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SERVICES
POUR LA PROMOTION
ET L’UTILISATION DES
ÉCOSYSTÉMIQUES
DANS LES ZONES HUMIDES
Ouvrage coordonné
par Mauro Bassignana
AUTEURS
Jérôme Porteret avec les contributions
de Renaud Jaunatre, Andrea Mainetti,
Federica Pozzi, Axelle Tempé
RELECTEURS
Velca Botti, Denise Chabloz, Régis Dick,
Stéphanie Huc, Francine Navillod, Sophie Vallée
LE PROJET
RestHAlp (2017-2020) a été cofinancé
par l’Union Européenne, par le biais du FEDER,
dans le cadre du programme ALCOTRA 2014-2020
(projet n. 1695), par la Région Auvergne Rhône-Alpes,
par la République Italienne et par la Région
Autonome Vallée d’Aoste.
PARTENAIRES DU PROJET
Institut Agricole Régional ;
Conservatoire Botanique National Alpin ;
Conservatoire d’Espaces Naturels Savoie ;
Institut national de recherche pour l’agriculture,
l’alimentation et l’environnement ;
Parc National Grand Paradis ;
Région Autonome Vallée d’Aoste.
ÉDITEUR
Institut Agricole Régional,
Rég. La Rochère 1/A, I-11100 Aoste
ISBN 978-88-99349-03-5
©2020
GUIDE
SERVICES
POUR LA PROMOTION
ET L’UTILISATION DES
ÉCOSYSTÉMIQUES
DANS LES ZONES HUMIDES
©M. Bouron/CEN Savoie
SOMMAIRE
INTRODUCTION...................................................................................... 7
2
COMMENT ÉTABLIR LES LIENS
ENTRE LE FONCTIONNEMENT DU SITE
ET LES SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES ?
Quelles fonctions des zones humides
rendent des services ?..............................................................................36
Comment mesurer ces fonctions des zones humides ?.........41
NOTES DE FIN....................................................................................... 75
BIBLIOGRAPHIE...................................................................................76
3
PRÉAMBULE
La dégradation d’habitats dans les Sites Les processus et les éléments écolo-
d’Importance Communautaire/Zones giques du fonctionnement des zones
Spéciales de Conservation (SIC/ZSC) sou- humides sont étudiés, puis traduits en
mis à des pressions anthropiques et à la dif- liste de services écosystémiques. Les
fusion d’Espèces Exotiques Envahissantes avantages de ces services seront ensuite
(EEE) est une problématique commune à analysés et quantifiés en unités de valeur
de nombreux territoires. De part et d’autre appropriées, comme l’envisage l’étape 4
des Alpes, les gestionnaires et centres de de la démarche.
recherche confrontés à cet enjeu se sont Ces deux étapes nécessitent de collecter
engagés pour la restauration écologique et/ou rassembler des données biotiques et
d’habitats au travers du projet RestHAlp. abiotiques sur le fonctionnement du milieu.
Le projet s’est donc emparé de la ques- Nous nous intéressons plus particulière-
tion de l’évaluation des services écosysté- ment aux éléments du fonctionnement
miques des zones humides pour promou- hydrologique et biologique qui permettent
voir, favoriser et appuyer la mise en œuvre d’assurer les services d’approvisionne-
des politiques de restauration écologique. ment, d’appui et de régulation, sans oublier
Si la démarche peut-être un bon outil de les services de culture et d’agrément.
dialogue entre les acteurs du territoire, en Forts de l’expérience acquise dans le cadre
raison de son approche globalisante, inté- du projet, les partenaires ont souhaité réa-
gratrice par et pour le socio-écosystème, la liser un guide pour aider les porteurs de
difficulté à mobiliser des cas d’étude dans projets à mieux appréhender les concepts
les Alpes, pouvant constituer des exemples et les méthodes à mettre en œuvre pour se
concrets, acceptables localement, est lancer dans la démarche d’évaluation des
apparue comme un frein à l’engagement services écosystémiques.
des acteurs dans un processus d’évalua-
tion. En effet, bien qu’ayant fait l’objet de
nombreux travaux et synthèses au niveau
mondial 1, l’étude des services écosysté-
miques rendus par les zones humides est
restée peu appliquée à des cas d’étude
concrets dans le contexte des Alpes occi-
dentales. Toutefois, dans le projet RestHAlp,
il ne s’agit pas de conduire des évaluations
globales de site, mais de construire des
exemples explicitant les services rendus
par les zones humides et l’intérêt d’initier
leur évaluation pour permettre l’engage-
ment des acteurs dans la restauration de
leur fonctionnement écologique.
Nous nous situons donc à l’étape 3 du
processus d’évaluation proposé dans le
rapport technique Ramsar2, à savoir l’ana-
lyse fonctionnelle des sites d’étude.
4
Description
des principales étapes LE PROJET RESTHALP :
de la démarche d’évaluation RESTAURATION
Ramsar ÉCOLOGIQUE D’HABITATS
Étape 1 - Analyse des processus DANS LES ALPES
politiques et des objectifs de
gestion : pourquoi entreprendre rojet européen de coopération
P
l’estimation ? transfrontalière Interreg ALCOTRA
Italie-France 2014-20 qui associe
Étape 2 - Analyse et participation
différents partenaires français
des acteurs : qui entreprend
(CEN73, CBNA, INRAE) et italiens
l’estimation et pour qui ?
(IAR, Parc National Grand Paradis,
Étape 3 - Analyse fonctionnelle Région Autonome Vallée d’Aoste –
(identification & quantification Structure biodiversité et espaces
des services) : que faut-il estimer ? naturels protégés), d’une durée de
38 mois (25/04/2017-24/06/2020),
Étape 4 - Estimation des services :
le projet vise à la restauration
comment entreprendre l’estimation ?
écologique d’habitats dans des
Étape 5 - Communiquer les valeurs Sites d’Importance Communautaire
de la zone humide : à qui fournir et dans leurs environs.
les résultats de l’estimation ? Parmi les différentes opérations
le workpackage 3 est consacré à
l’amélioration de la connaissance
de la biodiversité et des services
écosystémiques pour améliorer
la gestion des habitats.
5
Drosera ©Shutterstock
6
INTRODUCTION
7
Qu’entend-on
par service écosystémique ?
Quelle méthodologie
mettre en œuvre ? COMMENT METTRE
EN PLACE UNE
Qui évalue les services DÉMARCHE
écosystémiques ? D’ÉVALUATION
DES SERVICES
Quels sont les cadres ÉCOSYSTÉMIQUES ?
de l’évaluation ?
Quels outils
sont disponibles ?
8
Quelles fonctions
COMMENT des zones humides
ÉTABLIR LES rendent des services ?
LIENS ENTRE LE Comment mesurer
FONCTIONNEMENT ces fonctions des
zones humides ?
DU SITE ET
LES SERVICES La cartographie
ÉCOSYSTÉMIQUES ? de la fonctionnalité
territoriale
des services
écosystémiques
Préalable à l’usage
de la notion de valeur
des écosystèmes
COMMENT
LA NOTION DE ATTRIBUER Quel type de
UNE VALEUR valeur attribuer ?
Approvisionnement
QUELS SERVICES
RENDENT LES Régulation
ZONES HUMIDES
ALPINES ?
Culturels
9
QU’EST-CE QUE
LES SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES ?
Apparus dans les années 1970, dans le vaste mouvement d’évolution de la per-
ception de l’environnement par les sociétés occidentales, les services rendus par
les écosystèmes ont fait l’objet d’un foisonnement intellectuel et méthodologique
important6 depuis l’institutionnalisation de la notion, marquée par le Millennium
Ecosystem Assessment (MEA)7, au cours des années 2000.
De quelques dizaines de publications scientifiques sur le thème, nous sommes
passés aujourd’hui à plusieurs milliers d’articles, littérature dans laquelle le néo-
phyte, gestionnaire, porteur de projets, ne peut totalement s’immerger. De la méta-
phore d’origine scientifique, à vocation pédagogique, nouvelle façon de concevoir
les relations homme/nature, aux dispositifs complexes d’évaluation actuel pour
conserver ou gérer la nature, il est nécessaire de retracer ici brièvement l’histoire
de l’émergence de cette notion pour bien en comprendre les cadres.
À la fois simple dans sa compréhension et complexe dans son usage8, elle est
aujourd’hui incontournable, tant elle constitue un média efficace pour favoriser les
échanges entre acteurs et permettre la concrétisation d’opérations de préserva-
tion ou de restauration/requalification des zones humides.
10
NOUS PROPOSONS ICI
DE REPRENDRE
DEUX DÉFINITIONS :
• les services écosystémiques sont
les bénéfices que les hommes
tirent des écosystèmes [MEA] ;
Perspective historique
d’apparition de cette notion • les écosystèmes et plus généra-
lement la biodiversité soutiennent
De nombreux auteurs font remonter la et procurent de nombreux ser-
première mention de l’expression dans vices, dits services écologiques
un rapport préparatoire à la confé- ou services écosystémiques,
rence de Stockholm en 1972 (Study of généralement classés comme
Critical Environmental Problems, 1970, bien commun et/ou bien public,
Massachusetts Institute of Technology). car vitaux ou utiles pour l’hu-
Cette notion de services fournis par les manité, les autres espèces et les
écosystèmes, portée par des biologistes activités économiques [UICN].
de la conservation10 et des économistes11
nord-américains, se développe au cours
des années quatre-vingt et quatre-vingt- champ de la biologie de la conservation
dix et s’impose au tournant du XXIe siècle, pour justifier la valeur de la diversité biolo-
comme l’illustre l’évolution du nombre de gique. Mais au cours des années 1990, s’ini-
publications scientifiques (Figure 1). tient les coopérations transdisciplinaires
Les différents auteurs12 qui se sont inté- entre économistes et écologues, traduc-
ressés à l’histoire de l’émergence de tion de l’évolution majeure des sciences,
la notion distinguent plusieurs phases. avec le dépassement des cloisonnements
Jusqu’en 1997, et l’article de Costanza disciplinaires, dans le contexte de mon-
et al. dans la revue Nature, qui constitue dialisation des échanges. La construc-
incontestablement un marqueur, la notion tion d’une culture scientifique commune
de service écosystémique émerge dans le va permettre de médiatiser la notion et
1200
Nombre de références
1000 50
800 0
1997
1999
2001
2003
2005
2007
2009
2011
600
400
200
0
1975 1981 1983 1987 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012
11
passer de la sphère scientifique à celle du proches émergent, comme les Paiements
politique. L’appropriation de la notion par pour Services Environnementaux par
les décideurs et acteurs politiques durant exemple. La communauté scientifique
cette période est favorisée par deux se structure alors autour de sous-dis-
évolutions majeures : l’émergence de la ciplines, qui ne dialoguent pas toujours
gestion adaptative en écologie13, mise en entre elles, contribuant à une diffraction
œuvre par les gestionnaires au travers de de la notion de service écosystémique.
la réalisation de plan de gestion, et de la
notion de système socio-écologique14, qui Débats et controverses
efface la limite entre système écologique
et système social et replace les êtres La notion de service écosystémique fait
humains dans la nature. l’objet de débats et de controverses16. Les
Promue par les travaux scientifiques, critiques sont de deux ordres, concep-
cette nouvelle façon de penser la conser- tuelles, dans le but d’en améliorer l’effica-
vation de la nature s’est ainsi institution- cité, et plus fondamentales à propos de la
nalisée, dans les années 2000-2005, pour dimension éthique sous-entendue par la
être traduite dans la sphère politique à notion de service.
l’échelle internationale (Évaluation des En effet, si la notion est assez floue pour
écosystèmes pour le millénaire, com- être efficace d’un point de vue pédago-
mandée par l’Organisation des Nations gique et politique, elle génère des confu-
Unies, 2005), puis européenne (Mapping sions entre les processus, les fonctions
and Assessment of Ecosystems and des écosystèmes et leur utilisation par
their Services, depuis 2012) et nationale l’homme. Il en résulte une très grande
(Évaluation Française des Ecosystèmes diversité des définitions des services qui
et des Services Écosystémiques, pose problème lorsqu’il s’agit de les mesu-
depuis 2013 ; Rapporto sullo Stato del rer dans le cadre d’évaluation17. D’autre
Capitale Naturale in Italia, depuis 2017). part, les liens fonctionnels entre biodi-
Fondé sur des savoirs scientifiques, le versité et services écosystémiques sont
concept a donc influé sur les politiques complexes et encore mal caractérisés18.
environnementales. Les informations sur l’état biologique des
Après le consensus autour de la notion écosystèmes peuvent s’avérer souvent
illustrée par le MEA, l’équilibre entre insuffisantes pour comprendre et intégrer
l’économie et l’écologie se modifie. Si dans les décisions les interactions entre
les publications scientifiques se multi- le fonctionnement des écosystèmes, les
plient dans les revues d’écologie, ce n’est organisations sociales et les systèmes
pas le cas dans celles d’économie. La économiques19. L’opérationnalité de la
dimension économique devient surtout notion est donc également discutée. Plus
prégnante dans les politiques publiques, philosophiquement, elle est discutée en
comme l’illustre l’initiative The Economics raison de la vision anthropocentrée, occi-
of Ecosystems and Biodiversity (TEEB)15. dentale, et du prisme économique de la
Afin de rendre la notion pleinement opé- relation de l’homme à la nature qu’elle
rationnelle pour les décideurs et les ges- introduit 20.
tionnaires de milieux, un important travail Bien que controversée, la notion, élaborée
de développement de méthodes et d’ou- pour rendre visible ce qui ne l’est pas dans
tils est initié et fait émerger des tensions les systèmes décisionnels actuels, offre
entre l’usage pédagogique de la notion et aujourd’hui un cadre d’échange efficace
son opérationnalité. entre acteurs pour engager des opéra-
Ainsi, alors que les travaux et le nombre tions de préservation ou de restauration/
de chercheurs s’intéressant aux ser- requalification des zones humides. Il per-
vices écosystémiques augmentent, que met dans un contexte où la protection
la notion appropriée par le politique se de la nature est contestée de fournir un
diffuse au grand public, d’autres notions argumentaire à ses défenseurs.
12
« Si ce nouveau paradigme porte en lui ses propres limites et ses propres risques,
il serait utopique de l’ignorer et de fonder nos efforts en faveur de la conservation et
de l’utilisation rationnelle des zones humides sur des valeurs entièrement différentes.
Il faut donc donner une valeur quantitative aux biens et services fournis par les zones
humides si l’on veut que la conservation l’emporte sur toutes les options possibles
d’utilisation des terres ou de l’eau qui alimente les zones humides. »21
13
Figure 2 - Aperçu des différents types de services écosystémiques
dans le système CICES (PBL, WUR, CICES – 2014).
Toutefois, comme l’ont illustré les débats (CICES)24 actualisée en 2018, intègre
sur la notion, sous l’impulsion des écolo- les dimensions biotiques et abiotiques
gues confrontés à la mesure des services, et présente 11 classes regroupées en 3
la catégorie « services de support » tend thèmes, que nous présentons rapidement
à disparaître des classifications les plus ci-dessous.
récentes. Correspondant à des proces-
sus internes aux écosystèmes, ils existent Service d’approvisionnement
indépendamment de leur utilisation et
sont parfois jugés redondants avec les Cette catégorie couvre tous les biens
services de régulation. Ainsi, l’une des et produits, alimentaires ou non, issus
classifications les plus élaborées, connue des organismes vivants, mais aussi des
sous le nom de Common International constituants abiotiques de l’écosystème
Classification of Ecosystem Services (y compris l’eau).
14
Service de régulation et de support Services culturels et sociaux
Ils correspondent à toutes les façons Il s’agit de tout ce qui affecte l’état physique
dont les organismes vivants ou les carac- et mental des personnes dans les écosys-
téristiques abiotiques de l’écosystème tèmes. Ils concernent des environnements,
peuvent médier ou modérer l’environne- des lieux ou des situations environnemen-
ment ambiant affectant la santé humaine, tales qui dépendent des processus de vie et
la sécurité ou le confort. Il peut s’agir peuvent être liés à des espèces, des habi-
des transformations biochimiques ou tats et des écosystèmes entiers. Les ser-
physiques dans les écosystèmes ou de vices culturels sont rendus possibles par
la régulation des grands flux de matière les interactions directes ou indirectes des
bénéfiques aux populations. personnes et des systèmes vivants.
15
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▲
▲
Figure 3 - Liens entre Figure 4 - Relations spatiales
fonctionnement de l’écosystème entre les zones de production de services (P)
et services écosystémiques et les zones bénéficiant de services (B),
pour les tourbières. d’après Fisher et al. (2009).
16
zones humides peuvent fournir du four- ou encore la place des zones humides
rage pour l’agriculture, du bois, des res- dans le patrimoine culturel de la popula-
sources halieutiques… tion (participation à l’identité culturelle).
D’autres types de classifications des ser-
LES SERVICES CULTURELS : définis vices qui intègrent leurs caractéristiques
comme les bénéfices non matériels que spatiales apparaissent également bien
peuvent fournir les écosystèmes à tra- adaptés pour l’étude des zones humides.
vers l’enrichissement spirituel, le dévelop- En effet, les milieux humides fournissent
pement cognitif, la réflexion, la création, des services à différentes échelles, bien
les expériences esthétiques. souvent au-delà de leurs limites strictes
Cette catégorie regroupe des services (service de protection contre les inonda-
comme « Opportunités pour la recherche » tions ou encore service de régulation du
en lien avec leur rôle d’archives environne- climat global)28.
mentales (reconstitution du climat passé Nous ne les développerons pas ici, mais
grâce à la paléoécologie, archéologie…), aborderons la prise en compte des
les « Aménités paysagères » qui font appel notions d’échelle spatiale et temporelle
à la qualité esthétique des zones humides, dans les chapitres suivants.
1 2
P/B P
B
3 4
P
P B
B
1 - production et bénéficiaires au même endroit
2 - le service est fourni de manière omnidirectionnelle et profite au paysage environnant
Avantages directionnels spécifiques.
3 - zone en aval bénéficiant des services produit à l’amont
4 – zone bénéficiant de par sa localisation de la protection de la zone de production.
17
POURQUOI UTILISER LA NOTION
DE SERVICE ÉCOSYSTÉMIQUE ?
Cette question ramène aux débats sur qui est inutile, mais de traduire la valeur
la notion de service écosystémique (voir des pertes consécutives à la destruc-
« Débats et controverses »). tion des écosystèmes en termes qui per-
Elle a été largement abordée dans les mettent de comparer les services éco-
articles de Wolf et al. (2017) ou J.-M. Salles systémiques avec d’autres enjeux socié-
(2010) dont nous pouvons reprendre taux ». C’est donc une réponse aux pres-
l’affirmation suivante : l’intérêt de la sions que subit la biodiversité pour influer
démarche d’évaluation n’est pas de « don- sur les décisions en explicitant les valeurs
ner une valeur économique à la nature, ce de la nature.
Réponses Pressions
politiques et sur la
Les réponses
de gestion réduisent les pressions
biodiversité
Figure 5 – Relations entre les services écosystémiques, l’état de la biodiversité, les pressions qu’elle
subit et les réponses apportées à ces pressions, dans TESSA (2013).
Source : adapté de Sparks et al. (2010) Linked indicator sets for addressing biodiversity loss.Oryx 45(3) : 411-419
18
Quelles finalités à l’usage de l’évaluation des services écosystémiques ?
Quatre enjeux d’utilisation de la notion peuvent être mis en avant au regard des
retours d’expériences étudiés dans la littérature scientifique.
19
comme les paiements pour services éco- sibiliser les acteurs et les usagers, aux
systémiques. Il s’agit également d’un enjeu enjeux de préservation des écosystèmes.
qui amène à s’intéresser à l’équivalence En ce sens, ils contribuent à forger les
écologique, comme cela est développé prérequis de la prise de décision indivi-
dans les mécanismes de la compensation. duelle en faveur de la préservation des
écosystèmes et ainsi à obtenir le soutien
La communication - sensibilisation des acteurs des territoires et du public
pour la mise en place de politiques ou
Les services écosystémiques sont large- d’opérations de gestion fondées sur des
ment utilisés pour communiquer et sen- données factuelles.
Nous souhaitons ici développer le propos sur un cadre d’utilisation spécifique, celui de
la restauration des écosystèmes, qui a constitué le cœur du projet RestHAlp.
21
COMMENT METTRE EN PLACE UNE DÉMARCHE
D’ÉVALUATION DES SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES ?
22
Les différentes méthodes distinguent autant d’éléments qui serviront à organi-
plusieurs étapes dans le processus d’éva- ser le processus d’évaluation.
luation : 6 étapes pour la Boîte à outils des Une phase d’information des acteurs pour
services écosystémiques et 8 pour TESSA. la compréhension commune des termes et
Parmi ces étapes, la définition du cadre de enjeux est souvent indispensable.
l’évaluation est primordiale.
Il s’agit de savoir dans quel contexte éco- L’évaluation s’appuie sur une collecte de
logique et politique se situe l’étude pour données tant écologiques que socio-éco-
identifier les questions auxquelles l’évalua- nomiques qu’il n’est pas toujours simple de
tion devra répondre. mobiliser. Les métriques ou les indicateurs
Il existe généralement une phase d’éva- utilisés sont nombreux. Nous pouvons par
luation préliminaire qui permet d’identifier exemple illustrer le panel des données
les fonctions de l’écosystème, les parties possibles avec le tableau ci-dessous.
prenantes, les services, les bénéficiaires,
Tableau 2 – Exemple d’indicateurs des fonctions écologiques, du capital naturel, des services
écosystémiques et des avantages des services écosystémiques pour les zones humides (adapté
et modifié d’après la Boite à outils des services écosystémiques).
Nombre de cartes
PÊCHE Taille de la prise
de pêche (droits d’accès)
23
Biomasse totale (t/ha)
Nombre de personnes
Productivité nette (t/ha/année)
employées, y compris les
BOIS ET BIO- travailleurs indépendants,
COMBUSTIBLES Nombre d’espèces ou de composantes
pour la récolte, la transformation
biotiques présentant une possibilité
et la distribution de ces biens.
d’utilisation
SERVICES DE RÉGULATION
Incidence, coût ou risque de
Quantité de sédiments captés
préjudices ou de dommages aux
RÉGULATION personnes et à la propriété par
DE L’ÉROSION Sol (p. ex. matière organique, suite d’inondations (p. ex. par suite
perméabilité) de perte de milieux humides)
Quantité de N et de P stockés
(kg/ha/année)
Dommages à la propriété
Superficie/profondeur causés par des risques naturels
des milieux humides (glissements de terrain et
inondations)
RÉGULATION
Coûts connexes pour la propriété,
DES RISQUES
Capacité de stockage d’eau le système de soins de santé, la
NATURELS
productivité des travailleurs
24
Capacité de rétention d’eau dans le sol
Débits de pointe
Taux d’infiltration dans le sol
RÉGULATION DE Incidence, coût
L’ÉCOULEMENT Capacité de stockage de l’eau ou risque d’inondation
DE L’EAU en surface (mm/m)
SERVICES CULTURELS
Nombre d’espèces ou surface de
l’écosystème/paysage caractéristique
IDENTITÉ importants sur le plan culturel Niveau de satisfaction
CULTURELLE exprimé par rapport
ET PATRIMOINE Nombre de personnes utilisant à l’écosystème
l’écosystème à des fins de patrimoine
culturel et d’identité
Espèces ou caractéristiques
Accès et utilisation
de l’écosystème/paysage ayant
de lieux sacrés connus
une valeur spirituelle
25
Participation
Superficie du site ayant une valeur (nombre de personnes)
récréative déclarée à du tourisme nature,
à des loisirs axés sur la nature
Nombre d’événements
Proximité du site pour la fréquentation
ou d’équipements
Argent/temps investi
dans l’exécution d’activités
sur le site
Appréciation exprimée
pour les possibilités d’activités
récréatives
Nombre de participants
à des activités volontaires
Nombre de visites de classes scolaires
de conservation
SYSTÈMES DE et de science citoyenne
CONNAISSANCE
ET ÉDUCATION
Nombre ou % de la population
Nombre d’études scientifiques employée dans des professions
liées au site
Taux de participation
DÉVELOPPEMENT à des groupes de nature
COGNITIF, SANTÉ
ET BIEN‑ÊTRE Nombre de personnes
PSYCHOLOGIQUES qui ont choisi de vivre
ET PHYSIQUES près du site
Nombre/superficie d’éléments
paysagers pour lesquels
EXPÉRIENCE une appréciation a été exprimée
ESTHÉTIQUE
Expression de la valeur esthétique
26
Le schéma ci-dessous issu également de la Boite à outils des services écosystémiques
synthétise le cadre et les étapes de l’évaluation.
Moteurs de changement
Indirects
p. ex. démographiques, économiques,
sociopolitiques, culturels
Directs Gestion et
p. ex. modifictaions de l’utilisation des terres
locales, introduction ou suppression d’espèces,
gouvernance
adaptation et utilisation des technologies, Critères décisionnels,
intrants externes, changements climatiques, décisions prises,
moteurs naturels, physiques ou biologiques mesures, etc.
Services écosystémiques
dans un système écologique social
Structures et processus biophysiques
(capital naturel)
Fonctions écosystémiques
Services écosystémiques
régulation / approvisionnement / culturels / soutien / habitat
Importance relative
(à quel point les SE revêtent de l’importance pour les gens : diverses valeurs)
27
Qui évalue les services écosystémiques ?
Cette question est cruciale tant elle conseils extérieurs au projet comme des
détermine les résultats et leur appropria- membres de conseil scientifique d’es-
tion, notamment lorsque la démarche est pace naturel protégé ou universitaires par
utilisée pour favoriser la mise en œuvre exemple.
de projet de restauration.
On parle, pour définir les personnes ame- Le groupe technique ou d’experts
nées à participer, à n’importe quelle étape
du processus d’évaluation des services L’évaluation est effectuée par une équipe
écosystémiques, de parties prenantes. technique interdisciplinaire. Ce groupe,
Pour une assimilation efficace, ces par- ou comité technique, vise à associer l’en-
ties prenantes doivent pouvoir s’impliquer semble des compétences nécessaires.
et être des acteurs des résultats. Les membres de ce groupe doivent pou-
voir contribuer à :
Pour définir la liste des parties prenantes,
il est possible de réaliser pour cela une
identifier les habitats,
matrice d’analyse qui les définit par les les espèces et les services clés ;
critères suivants : suggérer l’état alternatif
le plus plausible pour le site ;
leurs caractéristiques fournir des données existantes ;
(type d’organisation/de personne) ; concevoir des protocoles
leurs principaux intérêts de collecte de nouvelles données ;
pour le site ; recueillir de nouvelles données ;
leurs principaux droits interpréter les résultats.
en ce qui concerne le site
(propriétaire, gestionnaire, Les compétences vont donc de l’écologie
agriculteur, autres usagers, etc.) ; à l’économie, en passant par la modélisa-
leurs incidences sur le site tion, la géographie, etc.
et sur ses services Il rassemble tous les détenteurs de
(actuelles et potentielles) ; connaissance disponibles, universitaires,
leurs priorités vis-à-vis naturalistes, experts, techniciens de col-
des services écosystémiques lectivité ou d’entreprise, mais plus globa-
et des projets pour le site. lement toute personne locale bien infor-
mée et reconnue, détentrice d’un savoir
On peut distinguer trois groupes de traditionnel.
parties prenantes que nous détaillons
ci-dessous. Le groupe d’examen
Le groupe consultatif Dans une démarche où l’on souhaite que
les résultats de l’évaluation soient réuti-
Il s’agit d’un groupe large, comité de pilo- lisés à une plus large échelle, il peut être
tage de l’étude qui doit garantir une orien- utile dans le processus d’évaluation de
tation claire du travail, la participation de distinguer un groupe d’examen.
toutes les parties prenantes et l’avance- Ce dernier formule un avis sur les
ment du processus d’évaluation. méthodes et les résultats. Il intègre des
Il associe donc généralement le com- experts extérieurs au projet pour une vali-
manditaire de l’évaluation, l’ensemble des dation du travail par des pairs qui permet
décideurs et financeurs de l’étude, mais d’étayer la crédibilité et la pertinence de
peut également associer des experts- la démarche.
28
Quels sont les cadres de l’évaluation ?
Il n’est pas toujours facile de bien définir cumulatifs qui font qu’ils n’évoluent pas
les échelles d’analyse pour l’évaluation. de façon linéaire, mais également parce
Pourtant, les résultats sont souvent sen- que la démarche d’évaluation s’inscrit
sibles à l’échelle temporelle et spatiale à très souvent dans un objectif de confron-
laquelle on étudie les services. Un cer- tation de scénarios qui vise à simuler les
tain nombre de paramètres et d’indica- effets des actions futures.
teurs des fonctions écologiques, comme Sans aller plus loin, il convient de se ques-
la consommation de services écosysté- tionner et d’apporter une vigilance par-
miques, ne sont pas uniformément distri- ticulière tant sur l’actualité des informa-
bués dans l’espace et dans le temps. Ainsi, tions mobilisées pour l’évaluation que sur
on peut par exemple bien comprendre que la perspective temporelle dans laquelle
l’utilisation de données de fréquentation les parties prenantes s’inscrivent lors-
d’une zone humide de montagne, indi- qu’elles attribuent une valeur aux services.
quant le service d’attractivité pour les loi-
sirs et le tourisme, est très variable, tant Quelle échelle spatiale ?
dans le temps, cette dernière étant très
saisonnière, que dans l’espace, l’ensemble De plus en plus d’études spatialisent les
d’un site n’étant pas fréquenté de façon services écosystémiques35. Il existe en
uniforme. effet une dynamique entre des zones de
Il convient donc de mener l’étude des production et des zones de consommation
services écosystémiques à différentes des services entre lesquelles s’organisent
échelles, pertinentes pour les décideurs des flux. Le schéma suivant illustre l’in-
et sensibles à la variabilité des processus. térêt de bien envisager les relations spa-
tiales entre zones productrices et zones
Quelle échelle de temps ? bénéficiaires des services pour mener à
bien l’évaluation, tant pour construire les
La notion de temps est fondamentale dans jeux de données nécessaires (fonctionne-
la notion de service écosystémique, non ment des milieux, coût des ouvrages de
seulement parce que le fonctionnement protection, zone de chalandise, etc), que
des écosystèmes et des sociétés répond pour identifier les parties prenantes de
à des cycles, des seuils et des effets l’évaluation.
ZP = ZB ZP < ZB ZP ≠ ZB
1. IN SITU 2. DIFFUSION 3. TRANSFERT
Exemples : chasse, pêche Exemple : qualité du paysage Exemple : écrêtement des crues
29
Ces approches permettent de dispo- raît que la seule occupation du sol comme
ser d’arguments territorialisés pour la indicateur de services écosystémiques ou
sensibilisation, la négociation et/ou la comme seule variable de modélisation
monétarisation. L’intérêt majeur de la spa- engendre une simplification excessive.
tialisation repose donc sur sa capacité
à interroger la notion de services éco- Il n’en demeure pas moins que derrière
systémiques au prisme des processus l’approche spatiale, il est essentiel de bien
physiques et des fonctions écologiques prendre en compte des relations spatiales
qui les induisent. Toutefois, une certaine entre zone de production et de bénéfice
prudence doit être observée quant aux des services.
méthodes de spatialisation. L’information À ce titre, comme l’intègre le concept
géographique mobilisable pour réaliser ce d’hydrosystème et le traduit la notion de
type d’étude est très souvent limitée et connectivité entre trame verte et bleue,
ce d’autant plus que le territoire de tra- un écosystème comme une zone humide
vail est vaste. Ainsi, c’est l’occupation du dans son bassin versant joue un rôle
sol qui est très souvent utilisée comme important pour la diffusion ou le transfert
base d’évaluation des services et il appa- de services dans le territoire.
30
remplie individuellement, puis agrégée
avec la mise en commun des scores
ASPIRE
des différents acteurs, s’organisent les La méthode nommée ASPIRE pour
échanges, le partage des visions, l’émer- « Appréciation du Succès des Projets d’In-
gence de compromis et par corolaire le génierie et de Restauration Écologiques »
développement d’une culture commune est un cadre méthodologique qui se veut
avec une évaluation partagée crédible une méthode simple pour l’appréciation
pour tous les acteurs. globale d’un projet aux objectifs multiples
par différents acteurs. Cette méthode
Cette méthode simple qui crée des qui est aussi une plateforme de calcul
données semi-quantitatives reliant les en ligne, par son principe peut être utili-
écosystèmes et les services rendus sée dans les démarches d’évaluation des
contourne le problème d’acquisition des services écosystémiques. Testée dans le
données de fonctionnement des milieux. cadre du projet RestHAlp, elle est détail-
Elle permet d’obtenir pour chaque service lée plus précisément dans l’article de
une évaluation avec la même unité, ce qui Jaunatre et al. (2017)38.
permet leur comparaison pour identifier La plupart des projets de restauration
des bouquets de services rendus, voir les écologique ont des objectifs multiples, ce
compromis entre les services. qui peut compliquer l’évaluation du suc-
PROJET
RESTAURATION ZONE HUMIDE EN MONTAGNE
OBJECTIFS
2 1 2 1 2 1 2 1 2 3
s
es
po.
as.
rs
ue
e
ic e
éf.
s
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VARIABLES
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Qu
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t io
Ré
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ce
i té
p or
Ap
s en
x im
er s
P ro
D iv
P ro
P ré
31
cès de chaque projet. C’est particulière- base sur les scores des objectifs du pro-
ment le cas lorsque les différents acteurs jet, se basant eux-mêmes sur les scores
du projet ont des attentes différentes. des variables de ces objectifs (Figure 8).
Cette phase d’évaluation est pourtant Afin d’évaluer la restauration des ser-
importante car elle permet de dire si la vices écosystémiques au sein d’un projet,
gestion du projet doit être adaptée pour une approche intéressante peut être d’as-
augmenter son succès, ou si un projet similer les différents groupes de services
similaire doit pouvoir être reproduit. Le écosystémiques à des objectifs et les
cadre méthodologique ASPIRE apparaît mesures qui contribuent à rendre compte
particulièrement approprié pour l’éva- de ces services peuvent être assimilées à
luation des services écosystémiques au des variables.
sein d’un projet de restauration écolo-
gique. Il est hiérarchisé en 3 niveaux : (1) Après avoir caractérisé chacun de ces
les variables, (2) les objectifs et (3) le pro- niveaux hiérarchiques, le cadre de travail
jet. La mesure du score global du projet se ASPIRE permet de calculer les scores des
Production_fourr
Div_natives
Eau_dispo
Prop_nat
Ecrêtage
Prox_genet
Resist_inv
Esp_indic
Appr_esthet
Nb_visiteurs
Scores des objectifs du projet Scores de l’objectif Provision Scores de l’objectif Support
1 1 1
Scores
Scores
Scores
0 0 0
Provis. Supp. Cult. Régul. Production_fourr Div_natives Prop_nat Prox_genet Esp_indic
Scores
0 0
Nb_visiteurs Appr_esthet Resist_inv Ecrêtage Eau_dispo
Figure 9 - Exemples de sorties graphiques créées par ASPIRE. Des diagrammes en barres et
diagrammes radar peuvent être automatiquement générés, présentant les résultats par objectifs.
32
variables, des objectifs et ceux du projet ment les services de stockage et de
pour chaque acteur. Il permet également séquestration du carbone, de pollinisa-
de produire des graphiques illustrant les tion, d’épuration de l’eau, de rétention des
valeurs de ces différents scores. Le cadre sédiments, de protection côtière et d’ha-
de travail a été développé sur le logiciel bitat pour la biodiversité. InVEST fonc-
R et peut être utilisé via une plateforme tionne pour la plupart des modèles sur la
Shiny39 disponible en ligne (https://resto- base d’un outil SIG (ArcGIS).
ration.shinyapps.io/aspire/).
Pour chaque service écosystémique,
EXEMPLE D’UTILISATION quatre niveaux de complexité de modéli-
Si nous prenons un cas d’étude fictif de sation sont disponibles. Les modèles les
restauration de zone humide en mon- plus simples affectent en général des
tagne, il est possible de regrouper les valeurs biophysiques de référence à dif-
différentes variables servant à mesurer férents types d’occupation et d’utilisation
les services écosystémiques sous des des sols. Ils ne nécessitent néanmoins
grandes catégories de services : provi- qu’un nombre limité de données d’entrée
sion, support, culturel et régulation. Une et amènent ainsi rapidement à des résul-
fois les données récoltées sur le terrain, tats. A l’inverse, les modèles les plus com-
il est possible de produire des résumés plexes nécessitent de collecter un grand
graphiques des scores des variables, des nombre d’informations pour fonctionner,
objectifs et du projet par acteur (Figure 9). mais donnent des résultats très précis.
Ces graphiques permettent d’avoir à la
fois une vue globale du projet mais éga- RECORD41
lement d’identifier les variables ou les
services où la restauration écologique a Créé en 1989 à l’initiative du Ministère
très bien fonctionné et là où elle reste à en charge de l’Environnement, le REseau
améliorer. COopératif de Recherche sur les Déchets
et l’Environnement (RECORD) est le fruit
InVEST40 d’une triple coopération entre industriels,
pouvoirs publics et chercheurs. L’objectif
Développé dans le cadre du « Natural principal est le financement et la réali-
Capital Project » (www.naturalcapitalpro- sation d’études et de recherches dans le
ject.org), un partenariat entre The Nature domaine des déchets et des pollutions
Conservancy et WWF ainsi que les industrielles. Avec la multiplication des
Universités de Stanford et du Minnesota, expériences des restaurations et l’évolu-
InVEST est un logiciel téléchargeable per- tion de la réglementation liée aux sites et
mettant d’évaluer et de cartographier aux sols polluées qui souligne aujourd’hui
des services écosystémiques terrestres, une volonté renforcée de préserver et
aquatiques et marins, et de quantifier les restaurer la biodiversité, l’association a
impacts de divers scénarios de dévelop- souhaité, en l’absence de méthodolo-
pement ou d’aménagement. gie spécifiquement adaptée à ce type
Les services écosystémiques inclus dans de sites, contribuer à faciliter la prise en
les 17 modèles disponibles (un par service) compte des services écosystémiques et
peuvent être évalués de manière biophy- leur évaluation dans le cadre des mesures
sique (tonnes de carbone séquestrées, de restauration.
volumes d’eau épurés…) ou socio-éco-
nomique (valeur sociale de la réduction Afin de permettre l’utilisation des
d’émissions de CO2, coûts de traitement méthodes d’analyse et de mesure de la
de l’eau évités…). Ce logiciel modélise aussi biodiversité disponibles, aussi bien pour le
bien la distribution spatiale et les volumes compartiment aérien que pour l’eau et le
que les valeurs économiques actuelles et sol, le rapport propose une revue des prin-
futures des services. Sont inclus notam- cipaux indicateurs connus pour mesurer
33
FOURNITURE La cartographie de base utilisée par les
auteurs pour identifier les différentes
Capacité potentielle de la
catégories d’occupation/utilisation du
catégorie d’occupation du sol à
sol sur lesquelles construire les matrices
fournir un service écosystémique
est la CORINE Land Cover (unité car-
spécifique.
tographique minimale 25 ha, échelle
1 :100.000), disponible au niveau euro-
DEMANDE péen et téléchargeable gratuitement sur
Demande potentielle du service le site Web de l’Agence européenne pour
écosystémique exprimée par l’environnement (www.eea.europa.eu/
toutes les parties prenantes data-and-maps/).
opérant dans la catégorie
d’occupation du sol donnée. Le schéma « fourniture-demande-flux »
se prête à identifier un équilibre
« demande-fourniture » des services éco-
FLUX systémiques adéquat pour un territoire
Quantité de service donné et s’avère un outil valable pour
écosystémique réellement orienter des communautés entières vers
consommé. une véritable durabilité environnementale.
34
d’occupation/utilisation du sol est insi- d’experts45, sachant que le choix des bons
gnifiante (par exemple, la demande d’eau indicateurs pour chaque service écosys-
dans une forêt de conifères) et 5 corres- témique est probablement l’aspect le plus
pond à une forte demande de ce service important pour une évaluation correcte46.
(par exemple, la demande d’eau dans une
zone industrielle). Les matrices publiées sont composées de
22 services écosystémiques (9 de régu-
Enfin, la matrice de flux présente des lation, 11 d’approvisionnement et 2 cultu-
valeurs variant de -5 à +5 et correspond rels), choisis parmi différentes listes de
à la superposition des deux matrices pré- services47, et de 7 indicateurs d’intégrité
cédentes, de manière à obtenir un équi- écologique, représentatifs des principales
libre des services écosystémiques par composantes de la fonctionnalité éco-
catégories d’occupation du sol, où -5 cor- systémique48, tous attribués aux 44 caté-
respond à une demande qui dépasse lar- gories CORINE d’occupation des terres
gement la fourniture d’un service donné considérées par les auteurs.
pour une catégorie d’occupation du sol,
alors que +5 indique une fourniture beau- Dans le système SIG, ces informations
coup plus élevée que la demande. sont techniquement simples à repré-
Les valeurs proposées par les auteurs senter et il est possible de produire des
sont basées sur plusieurs études de cas cartes de fonctionnalité territoriale effi-
menées dans de nombreuses régions caces, qui peuvent être immédiatement
européennes44 et sur des évaluations comprises et interprétées.
C’est le bon fonctionnement des écosystèmes qui garantit la fourniture des ser-
vices. Ces fonctions écologiques constituent donc l’offre, dont l’homme détermine
la demande et attribue la valeur. Ce concept de fonction, qui décrit les processus
naturels de fonctionnement et de maintien des écosystèmes, appliqué aux zones
humides a été largement étudié par la communauté scientifique49.. Il est égale-
ment bien approprié par les gestionnaires de milieux naturels. Les paragraphes
suivants qui décrivent les principales fonctions des zones humides reprennent
pour une large part la synthèse proposée dans la Méthode nationale d’évaluation
des fonctions des zones humides (Gayet et al. 2016).
Trois éléments essentiels caractérisent l’ensemble des milieux humides, comme l’il-
lustre le schéma ci-contre, inspiré et modifié à partir de ceux de Mitsch et Gosselink50
et Gayet et al.51
36
Figure 10
Fonctionnement général
d’une zone humide.
Hydrologie
CLIMAT
GÉOMORPHOLOGIE
Physico-chimie
Biotope
ZONE HUMIDE
37
submersion par les crues, sources) et dans L’ensemble de ces paramètres peut per-
le sol (flux souterrains, nappe d’accompa- mettre aux zones humides de remplir
gnement des cours d’eau). Les pertes sont deux fonctions hydrologiques souvent
quant à elles liées à l’évapotranspiration, mises en avant, l’écrêtement de crue et
aux écoulements de surface et souter- le soutien des débits d’étiage ou du moins
rains. Ces flux diffèrent fortement selon des débits de base des cours d’eau55. Elles
le type de zone humide. Leur résultante, influent sur les volumes, mais surtout sur
c’est-à-dire la variation de la nappe d’eau la dynamique des flux d’eau. Elles ont la
dans le sol, qui permet la saturation en capacité en surface (champ d’expansion
eau temporaire ou permanente de la zone des crues, stockage temporaire des pré-
humide, traduit cette diversité des types cipitations) et dans le sol (variation de la
de fonctionnement hydrologique des zone saturée) d’emmagasiner de l’eau et
zones humides. de contribuer à réduire ou étaler les pics
de crue dans les bassins versants. Le
Parce que l’eau qui transite dans les zones décalage entre entrée et sortie de l’eau
humides y est stockée à plus ou moins dans la zone humide, en retardant les flux,
long terme, le ralentissement des écoule- contribue à soutenir les débits des cours
ments dans les zones humides assure plu- d’eau, notamment en période d’étiage.
sieurs fonctions hydrologiques : la régula-
tion des écoulements avec l’écrêtement RECHARGE DES NAPPES
des crues et le soutien des niveaux de Le sol saturé en eau des zones humides
base des cours d’eau, la recharge des qui constitue un aquifère où l’eau s’in-
nappes, la rétention des sédiments ou la filtre et circule lentement peut être en
régulation du climat. lien avec d’autres réservoirs aquifères
plus profonds. Elles contribuent ainsi à
RÉGULATION DES ÉCOULEMENTS recharger ces nappes souterraines, mais
Qu’il s’agisse des écoulements non chena- peuvent également constituer des zones
lisés (ruissellement de surface, circulation de décharge de ces nappes. Cette fonc-
souterraine) ou des écoulements concen- tion dépend principalement des carac-
trés dans des chenaux (cours d’eau), les téristiques hydrauliques du sol, de la
zones humides, comme le traduit leur géométrie de l’aquifère, de sa composi-
saturation en eau, sont réceptrices des tion granulométrique (matière minérale,
écoulements, qu’elles ralentissent ou matière organique, taille des particules) et
diminuent en stockant l’eau. À l’intérieur sa porosité qui détermine la conductivité
de la zone humide, une série de facteurs hydraulique.
physiques et biologiques peuvent influen-
cer cette fonction. Parmi ces facteurs, il RÉTENTION ET ACCUMULATION
y a notamment le mode d’occupation du DE SÉDIMENTS
sol qui détermine la rugosité du couvert Les zones humides accumulent les sédi-
végétal, la microtopographie (bras morts, ments qu’ils soient exogènes, transportés
dépressions, levées, infrastructures), la par les cours d’eau, et le ruissellement
physionomie du réseau hydrographique (alluvions), la gravité (colluvions) ou le
(fossés de drainage, profil longitudi- vent, mais également endogènes, c’est-
nal et transversal des écoulements) et à-dire produits sur place, comme c’est le
sa connexion aux cours d’eau (endigue- cas pour l’accumulation de matière orga-
ment, sinuosité, incision) et les propriétés nique (tourbe).
hydrauliques du sol. Les zones humides
sont également des milieux où les trans- Cette dynamique sédimentaire est déter-
ferts d’eau vers l’atmosphère sont très minante dans le fonctionnement des
importants, l’évapotranspiration n’étant zones humides. Elle anime notamment la
que très rarement limitée par la disponi- dynamique des nutriments et des maté-
bilité de l’eau dans le sol. riaux organiques. Plusieurs facteurs phy-
38
siques peuvent influencer les apports l’échelle globale, la fonction est princi-
de sédiments, la connectivité de la zone palement liée à leur rôle dans les cycles
humide aux cours d’eau (submersion) ou du carbone et du méthane, comme nous
les caractéristiques des terrains entou- l’évoquerons plus loin. A l’échelle locale,
rant immédiatement la zone humide par en évapotranspirant d’importantes quan-
exemple, mais également l’importance tités d’eau, les zones humides contribuent
des sources de sédiments produits en à la saturation de l’air en eau et influent
amont dans le bassin versant (culture, sur le micro-climat local.
construction…). Les facteurs physiques
intrinsèques à la zone humide (microto- Physique et biogéochimique
pographie, pente, réseau hydrographique,
nature et densité du couvert végétal) De par les processus physiques et
influencent pour leur part la capacité de chimiques qui se produisent dans les
rétention et de production de sédiments. zones humides, elles interviennent for-
tement sur les flux de matières miné-
RÉGULATION DU CLIMAT rales et organiques. Les microorganismes
Le rôle des zones humides pour la régu- (bactéries, champignons…) présents dans
lation du climat, c’est-à-dire sur la com- les sols saturés en eau, dépourvus d’oxy-
posante atmosphérique du cycle de l’eau, gène, mettent en place des processus
peut être envisagé à deux échelles. A d’oxydoréduction qui leur permettent de
39
respirer et transforment les composés L’épaisseur et le type d’horizons qui
contenant de l’oxygène (nitrates, oxyde de constituent l’episolum humifère (c’est-à-
fer, sulfates…) en minéraux qui sont assi- dire l’ensemble des horizons supérieurs
milables par les animaux et les organes du sol contenant de la matière organique)
souterrains des végétaux (racines…). Les donne une indication sur l’importance
zones humides remplissent des fonc- du stock de carbone séquestré dans le
tions importantes dans les grands cycles sol d’une zone humide. Plus cet horizon
biogéochimiques. est important, plus le stock de carbone
est élevé. Les horizons histiques (H) ou
Dans le cycle de l’azote, par l’action des tourbeux, composés majoritairement de
bactéries en conditions hydromorphes, restes organiques qui se sont accumulés
les zones humides contribuent à la déni- en raison d’une décomposition partielle
trification. L’assimilation végétale est des matières organiques, présentent des
également un vecteur important lorsqu’il teneurs en carbone de près de 60 % de la
existe des pratiques de fauche, de coupe masse sèche.
ou de pâturage qui contribue à l’exporta-
tion de la végétation en place.
Écologique
Leur rôle dans le cycle du phosphore est
La composition et la structure des com-
lié à la dynamique hydrologique qui les fait
munautés végétales et animales d’une
passer alternativement du rôle de puits à
zone humide résultent des interactions
celui de source. Le phosphore peut être
entre les conditions abiotiques du milieu
stocké de manière relativement pérenne
(par ex. variables climatiques, hydrolo-
dans les sédiments lorsqu’il se combine à
giques, géomorphologiques) et les acti-
d’autres ions (principalement fer, alumi-
vités anthropiques. En retour, ces com-
nium, calcium) et ce dernier contribue à la
munautés affectent les caractéristiques
fixation par les particules du sol.
hydrologiques et biogéochimiques de la
zone humide, notamment via des rétroac-
Aujourd’hui, c’est la fonction des zones
tions biotiques.
humides dans le cycle du carbone qui
est principalement mise en avant. Le car-
Les zones humides jouent un rôle impor-
bone est présent dans les sols, certaines
tant pour l’accomplissement du cycle bio-
roches mères, l’atmosphère et la bio-
logique des espèces.
masse végétale.
Cette fonction qui consiste à fournir un
Les principaux mécanismes d’échange de
lieu de reproduction, d’alimentation, de
carbone sont la photosynthèse, la respi-
gîte, se traduit par une importante diver-
ration et l’oxydation. Comparativement à
sité des espèces. Les milieux humides
d’autres milieux, les zones humides sont
abritent d’innombrables espèces de
souvent considérées comme des puits
plantes et d’animaux : 30 % des espèces
de carbone du fait des conditions anaé-
végétales remarquables et menacées en
robies qui inhibent la décomposition de
France y sont inféodées.
la matière organique, de la productivité
Mais un grand nombre d’espèces qui
relativement importante (stockage dans
accomplissent une partie de leur cycle
les compartiments végétaux aériens et
biologique dans une zone humide, comme
souterrains) et du rôle de rétention des
les oiseaux (50 %) et les amphibiens, uti-
sédiments organiques exogènes. Le stoc-
lisent également les habitats alentours
kage de carbone dans une zone humide
pour se nourrir, y séjourner ou se repro-
dépend donc du compartiment végé-
duire. Elle assure également une fonc-
tal (type d’habitat, biomasse aérienne et
tion vis-à-vis de la connectivité pour les
souterraine et durée de vie des organes)
espèces.
et de son hydrologie (hydromorphie des
sols, conditions thermiques).
40
Comment mesurer ces fonctions des zones humides ?
Sans être exhaustif, nous souhaitons ici Toutefois, cette instrumentation ne per-
donner quelques repères pour les opé- met généralement pas de disposer de
rateurs qui souhaiteraient construire des longue série temporelle de données.
jeux de données nécessaires à la bonne
compréhension du fonctionnement d’une En l’absence de données météorologiques
zone humide et à l’évaluation minimale et de données de débits, la mesure de la
des fonctions qu’elle remplit. dynamique de la nappe (piézométrie), qui
permet d’observer la variation du stoc-
Données kage de l’eau, et des propriétés physiques
du milieu (microtopographie, volume du
du bilan de l’eau sol hydromorphe, propriétés hydrauliques
Les données peuvent être acquises du sol) permet de bien appréhender la
auprès de fournisseurs de données ou fonction de stockage et de régulation des
collectées in situ après instrumentation zones humides.
des sites. Pour établir des bilans des varia-
tions des volumes d’eau qui transitent Données
dans la zone humide, les valeurs déca- du fonctionnement biogéochimique
daires à mensuelles sont utilisées. Pour
aller plus loin dans la compréhension de C’est dans les premiers centimètres de
la dynamique hydrologique et l’analyse sol, lieu d’interface de l’atmosphère, de
de la réponse du milieu aux différents l’hydrosphère et de la lithosphère, que se
types de phénomènes météorologiques, il produisent les processus biogéochimiques
convient de disposer de données horaires qui nous intéressent. Une attention parti-
à journalières. culière portera sur le sol, dont il convient
à la fois de bien décrire et de connaître la
Suivant les normes et recommanda- dynamique de l’hydromorphie.
tions de l’Organisation Météorologique
Mondiale, les stations météorologiques Il convient donc de bien connaître ce sol
des grands réseaux de mesure nationaux qui peut être classé dans deux grandes
disposent de métadonnées permettant catégories pour les zones humides. En
de caractériser la validité et qualité de effet, si l’hydromorphie, c’est-à-dire la
la mesure des différents paramètres. Il formation de marques physiques d’une
convient dans ce cas de disposer de la saturation régulière en eau, est commune
plus longue série de données possible en à toutes les zones humides, elle se traduit
raison des importantes variations inte- soit par l’accumulation de matières orga-
rannuelles des conditions climatiques. niques, soit par des phénomènes d’oxy-
Trois paramètres sont nécessaires, les do-réduction du fer. Les connaissances
précipitations en mm, l’évapotranspira- suivantes sont indispensables :
tion en mm ou les paramètres permettant
son calcul (température, hygrométrie, l a description de la stratigraphie
ensoleillement, etc.) et les débits en mm et des différents horizons du sol ;
(c’est-à-dire rapportée à la même unité
de temps et de surface que les précipi- l e sondage et la cartographie
tations). L’instrumentation est possible, de la profondeur du sol hydromorphe ;
voire nécessaire, lorsqu’il n’est pas pos-
sible de disposer par ailleurs de données l ’analyse des propriétés physiques
collectées dans des conditions similaires du sol, teneur en eau, porosité, teneur
au site d’étude. en matière organique et minérale, pH.
41
Les taux de matière minérale et de matière d’indicateurs d’état du fonctionnement,
organique sont un élément déterminant comme la Boîte à outils de suivi des zones
du comportement hydraulique du sol et humides par exemple. Il s’agit d’un recueil
traduisent la dynamique d’accumulation d’indicateurs, associant protocole de col-
de la matière. Pour déterminer les pro- lecte de données, méthode de calcul de
portions de ces différentes fractions, des valeurs indicatrices et éléments d’analyse
échantillons sont analysés en laboratoire et d’interprétation, développé et déployé
en réalisant une perte au feu. sur le territoire de l’Agence de l’Eau Rhône
La porosité correspond à la présence de Méditerranée Corse depuis 2010.
vides interstitiels interconnectés ou non
dans un sol ou une roche et s’exprime Sur la base de ces données, il est possible
par le rapport du volume de ces vides au d’utiliser les concepts de l’écologie du
volume total du milieu. Pour la tourbe par paysage en décrivant la composition des
exemple, elle est rarement inférieure à 0,8, habitats par des indices de richesse, de
alors que pour un sol minéral elle varie diversité ou d’équitabilité :
entre 0,4 et 0,6. De cette porosité dépend la richesse des habitats ; cela consiste
la quantité d’eau que peut contenir le sol. à dénombrer les types d’habitats pré-
On peut exprimer la teneur en eau du sol sents dans une étendue spatiale57 ;
en établissant le rapport du volume de la diversité des habitats peut être mesu-
l’eau contenu dans un volume donné. rée avec des indices comme par exemple
celui de Shannon et Weaver (1949) ; elle
La biodiversité révèle par exemple si l’abondance relative
des habitats (superficie) est homogène ou
Pour connaître la biodiversité, il est non dans une étendue spatiale ;
nécessaire de mobiliser les données : l’équitabilité des habitats est l’équiva-
d’inventaires naturalistes, comme la lence entre la représentation de différents
liste de l’ensemble des espèces connues types d’habitats d’une mosaïque ; elle
sur le site (faune/flore) ou liste des habi- résulte du rapport entre la diversité obser-
tats (et cartographie si elle existe) ; vée et la diversité théorique maximale.
©IAR
42
COMMENT ATTRIBUER UNE VALEUR
AUX SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES ?
Pour les différents acteurs de la gestion des milieux naturels, attribuer des valeurs
aux services écosystémiques c’est aborder des notions et concepts des sciences
économiques et sociales avec lesquels ils ne sont pas toujours très familiers. Si nous
balayons ici un panorama de la question, nous renvoyons le lecteur qui souhaiterait
aller plus loin vers le chapitre V de l’ouvrage de Chevassus-au-Louis et al. (2009) . La
polysémie du terme de valeur et son utilisation dans différents domaines, comme la
philosophie, les mathématiques, l’art (peinture, musique), le droit, la linguistique, la
finance ou l’économie, nécessitent que nous précisions ici le ou les sens sous-tendus
par son usage dans l’évaluation des services écosystémiques.
Caractère mesurable, évaluation de son influence sur le bien-être humain. Dans une
utilité pour la société, la valeur attribuée démarche d’attribution de valeur, chaque
aux services écosystémiques a une accep- individu, agent et sujet, est considéré
tion économique. Il s’agit de définir la rela- comme le meilleur juge de ses préférences.
tion d’équivalence subjective entre les Les valeurs, cette fois éthiques, morales,
biens, l’offre et la demande, donc ici la rela- philosophiques, auxquelles se réfèrent les
tion entre, d’un côté, les composantes phy- individus pour rendre compte de leur choix
siques, biotiques et abiotiques du fonction- peuvent appartenir à différents ordres de
nement des milieux et, de l’autre, le regard justification. Il apparaît donc nécessaire
que porte l’individu sur ces éléments. de sensibiliser et d’éduquer les individus
Cette relation dépend de son utilité et de pour les aider à former leurs préférences.
sa rareté, mais n’impose pas l’existence de Toutes les démarches d’attribution de
marché. Par conséquent, la valeur n’est pas valeur passent par une phase préalable
nécessairement, et pour un certain nombre de collecte de données sur le fonctionne-
de services, monétaire. Par ailleurs, anthro- ment et les fonctions de l’écosystème pour
pocentrée, elle ne peut traduire les inté- expliciter, tant du point de vue quantitatif
rêts des générations futures ou des autres que qualitatif, l’offre de service dont les
espèces du vivant qu’au regard de leur acteurs déterminent la demande.
43
des aménités, c’est-à-dire qu’ils ont utilité
directe pour les êtres-humains quelles
que soient leurs motivations. La VET inclut
donc ces différents types de valeurs, qui VALEUR
sont illustrés dans le schéma ci-contre.
Pour des raisons techniques et éthiques, ÉCONOMIQUE
elle n’a pas vocation à sommer l’ensemble
des valeurs attribuées à ses différentes TOTALE
composantes. Elle se décompose en deux
catégories principales, les valeurs d’usage
[V.E.T.]
et les valeurs de non-usage.
Valeur d’usage
USAGE DIRECT Valeurs
La valeur d’usage directe représente la
valeur traditionnellement véhiculée sur d’usage
les marchés économiques. On peut pen-
ser à tout bien ou service provenant de
la nature et pour lequel il est possible
de débourser une somme d’argent pour
se l’approprier. On distingue parfois les
usages de consommation directe (alimen-
tation, biomasse énergie, plantes médi-
cinales), de ceux s’insérant dans un sys-
tème productif (ressources industrielles,
source d’énergie, matériaux de construc-
tion). D’autres usages directs n’impliquent
pas la consommation de l’écosystème
(usages récréatifs ou esthétiques, tou-
risme, sciences et éducation).
USAGE INDIRECT
Les usages indirects correspondent aux
avantages retirés des fonctions de régu-
lations et de support réalisées par des
écosystèmes dont les individus bénéfi-
cient sans être en interaction avec eux
et, souvent, sans en avoir une conscience
claire. Cette valeur d’usage n’est donc
pas véhiculée sur les marchés tradition-
nels. On peut penser par exemple à des
services naturels rendus par les capaci-
tés de régulation du climat, la contribu-
Valeurs de
non usage
Figure 12 - Cadre de référence
des économistes pour l’appréhension
des différentes dimensions de la valeur
d’un écosystème58.
44
VALEUR D’USAGE Services d’approvisionnement : production eau
DIRECT
TA NGI BILITÉ
potable, nourriture, fibres, bois, produits de chasse,
VALEURS MARCHANDES
pêche, cueillette, biomasse, énergie.
Autres activités économiques tirées de la nature :
tourisme (nature exceptionnelle, espaces protégés),
usages récréatifs, sports de nature.
VALEUR D’OPTION
• Fonctions écologiques encore non identifiées
usage potentiel futur
45
tion à la productivité des agrosystèmes, à VALEUR DE NON-USAGE
la prévention des évènements extrêmes, Les valeurs de non-usage sont difficile-
au contrôle biologique, à des fonctions ment quantifiables mais sont bien réelles
esthétiques, d’habitats pour la faune ou en participant au bien-être humain. Elles
spirituelles qui contribuent positivement déterminent souvent les préférences
à l’utilité de l’usager. des individus et leur consentement à
Il faut souligner que ces valeurs ne cor- payer. Elles s’inscrivent dans une optique
respondent pas seulement ni nécessaire- de respect et d’équité transgénération-
ment à des usages effectifs actuels. Elles nelle. Elles traduisent l’idée que l’individu
concernent également des usages futurs. reprend à son compte dans ses motiva-
tions ou son bien-être les valeurs éthiques
VALEUR D’OPTION qui paraissaient ne pas pouvoir être inté-
Indépendamment d’un usage actuel ou grées dans un cadre anthropocentrique,
futur, les écosystèmes possèdent une comme la dimension altruiste envers les
valeur d’option qui se traduit par un sur- autres êtres humains, les espèces non
croît de valeur attribué aux options qui humaines ou la Nature en général.
ne diminuent pas les possibilités futures On intègre donc ici les valeurs liées à
de choix. Il s’agit par exemple de la valeur l’altruisme :
d’utilisation future des ressources natu- envers nos contemporains
relles. On distingue aujourd’hui deux (d’autres que nous tirent un bénéfice
valeurs d’option, selon que l’incertitude des écosystèmes - valeur d’usage
porte sur le comportement futur (le déci- par procuration) ;
deur ne sait pas, au moment présent, s’il envers nos descendants
consommera le bien) ou sur l’utilité qui ou plus généralement les générations
sera effectivement retirée de son usage futures (valeur de leg) ;
dans un contexte d’information crois- envers les espèces non humaines
sante et de choix entre des options plus auxquelles nous pouvons reconnaître
ou moins réversibles. une certaine forme de droit moral
à exister (valeur d’existence).
L’évaluation des différents types de valeur sés ou aux services qui ont un prix réel. Il
se fait par le concours de méthodes variées faut également avoir à l’esprit qu’il existe des
qui sont reliées aux théorisations propres imperfections du marché ou que des poli-
à l’économie. Elles reposent sur les coûts tiques peuvent fausser les prix du marché
associés à la perte des services offerts les empêchant de refléter la valeur écono-
par les écosystèmes ou analysent les pré- mique des biens ou des services à la société
férences et comportements des individus. dans son ensemble. Il existe également,
Pour plus de détails sur la mise en œuvre de des variations saisonnières et des effets
ces méthodes, nous renvoyons le lecteur sur les prix d’autres facteurs qui doivent
vers le guide dirigé par Revéret (2013) que être considérés lorsque les prix de marché
nous reprenons largement ici. sont utilisés dans l’analyse économique. On
peut donc évaluer la valeur d’usage direct
Les marchés directs de biens et services écosystémiques mar-
chands en se référant à la valeur qu’ils ont
En général, ces méthodes sont simples et sur les marchés. C’est la méthode la plus
les données requises pour l’analyse peuvent simple. Cette méthode mesure les avan-
être facilement accessibles, mais leur appli- tages économiques des biens commercia-
cation reste limitée aux biens commerciali- lisés en se basant sur la quantité de ces
46
biens que les consommateurs se procurent ment du niveau de ressources ou de l’en-
à des prix différents et, du côté du produc- vironnement à partir des données obser-
teur, la quantité offerte à des prix variables. vées sur les marchés de certains biens
Toujours en se basant sur les marchés, il ordinaires. Son principe repose sur le fait
existe également des méthodes qui s’inté- que les consommateurs manifestent l’in-
ressent à l’impact de l’évolution qualita- tensité de leur intérêt envers un site selon
tive ou quantitative d’un service écosysté- les dépenses qu’ils engagent pour s’y
mique sur la production. Elles reposent sur rendre. Cette méthode est utilisée pour
le calcul du différentiel de production d’un évaluer la valeur d’un site touristique.
bien ou d’un service commercialisé mesu- La méthode des prix hédonistes évalue la
rable entre les deux scénarios pour mesu- valeur des variations de la qualité de l’en-
rer la variation des bénéfices en liens avec vironnement ou des ressources naturelles
l’évolution de l’écosystème. qui peuvent affecter les prix du marché.
C’est par exemple le cas du paysage ou
plus généralement de la qualité de l’en-
Les coûts vironnement qui influe sur la valeur d’un
L’approche par le coût des dommages bien immobilier. La méthode vise donc à
évités, le coût de remplacement, les évaluer la contribution d’une caractéris-
dépenses de protection et les méthodes tique spécifique parmi un ensemble dans
de coûts de substitution sont des le niveau de prix d’un bien composite.
méthodes connexes qui permettent d’es- Toutefois, très souvent, les transactions
timer les valeurs des services écosysté- réelles de marché, bien qu’elles puissent
miques. Elles estiment la valeur des éco- révéler directement ou indirectement
systèmes à travers le paiement pour des certaines valeurs d’usage d’un change-
alternatives aux services rendus. On parle ment de l’environnement par des compor-
de dépenses de protection ou de coûts de tements de marché des consommateurs,
remplacement. On trouve de nombreux ne peuvent pas illustrer la valeur totale de
exemples simples, comme le coût de ce changement. Cette dernière inclut très
construction d’un bassin écrêteur de crue souvent une proportion importante de la
en remplacement du service de stockage valeur d’usage passive, qui ne s’associe à
de l’eau d’une zone humide. Ces méthodes aucun comportement observable, et de la
sont très utilisées car il est plus aisé de valeur de non-usage.
mesurer les coûts de production de biens
et services de protection ou de rempla-
cement que d’estimer la volonté des gens
Les préférences exprimées
à payer pour certains services écosysté- On utilise les méthodes basées sur les
miques. Toutefois, elles peinent à intégrer préférences exprimées pour mesurer
les biens et services de façon holistique, la valeur de l’environnement et des res-
se concentrant généralement sur une sources naturelles via des comporte-
seule fonctionnalité de l’écosystème. ments de non-marché. Il s’agit de créer
un marché simulé dans le but d’identifier
les arbitrages des individus, à travers l’en-
Les préférences révélées quête, entre le prix à payer et l’améliora-
Il s’agit de méthodes indirectes basées tion de l’environnement. La force de ces
sur le comportement actuel des agents méthodes de préférences exprimées est
économiques sur des marchés écono- leur capacité d’englober les différents
miques et qui représentent donc leur composants de la valeur économique
consentement à payer réel, de façon totale. L’évaluation contingente fondée sur
directe ou indirecte, pour des aménités les préférences exprimées est la méthode
environnementales. la plus souvent utilisée. Elle se base sur
Ainsi par exemple, la méthode des coûts la présentation de scénarios futurs à un
de transport déduit la valeur d’un change- groupe de répondants qui évalueront
47
monétairement la variation ex ante de leur ser directement une valeur de volonté à
bien-être en rapport à la nature de ces payer sous la forme d’une moyenne par
scénarios. Le répondant possède toujours ménage/individu ou par unité de surface
le choix d’opter pour un scénario de statu estimée au site analysé pour l’appliquer
quo qui traduit un état de satisfaction par au site cible. Comme il existe toujours des
rapport à la situation existante. L’approche différences entre les caractéristiques du
multi-attributs présente aux répondants ou des sites où a été réalisée l’étude origi-
une série d’alternatives qui sont définies nale et celles du site cible, il est préférable
par des attributs (dont un parmi eux est de réaliser des ajustements de valeur que
le prix ou paiement). La présentation de l’on transfère en fonction des caractéris-
ces alternatives se fait par un éventail de tiques du site (surface, revenu des moyens
choix et le but est d’obtenir une estima- des populations, etc). Le choix de l’étude
tion de la valeur pour chaque attribut. Une de référence est ici prépondérant.
vigilance particulière est nécessaire dans Le transfert de fonction consiste non
l’utilisation de ces méthodes. La volonté pas à utiliser la valeur, mais la relation
de payer des individus, donc le bien-être entre la volonté de payer d’un individu
qu’ils peuvent en soutirer, se réfère sou- et des caractéristiques de celui-ci ou du
vent à la perception qu’ils ont du bien ou site analysé. Il s’agit d’appliquer le modèle
du service et non pas nécessairement à sa d’une étude de référence, élaborant ou
fonctionnalité écologique. expliquant, la valeur monétaire. Ainsi, les
caractéristiques socio-économiques et
Transfert des bénéfices démographiques de la population du site,
de même que les caractéristiques phy-
Lorsqu’il n’est pas possible d’étudier direc- siques du site et de l’utilisation de celui-ci,
tement un site pour attribuer une valeur peuvent être intégrées dans la fonction.
monétaire à partir de données locales, Lorsqu’il existe de multiples études de
il est possible d’utiliser les méthodes de référence, il est possible de construire une
transfert de bénéfices. Cette impossi- valeur transférable d’un service écosysté-
bilité peut être due à des contraintes de mique à un autre site similaire, à l’aide de
temps ou de ressources, par exemple. Il méta-analyses qui utilisent les méthodes
s’agit donc de transférer une valeur ou statistiques. L’avantage le plus évident
plus largement un résultat déterminé sur d’une telle approche par rapport à la
un site déjà étudié et la transposer à un méthode de transfert de fonction est que
autre pour lequel on souhaite évaluer les la méta-analyse permet de réduire les biais
services écosystémiques. potentiels dans le choix du site analysé.
Si cette démarche a été très utilisée pour Différents tests d’évaluation de la qua-
communiquer sur l’intérêt de la préser- lité de ces méthodes sont proposés.
vation des milieux, pour s’assurer que ce Il apparaît que la bonne application de
transfert est pertinent, il est nécessaire ces méthodes nécessite des compé-
d’utiliser des méthodes et protocoles tences techniques poussées et que der-
très précis, bien détaillés dans le guide rière leur apparente facilité de mise en
pour « l’évaluation économique des biens œuvre (réduction du temps et du coût),
et services écosystémiques dans un les risques d’attribuer une valeur biaisée
contexte de changements climatiques ». sont très importants. Il apparaît donc que
Les auteurs notent qu’il demeure un écart la technique de transfert de bénéfices
considérable entre la rigueur de la litté- ne devrait pas être employée lorsqu’une
rature, qui présente des méthodes com- valeur précise est nécessaire à la prise de
plexes, et la pratique du transfert des décision.
bénéfices. Généralement on distingue
les méthodes de transfert d’unité ou de
valeur fixe et le transfert de fonctions.
Le transfert de valeur consiste à utili-
48
SITES D’ÉVALUATION
QUELS SERVICES ET DE PROMOTION
RENDUS PAR LES ZONES DES SERVICES
HUMIDES ALPINES ? ÉCOSYSTÉMIQUES
SAVOIE
• Marais des Chassettes ;
• Marais de Chautagne ;
Afin de promouvoir la protection des • Marais de la Plesse ;
• Tourbière de Montendry ;
zones humides, les partenaires du • Tourbière du Plan de l’Eau.
projet RestHAlp se sont donné l’objec-
VALLÉE D’AOSTE
tif d’améliorer la connaissance sur les • Reserve Naturelle Les Îles
bénéfices que l’Homme tire du fonc- de Saint Marcel ;
tionnement de ces écosystèmes dans • Tourbière de Pra Suppiaz.
le contexte alpin. Le croisement des
données qualitatives et de perception et des données quantitatives collectées sur
sept sites en Savoie (France) et en Vallée d’Aoste (Italie) a permis de réaliser des
fiches de synthèse qui constituent des exemples de services rendus par les zones
humides alpines. Ces fiches sont des outils de promotion de l’intérêt de ces milieux
pour l’Homme auprès des élus et acteurs économiques locaux.
49
©V. Bourgoin/CEN Savoie
50
Chassettes permettent à la Rousserolle
effarvatte d’être présente sur le site, ainsi
qu’à un cortège d’espèces forestières
grâce à ces boisements humides denses
(Pic épeiche, Grive musicienne…). La tour-
bière du Plan de l’Eau bénéficie d’autres
habitats abritant d’autres types d’espèces
comme la Petite Utriculaire (Utricularia
minor) (Figure 13), profitant des trous
d’eau de la tourbière, ou encore des
Lépidoptères (49 espèces ont été recen-
sées sur le site) comme le Petit apollon
(Parnassius phoebus), espèce protégée et
inféodée aux bords de torrents de mon-
tagne. Les amphibiens sont également des
espèces ayant besoin des zones humides
pour vivre ou se reproduire. Les milieux
humides savoyards abritent un cor-
tège d’espèces d’amphibiens : Crapaud
commun, Crapaud calamite, Grenouille
agile, Salamandre tachetée, Sonneur à
ventre jaune, Triton palmé, Triton alpestre
(Figure 14)… La Grenouille rousse (Rana
temporaria) est inscrite sur les listes
rouges comme espèce quasi-menacée,
elle est présente sur les cinq sites étudiés.
51
Régulation des cycles
hydrologiques et de protection LES CRUES DU RHÔNE
contre le risque inondation DE JANVIER 2018
Les données collectées par le CEN
Savoie sur une parcelle en restau-
Le service de protection contre le risque
ration permettent d’illustrer ce rôle
inondation est un des services majeurs et
hydrologique. Les crues du Rhône sur-
bien connus rendus par les zones humides.
venues les 4 et 22 janvier ont atteint
L’ensemble des enquêtes, questionnaires
respectivement les niveaux de la crue
et autres démarches menées prouvent
biennale et de la crue quinquennale.
cette reconnaissance (évoqué, placé à la
Lors du second épisode de crue,
première position des services rendus…),
le Rhône atteint la côte de 3,59 m
et ce, quelle que soit la réalité physique
(1 930 m3 ; altitude 238,21 m) au pont de
des phénomènes mis en jeu.
la Loi. Compte tenu de la taille du Plan
de Prévention des Risques d’Inonda-
Des zones reconnues tion-PPRI (23,8 km²), le volume d’eau
comme stratégiques… qui s’est répandu sur la Chautagne
peut être estimé à 415 000 000 m3
LE MARAIS DE CHAUTAGNE : au plus fort de la crue. La parcelle est
ZONE D’EXPANSION DES CRUES submergée d’une lame d’eau de 74 cm
DU RHÔNE (altitude 233,94 m). L’eau sera stockée
Les graves inondations du Rhône de 2003 sur le sud de la Chautagne pendant 4
(estimées à 1 milliard d’euros de dégâts) à plus de 30 jours (Figure 15).
ont déclenché une prise de conscience
de l’intérêt d’une politique globale de
prévention des crues. La plaine de aux enjeux moindres puisque adaptée à
Chautagne-lac du Bourget a ainsi été ins- ces phénomènes, permet une diminution
crite en tant que Zones d’Expansion des du débit et un étalement dans le temps du
Crues du Rhône, grâce à ses capacités débit maximum, protégeant ainsi la ville de
de stockage et d’étalement des crues. Le Lyon située en aval en diminuant l’ampleur
débordement du Rhône dans cette zone, du phénomène de crue.
Figure 15 - Crues de janvier 2018 sur la parcelle D705 (J. Porteret / CEN Savoie).
-0,8 40
-0,3
-0,2 10
-0,1
0 0
altitude NGF : 233,1 m
0,1
0,2 -10
0,3
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31
Janvier 2018
52
Figure 16 - Crue sur le Marais de la Plesse ©V. Bourgoin/CEN Savoie
LE MARAIS DE LA PLESSE :
UN « EMPLACEMENT RÉSERVÉ »
Situé sur la commune de Saint-Offenge ET LA PERCEPTION
dans l’Albanais et d’une taille bien plus DES HABITANTS ?
modeste que le Marais de Chautagne, le
Marais de la Plesse joue à son échelle son Des enquêtes auprès des habi-
rôle de service contre le risque inondation tants pourraient être menées afin
pour la commune et celles situées en aval. de connaitre leur perception sur ce
Le rôle de protection du marais ne fait pas service rendu par les zones humides,
de doute pour le maire de Saint-Offenge. ayant connu et subissant les inonda-
Convaincu de l’importance du marais pour tions en Chautagne. Sur le Marais
la protection de sa commune, celui-ci a de la Plesse, l’élu interrogé émet-
entamé des démarches de classement du tait des doutes sur la connaissance
marais en « Emplacement Réservé » dans le et la conscience de ce service par
Plan Local d’Urbanisme. En 2008, il entama les riverains. Si le vécu pourrait être
des travaux de redirection des eaux de relié à la perception du service, les
pluie vers le marais, afin de lui rendre ses entretiens menés en Chautagne
capacités hydrauliques « naturelles ». Dans avec les agriculteurs n’ont pas per-
une dépression peu creusée, le marais et mis de valider cette hypothèse. En
son remplissage tourbeux (d’une épaisseur effet, aucun agriculteur n’a évoqué
d’1 m environ), constituent un réservoir qui le rôle du marais pour la réduction
se remplit d’eau lors des épisodes pluvieux, du risque inondation. Les agricul-
il la restitue lentement au cours d’eau teurs ayant le cœur de leur exploita-
(Figure 16). Ainsi, les fortes précipitations tion localisé sur le marais n’ont pas
de l’hiver 2018 ont submergé le marais non plus évoqué les inondations.
pendant près de 4 mois.
« Un immense bassin de rétention naturel qui sert lors des crues décennales »
Bernard Gelloz, maire de Saint-Offenge, 30 mai 2018
53
Régulation du climat
54
LE MARAIS le marais durant la nuit est clairement
DE CHAUTAGNE plus élevée que celle à Chindrieux. Les
Les données ci-dessous ont été collec- températures sont également toujours
tées via l’installation d’une station météo- plus basses. Les phénomènes obser-
rologique par le Conservatoire sur une vés peuvent être la résultante de l’éva-
parcelle de Chautagne (nommée « Marais potranspiration, du type de végétation
- D705 »). Ces données ont été compa- présente sur le marais…62.
rées avec des données collectées par
une autre station météorologique locali- LE MARAIS
sée sur la commune de Chindrieux, éga- DES CHASSETTES
lement située en Chautagne, à quelques Marais périurbain, il est à proximité directe
kilomètres de l’autre station. des habitations et des habitants. Lors de
La première figure (Figure 17) repré- l’enquête réalisée sur le marais, les habi-
sente les températures maximales (Tx), tants de ses bordures ont fait allusion à la
moyennes (T) et minimales (Tn) enregis- fraicheur apportée par le marais, surtout
trées par mois par les deux stations sur la durant l’été, et à l’humidité de l’air plus
période juillet 2017 – juin 2018. Elle montre élevée que la moyenne.
que les températures moyennes sur le Si certains apprécient cette fraicheur,
marais sont constamment plus fraiches d’autres habitants subissant des nuisances
que celles de la commune. (mouches, moustiques) perçoivent cette
La seconde figure (Figure 18), plus com- ambiance comme un danger au niveau
plète, comprend des données de radia- sanitaire. Aucune donnée quantitative cli-
tion solaire, de température, et d’humidité matique ne permet à ce jour de mettre en
relative sur 3 jours (28, 29, 30 juillet 2018). parallèle ces données de perception avec
On remarque que l’humidité de l’air dans des données récoltées sur le terrain.
Températures en Chautagne
Tx Tx
Régulation climatique du marais Chindrieux T
Marais T
en °C bourg Tn
D705 Tn
35,00
30,00
25,00
20,00
15,00
10,00
5,00
0,00
-5,00
7 8 9 10 11 12 1 2 3 4 5 6
2017 2018
55
Figure 18 - Comparaison de paramètres climatiques entre deux stations météorologiques
sur la Chautagne ©J. Porteret/CEN Savoie
Recharge de la nappe
Dans le projet RestHAlp, une première Ensuite, en ayant une carte plus précise,
tentative a été faite pour élargir l’évalua- créée à plus grande échelle, il sera tou-
tion de certains services écosystémiques jours possible de mettre à jour les valeurs
aux territoires de la Vallée d’Aoste et du des matrices sur la base des résultats des
Parc National Grand Paradis. Pour cela les recherches et suivis effectués directe-
matrices proposées par Burkhard et al.63 ment sur le territoire d’étude ou dans des
ont été utilisées sur l’ensemble du terri- zones comparables.
toire régional couvert par la cartographie
CORINE Land Cover. L’occupation du sol
La méthodologie se prête très bien à être comme donnée de base
contextualisée à la réalité de chaque ter-
ritoire étudié, en adaptant les couches Pour la Vallée d’Aoste, on a utilisé la
cartographiques et les valeurs attribuées « Carte de la nature » (CdN), issue d’un
dans les matrices en exploitant les infor- projet national coordonné par l’Institut
mations issues de suivis, mesures, sta- supérieur de protection et de recherche
tistiques ou entretiens réalisés à échelle environnementale (ISPRA) et achevé en
régionale. Afin de construire un « conte- 2004. Cette carte a été créé à l’échelle
neur » d’informations, qui peut être mis à au 1:50.000 et compte 56 classes d’occu-
jour et amélioré au fil du temps, une voie à pation des terres pour le territoire de la
suivre consiste à : Vallée d’Aoste, offrant ainsi une nette amé-
identifier une cartographie lioration des détails par rapport à la carte
de l’occupation/utilisation du sol CORINE Land Cover, réalisée à l’échelle au
plus détaillée ; 1 :100.000 et présentant 24 classes diffé-
décliner les valeurs des matrices rentes sur le territoire régional.
originales dans les catégories Pour le Parc National Grand Paradis, on
d’occupation du sol de la couche a utilisé la “Carte des typologies d’habi-
cartographique choisie. tats” (CtH) de 2015, réduite à l’échelle au
56
1:10.000, mais créée par photo-interpréta- complet des différentes classifications.
tion à l’échelle 1:2.500 (avec des approfon- La correspondance a été réalisée sur
dissements également à l’échelle 1:1.000). la base d’une évaluation consolidée des
Cette cartographie, réalisée pour l’en- experts, vérifiant les cas douteux ou
semble des 71 000 hectares du Parc, classe plus complexes avec la photo-interpré-
le territoire en 54 catégories d’occupation tation, croisant les trois couches carto-
des sols et constitue donc la plus détail- graphiques et, surtout, grâce la connais-
lée des cartographies utilisées. Avec cette sance directe de la zone. Bien que les
dernière couche cartographique, il est pos- catégories de la CdN et de la CtH aient
sible d’aller au-delà de la limite principale souvent été réunies en macro-classes, le
de la carte CORINE, dont l’échelle de réali- codage détaillé a été conservé. Ce choix
sation conduit à l’agrégation de catégories est motivé par le fait que, lorsque des
d’occupation des terres très hétérogènes informations locales adéquates seront
(par exemple, il n’y a pas de catégorie spé- disponibles, il sera possible de distinguer
cifique pour les routes, qui ne sont donc les valeurs dans les catégories détaillées
jamais distinguées, étant incluses dans d’occupation du sol. Une fois terminé le
d’autres catégories). La CdN présente travail de correspondance, les cartes de
également cette inexactitude, mais à un fonctionnalité territoriale peuvent être
moindre degré que la carte CORINE. représentées dans un SIG grâce à des
simples jonctions des tables.
Cartographie du service de recharge Les cartographies suivantes, utilisant le
modèle « fourniture-demande-flux » (voir
de la nappe Croisement d’information géographique :
Le travail de correspondance entre les approche matricielle) présentent la situa-
catégories d’occupation des sols CORINE tion du service écosystémique de régula-
avec les catégories considérées par la tion « Recharge de la nappe » sur le terri-
CdN et la CtH a nécessité le décodage toire de la Vallée d’Aoste.
57
Figure 20 - Carte de la demande du service écosystémique « Recharge de la nappe » Vallée
d’Aoste. La gradation des couleurs augmente, du rose clair au rouge intense, en fonction du besoin
en eau souterraine (plus élevé dans les centres anthropisés).
58
Production de fourrage et de litière
©CEN Savoie
59
« Zone qui peut avoir des difficultés périodiquement d’accès du fait de l’humidité ;
elles sont peu accessibles, et à respecter »
Définition d’une zone humide selon un exploitant - juin 2018
60
« Avec les lacs, les tourbières forment
les deux meilleurs supports dans mon domaine, la paléoécologie »
Scientifique interrogé - juin 2018
gère de la blache n’a été reconnue que par sur l’achat de paille. Cette économie est
un unique exploitant natif de Chautagne, d’autant plus appréciable pour les exploi-
la plupart des interrogés reconnaissent tations pratiquant une agriculture bio-
que le marais leur apporte une autonomie logique. Le prix d’achat de la paille biolo-
de matière certaine. La blache récoltée gique représente en effet un coût impor-
sur le marais leur permet d’économiser tant pour les exploitants.
61
Opportunités pour la recherche
Ce service renvoie à l’intérêt d’un site Ces études sur les tourbières peuvent
en termes de recherche et d’études. La conduire à des études sur la végétation, le
recherche en milieux humides peut néan- climat ou encore les pratiques humaines
moins couvrir des disciplines très diverses65. passées. Cette capacité des tourbières à
Les entretiens réalisés avec les scientifiques nous fournir des informations sur le passé
dans le cadre de cette étude ont permis de est sujet à la menace de l’assèchement,
confirmer cette pluralité d’approches pos- qui conduit à une minéralisation de la
sibles. Parmi les thèmes de recherche sont tourbe et donc à une perte d’information.
retrouvés : l’écologie, l’hydrologie, la paléoé-
cologie, la biogéochimie… ÉCOLOGIE & BIODIVERSITÉ
Cette fiche synthétise quelques exemples Les conditions particulières des zones
d’études pouvant être menées en zones humides leur confèrent un intérêt certain
humides. pour l’étude de la biodiversité.
La tourbière de Montendry (Figure 24) a
LES TOURBIÈRES, par exemple fait l’objet d’une étude com-
SUPPORTS POUR LA PALÉOÉCOLOGIE plète portant sur son analyse floristique
Les propriétés conservatrices des tour- et écologique66. Celle-ci fut également
bières leur concèdent une grande impor- l’objet d’une comparaison avec la tour-
tance pour les études paléo-environne- bière des Creusates par Manneville et
mentales. L’anoxie permet la conservation Baïer dans leur étude67.
d’éléments organiques dans la tourbe Le Marais de Chautagne a également été
comme le pollen, le bois, les insectes… le support de nombreuses études tou-
Elles ont également leur importance dans chant à sa végétation ou à sa faune par
les domaines de l’archéologie. Walthert68, Fossati & Pautou69, Dufay 70…
62
©B. Mabboux/CEN Savoie
63
De nombreuses études liées aux suivis d’actions de réhabilitation, au cours, ou à
des papillons sont par ailleurs toujours la suite, afin de suivre les évolutions du
conduites par le Conservatoire à ce jour. milieu et ses réponses : effets de celles-ci
sur les dynamiques végétales, étude des
BIOGÉOCHIMIE populations d’amphibiens sur des milieux
Parce qu’elles peuvent être des puits, des restaurés… Le Marais de Chautagne,
sources et des lieux de transformation ayant subi de nombreuses évolutions, a
d’éléments chimiques divers, de nom- fait l’objet d’un certain nombre d’études
breuses zones humides font l’objet de en lien avec sa restauration : étude de
thématiques de recherche liées à leur bio- son fonctionnement hydrogéologique
géochimie : biogéochimie des nutriments, dans le cadre de la réhabilitation des
contaminants microbiens, sources de grands marais du Haut-Rhône71 ou encore
phosphore dissous… des études portées par le CEN dans le
projet de « Restauration hydraulique
DE NOUVELLES PERSPECTIVES et agroenvironnementale de 60 ha de
DE RECHERCHE GRÂCE AUX milieux humides ouverts dans le marais
RESTAURATIONS de Chautagne » (Figure 25). Cinq scienti-
Les chercheurs ont évoqué à plusieurs fiques de laboratoires différents par ail-
reprises que de nombreuses recherches leurs ont saisi l’opportunité du projet pour
sur les milieux humides actuelles avaient mener une étude sur la dynamique des
lieu dans le cadre de restauration. Ces transferts et effets des micropolluants
études peuvent être menées au préalable organiques persistants, appelée DynaMO.
64
« D’un point de vue pédagogique, une zone humide c’est excellent
car c’est un bon outil pour comprendre un écosystème. »
Enseignant-chercheur interrogé - mai 2018
65
comme en témoigne la carte (Figure 27). La perception des acteurs du site sur ce
Un éco-compteur installé sur l’un de ces service est unanime : la sensibilisation
sentiers a permis d’évaluer une fréquen- et la communication sont des leviers
tation faible mais régulière du marais. Sur importants pour le marais. Le rôle de ce
une période d’environ un mois allant du service est important pour le site pour
24 juillet au 27 août 2018, l’éco compteur a plusieurs raisons, qui sont revenues sys-
comptabilisé un total de 23 passages dans tématiquement à la suite des entretiens
un sens, et 14 passages dans l’autre. Ces réalisés avec les acteurs. Le Marais des
données sont bien évidemment à prendre Chassettes accueille un patrimoine
avec précaution en raison des biais inhé- naturel intéressant vis-à-vis des espèces
rents à ces installations : allers-retours qui s’y trouvent (grenouille rousse, cra-
des individus, passage de la faune ou paud commun, quatre espèces de pics, et
autres animaux comme les chiens… autres oiseaux remarquables comme la
Une brochure d’information avait été réa- Rousserolle effarvatte…) et des habitats
lisée en 2014. Le site fait également l’objet qu’il propose dans un fond de vallée très
d’animations par deux associations : leur urbanisé. Cette situation géographique et
nombre varie entre 4 et 8 animations sur son contexte périurbain lui confèrent une
site par an. Ces animations prennent des proximité et une accessibilité aisée.
formes diverses :
des « Sorties Nature » : découverte du Grâce à cette proximité, le marais est vu
marais (fonctionnement, dynamique…) comme une opportunité unique pour les
et de ses espèces (insectes, batraciens, habitants de bénéficier d’un vrai espace
oiseaux…) ; naturel sensible à côté de chez eux.
des chantiers de débroussaillage et de
nettoyage en lien avec la gestion du site Néanmoins, ce contexte et cette proxi-
(ramassage des déchets sur site, arra- mité avec les habitations sont également
chage des ligneux…) ; les raisons pour lesquelles le marais pré-
d’autres actions en partenariat avec sente des enjeux :
des établissements locaux : travaux d’in- pressions vis-à-vis de l’urbanisation ;
ventaires avec des BTS, travaux de sécuri- conflits d’intérêts avec les habitations
sation des accès du marais en partenariat les plus proches du marais : l’étude de la
avec un lycée agricole local… perception des habitants a montré qu’une
part de la population avait une vision très
Le public de ces animations est varié : négative du marais, et subissait des nui-
scolaires (lycées, collèges, écoles, établis- sances : moustiques, mouches, ombre… ;
sements d’études supérieures), centres incivilités : de nombreuses incivili-
de loisirs, adhérents des associations, tés sont comptées sur le marais : chiens
habitants des quartiers situés autour du non-tenus en laisse divaguant dans le
marais, ou encore parents d’élèves. Les marais, des dépôts de déchets, passages
animations sont bien d’engins motorisés…
évidemment adaptées « Il permet de montrer On observe alors un
en fonction du public aux gens ce qu’est un vrai espace décalage entre la per-
visé : appel à l’imagi- naturel avec une dynamique ception des gestion-
naire ou au sensoriel complètement différente de celle naires et la réalité per-
pour les plus petits… d’un parc, ce n’est pas un espace çue par les habitants
Les animations auprès jardiné, aménagé » du site. Pour toutes ces
des écoles à proximité raisons, le service d’op-
du marais présentent un intérêt cer- portunités pour l’éducation constitue un
tain pour l’éducation des habitants : les volet clé pour la gestion du site pour les
enfants vont jouer un rôle de diffusion de acteurs locaux. En continuant de four-
l’information auprès de leurs parents, qui nir des efforts sur ce service en menant
vont à leur tour venir découvrir le site. des actions à but éducatif, les acteurs
66
« Il joue son rôle d’espace de nature,
de proximité avec cette fonction de découverte »
Département de la Savoie lors d’un entretien - juin 2018
67
espèrent faire changer la vision des habi- marais présente un intérêt pédagogique.
tants sur le site et ainsi limiter les conflits Sur ces 19 personnes qui se sont déjà ren-
d’intérêts et les incivilités. Selon le ques- dues sur le site, 16 avaient parcouru les
tionnaire mené sur le marais, les habitants panneaux pédagogiques, et la majorité
sont conscients de son rôle pédagogique : des personnes amènent leurs enfants sur
15 personnes sur 19 ont affirmé que le le marais.
Les zones humides peuvent être les supports d’activités diverses : tourisme vert par leur
richesse environnementale, activités sportives de pleine nature, chasse (gibier d’eaux)…
© A. Tempé/CEN Savoie
68
stratégique et de l’importance du site Les décisionnaires locaux ont conscience
pour la station en termes de tourisme. Cet de l’importance du service de support
aménagement offre aujourd’hui aux usa- pour les activités récréatives et touris-
gers la possibilité de pique-niquer sur des tiques de la tourbière, en le plaçant à la
tables aménagées à cet effet, de faire des deuxième position des services les plus
barbecues, de pêcher sur le plan d’eau, de rendus par le site lors de la réunion parti-
profiter des pontons, de bénéficier d’un cipative (à la suite du service « régulation
circuit pédestre adapté aux personnes des cycles hydrologiques et protection
à mobilité réduite. Ces aménagements contre le risque inondation »). Ils sont évi-
viennent compléter l’offre d’activités pré- demment confrontés à la problématique
sentes sur l’ensemble de la zone. de conciliation des activités humaines
La tourbière du Plan de l’Eau a pu béné- avec la préservation d’un écosystème
ficier d’un statut de protection à la suite sensible. Tous les sujets abordés au cours
de la création du Plan d’eau des Bruyères : de la dernière partie de la réunion par-
elle a été placée sous la protection d’un ticipative tournaient autour de l’accueil
Arrêté Préfectoral de Protection de du public. Les observations faites sur le
Biotope (APPB). Ce statut ne l’empêche terrain durant la haute saison touristique
pas d’être le support d’activités diverses, estivale ont révélé que le Plan d’eau des
comme en témoigne la carte qui récapi- Bruyères permettait de canaliser la fré-
tule l’ensemble des activités praticables quentation sur cette zone grâce aux nom-
sur le site : breux aménagements (tables, bancs…). La
nombreux circuits pédestres jalonnés tourbière du Plan de l’Eau apparaissait
par des panneaux pédagogiques permet- alors plutôt comme un endroit dédié à la
tant d’en apprendre plus sur le site : patri- balade et au calme.
moine bâti, patrimoine naturel… ; d’autres
panneaux délimitent également le site et
rappellent la règlementation en vigueur ;
lieu de départ d’une randonnée phare de
la station : la randonnée du refuge et du
Lac du Lou ; la première partie du sentier
de la randonnée offre un panorama sur
l’ensemble de la tourbière ;
nombreuses animations VTT, avec un
circuit de découverte balisé aménagé
pour les enfants ;
aire d’atterrissage de parapente ;
« Montagne Aventure » : activités pour
les enfants, regroupant tyroliennes, ponts
de singe... ;
outre les activités estivales, le site
accueille des activités en hiver, et notam-
ment du ski de fond sur des pistes entre-
tenues par la commune.
69
Figure 28 – Activités récréatives et touristiques sur le site du Plan de l’Eau.
70
Patrimoine culturel
Les zones humides, comme tout espace naturel, peuvent faire partie du patrimoine
culturel des habitants ou usagers. L’évaluation du patrimoine culturel peut renvoyer à
différentes valeurs : identitaires, relationnelles, spirituelles… Cette dimension patrimo-
niale peut s’exprimer à travers la présence d’espèces dîtes « patrimoniales » sur le site
(espèces emblématiques, rares, endémiques…), de processus particuliers (phénomènes
d’érosion, reproduction d’une espèce en un lieu donné…), de pratiques culturelles (pra-
tiques agricoles ancestrales par exemple), ou autres objets « patrimoniaux » présents
sur le site comme du patrimoine bâti par exemple. Ces dimensions peuvent se retrans-
crire par des efforts de protection indépendants de tout usage, dans l’art ou la gastro-
nomie, participer à l’identité territoriale…72.
Ainsi, le patrimoine reflète en quelque En effet, les eaux du marais étaient rediri-
sorte la « singularité » de chaque zone gées à leur sortie pour alimenter les mou-
humide et les relations que les individus lins situés en aval.
entretiennent avec elle.
Le caractère « patrimonial » des zones EXISTENCE D’UN PATRIMOINE BÂTI
humides étudiées s’est traduit de diffé- SUR LE PLAN DE L’EAU
rentes manières au cours des entretiens Le caractère « patrimonial » du site du
réalisés. Une zone humide peut faire partie Plan de l’Eau aux Ménuires s’exprime par
du patrimoine car elle est associée à l’his- l’existence d’un bâti traditionnel sur le
toire locale et aux pratiques qui y étaient site : le site du Plan de l’Eau est jalonné
menées (hydraulique, approvisionnement, par des anciens chalets, construits en
fréquentation…). pierres locales et témoignant de l’an-
cienne activité de transhumance sur les
EXPLOITATION DE LA TOURBE Ménuires, participant à l’identité de la val-
SUR LE MARAIS DES CHASSETTES lée (Figure 29). Lors de rencontres avec
Le Marais des Chassettes a fait l’objet les locaux, ceux-ci ont placé ce service
d’une exploitation de tourbe durant la systématiquement à la première position
seconde guerre mondiale. Le marais qui des services rendus par le site, prou-
porte encore les traces de cette époque, vant de la valeur patrimoniale de la zone
témoigne de cette époque difficile. humide dépassant tout aspect utilitaire.
Cette dimension patrimoniale peut expli-
RÔLE HYDRAULIQUE quer les craintes évoquées par les locaux
ET EXPLOITATION AGRICOLE lors des débuts du projet d’aménagement
SUR LE MARAIS DE LA PLESSE du Plan d’eau des Bruyères.
Le Marais de la Plesse a fait l’objet de
plusieurs aménagements au cours des
siècles. Déjà délimité comme une entité à
part entière sur la Mappe sarde, le marais
appartenait au propriétaire du château de
Saint-Offenge, la commune sur laquelle
il est implanté. Le propriétaire autorisait
les domestiques à aller récolter la blache
sur le marais. Le marais est aujourd’hui
encore exploité pour sa blache par des
exploitants agricoles. Les aménagements
du marais durant les derniers siècles Figure 29 – Bâti patrimonial sur le Plan de l’Eau
étaient liés à ses fonctions hydrauliques. ©J. Porteret/CEN Savoie
71
Outre ces aspects historiques, une zone
humide peut également posséder une
valeur patrimoniale vis-à-vis des espèces
présentes sur celle-ci.
PRÉSENCE D’ESPÈCES
PATRIMONIALES
La patrimonialité peut par exemple
relever du nombre d’espèces mena-
cées présentes sur une zone humide. La
rareté de ces espèces peut conférer
au site un aspect patrimonial vis-à-vis
de son rôle dans la préservation de ces
espèces, parfois inféodées à ces milieux.
Par exemple, le site du Plan de l’Eau aux
Ménuires abrite deux espèces de rep-
tiles classées quasi-menacées sur la liste
rouge de l’UICN : la Grenouille rousse (au
niveau régional) et la Couleuvre à collier
(au niveau national). Carex microglochin,
présente sur le site, est inscrite en tant
qu’espèce vulnérable au niveau européen.
Le Circaète Jean-le-Blanc et le Héron
crabier, tous deux de passage sur la
tourbière, sont inscrits à l’annexe I de la
Directive Oiseaux. Les prairies humides du
Marais de Chautagne abritent pas moins Figure 30 – Drosera ©V. Bourgoin/CEN Savoie
de 12 espèces de papillons protégées à
l’échelle européenne : Cuivré des marais
(Lycaena dispar), Fadet des Laiches DES MILIEUX RELIQUES
(Coenonympha oedippus), Damier de la Les tourbières peuvent renfermer des
succise (Euphydryas aurinia), Azuré de espèces témoignant parfois des périodes
la Sanguisorbe (Maculinea teleius)… Les climatiques froides passées inféo-
MAEC, mesures de gestion spécifiques, dées à ces milieux : Drosera (Figure 30),
permettent de conserver ces espèces Grassette, Linaigrette… Drosera rotun-
fragiles sur le site. difolia (Rossolis à feuilles rondes) et
Pinguicula vulgaris (Grassette commune),
La patrimonialité des espèces peut égale- sont toutes deux des plantes carni-
ment s’aborder via la valeur que lui attri- vores présentes sur la tourbière acide de
buent les habitants au-delà de la rareté Montendry.
de l’espèce. Ces critères peuvent être par
exemple fondés sur l’esthétique, la dange- LA RECONNAISSANCE
rosité, l’abondance, les pratiques qui sont DU PATRIMOINE :
associées à l’espèce. LES MESURES DE PROTECTION
La reconnaissance de ce patrimoine
Sur le Marais de la Plesse, la pêche à la peut s’exprimer à travers des mesures
grenouille a longtemps été une activité de protection spécifiques comme la
pratiquée sur le site. Malgré l’abandon de mise en place d’Arrêtés Préfectoraux
cette pratique aujourd’hui lié à la dispari- de Protection de Biotope ou encore le
tion des grenouilles pour diverses raisons, classement en tant qu’Espace Naturel
celle-ci reste dans les mémoires et les Sensible comme le marais des Chassettes.
souvenirs d’enfance des habitants. En Savoie, la valeur écologique des zones
72
Figure 31 – Vue générale de la Chautagne avec sa mosaïque de paysages ©CEN Savoie
73
©IAR
74
NOTES DE FIN
1 - Jeanneaux et al., 2012. 41 - RECORD, 2018.
2 - De Groot et al., 2007. 42 - Burkhard et al., 2009.
3-G roupe de travail de l’Étude sur 43 - www.alpine-space.eu/projects/alpes/
l’importance de la nature pour les 44 - Tamang, 2011 ; Krol et al., 2012 ;
Canadiens, 2017. Nedkov & Burkhard, 2012.
4 - Dupras et al., 2013. 45 - Burkhard et al., 2012.
5 - Peh et al., 2017. 46 - Jacobs et al. 2015.
6 - AA. VV, 2016. 47 - MA, 2005 ; TEEB, 2010.
7 - MEA, 2005. 48 - Müller 2005.
8 - Dufour et al., 2016. 49 - Fustec & Lefeuvre, 2000.
9 - De Sartre et al., 2014. 50 - Mitsch & Gosselink, 2015.
10 - Daily, 1997. 51 - Gayet et al., 2016.
11 - Costanza et al., 1997. 52 - Dacharry, 1996.
12 - Méral, 2012 ; Aznar et al., 2010. 53 - Cosandey, 1996.
13 - Holling, 1978. 54 - Price, 2001.
14 - Berkes & Folke, 1998. 55 - Porteret J., 2010.
15 - Sukhdev, 2008. 56 - UICN France, 2015.
16 - Salles, 2010. 57 - Forman & Godron, 1981.
17 - Lamarque et al., 2011. 58 - Sauvage et al., 2015.
18 - Mace et al., 2012. 59 - Devaux & Helier, 2018.
19 - Laurila-Pant et al., 2015. 60 - Devaux & Helier, op. cit.
20 - Maris, 2014. 61 - Devaux & Helier, op. cit.
21 - Barbier et al. 1997. 62 - Devaux & Helier, op. cit.
22 - Blicharska et al., 2017. 63 - Burkhard et al., 2014.
23 - Fisher et al., 2009. 64 - Darinot, 2014.
24 - Haines-Young & Potschin, 2018. 65 - Devaux & Helier, op. cit.
25 - C
REDOC, Biotope, 66 - Fabre, 1977.
Asconit Consultants, 2009. 67 - Manneville & Baïer, 1993.
26 - De Groot et al., 2007. 68 - Walthert, 1987.
27 - Bernard, 2016. 69 - Fossati & Pautou, 1989.
28 - Fisher et al., 2009. 70 - Dufay C., 1979.
29 - EpE, 2013. 71 - BURGEAP Environnement & EID, 2001.
30 - Daily & Matson, 2008. 72 - Devaux & Helier, op. cit.
31 - Dempsey, 2013.
32 - Salles, 2010.
33 - Scolozzi et al., 2014.
34 - Chichilnisky & Heal, 1998.
35 - Scolozzi et al., 2012.
36 - Wolff et al., 2017.
37 - Campagne et al., 2016.
38 - Jaunatre et al., 2017.
39 - Chang et al., 2015.
40 - Sharp et al., 2020.
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