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LE CHAT VENU DES ETOILES

J'habite dans une grande ville un peu grise, comme le sont souvent les grandes villes.
L'appartement dans lequel je vis se trouve dans un immeuble au toit pointu. Plutôt gris,
lui aussi, mais avec un grand jardin tout autour. Un jardin habité par une multitude de
fleurs et par des arbres très beaux et très vieux. Beaucoup de monde vit dans mon
immeuble : des enfants et des personnes âgées, des chiens, des chats, des poissons
rouges et des hamsters. Et même un perroquet qui s'appelle Coco.

Je m'appelle Arnaud. Je vis avec Grand-Père dans l'appartement du rez-de-chaussée.


C'est comme ça depuis toujours. Du moins aussi loin que je me souvienne. Je l'aime
bien Grand-Père. Il est toujours de bonne humeur. Et quand il sourit, ce qui arrive très
souvent, des petites rides se dessinent au coin de ses yeux. Grand-Père s'occupe très
bien de moi. C'est qu'il est drôlement en forme pour son âge, malgré ses longs cheveux
blancs ! Tous les deux, nous partons courir dans la forêt les jours où il n'y a pas école.
Certains soirs, il installe aussi son télescope à la fenêtre de ma chambre et il m'apprend
à reconnaître les étoiles. Être capable de nommer une étoile dans le ciel me remplit
toujours de fierté.
Quand il ne va pas courir, Grand-Père passe aussi de longues heures dans notre petit
carré de jardin. Il y reste assis avec sa loupe et son bloc-notes. Parfois, il se met
accroupi ou grimpe dans le vieil érable. Les voisins le regardent de travers et lui font des
remarques comme quoi il ferait mieux d'arracher les mauvaises herbes. Mais Grand-Père
leur offre toujours son grand sourire, comme s'il n'avait pas entendu. Heureusement
qu'ils n'ont pas vu notre appartement, les voisins ! Car si le jardin ressemble à une
jungle, l'intérieur se rapproche plutôt de la caverne d'Ali Baba. Il y a plein de choses
partout : des piles de livres, des collections de pierres, des croquis... Et quelques toiles
d'araignée aussi.
Tout ça pour dire que même si je n'ai plus de parents, je pense que j'ai de la chance. Je
ne m'ennuie jamais, je n'ai besoin de rien de plus. Du moins c'est ce que je croyais
jusqu'à hier matin.
Au petit-déjeuner, Grand-Père a annoncé :
• Arnaud, ce soir j'emmènerai la voiture chez le garagiste.
• Ta 2CV ? me suis-je étonné. Mais tu ne t'en sers presque jamais !
• Justement, a répondu Grand-Père. Cela doit bien faire cinq ou six ans qu'elle n'a
pas vu un mécano. Une petite vidange lui ferait sans doute du bien. J'ai oublié ces
deux dernières années, mais cette fois-ci, je me suis inscrit un mot sur le frigo.
• Oh, tu es organisé, ai-je dit en rigolant. OK, je t'accompagnerai.

C'est un peu plus tard, sur le chemin de l'école, que j'ai rencontré le premier chat. Son
pelage était roux et blanc. C'était un gros matou, assis sur un petit muret. Il m'a
lentement suivi du regard lorsque je suis passé. Quelques pas plus loin, je ne sais pas
pourquoi, j'ai fait demi-tour pour aller le caresser. Quand j'ai approché ma main, il a
donné un petit coup de tête dedans et s'est tout de suite mis à ronronner.
Puis, au cours de la matinée, en classe, cela a été très curieux : c'est comme si l'Univers
essayait de m'envoyer des signes pour attirer mon attention sur les chats : le texte
qu'on a étudié parlait d'un chat qui avait fait une fugue pendant seize jours et dix-sept
nuits ; Martin a présenté un exposé à la classe sur le retour du lynx dans nos forêts ;
quant à Alice, la fille assise juste devant moi, elle portait un pull avec un grand chat
jaune brodé dans le dos. Enfin, au cours du repas de midi à la cantine, Lisa a annoncé
qu'elle avait un chat depuis deux jours. Il s'agit d'un beau chat tricolore noir, blanc et
roux, mais qui n'a qu'un seul œil. Il est venu dans la cave de sa maison et s'est retrouvé
enfermé. C'est elle qui l'a entendu miauler alors qu'elle faisait de la balançoire dehors.
Avec tout ça, sur le chemin du retour l'après-midi, je m'attendais à revoir le gros matou
roux et blanc. Mais à part un lézard qui passait par là, le muret était désert. J'étais
vraiment déçu.

Grâce à Grand-Père, des animaux, j'en connais beaucoup. Surtout les petits. Dès que je
l'accompagne au jardin, il s'en présente toujours l'un ou l'autre qui le rend très
enthousiaste :
« Oh ! Là, Arnaud. Regarde: un carabe doré ! C'est extraordinaire, d'habitude on ne
trouve ces gros scarabées qu'en forêt. »
Ou encore :
« Arnaud ! Un Robert-le-diable ! Quel magnifique papillon. Tu as noté comme ses ailes
orangées sont joliment découpées ? »
Mais ce qui le passionne tout particulièrement, ce sont les oiseaux. En hiver, au cours de
nos sorties en forêt, nous emportons toujours quelque chose à leur offrir : des pommes
pour les merles, des graines de tournesol ou des noix pour les mésanges, les rouges-
queues, les pinsons et tant d'autres dont j'aimerais un jour connaître le nom.
Mais caresser ce chat, cela avait été vraiment agréable, doux et apaisant. En arrivant à
l'appartement, pour une fois, Grand-Père était pressé :
• Arnaud, j'ai rendez-vous chez le garagiste il y a dix minutes !
• Oh pardon, Grand-Père, ai-je répondu. J'ai un peu traîné aujourd'hui.

Par chance, même quand elle n'a pas roulé depuis trois mois, la 2CV démarre toujours
du premier coup. Le garagiste semblait très content à l'idée de s'occuper d'une vieille
voiture. Pendant qu'il discutait avec Grand-Père, je laissais mon regard se promener
autour de moi. Et, tout à coup, j'ai vu une petite boule de poils grise grimper à toute
vitesse dans un arbre.
« Un chaton ! »
J'ai couru jusqu'à lui dans l'espoir de le caresser. Mais le petit animal préférait garder
ses distances.
• Il te plaît? m'a demandé le garagiste. C'est un petit sauvage, tu sais. Mais si tu
arrives à l'attraper, il est à toi si tu veux.

J'ai passé les dix minutes suivantes à essayer d'approcher le chaton. Mais rien à faire.
Dès que je croyais y parvenir, hop ! Il s'éloignait de quelques bonds.
• Arnaud, on y va, a appelé Grand-Père.
• Attends, juste une minute s'il te plaît !

C'est là que j'ai eu une idée. J'ai ramassé une plume de pigeon et je l'ai fait glisser sur
le sol. En deux secondes, le chaton avait plongé dessus en bloquant la plume avec ses
deux pattes de devant.
• Je te tiens ! ai-je dit triomphalement tout en le saisissant sous le ventre.

J'ai regardé Grand-Père avec plein d'espoir :


• On peut l'emmener avec nous ? Dis-oui, s'il te plaît !
• Euh, c'est à dire... a balbutié Grand-Père en se grattant la tête.

Et zou, alors que je n'étais plus assez attentif, le chaton en a profité pour se sauver. Il
est parti se cacher sous la 2CV. Plus moyen de l'approcher maintenant. Même avec une
plume.
• Il est vraiment très sauvage, a encore dit le garagiste.

Ce soir-là, je n'ai parlé que de chats à Grand-Père. Et le lendemain aussi. Je n'aurais pas
su expliquer pourquoi mais j'étais persuadé que tous ces événements étaient des
messages: l'Univers me faisait savoir que quelque part, un chat m'attendait. Peut-être le
gros matou roux et blanc ? Grand-Père, quant à lui, n'a trop rien dit. Ni oui, ni non. Il
devait sûrement réfléchir.
Et nous voici à ce matin.

Cette nuit, je me souviens avoir rêvé d'un chat noir et blanc. Je commence donc à
recevoir des signes même dans mes rêves ! Aujourd'hui, c'est dimanche. Le jour des
crêpes. C'est notre rituel, avec Grand-Père. Il n'est pas encore huit heures mais Grand-
Père est déjà debout. Il est en train de farfouiller dans le placard de la cuisine.
• Zut ! Plus de farine, dit-il en sortant sa tête du placard. Bonjour, Arnaud ! Dis, tu
voudrais bien aller à la boulangerie pour en acheter, s'il te plaît ?

C'est agréable de se promener dans les rues encore silencieuses un dimanche matin.
Même le ventre vide ! Je fais un petit détour afin de passer devant le muret du gros
matou. Il est bien là ! Je reste de longues minutes à le caresser. Mais je vois aussi qu'il
porte un collier avec une médaille : il s'appelle Viking, et on dirait bien qu'il a déjà une
famille.

A la boulangerie, je résiste pour ne pas acheter une part de la tarte aux pommes encore
chaude que la boulangère vient d'apporter.
• Un paquet de farine du moulin, j'imagine ? me demande-t-elle avec un sourire. Je
vais te chercher ça.

Et elle disparaît avant que j'ai eu le temps de lui répondre. Pendant que je patiente, je
me mets à lire les petites annonces affichées sur le comptoir. Et là, surprise ! J'en
découvre une qui dit ceci :

« Donne petit chaton âgé de deux mois, tout juste sevré.


Pelage tigré gris et noir.
Très gentil et joueur. »

Je repars de la boulangerie avec mon paquet de farine sous le bras et le numéro de


téléphone pour adopter le petit chaton dans la poche. Cette fois-ci, plus de détour. Je
cours jusqu'à mon immeuble.
• Grand-Père, Grand-Père ! dis-je en ouvrant la porte bruyamment.
• Qu'y a-t-il? demande-t-il en accourant. Il n'y avait plus de farine ?
• Si, si, je l'ai. Et j'ajoute, en brandissant le morceau de papier : mais, regarde ! J'ai
trouvé une petite annonce pour un chaton.

Grand-Père en examine rapidement le contenu.


• Ah oui, en effet. C'est à une rue d'ici, en plus.

C'est le moment de prendre ma voix implorante, la même que lorsque je le supplie de


me laisser aller au lit sans me brosser les dents (même s'il est très rare que cela
fonctionne).
• Je ne sais pas trop, Arnaud, me répond Grand-Père. Tu ne crois pas que le chaton
chercherait à rentrer chez lui, venant de si près ?

Je ne réponds rien. Je me contente de le fixer avec le regard qui accompagne ma voix


anti-brossage de dents. Grand-Père soupire, puis il se gratte la tête tout en jetant
encore un coup d’œil à la petite annonce.
• Bon, c'est d'accord. Appelons, pour voir, propose-t-il avec son fameux sourire.

Je cours chercher le téléphone et lui compose le numéro.


Malheureusement, l'espoir est de courte durée : le chaton a déjà trouvé une famille.
• Désolé mon petit Arnaud, dit doucement Grand-Père. On va préparer les crêpes ?

Je passe une grande partie de la journée à lire dans ma chambre. Je me replonge dans
mes B.D favorites. Et là encore, l'Univers persiste à m'adresser des signes : par deux
fois, j'ouvre un livre dans lequel apparaît un chat. Noir et blanc, tous les deux. Comme
dans mon rêve.

C'est lundi aujourd'hui. La journée de la semaine que j'aime le moins. Il a plu toute la
nuit, et le ciel encore tout gris se reflète dans les innombrables flaques qui envahissent
le trottoir. Mes pensées doivent avoir à peu près la même couleur que le décor.
Au cours du déjeuner, je me montre peu bavard. En plus, Lisa nous parle encore de son
chat :
• Il est a-do-ra-ble, raconte-t-elle. On lui a acheté un collier rouge avec un grelot.
Mais il arrive à l'enlever et il joue avec. Hier soir, je l'ai retrouvé dans le grille-pain.
Quand je quitte l'école à 16 heures, j'aperçois la 2CV garée juste en face. Grand-Père se
tient debout et guette mon arrivée.
• Salut Grand-Père, dis-je. Alors ça y est, tu as déjà récupéré la 2CV !
• Oui, répond-il joyeusement. Elle est repartie pour cinq ans !

Puis il place ses mains sur mes épaules, se penche vers moi et me glisse
mystérieusement :
• Mais si, pour une fois, je suis venu te chercher, c'est surtout parce que quelqu'un
t'attend à l'intérieur.

Intrigué, je me retourne et ouvre la portière du conducteur. Sur le siège du passager, je


découvre alors une cage qui abrite un minuscule chaton noir et blanc. Il me regarde
tranquillement et tend une patte blanche vers la petite porte grillagée. Le temps a dû
ralentir sa course. La Terre doit tout à coup tourner un peu moins vite autour du Soleil.
Je sais au plus profond de moi que ces instants resteront gravés en moi pour toujours.
Je réalise tout doucement... Et au moment où j'effleure du doigt la patte tendue, la
course de la Terre reprend subitement son rythme habituel. Je m'exclame enfin :
• Un chaton !!

Grand-Père se penche alors par-dessus mon épaule.


• Oui, Arnaud. Il va y avoir un nouvel habitant dans notre petite famille !

C'est le moment idéal pour lui sauter au cou et le remercier de tout mon cœur. Il
m'explique ensuite que cet après-midi, après sa course, il s'est rendu au refuge pour
animaux. Et lorsqu'il a franchi la porte du parc des chats, ce petit chaton est
immédiatement venu vers lui.
• A peine il m'a vu qu'il s'est mis à ronronner, poursuit Grand-Père. Trente secondes
plus tard, il était déjà installé sur mon épaule. En fait, je ne l'ai pas choisi. C'est lui
qui m'a choisi !

Quelques minutes plus tard, Grand-Père ouvre la cage et notre petit félin fait ses
premiers pas sur son nouveau territoire. Pas effrayé le moins du monde, il repère de
suite une gomme qui traîne au sol et l'attaque par surprise.
La soirée passe bien vite. Après avoir joué pendant deux bonnes heures, effectué un
nombre incalculable de fois le tour du propriétaire, le petit chaton s'installe sur mes
genoux et s'endort en ronronnant.
• Comment veux-tu l'appeler ? me demande Grand-Père en le caressant entre les
oreilles.

Comment l'appeler ? Question de la plus haute importance ! Je laisse mon regard filer
par la fenêtre en m'interrogeant. Dehors, la nuit s'est installée et de nombreuses étoiles
scintillent déjà dans le ciel. J'en reconnais une que j'aime bien observer.

• Sirius ! dis-je en me redressant d'un bond, ce qui réveille l'intéressé.


• Sirius... répète lentement Grand-Père. L'étoile la plus brillante depuis la Terre.
C'est un bien joli nom, Arnaud !

Et cette nuit-là, pour la toute première fois, je m'endors avec Sirius roulé en boule tout
contre moi. Je ne saurais être plus heureux.

Mardi. Pour une fois, je n'ai pas très envie d'aller à l'école ce matin. Mais Sirius s'est
levé en même temps que moi et, rien qu'à le regarder jouer, je suis de bonne humeur
pour la journée. Au petit-déjeuner, c'est un peu compliqué. Il faudra apprendre les
bonnes manières à Sirius qui a sauté plein de fois sur la table pour tenter de s'emparer
de ma madeleine.
• Non ! a dit Grand-Père à chaque fois tout en attrapant l'apprenti voleur par la peau
du cou.

Sirius a fini par se contenter de quelques miettes tombées par terre et s'est remis à
jouer (encore!). Puis il s'est endormi profondément au moment de mon départ.
Vivement mon retour !

A l'école, je parle de Sirius à tous mes copains. Je leur raconte le coup de la gomme et
puis toutes les petites habitudes qu'il a déjà prises. Je leur dis aussi que je les inviterai
tous bientôt pour leur présenter mon petit chat.

J'aime mon Sirius. Dès que je rentre de l'école, il vient m'accueillir en miaulant de sa
toute petite voix. On passe ensuite un long moment à jouer avec la ficelle que Grand-
Père a suspendu entre la cuisine et le salon, au bout de laquelle on a accroché un
bouchon en liège.
Pour l'instant, Sirius ne va pas dehors. Grand-Père préfère attendre qu'il soit vacciné, vu
que le renard vient parfois nous rendre visite. Une fois que ce sera fait, il pourra sortir
par la fenêtre de la cuisine et découvrir ses nouvelles terres : notre beau et grand
jardin, rempli d'arbres et d'arbustes. Que j'ai hâte !

Au dîner, Grand-Père et moi nous installons toujours à la petite table du salon. Nous
nous mettons assis par terre, sur le tapis. Un peu comme au Japon. Sirius nous a rejoint
et s'est serré tout contre la théière encore toute chaude remplie de tisane au thym et au
miel. Puis il change d'avis et préfère venir s'installer dans ma nuque.

Mercredi.
• Sirius, laisse ma madeleine tranquille !

Sirius ne doit pas trop aimer l'odeur du café car il ne s'intéresse jamais à l'assiette de
Grand-Père. Ce qui est sûr, en tout cas, c'est qu'il apprécie les madeleines.
Mais ce matin, il n'a pas trop envie de jouer. A l'aide de ses petites griffes déjà très
efficaces, il grimpe le long de mon pantalon et s'installe sur ma cuisse pendant que je
déjeune.
En rentrant de l'école à midi, j'aperçois Grand-Père dans le jardin. Il doit tout juste être
revenu de son footing : en short et chaussures de course, il a le nez en l'air, le regard
absorbé par un oiseau sur une branche. Lorsqu'il me voit, il me fait signe de le
rejoindre.
• Approche, Arnaud. C'est un pic-épeiche.

C'est curieux, je lui trouve un air un peu soucieux pour une fois. Et je vais vite découvrir
que je ne me suis pas trompé.
• Ecoute, Arnaud, je crois qu'il serait bon d'emmener Sirius chez la vétérinaire,
m'indique Grand-Père. Je lui trouve un air un peu calme, aujourd'hui.
• Tu crois qu'il est malade ? dis-je, tout de suite inquiet.
• Non, non, me rassure-t-il. Enfin... Je l'espère.

Il n'est pas très convaincant. Je retrouve mon chat assoupi sur une couverture polaire.
Quand je le porte pour le déposer dans sa cage, il se met immédiatement à ronronner.
Mais c'est vrai qu'il paraît tout calme.
Malheureusement, la vétérinaire confirme bien vite ce que Grand-Père craignait :
• Presque 41°C de température, annonce-t-elle. Il est bien vaillant pour un chaton
qui a autant de fièvre.

De retour à l'appartement avec trois médicaments différents à faire avaler à Sirius,


j'essaie tout d'abord de lui donner à manger et à boire. La vétérinaire a beaucoup insisté
pour nous dire que c'était là le plus important afin qu'il ait suffisamment de force pour
se battre contre le virus. Mais à part un peu d'eau, Sirius ne veut rien savoir.
• Allez, Sirius. Regarde mon lacet !

Je promène une de mes chaussures devant lui en laissant traîner les lacets. Sirius donne
un petit coup de patte dedans mais abandonne bien vite le jeu. Il se recroqueville sur
lui-même, la tête enfouie dans son pelage duveteux.
• Tu as surtout besoin de caresses, pas vrai? dis-je en chuchotant.

Et, comme s’il voulait me répondre “oui”, Sirius vient se blottir dans les plis de mon
pullover.

Vendredi. Trois jours que Sirius est malade. Il ne joue presque plus du tout et passe
quasiment tout son temps roulé en boule sur la couverture polaire que je lui ai installée
dans un des casiers du meuble de l’entrée. “Son nid”, comme dit Grand-Père.
Grand-Père et moi sommes de plus en plus inquiets.
• Il ne mange vraiment rien, m’indique Grand-Père. Je crois qu’il vaut mieux
retourner chez la vétérinaire.
Cette dernière confirme que Sirius n’a plus aucune force.
« Nous allons le garder quelques jours, et l’obliger à manger », précise-t-elle.

Sur le chemin du retour, je raconte à Grand-Père tous les signes que j’ai eus, en
finissant par le rêve du chat noir et blanc juste avant l’arrivée de Sirius. Avec tout ça, ce
n’est quand même pas possible que ça finisse mal!
• J’ai effectivement l’impression, déclare doucement Grand-Père, que l’Univers t’a
envoyé ce petit chat. Peut-être est-ce là l’oeuvre des Anges? Si c’est le cas, tu
peux sans doute leur demander de lui venir en aide.

Je vais tôt au lit ce soir. Et, le regard perdu vers les étoiles qui brillent dans la nuit, je
pense à Sirius et je parle aux Anges. Pourvu qu’ils m’écoutent!

Mardi. En revenant de l’école ce midi, j’entends Grand-Père s’affairer à la cuisine. Le


mardi, je ne mange pas à la cantine car j’ai plus de temps que les autres jours. Grand-
Père prépare toujours une orange pressée (avec du citron pour lui), puis du riz avec des
lentilles et des herbes du jardin. J’aime bien. Mais en découvrant son visage lorsqu’il se
retourne vers moi, je comprends immédiatement que les nouvelles ne sont pas bonnes.
• Arnaud, dit-il dans un souffle.

Je ne saurais pas redire exactement ce qu’il a expliqué ensuite. C’est la première fois
que je vois pleurer Grand-Père.

Sirius est mort cette nuit. Il a rejoint son étoile, la plus brillante depuis la Terre.

Je ne suis pas allé à l’école cet après-midi. J’ai accompagné Grand-Père chez la
vétérinaire afin de récupérer le petit corps sans vie de Sirius. Avant de nous y rendre,
Grand-Père m’avait demandé ce que je souhaitais: enterrer Sirius dans notre jardin, ou
bien le faire incinérer.
• Je veux aller le chercher! ai-je presque hurlé.

La vérité, c’est que je voulais absolument revoir Sirius une dernière fois. Pour lui dire au
revoir. Avant de partir, j’ai préparé une petite boîte à chaussures. J’ai aussi réalisé un
dessin que j’ai ensuite enroulé et attaché avec un ruban en tissu rouge. Dessus, on nous
y voit, Sirius et moi, en train de grimper à un arbre dans le jardin. Quelque chose que
j’avais rêvé de faire avec lui. Quelque chose que nous ne ferons jamais.

Plus tard dans l’après-midi, j’ai caressé pour la toute dernière fois le doux pelage de
Sirius. Un peu vite. Puis j’ai refermé le couvercle sur lui après y avoir placé mon dessin.
Grand-Père a creusé un trou au pied du noisetier. En l’aidant à le recouvrir de terre, je
pense aux Anges. J’espère qu’ils ont bien réconforté Sirius au moment de son passage
sur l’Autre Rive. Quant à moi, j’ai pleuré sans bruit.

Deux jours que mon chat a rejoint son étoile. J’aimerais mourir moi aussi
pour pouvoir renaître dans un monde où Sirius est encore vivant.

Dimanche. Ce matin, je vais un peu mieux. Enfin, je crois. Tout me paraît un peu flou
ces derniers jours. Le fait qu’une joie aussi gigantesque soit suivie par une tristesse
aussi immense y est sans doute pour quelque chose. J’annonce à Grand-Père:
• Je vais me balader un peu.

Heureusement que Grand-Père est là. Il a bien vite retrouvé son doux sourire si
lumineux, capable de réchauffer les coeurs. Confortablement installés dans le canapé
avec un thé fumant entre les mains, il m’a parlé de tous les animaux qui ont vécu avec
lui. Des chats, souvent, et deux chiens aussi. Cela m’a fait du bien de l’écouter me
raconter tout ça.

Mes pas me conduisent tout naturellement devant le vieux mur sur lequel Viking semble
m’attendre.
• Salut, toi, lui dis-je en lui caressant le menton. Tu as de la chance d’être là, tu
sais?

En guise de réponse, il se met à ronronner.

L’après-midi, j’accepte l’invitation de Martin qui me propose de jouer au basket. Cela me


change les idées de me dépenser à fond avec des copains. Même si je manque quelques
paniers aujourd’hui.
Sur le chemin du retour, j’aperçois un grand chat noir et blanc dans un jardin. Immobile
devant un trou de souris, il semble soit très concentré, soit à moitié endormi. Celui-ci a
eu la chance de vivre assez longtemps pour se balader dans un jardin. Je ressens un
profond sentiment d’injustice.

En franchissant le seuil de l’appartement, une sensation curieuse me saisit tout à coup.


Comme un pressentiment qu’il s’est passé quelque chose d’important. Je trouve Grand-
Père debout dans l’entrée, un grand sourire sur les lèvres. Celui avec ses petites rides
au coin des yeux.
• Arnaud, mon garçon, je veux te présenter quelqu’un! annonce-t-il d’un ton à la
fois solennel et joyeux.
Et apparaît alors derrière lui un chaton vraiment tout petit. Il arrive en sautillant. Il
s’arrête net pour se gratter le cou avec une patte arrière, ce qui le fait tomber sur les
fesses. Puis il roule sur le dos et essaie de mordiller sa queue. Son pelage est noir et
blanc. Je suis comme hypnotisé par le spectacle de ce petit animal. Muet et immobile.
• Je lui ai déjà trouvé un nom, déclare Grand-Père. Elle s’appelera Orion. Tu sais,
comme la constellation que tu aimes tant observer en hiver, et dans laquelle il y a
cette étoile à la lumière bleue, Rigel. Bleue comme ses yeux, regarde!

A ce moment, deux petits yeux bleus me fixent intensément. Et, après m’avoir adressé
un miaulement aussi minuscule qu’elle, Orion entreprend de grimper le long de mon
pantalon, puis de mon tee-shirt. Enfin, elle s’installe dans ma nuque, sa tête enfouie
dans mes cheveux. Et elle se met à ronronner. Comme Sirius l’a fait si souvent.

Je ne sais pas si les Anges m’ont entendu. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a aussi des
Anges sur la Terre. Ceux qui s’occupent du bonheur des autres. Je caresse Orion et
j’enlace Grand-Père de toutes mes forces.

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