L'examen Neuropsychologique de La Personne Âgée

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‘examen neuropsychologique de la personne agée : une valeur ajoutée d‘actualité. Vincent VERDON, Isabelle BOUR- (QUIN & Michéle CROISIER Unité de neuropsychologie et Iogopédie, Hopital neuchdtelois (HNE) Introduction En Suisse, plus de 100/000 per- sonnes vivent avec une maladie d’Alzheimer ou une autre forme de démence, et prés de 25'000 nou- vveaux cas sont dénombrés chaque année. Auniveau cantonal, Neucha- {el compterait 2’600 patients atteints, d'une maladie d'Alzheimer et 640 nouveaux cas diagnostiqués chaque année, Rappelons que la prévalence de cette maladie se situe aux alen- tours de 8% autour de 65 ans, et qu'elle est d'environ 30% pour les personnes de plus de 80 ans. ‘Au vu de ces chifires et du vieillisse- ment croissant de la population, la démence de la personne agée va rapidement constituer un probleme majeur de santé publique. Le dépis- tage s'annonce par conséquent comme un enjeu important pour les patients ainsi que leurs proches. Variabilité de la démence : tune sémiologie riche Le mot sdémence» renvoie & un terme générique qui désigne les maladies dans lesquelles des troubles de la mémoite s’associent au fléchissement d'autres fonctions meniales, et ce au point de rendre la personne dépendante au quotidien, Les critares diagnostiques proposés par McKahn et al, en 1984, pour le diagnostic de maladie d'Alzheimer probable ont assez peu évolués. Des éléments permettant de renforcer le diagnostic s’ajoutent & ces criteres, comme la présence d’antécédents familiaux ou encore Valtération significative des activités de la vie quotidienne et la présence de tuoubles comportementaux. Denou- veaux critares dordre morpholo- gique (diminution du volume de Thippocampe & lIRM), biologique (biomarqueurs de la protéine tau et peplide Ab) ou fonctionnel (diminu- tion de Vactivité cérébrale dans les régions. temporales et pariétales objectivée par imagerie fonction- nelle) ont été pattiellement validés 8 ces demiéres années, sans réper- cussion concrete encore sur la pra- tique courante. Par ailleurs, il faut garder & esprit quil existe d'autres syndromes démentiels moins frequents et moins médiatisés que la maladie d'Alzheimer, souvent sous-diagnos- tiqués, comme la démence dans la maladie de Parkinson, la paralysie supranucléaire progressive ou les démences vasculaires. Et si Vexa- men neuropsychologique est géné- ralement plus sensible que Vexamen neurologique pour les maladies de type Alzheimer, cet equilibre se réta- biit, voir sinverse pour les démences detypenon Alzheimer. Le tableau 1 illustre cette richesse sémiologique. Contribution de I'examen neuropsychologique : une aide significative au diagnostic Les raisons susceptibles de donner lieu & un déctin cogniti sont mul- tiples. Fréquemment es. premiers signes relevés portent "sur la mémoire, orientation, le manque du mot ou encore organisation des activités et les modifications du comportement et/ou de humeur. Touteois, ces quelques signes et le MMS (Mini Mental Status) désor- mais classiquement réalisé ne sont la plupart du temps pas suffisants pour poser un diagnostic de démence. Les faux négatifs sont encore frequents dans les consulta- tions effectuées au cabinet médical {60% des démences de type Alzhei- mer ne seraient pas diagnostiquées) ou en milieu hospitalier et les faux positifs sont également. présents dans la pratique hospitaligre (ser- vices de Médecine des soins aigus plus que CTR) Une évaluation neuropsychotogique approfondie est alors indiquée afin de sassurer du respect des critéres dia- gnostiques en apportant des réponses a des questions telles que + présence d'un déclin cognitit significatit(cest-a-dire dépassant le cadre des performances attendues & cet ge) ot vieillssement normal? + type de démence, indice de sévé- rité et retentissement en vie quoti- dienne pour le patient et I'aidant? ‘situation intermédiaire entrant dans le cadre d'un déficit cognitit léger (ou MCI en anglais)? + état confusionnel? + facteurs concomitants (lels les troubles de humeur) qui pourraient également expliquer les troubles? Larticle paru en juin 2004 (snm news, No 42) fournissant des infor- mations sur les tches sensibles et spécifiques dans l’évaluation de la démence chez la personne agée, ainsi que la mise 4 disposition du matériel utile reste d'actualité, la valeur spécifique de ces taches simples et de passation rapide ayant été largement confirmée, pour autant que les patients se trouvent dans un état médical stable. Cest essentiellement en phase pré- coce de la maladie neuro-dégénéra- tive que examen neuropsycholo- gique plus détaillé est susceptible de représenter un maillon essentiel dans la contribution au diagnostic de démence, en objectivant des troubles cognitifs et des modifica- tions comportementales ou de 'hu- meur encore peu marqués. L'éva~ luation consiste habituellement en utilisation de tests fins et standar- disés qui évaluent les fonctions cognitives telles que la mémoire, attention, les fonctions exécutives (processus d’inhibition, de planifica- lon et de flexibilité nécessaires pour s‘adapter a une situation non routi- nigre) et les fonctions instrumen- tales que sont le langage (oral et écrit), les praxies (connaissances relatives aux gestes) et les gnosies (connaissances perceptives). Les {ests fins, nécessitant plusieurs séances d'examen restent cepen- dant peu utilisés chez les personnes de plus de 80 ans qui se fatiguent ou se lassent assez vile de I'évaluation ; heureusement certains outils tien” nent compte de ces contraintes et peuvent etre proposés dans les situations peu claires (Montreal Cognitive Assessment ou MOCA, par ex). Pour les examens administrés aux patients Agés se trouvant dans un état médical dit stable, la ten- dance actuelle est de commencer Tableau 1. Quelques exemples de démencesen fonction de leur expression cérébrale ‘Expression principalement CORTICALE Eaprssion pinpaloment ‘Expression principalement SOUS-CORFCALE Maladie Alzheimer Démence a corps de Lewy Maladie de Parkinson DDémence fronto-temporale Leuco-encéphalopathie progressive Paralyse supranuclésite progressive Démence smantique Dégénérescence cortico-basale (Chorée de Huntington DDémence par infarctus maltiple Encpalitesvirales pox herpes) “Encéphalopathie de Binswanger ‘Atophie cortical postérieure Etat lacunae ‘Encéphalopathie a Vill par une échelle globale (Mattis Dementia Rating Scale ou MDRS), puis de compléter au besoin avec des tests permettant de préciser le profil cognitif (Alzheimer versus déclin cognitif vasculaire non démentiel, par ex.) Une fois les informations médicales connues et le testing réalisé, c'est, Tanamnése _confirmée/complétée par les informations fournies par les, proches qui permet de dater les roubles, de définir leur mode d’ap- parition et leur évolution, et de juger d'un éventuel impact sur les activi- tés de la vie quotidienne (critére nécessaire au diagnostic de démence). La aussi, des échelles proposées par des collaborateurs bien informés permettent d'estimer la présence et la sévérité des troubles thymiques (par ex. Geriatric Depression Scale ou GDS) ou com- portementaux (par ex. Neuro-Ps} chiatric Inventory ou NPI). Une part de subjectivité “restant_ inévitable dans ces appréciations-1a, du cOté du patient, de son conjoint comme de celui de ’examinateur. Le travail du neuropsychologue implique done un examen long, qui dure en général prés de deux heures, Réalisé dans de bonnes conditions et en possession des informations complémentaires, cet examen per- met la plupart du temps de mettre en évidence ou d’écarter une démence, en précisant la nature du déctin cognitif (démentielle, compatible avec I'age ou encore en lien avec des manifestations psychiatriques telles que la dépression ou I'anxiété). Ces distinetions et précisions sont utiles non seulement pour guider le méde- cin dans le choix d'une médication appropriée (qui peut différer selon le type de démence et sa sévérité), mais également pour proposer des conseils adaptés aux proches du patient dans le but de diminuer l'im- pact des difficultés en vie quoti- dienne et sur entourage. Cependant, une neuropsychologie de la personne Agée doit etre réflé- chie en termes de valeur ajoutée quelles informations peuvent appor- ler un bilan complet chez une per- sonne de plus de 90 ans? Dans ces contextes de pathologie avancée, les recherches montrent que la passa- lion dune échelle standardisée ‘comme le MMS et les informations du médecin-traitant et de l'entou- rage du patient suffisent a poser le diagnostic. En effet, la pertinence des laches cognitives utilisées est faible pour les patients souffrant d'une démence de type Alzheimer obtenant des scores inférieurs 4.20 Véchelle MMS. II faut enfin garder en mémoire que la maladie d’Alzheimer et les autres formes de démence échappent.a une conception dichotomique selon laquelle un patient présente ou non une démence de maniére claire. En effet, de plus en plus de données de la littérature suggérent un conti- nuum entre le vieillissement normal, le trouble cognitif leger sans reten- lissement sur la vie quotidienne (qui est décrit sous la notion de MCI pour Mild cognitive Impairment) et la démence proprement dite avec la présence de plusieurs troubles cognilifs et un impact significatif sur les activités de la vie quotidienne, Sensibilité aux outils de dépistage et réserve cogni ive Lorigine exacte du déclin démentiel demeure incertaine, notamment dans la maladie d'Alzheimer et i semble en effet impossible de lutter contre le vieillissement. Cependant, certains facteurs sont considérés comme sprotecteurs» pour ralentir le déclenchement d'une démence, alors que d'autres seraient plutot considérés comme des facteurs saggravants» (voir tableau 2). Toutefois, les récentes conceptions en matire de développement et d'évolution du cerveau au cours de Vexistence laissent penser que ces facteurs ne protégent pas de la démence elle-méme, mais plutot de ses manifestations cliniques. Cette réinterprétation est en lien direct avec I'hypothése de la réserve cogni- live qui décrit la résilience manifes- lée parle systéme cognitifenvers les alteintes neuropathologiques du cerveau. Ce concept de réserve cognitive implique une adaptation au dom- mage neuropathologique ; l'accent estmis surla maniére dontle cerveau. Ulllise les ressources atteintes. La réserve cognitive refléte la capacité doptimiser la performance cogni- live a travers le recrutement d'autres réseaux cérébraux et/ou l'utilisation de stratégies cognitives alternatives. Bien qu'une composante génétique soit al'heure actuelle postulée et que la taille du cerveau semble égale- ment jouer un rdle dans le dévelop- pement de a réserve cognitive, cette capacité est passablement détermi- née par les acquisitions et l'expé- rience de vie (intelligence globale, éducation, aboutissement profes- sonnel, activités de loisirs). Tableau 2 Facteurs aggravants et protecteurs dans le cadre de la démence FACTEURS PROTECTEURS ‘Activité physique régliee Nourriture varige et équilionée ‘Activité sociales (amis, groupes, FACTEURS AGGRAVANTS, ‘onsommation abusive alcool acteurs de risque cardio-vasculaites (tabac, diabéte, hypertension, cholestéro) ‘Ativités mentales (lecture, jeu, Sédentarté [Un verre devin rouge par our ‘Aniécédens famiiaux de demence 9 Conclusion Les affections neuro-dégénératives, et plus particuligrement les, démences, restent encore inégale- ment connues des milieux médi- caux (services hospitaliers et cabi- nets), rendant largement compte du fait qu’elles sont actuellement sous- diagnostiquées ou négligées dans leur prise en charge. Il est vrai que les faibles succés de la médication introduite ces dix derniéres années etla trop relative sensibilité de 'ima- gerie cérébrale disponible en pra- tique courante y sont probablement pour quelque chose. Reste que la démence est une affection grave et douloureuse, impliquant un fort sou- lien des proches, et en passe de devenir_ un probleme de santé publique A moyen terme. Elle mérite par conséquent davantage d'intéret. Le diagnostic de la démence peut etre difficile, a fortiori dans sa phase précoce: d'une part, en raison d'une sémiologie riche impliquant des outils. fins et des évaluations détaillées pour distinguer les diverses formes de —démence d'autres affections pouvant entra- ner un déclin cognitit ; d'autre part, en raison de la réserve cognitive qui peut parfois masquer pendant un temps, les signes de la maladie et retarder le diagnostic. Des premiers signes conslatés par entourage, jusqu’a la prise en charge et I'adap- tation au quotidien, les pathologies dégénératives de nature démentielle impliquent un long processus au sein duquel a collaboration entre les médecins (généralistes et spécia- listes), les soignants et les neuropsy- chologues est essentielle. La forma- tion pointue des neuropsychologues dans ce domaine et leur combat pour une meilleure intégration des troubles cognitifs et comportemen- taux dans la prise en charge médi- cale portent progressivement leurs fruits. Le statut cognitif de la per- sonne agée vaut mieux qu'un MMS ila va-vite et son statut thymique se doit d’étre mieux apprécié. L'entou- rage est également plus présent dans ses questions et ses demandes pour faire face a la diminution de Vautonomie cognitive des patients. LIHNE offte, par le blais de son unité de neuropsychologie et logopédie, des prestations diagnostiques adap- tées aux patients agés hospitalisés 10 (soins algus et CTR) ainsi qu’aux patients examinés ambulatoirement (souvent dans des conditions plus appropriées vu leur état stabilise et la présence directe de leur entou- rage). Ces prestations demeurant quantitativement restreintes, — il Importe que les indications a l'exa- men neuropsychologique soient aussi bonnes que possibles; c'est Voccasion de remercier sincérement les médecins-traitants et les neuro- logues et autres spécialistes (dont les psychiatres) qui facilitent gran- dement notre tache par la transmis- sion des données pertinentes. Au dela du diagnostic, le développe- ment de projets de prise en charge précoce pluridisciplinaire _repré- sente le prochain défi des interve- nants dans ce domaine: des pro- grammes associant notamment entrainement physique et entraine- ment cognitif favorisant un vieillis- sement (aussi) réussi (que possible) sont a V’étude, avec de premiers résultats encourageants, Références Vivre avec la maladie d’Alzheimer ~ Chifires-clés, Association Alzheimer Suisse, Yverdon-les-Bains. Popula- tion résidante permanente alla fin de Vannée 2007, BFS, Neuchatel STATISTIQUES SUR LA CIRCULATION : AUGMENTATION DES ACCIDENTS DES PERSONNES AGES! Sf“ La, on en compte un ou eur? McKhann G., Drachman D., Folstein M., Katzman R,, Price D. & Stadlan E. M. (1984). Clinical diagnosis of Alz- heimer’s disease: report of the NINCDS-ADRDA work group under the auspices of Department of Health and Human Services Task Force on Alzheimer's disease. Neurology, 34, 939-944. Croisier M. (2004). Dépistage d'un déclin cognitif au cabinet médical Indications @ examen neuropsycho- ogique. Sam news, 42, 22-26. Chertkow H., Massoud F., Nasred- dine Z., Belleville S., Joanette Y., Bocti C., Drolet V., Kirk)., Freedman M.,, Bergman H. (2008). Diagnosis and teatment of dementia ; mild cognitive impairment and cognitive Impairment without dementia, Cana- dian Medical Association Journal, 178, 1273-1285, Tucker-Drob E.M., Johnson KE. & Jones RN. (2009). The cognitive reserve hypothesis: a longitudinal examination of age-associated declines in reasoning and processing ‘speed. Developmental Psychology, 45, 431-434 a, a. Elamgte

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