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Le simulacre du Nouveau Monde:

à propos de la rencontre de Montaigne


avec des Cannibales

Philippe Desan

Pour Marc Blanchard, maître et ami


qui me fit découvrir Montaigne

Les mercredi 1er et jeudi 2 octobre 1550, à l’occasion de l’entrée royale de


Henri II avec sa femme, Catherine de Médicis, à Rouen, cinquante Indiens du
Brésil, assistés de quelque deux cents matelots nus, le visage et le corps peints
afin de passer eux aussi pour des habitants du Nouveau Monde, se livrèrent à
une reconstitution de la vie quotidienne en Amérique, y compris un simulacre
de bataille entre tribus voisines. On avait reconstitué pour l’occasion un village
Tupinamba1.
Le roi, sa cour, les ambassadeurs de presque toute l’Europe, le clergé et
un grand nombre d’intellectuels de l’époque occupaient les premières loges
afin d’assister à cet extraordinaire spectacle digne de nos expositions univer-
selles des XIXe et XXe siècles. Pour l’occasion on avait aménagé une bande de
terre le long de la Seine avec plusieurs espèces d’arbres et d’arbrisseaux
comme “genest, geneure, buys” et semblables plantes feuillues pour créer un
épais taillis. Les organisateurs de cet événement – principalement de riches
armateurs rouennais – étaient allés jusqu’à peindre les troncs des arbres et on
avait garni leurs cimes de branches de buis, “rapportant assez près du naturel

––––––––––
1 Cette fête brésilienne a été documentée et amplement commentée par José Alexan-

drino de Souza Filho dans sa thèse, Civilisation et barbarie en France au temps de Montaigne,
Lille, ANRT, 2003, p. 48-88; du même auteur, Projeto ‘Livraria’ de Montaigne. Um passeio
ao universo do escritor francês Michel de Montaigne, João Pessoa, Editora Universitária, 2007,
p. 44-57. Voir aussi André Pottier, “L’entrée de Henri II à Rouen en 1550”, Revue de
Rouen, t. V, 1835, p. 18-108; Fernand Denis, “Une fête brésilienne célébrée à Rouen en
1550”, Bulletin du bibliophile, 1849, p. 332-402; Margaret McGowan, “Henri’s Entry into
Rouen”, Renaissance Drama, 1968, p. 199-225; Jean-Marie Massa, “Le monde luso-
brésilien dans la Joyeuse entrée à Rouen”, in Les Fêtes de la Renaissance, t. III, Éditions du
CNRS, 1975, p. 105-116.

Montaigne Studies, vol. XXII (2010)


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aux feuilles des arbres du Bresil”2. D’autres arbustes étaient chargés de fruits
de diverses couleurs, imitant de façon presque parfaite “le naturel” des forêts
sud-américaines. Bref, on avait reconstruit un coin de nature sauvage sur les
bords de Seine.
Des habitations furent également édifiées à chaque extrémité de ce
terrain, leurs toits recouverts de roseaux et de feuilles, “fortifiés à l’entour de
pal en lieu de rampart, ou boullenerd en la forme et manière des mortuables
et habitations des Brasilians”. Une gravure de l’époque – ici reproduite –
restitue assez fidèlement le décor construit pour la fête cannibale de Rouen.
Lâchés en liberté pour créer l’illusion d’un espace tridimensionnel, des oiseaux
exotiques passaient au dessus des têtes des spectateurs ébahis. L’on voyait des
perroquets, des aras, des conures, des toucans et autres oiseaux chamarrés
originaires d’Amérique. Des marmottes, des sagouins et divers animaux
inconnus en Europe et rapportés dans les soutes des navires marchands
rouennais peuplaient cette bande de terre brésilienne qui longeait un fleuve
français. On assistait à une véritable transposition coloniale d’un continent à
l’autre. Là où des campements français bordaient les fleuves du Nouveau
Monde, on pouvait désormais assister (pour quelques heures) à la vie quoti-
dienne d’une colonie brésilienne transplantée au cœur du royaume. Tout avait
été conçu pour que les spectateurs aient le sentiment d’avoir été transportés en
terre brésilienne.
L’idée générale d’une telle mise en scène était de recréer un monde où la
nature abondante permettait aux deux cent cinquante “Indiens” de cohabiter
paisiblement entre eux et avec les Occidentaux, du moins durant le premier
acte de ce tableau idyllique raconté par les bourgeois de Rouen pour le roi et
sa cour. C’est en effet là le début de l’histoire. Tout commence par la paix, le
repos et la civilité dans ce que l’on pourrait qualifier de “moment rousseau-
iste”. L’histoire du Nouveau Monde présentée aux seigneurs, prélats et ambas-
sadeurs venus observer cette tranche du Nouveau Monde s’ouvre pour le
mieux. La nature est en harmonie avec l’homme. Indiens et matelots euro-
péens se confondent même:

Le long de la place se demenoient ca et la, jusques au nombre de trois centz


hommes tous nuds, hallez et hérissonnez. Sans aucunement couvrir la partie
que nature commande, ils estoient façonnez et équipez en la mode des
sauvages de l’Amerique dont saporte le boys de Bresil, du nombre desquelz il
y en avoit bien cinquante naturelz sauvages freschement apportez du pays,
ayans oultre les autres scimulez, pour décorer leur face, joues, lèvres et
aureilles percées et entrelardeez de pierres longuettes, de l’estendue d’un
doigt, pollies et arrondies, de couleur d’esmail blanc et de verde émeraude.

––––––––––
2 C’est la déduction du sumptueux ordre plaisantz spectacles et magnifiques théâtres dressées, et
exhibés par les citoiens de Rouen ville métropolitaine du pays de Normandie, A la sacré Maiesté du
Treschristian Roy de France, Henry second leur souverain Seigneur, Et à Tresillustre dame, ma Dame
Katharine de Medicis, la Royne son espouze, lors de leur triumphant ioyeuls et nouvel advènement en
icelle ville, qui fut es jours de Mercredy et jeudy premier et second jours d’octobre 1550, Rouen,
Robert Le Hoy, 1551.
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Sur les rives de la Seine, Catherine de Médicis s’extasie devant les “esba-
tements et schyomachie des sauvages”. Tout semble si paisible en ce début du
mois d’octobre 1550. Les guerres civiles n’ont pas encore débuté en France, et
ce plaisant tableau de convivialité et fraternité transcende les divergences
politiques et religieuses qui couvent déjà. Il est ensuite précisé que les marins
rouennais imitaient si bien le langage et les gestes des Indiens qu’il était
impossible de distinguer les vrais des faux sauvages. Les matelots occidentaux
s’étaient pleinement cannibalisés pour l’occasion. On chassait à l’arc et à la
sarbacane, quelques sauvages couraient après des singes, d’autres se balan-
çaient dans des hamacs attachés aux arbres, ou étaient tout simplement
allongés sur le sol, à l’ombre d’un buisson, se reposant. Une poignée d’Indiens
coupaient du bois, un groupe s’affairait à construire une sorte de fort le long
du fleuve. Des berges de l’Yguarassu à celles de la Seine, l’espace réduit par la
conquête européenne (portugaise et française) permettait les comparaisons les
plus osées.
Mais ces scènes merveilleuses et paradisiaques n’étaient en fait qu’un
prélude nécessaire à la violence qui devait bientôt éclater, tel un coup de
tonnerre. Il fallait bien que l’on arrive à un moment donné à l’activité
essentielle des Cannibales rapportée par les visiteurs occidentaux et idéalisée
par Montaigne lui-même: “Et sur ces entrefaites, voicy venir une troupe de
savaiges qui se nommoient à leur langue Tabagerres, selon leurs partialitez,
lesquels estants accroupis sur leurs tallons et rengez à l’environ de leur Roy,
autrement nommé par iceulx, Morbicha”. Le chef des Tabajaras commença
soudainement à haranguer les Indiens qui s’étaient assemblés autour de lui. Il
se mit à gesticuler et à agiter les bras en “geste passionné”, tout cela en
langage brésilien. Les Tabajaras délaissèrent tout à coup la civilité qui avait
jusqu’à présent régné. Selon la description de l’époque, l’assemblée réagit
promptement et avec obéissance et ils “vindrent violentement assaillir une
autre troupe de sauvaiges qui s’appeloient, en leur langue, Toupinabaulx”.
S’ensuivit alors un combat sans merci et d’une fureur extrême où furent
échangés flèches, coups de massue et de bâtons de guerre. La bataille entre
Tupinambas et Tabajaras formait bien évidemment le thème de ce second
acte théâtralisé à l’extrême.
L’affrontement éclair qui se déroula devant le roi et les membres de la
cour fut gagné par les Tupinambas qui résistèrent vaillamment à l’attaque
sournoise des Tabajaras et les forcèrent à s’enfuir. Les agresseurs avaient
perdu la guerre. On brûla le campement des fuyards. Les Tupinambas (en
majorité des matelots rouennais) sortaient les grands vainqueurs de cette
confrontation entre bons Cannibales (Tupinambas) et cruels Cannibales
(Tabajaras). Le commentateur de cette mise en scène assez réussie (du moins
pour l’assemblée qui y assistait) nous offre le commentaire suivant:

ladicte scyomachie fut exécutée si près de la vérité, tant à raison des sauvages
naturelz qui estoient meslés parmy eux, comme pour les mariniers qui par
plusieurs voyages avoient traffiqué et par longtemps domestiquement résidés
avec les sauvages, qu’elle sembloit estre véritable, et non simulé, pour la
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probation, de laquelle chose, plusieurs personnes de ce royaulme de France,


en nombre suffisant, ayans fréquenté longuement le pays du Bresil et Canny-
bales, attestèrent de bonne foy l’effect de la figure précédente estre le certain
simulachre de la vérité.

Ce “simulachre de la vérité”, ou sciomachie vraie, rappelle bien entendu les


passages où Montaigne décrit à son tour les deux temps forts qui règlent la vie
cannibale: le repos et la guerre.

***

Montaigne n’assista pas à cette reconstitution d’une journée cannibale en


1550. Il venait d’avoir dix-sept ans. On imagine son étonnement et son émer-
veillement s’il avait été présent. Dans les Essais, il nous dit par contre que c’est
sur ces mêmes lieux, à Rouen, qu’il rencontra à son tour des Cannibales
douze années plus tard à l’occasion du siège de cette ville, au tout début des
guerres de religion. Il eut même la chance – toujours selon lui – de pouvoir
interroger des “capitaines” brésiliens grâce à un interprète.
La fête cannibale de 1550 nous apprend que si l’on ne peut avoir un
Cannibale chez soi, on pourra toujours trouver un marin qu’il sera permis de
confondre avec un Cannibale. Montaigne ne manquera pas de nous dire qu’il
eut un tel homme à son service:

J’ay eu long temps avec moy un homme qui avoit demeuré dix ou douze ans
en cet autre monde, qui a esté descouvert en nostre siècle en l’endroit ou
Vilegaignon print terre, qu’il surnomma la France Antartique. (1580, I, 31,
300)

Douze ans passés au Brésil ne sont pas une mince expérience, même si l’on
peut douter de ce chiffre3. Montaigne a besoin de l’autorité d’un témoin direct
pour démontrer sa connaissance des pratiques culturelles des Indiens du
Nouveau Monde4. Ses lectures sur le sujet ne sauraient suffire pour un homme
qui privilégie la parole naïve au savoir livresque. La rencontre des Cannibales
se situe dans cette logique d’une autorité narrative qui permet à l’auteur des
Essais de prendre la parole à son tour.Comme l’a souligné Frank Lestringant,
l’entrevue de Montaigne avec des Cannibales relève principalement de la
topique5.

––––––––––
3 Charles-André Julien (Les Voyages de découverte et les premiers établissements (XVe-XVIe

siècles), Paris, Presses Universitaires de France, 1948, p. 417) remarque à ce sujet que la
présence de cet homme au Brésil excède de la moitié la très courte existence de la
France Antarctique (15 novembre 1555 - 15 mars 1560). Montaigne aurait alors
exagéré la durée de ce séjour parmi les Indiens.
4 À ce sujet, voir Andrea Frisch, The Invention of the Eyewitness: Witnessing and Testimony

in Early Modern France, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2004.
5 Frank Lestringant, Le Huguenot et le sauvage, Paris, Aux Amateurs de Livres, 1990,

chap. IV, p. 137.


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Il faut également considérer la question des sources de Montaigne sur le


Nouveau Monde6. Comme on le sait, l’auteur des Essais préfère les topogra-
phes aux cosmographes7, c’est-à-dire la vérité observée sur le terrain – même
sous forme de simulacre, tant que ce simulacre correspond à une réalité
proche du vécu –, comme c’est le cas de ce fameux serviteur qui a résidé au
Nouveau Monde; ou, mieux encore, une conversation avec les Cannibales
eux-mêmes. C’est à ce point que l’entretien avec des Cannibales acquiert une
importance tout à faire essentielle dans le discours de Montaigne sur le
Nouveau Monde. Ce face à face entre Montaigne et les Indiens représente une
nécessité qui, au même titre que le témoignage du marin à son service, se
devait d’être rapportée, même sous forme de simulacre.
À la fin du chapitre “Des cannibales”, alors qu’il a déjà abondamment
commenté la culture cannibale, Montaigne renforce son jugement par la
description d’une rencontre particulière avec des Brésiliens. Il déclare d’abord
avoir vu “trois d’entre eux” avant d’être ensuite le témoin d’une longue
discussion entre le roi et ces trois Indiens: “Le roy parla a eus long temps”;
puis un autre interlocuteur s’adressa à eux: “[a]pres cela, quelqu’un leur en
demanda leur avis”; finalement vint le tour de Montaigne: “Je parlay a l’un
d’eus fort long temps: mais j’avois un truchement qui me suyvoit si mal, et qui
estoit empesché a recevoir mes imaginations par sa bestise, que je n’en peus
tirer guiere de plaisir” (1580, I, 31, 329). Plusieurs remarques s’imposent sur
cette série de conversations: d’abord, si le roi parle aux Indiens longtemps,
Montaigne leur parle “fort long temps”. Il faut aussi s’interroger sur la qualité
de cet échange. Il ne s’agit pas pour Montaigne d’obtenir des informations
précises – il les a déjà8 –, mais bien de prolonger un moment qui valide en
quelque sorte sa propre expérience cannibale.
La conférence de Montaigne avec un chef indien représente un des
moments forts des Essais; elle l’autorise à jouer à son tour les topographes.
Rouen serait sur ce point le port le plus proche du Nouveau Monde, une
transposition coloniale permettant de valider l’objectivité des renseignements
glanés en cette seconde terre cannibale. Montaigne place délibérément son

––––––––––
6 La région où vivent les Cannibales correspond à une partie, relativement restreinte,

de la côte atlantique du Brésil. En 1557, une expédition française, commandée par


Villegagnon, avait créé un point d’ancrage sur le site de l’actuelle baie de Rio. Cette
entreprise, qui se termina de manière peu glorieuse, avait suscité un certain nombre de
témoignages, dont celui du cosmographe André Thevet, qui faisait dès l’origine partie
de l’expédition, et celui de Jean de Léry, qui en fut un rescapé, chanceux seulement d’y
avoir survécu. L’un et l’autre apportèrent des informations sur le mode de vie des
peuplades indigènes qu’ils avaient rencontrées. À ces “témoignages” de Thevet et Léry,
il faut aussi ajouter des relations de seconde main par des professionnels de l’écriture
comme Sébastien Munster, Urbain Chauveton, traducteur de Benzoni, ou François de
Belleforest.
7 Voir Frank Lestringant, Le Brésil de Montaigne. Le Nouveau Monde des ‘Essai’s (1580-

1592), Paris, Chandeigne, 2005.


8 Jean de Léry, André Thevet et Urbain Chauveton sont de loin ses principales

sources.
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entrevue cannibale sur le plan de l’oralité et de la proximité. Il préface cette


rencontre par une remarque sur la langue des Indiens qu’il perçoit comme “le
plus dous langage du monde, et qui a le son le plus agreable a l’oreille. Il retire
fort aux terminaisons grecques” (1580, I, 31, 327). Seul un témoin direct
pouvait se permettre une telle remarque. De plus, cette association du langage
brésilien avec une langue morte (le grec) crée un lien communautaire qui
permet de réunir des civilisations qui, si elles avaient coexisté dans l’Histoire,
auraient ainsi pu se comprendre. Si les Athéniens sont les fondateurs de la
civilisation occidentale et des formes modernes de gouvernement, les Canni-
bales possèdent eux aussi un langage approprié aux mêmes dispositions
humanistes et politiques. L’oreille de Montaigne vaut mieux que tous les
témoins oculaires qui ont pu accompagner Villegagnon au Brésil. La tonalité
du langage cannibale fait de ces peuples l’équivalent des citoyens grecs de
l’Antiquité.
Mais revenons à cette mémorable rencontre entre Montaigne et des
Cannibales. En effet, encore faut-il savoir avec certitude quand cette entrevue
entre Montaigne et des Cannibales put avoir lieu. L’auteur des Essais admet à
plusieurs reprises que sa mémoire lui fait souvent défaut. Or, quand
Montaigne rapporte sa “conférence cannibale”, nous sommes en 1579, dix-
sept ans après 1562, date la plus souvent retenue par la critique pour situer ce
célèbre face à face. On a effet systématiquement associé l’entretien des
Cannibales avec un séjour de Montaigne à Rouen lors du siège de cette ville.
Il est pourtant permis de s’interroger sur ce moment fondateur pour
Montaigne. En effet, nous ne possédons aucun autre témoignage sur une telle
rencontre entre Montaigne et des Cannibales en 1562. L’occasion – siège de la
ville – correspond également peu à une audience royale. Rien n’est sur ce
point précis malgré les déclarations de Montaigne qui, dix-sept années plus
tard, semble décrire en détail sa conversation avec des “capitaines” indiens
récemment débarqués du Nouveau Monde – même s’il dit avoir oublié la
troisième remarque faite par les Cannibales!
Dans ses Essais, Montaigne déclare explicitement avoir fait la connais-
sance des Cannibales à Rouen alors que Charles IX était dans cette ville. On a
logiquement conclu que ce ne pouvait être qu’à l’occasion du siège de la ville
en 1562. Rouen était en effet aux mains des protestants avant d’être reprise
par le roi. On en a donc déduit que Montaigne s’était rendu à Rouen à
l’automne 1562. C’est là une possibilité mais non pas une certitude. Nous
n’avons en effet aucune idée de ce qu’il aurait pu faire dans cette ville puisqu’il
est improbable qu’il participât directement au siège de la ville. Rappelons
qu’en 1562 Montaigne n’était pas encore chevalier de l’ordre de Saint-Michel
et gentilhomme de la Chambre du roi. Il n’était qu’un parlementaire débu-
tant, sans grande prétention nobiliaire à cette époque, et sans aucune influ-
ence au niveau local, et donc encore moins à l’échelle nationale. Montaigne
n’était pas encore Montaigne en 1562! On l’imagine mal dans l’entourage
direct du roi et de la cour.

***
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Regardons de plus prêt les dates et déplaçons-nous légèrement dans le


temps pour parler d’une autre rencontre possible de Montaigne avec des
Indiens du Nouveau Monde, à savoir celle que le Parlementaire de Guyenne
fit très certainement à Bordeaux en 1565, alors que le roi se trouvait dans cette
ville. Nous ne sommes plus à Rouen, mais bien dans la cité où Montaigne
poursuivait sa première carrière de Conseiller au Parlement de Bordeaux.
Nous verrons de quelle façon ces deux villes, différemment touchées par la
Réforme – et dans le contexte de la publication des premiers Essais en 1580 –,
renvoient à des symboles politiques qui s’opposent quand on se livre à une
micro lecture historique des années allant de 1562 à 1565.
Nous avons mentionné plus haut la description de l’entrée royale à Rouen
en 1550 et la mise en scène du Nouveau Monde lors de cet événement. Il faut
aussi rappeler que des Indiens brésiliens défilèrent à Bordeaux en 1565. En
effet, lors de l’entrée royale de Charles IX à Bordeaux, le 9 avril 15659, on vit
pour l’occasion trois cents hommes d’armes “conduisans douze nations estran-
gères captives, telles qu’estoient Grecs, Turcs, Arabes, Egyptiens, Tapro-
baniens, Indiens, Canariens, Mores, Ethiopiens, sauvages amériquains et
Brésiliens, les capitaines desquels haranguèrent devant le Roy chacun en sa
langue entendue, par le truchement, qui l’interprétoit à Sa Majesté”10.
Nous savons que Montaigne était à Bordeaux à cette date et qu’il
participa aux festivités. L’entrée solennelle du roi dans la ville imposait la
présence des Conseillers du Parlement aux diverses cérémonies officielles.
C’était notamment l’occasion de faire allégeance devant le représentant
suprême de la justice du royaume. Mais cette entrée royale conçue avec le
protocole et les honneurs habituels pour un tel événement n’est cependant pas
rapportée par Montaigne. Pourtant, comme tous les autres membres du
––––––––––
9 Cette entrée royale de Charles IX à Bordeaux en 1565 a fait l’objet d’un commen-

taire par José Alexandrino de Souza Filho dans sa thèse de doctorat, Civilisation et
barbarie en France au temps de Montaigne, op. cit., p. 123-140. Elle est décrite dans L’entrée du
Roy à Bordeaux, avecques les Carmes Latins qui luy ont esté presentez, et au Chancelier, Paris,
Thomas Richard, 1565; ainsi que dans La Royale reception de leurs majestez tres-chrestiennes en
la ville de Bourdeaus ou le siecle d’or ramené par les Alliances de France et d’Espaigne. Recueilli par le
commandement du Roy, Bordeaux, Simon Millanges, 1615; Prosphonematon, sive de adventu
Christianissimi Regis Caroli IX in suam urbem Burdigalam Mauricii Marcii Burdigalensis. Ad
eundem, Paris, Thomas Richard, 1565. Voir aussi Voir Philippe Tamizey de Larroque,
L’Entrée de Charles IX à Bordeaux, Bordeaux, Chollet, 1882; Gabriel de Lurbe, Chronique
bordeloise, Bordeaux, Simon Millanges, 1619, f. 32; plus le Supplément de Darnal, 1666,
fol. 77v; Jean de Gaufreteau, Chronique bordeloise, 1240-1638, éd. Jules Delpit, Bordeaux,
Société des Bibliophiles de Guyenne, 1876-1878, t. 1, p. 136-137; Dom Devienne,
Histoire de la ville de Bordeaux, Bordeaux, chez Simon de la Court, 1771, p. 146-148;
Jacques Baurein, Variétés bordeloises ou essai historique et critique sur la topographie ancienne et
moderne du diocèse de Bordeaux, Bordeaux, 1876, t. 2, p. 223-233.
10 Theodore Godefroy, Le Ceremonial François contenant les cérémonies observées en France

aux Sacres & Couronnemens de Roys, & Reynes, & de quelques anciens Ducs de Normandie,
d’Aquitaine, & de Bretagne: Comme aussi à leurs Entrées solennelles: Et à celles d’aucuns Dauphins,
Gouverneurs de Provinces, & autres Seigneurs, dans diverses Villes du Royaume, [1619], 2 vol.,
Paris, Sebastien et Gabriel Cramoisy, 1649.
Le simulacre du Nouveau Monde 109

Parlement, Montaigne a bien participé, jusque dans les moindres détails, à la


préparation de cette visite royale.
Dès la mi-janvier 1565, Bordeaux s’apprête à recevoir Charles IX en
grande pompe et les préparatifs de cette visite font l’objet de discussions au
Parlement et à la Jurade. Au cours d’une séance orchestrée par le premier
président du Parlement, Montaigne prend la parole avec douze autres de ses
confrères:

Du Mercredi 24e de janvier... Le dit d’Eyquem a dit que en parlant au Roy,


il lui faut imprimer en l’opinion par vives raisons combien il sied bien à un
bon Roy de visiter souvent les terres de ses sujets et combien cela apporte des
commodités aux affaires de son Etat; que le dépris et tout le désordre de la
justice vient de l’infini nombre d’officiers qu’on y met; du mauvais ordre
qu’on a les choisir et de ce que toutes les choses sont vénales; qu’il faut
requérir de rabiller toutes ces fautes et principalement d’ôter tout ce qu’est de
la justice; qu’il ne faut faire nulle requête qui tende à accroistre ou augmenter
le gain que nous faisons en nos états.11

Cinq semaines plus tard, le 1er avril 1565, le roi dîne à Cadillac (chez
Candalle), à deux pas du château de Montaigne. Il traverse la Garonne. Le
lundi suivant, il séjourne à Bordeaux; le mardi, il est à Thouars où le roi de
Navarre s’arrête du 3 au 8 avril. Finalement, le 9 avril 1565, Charles IX
effectue son entrée royale à Bordeaux, une célébration longuement répétée
alors que bon nombre de Parlementaires s’opposent ouvertement à l’autorité
royale. Les Parlementaires tentent de s’affranchir du pouvoir du Parlement de
Paris et rechignent à enregistrer les lettres patentes relatives aux divers édits de
pacification. En 1565 le conflit religieux est vif dans la région et il faut tout
faire pour ne pas déplaire au souverain. La venue de Charles IX à Bordeaux
est l’occasion pour Montaigne de réaffirmer la soumission du Parlement à
l’autorité royale. Cette position est néanmoins loin de faire l’unanimité parmi
ses collègues.
Pour plaire au roi, on a de nouveau mis en scène une “exposition
cannibale” sous forme de cortège. Ce sont cette fois des prisonniers qui sont
exhibés. Dans la procession publique qui comprend tous les notables de la ville
et du Parlement, et derrière les Cannibales et autres peuples captifs, on trouve
les officiels de la cité qui défilent devant le roi. Les Parlementaires, y compris
Montaigne, parcourent le centre-ville à cheval et en costume de cérémonie,
robe rouge à chaperons fourrés pour les conseillers qui ont auparavant dîné au
palais aux dépens du roi12. Montaigne, au même titre que les Cannibales,
défile donc devant le roi à Bordeaux ce 9 avril 1565. Il est richement vêtu, les
Cannibales sont nus. Si l’on conserve cette distinction entre Tupinambas –
Indiens alliés des Français contre les Portugais – et les Tabajaras – ennemis
––––––––––
11 François Hauchecorne, “Une intervention ignorée de Montaigne au parlement de

Bordeaux”, Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, vol. IX, 1947, p. 164-168.


12 C.B.F. Boscheron des Portes, Histoire du parlement de Bordeaux depuis sa création jusqu’à

sa suppression (1451-1790), 2 vol., Bordeaux, Ch. Lefèvre, 1878, t. 1, p. 189-190.


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des Tupinambas et donc des Français –, on peut logiquement en déduire que


ces Indiens qui marchent dans les rues de Bordeaux, puisqu’ils sont captifs,
sont forcément des Tabajaras (du moins dans l’imaginaire occidental assez
confus de la représentation des nations indiennes du Brésil).
Une description légèrement différente de cette cérémonie nous est donnée
par l’historien Lancelot de La Popelinière qui nous apprend que les Brésiliens
que l’on fit parader devant le roi comprenaient des chefs prisonniers. En effet,
La Popelinière rapporte que durant l’entrée solennelle de Charles IX à
Bordeaux, “trois cens hommes d’armes conduisans douze Nations estrangères
captives, telles qu’estoient Grecs, Turcs, Arabes, Egyptiens, Taptobaniens,
Indiens, Canariens, Mores, Ethiopiens, Sauvages, Ameriquains & Bresiliens;
les Capitaines desquels haranguèrent devant le Roy chacun en sa langue,
entenduë par le Truchement qui l’interpretoit à sa Majesté”13. Nous avons ici
une description (présence du roi, truchement, harangue) qui n’est guère
différente de celle rapportée par Montaigne dans ses Essais. Il est dès lors
permis de se demander si Montaigne n’aurait pas plutôt rencontré des
Cannibales à Bordeaux. Du moins, s’il s’est entretenu avec eux à Rouen en
1562, on s’étonnera qu’il ne mentionne pas la nouvelle rencontre qu’il fit à
Bordeaux trois ans plus tard. N’oublions pas que cette rencontre (Rouen ou
Bordeaux) ne sera relatée que dix-sept années plus tard.
Dans un cas comme dans l’autre – Rouen et Bordeaux –, il aurait été
impossible pour Montaigne d’entendre la traduction donnée par le “truche-
ment”. C’est ici une question de proximité par rapport au roi et à l’interprète.
Son rang de simple conseiller au Parlement ne lui permettait pas d’être à
proximité du roi et des nombreux autres nobles, ambassadeurs, prélats ou
hauts fonctionnaires de l’État. Le protocole de ces rencontres (faisant partie
des entrées royales) est décrit de façon précise et détaillée dans les descriptions
du XVIe siècle. Montaigne ne pouvait pas se trouver suffisamment proche des
Cannibales lorsqu’ils s’adressèrent au roi. L’entretien privé de Montaigne est
certes possible aussi bien à Rouen qu’à Bordeaux mais, dans ce cas, la chrono-
logie donnée dans les Essais pose quelques problèmes.
Le séjour de Charles IX à Bordeaux avait aussi un autre but que
Montaigne préféra peut-être ignorer, à savoir le rappel à l’ordre des Parle-
mentaires lors du lit de justice qui suivit l’entrée royale et la procession des
peuples captifs. En effet, le 12 avril 1565 se tint un lit de justice au cours
duquel le chancelier Michel de L’Hôpital morigéna sévèrement le Parlement
de Bordeaux parce “que les ordonances n’y étoient pas gardées”. Le chance-
lier rappela les Parlementaires à l’ordre et leur reprocha sans ménagement les
“oppositions qu’il mettoit à l’execution des Ordonnances, et sur ce que la
justice n’y étoit point administrée avec autant d’exactitude et d’impartialité
qu’elle devoit l’être”.
Il faut bien dire que les édits de pacification ne sont guère respectés à
––––––––––
13 Lancelot de La Popelinière, L’Histoire vulgairement dite, vol. I, liv. X; Michel de

l’Hospital, “Harangue devant le Parlement de Bordeaux en 1565”, in Theodore


Godefroy, Le Ceremonial François..., op. cit.
Le simulacre du Nouveau Monde 111

Bordeaux et les “Religionnaires” n’ont pas manqué de se plaindre directement


au roi14. Dans un premier temps, Charles IX avait favorablement répondu
aux demandes des protestants et leur avait accordé des lettres patentes, les
autorisant par exemple à chanter les psaumes dans leur maison ou encore à
vendre la Bible en français. Les officiers réformés – dont les Parlementaires –
devaient aussi être admis, indifféremment de leur religion, aux charges publi-
ques de la ville. Le Parlement de Bordeaux avait néanmoins refusé d’enre-
gistrer les lettres patentes envoyées par la chancellerie. Finalement ces lettres
furent vérifiées non pas par le Parlement mais directement par le sénéchal de
Guyenne, une formalité inhabituelle qui affaiblissait en fait la teneur de ces
lettres et permettait surtout de revenir sur plusieurs articles accordés aux
“Religionnaires”.
Le 20 avril 1565, le prince de Navarre, accompagné de ses oncles, le
cardinal de Bourbon et le prince de La Roche-sur-Yon, vint à son tour au
Parlement pour prendre possession de son gouvernement de Guyenne. Un
document de l’époque nous apprend que, le 2 mai, “Eyquem de Montaigne”
fut commissionné pour se rendre en Saintonge15. On sait donc que Montaigne
était bien à Bordeaux à la fin du mois d’avril 1565. Il est certain qu’il assista à
l’entrée de Charles IX à Bordeaux et vit comme tous les habitants de la cité les
Cannibales prisonniers que l’on fit défiler dans les rues du centre-ville pour
cette occasion. Il est aussi probable qu’il participa aux cérémonies en sa
qualité de Conseiller.
Pourquoi Montaigne ne nous dit-il pas avoir aussi vu des Indiens brési-
liens à Bordeaux en 1565? En 1562, lors du siège de Rouen, on ne comprend
pas très bien la présence d’un interprète, elle est par contre attestée à
Bordeaux trois ans plus tard. Étrange coïncidence que celle de la présence du
“truchement” dans les Essais et dans les descriptions de l’entrée royale à
Bordeaux. Aucun autre témoignage – à part celui de Montaigne – n’existe sur
la rencontre de Charles IX avec des Indiens brésiliens en 1562 alors qu’il tente
de reprendre la ville de Rouen aux protestants. À Bordeaux le défilé de
prisonniers indiens n’est par contre pas passé inaperçu et les contemporains de
Montaigne n’ont pas manqué de mentionner les Brésiliens captifs. L’événe-
ment marqua la population qui était moins habituée à voir des habitants du
Nouveau Monde que ne l’étaient par exemple les habitants de Rouen,
résidant sur les bords de la Seine, fleuve qui sert de point départ aux
expéditions vers le Nouveau Monde. Montaigne préféra-t-il “libérer” ces
Cannibales presque vingt ans plus tard? Il est vrai qu’une conférence avec des
prisonniers produit des vérités bien différentes. Montaigne avait besoin de
considérer ses Cannibales comme ses égaux pour rendre compte objectivement
de leurs observations sur sa propre société.

––––––––––
14 Sur la situation politique des “Religionnaires” à Bordeaux et les mesures prises par

le Parlement contre eux, voir Dom Devienne, Histoire de la ville de Bordeaux, op. cit., p.
148-150.
15 Louis Desgraves, Inventaire des fonds Montaigne conservés à Bordeaux, Paris, H.

Champion, 1995, p. 142 (A. D. IB9, f. 113).


112 Philippe Desan

C’est dans le contexte politique qui associait de facto Montaigne à la fronde


du Parlement contre l’autorité royale qu’il faut comprendre l’hésitation de
Montaigne à rappeler sa présence à Bordeaux lors de ce fameux lit de justice –
et donc son entrevue avec des Cannibales à Bordeaux. Si l’auteur des Essais
reste assez ambigu sur les circonstances exactes de sa rencontre avec des
Cannibales à Rouen, ce sont pour des raisons qui touchent peut-être à son
occupation et à son statut social à cette époque. En effet, s’il était dans cette
ville en 1562, ce ne pouvait également être qu’en qualité de Parlementaire et
non pas de noble. Il est probable qu’en 1579-1580 Montaigne préféra oublier
sa première carrière de parlementaire et ne mentionna pour cette raison que
sa présence auprès du roi, dans le cercle restreint des membres de la noblesse,
et donc à portée de voix des Cannibales et de leur interprète. Montaigne avait
en quelque sorte anobli sa rencontre avec des Cannibales.

***

Récapitulons ces trois moments importants dans la rencontre (mentale et


physique) des Cannibales. D’abord en 1550: Montaigne ne fut pas présent à
cette extravagance anthropologique. Douze ans plus tard, en 1562: alors que
Charles IX venait assister en personne à la prise de Rouen aux mains des
protestants, Montaigne se trouvait peut-être – selon son propre témoignage
dans les Essais – dans cette ville, mais seulement en qualité de simple
Conseiller du Parlement de Bordeaux. Son entretien avec des Cannibales ne
pouvait être qu’une rencontre privée, non documentée, en dehors de l’entourage
royal. En 1565: il est probable que Montaigne ait pu rencontrer et s’adresser à
des “capitaines” brésiliens captifs avec l’aide d’un truchement, mais seulement
après la harangue des capitaines indiens devant le roi. Vêtu en grande pompe
puisqu’il avait lui-même participé à la procession officielle devant le roi, il put
ensuite se retrouver devant les Cannibales et leur poser quelques questions,
toujours de façon plus privée qu’il est rapporté dans les Essais. Comment alors
interpréter ces rencontres possibles, qu’elles soient réelles, lues ou imaginées?
Quelques remarques s’imposent sur ces trois événements cannibales qui se
présentent à nous dans une collusion bien difficile à démêler.
Le mot choisi par Montaigne pour qualifier l’échange d’hommes et
d’espaces entre le Nouveau Monde et l’Europe est celui de “corruption”, une
contamination irréversible qui conduira les trois Indiens rencontrés à leur
ruine. Ils se sont laissé “piper au désir de la nouvelleté” nous dit Montaigne.
On retrouve ici la même logique qui sera développée au XVIIIe siècle par
Rousseau, à savoir l’influence néfaste du processus de civilisation. On montra
aux Cannibales les usages occidentaux, ce que Montaigne nomme “nostre
façon”, la pompe de la cour – sur ce point l’entrée royale à Bordeaux serait de
loin un meilleur exemple que la rencontre certainement plus privée à Rouen –
et la forme d’une belle ville. On demanda ensuite aux Cannibales ce qu’ils
trouvaient de plus remarquable en Europe.
Dix-sept ans plus tard, Montaigne essaie de se remémorer cette rencontre
qui l’a apparemment marqué mais dont il ne semble pas se souvenir parfaite-
Le simulacre du Nouveau Monde 113

ment. Il se rappelle par exemple avoir entendu trois jugements portés sur sa
propre société de la part des capitaines brésiliens mais est incapable de
retrouver le troisième. Il faudrait s’interroger plus longuement sur les implica-
tions de cette mémoire fautive qui atteste en même temps la véracité de
l’expérience rapportée. La mémoire de Montaigne flanche mais il nous
communique l’essentiel: d’abord le fait que des hommes grands, forts et
barbus (les gardes suisses) se soumettent et obéissent à un enfant. Les Canni-
bales s’étonnent aussi des grandes différences sociales qui règnent en France,
avec d’un côté “des hommes pleins et gorgez de toutes sortes de commoditez”,
et, de l’autre, des “mendians à leurs portes, décharnez de faim et de pauvreté”.
En fait ils ne comprennent pas le système politique sur lequel reposent les
différences acceptées par cette seconde moitié de la population qui ne se
soulève pas et ne prend pas “les autres à la gorge, ou missent le feu à leurs
maisons”. Cette dernière remarque est lumineuse et possède de nombreuses
implications aussi bien au niveau théorique que pratique dans le domaine de
la politique en cette fin du XVIe siècle. Sans pour autant pousser trop loin
l’analyse sociale des observations des chefs cannibales, et malgré l’avis de
Montaigne sur la piètre performance du “truchement” à sa disposition, il faut
avouer que ce dernier a su rendre compte d’un problème de société qui n’est
pas si simple à comprendre (dans une autre langue) et encore moins à traduire
(en si peu de mots).
La constatation sociale des Cannibales renvoie à une question qui n’est
pas seulement d’actualité mais permet également de s’interroger sur les fonde-
ments politiques de la société libérale telle qu’elle commence à être visible
durant la seconde moitié du XVIe siècle. Ce rapport de dépendance entre
“mendians” et riches n’est pas uniquement fondé sur la force et la peur de la
répression mais aussi sur ce que La Boétie appelle la servitude volontaire.
Cette acception nouvelle de l’idée de servitude fait l’objet d’un questionne-
ment proposé par Montaigne dans “Des cannibales”, un commentaire déjà
effectué par les Cannibales en présence de Montaigne. L’association avec la
pensée de La Boétie dans une parenthèse introduite par l’auteur des Essais est
symptomatique d’une réflexion politique qui va bien au-delà de Montaigne
lui-même à l’époque des guerres de religion.
Montaigne remarque en effet que les Cannibales “ont une façon de leur
langage telle, qu’ils nomment les hommes moitié les uns les autres”. Contrai-
rement à ce que nous dit Montaigne de son amitié avec La Boétie (parce que
c’était lui, parce que c’était moi), les Indiens, dans une atténuation du rapport
personnel, assignent cette observation au corps social. Les nécessiteux comme
les privilégiés forment la moitié les uns des autres dans une interdépendance
mutuelle et nécessaire. La nécessité de ne pas se couper de l’autre moitié
représente à notre avis la leçon politique la plus importante perçue par
Montaigne dans cet échange réel ou imaginé avec les Indiens du Nouveau
Monde.
Il faut situer ces déclarations sur l’organisation sociale du vieux monde
dans son contexte politique et religieux immédiat. L’édit royal du 17 janvier
1562 donne aux protestants le droit de s’assembler pour pratiquer leur culte
114 Philippe Desan

hors des enceintes urbaines. En réponse à cette concession, le Parlement de


Paris décide, le 6 juin, que ses membres devront faire profession publique de
leur foi catholique. En Guyenne les troubles s’intensifient. Les déclarations
sont de part et d’autre plus polarisées. En juillet, Monluc défait les troupes
protestantes à Targon. À Bordeaux, la réaction catholique s’organise au Parle-
ment tandis que les jurats promettent également fidélité au roi et à la “religion
ancienne”. C’est dans un tel climat de démarcation et de réaffirmation par
rapport au dogme catholique que Montaigne, qui est toujours à Paris à ce
moment – son séjour dans la capitale se prolonge jusqu’en février 1563 –, fera
profession de foi catholique, le 12 juin, “ès mains” du Premier Président du
Parlement Paris16.
Cette preuve d’allégeance spontanée de Montaigne envers la foi catho-
lique doit être comprise dans le contexte politique et religieux du début des
années 1560. Elle est d’autant plus remarquable que Montaigne n’était abso-
lument pas obligé de se présenter au Parlement de Paris. Le greffier du
Parlement, Du Tillet, rapporte cette démarche de Montaigne en des termes
qui laissent transparaître son propre étonnement: “Ledict jour, Maistre Michel
de Montaigne, conseiller au Parlement de Bourdeaux, a faict la révérence à la
Court et l’a suppliée, pour avoir voix délibérative à l’audience d’icelle, estre
receu à faire profession de foy, suyvant ce qu’il avoit este adverrty avoir este
ordonné par arrest d’icelle Court du sixième de ce moys, ce qu’il a faict...”.
C’est là une “supplication” qu’il est difficile de comprendre puisque cette
profession de foi catholique n’était nullement attendue des membres du Parle-
ment de Bordeaux. Montaigne a fait sciemment le choix du pouvoir royal et se
démarque ainsi de la grande majorité de ses collègues bordelais. Mais qu’a-t-il
à gagner avec cette démonstration gratuite?
Montaigne n’était nullement soumis aux injonctions du Parlement de
Paris, bien qu’il en dépende administrativement, comme tout autre parlemen-
taire du royaume. S’il décide de faire profession publique de sa foi catholique
en 1562 c’est soit par conviction politique soit par choix de carrière, c’est-à-
dire pour faire avancer celle-ci. Pierre Villey voyait dans cette profession de foi
spontanée un acte de fanatisme qui n’avait pour mobile que le désir de
s’assurer les faveurs de la Cour17. C’est peut-être aller trop loin, mais il est vrai
que l’intransigeance religieuse des catholiques est bien plus forte en 1562
qu’elle ne le sera deux ou trois ans plus tard. Le temps n’est pas au compromis
et la position politique de Montaigne doit se comprendre de cette façon. Cette
démonstration d’appartenance à la religion catholique représente un choix
politique clair, et c’est à ce point que Rouen (et la rencontre des Cannibales)
prend toute sa signification symbolique.

––––––––––
16 Émile Dupré-Lasale, “Montaigne au Parlement de Paris en 1562”, Bulletin de la
Société des Amis de Montaigne, n° 10, 1941, p. 3; id., Bulletin du Bibliophile, 1887, p. 23-25.
André Lelarge, “[Autour du serment de Montaigne devant le Parlement de Paris en
1562]”, Bulletin de la Société des Amis de Montaigne, n° 11, 1941, p. 40-42.
17 Pierre Villey, “Montaigne au Parlement de Paris en 1562”, Bulletin de la Société des

Amis de Montaigne, n° 10, avril 1941, p. 4.


Le simulacre du Nouveau Monde 115

Le voyage à Rouen (réel ou imaginaire) lors du siège de la ville en 1562


exprime un acte politique notable et un engagement clair aux côtés du parti
catholique (en 1562, mais raconté en 1580), cela à une époque où il n’est pas
encore de bon ton de proposer des compromis aux protestants. Si Montaigne
préfère avoir vu les Cannibales à Rouen, c’est peut-être parce que sa présence
auprès de Charles IX à cette occasion est un signe fort de son choix religieux
au tout début des conflits entre catholiques et protestants. Les guerres de
religion n’avaient pas officiellement commencé lors du séjour supposé de
Montaigne à Rouen en 1562 et l’attitude politique de Montaigne est en fait
identique à celle qui est exprimée dans le Mémoire sur la pacification des troubles
rédigé par La Boétie à cette même date. De façon rétrospective, parler des
années 1560 en 1580 est assez délicat. Après 1580, Montaigne pouvait consi-
dérer cet engagement de la première heure comme un avantage pour une
carrière politique qui s’ouvrait devant lui18.
Montaigne sera de retour à Bordeaux en novembre 1562. L’entrée royale
de Charles IX à Bordeaux possède une connotation politique différente.
Comme nous l’avons vu, un grand nombre de parlementaires bordelais
s’opposaient alors à l’autorité royale et furent pour cette raison réprimandés
par le chancelier de France, Michel de l’Hôpital. Si l’on veut rapporter une
rencontre avec les Indiens du Nouveau Monde autant le faire dans un
environnement politique plus serein. La situation avait évolué pour le pire en
France et dans la région de Bordeaux entre 1562 et 1565 et Montaigne était,
qu’il le veuille ou non, associé à l’insoumission des parlementaires bordelais.
On sait que Montaigne efface dans ses Essais toute trace de sa première
carrière de conseiller au Parlement. Suivre le roi à Rouen le place dans un
autre ordre auquel il est fier d’appartenir après 1580: non plus robin, mais
noble.
L’année 1562 marque un engagement politique important pour Montai-
gne qui pense encore que le parti catholique pourra venir à bout des deman-
des toujours plus pressantes des réformés. En septembre 1561, le colloque de
Poissy avait eu pour but de réformer la profession ecclésiastique, de satisfaire
les exigences des protestants qui réclamaient un concile, mais aussi de rassurer
le pape qui s’y opposait. Des délibérations de ce colloque sortit l’édit de janvier
1562 dont les principaux articles stipulaient que les protestants rendraient aux
prêtres catholiques les églises, maisons et terres dont ils s’étaient emparés et
qu’ils ne renverseraient à l’avenir ni les croix, ni les statues des saints, ne
détruiraient plus les images sacrées et ne feraient rien qui puisse troubler la
tranquillité publique sous peine de mort.
Les protestants n’étaient pas autorisés à se rassembler dans l’enceinte des
villes et leurs prêches devaient se tenir hors des murs. Il leur était également
interdit de nommer des magistrats ou de lever des troupes. Catherine de

––––––––––
18 Nous avons développé cet argument dans “L’appel de Rome ou comment

Montaigne ne devint jamais ambassadeur”, in Chemins de l’exil, havres de paix. Migrations


d’hommes et d’idées au XVIe siècle, dir. Jean Balsamo et Chiara Lastraioli, Paris: H.
Champion, 2009, p. 229-259.
116 Philippe Desan

Médicis envoya Blaise de Montluc en Guyenne pour faire appliquer cet édit.
Peine perdue. Le massacre de Vassy en mars 1562 rendit cet édit caduc et la
première guerre de religion éclata. La Guyenne et le Périgord n’échappèrent
pas à la guerre. Burie était alors lieutenant du roi de Navarre en Guyenne.
Christophe de Roffignac, Président du Parlement de Bordeaux, et Antoine de
Noailles, gouverneur du château du Hâ, demandèrent au roi de remplacer
Burie par Montluc, François de Pérusse, comte d’Escars, ou Sansac. Contrai-
rement à l’avis du Parlement, le roi décida de maintenir Burie en poste.
Comme on l’imagine, la préparation des cérémonies officielles à l’occasion de
l’entrée royale de Charles IX à Bordeaux en 1565 fut compliquée par les
enjeux politiques locaux. C’est également dans cet état d’esprit qu’il faut
interpréter l’intervention du Conseiller Montaigne devant le Parlement de
Bordeaux à cette même date. En 1580, lors de la publication des Essais, la
situation religieuse et politique était bien différente et Montaigne affichait
désormais de nouvelles priorités. Les temps n’étaient plus au devoir de mémoire
mais bien au devoir d’oubli.
Pourquoi Montaigne choisit-il de situer sa rencontre des Cannibales à
Rouen plutôt qu’à Bordeaux? Erreur due à une mauvaise mémoire? Décision
politique a posteriori? Peut-être tout simplement parce que dans son esprit la
ville normande est le point d’entrée des Indiens en France. Cette cité est
certainement plus proche du Nouveau Monde que ne l’est Bordeaux. Rouen
représente aussi un lieu bien loin des tumultes bordelais en 1580, un espace
moins chargé politiquement qui permet de conserver la naïveté tant nécessaire
à Montaigne. Rouen est certainement plus utile ou appropriée que ne l’est
Bordeaux quand Montaigne relate son entrevue avec les Cannibales – c’est-à-
dire après la Saint-Barthélemy. Rouen est aussi une ville qui par son architec-
ture et son urbanisme fait figure de ville moderne et qui offre ainsi un
contraste encore plus grand avec les sociétés qu’il “naïvement depinct au
naturel”.

***

Deux possibilités s’offraient aux matelots lors de l’extravagante mise en


scène cannibale de 1550: faire partie des Tabagaras ou des Tupinambas. Leur
guerre était une guerre civile, l’affrontement violent de croyances incom-
préhensibles entraînant des actes barbares. Les agressés (Tupinambas) étaient
finalement sortis vainqueurs de ce conflit qui avait soudainement éclaté devant
le roi et sa cour. Il est à notre avis permis de comparer ce conflit cannibale aux
guerres de religion – et Montaigne ne manquera pas d’établir un tel lien. Dans
un effort d’apaisement entre les religions, l’édit de janvier 1562 voulu par
Michel de L’Hôpital répondait à un réalisme politique qui répondait de façon
pragmatique à la situation sur le terrain. Les catholiques ultras ne pouvaient
accepter ce qu’ils considéraient comme le premier pas vers l’établissement de
la religion réformée en France. Le Mémoire fait figure de réponse au compro-
mis proposé par le chancelier de France. C’est également la position politique
de Montaigne à cette époque. Le massacre de Vassy (1er mars 1562), génocide
Le simulacre du Nouveau Monde 117

invoqué par des ultras pour démontrer la caducité de l’édit, marqua un


tournant politique décisif. Les réformés prirent les armes. Villes aux mains des
réformés, Rouen et Dreux s’imposèrent alors comme des symboles. Le parti
catholique reprit la situation en main après les sièges de Rouen (26 octobre
1562) et Dreux (19 décembre 1562). Ces villes occupent une place importante
dans les Essais, non seulement avec la rencontre des Cannibales à Rouen mais
aussi avec la présence d’un court chapitre – sous étudié – dédié à “De la
bataille de Dreux” (I, 45).
On voit que les dates de ces rencontres possibles (imaginaires ou réelles)
avec les Cannibales sont intrinsèquement liées à la carrière politique et l’enga-
gement religieux de Montaigne entre 1560 et 1565. L’ultra catholique qu’il
semble bien avoir été au début des années 1560 deviendra beaucoup plus
conciliant à la fin des années 1570. Son souvenir des défilés cannibales oppose
deux villes qui sont politiquement et religieusement aux antipodes: Rouen la
protestante et Bordeaux fidèle au roi mais avec un Parlement rebelle. La leçon
des Cannibales doit être comprise dans ce complexe rapport spatial (Rouen et
Bordeaux) et temporel (1550, 1562, 1565, 1575-1580). Montaigne ne s’était
pas laissé “piper” aux désirs de la “nouvelleté” à une époque où beaucoup de
ses voisins avaient fait le choix de la religion réformée. Si les Cannibales
étaient tombés dans les pièges dorés du Nouveau Monde, Montaigne avait
quant à lui résolument opté pour la tradition, et cela dès le début des années
1560. Il valait mieux être gentilhomme parmi les Cannibales que simple
Conseiller devant les gentilshommes de la Cour et du Parlement. Sa rencontre
avec des Cannibales se devait d’être privée et hors cérémonie, que cela soit à
Rouen ou à Bordeaux.
Il est probable que Montaigne ait projeté ses connaissances du Nouveau
Monde sur sa rencontre des Cannibales, une rencontre rapportée presque
vingt années plus tard. Ces deux expériences du Nouveau Monde – témoi-
gnage direct insignifiant et connaissance livresque approfondie – se complè-
tent, un peu comme dans la fête brésilienne de 1550 où il était bien difficile de
distinguer les véritables Indiens et les marins déguisés en Indiens. Le simulacre
était si parfait que la distinction entre le sauvage et l’Occidental s’effaçait
presque totalement. En 1580 Montaigne jouera à son tour le Cannibale, c’est-
à-dire quelqu’un qui les a si bien pratiqués – par les textes et par les histoires
qui lui ont été racontées – qu’il est désormais à même de les comprendre et de
converser avec eux. Il parle leur langue pourrait-on dire. Il a lui aussi bourlin-
gué en imagination et en fantaisie de l’autre côté de l’Atlantique.
Si l’on considère le fait que sa communication avec les Cannibales fut
certainement des plus formelles – mais néanmoins suffisamment longue nous
précise Montaigne –, force est de constater qu’elle ne put pas lui apporter
grand-chose de plus qu’il ne connût déjà par ses lectures ou les histoires trans-
mises par son employé de maison. La qualité des informations procurées par
cet ancien matelot qui vécut “en cet autre monde” fut très certainement supé-
rieure à celle de la brève rencontre des Cannibales par l’intermédiaire d’un
interprète qui manquait d’imagination, comme le précise Montaigne. Mais ce
n’est pas là véritablement l’essentiel comme nous avons essayé de le démon-
118 Philippe Desan

trer. L’entretien avec des Cannibales appartient à une logique politique dont
Montaigne pouvait ne pas être conscient. La mémoire est presque toujours
sélective et dépend en partie de l’idéologie d’une époque.
Au fond, un marin imite si bien un Cannibale, ses gestes et sa langue, que
c’est pratiquement la même chose. Il en va de même pour Montaigne en
1580; mais pas en 1562, pas avant la mort de La Boétie – cette réalisation que
nous sommes la moitié les uns aux autres, comme l’exprime Montaigne en
1580 lorsqu’il relate son échange avec les Cannibales en 1562 ou en 1565. Il
suffit de faire les gestes nécessaires, de se mettre à nu et de se couvrir de
peinture pour passer pour un Cannibale. Si ce simulacre nécessaire à la
compréhension du Nouveau Monde et à son organisation sociale était assez
délicat en 1562, il est par contre pleinement réalisable en 1580.
Le contact est pour Montaigne irréversible. Les indigènes ne connaissent
pas encore le prix qu’ils paieront pour s’être rendus sur le vieux continent.
Montaigne aime lui aussi se mettre à nu, il se peint également d’une façon
bien particulière, en grotesque; quant à ses gestes, ils sont non prémédités et
suivent la même logique du corps sauvage associé au Cannibale19. Comme
pour la bataille mise en scène entre deux tribus cannibales à Rouen en 1550,
les guerres de religion défient également toute explication rationnelle géné-
ralement associée aux conflits occidentaux.
Les Essais pourraient-ils être conçus comme l’expression particulière
d’une sciomachie? La sciomachie signifie littéralement un combat avec son
ombre. Ce mot, tiré du grec, représente une sorte d’exercice, ou d’essai
pourrions-nous dire. Dans l’Antiquité un tel combat avec soi-même servait
d’entraînement pour une lutte à venir. C’est dans ce sens que les Essais font
également partie d’un “simulachre de la vérité” où se confondent le gentil-
homme et le Cannibale, ou plutôt l’un qui prend, pour un temps, la place de
l’autre: non pas un Cannibale en haut de chausses, mais plutôt un gentil-
homme en Cannibale, c’est-à-dire nu, et avec un langage bien particulier.
University of Chicago

––––––––––
19 Nous avons développé cette notion de l’échange des corps à partir des organi-

sations économiques du Nouveau Monde et du Vieux Monde (économie de marché


pour les Conquistadores et économie fondée sur le don pour les Cannibales) dans notre
livre, Montaigne, les Cannibales et les Conquistadores, Paris, A.-G. Nizet, 1994.

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