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III) PRESENTATION DE BAUDELAIRE 

( 1821- 1867)
1) Eléments biographiques :
-Orphelin de père à six ans ( son père , Joseph-François Baudelaire , est un retraité de
l’administration du Sénat qui s’adonne à la peinture , il a soixante -deux ans lorsque naît Charles-
Pierre , d’un second mariage avec Caroline Dufayis, épousée un an et demi plus tôt alors qu’elle
avait vingt-huit ans) , remariage de sa mère avec le chef de bataillon Aupick ,un homme droit et
compréhensif avec lequel il entretiendra des relations conflictuelles .Il est révolté par le
remariage de sa mère, il voue une haine farouche à l’homme qui lui a pris « la femme de sa vie ».
Si l’on considère comme autobiographiques les fragments publiés en 1887 sous le titre Mon Cœur
mis à nu , son enfance semble ne pas avoir été très heureuse : «  Sentiment de solitude, dès mon
enfance. Malgré la famille,- et au-milieu des camarades , surtout,- sentiment de destinée
éternellement solitaire. Cependant, goût très vif de la vie et du plaisir » .

Élevé initialement à Neuilly, entre sa mère et une servante dévouée, Mariette, il suivra les
déplacements de son beau-père, promu lieutenant-colonel à Lyon en 1831, puis chef d’état-major à
Paris en 1836 . Il suit alors les cours au collège royal de Lyon , puis au lycée Louis-le- Grand à
Paris . Il se distingue notamment par un prix en vers latins au Concours général en 1837. Il lit les
poètes romantiques ( Hugo, Sainte-Beuve) et rédige ses premiers poèmes autour de ses dix-sept
ans.
En 1839, bien que renvoyé du lycée pour n’avoir pas dénoncé un camarade , il obtient son
baccalauréat et s’inscrit à l’Ecole de Droit par complaisance envers son beau-père, mais il désire
devenir écrivain. Aupick souhaite voir le jeune homme entrer dans le corps diplomatique .Refus
obstiné de Charles : il veut écrire , voilà sa voie ! La guerre est déclarée entre Baudelaire et sa
famille .Il rencontre le poète Gérard de Nerval et écrit à Victor Hugo. Il mène surtout une vie
dissipée , fréquente des prostituées et accumule des dettes. Aupick l’éloigne alors de Paris : en
juin 1841, alors qu’il vient d’avoir vingt ans, il s’embarque à Bordeaux sur un paquebot à
destination de Calcutta , comme le souhaite sa famille ; mais, faisant escale à L’île de France
( l’île Maurice) , il refuse d’aller plus loin. Il y séjourne quelques mois puis se rend dans l’île
Bourbon ( La Réunion) avant de revenir en France au début de 1842. Au retour il écrit : « je
crois que je reviens avec la sagesse en poche ».
- En 1842 ,devenu majeur, il réclame sa part de l’héritage paternel ( 100 000 francs or),
s’installe sur l’île Saint-Louis à Paris et mène une vie de dandy1.
Il rencontre Jeanne Duval , figurante dans un petit théâtre, qui devient sa maîtresse : cette métisse (
la « Vénus noire ») lui rappelle les îles et sera une de ses muses. Leur relation tumultueuse et
charnelle durera plus de quinze ans . Plusieurs fois il chercha à rompre puis reprit sa liaison .
- En 1844, ayant dilapidé la moitié de son héritage, il est pourvu d’un conseil judiciaire ( mis sous
tutelle : versement d’une rente mensuelle de deux cents francs, l’indigence, à ses yeux, humilié, il
fait une tentative de suicide) mais ne cesse d’accumuler les dettes .
-En 1845, il rencontre Edgar Allan Poe , dont il traduit les œuvres ( Histoires extraordinaires,
Nouvelles histoires extraordinaires)et qu’il contribue à faire connaître 2 et en qui il voit une sorte de
frère spirituel .une même conception de l’art, un même dédain du peuple et un identique intérêt

1 Il n’a pas connu « Beau » Brummel, le fondateur du mouvement dandy ( culte du beau et de l’artifice, recherche de
l’originalité , du raffinement absolus à travers le vêtement, la mise des dandys est tapageuse , ostentatoire ) . Quand
celui-ci s’éteint en 1840 , ruiné et à-demi fou, à l’asile du Bon -Sauveur de Caen , Baudelaire n’a que 19 ans. A ce
moment-là , il n’est encore qu’un ultra-romantique menant une vie dissipée . Ce n’est qu’en réunissant la figure du
révolté (un certain anarchisme) et de l’artiste qu’il va progressivement tendre à son tour vers la beauté du dandysme .
cependant, pour Baudelaire , si la toilette est bien une œuvre d’art , elle doit rester la plus discrète possible , ainsi à la
fin de sa vie il finira par ne plus s’habiller qu’en noir. Pour Baudelaire , le dandy ne doit ni raconter ses exploits , ni se
vanter . En toute circonstance, il faut « s’ élever au-dessus de la nature « ( voir son Eloge du maquillage) et rejeter
toute tentative d’uniformisation ( même en orthographe :Baudelaire écrira toujours cigare avec deux « r ») .
2 Comme Baudelaire , Poe eut une vie mouvementée : passion, très jeune , pour sa cousine . Sombre dans l’alcoolisme
après son décès . Poe dans son œuvre met également en scène une âme tourmentée et sombre , avec aussi une recherche
de l’absolu , une forme de mysticisme ( cf le film de Francis Ford Coppola , Twixt, qui met en scène le personnage de
Poe dans une histoire macabre ).
pour ce que Poe appelle « le démon de la perversité » - c’est-à-dire le goût du mal pour le mal-
réunissent les deux poètes.
Il devient aussi critique d’art ( il admire particulièrement les œuvres de Delacroix, peintre
romantique qui a aussi participé à la vogue de l’orientalisme – XVIIIe : traduction des 10001 nuits
par Antoine Galland , goût du XIXe pour l’exotisme , cf Flaubert et Salammbô) .C’est un critique
d’art remarqué, auteur de comptes-rendus de « salons », expositions annuelles d’artistes
contemporains .Mais il est également l’auteur de poèmes qui circulent dans le monde littéraire
depuis le début des années 1840, au gré des lectures à voix haute qu’il en fait lui-même,
conformément à la mode de l’époque, dans des réunions d’étudiants et de jeunes littérateurs, et des
publications en revues .
- En 1852 il rencontre Mme Sabatier.

- Juin 1857 : première publication des Fleurs du Mal ( en pleine période romantique : Hugo a
écrit les Contemplations en 1856, Aupick est mort deux mois plus tôt ; B est le contemporain du
romantique Hugo et du parnassien Leconte de lisle) . Ce recueil de cent poèmes offre
l’autoportrait tragique d’un dandy ombrageux, hanté par la beauté, l’ennui et la déchéance,
qui se propose d’ « extraire la beauté du mal » .
Procès pour immoralité ( // Flaubert et Mme Bovary). Six poèmes sont interdits, malgré le
soutien de Sainte-Beuve, Hugo, Gautier ( p 218 à 230) : » Lesbos » ( île grecque associée au
thème de l’homosexualité féminine) , « Femmes damnées » ( toujours les amours saphiques , +
discours final de Delphine p 224, 225 , qui évoque l’aspect infernal de l’amour), « Le Léthé »
( poème qui associe la maitresse à une femme cruelle et satanique et fait du poète un « martyr » de
l’amour – propos sans doute perçu comme blasphématoire) , « A celle qui est trop gaie » ( mêle
amour et haine , extase de la chair et mortification) ; « les bijoux » ; «  Les métamorphoses du
vampire » ( vision satanique de la femme) . On reprocha sans doute à Baudelaire d’avoir mêlé
Eros et Thanatos , religion et érotisme .
C’est le 5 juillet 1857 que le Figaro dénonce l’immoralité du recueil , dont la justice se saisit le
considérant comme « un défi jeté aux lois qui protègent la religion et la morale ». Baudelaire
en a été très affecté , lui qui avait pourtant supprimé certains poèmes sur épreuves pour
prévenir les orages de la censure . Ce n’est que 90 ans plus tard , en 1949, que la cour de
cassation révisera le jugement .
En proie à la dépression à des difficultés financières, atteint par la syphilis, il se consacre
entièrement à l’écriture .
- En 1863, il publie Le Peintre de la vie moderne , consacré à l’artiste Constantin Guys .
- 1860 : Les Paradis artificiels ( Le poète était un consommateur d’opium) .
-1861 : deuxième édition des Fleurs du Mal, avec une structure remaniée , et trente-cinq
poèmes nouveaux. Richard Wagner et Tannhaüser.
-1864 : départ en Belgique pour y donner des conférences et trouver des éditeurs , échec ,
attaque cérébrale à Namur en mars 1866, hémiplégie . Publication des Poèmes saturniens de
Verlaine .

-31 août 1867 : meurt à Paris à 46 ans .


- 1868 : troisième édition des Fleurs du Mal , augmentée de douze poèmes .
-1869 : publication posthume du Spleen de Paris .

NB : durant son existence il aura connu la Restauration ( 1815-1830) avec Louis XVIII puis
Charles X ; la monarchie de Juillet ( 1830 à 1848) avec l’abdication de Charles X, et Louis
Philippe , « roi bourgeois » d’un gouvernement libéral ; la deuxième République ( 1848 à 1851)
avec la présidence de Louis - Napoléon après la chute de Louis Philippe ; le Second Empire ( à
partir du coup d’état du 2 décembre 1851 où Louis – Napoléon devient Napoléon III) ...une période
de bouleversements politiques , donc .Le contexte historique est marqué par l’instabilité et la
déception. En 1848 et en 1851 , Baudelaire passe de l’espoir à la désillusion : il méprise le
Second Empire dans lequel il voit l’avènement d’une bourgeoisie qui est hermétique à la
modernité de l’art . En 1848, il s’est ainsi engagé auprès des révolutionnaires et a combattu sur les
barricades. Mais avec le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte le 2 / 12/ 1851, il perd toutes ses
illusions : le peuple comme la bourgeoisie le déçoivent . Il partage avec Hugo et Flaubert la haine
de Napoléon III.

2) BILAN : On peut parler d’un homme malheureux avec une vie semée d’échecs  : il a mené
une vie de bohème , accumulé les dettes , tenté plusieurs fois de se suicider , et son œuvre poétique
provoque le scandale . La vie de Baudelaire est révélatrice d’une dualité qu’il exprime dans son
œuvre , et particulièrement dans la section « Spleen et Idéal » qui résulte d’une tension entre
des phases d’angoisse et de dépression, et des phases d’espoir et d’euphorie. Cette vie explique
la figure du poète maudit omniprésente dans l’œuvre baudelairienne et qui deviendra un des
plus grands mythes littéraires de la fin du XIXe siècle ( avec Rimbaud, Laforgue, Verlaine,
Lautréamont). Il a des liens avec Nerval ( « Les Filles du feu ») et annonce la modernité
poétique , tout en étant au carrefour de différents mouvements. C’est une œuvre à la fois
singulière et universelle et qui fera date : « Dans ce livre j’ai mis tout mon cœur, toute ma
tendresse, toute ma religion (travestie), toute ma haine » (œuvre personnelle) nous dit le poète , qui
adresse cependant dans la dédicace « au lecteur » un message universel et fraternel ( « mon
semblable, mon frère ») . Du romantisme , Baudelaire va hériter la vision du poète en marge de
la société humaine , plus près de Dieu ou de Satan que du monde terrestre . En même temps, il
annonce le symbolisme, l’invention de nouveaux rapports entre l’émotion et le langage.
Baudelaire, c’est aussi le conflit perpétuel, la provocation , le procès pour les Fleurs du mal, le
dandysme. C’est le peintre du déchirement de l’âme humaine, « entre spleen et idéal ».

Il est à la recherche d’un ailleurs : le refus de Baudelaire du monde matériel , notamment de


l’univers bourgeois triomphant qui s’impose à la France pendant le XIXe siècle , s’incarne dans une
imagerie où les mouvements ascendants- élévation symbolisant le spirituel, le mystique et le génie
artistique- s’opposent aux « miasmes morbides » de la Terre3 , à la chute dans le néant et au poids
du spleen et du temps ( cf le poème « L’horloge »). Cette lutte entre le haut et le bas, entre l’L’Idéal
et le Spleen , se poursuivra tout le long les Fleurs du Mal , à travers de nouveaux thèmes : la ville4,
le vin, le mal et la révolte, pour aboutir à l’ultime espoir, au dernier voyage : la mort . Au-delà de
cette représentation du monde assez romantique, Baudelaire annonce le symbolisme . Il fait
ainsi la description d’analogies entre les perceptions relevant de sens différents ( correspondances
horizontales), mais suggère aussi une unité secrète entre les univers sensoriel et
spirituel(correspondances verticales) , unité que le poète aurait mission de comprendre et de
traduire ( cf le sonnet « Correspondances »). De fait, les sensations dominent dans toute l’œuvre,
notamment par l’évocation de parfums, de musiques, du crépuscule ou des états sensoriels liés à
l’angoisse la plus profonde.
L’œuvre de B apparaît donc comme le creuset de la poésie moderne : elle contient en effet les
virtualités du symbolisme et de la voyance revendiquées par Rimbaud , aussi bien que la
théorie de l’art moderne , « accomplissement vécu de la sensation , du souvenir et de
l’imaginaire », où le langage est le sujet et l’objet même de l’œuvre ( mise en abyme fréquente ,
le poème est souvent dans le recueil le lieu d’une réflexion sur la poésie) .

3) Dans les Fleurs du Mal , on trouve trois muses :

Jeanne Duval – la maîtresse- ( « la Chevelure »), qui représente la sensualité  ;l’actrice Marie
d’Aubrun- la sœur- , publiquement maîtresse du poète Théodore de Banville ( « Le Poison »,
« Ciel brouillé »),la femme aux yeux verts qu’il courtise à partir de 1847 et dont il fait sa maîtresse
par intervalles de 1854 à 1863, alors qu’il traverse une période orageuse avec Jeanne Duval, elle
3 C’est le poète de l’éloge de l’artificiel , cf son Eloge du maquillage.
4 On retrouvera cette même thématique chez le poète symboliste belge Emile Verhaeren , auteur du recueil Les Villes
tentaculaires .
représenta pour lui une sorte de tendresse et de ferveur  ; Aglaé Sabatier – l’idole- ( « Harmonie du
soir »), sous le charme de laquelle il tombe, elle tenait salon , était entretenue par un banquier , et
Baudelaire lui adressa longtemps des poèmes anonymes qui figurent dans le recueil  , elle
représente une féminité idéalisée ( «  L’Ange gardien, la Muse et la Madone » , sonnet XLII) : il
reprend donc une tradition poétique, celle du lyrisme amoureux et celle des muses , mais la
traite avec ses thèmes de prédilection : le paradis perdu , les synesthésies, la tentation du mal .

4) Il entretient aussi un rapport particulier à la religion et au péché :


Le rapport au péché est abordé dès le titre du recueil avec le mot « mal » (= référence à Satan + à la
souffrance).De fait la poésie de B. est de nature métaphysique et religieuse , même si sa
démarche inclut une forme de provocation et de révolte par rapport à l’Eglise .
Il a un rapport complexe , contradictoire , à la religion ( cf ce propos à Sainte-Beuve : «  Vous
savez que je peux devenir dévot par contradiction , de même que pour me rendre impie il suffirait
de me mettre en contact avec un curé souillon ») . Des écrivains catholiques , dont le romancier
Barbey d’Aurevilly, ont d’ailleurs reconnu en lui une ferveur mystique( cf le poème « La
Douleur », ou cette notion est régénératrice, cf aussi «  Le Cygne » , et « recueillement ») et il y a
chez lui un regret du paradis perdu, une quête de l’unité originelle du monde.
Cependant la figure du Christ et la notion de rédemption sont absentes de son œuvre .
Baudelaire a en réalité un catholicisme « théorique » ( Georges Blin) : il a en horreur certaines idées
du siècle et pense que le catholicisme est une arme pour combattre la foi en la science, en la
démocratie , dans le progrès ( haine du matérialisme chez lui). Ce serait donc la spiritualité , et le
sens du péché , qui l’intéressent dans le catholicisme .

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