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Allocution prononcée par Fleur Alexandra Picher le 22 juin 2023 au vernissage de 25 ans déjà

(Remerciements)
Aujourd’hui même, cela fait exactement 25 ans que s’éteint Claude Picher. Mon père avait 45 ans
lorsque je suis née, il s’était déjà retiré de la vie publique. Il racontait parfois son passé haut en couleur,
et tout cela semblait tenir de la légende.
Sa jeunesse se déroule dans les années d’après-guerre, il a 21 ans en 1948, il est déjà marié et
deviendra père à New York. Alors qu’il y mène des études et tente de survivre financièrement, il
entretient une correspondance assidue avec ses parents qui tiennent les cordeaux de sa bourse. Le coût
de la vie à New York à cette époque se fait beaucoup plus cher qu’en France, où il restera
subséquemment 2 années et où il goûtera l’abondance et la simplicité du voyage. Il y rencontrera même
Albert Camus.
De retour au Québec, il loue un atelier sur la rue des Ursulines, qu’il partage avec Edmund Alleyn.
Une carrière administrative dans le monde des arts s’ouvre à lui, il participe à des jurys et à des revues
dans lesquelles il écrit des articles sur l’art.
En 1954, dans l’insolence de sa jeunesse, il prend part à un débat houleux entre artistes, critiques
et historiens dans l’Autorité qu’on appela : La querelle des peintres. À l’origine, il s’agit d’un canular
organisé par mon père, Jean-Paul Lemieux et Edmund Alleyn. Ils produisirent une toile abstraite dans le
but de discréditer Borduas et les automatistes lors de l’exposition La matière chante. La diatribe qui se
passa entre Claude Gauvreau et mon père, donna lieu à des insultes très recherchées. Gauvreau écrit
plus tard, dans ses écrits sur l’art, que ce débat les rendit fous tous les deux. Peu après, Gauvreau allait
être interné sous la tutelle de Jacques Ferron. Cet épisode se solda tout de même par une trêve, et
comme l’exprima Gauvreau dans une lettre à Borduas : « Picher est plus sympathique en personne que
dans ses écrits. Il a été tout étonné de constater combien le ton de ses articles le faisait passer pour
réactionnaire […] Il prétend être encore plus opposé aux Beaux-Arts de Québec qu'aux Cosmiques.
L'exposition des peintres de Québec est assez sympathique. […] Il y a plusieurs toiles très saines — et le
tableau de Picher est excellent. » Ils se sont mis d’accord qu’ils seraient toujours en désaccord, mais
refusèrent de se faire prendre en photo en se serrant la main.
Dans sa carrière administrative, il tenta souvent de tenir tête aux courants dits d’avant-garde, car
il voulait mettre en valeur des artistes d’ici qui s’étaient démarqués et offraient une certaine identité
nationale à leur œuvre. Il ne faudrait pas penser que le discours de mon père se réduisait à la pensée
manichéenne du figuratif contre l’abstraction. Il était simplement en réaction devant la vague de l’école
abstraite dont l’absolutisme influençait beaucoup les peintres de l’époque.
Mon père était un grand maniaco-dépressif, son premier internement aura lieu à 37 ans. C’était en 1965.
Peu avant, il devait donner sa démission comme directeur adjoint du musée du Québec, car il avait
ridiculisé en direct à la télévision, le sous-ministre des affaires culturelles, Guy Frégault. Cet événement
fit beaucoup de bruit parmi les bonnes gens de Québec dont sa famille faisait partie. C’est son père qui
le fit interner à Saint-Michel-Archange, l’assistant surintendant de l’hôpital étant l’un de ses anciens
confrères. Il existe une lettre où mon grand-père s’adressant au médecin, cherche à comprendre ce dont
souffre son fils qui se fait systématiquement mettre à la porte des écoles où il étudie et renvoyer des
différents postes qu’il occupe, toujours pour un motif d’indiscipline et d’insubordination, il ne manque
pas de souligner par ailleurs, que son fils rafle les premiers prix et les bourses, les honneurs.
Lorsque mon père était en phase maniaque, il menait une vie excentrique. Il prenait l’avion pour
Paris, Toronto, New York, simplement pour changer d’atmosphère, faisait venir son chevalet par avion,
il dépensait des sommes folles en appels interurbains. Il débarquait à toute heure chez des amis avec
quantité de homards et de bouteilles de champagne pour s’assurer leur bonne compagnie. Cependant,
qu’il méprisait l’argent et qu’il se moquait de sa cote d’artiste. Il pouvait vendre ses toiles pour un rien,
ce qui fâchait ses amis.
Toujours déçu de ses congénères fatigués, il en venait parfois à dormir, 4 heures précisément,
écrivait-il à son psychiatre. Il buvait de grandes quantités de vin et alternait les bains froids et chauds
pour se ragaillardir. Il séduisait par son énergie phénoménale et était dans un état de perpétuelle
exaltation. Il croyait vibrer plus que quiconque devant la beauté d’une femme, à la musique de
Beethoven, ou bien sûr en regardant les paysages. Il peignait frénétiquement, sans jamais songer
d’avance à ce qu’il allait peindre, sans jamais théoriser sur l’art car il était dans une transe qu’il nommait
instinct pur. Sa peinture d’alors était moderne, minimaliste avec ses empâtements et ses couleurs
primaires. On aurait pu le rapprocher de Soutine ou de Staël. Il va sans dire qu’il se sentit très diminué à
partir du moment où on lui fit prendre des sels de lithium.
Nous le connûmes dans ses versions alternées de Jekyll & Hyde, mais doté d’un grand charisme,
il parvenait toujours à nous attendrir. Ma mère, telle une cariatide, porta la fragile institution familiale
sur ses épaules, ce qui permit à mon père de nous soutenir financièrement et de produire une œuvre
variée jusqu’à la fin de ses jours.
Ses prises de positions l’auront aliéné en quelque sorte de la société au fil du temps et son ultime
boutade aura été de se retirer à la campagne. Arrivé en 1970 pour combler un poste d’enseignant au
cégep qu’il quitta rapidement pour une question de principe, il se résolut à vivre de sa peinture mais les
débuts furent difficiles. Mes parents achetèrent une ferme à Saint-Léandre où ils s’installèrent. Mais
c’est grâce à une rencontre avec les frères Pelletier : Urgel et Hermel, que mon père commença à vendre
ses toiles depuis sa ferme. Mentionnons aussi la galerie d’Art Plourde qui le fournit en matériel durant
plusieurs années.
Pour ce qui est de la postérité, il est notoire de parler d’une exposition ayant eu lieu à au musée
des beaux-arts d’Ottawa en 2019, l’artiste contemporain Jesse Stewart a utilisé un de ses tableaux pour
une exposition nommée la débâcle. Il s’agit de la débâcle des glaces. Le sujet de cette exposition étant
la fonte des glaciers, l’artiste multidisciplinaire se sert de percussions, il fait aussi des assemblages
d’objets, pour agrémenter son propos.
Pour conclure, un dépôt d’archives achève de se faire à l’Hôtel de Ville ainsi qu’au musée de la
Gaspésie.
Je vous propose maintenant un court documentaire que j’ai réalisé, avec quelques archives d’un
autre temps. Merci de votre attention.

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