nous voulons vraiment «améliorer et égayer la vie des autres», eh bien,
commençons sans tarder. Le temps passe si vite. Ne perdons pas des heures et des journées qui ne reviendront
jamais.
Si vous cherchez un moyen de triompher de vos soucis, de trouver la paix et le bonheur, essayez de suivre la
règle n" 7 :
Cessez de penser uniquement à vous-même, en pensant davantage aux autres. Faites chaque jour une bonne action qui fera
naître un sourire sur un visage harassé.
CINQUIÈME PARTIE
GARDEZ VOTRE SÉRÉNITÉ EN DÉPIT DE TOUTES LES CRITIQUES
I
DITES-VOUS BIEN QU'ON VOUS ATTAQUE PARCE QU'ON VOUS JALOUSE
En 1929, un événement vraiment sensationnel provoqua une émotion énorme dans les milieux de
l'enseignement américain. Des quatre coins des Etats-Unis, de doctes professeurs affluèrent à Chicago pour
assister à ce phénomène : Quelques années plus tôt, un jeune homme, un certain Robert Hutchins, avait
commencé à gravir les degrés conduisant au diplôme suprême de l'Université de Yale, tout en gagnant sa
subsistance comme il le pouvait. C'est-à-dire qu'il avait travaillé successivement comme garçon de café,
bûcheron, pion et, finalement, vendeur dans un magasin de confection. A présent, huit ans seulement après
avoir pris sa première inscription à Yale, il allait être nommé recteur de la quatrième Université américaine,
l'Université de Chicago. Son
GARDEZ VOTRE SÉRÉNITÉ 218
âge ? Trente ans. Incroyable, inconcevable ! Les pédagogues de la vieille école secouaient la tête. De tous les
côtés, les critiques s'abattaient comme une avalanche sur l'enfant prodige. Il était ceci et cela — trop jeune,
sans expérience — ses conceptions pédagogiques étaient archi-fausses. Même la presse participait à l'assaut
général.
Le jour de son entrée en fonctions, un ami dit à son père: «J'étais vraiment choqué en lisant ce matin, à la
première page de mon journal, un article très violent contre votre fils. »
— Oui, répondit le vieux Hutchins, c'était une critique très sévère, mais n'oubliez pas qu'on attaque surtout
des hommes que l'on jalouse ou que l'on cherche à rabaisser. »
Le vieux Hutchins avait certainement raison. Plus la position d'une personne est élevée, plus les gens
trouveront du plaisir à lui allonger des coups de pied. L'actuel Duc de Windsor eut l'occasion alors qu'il
portait encore le titre de Prince de Galles, de ressentir douloureusement cette vérité — dans le bas du pan -
talon. Il était à cette époque-là élève du Collège de Dartmouth, dans le Devonshire — une école qui
correspond à l'Ecole Navale de Brest, ou encore à l'Académie Navale d'Annapolis, aux Etats-Unis. Le prince
avait alors environ quatorze ans. Un jour, un des officiers le découvrit, tapi dans un coin et en train de
pleurer, interrogé sur les raisons de son chagrin, il refusa tout d'abord de répondre, mais finalement, il avoua
que ses camarades s'amusaient à lui donner des coups de pied. Le commandant du collège réunit alors tous les
élèves, leur expliqua que le prince n'était nullement venu se plaindre auprès de lui, qu'il avait découvert cette
affaire par hasard, et qu'il voulait savoir pourquoi ils avaient choisi justement le fils du Roi pour lui appliquer
ce traitement plutôt
219 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
brutal. Après quelques instants d'un silence embarrassé et bien des toussotements et des raclements de gorge,
les jeunes gens confessèrent qu'ils voulaient pouvoir se vanter, quand ils seraient devenus commandants ou
capitaines dans la Marine Royale, d'avoir botté le postérieur de Sa Majesté !
Donc, s'il vous arrive d'être critiqué et même de recevoir des coups de pied, dites-vous bien que, très souvent,
votre antagoniste agit ainsi pour se donner une sensation d'importance. Fréquemment, ces attaques signifient
que vous êtes en train d'accomplir quelque chose de remarquable, de méritoire. Beaucoup de gens tirent une
sorte de féroce satisfaction des insultes ou des calomnies qu'ils lancent contre ceux dont ils ressentent la
supériorité — qu'il s'agisse d'instruction, de considération, ou de succès dans les affaires. Je viens par
exemple de recevoir une lettre dans laquelle une femme que je ne connais pas du tout, accuse le général
William Booth, le fondateur de l'Armée du Salut, d'avoir détourné huit millions de dollars, c'est-à-dire une
bonne partie des fonds destinés aux pauvres. Elle expliqua qu'elle m écrivait parce que, quelques jours plus
tôt, j'avais fait à la radio une conférence très élogieuse sur le général Booth. Inutile de dire que l'accusation
était absurde, grotesque. Mais cette femme ne tenait pas du tout à établir la vérité. Elle poursuivait
simplement la satisfaction mesquine d'avoir sali un homme qui lui était tellement supérieur. Je jetai sa
missive au panier, tout en remerciant Dieu de ne pas m'avoir fait épouser cette vipère. En somme, sa lettre ne
m'apprenait rien au sujet du général Booth, par contre, elle était terriblement révélatrice en ce qui concernait
l'auteur. Comme l'a dit Schopenhauer: « Les gens vulgaires éprouvent un immense plaisir à faire ressortir les
défauts et les petits travers des
GARDEZ VOTRE SÉRÉNITÉ
220
grands hommes. » Ma correspondante était certai nement une femme très vulgaire.
En général, on ne songerait guère à comprendre, parmi les gens vulgaires, un recteur d'Université. Et
cependant, un ancien recteur de Y aie éprouvait apparemment un immense plaisir à calomnier un candidat à la
présidence des Etats-Unis. « Si, jamais, l'aveuglement des électeurs devait installer cet homme à la Maison
Blanche, proclamait-il. nous risquons fort de voir nos femmes et nos filles devenir les victimes d'une
prostitution légale, officielle ; elles seront déshonorées moralement et physiquement souillées, et même Dieu
les considérera avec horreur. »
On dirait presque une mise en garde contre Hitler, ne trouvez-vous pas ? En réalité, cette « prophétie »
concernait Thomas Jefferson. Comment ? pensez-vous — tout de même pas l'immortel Jefferson qui fut
l'auteur de la Déclaration d'Indépendance, le grand champion de la démocratie ? Mais si — c'est bien de lui
qu'il s'agit.
Qui peut bien être, à votre avis, l'Américain que les journaux de son époque traitaient d'imposteur,
d'hypocrite, de criminel, qu'ils représentaient sur une guillotine, la tête déjà engagée sous le couperet ?
L'homme que la populace huait et injuriait quand il passait dans les rues ? Vous ne voyez pas ? Je vous le
donne en mille—cet homme, c'était George Washington.
Mais, direz-vous, tout cela est déjà bien vieux. Peut-être la nature humaine s'est-elle améliorée depuis cette
époque. Hum... voyons cela d'un peu plus près. Prenons par exemple l'histoire de l'amiral Peary —
l'explorateur qui étonna et électrisa l'univers en atteignant, le 6 avril 1909, le pôle Nord, se servant de
traîneaux tirés par des attelages de chiens — un exploit fabuleux que tant d'hommes courageux avaient
vainement tenté de réaliser au prix de souffrances
221 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
inouïes, mourant de faim et de froid avant d'arriver en vue du but. Peary lui-même avait d'ailleurs failli subir
le sort de ses prédécesseurs ; ses pieds étaient gelés au point qu'on dut l'amputer de huit doigts. Il était
tellement écrasé par toutes sortes de catastrophes qu'il craignait parfois pour sa raison. Mais ses supérieurs,
bien au chaud dans les bureaux du Ministère de la Marine, à Washington, enrageaient de voir Peary devenir,
du jour au lendemain, l'idole du grand public. Ils l'accusèrent donc d'avoir réuni, en quêtant à droite et à
gauche, des fonds pour une expédition scientifique et de « fainéanter ensuite dans les régions arctiques ». Et
ils en étaient probablement persuadés, car il est presque impossible de ne pas croire ce que l'on voudrait
croire. Leur détermination d'humilier Peary par tous les moyens et de lui créer sans cesse de nouvelles
difficultés se manifestait avec une telle violence que, sans l'intervention énergique du Président McKinley en
personne, il aurait été forcé d'interrompre son exploration de l'Arctique.
Croyez-vous que Peary aurait été calomnié ainsi s'il s'était contenté d'un obscur emploi de bureau dans les
services administratifs de la Marine ? Certai nement pas. Il n'aurait pas eu assez d'importance pour susciter la
jalousie de ses chefs.
Le général Grant dut subir une épreuve encore plus pénible que l'amiral Peary. En 1862, Grant remporta la
première grande victoire que les Etats du Nord eussent mise à leur actif — une victoire arrachée en un seul
après-midi et qui fit de Grant, du jour au lendemain, un héros national — une victoire annoncée par les
cloches et les feux de joie, des collines du Maine jusqu'aux bords du Mississipi. Et pourtant, six semaines
plus tard, Grant fut arrêté, privé de son commandement, accablé d'injures et de malédictions.
GARDEZ VOTRE SÉRÉNITÉ
222
! Pourquoi Grant fut-il arrête alors qu'il était à l'apogée de sa gloire ? En grande partie parce qu'il avait excité
la jalousie et l'envie de ses supérieurs, des hommes pleins de vanité et d'arrogance.
La morale de ces histoires ? Chaque fois que vous êtes sur le point de vous cabrer sous une critique injuste,
rappelez-vous la règle n° 1 :
N'oubliez jamais qu'une critique injuste est souvent un compliment indirect. Dites-vous bien que les critiques ne sont, très
souvent, qu'une forme particulière de jalousie.
DEVENEZ INSENSIBLE AUX CRITIQUES
j'eus un jour l'occasion d'interviewer le général Smediey Butler — « Butler le Bigleux », ou encore « Le Père
Ronchon » — le personnage le plus pittoresque, le plus fanfaron qui eût jamais commandé les fusiliers-marins
américains.
Il me raconta que, dans sa jeunesse, il désirait ardemment être populaire et faire bonne impression sur tout le
monde. A cette époque-là, la moindre critique le blessait, l'exacerbait. « Mais, ajouta-t-il, trente années dans
la Marine m'ont donné une peau extrêmement épaisse. J'ai été insulté et calomnié de toutes les façons
possibles, on m'a traité de chien enragé, de vipère, d'ignoble individu. J'ai été maudit et traîné aux gémonies
par les experts. On m'a lancé à la figure les termes les plus grossiers dont dispose la langue anglaise. Vous
croyez peut-être que cela me met en colère ? Pas du tout. Aujourd'hui, si j'entends quelqu'un casser du sucre
sur mon dos, je ne me retourne même pas pour voir qui parle. »
Peut-être le vieux « Bigleux » était-il trop indif férent envers ses détracteurs. Mais une chose est certaine ; la
plupart d'entre nous prennent les flèches et les piques que l'on nous lance beaucoup trop au sérieux. Je me
souviens de la colère qui m'avait
GARDEZ VOTRE SERENITE
saisi, il y a de cela bien des années, parce qu'un journaliste du N e w York Sun, après avoir assisté à un de mes
cours pour adultes, avait écrit un article satirique sur moi et mon travail. A l'époque, j'avais considéré ce
persiflage comme une insulte personnelle. Je m'étais précipité sur le téléphone pour exiger du rédacteur en
chef de ce journal la publication immédiate d'une rectification contenant les résultats que j'avais obtenus par
ma méthode d'enseignement — et faisant, bien entendu, justice de toutes les critiques. Ridiculiser mon œuvre
équivalait pour moi à un véritable crime.
Aujourd'hui, je ne suis pas précisément fier de ma façon d'agir. Je me rends compte à présent que cin quante
pour cent des lecteurs du journal n'ont même pas dû voir cet article, l a plupart de ceux qui l'ont vraiment lu
l'ont probablement considéré comme un bavardage amusant, drôle et, au fond, innocent. Les trois quarts de
ceux qui l'ont simplement parcouru l'avaient probablement oublié au bout d'une semaine.
Je sais maintenant que les gens ne s'occupent nullement de moi, ni de vous, qu'ils se moquent éper-dument de
ce que l'on a pu dire de vous ou de moi. Ils pensent uniquement à eux-mêmes — dès avant le petit déjeuner et
jusqu'à minuit passé. N'importe quel homme serait infiniment plus affecté par cinq minutes de migraine — de
sa migraine — qu'il ne le serait par la nouvelle de votre mort ou de la mienne.
Même si l'on vous calomnie, ridiculise, trahit, tire dans les pattes, si vous découvrez, par surcroît, que tout
ceci est l'œuvre de votre meilleur ami. ne vous apitoyez pas sur votre sort. Rappelez-vous que c'est
exactement ce qui est arrivé à Jésus-Christ. De ses douze meilleurs amis, un l'a trahi pour une somme
représentant aujourd'hui environ dix-neuf dollars. Un autre l'abandonna ouvertement au moment
225 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
même où son Maître Vénéré commençait son calvaire — et déclara, jura même à trois reprises qu'il ne
connaissait pas Jésus. Deux traîtres, sur douze amis ! De quel droit vous attendriez-vous donc à plus de
fidélité et de loyauté que le Seigneur n'en a trouvé parmi ses premiers disciples ?
J'ai fait, il y a déjà longtemps, une découverte importante : Tout en étant incapable d'empêcher les gens de me
critiquer injustement, j'étais parfaitement capable de faire quelque chose de bien plus utile, c'est-à-dire
décider moi-même, tout seul, si, oui ou non, j'allais me laisser affecter par ces critiques injustifiées. Je tiens
particulièrement à éviter toute ambiguïté à ce sujet : je ne recommande nullement une indifférence complète
envers toute critique. Loin de là. Je conseille seulement l'indifférence envers les critiques injustifiées. J'ai eu
l'occasion de demander à Mrs. Rooseveit quelle attitude elle prenait envers des critiques injustifiées — et
Dieu sait si .on lui en adresse. Elle compte probablement plus d'amis sincères et également plus d'ennemis
acharnés que toutes les femmes qui ont habité la Maison Blanche.
Elle me raconta alors que. dans sa jeunesse, elle avait été excessivement timide, toujours inquiète de ce que
les gens pouvaient dire ou penser d'elle. Elle redoutait les critiques de son entourage à un tel point qu'un jour,
elle demanda conseil à une de ses tantes, la sœur de Théodore Rooseveit.
« Ma tante, lui dit-elle, je voudrais bien faire telle ou telle chose. Mais j'ai peur d'être critiquée. »
La tante regarda longuement cette jeune fille si craintive et répondit : « Tant que tu es persuadée d'avoir
raison d'agir comme tu le fais, ne t'occupe pas de ce que les gens peuvent dire. » Et, ajouta Eleanor
Rooseveit, ce petit conseil devait devenir en quelque sorte mon Rocher de Gibraltar à l'époque
GARDEZ VOTRE SÉRÉNITÉ * 226
où j'habitais la Maison Blanche et étais considérée comme « la première dame des Etats-Unis ». A mon avis, il
est impossible pour quiconque occupe une position officielle d'éviter les critiques, à moins de se comporter
comme une statuette en porcelaine, c'est-à-dire de rester immobile sur son étagère et de ne rien faire. Ma
tante avait certainement raison en me conseillant d'agir uniquement suivant ma conscience — car, de toute
façon, on allait me critiquer. Les uns allaient m'attaquer si je faisais ceci ou cela, les autres allaient me
déchirer à belles dents si je ne le faisais pas. »
Un jour, au cours d'une conversation avec quelques financiers, je demandai à Matthew Brush. président de la
Compagnie Internationale de Wall Street, s'il était très sensible aux critiques qu'un homme dans sa position
devait immanquablement s'attirer. « Oui, répondit-il, à mes débuts, je ressentais énormément la moindre
critique. A cette époque-là, je tenais beaucoup à être considéré, par tous mes employés, comme un homme
parfait, l e moindre reproche me troublait, me préoccupait. Dès que quelqu'un élevait la moindre protestation,
j'essayais de lui donner satisfaction ; mais mes efforts pour y parvenir suscitaient inévi tablement la colère
d'un autre de mes collaborateurs. Puis, en cherchant à calmer celui-ci, je m'attirais les foudres de deux ou
trois autres. Je finis par découvrir ceci : plus je m'ingéniais à apaiser les ressentiments de l'un ou de l'autre —
toujours dans l'intention de prévenir ses critiques, — plus je pouvais être certain d'accroître le nombre de mes
adversaires. Alors, un beau jour, je me suis dit: « Mon petit vieux, du moment que tu es arrivé à t'élever au-
dessus des autres, tu dois t'attendre à être critiqué, quoi que tu fasses. Par conséquent, tu n'as qu'à t'y
habituer. » Et cette résignation m'a été très utile. A partir de ce moment-là.
227 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
je me suis fixé une ligne de conduite de laquelle je ne me suis jamais écarté : Je travaille avec acharnement,
je fais ce que je crois devoir faire ; ensuite, j'ouvre mon vieux parapluie, et je me promène tranquillement
sous l'averse des critiques qui, au lieu de me dégouliner dans le cou, tombent sur mon pépin et, de là, sur le
sol, sans m'éclabousser. »
Je connais un homme qui allait encore plus loin dans cette voie : il ne songeait même pas à ouvrir son
parapluie pour se mettre à l'abri. Plus l'averse lui dégoulinait dans le cou. plus il s'en moquait — et en public.
Cet homme, Deems Taylor, commentait chaque semaine les nouvelles politiques à la radio. Un jour, une
femme lui écrivit une lettre dans laquelle elle le traitait de « menteur, traître, sale bête ». La semaine
suivante, Taylor lut cette lettre au microphone et ajouta : « J'ai vaguement l'impression que cette femme
n'aime pas beaucoup mon émission. » Deux ou trois jours plus tard, il reçut une seconde lettre de la même
personne, dans laquelle elle exprimait « sa certitude inébranlable qu'il était, en dépit des apparences, un
menteur, un traître, une sale bête. » Avouez qu'on peut difficilement refuser son admiration à un homme qui «
encaisse » la critique de cette façon, avec tant de sérénité, de confiance en lui-même, et d'humour.
Charles Schwab a déclaré, dans une conférence devant les étudiants de l'Université de Princeton, qu'une des
leçons les plus utiles qu'il eût jamais eues, lui avait été donnée par un vieil ouvrier allemand, employé dans
l'aciérie de Schwab. Cela s'était passé pendant la première guerre mondiale. L'Allemand avait eu le tort de
commencer une discussion politique avec ses camarades, les esprits s'étaient échauffés, et finalement, les
ouvriers américains avaient jeté l'Allemand dans la rivière. « Quand il entra dans mon
GARDEZ VOTRE SÉRÉNITÉ 228
bureau, raconta Schwab, trempé et couvert de vase, je lui demandai ce qu'il avait dit aux hommes qui l'avaient
jeté dans la rivière. Et il me répondit : « Moi, seulement rire. » Eh bien, conclut Schwab, j'ai fait de cette
réponse ma devise, et quoi qu'on puisse dire de moi, je suis l'exemple de ce vieil Allemand : « Moi seulement
rire. »
Devise excellente surtout lorsque vous êtes en butte à des critiques injustifiées. Vous pouvez évidemment
répondre à votre adversaire qui répondra à son tour, mais que dira ־t-il si vous vous contentez de lui rire au
nez ?
Lincoln se serait certainement effondré sous le fardeau écrasant de ses responsabilités pendant la Guerre de
Sécession, s'il n'avait pas compris la vanité et même la folie de toute tentative de répondre à ses adversaires
qui l'abreuvaient de critiques féroces. Il a d'ailleurs déclaré : « Si je devais lire tout ce que l'on écrit contre
moi, si, par surcroît, je devais répondre, je pourrais tout aussi bien renoncer à m'occuper d'affaires sérieuses.
Je fais ce que je peux, sans ménager mes forces, et j'entends continuer ainsi jusqu'à la fin. Si les événements
prouvent finalement que j'avais raison, toutes les attaques lancées contre moi paraîtront ridicules. Si les
événements prouvent finalement que j'avais tort, tous les anges du ciel pourront s'époumoner à affirmer la
pureté de mes intentions — l'Histoire me condamnera. »
Chaque fois qu'on vous critique injustement, rappelez-vous la règle n" 2 :
Faites de votre mieux. Ensuite, ouvrez votre vieux parapluie et promenez-vous tranquillement sous l'averse des critiques qui
ne pourront plus vous dégouliner dans le cou.
m
MES BÉVUES
Je conserve dans mon classeur privé un dossier marqué « M. B. » — une abréviation pour « mes bévues ». Ce
dossier contient des rapports circonstanciés de toutes les bévues que j'ai commises. Parfois, je dicte ces
rapports à ma secrétaire, mais, de temps en temps, je préfère les écrire moi-même — lorsque j'ai fait une
bêtise tellement monumentale, tellement grotesque que j'ai honte de l'avouer même à une employée dont je
connais de longue date la discrétion absolue.
Je me rappelle encore aujourd'hui certaines des critiques de moi-même que j'ai classées dans ce dossier il y a
environ quinze ans. Si j'avais été, durant toute mon existence, vraiment sincère envers moi-même, mon
classeur, un meuble assez important, ne pourrait plus contenir tous ces rapports marqués « M. B. ». J'admets
humblement que les paroles de Saint Paul, prononcées il y a dix-neuf siècles, s'appliquent parfai tement à
moi : « Je me suis conduit comme un sot, et mes erreurs sont innombrables. »
Cependant, lorsque je reprends ce dossier pour relire les critiques que je me suis adressées moi-même, j'y
trouve des conseils fort utiles pour la solution du problème le plus ardu — et le plus per sistant, parce que
jamais complètement résolu — de
GARDEZ VOTRE SÉRÉNITÉ
230
tous : la direction, je dirais presque la gestion de l'ensemble constitué par moi-même.
Dans ma jeunesse, je rendais toutes sortes de gens responsables de mes ennuis ; à mesure que je vieil lissais —
et que je devenais, peut-être plus perspicace, — je me rendais compte que, au fond, j'étais le plus souvent seul
à porter la responsabilité de mes malheurs. Beaucoup de gens ont fait la même découverte. « Ma chute, a dit
Napoléon à Sainte-Hélène, n'est imputable qu'à moi-même. J'ai été moi-même mon plus grand ennemi — la
cause de mon terrible destin. »
Je voudrais vous parler d'un homme qui était, sous le rapport de l'auto-critique et de l'auto-éducation, un
véritable « as ». 11 s'agit d'un de mes amis, H. P. Howell. Quand, le 31 juillet 1944, la nouvelle de sa mort
soudaine dans la pharmacie de l'hôtel Ambassador à New-York fut publiée par toute la presse américaine, ce
fut un choc pour les milieux-de Wall Street, car Howell avait été un des premiers financiers des Etats-Unis —
président de la Commercial National Bank et Trust Company, et membre du conseil d'administration de
plusieurs grosses entreprises. Cet homme n'avait eu qu'une instruction rudimentaire, il avait débuté comme
commis de bazar dans un petit bourg — pour devenir un des hommes les plus puissants de son pays.
Un jour, il m'expliqua la raison essentielle de son succès. « Depuis des années, je tiens scrupuleusement un
agenda indiquant, jour par jour, tous mes rendez-vous, entretiens, conférences, etc. Ma femme et mon
secrétaire s'arrangent toujours de manière à me laisser la libre disposition de la soirée du samedi, car ils
savent que je consacre cette soirée tout au moins en partie à l'établissement d'un bilan critique de mon travail
durant la semaine qui vient de s'écouler. Après le dîner, je m'enferme dans mon bureau, ouvre
231 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
mon agenda et passe en revue tout ce que j'ai pu dire ou décider depuis lundi matin. Puis, je m'interroge :
«Quelles erreurs ai-je commises à telle ou telle occasion ? Quand ai-je agi intelligemment — et comment
aurais-je pu faire encore mieux ? Quelle leçon puis-je tirer de telle ou telle expérience ? » Parfois, je constate
que cette revue hebdomadaire ne me donne aucune satisfaction — tout au contraire. Il m'arrive d'être
littéralement stupéfait par mes propres gaffes. Evidemment, avec les années, ces gaffes sont devenues moins
fréquentes. Mais je puis dire que ce système d'auto-analyse, appliqué scrupu leusement chaque semaine, m'a
été bien plus utile que toute autre méthode de travail que j'ai pu essayer. »
Peut-être H. P. Howell a-t-il emprunté cette idée à Benjamin Franklin. Celui-ci procédait, en effet, de la même
façon, avec cette différence, toutefois, qu'il n'attendait pas la fin de la semaine ; chaque soir, il dressait un
bilan sévère de son activité pendant la journée. Franklin avait découvert qu'il avait treize graves défauts, dont
les trois suivants lui paraissaient particulièrement funestes : une tendance fâcheuse à gaspiller son temps, la
manie de ruminer longuement des bagatelles, la passion de la contradiction à tout prix. Comme le père
Franklin était un sage, il se rendait compte qu'à moins de se débarrasser de ces défauts, il n'irait pas très loin.
Il se battait donc durant toute une semaine contre un de ces travers, livrant contre lui-même une bataille
quotidienne et marquant chaque soir les points qu'il avait gagnés ou perdus dans cette bagarre épique. La
semaine suivante, il choisissait une autre de ses mauvaises habitudes, remettait les gants et, au coup de gong,
c'est-à-dire le lundi matin, se ruait sur son nouvel adversaire. Franklin se battait ainsi contre ses défauts, les
provoquant en duel un par semaine, pendant plus de deux ans.
GARDEZ VOTRE SÉRÉNITÉ
232
Rien d'étonnant, dans ces conditions, qu'il devînt un des hommes les plus populaires et les plus influents que
l'Amérique ait jamais produits !
Le philosophe Libert Hubbaid a dit : « Tout individu est un parfait imbécile pendant au moins cinq minutes
par jour. Le sage réussit à ne pas dépasser cette limite. »
Le sot se met en colère pour le moindre reproche, mais l'homme intelligent s'efforce de profiter des critiques
que l'on lui adresse, de s'instruire grâce aux arguments que ses adversaires lui opposent. Comme l'a dit Walt
Whitman : « Avez-vous fait des progrès seulement grâce à ceux qui vous ont admiré, entouré de sollicitude,
qui se sont effacés devant vous ? Ne croyez-vous pas que ceux qui se sont dressés contre vous, qui ont
cherché à vous barrer le chemin, vous ont donné une leçon bien plus précieuse ? »
Au lieu d'attendre que votre adversaire critique votre attitude ou votre travail, prenez donc les devants. Soyez
vous-même votre critique le plus sévère. Découvrez toutes vos faiblesses, tâchez de vous en corriger avant
que votre adversaire ait eu l'occasion de les stigmatiser. C'est ce que fit, par exemple, Charles Darwin. II
passa, en effet, quinze ans à se critiquer lui-même, et voici comment : après avoir achevé le manuscrit de son
ouvrage immortel : D e l'origine des espèces, il se rendit compte que la publication de cette œuvre qui
révolutionnait les conceptions alors répandues allait ébranler l'univers intel lectuel et religieux. 11 se fit donc
son propre critique et, après avoir travaillé pendant quinze ans pour composer son ouvrage, il passe encore
quinze ans à vérifier les données dont il faisait état dans son livre, à discuter ses propres raisonnements, à
prendre le contre-pied de ses propres conclusions.
Supposons que quelqu'un vous ait traite d imbécile
233
TRIOMPHEZ. DE VOS SOUCIS.
— que feriez-vous ? Vous vous mettriez en colère ? Vous seriez indigné ? Voici ce que fit Lincoln : Un jour,
Edward Stanton, secrétaire d'Etat à la Guerre, appela publiquement Lincoln un imbécile. Stanton était furieux
parce que Lincoln s'était immiscé dans ses affaires. C'est-à-dire qu'afin de faire plaisir à un politicien égoïste,
Lincoln avait ordonné le déplacement de certains régiments, empiétant ainsi sur le domaine de Stanton. Et
Stanton, non seulement refusa d'exécuter l'ordre de Lincoln, mais proclama hautement que Lincoln devait être
un imbécile pour avoir signé un ordre pareil. Or, Lincoln, en apprenant ce jugement peu aimable, déclara
calmement : « Si Stanton me considère comme un imbécile, il ne doit pas être très loin de la vérité, car il a
presque toujours raison. Je vais faire un saut jusqu'à son bureau pour voir en quoi consiste mon imbécillité. »
11 alla voir Stanton qui le persuada de son erreur. Immédiatement, Lincoln annula son ordre. Lincoln a
toujours bien accueilli les critiques lorsqu'elles étaient sincères, basées sur une parfaite connaissance des
faits, et inspirées manifestement par le désir de l'aider dans l'accom plissement de sa tâche. \
Nous tous devrions toujours faire bon accueil à ce genre de critiques, étant donné que nous pouvons espérer
avoir raison tout au plus trois fois sur quatre. C'est en ces termes que s'exprima Théodore Roosevelt dans son
premier discours après son élection à la présidence des Etats-Unis. Encore était-il plutôt optimiste ! Einstein,
le plus grand penseur de notre époque, admet, en effet, que ses conclusions sont fausses quatre-vingt-dix-neuf
fois sur cent !
« Nos ennemis, a dit La Rochefoucauld, s'approchent plus de la vérité dans les jugements qu'ils font de nous,
que nous n'en approchons nous-mêmes. »
Je sais que, très souvent, cette maxime est vraie ;
GARDEZ VOTRE SÉRÉNÏTÉ
234
pourtant, dès qu'on me critique, je prends, si je ne me surveille pas, automatiquement une attitude méfiante, je
prépare ma riposte — avant même d'avoir la moindre idée de ce que l'on va me reprocher. Et chaque fois que
cela m'arrive, je suis dégoûté de moi-même. Nous avons tous une tendance innée à ressentir les critiques, à «
gober » les éloges, sans chercher à savoir si les critiques ou les éloges sont justifiés. 1.'homme n'est pas une
créature logique, mais un être dominé par ses émotions. Ou. pour m'exprime!• d'une manière imagée, notre
logique ressemble à une embarcation ballottée sur la mer houleuse, profonde et sombre de nos émotions. La
plupart des hommes ont une assez bonne opinion d'eux-mêmes, ils sont satisfaits de ce qu'ils sont. Cependant,
d'ici quarante ans, s'ils songent à regarder en arrière, ils riront peut-être de ce qu'ils étaient.
William Allen White — « le plus célèbre de tous nos rédacteurs en chef de journaux de province » — eut un
jour l'idée de regarder en arrière. I I a décrit le jeune homme qu'il était cinquante ans auparavant, comme « une
espèce de fanfaron — un petit imbécile doué d'un « culot » remarquable — un jeune pharisien guindé,
arrogant — un réactionnaire plein de suffisance ». Qui vous dit que, d'ici vingt ans, vous n'em ploierez pas des
qualificatifs similaires pour décrire l'homme que vous êtes aujourd'hui ? Allons, soyez sincère — avouez que
ce n'est pas impossible.
Dans les chapitres précédents, j'ai exposé ce qu'il convient de faire lorsqu'on est critiqué injustement. Voici
maintenant une autre idée : quand la colère monte en vous parce que vous sentez qu'on vous attaque
injustement, essayez donc de vous dire : « Pas si vite... après tout, je suis loin d'être parfait. Si Einstein admet
qu'il se trompe quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, il se peut que moi. je me trompe, mettons,
235 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
quatre-vingts fois sur cent. Peut-être ai-je mérité ces critiques. Dans ce cas, je devrais m'en montrer recon -
naissant et m'efforcer d'en tirer profit. »
La Société Ford tient tellement à découvrir ce qui cloche dans son organisation technique et dans sa gestion
financière qu'elle a récemment invité ses ouvriers et employés à critiquer la direction !
Je connais un ancien représentant de commerce qui avait pris l'habitude de solliciter des critiques. Il vendait du
savon pour la maison Colgate. Au début, les ordres furent rares — trop rares. Bientôt, il craignit de perdre son
emploi. Comme il savait que sa mar chandise était excellente et les prix raisonnables, il se disait que son
échec provenait vraisemblablement de lui-même. Souvent, après avoir essayé vainement d'obtenir une
commande, il faisait le tour du pâté d'immeubles en se creusant la cervelle pour trouver l'explication de sa
malchance persistante. Avait-il manqué de précision ? Avait-il paru insuffisamment convaincu de la qualité du
produit qu'il représentait ? Parfois, il retournait chez le commerçant qu'il venait de quitter et lui disait : « Ne
croyez pas que je sois revenu pour essayer, malgré votre refus, de vous vendre mon savon. Je reviens
uniquement pour vous demander de me donner un conseil et de me critiquer. Ne voudriez-vous pas me dire ce
qui vous a déplu quand je vous ai offert nos produits, il y a quelques minutes ? Vous avez infiniment plqs
d'expérience que moi, vos affaires marchent, alors que les miennes périclitent. Alors, rendez-moi le service de
me critiquer, en toute franchise. Ne craignez surtout pas de me blesser. »
Cette attitude lui valut un grand nombre d'amis et des conseils précieux. Quelle a pu être à votre avis, la
carrière de cet homme ? Aujourd'hui, E. H. Little — pour vous dire aussi son nom afin de vous permettre
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS,
236
de vérifier l'authenticité de l'histoire — est président de la Société des Savons Colgate-Palmolive, les plus
gros fabricants de savon du monde entier. L'année dernière, quatorze personnes seulement ont déclaré, au fisc
américain, un revenu supérieur au sien qui se montait à la somme coquette de 240.14Î dollars.
Il faut évidemment une certaine grandeur d'âme pour suivre l'exemple de H. P. Hovvell, de Benjamin Franklin
ou de E. H. Little. Il faut avoir la force de faire taire son amour-propre, de renoncer à toute vanité. Eh bien,
puisque, pour l'instant, vous êtes seul, pourquoi ne vous regarderiez-vous pas dans la glace afin de voir si,
après tout, vous ne faites pas partie de cette catégorie d'hommes capables de se corriger eux-mêmes.
Si vous voulez garder votre sérénité malgré les critiques que l'on peut vous adresser, suivez donc la règle n° 3
:
Tenez scrupuleusement un répertoire de vos bévues, et inscrivez, en regard de chacune d'elles, votre propre critique. Puisque
personne ne saurait prétendre à la perfection, imitez l'exemple du petit représentant en savon : sollicitez une critique
franche, utile et constructive.
SIXIEME PARTIE
SIX MANIERES DE PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS, DE MAINTENIR TOUJOURS SON ENERGIE ET SON
COURAGE
I
L'EFFET NÉFASTE DE LA FATIGUE
Vous devez vous demander pourquoi, dans un livre consacré à la lutte contre les soucis et les tour ments,
j'insère un chapitre sur la lutte contre la fatigue. La réponse est simple : parce que, fré quemment, la fatigue
donne naissance aux soucis ou, tout au moins, vous prive de vos moyens de défense contre les soucis.
N'importe quel étudiant en médecine vous dira que la fatigue diminue la résistance physique contre les
refroidissements et des centaines d'autres maladies ; le premier psychiatre venu vous confirmera que la
fatigue diminue également votre résistance contre les émotions provoquées par la crainte ou les tourments. Ce
qui revient à ceci : en prévenant la fatigue, on prévient les soucis.
Par conséquent, pour échapper à la fois à la fatigue
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 238
et aux soucis, il faut tout d'abord se reposer souvent. Se reposer avant que la fatigue ne se fasse ressentir.
Pourquoi ceci est-il donc si important ? Parce que la fatigue s'accumule avec une rapidité surprenante.
L'armée américaine a découvert, grâce à d'innom brables tests, que même des hommes jeunes — et endurcis
par des années d'entraînement militaire — marchent mieux et « tiennent le coup » plus longtemps, lorsqu'ils
peuvent poser leurs sacs et se reposer dix minutes par heure. L'armée américaine a donc adopté ce principe.
Or, votre cœur est tout aussi intelligent que l'état-major des forces armées de l'Oncle Sam. Votre cœur pompe
chaque jour assez de sang par votre corps pour remplir un wagon-citerne. L'énergie qu'il dépense en vingt-
quatre heures suffirait pour charger vingt tonnes de charbon sur une plateforme haute de 90 centimètres. Et il
fournit ce travail incroyable pendant cinquante, soixante-dix, peut-être quatre-vingt-dix ans. Comment
supporte-t-il cet effort ? Le Dr. Walter Cannon, de l'Ecole de Médecine de Harvard l'explique de la façon
suivante : « La plupart des gens croient que le cœur travaille constam ment. En réalité, il se repose, après
chaque contraction, pendant un laps de temps nettement délimité. Lorsque le cœur bat à une allure modérée de
soixante-dix pulsations par minute, il travaille en réalité seulement neuf heures sur vingt-quatre. En additionnant les
périodes de repos, on obtient un total de quinze heures par jour.
Durant la deuxième guerre mondiale, Winston Churchill, âgé d'environ soixante-dix ans, pouvait travailler
seize heures par jour — et ceci pendant cinq ans — à diriger l'immense effort de guerre de l'Empire
Britannique. Un record exceptionnel, phénoménal. Son secret ? Chaque matin, il travaillait dans son lit
jusqu'à onze heures, lisant des rapports, dictant
239 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
des ordres, tenant des conférences extrêmement importantes. Après le déjeuner, il se recouchait pour dormir
pendant une heure. Le soir, il se couchait une fois de plus et dormait deux heures avant de dîner. 11 ne
guérissait pas sa fatigue, pour la bonne raison qu'il n'était pas fatigué. Il prévenait la fatigue ! C'est parce
qu'il se reposait fréquemment qu'il pouvait travailler jusqu'au milieu de la nuit.
Le vieux John D. Rockefeller, cet homme si original, avait établi deux records extraordinaires. Il avait amassé
la fortune la plus colossale que le monde eût jamais vue, et — fait presque aussi remarquable — il atteignit
l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans. Comment y était-il arrivé ? Tout d'abord, bien entendu, parce qu'il avait
hérité cette longévité, comme d'autres héritent te! ou tel trait de caractère ou telle parti cularité physique.
Mais aussi parce qu'il avait pris l'habitude de se reposer chaque après-midi une demi-heure, dans son bureau.
1! s'allongeait sur son vieux divan — et même le Président des Etats-Unis n'aurait pu lui parler au téléphone
pendant qu'il « piquait son roupillon » !
Dans son excellent livre Pourquoi être fatigué, Daniel Josselyn remarque : « Se reposer, cela ne veut pas dire
qu'on ne doit rien faire. Se reposer, c'est restaurer ses forces, » Le pouvoir réparateur d'une brève période de repos
est te! que même cinq minutes de sommeil suffisent pour prévenir toute fatigue. J'ai eu l'occasion de
demander à Eleanor Roosevelt comment elle avait pu résister à la fatigue du programme surchargé qui avait
été le sien, jour par jour, pendant les douze ans passés à la Maison Blanche. Elle m'apprit qu'avant chaque
soirée officielle, chaque conférence, elle s'asseyait dans un fauteuil, fermait les yeux et se détendait
complètement pendant une vingtaine de minutes.
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 240
Edison attribuait son énorme énergie et son endurance fabuleuse à son habitude de dormir chaque fois qu'il en
avait envie.
J'ai aussi interviewé Henry Ford, peu de temps avant son quatre-vingtième anniversaire. Comme je
manifestais ma surprise de le voir si frais et alerte, il répondit : « Si je ne porte pas mon âge, c'est parce que
je ne reste jamais debout quand je peux m'asseoir ; et que je ne reste jamais assis quand je peux m'al longer. »
J'ai d'ailleurs conseillé cette méthode à un pro ducteur de films de Hollywood. Il s'agit de Jack Chertock, un
des hommes les plus connus de l'industrie cinématographique américaine. Quand il vint me consulter, il y a de
cela quelques années, il dirigeait le service des documentaires de la Metro-Goldwyn-Mayer. Usé,
complètement épuisé, il avait tout essayé : des toniques, des vitamines, toutes sortes de médicaments et de
traitements, sans obtenir une amélioration notable de son état. Je lui suggérai de prendre chaque jour un peu
de vacances. Comment ? Tout simplement en s'allongeant sur le divant de son bureau et en se détendant
pendant les conférences quotidiennes avec ses scénaristes.
Lorsque je le revis, deux ans plus tard, il me dit : « Un miracle s'est produit. C'est le terme même qu'emploie
mon médecin. J'avais l'habitude de rester assis très droit dans mon fauteuil, constamment tendu, pendant que
nous discutions les sujets de nos documentaires. Maintenant, je dirige nos conférences tout en me prélassant
sur mon divant. Depuis vingt ans, je ne me suis senti aussi vigoureux. Je travaille à présent deux heures de
plus par jour, et pourtant, je ne suis pour ainsi dire jamais fatigué. »
Oui, mais, direz-vous, comment ces exemples peuvent-ils s'appliquer à mon cas ? Evidemment, si
241 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
vous êtes par exemple sténo-dactylo, vous ne pouvez guère dormir à votre bureau, comme le faisait Edison, et
comme le fait aujourd'hui encore Samuel Goldwyn ; si vous êtes comptable, vous n'avez certainement pas la
possibilité de vous étendre sur un divan pendant que vous exposez une question financière à votre patron.
Mais si vous habitez une petite ville, et si vous rentrez chez vous pour le déjeuner, vous pouvez peut-être
dormir dix minutes après le repas. C'est ce que faisait toujours le général Marshall. Quand, pendant la
dernière guerre, il se trouvait à la tête de l'armée américaine, il sentait que son travail écrasant exigeait ces
quelques minutes de repos après le déjeuner. Maintenant, si vous avez plus de cinquante ans, et si vous avez
l'impression d'être trop pressé pour vous reposer ainsi, je ne puis vous donner qu'un conseil : souscrivez
immédiatement une ou plusieurs assurances sur votre vie, d'un montant aussi haut que vos revenus vous le
permettent. On meurt vite, dans ces conditions, et les enterrements coûtent horri blement cher ; sans compter
que votre femme pourra avoir envie de prendre l'argent de l'assurance pour épouser un homme plus jeune !
Si, pour telle ou telle raison, il vous est impossible de prendre quelques minutes de repos après le déjeuner,
vous pouvez sûrement vous allonger une heure avant le repas du soir. Cela revient moins cher qu'un appéritif,
tout en étant, à la longue, mille fois plus efficace. En prenant une heure de sommeil vers cinq, six ou sept
heures de l'après-midi, vous ajouterez chaque jour soixante minutes à votre existence active, ou, plus
précisément, à votre vie éveillée. Comment cela ? Parce que soixante minutes de sommeil avant le dîner, plus
six heures de sommeil pendant la nuit — en tout, sept heures — vous feront plus de bien que huit heures d'un
sommeil ininterrompu.
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 242
L'ouvrier fournissant un effort physique accomplira une tâche plus considérable s'il se repose davantage.
Frederick Taylbr a prouvé ce fait à l'époque où il étudiait, sur des bases scientifiques, l'organisation du travail
dans les usines des aciéries de Bethlehem. il constata que des ouvriers chargeaient une moyenne de 12,5
tonnes de gueuses de fonte par jour et par homme sur des wagons de chemin de fer, et qu'à midi, ils étaient
épuisés. Après avoir examiné tous les facteurs de fatigue qui intervenaient dans ce travail, il déclara que ces
hommes devraient charger non pas !2,5 tonnes par jour, mais — tenez-vous bien — quarante-sept tonnes par
jour et par homme ! D'après ses calculs, ils devaient pouvoir fournir un travail presque quadruple de celui
qu'ils accomplissaient, et cela sans être fatigués ! Seulement, quant à la preuve d'une affirmation
aussi«stupéfiante, c'était une autre histoire !
Taylor choisit un certain M. Schmidt et lui demanda de travailler d'après les indications d'un chronométreur.
Celui-ci ne le quittait pas d'une semelle et, les yeux fixés sur son chronomètre, lui ordonnait : « Main tenant,
ramassez une gueuse et marchez... Maintenant, asseyez-vous et reposez-vous... Marchez... reposez-vous. »
Qu'est-ce qui se produisit alors ? Schmidt trans portait chaque jour allègrement ses quarante-sept tonnes de
fonte, alors que ses camarades n'en transportaient que 12,5 tonnes par homme. Et pendant les trois ans que
Taylor passait à Bethlehem, Schmidt conservait pratiquement sans défaillance ce rythme. Il le pouvait, parce
qu'il se reposait avant d'être fatigué. Il travaillait en réalité 26 minutes par heure, et se reposait 36 minutes.
C'est-à-dire qu'il se reposait plus qu'il ne travaillait — et cependant, il abattait presque quatre fois plus de
besogne que ses camarades.
i
243
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
Vous croyez que c'est une anecdote ? Alors, vérifiez, aux pages 41-42, des Principes d'une organisation
scientifique du travail, par Frederick Winslow Taylor.
En résumé : suivez l'exemple des soldats de l'armée américaine — reposez-vous souvent. Suivez aussi
l'exemple que vous donne votre cœur — reposez-vous avant d'être fatigué, et vous ajouterez chaque jour une
heure entière à votre vie éveillée.
Il
LES CAUSES DE VOTRE FATIGUE — ET LE MOYEN D'Y REMEDIER
Voici un fait aussi étonnant que significatif : un travail purement intellectuel ne peut pas vous fatiguer. Je sais
bien que cela paraît absurde. Cependant, un groupe de savants a essayé, il y a quelques années, de déterminer
combien de temps le cerveau humain peut travailler sans atteindre l'état de « la capacité diminuée», — la
définition scientifique de la fatigue. Au grand étonnement de ces savants, le sang passant par le cerveau alors
que celui-ci est en pleine activité, ne montrait aucune trace de fatigue ! Le sang prélevé des veines d'un
manœuvre en train de travailler contient toujours une grande quantité de « toxines de fatigue » et d'autres
substances produites par la fatigue. Par contre, le médecin qui prélèverait une goutte de sang du cerveau
d'Albert Einstein, par exemple, même à la fin de la journée, y chercherait vainement une trace de ces toxines.
Le cerveau proprement dit peut travailler « aussi bien et aussi rapidement après dix ou même douze heures
d'efforts, qu'il a travaillé au début de cette période». Ce qui veut dire que le cerveau est prati quement
infatigable... Mais, alors, d'où provient votre fatigue ?...
245 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
Les psychiatres déclarent que notre fatigue est causée essentiellement par notre attitude mentale et émotive.
Un des plus éminents parmi les psychiatres anglais, affirme dans son ouvrage La psychologie du pouvoir : « la
majeure partie de la fatigue de laquelle nous souffrons est d'origine mentale ; en fait, un épui sement d'origine
purement physique est très rare. »
Un psychiatre américain, le Dr. A. Brill, va même plus loin. D'après lui : « la fatigue du travailleur sédentaire
(il faut comprendre ici celui qui travaille assis) est due, à cent pour cent, à des facteurs psycho logiques, c'est-
à-dire à des facteurs émotifs. »
Quels sont donc les facteurs « émotifs » qui fatiguent le travailleur assis ? La joie ? La satisfaction ? Cer -
tainement pas. Ces émotions-là ne le fatigueront jamais. L'ennui, les ressentiments, l'impression de ne pas
être apprécié à sa juste valeur, la précipitation, l'angoisse, les soucis matériels ou d'ordre sentimental — voilà
les facteurs émotifs qui épuisent le travailleur assis, qui affaiblissent sa résistance contre les change ments de
température, réduisent sa capacité de travail et le renvoient à la maison avec une migraine nerveuse. Eh oui,
— nous nous fatiguons parce que nos émotions provoquent dans notre corps des tensions nerveuses.
La Compagnie d'Assurances Métropolitaine a publié une brochure sur la fatigue, dans laquelle un médecin,
spécialiste des questions relatives aux assurances sur la vie, déclare : « Le travail seul, aussi pénible qu'il
soit, provoque rarement une fatigue telle qu'un bon sommeil, ou un repos complet ne sauraient la guérir.
Parmi les causes principales de la fatigue, il convient de citer l'inquiétude, la tension nerveuse, les
appréhensions de nature sentimentale. Ce sont souvent ces facteurs-là qui sont responsables de notre fatigue,
alors qu'elle semble provenir d'un effort physique ou intellectuel. ... N'oubliez pas qu'un
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 246
muscle tendu est un muscle qui travaille ! Détendez-vous ! Gardez vos énergies pour des tâches vraiment
importantes. »
Faites une expérience, voulez-vous ? Maintenant, sur-le-champ. Pendant que vous lisez ces lignes, est-ce que
vous ne regarderiez pas, par hasard, ce livre avec une expression presque furieuse ? Est-ce que vous ne sentez
pas comme une barre pesante entre les yeux ? Etes-vous confortablement installé, je dirais même vautré, dans
votre fauteuil ? Ou est-ce que vous remontez les épaules ? Vos muscles faciaux sont-ils tendus ? En ce
moment même, — à moins que votre corps tout entier ne soit détendu et mou comme une vieille poupée en
chiffon —vous produisez dans ce corps déjà fatigué une tension nerveuse et musculaire. Je répète : vous
produisez une tension nerveuse et musculaire. ·
Or, pourquoi produisons-nous ces tensions parfaitement superflues pendant que nous fournissons un travail
purement mental ? Josselyn dit : « A mon avis, l'obstacle principal... est la croyance presque universelle qu'un
travail difficile exige, pour être satisfaisant, une sensation d'effort. » Par conséquent, nous prenons un air
furieux dès que nous nous concentrons. Nous remontons les épaules. Nous demandons à nos muscles de faire
les mouvements nécessaires à un effort physique, ce qui n'apporte aucune aide à notre cerveau qui, seul,
travaille vraiment.
Tout ceci nous fait découvrir une vérité stupéfiante, tragique : des millions d'hommes qui ne gaspilleraient
jamais, à aucun prix, un seul dollar, gaspillent et gâchent continuellement leur énergie avec l'insou ciance
téméraire d'un marin en bordée.
Que faut-il donc faire pour éviter cette fatigue nerveuse ? Se détendre, se décontracter, se laisser aller !
Apprenez à vous détendre tout en travaillant.
247
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
Cela vous paraît facile ? Pas tant que ce/a. Vous serez probablement obligé de changer radicalement toutes les
habitudes que vous avez prises depuis votre enfance. Mais l'effort vaut la peine d'être tenté, car il peut
révolutionner votre existence. Dans son essai L'évangile de la détente, William James affirme : « La surtension,
la fébrilité, la précipitation, l'intensité de la vie américaine... sont de mauvaises habitudes, ni plus ni moins. »
La tension continuelle est une habitude. La détente, elle aussi, en est une. Or, on peut parfaitement se défaire d'une mauvaise
habitude, tout comme on peut acquérir une bonne habitude.
Que faut-il faire pour se détendre ? Doit-on com mencer par la détente intellectuelle, ou par la détente
nerveuse? Ni l'une ni l'autre. // faut toujours commencer par détendre ses muscles.
Faisons un essai. Supposons que nous voulions commencer avec les yeux. Lisez ce chapitre jusqu'à la fin.
puis, calez-vous confortablement dans votre fauteuil, fermez les yeux, et commandez-leur silen cieusement : «
Laissez-vous aller. Cessez de vous fatiguer, ne faites plus aucun effort. Laissez-vous aller, décontractez-
vous... » Répétez ces ordres lentement, doucement, pendant une bonne minute...
Ne remarquez-vous pas qu'au bout de quelques secondes, les muscles de vos yeux commencent à à obéir?
N'avez-vous pas l'impression qu'une main mystérieuse est en train d'effacer la tension ? Eh bien, aussi
incroyable que cela paraisse, vous avez, en l'espace d'une seule minute, appris et appliqué le secret, je dirai
mieux, toutes les étapes de l'art de la détente. Vous pouvez employer la même méthode pour votre mâchoire,
vos muscles faciaux, la nuque, les épaules, votre corps tout entier. Mais l'organe le plus important à ce point
de vue est l'œil. Le Dr.
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS
25 i
Jacobson, de l'Université de Chicago affirme même que l'homme capable de décontracter complètement les
muscles des yeux peut oublier facilement tous ses soucis ! Vous demandez pourquoi les yeux jouent un rôle si
important dans l'apaisement de la tension nerveuse ? Parce qu'ils consomment un quart des énergies nerveuses
consumées par le corps. C'est d'ailleurs pourquoi tant de gens avec une vue par faitement bonne souffrent de «
fatigue visuelle ». Ils imposent une trop forte tension à leurs yeux.
Vicki Baum. la célèbre romancière, raconte qu'étant enfant, elle fit un jour la connaissance d'un vieux
bonhomme qui lui donna un des conseils les plus précieux qu'elle eût jamais reçus. Elle venait de tomber, et,
dans sa chute, elle s'était couronné les genoux et foulé un poignet. Ce fut le vieux vagabond, un ancien
acrobate de cirque, qui la releva ; et, tout en la consolant, il lui dit : « Ma petite fille, tu t'es fait mal parce
que tu ne sais pas te détendre. Imagine-toi que tout ton corps soit mou, comme une vieille chaussette. Viens,
je vais te montrer comment il faut faire. »
Le vieux saltimbanque enseigna à la petite Vicki Baum et à ses camarades l'art de tomber, de faire le grand
écart et le saut périlleux. Et, continuellement, il insistait : « Considérez-vous comme une vieille chaussette,
'mettez-vous bien dans la tête que votre corps est mou comme une vieille chaussette. Alors, vous serez obligés
de vous détendre. »
Vous pouvez vous détendre chaque fois que vous avez un instant de loisir, et cela quel que soit l'endroit où
vous vous trouvez. Seulement il ne faut pas faire d'effort pour y arriver. La détente est l'absence de toute tension,
de tout effort. Commencez par penser à la détente des muscles de vos yeux et de votre visage, en vous répétant
sans cesse : « Laissez-vous
il
249
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
aller — décontractez-vous. » Bientôt, vous sentirez M
l'énergie refluer de votre visage vers le milieu de d<
votre corps. Imaginez-vous d'être aussi libre de toute ce
tension qu'un nouveau-né. fa
La grande cantatrice Galli-Curci agissait toujours la ainsi. Le secrétaire de l'Opéra de New-York m'a
raconté qu'il a souvent vu la Galli-Curci, avant ei
son entrée en scène, affalée dans un fauteuil, tous si
ses muscles relâchés au point que sa mâchoire retombait p;
comme celle d'une morte. Une habitude excellente — m
qui lui évitait d'être nerveuse au moment de paraître Je
devant le public, qui la protégeait contre la fatigue. la
Voici quatre conseils qui vous aideront à apprendre fa
à vous détendre : ci
1) Décontractez-vous chaque fois que vous en n<
avez l'occasion, ne serait-ce que pour quelques d<
instants. Laissez votre corps se ramollir au point ce
de ressembler à une vieille chaussette, ou, si vous Si
préférez, à un chat. Vous est-il déjà arrivé de prendre d<
dans vos bras un chat dormant au soleil ? Vous avez te
pu constater, alors, que la tête aussi bien que l'arrière- —
train de la bête pendent comme dépourvus de toute n<
ossature. Même les yogis hindous disent que, pour o<
apprendre l'art de la détente, il faut étudier les chats. b!
Pour ma part, je n'ai encore jamais vu un chat fatigué, ou souffrant d'une dépression nerveuse, d'insomnie ou
d'ulcères de l'estomac. Vous aussi, vous allez probablement éviter ces malheurs, si vous apprenez à vous
décontracter comme les chats.
2) Travaillez autant que possible dans une position confortable. Rappelez-vous que la tension muscu laire
produit, à la longue, des douleurs dans les épaules et de la fatigue nerveuse.
3) Contrôlez-vous quatre ou cinq fois par jour, en vous demandant : « Ne suis-je pas en train de rendre mon
travail plus pénible qu'il ne l'est en réalité ?
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 250
Ne fais-je pas appel à des muscles qui, au fond, ne devraient pas intervenir dans mon travail ? » Ce contrôle
permanent vous permettra d'acquérir plus facilement l'habitude de la détente, et, après tout, la détente n'est
qu'une habitude.
4) Examinez-vous de nouveau à la fin de la journée, en vous interrogeant : «Jusqu'à quel point exactement
suis-je fatigué ? Si je suis vraiment fatigué, ce n'est pas à cause du travail intellectuel que j'ai fourni, mais à
cause de la façon dont je l'ai fait. » Daniel Josselyn écrit : «Je mesure mon effort non pas d'après la fatigue
que je ressens, mais d'après l'absence de fatigue. Si, à la fin de la journée, je me sens parti culièrement las, ou
si mon irritabilité trahit ma fatigue nerveuse, je sais pertinemment que le rendement de cette journée a été
médiocre, aussi bien en ce qui concerne la qualité que la quantité de mon travail. » Si tous nos hommes
d'affaires voulaient se pénétrer de cette vérité, la mortalité pour cause d'« hyper tension » — et de toutes les
maladies qui en résultent — baisserait du jour au lendemain. Et nos hôpitaux, nos maisons de santé, nos asiles
ne seraient plus occupés jusqu'au dernier lit disponible par des hommes brisés par la fatigue et les soucis.
Ill
MENAGERES — EVITEZ LA FATIGUE, ET RESTEZ JEUNES !
Récemment, mon associé se rendit à Boston pour assister à la séance hebdomadaire de ce qui est sans doute le
cours médical le plus extraordinaire du monde entier. Médical ? Hum... c'est pourtant bien le terme qui
convient. Ce cours a lieu une fois par semaine, au Dispensaire Général de Boston, et les malades qui le
suivent sont soumis, avant d'être admis, à un examen médical approfondi. En réalité, ce cours est une clinique
psychologique. Quoiqu'il soit appelé officiellement « Cours de Psychologie appliquée », (autrefois, « Cours
de Contrôle de la Pensée », — un nom suggéré par un des premiers élèves), il est institué afin de venir en aide
aux personnes souffrant de toutes sortes de tourments au point d'être malades. Et une grande partie de ces malades se
compose de ménagères souffrant de troubles émotifs.
Comment la direction du Dispensaire a-t-e!le eu l'idée de créer ce cours ? Eh bien, voilà : en 1930, le Dr.
Joseph Pratt — qui, soit dit en passant, a été un élève de Sir William Osier — observait que. parmi les
malades venant au dispensaire, beaucoup paraissaient en parfaite condition physique ; pourtant, ils
présentaient pratiquement tous les symptômes qui
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 252
caractérisent toutes sortes de maux. Une femme avait les mains tellement déformées par « l'arthrite » qu'elle
ne pouvait plus s'en servir. Une autre était torturée par les manifestations les plus douloureuses d'un «cancer
de l'estomac». D'autres souffraient de migraines, de douleurs dans les bras ou le dos, ou se plaignaient d'une
fatigue persistante. Tous ces malades ressentaient réellement ces souffrances. Leurs douleurs existaient,
incontestablement. Et cependant, les examens les plus minutieux montraient que l'orga nisme de ces femmes
était en parfait état — au point de vue physique. La plupart des médecins de la vieille école auraient déclaré
que tous leurs maux étaient imaginaires — « des idées qu'elles se font ».
Mais le Dr. Pratt avait compris qu'il n'obtiendrait aucun résultat en recommandant à ces malades de «rentrer à
la maison et de ne plus y penser ». Il savait qu'aucune de ces femmes ne tenait à être malade ; si elles
pouvaient si facilement oublier leurs douleurs, elles l'auraient déjà fait, sans venir le con sulter. Alors, que
fallait-il faire ?
11 créa ce cours — malgré le véritable concert que formaient les cris ironiques, les exclamations scep tiques
poussés par certains de ses confrères. Et il obtint des miracles ! Au cours des dix-huit années qui se sont
écoulées depuis la première séance, des milliers de malades ont été « guéris » simplement en suivant ce cours.
Certains d'entre eux assistent depuis des années à chaque séance, aussi fidèlement que s'ils allaient à l'église.
Mon assistant a pu s'entretenir avec une femme qui, en neuf ans, n'a pratiquement pas manqué un seul cours.
A l'époque où elle y venait pour la première fois, elle était persuadée d'avoir un rein flottant et de souffrir, en
plus, de troubles cardiaques mal définis. Elle était alors si inquiète, si nerveuse, qu'un peu plus tard, elle
perdait la vue au
253 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
point d'avoir des périodes de cécité totale. Pourtant, aujourd'hui, elle est confiante, joyeuse, et se porte
parfaitement bien. Elle paraissait avoir seulement une quarantaine d'années, et cependant, un de ses petits-
enfants dormait paisiblement sur ses genoux.
« Autrefois, je me tourmentais tant à cause de mes ennuis de famille, raconta-t-elle, que, parfois, j'aurais
voulu mourir. Mais j'ai appris ici la futilité, l'inutilité des tourments. J'ai appris également comment m'y
prendre pour ne plus me tracasser. Et je puis dire à présent, sans aucune exagération, que je mène une
existence sereine. »
Le Dr. Rose Hilferding, le conseiller médical du cours, estime qu'une des meilleures méthodes pour apaiser
les soucis et les appréhensions est « la commu nication et la discussion franche et sincère de ces tourments
avec une personne en laquelle on a confiance. Nous appelons cela le traitement cathartique (terme emprunté à
la médecine et qui désigne un purgatif agissant lentement). Nous donnons aux malades qui viennent ici
l'occasion de parler longuement de leurs ennuis, jusqu'à ce qu'ils se sentent soulagés. Le fait de ruminer ses
ennuis dans la solitude, de les garder pour soi peut donner naissance à de graves tensions nerveuses. Nous
tous devrions partager nos soucis, nos appréhensions. Nous tous avons besoin de sentir qu'il existe dans le
monde au moins une personne prête à nous écouter et capable de nous comprendre. »
Mon assistant a pu se rendre compte de l'immense soulagement que procurait à une femme cette possi bilité de
vider son cœur. Elle avait toutes sortes d'ennuis domestiques, et elle parlait tout d'abord avec une
précipitation fébrile. Puis, peu à peu. elle com mençait à se calmer, et à la fin, elle souriait même. Est-ce que
le simple fait d'avoir raconté ses malheurs avait résolu le problème qui se posait à cette femme ?
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 254
Non, ! , affaire n'était pas si facile que cela. L'état d'esprit de cette femme avait changé parce qu'elle avait pu
parler à quelqu'un, qu'elle avait trouvé quelques conseils et un peu de vraie sympathie. C'est-à-dire qu'en fin
de compte, ce changement était dû à l'énorme pouvoir de guérison qui est contenu dans — des paroles !
Dans une certaine mesure, la psychanalyse est basée sur ce pouvoir de guérison de la parole. Depuis Freud,
les psychiatres savent qu'un malade peut être soulagé de ses angoisses intérieures si on lui permet de parler —
tout simplement de parler. Pourquoi ? Peut-être parce qu'en parlant, nous pénétrons mieux la nature de nos
tourments et de nos troubles, que nous les voyons plus nettement. Pour l'instant, per sonne n'est en mesure
d'expliquer entièrement ce phénomène. Mais nous savons tous que le fait d'avoir pu « vider notre cœur » nous
apporte un soulagement presque immédiat.
Donc, la prochaine fois que vous aurez à résoudre un problème d'ordre émotif, pourquoi ne chercherîez-vous
pas autour de vous un ami auquel vous pourriez vous confier ? Je ne vous conseille pas, bien entendu, de vous
rendre insupportable en pleurant et en gémissant dès que vous trouvez une victime qui soit assez bonne, assez
polie ou assez sotte pour vous écouter. Choisissez une personne digne de confiance, mieux encore, qui vous
inspire confiance, et prenez rendez-vous avec elle. Cela peut être un proche parent, un médecin, un avocat, un
prêtre. Puis, dites-lui : « Je vous demande un conseil. Je me trouve dans une situation difficile, délicate, et si
vous voulez me le permettre, je vous l'exposerai en détail. Peut-être pourrez-vous me donner un conseil. Peut-
être décou-vrirez-vous des aspects nouveaux qui m'ont échappé. Mais même si vous ne pouvez ni me
conseiller ni me
255
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
faire voir le problème sous un autre angle, vous m'aiderez énormément en écoutant patiemment ce que je
voudrais tant vous confier. »
Pour les lecteurs parlant anglais, je puis ajouter ceci : au cas où vous ne trouveriez vraiment personne à qui
vous confier, vous avez la possibilité de vous adresser à la « Ligue de Sauvetage » — une des asso ciations les
plus extraordinaires du monde entier. Dans l'esprit de ses fondateurs, la Ligue devait avoir pour but de
prévenir d'éventuels suicides. Mais, peu à peu, elle a étendu son activité spirituelle à tous ceux qui sont
malheureux et ont besoin d'assistance morale. La directrice, Miss Lona Bonnell, m'a dit qu'elle répondrait
avec plaisir aux lettres que les lecteurs de mon livre pourraient lui adresser. Bien entendu, la Ligue garantit la
discrétion la plus absolue à tous ceux qui la consultent, soit par correspondance, soit personnellement. Voici
l'adresse : The Save-a-l ife League, 505, Fifth Avenue. New York City 1 .
Cette méthode de permettre aux personnes tourmentées, préoccupées, anxieuses de vider leur cœur constitue
la thérapeutique principale du Cours de Psychologie Appliquée du Dispensaire de Boston. En suivant ce
cours, j'ai cependant saisi au vol quelques autres idées — des conseils qu'une ménagère peut suivre tout en
restant chez elle. Les voici :
1 ) N'insistez pas trop sur les défauts des autres. Bien sûr, votre mari est loin d'être parfait. S'il était un saint, il ne
vous aurait jamais épousée. Ai-je raison, oui ou non ? Une des malades qui suivaient ce cours, une femme
aigrie, hargneuse, au visage hagard, sursauta lorsqu'on lui posa cette question : « Que feriez-vous si votre
mari mourait aujourd'hui ? » Elle fut si bouleversée qu'elle entreprit immédiatement de dresser la liste de
toutes les qualités de son mari. Et je vous prie de croire que la liste fut longue. Pourquoi ne
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 256
l'imiteriez-vous pas, la prochaine fois que vous aurez l'impression d'avoir épousé un tyran brutal ? Peut-être
découvrirez-vous, après avoir lu rénumération de ses « bons côtés » qu'après tout, c'est un homme que vous
aimeriez rencontrer !
2) Intéressez-vous à vos voisins! Manifestez une sympathie sincère, amicale pour les gens qui vivent autour de
vous. A une femme souffrant d'une nervosité maladive et qui se croyait si « supérieure » qu'elle n'avait pas
une seule amie, le directeur du cours conseilla de construire une histoire — un roman, si vous préférez —
autour de la première personne qu'elle allait rencontrer en quittant le dispensaire. Dans le tram qui la
ramenait chez elle, elle commença déjà à tisser des trames fantaisistes autour des autres voyageurs, à inventer
un cadre, une famille, une occupation pour chacun d'eux. Elle s'efforçait d'imaginer leur vie. Bientôt,
instinctivement, elle abandonna sa réserve hautaine, se mit à bavarder avec l'un et l'autre — le garçon
boucher, l'épicier, l'agent au coin de la rue — et aujourd'hui, elle est heureuse, vive, une femme charmante,
complètement guérie de tous ses « malaises ».
3) Etablissez, avant de vous coucher, le programme du lendemain. Le cours a permis de constater que beaucoup de
ménagères sont harassées et surmenées par la ronde incessante des corvées domestiques. Elles n'arrivent
jamais à terminer tout. Elles se sentent poursuivies, traquées par les aiguilles de la montre. Afin de supprimer
cette sensation d'être continuellement pressées, cette sorte d'angoisse, on leur suggéra de préparer chaque soir
un plan de travail détaillé pour la journée suivante. Le résultat? Chacune de ses ménagères arrivait maintenant
à abattre plus de besogne, avec moins de fatigue ; elles éprouvaient une certaine fierté, une satisfaction
I!"
257 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
agréable ; et, par surcroît, elles trouvaient encore le temps de prendre un peu de repos et de se « pom ponner».
(Chaque femme devrait s'arranger, au cours de la journée, pour trouver quelques minutes afin de se «
pomponner ». J'ai comme une vague idée qu'une femme qui se sent belle, ne pensera même pas à ses « nerfs
».)
4) Finalement — évitez toute tension, toute fatigue. Détendez-vous... décontractez-vous ! Rien ne vous fera vieillir
autant que la tension et la fatigue. Rien ne détruira aussi sûrement votre fraîcheur, votre beauté. N'importe
quel médecin sait que, pour apaiser les nerfs tendus de ses malades, il doit d'abord les amener à se
décontracté! - .
Oui, parfaitement — vous. Mesdames, qui êtes des ménagères, vous devez à tout prix vous détendre ! Or.
vous jouissez d'un grand privilège — vous pouvez vous étendre quand vous en avez envie, et vous pouvez vous
étendre par terre ! Aussi étrange que cela vous paraisse, un bon plancher bien dur vous assure une meilleure
détente qu'un lit avec des ressorts. Le plancher est plus résistant, ce qui est excellent pour la colonne
vertébrale.
Eh bien, voici, pour terminer ce chapitre, quelques exercices que vous pouvez faire chez vous. Essayez-les
pendant une semaine — et vous verrez combien votre mentalité et votre beauté en profiteront.
1) Dès que vous vous sentez fatiguée, étendez-vous à plat sur le plancher, en vous étirant le plus possible.
Roulez-vous d'un mur à l'autre, si le cœur vous en dit. Faites cela deux fois par jour.
2) Fermez les yeux. En même temps, essayez donc la recette du professeur Johnson : dites-vous : « Le soleil
brille, le ciel est bleu, radieux. La Nature est belle, calme, sereine. — et moi. une créature de la Nature, je
suis en unisson avec elle. »
PRÉVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 258
3) Si vous ne pouvez vous étendre parce que le rôti est dans le four, ou que vous êtes trop occupée, vous avez
la possibilité d'obtenir presque le même résultat en vous installant dans un fauteuil — autant que possible,
choisissez-le dur, avec un dossier droit. Asseyez-vous bien contre le dossier, en vous tenant très droite,
comme une statue égyptienne, posez vos mains, les paumes en bas, sur vos cuisses.
4) Ensuite, tendez lentement vos doigts de pied — puis, laissez-les se détendre. Puis, tendez les muscles de
vos jambes — et laissez-les se décontracter. Répétez cet exercice avec tous les muscles de votre corps,
montant lentement jusqu'à ce que vous ayez atteint la nuque. Ensuite, laissez tomber la tête, faites-la rouler
lourdement, comme si elle était un ballon. Dites continuellement à vos muscles : « Laissez-vous aller...
laissez-vous aller... »
5) Calmez vos nerfs en respirant lentement, régu lièrement, profondément. Les yogis des Indes ont raison en
proclamant qu'une respiration rythmée est un des meilleurs moyens pour calmer les nerfs.
6) Pensez aux rides et aux plis de votre visage, et lissez-les. Relâchez les barres d'inquiétude qui burinent
votre front et entourent les coins de votre bouche. Faites cela deux fois par jour, alors vous n'aurez peut-être
pas besoin de vous faire masser le visage dans un institut de beauté. Et. qui sait — peut-être ces rides et ces
plis disparaîtront-ils à la suite de l'apaisement que vous sentirez en vous !
IV
QUATRE CONSEILS UTILES POUR ORGANISER VOTRE TRAVAIL
Principe n° 1 : Débarrassez votre bureau de tous les papiers ne concernant pas le travail de la journée.
Robert L. Williams, président des Chemins de Fer de Chicago et du Nord-Ouest, a dit un jour : « Une
personne dont le bureau disparaît habituellement sous un amas de papiers concernant trente-six affaires
différentes pourra se faciliter considérablement la tâche et accomplir un travail plus précis si elle fait d'abord
disparaître tout ce qui n'a pas trait au problème dont elle s'occupe présentement. Cette façon de faire table
nette constitue le premier pas vers l'efficacité. »
Si vous visitez la bibliothèque du Congrès, à Was hington, vous verrez, au plafond de la grande salle, une
inscription — une citation empruntée au poète Pope :
L'ordre est la première loi du Ciel.
L'ordre devrait être également la première loi de l'homme d'affaires. Mais est-ce que l'on observe partout
cette loi ? Certainement pas. Le bureau de
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 260
l'homme d'affaires normal disparaît sous une couche de lettres et de rapports qu'il n'a pas regardés depuis des
semaines. Le rédacteur en chef d'un journal de la Nouvelle Orléans m'a raconté que son secrétaire avait eu un
jour l'idée de débarrasser complètement son bureau, et qu'il avait retrouvé ainsi une machine à écrire disparue
depuis deux ans !
La seule vue d'un bureau couvert de lettres auxquelles il faut répondre, de rapports, de statistiques, etc. suffit
pour donner naissance à une sensation de confusion, à une tension nerveuse permanente et à toutes sortes de
tracas. Et ce n'est pas tout. Le rappel constant de ces « cent mille choses à faire, alors qu'on n'en a pas le
temps », peut provoquer non seulement une tension chronique et une fatigue accablante, mais encore un
accroissement dangereux de la tension artérielle, des troubles cardiaques et, même, des ulcères de l'estomac.
Le Dr. John Stokes. professeur à la Faculté de Médecine de l'Université de Pennsylvania, a déclaré, dans une
communication adressée à l'Association Médicale Américaine — communication intitulée : « Des Névroses
fonctionnelles en tant que Complications des Maladies Organiques » : En examinant l'état d'esprit du malade,
il s'agit de rechercher s'il souffre du sentiment constant d'être obligé, forcé, de liquider un nombre infini d'affaires en
suspens qu'il faut absolument régler dans la journée même.
Mais, direz-vous, comment un fait aussi simple, aussi insignifiant que celui de travailler à un. bureau
débarrassé de toute paperasserie peut-il permettre à un homme d'affaires d'échapper à l'hypertension et à ce «
sentiment constant d'être forcé de liquider, dans la journée même, un nombre infini d'affaires en suspens » ?
Eh bien, le Dr. William Sadler, le célèbre psychiatre, m'a raconté l'histoire d'un malade
■II!.
261 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
qui. en appliquant ce principe si simple a échappé à une dépression nerveuse imminente. Quand cet homme
entra dans le cabinet du Dr. Sadlcr, il était tendu, nerveux, préoccupé. Il se rendait compte de son état, mais il
ne pouvait abandonner son travail. Il cherchait un remède ou un traitement susceptibles de lui apporter un
soulagement immédiat.
« Pendant que cet homme m'expliquait son cas, raconte le Dr. Sadler, mon téléphone se mit à sonner. C'était
l'hôpital ; et au lieu de répondre que j'étais occupé, pour l'instant, je pris le temps nécessaire pour arriver, sur-
le-champ, à une décision. J'ai toujours eu le principe de régler, autant que possible, n'importe quelle question
aussitôt qu'elle se posait. A peine eus-je raccroché que le téléphone sonna de nouveau. Encore une affaire
urgente qui nécessita une discussion assez longue. Puis, il y eut encore une troisième inter ruption — un de
mes confrères qui vint me voir au sujet d'un malade dont l'état l'inquiétait. Après son départ, je voulus
m'excuser auprès de mon client de l'avoir tait attendre. Mais, à mon grand étonnement, il s'était déridé. Son
expression avait complètement changé.
« Ne vous excusez pas, docteur ! me dit-il en souriant. Je crois avoir compris, pendant ces dix minutes,
pourquoi je suis dans cet état. Je vais immédiatement retourner à mon bureau pour réviser mes méthodes de
travail... Seulement, avant de partir, pourrais-je jeter un coup d'œil dans vos tiroirs ? »
Quelque peu surpris, le médecin ouvrit les tiroirs de sa table de travail. Tous étaient vides — à part ceux qui
contenaient son papier à lettres, ses formulaires d'ordonnance, etc.
— Dites-moi. docteur, demanda le malade, où rangez-vous les papiers concernant les affaires non terminées ?
PRÉVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 262
— Elles sont terminées, toutes !
— Et les lettres auxquelles vous n'avez pas encore répondu ?
— Il n'y en a pas. Je ne lâche même pas une lettre avant d'y avoir répondu. Dès l'arrivée du courrier, je dicte
toutes les réponses à ma secrétaire. »
Six semaines plus tard, ce malade, chef d'une grande entreprise industrielle, pria le Docteur Sadler de passer
le voir à son bureau. L'homme était transformé — et sa table de travail également, il ouvrit devant le médecin
tous ses tiroirs pour lui montrer qu'ils ne contenaient aucun papier relatif à une affaire non terminée.
« Il y a six semaines, expliqua-t-ii, j'avais trois tables de travail, dans deux pièces, — et j'étais litté ralement
submerge par un flot de lettres, rapports, notes et ainsi de suite. Je n'arrivais jamais à terminer tout. Après
avoir observé votre méthode de travail, je suis revenu ici, et j'ai commencé par déblayer. J'ai rempli un
camion entier avec les vieux rapports et les paperasses qui traînaient sur mes bureaux depuis je ne sais
combien d'années. Maintenant, je ne travaille qu'à une seule table, je termine toutes les affaires à mesure
qu'elles se présentent, je ne vois plus devant moi cette montagne de lettres auxquelles il faut répondre, et de
dossiers à étudier — cette énorme masse de travail dont la seule vue m'affolait, me rendait nerveux et
soucieux. Mais la chose la plus étonnante, c'est que je suis complè tement rétabli. Ma santé n'a jamais été
meilleure ! »
Charles Evans Hughes, l'ancien président de la section criminelle de la Cour Suprême des Etats-Unis, a dit : «
Les hommes ne meurent pas de surme nage. Ils meurent de fébrilité et d'inquiétude. » Le vieux magistrat a
certainement raison : souvent les hommes meurent parce qu'ils gaspillent leur énergie
263
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
— et que, n'arrivant jamais à terminer leur travail, ils vivent dans l'inquiétude.
**
Principe n° 2: Accomplissez vos tâches dans l'ordre de leur importance.
Henry L. Dougherîy, un des plus grands industriels américains, a déclaré qu'il n'avait presque jamais trouvé,
même chez ses employés les mieux payés, les deux facultés suivantes :
Primo, la faculté de réfléchir ; secundo, la faculté de comprendre l'importance respective de ses diverses tâches, et de les
accomplir successivement dans cet ordre.
Charles Ludman. le «jeunot » qui. ayant commencé comme gratte-papier, devint en douze ans président de la
société Pepsodent (pâtes dentifrices), aux appointements de cent mille dollars par an, sans compter le million
qu'il gagne en dehors de cette fonction — ce «jeunôt » extraordinaire attribue son succès en grande partie au
fait qu'il a su cultiver justement ces deux précieuses facultés.
« Depuis que j'ai commencé à travailler, je me lève régulièrement à cinq heures du matin, car mon cerveau
fonctionne alors mieux qu'à n'importe quel autre moment de la journée — je réfléchis mieux, j'établis plus
facilement mon programme pour la journée — le programme qui fixe l'ordre d'importance des choses que j'ai
à faire. » Voilà les propres paroles de Charles Ludman.
Evidemment, l'expérience m'a appris qu'il n'est pas toujours possible d'accomplir les diverses tâches de la
journée dans l'ordre de leur importance, mais
\
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 264
j'ai appris aussi qu'un plan de travail qui réserve la première place aux choses de première importance est
infiniment préférable à l'improvisation.
Si George Bernard Shaw ne s'était pas fixé cette ligne de conduite — pour lui, la chose la plus impor tante
était d'écrire — s'il ne s'était pas interdit de s'en écarter, il ne serait probablement jamais devenu un grand
écrivain, et il aurait été obligé de rester caissier de banque toute sa viè Son plan de travail prévoyait qu'il
écrirait cinq pages par jour. Grâce à ce programme, et à sa détermination obstinée de l'exécuter, il devint
célèbre. Mais pendant les premières neuf années, — neuf années de déceptions et d'amer tume. — il n'avait
que ce plan pour entretenir son courage, car, tout en écrivant cinq pages par jour, il ne gagnait pendant ces
neuf ans que trente dollars, en tout et pour tout — environ un penny par jour.
*
**
Principe n" 3 : Lorsque vous vous trouvez devant un problème, résolvez-le sur-le-champ, —à condition d'être en possession
de tous les faits. N e repoussez pas la décision au lendemain.
Un de mes anciens élèves, le défunt H. P. Howell, me raconta un jour qu'à l'époque où il faisait partie de la
direction des Aciéries Américaines, les confé rences des directeurs étaient souvent extrêmement fastidieuses :
on discutait un grand nombre de problèmes, et on prenait fort peu de décisions. Le résultat ? chaque chef de
service rapportait chez lui des liasses de rapports pour les étudier.
Finalement, Howell persuada ses collègues qu'il valait mieux s'attaquer à un seul problème à la fois
265
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
et arriver à prendre une décision. Plus de remise au lendemain — plus de tergiversations. Parfois, avant de
résoudre la difficulté, il fallait compléter la docu mentation ; on décidait alors de réunir les faits qui n'étaient
pas encore en possession des directeurs. Ou encore, on décidait simplement de faire telle ou telle expérience
préliminaire. Mais, de toute façon, on prenait une décision avant de passer au problème suivant. Et cette
méthode produisit bientôt des résultats étonnants et bienfaisants ; l'ordre du jour de chaque conférence était
devenu simple et clair, limité le plus souvent à une seule question, alors qu'il avait été autrefois
lamentablement encombré et confus. Les directeurs ne rapportaient plus de liasses de rapports à la maison, ils
n'étaient plus hantés par tous les problèmes éternellement en suspens.
Une excellente méthode, non seulement pour les directeurs d'une grande entreprise sidérurgique, mais aussi
pour vous.
*
**
Principe i f 4: Apprenez à organiser, à déléguer une partie de vos pouvoirs, à diriger et à surveiller.
Beaucoup de chefs d'entreprise meurent prématurément parce qu'ils n'ont jamais appris à déléguer une partie
de leurs responsabilités, qu'ils persistent à vouloir tout faire eux-mêmes. L'homme incapable de se décharger
en partie de son travail sera bientôt perdu dans une multitude confuse de détails. Il souffrira continuellement
d'une sensation de hâte fébrile, d'inquiétude constante, de précipitation angoissée. Ses nerfs seront soumis à
une tension de tous les
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 266
instants. Je sais qu'il est très difficile d'apprendre à déléguer au moins certaines responsabilités. Moi-même,
je ne m'y suis résigné qu'à regret. Je sais aussi, pour en avoir fait l'expérience qu'on risque de courir à la
catastrophe si l'on délègue une parcelle d'autorité à une personne insuffisamment qualifiée. Mais quelles que
soient les difficultés qu'un chef d'entreprise peut rencontrer dès qu'il cherche à se décharger d'une partie de
ses responsabilités, il doit le faire s'il tient à éviter les soucis, la tension nerveuse, la fatigue.
L'homme qui a créé une importante entreprise, mais qui ne sait pas organiser, déléguer ses pouvoirs, se
contenter de surveiller, risque fort d'être obligé de prendre sa retraite à cinquante ou, tout au plus, à soixante
ans. miné, affaibli par des troubles cardiaques qui sont la rançon de la tension perpétuelle et des soucis et
tracas de toutes sortes. Vous aimeriez quelques exemples ? Lisez donc les avis de décès publiés dans votre
journal.
V
COMMENT CHASSER L'ENNUI QUI FAIT NAÎTRE LA FATIGUE, LES SOUCIS ET LES
RESSENTIMENTS
Une des causes principales de la fatigue est l'ennui. Afin d'illustrer cette affirmation, je voudrais vous
raconter ce qui est arrivé, un jour à Alice, une jeune sténo-dactylo qui habite ma rue. Ce soir-là, Alice rentra
de son travail très tard, et complètement épuisée. Elle se comportait comme une personne fatiguée et elle était
fatiguée. Elle avait mal à la tête, mal dans le dos. Elle était tellement à bout de forces qu'elle voulait se
coucher sans avoir dîné. Sa mère la suppliait, la raisonnait... Finalement, elle consentit à prendre un peu de
nourriture. A peine fut-elle assise que le téléphone sonna. Son «flirt» ! Une invitation à une soirée dansante.
Les yeux d'Alice se mirent à briller, son humeur maussade disparut. Elle se précipita dans sa chambre, mit sa
belle robe bleue — et dansa jusqu'à quatre heures du matin. Et quand, enfin, elle rentra à la maison, elle
n'était pas du tout fatiguée — mais, alors, pas le moins du monde. Elle était même si gaie, si excitée, qu'elle
n'arrivait pas à s'endormir.
Est-ce qu'Alice était vraiment fatiguée, huit heures plus tôt, quand elle paraissait épuisée et se conduisait
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 268
comme une personne épuisée ? Sans aucun doute. Elle était à bout de forces parce que son travail l'ennuyait
— que, peut-être, sa vie tout entière l'ennuyait. Il y a des millions de jeunes filles comme Alice — et autant
de jeunes gens, et de personnes âgées. Ne feriez-vous pas, par hasard, partie de la catégorie de ceux qui
s'ennuient ?
C'est un fait bien connu dans les milieux médicaux que notre attitude émotive provoque en général une
fatigue bien plus grave que l'épuisement purement physique. Il y a quelques années, le Dr. Joseph Barmack.
médecin et philosophe, publia dans les Archives de la psychologie un rapport sur ses expériences destinées à
démontrer que l'ennui produit la fatigue. Le Dr Barmack a soumis un groupe d'étudiants à une série de tests
qui, il le savait d'avance, ne pouvaient guère les intéresser. Le résultat corres pondit à ses prévisions. Les
étudiants se sentaient fatigués, ils avaient envie de dormir, se plaignaient de migraines et de troubles visuels,
devenaient irritables. Certains d'entre eux souffraient même de maux d'estomac. Fallait-il considérer tous ces
symptômes comme les produits de leur « imagination » ? Nullement. Des tests de métabolisme, faits sur ces
étudiants, prouvaient que la pression sanguine et la consommation d'oxygène décroissent nettement lorsqu'une
personne s'ennuie, alors que le métabolisme reprend son rythme normal dès que le sujet commence à
s'intéresser à son travail.
Nous nous fatiguons rarement tant que nous avons une occupation intéressante et passionnante. J'en ai fait
moi-même l'expérience l'année dernière, au cours de mes vacances passées dans les Montagnes Rocheuses du
Canada, aux environs du Lac Louise. Pendant plusieurs jours, je péchai la truite dans un torrent de montagne
ce qui m'obligeait à me frayer
269 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
un chemin à travers des broussailles plus hautes que moi, trébuchant sur les rochers, escaladant les énormes
troncs d'arbres dont les tempêtes d'hiver avaient parsemé les pentes abruptes. Pourtant, après huit heures de «
promenade », je n'étais nullement fatigué. Et pourquoi ? Parce que je trouvais cela merveilleux. De plus,
j'étais très fier de m oh tableau de chasse : six belles truites. Mais, supposons maintenant que la pêche m'eût
ennuyé — dans quel état serais-je rentré, à votre avis ? J'aurais été épuisé, vanné, par cette progression
pénible à plus de deux mille mètres d'altitude.
Même lorsque vous accomplissez un effort aussi épuisant que, par exemple, une ascension en haute montagne,
l'ennui que vous pouvez éprouver vous fatiguera peut-être plus que la dépense physique. En voici un exemple
parfait qui m'a été rapporté par Mr. Kingman, président de la Caisse d'Epargne Agricole et Industrielle de
Minneapolis. En juillet 1943, le gouvernement canadien demanda au Club Alpin canadien de lui fournir des
guides pour entraîner les chasseurs du régiment « Prince de Galles » qui suivaient à ce moment-là un cours
d'escalade en haute montagne. Mr. Kingman faisait partie des guides choisis pour cette tâche. Ces
montagnards — des hommes âgés de quarante-deux à cinquante-neuf ans — emmenèrent les jeunes soldats à
travers un immense glacier jusqu'au pied d'une falaise verticale, haute de quarante mètres, qu'ils durent
escalader à l'aide de cordes, s'accrochant des mains et des pieds à des prises minuscules. Ensuite, ils firent
l'ascension du Pic Michel, du Pic du Vice-Président, et de plusieurs autres sommets dans la vallée de Yoho, au
cœur des Montagnes Rocheuses. Au bout de quinze heures, ces jeunes gars qui étaient tous en très bonne
forme — ils venaient de terminer un stage de six semaines dans
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 270
un camp d'entraînement de commandos — étaient complètement épuisés.
Est-ce que leur épuisement était dû au fait qu'ils avaient utilisé certains muscles que l'entraînement des
commandos n'avait pas suffisamment durcis ? Tous ceux qui, pendant la guerre, ont eu l'occasion de suivre un
tel entraînement trouveront cette question parfaitement ridicule. Non — ils étaient complètement épuisés
parce que ces exercices d'alpinisme les ennuyaient. Ils étaient tellement vannés que la plupart d'entre eux
s'écroulèrent sur les lits avant d'avoir mangé ! Mais, — les guides, des hommes deux ou même trois fois plus
vieux que les soldats, n'étaient-ils pas fatigués, eux aussi ? Certes, mais non épuisés. Ils dînèrent
normalement et discutèrent ensuite pendant des heures les observations faites au cours de l'excursion. Ils
n'étaient pas épuisés parce que cette expérience les passionnait.
Le Dr. Thorndike, de l'Université de Columbia, a eu l'idée, au cours de ses expériences sur la fatigue, de
garder plusieurs étudiants éveillés pendant près d'une semaine, en maintenant constamment leur intérêt aux
occupations qu'il leur donnait. Après des recherches approfondies, il a, paraît-il, déclaré : « En réalité,
l'unique cause de la diminution de notre capacité de travail est l'ennui. »
En ce qui concerne le travailleur intellectuel, sa fatigue provient rarement de la quantité du travail accompli.
Souvent, elle est due à la quantité de travail qu'il n'a pas pu accomplir. Vous êtes avocat ? Eh bien, rappelez-
vous cette journée exécrable, la semaine dernière, où vous n'avez pas eu une minute de tran quillité, où tout
allait de travers. Le téléphone qui n'arrêtait pas de sonner, les rendez-vous annulés à *׳dernière seconde, cet
important dossier que votre secrétaire avait égaré et que vous n'avez pu retrouver
271
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
— bref, des ennuis du matin au soir. Ce jour-là, votre « rendement » était pratiquement nul, et cependant,
vous êtes rentre chez vous épuisé — et avec une atroce migraine.
Le lendemain, tout marchait à merveille. Vous abattiez quarante fois plus de besogne que la veille. Et
pourtant, le soir, vous étiez frais et dispos. N'est-ce pas vrai ? Vous avez fait cette expérience — moi aussi,
d'ailleurs, — que notre fatigue provient souvent non pas de notre travail, mais de nos tracas, de notre colère
de voir tous nos projets bouleversés, de notre mauvaise humeur.
J'ai assisté récemment à une reprise de la délicieuse comédie musicale de Jérôme Kern Show Bout. Dans cette
pièce, le capitaine Andy, patron de la Fleur de coton, proclame, au cours d'un de ses intermèdes
philosophiques : « Les types vraiment heureux sont ceux qui ont un boulot qu'ils aiment. » Ces types-là sont
heureux parce qu'ils ont plus d'énergie, plus de joie, moins de tracas et, par conséquent, moins de fatigue.
Nous faisons preuve d'énergie dans les occupations qui nous intéressent et nous plaisent. Aller jusqu'au coin
de la rue avec une épouse grincheuse peut être beaucoup plus fatigant qu'une promenade de dix kilomètres
avec une ravissante jeune fille qui vous adore.
Alors, demandez-vous, que puis-je faire ? Eh bien, laissez-moi vous raconter ce qu'a fait une sténo dactylo,
employée dans une société pétrolière à Tulsa, (Oklahoma). Chaque mois, cette jeune fille devait pendant toute
une semaine faire un travail particulièrement ennuyeux ; remplir des formulaires de licence de forage, en
mettant dans les espaces laissés en blanc des noms et des chiffres. Cette besogne était tellement monotone
qu'elle résolut un jour, dans un réflexe d'auto-défense, de la rendre intéressante.
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 272
Comment s'y prit-elle ? En faisant chaque jour une compétition avec elle-même. Elle comptait les formu laires
qu'elle avait remplis le matin, et s'efforçait de dépasser ce chiffre au cours de l'après-midi. Bientôt, elle
arrivait à remplir plus de feuilles que n'importe quelle autre dactylo de son service. Qu'est-ce que cet effort
lui rapporta ? Des éloges ? Non... Des remerciements ? Non plus... De l'avancement, une augmen tation ? Pas
davantage... Mais elle prévenait ainsi la fatigue qui résulte de l'ennui. Elle s'administrait un stimulant mental.
En faisant tout ce qu'elle pouvait pour rendre intéressant un travail fastidieux, elle accroissait sa propre
énergie, sa joie de vivre, ce qui lui permettait de profiter davantage de ses loisirs. Il se trouve que je puis
vous garantir l'authenticité de cette histoire, parce que j'ai épousé cette jeune fille.
Voici maintenant l'histoire d'une autre sténodactylo qui a découvert qu'il vaut toujours mieux se comporter
comme si l'on aimait son travail. Pourtant, pendant longtemps, elle avait détesté le sien. Il s'agit d'une Miss
Vallie Golden qui habite au 473 de South Kenilworth Avenue, à F.lmhurst (Illinois), je lui cède maintenant la
parole :
« Nous sommes, dans mon bureau, quatre sténodactylos, et chacune de nous est chargée du courrier de
plusieurs membres de la direction. Parfois, il nous arrive de nous embrouiller dans ce flot de corres pondance ;
et un jour, comme un sous-chef de service voulait à tout prix me faire retaper une longue lettre, je me
révoltai. J'essayai de lui expliquer que je pouvais fort bien corriger cette lettre sans la recopier complè tement
— et il répliqua que, si je refusais de la refaire, il trouverait bien quelqu'un qui s'en chargerait. J'étais
littéralement folle de colère ! Mais pendant que je retapais cette maudite lettre, l'idée me vînt brusquement
que beaucoup de gens sauteraient sur l'occasior de
273 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
prendre ma place. Je me rappelais également qu'on me payait justement pour faire ce travail. Déjà, je
commençais à me calmer. Puis, tout à coup, je décidai de faire désormais mon travail comme si je l'aimais —
et pourtant. Dieu sait si je le détestais ! Presque aussitôt, je fis une découverte importante : si je tra vaillais
comme si j'aimais ce que je faisais, j'éprouvais vraiment une certaine satisfaction. Je constatais également
qu'ainsi, j'avançais plus vite, ce qui m'évitait de faire des heures supplémentaires. Ce changement d'attitude
me fit considérer comme une excellente employée. Et quand un de nos chefs de service eut besoin d'une
secrétaire particulière, il me demanda expressément — parce que. disait-il, j'acceptais un surcroît de travail
sans manifester la moindre mauvaise humeur ! Cette découverte des effets que peut avoir un changement
d'attitude mentale fut pour moi d'une importance capitale. Elle a eu sur ma vie une influence miraculeuse. »
Miss Vallie Golden avait mis en pratique, peut-être sans le savoir, la fameuse philosophie du « comme si ».
William James nous conseille d'agir « comme si » nous étions courageux, et alors, nous serons courageux ; de
nous conduire « comme si » nous étions heureux, et nous serons heureux ; et ainsi de suite.
Faites semblant, envers vous-même, d'être intéressé par votre travail, et cette petite comédie finira par vous
faire découvrir un intérêt réel. En même temps, cette attitude vous aidera à diminuer votre fatigue, votre
tension nerveuse, vos soucis et tracas.
Il y a quelques années, un certain Harlan A. Howard prit une décision qui devait complètement changer le
cours de son existence. Il résolut de rendre inté ressant un travail ennuyeux — et le sien était parti culièrement
ennuyeux : faire la vaisselle, laver le comptoir et servir des glaces dans le réfectoire d'un
PRÉVENIR I A FATIGUE ET LES SOUCIS 274
collège, pendant que les autres garçons jouaient au football ou taquinaient les jeunes filles. Harlan Howard
détestait son travail — mais comme il n'avait pas le choix, il entreprit de se renseigner sur tout ce qui
concernait la glace : sa fabrication, les ingrédients utilisés, les raisons pour lesquelles telle marque était
supérieure à une autre. Il étudia la composition chimique des différentes glaces, si bien qu'il devint
rapidement « l'as » du cours de chimie du collège. A cette époque-là, il se passionna tant pour la chimie
alimentaire qu'il s'inscrivit à l'Institut de Chimie de l'Université du Massachusetts et obtint son diplôme de «
Technologie alimentaire ». Lorsque l'Office du Cacao offrit un prix de cent dollars pour la meilleure
dissertation sur l'utilisation du cacao et du chocolat — un concours ouvert à tous les étudiants, — ce fut
Harlan Howard qui remporta la récompense.
Comme il ne pouvait trouver un emploi correspondant à ses ambitions, il installa un laboratoire privé dans le
sous-sol de l'immeuble qu'il habitait au 750 de North Pleasant Street, à Amherst. (Massachusetts). Un peu
plus tard, une nouvelle loi prescrivit l'examen quantitatif des microbes contenus dans le lait. Bientôt, Harlan
Howard comptait les microbes vivant dans le lait des quatorze sociétés laitières de sa ville — ce qui l'obligea
à engager deux assistants.
Où sera-t-il d'ici vingt-cinq ans ? Ma foi. les hommes qui dirigent actuellement les maisons de chimie
alimentaire auront, à ce moment-là. pris leur retraite, ils seront peut-être morts ; leurs places seront prises par
de jeunes garçons qui, aujourd'hui, sont pleins d'enthousiasme et d'initiative. D'ici vingt-cinq ans, Harlan
Hoxard sera probablement un des premiers dans sa profession, pendant que certains de ses anciens camarades
de collège — ceux-là même auxquels il servait des glaces — seront sans emploi, des hommes
275 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
aigris qui passent leur vie à dénigrer le gouvernement et à se lamenter parce qu'ils « n'ont jamais eu de chance
». Harlan Howard, lui non plus, n'aurait jamais eu de chance, s'il n'avait pas décidé de rendre intéressant un
travail « barbant ».
Il y a environ quarante ans, un autre jeune homme trouvait terriblement ennuyeux de rester toute la journée
devant son tour à fabriquer des boulons. Son prénom était Sam. Sam aurait bien voulu quitter l'usine, mais il
craignait de ne pas trouver un autre emploi. Puisqu'il était donc obligé de faire ce travail monotone, il décida
de le rendre intéressant. Il se lança dans une véritable course contre la montre avec son voisin d'atelier. L'un
d'eux était chargé de polir sur son tour les surfaces rugueuses, l'autre de réduire les boulons jusqu'au diamètre
prescrit. De temps en temps, ils changeaient de machine pour voir lequel des deux était le plus rapide.
Bientôt, le contremaître, impressionné par l'adresse et la précision de Sam, lui donna une place plus agréable
et mieux payée. Ce fut le point de départ de toute une série d'avan cements. Trente ans plus tard, Sam —
Samuel Vauclain, d'après l'état-civil — était président des Usines de Locomotives Baldwin. Mais il serait
peut-être resté simple ouvrier toute sa vie s'il n'avait pas résolu de rendre intéressant un travail ennuyeux.
H. V. Kaltenborn — le célèbre commentateur politique de la radio —,me raconta un jour comment il avait
obtenu ce résultat. A l'âge de vingt-deux ans, il décida de visiter l'Europe. Il s'engagea sur un trans port de
bétail et paya son passage en soignant des taureaux. Après avoir fait, à bicyclette, un petit «Tour
d'Angleterre», il arriva à Paris, l'estomac et les poches rigoureusement vides. Avec les cinq dollars que le
Mont-de-Piété lui prêta sur sa montre, il mit une annonce dans l'édition parisienne du New York
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 276
Herald et eut la chance de trouver une place comme vendeur ambulant de stéréoscopes. Si vous n'êtes pas trop
jeune, vous vous rappelez sans doute ces instruments assez rudimentaires que l'on applique contre les yeux
pour regarder, par les deux lentilles, deux images à peu près identiques. Du temps de mon enfance, c'était un
appareil très répandu. Pour nous, c'était un jouet miraculeux, car les deux lentilles transforment la double
image en une seule qui apparaît en relief. On voyait en quelque sorte la distance, et cela nous donnait une
impression étonnante de perspective réelle.
Eh bien, pour revenir à mon histoire, Kaltenborn se mit à offrir ces appareils de porte à porte, dans tous les
immeubles de Paris — or, il ne savait pas un mot de français. Cependant, il gagna, la première année, cinq
mille dollars de commissions, ce qui faisait de lui un des représentants les plus heureux de France.
Kaltenborn m'a dit que cette expérience a été certai nement aussi utile, pour développer en lui toutes les
qualités qu'exige le succès, qu'une année d'études à Harvard. L'assurance, la confiance en ses propres
capacités ? Comme il dit : « Je sentais, après avoir vendu mes stéréoscopes pendant une année, que j'aurais pu
« coller » aux ménagères françaises même les comptes rendus des séances du Congrès Américain — et en
Anglais, par-dessus le marché. »
Grâce à cette occupation assez singulière, il acquit une connaissance approfondie de la vie française qui
devait lui être précieuse plus tard lorsqu'il commentait à la radio les événements d'Europe.
Mais, direz-vous, comment a-t-il fait pour vendre tant de stéréoscopes alors qu'il ne savait même pas parler
français ? Tout d'abord, il demanda à son patron de lui écrire, en français, ce qu'il devait dire à un client
éventuel, et il apprit ce texte par cœur. Il allait
277 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
alors sonner à une porte d'appartement, et dès que la ménagère lui ouvrait, il se mettait à débiter son petit
discours, avec un accent tellement terrible que même la femme la plus morose éclatait inévitablement de rire.
Il montrait ensuite ses images, et dès qu'on lui posait une question, il haussait les épaules en disant : « Moi,
Américain... moi, Américain. » Puis, il enlevait son chapeau et montrait, sur une feuille de papier collée à
l'intérieur, une copie du texte qu'il venait de réciter. Régulièrement, la ménagère se mettait à rire, lui aussi
riait — et profitait de cette gaieté pour montrer d'autres images. Aujourd'hui, Kaltenborn admet que ce travail
était loin d'être facile. Chaque matin, avant de sortir,, il se postait devant la glace et se tenait à lui-même un
discours encourageant : « Mon vieux Kaltenborn, si tu veux manger, tu es forcé défaire ce travail. Alors — pourquoi
ne pas essayer de le faire gaiement ? Pourquoi ne t'imagines-tu pas, chaque fois que tu sonnes à une porte, que tu es un
acteur sur le point d'entrer en scène, et que tu seras le point de mire d'une nombreuse assistance. Après tout, ce «boulot » est
aussi intéressant, aussi drôle, que celui d'un acteur. Alo-s, pourquoi n'y mettrais-tu pas le maximum d'entrain et
d'enthousiasme ? »
Mr. Kaltenborn estime que ces discours quotidiens par lesquels il s'encourageait lui-même l'ont aidé à
transformer un travail détesté et redouté en une aventure agréable et très profitable.
Comme je demandais à Mr. Kaltenborn si, grâce à sa longue expérience, il pouvait donner un conseil utile aux
jeunes gens désireux de réussir dans la vie, il répondit :
— Parfaitement. Je leur recommande de se battre avec eux-mêmes chaque matin. Nous parlons tant de
l'importance de l'exercice physique. Eh bien, réveillons-nous aussi mentalement, arrachons-nous
PRÉVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 278
de cette torpeur dans laquelle tant d'hommes vivent continuellement. Ce qu'il nous faut surtout, ce sont
quelques exercices mentaux, répétés chaque matin, afin de nous stimuler, de nous inciter à l'action. C'est pour
cela que je conseille à tous les jeunes gens de se tenir, à eux-mêmes, un petit discours encourageant, et cela
dès le lever. »
Cette méthode vous paraît bébête, superficielle, pué rile ? Vous avez tort. Cette méthode est au contraire la
quintessence d'une psychologie intelligente. « Notre vie est ce que nos pensées en font. » Or, en vous
encourageant vous-même, vous pouvez donner à vos pensées une orien tation nouvelle, vers le courage et le
bonheur, vers la puissance et la sérénité.
En vous efforçant de découvrir le côté intéressant de votre travail, ou de lui donner une forme intéressante,
vous arriverez à le détester de moins en moins. Votre patron tient d'ailleurs à ce que vous vous intéressiez à
votre travail, car cela lui permettra de gagner davantage. Mais ne nous occupons pas des désirs du patron.
Pensez seulement à ce que vous allez gagner en vous intéressant à votre travail. N'oubliez jamais que vous
pourrez ainsi doubler la quantité de bonheur que la vie vous accorde, car, en faisant abstraction des heures de
sommeil, vous passez environ la moitié de votre existence à travailler, et si votre occupation principale ne
vous procure aucune satisfaction, vous avez peu de chances d'en trouver ailleurs. Rappelez-vous toujours
qu'en vous intéressant à votre travail, vous apaissez vos soucis, vos tracas, sans compter qu'à la longue, vous
allez presque certainement obtenir un bel avancement et une augmentationfe salaire. Mais même si l'amour de
votre travail ne devait vous apporter aucun avantage d'ordre matériel, dites-vous bien qu'il réduira au
minimum votre fatigue et vous aidera à profiter au maxi mum de vos loisirs.
Vi
VOUS SOUFFREZ D'INSOMNIE? NE VOUS EN INQUIETEZ PAS TROP
Etes-vous inquiet chaque fois que vous n'avez pas bien dormi ? Oui ? Alors, vous trouverez peut-être
intéressante l'histoire de Samuel Untermeyer, le célèbre avocat international, qui durant toute sa vie n'a
jamais dormi une nuit entière.
Déjà comme étudiant, Samuel Untermeyer souffrait de deux affections qui l'inquiétaient considérablement —
asthme chronique et insomnie. Comme il ne pouvait se débarrasser ni de l'un ni de l'autre, il décida de réduire
au minimum les effets de ses maladies — en tirant profit justement de son incapacité de trouver le sommeil.
Au lieu de se tourner et retourner dans son lit, de s'énerver et de ruiner peut-être définiti vement son
organisme, il se levait et se mettait à étudier dès qu'il ne pouvait plus dormir. Le résultat de cette méthode ?
Bientôt, il rafla tous les prix et devint le prodige de son collège d'abord, de la Faculté de Droit de New-York
ensuite.
Même après s'être inscrit au barreau, l'insomnie persistait. Mais Untermeyer ne s'en occupait guère. « La
nature, disait-il, s'occupera bien de moi. » Et la nature ne l'abandonna pas. En dépit du fait qu'il
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 280
n'arrivait à dormir que fort peu, sa santé se main tenait parfaitement, et il était en mesure de fournir autant de
travail que n'importe quel autre jeune avocat. Et même davantage, car il travaillait pendant que les autres
dormaient !
A vingt et un ans. Samuel Untermeyer gagnait soixante-quinze mille dollars par an. Chaque fois qu'il plaidait,
ses jeunes confrères se pressaient dans la salle pour étudier ses méthodes. En 1931, il recevait pour une seule
affaire, des honoraires dépassant proba blement tout ce qu'un client satisfait avait jusqu'alors offert à son
conseil : un million de dollars—-en espèces, en une seule fois !
Il souffrait toujours d'insomnie — il lisait la moitié de la nuit — puis, à cinq heures du matin il se levait et
commençait à dicter son courrier. A l'heure où la plupart des gens partent pour se rendre à leur travail, un
tiers au moins du sien était déjà fait. Cet homme qui n'avait pratiquement jamais dormi une nuit entière,
atteignit l'âge respectable de quatre-vingts ans ; mais s'il s'était continuellement inquiété et tracassé à cause
de son insomnie, il aurait probablement ruiné sa santé et serait mort beaucoup plus tôt.
Nous passons environ un tiers de notre existence à dormir — et cependant, personne ne sait vraiment ce qu'est
le sommeil. Nous savons que le sommeil est une habitude et, aussi, un repos qui permet à la nature de réparer
les dégâts causés au cours de la journée, mais nous ignorons le nombre exact des heures de sommeil dont
chaque individu a besoin. Nous ne savons pas si le sommeil est réellement indispensable !
Cela vous paraît fantastique ? Eh bien, au cours de la première guerre mondiale, un certain Paul Kern, soldat
hongrois, reçut une balle qui lui traversa le lobe frontal du cerveau. Il en réchappa, mais, fait curieux, il
n'arrivait plus du tout à s'endormir. Quoi que fissent
11' IHH
281 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
les médecins — et ils essayèrent toutes sortes de sédatifs et de narcotiques, ils eurent même recours à
l'hypnose — il était impossible de faire dormir Kern ou de lui donner seulement envie de dormir.
D'après les médecins, il n'allait pas vivre très longtemps? Mais Paul Kern ne l'entendait pas de cette oreille.
Ayant trouvé un emploi, il s'obstinait à vivre et à très bien se porter. La nuit, il s'allongeait, fermait les yeux
et se reposait, mais sans jamais arriver à s'endormir. Son cas constituait un véritable mystère médical qui
bouleversa une bonne partie de nos théories sur le sommeil.
Certaines personnes ont besoin de dormir plus que d'autres. Toscanini se contente parfaitement de cinq heures
de sommeil par nuit, alors qu'il en fallait au moins le double à Calvin Coolidge. En d'autres termes, Toscanini
a sacrifié au sommeil environ un cinquième de sa vie, tandis que Coolidge a passé presque la moitié de son
existence à dormir.
L'inquiétude que vous éprouvez parce que vous ne pouvez pas dormir vous est certainement beaucoup plus
néfaste que l'insomnie elle-même. Vous voulez un exemple ? Une de mes élèves. Miss Ira Sandner, habitant
Ridgefield Park, dans le New Jersey fut poussée, par son insomnie chronique, jusqu'au bord du suicide.
«Je craignais réellement de devenir folle, me raconta-t-elle. Le malheur provenait de ce que, au trefois, je
dormais trop bien. Je n'entendais jamais mon réveil, de sorte que chaque matin j'arrivais en retard à mon
travail. Cela me tracassait considérablement — à juste titre, d'ailleurs, car un jour, mon patron m'avertit que,
dorénavant, j'allais être forcée d'être à l'heure, si je voulais conserver mon emploi.
«Je parlai de mes ennuis à mes amis, et l'un d'eux me conseilla de me concentrer de toutes mes forces
PREVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 282
sur îe réveil avant de fermer les yeux. Ce fut cette suggestion qui provoqua l'insomnie. Le tic-tac de ce
maudit réveil devint une obsession. Toute la nuit, ce bruit me tenait éveillée, je me tournais et retour nais sans
trouver le sommeil. Le matin, j'étais presque malade — malade de fatigue et d'angoisse. Cela durait ainsi
pendant huit semaines. Je ne saurais décrire les tortures que j'avais à supporter. Bientôt, je fus per suadée que
j'allais devenir folle. Parfois, je sautais du lit et arpentais ma chambre pendant des heures, et j'envisageais
sérieusement d'en finir en me jetant par la fenêtre !
« A la fin, j'allai voir un médecin que je connaissais depuis toujours, il me dit : « Ma petite ira, je ne peux pas
t'aider. Personne ne peut t'aider, parce que c'est toi-même qui as attiré ce malheur sur toi. Maintenant, écoute-
moi bien : le soir, couche-toi tranquillement, et si tu n'arrives pas à t"endormir, eh bien, n'y pense plus. Dis-
toi ceci : «Je me moque éperdument de savoir si je vais dormir ou non. Même si je dois rester éveillée jusqu'à
demain matin, cela m'est bien égal. » Garde les yeux fermés et pense : « Tant que je reste immobile et que je
ne m'énerve pas, je me repose parfaitement. »
« Je suivis ce conseil, et, au bout de deux semaines, je m'endormais dès que je me couchais. En moins d'un
mois, j'étais arrivée à dormir huit heures par nuit, et mes nerfs étaient de nouveau en parfait état. »
Ce n'était donc pas l'insomnie qui avait failli tuer Ira Sandner ; c'était l'inquiétude qu'elle éprouvait à cause
de son insomnie.
Le Dr Nathaniel Kleitmann, professeur à l'Université de Chicago, est aujourd'hui, grâce à ses recherches
particulièrement approfondies, la première autorité du monde entier pour tout ce qui concerne le sommeil. Il
déclare qu'à sa connaissance personne n'est encore
283 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
mort d'insomnie. Evidemment, il est possible qu'un individu soit tellement angoissé parce qu'il se croit atteint
d'une maladie mortelle que ses forces déclinent rapidement jusqu'à ce que son organisme soit trop affaibli
pour résister à l'assaut des mircrobes toujours-à l'affût d'un être désarmé. Mais, dans ce cas, la cause réelle est
l'inquiétude, et non l'insomnie elle-même.
Le Dr. Kleitmann a également constaté que les gens souffrant d'insomnie dorment souvent beaucoup plus
qu'ils ne le croient. L'homme qui jure « Je n'ai fermé l'œil de la nuit » a peut-être dormi plusieurs heures sans
le savoir. Par exemple : Herbert Spencer, un des plus grands philosophes du XIX e siècle, était un vieux
célibataire. Il vivait dans une pension et avait la manie d'ennuyer tout le monde avec les récits interminables
de ses nuits blanches. 11 mettait même des tampons d'ouate dans ses oreilles pour ne pas entendre les bruits
de la rue. Parfois, il prenait de l'opium afin d'arriver à dormir. Un jour, lors d'un voyage, il fut obligé de
partager une chambre à deux lits avec le professeur Sayce, de l'Université d'Oxford. Le lendemain matin,
Spencer déclara qu'il n'avait pas dormi une minute. En réalité, c'était Sayce qui n'avait pas dormi une minute,
parce que les ronflements de Spencer l'en avaient empêché !
La première condition d'un bon sommeil est un sentiment de sécurité. Il est bon de penser, par exemple,
qu'une puissance surhumaine nous gardera jusqu'au lendemain matin. Dans un discours prononcé devant
l'Association Médicale Britannique, le Dr. Thomas Hyslop, directeur d'un asile d'aliénés, a particu lièrement
insisté sur ce point : « Ma longue expérience m'a permis de constater qu'un des meilleurs somnifères est la
prière. Je fais cette déclaration uniquement en tant que médecin. On peut considérer la prière, pour les
croyants bien entendu, comme le plus adéquat
PRÉVENIR 1 A FATIGUE ET LES SOUCIS 284
et le plus normal des calmants de l'esprit et des nerfs. »
Maintenant, si vous n'êtes pas croyant, apprenez à vous détendre par des mesures d'ordre physique. D'après le
Dr. Harold Fink, le meilleur moyen d'y parvenir est cette sorte d'auto-suggestion que l'on peut obtenir en
parlant à son corps. Le Dr. Fink affirme que la parole est la clef ouvrant la porte à toutes sortes d'hypnoses ; si
le sommeil vous fuit obstinément, c'est parce que vous vous êtes hypnotisé sur votre incapacité de vous
endormir au point d'acquérir cette maladie qu'on appelle insomnie. Pour vous en défaire, un seul moyen —
vous « dés-hypnotiser » et vous pouvez le faire en disant aux muscles de votre corps : « Laissez-vous aller...
laissez-vous aller — décontractez-vous. » Nous savons déjà que l'esprit et les nerfs ne peuvent se détendre
tant que les muscles restent tendus — donc, si nous voulons dormir, nous devons commencer par les muscles.
Le Dr. Fink recommande — et l'expérience pratique a confirmé cette recommandation — de placer un gros
coussin sous les jarrets, et de petits coussins sous les aisselles afin de soulager la tension des bras et des
jambes. Puis, en demandant à nos membres, aux mâchoires et jusqu'aux yeux de se détendre, nous arriverons à
nous endormir avant même de nous en rendre compte. J'ai essayé cette méthode — elle est excellente.
Un des meilleurs traitements de l'insomnie consiste en la production d'une bonne fatigue physique, telle
qu'elle résulte par exemple du jardinage, de la natation, du tennis, golf. etc.. ou simplement d'un travail
physiquement épuisant. C'était la recette de Théodore Dreiser. A l'époque où il n'était encore qu'un jeune
auteur, il s'inquiétait parce qu'il souffrait d'insomnie. Il s'engagea donc comme manœuvre à la Compagnie
285
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
des Chemins de Fer Centraux de New-York ; après avoir durant toute une journée porté des traverses et
ballasté les voies, il était tellement épuisé qu'il s'endormait presque le nez dans son assiette.
Si nous sommes suffisamment fatigués, nous dormirons même en marchant. Je me souviens qu'à l'âge de
treize ans, j'accompagnais un jour mon père qui devait convoyer une cargaison de cochons gras à Saint Joe
(Missouri). Comme on lui avait remis un permis de voyage pour deux personnes, il avait décidé de
m'emmener. Jusqu'alors, je ne connaissais que le bourg le plus proche de notre ferme, une loca lité de quatre
mille habitants — j'étais surexcité. Je vis des gratte-ciel de six étages et — merveille des merveilles — un
tramway ! Aujourd'hui encore, il me suffit de fermer les yeux pour voir et entendre ce tramway ! Après avoir
passé la journée la plus passionnante, la plus magnifique de ma vie, je repris, le soir même, le train qui devait
nous ramener, mon père et moi, à Ravenwood, dans le Missouri. Nous y ,arrivâmes à deux heures du matin, et
nous avions encore 7 kilomètres de marche à faire pour rentrer à la ferme. Et voilà enfin où je voulais en
venir : j'étais tellement épuisé que je dormais et rêvais tout en marchant. Il m'est d'ailleurs arrivé, plus tard,
de m'endormir alors que j'étais à cheval. Et je suis toujours là, bien vivant, pour le raconter ! ' Lorsqu'un
homme est vraiment à bout de forces, il dormira sous les bombardements, au milieu des horreurs et des
dangers de la guerre. Le Dr. Kennedy, le célèbre neurologue, m'a raconté qu'il a vu, en 1918, lors de la
retraite de l'armée anglaise, des hommes complètement épuisés s'abattre sur le sol, à l'endroit même où leur
unité s'était arrêtée, et s'endormir profondément. Ils ne se réveillaient même pas quand il soulevait leurs
paupières. Et il constata alors que
PRÉVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS 286
les prunelles de tous les dormeurs, sans exception, étaient roulées vers le haut. « Depuis cette époque, conclut
le Dr. Kennedy, j'ai pris l'habitude, dès que le sommeil se fait attendre, de rouler mes pupilles vers le haut.
Régulièrement, au bout de quelques instants, je commence à bâiller et à avoir sommeil. C'est un réflexe
automatique qui échappe à tout contrôle. »
De toute façon, personne ne s'est encore suicidé en se refusant à dormir, et personne ne choisira ce moyen de
se supprimer. La nature forcera toujours l'homme à dormir, quelle que soit sa force de volonté. La nature nous
permettra de rester sans nourriture et sans eau beaucoup plus longtemps qu'elle ne nous laissera sans sommeil.
En parlant de suicide, je me suis rappelé un cas rapporté par le Dr. Henry C. Link dans son livre La
redécouverte de l'homme. Le Dr. Link est vice-président de la Corporation Psychologique, ce qui lui donne
l'occasion d'interviewer beaucoup de personnes inquiètes ou déprimées. Dans le chapitre intitulé « Comment
vaincre l'angoisse et les appréhensions », il parle d'un malade qui désirait absolument se suicider. Sachant que
toute discussion serait vaine, et ne servirait qu'à affermir cette décision, le médecin dit à ce pauvre homme : «
Puisque vous ajlez, quoi qu'il arrive, mettre votre projet à exécution, suicidez-vous au moins d'une manière
héroïque. Faites en courant le tour du pâté d'immeubles jusqu'à ce que vous tombiez raide mort. »
Le candidat au suicide trouva l'idée excellente. Il se mit à courir, faisant le tour du pâté non pas une fois,
mais dix, quinze, vingt fois. Plus il courait, mieux il se sentait — peut-être pas moralement, mais
physiquement tout au moins. Au bout de quarante-huit heures, il avait à son insu réalisé point par point
287 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
les prévisions du médecin — il était tellement fatigué (physiquement) et tellement décontracté (physi -
quement) qu'il rentra chez lui et s'endormit comme une masse. Quelques jours plus tard, il s'inscrivit à un
club sportif et commença aussitôt à se préparer énergiquement pour plusieurs compétitions d'athlé tisme.
Bientôt, il se sentait si bien qu'il n'avait plus qu'un désir : vivre le plus longtemps possible !
Donc, si vous souffrez d'insomnie, ne vous en inquiétez pas, et appliquez les cinq règles suivantes :
! ) Si vous ne pouvez pas dormir, suivez l'exemple de Samuel Untermeyer. Levez-vous, travaillez ou lisez jusqu'à ce que vous
ayez envie de dormir.
2) Rappelez-vous que personne n'est encore mort par manque de sommeil. En général, la crainte de ne pouvoir dormir
cause bien plus de ravages que l'insomnie.
3) Si vous êtes croyant, priez !
4) Décontractez votre corps, en appliquant la méthode progressive du Dr. Fink.
5) Faites des exercices physiques. Fatiguez-vous si bien que vous ne puissiez pas résister au sommeil.
SEPTIEME PARTIE SACHEZ CHOISIR VOTRE MÉTIER
I
L'UNE DES DEUX DÉCISIONS CAPITALES DE VOTRE VIE
(Ce chapitre s'adresse aux jeunes gens qui n'ont pas encore trouvé la profession qu'ils aimeraient exercer. Peut-être la
lecture de ces quelques pages aura-t-elle une influence heureuse sur l'orientation ultérieure de leur existence).
Si vous n'avez pas encore atteint l'âge de dix-huit ans, vous allez être bientôt appelé à prendre les deux
décisions capitales de votre vie — des décisions d'un effet énorme sur chaque jour de votre existence ; des
décisions qui affecteront profondément et défini tivement votre bonheur, vos revenus, votre santé — qui, en un
mot, peuvent faire de vous un être heureux ou une épave.
Quelles sont donc ces deux décisions ?
1) Comment allez-vous gagner votre vie ? Serez-vous fermier, facteur, chimiste, garde-chasse, sténo
289 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
dactylo, vétérinaire, professeur de lycée, ou encore marchand ambulant de saucisses chaudes et de pommes
frites ?
2) Qui allez-vous choisir pour être le père — ou la mère — de vos enfants ?
Fréquemment, Tune aussi bien que l'autre de ces décisions ressemble à une partie de poker où le joueur risque
sur un seul coup tout ce qu'il possède. Dans son livre La force de lutter, Harry Emerson Fosdick dit : « Chaque
jeune homme joue, en choisissant son métier, une terrible partie de poker. Qu'il le veuille ou non. il risque
toute son existence. »
Comment pouvez-vous limiter ce risque ? Lisez soigneusement ce qui va suivre ; je vais tâcher de vous
soumettre une série de tests destinés à vous protéger contre des erreurs funestes. Essayons d'abord, si
possible, de découvrir ce que vous aimeriez faire, j'ai demandé un jour à David Goodrich, président des
célèbres usines de pneumatiques, ce qu'il consi dérait comme la condition essentielle du succès en affaires, et
il me répondit : « Avant tout, il faut aimer son travail. Alors, on peut travailler très longtemps sans avoir le
moins du monde l'impression de travailler. L'effort devient ainsi un plaisir. »
Pour illustrer cette thèse, le meilleur exemple nous est fourni par Edison. Edison — ce gamin illettré qui
débuta dans la vie comme vendeur de journaux pour révolutionner finalement l'industrie américaine —
mangeait et dormait souvent dans son laboratoire, afin de pouvoir travailler dix-huit heures par jour. Mais
jamais, il n'avait l'impression d'accomplir un effort pénible. « En somme, je n'ai jamais travaillé, proclamait-
il. Je me suis toujours énormément amusé. »
Dans ces conditions, sa carrière fabuleuse n'a rien d'étonnant !
Un jour, j'ai entendu Charles Schwab dire à peu
SACHEZ CHOISIR VOTRE METIER
290
près la même chose. Il déclara : « Un homme peut réussir dans presque n'importe quelle tâche, du moment
qu'il éprouve un enthousiasme illimité pour son travail. »
Mais comment pouvez-votis « éprouver un enthousiasme illimité » pour un travail quand vous n'avez pas la
moindre idée de ce que vous aimeriez faire ? Mrs. Edna Kerr, autrefois chef du personnel de !a Compagnie
Dupont de Nemours, et aujourd'hui sous-directrice de !'Office des Relations Industrielles de la Société des
Produits Américains, m'a déclaré : « A ma connaissance, la plus grande tragédie de la vie sociale est
l'incapacité de tant de jeunes gens de découvrir le métier qu'ils aimeraient vraiment exercer. A mon avis, la
personne la plus à plaindre est celle qui, par son travail, ne gagne strictement que son salaire. » Mrs. Kern
m'a raconté que même des diplômés de l'Université viennent lui dire : «J'ai tel diplôme de Harvard (ou tel
autre de Yale). Pouvez-vous m'offrir une place — un emploi quelconque ? » C'est-à-dire qu'ils ignorent eux-
mêmes ce qu'ils savent faire et. fait plus grave, ce qu'ils aimeraient faire. Faut-il encore s'étonner de voir tant
d'hommes et de femmes qui avaient débuté dans la vie avec des connaissances solides et des rêves roses
échouer définitivement à quarante ans — minés par le sen timent de leur échec irrémédiable et titubant au bord
de la dépression nerveuse ? Le fait est que même votre santé dépend du choix plus ou moins judicieux de
votre métier. Lorsque le Dr. Raymond Pearl, de la Fondation John Hopkins, publia les résultats de son enquête
sur les facteurs qui déterminent la durée de notre vie. il fit une place prépondérante au « choix judicieux d'un
métier », Il aurait pu dire, avec Thomas Carlyle : · ׳Béni est l'homme qui a su trouver sa tâche. Qu'il ne
demande donc rien de plus. »
291 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.,
J'ai récemment passé une soirée avec Pau! Boynton, directeur du service du personnel d'une importante
société pétrolière. Cet homme a. au cours de vingt ans, interrogé plus de soixante-quinze mille personnes qui
cherchaient un emploi, et il a condensé sa longue expérience dans un ouvrage intitulé « Six Moyens de
trouver du Travail ». Je lui ai demandé : « Quelle est la plus grande erreur des jeunes gens qui cherchent une
place ? » Et il me repondit : « Ils ne savent pas ce qu'ils veulent. Je me suis rendu compte, avec une réelle
épouvante, qu'un homme réfléchit davantage avant d'acheter un costume — qui sera usé dans quelques années
— qu'il ne réfléchira avant de choisir le métier duquel dépendra tout son avenir — non seulement son avenir
matériel, mais aussi son bonheur et sa tranquillité d'esprit. »
Alors ? Que devez-vous faire ? Tout d'abord, si vous n'êtes pas capable de fixer vous-même votre choix, vous
pouvez vous adresser aux centres d'orientation professionnelle qui existent aujourd'hui dans la plupart des
grandes villes. Maintenant, ne croyez surtout pas que les personnes chargées de conseiller les jeunes gens
indécis soient absolument infaillibles. De toute façon, elles ne peuvent que suggérer, la décision finale
appartient uniquement à vous-même. Ensuite, il leur arrive, malgré leur vaste expérience, de commettre des
erreurs ridicules. Je me souviens que le directeur d'un de ces centres conseilla, très sérieusement, à une de
mes élèves de devenir romancière — parce qu'elle avait un vocabulaire très étendu ! Quelle absurdité !
Comme si le fait de posséder un vocabulaire étendu suffisait pour faire un romancier ! Un bon auteur doit
avoir le don de communiquer ses pensées, ses émotions à tous ses lecteurs — et afin d'y parvenir, il faut avoir
surtout des idées, de l'expérience, des convictions, et beaucoup d'enthousiasme.
SACHEZ CHOISIR VOTRE MÉTIER 292
Le vocabulaire n'est qu'une condition accessoire. En faisant cette suggestion saugrenue, le directeur du centre
d'orientation professionnelle n'a obtenu qu'un seul résultat : il a transformé une petite dactylo — une jeune
fille très gaie et nullement mécontente de son travail — en une pseudo-romancière aigrie par son échec.
Vous voyez donc que même les plus grands experts dans ce domaine, des hommes aussi intelligents et
compétents que vous ou moi, ne sauraient être infail libles. Vous auriez peut-être intérêt à en consulter
plusieurs — pour interpréter ensuite leurs conseils suivant votre propre bon sens.
Peut-être êtes-vous étonné de trouver ce chapitre dans un ouvrage consacré à la lutte contre les soucis. Mais
vous ne vous en étonnerez plus quand vous aurez compris à quel point nos tracas, nos regrets et nos
ressentiments proviennent — ou peuvent provenir — d'un travail détesté. Interrogez votre père ou votre
patron — ils seront de mon avis. Le grand économiste John Stuart Mill a déclaré que « l'inaptitude de tant de
gens au travail qu'ils font constitue une des plus grandes pertes que subit la société ». Il a incontestablement
raison — parmi les déhérités du destin, il y a un grand nombre de ces « inaptes au travail qu'ils font », des
hommes qui détestent leur métier.
Peut-être avez-vous entendu parler de ces hommes qui ont eu « un effondrement nerveux » quand ils étaient
dans l'armée. Je ne fais pas allusion aux crises nerveuses déclenchées par un bombardement prolongé, par la
terrible tension de la bataille, mais je veux parler de ceux qui se sont effondrés en service normal, loin de la
ligne de feu. Le Dr. William Men-ninger, un de nos plus éminents psychiatres, chargé, pendant la guerre, du
service neuro-psychiatrique de
293
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
l'Armée, a déclaré : « Nous avons appris bien des choses sur l'importance de la sélection, de l'affec tation
judicieuse des hommes à telle ou telle place. Un des facteurs les plus importants pour l'équilibre nerveux était
la conviction de faire un travail utile, et même essentiel. Chaque fois qu'un homme était incapable de s'intéresser à
ce qu'il faisait, qu'il ne se sentait pas à sa place, qu'il avait l'impression de ne pas être apprécié à sa juste valeur, ou d'être
employé à une tâche ne correspondant pas à ses capacités, nous avons trouvé les signes précurseurs d'une crise
psychiatrique ou, même, les symptômes d'une crise en plein développement. »
Et les mêmes raisons peuvent conduire à l'effon drement nerveux dans la vie civile. N'importe quel travailleur
intellectuel ou manuel risque de s'effondrer un jour s'il déteste son métier.
Prenons par exemple le cas de Phil Johnson. Son père était le propriétaire d'une blanchisserie ־, il prit donc
son fils avec lui, espérant que le jeune homme « s'y ferait ». Mais Phil avait horreur de ce travail ; il
paressait, fainéantait, faisait tout juste ce que son père lui demandait de faire, rien de plus. Le pauvre
blanchisseur était tellement vexé d'avoir un fils sans énergie, mou et stupide qu'il avait honte devant ses
propres employés.
Un jour, Phil Johnson déclara à son père qu'il voulait devenir mécanicien. Comment ? l e fils d'un grand
blanchisseur allait enfiler un bleu de travail ? Le père fut choqué. Mais Phil était têtu. 11 trouva une place
dans une usine. Dès le premier jour, il sifflait en travaillant beaucoup plus qu'il ne l'avait jamais fait dans la
blanchisserie paternelle. 11 étudia la mécanique, pénétra les secrets de la construction des machines, —- et, à
sa mort, en 1944, Phil Johnson était président des usines d'aviation Boeing, — les
SACHEZ CHOISIR VOTRE METIER 294
célèbres usines dont les forteresses volantes nous ont aidés à gagner la guerre ! S'il était resté dans sa blan -
chisserie, — surtout après la mort de son père, je suis à peu près sûr qu'il aurait fait faillite, tout simplement.
Même au risque de semer la discorde dans plus d'une famille, je conseille à tous les jeunes gens : « N e vous
croyez pas obligé d'entrer dans une affaire, de choisir tel ou tel métier uniquement parce que vos parents le désirent ! Ne
vous lancez jamais dans une profession que vous n'aimez pas. Cependant, ne dédaignez pas les conseils de
vos parents. Probablement, ils ont vécu deux fois plus longtemps que vous. Ils ont acquis ce genre de sagesse
qui ne vient qu'avec les années et avec une longue expérience. Mais en fin de compte, c'est vous que votre
travail rendra heureux ou malheureux. »
Pour finir, laissez-moi vous donner quelques conseils — dont certains sont des mises en garde
— pour vous guider dans votre choix :
1) Evitez à tout prix les carrières déjà encombrées ! Il existe, dans tout pays civilisé, plus de vingt mille façons de
gagner sa vie. Vous rendez-vous compte de l'énormité de ce chiffre ? Plus de vingt mille ! Mais est-ce que la
jeunesse le sait ? Non. Dans une école, les deux tiers des garçons limitèrent leur choix à cinq occupations —
cinq sur vingt mille
— et les quatre cinquièmes' des filles en firent autant. Rien d'étonnant à ce que certaines carrières soient
tellement encombrées — rien d'étonnant à ce que l'insécurité, la peur du lendemain, les « névroses de
l'angoisse » fassent de tels ravages parmi les « cols blancs ». Gardez-vous surtout de vouloir frayer votre
chemin dans des professions aussi surchargées que celles d'avocat, de journaliste, d'artiste de radio ou de
cinéma.
2) Evitez également les professions qui vous offrent
295 PRÉVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS
seulement une chance sur dix de gagner convenablement votre vie. Prenons par exemple la profession de démarcheur
d'assurances. Chaque année, des milliers d'hommes — souvent des gens qui viennent de perdre leur place —
essaient de vendre, en allant de porte à porte, des assurances sur la vie, sans avoir cherché d'abord à savoir ce
qui, selon toute vraisemblance, les attend. Eh bien, voici approximativement ce qui va leur arriver, d'après
Mr. Franklin Betteger qui. pendant vingt ans, était peut-être le premier agent d'Assurances des Etats-Unis. 11
déclare que, sur cent nouveaux démarcheurs, quatre-vingt dix sont bientôt si découragés qu'ils abandonnent
au bout d'un an. Des dix qui restent, un homme vendra à lui tout seul les neuf dixièmes des assurances
vendues par ces dix survivants, tandis que les neuf autres ne vendront ensemble qu'un dixième de cette masse
de contrats. En d'autres termes : si vous devenez démarcheur d'assurances, vous avez neuf chances sur dix
d'échouer complètement et d'abandonner ce lamentable métier au bout d'un an ; de toute façon, vous n'avez
qu'une chance sur cent de gagner largement votre vie. Même si, au bout de douze mois, vous n'êtes pas mort
de faim, vous n'avez qu'une chance sur dix de gagner plus qu'une maigre pitance.
3) A vant de faire le choix qui déterminera le cours de votre existence, passez des semaines — des mois si nécessaire — à
réunir tous les renseignements, toutes les données concernant votre futur métier. Comment ? En interrogeant des
hommes et des femmes qui exercent ce métier depuis dix, vingt ou trente ans.
Les entretiens que vous aurez avec ces personnes peuvent avoir une profonde influence sur votre' vie. Je vous
en parle savamment. Lorsque j'avais environ vingt ans, j'ai demandé conseil à deux hommes plus âgés que
moi et qui connaissaient à fond la profession
SACHEZ CHOISIR VOTRE METIER
296
que je voulais choisir. Aujourd'hui, je vois à quel point ces deux entretiens ont changé toute l'orien tation de
ma carrière. Je vais même plus loin : je suis incapable d'imaginer ce que je serais devenu sans les conseils de
ces deux pédagogues chevronnés.
Que faut-il taire pour approcher les gens suscep tibles de vous éclairer, de vous guider ? Supposons, par
exemple, que vous songiez à devenir architecte Avant de prendre votre décision finale, vous devriez passer
des semaines et des semaines à interroger des architectes, dans votre ville et dans des villes voisines. Vous
trouverez facilement leurs noms et leur adresses dans n'importe quel annuaire professionnel. Présentez-vous à
leurs bureaux, après avoir demandé, autant que possible, un rendez-vous. Pour obtenir ce rendez-vous,
écrivez-leur une lettre dans ce genre :
« Puis-je me permettre de vous demander un petit service ? J'ai besoin de vos conseils. J'ai dix-huit ans : et je
songe sérieusement à devenir architecte. Mais avant de prendre une décision, j'aimerais connaître votre point
de vue.
Si vous êtes trop occupé pendant les heures de bureau, je vous serais très obligé de bien vouloir m accorder
une demi-heure d'entretien chez vous.
Voici la liste des questions que j'aimerais vous poser :
a ) si vous pouviez recommencer votre vie, choisiriez-vous de nouveau la profession d'architecte ?
b ) lorsque vous aurez eu l'occasion de me jauger, veuillez me dire franchement si, à votre avis, je possède les
qualités indispensables à un bon architecte.
c) Est-ce que votre profession est très encombrée d ) En admettant que je fasse d'abord des études sérieuses
pendant quatre ans, trouverai-je ensuite facilement un emploi ? De quel genre d'emploi devrai-je me contenter
au début ?
297
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
e) En prenant pour base une aptitude moyenne, combien puis-je espérer gagner pendant les cinq premières
années ?
f ) Quels sont les avantages et les inconvénients de la profession d'architecte ?
g ) Si j'étais votre fils, me conseilleriez-vous de devenir architecte ? »
Si vous êtes trop timide pour oser affronter « une grosse légume », voici deux suggestions qui peuvent vous
être utiles.
Primo, demandez à un camarade de votre âge de vous accompagner. La présence de l'un affermira l'assurance
de l'autre. Si vous n'avez aucun camarade susceptible de vous rendre ce service, faites-vous accompagner par
votre père.
Secundo, n'oubliez pas qu'en sollicitant les conseils d'un homme, vous lui faites un compliment. Il sera peut-
être flatté par votre requête. N'oubliez pas que les adultes aiment donner des conseils à la jeunesse. Très
probablement, l'architecte sera ravi de cet entretien.
Si vous vous êtes adressé à cinq architectes qui, tous, étaient trop occupés pour vous recevoir — cela
m'étonnerait d'ailleurs — présentez-vous chez cinq autres. Vous allez finir par être reçu, vous obtiendrez des
renseignements et des conseils précieux, inappréciables — des conseils qui vous éviteront peut-être de perdre
des années entières et d'avoir des désillusions.
Rappelez-vous toujours que vous êtes sur le point de prendre une des décisions les plus graves de votre vie.
Par conséquent, réunissez tous les faits avant de vous décider. Si vous négligez cette précaution, vous risquez
de vous en repentir jusqu'à votre dernier jour.
SACHEZ CHOISIR VOTRE METIER 298
4) Débarrassez-vous de l'idée erronée que vous ne sauriez réussir que dans telle profession déterminée. Toute personne
normale est parfaitement capable de réussir dans plusieurs métiers, de même qu'elle échouera probablement
dans plusieurs autres. En guise d'exemple, voici mon cas personnel : je suis sûr que j'aurais pu réussir, au
moins dans une certaine mesure, dans une des professions suivantes : agriculture, culture maraîchère,
médecine, commerce, publicité, enseignement, administration forestière. D'un autre côté, je suis également
sûr que j'aurais été malheureux, et que je ne serais arrivé à rien, si j'avais choisi le métier de comptable,
d'ingénieur, d'architecte, de directeur d'usine ou d'hôtel, mécanicien, et ainsi de suite.
HUITIEME PARTIE
COMMENT LIMITER VOS PREOCCUPATIONS FINANCIERES
I
« SOIXANTE-DIX POUR CENT DE NOS SOUCIS »...
Si je connaissais un moyen infaillible de remé dier aux soucis d'argent de tout Se monde, je ne serais pas en
train d'écrire ce livre ; je serais installé à la Maison Blanche — aux côtés du Président. Je puis cependant
faire une chose : exposer le point de vue de certaines personnes compétentes dans ce domaine, et vous
soumettre en même temps quelques suggestions pratiques.
D'après une enquête entreprise par le Ladies home journal, soixante-dix pour cent de nos soucis concernent
l'argent. George Gallup. le statisticien bien connu, a découvert ceci : la plupart des gens croient que leurs
ennuis d'argent cesseraient s'ils pouvaient augmenter leurs revenus de seulement dix pour cent. Ceci est
certainement exact dans beaucoup de cas. mais faux dans un nombre étonnant
LIMITEZ VOS PREOCCUPATIONS FINANCIERES 300
d'autres cas. Je viens par exemple d'interviewer un « expert en budgets familiaux » : Mrs. Eisie Stapleton —
une femme qui, pendant de longues années, était employée par les Grands Magasins Wanamaker pour
conseiller financièrement leurs clients. Après avoir abandonné ces fonctions, Mrs. Stapleton s'est établie
comme conseillère privée, afin d'aider tous ceux qui sont harassés par des soucis d'argent. Elle a vu défiler
dans son bureau des gens appartenant à toutes les classes sociales, du porteur de bagages qui gagne à peine
mille dollars par an, jusqu'au chef d'entreprise qui en gagne plus de cent mille. Voici ce qu'elle m'a dit : « En
général, un accroissement de revenus ne suffit pas pour débarrasser les gens de leurs ennuis financiers. J'ai
souvent constaté qu'une augmentation des revenus aboutissait seulement à une augmentation des dépenses —
et à une forte augmentation des maux de tète. Dans la plupart des cas, la véritable raison des difficultés qu'éprouvent
les gens n'est pas l'insuffisance de leurs revenus, mais leur incapacité de dépenser ces revenus raisonnablement. » Vous
ricanez, Monsieur ? Vous haussez les épaules, Madame ? Laissez-moi vous rappeler, tout d'abord, que Mrs.
Stapleton a dit «dans la plupart des cas », et non « toujours ». Elle ne parlait pas spécialement de vous. Elle
parlait de vos sœurs, vos frères, vos cousins — vous en avez au moins une douzaine, n'est-ce pas ?
Les trois quarts de mes lecteurs vont dire : «Je voudrais bien voir ce brave Carnegie s'il devait jayer mes
factures, s'il devait faire face à mes obligations — avec mon salaire. S'il était à ma place, il parlerait
autrement. » Moi aussi, j'avais mes soucis d'argent, croyez-le : j'ai travaillé durement, dix heures par jour,
comme ouvrier agricole dans les champs de blé du Missouri — travaillé jusqu'à ce que mon dos et mes bras
me fissent mal à crier. Je gagnais, pour
301 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
ce travail épuisant, non pas un dollar de l'heure, ni cinquante cents, ni même dix cents. Je gagnais cinq cents
l'heure. — un demi-dollar pour une journée de dix heures de travail.
Je sais à quel point il est pénible de vivre pendant vingt ans dans une maison sans salle de bain, même sans
eau courante. Moi aussi, j'ai dû dormir dans une chambre où la température descendait à quinze degrés au-
dessous de zéro. Moi aussi, j'ai marché des kilo mètres pour économiser dix cents, je me suis promené avec
des chaussures éculées, des semelles percées, et une « pièce » au fond de mon pantalon. Moi aussi, j'ai dû
commander le plat le moins cher dans la gar gote où je prenais mes repas, j'ai dû mettre, en me couchant, mon
pantalon sous le matelas parce que je ne pouvais pas m'offrir le luxe de le faire repasser.
Pourtant, même pendant cette époque pénible de ma vie, je m'arrangeais presque toujours pour économiser,
sur mon maigre salaire, quelques menues pièces, parce que je redoutais avant tout de me trouver brusquement
sans un cent. Grâce à cette dure expérience, j'avais compris que, si nous voulons échapper aux soucis d'argent
et aux dettes, nous devons suivre l'exemple des grandes entreprises : nous devons établir un plan, un budget,
et dépenser notre argent suivant ce plan. Mais la plupart d'entre nous ne veulent même pas en entendre parler.
Mon ami Léon Shimkin, directeur général de la maison d'éditions qui publie ce livre, attira un jour mon
attention sur une sorte de cécité assez bizarre qui aveugle beaucoup de gens dans le règlement de leurs
affaires d'argent. Il me parla d'un de ses comptables, un homme qui jongle littéralement avec les chiffres tant
qu'il travaille pour sa firme — mais quand il s'agit d'administrer son propre argent... Le jour où il reçoit son
salaire, il voit dans une vitrine par exemple un pardessus qui lui
LIMITEZ VOS PREOCCUPATIONS FINANCIERES 302
plaît, et aussitôt, il l'achète — sans penser un seul instant au fait qu'avec son salaire, il devra payer dans
quelques jours son loyer, l'électricité, le gaz, etc. Non — tout ce qui compte pour lui, c'est que, pour le
moment, il a quelques billets dans sa poche. Et cependant, cet homme sait parfaitement que sa firme finirait
fatalement par faire faillite, si elle agissait d'une façon aussi insouciante.
Retenez bien ceci : Dès qu'il s'agit de votre argent, agissez comme un homme d'affaires avisé ! D'ailleurs, ce que vous
faites de votre argent, c'est uniquement votre affaire.
Quels sont donc les principes qu'il faut appliquer pour éviter autant que possible toute inquiétude d'ordre
financier ? Comment faut-il s'y prendre pou» établir un budget ? Voici 6 règles qui vous seront utiles (je
l'espère).
1 ) Notez les faits — noir sur blanc.
Lorsque, il y a cinquante ans, Gordon Bennet se lança dans la carrière littéraire, il était excessivement pauvre.
I! décida donc de tenir une comptabilité précise de ses moindres dépenses. Avait-il besoin de se demander où
son argent avait passé ? Non — il le savait. Ce système lui paraissait si efficace qu'il continuait à !'appliquer
même quand il était devenu riche, célèbre, propriétaire d'un château et d'un yacht.
Eh bien, achetez donc un petit carnet et commencez à tenir vos comptes. Faudra-t-il continuer jusqu'à votre
mort ? Non, pas obligatoirement. Des experts recommandent de tenir une comptabilité détaillée pour chaque
cent que nous dépensons, et ceci pendant trois mois. Ainsi, nous saurons exactement où passe notre argent, ce
qui nous permettra d'établir notre budget.
303
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
Vous dites que vous savez très bien où passe votre argent ? Ah bon ; je vous crois sur parole. Mais alors, vous
êtes l'oiseau rare. — un sage sur dix mille fous ! Mrs. Stapleton m'a dit que fréquemment, ses clients lui
fournissent pendant des heures des faits et des chiffres — puis, quand elle leur présente le résultat noir sur
blanc, ils s'exclament : « C'est donc là que passe mon argent ? » Ils ont du mal à le croire. Est-ce que, par
hasard, vous leur ressembleriez ?
2) Etablissez un budget « sur mesure », qui comprend réellement tous vos besoins.
Toujours d'après Mrs. Stapleton. deux familles peuvent vivre l'une à côté de l'autre, dans des maisons
identiques, avoir le même nombre d'enfants et disposer du même revenu — et cependant, leurs budgets seront
établis d'après des principes tout à fait différents. Pourquoi cela ? Parce que les gens, eux, sont différents. 1
'elaboration du budget doit être faite par la personne intéressée elle-même.
Le budget n'a pas pour but la suppression de tout ce qui donne à la vie son prix, de toutes les joies, les petites
satisfactions. Le budget est destiné à nous donner une sensation de sécurité matérielle — ce qui équivaut
souvent à la sécurité émotionnelle et à une absence presque totale de soucis. Comme le dit si bien Mrs.
Stapleton : « Les gens qui établissent un budget et s'y tiennent, sont des gens heureux. »
3) N'augmentez pas vos migraines en même temps que vos revenus.
Mrs. Stapleton m'a dit que les budgets les plus difficiles à établir sont ceux des familles disposant de cinq
mille dollars par an. Voyant mon étonnement, elle m'a donné l'explication de ce phénomène. « La plupart des
familles américaines considèrent ce revenu
LIMITEZ VOS PREOCCUPATIONS FINANCIERES 304
de cinq mille dollars par an comme un but désirable. Elles ont peut-être mené une existence normale et
raisonnable pendant des années — puis, tout à coup quand leur revenu atteint enfin cette somme, elles croient
que «c'est arrivé ». Elles commencent à « s agrandir ». Elles vont acheter une maison dans une localité de
banlieue, parce que « cela ne revient pas plus cher, au fond, que le loyer d'un bel appartement ». Ensuite, on
achète une nouvelle voiture, des meubles des vêtements — beaucoup de meubles, énormément de vêtements
— et, en moins de temps qu'il n'en faut pour le raconter — elles se sont fourrées dans une situation difficile.
Tout cela uniquement parce que, depuis l'augmentation de leur revenu, elles ont vu trop grand. »
En somme, tout cela est parfaitement normal. Nous tous voudrions profiter davantage de la vie Mais, à la
longue, quelle méthode nous garantit le bonheur ou, tout au moins, un minimum de bonheur : celle qui nous
oblige à nous conformer à un budget très strict, ou celle qui nous apporte dans notre courrier un flot de
factures impayées et nous force à sortir par la fenêtre parce que nos créanciers nous guettent devant le
portail ?
4) Protégez-vous contre la maladie, l'incendie, et toutes sortes de dépenses imprévisibles.
Vous pouvez vous assurer, en payant des primes relativement modiques, contre toutes sortes d'accidents et de
malheurs. Bien sûr, je ne vous conseille pas de vous assurer contre tous les risques, d'une cheville foulée
jusqu'à la rougeole — mais je vous recommande instamment de vous protéger contre certaines éven-tuahîés
qui, vous le savez, peuvent vous coûter de grosses sommes et qui. par conséquent, vous coûtent déjà des
forces nerveuses que vous gaspillez en vous
305 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
tracassant. La garantie de votre sécurité matérielle et de votre tranquillité d'esprit vaut bien les sommes
insignifiantes que vous verserez à la compagnie.
Par exemple, je connais une femme à laquelle on a présenté, à la sortie de l'hôpital où elle avait passé quinze
jours, une note d'un montant de huit dollars — exactement huit dollars, pas un cent de plus. Comment cela?
Elle avait souscrit, quelques années plus tôt, une assurance-maladie.
5) Apprenez à vos enfants la valeur de l'argent. Je n'oublierai jamais une idée que j'ai lue, un jour,
dans le magazine Your life. L'auteur de cet article, Stella Weston Tuttle, décrivait comment elle ensei gnait à sa
petite fille la notion et la valeur de l'argent. Elle avait demandé à sa banque un chéquier supplé mentaire
qu'elle avait donné à la fillette, âgée de neuf ans. Chaque fois que l'enfant recevait son argent de poche, elle
le « déposait » entre les mains de sa mère qui administrait les fonds, tout comme une banque peut administrer
les fonds d'un client. Puis, quand au cours de la semaine, la fillette avait besoin de dix ou de vingt cents, elle
« tirait un chèque » et calculait elle-même son solde. L'enfant trouvait cette méthode très amusante, et en
même temps, elle apprenait à ne disposer de son argent qu'à bon escient.
Une excellente méthode, en effet ! Soyez sûr que cette fillette, devenue femme et mère de famille, saura
toujours établir et équilibrer son budget familial.
6) N e jouez jamais — J A M A I S !
Une des choses les plus ahurissantes que je con naisse, c'est le grand nombre de gens — hommes et femmes —
qui espèrent gagner de l'argent en jouant aux courses ou encore avec des machines à sous. Quant à ces
dernières, je connais un homme qui gagne
LIMITEZ VOS PRÉOCCUPATIONS FINANCIERES 306
sa vie en faisant travailler une dizaine, de ces « bandits automatiques », et il n'a que du mépris pour les imbé -
ciles qui se croient capables, dans leur naïveté, de battre une machine conçue pour les « posséder ».
J'ai aussi fait la connaissance d'un des plus gros bookmakers des Etats-Unis. Il m'a dit que malgré son
expérience des chevaux et des courses, il était inca pable de gagner même modestement sa vie en pariant.
Néanmoins, des gens stupides placent, aux Etats-Unis, six milliards de dollars par an sur l'ensemble des
chevaux engagés dans toutes les courses — c'est-à-dire six fois plus que la dette nationale américaine en
1910. Ce bookmaker me dit également que, s'il avait un ennemi, il chercherait, afin de le ruiner à coup sûr, à
l'entraîner à jouer aux courses—à condition que cet ennemi fût assez bête. Et quand je lui demandai son avis
sur les « tuyaux » vendus sur les champs de courses, il me répondit: «Vous pourriez dilapider l'encaisse-or de
la Banque Fédérale en suivant fidèlement les conseils de ces gens-là ! »
Si, malgré tout, vous tenez à jouer, jouez au moins intelligemment. C'est-à-dire: calculez mathémati quement
vos chances de gain et vos risques de perte. Il y a d'ailleurs des livres qui exposent magistralement tous les
aspects de la question. Et lorsque vous aurez compris qu'aux courses, comme à la roulette, au baccarat ou
encore avec la machine à sous, vous n'avez qu'une chance sur trente-cinq, cent ou mille de vous en tirer, vous
plaindrez, j'en suis sûr, les pauvres idiots qui risquent leur argent péniblement et honnêtement gagné sur tel
cheval, sur un coup de dés ou de cartes. Et alors, vous suivrez mon conseil :
Ne jouez jamais — J A M A I S .
NEUVIÈME PARTIE
HISTOIRES VECUES
SIX CATASTROPHES ME MENAÇAIENT EN MÊME TEMPS
par C . 1. Blackwood Directeur de l'Ecole Commerciale Blackwood-Davis, à Oklahoma City (Oklahoma)
Au début de l'été 1943, j'avais l'impression qu'au moins la moitié des soucis du monde entier était venue
s'abattre sur mes épaules.
Pendant plus de quarante ans, j'avais mené une existence normale, •exempte de soucis majeurs. J'avais eu,
bien entendu, ma part des tracas que connaissent tous les maris, pères, chefs d'entreprise — après tout, une
école privée est aussi une entreprise commerciale — mais j'avais toujours réussi à sur monter ces difficultés,
jusqu'au jour où... Boum ! Boum ! BOUM ! BOUM ! Six véritables catastrophes me frappèrent à la fois. A
présent, je me tournais et retournais toute la nuit dans mon lit, dévoré d'inquié tude, tremblant d'avance à
l'idée de ce que le lendemain
HISTOIRES VÉCUES
308
me réservait peut-être. Comment aliais-je faire face aux six désastres qui me menaçaient !
1) Mon école de commerce était à deux doigts de sa ruine, car tous les garçons partaient pour la guerre, et la
plupart des jeunes filles gagnaient bien plus d'argent dans les usines d'armement que mes élèves, malgré leurs
diplômes, ne pouvaient espérer en gagner dans un bureau.
; 2) Mon fils aîné était mobilisé, et j'éprouvais l'angoisse obsédante qu'ont connue des millions de pères dont
les fils étaient sous les drapeaux.
3) La Ville d'Oklahoma avait entrepris une vaste opération d'expropriation afin de créer un grand aérodrome,
et ma maison — la maison dans laquelle j'étais né — se trouvait juste au centre des terrains que la
municipalité entendait acquérir. Je savais que l'indemnité ne dépasserait pas le dixième de la valeur réelle, et.
ce qui était encore beaucoup plus grave, j'allais rester sans logement. Comme, déjà à cette époque, la crise du
logement se faisait durement sentir, je me demandais anxieusement comment j'allais trouver un abri même
provisoire pour ma femme et mes quatre enfants. Je craignais d'être obligé de vivre sous une tente — mais je
ne savais même pas où je prendrais l'argent pour l'acheter.
4) Le puits dans mon jardin avait brusquement tari, mis à sec par un canal d'irrigation qu'on venait de creuser
près de la maison. Le forage d'un nouveau puits aurait signifié un gaspillage de cinq cents dollars, du fait que
mon terrain était compris dans le projet d'expropriation. J'étais donc forcé de partir chaque matin.avec des
seaux afin de chercher l'eau pour mes bêtes ; cet état de choses durait déjà depuis deux mois, et j'étais certain
qu'il allait se prolonger jusqu'à mon départ forcé.
5) J'habitais à sept kilomètres de mon école. Or.
309
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
on m'avait donné une carte d'essence « B » qui ne me permettait pas d'acheter de nouveaux pneus, et je me
demandais comment j'allais pouvoir me rendre à l'école quand les pneus déjà terriblement usés de ma vieille
Ford auraient rendu l'âme.
6) Ma fille aînée avait terminé ses études secon daires avec un an d'avance. Sa grande ambition était d'aller à
l'Université, et je n'avais pas le premier cent pour l'y envoyer. Elle l'ignorait, bien entendu, mais je savais que
la ruine de ce bel espoir allait lui briser le cœur.
Un après-midi, alors que j'étais dans mon bureau, en train de ruminer mes soucis, je décidai de les noter noir
sur blanc, car j'étais persuadé d'être l'homme le plus accablé de l'univers. Je trouvai normal d'avoir des
préoccupations qui me forçaient à bander toute mon énergie, à lutter afin de surmonter les obstacles, mais les
problèmes auxquels je devais faire face à présent me paraissaient tellement insolubles que j'avais l'impression
d'être complètement désarmé. Je rangeai donc la liste soigneusement dactylographiée de mes soucis dans un
dossier. Au bout de quelques mois, j'avais complètement oublié l'existence de cette feuille. Mais, environ
deux ans plus tard, je retrouvai, en cherchant une lettre égarée, l'énumération des six catastrophes dont la
menace avait failli ébranler ma santé. Je la parcourus avec beaucoup d'intérêt — et ce fut une lecture très
profitable, car je constatai qu'aucune de mes craintes ne s'était réalisée.
Voici ce qui s'était passé :
1) Ma crainte d'être obligé de fermer mon école s'était révélée vaine, du fait que le gouvernement avait
commencé à placer, dans le cadre du programme de réadaptation, un certain nombre d'anciens com battants
dans les écoles de commerce. Depuis plusieurs mois, mon école avait atteint son maximum d'élèves.
HISTOIRES VÉCUES
310
2) L'angoisse que j'avais éprouvée pour mon fils aînée avait été vaine également. Il avait terminé la guerre
sans avoir reçu seulement une égratignure.
3) Quant à mes soucis au sujet de l'expropriation de ma maison, ils avaient été tout aussi vains. On avait
découvert, à deux kilomètres de ma propriété, un gisement de pétrole, ce qui avait donné, aux terrains
avoisinants, une telle valeur que le prix de rachat était devenu prohibitif.
4) En apprenant que, finalement, on n'allait pas m'exproprier, j'avais investi les cinq cents dollars nécessaires
au forage d'un nouveau puits qui m'assurait un approvisionnement illimité en eau fraîche. Encore un souci que
j'aurais pu m'épargner.
5) Mon inquiétude au sujet de mes pneus avait été aussi vaine que mes autres craintes. Grâce à ma pru dence,
et à force d'être réparés et vulcanisés, mes pneus avaient « tenu le coup».
6) Finalement, le chagrin que m'avait causé la crainte de ne pas pouvoir envoyer ma fille à l'Uni versité, avait
été vain, lui aussi. On m'avait offert — c'était presque un miracle — un travail de véri fication des comptes
d'une institution municipale, un travail que je pouvais faire en dehors de mes occupations comme directeur
d'école. Et ces appointements supplémentaires me permirent d'envoyer ma fille à l'Université dès la rentrée.
J'avais souvent entendu dire que quatre-vingt-dix-neuf pour cent des éventualités que nous redoutons et qui
nous empêchent de dormir ne se réalisent jamais, mais cette vieille maxime ne m'avait guère frappé jusqu'au
jour où je retrouvai cette énumération de catastrophes que j'avais dressée près de deux ans plus tôt.
Aujourd'hui, je suis heureux de m'être débattu vainement contre ces six terribles menaces. L'an
311 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
goisse que j'éprouvais alors m'a donné une leçon que je n'oublierai jamais. Grâce à cette expérience, j'ai
compris à quel point il est stupide — et dangereux pour notre système nerveux — de se tourmenter au sujet
d'événements qui échappent à notre contrôle et qui ne se produiront peut-être jamais.
Rappelez-vous qu'aujourd'hui est ce lendemain que vous redoutiez tant hier.
Demandez-vous : comment puis-je être certain que cette menace qui m'obsède se réalisera ?
*
**
COMMENT JE ME SUIS DÉBARRASSÉ D'UN COMPLEXE D'INFÉRIORITÉ
par Elmer Thomas Sénateur des Etats-Unis, Représentant de l'Etat d'Oklahoma.
A l'âge de quinze ans, j'étais continuellement hanté par toutes sortes d'inquiétudes et de craintes. De plus,
j'étais d'une timidité maladive. J'avais poussé comme une asperge. Malgré ma taille de 1 m 85, je ne pesais
que cinquante-six kilos. Comme tous les enfants poussés trop vite, j'étais trop faible pour rivaliser avec mes
camarades au base-bail ou à d'autres jeux sportifs. Ils se moquaient de moi et m'appelaient « Bec-de-gaz ».
J'étais si malheureux, si tourmenté que je redoutais de parler à un étranger — chose qui ne risquait d'ailleurs
guère de m'arriver, car notre ferme était loin de la grande route et entourée d'une véritable forêt vierge dans
laquelle on n'avait encore
HISTOIRES VÉCUES 312
jamais entendu la hache du bûcheron. Souvent, je ne voyais, pendant toute une semaine,, que mes parents,
mes frères et sœurs.
Je serais certainement devenu un malheureux raté si j étais resté exposé sans défense à mes tour ments.
Chaque jour, et chaque heure de la journée, je ruminais mon chagrin d être si maigre, si efflanqué, si faible.
Je ne pouvais presque plus penser à autre chose. Ma mère se rendait parfaitement compte de mon état d'esprit.
Avant son mariage, elle avait été institutrice, elle me comprenait donc beaucoup mieux que mon père, qui
n'était qu'un paysan. « Mon petit, me dit-elle un jour, ce qu'il te faut, c'est une solide instruction. Tu devras
t'efforcer de gagner ta vie avec ton cerveau, car ton corps sera toujours un handicap pour toi. »
Comme mes parents ne pouvaient se permettre de m'envoyer au collège, je décidai de gagner moi-même
l'argent nécessaire. Je me mis à chasser, au fusil et au collet, des opossums, des skonses, des visons et des
ragondins ; à la fin de l'hiver, je vendis les peaux pour quatre dollars et achetai, avec cette somme, deux
porcelets. Je les élevais et engraissais, puis, en automne, je les revendis pour quarante dollars. Grâce a ce
petit capital, je pus entrer à l'Ecole Normale Centrale de Danville (Indiana). Je payais cinquante cents par
semaine pour ma nourriture. Je portais une chemise marron que ma mère m'avait faite. (Elle avait dû choisir
cette couleur parce que la crasse se voit moins sur le marron.) Je possédais un seul costume qui avait
appartenu autrefois à mon père, et qui ne m'allait pas du tout — pas plus que les vieilles bottines, un autre
emprunt à la garde-robe paternelle — des bottines antiques, avec des bandes de caoutchouc allant de la pointe
au talon et qui s'étiraient lorsqu'on introduisait le pied dans la chaussure. Mais il y avait
313 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
belle lurette que ces bandes avaient perdu toute élas ticité, de sorte qu'à chaque pas, je risquais de me
retrouver en chaussettes. Trop honteux de mon accou trement pour fréquenter les autres étudiants, je passais
les soirées seul dans ma chambrette à étudier. Par la suite, je n'ai plus jamais éprouvé un désir aussi pas sionné
que celui dont j'étais alors littéralement possédé : être assez riche pour m'acheter des vêtements de con -
fection, certes, mais tout de même des vêtements assez convenables pour me montrer dans la rue sans mourir
de honte.
Un peu plus tard, quatre événements se produisirent qui devaient m'aider à surmonter mes appréhensions et à
me libérer de mon complexe d'infériorité. Ces événements, en me donnant du courage et de l'assu rance,
devaient complètement changer le cours de mon existence. Les voici résumés brièvement :
1) Après avoir suivi les cours de cette école normale pendant seulement huit semaines, je passai un examen et
obtins un certificat m'autorisant à enseigner dans les écoles communales de village. Ce certificat n'était
valable, certes, que pour six mois, mais il constituait une preuve tangible de la confiance que mes maîtres
avaient en moi — la première épreuve de confiance que quelqu'un m'eût donnée, à part ma mère.
2) Le comité d'une école communale située dans un village perdu, appelé le Val Heureux, m'engagea comme
instituteur, aux appointements de deux dollars par jour, ou de quarante dollars par mois. Cette offre
constituait indiscutablement une preuve encore plus nette de la confiance qu'on avait en moi.
3) Avec mon premier salaire, j'achetai un costume, j'étais enfin arrivé à posséder un vêtement que je n'avais
pas honte de porter. Si je recevais aujourd'hui un cadeau d'un million de dollars, cette aubaine me causerait
infiniment moins de joie et d'émotion que
HISTOIRES VECUES
314
ce costume de confection qui ne coûtait que quelques dollars.
4) Mais le véritable tournant dans ma vie. ma première grande victoire dans ma lutte contre la timidité et le
complexe d'infériorité eut lieu à l'occasion de la grande foire qui se tient tous les ans à Bainbridge, (Indiana).
Ma mère m'avait demandé avec insistance de m'inscrire pour la compétition d'éloquence qui faisait partie du
programme de la foire. J'avoue que cette idée me paraissait fantastique. Je n'avais pas assez de courage pour
parler à une personne,— encore bien moins pour m'adresser à une foule. Mais la foi de ma mère en moi était
presque pathétique. Elle rêvait d'un brillant avenir pour son fils. Ce fut cette foi inébranlable qui me poussa
finalement à m'inscrire pour la compétition. Je choisis comme sujet à peu près ce que je connaissais le
moins : « Les Beaux Arts et les Arts^ Libéraux en Amérique ». Pour être franc, j'ignorais à l'époque où je
commençais à préparer mon discours ce que l'on comprenait sous le terme « Arts libéraux », mais cela n'avait
aucune espèce d'importance, car mes futurs auditeurs ne devaient pas en savoir plus que moi. J'appris mon
texte fleuri soigneusement par cœur et le répétai des dizaines de fois devant les arbres et les vaches de notre
ferme. J'étais si anxieux de ne pas décevoir les espoirs de ma mère que j'ai certainement parlé avec beaucoup
d'émotion. Quoiqu'il en fût. le comité m'attribua le premier prix. Et alors, je fus stupéfait par ce qui
s'ensuivit. La foule m'acclama. Les mêmes garçons qui, autrefois, s'étaient moqués de moi, qui m'avaient
surnommé « Bec-de-gaz » me donnèrent des tapes dans le dos en disant : « Nous savions bien que tu étais le
plus fort, Elmer. » Ma mère me jeta les bras autour du cou et sanglota éperdument. En regardant aujourd'hui
en arrière, je vois que cette victoire était
315
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
vraiment le grand tournant dans ma vie. Le journal local publia en première page un grand article sur moi et
me prédit un brillant avenir. Ce premier prix me conféra, parmi les habitants de la région, un prestige
incontestable, mais, — et ceci était infiniment plus important — il eut surtout pour effet de centupler ma
confiance en moi. A présent, je me rends compte que, si je n'avais pas gagné ce prix, je ne serais pro -
bablement jamais entré au Sénat, car ce succès m'ouvrit des horizons nouveaux, me permit d'atteindre un plan
plus élevé pour mieux juger les gens et les choses, et me fit comprendre que j'avais en moi des capacités
latentes dont je n'avais encore jamais soupçonné l'existence. Le fait le plus important était cependant le prix
lui-même, car il consistait en une bourse d'une année pour l'Ecole Normale Centrale.
J'étais à ce moment-là littéralement affamé d'ins truction. Durant les quatre années suivantes, je partageais
mon temps entre l'instruction que je recevais et celle que je donnais. Afin de pouvoir manger, dormir et me
vêtir pendant que j'étudiais à l'Université de Pauw — de 1897 à 1900 — je travaillais comme garçon de café,
je surveillais des chaudières, tondais des pelouses, tenais des comptabilités, et pendant les vacances, je faisais
les moissons ou transportais, dans une brouette, du gravier pour la construction d'une nouvelle route.
Après avoir obtenu mon diplôme de sortie 9
1
à l'Université de Pauw, je partis à l'aventure, vers un pays encore neuf : l'Oklahoma. Lorsque les réserves
des Indiens Kiowa, Comanches et Apaches furent ouvertes, je me fis concéder un terrain et m'installai
1 . Ce diplôme correspond à peu près à notre licence ès-Iettres (N. d. T.).
HISTOIRES VECUES
comme conseiller juridique à Lawton (Oklahoma). Pendant treize ans. je fis partie du Sénat de l'Etat
d'Oklahoma, puis, pendant quatre ans, je fus membre du Congrès et, à l'âge de cinquante ans, j'eus la joie de
voir se réaliser l'ambition de ma vie : je fus élu Sénateur des Etats-Unis. Je n'ai pas cessé de repré senter les
intérêts de i'Oklahoma depuis cette date, le 4 mars 1927. C'est-à-dire que depuis l'absorption des territoires
indiens par l'Etat d'Oklahoma, le parti démocrate m'a toujours honoré de sa confiance, en me nommant
d'abord au Sénat de mon Etat d'adoption, puis au Congrès et, finalement, au Sénat des Etats-Unis.
Je vous raconte cette histoire non pour me vanter de mes hauts faits qui, j'en suis persuadé, ne sauraient
intéresser personne, mais dans l'espoir de donner un peu de courage et d'assurance à quelque pauvre garçon
qui, en ce moment même, souffre des tourments, de la timidité et du complexe d'infériorité qui me tor turaient
lorsque je portais le vieux costume de mon père et ses bottines à bandes de caoutchouc qu'à chaque pas je
craignais de perdre.
(Note de l'éditeur : Les lecteurs seront peut-être intéressés de savoir qu'Elmer Thomas fut récemment désigné
comme le membre le plus élégant du Sénat américain.)
317 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
*
**
VOICI POURQUOI JE NE ME TOURMENTE PLUS
par William Lyon Phelps, Professeur à l'Université de Yale.
1) J'avais à peine atteint l'âge de vingt-quatre ans quand, tout à coup, mes yeux se refusèrent à remplir leur
tâche habituelle. Au bout de trois ou quatre minutes de lecture, ils me piquaient comme s'ils étaient pleins
d'aiguilles ; et même lorsque je ne lisais pas, ils étaient si sensibles que, faisant face à la fenêtre, je ne
pouvais pas les garder ouverts. Je consultai les meilleurs oculistes de New Haven et de New-York, mais en
vain. Aucun de ces spécialistes n'était en mesure de m'aider. A partir de quatre heures de l'après-midi, j'étais
obligé de me réfugier dans le coin le plus sombre de mon cabinet de travail et de rester là, incapable de faire
quoi que ce fût, à attendre le moment de me coucher. J'étais litté ralement épouvanté. Je craignais d'être forcé
d'abandonner l'enseignement, de m'en aller dans l'Ouest pour essayer de gagner ma vie comme bûcheron.
Puis, brusquement, cette crainte disparut, à la suite d'un incident étrange qui me montra le pouvoir miraculeux
de l'esprit sur Sa condition physique. Juste au moment où mes yeux semblèrent sur le point de me « lâcher »
complètement, on m'invita à faire une conférence à l'occasion d'une nouvelle promotion d'étudiants. La salle
était illuminée par d'immenses couronnes de brûleurs à gaz, suspendues au plafond. Cet éclairage aveuglant
irritait tellement mes yeux que, placé comme je l'étais, sur l'estrade, faisant
HISTOIRES VECUES
318
face à la salle, j étais forcé de baisser la tête Cependant, dès que je pris la parole, je ne ressentais plus la
moindre douleur, et je pouvais pendant les trente minutes que durait mon discours regarder directement ces
lumières brillantes sans être obligé une seule fois de détourner les yeux. Malheureusement, après ma
conférence, mes yeux me firent souffrir tout autant qu'auparavant.
Mais ce fait apparemment insignifiant me donna une idée. Je me disais que, si je pouvais me concentrer
suffisamment sur un sujet quelconque, non pas pendant trente minutes, mais durant une semaine, j'arriverais
peut-être à me guérir. Car le phénomène que je venais d'observer constituait incontestablement un exemple de
l'effet bienfaisant de l'effort mental sur un mal physique.
Un peu plus tard, alors que je me trouvais à bord d'un bateau traversant l'Atlantique, j'eus une expé rience
similaire. Je souffrais d'un lumbago si douloureux que je ne pouvais plus marcher, et que la moindre tentative
de me redresser m'arrachait des gémissements. J'étais couché dans ma cabine quand le capitaine me demanda
de faire une conférence, afin de distraire les passagers. Or, à peine eus-je commencé à parler que toute trace
de douleur et de raideur disparut ; je pouvais me tenir droit, je me promenais de long en large, et ceci pendant
toute la durée de ma conférence, c'est-à-dire pendant une heure. A la fin de la soirée, je regagnai ma cabine
d'un pas allègre. Je croyais être guéri, mais ce n'était qu'une guérison temporaire. Le lendemain, mon lumbago
revint.
Cette double expérience me prouva l'importance primordiale de l'attitude mentale d'un malade. Elle me
montra qu'il faut à tout prix jouir de la vie tant qu'on en a la possibilité. A présent, je vis chaque journée
comme si c'était à la fois le premier et le dernier jour
319 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
de mon existence. Je me passionne pour l'aventure qui commence chaque matin, et, croyez-moi, un homme
passionné pour quelque chose ne risque guère d'être tourmenté excessivement par des appréhensions, des
soucis, des tracas. J'aime mon travail — l'enseignement — qui est pour moi beaucoup plus un art qu'un
travail. J'aime enseigner, tout comme un peintre aime peindre, un chanteur aime chanter. Chaque matin, avant
de me lever, je pense avec une profonde joie aux étudiants qui assisteront à mon premiers cours de la journée.
J'ai toujours estimé qu'une des principales causes du succès est l'enthousiasme pour la tâche que l'on doit
accomplir.
2) J'ai découvert que je peux chasser mes préoccu pations en lisant un bon livre. A l'âge de cinquante-neuf ans,
je souffrais d'une longue dépression nerveuse. A cette même époque, j'entrepris la lecture d'une biographie
monumentale — et très intéressante — de Thomas Carlyîe. Cette lecture contribua énormément à mon
rétablissement, car elle m'absorbait tant que j'oubliais ma faiblesse et mon découragement.
3) Une autre fois, alors que j'étais de nouveau très déprimé, je m'astreignis à des exercices phy siques qui
m'occupaient presque toute la journée. Chaque matin, je faisais cinq ou six sets de tennis, en me dépensant le
plus possible, puis, je prenais un bain, déjeunais et, l'après-midi, je jouais au golf, un minimum de dix-huit
trous. Chaque vendredi soir, je dansais jusqu'à une heure du matin. Je suis persuadé que rien ne vaut une
bonne suée. J'ai découvert que ma mélancolie et mon inquiétude suintaient hors de mon corps avec ma
transpiration.
4) J'ai appris depuis longtemps à éviter toute précipitation, toute agitation, à ne jamais travailler « sous
pression ». J'ai toujours essayé de suivre le principe de VVilbur Cross, l'ancien Gouverneur du
HISTOIRES VÉCUES
320
Connecticut, qui m'a dit un jour : « Parfois, lorsque je dois faire trop de choses en même temps, je m'installe
confortablement dans mon fauteuil, allume ma pipe et, pendant une heure, je ne fais strictement rien. »
5) J'ai aussi appris que la patience et le temps arrivent — Dieu seul sait ■comment — à résoudre nos
difficultés. Chaque fois que quelque chose me préoccupe, je m'efforce de voir la cause de mon ennui dans la
bonne perspective. Je me dis : « D'ici deux mois, je ne penserai même plus à ce « coup dur », alors, pourquoi
m'en inquièterais-je aujourd'hui ? Pourquoi ne pas prendre tout de suite l'attitude que j'aurai probablement
d'ici deux mois ? »
Et voilà les cinq principes qui m'ont permis de triompher de mes soucis.
*
**
DES COUPS DE POING DANS LE SAC DE SABLE, OU UNE BONNE MARC HE AU GR AND AIR
par le Colonel Eddie Eagan, procureur général de l'Etat de New-York, président du comité de l'Université de Rhodes,
membre de la commission athlétique de New-York, ancien champion
olympique de poids mi-lourds.
Lorsque je suis préoccupé, que je tourne men talement en rond comme ces chameaux d'Egypte qui font tourner
éternellement la roue de leur noria, j'ai recours à une bonne fatigue physique pour chasser mon « cafard ». Je
fais un ou deux kilomètres de course à pied, j'entreprends une longue promenade à travers la campagne, ou je
m'en vais au gymnase pour donner.
321 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
pendant une heure, des coups de poing dans un sac de sable. Quel que soit le moyen choisi, l'exercice
physique m'éclaire singulièrement les idées. Chaque week-end, je fais du sport, je me dépense en courant par
exemple autour du terrain de golf, en pagayant, ou encore, en hiver, en faisant du ski dans le massif des
Adirondacks. Ma fatigue physique permet à mon esprit de se reposer de son travail juridique, de sorte qu'en
retournant à mon bureau, je peux m'attaquer aux problèmes judiciaires avec une énergie — et une efficacité
— nouvelles.
A New-York, je trouve assez souvent le temps d'interrompre mon travail pour passer une heure au gymnase.
Personne ne peut se tourmenter tout en tapant sur un sac de sable ou en faisant du ski. On est trop occupé
pour ruminer ses soucis. Les immenses montagnes mentales que forment les appréhensions deviennent de
minuscules taupinières que de nouvelles pensées et de nouvelles actions aplanissent rapidement.
A mon avis, le meilleur antidote aux tourments est l'exercice physique. Dès que vous avez des ennuis, faites
travailler davantage vos muscles et moins votre cerveau — le résultat de cette méthode vous étonnera. En ce
qui me concerne, c'est très simple — les soucis disparaissent dès que l'exercice physique commence.
HISTOIRES VÉCUES
322
*
**׳
J'ETAIS AUTREFOIS LE PLUS PARFAIT DES IMBÉCILES
par Percy H . Whiting, Directeur Commercial de Date Carnegie et Co, New-York.
Je suis mort beaucoup plus souvent, — chaque fois d'une maladie différente — que tout autre homme, qu'il
soit vivant, mort ou à moitié mort.
Je n'étais pas un hypocondriaque ordinaire. Mon père avait été propriétaire d'une pharmacie, et j'avais
pratiquement grandi dans sa boutique. Comme je parlais chaque jour à des médecins et des infirmières, je
connaissais les noms et les symptômes de plus de maladies — et, surtout, de maladies plus terribles — que le
profane moyen. Oh non, je n'étais certainement pas un hypocondriaque ordinaire — car moi, j'avais Ses
symptômes des maladies qui me frappaient ! Je pouvais me tracasser pendant une ou deux heures au sujet de
tei mal, et cela me suffisait pour présenter tous les symptômes d'un homme souffrant incontes tablement de ce
mal. Je me rappelle qu'un hiver, nous avions à Great Barrington (Massachusetts), la ville où nous habitions,
une épidémie assez grave de diphtérie. Dans la pharmacie de mon père, j'avais vendu tous Ses jours des
médicaments à des gens qui avaient chez eux un ou plusieurs cas de diphtérie. Puis, un matin, le désastre que
j'avais redouté s'abattit sur moi : j'avais attrapé moi-même la diphtérie. Tout au moins en étais-je persuadé. Je
me couchai et, à force de me tourmenter, j'arrivai à présenter les symptômes traditionnels. Je fis mander un
docteur qui.
323
TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
après m'avoir regardé quelques instants, confirma : « Pas de doute, Percy, tu l'as. » Ce verdict me soulagea.
Du moment que j'étais sûr d'avoir telle ou telle maladie, je n'avais plus peur du tout. Je me retournai donc et
m'endormis tranquillement. Le lendemain matin, j'allais parfaitement bien.
Pendant des années, je me distinguais, j'éveillais l'attention et la compassion de tout le monde en me
spécialisant dans certaines maladies aussi rares qu'extraordinaires — je mourais plusieurs fois du tétanos et
de la rage (les deux se déclaraient en même temps). Plus tard, je souffrais de préférence de maladies
exceptionnelles — surtout du cancer et des différentes variétés de tuberculose.
Aujourd'hui, je ris de cette manie, mais à cette époque-là, c'était plutôt dramatique. Durant de longues années,
je craignais vraiment d'avoir au moins un pied dans la tombe. Par exemple, quand, au printemps, j'avais
besoin d'un nouveau costume, je me disais : « Dois ־je vraiment gaspiller tout cet argent pour acheter un
costume que je n'aurai probablement pas le temps d'user ? »
Je suis cependant heureux de pouvoir annoncer que ma santé s'est nettement améliorée : au cours des dix
dernières années, je ne suis pas mort une seule fois.
Comment ai-je cessé de mourir ? En me moquant de moi-même et de mon imagination. Chaque fois que je
sentais se préciser les symptômes angoissants, j'éclatais de rire et me disais : « Allons, allons, mon petit
Whiting, voilà vingt ans que tu meurs continuellement, que tu succombes à une maladie fatale après l'autre,
ce qui ne t'empêche pas d'être aujourd'hui en pleine forme. Ta compagnie d'assurances vient de faire droit à ta
demande d'augmenter le capital de ta police. Ne crois-tu pas, mon petit vieux, que tu
HISTOIRES VECUES
324
devrais enfin cesser ce petit jeu et rire de bon cœur de l'imbécile parfait que tu es ? » Je n'ai pas tardé à
découvrir que je ne pouvais pas en même temps me tracasser à cause de ma santé et rire de moi-même. Alors,
j'ai renoncé à mes tracas, car, tout compte fait, je préfère rire, même de ma propre bêtise.
*
**
MON ADVERSAIRE LE P LUS CORIACE ÉTAIT LE TOURMENT
par Jack Dempsey.
Durant ma carrière de boxeur, j'ai découvert que Mr. Tourment, ce vieil ennemi de l'humanité, était un
adversaire plus coriace que les poids lourds qu'on m'opposait. Peu à peu. je me rendais compte que je devais
apprendre à ne plus me tracasser, si je ne voulais pas voir mes tracas saper ma vitalité et miner mon succès.
C'est pourquoi j'élaborai une méthode dont les principes essentiels étaient les suivants :
1) Afin de ne pas perdre courage pendant que j'étais dans le ring, je stimulais mon propre moral en me
répétant sans cesse : « Rien ne peut !n'arrêter. Les coups de mon adversaire ne peuvent me faire mal, je ne les
sentirai même pas. Je continuerai à me battre et à vaincre, quoi qu'il arrive. » Le fait de m'adresser à moi-
même des déclarations positives de ce genre, de !n'interdire toute pensée de défaite, m'aidait énormément. De
cette façon, mon esprit était tellement occupé que je ne sentais même pas les coups de mes adversaires. Et
pourtant, j'ai eu, au cours de ma
325 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
carrière, les lèvres écrasées les arcades sourcilières fendues, les côtes brisées — Firpo me fit même passer
par-dessus les cordes, j'atterris sur la machine à écrire d'un journaliste, et le pauvre garçon fut obligé d'en
acheter une autre. Mais je n'ai pas ressenti un seul des coups que Firpo m'assenait. Je ne me souviens
nettement que d'un seul coup, le soir où Lester Johnson me brisa trois côtes. Et encore n'ai-je pas senti le
coup proprement dit, mais uniquement la gêne que j'éprouvais en respirant.
2) D'autre part, je me représentais constamment la futilité de tout tourment. En général, j'étais pré occupé
surtout avant les grands combats, pendant la période d'entraînement. A l'époque de mes débuts, il m'arrivait
souvent de rester éveillé une bonne partie de la nuit, de me tourner et retourner dans mon lit. trop angoissé
pour m'endormir. Je redoutais par exemple de me briser une phalange, de me fouler une cheville encore avant
le combat, ou d'avoir, dès le premier round, un œil fermé, ce qui m'aurait empêché d'ajuster mes coups. Quand
je me voyais dans cet état de nervosité, je me levais, me regardais dans la glace, et m'adressais un petit
discours, à peu près dans le genre de celui-ci : « Que tu es bête, mon pauvre Jack, de te tracasser pour une
chose qui n'est pas arrivée, et qui n'arrivera peut-être jamais. La vie est si courte, — alors tâche d'en profiter.
Au fond, rien n'est important, à part ta santé, ta condition physique. » Et j'ai constaté que ces paroles,
répétées nuit après nuit, pendant des années, ont fini par pénétrer en quelque sorte sous ma peau, de sorte
qu'aujourd'hui, je suis capable de me débarrasser de mes tourments simplement en me secouant, en
m'ébrouant comme un chien sortant de l'eau s'ébroue pour se débarrasser des gouttes accrochées à ses poils.
HISTOIRES VECUES
326
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JE ME CONDUISAIS COMME UNE FEMME HYSTÉRIQUE
par Cameron Shipp, échotier.
Pendant plusieurs années, j'avais vécu, heureux et content, en travaillant dans le service de la
publicité de la Warner Brothers, la grande compagnie cinématographique de Californie.
J'écrivais, à l'usage des journaux et des magazines, des articles et des histoires sur les
vedettes de ma firme.
Tout à coup, j'eus de l'avancement. Je fus nommé directeur adjoint de la publicité. Pour être
plus précis, on avait décidé de transformer entièrement l'administration de la maison, ce qui
me valut le titre impressionnant d'Assistant administratif, un énorme bureau avec un frigidaire
particulier et deux secrétaires, et me mit à la tête d'une équipe de soixante-quinze experts de
la publicité cinématographique. J'étais très fier. Je sortis immédiatement pour commander un
nouveau costume. J'essayai de parler avec beaucoup de dignité. J'instituai un système inédit
de classement des dossiers, je promulguai des décisions capitales en faisant preuve d'une
grande autorité, et je pris mes repas sur un coin de ma table de travail.
J'étais persuadé de porter sur mes seules épaules le fardeau écrasant de la responsabilité de
tout ce qui concernait la publicité de la Warner Brothers. Je me rendais compte que la vie
privée et publique de personnages aussi célèbres que Bette Davis, James Cagney, Edward G.
Robinson, Errol Flynn et Ann Sheridan se trouvait entièrement entre mes mains.
En moins d'un mois, je me sentis gravement malade — des ulcères d'estomac, sinon un
cancer. Après
327 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
chacune de nos conférences, j'étais pris de violents malaises. Souvent, je devais, sur le chemin du retour,
ranger ma voiture le long du trottoir et me ressaisir avant de pouvoir continuer. J'avais — du moins le
pensais-je — tant de travail, et si peu de temps pour le faire ! Tout était tellement important, essentiel, vital,
et j'étais si peu à la hauteur de ma tâche !
Ne croyez surtout pas que j'exagère — ce fut de loin la maladie la plus pénible de toute ma vie. Conti -
nuellement, une tenaille broyait mes intestins. Je commençais à maigrir. Je n'arrivais plus à dormir, mes
douleurs ne me laissaient pas un instant de repos.
Finalement, je consultai un spécialiste célèbre des maladies internes, un homme qui, d'après ce que me disait
un de mes employés, avait parmi ses clients un grand nombre d'agents de publicité. Notre entretien fut très
bref ; le médecin me donna juste le temps d'expliquer ma façon de vivre, mes occupations, et les douleurs que
je ressentais. Tout d'abord, il paraissait plus intéressé par mon travail que par mes souffrances ; mais je me
rassurai bientôt car, durant deux semaines, il me soumit à tous les examens et tests possibles et imaginables.
Finalement, après m'avoir palpé, exploré, regardé aux rayons X, il me demanda de venir à son cabinet pour
prendre connaissance du verdict. *
« Mr. Shipp. commença-t-il, se calant dans son fauteuil et m'offrant une cigarette, nous voilà au terme de
cette longue série d'examens. Ils étaient indispensables, quoique j'eusse compris, bien entendu, dès que je
vous eus examiné superficiellement, que vous n'aviez pas d'ulcères, ni de cancer.
« Mais je savais aussi, étant donné l'homme que vous êtes et le travail que vous faites, que vous ne me
croiriez pas, si je ne vous donnais pas la preuve de ce que j'avance. Eh bien, voici cette preuve. »
Il me montra les radiographies, les expliqua, de
HISTOIRES VÉCUES
328
manière à me faire comprendre qu'en effet, je n'avais pas d'ulcères.
« Eh bien, reprit-il, tout cela va vous coûter beau coup d'argent. Mais cette dépense n'aura pas été inutile, tout
au contraire. Maintenant, je vais vous donner ma prescription : N e vous tourmentez pas.
Attendez, fit-il, voyant, que j'allais protester. Je me rends compte que vous ne pourrez suivre ce conseil dès
demain. Je vais donc vous donner quelque chose qui vous aidera. Voici quelques pilules qui contiennent de la
belladone. Vous pouvez en prendre tant que vous voudrez. Quand votre provision sera épuisée, revenez me
voir, et je vous en donnerai d'autres. Ces pilules ne vous feront aucun mal. Elles vous aideront sim plement à
vous détendre.
« Mais n'oubliez pas qu'au fond, vous pouvez vous en passer. Tout ce que vous avez à faire, c'est de cesser de
vous tourmenter.
« Si vous recommencez à vous tracasser, vous serez obligé de me consulter à nouveau, et je vous enverrai de
nouveau une note salée. Pensez-y, n'est-ce pas ? »
Je voudrais pouvoir vous dire que cette leçon eut ses premiers effets dès cet entretien, et que je cessai
immédiatement de me tourmenter. Malheureusement, il n'en était rien. Pendant plusieurs semaines, je pris ces
pilules chaque fois que j'étais préoccupé. Elles me soulageaient immédiatement.
Mais peu à peu, je commençais à me trouver ridicule. Je suis un homme très grand, très vigoureux, je pèse
près de cent kilos. Et pourtant, je prenais de petites pilules blanches pour arriver à me détendre. Je me
conduisais vraiment comme une femme hystérique. Quand mes amis me demandaient pourquoi je prenais ces
pilules, j'avais honte. Bientôt, je me moquais de moi-même. Je me disais : « Voyons, mon petit Cameron
Shipp, Bette Davis et James Cagney et Edward
329 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
Robinson étaient célèbres dans le monde entier avant que tu eusses commencé à t'occuper de leur publicité ;
et si tu mourais ce soir, la Warner Brothers arriverait bien à s'en tirer sans toi. Ce qui prouve que tu te conduis
comme un imbécile, et que tu te prends beaucoup trop au sérieux. Regarde donc Eisenhower, le général
Marshall, MacArthur, Jimmy Doolittle et l'amiral King — ils dirigent notre effort de guerre sans prendre de
médicaments. Et toi, tu ne peux pas prendre part à une conférence de scénaristes sans croire que tes pauvres
entrailles vont se déchirer si tu n'avales pas quelques pilules. »
Je commençais à essayer de me passer de ces pilules, à y mettre un point d'orgueil. Un peu plus tard, je les
jetai à la poubelle. Au lieu de me « droguer », je rentrais chaque soir assez tôt pour prendre quelques minutes
de repos avant le dîner. Bientôt, je menais une vie normale, j'étais redevenu un être normal. Je ne suis plus
jamais retourné chez ce grand spécialiste.
Je lui dois cependant beaucoup, plus que les hono raires que j'avais considérés, à l'époque, comme plutôt
excessifs. Il m'a appris à me moquer de moi-même. Je crois d'ailleurs qu'il a donné la preuve de ses capacités
professionnelles surtout en s'abstenant de me rire au nez, et de me dire qu'en somme, je n'avais aucune raison
de m'inquiéter. Il m'a pris au sérieux, et m'a ainsi permis de « sauver la face ». Il savait très bien, tout comme
je le sais aujourd'hui, que la véritable cure ne consistait pas en l'absorption de ces petites pilules — mais en
un changement radical de mon attitude mentale.
HISTOIRES VECUES
330
**
J 'AI RE GARDÉ MA FE MME LAVER DES ASSIETTES
par le Révérend William Wood, Charlevoix (Michigan).
Il y a quelques années, je souffrais de violents maux d'estomac. Chaque nuit, les douleurs me ré veillaient
deux ou trois fois. Comme j'avais assisté à la lente agonie de mon père, mort d'un cancer de l'estomac, je
craignais d'avoir, moi aussi, un cancer, ou tout au moins un ulcère de l'estomac. Je me fis donc examiner par
un spécialiste renommé qui m'ordonna simplement un somnifère et m'assura que je n'avais ni cancer ni ulcère.
Mes douleurs, m'expliqua-t-il. provenaient d'une forte tension nerveuse. Voyant que j'étais prêtre, il me
demanda d'ailleurs, dès le début de la consultation : « Vous n'auriez pas un vieux maniaque dans votre
comité ? »
En somme, il ne m'apprit rien de nouveau. Je savais que j'étais surchargé de travail. En plus de mes fonctions
de pasteur, j'étais président de la section locale de la Croix-Rouge et d'une association cultu relle. Je
travaillais continuellement «sous pression ». Je n'arrivais jamais à me détendre. J'en étais arrivé à me
tourmenter au sujet de tout. Rien ne me paraissait normal. Je décidai donc de suivre le conseil du médecin. Je
pris un jour de repos par semaine, et je commençai à me libérer de certaines responsabilités.
Puis, un jour, alors que je faisais « le ménage » sur mon bureau, j'eus une idée qui, par la suite, devait m'être
d'un grand secours. Je venais de retrouver une liasse de vieux sermons et de toutes sortes de
331 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
notes sur des sujets qui ne m'intéressaient plus du tout. Je froissai ces feuilles, l'une après l'autre, et les jetai
au panier. Tout à coup je m'arrêtai et me dis : « Mon vieux Bill, pourquoi ne ferais-tu pas avec tes tourments
ce que tu es en train de faire avec ces notes ? Pourquoi ne jetterais-tu pas tes tracas concernant le passé
simplement au panier ? » Ce fut une inspiration heureuse qui me procura un soulagement immédiat. A partir
de ce jour, j'ai toujours jeté au panier les problèmes dont la solution échappait à mon contrôle.
Puis, un autre jour, alors que j'essuyais la vaisselle que ma femme venait de laver, j'eus une autre idée. Ma
femme chantait tout en lavant les assiettes, et je me dis : « Comme elle est heureuse. Voilà dix-huit ans qu'elle
fait la vaisselle. Si, la veille de notre mariage, elle s'était imaginé la montagne d'assiettes qu'elle allait être
obligée de laver au cours de ces dix-huit ans — Seigneur ! ça doit faire une pile plus haute et plus large que
notre maison ! La femme la plus courageuse aurait reculé devant une telle entre prise ! Pourquoi n'a-t-elle pas
été épouvantée par cette idée ? Parce qu'elle lave à la fois seulement la vaisselle d'une journée. »
Je compris alors d'où venaient mes ennuis. J'essayais de laver en même temps la vaisselle d'aujourd'hui, celle
d'hier, et même celle qui n'était pas encore sale.
Aujourd'hui, je ne me tourmente plus. Plus de maux d'estomac. Plus de nuits blanches. J'ai appris à jeter au
panier les angoisses de la veille, et je n'essaie plus de laver aujourd'hui la vaisselle que nous salirons demain.
HISTOIRES VÉCUES
332
**
COMMENT JOHN D. ROCKE FE LLE R A TROMPÉ LA MORT PENDANT QUAR ANTE -C INQ ANS
A l'âge de trente-trois ans, John D. Rockeffeler senior avait accumulé son premier million. A quarante-trois
ans, il avait édifié le plus grand trust que le monde ait jamais connu ·— la Standard Oil. Et à cinquante-trois
ans ? Les tourments, les soucis l'avaient abattu, avaient ruiné sa santé. A cinquante-trois ans, il « ressemblait
à une momie », suivant l'expression de John Winkler, son biographe.
A cinquante-trois ans, Rockeffeler fut brusquement atteint d'une mystérieuse maladie de l'appareil digestif
— une maladie qui, presque du jour au lendemain, fit tomber ses cheveux, ses cils et jusqu'aux sourcils. « Son
état était si grave, écrit Winkler, que. pendant un certain temps, il ne put se nourrir que de lait de femme. »
Les médecins diagnostiquaient une alopécie, forme très rare de calvitie qui provient essentiellement d'une
fatigue nerveuse. Il paraissait si effrayant, avec son crâne dénudé, qu'il devait porter continuel lement un
bonnet, et. plus tard, une perruque.
La nature avait donne à Rockefeller une constitution de fer. Elevé dans une ferme, il avait eu, au temps de sa
jeunesse, des épaules robustes, un port droit, une démarche souple et rapide. A cinquante-trois ans
— à l'âge où la plupart des hommes sont en pleine possession de leurs moyens — il avait les épaules
tombantes, il titubait en marchant. Il était, certes, l'homme le plus riche du monde ; pourtant, il devait.
333 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS.
pour s'alimenter, se contenter d'un régime dont un clochard n'aurait pas voulu. Avec un revenu hebdo madaire
d'un million, il était obligé de se contenter d'une nourriture qu'il aurait pu payer avec deux dollars par
semaine. Les médecins ne lui permettaient qu'un peu de lait caillé et quelques biscuits. Sa peau s'était
complètement décolorée, au point de ressembler à un vieux parchemin jauni, tendu sur les os. Sans les soins
attentifs des meilleurs médecins, il serait mort à cinquante-trois ans.
D'où venait ce vieillissement prématuré ? De ses soucis, ses tracas, ses préoccupations et craintes constantes,
du surmenage nerveux. Il se précipitait littéralement vers sa tombe. A vingt-trois ans, déjà, Rockefeller avait
poursuivi son but avec une telle détermination que rien ne pouvait amener un sourire sur ses lèvres, à part la
nouvelle d'une heureuse opération. Quand il avait réalisé un gros bénéfice, il dansait de joie — mais quand il
perdait de l'argent, il tombait malade ! Un jour, il avait acheté un char gement de blé, d'une valeur de quarante
mille dollars qui devait être acheminé par bateau, en suivant la voie des grands lacs. Pas d'assurance — trop
cher : 150 dollars. La nuit, une tempête balaya le lac Erié. Rockefeller tremblait tellement pour son blé que
son Associé John Gardner, en arrivant le lendemain matin au bureau, le trouva là, arpentant fébrilement la
petite pièce.
« Cours ! Vite » — balbutia Rockefeller. — Essaie d'assurer encore la cargaison. » Gardner se précipita et put
encore conclure l'assurance ; mais quand il retourna au bureau, il trouva Rockefeller plus énervé que jamais.
Un télégramme venait d'arriver, annonçant que le bateau avait pu atteindre le port. Rockefeller était malade à
l'idée d'avoir «gaspillé» 150 dollars ! Tellement malade qu'il dut rentrer et s'aliter. A cette
HISTOIRES VÉCUES
334
époque, le chiffre d'affaires de sa firme atteignait déjà un demi-million par an — et il se rendait malade à
cause de 150 dollars !
Plus tard, avec des millions à sa disposition, il ne se couchait jamais sans la crainte de perdre sa fortune.
Jamais, il ne trouvait le temps de se reposer, de se distraire, d'aller au théâtre, de jouer aux cartes. Il était fou
— et sa folie était l'argent.
Un jour, il avoua à un voisin qu'il voudrait « être aimé » ; pourtant, il était si froid, si méfiant que peu de
gens le trouvaient agréable. Son propre frère le détestait au point de retirer les corps de ses enfants du caveau
familial. « Personne de mon sang ne reposera dans une terre appartenant à John », disait-il. Ses employés et
associés le craignaient comme la peste, et — voilà le trait drôle de l'histoire — lui aussi les craignait ; il avait
peur qu'ils ne trahissent « ses secrets ». Il était si méfiant qu'un jour, en signant un contrat avec un raffineur
de pétrole, il demanda à celui-ci de n'en parler à personne, même pas à sa femme !
Il avait atteint le sommet de sa puissance, l'or affluait dans ses coffres, quand, brusquement, son univers
s'écroula. Une violente campagne de presse le dénonça comme le « bandit seigneurial » du pétrole, dévoila
ses accords "secrets avec les compagnies de chemins de fer, ses manœuvres impitoyables pour écraser ses
concurrents.
Dans les régions pétrolifères de la Pennsylvanie, Rockefeller était l'homme le plus détesté du monde. Les
hommes qu'il avait ruinés le pendaient en effigie. Il devait engager des gardes du corps pour empêcher ses
adversaires de l'abattre comme un chien. Il affectait d'ignorer cette tempête de haine. Il disait, avec son
cynisme habituel: «Vous pouvez m'insulter, me donner des coups de pied, pourvu que vous me laissiez
335 TRIOMPHEZ DE VOS SOUCIS..
faire. » Mais il devait découvrir qu'après tout, il n'était pas un surhomme. 11 ne pouvait supporter
indéfiniment cette haine — et ses propres soucis. Un jour, il s'effondra. D'abord, il tenta de cacher son état, et
même de ne pas y penser. Mais il ne pouvait pas dissimuler les symptômes de son délabrement physique.
Finalement, ses médecins lui révélèrent la dure, l'effroyable vérité : il devait choisir entre son argent et ses
soucis d'une part, sa vie de l'autre. Il devait ou bien se retirer, ou bien mourir. 11 préféra se retirer, mais, déjà,
il était un homme brisé. Quand Ida Tarbell, la plus célèbre femme-biographe d'Amérique, le vit pour la
première fois, elle fut épouvantée. « C'était l'homme le plus vieux de la terre », écrit-elle. Vieux ? Il était à
cette époque-là nettement plus jeune que le général MacArthur au moment de la reconquête des Philippines !
Mais il était une pauvre loque, au point qu'Ida Tarbell, tout en cherchant à abattre la puissance de la Standard
Oil, ne put s'empêcher de le plaindre.
Ses médecins lui avaient donné trois prescriptions : ne jamais se tourmenter, se détendre, et suivre stric tement
son régime, de manière à ne jamais satisfaire complètement sa faim. Et Rockfeller leur obéit,
scrupuleusement. Il commença même — lui qui s'était presque tué dans sa poursuite de la fortune — à dis -
tribuer ses millions. Il subventionna des universités, des institutions charitables, et, surtout, il fonda et dota
généreusement l'Institut Rockfeller. Peu à peu, il arrivait ainsi à conquérir une- sorte de bonheur, la sérénité,
la tranquillité d'esprit. Même quand, au bout de plusieurs années de procédure, la Standard Oil fut condamnée
à une amende fabuleuse pour avoir violé la législation anti-trust, il put dire à un de ses avocats qui le
suppliait de ne pas s'énerver :
« Ne vous inquiétez pas pour moi, mon ami. J'ai l'intention de très bien dormir cette nuit. J'espère
HISTOIRES VECUES
336
seulement que vous dormirez aussi bien que moi. Bonne nuit ! »
Et c'était le même homme qui avait dû s'aliter parce qu'il avait perdu 150 dollars ! John Rockefeller a mis
longtemp pour arriver à triompher de ses soucis. Il était « mourant » à cinquante-trois ans — mais il n'est
mort qu'à quatre-vingt-dix ans !
FIN
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION. — Comment et pourquoi j'ai écrit ce
livre .............................. 5
PREMIÈRE PARTIE
MESURES ELEMENTAIRES CONTRE LES TOURMENTS
I. — Divisez votre existence en « compartiments
étanches » .................................... 11
II. — Une formule magique pour dissiper vos
appréhensions.............................. 26
III. — Du mal que les soucis peuvent vous faire 37
DEUXIÈME PARTIE
ANALYSE SYSTÉMATIQUE DU TOURMENT
I. — Comment analyser et résoudre un problème
angoissant .................................... 53
IL — Comment éliminer cinquante pour cent de
vos soucis d'affaires ........................ 64
339
TABLE DES MATIÈRES
TROISIÈME PARTIE
COMMENT BRISER L'ASSAUT CONTINUEL DE VOS SOUCIS AVANT QUE LES SOUCIS NE VOUS BRISENT
I. — Disputez le terrain à vos tourments......... 7 1
IL — Gare aux petits ennuis — ce sont les plus
corrosifs....................................... 84
III — Une loi dont l'application bannira une
bonne partie de vos soucis .....,......... 94
IV, — Acceptez l'inévitable........................... 104
V. — Bloquez vos tourments en leur fixant une
limite .......................................... 1 15
VI, — N'essayez pas de scier de la sciure............ 126
QUATRIÈME PARTIE
SEPT FAÇONS DE CULTIVER UNE ATTITUDE SUSCEPTIBLE DE VOUS APPORTER LA PAIX ET LE BONHEUR
ï. — Neuf mots qui peuvent changer toute votre
vie ............................................. 134
IL — Les rancunes se paient — et même très
cher .......................................... 149
III. — Ne soyez pas révolté par l'ingratitude des
gens............................................. 161
IV. — Donneriez-vous ce que vous possédez pour
un million de dollars?..................... ! 7 1
V. — Cherchez à vous connaître vous-même, et à
être vous-même. — N'oubliez jamais que
personne n'est exactement comme vous... 181 VI. — Le destin ne vous a donné qu'un citron ?
Eh bien — faites une citronnade......... 188
VIL — Comment se guérir de la mélancolie en
quinze jours................................. 199
TABLE DES MATIÈRES
340
CINQUIÈME PARTIE
GARDEZ VOTRE SÉRÉNITÉ — EN DEPIT DE TOUTES LES CRITIQUES
!. — Dites-vous bien qu'on vous attaque parce
qu'on vous jalouse........................... 220
H. — Devenez insensible aux critiques............ 226
III. — Mes bévues .................................... 232
SIXIÈME PARTIE
SIX MANIÈRES DE PRÉVENIR LA FATIGUE ET LES SOUCIS, DE MAINTENIR TOUJOURS SON ÉNERGIE ET SON COURAGE