Vous êtes sur la page 1sur 281

Vous pouvez acquérir la version papier de ce livre sur ces

liens cliquables:

Amazon:
http://www.amazon.fr/Comment-apprivoiser-son-crocodile-
progresser/dp/2266173529/ref=sr_1_1?
s=books&ie=UTF8&qid=1288021779&sr=1-1

Fnac:
http://livre.fnac.com/a1958861/Catherine-Aimelet-Perissol-
Comment-apprivoiser-son-crocodile

Alapage:
http://www.alapage.com/m/ps/
mpid:MP-210E1M1377993#moid:MO-4A94EM3084290

Cet ebook a été optimisé pour la lecture par voix de


synthèse : suppression du numéro de page et ajout de
ponctuation pour créer des pauses suffisantes.
Adobe Acrobat peut le lire: affichage/ lecture audio/ activer
la lecture.
La référence en matière de lecture par ordinateur étant le
programme Textaloud avec les voix Acapela.
CATHERINE AIMELET-PÉRISSOL.

Médecin de formation, Catherine Aimelet-Périssol


exerce la psychothérapie dans son cabinet depuis de
longues années et développe ses idées sur le rôle et
le bon usage des émotions dans de nombreux ateliers
de formation. Comment apprivoiser son crocodile
(2002) et Quand les crocodiles s'emmêlent (2005)
sont parus aux éditions Robert Laffont.
Catherine Aimelet-Périssol.

Comment
apprivoiser
son crocodile.
Écoutez le message caché de vos émotions
pour progresser sur la voie du bien-être.
À Pierre-André, pour sa confiance et son amour.

À Aurore, Laurent, Stanislas et Magali qui m'enseignent


l'art d'être mère, pour leurs rires et leur tendresse
de tous les jours.

À tous ceux qui sont animés du courage de partir à la


découverte d'eux-mêmes et de l'humanité de ce monde.
Sommaire.

Sommaire.
Prologue.
Introduction,
Les signaux du crocodile,
« Et maintenant, comment faire ?...»

PREMIÈRE PARTIE , SE COMPRENDRE


POUR SECONNAÎTRE.

1. Des besoins existentiels,


Le besoin de sécurité,
Le besoin de réalité d'être,
Expressions collectives,
Les besoins, mode d'emploi.
2. En manque de soi,
Autre que soi,
L'ambiance du passé,
Être parents : rêves et peurs,
Comportements parentaux,
Manque de soi, manque d'être,
Survivre à son enfance. Lutte et habitudes de vie,
3. Je me défends, donc j'existe, Lutte et pouvoir,
Une logique de menace, Lutte et travail,
Une logique de survie, Lutte et entourage,
Les mots de la lutte.
Fuir, lutter, se replier,
Stratégies émotionnelles. 6. « Cherche paix désespérément... »
quand nous sommes en état
DEUXIÈME PARTIE, SE CONNAÎTRE POUR SE LIBÉRER. de repli sur nous-mêmes,
4. « Courage, fuyons ! » La fatigue et l'absence d'envie,
quand nous sommes en état de fuite, À l'origine de l'état de repli sur soi,
La peur, Les « lunettes » de la réaction de repli sur soi,...
À l'origine de l'état de fuite, La main qui agit,
Les « lunettes » de la réaction de fuite, Les stratégies de l'état de repli sur soi,
Une tête très pensante, Comment se reconnaître en état de repli sur soi,
Les stratégies de l'état de fuite, Comment reconnaître quelqu'un en état de repli,
Comment se reconnaître en état de fuite, Repli sur soi et habitudes de vie,
Comment reconnaître quelqu'un en état de fuite, Repli sur soi et idéal,
Fuite et habitudes de vie, Repli sur soi et travail,
Fuite et nourriture, Repli sur soi et entourage,
Fuite et travail, Les mots du repli sur soi.
Fuite et entourage, 7. Les murs du labyrinthe,
Les mots de la fuite. Sincère et malhonnête,
5. « M o i , je ! » quand nous sommes Égocentrique et attentif aux autres,
en état de lutte, Innocent et coupable,
La tension et l'agressivité, Les fantasmes du Tout ou Rien,
À l'origine de l'état de lutte, Nos défenses sont un leurre,
Les « lunettes » de la réaction de lutte, Communication à haut risque.
A cœur vaillant,
TROISIÈME PARTIE,SE LIBÉRER POURVIVRE. .
Les stratégies de l'état de lutte,
Comment se reconnaître en état de lutte, Préambule à la question de l'être.
Comment reconnaître quelqu'un en état de lutte,
8. Le fil d'Ariane,
Survivre à son enfance. Lutte et habitudes de vie,
3. Je me défends, donc j'existe, Lutte et pouvoir,
Une logique de menace, Lutte et travail,
Une logique de survie, Lutte et entourage,
Les mots de la lutte.
Fuir, lutter, se replier,
Stratégies émotionnelles. 6. « Cherche paix désespérément... »
quand nous sommes en état
DEUXIÈME PARTIE, SE CONNAÎTRE POUR SE LIBÉRER. de repli sur nous-mêmes,
4. « Courage, fuyons ! » La fatigue et l'absence d'envie,
quand nous sommes en état de fuite, À l'origine de l'état de repli sur soi,
La peur, Les « lunettes » de la réaction de repli sur soi,...
À l'origine de l'état de fuite, La main qui agit,
Les « lunettes » de la réaction de fuite, Les stratégies de l'état de repli sur soi,
Une tête très pensante, Comment se reconnaître en état de repli sur soi,
Les stratégies de l'état de fuite, Comment reconnaître quelqu'un en état de repli,
Comment se reconnaître en état de fuite, Repli sur soi et habitudes de vie,
Comment reconnaître quelqu'un en état de fuite, Repli sur soi et idéal,
Fuite et habitudes de vie, Repli sur soi et travail,
Fuite et nourriture, Repli sur soi et entourage,
Fuite et travail, Les mots du repli sur soi.
Fuite et entourage, 7. Les murs du labyrinthe,
Les mots de la fuite. Sincère et malhonnête,
5. « M o i , je ! » quand nous sommes Égocentrique et attentif aux autres,
en état de lutte, Innocent et coupable,
La tension et l'agressivité, Les fantasmes du Tout ou Rien,
À l'origine de l'état de lutte, Nos défenses sont un leurre,
Les « lunettes » de la réaction de lutte, Communication à haut risque.
A cœur vaillant,
TROISIÈME PARTIE,SE LIBÉRER POURVIVRE. .
Les stratégies de l'état de lutte,
Comment se reconnaître en état de lutte, Préambule à la question de l'être.
Comment reconnaître quelqu'un en état de lutte,
8. Le fil d'Ariane,
L'événement révélateur
est une occasion de s'impliquer,
Autodiagnostic émotionnel,
Ressentir, accueillir son manque,
Raconter son besoin,
Remonter le fil.
9. S'entraîner à devenir soi,
L'hypothèse initiale,
Nourrir ses besoins,
Prologue.
Gymnastique de l'être.
10. Apprendre à être en relation,
L'autre, objet de nos émotions,
Quand, adolescente, j ' a i décidé de « faire médecine »,
S'occuper ou occuper ?, la motivation secrète était de comprendre « comment ça
Préambules à la relation, marche ? ». « Ça », c'étaient moi et mon entourage, et
Engager une relation,... des comportements qui me déconcertaient : tristesse,
c'est occuper son propre territoire, colère, mensonge, peur, incompréhension, émotions sou-
Que faire de l'autre sur notre territoire ?, daines et apparemment irrationnelles, qui me donnaient
parfois la sensation de me cogner contre un mur. Émo-
Partager, c'est nourrir la relation,
tions d'autant plus incompréhensibles que, studieuse et
Mots pour maux, souriante, j'étais plutôt motivée et bonne élève. Ce déca-
Drogués, délinquants, déprimés, lage entre un bon équilibre apparent et les émotions res-
mais de quoi ont-ils peur ?, senties, inexplicable à mes yeux, j'étais décidée à en
Quand cesse la relation. chercher l'origine dans le fonctionnement biologique de
l'être et je m'orientai vers une pratique médicale. Ce
En forme de conclusion, choix fut à l'époque plus intuitif que raisonné. Il me per-
L'oasis. mit de découvrir que ce décalage est tout ce qu'il y a de
plus naturel et répond à une logique de vie. C'est cette
En guise de bibliographie. logique-là que je souhaite transmettre, comme une grille
de lecture qui permet à chacun de ne plus être dupe de
Remerciements. lui-même, de ne plus subir ses émotions, de devenir
conscient pour ne plus se conduire comme un incons-
cient et, ainsi, de devenir, pas à pas, l'auteur-acteur de
sa vie.
L'événement révélateur
est une occasion de s'impliquer,
Autodiagnostic émotionnel,
Ressentir, accueillir son manque,
Raconter son besoin,
Remonter le fil.
9. S'entraîner à devenir soi,
L'hypothèse initiale,
Nourrir ses besoins,
Prologue.
Gymnastique de l'être.
10. Apprendre à être en relation,
L'autre, objet de nos émotions,
Quand, adolescente, j'ai décidé de « faire médecine »,
S'occuper ou occuper ?, la motivation secrète était de comprendre « comment ça
Préambules à la relation, marche ? ». « Ça », c'étaient moi et mon entourage, et
Engager une relation,... des comportements qui me déconcertaient : tristesse,
c'est occuper son propre territoire, colère, mensonge, peur, incompréhension, émotions sou-
Que faire de l'autre sur notre territoire ?, daines et apparemment irrationnelles, qui me donnaient
parfois la sensation de me cogner contre un mur. Émo-
Partager, c 'est nourrir la relation,
tions d'autant plus incompréhensibles que, studieuse et
Mots pour maux, souriante, j'étais plutôt motivée et bonne élève. Ce déca-
Drogués, délinquants, déprimés, lage entre un bon équilibre apparent et les émotions res-
mais de quoi ont-ils peur ?, senties, inexplicable à mes yeux, j'étais décidée à en
Quand cesse la relation. chercher l'origine dans le fonctionnement biologique de
l'être et je m'orientai vers une pratique médicale. Ce
En forme de conclusion, choix fut à l'époque plus intuitif que raisonné. Il me per-
L'oasis. mit de découvrir que ce décalage est tout ce qu'il y a de
plus naturel et répond à une logique de vie. C'est cette
En guise de bibliographie. logique-là que je souhaite transmettre, comme une grille
de lecture qui permet à chacun de ne plus être dupe de
Remerciements. lui-même, de ne plus subir ses émotions, de devenir
conscient pour ne plus se conduire comme un incons-
cient et, ainsi, de devenir, pas à pas, l'auteur-acteur de
sa vie.
Introduction.

« S O Y E Z U N E L A N T E R N E POUR VOUS-MÊME ».

Proverbe zen.

Comment, à défaut de trouver une molécule du bon-


heur, la connaissance du cerveau peut-elle nous rendre
plus heureux ? Comment la compréhension biologique
de notre corps peut-elle nous permettre de mieux connaî-
tre notre esprit ? Comment peut-elle même participer à
la réalisation de ses potentiels ? Ce livre tente de répon-
dre à ces questions. En aval des interrogations et des
réponses théoriques et existentielles, et en amont des réa-
lités historiques et quotidiennes de chacun, il veut faire
le lien entre deux « espaces » : notre vécu et l'interpré-
tation rationnelle que nous en faisons. Il veut révéler le
lien caché entre des comportements et des émotions trop
souvent déniés, parce qu'on ne sait pas quoi en penser,
en dire et en faire, et un discours construit sur ce
qu'il convient d'être et de faire pour « aller bien ». Ce
lien n'est pas idéo-logique mais bio-logique, c'est-à-dire
fondé sur la logique de la vie. Pas seulement une logique
du vivant comme peut l'étudier un biochimiste, mais de
la vie en mouvement, de l'être en devenir. Nous sommes les déconcertent. Quels rapports ont donc toutes ces —
ce mouvement : en tant que tels, nous sommes détermi- bonnes — raisons, si évidentes et si sincères ?
nés par une logique de vie. U N E BIO-LOGIQUE. Je leur explique alors que le stress et les émotions à
En grec, bios signifie « vie », logos signifie un ensem- l'origine de leurs troubles sont des messages envoyés par
ble de relations cohérentes qui règlent le fonctionnement leur cerveau et qu'ensemble nous allons les décoder. En
de l'être. Loin de nous contraindre ou de nous limiter commençant par citer le philosophe Épictète : « Ce ne
dans notre expression, cet enchaînement rigoureux qui sont pas les événements qui nous font mal, mais l'inter-
nous régit peut contribuer à nous éclairer, à nous récon- prétation que nous en avons. » Puis je raconte l'histoire
cilier avec nous-mêmes et avec les autres, à libérer nos du crocodile.
potentiels de pensée, de paroles et d'action. Il s'agit de
naître à soi-même grâce à la connaissance de cette bio-
logique ancrée dans notre système nerveux et qui répond Les signaux du crocodile.
à un seul et même objectif : vivre !
Il y a quelques années, la directrice d'un collège, que C'est le plus sincèrement du monde que chacun attri-
je connaissais à titre personnel, inquiétée par l'évolution bue à la situation dans laquelle il se trouve la cause de
émotionnelle des enfants d'une classe de troisième, me son mal-être. Il croit sincèrement qu'il est mal parce
demande conseil. « C'est une véritable épidémie qu'un autre, ou un événement, lui fait mal. Avec
d'angoisses et de spasmophilie ! Au début, deux élèves cette logique, largement partagée par le sens commun, le
particulièrement sensibles et émotives ont eu des atta- soulagement ou la guérison ne peuvent venir que de
ques de panique dès que leurs professeurs annonçaient l'autre ou d'un changement extérieur... Bien des conflits
un contrôle ou distribuaient les notes. En deux mois, le et des dépendances naissent de ce raisonnement.
nombre a augmenté et, aujourd'hui, ce sont dix élèves Car, à l'instar d'Épictète, la bio-logique nous enseigne
qui sont soignées et médicalisées dans cette classe pour une tout autre vision de la douleur psychique : le mal-
des symptômes similaires, et d'autres classes semblent être trouve son origine dans l'interprétation personnelle
prendre le même chemin ! Je ne comprends pas ce qui que nous donnons à la situation. Ainsi, le professeur, le
se passe, si ce n'est que beaucoup se plaignent de la sévé- mauvais temps... viennent révéler ce mal-être, mais n'en
rité du professeur de mathématiques. Je ne sais plus quoi sont pas la cause directe. Cela explique qu'un même évé-
faire ! » m'explique la directrice. Comme il n'était pas nement puisse susciter des réactions fort différentes. Ce
question d'établir une relation d'ordre thérapeutique, trouble, tant psychique que physique, nous le nommons
nous convenons d'une simple rencontre avec les élèves. stress ou émotion. Il nous submerge quand nous sommes
D'emblée, le ton est donné : elles sont fatiguées et mala- confrontés à certaines situations.
des parce que leur professeur de mathématiques les Comment réagit alors le cerveau ? Une partie importante
stresse, parce qu'elle ne les comprend pas, parce que le de celui-ci agit tel un pilote automatique. Nommé reptilien,
travail est trop dur, l'hiver trop long, parce que leurs commun à l'ensemble des mammifères, il est le cerveau le
parents se disputent, parce que le grand frère écoute de plus ancien à l'échelle de l'humanité. Par jeu, le journaliste
la musique trop tard et trop fort, parce qu'elles manquent et écrivain Arthur Koestler l'a baptisé le « crocodile ». Son
de magnésium, parce qu'elles manquent de confiance en rôle est fondamental puisqu'il régule la satisfaction de nos
elles, parce que... La vérité et l'abondance de réponses besoins essentiels tels que dormir, boire, manger, se repro-
la vie en mouvement, de l'être en devenir. Nous sommes les déconcertent. Quels rapports ont donc toutes ces
ce mouvement : en tant que tels, nous sommes détermi- (bonnes) raisons, si évidentes et si sincères ?
nés par une logique de vie. U N E BIO-LOGIQUE. Je leur explique alors que le stress et les émotions à
En grec, bios signifie « vie », logos signifie un ensem- l'origine de leurs troubles sont des messages envoyés par
ble de relations cohérentes qui règlent le fonctionnement leur cerveau et qu'ensemble nous allons les décoder. En
de l'être. Loin de nous contraindre ou de nous limiter commençant par citer le philosophe Épictète : « Ce ne
dans notre expression, cet enchaînement rigoureux qui sont pas les événements qui nous font mal, mais l'inter-
nous régit peut contribuer à nous éclairer, à nous récon- prétation que nous en avons. » Puis je raconte l'histoire
cilier avec nous-mêmes et avec les autres, à libérer nos du crocodile.
potentiels de pensée, de paroles et d'action. Il s'agit de
naître à soi-même grâce à la connaissance de cette bio-
logique ancrée dans notre système nerveux et qui répond Les signaux du crocodile.
à un seul et même objectif : vivre !
Il y a quelques années, la directrice d'un collège, que C'est le plus sincèrement du monde que chacun attri-
je connaissais à titre personnel, inquiétée par l'évolution bue à la situation dans laquelle il se trouve la cause de
émotionnelle des enfants d'une classe de troisième, me son mal-être. Il croit sincèrement qu'il est mal parce
demande conseil. « C'est une véritable épidémie qu'un autre, ou un événement, lui fait mal. Avec
d'angoisses et de spasmophilie ! Au début, deux élèves cette logique, largement partagée par le sens commun, le
particulièrement sensibles et émotives ont eu des atta- soulagement ou la guérison ne peuvent venir que de
ques de panique dès que leurs professeurs annonçaient l'autre ou d'un changement extérieur... Bien des conflits
un contrôle ou distribuaient les notes. En deux mois, le et des dépendances naissent de ce raisonnement.
nombre a augmenté et, aujourd'hui, ce sont dix élèves Car, à l'instar d'Épictète, la bio-logique nous enseigne
qui sont soignées et médicalisées dans cette classe pour une tout autre vision de la douleur psychique : le mal-
des symptômes similaires, et d'autres classes semblent être trouve son origine dans l'interprétation personnelle
prendre le même chemin ! Je ne comprends pas ce qui que nous donnons à la situation. Ainsi, le professeur, le
se passe, si ce n'est que beaucoup se plaignent de la sévé- mauvais temps... viennent révéler ce mal-être, mais n'en
rité du professeur de mathématiques. Je ne sais plus quoi sont pas la cause directe. Cela explique qu'un même évé-
faire ! » m'explique la directrice. Comme il n'était pas nement puisse susciter des réactions fort différentes. Ce
question d'établir une relation d'ordre thérapeutique, trouble, tant psychique que physique, nous le nommons
nous convenons d'une simple rencontre avec les élèves. stress ou émotion. Il nous submerge quand nous sommes
D'emblée, le ton est donné : elles sont fatiguées et mala- confrontés à certaines situations.
des parce que leur professeur de mathématiques les Comment réagit alors le cerveau ? Une partie importante
stresse, parce qu'elle ne les comprend pas, parce que le de celui-ci agit tel un pilote automatique. Nommé reptilien,
travail est trop dur, l'hiver trop long, parce que leurs commun à l'ensemble des mammifères, il est le cerveau le
parents se disputent, parce que le grand frère écoute de plus ancien à l'échelle de l'humanité. Par jeu, le journaliste
la musique trop tard et trop fort, parce qu'elles manquent et écrivain Arthur Koestler l'a baptisé le « crocodile ». Son
de magnésium, parce qu'elles manquent de confiance en rôle est fondamental puisqu'il régule la satisfaction de nos
elles, parce que... La vérité et l'abondance de réponses besoins essentiels tels que dormir, boire, manger, se repro-
duire. Il assure aussi, avec le cerveau limbique, le besoin tation multiplie les solutions face à la menace et dimi-
d'intégrité qui se manifeste sous trois formes : besoin de nue l'insécurité, la colère libérée permet à l'individu de
sécurité, d'identité et de réalité d'être. se réaffirmer, d'atténuer le manque d'identité, les lar-
Le crocodile protège et défend ces besoins. Il a la res- mes soulagent un moment en restaurant le sentiment de
ponsabilité de défendre l'intégrité face à toutes les éven- réalité... Mais ces réactions demeurent avant tout des
tuelles menaces, que celles-ci soient extérieures ou signaux d'alarme : elles nous obligent à satisfaire dans
intérieures. C'est le cas lorsque nous ne satisfaisons pas l'urgence et à court terme nos besoins, à réagir coûte
ces besoins fondamentaux. Cette défense est assurée par que coûte.
un système archaïque mais qui a fait ses preuves, Tout irait pour le mieux si ce n'était le coût énergéti-
puisqu'il est parvenu à garantir depuis la nuit des temps que du système : les émotions coûtent cher ! Le prix est
la survie de l'être vivant et de l'espèce humaine. Qu'il encore abordable quand le besoin est satisfait : le sys-
s'agisse d'un mammifère, d'un homme de Cro-Magnon
tème a été efficace, on parle alors de stress positif. Mais
ou d'un homme du XX siècle, les réponses apportées à
e

le prix peut devenir exorbitant quand, malgré nos efforts


ce qui menace son intégrité sont universelles. On fuit, on
et la pression émotionnelle, le besoin demeure insatisfait.
lutte ou on se replie sur soi.
Le stress est alors négatif. Insécurisés, non reconnus dans
La fuite tend à éviter la menace. notre identité, fermés sur nous-mêmes, nous avons la
La lutte tend à maîtriser la menace. sensation de ne plus exister et ne trouvons d'autres solu-
Le repli sur soi tend à nous refermer sur nous pour tions que de « sombrer» dans l'angoisse, dans la vio-
passer inaperçus de la menace.
lence ou la dépression, de toute façon dans la souffrance.
Les symptômes et les objectifs défensifs sont Incapables de satisfaire nos besoins, même au travers de
communs à toutes les espèces. Ces réactions concernent
l'émotion, nous sommes comme privés de nous-mêmes,
l'ensemble de l'être, tant psychique que somatique.
hors de nous... Nous nous sentons perdus. En fait, notre
Ces trois besoins fondamentaux et ces trois réactions
crocodile ne lâche pas et continue à nous envoyer son
de défense sont tous ancrés dans le cerveau reptilien.
message, au prix de notre douleur psychique... jusqu'à
Nos besoins sont ainsi nécessairement alimentés.
ce que nous l'écoutions, le prenions en compte et agis-
S'ils ne sont pas satisfaits, l'humeur change de façon
sions dans le sens de nos besoins.
radicale : l'état de motivation laisse la place à l'état de
stress. En effet, le crocodile, sous l'emprise du manque,
se réveille, force notre motivation. Il la teinte de peur,
de tension ou de fatigue. Des émotions accompagnent « Et maintenant, comment faire ?... »
alors nos pensées, nos mots et nos actes. Elles consti-
tuent des réactions de défense et nous transmettent le Telle est la question qui se pose à nous dès que nous
message d'un besoin insatisfait, frustré, qui, de ce fait, comprenons les mécanismes de défense. Que faire de
menace l'équilibre de l'être. Exprimées, ces réactions cette réalité bio-logique, comment la suivre, l'épouser
sont aussi des réponses palliatives au manque. L'agi- pour vivre mieux et nous libérer de nos stress ? Il s'agit,
en effet, que cette connaissance devienne source de bien-
être et d'harmonie avec soi et avec les autres. Aussi la
question doit-elle être ajustée à la logique du vivant.
duire. Il assure aussi, avec le cerveau limbique, le besoin tation multiplie les solutions face à la menace et dimi-
d'intégrité qui se manifeste sous trois formes : besoin de nue l'insécurité, la colère libérée permet à l'individu de
sécurité, d'identité et de réalité d'être. se réaffirmer, d'atténuer le manque d'identité, les lar-
Le crocodile protège et défend ces besoins. Il a la res- mes soulagent un moment en restaurant le sentiment de
ponsabilité de défendre l'intégrité face à toutes les éven- réalité... Mais ces réactions demeurent avant tout des
tuelles menaces, que celles-ci soient extérieures ou signaux d'alarme : elles nous obligent à satisfaire dans
intérieures. C'est le cas lorsque nous ne satisfaisons pas l'urgence et à court terme nos besoins, à réagir coûte
ces besoins fondamentaux. Cette défense est assurée par que coûte.
un système archaïque mais qui a fait ses preuves, Tout irait pour le mieux si ce n'était le coût énergéti-
puisqu'il est parvenu à garantir depuis la nuit des temps que du système : les émotions coûtent cher ! Le prix est
la survie de l'être vivant et de l'espèce humaine. Qu'il encore abordable quand le besoin est satisfait : le sys-
s'agisse d'un mammifère, d'un homme de Cro-Magnon
e tème a été efficace, on parle alors de stress positif. Mais
ou d'un homme du XX siècle, les réponses apportées à
le prix peut devenir exorbitant quand, malgré nos efforts
ce qui menace son intégrité sont universelles. On fuit, on
et la pression émotionnelle, le besoin demeure insatisfait.
lutte ou on se replie sur soi.
Le stress est alors négatif. Insécurisés, non reconnus dans
La fuite tend à éviter la menace. notre identité, fermés sur nous-mêmes, nous avons la
La lutte tend à maîtriser la menace. sensation de ne plus exister et ne trouvons d'autres solu-
Le repli sur soi tend à nous refermer sur nous pour tions que de « sombrer» dans l'angoisse, dans la vio-
passer inaperçus de la menace.
lence ou la dépression, de toute façon dans la souffrance.
Les symptômes et les objectifs défensifs sont Incapables de satisfaire nos besoins, même au travers de
communs à toutes les espèces. Ces réactions concernent
l'émotion, nous sommes comme privés de nous-mêmes,
l'ensemble de l'être, tant psychique que somatique.
hors de nous... Nous nous sentons perdus. En fait, notre
Ces trois besoins fondamentaux et ces trois réactions
crocodile ne lâche pas et continue à nous envoyer son
de défense sont tous ancrés dans le cerveau reptilien.
message, au prix de notre douleur psychique... jusqu'à
Nos besoins sont ainsi nécessairement alimentés.
ce que nous l'écoutions, le prenions en compte et agis-
S'ils ne sont pas satisfaits, l'humeur change de façon
sions dans le sens de nos besoins.
radicale : l'état de motivation laisse la place à l'état de
stress. En effet, le crocodile, sous l'emprise du manque,
se réveille, force notre motivation. Il la teinte de peur,
de tension ou de fatigue. Des émotions accompagnent « Et maintenant, comment faire ?... »
alors nos pensées, nos mots et nos actes. Elles consti-
tuent des réactions de défense et nous transmettent le Telle est la question qui se pose à nous dès que nous
message d'un besoin insatisfait, frustré, qui, de ce fait, comprenons les mécanismes de défense. Que faire de
menace l'équilibre de l'être. Exprimées, ces réactions cette réalité bio-logique, comment la suivre, l'épouser
sont aussi des réponses palliatives au manque. L'agi- pour vivre mieux et nous libérer de nos stress ? Il s'agit,
en effet, que cette connaissance devienne source de bien-
être et d'harmonie avec soi et avec les autres. Aussi la
question doit-elle être ajustée à la logique du vivant.
Revenons aux élèves du collège. « Face à votre pro- D'autre part, le fonctionnement du système de
fesseur de mathématiques, votre crocodile a exprimé son défense et les réactions de fuite, de lutte et de repli sur
insécurité par des signaux physiques et émotionnels soi. Inhérent à l'être humain, nécessaire à la vie puisqu'il
comme la spasmophilie. Tel est son message, le message assure la survie en satisfaisant dans l'urgence le besoin
qui vous est destiné. À présent, vous allez vous poser la d'intégrité, ce mécanisme est notre allié. Il est donc plus
question suivante : que pouvez-vous faire d'autre, que risqué de le nier que de l'assumer : c'est avec lui que nous
tomber malade, pour développer votre propre sécurité, avons à vivre, ni sans lui, ni contre lui, ni soumis à lui.
sans attendre que le changement vienne du professeur Enfin, notre responsabilité vis-à-vis de nous-
trop sévère ? » Elles échangèrent en petits groupes leurs mêmes, compte tenu de cette réalité bio-logique d'une
idées. La possibilité d'un dialogue avec le professeur et part, de la réalité événementielle d'autre part. Ainsi, les
la directrice, et celle d'une organisation, entre elles, du élèves du collège ont-elles pu s'approprier la leur : « Ce
travail en mathématique, apaisèrent les plus inquiètes. n'est pas seulement le professeur qui est "trop" sévère,
Quelques-unes vinrent à la fin des deux heures me dire c'est moi, c'est nous qui avons peur de son jugement. Si
qu'elles essaieraient de se poser cette question à chaque sa sévérité lui incombe, notre peur nous incombe à nous.
fois que la peur reviendrait. À nous de nous en libérer en étant, en faisant autrement
Les symptômes disparurent dans le mois qui suivit. À avec elle. À nous de puiser en nous, dans notre potentiel,
aucun moment, il n'avait été question d'analyser, encore pour découvrir d'autres réponses que la maladie. »
moins de juger l'événement à l'origine du trouble pas En nous réappropriant ce qui nous appartient, en pre-
plus que les réactions des unes et des autres. Juste nant conscience et de nos besoins et de nos manques,
d'éclairer ce qui se passe lorsque l'émotion nous envahit, nous pouvons traverser les émotions et tirer parti de leurs
comprendre à quoi correspond cette vague qui nous sub- messages. Libérés de la culpabilité ou de l'incompréhen-
merge et ce qu'elle dit de nous. À partir de cette logique, sion qu'une lecture erronée nous en donne, nous pouvons
les élèves elles-mêmes proposèrent des attitudes alterna- enfin mieux accéder à notre potentiel d'être et satisfaire
tives face au professeur qui leur « faisait peur ». nos besoins autrement qu'en les défendant. Car le croco-
dile du cerveau est têtu : il ne nous lâche pas ! C'est à
Cette courte présentation de la bio-logique du cer- nous de faire avec lui, de l'apprivoiser avec rigueur et
veau reptilien dénommé « crocodile » nous pose trois douceur. En étant bio-logiques. Ainsi, nous saurons faire
questions : des mécanismes de notre cerveau une source de connais-
D'une part, la nature de nos besoins fondamen- sance et de bonheur.
taux, la façon dont nous les satisfaisons et les raisons
de notre manque de vigilance à leur égard. Car nous
vivons le monde et notre relation aux autres au travers
du filtre de nos besoins. Si « ventre affamé n'a pas
d'oreilles », esprit insécurisé n'a plus d'idées ! Il n'est
donc pas « humain » de solliciter chez soi et chez autrui
une attention et une motivation quelconques sans respec-
ter et satisfaire les besoins de sécurité, d'identité et de
réalité d'être.
Revenons aux élèves du collège. « Face à votre pro- D'autre part, le fonctionnement du système de
fesseur de mathématiques, votre crocodile a exprimé son défense et les réactions de fuite, de lutte et de repli sur
insécurité par des signaux physiques et émotionnels soi. Inhérent à l'être humain, nécessaire à la vie puisqu'il
comme la spasmophilie. Tel est son message, le message assure la survie en satisfaisant dans l'urgence le besoin
qui vous est destiné. À présent, vous allez vous poser la d'intégrité, ce mécanisme est notre allié. Il est donc plus
question suivante : que pouvez-vous faire d'autre, que risqué de le nier que de l'assumer : c'est avec lui que nous
tomber malade, pour développer votre propre sécurité, avons à vivre, ni sans lui, ni contre lui, ni soumis à lui.
sans attendre que le changement vienne du professeur Enfin, notre responsabilité vis-à-vis de nous-
trop sévère ? » Elles échangèrent en petits groupes leurs mêmes, compte tenu de cette réalité bio-logique d'une
idées. La possibilité d'un dialogue avec le professeur et part, de la réalité événementielle d'autre part. Ainsi, les
la directrice, et celle d'une organisation, entre elles, du élèves du collège ont-elles pu s'approprier la leur : « Ce
travail en mathématique, apaisèrent les plus inquiètes. n'est pas seulement le professeur qui est "trop" sévère,
Quelques-unes vinrent à la fin des deux heures me dire c'est moi, c'est nous qui avons peur de son jugement. Si
qu'elles essaieraient de se poser cette question à chaque sa sévérité lui incombe, notre peur nous incombe à nous.
fois que la peur reviendrait. À nous de nous en libérer en étant, en faisant autrement
Les symptômes disparurent dans le mois qui suivit. À avec elle. À nous de puiser en nous, dans notre potentiel,
aucun moment, il n'avait été question d'analyser, encore pour découvrir d'autres réponses que la maladie. »
moins de juger l'événement à l'origine du trouble pas En nous réappropriant ce qui nous appartient, en pre-
plus que les réactions des unes et des autres. Juste nant conscience et de nos besoins et de nos manques,
d'éclairer ce qui se passe lorsque l'émotion nous envahit, nous pouvons traverser les émotions et tirer parti de leurs
comprendre à quoi correspond cette vague qui nous sub- messages. Libérés de la culpabilité ou de l'incompréhen-
merge et ce qu'elle dit de nous. À partir de cette logique, sion qu'une lecture erronée nous en donne, nous pouvons
les élèves elles-mêmes proposèrent des attitudes alterna- enfin mieux accéder à notre potentiel d'être et satisfaire
tives face au professeur qui leur « faisait peur ». nos besoins autrement qu'en les défendant. Car le croco-
dile du cerveau est têtu : il ne nous lâche pas ! C'est à
Cette courte présentation de la bio-logique du cer- nous de faire avec lui, de l'apprivoiser avec rigueur et
veau reptilien dénommé « crocodile » nous pose trois douceur. En étant bio-logiques. Ainsi, nous saurons faire
questions : des mécanismes de notre cerveau une source de connais-
D'une part, la nature de nos besoins fondamen- sance et de bonheur.
taux, la façon dont nous les satisfaisons et les raisons
de notre manque de vigilance à leur égard. Car nous
vivons le monde et notre relation aux autres au travers
du filtre de nos besoins. Si « ventre affamé n'a pas
d'oreilles », esprit insécurisé n'a plus d'idées ! Il n'est
donc pas « humain » de solliciter chez soi et chez autrui
une attention et une motivation quelconques sans respec-
ter et satisfaire les besoins de sécurité, d'identité et de
réalité d'être.
Première partie.

SE COMPRENDRE POUR SE CONNAÎTRE.


La compréhension de soi est-elle un préambule néces-
saire à la connaissance de soi ? Probablement oui, si l'on
considère les risques à ne pas comprendre ce qui se passe
en nous, dans notre propre corps, et les contresens que
nous pouvons alors faire dans l'interprétation de nos
comportements et de nos pensées. Contresens, mais aussi
tentation de jugements sans détour, transformant notre
vie en tribunal et la relation à l'autre en réquisitoire !
Sans compter la peur de nous-mêmes, de nous sentir
dépassés par notre propre émotivité, déconcertés par ces
vagues de colère, d'angoisse ou de dépression qui nous
submergent malgré nous.
Se comprendre, c'est « se prendre avec » tout ce que
nous sommes. Se comprendre ne relève pas seulement
d'une analyse psychologique mais nécessite une prise en
considération des mécanismes à l'origine de l'expression
de l'individu, dans ses pensées, ses mots, ses comporte-
ments, ses choix... La bio-logique de notre organisme est
incontournable. Elle motive, que nous le voulions ou non,
nos idées les plus géniales ou les plus généreuses, comme
nos réactions les plus obscures et les plus agressives.
Loin de réduire l'être humain à cette réalité, cette
compréhension, tout au contraire, va lui permettre de
mettre en valeur ce qui est à l'origine de sa motivation,
de sa mobilisation, autrement dit, de ce qui le « pousse »
à agir. Ainsi nous découvrirons que tous nos comporte-
ments s'inscrivent dans une logique de vie que nous
avons à prendre en compte, non seulement afin d'éviter
les contresens, les jugements hâtifs ou la peur de soi (et
des autres), mais aussi afin de retrouver notre juste moti-
vation à agir. Toutes nos émotions nous mènent à nous-
mêmes pour peu que nous les interprétions correcte-
ment ! 1.
La prise en considération de ces mécanismes ne nous
entraînera pas vers une étude scientifique complexe... Des besoins existentiels.
que le lecteur se rassure. Plus simplement, il s'agit de
permettre une réappropriation de notre être. Pour que
nous ne demeurions pas des étrangers à nous-mêmes,
ignorants de ce qui nous meut et de ce qui nous émeut, Les besoins fondamentaux concernant la vie [...],
la compréhension bio-logique s'impose. les émotions et les aptitudes humaines essentielles
Ces mécanismes nous parlent de nos besoins existen- sont neutres et prémoraux.
tiels, de nos sensations de manque et des réactions de
défense que nous déclenchons lorsque ces besoins ne sont Abraham Maslow,
pas écoutés : ces mots, besoins, manques, réactions de
défense, vont souvent revenir pour expliquer, raconter, Vers une psychologie de l'être.
illustrer ce qui se passe en nous. Ils sont l'interface entre
la biologie et la psychologie, participant à la fois d'une
« Besoins » : le terme signifie selon la sensibilité de
réalité organique et d'un vécu mental et affectif.
chacun une envie, une appétence, une nécessité, ou, déjà,
un manque et une insatisfaction. « Avoir des besoins »,
« être dans le besoin » peut même être vécu comme un
état négatif car restreignant notre liberté, ou même déva-
lorisant, nous réduisant à notre part animale.
Nos besoins sont à l'origine de notre motivation.
Quelles qu'en soient les interprétations, les besoins exis-
tent chez tout être vivant. Ils sont à l'origine de notre
motivation. S'ensuivent, pour les satisfaire, des compor-
tements de recherche active que l'on nomme Intelli-
gence, au sens d'aptitude au choix juste. Par ailleurs,
l'absence de mobilisation ou l'absence d'obtention de ce
qui pourrait satisfaire le besoin entraînent une frustration
et une sensation de manque. Les besoins sont donc
de sa mobilisation, autrement dit, de ce qui le « pousse »
à agir. Ainsi nous découvrirons que tous nos comporte-
ments s'inscrivent dans une logique de vie que nous
avons à prendre en compte, non seulement afin d'éviter
les contresens, les jugements hâtifs ou la peur de soi (et
des autres), mais aussi afin de retrouver notre juste moti-
vation à agir. Toutes nos émotions nous mènent à nous-
mêmes pour peu que nous les interprétions correcte-
ment ! 1.
La prise en considération de ces mécanismes ne nous
entraînera pas vers une étude scientifique complexe... Des besoins existentiels.
que le lecteur se rassure. Plus simplement, il s'agit de
permettre une réappropriation de notre être. Pour que
nous ne demeurions pas des étrangers à nous-mêmes,
ignorants de ce qui nous meut et de ce qui nous émeut, Les besoins fondamentaux concernant la vie [...],
la compréhension bio-logique s'impose. les émotions et les aptitudes humaines essentielles
Ces mécanismes nous parlent de nos besoins existen- sont neutres et prémoraux.
tiels, de nos sensations de manque et des réactions de
défense que nous déclenchons lorsque ces besoins ne sont Abraham Maslow,
pas écoutés : ces mots, besoins, manques, réactions de
défense, vont souvent revenir pour expliquer, raconter, Vers une psychologie de l'être.
illustrer ce qui se passe en nous. Ils sont l'interface entre
la biologie et la psychologie, participant à la fois d'une
« Besoins » : le terme signifie selon la sensibilité de
réalité organique et d'un vécu mental et affectif.
chacun une envie, une appétence, une nécessité, ou, déjà,
un manque et une insatisfaction. « Avoir des besoins »,
« être dans le besoin » peut même être vécu comme un
état négatif car restreignant notre liberté, ou même déva-
lorisant, nous réduisant à notre part animale.
Nos besoins sont à l'origine de notre motivation.
Quelles qu'en soient les interprétations, les besoins exis-
tent chez tout être vivant. Ils sont à l'origine de notre
motivation. S'ensuivent, pour les satisfaire, des compor-
tements de recherche active que l'on nomme Intelli-
gence, au sens d'aptitude au choix juste. Par ailleurs,
l'absence de mobilisation ou l'absence d'obtention de ce
qui pourrait satisfaire le besoin entraînent une frustration
et une sensation de manque. Les besoins sont donc
potentiellement à l'origine de la motivation comme de la lui associe des idées de soin, de tranquillité, de curiosité,
frustration, de la satisfaction comme du manque. mais aussi, dans son dérivé, d'assurance, de sûreté. Par
Les exemples ne manquent pas : pour vivre, nous ailleurs, c'est au sein de l'espace sécuritaire que peut
avons besoin d'eau ; nous buvons ainsi un à deux litres s'épanouir la liberté !
d'eau par jour, sous forme liquide mais aussi sous forme Sécurité, = Sûreté, + Liberté. Le besoin de sécurité est
de fruits ou de légumes. C'est là notre intelligence. En à l'origine d'une aptitude bien spécifique : se protéger
cas de privation, nous éprouvons la soif, signal du man- du danger et donc créer, inventer ce qui favorise le soin
que d'eau dans le corps. De même, lorsque nous avons et la protection. Il est donc à l'origine d'une forme
besoin de nourriture : nous la recherchons, la préparons d'intelligence orientée vers un maintien de la sécurité
et la mangeons. C'est là notre intelligence. En cas de indispensable à la vie, et son corollaire, la liberté.
manque, nous éprouvons une sensation de faim. Le Biologiquement, cette sécurité passe par l'expression
besoin de se reproduire nous pousse vers l'autre sexe et du corps : mens sana in corpore sano, « un esprit sain
nous motive à créer une famille. La privation est source dans un corps sain », illustre au mieux la satisfaction
de frustration. de ce besoin. En voici les expressions spécifiques.
Boire, manger, se reproduire... ces trois besoins sont
primaires : nous les partageons sans honte avec l'ensem- Expressions individuelles.
ble du règne animal. Nous n'y reviendrons que pour faci-
Bouger ! Bouger, c'est assurer sa capacité à mettre
liter la compréhension des mécanismes biologiques.
son corps hors de danger ! Sentir la tonicité des mem-
Ceux sur lesquels nous allons nous pencher sont secon-
bres, des articulations, échauffer ses muscles, entraîner
daires mais tout aussi fondamentaux : il s'agit de besoins
son corps, vérifier qu'il est mobilisable à tout instant,
de sécurité, d'identité et de réalité d'être. Ils assurent tout
c'est satisfaire sa sécurité et sa liberté.
autant que les précédents notre besoin fondamental
Observer ! Le sens de l'observation est l'aptitude à
d'intégrité, tant physiologique que psychique, commun
repérer ce qui nous est nécessaire pour nous assurer. Nos
à l'ensemble du vivant. L'être humain est mû par son
cinq sens captent les informations et les éprouvent en
aspiration à être et demeurer intègre. La sécurité, l'iden-
fonction du besoin de sécurité. Quand nous sommes en
tité et la réalité d'être sont les trois formes d'expression
situation de danger, nous devenons plus observateurs
de ce besoin primordial.
pour gagner en sûreté et notre sens visuel est particuliè-
rement sollicité. Anticiper et prévoir les risques éven-
La reconnaissance de ses besoins est le passage tuels complètent cette intelligence : il s'agit de « voir à
nécessaire pour la connaissance de soi.
l'avance » ce qui peut entraver le bien-être et d'agir en
conséquence. Le besoin active ainsi la projection de la
pensée...
Le besoin de sécurité. Penser ! Le besoin de sécurité développe la pensée.
Ce geste mental nous fait donner du crédit à ce qui est
Besoin fondamental, biologique, il est enraciné dans perçu par nos cinq sens. Car la sécurité ne se contente
le cerveau archaïque de chacun. Le mot vient du latin pas de stimuler la vision, elle nécessite de notre part une
cura qui signifie le « soin », mais aussi le « souci ». On pensée de nos perceptions, que celles-ci soient externes
potentiellement à l'origine de la motivation comme de la lui associe des idées de soin, de tranquillité, de curiosité,
frustration, de la satisfaction comme du manque. mais aussi, dans son dérivé, d'assurance, de sûreté. Par
Les exemples ne manquent pas : pour vivre, nous ailleurs, c'est au sein de l'espace sécuritaire que peut
avons besoin d'eau ; nous buvons ainsi un à deux litres s'épanouir la liberté !
d'eau par jour, sous forme liquide mais aussi sous forme Sécurité, = Sûreté, + Liberté. Le besoin de sécurité est
de fruits ou de légumes. C'est là notre intelligence. En à l'origine d'une aptitude bien spécifique : se protéger
cas de privation, nous éprouvons la soif, signal du man- du danger et donc créer, inventer ce qui favorise le soin
que d'eau dans le corps. De même, lorsque nous avons et la protection. Il est donc à l'origine d'une forme
besoin de nourriture : nous la recherchons, la préparons d'intelligence orientée vers un maintien de la sécurité
et la mangeons. C'est là notre intelligence. En cas de indispensable à la vie, et son corollaire, la liberté.
manque, nous éprouvons une sensation de faim. Le Biologiquement, cette sécurité passe par l'expression
besoin de se reproduire nous pousse vers l'autre sexe et du corps : mens sana in corpore sano, « un esprit sain
nous motive à créer une famille. La privation est source dans un corps sain », illustre au mieux la satisfaction
de frustration. de ce besoin. En voici les expressions spécifiques.
Boire, manger, se reproduire... ces trois besoins sont
primaires : nous les partageons sans honte avec l'ensem- Expressions individuelles.
ble du règne animal. Nous n'y reviendrons que pour faci-
Bouger ! Bouger, c'est assurer sa capacité à mettre
liter la compréhension des mécanismes biologiques.
son corps hors de danger ! Sentir la tonicité des mem-
Ceux sur lesquels nous allons nous pencher sont secon-
bres, des articulations, échauffer ses muscles, entraîner
daires mais tout aussi fondamentaux : il s'agit de besoins
son corps, vérifier qu'il est mobilisable à tout instant,
de sécurité, d'identité et de réalité d'être. Ils assurent tout
c'est satisfaire sa sécurité et sa liberté.
autant que les précédents notre besoin fondamental
Observer ! Le sens de l'observation est l'aptitude à
d'intégrité, tant physiologique que psychique, commun
repérer ce qui nous est nécessaire pour nous assurer. Nos
à l'ensemble du vivant. L'être humain est mû par son
cinq sens captent les informations et les éprouvent en
aspiration à être et demeurer intègre. La sécurité, l'iden-
fonction du besoin de sécurité. Quand nous sommes en
tité et la réalité d'être sont les trois formes d'expression
situation de danger, nous devenons plus observateurs
de ce besoin primordial.
pour gagner en sûreté et notre sens visuel est particuliè-
rement sollicité. Anticiper et prévoir les risques éven-
La reconnaissance de ses besoins est le passage tuels complètent cette intelligence : il s'agit de « voir à
nécessaire pour la connaissance de soi.
l'avance » ce qui peut entraver le bien-être et d'agir en
conséquence. Le besoin active ainsi la projection de la
pensée...
Le besoin de sécurité. Penser ! Le besoin de sécurité développe la pensée.
Ce geste mental nous fait donner du crédit à ce qui est
Besoin fondamental, biologique, il est enraciné dans perçu par nos cinq sens. Car la sécurité ne se contente
le cerveau archaïque de chacun. Le mot vient du latin pas de stimuler la vision, elle nécessite de notre part une
cura qui signifie le « soin », mais aussi le « souci ». On pensée de nos perceptions, que celles-ci soient externes
ou internes. Penser donne du poids et de la réalité à ce ressourcement, parce qu'ils sont à l'origine d'une sensa-
que nous voyons. Chacun a déjà fait l'expérience de tion de protection : « Là, je sais que je suis tranquille, je
regarder sans voir, c'est-à-dire de regarder sans penser peux me retrouver, me relâcher, me détendre... enfin. »
ce qui est vu. La pensée primordiale concerne alors notre Ce besoin individuel projeté sur les autres, devient col-
sécurité et notre liberté. Les informations extérieures lectif et prend la forme d'un souci commun de sécurité.
sont intériorisées, les sensations intérieures sont réflé- Dans sa version moderne, il est devenu le « droit au loge-
chies : nous pensons ce que nous percevons et réfléchis- ment » et l'attention à ce que chacun bénéficie d'un toit
sons nos sensations. Cette aptitude est perceptible par pour le protéger et l'abriter.
chacun de nous : en situation d'insécurité, nous nous S' organiser ! Q u ' i l s'agisse de mettre de l'ordre
entendons penser beaucoup plus, beaucoup plus fort. Au dans ses pensées ou dans la société, la motivation est la
contraire, en situation connue et sans périls, la pensée même, l'organisation est le garant de notre sécurité.
n'est guère mobilisée. Elle est automatisée. Parce que, sans ordre, on ne s'y retrouve pas, et l'on se
perd. Sans ordre, pas de repères, et donc danger possi-
Expressions collectives. ble ! Dans tous les temps d'agitation sociale, le mot
revient comme par enchantement, et exprime, en fait, un
Elles sont propres à la vie en groupe. impératif « bio-logique ». Aujourd'hui comme hier.
(Se) soigner ! Que le soin soit préventif ou curatif, il Le débat perdure entre tenants d'un ordre répressif et
demeure l'expression du besoin de préserver ou de tenants de ce qui peut, dans un cadre donné, augmenter
recouvrer la santé, c'est-à-dire le bien-être de son corps, la sécurité, entre peur du désordre et création de repères.
mais aussi celui de ceux qui nous entourent. Si le souci L'organisation est l'« art » d'inventer des repères. Le
de santé apparaît prioritaire dans nombre de sondages << repérage » est le fruit de l'observation et de la pensée.
auprès des Français, on aurait tort de n'y voir que la peur Être en sécurité, c'est trouver des repères qui nous indi-
de la maladie. Ce souci exprime d'abord le besoin de se quent en cas de danger le chemin de l'abri, matériel,
sentir bien portant. Le besoin d'être en sécurité dans son affectif ou spirituel. Des repères pour un repaire ! Les
corps incite à en prendre soin, à le soigner quand il est deux termes ont la même origine étymologique, signi-
malade. Ce même besoin est à l'origine du soin de l'autre fient pour l'un « retour jusqu'à un certain point », pour
et du souci de la collectivité qui veut préserver la santé l'autre, « retour sur soi ». Les visages, les lieux, les mots,
de chacun. Il y a une vraie nécessité à ce que l'ensemble les situations connus assurent notre tranquillité. Symbo-
des individus aillent bien car l'équilibre de la société en liques tel un gri-gri, ou réels et concrets, les repères sont
dépend. Ainsi, le besoin de sécurité s'étend au corps col- comme des indices que l'on crée sur sa route, intérieure
lectif et la santé devient un bien commun. ou extérieure, et auxquels on croit. La peur de l'inconnu
(Se) protéger, s' abriter ! Qui dit sécurité dit abri. que chacun peut éprouver naît d'abord de l'absence de
Celui-ci permet de se sentir en sûreté, de se reposer, non repères sur lesquels fonder sa sécurité. La peur disparaît
tant de la fatigue que de la nécessité de la vigilance dès au fur et à mesure que notre intelligence note et pense
lors que nous sortons de l'abri, du cadre connu. Maison, des repères, en crée de nouveaux et s'organise. Petit à
cadre familial ou professionnel, espace de loisirs, autant petit, nous voilà en terrain connu, donc plus en sécurité.
de lieux dans lesquels nous pouvons nous retrancher de La situation peut ne pas avoir changé, les dangers peu-
l'extérieur, autant de lieux doués des mêmes vertus de vent être les mêmes, nous nous sentons dès lors mieux
ou internes. Penser donne du poids et de la réalité à ce ressourcement, parce qu'ils sont à l'origine d'une sensa-
que nous voyons. Chacun a déjà fait l'expérience de tion de protection : « Là, je sais que je suis tranquille, je
regarder sans voir, c'est-à-dire de regarder sans penser peux me retrouver, me relâcher, me détendre... enfin. »
ce qui est vu. La pensée primordiale concerne alors notre Ce besoin individuel projeté sur les autres, devient col-
sécurité et notre liberté. Les informations extérieures lectif et prend la forme d'un souci commun de sécurité.
sont intériorisées, les sensations intérieures sont réflé- Dans sa version moderne, il est devenu le « droit au loge-
chies : nous pensons ce que nous percevons et réfléchis- ment » et l'attention à ce que chacun bénéficie d'un toit
sons nos sensations. Cette aptitude est perceptible par pour le protéger et l'abriter.
chacun de nous : en situation d'insécurité, nous nous S' organiser ! Q u ' i l s'agisse de mettre de l'ordre
entendons penser beaucoup plus, beaucoup plus fort. Au dans ses pensées ou dans la société, la motivation est la
contraire, en situation connue et sans périls, la pensée même, l'organisation est le garant de notre sécurité.
n'est guère mobilisée. Elle est automatisée. Parce que, sans ordre, on ne s'y retrouve pas, et l'on se
perd. Sans ordre, pas de repères, et donc danger possi-
Expressions collectives. ble ! Dans tous les temps d'agitation sociale, le mot
revient comme par enchantement, et exprime, en fait, un
Elles sont propres à la vie en groupe. impératif « bio-logique ». Aujourd'hui comme hier.
(Se) soigner ! Que le soin soit préventif ou curatif, il Le débat perdure entre tenants d'un ordre répressif et
demeure l'expression du besoin de préserver ou de tenants de ce qui peut, dans un cadre donné, augmenter
recouvrer la santé, c'est-à-dire le bien-être de son corps, la sécurité, entre peur du désordre et création de repères.
mais aussi celui de ceux qui nous entourent. Si le souci L'organisation est l'« art » d'inventer des repères. Le
de santé apparaît prioritaire dans nombre de sondages << repérage » est le fruit de l'observation et de la pensée.
auprès des Français, on aurait tort de n'y voir que la peur Être en sécurité, c'est trouver des repères qui nous indi-
de la maladie. Ce souci exprime d'abord le besoin de se quent en cas de danger le chemin de l'abri, matériel,
sentir bien portant. Le besoin d'être en sécurité dans son affectif ou spirituel. Des repères pour un repaire ! Les
corps incite à en prendre soin, à le soigner quand il est deux termes ont la même origine étymologique, signi-
malade. Ce même besoin est à l'origine du soin de l'autre fient pour l'un « retour jusqu'à un certain point », pour
et du souci de la collectivité qui veut préserver la santé l'autre, « retour sur soi ». Les visages, les lieux, les mots,
de chacun. Il y a une vraie nécessité à ce que l'ensemble les situations connus assurent notre tranquillité. Symbo-
des individus aillent bien car l'équilibre de la société en liques tel un gri-gri, ou réels et concrets, les repères sont
dépend. Ainsi, le besoin de sécurité s'étend au corps col- comme des indices que l'on crée sur sa route, intérieure
lectif et la santé devient un bien commun. ou extérieure, et auxquels on croit. La peur de l'inconnu
(Se) protéger, s' abriter ! Qui dit sécurité dit abri. que chacun peut éprouver naît d'abord de l'absence de
Celui-ci permet de se sentir en sûreté, de se reposer, non repères sur lesquels fonder sa sécurité. La peur disparaît
tant de la fatigue que de la nécessité de la vigilance dès au fur et à mesure que notre intelligence note et pense
lors que nous sortons de l'abri, du cadre connu. Maison, des repères, en crée de nouveaux et s'organise. Petit à
cadre familial ou professionnel, espace de loisirs, autant petit, nous voilà en terrain connu, donc plus en sécurité.
de lieux dans lesquels nous pouvons nous retrancher de La situation peut ne pas avoir changé, les dangers peu-
l'extérieur, autant de lieux doués des mêmes vertus de vent être les mêmes, nous nous sentons dès lors mieux
et plus sûrs de nous... Ce souci d'organisation indivi- Le courage et l'audace sont des vertus morales...
duelle ou sociale comprend la désignation de priorités : motivées par la recherche de sécurité ! Elles se manifes-
est prioritaire ce qui, dans l'immédiat ou à long terme, tent dans l'appréciation des risques... et sont donc liées
fournit de la sécurité. à la biologie. De cette évaluation, nous pensons alors
qu'il est plus efficace, pour tenter de garantir son inté-
Les valeurs du besoin de sécurité. grité, de prendre des risques que de s'abstenir d'agir.
Cette pesée du « pour ou contre » est automatique. Elle
Le besoin de sécurité nous fait tendre vers deux maintient le cap sur le besoin, même si, en apparence,
idéaux. Deux pôles qui, loin de se contrarier, peuvent se l'acte est jugé dangereux, voire insensé par les autres.
conforter.
Tout d'abord : la fiabilité, la possibilité de se fier à La peur, signal de l'insécurité.
soi, à une personne comme à un objet matériel. Le besoin
de se sentir en sécurité permet de créer une relation sûre, Que nous nous sentions frustrés dans notre besoin de
solide, autrement dit, sans risque. Cette fiabilité, en soi, sécurité, et la peur déclenche à la fois un état d'urgence
en l'autre ou en l'objet, est bien sûr à l'origine de la et une réaction de défense. De la simple fébrilité à la crise
confiance. Celle-ci, souvent brandie comme une néces- de panique, le message est le même : insécurité, et dan-
sité pour réussir sa vie, s'acquiert en réalité en expéri- ger. La peur est à ce titre indispensable au maintien de
mentant ses propres possibilités de créer des repères. la vie. Cette émotion réactive notre intelligence pour
Ensuite : la liberté. Apparemment en contradiction, satisfaire dans l'urgence et à court terme notre besoin de
sécurité et liberté sont pourtant indissociables au niveau sécurité. Ce danger réside alors dans l'enfermement, la
bio-logique. Car sécurité ne veut pas dire enfermement, limitation. L'impossibilité à assurer sa sécurité et sa
et liberté ne signifie pas danger. Les deux aspirations liberté menace notre intégrité et entraîne automatique-
sont complémentaires puisque, pour assurer notre tran- ment une réaction de défense : la fuite. Celle-ci peut
quillité, nous avons besoin d'une liberté de moyens, à s'avérer efficace, « je peux fuir », ou inefficace,
commencer par une liberté de mouvements et de pensée. « je ne peux pas fuir ». Dans le premier cas, la peur
Être libre, c'est s'assurer un éventail de choix. Liberté « donne des ailes », dans le second, elle « paralyse » et
signifie « possible » plus qu'absence de contraintes. Cel- nous oblige à trouver une autre stratégie défensive.
les-ci, vécues comme un enfermement ou une limitation,
sont désécurisantes : elles nous rendent dépendants de La confiance, témoin de sécurité.
l'extérieur, ou de l'autre, et nous privent de notre intelli-
gence. Il y a un danger potentiel ! La liberté, valeur bio- La confiance est un état. Elle ne se décrète pas, ne
logique, s'inscrit dans un espace de sécurité. L'inventivité s'exige pas, ne relève pas d'un raisonnement abstrait ou
est intimement liée à la liberté. Elle procède du souci de objectif. Elle se ressent lorsque le besoin de sécurité est
consolider nos repères, donc d'un souci d'efficacité pour satisfait et vient confirmer la justesse de notre pensée de
concrétiser l'abri et la liberté. Quelles que soient les l'événement. Elle arrive comme la « cerise sur le
inventions, elles sont guidées par ce même besoin fon- gâteau ». Car il convient de se sécuriser pour être confiant
damental. Ne parlons-nous pas de liberté accrue grâce et non d'être confiant pour se sécuriser. Telle est la logi-
aux nouvelles technologies ? que du vivant. La confiance alors seulement s'installe, se
et plus sûrs de nous... Ce souci d'organisation indivi- Le courage et l'audace sont des vertus morales...
duelle ou sociale comprend la désignation de priorités : motivées par la recherche de sécurité ! Elles se manifes-
est prioritaire ce qui, dans l'immédiat ou à long terme, tent dans l'appréciation des risques... et sont donc liées
fournit de la sécurité. à la biologie. De cette évaluation, nous pensons alors
qu'il est plus efficace, pour tenter de garantir son inté-
Les valeurs du besoin de sécurité. grité, de prendre des risques que de s'abstenir d'agir.
Cette pesée du « pour ou contre » est automatique. Elle
Le besoin de sécurité nous fait tendre vers deux maintient le cap sur le besoin, même si, en apparence,
idéaux. Deux pôles qui, loin de se contrarier, peuvent se l'acte est jugé dangereux, voire insensé par les autres.
conforter.
Tout d'abord : la fiabilité, la possibilité de se fier à La peur, signal de l'insécurité.
soi, à une personne comme à un objet matériel. Le besoin
de se sentir en sécurité permet de créer une relation sûre, Que nous nous sentions frustrés dans notre besoin de
solide, autrement dit, sans risque. Cette fiabilité, en soi, sécurité, et la peur déclenche à la fois un état d'urgence
en l'autre ou en l'objet, est bien sûr à l'origine de la et une réaction de défense. De la simple fébrilité à la crise
confiance. Celle-ci, souvent brandie comme une néces- de panique, le message est le même : insécurité, et dan-
sité pour réussir sa vie, s'acquiert en réalité en expéri- ger. La peur est à ce titre indispensable au maintien de
mentant ses propres possibilités de créer des repères. la vie. Cette émotion réactive notre intelligence pour
Ensuite : la liberté. Apparemment en contradiction, satisfaire dans l'urgence et à court terme notre besoin de
sécurité et liberté sont pourtant indissociables au niveau sécurité. Ce danger réside alors dans l'enfermement, la
bio-logique. Car sécurité ne veut pas dire enfermement, limitation. L'impossibilité à assurer sa sécurité et sa
et liberté ne signifie pas danger. Les deux aspirations liberté menace notre intégrité et entraîne automatique-
sont complémentaires puisque, pour assurer notre tran- ment une réaction de défense : la fuite. Celle-ci peut
quillité, nous avons besoin d'une liberté de moyens, à s'avérer efficace, « je peux fuir », ou inefficace,
commencer par une liberté de mouvements et de pensée. « je ne peux pas fuir ». Dans le premier cas, la peur
Être libre, c'est s'assurer un éventail de choix. Liberté « donne des ailes », dans le second, elle « paralyse » et
signifie « possible » plus qu'absence de contraintes. Cel- nous oblige à trouver une autre stratégie défensive.
les-ci, vécues comme un enfermement ou une limitation,
sont désécurisantes : elles nous rendent dépendants de La confiance, témoin de sécurité.
l'extérieur, ou de l'autre, et nous privent de notre intelli-
gence. Il y a un danger potentiel ! La liberté, valeur bio- La confiance est un état. Elle ne se décrète pas, ne
logique, s'inscrit dans un espace de sécurité. L'inventivité s'exige pas, ne relève pas d'un raisonnement abstrait ou
est intimement liée à la liberté. Elle procède du souci de objectif. Elle se ressent lorsque le besoin de sécurité est
consolider nos repères, donc d'un souci d'efficacité pour satisfait et vient confirmer la justesse de notre pensée de
concrétiser l'abri et la liberté. Quelles que soient les l'événement. Elle arrive comme la « cerise sur le
inventions, elles sont guidées par ce même besoin fon- gâteau ». Car il convient de se sécuriser pour être confiant
damental. Ne parlons-nous pas de liberté accrue grâce et non d'être confiant pour se sécuriser. Telle est la logi-
aux nouvelles technologies ? que du vivant. La confiance alors seulement s'installe, se
déploie, sans pour autant être jamais acquise une fois tinctes. S'identifier, c'est être capable d'associer à notre
pour toutes. Car la confiance ne cesse de s'apprendre. nom nos « qualités » et propriétés essentielles, homme,
femme, avec un statut social, avec un « bilan » à notre
actif qui nous caractérise. C'est aussi appartenir à un
Le besoin d'identité. groupe, une famille, un couple, une équipe qui nous
reconnaissent et dans lesquels nous avons une place, une
Dans la hiérarchie des besoins, il suit le besoin de fonction. C'est notre relation à nous-mêmes et à l'autre.
sécurité. « Identité » vient d'une racine indo-européenne, L'identité résonne avec l'éternelle question : « Qui suis-
ci ou i, qui a donné en latin is, ea, id, c'est- à-dire « celui », je ? » Père, fils aîné, cadet, protestant, soldat, cadre, syn-
« celle », « ce », « cette », « le », « la ». Un même point dicaliste, fermier... Elle ouvre un espace où se définir,
de départ pour déterminer et différencier, mais aussi entre appartenance et différence.
pour... unir dans l'identique. Le besoin d'identité, biolo-
giquement inhérent à l'être, est à l'origine d'une aptitude Expressions individuelles.
bien définie, celle de créer, d'inventer ce qui procure de
l'identité, de la détermination, comme celle de se proté- S'affirmer ! C'est tenir ferme face au danger. La
ger de ce qui la menace (un autre ou une situation). force physique, d'abord, mais aussi mentale, est alors
L'identité motive l'aptitude à déterminer, à représenter. déterminante. Quand bouger n'assure pas ou plus l'inté-
Habitués à parler, à nommer hommes et choses, à juger, grité, le « relais » est pris par une affirmation de soi.
à ne pas douter d'être soi et non un autre, nous en Cette force a de multiples formes d'expression : fermeté,
« oublions », à la source, la motivation à se définir soi, puissance, capacité, vigueur, prouesse, victoire... l'iden-
et d'abord dans la différence par rapport à ce qui n'est tité physique exprime en fait un besoin à part entière :
pas soi. A définir une chose par rapport à une autre. À celui d'être « plus soi », plus déterminé.
définir l'autre par rapport à soi. Le rapport... de forces (Se) décider, qui a la même racine étymologique que
n'est qu'une réaction défensive du besoin d'être reconnu. « ciseau » et « couper », prolonge cette force physique.
Toute décision porte notre marque : nous nous coupons
Identité, = Appartenance, + Différence.
des autres choix possibles et affirmons le nôtre. Raison-
Le besoin d'identité est un corollaire de la vie en col-
née ou intuitive, elle nous différencie et nous précise à
lectivité : si l'homme avait vécu et évolué en solitaire ou
nous-mêmes comme aux autres.
en tout petits groupes, aurait-il eu besoin d'affirmer son
identité ? En société, se reconnaître soi au sein d'un (Se) nommer ! Attribuer un nom, représenter par des
groupe, donner un nom, une fonction à chacun, à son envi- images et des mots la nature complètent l'identité en per-
ronnement, est une nécessité vitale. Nous devenons un mettant la reconnaissance. Habitués à parler, voire à pren-
« moi » différent des autres mais aussi inclus dans « cette » dre les mots pour ce qu'ils représentent, nous en oublions
famille, dans « cette » nation. Nous y avons « cette » place, la fonction de la parole : celle-ci participe à l'identifica-
« cette » fonction, « ce » territoire, reconnu, identifié, ou a tion de soi parmi les autres, comme eux et différent d'eux.
faire reconnaître. Alors, ces éléments deviennent « ma »
famille, « ma » nation, « mon » quartier, « ma » place... Expressions collectives.
L'identité passe par notre nom, notre empreinte, notre
signature, notre image, nettement reconnaissables et dis- L'identité et l'utilisation du langage ont de la valeur,

et du sens , au sein d'un groupe d'individus. On ne


déploie, sans pour autant être jamais acquise une fois tinctes. S'identifier, c'est être capable d'associer à notre
pour toutes. Car la confiance ne cesse de s'apprendre. nom nos « qualités » et propriétés essentielles, homme,
femme, avec un statut social, avec un « bilan » à notre
actif qui nous caractérise. C'est aussi appartenir à un
Le besoin d'identité. groupe, une famille, un couple, une équipe qui nous
reconnaissent et dans lesquels nous avons une place, une
Dans la hiérarchie des besoins, il suit le besoin de fonction. C'est notre relation à nous-mêmes et à l'autre.
sécurité. « Identité » vient d'une racine indo-européenne, L'identité résonne avec l'éternelle question : « Qui suis-
ci ou i, qui a donné en latin is, ea, id, c'est- à-dire « celui », je ? » Père, fils aîné, cadet, protestant, soldat, cadre, syn-
« celle », « ce », « cette », « le », « la ». Un même point dicaliste, fermier... Elle ouvre un espace où se définir,
de départ pour déterminer et différencier, mais aussi entre appartenance et différence.
pour... unir dans l'identique. Le besoin d'identité, biolo-
giquement inhérent à l'être, est à l'origine d'une aptitude Expressions individuelles.
bien définie, celle de créer, d'inventer ce qui procure de
l'identité, de la détermination, comme celle de se proté- S'affirmer ! C'est tenir ferme face au danger. La
ger de ce qui la menace (un autre ou une situation). force physique, d'abord, mais aussi mentale, est alors
L'identité motive l'aptitude à déterminer, à représenter. déterminante. Quand bouger n'assure pas ou plus l'inté-
Habitués à parler, à nommer hommes et choses, à juger, grité, le « relais » est pris par une affirmation de soi.
à ne pas douter d'être soi et non un autre, nous en Cette force a de multiples formes d'expression : fermeté,
« oublions », à la source, la motivation à se définir soi, puissance, capacité, vigueur, prouesse, victoire... l'iden-
et d'abord dans la différence par rapport à ce qui n'est tité physique exprime en fait un besoin à part entière :
pas soi. A définir une chose par rapport à une autre. À celui d'être « plus soi », plus déterminé.
définir l'autre par rapport à soi. Le rapport... de forces (Se) décider, qui a la même racine étymologique que
n'est qu'une réaction défensive du besoin d'être reconnu. « ciseau » et « couper », prolonge cette force physique.
Toute décision porte notre marque : nous nous coupons
Identité, = Appartenance, + Différence.
des autres choix possibles et affirmons le nôtre. Raison-
Le besoin d'identité est un corollaire de la vie en col-
née ou intuitive, elle nous différencie et nous précise à
lectivité : si l'homme avait vécu et évolué en solitaire ou
nous-mêmes comme aux autres.
en tout petits groupes, aurait-il eu besoin d'affirmer son
identité ? En société, se reconnaître soi au sein d'un (Se) nommer ! Attribuer un nom, représenter par des
groupe, donner un nom, une fonction à chacun, à son envi- images et des mots la nature complètent l'identité en per-
ronnement, est une nécessité vitale. Nous devenons un mettant la reconnaissance. Habitués à parler, voire à pren-
« moi » différent des autres mais aussi inclus dans « cette » dre les mots pour ce qu'ils représentent, nous en oublions
famille, dans « cette » nation. Nous y avons « cette » place, la fonction de la parole : celle-ci participe à l'identifica-
« cette » fonction, « ce » territoire, reconnu, identifié, ou a tion de soi parmi les autres, comme eux et différent d'eux.
faire reconnaître. Alors, ces éléments deviennent « ma »
famille, « ma » nation, « mon » quartier, « ma » place... Expressions collectives.
L'identité passe par notre nom, notre empreinte, notre
signature, notre image, nettement reconnaissables et dis- L'identité et l'utilisation du langage ont de la valeur,

et du sens , au sein d'un groupe d'individus. On ne


parle pas tout seul, sauf quand s'entendre parler soi- La hiérarchie, elle, est l'expression de l'ordre inhé-
même tente de pallier l'absence de ceux qui pourraient rent au besoin d'identité. Elle ne se limite pas à son
nous entendre. L'identité individuelle, le JE, devient aspect pyramidal, du plus puissant au moins puissant,
en effet un moyen d'organiser la cohésion du groupe si mais structure également le groupe en donnant à cha-
chacun y a une fonction. L'identité collective, le NOUS, cun une place reconnue, qui peut évoluer selon les évé-
devient un moyen d'augmenter la force de chacun... Alors nements, le mérite, le temps... Elle est nécessaire au bon
tous gagnent en intégrité. Le NOUS s'articule avec le JE dans fonctionnement d'une collectivité, chacun y trouve une
l'espace identitaire entre l'appartenance et la différence. place et peut exprimer son identité à travers son occupa-
C'est là que se manifestent les affinités et la hiérarchie. tion, dans le cadre de ses responsabilités propres. La
Se définir soi vis-à-vis de l'autre, des autres selon reconnaissance passe alors par l'activité. Celle-ci garan-
ses affinités. Celles-ci sont à l'origine de la formation tit en même temps une liberté et un pouvoir d'action dans
d'un groupe, petit comme le couple, grand comme une son propre domaine, et devient une source de différen-
nation, ou même l'humanité. Elles nous rassemblent, ciation. L'invention et l'affirmation de l'identité person-
nous poussant à nous allier aux autres dans lesquels nous nelle se renforcent en même temps que la cohérence et
nous reconnaissons. Si le terme d'« affinité » n'est plus la cohésion du groupe.
guère employé, au profit du mot « amour », il définit
pourtant mieux le « mécanisme » bio-logique inhérent au
besoin d'identité : les rencontres, les échanges, les maria- Valeurs du besoin d'identité.
ges, la cohésion d'un réseau se font selon des affinités Le besoin d'identité nous fait tendre vers deux idéaux.
communes. L'appartenance à un groupe nous rend plus Deux pôles qui s'étaient l'un l'autre.
forts et renforce notre identité. Nous nous reconnaissons La reconnaissance. Elle est au cœur du besoin d'iden-
les uns les autres et partageons une (même) identité à tité. Être reconnu par son entourage est indispensable
travers un nom, un projet, un destin ou une difficulté col- pour vivre au sein d'un groupe, ou en couple, et ce bien
lectifs. Le mariage ritualise ce besoin : l'épouse et les avant les sentiments d'amour, d'amitié ou même d'affec-
enfants prennent le nom de l'homme, adoptent une iden- tion : être reconnu par soi et par les autres, à la fois dans
tité commune. Cette reconnaissance mutuelle grâce à des son appartenance et sa différence, dans son nom, sa
affinités nous permet de nous identifier les uns aux autres valeur, son territoire, mais aussi reconnaître les autres.
et développe l'altruisme et le désir de protéger le groupe Cette organisation de l'identité se fait notamment au
et l'autre comme soi-même. En protégeant, nous conti- moyen de signes, les signes de reconnaissance, qui
nuons de créer alors notre propre identité. Porter atten- sont les r e p è r e s de ce besoin et fondent la relation et
tion, veiller sur l'autre, la communauté ou le territoire, donc l'intégration, ou l'exclusion, dans le groupe
porter secours répondent à une logique identitaire, qui ou la société.
n'est pas motivée par un « simple » souci de sécurité : il L'estime. L'aptitude à estimer, à reconnaître un
convient de se battre pour que soi-même, notre famille mérite ou à donner une valeur, est fondamentale : elle
ou notre pays avec lesquels nous nous identifions permet de discerner, en soi, dans un groupe ou parmi des
conservent, ou retrouvent, leur nom, leur territoire. événements, ce qui ajoute de l'identité, et donc de la vie.
Sans eux, le JE pourrait ne plus exister. Évaluer, apprécier ses aptitudes, sa valeur et son mérite
comme ceux des autres, satisfait le besoin d'identité. En
parle pas tout seul, sauf quand s'entendre parler soi- La hiérarchie, elle, est l'expression de l'ordre inhé-
même tente de pallier l'absence de ceux qui pourraient rent au besoin d'identité. Elle ne se limite pas à son
nous entendre. L'identité individuelle, le JE, devient aspect pyramidal, du plus puissant au moins puissant,
en effet un moyen d'organiser la cohésion du groupe si mais structure également le groupe en donnant à cha-
chacun y a une fonction. L'identité collective, le NOUS, cun une place reconnue, qui peut évoluer selon les évé-
devient un moyen d'augmenter la force de chacun... Alors nements, le mérite, le temps... Elle est nécessaire au bon
tous gagnent en intégrité. Le NOUS s'articule avec le JE dans fonctionnement d'une collectivité, chacun y trouve une
l'espace identitaire entre l'appartenance et la différence. place et peut exprimer son identité à travers son occupa-
C'est là que se manifestent les affinités et la hiérarchie. tion, dans le cadre de ses responsabilités propres. La
Se définir soi vis-à-vis de l'autre, des autres selon reconnaissance passe alors par l'activité. Celle-ci garan-
ses affinités. Celles-ci sont à l'origine de la formation tit en même temps une liberté et un pouvoir d'action dans
d'un groupe, petit comme le couple, grand comme une son propre domaine, et devient une source de différen-
nation, ou même l'humanité. Elles nous rassemblent, ciation. L'invention et l'affirmation de l'identité person-
nous poussant à nous allier aux autres dans lesquels nous nelle se renforcent en même temps que la cohérence et
nous reconnaissons. Si le terme d'« affinité » n'est plus la cohésion du groupe.
guère employé, au profit du mot « amour », il définit
pourtant mieux le « mécanisme » bio-logique inhérent au
besoin d'identité : les rencontres, les échanges, les maria- Valeurs du besoin d'identité.
ges, la cohésion d'un réseau se font selon des affinités Le besoin d'identité nous fait tendre vers deux idéaux.
communes. L'appartenance à un groupe nous rend plus Deux pôles qui s'étaient l'un l'autre.
forts et renforce notre identité. Nous nous reconnaissons La reconnaissance. Elle est au cœur du besoin d'iden-
les uns les autres et partageons une (même) identité à tité. Être reconnu par son entourage est indispensable
travers un nom, un projet, un destin ou une difficulté col- pour vivre au sein d'un groupe, ou en couple, et ce bien
lectifs. Le mariage ritualise ce besoin : l'épouse et les avant les sentiments d'amour, d'amitié ou même d'affec-
enfants prennent le nom de l'homme, adoptent une iden- tion : être reconnu par soi et par les autres, à la fois dans
tité commune. Cette reconnaissance mutuelle grâce à des son appartenance et sa différence, dans son nom, sa
affinités nous permet de nous identifier les uns aux autres valeur, son territoire, mais aussi reconnaître les autres.
et développe l'altruisme et le désir de protéger le groupe Cette organisation de l'identité se fait notamment au
et l'autre comme soi-même. En protégeant, nous conti- moyen de signes, les signes de reconnaissance, qui
nuons de créer alors notre propre identité. Porter atten- sont les r e p è r e s de ce besoin et fondent la relation et
tion, veiller sur l'autre, la communauté ou le territoire, donc l'intégration, ou l'exclusion, dans le groupe
porter secours répondent à une logique identitaire, qui ou la société.
n'est pas motivée par un « simple » souci de sécurité : il L'estime. L'aptitude à estimer, à reconnaître un
convient de se battre pour que soi-même, notre famille mérite ou à donner une valeur, est fondamentale : elle
ou notre pays avec lesquels nous nous identifions permet de discerner, en soi, dans un groupe ou parmi des
conservent, ou retrouvent, leur nom, leur territoire. événements, ce qui ajoute de l'identité, et donc de la vie.
Sans eux, le JE pourrait ne plus exister. Évaluer, apprécier ses aptitudes, sa valeur et son mérite
comme ceux des autres, satisfait le besoin d'identité. En
s'évaluant, la personne se reconnaît. Elle occupe ainsi
son propre « territoire » : ce moi que chacun cherche à aimer et être aimé, et non d'aimer ou d'être aimé pour
réaliser et qui devient « narcissique » quand fragilisé, s'identifier. Alors seulement l'amour se déploie, sans
menacé, il doit se défendre. pour autant être jamais acquis. Aimer s'apprend au fur
et à mesure que notre identité se précise.
La tension et l'agressivité,
signaux du manque d'identité.
Le besoin de réalité d'être.
La tension, signal du manque d'estime de soi. Que
l'on ait du mal à s'identifier et la tension apparaît. Celle- Réalité d'être, = Harmonie, + Épanouissement per-
ci déclenche un état d'urgence pour nous amener à défen- sonnel. On peut s'étonner que le besoin de réalité d'être,
dre notre besoin. De la simple irritation à la violence, le soit biologique et à ce titre vital. Ce serait oublier qu'une
message est le même : menace sur l'identité. La peur ici
personne privée de la perception de soi se trouve « cou-
étant inefficace, le stress agressif prend le relais : mise
pée » du monde et de son environnement, affectif et
en tension de l'organisme, excitabilité, colère, énerve-
ment, << surchauffe » garantissent sa capacité à s'affir- concret. « Dernier-né » de l'évolution, le besoin de réa-
mer. Émotion distincte de la peur, cette tension a lité d'être, en trouvant sa traduction la plus évidente dans
néanmoins le même objectif : interpeller l'être sur son la conscience d'être conscient, est-il spécifique à
manque, ici, d'identité, afin de réactiver son intel- l'espèce humaine ? Ce besoin développe ici l'aptitude à
ligence à satisfaire ce besoin. Ce danger vient ici de la donner du sens, une signification à soi, à sa vie et aux
sensation de rejet. L'expérience de l'incapacité, de événements. Ce sens accordé permet d'aller « plus loin »
l'impuissance à assurer son identité, menaçante, déclen- que le souci de son bien-être, « plus loin » que la recon-
che alors un état défensif de lutte. Celui-ci peut s'avérer naissance de son identité puisqu'il introduit une orienta-
efficace, « je suis capable de vaincre », ou inefficace, tion, et donc un devenir, une projection dans le temps.
« je ne suis pas capable de vaincre ». Réussir devient Alors, les êtres humains que nous sommes peuvent se
alors une nécessité existentielle. réaliser : nous pouvons accroître notre réalité au travers
de nos actions, de nos projets, personnels et communs.
Nous faisons l'expérience de notre identité dans Comme si, après l'acquisition des repères et des valeurs,
l'espace relationnel. Ce besoin bio-logique nous incite à en accordant du sens, le besoin de réalité était venu ajou-
la fois à appartenir à un groupe et à affirmer notre diffé- ter une « touche » supplémentaire, finale ?, pour que
rence en tant qu'individu unique. l'être s'humanise. Les désirs de développement person-
nel et le désir d'harmonie sont les deux piliers de ce
L'amour, témoin d'identité. besoin qui mobilise l'initiative et l'action. Il s'agit de
comprendre ce que nous sommes venus faire au monde,
De même que la confiance, l'amour est un état qui se d'agir en fonction... et de ne pas mourir « idiots » ! De
manifeste lorsque le besoin d'identité est satisfait.
faire quelque chose de soi, selon son talent, d'agir dans
L'amour ne se décrète ni ne s'impose. Il ne relève pas
la société pour la faire évoluer. De laisser derrière soi
d'un raisonnement, mais s'éprouve et se ressent. Il vient
alors confirmer la justesse de notre estime de nous- une œuvre, aussi modeste soit-elle. Le besoin biologique
mêmes et de l'autre. Car il convient de s'identifier pour de réalité concerne notre monde personnel en cohérence
s'évaluant, la personne se reconnaît. Elle occupe ainsi
son propre « territoire » : ce moi que chacun cherche à aimer et être aimé, et non d'aimer ou d'être aimé pour
réaliser et qui devient « narcissique » quand fragilisé, s'identifier. Alors seulement l'amour se déploie, sans
menacé, il doit se défendre. pour autant être jamais acquis. Aimer s'apprend au fur
et à mesure que notre identité se précise.
La tension et l'agressivité,
signaux du manque d'identité.
Le besoin de réalité d'être.
La tension, signal du manque d'estime de soi. Que
l'on ait du mal à s'identifier et la tension apparaît. Celle- Réalité d'être, = Harmonie, + Épanouissement per-
ci déclenche un état d'urgence pour nous amener à défen- sonnel. On peut s'étonner que le besoin de réalité d'être,
dre notre besoin. De la simple irritation à la violence, le soit biologique et à ce titre vital. Ce serait oublier qu'une
message est le même : menace sur l'identité. La peur ici
personne privée de la perception de soi se trouve « cou-
étant inefficace, le stress agressif prend le relais : mise
pée » du monde et de son environnement, affectif et
en tension de l'organisme, excitabilité, colère, énerve-
ment, << surchauffe » garantissent sa capacité à s'affir- concret. « Dernier-né » de l'évolution, le besoin de réa-
mer. Émotion distincte de la peur, cette tension a lité d'être, en trouvant sa traduction la plus évidente dans
néanmoins le même objectif : interpeller l'être sur son la conscience d'être conscient, est-il spécifique à
manque, ici, d'identité, afin de réactiver son intel- l'espèce humaine ? Ce besoin développe ici l'aptitude à
ligence à satisfaire ce besoin. Ce danger vient ici de la donner du sens, une signification à soi, à sa vie et aux
sensation de rejet. L'expérience de l'incapacité, de événements. Ce sens accordé permet d'aller « plus loin »
l'impuissance à assurer son identité, menaçante, déclen- que le souci de son bien-être, « plus loin » que la recon-
che alors un état défensif de lutte. Celui-ci peut s'avérer naissance de son identité puisqu'il introduit une orienta-
efficace, « je suis capable de vaincre », ou inefficace, tion, et donc un devenir, une projection dans le temps.
« je ne suis pas capable de vaincre ». Réussir devient Alors, les êtres humains que nous sommes peuvent se
alors une nécessité existentielle. réaliser : nous pouvons accroître notre réalité au travers
de nos actions, de nos projets, personnels et communs.
Nous faisons l'expérience de notre identité dans Comme si, après l'acquisition des repères et des valeurs,
l'espace relationnel. Ce besoin bio-logique nous incite à en accordant du sens, le besoin de réalité était venu ajou-
la fois à appartenir à un groupe et à affirmer notre diffé- ter une « touche » supplémentaire, finale ?, pour que
rence en tant qu'individu unique. l'être s'humanise. Les désirs de développement person-
nel et le désir d'harmonie sont les deux piliers de ce
L'amour, témoin d'identité. besoin qui mobilise l'initiative et l'action. Il s'agit de
comprendre ce que nous sommes venus faire au monde,
De même que la confiance, l'amour est un état qui se d'agir en fonction... et de ne pas mourir « idiots » ! De
manifeste lorsque le besoin d'identité est satisfait.
faire quelque chose de soi, selon son talent, d'agir dans
L'amour ne se décrète ni ne s'impose. Il ne relève pas
la société pour la faire évoluer. De laisser derrière soi
d'un raisonnement, mais s'éprouve et se ressent. Il vient
alors confirmer la justesse de notre estime de nous- une œuvre, aussi modeste soit-elle. Le besoin biologique
mêmes et de l'autre. Car il convient de s'identifier pour de réalité concerne notre monde personnel en cohérence
avec celui des autres. Il nous fait poser la question : « Où c'est là le meilleur garant de la mémorisation. Dès lors que
vais-je ? » Puisque je suis réel, je peux devenir. nous donnons sens aux informations que nous recevons,
nous devenons plus réels, plus conscients et véritablement
Expressions individuelles. acteurs de nos vies.
Être présent ! La sensation même d'exister s'éprouve Agir ! Ce besoin motive l'initiative et l'action. Il nous
dans ce que nous nommons volontiers une « présence ». pousse à être acteurs de nos actions moins pour affirmer
Essentiellement physique, sans mouvement, sans parole, notre identité que notre réalité d'être ; ce n'est pas sim-
pour prouver notre existence, notre réalité. plement parce que je suis ceci ou cela que j'agis, mais
Comprendre ! Ce qui signifie « prendre avec », un parce que je suis, et parce que je suis un être en devenir.
geste mental souvent motivé par le besoin de réalité d'être. Ce qui pourrait paraître une forme d'orgueil correspond
Il s'agit de prendre une information avec soi, de se en fait à un geste d'humilité audacieuse qui nous permet
l'approprier. A la condition d'être présent dans ce geste. de donner du sens à nos actions, simplement parce
Quand un événement nous demeure étranger, incompré- qu'elles sont les nôtres et que nous en sommes les ini-
hensible, est-ce la langue qui est étrangère ou bien nous- tiateurs, donc les responsables : nous ne pourrons en nier
mêmes qui restons étrangers a elle tant que nous ne parti- les conséquences, aussi fâcheuses soient-elles. Comment
cipons pas à sa réalité et à la nôtre avec elle ? Quand nos assumer nos responsabilités si nous ne sommes pas à
enfants éprouvent tant de difficultés parfois à comprendre l'origine de nos actions, de nos choix, si nous ne nous
ce que nous leur disons (ou ce qu'ils apprennent à l'école), sentons pas au cœur même de nos initiatives ? Souvent
ils ne s'approprient pas ce qui leur est donné, comme s'ils nous employons le terme juste : « je réalise », quand
étaient « non réels » face à ces informations : celles-ci ne nous prenons conscience. Et, en effet, nous devenons
les informent pas car ils ne se sentent pas eux-mêmes... plus réels, nous réalisons quelque chose de nous-
formes. L'apprentissage du par cœur ou la répétition auto- mêmes.
matisée ne seront que des palliatifs. Tant que la compré- Se projeter dans sa vie. L'action est une projection
hension ne conduit pas au sens, l'enfant demeure isolé, de soi qui donne du sens à notre vie. La notion de « projet
et souvent malheureux. Comprendre, c'est aussi considé- personnel », très à la mode, reprend cette idée. Évident
rer, c'est-à-dire saisir ensemble : se saisir soi avec les pour les uns, irritant ou incompréhensible pour d'autres,
autres, avec le monde, non simplement comme un être à le projet est d'abord d'oser rendre réel, donc manifeste,
sécuriser et à identifier, mais comme un être à intégrer, ce que l'on pourrait nommer le talent ou le don. Ce
dans son ensemble, à un ensemble. C'est prendre le risque « quelque chose » dont nous sommes tous dépositaires.
que cet ensemble veuille « dire » quelque chose que nous Prendre en considération son propre talent, travailler à
avons à prendre en considération chez l'autre et chez soi. l'exprimer, à le développer, trouve sa motivation dans ce
Considérer est plus qu'un jugement ou une opinion ; il ne besoin. Talent de jardinier, de cuisinier, d'athlète, de
s'agit pas de décider mais d'intégrer à soi. Plus synthéti- penseur, de pédagogue... Quelle que soit l'action, elle
que qu'analytique, la prise en considération ne s'oppose est importante. Elle réalise une part de nous-mêmes. Par-
pas pour autant à l'analyse qu'elle complète ; le besoin de fois évidente, elle s'impose à nous aisément. Trop sou-
réalité permet en effet d'intégrer à soi ce qui est appris ou vent timides, nous avons du mal à l'entendre et à
vécu, et ainsi de se l'approprier, de l'assimiler. Bien sûr, l'entreprendre. Alors elle nous manque.
avec celui des autres. Il nous fait poser la question : « Où c'est là le meilleur garant de la mémorisation. Dès lors que
vais-je ? » Puisque je suis réel, je peux devenir. nous donnons sens aux informations que nous recevons,
nous devenons plus réels, plus conscients et véritablement
Expressions individuelles. acteurs de nos vies.
Être présent ! La sensation même d'exister s'éprouve Agir ! Ce besoin motive l'initiative et l'action. Il nous
dans ce que nous nommons volontiers une « présence ». pousse à être acteurs de nos actions moins pour affirmer
Essentiellement physique, sans mouvement, sans parole, notre identité que notre réalité d'être ; ce n'est pas sim-
pour prouver notre existence, notre réalité. plement parce que je suis ceci ou cela que j'agis, mais
Comprendre ! Ce qui signifie « prendre avec », un parce que je suis, et parce que je suis un être en devenir.
geste mental souvent motivé par le besoin de réalité d'être. Ce qui pourrait paraître une forme d'orgueil correspond
Il s'agit de prendre une information avec soi, de se en fait à un geste d'humilité audacieuse qui nous permet
l'approprier. A la condition d'être présent dans ce geste. de donner du sens à nos actions, simplement parce
Quand un événement nous demeure étranger, incompré- qu'elles sont les nôtres et que nous en sommes les ini-
hensible, est-ce la langue qui est étrangère ou bien nous- tiateurs, donc les responsables : nous ne pourrons en nier
mêmes qui restons étrangers a elle tant que nous ne parti- les conséquences, aussi fâcheuses soient-elles. Comment
cipons pas à sa réalité et à la nôtre avec elle ? Quand nos assumer nos responsabilités si nous ne sommes pas à
enfants éprouvent tant de difficultés parfois à comprendre l'origine de nos actions, de nos choix, si nous ne nous
ce que nous leur disons (ou ce qu'ils apprennent à l'école), sentons pas au cœur même de nos initiatives ? Souvent
ils ne s'approprient pas ce qui leur est donné, comme s'ils nous employons le terme juste : « je réalise », quand
étaient « non réels » face à ces informations : celles-ci ne nous prenons conscience. Et, en effet, nous devenons
les informent pas car ils ne se sentent pas eux-mêmes... plus réels, nous réalisons quelque chose de nous-
formes. L'apprentissage du par cœur ou la répétition auto- mêmes.
matisée ne seront que des palliatifs. Tant que la compré- Se projeter dans sa vie. L'action est une projection
hension ne conduit pas au sens, l'enfant demeure isolé, de soi qui donne du sens à notre vie. La notion de « projet
et souvent malheureux. Comprendre, c'est aussi considé- personnel », très à la mode, reprend cette idée. Évident
rer, c'est-à-dire saisir ensemble : se saisir soi avec les pour les uns, irritant ou incompréhensible pour d'autres,
autres, avec le monde, non simplement comme un être à le projet est d'abord d'oser rendre réel, donc manifeste,
sécuriser et à identifier, mais comme un être à intégrer, ce que l'on pourrait nommer le talent ou le don. Ce
dans son ensemble, à un ensemble. C'est prendre le risque « quelque chose » dont nous sommes tous dépositaires.
que cet ensemble veuille « dire » quelque chose que nous Prendre en considération son propre talent, travailler à
avons à prendre en considération chez l'autre et chez soi. l'exprimer, à le développer, trouve sa motivation dans ce
Considérer est plus qu'un jugement ou une opinion ; il ne besoin. Talent de jardinier, de cuisinier, d'athlète, de
s'agit pas de décider mais d'intégrer à soi. Plus synthéti- penseur, de pédagogue... Quelle que soit l'action, elle
que qu'analytique, la prise en considération ne s'oppose est importante. Elle réalise une part de nous-mêmes. Par-
pas pour autant à l'analyse qu'elle complète ; le besoin de fois évidente, elle s'impose à nous aisément. Trop sou-
réalité permet en effet d'intégrer à soi ce qui est appris ou vent timides, nous avons du mal à l'entendre et à
vécu, et ainsi de se l'approprier, de l'assimiler. Bien sûr, l'entreprendre. Alors elle nous manque.
Expressions collectives. vers ce qui nous « va bien », ce que nous éprouvons
comme «juste et bon » pour nous, vers l'expression de
Relier et se relier. Se projeter dans un destin avec ce qui nous est propre. La réalisation de soi est bio-logi-
les autres. Solidarité, actions humanitaires, droits de que : la personne est une œuvre à part entière, dans ce
l'homme, bénévolat, entraide... autant d'expressions du qu'elle est et ce qu'elle fait. Aptitude à aller « plus loin
besoin de se réaliser collectivement en développant vers soi », à se dépasser, qui fait l'étoffe des héros que
l'harmonie entre les hommes. nous prenons volontiers comme références ou modèles.
Faut-il voir par ailleurs ce besoin à la source de nos Grands saints, guerriers, inventeurs ou sages, ils ont suivi
religions (en latin, religo, religare signifie « relier ») ? leur voie et nous incitent à progresser sur la nôtre.
Celles-ci donnent du sens à la vie et à la mort. Que ce Harmonie. Parallèlement à son épanouissement per-
soit dans le cadre d'une religion identifiée ou d'une éthi- sonnel, la personne aspire à s'harmoniser avec ce et ceux
que de vie, poussés par notre désir de sens et d'harmonie, qui l'entourent. L'accord entre les personnes, entre les
nous relions êtres et événements, réalités et mystères, vie événements ne signifie en rien uniformité de vue ou
et mort et désirons participer à ce vaste ensemble le plus d'objectif, mais plutôt consensus. L'harmonie est alors
pleinement possible. ressentie comme un accomplissement, un dépassement
Éthique bio-logique. De la bio-logique dans la du désordre qui peut régner dans un conflit ou une
morale ? Ce que parents et éducateurs veulent inculquer compétition. Chacun y trouve sa place et cet ensemble
aux enfants, politesse, respect, générosité, trouve devient cohérent et juste. Nous pouvons nous accorder
sa source dans le besoin de réalité : « Si je suis réel, alors afin déjouer une mélodie harmonieuse. A chacun sa par-
l'autre l'est aussi, chacun avec ses particularités. Je peux tition. Portant chacun à faire de sa vie et de son être une
donc prendre en considération cet autre, être poli, le res- œuvre, ce besoin crée une harmonie malgré les erreurs
pecter, être généreux... Ma réalité à moi se nourrit de et les fausses notes. Un art d'ajuster les événements qui
l'attention que je porte à cet autre que moi. » Les règles nous entourent, et de nous ajuster à eux.
morales doivent-elles être apprises ? Dans leur forme
culturelle probablement. Mais dans leur fondement, elles La fatigue, signal du manque de réalité d'être.
ne s'apprennent pas, elles s'éprouvent.
Que l'on se sente frustré dans notre désir d'être, et la
Valeurs du besoin de réalité d'être. fatigue nous envahit. Elle nous force dans l'urgence et
le court terme à satisfaire notre réalité d'être. De la psy-
Ce sont nos aspirations, nos idéaux. Deux pôles qui se chasthénie à la dépression, le message est le même. Ce
confortent l'un l'autre. danger vient de la sensation d'abandon. L'absence
Progrès et développement de la personne. Dans sa d'envie et de volonté menace l'intégrité de l'être et
solitude, l'individu tend à évoluer, à progresser sur sa déclenche une réaction défensive de repli sur soi. Celle-
voie. L'homme est « fait » pour agir et son action a du ci peut s'avérer efficace, « j'arrive à m'isoler », ou
sens : le progrès est cette action qui le porte en avant. Si inefficace, « je renonce ».
l'objectif nous échappe, nous n'en poursuivons pas C'est dans l'espace personnel que nous faisons l'expé-
moins notre route avec le désir de nous développer, de rience de notre réalité d'être. Ce besoin bio-logique
nous révéler à nous-mêmes et aux autres. Nous allons mobilise notre évolution personnelle, notre recherche de
Expressions collectives. vers ce qui nous « va bien », ce que nous éprouvons
comme «juste et bon » pour nous, vers l'expression de
Relier et se relier. Se projeter dans un destin avec ce qui nous est propre. La réalisation de soi est bio-logi-
les autres. Solidarité, actions humanitaires, droits de que : la personne est une œuvre à part entière, dans ce
l'homme, bénévolat, entraide... autant d'expressions du qu'elle est et ce qu'elle fait. Aptitude à aller « plus loin
besoin de se réaliser collectivement en développant vers soi », à se dépasser, qui fait l'étoffe des héros que
l'harmonie entre les hommes. nous prenons volontiers comme références ou modèles.
Faut-il voir par ailleurs ce besoin à la source de nos Grands saints, guerriers, inventeurs ou sages, ils ont suivi
religions (en latin, religo, religare signifie « relier ») ? leur voie et nous incitent à progresser sur la nôtre.
Celles-ci donnent du sens à la vie et à la mort. Que ce Harmonie. Parallèlement à son épanouissement per-
soit dans le cadre d'une religion identifiée ou d'une éthi- sonnel, la personne aspire à s'harmoniser avec ce et ceux
que de vie, poussés par notre désir de sens et d'harmonie, qui l'entourent. L'accord entre les personnes, entre les
nous relions êtres et événements, réalités et mystères, vie événements ne signifie en rien uniformité de vue ou
et mort et désirons participer à ce vaste ensemble le plus d'objectif, mais plutôt consensus. L'harmonie est alors
pleinement possible. ressentie comme un accomplissement, un dépassement
Éthique bio-logique. De la bio-logique dans la du désordre qui peut régner dans un conflit ou une
morale ? Ce que parents et éducateurs veulent inculquer compétition. Chacun y trouve sa place et cet ensemble
aux enfants, politesse, respect, générosité, trouve devient cohérent et juste. Nous pouvons nous accorder
sa source dans le besoin de réalité : « Si je suis réel, alors afin déjouer une mélodie harmonieuse. A chacun sa par-
l'autre l'est aussi, chacun avec ses particularités. Je peux tition. Portant chacun à faire de sa vie et de son être une
donc prendre en considération cet autre, être poli, le res- œuvre, ce besoin crée une harmonie malgré les erreurs
pecter, être généreux... Ma réalité à moi se nourrit de et les fausses notes. Un art d'ajuster les événements qui
l'attention que je porte à cet autre que moi. » Les règles nous entourent, et de nous ajuster à eux.
morales doivent-elles être apprises ? Dans leur forme
culturelle probablement. Mais dans leur fondement, elles La fatigue, signal du manque de réalité d'être.
ne s'apprennent pas, elles s'éprouvent.
Que l'on se sente frustré dans notre désir d'être, et la
Valeurs du besoin de réalité d'être. fatigue nous envahit. Elle nous force dans l'urgence et
le court terme à satisfaire notre réalité d'être. De la psy-
Ce sont nos aspirations, nos idéaux. Deux pôles qui se chasthénie à la dépression, le message est le même. Ce
confortent l'un l'autre. danger vient de la sensation d'abandon. L'absence
Progrès et développement de la personne. Dans sa d'envie et de volonté menace l'intégrité de l'être et
solitude, l'individu tend à évoluer, à progresser sur sa déclenche une réaction défensive de repli sur soi. Celle-
voie. L'homme est « fait » pour agir et son action a du ci peut s'avérer efficace, « j'arrive à m'isoler », ou
sens : le progrès est cette action qui le porte en avant. Si inefficace, « je renonce ».
l'objectif nous échappe, nous n'en poursuivons pas C'est dans l'espace personnel que nous faisons l'expé-
moins notre route avec le désir de nous développer, de rience de notre réalité d'être. Ce besoin bio-logique
nous révéler à nous-mêmes et aux autres. Nous allons mobilise notre évolution personnelle, notre recherche de
l'harmonie avec les autres et stimule notre désir de nous que, pour comprendre les mécanismes biologiques de
réaliser. l'être, il faut garder en tête sa finalité, c'est-à-dire l'aspi-
ration à vivre. Nous sommes porteurs d'un désir d'être à
La sagesse, témoin du besoin de réalité d'être. l'œuvre dans tout le règne vivant. La personne n'échappe
pas à cette règle, y compris dans des comportements
Comme la confiance et l'amour, la sagesse est un état apparemment irrationnels, dangereux ou déréglés. Tou-
qui se manifeste lorsque le besoin de réalité d'être est tes les expressions de l'être ont une finalité commune,
satisfait. La sagesse ne s'impose pas, ne s'exige pas et être. L'intelligence bio-logique est notre aptitude au
ne relève pas d'un raisonnement abstrait. Elle s'éprouve choix juste, c'est-à-dire la disposition de l'être à lire et
et se ressent, venant alors confirmer la justesse de notre l'événement extérieur et ses besoins propres et à expri-
action. Car il convient de se réaliser pour devenir sage mer la réponse la plus adaptée à ces contingences. Cette
et non d'être sage pour se réaliser. Telle est la logique intelligence se nourrit de nos capacités de mémoire, de
du vivant. La sagesse se déploie sans pour autant être raisonnement et d'intuition. Son mode de fonctionne-
jamais définitivement acquise. Elle se développe en ment biochimique relève du domaine des chercheurs qui,
satisfaisant notre besoin de réalité d'être, non en le res- de neurotransmetteurs en gènes et en hormones, ne ces-
treignant. sent de découvrir comment cette intelligence opère. Ce
que nous pouvons et devons en retenir, c'est plus sim-
plement la réalité même de cette dynamique, de cette
Les besoins, mode d'emploi. force de vie inhérente à chacun, qui nous fait choisir ce
dont nous avons besoin pour assurer notre vie. Nous ne
La non-conscience de ces trois besoins nous met dans pouvons ni occulter nos besoins ni nous abriter derrière
une situation inconfortable : imaginons ce qu'il se pas- eux pour justifier un comportement destiné à obtenir de
serait si la faim et la soif ne signifiaient pas aussitôt pour la sécurité, de l'identité ou du sens.
nous le besoin de manger et de boire, et, à partir de là, Nos besoins nous mobilisent sans nous dicter notre
les actions à mener pour ce faire ? En ressentant, au tra- conduite. Cette intelligence bio-logique n'est pas sans
vers de situations diverses, le manque d'identité, de sécu- conséquences : elle agit comme si, « malgré » nous, elle
rité ou de réalité d'être, nous n'identifions pas forcément tendait à maintenir la vie coûte que coûte ! Dans cette
le besoin qui est « en amont ». En éprouvant la peur, la force intérieure qu'elle maintient en nous, elle s'exprime
tension ou la fatigue, nous ne faisons pas forcément le à la manière de l'instinct animal qui dicte la conduite.
rapprochement avec les besoins qui leur sont liés. Or En nous, ce n'est pas la conduite qui est dictée, c'est le
nous pouvons postuler que tout comportement, quel besoin qui est à manifester. La différence est évidente :
qu'il soit, a une signification dans l'espace de nos chez l'animal, ses choix sont prédéterminés, restreignant
besoins fondamentaux. Chacun peut être relié et la liberté d'action mais assurant la pérennité de l'espèce ;
compris en fonction de l'objectif bio-logique. chez l'homme, les choix ne sont pas prédéterminés, mais
« La finalité d'un être, c'est d'être. » Cette petite potentiellement orientés selon les besoins.
phrase, comme les affectionnait Henri Laborit, nous rap-
pelle à l'essentiel, loin des considérations psychologi- Les besoins sont vécus, avant d'être pensés, parlés
ques ou éthiques. Sans rien justifier, elle nous signifie et conscientisés. Ils s'imposent à nous. Pas plus que les
l'harmonie avec les autres et stimule notre désir de nous que, pour comprendre les mécanismes biologiques de
réaliser. l'être, il faut garder en tête sa finalité, c'est-à-dire l'aspi-
ration à vivre. Nous sommes porteurs d'un désir d'être à
La sagesse, témoin du besoin de réalité d'être. l'œuvre dans tout le règne vivant. La personne n'échappe
pas à cette règle, y compris dans des comportements
Comme la confiance et l'amour, la sagesse est un état apparemment irrationnels, dangereux ou déréglés. Tou-
qui se manifeste lorsque le besoin de réalité d'être est tes les expressions de l'être ont une finalité commune,
satisfait. La sagesse ne s'impose pas, ne s'exige pas et être. L'intelligence bio-logique est notre aptitude au
ne relève pas d'un raisonnement abstrait. Elle s'éprouve choix juste, c'est-à-dire la disposition de l'être à lire et
et se ressent, venant alors confirmer la justesse de notre l'événement extérieur et ses besoins propres et à expri-
action. Car il convient de se réaliser pour devenir sage mer la réponse la plus adaptée à ces contingences. Cette
et non d'être sage pour se réaliser. Telle est la logique intelligence se nourrit de nos capacités de mémoire, de
du vivant. La sagesse se déploie sans pour autant être raisonnement et d'intuition. Son mode de fonctionne-
jamais définitivement acquise. Elle se développe en ment biochimique relève du domaine des chercheurs qui,
satisfaisant notre besoin de réalité d'être, non en le res- de neurotransmetteurs en gènes et en hormones, ne ces-
treignant. sent de découvrir comment cette intelligence opère. Ce
que nous pouvons et devons en retenir, c'est plus sim-
plement la réalité même de cette dynamique, de cette
Les besoins, mode d'emploi. force de vie inhérente à chacun, qui nous fait choisir ce
dont nous avons besoin pour assurer notre vie. Nous ne
La non-conscience de ces trois besoins nous met dans pouvons ni occulter nos besoins ni nous abriter derrière
une situation inconfortable : imaginons ce qu'il se pas- eux pour justifier un comportement destiné à obtenir de
serait si la faim et la soif ne signifiaient pas aussitôt pour la sécurité, de l'identité ou du sens.
nous le besoin de manger et de boire, et, à partir de là, Nos besoins nous mobilisent sans nous dicter notre
les actions à mener pour ce faire ? En ressentant, au tra- conduite. Cette intelligence bio-logique n'est pas sans
vers de situations diverses, le manque d'identité, de sécu- conséquences : elle agit comme si, « malgré » nous, elle
rité ou de réalité d'être, nous n'identifions pas forcément tendait à maintenir la vie coûte que coûte ! Dans cette
le besoin qui est « en amont ». En éprouvant la peur, la force intérieure qu'elle maintient en nous, elle s'exprime
tension ou la fatigue, nous ne faisons pas forcément le à la manière de l'instinct animal qui dicte la conduite.
rapprochement avec les besoins qui leur sont liés. Or En nous, ce n'est pas la conduite qui est dictée, c'est le
nous pouvons postuler que tout comportement, quel besoin qui est à manifester. La différence est évidente :
qu'il soit, a une signification dans l'espace de nos chez l'animal, ses choix sont prédéterminés, restreignant
besoins fondamentaux. Chacun peut être relié et la liberté d'action mais assurant la pérennité de l'espèce ;
compris en fonction de l'objectif bio-logique. chez l'homme, les choix ne sont pas prédéterminés, mais
« La finalité d'un être, c'est d'être. » Cette petite potentiellement orientés selon les besoins.
phrase, comme les affectionnait Henri Laborit, nous rap-
pelle à l'essentiel, loin des considérations psychologi- Les besoins sont vécus, avant d'être pensés, parlés
ques ou éthiques. Sans rien justifier, elle nous signifie et conscientisés. Ils s'imposent à nous. Pas plus que les
besoins de manger, de boire ou de se reproduire, nous ne
pouvons désirer ressentir les besoins de sécurité, d'iden-
l'entendra comme une affirmation pour soi-même ou son
tité et de réalité. Nous les vivons, les éprouvons, les res-
entourage de « qui il est », tandis que le besoin de sécu-
sentons. C'est tout ! Ils sont là en nous, moteurs de nos
rité l'éprouvera comme un abri en cas de coup dur. Ce
actions, de nos pensées ou de nos mots. Ils mobilisent
ne sera pas de ce fait la « même » maison. Ainsi,
notre énergie dans une seule finalité, être.
l'ensemble de nos actions et de nos comportements peu-
Indépendante du raisonnement, la sensation est vent être reliés à l'un de ces besoins qui les motivent.
concrète et réelle. Elle s'impose à nous et, après, elle peut Comprendre le projet sans se référer au besoin, c'est
être raisonnée. À défaut d'accueillir nos sensations, prendre le risque de passer à côté du sens du projet, de
encore moins celles de notre entourage, nous les son objectif caché ou conscient. De même, aider
« oublions » ou bien nous les subissons passivement... quelqu'un à bâtir son projet demande d'entendre le
et pourtant, la sensation est bel et bien le langage du besoin qui le motive. Gare aux projections de la part de
besoin ! celui ou de celle qui aide !
Ce ressenti est d'abord et avant tout physique et n'a
Tout événement est lu au travers du filtre de nos
rien d'une « vue de l'esprit ». Il est un sixième sens !
besoins. Toute information, perçue grâce à nos cinq sens,
Les besoins bio-logiques sont le ferment de la moti- toute pensée est filtrée selon son impact sur notre sécu-
vation. Ce qui nous meut nous met en mouvement, ce rité, sur notre identité et sur notre réalité d'être. Pour
qui est à l'origine de ce que l'on nomme le désir ou autant, selon la nature du besoin et selon notre histoire
l'envie est à découvrir dans cette aspiration à la sécurité, personnelle, sa résonance n'est pas identique : un accro-
à l'identité et à la réalité d'être. La motivation ne peut chage de voiture peut déclencher une réaction de l'ordre
être confondue avec l'action elle-même, comme le car- de la sécurité, peur du c h o c , de l'iden-tité, agres-
burant et le moteur d'une voiture ne peuvent être sion de son t e r r i t o i r e , ou de la réalité de soi, fatigue
confondus avec le chemin parcouru par le véhicule. Les par anticipation des difficultés à venir.
besoins inspirent et aspirent la personne à être, à se mani-
fester. Inciter, aider une personne ou soi-même à agir ne Par ailleurs, la valeur vitale de chacun des besoins bio-
peut se faire sans tenir compte de la réalité de ses propres logiques n'est pas identique : il est plus indispensable, à
besoins, mobilisateurs de son action. l'intégrité de la vie, d'être en sécurité que d'être identifié,
et d'être identifié que de se réaliser ! Il est donc logique
À chaque besoin sa motivation. Nos besoins bio- de constater une priorité des besoins les plus fondamen-
logiques déterminent trois types de motivation. Proposer taux en termes de survie et d'intégrité.
à manger à quelqu'un qui a soif, c'est prendre le risque,
Cette priorité peut s'écrire ainsi :
au mieux, d'essuyer un refus ou, au pis, de
BOIRE, > MANGER, > SE REPRODUIRE, > SE SÉCURISER,
déclencher une réaction émotionnelle de cris, de pleurs
> S' IDENTIFIER, > SE RÉALISER.
ou d'angoisse. Il en va de même pour les trois besoins
fondamentaux : ils déterminent des motivations. Le Dans les périodes de troubles ou de conflits dominent
besoin de sécurité ne mobilise pas comme celui d'iden- les besoins les plus élémentaires, quand, en période de
tité : expériences, pensées, les mots sont différents bien paix et d'abondance, ce sont plutôt les besoins les plus
que l'action menée semble apparemment la même. Si le récents de l'évolution qui cherchent à se faire entendre.
projet est d'acheter une maison, le besoin d'identité C'est, de fait, ce à quoi nous assistons aujourd'hui : nous
n'avons jamais autant parlé de reconnaissance et de réa-
lisation de soi.
besoins de manger, de boire ou de se reproduire, nous ne
pouvons désirer ressentir les besoins de sécurité, d'iden-
l'entendra comme une affirmation pour soi-même ou son
tité et de réalité. Nous les vivons, les éprouvons, les res-
entourage de « qui il est », tandis que le besoin de sécu-
sentons. C'est tout ! Ils sont là en nous, moteurs de nos
rité l'éprouvera comme un abri en cas de coup dur. Ce
actions, de nos pensées ou de nos mots. Ils mobilisent
ne sera pas de ce fait la « même » maison. Ainsi,
notre énergie dans une seule finalité, être.
l'ensemble de nos actions et de nos comportements peu-
Indépendante du raisonnement, la sensation est vent être reliés à l'un de ces besoins qui les motivent.
concrète et réelle. Elle s'impose à nous et, après, elle peut Comprendre le projet sans se référer au besoin, c'est
être raisonnée. À défaut d'accueillir nos sensations, prendre le risque de passer à côté du sens du projet, de
encore moins celles de notre entourage, nous les son objectif caché ou conscient. De même, aider
« oublions » ou bien nous les subissons passivement... quelqu'un à bâtir son projet demande d'entendre le
et pourtant, la sensation est bel et bien le langage du besoin qui le motive. Gare aux projections de la part de
besoin ! celui ou de celle qui aide !
Ce ressenti est d'abord et avant tout physique et n'a
Tout événement est lu au travers du filtre de nos
rien d'une « vue de l'esprit ». Il est un sixième sens !
besoins. Toute information, perçue grâce à nos cinq sens,
Les besoins bio-logiques sont le ferment de la moti- toute pensée est filtrée selon son impact sur notre sécu-
vation. Ce qui nous meut nous met en mouvement, ce rité, sur notre identité et sur notre réalité d'être. Pour
qui est à l'origine de ce que l'on nomme le désir ou autant, selon la nature du besoin et selon notre histoire
l'envie est à découvrir dans cette aspiration à la sécurité, personnelle, sa résonance n'est pas identique : un accro-
à l'identité et à la réalité d'être. La motivation ne peut chage de voiture peut déclencher une réaction de l'ordre
être confondue avec l'action elle-même, comme le car- de la sécurité, peur du choc, de l'iden-tité, agres-
burant et le moteur d'une voiture ne peuvent être sion de son territoire, ou de la réalité de soi, fatigue
confondus avec le chemin parcouru par le véhicule. Les par anticipation des difficultés à venir.
besoins inspirent et aspirent la personne à être, à se mani-
fester. Inciter, aider une personne ou soi-même à agir ne Par ailleurs, la valeur vitale de chacun des besoins bio-
peut se faire sans tenir compte de la réalité de ses propres logiques n'est pas identique : il est plus indispensable, à
besoins, mobilisateurs de son action. l'intégrité de la vie, d'être en sécurité que d'être identifié,
et d'être identifié que de se réaliser ! Il est donc logique
À chaque besoin sa motivation. Nos besoins bio- de constater une priorité des besoins les plus fondamen-
logiques déterminent trois types de motivation. Proposer taux en termes de survie et d'intégrité.
à manger à quelqu'un qui a soif, c'est prendre le risque,
Cette priorité peut s'écrire ainsi :
au mieux, d'essuyer un refus ou, au pis, de
BOIRE, > MANGER, > SE REPRODUIRE, > SE SÉCURISER,
déclencher une réaction émotionnelle de cris, de pleurs
> S' IDENTIFIER, > SE RÉALISER.
ou d'angoisse. Il en va de même pour les trois besoins
fondamentaux : ils déterminent des motivations. Le Dans les périodes de troubles ou de conflits dominent
besoin de sécurité ne mobilise pas comme celui d'iden- les besoins les plus élémentaires, quand, en période de
tité : expériences, pensées, les mots sont différents bien paix et d'abondance, ce sont plutôt les besoins les plus
que l'action menée semble apparemment la même. Si le récents de l'évolution qui cherchent à se faire entendre.
projet est d'acheter une maison, le besoin d'identité C'est, de fait, ce à quoi nous assistons aujourd'hui : nous
n'avons jamais autant parlé de reconnaissance et de réa-
lisation de soi.
Enfin, quand l'accès à un besoin demeure fermé, que
même la réaction de défense s'avère inefficace pour
déclencher la mobilisation sous couvert de l'émotion,
alors, la pression d'intégrité est telle que nous chargeons
un autre besoin de combler le manque d'être. Car des
« passerelles » existent entre eux. A défaut de subvenir
à un besoin déterminé, pourvoir à un autre peut se révéler
un palliatif à la vie parfois longue... Comme quelqu'un
qui n'a rien à manger « trompe » sa faim en buvant. Il 2.
existe une intrication de comportements qui tentent de se
substituer au besoin réel. Ainsi, la boisson ou la nourri- En manque de soi.
ture peuvent « remplacer » la sécurité quand celle-ci ne
peut être assurée en apaisant temporairement la peur. De
même que la gratification du besoin de reconnaissance
peut couper l'appétit, ou l'exciter, ce que nous voyons
parfois dans les comportements amoureux ! Ces substi- La mémoire et l'apprentissage font pénétrer les
tuts, passerelles entre les besoins, mettent surtout en évi- autres dans notre structure biologique et, au niveau
dence l'intelligence de l'évolution à garantir au mieux du moi, elle peut n 'être plus qu 'eux.
ou au moins mal la vie.
Henri Laborit.
Tous les événements de notre vie sont filtrés en
fonction de nos besoins bio-logiques. L'histoire de Comme le mot « besoin », le mot « manque » fait écho
notre vie, c'est donc d'abord l'histoire de l'expression de à une sensation de frustration... et à une nécessité impé-
nos besoins. Loin d'être celle de notre bestialité, où rieuse de combler un vide. Le manque de soi est inscrit
besoin signifierait instinct déterminant, elle est celle en nous : nous ne pouvons pas ne pas l'éprouver. Il fait
de notre animalité à bâtir, au sens d'anima. Cette création partie de notre « bagage » biologique, affectif, et psycho-
de notre humanité se fait avec le temps à travers les ren- logique. Quand il nous fait peur, quand il menace notre
contres et les événements. Quand nos besoins ont pu ou intégrité d'être, alors nous lui ajoutons un impératif : le
su trouver leur mode d'expression au sein de la famille verbe « devoir ». « Etre » semble insuffisant pour vivre,
ou de la communauté, alors nous trouvons le respect, la il nous faut « devoir être » pour combler le manque de
motivation et l'équilibre que nous aimons à partager avec soi. Devoir être pour satisfaire l'autre tenu insatisfait et
les autres. Dans le cas contraire... en attente. Ou bien se satisfaire soi pour apaiser la peur
de ne pas être suffisamment.
Or, quand l'être se limite au devoir-être, il manque
à lui-même. Durant l'enfance et l'adolescence, nous
avons tous enregistré cette sensation de vide, aussi bien
nos parents que nous. Mais dans cette chaîne des géné-
rations, que signifie le manque d'être dont nous souf-
Enfin, quand l'accès à un besoin demeure fermé, que
même la réaction de défense s'avère inefficace pour
déclencher la mobilisation sous couvert de l'émotion,
alors, la pression d'intégrité est telle que nous chargeons
un autre besoin de combler le manque d'être. Car des
« passerelles » existent entre eux. A défaut de subvenir
à un besoin déterminé, pourvoir à un autre peut se révéler
un palliatif à la vie parfois longue... Comme quelqu'un
qui n'a rien à manger « trompe » sa faim en buvant. Il 2.
existe une intrication de comportements qui tentent de se
substituer au besoin réel. Ainsi, la boisson ou la nourri- En manque de soi.
ture peuvent « remplacer » la sécurité quand celle-ci ne
peut être assurée en apaisant temporairement la peur. De
même que la gratification du besoin de reconnaissance
peut couper l'appétit, ou l'exciter, ce que nous voyons
parfois dans les comportements amoureux ! Ces substi- La mémoire et l'apprentissage font pénétrer les
tuts, passerelles entre les besoins, mettent surtout en évi- autres dans notre structure biologique et, au niveau
dence l'intelligence de l'évolution à garantir au mieux du moi, elle peut n'être plus qu 'eux.
ou au moins mal la vie.
Henri Laborit.
Tous les événements de notre vie sont filtrés en
fonction de nos besoins bio-logiques. L'histoire de Comme le mot « besoin », le mot « manque » fait écho
notre vie, c'est donc d'abord l'histoire de l'expression de à une sensation de frustration... et à une nécessité impé-
nos besoins. Loin d'être celle de notre bestialité, où rieuse de combler un vide. Le manque de soi est inscrit
besoin signifierait instinct d é t e r m i n a n t , elle est celle en nous : nous ne pouvons pas ne pas l'éprouver. Il fait
de notre animalité à bâtir, au sens d'anima. Cette création partie de notre « bagage » biologique, affectif, et psycho-
de notre humanité se fait avec le temps à travers les ren- logique. Quand il nous fait peur, quand il menace notre
contres et les événements. Quand nos besoins ont pu ou intégrité d'être, alors nous lui ajoutons un impératif : le
su trouver leur mode d'expression au sein de la famille verbe « devoir ». « Etre » semble insuffisant pour vivre,
ou de la communauté, alors nous trouvons le respect, la il nous faut « devoir être » pour combler le manque de
motivation et l'équilibre que nous aimons à partager avec soi. Devoir être pour satisfaire l'autre tenu insatisfait et
les autres. Dans le cas contraire. en attente. Ou bien se satisfaire soi pour apaiser la peur
de ne pas être suffisamment.
Or, quand l'être se limite au devoir-être, il manque
à lui-même. Durant l'enfance et l'adolescence, nous
avons tous enregistré cette sensation de vide, aussi bien
nos parents que nous. Mais dans cette chaîne des géné-
rations, que signifie le manque d'être dont nous souf-
frons ? Force est de constater qu'il ressemble à une sorte tion de la puissance du sexe apparemment complet. À lui,
de « donnée initiale » qui s'enrichit et se fixe au fur et à le fantasme et la frustration de la douceur du sexe appa-
mesure de notre histoire. Il est à la fois inné et acquis ! remment vide.
Ce manque d'être obère notre potentiel d'être. L'analyse Le manque, potentiel en chacun, c'est être autre que
psychologique, quand elle part à la recherche du passé ce qu'il est. Manque d'être un garçon quand c'est une
de la personne, fait remonter à la surface de la conscience fille qui naît. Comme ce père qui continuait à appeler sa
des sensations, des souvenirs qui témoignent du manque fille de quinze ans « mon bébé ». À la question : « Pour-
et l'éclairent, l'expliquent mais ne le comblent pas. Son quoi ? », il répondait : « Parce que bébé est du mascu-
intérêt se limite à une remémoration si la personne ne lin... » Manque d'être suffisamment présent aux désirs
prend pas en compte ce manque pour « grandir avec » débordants de la famille, manque d'être assez absent
plutôt que « sans » ou « contre » lui, plutôt que de le quand nous n'avons pas été désirés. Manque d'amour,
subir. de confiance, d'envie, de courage... On n'en finirait pas
Dé-couvrir le manque d'être, c'est mettre à nu les de faire la liste.
peurs, les comportements et les responsabilités de cha- Des manques auxquels nous nous identifions. D'abord
cun, parents et enfants. Il n'y a pas de coupables dans en en reportant la faute sur nos parents. Notre mal-être
cette histoire de vie, il y a en revanche des aveugles, des est né dans notre relation à l'autre. Et comme notre pre-
sourds et des muets à eux-mêmes, et donc aux autres. mière relation s'est faite avec l'un et l'autre de nos
parents, et parfois l'un sans l ' a u t r e , nous ne pou-
vons faire l'impasse sur l'éducation parentale, sur le papa
Autre que soi. et la maman avec lesquels nous avons passé nos premiè-
res années. Impossible de ne pas remonter à la génération
Dès notre arrivée au monde, nos besoins s'expriment du dessus.
dans un contexte particulier : nous sommes nés fille ou Qu'il est même tentant de justifier ou simplement
garçon, de tels parents, dans telle famille, telle culture, tel d'expliquer ses angoisses du présent par ses manques
lieu.. .C'est dire si nous aurons à nous adapter ! Ce temps passés ! Que tout paraît clair dès lors que nous nous
d'adaptation et d'apprentissage se nomme l'enfance et disons que nous avons manqué de l'amour, de
l'adolescence. S'il est parfois un temps d'épreuves, il est la compréhension, de la présence d'un de nos parents
toujours un temps de formation : il nous permet d'appren- ou des deux ! Nous devenons enfin normaux, déculpa-
dre à nourrir nos besoins pour, un jour, être aptes à (nous) bilisés d'un poids ou d'une dette : ce n'est plus seule-
sécuriser, à (nous) identifier et à (nous) réaliser. Ce pas- ment nous, ce sont eux les responsables ! Les
sage, lieu de rencontre avec des influences parentales et coupables ? Et puis nous voilà adultes, parents... alors
culturelles, contient tous les ingrédients du « manque de nos pro-pres enfants se plaignent de notre manque
soi». Creuset de nos souffrances psychiques... à d'amour, de compréhension, de présence... Chaîne sans
commencer par la « première », la plus évidente, la plus fin des culpabilités.
explorée dans son interprétation : la différence sexuelle. Or, ce ne sont pas les parents qui sont « toxiques »
Elle peut être vécue comme un manque, par les femmes mais certains de leurs comportements, leur émotivité et
autant que par les hommes : elle manquerait de masculin, leurs croyances existentielles. Eux, en tant que person-
il manquerait de féminin. À elle, le fantasme et la frustra- nes, doivent être respectés. C'est donc à juste titre que
frons ? Force est de constater qu'il ressemble à une sorte tion de la puissance du sexe apparemment complet. À lui,
de « donnée initiale » qui s'enrichit et se fixe au fur et à le fantasme et la frustration de la douceur du sexe appa-
mesure de notre histoire. Il est à la fois inné et acquis ! remment vide.
Ce manque d'être obère notre potentiel d'être. L'analyse Le manque, potentiel en chacun, c'est être autre que
psychologique, quand elle part à la recherche du passé ce qu'il est. Manque d'être un garçon quand c'est une
de la personne, fait remonter à la surface de la conscience fille qui naît. Comme ce père qui continuait à appeler sa
des sensations, des souvenirs qui témoignent du manque fille de quinze ans « mon bébé ». À la question : « Pour-
et l'éclairent, l'expliquent mais ne le comblent pas. Son quoi ? », il répondait : « Parce que bébé est du mascu-
intérêt se limite à une remémoration si la personne ne lin... » Manque d'être suffisamment présent aux désirs
prend pas en compte ce manque pour « grandir avec » débordants de la famille, manque d'être assez absent
plutôt que « sans » ou « contre » lui, plutôt que de le quand nous n'avons pas été désirés. Manque d'amour,
subir. de confiance, d'envie, de courage... On n'en finirait pas
Dé-couvrir le manque d'être, c'est mettre à nu les de faire la liste.
peurs, les comportements et les responsabilités de cha- Des manques auxquels nous nous identifions. D'abord
cun, parents et enfants. Il n'y a pas de coupables dans en en reportant la faute sur nos parents. Notre mal-être
cette histoire de vie, il y a en revanche des aveugles, des est né dans notre relation à l'autre. Et comme notre pre-
sourds et des muets à eux-mêmes, et donc aux autres. mière relation s'est faite avec l'un et l'autre de nos
parents, et parfois l'un sans l'autre, nous ne pou-
vons faire l'impasse sur l'éducation parentale, sur le papa
Autre que soi. et la maman avec lesquels nous avons passé nos premiè-
res années. Impossible de ne pas remonter à la génération
Dès notre arrivée au monde, nos besoins s'expriment du dessus.
dans un contexte particulier : nous sommes nés fille ou Qu'il est même tentant de justifier ou simplement
garçon, de tels parents, dans telle famille, telle culture, tel d'expliquer ses angoisses du présent par ses manques
lieu.. .C'est dire si nous aurons à nous adapter ! Ce temps passés ! Que tout paraît clair dès lors que nous nous
d'adaptation et d'apprentissage se nomme l'enfance et disons que nous avons manqué de l'amour, de
l'adolescence. S'il est parfois un temps d'épreuves, il est la compréhension, de la présence d'un de nos parents
toujours un temps de formation : il nous permet d'appren- ou des deux ! Nous devenons enfin normaux, déculpa-
dre à nourrir nos besoins pour, un jour, être aptes à (nous) bilisés d'un poids ou d'une dette : ce n'est plus seule-
sécuriser, à (nous) identifier et à (nous) réaliser. Ce pas- ment nous, ce sont eux les responsables ! Les
sage, lieu de rencontre avec des influences parentales et coupables ? Et puis nous voilà adultes, parents... alors
culturelles, contient tous les ingrédients du « manque de nos propres enfants se plaignent de notre manque
soi». Creuset de nos souffrances psychiques... à d'amour, de compréhension, de présence... Chaîne sans
commencer par la « première », la plus évidente, la plus fin des culpabilités.
explorée dans son interprétation : la différence sexuelle. Or, ce ne sont pas les parents qui sont « toxiques »
Elle peut être vécue comme un manque, par les femmes mais certains de leurs comportements, leur émotivité et
autant que par les hommes : elle manquerait de masculin, leurs croyances existentielles. Eux, en tant que person-
il manquerait de féminin. À elle, le fantasme et la frustra- nes, doivent être respectés. C'est donc à juste titre que
chaque parent peut (se) dire qu'il a fait de son mieux sur plus spectateurs que participants, observent avec humour
le moment, avec les moyens qui étaient alors les siens. ou agacement, et savent qu'à la prochaine réunion fami-
Mais ils ne sont pas dégagés de leurs responsabilités pour liale, chez eux cette fois, ce sera leur tour ! Passage
autant : puisque ce « mieux qu'ils ont fait » a eu des régressif dans lequel nous sommes nombreux à nous sen-
conséquences sur leurs enfants, les voilà engagés. tir à l'étroit et contraints. Pour d'autres, au contraire, ce
Comment un comportement parental ou substitutif sera un temps de détente, de confort, comme un chaud
(éducateur, grands-parents, beaux-parents, grand frère ou vêtement usé et bien-aimé qu'on retrouve et qui fait
sœur...) devient-il toxique pour l'enfant ? Quelles sont office de cocon. Indépendamment de ces repas de
les attitudes toxiques ? Quelles en sont les conséquences famille, nous, parents ou adultes, nous référons fréquem-
pour l'enfant ? Comment le regard bio-logique peut-il ment, voire systématiquement, à notre passé pour justi-
nous aider à voir plus clair et donc à participer à des fier le présent. Les phrases commencent alors volontiers
modifications, autrement qu'en nous inculquant une par « de mon temps », « moi qui » ou « quand j'avais ton
leçon d'éducation ? âge... ».
Il en est d'autres qui ne parlent jamais du passé, parce
qu'ils l'ont enterré. Ils ont tourné la page mais, bien sou-
L'ambiance du passé. vent, avant d'avoir lu ou compris ce qui était écrit, et ce
qui s'est alors joué et inscrit en eux.
Repasser par son passé pour le dépasser et s'ouvrir
« Relire » son passé ne signifie pas en finir avec lui,
à son à-venir. Faut-il « repasser » par son passé, cer-
tains disent le ressasser ? L'expression le laisse penser : mais l'accueillir comme une donnée importante de notre
pour le dépasser et s'ouvrir sur l'à-venir, la remémora- construction qui peut nous permettre d'en extraire un
tion de l'enfance s'avère précieuse. Les plus réfractaires matériel utile pour notre présent, et notre avenir.
au « souvenir » oublient qu'évoquer consciemment son Évoquer son passé, c'est responsabiliser chaque
passé est souvent moins douloureux que survivre dans membre de la famille, y compris soi. Examiner le
les mêmes dispositions, peurs et non-dits. Car l'évoca- passé, c'est inévitablement aller à la rencontre du man-
tion permet la prise de conscience et l'aptitude à vivre que. En fait, de deux manques : celui des parents et le
autrement. Le déni enferme sur un retour automatique du nôtre qui s'articulent entre eux. L'analyse se situe au
manque d'être et de l'émotion qui l'accompagne. niveau de cette articulation. Notre histoire à nous, notre
Les réunions de famille ont ceci de particulier qu'elles responsabilité commence là : la vie de nos parents ne
nous font revivre un état que, chronologiquement, nous nous concerne que dans les effets qu'elle a eus sur nous.
avons franchi depuis des années. Mais c'est plus fort que Et c'est tout. Le reste les concerne, eux seuls. En revan-
nous : nous (re) voilà fille ou fils (si petit parfois) avec che, les effets sont importants pour nous. Les voir, les
nos parents, à évoquer avec nos frères et sœurs les bêtises dire, les comprendre est essentiel pour recouvrer une
que nous avons faites ensemble, ou bien les drames fami- faculté de mouvement.
liaux... une fois de plus. Nous sommes à nouveau Dans l'articulation entre eux et nous se retrouvent
« dedans », à ressasser, tout fort ou tout bas, un passé qui leurs besoins et les réactions de défense avec lesquelles
nous colle à la peau et qui est réactivé dès que nous nous ils ont tenté de pallier leurs propres manques. Se retrou-
retrouvons « entre nous ». Les membres par alliance, vent aussi nos besoins propres et les réactions de défense
chaque parent peut (se) dire qu'il a fait de son mieux sur plus spectateurs que participants, observent avec humour
le moment, avec les moyens qui étaient alors les siens. ou agacement, et savent qu'à la prochaine réunion fami-
Mais ils ne sont pas dégagés de leurs responsabilités pour liale, chez eux cette fois, ce sera leur tour ! Passage
autant : puisque ce « mieux qu'ils ont fait » a eu des régressif dans lequel nous sommes nombreux à nous sen-
conséquences sur leurs enfants, les voilà engagés. tir à l'étroit et contraints. Pour d'autres, au contraire, ce
Comment un comportement parental ou substitutif sera un temps de détente, de confort, comme un chaud
(éducateur, grands-parents, beaux-parents, grand frère ou vêtement usé et bien-aimé qu'on retrouve et qui fait
sœur...) devient-il toxique pour l'enfant ? Quelles sont office de cocon. Indépendamment de ces repas de
les attitudes toxiques ? Quelles en sont les conséquences famille, nous, parents ou adultes, nous référons fréquem-
pour l'enfant ? Comment le regard bio-logique peut-il ment, voire systématiquement, à notre passé pour justi-
nous aider à voir plus clair et donc à participer à des fier le présent. Les phrases commencent alors volontiers
modifications, autrement qu'en nous inculquant une par « de mon temps », « moi qui » ou « quand j'avais ton
leçon d'éducation ? âge... ».
Il en est d'autres qui ne parlent jamais du passé, parce
qu'ils l'ont enterré. Ils ont tourné la page mais, bien sou-
L'ambiance du passé. vent, avant d'avoir lu ou compris ce qui était écrit, et ce
qui s'est alors joué et inscrit en eux.
Repasser par son passé pour le dépasser et s'ouvrir
« Relire » son passé ne signifie pas en finir avec lui,
à son à-venir. Faut-il « repasser » par son passé, cer-
tains disent le ressasser ? L'expression le laisse penser : mais l'accueillir comme une donnée importante de notre
pour le dépasser et s'ouvrir sur l'à-venir, la remémora- construction qui peut nous permettre d'en extraire un
tion de l'enfance s'avère précieuse. Les plus réfractaires matériel utile pour notre présent, et notre avenir.
au « souvenir » oublient qu'évoquer consciemment son Évoquer son passé, c'est responsabiliser chaque
passé est souvent moins douloureux que survivre dans membre de la famille, y compris soi. Examiner le
les mêmes dispositions, peurs et non-dits. Car l'évoca- passé, c'est inévitablement aller à la rencontre du man-
tion permet la prise de conscience et l'aptitude à vivre que. En fait, de deux manques : celui des parents et le
autrement. Le déni enferme sur un retour automatique du nôtre qui s'articulent entre eux. L'analyse se situe au
manque d'être et de l'émotion qui l'accompagne. niveau de cette articulation. Notre histoire à nous, notre
Les réunions de famille ont ceci de particulier qu'elles responsabilité commence là : la vie de nos parents ne
nous font revivre un état que, chronologiquement, nous nous concerne que dans les effets qu'elle a eus sur nous.
avons franchi depuis des années. Mais c'est plus fort que Et c'est tout. Le reste les concerne, eux seuls. En revan-
nous : nous (re) voilà fille ou fils (si petit parfois) avec che, les effets sont importants pour nous. Les voir, les
nos parents, à évoquer avec nos frères et sœurs les bêtises dire, les comprendre est essentiel pour recouvrer une
que nous avons faites ensemble, ou bien les drames fami- faculté de mouvement.
liaux... une fois de plus. Nous sommes à nouveau Dans l'articulation entre eux et nous se retrouvent
« dedans », à ressasser, tout fort ou tout bas, un passé qui leurs besoins et les réactions de défense avec lesquelles
nous colle à la peau et qui est réactivé dès que nous nous ils ont tenté de pallier leurs propres manques. Se retrou-
retrouvons « entre nous ». Les membres par alliance, vent aussi nos besoins propres et les réactions de défense
Plutôt que de considérer « en vrac » notre passé, son
qui ont été les nôtres pour pallier nos manques. C'est
ambiance et ses personnages, nous pouvons structurer
donc l'histoire de cette rencontre qui est évoquée ici.
notre questionnement à partir de nos besoins. Comme
Il est tentant d'affirmer que les adultes plus respon- par magie, ils vont éveiller des souvenirs qui prendront
sables savaient, eux, ce qu'ils faisaient, tandis que nous, sens à leur lumière. L'enfance est un bain qui nous a
bébés ou enfants, subissions passivement leurs réac- imprégnés. L'empreinte est là. A nous de la regarder,
tions, leurs croyances, leurs fantasmes. Ce n'est qu'en de la penser, de la dire, de lui donner du sens. De passer
partie juste, la plupart des parents ne sont même pas par elle pour la dépasser. L'importance de ce passage
conscients de ce qui motive leurs comportements ! ne se réduit pas à une pure forme. Nous ne cessons dans
Quant à l'enfant, il est une personne avant même sa nais- notre vie d'adulte de rencontrer des personnes dont les
sance. S'il est sans autonomie et donc « obligé » de comportements ressemblent étrangement, quel
subir l'ambiance familiale dans laquelle il naît, ses réac- hasard ! à ceux de nos parents ou de notre parenté.
tions n'en sont pas moins les siennes et donc à analyser Comme si la vie et nous-mêmes nous ingéniions à nous
comme telles. mettre et remettre dans les situations initiales et à les
Nous ne sommes jamais gagnants au jeu de la déres- rejouer. Probablement parce que nous avons encore
ponsabilisation ! quelque chose à en apprendre, à expérimenter la rela-
Face aux parents pris comme modèles et contre- tion, à la comprendre. Le moyen d'y échapper serait
modèles. Analyser l'ambiance du passé, repérer ce que paradoxalement de repasser par cette « case départ ».
nous avons reçu comme informations : depuis l'interpré- En fait, le hasard n'y est pour rien : tant que nos vies
tation freudienne des mécanismes de la psyché, nous sont guidées par nos réactions de défense, par des
sommes conscients que nombre de nos souvenirs sont besoins non assumés, des manques d'être, nous sommes
refoulés dans l'inconscient et donc inaccessibles à moins attirés par, et attirons à nous, ceux et celles qui
d'une longue analyse. Et encore ! Cette façon d'interpré- sont censés pallier le déficit de nous-mêmes. Et ceux-
ter notre histoire, outre son caractère désespérant ou là ont des comportements qui évoquent ceux de nos
contraignant, ne tient pas compte de l'éclairage bio-logi- parents, eux qui ont nourri et développé nos besoins à
que. Celui-ci guide ici notre recherche : la quête de notre leur façon. En modèles ou en contre-modèles, ils
passé aura à répondre de l'ambiance et des comporte- demeurent notre référence tant que nous ne satisfaisons
ments parentaux qui ont nourri nos trois besoins fonda- pas, de nous-mêmes (en toute conscience), nos besoins.
mentaux. Comment nos parents, notre entourage ont-ils Cette tendance à reproduire ou à rencontrer « toujours »
développé, nourri nos propres besoins ? Liberté, recon- les mêmes schémas ne doit pas nous culpabiliser. Cette
naissance, initiative, différence, que nous ont-ils trans- répétition est automatique : nous sommes attirés par ce
mis ? Quels souvenirs font écho à ces mots et quels que nous avons connu et reçu ou ce dont nous nous sen-
manques sont liés à ces souvenirs ? Notre histoire per- tons privés. Ainsi, l'enfant ayant été rassuré toute son
sonnelle est là, dans les réponses, gaies ou tristes, mais enfance peut devenir un adulte cherchant à être rassuré ;
toujours importantes pour nous. Petit à petit les secrets l'enfant ayant dû rassurer ses parents peut devenir un
de famille, les non-dits, les « choses » pas nommables, adulte cherchant un être à rassurer. Il sait si bien le
pas pensables dans l'immédiat, se révèlent, se disent. faire !
Sans urgence.
Plutôt que de considérer « en vrac » notre passé, son
qui ont été les nôtres pour pallier nos manques. C'est
ambiance et ses personnages, nous pouvons structurer
donc l'histoire de cette rencontre qui est évoquée ici.
notre questionnement à partir de nos besoins. Comme
Il est tentant d'affirmer que les adultes plus respon- par magie, ils vont éveiller des souvenirs qui prendront
sables savaient, eux, ce qu'ils faisaient, tandis que nous, sens à leur lumière. L'enfance est un bain qui nous a
bébés ou enfants, subissions passivement leurs réac- imprégnés. L'empreinte est là. A nous de la regarder,
tions, leurs croyances, leurs fantasmes. Ce n'est qu'en de la penser, de la dire, de lui donner du sens. De passer
partie juste, la plupart des parents ne sont même pas par elle pour la dépasser. L'importance de ce passage
conscients de ce qui motive leurs comportements ! ne se réduit pas à une pure forme. Nous ne cessons dans
Quant à l'enfant, il est une personne avant même sa nais- notre vie d'adulte de rencontrer des personnes dont les
sance. S'il est sans autonomie et donc « obligé » de comportements ressemblent étrangement, quel
subir l'ambiance familiale dans laquelle il naît, ses réac- hasard ! à ceux de nos parents ou de notre parenté.
tions n'en sont pas moins les siennes et donc à analyser Comme si la vie et nous-mêmes nous ingéniions à nous
comme telles. mettre et remettre dans les situations initiales et à les
Nous ne sommes jamais gagnants au jeu de la déres- rejouer. Probablement parce que nous avons encore
ponsabilisation ! quelque chose à en apprendre, à expérimenter la rela-
Face aux parents pris comme modèles et contre- tion, à la comprendre. Le moyen d'y échapper serait
modèles. Analyser l'ambiance du passé, repérer ce que paradoxalement de repasser par cette « case départ ».
nous avons reçu comme informations : depuis l'interpré- En fait, le hasard n'y est pour rien : tant que nos vies
tation freudienne des mécanismes de la psyché, nous sont guidées par nos réactions de défense, par des
sommes conscients que nombre de nos souvenirs sont besoins non assumés, des manques d'être, nous sommes
refoulés dans l'inconscient et donc inaccessibles à moins attirés par, et attirons à nous, ceux et celles qui
d'une longue analyse. Et encore ! Cette façon d'interpré- sont censés pallier le déficit de nous-mêmes. Et ceux-
ter notre histoire, outre son caractère désespérant ou là ont des comportements qui évoquent ceux de nos
contraignant, ne tient pas compte de l'éclairage bio-logi- parents, eux qui ont nourri et développé nos besoins à
que. Celui-ci guide ici notre recherche : la quête de notre leur façon. En modèles ou en contre-modèles, ils
passé aura à répondre de l'ambiance et des comporte- demeurent notre référence tant que nous ne satisfaisons
ments parentaux qui ont nourri nos trois besoins fonda- pas, de nous-mêmes (en toute conscience), nos besoins.
mentaux. Comment nos parents, notre entourage ont-ils Cette tendance à reproduire ou à rencontrer « toujours »
développé, nourri nos propres besoins ? Liberté, recon- les mêmes schémas ne doit pas nous culpabiliser. Cette
naissance, initiative, différence, que nous ont-ils trans- répétition est automatique : nous sommes attirés par ce
mis ? Quels souvenirs font écho à ces mots et quels que nous avons connu et reçu ou ce dont nous nous sen-
manques sont liés à ces souvenirs ? Notre histoire per- tons privés. Ainsi, l'enfant ayant été rassuré toute son
sonnelle est là, dans les réponses, gaies ou tristes, mais enfance peut devenir un adulte cherchant à être rassuré ;
toujours importantes pour nous. Petit à petit les secrets l'enfant ayant dû rassurer ses parents peut devenir un
de famille, les non-dits, les « choses » pas nommables, adulte cherchant un être à rassurer. Il sait si bien le
pas pensables dans l'immédiat, se révèlent, se disent. faire !
Sans urgence.
Être parents : rêves et peurs. nier » ou « le dernier qui nous reste ». La mission risque
de prendre l'allure d'un « bâton de vieillesse ».
Connaissez-vous un seul enfant qui ne soit pas né La toxicité de l'attente parentale tient à son caractère
des fantasmes de ses parents ? existentiel : pour l'enfant qui grandit, ses parents ne sem-
blent exister Q U E s'il répond à leurs désirs, à leurs atten-
Boris Cyrulnik. tes. Son développement, son apprentissage se font au
conditionnel :
Plus encore que la réalité factuelle, l'attente consciente « Je te sécurise et te protège si... ».
ou inconsciente des parents à l'égard de l'enfant marque « Je te reconnais et t'aime si... ».
celui-ci de son empreinte. Elle le soumet à une pression, « J'accompagne tes projets personnels si... ».
parfois même à de la violence, et à des interdits. En clair, Le si n'est pas toujours prononcé. Peu s'en faut. Mais
cette attente parentale décide pour l'enfant de ce qui est il est contenu implicitement dans les réactions défensives
bien, ce qu'il faut faire, de ce qui est mal, ce des parents dès que l'enfant tend à échapper au fantasme,
qu'il ne faut surtout pas faire. Ce fantasme parental ne au rêve dont il est porteur. Il n'est plus alors la nourriture
se limite pas à ce que l'enfant doit donner pour que ses palliative de ses parents : ceux-ci, à nouveau, sont
parents parviennent à se rassurer, se donner une identité confrontés à leurs peurs, leur stress ou leur vide. L'enfant
ou un but dans leur vie. Il s'étend à ce que l'enfant doit le voit et le sent très bien. Il éprouve de la culpabilité
recevoir et accepter d'eux. L'enfant est à la fois pour- sans en comprendre l'origine dès lors que maman s'agite
voyeur et réceptable. Cette attente est d'autant moins ou s'angoisse, dès lors que papa gronde ou tape, que l'un
remise en question qu'elle correspond aux manques dont ou l'autre se renferme dans un silence douloureux et
ont souffert et souffrent encore ses parents, et s'ancre sur accusateur.
des besoins qui, selon eux, sont fondés. Les enfants Les attentes craintives des parents engendrent la peur
deviennent alors leur solution, et celle-ci est indépen- de leurs enfants : « sois gentil, sois grand, sois fort, sois
dante de l'amour qu'ils leur portent. sérieux, aie confiance... ». Autant de mots d'ordre qui
sous-entendent un « sinon... » prometteur de drames
Combler les attentes des parents... mission impos- inconnus, voire terrifiants. Tous pourraient se résumer en
sible pour les enfants. Plus l'investissement des parents « sois bien pour satisfaire notre besoin à nous, tes
sur l'enfant est élevé, plus l'enfant se trouve chargé parents ».
d'une mission impossible : donner à ses parents ce dont Or l'enfant doit lui-même satisfaire ses propres
ils manquent, devenir leur traitement palliatif ! Certains besoins. Alors il s'adapte aux conditions qui lui sont pro-
enfants uniques connaissent encore mieux que d'autres posées ou plutôt imposées : face à l'exigence de ses
le poids de cet investissement parental. Ils ont rêvé de besoins à lui, il est prêt à accepter beaucoup, presque
frères ou de sœurs avec lesquels ils auraient au moins pu tout, jusqu'à la perversité des comportements de certains
partager la charge. Il n'y a rien alors de paradoxal à parents. L'enfant se tait, incorpore les conditions qui lui
constater que les derniers-nés non seulement bénéficient ont permis de nourrir ses besoins... sans savoir que cel-
de l'expérience acquise grâce aux premiers en matière les-ci s'inscrivent dans sa mémoire comme un parasite.
d'éducation, mais aussi de l'allégement du fantasme. On Comme une épine. Petit à petit, sa sécurité, son identité
investit moins sur lui, sauf quand il devient « le petit der- et sa réalité d'être se développent avec ce toxique lirni-
Être parents : rêves et peurs. nier » ou « le dernier qui nous reste ». La mission risque
de prendre l'allure d'un « bâton de vieillesse ».
Connaissez-vous un seul enfant qui ne soit pas né La toxicité de l'attente parentale tient à son caractère
des fantasmes de ses parents ? existentiel : pour l'enfant qui grandit, ses parents ne sem-
blent exister Q U E s'il répond à leurs désirs, à leurs atten-
Boris Cyrulnik. tes. Son développement, son apprentissage se font au
conditionnel :
Plus encore que la réalité factuelle, l'attente consciente « Je te sécurise et te protège si... ».
ou inconsciente des parents à l'égard de l'enfant marque « Je te reconnais et t'aime si... ».
celui-ci de son empreinte. Elle le soumet à une pression, « J'accompagne tes projets personnels si... ».
parfois même à de la violence, et à des interdits. En clair, Le si n'est pas toujours prononcé. Peu s'en faut. Mais
cette attente parentale décide pour l'enfant de ce qui est il est contenu implicitement dans les réactions défensives
bien, ce qu'il faut f a i r e , de ce qui est mal, ce des parents dès que l'enfant tend à échapper au fantasme,
qu'il ne faut surtout pas faire. Ce fantasme parental ne au rêve dont il est porteur. Il n'est plus alors la nourriture
se limite pas à ce que l'enfant doit donner pour que ses palliative de ses parents : ceux-ci, à nouveau, sont
parents parviennent à se rassurer, se donner une identité confrontés à leurs peurs, leur stress ou leur vide. L'enfant
ou un but dans leur vie. Il s'étend à ce que l'enfant doit le voit et le sent très bien. Il éprouve de la culpabilité
recevoir et accepter d'eux. L'enfant est à la fois pour- sans en comprendre l'origine dès lors que maman s'agite
voyeur et réceptable. Cette attente est d'autant moins ou s'angoisse, dès lors que papa gronde ou tape, que l'un
remise en question qu'elle correspond aux manques dont ou l'autre se renferme dans un silence douloureux et
ont souffert et souffrent encore ses parents, et s'ancre sur accusateur.
des besoins qui, selon eux, sont fondés. Les enfants Les attentes craintives des parents engendrent la peur
deviennent alors leur solution, et celle-ci est indépen- de leurs enfants : « sois gentil, sois grand, sois fort, sois
dante de l'amour qu'ils leur portent. sérieux, aie confiance... ». Autant de mots d'ordre qui
sous-entendent un « sinon... » prometteur de drames
Combler les attentes des parents... mission impos- inconnus, voire terrifiants. Tous pourraient se résumer en
sible pour les enfants. Plus l'investissement des parents « sois bien pour satisfaire notre besoin à nous, tes
sur l'enfant est élevé, plus l'enfant se trouve chargé parents ».
d'une mission impossible : donner à ses parents ce dont Or l'enfant doit lui-même satisfaire ses propres
ils manquent, devenir leur traitement palliatif ! Certains besoins. Alors il s'adapte aux conditions qui lui sont pro-
enfants uniques connaissent encore mieux que d'autres posées ou plutôt imposées : face à l'exigence de ses
le poids de cet investissement parental. Ils ont rêvé de besoins à lui, il est prêt à accepter beaucoup, presque
frères ou de sœurs avec lesquels ils auraient au moins pu tout, jusqu'à la perversité des comportements de certains
partager la charge. Il n'y a rien alors de paradoxal à parents. L'enfant se tait, incorpore les conditions qui lui
constater que les derniers-nés non seulement bénéficient ont permis de nourrir ses besoins... sans savoir que cel-
de l'expérience acquise grâce aux premiers en matière les-ci s'inscrivent dans sa mémoire comme un parasite.
d'éducation, mais aussi de l'allégement du fantasme. On Comme une épine. Petit à petit, sa sécurité, son identité
investit moins sur lui, sauf quand il devient « le petit der- et sa réalité d'être se développent avec ce toxique lirni-
tant qui peut même lui interdire l'accès direct à ses pro- même temps, on craint par-dessus tout qu'il sache car
pres potentiels. « cela » ferait trop mal, à lui comme à chacun dans la
famille. On préfère se taire même si le non-dit est écra-
sant et les émotions si visibles.
Comportements parentaux.
Pascal avait dix mois lorsque son frère aîné, âgé de
Trois types de comportements peuvent être considérés six ans, est tombé d'une échelle et est mort d'un
comme toxiques. Nous les classerons en paradoxaux, traumatisme crânien. Les parents courageux ne
abusifs et absents, car c'est ainsi qu'ils sont vécus par voulurent pas que Pascal et sa sœur aient à trop
les enfants. souffrir du drame ; ils n'en parlèrent pas à l'un et
rassurèrent de leur mieux la seconde. En grandis-
Comportements paradoxaux. sant, Pascal devint un enfant capricieux et agité, en
manque de sécurité. Il semblait très attaché à sa
Ce ne sont pas les parents qui sont toxiques mais mère et, en même temps, lui en voulait. Celle-ci ne
certains de leurs comportements émotionnels. Quand pouvait s'empêcher en jouant avec son dernier gar-
le parent dit une chose mais en pense une autre, quand çon de se souvenir du premier. Ses sourires son-
son émotion contredit ses mots, quand le comportement naient un peu faux, suffisamment pour que Pascal
parental est empreint d'incohérence, de mensonges, de le ressente, sans comprendre le décalage entre un
propos qui se contredisent, l'enfant ne peut s'adapter comportement « officiel » de maman affectueuse et
faute de références fiables. Ce qui un jour est récom- un parasite impensable tant qu'il n'était pas dit.
pensé sera peut-être demain interdit, selon l'humeur Enfin, un jour, sa mère lui raconta. Pascal se sou-
changeante et inquiète du parent. Plus ces paradoxes tou- vient de ce moment unique dans sa vie : il avait dix
chent à la sécurité et à l'identité, plus ils sont générateurs ans et, dit-il, « ce fut comme un voile qui se déchi-
de manque et entretiennent le doute : l'enfant sent qu'il rait, enfin je voyais ! ».
ne peut se fier au parent, qu'il ne peut compter sur lui.
La transmission se fait mal. À l'origine des comporte- Comportements abusifs.
ments paradoxaux parentaux, les secrets de famille, les
adoptions, les non-dits honteux, ce que l'enfant ne « Les gens sont si méchants, il faut bien que je sois
« doit » pas savoir pour son propre bonheur selon ses là », « tu es tout ce que j'ai », « tu n'es rien sans moi »
parents, ce qui lui est caché pour son bien ou simplement ... Ah, ces petites phrases qui savent si bien trouver le
parce qu'on ne pense pas à lui en faire part, et qui lui chemin de nos besoins fondamentaux, s'incruster dans
rend incompréhensible ce qu'il voit et ce qu'il entend. notre mémoire et limiter notre autonomie ! Le parent au
Faut-il « tout » dire aux enfants ? Dire plus, probable- comportement abusif a une certaine idée, souvent même
ment, et surtout être conscient du double message très précise, de ce que l'enfant lui doit. L'attente est mas-
adressé à celui qui, un jour peut-être, demandera des sive, au prorata du manque. Le parent investit parfois
comptes. Les parents attendent ici que l'enfant toute sa vie sur la tête de son ou de ses enfants. Les sacri-
comprenne et agisse sans que l'on ait à lui dire ou à lui fices ne sont pas trop grands pour que ceux-là fournissent
apprendre, sans avoir à lui transmettre l'information. En leur dû : sacrifice de temps, de santé, d'argent, d'énergie,
tant qui peut même lui interdire l'accès direct à ses pro- même temps, on craint par-dessus tout qu'il sache car
pres potentiels. « cela » ferait trop mal, à lui comme à chacun dans la
famille. On préfère se taire même si le non-dit est écra-
sant et les émotions si visibles.
Comportements parentaux.
Pascal avait dix mois lorsque son frère aîné, âgé de
Trois types de comportements peuvent être considérés six ans, est tombé d'une échelle et est mort d'un
comme toxiques. Nous les classerons en paradoxaux, traumatisme crânien. Les parents courageux ne
abusifs et absents, car c'est ainsi qu'ils sont vécus par voulurent pas que Pascal et sa sœur aient à trop
les enfants. souffrir du drame ; ils n'en parlèrent pas à l'un et
rassurèrent de leur mieux la seconde. En grandis-
Comportements paradoxaux. sant, Pascal devint un enfant capricieux et agité, en
manque de sécurité. Il semblait très attaché à sa
Ce ne sont pas les parents qui sont toxiques mais mère et, en même temps, lui en voulait. Celle-ci ne
certains de leurs comportements émotionnels. Quand pouvait s'empêcher en jouant avec son dernier gar-
le parent dit une chose mais en pense une autre, quand çon de se souvenir du premier. Ses sourires son-
son émotion contredit ses mots, quand le comportement naient un peu faux, suffisamment pour que Pascal
parental est empreint d'incohérence, de mensonges, de le ressente, sans comprendre le décalage entre un
propos qui se contredisent, l'enfant ne peut s'adapter comportement « officiel » de maman affectueuse et
faute de références fiables. Ce qui un jour est récom- un parasite impensable tant qu'il n'était pas dit.
pensé sera peut-être demain interdit, selon l'humeur Enfin, un jour, sa mère lui raconta. Pascal se sou-
changeante et inquiète du parent. Plus ces paradoxes tou- vient de ce moment unique dans sa vie : il avait dix
chent à la sécurité et à l'identité, plus ils sont générateurs ans et, dit-il, « ce fut comme un voile qui se déchi-
de manque et entretiennent le doute : l'enfant sent qu'il rait, enfin je voyais ! ».
ne peut se fier au parent, qu'il ne peut compter sur lui.
La transmission se fait mal. À l'origine des comporte- Comportements abusifs.
ments paradoxaux parentaux, les secrets de famille, les
adoptions, les non-dits honteux, ce que l'enfant ne « Les gens sont si méchants, il faut bien que je sois
« doit » pas savoir pour son propre bonheur selon ses là », « tu es tout ce que j'ai », « tu n'es rien sans moi »
parents, ce qui lui est caché pour son bien ou simplement ... Ah, ces petites phrases qui savent si bien trouver le
parce qu'on ne pense pas à lui en faire part, et qui lui chemin de nos besoins fondamentaux, s'incruster dans
rend incompréhensible ce qu'il voit et ce qu'il entend. notre mémoire et limiter notre autonomie ! Le parent au
Faut-il « tout » dire aux enfants ? Dire plus, probable- comportement abusif a une certaine idée, souvent même
ment, et surtout être conscient du double message très précise, de ce que l'enfant lui doit. L'attente est mas-
adressé à celui qui, un jour peut-être, demandera des sive, au prorata du manque. Le parent investit parfois
comptes. Les parents attendent ici que l'enfant toute sa vie sur la tête de son ou de ses enfants. Les sacri-
comprenne et agisse sans que l'on ait à lui dire ou à lui fices ne sont pas trop grands pour que ceux-là fournissent
apprendre, sans avoir à lui transmettre l'information. En leur dû : sacrifice de temps, de santé, d'argent, d'énergie,
de plaisir, sacrifice de soi pour que l'enfant rapporte à Comportement absents.
ses parents bonnes notes en classe, bonne santé, bonne « Maman est occupée, papa travaille, il rentrera tard
humeur et bonheur. Un jour viendra cette phrase qui fait Ce soir. » « Le droit de visite du père se limite aux pre-
frémir plus d'un adolescent en révolte contre ce trop- mier, troisième et cinquième week-ends du mois, du
plein d'amour, de prévenance et de sacrifice. « Après samedi 9 heures au dimanche 18 heures.» Famille
tout ce qu'on a fait pour toi ! » Comment dire à ce père monoparentale, éloignement dû au travail, indisponibi-
ou à cette mère que justement c'est ce « tout »-là qui lité affective, démission parentale face à des enfants que
pose problème ? Il est tellement trop ! Dès que l'enfant l'on ne comprend plus quand ils grandissent... les occa-
tente de s'en libérer, le voilà assailli de culpabilité et desions d'absence ne manquent pas. D'autant que ceux qui
doute... « Je ne peux pas (leur) faire ça ! » ne sont pas là, à qui l'enfant ne peut parler, ne savent pas
Les comportements abusifs agissent comme un toujours profiter des courts moments pour transmettre
« occupant » dans l'esprit de l'enfant : le moindre besoin l'essentiel. Le manque de présence ou de disponibilité
est filtré par le regard parental. N'est permis que ce qui donne à l'enfant un sentiment d'isolement, qu'un jour il
ajoute de la sécurité, de l'identité ou de la réalité d'être...
résumera peut-être à sa façon : « Mes parents ne sont
au parent ! Le reste n'est pas envisageable. L'enfant lui- jamais là. » Et ceux-là crieront à l'injustice en se souve-
même fait le tri. Il vit en état de siège, sous haute sur- nant du parcours de combattant qui a été le leur pour
veillance de ses parents tant qu'il est enfant, de lui-même conjuguer vie personnelle, vie professionnelle et vie
devenu adulte. familiale.
Le comportement abusif du parent part d'un constat : Problèmes de temps, problèmes de la vie moderne ?
la peur de ne pas être à la hauteur. L'arrivée de l'enfant Certes, mais l'absence n'est pas seulement physique
est accueillie comme un baume réparateur, chargé de puisqu'il est des parents absents alors même qu'ils sont
guérir son parent de son manque d'être, donc de le sécu- présents auprès des enfants. Elle est surtout dans un man-
riser, de l'identifier, de le réaliser. que de prise en considération des besoins de chacun :
l'enfant n'a pas forcément besoin que ses parents soient
« Ma mère a eu deux fausses couches avant ma beaucoup avec lui, qu'ils lui consacrent du temps quan-
naissance, raconte Henri. C'était un des trucs titativement. En revanche, il a besoin qu'ils contribuent
qu 'elle me racontait pour m'expliquer à quel point à développer sa sécurité à partir de la leur, son identité
elle m'avait désiré. Et aussi que j'étais tout pour à partir de la leur, sa réalité d'être à partir de la leur. Ce
elle. Elle était toujours sur moi et passait son temps qui est donc absent de la relation éducative, c'est le res-
à me raconter que tout ce qu' elle faisait, c'était pect des besoins de l'enfant. La différence avec les
pour moi. Elle m'emmenait partout avec elle. Je ne comportements abusifs est qu'ils n'attendent pas de leurs
pouvais aller voir mes copains tout seul, elle arri- enfants que ceux-ci pallient leur manque, ou réparent
vait à devenir amie avec leurs mères, elle leur souffrance. Leur attente à eux est ailleurs : que
m'accompagnait et restait tout l'après-midi pen- l'enfant acquière, sans qu'ils aient à intervenir, confiance
dant que je jouais avec eux. Je ne pouvais rien faire en lui, réussite scolaire et projet de vie... Tout seuls, avec
sans elle. Je crois surtout qu'elle ne pouvait rien leurs professeurs, avec leurs copains ou l'ordinateur.
faire sans moi. » Bref, « qu'ils se débrouillent, ils en sont capables » !
de plaisir, sacrifice de soi pour que l'enfant rapporte à Comportement absents.
ses parents bonnes notes en classe, bonne santé, bonne « Maman est occupée, papa travaille, il rentrera tard
humeur et bonheur. Un jour viendra cette phrase qui fait Ce soir. » « Le droit de visite du père se limite aux pre-
frémir plus d'un adolescent en révolte contre ce trop- mier, troisième et cinquième week-ends du mois, du
plein d'amour, de prévenance et de sacrifice. « Après samedi 9 heures au dimanche 18 heures.» Famille
tout ce qu'on a fait pour toi ! » Comment dire à ce père monoparentale, éloignement dû au travail, indisponibi-
ou à cette mère que justement c'est ce « tout »-là qui lité affective, démission parentale face à des enfants que
pose problème ? Il est tellement trop ! Dès que l'enfant l'on ne comprend plus quand ils grandissent... les occa-
tente de s'en libérer, le voilà assailli de culpabilité et desions d'absence ne manquent pas. D'autant que ceux qui
doute... « Je ne peux pas (leur) faire ça ! » ne sont pas là, à qui l'enfant ne peut parler, ne savent pas
Les comportements abusifs agissent comme un toujours profiter des courts moments pour transmettre
« occupant » dans l'esprit de l'enfant : le moindre besoin l'essentiel. Le manque de présence ou de disponibilité
est filtré par le regard parental. N'est permis que ce qui donne à l'enfant un sentiment d'isolement, qu'un jour il
ajoute de la sécurité, de l'identité ou de la réalité d'être...
résumera peut-être à sa façon : « Mes parents ne sont
au parent ! Le reste n'est pas envisageable. L'enfant lui- jamais là. » Et ceux-là crieront à l'injustice en se souve-
même fait le tri. Il vit en état de siège, sous haute sur- nant du parcours de combattant qui a été le leur pour
veillance de ses parents tant qu'il est enfant, de lui-même conjuguer vie personnelle, vie professionnelle et vie
devenu adulte. familiale.
Le comportement abusif du parent part d'un constat : Problèmes de temps, problèmes de la vie moderne ?
la peur de ne pas être à la hauteur. L'arrivée de l'enfant Certes, mais l'absence n'est pas seulement physique
est accueillie comme un baume réparateur, chargé de puisqu'il est des parents absents alors même qu'ils sont
guérir son parent de son manque d'être, donc de le sécu- présents auprès des enfants. Elle est surtout dans un man-
riser, de l'identifier, de le réaliser. que de prise en considération des besoins de chacun :
l'enfant n'a pas forcément besoin que ses parents soient
« Ma mère a eu deux fausses couches avant ma beaucoup avec lui, qu'ils lui consacrent du temps quan-
naissance, raconte Henri. C'était un des trucs titativement. En revanche, il a besoin qu'ils contribuent
qu 'elle me racontait pour m'expliquer à quel point à développer sa sécurité à partir de la leur, son identité
elle m'avait désiré. Et aussi que j'étais tout pour à partir de la leur, sa réalité d'être à partir de la leur. Ce
elle. Elle était toujours sur moi et passait son temps qui est donc absent de la relation éducative, c'est le res-
à me raconter que tout ce qu' elle faisait, c 'était pect des besoins de l'enfant. La différence avec les
pour moi. Elle m'emmenait partout avec elle. Je ne comportements abusifs est qu'ils n'attendent pas de leurs
pouvais aller voir mes copains tout seul, elle arri- enfants que ceux-ci pallient leur manque, ou réparent
vait à devenir amie avec leurs mères, elle leur souffrance. Leur attente à eux est ailleurs : que
m'accompagnait et restait tout l'après-midi pen- l'enfant acquière, sans qu'ils aient à intervenir, confiance
dant que je jouais avec eux. Je ne pouvais rien faire en lui, réussite scolaire et projet de vie... Tout seuls, avec
sans elle. Je crois surtout qu'elle ne pouvait rien leurs professeurs, avec leurs copains ou l'ordinateur.
faire sans moi. » Bref, « qu'ils se débrouillent, ils en sont capables » !
Pour certains, ce sera possible... en réagissant par des comme le creux à l'estomac quand nous avons faim, une
comportements défensifs efficaces. La peur ou le stress sensation, une évidence pour soi, qui ne peut exister que
au ventre, ils arriveront à dépasser leur manque d'être. pour soi, difficile à exprimer aux autres. D'autant que
D'autres, beaucoup d'autres, n'y parviendront pas. Leurs ceux-là seront tentés soit de minimiser, « regarde ce
réactions de défense seront inefficaces. que tu as ! Tu as tout ce qu'il te faut ! », soit de trou-
ver des solutions en trompe-l'œil, « tu n'as qu'à... ».
« Cher papa, je t'écris une lettre que tu ne recevras Écoutons plutôt les mots de quelques adolescents qui
pas car je n'ose pas te l'envoyer. Ça fait des années décrivent ainsi leur sensation de manque.
que je vois un mur entre toi et moi. Tu es dans ton « Je suis comme une belle bouteille... vide » (le père
monde et tu n'en sors que pour me demander si je était alcoolo-dépendant).
vais bien, même pas comment ça va et si j'ai de bon- « Chaque fois que je ramène une bonne note, c'est
nes notes au lycée. D'ailleurs tu n'écoutes pas mes mon père qui gonfle d'orgueil ! »
réponses. Tu parles, tu rigoles, tu t'agites, tu fais
« Ils me pompent avec leurs bonnes manières. »
plein de choses, tu m'achètes des cadeaux, mais tu
ne sais jamais dans quelle classe je suis. Tu es tou- « De toute façon, ils ne seront jamais contents, alors
jours en retard ou en avance d'un an ou deux. à quoi bon ? »
Papa, je me cogne la tête sur le mur. Je ne sais pas « Je travaille, mais je n'y suis pas, je me regarde faire,
comment te dire que je suis là » (Francine, quinze c'est pas moi, enfin pas vraiment, vous comprenez ? »
ans). « Je suis perdu, non, j'ai perdu, ce sont mes vieux qui
ont gagné à ce jeu de cons ! »
« J'ai une case en moins, c'est sûr. »
Manque de soi, manque d'être. Chaque parent fait ce qu'il peut, avec les moyens émo-
tionnels qui sont les siens. Ses intentions sont justes à
Le manque d'être se situe en amont de ce que chacun ses yeux... et ses comportements sont néanmoins toxi-
de nous reconnaît et nomme le manque de confiance ques quand ils ne répondent pas au besoin de l'enfant :
d'amour ou d'envie. En amont car ces trois manques-là mal, trop ou trop peu. Alors, par nécessité bio-logique,
les émotions garantissent la survie de l'être.
sont les conséquences du manque initial, fondé, lui, sur
le développement de la sécurité, de l'identité et de la réa- Pour cette raison évidente, il est impossible de dire
lité d'être. Après tout, peut-on demander qu'une voiture qu'à tel comportement parental sont censés correspondre
ronronne, accélère et nous conduise à bon port... sans telle émotion et donc tel comportement de l'enfant, futur
essence ? adulte. Ce serait faire dangereusement abstraction de la
réactivité de l'enfant lui-même et des événements exté-
rieurs qui participent à la satisfaction de ses besoins —
Le manque d'être, évident pour soi, est incompré conditions de vie, culture, guerre... De même que les
hensible pour l'autre. Mais, concrètement, le manque parents sont responsables de ce qu'ils expriment, de ce
d'être, c'est quoi ? La question revient à décrire un man qu'ils donnent, c'est la lecture de l'enfant de ce mal, ce
que ! Pas facile... Comment décrire ce qui n'est pas, si trop, ce trop peu, qui est à l'origine de ses réactions.
ce n'est par ses conséquences et ses origines... Il est Cette lecture-là est fondée sur ses besoins à lui.
Pour certains, ce sera possible... en réagissant par des comme le creux à l'estomac quand nous avons faim, une
comportements défensifs efficaces. La peur ou le stress sensation, une évidence pour soi, qui ne peut exister que
au ventre, ils arriveront à dépasser leur manque d'être. pour soi, difficile à exprimer aux autres. D'autant que
D'autres, beaucoup d'autres, n'y parviendront pas. Leurs ceux-là seront tentés soit de minimiser, « regarde ce
réactions de défense seront inefficaces. que tu as ! Tu as tout ce qu'il te faut ! », soit de trou-
ver des solutions en trompe-l'œil, « tu n'as qu'à... ».
« Cher papa, je t'écris une lettre que tu ne recevras Écoutons plutôt les mots de quelques adolescents qui
pas car je n'ose pas te l'envoyer. Ça fait des années décrivent ainsi leur sensation de manque.
que je vois un mur entre toi et moi. Tu es dans ton « Je suis comme une belle bouteille... vide » (le père
monde et tu n 'en sors que pour me demander si je était alcoolo-dépendant).
vais bien, même pas comment ça va et si j'ai de bon- « Chaque fois que je ramène une bonne note, c'est
nes notes au lycée. D'ailleurs tu n'écoutes pas mes mon père qui gonfle d'orgueil ! »
réponses. Tu parles, tu rigoles, tu t'agites, tu fais
« Ils me pompent avec leurs bonnes manières. »
plein de choses, tu m'achètes des cadeaux, mais tu
ne sais jamais dans quelle classe je suis. Tu es tou- « De toute façon, ils ne seront jamais contents, alors
jours en retard ou en avance d'un an ou deux. à quoi bon ? »
Papa, je me cogne la tête sur le mur. Je ne sais pas « Je travaille, mais je n'y suis pas, je me regarde faire,
comment te dire que je suis là » (Francine, quinze c'est pas moi, enfin pas vraiment, vous comprenez ? »
ans). « Je suis perdu, non, j'ai perdu, ce sont mes vieux qui
ont gagné à ce jeu de cons ! »
« J'ai une case en moins, c'est sûr. »
Manque de soi, manque d'être. Chaque parent fait ce qu'il peut, avec les moyens émo-
tionnels qui sont les siens. Ses intentions sont justes à
Le manque d'être se situe en amont de ce que chacun ses yeux... et ses comportements sont néanmoins toxi-
de nous reconnaît et nomme le manque de confiance ques quand ils ne répondent pas au besoin de l'enfant :
d'amour ou d'envie. En amont car ces trois manques-là mal, trop ou trop peu. Alors, par nécessité bio-logique,
les émotions garantissent la survie de l'être.
sont les conséquences du manque initial, fondé, lui, sur
le développement de la sécurité, de l'identité et de la réa- Pour cette raison évidente, il est impossible de dire
lité d'être. Après tout, peut-on demander qu'une voiture qu'à tel comportement parental sont censés correspondre
ronronne, accélère et nous conduise à bon port... sans telle émotion et donc tel comportement de l'enfant, futur
essence ? adulte. Ce serait faire dangereusement abstraction de la
réactivité de l'enfant lui-même et des événements exté-
rieurs qui participent à la satisfaction de ses besoins,
Le manque d'être, évident pour soi, est incompré conditions de vie, culture, guerre... De même que les
hensible pour l'autre. Mais, concrètement, le manque parents sont responsables de ce qu'ils expriment, de ce
d'être, c'est quoi ? La question revient à décrire un man qu'ils donnent, c'est la lecture de l'enfant de ce mal, ce
que ! Pas facile... Comment décrire ce qui n'est pas, si trop, ce trop peu, qui est à l'origine de ses réactions.
ce n'est par ses conséquences et ses origines... Il est Cette lecture-là est fondée sur ses besoins à lui.
N'exister que pour l'autre ou n'exister que grâce à latrice pour devenir aliénante, autant pour le parent que
l'autre sont les deux manifestations du manque pour les enfants : le manque d'être s'autoentretient de
d'être. L'enfant ne sait pas qu'il ne pourra jamais satis- part et d'autre dans une dépendance mutuelle. Le parent
faire entièrement les besoins de ses parents. Quoi qu'il sur-doseur ou sous-doseur de nourriture sécuritaire, iden-
fasse, quoi qu'il donne de lui-même bons résultats titaire ou réalisatrice expose son enfant à vivre à son tour
scolaires, gentillesse, persévérance, sacrifice de sa per- dans l'enchaînement des réactions émotionnelles, faute
sonnalité même, leur satisfaction est imparfaite à d'avoir appris à se nourrir. Et, un jour, lui-même devien-
court terme, et finalement impossible. Il peut s'y épuiser dra parent.
sans pour autant comprendre, se révolter sans pour autant
se libérer. Aucun enfant ne peut compenser le manque
d'être de ses parents. Celui-ci leur appartient entière- Survivre à son enfance.
ment, c'est donc à eux de répondre à leurs propres
besoins. Heureusement, les mécanismes de défense des besoins
À l'adolescence peut se produire un retournement de fondamentaux sont là pour alerter sur le manque d'être
situation. Renâclant de plus en plus à pourvoir à l'attente et le pallier. Heureusement, car, compensateurs à court
parentale, l'adolescent voudrait même que le processus terme, ils permettent la survie de l'intégrité. Mais les
initial s'inverse : « Après avoir fourni à la louche ce que conséquences pèsent lourd sur nos épaules.
mes parents me demandaient, maintenant, c'est à eux, et Voici l'enfant nourri de paradoxes, de trop ou de trop
ils ont intérêt à casquer ! » me disait François, quatorze peu. Il lui reste à vivre, c'est-à-dire à s'adapter au man-
ans, bonne tête de classe pendant dix ans et qui abordait que de lui-même, au moindre coût pour son être. Il crée
son adolescence de façon musclée ! L'enfant compensa- alors de façon non consciente des stratégies défensives
teur des manques parentaux prend alors conscience que d'existence.
le système est un tonneau des Danaïdes : il a beau faire Celles-ci peuvent varier selon la nature du besoin : une
de son mieux pour le remplir, les parents ne sont « jamais identité peut avoir été mieux nourrie que la réalité de soi,
contents ». celle-ci mieux que la sécurité.
Parmi les facteurs influant sur la stratégie d'existence,
Le manque de soi, le manque d'être, trouve celui du temps d'« exposition » est bien sûr fondamental.
son origine dans cette articulation qui devrait être le Plus la toxicité des comportements a été vécue sur un
lieu de la transmission. Celle-ci est parasitée dès lors laps de temps long, plus les habitudes défensives ont pu
que rentrent en jeu l'un ou l'autre, ou les deux méca- s'installer et se rigidifier. De même, pour le facteur
nismes suivants : « ouverture » : plus le cercle de famille est étroit, vivant
— « faire » pour l'autre, à sa place et se substituer en vase clos, refermé sur lui-même avec peu d'échanges
à lui ; à l'extérieur, plus la pression comportementale est élevée
— « être fait » par l'autre, dépendre de lui et se et les stratégies incrustées dans la mémoire.
dénier soi. Compte tenu de ces facteurs, l'enfant peut s'adapter
de deux façons différentes aux attentes parentales :
Dans le mot « faire », nous comprenons penser, dire — soit en s'organisant pour que les autres pourvoient
et agir. Dès lors, la relation parentale cesse d'être révé- et pallient ses besoins ;
N'exister que pour l'autre ou n'exister que grâce à latrice pour devenir aliénante, autant pour le parent que
l'autre sont les deux manifestations du manque pour les enfants : le manque d'être s'autoentretient de
d'être. L'enfant ne sait pas qu'il ne pourra jamais satis- part et d'autre dans une dépendance mutuelle. Le parent
faire entièrement les besoins de ses parents. Quoi qu'il sur-doseur ou sous-doseur de nourriture sécuritaire, iden-
fasse, quoi qu'il donne de lui-même bons résultats titaire ou réalisatrice expose son enfant à vivre à son tour
scolaires, gentillesse, persévérance, sacrifice de sa per- dans l'enchaînement des réactions émotionnelles, faute
sonnalité m ê m e , leur satisfaction est imparfaite à d'avoir appris à se nourrir. Et, un jour, lui-même devien-
court terme, et finalement impossible. Il peut s'y épuiser dra parent.
sans pour autant comprendre, se révolter sans pour autant
se libérer. Aucun enfant ne peut compenser le manque
d'être de ses parents. Celui-ci leur appartient entière- Survivre à son enfance.
ment, c'est donc à eux de répondre à leurs propres
besoins. Heureusement, les mécanismes de défense des besoins
À l'adolescence peut se produire un retournement de fondamentaux sont là pour alerter sur le manque d'être
situation. Renâclant de plus en plus à pourvoir à l'attente et le pallier. Heureusement, car, compensateurs à court
parentale, l'adolescent voudrait même que le processus terme, ils permettent la survie de l'intégrité. Mais les
initial s'inverse : « Après avoir fourni à la louche ce que conséquences pèsent lourd sur nos épaules.
mes parents me demandaient, maintenant, c'est à eux, et Voici l'enfant nourri de paradoxes, de trop ou de trop
ils ont intérêt à casquer ! » me disait François, quatorze peu. Il lui reste à vivre, c'est-à-dire à s'adapter au man-
ans, bonne tête de classe pendant dix ans et qui abordait que de lui-même, au moindre coût pour son être. Il crée
son adolescence de façon musclée ! L'enfant compensa- alors de façon non consciente des stratégies défensives
teur des manques parentaux prend alors conscience que d'existence.
le système est un tonneau des Danaïdes : il a beau faire Celles-ci peuvent varier selon la nature du besoin : une
de son mieux pour le remplir, les parents ne sont « jamais identité peut avoir été mieux nourrie que la réalité de soi,
contents ». celle-ci mieux que la sécurité.
Parmi les facteurs influant sur la stratégie d'existence,
Le manque de soi, le manque d'être, trouve celui du temps d'« exposition » est bien sûr fondamental.
son origine dans cette articulation qui devrait être le Plus la toxicité des comportements a été vécue sur un
lieu de la transmission. Celle-ci est parasitée dès lors laps de temps long, plus les habitudes défensives ont pu
que rentrent en jeu l'un ou l'autre, ou les deux méca- s'installer et se rigidifier. De même, pour le facteur
nismes suivants : « ouverture » : plus le cercle de famille est étroit, vivant
— « faire » pour l'autre, à sa place et se substituer en vase clos, refermé sur lui-même avec peu d'échanges
à lui ; à l'extérieur, plus la pression comportementale est élevée
— « être fait » par l'autre, dépendre de lui et se et les stratégies incrustées dans la mémoire.
dénier soi. Compte tenu de ces facteurs, l'enfant peut s'adapter
de deux façons différentes aux attentes parentales :
Dans le mot « faire », nous comprenons penser, dire — soit en s'organisant pour que les autres pourvoient
et agir. Dès lors, la relation parentale cesse d'être révé- et pallient ses besoins ;
— soit en s'organisant pour devenir le pourvoyeur et Sa stratégie de vie lui apparaîtra comme la « seule »
le palliatif des besoins des autres. façon de... survivre.
Transfusés ou transfuseurs, nous n'en sommes pas Il serait vain ici de proposer un exemple illustrant nos
moins dépendants du bon vouloir de l'autre. Dans propos : nous sommes tous des exemples ! Toute habi-
le premier cas de figure, il se met en situation de « trans- tude, dès lors qu'elle est devenue existentielle, fait partie
fusé », dans l'attente de recevoir ce dont il a besoin pour de la stratégie : réussir, aider, être gentil, créer peuvent
pallier son manque d'être. Il devient dépendant de ceux être aussi nécessaires qu'échouer, détester, tomber
qui lui donnent. Consommateur de l'énergie de son malade... Ce ne sera plus le comportement lui-même qui
entourage, il quête sécurité, reconnaissance et projet. sera à entendre et à comprendre mais son intention exis-
Toute tentative de « sevrage » entraîne angoisse, agres- tentielle sous-jacente. Et l'intention, bien sûr, sera le
sivité ou démotivation, seules réactions connues de lui besoin biologique qui n'aura trouvé comme nourriture
susceptibles de faire revenir la « dose » qui apaisera sa « que » cette voie-là pour être rassasié, aussi douloureuse
faim. et risquée soit-elle.
Dans le deuxième cas de figure, il se met en situation
de « transfuseur » : il donne à son entourage toujours Et nos traumatismes ?
plus. Toujours en dette, coupable, à peine l'autre fait-il
mine de manquer de bien-être, d'amour ou de projet. Il On accuse le plus souvent nos traumatismes d'être à
anticipe, trouve des solutions, bâtit le futur... des autres l'origine de nos maux et de nos émotions. Le trauma-
dans la sensation que, tant qu'il transfuse, il existe, que tisme est, en fait, l'événement qui a transformé le man-
tant qu'il nourrit ceux qu'il aime il sera protégé et aimé. que en peur du manque, c'est-à-dire la sensation d'une
Du moins, c'est ce qu'il attend. intégrité menacée. Le terme lui-même est issu du langage
Deux stratégies qui se confortent l'une l'autre. Trans- médical et trouve son origine étymologique dans l'action
fuses vis-à-vis d'un besoin, transfuseurs vis-à-vis d'uni d'« user en frottant ». Notre vision aujourd'hui est celle
autre, nous ne sommes évidemment jamais tout l'un ou d'un « choc brutal ».
tout l'autre. Néanmoins, l'enfant, très tôt dans son L'idée d'usure correspond mieux à la réalité biologi-
enfance, s'organise plutôt dans l'une ou l'autre de ces que : à force d'être vécues, à force d'imprégner les sen-
structures. sations de l'enfant, les attentes parentales et leur logique
Stratégies de vie qui, dans un système fermé, s'auto- fractionnelle usent la force autonome motivante de
renforcent, dans l'attente que cette chaîne sans fin, un l'enfant. Elles la détournent vers elles. Puis surviennent
jour, s'arrête... Mais les réactions de défense ne sont pas des événements qui, sans être forcément plus intenses ou
« faites » pour ça ! Elles ne sont que palliatives, non plus marquants dans leur apparence, « confirment »
curatives. Les nourritures qu'elles procurent sont parasi- l'enfant dans ses peurs, ou son stress. Alors, ils sont enre-
tées et ne peuvent pas développer de façon juste la gistrés, mémorisés comme exceptionnels quand ils ne
confiance en soi ou l'estime de soi. Les besoins de sont qu'un «prolongement». Comme l'image de la
l'enfant, têtus parce que biologiques et sans état d'âme, goutte d'eau qui fait déborder le vase : pendant des jours,
apprennent à se contenter de ce qu'ils reçoivent. Ils enre- des mois, notre vase intérieur s'est rempli goutte après
gistrent ce qui deviendra à l'âge adulte des croyances, goutte. Un jour, une autre identique s'ajoute, apparem-
des évidences de vie auxquelles tout son être adhérera. ment en trop puisque l'eau s'écoule du vase. Naïvement,
— soit en s'organisant pour devenir le pourvoyeur et Sa stratégie de vie lui apparaîtra comme la « seule »
le palliatif des besoins des autres. façon de... survivre.
Transfusés ou transfuseurs, nous n'en sommes pas Il serait vain ici de proposer un exemple illustrant nos
moins dépendants du (bon) vouloir de l'autre. Dans propos : nous sommes tous des exemples ! Toute habi-
le premier cas de figure, il se met en situation de « trans- tude, dès lors qu'elle est devenue existentielle, fait partie
fusé », dans l'attente de recevoir ce dont il a besoin pour de la stratégie : réussir, aider, être gentil, créer peuvent
pallier son manque d'être. Il devient dépendant de ceux être aussi nécessaires qu'échouer, détester, tomber
qui lui donnent. Consommateur de l'énergie de son malade... Ce ne sera plus le comportement lui-même qui
entourage, il quête sécurité, reconnaissance et projet. sera à entendre et à comprendre mais son intention exis-
Toute tentative de « sevrage » entraîne angoisse, agres- tentielle sous-jacente. Et l'intention, bien sûr, sera le
sivité ou démotivation, seules réactions connues de lui besoin biologique qui n'aura trouvé comme nourriture
susceptibles de faire revenir la « dose » qui apaisera sa « que » cette voie-là pour être rassasié, aussi douloureuse
faim. et risquée soit-elle.
Dans le deuxième cas de figure, il se met en situation
de « transfuseur » : il donne à son entourage toujours Et nos traumatismes ?
plus. Toujours en dette, coupable, à peine l'autre fait-il
mine de manquer de bien-être, d'amour ou de projet. Il On accuse le plus souvent nos traumatismes d'être à
anticipe, trouve des solutions, bâtit le futur... des autres l'origine de nos maux et de nos émotions. Le trauma-
dans la sensation que, tant qu'il transfuse, il existe, que tisme est, en fait, l'événement qui a transformé le man-
tant qu'il nourrit ceux qu'il aime il sera protégé et aimé. que en peur du manque, c'est-à-dire la sensation d'une
Du moins, c'est ce qu'il attend. intégrité menacée. Le terme lui-même est issu du langage
Deux stratégies qui se confortent l'une l'autre. Trans-, médical et trouve son origine étymologique dans l'action
fuses vis-à-vis d'un besoin, transfuseurs vis-à-vis d'uni d'« user en frottant ». Notre vision aujourd'hui est celle
autre, nous ne sommes évidemment jamais tout l'un ou d'un « choc brutal ».
tout l'autre. Néanmoins, l'enfant, très tôt dans son! L'idée d'usure correspond mieux à la réalité biologi-
enfance, s'organise plutôt dans l'une ou l'autre de ces que : à force d'être vécues, à force d'imprégner les sen-
structures. sations de l'enfant, les attentes parentales et leur logique
Stratégies de vie qui, dans un système fermé, s'auto- fractionnelle usent la force autonome motivante de
renforcent, dans l'attente que cette chaîne sans fin, un l'enfant. Elles la détournent vers elles. Puis surviennent
jour, s'arrête... Mais les réactions de défense ne sont pas des événements qui, sans être forcément plus intenses ou
« faites » pour ça ! Elles ne sont que palliatives, n o n plus marquants dans leur apparence, « confirment »
curatives. Les nourritures qu'elles procurent sont parasi- l'enfant dans ses peurs, ou son stress. Alors, ils sont enre-
tées et ne peuvent pas développer de façon juste la gistrés, mémorisés comme exceptionnels quand ils ne
confiance en soi ou l'estime de soi. Les besoins de sont qu'un «prolongement». Comme l'image de la
l'enfant, têtus parce que biologiques et sans état d'âme, goutte d'eau qui fait déborder le vase : pendant des jours,
apprennent à se contenter de ce qu'ils reçoivent. Ils enre- des mois, notre vase intérieur s'est rempli goutte après
gistrent ce qui deviendra à l'âge adulte des croyances, goutte. Un jour, une autre identique s'ajoute, apparem-
des évidences de vie auxquelles tout son être adhérera. ment en trop puisque l'eau s'écoule du vase. Naïvement,
nous pensons que l'événement en est la cause, quand il père paniqué dès qu 'elle partait jouer chez des amis
n'est que le révélateur d'une souffrance accumulée, qui de son âge... L'inceste, sans cesser d'être un viol,
soudain déborde. Un révélateur dangereux car il enferme s'intègre dans le cours de sa vie, dans son histoire,
un peu plus l'enfant dans une logique défensive. Un tour perd de sa violence traumatisante et insupportable.
de clef supplémentaire sur soi. Il devient portable et Sylvie peut en parler. L'arti-
Le traumatisme, c'est la goutte d'eau qui fait culation entre son père et elle redevient mobile, une
« vérifier » ce que l'on craint. Que l'événement suscite autre transmission peut se faire. Elle se fera par la
révolte ou renoncement, violence ou soumission, son parole à nouveau possible entre eux.
effet traumatisant est dû à son pouvoir de confirmer à
l'enfant sa crainte : son impossibilité à assurer ses Quand le manque d'être n'est pas conscient, assumé
besoins existentiels, dans sa logique, il ne peut plus et relié à nos besoins vitaux, la motivation devient défen-
douter de son impuissance. sive et émotionnelle. Projetée sur l'autre ou écrasante
Le traumatisme n'est pas un événement isolé survenu pour soi, elle nous enferme dans une contrainte de
dans la vie de l'enfant, indépendant de son histoire et de « devoir être ».
ses stratégies émotionnelles de survie : il serait en effet
suffisamment étranger pour susciter recul, critique, voire Le manque d'être, corollaire des besoins fondamen-
rejet. Même si l'événement est violent au regard de son taux, est une donnée bio-logique, transmise de généra-
environnement affectif. tion en génération. En écho à des comportements
Le risque tient dans le fait que l'enfant voit le monde parentaux « toxiques » parce que eux-mêmes imprégnés,
et lui-même au travers du filtre de cette usure. Parvenu à et donc transmetteurs, de ce manque, les enfants réagis-
l'âge adulte, il bâtit sa vie avec, prolongeant toujours plus sent selon un système modèle/contre-modèle, transfu-
loin sa révolte ou sa soumission comme une évidence. seur/transfusé.
Le manque d'être, corollaire des besoins fondamen-
Sylvie a aujourd'hui trente ans. Il lui a fallu quel- taux, se trouve à l'origine de la motivation. Mais bien
ques entretiens pour évoquer le noyau dur autour différentes seront nos réactions selon que nous
duquel elle a organisé sa vie, surtout ses relations l'accueillons en toute conscience ou au contraire le reje-
avec les hommes : son père avait exigé d'elle des tons ou le redoutons. Dans le premier cas, le manque
rapports incestueux. Cela avait duré entre quatorze impulse la vie, dans le second la survie dans l'émotion
et dix-huit ans, âge auquel elle avait fui la maison. défensive. Quand il est nié, quand il suscite la révolte ou
Elle ne revoyait ses parents que depuis un an. le sacrifice de soi et de nos potentiels, nous subissons
Révolte, dégoût, honte, culpabilité, déception, alors nos systèmes de défense car le besoin d'intégrité
appréhension constante d'être possédée, violée... veille ! Il ne nous laisse pas renoncer à nous-mêmes.
Sylvie a construit sa vie en réaction à l'Evénement.
Le cours des entretiens l'aide à parler de sa vie
avant : son père omniprésent dans le moindre de
ses déplacements, de ses jeux avec sa sœur, dans
ses décisions et sa vie scolaire, par ailleurs,
brillante. Son père déjà « sur » elle toute petite, son

66
nous pensons que l'événement en est la cause, quand il père paniqué dès qu 'elle partait jouer chez des amis
n'est que le révélateur d'une souffrance accumulée, qui de son âge... L'inceste, sans cesser d'être un viol,
soudain déborde. Un révélateur dangereux car il enferme s'intègre dans le cours de sa vie, dans son histoire,
un peu plus l'enfant dans une logique défensive. Un tour perd de sa violence traumatisante et insupportable.
de clef supplémentaire sur soi. Il devient portable et Sylvie peut en parler. L'arti-
Le traumatisme, c'est la goutte d'eau qui fait culation entre son père et elle redevient mobile, une
« vérifier » ce que l'on craint. Que l'événement suscite autre transmission peut se faire. Elle se fera par la
révolte ou renoncement, violence ou soumission, son parole à nouveau possible entre eux.
effet traumatisant est dû à son pouvoir de confirmer à
l'enfant sa crainte : son impossibilité à assurer ses Quand le manque d'être n'est pas conscient, assumé
besoins existentiels, dans sa logique, il ne peut plus et relié à nos besoins vitaux, la motivation devient défen-
douter de son impuissance. sive et émotionnelle. Projetée sur l'autre ou écrasante
Le traumatisme n'est pas un événement isolé survenu pour soi, elle nous enferme dans une contrainte de
dans la vie de l'enfant, indépendant de son histoire et de « devoir être ».
ses stratégies émotionnelles de survie : il serait en effet
suffisamment étranger pour susciter recul, critique, voire Le manque d'être, corollaire des besoins fondamen-
rejet. Même si l'événement est violent au regard de son taux, est une donnée bio-logique, transmise de généra-
environnement affectif. tion en génération. En écho à des comportements
Le risque tient dans le fait que l'enfant voit le monde parentaux « toxiques » parce que eux-mêmes imprégnés,
et lui-même au travers du filtre de cette usure. Parvenu à et donc transmetteurs, de ce manque, les enfants réagis-
l'âge adulte, il bâtit sa vie avec, prolongeant toujours plus sent selon un système modèle/contre-modèle, transfu-
loin sa révolte ou sa soumission comme une évidence. seur/transfusé.
Le manque d'être, corollaire des besoins fondamen-
Sylvie a aujourd'hui trente ans. Il lui a fallu quel- taux, se trouve à l'origine de la motivation. Mais bien
ques entretiens pour évoquer le noyau dur autour différentes seront nos réactions selon que nous
duquel elle a organisé sa vie, surtout ses relations l'accueillons en toute conscience ou au contraire le reje-
avec les hommes : son père avait exigé d'elle des tons ou le redoutons. Dans le premier cas, le manque
rapports incestueux. Cela avait duré entre quatorze impulse la vie, dans le second la survie dans l'émotion
et dix-huit ans, âge auquel elle avait fui la maison. défensive. Quand il est nié, quand il suscite la révolte ou
Elle ne revoyait ses parents que depuis un an. le sacrifice de soi et de nos potentiels, nous subissons
Révolte, dégoût, honte, culpabilité, déception, alors nos systèmes de défense car le besoin d'intégrité
appréhension constante d'être possédée, violée... veille ! Il ne nous laisse pas renoncer à nous-mêmes.
Sylvie a construit sa vie en réaction à l'Evénement.
Le cours des entretiens l'aide à parler de sa vie
avant : son père omniprésent dans le moindre de
ses déplacements, de ses jeux avec sa sœur, dans
ses décisions et sa vie scolaire, par ailleurs,
brillante. Son père déjà « sur » elle toute petite, son

66
pour nous identifier, pour nous réaliser, quand un événe-
ment nous fait craindre le manque... et seulement dans
ces circonstances. En effet, le système n'est stimulé que
lorsqu'il y a une sensation de danger, de menace sur le
besoin à satisfaire, dont potentiellement sur sa vie. Un
chien agressif, est un chien qui vit le plus clair de son
lemps dans la peur du manque, de la privation et donc
clans la nécessité de se défendre. L'attaque s'avérant effi-
3.
cace, il est devenu agressif, et cela parce qu'il a été
« éduqué pour », selon le désir de ses maîtres.
Je me défends, donc j'existe. Pour nous, êtres humains, l'évolution n'a pas fait
preuve de beaucoup d'inventivité en moyens de défense.
« On ne change pas un système qui marche » : elle a
conservé chez nous des mécanismes datant des reptiles !
Quels que soient les besoins en cause et les situations à
Le cerveau en sait plus que ne le révèle l'origine de la sensation de menace, ils mobilisent notre
l'esprit conscient. défense. Pour notre survie.
Antonio Damasio, Nos émotions sont des symptômes. En langage
Le sentiment même de soi. courant, les mécanismes de défense se nomment émo-
tions. Autrement dit, « ce qui nous met en mouvement
Que fait un chien quand un autre chien veut lui dérober vers »... nos besoins. Ce qui nous mobilise, que
sa nourriture ? Il se défend parce qu'il a peur. Peur qu'il nous le voulions ou non, vers eux pour notre survie.
la lui prenne, peur alors d'en manquer, peur du danger Tout un système parallèle à la conscience, qui répond
que cette privation représente pour lui. Et comment se à sa propre logique et possède son expression propre.
manifeste cette réaction de défense ? Cela dépend des
circonstances... Si l'autre chien est plus gros et agressif, Nos habitudes de langage confondent fréquemment
ce pourra être en prenant la fuite, quitte à abandonner la sentiments et émotions alors que leur ressenti est bien
pâtée. S'il y a équilibre des chances, voire avantage pour différent. Les sentiments, s'ils donnent une tonalité à
le premier, ce pourra être en grognant, en aboyant, en l'humeur, une coloration, n'empiètent pas sur notre
montrant les crocs ou même en attaquant. Si les chances potentiel intellectuel et notre créativité car ils ne contien-
sont par trop inégales, cela pourra être en faisant le gentil nent pas de sensation de menace. Nous sommes tristes,
ou le soumis, dans l'espoir que l'autre chien lui laissera gais, inquiets, en colère, sans pour autant nous « perdre
un petit quelque chose... L'objectif à chaque fois est bien de vue ». Nous demeurons actifs et ouverts. Les émo-
de défendre sa vie. tions, elles, nous mobilisent « de force » vers nos besoins
Nous défendons nos besoins pour exister face au comme si nous étions en danger. Nous sommes réactifs,
manque d'être. Comme nos cousins les mammifères, car fermés à nous-mêmes, à nos potentiels. La tristesse
nous nous défendons pour exister, pour nous sécuriser, est alors empreinte de fatigue, la gaieté d'excitation,
pour nous identifier, pour nous réaliser, quand un événe-
ment nous fait craindre le manque... et seulement dans
ces circonstances. En effet, le système n'est stimulé que
lorsqu'il y a une sensation de danger, de menace sur le
besoin à satisfaire, dont potentiellement sur sa vie. Un
chien agressif, est un chien qui vit le plus clair de son
temps dans la peur du manque, de la privation et donc
clans la nécessité de se défendre. L'attaque s'avérant effi-
3.
cace, il est devenu agressif, et cela parce qu'il a été
« éduqué pour », selon le désir de ses maîtres.
Je me défends, donc j'existe. Pour nous, êtres humains, l'évolution n'a pas fait
preuve de beaucoup d'inventivité en moyens de défense.
« On ne change pas un système qui marche » : elle a
conservé chez nous des mécanismes datant des reptiles !
Quels que soient les besoins en cause et les situations à
Le cerveau en sait plus que ne le révèle l'origine de la sensation de menace, ils mobilisent notre
l'esprit conscient. défense. Pour notre survie.
Antonio Damasio, Nos émotions sont des symptômes. En langage
Le sentiment même de soi. courant, les mécanismes de défense se nomment émo-
tions. Autrement dit, « ce qui nous met en mouvement
Que fait un chien quand un autre chien veut lui dérober vers »... nos besoins. Ce qui nous mobilise, que
sa nourriture ? Il se défend parce qu'il a peur. Peur qu'il nous le voulions ou non, vers eux pour notre survie.
la lui prenne, peur alors d'en manquer, peur du danger Tout un système parallèle à la conscience, qui répond
que cette privation représente pour lui. Et comment se à sa propre logique et possède son expression propre.
manifeste cette réaction de défense ? Cela dépend des
circonstances... Si l'autre chien est plus gros et agressif, Nos habitudes de langage confondent fréquemment
ce pourra être en prenant la fuite, quitte à abandonner la sentiments et émotions alors que leur ressenti est bien
pâtée. S'il y a équilibre des chances, voire avantage pour différent. Les sentiments, s'ils donnent une tonalité à
le premier, ce pourra être en grognant, en aboyant, en l'humeur, une coloration, n'empiètent pas sur notre
montrant les crocs ou même en attaquant. Si les chances potentiel intellectuel et notre créativité car ils ne contien-
sont par trop inégales, cela pourra être en faisant le gentil nent pas de sensation de menace. Nous sommes tristes,
ou le soumis, dans l'espoir que l'autre chien lui laissera gais, inquiets, en colère, sans pour autant nous « perdre
un petit quelque chose... L'objectif à chaque fois est bien de vue ». Nous demeurons actifs et ouverts. Les émo-
de défendre sa vie. tions, elles, nous mobilisent « de force » vers nos besoins
Nous défendons nos besoins pour exister face au comme si nous étions en danger. Nous sommes réactifs,
manque d'être. Comme nos cousins les mammifères, car fermés à nous-mêmes, à nos potentiels. La tristesse
nous nous défendons pour exister, pour nous sécuriser, est alors empreinte de fatigue, la gaieté d'excitation,
l'inquiétude de peur, et la colère d'agressivité. Les émo- Toute l'émotion est précédée d'une sensation de
tions sont une caricature de nos sentiments, les mêmes menace. Celle-ci est strictement personnelle. Les mêmes
en plus, en trop pour nous obliger à ré-agir. bruits dans une maison la nuit ne suscitent aucune gêne
Quand nous allons mal, quand nous sommes touchés, chez votre voisin, mais vous maintiennent en état d'alerte
affectés, émotionnés... alors, nous nous défendons. Nos toute la nuit, avec force scenarii d'anticipations ou de
réactions répondent à cette nécessité existentielle : sur- souvenirs qui justifient le danger et votre inquiétude. À
vivre. À ce titre, se défendre est normal puisqu'il est juste l'origine de ces réactions si différentes, les mêmes bruits.
de désirer vivre. Éprouver des émotions, toutes sortes Seule différence, mais capitale : vos interprétations,
d'émotions, des plus exaltées aux plus négatives et dou- l'idée que chacun SE fait des bruits entendus.
loureuses est donc normal. S'en culpabiliser ne fait Quelles que soient les réactions que nous avons, elles
qu'augmenter leur poids. S'en débarrasser avec trois sont immédiatement dépendantes des représentations
comprimés ne fait qu'enfouir le désir de vie. que nous nous en faisons. C'est notre lecture qui est à
Ces mécanismes de défense, les sensations, les pen- prendre en compte. C'est en nous que « ça » se passe,
sées et les comportements qui leur sont liés, sont naturels dans notre regard, notre façon d'appréhender le monde,
et nécessaires. Physiologiques autant que psychiques, ils l'autre et nous-mêmes. Les variations de témoignages à
répondent à une logique de menace. propos d'un même accident nous rappellent à cette réalité
bio-logique. Souvenons-nous aussi de la célèbre bou-
teille à moitié pleine ou à moitié vide, quand celle-ci est
Une logique de menace. à moitié remplie... Cette sensation n'est pas fondée sur
un raisonnement mais sur notre ressenti ; c'est ainsi que
La simple observation du fonctionnement de l'être nous éprouvons les bruits, l'accident, la bouteille. Ce res-
vivant nous éclaire sur sa formidable cohérence : même senti est directement lié à nos besoins fondamentaux.
ce qui peut nous apparaître irrationnel, voire pénible, Tout refus, toute autolimitation, auto-interdiction
douloureux, violent, va dans le sens de la vie. Saisir la d'expression de nous-mêmes se traduit par une réaction
cohérence de l'être, au travers de ses réactions, comme de défense. Ce « manque de soi » est, bio- logiquement,
une aspiration à exprimer et à préserver son intégrité, une menace pour soi.
c'est devenir plus conscient de soi. Et, d'abord, de la peur
générée par son manque d'être. Car il n'y a pas de sys- Un événement révélateur.
tème de défense sans peur.
Or, ce que nous vivons au quotidien ne se situe pas
dans la conscience de ce manque-là, mais plutôt dans
Une sensation éprouvée.
l'évidence d'un événement qui nous a contrariés ! Si
Il ne peut y avoir de déclenchement du système de nous sommes énervés, c'est PARCE Q U E les enfants,
défense sans la sensation de menace sur son intégrité. Et, l'épouse, le mari, le patron, les grévistes, la SNCF, le
donc, sans quelque chose à l'origine de cette sensation temps, le bruit, la pollution nous contrarient... C'est la
de danger. Voilà qui nous interroge sur la nature de cette faute de « l'autre ». A moins que cette interprétation ne
perception et sur cet événement déclencheur. se retourne contre soi. Alors, si nous sommes énervés,
l'inquiétude de peur, et la colère d'agressivité. Les émo- Toute l'émotion est précédée d'une sensation de
tions sont une caricature de nos sentiments, les mêmes menace. Celle-ci est strictement personnelle. Les mêmes
en plus, en trop pour nous obliger à ré-agir. bruits dans une maison la nuit ne suscitent aucune gêne
Quand nous allons mal, quand nous sommes touchés, chez votre voisin, mais vous maintiennent en état d'alerte
affectés, émotionnés... alors, nous nous défendons. Nos toute la nuit, avec force scenarii d'anticipations ou de
réactions répondent à cette nécessité existentielle : sur- souvenirs qui justifient le danger et votre inquiétude. À
vivre. À ce titre, se défendre est normal puisqu'il est juste l'origine de ces réactions si différentes, les mêmes bruits.
de désirer vivre. Éprouver des émotions, toutes sortes Seule différence, mais capitale : vos interprétations,
d'émotions, des plus exaltées aux plus négatives et dou- l'idée que chacun SE fait des bruits entendus.
loureuses est donc normal. S'en culpabiliser ne fait Quelles que soient les réactions que nous avons, elles
qu'augmenter leur poids. S'en débarrasser avec trois sont immédiatement dépendantes des représentations
comprimés ne fait qu'enfouir le désir de vie. que nous nous en faisons. C'est notre lecture qui est à
Ces mécanismes de défense, les sensations, les pen- prendre en compte. C'est en nous que « ça » se passe,
sées et les comportements qui leur sont liés, sont naturels dans notre regard, notre façon d'appréhender le monde,
et nécessaires. Physiologiques autant que psychiques, ils l'autre et nous-mêmes. Les variations de témoignages à
répondent à une logique de menace. propos d'un même accident nous rappellent à cette réalité
bio-logique. Souvenons-nous aussi de la célèbre bou-
teille à moitié pleine ou à moitié vide, quand celle-ci est
Une logique de menace. à moitié remplie... Cette sensation n'est pas fondée sur
un raisonnement mais sur notre ressenti ; c'est ainsi que
La simple observation du fonctionnement de l'être nous éprouvons les bruits, l'accident, la bouteille. Ce res-
vivant nous éclaire sur sa formidable cohérence : même senti est directement lié à nos besoins fondamentaux.
ce qui peut nous apparaître irrationnel, voire pénible, Tout refus, toute autolimitation, auto-interdiction
douloureux, violent, va dans le sens de la vie. Saisir la d'expression de nous-mêmes se traduit par une réaction
cohérence de l'être, au travers de ses réactions, comme de défense. Ce « manque de soi » est, bio- logiquement,
une aspiration à exprimer et à préserver son intégrité, une menace pour soi.
c'est devenir plus conscient de soi. Et, d'abord, de la peur
générée par son manque d'être. Car il n'y a pas de sys- Un événement révélateur.
tème de défense sans peur.
Or, ce que nous vivons au quotidien ne se situe pas
dans la conscience de ce manque-là, mais plutôt dans
Une sensation éprouvée.
l'évidence d'un événement qui nous a contrariés ! Si
Il ne peut y avoir de déclenchement du système de nous sommes énervés, c'est PARCE Q U E les enfants,
défense sans la sensation de menace sur son intégrité. Et, l'épouse, le mari, le patron, les grévistes, la SNCF, le
donc, sans quelque chose à l'origine de cette sensation temps, le bruit, la pollution nous contrarient... C'est la
de danger. Voilà qui nous interroge sur la nature de cette faute de « l'autre ». A moins que cette interprétation ne
perception et sur cet événement déclencheur. se retourne contre soi. Alors, si nous sommes énervés,
c'est PARCE Q U E nous sommes nuls, pas à la hauteur, ressentons quelque chose face à l'événement, neutre par
incapables, ratés. définition.
L'événement est le « bout de ficelle » sur lequel je
À l'origine de nos émotions, il y a toujours un élé- propose au patient de tirer doucement pour entendre ce
ment déclencheur. Nous le nommerons Événement. qui lui est accroché et qui est resté caché derrière ses
Il est ce qui nous arrive de l'extérieur, les mots des émotions, ses réactions. Bouts de ficelle « idiots », un
autres, leurs gestes, leur regard, les informations dossier pas rangé, une boîte de petits pois, la pluie...
entendues, vues, senties. Il est aussi ce qui nous arrive, Bouts de ficelle « affectifs », « je ne le supporte plus,
de l'intérieur, ce que nous pensons, nos évidences, elle se moque de moi » . . . Bouts de ficelle « plausibles »,
nos certitudes, notre interprétation du monde, des perte de son travail, conflit, maladie... Quelle que soit
autres, de nous-mêmes. l'intensité de l'événement, du plus banal et quotidien au
plus traumatisant et exceptionnel, le mécanisme bio-logi-
Tout événement peut être à l'origine de nos émo- que demeure le même. À ce titre, il n'y pas d'événement
tions, puisque ce n'est pas tant sa nature qui en est le neutre et chacun mérite d'être doucement exploré, tiré
déclencheur que notre nature ! « Tout » se passe dans vers notre conscience d'être avec nos besoins ET nos
la façon dont nous percevons cet événement, extérieur manques. L'événement est là pour nous dire quelque
ou intérieur. chose de nous-mêmes, nous révéler quelque chose d'ina-
Contre l'évidence qui nous fait affirmer que nous chevé, en manque... pour que nous apprenions avec cet
avons peur parce que tel événement ou tel objet nous font événement à grandir, à sortir de notre coquille défensive,
peur, il apparaît une autre évidence plus bio-logique : à prendre le risque d'exister par nous-mêmes... Comme
nous avons peur de cet événement ou de cet objet-là s'il était là « pour nous ».
parce qu'ils ont réveillé notre manque d'être. Face à ce
manque, nos émotions nous obligent à créer coûte que Tous les événements ? Même les plus terribles ? Ques-
coûte de la sécurité, de l'identité, de la réalité afin de tion dérangeante, impossible à poser dans le choc de
pallier dans l'urgence notre vide d'être. l'émotion. Question qui, pourtant, nous incite à accueillir
N'importe quel événement peut révéler le manque, ce qu'on redoute et à donner du sens à l'événement, au
la peur, donc l'émotion. L'événement est donc le révé- travers de nos réactions défensives.
lateur des manques et des besoins et non la cause ! Rappelons-nous Épictète : « Ce ne sont pas les choses
« C'est à cause de toi que je suis malheureux » n'a pas qui nous font souffrir mais l'idée que nous en avons. »
de sens dans cette compréhension bio-logique. Raccourci La biologie nous aide à retrouver le chemin de cette
dangereux, il crée une confusion car il élimine ce que vit sagesse du détachement.
la personne elle-même : il n'y a plus que son malheur et Se comprendre, c'est d'abord dissocier l'événement
l'autre ! Où est donc passé le Je vivant, celui qui reçoit révélateur de soi afin de s'approprier sa propre réactivité.
l'événement, l'éprouve, l'incorpore en lui comme un Dissocier l'objet du sujet, l'autre de soi, le Tu du Je,
révélateur de lui-même et qui, comme tel, peut entendre l'Événement de l'effet qu'il a sur nous. L'événement
et agir face à lui, libre et responsable ? L'événement est nous révèle : c'est grâce à lui, grâce à ce qui arrive
et se contente d'être. Il n'a pas d'état d'âme. C'est nous jusqu'à nous, que nous pouvons apprendre à nous
qui avons des réactions de l'âme ou de l'être, nous qui connaître, à repérer et nos besoins et nos manques grâce
aux réactions défensives que nous déployons.
c'est PARCE Q U E nous sommes nuls, pas à la hauteur, ressentons quelque chose face à l'événement, neutre par
incapables, ratés. définition.
L'événement est le « bout de ficelle » sur lequel je
À l'origine de nos émotions, il y a toujours un élé- propose au patient de tirer doucement pour entendre ce
ment déclencheur. Nous le nommerons Événement. qui lui est accroché et qui est resté caché derrière ses
Il est ce qui nous arrive de l'extérieur, les mots des émotions, ses réactions. Bouts de ficelle « idiots », un
autres, leurs gestes, leur regard, les informations dossier pas rangé, une boîte de petits pois, la pluie...
entendues, vues, senties. Il est aussi ce qui nous arrive, Bouts de ficelle « affectifs », « je ne le supporte plus,
de l'intérieur, ce que nous pensons, nos évidences, elle se moque de moi » . . . Bouts de ficelle « plausibles »,
nos certitudes, notre interprétation du monde, des perte de son travail, conflit, maladie... Quelle que soit
autres, de nous-mêmes. l'intensité de l'événement, du plus banal et quotidien au
plus traumatisant et exceptionnel, le mécanisme bio-logi-
Tout événement peut être à l'origine de nos émo- que demeure le même. À ce titre, il n'y pas d'événement
tions, puisque ce n'est pas tant sa nature qui en est le neutre et chacun mérite d'être doucement exploré, tiré
déclencheur que notre nature ! « Tout » se passe dans vers notre conscience d'être avec nos besoins ET nos
la façon dont nous percevons cet événement, extérieur manques. L'événement est là pour nous dire quelque
ou intérieur. chose de nous-mêmes, nous révéler quelque chose d'ina-
Contre l'évidence qui nous fait affirmer que nous chevé, en manque... pour que nous apprenions avec cet
avons peur parce que tel événement ou tel objet nous font événement à grandir, à sortir de notre coquille défensive,
peur, il apparaît une autre évidence plus bio-logique : à prendre le risque d'exister par nous-mêmes... Comme
nous avons peur de cet événement ou de cet objet-là s'il était là « pour nous ».
parce qu'ils ont réveillé notre manque d'être. Face à ce
manque, nos émotions nous obligent à créer coûte que Tous les événements ? Même les plus terribles ? Ques-
coûte de la sécurité, de l'identité, de la réalité afin de tion dérangeante, impossible à poser dans le choc de
pallier dans l'urgence notre vide d'être. l'émotion. Question qui, pourtant, nous incite à accueillir
N'importe quel événement peut révéler le manque, ce qu'on redoute et à donner du sens à l'événement, au
la peur, donc l'émotion. L'événement est donc le révé- travers de nos réactions défensives.
lateur des manques et des besoins et non la cause ! Rappelons-nous Épictète : « Ce ne sont pas les choses
« C'est à cause de toi que je suis malheureux » n'a pas qui nous font souffrir mais l'idée que nous en avons. »
de sens dans cette compréhension bio-logique. Raccourci La biologie nous aide à retrouver le chemin de cette
dangereux, il crée une confusion car il élimine ce que vit sagesse du détachement.
la personne elle-même : il n'y a plus que son malheur et Se comprendre, c'est d'abord dissocier l'événement
l'autre ! Où est donc passé le Je vivant, celui qui reçoit révélateur de soi afin de s'approprier sa propre réactivité.
l'événement, l'éprouve, l'incorpore en lui comme un Dissocier l'objet du sujet, l'autre de soi, le Tu du Je,
révélateur de lui-même et qui, comme tel, peut entendre l'Événement de l'effet qu'il a sur nous. L'événement
et agir face à lui, libre et responsable ? L'événement est nous révèle : c'est grâce à lui, grâce à ce qui arrive
et se contente d'être. Il n'a pas d'état d'âme. C'est nous jusqu'à nous, que nous pouvons apprendre à nous
qui avons des réactions de l'âme ou de l'être, nous qui connaître, à repérer et nos besoins et nos manques grâce
aux réactions défensives que nous déployons.
Une logique de survie.
Nous ne pouvons qu'agir sur l'intensité des manifesta-
L'émotion est un mécanisme de défense écologique. tions, pas sur leur déclenchement ni sur leur arrêt. Là est
Nos réactions de défense s'apparentent à des réflexes. la limite de notre contrôle.
Simple « bon sens » écologique d'économie d'énergie. L'automatisme, à mi-chemin entre le réflexe et le
Ce mécanisme garantit en effet la rapidité avec laquelle raisonnement, nous déconcerte. Au point que, bien
nos besoins fondamentaux sont satisfaits. Il s'agit d'un souvent, nous apparaît un grand décalage entre la rapidité
traitement d'urgence de sa sécurité, de son identité, de et l'intensité de l'émotion et l'événement révélateur.
sa réalité, rapide et efficace à court terme. Pour maintenir « Tout ça pour ça ! Qu'est-ce qui m'arrive ?» ... Nous
l'intégrité de l'être, la vie n'a que faire des états d'âme n'avons pas réfléchi, mais simplement éprouvé, et la per-
et des interrogations de la conscience. ception est si rapide que nous sommes envahis par les
Cela explique le caractère impératif des émotions qui conséquences émotionnelles avant d'avoir compris ce
surviennent en nous, malgré nous. Nous ne décidons pas qui nous arrivait : les larmes sont déjà dans les yeux, le
de nous mettre en colère, d'être agressifs, de nous nœud dans la gorge, le cou est crispé.
angoisser ou de nous déprimer : nous survivons en expri-
mant, et en subissant, notre propre agressivité, Des réactions écologiques et existentielles.
angoisse ou dépression.
Il ne s'agit pas de justifier nos réactions de défense, La bio-logique se doit de répondre à la finalité d'être.
mais de les reconnaître telles qu'elles sont : des manifes- Autant y mettre « le paquet » afin que le système soit
tations qui NOUS sont destinées, et qui agissent en nous. probant. Cette pression intérieure rend compte de ce
« plus fort que moi ». Quand nous ne pouvons pas nous
empêcher de râler, pleurer, nous agiter ou crier, c'est un
Des réactions automatiques. souci bio-logique qui se manifeste : celui de la plus
Le souci écologique de satisfaire rapidement les besoins grande efficacité possible de nos systèmes de défense à
fondamentaux est assuré par le mécanisme automatique de court terme. Efficace signifie « qui produit l'effet
la bio-logique : pas le temps de passer par le raisonnement attendu ». L'émotion DOIT donc dans l'urgence pro-
intellectuel ou mental ! Ici, c'est notre cerveau reptilien duire de la sécurité, de l'identité et de la réalité d'être
qui parle. Celui que A Koestler nommait le « crocodile ». car tels sont les effets attendus. Autres sont les actions
Logé à la base du crâne, il est, à l'échelle de l'évolution efficientes qui contiennent une notion de « bons » résul-
du cerveau, le plus ancien. Non accessible à la conscience, tats, donc une notion de justesse, absente dans l'urgence
si ce n'est par l'intermédiaire de ses conséquences, il émotionnelle. En état de défense, c'est avec soi que l'on
échappe à notre volonté : nous ne pouvons pas pleurer, est injuste : injuste par rapport à ses potentiels, à ses apti-
être agressifs ou anxieux parce que nous le voulons. Tout tudes à être plus que ce que l'on croit ou craint.
au plus pouvons-nous jouer la comédie, ou la tragédie, Cette efficacité est secondaire à un système biochimi-
en faisant venir à l'esprit une situation, une image que que de stimulation, dans lequel sont impliquées des
nous savons générer des pleurs ou de la colère. De même, structures nerveuses, hormonales et immunitaires com-
nous ne pouvons stopper une réaction émotionnelle sur plexes. Décrites par Henri Laborit dans les années
simple demande, la nôtre ou celle de notre entourage. soixante-dix à quatre-vingt, elles ont fait découvrir à
toute une génération les bases biologiques de nos
Une logique de survie.
Nous ne pouvons qu'agir sur l'intensité des manifesta-
L'émotion est un mécanisme de défense écologique. tions, pas sur leur déclenchement ni sur leur arrêt. Là est
Nos réactions de défense s'apparentent à des réflexes. la limite de notre contrôle.
Simple « bon sens » écologique d'économie d'énergie. L'automatisme, à mi-chemin entre le réflexe et le
Ce mécanisme garantit en effet la rapidité avec laquelle raisonnement, nous déconcerte. Au point que, bien
nos besoins fondamentaux sont satisfaits. Il s'agit d'un souvent, nous apparaît un grand décalage entre la rapidité
traitement d'urgence de sa sécurité, de son identité, de et l'intensité de l'émotion et l'événement révélateur.
sa réalité, rapide et efficace à court terme. Pour maintenir « Tout ça pour ça ! Qu'est-ce qui m'arrive ?» ... Nous
l'intégrité de l'être, la vie n'a que faire des états d'âme n'avons pas réfléchi, mais simplement éprouvé, et la per-
et des interrogations de la conscience. ception est si rapide que nous sommes envahis par les
Cela explique le caractère impératif des émotions qui conséquences émotionnelles avant d'avoir compris ce
surviennent en nous, malgré nous. Nous ne décidons pas qui nous arrivait : les larmes sont déjà dans les yeux, le
de nous mettre en colère, d'être agressifs, de nous nœud dans la gorge, le cou est crispé.
angoisser ou de nous déprimer : nous survivons en expri-
mant, et en subissant, notre propre agressivité, Des réactions écologiques et existentielles.
angoisse ou dépression.
Il ne s'agit pas de justifier nos réactions de défense, La bio-logique se doit de répondre à la finalité d'être.
mais de les reconnaître telles qu'elles sont : des manifes- Autant y mettre « le paquet » afin que le système soit
tations qui NOUS sont destinées, et qui agissent en nous. probant. Cette pression intérieure rend compte de ce
« plus fort que moi ». Quand nous ne pouvons pas nous
empêcher de râler, pleurer, nous agiter ou crier, c'est un
Des réactions automatiques. souci bio-logique qui se manifeste : celui de la plus
Le souci écologique de satisfaire rapidement les besoins grande efficacité possible de nos systèmes de défense à
fondamentaux est assuré par le mécanisme automatique de court terme. Efficace signifie « qui produit l'effet
la bio-logique : pas le temps de passer par le raisonnement attendu ». L'émotion DOIT donc dans l'urgence pro-
intellectuel ou mental ! Ici, c'est notre cerveau reptilien duire de la sécurité, de l'identité et de la réalité d'être
qui parle. Celui que A Koestler nommait le « crocodile ». car tels sont les effets attendus. Autres sont les actions
Logé à la base du crâne, il est, à l'échelle de l'évolution efficientes qui contiennent une notion de « bons » résul-
du cerveau, le plus ancien. Non accessible à la conscience, tats, donc une notion de justesse, absente dans l'urgence
si ce n'est par l'intermédiaire de ses conséquences, il émotionnelle. En état de défense, c'est avec soi que l'on
échappe à notre volonté : nous ne pouvons pas pleurer, est injuste : injuste par rapport à ses potentiels, à ses apti-
être agressifs ou anxieux parce que nous le voulons. Tout tudes à être plus que ce que l'on croit ou craint.
au plus pouvons-nous jouer la comédie, ou la tragédie, Cette efficacité est secondaire à un système biochimi-
en faisant venir à l'esprit une situation, une image que que de stimulation, dans lequel sont impliquées des
nous savons générer des pleurs ou de la colère. De même, structures nerveuses, hormonales et immunitaires com-
nous ne pouvons stopper une réaction émotionnelle sur plexes. Décrites par Henri Laborit dans les années
simple demande, la nôtre ou celle de notre entourage. soixante-dix à quatre-vingt, elles ont fait découvrir à
toute une génération les bases biologiques de nos
comportements sociaux et individuels. L'idée maîtresse Mme M. est au chômage depuis plus de six mois :
est qu'une stimulation nous pousse à réagir. Alors que stages de formation, candidatures spontanées, peti-
l'accès libre à l'intelligence se traduit par une motiva- tes annonces... et refus ont, dit-elle, eu raison de
tion active sans tension, ni peur, ni fatigue, l'accès blo- son énergie, elle n 'y croit plus. Découragée, et sur-
qué par la sensation de menace se traduit par une tout dévalorisée, elle revient toujours sur un même
motivation exaltée. Nos émotions sont des systèmes de événement : en conflit avec son patron durant son
stimulation de l'être quand surgit une panne de sécurité, dernier poste, elle s'est sentie rejetée et humiliée
d'identité et de réalité. Elles agissent comme l'alcool alors que son travail était « irréprochable ». Elle
jeté sur un feu. L'objectif du système est que la personne reconnaît elle-même que tous les mots de bon sens
réagisse malgré son manque, qu'elle le veuille ou non. et d'encouragement qu'elle reçoit se heurtent à ce
En termes plus brutaux, « ça passe ou ça casse ! ». Afin souvenir qui confirme à ses yeux l'injustice dont
d'assurer l'efficacité du système défensif, l'évolution ne elle a été victime. « Aucun des arguments que vous
s'est pas contentée de donner une simple coloration me donnez ne pourra guérir cette plaie définitive-
émotionnelle à nos mots et à nos faits et gestes : tout le ment ouverte ! »
cerveau est utilisé pour satisfaire les besoins... quel que
soit le prix à payer ! C'est ainsi que sont mobilisés notre De fait, sa réaction de défense était le seul moyen
capacité de réflexion, de raisonnement, d'anticipation, qu'elle avait d'apaiser son manque d'estime d'elle-même :
d'imagination, ainsi que nos souvenirs anciens et être victime d'un autre est moins douloureux que l'autoli-
récents. Le corps lui-même est de la partie : mimiques, mitation de son identité ! Ainsi, plus le manque de soi est
voix, réactions musculaires et neurovégétatives, profond, plus nous participons à créer de véritables drames
regard... Tout notre organisme est donc mobilisé dans humains : car pour « sur- vivre » biologiquement parlant,
ce passage en force. nous sommes potentiellement prêts à tout ! Comportement
On se défend comme si notre vie était en jeu ! Le de traîtrise, lâcheté, mauvaise foi, menace, chantage, abus
caractère envahissant du système de défense est ce qu'il de pouvoir, violence, tyrannie, jalousie, sacrifice de soi,
y a de plus troublant pour l'entourage (quand nous le suicide... témoignent, s'il le faut, de cette capacité à nuire,
vivons nous-mêmes, nous trouvons cela, bien sûr, beau- et à se nuire ! que nous possédons pour sauver notre
coup plus normal...), car il semble alors que l'individu peau, quitte à la perdre !
n'est plus le même, qu'il est « hors de lui ». C'est, du
reste, un terme couramment employé. Dans ces moments En termes de morale, d'éthique, ces comportements
de forte intensité émotionnelle, quel que soit l'argument sont hautement répréhensibles. En termes de justice, cer-
juste et rationnel avancé, il se heurtera au mur défensif tains sont bien sûr condamnables... néanmoins, en ter-
et sera renvoyé à son émissaire. mes de logique de survie, ils sont « nécessaires », voire
Cette réquisition du cerveau est à l'origine d'une habi- « normaux », c'est-à-dire qu'ils répondent aux normes
tude tenace qui consiste à justifier notre réaction défen- défensives dans l'urgence d'une sensation de menace.
sive. Convaincus du bien-fondé de notre émotion comme Confondre ces trois plans, c'est se priver d'une compré-
étant LE moyen de satisfaire notre besoin, nous repous- hension claire de certains comportements et surtout se
sons, dans l'urgence, toute autre proposition. priver d'un éclairage qui ne juge ni ne moralise, mais qui
favorise la guérison de l'être.
comportements sociaux et individuels. L'idée maîtresse Mme M est au chômage depuis plus de six mois :
est qu'une stimulation nous pousse à réagir. Alors que stages de formation, candidatures spontanées, peti-
l'accès libre à l'intelligence se traduit par une motiva- tes annonces... et refus ont, dit-elle, eu raison de
tion active sans tension, ni peur, ni fatigue, l'accès blo- son énergie, elle n'y croit plus. Découragée, et sur-
qué par la sensation de menace se traduit par une tout dévalorisée, elle revient toujours sur un même
motivation exaltée. Nos émotions sont des systèmes de événement : en conflit avec son patron durant son
stimulation de l'être quand surgit une panne de sécurité, dernier poste, elle s'est sentie rejetée et humiliée
d'identité et de réalité. Elles agissent comme l'alcool alors que son travail était « irréprochable ». Elle
jeté sur un feu. L'objectif du système est que la personne reconnaît elle-même que tous les mots de bon sens
réagisse malgré son manque, qu'elle le veuille ou non. et d'encouragement qu'elle reçoit se heurtent à ce
En termes plus brutaux, « ça passe ou ça casse ! ». Afin souvenir qui confirme à ses yeux l'injustice dont
d'assurer l'efficacité du système défensif, l'évolution ne elle a été victime. « Aucun des arguments que vous
s'est pas contentée de donner une simple coloration me donnez ne pourra guérir cette plaie définitive-
émotionnelle à nos mots et à nos faits et gestes : tout le ment ouverte ! »
cerveau est utilisé pour satisfaire les besoins... quel que
soit le prix à payer ! C'est ainsi que sont mobilisés notre De fait, sa réaction de défense était le seul moyen
capacité de réflexion, de raisonnement, d'anticipation, qu'elle avait d'apaiser son manque d'estime d'elle-même :
d'imagination, ainsi que nos souvenirs anciens et être victime d'un autre est moins douloureux que l'autoli-
récents. Le corps lui-même est de la partie : mimiques, mitation de son identité ! Ainsi, plus le manque de soi est
voix, réactions musculaires et neurovégétatives, profond, plus nous participons à créer de véritables drames
regard... Tout notre organisme est donc mobilisé dans humains : car pour « sur- vivre » biologiquement parlant,
ce passage en force. nous sommes potentiellement prêts à tout ! Comportement
On se défend comme si notre vie était en jeu ! Le de traîtrise, lâcheté, mauvaise foi, menace, chantage, abus
caractère envahissant du système de défense est ce qu'il de pouvoir, violence, tyrannie, jalousie, sacrifice de soi,
y a de plus troublant pour l'entourage (quand nous le suicide... témoignent, s'il le faut, de cette capacité à nuire,
vivons nous-mêmes, nous trouvons cela, bien sûr, beau- et à se nuire ! que nous possédons pour sauver notre
coup plus normal...), car il semble alors que l'individu peau, quitte à la perdre !
n'est plus le même, qu'il est « hors de lui ». C'est, du
reste, un terme couramment employé. Dans ces moments En termes de morale, d'éthique, ces comportements
de forte intensité émotionnelle, quel que soit l'argument sont hautement répréhensibles. En termes de justice, cer-
juste et rationnel avancé, il se heurtera au mur défensif tains sont bien sûr condamnables... néanmoins, en ter-
et sera renvoyé à son émissaire. mes de logique de survie, ils sont « nécessaires », voire
Cette réquisition du cerveau est à l'origine d'une habi- « normaux », c'est-à-dire qu'ils répondent aux normes
tude tenace qui consiste à justifier notre réaction défen- défensives dans l'urgence d'une sensation de menace.
sive. Convaincus du bien-fondé de notre émotion comme Confondre ces trois plans, c'est se priver d'une compré-
étant LE moyen de satisfaire notre besoin, nous repous- hension claire de certains comportements et surtout se
sons, dans l'urgence, toute autre proposition. priver d'un éclairage qui ne juge ni ne moralise, mais qui
favorise la guérison de l'être.
Enfin, empêcher une réaction de défense sans permet- nous l'éprouvons dans notre corps avant tout : peur au
tre d'accéder au besoin qu'elle exprime, c'est prendre le ventre, dans les tripes, gorge nouée, boule, jambes cou-
risque d'accentuer le manque et de susciter une réaction pées, plexus bloqué, mains qui transpirent... Cognitif
en boomerang puisque c'est prendre le contre-pied du parce que nos pensées, nos idées sont imprégnées de peur
souci d'efficacité du système. avec des scenarii catastrophes, des fantasmes de danger
Mais laissons la parole au « crocodile ». ou au contraire de sauvetage in extremis. Comportemen-
tal parce que nos gestes, nos attitudes traduisent ce vécu
émotionnel bien mieux souvent que nos mots : tremble-
Fuir, lutter, se replier. ments, voix chevrotante ou balbutiante, agitation, mou-
vements fébriles, regards inquiets, rougeur, pâleur.
Depuis la nuit des temps, ces trois moyens de défense Verbal enfin puisque nos mots expriment cette peur, la
ont fait leurs preuves pour garantir la vie en cas de tentative d'échapper au danger ou au contraire notre
menace. Trois types de défense pour trois besoins. Cha- impuissance à en réchapper.
cun à son rôle à jouer. Comme la soif défend le besoin La peur sera à l'origine de deux types de comporte-
de boire et la faim le besoin de manger, la fuite défend ments aux conséquences bien différentes. Elle peut «don-
le besoin de sécurité, la lutte, le besoin d'identité, et le ner des ailes » et susciter alors une créativité bouillonnante
repli sur soi, le besoin de réalité d'être. et un sens aigu de l'observation. Elle peut aussi « paraly-
ser » et réduire toute pensée et toute initiative personnel-
La défense par la Fuite. les, créer une dépendance totale vis-à-vis de l'entourage.
Les autres ne voient que la partie visible, le haut de
Fuir, c'est échapper au manque de sécurité. Quand l'iceberg, les comportements et les mots. Celui qui
il ne parvient pas à se sentir en sécurité, l'être fuit, cherche à fuir et à garantir sa sécurité, lui, subit les symp-
s'échappe. Il ne fuit que pour protéger sa sécurité... tômes de sa peur avec la pression impérative de son
Nous avons tous vu détaler un lapin à l'approche du dan- besoin de sécurité. Et parfois les sarcasmes de ses pro-
ger (chasseur, simple marcheur, chien ou tout autre bruit ches. Un fossé s'installe entre eux.
suspect). L'objectif de la fuite, c'est « éviter de se faire
prendre». C'est chercher à se sortir d'une situation La Fuite, défense automatique, est tout sauf une atti-
menaçante ou à risque, c'est donc aussi assurer sa liberté. tude volontaire, intelligente au sens raisonné et raison-
nable. Elle n'est pas faite non plus pour communiquer
La menace qui pèse sur la sécurité est la sensation avec les autres ou bâtir un projet de vie ! Elle est là pour
d'enfermement ou de limitation : emprisonnement, occu- éviter un danger, ou plutôt ce qui est ressenti comme un
pation, contrainte, pression, obligations, coercition, danger. Au prix d'un paradoxe : la sécurité obtenue dans
oppression, violence. Ces situations sont appréhendées l'urgence ne développe à terme ni la confiance en soi ni
comme des dangers pour la sécurité et sont traitées le goût de la liberté.
comme telles par l'organisme.
L'émotion éprouvée est alors la peur : de la nervo- La défense par la Lutte.
sité, de l'inquiétude légère à l'angoisse ou aux crises de
panique, la peur a sa traduction tant au niveau sensoriel, Lutter, c'est se révolter contre son manque d'iden-
cognitif, comportemental que verbal. Sensoriel parce que tité. Quand l'être ne parvient pas à se reconnaître et donc
Enfin, empêcher une réaction de défense sans permet- nous l'éprouvons dans notre corps avant tout : peur au
tre d'accéder au besoin qu'elle exprime, c'est prendre le ventre, dans les tripes, gorge nouée, boule, jambes cou-
risque d'accentuer le manque et de susciter une réaction pées, plexus bloqué, mains qui transpirent... Cognitif
en boomerang puisque c'est prendre le contre-pied du parce que nos pensées, nos idées sont imprégnées de peur
souci d'efficacité du système. avec des scenarii catastrophes, des fantasmes de danger
Mais laissons la parole au « crocodile ». ou au contraire de sauvetage in extremis. Comportemen-
tal parce que nos gestes, nos attitudes traduisent ce vécu
émotionnel bien mieux souvent que nos mots : tremble-
Fuir, lutter, se replier. ments, voix chevrotante ou balbutiante, agitation, mou-
vements fébriles, regards inquiets, rougeur, pâleur.
Depuis la nuit des temps, ces trois moyens de défense Verbal enfin puisque nos mots expriment cette peur, la
ont fait leurs preuves pour garantir la vie en cas de tentative d'échapper au danger ou au contraire notre
menace. Trois types de défense pour trois besoins. Cha- impuissance à en réchapper.
cun à son rôle à jouer. Comme la soif défend le besoin La peur sera à l'origine de deux types de comporte-
de boire et la faim le besoin de manger, la fuite défend ments aux conséquences bien différentes. Elle peut «don-
le besoin de sécurité, la lutte, le besoin d'identité, et le ner des ailes » et susciter alors une créativité bouillonnante
repli sur soi, le besoin de réalité d'être. et un sens aigu de l'observation. Elle peut aussi « paraly-
ser » et réduire toute pensée et toute initiative personnel-
La défense par la Fuite. les, créer une dépendance totale vis-à-vis de l'entourage.
Les autres ne voient que la partie visible, le haut de
Fuir, c'est échapper au manque de sécurité. Quand l'iceberg, les comportements et les mots. Celui qui
il ne parvient pas à se sentir en sécurité, l'être fuit, cherche à fuir et à garantir sa sécurité, lui, subit les symp-
s'échappe. Il ne fuit que pour protéger sa sécurité... tômes de sa peur avec la pression impérative de son
Nous avons tous vu détaler un lapin à l'approche du dan- besoin de sécurité. Et parfois les sarcasmes de ses pro-
ger (chasseur, simple marcheur, chien ou tout autre bruit ches. Un fossé s'installe entre eux.
suspect). L'objectif de la fuite, c'est « éviter de se faire
prendre». C'est chercher à se sortir d'une situation La Fuite, défense automatique, est tout sauf une atti-
menaçante ou à risque, c'est donc aussi assurer sa liberté. tude volontaire, intelligente au sens raisonné et raison-
nable. Elle n'est pas faite non plus pour communiquer
La menace qui pèse sur la sécurité est la sensation avec les autres ou bâtir un projet de vie ! Elle est là pour
d'enfermement ou de limitation : emprisonnement, occu- éviter un danger, ou plutôt ce qui est ressenti comme un
pation, contrainte, pression, obligations, coercition, danger. Au prix d'un paradoxe : la sécurité obtenue dans
oppression, violence. Ces situations sont appréhendées l'urgence ne développe à terme ni la confiance en soi ni
comme des dangers pour la sécurité et sont traitées le goût de la liberté.
comme telles par l'organisme.
L'émotion éprouvée est alors la peur : de la nervo- La défense par la Lutte.
sité, de l'inquiétude légère à l'angoisse ou aux crises de
panique, la peur a sa traduction tant au niveau sensoriel, Lutter, c'est se révolter contre son manque d'iden-
cognitif, comportemental que verbal. Sensoriel parce que tité. Quand l'être ne parvient pas à se reconnaître et donc
à être reconnu, il lutte et il agresse. Il lutte pour protéger
son identité quand celle-ci se trouve menacée par un évé- ou d'injustice, d'amour ou de rejet, de travail acharné.
nement, intérieur ou extérieur, qui vient révéler son Au plan comportemental encore, voix forte et convain-
besoin autolimité. Que l'identité garantisse l'apparte- cante, explosive dans la colère, regard incisif, gestes
nance ou qu'elle affirme une distinction au sein du assurés, attitudes résolues et dominatrices. Au plan ver-
groupe, sa défense génère de l'agressivité : l'attaque et bal enfin, mots pressants, agressifs, cassants, jaloux ou
la volonté de gagner, donc de dominer, deviennent le trop protecteurs, menaçants ou trop séducteurs.
moyen de manifester qui nous sommes, et de le faire La tension est à l'origine de deux types de comporte-
reconnaître. Chez les animaux, ces rituels d'affirmation, ments : elle peut développer l'esprit de décision, l'effi-
sur un territoire, un concurrent, un groupe, une cacité dans l'action, la conviction et le sens du pouvoir
femelle, sont observables et participent à la cohésion mais elle peut aussi développer la jalousie et la paranoïa.
du clan. La Lutte apparaît quand l'identité n'a pu être acquise
au travers des rituels d'identification ou de distinction
La Lutte a une fonction : se distinguer. Il y a moi propres à chaque espèce, à chaque groupe, à chaque cul-
et l'autre, les autres. Quand il y a risque de confusion ou ture. L'adolescence est le temps privilégié de cette acqui-
de fusion, autrement dit quand nous ne savons plus qui sition. Au regard de la survie, mieux vaut être agressif
nous sommes ou quand on ne nous le dit pas, alors, qu'inexistant. Pourtant, cette identité obtenue dans
l'identité n'est plus assurée. l'urgence ne développe à terme ni la reconnaissance ni
La Lutte est le moyen de gagner... en identification : le goût de la différence.
« Je gagne, donc je suis. » Réussir, obtenir, vaincre,
mériter deviennent des objectifs existentiels parce que La défense par le repli sur soi.
garants d'une identité en panne.
Dans ce besoin, le danger vient de la sensation de Quand sa réalité d'être, son existence même, est
rejet : ne pas gagner, ne pas être reconnu, équivaut à être en danger, l'être cherche à passer inaperçu. Le retrait et
rejeté du monde dans lequel chacun a une place, une la diminution de toute expression personnelle en sont les
fonction, un nom, dans lequel chacun a une représenta- moyens : c'est son dernier rempart pour protéger son
tion qui le distingue des autres. intégrité, non plus au niveau de sa sécurité physique, non
L'émotion éprouvée dans la Lutte est une tension, plus au niveau de son identité sociale, mais à celui du
une agressivité souvent interprétées comme du stress : sens même de sa présence sur Terre. Il n'y a rien d'autre
tension des muscles et des nerfs, on parle de tension à défendre que cette part essentielle de soi, intérieure
nerveuse, tension de la volonté. Tout l'être est crispé faute de pouvoir être exprimée aux yeux du monde. Le
vers l'obtention de cette identité en manque. Il lui faut mécanisme biologique du repli est connu dans le règne
la gagner, se prouver à lui-même comme aux autres qui animal : dans l'impossibilité de fuir pour trouver un abri,
il est. Cette tension éprouvée a une traduction sympto- dans l'impossibilité de se battre pour maîtriser la
matique perceptible par soi et visible par les autres. Au menace, le lapin s'immobilise sur place, tente de se fon-
plan physique d'abord, muscles contractés, cœur battant, dre dans le paysage, dans l'« espoir » de disparaître au
visage crispé et sérieux, corps porté en avant. Au plan regard du prédateur. Il n'existe plus que dans son propre
cognitif ensuite, idées de combat, de victoire, de défaite espace et ainsi échappe au danger... au prix de s'interdire
ou d'échec, de stratégie, de gain ou de perte, de justice toute autre action !
à être reconnu, il lutte et il agresse. Il lutte pour protéger
son identité quand celle-ci se trouve menacée par un évé- ou d'injustice, d'amour ou de rejet, de travail acharné.
nement, intérieur ou extérieur, qui vient révéler son Au plan comportemental encore, voix forte et convain-
besoin autolimité. Que l'identité garantisse l'apparte- cante, explosive dans la colère, regard incisif, gestes
nance ou qu'elle affirme une distinction au sein du assurés, attitudes résolues et dominatrices. Au plan ver-
groupe, sa défense génère de l'agressivité : l'attaque et bal enfin, mots pressants, agressifs, cassants, jaloux ou
la volonté de gagner, donc de dominer, deviennent le trop protecteurs, menaçants ou trop séducteurs.
moyen de manifester qui nous sommes, et de le faire La tension est à l'origine de deux types de comporte-
reconnaître. Chez les animaux, ces rituels d'affirmation, ments : elle peut développer l'esprit de décision, l'effi-
sur un territoire, un concurrent, un groupe, une cacité dans l'action, la conviction et le sens du pouvoir
femelle, sont observables et participent à la cohésion mais elle peut aussi développer la jalousie et la paranoïa.
du clan. La Lutte apparaît quand l'identité n'a pu être acquise
au travers des rituels d'identification ou de distinction
La Lutte a une fonction : se distinguer. Il y a moi propres à chaque espèce, à chaque groupe, à chaque cul-
et l'autre, les autres. Quand il y a risque de confusion ou ture. L'adolescence est le temps privilégié de cette acqui-
de fusion, autrement dit quand nous ne savons plus qui sition. Au regard de la survie, mieux vaut être agressif
nous sommes ou quand on ne nous le dit pas, alors, qu'inexistant. Pourtant, cette identité obtenue dans
l'identité n'est plus assurée. l'urgence ne développe à terme ni la reconnaissance ni
La Lutte est le moyen de gagner... en identification : le goût de la différence.
« Je gagne, donc je suis. » Réussir, obtenir, vaincre,
mériter deviennent des objectifs existentiels parce que La défense par le repli sur soi.
garants d'une identité en panne.
Dans ce besoin, le danger vient de la sensation de Quand sa réalité d'être, son existence même, est
rejet : ne pas gagner, ne pas être reconnu, équivaut à être en danger, l'être cherche à passer inaperçu. Le retrait et
rejeté du monde dans lequel chacun a une place, une la diminution de toute expression personnelle en sont les
fonction, un nom, dans lequel chacun a une représenta- moyens : c'est son dernier rempart pour protéger son
tion qui le distingue des autres. intégrité, non plus au niveau de sa sécurité physique, non
L'émotion éprouvée dans la Lutte est une tension, plus au niveau de son identité sociale, mais à celui du
une agressivité souvent interprétées comme du stress : sens même de sa présence sur Terre. Il n'y a rien d'autre
tension des muscles et des nerfs, on parle de tension à défendre que cette part essentielle de soi, intérieure
nerveuse, tension de la volonté. Tout l'être est crispé faute de pouvoir être exprimée aux yeux du monde. Le
vers l'obtention de cette identité en manque. Il lui faut mécanisme biologique du repli est connu dans le règne
la gagner, se prouver à lui-même comme aux autres qui animal : dans l'impossibilité de fuir pour trouver un abri,
il est. Cette tension éprouvée a une traduction sympto- dans l'impossibilité de se battre pour maîtriser la
matique perceptible par soi et visible par les autres. Au menace, le lapin s'immobilise sur place, tente de se fon-
plan physique d'abord, muscles contractés, cœur battant, dre dans le paysage, dans l'« espoir » de disparaître au
visage crispé et sérieux, corps porté en avant. Au plan regard du prédateur. Il n'existe plus que dans son propre
cognitif ensuite, idées de combat, de victoire, de défaite espace et ainsi échappe au danger... au prix de s'interdire
ou d'échec, de stratégie, de gain ou de perte, de justice toute autre action !
L'objectif défensif, c'est « être quand même ». Ce dans l'urgence ne développe ni le goût pour la solitude ni
mécanisme de défense biologique est celui du besoin de le désir de se projeter.
se sentir réel en dépit des pressions, menaces ou difficul-
tés. Être et continuer à être, c'est-à-dire être en devenir,
à défaut d'être actif au présent. Stratégies émotionnelles.
Se replier, c'est réduire sa réalité au nom du man-
que d'être. Dans le retrait, il n'est question ni de sécurité Toute émotion trouve ainsi sa signification dans l'une
ni d'identité: des non-sens dans ce besoin de sens. ou l'autre de ces réactions défensives. Elle nous signifie
Qu'est-ce qu'un abri, qu'est-ce qu'un titre quand on se quelque chose de nous, de nos besoins quand nous y
sent seul au milieu d'un « monde hostile » qui rend alors sommes sourds. Elle s'impose à nous, de force, pour
toute action « dangereuse » ? Car, dès que le lapin bouge, notre bien ! Puisque l'objectif bio-logique est de défen-
il sera vu et pourra être attrapé... Les enfants en repli sur dre notre intégrité au travers de nos besoins fondamen-
eux ne disent-ils pas qu'ils ont peur de se faire attraper ? taux, les émotions se font stratèges.
Se retirer, faire en sorte de passer inaperçu, s'effacer,
c'est encore agir pour défendre son besoin d'être réel et Un système de mise en alerte de soi.
de se réaliser... en modèle réduit. L'émotion éprouvée
dans le repli sur soi est une fatigue, comme une lour- Automatiques, les émotions sont des moyens de nous
deur, une tristesse douloureuse, tant physique que psy- alerter sur ce qui se passe en nous. De nous éveiller en
chique, mais indépendante de l'activité physique et du urgence à nous-mêmes et à nos besoins en manque de
sommeil : asthénie, ou plutôt psychasthénie, manque nous-mêmes. Elles nous « obligent » à penser, à parler, à
d'énergie, d'envie, vide, lassitude qui rend vulnérable, agir pour et par rapport à soi, dans un égoïsme de survie.
sensation de solitude. Tout l'être est en retrait, en quête À penser notre sécurité, à dire notre identité, à manifester
de son sens personnel, de sa cohérence. Cette émotion notre existence, et ce dans l'événement du moment.
est à l'origine de deux types de comportements : elle peut L'émotion est un cri d'alarme pour soi. À cause de
mettre de la pression sur la compréhension du monde et ce système, nous voici mis en état de vigilance obliga-
de l'Homme, la vie intérieure, la force mentale, la pro- toire, en état d'alerte vis-à-vis d'un besoin non reconnu,
jection future. Elle peut aussi vider de toute motivation, non respecté. Non satisfait par nous. Aveugles et sourds
symptôme alors de la dépression : mécanisme d'inhibi- à nous-mêmes, nous voici contraints par la bio-logique
tion de l'action, sans mouvement ni révolte, elle frôle la de la vie à nous faire face, à nous voir et à nous entendre.
mort tout en « concentrant » la vie. L'émotion domine et, avec elle, la peur, la tension ou la
Ce mode défensif, comme les deux autres, est à double fatigue, que nous ne pouvons nier. Ce n'est pourtant pas
tranchant : il peut stimuler la recherche de sens comme la l'envie qui nous manque, car l'émotion est inconfortable
bloquer, et fermer de ce fait la « dernière » porte à l'exis- et souvent douloureuse.
tence de la personne... C'est alors que le risque de tenta- Mais a-t-on déjà vu un système d'alerte confortable et
tive de suicide est réel, car il se situe dans la logique de rassurant ?
la vie ! Quand la survie ne semble plus possible, la mort Alerte sur quoi ou sur qui ? Sur nous-mêmes.
devient la seule issue. Comme la fuite et la lutte, le repli Qu'il est pourtant tentant de regarder dans l'assiette
sur soi contient un paradoxe : la réalité d'être obtenue du voisin... et d'autant plus que cela nous évite de regar-
L'objectif défensif, c'est « être quand même ». Ce dans l'urgence ne développe ni le goût pour la solitude ni
mécanisme de défense biologique est celui du besoin de le désir de se projeter.
se sentir réel en dépit des pressions, menaces ou difficul-
tés. Être et continuer à être, c'est-à-dire être en devenir,
à défaut d'être actif au présent. Stratégies émotionnelles.
Se replier, c'est réduire sa réalité au nom du man-
que d'être. Dans le retrait, il n'est question ni de sécurité Toute émotion trouve ainsi sa signification dans l'une
ni d'identité — des non-sens dans ce besoin de sens. ou l'autre de ces réactions défensives. Elle nous signifie
Qu'est-ce qu'un abri, qu'est-ce qu'un titre quand on se quelque chose de nous, de nos besoins quand nous y
sent seul au milieu d'un « monde hostile » qui rend alors sommes sourds. Elle s'impose à nous, de force, pour
toute action « dangereuse » ? Car, dès que le lapin bouge, notre bien ! Puisque l'objectif bio-logique est de défen-
il sera vu et pourra être attrapé... Les enfants en repli sur dre notre intégrité au travers de nos besoins fondamen-
eux ne disent-ils pas qu'ils ont peur de se faire attraper ? taux, les émotions se font stratèges.
Se retirer, faire en sorte de passer inaperçu, s'effacer,
c'est encore agir pour défendre son besoin d'être réel et Un système de mise en alerte de soi.
de se réaliser... en modèle réduit. L'émotion éprouvée
dans le repli sur soi est une fatigue, comme une lour- Automatiques, les émotions sont des moyens de nous
deur, une tristesse douloureuse, tant physique que psy- alerter sur ce qui se passe en nous. De nous éveiller en
chique, mais indépendante de l'activité physique et du urgence à nous-mêmes et à nos besoins en manque de
sommeil : asthénie, ou plutôt psychasthénie, manque nous-mêmes. Elles nous « obligent » à penser, à parler, à
d'énergie, d'envie, vide, lassitude qui rend vulnérable, agir pour et par rapport à soi, dans un égoïsme de survie.
sensation de solitude. Tout l'être est en retrait, en quête À penser notre sécurité, à dire notre identité, à manifester
de son sens personnel, de sa cohérence. Cette émotion notre existence, et ce dans l'événement du moment.
est à l'origine de deux types de comportements : elle peut L'émotion est un cri d'alarme pour soi. À cause de
mettre de la pression sur la compréhension du monde et ce système, nous voici mis en état de vigilance obliga-
de l'Homme, la vie intérieure, la force mentale, la pro- toire, en état d'alerte vis-à-vis d'un besoin non reconnu,
jection future. Elle peut aussi vider de toute motivation, non respecté. Non satisfait par nous. Aveugles et sourds
symptôme alors de la dépression : mécanisme d'inhibi- à nous-mêmes, nous voici contraints par la bio-logique
tion de l'action, sans mouvement ni révolte, elle frôle la de la vie à nous faire face, à nous voir et à nous entendre.
mort tout en « concentrant » la vie. L'émotion domine et, avec elle, la peur, la tension ou la
Ce mode défensif, comme les deux autres, est à double fatigue, que nous ne pouvons nier. Ce n'est pourtant pas
tranchant : il peut stimuler la recherche de sens comme la l'envie qui nous manque, car l'émotion est inconfortable
bloquer, et fermer de ce fait la « dernière » porte à l'exis- et souvent douloureuse.
tence de la personne... C'est alors que le risque de tenta- Mais a-t-on déjà vu un système d'alerte confortable et
tive de suicide est réel, car il se situe dans la logique de rassurant ?
la vie ! Quand la survie ne semble plus possible, la mort Alerte sur quoi ou sur qui ? Sur nous-mêmes.
devient la seule issue. Comme la fuite et la lutte, le repli Qu'il est pourtant tentant de regarder dans l'assiette
sur soi contient un paradoxe : la réalité d'être obtenue du voisin... et d'autant plus que cela nous évite de regar-
der dans la nôtre ! Or, nos réactions de défense nous sont Voilà ce que nous racontent les émotions, les nôtres et
destinées à nous, et non au voisin : c'est POUR nous- celles de nos proches, si familières et si dérangeantes tant
mêmes que nous devenons inquiets, ou agressifs, pour que nous n'en comprenons pas la signification première.
NOUS aider à nous sécuriser, à nous identifier et à nous
Elles sont un cri d'alarme destiné à celui qui le lance.
réaliser. Cela devrait nous inciter à être plus tolérants
avec notre entourage et à limiter la tentation qui nous Un système palliatif mais caricatural.
guette tous, celle de nous croire les victimes de bour- L'émotion pallie dans l'urgence et à court terme le
reaux imaginaires. manque d'être. Nos réactions de défense nous veulent
NON, celui qui angoisse ne nous demande pas de lui du bien ! Tout inconfortables soient-elles, nos émotions
servir de maman rassurante ! Même s'il panique ! C'est et leur cortège de symptômes ont une fonction bénéfique,
d'abord à lui-même qu'il s'adresse, pour se retrouver lui indispensable : elles signalent et pallient à la fois le man-
et motiver sa sécurité et sa liberté ! que d'être. Ce traitement palliatif d'urgence répond aux
NON, celui qui agresse et veut toujours gagner et se critères habituels : dans une unité de soins intensifs, dans
faire voir ne nous demande pas de l'idolâtrer et de nous un service de réanimation, on ne perd pas de temps à
mettre à genoux ! S'il hurle, c'est d'abord pour lui- réfléchir, on agit vite là où c'est nécessaire, vital. Le reste,
même, pour s'entendre exister et motiver son identité ! circonstances de l'accident, responsabilité, environne-
NON, celui qui s'effondre et pleure ne nous demande ment f a m i l i a l . . . , on s'en occupera plus tard, quand la
pas de le consoler et de faire les choses à sa place, même personne aura été « rattrapée » alors qu'elle glissait vers
s'il semble nous supplier ! S'il déprime, c'est d'abord la mort. Si elle a perdu son autonomie respiratoire, elle
pour se sentir vivre lui-même, et motiver son existence sera branchée sur un appareil qui l'« obligera » à respirer,
et son projet de vie. si la tension artérielle est trop basse, on procédera à une
Nos réactions de défense sont des messages que nous transfusion... L'équipe médicale fait ce qu'il faut pour
nous adressons à nous-mêmes dans l'objectif d'une réac- que la personne survive jusqu'à une intervention chirur-
gicale s'il y a lieu, ou au-delà d'un passage critique.
tion vitale : il s'agit d'une auto-information. L'idée selon
laquelle nos réactions seraient des messages destinés à
notre entourage, sorte de bouteille à la mer, est une inter- Les réactions de défense obéissent à ces mêmes objec-
tifs. Ce système émotionnel est un système d'urgence
prétation de la réalité biologique. À ce niveau de palliatif, c'est-à-dire provisoire et à court terme. Mais
« base », l'information est circulaire et destinée à son il y a des provisoires qui durent !
expéditeur !
Ecologique, ce système compensateur du manque
« Je m'agite pour me voir exister. » d'être ne peut être que du court terme car il est un gros
« Je crie pour m'entendre exister. » consommateur d'énergie. Fait pour alerter et secourir
« Je pleure pour me sentir exister. » dans l'urgence, son maintien déséquilibre à long terme
la personne : elle puise dans ses réserves et devient
« C'est dans l'urgence, c'est pas toujours malin, mais dépendante du système défensif lui-même. Cette
c'est mon message à moi... Pas grand-chose pour vous, consommation d'énergie est liée au caractère caricatural
mais c'est essentiel pour moi ! » du système. Les actions deviennent des réactions et
chaque manifestation de l'être est amplifiée. Cet excès
der dans la nôtre ! Or, nos réactions de défense nous sont Voilà ce que nous racontent les émotions, les nôtres et
destinées à nous, et non au voisin : c'est POUR nous- celles de nos proches, si familières et si dérangeantes tant
mêmes que nous devenons inquiets, ou agressifs, pour que nous n'en comprenons pas la signification première.
NOUS aider à nous sécuriser, à nous identifier et à nous
Elles sont un cri d'alarme destiné à celui qui le lance.
réaliser. Cela devrait nous inciter à être plus tolérants
avec notre entourage et à limiter la tentation qui nous Un système palliatif mais caricatural.
guette tous, celle de nous croire les victimes de bour- L'émotion pallie dans l'urgence et à court terme le
reaux imaginaires. manque d'être. Nos réactions de défense nous veulent
NON, celui qui angoisse ne nous demande pas de lui du bien ! Tout inconfortables soient-elles, nos émotions
servir de maman rassurante ! Même s'il panique ! C'est et leur cortège de symptômes ont une fonction bénéfique,
d'abord à lui-même qu'il s'adresse, pour se retrouver lui indispensable : elles signalent et pallient à la fois le man-
et motiver sa sécurité et sa liberté ! que d'être. Ce traitement palliatif d'urgence répond aux
NON, celui qui agresse et veut toujours gagner et se critères habituels : dans une unité de soins intensifs, dans
faire voir ne nous demande pas de l'idolâtrer et de nous un service de réanimation, on ne perd pas de temps à
mettre à genoux ! S'il hurle, c'est d'abord pour lui- réfléchir, on agit vite là où c'est nécessaire, vital. Le reste,
même, pour s'entendre exister et motiver son identité ! circonstances de l'accident, responsabilité, environne-
NON, celui qui s'effondre et pleure ne nous demande ment familial. . . , on s'en occupera plus tard, quand la
pas de le consoler et de faire les choses à sa place, même personne aura été « rattrapée » alors qu'elle glissait vers
s'il semble nous supplier ! S'il déprime, c'est d'abord la mort. Si elle a perdu son autonomie respiratoire, elle
pour se sentir vivre lui-même, et motiver son existence sera branchée sur un appareil qui l'« obligera » à respirer,
et son projet de vie. si la tension artérielle est trop basse, on procédera à une
Nos réactions de défense sont des messages que nous transfusion... L'équipe médicale fait ce qu'il faut pour
nous adressons à nous-mêmes dans l'objectif d'une réac- que la personne survive jusqu'à une intervention chirur-
gicale s'il y a lieu, ou au-delà d'un passage critique.
tion vitale : il s'agit d'une auto-information. L'idée selon
laquelle nos réactions seraient des messages destinés à
notre entourage, sorte de bouteille à la mer, est une inter- Les réactions de défense obéissent à ces mêmes objec-
tifs. Ce système émotionnel est un système d'urgence
prétation de la réalité biologique. À ce niveau de palliatif, c'est-à-dire provisoire et à court terme. Mais
« base », l'information est circulaire et destinée à son il y a des provisoires qui durent !
expéditeur !
Ecologique, ce système compensateur du manque
« Je m'agite pour me voir exister. » d'être ne peut être que du court terme car il est un gros
« Je crie pour m'entendre exister. » consommateur d'énergie. Fait pour alerter et secourir
« Je pleure pour me sentir exister. » dans l'urgence, son maintien déséquilibre à long terme
la personne : elle puise dans ses réserves et devient
« C'est dans l'urgence, c'est pas toujours malin, mais dépendante du système défensif lui-même. Cette
c'est mon message à moi... Pas grand-chose pour vous, consommation d'énergie est liée au caractère caricatural
mais c'est essentiel pour moi ! » du système. Les actions deviennent des réactions et
chaque manifestation de l'être est amplifiée. Cet excès
est nécessaire pour obtenir la satisfaction des besoins en fait de l'obtention dans l'urgence d'une sensation de
dans l'urgence : le moi devient égocentrique, l'autre une sécurité, d'identité et de réalité d'être. Ainsi, les straté-
obsession, et les objectifs défensifs deviennent des ques- gies positives seront valorisées quand les négatives
tions de vie ou de mort. Le lâcher-prise, quant à lui, est seront craintes et si possible éliminées. Le manque
alors un mot vide de sens ! d'être, demeurant en l'état, attendra un prochain événe-
Messages d'alerte et mesures d'urgence à court terme ment pour se révéler.
« devraient » suffire à ce que nous modifiions notre Le crocodile, c'est « plus d'être » par nécessité bio-
regard sur nous-mêmes. Mais tant que nous demeurons logique. Il dispose de trois modèles stratégiques.
sourds et aveugles à nous-mêmes, le court terme devient • « Plus de la même chose » : les manifestations défen-
du long terme... toujours fidèle à la bio-logique. sives sont accentuées. Nous évitons encore mieux, nous
crions encore plus ou faisons encore plus les gentils.
Un système fait pour être efficace. • « Changement de cap » : le dos au mur quand la
fuite est impossible, nous « basculons » en état de lutte
La mémoire, elle, enregistre l'ensemble des données et, la sécurité n'étant plus « accessible », nous voici en
et nous joue un mauvais tour en accentuant encore notre train de défendre notre identité en nous révoltant...
surdité à nos besoins : chaque fois qu'elle réactualise nos quand cela nous est possible ! De même, faute de pouvoir
souvenirs selon lesquels, par exemple, « le seul moyen exprimer notre identité, quand celle-ci est inhibée, nous
de me sortir des conflits est de fuir », elle verrouille notre « basculons » en état de repli sur nous-mêmes et défen-
attachement au système défensif. Ce lien enregistré pro- dons notre réalité, faute de mieux en faisant les gentils.
gramme notre attachement, automatique, à bien des Enfin, lorsque la réalité d'être est entravée, elle nous fait
habitudes cognitives et comportementales. C'est en toute automatiquement rechercher et défendre notre sécurité...
bonne foi que nous sommes convaincus de ne pouvoir quand c'est possible. Ces changements de tactique nous
assurer alors notre sécurité qu'« en évitant les conflits et permettent de demeurer fidèles à nos besoins, donc à
les gens agressifs ». nous-mêmes, mais dans l'urgence du court terme émo-
La finalité du système de défense est d'être efficace. tionnel, quitte à nous défendre autrement.
Autrement dit, lorsque l'objectif inhérent à la réaction • « Plus de souffrance » : quand nous sommes sourds
émotionnelle, fuir, gagner, passer inaperçu, n'est au message du manque d'être et limités dans nos stratégies
pas atteint, la stratégie défensive sera soit accentuée, soit efficaces, la douleur, psychique ou physique, intensifie les
modifiée. Ce n'est que par défaut d'efficacité de l'une symptômes... pour nous obliger à être à l'écoute de nous-
ou l'autre stratégie que l'être se « résout » à une stratégie mêmes. Nous voici en souffrance et doublement en man-
inefficace, c'est-à-dire à un « aveu » d'impuissance tem- que : et de nourritures et de moyens pour accéder à celles-
poraire à garantir l'intégrité. Cette « confession à soi- ci. Angoisse, jalousie, paranoïa, dépression signent
même » se traduit par une douleur psychique qui, bio- l'impuissance éprouvée à satisfaire nos besoins. Évidem-
logiquement, devrait nous pousser à réagir de façon effi- ment, nous n'aimons pas éprouver cette émotion signifiant
cace. Car nos besoins ont horreur du vide d'être. que l'objectif défensif n'est pas atteint et n'avons de cesse
En langage courant, nous différencions ces états émo- d'accéder à des moyens efficaces. En d'autres termes,
tionnels en nommant les stratégies efficaces « positives » nous acceptons et supportons la peur quand elle nous
et les inefficaces « négatives ». Cette différence dépend donne des ailes, mais non quand elle nous paralyse !
est nécessaire pour obtenir la satisfaction des besoins en fait de l'obtention dans l'urgence d'une sensation de
dans l'urgence : le moi devient égocentrique, l'autre une sécurité, d'identité et de réalité d'être. Ainsi, les straté-
obsession, et les objectifs défensifs deviennent des ques- gies positives seront valorisées quand les négatives
tions de vie ou de mort. Le lâcher-prise, quant à lui, est seront craintes et si possible éliminées. Le manque
alors un mot vide de sens ! d'être, demeurant en l'état, attendra un prochain événe-
Messages d'alerte et mesures d'urgence à court terme ment pour se révéler.
« devraient » suffire à ce que nous modifiions notre Le crocodile, c'est « plus d'être » par nécessité bio-
regard sur nous-mêmes. Mais tant que nous demeurons logique. Il dispose de trois modèles stratégiques.
sourds et aveugles à nous-mêmes, le court terme devient • « Plus de la même chose » : les manifestations défen-
du long terme... toujours fidèle à la bio-logique. sives sont accentuées. Nous évitons encore mieux, nous
crions encore plus ou faisons encore plus les gentils.
Un système fait pour être efficace. • « Changement de cap » : le dos au mur quand la
fuite est impossible, nous « basculons » en état de lutte
La mémoire, elle, enregistre l'ensemble des données et, la sécurité n'étant plus « accessible », nous voici en
et nous joue un mauvais tour en accentuant encore notre train de défendre notre identité en nous révoltant...
surdité à nos besoins : chaque fois qu'elle réactualise nos quand cela nous est possible ! De même, faute de pouvoir
souvenirs selon lesquels, par exemple, « le seul moyen exprimer notre identité, quand celle-ci est inhibée, nous
de me sortir des conflits est de fuir », elle verrouille notre « basculons » en état de repli sur nous-mêmes et défen-
attachement au système défensif. Ce lien enregistré pro- dons notre réalité, faute de mieux en faisant les gentils.
gramme notre attachement, automatique, à bien des Enfin, lorsque la réalité d'être est entravée, elle nous fait
habitudes cognitives et comportementales. C'est en toute automatiquement rechercher et défendre notre sécurité...
bonne foi que nous sommes convaincus de ne pouvoir quand c'est possible. Ces changements de tactique nous
assurer alors notre sécurité qu'« en évitant les conflits et permettent de demeurer fidèles à nos besoins, donc à
les gens agressifs ». nous-mêmes, mais dans l'urgence du court terme émo-
La finalité du système de défense est d'être efficace. tionnel, quitte à nous défendre autrement.
Autrement dit, lorsque l'objectif inhérent à la réaction • « Plus de souffrance » : quand nous sommes sourds
émotionnelle, fuir, gagner, passer inaperçu, n'est au message du manque d'être et limités dans nos stratégies
pas atteint, la stratégie défensive sera soit accentuée, soit efficaces, la douleur, psychique ou physique, intensifie les
modifiée. Ce n'est que par défaut d'efficacité de l'une symptômes... pour nous obliger à être à l'écoute de nous-
ou l'autre stratégie que l'être se « résout » à une stratégie mêmes. Nous voici en souffrance et doublement en man-
inefficace, c'est-à-dire à un « aveu » d'impuissance tem- que : et de nourritures et de moyens pour accéder à celles-
poraire à garantir l'intégrité. Cette « confession à soi- ci. Angoisse, jalousie, paranoïa, dépression signent
même » se traduit par une douleur psychique qui, bio- l'impuissance éprouvée à satisfaire nos besoins. Évidem-
logiquement, devrait nous pousser à réagir de façon effi- ment, nous n'aimons pas éprouver cette émotion signifiant
cace. Car nos besoins ont horreur du vide d'être. que l'objectif défensif n'est pas atteint et n'avons de cesse
En langage courant, nous différencions ces états émo- d'accéder à des moyens efficaces. En d'autres termes,
tionnels en nommant les stratégies efficaces « positives » nous acceptons et supportons la peur quand elle nous
et les inefficaces « négatives ». Cette différence dépend donne des ailes, mais non quand elle nous paralyse !
Ces trois stratégies peuvent être isolées : nous sommes
alors, longtemps ou souvent, dans un même état réaction- Dans l'espace défensif de la satisfaction à court terme
nel. Elles peuvent aussi être dépendantes les unes des de nos besoins, seul le niveau d'efficacité stratégique
autres et s'enchaîner face à un même événement révéla- donne la tonalité positive ou négative. Quelles que soient
teur : nous pouvons passer de l'agitation à l'angoisse, ces réactions, efficaces ou i n e f f i c a c e , il s'agit
poursuivre dans la colère et nous effondrer épuisés... Il encore de survie, de se défendre et non pas d'être !
s'agit toujours de traiter dans l'urgence la sensation de
menace. Ce traitement se fait en fonction de l'efficacité Un système « personnalisé ».
stratégique des émotions : en termes bio-logiques, mieux
vaut une colère (lutte efficace) qu'une angoisse (fuite À chacun son système d'alarme. La stimulation du
inefficace), mieux vaut se taire et supporter (repli sur soi système de défense et son utilisation au long cours orien-
efficace) que souffrir de jalousie (lutte inefficace). tent et forment nos intelligences et nos aptitudes dans le
Ces trois modèles concourent à un même objectif: sens des objectifs défensifs, au fur et à mesure que la bio-
combler le vide. L'habitude culturelle de valoriser des logique elle-même pousse l'enfant à inventer et à adapter
comportements efficaces « positifs » et de rejeter ceux des moyens de survie. Ce qui n'est pas sans bénéfice,
inefficaces « négatifs » prolonge simplement la tendance puisque cette pression à innover ou à créer, (« Mais où
bio-logique : se donner les moyens de survivre, ne pas va-t-il donc chercher tout ça ? » disent les parents), déve-
rester sans moyens ! loppe des aptitudes spécifiques qui seront autant de for-
Ainsi pourrait s'illustrer une échelle de la liberté mes d'intelligence. Stimulées par l'émotion, ces
d'accès à la satisfaction de nos besoins fondamentaux. aptitudes demeurent au bénéfice de l'enfant puis de
l'adulte... avec toutefois le parasitage de la pression et
« Conscience d'être » Accueil du manque d'être des émotions. C'est ainsi que la réaction de fuite stimule
Vie, et participation active et les capacités d'observation, d'anticipation et de
consciente à ses besoins. réflexion, que la lutte stimule les capacités de décision,
de distinction, de communication et que le repli sur soi
« Devoir d'être » Déni du manque d'être et stimule celles de projection, d'harmonisation et de
Survie (+) participation réactive et effi- conceptualisation. Ces aptitudes, présentes chez chacun,
cace à la satisfaction de ses se trouvent excitées et surdéveloppées, car à visées
besoins : émotions dites « existentielles, par le système de défense. L'enfant se
positives » de pression. l'orme, éduqué par ses propres émotions.
Mais ce qui était réactions ponctuelles au début de la
« Devoir d'être » Soumission au manque d'être vie de l'enfant devient traits de caractère au fur et à
Survie (-) et participation réactive et mesure que les années passent. Parvenus à l'âge adulte,
inefficace à la satisfaction de nous éprouvons un même décalage entre des émotions
ses besoins : émotions dites « épisodiques et d'autres, si habituelles qu'elles semblent
négatives » de dé-pression. faire partie de nous et nous caractériser. Elles sont deve-
nues « nous ».
Ces trois stratégies peuvent être isolées : nous sommes
alors, longtemps ou souvent, dans un même état réaction- Dans l'espace défensif de la satisfaction à court terme
nel. Elles peuvent aussi être dépendantes les unes des de nos besoins, seul le niveau d'efficacité stratégique
autres et s'enchaîner face à un même événement révéla- donne la tonalité positive ou négative. Quelles que soient
teur : nous pouvons passer de l'agitation à l'angoisse, ces réactions, efficaces ou inefficace, il s'agit
poursuivre dans la colère et nous effondrer épuisés... Il encore de survie, de se défendre et non pas d'être !
s'agit toujours de traiter dans l'urgence la sensation de
menace. Ce traitement se fait en fonction de l'efficacité Un système « personnalisé ».
stratégique des émotions : en termes bio-logiques, mieux
vaut une colère (lutte efficace) qu'une angoisse (fuite À chacun son système d'alarme. La stimulation du
inefficace), mieux vaut se taire et supporter (repli sur soi système de défense et son utilisation au long cours orien-
efficace) que souffrir de jalousie (lutte inefficace). tent et forment nos intelligences et nos aptitudes dans le
Ces trois modèles concourent à un même objectif: sens des objectifs défensifs, au fur et à mesure que la bio-
combler le vide. L'habitude culturelle de valoriser des logique elle-même pousse l'enfant à inventer et à adapter
comportements efficaces « positifs » et de rejeter ceux des moyens de survie. Ce qui n'est pas sans bénéfice,
inefficaces « négatifs » prolonge simplement la tendance puisque cette pression à innover ou à créer, (« Mais où
bio-logique : se donner les moyens de survivre, ne pas va-t-il donc chercher tout ça ? » disent les parents), déve-
rester sans moyens ! loppe des aptitudes spécifiques qui seront autant de for-
Ainsi pourrait s'illustrer une échelle de la liberté mes d'intelligence. Stimulées par l'émotion, ces
d'accès à la satisfaction de nos besoins fondamentaux. aptitudes demeurent au bénéfice de l'enfant puis de
l'adulte... avec toutefois le parasitage de la pression et
« Conscience d'être » Accueil du manque d'être des émotions. C'est ainsi que la réaction de fuite stimule
Vie, et participation active et les capacités d'observation, d'anticipation et de
consciente à ses besoins. réflexion, que la lutte stimule les capacités de décision,
de distinction, de communication et que le repli sur soi
« Devoir d'être » Déni du manque d'être et stimule celles de projection, d'harmonisation et de
Survie (+) participation réactive et effi- conceptualisation. Ces aptitudes, présentes chez chacun,
cace à la satisfaction de ses se trouvent excitées et surdéveloppées, car à visées
besoins : émotions dites « existentielles, par le système de défense. L'enfant se
positives » de pression. forme, éduqué par ses propres émotions.
Mais ce qui était réactions ponctuelles au début de la
« Devoir d'être » Soumission au manque d'être vie de l'enfant devient traits de caractère au fur et à
Survie (-) et participation réactive et mesure que les années passent. Parvenus à l'âge adulte,
inefficace à la satisfaction de nous éprouvons un même décalage entre des émotions
ses besoins : émotions dites « épisodiques et d'autres, si habituelles qu'elles semblent
négatives » de dé-pression. faire partie de nous et nous caractériser. Elles sont deve-
nues « nous ».
Si nous ne sommes pas dupes des premières, les eux aucun espace pour se questionner, aucun recul...
secondes nous abusent. Jusqu'à l'évidence du « je suis comme ça, je ne peux pas
Un coup de stress, d'angoisse ou de cafard, une colère, changer », verdict sur lequel l'entourage surenchérit,
une peur, un passage à vide ne nous effraient pas quand avec miroir grossissant pour que nous soyons encore plus
il sont vite identifiés et raisonnés. Nous éprouvons leur conscients, et coupables ? de nos « travers ».
nature « étrangère » par rapport à des habitudes compor- Nous voici bloqués entre réaction existentielle et
tementales « de base ». Ils témoignent même de notre reproche, entre une urgence vitale à réagir et la culpabi-
bonne santé émotionnelle à réagir à des événements eux- lité, entre pression et impuissance à être autrement.
mêmes bien identifiés et jugés responsables de nos réac- L'appel au raisonnement, à la relativisation, à l'espé-
tions. Il est acceptable d'éprouver de l'angoisse avant un rance est sans effet. Parfois même, il est exaspérant ou
contrôle, d'être exaspéré par un embouteillage, d'être angoissant, et ajoute encore de la culpabilité ou de
déprimé par le mauvais temps. Nous ne sommes pas l'impuissance à la réaction de défense. La possibilité
dupes de nous-mêmes et de nos réactions et conservons même de changer et de se comporter autrement reste
à leur égard du recul et notre sens critique. Ainsi, nous étrangère à celui ou à celle qui adhère à sa défense
pouvons « relativiser » en nous distanciant mentalement comme un naufragé sur sa planche de bois au milieu de
et verbalement de l'événement et de ce que nous éprou- l'océan.
vons à son égard. Chaque fois, il s'agit d'éloigner de soi
la pression intérieure révélée par l'événement. Nos réac- Les émotions sont des réactions ET normales ET
tions de défense ponctuelles sont, après tout, des réac- excessives. Quelle que soit la nature de la réaction,
tions « bien humaines » : on a beau être prince, on n'en l'absence de recul, de sens critique ou la justification sys-
est pas moins homme... ce qui suppose qu'il faut bien tématique et pressante signent l'adhésion existentielle, et
s'accepter soi et accepter les autres et donc faire des donc l'emprisonnement de la personne dans son système
concessions à ses propres émotions. de défense. En clair, n'ayant pas accès à son potentiel,
Tout autres sont nos réactions devenues au fil du ne pouvant y penser, en parler et donc ne pouvant agir
temps et des habitudes des traits de caractère. Autres non dans le sens de ses besoins, elle n'a plus, pour exister,
dans leurs modalités ou leur signification, mais dans leur que ses défenses ! Et gare à quiconque tenterait de les lui
implication : nous avons perdu notre sens critique et ne ôter. Dans cet enfermement mental, nous croyons de
savons plus changer notre regard sur l'événement consi- TOUT NOTRE ÊTRE, tant biologique que psychique, que
déré comme seul responsable de notre mal-être. Nous vivre, c'est se défendre. Cette croyance fait partie de la
adhérons à nos réactions émotionnelles tant elles ont bio-logique elle-même ! Elle est nécessaire au méca-
pour nous valeur existentielle : la fuite ou la mort, la lutte nisme ! La dimension vitale contenue dans ces réactions
ou la mort, le repli ou la mort. Raisonnablement, nous défensives sans recul relève d'une information biologi-
savons bien qu'il ne s'agit pas d'une mort physique. Ce que et non intellectuelle, une information qui a imprégné
qui meurt est la satisfaction d'un besoin. la personne. C'est ainsi que, parvenus à l'âge adulte,
Cette adhésion s'est constituée au fil de notre histoire nous avons organisé notre personnalité en y intégrant des
personnelle, au fur et à mesure que réactions palliatives plages émotionnelles. Ces « zones d'ombre », défensives
et manque d'être se sont faits les échos les uns des autres, de notre sécurité, de notre identité, de notre réalité d'être,
qu'ils se sont étayés les uns les autres, ne laissant entre participent à sa construction. Alors, nous parlons de nous,
Si nous ne sommes pas dupes des premières, les eux aucun espace pour se questionner, aucun recul...
secondes nous abusent. Jusqu'à l'évidence du « je suis comme ça, je ne peux pas
Un coup de stress, d'angoisse ou de cafard, une colère, changer », verdict sur lequel l'entourage surenchérit,
une peur, un passage à vide ne nous effraient pas quand avec miroir grossissant pour que nous soyons encore plus
il sont vite identifiés et raisonnes. Nous éprouvons leur conscients, et coupables ? de nos « travers ».
nature « étrangère » par rapport à des habitudes compor- Nous voici bloqués entre réaction existentielle et
tementales « de base ». Ils témoignent même de notre reproche, entre une urgence vitale à réagir et la culpabi-
bonne santé émotionnelle à réagir à des événements eux- lité, entre pression et impuissance à être autrement.
mêmes bien identifiés et jugés responsables de nos réac- L'appel au raisonnement, à la relativisation, à l'espé-
tions. Il est acceptable d'éprouver de l'angoisse avant un rance est sans effet. Parfois même, il est exaspérant ou
contrôle, d'être exaspéré par un embouteillage, d'être angoissant, et ajoute encore de la culpabilité ou de
déprimé par le mauvais temps. Nous ne sommes pas l'impuissance à la réaction de défense. La possibilité
dupes de nous-mêmes et de nos réactions et conservons même de changer et de se comporter autrement reste
à leur égard du recul et notre sens critique. Ainsi, nous étrangère à celui ou à celle qui adhère à sa défense
pouvons « relativiser » en nous distanciant mentalement comme un naufragé sur sa planche de bois au milieu de
et verbalement de l'événement et de ce que nous éprou- l'océan.
vons à son égard. Chaque fois, il s'agit d'éloigner de soi
la pression intérieure révélée par l'événement. Nos réac- Les émotions sont des réactions ET normales ET
tions de défense ponctuelles sont, après tout, des réac- excessives. Quelle que soit la nature de la réaction,
tions « bien humaines » : on a beau être prince, on n'en l'absence de recul, de sens critique ou la justification sys-
est pas moins homme... ce qui suppose qu'il faut bien tématique et pressante signent l'adhésion existentielle, et
s'accepter soi et accepter les autres et donc faire des donc l'emprisonnement de la personne dans son système
concessions à ses propres émotions. de défense. En clair, n'ayant pas accès à son potentiel,
Tout autres sont nos réactions devenues au fil du; ne pouvant y penser, en parler et donc ne pouvant agir
temps et des habitudes des traits de caractère. Autres non dans le sens de ses besoins, elle n'a plus, pour exister,
dans leurs modalités ou leur signification, mais dans leur que ses défenses ! Et gare à quiconque tenterait de les lui
implication : nous avons perdu notre sens critique et ne ôter. Dans cet enfermement mental, nous croyons de
savons plus changer notre regard sur l'événement consi- TOUT NOTRE ÊTRE, tant biologique que psychique, que
déré comme seul responsable de notre mal-être. Nous vivre, c'est se défendre. Cette croyance fait partie de la
adhérons à nos réactions émotionnelles tant elles ont bio-logique elle-même ! Elle est nécessaire au méca-
pour nous valeur existentielle : la fuite ou la mort, la lutte nisme ! La dimension vitale contenue dans ces réactions
ou la mort, le repli ou la mort. Raisonnablement, nous défensives sans recul relève d'une information biologi-
savons bien qu'il ne s'agit pas d'une mort physique. Ce que et non intellectuelle, une information qui a imprégné
qui meurt est la satisfaction d'un besoin. la personne. C'est ainsi que, parvenus à l'âge adulte,
Cette adhésion s'est constituée au fil de notre histoire nous avons organisé notre personnalité en y intégrant des
personnelle, au fur et à mesure que réactions palliatives plages émotionnelles. Ces « zones d'ombre », défensives
et manque d'être se sont faits les échos les uns des autres, de notre sécurité, de notre identité, de notre réalité d'être,
qu'ils se sont étayés les uns les autres, ne laissant entre participent à sa construction. Alors, nous parlons de nous,
ou des autres, comme d'une personne autoritaire,
anxieuse, colérique, râleuse, boudeuse, paresseuse, exi-
geante ou trop émotive... Nous jugeons ce « défaut » qui
est d'abord une habitude réactionnelle de survie. En fait,
une façon automatique de traiter notre besoin.
En premier lieu, il apparaît important de repérer nos
réactions : comportements de fuite, lutte et repli sur soi
sont les clefs pour nous ouvrir à notre potentiel. Sans
cette conscience de nos mécanismes défensifs, nous ris-
quons de nous maintenir dans le palliatif, dans l'urgence. Deuxième partie.
En d'autres termes, dans le stress, la souffrance et la peur
du manque.
S E C O N N A Î T R E P O U R S E LIBÉRER.
ou des autres, comme d'une personne autoritaire,
anxieuse, colérique, râleuse, boudeuse, paresseuse, exi-
geante ou trop émotive... Nous jugeons ce « défaut » qui
est d'abord une habitude réactionnelle de survie. En fait,
une façon automatique de traiter notre besoin.
En premier lieu, il apparaît important de repérer nos
réactions : comportements de fuite, lutte et repli sur soi
sont les clefs pour nous ouvrir à notre potentiel. Sans
cette conscience de nos mécanismes défensifs, nous ris-
quons de nous maintenir dans le palliatif, dans l'urgence. Deuxième partie.
En d'autres termes, dans le stress, la souffrance et la peur
du manque.
S E C O N N A Î T R E P O U R S E LIBÉRER.
« Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'Univers et
les dieux. » Si, depuis Socrate, la phrase garde son actua-
lité, c'est grâce à sa résonance : se connaître pour aller
bien, être heureux, pour développer sa personnalité, réus-
sir sa vie. Pour cesser aussi d'être dupe de soi-même et
des autres, piégé par ses propres craintes et en consé-
quence par l'abus de pouvoir des autres, prisonnier de
ses propres évidences et de situations impossibles à vivre
sans survivre.
Se connaître, mais aussi reconnaître cet autre en face
de soi qui ne cesse de nous interpeller : conjoint, enfant,
ami, collègue de bureau, rencontre de café, sans domicile
fixe, parents... tous ces autres que nous aimons, ou qui,
de fait, partagent notre quotidien, que nous croyons
connaître, mais qui nous déroutent si souvent, nous
dérangent, et nous font mal.
Se connaître ou se co-naître, c'est naître à soi.
« Être conscient, c'est cesser d'être inconscient et de se
conduire comme un inconscient. » Tel est l'objectif des
pages qui vont suivre : tendre à chacun un miroir grâce
auquel, cessant de nous juger en bien ou mal, en victimes
ou en bourreaux, en normaux ou en anormaux, nous
pourrons prendre en considération nos comportements,
nos croyances, nos peurs et nos manques. Le miroir est
une façon de rentrer en contact avec soi et de ne plus se
fuir.
Nous avons tous la sensation, voire la certitude de
nous connaître, évidence qui résiste mal aux fractures de
vie et aux conflits affectifs... ou à un premier entretien
« psy ». Là apparaissent les zones d'ombre et de doute.
« Qu'est-ce qui m'arrive ? » Les réponses toutes faites,
automatiques, ne suffisent plus. Nous ne nous reconnais-
sons plus. Mais nous connaissions-nous vraiment ?
Psychanalyse et psychothérapies, bien souvent, assor-
tissent la « connaissance de soi » d'un travail long, ardu,
cher et douloureux. Ce qui encourage certains à éviter ce
« risque ». La compréhension des mécanismes de
défense peut la faciliter grandement, dédramatiser les
réactions en leur donnant du sens. Nos comportements
de « survie », pour peu que nous les accueillions, que
nous en fassions nos alliés et nos guides, nous éclairent
sur nos intentions, nos besoins et nos peurs. Plus
conscients de nos fragilités, nous pourrons mieux explo-
rer les possibilités de notre intelligence.
Nous engageons le lecteur, durant cette deuxième par-
tie, plus impliquante que la première, et moins que la
troisième, à devenir complice plus qu'observateur.
Complice de lui-même afin d'oser se reconnaître dans le
miroir, grossissant mais non déformant, que lui tendent
les chapitres à venir. Car les portraits qui suivent sont les
nôtres quand nous nous défendons. Tout simplement.
4.

« Courage, fuyons ! »
quand nous sommes en état de fuite.

Le crocodile a repéré un danger : il l'observe et le


mesure. Au moindre bruit, il file, disparaît dans l'eau,
satisfait de son habileté à ne pas se faire prendre.

Réaction de première intention face à ce qui est vécu


comme un danger, une menace pour son intégrité, la fuite
répond à la première nécessité vitale, celle de survivre,
de sauver sa peau. D'où son lien direct avec le besoin de
sécurité.
Tel un papillon qui volette en tous sens, mais jamais
en ligne droite, afin de minimiser le risque d'être sur la
ligne de vol d'un oiseau prédateur, nous adoptons un
comportement dont le premier objectif est de ne pas être
pris.
Tel un lapin à l'approche d'un danger qui retrouve le
chemin du terrier grâce aux repères enregistrés, regagner
notre abri sera notre premier but.
J'évite, donc je survis. L a réaction de fuite est une stra-
tégie de protection par évitement non consciente car auto-
matisée. Elle révèle une résistance, une difficulté, voire
une impossibilité réelle à satisfaire consciem-ment notre
sécurité. Cette autolimitation inconsciente déclenche une
exigence de sécurité, impérative et existentielle. L'événe-
ment extérieur, parce qu'il résonne avec ce manque, cette
part de soi non sécurisée, provoque ces réactions. Hors la
fuite, point de salut ! Fuir semble réellement l'unique
moyen d'assurer notre sécurité, donc notre vie. Dans
l'urgence, cette évidence ne « monte » pas à la
conscience : seule la réaction elle-même, avec son cortège
de symptômes, nous révèle à nous-mêmes que nous som-
mes en fuite, en danger de manque d'être, dans un besoin
aigu à satisfaire. L'ensemble des symptômes émotionnels
se situent dans l'espace sécuritaire : on y parle abri, sûreté
et liberté, sur fond d'inquiétude fébrile.
La description qui va suivre s'attache à décrire plus
un état de fuite qu'une réaction épisodique : les symptô-
mes sont les mêmes, seule l'installation au long cours
des réactions inscrit la personne dans une stratégie, dans
des habitudes de type « seconde nature ».

La peur.

La peur est un signal d'alarme. L a peur est l'émotion


contenue dans nos réactions de fuite, omniprésente quelle
que soit l'efficacité des comportements qui garantissent
l'objectif de cette défense : peur d'être enfermé, coincé,
de manquer d'air, d'espace, d'être bloqué, contraint, peur
surtout de ne pas s'en sortir ! De quoi ? La réponse est
secondaire par rapport à l'urgence d'y échapper.
Lors d'un entretien, l'idée seule d'être limité et acculé
peut déclencher des symptômes de peur : déjà le visage
s'empourpre, la personne se lève ou porte la main à son
cou pour se donner de l'air... Peur irrationnelle mais
réellement vécue ! Inquiétude, crainte, peur, angoisse,
panique, phobie... notre vocabulaire est très riche pour
exprimer cette émotion liée au sentiment d'insécurité,
comme si, tout d'un coup, nous étions sur le point
d'étouffer.
Ainsi, notre naissance peut-elle être une expérience
émotionnellement forte. Expérience en trois temps, dont
le premier est l'insécurité. Au début d'un accouchement
par les voies naturelles, le bébé éprouve sa première
peur : celle de voir les parois de la maison utérine se rap-
procher dangereusement. Il n'avait déjà pas beaucoup de
place au bout de neuf mois de développement, mais il
pouvait encore bouger, et voici que, de plus en plus sou-
vent, les contractions de maman l'enserrent et réduisent
d'autant son espace vital. Seule échappatoire, une étroite
ouverture, qui, au début, semble ridiculement réduite,
puis enfin, au fur et à mesure que bébé appuie dessus,
semble enfin s'élargir... jusqu'à permettre le passage. Il
l'a échappé belle ! Telle est la version « idéale » de ce
temps de la naissance ! Il est bien sûr des accouchements
qui, émotionnellement et médicalement, accentuent la
peur : contractions inefficaces pendant des heures, pla-
centa placé en travers de l'ouverture, bébé mal posi-
tionné pour la sortie, cordon ombilical autour du cou,
transmission de l'angoisse de maman à l'idée que le bébé
quitte son ventre, de papa à l'idée que maman souffre ou
que bébé soit mal formé, fatigue du médecin qui voudrait
rentrer chez lui, impatience d'une sage-femme... Que
d'occasions de favoriser et d'augmenter la peur inhérente
à cette première expérience de vie, et de la charger
d'angoisse !
Le cocon maternel n'est plus l'abri sûr, familier et
accueillant. Bébé a découvert qu'il peut aussi être un lieu
oppressant. C'est là un premier paradoxe : pour vivre sa
vie, faudrait-il passer par l'expérience de l'oppression ?
On appelle cela être au pied du mur ou le dos au mur.
Une première expérience rassurante suit la nais-
sance : le sein de maman. La faim et la présence rassu-
rante de maman sont les besoins les plus manifestés par
bébé, les deux étant évidemment liés s'il est allaité. Une
fois rassasié, bébé s'endort, pour se réveiller à la pro-
chaine tétée ou au prochain biberon. Voilà une nouvelle
occasion de connaître la peur, celle de manquer de nour-
riture et de maman. L'agitation et les pleurs sont les
témoins de cette inquiétude conjuguée. Nul étonnement
à ce que la nourriture soit aussi intimement liée aux
symptômes de la réaction de fuite, avec tout ce qui tou-
che à l'oralité, à la bouche.

À l'origine de l'état de fuite.

Des ruptures dans le processus de sécurisation. De


la naissance à sept ans, la mère est celle qui pourvoit à
la sécurité. Mère à plusieurs dimensions : génétique et
bio-logique dans sa dimension physique, familiale dans
sa dimension affective, collective dans sa dimension
sociale, symbolique dans sa dimension spirituelle. Elle
demeure la référence fiable. Garante de sécurité, elle
répond de la confiance de l'enfant. Non que la mère porte
sur ses seules épaules toute la charge de l'éducation de
la confiance ! Plus simplement : la fiabilité et la sécurité
sont des valeurs féminines.
Or nombre d'occasions peuvent créer une rupture dans
le processus d'acquisition de la fiabilité et ainsi être à
l'origine de peurs ultérieurs, donc de réactions de fuite.
La fracture survient lorsqu'une personne, la mère ou
un autre, initialement source de sécurité, se retourne
contre l'enfant, qui vit alors ce changement comme une
menace de son intégrité. Ce retournement peut être un
rejet, une hostilité soudaine. Il peut être aussi une attente,
une pression sur l'enfant pour qu'il devienne, lui, la
source de la sécurité de l'adulte. C'est ainsi, par exemple,
que des mères angoissées peuvent devenir des mères
abusives.
Dans la première situation, la source se tarit, voire
devient toxique. La frustration et, avec elle, la peur s'ins-
tallent. Dans la seconde, elle s'inverse : c'est à l'enfant
de sécuriser sa mère ou son entourage. Exigence pres-
sante qui prive celui-ci de sa capacité à organiser pour
lui-même, et progressivement, sa propre sécurité, dans
l'obligation qu'il est de pourvoir à celle de sa mère ou
de son entourage.
Ces ruptures engendrent une sensation de manque de
fiabilité et la nécessité de se protéger. L'autre en qui
l'enfant croyait ne s'avère pas fiable... L'enfant est en
état d'alerte, de défense, obligé de réagir dans l'urgence
à ce retournement.
Plus tard, tout événement, entrant en résonance avec
ces manques, réveillera le souvenir de la rupture origi-
nelle dans le besoin de sécurité : mensonges, secrets de
famille, non-dits, départs sans explication, conflits,
divorce, changements inopinés ou fréquents, insécurité
sociale ou économique, accidents... Quels qu'ils soient,
ils confirmeront la peur des débuts de vie. Au quotidien,
ce seront des événements apparemment mineurs mais, au
travers du filtre de l'enfant devenu adulte, ils éveilleront
ses résistances à avoir confiance en lui et en l'autre.
La sensation d'insécurité intérieure naît de cette diffi-
culté, de cette résistance à pouvoir ou à oser regarder
comme fiable son entourage, à s'y sentir sain et sauf sans
avoir constamment peur que ne survienne un retourne-
ment dangereux.
Alors, la lecture du monde et de soi-même se fait selon
le filtre « je me sens en danger, je dois être rassuré ».
Nous voyons la vie à travers les lunettes de la fuite exis-
tentielle, persuadés d'avoir une bonne vue !

Les « lunettes » de la réaction de fuite.

Des lunettes teintées de peur. Elles nous donnent


une vision du monde spécifique. Ainsi la perception du
temps (qui passe) : le passé est le domaine de référence
qui justifie la fuite soit parce que « c'était bien mieux »
avant, c'est-à-dire plus sécurisant, soit parce que
« c'était étouffant » et qu'il ne faut surtout plus revivre
une telle expérience et retrouver le même danger. Que
le passé soit idéalisé, ou contre-modèle auquel on veut
échapper parce qu'il n'a pas su générer de la confiance,
on cherchera à le retrouver ou à le fuir.
Ainsi la perception de l'espace : un lieu qui rassure,
dont nous connaissons tous les secrets et les recoins,
peut aussi être un lieu dans lequel nous étouffons et qui
nous fait rêver d'un ailleurs lointain. Nos réactions de
fuite révèlent ainsi notre niveau de sécurité ou d'insé-
curité : besoin d'être enfermés à double tour pour se
sentir bien protégés jusque dans sa chambre à coucher,
ou bien de dormir toutes fenêtres ouvertes au cas où il
faudrait s'échapper en pleine nuit, agoraphobie, phobie
de l'espace vide dans lequel nous ne pouvons nous
aventurer sans peur, ou satisfaction dans les espaces
surpeuplés où nous ne nous sentons pas tout seuls... à
chacun sa façon de trouver sa sécurité, ou plutôt son
palliatif.
La maison, le toit sur la tête, les objets qui rassurent,
l'espace devant soi bien dégagé, le compte en banque, la
présence de l'autre qui tranquillise, le coup de fil de son
fils le soir après un voyage... autant de repères impor-
tants chargés d'apaiser une peur latente.
Faute de pouvoir se fier à ses propres perceptions, la
personne projette sa sécurité sur l'environnement maté-
riel : c'est lui qui doit la rassurer. Les rituels chargés de
sécuriser, échappant apparemment à tout raisonnement
mental logique, trouvent là leur origine.

Laurence change les itinéraires de son bureau à


chez elle tous les soirs, quitte à passer deux à trois
heures dans le métro. Elle est convaincue, ainsi,
que personne ne la suivra jusqu 'à son domicile.

La réaction de fuite parasite la relation à l'autre. Celui-


ci est potentiellement une source d'inquiétude ou au
contraire de réassurance. Plus la relation est profonde,
plus l'enjeu est vital, plus la peur et l'attente sont élevées
en matière de sécurité.
Une tête très pensante.

« Ça me prend la tête ! » À défaut de savoir et de


pouvoir assurer directement sa sécurité, l'état de fuite
entraîne une accélération de la pensée, afin de pallier ce
manque. La tête « chauffe » et « bouillonne » ! Les idées
sont variées et nombreuses et l'imagination va bon train
pour éviter qu'on ne soit attrapé. L'agitation mentale et
l'hyperidéation se traduisent par un « petit vélo dans la
tête » : idées, paroles, pensées, images se bousculent et
s'enchaînent, l'une entraînant l'autre. C'est l'état défen-
sif le plus créatif, le plus inventif, le plus expressif
aussi... du moins jusqu'à ce que la peur l'emporte sur
l'inventivité et paralyse la richesse des pensées : c'est
alors l'angoisse de ne pas trouver de moyens de s'en sor-
tir et la fuite... des idées.
L'état de fuite modèle des aptitudes qui ont pour fonc-
tion d'assurer la sécurité : rapidité à saisir les explica-
tions, les nouveautés, les occasions, un sens de la
réflexion, et, bien sûr, de l'humour, cette aptitude à faire
rire... et à neutraliser les risques de pression et de
contrainte. Mais cette tête très (trop) pensante ne
s'arrête jamais, anticipe l'avenir, ressasse le passé,
observe le présent avec inquiétude, voire méfiance.
Notre besoin de sécurité ne nous lâche pas, quitte à
ce qu'il nous « prenne la tête ».

Les stratégies de l'état de fuite.

Les fantasmes d'une sécurité absolue ou d'une liberté


totale alimentent l'état de fuite, autant que les phobies
du risque et de l'inconnu. Tout événement, filtré selon
les lunettes de cette émotion, peut alors venir confirmer
ou infirmer le bien-fondé de l'objectif défensif.
Prêt à tout pour fuir. A u fur et à mesure de ses expé-
riences, la personne organise ses stratégies personnelles
sur fond d'insécurité et sur le besoin d'échapper à
l'étouffement et à la peur qui lui sont liés.
Ces stratégies diffèrent selon qu'elles sont fondées sur
une dépendance à l'autre ou sur une pression égocentri-
que, et selon que la réaction de fuite s'avère efficace,
« positive », ou inefficace, « négative », car entravée.
Rappelons que la notion d'efficacité concerne la possi-
bilité de fuir et non celle de développer consciemment
sa confiance en soi. Quatre types de comportements sont
alors repérables.

Le comportement « Indépendant » en fuite :


nervosité et créativité.
Le comportement égocentrique est justifié par le
devoir et la pression... et projeté sur l'entourage,
exprimé dans des « je dois » impératifs. Cette sensation
de dette envers soi et les autres impulse une créativité
fébrile car à valeur existentielle. Pour s'en sortir, pour se
libérer et libérer l'autre, pour se rassurer et rassurer
l'autre, nous sommes prêts à « mettre la pression ».
Quelques « traits de caractère » : protecteur, coura-
geux, agité, créatif, esprit vif, boulimique d'activités,
libre-penseur, comique, libertin, anticonformiste.

Le comportement « Victime » en fuite : peur et activisme.


Le comportement se justifie par le souci d'échapper à
un danger d'étouffement représenté par l'environnement
ou par l'entourage. En d'autres termes, pour la personne,
ce sont les autres qui doivent lui assurer sa sécurité et sa
liberté et qui sont en dette à son égard. La peur d'être
submergé justifie la pression exercée sur ceux-là mêmes
qui inquiètent.
Quelques « traits de caractère » : ambiguïté, dénéga-
tions, mensonges, traîtrise... pas vu, pas pris, irrespon-
sable, mauvaise foi, comportement « anguille » sur
lequel l'autre n'a pas prise.
Le comportement « Coupable » en fuite :
peur et inhibition.
Le comportement égocentrique se heurte à une évi-
dente impossibilité d'assurer sa sécurité et sa liberté, la
sienne comme celle des autres. Cela se traduit par une
pression intérieure : « Je devrais, mais je ne m'en sors
pas » ... — et une culpabilité à se voir ainsi limité...
L'émotion est ainsi redoublée, sauf quand l'entourage ou
des rituels parviennent à rassurer.

Le comportement « Dépendant » en fuite :


angoisse et inhibition.
Ce comportement se justifie par la phobie constante
de ne pouvoir échapper aux dangers du monde. « Je n'y
peux rien... c'est plus fort que moi... je meurs de
peur... » Crises de panique, phobies, perte des repères
génèrent un comportement de dépendance douloureux.
L'entourage sollicité s'épuise, lui, à rassurer la personne
qui, elle, se déresponsabilise d'elle-même.

Ces comportements sont intentionnellement très cari-


caturaux afin de mieux révéler et de donner la tonalité
de notre humeur selon l'organisation de nos stratégies de
fuite. Bien sûr, nous ne sommes pas ces caricatures mais
nous adoptons ces stratégies comportementales pour
assurer dans l'urgence notre sécurité. En toute bonne
foi.

Comment se reconnaître en état de fuite.


Toute réaction de fuite (ou état de fuite) se reconnaît à
des manifestations physiques, cognitives et comportemen-
tales. Des symptômes. Certaines habitudes, si ancrées
qu'elles font partie de nous, sont, elles aussi, évocatrices.
Enfin, nos mots, ceux que nous employons avec prédilec-
tion, en disent long sur notre sentiment d'insécurité.
Il n'est pas toujours aisé de se voir, tant il est vrai que
nous voyons plus facilement la paille dans l'œil du voisin
que la poutre dans le nôtre. En fait, nous adhérons tant à
notre système de défense, baptisé volontiers système
de valeurs, que nous avons du mal à prendre du recul.
Pour cette raison, et parce que, malgré nos efforts, la des-
cription des réactions de défense peut paraître négative
et culpabilisante, nous demandons au lecteur de ne pas
(se) juger, ni lui, ni son entourage dont il aura reconnu
certains comportements. Personne n'est « fuyard » !
Nous avons tous en nous des comportements de fuite
quand notre sécurité nous semble menacée.

Manifestations physiques.
Agitation... Quand la fuite est possible, organisable
et efficace, les symptômes peuvent être discrets mais per-
ceptibles : nervosité, agitation, sensation de fébrilité, res-
piration plus courte et thoracique plutôt qu'abdominale,
tremblement, transpiration, des mains surtout, rougisse-
ment, précipitation, impatience dans les jambes, les
doigts qui pianotent, bouffées de chaleur, le doigt qui a
tendance à élargir le col de la chemise ou du tee-shirt,
instabilité, besoin de bouger fréquent, ongles rongés,
tics...
Quand la fuite est empêchée, les réactions s'intensi-
fient et sont plus symptomatiques de la peur : les mêmes
manifestations s'accompagnent de sensation de mal au
ventre, ou de nœud dans la gorge, impression de jambes
coupées, crampes, spasmes, difficultés à respirer, voire
asthme, tendance à l'alternance de diarrhée et de consti-
pation, douleurs digestives (gastrite, ulcère, hernie),
migraines à type d'étau (traduit par « ça me prend la
tête »), troubles du sommeil, avec notamment des réveils
nocturnes par des rêves (de fuite) ou au moindre bruit,
endormissement bref mais agité de soubresauts, parfois
somnambulisme, sensation de tête près d'éclater... Des
pathologies urinaires peuvent survenir. Les reins sont,
selon l'acupuncture, le centre de la peur.
Une personne en état de fuite choisit de s'asseoir plu-
tôt près de la fenêtre ou de la porte, par besoin d'air et...
au cas où !

Manifestations émotionnelles.
« Je me sens fébrile... » Sensations de pression inté-
rieure, d'avoir l'esprit préoccupé, sans répit, d'être
obsédé par ce dont on doit se libérer... ce qui est un beau
paradoxe. Sensations de vulnérabilité, d'insécurité, de
timidité, jusqu'à la crise de panique ou de phobie lorsque
nous demeurons dans l'impuissance. Difficulté à se
concentrer, à organiser ses idées, sensation de confusion,
trop d'idées dans tous les sens. La sensation de peur
entraîne des scenarii d'anticipation inquiétants, voire
dramatiques, ou idéalement rassurants. Ils donnent
l'impression de vivre au futur plus qu'au présent. Mais
ce futur prévu n'est que la prolongation d'un passé qui
justifie les peurs. Difficulté à poursuivre un objectif dans
la durée (vécue comme une contrainte), à obéir à un
ordre, à une autorité, à se limiter à une consigne donnée.
Indécision: choisir, c'est se limiter —, désordre,
oublis, difficulté à se poser, à demeurer en place. Diffi-
culté à s'engager, à se restreindre, d'autant plus quand
l'entourage se fait pressant. Culpabilité envers soi-même
quand la désorganisation ou l'erreur compromettent la
sécurité. Culpabilisation de l'autre à qui l'on demande
de nous rassurer. Claustrophobie, phobie de tout ce qui
serre. Peur d'avoir peur, c'est-à-dire peur de vivre l'état
de douleur physique et psychique liée à l'état de peur,
car elle témoigne alors de notre impuissance.
En état de fuite empêchée, les symptômes émotionnels
peuvent être très violents et envahir le champ de la
conscience, entraînant des vertiges, voire des synco-
pes..., seul moyen pour l'organisme d'atténuer, pour un
moment, l'intensité de la pression intérieure.
Manifestations cognitives.
Ce sont les commentaires intérieurs que nous nous fai-
sons pour nous-mêmes, nos évidences. Ce que nous ne
mettons plus en question.
« Je mets la pression pour m'en sortir ! » Pensées
de la libération : « La liberté n'a pas de prix, il faut que
je bouge, vive les vacances, besoin d'espace, d'air, lais-
sez-moi faire, laissez-moi respirer, voyager, tout oublier
pour une fois ! Partir sans laisser d'adresse... Mener plu-
sieurs projets en même temps, pas de place pour l'ennui,
si je pouvais m'arrêter de penser... »
Pensées de la sécurité : « Rien ne vaut d'être à l'abri
chez soi, on ne sait jamais ce qui peut arriver, mieux vaut
ne pas tenter le diable, avant, c'était mieux... »
Pensées d'insécurité : « Qu'est-ce qu'on me veut ?
Qu'est-ce qui va encore m'arriver ? Je n'aime pas être
pris aux dépourvu, je n'aime pas choisir, je ne supporte
pas la pression, je n'ai pas le temps, trop long, trop à
faire, est-ce que je vais m'en sortir ? »
Tous nos commentaires sont fondés sur la réalité, sur
l'expérience du moment, et sont donc à nos yeux «justi-
fiés » par les circonstances. Notre peur qu'il arrive quel-
que chose d'inquiétant ou d'être agressés sera fondée sur
ce qu'on lit dans les journaux ou ce que l'on voit à la télé-
vision aujourd'hui, sur ce qu'une voisine a raconté sur cet
homme bizarre qui a voulu nous accoster un soir, auquel
on a échappé en courant et en rentrant dans une boutique,
ou ces pas dans le jardin qu'on a entendus une nuit...

Comment reconnaître quelqu'un en état de fuite.

Il bouge beaucoup. Son corps est en mouvement et ne


s'arrête que figé dans la stupeur de l'angoisse. Sinon,
tout bouge : corps, mains, pieds, jambes. Même assis, il
bouge sur sa chaise, balance volontiers celle-ci. Il ne tient
pas longtemps en place. Il est facile à repérer en classe :
c'est l'élève qui se lève pour aller voir ses copains, qui
demande régulièrement à aller aux toilettes, qui s'assoit
près de la fenêtre ou de la porte.
Il préfère les vêtements amples, qui n'entravent pas
ses mouvements. S ' i l supporte la cravate (il essaie de
l'éviter), il ne fermera par le bouton de la chemise, ça
l'étrangle... Son habillement n'est pas voyant, le but
n'étant pas d'être remarqué mais d'être à l'aise. La mode
chez certains adolescents est caractéristique des réactions
de fuite : grands tee-shirts, pantalons larges, chaussures
larges et sans lacets.
Le regard est très mobile, vif, en alerte et très expressif,
rien ne semble lui échapper, sauf dans les phases
d'angoisse où il peut être fixe, anxieux ou douloureux.
Autrement, le regard est plutôt fuyant. Si on le fixe dans
les yeux, il a tendance à les détourner, à éviter notre regard.
Le visage est expressif, le sourire plutôt de conve-
nance, aimable, de celui qui ne s'engage pas, plutôt
séducteur pour éviter le conflit. « Tant que je séduis,
l'autre ne m'agressera pas, donc je souris... » La parole
est fluide et rapide. Il passe volontiers d'un sujet à un
autre, parfois du coq à l'âne. Souvent, il ne finit pas ses
phrases. Il a le rire facile, qui élude. Il adore raconter des
histoires drôles et en a toujours de nouvelles dans sa
poche !
Ses gestes sont imprécis, maladroits, et souvent impa-
tients, précipités, désordonnés. Il parle beaucoup, mange
beaucoup, boit tout autant, au prorata de la peur qui
l'habite.

Fuite et habitudes de vie.

Une personne fébrile qui cherche à se rassurer déve-


loppe de nombreuses habitudes.
Quand l'individu est fumeur, c'est un grand fumeur :
« Si je fume, je respire, donc, je vis. » Il y a un attache-
ment au geste rituel du fumeur : même s'il ne la fume
pas, il allume une cigarette.
Quand il boit, il recherche l'effet anxiolytique et apai-
sant de l'alcool, pour oublier la pression, les obligations
qui l'étouffent.
Quand il touche à la drogue, c'est pour quitter un
monde violent, trouver un paradis artificiel sans violence
ni conflits. Il fumera ou consommera des drogues hallu-
cinogènes ou des drogues excitantes au risque de devenir
rapidement dépendant s'il parvient ainsi à soulager sa
peur et sa pression intérieure.
Avec l'argent, il aura tendance à économiser, voire à
mettre ses économies dans un coffre au cas où, quitte à
vivre chichement et à se priver. Ou, au contraire, il peut
dépenser sans compter, être panier percé, gaspiller l'argent
qu'il n'a pas, ne supportant pas les limitations : là encore,
son attitude, jugée irresponsable par son entourage, est une
recherche parfois infernale de liberté absolue.
Dans leurs rapports sexuels, l'homme ou la femme
préfèrent prendre l'initiative: pour éviter de se sentir
pris (ou surpris). Si il ou elle accepte ou désire être pris
(e), c'est pour retrouver un état de sécurité fusionnel. Si
cette sécurité n'est pas éprouvée, les rapports seront
écourtés : éjaculation précoce chez l'homme et absence
de plaisir, peur d'avoir mal chez la femme...
Les rapports de séduction sont importants et peuvent
aller vers le donjuanisme ou un comportement nympho-
mane.
Les loisirs sont l'occasion de s'évader et de se libérer
des contraintes. La musique, surtout branchée en direct
sur les oreilles grâce au baladeur et à haut volume, per-
met de se déconnecter du monde environnant, de s'en
extraire, de se remplir la tête (de sons) et d'échapper à
ses propres pensées ou à ses peurs. Pour certains, le
voyage ouvre à l'ailleurs, à l'insolite. Pour d'autres, il
n'est pas question de partir sans assurance et sécurité. Le
téléphone, la télévision, l'informatique sont autant de
moyens de se perdre, c'est-à-dire de s'échapper, de se
sécuriser car on est « branché » sur l'autre, le réseau,
l'image. Moyens de fuite idéaux, car ils permettent d'être
« avec » sans risquer d'être étouffé. À tout moment on
peut couper la communication, débrancher. Ils permet-
tent de voyager sans crainte, sans s'exposer au danger de
la relation et de la vie.

Fuite et nourriture.

L'état de fuite entretient un étroit rapport avec l'ora-


lité : la bouche, c'est ce qui permet à la nourriture et à
l'air de passer. La première satisfaction du besoin chez
le nouveau-né passe par la tétée. Tout ce qui touche à la
nourriture, aux plaisirs (ou aux déplaisirs) de la bou-
che aura donc une grande importance.
À commencer par les doigts ! D'abord le pouce dans
la bouche pour s'endormir et se rassurer, volontiers
jusqu'à l'âge de dix ans, puis les ongles rongés, parfois
jusqu'à la moitié de leur longueur chez certains adoles-
cents. Grignotage sans faim réelle mais témoin du besoin
d'avoir quelque chose dans la bouche, d'apaiser un man-
que impossible à définir. Boulimie qui tout à la fois ras-
sure et étouffe, anorexie qui révèle l'évitement de son
besoin de sécurité en ne nourrissant plus son corps.
Obsessions des régimes alimentaires chargés de pallier
l'absence de désir personnel de nourriture, oubli de man-
ger quand on se dit débordé de travail, ou tout seul, et
qu'on ne voit pas l'intérêt de se faire un peu de cuisine...
Autant de troubles du comportement alimentaire qui
mettent sur la voie d'un état de fuite, et qui parfois s'ins-
tallent sur des années.

Fuite et travail.

En état de fuite, travailler, c'est avant tout tenter de


résoudre un paradoxe : la sécurité sans la contrainte. La
sécurité matérielle parce qu'elle garantit l'autonomie et
protège des aléas de la vie, en évitant la contrainte for-
cément vécue comme limitative, étouffante, voire liber-
ticide. Difficile de résoudre cette équation qui consiste
à être protégé sans être limité. Quel que soit le cadre
choisi par une personne en stratégie de fuite, elle tente
d'échapper à une hiérarchie trop normative et de proté-
ger sa liberté de manœuvre au sein même de son travail.
D'où une relative instabilité professionnelle, le plus sou-
vent fondée, au dire de la personne, sur l'impossibilité
de rester à cause des pressions ou des conflits avec la
hiérarchie.
Quand l'émotion est inefficace, les troubles incitent à
ne plus trop bouger : timidité, difficulté à parler en
public, rougissements, bafouillements, oublis, indéci-
sions... ces symptômes s'ajoutent à la peur d'être licen-
cié ! La tentation de se trouver une « planque »
professionnelle et de n'en plus bouger est alors forte car
rassurante. Quitte à augmenter le niveau de frustration
de liberté.
Si tous les métiers qui font voyager attirent les plus
entreprenants et les plus organisés, le champ d'expres-
sion privilégié de ceux en état de fuite est toutefois le
domaine artistique. La création peut être l'espace de
liberté de l'artiste. À l'abri dans son atelier, dans ce lieu
qui n'appartient qu'à lui, il peut donner libre cours à sa
vision de la vie et se nourrir de sa propre créativité... au
point d'en oublier de se nourrir réellement, ne prêtant
plus attention à sa sécurité matérielle. Loin des regards
et des conflits, dans son lieu sécurisant, il n'éprouve
aucune sensation d'enfermement, de peur... tant qu'il
crée. Si les réactions sont plus désorganisées et que
l'angoisse monte, la panique de ne pouvoir sortir « quel-
que chose » peut survenir : on parle de l'angoisse de la
page blanche, ce qui est vrai pour toute expression artis-
tique. Pour d'autres, en revanche, la fuite entravée, une
impuissance à se donner du temps et un lieu pour exté-
rioriser ce qu'ils ont en eux nourrissent l'angoisse, la
frustration et la culpabilité.

Fuite et entourage.

Tiraillé entre son besoin de liberté et celui d'être ras-


suré par le cocon familial et amical, l'individu en état de
fuite a du mal à se situer. Son entourage, le sachant
anxieux, cherche plutôt à le rassurer et à lui éviter les
occasions de s'inquiéter. Mais son interprétation à lui
peut être bien différente : « Si on cherche à me rassurer,
cela prouve bien qu'il y a de quoi s'inquiéter ! » A moins
qu'il ne vive cette sollicitude comme étouffante et
qu'elle n'alimente alors sa crainte. Car telle est la pro-
blématique affective de la personne en réaction de fuite :
« ni bien avec ni bien sans ».
En société, le refus du conflit, de la compétition et de
la pression par logique défensive, rend la personne de
relation agréable : elle se retrouve souvent entourée
d'amis et son sens de l'adaptation, sa volubilité, son
humour, la richesse de ses idées peuvent lui attirer la
sympathie. Ne cherchant pas à s'imposer ni à dominer,
elle est plutôt séductrice. Son sourire affiché rassure et
les autres et elle-même. Son agitation est source de vie.
Pourtant, la peur d'être limitée et enfermée la rend vite
insaisissable et son habitude de se « défiler » peut exas-
pérer ou désespérer son entourage qui, alors, lui en veut,
ce qui aggrave sa peur. On se détourne d'elle, ce qui
l'angoisse aussi. On attend d'elle qu'elle s'engage, ce qui
la panique.
Elle peut aussi attendre de ceux qui vivent avec elle
de la réassurance pour un oui ou pour un non et exercer
un chantage pénible et douloureux pour tous, car culpa-
bilisant. Son choix se porte alors sur des personnalités
rassurantes par leur équilibre ou leur patience, voire par
leur aptitude à se sacrifier.
Quand un individu en réaction de fuite est jugé par
d'autres ayant d'autres stratégies défensives et d'autres
systèmes d'organisation, les commentaires souvent peu
valorisants témoignent de leur incompréhension.
• Par un individu en lutte, il sera perçu comme aga-
çant, insaisissable, irresponsable, indigne de confiance,
inefficace, lâche, froussard.
• Par un individu en repli sur soi, il sera perçu comme
normal bien qu'un peu agité, trop inquiet, perturbant,
fatigant et peu fiable.
Lui-même aura un regard inquiet sur ceux qui ne par-
tagent pas ses préoccupations.
• L'individu en lutte sera ressenti comme menaçant et
à éviter coûte que coûte.
• L'individu en repli sur soi sera ressenti comme
ennuyeux, abstrait, triste, pot de colle et finalement
inquiétant.

Les mots de la fuite.

Chez ceux en état de fuite, le langage possède une


grande richesse d'expressions, très imagées et concrètes
plutôt qu'abstraites. Les références se prennent surtout
dans le passé (points de repère) mais le discours anti-
cipe beaucoup les événements futurs. D'où la sensation
de n'être jamais tout à fait dans le présent mais entre le
passé qui rassure et le futur à devancer.
« Du temps ! De l'air ! » Ses propos sont volontiers
bavards, flous, abondants, rarement précis, par peur
d'être pris au mot ! —, riches en allégories et en méta-
phores. Peu d'argumentation mais beaucoup d'idées,
souvent séduisantes mais superficielles. Car les mots
sont dits pour désarmer toute velléité d'agression, pour
séduire ou pour rassurer. Le recours à l'humour permet
de mettre les rieurs de son côté et de se débarrasser des
situations gênantes par une pirouette, un trait, une his-
toire drôle.
C'est aussi l'art de parler d'autre chose, de détourner
la conversation. Dès qu'un sujet devient trop personnel,
trop impliquant, trop sérieux et qu'il risque de remettre
en cause la personne, de l'obliger à se révéler, il devient
impérieux de parler d'autre chose. Surtout ne pas traiter
le sujet évoqué et « noyer le poisson ». Le mensonge, le
déni et la négation de l'évidence peuvent se révéler des
moyens de passer à travers les mailles du filet. Et, si
l'interlocuteur insiste malgré les parades protectrices, le
voici ébranlé, pris d'angoisse, à moins qu'il ne bascule
dans une autre stratégie défensive.
Quelques mots qui témoignent de la peur :
— je n'ai pas le temps, ça va trop vite, je n'ai pas une
minute à moi, le temps me manque... (manque de
temps) ;
— j'étouffe, ça m'étrangle, c'est trop serré, je n'ai pas
le temps de souffler (manque d'air) ;
— je n'ai pas de place, je me sens à l'étroit, je suis le
dos au mur, je suis bloqué, je me sens coincé, je ne m'en
sors pas, je ne m'en sortirai jamais... (manque
d'espace) ;
— ce n'est pas moi, je ne l'ai pas fait exprès, j'ai peur,
je n'ai pas confiance, c'est angoissant, je n'ai pas le cou-
rage... (manque d'assurance).
Des expressions de ce type attestent le caractère désor-
ganisé de la stratégie de protection.
Un individu en état de fuite a aussi besoin de s'encou-
rager. Ses mots témoignent alors d'une stratégie qui doit
fonctionner et absolument être perpétuée :
— il faut que je me donne du temps, j'ai un planning
qui me permet de me repérer, il faut toujours avoir des
repères dans la vie, on verra plus tard, ce n'est pas urgent,
ce n'est pas prioritaire... (organisation du temps) ;
—je respire un grand coup et j'y vais... (organisation
de l'air) ;
— il faut que je m'en sorte, on va trouver... (organi-
sation de l'espace) ;
— la vie n'est qu'un jeu, je ne vois pas le problème,
il faut avoir confiance, je me jette à l'eau, il faut prendre
son courage à deux mains... (organisation de l'assu-
rance).
L'écoute de nos mots permet un décodage souvent
rapide. Avec nos attitudes, ils sont porteurs du message
émotionnel du besoin de sécurité et de liberté. Pour celui
qui parle, l'évidence est telle qu'il n'a aucun recul ni sur
l'événement révélateur ni sur ses réactions, qui lui
paraissent, évidemment, les seules possibles. Ne nous
avisons pas de lui dire qu'il est en fuite ! Au mieux, il
ne comprend pas, au pis, il nous en veut, et aura à cœur
de nous démontrer que nous ne le comprenons pas : ce
n'est pas lui qui est agité, mais les circonstances qui
l'agitent...

« Mes migraines du week-end ! Ma femme a bien


remarqué que, chaque samedi, je commence à avoir
mal à la tête, jusqu'au dimanche enfin d'après-
midi. Le lundi, c'est fini. Ce n'est pas drôle pour
elle et les enfants parce que j'ai du mal à les sup-
porter quand je suis dans cet état. Eux, ils attendent
le week-end pour faire des tas de choses avec moi,
ça me tape encore plus sur la tête. Je vis sous aspi-
rine et ça n'est pas la solution. Et puis, c'est idiot
d'avoir mal justement quand le travail s'arrête... »

Quand la famille est vécue comme une contrainte sans


issue, la migraine est le signal d'un état de fuite ineffi-
cace. Il fuit sa femme et ses enfants, sans trouver ses pro-
pres repères dans l'abri familial, sans s'autoriser à en
sortir, seul ou avec eux.

« Je ne suis jamais sûr de mes calculs ! Et, dans


mon métier d'architecte, c'est dramatique. Mais
bon, on ne vérifie jamais assez ! Imaginez que mes
plans soient faux, vous voyez d'ici les conséquen-
ces... Alors j'ai mes petites habitudes. Le problème,
c'est qu'elles me prennent du temps et quand nous
sommes "charrette", c'est l'enfer! J'ai mal à
l'estomac pendant des jours et des nuits. »

Dans la difficulté à s'accorder une marge de manœu-


vre, cet architecte est enfermé dans un perfectionnisme
qui l'étouffe et qu'il justifie par les conséquences d'une
quelconque erreur. En stratégie de fuite efficace, (sauf
quand il est « charrette »), il apprendra à dissocier les
calculs faits « pour calculer » des calculs faits « pour...
se rassurer ».

« Je suis toujours débordée, avec l'impression


d'être noyée dans ce que j'ai à faire. J'ai beau avoir
des plannings, me faire des listes, essayer de
m'organiser et de m'y prendre à l'avance, je
m'affole, je n'ai jamais assez de temps et, à la fin,
je me précipite. Quand j'ai des invités à dîner, il me
manque toujours quelque chose et j'envoie mon fils
le chercher. Il râle, et je m'en veux d'être si mal
organisée. »

Cette femme à le fantasme d'une organisation absolue


qui la rassure. Elle vit dans la contrainte de devoir « tout
faire » pour que son repas soit réussi. Son inorganisation
est le reflet d'une fuite inefficace, de la pression qu'elle
s'impose elle-même. Elle en « oublie » tout le plaisir
qu'elle pourrait avoir à recevoir ses amis et à cuisiner.

Vous avez encore un doute sur l'état de fuite d'une


personne ? Essayez de la contraindre et de l'empêcher de
sortir quand elle le veut... vous aurez la réponse.
5.

« M o i , je ! » quand nous sommes


en état de lutte.

Le crocodile attaque : sa mâchoire est impression-


nante, prête à engloutir sa proie. Pour garantir sa pré-
dominance, il est prêt à agresser les siens, voire sa
propre progéniture. Ses larmes peuvent même être des
armes pour attirer ses victimes.

Réaction de deuxième intention face à ce qui semble


menacer sa vie, son intégrité, l'état de lutte est le défen-
seur de la deuxième nécessité vitale. Une fois que l'on a
sauvé sa peau, il s'agit d'avoir une place au sein du
groupe. D'être reconnu comme appartenant à celui-ci et
y occupant une fonction spécifique. « Si je ne reconnais
pas et ne me fais pas reconnaître, je suis exclu... et je
meurs. »
Dans le monde des mammifères, l'animal se défend
lui-même, défend son territoire et sa famille, et affirme
ainsi sa place dans le groupe auquel il appartient. Le chef
du clan n'est pas le seul à se battre pour assurer sa supré-
matie. Autour de lui, les batailles s'organisent pour pren-
dre sa place, garante de nourriture et de « droits ».
Être reconnu par son entourage, sentir son apparte-
nance au groupe ainsi que sa différence, c'est gagner en
identité. Tel est l'objectif de la réaction de lutte, qui peut
aussi nous pousser à vouloir l'amour de l'autre, pour
atténuer la peur d'être rejeté, exclu.
« Je me bats, donc je survis. » La réaction de lutte
est une stratégie de protection par la maîtrise, non
consciente car elle est une défense automatique. Elle
révèle l'idée que nous nous faisons, face à un événement,
de notre difficulté, de notre résistance ou de notre
impuissance à satisfaire notre besoin. La peur de ne pas
réussir nous habite. Notre manque d'autonomie à cet
égard déclenche une exigence d'identité impérative et
existentielle. Pour ce faire, la lutte, le combat, nous paraît
le seul moyen d'obtenir satisfaction. Cette déduction
n'est pas consciente et ne relève pas d'un choix libéré :
on ne décide pas d'être en lutte et d'agresser. Mieux, on
préférerait ne pas avoir à recourir à la force... mais cette
défense s'impose à nous tant qu'il n'existe pas d'autre
alternative visible à nos yeux.

La tension et l'agressivité.

La tension est l'émotion contenue dans nos réactions


de lutte. Symptôme bio-logique, la tension sti-
mule l'expression de l'être, voire son « explosion ». Elle
contient de la colère et de la révolte. La tension est per-
manente quelle que soit l'efficacité des réactions pour
garantir dans l'instant la maîtrise de l'autre ou d'une
situation. Au mieux elle diminue d'intensité, change
d'objet, mais ne lâche pas. Tension vers quoi, pour quoi ?
Peu importe, l'énervement, l'agressivité sont là, qui
demandent d'avoir raison et de le faire reconnaître.
L'événement révélateur passe (« l'imbécile qui m'a
abîmé ma voiture... »), nous demeurons encore énervés
et tendus, autrement dit, toujours en manque de notre
identité car elle n'a pas été reconnue.
La tension est le signal d'alarme. Colère, agressivité,
dépit, exaspération, agacement, fureur, impatience, rage,
indignation, irascibilité, violence, emportement, har-
gne... nous ne manquons pas de mots pour exprimer la
tension qui règne en nous dans cette lutte. Tout notre être
exprime alors que nous sommes sur nos gardes, prêts à
mordre, comme si quelqu'un allait chercher à prendre
notre place et nous rejeter.
Deuxième temps fort de l'expérience de la naissance :
une fois quitté l'espace utérin, l'entrée dans le tunnel
étroit constitué par le vagin de la maman. Tête baissée,
front en avant, menton contre le thorax, bébé s'engage.
Les contractions sont devenues inutiles. Il avance tout
seul, joue des épaules, (on dira plus tard jouer des coudes),
et de la force de sa nuque pour avancer. Il n'y a plus la
présence rassurante, (ou inquiétante), de la maison
utérine. La sortie vers la lumière se profile lentement. En
attendant, il faut tenir, il faut que ça marche ! Puis c'est
l'arrivée avec encore ce dernier passage en force. Ouf,
bébé a réussi !
Mais il est des accouchements plus difficiles à vivre
et dans lesquels il faut se battre avec plus de vigueur pour
survivre : maman est épuisée et terrifiée, son bassin
freine la sortie... Bébé ne s'est pas retourné et descend
les fesses en avant, on dit « par le siège » . . . Ça bloque,
il faut utiliser des forceps pour le tirer vers la sortie...
Bébé arrive trop vite, il faut le repousser dans le tunnel
le temps d'élargir l'ouverture pour éviter de déchirer
maman... On l'a anesthésiée, elle ne sent plus le passage
de bébé qui se sent encore plus seul. Et parfois le cordon
autour du cou rend cet étroit tunnel encore plus étouffant.
Passage entre deux mondes, à travers ces sombres
parois, tout seul, sans aide ! Faudrait-il, pour vivre sa vie,
faire du forcing ?
Mais une première expérience identitaire de détente
suit la naissance : la voix de maman et de papa. Ils appel-
lent bébé, le nomment, lui donnent un prénom, une place.
Il s'habitue à sa nouvelle identité, à recevoir des signes
de reconnaissance : il est quelqu'un, un membre de plus
dans la famille qui, grâce à lui, s'est agrandie. Il crie : ils
arrivent. Il pleure : ils le prennent dans leurs bras et le
bercent, ils lui parlent. Mutuellement, ils se reconnais-
sent, il n'est plus seul et découvre avec eux l'amour.
Mais parfois bébé peut s'époumoner sans que ses parents
viennent, et quand il pleure il peut les entendre crier. Nul
étonnement à ce que la tension soit le maître symptôme
de la réaction de lutte et du besoin d'identité.

À l'origine de l'état de lutte.

Entre sept et quatorze ans, le père est celui qui pour-


voit à l'identité de l'enfant. Père biologique dans sa
dimension physique, père familial dans sa dimension
affective, père collectif dans sa dimension sociale, père
symbolique dans sa dimension spirituelle. Il demeure la
référence de l'enfant, celui qui le reconnaît dans son
appartenance au groupe et à la société comme dans sa
différence. Cette référence porte un nom : l'amour. Ce
qui ne signifie pas que seul le père doive assumer cette
transmission ! Plus simplement, les valeurs fondées sur
l'amour et la reconnaissance sont masculines.
Or cette reconnaissance peut faire défaut, entraînant
une rupture dans le processus d'identification. Celle-ci
survient lorsqu'une personne ou une situation, source
d'identité et d'amour, se retourne contre l'enfant qui vit
alors ce changement comme une menace : celle-ci prend
la forme d'un rejet : « tu es différent, je ne t'aime
plus... » ou bien d'une demande inversée : « tu me dois
d'être tel que je te veux, et ainsi je te reconnaîtrai, je
t'aimerai ». Alors l'enfant doit prouver à son entourage
qu'il est digne d'appartenir à la filiation de son père, qu'il
est comme lui. . . afin de rassurer celui-ci sur sa propre
identité.
Des ruptures se font dans le processus d'identifica-
tion. La source « identitaire », censée assurer l'apparte-
nance au groupe familial et social, comme sa progressive
différenciation au sein de ce groupe, se tarit, obligeant
l'enfant à pallier dans l'urgence son déficit, son manque
d'être reconnu. L'identification peut aussi s'inverser,
l'obligeant alors à fournir de l'identité, de l'amour au
groupe et à son père, sous peine d'exclusion, de renie-
ment, de non-reconnaissance. Tout événement en réso-
nance avec la sensation d'être exclu, rejeté, différent,
d'échouer, de ne pas mériter ou de décevoir pourra
déclencher une réaction de lutte, dans l'attente d'être
reconnu et aimé. L'enfant devenu adulte demeure dépen-
dant du regard parental ou du regard de l'autre dans sa
façon de lui accorder, (ou non), de la reconnaissance
et de l'amour. L'adolescence est à cet égard un temps
essentiel dans la maturité des enfants puisque temps de
transformation physique et d'autonomie progressive. La
crise d'adolescence devrait permettre la séparation, la
distinction entre le père et celui ou celle qui n'est plus
un enfant, au prix d'une rupture qui permettra à ce der-
nier d'accéder à son propre avenir. C'est donc par excel-
lence le temps du passage dans lequel la relation au père
qui incarne la règle et l'ordre est nécessairement mise en
question.
Dans l'histoire de la personne en réaction de lutte,
l'exercice de l'autorité a souvent été abusif, avec une
forte attente de résultats. Ses parents, animés des
meilleurs intentions, justifient leurs attitudes par le
fameux « c'est pour ton bien ! ». Quand l'enfant doit
pourvoir à l'identité de ses parents, ceux-ci orientent son
désir dans cette voie et ne prennent pas le risque de
l'écouter. Le bien de l'enfant, c'est le leur. Ils savent
mieux que lui, ils ont des droits et lui n'a que des devoirs.
Ils sont juges et parties. Bienveillante dans l'intention,
insidieuse dans sa réalisation, il s'agit pourtant d'une
intrusion dans le territoire de l'enfant. L'abus à l'origine
des réactions de lutte, c'est le jugement, la décision,
l'attente, l'émotion des parents quand ils privent l'enfant
de sa propre parole, de sa propre individualité, de son
identité à bâtir. À force d'être pour ou contre ce regard
parental devenu modèle ou contre-modèle, l'enfant
devenu adulte en a « oublié » qui il est : il a pris l'habi-
tude d'avoir à se battre pour se faire entendre, pour exis-
ter aux yeux de son entourage. Il est tendu à l'idée d'être
rejeté, exclu, à l'idée d'être jugé, tendu en fait dans la
sensation de ne pas être maître chez lui ! Les parents
s'approprient jusqu'aux résultats de l'enfant : bons, ils
s'en vantent ; mauvais, ils s'en plaignent, comme si
c'étaient les leurs. A-t-il un désir, ils l'en dépossèdent ou
le dénigrent, et peuvent le culpabiliser d'avoir eu tel pro-
jet. Est-il fatigué qu'ils s'en veulent de ne pas l'avoir
couché plus tôt, est-il en forme qu'ils se félicitent de bien
l'élever... Le « m o i » se vit au conditionnel: «je
n'existe que si je maîtrise la totalité de mon être et de
mon entourage » et que « je suis reconnu par lui ». Seule
autre possibilité, « fusionner avec l'être aimé pour le
faire mien, me faire aimer totalement de lui ou d'elle et
annuler ainsi toute dualité, toute compétition ». Ce moi-
là est égoïste et peut devenir haïssable par nécessité
défensive.
Ce qui est appréhendé comme un interdit ou un obs-
tacle à la « bonne » marche de l'expression de son iden-
tité: décision, avis, choix — est alors déclencheur et
révélateur de la réaction de défense. Dans le cadre de la
lutte, tout barrage stimule la tension, c'est-à-dire le désir
de vaincre l'obstacle pour ne pas être vaincu par lui. Les
autres sont vécus comme des individus à vaincre, par
l'amour, le mérite, la poigne ou les cris... pour que soit
affirmé, enfin, qui nous sommes !

Les « lunettes » de la réaction de lutte.

En état de lutte, le monde environnant a des caracté-


ristiques qui lui sont propres. Le temps de référence est
ainsi celui du présent. Hic et nunc, « ici et maintenant »,
est la devis de la personne en réaction de lutte car c'est
dans l'instant présent qu'elle doit faire ses preuves et être
reconnue. Le fait d'avoir eu raison hier ou l'idée de
gagner demain sont certes intéressants mais n'apaisent
pas le manque du moment : dans la tension de la réaction
de lutte, chaque instant est l'occasion d'obtenir un signe
de reconnaissance, quelque chose qui nous prouve sur le
moment que nous sommes quelqu'un de reconnu,
d'aimé, que nous n'allons pas être exclus. L'espace est
celui sur lequel aura lieu la joute, le combat dont nous
devons être les vainqueurs : joute oratoire, combat de
rue, procès, cadre familial, bureau, cadre politique, asso-
ciations... Chaque lieu de rencontre avec l'autre, en
fait avec soi-même, — peut être l'occasion d'une recon-
naissance, d'une preuve.
Des lunettes teintées d'affrontement. C'est donc
dans la relation à l'autre que se manifeste la réaction de
lutte. Du reste, cet autre n'a pas besoin d'être présent
pour que les symptômes se manifestent : il peut être tapi
dans la mémoire, une présence intérieure qui juge, l'œil
qui regarde, qui estime et qui empêche de s'estimer
librement. L'autre, c'est celui dont on attend une recon-
naissance, dont on dépend pour avancer, dont on guette
le signe pour être sûr d'exister. L'absence d'écho, le
silence du regard ou de la parole renvoient à un isole-
ment parfois insoutenable, toujours douloureux. Être
seul peut signifier être inexistant. Même le combat mené
en solitaire, comme aiment à le vivre certains battants,
peut être une preuve pour soi que l'on peut exister sans
les autres. Mais sans, pour ou contre, ce n'est toujours
pas avec.
Le monde de l'état de lutte est celui du collectif : on
y parle relation. Relation parentale, filiale, conjugale,
amoureuse, fraternelle, amicale, spirituelle. On aime, on
adore, on déteste, on hait, on méprise, on se passionne,
on s'attache, on rejette, on désire, on estime... Car le col-
lectif se nourrit d'affectif. C'est au nom de l'amour, —
ou de la haine, — que se justifie la lutte.
L'affectif déborde l'environnement familial : voisi-
nage, travail, vacances, loisirs, projets, les autres, même
étrangers, entrent dans notre domaine affectif dès lors
que nous sommes en lutte pour notre identité.
C'est ainsi que la voiture, lieu identitaire, peut être le
cadre de nos tensions. Et alors, gare aux embouteillages,
à ceux qui nous refusent la priorité, aux « cons qui nous
rentrent dedans ! ».
Les notions de différence et d'appartenance au groupe
deviennent capitales : être différent, en désaccord avec ce
que l'autre attend, espère, voudrait, c'est prendre le risque,
croyons-nous, de ne plus être aimés. Nouveau combat
dont nous « devons » sortir vainqueurs sous peine d'être
rejetés. Survaloriser la différence peut être une échappa-
toire..., à condition que chacun, avec soi, reconnaisse
cette valeur, à condition d'avoir pu ou su l'imposer !
Il s'agit toujours d'un challenge, d'un pari, qu'on doit
réussir, faute de quoi être différent, c'est encore être seul
contre tous, contre le monde entier. Mais la similitude a
aussi son prix : se reconnaître dans une fraternité ou une
communauté dans lesquelles nous nous sentons admis et
reconnus, enfin ! L'identité du groupe devient la nôtre...
Mais nous pouvons y perdre notre différence !
La maîtrise est au cœur de la réaction de lutte. Maîtrise
de soi, de ses émotions, de son corps ; plus synonyme de
domination que de sang-froid. Plus tard, toute manifesta-
tion corporelle qui échappe au contrôle peut être vécue
comme une trahison, à commencer par les symptômes de
maladies ou, encore plus tard, par les signes du vieillisse-
ment. Le corps devrait être une mécanique, une horloge
bien réglée, — par soi, — révisable et maîtrisable à tout
moment, et priée de ne pas se dérégler aux moments inop-
portuns. Maîtrise de ses émotions, ces manifestations qui
parlent de nous, malgré notre volonté, qui nous échappent
et peuvent, comble d'impuissance, nous mettre en situation
de faiblesse ! Maîtrise de l'autre, pourvoyeur de signes de
reconnaissance et d'amour : de l'être aimé, qui doit nous
aimer en retour, de l'autre pour lequel nous n'éprouvons
pas de sentiments, mais qui doit nous reconnaître ou, au
moins, ne pas nous mettre de bâtons dans les roues.
À cœur vaillant.

... rien d'impossible. Célèbre formule qui exalte les


vertus du dépassement de soi et de la volonté, si chères
aux réactions de lutte.
Des coups... de cœur. De fait, le cœur est l'organe
cible de cet état, tant sur le plan physiologique qu'éner-
gétique. Chez les Grecs, le cœur était le siège de la
volonté, qui prend la décision à partir de ce qui a été
pensé dans la tête. Ce n'est pas « là-haut » que se fait
le choix, mais dans le cœur, c'est-à-dire quand on se
sent en accord avec ce qui va emporter la décision.
L'état de lutte valorise la volonté qui devient volonta-
risme face à un événement « obstacle ». Le comporte-
ment de lutte, quand il est efficace, favorise les
décisions tranchantes. Quand il est inefficace, choix et
décisions sont objet de souffrance, par crainte d'être
rejeté et mal-aimé. Nous sommes impuissants face à
une problématique apparemment sans solution ; nous
devons décider pour répondre à notre besoin d'identité
et, dans le même temps, ne pouvons décider, hantés par
la peur du rejet. Dans un sursaut, nous choisissons de
façon brutale et sans nuance. Mais alors, l'entourage,
sensible à la forme plus qu'au fond, nous en voudra de
notre violence... Nous aurons ainsi la confirmation que
quand nous prenons une décision pour nous-mêmes on
nous en veut et on ne nous aime plus !
Cette capacité à décider se trouve valorisée dans la
parole qui nomme, tranche, juge et détermine. En lutte,
parler est une arme : on fait appel au raisonnement, à la
logique ou à la science, réputés imparables, preuves de
la valeur de celui qui parle.
La personne en état de lutte détourne, pour justifier
ses réactions, le code d'honneur du guerrier : vaillance,
force, parole d'homme, affrontement... Ces valeurs ont
du sens en cas de conflit, quand la vie et la mort dépen-
dent de décisions tranchées dans l'urgence. Mais, en
dehors de toute nécessité historique, elles demeurent
l'apanage de la défense de son identité. Reste un voca-
bulaire utilisé pour atténuer sa propre culpabilité d'être
agressif ou de culpabiliser l'entourage quand il ne répond
pas suffisamment à la demande de reconnaissance et
d'amour. En état de lutte, la rancœur parle plus que le
cœur et l'idée de vaincre est plus essentielle que celle de
conquérir.

Les stratégies de l'état de lutte.

Prêt à tout pour avoir raison. Les fantasmes d'une


identité incontestée alimentent l'état de lutte autant que
les phobies de l'impuissance et du rejet. Un regard, un
mot, un éloignement, un oubli de l'autre dont on attend
un signe... de reconnaissance révèlent le manque et
suscitent la réaction de lutte : culpabilité de ne pas avoir
fait « ce qu'il fallait » pour obtenir ce signe, rancœur,
cris, accusations, exigence témoignent de la tension
intérieure et de la colère qui nous rongent. C'est alors
en toute sincérité que nous voyons l'autre, le monde et
nous-mêmes à travers le filtre de la lutte et ainsi auto-
justifions nos réactions. En oscillant entre deux extrê-
mes : le fantasme de la maîtrise absolue et celui de la
perte de son identité. La défense s'est organisée au fil
de nos expériences et du temps et s'est transformée en
stratégies identitaires. Elle sera différente selon que les
réactions s'avèrent efficaces pour garantir l'identité ou
inefficaces car entravées. De même, elles diffèrent
selon que la tension pèse sur l'autre ou qu'elle pèse sur
soi.
Quatre types de comportements se profilent.

Le comportement « Indépendant » en lutte :


stress et force de caractère.
Le comportement égocentrique est justifiée par le
sens du devoir : le goût du pouvoir personnel et une
haute estime de soi s'expriment parfois avec brutalité
au profit d'une cause collective pourtant parasitée par
une attente de reconnaissance. L'obligation à « être fort
et réussir » entretient une pression sur la personne et
son entourage.
Quelques « traits de caractère » : volonté, autorita-
risme, goût du pouvoir, colère, décision brutale, compé-
tence, ordre, efficacité, perfectionnisme, ténacité,
attitude cassante, froide, hautaine.

Le comportement « Victime » en lutte :


méfiance et tendance paranoïaque.
Le comportement se justifie par l'attention portée aux
autres et à leur agressivité potentielle à notre égard.
L'idée que ceux-là lui en veulent, complotent ou la piè-
gent entretient l'incapacité à porter notre attention sur
notre propre identité. Celle-ci ne se développe qu'au tra-
vers des autres qui deviennent alors sincèrement des
bourreaux.
Quelques « traits de caractère » : interprétations para-
noïdes, méfiance, sensation de complot, manie procédu-
rière, agressivité, révolte, rejet, souci de sauver les
apparences, délire, caractère mordant.

Le comportement « Coupable » en lutte :


colère et auto-agressivité.
Le comportement égocentrique bute sur une image de
soi négative et de peu de valeur. La difficulté à s'estimer
et à estimer l'autre entretient une rage au cœur qui se
traduit par une dévalorisation, une accusation et des cri-
tiques vives de soi-même, sans pour autant apaiser la
peur d'être un raté et d'être, de ce fait, rejeté. Le « j e
dois » est devenu un « je devrais, mais je ne réussis à
rien ».
Quelques « traits de caractère » : chantage, menaces,
violence, délinquance, bravade, défi, provocation, gouf-
fre affectif, cris.
Le comportement « Dépendant » en lutte :
violence et inhibition.
Le comportement se justifie par la jalousie, voire la
haine de l'autre jugé meilleur que soi par l'obtention
d'une identité plus affirmée que la sienne. L'autre est
accusé de tous les maux dont souffre la personne, souf-
france entretenue par la certitude que personne ne lui
accorde la moindre valeur.

Quelques « traits de caractère » : jalousie, déception,


rancœur, rancune, ressentiment, solitude, dévalorisation,
violence, impuissance, destruction.

Ces profils caricaturaux sont des miroirs grossis-


sants de nos réactions. Mais rappelons encore une fois
que ces caractères ne sont en rien des étiquettes : nous
ne sommes pas des « jaloux », des « paranos », des
«juges » mais nous adoptons ces attitudes défen-
sives, d'autoprotection en cas de manque d'identité et
de reconnaissance.

Heureusement, le plus souvent, nous avons appris à


réguler et à atténuer l'intensité de celles-ci. Toutefois,
ce n'est pas toujours le cas. Il n'est q u ' à voir le mode
sur lequel s'expriment certains adolescents organisés
en bandes destructrices. Nous évoluons et nos com-
portements bougent. Mais la philosophie de la lutte,
elle, demeure, tant q u ' i l est question d'identité,
d'amour et de manque. Parfois même nos comporte-
ments se « verrouillent ». Une personne habituée à
maîtriser son environnement, au travail comme à la
maison, supporte d'autant moins les obstacles, mena-
ces contre son identité qu'elle tient « tout » sous son
contrôle. A chaque contrariété, elle vérifie encore un
peu plus sa croyance selon laquelle « la force, il n'y
a que ça de vrai ».
Comment se reconnaître en état de lutte.

Pas facile d'admettre que notre structure de défense,


c'est de faire le « méchant », sans aussitôt se sentir cou-
pables. Si nous avons besoin de nos défenses pour pallier
nos manques, ce n'est pas une raison pour continuer à
les subir. Or, pour nous en libérer, il nous faut déjà les
reconnaître en nous-mêmes.

Manifestations physiques.
Force... Quand les réactions de lutte sont efficaces et
« positives », les troubles physiques peuvent être atté-
nués mais ils sont présents sous forme de tensions. Les
contractures musculaires entraînent une raideur de la
colonne vertébrale, voire des microdéplacements des
vertèbres. Au niveau cervical, le syndrome d'Atlas
témoigne de la façon dont nous supportons le monde
entier sur nos épaules. Au niveau lombaire, ce sont lum-
bago et sciatique qui nous signalent que nous ne sommes
pas dans notre axe identitaire. Ces contractures nous rap-
pellent à nos rigidités comportementales. Quand la ten-
sion concerne le tube digestif, ce sont hyperacidité
gastrique, hernie hiatale et spasmes. Quand la tension est
vasculaire, on la nomme justement hypertension. Le
sommeil est brutal, profond et court. Le réveil est plutôt
matinal. Toute la physiologie de l'organisme est évoca-
trice d'une attaque imminente à laquelle il faudra réagir
pour sortir vainqueur : prêt à bondir, notre corps est
tendu en avant, notre respiration courte et haute, les
épaules relevées et crispées.
Quand les réactions sont inefficaces et « négatives », les
troubles s'accentuent : blocages vertébraux, congestion
vasculaire, palpitations cardiaques, angine de poitrine. Les
insomnies deviennent fréquentes pendant lesquelles la
personne s'emballe à inventer de nouvelles stratégies
défensives ou plutôt offensives car la meilleure défense
reste bien sûr l'attaque ! Une tendance hypochondriaque,
c'est-à-dire à se croire toujours malade, témoigne de notre
intolérance au moindre obstacle à notre force corporelle:
— « il faut que je sois en forme ! ».
La pathologie cardiaque guette plus particulièrement
cet état défensif. Les acupuncteurs le savent qui placent
la colère au niveau de l'énergie du cœur.

Manifestations émotionnelles.
« Ça m'énerve ! » Souvent confondue avec le
« stress », la lutte se manifeste par des jugements mani-
chéens. C'est bien ou mal, aimé ou rejeté, gagné ou
perdu, réussi ou raté, possédé ou dépossédé... Ça passe
ou ça casse... L'état de lutte est sans nuance.
La plupart des pensées, des commentaires intérieurs
sont des critiques ou des exigences : l'utilisation du « je/
tu dois », du « il faut » est récurrent. Jusqu'à cette jeune
femme qui avait encore accentué son sens du devoir par
un « il faut que je doive... ». Les jugements n'épargnent
personne, surtout pas soi. Cette habitude d'exiger beau-
coup de soi justifie à nos yeux le droit d'exiger beaucoup
des autres. La sur-responsabilisation est monnaie cou-
rante.
Ces commentaires s'expriment avec impatience, irri-
tabilité, agacement ou violence, toujours dans une sen-
sation de tension intérieure. L'idée de ne pas réussir et
de ne pas maîtriser s'avère insupportable. Au sens litté-
ral, on ne peut la « porter », car elle est trop lourde pour
nous.

Manifestations cognitives.
Juger pour s'affirmer contre ce qui menace. Que
les émotions parlent de maîtrise ou de peur d'échouer,
d'amour ou de reconnaissance sociale, elles le font en
force : argumentation, pression, ultimatum, menace...
Par ailleurs, nos commentaires intérieurs se situent en
référence aux autres : comparaisons, jugements, preu-
ves à fournir et évaluations étaient les propos. Tout y
est affaire de valeur, de réussite, — ou d'échec. Le
« moi, je ! » témoigne d'un orgueil rendu existentiel
par le manque d'identité. Le « moi » est devenu égo-
ïste. La personne ne peut s'empêcher de se comparer
à l'autre, en mieux ou en moins bien, mais toujours
dans un rapport de compétition dont elle attend une
identité reconnue.
La lutte et le recours automatique aux commentaires
en forme de jugements-sentences s'autojustifient à partir
d'événements passés ou de l'actualité et donnent du
poids à notre défense. Des personnes se font-elles agres-
ser dans la rue que nous justifions la nécessité de l'auto-
défense et du port d'arme pour « régler leur compte à
tous ces dingues ». Notre meilleure amie est-elle quittée
par son mari que nous justifions la nécessité de « tenir la
dragée haute au nôtre », ou au contraire l'évidence que
« les hommes sont vraiment des lâches et des salauds ! ».
Cette tendance à justifier la réaction défensive est l'écran
qui gêne la perception de notre état de lutte. D'où
l'importance des « petits » signes qui sont autant d'indi-
cateurs.

Comment reconnaître quelqu'un en état de lutte.

La lutte étant faite pour impressionner l'« adver-


saire », ne nous étonnons pas d'y découvrir des symptô-
mes visibles, voire ostensibles. Efficacité oblige,
l'objectif est de démontrer très rapidement sa supériorité,
histoire de décourager l'autre et d'assurer la victoire, si
possible avant même de se battre.

Apparence physique : traits du visage fermes, carrés,


les muscles sont visiblement tendus. Tout le corps est
crispé en avant, vers celui qu'il faut convaincre. Le
regard fixe ne le quitte pas et peut être dur et froid. Le
sourire est convaincant, parfois enjôleur ou protecteur.
La poignée de main est ferme, voire écrasante. Toute
l'apparence du corps est faite pour impressionner et peut
même prendre un aspect « diabolique », ricanant, avec
un sourire sardonique. Le regard fait peur alors même
qu'aucune parole n'est encore prononcée. La tension de
la réaction de lutte est vite repérable car elle « occupe
l'espace », s'y impose... par crainte automatique de ne
pas y être conviée.

Comportements : bien que variables selon l'effica-


cité de la défense, ils se caractérisent par le volontarisme,
cette présence forte et pesante, cette pression qui peut
devenir obsessionnelle quand l'objectif défensif n'est pas
atteint.
Il crie ! Organisé et « positif », un individu en état de
lutte a besoin de résultats concrets et rapides. Il n'aime
pas la faiblesse, pas plus chez lui que chez ceux dont il
attend de la reconnaissance. Du reste, chez personne !
Délibérément optimiste, avec parfois une haute opinion
de lui-même par nécessité défensive, l'individu en lutte
aime la compétition pour gagner, aime posséder, a hor-
reur de ne pas assurer et d'être pris en défaut. Les gestes
tendres sont volontiers remplacés par des gestes genti-
ment ou fermement possessifs. Son affectivité est plutôt
paternaliste, protectrice. Il se sent alors extrêmement res-
ponsable, de lui-même comme de ceux qui l'entourent.
Il peut donner jusqu'à s'épuiser sans s'apercevoir que
l'autre ou les autres croulent sous ses dons et les preuves
de son amour. Toujours plus d'arguments, de gain, de
courage, de travail, de force, de conviction, de pouvoir
pour plus de reconnaissance ! La main de fer volontariste
dans le gant de velours d'une organisation défensive effi-
cace illustre bien l'éventail des moyens de la lutte : il ne
lâche pas et poursuit (son besoin d'identité et d'amour)
jusqu'à avoir raison... et encore n'est-il rassasié qu'a
court terme.
Lorsqu'il est désorganisé et « négatif », l'individu en
état de lutte vit dans la hantise de ne pas arriver à attein-
dre son but, c'est-à-dire maîtriser pour satisfaire son
identité. Il vit alors dans la certitude qu'il doit se battre
et doit être le meilleur, et la certitude encore plus forte
de son impuissance à y parvenir ! D'où son comporte-
ment jaloux, susceptible, voire agressif, vite agacé et irri-
table. Volontiers tatillon et procédurier, il est capable de
tout pour récupérer ce qu'il considère comme lui étant
dû, en fait, son estime de lui-même ! Il réfléchit aux
situations en termes de victime-bourreau, de justicier-
victime, car il est animé par un sentiment d'injustice. Sa
vie même est vécue comme un procès dans lequel
l'accusé est toujours coupable : selon les situations et la
focalisation de son regard, ce peut être lui-même ou les
autres. Son affectivité est plutôt manipulatrice avec en
toile de fond la peur de ne pas être aimé. Il a ainsi l'art
de repérer tout ce qui, dans les mots ou l'attitude de
l'autre, pourrait justifier sa peur... Transformé en tyran
domestique ou professionnel, il use ou abuse du chan-
tage, affectif ou autre : « Si tu m'aimes vraiment, fais
ça... » Jamais rassasié, jamais satisfait : « Dans la vie, il
ne faut pas se laisser faire, il y a toujours quelqu'un qui
t'attend au tournant... » Ou, en plus subtil : « Ce n'est
pas parce qu'on n'est pas parano qu'il ne faut pas penser
qu'on vous en veut. » Expression qui, décodée, signifie
« qu'on vous veuille, vous ».
En lutte, nous portons le poids écrasant d'une quête
d'identité inquiète à travers le regard des autres, ou à tra-
vers le nôtre, qui manque alors singulièrement d'amour.

Lutte et habitudes de vie.

En état de lutte, la vie est un défi, un combat, une


preuve à donner ou à recevoir. Toutes les habitudes en
seront donc imprégnées.
Fumer n'a pas alors beaucoup d'intérêt si ce n'est à
l'adolescence pour trouver une identité dans un groupe
et se vouloir grand, ou, plus tard, fumer de gros cigares
avec d'autres consommateurs de gros cigares, entre hom-
mes ou entre femmes provocatrices.
Boissons et drogues répondent davantage au besoin
d'excitation pour se sentir en forme et « tenir » mieux
que les autres. C'est surtout un geste d'appartenance au
groupe identitaire. De toute façon, il faut que ces drogues
soient fortes et que les sensations éprouvées le soient tout
autant.
L'argent pour une personne en état de lutte peut être
un moyen de prouver sa réussite. Fruit de son travail,
de son flair, de ses sacrifices, de son sens stratégique
ou de son héritage, quand l'argent est assimilé à l'iden-
tité et à la reconnaissance, l'individu en lutte veut avoir
de l'argent. Le dépenser ou le garder sont secondaires :
dans un cas, la dépense prouve la richesse, dans l'autre,
elle prouve la réussite... donc, nous sommes
quelqu'un ! Cela peut devenir si important qu'on est
prêt à tout pour l'obtenir. Le fait d'en avoir manqué,
dans son enfance par exemple, n'est que le justificatif
de la réaction.
Dans ses rapports sexuels, la personne demeure ani-
mée du besoin de prouver qu'elle est un homme, un vrai,
ou une femme, une vraie ! Toutefois, la peur d'être pos-
sédé(e) ou castré peut annuler tout désir de conquête,
voire toute relation sexuelle. La peur de n'être pas à la
hauteur vient aussi parasiter l'intimité du couple, entraî-
nant une attente d'autant plus pressante d'estime et
d'amour.
Parmi les loisirs, le sport de haut niveau est le cadre
privilégié : lieu de compétition avec soi-même et avec
les autres, de dépassement de soi, de défi, de force, de
réussite, de violence maîtrisée et contenue pour vain-
cre l'adversaire ou ses propres limites. Entraînement
solitaire, mais surtout entraînement d'équipe, avec un
homme qui motive, qui bouscule pour obtenir le
meilleur, on retrouve dans le sport l'exaltation des vertus
de la lutte. Quant aux autres loisirs, — voyages, télévision
ou ordinateur —, le lien avec l'état de lutte passe plus
par leur aspect utile et efficace : on gagne du temps, on
est plus et plus vite informé, et on est donc plus effi-
cace...

Lutte et pouvoir.

Notre jugement sur les hommes et les femmes de


pouvoir est à la mesure de notre propre besoin d'iden-
tité : critique, jalousie, admiration, exigence, rejet,
mépris, envie étaient ainsi nos propos sur celles et ceux
qui assument des responsabilités et assurent le pouvoir
au sein d'une hiérarchie. Évidemment, ils symbolisent
notre propre relation à l'autorité, celle que nous avons
peut-être subie quand elle se faisait abusive et envahis-
sante, celle surtout que nous entretenons avec nous-
mêmes, auteur de notre vie. Alors le pouvoir de l'autre,
du chef, de celui qui décide devient à nos yeux le
moyen d'être reconnus et aimés ou, au contraire, l'obs-
tacle à notre propre identité.
Pour l'individu en lutte, l'exercice du pouvoir est
d'abord une charge : responsabilité à la fois rassurante,
car donnant la possibilité d'agir, de réussir, donc d'être
reconnu et de gagner en identité, et écrasante car sup-
posant des moyens d'action que l'on craint toujours de
ne pas posséder, de ne pas maîtriser. En état de lutte,
le mot même de pouvoir n'est plus associé à ce qui est
possible, mais aux moyens eux-mêmes grâce auxquels
ce qui est possible DOIT advenir. On ne sera donc pas
étonné de découvrir à quel point la lutte est stratégique,
élaborant avec ténacité ses toiles d'araignées afin de
garantir au mieux la réussite. Les événements, y
compris l'entourage affectif et professionnel, sont
inclus dans ces stratégies de pouvoir et investis du rôle
de « moyens de réussite ». Inutile de dire à quel point
la communication est brouillée par de tels comporte-
ments.
Lutte et travail.

En état de lutte, nous considérons le travail comme


une vertu. Différent de l'action, le travail suppose une
intensité et un effort visibles, voire douloureux. L'indi-
vidu en lutte peut en devenir « bourreau » ou « victime »,
d'autant plus qu'il dort peu et se passe de loisirs. Bien
sûr, il ne comprend pas que les autres n'en fassent pas
autant et les juge vite paresseux. Lui-même ne s'épargne
pas, convaincu que, s'il cesse de mettre la pression pour
travailler, il deviendra lui-même un paresseux ! Ce qui
n'est pas concevable car alors il risquerait d'être exclu,
de ne plus être aimé : son travail est, de fait, un garant
de son identité. Une journée sans travail, c'est une jour-
née durant laquelle il n'a rien fait («je n'ai rien
foutu ! »).
Dans des comportements efficaces, la force de travail
se traduit par une grande capacité d'assimilation, une
capacité de décision non moins claire, une endurance et
des objectifs à atteindre précis. Plus à l'aise dans la déci-
sion que dans la réflexion, l'individu en lutte n'aime pas
faire traîner les choses et s'impatiente devant les hésita-
tions ou le manque de précision de son entourage pro-
fessionnel.
Dans des comportements inefficaces, la crainte d'être
rejeté rend les décisions beaucoup plus difficiles : il pré-
fère alors diminuer les risques en augmentant encore la
pression, en imposant ses vues, dans des stratégies
machiavéliques : non-dits, élimination des obstacles et
transgression des interdits, sans paraître responsable
pour garder la tête haute et ne pas être humilié en cas
d'échec, sont alors ses points d'appui.
Car c'est la peur de l'échec qui est au cœur de ces
comportements : dans le cadre du travail, elle peut don-
ner la volonté et la force d'affronter l'adversité ou encou-
rager des coups tordus tant l'identité, le fait même
d'exister comme personne reconnue, est en jeu.
Lutte et entourage.

Ou plutôt la lutte et son clan : qu'il s'agisse de sa


famille, de son équipe de travail, de son équipe de sport
ou de sa bande de copains, la personne en état de lutte a
besoin d'un entourage qui l'identifie ou qu'elle-même,
en tant que leader, identifie.
Dans le premier cas, inclus dans le groupe, l'individu
en lutte y trouve sa place, se sent valorisé, fier, reconnu
comme « un des nôtres ». Il n'a pas à avoir peur quant à
sa propre identité, le groupe s'en charge. Il doit y assurer
sa place, ne pas démériter, faire ce qu'on lui demande et
il sera gagnant. Il ne se sent pas différent de ses copains
ou de son club, même si, dans le cas des adolescents, la
bande elle-même a un comportement marginal. Prise iso-
lément, sa propre différence peut être insupportable car
synonyme de rejet. En groupe, elle est au contraire syno-
nyme d'appartenance, d'intégration et de reconnais-
sance. La soumission y est garante de l'identité, et peut,
du reste, être au prorata de la violence revendicatrice du
groupe lui-même : les comportements xénophobes trou-
vent là leur terrain d'élection, l'étranger étant tout ce qui
n'est pas identifié comme compatible avec soi. Évidem-
ment visible et dénoncée dans des comportements racis-
tes, la xénophobie est d'abord une réaction défensive
fondée sur un manque identitaire : l'étranger est celui qui
révèle ce manque de soi.
Tout autre est le vécu du leader, celui qui doit et se
sent la responsabilité de transmette son identité à son
entourage : chef de famille, d'entreprise, d'équipe spor-
tive, de bande, il est le cœur du clan. Il n'assume alors
sa différence que dans ce rôle privilégié. Référence, il ne
doit pas faillir à sa mission, faute de quoi les autres se
choisiraient un nouveau chef ! Régner par l'efficacité du
travail, par la peur, par l'amour, par la menace, par
l'exemple, par les cadeaux, par le chantage, par la vio-
lence. .. régner pour demeurer intègre ! « Qu'ils me haïs-
sent, pourvu qu'ils me craignent... et qu'ainsi ils
m'obéissent et me reconnaissent. » Le leader sent une
charge lourde, très lourde sur ses épaules, mais ne peut
se passer de son entourage : la solitude lui est intolérable
car solitude signifie pour lui rejet. Pour le leader, toute
difficulté, tout échec de son entou-rage est un échec per-
sonnel : sa responsabilité s'étend très largement au-delà
de lui, ce qui à la fois l'écrase et le valorise. Son entou-
rage, lui, se trouve d'autant déresponsabilisé et dépen-
dant. Etre leader est une façon d'affirmer haut et clair sa
différence, sans contestation possible.
Il est pourtant des moments où l'individu en lutte
conçoit la solitude : quand il souffre trop de voir les
autres lui « vouloir du mal ». Dans sa jalousie, son infor-
tune, dans son délire sur un monde qui com-plote contre
lui, il préfère alors encore être seul... Il peut même tirer
un peu d'orgueil à être « seul contre tous ».
Enfin, selon son état réactionnel, le regard de cet
entourage sur lui est variable.
• Par un autre individu en lutte, il sera perçu comme
un concurrent à éliminer, ou un complice, surtout s'il y
a un « bon coup » à faire.
• Par un individu en fuite, il sera perçu comme une
menace à fuir au plus tôt, parfois rassurant dans ses cer-
titudes, mais si possible de loin.
• Par un individu en repli, il sera perçu comme enva-
hissant, en trop, ou bien comme un bouclier protecteur
grâce à son comportement actif et décideur.
• Par une personne qui n'est pas en état de défense,
comme un agressif difficile à vivre, mais qui a du répon-
dant.
Lui-même aura un regard jugeant et sentencieux sur
ceux qui ne partagent pas les mêmes réactions que lui !
• L'individu en fuite est jugé agaçant, couard, lâche,
insaisissable.
• L'individu en repli est jugé ennuyeux, terne, mou, de
mauvaise volonté, pénible.
• La personne hors défense est jugée bizarre, inclassa-
ble, incompréhensible, inutile bien qu'intéressante.
Les mots de la lutte.

Mots révélateurs d'une tension et d'une colère inté-


rieures, du besoin de maîtrise, de la peur d'être mal-aimé
ou rejeté, ils sont musclés et pressants. Le cadre de la
parole est essentiel dans l'esprit de la lutte : nous faisons
corps avec elle, les mots prononcés son plus que des
mots, ils ont une valeur, un prix. Quand l'être en fuite
est « pensant », l'être en lutte est « parlant », qu'il parle
aux autres ou à lui-même. C'est ainsi que donner sa
parole signifie s'engager, renier sa parole signifie trahir.
Etre un homme, c'est être un homme de parole. On
conçoit la difficulté de la relation avec une personne en
état de fuite qui donne l'apparence de l'engagement pour
se débarrasser de la pression de la lutte ! De même avec
quelqu'un en repli qui se bloque et ne répond pas et donc
ne renvoie aucun écho de reconnaissance ! « Dis-moi oui
ou dis-moi zut, mais dis-moi quelque chose ! », telle est
la supplique de l'individu en lutte qui souffre dès qu'il
n'y a plus échange. Il a soif de communication verbale,
source d'identité.
À commencer par notre propre nom ! Marqué sur la
carte d'identité, il nous est personnel. Rien d'étonnant à
ce que l'individu en lutte y soit attaché et l'utilise comme
un justificatif. « Chez les Dupont, on ne pleure pas ! »
Le prénom doit manquer de personnalisation et est de fait
peu employé, susceptible de créer une intimité non dési-
rée ou simplement insuffisamment identitaire.
Les mots sont aussi un moyen de prouver, de convain-
cre et de maîtriser l'autre ; ils sont donc précis, nets,
voire cassants, logiques et efficaces, au service d'un
argumentaire bien défini. Même dans sa tendance au
délire paranoïde, le discours a l'apparence du rationnel
et du logique : l'évidence du « on m'en veut » sera abon-
damment justifiée.
« Donnez-moi des moyens ! » L'individu en état de
lutte sait de quoi il parle et ne lâche pas facilement son
sujet : il le martèlera aussi souvent que nécessaire
jusqu'à ce qu'il ait le dessus, qu'il ait convaincu son
auditoire, quitte à le poursuivre dans l'escalier... En fait,
qu'il se soit convaincu lui-même.
Quelques mots clefs, révélateurs d'un individu en état
de lutte :
— « pourvu que ça marche, pas de sentiments quand
il faut agir, un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, faut
pas s'écouter, c'est la loi du plus fort, prendre le taureau
par les cornes, que le meilleur gagne !, dans la vie, il y
a un gagnant (moi), un perdant (l'autre !), avoir le dernier
mot, sauver les apparences, je ne supporte pas, j'assume,
la meilleure défense, c'est l'attaque, on se fout de moi,
je vais me faire avoir, tous des c..., et ses variantes... »
Tous ces mots témoignent de la loi du plus fort et
d'une nécessité existentielle de maîtrise.
Le registre affectif est, lui aussi, riche : « sans toi, je
ne suis rien, si tu m'aimais vraiment, tu ne dirais pas ça,
je n'ai rien à faire de toi, tu me prends pour un idiot... ».
Sans oublier ces phrases qui débutent par « moi,
je... », suivies d'un « tu », juge et arbitre...
Le personne en état de lutte « sait » mieux que ses
interlocuteurs, donc leur coupe la parole et finit leurs
phrases, parce qu'elle éprouve le besoin craintif et exis-
tentiel de s'affirmer. Ce qui ne facilite pas la communi-
cation qui, par ailleurs, lui est indispensable pour être
reconnue !

Julien a créé une association pour la défense de la


nature dans son quartier, en banlieue. Il s'agit de
conserver des arbres, de faire une piste cyclable et
des rues piétonnes, de planter des massifs fleuris...
Mais les autres habitants du quartier ne se mobili-
sent pas suffisamment à ses yeux. « Ils s'en foutent !
Ça ne les intéresse même pas. Par contre ils sont
bien contents de pouvoir dormir parce que des voi-
tures, il y en a moins ! Et moi, il faut que je me
bagarre tout seul comme d'habitude. Et là-haut, à
la mairie, ils ne comprennent rien. Cent fois, je leur
explique ! À croire qu'ils aiment me mettre des
bâtons dans les roues... Je ne suis pas parano, mais
quand même ! Je ne les supporte plus. Et pourtant,
il faut bien qu'elle existe, cette association ! »

Julien aura à entendre à quel point il s'identifie à son


association et qu'il se défend, lui, quand il la défend elle.
Il apprendra à se réconcilier avec son propre pouvoir, son
propre possible, ce qui l'aidera à se détacher de son pro-
jet écologique... pour mieux faire entendre celui-ci.

Philippe, lui, est un actif, débordant d'idées et


d'attentions envers son entourage. Son comporte-
ment de lutte est efficace et pallie son manque
d'identité, au point qu'il admet mal que son épouse
repousse ce flot de prévenance qui déborde de lui.
« Moi, j'aime ma femme et mes enfants ; je sais ce
qui est bon pour eux et je trouve normal de me
dévouer pour qu'ils soient heureux. J'aime bien
faire des activités avec mes enfants, c'est moi qui
choisis les vêtements de ma femme avec elle ; et
puis j'organise les vacances. Ma femme se plaint
que j'en fais trop et que je suis sur leur dos. Ce n'est
pas juste. Simplement, moi, je sais ! »

Philippe a l'amour encombrant et d'abord pour lui-


même ! Son amour pour ses proches est parasité par un
oubli de lui. De ce fait, il pallie son manque d'identité
par les manifestations de l'amour qu'il leur porte. Sin-
cèrement, bien sûr ! Il lui faudra apprendre à développer
sa propre valeur, sa différence à lui, y compris qu'il peut
être différent de ce qu'il croit que sa famille attend de lui.

Vous avez encore un doute sur les moyens de recon-


naître un individu en état de lutte ? Essayez de le contre-
dire... vous aurez très vite la réponse !
6.

« Cherche paix désespérément... »


quand nous sommes en état
de repli sur nous-mêmes.

Le crocodile prend l'allure d'un morceau de tronc


d'arbre, posé au bord de la rivière ou flottant au fil de
l'eau, apparemment sans vie. Et il pleure.

Il s'agit d'une réaction de troisième intention face à


ce qui semble menacer notre intégrité d'être. Cette réac-
tion exprime, en fait, le besoin de nous sentir réels, de
nous réaliser et de nous accomplir.
Prenons l'exemple d'un petit mammifère au-dessus
duquel vole un oiseau de proie : il ne peut fuir jusqu'à
son terrier car, aussitôt, il serait repéré ; il ne peut, bien
sûr, attaquer... Alors il ne bouge plus, fait « le mort »,
réduit sa vie au point de se fondre dans le paysage,
comme s'il n'existait pas, et laisse passer le danger. Cette
attitude défensive est très fréquente dans la nature, au
point que certains ont même amélioré la méthode : ainsi
le caméléon capable de modifier la couleur de sa cara-
pace selon la nature du support sur lequel il se trouve,
ou l'insecte qui prend, selon les besoins, la couleur de
l'écorce de l'arbre ou de la feuille. Pas vu, pas pris, pas
mangé, encore vivant !
« Je m'efface, donc je survis. » La réaction de repli
sur soi est une stratégie de protection non consciente, et
automatique, une discrétion existentielle. L'objectif,
dans l'urgence, est de passer inaperçu(e) : il est vécu
comme seul moyen d'exister face aux menaces. Cette
attitude tend à sauvegarder l'essentiel de soi, qui peut
n'être qu'une présence sans mouvement, sans abri, sans
objectif autre qu'être là, en dépit du danger. Stratégie par
restriction d'action, par « inexistence » apparente. Cette
réaction témoigne d'une difficulté, voire d'une répu-
gnance à exprimer son désir d'être, son besoin d'accom-
plir sa vie. Ce besoin fondamental d'accomplissement est
inscrit en nous, dans le sens où chacun est à sa mesure
nécessaire à lui-même, aux autres, au monde. Chacun est
porteur et responsable de son « projet » de vie.
Lorsqu'un événement extérieur résonne avec ce besoin
de réalisation et le manque d'être qui lui est associé, la
réaction de repli sur soi se déclenche comme un palliatif :
hors de la discrétion, du secret, pas de salut ! Cette évi-
dence s'impose à soi, globale, comme une seconde peau,
avec son cortège de symptômes et de justifications. C'est
grâce à eux que nous pouvons repérer l'état dans lequel
nous sommes et donc entendre notre besoin fondamental.

La fatigue et l'absence d'envie.

La fatigue est le signal d'alarme. La fatigue est l'émo-


tion contenue dans la réaction de repli sur soi. Symptôme
bio-logique, la fatigue incite à s'arrêter. Comme la peur,
comme la tension, sa traduction est d'abord physique :
on l'éprouve dans son corps, on se sent fatigué, les bras
sont lourds, on a envie de se recroqueviller dans un coin
et de basculer dans le sommeil. Cette fatigue psychique
est évidemment difficile à admettre quand nous sortons
d'une longue nuit de sommeil ou quand nous n'avons
« rien » fait de notre journée : nous lui ajoutons alors une
dose de culpabilité ! La fatigue du repli est d'ordre émo-
tionnel, aussi apparemment irrationnelle que la peur ou
la tension. Elle est le symptôme qui doit nous alerter sur
notre passage en état de repli. Parfois brutale, en quel-
ques secondes, nous avons la sensation de perdre nos
moyens, d'être vidés, sans énergie. Parfois insidieuse, on
ne la sent pas venir, elle s'installe et nous prive de toute
envie.
Le troisième temps fort de l'expérience de la naissance
est constitué par l'arrivée au monde. Bébé accouché
devient un être réel... et il peut être fatigant de naître à
cette réalité d'être ! Il est là, il est né, et alors tout
commence pour ce bébé. Élément en plus dans le monde
des hommes et des femmes, vivant, déployant ses pou-
mons dans son premier cri, reçu dans les bras du méde-
cin, du papa ou d'une sage-femme, présence si fragile
sur laquelle tous les regards sont focalisés. Il est fille ou
garçon, fripé ou lisse, peu importe, par rapport à cette
seule réalité de sa présence, incontournable et tangible.
Alors l'entourage s'occupe de lui, le met sur le ventre de
maman, coupe le cordon, le lave, l'habille, lui parle...
tous les gestes nécessaires pour qu'il se sente bien,
accueilli et désiré.
Mais l'histoire peut être plus dure : maman peut avoir
besoin de tous les soins de l'équipe soignante et bébé
être délaissé, papa peut être absent, ou déçu d'avoir une
fille ou un garçon, l'ambiance peut être agitée et brutale,
bébé peut être en détresse et nécessiter des soins médi-
caux qui, en dépit de l'immense bienveillance avec
laquelle ils sont donnés, n'en demeurent pas moins bou-
leversants. L'arrivée dans la famille peut s'avérer
compliquée : problème de place, réactions de jalousie ou
d'angoisse de la fratrie, indisponibilité des uns et des
autres peuvent faire de cette arrivée au monde un
moment difficile que le nouveau-né vivra dans son corps
comme une évidence : il gêne, il dérange.
Premières expériences réalisantes : les gestes de
l'entourage pour le changer, le laver, le soigner, le
redresser, le bouger, le caresser, le mobiliser, c'est-à-dire
l'attention qui est portée à bébé, la prise en considération
de sa « petite » personne. Que l'entourage soit absent,
occupé, délaissant bébé et oubliant de participer à son
éveil, et bébé connaîtra les prémices de la lassitude liée
au repli.

À l'origine de l'état de repli sur soi.

Le besoin de réalité d'être fait communier la sécurité


avec l'identité. Il est le produit de l'un et de l'autre, pro-
cède des deux mais s'en différencie par son potentiel à
faire agir et devenir. Ce besoin est donc éduqué les
quinze premières années de la vie pour éclore à l'adoles-
cence et surtout dans les choix de vie. Les parents pour-
voient à cette éducation, le père et la mère confondus
dans une même entité : il y a eux et soi, être en devenir
et autre génération. Parents biologiques, affectifs,
sociaux et symboliques dont parfois l'enfant n'arrive pas
à se défaire pour se « faire » lui-même.
Cette éducation qui éveille l'enfant à son talent et au
désir de se réaliser est aussi faite de ruptures. Celles-ci
surviennent lorsque l'entourage, qui accueillait le désir
d'être de l'enfant et pourvoyait au sens de sa présence
au monde, se retourne contre lui ou se détourne de lui.
Celui-ci se trouve soudain privé de considération, se vit
comme une gêne, un être, — voire un « objet », — encom-
brant. Ce retournement peut aussi être une demande
inversée : les parents attendent de l'enfant qu'il leur four-
nisse sens et considération quant à leur vie à eux. Celui-
ci, dès lors qu'il entend qu'il est « tout pour ses parents »
(ce qu'il entend comme « sans moi, ils ne sont rien »),
leur doit de les aider à se réaliser, d'être leur projet à eux
plutôt qu'à l'origine du sien. Il n'a de sens que par rap-
port à eux. Entre gêne et désinvestissement de son propre
devenir indépendant, il se replie sur lui, fatigué. « Je n'y
arriverai jamais, la vie est décidément trop compliquée. »
Tout événement entrant en résonance avec ces ruptu-
res suscitera des symptômes défensifs : manque d'atten-
tion, abandon, sensation d'être en trop, complication,
problèmes, solitude, perte d'intérêt... tous signes qui
renvoient à l'inexistence, à l'absence de sens de la per-
sonne en tant qu'être.
Des ruptures dans le processus de réalisation de soi.
Car il s'agit de cela, et d'abord de parents absents.
Absents de fait et pas remplacés, démotivés dans leur
fonction parentale, toujours occupés ailleurs, peu ou pas
impliqués dans leur relation à l'enfant, sans projet expli-
cite ou implicite envers lui. Entre parents et enfant, une
distance mutuelle se crée, chacun vit dans son monde,
les premiers ne partagent pas avec le second leur vie,
leurs désirs, leurs envies. Dans ce cadre familial, l'enfant
est plus une gêne qu'un bonheur. Sans être directement
mis en cause, il n'est pas un sujet d'attention pour ses
parents. Difficile pour lui d'acquérir alors les règles qui
lui permettront d'inscrire son désir, ses envies, dans le
réel. Nécessité de tenir compte de son opinion, de son
travail, de son regard, non parce que « c'est bien », mais
parce que c'est le sien. L'absence de retour, de présence
des parents freine cette inscription, renvoie l'enfant à la
crainte de gêner, à l'obligation de faire bien et d'être gen-
til. Ces parents qu'on peut nommer laxistes, pas simple-
ment parce qu'ils laissent faire, mais surtout parce qu'il
n'y a pas en eux de répondant, sont ailleurs et la seule
chose qu'ils demandent, c'est que l'enfant ne (leur) pose
pas de problème, qu'il se débrouille et si possible tout
seul. C'est ici l'absence de présence qui fait mal.

Pour me raconter qui était son père, dans le souve-


nir qu'elle en a, Martine dit ceci : « J'ai l'image de
mes premiers pas, — mais étaient-ce les premiers ?
Je m'élance en marchant vers mon père, je lui tends
les bras ; j'arrive à lui... et lui s'en va ! Je tombe,
je ne tiens pas sur mes jambes. »
Le rapport parents-enfant peut aussi s'inverser : les
premiers « demandent » alors au second de les réaliser,
de les rendre réels. Faire, agir pour l'autre devient alors
le leitmotiv dans une dépendance émotionnelle. Faute de
savoir se réaliser dans leur vie à eux, les parents le font
par celle de leur enfant : « j e n'existe que par toi », ce
qui désinvestit celui-ci de ses propres projets, du sens de
sa vie à bâtir. L'enfant est « hyper-consi-déré... »,
chargé de la réalisation parentale mais non de la sienne.
Alors, ce qui va éveiller la réaction de repli, c'est l'idée
de gêner l'autre, la crainte d'être abandonné, laissé pour
compte, de ne pas être pris en considération. Ou bien de
devoir réaliser l'autre pour pouvoir exister soi-même.

Paul, vingt-six ans, arrive un matin en entretien et


s'écroule dans le fauteuil face à moi. Grand et cos-
taud, son visage étonne pourtant par la mollesse de
ses traits. Son regard est comme en retrait. Il vient
me voir parce que sa mère le lui a demandé et
qu'elle a pris rendez-vous pour lui. Mais lui n'a
besoin de rien. Du reste, dans la vie, il ne fait
« rien ». Je lui propose de me raconter un peu plus
ce rien dont il me parle, et par exemple de démarrer
son histoire à l'âge qu'il souhaite.
— Quinze ans en seconde, seize ans en première,
dix-sept ans en terminale, le bac.
— Reçu ?
— Oui, deux années de suite j'ai commencé la fac,
j'ai arrêté très vite et j'ai bricolé des petits boulots.
Et puis j'ai fait du vélo...
— Du vélo ?
— Oui, je suis allé en Chine.
— En Chine, à vélo ?
Paul a l'air étonné par ma question.
— Oui, en Chine.
Il me raconte son itinéraire à partir de Paris, y
compris le détour par l'Australie, en bateau, me
précise-t-il.
— Et puis ?
— Et puis, rien, je suis revenu, et depuis je ne fais
rien !
En fait, il était entré dans une compagnie d'aviation
pour laquelle il était manutentionnaire, autrement
dit, rien !
Quand il évoque ses parents :
— Rien de spécial, ils ont toujours travaillé, mes
frères et sœurs aussi, tout le monde travaille chez
moi, sauf moi. D'ailleurs, ça leur pose un vrai pro-
blème, ça fait tache.
Autrement dit : je suis une tache, une erreur.

L'absence de prise en considération de soi, d'intérêt


de soi, de sa personne est l'élément déclencheur visible
de la réaction de repli. Inefficace, la lutte dit : « je ne
vaux rien », et le repli sur soi dit : « je ne suis rien ».
L'inscription au monde de soi et de ce qu'« on est venu
y faire » a du mal à se manifester, avec son corollaire
d'utilité existentielle ou d'inutilité.

Les « lunettes » de la réaction de repli sur soi.

Des lunettes teintées de doute. Le monde de l'individu


en repli est celui de la personne, de son être : imaginons
le petit animal terré au sol sans bouger, il ne lui reste
plus, pour vivre, que lui-même, il n'a plus d'abri, plus
d'autre sur lequel compter ou contre lequel se battre. Son
espace, c'est lui-même, dans ce qu'il a à être, à devenir.
Les autres, le monde matériel sont considérés à la mesure
de sa personne, de lui dans ses potentiels.
La compétition lui est étrangère. Il est très adaptable
au monde dans lequel il vit, voire excessivement tolérant
à l'égard des autres qui « existent » plus que lui. Concer-
nant le besoin de réalité d'être de chacun, cet espace de
la personne n'a rien d'abstrait : il s'agit d'y manifester
sa présence, son talent, son savoir, sa mission, ce qu'il y
a de bien, d'utile, d'important en soi. D'où la pression
pour « faire bien », « faire juste », toutes actions qui doi-
vent être manifestes, autrement dit, « faites main », faites
de notre main à nous.
En état de repli, la relation de l'individu au temps est
elle-même liée à la personne dans son expression et
s'inscrit donc dans l'avenir. Notre petit mammifère au
sol ne possède plus de passé puisqu'il n'a pas d'abri, plus
de présent car il ne bouge plus, il ne possède plus que
son avenir, son devenir. C'est par rapport à lui qu'il
demeure tapi au sol, couleur muraille ou terre, pour que,
demain, il puisse vivre. La douleur, c'est de toujours
reporter à demain la vie, ce que fait l'individu en repli.
Mais le besoin de réalité nous pousse à être : nous
devons agir, nous exprimer ! « Agir » vient d'une racine
indo-européenne, ag, qui signifie pousser devant soi,
conduire, puis faire en général. En ce sens, être en évo-
lution, grandir, se transformer au fil des années, c'est
agir ! Mais quand l'entourage et les expériences n'ont
pas éduqué et permis d'assumer de façon autonome la
réalisation de soi, alors la personne manque à son propre
talent. Le talent n'est pas uniquement celui de l'artiste
qui réussit et qui se fait un nom ! Cette interprétation est
celle du besoin d'identité. L'étymologie nous précise que
« talent » signifie « désir ». Ce qui manque à l'état de
repli, c'est le désir d'être.
L'émotion s'installe en réponse à la non-considération
de l'expression du désir-talent.

L'enfant a huit ans, entre dans la cuisine, prend le


tablier de maman et déclare, tout doucement : « Je
ferais bien un gâteau. » Maman sort le livre des
recettes. Ils tombent d'accord sur un roulé au cho-
colat. Beaucoup lui, un peu elle pour superviser...
Il se lèche les babines après avoir léché la cuillère
en bois et la casserole. Le gâteau est présenté en
dessert : maman s'émerveille d'autant plus fort que
l'aîné le trouve écœurant et que papa a la tête
ailleurs. Le week-end suivant, l'enfant n'a pas envie
de faire de gâteau et préfère allumer la télévision.

Le repli sur soi et son corollaire, la fatigue, parasitent


la relation à l'autre : tout sauf déranger ou être dérangé.
S ' i l y a relation, elle doit être harmonieuse. La relation
est paradoxale, puisque vécue sur la défensive : l'autre
est à la fois une nécessité derrière laquelle nous nous
cachons et qui justifie notre action, et à la fois une
menace qui risque de nous abandonner à nous-mêmes,
c'est-à-dire à « rien d'important », si nous le gênons. Se
manifester, faire entendre notre idée, notre désir ou notre
projet, sans pour autant déranger, relève de ce paradoxe.
Etre toléré, voire accepté, être là, quand même, nécessi-
tent donc de la discrétion et des trésors de gentillesse.
Pas de reconnaissance ici mais une demande tacite
d'accord et d'harmonie. L'autre est donc celui qui
accorde, — ou non, — son intérêt et sa considération. Il
est aussi celui qui aide à justifier l'action : ce n'est pas
pour soi, c'est pour lui, pour elle, pour eux, que nous
agissons. L'autre devient celui qui aide à faire, qui fait
faire : un moyen pour passer à l'action et prendre des ini-
tiatives.

« Je suis locataire de mon petit appartement et j'ai


un problème dans ma cuisine. Je me suis rensei-
gnée, c'est au propriétaire de faire les travaux...
Jamais je n'arriverai à lui demander ça ! C'est très
gênant, je ne sais pas comment il va le prendre. Si
ce n'était que moi, je me débrouillerais. Mais il y a
les enfants, pour eux ce n'est pas possible. » Quel-
ques jours plus tard, elle se lance et téléphone au
propriétaire qui se déplace jusqu'à l'appartement
pour constater le problème. Entre-temps, elle a tout
rangé dans le séjour et la cuisine pour qu'il ne les
trouve pas sales. Elle s'excuse du dérangement dès
qu'il arrive, lui expliquant qu'avec les enfants elle
ne pouvait pas faire autrement... Le propriétaire
renâcle sur le prix des travaux... Démontée, elle ne
sait plus quoi dire, se sent fatiguée et voudrait tel-
lement que tout ça ne soit pas arrivé. Trouver un
accord pour qu'il ne se fâche pas. Finalement il
accepte, mais une partie restera à sa charge à elle.
« Je m'arrangerai », dit-elle. Ça, elle sait faire !

En état de repli sur soi, dès qu'il n'y a plus d'harmo-


nie, la relation n'a plus de sens parce que notre être n'a
plus de sens. Elle devient encombrante, compliquée. Il
faut donc tout faire pour que celle-ci redevienne harmo-
nieuse, seule « garantie » d'y trouver une place et d'oser
y exprimer son talent-désir, même à bas bruit.

La main qui agit.

Ce qui est concerné dans l'état de repli sur soi, c'est


l'action, la nôtre. Notre langage courant l'a intégré, puis-
que nous parlons de « manifestation », autrement dit, de
« fait par la main ». Comme la tête pense en état de fuite,
comme le cœur décide en état de lutte, la main fait en
état de repli. Mais ces pensées, ces paroles et ces actions
sont « surchauffées », car parasitées par la pression
défensive.
« Se faire soi-même. » La main est l'outil nécessaire
à l'action et à la réalisation de soi. C'est elle aussi qui
symboliquement bénit et guérit. C'est par elle que nous
rencontrons l'autre ou que nous concluons notre accord.
Ce qui est « fait main » est une œuvre, un art ; ce qui est
fait par une machine est un objet. Cette nuance indique
s'il y a intervention ou non d'une personne dans le travail
accompli.
L'état de repli sur soi parasite l'initiative et le passage
à l'action. Comme freinés, nous avons du mal à agir
parce que nous avons du mal à exister. Limités à nos pen-
sées ou à nos paroles, nous avons peur de nous manifes-
ter à travers nos actions. Mettre la main à la pâte vient
se heurter à des commentaires aussi toxiques que sincè-
res : « Je n'y arriverai pas, c'est trop compliqué, il faut
que ce soit beau, parfait. » Car, bien sûr, seule l'harmo-
nie de l'acte nous autoriserait à agir, fantasme d'un
accord parfait.
Mais l'activisme peut remplacer cette autolimitation :
nous faisons plusieurs choses à la fois. Nous en faisons
plus pour être sûrs de nous sentir réels. Nous voici beso-
gneux, occupés par mille activités utiles aux autres
comme une fourmi discrète. Nous déplaçons alors vers
le futur nos désirs personnels, quitte à les oublier en
cours de route.

Les stratégies de l'état de repli sur soi.

Selon son degré d'organisation et son efficacité à


garantir la réalité d'être et la pression que nous exerçons
sur nous-mêmes ou sur l'autre, l'état de repli détermine
quatre caractères.
Nos réactions évoluent entre deux extrêmes : le fan-
tasme de l'harmonie parfaite qui donne du sens à notre
existence et celui d'inexistence.

Le comportement « Indépendant » en repli sur soi :


lassitude et volontarisme.
Le comportement égocentrique et solitaire se justifie
en apportant nécessairement du sens à sa vie et à celle
des autres. Une sensation de devoir existentiel, de mis-
sion à accomplir par-devers soi, souvent dans une rela-
tion d'aide, quelle qu'en soit la nature, suscite
une pression intérieure ainsi que sur l'entourage. L'obli-
gation de faire quelque chose de sa vie, pour les autres,
contribue à rigidifier les désirs.
Quelques « traits de caractère » : intimidation, force
mentale, rigidité, isolement, distance, froideur.
Le comportement « Victime » en repli sur soi :
soumission et dépit.
La certitude que le monde est mauvais ou compliqué
justifie un repli qui peut se transformer en mépris. Pour
la personne, l'idée que les autres doivent (la) comprendre
l'entraîne à formuler des propos moralisateurs. Elle se
veut exemplaire pour les autres, sans parvenir à se
considérer elle-même.
Quelques « traits de caractère » : psychorigidité,
comportements moralisateurs, étroitesse de vues, per-
fectionnisme, résignation, pudibonderie, raideur,
plaintes.

Le comportement « Coupable » en repli sur soi :


fatigue et sacrifice de soi.
La sensation de devoir sans désir, l'absence d'envie
aboutissent à une « annulation » de soi et de son acti-
vité : celle-ci est déconsidérée tant la peur de gêner
l'autre est importante. Le comportement se traduit par
un : « Je devrais, mais je n'y arrive pas, ce n'est donc
pas la peine... » L'aide de l'entourage lui confirme son
propre manque et intensifie sa culpabilité.
Quelques « traits de caractère » : tristesse, dépression
réactionnelle (c'est-à-dire à la suite d'événements iden-
tifiés), nostalgie, « gouffre » énergétique, besoin des
autres pour agir, pessimisme, dévalorisation de soi, ni
envie ni désirs personnels.

Le comportement « Dépendant » en repli sur soi :


dépression et inhibition.
Le monde, les autres n'ont plus de sens, tout est
devenu absurde et vide d'intérêt. Quant à soi, mieux vaut
ne pas en parler ! Les autres ne comprennent rien, autre-
ment dit, ne comprennent pas la personne qui se sent inu-
tile, et en trop. Elle ne sait quoi faire d'elle et de sa vie,
attendant des autres qu'ils pallient ce vide, tout en étant
convaincue qu'ils n'en ont pas le désir !
Quelques « traits de caractère » : souffrance psychi-
que, mélancolie, dépression endogène (sans événement
déclencheur apparent), épuisement, démotivation, absence
de désir, tendance suicidaire, absence de volonté...

Les stratégies efficaces « positives » de réalisation de


soi sont celles qui font pression sur soi ou sur les autres
pour donner à sa vie du sens. Les stratégies inefficaces
« négatives » sont celles de la dépression, dans laquelle
la sensation de vide prédomine sur le sens de la vie. Entre
ces deux pôles, la personne se laisse peu de place pour
elle-même, tout simplement. Le sens, l'harmonie de
l'être sont des vertus très pressantes et encombrantes dès
lors qu'elles sont vécues dans la peur d'exister.

Comment se reconnaître en état de repli sur soi.

Comme les descriptions des symptômes de fuite ou de


lutte, celles du repli sur soi ne devraient induire ni cul-
pabilité ni honte, mais nous faire prendre conscience de
nos propres comportements... pour cesser de nous
conduire comme des inconscients. Un miroir pour rendre
nos motivations plus claires, nos capacités intellectuelles
plus accessibles et nos freins moins serrés.

Manifestations physiques.
Fatigue, manque d'en-vie et ralentissement général de
l'organisme sont les principales manifestations physi-
ques de l'état de repli. Des troubles plus profonds et
chroniques surviennent dans le profil inefficace.
En retrait. La fatigue survient dès le réveil avec un
manque d'entrain et de désirs. La sensation de vide
s'impose brusquement à l'esprit comme au corps, alors
qu'il n'y a eu effort ni physique ni mental, avec un besoin
de dormir ou de se retirer de la situation présente, d'une
discussion, d'un projet. Une envie de ne pas être là. La
fatigue est paradoxale puisqu'elle tend à s'évanouir en
fin de journée ou à l'annonce d'un événement qui
détourne du manque d'être. Elle peut aller jusqu'à des
chutes de tension avec perte de connaissance par malaise
vagal. L'organisme tourne « au ralenti » avec tendance
aux pathologies tramantes et chroniques, aux kystes, aux
tumeurs. La résistance immunitaire est faible et favorise
toutes sortes de troubles torpides. Les troubles digestifs
sont liés à ce ralentissement avec tendance à la constipa-
tion et aux colites spasmodiques. En état de repli, le foie
est « sensible » : centre des énergies en acupuncture, le
moindre excès émotionnel ou alimentaire aggrave son
dysfonctionnement, entraîne nausées, douleurs et inap-
pétence. C'est la foi en la vie qui manque.
Le sommeil est perturbé, difficile à trouver le soir et
prolongé le matin. Mais, malgré des nuits longues, le
sommeil n'est pas réparateur, souvent léger et peuplé de
rêves ou de cauchemars.
La fatigue incite à prendre des excitants, ou plutôt des
stimulants comme le chocolat, le sucre ou le café afin de
se sentir plus en forme. A moins que ce ne soit le recours
aux médicaments de type antidépresseurs. Car tout sem-
ble effort à fournir, parfois même pour marcher. « Cer-
tains jours, je dois faire un effort pour respirer, me disait
une jeune femme, tant ma peau me pèse. »

Manifestations émotionnelles.
« Ça me fatigue ! » La peur de gêner ou de mal
faire nourrit cette fatigue physique et mentale. La sen-
sation d'être en dette et de devoir toujours s'excuser
et remercier se joint à l'inquiétude de recevoir un
compliment ou un cadeau ou à la paralysie d'avoir à
demander quoi que ce soit. Le malaise d'être en trop
n'est atténué que par la possibilité de se débrouiller
tout seul ou d'avoir fait parfaitement ce qui était à
faire. À défaut, se rendre utile peut justifier son exis-
tence. Ainsi nos actions acquièrent du sens et nous jus-
tifient à nos yeux et à ceux de l'entourage. En état de
repli, cette fatigue est paralysante sans générer
d'angoisse : elle fige sur place, empêche de bouger,
de parler, de penser. Au mieux, c'est l'esprit d'esca-
lier, celui qui fait trouver la repartie après avoir quitté
la soirée et l'interlocuteur. Au pis, ce sont le blocage,
le mutisme, l'absence totale de réaction face à l'autre
ou à l'événement... ou les pleurs, la personne étant
comme sidérée. Nous voici en décalage, pas vraiment
présents à ce que nous vivons. Les larmes surviennent
et s'imposent parfois en dehors de tout événement
triste et semblent plutôt une alternative à la fatigue :
elles témoignent de la même émotion et de la même
peur à se manifester. Mais, plus visibles, elles inquiè-
tent et culpabilisent encore plus que la fatigue ! La
peur d'être fatigué, la peur de pleurer renforcent bien
sûr l'émotion de repli, et contribuent à renfermer la
personne dans son état.

Manifestations cognitives.
Le but de cette réaction de défense est de nous mettre
en veilleuse, de passer inaperçus... Nos « commentaires
intérieurs » parlent pour nous de cet objectif et de la
crainte de ne pas y arriver. La sensation qui domine est
celle de la complexité : la vie, l'action, la décision.., tout
paraît si compliqué ! Tant et si bien que le désir de
comprendre, avant de faire, devient une nécessité exis-
tentielle. Si nous ne comprenons pas, nous ne passons
pas à l'acte, ignorant que la compréhension peut naître
de l'action elle-même. Dans le doute, seule la compré-
hension paraît valide face à la difficulté, à la dureté
même de vivre. Comprendre, c'est pouvoir expliquer ce
que l'on fait là et se donner le droit d'exister.
Ces commentaires intérieurs, empreints de doute ou
de perfectionnisme, témoignent du besoin de donner du
sens à nos actions, donc à nous-mêmes, autant que de la
difficulté à le faire.

Comment reconnaître quelqu'un en état de repli.

Apparence physique : elle est faite pour essayer de


passer inaperçu, ne pas faire de vagues, ne pas déclen-
cher de réactions dans l'entourage. Tenue discrète aux
couleurs discrètes, plutôt sombres..., la mode du noir
signifierait-elle un deuil sans fin de notre expres-sion ?
La personne en état de repli sur soi bouge peu, ou alors
pour se rendre utile, voire indispensable, et se trans-
forme alors en abeille besogneuse. Son regard et les
traits du visage sont volontiers colorés de tristesse, de
mollesse, de gêne, ses yeux ont tendance à regarder vers
le bas, comme en faute. Son corps à du mal à bouger et,
quand il le fait, il est comme encombré de lui-même,
lourd et vaguement contracté. Sa voix est peu timbrée,
faible, parfois même monocorde. Elle peut prendre un
aspect hypnotisant comme une litanie récitée. La poi-
gnée de main est molle et manque de fermeté. On
n'arrive même parfois à n'attraper que le bout des
doigts. Le sourire gêné semble dire « excusez-moi d'être
là », toujours poli.

Attitudes : elles sont bien sûr variables selon l'effica-


cité des réactions pour parvenir à l'objectif.
Sur le profil efficace et « positif », il s'agit de trouver
un guide, un idéal ou une raison pour oser déployer ses
ailes. Le comportement est alors effacé, poli, en retrait.
Sans vraie motivation personnelle, la personne est active
au nom de l'idéal ou de l'autre qui donnent du sens à sa
vie et qui font qu'elle se sent utile. Sans vraie ambition,
sans goût du pouvoir, elle est très, trop, disponible,
tolérante et serviable : faire plaisir semble être son mot
d'ordre. Tout cela manque d'existence personnelle, mais
l'action et la réalisation de soi se font, au prix d'une
dépendance affective, professionnelle, voire spirituelle.
Sur le profil inefficace et « négatif », l'individu en
repli ne peut s'appuyer sur un guide, un idéal ou un
autre qui donneraient du sens à sa vie, à son action ! La
souffrance psychique est alors beaucoup plus forte et la
fatigue paralysante plus manifeste : la dépression
devient clinique. La personne vit au ralenti, envahie par
la certitude qu'elle ne peut plus rien faire. Inconsolable
et résistante à toute incitation, extérieure comme inté-
rieure, qu'elle vit comme étrangère ou culpabilisante,
elle pleure. Que son entourage lui démontre qu'elle a
en elle les moyens d'agir, elle regarde par la fenêtre,
voit le ciel bleu et dit : « Quand je pense que je suis là
à pleurer alors qu'il fait si beau dehors... je suis vrai-
ment nulle... » Dans cette perception du vide de la vie,
le risque ultime est bien sûr le passage à l'acte dans un
geste suicidaire, qui semble évident et s'impose de lui-
même puisque la vie est déjà absente de soi. Le recours
aux médicaments est alors souvent requis. Autre traduc-
tion de ce vide désorganisé, manifestation du désespoir
intérieur : la pathologie cancéreuse. L'état de repli n'est
pas l'apanage de la psychologie des personnes chez les-
quelles se développe un cancer. Il semble survenir en
effet lorsque la personne se vit comme impuissante,
sidérée, vidée de toute réaction possible face à une
situation qui est alors subie. Cette impuissance se
retrouve dans les trois types de réaction de défense.
Toutefois, il semble que l'état de repli soit particuliè-
rement « récepteur » des bouleversements cellulaires
du cancer. Il ne s'agit là bien sûr que d'un terrain qui
prédispose et non d'une cause directe. Antécédents
familiaux, intoxications au tabac et alimentation parti-
cipent aussi à la survenue de cette maladie qui touche
de plus en plus de monde. Comme si le vide de soi res-
senti dans cet état de défense « favorisait » le dévelop-
pement de cellules anarchiques, chargées alors de
combler ce vide d'être ?
L'état de repli sur soi ne fait pas de bruit... jusqu'à ce
que le besoin de réalité devienne si aigu, si désespéré,
qu'il nous force à réagir, à nous éveiller malgré nous !
Ceux qui ont traversé l'épreuve du cancer le savent
mieux que quiconque : pour eux, la vie a acquis une
dimension, une richesse qu'ils ne sont pas près de lâcher.

Repli sur soi et habitudes de vie.

Les habitudes du repli sur soi répondent à un double


objectif : faire passer en force le besoin de manifester son
existence, tout en essayant de passer inaperçu...
Si la personne fume, c'est plus par désœuvrement que
par plaisir, pour le geste, pour passer le temps ou pour
se donner une contenance (un contenu...). Elle peut être
tentée dans une soirée de faire comme tout le monde pour
ne pas se distinguer.
L'utilisation de la drogue ou de l'alcool a une fonc-
tion : stimuler, ôter l'inhibition, la peur de gêner, soula-
ger la crispation intérieure et supprimer la fatigue. C'est
donc son effet excitant, voire euphorisant, qui est recher-
ché. Au point d'entraîner une dépendance, parce que
sous l'effet d'un verre d'alcool, ou la prise de drogue,
« tout paraît plus facile ».
Face à l'argent, une personne en repli se sent assez
étrangère : il ne représente pas un enjeu, ni une preuve,
ni un objectif en soi. Il n'incarne pas un idéal. En revan-
che, l'idée de manquer d'argent est difficilement toléra-
ble car cela réveille la peur d'être abandonné, ou celle
de n'avoir « pas bien fait ». Le plus difficile est encore
d'en parler : parler salaire, chiffre, valeur, exprimer son
désir peuvent générer une vraie paralysie, au point de
quitter un rendez-vous sans avoir pensé à aborder le
sujet. Comme si celui-ci était tabou ! S'il faut vraiment
en parler, la personne aura plutôt tendance à placer la
barre bas, à minimiser son travail et sa rémunération.
Officiellement, cela ne l'intéresse pas.
Ses relations sexuelles sont discrètes elles aussi. Peu
de désir et peu de demande. Ce qui ne signifie pas un
manque d'amour, mais plutôt un désir en retrait. En
revanche, lorsque son partenaire sait la guider, qu'elle se
sent éveillée par son attention, sa disponibilité et son
désir, alors la sexualité peut être un domaine d'épanouis-
sement et de réalisation de soi dans son corps... au point
de devenir dépendante de celle ou de celui qui l'a ainsi
initiée.
Les loisirs se vivent en sourdine. Comme il y a peu
d'initiative et de désir, ils s'organisent plutôt en groupe
ou en famille : ils sont alors choisis pour « faire plaisir à
chacun ». On s'adaptera, comme d'habitude. Si ces loi-
sirs sont solitaires, ils se feront de toute façon dans le
calme, voire la méditation : lecture, chaise longue, mar-
che, études, collection de timbres. S ' i l y a activité spor-
tive, le tai-chi sera préféré. S ' i l y a voyages, on cherchera
plutôt à s'imprégner de l'ambiance d'un pays qu'à
découvrir toutes ses richesses et ses palais ou de le sillon-
ner dans tous les sens.
Le téléphone, la télévision ou l'ordinateur sont utilisés
par défaut d'autres activités ou d'autres envies : ils peu-
vent combler une sensation de vide, aider à sortir de la
solitude et de la souffrance psychique, le temps que
durent l'appel ou l'émission.

Repli sur soi et idéal.

L'état de repli entretient avec le domaine spirituel un


lien intime. La nature immatérielle de l'esprit, du souffle
explique ce lien. Il s'agit de spiritualité, pas nécessaire-
ment de religion ou de pratique religieuse, bien que
l'attachement aux dogmes d'une Eglise ou d'une
communauté incite à la pratique de sa foi.
La personne participe peu à la vie active : le monde
matériel, la relation à l'autre ne sont pas son champ
d'expression privilégié. Elle a donc tendance à favoriser
le monde intérieur, mobile quand le corps demeure
immobile. Elle va développer le goût pour la nature
immatérielle de l'être, pour la recherche solitaire du sens
et de l'harmonie. Devenir « gourou » ou suivre un « gou-
rou » entre dans sa logique de défense, car elle peut ainsi
se réaliser au nom d'un idéal, d'une foi, d'une croyance
ou de celui qui les symbolise.
Le champ « philosophique » peut apporter des répon-
ses à son besoin de compréhension. Elle verra alors la vie,
la sienne, dans une dimension symbolique plus que réelle,
découvrant des liens et du sens là où d'autres ne voient
que hasard ou suite d'événements. Le symbole est pour
elle la réalité qui la relie au monde extérieur, lui donne
son sens et ainsi lui évite d'y participer activement.
D'autres s'investissent dans la recherche intellec-
tuelle, voire scientifique. Il s'agit, toujours et encore,
de comprendre, de donner du sens, d'expliquer, de
relier, d'explorer le monde du souffle divin, des mots,
de l'histoire de la nature ou des hommes, du monde
physique infiniment grand ou infiniment petit...
jusqu'à s'y perdre.
En état de défense, ce monde passionnant mais loin-
tain de la recherche ou de la spiritualité se substitue au
soi.

« Quand j'étais jeune, ma famille disait de moi :


"Ça y est, elle est repartie dans son monde " ; moi,
j'appelais ça "ma bulle" : j'étais comme déconnec-
tée », raconte Monique.

Beaucoup plus grave est la tentation de s'enfermer


dans des groupes clos et vivant en autarcie, que nous
nommons sectes : abandonner au « gourou » toute son
existence, pour que lui, — ou elle, — nous réalise est
bien sûr le vrai danger. Ce choix vient souvent
conclure un renoncement à être qui a commencé des
années plus tôt.
Repli sur soi et travail.

La personne en repli ne sera pas forcément un grand


travailleur car son énergie ne le lui permet pas. Elle est
plutôt besogneuse.
Néanmoins, elle s'oblige à travailler par devoir et pour
se sentir utile. Certaines activités lui conviennent mieux
que d'autres : l'enseignement par goût de la transmission
du savoir et du sens, la recherche par goût de la connais-
sance et de la compréhension, la relation d'aide moins
par amour que par dévouement.
Par ailleurs, comme son objectif est aussi de passer
inaperçue, elle préfère les activités dans lesquelles elle
n'a guère de responsabilité et peut s'abriter derrière une
norme (administrative par exemple), un patron (qui lui
dit quoi faire), un règlement (l'armée). Elle aura le sen-
timent de pouvoir se réaliser à travers eux et supportera
les contraintes et les pressions avec une étonnante dispo-
nibilité et souvent une humeur apparemment égale. Tou-
tefois, il s'agit là d'un équilibre précaire, et une goutte
d'eau peut la faire basculer vers la dépression car le
tuteur administratif ou autre n'est qu'un palliatif pour
garantir une réalité d'être qu'elle ne s'autorise pas ou
mal.

Repli sur soi et entourage.

Entre son goût pour la tranquillité, l'envie de faire


plaisir et la peur de gêner, la personne en repli s'accom-
mode mal d'un entourage trop nombreux, agité ou
bruyant. Pourtant, comme elle a besoin d'être stimulée
pour agir, la voilà dans un paradoxe. La famille, un
conjoint donnent du sens à son action ; elle peut donc se
dévouer corps et âme, jusqu'à s'oublier pour que chacun
trouve son bonheur. Disponible, se laissant « envahir »
par ses enfants, son mari ou sa femme, elle est alors pour
eux le pourvoyeur de bien... Si elle craque de temps en
temps, son entourage sait que c'est passager. Elle est si
gentille !
Quand le repli s'avère inefficace, la personne a un
besoin existentiel d'un entourage solide qui pallie sa pro-
pre « inexistence ». Elle devient alors un « puits sans
fond », installée dans une demande et une attente dou-
loureuses, exigeant des siens une force, une attention et
une considération censées lui donner de la motivation à
agir... tout en s'accusant de les gêner et en se culpabili-
sant. Avec l'écueil majeur : plus cet entourage la materne
et agit pour elle, plus elle s'enfonce dans la certitude
qu'elle n'y arrivera jamais, qu'elle est nulle... On ren-
contre souvent ce type de couple où l'un est en repli et
l'autre un tuteur en lutte qui prend tout en charge, ou en
fuite qui sécurise. Les deux se font du bien à court terme
et du mal à long terme. Bien souvent l'un des deux se
révoltera un jour : le premier reprochera au second de
l'avoir étouffé, le second de l'avoir « pompé » !
Selon les lunettes défensives des uns et des autres, le
regard de l'entourage varie.
• Perçu par un individu en état de fuite, celui en repli
semble collant, éteint, triste, effrayant, même, par l'objet
de sa recherche intérieure.
• Perçu par un individu en état de lutte, celui en repli
est agaçant, mou, quantité négligeable, invisible, utile
uniquement s'il apporte de la reconnaissance (et encore),
de la valeur ou de l'amour.
• Perçu par un autre individu en état de repli, il semble
un confident espéré (et parfois désespérant), quelqu'un
qui le comprend.
• Perçu par une personne hors défense, il est pessi-
miste, renfermé, abstrait, trop sensible.
La personne en état de repli sur elle-même voit les
autres en réaction de défense à travers ses propres
lunettes.
• Celui en état de fuite lui donne le tournis, lui semble
irresponsable, agité.
• Celui en état de lutte l'impressionne ; il est un guide
possible, mais il peut être une menace, quelqu'un sus-
ceptible de l'écraser ou de l'abandonner si jamais il le
gêne.
• Celui sans défense est difficilement compréhensible,
comme étranger.

Les mots du repli sur soi.

Le vocabulaire de l'état de repli est assez pauvre et


tourne toujours autour des mêmes thèmes de déprécia-
tion, de démotivation, du besoin que « tout aille bien »,
d'utilité, de gentillesse, de sens et d'harmonie. En effet,
ce qui prime dans cet état, c'est l'activisme, la disponi-
bilité, le silence, l'immobilisme, les pleurs, la douleur
muette mais non le langage.
« Donnez-moi du sens ! » Les mots du repli, quand
ils ne sont pas ceux de l'activisme et du dévouement
existentiels, sont ceux de la tristesse, du désespoir, du
vide de l'existence : les premiers sont nécessaires pour
ne pas basculer dans les seconds.
Dans un profil efficace et positif :
— calme, tranquillité, avoir la paix, idéal, harmonie,
sens, il faut y croire, il faut bien vivre, demain ça ira, je
me débrouillerai, on ne peut pas tout savoir, pour vous
faire plaisir, ce n'est rien, excusez-moi, pardon, tout
seul...
Dans un profil inefficace et négatif :
—je n'y arriverai pas, c'est inutile, ça ne changera
rien, à quoi bon, je ne sais pas, c'est trop tard (ou trop
tôt), j'abandonne, ce n'est pas pour moi, je vous en prie,
c'est trop, je suis fatigué, épuisé, mort, vide, ne vous
gênez pas pour moi, faites comme si je n'étais pas là, je
ne sers à rien, je suis inutile, je suis nul...
Écouter une personne déprimée est une leçon de
respect.
Ils arrivent à deux dans le bureau, elle devant, lui
derrière, elle a le visage tonique, lui le visage triste
et effacé. Elle m'explique qu'il est déprimé depuis
des mois, qu'il ne fait rien, qu'il est en arrêt de tra-
vail et que les médicaments l'ont peu aidé. Alors
peut-être qu'une psychothérapie... Elle sort à ma
demande, plutôt soulagée.
— Souhaitiez-vous venir me voir ?
— Je ne sais pas.
— Pourriez-vous me parler de vous ?
— Je ne sais pas quoi dire.
— Que faites-vous de vos journées ?
— Rien, je suis chez moi.
— Voudriez-vous me parler de vous ?

Le silence s'installe. Il durera vingt minutes durant


lesquelles il regarde le plus souvent le sol, le
bureau, rarement dans ma direction. Je sens parfois
qu'il va parler, me dire deux mots pour rompre ce
silence, mais non. Je le « vois » à nouveau se retirer
dans son silence. Au bout de ce temps, je lui parle
de son silence, de son visage et de son attitude, de
ce que j'ai vu, moi, de lui. Puis je lui propose de
revenir dans quelques jours pour pouvoir, ensem-
ble, explorer ce que cela signifie. Je ne lui demande
pas de me répondre tout de suite, mais lui dis que
je serai là à mon bureau s'il venait. Je lui donne le
petit carton avec son rendez-vous. Il sort sans dire
un mot. Il ne viendra pas au rendez-vous suivant,
mais je recevrai un peu plus tard une très courte
lettre dans laquelle il me demande s'il peut prendre
un rendez-vous : « Peut-être pourrais-je parler de
mon silence. »

Lucie est gentille, trop gentille, disent ses amis :


elle ne sait pas quoi faire pour faire plaisir, a tou-
jours peur de ne pas en faire assez, anticipe les
désirs des uns et des autres, sourit beaucoup. Son
ami passe volontiers ses dimanches avec ses
copains à jouer au foot ou à s'amuser : « Parfois
même, il rentre tard et pas vraiment à jeun. Enfin,
lui, il s'éclate, il a la passion du football ; moi il
n'y a rien qui m'intéresse vraiment fort comme lui.
Il a de la chance. Je lui ai demandé de l'accompa-
gner parfois, mais je sens que je le dérange ; peut-
être pas lui, mais ses copains. Ce n'est pas grave,
je comprends. Le week-end, je m'occupe de la mai-
son, je vais voir ma famille ou mes amis ; je me
débrouille. Je voudrais avoir une passion, ou savoir
pour quoi je suis faite, pour quoi je suis sur Terre.
C'est pour ça que je m'intéresse à l'astrologie.
C'est assez compliqué mais je commence à m'y
connaître et à comprendre les influences. Ça
m'explique pourquoi je suis fragile... »

L'astrologie a donné du sens à la vie de Lucie. Pour


autant, elle aura à apprendre à donner du poids, de la réa-
lité à sa propre vie, à elle-même pour ne pas disparaître
derrière son copain ou dans les étoiles.

François à vingt-six ans. Il a le regard triste et


paraît las. Son problème est qu'il n'arrive jamais à
terminer ce qu'il entreprend : il commence quelque
chose puis s'en désintéresse et arrête. Il a ainsi une
collection de preuves qui justifie cette image de dif-
ficulté à finir ce qu'il fait. Le commentaire qui suit
tombe lourdement : « Je ne suis pas capable, c'est
tout. Et plus je vieillis, plus j'ai du mal. J'avais
même commencé à écrire, j'avais barbouillé des
pages et des pages et puis un jour quelqu'un, à
moins que ça ne soit moi, m'a dit : « Tu sais, écrire
un livre, c'est dur », alors j'ai laissé tomber. En
fait, je n'ai pas souvent, peut-être jamais, mené au
bout quelque chose que j'avais décidé de faire.
C'est nul. Tout ça me fatigue. Aujourd'hui, je
devrais préparer mon examen et je passe des heures
à regarder le plafond de ma chambre, allongé sur
mon lit. Je ne fais rien. Bonjour la culpabilité... »

C'est lui-même que François ne finit pas, comme s'il


était lui-même encore et encore à faire. Il aura à donner
du sens et de la valeur à ses propres actions, à la façon
dont chacune d'entre elles participe à sa propre réalisa-
tion.

Si vous avez encore une doute sur l'état de repli d'une


personne, faites un compliment sur ce qu'il ou elle a fait.
La réponse ne se fera pas attendre : « Je vous en prie, ce
n'est rien, n'en parlons plus. »
7.

Les murs du labyrinthe.

Le sort commun des malheureux est de ne pas


vouloir croire à ce qui leur est favorable.

Sénèque .

L ' é m o t i o n , quand elle fait mal, nous semble la cause


unique de notre souffrance. Et, en toute logique, nous
aspirons à en être d é b a r r a s s é s : finis l'angoisse, le stress,
la d é p r i m e ! Or, chasser ces s y m p t ô m e s revient à débran-
cher le s y s t è m e d'alarme bio-logique. En d'autres ter-
mes, supprimer les réactions de défense inefficaces
revient à s'enfermer dans les réactions efficaces du
devoir être. Nous avons g a g n é en confort et en surpuis-
sance mais perdu l'occasion de nourrir notre être, autre-
ment que dans la pression. Nous demeurons prisonniers
du court terme é m o t i o n n e l .
La connaissance des murs du labyrinthe du s y s t è m e
défensif va nous aider à réagir à nos propres réactions.
Le p r o b l è m e d'un s y s t è m e logique, c'est qu'il « tourne
en rond » ! Le crocodile se mord la queue. Il s'auto-
vérifie et, à terme, c'est nous qui nous enfermons dans
notre propre prison mentale et nous cognons aux murs
d'un labyrinthe intérieur. La bio-logique se retourne
contre nous ! Telle est l ' é c o l o g i e du s y s t è m e puisque
nous ne devons pas é c h a p p e r à nos besoins quel qu'en
soit le prix émotionnel.
C'est le cercle vicieux que nous allons à présent étu-
dier car son d é c o d a g e nous permettra de l u i substituer un
autre cercle, vertueux celui-là.

Sincère et malhonnête.

Nous sommes absolument sincères quand nous r é a g i s -


sons en fuite, en lutte ou en repli sur soi : c'est en toute
bonne foi que nous d é f e n d o n s notre intégrité, convaincus
sur le moment que nous n'avons aucun autre moyen de
nous exprimer ou d'agir. Nos attitudes, nos paroles et nos
pensées, fondées sur l ' é v i d e n c e de nos certitudes, sont
orientées par l'objectif défensif.
De façon automatique, notre regard sur n o u s - m ê m e s ,
sur les autres et le monde est limité par nos certitudes et
nos craintes. Nous voyons au travers d'un filtre é m o t i o n -
n e l . . . qui colore et donne une forme spécifique à notre
vision. « Aveugles psychiques », c'est en toute sincérité
que nous ne voyons que la partie filtrée par notre s y s t è m e
de défense. Nous sommes aussi « sourds psychiques »
puisque nous n'entendons qu'au travers de ce filtre.
Selon la formule c o n s a c r é e , « il n ' y a pire sourd que
celui qui ne veut pas entendre... ». Sauf qu'il ne s'agit
pas de mauvaise volonté puisque nous n'avons
conscience ni de notre surdité ni de votre aveuglement.
Biologiquement sincères dans nos é m o t i o n s , nous
autojustifions nos réactions. Nous n'en sommes pas
moins m a l h o n n ê t e s envers n o u s - m ê m e s .
Au quotidien, nos filtres changent notre perception.
A i n s i l'enfant qui de retour de l ' é c o l e , tout à sa joie de
faire la surprise à ses parents de sa bonne note en classe,
rentre et ne dit pas bonjour : le p è r e , d'humeur en fuite,
peut ne s'apercevoir de rien et se précipiter sur son fils
pour le bombarder de questions ; la m è r e , d'humeur en
lutte, peut se sentir rejetée et accuser son fils d ' ê t r e é g o -
ïste, quant à la grande sœur, en humeur de repli, elle peut
essayer de d é t e n d r e l'ambiance en étant deux fois plus
gentille. Y aura-t-il quelqu'un pour é c o u t e r la joie du
garçon ?
La sincérité du comportement réactionnel est liée à cet
automatisme bio-logique. Le traitement de notre intégrité
est un palliatif d'urgence.
Pour autant, le s y s t è m e défensif fait de nous des mal-
honnêtes ! Sincères dans la justification de nos
besoins, mais malhonnêtes dans nos attitudes. Sous le
« coup » de l ' é m o t i o n , nous voilà capables de nier l ' é v i -
dence, ou d'agresser l'autre, capables de l u i certifier
m ê m e que c'est pour qu'il comprenne... Cette malhon-
nêteté vis-à-vis de n o u s - m ê m e s d'abord et donc de notre
entourage, rend compte d'un m é c a n i s m e r é v é l a t e u r du
système défensif : l'autojustification.
Je me souviens de mon effarement et de ma colère,
alors que, m é d e c i n généraliste de garde, j'étais venue à
domicile soigner une femme : ayant r e m a r q u é de gros
h é m a t o m e s sur son corps, je l u i avais d e m a n d é si son
mari la battait. Toute rougissante, elle m'avait a v o u é que
oui. J'étais alors allée voir le mari qui regardait la télé-
vision dans le salon, et l u i avais fait part de mon i n d i -
gnation. « C'est pour qu'elle comprenne qu'elle doit
m ' ê t r e f i d è l e . . . la fidélité, docteur, c'est important, m o i
ça fait vingt ans que je suis fidèle à mon patron et ça l u i
plaît, ma femme, il faut qu'elle apprenne ! — V o u s est-
elle infidèle ? — N o n , parce que de temps en temps, je
l u i donne des petits coups... » Sincère et m a l h o n n ê t e
n'est pas une vaine formule.

Égocentrique et attentif aux autres .

À force de penser au travers du regard de l'autre,


on en devient... égocentrique ! Cette sincérité émotion-
nelle rend compte d'un autre paradoxe apparent : la
coexistence, et m ê m e la confusion, au c œ u r de l'émotion
entre « m o i » et l ' « autre ». E l l e rend compte de l'asso-
ciation de comportements égocentriques j u s t i - f i é s par
l'attitude de l'autre ou des comportements altruistes,
masquant la défense de ses intérêts propres. En effet, le
système défensif nous « oblige » à veiller sur nos
besoins. Nous sommes donc obligatoirement égoïstes
pour nous défendre. Dans le m ê m e temps, c'est parasités
par la sensation du devoir envers l'autre que nous réa-
gissons par l ' é m o t i o n . Nous devenons donc égoïstes par
e x c è s d'attention à l'autre... Parce qu'il occupe trop nos
p e n s é e s , nous revenons en force vers n o u s - m ê m e s .
L'autre, dans l ' é v i d e n c e de ce que nous l u i devons ou de
ce qu'il nous doit, s'est comme l o g é en nous, telle une
é p i n e , et nous fait réagir en grossissant nos comporte-
ments. En fuite pour nous libérer de l u i , en lutte pour
avoir raison de l u i , en repli sur soi pour passer inaperçu
de l u i . L'autre n'a parfois pas m ê m e besoin d ' ê t r e là et
de parler. Il nous suffit de « savoir à l'avance » pour réa-
gir. .. sauf que ce savoir-là est fondé sur nos peurs, sur
nos é v i d e n c e s , a n c r é e s dans nos propres manques
d'être !
Dans l ' é m o t i o n défensive, égocentrisme et attention à
l'autre ne sont pas que les deux faces d'une m ê m e p i è c e .
On est narcissique parce que o b s é d é par le regard de
l'autre.

C'est donc le plus sincèrement du monde que ce


mari, en face de moi, crie et menace sa femme au
nom de : « Un couple, ça doit s'aimer ! » tandis que
celle-ci se replie dans une absence de communica-
tion au nom de : « Il faut que je retrouve mon
calme. » L'un et l'autre ont raison et tort à la fois.
Sincères dans leur désir, malhonnêtes dans leurs
comportements. Lui ne pense qu'à elle et à ce
qu'elle ne lui donne pas. Elle pense à elle-même et
à se protéger de sa violence à lui. Elle est écrasée
par son altruisme « amoureux ». Lui est humilié par
son égoïsme « zen ». Au nom d'une certitude incon-
tournable car reliée au besoin existentiel. Ils le
disent avec leurs émotions pour être sûrs de
s'entendre eux-mêmes bien plus que d'être enten-
dus. Et comment aller contre un si beau pro-
gramme ! On ne peut qu'être raisonnablement
d'accord avec ces intentions d'amour et d'harmo-
nie. Mais un crocodile, ce n'est pas raisonnable.

Innocent et coupable.

Seule la bio-logique est capable de réaliser cet autre


paradoxe : innocent et coupable dans une m ê m e réaction !
L'innocence, fondée sur notre sincérité et le souci de
l'autre, nous incite à nous autojustifier. La culpabilité,
fondée sur notre m a l h o n n ê t e t é et notre é g o ï s m e , nous
effraie et nous condamne.
En fait, l'autojustification est l'antidote de la culpabi-
lité. C e l l e - c i est le gouffre qui nous guette quand l'autre
n ' a d h è r e pas à nos justifications. Toutes deux sont
comme les deux faces d'une m ê m e pièce, indissociables
l'une de l'autre.
É v i d e n t e pour ce qui est de nos arguments, peu
convaincante quand il s'agit de ceux des autres, l'auto-
justification n'a d'autre objectif que confirmer à nos pro-
pres yeux le bien-fondé de nos réactions de défense.
Prêts à tout, y compris à être sincèrement m a l h o n n ê t e s
pour garantir notre intégrité d ' ê t r e , nous d é p l o y o n s alors
des trésors d'argumentation et d ' é n e r g i e .
La culpabilité est l'autre face de l'autojustifica-
tion. I l s'ensuit un d é c a l a g e entre l'intention et la r é a c -
tion, qui rend c o m p r é h e n s i b l e que l'enfer soit « p a v é
de bonnes intentions ». Car, quelles que soient la v i o -
lence ou l'injustice de nos attitudes et de nos mots,
l'intention contenue est et demeure le souci de notre
intégrité ! Les parents r é s u m e n t ce d é c a l a g e par ces
mots a d r e s s é s à leurs enfants : « c'est pour ton bien »,
quand c'est, é m o t i o n n e l l e m e n t , pour le leur. En clair,
pour soulager la douleur de leur manque d ' ê t r e .
Seule la bio-logique peut rendre compte de cet apparent
paradoxe : sincère à nos yeux, malhonnête aux yeux des
autres, e m p ê t r é e dans une autojustification qui ne
convainc que soi, — et encore, pas toujours —, notre inten-
tion intime demeure celle d'exister m a l g r é nos peurs et nos
manques dans le respect de nos besoins fondamentaux.
Quant à la culpabilité face à nos attitudes les plus vio-
lentes ou face à l'autre envers qui nous nous sentons des
devoirs, elle ne peut nous venir en aide pour modifier nos
comportements. E l l e n'est, en effet, pas « faite » pour cela.
Nous nous sentons coupables, d'abord... de ne pas avoir
atteint l'objectif défensif ! Autrement dit, de ne pas être
arrivés à nos fins émotionnelles : éviter, avoir raison ou
passer inaperçus. La culpabilité a trait non au caractère
m a l h o n n ê t e de nos comportements mais à leur inefficacité
en matière stratégique. Elle sert à stimuler, à améliorer nos
réponses dans l'avenir, c'est-à-dire à mieux défendre nos
besoins fondamentaux. Nous ne sommes pas tant coupa-
bles aux yeux de notre entourage qu'aux nôtres. Le sys-
t è m e bio-logique n ' a que faire du regard des autres. Seule
le concerne notre façon de nous nourrir. A i n s i , cette désa-
gréable sensation est-elle une pression supplémentaire
exercée sur soi pour réagir davantage.
S'autojustifier parce que sincère et altruiste, se culpabi-
liser parce que m a l h o n n ê t e et égoïste consolident les murs
de notre prison mentale. Ils alourdissent encore les straté-
gies défensives et les rigidifient. Symptomatiques de notre
état réactionnel, d'une mise en alerte bio-logique sur notre
propre autolimitation, ils nous questionnent sur nous-
m ê m e s . .. à condition de nous laisser questionner.

Les fantasmes du Tout ou Rien.

Autres murs du labyrinthe, les tentations de raisonner


en tout ou rien, en bien-être absolu ou en mal-être mor-
tifère, en plein ou en v i d e . . . En d'autres termes, le fan-
tasme d'une nourriture définitivement acquise, d'un
Tout, d'un Plein qui annulerait tout risque de manque et
tout sentiment d'impuissance, et donc toute souffrance.
A l ' o p p o s é , le fantasme d'une nourriture d é s e s p é r é m e n t
absente et impossible à acquérir, d'un Rien, d'un V i d e
qui annulerait toute recherche, tout risque d'un nouvel
échec. Fantasmes qui i m p r è g n e n t l ' é m o t i o n et le système
défensif plutôt que de nourrir nos besoins fondamentaux.
Au quotidien, nous oscillons entre ces deux écueils,
rebondissons d'un mur à l'autre, entre idéalisation et
d é s e s p é r a n c e . Ces solutions en t r o m p e - œ i l sont nos
r é p o n s e s défensives au « p r o b l è m e » que nous pose
l ' é v é n e m e n t révélateur de notre manque. Ces r é p o n s e s
d o n n é e s dans l'urgence de la nécessité vitale de se défen-
dre participent au cercle vicieux : l'une renvoie à l'autre
qui renvoie à l'une, etc. A i n s i s'entretient l'absence de
nourriture adéquate.

La solution du plein ou la surenchère de soi.

L'objectif automatique et non conscient est i c i de se


remplir ou d ' ê t r e rempli de nourriture sécuritaire, iden-
titaire ou réalisatrice. Se remplir à tout prix, de s o i - m ê m e
et/ou de l'autre. Être enfin rassasié pour combler les
failles. Faire le plein pour être débarrassé du manque et
faire disparaître la peur du manque. Ce désir d'absolu est
un fantasme d'un Tout qui apaiserait définitivement la
sensation du manque en venant alimenter c o m p l è t e m e n t
le besoin. Donc en l'annulant. Dans cette obligation du
plein n'existe pas de place pour le vide : être pris en fla-
grant délit de manquer, — à soi, à l'autre comme à l ' é v é -
nement, — g é n è r e de la culpabilité.
Le fantasme du Tout, c'est se vouloir à l'origine de
soi pour annuler son manque d'être. La motivation
é m o t i o n n e l l e se trouve alors dans le désir de réduire le
manque comme dans celui d ' ê t r e à l'origine m ê m e de
soi, définitivement m a î t r e . Nous recherchons un état sans
peur, sans tension, sans fatigue. A l o r s , nous vivons dans
une boulimie de sécurité, d'identité et de réalité qui auto-
justifie le gavage et la recherche frénétique de ce qui
nourrit absolument.
Nous exigeons de nous, — et des autres, — la perfec-
tion, le sans-faute, l'absence d'erreur. Le sens du devoir
est p o u s s é aux extrêmes : on ne fait que parce qu'on DOIT
faire. On cherche des moyens absolus et définitifs pour
garantir ses besoins. On rêve de surpuissance dans la
hantise d ' ê t r e impuissant. Il faut faire le plein de soi, de
l'autre, de nourriture, de m é d a i l l e s , de d i p l ô m e s , de
voyages, de livres, de v ê t e m e n t s , d'argent.

Le fantasme du Plein, c'est celui de l'efficacité


totale des stratégies défensives : on les veut infaillibles
et non simplement efficaces.

On exige de soi et des autres toujours plus pour


combler le vide qui fait horreur. M a i s c'est sans par-
venir n é a n m o i n s à rassasier le besoin, si ce n'est de façon
temporaire, à court terme, comme un bon repas, jusqu'à
ce que la digestion se fasse, laissant à nouveau place au
vide intolérable. Demeure le manque initial d ' ê t r e , celui
que nous voudrions enfouir au plus profond de nous-
m ê m e s , t é m o i n de notre autolimitation, de notre résis-
tance à nous respecter n o u s - m ê m e s .
Ce fantasme d'absolu trouve une traduction différente
selon la nature du besoin et de la réaction de défense qui
l u i est liée, mais aussi selon que nous appliquons cette
exigence d'absolu sur n o u s - m ê m e s ou sur l'autre. Autre-
ment dit, selon que nous exigeons de nous nourrir nous-
m ê m e s, — y compris de l'autre ! — ou bien d ' ê t r e nourris
par l'autre. Quel que soit le point de départ motivant la
réaction, au bout de la logique é m o t i o n n e l l e , il y a tou-
jours l'objectif de son propre remplissage !
• Le plein de sécurité : recherche d'une liberté totale
comme d'une r é a s s u r a n c e absolue, ou d'une pleine
confiance ! On y parle sans contrainte de « zéro ris-
que » et de liberté r e v e n d i q u é e comme un droit et sans
contrepartie. Il s'agit de ne laisser aucune place à la peur,
celle d ' ê t r e b l o q u é et étouffé, ou celle d ' ê t r e sans abri,
sans repère, perdu. A l o r s , la p e n s é e et les comportements
s'organisent pour rendre l'objectif de la fuite pleinement
efficace. Tout est bon pour rassasier le besoin de sécu-
rité : rencontres, argent, maison, enfants, conjoint, tra-
v a i l , aliments, boissons, drogues et a l c o o l . . .
• Le plein d'identité : recherche o b s é d a n t e d'un nom,
d'un titre, d'une fonction, d'une place, qui aient le pou-
voir, enfin, de nous identifier, de nous différencier, une
fois pour toutes, sans avoir, encore, à (se) prouver qui
nous sommes. On parle m ê m e de « pleins » pouvoirs.
Tout ce qui pourrait atténuer l ' i d e n t i t é et l u i porter
atteinte, qui pourrait la mettre en question, est bafoué,
nié, voire tué. Inécoutable, non évocable. Le besoin
absolu d ' ê t r e quelqu'un de reconnu et d ' a i m é se nourrit
de tout signe identifiant dans le regard des autres, et
rejette, v i s c é r a l e m e n t , ce qui dé-signifie. Toute action,
m ê m e la plus banale, est alors c e n s é e exprimer toute
notre identité : le moindre geste de refus de la part de
l'entourage est vécu comme un affront ou un rejet.
• Le plein de réalité d'être : se réaliser ou être réalisé
pleinement, dans un projet personnel qui soit le sien pro-
pre, celui de sa voie, afin de devenir totalement
conscient... sans faille, sans infidélité à l ' é g a r d de l ' ê t r e
que nous sommes et qui ne doit pas s'arrêter avant
d'avoir rempli sa mission ! Le plein de réalité de soi est
le cadre du fanatisme ou de l'activisme. Il devient i m p é -
ratif de faire quelque chose de soi. Impossible de rester
en place, sans « rien » faire, sans « se » faire, sans se ren-
dre utile. Tout plutôt que de ressentir ce vide d'existence
qui nous donnerait à croire que nous ne sommes rien.
Cette solution de l'Absolu, c'est remplir un puits
sans fond. C'est la tentation de se vouloir nécessaire-
ment à l'origine de soi, de ses décisions, de ses pensées,
de ses choix. C'est être sa propre règle et ne laisser
aucune place ni aux autres, ni à l ' a u - d e l à , ni à l'en deçà,
ni au non-connaissable, ni aux lois biologiques. Dans une
pression constante sur n o u s - m ê m e s et sur les autres, nous
exigeons de nous la perfection qui, seule à nos yeux, peut
nous rassasier, et, si possible, définitivement. L ' i d é e
m ê m e de « faire le vide », ou de « faire de la place » est
incongrue, voire dangereuse : ce serait abandonner la
proie pour l'ombre ! E l l e conduit à en faire toujours un
peu plus, au cas où. Ces vies trop pleines, surnourries ou
s u r o x y g é n é e s , ne nous rendent pas plus heureux car nous
sommes fermés sur nos certitudes : en niant le manque,
nous fermons la porte à l'autre, à l'inconnu, à tout é v é -
nement qui ne rassasie pas dans l'urgence le besoin. Et
nous apparaissons aux autres orgueilleux, r e n f e r m é s ,
voire b l i n d é s , inaccessibles car « trop » sûrs de nous,
trop pleins de nous.
Quelle nourriture peut ainsi remplir la tentation de
l'absolu ? Un sacrifice ! Seul un sacrifice de sa vie ou le
sacrifice de la vie de l'autre ou de son entourage peuvent
combler, — à court terme, — le manque. Et apaiser tem-
porairement la peur. Se défendre aboutit alors au sacri-
fice de soi !
La motivation se trouve ainsi engloutie dans un puits
sans fond qui nous fait donner toujours plus de nous-
m ê m e s ou prendre toujours plus de l'autre. Un manque
toujours à combler. U n e nourriture qui n'apaise jamais
vraiment la faim.
Se nourrir s o i - m ê m e ou être nourri par l'autre ? B i o -
logiquement, le m é c a n i s m e est le m ê m e , seul le moyen
change : à une exigence d'absolu dont nous serions les
seuls pourvoyeurs correspond une attente toute aussi
existentielle d ' ê t r e c o m b l é s en retour. Cette attente, nous
la r é d u i s o n s dans notre vocabulaire fourre-tout en une
expression : « être a i m é », c e n s é e contenir sécurité, iden-
tité et réalité d ' ê t r e . Automatiquement, nous mettons en
place un processus donnant-donnant, dont l'objectif est
encore de réduire, d'annuler la sensation de manque. Ce
sacrifice de soi e n t r a î n e logiquement une attente en
retour, celle d ' ê t r e rassurés, aimés, considérés. Il fait de
nous des « q u é m a n d e u r s » qui ne peuvent supporter le
non-retour : celui-ci réactive en effet la frustration que
nous avons pourtant t e n t é de refouler. Car, combler
l'autre, c'est encore se combler s o i - m ê m e ! L'autre,
alors, cet être a i m é , parent, conjoint, enfant ou ami, peut
se voir sacrifié, m a n g é par nous pour combler notre pro-
pre manque !
La solution du P l e i n se r e p è r e dans nos mots et dans
nos comportements en ce q u ' i l s contiennent une inten-
tion de remplissage, de définitif, de plénitude, qui, à eux
seuls, justifient la pression, voire l'oppression, e x e r c é e
sur soi comme sur les autres.

Quelques exemples d'expressions.


Toujours, tout, parfait, exigence, absolu, total,
entier... et les superlatifs.
S o u c i d'atteindre la perfection sans faille, — ce qui
permettrait d ' é v i t e r le reproche, et la culpabilité de ne
pas avoir fait bien.
S'accuser de tous les torts : c'est ma faute, c ' é t a i t à
m o i de...
Porter le poids du monde sur ses épaules, le meilleur
moyen d'avoir mal au dos...
Orgueil : c'est m o i qui.
S'en vouloir (à interpréter comme se vouloir soi).
A v o i r des idées sur tout, avoir son mot à dire pour ne
pas être pris en défaut. De m ê m e , devoir tout savoir, tout
c o n n a î t r e : m ê m e si nous nous raisonnons, conscients de
l'impossibilité matérielle de telles-connaissances, nous
pouvons persister à nous en vouloir de manquer de
m é m o i r e , de lecture ou d ' e x p é r i e n c e s . . .
Exiger beaucoup des autres parce q u ' o n exige beau-
coup de soi, l ' u n justifiant l'autre.
S'assurer, se rassurer, en vérifiant dix ou cent fois un
geste que nous avons eu.
Remplir ses j o u r n é e s , et particulièrement ses « temps
morts », week-ends ou temps de loisir.
Accumuler des notes, des dossiers, des livres, des
revues, des réserves d'aliments...
Nous avons beau nous dire imparfaits, nous ne faisons
pas le deuil de notre exigence de perfection. Tant que le
manque est source de peur et non de motivation
consciente, nous sommes inconsolables et laissons nos
réactions de défense prendre alors la place de notre
conscience dans une recherche hyperactive et é p u i s a n t e .

Le « tout gentil » :
Julien est considéré comme un gentil garçon. À
vingt-cinq ans, cette gentillesse lui est naturelle : il
comprend les difficultés de ses amis, de ses collè-
gues, de sa compagne et fait tout ce qui lui est pos-
sible pour les soulager et leur faire plaisir.
Disponible quand sa mère, seule, lui fait entendre
qu'elle ne l'a pas vu depuis (trop) longtemps. Dis-
cret quand son amie lui annonce son propre emploi
du temps au dernier moment. Présent quand son
père, souvent trop occupé pour le voir, doit subir
des examens médicaux. Acceptant heures supplé-
mentaires sur heures supplémentaires dans son tra-
vail, en attente peut-être un jour d'une
augmentation... Julien accumule les petits troubles
psychosomatiques avec surtout des problèmes de
peau. Quand il arrive en entretien, il ne comprend
pas qu'avec tout ce qu'il fait ses parents, son amie
ne le considèrent pas et continuent à faire comme
s'il ne comptait pas... S'ensuit une longue série
d'anecdotes pour justifier leur aveuglement à eux,
mais surtout pour faire entendre son doute et sa cul-
pabilité : qu'est-ce qu'il devrait faire de plus pour
que les autres le comprennent ? Dans sa logique du
« tout gentil », Julien n'imagine pas d'autre solu-
tion que de nourrir encore plus son entourage de
sa gentillesse pour obtenir en retour une considé-
ration. .. qu'il ne se donne pas à lui-même. Il n'ima-
gine pas manquer à leurs attentes, coupable à
l'avance d'une telle éventualité. L'inefficacité de la
stratégie automatique ne l'amène pas à poser le
problème autrement que comme « plus de la même
chose », et il s'étouffe dans cet « absolument gen-
til » censé ne pas gêner l'autre.

Le « tout pouvoir » :

Françoise travaille dans une grande entreprise.


Son esprit de détermination l'a fait rapidement
remarquer par sa hiérarchie : elle connaît parfai-
tement ses clients et la matière de son travail, se
dépense sans compter, et a soin de maîtriser toute
la chaîne des décisions dès lors qu'elle se sent
concernée. Mal à l'aise dès qu'il est question de
diplômes, le sien étant plus modeste que d'autres à
un même niveau de compétences, elle en éprouve
de la rancœur et craint de ne pas être à la hauteur.
Sa hantise est qu'un dossier lui échappe, qu'il soit
confié à un autre. Elle comprend mal que son entou-
rage professionnel la considère comme carriériste.
« On me reproche même d'abuser de mon pou-
voir. » A ses yeux, elle se contente d'exiger d'elle-
même le maximum, décontenancée et humiliée
quand les autres se méfient d'elle ou, pis, cherchent
à l'éviter ou à la rejeter ! Elle a la certitude qu'ils
lui en veulent. Pourtant, elle reconnaît ne pas sup-
porter qu'une décision lui échappe : alors qu'elle
a déjà beaucoup de pouvoir au sein de l'entreprise,
c'est comme s'il lui en fallait « toujours plus ».

La solution du vide ou le sacrifice de soi.

Quand la solution du plein a été e m p ê c h é e , à l'autre


e x t r ê m e é m o t i o n n e l se situe la solution du m a l - ê t r e . Ici,
le manque est trop bien a c c e p t é : subi, fatal, justifié, il
ne d é c l e n c h e plus la motivation de nourrir le besoin.
U n e logique i n é v i t a b l e s'installe : puisque je manque
d'aliment, de sécurité, d ' i d e n t i t é ou de réalité, il est nor-
m a l que j'aie faim ou peur, il est normal que j'aille mal,
il est normal que je ne sache pas penser, ni parler, ni
agir dans le sens de mes besoins... il est normal que je
me plaigne ou me d é s e s p è r e , ou bien que je compte sur
mon entourage pour me nourrir, me s é c u r i s e r . . . « C'est
comme ça », « on ne peut pas changer » t é m o i g n e n t de
cette logique subie plus que r a i s o n n é e , et qui devient le
leitmotiv de la d é m o t i v a t i o n .

Ici, le recours à la fatalité n'est pas le corollaire de


la peur du manque d ' ê t r e mais de la peur de n'être pas
capable de se d é f e n d r e efficacement.

N'être rien, c'est refuser d'être à l'origine de soi


pour ne pas endosser son manque d'être. Un fan-
tasme de mort à soi-même. N é a n m o i n s , la puissance
vitale des besoins fondamentaux qui poussent chacun à
les satisfaire demeure : dans cette solution, ce sont le
mal-être, la souffrance, le manque l u i - m ê m e qui tien-
dront lieu de nourriture. A i n s i s'autoentretiennent des
p e n s é e s , des comportements et des mots i m p r é g n é s de
l'absence et du vide de soi, et de tout ce qui y renvoie.
« Je vais mal, je souffre... donc je vis. » Telle pourrait
être notre devise. E l l e procure une sensation de remplis-
sage à court terme, m ê m e si elle est source de douleur et
entretient le manque d ' ê t r e . Cette sensation de « con-
fort » temporaire est identique à celle é p r o u v é e suite à
une mauvaise nourriture qui satisfait le besoin de manger
et fournit la sensation d ' ê t r e rassasié, m ê m e mal : éprou-
ver ce vide, au moins, c'est se sentir vivant !
C'est dans cette bio-logique que nous pouvons mieux
comprendre combien il est difficile d'aider quelqu'un
habité d'une é m o t i o n n é g a t i v e par le seul raisonnement
du bon sens : il y a un réel « bénéfice » à demeurer
malade, dépressif ou sans valeur et coupable, celui de se
sentir exister plus A V E C le mal-être que sans. C e l u i - c i
nourrit mal et dans l'urgence les besoins profonds. Le
lâcher, c'est n é a n m o i n s risquer de perdre l'ombre de la
proie pour rien ! Plus l'entourage s ' é n e r v e et fait pres-
sion pour que le malade se mobilise, plus celui-ci y
trouve une justification de ses craintes : « Si l ' o n
s ' é n e r v e sur moi, qu'on ne m'aime pas, c'est donc que
je suis incapable... »
On se soumet au manque d'être pour être rempli
par lui. V i d e de soi, mais plein de sa propre douleur et
accroché à elle comme à une b o u é e .
V i d e de soi, mais plein de l'opinion, des attentes, des
désirs, des nourritures des autres, d'un entourage auquel
nous nous accrochons dans une d é p e n d a n c e de survie
é p u i s a n t e et toujours frustrante à long terme.
Ce fantasme du vide crée, tant pour celui qui l ' é p r o u v e
que pour ses proches, un gouffre dans lequel les meilleu-
res volontés et les raisonnements les plus c h e v r o n n é s se
perdent. Engloutis par ce qui peut paraître une mauvaise
v o l o n t é mais qui n'est que la c o n s é q u e n c e d'un non-
apprentissage à être à l'origine de soi. Car, quand la solu-
tion du plein exige d ' ê t r e totalement à l'origine de soi,
celle du vide ignore pouvoir l'être. L ' i d é e m ê m e d ' ê t r e
à l'origine de ses actions ou de ses pensées est difficile
à concevoir. Nos motivations alors n'existent qu'au tra-
vers des autres, des é v é n e m e n t s , de la chance ou de la
malchance, mais surtout pas de soi.
Les mots qui nous é v a c u e n t de n o u s - m ê m e s sont le
plus souvent ceux de la soumission et de la fatalité. « Je
ne peux pas faire autrement. » Le « je » disparaît dans
une chaîne de causalité extérieure à nous. Quand il réap-
paraît, c'est pour justifier notre manque et notre impuis-
sance. Nous voilà « réduits » à des attitudes inefficaces
qui deviennent e l l e s - m ê m e s nourriture.
Si le manque d ' ê t r e tend à être nié et refoulé dans la
solution du plein, il est i c i surévalué et considéré comme
faisant partie de s o i . . . nous sommes remplis de notre
manque !
Le vide de sécurité : la peur, jusqu'à l'angoisse ou les
crises de panique, y est présente, palpable, v é c u e dans
son corps et son esprit. B é a n c e de l ' ê t r e face au monde
matériel, il incite l'entourage à rassurer la personne, sauf
que « si l'autre me rassure, c'est q u ' i l y a vraiment de
quoi avoir peur ». Que l'entourage cesse de rassurer,
alors, « il va forcément m'arriver un drame et je n'ai per-
sonne pour prendre soin de m o i » ! Nous justifions nos
é v i t e m e n t s au nom de nos peurs, quitte à nous culpabi-
liser et à en faire supporter les c o n s é q u e n c e s à notre
entourage. « J ' a i trop peur », « je n ' a i pas confiance en
moi » résonnent comme une é v i d e n c e et autorisent les
comportements de fuite inefficaces. Et parler de son i n s é -
curité et de son manque de liberté, c'est un peu tromper
son besoin de sécurité, comme on trompe sa faim.
Vide d'identité : la tension, le stress sont douloureux
et n'incitent plus à la motivation. La conscience de pou-
voir, le champ du possible sont occultés. A l o r s l'entou-
rage se mobilise pour apporter cette identité. « C'est
l'autre qui me dit qui je suis : je suis donc d é p e n d a n t de
l u i , je dois être comme l'autre me demande d ' ê t r e ! » La
tentation, c'est de se définir par la reconnaissance de
l'autre, jusqu'à l'épuiser, et ainsi justifier le vide d'iden-
tité. C'est aussi se référer à un groupe, à une tribu, à une
bande, à une mode identifiante mais qui ne font plus de
différence entre les individus. C'est s'installer dans la
jalousie, où le regard sur l'autre tend à pallier l'absence
de regard sur soi, jusqu'à la haine.
Vide de réalité : le vide de la sensation m ê m e d'exis-
ter, d ' ê t r e « quelque chose », de n ' ê t r e pas rien, est à
l'origine de la d é p r e s s i o n et de cette fatigue si particu-
lière qu'on nomme p s y c h a s t h é n i e . Absence à soi qui
incite l'entourage à prendre en charge celle ou celui qui
subissent la solution du vide, ce qui ôte encore plus de
sens à sa vie. La d é p e n d a n c e vis-à-vis de ceux qui l u i
donnent la sensation d'exister atténue à court terme la
sensation de vide et de solitude. E l l e s'installe, jusqu'à
devenir un mode d ' ê t r e , au prix du sacrifice de soi, dans
une culpabilité m ê l é e de remerciements. Parfois, seules
demeurent la douleur du manque et la tentation d'en finir
avec une vie vide de sens. La maladie est un i n t e r m é -
diaire.

La solution du vide est r e p é r a b l e dans le contenu n é g a -


tif des mots, des p e n s é e s ou des comportements, expri-
mant un sentiment d'impuissance ou de doute fatal. Ce
qui i m p r è g n e la motivation réactionnelle, c'est le carac-
tère incurable du manque.
Quelques exemples d'expressions et d'attitudes:
Jamais, rien, impossible, nul, pas envie, mal, vide,
c'est comme ça, on n ' y peut rien, je m'ennuie (j'ennuie
moi), je ne peux faire autrement, je n ' a i pas confiance en
m o i , je n ' y peux rien, je manque de confiance,
d'amour...
Justifier ses comportements par son manque et l u i -
m ê m e par les comportements de ses parents... et ainsi
de suite, dans un e n c h a î n e m e n t inéluctable. Le manque,
— de confiance, d'amour, de sens, — corrobore le man-
que de motivation.
C o n s i d é r e r l'autre ou l ' é v é n e m e n t sans implication
personnelle, sans c o n s i d é r e r l'effet qu'il nous font. C'est
en étrangers que nous parlons des autres ou de nous-
mêmes.
C o n s i d é r e r son propre soulagement comme secon-
daire par rapport aux changements des autres : « Q u ' i l s
changent et je serai bien. » Le miracle ou la magie peu-
vent être des alternatives.
La prise de m é d i c a m e n t s de confort qui soulagent de
la douleur é m o t i o n n e l l e sera vite c o n s i d é r é e comme la
« seule » solution, d ' o ù la d é p e n d a n c e . Les r e m è d e s
deviennent des nourritures d'autant que les c o m p r i m é s ,
ampoules, granules se prennent par la bouche...
Inhibés, paralysés par l ' é v i d e n c e de l'impuissance et
de l'inefficacité de nos stratégies défensives, nous voici
passifs, v i d é s de n o u s - m ê m e s . . . hors le manque.

Julie a quatorze ans. Elle est au collège, en qua-


trième. La première fois qu'elle est venue me voir,
elle était avec sa mère, inquiète de sa démotivation
et de la précarité de ses résultats scolaires, en déca-
lage avec sa réputation d'élève intelligente. Julie
s'écroule dans le fauteuil plus qu'elle ne s'assoit et
se tait : c'est ce qu'elle sait le mieux faire, se taire,
ne pas savoir, ne pas pouvoir répondre aux ques-
tions de sa mère, et aux miennes. Celle-ci parle
donc pour elle, en son nom. Julie donne l'impres-
sion qu'il faut lui sortir les mots de la bouche, elle
semble ne rien ressentir. Comme étrangère à ce qui
lui arrive. Quand elle parle, c'est pour dire qu'elle
ne voit pas ce qu'elle peut faire. Oui, elle comprend
que son comportement ne va pas, qu'elle peut faire
mieux scolairement, qu'elle a un problème depuis
un an... enfin, tout ça, c'est le discours de maman
et des professeurs. Elle ? Elle ne sait pas.

Roland est un anxieux. Il le dit, le redit et l'illustre


tout au long des entretiens : « J'ai peur, peur de
tout, de rester seul chez moi quand ma femme doit
partir dans sa famille, quand je prends la voiture,
quand nous avons des invités à dîner, quand je par-
ticipe à une réunion de travail... » Du plus loin
qu'il se souvienne, il en a toujours été ainsi. Petit
déjà, sa mère lui faisait avaler des gouttes pour le
calmer. Aujourd'hui, il ne part jamais de chez lui
sans des comprimés, au cas où. Sa femme et ses
enfants le connaissent, et il les voit lui éviter toute
inquiétude. Il leur pèse, c'est sûr, mais il ne peut
rien y faire. Du reste, il a tout essayé, la relaxation,
le yoga, des stages pour lutter contre l'anxiété... ça
marche un peu, le temps de la pratique, et puis rien.
On ne change pas comme ça !

Dans cette solution du vide, le manque d ' ê t r e ne mobi-


lise plus l ' i n d i v i d u vers une recherche de sécurité,
d'identité ou de réalité pour et par l u i - m ê m e . Il annule
la perception du besoin et donc du désir qui lui est lié.
Seules la souffrance ou les c o n s é q u e n c e s du vide peu-
vent devenir des moteurs de changement.
L e s solutions f a n t a s m é e s d ' u n besoin r e f o u l é par
s a t i é t é ou par d é n i de soi sont comme des é c u e i l s qui
nous font rebondir de Charybde en S c y l l a sans pour
autant nous l i b é r e r . Synonymes de survie et non de
vie.

Nos défenses sont un leurre.

Un leurre est un a p p â t destiné à attirer un animal. En


cela, le s y s t è m e défensif est un leurre indispensable à la
vie car source d'activation. C'est aussi une tromperie
quant à la nature de la nourriture. En cela aussi, le sys-
t è m e est un leurre. Que les moyens stratégiques soient
efficaces ou inefficaces pour garantir l'objectif défensif,
qu'ils fassent pression sur soi ou sur les autres, ils sont
et demeurent un s u c c é d a n é : ils n'existent que pour un
court terme palliatif, non pour faire de nous des acteurs
conscients de notre vie.
Ces leurres stratégiques, — et n é a n m o i n s bio-logique-
ment utiles dans l'urgence, — procurent un v é c u très dif-
férent, tant au plan physique que cognitif et
comportemental.

Stratégies de défense, Stratégies de défense.


Efficaces, Inefficaces.
« Positives », « Négatives ».
Confortables, Inconfortables.
Très organisées, Plutôt chaotiques.
Réactives, Inhibées.
Surpuissantes, Impuissantes.
Existentielles, Phobiques.
Valorisantes, Culpabilisantes.
Satisfaisantes, Insatisfaisantes.
Soulageantes, Frustrantes.
Sans plaisir, Douloureuses.
D é p e n d a n t e s des moyens, Dépendantes
des interdits.
Autojustifiées par les Autojustifiées par les
résultats, manques.
Stress stimulant, Stress épuisant.
Dominante s, Soumises.
Condamnées à réussir, Condamnées
à échouer.
A t t a c h é e s à une certaine Détachées
de toute image
image de soi, de soi.
JE DOIS ! JE DEVRAIS, M A I S . . .
IL F A U T ! IL FAUDRAIT, M A I S . . .
CE QUI DOIT ÊTRE ! CE QUI DEVRAIT ÊTRE !

Ces réactions en écho se renforcent les unes les


autres. O n l'aura compris, les réactions efficaces sont
plus confortables que les inefficaces car, dans l'urgence,
elles défendent mieux les besoins. Le revers de la
m é d a i l l e est que nous y sommes existentiellement plus
attachés. Il nous est donc plus difficile de les « lâcher ».
Et ce d'autant plus qu'elles cachent des réactions ineffi-
caces et douloureuses que nous voulons éviter à tout prix.
Les réactions inefficaces sont les plus douloureuses car
elles défendent mal nos besoins. Le « bon côté » est que
nous y sommes moins attachés et accueillons alors plus
facilement le changement.
Pour autant, nos réactions oscillent entre ces deux
e x t r ê m e s : du rien au tout, du tout au rien, nous sommes
les otages de la bio-logique é m o t i o n n e l l e tant que nous
ne devenons pas conscients du caractère labyrinthique du
s y s t è m e et de nos propres stratégies. Nous allons des
unes aux autres, sans r é e l l e m e n t nous considérer, ni
m ê m e nous voir, aspirés dans un cercle vicieux.
Quelle que soit la stratégie, il n'y a aucune liberté
à en attendre. Efficaces ou inefficaces à garantir notre
intégrité, nos réactions sont impuissantes à nous libé-rer.
Ce n'est pas, du reste, leur fonction. Seule la conscience
de ces m é c a n i s m e s , du leurre et de la prison mentale bio-
logique qu'ils constituent, ouvre l'espace de la liberté
d ' ê t r e autrement. La logique défensive, fidèle à elle-
m ê m e , nous maintient dans son registre tant que nous ne
prenons pas en compte nos besoins fondamentaux, nos
manques et nos aptitudes.

Brigitte est « dépassée par les événements » ... et


d'abord par son fils. « Je me rends bien compte
qu'il ne m'obéit pas. Chaque jour, je lui demande
de me donner son linge sale, de ranger sa chambre.
Je lui ai dit qu'un jour on y trouverait des rats ! Il
ne m'écoute pas ! Je ne dois pas bien m'y pren-
dre. » Nous commençons à évoquer l'autorité.
C'est moi qui ai prononcé le mot. Elle est de plus
en plus mal à l'aise et s'enfonce dans le fauteuil,
puis me dit d'une voix sourde : « Quand je pense
autorité, je pense Hitler, je suis horrifiée. » Je
l'entends évoquer les atrocités commises lors de la
dernière guerre mondiale. Nous sommes apparem-
ment très loin de la chambre à ranger... sauf Bri-
gitte, qui vit sa propre autorité comme une tyrannie
écrasante et humiliante pour son fils. Ramenée à
l'événement: — obtenir que celui-ci range sa cham-
bre —, elle m'explique que, de temps en temps, elle
explose et se met à hurler des horreurs et insulte
alors son fils. Elle a honte et s'excuse auprès de lui.
« Mais, me dit-elle, c'est plus fort que moi ! »

Ne prenant pas le temps de concevoir SON autorité à


elle, elle va d'un excès à l'autre, d'un vide d'autorité à
un autoritarisme qui l'horrifie et la r a m è n e à son impuis-
sance habituelle.

André se définit comme un « homme d'action », à tel


point que ses rêves eux-mêmes sont remplis de « cho-
ses à faire ». Il craint de ne pouvoir en arriver à bout
car ça ne s'arrête jamais. « Plus j'en fais, plus on
m'en rajoute. » Le week-end, il ne demande qu'à
s'arrêter, dormir, ne rien faire. « Mais quand je
décroche, mes enfants et ma femme me demandent
de me "secouer" et de profiter du week-end pour
faire du sport ou des courses ou je ne sais quoi. Si
je dis non, ils sont mécontents mais, finalement,
s'occupent sans moi. Ça me déçoit, je leur en veux.
En même temps, je les comprends ! Je comprends
surtout que je n'ai pas le droit de ne rien faire... »
La dernière phrase est comme un coup de règle reçu
sur le bout des doigts. Elle promet encore quelques
rêves épuisants. Son incursion dans la passivité a vite
ramené André dans ses habitudes d'homme d'action.

N'ayant pas pris le temps de concevoir S O N « d é c r o -


chage », en réponse à son besoin de réalité d'être, il oscille
entre un activisme du devoir être et une passivité coupable.

Communication à haut risque.

Si l'émotion est communicative, elle n'est pas faite


pour communiquer. A v e c des objectifs défensifs si dif-
férents et si existentiels, pouvons-nous vraiment nous
entendre ou m ê m e communiquer ? Quand le but de l'un
est d ' é v i t e r la menace, le but de l'autre de la maîtriser,
le but du troisième de passer inaperçu, est-il étonnant que
nos discussions se transforment en dialogues de sourds,
que nous nous sentions si souvent incompris, que nous
ayons tant de mal à nous faire comprendre ? La commu-
nication est devenue un m é t i e r avec ses règles et ses tech-
niques, prouvant, si besoin était, que nous avons à
apprendre à nous é c o u t e r et à nous parler. Pour autant,
et en dépit des m o d è l e s proposés, pouvons-nous m ê m e
progresser tant que nous faisons abstraction des filtres
défensifs à travers lesquels passent nos mots, nos regards,
nos gestes ? En effet, en état de défense, écouter devient
un risque: — celui d'entendre ce qui fait mal, ce qui
étouffe, rejette, culpabilise. Parler devient un moyen: —
celui d'obtenir plus de sécurité, d'identité ou de réalité
d ' ê t r e . Le tout de façon automatique, non consciente et
donc... non dite puisque les trois quarts de la communi-
cation sont non verbalisés. A i n s i un regard, un mouve-
ment, les traits du visage nous en apprennent bien plus
sur l'intention de notre interlocuteur et la nôtre que les
mots.
D'autant que cette communication c h a r g é e d ' é m o -
tions fait partie des stratégies défensives, tant il est vrai
que le s y s t è m e n'est pas fait pour communiquer mais
pour se défendre !
Dans l'émotion, la parole n'est pas faite pour
entendre l'autre mais s'entendre soi. Deux monolo-
gues ne font pas un dialogue. D è s lors que l'autre fait
partie du s y s t è m e , en tant que révélateur du manque ou
pourvoyeur de nourriture, la relation devient é m o t i o n -
nelle : l'autre n'est plus simplement un autre, il est
devenu, — en plus, — existentiel. R é v é l a t e u r du manque,
il est une menace. Pourvoyeur de nourriture, il nous est
nécessaire. La communication en est inévitablement alté-
r é e . Et ce, que cet autre soit un être proche: — ami,
famille, — ou lointain: — relation de travail ou inconnu.
C o m m e dans la tour de Babel, chacun a son propre
langage : nous ne nous comprenons pas.
Quand chacun est arc-bouté sur l'objectif de sa stratégie
de défense pour garantir son besoin, chacun filtre automa-
tiquement le propos de son interlocuteur selon cette fin :
est retenu ce qui menace ou conforte l'objectif, le reste
importe peu. La forme prime sur le fond : nous prenons
tout au premier d e g r é et réagissons à l'agressivité de
l'autre, à son agitation ou à ses pleurs, mais nous éludons
la signification de ses mots. Nous n'écoutons pas ce q u ' i l
veut dire. En retour, nos réponses sont imprégnées de
notre propre peur et sont donc parasitées. Elles entraînent
alors en boomerang la réaction de l'autre... Chacun est
ainsi enfermé dans son monologue, filtrant par son écoute
ce qui va enrichir sa propre perception défensive, plutôt
que s'enrichir du contenu des propos de l'autre. Et ce tant
que nous ne sommes pas conscients que l ' é m o t i o n est des-
tinée à celui qui l ' é m e t et non à son interlocuteur.
Le réel écueil de la communication en état de défense,
c'est l'utilisation, dans nos monologues, de l'autre
comme responsable de notre propre m a l - ê t r e , comme
« objet » pour r é d u i r e notre peur, ou pour garantir notre
objectif r é a c t i o n n e l . L'autre n'est plus, en effet, un sujet,
un interlocuteur. Il est devenu l'objet qui va pallier notre
manque ou l'objet qui g ê n e l'obtention de notre sécurité,
de notre identité et de notre réalité d ' ê t r e .
N o n conscients de cette déviation, nous sommes tout
é t o n n é s d'entendre cet autre nous dire : « Pour qui me
prends-tu ? » Il aurait pu dire : « Pour quoi me prends-
tu ?» Il a raison de nous interpeller, car, probablement,
nous l'avons pris, involontairement bien sûr, pour ce
q u ' i l n'est pas, un objet de notre peur, de notre manque,
de notre stratégie défensive, non un sujet. Il nous r é c l a m e
alors son vrai statut.

Michel et François travaillent à proximité l'un de


l'autre dans des bureaux paysagers. François est
homosexuel, Michel a un visage carré, une voix
forte et très masculine et « rien contre les homo-
sexuels ». L'un et l'autre ont une structure défen-
sive de lutte, le premier plutôt organisée et altruiste,
le second plutôt organisée et égocentrique. Chacun
en manque d'identité, chacun dans sa peur d'être
rejeté, mais dans une organisation opposée : l'un,
persuadé que l'autre le juge, est devenu agressif et
parano ; l'autre, protecteur, n'a de cesse de donner
des conseils. Evidemment, les relations sont à cou-
teaux tirés. Le moindre conseil de Michel est vécu
par François comme une intrusion sur son terri-
toire et un jugement lapidaire d'incapacité ; le
moindre refus, silence ou sarcasme de François est
vécu par Michel comme un rejet et un manque de
respect. Voici leurs deux monologues :
Michel : François, j'ai une solution pour votre pro-
blème d'hier.
François : Qu'est-ce que vous me voulez encore ?
Michel : Attendez, je suis sympa, je vous aide et
vous me répondez comme à un chien.
François : Mais non, je ne vous réponds pas comme
à un chien, mais vous m'interrompez toujours
quand je travaille sur un dossier important.
Michel : Ah, parce que le patron vous donne des
dossiers importants à traiter, à vous ? Première
nouvelle !
François : C'est vraiment odieux de travailler avec
vous, vous êtes méprisant.
Etc.
Chacun vit et parle dans sa tour qui ressemble plu-
tôt à un fortin.

Il nous faut donc admettre, humblement, que l'état


défensif N'EST P A S F A I T P O U R C O M M U N I Q U E R . . . , mais pour
défendre des besoins insatisfaits, pour prendre conscience
qu'une part de soi est en souffrance dans la relation à
l'autre. Communiquer sans prendre en considération le
parasitage de la fuite, de la lutte ou du repli sur soi, c'est
utiliser le monologue de la langue de bois.

Attirances affectives... et stratégiques.


Par ailleurs, la communication mais aussi les relations
sentimentales d é p e n d e n t de l'efficacité, — ou non, — des
stratégies défensives, comme de la nature égoïste ou
altruiste de ces é c h a n g e s .
« Système efficace cherche système inefficace pour
liaison durable... si possible. » Deux personnes en
défense inefficace peuvent s'attirer l'une l'autre car elles
partagent le m ê m e sentiment d'impuissance, la m ê m e
insatisfaction de la vie. Elles peuvent être inséparables
quand elles ont des intérêts communs ou des objectifs
défensifs communs. M a i s elles se verrouillent l'une
l'autre dans leurs comportements et leurs justifications.
Une personne en défense efficace et une autre en
défense inefficace peuvent s'attirer l'une l'autre comme
deux aimants car chacune trouve dans la relation des
bénéfices à court terme. Chacune trouve chez l'autre la
confirmation de ses croyances et de ses peurs. M a i s la
relation est potentiellement explosive, l'une reprochant
à l'autre ce qu'elle n'est pas et r é c i p r o q u e m e n t . Parfois,
elles n'en finissent pas de s'attirer et de se séparer,
comme deux aimants ou deux amants.
D e u x é g o c e n t r i q u e s , avec un projet commun (ou des
i n t é r ê t s ) , s'entendront, chacun tirant la couverture à lui,
ce qui peut être stimulant. A v e c le risque, un jour, de
se reprocher mutuellement ce trait de c a r a c t è r e : « il ou
elle ne pense qu'à l u i », autrement dit, pas assez à
moi...
Deux altruistes se comprennent, mais, à défaut de pro-
jet commun qui les relie, pourront s'étouffer l ' u n l'autre.
Une stratégie efficace avec une stratégie inefficace,
ou, de façon caricaturale, un égoïste et un altruiste, est
l'association de « je dois » avec « on me doit » ! E v i d e m -
ment, ils s'attirent l ' u n l'autre, chacun potentialisant, —
voire réalisant, — l'objectif réactionnel de l'autre. À cet
é c h a n g e , chacun s ' é p u i s e et surtout n'aide pas l'autre à
se libérer de ses habitudes réactionnelles, voire l'y
enferme. Ils sont pourtant a n i m é s des meilleures inten-
tions du monde ! Ce type de couple fonctionne beaucoup
sur une culpabilisation e n t r e c o u p é e de moments de paix
où l ' u n est parvenu à rassasier l'autre, à court terme.
Ces couples agissent l ' u n envers l'autre comme un
palliatif à long terme :
« Angoissé-Rassurant ».
« Sécurisant-Aventurier ».
« Victime-Bourreau ».
« M a n i p u l a t e u r - M a n i p u l é ».
« Impuissant-Surpuissant ».
« Actif-Passif ».
« Silencieux-Bavard. »
Pas vraiment bien ensemble, mais pas beaucoup
mieux séparés, ils ne se permettent pas, l ' u n l'autre,
d ' a c q u é r i r leur autonomie au sein m ê m e du couple,
comme s'ils confondaient leurs histoires.
Quand l'un devient la solution de l'autre, c'est le
couple qui prend un risque. C a r chacun, à terme, se
trouve frustré de son propre potentiel. Chacun risque
d'en vouloir à l'autre sans comprendre qu'il ne doit son
sacrifice q u ' à l u i - m ê m e .
Cette communication défensive entretient un bruit de
fond dans les é c h a n g e s : non dits, et pourtant p r é s e n t s ,
les objectifs défensifs brouillent la parole, et sont à l'ori-
gine d'une spirale. Spirale perverse quand elle aspire
chacun dans ses propres peurs, le confirmant alors dans
ses évidences.

La communication n'est pas une technique


L ' é t a t de défense est contraire à la communication, à ce
qu'elle demande, c'est-à-dire une « mise en commun ».
Cette situation est d'autant plus douloureuse que chacun,
dans sa solitude émotionnelle, aspire à ce que l'autre le sou-
lage de son manque d'être et est vide d ' é c h a n g e s qui lui
permettraient d'atteindre ce but. Sans le décodage de la
bio-logique, il ou elle risque pourtant d'en sortir encore
plus meurtri. Car toute la question est de savoir à qui nous
parlons. A l'autre ou à n o u s - m ê m e s ? Notre époque a soif
de techniques de communication, de recettes censées
résoudre nos problèmes. Nous aimerions croire q u ' i l suffit
de quelques « trucs » pour être compris... c'est-à-dire ras-
surés, reconnus et considérés. De fait, des règles simples et
pleines de bon sens favorisent écoute et expression. Elles
ont changé la vie à bon nombre qui ne voyaient plus d'issue
à leur impuissance à se faire entendre. Elles ont permis à
d'autres de découvrir les différences fondamentales entre
écouter et entendre ; nous pouvons en effet écouter sans
entendre et entendre sans comprendre... Pour autant, ces
techniques, aussi performantes soient-elles, s'adressent aux
conséquences des stratégies émotionnelles dont elles ten-
tent de limiter les effets. A v e c é v i d e m m e n t plus de bonheur
quand le niveau existentiel est faible, plus de frustration
quand il est élevé. Car aucun savoir-faire ne peut remplacer
un savoir-être en termes de communication ! Le savoir-
faire s'adresse au message que nous voulons faire passer
plus qu'à la personne qui le passe. Le savoir-être s'adresse
à la personne, donc à son message. Les deux approches,
bien sûr, se potentialisent l'une l'autre mais ne doivent pas
être confondues. Il s'agit, là comme ailleurs, de mettre la
technique au service de l'homme et non le contraire...

La logique du vivant, si n é c e s s a i r e pour garantir


notre intégrité, nous fait « payer cher » nos manques
d ' ê t r e : l ' é m o t i o n nous fait basculer dans un monde
intérieur plein de paradoxes et d ' e x t r ê m e s . On peut y
ê t r e s i n c è r e et m a l h o n n ê t e , n'aspirer qu'à des solutions
en forme de tout ou rien, se leurrer dans des strate-gies
en impasse, et monologuer quand on voudrait tant
communiquer.
Nous pourrions ainsi r é s u m e r les murs bio-logiques
auxquels nous nous heurtons :

— le mur du « je dois tout ».


tout penser, tout dire, tout faire... être tout ;
— le mur du « je ne peux rien ».
rien penser, rien dire, rien faire... n ' ê t r e rien ;
— le mur du « je dois à l'autre ».
penser pour lui, dire pour lui, faire pour l u i ;
— le mur du « l'autre me doit ».
penser à m o i , dire de m o i , faire pour m o i .

M u r s en forme d ' « impasse », ils pourraient faire


apparaître nos efforts bien vains... Pour autant, ce serait
oublier Ariane et son fil, sa voie, qui est, de fait, la nôtre.
Troisième partie.

S E LIBÉRER P O U R V I V R E.
Comment utiliser en pratique la bio-logique, cette
grille de lecture de nos r é a c t i o n s de défense ? Autre-
ment dit, comment faire bon usage des messages
contenus dans nos é m o t i o n s ? Comment apprendre à
faire confiance, à estimer, et à agir, en accord avec
n o u s - m ê m e s , face à l'autre ?
Il ne s'agit pas de se libérer de ses émotions et de
ses peurs, mais de libérer ses potentiels. C'est en dyna-
misant ceux-ci que les réactions de défense « fondent »
car nous n'avons plus besoin d'elles pour vivre. Car, à
passer et à repasser trop souvent sur ses autoroutes é m o -
tionnelles sans écouter leurs messages, il arrive que nous
automatisions encore plus le s y s t è m e et aggravions notre
cas ! En effet, é v o q u e r son angoisse... pour s'en libé-
rer... c'est encore é v o q u e r son angoisse plutôt que la
possibilité de penser autrement son besoin de sécurité.
Il ne s'agit pas non plus de devoir changer ! Le désir
de changement est le plus souvent un fantasme qui vou-
drait annuler ce qui est soi pour un autre soi. Il exprime
alors le rejet de sa propre personne. Il s'agit d ' ê t r e autre-
ment face à ce qui nous arrive. Autrement qu'en défense,
c ' e s t - à - d i r e ouvert, conscient de son manque, de son
besoin et de son potentiel. C'est l ' e n t r a î n e m e n t à r é p o n -
dre autrement qui apportera un changement dont nous et
l'entourage seront parfois les premiers é t o n n é s . En don-
nant quotidiennement une nourriture à son être au travers
de ses besoins.
A u s s i cette troisième partie r é p o n d - e l l e à un double
objectif :
— indiquer la voie pour se retrouver soi quand l ' é m o -
tion nous indique que nous nous sommes perdus de vue :
traitement d'urgence, au c œ u r m ê m e de notre volcan
intérieur.
— apprendre à ajuster nos besoins à nos potentiels
d ' ê t r e en accueillant nos manques comme un moteur,
non comme un danger à fuir ou contre lequel lutter.
L ' é m o t i o n sert de guide. E l l e est la voix du besoin.
Autrement, dans les mêmes objectifs de nos
besoins. Faisons l ' h y p o t h è s e que ce désir d'intelligence
agit telle une source d'eau. Sa tendance, — naturelle, —
est de suivre la pente et de s'adapter au mieux aux é v é -
nements de la végétation et du terrain qu'elle rencontre.
Un jour, elle rejoindra le grand océan. Ses obstacles sont
en fait la peur de ne pas y parvenir et la pression qu'elle
se donne pour être totalement certaine d ' y parvenir.
C e u x - l à la d é t o u r n e n t de sa voie. Sa tendance, — tout
aussi naturelle ! — est d'errer, de chercher coûte que
coûte une voie qui la rassure. E l l e y met beaucoup
d'efforts. On pourrait croire que, devenue consciente de
la nature de ces obstacles, elle retrouve simplement sa
v o i e . . . C'est compter sans le déficit d'apprentissage:
n'ayant pas appris, il l u i semble ne pas savoir comment
faire, comment être. Plus h a b i t u é e aux voies de l'errance
que de l'intelligence adaptative. C e l l e - c i , avec des mots
comme possible, capable, envie, plaisir, intuition, soi, lui
paraît étrangère et bizarre.

Préambule à la question de l'être

Suis-je normal(e) ? C'est bien souvent avec cette


pseudo-question que se terminent les premiers propos de
celle ou de celui qui commence à se raconter dans l ' i n t i -
mité d'un entretien. Pseudo-question car sa réponse, expri-
m é e ou retenue, tombe comme un couperet : « N o n ! »
Une question est d'abord une forme grammaticale :
une ouverture sur D E S r é p o n s e s possibles. Or, force est de
constater que nous l'utilisons de façon bien d é t o u r n é e de
son objectif, tant les r é p o n s e s sont p r é c o n ç u e s , enfer-
m é e s dans des é v i d e n c e s ou des craintes. A u x é v i d e n c e s ,
les r é p o n s e s toutes faites qui deviennent des dogmes r i g i -
des. A u x craintes, les r é p o n s e s négatives et donc vides
d ' ê t r e qui aggravent la peur et y ajoutent la culpabilité.
Réhabilitons la question !
« Ne demande pas ton chemin à quelqu'un qui le
connaît, tu pourrais ne pas t ' é g a r e r », nous enseigne la
tradition juive, qui s'est fait depuis des millénaires la gar-
dienne du questionnement.
A sa sortie d'Egypte, le peuple juif errait dans le désert
du Sinaï. A l o r s qu'il manquait de nourriture, M o ï s e , dans
son dialogue d i v i n , s ' i n q u i é t a de cette p é n u r i e et pria
D i e u de nourrir son peuple. Le lendemain matin, le sol
était recouvert d'une substance qui se r é v é l a comestible.
Ce fut la « Manne » que nous traduisons comme une
affluence de nourriture. Littéralement, en hébreu, la
manne signifie « qu'est-ce que ? », rappelant l'interroga-
tion du peuple devant cette substance. La manne est une
question qui nourrit, elle est à l'origine de la nourriture
de l'être.
R é h a b i l i t o n s la question ouverte d'abord en prenant
conscience de la nature parasitante des questions qui
enferment. En accueillant ainsi cette forme grammaticale
qui n'est pas sans risque é m o t i o n n e l :
— elle dé-fie puisqu'elle peut nous faire perdre de vue
nos repères initiaux.
— elle d é - n o m m e puisqu'elle peut nous inviter à
regarder et à parler différemment.
— elle dé-fait puisqu'elle incite à faire autrement que
ce qui a déjà été fait.
La question ouvre donc sur notre sécurité, notre iden-
tité et notre réalité d ' ê t r e . En tant que telle, elle peut
entrer en r é s o n a n c e avec nos manques et nos peurs.
A l o r s , la tentation est forte d ' é v i t e r la question, de ne pas
la penser, d'en vouloir à celui qui la pose. A h , si elle
pouvait ne pas exister ! D ' a b o r d parce que l'on craint de
ne pas avoir de r é p o n s e s . Surtout parce que l ' o n craint
de ne pas avoir la bonne r é p o n s e , celle qui, parfaite,
absolue, calmerait dans l'urgence notre besoin et
l'attente de l'autre qui s'impatiente ou qui va noter,
juger. C'est l'angoisse de la « page blanche ». Ne rien
avoir à écrire, ou tout écrire parfaitement. R i e n ou tout.
Si vraiment la question est là, incontournable, il nous
faut alors trouver la r é p o n s e qui soulage. Soulager l'autre
pour être soulagé soi, soulager soi pour que l'autre ne
nous (en) veuille pas... Nous voilà e n f e r m é s dans la
r é p o n s e . R é p o n s e qui explique et pose un point final dont
il faudrait pourtant bien sortir pour retrouver la liberté
d ' é c o u t e r autrement notre interrogation.
Il est m ê m e des questions qui, par la seule façon dont
elles sont p o s é e s , suggèrent les jugements les plus n é g a -
tifs, dévalorisants ou culpabilisants, questions d é s e s p é -
rées ou désespérantes. « Qu'est-ce que ta nullité vient
faire dans ma classe ? » demandait un professeur à un
élève en échec scolaire. Y a-t-il une réponse à la ques-
tion ? Cet é l è v e en essaya quelques-unes: — fugues,
maladies, tricheries aux contrôles, drogues dites dou-
ces... — pour éviter d'entendre la r é p o n s e implicite :
« N u l , tu n'as rien à faire dans ma classe ! » Un « rien »
qui résonnait en l u i de façon bien trop familière.
La question est un passage o b l i g é pour se libérer des
r é p o n s e s enfermantes. Risquer la question, c'est prendre
le risque de la r é p o n s e . C'est accepter d'accueillir
d'autres r é p o n s e s que celles attendues. R é p o n s e s qui
ouvriront à d'autres questions... A commencer dans nos
dialogues les plus quotidiens :
— Est-ce que tu veux mettre la table ? Nous allons
dîner.
— N o n , je n ' a i pas le temps !
— Tu n'as pas le temps ?
— N o n , je suis M i c h a e l Jordan et je fais des paniers
de basket dans ma chambre !
— Est-ce que Jordan peut s'arrêter au prochain
panier ?
— Non, au d e u x i è m e .
— O.K.
Chacun a fait un pas vers soi !... Et donc vers l'autre.
Nous pouvons à tout instant faire de m ê m e en ques-
tionnant nos réactions de défense et en nous ouvrant aux
r é p o n s e s possibles, en accord avec nos besoins en man-
que d ' ê t r e .
Enfin, rappelons-nous LA question qui à tout instant
nous sert de guide : P O U R QUOI ? C e « pour quoi » inten-
tionnel c o m p l è t e et ouvre l'action au-delà de l'analyse
du pourquoi causal car il précise le besoin en cause. A v e c
l u i , l'intention de l ' ê t r e peut s'en trouver plus consciente
et servir de point de départ pour agir autrement.
U n POUR QUOI qui pose la personne à sa place, au c œ u r
de son action. Pour quoi être ? Pour quoi faire ?
Chaque é m o t i o n est une occasion de s'accoucher soi-
m ê m e , en dépassant les liens automatiques avec sa m è r e
et son père, en évitant la fuite, la lutte qui, dans l'urgence,
nous ont aidés à être. Symboliquement, la lutte a servi,
en cas de défaillance du père, à couper le lien étouffant
avec la m è r e , pour ne pas souffrir d'une fuite inefficace.
La fuite a servi, en cas de défaillance de la m è r e , à éviter
une compétition défavorable avec le père, pour ne pas
souffrir d'une lutte inefficace. Reste à se réaliser dans la
solitude de son être. Pour ne pas se sentir a b a n d o n n é , la
tentation est forte d ' i d é a l i s e r une harmonie fusionnelle
absolue... mais elle nous renverrait à la dimension étouf-
fante d ' o ù nous venions ! La bio-logique ne nous laisse
pas le choix d ' « être ou ne pas être » . . . elle questionne
notre aptitude à être.
8

Le fil d'Ariane.

Mieux vaut allumer une chandelle


que maudire l'obscurité.

Confucius.

Au fond de notre labyrinthe é m o t i o n n e l , nous avons


« t u é » notre minotaure mi-homme, m i - a n i m a l . . . Autre-
ment dit, nous avons déjoué les p i è g e s de la bio-logique :
les murs ne nous enferment plus. Nous avons compris
que nous pouvions être sincères et m a l h o n n ê t e s , égoïstes
par excès d'altruisme, coupables par inefficacité straté-
gique. Il nous apparaît clair que raisonner en tout ou rien
nous fait rebondir d'un mur à l'autre sans nous libérer,
que nos s y s t è m e s de défense sont des leurres à court
terme. Enfin, la communication défensive nous semble
plus un risque qu'une solution.
M i e u x encore, nous avons compris le message émotion-
nel : « Ce qui m ' é n e r v e , m'angoisse, m'abat... c'est ma
propre frustration, mon propre manque d'être. Ce manque,
c'est ce que je ne m'accorde pas, ce que je me refuse à moi-
m ê m e . » Nous ne sommes plus dupes de n o u s - m ê m e s .
Alors reste à sortir du labyrinthe ! A apprendre à se
servir... de soi. Selon la formule consacrée : à être S o i !
Être, ou plutôt s'entraîner à être. Pour ce faire, le f i l
d'Ariane est nécessaire. Ce f i l est notre outil. Sa particu-
larité est d'être. . . en nous. En d'autres termes, il s'agit
d'apprendre à nous servir de n o u s - m ê m e s , de ce que la
bio-logique a placé en nous. C'est à la fois plus compli-
q u é que d'utiliser un outil extérieur, et plus simple car
nous l'avons à chaque instant à p o r t é e de main. On peut
l'oublier mais l u i ne nous quitte pas... Ce fil est notre
seul lien avec n o u s - m ê m e s , lorsque, au c œ u r de notre
volcan é m o t i o n n e l , nous nous perdons de vue et errons
à la recherche de n o u s - m ê m e s , égarés par nos propres
certitudes et nos projections sur l'autre ou sur l ' é v é n e -
ment révélateur du manque. Il nous permet de nous
retrouver, d'entendre dans la tourmente que l ' é m o t i o n est
d e s t i n é e à nous aider dans l'urgence.
Ce fil est notre responsabilité. Il nous d é g a g e de la c u l -
pabilité mais nous engage dans les c o n s é q u e n c e s de nos
comportements. S y m p t ô m e de réactions défensives inef-
ficaces, r é v é l a t e u r d'un fantasme de perfection, de « sans
faute », la culpabilité p i è g e le mental : coupables, nous
voici accusés et endettés, non coupables, nous v o i c i
spectateurs de n o u s - m ê m e s , concernés ni par l ' é v é n e -
ment ni par nos besoins.
Sortir de ce p i è g e , c'est cesser de penser en termes de
faute et s'autoriser à penser en termes d'erreur pour pou-
voir être autrement.

Christophe, seize ans, est en classe de première. Sa


mère, professeur de mathématiques, attend de lui
de bons résultats dans cette matière, « d'autant
qu'il est bon ». Lui aime bien travailler et est
motivé... mais à chaque contrôle, c'est la même
déception : la note n'est pas au prorata du travail
et encore moins de l'attente maternelle. En étudiant
les copies de Christophe, il apparaît que ses erreurs
peuvent essentiellement être attribuées à un défaut
d'attention et non de compréhension : un signe (+)
devient un signe (-), un morceau d'équation n'est
pas repris à la ligne suivante, l'angle A,C,D devient
l'angle A,B,D... La relecture de son travail, effectuée
sincèrement, est en fait imprégnée d'un état de fuite
et de peur : peur de décevoir sa mère. Ce filtre
brouille sa vigilance : quand il se relit, il ne le fait
pas pour repérer une erreur éventuelle, mais pour
s'assurer d'avoir bien réussi et ainsi rassurer sa
mère. En sortant du contrôle, il est du reste assez
content de lui... jusqu'au résultat. La faute le ter-
rorise ; aussi choisit-il dans sa stratégie d'évite-
ment de ne pas voir les erreurs. Il est à l'abri,
jusqu 'au verdict de la note !

Souvent, et à juste titre, sont r a p p r o c h é s les termes


« culpabilité » et « responsabilité », pour mieux les dif-
férencier : le premier accuse et e n t r a î n e une condamna-
tion et une peine, le second restitue ce qui nous
appartient, nous r e c o n n a î t auteurs et donne du poids à
nos actes et à leurs c o n s é q u e n c e s . Le premier réduit
l ' ê t r e à son acte, le second inscrit son acte dans un champ
de possibles changements. Le premier est un palliatif, le
second un moteur, un fil conducteur.
Suivre le fil d'Ariane, c'est prendre en main ce qui
N O U S appartient en propre. C'est aussi refuser ce qui ne
nous appartient pas. L e s composantes du fil d ' A r i a n e
sont comme un jeu : à nous de disposer nos cartes pour
jouer au mieux N O T R E jeu.

L'événement révélateur
est une occasion de s'impliquer
Qu'il s'agisse de haricots verts à éplucher, d'une place
pour garer sa voiture, d ' u n embouteillage, d ' u n d é m é n a -
gement, d'une mauvaise note d'un enfant, de l'agressi-
vité d'un tiers, d'un planning trop rempli, d'une
intervention chirurgicale à subir... tout é v é n e - m e n t peut
être révélateur d'une é m o t i o n et, à ce titre, il n'en existe
pas de plus ou moins importants. Le propos selon lequel
nous ne devrions pas être é m u s pour « ça », — compre-
nons un é v é n e m e n t mineur aux yeux de l'autre, — est
biologiquement agressif. Si « ça » d é c o u v r e en nous un
manque d ' ê t r e , « ça » sera à l'origine d'une réaction
défensive. Et donc « ça » sera important pour nous. É v a -
cuer l ' é m o t i o n au nom de la banalité de l ' é v é n e m e n t ne
peut... qu'aggraver l ' é m o t i o n en y ajoutant de la d é v a -
lorisation (« quel idiot je suis ! »).
Chaque événement révélateur d'émotion est une
opportunité d'être autrement. Les événements n'ont
pas d ' é t a t d ' â m e . Les états d ' â m e nous appartiennent,
expriment notre façon de vivre ces é v é n e m e n t s . Ils sont
des révélateurs. Or, dans notre confusion, nous m ê l o n s
nos émotions et les é v é n e m e n t s qui les révèlent, justifiant
les p r e m i è r e s par les seconds. Ce faisant, nous
« oublions » que nous ne pouvons percevoir le monde
qu'à travers N O T R E système nerveux.
— Les circonstances, les faits, les gestes sont ceux que
N O U S avons vus se dérouler.
— Les mots sont ceux que N O U S avons E N T E N D U S .
— Les contacts sont ceux que N O U S ayons SENTIS.
L ' é v é n e m e n t est tel qu'il est parce que nous le perce-
vons tel, nous le traduisons en fonction de notre filtre
é m o t i o n n e l é v e n t u e l . Se disputer à son propos, c'est se
disputer à propos de notre interprétation. Il nous est
impossible de faire abstraction de nos cinq sens pour
a p p r é h e n d e r l ' é v é n e m e n t . Notre perception ne peut être
véritablement objective. Prenons-la telle que nous la
recevons, autrement dit, A V E C l'interprétation que nous
en faisons, aussi e r r o n é e soit-elle aux yeux d'autres
témoins de l a scène. N e pouvant concevoir sans nos fil-
tres personnels, inutile de vouloir faire sans et se préten-
dre objectifs. C'est notre interprétation q u ' i l convient
d'interroger, non l ' é v é n e m e n t qui, lui, se contente d ' ê t r e .
La question porte aussi sur l'intention que nous don-
nons à l ' é v é n e m e n t . C e l l e - c i sera utile pour comprendre
notre propre projection défensive : l'intention s u p p o s é e
est, de fait, notre propre peur, l'expression de ce dont
nous manquons. E l l e n'est pas l ' é v é n e m e n t .
« E l l e m'interdit de sortir le soir pour m ' e m p ê c h e r de
voir mes copains », dit l'adolescent. Nous distinguons le
fait: — l'« interdiction », — de l'intention s u p p o s é e: —
« m ' e m p ê c h e r de voir mes copains ». Seule cette der-
nière révèle l ' é m o t i o n et le manque é p r o u v é s face à
l'interdiction. Il importe moins de p r é c i s e r la nature de
l'interdit que d ' ê t r e à l ' é c o u t e de la frustration ressentie.
Centrer son attention sur l'effet que nous fait l ' é v é n e -
ment : tel est l'enjeu de notre libération.
Questionner et distinguer enfin ce qui est « de soi » de
ce qui n'est « pas de soi ». Les réactions é m o t i o n n e l l e s
de nos interlocuteurs concernent... nos interlocuteurs :
ce sont les messages qu'ils SE donnent pour exprimer
leurs peurs, leurs manques. Pour nous, les mots et les
comportements de l'autre sont des... é v é n e m e n t s . Ils ne
nous sont pas directement d e s t i n é s . M ê m e si nous en
vivons les c o n s é q u e n c e s . . . Distinguer les comporte-
ments ou les paroles de l'autre, é v é n e m e n t révélateur ,
de l'effet qu'ils ont sur nous, c'est s'approprier ce qui
est de soi et se libérer de ce qui ne l'est pas. Accuser ou
justifier nos réactions par « l'autre qui » revient à ne pas
écouter, et à ne pas prendre en c o n s i d é r a t i o n nos propres
réactions. À nous oublier et à nous perdre de vue.
Chaque é v é n e m e n t , aussi mineur ou aussi boulever-
sant soit-il, est une occasion de se connaître, de se libérer,
d è s lors q u ' i l révèle en nous une é m o t i o n . Il peut être
l'occasion de vivre une e x p é r i e n c e . Il s'agit alors de pro-
fiter de l u i plutôt que d'y réagir et de s'y sentir impuis-
sant. L ' é p l u c h a g e de haricots verts qui nous ennuyait,
qui nous énervait, qui nous renvoyait de nous une image
de v i c t i m e . . . est une occasion de vivre autrement.
Double mouvement, donc : se d é g a g e r de cet é v é n e -
ment pour s'approprier sa propre é m o t i o n et l'utiliser
comme une occasion de s'impliquer autrement. P u i s q u ' i l
est là « pour » nous, autant nous en servir.
Autodiagnostic émotionnel

Devenir l'observateur bienveillant de ses propres


symptômes défensifs. L e diagnostic se fait tant à partir
de signes physiques, cognitifs que comportementaux par
une série de questions, tout comme un diagnostic m é d i -
cal qui repère les s y m p t ô m e s , ceux liés au discours du
patient et ceux o b s e r v é s par le m é d e c i n . Ce qui suit est
un a i d e - m é m o i r e .
Le langage du corps. Les signes physiques sont ceux
de la peur, de la tension et de la fatigue. Plus manifestes
quand la réaction de défense est inefficace, plus feutrés
quand elle est efficace, ils n'en demeurent pas moins p r é -
sents. C o m m e en attente de notre regard sans leur cher-
cher une justification. Juste symptomatiques d'un état,
d ' u n manque d ' ê t r e .
Nos commentaires automatiques. Les signes cogni-
tifs sont « le film que nous nous racontons ». Projections
à partir de l ' é v é n e m e n t révélateur auxquelles nous a d h é -
rons par nos é v i d e n c e s et nos craintes. Ce que nous nous
disons à partir de cet instant-là, sur n o u s - m ê m e s et sur
l'autre. Ces p e n s é e s peuvent n'être que des commentai-
res intérieurs : nous nous les r é s e r v o n s , les ressassons
comme pour nous en convaincre, ajoutant de l'huile sur
notre feu... pour faire de notre é m o t i o n une réaction effi-
cace et définitive. Ces p e n s é e s peuvent devenir des mots,
destinés apparemment aux autres, mais surtout à nous-
m ê m e s , histoire de nous entendre. NOS mots, évidents
pour nous car très, trop, connus, et qui reviennent
comme de fidèles compagnons... bien encombrants,
voire toxiques. M o t s « tout faits », certitudes auxquelles
nous a d h é r o n s , jugements indiscutables qui nous aveu-
glent sur l ' é v é n e m e n t et n o u s - m ê m e s , à qui nous accor-
dons le pouvoir de nous maintenir hors de nous. C o m m e
un bruit insolite qui accentue un état d'angoisse, un
commentaire automatique donne un tour de clef supplé-
mentaire à notre prison psychique.
Q u ' i l s survalorisent ou dévalorisent, qu'ils accusent
ou t é m o i g n e n t de notre impuissance, ils sont l'expression
de nos stratégies défensives, alors seuls garants visibles
de notre survie. Quelques exemples:

« Il faut, je dois... »,
« Je n ' a i jamais assez de temps. »
« Le temps passe trop vite. »
« Je ne m ' e n sortirai jamais. »
« Faut que je trouve une solution. »
« Ce n'est pas grave. »
« Il n ' y a pas de p r o b l è m e . »
« Faut pas perdre son temps. »
« C'est toujours la m ê m e chose. »
« Quitte à faire, il faut faire bien. »
« C'est pas normal. » — « Je ne suis pas nor-
male). »
« Je n ' a i jamais fait ça, donc ça ne peut pas
marcher. »
« C ' e s t n u l . » — « Je suis nul (le). » — « Pas
capable. »
« C'est trop d u r . » — « C'est pas é v i d e n t . » —
« C'est trop c o m p l i q u é . »
« Quel travail ! J'ai pas fini ! »
« Les autres ne vont rien comprendre. »
« Je suis ridicule. »
« Ils n'en ont rien à faire. »
« Bof, à quoi bon, ça sert à quoi ? »
« La vie est trop dure, moche, terrible, effrayante. »
« Il ne faut voir que le bon côté des choses. »
« Il n ' y a qu'à. . . » — « Tu n'as qu'à. . . » — « Ils
n'ont qu'à. . . »,
« Les autres pourraient quand m ê m e . . . »,
« On se moque de m o i ! »
« Je n'y peux rien. »
« C e l a n'est quand m ê m e pas difficile ! »
« Je n ' a i pas confiance en m o i , donc je ne peux
pas... »,
« Si tu n'es pas le plus fort, tu te feras toujours
avoir. »
« Je vais avoir l'air de quoi ? »
« Ça va faire bizarre... »,
« Je ne peux pas parce que je ne sais pas. »
« Si je savais, je le ferais » (mais comment savoir
sans faire ?)
« Ce n'est pas naturel... » (bien sûr ! les automatis-
mes paraissent plus naturels que des comportements
qui changent).
« Ça va me demander trop d'efforts... ».

Il convient de porter une attention toute particulière


sur :
— le « oui, mais... » qui donne l ' i l l u s i o n d'accepter
la proposition d'un autre pour mieux la rejeter et persister
dans son é v i d e n c e . Des variantes : « oui, si ce n'est... »,
« oui, pourtant... »
— le « parce que » qui introduit si souvent une auto-
justification.
Ces mots contiennent le plus f r é q u e m m e n t une note
de fatalité et r é s o n n e n t volontiers en tout ou rien. A nous
de les repérer, ils sont nos s y m p t ô m e s défensifs, ils ne
sont pas nous !
Les conséquences de nos comportements. Dans la
sincérité de nos attitudes, il peut être difficile de se ques-
tionner... sauf à prendre en c o n s i d é r a t i o n leurs c o n s é -
quences.
Prendre en compte son état émotionnel, c'est, déjà,
compter pour soi. Quand l'autre m ' é v i t e , est-ce l u i qui
a un p r o b l è m e ou bien mon attitude participe-t-elle à sa
fuite ? Si j'ai eu cet accident de voiture, est-ce la chaus-
s é e qui était glissante ou m o i qui, — aussi, — conduisais
trop vite ? Si le verre est t o m b é et s'est c a s s é , était-il mal
placé ou étais-je agité à ce m o m e n t - l à ?
La prise en compte des c o n s é q u e n c e s de nos compor-
tements suppose notre participation à l ' é v é n e m e n t .
Impossible de n ' ê t r e pas présent à ce qui nous arrive.
Quand ces c o n s é q u e n c e s r é s o n n e n t en nous en termes
d'autojustification ou de culpabilité, nous ne pouvons
rien en faire, elles ne seront pas un fil conducteur. En
revanche, quand nous prenons notre part à nous, celle qui
nous revient en propre, alors « mon » irritation, « mon »
impatience, « mon » agitation... donnent sens à « mon »
besoin et à « mon » manque.
Ces s y m p t ô m e s réunis, nous pourrons nommer notre
émotion et notre état de défense.
C o m m e nous sommes (trop) peu entraînés à nommer
nos é m o t i o n s , v o i c i une liste, bien incomplète, de termes
exprimant la tension de la lutte, la peur de la fuite et la
fatigue du repli sur soi. Pour enrichir notre vocabulaire.

PEUR, TENSION, FATIGUE.

Anxieux, A b u s é, A b a n d o n n é.
Angoissé, A g a c é, Affecté.
Acculé,
Acculé Agressif, Affligé.
Affolé, Aigri, Attristé.
A l a r m é, A m e r, B o n à rien.
Altéré, B e r n é, Brisé.
Cerné, Contrecarré, Cafardeux.
C o i n c é, Critique, Calme (trop).
Court-circuité, Cruel, Confus.
Craint, Défiant, D é c o u r a g é.
Craintif, D u p é, D é m o t i v é.
Contraint, E n compétition, D é p a s s é.
Dangereux, E n e r v é, D é p r i m é.
Dans le doute, En fureur, Désespéré.
D é b o r d é, Enragé, D é s o l é.
D é b o u s s o l é, Envieux, D i m i n u é.
Désorienté, Exaspéré, É p l o r é.
Divisé, E x c é d é, E p u i s é.
Douteux, F â c h é, Ereinté.
Impatient, Froid, Esseulé.
Imprévisible, Furibond, Faible.
PEUR TENSION FATIGUE.

É g a r é, Furieux, Foutu.
Effrayant, Haineux, Gênant.
É p o u v a n t é, Harcelé, G ê n é.
Étouffé, Hostile, Honteux.
Étourdi, Insulté, Ignoré.
Fourbe, Irritable, Immature.
Hésitant, Irrité, Incompris.
Indécis, Jaloux, Inintéressant.
Inquiet, M a n i p u l é, Insuffisant.
Maladroit, Mauvais, Intimidé.
P a n i q u é, M é c h a n t, Inutile.
Paralysé, Méprisant, Larmoyant.
Pas fiable, Nerveux, Las.
Perdu, Odieux, Malchanceux.
Peu sûr, O u t r a g é, M é d i o c r e.
Soucieux, Outré, M o r t.
Soupçonneux , Piégé, Nostalgique.
Stupide, Plein de ressenti- Peiné.
ment,
Suffoqué, Querelleur, Pauvre.
Sceptique, R â l e u r, Plein de regrets.
Rancunier, Raté.
Rebelle, Sans espoir.
Trahi, Sans vie.
T r o m p é, V a i n.
Ulcéré, V i d é.
Violent, V i e u x.

D'autres t é m o i g n e n t plus g é n é r a l e m e n t et sans préci-


sion de notre état é m o t i o n n e l : c h o q u é , brusqué, préoc-
c u p é , ébranlé, fou, impressionné, malade, obsédé,
touché, dérangé, c o n t r a r i é . . .
A chacun de c o m p l é t e r la liste...
L ' é v é n e m e n t est l'occasion de s'interroger : « Dans
quelle é m o t i o n suis-je ? Dans quel état ? Dans quelle
intention défensive ? A i - j e envie d ' é v i t e r les conflits ? de
m a î t r i s e r . . . , d'avoir la paix ? »
Cette lecture de nos réactions peut é v i d e m m e n t se faire
à froid comme à chaud. A froid, c'est-à-dire en dehors
d'une p é r i o d e de crise, donc à distance d'une é m o t i o n
intense, elle sert à repérer nos habitudes réactionnelles. A
chaud, elle sert à se distancier de l ' é v é n e m e n t et à se
recentrer sur son vécu émotionnel. C'est le passage néces-
saire pour que quelque chose change en soi.

Ressentir, accueillir son manque.

Puisque nous sommes en état de défense, nous som-


mes en manque d ' ê t r e . Ce manque est toujours d'actua-
lité, m ê m e si sa « construction » date de notre enfance.
L ' é m o t i o n révèle que cette carence de soi est toujours
présente. Bio-logique oblige, elle ne se manifesterait pas
si nous nourrissions nos propres besoins.
La sensation du manque est un f i l conducteur q u ' i l
convient de prendre AVEC soi plutôt que C O N T R E soi. De
s'en faire un allié plutôt que de l'éviter, la maîtriser, la
nier ou la subir.
C O N T R E soi induit inévitablement l ' é m o t i o n : c'est soi
en conflit avec son manque d ' ê t r e et avec les origines de
ce manque. Il nous faut r é d u i r e le manque ou bien nous
serons réduits par lui. Toute é p r e u v e est un danger, une
menace. Parole de crocodile...
A V E C SOI induit une réconciliation avec s o i - m ê m e ,
ayant m a n q u é , manquant encore, et pouvant nourrir nos
besoins autrement qu'en se défendant. La c o m p é t i t i o n
existentielle disparaît au profit d'une implication de soi
dans sa vie. S'enrichir de son manque d'être pour se
réconcilier avec soi.
Quand nous nous en voulons de notre manque d'être,
nous sortons du jeu de la vie, nous sommes « hors de
nous », nous sommes « devenus » le manque d'être. Nous
voulons l'oublier, le combler. Quand nous accueillons nos
manques, ils peuvent devenir nos alliés, car ils peuvent,
justement, être source de motivation et nous libérer de la
réaction. Celle-ci nous a alertés sur la présence du man-
que, à nous de prendre à c œ u r et en main le devenir de
nos besoins.
Dans les a n n é e s quarante, cinquante, existait une
m é t h o d e contraceptive... plus ou moins efficace, nom-
m é e Ogino. Plus tard, une façon pour certains de faire
entendre que leur venue au monde n'avait pas été désirée
par les parents était de se présenter comme un « b é b é
Ogino ».

C'est ainsi que se racontait Odile, sous un humour


qui dissimulait mal la douleur que lui faisait cette
seule évocation : « Toute mon enfance, j'ai eu la
sensation de gêner, d'être en trop. Ma mère souriait
de ce bébé en plus qui lui était arrivé. Moi, j'avais
envie de pleurer et je partais m'enfermer dans ma
chambre. Elle ne comprenait pas. Ou alors, je
"décrochais ", je ne les écoutais plus. Un enfant, ça
doit avoir été désiré pour avoir la possibilité d'être
heureux un jour, non ? »

Karine, elle, arrive avec la même histoire de bébé


Ogino. Elle se souvient très précisément de ce
qu'elle a vécu à neuf ans quand sa mère lui a
raconté : « Ton père et moi n'en voulions pas
d'autre. Deux, c'était bien, alors un troisième ! Et
tu es arrivée, il a bien fallu faire avec toi, on s'est
serrés. J'étais en colère et j'en voulais à ton père.
Et puis on y est arrivés... » « Elle a continué à par-
ler, mais moi, c'est comme si je revoyais un film à
l'envers : la pression de ma mère sur moi, son
impatience, son obsession de l'ordre, cette impres-
sion d'être toujours en trop, de mal faire ou de ne
pas faire assez bien... je comprenais. C'était
comme une mise au point avec des jumelles. C'était
surtout comme un grand espace qui s'ouvrait
devant moi dans lequel je n'avais plus de dette
envers elle. Une impression de liberté étonnante,
bizarre même. Je m'en suis voulu tout de suite
après ! Mais ça me reste. »

Dans les deux histoires, un enfant non désiré, un


besoin de réalité, de sens. Et pourtant, quand Karine est
libérée par l'information, Odile, elle, est écrasée. E l l e n'a
pas encore fait le deuil de son désir d'absolu et elle subit
sa sensation de vide.
Le manque d ' ê t r e nous questionne : « Qu'est-ce que
je pense, qu'est-ce que je peux dire, qu'est-ce que je peux
faire de ce m a n q u e - l à , et à partir de l u i ? » Il ne justifie
pas nos réactions de défense. Il les explique tout au plus.
Justifier son angoisse par son manque de confiance
revient à justifier une h é m o r r a g i e par une plaie ouverte,
sans se poser la question du s o i n .

Raconter son besoin.

D e r n i è r e composante du f i l d'Ariane. Nos besoins


fondamentaux sont les objectifs intelligents contenus
dans nos actions les plus simples comme les plus
complexes. Quand l'état de fuite parle de danger à éviter,
le besoin parle de sécurité et de liberté à créer. Quand
l'état de lutte parle de menace à maîtriser, le besoin parle
d'identité à créer. Quand l'état de repli sur soi parle de
passer inaperçu, le besoin parle de se réaliser.
Le besoin est ce qui fait plaisir dans l'événement.
Les besoins fondamentaux ont leur langage. C e l u i que,
bio-logiquement, on ne trouve pas dans l'état de défense,
celui du plaisir. Langue étrangère à la fuite, à la lutte ou
au repli sur soi. Car, dans l ' é m o t i o n , le plaisir disparaît
au profit de la satisfaction à court terme ou du soulage-
ment liés à la réussite de la stratégie. On ne peut, alors,
parler de plaisir. C e l u i - c i sera pourtant la l u m i è r e à intro-
duire dans le labyrinthe. Le plaisir servira d'aimant pour
nous attirer... en n o u s - m ê m e s , pour que nous inventions
notre sécurité, notre identité, notre réalité. Plaisir, mais
aussi préférence, envie, g o û t . . . tout mot qui r é s o n n e avec
un éveil et une plus forte implication en soi. En état de
défense, nous baptisons nos désirs du nom de rêves, de
châteaux en Espagne ou de fantasmagories... les éloi-
gnant encore plus de nous. V o i r e , nous les jugeons dan-
gereux car contraires aux stratégies défensives. Or
besoins fondamentaux, plaisirs et motivation sont inti-
mement liés. Contrairement au système de défense,
quand ils peuvent se manifester librement, non parasités
par la peur du manque, ils sont alors l'expression de la
personne en vie.

Caroline a dépassé la trentaine et vit seule. Active,


— elle est infirmière —, elle n'a pourtant jamais
osé s'éloigner trop de ses parents et, si elle a beau-
coup d'amis, elle n'a guère d'existence autonome.
Enfermée dans un système de défense, de fuite et de
lutte, elle vit entre la sensation d'étouffer et la
colère contre ses parents ou elle-même. Quand
nous avons abordé ses besoins d'identité au travers
de ses réactions de lutte, ce ne furent au début que
des arguments d'impuissance et d'impossibilité.
Rien, aucun désir... Si elle comprenait bien intel-
lectuellement mon raisonnement, en revanche, il ne
lui évoquait rien du tout. Identité ? Reconnais-
sance ? Être quelqu'un de différent ? Du plaisir à
être quelqu'un ? Non, vraiment, elle ne voyait pas...
Le temps s'écoulait. Caroline commençait à
s'impatienter du silence. « Revenons à une image
de toi que tu aimerais, qui te ferait plaisir... Ce
pourrait être quoi ? » Alors, de très loin dans sa
mémoire, est revenue une idée folle, un rêve fou,
évidemment idiot, qu'elle se refusait à dire telle-
ment il était absurde ! Enfin, puisqu'elle me voyait
prête à accueillir n'importe quelle « bêtise », elle
jeta plus qu'elle ne dit : « Je voudrais monter sur
une scène, faire du théâtre. » Les minutes qui sui-
virent furent partagées entre la peur et le désir.
L'entraînement prit le temps nécessaire. Caroline
est montée sur les planches dans une troupe de son
quartier. Elle est devenue, à ses yeux, « quelqu'un
qui fait du théâtre ».

S'entraîner à écouter ses besoins ne signifie pas for-


c é m e n t prendre de grandes décisions ou changer sa vie
(ah ! la « solution » de tout changer !). De façon plus
humble mais tout autant efficace, il s'agit d'interposer,
entre nous et nos gestes ou nos r é a c t i o n s automatiques,
des questions. C o m m e un pied dans la porte, pour per-
mettre d'y introduire le plaisir.
— Pour quoi, dans quelle intention est-ce que je fais
ceci ?
— Quel(s) bénéfice(s) est-ce que j'en obtiens ?
— En conservant le bénéfice, puis-je agir avec plus de
plaisir ?
A l'occasion d'une j o u r n é e d ' é c h a n g e s entre profes-
seurs, l'un d'eux racontait ceci :

« Quand je me suis demandé pourquoi je me levais


le matin, je me suis répondu : parce que je suis
obligé ! Puis je me suis rendu compte que là n'était
pas la question ! On me demandait de préciser
"pour... quoi", et là j'ai répondu : "pour aller tra-
vailler !". — "Pour quels bénéfices ?" j'ai été tenté
de répondre : "pour gagner mon salaire" mais j'ai
trouvé ça un peu court. Et je me suis souvenu de ce
qui me met en rogne régulièrement dès le matin : le
manque de politesse et de respect des enfants entre
eux et à mon égard. Ils ne se voient pas, se bouscu-
lent. Quant à moi, je suis le prof casse-pieds. Évi-
demment, plus je suis en rogne, plus je suis casse-
pieds ! Alors, est-ce que je peux y ajouter du plai-
sir ? Au début, je ne voyais vraiment pas ! La page
blanche ! Il me semblait évident que c'était aux
enfants de témoigner du respect et de la politesse.
Et puis, cette idée de plaisir a fait son chemin, et je
me suis dit que c'est moi qui aurais du plaisir à les
voir vraiment, un par un, le matin. Depuis, je les
fais entrer individuellement dans la classe, je leur
dis bonjour en les regardant, en leur serrant la
main et en les appelant par leurs prénoms. Ça nous
prend moins de cinq minutes sur le cours. Le plus
drôle, c'est que, maintenant, ce sont eux qui sem-
blent attendre ce qu'ils ont nommé le "cérémo-
nial". Je crois que ces cinq minutes sont bien
employées et j'y ai trouvé du plaisir. »
Il fut applaudi.

Le plaisir a un autre goût que la satisfaction à court


terme. L'objectif « plaisir », au c œ u r du besoin fonda-
mental d ' ê t r e reconnu, est venu modifier le regard que
ce professeur portait sur ses élèves : il cessait d ' ê t r e en
attente, impuissant face à eux, pour participer l u i - m ê m e
à son propre besoin d ' i d e n t i t é . Il s'est nourri l u i - m ê m e .
En stratégie défensive, ce professeur aurait pu exiger,
sous peine de sanction, que ses é l è v e s soient totalement
silencieux avant d'entrer en classe: — pas de bousculade,
— ou qu'ils l u i disent bonjour: — ils me respectent ! Le
goût du plaisir diffère bien de la satisfaction.
D ' o ù l'importance d ' ê t r e à l ' é c o u t e , d'entendre nos
désirs tapis derrière la tension, la fatigue ou la peur que
nous é p r o u v o n s . Parce que nous ne les prenons pas en
compte pour n o u s - m ê m e s , nous les traitons dans
l'urgence des réactions défensives.
Le petit pas fait pour nourrir son besoin paraît loin du
manque d ' i d e n t i t é initial de ce professeur, celui qui est
a n c r é dans son histoire : le fait d'exprimer et de recevoir
de la reconnaissance peut-il guérir une blessure
d'enfance ? G u é r i r ne signifie pas annuler ou combler le
manque, mais grandir avec et se libérer de la peur que
c r é e ce manque. Petit à petit.
L ' é v é n e m e n t, l'état é m o t i o n n e l, le manque d ' ê t r e,
le besoin: nous avons en main notre fil d'Ariane.

Remonter le fil.

Remonter le fil d'Ariane, c'est redevenir conscient de


soi, auteur et acteur de sa vie. C'est assumer la bio-logi-
que é m o t i o n n e l l e plutôt que la subir dans ses c o n s é q u e n -
ces stratégiques. Nous reprenons notre histoire là où elle
a dévié, au niveau du manque d ' ê t r e . Plutôt que d'en
avoir peur, nous allons devenir créateurs de notre sécu-
rité, de notre identité, de notre réalité d ' ê t r e . M a i s pas
n'importe comment, en nourrissant le besoin en cause
plutôt qu'en le défendant. Le m ê m e objectif, mais atteint
autrement.
Conscients que l ' é m o t i o n est la forme parasitée et
caricaturale du désir intelligent, nous pouvons demeurer
fidèles au désir, mais avec des moyens différents. Faire
autrement dans une m ê m e aspiration à être intègres.
Combien de fois un enfant agité à table s'entend-il
répéter « Arrête-toi, reste tranquille, ne bouge plus ! » Or
son agitation est le reflet de son inquiétude, de sa peur
d'être enfermé ou limité. T é m o i n de son insécurité inté-
rieure. Ces injonctions parentales, m ê m e respectées à
court terme par o b é i s s a n c e , ne peuvent qu'accentuer son
agitation : il ne se balancera plus sur sa chaise mais trou-
vera de « bons » prétextes pour sortir de table. Faire
autrement devra donc intégrer et le besoin de liberté et
la participation au repas à table ( l ' é v é n e m e n t ) . Comment
gagner en liberté ? Etre celui qui fait le service pour pou-
voir bouger, changer l'ordre des plats, inventer des his-
toires, enlever le c o l roulé qui l u i serre le cou, parler de
sa difficulté de ne pas bouger à son entourage, s'autoriser
à poser des questions sur ce que racontent les parents...
Dans cet éventail, rechercher ce qui l u i ferait plaisir.
L ' i d é e de réfléchir à ce qui pourrait apporter plus de
liberté alors q u ' i l est « c o i n c é » à table paraît, au début,
absurde. C a r l'automatisme le pousse à dire que rester
sur sa chaise sans bouger, c'est déjà être c o i n c é . Puis
l ' i d é e fait son chemin, comme une h y p o t h è s e . D'abord
les données du p r o b l è m e : l ' é v é n e m e n t (être à table), ma
peur (être c o i n c é ) , mon manque (de repère), mon besoin
(de sécurité et de liberté). Puis la question : « Qu'est-ce
que je peux faire d'autre pour assurer ma liberté ? »
Reste à inventer, à choisir... puis à agir. A terme, les
parents y gagnent un enfant moins, — ou pas, — agité à
table, celui-ci y gagne l'invention d'un bout de liberté.
Mises bout à bout, ces e x p é r i e n c e s susciteront la
confiance. Le besoin fondamental a servi de guide.
L'erreur serait de confondre le s y m p t ô m e de l ' é m o t i o n
et le besoin. Dans l'exemple de l'enfant, confondre le
besoin de liberté, — ou de sécurité, — avec le balance-
ment sur sa chaise ou la sortie de table quand il en a
envie. Ces comportements de fuite, m ê m e bien organisés
et efficaces, ne peuvent être à terme source de confiance
pour l'enfant. Chaque étape peut être questionnée
selon la logique de la vie.
Quant à l ' é v é n e m e n t , il demeure l'occasion d ' e x p é r i -
menter autrement sa sécurité, son identité ou sa réalité
d ' ê t r e . Une épreuve. Or, pour dépasser une épreuve, il
vaut mieux passer par elle. A u s s i bouleversante et inat-
tendue soit-elle, une fois là, dans notre vie, elle nous pose
la question, toujours la m ê m e : « Que puis-je faire de
cela ? » Nous plaçant face à notre responsabilité de faire
« avec » ou de faire « contre », de faire avec l ' é v é n e m e n t
et la peur qu'il r é v è l e ou de faire contre eux. Pour
apprendre à aborder l ' é v é n e m e n t sans la peur.

Une jeune femme atteinte d'un cancer, opérée et


ayant suivi les traitements médicaux nécessaires,
avait, durant ces mois, fait le choix d'un travail thé-
rapeutique. Pas à pas, elle avait appris à se distan-
cier de ses peurs en se rapprochant d'elle. A
l'occasion d'une émission de radio à laquelle elle
avait été conviée à propos du cancer, l'animateur
lui avait posé cette question : « Vous pensiez que
vous pouviez mourir ? » Elle lui répondit d'une
seule traite : « Je ne sais pas si je pensais que je
pouvais mourir. En tout cas, si je n'avais pas été
accompagnée dans cette épreuve pendant tous ces
mois, je serais morte de peur ! » Cet accompagne-
ment était pour elle sa façon d'inventer son exis-
tence face à sa maladie.

Remonter le fil d ' A r i a n e prend du temps. C'est m ê m e


l'histoire de notre vie. N'en déplaise à ceux qui d é v e l o p -
pent de grandes t h é o r i e s et s u g g è r e n t des recettes de g u é -
rison admirables, devenir se fait au rythme de la marche
lente plus qu'à la vitesse de nos communications actuel-
les. T e l un voyage, nous nous d é c o u v r o n s de nouveaux
paysages, de nouvelles é p r e u v e s , de nouvelles joies entre
deux é t a p e s . . . à condition de continuer à marcher.
Pourquoi ne pas adopter le « principe des petits
pas » ? P.P.P... Chaque pas est comme un repas offert
à nos besoins fondamentaux. Il nous rappelle la valeur
de chaque changement accompli et, à ce titre, peut être
fêté. Pour autant, il est insuffisant pour assurer le deve-
nir. Du reste, il ne nous viendrait pas à l'idée que, le repas
t e r m i n é , nous ayons m a n g é une fois pour toutes. Et gri-
gnoter toute la j o u r n é e revient à négliger ou à nier la
nourriture absorbée.
Dans une r a n d o n n é e en montagne, ne penser qu'à la
destination prive de la joie de grimper et du plaisir de la
d é c o u v e r t e et ajoute parfois plus de pression que de cou-
rage. Si elle demeure l'objectif, il faut aussi un peu
l'oublier pour s'attacher à notre pas à pas. Il en est de
m ê m e dans notre progression à devenir soi : sans rien
perdre de l'objectif intelligent, notre marche tiendra
compte de 1'« état » au d é m a r r a g e , du rythme des pas, et
du temps de repos n é c e s s a i r e . Ce sera, bien sûr, l ' é m o -
tion qui nous dira le plus p r é c i s é m e n t là où nous en som-
mes. Plus elle est intense, plus les pas devront être petits.
Mettre trop vite la barre trop haut risque fort d ' a c c é l é r e r
l ' é m o t i o n et de confirmer l ' é c h e c du changement p é n i -
blement o p é r é . C e l a revient à lancer une voiture
d ' e m b l é e en q u a t r i è m e . . .
Visualisés, verbalisés, ressentis avant d'être effectués,
ces pas n'en seront que plus accessibles. Remis réguliè-
rement en phase avec l'objectif intelligent du besoin, ils
auront du poids et du sens.
9.

S'entraîner à devenir soi.

N'osons-nous pas parce que c'est difficile ou bien


est-ce difficile parce que nous n'osons pas ?

S é n è q u e.

En marche, en suivant le fil d'Ariane, à petits pas...


en tournant d é l i b é r é m e n t le dos au crocodile et à
ses commentaires automatiques. Finis les « je peux pas,
je sais pas », les « je dois y arriver absolument », ou les
« c'est aux autres de » .
Devenir soi s'apprend, s ' é p r o u v e . Tout ceux qui pra-
tiquent une discipline sportive le savent : s ' e n t r a î n e r sup-
pose de commencer doucement pour « chauffer » ses
muscles et assouplir son corps. Exiger trop de l u i , trop
vite, c'est courir au-devant des entorses ou des claqua-
ges. Il en est de m ê m e dans l ' e n t r a î n e m e n t à devenir soi :
commencer doucement, apprendre à s'assouplir, à étirer
son être plutôt qu'exiger de l u i des résultats i m m é d i a t s .
L ' e n t r a î n e m e n t peut se pratiquer au cours des multiples
é v é n e m e n t s de la j o u r n é e . Pour notre corps, nous pou-
vons passer une heure par semaine dans une salle de
sport, ou chaque jour monter à pied les escaliers et mar-
cher sur tout ou partie de son trajet à son travail... Pour
notre être, nous pouvons passer une heure par semaine
en tête à tête avec un « psy ». Nous pouvons aussi nous
é c o u t e r à travers nos é m o t i o n s quotidiennes et pratiquer
des petits pas qui changent des habitudes. N u l doute que,
au moment d'un conflit ou d'une crise, — l ' é p r e u v e spor-
tive de l ' ê t r e —, nous serons mieux entraînés et donc
plus n o u s - m ê m e s .
U n e suggestion, pour cet e n t r a î n e m e n t particulier : le
carnet de bord. P r é c i e u x compagnon de route, il nous
permet de mieux apprécier notre marche. La relecture est
toujours passionnante et c'est le seul moyen de r é e n t e n -
dre nos réactions et les films que nous nous racontons.

L'hypothèse initiale.

Nous sommes riches de potentiels à r é v é l e r ! C'est


parce que nous sommes sourds, aveugles et muets à eux
que nous ne savons pas en profiter et non parce qu'ils
n'existent pas ! C o m m e toute h y p o t h è s e de départ, elle
n'est pas à prouver... ou bien, quand elle l'est, l'hypo-
t h è s e devient un fait. N o s potentiels, c'est ce qu'il est
possible de mettre en œ u v r e en nous.
C'est parce que nous ne prenons pas en compte nos
potentiels que nous les croyons absents. Quitter nos
habitudes défensives, c'est comme quitter une maison
dont nous connaissons les moindres recoins mais qui
n ' é t a i t pas vraiment la n ô t r e , pour entrer dans une maison
apparemment vide mais qui nous appartient vraiment.
Dans celle-ci, nous risquons de nous sentir étrangers :
c'est le stress de la page blanche. C'est nous qui nous
sentons vides !
A l o r s , notre seule liberté bio-logique est de faire cette
h y p o t h è s e : tout ce dont nous avons besoin est déjà là,
chez nous... sauf que, par manque d ' e n t r a î n e m e n t , nous
ne le voyons pas encore. Il faut que notre vision s'accom-
mode. Si nous fermons les yeux par peur du vide ou que
nous courons vers l'ancienne maison, nous ne nous
accordons pas le temps n é c e s s a i r e pour que, bio-logique-
ment, notre aptitude à devenir qui nous sommes se mani-
feste. Pas à pas.
Tant que nous ne quittons pas la maison connue,
e n c o m b r é e et pleine de nos certitudes, de nos croyances
et de nos stratégies défensives, nous ne pourrons
accueillir les potentiels qui sont en nous. Ces potentiels
sont p r é s e n t s et attendent de se r é v é l e r à la l u m i è r e
d ' é v é n e m e n t s r é v é l a t e u r s , comme une photo sous l'effet
d'un bain révélateur. Ils sont nos aptitudes. Des disposi-
tions naturelles dont chacun dispose en propre. L i b é r é e s
de la pression à « faire bien, faire tout juste et vite », elles
sont avant tout une disponibilité de la personne à parti-
ciper à l ' é v é n e m e n t , à s'y impliquer plus qu'à s'y appli-
quer. U n e façon de l'accueillir, de faire avec lui. N o n
contre l u i , non sans l u i . Elles se manifestent dans
l'action, dans la p e n s é e et la parole. Quand nos e x p é r i e n -
ces sont fondées sur nos aptitudes, elles se r é v è l e n t alors
les véritables nourritures de nos besoins.

Nourrir ses besoins.

Les recettes de cuisine toutes faites n'existent pas ou


alors elles seraient, encore une fois, du devoir-faire ! Les
appliquer supposerait que nous n'avons pas d ' i d é e per-
sonnelle, ne pas les appliquer laisserait croire que nous
n'avons pas faim. Dans le chapitre premier, nous avons
é v o q u é la nature de nos besoins : cette nature est l'espace
dans lequel s'inscrivent notre sécurité, notre identité et
notre réalité d ' ê t r e et elle ne peut être confondue avec ce
que nous devons faire !
C'est chaque jour que nous avons besoin de nous
nourrir. S'habiller le matin, choisir parmi ses v ê t e -
ments ceux que nous allons porter peut ê t r e un choix
de s é c u r i t é (avoir chaud), d ' i d e n t i t é (être reconnu dans
son style) comme de réalité de soi (être bien dans sa
peau). Ainsi, tout é v é n e m e n t , quel qu'il soit, peut nour-
rir chacun des trois besoins : notre cerveau traite
l'information selon notre propre filtre. P r é t e n d r e définir
ce qui peut nourrir l'autre nous p a r a î t pour le moins
aléatoire, voire dangereux : on ne peut se substituer au
v é c u de chacun !
Dans l ' é m o t i o n , nous sommes affamés de nous-
m ê m e s . Pas question de rester à jeun, mais, plutôt qu'une
nourriture d'urgence palliative, donnons-nous une nour-
riture judicieuse et a d a p t é e à nos besoins. En d'autres ter-
mes, c'est justement parce que nous avons peu à nous
« mettre sous la dent » (du crocodile) qu'il convient de
bien choisir sa nourriture ! Quand l'angoisse, l'agressi-
vité et la dépression occupent toute la place et envahis-
sent le champ de perception, que notre propre coupe est
pleine d'un soi qui se défend, alors, la nourriture aura
besoin d ' ê t r e légère et subtile.

Nourrir sa sécurité.

Concevoir le « possible » sécurise. Face à l ' é v é n e -


ment et dans l'urgence, nous pouvons respirer ! La res-
piration est la seule fonction du corps à la fois
automatique et volontaire. Se centrer sur son inspiration
et son expiration permet de revenir à soi. De m ê m e , bou-
ger son corps : marcher, courir, nager, b ê c h e r son jardin,
dessiner, cuisiner, faire des mouvements de gymnasti-
que... Il s'agit de donner à son corps une m o b i l i t é , et à
soi une conscience de liberté.
Hors de l'urgence, nourrir sa sécurité, c'est chaque
jour l u i donner, — nous donner —, un aliment qui va aug-
menter la confiance en soi. Entre un abri sûr et la liberté,
il y a l'espace pour introduire le POSSIBLE. La question
devient alors : « Dans cet é v é n e m e n t - l à , qu'est-ce que je
peux, qu'est-ce qu'il m'est possible de penser, de dire,
de faire ? » Ce possible se situe entre le « je dois » (si je
peux, je dois !) et le « pas possible » (qui annule ce qui,
en soi, est encore possible).
C'est en demeurant fidèle à cette question en équilibre
entre deux r é p o n s e s automatiques qu'apparaissent
d'autres r é p o n s e s , celles des potentiels c a c h é s , qui sou-
lagent de l'état de fuite.

Nourrir son identité.


Dans l'urgence, en plus de la respiration, nous pou-
vons parler, nous définir, nous nommer par des mots pro-
n o n c é s ou, mieux encore, rédigés : parler de nous, écrire,
décrire, raconter, é v o q u e r nos sensations, notre travail,
notre j o u r n é e , notre rage, nos réussites, nos erreurs, notre
point de vue... tout ce qui nous passe par la tête, pour
mieux nous reconnaître.
Décrire son « savoir » identifie. Hors de l'urgence,
nourrir son identité, c'est, chaque jour, se donner un a l i -
ment qui va augmenter l'estime de soi. Entre une appar-
tenance à un groupe qui rassure et une différence qui
s'affirme, dans un espace où les deux p ô l e s identitaires
s'éta\ent l'un l'autre, il y a place pour la c o m p é t e n c e , la
sienne propre. La question devient alors : « Dans cet é v é -
nement-là, de quoi suis-je capable ? Quel est mon savoir,
ma valeur, mon aptitude ? » Cette attention p o r t é e à soi
suscite la reconnaissance de ce dont on a déjà été capa-
ble. E l l e nous ouvre les yeux sur ce que nous sommes
DÉJÀ. S'estimer, c'est s'approprier ce qui, en soi, est déjà
présent et l u i donner une valeur à nos propres yeux, sans
nous perdre dans ce qui doit être ou devrait être.
Fidèles à cette question, d'autres r é p o n s e s apparais-
sent qui nous d é t e n d e n t car nous nous y reconnaissons.

Nourrir sa réalité d'être.


Dans l'urgence, en plus de la respiration et des mots,
nous pouvons « faire le silence » en portant notre atten-
tion sur « soi en train de faire », quelle que soit l'action
en cours, dans une « méditation active », afin de se sentir
présents :
— Que fais-tu pendant que tu fais la vaisselle ?
— Pendant que je fais la vaisselle, je fais la vais-
selle. ..
. . . comme nous l'enseigne la tradition orientale.
Agir notre « désir » nous réalise. Hors de l'urgence,
nourrir son besoin d ' ê t r e , c'est, chaque jour, se donner
un aliment qui va augmenter sa sagesse. Entre une soli-
tude qui rassure et une harmonie idéalisée, il y a place
pour son DÉSIR. La question devient alors : « Dans cet
é v é n e m e n t - l à , quel est mon désir ? Qu'est-ce que je
veux ? ». Au-delà de la sensation d'absurde, de vain ou
de nul, et en d e ç à du volontarisme (« Si je désire, je dois
faire »), le désir introduit le mouvement vers et ainsi
porte à l'action.
Nourrir ses besoins, c'est donc faire l ' e x p é r i e n c e de
r é p o n d r e aux trois questions fondamentales :
« Quel est mon possible ? mon savoir ? mon désir ? »
« Qu'est-ce que je peux ? je suis ? je fais ? ».

Une nourriture de qualité.


Pour que les r é p o n s e s aient du goût, elles seront le plus
concrètes possible ! Inutile d'essayer d'endormir le cro-
codile avec des mots d'esprit ou de vaines paroles, il ne
s'en contentera pas et ne nous l â c h e r a pas. En d'autres
termes, nos r é p o n s e s ne nous procureront g u è r e de sou-
lagement, de détente ou d ' é n e r g i e . Plus les r é p o n s e s sont
concrètes et ajustées à l ' é v é n e m e n t révélateur l u i - m ê m e ,
plus l'effet est manifeste : l ' é m o t i o n tombe. Cet effet,
é p r o u v é dans le corps, signe la justesse de notre attitude.
Les réponses seront enfin à la forme grammaticale
affirmative ! L e crocodile étant un animal simple, il a
besoin de formules simples et deux n é g a t i o n s
l'embrouillent... A i n s i , dire de soi « je ne suis pas nul »
est i n c o m p r é h e n s i b l e . En langage simple, cela revient à
dire « je suis bon, capable, quelqu'un de bien, je peux
faire. . . » a u c h o i x ! L a forme grammaticale s ' a v è r e
beaucoup plus importante qu'on ne l'imagine parfois : ici
le mot « nul » r é s o n n e avec la dévalorisation de soi et
appartient au vocabulaire de la défense. Tant que ce mot
est e m p l o y é , nous demeurons dans le champ é m o t i o n n e l
sans entrer dans le champ du potentiel intelligent. Seule
l ' e x p é r i e n c e permet de constater que l e g o û t d'un « je suis
capable » est différent, et meilleur, de celui d'un
« je ne suis pas nul ».
A f i n de nous entraîner à devenir n o u s - m ê m e s , rien ne
vaut une gymnastique mentale quotidienne de petits
pas.

Gymnastique de l'être.

Nous pouvons nous entraîner à chaud: — en plein c œ u r


de l ' é v é n e m e n t révélateur et de notre émotion. Et à froid:
— à distance, dans une relecture de ce qui vient de se
passer pour mieux s'approprier ce que nous y avons
vécu, ce qui s'est passé en nous. À chaud, le film a été
si rapide que parfois nous n'avons pas eu le temps de
comprendre : nous étions déjà dans la réaction é m o t i o n -
nelle, s u b m e r g é s . A distance, revoir le f i l m plus lente-
ment permet d'entendre ce que nous nous sommes dit,
ce que nous avons cru, surtout ce que nous avons res-
senti : l'interdiction, l'impossibilité d ' a c c é d e r à ses pro-
pres besoins. Manque de soi toxique qui a d é c l e n c h é le
plan d'urgence des é m o t i o n s .
On peut m ê m e s ' e n t r a î n e r avant, dans une anticipation
de situation à haut risque é m o t i o n n e l . L'essentiel est
d'exercer r é g u l i è r e m e n t son esprit. Dans toutes les cir-
constances dans lesquelles nous retrouvons le manque et
la peur du manque. Nous cesserons, pas à pas, d ' ê t r e
dupes de n o u s - m ê m e s .
Evidemment, plus la prison mentale est verrouillée,
plus la vigilance et l'endurance s'imposent. Et la
patience, ce qui n'est pas la vertu p r e m i è r e des stratégies
défensives. A u s s i , pour nous aider à ce déverrouillage,
mieux vaut agir par paradoxes et surprises. Car, la
contre-pression étant inefficace, voire aggravante, mieux
vaut ruser avec la bio-logique défensive et prendre le cro-
codile par surprise ! Les ostéopathes connaissent bien
cette façon de faire avec l'organisme physique qu'ils
soulagent : pour libérer une articulation, ils l'accompa-
gnent dans le sens du d é p l a c e m e n t ou de la contracture,
doucement, afin de d é t e n d r e les ligaments et tendons et,
dans cette décontraction obtenue, ils mobilisent alors
l'articulation dans son axe... Le tour est j o u é! L ' ê t r e
psychique n'a rien à gagner à éviter, à lutter contre ou à
nier le crocodile. En l'accompagnant en douceur dans le
sens du besoin qu'il défend, nous le ferons entrer dans
son abri et augmenterons notre liberté.

Lâcher-prise ou avoir-prise ?

Quels sont les traités de psychologie qui ne parlent


pas, sous une forme ou une autre, du fameux lâcher-
prise ? L â c h e r prise signifie cesser de mettre de la pres-
sion sur soi, sur son entourage ou sur un é v é n e m e n t .
Cette incitation est logique face à des comportements
rigides, c'est-à-dire des réactions de défense efficaces et
organisées par rapport à l'objectif défensif. Toutefois,
elle n'a de valeur libératrice que si elle demeure fidèle à
l'objectif intelligent du besoin fondamental. Si elle ne
l'est pas, le b é b é risque fort d ' ê t r e j e t é avec l'eau du
b a i n . . . Quand le lâcher-prise concerne le comportement
réactionnel et non le besoin fondamental, ce désir
contenu en l u i , alors, il a une valeur p é d a g o g i q u e , pour
soi comme pour l'autre.
Lâcher sa peur... mais tenir son besoin. La question
à poser est alors : « Qu'est-ce que je peux lâcher, sans
perdre de vue mon désir de sécurité, d'amour ou d'har-
monie ? » La r é p o n s e contient la peur du manque.
M a i s pour celui qui, dans son sentiment d'impuis-
sance, a la sensation de n'être rien ou de n'avoir rien: —
sinon sa peur, sa fatigue ou sa d é p r e s s i o n —, n'est-il pas
contraire, voire pervers, de l'inciter à lâcher prise ? Pour
l u i , il s'agit plutôt d'avoir prise : c'est en prenant
conscience, dans l ' é v é n e m e n t , du petit pas qu'il peut
faire et en s'y tenant que le processus de libération peut
se mettre en œ u v r e . Pour l u i , l'essentiel sera de ne pas
lâcher, de ne pas se lâcher l u i - m ê m e .

Au cours de l'animation d'un groupe de développe-


ment personnel, une dame de près de soixante ans,
qui avait toujours peur de gêner, très timide, avait
réussi à terminer une partie d'un des exercices pro-
posés. Cet exercice, bien que ludique, avait révélé
chez elle des émotions de repli. Alors que chacun
faisait part de ce qu'il avait vécu pendant et depuis
l'exercice, elle ne disait rien. Pourtant un sourire
enjoué était affiché sur son visage. Quand je lui
proposai de parler, elle se mit à rire doucement et
dit : « Je ne m'en serais jamais crue capable, mais
j'ai réussi. » Je lui demandai de dire haut et fort
son succès à chacun, ce qui provoqua une nouvelle
émotion de repli. Puis elle accepta. Au bout de qua-
tre jours d'entraînement, avec des hauts et des bas,
la dame nous fit part de son bilan : « L'essentiel
pour moi, dit-elle, ce n'est pas vraiment d'avoir
réussi quelques exercices, mais d'avoir tenu bon,
de ne pas m'être découragée. Et ça, c'est nouveau
pour moi. »

L â c h e r - p r i s e et avoir-prise correspondent chacun à un


type de réaction é m o t i o n n e l l e , et nous avons tous à
acquérir cette souplesse de mouvement dans nos
comportements, en r é s o n a n c e avec nos é m o t i o n s .
Une m é t a p h o r e permet de mieux comprendre ce jeu
entre l â c h e r et avoir prise pour devenir soi. Dans la p ê c h e
au gros poisson, lorsque celui-ci a mordu à l ' h a m e ç o n ,
c'est toute une affaire de le ramener à bord car il se
défend, résiste et peut rompre la ligne. Au p ê c h e u r de
laisser au poisson du mou (lâcher), de le ferrer (tenir),
lâcher, ferrer... Tenir trop ferme peut faire casser la
ligne, trop lâcher ne fera pas venir le poisson... Il en est
de m ê m e pour soi !

L'usage du NON pour rompre une habitude défensive.

On pourrait le croire i n a p p r o p r i é tellement les


comportements défensifs crient fort le d é n i de soi ! Or,
justement, oser dire N O N permet de se retrouver, et déjà
de s'entendre dire ce que l ' o n craint tout en craignant
que ce ne soit pas entendu, et d'abord par s o i - m ê m e . Ce
N O N s'adresse d'abord à la pression que nous e x e r ç o n s
sur n o u s - m ê m e s ou que nous é p r o u v o n s au travers des
attentes parentales, sociales ou professionnelles. Il met
un pied dans l'engrenage des r é a c t i o n s d é f e n s i v e s qui
suivent cette pression intérieure, N O N à ce qui est v é c u
comme d é s é c u r i s a n t ou désidentifiant. Il agit comme
une cale que l ' o n met sous la roue de la voiture pour
éviter qu'elle ne descende la pente. Il interrompt le film
q u ' o n se raconte, seul moyen de s'interroger à son pro-
pos, de le questionner dans son message. Paradoxale-
ment, il est souvent plus aisé de s ' é n e r v e r , de hurler ou
de se plaindre que de dire N O N car celui-ci nous pose
déjà comme un i n d i v i d u à part entière : un i n d i v i d u pen-
sant et parlant face à ce qui est v é c u comme m e n a ç a n t
son intégrité. Et surtout un individu différent de ce que
les autres attendent de nous, ces autres qui, dans notre
f i l m , nous frustrent.
L ' i r r u p t i o n du N O N dans la spirale é m o t i o n n e l l e vient
interrompre le o u i du devoir-être, le o u i d ' o b é i s s a n c e par
la peur de mal faire ou de gêner. Il é t o n n e par cette pos-
sibilité soudain offerte de P O U V O I R dire N O N . Il contient
en germe un champ de liberté, de reconnaissance et de
sens, pas encore d é v e l o p p é , mais déjà potentiel. Si nous
pouvons dire N O N , tout n'est pas perdu.
Cette difficulté à dire N O N s'exprime dès les premiers
mots : « Je ne peux pas ! Ça ne marchera jamais, il ne
comprendra pas ! » C o m m e si ce N O N ne pouvait être
destiné qu'à l'autre ou à l ' é v é n e m e n t , j u g é s à l'origine
de notre frustration ! Or, ce N O N nous est destiné. Il est
pour soi, pour ne pas revenir se heurter aux murs du laby-
rinthe. N o n à la peur du manque, non à la d é p e n d a n c e
vis-à-vis de ceux dont on attend sécurité et reconnais-
sance. Ce N O N apporte de la distance entre soi et la situa-
tion révélatrice et permet ainsi de la questionner : à partir
de l u i , que puis-je penser, dire ou faire face à l'autre pour
nourrir ma sécurité, mon identité, ma réalité ?
Il interrompt la spirale défensive et peut être le p r é a m -
bule d'un o u i à venir, plus apte à nourrir les besoins...
plus juste pour l'entourage. Ce N O N accompagne n é c e s -
sairement le passage de l'adolescence : non à ceux qui
sécurisent, identifient et réalisent pour pouvoir dire oui
à ses propres besoins et y r é p o n d r e . Et la crise d'adoles-
cence n'est pas l'apanage des treize-dix-huit ans ! Il n'est
pas d'âge pour en faire l ' e x p é r i e n c e . . .

L'usage du JE pour se réapproprier son être.

M ê m e paradoxe apparent ! À entendre la violence et


le d é s e s p o i r de certains comportements, nous sommes
convaincus de leur é g o c e n t r i s m e . Cet é g o ï s m e défensif
cache de fait un être fragile et craintif. L'accuser de ne
parler que de lui revient à lui ôter la seule planche de salut
qui l u i permette de ne pas couler ! Nos commentaires
émotionnels font appel à la chance ou à la fatalité, à la
facilité, donc à l'absence de m é r i t e , au hasard, aux autres
qui ont bien voulu ou qui ont a i d é . . . « JE » n ' y est pour
rien ! Et l ' o n s ' é t o n n e que quelques heures, jours ou
a n n é e s plus tard, il explose telle une Cocotte-minute !
D ' o ù une incitation à reparler en son nom propre et à
user, voire à abuser, s'il le faut, du J E , seul pronom per-
sonnel à pouvoir parler de soi.
La réappropriation du JE peut s ' a v é r e r un excel-lent
exercice en cas de conflit ou de r è g l e m e n t de comptes.

C'est ce que fit Dominique, soucieux de liquider son


différend avec son ami. Il lui écrivit une lettre qui
« devait mettre les choses au point une fois pour
toutes », et dont voici des extraits : « Mon cher R.,
je ne suis pas près d'oublier cette soirée. Tu t'es
conduit comme un vrai salaud, tu m'as humilié
devant nos amis, jamais je n'aurais cru ça de toi...
Je ne comprends rien à ton comportement et je
regrette de ne pas t'avoir mis mon poing sur la
gueule... Tu n'avais pas le droit de me faire ça. Tu
m'as trahi. Tu as brisé notre amitié. Salut. » Domi-
nique, en mal d'identité face à son ami R., pensait
en toute sincérité s'affirmer grâce à cette lettre.
Avant qu'il ne l'envoie, je lui proposai de modifier
non l'intention: — s'affirmer —, mais la forme en
ôtant les TU, et en les remplaçant par des JE ou bien
par la description de faits. Voici le résultat :
« Cher R., je ne suis pas près d'oublier cette soirée.
Je t'ai vu te conduire comme un vrai salaud. Je me
suis senti humilié devant nos amis, jamais je
n'aurais cru ça de toi... Je ne comprends pas ton
comportement et je regrette de ne pas m'être expli-
qué avec toi... Je me sens trahi. Je ne suis plus ton
ami. Dommage. Salut. »
Après un dernier changement qui précisait les faits:
— ici les mots —, plutôt que le jugement de « vrai
salaud », Dominique se sentait en accord avec lui-
même et décidait non d'envoyer sa lettre, mais
d'avoir un rendez-vous de mise au point (et non au
poing !) avec son ami qui, défait, devint son ex-ami.

L e M O I - J E défensif est un habillage plus ou moins gros-


sier qui tente de justifier son é m o t i o n . Un JE qui « en
rajoute » et se vante, se défend un peu plus qu'un autre.
Il parle au n o m de la peur du manque et non de soi. À
l ' é c o u t e r de près, nous pourrons entendre à quel point il
est cerné, agressé ou bafoué par les autres. N o m m é s ou
non : ils, elles, tu, on, apparaissent alors comme autant de
menaces. L'usage du ON est une autre façon d'annuler le
J E . ON, c'est l'ensemble des « autres que nous » dont nous
avons du mal à nous défaire. Quand, dans notre propos,
nous passons du JE au O N , nous pouvons entendre que
nous avons introduit les Autres dans l'espace de nos
besoins. De m ê m e , l'usage du TU e m p l o y é en lieu et
place du JE signale l ' a r r i v é e de l'autre derrière lequel
nous nous abritons pour nous exprimer. Nous pouvons
alors nous interroger : « Suis-je comme eux ? Est-ce que
ce sont eux qui parlent pour m o i ou m o i qui parle pour
eux ? »
Encourager le JE à s'exprimer dans la p e n s é e , la parole
et l'action est un outil de réappropriation de soi. Recon-
naître le JE au milieu de commentaires qui auraient ten-
dance à le reléguer en arrière-plan non seulement
n'augmente pas l'ego, mais au contraire l'apaise.

L'usage du «faire comme si ».

Un jour est arrivée à mon cabinet une « petite


dame » au visage triste et effacé. Elle s'assit sur le
bord du fauteuil et me raconta qu'elle venait me
voir parce qu'une amie le lui avait conseillé et
qu'elle était déprimée. « Je ne fais rien de mes jour-
nées parce que je suis fatiguée. Je n'ai de goût à
rien, tout m'ennuie et je m'en veux parce que je fais
mener à mes enfants une vie intenable. Ce n'est pas
drôle pour eux d'avoir une mère toujours épuisée
et qui se traîne. »
Fonctionnaire, elle était à mi-temps thérapeutique:
— «à cause de ma dépression, vous compre-
nez... ». Devant la description d'une vie aussi
organisée autour de son état, je demandai en fin
d'entretien ce qu'elle aurait plaisir à faire si elle
n'était pas si déprimée. Quelques secondes plus
tard, comme si mes mots avaient appuyé sur un res-
sort, je n'avais plus la même personne sous les
yeux : le visage animé, droite dans le fauteuil, elle
me racontait qu'elle aimerait voyager avec une
amie, d'autant que ses enfants maintenant étaient
grands, et surtout aller en Egypte, que c'était son
rêve depuis longtemps, et aussi qu'elle irait au
concert, et « pourtant, je ne connais rien à la musi-
que, mais ça me plairait... ». Aussi subitement
qu'elle s'était éveillée, elle s'écroula et son visage
redevint triste et la phrase tomba comme un coupe-
ret : « Mais ce n'est pas possible, je suis trop fati-
guée et déprimée. »

Pendant un court instant, cette femme avait « fait


comme si ». E l l e fut bien é t o n n é e de sa propre réaction
qui l u i servit de r e p è r e dans le cheminement qu'elle
entreprit. C e l u i - c i lui permit très rapidement de se rendre
à un premier concert, a c c o m p a g n é e de ses fils, ravis.
Faire comme si pour goûter à soi autrement. Son
usage nous permet de nous projeter a u - d e l à de nos peurs,
de nos manques et des certitudes qui leur sont a t t a c h é e s .
D ' ê t r e un « autre », accessible au plaisir d ' ê t r e plutôt que
f e r m é à l u i , au demeurant plus authentique que le m o i
qui se défend. C o m m e si nous pratiquions un trou au tra-
vers du mur de notre prison mentale pour mieux nous
voir, pour y trouver aussi une motivation. Pour se pro-
mouvoir. La limite de la m a n œ u v r e et l'intention ne doi-
vent concerner strictement que soi. N o n l'autre dans ce
qu'il devrait faire pour nous ou ce qu'il devrait être pour
l u i - m ê m e . . . selon nous.
Certes, les commentaires nous attendent au retour :
« Ça n'est pas si simple », « s'il suffisait de », « faut pas
r ê v e r » . . . Outre qu'aucun décret ne peut interdire le r ê v e ,
le « faire comme si » ne résout pas les difficultés m a t é -
rielles ou relationnelles de façon magique. Il permet en
revanche de mieux nous disposer pour aborder non plus
des difficultés mais des étapes. Autrement dit, pour que
nous disposions mieux de nos aptitudes à inventer.

Après un grave accident de voiture à la suite duquel


il avait sombré trois jours dans le coma, Mathieu
s'en était sorti sans séquelles. Toutefois, les assu-
rances exigeaient des examens de contrôle auprès
de médecins experts. L'un d'eux terrifiait cet enfant
de onze ans au point que, devant lui, il ne savait
plus que répondre. Passionné par les animaux, il
souhaitait devenir vétérinaire. Je lui demandai quel
animal pouvait, à son avis, faire le poids face à ce
médecin. Sans hésiter, il répondit : « L'ours blanc
d'Alaska ! » Alors commença une séance de visua-
lisation durant laquelle Mathieu s'identifia à cet
animal, en « rentrant dans sa peau ». Ainsi en pos-
session de sa propre force, nous jouâmes l'examen
qui aurait lieu le surlendemain. L'enfant y trouva
des tas de réponses. Les jours suivants, je reçus une
carte postale : il me racontait que le contrôle médi-
cal s'était bien passé et signait « l'ours blanc
d'Alaska ».

Traitement d'urgence autant que de fond, le « faire


comme si » n ' a besoin que de r e c o n n a î t r e l ' i n t e n -
tion du besoin et la nature de l ' é t a t é m o t i o n n e l d é f e n -
sif. Sans recours analytique ni n é c e s s i t é de croire aux
miracles.
Il trouve son plein effet dans l ' e n t r a î n e m e n t qui
s'ensuit, quand ce qui a été « projeté » peut être p e n s é ,
parlé, e x p é r i m e n t é . Ce qui était virtuel, petit à petit,
prend forme en s o i . . . parce que nous l u i donnons forme
et d é v e l o p p o n s ainsi une motivation autre que défensive.

L'usage délibéré de l'objectif défensif.


Il s'agit là d'aller mentalement, — voire c o n c r è t e -
ment —, plus avant vers ce qui est implicite mais i m p é -
ratif dans la réaction é m o t i o n n e l l e : échapper, se sauver
dans la fuite, avoir raison, maîtriser dans la lutte, passer
inaperçu, s'effacer dans le repli. Car décoder les béné-
fices occultes de ses émotions « positives » aide à s'en
détacher. Une fois considérés ces objectifs acquis, se
mettre à l ' é c o u t e des bénéfices concrets que l'on pourrait
en tirer : imaginons que je parvienne à fuir ou à gagner,
quels seront les gains, les soulagements, les change-
ments ?
Cet exercice procure un confort à court terme, mais
réel, lié au bien-fondé m ê m e de la stratégie défensive :
j'ai réussi à me sauver, à maîtriser, à avoir la paix !
U n e fois « en possession » de l'objectif après lequel
nous courions, celui-ci apparaît pour ce qu'il est, c'est-
à-dire un palliatif, un apaisement, un mal, la peur du
manque. En d'autres termes : « J'ai réussi, et alors, ça
m'avance à quoi ? » De fait, le manque étant toujours
présent et le besoin mal nourri, le « p r o b l è m e de soi »
demeure. Encore fallait-il s'en apercevoir.
E n f i n , cet usage permet l'identification des bénéfices
concrets attendus de l'efficacité défensive.

— Si on te laissait tranquille, que ferais-tu de ta


tranquillité ?
— Je pourrais voir plus souvent mes amis et je
pourrais lire d'autres livres que ceux que je dois
lire pour la classe, répondait Sabine, quinze ans.
— Quels autres moyens as-tu de voir plus tes amis
et d'avoir plus de temps pour toi, pour lire... ( autres
que faire l'école buissonnière...) ?

Les r é p o n s e s ne sont pas toujours si directes ou si sim-


ples à é n o n c e r . Elles sont m ê m e souvent p r é c é d é e s d'une
sorte de jouissance ou plutôt d'ivresse à a c c é d e r menta-
lement à notre pouvoir de réaliser notre objectif défen-
sif ! Nous devenons comme un jeune chien qui, tenu en
laisse depuis des heures, réussit à s ' é c h a p p e r et, tout
excité, file le plus loin possible de ses m a î t r e s . . . Il s'arrê-
tera probablement au bout d'un moment, quitte à revenir
gambader autour d'eux. L'exercice demande alors un
peu de patience et d'accepter que les p r e m i è r e s r é p o n s e s
soient l'expression du soulagement d ' é c h a p p e r à la pres-
sion du devoir-être. Pas forcément les plus justes. Dans
l'exemple de Sabine, les premiers bénéfices auraient pu
être « dormir toute la j o u r n é e » ou « regarder à la télévi-
sion tout ce que je veux ». Le caractère absolu, en forme
de tout, de ces r é p o n s e s , n'abuse pas son auteur l u i -
m ê m e . Provocateur, le temps de jouir de cette liberté
r e t r o u v é e . C'est à nous d ' é c o u t e r la suite. Dans les
r é p o n s e s à venir se trouveront des nourritures plus
conformes aux besoins fondamentaux.

L'usage du paradoxe.
Là encore, il s'agit de prendre le crocodile par sur-
prise. Plutôt que de nous en faire le reproche, pourquoi
ne pas nous féliciter de nos propres défenses et des b é n é -
fices qu'elles nous accordent ? A p r è s tout, elles nous ont
aidés à survivre aux pressions parentales et culturelles,
et nous aident encore. A p p r é c i e r nos c o l è r e s , notre t i m i -
dité, nos bouderies, notre r a n c œ u r , notre excitation, les
nôtres comme celles des autres, c'est d'abord r e c o n n a î t r e
avec h u m i l i t é , voire humour, que nous sommes...
humains. C'est cesser de nous en vouloir pour nous pren-
dre tels que nous sommes avec h o n n ê t e t é . Le paradoxe
ne demande pas tant d'aimer ses comportements que de
s'aimer soi, — et d'aimer l'autre —, y compris dans ses
comportements. Il d é - d r a m a t i s e ce que nous devrions
être au profit de qui nous sommes. En décodant les
bénéfices de nos émotions « négatives », nous nous
réconcilions avec nous-mêmes.
Jouer s i n c è r e m e n t le paradoxe, c'est faire une liste, la
plus longue possible, des bénéfices obtenus g r â c e aux
réactions de fuite, de lutte ou de repli sur soi, et nous
remercier n o u s - m ê m e s du fond du c œ u r ! Et jouer ainsi
avec ce que nous aimons le moins : les reproches, les
accusations, la fragilité, les disputes, les fautes, les
peurs... La phrase pourrait commencer par « g r â c e à ma
fragilité, j e . . . ».

Anne est malheureuse. Son couple s'effiloche. « Je


rame pour qu'on arrive à se retrouver, à partager
des projets, des moments ensemble. J'essaie de me
rendre disponible et lui n'a jamais le temps. Il évite
de plus en plus de parler de nous et quand j'aborde
le sujet, il m'écoute à peine et part sur autre chose.
Si j'insiste, il me dit que je fais des histoires pour
rien et que je lui mets la pression. » Un événement
révélateur: — changement de travail pour elle —, a
accentué leurs émotions. Elle a besoin de plus
d'harmonie auprès de son mari car sa nouvelle
fonction la «fatigue » et elle attend beaucoup de
lui. Il vit cette demande implicite comme une pres-
sion qu'il fuit dans la crainte d'être étouffé. L'évo-
cation de ses bénéfices à elle du fait de
l'indisponibilité de son mari l'a laissée sans voix !
Elle ne voit pas ! Puis elle parle de sa dépendance
vis-à-vis de lui, dit que ses attentes ne sont pas une
solution. Mais « de là à parler d'avantages » ! Plus
tard, elle parle du roller qu'elle pratique le diman-
che... « même que mon mari m'a rejointe ». Son
visage sourit.

L'usage du paradoxe nous aide à prendre du recul sur


l ' é v é n e m e n t censé faire mal : l ' a b s u r d i t é apparente
d'avoir à « aimer ce qui fait mal » court-circuite les habi-
tudes du crocodile. Le temps qu'il réalise ce qu'on l u i
raconte, — le paradoxe est un langage d'humain mais non
de reptile ! —, l'intelligence du besoin a repris le dessus.

Les exercices de gymnastique mentale ne s'arrêtent


pas là. Nous pouvons inventer les nôtres pour entraîner
notre marche a u - d e l à des murs du labyrinthe. Ils seront
bons dès lors qu'ils nous d é r o u t e r o n t de nos automatis-
mes bio-logiques de défense ! Et pourquoi pas le silence
quand tout s'agite en et autour de nous... ?
10.

Apprendre à être en relation.

Ne t'occupe pas de la récolte


mais uniquement de tes semailles.

Proverbe.

Être, c'est être en relation, et d'abord en relation avec


l'autre. Il est là et nous interpelle. Nous avons du mal à
faire sans l u i , et du mal à faire avec. Il y a des jours où
nous r ê v o n s d'une île déserte, d'une grotte au fond d'un
désert, d'autres où notre solitude p è s e dix tonnes, où le
téléphone semble être un cordon ombilical de survie...
La relation peut être é p h é m è r e , telle une rencontre
i m p r é v u e lors d'un accrochage de voiture, ou de longue
durée, tels un couple ou la famille. Interpellé par l'autre,
tenté d ' é c h a p p e r au lien qui nous réunit ou au contraire
tenté de le maîtriser, tantôt distancié, tantôt fusionnel, qui
peut se prétendre indifférent au regard des autres ? Le
« non-soi », comme disent les immunologistes, est un
étranger qui nous ressemble comme un frère. D i f f i c i l e ,
de ce fait, de le considérer comme un é v é n e m e n t . . . et
pourtant.
Pour appliquer la bio-logique à nos relations, quelles
soient affectives, professionnelles ou spirituelles, consi-
dérons que la relation est un système à trois entités : soi,
l'autre et ce qui passe entre les deux que nous nomme-
rons la relation : un lien qui nous relie.
Dans ce lien s'expriment les désirs intelligents, les
é m o t i o n s , les manques et les attentes de chacun. La rela-
tion introduit en nous, que nous le voulions ou non, la
p r é s e n c e de l'autre. Il n'y a plus soi, il y a soi ET l'autre.
U n E T que nous transformons en C O N T R E , dans nos réac-
tions défensives, ce qui a pour effet de repousser cet autre
qui nous dérange. Et alors de faire sans lui. . . Un E T que
nous transformons en POUR, qui absorbe l'autre, l'envahit
de notre amour ou de nos reproches. Pouvons-nous alors
être é t o n n é s que cet autre nous repousse et veuille faire
S A N S nous ? L'autre est l ' é v é n e m e n t le plus révélateur de
nos réactions é m o t i o n n e l l e s , et ce d'autant plus que ses
comportements font é c h o aux nôtres. Être en relation,
c'est être F A C E À F A C E . S'en défendre, c'est balancer
entre un « vouloir tout » de l'autre pour soi qui rassure
et un « donner tout de soi » à l'autre qui nous sacrifie.

L'autre, objet de nos émotions.

D è s lors que le désir intelligent de relation est parasité


par l ' é m o t i o n , par la peur du manque, le lien change de
nature : l'autre cesse d ' ê t r e sujet libre de la relation pour
devenir objet de nos peurs. Dans cette sensation, plus
physique que réfléchie, cet autre ne va pas manquer de
réagir : révolte, évitement, repli deviennent alors ses stra-
tégies pour se défendre de cette image d'objet qu'il se
sent devenir sous notre regard. Stupéfaits, nous enten-
dons sa réaction : « Tu me prends pour un objet qu'on
d é p l a c e à volonté. » Nous n'avons é v i d e m m e n t jamais
eu cette intention...
En effet, la relation à l'autre nous fait rejouer les scè-
nes initiales de l'apprentissage relationnel avec nos
parents, avec notre fratrie s'il y a lieu, — mais quel enfant
unique ne s'est pas r ê v é un frère ou une s œ u r (quitte à
les rejeter) ? Ces s c è n e s se sont j o u é e s autour de la p r é -
sence et de l'absence, du dit et du non-dit, du désir et de
l'interdit, du possible et de l'impossible, du flou et de la
rigueur, de la m è r e et du p è r e . . .
Dans une relation de type m o d è l e / c o n t r e - m o d è l e avec
le parent de m ê m e sexe que le nôtre, de type attirance/
frustration avec le parent du sexe o p p o s é au nôtre, il est
question d'un jeu entre fusion et solitude. Idéalisation ou
rejet pour l'une, possession ou frustration pour l'autre :
dans ces espaces se joue l'apprentissage de la relation à
l'autre, avec une rencontre des besoins fondamentaux.
Quand cette relation devient existentielle, les réactions
de défense se heurtent : rencontre de deux sécurités, de
deux identités, de deux réalités, à nourrir impérative-
ment. Dans l'émotion, la relation devient une confron-
tation.
Q u i rassure l'autre ? Est-ce la m è r e qui rassure son
enfant en le nourrissant et en le berçant, ou l'enfant qui
rassure sa m è r e i n q u i è t e en s'endormant paisiblement ?
Ou l'un et l'autre dans un é c h a n g e mutuel ?
Q u i identifie l'autre ? Le p è r e son enfant en l u i trans-
mettant son nom, sa structure, ou l'enfant son p è r e en l u i
assurant le titre de p è r e et de continuateur de sa l i g n é e ?
Q u i réalise l'autre ? Le parent son enfant en l u i per-
mettant de d é v e l o p p e r ses capacités ou l'enfant son
parent en l u i permettant de transmettre ses propres capa-
cités ?
A i n s i se bâtit la relation, dans un é c h o entre le désir
de l'un et le désir de l'autre. Et quand celui-ci est parasité
par la peur du manque, l ' é c h o se fera entre deux é m o -
tions, deux monologues, deux peurs qui se heurteront.
Entre la peur de parler et la peur d'entendre, entre la
force et la faiblesse, jusqu'entre le bourreau et la victime.
L'autre devient l'objet existentiel qui sécurise, identi-
fie ou réalise. Le d é s é q u i l i b r e s'installe entre ce qui est
d o n n é et ce qui est reçu : la peur, la pression et l'attente
sont m ê l é e s à la relation et la parasitent.
L'autre devient r e p è r e pour soi.
L'autre devient signe d'amour et de reconnaissance
pour soi.
L'autre devient donneur de sens pour soi.
L'autre est devenu notre solution... à moins que ce ne
soit le contraire.
Le parasitage est d'autant plus toxique qu'il n'est pas
conscient. Tant que l'autre r é p o n d à notre attente, nous
pensons s i n c è r e m e n t que tout va bien. S i , pour des rai-
sons qui lui sont propres, é m o t i o n n e l l e s ou non, il vient
à manquer, c'est la catastrophe ! Nous vérifions alors
notre peur et notre é v i d e n c e , selon lesquelles, sans lui,
sans elle, « je ne suis pas bien, je suis tout seul, je
m'ennuie, je ne suis rien... ».
La projection existentielle sur l'autre est devenue à la
fois notre b o u é e de sauvetage et notre prison. Nous voilà
d é p e n d a n t s de notre lien. Que nous soyons donneurs ou
receveurs, transfuseurs ou transfusés ne change rien aux
murs du labyrinthe et à la peur du crocodile. Il y a d é p l a -
cement sur l'autre de notre propre désir d ' ê t r e , dont, de
fait, nous nous d é p o s s é d o n s . L'autre, en revanche, s'en
trouve c h a r g é , voire surchargé, avec la sensation d'en
avoir plein le dos ! Pour autant, sommes-nous d é c h a r g é s
et donc légers ? M ê m e pas ! Le manque de désir p è s e
lourd sur nos épaules ! Et la d é p e n d a n c e s'installe.
Si d é p e n d a n c e il y a, c'est parce que l'autre est pour
nous un miroir. Ses réactions, ses stratégies émotionnel-
les r é p o n d e n t aux nôtres, ce sont les m ê m e s . . . à l'envers.
Efficaces chez l ' u n , inefficaces chez l'autre. L'associa-
tion des deux types de réactions forme une seule per-
sonne ! L'acquisition de notre autonomie ne peut se faire
sans une r é a p p r o p r i a t i o n de soi, de nos besoins et de nos
potentiels. Autonomie qui ne signifie pas forcément rup-
ture, mais apprentissage dans la relation.

Quand Hélène rencontre Paul, ils partagent les


mêmes bancs d'université. Lui est très actif, tou-
jours en mouvement, joueur, entouré d'amis et vite
angoissé. Elle est plus réservée et sûre d'elle. Aux
yeux de leurs amis, ils forment un couple équilibré,
l'un amenant la fantaisie, l'autre l'ordre néces-
saire. L'arrivée des jumeaux vint rompre la dépen-
dance mutuelle d'Hélène et de Paul : trop
accaparée par les enfants et son travail, elle ne ras-
surait plus son mari. Trop inquiet dans son nouveau
statut de père, il n'égayait plus le couple. Dans leur
incompréhension réciproque, ils se reprochaient ce
qu'ils avaient aimé la veille, frustrés et déçus.
Quand je les reçus, — l'un puis l'autre, puis les deux
ensemble —, la plus grande difficulté a été de faire
parler Hélène d'Hélène et Paul de Paul. C'était
comme s'ils n'avaient rien à dire d'eux-mêmes tant
ils étaient intarissables sur leur conjoint.
— A croire que je doive m'adresser à Paul pour
savoir ce que pense, veut et fait Hélène, et à Hélène
pour savoir ce que pense, veut et fait Paul...
— Mais non, pas du tout, mais il... mais elle...
Ils avaient à apprendre à devenir autonomes, et à
faire dépendre leurs besoins plus d'eux-mêmes que
de l'autre.

S'occuper ou occuper ?

Un professeur de philosophie racontait qu'avant de


commencer son cours sur la liberté, il demandait à ses
élèves de l u i donner le terme qui, selon eux, correspon-
dait au contraire de liberté. Et chacun de proposer prison,
enfermement, détention, lien, contrainte, obligation,
étouffement, etc. Insatisfait, il demandait alors comment
se nommaient en France les deux zones séparées par la
ligne de d é m a r c a t i o n pendant la d e r n i è r e guerre mon-
diale. Les élèves alors précisaient la zone libre et la zone
o c c u p é e . « L'occupation est le contraire de la liberté »,
disait-il.
Le louable souci de s'occuper de l'autre peut
cacher la difficulté à s'occuper soi-même. C'est bien
l'occupation par l'autre, présent ou non, qui décrit le
mieux le trouble de la relation. Or comment ne pas faire
le rapprochement avec le souci et l'amour qui nous
conduisent à nous occuper de ceux qui, à nos yeux, en
ont besoin ? M a i s que se passe-t-il quand l'aide, le souci,
l'attention envers l u i sont altérés par l ' é m o t i o n , quand
l'autre est objet de notre sollicitude ?

Stéphanie a seize ans. Elle vient accompagnée de


sa mère. Quand j'ouvre la porte de la salle
d'attente, elle reste assise alors que sa mère se lève.
Je fais entrer Stéphanie, demandant à sa mère de
bien vouloir attendre. Elle me répond qu'elle craint
que sa fille ne soit pas claire dans ses explications,
mais se rassoit. Après un temps d'entretien consa-
cré à la grande fille, je fais entrer sa mère. Une très
longue justification s'ensuit qui pourrait se résumer
par : « le soin et l'énergie que j'ai dépensés pour
m'occuper de ma fille, par ailleurs si sensible et si
peu autonome, et surtout depuis que son père a
trouvé un travail qui l'éloigne de nous cinq jours
sur sept ». Quelques semaines plus tard, la mère
demandait à me voir seule.
— Je reconnais que vos entretiens font du bien à
ma fille. Elle fait des efforts pour prendre un peu
d'autonomie : elle a du mal, la pauvre, mais elle
s'affirme plus, je le vois. Mais c'est moi qui ne sais
plus bien quoi faire... Vous comprenez, j'avais
l'habitude de m'occuper d'elle, de son emploi du
temps, de ses devoirs, je vérifiais son sac le matin,
je rangeais sa chambre. Pas plus tard qu'hier, elle
m'a prise par la main et m'a fait sortir alors que je
voulais simplement plier un de ses pulls.
— Est-ce important pour vous de vous occuper
d'elle ?
— Depuis que son père a ce travail loin de la mai-
son, elle est tout pour moi !
— Vous n'avez jamais eu de travail ou d'occupa-
tion personnelle ?
— Dans ma famille, les filles ne faisaient pas d'étu-
des. Mon mari m'a encouragée à faire une forma-
tion, mais j'ai cru que c'était pour me faire partir
de la maison. Et puis j'avais beaucoup à faire.
Aujourd'hui je ne supporte pas l'idée qu'elle
devienne autonome, sans moi...
Côté Stéphanie, après la phase euphorique des pre-
miers temps de son émancipation commencent à
apparaître les résistances à l'autonomie et à la res-
ponsabilisation. Elle mesurait le « confort » d'une
relation dans laquelle sa mère s'occupait d'elle et
découvrit sa peur de manquer de sécurité et son peu
de confiance en elle.

Une autre forme relationnelle pouvait se mettre en


place, dans une conscience des attentes et des frustrations
de chacune, mais aussi dans l ' e x p é r i m e n t a t i o n de leurs
potentiels respectifs.
S'occuper de l'autre peut signifier prendre l'autre
comme une solution. Quand la peur du manque s'en
m ê l e , s'occuper de l'autre se traduit par parler pour
l'autre: — ah, la tentation de finir ses phrases ! —, penser
ou agir à sa place. En fait, nous passons par l'autre pour
parler de nous, penser à nous, agir pour nous. L'autre
devient le p r é t e x t e de l'expression de nos besoins fonda-
mentaux. Faute d'en être conscients, faute de les assu-
mer, nous utilisons ceux qui, à p o r t é e de notre main ou
de notre voix, justifieront nos désirs. S'ils s'éloignent ou
s'y refusent, nos besoins refoulés ne trouvent plus à se
manifester autrement que dans des réactions é m o t i o n n e l -
les désorganisées et impuissantes.
Ce parasitage de la relation rend inaudible le désir
juste et intelligent qui est au c œ u r du comportement. Au
point que celui qui le « subit » ne peut imaginer qu'il y
ait m ê m e une once de bienveillance. « E l l e veut me gar-
der pour elle toute seule, elle est égoïste, un monstre
d ' é g o ï s m e . . . », disait Stéphanie de sa m è r e , des mots qui
traduisaient à la fois i n c o m p r é h e n s i o n et peur.

Quand son père parle de Fabrice, il n'a pas de qua-


lificatifs assez durs pour décrire sa déception et sa
rancœur contre son fils : « fainéant, paresseux,
incapable, nul, prétentieux ». A l'entendre, Fabrice
est un bon à rien qu'il devrait virer de chez lui. Mes
tentatives sont vaines pour lui faire entendre
l'attente de son fils d'une relation qui lui donne,
enfin, la sensation d'exister pour ce qu'il est et non
pour ce qu'il devrait être.
— Pourriez-vous trouver une toute petite satisfac-
tion que vous donne Fabrice ?
— Aucune.
— Même très modeste ?
— Aucune, vraiment, même en cherchant.
— Va-t-il tous les jours en classe ?
— Évidemment, il ne manquerait plus qu'il n'y aille
pas !
— Vous savez que nombre d'adolescents sèchent
les cours, voire décrochent de leurs études ?
— Oui, bien sûr ! Les parents ne s'en occupent pas,
alors...
— Ce n'est pas la seule raison. Avez-vous un jour
manifesté à Fabrice votre satisfaction quant à son
assiduité aux cours ?
Bouche bée, le père me regarde. Il n'est pas sûr de
comprendre ou, plutôt, ce qu'il comprend le laisse
sans voix. Il cherche néanmoins à comprendre. La
semaine suivante, Fabrice me raconta, un sourire
aux lèvres, comment son père, l'air bizarre, était
entré dans sa chambre, avait fait une réflexion sur
le désordre et évoqué qu'il était content de le voir
à son bureau et content de voir qu'il s'accrochait
à ses études. « J'étais tellement soufflé d'entendre
ça que je n'ai pu que bafouiller un merci idiot. »
Le besoin de réalité d'être de Fabrice avait trouvé un
premier écho chez son père. Un début dans le changement
chez cet adolescent qui avait l ' « art » de saboter ses études.
Petits changements, petits pas qui m è n e n t sur le chemin
d'une relation mieux nourrie, parce que plus respectueuse
de l ' u n et de l'autre. C'est avec cette lecture bio-logique
que nous pouvons mieux saisir cette m é t a p h o r e : quand un
homme a faim, le premier jour, donne-lui à manger, le
d e u x i è m e jour, apprends-lui à pêcher, le troisième jour,
ferme-lui ta porte. Un bel hommage à la relation d'aide.

Préambules à la relation.

Favoriser une relation commence par un questionne-


ment personnel.

André est à quelques années de la retraite. Au tra-


vail, il est dépassé par la « jeune génération ».
— Il y a un nouveau dans notre équipe. Il n'a pas
trente ans et se croit tout permis. C'est tout juste
s'il ne veut pas m'apprendre le métier ! Aucun res-
pect !
Ce mot revient fréquemment comme une évidence...
et une souffrance.
Quel est son désir, son attente à lui ?
— Je veux qu'il me respecte !
Quelle est sa peur (son émotion) s'il ne reçoit pas
ce dont il a besoin ?
—J'ai l'impression de ne plus avoir de place,
d'être inutile, trop vieux, bon à jeter...
Que serait, pour lui, une marque de respect
concrète et significative ?
—... Je ne sais pas trop, de la politesse, de l'intérêt
peut-être.
— Plus précisément ?
— Qu'il reconnaisse que j'ai quelque chose à lui
apprendre !
Quelle image de lui projette-t-il quand il ressent
l'émotion du manque de respect ?
— Je ne le supporte pas, je le surveille et je lui
tombe dessus dès qu'il fait quelque chose de tra-
vers. Je ne suis pas tendre avec lui, c'est sûr !

La relation, c'est d'abord une occasion de se ques-


tionner soi. Passage obligé de ce p r é a m b u l e , l'honnêteté
envers son propre comportement est souvent d é s a g r é a -
ble, tant le bien-fondé de l'intention justifie nos compor-
tements. Cette image de soi que l'autre voit, mieux vaut
en être conscient, ne serait-ce que pour pouvoir en parler
et ne pas recevoir un choc si cet autre nous reproche nos
mots et nos attitudes. Car, à un moment ou à un autre,
cette image nous reviendra et p e u t - ê t r e sans m é n a g e -
ment, tel un boomerang.
Le p r é a m b u l e se poursuit par le questionnement des
comportements de l'autre.

Dans quel état intérieur est-il ? Ouvert à la relation


ou bien sur la défensive ? Dans ce cas, est-il réactif
en fuite, en lutte, ou est-il replié sur lui-même ?
Quel est son manque et quel est son besoin ?
Alors, quel effet ont sur lui les paroles qu'il entend
et les attitudes qu'il voit ? Envie de partir, de râler,
de disparaître sous terre, de hurler... ?
Où se situe le problème du respect ? Uniquement
chez cet autre qui ne lui donne pas ce dont il a
besoin, ou, aussi, chez lui qui a peur de manquer et
qui ne se donne pas ce dont il a besoin ?

Ce p r é a m b u l e permet de se positionner autrement dans


la relation, non plus simplement dans une attente passive
ou réactive, mais dans une inventivité.

Que peut-il donner dans cette relation pour obtenir


plus de respect, plus de reconnaissance... autre que
sa peur de ne pas recevoir ? Que donne-t-il déjà,
que peut-il donner de plus et dans quelle limite ?
Ce dernier point est important : la peur qu'en don-
nant la main l'autre ne nous prenne le bras ou la
culpabilité de ne pas donner assez peuvent parasi-
ter l'échange. Autant être clair sur notre don.
— Je pourrais lui montrer ce que j'ai fait sur le der-
nier projet... mais il s'en moque...
Le lui a-t-il déjà proposé ?
— Non, en fait, je ne sais pas comment il réagirait...
Compte tenu de l'état réactionnel de l'autre, pour
autant qu'il le connaisse, que peut-il recevoir de lui ?
— Rien !
Mais encore ?
— Qu'il me demande comment faire !
Fantasme du tout ou rien ! Si nous demandons à
l'autre ce qu'il n'a pas ou ce qu'il ne peut nous don-
ner, nous ne pourrons recevoir de lui ce qu'il est
prêt à nous donner.
— Qu'il me raconte ce qu'il a appris dans les nou-
velles techniques.
Qu'est-ce qu'il est prêt à accepter et à ne pas
accepter ?
— Je ne peux pas tout réapprendre mais, un peu,
ça m'intéresse...

C e l u i qui s'occupe de nous avec beaucoup (trop) de


sollicitude est toujours prêt à donner de son énergie et
de sa personne. D ' o ù cette question qui interroge notre
liberté d'accepter ou non des cadeaux, parasités par
l ' é m o t i o n du donneur. Pour éviter d'en arriver à des ges-
tes symboliques tels ceux de la petite Karine qui donnait
à ses amies de classe les cadeaux de son p è r e au nom de
« s'il croit m'acheter avec ses trucs » ou de Ghilaine qui,
en é p o u s s e t a n t la c h e m i n é e avec vigueur, essayait vaine-
ment de faire tomber le vase de mariage de sa b e l l e - m è r e
qui la narguait, mais qu'elle n'osait pas d é p l a c e r ! En
p r é a m b u l e à la relation, ces questions personnelles sont
un passage pour que la rencontre puisse avoir lieu. Elles
n ' ô t e n t rien à la magie que peut être la d é c o u v e r t e de
l'autre. Elles ajoutent de la clarté et évitent les malenten-
dus. Sans elles, chacun risque de demeurer dans sa
réserve, son m o d è l e ou son attente, d ' é v i t e r de se livrer
ou de se mettre à nu. Or, qui est plus fragile que celui
qui aborde la relation dans la peur de donner et de ne pas
recevoir, dans la peur d ' ê t r e d é n u d é ou d ' ê t r e étouffé ou
dans la pression de devoir « se livrer à 150 % » ?
Quand la relation souffre des s y s t è m e s de d é f e n s e de
l'un et/ou de l'autre, la communication voudrait pallier
le manque que chacun é p r o u v e . R i e n d ' é t o n n a n t à ce
q u ' o n ait m u l t i p l i é les techniques. Communiquer vient
d'un mot latin muci qui signifie « changer », « é c h a n -
ger », et aussi « mettre en commun ». En anglais, il est
à l'origine du verbe to miss, « manquer ». La c o m m u -
nication p r o c è d e de cette mise en commun, de ces
é c h a n g e s entre soi et l'autre. On y trouve le risque de
donner sans recevoir en retour au prorata du don, ou de
recevoir davantage que ce que nous donnons. Le risque
du manque est donc indissociable de la communication.
A nous d'entendre l'effet que produit sur nous ce « dan-
ger » p u i s q u ' i l nous concerne d è s lors qu'il r é v è l e nos
peurs.

Engager une relation...


c'est occuper son propre territoire.

Comment engager une relation ? Comment l'ajuster à


nos besoins dans le respect des besoins de l'autre ?
Comment être présents dans ces é c h a n g e s , y être écoutés
et aimés ?
Faisant suite à la sensation d'occupation que nous éprou-
vons: — être occupés par l'autre ou occuper l'autre —, la
notion de territoire prend forme : pour engager au mieux
une relation, chacun devra être conscient de son territoire.
À défaut, les réactions de défense risquent de parasiter cet
échange.
Ne pas être qui nous sommes, c'est risquer que
l'autre ne le soit à notre place.

É c h a n g e s.
A et B ont une relation respectueuse.

A (s')occupe (de) B.
B réagit et se défend.
La relation est « agressive » pour B, et « gratifiante » pour A.

A n'occupe pas son propre territoire.


B respecte le sien, incitant A à s'approcher.
La relation est absente pour B, et « rassurante » pour A.

A n'occupe pas son territoire.


B va chercher A . . . et envahit son territoire, ce qui va
faire,
encore plus, réagir A.
La relation est frustrante pour B, envahissante pour A.

A et B peuvent s'attendre longtemps l ' u n l'autre,


la rencontre n'aura pas lieu.
Être plus que soi, c'est risquer de vivre la vie de
l'autre. Occuper s o i - m ê m e son territoire, c'est s'en tenir
à son propre espace et ne pas parler pour l'autre et à sa
place. C'est aussi d é p l o y e r ses potentiels dans son propre
espace, ce qui est le plus sûr moyen de créer une relation
avec l'autre.
Occuper son territoire, c'est encore :
• Garder à l'esprit que le système « occupé-occupant »
est un b i n ô m e interdépendant l ' u n de l'autre, dans lequel
il ne suffit pas de désigner un coupable: — l'autre. Faire
la lumière, en pensées, paroles et actions sur sa propre par-
ticipation au b i n ô m e est le meilleur moyen de (ré) occuper
son territoire, ce qui r a m è n e r a l'autre à sa frontière.
• Demeurer fidèle à l'objectif de réappropriation de
son être, dans sa sécurité, son identité et sa réalité d ' ê t r e ,
matérielle, intellectuelle et spirituelle.
• Se saisir de chaque mini-occasion en rapport avec cet
objectif selon le principe des petits pas et manifester
alors son point de vue.
• Fêter tout changement, m ê m e minime, et veiller à ne
pas l'attribuer uniquement à la chance, à l'opportunité, ou
uniquement à l'autre qui aurait c h a n g é , mais aussi à soi.
• Être clair avec soi-même : la frustration vécue dans la
relation est le reflet de son propre manque d'être. Ce dont
nous manquons n'est pas seulement ce que l'autre ne nous
donne pas, mais ce que nous ne donnons pas, ni à nous ni
à la relation. A i n s i le fameux « manque de communica-
tion » dont nous souffrons doit-il éveiller notre questionne-
ment : « Qu'est-ce que je donne, moi, à la communication
et qu'est-ce que j'évite, — par crainte —, de donner ? »

Que faire de l'autre sur notre territoire ?

S'agit-il de le reconduire « chez lui », manu m i l i - t a r i ?


De le laisser demeurer « chez nous » ? Ni de l ' u n ni de
l'autre, mais d'une troisième voie ? Parfois délicate, elle
est pourtant la seule respectueuse de l ' u n et de l'autre par-
tenaire de la relation.

Questions préalables:
Sommes-nous sûrs d'être occupés ? Autrement dit,
dans quel état é m o t i o n n e l et défensif voyons-nous
l'autre ? Sans le justifier, pouvons-nous expliquer son
comportement à notre égard ? E s t - i l angoissé, tendu,
replié sur l u i - m ê m e ? Est-il agressif, agité, pressant, q u é -
mandeur, m e n a ç a n t . . . ? Quels s y m p t ô m e s voyons-
nous ? Ce diagnostic quasi clinique peut seul nous aider
à faire la différence entre notre propre peur d'être envahi
et le comportement envahissant de cet autre avec lequel
nous sommes en relation. Ne confondons pas notre peur
de l'entendre avec ce qui serait chez l'autre une soi-
disant boulimie de paroles... ni notre peur de parler avec
ce qui serait chez l'autre un soi-disant refus d ' é c o u t e r .
D ' o ù l'importance d'une h o n n ê t e t é de regard et le
recours aux descriptions des s y m p t ô m e s . C e l u i - c i réduit
les erreurs de diagnostic...
Quelle est l'intention de l'autre dans sa réaction
envahissante ? Nous occuper, certes, mais pour quoi,
pour qui ? Pour l u i - m ê m e , contre nous, pour nous ? Faut-
il l u i en vouloir de n ' a v o i r t r o u v é dans l'urgence que ce
seul moyen défensif pour se faire entendre de nous ?
Quelle est notre part de responsabilité dans l'occu-
pation de notre territoire ? Quelle part de soi a laissé
faire, s'est laissé envahir par faiblesse, par amour, par
peur ?
Si nous choisissons de « raccompagner l'autre sur
son territoire », quelle est notre intention ? Pour qui
le faisons-nous ? Pour l ' é d u c a t i o n de l'autre, pour nous
libérer nous ? Si nous agissons pour l'autre, celui-ci n'a
probablement aucun désir d ' ê t r e r a m e n é à l u i - m ê m e et
peut trouver beaucoup d'avantages, — certes, à court
terme —, à demeurer occupant. Si nous agissons pour
nous, l'autre peut nous renvoyer à notre é g o ï s m e , et
n o u s - m ê m e s à notre culpabilité. La référence sera donc
plus juste si nous avons à c œ u r d'enrichir la relation en
c o m m e n ç a n t par é c h a n g e r , par donner notre part à nous.
Si nous choisissons de laisser l'autre occuper notre
territoire, quelle est notre intention, dans quel béné-
fice ? Est-ce pour soi, pour ne pas avoir à nous occuper
de n o u s - m ê m e s ? Est-ce pour l'autre, pour lui donner la
satisfaction de s'occuper de nous ?
L a d é c i s i o n est p r i s e . . . chacun chez soi ! L e s
é c h a n g e s se feront de part et d'autre de la f r o n t i è r e ,
chacun y trouvera de plus grands avantages et surtout
un plus grand respect. D e u x voies s'offrent alors à
nous.
Faire entendre les conséquences de l'« occupa-
tion » à l'autre. E n se référant à des é v é n e m e n t s
concrets, é v o q u e r ce que nous ressentons ainsi que nos
solutions défensives. Exercice délicat puisqu'il propose
de communiquer la façon dont nous vivons l'occupation.
Cette m é t a - c o m m u n i c a t i o n, —jargon qui en clair signifie
communiquer à propos de la communication —, devra
bénéficier de propos facilitateurs et de circonstances pro-
pices. Trop de précipitation nuit... Par exemple, il vaut
mieux choisir un terrain neutre sans enjeu personnel et
se donner du temps. Des faits concrets et circonstanciés,
datés si possible, avec les mots de l'autre seront préférés
à notre propre interprétation. Ils seront introduits par
« quand tu dis, quand tu fais... ».
Enfin, l ' é m o t i o n que nous éprouvons à ce m o m e n t - l à
sera é v o q u é e : « Je me sens, je crois, je crains, j ' i m a g i n e ,
je suis... » L'usage du JE est incontournable.
Conclure ET en ouvrant sur l'intention juste de l'autre
(« je pense que tu as fait ça pour m o i ») ET en affirmant
notre refus d'une telle relation permet de demeurer fidèle
à soi et ouvert à l'autre. Notre interlocuteur peut, m a l g r é
toutes nos p r é c a u t i o n s et nos intentions pacifistes, ne pas
accueillir nos propos, tant ils bousculent ses habitudes et
réveillent ses peurs. Ce sera alors une occasion de mesu-
rer notre endurance et notre fidélité à n o u s - m ê m e s , à nos
besoins et la p r é s e n c e de nos peurs et de nos manques
face à la n o n - é c o u t e de l'autre...
Si besoin, l ' e x p é r i e n c e sera r e n o u v e l é e un peu plus
tard.
Si l'autre, au contraire, ne se sentant pas (trop) mis en
cause, s'ouvre à l ' é c h a n g e , un dialogue peut s'engager.
Chacun peut exprimer l'intention contenue dans ses
comportements, donc ses besoins fondamentaux. Au
mieux, chacun peut aider l'autre à faire autrement pour
que la relation change.
Faire vivre à l'autre les conséquences de son com-
portement envahissant. Il ne s'agit pas d'une revanche,
mais d'une intention de libérer la relation. Notre état
intérieur é m o t i o n n e l sera notre meilleur et le seul guide.
Il s'agit de favoriser la responsabilisation.
M i e u x vaut le p r é v e n i r de notre projet, sans l u i dire ni
quoi ni quand... Le plus dur sera de ne pas flancher, car
nous aurons la sensation de prendre le rôle du m é c h a n t ,
de l'occupant, ce qui n'est pas notre intention ni peut-
être notre habitude face à cet autre-là. M a i s , en nous
interrogeant, nous d é c o u v r i r o n s sans doute que nous
sommes aussi occupants dans d'autres circonstances...
Il s'agit de passer des mots à l'action. Les c o n s é q u e n c e s
de ce « autrement » peuvent devenir p é n i b l e s puisque le
comportement réactionnel efficace va devenir inefficace.
C'est dire si la bienveillance est n é c e s s a i r e dans cette
intervention p é d a g o g i q u e .

Pierre est un grand adolescent de dix-sept ans qui,


selon ses parents, est capable de révolutionner
l'appartement le mieux rangé en dix minutes. S'ils
ont cédé sur sa chambre: — « après tout, c'est chez
lui ! » —, ils refusent de céder sur le séjour, pièce
commune à l'ensemble de la famille. Échanges, dis-
cussions, menaces, punitions semblent sans effet à
moyen terme. Quant au long terme... La décision
est prise d'« égarer » la télécommande avant un
grand match de football, passion de Pierre, et de
Pierre seul, ses sœurs y étant même plutôt réfrac-
taires. Chacun (sauf lui), dans la confidence, se
révèle donc trop occupé pour chercher l'objet avant
le début du coup de sifflet. Pierre passe par des
réactions de colère et d'angoisse. Parents et sœurs
se tiennent à distance. De guerre lasse, dépité, il
téléphone à un copain pour lui demander de lui
enregistrer le match. Quand la télécommande sera
retrouvée, — trop tard —, il demandera solennelle-
ment à chacun de déterminer un endroit précis où
elle sera rangée afin qu'un tel drame ne se repro-
duise plus. Les parents renouvelèrent cette épreuve
pédagogique, avant de reparler de leur désir d'un
séjour respecté et ordonné. Pierre, fort de ses expé-
riences, approuva et participa : leur désir était
devenu le sien.

La relation est donc nourrie des é c h a n g e s , de ce que


l'un ET l'autre donnent et r e ç o i v e n t . D è s lors que chacun
devient conscient et nourrit mieux sa sécurité, son iden-
tité et sa réalité, les d é b o r d e m e n t s de l'autre ou les siens
propres seront beaucoup moins m e n a ç a n t s et culpabili-
sants. La relation pourra être é v o q u é e : c'est d'elle que
nous sommes responsables à deux, — ou à plusieurs. Res-
ponsables de ce que nous y amenons, de nos désirs de
sécurité, de reconnaissance et de réalisation. À tout ins-
tant, c'est ce qui se passe E N T R E nous qui est à clarifier
et à fortifier, dans cet espace entre deux êtres. Parler au
n o m de l'autre, penser ou agir au nom de cet autre r é v è -
lent l'envahissement de son territoire. Restreindre son
expression au nom de l'autre, ne pas faire, ne pas dire,
par peur de sa réaction, c'est ne pas occuper son terri-
toire... et prendre le risque que l'autre ne l'envahisse.
Aucune relation n'est « évidente », chacune m é r i t e d ' ê t r e
éclairée. A i n s i , parler de la forme de notre relation est
essentiel. N o s phrases alors pourront articuler le TU au
JE : « quand t u . . . (cries, me coupes la parole, pars alors
que je parle, te tais...), je. . . (suis affolé, suis furieux, me
sens r e j e t é . . . ) ». La peur de parler et de (s')entendre peut
faire place au respect qui, l o i n de signifier o b é i s s a n c e ,
veut dire « prendre en c o n s i d é r a t i o n » au sens de « con-
templer » !

Partager, c'est nourrir la relation.

A i n s i , la relation à l'autre nous interpelle et nous


oblige à nous questionner. N o s mots familiers en t é m o i -
gnent quand nous constatons que telle relation est
conflictuelle. Quand les deux interlocuteurs sont dans
l'impasse, chacun a r c - b o u t é sur ses jugements et ses
frustrations, quelle question peut aider le courant à passer
et les é c h a n g e s à se faire ?
C'est la question du Partage. Le mot fait peur quand
il réveille la crainte d'avoir moins. Il prend par-
fois l'allure d'une valeur morale (« il faut partager ! » ) .
Et pourtant, questionner ce qui peut être p a r t a g é avec
l'autre ouvre autrement la relation et permet de sortir de
l'impasse. C a r le partage évite la sensation de dette ou
de dû, de don de soi sacrificiel ou d'abus de l'autre. Il
évite le tout et le rien qui annulent chacun à sa façon la
relation e l l e - m ê m e . Il évite de tout donner ou de tout
prendre, de ne rien donner ou de ne rien prendre. Parta-
ger, c'est déjà nourrir l a relation. Partager, c'est per-
mettre que chacun ait sa part d'être. « A v e c cette
p e r s o n n e - l à , que puis-je partager ? Laquelle de nos
c o m p é t e n c e s suis-je capable de partager ? Qu'est-ce que
je désire, veux partager ? »
Toutes sortes d ' i n g r é d i e n t s peuvent entrer dans les
questions, y compris l ' i n d i f f é r e n c e de l'autre, son hos-
tilité, sa m é f i a n c e . . . ou les n ô t r e s ! Ces attitudes ne
modifient pas les questions qui nous poussent à inven-
ter ce q u i , pour nous, est possible, ce dont nous som-
mes capables et ce que nous d é s i r o n s faire AVEC cet
autre-là.
Frédéric et son père ne se parlent plus. Ils s'évitent
le plus possible, chacun ayant trouvé là une attitude
qui permet de ne pas provoquer de drames sans
pour autant diminuer les rancœurs et la douleur de
n'être pas compris par l'autre. Ils sont venus tous
les deux à un entretien. Je m'adresse à l'un pendant
que l'autre se tait et écoute, et vice versa.
Quand la question du partage est abordée, elle
déclenche un torrent de récriminations chez Frédé-
ric, un mutisme dubitatif chez son père. Les deux
s'accordent à dire que « leur relation ne peut plus
durer en l'état actuel ». Impossible d'aller au-delà
durant ce premier entretien. En sortant, ils décident
d'aller au cinéma. La question du partage fait-elle
son chemin ? Toujours est-il que, de retour à la mai-
son, ils annoncent triomphalement à la mère de Fré-
déric qu'ils ont trouvé ce qu'ils aiment partager : le
cinéma ! « Devant moi, j'avais deux gamins qui
riaient ! Cela faisait des années que je ne les avais
pas entendus rire comme ça », me raconta-t-elle.

Mots pour maux.

Formidable richesse et grande m i s è r e que les mots


face à la souffrance tant physique que psychique ! A u s s i
ce paragraphe se veut-il modeste mais précis sur le
« bon » usage des mots dans la relation.
Les mots sont le passage symbolique entre le manque
d'être et l'action. La parole nomme, donne un nom: — le
mot —, qui définit ce qui est vécu, pensé, reconnu. Mais,
surtout, elle nomme celui qui la prononce ! C'est nous qui
sommes identifiés par ce que nous disons. La parole par-
ticipe à notre intégrité, à notre reconnaissance comme à
celle des autres à notre égard. Tout autant elle peut créer
un repère qui nous sécurise et un sens qui nous réalise. E l l e
a d'autant plus de poids que nous pesons, nous, dans notre
besoin. A défaut de ce poids, de cette valeur, de cette
estime que nous nourrissons, la pression défensive tend à
combler la légèreté de l'être. On comprend mieux
l'expression couramment utilisée de « langue de bois ». La
personne qui la parle ne semble pas D A N S sa propre parole
qui, alors, semble inerte, sans vie, sans être.
Parler engage, responsabilise son auteur avant d ' ê t r e
une parole pour l'autre. On parle d'abord pour s'entendre
soi, se reconnaître. L i m i t e r sa parole à ce que les autres
peuvent, — ou ne peuvent pas —, en comprendre ou en
faire, c'est se priver d'une part de soi.
Les mots sont, — entre autres —, ce que nous donnons
à l'autre et ce que l'autre nous donne dans cet espace
entre les deux. La congruence entre le message et le mes-
sager, entre son contenu et son contenant, fait partie inté-
grante de la relation. Quel sens a-t-il si l'emballage est
é m o t i o n n e l ? A n g o i s s é , le destinataire en aura peur.
Agressif, il le rejettera. Effacé, il ne le verra pas. M ê m e
si cet emballage contient un vrai et beau cadeau !
La relation nous responsabilise par rapport à nos
mots. Tout conflit est une occasion d'exercer sur eux
notre vigilance ! Il nous invite à d é c o d e r le message de
l'autre p l u t ô t qu'à l u i r é p o n d r e du tac au tac pour le
(nous ?) rassurer, ou le (nous ?) calmer ! Le temps que
nous prendrons pour cette c o m p r é h e n s i o n non seule-
ment n'est par perdu, mais est un bon investissement
relationnel. On en profitera pour « tourner sept fois sa
langue dans sa bouche » comme me disait ma grand-
m è r e pour freiner m o n i m p u l s i v i t é d'enfant. Sans doute
aussi pour g o û t e r les mots dans toutes leurs saveurs et
y sentir le double message, celui du besoin et celui de
l'émotion.
Il y a urgence à ne pas se précipiter, pour rendre nos
mots crédibles, audibles, sensés. Urgence à les questionner
pour mieux savoir ce que nous disons, sans être abusés par
notre propre langage. Bienfait d'une dé-lecture (le d é -
lire...) qui nous aide à prendre du recul vis-à-vis de nos
stratégies défensives comme de celles des autres.
Les mots qui « donnent à manger » au crocodile.
Pour pouvoir entrer en communication, mieux vaut
apporter un petit quelque chose qui satisfasse l'urgence de
l'autre. Comme les fleurs ou la bouteille que nous amenons
à nos hôtes lors d'une invitation à dîner, le « quelque
chose » devient prélude à d'autres échanges. Personne
n'est dupe : pas indispensable pour la soirée, mais bienfai-
sant et d'autant plus que la relation n'est pas « évidente » . . .
Les mots de l'urgence qui ré-animent. Il s'agit de
donner des points de repère, de confiance à celui qui a des
réactions de fuite, de donner des signes de reconnaissance,
d'amour à celui qui a des réactions de lutte, de donner de
la considération à celui qui a des réactions de repli sur soi.
C o m m e pour le petit cadeau, il ne s'agit pas de combler
l'autre, dans son attente palliative, mais de choisir ce qui
peut apaiser sa peur de manquer et qui va dans le sens de
sa stratégie défensive. A i n s i , face à une personne tendue
ou agressive, efforçons-nous de reconnaître là où elle a rai-
son, là où elle maîtrise, là où elle est vraiment différente.
Face à une personne angoissée, reconnaissons ce qui
relève bien de sa sécurité ou de sa liberté, quand elle a
bien fait de partir, le danger qu'elle a pu éviter. Face à une
personne fatiguée, « vidée » d ' e l l e - m ê m e , reconnaissons
ce qui est absurde dans sa vie ou ce qui mérite qu'elle y
accorde du sens... Donner à manger au crocodile, c'est
accompagner avec bienveillance l'autre dans S O N dis-
cours, irrationnel à nos yeux, mais évident pour l u i . C'est
lui permettre d'explorer son émotion sans jugement pour
q u ' i l y trouve, lui-même, la nourriture de son besoin.

C'est un petit garçon de six ans, inconsolable dans


ses pleurs au moment de se coucher: malgré la
veilleuse, l'histoire lue avant de dormir, ses parents,
son frère et sa sœur au salon, il a peur des méchants
qui vont venir dans sa chambre... Plus il y pense,
plus il en parle, plus il panique et plus il pleure !
— Qui sont ces méchants ?
— Je ne sais pas..., des gens, des monsieurs !
— Comment sont-ils ?
— Je ne sais pas..., moches, vilains.
— Ils viennent d'où ?
— De dessous mon lit.
— A travers le bois ?
— Ils font un trou dans mon lit.
— Qu'est-ce que tu peux faire pour te protéger ?
— Rien du tout.
— Cherche bien...
— Je peux leur donner un coup de marteau.
— Bravo ! Sur la tête ?
— Oui, ils auront des grosses bosses et paf ! Ils
s'écrouleront et ils partiront. Est-ce que tu peux
m'amener un marteau ?
— Un vrai ou un faux ?
— Un faux.
— Est-ce qu'un bâton te conviendrait ?
— Oui, un bâton pour leur donner des coups. Mets-
le là près de mon lit.
Il a maintenant un bon sourire sur le visage, vérifie
que le bâton est à portée de sa main et éteint seul
sa lampe de chevet. Dix minutes plus tard, il dort.

A c c o m p a g n é dans sa réaction de fuite, le petit garçon


a trouvé l u i - m ê m e son palliatif : le bâton, objet symbole
de sa sécurité. Le crocodile a pu l u i aussi s'endormir.
Cet accompagnement, — m e s u r é —, de l'autre ou de
s o i - m ê m e dans sa stratégie é m o t i o n n e l l e crée une satis-
faction qui, tout en étant à court terme, permet de baisser
la garde et de mieux accepter l ' é c h a n g e . À charge pour
nous de ne pas trop en donner : ne nous demandons pas
d'amener T O U T le dîner lorsque nous sommes invités jus-
tement pour le d î n e r ! Ce n'est pas à nous de tuer les
m é c h a n t s du petit g a r ç o n !

Les mots qui s'en tiennent aux faits ou aux effets.


Les mots qui précisent l'événement pour redonner
à l'être ses potentiels. Autojustifier ses réactions é m o -
tionnelles revient à s ' é g a r e r dans les m é a n d r e s d'une
p e n s é e et d'une parole qui se cherchent. Le recours aux
faits concrets nous aide à ne pas nous perdre et à ne pas
participer à la perdition de l'autre. Quand un verre tombe
et se casse pendant la dispute des enfants, se perdre, ce
serait les é c o u t e r s'accuser l'un l'autre ou assurer de ne
pas l'avoir fait exprès. Le fait est : « Le verre étant cassé,
que faites-vous ? »
Quand nous ne savons plus comment aider, comment
entrer en relation ou comment en sortir, recourir à la
m a t i è r e brute du fait permet de s'ancrer et de retrouver
un repère, un signe ou un symbole, selon le besoin de
chacun. Le fait est aussi la porte d ' e n t r é e du territoire de
l'autre j u s q u ' à laquelle nous pouvons et, en cas
d'urgence, devons aller: — « quand TU dis ceci, quand TU
fais c e l a . . . » —, afin de l u i restituer que son comporte-
ment est le point de d é p a r t de certains effets, de certaines
c o n s é q u e n c e s concrètes et relationnelles. Ce comporte-
ment n'est pas neutre car la personne n'est pas neutre,
contrairement à ce qu'elle croit ou craint ! Lui restituer
sa part à elle dans les suites de son comportement, c'est
aussi l u i restituer une part de son intégrité.
En ramassant e u x - m ê m e s le verre brisé, tout en mau-
gréant, en se plaignant ou en se taisant, les parents pri-
veraient leurs enfants d'une part d ' e u x - m ê m e s , en les
privant de l'effet de leur comportement. Ni grave ni ano-
din, ce verre est une occasion...

Les mots qui reformulent.


Résonner pour ne pas raisonner. Quand l'autre se
défend, l'heure n'est pas aux « q u e s t i o n s - e n q u ê t e s » ou
aux r é p o n s e s toutes faites, mais à la reformulation qui
permet d'entrer d é l i c a t e m e n t dans la relation sans trop
de heurt, c ' e s t - à - d i r e sans trop d'à priori défensif. Cette
façon d ' ê t r e dans la relation est un bon outil, d o u é à la
fois d'efficacité et de respect. Reformuler, c'est redire
avec les m ê m e s mots ou des mots é q u i v a l e n t s tout ou
partie de ce que l'autre nous a dit sur l u i - m ê m e , sur nous
ou sur l ' é v é n e m e n t . Il ne s'agit pas de raisonner les mots
entendus et/ou le sens que nous y avons entendu, mais
de les faire r é s o n n e r sous forme semi-interrogative.
Cet outil, outre qu'il manifeste l'attention de celui ou
de celle qui écoute, favorise l'expression de celui qui se
raconte : nous sommes vraiment dans l'espace de la rela-
tion, présents sans occuper. M o i n s d ' é m o t i o n , plus de
p r é s e n c e . Des petites formules toutes simples ouvrent la
reformulation : « Si j'ai bien compris, selon toi, en
d'autres termes, tu veux dire... ? » En é c h o , l'interlocu-
teur, se sentant é c o u t é , commence volontiers ses r é p o n -
ses par « tout à fait, c'est ça, oui. . . ».
La reformulation est particulièrement adaptée aux situa-
tions émotionnelles car elle permet, sans avoir à d é c o d e r
ou à analyser les réactions de défense, d'entrer en réso-
nance avec les besoins implicites de l'autre simplement en
se faisant l ' é c h o de ses propres mots. Ne nous les donne-
t - i l pas justement pour que nous les lui restituions plutôt
que de nous en emparer ? Le paradoxe n'est qu'apparent :
nous aidons mieux l'autre en lui redonnant ses mots à l u i ,
dans lesquels il a introduit, sans m ê m e souvent le savoir,
son message, celui qu'il se destine sans en être conscient.
Ses mots l u i appartiennent, ils lui sont d'autant plus p r é -
cieux q u ' i l est é m u et souffre, et q u ' i l a du mal à peser
dans sa propre parole. Il n'y a guère à ajouter, sinon notre
présence attentionnée. Si nous ne nous sentons pas
d'humeur à un tel don, ou si cette humeur est plus i m p r é -
gnée de peur et d'à priori que d'accueil, mieux vaut en
être conscients et recourir à la méta-communication. Par-
ler de son propre état émotionnel comme d'un filtre pos-
sible pouvant brouiller l'échange, c'est déjà atténuer la
peur de ne pas répondre à l'attente de l'autre. Faut-il ajou-
ter enfin que la reformulation favorise la précision et
l'approfondissement du propos de l'interlocuteur et qu'à
ce titre elle lui permet de désigner la nourriture q u ' i l peut
donner à ses besoins vitaux ?
Les mots qui aggravent.

C o n s é q u e n c e s de notre propre fermeture à la relation,


certains mots peuvent heurter l'autre encore un peu plus
qu'il ne l'est déjà et ainsi provoquer son crocodile. Et
le n ô t r e en retour. Ces mots à risque sont ceux qui en
appellent aux comportements défensifs visibles sans y
admettre la part de l ' ê t r e , la part de la vie. Ils s'adres-
sent au p a r a î t r e de la d é f e n s e sans un regard sur la per-
sonne qui se d é f e n d . Ils r é a g i s s e n t au contenant sans se
soucier du contenu. Sans bienveillance parce que trop
i m p r é g n é s de peur, i l s mettent en cause la r é a c t i o n
d é f e n s i v e comme si la personne n ' é t a i t Q U E son
comportement, Q U E ses mots. Cette r é d u c t i o n de l'être
à son é m o t i o n va susciter encore un peu plus de r é a c -
tion. Nous vérifions ainsi ce que nous croyons ou ce
que nous craignons.
Certains mots enferment dans le labyrinthe. A i n s i
serons-nous vigilants aux « mots e x t r ê m e s » : toujours,
jamais, tout, tous, aucun, rien, totalement, absolu-
ment. ..
De m ê m e derrière les « mots-justificatifs » : au nom
de l ' A m o u r , de la Confiance, du Sens, de D i e u , de la F o i ,
du Respect, de la Responsabilité, de l'Honneur...
combien de drames, d'agressivité ou de lâcheté s'y dis-
simulent. Ces mots si intenses peuvent aussi é c r a s e r et
culpabiliser s'ils sont e m p l o y é s pour justifier nos peurs
et nos besoins en manque d ' ê t r e .
M é f i o n s - n o u s des mots qui jugent, qui enquêtent, des
mots qui interprètent, qui soutiennent, qui éludent. Ces
mots « solutions » sont l'expression de nos stratégies de
défense alors m ê m e qu'ils sont p r o p o s é s comme des
aides. Q u ' i l s appartiennent au domaine de la lutte, de la
fuite ou du repli sur soi, à peine p r o n o n c é s , ils sont aus-
sitôt v é c u s comme une blessure.
E n f i n les « mots provocateurs » entrent en collision
frontale avec l'objectif défensif l u i - m ê m e :
— Face au comportement de fuite, employer ces mots
consisterait à ne pas laisser d ' é c h a p p a t o i r e , à contrain-
dre, à limiter dans le temps et l'espace, à ne pas croire...
— Face au comportement de lutte, ce serait accuser,
résister, e m p ê c h e r l'expression, contredire, punir, inter-
rompre, partir sans é c o u t e r . . .
— Face au comportement de repli sur soi, ce serait
ignorer ce que dit la personne, marginaliser, disputer,
exiger qu'elle se secoue et pense par e l l e - m ê m e . . .

Les mots qui libèrent.

Ils existent. Ils sont l ' é c h o de ce que vit la personne,


de ce qu'elle est, là, à l'instant présent. Pas de ce qu'elle
a été, pas de ce qu'elle sera ou devrait être. Juste de ce
qu'elle est dans son désarroi, sa souffrance, sa surpuis-
sance ou son impuissance.

,O a dix-sept ans et se saoule de mots pour justifier


son échec scolaire. Toutes les explications défi-lent :
sa fatigue, l'excès de travail, l'absence des profes-
seurs, l'idiotie des programmes, les copains, les soi-
rées tardives, l'envie d'autre chose... De la part de
ses parents, de ses professeurs, de son médecin, du
spécialiste en orientation scolaire, il a entendu qu'il
pouvait réussir, qu'il devait s'y mettre, qu'ils lui fai-
saient confiance. Il a subi les punitions, fréquenté
trois établissements scolaires. Il arrive, blasé,
l'esprit absent, aux premiers entretiens. Et un jour...
— Je pense que tu as peur de travailler.

— Comme tu n'as pas confiance en toi, que tu ne


crois pas à la valeur de ton travail, ta seule
échappatoire, c'est de ne pas faire. Tout simple-
ment, la peur te paralyse.
— Pourquoi me dites-vous que j'ai peur ? J'ai pas
peur !
— Peut-être n'as-tu jamais employé ce mot pour
décrire ce que tu ressens. Je pense que c'est pour-
tant le mot juste.
Le soir, il parle à sa mère, — qu'il évitait aupara-
vant —, de l'entretien : « Je crois qu'elle a raison.
J'ai découvert que j'avais peur. Cela aurait dû me
paniquer ou me choquer, et bizarrement, je me sens
mieux. C'est comme une maladie dont on a enfin le
diagnostic. La peur, ça se soigne. Mais tant que je
ne savais pas ce que j'avais, c'était pire. »

Ils respectent l'être en devenir. Les mots qui libèrent


sont ceux qui restituent à l'autre et son émotion et ses poten-
tiels. Ils s'accordent à son rythme, le prennent là où il en
est de son cheminement, ni en arrière ni en avant. Ils ne
nécessitent aucun talent particulier ni virtuosité d'amour, de
confiance ou d'intelligence. Ils sont juste le témoin d'une
bienveillance. Au JE qui s'affirme, au TU qui reconnaît, à la
reformulation qui écoute s'associent des images et des
anecdotes qui ouvrent sur l'imaginaire et le champ des pos-
sibles. Ces mots-là portent sans encombre vers un peu plus
loin que la peur du manque, la peur de ne pas être. Ils inci-
tent à faire le premier pas au-delà du mur contre lequel nous
nous cognons quand rien ne va plus. La vie est dans le mou-
vement, dans le questionnement qui mobilise et motive
vers. « Mais vers quoi ? » sommes-nous tentés de deman-
der. Il ne nous appartient pas de répondre pour l'autre. Et,
selon une autre jolie formule : « Ne t'occupe pas de la
récolte, mais uniquement de tes semailles. »

Drogués, délinquants, déprimés...


mais de quoi ont-ils peur ?

T e l est le v é c u de ceux dont le manque d'être est un


tel gouffre q u ' i l s errent à l ' i n t é r i e u r du labyrinthe sans
parvenir à s'assurer une quelconque prise. Ce seul sujet
m é r i t e r a i t un ouvrage à lui tout seul, tant la d é t r e s s e et
le risque, personnel et social, sont o m n i p r é s e n t s au quo-
tidien et appellent à intervenir pour ceux qui en souf-
frent et leur entourage. Ils ont t r o u v é comme refuge la
drogue, comme signe de reconnaissance la d é l i n q u a n c e ,
comme sens de leur vie l'inexistence. Ce paragraphe se
contentera, plus modestement, de mettre en é v i d e n c e en
quoi la bio-logique peut nous aider à comprendre et à
agir.

Angoisse et drogue.
Fuir dans la drogue. Fuite é p e r d u e en avant vers un
autre espace-temps qui fait disparaître tout p r o b l è m e de
confiance, en soi comme en l'autre. C o m m e par magie,
la peur a disparu pour faire place à l'excitation des sens,
à la facilité d'exister, à la toute-puissance du corps et de
l'esprit. La drogue annule la nécessité d'apprendre à se
fier à soi, à dé-fusionner de l'autre, v é c u e comme une
é p r e u v e impossible, comme une rupture intolérable avec
celles ou ceux qui rassurent. Toute désintoxication devra
passer par cet apprentissage de la confiance qui n ' a pu
s ' a c q u é r i r seul et dans le cadre familial, faute de r e p è r e s
personnels ou par e x c è s de r e p è r e s des autres.

Agressivité et délinquance.
Lutter hors la loi. Lutte éperdue pour un nom, une
reconnaissance obtenue par la force et la violence, par le
refus d ' ê t r e similaire à ceux qui la rejettent, la délinquance
offre un pouvoir que le délinquant se dénie à lui-même en
tant que personne : « En marquant de mon empreinte mon
passage, j'existe ! » Cette empreinte: — v o l , casse,
violence physique, provocation —, est le seul signe de
reconnaissance qui lui semble pour l u i possible, faute
d'identité, faute d'amour reçu et donné. Comment aider le
délinquant si notre regard sur lui n'est que jugement et
dévalorisation ? Quel jeu dangereux jouent les médias
quand elles nourrissent le comportement délinquant en le
reconnaissant l u i , en le montrant du doigt plutôt que de
reconnaître l'identité de celles et de ceux qui, dans leur
mal-être, crient ?

Dépression et « Teflon ».

Se replier dans le virtuel. L'expression est de Daniel


K e m p qui nomme ainsi les comportements sur lesquels
rien n'accroche, ni les compliments, ni les punitions, ni
l'affection, ni la raison. Repliés sur e u x - m ê m e s comme
dans une coquille sur laquelle tout glisse, ils croient ainsi
avoir résolu leur p r o b l è m e de réalité : en s'effaçant, ils
cessent suffisamment d'exister pour qu'on les laisse dans
leur coin, oubliés du monde... et d ' e u x - m ê m e s . Toute
tentative pressante de les faire à nouveau adhérer au
monde est v o u é e à l ' é c h e c et à l'aggravation du compor-
tement réel. La course vers le sens de la vie occulte sa
propre réalité d ' ê t r e en devenir.
Seule la rigueur bienveillante de l'entourage peut
soulager de l'évidence du manque d'être. Comment
intervenir intelligemment dans cette course é m o t i o n n e l l e
qui prétend pallier le manque en annulant le besoin d ' ê t r e
ou en le comblant par un r e m è d e toxique ? L ' i n t e n s i t é
du manque exige de la part de l'entourage une rigueur à
la mesure de la peur. Et d'abord d ' é v i t e r deux écueils :
— être é m u ! c'est-à-dire rassurer, plaindre, bouscu-
ler, accuser... autrement dit, materner ou paterner ;
— « tirer » pour sortir l'autre de son état de crise.
Selon l'expression « on ne fait pas pousser les radis en
tirant dessus », on ne peut aider la personne d r o g u é e ,
d é l i n q u a n t e ou d é p r i m é e qu'en la considérant d'abord là
où elle en est, ni plus haut ni plus bas. Partir de là et
avancer à petits pas sur un chemin qui peut être long.
Ces comportements défensifs, considérés comme
déviants ou maladifs, exigent à la fois un espace d'accueil
et un cadre aux frontières très définies. A l'intérieur du
cadre, parents ou accompagnants s'engagent à ne pas
intervenir, à ne pas sanctionner, à ne pas juger et m ê m e à
ne pas réagir afin de laisser à la personne la possibilité de
vivre les conséquences de ses comportements, librement
et de façon responsable. Toutes les conséquences. En
dehors du cadre, les m ê m e s doivent intervenir et imposer
les conséquences, qui peuvent être des sanctions. Le plus
important n'étant pas forcément les modalités du cadre
ainsi défini, mais bien de s'y tenir. Telle est en effet la
difficulté rencontrée : ces comportements extrêmes tentent
par tous les moyens d'aller chercher hors du cadre, c'est-
à-dire hors d ' e u x - m ê m e s , la satisfaction de leurs objectifs
défensifs. D ' o ù la nécessité de « tenir bon » et de ne pas
laisser fluctuer les limites du cadre. Car, alors, nous ôte-
rions un point de repère, un signe de reconnaissance et du
sens à la possible ré-éducation de celui-là m ê m e que nous
aidons. Sa peur n'en serait que plus justifiée encore à ses
propres yeux.

Kevin est un jeune garçon de douze ans, qualifié


par ses professeurs et ses parents de « petit délin-
quant », pas méchant et à l'occasion consommateur
d'herbe ou d'autres drogues dites douces. Ses pro-
fesseurs ont demandé aux parents que « l'enfant
aille voir quelqu'un avant que ça ne s'aggrave ».
Depuis dix mois que je vois Kevin régulièrement,
son comportement à la maison a changé : plus de
participation, de discussions, d'initiative. En revan-
che, à l'école, après deux mois encourageants, ce
sont à nouveau le conflit, les sanctions, la provoca-
tion, et les résultats scolaires en chute libre. Les
vacances arrivent. Les parents hésitent à le priver
du séjour habituel chez ses grands-parents où il
retrouverait ses cousins, ce que Kevin attend
comme un dû. Il joue de son charme, séduit, bana-
lise son comportement en classe, jure qu'à la ren-
trée il se reprendra, dit qu'il a besoin de ses
vacances pour respirer loin de la ville... Il sait que
ses parents attendent mon «feu vert ».
— Si je dis oui, Kevin, que penseras-tu de moi et de
ma décision ?
— Que vous êtes sympa !
— Sympa ?
— Ouais, sympa, cool.
— C'est important que je sois sympa ?
— Pour partir en vacances chez les cousins, oui !
— Et pour toi ?
Kevin s'agite dans le fauteuil et rougit, mal à l'aise.
— Pour moi, il faudrait peut-être que vous disiez
non. Mais c'est dur, enfin pour moi. C'est à cause
du collège, vous voulez pas que je passe à travers...

En d'autres termes, K e v i n attendait dans son é m o t i o n


que je dise oui, dans son être conscient que je dise non
et que je tienne bon pour q u ' i l n ' é c h a p p e pas à l u i - m ê m e
et à son comportement.

Quand cesse la relation.

Rupture, séparation, deuil sont ces moments où l'autre


s ' é l o i g n e . Brutaux comme la mort qui survient trop tôt,
trop mal, n é c e s s a i r e s comme la vie qui é l o i g n e les
enfants de leurs parents, p é n i b l e s comme un divorce qui
d é c h i r e la famille, il est un temps où il nous faut faire
SANS. Plus les circonstances du départ ont été emplies de
souffrance physique et mentale, plus la violence l'a
i m p r é g n é , plus le manque de l'autre est e n c o m b r é
d ' é m o t i o n s . On se prend à r ê v e r de morts douces, de
divorce à l'amiable, de séparations r é u s s i e s , sans être sûr
pour autant que la c r u a u t é du vide ou les blessures affec-
tives soient plus tolérables.
Pour celles et ceux qui vivent la séparation, le para-
doxe est de faire A V E C , c'est-à-dire de parler et de penser
l'absence. M ê m e si c'est m a t h é m a t i q u e m e n t absurde,
c'est mentalement possible et n é c e s s a i r e à la logique de
vie afin que celui ou celle qui est privé(e) de l'autre se
retrouve, petit à petit.
Penser autrement la relation pour cicatriser du
manque de l'autre. L à encore, un f i l d ' A r i a n e guide
notre libération, tissé sur nos réactions de défense et leurs
messages : quelle é m o t i o n nous envahit à l ' é v o c a t i o n de
la rupture, de la fin de la relation ? De quoi suis-je p r i v é
du fait de cette absence ? De quoi est-ce que je manque ?
De quoi ai-je besoin ? Qu'est-ce que l'autre me donnait
et que je n ' a i plus ? Qu'est-ce que je donnais à l'autre
qui, aujourd'hui, a perdu son sens puisque, en partant,
c'est comme s'il me le refusait ?
Dans l ' é m o t i o n , il nous est difficile d'isoler notre
manque à nous, et donc notre besoin de l'autre qui n'est
plus là. Son absence est venue réveiller et justifier, bru-
talement parfois, notre propre vide ! M a i s comment
entendre ça quand nous sommes dans l ' é v i d e n c e d'une
souffrance juste à nos yeux ? A l o r s , parler de la mort de
l ' ê t r e a i m é ou de l ' é l o i g n e m e n t de l'enfant chéri permet
à nouveau de recréer la relation, donc de réinvestir son
propre territoire à soi m a l g r é l'absence de l'autre ou jus-
tement g r â c e à elle ! Repasser par la relation telle qu'elle
a été v é c u e , avec ce qu'elle contenait d ' é m o t i o n , de désir
et de peur, pour pouvoir la d é p a s s e r et continuer à mar-
cher, sans elle telle qu'elle était, mais avec elle telle que
nous l'avons investie. Là encore, alors m ê m e que l'autre
est, de fait, absent, il s'agit de « partir » de soi pour le
re-penser, pour re-penser la relation et panser ainsi la
blessure du manque. E l l e ne peut disparaître car une bles-
sure f e r m é e devient une cicatrice.
Le processus, f o r c é m e n t lent, peut s'effectuer a p r è s
une rupture ou un deuil : c'est souvent l'histoire de la
personne d e m e u r é e , à ses yeux, seule au monde et aban-
d o n n é e , qui est à relire. La souffrance est vive et n é c e s -
site autant de compassion que de conviction : la
compassion vis-à-vis de ce m a l - ê t r e qui ampute la per-
sonne d'une part d ' e l l e - m ê m e du fait de l ' é l o i g n e m e n t
de l'autre, la conviction que ce m a l - ê t r e est aussi et
encore l'expression d'un s y s t è m e de d é f e n s e et que,
donc, la g u é r i s o n est possible sans l'autre. Il s'agit de
permettre à la souffrance de se transformer en chagrin, à
la colère, à l'angoisse ou à la dépression de faire place à
la possibilité de revenir à son intégrité d ' ê t r e . On nomme
cela faire son deuil, ce qui rend compte du processus de
création de « soi sans l'autre ». L ' i n t e n s i t é du manque,
qui fait peur et qui fait mal, n'est pas uniquement liée au
drame qui a parfois e n t o u r é la rupture : la projection de
celui qui reste sur celui qui part est plus parlante encore.
Sa c o m p r é h e n s i o n peut permettre de se retrouver.
Cette projection peut aussi expliquer, ce qui ne man-
que pas de susciter beaucoup de culpabilité, la sensation
d'une libération secondaire à la rupture. E l l e r e l è v e du
m ê m e m é c a n i s m e : pour deux personnes qui s'occu-
paient l'une (de) l'autre, la séparation signifie perte,
manque, privation... et libération. Ce qui demeure, en
revanche, c'est la nécessité d'un « travail » de cicatrisa-
tion, d'un apprentissage à « être sans ».

Au total, pouvons-nous r é s u m e r en quelques points


cette « é p r e u v e » que peut constituer la relation à
l'autre ?
1. La relation a besoin d'un espace, d'un « entre-
deux », d'un recul, dans lequel chacun peut donner de
l u i - m ê m e: — ses pensées, ses paroles, ses gestes. A i n s i
la relation peut être nourrie de part et d'autre.
2. Être en relation, c'est d'abord se poser la ques-
tion : qu'est-ce que je donne à l'autre ? Ma peur de man-
quer: — et son cortège de s y m p t ô m e s défensifs —, ou
mon désir d ' ê t r e en relation: — et son champ de possi-
bles ?
3. L ' é m o t i o n de chacun reflète le manque de chacun.
Autrement dit, la colère, le mal-être, l'angoisse de l'autre
sont des messages à usage personnel. D è s lors que nous
nous approprions le message d e s t i n é à l'autre (ou q u ' i l
s'approprie le nôtre), nous annulons l'espace n é c e s s a i r e
à la relation.
4. « E m b a r q u é s » dans l ' é m o t i o n de l'autre, nous
entrons en r é s o n a n c e avec sa peur et son manque d ' ê t r e .
Réagissant à l'effet que nous fait son é m o t i o n , notre
émotivité est faite pour atténuer notre propre mal-être et
pallier notre propre manque.
5. Dans l ' é m o t i o n , l'autre peut devenir le moyen de
notre objectif défensif. A l o r s , nous le désirons comme
objet qui rassure, qui identifie, qui réalise.
6. Être en relation, c'est cesser de se d é f e n d r e contre
l'autre ( « c o n t r e , trop contre... ») et cesser d'occuper
l'autre (« pour, trop pour... »).
7. Rencontrer l'autre, (re) trouver la relation, c'est (re)
donner de l'espace entre l'autre et soi, afin que, dans cet
entre-deux, chacun devienne conscient de ce qu'il peut
offrir dans le respect de ses besoins.
8. La question du partage est au c œ u r de la relation.
E l l e place chacun dans la responsabilité de son territoire,
de ses potentiels, comme de ses é m o t i o n s . E l l e ouvre sur
l ' é c h a n g e de ce qui est ex-primé de soi.
En forme de conclusion.

Le chemin se fait en marchant.

La lecture de ce livre, qui, je le souhaite, aura éclairé


nombre de comportements obscurs, r é p o n d u à nombre de
questions inquiètes et ouvert des portes j u s q u e - l à fer-
m é e s , n'est pourtant qu'un préalable. Car aucun livre ne
remplace le vécu et l ' e x p é r i e n c e . La psychologie
n ' é c h a p p e pas à la règle. L'expression et le développe-
ment de nos potentiels dans la satisfaction de nos besoins
ne d é p e n d e n t pas d'une connaissance intellectuelle, aussi
c o h é r e n t e soit-elle, mais de la confrontation de celle-ci
aux aléas de sa vie. A i n s i , elle devient co-naissance, car
nous l'aurons, pas à pas, incorporée en nous. Le savoir
est fondamental mais insuffisant quand il se limite au
savoir-faire et ne se transforme pas en savoir-être. Sur le
chemin, l ' e n t r a î n e m e n t est indispensable. Ce livre est
donc le « matériel » bio-logique avec lequel cheminer. Il
est la lanterne qui éclaire ce qui nous arrive. Le crocodile
s'apprivoise, la confiance, l'estime de soi se construisent.
Nous pouvons ainsi cheminer sans craindre nos réactions
é m o t i o n n e l l e s , sans les subir, conscients et pas à pas.
Nos émotions sont des réactions vitales pour nous
défendre nous-mêmes contre notre propre manque
d'être. Elles nous imposent « plus de vie », nous obli-
geant à nous exprimer en dépit de notre renoncement,
non conscient et automatique, à devenir l ' ê t r e d o u é de
potentiels que nous sommes. Elles sont des outils de
d é v e l o p p e m e n t , indispensables à la survie, mais pas le
d é v e l o p p e m e n t l u i - m ê m e . S'il est judicieux de valoriser
l'intelligence contenue dans l ' é m o t i o n , il l'est encore
plus d'attribuer celle-ci au besoin défendu et non au sys-
t è m e défensif. Ce serait confondre l ' o u t i l avec l'objec-
tif ! Les réactions é m o t i o n n e l l e s sont à accueillir, à
écouter, à décoder, et non à entretenir. N ' é t a n t que pal-
liatives à court terme et dans l'urgence, elles ne peuvent
se substituer à l'être en puissance, celui qui, à l ' é c o u t e
de ses besoins et de ses potentiels, n ' é p r o u v e pas la
nécessité de se défendre pour être. Car le maintien du
système défensif c o û t e cher, son prix énergétique est
élevé, à commencer par la maladie du corps.

Toute réaction de défense efficace, souvent nom-


mée émotion positive, cache la peur d'une réaction
inefficace, — ou négative —, empreinte de souffrance
psychique. E l l e est donc, — aussi —, le témoin d'une
autolimitation et d'un manque à être, pallié dans
l'urgence. A u s s i dominante, stimulante et confortable
soit-elle, elle est un leurre à long terme. E l l e entretient
une tyrannie, celle de réussir dans l'objectif défensif de
fuite, de lutte ou de repli sur soi, sous peine de sensation
d'impuissance douloureuse et intolérable. L'entourage,
par contre-coup, subit cette tyrannie, aspiré dans les stra-
tégies efficaces, et devient l'objet de la réussite défensive
de l'autre. Le changement s ' o p è r e par l'acceptation de la
face c a c h é e de la réaction et par l ' « é p r e u v e » qu'elle
constitue.

L'auto justification et la culpabilité sont les deux


faces d'une même pièce de monnaie, du même man-
que d'être. Elles se font é c h o : d é m a n t e l e r l'autojustifi-
cation d é c l e n c h e la culpabilité car elle en est l'antidote.
L ' u n e et l'autre nous laissent aveugles et sourds à nos
potentiels. Elles sont les deux murs de notre labyrinthe
qui se font face et contre lesquels nous nous heurtons
sans voir, sans é c o u t e r ni notre besoin en souffrance ni
nos potentiels d ' ê t r e . Elles sont le langage de notre cro-
codile quand il se défend. Restons à distance de l'une
comme de l'autre. Seul leur message nous concerne, qui
nous dit : « Tu peux faire autrement dans un m ê m e
objectif, c ' e s t - à - d i r e dans le respect de tes besoins et de
tes potentiels. »

Questionner nos certitudes, c'est déjà s'aventurer


sur le chemin. A p r è s tout, un verre ne peut se remplir
que s'il a préalablement été vidé. Ce lâcher-prise permet
d'entendre le caractère existentiel de l ' é v i d e n c e . La
question « en quoi, pour quoi est-il si important pour m o i
que... ? » ouvre un espace devant soi qui attirera d'autres
possibles. « U n e é m o t i o n est une r é p o n s e orpheline de
sa question », selon les termes de M a r c A l a i n Ouaknin.
Nos stratégies défensives inefficaces et nos certitudes
sont en effet riches de questions oubliées : comme des
autoroutes, elles nous e m m è n e n t sur notre objectif de
défense sans nous permettre de g o û t e r aux plaisirs des
routes dites secondaires. Nous arriverons pourtant au
m ê m e but. Nos e x p é r i e n c e s auront, entre-temps, enrichi
notre liberté, notre estime et notre désir.

Nos angoisses, notre agressivité, nos jalousies, nos


déprimes sont une incitation à regarder autrement
notre besoin propre dans l'événement qui les révèle.
Elles t é m o i g n e n t d'un manque d ' ê t r e , que nous cher-
chons automatiquement à fuir ou contre lequel nous nous
r é v o l t o n s , sans parvenir à nos fins. N'ajoutons pas de
pression mais accueillons ces stratégies inefficaces qui
ferment la porte au leurre d'une g u é r i s o n « définitive et
totale » ! Elles contiennent un enseignement fondamen-
tal et une incitation forte à sortir du labyrinthe émotion-
nel. « De quoi ai-je besoin, p r é c i s é m e n t , dans cet
é v é n e m e n t - l à ? » Telle est la question qui oriente vers la
conscience de soi et de ses potentiels, au-delà du
« Rien », en d e ç à du « Tout », et à distance du « C'est à
l'autre de... ».

Le manque d'être, faille initiale de chacun, se déve-


loppe dans l'interrelation avec nos parents et notre
famille. Il est ce que nous ne sommes pas, — ou pas
encore —, et ce que nous devrions être aux yeux des
autres. Il est la p r é s e n c e pressante de l'autre en nous qui
fait de nous un « devoir-être ». En défense, nous tendons
à fuir le manque, à nous révolter contre l u i ou à vouloir
passer i n a p e r ç u s . L'autre voie, c'est de l'assumer et d'en
faire un outil de d é v e l o p p e m e n t de son intelligence
potentielle. Il indique la voie du besoin à nourrir. La
question est alors de notre r e s p o n s a b i l i t é : « Q u e l regard
est-ce que je pose sur mon manque d ' ê t r e ? »

Etat de fuite, manque de confiance, besoin de


sûreté et de liberté. Plutôt que de fantasmer sur une
assurance c e n s é e é v i t e r tout risque ou une liberté qui
annulerait toute contrainte, p l u t ô t que de se soumettre
à un « v é c u d ' i m p o s s i b i l i t é » qui s'impose comme une
é v i d e n c e , la voie de l ' ê t r e est dans les questions :
« Dans cet é v é n e m e n t - l à , qu'est-ce que je peux ?
Qu'est-ce qui m'est possible ? Quelle s û r e t é , quelle
liberté puis-je me donner ? » La r é p o n s e juste, à petits
pas, procure une sensation de b i e n - ê t r e . L'ouverture au
« possible en soi » est la condition de la confiance en
soi.

État de lutte, manque de reconnaissance et


d'estime de soi, besoin d'identité. Plutôt que de fantas-
mer sur une appartenance pour éviter tout rejet et sur une
différence c e n s é e e m p ê c h e r toute dévalorisation, plutôt
que de se soumettre à un « vécu d ' i n c a p a c i t é » qui
s'impose comme une é v i d e n c e , la voie de l'être est dans
ces questions : « Dans cet é v é n e m e n t - l à , quelle est ma
c o m p é t e n c e ? Qu'est-ce que je sais déjà ? Quel est mon
m é r i t e ? » La r é p o n s e est juste lorsqu'elle apporte de la
d é t e n t e . L'ouverture à « ce qui est capable en soi » est la
condition de l'estime de soi.

État de repli sur soi, manque d'envie et de projet,


besoin de solitude et d'harmonie. Plutôt que de fantas-
mer sur un isolement censé éviter toute g ê n e et sur une
communion qui annulerait tout d é s a c c o r d , plutôt que de
se soumettre à un « v é c u de fatalité » qui s'impose
comme une é v i d e n c e , la voie de l ' ê t r e est dans ces ques-
tions : « Dans cet é v é n e m e n t - l à , qu'est-ce que je veux ?
Q u e l est mon désir ? » La r é p o n s e est juste quand elle
procure de l ' é n e r g i e . L'ouverture à ce qui est « désir en
soi » est la condition de la sagesse.

Tout événement est à accueillir comme une occa-


sion d'être. À ce titre, il n ' e n est pas de grand ou de
petit. Sa valeur est surtout d é p e n d a n t e de l'enjeu é m o -
tionnel que nous lui accordons. Face à lui, nous som-
mes responsables de la voie que nous empruntons :
est-ce celle du crocodile, i m p r é g n é e de peur de man-
quer et de pression de d e v o i r - ê t r e ? Est-ce celle f o n d é e
sur nos potentiels ? C ' e s t là que se situe notre l i b e r t é
d'expression puisque, b i o - l o g i q u e oblige, nos besoins
et nos manques sont p r é s e n t s en nous. Au fur et à
mesure que nous nourrissons nos besoins, notre s é c u -
r i t é , notre i d e n t i t é , notre r é a l i t é d ' ê t r e s'affirment pour
notre plus grand bonheur et c e l u i de notre entourage.

Aucun crocodile n'est jamais définitivement appri-


voisé : tout manquement à soi le réveille. U n e ém otion
qui nous envahit alors que l'on se croyait « guéri » ne
signifie pas que « nous n'avons rien compris », que
« nous ne changerons jamais » . . . Il ne s'agit pas d'un
retour en arrière ! Le crocodile se réveille quand nous
avons besoin de l u i pour nous avertir que nous nous
cognons aux murs de notre labyrinthe intérieur. Nous
pouvons donc le remercier, constater le chemin déjà par-
couru et reprendre le fil d'Ariane, g r â c e à l ' é v é n e m e n t
révélateur du moment.

Toute relation est un face-à-face qui interroge les


besoins de l'un et de l'autre. A u c u n des deux ne peut se
substituer au destin de l'autre. Chacun peut apprendre à
occuper et à cultiver son propre territoire d'aptitudes et de
talents afin d'en partager les fruits A V E C l'autre. Dans ce
face-à-face, que l ' é m o t i o n nous pousse à fuir, à maîtriser
ou à annuler, la question demeure : « A v e c celui-ci, avec
celle-là en face de moi, que puis-je partager ? »

L'oasis.

Il était une fois un vieil homme, assis près d'une oasis,


à l'entrée d'une ville du Moyen-Orient.
Un jeune homme s'approcha et lui demanda :
— Je ne suis jamais venu ici. Comment sont les gens
qui vivent dans cette ville ?
Le vieil homme lui répondit par une question :
— Comment étaient les gens dans la ville d'où tu
viens ?
— Égoïstes et méchants. C'est d'ailleurs la raison
pour laquelle j'étais bien content de partir.
— Tu trouveras les mêmes ici, lui répondit le vieil
homme.
Un peu plus tard, un autre jeune homme s'approcha
et lui posa la même question :
— Je viens d'arriver dans la région. Comment sont les
gens qui vivent dans cette ville ?
Le vieil homme répondit de même :
— Dis-moi, mon garçon, comment étaient les gens
dans la ville d'où tu viens ?
— Ils étaient bons, accueillants et honnêtes. J'y avais
de nombreux amis, et j'ai eu beaucoup de mal à les quit-
ter.
— Tu trouveras les mêmes ici, lui répondit le vieil
homme.
Un marchand, qui faisait boire ses chameaux, avait
entendu les deux conversations. Dès que le second jeune
homme s'éloigna, il s'adressa au vieillard sur un ton de
reproche :
— Comment peux-tu donner deux réponses complète-
ment différentes à la même question posée par deux per-
sonnes ?
— Mon fils, dit le vieil homme, chacun porte son uni-
vers dans son cœur. D'où qu'il vienne, celui qui n'a
trouvé rien de bon par le passé ne trouvera rien de bon
ici non plus. Par contre, celui qui avait des amis dans
l'autre ville trouvera ici aussi des amis loyaux et fidèles.
Car, vois-tu, les gens sont vis-à-vis de nous ce que nous
trouvons en eux.

Il nous reste à vous souhaiter Bonne Route, à petits


pas !
En guise de bibliographie.

Ce livre étant un travail original, les ouvrages propo-


sés le sont à titre indicatif afin que le lecteur d é c o u v r e
chez ces auteurs de quoi enrichir son propre chemin.
Remerciements.

Tous mes remerciements vont aux personnes qui ont


a c c o m p a g n é la rédaction de ce livre, et particulière-
ment à Bernard Leduc, S y l v i e Alexandre et M i c h e l
Tavernier.
Vous pouvez poursuivre la lecture de ce livre en par-
ticipant aux stages « Emotiv'action », qui utilisent la
p é d a g o g i e de la biologie.

Pour tout renseignement :


www.emotiv-action.com
caimelet @ emotiv-action.com
54, rue Pigalle,
75009 Paris

Vous aimerez peut-être aussi