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Language : English
ISBN-10 : 1319060560
ISBN-13 : 978-1319060565
Lesquelles?
COUTURIN.
Eh! tu ne sais pas saluer, sourire, pincer la bouche, cligner des yeux, ni
débiter des mélancolies en prenant sur un sopha des poses de fleur battue
par la brise. Comment ferais-tu, voyons, en l’entendant soupirer? et quelle
serait ta réponse s’il te demandait: «M’aimes-tu?»
JEANNE.
SCÈNE V.
Bonjour, chère!
LA DAME, même jeu.
C’est ainsi que cela commence; et quand il lui aura dit, en face, assez
d’impertinences pour la faire pleurer, ce sera une union si intime et
tellement reconnue, que l’on ne manquera pas dans les meilleures maisons
de les inviter ensemble. (Les deux mannequins, pendant qu’il les remontait, ont échangé des
gestes tendres qui deviennent de plus en plus expressifs.) Non! non! à la valse! à la valse!
(Ils se mettent à valser et, pendant qu’ils valsent, Jeanne répète du mieux qu’elle peut tous leurs
mouvements.) C’est cela! lui, menton levé et coude en l’air;—elle droite
comme un I et nez baissé; tous deux piquant leurs angles dans l’espace, une
vraie figure de géométrie en belle humeur. Assez! qu’on les remmène! Et
vous, Couturine, veillez bien à ce qu’on les remette dans leurs boîtes.
On les emporte.
SCÈNE VI.
COUTURIN, JEANNE.
COUTURIN.
Eh! ce n’est pas le monde qui m’inquiète, mais lui; où est-il? Je veux le
voir.
COUTURIN, lentement.
Il me serait possible de satisfaire ton désir.
JEANNE, ravie.
Oh!...
COUTURIN.
Pourquoi?
COUTURIN.
Parce qu’il t’a déjà repoussée quand tu étais une paysanne: l’oublies-tu?
Et surtout écoute bien, tu ne doutes pas de mon pouvoir: n’est-ce pas moi
qui t’ai donné plus de robes que tu ne possédais d’épingles et plus de perles
fines qu’il n’y avait de grains de son dans l’auge de tes pourceaux? Eh bien,
je te jure par cette même puissance que si tu viens à lui dire ton nom, à
l’instant même, et comme d’un coup de foudre, tu mourras.
JEANNE baisse la tête, tandis que Couturin l’observe avec anxiété; puis lentement:
N’importe sous quel nom et sous quelle figure: pourvu qu’il m’aime,
c’est tout ce que je veux! Partons-nous?
COUTURIN.
Oh! inutile! Le voilà qui vient pour des emplettes indispensables à son
voyage!
On entend la voix de Dominique dans la coulisse.
SCÈNE VII.
L P , PAUL, DOMINIQUE, C .
Dans la scène précédente, le décor peu à peu s’est changé en un bazar immense où il y a beaucoup
d’articles de voyage. Le fond de la scène se trouve occupé par les couturiers et les modistes.
DOMINIQUE, criant.
Place! place! Il nous faut deux sacs de nuit, une aumônière, des
couvertures.
PREMIER COMMIS.
A vos ordres!
DEUXIÈME COMMIS.
Ah! j’en perds la boule! (Paul et Dominique sont arrivés au milieu de la scène.)
JEANNE, la main sur son cœur.
C’est lui!
PAUL, apercevant Jeanne.
Quelle beauté!
DOMINIQUE.
Je trouve qu’elle a un faux air. (Riant.) Suis-je bête! comme si c’était
possible!...
PAUL.
Mais je l’ai déjà vue!... Où donc? Ah!... dans mes rêves, sans doute...
JEANNE, vivement.
Assez! assez!
JEANNE.
Mon chalet d’acajou peut, en un clin d’œil se poser sur les sites les plus
pittoresques, et avec un piano (geste de dégoût de Paul), un bon piano, pour jouer
des polkas sur les montagnes... Je sais faire des imitations. Écoute!
PAUL.
Grâce!
JEANNE, vivement.
Horreur!!!
JEANNE.
Aimons-nous.
PAUL.
Reviens!
PAUL.
SCÈNE VIII.
JEANNE, COUTURIN.
JEANNE, atterrée et considérant Couturin.
Eh bien? eh bien?
COUTURIN.
Qu’as-tu donc?
JEANNE éclate en sanglots, et s’appuyant sur l’épaule de Couturin.
JEANNE les regarde quelque temps sans comprendre; puis tout à coup:
Misérables! c’est vous qui en êtes cause avec vos fadeurs imbéciles.
Allez-vous-en, mensonges du cœur et de la joue, hypocrisies, maquillages,
faux sentiments, faux chignons, poitrines débraillées, âmes étroites! Je hais
tout cela! Non! non! plus de tout cela! (Elle déchire ses vêtements.) Où est-il?... Je
veux lui dire que je le trompais!... Paul! Paul! (Elle court de côté et d’autre, éperdue,
haletante, renversant tout devant elle.—Les couturiers et les modistes s’enfuient.) Attends-moi!
réponds! Je vais venir! Me vois-tu? Écoute! Paul! (Elle revient sur le devant de la
scène, près de Couturin, qui est le roi des gnomes.) Ah! je l’ai perdu pour toujours!
LE ROI.
Ah! mais que fallait-il donc faire? Et c’est moi-même qui l’ai chassé!
Plutôt que de me contraindre dans tout ce factice qui m’étouffait le cœur,
j’aurais dû lui parler simplement et ne pas l’étourdir par le caquet de mes
élégances ineptes. Si j’avais été une autre, je lui aurais plu peut-être? Il lui
faudrait quelqu’un avec moins de fard aux pommettes, de sottises aux
lèvres, de singeries dans les manières; une femme... qui le gagnerait par la
modestie de sa tendresse... une bonne épouse... une simple bourgeoise.
LE ROI.
Je le pense.
JEANNE.
Comment le devenir?
LE ROI.
Fais donc!
LE ROI.
Tu l’exiges?
JEANNE.
Le théâtre représente la place de ville, en hémicycle. Toutes les rues y aboutissent, de façon que l’on
peut apercevoir d’un seul coup d’œil la ville entière. Les maisons, toutes pareilles et d’une
architecture pitoyable, à façade nue, sont peintes en couleur chocolat, avec des réchampis blancs.
Au milieu de la place, porté par un trépied et sur des charbons embrasés, bouillonne un
gigantesque pot-au-feu.
Autour du pot-au-feu, il y a, rangés en demi-cercle, des fauteuils de bureau en acajou, dans lesquels
se tiennent assis les épiciers, tous en serpillière et en casquette de loutre. Derrière eux, des deux
côtés de la scène, debout, les différentes corporations de la ville, portant des bannières, où l’on
voit écrit: B ,S ,L , etc. Les savants ont des toques et des abat-jour
verts; les littérateurs, un mirliton et un encrier passés en bandoulière sur la hanche; les
bureaucrates, des bouts de manche de percale noire avec une plume de fer à l’oreille. Tous les
citoyens portent la barbe en collier et ont (à l’exception des épiciers) des redingotes à la
propriétaire et des chapeaux tromblons sur la tête.
Le grand pontife, au milieu de la scène, derrière le pot-au-feu, faisant face au spectateur et monté sur
un escabeau, dépasse la multitude. Des deux côtés, sur le devant, un groupe de collégiens, coiffés
de képis, joue de l’accordéon. Aux fenêtres des maisons, il y a des femmes à bonnets tuyautés et
en robe de laine brune; sur les toits à tuiles rouges, des chats. Au delà, un ciel gris.
_____
SCÈNE PREMIÈRE.
La toile se lève aux sons mélancoliques des accordéons joués par les collégiens, et qui se prolongent
quelque temps encore après qu’elle est entièrement levée. Puis il se fait un silence. On entend
bouillonner le pot-au-feu tout doucement, et enfin le grand pontife commence.
Oui!
LE GRAND PONTIFE.
Et de ne pas quitter le comptoir, sauf, bien entendu, pour venir sur votre
seuil indiquer aux badauds la route qu’il faut suivre; enfin, de vous
infusionner dans le monde par toutes sortes de moyens, alliances et
propagande, de manière à faire prévaloir vos principes et à demeurer, ce que
vous êtes, les rois de l’humanité, les dominateurs universels?
TOUS LES ÉPICIERS, debout, la main étendue vers le pot-au-feu.
Nous le jurons!
LE GRAND PONTIFE.
Et vous, bureaucrates?
LES BUREAUCRATES.
Présents!
LE GRAND PONTIFE.
Oh! oui!
LE GRAND PONTIFE.
Nous le jurons!
LE GRAND PONTIFE.
Vous vous engagez, n’est-ce pas, comme par le passé, à ne faire que des
petites recherches innocentes, qui ne troublent rien?
TOUS LES SAVANTS, levant les mains.
Cela suffit! Venez maintenant, vous, talents honnêtes qui charmez nos
soirées de famille. L’art étant fait pour récréer, vous nous récréez. Allons!
LES POÈTES COMIQUES étendent tous la main vers le pot-au-feu, en faisant:
Je suis ému, messieurs! Tant de raison dans cet âge m’a touché, et si la
fête n’était pas terminée, je succomberais à mon émotion. Elle est terminée,
car il n’est pas besoin de vous demander de serment, à vous... (Il s’adresse aux
femmes qui sont aux fenêtres) gardiennes et cause de notre félicité, épouses,
ménagères, petites mamans pot-au-feu! C’est par vos soins qu’il mijote!
Donc, persévérez dans vos deux préoccupations chéries: 1o raccommoder
les chaussettes de vos légitimes, et 2o être toujours en garde contre les
séductions de la gaudriole. Ne songez même qu’à cela, incessamment,
exclusivement. Bref, n’oubliez pas que l’attitude la plus belle pour une
femme, sa position idéale, si j’ose m’exprimer ainsi, est de se tenir quelque
peu agenouillée, avec une écumoire à la main, un bas de laine passé dans le
bras gauche, tournant le dos à Cupidon, et la tête perdue dans la vapeur du
pot-au-feu!
Et vous, chats, inconstants quadrupèdes, bohémiens des toits! Si vous
n’employez pas tout votre temps et la force de votre gueule à nous prendre
des souris, on vous mettra des muselières et l’on vous empalera avec la
broche, puisque la nature vous a créés pour nous être utiles. Mais, que si
vous devenez sédentaires et zélés à nous servir, on vous laissera au fond de
l’assiette quelques gouttes froides du pot-au-feu!
Et toi, soleil, puisses-tu, brillant toujours modérément, te transformer en
un vaste paquet de chandelles, pour nous économiser l’éclairage! et que tes
rayons fassent tomber dans le creux des mers une pluie de graisse, afin que,
se chauffant à la tiédeur, tout le globe entier ne soit plus qu’un immense
pot-au-feu!
TOUS crient:
Vive le pot-au-feu!
En retirant leurs chapeaux, ce qui laisse voir distinctement leurs crânes étroits et très allongés, en
forme de pain de sucre.
LES BOURGEOIS.
Allons dîner!...
Ils entrent dans les maisons.
SCÈNE II.
La scène reste complètement vide. D’abord, on entend dans les maisons un bruit de gros baisers,
ensuite un bruit de chaises; presque aussitôt après, un bruit de cuillères sur les assiettes, et
quelque temps après
Il fait chaud!
UNE FEMME arrive à chaque fenêtre.
C’est vrai!
Ils se détournent un peu et tapent sur le baromètre accroché en dehors de la fenêtre.
SCÈNE III.
Quelques-uns de leurs bonnets tombent dans leur danse, et l’on voit leurs crânes extra-pointus.
Et le mien aussi.—Nourrice!...
TROISIÈME DAME.
PREMIÈRE DAME.