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La peur de l’Autre

Surmonter l’anxiété sociale


Groupe Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05

www.editions-eyrolles.com

Avec la collaboration d’Anaïs Petit

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou


partiellement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de
l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-
Augustins, 75006 Paris.

© Groupe Eyrolles, 2011


ISBN : 978-2-212-54833-4
Laurie Hawkes

La peur de l’Autre
Surmonter l’anxiété sociale
Également dans la collection « Comprendre et agir » :
Juliette Allais, Décrypter ses rêves
Juliette Allais, La psychogénéalogie
Juliette Allais, Au coeur des secrets de famille
Dr Martin M. Antony, Dr Richard P. Swinson, Timide ?
Ne laissez plus la peur des autres vous gâcher la vie
Valérie Bergère, Moi ? Susceptible ? Jamais !
Jean-Charles Bouchoux, Les pervers narcissiques
Sophie Cadalen, Inventer son couple
Christophe Carré, La manipulation au quotidien
Marie-Joseph Chalvin, L’estime de soi
Cécile Chavel, Les secrets de la joie
Michèle Declerck, Le malade malgré lui
Ann Demarais, Valerie White, C’est la première impression qui
compte
Sandrine Dury, Filles de nos mères, mères de nos filles...
Jacques Hillion, Ifan Elix, Passer à l’action
Lorne Ladner, Le bonheur passe par les autres
Lubomir Lamy, L’amour ne doit rien au hasard
Lubomir Lamy, Pourquoi les hommes ne comprennent rien aux
femmes...
Virginie Megglé, Couper le cordon
Virginie Megglé, Face à l’anorexie
Virginie Megglé, Entre mère et fils
Bénédicte Nadaud, Karine Zagaroli, Surmonter ses complexes
Ron et Pat Potter-Efron, Que dit votre colère ?
Patrick Ange Raoult, Guérir de ses blessures adolescentes
Daniel Ravon, Apprivoiser ses émotions
Alain Samson, La chance tu provoqueras
Alain Samson, Développer sa résilience
Saverio Tomasella, Le sentiment d’abandon

Dans la série « Les chemins de l’inconscient », dirigée par


Saverio Tomasella :

Christine Hardy, Laurence Schifrine, Saverio Tomasella, Habiter


son corps
Martine Mingant, Vivre pleinement l’instant
Gilles Pho, Saverio Tomasella, Vivre en relation
Catherine Podguszer, Saverio Tomasella, Personne n’est parfait !
Saverio Tomasella, Oser s’aimer
Table des matières
Préambule 1

PARTIE I
Peur de qui ? Peur de quoi ?

Chapitre 1 – Êtes-vous concerné ? 7

Chapitre 2 – Portraits d’anxieux 17


Petits et grands anxieux 17
Anxieux « émotifs » : des sentiments exacerbés 23
Anxieux « froids » : des émotions verrouillées 24
Aller vers l’Autre, un combat... à armes inégales 25

Chapitre 3 – Peur du jugement, de l’agression ou de


l’intimité 29
Craindre le regard de l’Autre 30
Fuir un danger potentiel 35
Barricader son espace intime 37

Chapitre 4 – Les dommages collatéraux : dans le


sillage de la peur, des dégâts quotidiens 41
Le cercle vicieux de la dépendance 42
Peur de l’échec vs désir de progression 53
La procrastination, ou l’art de prendre du retard 55
Quand le cœur n’y est plus 56
Le fardeau de la dépression 57
61
Chapitre 5 – Petite théorie de l’anxiété sociale
Les états du moi 62
Le sentiment parasite de peur 64
Le poids des méconnaissances 66
Le réflexe du schéma relationnel 69
S’enfermer dans les peurs de notre scénario de vie 70

PARTIE II
L’anxiété, d’où vient-elle ?

Chapitre 6 – Le tempérament : nous n’avons pas tous


la même nature 77
L’anxiété chez l’enfant 80
Et plus tard ? L’anxiété chez l’adulte 84
Les hypothèses biologiques 94

Chapitre 7 – Les expériences vécues : nous n’avons


pas tous la même histoire 97
Au commencement de la vie 97
Se construire : l’enfance et l’adolescence 111
Expériences destructrices à l’âge adulte 132

Chapitre 8 – Aggraver son cas : les habitudes qui


entretiennent l’anxiété 141
Se projeter un scénario catastrophe 142
Les « chevaux du cœur » qui s’emballent – ou se
cachent 143
Placer la barre (beaucoup) trop haut ! 146
Être son plus impitoyable juge 147
Subir la pression d’une société narcissique 148

Chapitre 9 – Résumons-nous... 151


Les interactions entre le tempérament et les 151
événements de vie
La construction d’un scénario de vie 154

PARTIE III
Quelles solutions ?

Chapitre 10 – Tenir compte de son tempérament 167


S’accepter, avec ses fragilités 168
Se soigner en se fixant des objectifs 170
L’apport de la psychothérapie 175

Chapitre 11 – Changer l’impact des expériences


passées 179
Prendre conscience de sa peur, mettre fin au déni 180
Se soigner en repensant le sens de son histoire 182
L’apport de la psychothérapie 183

Chapitre 12 – Changer au présent 187


Prendre de bonnes habitudes : changer d’attitude 188
Pour aller plus loin 194
L’apport de la psychothérapie 204

Chapitre 13 – Les solutions de l’analyse


transactionnelle 207
Les états du moi contre l’anxiété 207
L’exemple de Rachel 216

Chapitre 14 – 6 conseils pour aider votre enfant


anxieux 219
1 – Rester à son écoute 220
2 – Garder un bon « fit » 222
3 – Se libérer de l’histoire familiale 223
4 – Asseoir la figure paternelle 225
5 – Accepter que votre enfant souffre 226
6 – Encourager ses talents 227

Et pour conclure 229


Annexes 233
Bibliographie 249
Préambule
La peur... un ressenti fort désagréable que la plupart d’entre nous
détestons et aimerions pouvoir éviter. Certes, ceux qui n’en sont pas
habituellement la proie, la recherchent parfois – en allant voir des
films d’horreur, par exemple, ou en sautant en parachute. Pour eux,
la montée d’adrénaline, le cœur qui s’accélère, l’excitation qui se
mêle à la terreur sont des plaisirs.

Mais beaucoup d’entre nous avons peur bien plus souvent que nous
ne le voudrions. Et plus fort, aussi. Comment nous débarrasser des
angoisses qui nous paralysent, nous empêchent d’oser, de nous
lancer ?... Nous aimerions quitter notre personnage de « timide »
pour devenir un de ces baroudeurs sans peur, bravant avec une
facilité déconcertante des obstacles pour nous infranchissables :
gravir l’Everest ou prendre la parole en public, dire un désaccord ou
courtiser quelqu’un...
Ce livre ne traite pas de toutes les peurs (de gravir l’Everest, d’être
malade, d’avoir le vertige, des araignées, de l’avion...), mais d’une
peur paradoxale : la peur des autres. Paradoxale, car dans l’enfance
c’est en principe la solitude qui effraie, et la présence des autres qui
rassure. En cas de difficulté, l’enfant court chercher du réconfort
auprès de ses parents. Pour certains d’entre nous, cependant,
l’Autre représente un danger – est en tout cas perçu comme tel. Il
devient alors difficile de communiquer de façon naturelle, spontanée
et joyeuse.

Cet ouvrage vise à aider les personnes dans cette situation, à


comprendre d’abord de quoi est fait leur mal-être pour ensuite
explorer des pistes de libération.
PARTIE I

Peur de qui ?
Peur de quoi ?
Certaines personnes n’ont absolument pas peur des autres.
Lorsqu’elles rencontrent des inconnus, par exemple en arrivant à
une fête, elles se mêlent au groupe avec aisance. Elles se sentent
parmi leurs semblables comme des poissons dans l’eau. Non
seulement elles vont vers autrui avec un véritable plaisir, mais en
cas de problème, c’est également l’Autre qui leur semble la
ressource la plus évidente : se confier, chercher conseil, demander
son chemin, quoi de plus naturel ? Elles sont ouvertes et
spontanées, n’éprouvent pas de difficultés à se sociabiliser.

Malheureusement, tout le monde n’est pas ainsi (vous êtes bien


placé pour le savoir). Qui plus est, cette forme de sociabilité ne
constitue pas obligatoirement la norme. Les codes culturels des
interactions humaines varient en effet selon les cultures. En
Occident, certes, le caractère extraverti est généralement mieux
considéré, mais ce n’est pas le cas partout dans le monde.

À propos de « normalité », nous distinguerons différentes formes


d’évitement d’autrui. Certaines sont, en effet, « anormales », dans le
sens où elles ne font pas partie de notre chemin de développement
inné, où elles nous en écartent. Dans d’autres cas, notre peur des
autres est au contraire le résultat de notre fonctionnement naturel. Il
s’agit alors d’une tendance liée au tempérament inné, spécifique à
chacun. Cette tendance doit être comprise et respectée, mais
chaque individu peut malgré tout développer des réflexes
comportementaux qui, en apprivoisant son tempérament, l’aideront à
trouver et à assumer sa place dans un groupe social.

Une pléiade de termes décrit les problématiques nous éloignant des


autres : timidité, phobie sociale, hypersensibilité, introversion,
inhibition, personnalité évitante, schizoïde... Et enfin, comme le
mentionne le titre de cet ouvrage : « l’anxiété sociale », terme que
nous avons préféré à « phobie » car nous nous intéresserons à un
large éventail de phénomènes et non uniquement à une phobie qui
paralyse et empêche d’affronter certaines situations.

Nombre d’auteurs le soulignent, se sentir intimidé arrive à tout le


monde. Selon une recherche américaine récente1, 40 à 50 % des
étudiants s’estimeraient timides. Le problème est ainsi banal, mais
également changeant dans son expression. Depuis la personne qui
aimerait simplement être plus à l’aise pour courtiser quelqu’un
jusqu’à la réclusion presque totale, les observateurs ont identifié des
manifestations et des degrés variables d’anxiété sociale.

Mais pour être assez répandu et plutôt commun, le problème n’en


est pas moins potentiellement grave : sans le plaisir des relations, on
risque de perdre goût à la vie et de déprimer sérieusement. Aussi
avez-vous bien raison de décider d’y faire quelque chose !

1. Carducci, B.J. et Zimbardo, P. G., (1997) « Are you shy ? « in M.H. Davis (sous la
direction de), Annual editions : Social psychology (p. 35-41), Dushkin/Brown&
Benchmark, 1997/98.
Chapitre 1
Êtes-vous concerné ?

Nous parlons ici de la peur de l’Autre. Celle qui nous pousse à fuir
les contacts humains au lieu de les rechercher, parce que nous nous
en sentons incapables. Les mains moites, le cœur battant, la peur
au ventre : la panique nous envahit, impossible à maîtriser, nous
privant de tout esprit de réjouissance ou capacité à communiquer
(une idée, une émotion...). Parfois, la peur s’insinue et se déploie en
un état anxieux moins massif mais persistant, une peur désagréable
qui gâche le plaisir de la rencontre, la transforme en épreuve. Le
trac, manifestation tellement courante que de nombreux comédiens
la jugent normale, peut prendre des proportions suffisamment fortes
pour dissuader de toute prestation publique.
Pourquoi l’Autre, au lieu de représenter la sécurité, devient-il
synonyme de risque ? Nous craignons qu’il nous critique, nous
regarde de haut, nous envahisse, nous agresse, nous trouve
ridicules – par dessus tout, nous redoutons d’être ridicules,
maladroits, ineptes... Au fond, c’est bien souvent l’idée de perdre la
face qui nous paralyse ainsi.
Dans le meilleur des cas, nous choisissons la solitude et nous nous
y trouvons assez bien. Mais la plupart du temps, cet isolement est
subi, nous préfèrerions parvenir à nous mêler aux groupes comme,
nous semble-t-il, « tout le monde » le fait (bien plus de gens qu’il n’y
paraît sont en réalité confrontés à ces difficultés).

Noémie, ou s’occuper des autres pour éviter de vivre


Noémie est une jeune femme intelligente, qui a réussi de brillantes études. Mais à
vingt-cinq ans, elle vit encore chez ses parents et peine à trouver un emploi à son
niveau. Son diplôme lui donne accès à des postes à responsabilités, mais Noémie a
horreur de s’affirmer et se sent incapable de diriger même une seule personne. Elle
n’est pas pour autant quelqu’un de faible : dans la famille, on la considère comme un
pilier, elle fait marcher la maison depuis l’âge de douze ans (responsable des courses
et des repas, elle écoute et conseille sa mère et sa sœur, prend les rendez-vous
médicaux des uns et des autres). Mais le monde extérieur lui paraît a priori
problématique. Elle ne craint pas une attaque ou une quelconque violence physique ;
elle, si pleine de tact, redoute bien davantage de commettre un impair et de blesser
quelqu’un. Ses propres compétences sociales lui semblent à ce point dérisoires qu’elle
préfère souvent éviter les sorties plutôt que de risquer un faux pas. Cela donne un petit
côté Cendrillon à sa vie : au lieu de sortir s’amuser avec ses amies, Noémie passe ses
samedis soir à briquer le logis familial.

La « privation de jouissance » est une des conséquences typiques


de l’anxiété sociale. Contrairement à d’autres problèmes
psychologiques, l’anxieux ne nuit pas à autrui, c’est essentiellement
lui qui subit les effets néfastes de ses peurs et en souffre, plus ou
moins fortement.
On parle parfois de timidité, pour décrire cet état où l’on tend à se
cacher des autres. Le Grand dictionnaire Hachette définit la timidité
en ces termes : « manque d’assurance, de hardiesse ». Noémie
pourrait être qualifiée de « timide », mais elle ne l’est pas
systématiquement (au service des autres elle est capable de
fortement s’affirmer), et sa peur de blesser autrui va bien au-delà de
la seule timidité.

AUTO-ÉVALUATION

Vous avez le sentiment que vos rapports avec les autres sont difficiles et
stressants ? Vous vous demandez si vous souffrez d’anxiété sociale ? Prenez
le temps de répondre aux questions qui suivent, basées sur l’exemple d’une
relation amoureuse, pour déterminer quel est le degré de votre peur des
autres.
1. Vous êtes invité à une fête chez des amis, que vous n’avez pas vus
depuis longtemps. Les échanges de courriels vous montrent au fil des
jours que vous n’allez connaître personne à part vos hôtes, car tous vos
amis communs ont un empêchement. Avez-vous plutôt :

a. Envie et peur ; vous irez quand même, l’estomac noué


probablement □
b. Envie mais trop peur ; vous allez trouver une excuse et vous
abstenir. □
c. Envie, et pas peur : ce sera sympathique de connaître de
nouvelles personnes. □
d. Plus du tout envie d’y aller. □

2. Vous arrivez en retard au dîner, tous les convives sont installés à table,
la maîtresse de maison vous accueille avec de grandes exclamations et
vous accompagne à votre place. Tout le monde vous regarde vous
installer. Vousêtes :

a. Gêné, vous murmurez quelques mots d’excuse et n’ouvrez plus


la bouche pendant tout le reste du repas. □
b. Mortifié, vous voudriez que la terre s’ouvre sous vos pieds. □
c. Content qu’on vous accueille comme un hôte de marque et vous
faites une blague sur les retardataires qui se font remarquer et
monopolisent l’attention. □
d. Gêné, mais vous souriez gracieusement, et après un petit temps
vous prenez part aux conversations. □

3. Au cours de la soirée, vous remarquez quelqu’un qui vous plaît, vous


avez envie de lui parler. Ah, justement, il/elle vient vers vous. Votre
réaction :
a. Ravi, l’émotion vous brouille un peu l’esprit mais vous arrivez à □
discuter à peu près normalement.
b. Enchanté, vous saisissez l’occasion et faites connaissance. □
c. Affolé, vous faites mine d’avoir une urgence et vous vous
esquivez. □
d. Content, l’émotion vous rend cependant incapable d’articuler
une parole. □

4. En fin de soirée il/elle vous propose de vous raccompagner. Pour vous


c’est :

a. Le dilemme ! vous aimeriez accepter, mais vous redoutez d’être


ridicule une fois seul(e) avec lui/elle ! Vous préférez décliner,
prétextant que vous n’êtes pas vraiment sur sa route. □
b. La catastrophe ! L’idée d’un tête-à-tête durant tout le trajet vous
tétanise ; vous préférez – mille fois – rentrer seul(e) ! □
c. L’aubaine ! Il/elle a l’air de vous apprécier, ce sera l’occasion
d’avoir une discussion un peu plus personnelle. □
d. L’épreuve ! Vous acceptez en vous mordant la langue, et vous
avez une conversation cordiale mais plutôt décousue tout le long
du trajet ! □

5. Vous avez un premier rendez-vous avec cette personne qui vous plaît
décidément beaucoup. Votre cœur bat fort, ce moment pourrait être
important. À l’heure du rendez-vous :

a. Non, vraiment, c’est trop dur, vous faites demi-tour en vous


persuadant que cette personne n’était pas faite pour vous, que ça
n’aurait jamais fonctionné entre vous. □
b. Vous avez tellement peur que vous êtes au bord du malaise, mais □
tant pis, c’est trop important, vous y allez ; vous vous montrez un
peu maladroit(e), vous renversez quelque chose et vous êtes
moins intelligent(e) que d’habitude... mais vous êtes là !
c. Votre cœur bat la chamade, c’est normal, vous êtes ému(e). Mais
face à cette personne, votre joie se lit sur votre visage et les
choses se passent bien. □
d. Le trac vous rend malade. Vous téléphonez pour prévenir que
vous avez pris froid et que vous devez annuler pour vous mettre
au lit illico. □

6. Votre relation (amicale) est à ses débuts et il/elle vous propose de


partager une journée d’activité avec son groupe d’amis. Vous êtes :

a. Réticent : cela pourrait être une bonne journée... mais si vous


vous ridiculisiez à ses yeux et ceux de ses amis ? ! □
b. Partant ! C’est l’occasion d’une sortie en plein air et de
rencontrer de nouvelles têtes. □
c. Défiant : ils se connaissent déjà tous et vous serez seul(e) face à
leur jugement. □
d. Prudent : vous participez à la journée mais vous parlez peu et
maintenez une distance « de sécurité » avec le groupe pour éviter
tout impair. □

7. Vous avez revu plusieurs fois cette personne, vous en êtes au stade où
vous envisagez tous les deux, tacitement ou explicitement, de faire
l’amour.

a. Les choses s’enchaînent naturellement, de fil en aiguille vous


vous retrouvez dans un lit et le début est des plus prometteurs... □
b. Cela vous impressionne tellement que vous ne cessez de retarder
le moment fatidique, au point que l’autre commence à se
demander s’il/elle vous plaît vraiment. □
c. Installés confortablement chez lui/elle, vous commencez à vous □
embrasser, timidement d’abord, puis plus fougueusement... vous
perdez alors tous vos moyens, tentez de vous justifier
maladroitement et partez finalement comme un(e) voleur(-euse).
d. Vous êtes enfin ensemble et, malgré un trac fou, vous arrivez à
dépasser la paralysie et vous faites l’amour, plus ou moins bien –
c’est la première fois, après tout, il faut le temps de se connaître
pour se perfectionner ! □

8. Depuis des mois, ou des années, vous vous fréquentez, vous partagez
vos activités et vous vous présentez comme un couple à vos amis
respectifs. L’autre personne suggère un beau jour que vous pourriez à
présent emménager quelque part avec elle.

a. C’est la panique, vous vous sentez envahi(e), un étau se referme


sur votre poitrine et vous empêche presque de respirer à l’idée de
ne plus avoir votre solitude quotidienne. □
b. Cela vous impressionne beaucoup, vous dites qu’il faut bien y
réfléchir, prendre son temps. □
c. Enfin ! Vous n’attendiez que cela, mais vous n’osiez pas aborder
la question. □
d. Pourquoi pas ? Cela vous semble une étape naturelle. Vous avez
déjà des idées quant à l’endroit où vous aimeriez vivre. □

9. Vous êtes désormais dans une relation amoureuse installée. Vous


recevez la visite, très impromptue, des parents de votre moitié, de
passage près de chez vous.

a. Vous butez sur les mots, vous rougissez mais bon gré mal gré la
visite se passe bien, premier contact établi ! □
b. Vous êtes ravi(e), depuis le temps que vous espériez les
rencontrer, c’est chose faite... □
c. Vous êtes mortifié(e) : ni vous ni l’appartement n’étiez □
présentables, quelle opinion vont-ils se faire de vous ?
d. Vous perdez tous vos moyens et ils sont repartis avant que vous
ayez pu vous ressaisir pour entamer une conversation digne de ce
nom. □

10. À l’ occasion de votre nouvel emménagement, il/elle vous propose


d’organiser une crémaillère pour réunir tous vos amis. Pour vous, cette
idée est :

a. Une évidence, vous êtes fier/fière et heureux(-euse) de fêter


votre nouvelle installation. □
b. Un défi, autant de rencontres en une soirée vous stressent, mais
vous avez envie de réunir vos amis. □
c. Un cauchemar, assumer le rôle d’hôte(sse) pour autant d’invités
vous est impossible. □
d. Un rêve, mais vous redoutez trop qu’ils snobent ou détestent
votre fête. □

Pour mesurer quel est votre degré d’anxiété sociale, reportez vos réponses
dans le tableau de correspondance qui suit et comptabilisez les symboles
obtenus.
Si vous êtes un , vos réponses indiquent un gros problème d’anxiété
face aux autres. Si tous vos choix sont dans cette catégorie, il est vraiment
important de prendre des mesures pour vous faire aider. Dans certains cas,
la peur vous tétanise au point d’être incapable de la politesse de base, ce qui
aggrave vos difficultés relationnelles, car certains vous en tiennent rigueur.

Si vous êtes du type , vous ressentez souvent une peur forte des autres,
qui ne vous empêche pas cependant d’avoir des relations à peu près
normales : vous êtes angoissé mais vous assurez le minimum syndical dans
les rapports humains ; les gens vous trouvent donc souvent timide ou
maladroit mais vous le pardonnent très probablement.
Si vous êtes plutôt , vos réponses montrent une anxiété sociale qui vous
gâche le plaisir dans de nombreuses circonstances et vous complique
largement la vie. Dans une certaine mesure, vous avez malgré tout
apprivoisé vos angoisses et parvenez à dépasser vos craintes dans certaines
situations. Une fois la confiance installée, l’Autre, devenu intime, se
transforme en pôle de sécurité.

Si vous êtes dans la catégorie , vos réponses sont celles d’une


personne à l’aise en société !

a b c d
1

10

On pourrait ajouter à ces catégories une option supplémentaire de réponses


décrivant quelqu’un coupé de ses émotions (si vous ne ressentez rien, si
vous êtes comme éteint et vous agissez « comme un robot », cette option
vous concerne).

Chez certains anxieux, le spectre des émotions semble en effet avoir


disparu, étouffé en même temps que leurs peurs. Ils ne paraissent pas très
vivants aux autres, ne se sentent pas très vivants eux-mêmes. Si vous avez
envie de répondre « je ne ressens rien » à l’une des situations proposées
dans l’exercice, comptez-la comme une réponse de type « ours », qui
témoigne d’une forte anxiété empêchant les relations aux autres. Vous
souffrez probablement d’une forme d’anxiété appelée « schizoïde », soit un
détachement apparent.

On peut évaluer les difficultés rencontrées dans la vie


professionnelle à partir de situations comparables à celles de cet
exercice. Pour une personne travaillant dans un bureau, les
configurations suivantes peuvent entraîner des réactions similaires
aux exemples de réponses que vous venez de lire :

prendre la parole en réunion ;


parler de soi pendant un entretien d’embauche ;
exprimer un désaccord important ;
demander une augmentation ou une revalorisation de poste ;
faire une présentation devant des collègues ;
régler un conflit entre deux collaborateurs.

*
***

Si ces situations d’interaction personnelles ou professionnelles vous


posent problème, vous êtes concerné par la peur des autres. Dans
le chapitre suivant nous allons présenter les symptômes et préciser
l’intensité et le type de cette peur.
Chapitre 2
Portraits d’anxieux

Il est impossible de définir un portrait type de « l’anxieux social ».


L’anxiété sociale affecte si fortement certaines personnes qu’elles
quittent à peine leur maison, d’autres sortent de chez elles mais
communiquent peu, d’autres encore dissimulent si bien leurs
angoisses que personne n’en a conscience. Ces derniers se forcent
à affronter le monde et les situations redoutées, souvent au prix d’un
grand stress intérieur. Ils présentent parfois si peu de
« symptômes » que, de l’extérieur, ils paraissent se porter très bien.

Petits et grands anxieux


Pour introduire l’étendue des configurations possibles, comparons
l’état de deux jeunes personnes, qui souffrent à des degrés
différents de la peur des autres.

Deux cousines anxieuses – mais inégalement !

Manon est une jolie jeune fille de quinze ans, sa beauté classique fait l’admiration des
adultes de son entourage. La mode n’est pas sa priorité, elle n’est « branchée » ni par
les vêtements, ni par les émissions télévisées, ni par les bavardages des filles de son
âge, qu’elle trouve « niais ». Elle a un petit groupe d’amis qui comptent sur elle pour
les écouter, les conseiller et parlent d’autre chose que de « fringues » et de petits
copains. Elle est amoureuse d’un garçon d’un autre lycée, rencontré aux compétitions
d’escrime du département ; ils se retrouvent tous les week-ends pour sortir et discuter.
Un vrai modèle, direz-vous ? Pourtant, Manon souffre. Elle éprouve une difficulté à
aller vers les autres, se trouve inhibée, mal à l’aise. Elle rêve de « guérir », de devenir
« normale ». Par moments son malaise est si fort qu’elle voudrait bien manquer les
cours au lycée. Ses parents l’aident à apprivoiser ce monde qui l’impressionne et ne
lui plaît pas toujours. Lors de son anniversaire, ils l’ont encouragée et aidée à
organiser une grande fête pour recevoir une quarantaine d’amis. Ce fut un pas
important, pour elle.

Manon illustre une forme assez légère d’anxiété sociale : en


apparence, elle vit normalement, seuls ses proches savent combien
lui coûte cette façade. Nombre de gens supportent ainsi en secret
leurs tourments. Pour d’autres, il est plus difficile de les cacher.

Rachel, sa cousine âgée de vingt-deux ans, l’envie un peu. Un emploi de vendeuse à


mi-temps lui permet de financer ses études de philosophie, mais elle redoute tellement
de commettre une bévue dans son travail (se tromper en rendant la monnaie, dire une
bêtise, froisser un collègue...) qu’aller au magasin est un véritable calvaire. Elle ne
rêve que de s’intégrer aux groupes de jeunes de son âge, quitte à y perdre un peu son
âme (elle aussi les trouve un peu « niais »). Mais comment s’y prend-on ? C’est un
mystère, pour Rachel. Elle se compare parfois à Manon, qui lui semble belle et à
l’aise, comme ellemême ne l’a jamais été. En fait, Rachel se tourmente pour tout :
comment s’habiller, comment parler, comment se construire des relations, comment
supporter d’affronter le monde jour après jour ? Dans les moments les plus sombres,
Rachel rumine des idées noires. Cela vaut-il la peine de vivre, quand tout est si
angoissant ? Plus d’un matin, à l’idée de passer un oral ou présenter un exposé, ou
simplement d’aller travailler, elle a envisagé d’en finir. Quel soulagement, imagine-t-
elle, de rester sous la couette avec une bonne dose de médicaments, de s’endormir
pour ne jamais se réveiller, ne plus avoir à combattre ses démons...

Les portraits contrastés de ces deux jeunes filles montrent à quel


point le handicap peut être variable. Le poids de l’angoisse est léger
chez Manon, bien qu’elle vive mal sa timidité ; il est beaucoup plus
lourd chez Rachel, dont le mal-être la prive de bien des joies de son
âge. Pas de soirées dansantes pour elle. Certains jours, elle n’arrive
même pas à sortir pour faire ses courses ou aller travailler, ou elle
marche tête baissée, essayant de dissimuler son visage derrière ses
longs cheveux.

L’anxiété sociale est plus fréquente chez les filles et les femmes,
peut-être parce qu’on tolère mieux chez elles un manque de
hardiesse, tandis que les garçons sont supposés affronter avec
courage n’importe quelle situation. Il arrive cependant que des
hommes souffrent de difficulté forte ou d’incapacité dans leurs
relations sociales. La peur est peut-être plus difficile encore à
assumer pour eux.

Florian le solitaire

Florian, un musicien d’une trentaine d’années reconnu dans son domaine, a vécu une
seule relation amoureuse importante. Pas facile pour lui de rencontrer l’âme sœur.
Pourtant, il plait beaucoup aux filles, surtout quand il joue ; elles s’attroupent autour
de lui, après le concert, lorsqu’il prend un verre dans les clubs de jazz où se produit
son groupe. Tant qu’il y a du monde, pas de problème : Florian est certes plutôt
réservé, mais les femmes trouvent cela mystérieux, romantique. En revanche, les
choses se corsent dès le premier rendez-vous. Le jeune homme est si démuni en
matière de communication qu’il n’arrive pas à tenir une conversation naturelle.
Oubliant toute sa culture et son intelligence, il laisse invariablement le silence
s’installer lorsque son invitée se tait. Gêné, Florian se replie sur lui-même, regarde sa
compagne sans la voir, les yeux vides ; les efforts de la jeune femme pour relancer la
conversation sont vains. En général, il n’y a pas de second rendez-vous.

Florian n’extériorise aucun sentiment et, même questionné en têteà-


tête, ne peut décrire de ressenti particulier. Il est un exemple de
personnalité schizoïde : il ne manifeste pratiquement aucun affect,
reste en apparence froid et détaché, ne produit aucun signe
émotionnel à l’intention des autres. Souvent, cette personnalité
prend racine dans une enfance au minimum carencée, dans de
nombreux cas marquée par un quotidien traumatisant – la terreur
d’un parent violent, par exemple.

Vivre par son couple


Patrick est marié depuis une douzaine d’années avec son amour de jeunesse, la seule
personne en qui il ait une totale confiance. Leurs deux filles, appréciées à l’école, sont
un peu anxieuses mais intelligentes et sages. Malgré tous ses efforts pour se montrer
sociable (sa femme lui fait régulièrement la leçon, et il s’efforce de suivre ses
conseils), Patrick lutte constamment contre l’impression d’être jugé, observé d’un œil
critique, voire qu’on se moque de lui. Au travail il arrive à peu près à surmonter sa
méfiance et, malgré son malaise, il déjeune avec un groupe de collègues.
Accompagner sa femme à une soirée est en revanche pour lui une véritable torture. Il
lui semble que tous « ces gens », les inconnus surtout, le fixent d’un air narquois,
qu’ils le toisent et parlent de lui derrière son dos. Il n’a alors qu’une envie : se terrer
dans un coin et attendre l’heure de partir.

Patrick souffre d’une méfiance chronique vis-à-vis d’autrui, il a la


conviction qu’on dit du mal de lui : on parle alors de personnalité
évitante – dans le langage courant, on qualifie ces idées de
« paranos », bien qu’il ne s’agisse pas de paranoïa au sens
psychiatrique du terme.

Un sympathique inconnu

Jacques est marié depuis une quinzaine d’années, il a deux fils qu’il adore. Ses
collègues le trouvent agréable... mais avouent ne pas vraiment le connaître. C’est un
homme intelligent, pourtant il ne progresse guère dans son travail, car il ne s’affirme
pas suffisamment dans les réunions, ne montre pas tout son savoir-faire. Prendre la
parole devant tous ces gens (comme les appelle aussi Patrick) lui donne des sueurs
froides. Il a même tendance à déjeuner seul, pour éviter les conversations auxquelles il
peine à participer. Les amis qu’il fréquente en couple sont plutôt proches de sa femme.
Tous jugent Jacques sympathique, mais il ne se confie jamais à eux, ce qui empêche
une véritable intimité de se développer. Il le regrette, car il aspire à une amitié solide
et chaleureuse, une relation de confiance dans laquelle il se laisserait aller sans crainte.

Jacques est émotif, notamment lorsqu’il doit prendre la parole. Il lui


est par contre très difficile de communiquer à autrui ce qu’il ressent,
même son épouse a du mal à le « décoder ». Il ressent des choses
mais hésite à les exprimer et préfère s’isoler pour se préserver du
stress que lui provoque la présence des autres. Il correspond plutôt
à un profil d’introverti. Pour en savoir plus, référez-vous au chapitre
six, sur le tempérament.

Mister Mystère

Ivan a une trentaine d’années. Il est célibataire, cultivé, sportif, beau brun volontiers
qualifié de « ténébreux » – autant pour ses yeux noirs que pour l’aura de mystère qui
règne autour de lui. Extrêmement sensible, Ivan s’est discipliné consciemment pour
n’en rien montrer, si bien qu’aujourd’hui son entourage le juge plutôt froid et détaché.
Cette façade construite patiemment, il en est fier, bien qu’elle contribue aujourd’hui à
l’isoler car peu de gens osent l’aborder. Et lorsque son corps le trahit, qu’une situation
de rencontre intimidante le fait transpirer, il est furieux de cette brèche dans sa
cuirasse presque parfaite. Trop parfaite, car cet homme impressionnant ne trouve pas
l’âme sœur, peut-être à cause de son attitude en apparence distante.

Ivan ressent beaucoup de choses mais ne s’autorise pas à les


communiquer. Ses barrières sont conscientes et volontaires ; certes,
à cause de l’habitude, elles ne sont pas faciles à dépasser, mais des
trois exemples, il est celui qui a le moins de chemin à faire pour
parvenir à se livrer. Nous ne lui donnerons pas d’autre étiquette,
c’est un homme prisonnier de ses propres défenses.

Notons au passage à quel point l’anxiété sociale peut rendre ardue


la tâche de la rencontre amoureuse, nous faire désespérer de jamais
trouver un compagnon. Rencontrer quelqu’un et réussir à former un
couple ne résout par ailleurs en rien les difficultés liées à la peur de
l’Autre. Les célibataires trouvent parfois le cas des gens en couple
« moins grave », mais ces derniers ne sont pas unanimement de cet
avis ! La vie les confronte à d’autres défis...

Anxieux « émotifs » : des sentiments


exacerbés
Certains anxieux sont victimes de leurs émotions, débordantes. Ils
craignent d’être submergés par elles dans leurs relations
interpersonnelles. C’est pourquoi la nouveauté et l’inconnu, qui
exacerbent les émotions, les effraient. Ils préfèrent la compagnie de
quelques proches, moins susceptibles de les juger, même quand ils
« craquent ».

Les « émotifs » souffrent en général d’une estime de soi très basse.


Ils ont tendance à se reprocher d’être aussi sensibles, ils se
voudraient plus solides et courageux. Les personnes dites
« timides » appartiennent plutôt à ce type : ce sont elles qui
rougissent ou perdent leurs moyens, à cause d’un système nerveux
plus excitable et difficile à maîtriser.

Le degré de gravité de ce problème est variable : la « timidité » peut


aller d’une insécurité chronique et profonde (Rachel), jusqu’à une
aisance superficielle, dissimulant un réflexe intérieur de peur, plus ou
moins fort en cas de circonstances inattendues (Ivan, Manon).
Cette catégorie d’anxiété est sans doute liée à des bases
génétiques. Qu’il s’agisse d’un tempérament hypersensible ou du
gène de l’anxiété1, qui prédisposerait à être anxieux, ces personnes
vivent avec des réactions naturellement plus fortes aux stimuli.
L’éducation et les expériences jalonnant le parcours de vie viennent
ensuite soit exacerber cette tendance, soit équiper l’anxieux de
mécanismes apaisants.

Anxieux « froids » : des émotions


verrouillées
Les anxieux « froids » paraissent peu affectés par les relations avec
autrui. Interrogés, certains affirment en effet ne rien sentir de
particulier, ni émotion, ni envie, ni désir, et se sentent un peu
« éteints ». D’autres au contraire éprouvent des émotions puissantes
en leur for intérieur, mais, pour diverses raisons, ont appris à les
cacher.

Moins habitués à écouter leur peur que les émotifs, ils recherchent
parfois l’enchaînement de brèves rencontres car elles leur
permettent de rester au stade de contacts superficiels et d’éviter
l’intimité. D’autres préfèrent au contraire la familiarité rassurante de
personnes bien connues.
Sur le plan de l’estime de soi, cette catégorie d’anxieux constitue un
groupe hétérogène. Certains construisent une bonne estime
d’euxmêmes en s’appuyant sur l’idée de leur capacité à dissimiler
leur « faiblesse ». De l’extérieur, ils peuvent même paraître hautains,
avec leur air calme et détaché. Inconscients de leur propre peur, ils
ne considèrent pas qu’ils sont timides mais qu’ils évitent leurs
congénères par simple goût. En revanche, d’autres souffrent de leur
isolement, de leur incapacité à communiquer et partager leurs
émotions.
Les hommes décrits dans les exemples précédents appartiennent au
type d’anxieux « froids » avec des nuances. Bien que tous ces
exemples soient masculins, soulignons qu’il existe également des
femmes qui cachent leur malaise sous un masque impassible.

Exercice : et vous ?

Si vous êtes invité(e) par un ami à passer un week-end à la campagne chez


des gens (« très sympathiques » vous assure-t-on) que vous ne connaissez
pas, votre plus grand risque est de :

rester muet(te) et rougir, bredouiller si on vous questionne ;


parler beaucoup, trop fort, trop vite, pour vous donner une contenance,
puis vous reprocher d’avoir été ridicule ;
apparaître froid(e) et hautain(e), incapable d’interagir ;
vous ennuyer et juger les gens inintéressants.
Dans les deux premiers cas, vous êtes plutôt « sur-émotif ». Dans les deux
derniers vous êtes du type « impassible ». Cela a son importance quant aux
solutions à mettre en œuvre pour améliorer vos relations et vous débarrasser
de vos inhibitions.

Aller vers l’Autre, un combat... à armes


inégales
Un schéma peut nous éclairer davantage sur les mécanismes de
réaction des sur-émotifs comme des anxieux impassibles :
imaginons que notre psychisme est une sorte de cité, plus ou moins
bien protégée par des murs. La vie intérieure et le contact avec
autrui sont assurés par des « petits soldats » qui peuvent sortir pour
aller à la rencontre de l’autre, ou bien rester à l’intérieur des
remparts.
Chez le sur-émotif, les « petits soldats » ont tendance à courir au
dehors dès qu’il se passe quelque chose. L’ennui est qu’ils sont
parfois blessés car ils ne prennent pas de précautions et sortent
sans armure. Le premier schéma peut également s’appliquer aux
personnes ne souffrant d’aucune anxiété sociale. Ces dernières
envoient très rapidement leurs représentants au contact d’autrui,
sans pour autant courir de risques. Leurs « soldats » ont le cuir
épais et, s’ils se heurtent à de l’hostilité, font demi-tour en haussant
les épaules, sans se tourmenter outre mesure. Dans les cas
d’anxiété sociale, les « soldats » sont mal protégés ; une fois à
l’extérieur des remparts et blessés, ils restent meurtris. La personne
se replie alors sur elle-même pour se prémunir contre d’autres
« blessures ».
Figure 1 – Mécanisme de réaction chez l’anxieux de type « sur-
émotif »

Chez l’anxieux « froid-impassible », les soldats restent au contraire


cachés derrière des murailles épaisses. On a l’impression d’une
personne insensible, mais on a plutôt affaire à quelqu’un qui se
surprotège de peur d’être « blessé »...

Dans une variante de ce second type, certains semblent avoir


simultanément peu de soldats, terrés tout au fond des caves, et
beaucoup de mal à les mobiliser. Plus les murs sont épais, plus la
personne a l’air insensible, plus elle est parvenue à se mettre hors
d’atteinte. Le risque est alors celui de l’incompréhension et de
l’isolement, lorsque son entourage (familial, professionnel...) renonce
à entrer en contact avec l’anxieux, qui de son côté ne parvient plus à
se rapprocher d’autrui.

Figure 2 – Mécanisme de réaction chez l’anxieux de type « froid-


impassible »

D’autres personnes encore ont des murs extrêmement épais mais


disposent de nombreux « soldats », très fragiles, derrière. Ils arrivent
donc à exprimer leur ressenti à quelques proches de confiance et
sont un peu moins isolés.
Soulignons que ces schémas ne sont que des représentations
approximatives, qu’on pourrait décliner en toute une gamme de
dessins représentant les infinies variations de cas possibles.
*
***

Ces profils variés montrent à quel point les visages de l’anxiété


sociale diffèrent. On peut avoir l’air timide ou pas, être renfermé ou
expansif, déborder d’émotion ou en sembler dénué, souffrir
énormément de cette peur des autres ou s’en accommoder assez
bien. Mais que redoutons-nous à ce point ? D’où nous viennent ces
peurs si peu rationnelles et pourquoi se manifestent-elles ?

1. Braconnier, A., Petit ou grand anxieux ? Odile Jacob, 2002.


Chapitre 3
Peur du jugement, de
l’agression ou de l’intimité

La peur de l’Autre relève en général d’une de ces trois familles :

peur du jugement de l’autre : de faire mauvaise impression, d’être


jugé ou rejeté ;
peur de l’hostilité ou de l’agressivité des autres ;
peur de l’intimité, d’être proche de quelqu’un d’autre.

La peur d’être jugé est la plus classiquement reliée à l’anxiété


sociale, c’est la plus répandue. La crainte de l’agressivité d’autrui est
souvent liée à des expériences traumatisantes, provoquant un retrait
effrayé de la personne. Enfin, le stress lié à l’intimité vient soit
d’expériences analogues – à l’occasion desquelles les parents ne se
sont pas avérés fiables, soit d’une relation restée fusionnelle au
cours du développement, ayant empêché l’établissement de bonnes
frontières entre soi et l’Autre.

Quelles qu’elles soient, ces peurs nous restreignent dans notre


rapport à autrui.

Craindre le regard de l’Autre


Pourquoi vouloir à ce point être bien considéré ? Serait-ce un souci
narcissique, une question d’orgueil ? Comme si ces personnes
étaient plus fières, se voulant sans défaut. Elles souffrent en fait
d’une combinaison de mauvaise image d’elles-mêmes, d’exigence
élevée et de sensibilité exacerbée au jugement d’autrui. L’image
négative qu’elles ont à leur propre égard les oblige à viser la
perfection pour être acceptées, du moins le croient-elles. Elles ne
supportent donc pas chez elles les imperfections qu’elles tolèrent
sans difficulté chez les autres, car la moindre faute entraînerait
l’exclusion.

Cette attitude peut surprendre, car le plus souvent, ceux qui se


tourmentent ainsi sont estimés, appréciés, voire admirés par leur
entourage. Non que les anxieux sociaux soient par nature plus
talentueux ni plus aimables que leur prochain, mais leur crainte de
déplaire les incite à déployer plus d’efforts que la moyenne pour se
rendre agréables. Ils mettent donc un soin particulier à se rendre
serviables, consciencieux, généreux et désintéressés. Le problème
vient de leur vision intérieure : ils se perçoivent, d’une façon ou
d’une autre, inférieurs, méprisables, indésirables.

« On va me trouver pitoyable »

Magali, vingt-six ans, est une très jolie blonde aux grands yeux bleus, qui occupe un
poste de scientifique. Mais loin d’être fière de sa réussite précoce, elle s’angoisse
régulièrement : « Quand j’entre dans une pièce où il y a du monde, je ne sais pas
quelle attitude avoir, comment me tenir, comment mettre mes bras... Si au moins je
fumais, je pourrais m’occuper de ma cigarette pour me donner une contenance. Mais
là, juste moi, de quoi je vais avoir l’air ? En plus j’arrive seule, je vais paraître
pitoyable, on va penser que personne ne veut de moi, que je suis une vieille fille
inintéressante. »

Difficile à imaginer pour ceux qui voient Magali de l’extérieur : belle,


dotée d’un métier valorisé, obtenu par son intelligence...
« Pitoyable » est bien le dernier adjectif qu’on lui attribuerait. Mais
une telle distorsion de la vision de soi n’est pas rare. Et le fait qu’elle
soit incompréhensible pour autrui n’arrange rien ; si jamais la
personne complexée se confie, on lui retourne des protestations
convaincues : « mais non, tu es ravissante et intelligente, il ne faut
pas t’inquiéter ». Une telle réponse, quoique bien intentionnée,
confirme l’impression d’être incompris, et l’anxieux aura de moins en
moins tendance à parler de son inquiétude profonde. Ainsi
augmente l’isolement...

« On va voir que je ne suis pas intéressante »

Muriel sait faire illusion : habillée avec goût, fine et droite avec sa longue pratique de
la danse, cette commerciale semble bien dans sa peau et même un peu hautaine. Elle
aime « se faire belle » pour aller au bureau. Les hommes l’admirent et lui expriment
leur intérêt, qu’elle reçoit avec plaisir... Avant de prendre la fuite. Elle est tellement
convaincue que, s’ils devaient se mettre à discuter, ils la découvriraient dénuée
d’intérêt, intellectuellement et culturellement, qu’elle préfère rester mystérieuse,
désirée de loin – et seule !

Très souvent ce sont des personnes instruites qui souffrent de ce


complexe. Leurs études ont été menées à bien, elles ont un bagage
culturel et intellectuel solide mais qui ne les empêche pas d’avoir
une piètre opinion d’elles-mêmes.

« J’ai peur qu’on me regarde »

Mireille, cadre dans l’industrie pharmaceutique, fait bien son travail. Pourtant, de
temps à autre, son patron lui adresse des reproches : « il faudrait que vous soyez plus
sociable, que vous vous liiez avec les autres ». Cette demande paraît insurmontable à
la jeune femme. Sa terreur, au bureau, c’est la pause-café. Les autres se retrouvent
devant le distributeur et bavardent. « Je ne peux pas les rejoindre, ils finissent toujours
par me poser une question, sur ce que j’ai fait le week-end par exemple. Or pour moi,
c’est terrible. J’ai envie de raconter des choses, mais sitôt qu’on me regarde je suis
abominablement gênée, j’ai envie de disparaître sous terre. » Son idéal serait de
pouvoir parler sans qu’on la regarde, sans la questionner.

Si l’on ne souffre pas comme Mireille, on peut s’étonner de cette


crainte : pourquoi tant redouter le regard d’un autre ? La plupart des
gens ne souhaitent-ils pas qu’on fasse attention à eux, justement ?
Mais pour elle, le seul fait d’être regardée est douloureux, presque
comme si on la frappait. C’est comme si on voyait au-delà de ce
qu’elle veut bien montrer de sa personnalité. Elle a le sentiment que
le regard, posé sur elle, aurait le pouvoir de pénétrer sous ses
vêtements, sous sa peau, pour percer à jour son être profond.

Or nous avons tous besoin de maîtriser ce qui est donné à voir de


nous. Les êtres humains, du moins les adultes, choisissent le visage
qu’ils montrent à leur entourage. Si nous sommes mal à l’aise, nous
pouvons le manifester ou le cacher, sourire ou froncer les sourcils.
Nous y parvenons plus ou moins bien, mais nous ne sommes pas
livrés sans merci aux regards.

Pour Mireille (et pour d’autres), tout se passe comme si la « peau »


psychique n’était pas assez épaisse pour la mettre à l’abri. Elle a le
sentiment qu’on va détecter ses défauts, ses secrets. « On va voir
que je suis moche », dit-elle, sans savoir en quoi, exactement, elle
serait « moche » (c’est une jolie brune aux grands yeux verts,
sportive). Le terme recouvre une réalité floue à ses yeux, mais
résume l’image dévalorisée d’elle-même dont Mireille redoute que le
regard d’autrui puisse la percer à jour.

Un autre regard craint est celui qui – réel ou imaginaire – évalue nos
actes, notre performance.

« Jamais assez bonne »

Caroline a toujours eu le souci de bien faire. Déjà, enfant, elle s’inquiétait de ne pas
travailler suffisamment bien ; et si jamais l’institutrice la regardait dessiner, elle
n’arrivait plus à rien. Les récitations au tableau relevaient du cauchemar. Aujourd’hui,
ses enfants sont bien élevés, sa maison tenue impeccablement, même s’il lui faut pour
cela se lever aux aurores afin de tout nettoyer avant de partir au bureau. Sur son lieu
de travail, cette femme compétente et expérimentée se transforme en petite fille
intimidée si un témoin assiste à ses rendez-vous de clientèle. Comme l’écolière
d’autrefois devant le tableau noir, elle se met à hésiter, perd ses moyens ; plus on
l’observe, plus elle craint de faire des bêtises, et plus elle se critique intérieurement,
convaincue d’être en train d’échouer lamentablement.

Naturellement, ces inquiétudes entraînent du trac, une grande peur


avant les rencontres importantes. Aussi Caroline prépare-t-elle
énormément ses rendez-vous, afin de ne pas être prise en défaut.
Mais chez certains, le tourment dure aussi après l’événement.
Beaucoup d’anxieux sociaux se torturent après avoir rencontré des
gens, s’inquiétant d’avoir commis une bévue qui les discréditerait, se
repassant le film de l’entretien, cherchant ce qu’ils auraient pu dire
ou faire de « mieux ».

Médaille d’or

Aurélia n’est pas seulement une professionnelle de haut vol, qui travaille au moins
soixante heures par semaine. Lorsqu’elle reçoit, elle se doit d’être aussi une parfaite
maîtresse de maison. Il faut tous ses talents d’organisatrice pour rendre l’exploit
possible, car elle veut les meilleurs produits, un appartement parfaitement propre et
rangé, une table élégante, des mets préparés avec art. Pendant la soirée, elle assume la
responsabilité d’assurer une conversation animée et intéressante sur des sujets variés.
Le tout est terriblement stressant, mais cette perfectionniste arrive tout de même à
prendre plaisir à l’événement, peut-être à cause du tour de force que cela représente.
Hélas, une fois les invités partis, loin de se détendre, elle entame la dernière phase de
l’épreuve : passer en revue les moindres détails, depuis l’arrivée de la première
personne jusqu’au départ de la dernière. Y a-t-il eu des moments de flottement ou de
tension ? N’a-t-elle pas omis de s’occuper de quelqu’un, ou émis un propos
désagréable pour un autre ? Parfois elle y passe toute la nuit, examinant
impitoyablement tous les échanges, tous les regards, le moindre geste. Elle trouve
rarement grâce à ses propres yeux : il y a presque toujours quelque détail à se
reprocher, qui, dans l’obscurité, devient un manquement terrible. Pas étonnant
qu’Aurélia n’organise pas souvent de fêtes !

L’ennui, quand on se juge si sévèrement, est que non seulement on


se gâche le plaisir de l’après-fête, mais aussi qu’on n’est guère tenté
de renouveler l’expérience. Une raison supplémentaire de s’isoler...
Fuir un danger potentiel
Pour certains anxieux, le stress ne naît pas du regard, ou du
jugement. Ils craignent que l’autre leur fasse du mal, physiquement
ou psychologiquement, par des critiques, des attaques. Dans les
peurs précédentes, il s’agissait surtout d’une infériorité personnelle
dont on craignait qu’elle nous fasse honte. Dans ce cas d’angoisse
sociale, c’est l’Autre qui est redouté, parce qu’il est perçu comme
« méchant », hostile, potentiellement dangereux.

Sous l’emprise de l’Autre

Helga a grandi auprès d’un père autoritaire qui, sans avoir jamais levé la main sur elle,
l’effrayait au point qu’elle obéissait aveuglément à tous ses ordres. Adulte, elle
redoute terriblement ses supérieurs hiérarchiques. Être appelée dans le bureau du
patron déclenche chez elle des maux d’estomac à peine supportables, et les périodes
de surcharge professionnelle lui causent de telles angoisses qu’elle en perd le
sommeil. Helga a beau travailler avec conscience et efficacité, elle craint à tout
moment d’être licenciée. Quand elle s’est mariée, le même problème est apparu vis-à-
vis de son mari : impossible de lui parler des choses qui risqueraient de le
mécontenter. Bien qu’il soit seulement autoritaire et non violent, elle est terrifiée à
l’idée de lui déplaire. Ses proches ont beau arguer que ni son chef, ni son mari ne
voudraient se séparer d’elle, elle reste pétrifiée face à toute personne investie d’un
pouvoir.

Si l’autre nous semble dangereux a priori, alors toute personne


possédant une autorité réelle sur nous, donc un pouvoir (de nous
punir, nous licencier, nous quitter, nous battre) déclenche a fortiori
une véritable panique... Lorsque la menace est réelle, cette peur est
utile pour nous éviter de provoquer la sanction. Mais souvent,
comme dans le cas d’Helga, le risque réel n’existe guère.

Parfois cette impression de danger est encore plus floue. On peut


redouter l’autre comme un agresseur sans qu’il ait le moindre
pouvoir de nuisance. L’anxiété se crée dans notre tête, à cause des
représentations que nous nous faisons des autres et de nos
relations avec eux.

Construire sa propre prison

Nora est une mère de famille de quarante-huit ans, qui vit recluse. Au début, c’est
l’idée de travailler qui la terrorisait. Heureusement pour elle (ou malheureusement ?),
elle était fort jolie et a vite conquis un gentil jeune homme. Sitôt mariée, elle a
démissionné pour se réfugier à la maison. Pendant quelques années, elle a pu mener
une existence normale de femme au foyer, faisant le ménage et les courses, puis
s’occupant des enfants au fur et à mesure de leur arrivée. Mais au fil du temps la peur
est devenue de plus en plus envahissante. Nora a cessé de sortir et charge désormais
son mari et ses enfants de rapporter les provisions. Peu à peu elle a abandonné toute
activité hors de la maison, et s’est renfermée encore davantage, jusqu’à dépendre de sa
famille pour tout.

Un tel rejet des relations sociales est rare, heureusement. Nora


illustre parfaitement une forme extrême de la peur de l’autre, cette
impression que la moindre présence peut faire souffrir. Nombre de
personnalités schizoïdes vivent avec cette vision des autres, bien
qu’elles parviennent généralement à continuer de travailler,
affrontant le monde derrière leurs remparts renforcés.

Barricader son espace intime


La peur de l’intimité prend sa source essentiellement dans le fait que
l’Autre n’est pas considéré comme fiable. Cet anxieux-ci ne
s’inquiète pas forcément de l’agressivité potentielle des autres, il
redoute plutôt d’ouvrir son espace intime à quelqu’un qui sera
ensuite incapable d’être solidement présent en cas de besoin. Pour
justifier son comportement, la personne incrimine les autres : « on
ne peut pas compter sur eux », ou bien se critique elle-même : « je
suis trop lourde à porter ». Pour l’une ou l’autre raison, elle répugne
à se dévoiler intimement.
« Si je m’attache, on va me trouver pesante et m’abandonner »

Rachel, l’étudiante-vendeuse qui a si peur des gens, redoute par-dessus tout qu’on la
trouve dépendante. Elle craint tellement de trop peser sur les autres qu’elle évite tout
contact prolongé. Invitée pour le week-end par des amis ou même sa famille, elle
s’attarde rarement au-delà de vingt-quatre heures, convaincue de devenir gênante si
elle s’éternise. Même dans une simple conversation, sitôt qu’elle a dit une ou deux
phrases sur elle-même, elle se sent nerveuse, inquiète, et renverse vite la tendance en
questionnant son interlocuteur. Cela rend difficiles les relations amicales profondes,
car elle semble toujours sur le point de fuir, comme un oiseau sur la branche.

Cette peur d’être proche cause de grandes souffrances. Dans la


plupart des sociétés, l’idéal consiste à former un couple sur lequel
on compte, ce qui est presque impossible quand un des partenaires
refuse de se confier à l’autre. Même l’amitié forte peut rester hors
d’atteinte, quand on hésite autant à se fier à autrui.

L’autre origine de la peur de l’intimité est une fragilité des frontières


de la personnalité, engendrant la crainte d’être envahi. Cet
envahissement peut prendre des formes diverses : la perte de son
identité – « je ne sais plus qui je suis » –, la perte de son espace –
partage du lieu de vie, etc.

« Elle substitue sans cesse ses désirs aux miens »

À trente-deux ans, Josiane s’inquiète d’être célibataire depuis déjà cinq années. Sa
dernière histoire l’a échaudée, car son compagnon exerçait sur elle une véritable
emprise, qu’elle met en rapport avec ce que lui a fait subir sa mère. Après le divorce
de ses parents, la petite Josiane s’est retrouvée seule avec sa mère, qui a vite considéré
l’enfant comme sa confidente. Elle lui racontait tous ses soucis, ses déboires
amoureux. Elle pensait que sa fille était exactement comme elle. Si jamais Josiane
faisait un choix qui déplaisait à sa mère, celle-ci affirmait « mais non, ce n’est pas ce
qu’il te faut, tu ne sais décidément pas ce qui est bon pour toi ! ». Aujourd’hui Josiane
change d’orientation professionnelle, elle quitte un poste lucratif dans le secteur
bancaire pour se lancer dans la vente d’objets d’artisanat. Ce changement est source
d’angoisse mais aussi de bonheur, et Josiane aimerait être soutenue. Mais chaque fois
qu’elle rend visite à sa mère, cette dernière tente de la convaincre qu’elle se trompe.
« Tu étais bien plus heureuse avant », lui assure-t-elle.

Cette mère, convaincue d’agir dans l’intérêt de sa fille, la déstabilise


en fait complètement. Après chaque conversation avec elle, la jeune
femme a perdu ses repères identitaires, car sa mère est convaincue
de la comprendre mieux qu’elle ne se comprend elle-même. Cette
relation mère-fille intrusive a déclenché une sorte de phobie des
relations intimes chez Josiane, car la jeune femme tend à rencontrer
des partenaires envahissants, qui veulent la diriger comme sa mère.
Pour se préserver, malgré ses rêves de couple, Josiane fuit les
possibilités de rencontre et reste seule.

*
***

L’anxiété sociale est définie comme une peur ou un évitement des


situations nous exposant au risque d’être jugé par autrui. On peut
élargir cette notion à d’autres peurs intervenant dans les interactions
sociales (personnelles, familiales, professionnelles...). Elles sont
engendrées par les souffrances qu’occasionnent parfois les relations
humaines. Redouter le jugement, l’agression ou l’intimité n’a pas de
conséquences identiques. Cependant, chacune de ces peurs
conduit à éviter ou limiter les situations de contacts humains, que la
plupart des gens désirent pourtant.
Chapitre 4
Les dommages collatéraux :
dans le sillage de la peur, des
dégâts quotidiens

L’anxiété sociale nous inhibe, mais ne s’arrête pas à cela. La peur


entraîne dans son sillage tout un cortège d’autres problèmes : les
produits que l’on absorbe pour se donner du courage peuvent
provoquer une accoutumance, l’inhibition sabote la réussite
professionnelle, le manque de contacts et les échecs entraînent
parfois une dépression. Ces difficultés sont dites « secondaires »,
parce qu’elles arrivent dans un second temps, et parce qu’elles sont
les conséquences d’un problème plus fondamental. Cela ne les
empêche pas de prendre dans certains cas des proportions
dramatiques. C’est pourquoi il importe de relier les difficultés à leur
cause sous-jacente, sans quoi il n’est guère possible de les traiter.
La première catégorie de ces manifestations secondaires, et la plus
répandue, est le phénomène de l’addiction, souvent problématique
au quotidien et difficile à assumer.

Le cercle vicieux de la dépendance


Le propos n’est pas ici de traiter le vaste champ des addictions1, qui
dépasse et de beaucoup le cadre de l’anxiété sociale. Cependant,
parmi les facteurs susceptibles de déclencher une dépendance, la
difficulté à entrer en relation avec les autres joue un rôle important.
Soulignons toutefois qu’on peut être dépendant d’une substance ou
d’un comportement sans bien sûr souffrir d’anxiété sociale.
Inversement, de nombreux anxieux sociaux ne développent aucun
problème d’addiction (Mary McClure Goulding et Robert Goulding2
ont cependant considéré dans leurs travaux l’inquiétude elle-même
comme une addiction : la personne s’abandonne à son stress de
façon croissante et compulsive, au détriment du contact avec les
autres).

Quand on a peur des gens, la solution la plus évidente semble de se


replier, de limiter les contacts pour éviter le stress. On devient alors,
aux yeux des autres, « sauvage », « timide », « renfermé ». Surtout,
on risque de souffrir d’isolement. Certains anxieux refusent une telle
limitation ; ils s’exaspèrent, s’insurgent, cherchent à tout prix un
moyen de nouer des relations. Ces combats contre eux-mêmes sont
douloureux, c’est pourquoi il est si tentant de trouver une béquille, un
« truc » extérieur qui apporte du soutien. Le danger apparaît quand
ce « coup de pouce » devient indispensable psychologiquement
et/ou physiquement : c’est le début de l’addiction.

Les comportements addictifs

Générer sa propre drogue – les comportements addictifs


classiques
La « drogue » la plus naturelle est celle qui ne nécessite aucun
apport extérieur, aucune ordonnance, aucun acte d’achat : c’est
notre corps qui la produit dans certaines situations d’activité
physique. Le moins conscient, le plus automatique de ces
comportements de défense face à l’angoisse, est une sorte
d’hyperactivité de la personne, qui ne tient pas en place. Elle a
toujours quelque chose à faire, toujours de façon urgente, et s’active
donc sans répit, ce qui lui évite les moments non structurés où elle
risquerait de se trouver face à elle-même et à son anxiété. On peut
parler d’addiction car si l’on empêche la personne de s’agiter en
s’occupant des choses à sa place et qu’on la contraint à s’asseoir,
loin de se détendre avec gratitude, celle-ci se tend encore
davantage et devient très irritable. Le plus souvent, cependant, elle
n’a pas conscience de l’aspect addictif de son hyperactivité, et serait
même offusquée d’une telle hypothèse. « Absolument pas, je suis
juste quelqu’un de très occupé ! Tout le monde ne peut pas se
permettre d’être oisif », proclament souvent ces personnes.

Dans un registre identique de comportements « vertueux » mais


addictifs, on classera la course à pied : certains ne peuvent plus s’en
passer, et canalisent leurs émotions dans l’effort. D’autres sports
sont souvent pratiqués de façon intensive et compulsive1. L’addiction
devient d’autant plus puissante qu’elle est valorisée socialement et
que cette activité procure un état de bien-être (grâce à la production
d’endorphines et par la satisfaction de l’effort accompli). On se
centre totalement sur la performance et le dépassement de soi,
oubliant ses problèmes relationnels. Ce mécanisme fonctionne
d’autant mieux que les anxieux sociaux, qui ont tendance à se
mésestimer, trouvent ici matière à se construire une image
valorisante à leur propres yeux.

On peut également rattacher l’anorexie à ces comportements


addictifs, bien qu’il s’agisse d’un trouble de la conduite alimentaire :
après un effort initial, le fait de ne plus manger devient une sorte
d’action valorisante et irrésistible, véritable combat qui happe la
personne et ne la lâche plus. Ce comportement permet d’échapper à
d’autres problèmes, en se focalisant sur l’alimentation et l’objectif de
minceur. Pendant un certain temps, il procure au malade anorexique
une sorte de courage : naguère effacé, celui-ci se sent capable de
tout affronter, doté d’une toute-puissance qui lui permet de survivre
sans même manger. Mais une fois pris dans l’engrenage de la sous-
alimentation, il s’isole, prisonnier de sa maladie.
Fuir la réalité dans des mondes virtuels – les nouveaux
comportements addictifs
Les jeux en ligne (jeux de guerre ou « seconde vie ») présentent un
double « avantage » – ou double danger... La stimulation des
images et des situations intenses provoque dans le cerveau du
joueur un état d’hypnose qui lui fait perdre la notion du temps et le
déconnecte pour un temps des contingences humaines ordinaires.
De plus, les joueurs adoptent par ce biais une autre identité, qu’ils
choisissent souvent en contraste avec leur vision d’eux-mêmes (un
personnage grand et fort, ou particulièrement séduisant...). Par
l’intermédiaire de ce substitut, ils osent toutes sortes de
comportements hardis. Un risque réel est de renforcer l’idée que le
vrai soi est faible, ou ne saurait pas faire ce que l’avatar réussit. Seul
le masque est compétent, fort.

Outre qu’on se sent alors débarrassé des complexes et embarras


habituels, on est dispensé des contacts réels. Peu importe que
quelqu’un prenne mal une provocation ! Plus de politesse requise
dans cet univers virtuel, on est libéré de l’obsession de plaire et
d’éviter de vexer l’Autre pour ne pas qu’il nous rejette – plus de
risque de faux pas !

Tony ou le piège de l’univers fictif

Tony, à trente ans, aimerait fonder une famille. Mais chaque jeune femme qu’il
rencontre lui semble d’emblée imparfaite, il se focalise sur tous ses défauts et n’arrive
pas à tomber amoureux. La seule chose qui le passionne, qui le transporte, est son
univers de jeux de guerre. Là, son personnage de guerrier affronte tous les dangers,
déjoue tous les pièges. Il a atteint un rang élevé dans la hiérarchie de « son » armée
virtuelle et, pour s’y maintenir, il est capable de jouer des nuits entières, retournant au
bureau après seulement une ou deux heures de sommeil. Il lui arrive de ne pas sortir
du week-end, scotché à son ordinateur jusqu’à douze heures d’affilée, oubliant de
manger et de boire. La vie réelle, avec ses êtres humains ordinaires, l’intéresse de
moins en moins. Au bureau, ce grand guerrier imaginaire est paralysé à l’idée de tenir
tête à son chef et préfère éviter le conflit, quitte à voir son travail dévalorisé. Quelle
importance, puisqu’il a son univers virtuel ?
Avant la généralisation d’Internet, qui a permis la création de
véritables univers, irréels, un film montrait déjà à quel point les
moyens de communication modernes peuvent inciter à l’évitement
des contacts réels. Dans Denise au téléphone, en 1995, on suit un
groupe d’amis qui n’arrivent jamais à se rencontrer en personne. Ils
ont toujours un bon prétexte pour esquiver l’invitation. Dans la
première scène, une des jeunes femmes attend ses invités, qui
s’excusent au téléphone les uns après les autres. Elle reste seule
avec le buffet qu’elle a préparé. Cette vision glaçante augure déjà
d’un monde dans lequel les contacts directs s’étiolent au profit
d’outils de communication jouant les intermédiaires.

Aujourd’hui, le courrier électronique, les réseaux sociaux, les forums


de discussion et les sms offrent plus que jamais la possibilité d’une
rencontre (parfois intime) et d’une communication désinhibée tout en
dispensant de contact réel. Dans le meilleur des cas, cela permet
aux personnes qui craignent le contact d’oser davantage. A
contrario, beaucoup risquent de ne plus se confronter à la rencontre.

Fabrice ou le leurre de la séduction virtuelle

Fabrice est un jeune homme séduisant, mais qui doute constamment de lui, sous ses
airs de Don Juan. Son estime de lui-même, déjà fragile à l’adolescence, s’est effritée
au fil de ses échecs universitaires puis professionnels. Après avoir arrêté la fac pour
devenir chanteur, il n’a jamais réussi à « percer ». De galère en petit boulot, il se sent
aujourd’hui mal dans sa peau. Mais sur Internet, quand il « chatte » avec des jeunes
femmes, aucune ne lui résiste : sa photo est belle, il sait tourner joliment ses phrases et
sa sensibilité l’aide à deviner ce que ses interlocutrices ont besoin d’entendre. En
général il a au moins deux amoureuses, voire trois ou quatre, qui le supplient,
chacune, de la rencontrer pour démarrer une relation. Mais ce bourreau des cœurs fuit
sitôt qu’on le presse, et reste à l’abri derrière son écran. Il ne sait séduire que
virtuellement.

Les substances addictives


Quand les médicaments se retournent contre vous
Les anxiolytiques ou « tranquillisants » sont les remèdes les plus
courants à l’angoisse. Ils sont prescrits par un médecin, ce qui leur
confère un statut rassurant. On a tellement peur du face à face avec
l’autre (d’aller travailler, d’un rendez-vous professionnel, de prendre
la parole en public...) qu’avaler un cachet semble le plus simple et le
plus efficace pour assumer une situation stressante ou ne pas
perdre le sommeil avant un rendez-vous impressionnant. Le risque
principal, quand on utilise souvent un de ces médicaments, est
l’accoutumance à ses effets, entraînant la hausse des doses puis
l’addiction.

Se droguer pour affronter la clientèle

Charles, artisan comme son père, craint le contact avec les clients : ils sont si souvent
mécontents, critiques, agressifs ! Pour oser leur tenir tête, il a commencé par
demander à son médecin « quelque chose » qui le calmerait. Puis les prescriptions se
sont enchaînées, obtenues de plusieurs praticiens ignorant chacun l’existence des
autres. À quarante ans, Charles absorbait ainsi jusqu’à huit comprimés quotidiens de
son médicament anxiolytique, soit plus de dix fois la dose maximale envisageable
dans une journée en cas de crise grave. Quand il révèle finalement sa situation à son
généraliste, un séjour en désintoxication s’impose, car son organisme ne peut plus se
passer de cette drogue officielle.

Ce remède si efficace sur le court terme peut devenir terriblement


dangereux, et les médicaments anxiolytiques sont fortement
addictifs. Mieux vaut donc n’y avoir recours qu’exceptionnellement,
et préférer les programmes à plus long terme comme ceux proposés
dans la troisième partie de cet ouvrage.

Puiser le réconfort dans la nourriture


La nourriture peut sembler la « drogue » la moins dangereuse (elle
est tout de même indispensable à la vie !). Ce n’est d’ailleurs pas
tant la nourriture elle-même que le comportement alimentaire qui
relève de l’addiction et peut s’avérer terriblement destructeur.
D’innombrables jeunes femmes (et des femmes moins jeunes, ainsi
que quelques hommes) ont une façon de s’alimenter davantage liée
à leurs émotions qu’à des besoins nutritionnels ou au plaisir de
partager un repas.

Dans le cas de l’anxiété sociale, le regard de l’Autre crée une


tension : certains anxieux redoutent d’être jugés sévèrement sur leur
physique (trop gros, par exemple) et mangent pour se distraire de
leur peur ou se consoler de leur peine. L’idée de se montrer
vulnérable leur est insupportable, ils s’épuisent à donner le change
alors qu’ils ne se sentent pas bien, et pour se réconforter après un
tel effort, ils mangent. D’autres anxieux souffrent d’une colère
refoulée par peur de ne pas être acceptés s’ils ne sont pas gentils, et
s’empiffrent pour s’empêcher d’exploser.
L’acte de manger soulage de ces tensions, efforts, souffrances,
colères de plusieurs manières : on a le plaisir, anticipé puis réel, du
goût ; celui de la mastication (croquer, mâcher, avaler) ; enfin le
plaisir de la satiété, de se sentir rempli. L’afflux de sucre provoque
souvent un état un peu stuporeux, qui calme – du moins jusqu’à
l’attaque de culpabilité dégoûtée qui s’ensuit généralement. De plus
le gras et le sucré ont un effet sur le cerveau, dans le centre du
plaisir, qui déclenche un mécanisme addictif.

Ces comportements compulsifs qui transforment les aliments en


drogue répondent presque toujours à un malaise lié aux autres. Ils
comblent temporairement le mal-être mais ne l’effacent pas : au
contraire, la honte de la boulimie ou l’anorexie s’ajoute aux
premières angoisses.

Manger pour se remonter le moral

Josiane sait faire bonne figure, elle a appris dès l’enfance à cacher ses moments
difficiles. Sa mère supportait mal de la voir abattue et lui reprochait de ne pas se
prendre en main, « tu n’as qu’à faire du sport, ça te donnera la pêche ! ». Son père, lui,
trouvait terriblement ennuyeux les états d’âme de sa fille. Comme nombre de jeunes
filles, elle a vite compris que l’on pouvait se réconforter avec la nourriture. Seule dans
sa chambre, la petite Josiane se consolait d’un paquet de gâteaux, d’une tablette de
chocolat. À vingthuit ans, elle vit la nourriture-amie comme son ennemie. Au moindre
stress, Josiane « craque sur la bouffe » et passe ensuite vingt-quatre heures à se
remettre de la crise. Son stress se cristallise dans ses rapports aux autres : si Josiane
doit voir quelqu’un qui l’impressionne, elle pense à manger avant, pendant – et cède
après. Parfois la crise de boulimie l’empêche d’aller au rendez-vous. La béquille qui
l’aidait à atténuer son angoisse a envahi toute sa vie, tout son espace mental.
L’existence de Josiane est centrée sur ce qu’elle a mangé, ce qu’elle devrait manger,
ce qu’elle n’aurait pas dû manger, ce qu’elle va faire pour ne pas manger... La peur de
l’Autre est passée au second plan – piètre consolation, car le nouveau problème est
encore plus douloureux.

L’exemple de Josiane reflète parfaitement le cercle vicieux que subit


la personne anxieuse : plus elle a peur de l’autre, plus elle mange
pour se consoler ou se donner du courage. Plus elle mange, plus
elle a honte d’elle-même et s’isole. L’ennui, la solitude, l’éloignement
des autres génèrent la honte et la culpabilité. L’anxieux se reproche
alors de rester enfermé au lieu de vivre dans le monde avec les
autres... et mange, pour effacer son mal-être.

Quand l’alcool devient votre ennemi


Le « remède » le plus classique à l’angoisse est l’alcool : dans les
sociétés occidentales, le rapport à l’alcool est banalisé, au point que
sa consommation excessive, pour pallier un stress, passe facilement
inaperçue. L’effet désinhibiteur de l’alcool est avantageux pour un
anxieux : les réserves habituelles disparaissent, on se sent à l’aise,
libéré de ses peurs et les échanges spontanés deviennent possibles.

Boire pour être moins sérieuse

Stéphanie est une jeune femme responsable : toute la journée, dans son travail
d’infirmière, elle s’occupe d’autrui avec sérieux et compétence, sans pour autant
oublier l’humour. Ses collègues l’apprécient, parce qu’elles peuvent à la fois compter
sur elle professionnellement et lui confier leurs préoccupations personnelles, assurées
que Stéphanie gardera leurs secrets tout en les invitant à rire un peu des petites
misères. Le problème est que Stéphanie s’est peu à peu sentie enfermée dans ce rôle,
tenue de maintenir en permanence cette apparence joyeuse et optimiste, surtout
lorsqu’elle est invitée : « si je ne suis pas amusante, on ne m’invitera plus. C’est ma
contribution. ». Pour parvenir à rester « une bonne fêtarde », elle s’est habituée à boire
des quantités impressionnantes. Cela facilitait énormément les contacts, surtout avec
les hommes. Après quelques années à ce rythme, elle s’est rendue compte qu’elle
perdait tout discernement en matière amoureuse, passant parfois la nuit avec des
hommes qui ne lui correspondaient pas du tout. Mais comment arrêter ? L’idée de
passer une soirée sans alcool lui semble irréalisable. Quant à faire l’amour sans cet
agréable brouillard... Impensable.

Prêt à tout pour effacer sa peur – les drogues excitantes


L’usage de la cocaïne et d’autres drogues excitantes se banalise
chez les jeunes générations. Les consommateurs de cocaïne ne
souffrent pas tous d’anxiété sociale (souvent, ils cherchent surtout à
doper leurs performances professionnelles). Quoi qu’il en soit, la
consommation régulière de cocaïne, très addictive et dangereuse
pour le cerveau, se solde presque toujours par des dégâts sérieux
pour le cocaïnomane. L’ecstasy est moins répandue, mais elle est
encore plus réputée pour encourager les gens dans une attitude de
lien social. Aussi risque-t-elle d’accrocher ceux qui peinent à entrer
en contact avec autrui.

S’amuser à tout prix

Pour Mireille, que nous avons déjà vue, pas question de renoncer à une vie sociale.
Mais comment sortir, et surtout, comment s’amuser en soirée, si elle se fige sitôt
qu’on la regarde ? La solution lui est venue « naturellement », lui semble-t-il. Elle a
adopté les habitudes de son entourage (famille et amis), qui boivent volontiers en toute
occasion, parfois généreusement. Ces derniers n’hésitent pas à prendre aussi un peu de
cocaïne, lorsqu’elle est disponible en soirée.

Avec ces aides artificielles, Mireille, libérée de ses angoisses, est transfigurée : à
l’aise, drôle, légère, joyeuse, elle rit énormément et fait rire les autres, un vrai boute-
en-train.
Le piège est évident : comment ne pas vouloir revivre ce sentiment
de liberté ? Comme bien d’autres, Mireille risque de devenir
« accro » à la version enjouée d’elle-même, et s’enfermer dans une
addiction à l’alcool et à la cocaïne.

Héroïne à la rescousse... pas pour longtemps – les


drogues apaisantes
L’héroïne est la plus connue des drogues apaisantes, la plus
rapidement addictogène. Bien que cette addiction concerne en
majorité des personnes marginalisées, ce qui en limite la diffusion,
elle est particulièrement dangereuse : très vite, la personne n’est
plus en relation qu’avec sa drogue, la « mère-héroïne » comme
l’appelle Lowenstein1. Dans le cas de l’anxiété sociale, l’héroïne
consolatrice n’est cependant pas la drogue la plus adaptée, l’anxieux
se tournera plus volontiers vers l’alcool et la cocaïne qui lui
permettent de surmonter ses peurs.

Les addictions aux drogues dures, dangereuses à longue ou même


à brève échéance, sont des tentatives de solution à l’anxiété sociale
qui n’apportent qu’un soulagement transitoire. À moyen terme, elles
ne font qu’aggraver les difficultés relationnelles, auxquelles viennent
s’ajouter le manque. Travailler sur ses peurs reste le meilleur moyen
de surpasser son stress en se préservant de ces « béquilles »
douteuses, aux effets pervers contre ceux qui y ont recours.

Peur de l’échec vs désir de progression


L’anxiété sociale entrave souvent l’ambition professionnelle, surtout
dans les métiers nécessitant un bon relationnel. De récentes
recherches1 montrent que de jeunes hommes américains souffrant
de timidité entrent plus tard dans la vie active et atteignent un niveau
professionnel moins élevé que les non-timides. On comprend bien
que, s’il faut s’affirmer ou, pis, jouer des coudes pour s’imposer, la
peur des autres constitue un sérieux handicap.
Par peur de s’exposer à un échec éventuel, aux critiques d’autrui, ou
d’assumer la responsabilité d’un poste élevé, certains salariés
stagnent dans leur carrière professionnelle en dépit de leurs grandes
compétences. Travailleurs acharnés, redoutant les jugements
d’autrui, ils ne se trouvent jamais assez bons et surcompensent pour
parer aux éventuelles critiques.

Un bourreau de travail mal récompensé

Caroline travaille plus de douze heures par jour au bureau et sur la route, et rouvre
souvent son ordinateur chez elle jusqu’après minuit, ainsi que le week-end. Son chef
sait qu’il peut compter sur elle, qu’elle prépare ses rendez-vous de clientèle dans les
moindres détails et décroche ainsi bien des contrats. Aussi lui confie-t-il de plus en
plus de dossiers. Mais après des années de ce régime épuisant, elle n’a jamais réclamé
de promotion, car elle se croit indigne d’une pareille reconnaissance.

L’angoisse de ne pas assumer sa promotion s’exprime parfois au


moment de sauter le pas : certains font ce qu’il faut pour monter en
grade, mais renoncent quand l’opportunité de changer de fonction se
présente.

« Chef, moi ? »

Entrée tôt dans la vie professionnelle, Chloé n’a jamais renoncé à faire une bonne
carrière. Une dizaine d’années durant, elle a suivi les cours du CNAM parallèlement à
son travail. Cette « bosseuse » a passé tous ses examens avec succès et accède
maintenant à des postes de cadre – mais elle en perd le sommeil. L’idée de diriger
d’autres personnes, dont certaines sont plus âgées qu’elle, la terrifie ; elle se demande
parfois si elle n’a pas eu tort d’étudier autant.

Souvent la personne réussit en fait très bien. Mais les bons résultats
ne suffisent jamais à la rassurer, tant elle craint d’être démasquée.

« Si je n’ai pas raté aujourd’hui, je raterai sûrement demain »


Rachel a toujours été une bonne élève. Enfant, déjà, elle craignait de ne pas être à la
hauteur, de sorte qu’après les examens elle déclarait toujours, « j’ai tout raté ». Ses
amies apprirent à ne plus la croire, car elle obtenait généralement de très bons
résultats. Adulte, Rachel continue de sous-évaluer ses capacités. Elle se cantonne à
des activités répétitives, décline toute invitation à enseigner, à participer aux
commissions ou groupes de réflexion entres collègues. Elle craint tellement d’être
confrontée à la moindre critique !

Par peur de s’exposer, se sentant trop fragile, Rachel renonce ainsi


à partager son savoir et son expérience, mais aussi à s’enrichir
d’apports extérieurs.

La procrastination, ou l’art de prendre du


retard
Souvent attribuée à la paresse, cette façon de tout remettre à plus
tard prend ici un autre sens. Ce n’est pas tant le désir de s’amuser
qui s’exprime, mais au contraire (consciemment ou pas) l’angoisse
devant une tâche stressante à accomplir. Nous nous consacrons
alors à tout, excepté au travail qui nous angoisse. Ces tactiques
dilatoires – qui consistent souvent à surfer sur Internet, consulter ses
mails pour la dixième fois, téléphoner à des amis, faire du ménage,
grignoter, sortir fumer... – risquent de nous attirer les foudres des
« Autorités » (patron, chef, conjoint, et surtout, nous-mêmes, face à
notre juge intérieur), avec des conséquences plus ou moins graves.

Tout, plutôt que de décrocher le téléphone !

Carl est très estimé de son patron. Pourtant, il redoute de lui déplaire et se crée ainsi
des périodes de grand stress, car pour certaines choses, il se met vraiment en retard.
Tant qu’il peut faire son travail seul, tout va bien. Mais il suffit d’un coup de fil à
passer pour gripper la machine.
Comme pour les problèmes d’addiction, la procrastination ne
découle pas forcément d’une anxiété sociale. L’enjeu peut être tout
autre, par exemple une rébellion contre des parents trop directifs ou
exigeants. Mais il importe de distinguer les cas liés à la peur du
contact de ceux provoqués par d’autres causes, car ils ne se
résolvent pas de la même manière.

Quand le cœur n’y est plus


Lorsque « rencontre » rime avec « peur », un anxieux préfère parfois
le célibat à l’épreuve de former un couple. Or, le célibat peut être
synonyme de vie débridée pour certains, mais apporte le plus
souvent son lot de solitude, en particulier pour les timides. Faute de
partenaire, certains restent plusieurs années sans vie sexuelle, ce
qui peut entraîner une baisse, voire une disparition du désir.

Traversée du désert

Dorothée ne sait même plus si elle a envie d’avoir quelqu’un dans sa vie. À cinquante-
deux ans, elle n’a pas eu d’ami depuis une bonne dizaine d’années. Elle s’est enfermée
peu à peu dans des limites étroites, affirmant qu’elle n’aime pas être touchée, n’a pas
envie d’être vue nue, d’avoir un homme chez elle. Sa vie se résume à son travail et à
de rares sorties amicales.

D’autres, incapables de relations abouties, vivent des actes sexuels


détachés de tout sentiment. Cela peut être un simple évitement de
l’attachement, de l’intimité ; ou une peur d’être évalué dans sa
performance sexuelle. Les rencontres de hasard leur paraissent
moins menaçantes qu’une relation engagée, mais l’enchaînement
des partenaires peut aboutir à un comportement addictif.
Une troisième forme de sexualité dévitalisée s’observe chez des
personnes qui ont réussi à former un couple, mais se sont
enfermées dans une relation fusionnelle. Il leur est si difficile de se
faire des amis, à cause de leurs difficultés relationnelles, que le
conjoint devient le centre de l’univers de son partenaire. Dans ce
contexte, tout désaccord est envisagé comme une menace
potentielle par le couple et, comme telle, est étouffé. Le risque de
s’adapter à l’autre en négligeant ses propres désirs est alors grand,
qui entraîne la sclérose des rapports amoureux mais aussi sexuels.
En effet, une sexualité épanouie suppose qu’on s’affirme face à
l’autre, qu’on se pose en sujet. Faute de quoi, on vivra une relation
dépourvue d’intensité émotionnelle, parfois asexuée.

Le fardeau de la dépression
La dépression est une des conséquences les plus fréquentes et
évidentes de l’anxiété sociale. Elle est le résultat direct de
l’isolement que s’infligent les personnes anxieuses par peur des
autres. Plusieurs facteurs concourent à l’état dépressif d’une
personne.
D’un point de vue biologique, la privation de « signes de
reconnaissance »1 peut nous faire dépérir à plus ou moins brève
échéance. La pratique de mise au « mitard », en cellule d’isolement,
comme punition sévère dans les prisons, illustre à quel point la
fréquentation de nos pairs nous est primordiale. Tout être vivant a
besoin de stimulations, et nous savons que les mammifères
recherchent particulièrement celles provenant de leurs congénères.

Sur le plan psychologique, la solitude émotionnelle crée un manque


de feedback (d’interaction affective) : personne ne nous manifestant
ce qu’il perçoit de nous, nous évoluons dans une sorte de vide
émotionnel et perdons nos repères. Il est impossible de déterminer
si l’on fait des choses bien, si l’on est « quelqu’un de bien », sans
une évaluation émanant d’autrui.

En termes d’estime de soi, à ne pas oser affronter les situations de


rencontre, la plupart des gens développent une sorte de mépris
d’euxmêmes, qui accentue encore leur mauvaise image d’eux-
mêmes et leur déficit de confiance.
Enfin, une vie sexuelle inexistante ou peu vivante peut contribuer à
un état dépressif, éventuellement chronique.
Ces aspects se combinent dangereusement pour entraîner un état
de dépression plus ou moins important dont il est crucial de sortir
car, plus on est déprimé, plus on se dévalorise, et moins on ose faire
face aux autres. Le cercle vicieux peut s’entretenir interminablement.
L’aboutissement le plus dramatique de la dépression est le suicide,
un cas heureusement rare mais un risque tout à fait réel, car c’est
principalement dans nos relations humaines que nous puisons notre
désir de vie.

Exercice : êtes-vous déprimé ?

En plus de redouter les sorties, vous semble-t-il que l’effort qu’elles vous
coûtent n’en vaut pas la peine ?
Perdez-vous l’intérêt pour ce qui vous procure normalement du plaisir ?
Éprouvez-vous des difficultés pour vous concentrer ?
Avez-vous plus de mal que d’habitude à vous occuper des tâches
quotidiennes – par exemple ranger, faire le ménage, régler les
factures... ?
Avez-vous des accès de tristesse sans déclencheur identifiable, voire des
crises de larmes ?
Votre opinion de vous-même est-elle particulièrement dévalorisée en ce
moment ?
Avez-vous des problèmes de sommeil, dans un sens ou dans l’autre :
réveil très prématuré sans pouvoir vous rendormir, endormissement
irrésistible tôt dans la soirée, difficulté pour vous endormir ?...
Votre appétit est-il perturbé (vous n’avez plus envie de manger, ou faim à
des moments inhabituels) ?
Si vous présentez plusieurs de ces signes, n’hésitez pas à consulter votre
médecin. Il n’est pas toujours facile de diagnostiquer une dépression, car
plusieurs de ces signes peuvent avoir d’autres causes. La réponse médicale
consiste surtout en un traitement médicamenteux (antidépresseur), qui est
parfois indispensable. Lorsque la dépression résulte de l’anxiété sociale, le
mieux est de soigner cette anxiété en recherchant ses causes, avec l’aide
d’un professionnel de la psychothérapie si besoin.

*
***

Les manifestations dites « secondaires » de l’anxiété que nous


venons d’évoquer nuisent sérieusement à la qualité de la vie, jusqu’à
devenir des préoccupations majeures. C’est d’ailleurs souvent une
souffrance liée à la dépression, à des échecs mal digérés, à la
boulimie, aux addictions incontrôlées, etc., qui nous pousse à
rechercher une solution et un traitement.

1. Le terme « addiction » désigne la nécessité impérieuse d’avoir recours à quelque chose,


un véritable asservissement à un produit qu’on avale, qu’on s’injecte, à un comportement
devenu automatique comme les jeux en ligne, les jeux d’argent, mais aussi la course à
pied ou le travail, pratiqués de façon excessive et compulsive. On parle aussi de
toxicomanie, mais ce terme renvoie plutôt au monde de la drogue.

2. McClure Goulding, M. et Goulding, R., Not to Worry, Berkeley Books, 1989.

1. « Compulsif » se rapporte à un acte qu’on accomplit malgré soi, on y cède parfois après
une lutte interne, ou bien par automatisme inconscient. Par exemple le geste de se
ronger les ongles, de s’arracher les boutons.

1. Lowenstein, W., Ces dépendances qui nous gouvernent, Calmann Lévy, 2005. Lumineux
pour comprendre les addictions.

1. Beidel, D.C. et Turner, S.M., « The natural course of shyness and related syndromes », in
Extreme Fear, Shyness and Social Phobia, Schmidt, L.A. et Schulkin, J. (sous la direction
de), Oxford University Press, 1999.
1. Ce terme, emprunté à l’analyse transactionnelle, désigne tout geste, mot, mimique nous
signalant que nous sommes vus, pris en compte, appréciés (signes « positifs ») ou
réprouvés (signes « négatifs »).
Chapitre 5
Petite théorie de l’anxiété
sociale

Grâce au tour d’horizon, dans les chapitres précédents, des


symptômes et manifestations de l’anxiété, vous savez désormais
reconnaître quelqu’un d’anxieux et/ou avez identifié les situations
stressantes qui vous touchent. Pour aller plus loin et comprendre les
mécanismes de la peur des autres, la théorie de l’analyse
transactionnelle (AT)1 propose quelques concepts-clefs.

Les états du moi


L’analyse transactionnelle postule l’existence de trois types d’états
d’esprit, appelés « états du moi » : le Parent, l’Adulte, l’Enfant1.

Le Parent regroupe nos façons d’être « parentales », généralement


inculquées dans notre enfance par des figures de notre entourage
proche (parents et grands-parents, oncles et tantes, instituteur...).
Cette part de notre personnalité s’exprime chaque fois que nous
réconfortons quelqu’un ou réprimandons un enfant, mais aussi en
prenant le leadership d’un groupe de travail, une posture de conseil
vis-à-vis d’un autre.

L’Enfant se rapporte à des états du comportement régressifs. C’est


notre part enfantine qui hurle de peur-plaisir sur un grand huit,
trépigne de rage ou d’impatience, se passionne pour un jeu récréatif.
Ces attitudes surgissent spontanément face à des situations
stressantes : la perte d’un animal aimé, une discussion importante à
mener, une étape amoureuse à franchir...

L’Adulte désigne l’état grâce auquel nous assumons le mieux les


situations d’interaction. Nous sommes capables, dans ces moments,
à la fois de réflexion et de recul ; notre réaction est alors assumée
car elle est le fruit de notre analyse et non d’une réaction
incontrôlée. Quand nos réactions surprennent notre interlocuteur,
c’est en général que nous sommes passés sans logique apparente
de l’état d’Adulte à celui de Parent ou d’Enfant.

Chacun est doté de ces trois aspects de la personnalité, dans des


proportions inégales. D’un individu à l’autre, le contenu, le style, et la
fréquence d’apparition d’un état psychologique varient donc.
Certains ont un Parent sévère et exigeant, d’autres expriment un
Parent tendre et protecteur. La personnalité de l’Enfant peut être
joyeuse et délurée, inventive et charmeuse, ou, à l’inverse, timide,
effacée, inhibée. Untel sera souvent dans l’état Adulte, capable
d’évaluer calmement la plupart des situations, tandis qu’un autre
s’affolera plus vite, revenant au fonctionnement de l’Enfant dès qu’il
est confronté à un stress.
Figure 3 – Les états du moi dans l’anxiété sociale

Chez les personnes souffrant d’anxiété sociale, l’Enfant a peur des


autres (peur de leur déplaire, peur de leur jugement, voire de leur
hostilité). Parallèlement, le Parent est incapable de rassurer cet
Enfant intérieur, parce qu’il le juge lui-même sévèrement. Le Parent
de l’anxieux reproche à sa part Enfant : « imbécile, tu as eu l’air fin,
à bredouiller comme ça ! ». Quant à l’Adulte, qui se situe en retrait
dans les personnalités anxieuses, il n’est pas suffisamment présent
pour leur permettre de tempérer leurs angoisses.

Clémence et ses monstres

Dans son travail, Clémence redoute tellement d’affronter un fournisseur qu’elle


repousse bien souvent la conversation pendant plusieurs semaines. Elle se sent comme
une petite fille qui aurait à commander un adulte. Son Parent intérieur, loin de l’aider,
achève de la déstabiliser : elle se reproche au fond d’elle en permanence d’être lente,
bête, inefficace. Et plus elle se juge, moins elle parvient à agir ou à communiquer avec
le fournisseur.

Le sentiment parasite de peur


Les émotions colorent l’existence et donnent goût à la vie y compris
pour les gens qui en semblent dépourvus, comme certains anxieux.
Dans le spectre des émotions, entre joie et tristesse, sérénité et
colère, optimisme et angoisse, chaque individu éprouve certains
sentiments plus fréquemment que les autres. Les anciens Grecs
faisaient d’ailleurs des émotions une composante de leur typologie
de la personnalité, avec les bilieux (peur), les colériques (colère), les
mélancoliques (tristesse) et les sanguins (joie).

Face à une situation difficile ou inattendue, on envisage volontiers


une réaction identique pour tous. Les gens éprouvent en fait, dans la
majorité des cas, leur émotion favorite. Cette émotion, Éric Berne, à
l’origine de l’analyse transactionnelle, l’a nommée « sentiment
parasite ».

Selon Éric Berne, on s’habitue par la répétition à ressentir et


exprimer un sentiment qui devient dominant. L’environnement
familial et culturel encourage parfois ce phénomène. On observe
ainsi des familles plus ou moins joyeuses ou tristes, cultivant le goût
de l’affrontement ou stigmatisant le conflit, etc. À l’inverse, l’individu
détonne parfois dans sa famille : un enfant triste dans une famille
gaie, rageur dans une culture pacifique.

Dans les cas d’anxiété, c’est très souvent la peur familiale qui
envahit la personne concernée. Le sentiment parasite naît de cette
peur. Quand certains se réjouiraient de la perspective d’un voyage,
l’anxieux est inquiet, préoccupé. Au lieu de se projeter, par
anticipation, dans le plaisir à venir : « je vais voir le Vésuve et
manger des panini ! », il est obnubilé par les risques d’échecs et de
catastrophes : « pourvu que je ne me trompe pas en allant à
l’aéroport, que l’avion ne s’écrase pas, pourvu que le volcan ne se
réveille pas pendant mon séjour, pourvu que je n’aie pas une
intoxication alimentaire, pourvu qu’il n’y ait pas de gens méchants
dans le groupe... ».

Chez l’anxieux social, ces inquiétudes se focalisent sur les relations


interpersonnelles. Il redoute les situations impliquant d’autres
personnes, s’angoisse à l’idée de heurter la sensibilité des autres
autant que d’être lui-même blessé par le jugement d’autrui.

Imaginer le pire

Noémie refuse souvent les invitations. Heureusement, cette jeune femme généreuse a
un petit groupe d’amies fidèles, qui ne se découragent pas. Mais à chaque proposition
de sortie, Noémie se focalise sur les difficultés potentielles : manquer de conversation,
être ennuyeuse, mal habillée, ou, comble d’horreur, blesser quelqu’un par un propos
maladroit. Avec ses amies proches les peurs de Noémie sont moins grandes, mais la
présence d’une seule « étrangère » au groupe la paralyse et suffit à la dissuader de
sortir.
L’anxiété sociale ne se résume pas au phénomène de sentiment
parasite. Comme toutes les formes d’angoisse, c’est un mal qui doit
être identifié et compris par celui qui en souffre pour être surmonté.
La solution n’est donc pas de nier ou de négliger le sentiment
d’anxiété, car occulter notre peur ne nous aide pas à la combattre.
Cependant, plus nous braquons un projecteur sur notre mal-être, en
lui donnant de l’importance, plus le phénomène s’amplifie et devient
problématique. La bonne démarche consiste à changer notre façon
de traiter notre propre anxiété, pas à pas, comme nous
l’expliquerons en troisième partie.

Le poids des méconnaissances


La plupart des problèmes d’anxiété récurrents découlent de
croyances limitantes. La personne effrayée par les chiens se
convainc qu’ils sont dangereux, ou encore qu’elle est elle-même
incapable d’avoir un comportement adéquat face aux chiens. Celle
encline à la violence, se persuade que l’autre mérite d’être maltraité :
« il l’a bien cherché, il m’a poussé » ; qu’elle n’est pas capable de se
maîtriser : « c’est plus fort que moi, je craque » ; que les
circonstances justifient son comportement : « après une journée
pareille, je ne pouvais pas faire autrement ».

Bien sûr, l’anxiété sociale ne fait pas exception. Notre peur des
autres nous incite à ériger des croyances inexactes en vérités
générales :

« je ne suis pas le genre de garçon/fille qu’on aime »,


« personne ne me comprend »,
« je suis nul(le) en matière de relations »,
« les gens sont égoïstes et méchants »,
« si on montre une faiblesse, les autres en profitent pour vous
dévaloriser ».

Or, un aspect important de ces croyances est qu’elles sont basées


sur ce que nous appelons en analyse transactionnelle des
méconnaissances, c’est-à-dire une évaluation erronée de la réalité.

Ces méconnaissances interviennent à différents niveaux :

1. La perception de la situation : je suis convaincu(e) de ne plaire à


personne et cela m’empêche de voir les regards intéressés qui
se posent sur moi ➞ croyance type « je suis invisible », « il ne
m’arrive jamais rien », « personne ne me voit ».
2. L’interprétation de la situation (le sens attribué à un signe émis
par l’Autre) : je m’aperçois qu’on me regarde et j’attribue un sens
négatif à ce regard ➞ croyance type « ils ont remarqué mon
nez » ou « ils me trouvent ridicule ».
3. L’évaluation de ses chances de réussite : je voudrais parler à la
personne qui me regarde, mais je me sous-estime et je crois que
c’est fichu d’avance parce que j’ai peur ➞ croyance type « quand
on n’est pas au top, on ne peut pas... ».
4. L’évaluation de ses ressources personnelles : je reconnais que,
dans une situation identique, d’autres pourraient malgré tout
aborder la personne, mais je suis convaincu(e) que mes propres
efforts seront vains ➞ croyance type « je suis incapable de... ».

L’analyse transactionnelle qualifie ces convictions de


méconnaissances car ce sont des distorsions de la réalité. Il est
donc possible de les redresser pour parvenir à une évaluation plus
juste de notre environnement. La gravité de ces catégories de
méconnaissances est graduelle, de la plus handicapante (1) à la
moins restrictive (4). L’anxieux qui doute de ses capacités à
communiquer est en effet moins loin d’une solution que celui se
croyant invisible, à qui il reste un plus long cheminement pour
résoudre ses difficultés.
Quelles sont vos croyances limitantes ?

Imaginez qu’un lundi soir en rentrant chez vous, un avis est placardé dans
l’entrée de l’immeuble : « Nous organisons une fête pour tous les voisins à
la pizzeria d’à côté, ce samedi 23 mars à partir de 19h. Chacun paie sa part,
l’intérêt est de faire connaissance. Venez nombreux ! » C’est signé Aurélien
et Jacqueline Dupont, le jeune couple qui a emménagé au troisième étage le
mois dernier. Ils ont l’air sympathique, d’ailleurs, mais vous ne les
connaissez pas. Comment réagissez-vous ?

Avez-vous peur (un peu, beaucoup) ? Êtes-vous en même temps tenté (un
peu, beaucoup, pas du tout) ? Que vous dites-vous en votre for intérieur ? :

à votre propos : « oh, non, je suis trop... je ne suis pas assez... je ne serai
pas capable de... je n’oserai jamais... je vais y aller mais je ne
m’amuserai pas... pourvu que je n’aie pas de crise de... » ;
à propos des autres personnes : « ce n’est pas la peine de me donner le
mal d’y aller, les gens sont trop méchants/inintéressants/égoïstes... » ;
« ils vont me juger » ; « on va me poser des questions indiscrètes... » ;
à propos des rencontres possibles : « de toute façon, les relations entre
voisins ça tourne toujours mal », « les histoires d’amour finissent mal en
général alors pas la peine d’essayer de faire connaissance avec le/la
beau/belle célibataire du cinquième », « l’amour, c’est pour les autres,
pas pour moi », « si jamais je rencontre quelqu’un il finira sûrement par
me rejeter comme d’habitude », « je n’intéresse jamais personne ».

Le réflexe du schéma relationnel


Nos schémas relationnels, qui nous guident dans nos relations aux
autres, existent dès le début de notre vie. Au stade d’embryon déjà,
et bien sûr après la naissance, nous sommes en interaction avec
d’autres humains. Ces interactions sont d’abord physiques,
générées par le contact avec notre mère, ou tout autre « soignant » :
la manière dont elle nous porte, nous touche, nous lave, nous parle,
nous embrasse, nous nourrit. Ce toucher convient-il à notre besoin
du moment, ou est-il trop fort, trop léger, trop court, trop prolongé ?

En fonction de ce que nous avons reçu, des schémas se


développent et modèlent nos attentes : nous prévoyons que les
autres vont nous aborder avec un degré plus ou moins juste
d’intensité ou de douceur. Ceux qui ont été traités selon leurs
besoins dans les premiers temps de leur vie s’attendent par la suite
à être encore compris et bien entourés. Ceux qui ont été envahis,
négligés, voire malmenés, continuent d’anticiper de tels mauvais
traitements.
Or la crainte d’être, par exemple, envahi, influence la manière
d’appréhender une rencontre. Soit je présente une sorte de porte
ouverte à l’invasion, et c’est cela qui va m’arriver. Soit je me
barricade pour me protéger, et personne n’osera m’aborder. Ou
encore, l’autre ne verra pas mes barrières, et tentera une approche,
mais moi, je risque de ne pas voir ses efforts, ou de les interpréter
comme une invasion en cours.

Les interactions psychologiques viennent prolonger les premiers


contacts tactiles. Un parent peu patient, facilement irrité par son
nourrisson, risque d’encourager chez son enfant un rapport craintif
au monde, car ce dernier s’attendra à être encore rabroué,
désapprouvé, ou bousculé.

S’enfermer dans les peurs de notre scénario


de vie
Un autre concept de l’analyse transactionnelle utile pour comprendre
l’anxiété sociale est le scénario de vie. Selon cette théorie nous
portons tous en nous un « plan de vie », c’est-à-dire une idée du
genre d’existence auquel nous serions destinés et du type
d’événements susceptibles de se produire (ou pas) dans notre
parcours de vie.

« Ce n’est pas pour moi »

Mathilde n’arrive pas à nouer de relation amoureuse. C’est pourtant une très jolie
jeune femme, intelligente, vive, drôle, généreuse. Mais les rencontres l’intimident
énormément, aussi renonce-t-elle à chercher et trouver un compagnon. Pour se
justifier, elle dit d’un air triste, « de toute façon, ce n’est pas pour moi, cette vie-là ».
Elle ne peut pas expliquer d’où lui vient cette certitude, mais elle est convaincue
qu’elle n’est « pas faite pour le bonheur » répète-t-elle.

Notre scénario de vie induit des certitudes et une vision de


nousmêmes qui nous limitent le plus souvent. Pour Richard Erskine1
« le scénario, c’est la réponse à la question : que fait quelqu’un
comme moi dans un monde comme celui-ci avec des gens comme
vous ? ». Ce scénario se construit à partir d’une vision de soi –
« quelqu’un comme moi », une vision du monde (dangereux, riche,
merveilleux, cruel, etc.), et une vision des autres – « des gens
comme vous » (aimables, durs, égoïstes, etc.).

Ces trois facettes peuvent être à l’origine de l’anxiété sociale. Les


anxieux ont en général une vision dévalorisée d’eux-mêmes. Ils
perçoivent les autres comme des juges et le monde comme un lieu
d’insécurité, une suite d’épreuves à endurer.

« Je ne suis pas comme il faudrait, les gens sont méchants, le monde est sans
pitié »

Patrick, informaticien âgé d’une trentaine d’années, vit secrètement un enfer. Bien que
sa vie présente toutes les apparences de la normalité, dans la maison de banlieue où il
vit avec sa femme et ses enfants, il a l’impression d’être un paria. Il trouve à son
physique, pourtant plutôt avantageux, une litanie de défauts. Patrick se persuade
aisément qu’on rit de lui à cause de son allure. Si ses collègues omettent de le convier
à déjeuner, il se sent rejeté et suppose que c’est à cause de sa bizarrerie. Peu à peu il
s’est isolé, préférant changer d’emploi régulièrement pour côtoyer le moins possible
des gens qu’il croit hostiles. Sa vision de lui-même est très négative – à l’écouter, il
serait moche et inintéressant. Sa vision du monde, très défiante, présuppose non
seulement des individus enclins à juger et à rejeter, mais également la solitude de
chacun face au groupe.

Le scénario de vie tend à s’auto-entretenir. Tant que nous n’avons


pas pris la mesure de nos croyances inconscientes, nous n’en
changeons guère. Il est donc indispensable de s’interroger sur ce
que nous attendons réellement de la vie pour être capable de mettre
en cause nos prévisions « programmées » et envisager nos projets
plus librement.

*
***

Les notions élaborées par l’analyse transactionnelle – sentiment


parasite, méconnaissance ou scénario de vie – nous permettent de
donner un nom, et surtout un sens à des phénomènes
quotidiennement gênants de l’anxiété sociale. À partir de ces
concepts, des moyens pratiques d’infléchir notre vision de nous-
mêmes et des autres, grâce auxquels alléger notre anxiété sociale,
ont été élaborés. Pour en savoir plus sur les moyens de travailler
votre perception du monde et vos schémas relationnels, reportez-
vous au chapitre treize.

1. Pour ceux qui voudraient creuser : Hawkes, L., Le cours de notre vie, l’analyse
transactionnelle aujourd’hui, La Méridienne – Desclée de Brouwer, 2007.
Brécard D, F. et Hawkes, L., Le grand livre de l’analyse transactionnelle, Eyrolles, 2008.

1. Il s’agit de mots du langage courant, on leur met donc des majuscules dans cette
acception particulière afin de distinguer un véritable enfant d’un état du moi Enfant.

1. Erskine, R. G., « Guérir le scénario : niveaux comportemental, intra-psychique et


physiologique »,Actualités en Analyse Transactionnelle n° 16, 1980, p. 155-159 ou
Classiques de l’AT, 2, p. 202-206.
PARTIE II

L’anxiété,
d’où vient-elle ?
Pourquoi sommes-nous effrayés par les autres ? Pourquoi cette
crainte du contact avec autrui, qu’il semblerait naturel d’envisager
comme un plaisir ? Et pourquoi seules certaines personnes sont
affectées par cette peur ? Autant qu’on le comprenne à l’heure
actuelle, l’anxiété sociale est le fruit d’une combinaison entre
tempérament inné et expériences vécues. Nous naissons plus ou
moins prédisposés à une forte sensibilité aux stimuli (extérieurs ou
intérieurs), notamment ceux provenant de personnes. Sur ce
« terrain » se greffent par la suite les expériences relationnelles de la
vie, qui accentuent cette fragilité ou au contraire l’atténuent.
Dans cette partie nous décortiquerons en premier lieu le
tempérament (chapitre six) et les expériences qui ont contribué à
forger notre personnalité (chapitre sept). Ensuite nous passerons en
revue les habitudes qui peuvent renforcer notre prédisposition à
l’angoisse (chapitre huit). Enfin, la notion de scénario de vie, déjà
ébauchée au chapitre cinq, permettra de rassembler et récapituler
ces différents aspects dans une analyse cohérente (chapitre neuf).
Chapitre 6
Le tempérament : nous n’avons
pas tous la même nature

« On ne peut pas dire qu’une tendance liée au tempérament détermine un type de


personnalité particulier. Mais plutôt que chaque tempérament crée une enveloppe
d’aboutissements potentiels, certains plus probables que d’autres. »

Kagan et Snidman1

La définition du tempérament dans le dictionnaire Hachette est la


suivante : (1) ensemble des caractères physiologiques propres à un
individu, « un tempérament robuste » ; (2) ensemble des
dispositions psychologiques de quelqu’un, « un tempérament
calme ». Le psychiatre américain G. Allport, propose en 1962 cette
définition2 :« Le tempérament désigne les phénomènes
caractéristiques de la nature émotionnelle d’un individu, incluant sa
sensibilité aux stimulations émotionnelles, la vitesse et l’intensité
habituelles de ses réactions, la qualité prédominante de son humeur,
et toutes ses particularités de fluctuation et d’intensité d’humeur, ces
phénomènes étant considérés comme dépendants de sa constitution
et, partant, d’origine largement héréditaire ».

Les enfants naissent avec des tendances, des goûts, des dons
divers. Les parents le savent bien, surtout quand ils ont donné le jour
à une fratrie dans laquelle ils ont pu observer des contrastes : l’un
est d’un naturel tranquille, pacifique et calme dans son sommeil ;
l’autre est plus nerveux, se réfugie souvent auprès de ses parents ;
peut-être un troisième enfant aura-t-il tendance à éviter le contact,
préférant dès son plus jeune âge s’occuper seul. Les parents ne
choisissent pas cette inclination, pas plus que le sexe de l’enfant ou
la couleur de ses cheveux. Ce dernier arrive doté d’une certaine
« couleur » psychologique, qu’il convient de respecter.

Le tempérament ne présage pas totalement de l’avenir, cependant –


il ne s’agit pas d’une prédiction, encore moins d’une malédiction ! Au
contraire, il nous renseigne sur nos zones de fragilité émotionnelle,
que nous pouvons alors protéger, au lieu de stresser ces points
faibles. Comme l’indiquent Kagan et Snidman, le tempérament ne
détermine pas une évolution à venir, il rend plus improbables
certaines évolutions. Il ne préside pas aux destinées des individus, à
leur devenir professionnel ni à leur réussite : un enfant plutôt
introverti sera-t-il musicien ou chercheur en sciences physiques,
heureux de vivre ou mal dans sa peau ? Nul ne peut le prédire... En
revanche, il est à peu près sûr de ne pas suivre certaines voies : sa
probabilité de devenir un grand extraverti, animateur de jeux
télévisés, qui sort tous les soirs faire la fête, est faible.

Cet aspect du fonctionnement humain fascine au moins depuis


Galien. Reprenant les idées d’Hippocrate sur les rapports entre les
quatre éléments (air, terre, feu et eau, connus aussi en médecine
chinoise) et les « humeurs »1, Galien propose quatre types de
tempérament : sanguin, colérique, flegmatique (ou lymphatique) et
mélancolique. Déjà, il rapproche ainsi le caractère, les réactions
habituelles des gens, et leur physiologie. Un teint jaunâtre trahit par
exemple une production excessive de bile, liée à une tendance
anxieuse – d’où l’expression « se faire de la bile »).

Vers la fin du XIXe siècle, l’intérêt accru pour la psychiatrie,


provoqué entre autres par le travail de Freud, s’accompagne de
nouvelles conceptions du tempérament. Jung développe alors une
théorie du comportement distinguant deux attitudes fondamentales
(introversion ou extraversion) et quatre fonctions physiologiques
(pensée, sensation, sentiment, intuition)2.
Après la seconde guerre mondiale, et surtout depuis les années
1980, les recherches – aux États-Unis notamment – ont permis
d’élaborer des théories comportementales sur des bases
scientifiques expérimentales. Ces travaux ne cessent d’évoluer, et
les chercheurs divergent dans leurs hypothèses selon qu’ils
appartiennent au domaine de la psychanalyse, de la psychologie de
l’enfant, de la psychologie comportementale ou biologique. Ils
s’accordent toutefois sur l’existence de tendances déterminées
biologiquement, repérables dès le début de la vie.

La notion de tempérament diffère de celle de personnalité en ce que


cette dernière est largement façonnée par nos expériences de vie.
Le tempérament (inné) pourrait être responsable à hauteur d’environ
50 % de la personnalité que nous développons, l’autre moitié étant
le fruit des conditions dans lesquelles nous grandissons. Cette
tendance est ensuite renforcée ou atténuée par les expériences
vécues dans la vie adulte (cf. chapitres huit et neuf).
À partir des théories qui nous semblent les plus pertinentes, nous
allons expliquer les sources de l’anxiété sociale, du tempérament qui
se révèle chez l’enfant à son impact sur la personnalité de l’adulte.

L’anxiété chez l’enfant

Des bébés ultra-réactifs aux enfants inhibés


L’expression « bébé ultra-réactif » est de Jerome Kagan1, une des
grandes figures de la recherche sur le tempérament. Ce professeur
de psychologie de l’université d’Harvard a suivi pendant de
nombreuses années des groupes d’enfants afin d’étudier le
développement des caractères humains. Parmi les traits que l’on
peut attribuer au tempérament inné, il retient celui qui décide des
types de réaction possibles1 : à quatre mois, certains bébés,
fortement réactifs – high-reactive – ont tendance à pleurer, agiter les
bras et les jambes, voire arquer le dos, face à un stimulus inattendu ;
d’autres, dont le tempérament est qualifié de faiblement-réactif –
low-reactive – sont très peu affectés par ces mêmes stimuli (sons ou
objets) : ils remuent à peine ou pas du tout, ne manifestent aucun
signe de malaise ou de nervosité.

À quatorze et vingt-et-un mois, la plupart des enfants ultra-réactifs


se montrent « inhibés » face à ce qui n’est pas familier (personnes,
animaux, jouets mécaniques ou situations inconnues). Ils restent
figés, voire se cachent près de leur parent. Au contraire, les enfants
dits « non-inhibés » – pour la plupart d’ex-bébés faiblement réactifs
– retournent à leurs occupations sans paraître autrement perturbés,
après un coup d’œil à l’élément nouveau.

La suite de leur observation montre que les enfants non-inhibés


deviennent généralement hardis et sociables. La majorité évolue en
adolescents à l’humeur plutôt gaie et détendue, à l’aise avec leur
corps, avides de nouveauté – spectacles, sons, etc. – et de
discussions mettant en cause leurs habitudes ou leur façon
d’appréhender le monde. Les enfants dits inhibés sont en revanche
majoritairement des individus craintifs à dix-huit mois, timides à
quatre ans et demi, anxieux à sept ans et demi.

Parmi ces anxieux, toutefois, une bonne moitié affecte une attitude
d’aisance face aux autres. Sous cette apparence beaucoup
ressentent en fait une grande tension intérieure à la perspective de
rencontrer des inconnus ou de se lancer dans une activité nouvelle.
Ils ont par ailleurs une propension plus forte à se préoccuper de
leurs responsabilités, soucieux de bien les assumer. Conscients
d’être différents de leurs camarades plus à l’aise, ils rêvent de
relations plus simples et plus apaisées avec les autres, de ne plus
s’inquiéter ou souffrir du jugement d’autrui.

Ne dramatisons pas, toutefois. Les études montrent que, si un


enfant de tempérament inhibé a fort peu de chances de devenir un
jeune très sociable, extraverti et sans angoisse, la probabilité qu’il
devienne extrêmement timide et hypersensible est également
limitée. Il sera certainement réservé, mais ne souffrira pas de
difficulté relationnelle particulière (90 % des enfants inhibés
deviennent des adultes capables de rapports décontractés avec
autrui, grâce à l’intervention bénéfique de leurs parents, qui ont su
tenir compte de leur tempérament).

De la même manière, un enfant non-inhibé a plus de chances de


devenir un adulte exubérant qu’un individu très timide, toutes
proportions gardées. Pour résumer, le tempérament empêche (plus
ou moins fortement) l’apparition d’un profil opposé, mais ne
détermine pas irrémédiablement le développement de la
personnalité.

Pour rassurer les très-réactifs, Kagan s’attarde sur les


conséquences négatives d’un tempérament « non-inhibé » : moins
enclines à la culpabilité et à se soucier du regard d’autrui, certaines
personnes non-inhibées ont tendance à opter pour la voie du
moindre effort et à négliger leur travail. À charge, alors, pour la
famille, de les encourager fortement à mener au bout leurs projets
(en particulier les études !), faute de quoi elles risquent
d’abandonner leurs efforts en route, au profit d’une vie sociale bien
remplie, et, pour eux, si facile à développer. Grands anxieux,
consolez-vous, chaque tempérament a ses inconvénients... et ses
privilèges !

L’enfant « lent à s’échauffer »


Stella Chess et Alexander Thomas1 sont un couple de chercheurs
qui font eux aussi partie des pionniers en matière d’études
longitudinales2, aux États-Unis. Démarrée en 1956, leur recherche
appelée NYLS (New York Longitudinal Study) s’est poursuivie sur
près de quarante années. Dans le domaine psychologique, ils ont
repéré des tendances innées affectant les caractères suivants :
niveau d’énergie ou d’activité, intensité des réactions émotionnelles,
rythmicité, adaptabilité, réaction initiale d’approche ou de retrait,
persévérance, tendance à se laisser distraire, et humeur
prédominante.

En combinant ces neuf traits, S. Chess et A. Thomas distinguent


trois types de tempérament :

des enfants faciles (40 % de leur échantillon), adaptables,


calmes ;
des enfants « lents à s’échauffer » (15 %) ;
des enfants difficiles (10 %) ;
le reste des enfants présentant un mélange des différents styles
(35 %).

Ce sont les enfants « lents à s’échauffer » qui se rapprochent le plus


des cas « inhibés » décrits par Kagan. Ils ont tendance à éviter les
situations impliquant des inconnus et présentent une vulnérabilité
particulière, susceptible d’aboutir à une peur des autres. Cette
vulnérabilité ne deviendra toutefois un problème que si l’enfant n’est
pas bien accompagné. C’est pourquoi les auteurs insistent, au moins
autant que sur le tempérament, sur l’importance de l’adéquation de
la relation parent-enfant, qu’ils nomment « goodness of fit ». Nous
aborderons plus en détail les tenants et les aboutissants de cette
compatibilité parent-enfant dans le chapitre onze.

Et plus tard ? L’anxiété chez l’adulte


Certains praticiens établissent un lien entre la phobie sociale1 et un
ensemble de caractéristiques appelé hypersensibilité2. Le profil
d’hypersensible se rapproche lui-même d’un autre tempérament,
l’introversion, que nous allons également décrire ici. Ces deux
caractères favorisent l’anxiété sociale, mais n’en sont pas
l’équivalent : on peut être hypersensible, ou introverti, sans avoir
peur des autres ; on peut aussi, quoique plus rarement, souffrir
d’anxiété sociale sans avoir ces tempéraments de base.

Batteries sociales courte durée, respecter le mode


d’emploi
Parmi les typologies de personnalité, une des plus employées est la
distinction entre introvertis et extravertis1. D’après son stéréotype,
l’extraverti est spontané et animé, il a le contact facile, va vers les
autres et s’exprime facilement, tandis que l’introverti est représenté
en retrait, secret, calme, l’air timide. Cette allure timide n’est parfois
qu’une apparence : tous les introvertis ne sont pas obligatoirement,
ni en permanence, timides et renfermés. Dans un livre très clair,
Olsen Laney2 décrit les différentes caractéristiques des introvertis,
qui ne sont pas forcément en butte à des difficultés pour commercer
avec autrui.
En revanche, même quand elles apprécient les échanges avec les
autres, les personnes introverties ont besoin de solitude pour
« digérer » l’interaction et pour se ressourcer, ensuite. Elles
préfèrent les communications intimes (deux ou trois personnes) aux
grandes réunions. Les extravertis, au contraire, ont besoin de
contact. C’est en collectivité, de préférence dans un groupe animé,
aux échanges intenses ou ludiques, que ces personnes trouvent de
l’énergie. La différence est fondamentale : une journée en
communauté « nourrit » les extravertis, alors qu’elle « use » les
introvertis.
Il est parfois tentant de considérer les introvertis comme des
phobiques sociaux, lorsqu’ils choisissent de s’isoler, mais c’est une
erreur d’appréciation qui ne reflète pas leur mode de
fonctionnement. L’introverti a un besoin vital de se retrouver seul
après une période d’interaction sociale, tout comme l’extraverti,
après un temps de solitude, cherche impérativement de la
compagnie.
Sara, une enfant qui s’occupait toute seule

« L’autre jour je regardais une photo de moi, enfant, où j’étais assise par terre, à
feuilleter un livre. J’ai éprouvé un élan de tendresse, un sentiment très fort, je me
disais « oui, c’est moi, je la reconnais cette petite fille, c’est comme ça que j’étais, que
j’ai toujours été ». Je me suis souvenue de tous mes efforts pour me changer et devenir
quelqu’un de sociable. Mais en fait je suis une personne secrète, indépendante. J’ai
toujours adoré découvrir les choses par moi-même, en étudiant toute seule. »

Nous vivons dans une société à majorité d’extravertis (ils seraient


75 %, d’après Olsen Laney). Être introverti n’est donc pas une
position facile, car nous ne nous conformons pas au modèle
dominant. Cette tendance à passer du temps seul, à fuir les réunions
de masse et les fêtes bruyantes, est souvent jugée asociale, voire
pathologique. Dans certains cas, c’est même la réprobation suscitée
par notre tendance naturelle qui est à l’origine de notre anxiété,
inexistante avant l’âge adulte.

Une introvertie dans la tribu

Issue d’une famille nombreuse, Amélie se sent désapprouvée par ses frères et sœurs,
plus extravertis. Ils aiment se retrouver régulièrement, alors qu’Amélie et son mari
préfèrent éviter ces grands rassemblements, ou les limiter, en s’éclipsant tôt. Ils
refusent toute invitation en semaine, surtout dans les périodes chargées
professionnellement, car ils n’auront pas le loisir, ensuite, de se ressourcer par
quelques heures solitaires.

Le problème vient de ce que les frères et sœurs d’Amélie, plus extravertis, ne


partagent pas cette façon de voir. Pour eux, se retrouver dans des fêtes pleines
d’animation et de bruit est un véritable plaisir. Au fil des années, ils ont de moins en
moins bien accepté le retrait d’Amélie. De temps en temps, une de ses sœurs la
convoque pour la sermonner sur son côté « sauvage », et lui reproche de ne « faire
aucun effort », ou de ne pas aimer les siens. Amélie se sent jugée, au point d’éviter de
plus en plus les réunions de famille. Comme son mari, Jean, est introverti également,
tous deux se replient sur leur famille, privilégiant les moments calmes avec leurs deux
enfants.
La situation aurait pu dégénérer jusqu’à entraîner une rupture définitive.
Heureusement Amélie et sa thérapeute ont discuté de son tempérament introverti et
elle a pris conscience qu’il ne s’agissait nullement d’une pathologie. Les premières
fois qu’Amélie a expliqué cette théorie à sa sœur la plus proche, celle-ci a eu du mal à
ne pas y voir une faiblesse ou une forme d’égoïsme. « Si Jean et toi n’êtes pas
sociables, vous devriez peut-être faire une thérapie pour ça, plutôt » a-t-elle rétorqué.
Mais à force de patience, Amélie est finalement parvenue à se faire comprendre. Sa
sœur a lu quelques ouvrages, s’est intéressée à la question, et a fait l’intermédiaire
avec la tribu. À présent la famille connaît et respecte le « mode d’emploi » d’Amélie
et Jean. On leur fait des invitations ouvertes et on ne s’offusque plus lorsqu’ils partent
tôt dans la soirée ou déclinent une proposition.

Probablement ne sommes-nous pas introvertis OU extravertis, mais


un peu des deux. Imaginons un axe introversion-extraversion, qu’on
pourrait graduer par exemple de 0 à 50 (0 étant le pôle introverti, 50
le pôle extraverti). Amélie se situerait le plus souvent, en posant des
chiffres arbitraires, au niveau « 15 » du continuum (elle a besoin de
beaucoup de solitude, mais est capable d’enseigner, ce qui la situe
vers un tiers de l’axe). Ce point ne serait toutefois pas fixe, car il y a
toujours des moments où nous ressentons l’envie d’un contact et
d’autres instants où nous préférons être seuls. Nous avons une zone
de confort plus ou moins étendue. Ainsi, Amélie pourrait être à peu
près à l’aise entre 0 et 30, sur cette échelle. Les jours où elle est en
forme, elle peut passer du temps en grand groupe (un pic à « 45 »,
hors de sa zone de confort habituelle) à rire et échanger (ensuite, il
faut qu’elle se repose, seule ou avec son mari). Mais en période de
stress, cela lui coûte trop, elle préfèrera éviter, ou ne pas dépasser
une heure parmi les gens, y compris ses frères et sœurs. Elle se
rapproche alors du zéro, devenant très introvertie.

Exercice : et vous ?
Vous pouvez estimer une zone d’aisance pour vous-même : êtes-vous tout
près du pôle introverti, vers le milieu, ou près de l’extraversion ?

Après une journée de travail, préférez-vous vous ressourcer seul ou en petit


comité (I), ou au contraire sortir retrouver une bande d’amis dans un lieu
animé (E) ? Face à un problème à résoudre, avez-vous besoin de réfléchir
seul (I), ou n’êtes-vous vraiment efficace qu’en discussion de groupe (E) ?
Avec un ou des amis, préférez-vous être celui qui écoute (I) ou celui qui
parle (E) ? Quand il y a des messages sur votre répondeur, l’idée de rappeler
les gens vous réjouitelle (E) ou vous est-elle pesante (I) ?
Votre zone de confort est-elle restreinte (vous n’êtes bien que dans un
nombre limité de situations) ou bien large (vous vous adaptez à des
situations très variées) ?
Vous pouvez multiplier les questions sur ce modèle, jusqu’à déterminer si la
compagnie des autres vous « recharge » et vous stimule ou si, au contraire,
elle vous fatigue et vous coûte en efforts.

Vivre dans une autre dimension sensorielle et


émotionnelle
La psychologue américaine, Elaine Aron1, qui a proposé la notion de
tempérament hypersensible retrouvé chez environ 15 à 20 % de la
population, a rapproché ses observations de celles de Kagan sur les
enfants « fortement-réactifs ». Elle a été frappée également par la
propension innée de plusieurs espèces animales à une forte
sensibilité2. Cette sensibilité serait due à un système nerveux
particulièrement sensible, réagissant plus fort aux stimuli, qu’ils
proviennent de l’environnement extérieur ou du corps même. Elle se
traduit, par exemple, par une acuité auditive ou visuelle plus forte,
une réaction à la lumière, la pollution de l’air, la température,
l’ambiance d’un groupe – même des sensations telles que sa propre
faim, ou la peur sont démultipliées...

À fleur de peau
Retrouvons Rachel, qui n’hésite pas à se décrire comme une « écorchée vive ». D’une
part elle est très sensible, susceptible, même, d’autre part elle souffre facilement par
procuration. Un clochard qui trébuche et tombe, un film où l’on échange des coups, un
documentaire animalier montrant une bête attaquée déclenchent chez elle un frisson
douloureux lui parcourant l’échine. L’image de l’être endolori la tourmente des heures
durant. Sa sensibilité s’exprime en permanence : impossible de dormir s’il y a du
bruit, un rien la réveille ; les fêtes trop animées l’agressent et la fatiguent ; la fumée,
les gaz d’échappement lui donnent l’impression d’étouffer.

Ces personnes sont aussi particulièrement sensibles au jugement


d’autrui, perçu avec une grande acuité et très mal supporté. De ce
fait, lorsqu’une interaction ne s’est pas bien déroulée, quelqu’un de
sensible ressentira bien plus fort le malaise lié à cet échec
relationnel – il a « une peau fine » – et la réaction psycho-
physiologique se prolongera longtemps. Une personne moins
sensible n’en fera pas beaucoup cas : elle tournera la page sans
trop y repenser et consacrera son attention à d’autres choses – on
dira qu’elle a « le cuir épais » (cf. figure 2, chapitre deux).
La figure 1 du chapitre deux illustre la situation de la majorité des
personnes à forte sensibilité : les contours pointillés symbolisent la
« peau fine », pénétrable aux stimuli. C’est la propension des
« soldats » prêts à sortir qui varie : chez les plus timides ils restent
plutôt à l’intérieur des murs, aussi poreux soient-ils. Chez d’autres ils
sortent – parfois trop vite – dès que l’interlocuteur semble amical.
Les formes d’hypersensibilité peuvent se répartir en deux familles :
la sensibilité sensorielle et la sensibilité aux autres. Dans la plupart
des cas, l’hypersensibilité s’exprime dans plusieurs domaines parmi
ceux identifiés ci-après – parfois dans toutes les catégories.

Les modalités d’expression de l’hypersensibilité


sensorielle
Sensibilité auditive : vous êtes dérangé plus que les autres par un
bruit de fond, par les ambiances très bruyantes (concerts de
rock...), les sons inattendus ou discordants ; vous êtes très ému
par une son qui vous plaît (une belle musique, un chant
d’oiseau...).
Sensibilité visuelle : vous êtes gêné par les lumières trop vives,
les couleurs criardes ou électriques ; vous êtes touché, parfois
bouleversé par un tableau ou un paysage magnifiques.
Sensibilité tactile : vous êtes irrité par les étoffes rêches, les
étiquettes, les élastiques qui serrent, les ceintures rigides ; vous
appréciez et recherchez particulièrement les contacts doux ; vous
êtes rapidement incommodé par une température trop froide, ou
trop chaude.
Sensibilité olfactive : vous êtes incommodé par les odeurs fortes
ou désagréables ; vous humez avec bonheur les senteurs
délicates, originales et complexes.
Sensibilité gustative : vous remarquez les « petits goûts
bizarres » ; vous dégustez particulièrement les mets raffinés, les
saveurs subtiles.
Sensibilité en lien avec ces perceptions amplifiées : vous avez
des réactions de sursaut fortes en cas de surprise ; votre seuil de
douleur est bas.

Les conséquences de l’hypersensibilité aux autres


Vous devinez facilement quand il manque quelque chose au
confort des autres. Vous vous occupez beaucoup d’eux, vous leur
proposez des coussins, des boissons. Vous avez du mal à vous
détendre tant que vous avez le sentiment que votre interlocuteur
est mal installé.
Vous êtes très conscient de l’agacement des autres ou de leur
désapprobation.
En lien avec le point précédent, vous êtes très sensible à la
pression car quand on vous demande trop de choses à la fois,
vous ressentez le besoin de satisfaire toutes les demandes ET de
faire bien (afin d’éviter toute réprobation).
Vous êtes donc quelqu’un de perfectionniste et consciencieux.
Vous êtes facilement blessé et/ou susceptible.
À cause de votre grande sensibilité au jugement d’autrui, il vous
est difficile de travailler sous le regard d’un autre, ou de rivaliser
avec quelqu’un ; la perception d’une éventuelle hostilité vous est
presque insupportable.
Vous avez besoin de vous isoler, surtout les jours très chargés
(professionnellement, émotionnellement), afin de vous recentrer
en faisant abstraction des besoins des autres et des sollicitations
extérieures.
Vous souffrez de voir des scènes violentes, dans la réalité comme
sur écran, vous évitez donc les films ou les émissions violentes.

Cela peut sembler lourd à vivre ! Pourtant, le tempérament


ultrasensible présente aussi des avantages, puisqu’on est sensible
également aux perceptions positives. Ainsi les hypersensibles
jouissent plus que la moyenne du plaisir de la musique, de l’art, des
émotions dans les relations humaines. Si les peines sont plus fortes,
les joies, les plaisirs le sont aussi ! Certains « normo-sensibles »
envient d’ailleurs la sensibilité profonde de ces personnes, qui leur
permet d’être si intensément émues.

Ivan le sensible

Ivan a tellement peur de causer de la peine à autrui qu’il hésite à nouer une relation
amoureuse. Comme il lui est impossible de s’assurer d’avance de la réussite d’une
relation débutant, il imagine l’instant de la rupture éventuelle, le chagrin de la jeune
femme... et préfère souvent s’abstenir. L’enjeu est si fort qu’il est totalement
bouleversé au moment d’une rencontre. Si la personne semble susceptible de devenir
importante dans sa vie, il a le ventre tellement noué qu’il en perd l’appétit et maigrit
de plusieurs kilos en début de relation. Il dort très mal et ne cesse de se tourmenter.
Sont-ils suffisamment compatibles ? Telle infime discordance ne rend-elle pas tout
avenir impossible ? En contrepartie, Ivan est particulièrement sensible dans d’autres
domaines : il se rend à des expositions et y vit souvent des émotions merveilleuses,
écoute de la musique avec concentration et cuisine délicieusement. Il met d’ailleurs à
profit sa sensibilité pour cultiver ses amitiés : lorsqu’il reçoit, ses invités sont toujours
comblés par les plats créatifs qu’il leur concocte.

Une recherche menée en 20051 prouve la propension des


hypersensibles à éprouver des sentiments pénibles que ne
ressentent pas les normo-sensibles, en particulier dans une situation
d’échec apparent. On donne à des étudiants une tâche de
raisonnement à réaliser par écrit. Certains reçoivent un exercice
difficile et, sans qu’ils le sachent, ceux assis autour d’eux reçoivent
au contraire un devoir facile. Parallèlement, d’autres reçoivent un
exercice facile tandis que leur entourage s’escrime sur une tâche
difficile. Sensibles ou non, les premiers étudiants pensent avoir raté
leur devoir, tandis que les seconds se montrent plutôt satisfaits. La
différence réside dans l’intensité du ressenti : les étudiants sensibles
expriment une joie d’avoir réussi ou une déception d’avoir raté
beaucoup plus intenses. Ils possèdent à la fois une forte conscience
de ceux qui les entourent, et une sensibilité plus aigüe aux émotions.

Les hypothèses biologiques


Plusieurs travaux de recherche montrent par ailleurs des
dissemblances physiologiques – d’ordre chimique – entre les sujets
inhibés ou hypersensibles et les autres.

Le rôle de la sérotonine1 : dans un récent ouvrage2, Boris Cyrulnik


révèle l’existence de « petits transporteurs » de sérotonine qui
présentent une vulnérabilité accrue au stress, aux pertes, aux
blessures. Ils sont moins résistants que les « gros
transporteurs », capables, grâce à un certain gène, de rendre
beaucoup de sérotonine disponible dans l’organisme, ce qui
permet à quelqu’un de rester solide face aux événements en se
rééquilibrant rapidement après un stress.

La solidité des figures publiques

La plupart des hommes politiques arrivent à tolérer des situations que la majorité des
gens jugeraient insupportables : calomnies, attaques, caricatures, le tout sur fond de
stress énorme (campagnes harassantes, manque de sommeil, meetings conflictuels...).
On peut être particulièrement frappé par Barack Obama, dont la capacité de calme et
d’ouverture reste quasiment imperturbable. Mais pas de complexes, ce n’est pas la
norme ! Les « anormaux » sont ces super-solides, au contraire. Une anomalie certes
bénéfique, mais tout de même hors normes.

La dopamine fonctionne un peu à l’inverse de la sérotonine : elle


est plutôt activatrice du système nerveux, tandis que la sérotonine
tendrait à l’apaiser. Éveil, excitation, intérêt, curiosité, désir,
nécessitent l’intervention de la dopamine. Or, selon Olson Laney1,
les personnes introverties seraient particulièrement réceptives à
l’action de ce neurotransmetteur. Chez elles, il semble qu’une
faible quantité suffise à déclencher son effet, aussi évitent-elles
les situations très stimulantes, entraînant des pics de dopamine
qui leur sont très désagréables. C’est probablement une des
raisons pour lesquelles ces personnes préfèrent passer beaucoup
de temps en solitaire, pour se reposer de l’effet stimulant des
interactions humaines. Les extravertis, ayant un seuil de tolérance
plus élevé, auraient besoin d’une dose plus forte de dopamine
pour en ressentir les effets excitants. D’où leur tendance, pour
éprouver des sensations fortes, à rechercher des stimulations
beaucoup plus importantes : vitesse, aventure, risque, films
d’action ou d’épouvante, échanges verbaux musclés...
L’anxiété et le cœur : dans les recherches de Kagan, le groupe
d’enfants extrêmement inhibés présente un rythme cardiaque
élevé et peu sujet aux variations. Pour résumer, le côté
« nerveux » des enfants inhibés se retrouve dans leurs
battements cardiaques, même au repos.
*
***

Nous avons apparemment une propension innée du système


nerveux à être plus ou moins sensible ou excitable. Cette
caractéristique ne détermine pas notre avenir, mais rend certaines
évolutions personnelles beaucoup plus probables. Si tout va bien, si
un enfant est bien accompagné et ne subit pas de traumatisme
particulier, il n’aura aucun mal à cohabiter avec son tempérament
naturel et pourra même jouir des atouts qui y sont liés. Au contraire,
s’il se heurte à des difficultés importantes, comme il est plus
vulnérable, ses risques de souffrir de problèmes relationnels, ou de
présenter une anxiété – voire une phobie sociale – sont plus grands.

À partir de notre tempérament inné, les expériences que nous allons


vivre vont modeler la « pâte » que nous sommes pour produire une
personnalité. Comme le dit Kagan – en citation au début de ce
chapitre – cette donnée de départ ne détermine pas ce que nous
allons devenir, mais elle dessine un champ probable de notre
personnalité future.

1. Kagan, J., Snidman, N., The long shadow of temperament, Belknap Press of Harvard
University Press, 2004.

2. Allport, G., Pattern and Growth in Personality, Holt, Rinehart & Winston, 1962.

1. Des fluides naturellement présents dans le corps : le sang, la lymphe, la bile jaune et
l’atrabile (bile noire), qui doivent, pense-t-on alors, être en équilibre pour assurer une
bonne santé physique et mentale.

2. Dans les années 1960, les célèbres mère et fille Isabel Briggs-Myers et Katherine Cook-
Briggs en ont fait la base de leur test de personnalité « MBTI », le Myers-Briggs Type
Indicator, cf. Joyce, D., The Essentials of Temperament Assessment, John Wiley & Sons,
2010.

1. Kagan relate les péripéties de ces recherches dans son ouvrage autobiographique : An
argument for mind, Yale University Press, 2006.
1. Kagan, J., Snidman, N., The long shadow of temperament, Belknap Press of Harvard
University Press, 2004. En français, se référer à l’ouvrage à peine plus ancien de Kagan,
Kagan, J., La part de l’inné, Bayard, 1999.

1. Chess, S. et Thomas, A., Know your child, Basic Books, 1987.

2. Se dit d’une étude constituée de mesures s’étalant dans le temps à partir d’un point
donné, mais sur une population identique.

1. www.phobiesociale.org.

2. Aron, E., The Highly Sensitive Child, Broadway Books, 2002. En français, Ces gens qui
ont peur d’avoir peur, Éditions de l’Homme, 1999. La notion est proposée par Elaine Aron
dans cet ouvrage, qui est devenu un best-seller aux États-Unis. Le terme adopté en
français, « hypersensibles », est moins positif que l’anglais, « hautement sensible », qui a
plus facilement valeur de qualité, comme pour un instrument de mesure particulièrement
sensible, donc très précis, fin.

1. Jung, C.G., Psychologie de l’inconscient, (orig.1952), Librairie de l’Université, Georg &


Compagnie, 1973.

2. Olsen Laney, Marti, Introverti et heureux, Paris, Les Éditions de l’Homme, 2005.

1. Aron, E., The Highly Sensitive Child, Broadway Books, 2002 ou Aron E., Psychotherapy
and the Highly Sensitive Person : Improving Outcomes for That Minority of People Who
Are the Majority of Clients, Routledge, 2010.

2. Les chats et les chiens, en plus des humains. Kagan affirme qu’un chaton sur sept
naîtrait timide, avec un caractère évitant.

1. Aron E., Psychotherapy and the Highly Sensitive Person : Improving Outcomes for That
Minority of People Who Are the Majority of Clients, Routledge, 2010.

1. Ce neurotransmetteur, que beaucoup connaissent à présent, permet notamment


d’apaiser notre état mental. Selon Cyrulnik, la sérotonine « stimule les désirs, la motricité,
le traitement des fonctions cognitives, la vivacité des apprentissages. Elle peut modifier
l’appétit, régulariser les stades du sommeil lent et augmenter les sécrétions
neuroendocriniennes. Quand un organisme transporte et utilise correctement la
sérotonine, les gens disent qu’“ils se sentent bien” ».

2. Cyrulnik, B., De chair et d’âme, Odile Jacob, 2006.


1. Olsen Laney, Marti, Introverti et heureux, Paris, Les Éditions de l’Homme, 2005.
Chapitre 7
Les expériences vécues : nous
n’avons pas tous la même
histoire

Les évènements de notre vie, ainsi que notre environnement, nous


affectent en bien ou en mal. Si vous souffrez d’un déficit relationnel
et ne parvenez pas à côtoyer sereinement vos pairs, c’est très
probablement que certains moments-clefs de votre existence ont été
traumatisants, puisque le tempérament à lui seul ne suffit pas à
expliquer une anxiété sociale. Nous allons examiner, à chaque
grande étape du développement d’un individu, les conséquences
d’un environnement hostile ou simplement inadéquat.

Au commencement de la vie

Avant la naissance
Selon que la mère vit une grossesse tranquille ou non, le milieu
intrautérin n’est pas le même pour le fœtus. Or ce dernier est en
train de commencer à constituer son système nerveux. Si une partie
de ce système dépend de ses gènes, une autre partie de la
construction est liée à l’ambiance dans laquelle baigne le fœtus.
Soumis à un stress fort et répété, il développera davantage de
réactions d’alerte nerveuse.
Sous les bombes

Gordon est né à Londres pendant la Seconde Guerre mondiale. Durant sa grossesse, sa


mère dut plus d’une fois courir se réfugier dans la station de métro voisine pour se
mettre à l’abri des bombardements. Les deux premières années du bébé furent
marquées par les alertes aériennes, les cris, le bruit, la peur ambiante. Pour faire face
aux exigences sociales et devenir un garçon courageux, Gordon est parvenu à se
construire une façade solide. Il a même créé sa propre entreprise et sait mener son
petit monde avec humanité. Mais dans son for l’intérieur subsiste une crainte toujours
prête à surgir ; il a le sentiment de devoir à tout moment dominer en lui un animal
nerveux qui risquerait de lui faire perdre tout contrôle.

De la même façon, si la mère a un conjoint violent, qui hurle ou la


frappe, non seulement le bébé est imprégné des hormones du stress
maternel, notamment d’adrénaline, mais il perçoit aussi les cris, et
éventuellement reçoit des coups.
Un autre facteur d’anxiété déterminant, antérieur à la naissance,
concerne la psychologie des parents : l’état d’esprit dans lequel est
conçu ce futur enfant. A-t-il été désiré ou était-il un « accident » ?
Les parents étaient-ils entourés, soutenus ? Comment ont-ils
anticipé son arrivée ? Espéraient-ils une fille ou un garçon ? Au
niveau transgénérationnel, des drames familiaux ont-ils pesé sur
cette conception1 ? Certaines circonstances se répètent-elles ? Par
exemple, une jeune fille qui se retrouve enceinte à dix-sept ans par
accident, dont la mère a vécu la même chose, et pour qui cette
grossesse semble matérialiser une sorte de malédiction familiale,
offrira au fœtus une matrice peu accueillante. Son bébé ne sera pas
condamné à l’anxiété, mais il part avec un handicap.

Le « bagage » avec lequel le bébé arrive à sa naissance est qualifié


d’« inné » : il est « né avec ». Il se compose à la fois des tendances
génétiques héréditaires, de la situation de l’embryon puis du fœtus
dans l’utérus maternel, et enfin de la naissance elle-même. Ces
facteurs sont impossibles à démêler tout à fait – d’autant que, on le
sait aujourd’hui, le milieu modifie l’expression des gènes. Mais pour
nombre d’entre nous, rattacher une carence psychologique ou
émotionnelle à notre vécu plutôt qu’à notre équipement génétique
nous procure une certaine liberté : si nous ne pouvons évidemment
pas changer de gènes, nous avons davantage prise sur les
conséquences de nos expériences, même les plus précoces1.

Le choc de la naissance
Dès 1924, Otto Rank2 parlait du « traumatisme de la naissance ». Il
y voyait la véritable origine de l’angoisse, s’éloignant ainsi de Freud
qui la rattachait alors essentiellement au conflit œdipien. La
naissance, nous la traversons tous ; peut-être n’est-elle pas
systématiquement traumatisante, quoique l’on puisse aisément
imaginer en être marqué à vie. Ces longues heures de pression
intense, le passage par l’étroit canal de naissance, l’expulsion
brutale du ventre protecteur – clos, sombre et à température
constante – vers une étendue sans limites, éclairée de lumières
violentes, remplie de bruits que le liquide amniotique n’étouffe plus...
Cela ne peut qu’être très éprouvant. C’est pourquoi certains
médecins, tel le Dr. Leboyer1, proposèrent dans les années 1970
toute une série de mesures facilitant cette douloureuse transition.

Il arrive que la naissance soit particulièrement difficile : lorsque


l’enfant ne parvient pas à sortir, que le travail dure très longtemps,
qu’il faut utiliser les forceps pour le tirer, lorsqu’il arrive cyanosé, le
cordon ombilical enroulé autour du cou... Parfois le nourrisson doit
être placé en couveuse, privé de tout contact humain, au lieu de
pouvoir rester près de sa mère (la médecine moderne offre
néanmoins aujourd’hui de plus en plus de moyens permettant aux
parents de toucher leur bébé, de lui parler, de garder un contact
avec lui, même en cas de pathologie grave). Certaines femmes
décrivent une hémorragie post-partum comme une expérience
particulièrement angoissante, surtout quand elle est détectée
tardivement. Bien que l’enfant soit moins directement touché, il
ressent les émotions de la mère : l’impression de mourir, la solitude
des heures nocturnes, à s’inquiéter des complications possibles...
Donnée pour morte

Née dans un village reculé d’un pays pauvre, la petite Clémence a connu une arrivée
particulièrement difficile. Sa mère a failli mourir pendant l’accouchement et, des
heures durant, tout le monde s’est occupé d’elle avec les moyens du bord, laissant
pour morte l’enfant qui ne réagissait pas. Sa mère finalement sauvée, on s’est aperçu
que Clémence respirait encore. Restée une bonne semaine entre la vie et la mort, on
avait prévenu ses parents qu’elle risquait de conserver des séquelles importantes.
Clémence en a gardé l’impression d’être difforme, « anormale », indigne d’amour. En
amitié, elle s’attend perpétuellement à être rejetée, et devance souvent cette
éventualité en s’effaçant. Dans ses relations amoureuses, elle se retrouve à rendre des
services innombrables à son compagnon, à cause de son sentiment d’avoir toujours à
se rendre utile pour mériter qu’on la garde.

Heureusement, des situations aussi extrêmes sont rares. Mais des


naissances moins dramatiques peuvent également laisser des
traces profondes. Les bébés nés prématurés, notamment, passent
plus ou moins de temps en couveuse, et leurs parents sont souvent
tendus, incertains des séquelles éventuelles de ce temps de
gestation raccourci. Ce stress est ressenti par le nourrisson, déjà
très sensible aux émotions qu’expriment ses parents, et peut laisser
des traces inconscientes d’inquiétude, de sentiment de rejet ou
autre. Le souvenir pénible de ces tout premiers moments de vie,
gravé en lui, constitue quelquefois le soubassement de l’anxiété
d’une personne adulte sans qu’elle en connaisse l’origine exacte.

Le bébé et son entourage


Un des principaux facteurs d’atténuation ou d’accentuation de la
personnalité anxieuse est la capacité des parents à comprendre leur
bébé et à bien s’en occuper. Nous parlerons de “la mère” pour
désigner la personne qui passe le plus de temps avec le nourrisson
(c’est parfois le père, mais statistiquement, assez rarement).

Une mère qui sait entrer en contact avec son bébé va favoriser chez
lui un développement équilibré du système nerveux. Certes, nous
n’arrivons pas tous avec les mêmes cartes en main, mais même
dotés d’un tempérament plus nerveux, si nous avons reçu un
maternage apaisant, nous saurons mieux devenir, à notre tour,
apaisants pour nous-mêmes. Peu à peu, l’adulte, par sa façon de
réagir aux états du nourrisson, lui apprend à comprendre ses
émotions, à les vivre sans se laisser déborder par elles.

Le terme un peu barbare « d’accordage » désigne un phénomène


important lié à l’attitude maternelle.1 Il s’agit de la façon dont la mère
se met sur la bonne longueur d’onde pour rencontrer son bébé,
réagir à ce qu’il vit. Si le nourrisson crie avec colère, elle lui parlera
par exemple avec une certaine fermeté ; s’il pleure, elle compatira
en décrivant d’une voix un peu triste ce qu’elle imagine qu’il ressent.
Elle doit être à la fois dans le même registre que l’enfant, et s’en
démarquer légèrement.2 C’est ce que P. Fonagy appelle « marquer »
la tonalité affective : la mère imite l’émotion du bébé, tout en
marquant une différence, ce qui permettra peu à peu à l’enfant de
comprendre qu’elle et lui sont deux êtres séparés qui peuvent se
comprendre sans ressentir tout à fait la même chose.

Cet accordage est encore plus important dans le cas d’un enfant
hypersensible, sujet à des émotions plus intenses, donc plus
facilement bouleversé. Il aura spécialement besoin d’un parent qui
reçoit tranquillement ses états affectifs, alors qu’un bébé né moins
réactif sera moins altéré par une carence de son environnement.

La compatibilité parents-enfant – « goodness of fit »1


Reprenons la métaphore d’une « couleur » psychologique dont
chacun est doté à son arrivée dans ce monde. La question qui se
pose est : cette couleur convient-elle ou non aux parents ? Un enfant
« vert » arrivant dans une famille « orange » peut rencontrer plus
d’incompréhension que s’il arrivait dans une famille « verte », ou au
moins « bleu-vert ».
Imaginons un enfant qui viendrait au monde avec une tendance très
calme, placide. Si ses parents sont eux-mêmes tranquilles et
pondérés, tout devrait bien se passer. Quand leurs amis se plaignent
de ne plus dormir depuis qu’ils sont devenus parents, ils se vantent
d’avoir la chance de ne pas connaître de tels problèmes. « Le nôtre,
il a fait ses nuits presque tout de suite », affirment-ils fièrement.

Si le même bébé arrive dans une famille très active, avec une mère
en constante ébullition, un père ambitieux et hyperactif, il risque de
décevoir. « Il est tellement lent, parfois j’ai envie de le secouer ! »,
s’exclame la mère, exaspérée. Le père risque de moins s’y
intéresser : il rêvait d’un fils vigoureux et volontaire.

On imagine sans peine à quel point ces deux bébés connaîtront des
vies différentes ! Dans la première famille, le bébé calme a de fortes
chances de se construire une bonne image de lui-même, de prendre
confiance en lui. Sans exubérance excessive, il sera sans doute bien
dans sa peau et à l’aise dans les relations. En revanche, dans la
seconde famille, ce même enfant risque de se sentir très souvent en
porte-à-faux ; il se jugera probablement peu intéressant, lourd et
ennuyeux. Au moment de commencer sa vie scolaire, l’entrée en
contact avec les enseignants et les camarades sera peut-être
difficile.

Sara ou un quiproquo de trente ans

« Ma mère m’a toujours reproché de ne pas l’aimer, de ne pas aimer les gens. Mais ce
n’était pas vrai. J’aimais bien les gens, mais j’aimais vraiment faire les choses seule,
c’est tout. Si elle m’apportait un livre, je l’ouvrais aussitôt et me mettais à l’explorer.
Elle en était déçue, elle aurait voulu me le lire, que je l’attende et l’écoute. Alors elle
se levait, le visage fermé, et s’en allait ; je ne comprenais pas ce que j’avais fait,
pourquoi elle était fâchée. Il a fallu que nous parlions des années plus tard, quand elle
m’a vue avec mon fils David, pour que je comprenne enfin ce qui nous avait séparées.
Elle nous a regardés ensemble souvent, longtemps, avant de me confier un jour :
« C’est comme ça que j’aurais dû faire avec toi, alors ? Moi, je croyais que tu voulais
faire les choses seule parce que tu me repoussais... ». Quel dommage ! Nous avons
vécu une trentaine d’années mal à l’aise l’une avec l’autre, moi extrêmement
culpabilisée, elle blessée de se sentir rejetée, avant de savoir enfin d’où venait le
problème. »

Cette histoire illustre de façon poignante le douloureux malentendu


que peut entraîner un décalage entre la personnalité du parent et le
tempérament de l’enfant, lorsque le parent ne comprend pas sa
progéniture. Ici, la mère a interprété les tendances solitaires de sa
fille comme un rejet. Dans d’autres cas, les jugements portent
directement sur le caractère de l’enfant, son énergie, sa façon d’être,
et peuvent être très destructeurs.

Katryn, un petit maelström dans sa famille

Katryn, bébé vigoureux et curieux de tout, s’est rapidement avérée une fillette hardie
qui explore, expérimente, se relève de toutes ses chutes et repart pour de nouvelles
aventures. Son frère aîné, au contraire, est d’un tempérament sensible ; vite démonté,
il évite les situations difficiles et préfère les activités de type lecture, réflexion,
musique. Dans leur famille, c’est le modèle introverti qui est valorisé. Le garçon
délicat est donc traité avec douceur et approbation, tandis que la fille très tonique est
considérée comme une sorte de grosse brute. Contrairement à ce qui se produit dans
beaucoup d’autres milieux, c’est elle qui souffre et s’est forgé une mauvaise image
d’elle-même. Son frère Philippe connaît les difficultés classiques des enfants
sensibles, mais elles sont tempérées positivement par un bon accueil de la part de ses
parents.

Le plus souvent, c’est un tempérament hautement réactif ou


hypersensible qui est mal reçu, surtout dans le cas d’un garçon,
supposé affronter la vie et le monde avec une détermination virile.

Patrick, « trop » artiste

Patrick est un garçon sensible. Ce qui l’intéressait, adolescent, c’étaient les arts : la
danse, la musique, la peinture, la littérature. Il aurait fait le ravissement de la famille
précédente ! Mais dans la sienne, ses goûts sont considérés comme « efféminés ». Son
père regardait son fils comme un chaton dans une portée de chiots, sans dissimuler un
certain mépris. Au lieu de profiter de ses dons artistiques, Patrick s’en est détourné
jusqu’à presque les détester, et a appris à arborer des airs machos pour se faire
accepter. Mais comme ce n’est pas sa vraie nature, il reste mal à l’aise en société,
redoutant d’être jugé et rejeté.

De nombreux auteurs ont étudié les effets de l’appariement


parentenfant. Tout se passe beaucoup mieux quand il y a un « bon
fit », une bonne compatibilité entre eux – ce qui n’implique pas
nécessairement d’être semblables ! Au contraire, pour S. Chess et
A. Thomas la complémentarité peut être une source
d’enrichissement, à condition que les parents manifestent une
grande tolérance et même un intérêt pour les différences : c’est la
cas d’une mère nerveuse qui se réjouit d’avoir un bébé calme : « il
m’apaise », dit-elle ; ou d’un père introverti qui s’émerveille de sa fille
bavarde, spontanée, charmeuse : « elle me fait rire, c’est mon
oiseau des îles, elle apporte du soleil dans ma vie », explique-t-il.
Ces derniers exemples montrent à quel point la loterie de la
naissance – notre famille – facilite (ou pas) nos rapports aux autres.
La sagesse populaire sait de longue date qu’il est préférable de
naître dans une famille sympathique, ouverte et soudée. Malgré tout,
il faut ajouter à ces aspects le facteur tempérament, qui se cumule
aux autres conditions d’un bon épanouissement social, en positif
comme en négatif.

Ainsi, dans sa recherche portant sur l’évolution des enfants, Kagan a


constaté que les deux tiers des enfants « inhibés » s’épanouissent et
sont des adolescents à l’aise en société – autant que faire se peut à
cet âge souvent inconfortable. Ils se montrent certes moins
grégaires que les non-inhibés, mais ils vivent bien et développent de
bonnes relations sociales. Cela est rendu possible grâce à un
environnement rassurant et compréhensif, qui a su les guider vers
de bonnes compétences sociales.

Patience et longueur de temps...

Clara dirige un service informatique dans une grande entreprise, mais elle donne
également des cours de danse et sert même, parfois, de guide à des groupes voyageant
en Russie, car un de ses loisirs fut d’apprendre le russe ! Pourtant, enfant, Clara était
timide, elle n’osait pas aller parler à ses camarades d’école et s’isolait dans la cour de
récréation. Sa mère s’est d’abord contentée, pendant quelques années, d’observer sa
fille, afin de mesurer comment évoluerait cette tendance. Finalement, son intuition l’a
incitée à prendre les choses en main ; elle a longuement discuté avec Clara, lui a
expliqué qu’elle devait absolument surmonter sa réticence et apprendre à
communiquer avec ses camarades de classe. Clara, d’abord paniquée, a craint de
perdre le soutien de sa mère, la personne en qui elle avait vraiment confiance ; mais
cette dernière a su insister avec douceur. Chaque fois que Clara vivait une situation
difficile, elle la lui faisait raconter et lui suggérait des façons possibles de se
comporter une prochaine fois. Peu à peu la fillette a étendu sa gamme de
comportements et a gagné en assurance. Aujourd’hui adulte, Clara dit se sentir encore
intimidée en son for intérieur, mais à la voir faire, nul ne s’en douterait.

En résumé, comme nous le disions au début de ce chapitre, le


tempérament se contente de prédisposer. Le devenir d’un enfant, la
personnalité qu’il va développer, dépend d’abord, et fortement, du
« fit » avec ses parents. Si au moins l’un d’eux s’harmonise
suffisamment avec lui et apprécie son caractère, l’enfant aura de
grandes chances d’être plus tard un adolescent puis un adulte bien
dans sa peau. Ce dernier conservera cependant son tempérament,
sa « couleur » prédisposée (enclin à la solitude ou plutôt grégaire,
par exemple). En revanche, si aucun de ses parents ne comprend
sa ten-dance, l’enfant risque d’avoir du mal à s’affirmer en société.

L’attachement à une « base de sécurité »


Dès les années 1960, l’importance de l’attachement entre parents et
enfants a été étudiée par des psychanalystes anglais, le plus connu
étant John Bowlby.1 Dans son ouvrage A Secure Base, il affirme :

« Les enfants qui ont des parents sensibles et réactifs peuvent se développer dans la voie de la
santé. Tandis que ceux dont les parents sont insensibles, aréactifs, négligents ou rejetants
risquent de suivre des voies de développement plus ou moins incompatibles avec la santé
mentale, les laissant vulnérables à l’effondrement face à l’adversité ».
À côté des pulsions sexuelles dont la psychanalyse postule
l’existence depuis longtemps, on a démontré l’existence de pulsions
d’attachement : l’enfant a besoin de sentir des liens avec une
personne fiable, qui devient sa « base de sécurité ».

Deux cas d’anxiété pour une cause unique

Zoé et Annie ont grandi comme elles ont pu, souvent laissées à elles-mêmes. Leur
mère était « accro » aux médicaments et passait une bonne partie du temps droguée
aux barbituriques, plus ou moins endormie. Leur père, quant à lui, travaillait beaucoup
et ne rentrait que le soir, nourrir son petit monde. Il leur a fourni une certaine base de
sécurité, mais intermittente, tandis que leur mère ne s’est pas montrée sécurisante du
tout. Aujourd’hui, toutes les deux souffrent de troubles anxieux, quoique de façons
différentes : Zoé, craintive, a peur du monde extérieur, hésite à sortir la nuit et ne se
sent vraiment tranquille que seule dans son appartement. Annie, au contraire,
vadrouille à toute heure sans la moindre peur, fait du cheval, de la moto, du saut en
parachute ; c’est à la maison qu’apparaissent des peurs, la nuit. Le moindre
craquement déclenche chez elle des insomnies, elle ne se sent en sécurité que lorsque
son compagnon est présent.

Pour devenir une base de sécurité, le ou les parents doivent avant


tout se montrer fiables, afin d’ancrer dans l’enfant la certitude qu’il
peut compter sur eux. Ils doivent être suffisamment présents et leurs
réactions prévisibles et aimantes. En cas de détresse, leur rôle est
d’offrir un soutien réconfortant qui diminue ses angoisses. Un enfant
laissé à lui-même n’incorporera pas cette présence rassurante et
gardera en lui une sorte de manque qui le laissera plus vulnérable
aux situations difficiles.
Grâce aux progrès dans le domaine des neurosciences ces
dernières années, des chercheurs1 ont expliqué l’importance des
relations parents-bébé pour le développement cérébral, en
particulier concernant les zones responsables de la régulation des
émotions. Les parents servent de « contenant » aux états
émotionnels éprouvés par le tout-petit, et ce modèle relationnel
s’imprime dans le cerveau de l’enfant.
Même avec un tempérament peu anxieux, un sentiment d’insécurité
peut apparaître en l’absence de cette base de sécurité. Face à un
tempérament hypersensible, elle devient tout bonnement cruciale.
Les recherches d’Aron ont en effet montré que ces enfants sont
nettement plus affectés par des événements d’enfance stressants,
effrayants ou douloureux.

Proche et lointain à la fois

Martine a eu des parents très peu affectueux. Ils travaillaient énormément, rentraient
tard, ne s’intéressaient pas à ce que ressentaient leurs enfants. Parfois, Martine a
encore des flashs de sa chambre d’enfant – elle ne voit que du blanc. La fillette a
manqué de stimulations colorées, de contact, de câlins tendres. Aujourd’hui la jeune
femme a besoin de la présence de son compagnon dans la maison pour pouvoir vaquer
à ses occupations. Sans lui, elle est comme débranchée et n’arrive pas à se concentrer.
Paradoxalement, quand il rentre, elle ne souhaite pas se rapprocher de lui, n’a pas
envie qu’il la touche. Il lui suffit qu’il soit là, de préférence pas trop proche. De même
avec ses rares amies, Martine n’a guère d’échanges intimes. Ses conversations sont
plutôt factuelles, elle a du mal à se révéler ou à questionner l’autre sur son ressenti.

Le manque de liens dans la relation première avec les parents peut


ainsi se retrouver toute la vie d’adulte, si rien n’est fait pour
développer un sentiment de sécurité intérieure.

Se construire : l’enfance et l’adolescence


Période la mieux étudiée par la psychologie, l’enfance est
primordiale dans la construction de la personnalité. C’est à ce
moment que nous nous forgeons une image de nous-mêmes,
répondant à la question « qui suis-je ? ». Nous acquérons aussi une
idée des autres : sont-ils plutôt des compagnons de jeu, des
ennemis, des adultes bienveillants qui nous aident, des agresseurs
potentiels ou bien des juges qui nous condamnent ? Enfin, en
combinant ces deux représentations (nous-mêmes et le monde),
nous parvenons à bâtir des représentations mentales de « soi-en-
relation ».

Le rôle central de la famille


Tous les êtres conscients (animaux ou humains) ont besoin qu’on
leur montre comment fonctionne le monde. C’est une des fonctions
importantes de la famille, après celle de l’attachement : elle est le
lieu où nous apprenons à créer des liens avec les autres, à gérer
des relations. Or les modèles familiaux sont variés, et certains nous
aident plus que d’autres.

Les conséquences d’une famille destructurée


Normalement, la cellule familiale fonctionne selon une structure
claire, avec une distinction nette entre les générations, une autorité
détenue par les parents (jadis, par le père). Il arrive cependant que
l’assignation des rôles soit floue, qu’un ou plusieurs enfants soient
investis de responsabilités qui ne devraient pas leurs incomber. Par
exemple, si le père est un « grand enfant » préférant jouer à
l’ordinateur, le soir, et grognant quand son épouse appelle la famille
à venir à table, il arrive souvent que les enfants perdent leur respect
pour lui. Pour peu que la mère tombe malade, c’est l’un d’eux, plutôt
que le parent, qui se chargera de préparer les repas, de regarder les
devoirs des plus petits... Le poids de ces responsabilités à la fois les
oblige à grandir trop tôt et les prive d’exemples à suivre.

« Mais comment fait-on ? »

Dernier d’une grande fratrie, le petit Jacquou a été beaucoup laissé à luimême. Sa
mère déprimait alors qu’il était enfant et n’a jamais regagné toute sa joie de vivre. Les
plus grands de ses frères et sœurs avaient déjà leur propre vie. Jacques garde de son
enfance des souvenirs heureux : il battait la campagne, toujours à jouer avec les
animaux. À la maison, en revanche, il s’occupait souvent de sa mère, en vrai petit
homme. L’école lui a vite posé un problème : il avait l’impression de ne pas
comprendre comment cela fonctionnait, ni ce qu’on attendait de lui. Adulte, Jacques
est un comptable très compétent, mais paralysé lors des réunions d’équipe. L’idée de
prendre la parole devant les autres lui donne presque des malaises, il devient incapable
de réfléchir. Le pire, ce sont les soirées professionnelles, au cours desquelles il doit
circuler, discuter avec de nombreuses personnes de façon à mettre en valeur son
entreprise et ce qu’il y fait. « Comment fait-on ? », se demande toujours Jacques. Il lui
semble que les autres disposent d’un mode d’emploi qui lui échappe.

Les difficultés de Jacques à décoder les règles comportementales


en groupe prennent racine dans son défaut d’apprentissage (et
d’exemple), à l’âge auquel il aurait dû intégrer ces mécanismes par
l’expérience et l’observation de son entourage familial. Ce type de
manque précoce laisse souvent un sentiment de vide, comme
l’exprime d’ailleurs Jacques. La personnalité fonctionne comme un
mur dont on aurait omis de poser quelques briques à la base : le mur
tient, mais il reste une fragilité, et surtout une impression d’instabilité
et de manque.

Le manque d’alphabétisation émotionnelle


Pour gérer les inévitables angoisses et autres émotions pénibles de
l’existence, nous devons apprendre à « mentaliser ».1 Cette pratique
nous permet de réfléchir à ce qui nous arrive, et nous aide à définir
l’impact des événements sur nous, tout en modérant leur effet s’il est
trop fort.2

C’est d’abord avec nos parents que nous acquérons cette capacité.
Le bébé qui pleure, qui hurle même, en proie à un maelström
d’inconfort, est par exemple pris dans les bras. La mère (ou le père)
lui parle doucement, réussit à « contenir » cet état qui devient alors
supportable (tout ceci est très lié à l’attachement, décrit
précédamment). Au fil des mois, les mots prononcés par les parents
donnent du sens à ce que vit l’enfant : par exemple, « Oh, oui, tu as
mal au ventre, je sais, c’est parce que tu as très faim, oui, tu es
fâché que maman ne t’ait pas encore donné à manger, je sais, je
sais, mais tu vas voir, je suis en train de préparer ton biberon, bientôt
ça ira mieux ». Plus tard les explications portent davantage sur le
terrain affectif, comme « oui, tu as eu très peur de ce grand bruit,
mais ne t’inquiète pas, c’est fini, papa est là, tu es en sécurité ». Ce
type d’interaction apaise l’enfant, lui explique son état de
bouleversement et lui donne peu à peu les moyens de moduler lui-
même les ressentis qu’il éprouvera à l’avenir.
Or, les familles ne savent pas toutes enseigner cela à leurs enfants.
Certaines mères ont du mal à communiquer avec leurs bébés ;
d’autres se débrouillent à ce stade-là – mais plus tard, quand il s’agit
de donner sens aux émotions des plus grands, elles sont perdues.
Elles minimisent, banalisent, balaient le stress de l’enfant d’un
« mais non ! » péremptoire, ou traduisent le malaise en besoin
physique : « tu dois avoir faim, mange donc quelque chose ».

« Tu es formidable, tu es magnifique, tu n’as pas de problème »

Quand Mathilde est arrivée en psychothérapie, elle avait beaucoup de mal à décrire ce
qu’elle ressentait. Son vocabulaire affectif se limitait à « je ne suis pas bien », elle ne
comprenait pas vraiment ce qui la perturbait, ni comment, ou pourquoi. Très vite elle
raconte : « quand j’étais jeune fille, j’ai commencé à me sentir mal dans ma peau. J’en
ai parlé à ma mère, mais elle me répondait invariablement “mais non, ma fille, tu es
formidable, tu es magnifique, tu n’as pas de problème”. J’ai appris à ne pas chercher à
comprendre, à essayer d’oublier mon malaise ». Petite, elle ne se rappelle pas avoir
demandé du soutien ou de l’aide. Et pour cause : le plus important, aux yeux de ses
parents, était qu’elle fût sage. Du moment que leur fille se tenait tranquille, sans bruit,
sans déranger, tout allait bien. Sa mère, « une femme adorable » selon les mots de
Mathilde, ne sait résoudre que les problèmes matériels. Au téléphone avec sa fille, elle
la questionne sur ses repas, son travail, mais lui demander directement si elle est
heureuse ne l’effleure même pas. Ce qui compte, c’est la réalité concrète.

Son éducation n’a pas enseigné à Mathilde comment analyser ses


états affectifs, les identifier, les comprendre ou les soulager par des
solutions appropriées. Tout son ressenti est nié – et pas seulement
le sien, les sentiments en général semblent un domaine de la vie
dénué d’importance. Il lui manque ainsi une connaissance
importante face à l’anxiété sociale : savoir ce qui l’inquiète dans une
situation et ce qu’elle peut mettre en œuvre pour se rassurer et
dépasser sa peur.

Le poids d’un modèle familial anxieux


Quand nos parents se montrent craintifs face à la vie, ils nous offrent
un modèle peu propice au développement, qui se résume en général
à un simple : « en cas de problème, cachons-nous ! ».

Mr & Mme Anxieux et leurs enfants

Mathilde décrit ainsi le milieu dans lequel elle a grandi : « On est une famille de
peureux. Mon père a peur, ma mère a peur, ma sœur a peur, et moi j’ai peur tout le
temps, de tout. Le monde nous semble effrayant. Du coup on ne fait rien, et comme on
ne fait rien, tout nous est inconnu, et l’inconnu nous fait peur. Pas seulement les
inconnus, d’ailleurs, mais presque tous les gens : que vont-ils penser ? comment vont-
ils réagir ? »

Sans doute y a-t-il une part génétique à l’anxiété généralisée de


cette famille. Mais le modèle offert joue également de façon
importante : les parents n’ont pas su montrer à leurs enfants
comment « négocier » avec leur peur ni comment vivre
agréablement malgré elle. Tous restent dans un mode de vie un peu
étriqué à cause de ce sentiment paralysant, qu’ils ne savent pas
apprivoiser.

Main ouverte, main fermée – le degré d’ouverture du


cercle familial
Que la famille soit ou non aidante, elle peut favoriser – plus ou
moins – l’ouverture de ses membres selon le type de relations
qu’elle entretient avec son environnement social. C’est un aspect
supplémentaire du modèle que reçoit l’enfant. Comparons deux cas
opposés.

Une famille éclatée mais ouverte


Rebecca n’a pas bénéficié de parents suffisamment attentifs à ce qu’elle vivait. Un
père qui savait jouer avec ses enfants mais rarement présent – trop tôt disparu, une
mère occupée par sa vie professionnelle et le souci permanent de sauvegarder les
apparences : personne pour suivre sa scolarité ou la surveiller. Le résultat aurait pu
être dramatique, mais Rebecca fut toujours entourée d’amis fidèles car elle avait un
contact facile. L’hérédité l’avait favorisée : elle n’était ni anxieuse, ni inhibée. La
particularité positive de ce cas réside dans le fait que la maison familiale ait toujours
été ouverte aux amis, accueillant souvent des invités, si bien que Rebecca a trouvé
depuis toujours naturel de côtoyer les autres.

Ce cas typique d’enfant « résiliente »1 montre à quel point les


aspects positifs d’une famille, même peu structurée, peuvent être
mis à profit pour construire une aisance face à autrui : ouverture au
monde et confrontation à la différence ; confiance en l’autre ;
pratiques conviviales enseignant la proximité, voire l’intimité ;
apprentissage de la discussion « futile », permettant de nouer un
premier contact...). A contrario, retrouvons Mathilde dont les deux
parents sont toujours restés présents à la maison :

Une famille soudée mais fermée

La famille de Mathilde vit en circuit fermé. Certes, les parents ont quelques copains de
jeunesse, mais ils les voient plutôt à l’extérieur. Après la naissance de leurs enfants,
les réunions d’amis se sont d’ailleurs espacées, au point que la jeune Mathilde a
grandi sans savoir vraiment comment fonctionnent les relations amicales. Elle n’a
pratiquement jamais vu à la maison de gens extérieurs à sa famille immédiate, dont le
modèle est celui d’un noyau resserré sur lui-même, soudé et sans conflit. Un modèle
qui suppose de rester entre soi sans jamais se disputer, ni compter sur le monde
extérieur.

Sur le papier la famille de Mathilde est parfaitement équilibrée : un


père certes sévère mais qui n’a jamais quitté le domicile conjugal,
une mère qui travaille mais s’occupe aussi de la maison et des
enfants, sans jamais faillir. Pourtant, l’anxiété qui régnait chez elle et
le manque de contacts extérieurs ont causé chez la jeune femme un
véritable handicap en matière de relations.
Quand la défaillance vient des parents

Les parents surprotecteurs


Commençons par les parents dont la nocivité est insidieuse, car ils
sont appréciés par tous pour leur gentillesse et leur dévouement, y
compris par leurs propres enfants, dont ils sont pourtant en partie
responsables des éventuelles carences émotionnelles.

Une maman trop bien intentionnée

À vingt-trois ans, lorsqu’il revient dans le giron familial après une tentative de vie
indépendante, Donald est devenu un vrai « sauvage ». Il semble de plus en plus
démuni face aux autres, incapable de se faire des amis. La famille s’en désole. Un soir,
lors d’une fête familiale, le jeune homme surprend une tante en train de déplorer :
« Mais qu’est-ce qui a bien pu arriver à Donald ? Il était si mignon, petit. Tu te
rappelles ? On les voyait arriver ensemble, sa mère et lui, et ils semblaient ne faire
qu’un, ils se comprenaient sans même avoir besoin de se parler. ». Très secoué par ce
qu’il venait d’entendre, Donald a démarré peu après une psychothérapie pour
comprendre ce qu’il vivait. Peu à peu il a pris conscience que sa mère l’avait toujours
surprotégé, aplanissant les difficultés devant lui, le consolant, lui expliquant que les
autres n’étaient pas assez bien pour lui. En cas de conflit, elle l’emmenait d’ailleurs
faire une activité avec elle plutôt qu’avec ses camarades, « trop méchants », disait-
elle.

L’attitude de la mère de Donald peut sembler idéale : elle comprend


parfaitement son enfant, l’apprécie, le trouve formidable. On pourrait
penser qu’elle a un « fit » parfait avec son fils. Qui n’a jamais rêvé
d’être aussi bien entouré et réconforté ? Le problème est
finalement... le manque de problèmes entre elle et son fils, qu’elle
n’a jamais laissé se confronter aux autres, et qui ne sait pas vivre en
société sans son aide. Une mère doit être, selon l’expression
consacrée de Winnicott1, « suffisamment bonne ». Suffisamment,
c’est-à-dire, ni trop peu, ni trop ! Avoir des parents trop gentils, et/ou
trop compréhensifs ne nous aide pas à apprendre à vivre en bonne
intelligence avec les autres.
« Les autres ne sont pas assez bien pour toi »

Enfant, Donald n’a pas appris à endurer les conflits avec ses pairs. Un de ses
problèmes est qu’il ne supporte pas de passer inaperçu : sa mère l’a tant porté aux
nues qu’il a besoin d’occuper le centre de la scène : lorsque cela n’arrive pas, à table,
en famille, le petit garçon interrompt tout le monde pour se faire écouter. Le problème
est que ce comportement, à l’école, lui a valu d’être souvent agressé. Ne supportant
pas ces attaques, il a de plus en plus préféré la compagnie de sa mère, et est devenu
véritablement incompétent socialement face aux jeunes de son âge : il ne sait pas
comment interagir avec eux parce qu’il ignore leurs codes de conduite et de
communication.

Idéalement les parents protègent efficacement leur progéniture, puis


la laissent progressivement faire ses propres armes. Il faut accepter
de ne pas pouvoir épargner toute souffrance à son enfant, supporter
qu’il fasse ses expériences, parfois douloureuses, et apprenne à
vivre en société sans être le centre du monde.

Les parents critiques


On pense plus fréquemment au problème des parents qui, au lieu
d’être trop bons, ne le sont pas assez. S’ils nous ont beaucoup
critiqués lorsque nous étions enfant, nous avons en effet tendance à
intérioriser ces critiques et à les revivre en tant qu’adultes.

« Tu es égoïste, personne ne voudra de toi »

Clémence a du mal à garder ses amis. Son père lui a tellement dit, petite, qu’elle était
pleine de défauts, qu’elle s’en est convaincue. Elle est pourtant une jeune femme aussi
touchante que douée, et beaucoup sont attirés par sa personnalité chaleureuse.
Malheureusement, à la première difficulté relationnelle, Clémence, persuadée qu’on
ne veut plus d’elle, coupe tout contact pour se protéger de la souffrance du rejet. Elle
évite la personne, ne la rappelle plus et ainsi perd la relation.

La plupart des enfants sont tellement sensibles à l’opinion de leurs


parents que leur désapprobation, si elle est fréquente, les marque
durablement.
Mission impossible

Rappelez-vous Chloé, qui redoute tant d’avoir à diriger des collaborateurs. Sa peur
n’est pas difficile à comprendre : enfant, cette fille aînée devait souvent garder ses
petites sœurs, les faire dîner, surveiller leurs devoirs. Or les petites ne l’entendaient
pas de cette oreille et la faisaient tourner en bourrique. Chloé finissait alors par crier et
menacer. Ses sœurs se plaignaient ensuite à leur mère, qui tançait sévèrement son
aînée : « Pour qui te prendstu ? Tu n’as aucun droit de gronder quiconque, ici ! ». La
situation était impossible pour l’enfant, à la fois chargée de responsabilités et privée
de toute autorité. Ce blocage reste actif dans sa vie d’adulte, l’empêchant de s’affirmer
à bon escient dans son poste.

L’enfant a besoin d’être reconnu pour ce qu’il fait bien. Si, comme
Chloé, il est critiqué quoi qu’il fasse, il ne construit pas la confiance
qui lui est nécessaire pour prendre sa place dans la société.

Maltraitance et traumatismes
Les situations de maltraitance peuvent aller de la négligence
chronique (un parent déprimé, drogué, indifférent...) à des sévices
répétés, en passant par les énervements – parfois très traumatisants
– d’un parent qui perd patience. Baigner dans une telle insécurité
peut transformer un enfant au tempérament solide en adolescent ou
jeune adulte renfermé. Sur un enfant hypersensible, l’impact est
encore bien plus fort.

Une mère dépassée, une enfant négligée

Dès les jours suivant son retour de la clinique, la mère de Rachel ne supporte pas ses
pleurs. Elle crie, la menace, claque les portes – augmentant encore la détresse du bébé,
ce qui redouble l’exaspération maternelle. Rachel devient une enfant craintive et
secrète qui fuit sa mère, laquelle lui lance souvent, méprisante : « tu n’es qu’une
pleurnicharde ». De plus en plus renfermée, la fillette reste autant que possible dans sa
chambre ou bien dehors, à regarder les arbres, les fleurs, les oiseaux. Chaque
rencontre semble recéler la menace d’être attaquée. La rentrée des classes la terrorise,
à cause de toutes les nouvelles personnes à découvrir. Souvent, la peur est si forte que
la fillette, pliée en deux par les douleurs abdominales, est envoyée à l’infirmerie – ce
qui lui permet d’éviter les salles de classe, si effrayantes pour elle.

Le cas de Rachel est un exemple de maltraitance très ordinaire, qui


ne mobiliserait pas les services sociaux. À cause du mauvais fit de
départ, mère et fille ne sont jamais parvenues à se sentir bien
ensemble. Et ce début difficile n’a pas été rattrapé par une phase de
rapprochement. Heureusement, le père, quoique peu présent, est
rassurant par son caractère plus calme et gentil. C’est ce qui permet
à Rachel de savoir qu’il existe aussi dans le monde des personnes
susceptibles de l’accepter.
Un enfant peut être plus gravement détruit s’il est battu par un de
ses parents. D’une part, les mauvais traitements peuvent lui donner
l’impression qu’il est mauvais, qu’il mérite d’être maltraité. D’autre
part, il se construit une image d’autrui inquiétante : si sa mère,
supposée entre tous le réconforter et le protéger, le rejette ou le
frappe, alors de quoi sont capables les autres ?
Les abus sexuels, extrêmement destructeurs, ont souvent un effet
plus insidieux, car ils sont presque toujours perpétrés sous le sceau
du secret. Souvent, l’agresseur est un familier qui prétend aimer
l’enfant, ce qui peut détruire toute confiance en l’Autre, car l’enfant
est confronté à un adulte supposé protecteur, qui envahit son
corps... L’agression sexuelle mine aussi la confiance en soi : on se
soupçonne d’être d’une manière ou d’une autre responsable, d’avoir
coopéré, provoqué, suscité cette attention, voire d’en avoir profité.

Le beau jeune homme sauvage

Jonas, danseur de quarante ans, frappe par la beauté de son corps et de son visage très
pur. Marié à une femme qui est aussi son amie et sa complice, il ne peut s’abandonner
vraiment à elle, bien qu’il ait confiance en elle plus qu’en quiconque. Impossible de se
laisser aller dans ses bras, de s’y endormir, de la laisser le réconforter. À l’âge de huit
ans, Jonas a subi des attouchements de la part d’un adulte ami de ses parents, à qui il
avait été confié. Il lui en reste une profonde méfiance vis-à-vis d’autrui, qui s’exprime
par des accès de colère contre des gens qui le regardent ou le bousculent dans le
métro. Il lui a fallu tout un travail pour parvenir à s’affirmer dans la vie de façon
pacifique et commencer à se faire une place. Il est alors devenu chorégraphe et fait
depuis danser les autres, avec un art de la relation tiré de ses propres expériences.

Les conséquences d’un abus sexuel ne sont pas prévisibles :


certains seront terriblement marqués, leur vie saccagée ; d’autres
parviendront à faire d’une scène d’abus – si elle est isolée et non
violente, si l’enfant n’était pas trop jeune, s’il est bien aidé ensuite –
un épisode relativement peu important de leur vie. D’autres encore
construisent des défenses telles qu’ils n’ont même plus conscience
de leur peur. Elle existe encore, mais reste enfouie, masquée par
d’autres symptômes, des comportements surprenants, comme les
anciens accès de colères de Jonas.

Être spectateur de la souffrance d’autrui peut avoir des


conséquences tout aussi graves. Souvent, les enfants ayant vu
battre un proche intègrent une peur de l’autre et ont tendance à se
dévaloriser ; ils se reprochent de ne pas avoir protégé leur mère,
leur frère ou sœur.
La perte d’un membre de la famille peut également engendrer un
sentiment de précarité : « je peux mourir aussi d’un instant à
l’autre » ; de culpabilité : « maman aurait préféré que ce soit moi qui
meure ».

Exercice : vos parents ont-ils été nocifs ?


Répondez par OUI ou par NON aux questions suivantes sur le tempérament
de vos parents, la relation que vous entretenez avec eux, l’environnement
qu’ils ont créé autour de vous durant votre enfance et votre adolescence.

Les questions s’adressent à vous en l’état si vous vivez encore chez vos
parents. Si ce n’est pas le cas, faites appel à vos souvenirs, pour tracer un
portrait juste de l’environnement dans lequel vous vous êtes construit
jusqu’à devenir l’adulte que vous êtes.
OUI NON
Parents timides et anxieux
1. Vos parents pratiquent-ils l’un ou l’autre un sport (en
dehors du jogging solitaire), en club ou à l’extérieur ?
2. Vos parents participent-ils à des activités de loisir en
groupe : travaux manuels, bricolages, groupe de
réflexion... ?
3. Vos parents invitent-ils dans votre maison au moins une
fois par mois des personnes extérieures au cercle
familial strict (barbecue, dîner d’amis, thé entre amies
pour Madame, soirée festive, bridge...) ?
4. À votre connaissance, vos parents ont-ils des relations
amicales – sans être intimes nécessairement – avec
certains de leurs collègues, en dehors de leur cadre
professionnel (pour boire un verre à la fin de la journée,
s’inviter à dîner de temps en temps...) ?
5. Est-il arrivé que vos parents organisent une fête pour votre
anniversaire en conviant vos camarades de classe ?
6. Vos parents vous emmènent-ils régulièrement dans des
fêtes familiales auxquelles ils se rendent ?
Parents surprotecteurs
7. Jeune enfant, aviez-vous le droit d’aller acheter le pain ou
des bonbons seul à la boulangerie la plus proche de chez
vous ?
8. Plus tard, étiez-vous autorisé à sortir seul avec vos
camarades (dans des conditions raisonnables de sécurité) ?
9. Êtes-vous déjà allé en camp ou colonie de vacances ?
10. Un de vos parents, ou les deux vous répètent-ils que vous
valez mieux que vos camarades quand une situation vous
contrarie ?
11. Vos parents vous incitent-ils à pratiquer un sport, vous
ont-ils inscrit dans un club ?
12. Vos parents refusent-ils que vous pratiquiez un sport parce
qu’il est « dangereux » (arts martiaux, boxe, rugby...) ?
OUI NON
13. Vous coupent-ils la parole, ou prennent-ils les devants en
parlant pour vous, lorsque vous avez à vous présenter
devant un (ou des) inconnu(s) ?
14. Vos parents sont-ils intrusifs dans votre vie (choix d’étude
ou professionnel, choix de votre partenaire, mode de vie)
par peur que vous vous trompiez ou échouiez ?
Parents sévères et punitifs
15. Êtes-vous encouragé, ou même autorisé à exprimer votre
sentiment (enthousiasme ou désaccord) devant vos
parents ?
16. Subissez-vous des punitions corporelles répétées pour ne
pas avoir respecté les règles que vous fixent vos parents :
fessées, puis gifles ; mise
au piquet, enfermement dans votre chambre, travail de
punition pénible, etc. ?
17. Êtes-vous privé de sorties – activités de loisir et sportives,
ou rencontres amicales – si vous ne répondez pas aux
attentes de vos parents (mauvais bulletin scolaire...) ?
18. Recevez-vous presque quotidiennement des remarques
désobligeantes ou méprisantes de la part de l’un ou l’autre
de vos parents ?
19. L’un ou l’autre de vos parents est-il parfois déprimé,
colérique ou indifférent à votre égard ?
20. Vos parents partagent-ils certaines de vos activités sur leur
temps libre (vélo dans un parc, promenade en forêt, visite
d’un musée...) ?
21. Si vous appartenez à une fratrie, vos parents vous font-ils
parfois comprendre qu’ils n’apprécient guère votre
caractère en comparaison de celui de vos frères et sœurs ?

Décomptez, à partir des cases que vous avez cochées, votre total de et
celui de . Si vous avez au moins sept sur l’ensemble des questions, ou
au moins quatre sur un seul profil de parent nocif, vous pouvez
considérer que l’un ou vos deux parents (c’est selon) a eu un effet
destructeur sur votre développement personnel et votre confiance en vous,
qui se répercute probablement aujourd’hui dans votre personnalité.

Attention, les dégâts ne sont pas toujours dramatiques, jamais irréparables.


Il ne s’agit pas de faire un mauvais procès à vos parents, mais de mieux
comprendre leurs faiblesses et les « ratés » de votre relation, qu’ils n’ont
pas toujours su conduire de la bonne façon. Une fois que vous aurez bien
cerné l’origine de votre déficit de confiance ou de votre peur, il vous sera
beaucoup plus facile de les combattre.

Le milieu scolaire – les petits (ou pas si petits)


traumatismes et leur impact
L’environnement scolaire prend une importance croissante au fil des
ans. Il peut atténuer les problèmes rencontrés dans la famille, ou, au
contraire, les accentuer. L’école est parfois aussi, malheureusement,
la source de difficultés que l’enfant ne connaissait pas dans le cocon
familial.
Si les relations avec ses camarades de classe sont traumatisantes,
elles peuvent déclencher une anxiété voire une phobie sociale chez
un enfant qui, dans sa famille, n’avait pas de problème particulier.
De tous temps les écoliers ou les collégiens ont pratiqué le boycott
de certains des leurs, les taquineries cruelles, l’exclusion et la
moquerie, souvent d’une victime répétée. On peut ajouter, de nos
jours, le risque d’une agression en règle sur Facebook ou un autre
réseau social.

Agathe, le bouc-émissaire

La famille d’Agathe n’a rien remarqué, pendant longtemps. Son père étant gravement
malade, la fillette ne voulait pas ajouter un fardeau, ni à lui ni à sa mère, en leur
racontant ses déboires ; aussi a-t-elle subi sans une plainte deux années de
persécutions. Cette fille unique, venue d’une famille aisée et particulièrement calme,
n’était pas préparée à se défendre d’une meneuse rude, méprisante, cruelle même. Dès
le premier jour dans sa nouvelle école, à neuf ans, Agathe fut prise pour cible par celle
qui régnait sur la classe. Pendant tout le reste de l’année ainsi que celle qui suivit,
chaque jour a apporté son lot de brimades. Heureusement, la famille d’Agathe a
ensuite déménagé, mais le mal était fait. Profondément affectée, elle avait changé de
caractère, au point que sa mère s’en inquiétait quelquefois. Jadis spontanée et joyeuse,
la fillette était devenue timide et renfermée, se dévalorisait constamment et subissait
passivement les événements au lieu de réagir.

En général, l’enfant attaqué présente une faille dans laquelle


s’engouffrent les moqueurs : il est plus petit, plus gros, plus ou
moins intelligent, s’effraie plus facilement, bégaie, zozote, ou
simplement ne connaît pas les règles implicites du groupe. Si
l’enfant vient d’une fratrie qui l’a déjà fait souffrir en se moquant de
ce trait, il arrivera porteur d’une blessure, mais un peu préparé à se
défendre. Si au contraire il est enfant unique, ou si ses parents l’ont
surprotégé, l’attitude des autres risque de le déstabiliser très
fortement, voire de le traumatiser.

Une deuxième chance ?

Un nouveau départ
L’adolescence est une période particulière, difficile parfois,
potentiellement si riche. Tous les repères changent, toutes les
relations sont remises en jeu : en famille, à l’école, dans les
nouveaux cercles, le jeune et ses parents bénéficient d’une seconde
chance. Lui peut faire de nouvelles expériences, ouvrir des portes
qui s’étaient fermées. Eux peuvent réparer certaines de leurs
erreurs, offrir ce qu’ils n’avaient pas su donner dans les stades
antérieurs du développement. Par exemple, si les parents ont
entamé une psychothérapie, ou simplement mûri, ils peuvent cesser
de surprotéger leur enfant devenu adolescent, ou ne plus le
dévaloriser, apprendre à reconnaître ses qualités... À l’adolescence,
ces changements auront plus de chances d’être mis à profit par le
jeune.
L’opportunité vient en partie de l’importance accrue des pairs. En
effet, s’investir à temps plein dans un groupe de jeunes de son âge
donne à l’adolescent accès à d’autres milieux, avec leurs règles,
différentes de celles de la famille. Si le jeune se réfugie dans sa
famille, au contraire, son problème de timidité s’enkystera
probablement.
Les parents redoutent souvent que les nouvelles fréquentations de
leur enfant lui soient néfastes. Ils craignent que les précieux copains
se montrent trop délurés, que leurs valeurs soient trop différentes de
celles de la famille. Quand les expériences scolaires ont été
difficiles, l’adolescence peut constituer le point de départ d’une
confiance nouvelle, si le soutien des pairs est bénéfique ; mais le
risque existe effectivement que les plaies ouvertes chez l’écolier se
rouvrent, s’aggravent.1

L’engrenage destructeur du groupe

C’est au lycée que Patrick s’est vraiment renfermé. Jusque-là, il arrivait assez bien à
vivre, malgré le manque de liens avec ses camarades et la froideur distante de ses
parents. Mais l’année de ses quinze ans, une rumeur a circulé dans son collège au sujet
de son homosexualité supposée. Il a été stigmatisé, insulté, cruellement moqué par les
autres élèves. Un jour, en rentrant chez lui, il a même été poursuivi par un petit groupe
de jeunes impitoyables, qui lui criaient des insultes et des menaces. Traumatisé,
Patrick a eu toutes les peines du monde à retourner au lycée, à terminer sa scolarité,
s’isolant de plus en plus. Bien que la vague d’hostilité se soit éteinte d’elle-même
après quelques semaines, la blessure était là et la confiance de Patrick détruite.

Le mécanisme salvateur de la résilience


Tout cela peut paraître bien pessimiste. Un tel répertoire de
dérapages, d’échecs ou de traumatismes potentiels, qui peuvent
entraîner pour l’enfant des conséquences invalidantes...
Heureusement, il n’y a pas de fatalité, beaucoup s’en sortent bien
malgré des circonstances de départ peu encourageantes.1 C’est le
cas des enfants dits résilients, qui tiennent le coup alors que tout
semblait les vouer à une vie d’échec ou de pathologie
psychologique2. Certains trouvent en eux le ressort nécessaire pour
faire face envers et contre tout. Dès les années 1970, George
Vaillant3 s’est intéressé aux vies étonnamment réussies de certains
hommes peu favorisés à leur naissance, suivis à partir de 1937 par
une étude longitudinale appelée la Grant Study of Adult
Development. En 1987 est paru l’ouvrage d’Anthony et Cohler4, suivi
en France du travail de Boris Cyrulnik5 sur le thème de la résilience
chez les enfants.
Cette réussite, cependant, a un coût. Les obstacles importants dans
le début de la vie laissent généralement des traces, d’une façon ou
d’une autre. Certains réussissent professionnellement, mais leur vie
privée reste pauvre. Ceux-là, peut-être, souffrent d’une certaine
anxiété sociale, au moins d’une peur de l’intimité, d’une incapacité à
se confier et compter sur autrui (cf. chapitre trois, p. 29).

D’autres parviennent à apprendre à se fier à autrui, surtout quand ils


ont bénéficié de « tuteurs de résilience » comme les appelle
Cyrulnik : une ou des personnes bénéfiques qui sont intervenues à
un moment important du développement de l’enfant pour apprécier
ses qualités, le soutenir, lui faire découvrir des aspects essentiels de
la vie.

Une rencontre décisive

Yvon a conscience de ce qu’il doit à quelques bienfaiteurs qui ont jalonné sa vie. Non
qu’il estime avoir eu des parents épouvantables : son père était terriblement immature
et timide lorsqu’il eut ce premier fils, et sa mère, dépressive chronique, n’osait guère
affronter le monde et restait à la maison autant que possible. Les deux étaient très
jeunes lorsqu’ Yvon est né. Le garçon a grandi laissé à lui-même, à courir la campagne
en observant les oiseaux et la nature. « Si je ne suis pas un sauvage, c’est grâce à mon
instituteur, qui m’a trouvé intelligent et m’a emmené toutes les semaines à la
bibliothèque municipale. Il me choisissait des livres à lire et m’encourageait à en
discuter avec lui, ça m’a donné le goût des études ».
Malgré cela, à dix-neuf ans, Yvon consomme et vend de la drogue, tout en suivant
sans conviction des études universitaires. Un soir, arrêté en possession de quelques
grammes de haschisch, il rencontre Max, un homme d’une soixantaine d’années venu
au poste chercher un de ses protégés. Max l’invite à venir chez lui avec l’autre garçon,
et Yvon, sans vraiment savoir pourquoi, le suit. Il est accueilli dans « la maison du bon
Dieu », selon ses propres mots : Flora, la femme de Max, est une femme joyeuse et
autoritaire, un cordon bleu qui a toujours une casserole sur le feu pour les jeunes logés
là et les amis de passage. Le couple de retraités a entrepris de récupérer quelques
gamins en perdition, et leur foyer chaleureux, vivant, en a sauvé plus d’un. C’est le
cas d’Yvon, qui s’est alors investi dans ses études de psychologie et les a brillamment
réussies, logeant deux années pleines chez ce couple peu ordinaire. Il y a appris aussi
la cuisine et une façon d’aimer vivante et joyeuse, qui imprègne depuis toute son
existence.

Notre scénario de vie est, certes, fortement influencé par notre


enfance. Mais comme le montre l’histoire d’Yvon, tout n’est pas joué
à ce moment-là, loin de là !

Expériences destructrices à l’âge adulte


Certaines personnes traversent dans leur vie adulte des périodes
plus ou moins longues qui les abîment. Une situation toxique, quand
elle se prolonge, finit par éroder la confiance en soi. Le sentiment de
la valeur personnelle baisse et la personne ose de moins en moins
se montrer ou se confronter aux autres. Cela peut n’être que
temporaire, mais l’état d’affaiblissement moral et psychologique peut
se chroniciser lorsque la situation dévalorisante se pérennise.

Dans la sphère professionnelle

L’angoisse d’être chômeur


Dans notre société, la valeur sociale est fortement corrélée au travail
(parfois même au revenu). Aussi le chômage prolongé constitue-t-il
un facteur majeur de perte de confiance en soi. Ceux qui restent
longtemps sans emploi ont l’impression de n’intéresser personne –
ni employeur, ni amis potentiels. Ils redoutent l’inévitable question :
« que faites-vous, dans la vie ? ». Les chômeurs – « pôleurs »
comme disent maintenant les clients du « pôle emploi » – peuvent
garder leur humour un certain temps, mais à la longue une sorte de
honte sociale s’installe. « Tu vis aux crochets de la société », les
accusent certains. Évidemment, la situation de chômage n’entraîne
pas une anxiété sociale chez tout le monde, mais ceux qui avaient
une fragilité, liée à leur tempérament et à des circonstances
d’enfance peu épanouissantes, risquent fortement de se replier sur
eux-mêmes, en perte de confiance après de longs mois sans travail.

Les jeunes qui démarrent leur vie professionnelle en se heurtant à


des portes closes ou en ne trouvant que des emplois sous-qualifiés
ou sous-payés sont particulièrement vulnérables, car ils n’ont pas
encore eu l’occasion de faire leurs preuves.
De la même manière, ceux qui exercent une profession menacée de
disparaître en raison de la modernisation, peuvent avoir une
impression d’inutilité. Par exemple, les métiers de l’imprimerie
évoluent radicalement à cause de l’intervention désormais
omniprésente de l’informatique. Les plus jeunes se reconvertissent,
mais les plus âgés courent le risque de se retrouver sur le bord de la
route.
Si les travailleurs de l’industrie lourde peuvent se serrer les coudes
face à la modernisation, une personne dans une situation plus isolée
sera plus fragile et perdra sa confiance en elle plus rapidement
encore.

Tania ou les abîmes de la précarité

Tania a suivi une scolarité satisfaisante dans sa banlieue. Dotée d’un goût artistique
certain, elle est devenue styliste et a souvent été employée par des théâtres. Son début
de renommée la mène à Broadway où elle connaît une réussite appréciable. Sans être
une célébrité, elle gagne confortablement sa vie, travaille régulièrement et jouit d’une
grande estime dans le milieu théâtral new-yorkais. Mais un jour elle doit rentrer en
France, pour aider ses frères à s’occuper de leur mère, atteinte de la maladie de
Parkinson. Sur place, à son grand désarroi, son travail ne semble pas très apprécié. Au
début elle ne se laisse pas démonter, et envoie courageusement cv sur cv, téléphone
régulièrement à de nouveaux contacts. Au fil des mois il lui devient de plus en plus
difficile de trouver en elle suffisamment d’optimisme pour se présenter positivement
aux personnes à qui elle téléphone. Après deux années de galères, de petits boulots
mal ou non payés, la jeune femme a perdu presque tout sentiment de valeur
personnelle. Elle se sent « nulle », n’ose plus présenter ses idées aux nouveaux
acheteurs potentiels. Lorsque, de loin en loin, un ami tente encore de la mettre en
contact avec quelqu’un susceptible de l’aider, la seule idée de téléphoner la rend
malade.

Le harcèlement moral
Depuis la publication de l’ouvrage fondateur de Marie-France
Hirigoyen1, le harcèlement moral est un phénomène reconnu et
mieux connu. Dans la majorité des cas, il se produit dans un
environnement professionnel. Un persécuteur plus ou moins
pervers1 tourmente une personne de son équipe, s’acharnant à
détruire son estime, son image professionnelle, son plaisir à
travailler.

Crime de lèse-autorité

À quarante-cinq ans, Lorena se sentait prête à occuper un rôle plus actif dans la vie de
l’entreprise dans laquelle elle travaillait depuis une vingtaine d’années. Comme le
délégué du personnel prenait sa retraite, elle s’est présentée pour le remplacer, et a été
élue, ce qui a fortement déplu à son supérieur hiérarchique, qui n’a pas supporté de
voir une femme occuper cette fonction. Il s’est mis en devoir de la décourager en
répandant à son sujet des rumeurs diverses. Peu à peu, Lorena a croisé des regards
gênés sur son passage, ses collègues ont commencé à éviter de déjeuner avec elle. Son
supérieur entrait en conflit avec elle à la moindre occasion, critiquant son travail qu’il
avait naguère jugé bon, lui reprochant chaque jour quelque erreur qu’il exagérait
systématiquement. Au bout de deux ans, après trois arrêts de travail pour dépression,
Lorena a démissionné de son poste de déléguée. La pression s’est apaisée peu à peu,
mais Lorena n’a jamais retrouvé son ancien enthousiasme : ses collègues l’avaient
trop déçue. Elle n’a plus cherché à discuter avec eux, à se joindre à eux à la cafétéria.
Travailler est devenu une corvée pesante au lieu d’être une activité satisfaisante.

Même en l’absence de harcèlement moral caractérisé, la souffrance


au travail peut créer des dégâts psychiques terribles, qui
commencent à être reconnus. Certaines entreprises sont associées
à ce problème aux yeux du public, après le suicide de plusieurs de
leurs employés. Les pressions énormes que subissent les
personnes à qui on impose un rythme excessif, des exigences
d’objectifs sans cesse relevés jusqu’à atteindre des niveaux
irréalistes, des missions contraires à leurs valeurs (vendre un produit
à des gens qui n’en ont pas besoin, par exemple), tout cela détériore
la santé psychologique des individus au point que certains
dépriment, perdent leur naturel dans les relations – ou pire, en
viennent à commettre un geste suicidaire.
Les blessures dues au manque de reconnaissance professionnelle
génèrent dans certains cas une anxiété sociale secondaire, qui
apparaît après une première phase de vie vécue normalement. La
personne socialement dévalorisée se sent inférieure, se replie sur
ellemême, va de moins en moins à la rencontre des autres. L’impact
de ce manque de reconnaissance est d’autant plus lourd que le
travail est une valeur centrale de la société occidentale, comme
nous l’avons indiqué plus haut.

Dans la sphère personnelle

Vivre sous emprise


Le plus souvent (mais pas toujours) c’est l’homme qui tient sa
femme en son pouvoir. D’emblée il a pris un ascendant sur sa
compagne, qui souvent l’admire au début. Mais peu à peu elle se
sent emprisonnée. Plus il la domine, moins elle se sent autonome,
capable de s’assumer seule.

Clémence et le nœud conjugal

Au moment de sa rencontre avec Marc, Clémence est très peu sûre d’elle, assez
déprimée, doutant de son avenir professionnel et de ses chances en amour. Marc lui
semble alors un envoyé du ciel : jeune cadre prometteur, protecteur, il la prend sous
son aile et elle s’y réfugie avec gratitude. Malheureusement, après une dizaine
d’années de mariage, le côté paternel de Marc s’exprime surtout par une attitude
autoritaire, accusatrice même, lorsqu’il estime le ménage mal fait. En entendant sa
clef tourner dans la serrure, le soir, Clémence se contracte de peur, redoutant les
reproches et les cris. Les enfants aussi craignent les éclats d’humeur de leur père.

Les critiques de Marc rappellent à Clémence celles émises par son père, réveillant jour
après jour les mêmes blessures. De plus en plus dévalorisée, elle a eu énormément de
mal à quitter son mari. Mais lorsqu’elle a osé reprendre sa liberté, elle s’est sentie
immensément soulagée et allégée d’un grand poids, malgré la peine inévitable due à la
séparation.

Dans un cas pareil, même si le conjoint suscite encore un


attachement ou même de l’amour, il est indispensable de changer la
situation si vous voulez construire une meilleure opinion de vous.
Idéalement, une thérapie familiale vous permettra de réaménager
votre relation de couple pour la rendre plus épanouissante, plus
positive, mais si le partenaire refuse un tel travail, ou si les
changements ne vous semblent pas réalisables, parfois seule la
rupture vous permettra de sortir du cercle vicieux.

Les séquelles de la violence conjugale


Tina Turner, Véronique Sanson ont décrit publiquement leur vie
difficile auprès d’un compagnon dévalorisant et brutal. Ces deux
célébrités se sont très bien rétablies, reprenant leur place dans la
société. Mais combien de personnes moins bien soutenues restent
marquées et n’osent plus s’engager dans une nouvelle relation,
menant ensuite une vie isolée. Une femme qui a été battue garde
souvent pendant des années un sentiment de honte : honte d’avoir
été maltraitée, de ne pas s’être mieux défendue, d’avoir toléré cela.
Cette honte (imméritée, cela va sans dire !) reflète leur crainte du
jugement que porte leur entourage direct, mais aussi la société, sur
leur histoire, et contribue à les couper des autres.

Le travail de sape de la discrimination


Affronter les insultes répétées ou les regards méprisants, subir des
avanies diverses – du contrôle de police trop fréquent au racisme de
l’employeur ou du propriétaire immobilier : ces dévalorisations à
répétition suscitent chez certains une révolte qui les protège, chez
d’autres un découragement profond. Le sentiment de valeur
personnelle est vraiment difficile à conserver lorsqu’il est attaqué de
façon régulière.

Le racisme n’est pas l’unique cause de discrimination : le fait d’être


homosexuel expose aux critiques, parfois à un risque physique ;
dans certains milieux, le simple fait d’être célibataire, de vivre seul
parmi les familles, nous expose à un jugement sévère. Embrasser
une religion minoritaire peut aussi entraîner des persécutions, plus
ou moins radicales, mais les personnes chérissant leur foi en tirent
souvent une fierté profonde qui les protège en partie du sentiment
de dévalorisation.
Enfin, certaines maladies restent source d’isolement. Une maladie
contagieuse ou mal connue, une maladie visible, déformante,
amènent souvent à éviter le contact avec autrui. Même la maladie
d’un proche peut entraîner un sentiment de honte dans son
entourage. Être « la fille de la folle », « le frère du débile » empêche
sérieusement de se faire des amis.

Traumatismes et autres expériences douloureuses...


L’expérience d’un viol est un des traumatismes extrêmement
agressifs que peut subir une victime, le plus souvent une femme. Il
peut affecter cette victime très durablement, particulièrement quand
elle est très jeune au moment de l’agression, ou si l’attaque est
spécialement violente ou terrifiante. Toutes les formes d’agression
peuvent être traumatisantes et modifier le caractère, les réactions
habituelles. Des personnes naguère confiantes deviennent craintives
et méfiantes, après un cambriolage brutal. Les traumatisés de
guerre, même s’ils étaient auparavant des adultes confiants et
équilibrés, restent marqués à vie par les situations de torture, de
menace quotidienne, de bombardements, ou d’humiliation associée
au danger.

*
***

Nous retiendrons de ce chapitre sept que le tempérament ne fait que


prédisposer à l’anxiété sociale. Ce que deviendra ensuite l’enfant, la
personnalité qu’il va développer, dépend d’abord, pour une part
importante, du « fit » avec ses parents. Si au moins l’un d’eux
s’harmonise bien avec l’enfant et apprécie son caractère, ce dernier
a toutes ses chances de devenir un adulte équilibré, à l’aise dans
ses rapports aux autres. Cependant, il conservera toujours sa
« couleur » prédisposée (plutôt enclin à la solitude ou plutôt
grégaire...). Le risque d’anxiété sociale n’intervient que lorsque les
parents le refusent tel qu’il est, et/ou qu’il subit des expériences
difficiles à l’école (ou dans un autre cadre extra-familial). Enfin,
même un adulte peut être traumatisé par une situation suffisamment
violente ou répétée, et devenir socialement anxieux alors qu’il n’y
était prédisposé ni par son tempérament inné, ni par ses
expériences de petite enfance ou d’adolescence.

1. Allais, J., Au cœur des secrets de famille, Eyrolles, 2008.

1. Se référer notamment au travail de Luc Nicon, exposé dans Tipi, Technique


d’identification sensorielle des peurs inconscientes, Émotion Forte, 2007. Nicon pense
que les séquelles des traumas intra-utérins sont tout à fait possibles à traiter (il n’est en
cela ni le seul, ni le premier).
2. Rank, Otto, Le traumatisme de la naissance, Petite Bibliothèque Payot, 2002.

1. Leboyer, F., Pour une naissance sans violence, Le Seuil, 2006 (orig. 1975).

1. En anglais, « attunement », un terme difficile à traduire. On doit ce concept à Daniel


Stern, dont les observations ont énormément changé la conception des stades de
développement du nourrisson (cf. Le monde interpersonnel du nourrisson, PUF collection
Le Fil Rouge, 2003 (orig. anglais 1997).

2. Fonagy, P., Gergely G., Jurist E., Target M., Affect Regulation, Mentalization, and the
Development of the Self, Other Press, 2002.

1. « Fit » est un terme anglais qui se réfère en général à la taille. « Does it fit ? », « estce la
bonne taille ? », ou « cela vous va ? ». On l’utilise souvent pour les relations, pour
exprimer que les gens vont bien ensemble, se conviennent, s’harmonisent ou se
complètent. On dit alors « it’s a good fit », ou au contraire, « they are a bad fit ».

1. Bowlby, J., A Secure Base : Parent-Child Attachment and Healthy Human Development,
Routledge, 1988.

1. Fonagy, P., Gergely, Y. G., Jurist E., Target M.,Affect Regulation, Mentalization, and the
Development of the Self, Other Press, 2002.
Jouvent, R., Le cerveau magicien, Odile Jacob, collection Sciences, 2009.

1. Hawkes, L., « La mentalisation, une pensée qui contient »,Actualités en Analyse


Transactionnelle, Avril 2010, p. 24-41.

2. Une explication claire de cet apprentissage est proposée par Claude Steiner dans son
livre L’ABC des émotions : un guide pour développer son intelligence émotionnelle, Inter-
Éditions, 2005. Les processus fins sont montrés par P. Fonagy et coll. dans Affect
Regulation, Mentalization, and the Development of the Self, Other Press, 2002.

1. Boris Cyrulnik a énormément étudié le cas de ces enfants « qui tiennent le coup » malgré
des circonstances de vie peu favorables. On peut aussi dire que Rebecca était une enfant
« non-inhibée », selon les termes de Kagan.

1. Winnicott, D.W., La mère suffisamment bonne, Petite Bibliothèque Payot, 2006. Pédiatre,
psychiatre et psychanalyste anglais de réputation internationale, Donald W. Winnicott est
à l’origine de nombreuses conceptions importantes sur le développement des enfants et
les soins à leur apporter. Par exemple, la mère « suffisamment bonne » ou « l’objet
transitionnel », le fameux « doudou » souvent nécessaire à l’enfant pour apprendre à se
passer de sa mère.

1. Dans un article du Nouvel Observateur de février 2010, Caroline Brizard décrit une
explosion des cas de phobie scolaire ou « refus scolaire anxieux ». Dans un tiers des cas,
le phénomène serait dû à une mauvaise orientation, entraînant un échec scolaire. Pour
les autres, la pression des résultats se combine au besoin d’être accepté par le groupe.
Les forums sociaux comme Facebook constituent une source nouvelle de blessures qui
provoquent ou aggravent ce type de phobie.

1. Cornell, W. F., « Théorie du scénario et recherches sur la croissance », Actualités en


Analyse Transactionnelle, 58, 1991, p. 68-84.

2. Le terme de résilience désignait à l’origine des matières capables de retrouver leur forme
après avoir été déformées. Il est employé en psychologie depuis quelques décennies
pour décrire la capacité de certains individus à surmonter un traumatisme sans en être
affecté, du moins en apparence.

3. Vaillant, G.E., voir p. 254.

4. Anthony, E.J., Cohler, B.J.,The Invulnerable Child, The Guilford Press, 1987.

5. Cyrulnik, B., Les vilains petits canards, Odile Jacob, 2001et Cyrulnik, B., (sous la
direction de) Ces enfants qui tiennent le coup, (ouvrage collectif), Hommes et
Perspectives, 2002.

1. Hirigoyen, M-F., Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, Livre de


Poche, 2000.

1. La perversité morale signifie d’une part que le tourmenteur ne voit pas l’autre comme un
sujet doté d’un monde à lui, mais plutôt comme un objet ; d’autre part qu’il a besoin de lui
infliger des souffrances, parce que cela le soulage et même lui procure un certain plaisir.
Le tout, en général de façon inconsciente : le « pervers narcissique » décrit par Hirigoyen
nierait farouchement toute intention de nuire, selon lui c’est l’autre qui l’oblige à agir ainsi :
la femme battue qui le provoque, l’enfant abusé qui le séduit, le collaborateur malmené
qui ne cesse de commettre des erreurs.
Chapitre 8
Aggraver son cas : les
habitudes qui entretiennent
l’anxiété

Nous ne souffrons pas d’anxiété sociale du simple fait de nos


mauvaises habitudes ou de nos réflexes relationnels, il y a toujours
des causes plus anciennes à notre peur. Nous devons cependant
garder en tête que, si les expériences passées ont imprimé leur
marque sur le tempérament de base dont nous sommes dotés, nous
conservons, jour après jour, la possibilité d’explorer de nouvelles
pistes pour nous défaire de notre angoisse, en changeant notre
comportement. Hélas, le plus souvent, nous continuons d’accentuer
notre tendance en nous prouvant encore et encore que les relations
interpersonnelles sont difficiles, que nous ne sommes pas capables
d’interagir naturellement avec autrui.

Se projeter un scénario catastrophe


Que nous ayons ou non vécu d’épouvantables expériences, le
simple fait de nous projeter dans d’éventuels traumatismes futurs
nous empêche de progresser. Certaines personnes se paralysent
ainsi, fuient les expériences nouvelles en anticipant toujours un
déroulement défavorable des évènements.
« J’aime mieux rester chez moi »

Rachel refuse le plus souvent les rares invitations qui lui sont adressées. Elle imagine
toujours un déroulement négatif de la soirée : on va la laisser seule dans son coin, ou
encore, certains se montreront peut-être gentils, mais probablement pour mieux se
moquer d’elle après son départ. En partant de la soirée, au lieu de se réjouir d’avoir
passé un bon moment, elle commence rapidement à s’inquiéter de ce qu’on a pu
penser d’elle. N’a-t-elle pas été maladroite avec celui-ci ? Trop familière avec celle-
là ? Quelle idiote d’avoir essayé de danser ! Elle les imagine bien, tous, riant derrière
elle de sa timidité, de sa gaucherie...

En plus de nous inhiber, l’anticipation anxieuse qui mène à


l’élaboration de ces scenarii catastrophes peut nous faire autant de
mal que leur expérimentation réelle ! Roland Jouvent l’affirme,
« penser un acte dispense de le faire »1. Cela fait partie de la théorie
sous-tendant le circuit du scénario2 : les fantasmes négatifs
s’accumulent comme de réels souvenirs de moments difficiles.

La bonne nouvelle est qu’à l’inverse, on peut se servir positivement


de cette propriété de la psyché humaine, imaginer des situations
positives pour s’entraîner à de nouvelles possibilités !

Les « chevaux du cœur » qui s’emballent –


ou se cachent
Nous avons évoqué dans le premier chapitre le problème des
frontières trop perméables, qui rendent la personne vulnérable aux
agressions. Une autre image très symbolique est celle des
« chevaux du cœur » : imaginez que votre cœur est le territoire d’un
groupe de chevaux à moitié sauvages, qui n’obéissent pas
docilement à vos ordres. Chez certains, lors d’une rencontre, les
chevaux restent bien à l’abri dans l’enclos pour ne sortir qu’un par
un, une fois la situation bien évaluée. Pour ceux-là, même s’ils sont
ultrasensibles, les risques de vivre un traumatisme ne sont pas
élevés.

Au contraire, les personnes très spontanées ont tendance à ouvrir


grand et très facilement les barrières. Tous leurs chevaux sortent
alors au grand galop pour aller à la rencontre de la personne
intéressante. Hélas ! Si le terrain n’a pas été vérifié, un certain
nombre d’entre eux seront blessés.

S’il vous arrive fréquemment de subir des blessures dans vos


relations avec les autres, de vous enthousiasmer et ouvrir grand
votre cœur, puis de vous renfermer parce qu’on vous a rejeté et
maltraité, il est important d’apprendre à retenir les chevaux de votre
cœur. Au lieu de les laisser tous se précipiter dehors, lorsque
quelqu’un vous attire, vous n’en sortez qu’un ou deux seulement ;
puis, progressivement, si tout se passe bien, d’autres peuvent les
rejoindre. Concrètement, cela signifie que vous ne devez pas vous
exposer trop brutalement à l’autre : ne lui racontez pas
immédiatement les moments clefs de votre vie, vos grandes joies et
vos expériences douloureuses : contentez-vous de discussions plus
légères et moins personnelles pour faire plus ample connaissance.

Trop ouverte

Clémence a tendance à être meurtrie dans ses amitiés. Elle ouvre grand son cœur dès
qu’une personne lui plaît, offrant toute sa confiance sans aucune précaution, proposant
des dîners, des sorties... Cela présente un double inconvénient : d’une part, elle est
inévitablement déçue parce que les autres ne se livrent pas autant, d’autre part certains
la trouvent trop enthousiaste et prennent du recul. Peu à peu elle s’est persuadée
qu’elle n’était vraiment pas intéressante et a renoncé à se faire des amis, s’isolant de
plus en plus.

En galopant ainsi sans retenue vers les autres, nous récoltons


souvent l’impression de ne pas intéresser autrui, ou d’être indigne de
leur attention. De manière très caricaturale, cela revient à demander
en mariage quelqu’un qu’on aurait rencontré dix minutes plus tôt : le
refus, quasiment inévitable, entraîne l’idée qu’on ne vaut rien, que
personne ne veut de nous. C’est ce type de blessures
psychologiques qui développe ou aggrave l’anxiété sociale chez une
personne.

Ainsi Clémence se précipite vers les autres dans l’espoir qu’ils


l’accueillent à bras ouverts, lui prouvant qu’elle est digne d’amour,
mais son empressement les fait fuir, ce qui pour elle revient à
prouver son indignité. Elle ne voit donc plus qu’une solution : éviter
le contact avec autrui.

Trop fermé

Patrick a énormément souffert, au collège, des attaques de ses camarades de classe qui
le jugeaient efféminé à cause de son goût pour la danse ; comme ses parents ne
l’approuvaient pas non plus et ne l’ont jamais soutenu, il a appris à dissimuler sa
véritable personnalité, ses goûts et ses désirs. Non seulement il s’est fabriqué une
carapace ultra-masculine très dure, mais il ne raconte rien de sa vie, de ses aspirations,
à quiconque. En conséquence, personne ne le connaît, et certains, mal à l’aise à cause
de son caractère renfermé, ont un jugement négatif à son égard. Le croyant méprisant,
ils se défendent de cette impression en le critiquant et en le traitant avec hostilité. Cela
augmente sa méfiance, sa conviction d’être détesté, ce qui l’incite à se renfermer
encore davantage. Le cercle vicieux est sans fin.

Patrick, au contraire, ne va pas suffisamment vers les autres. Par


peur d’être rejeté, il se replie sur lui-même et renonce à créer des
relations. Dans le meilleur des cas, cela suscite l’indifférence
d’autrui, et dans le pire, une véritable réaction de rejet (qui devient
une cause réelle de stress).

Ce second exemple montre le danger qu’il y a à trop « brider » nos


chevaux. Pour s’attacher à nous et créer un lien, les autres ont
besoin de savoir, au moins un peu, ce qui se passe en nous ! Il est
important de se révéler suffisamment à notre entourage pour pouvoir
être aimé. Sortir quelques chevaux qui feront connaissance avec
ceux d’en face...
Clémence risquait d’entrer dans un cycle similaire, si elle n’avait pas
consulté à temps pour arrêter sa descente aux enfers. Moins on
communique, moins on croit à la possibilité d’y parvenir, plus on est
incapable de rapports humains décontractés.

Placer la barre (beaucoup) trop haut !


Quand on se persuade que seule la prestation parfaite est
acceptable, on reste en général insatisfait de tout ce qu’on réalise –
la perfection n’étant pas de ce monde ! Le perfectionnisme est un
problème dans nombre de domaines, mais c’est ici le domaine
relationnel qui nous intéresse. L’anxieux, qui se veut irréprochable,
passe toujours en revue sa prestation pour la juger, sévèrement.
Dans le cas d’un dîner, par exemple, il faudra que l’ensemble de sa
cuisine, de la présentation de la table et des interactions entre
invités se soient parfaitement déroulés. Et plus il se juge imparfait,
moins il a envie de se lancer à nouveau dans l’expérience des
relations humaines.
Cela ressemble à un enjeu narcissique, pourtant ces gens ne sont
pas plus fiers d’eux-mêmes que d’autres. Ils sont plutôt moins
assurés de leur valeur, donc plus vulnérables à la remise en
question.

Trop exigeante pour être rassurée

Caroline est tellement exigeante avec elle-même que rien de ce qu’elle entreprend ne
trouve grâce à ses yeux. Après un rendez-vous en clientèle, au mieux, elle est trop
occupée pour se critiquer et se lance simplement dans la préparation du prochain
entretien. Si quelqu’un veut la féliciter de la façon dont elle a géré la rencontre, elle se
trouble et tente d’éluder le sujet, par modestie. C’est frustrant pour son interlocuteur,
qui n’arrive pas à établir une vraie communication avec elle à propos de ses qualités.
Surtout, Caroline ne peut pas s’appuyer sur les critiques positives d’autrui pour
construire sa confiance en elle et ainsi, moins redouter les rendez-vous à venir.
Être son plus impitoyable juge
Comme nous l’expliquions au chapitre cinq, chez l’anxieux social, le
Parent interne n’est pas assez rassurant, il n’offre pas une aide
suffisante à l’Enfant effrayé. Dans de nombreux cas, c’est même
encore pire : le Parent aggrave le niveau d’angoisse par son regard
très critique sur nous-mêmes. On l’appelle alors le Parent Critique
interne, et il peut être redoutable. C’est lui qui est à l’origine de
l’exigence de perfectionnisme, et il peut devenir très destructeur
quand il suscite une auto-dévalorisation chronique. Il fonctionne
comme un petit juge impitoyable perché en permanence sur notre
épaule, qui étudierait nos moindres gestes et les condamnerait
presque tous, sous un prétexte quelconque.

Non seulement nous nous critiquons nous-mêmes, mais nous avons


également tendance à imaginer que les autres nous jugent de la
même façon. Or, toutes les recherches indiquent que c’est là un
point commun aux personnes anxieuses, qu’elles soient
hypersensibles ou non : la conviction que les autres les examinent
d’un œil réprobateur.

« Mes invités vont me juger »

Clémence supporte bien que sa maison ne soit pas impeccable. Dans la vie
quotidienne, son aimable désordre ne la dérange guère. Mais l’idée d’inviter du monde
chez elle la tétanise de peur, convaincue qu’ils seront dégoûtés par son « bazar » et la
trouveront souillon. Comme elle ne trouve jamais qu’elle a suffisamment rangé,
briqué, décoré son intérieur, elle préfère n’inviter personne. C’est un vrai handicap
pour sa vie sociale, car, pour ne pas se mettre en porte-à-faux, elle refuse toute
invitation, sachant qu’elle ne pourra pas recevoir à son tour. Ce cercle vicieux l’isole
de plus en plus, elle qui a tant besoin d’être entourée d’amis. Pour en sortir, elle doit
absolument cesser de croire qu’on va juger son intérieur.

Subir la pression d’une société narcissique


Un psychosociologue, Alain Ehrenberg1, explique bien certains
effets des évolutions de la société sur le psychisme des individus.
Alors que nous étions jadis écrasés par la figure du père et les
interdits, la société nous offre aujourd’hui, au contraire, de
nombreuses possibilités. Face à tous ces possibles, l’obligation
devient de savoir en profiter, s’affirmer, réussir ; de s’épanouir, de
réussir sa vie comme on réussirait une œuvre.

La performance et le succès deviennent des « passages obligés »,


le jeu des apparences domine... Ces nouveaux impératifs sociaux
peuvent induire un sentiment de honte pour ceux qui ne s’estiment
« même pas capable d’en profiter », de vivre pleinement. Une honte
non pas, comme jadis, d’avoir fait quelque chose de mal, mais parce
qu’on a « fait mal » – ou mal fait – alors qu’il faudrait « faire bien »,
briller, être « bon », performant.
Il en est de même pour l’apparence physique. Chacun est
responsable désormais de se rendre beau, c’est cela aussi, la
démocratie. La presse, les supports audiovisuels, relaient un afflux
d’images, d’articles prônant la silhouette idéale, disséminent le
message selon lequel chacun devrait se sculpter un physique
irréprochable.

Sous le diktat de la mode

Caroline, Josiane, Rachel sont des femmes plutôt jolies, aux cuisses un peu lourdes
assez typiques de la silhouette féminine. Malheureusement pour elles, l’allure de leurs
jambes ne correspond pas au stéréotype actuel de jeunes femmes filiformes. Le
sentiment que cela engendre chez elles va bien au-delà de la comparaison défavorable.
La perspective d’être vues en maillot de bain par les autres leur est difficilement
supportable, parfois au point d’éviter les piscines et la plage. Renoncer à ces situations
d’exposition peut paraître anodin, mais la souffrance morale que ces jeunes femmes
éprouvent si elles y sont confrontées est impressionnante : tout plutôt que de se
montrer avec sa honte !

*
***
Beaucoup de gestes ou d’attitudes quotidiens ne constituent pas à
proprement parler une cause d’anxiété, mais contribuent à aggraver
nos difficultés relationnelles. Imaginer des événements négatifs,
oublier de se protéger, se cacher excessivement des autres, être
trop exigeant vis-à-vis de soi-même, se juger et se croire jugé,
accepter les diktats de la société narcissique – tous ces mécanismes
participent de notre malaise face aux autres. Sans un terrain
favorable, ils ne suffiraient pas à créer un problème d’anxiété
sociale, mais sur un terrain fragilisé, ils entretiennent et souvent
majorent l’état de peur.

Il est donc indispensable de « gommer » du mieux possible ces


réflexes néfastes que nous avons intégrés, pour parvenir à desserrer
l’étau de l’anxiété sociale sur nous. Il est donc temps d’aborder les
solutions que vous pouvez mettre en œuvre pour lutter contre vos
peurs, ce à quoi nous allons procéder dans la troisième partie, après
une récapitulation des points essentiels que nous venons d’évoquer.

1. Jouvent, R., Le cerveau magicien, Odile Jacob, collection Sciences, 2009.

2. Voir Erskine, R.G. et Zalcman, M., « Le circuit du sentiment parasite : un modèle


d’analyse »,Actualités en Analyse Transactionnelle, 12, 1979, p. 148-156., ou Classiques
de l’AT, 1, p. 185-193 ; dans le présent ouvrage, voir chapitres cinq et neuf, p. 70 et 151.

1. Ehrenberg, A., La société du malaise, Odile Jacob, 2010 et La fatigue d’être soi,
Dépression et société, Dunod, 2000.
Chapitre 9
Résumons-nous...

Pour récapituler cette deuxième partie sur les origines de l’anxiété


sociale, résumons tout d’abord les éléments qui nous permettent
d’analyser notre peur des autres. Dans un exemple expliqué grâce
au concept de scénario vie, décortiquons ensuite les interactions
entre ces différents éléments, qui se combinent pour entretenir notre
mal-être.

Les interactions entre le tempérament et les


événements de vie
Les ingrédients de l’anxiété sont les suivants : le tempérament, la
qualité de la relation parent-enfant, l’influence de l’environnement et
des circonstances de vie dans l’enfance, l’impact des expériences
d’adulte, et enfin la façon dont, au présent, on entretient (ou pas) le
problème.
On peut résumer l’évolution de ces différents aspects comme suit :

Tempérament Tempérament moins


Données innées ultrasensible (15 à sensible (80 à 85 %
20 % des gens) des gens)
Nourrissons hyper- Nourrissons
Attitude du bébé
réactifs normalement réactifs
Tempérament Tempérament moins
Données innées ultrasensible (15 à sensible (80 à 85 %
20 % des gens) des gens)
Comportement chez
Enfants inhibés Enfants non-inhibés
l’enfant
Tempérament
Adultes pas
encore +/–
Adultes ultrasensibles spécialement
observable chez
sensibles
l’adulte
70 % 30 %
La plupart extravertis
Personnalité introvertis extravertis
probable, en Très rares anxieux
fonction des Quelques anxieux
sociaux
expériences de sociaux (expériences
(circonstances très
jeunesse ou difficiles et/ou
difficiles,
d’adulte mauvais fit parent-
traumatismes
enfant)
importants)

Tableau n° 1 – Récapitulatif simplifié du développement possible


d’un individu, d’après son tempérament inné

Inversement, on peut associer la forte probabilité d’un tempérament


initialement réactif ou hypersensible et/ou des circonstances de vie
difficiles à une personne présentant un problème d’anxiété sociale.

On peut utiliser un continuum ci-dessous pour évaluer la vie


relationnelle d’un adulte, depuis l’isolement (gris pâle) jusqu’aux
relations les plus faciles (en noir).

Schizoïde – privé de relations, même intimes


Phobie sociale – empêché de vivre les situations sociales
Anxiété sociale – à l’aise seulement avec les intimes
Introverti ou hypersensible – mal à l’aise avec les groupes
Introverti ou hypersensible – à l’aise en groupe, sur une
période restreinte
Extraverti hypersensible – à l’aise en groupe, mais « peau
fine »
Extraverti, non hypersensible – à l’aise à peu près partout,
« cuir épais »

Tableau n° 2 – Échelle de facilité relationnelle

Exercice : et vous ?

En allant voter un matin, on vous demande si vous seriez disponible en


soirée pour participer au dépouillement. Quelle est votre réaction ?

1. Cette invitation vous surprend tellement que vous faites mine de ne pas
l’avoir entendue – d’ailleurs, elle s’adressait peut-être à quelqu’un
d’autre...
2. Vous êtes étonné(e) qu’on vous sollicite, et tellement mal à l’aise que
vous marmonnez à peine quelques mots avant de partir aussi vite que
possible.
3. Vous ouvrez de grands yeux et rougissez. D’autres peuvent faire cela,
mais sûrement pas vous ! Si encore c’était un tout petit bureau de vote
et si vous connaissiez tout le monde...
4. Ce serait sûrement intéressant, mais passer quelques heures avec tout ce
monde, ces gens un peu agités... Non, c’est trop difficile.
5. Vous hésitez, mal à l’aise... Oui, ce n’est pas impossible... Mais ça dure
combien de temps ?
6. Ah, vous êtes tenté(e)... C’est bien de participer à la vie de la
communauté, ce doit être intéressant. Mais pourvu que les gens ne
soient pas trop bruyants...
7. Ah oui, pourquoi pas ?... Sauf que vous aviez déjà prévu une sortie avec
des amis. Vous allez voir si vous pouvez les rejoindre un peu plus tard.
Ce sera sûrement sympathique de faire connaissance avec d’autres gens
– et avec un peu de chance vous arriverez même à les faire rire !

Les sept réponses de l’exercice correspondent aux catégories du


tableau n° 2, et sont ordonnées du gris pâle au noir : si vous avez
choisi la réponse 1, vous êtes probablement un anxieux à la
personnalité schizoïde ; si vous avez choisi la réponse 7, vous êtes
certainement proche d’une personnalité extravertie et non
hypersensible.

La construction d’un scénario de vie


Les personnes souffrant d’anxiété sociale ont généralement un
scénario qui limite considérablement l’éventail de leurs attitudes :
une vision d’elles-mêmes dévalorisée, c’est-à-dire incapables de la
plupart des interactions avec autrui ; une vision des autres
effrayante ; une gamme de comportements limitée. Compte tenu de
ce handicap, les situations nécessitant des interactions leur
semblent souvent ingérables, ce qui limite forcément leurs
ambitions.

Pour comprendre comment se met en place et s’entretient un tel


scénario de vie, étudions un exemple détaillé, celui de Rachel.

Le scénario d’une grande anxieuse

La mère de la petite Rachel se plaignait souvent d’avoir eu un bébé nerveux (c’est-à-


dire hyper-réactif selon Kagan), pleurant beaucoup. Sa fille faisait des coliques, liées à
son tempérament très sensible et probablement aggravées par les réactions de sa mère,
elle-même anxieuse et stressée d’être en situation d’échec. Seul le père arrivait à
apaiser cette enfant de plus en plus effrayée.
À l’école maternelle, la petite fille sage ne se faisait guère remarquer. Timide, elle
n’avait pas beaucoup d’amis, mais on pouvait l’apprivoiser petit à petit. L’école
primaire fut un passage plutôt agréable pour elle, car, très bonne élève, elle était
appréciée de ses institutrices. Toujours timide, elle préférait la compagnie des
« mauvaises élèves », moins compétitives. Le plus difficile pour la petite Rachel était
la nouveauté : à chaque changement d’établissement scolaire, les problèmes digestifs
reprenaient, il fallait consulter le médecin pour chercher les causes de douleurs si
intenses qu’elle marchait pliée en deux. Toutefois, au bout de quelques semaines, elle
s’habituait, se sentait à peu près bien dans son nouvel environnement et ne souffrait
plus du ventre (on reconnaît ici le tempérament d’un enfant « lent à s’échauffer » de S.
Chess et A. Thomas). Malgré tout, sa peur était toujours prête à ressurgir, et lors de
l’entrée au collège, passage particulièrement éprouvant pour elle, on a diagnostiqué
une « phobie scolaire » chez Rachel, pourtant bonne élève. Le perpétuel mouvement
de son environnement, la présence de garçons, alors qu’elle n’avait toujours fréquenté
que des écoles de filles, constituait une somme de nouveautés à peine supportable
pour elle.

Pendant l’adolescence de Rachel, sa mère, prise d’une crise dépressive aigüe, s’est
suicidée. La maison, qui n’avait pas connu beaucoup d’animation auparavant, est
devenue plus déserte encore. Son père, en deuil, rentrait tard, sa sœur aînée s’attardait
au gymnase pour ses entraînements de judo, tandis que Rachel s’attelait seule à ses
devoirs dans le silence meublé par la radio. Quand son père s’est remarié, la jeune
belle-mère de Rachel a eu hâte que ses belles-filles terminent le lycée et quittent la
maison. Un bébé est né, puis Rachel et sa sœur ont obtenu leur Bac à une année
d’écart et se sont installées à Paris pour leurs études. Rachel a cherché un travail pour
subvenir à ses besoins, et son calvaire s’est intensifié : se présenter à des entretiens
d’embauche, même pour de petits boulots, la rendait malade de peur. À plusieurs
reprises elle a changé d’avis à la dernière minute et fait faux bond au recruteur.
Chaque fois qu’elle échouait ainsi elle se méprisait davantage. Un jour, trop effrayée
pour faire face mais trop dégoûtée d’elle-même pour le supporter, elle a avalé une
boîte de somnifères pour en finir.

Heureusement pour elle, une voisine a alerté les pompiers et Rachel a été ranimée puis
hospitalisée quelques jours. Ses parents l’ont accueillie pour quelques semaines et
l’ont encouragée à entamer une psychothérapie, qu’ils lui ont proposé de financer.
Rachel a ainsi débuté un long travail qui lui a permis d’abord de supporter son premier
emploi de vendeuse, puis de finir ses études et, peu à peu, de prendre place dans la
vie.

Analysons ce cas à partir des éléments étudiés dans les chapitres


précédents :

Tempérament : Rachel est dotée d’un tempérament


hypersensible. Douillette, facilement perturbée par les situations
nouvelles, elle n’avait pas tendance à s’aventurer vers l’inconnu
(« inhibée » selon la dénomination de Kagan, c’est une enfant
« lente à s’échauffer » pour S. Chess et A. Thomas).
Comme nous l’avons décrit dans le chapitre six, Rachel est donc
une enfant inhibée et hypersensible, qui perçoit fortement les
stimuli et y réagit plus intensément. Elle ressent couramment ces
stimuli comme déplaisants ou même douloureux. Elle a donc
besoin de parents particulièrement stables, capables de rester
sereins face à la détresse de leur bébé pour l’apaiser et, peu à
peu, lui apprendre à s’apaiser elle-même.

Petite enfance : Ce bébé très émotif dérangeait sa mère,


ellemême très fragile. Quand Rachel pleurait, avait des coliques,
sa mère s’exaspérait. « Tais-toi, mais tais-toi donc ! » hurlait-elle
face au nourrisson qui, terrifié, pleurait de plus belle.
Heureusement son père s’interposait chaque fois qu’il le pouvait,
permettant à son épouse d’aller se calmer. Malgré cela, cette
dernière se plaignait : « ce bébé m’énerve, c’est une
pleurnicheuse. Pourquoi n’est-elle pas costaud comme sa grande
sœur ? », déplorait-elle.
D’après le chapitre sept, nous avons là un « fit » qui n’est pas bon
entre l’enfant et sa mère. Cette dernière est probablement
ellemême d’un tempérament hypersensible et supporte très mal
les cris de son bébé. Elle s’en irrite facilement, de sorte qu’au lieu
d’apaiser Rachel, elle augmente encore son niveau de tension.
On a ici un exemple de parent critique, les dévalorisations de la
mère aggravant le sentiment de l’enfant de n’être pas digne
d’amour. La présence du père atténue cependant les dangers de
la situation.

Scolarité : Sur les photos de classe on voit une fillette sage,


menue, qui tente de passer inaperçue Heureusement pour elle,
Rachel avait des facilités pour apprendre. Le tempérament
hypersensible rend les enfants particulièrement attentifs à
l’opinion des enseignants, elle a donc souvent été appréciée de
ses institutrices, qui lui ont servi de tuteurs de résilience. Grâce à
elles, la petite Rachel a échappé à l’impression d’être « un ratage
complet » ; à l’école, au moins, elle pouvait être appréciée des
adultes, ce qui lui a offert un espace où développer une estime
d’elle-même.
En se référant au chapitre sept, on comprend que Rachel a
profité, durant son cycle d’école primaire, de l’influence favorable
des enseignants qui l’ont aidée à prendre un peu confiance en
elle. Parfois, au contraire, l’école aggrave le problème d’anxiété,
surtout si le professeur prend l’enfant en grippe ou si les meneurs
de la classe le choisissent comme « tête de turc ».

Expériences d’adulte : Entrer dans la vie adulte constituait un


véritable défi pour Rachel, car le monde lui paraissait terrifiant.
L’université lui convenait à peu près car elle pouvait se fondre
dans la masse des étudiants et passer inaperçue, évitant les
contacts. Elle arrivait généralement à se faire une ou deux amies
avec qui parler, mais aucune de ses camarades ne la connaissait
très intimement. C’est le monde du travail qui a constitué pour elle
un véritable Everest. Tous les entretiens d’embauche auxquels
elle ne s’est pas présentée, envisagés comme des échecs
cuisants, l’ont enfermée de plus en plus dans une image d’elle-
même très détériorée.
En se reportant au chapitre sept, au sujet des expériences
adultes, on constate que ce n’est pas à cette période de sa vie
que démarre le problème de Rachel. Elle n’a subi aucun
traumatisme dû au monde extérieur, personne ne l’a tourmentée
ou harcelée. Les souffrances qu’elle vit dans le cadre
professionnel sont uniquement les suites d’étapes antérieures
« ratées » de son développement et de son anxiété sociale déjà
existante. Dans sa vie adulte, son mal se confirme et s’installe,
renforcé par des réflexes comportementaux inappropriés.

Jour après jour :Au quotidien, Rachel tend à se mettre dans des
situations qui aggravent son problème et l’enfoncent dans son
marasme, comme on le voit dans son circuit de scénario1 (cf.
tableau n° 3).

« Preuves »
d’incapacité,
Croyances Manifestations
entretenant
l’anxiété
« Preuves »
d’incapacité,
Croyances Manifestations
entretenant
l’anxiété
À propos d’elle-même Conduites Souvenirs anciens
observables
– Je suis incapable – J’avais
de faire face aux – Je ne dis pas tellement peur
gens. ce que je pense d’aller à l’école
– Je n’arriverai de peur de que j’étais
jamais à rien dans m’exposer. souvent malade
le vrai monde. – Quand on et restais à la
m’invite, maison.
– Je suis fragile
j’accepte – Ma mère me
psychologiquement.
l’invitation même reprochait d’être
– Je suis le genre si je n’ai pas froussarde et pas
qu’on n’aime pas. envie d’y aller, franche.
– Je ne vaux rien. puis si j’ai trop
– Au lycée, je n’ai
peur, je n’y vais
jamais été invitée
pas.
à une soirée par
– Je n’arrive pas les garçons.
à me rendre aux
entretiens
d’embauche.
– Je ne demande
jamais rien pour
ne pas avoir l’air
de quémander.
– J’ai fait une
tentative de
suicide.
« Preuves »
d’incapacité,
Croyances Manifestations
entretenant
l’anxiété
À propos des autres Vécu corporel Événements
actuels
– Ils sont plus – J’ai souvent le
courageux que moi. ventre – Tout le monde
– Ils me méprisent. douloureux, avec me donne des
des coliques. conseils comme
– Personne ne si j’étais trop bête
– Mon cœur bat à
perdra son temps à pour penser toute
tout rompre
m’aider. seule.
quand je dois
prendre la parole, – Des gens qui
mes mains m’avaient invitée
deviennent ne me parlent
moites. plus.
– L’autre jour en
cours, pour faire
mon exposé,
j’arrivais à peine
à parler, tout le
monde me
regardait en
rigolant.
– Les recruteurs
ne me
choisissent pas.
– Les voisins sont
froids avec moi.
« Preuves »
d’incapacité,
Croyances Manifestations
entretenant
l’anxiété
À propos du monde, Rêves et fantasmes
de la vie
– Dans mes
– On est toujours rêves je suis
tout seul au monde. souvent
agressée, parfois
– La vie est une
violemment.
suite de défis
terrifiants. – J’imagine
souvent des
situations où je
me ridiculise, où
on me rejette, ou
bien je reste
isolée.
– J’imagine que
je ne manquerais
à personne si je
meurs.

Tableau n° 3 – Le circuit de scénario de Rachel à 22 ans

On voit comment ce circuit s’auto-entretient : comme Rachel pense


ne rien valoir (croyance, colonne 1), elle a tendance à s’effacer
(manifestation, colonne 2), avec pour conséquence que les autres
ne la remarquent pas ou bien la conseillent comme une enfant
(colonne 3), ce qu’elle prend comme une preuve de son manque de
valeur – et ainsi de suite.
*
***

Dans toute cette deuxième partie, nous avons considéré que la peur
des autres provenait d’une combinaison de facteurs :

votre tempérament inné ;


les expériences de votre enfance, qui ne vous ont pas permis de
vivre en harmonie avec votre tempérament ;
les attitudes, réflexes et habitudes comportementaux qui
contribuent à renforcer votre problème.

Cet ensemble se conjugue pour former votre scénario de vie,


véritable plan à la fois vécu et fantasmé, qui tend à s’auto-entretenir.

Heureusement, ce scénario n’est pas gravé dans le marbre. Dans la


troisième partie, nous allons étudier à partir de ces composantes, les
façons possibles de remédier à votre état d’angoisse face aux
autres.

1. Pour bien comprendre cet outil, voir l’article originel d’Erskine et Zalcman : « Le circuit du
sentiment parasite : un modèle d’analyse »,Actualités en Analyse Transactionnelle, 12,
1979, p. 148-156, ou Classiques de l’AT, 1, p. 185-193 ; ou les ouvrages de Hawkes :
2003, « The tango of therapy : a dancing group »,Transactional Analysis Journal, octobre
2003, Vol. 33, n° 4, p. 288-301, Le cours de notre vie, l’analyse transactionnelle
aujourd’hui, La Méridienne – Desclée de Brouwer, 2007, 50 exercices pour l’estime de
soi, Eyrolles, 2009, « La mentalisation, une pensée qui contient »,Actualités en Analyse
Transactionnelle, Avril 2010, p. 24-41 ou Brécard et Hawkes : Le grand livre de l’analyse
transactionnelle, Eyrolles, 2008.
PARTIE III

Quelles solutions ?
« L’objectif du thérapeute est de permettre à son patient de reconstruire ses représentations
de lui-même et de ses figures d’attachement, afin d’échapper à la malédiction causée par les
malheurs d’antan et de reconnaître tout le potentiel de ses compagnons d’aujourd’hui »

John Bowlby1

Pour vous attaquer à votre problème d’anxiété, les explications que


vous avez repérées dans les chapitres précédents vous aideront. Il
est primordial de se faire une idée de la cause originelle de votre
peur pour orienter son traitement. De la même façon qu’on ne
soigne pas pareil des symptômes d’indigestion, de gastro-entérite ou
de contractions abdominales dues au stress, les solutions à l’anxiété
diffèrent selon qu’on attribue principalement le problème au
tempérament (cf. chapitre dix), aux expériences passées (cf.
chapitre onze), ou aux habitudes présentes (cf. chapitre douze).
Comme nous l’avons vu, ces trois causes s’entremêlent en général.
Cependant, l’une ou l’autre peut vous affecter davantage à différents
moments, vous inclinant à suivre une piste plutôt qu’une autre.

Le chapitre treize récapitule les changements possibles, en


reprenant les grilles de l’analyse transactionnelle proposées dans la
première partie. Enfin, le chapitre quatorze propose des pistes pour
les parents soucieux d’aider leurs enfants timides.

La psychothérapie
Nous ferons une bonne place à la psychothérapie tout au long de
cette partie. Certes, de nombreuses personnes réussissent à bien
progresser seules, ou grâce à leurs amis. Malgré tout, on a souvent
besoin d’une aide professionnelle pour démêler les causes de notre
mal-être et trouver des issues, en élargissant le champ des
possibles.

Roland Jouvent1 propose un mécanisme fondamental commun à


toutes les psychothérapies : développer la capacité de substituer
des activités de simulation à des activités effectives – autrement dit,
faire travailler son imagination pour suppléer à une réalité source de
souffrances.

Cette pratique est spécialement efficace contre la peur des autres :


imaginer des situations relationnelles qui se passent bien prépare à
les mettre effectivement en œuvre. Cela nous permet de nous
détacher du déroulement négatif que nous reproduisons
indéfiniment, quand nous nous sentons coincés dans l’ornière. Une
fois que nous sommes prêts à concevoir une autre évolution, cette
simulation permet de faire exister dans notre cerveau un
déroulement différent. Il devient alors possible de l’expérimenter. Or,
plus on vit de situations nouvelles, plus cela nous devient naturel de
nous adapter. Ainsi, on se crée la possibilité d’un avenir plus libre et
ouvert.

Ajoutons l’importance de la relation entre le patient et le thérapeute,


ingrédient indispensable pour faire évoluer les schémas relationnels
figés (cf. chapitre cinq). En effet, seules de nouvelles expériences
relationnelles, telles que la psychothérapie, peuvent modifier peu à
peu ces schémas, généralement inconscients et si bien ancrés en
nous qu’il nous semble impossible d’interagir avec autrui autrement
qu’en leur obéissant.

1. Bowlby, J., A Secure Base : Parent-Child Attachment and Healthy Human Development,
Routledge, 1988.

1. Jouvent, R., Le cerveau magicien, Odile Jacob, collection Sciences, 2009.


Chapitre 10
Tenir compte de son
tempérament

« Mon Dieu, Donne-moi le courage de changer ce que je peux, La sérénité d’accepter ce que
je ne peux pas changer, Et la sagesse de distinguer entre les deux ».

Les groupes d’entraide sur le modèle des Alcooliques Anonymes


récitent toujours ce texte appelé « Prière de la Sérénité », si
pertinent. Que l’on soit d’accord ou non avec l’apostrophe divine
ouvrant le texte, cette petite prière résume bien un problème humain
fondamental : jusqu’à quel point s’escrimer à changer ? À partir de
quel moment cela devient-il de l’acharnement épuisant et stérile ?
Comment savoir si l’on ne baisse pas les bras trop tôt ?

Lorsqu’on pense avoir un tempérament plutôt introverti ou


hypersensible, deux axes de travail s’offrent à nous (aucun n’est « le
bon », aucun n’est à négliger non plus) :

s’accepter avec sa nature ;


travailler – en psychothérapie ou ailleurs – à étendre ses
possibilités de comportement et à diminuer sa crainte des autres.

En résumé, s’accepter, se soigner, et équilibrer ces deux aspects –


trouver des moyens créatifs de vivre une vie satisfaisante, tout en
respectant ses tendances naturelles.
S’accepter, avec ses fragilités
Le tempérament est peut-être le facteur qui pose la question avec le
plus d’acuité : jusqu’à quel point les changements sont-ils
possibles ? On peut changer sa façon de vivre avec son
tempérament, assouplir ce qui est souvent vécu comme un carcan –
mais pas modifier sa nature profonde. Tant de gens veulent à tout
prix se transformer radicalement ! De tels efforts sont voués à
l’échec, et cruels pour la personne concernée, qui se reproche de ne
pas réussir à évoluer, ce qui amoindrit sans cesse son estime d’elle-
même.

« Je voudrais être un autre »

Carl a toujours été quelqu’un de discret. Chaque fois qu’il lui coûte d’avoir à présenter
son travail lors d’une réunion, à appeler un client, il se répète : « j’aimerais avoir le
bagou d’un camelot sur les grands boulevards ». Or, rien n’est plus éloigné de lui ! Il a
besoin d’autres modèles, de trouver des exemples d’introvertis qu’il trouverait
estimables.

Faire la paix avec son tempérament est donc une étape-clef pour
vivre mieux et atténuer son anxiété. C’est tout l’esprit du livre
Introverti et heureux1, qui détaille comment transformer en atout une
nature souvent dévalorisée. De même, concernant les personnes à
haute sensibilité, Elaine Aron2 met en avant leur apport précieux à la
société. S’accepter signifie non seulement tenir compte de ses
points faibles pour les étayer, mais aussi reconnaître ses qualités,
s’appuyer dessus et les mettre en valeur.

Itinéraire d’une artiste hypersensible

Minna est une artiste représentée dans des galeries de trois capitales mondiales. À
vingt ans, pourtant, elle maudissait sa sensibilité, qui la faisait souffrir dans ses
relations : se sentant facilement blessée depuis l’enfance par les taquineries de ses
frères, elle s’était installée dans une timidité à fleur de peau, fuyant le contact avec ses
semblables, qu’elle trouvait trop brutaux. Longtemps elle s’est cantonnée à travailler
avec les bêtes – promener des chiens, nourrir des chats ou autres animaux domestiques
à domicile, etc. Durant cette période, son fort ressenti de toutes les émotions trouvait
un exutoire dans la peinture, à laquelle elle s’adonnait dans la solitude de son petit
studio. Jusqu’au jour où une amie lui a emprunté plusieurs tableaux qu’elle montra à
une galeriste ; ce fut le coup de foudre. Peu à peu Minna s’est laissée persuader de
peindre pour des expositions.

Sauvage, elle refusait au début d’apparaître aux vernissages. À présent elle s’y rend,
brièvement, et laisse son agent se charger de la plupart des contacts.

Être hypersensible signifie avoir un système nerveux hautement


excitable, qui s’active plus fort, plus durablement face aux diverses
formes de stimulation. De plus, cette activation dure, chez les grands
sensibles : au lieu d’oublier le stimulus, ils y pensent et repensent,
l’étudient, en cherchent le sens. Cela peut favoriser la création
artistique, comme dans le cas de Minna. En tout cas, cette
suractivation permet d’apprécier de façon intense et complexe les
œuvres d’art, la musique, la danse. Mieux vaut donc chercher
comment profiter de cette tendance, plutôt que de lutter contre !

Se soigner en se fixant des objectifs


Attention, il n’est pas question, en acceptant sa nature
hypersensible, introvertie ou anxieuse de tomber dans un état
d’esprit trop limitatif. En analyse transactionnelle, nous appelons
cela « le syndrome de la jambe de bois1 », parce que la personne
refuse toutes sortes de choses en brandissant systématiquement
son excuse : « oh non, moi je ne peux pas (sortir, aller danser,
marcher, m’amuser, travailler, etc.), vous comprenez, avec ma jambe
de bois ». La « jambe de bois psychologique » empêche la personne
de vivre des expériences nouvelles : « Non, non, moi je n’y vais pas,
ce n’est pas possible, je suis anxieuse, je ne le supporterais pas, tu
sais bien. ».
Accumuler les victoires modestes

Carl reconnaît sa nature introvertie, mais ne se résigne pas à devenir un ermite. Avec
beaucoup de courage et d’entêtement, il a mis au point un programme progressif de
prise de contact avec ses amis. Refusant d’écouter ses réticences, il se force une fois
par semaine à téléphoner à une personne qu’il a envie de voir. Au début il lui a fallu
préparer la conversation au préalable, trouver des sujets à aborder car il craignait de ne
rien trouver à dire. Peu à peu cela est devenu plus naturel. Aujourd’hui, téléphoner ne
lui est toujours pas aussi simple qu’à un extraverti, mais il y parvient sans trop
d’efforts et ses amis apprécient ces contacts plus fréquents.

Être introverti ou hypersensible ne signifie pas qu’on n’aime pas les


gens. Simplement, le plaisir de ces contacts nécessite un
équilibrage, avant et/ou après, par du temps tranquille, à méditer,
écouter de la musique, tricoter ou travailler en solo. Le risque, en se
conformant à sa nature, est de suivre uniquement son penchant et
de se scléroser, accentuant ainsi sa tendance naturelle à éviter les
contacts. Aussi est-il nécessaire de veiller à conserver son équilibre :
ne pas se contraindre à trop d’efforts, ni trop souvent ; malgré tout,
s’obliger à suffisamment d’efforts pour combattre sa timidité. Cet
équilibre varie selon les jours et les périodes : en phase de fort
stress (excès de travail, maladie d’un proche, etc.) on aura
davantage besoin de repos, on se ménagera dans la mesure du
possible. En période calme, on s’encouragera davantage à forcer sa
nature et on s’efforcera de voir plus de monde.

Le but est donc bien de s’accepter et de repousser ses limites,


certes ; mais il est préférable de choisir des activités et des
contextes (métier, activités, hobbies, collègues, amis, etc.)
relativement compatibles avec nos tendances innées. Par exemple,
devenir vendeur alors qu’on est très introverti va à l’encontre de
notre nature ; si l’on y est contraint, il faudra donc compenser.
Quelques heures avec un ami très volubile et extraverti,
nécessiteront probablement un « sas de décompression » ensuite,
etc.
Maintenir un délicat équilibre de vie

Amélie, l’introvertie à famille nombreuse et tonitruante, est enseignante. Un métier


délicat pour une femme encline au silence et à la contemplation ! Qui plus est, elle et
son mari Jean ont deux enfants, ce qui restreint son temps de solitude. Aussi limite-t-
elle ses loisirs en compagnie d’autres personnes. Au grand dam de sa famille, elle
refuse la plupart des invitations en période scolaire, car cela représente vraiment trop
d’interactions à gérer pour elle. Ce qui la ressource, c’est la course à pied en solitaire
ou bien le jardinage. Cette occupation paisible, créative, patiente, la calme
profondément et lui redonne l’énergie de surveiller les devoirs de ses enfants.

Après quelques années de thérapie, Rachel s’est choisi une vie professionnelle qui
respecte son tempérament introverti : traductrice littéraire, elle travaille seule la
majeure partie du temps. Parallèlement, pour conserver des contacts humains
réguliers, elle sort au moins une fois par jour faire une course, échanger quelques mots
avec les voisins qu’elle croise, les commerçants. Elle a aussi accepté d’assurer
occasionnellement des journées de formation pour une association, journées qu’elle
trouve à la fois stressantes et stimulantes. Cette difficulté contribue à sa qualité de vie,
non seulement parce que, ensuite, elle goûte davantage encore sa solitude, mais aussi
parce que ces contacts la sortent de sa coquille.

En gardant cet équilibre en tête, de manière à vous fabriquer un


programme, vous pourrez procéder par petites étapes. Si vous
tentez de vous obliger à tout changer, tout de suite, cela ne
marchera pas ! Imaginez que vous voulez aller à pied de Lille à
Perpignan : il vous faudra de nombreuses étapes, et vous
marcherez d’autant mieux que vous aurez ménagé vos pieds au lieu
de vous blesser en voulant accélérer. De la même façon, pour
« apprivoiser » des comportements nouveaux, il convient de
progresser aussi doucement que le Petit Prince apprivoisant le
renard. Votre objectif : trouver d’abord une petite nouveauté qui vous
semble réalisable, vous y essayer (sans vous décourager si la
première tentative est décevante !), enfin, la reproduire jusqu’à ce
qu’elle devienne à peu près confortable pour vous, avant d’envisager
le pas suivant.
VOTRE PROGRAMME PERSONNEL

Afin de (visualiser) vos étapes, vous pouvez commencer par lister :

Des situations confortables pour vous : par exemple jardinage, lecture, dîner avec un
ami...

Les situations les plus difficiles pour vous (et que vous souhaiteriez vivre
relativement plus facilement) : par exemple faire un discours devant un grand
groupe, organiser une fête pour trente personnes, demander votre chemin à un
inconnu...

Des situations moyennement stressantes pour vous : par exemple prendre la parole
en réunion avec l’équipe habituelle, inviter vos trois amis préférés avec leurs
conjoints, téléphoner à une administration...


Attention, pour le bon déroulement de votre plan de développement, plusieurs points


sont importants :

1. Commencez par multiplier les situations moyennes, pour vous donner des défis
possibles à relever.

2. N’oubliez pas de vous féliciter. Éventuellement vous pouvez vous récompenser et


vous ressourcer grâce aux situations confortables.

3. Vous pourrez viser les situations difficiles une fois que les moyennes seront
devenues assez faciles. Mais ne tentez qu’une seule mise en situation difficile à la
fois !

Gardez toujours du temps pour récupérer dans une de vos situations confortables
(solitude, méditation, jardinage, jogging...).

Ce programme vise à se fabriquer un « cuir plus épais », c’est-à-dire


à renforcer son seuil de résistance aux situations stressantes,
angoissantes ou blessantes, tout en respectant sa nature. Pour
accompagner ces ouvertures progressives, Aron conseille de
devenir son propre Parent1, en se traitant avec la compréhension, la
patience et le soutien qui nous ont éventuellement manqués pendant
l’enfance. Selon elle, lorsque nous y parvenons, cela affecte jusqu’à
notre physiologie (par exemple les réactions aux stimuli chez les
hypersensibles) !

L’apport de la psychothérapie
Le travail de psychothérapie présente au moins deux avantages :
d’abord, le point de vue du psychothérapeute, plus objectif que le
nôtre ou celui d’un proche ; ensuite, la relation d’accompagnement,
qui, en nous faisant nous sentir acceptés, nous aide à explorer des
pistes différentes de solutions à nos peurs. Le professionnel nous
aide à nous juger moins négativement et à tempérer nos ambitions
parfois irréalistes. Mieux vaut en effet ne pas accumuler les défis, ou
pas trop vite. Quand on dépasse un certain seuil, on risque en effet
de s’imposer un état de stress chronique qui réactive les tensions
internes et ne nous met pas dans de bonnes conditions pour oser
des expériences nouvelles.

Au moment de choisir un psychothérapeute, vous pouvez discuter


avec lui pour voir s’il tient compte de la dimension du tempérament.
Même s’il n’est pas spécialiste en la matière, respecte-t-il cet aspect
de l’individu ? Il est impératif de ne pas être jugé, dévalorisé ou
bousculé indûment par le professionnel. La limite n’est d’ailleurs pas
aisée à déterminer : si le thérapeute se montre à cent pour cent
compréhensif, vous risquez de ne guère évoluer (comme quand on
ne se « pousse » pas du tout soi-même). Au contraire, s’il semble
condescendant, voire agacé, face à une nature hypersensible ou
introvertie, il ne fera qu’ajouter à votre problème.

Attention cependant : quelles que soient les qualités de votre


thérapeute, vous pourrez avoir par moments l’impression qu’il ne
vous comprend pas, qu’il se montre trop dur, froid, etc. Ce sentiment
provient généralement du phénomène appelé transfert1. Aussi ne
faut-il pas abandonner sa thérapie au premier signe de malaise,
mais au contraire, traverser avec le professionnel cette passe
difficile. Tant que vous parvenez à discuter avec lui, qu’il vous écoute
et répond, cette étape est généralement l’occasion de grandes
avancées.

*
***

Tenir compte de son tempérament est d’une importance primordiale.


Nous ne pouvons pas devenir tous pareils, et c’est heureux. Bien
que certains modèles nous soient proposés comme « meilleurs »
(être grand, beau, fort, spontané, solide, affirmé...), un monde
peuplé d’êtres tous identiques serait bien stérile. Les personnes très
sensibles et les introvertis apportent à la tapisserie humaine leur
couleur subtile et profonde, aussi précieuse que les autres.

Votre tâche principale, afin de vivre sans heurts entouré(e) des


autres, consiste à trouver le juste milieu entre rester à l’abri dans un
confort trop endormi, et vous stresser excessivement en vous
exposant à trop d’épreuves. Aron conseille de limiter l’excès de
stimulation et de stress, d’apprendre à apprécier son propre style.
Quand vous vous trouvez fortement stimulé, il est indispensable
d’intégrer que cela n’est pas forcément un signe de terreur. Très
souvent, ce sentiment de panique n’est que le fruit d’une activation
du système nerveux, laquelle s’apaisera après un temps de
récupération tranquille.

Accepter son tempérament, c’est finalement accepter d’être fabriqué


sur un certain « modèle » et en tirer le meilleur parti possible pour
vivre sans stress inutile.

1. OLSEN LANEY, Marti, Introverti et heureux, Paris, Les Éditions de l’Homme, 2005. En
anglais, le livre s’appelle « The introvert advantage », l’avantage des introvertis, ce qui est
un programme sympathique !

2. Aron E., Psychotherapy and the Highly Sensitive Person : Improving Outcomes for That
Minority of People Who Are the Majority of Clients, Routledge, 2010. Voir aussi le chapitre
six du présent ouvrage.

1. Terme proposé par Éric Berne dans son ouvrage Des jeux et des hommes, Stock, 1984.

1. Aron, E. N., Ces gens qui ont peur d’avoir peur, Éditions de l’Homme, 1999 (traduction de
The Highly Sensitive Person, Broadway Books, 1997), chapitre trois. Cette idée a aussi
été proposée en analyse transactionnelle dès les années 1980 par Muriel James dans
son article sur l’autoparentage : « L’autoparentage : théorie et processus », Actualités en
Analyse Transactionnelle, 29, 1984, p. 5-11, ou Classiques de l’AT, vol.4, p. 122-128.

1. De façon très simplifiée, le transfert est la réactualisation avec le psychanalyste surtout,


mais aussi avec le psychothérapeute, d’aspects d’une relation passée, en particulier des
relations avec les parents. Il s’agit donc de moments où notre perception de la situation
actuelle est déformée, car nous revivons des choses que nous avons vécues jadis avec
des personnes importantes de notre passé, en les transposant sur le thérapeute. Ce
dernier nous semble alors formidable et merveilleux, ou bien froid, dur, effrayant, etc.
Chapitre 11
Changer l’impact des
expériences passées

Un des points indispensables pour atténuer l’anxiété sociale est de


modifier l’impact de ce que nous avons vécu sur notre façon d’être
aujourd’hui. C’est un des buts classiques de la psychothérapie :
d’abord, favoriser la prise de conscience de ce qui a été vécu ;
ensuite, en atténuer les effets par la parole, la compréhension, la
relation thérapeutique, les nouvelles expériences rapportées et
étudiées en séance. L’impact du vécu paraît plus facile à changer
que nos prédispositions génétiques, mais ce n’est pas toujours aussi
évident. Les expériences précoces se mêlent au tempérament pour
construire notre personnalité, et celle-ci, si elle peut s’assouplir, ne
change pas du tout au tout.

Tout dépend de la nature des expériences vécues, dont vous vous


êtes probablement fait une idée en lisant le chapitre sept : difficultés
du tout début de la vie ? problèmes dans l’enfance ou
l’adolescence ? expériences traumatisantes d’adulte ? Les
expériences fréquemment répétées ont tendance à s’imprimer
fortement dans notre psychisme, de même que les traumatismes
majeurs. Plus la marque est profonde, plus nous devons la
« retravailler » pour nous en guérir.
Prendre conscience de sa peur, mettre fin au
déni
Nous avons évoqué le problème de la « jambe de bois », lorsqu’ une
« Victime » met en avant ses souffrances pour se dispenser de
certains efforts. À l’inverse, nombre de gens n’ont pas conscience
des expériences qui les ont affectés et banalisent ce qu’ils ont vécu.
Tant qu’ils n’ont pas compris le lien entre leur passé et leurs
difficultés présentes, il est bien difficile pour eux de dénouer ce lien
et de s’en libérer.

Un stoïque « sans problème »

Pierre affirme avoir vécu une enfance sans problèmes, malgré son entrée au
pensionnat dès l’âge de dix ans. À cinquante ans il vit seul, sans relations intimes,
sans amis proches auxquels se confier. Depuis plusieurs années une femme a pris de
l’importance dans sa vie, mais il est incapable de lui parler de lui, de ce qu’il ressent,
de ses espoirs et de ses peines. Ils se voient un ou deux week-ends par mois et leurs
conversations restent à un niveau assez impersonnel. Pourtant, il ne voit aucun rapport
avec ses expériences passées et estime n’avoir besoin d’aucune aide psychologique.
D’ailleurs, il ne se plaint de rien, à personne.

La première conséquence de cette absence de prise de conscience


ou du déni de notre souffrance est l’impossibilité d’évoluer. On peut
arguer que Pierre ne souffre pas, alors pourquoi se mettre martel en
tête ? Mais cet homme solitaire aspire parfois à développer une vie
amicale plus active. De plus, son amie risque de se lasser d’une
relation aussi peu vivante. Or, tant qu’il ne se questionnera pas sur
son comportement, ses réactions ou l’origine de son grand repli sur
luimême, la situation restera probablement figée.

Un ancien stoïque

Jacques a connu un temps de déni. Quand il a commencé sa psychothérapie, sur


l’incitation de son épouse, il affirmait avoir connu une enfance « très heureuse, au
moins jusqu’à [ses] neuf ans, quand [il est] parti en pension ». Même dans son
pensionnat, il pensait n’avoir guère souffert et ne se plaignait pas d’avoir un caractère
très en retrait. Il consultait un thérapeute plutôt pour comprendre ce qui se passait dans
son couple, et c’est au fur et à mesure de son travail de psychothérapie qu’il a pris
conscience de son caractère secret, de son rejet des relations amicales intimes. Après
deux ans, il a compris que son enfance « idyllique » comportait en réalité bien des
lacunes, qu’il n’avait pas pris l’habitude d’interagir avec d’autres personnes. Avoir
passé la majeure partie de son temps dehors, dans la nature avec les animaux, lui
paraissait naguère poétique et attendrissant ; à présent, il mesure le chemin à parcourir
s’il veut apprendre à établir des rapports décontractés et spontanés avec autrui.

Jacques a l’avantage de réfléchir à ses difficultés relationnelles et à


leurs causes, d’autant qu’il le fait avec l’aide d’un thérapeute. Il est
donc accompagné pour découvrir ce qui lui échappe, soutenu pour
expérimenter des changements, le tout dans une relation de
confiance avec un professionnel qualifié. Parfois, de telles prises de
conscience se font ailleurs que dans ce cadre spécifique : un grand
choc existentiel (une rupture, par exemple), un grand bonheur, la
rencontre d’une personne importante qui devient tuteur de résilience
et ouvre à d’autres aspects de la vie...

Se soigner en repensant le sens de son


histoire
Une fois que nous avons pris conscience des éléments de notre
passé nous ayant marqués, l’étape suivante consiste à interroger et
à modifier l’importance ou la signification qu’on leur attribue.

Qui se ressemble ne se comprend pas toujours

Rachel a longtemps vécu dans l’idée que sa mère l’avait méprisée. En effet, cette
dernière manifestait une préférence marquée pour Jackie, sa fille aînée, l’intrépide.
Bien sûr, même enfant, Rachel s’occupait de sa mère dépressive plus que cette
dernière ne prenait soin d’elle. Malgré cela, Rachel, avec ses craintes, se sentait un
peu minable. Il a fallu un long travail de psychothérapie pour qu’elle porte un autre
regard sur sa mère, enfermée dans ses propres peurs. Rachel a fini par comprendre que
c’est probablement leur ressemblance qui conduisait sa mère à se détourner d’elle,
tandis que sa sœur aînée avait son admiration. Cette nouvelle façon d’appréhender
leur relation a énormément apaisé Rachel. Au lieu d’avoir honte d’être ce qu’elle est,
elle se regarde désormais avec une affectueuse tolérance. Certes, elle aimerait être
aussi à l’aise et décontractée que sa sœur, mais sa nature introvertie et douce n’a rien
de honteux, comprend-elle maintenant.

VOTRE PROGRAMME PERSONNEL

Pour favoriser la prise de conscience de ce qui a pu vous marquer, vous aurez besoin
d’étudier les circonstances de votre enfance, éventuellement en vous aidant de photos
anciennes.

Quelle était l’atmosphère dans votre famille ? (chaleureuse, ouverte, dynamique,


calme...)

Quelle attitude générale avez-vous perçue vis-à-vis de vous ? (protection, dureté,


acceptation, réprobation, déception...) Quelles attitudes différentes avez-vous
perçues, de la part de votre père et de votre mère, des différents membres de la
fratrie, des cousins, oncles, tantes... ?

Quelles furent vos expériences favorables d’interaction avec les autres ? (famille
recevant de nombreux amis, parents vous apprenant à communiquer avec les
autres, enseignants qui vous comprenaient bien, frère ou sœur vous introduisant
dans un cercle de copains, rencontres importantes, accompagnement...)

Quels furent les aspects défavorables à votre apprentissage social ? (famille


sauvage, fermée, critique, expériences douloureuses à l’école...)

Quel sens avez-vous donné à ces expériences passées ?

Si vous avez conclu à des déficits importants chez vous, pouvez-vous à présent y lire un
autre sens ? (lié aux besoins de vos parents, à leurs exigences culturelles, à une
incompatibilité de tempéraments...)
L’apport de la psychothérapie
La psychothérapie ne peut évidemment changer le passé, mais elle
est le moyen le plus sûr de modifier la façon dont nous en sommes
affectés. Accompagnés par un professionnel qui nous accepte tels
que nous sommes, nous réussissons mieux à retrouver les
souvenirs éventuellement enfouis, ou minimisés. C’est là un des
aspects fondamentaux du processus de progression : souvent, en
effet, nous avons au contraire appris à banaliser ce que nous avons
vécu, à trouver le comportement des autres légitime et à imputer
tous nos problèmes à notre propre (mauvais) comportement.
Modifier l’interprétation que nous détenons de nos souvenirs nous
aide à réécrire notre histoire de vie.

Un chercheur américain spécialisé dans l’anxiété, Joseph LeDoux1,


décrit aussi la façon dont la psychothérapie change le cerveau et
ses connections. Le fait de revisiter nos souvenirs accompagnés
d’un thérapeute, qui nous aide à les réinterpréter et à les
comprendre autrement, génère un nouvel encodage biochimique de
ces souvenirs. Ils prennent une nouvelle place dans notre psyché,
ce qui modifie notre perception de nous-mêmes.

Lorsque nous mesurons l’importance des événements vécus, cela


provoque souvent des émotions difficiles. L’important est qu’elles
soient bien accueillies et entendues, ce qui contribue énormément à
changer notre vision de nous-mêmes. D’une vision souvent négative
(« idiot, inepte, crétin, incapable, froussard »), elle peut devenir
tolérante, voire positive (« sensible, profond, pudique »). Cette
modification subtile mais profonde se fait généralement à notre insu,
grâce aux interactions avec cette personne qui reste solidement à
nos côtés pendant notre voyage d’exploration.

En cas de traumatisme, il existe des techniques corporelles visant à


en diminuer l’impact rapidement.1 Elles ne suffisent pas à changer
l’opinion que nous nous faisons de nous-mêmes, mais peuvent
procurer un soulagement rapide, qui diminue le mal-être et aide à
vivre.

L’une de ces techniques est la méthode TIPI (technique


d’identification des peurs inconscientes), proposant à la personne de
revivre sensoriellement ce qui, à un moment donné de sa vie,
souvent très lointain, a engendré sa peur. Il s’agit d’une démarche
sensorielle et non émotionnelle ou intellectuelle, dont l’objectif n’est
pas de comprendre ou contrôler la peur mais seulement de la revivre
consciemment, afin de désactiver les réactions physiologiques
qu’elle entraîne et ainsi les manifestations de timidité, d’irritabilité ou
de colère qui l’accompagnent.

Une autre de ces techniques corporelles est l’EMDR (thérapie


d’intégration neuro-émotionnelle par des stimulations bilatérales
alternées), qui permet la remise en route d’un traitement naturel
d’informations bloquées – notamment par un choc traumatique.
Ainsi, le mécanisme automatique, par exemple de terreur, engendré
par tous les stimuli rappelant le traumatisme, cesse de s’enclencher
et la personne retrouve l’accès à des réactions plus libres.

*
***

S’il est impossible d’effacer ou de transformer les événements subis,


nous pouvons en revanche agir sur la façon dont ils nous affectent
par la suite. Comprendre comment notre état d’anxiété sociale s’est
développé, à partir d’un terrain inné et de diverses expériences
douloureuses d’incompréhension, nous aide à cesser de nous
tourmenter avec un passé difficile. Nous nous pardonnons, nous
apprenons à nous accepter avec notre nature et notre histoire. Et
pour consolider ces reconstructions, il est important de les compléter
par des changements dans notre façon quotidienne de vivre, comme
le propose le chapitre suivant.

1. Ledoux, J., Neurobiologie de la personnalité, Odile Jacob, 2003.


1. Cf. p. 256 :Adresses utiles.
Chapitre 12
Changer au présent

Que nous ayons ou pas travaillé sur notre tempérament et notre


passé, nous avons vraiment intérêt à adopter des changements
dans notre vie quotidienne, comme le propose ce chapitre. Il est
organisé en trois grandes parties : d’abord les changements
d’attitude que vous pouvez mettre en œuvre même si vous ne
changez aucune de vos activités ; ensuite les occupations nouvelles
à envisager pour enrichir vos capacités d’interactions avec les
autres ; enfin, comme dans les deux chapitres précédents, nous
finirons par les apports que peut fournir la psychothérapie.
Il est possible de beaucoup progresser seul, à condition de toujours
respecter la « stratégie des petits pas », c’est-à-dire un équilibre
entre nos tendances naturelles et des expériences nouvelles
stimulantes. Évidemment, si nous nous sentons capable d’en faire
toujours plus, pourquoi pas ? Seulement, il est primordial d’avoir
d’abord acquis un regard bienveillant sur nous-mêmes, de manière à
pouvoir nous pardonner si nous échouons dans notre tentative, trop
ambitieuse.

Prendre de bonnes habitudes : changer


d’attitude

La stratégie des petits pas


Hans Selye, l’inventeur du concept de stress, affirme que ce dernier
est indispensable à la vie1. On imagine souvent le stress comme un
processus uniquement nocif, mais il existe du bon stress, qui est une
réaction de l’organisme à une situation nouvelle et stimulante. Le
cœur va certes battre plus vite, le cerveau se mettre en plus grande
vigilance, mais tant que ces réactions ne dépassent pas nos
capacités d’endurance, nous parvenons à nous calmer ensuite.

C’est sur cette base que se fonde la « politique des petits pas » :
pour progresser (mais aussi pour ne pas s’enfermer dans une
répétition source d’ennui), nous avons besoin d’expérimenter des
choses nouvelles. Pour que celles-ci n’effraient pas trop l’Enfant en
nous, il vaut mieux avancer lentement. Nous devons trouver une
dose de stress juste, qui nous stimule sans nous déborder.
Par exemple, si l’on a peur de prendre la parole en public, il serait
cruel (envers l’Enfant en soi) et futile de s’imposer d’emblée une
conférence publique. Pour commencer, on peut faire un court
discours, préparé à l’avance, à ses deux meilleurs amis autour d’un
dîner à la maison. Ce qui implique :

de réfléchir à un sujet que l’on trouve intéressant ou amusant ;


d’écrire tranquillement le discours (court ! inutile de mettre la barre
trop haut !) ;
d’organiser ledit dîner (avec un traiteur si cuisiner vous stresse,
en concoctant un petit plat si cette activité vous calme) ;
éventuellement, d’en parler à l’avance aux amis pour obtenir leur
coopération.

Ensuite, on pourra songer à une intervention dans un cercle moins


restreint, moins intime. Une fois cette étape accomplie, augmenter
encore un peu la difficulté, et ainsi de suite jusqu’à atteindre son
objectif. Et si l’on bloque quelque part, il ne faut jamais hésiter à
solliciter de l’aide !
Utiliser son imagination pour la visualisation positive
D’après Roland Jouvent1, psychiatre, psychanalyste et chercheur,
dans certaines zones du cerveau, réaliser une action ou l’imaginer
produisent un résultat identique. Si nous nous imaginons nous
ridiculisant, notre cerveau vivra une souffrance similaire à celle que
nous aurions ressentie si cela était réellement arrivé. C’est ainsi que,
dans le circuit du scénario de vie, quand nous imaginons des
situations difficiles, nous renforçons notre vision négative de nous-
mêmes, des autres, et de l’existence. Refuser une invitation par peur
d’être l’objet de moqueries est presque aussi destructeur que de
subir réellement de telles brimades.

Heureusement, le processus inverse est également vrai ! Si nous


répétons une scène pour nous préparer à affronter une situation
stressante, si nous nous imaginons réussissant à parler à quelqu’un
d’intimidant, à nous affirmer ou à prendre la parole en public, nous
habituons notre cerveau à une nouvelle image de nous.Au moment
de mettre en œuvre ce nouveau comportement, il nous sera alors
plus familier et nous paraîtra plus aisé à pratiquer. Il est important de
s’imaginer à l’aise avec cette situation peu familière. Fermer les
yeux, se concentrer sur sa respiration pour la rendre plus lente, plus
profonde, plus abdominale, aide à créer ou retrouver un état de
calme dans le corps. Chaque fois que l’on sent son pouls s’accélérer
en imaginant un pas supplémentaire, on s’arrête, on revient à la
respiration, la main posée sur le diaphragme jusqu’à ce que le calme
se fasse de nouveau en soi.

S’investir dans des projets réalisables


Comme nous l’avons vu au chapitre huit, ceux qui craignent le
contact des autres ont souvent des exigences élevées envers
euxmêmes ; ils se veulent parfaits, irréprochables, voire
exceptionnels. Or, pour alléger les causes de notre stress, il est
nécessaire d’être plus réaliste, de nous accepter avec nos défauts,
humains, ce qui requiert souvent un travail de psychothérapie car il
nous est difficile de nous détacher de l’image idéale de nous-
mêmes.

Si vous vous lancez seul dans ce projet, gardez toujours en tête le


principe d’équilibre : baisser vos exigences suffisamment pour vous
préserver de l’échec ou même du risque de l’échec ; mais ne pas les
baisser au point de vous considérer comme un handicapé, incapable
d’une performance « normale ».

Par exemple, si vous considérez que pour inviter des gens chez
vous, votre maison doit être absolument impeccable, vous devez
vraiment renoncer à cet idéal ! Sans basculer dans le contraire et
recevoir des invités dans un capharnaüm monstre, recherchez un
juste milieu, car si jamais vos invités étaient en effet effarouchés par
l’état de votre salon, vous utiliseriez cette réaction comme preuve
que vous êtes bien indigne d’attention.

Se méfier des étiquettes


Il est utile de reconnaître vos éventuelles fragilités innées
(tempérament hypersensible ou introverti, par exemple) et de
prendre des mesures pour en tenir compte, au lieu de vous forcer à
adopter un comportement opposé à votre personnalité. Le bénéfice
sera immense, quand vous ne vous escrimerez plus à donner le
change, ne craindrez plus de vous trahir.Avancer masqué entraîne la
menace permanente d’être démasqué, et donc engendre du stress !

Nous naviguons cependant entre deux écueils : nier nos difficultés,


ou céder au « syndrome de la jambe de bois », qui consiste à nous
dispenser de tout ce qui nous fait peur en s’abritant derrière l’excuse
de notre handicap. Cela pourrait vous conduire à éviter toute
situation sociale, en vous dissimulant derrière une réflexion
rationnelle et rassurante : « je vais plutôt rester tranquillement chez
moi, étant donné mon côté phobique/introverti/hypersensible... ».
Nous revenons toujours au principe central du progrès dans le
domaine de l’anxiété (cf. chapitre dix) : il faut chercher à dépasser sa
peur pour la combattre, sans dépasser le point de rupture qui
provoquera notre régression ou notre blocage apeuré.

Se reconnaître anxieux, introverti, hypersensible, donc, mais ne pas


s’étiqueter en se condamnant au handicap.

Apprendre à dire NON


Entrer en conflit avec les autres est typiquement effrayant pour un
anxieux social. Protester quand on ne respecte pas vos droits (qu’on
vous dépasse dans une file d’attente, qu’on parle trop fort près de
vous...), exprimer votre désaccord avec la majorité lors d’une
réunion, constituent de véritables défis. À l’inverse, ravaler son avis
contribue à amoindrir votre estime de vous, et laisse cette
impression d’être un peu minable, incapable de s’affirmer.

Avec la stratégie des petits pas, vous pouvez apprendre, vous


habituer progressivement, à émettre des objections. Pour cela,
mieux vaut commencer dans le cadre de relations rassurantes, puis,
peu à peu, dans des milieux de moins en moins amicaux. Des
exercices adaptés à cet objectif peuvent vous aider à trouver la
méthode qui vous convient1.

Ne plus se laisser marcher sur les pieds

Jacques a développé peu à peu sa capacité à dire son désaccord. Au début, il ne voyait
même pas en quoi certaines situations pouvaient être injustes envers lui, tant il lui
semblait normal que les autres occupent toute la place. Peu à peu, avec l’aide de son
thérapeute, il a pris conscience de ses propres droits ; avec son épouse, d’abord, puis
face à son chef, il a trouvé des moyens d’exprimer ce qui ne lui convenait pas lorsqu’il
s’estimait traité injustement. Aujourd’hui, il supporte même que l’autre le renvoie
dans ses buts, voire hausse le ton : il tient bon et continue d’affirmer son point de
vue !

Refuser la tyrannie de la peur


Un des processus pivots de la lutte contre l’anxiété est de surmonter
vos peurs, ne pas vous laisser paralyser par elles. Une croyance
assez répandue incite à considérer qu’il faut d’abord vaincre sa peur
pour réussir quelque chose. Eh bien non ! Beaucoup de gens
affrontent des situations qui les effraient, plus ou moins, avec
succès ! Comme la peur ne peut pas toujours être supprimée, il est
impératif de savoir composer avec elle, d’oser entreprendre malgré
elle.

Là encore, il faut veiller à un bon dosage de votre effort : vous forcer


lorsque votre peur est intense serait cruel et vain. Cependant, vous
pouvez vous aventurer « hors des clous », sans rester figé dans
l’attente d’être assuré à propos d’une situation.

La visualisation positive peut vous aider à diminuer la peur que vous


inspire un nouveau comportement à mettre en œuvre. Si cette peur
reste paralysante, l’aide d’un psychothérapeute vous sera
probablement nécessaire, mais vous pouvez au moins dégonfler la
baudruche PEUR en sachant que vous ne la laisserez pas vous
enfermer indéfiniment !

Apprivoiser sa peur

Rachel, qui équilibre travail en solitaire et journées avec des groupes, continue d’avoir
peur à chaque veille de formation. Elle dort mal, persuadée de ne pas encore être
suffisamment au point pour intéresser son public. Cependant, sa crainte s’est déjà
atténuée, au bout d’un an. Les premières fois elle avait l’impression d’être au bord du
malaise, il lui semblait que la terre allait s’ouvrir sous ses pieds. À présent son stress
est moins fort et commence moins longtemps à l’avance. D’ici quelques années, elle
devrait donc ne plus trop s’inquiéter !

Pour aller plus loin

Du corps à l’esprit, apaiser son stress


Notre système nerveux comporte deux systèmes, concurrents et
complémentaires, un peu comme l’accélérateur et le frein d’un
véhicule. On les appelle systèmes « sympathique » – c’est
l’accélérateur, il nous éveille, nous contracte – et
« parasympathique » – c’est le frein, il nous calme, nous ralentit.
Dans les cas de simple introversion, sans anxiété, le système
nerveux n’est pas forcément mis à contribution. En revanche, pour
les personnes anxieuses émotives, il est nécessaire de développer
le système parasympathique. Leur système nerveux est habitué à
fonctionner surtout en mode « accéléré », il convient de lui
apprendre aussi à ralentir.

L’harmonie du corps
Les introvertis et les hypersensibles présentent la plupart du temps
une hypersensibilité corporelle, qui leur rend les sensations internes
et externes plus rapidement et plus fortement perceptibles qu’aux
autres. Cela entraîne souvent une hypervigilance aux signes de
modification, qui deviennent vite inquiétants. Certains
hypersensibles s’inquiètent d’être malades (jusqu’à l’hypocondrie,
parfois), dans d’autres cas, la sensation ainsi guettée peut
s’amplifier au point d’entraîner une crise de panique.
Pour se libérer de l’hypocondrie, les anxieux doivent apprendre à
atténuer l’interprétation négative inquiétante des signes, mais aussi
développer leurs ressentis de détente. Pour cela, il existe des
activités solitaires ou collectives, comme le yoga, le tai-chi, la
sophrologie, la méditation, la relaxation. On peut aussi,
individuellement, se faire masser, prendre des bains chauds, écouter
de la musique douce, aller se promener en contemplant les arbres...
Il est utile pendant ces moments de se dire que l’on s’entraîne à la
détente, de visualiser notre cœur, notre système nerveux qui
s’apaisent et deviennent de plus en plus calmes.

Chasser la tension nerveuse


L’autre axe d’intervention pour préserver son bien-être corporel
consiste à dépenser son énergie nerveuse : course à pied, marche
rapide, natation, danse africaine, et autres activités sportives aident
à faire baisser la tension nerveuse. D’autre part, en augmentant la
confiance dans son corps, on augmente la confiance en soi. Le
contrôle et l’endurance d’une danseuse, le calme centré de ceux qui
pratiquent un art martial, les aident à affronter le monde.

La tranquillité du samouraï

Ivan a compris dès l’adolescence l’intérêt de pratiquer le karaté. D’une part son corps
a acquis de la force, ce qui renforce sa confiance en lui dans ses rapports à autrui (non
qu’il veuille se battre avec les gens, mais il se sent fort, capable de se protéger) ;
d’autre part cette pratique, qui nécessite une grande concentration, lui permet de
calmer ses moments d’anxiété.

Les joies de la conversation banale


En analyse transactionnelle, on propose six types d’interactions
sociales1, notés ici par degré croissant d’intensité.

le retrait (aucun contact) ;


les rituels (des contacts généralement brefs, très ritualisés,
comme de dire « bonjour ») ;
les passe-temps (des conversations portant sur des sujets
généraux, tels que la météo, les résultats sportifs, la politique) ;
l’activité (la coopération concentrée sur un objectif ou une tâche,
qu’ils soient professionnels ou liés à un sport, un hobby) ;
les jeux psychologiques (des séquences complexes mettant en
jeu un conflit, aboutissant à des cris, des paroles blessantes...) ;
l’intimité (les trop rares moments où l’on se sent en totale
confiance avec l’Autre et où l’on se montre sans fard).
Nous ne sommes pas à égalité avec ces différents aspects du
commerce humain. Les anxieux sociaux ont bien du mal à pratiquer
les conversations « passe-temps », alors que les extravertis adorent
échanger ainsi, y compris avec de parfaits inconnus. Les introvertis
préfèreraient quant à eux s’en passer et n’avoir que des rapports
profonds avec les gens, mais c’est impossible : ce type d’échange
est le principal moyen de faire connaissance, de voir si on a des
atomes crochus.
C’est pourquoi, même si on trouve ces conversations un peu
superficielles, il est bon d’apprendre à y participer. Il faut aussi
dépasser son mépris pour ces bavardages frivoles, car les autres
perçoivent ce rejet et n’apprécient guère qu’on les considère avec
dédain ! Sans s’obliger à bavarder de tout et de rien pendant des
heures, il est vraiment utile d’être capable de parler avec quelques
personnes de certains de ces sujets banals : la politique, par
exemple, peut paraître plus intéressante que les potins mondains –
à chacun de cultiver quelques domaines qui l’intéressent.

Tant pis si ça ne vole pas haut

Manon, la jolie adolescente qui se sent mal à l’aise, aurait besoin de progresser dans
l’exercice de la conversation banale. Comme elle trouve futiles les bavardages de ses
camarades, elle s’isole et se sent à part. Si elle arrive à prendre du plaisir à discuter
avec les autres filles, elle s’intègrera plus facilement aux groupes de son âge.

Exercice : à essayer...

Pour développer quelques talents de bavardage, il importe de tenir compte


de ses propres préférences. En vous aidant des exemples suivants, préparez-
vous des conversations superficielles pour qu’elles se déroulent plus
aisément :

quels sont les sujets qui vous intéressent ? (politique, mode, domaine
social, éducation, people, cuisine, culture, etc.) ;
quelles occasions avez-vous de développer ces sujets ? (lectures, films,
conférences, etc.), – en pensant aux informations que vous avez retenues
et que vous aimeriez partager ;
avec qui aimez-vous discuter ? (votre voisine, votre collègue de bureau,
la maîtresse de votre fils, un commerçant de votre quartier...) ;
enfin, pour vous habituer, visualisez des discussions (que pourriez-vous
dire, comment développeriez-vous vos arguments, etc.).

Oser se dévoiler
Les personnes discrètes pensent ne pas être intéressantes,
imaginent qu’il serait très prétentieux de parler d’elles, ou encore
craignent de trop s’exposer en se dévoilant. Il est nécessaire
pourtant de surmonter ces réserves, d’une part parce que si nous ne
nous montrons pas, nous ne pouvons pas nous faire connaître, ni
nous faire de nouvelles relations ; d’autre part parce que les autres
se méfient parfois de ceux qui ne se révèlent pas du tout. Leur
méfiance les rend moins bienveillants à notre égard, ce qui
augmente ensuite notre peur (et le risque) qu’ils portent sur nous un
regard négatif.

Patrick se révèle

Après des années à se replier toujours plus sur lui-même, Patrick avait bien du chemin
à faire pour arriver à se laisser connaître. Il lui a fallu une longue psychothérapie pour
accepter cette idée et commencer à la mettre en œuvre. Il a commencé par choisir,
parmi ses collègues, la personne en qui il avait le plus confiance. C’est elle qui a reçu
ses premières confidences : elle a ainsi appris d’abord qu’il aimait la musique et
chantait dans une chorale ; la semaine suivante, que sa femme et lui cultivaient leur
jardin avec passion. Rassuré par sa réaction positive, Patrick a pu bientôt raconter les
mêmes choses, et quelques autres, à deux autres collègues. Peu à peu l’attitude de
l’équipe envers lui s’est modifiée, ses collègues ont commencé à l’accueillir plus
chaleureusement le matin, lui demandant des nouvelles de sa famille. Un an après le
début de ces révélations, Patrick se demande pourquoi il n’a pas commencé à se
dévoiler plus tôt !
Pour autant, on n’est pas obligé d’être transparent ! Chacun a droit à
son jardin secret, et l’honnêteté dans les relations n’est pas une loi à
appliquer sans discernement.

Choisir ses fréquentations


Nous avons évoqué dans le chapitre huit la « société narcissique »
et l’importance extraordinaire accordée aujourd’hui à l’apparence,
influençant le regard que les autres portent sur nous. Il est difficile
mais extrêmement libérateur de renoncer à cette quête d’acceptation
par les gens « importants ». La peur de se ridiculiser, de perdre nos
entrées dans les « bons » cercles, n’a alors plus prise sur nous.

« Ridicule »

Dans le film intitulé Ridicule, on est spectateur de ce fonctionnement poussé à


l’extrême : pour avoir sa place dans les cercles composant la cour du Roi, il fallait
faire preuve d’« esprit », c’est-à-dire trouver le bon mot, la riposte cinglante, pour
rabattre le caquet de qui voulait vous ridiculiser. Un sport épuisant dont le gagnant
d’un jour pouvait tout perdre le lendemain, devenant à son tour la risée générale. Rien
n’était jamais acquis, on devait être constamment sur le qui-vive, prêt à renvoyer une
saillie traîtresse.

Heureusement, peu de milieux fonctionnent sur ce modèle de nos


jours. Et si l’on en fait partie... cela en vaut-il la peine ? Nous
sommes libres de changer d’échelle de valeurs, pour choisir qui
nous intéresse vraiment, humainement. En choisissant de fréquenter
des personnes dont nous partageons les valeurs, une bonne partie
du risque de rejet s’efface. Pour cela, mieux vaut rechercher des
gens positifs, de ceux qui cherchent chez autrui les qualités et les
points forts, au lieu de guetter leurs faiblesses pour les dénoncer.
Parfois il faut pour cela s’éloigner de ses anciens amis, voire de sa
famille.

Une courageuse incomprise


Chloé a toujours été critiquée dans sa famille. Sa mère, enseignante, la dévalorise
constamment. Tantôt elle lui reproche de ne pas être assez cultivée, alors que Chloé
n’a cessé de prolonger ses études, espérant être un jour enfin approuvée pour tant de
connaissances accumulées. Tantôt elle l’accuse d’être trop autoritaire, sitôt que Chloé
monte en grade dans son travail et exerce des responsabilités. C’est en participant à un
groupe de psychothérapie que la jeune femme a découvert qu’on pouvait l’estimer. Au
début, elle est restée sceptique : ces gens qui admiraient ses qualités devaient être soit
hypocrites, soit aveugles ! Peu à peu, non sans résistance, elle a fini par se laisser
amadouer : être appréciée pour son intelligence, son travail et sa force de caractère lui
plaisait bien... Son cercle d’amis a changé, aujourd’hui elle s’entoure davantage de
personnes qui l’apprécient, et limite les contacts avec sa famille qui continue de la
critiquer.

Chloé est l’exemple d’un autre apprentissage nécessaire : celui


d’accepter les signes de reconnaissance positifs. En effet, un des
moteurs de l’interaction humaine réside dans ces échanges. Côtoyer
des gens sans jamais recevoir d’eux une parole aimante nous laisse
un peu affamés ! Il est utile de parler de sujets sans conséquences,
certes, d’oser émettre des objections sincères et exprimer des
demandes – des tâches difficiles pour qui redoute les autres, mais
recevoir et donner des marques d’appréciation enrichit
indispensablement la relation aux autres.

S’impliquer dans des activités sociales structurées


Improviser une rencontre est vraiment difficile, quand on n’en a pas
l’habitude.Toutefois, si la rencontre est organisée par une tierce
partie, extérieure, le contact avec l’Autre est alors pris en charge par
ce cadre, qui dispense de la phase, délicate, d’approche d’un
inconnu.

Le plaisir des danses de couple, seul ou à deux !


La danse est un moyen idéal d’aller vers les autres, dans la mesure
où cette activité vous attire un tant soit peu. Quelle meilleure
occasion d’aller droit vers quelqu’un et de le toucher sans avoir
besoin de savoir faire connaissance ? Ici, le contact est bien
structuré, on « tourne », dansant tour à tour avec toutes les
personnes du sexe opposé dans le cours. Après quelques
semaines, la plupart des gens discutent entre eux à chaque
passage. Si vous avez du mal à bavarder, quelques sujets s’offrent
d’évidence : le pas à répéter, la musique choisie, le caractère du
professeur, le cours de la semaine précédente, etc.
Chaque type de danse a ses avantages :

Le rock va assez vite, sur des musiques souvent gaies. Le contact


avec l’autre peut rester limité. La population des cours de rock a
majoritairement autour de trente à trente-cinq ans, avec quelques
participants dans la vingtaine, ou jusque dans la soixantaine.
Conseillé aux plus jeunes qui bougent facilement.
La salsa est une danse très sensuelle et extravertie, pas des plus
faciles pour apprivoiser le contact. Comme son rythme est de plus
assez complexe à saisir, surtout pour les hommes qui sont
chargés de guider leur partenaire, mieux vaut ne pas commencer
par cette danse à moins d’avoir une véritable passion pour la
musique salsa.
Les danses de salon sont en général enseignées toutes
ensembles. On découvre donc aussi bien les danses dites latines
(rumba, chacha, pasodoble, jive) que les danses standard (valse,
valse lente, tango, quickstep). Cette variété peut être un atout,
pour le néophyte qui découvre la danse à deux : on explore
différentes façons de tenir le partenaire, de bouger.
Enfin le tango argentin (très différent du tango précédent),
enseigné à part. Cette danse offre un terrain d’exploration très
intéressant1. Son apprentissage insiste énormément sur la
relation corporelle à l’autre, la communication non verbale, la
posture. À privilégier si on préfère une danse moins exubérante,
plus intérieure, mais très interpersonnelle. En revanche si l’idée
d’enlacer ou être enlacé est détestable, il vaut mieux s’orienter
vers un autre choix.

À travers un loisir, rejoindre une communauté


L’important est de vous consacrer à une activité qui vous plaît. Il
n’est pas nécessaire que cela soit une passion, mais choisissez au
moins un loisir compatible avec vos goûts, car si vous vous ennuyez,
vous abandonnerez votre projet, ou n’attirerez personne parce que
vous aurez l’air mécontent.Vous pouvez pratiquer l’aïkido, le tir à
l’arc, le bridge, faire du théâtre ou chanter dans une chorale, être
bénévole dans une association d’aide aux autres, peu importe, pour
peu que cela vous mette en contact avec autrui.

L’impro dans la vie

Magali s’est inscrite à un cours de théâtre d’improvisation pendant deux ans, et s’est
énormément épanouie, libérée. À présent, il lui est infiniment plus facile d’entrer dans
des salles pleines de monde. Souvent, elle n’y pense même pas. Et si elle commence à
s’interroger, elle peut se remémorer les règles d’un rôle à tenir en improvisation.
Grâce à ce cours, elle a par ailleurs pris conscience du fait que beaucoup d’autres sont
eux aussi mal à l’aise.

Attention, certaines activités comme le violon, le yoga, la natation,


les cours de gymnastique dans des clubs snobs, suscitent peu la
communication. L’idéal est donc de privilégier les sports où vous
aurez un partenaire, les activités incluant des moments de
communication, les groupes qui sont propices à la création de liens
amicaux, à l’organisation de sorties après les cours, etc.

Les bienfaits d’une équipe

Patrick a commencé par s’inscrire au karaté, mais décidément, cette ambiance ne lui
convenait pas trop. Le côté « dur » le confortait, certes, dans son identité masculine, et
cette année de travail lui a fait du bien, mais ce qui a vraiment débloqué son côté
timide, c’est le handball. Patrick a fini par se rappeler qu’il avait adoré ce sport au
lycée. Il a déniché une équipe amateur près de chez lui, et en quelques mois, s’est
trouvé parfaitement intégré au groupe. On l’a invité à boire un verre au café après les
entraînements et il a accepté, quoiqu’un peu intimidé au début. Assez rapidement, il
s’est fait quelques amis au club et s’est senti bien plus détendu en compagnie des
autres. L’impression qu’on se moquait de lui s’est faite de plus en plus rare, et il a pris
l’habitude d’interagir avec spontanéité avec ses coéquipiers, de plaisanter même. Sa
femme lui en a d’ailleurs fait la remarque un soir, au retour d’un dîner chez un couple
d’amis : « Tu deviens un vrai boute-en-train, je ne te reconnais plus ! ».

Évidemment, s’impliquer dans une activité ne marche pas toujours


d’emblée, et surtout pas par magie. Dans le cas de Patrick, il a fallu
du temps en thérapie pour qu’il accepte la nécessité de s’engager
dans un club sportif.Toutes sortes de bonnes raisons faisaient
obstacle à ce projet, selon lui : il n’avait pas le temps, n’avait envie
de rien, trouvait les autres peu intéressants... L’expérience du
karaté, quoique bénéfique, a failli le dégoûter, parce que ce sport
était trop éloigné de ses goûts, et quand il s’est inscrit enfin au
handball, il a parlé chaque semaine, pendant les premiers mois,
d’arrêter l’expérience.

Son parcours illustre bien le principe de base, toujours le même : il


faut s’écouter suffisamment, mais pas trop. Écouter nos goûts, ne
pas aller contre notre nature, car en s’imposant plus d’efforts que
nous ne pouvons le supporter, soit nous abandonnerons, soit nous
agirons sans plaisir, en nous coupant de nous-mêmes.

Se tourner vers un groupe d’entraide


À mi-chemin entre activités et psychothérapie, les groupes
d’entraide offrent un lieu où rencontrer des personnes confrontées
aux mêmes problèmes que vous. Il y règne généralement une
atmosphère d’acceptation inconditionnelle très bénéfique. Vous
trouverez à la fin de cet ouvrage quelques adresses de sites
spécialisés, mais le web est une mine en perpétuel renouvellement !
L’apport de la psychothérapie
Une des conséquences des expériences vécues est la mise en
place de schémas relationnels (cf. chapitre cinq). Ces schémas
déterminent notre façon de percevoir nos relations avec autrui, les
interactions possibles entre nous et un autre. Le rôle de la relation
thérapeutique réside essentiellement dans la modification de ces
schémas. La psychothérapie n’est pas magique, mais un entretien
hebdomadaire avec une personne compétente, intéressée, non juge,
offre toutefois un espace dissocié de la vie ordinaire, grâce auquel
un changement est possible, qui peut à tout moment être discuté et
examiné ensemble. Cette expérience, répétée semaine après
semaine, affecte peu à peu le vécu et les attentes de l’anxieux. De
nouveaux schémas relationnels se créent, rendant possibles des
interactions plus riches et plus sereines avec les autres. L’image de
soi, l’image de l’Autre, et surtout, l’image de « soi-avec-l’Autre »
évoluent, deviennent plus vivantes et flexibles.
Un autre aspect très utile de la psychothérapie est le travail en
groupe, qui peut offrir une aide précieuse, comme le prouve
l’exemple de Chloé (cf. p. 200). La liberté d’expression de
participants, qui peuvent se dire leur respect, leur affection, leur
admiration ou même leurs difficultés d’entente réciproques en fait un
lieu d’expériences nouvelles. Le thérapeute, lui, n’exprime que
rarement ses sentiments personnels à l’égard d’un patient. Non qu’il
ne ressente rien, au contraire – mais communiquer son ressenti
n’est pas toujours judicieux, sauf à certains moments, qu’il choisit
soigneusement.
De plus, le groupe offre un milieu protégé, où les gens se dévoilent
beaucoup plus facilement que dans la vie ordinaire. On peut
apprendre à interagir sur ce mode franc et ouvert, dans le
« laboratoire » de ce milieu privilégié1.Toutefois, pour une personne
qui craint les autres, il est souvent difficile de démarrer une
psychothérapie en allant dans un groupe, car cela fait trop
d’obstacles à gérer d’un bloc. Néanmoins, après quelque temps de
thérapie individuelle, cela devient une solution valable pour
apprivoiser son stress et s’exercer au contact.

*
***

Énormément d’éléments peuvent nous aider à mieux vivre avec


notre anxiété, même si elle ne nous quitte jamais complètement.
Selon nos préférences personnelles, nous pouvons opter pour des
méthodes actives, des façons différentes de se traiter, ou la
psychothérapie – ou encore mieux, combiner les trois. Peu importe
le moyen choisi, du moment que vous y gagnez en liberté !

1. Selye, Hans, Stress sans détresse, La Presse, 1974. Le stress est la réaction de
l’organisme à un événement ou à une situation difficile, qui entraîne une cascade de
réactions physiques (production de cortisol et d’adrénaline, accélération du rythme
cardiaque, contraction des muscles, etc.).

1. Jouvent, R., Le cerveau magicien, Odile Jacob, collection Sciences, 2009.

1. Brécard, F., 50 exercices pour dire non, Eyrolles, 2009 et Le Guernic, A., Sortir des
conflits grâce à l’AT, InterÉditions, 2003 (pour se rassurer sur la possibilité de s’opposer
sans nécessairement provoquer de grands conflits).

1. Brécard, F. et Hawkes, L., Le grand livre de l’analyse transactionnelle, Eyrolles, 2008,


chapitre neuf sur la structuration du temps.

1. Pour ceux qui lisent l’anglais, une explication de ses avantages dans un groupe
thérapeutique est proposée dans l’article de L. Hawkes, « The tango of therapy : a
dancing group », Transactional Analysis Journal, octobre 2003,Vol. 33, n° 4, p.288-301.
On trouvera aussi une présentation intéressante de cette danse chez Christophe Aprill :
Tango, le couple, le bal et la scène, Autrement, 2008.

1. Delourme, A., « Les psychothérapies de groupe », Sciences Humaines, n° 15, juinjuillet-


août 2009.
Wybo M.-E., « Le rôle du groupe dans la thérapie », Actualités en Analyse Transaction
nelle, 1993, p. 41-44.
Chapitre 13
Les solutions de l’analyse
transactionnelle

Reprenons dans ce chapitre ce que nous avons expliqué dans les


chapitres précédents, pour traduire ces formes de traitement en
termes d’analyse transactionnelle. Cette conceptualisation vous
aidera à mieux comprendre quels changements vous pouvez mettre
en place.

Les états du moi contre l’anxiété

Fortifier son état Adulte


Quand nous craignons des choses ou des gens qui ne représentent
pas un danger réel, c’est le signe que l’Enfant en nous est aux
commandes. Confrontés à une situation que nous avons appris à
redouter, nous ressentons une peur que nous ne savons pas
analyser. Dans cette situation, retrouver notre état d’Adulte pour
étudier la situation d’un œil plus objectif est une aide considérable.
Certes, cela ne suffit pas, car une phobie ne se raisonne pas : nous
aurons beau nous dire que c’est idiot d’avoir peur des araignées
sous nos climats, qu’elles sont rarement dangereuses, le
mécanisme est souvent trop fort, la peur s’empare de nous et nous
tétanise1. Malgré tout, la plupart de nos peurs, quand elles
n’atteignent pas un niveau critique, peuvent être atténuées en
mobilisant notre capacité de penser.

Il existe une explication neuroscientifique au phénomène de la


phobie. Dans son récent livre sur le cerveau2, Roland Jouvent
propose l’analogie du cheval et de son cavalier. D’après lui, le
cerveau émotionnel ou cerveau limbique (incluant l’amygdale) est le
cheval, qui risque de nous imposer une fuite effrénée face à un
stimulus particulier. En analyse transactionnelle, ce cheval se
rapproche de l’état du moi Enfant. Le cavalier, dans le cerveau,
serait le cortex, c’est-à-dire la partie capable de raisonnement et
d’analyse des données – proche de l’état Adulte. Grâce à un bon
apprentissage, déclare Jouvent, le cavalier peut apprendre à mieux
maîtriser sa monture emportée dans un tourbillon de peur. Cet
apprentissage peut se faire en psychothérapie, ou bien dans
d’autres relations de confiance, en analysant avec un soutien
extérieur les situations effrayantes.

Devenir son propre consolateur – l’autoparentage


La souffrance de l’anxiété sociale est causée par des carences dans
la façon dont nous avons été traités dans notre enfance, si bien
qu’une fois adulte notre Parent interne ne sait pas aider notre Adulte
à nous apaiser et nous encourager.

Il est possible de pallier ce déficit en se fabriquant un nouveau


Parent interne1, suffisamment nourricier – encourageant, patient,
chaleureux – et suffisamment structurant – qui ne nous autorise pas
à abandonner trop vite. Il ne s’agit d’ailleurs pas tant de créer du
nouveau que de combler nos lacunes, tout en assouplissant les
rigueurs excessives de notre Parent Critique.
Pour y parvenir, il est nécessaire d’abord d’observer des parents à
l’œuvre, afin d’acquérir une idée du type d’attitude que l’on souhaite
adopter envers soi-même. Si vous connaissez dans votre entourage
– amis, oncles, tantes, grands-parents, enseignants... – des
personnes dont l’attitude vis-à-vis des enfants qu’elles
accompagnent vous plaît, étudiez leur façon d’être – leurs mots,
leurs gestes, leur ton de voix... À partir de plusieurs exemples que
vous sélectionnez, construisez en quelque sorte votre propre
modèle. Gardez cependant toujours en tête l’idée de modérer vos
exigences, d’avoir des objectifs réalistes et respectueux de votre
tempérament.
Une fois que vous avez constitué votre « bibliothèque » d’attitudes
parentales aidantes, exercez-vous à vous les appliquer en cas de
difficulté. Lorsque vous devez affronter une situation qui vous fait
peur, comme par exemple présenter un projet devant vos collègues,
préparez-vous en vous encourageant de cette nouvelle voix
intérieure : « Tu en es capable, tu vas voir, tu vas y arriver ».
Évidemment, votre Adulte vous sera précieux également pour
élaborer les stratégies d’une communication réussie : préparer une
présentation, la répéter chez vous (seul ou devant une personne de
confiance), etc. Après l’exercice, n’oubliez pas de vous féliciter !

Apaiser son Enfant grâce à son Parent Nourricier


Cet autoparentage vous permet de construire un Parent Nourricier
« sur mesure », qui sait comment vous rassurer, alors que vos
parents n’avaient peut-être pas cette capacité. En vous traitant avec
ce qu’il faut de fermeté et de douceur, vous arriverez bien plus
souvent à apaiser vos peurs.Votre Enfant intérieur se sentira de plus
en plus sécurisé par la présence de ce Parent intérieur capable de
l’encourager et de le réconforter, au lieu de le bousculer ou de le
morigéner.

Ces interactions intérieures auront aussi pour résultat de rehausser


votre estime personnelle1 : au lieu de vous mépriser lorsque vous
aurez peur et de vous laisser submerger par cette peur, vous serez
suffisamment compréhensif vis-à-vis de vous-même pour arriver
plus souvent à la surmonter. En menant à bien ces nouvelles
expériences, vous gagnerez votre propre estime. L’équation est
simple : gentillesse envers soi-même + réussites = image de soi très
améliorée !

L’Enfant intérieur est aussi calmé par la relaxation et les techniques


corporelles présentées au chapitre douze. Mais, plus profondément
encore, il se sent rassuré par une bonne relation thérapeutique : la
façon dont le thérapeute reçoit nos réactions de peur est intégrée
inconsciemment, ce qui nous permet de nous traiter de façon
analogue plus tard.

Exercice : s’apaiser grâce aux états du moi

Vous savez à présent à quel point il est important, quand on est anxieux
social, de travailler sa confiance afin de surmonter ses peurs. Le but de cet
exercice est de vous y aider, en renforçant votre Adulte et votre Parent
nourricier, comme le conseille l’analyse transactionnelle. Vous pourrez
alors poser un regard bienveillant et rassurant sur vos propres peurs, et ainsi
apprendre à mieux gérer votre anxiété dans les situations vous confrontant à
un éventuel jugement d’autrui.

Prenons l’exemple d’une présentation écrite que vous devriez rendre à votre
supérieur hiérarchique. Il vous a confié un travail important : face à l’enjeu
vous êtes rattrapé(e) par vos angoisses, paralysé(e) devant la tâche à
accomplir, convaincu(e) d’être condamné(e) à l’échec. Pas à pas,
réconfortez-vous en mobilisant votre Adulte et votre Parent nourricier.
1. Rassurez-vous sur vos compétences. Faites un planning des tâches à
effectuer. Prenez conscience qu’avec une bonne organisation, c’est un
travail réalisable dans les temps et que vous êtes capable de le mener à
bien : si votre supérieur vous a confié ce projet, c’est qu’il vous
considère apte à l’assumer. En faisant appel à l’Adulte pour faire cette
évaluation rationnelle, endiguez les craintes galopantes de l’Enfant,
facilement angoissé de ne pas être à la hauteur.
2. Observez votre entourage (ici professionnel), et sélectionnez parmi vos
collègues une personne qui vous semble bien gérer son stress dans le
cadre de son travail. Comment se comporte-t-elle ? Quelle est son
attitude vis-à-vis d’elle-même ?
Vous constaterez probablement que cette personne adopte un
comportement apaisé et porte un regard indulgent sur elle-même : elle
ne s’invective pas, ne se blâme pas – de « ne rien faire » par exemple ;
ne se prive pas de « pause café » ou de week-end pour travailler plus ;
elle garde à son bureau une posture sereine, qui lui permet de se
concentrer. Prenez modèle sur elle et essayez de reproduire ses attitudes
à votre propre égard. L’objectif est de renforcer votre Parent
Nourricier : parlez-vous avec patience et bienveillance plutôt que de
vous abreuver de reproches et de condamnations. Vous n’arriverez pas à
tout appliquer en même temps, alors choisissez deux ou trois points qui
vous paraissent importants et apaisants, puis mettez-les en œuvre.
3. Si vous sentez l’affolement vous envahir et vous ôter vos moyens, vous
empêchant de travailler, prenez le temps d’un exercice de relaxation.
– Fermez les yeux afin de mieux vous concentrer. Avant l’exercice,
prenez soin d’expirer à fond plusieurs fois en poussant quelques
soupirs pour chasser les derniers restes d’air.
– Fermez la bouche, inspirez de l’air par le nez, sans contracter les
épaules, qui doivent rester bien basses. Vous ne devez gonfler que le
ventre. Expirez ensuite lentement et profondément, en rentrant
progressivement le ventre...
– Inspirez à nouveau en gonflant bien le ventre... Enfin, soufflez une
dernière fois par la bouche toujours lentement, en rentrant bien le
ventre.
Renouvelez l’exercice deux ou trois fois, jusqu’à ce que l’angoisse
reflue. En respirant ainsi, vous augmentez l’oxygénation de votre corps
et vous régularisez votre rythme cardiaque, ce qui diminue votre niveau
de stress. Vous pouvez pratiquer la respiration abdominale chaque fois
que vous le souhaitez : en voiture, en vous promenant, dans une file
d’attente.
4. Pratiquez la visualisation positive. Prenez un moment au calme – par
exemple quand vos collègues s’absentent pour déjeuner – installez-vous
confortablement et veillez à ne pas être dérangé(e), puis répétez-vous
un discours intérieur de Parent apaisant : « Tu es capable de... », « Tu
vas réussir à... », « Tu es sur la bonne voie, continue... ».
Au besoin, vous pouvez dire votre « mantra » à haute voix pour lui
donner plus de force.
Vous pouvez faire le même exercice chez vous, devant la glace, et/ou
compléter votre discours intérieur par un pense-bête, sur lequel vous
notez votre phrase, que vous gardez à portée des yeux pendant la
journée.
5. Donnez-vous le droit à l’erreur ! Si votre présentation n’est pas parfaite
du premier coup, votre chef formulera des commentaires critiques : ne
vous braquez pas, ce sont des remarques constructives, elles ne
signifient pas que vous avez échoué... Reprenez votre copie, et corrigez-
la d’après les conseils reçus. Mission réussie, vous avez mené votre
projet à bien !

Vous pouvez adapter cet exercice à toutes les situations qui vous
angoissent : affronter une discussion personnelle stressante, affirmer votre
opinion en réunion de travail, vous présenter à un entretien d’embauche...

Dans ces cas-là, votre première étape consiste à établir la liste de vos
arguments ou de ce que vous souhaitez exprimer : cela vous permet d’être
au clair avec vous-même et de structurer votre pensée. En cinquième point,
donnezvous du temps : si vous n’avez pas réussi à faire passer toutes vos
idées ou vos sentiments, dites-vous qu’une autre discussion viendra
compléter la première, ce que vous venez de faire n’a pas été inutile ! Les
autres étapes s’adaptent directement à un environnement familial ou amical.

Se débarrasser des sentiments parasites


En adoptant la tactique des petits pas, et en s’obligeant à dépasser
régulièrement nos blocages, nous faisons reculer le sentiment
parasite de peur. Ce dernier perd son emprise au fur et à mesure
que nous refusons l’excuse de la panique pour nous dispenser d’une
tâche effrayante. S’il est probablement impossible de modifier un
tempérament anxieux, nous ne sommes en revanche pas esclaves
de ce pénible ressenti.
S’ouvrir de nouveaux horizons : modifier son scénario
de vie
Nous avons vu en première et deuxième parties (cf. chapitres cinq et
neuf) que nous nous forgeons un « scénario anxieux ». Il ne s’agit
pas de rester englué dans ce scénario ! Bien sûr, il faut respecter
son seuil de tolérance et ne pas s’épuiser dans des tentatives
inutiles de troquer sa nature pour une autre. Sans dépasser nos
limites, nous pouvons néanmoins refuser une vie étriquée et
dévalorisante, et opter pour un projet riche, que l’on trouve
estimable.

Rapprochons les démarches proposées dans les trois chapitres


précédents, du tableau proposé au chapitre neuf, appelé « circuit du
scénario de vie » :

Le tempérament : En acceptant et comprenant mieux sa


personnalité, on changera probablement ses croyances à propos
de soi-même (première colonne du tableau p. 217). Au lieu de se
percevoir comme anormal, on peut admettre que son caractère
hypersensible est aussi acceptable qu’un autre, et présente
même certains avantages : sensibilité à l’autre, délicatesse,
intuition... Comprendre ses particularités aide aussi à cerner en
quoi les autres sont différents de nous, les rendant moins
intimidants à nos yeux. Au lieu de penser « Ils me jugent. », on
envisagera plutôt une éventualité positive et rassurante : « Ils
voient que je ne suis pas comme eux, cela les intrigue. ».
Les expériences passées : En reconnaissant les particularités
de notre tempérament nous prenons conscience de l’impact de
certaines difficultés de notre enfance, ou plus tardives, des dégâts
occasionnés par l’incompréhension notamment.
Sous cet éclairage nouveau, les souvenirs douloureux de notre
enfance, adolescence ou de vie adulte (colonne de droite du
tableau) revêtent un autre sens : au lieu de prouver notre
incapacité, ils signifient simplement que notre entourage avait mal
interprété nos tendances à l’introspection ou au retrait solitaire.
Ces souvenirs difficiles nous reviennent alors moins souvent, et
ne réveillent plus le sentiment pénible de notre infériorité.
Au présent : En expérimentant progressivement les variations
possibles du comportement, on apprivoise les manifestations du
stress, on développe sa capacité d’adaptation sociale et l’on
s’ouvre de nouveaux horizons (colonne centrale). Une personne
muette face aux autres pourra ainsi s’habituer peu à peu à
intervenir dans les conversations, s’ouvrant à de nouvelles
interactions humaines.

Ces nouvelles interactions transforment les réactions des autres, de


sorte que la troisième colonne, dans la partie des « événements
actuels », comportera désormais des événements positifs. Le
sentiment pour l’anxieux d’être accepté dans le cercle : « je suis
inclus dans les conversations autour de la machine à café »
remplacera l’impression précédente d’exclusion : « personne ne me
parle à la machine à café ».
En se relaxant, on peut enfin modifier une autre partie de la colonne
centrale, le « vécu corporel ». Les activités apaisantes, tout en
procurant l’expérience d’une plus grande sécurité dans les relations,
auront un double effet : diminuer la quantité de situations qui
causent de la peur, et développer la capacité à se rassurer quand
elles surviennent. De sorte qu’au lieu par exemple de souffrir
fréquemment de maux de ventre, d’avoir des palpitations, on
parvient à évoluer plus souvent dans un corps apaisé et calmé.

La multiplication des interactions sociales se traduit généralement


par des changements conséquents dans la vie de l’anxieux. En
apprenant à bavarder, en s’initiant à la danse ou en se découvrant
davantage aux autres, on crée une dynamique positive qui s’exprime
par une vie sociale plus remplie, plus gaie, car vécue avec plus de
plaisir. À force d’agrandir leur cercle d’amis, certains célibataires
endurcis finissent même par rencontrer une âme sœur !
L’exemple de Rachel
Il est impossible de raconter plusieurs années de psychothérapie et
d’expériences de vie en quelques paragraphes, mais résumons le
parcours de Rachel, jeune femme hypersensible et introvertie, en
comparant sa situation initiale (cf. tableau n° 3, chapitre 9, p. 159) à
l’équilibre qu’elle a conquis grâce à ses années de thérapie (tableau
n° 4, suivant).

Au lieu de porter en elle un Enfant blessé, à vif, Rachel a guéri la


plupart de ses blessures liées au passé et se sent plus robuste. Elle
reste encore très sensible, certes, mais est désormais capable,
grâce à son Adulte fortifié, de réfléchir en cas de difficulté et de
prendre du recul. La notion de tempérament l’a beaucoup aidée à se
comprendre. Elle lui a permis d’intégrer qu’elle n’est pas à blâmer de
sa relation douloureuse avec sa mère : « ce n’est pas ma faute, je
comprends, maintenant, pourquoi ma mère me supportait moins
bien que ma sœur » dit-elle. Elle a développé un regard bienveillant
sur elle-même, elle a étoffé son Parent intérieur qui est devenu un
soutien pour elle plutôt qu’une source d’attaques et de critiques.
En prenant confiance en elle, Rachel a appris à communiquer de
façon plus directe, au lieu d’essayer de passer « par la bande ». Elle
ose désormais formuler des demandes claires, dire ce qu’elle pense
– pas partout, pas tout le temps, évidemment, mais suffisamment
pour vivre bien. En conséquence, elle se trouve beaucoup moins
souvent piégée dans les enchaînements négatifs appelés « jeux
psychologiques » qui l’enfermaient dans un rôle de Victime.
Rachel était souvent la proie de deux sentiments parasites.Avec sa
sensibilité, elle était d’une part fréquemment blessée, et avait d’autre
part peur presque en permanence. L’anxiété fait toujours partie de
sa vie, mais Rachel n’est plus paralysée par sa peur. Elle peut faire
ou dire la plupart des choses qu’elle veut, malgré la peur.
Par-dessus tout, Rachel a profondément modifié son scénario de
vie.Alors que, jeune fille, elle songeait assez souvent à mettre fin à
ses jours, tant la vie lui semblait difficile, aujourd’hui l’existence lui
semble globalement douce, intéressante. Elle n’a plus aucune envie
d’écourter son temps sur terre !

Croyances Manifestations « Preuves »


Sur soi Conduites Souvenirs anciens
– Je suis observables – Je pense moins souvent
quelqu’un de – J’exprime mes aux situations où je me sentais
sensible et opinions assez idiote, et maintenant je vois
de capable. souvent (mais je que j’étais simplement
– Je suis m’autorise à me taire incomprise (ma mère ne savait
aussi quand la situation est pas comment faire avec un
intéressante trop stressante ou bébé hyper-réactif).
que les gens que je suis fatiguée).
hardis, ça – Je refuse
vaut la peine franchement les
de me sorties quand il y en
découvrir. a trop, mais j’en
– Je suis accepte beaucoup.
généralement – Je m’expose en
appréciée. animant des journées
de formation.
– Je sors danser.
Sur les Vécu corporel Événements actuels
autres – Mon ventre est – Comme je m’exprime
Certaines généralement davantage, on me connaît
personnes détendu, j’ai moins mieux, on m’invite plus et on
jugent, mais de palpitations. m’accepte plus souvent avec
pas toutes. mes particularités.
Beaucoup – Quand je prends la parole,
sont ouvertes les gens sont généralement
et aidantes intéressés.
– Les participants aux
Croyances Manifestations formations m’apprécient.
« Preuves »
– Des hommes aiment
Sur le Rêves et fantasmes
danser avec moi.
monde – Fin des rêves où
On n’est pas l’on m’attaque.
forcément – Je n’imagine plus
seul au d’humiliations.
monde.

Tableau n° 4 – Le circuit de scénario de Rachel après plusieurs


années de psychothérapie

*
***

Pour mieux vivre, on l’aura compris, il est essentiel de fortifier notre


état du moi Adulte, qui nous aide à faire face aux circonstances
angoissantes. Pour reprendre la métaphore proposée par Jouvent,
le cavalier doit apprendre à maîtriser son « cheval », le cerveau
émotionnel.
La psychothérapie est souvent nécessaire pour cela, car tant que
nous ne sommes pas aidés à comprendre ce qui nous arrive et à
vivre des expériences différentes, il est très difficile d’acquérir une
vision plus distanciée de nos difficultés relationnelles et de leurs
causes. Nous restons englués dans de mauvaises expériences
répétitives, démontrant encore et encore notre incapacité à faire
face.

1. Dan Goleman parle de « hijacking » par l’amygdale, un « détournement d’avion » du


fonctionnement cérébral par cette petite structure, l’amygdale, responsable des réactions
de peur.

2. Jouvent, R., Le cerveau magicien, Odile Jacob, collection Sciences, 2009.

1. James, M., « L’autoparentage : théorie et processus », Actualités en Analyse


Transactionnelle, 29, 1984, p. 5-11, ou Classiques de l’AT, vol.4, p. 122-128.
1. Pour des exercices visant spécifiquement l’estime de soi : Hawkes, L., 50 exercices pour
l’estime de soi, Eyrolles, 2009.
Chapitre 14
6 conseils pour aider votre
enfant anxieux

« On peut parler de “bon fit” lorsque les exigences et les attentes des parents et de
l’entourage proche sont compatibles avec le tempérament de l’enfant, avec ses capacités et
autres caractéristiques. Dans ce cas, l’enfant aura probablement un développement sain. »

S. Chess et A. Thomas1

La plupart des parents veulent donner à leurs enfants les meilleures


chances d’être en harmonie avec eux-mêmes et à l’aise avec les
autres. Ce dernier chapitre reprend les notions expliquées au fil des
précédentes parties pour récapituler les comportements parentaux
propices au développement équilibré d’un enfant, en particulier face
aux vulnérabilités innées des enfants au tempérament sensible.

1 – Rester à son écoute


Les enfants les plus vulnérables sont ceux dits « inhibés » ou
« hautement réactifs », « lents à s’échauffer » ou « hypersensibles »
d’après les descriptions du chapitre six.

À la naissance, nous sommes tous dotés de tendances innées,


constituant notre tempérament. Nos expériences de vie interagissent
ensuite avec ces données de base pour façonner notre personnalité.
En offrant à nos enfants des expériences de vie favorables, nous les
aidons donc à se construire au mieux.

Kagan1 situe le chemin idéal quelque part entre la fermeté et la


compréhension. Nous naviguons entre les deux, ou plutôt nous les
combinons : accepter l’enfant avec sa nature, son tempérament ;
l’aider à comprendre ses réactions, et à ne pas en être l’esclave. Il
s’agit de le soutenir et de l’encourager à affronter tous les types de
situations, y compris celles qui lui font peur.Avec un tel
accompagnement, les enfants qui présentaient des caractères
fortement réactifs puis inhibés ne présentent pas à l’adolescence de
différences observables avec les enfants non inhibés. Kagan
emprunte à Jung le terme de persona (le personnage social,
pourrait-on dire), pour désigner ainsi la somme de comportements
que peuvent apprendre à adopter certains anxieux pour faire face à
leurs angoisses, même si, dans leur for intérieur, ils demeurent très
affectés par les stimuli extérieurs.

Une recherche citée par Beidel et Turner1 suggère que les garçons
élevés par des parents durs deviennent ensuite moins timides que
ceux élevés par des parents sensibles à leurs besoins. Endurcir
l’enfant constitue certes une voie possible... mais à quel prix ? Les
schémas des « soldats » et de la « cité », en début d’ouvrage,
donnent à penser qu’un garçon traité ainsi risque grandement de
développer des murs psychologiques épais derrière lesquels il
cachera son ressenti inquiet, parce que jamais suffisamment rassuré
ou même accepté par ses parents. Combien de femmes, plus tard,
s’arracheront les cheveux, à tenter de faire s’exprimer leur conjoint,
qui aura enterré tous ses soldats au quatrième sous-sol de son
château-fort, savamment protégé ! Ces hommes sont en général à
leur tour des pères incapables de douceur et de compréhension
envers leurs enfants, et le cycle se perpétue.

Avec un enfant non-inhibé et pas spécialement sensible, le risque


est moindre de développer une véritable peur des autres.
Cependant, même un enfant non disposé à l’anxiété sociale peut
rencontrer des difficultés à aller vers les autres après un important
traumatisme. Le cas échéant, il s’agit donc de se montrer
particulièrement vigilant et de l’accompagner après le choc
traumatique (agression, décès brutal d’un proche...).

2 – Garder un bon « fit »


Nous l’avons dit dans les premiers chapitres, la bonne compatibilité
parent-enfant est essentielle au bon développement d’un petit
sensible.

Si vous êtes vous-même un sensible, vous disposez d’un avantage


de départ face à un enfant anxieux : en un sens, vous « parlez la
langue » de votre progéniture. Si vous n’avez pas surcompensé, en
vous créant une persona dure pour protéger votre cœur tendre, vous
saurez aisément comprendre votre enfant, l’écouter, lui prodiguer les
conseils qui vous ont aidé – ou qui vous ont manqué.

Le principal écueil, en ce qui vous concerne, serait de vous montrer


trop compréhensif 1. Soucieux de ne pas traumatiser votre enfant
comme vous-même avez pu l’être, vous risquez de trop le laisser se
réfugier dans le nid familial. De la même manière, si vous menez
une vie plutôt retirée, du fait de vos propres fragilités relationnelles,
n’oubliez pas d’encourager votre rejeton à expérimenter des
relations hors du cercle familial, sous peine qu’il souffre plus tard
d’un défaut de compétences sociales.

En revanche, si vous êtes (avec votre conjoint) des parents non


sensibles et non introvertis, l’effort à faire vous sera sans doute plus
grand pour accepter et comprendre votre enfant sensible, tel qu’il
est. Sans vous montrer terriblement critiques ou exigeants, vous
risquez d’être parfois si déconcertés par les souffrances de votre fils
ou fille qu’il (elle) se sentira jugé(e), incompris(e), inférieur(e) ou
décevant(e). Ne vous culpabilisez pas, nul n’est en permanence
maître de ses réactions ! Pour équilibrer ce sentiment, déployez des
trésors de compréhension et de pédagogie, et, par-dessus tout,
n’oubliez jamais de féliciter votre enfant pour ses qualités propres
(son sérieux, son intelligence, sa fiabilité, sa gentillesse...).

Si vous parvenez à cultiver suffisamment de patience, votre


avantage sera par contre double : d’une part, des recherches1 ont
prouvé que les mères extraverties d’enfants hautement réactifs
peuvent les aider à devenir moins craintifs si elles usent de
stratégies d’éducation structurantes, sans écouter excessivement les
réticences des petits ; d’autre part, ils donnent en exemple à l’enfant
une manière décontractée d’être au monde, d’interagir avec autrui.
Ce modèle s’avère très utile pour le jeune, qui est habitué tôt à une
maisonnée active et interactive.

3 – Se libérer de l’histoire familiale


De multiples causes peuvent empêcher un parent d’être
suffisamment proche, structurant ou rassurant pour son enfant. Elles
peuvent découler de l’histoire directe du parent, mais parfois, ce sont
des blocages transgénérationnels qui se manifestent. Quelle que
soit la raison de votre carence, votre meilleure option est de dénouer
les liens qui vous enserrent (par un cheminement personnel, ou par
une thérapie), afin de fournir un cadre de développement le plus
apaisant possible à votre enfant. Plusieurs cas de figure sont
possibles.

Si vous ne parvenez pas à vous montrer proche de votre enfant (cf.


chapitre sept), ce dernier rencontrera des difficultés dans ses
relations aux autres. Il ne lui sera pas naturel d’entrer dans une
réelle intimité avec autrui1. Les enfants moins sensibles en seront
toutefois moins douloureusement marqués, et oseront davantage
s’aventurer dans une relation amoureuse, souvent guérissante. S’il
choisit bien son/sa partenaire, l’enfant devenu adulte pourra, grâce à
cette relation, compenser ses carences et parviendra à s’ouvrir
malgré tout.

Si vous peinez à maîtriser vos états émotionnels, cela entraîne des


conflits récurrents entre votre enfant et vous, au cours desquels
vous vous emportez parfois. Il risque alors d’ériger peu à peu des
murs psychologiques pour se mettre à l’abri de vos débordements,
et peut s’éloigner de vous.

Les cas extrêmes de cette catégorie sont les parents violents,


verbalement ou physiquement. Les enfants maltraités ont le plus
souvent une image d’eux-mêmes désastreuse, qui les handicape
sérieusement dans leurs relations. Ceux qui ont vu leur mère, leur
frère ou sœur, battus, se sentent coupables et indignes d’être
aimés ; ils hésitent souvent, eux aussi, à s’engager dans les
relations.

Sans être aussi extrême, le tempérament dépressif, intrusif ou le


grand stress d’un parent peut marquer profondément son enfant.

Quand des parents ont honte d’eux-mêmes (de leur culture, de leur
situation sociale...), leurs enfants risquent d’éprouver également ce
sentiment, qui entraîne à son tour une anxiété sociale. Il arrive
également que des parents incitent, plus que fermement, leur
progéniture à étudier pour réussir et prouver leur valeur : cela peut
aider l’enfant, mais aussi lui donner l’impression qu’il ne vaut rien s’il
n’est pas le meilleur. Quel que soit votre milieu, laissez-lui toujours
une marge de liberté pour décider de ses propres objectifs de vie
(études, métier...).

Quelles que soient vos difficultés, il existe des remèdes.Vous pouvez


travailler sur vos fragilités personnelles, afin d’acquérir les capacités
qui vous manquent. Et de façon plus immédiate, vous pouvez
également favoriser les contacts de votre enfant avec d’autres
personnes, possédant les qualités complémentaires aux vôtres. Par
exemple, si vous êtes un parent solide mais taciturne, on se réjouira
que le jeune se rapproche d’une tante ou d’un oncle plus
extraverti(e).

Enfin, un événement traumatique peut se produire dans n’importe


quelle famille, aussi solide soit-elle. Catastrophes naturelles,
accidents, agressions, tout le monde peut rencontrer une épreuve
existentielle douloureuse. Si vous êtes, à ce moment, apte à discuter
avec votre enfant, si vous savez écouter ses peurs sans paniquer
vousmême, la portée de son traumatisme en sera infiniment
atténuée.

4 – Asseoir la figure paternelle


La figure paternelle incarne traditionnellement plus d’exigence que
celle de la mère. Dans l’archétype classique, la maman, douce et
réconfortante, rassure l’enfant inquiet, tandis que le père intervient
pour le conduire dans le vaste monde. Une telle complémentarité est
idéale, le jeune étant tantôt poussé hors de sa zone de confort,
tantôt accueilli dans le giron maternel pour se ressourcer. Cela
fonctionne d’ailleurs aussi dans la configuration inverse, si le père
est plus sensible et son épouse plus « ferme », bousculant l’enfant
pour qu’il s’aventure au-dehors.

Quand il n’y a pas de père, la mère peut, idéalement, s’entourer de


soutiens paternels substitutifs – son propre père, un frère, des amis,
voire des femmes au caractère « masculin ». L’important est qu’il y
ait des gens offrant à l’enfant des perspectives autres, afin qu’il se
confronte à des environnements différant de l’univers maternel. Un
certain nombre de mères ne bénéficient pas de tels appuis
« paternels », et se débrouillent sans, mais il leur est bien difficile de
devoir être à la fois la maman compréhensive et la force masculine
qui en sépare l’enfant...
5 – Accepter que votre enfant souffre
Si vous voulez préserver absolument votre enfant de toute
souffrance relationnelle, il n’apprendra pas à affronter les difficultés
du monde extérieur. Dans son intérêt, laissez-le se confronter aux
inévitables difficultés qui surgiront au contact de ses pairs.Vous
pouvez ensuite, s’il le souhaite, discuter avec lui pour l’aider à
donner un sens à ce qui l’a fait souffrir, à digérer les éventuels
traumatismes et à se sentir mieux équipé pour s’aventurer de
nouveau auprès des autres. Restez vigilant sur l’intensité et la
source de sa souffrance, mais rappelez-vous toujours que le
protéger à tout prix n’est pas lui rendre service.

Donald

La mère de Donald ne supportait pas l’idée que son fils se heurte à la méchanceté de
ses camarades de classe. Pour l’en protéger, elle l’a changé plusieurs fois d’école, l’a
encouragé à se réfugier à la maison, dans les livres ou auprès d’elle, qui l’écoutait
toujours patiemment. Son père, n’osant contredire sa femme, ne s’est pas interposé
pour inciter Donald à affronter les autres enfants, à leur tenir tête. Donald s’est replié,
assez naturellement, dans le confort de la famille, ce cercle où il était si bien compris
et accepté. N’ayant jamais appris à supporter les aléas des relations humaines ni à
tisser des liens, Donald s’est trouvé très isolé à l’âge adulte. À trente ans, il n’a
toujours pas de cercle de copains, ni de petite amie. Ses parents composent
l’intégralité de son univers.

Cet exemple est extrême, et il est bien rare que les enfants ne se
débrouillent pas pour faire quand même leurs expériences, au moins
à l’école. Ils arrivent souvent à trouver au moins un gentil camarade,
qui devient leur confident et leur meilleur ami. Attention, cependant,
aux sirènes de la famille trop protectrice, au cocon si rassurant qu’il
ne semble pas nécessaire de se risquer au dehors !

6 – Encourager ses talents


Cette idée peut sembler l’évidence, puisque la plupart des gens
cherchent (parfois trop) à développer les dons de leurs enfants. Il
s’agit ici d’encourager votre rejeton à prendre de l’assurance en
constatant la qualité de ce qu’il accomplit. Exceller dans un sport est
particulièrement efficace, puisque la confiance dans le corps et ses
capacités donne une assise solide à la confiance en soi. De plus, la
plupart des activités sportives se pratiquent en collectivité, ce qui
habitue l’enfant timide à des interactions.
Les talents artistiques ne sont pas toujours aussi efficaces pour
faciliter les relations, surtout pour les garçons. Réussir dans un
domaine, sportif ou créatif, ne peut toutefois qu’aider à construire
l’estime de soi, ce qui offre une bonne base pour entrer en relation
avec les autres.

En tant que parent, votre rôle est d’encourager les talents de votre
enfant, quels qu’ils soient et en dépit des stéréotypes, notamment
sexués. Gardez en tête que ce qui importe, pour son
développement, est sa réussite dans un domaine, afin qu’il se
prouve sa valeur. Peu importe le domaine, pourvu qu’il s’y
épanouisse...

*
***

Au bout du compte, votre rôle de parent consiste à créer puis


entretenir un bon « fit » avec votre enfant, c’est-à-dire à tenir compte
de son tempérament et de ses autres caractéristiques. Si vous avez
un bambin hardi, vous pourrez l’en féliciter, tout en l’aidant à
canaliser son énergie pour qu’il apprenne une certaine prudence et
s’intéresse également à des activités plus intériorisées (études,
lecture...). Si votre enfant est « lent à s’échauffer », il aura besoin
qu’on respecte son rythme, que vous le laissiez découvrir à sa façon
les nouveautés de son environnement, que vous l’encouragiez sans
jugement, sans non plus le laisser baisser les bras.Ainsi, les qualités
innées de chacun seront valorisées, et les défauts ne seront pas
accentués.
1. Chess, S. et Thomas, A., Know your child, Basic Books, 1987, p. 56.

1. Kagan, J., Galen’s Prophecy :Temperament in Human Nature, Westview Press, 1997.

1. Beidel, D.C. et Turner, S.M., « The natural course of shyness and related syndromes », in
Extreme Fear, Shyness and Social Phobia, Schmidt, L.A. et Schulkin, J. (sous la direction
de), Oxford University Press, 1999.

1. Beidel, D.C. et Turner, S.M., 1999, p. 211. D’après eux, les parents hautement sensibles,
adaptant totalement leurs propres comportements aux besoins de l’enfant, ont tendance à
favoriser chez leurs fils un comportement inhibé.

1. Arcus et coll., 1992, cités par Park, S.Y., Belsky, J., Putnam, S. ET Crnic, K., « Infant
emotionality, parenting and 3-year inhibition : exploring stability and lawful discontinuity in
a male sample », Developmental Psychology, 1997, 33, p. 218-227.

1. Siegel, D.J., The Developing Mind – Toward a Neurobiology of Interpersonal Experience,


The Guilford Press, 1999. Siegel décrit les enfants élevés dans un « désert affectif »
comme incapables d’accorder de l’importance aux relations, une fois adultes.
Et pour conclure
Le message essentiel à retenir est que le changement est possible !
Vous pouvez progresser seul(e), mais vous avancerez plus vite et
plus sûrement avec l’aide d’autrui. Les auteurs J. Ledoux et D.
Goleman1 n’affirment-ils pas que la relation thérapeutique (et
d’autres relations réussies) peut « recâbler » le cerveau ?

Votre problème d’anxiété peut comporter un aspect génétique, qui


ne s’effacera pas ; vous resterez toujours hypersensible, ou
introverti(e) ; mais en apprivoisant votre tempérament et en
dépassant vos blocages vous serez un(e) introverti(e) heureux(-
euse), un(e) hypersensible épanoui(e), profitant au maximum de ses
ressources !

Chez certains, les difficultés relationnelles proviennent


essentiellement de situations traumatiques vécues dans l’enfance ou
l’adolescence – cela aussi peut se traiter. Si les cicatrices ne
disparaissent pas totalement, elles peuvent s’atténuer, devenir des
caractéristiques intéressantes.Vous avez une « histoire », et votre
perception de cette histoire changera, au fur et à mesure que vous la
réexaminerez avec un accompagnement empathique. Elle vous
paraîtra alors moins sombre, et de bons souvenirs oubliés referont
surface.
Par des moyens thérapeutiques, on peut modifier l’image de soi,
l’image des autres, la vision des interactions possibles entre soi et
les autres, et enfin les comportements adoptés face à l’Autre. Ces
changements sont résumés dans le tableau ci-dessous :

Tempérament Il reste en nous, mais peut être « apprivoisé ».


Image de soi Elle peut devenir positive en s’acceptant et en
étendant ses possibilités d’interactions.
Image des Elle peut devenir moins impressionnante et on
autres peut accorder moins d’importance à leur avis.
Des comportements nouveaux peuvent être
Comportements
acquis, leur gamme étendue.
Le passé peut être vu sous un autre jour, le futur
Histoire de vie
devenir plus souriant.

Tableau n° 5 – Récapitulatif des changements possibles

Une image de fiction

Dans un club de sport, j’assiste à la rediffusion d’un épisode de la célèbre série « Ally
McBeal ». Il y est question d’une femme souffrant d’un trouble dissociatif de la
personnalité, communément appelé « dédoublement de personnalité ». Cette femme
est partagée entre Helen, sa personnalité d’épouse douce et aimante, qui peint, écrit
des poèmes, et souffre de phobie sociale ; et Helena, sa personnalité de femme
d’affaires redoutable, qui veut divorcer parce qu’elle s’ennuie avec le mari qu’aime
tant Helen. Helen aurait créé Helena pour se donner des forces et parvenir à affronter
le monde. Cette double personnalité a tourné au cauchemar : quand elle est Helen, elle
craint Helena ; quand elle est Helena, elle méprise Helen. Chaque facette veut
éliminer l’autre. Dans un vibrant plaidoyer, l’avocat défendant la partie Helen affirme
que, si cet aspect-là est moins productif qu’Helena la « gagnante », moins dans l’idéal
américain, il est tout aussi précieux, avec sa contribution artistique et aimante.

Ces deux personnages symbolisent le clivage entre une part


défensive de la personnalité, compétente socialement, et un fond
probablement hypersensible, devenu phobique. C’est une
représentation intéressante d’un travail sur soi presque réussi – mais
finalement raté. La vraie réussite consisterait, bien sûr, dans
l’intégration des deux facettes : respecter son côté sensible, tout en
mobilisant suffisamment ses compétences pour arriver à vivre bien
et assumer les relations sociales.
Que vous ayez ou non un tempérament introverti ou sensible, pour
vous libérer des entraves de l’anxiété sociale il est impératif de vous
accepter tel que vous êtes. Rien ne peut réussir par le refus et la
brutalité ou l’obligation forcée.

*
***

Il y a beaucoup de choses à faire pour vivre harmonieusement avec


une tendance sensible ou avec des traumatismes passés, pour
développer de bonnes relations avec les autres. Interagir avec ses
semblables peut être source de tant d’enrichissement, de plaisir
psychique, physique, émotionnel, il serait vraiment dommage de
s’en priver !

1. Ledoux, J., Neurobiologie de la personnalité, Odile Jacob, 2003 et Goleman, D., Social
Intelligence, the New Science of Human Relationships, Random House, 2006.
Annexe 1

Quelle thérapie choisir ?

Les psychothérapies
La psychothérapie est un travail sur soi accompagné d’une personne
dûment formée1, qui vous aide à comprendre ce que vous vivez et à
desserrer l’étau de votre mal-être, parfois à changer de façon
drastique, pour augmenter votre degré de liberté. Il existe différents
types de thérapie2, qui conviennent plus ou moins bien à chacun.
Voici quelques informations pour vous aider dans votre choix.

La psychanalyse : c’est la méthode première, la plus approfondie,


la reine des méthodes de travail sur soi.Toutefois, elle n’est pas
adaptée à tout le monde. D’une part, le contact avec le
psychanalyste est très restreint, ce qui risque d’entretenir l’isolement
du patient, seul avec quelqu’un qu’il ne voit pas et qui ne lui répond
guère. D’autre part, il ne faut pas attendre de la psychanalyse des
résultats concrets rapides. Les changements de vie ne sont pas
l’objectif principal de ce travail, dont le but est plutôt de se
comprendre et de se restructurer en profondeur. Pour les personnes
qui se sentent fragiles, ou bien pressées d’évoluer, mieux vaut opter
pour une psychothérapie. Souvent, la psychanalyse est intéressante
dans un second temps, lorsqu’on veut approfondir la compréhension
de soi et de son passé, quand on a déjà mis en œuvre les
changements cruciaux.

Les psychothérapies relationnelles : tout un ensemble de


méthodes de psychothérapie1 met l’accent sur la relation
thérapeutique. Cela ne signifie pas qu’entrer en contact avec un bon
professionnel, qui parvienne à établir une bonne relation avec vous,
soit suffisant, cela serait simpliste. Dans ces thérapies, l’interaction
entre le professionnel et le patient est utilisée régulièrement pour
comprendre ce que vit la personne : la manière dont elle se
positionne par rapport aux autres, dont elle interprète ce qui se
passe lors des interactions avec eux, quelles dynamiques du passé
sont réactivées dans la séance. Le thérapeute peut alors aider son
patient à créer, avec lui, quelque chose de nouveau que celui-ci
pourra ensuite reproduire dans sa vie extérieure.

Un autre aspect des thérapies relationnelles consiste à considérer


que tout ce qui émerge de la thérapie est co-créé par le « couple
thérapeutique » (patient/thérapeute). Plutôt qu’un professionnel qui
étudie le fonctionnement de son patient, il s’agit de deux personnes
comprenant ensemble ce qui se passe entre elles. Ce regard
différent offre déjà, en soi, une expérience inédite à la personne en
difficulté, qui en général a toujours perçu ses problèmes comme
venant d’elle (« je ne suis pas à la hauteur »), ou bien de l’autre (« il
est méchant »). Considérer les aléas comme provenant de la
combinaison particulière de deux personnes offre une perspective
particulièrement enrichissante pour ceux qui ont peur des autres.

Les psychothérapies cognitivo-comportementales : très à la


mode depuis un certain nombre d’années, elles permettent de
s’attaquer directement aux problèmes et de construire un plan
d’action pour modifier les comportements et les croyances. Leur côté
scientifique et standardisé recueille la faveur des pouvoirs publics et
convient bien à certaines personnes que de tels protocoles
rassurent. Elles sont notamment indiquées pour expérimenter de
nouveaux comportements et changer les croyances sur soi. Dans ce
type de travail, en général, on ne s’occupe guère de la relation
soignant-soigné.

La psychothérapie de groupe
Comme nous l’avons vu au chapitre treize, cette modalité est
spécialement intéressante pour traiter les problèmes de relation.
Quand la peur des autres est grande, toutefois, il peut être
nécessaire de commencer par des séances individuelles, au moins
jusqu’à ce que la relation avec le thérapeute constitue une base de
sécurité. Ensuite, le fait de se retrouver régulièrement avec des
personnes à la fois honnêtes et bienveillantes permet généralement
de bien apprivoiser ses nouvelles relations avec les autres.

Le plus souvent, les thérapies se font individuellement et en groupe ;


parfois en parallèle, parfois grâce à une première phase individuelle
et une seconde phase en groupe. Le patient conclut parfois par une
thérapie individuelle pour terminer le travail entrepris.

L’analyse transactionnelle (AT) : est une des méthodes


importantes de psychothérapie, et celle de prédilection de l’auteur.
Elle présente l’avantage d’être très adaptable et multiforme1 :

De nombreux praticiens commencent le travail sur un mode


cognitivo-comportemental, permettant à la personne de
comprendre son propre fonctionnement et de découvrir des
options différentes.
Comme la Gestalt-thérapie, une de ses proches « cousines », elle
inclut généralement un travail sur les émotions, et permet
d’apprendre à vivre celles-ci comme des amies et des guides
plutôt que comme des tempêtes dangereuses.
Le travail sur les aspects corporels peut facilement s’y intégrer, si
le thérapeute possède une telle formation.
L’analyse transactionnelle se pratique souvent en groupe, ce qui
peut être extrêmement utile pour travailler sur l’anxiété
relationnelle.
Enfin, la composante relationnelle est de plus en plus importante
depuis la dernière décennie environ2.
Lorsque vous cherchez un nouveau psychothérapeute, il est
intéressant de lui demander comment il travaille, afin de vérifier que
les aspects importants pour vous font bien partie de ses méthodes :
s’occupe-t-il de la relation ? des émotions ? des croyances ? des
comportements ? À vous de voir ce qui vous convient le mieux, en
en discutant avec le praticien.

1. Les formations peuvent inclure des études de psychologie ou une spécialisation médicale
de psychiatrie, mais d’une façon ou d’une autre, il est nécessaire d’avoir appris à identifier
les problématiques et travailler avec les patients, d’avoir suivi une thérapie personnelle
approfondie, et de faire superviser régulièrement son travail par un collègue expérimenté
(même si on est soi-même chevronné).

2. Voir l’excellent ouvrage d’Edmond Marc : Guide pratique des nouvelles psychothérapies,
Retz, 1982.

1. On pourra consulter par exemple les sites de la FF2P, de l’AFFOP, du SNP Psy, dont les
adresses url figurent à la fin de la bibliographie.

1. Brécard, F. et Hawkes, L., Le grand livre de l’analyse transactionnelle, Eyrolles, 2008.

2. Hargaden, H. et Sills, C. Analyse transactionnelle : une perspective relationnelle, Les


Éditions d’Analyse Transactionnelle, 2006.
Annexe 2

Pour retrouver leurs histoires...


Afin de faciliter la compréhension des cas cliniques cités de manière
récurrente, les portraits ci-dessous rassemblent les éléments épars
décrits au fil des pages, en reprenant les trois aspects suivants :
tempérament, histoire, habitudes actuelles.

Amélie (p. 86, 172)


Petite quarantaine, mariée, deux enfants.

Problème actuel : Amélie est en butte à la réprobation familiale car


elle ne supporte pas les grands rassemblements, sauf en période de
vacances.
Tempérament : introvertie.

Éléments d’histoire : une grande famille tonitruante n’ayant guère


ménagé une enfant qui avait besoin de calme et de compréhension.

Habitudes actuelles contribuant au problème : Amélie avait


certes réussi à défendre son besoin de solitude, mais pas à
l’expliquer. À ses propres yeux, comme à ceux de sa famille, elle
« devrait » savoir apprécier les grandes fêtes familiales. Les
critiques constantes, intérieures et de la part de ses proches, la
minaient.

Solution mise en œuvre : Amélie a pris conscience que son


caractère introverti n’est nullement une pathologie. À force de
patience, elle est finalement parvenue à se faire comprendre, et sa
famille accepte dorénavant qu’elle et son mari déclinent une
invitation ou écourtent une soirée familiale.

Caroline (p. 33, 53, 146, 149)


Petite quarantaine, mariée, deux enfants.

Problème actuel : Caroline craint énormément le jugement d’autrui,


que ce soit sur son physique, sur sa maison ou sur la qualité de son
travail. Pour couper court aux critiques, elle travaille énormément,
sans tenir compte de ses besoins, dans l’espoir d’être irréprochable.

Tempérament : hypersensible.

Éléments d’histoire : une mère sujette à des accès de colère qui ne


tolérait aucune désobéissance, aucun désordre, de la part de ses
quatre enfants. Caroline a été très sage mais a vu ses frères et sœur
fortement malmenés.

Habitudes actuelles contribuant au problème : Caroline ne peut


accepter le moindre compliment et reste convaincue de ne pas être
suffisamment compétente. Elle court sans cesse, s’épuise,
persuadée qu’il lui faut « trimer » pour être acceptable. Quant à son
corps, elle le cache en général et, lorsque les gens la trouvent belle,
elle hausse les épaules sans les croire.

Solution mise en œuvre : apprendre très progressivement à ralentir


le rythme, comprendre qu’en rejetant les « feedbacks » positifs, elle
disqualifie aussi ceux qui les lui communiquent. Peu à peu,
reconnaître au moins en partie sa valeur.

Chloé (p. 54, 120, 199, 205)


Environ trente-cinq ans, mariée, un bébé.

Problème actuel : Chloé a beaucoup de mal à assumer un poste à


la hauteur de ses compétences car elle n’ose pas affirmer son
autorité. Il lui semble toujours qu’on va la détester, la contester, la
rejeter, si elle s’affirme en tant que chef.

Tempérament : normo-sensible.

Éléments d’histoire : Sœur aînée de sa fratrie, Chloé avait la


charge de s’occuper de ses sœurs cadettes, très turbulentes. Sa
mère, enseignante, tout en la rendant responsable des petites, lui
disait : « Pour qui te prends-tu ? Tu n’as aucun droit de gronder
quiconque, ici ! ». Rabrouée et critiquée à la moindre occasion,
Chloé doute constamment de ses droits et de ses qualités.

Habitudes actuelles contribuant au problème : Sa famille


continue de la dévaloriser, affirmant qu’elle ne mérite pas sa
réussite. Chaque fois qu’elle voit ses parents, Chloé redouble de
honte et de culpabilité.

Solution mise en œuvre : Chloé a suivi à une thérapie de groupe et


modifié certaines de ses fréquentations et a mis un peu de distance
avec sa famille, dont sa mère, nocive, afin de préserver son estime
d’elle-même.

Clémence (p. 64, 100, 120, 137, 144, 147)


Presque trente ans, mariée puis divorcée, deux enfants.

Problème actuel : Clémence a du mal à s’affirmer dès qu’on la


critique, elle redoute les contacts professionnels et souffre dans ses
relations amicales.
Tempérament : hypersensible.

Éléments d’histoire : Clémence ne s’est jamais sentie approuvée,


petite ; elle avait l’impression que ses frères et sœurs étaient mieux
acceptés de ses parents. Son père, en particulier, semblait ne pas la
voir – sauf parfois pour lui adresser des reproches.
Habitudes actuelles contribuant au problème : Clémence se
précipite vers les autres avec un enthousiasme un peu trop
débordant, qui fait parfois reculer l’interlocuteur. Avec ses amies, à la
première difficulté relationnelle, persuadée qu’on ne veut plus d’elle,
elle coupe tout contact, pour se protéger de la souffrance du rejet.
Son mari, souvent critique, alimente sa piètre opinion d’elle-même.

Solution mise en œuvre : Clémence a dû se séparer de son mari


pour ne plus redouter ses critiques. En thérapie de groupe, elle a
appris à mieux contrôler ses chevaux du cœur, pour, tout en gardant
sa spontanéité pleine de charme, ne plus se livrer aussi totalement
et rapidement dans ses relations aux autres.

Ivan (p. 22, 93, 195)


Environ trente ans, célibataire.

Problème actuel : Ivan n’arrive pas à rencontrer quelqu’un qui lui


convient et à construire la relation stable dont il rêve.

Tempérament : hypersensible, sous un masque « froid-


impassible ».

Éléments d’histoire : un père et un frère idéalisés, à côté desquels


le petit Ivan se sentait manquer de valeur. Pour compenser, il s’est
construit une apparence insensible.

Habitudes actuelles contribuant au problème : de peur de causer


de la peine à autrui, Ivan se refuse les occasions de nouer une
relation. En imaginant le chagrin éventuel de la jeune femme, si
jamais il devait rompre, il préfère ne pas s’engager. De plus, son
masque impénétrable dissuade nombre de gens de l’aborder.

Solution mise en œuvre : pour contrôler son hypersensibilité, Ivan


a appris le karaté dès l’adolescence. Mais, pris au piège de sa
façade « dure », il a plus tard entrepris une psychothérapie de
groupe, grâce à laquelle il a appris à baisser son « masque » en
toute sécurité.
Jacques (p. 21, 112, 181, 192)
Quarante-cinq ans, marié, quatre enfants.

Problème actuel : Bien que très compétent dans son travail,


Jacques est comme paralysé lors des réunions d’équipe. L’idée de
prendre la parole devant les autres lui donne presque des malaises,
il n’arrive plus à penser. Dans sa vie personnelle, il ne se confie
guère et ne sait guère se faire d’amis.

Tempérament : introverti.

Éléments d’histoire : Dernier d’une grande fratrie, le petit Jacquou


a été beaucoup laissé à lui-même. Sa mère déprimait à cette
époque de sa vie et n’a jamais regagné toute sa joie de vivre. Les
plus grands avaient leur vie et ne lui ont guère enseigné les ficelles
de l’existence. Dès ses débuts à l’école, Jacques a toujours eu
l’impression de ne pas comprendre comment cela fonctionnait, ce
qu’on attendait de lui. Il a tout de même réussi, mais toujours avec
cette impression d’être un peu « à côté ».

Habitudes actuelles contribuant au problème : Comme il ne


s’affirme pas, Jacques est parfois sous-estimé dans son travail, et
même en famille. Chaque fois, cela confirme son sentiment de ne
pas être à la hauteur.

Solution mise en œuvre : Jacques a suivi une psychothérapie. Il a


du dépasser une phase de déni, avant laquelle il refusait de
reconnaître son mal-être. Avec l’aide de son thérapeute, il a
développé peu à peu sa capacité à dire son désaccord, il a pris
conscience des ses droits.

Josiane (p. 38, 49, 149)


Trente-deux ans, célibataire.

Problème actuel :Après plusieurs relations avec des hommes


intrusifs, Josiane préfère rester sans partenaire. Elle souffre par
ailleurs d’un trouble alimentaire et d’une image de son corps très
négative, qui contribuent à l’isoler.

Tempérament : hypersensible.

Éléments d’histoire : Après le divorce de ses parents, la petite


Josiane a habité seule avec sa mère, qui a vite considéré l’enfant
comme sa confidente, lui racontant ses soucis, ses déboires
amoureux. Elle pensait que sa fille était exactement comme elle. Si
jamais Josiane faisait un choix qui déplaisait à sa mère, celle-ci
affirmait « mais non, ce n’est pas ce qu’il te faut, tu ne sais
décidément pas ce qui est bon pour toi ! ».

Habitudes actuelles contribuant au problème : les crises de


boulimie minent le moral de Josiane. Chaque fois qu’elle voit sa
mère et que cette dernière l’envahit, elle doute davantage d’elle-
même.

Solution mise en œuvre : Josiane a dû prendre beaucoup de


distance avec sa mère, au moins le temps de se construire une
identité et des frontières solides. Elle traite sa boulimie dans un
groupe d’entraide et travaille à s’accepter avec un corps plus rond,
au lieu de juger que « valeur = minceur ».

Mathilde (p. 70, 114, 117)


Trente-cinq ans, célibataire.

Problème actuel : Mathilde n’arrive pas à rencontrer un homme,


notamment parce qu’elle ne croit pas avoir droit à une vie de famille
heureuse. Elle se sent totalement démunie en matière de relations
intimes.

Tempérament : introvertie.

Éléments d’histoire : la famille de Mathilde, très anxieuse, ne


recevait pas d’amis dans la maison. On n’y exprimait pas d’émotions
et le vécu de chacun restait opaque. Quand la petite Mathilde
éprouvait des doutes, au lieu de l’aider à les comprendre, sa mère la
rassurait de façon trop générale, lui disant plus ou moins : « mais
non, ma fille, tu es formidable, tu es magnifique, tu n’as pas de
problème ».

Habitudes actuelles contribuant au problème : aujourd’hui


Mathilde reste incapable de parler d’elle ; elle écoute, sans se livrer.
De sorte que les autres, en face, ne lui renvoient rien d’elle,
confirmant son impression d’être plutôt transparente.

Solution mise en œuvre : Mathilde a suivi une psychothérapie pour


apprendre à comprendre et exprimer ses émotions, et pour changer
le scénario de vie selon lequel elle n’aurait pas droit à l’amour.

Patrick (p. 20, 71, 105, 129, 145, 198, 203)


La trentaine, marié, deux enfants.

Problème actuel : Bien que sa vie présente toutes les apparences


de la normalité, Patrick a l’impression d’être un paria. Convaincu
d’avoir un physique efféminé, il imagine que les gens le regardent
bizarrement et se moquent de lui.
Tempérament : introverti, avec un masque « froid-impassible ».
Éléments d’histoire : enfant, Patrick était intéresssé par la danse,
la musique, la peinture, la littérature – goûts que son père regardait
avec un certain dédain. Une expérience traumatisante de rejet à
l’école a aggravé la mauvaise estime de soi du garçon, qui s’est
donc forcé à adopter une apparence virile, endurcie.
Habitudes actuelles contribuant au problème :Avec sa vision du
monde très défiante et une image de lui-même si négative, Patrick a
du mal à parler spontanément avec ses collègues ou ses voisins.
Comme il semble méfiant, les autres ne vont guère vers lui et son
isolement augmente.
Solution mise en œuvre : Patrick a suivi une psychothérapie, grâce
à laquelle il s’est convaincu de la nécessité d’aller davantage vers
les autres. Pas à pas, il s’est rapproché de ses collègues de travail,
en leur racontant sa vie de famille. Il s’est ensuite inscrit dans un
club de sport, où il a pu développer des relations de confiance, grâce
à une activité partagée.

Rachel (p. 18, 23, 37, 54, 89, 121, 142, 149, 154, 172, 182,
193, 216)
Vingt-deux ans (environ trente en fin de thérapie), célibataire.
Problème actuel : Elle craint tellement de trop peser sur les autres
qu’elle évite tout contact prolongé. Invitée pour le week-end par des
amis ou même sa famille, elle s’attarde rarement plus de vingtquatre
heures, convaincue de devenir gênante si elle s’éternise. Même
dans une simple conversation, sitôt qu’elle a dit une ou deux
phrases sur elle-même, elle se sent nerveuse, inquiète, et renverse
vite la tendance en questionnant son interlocuteur. Elle n’aime pas
son physique et ne parvient pas à rencontrer un partenaire.

Tempérament : introvertie, hypersensible.


Éléments d’histoire : Dès les jours suivant son retour de la clinique,
la mère de Rachel ne supporte pas ses pleurs. Elle crie, la menace,
claque les portes – augmentant encore la détresse du bébé, ce qui
redouble l’exaspération maternelle. Rachel devient une enfant
craintive et secrète qui fuit sa mère, laquelle lui lance souvent,
méprisante : « tu n’es qu’une pleurnicharde ». De plus en plus
renfermée, la fillette reste autant que possible dans sa chambre ou
bien dehors, à regarder les arbres, les fleurs, les oiseaux. Chaque
rencontre semble recéler la menace d’être attaquée. La rentrée des
classes la terrorise, à cause de toutes les nouvelles personnes à
découvrir.
Habitudes actuelles contribuant au problème : chaque fois que
Rachel refuse une invitation en imaginant qu’elle aurait fait
tapisserie, chaque fois qu’elle fuit une situation en se persuadant
qu’elle n’aurait pas été à la hauteur, elle aggrave sa mauvaise image
d’ellemême.

Solution mise en œuvre : grâce à une thérapie étalée dans le


temps, Rachel a compris que son tempérament n’est pas
répréhensible, et sa relation difficile avec sa mère a pris une
signification nouvelle. Elle a alors pu mettre en place une stratégie
des petits pas pour aller vers les autres et dépasser sa peur.
Bibliographie

Ouvrages
AINSWORTH, M., « Social development in the first year of life :
maternal influences on infant-mother attachment », in J.M.Tanner
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www.phobiesociale.org : une mine de renseignements utiles sur le
sujet.

http://www.hsperson.com/pages/test.htm : site d’Elaine Aron, auteur


des recherches sur le tempérament hautement sensible.

L’analyse transactionnelle
www.editionsat.fr : pour les articles des Actualités en Analyse
Transactionnelle (on peut désormais acheter en ligne, non
seulement les numéros passés, mais s’ils sont épuisés, les articles
sélectionnés en format PDF) et les Classiques de l’Analyse
Transactionnelle, qui sont des recueils d’anciens articles.
www.ifat : le site de l’association française d’analyse
transactionnelle, notamment pour trouver un praticien certifié.

www.analysetransactionnelle.fr : site créé par un particulier, plein


d’informations intéressantes sur l’analyse transactionnelle.

www.itaa-net.org : pour l’association internationale d’AT


(International Transactional Analysis Association) et pour
commander des numéros du Transactional Analysis Journal.

Pour trouver un thérapeute


www.ff2p.fr : site de la fédération française de psychothérapie et
psychanalyse, avec un annuaire de psychothérapeutes titulaires du
Certificat Européen de Psychothérapie ou en cours d’accréditation.

www.affop.org : site de l’association fédérative française des


organismes de psychothérapies relationnelle et psychanalytique,
offrant également un annuaire de praticiens titularisés par les
organismes membres.
www.snppsy.org : site du syndicat national des praticiens en
psychothérapie, avec son annuaire des psychothérapeutes
titularisés (psychothérapeutes relationnels et psychanalystes).

Pour les traumatismes


www.emdr-france.org

www.tipi.fr

Les groupes d’entraide


OA, Outremangeurs Anonymes :
http://oainfos.org
AA, Alcooliques Anonymes :
http://www.alcooliques-anonymes.fr/aafrance/
DASA, Dépendants Affectifs et Sexuels Anonymes :
http://dasafrance.free.fr
NA, Narcotiques Anonymes :
http://www.narcotiquesanonymes.org/

Composé par Sandrine Rénier


N° d’éditeur : 4180
Dépôt légal : décembre 2010

1. Revue disponible sur le site www.editionsat.fr.

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