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COI, PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

PERCEPTIONS
.--- .---

ET REALITES
CLAUDE POISSENOT
Auteur Directeur de publication
Jean-Marc Merriaux
Claude Poissenot est enseignant-chercheur à l'université de Lorraine
(Centre de recherche sur les médiations, CREM).Spécialiste des Directrice de l'édition transmédia et de la pédagogie
bibliothèques et de leurs publics, il a réfléchi sur la manière dont Michèle Briziou
ces équipemen'ts peuvent s'inscrire dans la réalité sociologique
de notre temps (La Nouvelle Bibliothèque, 2009). Il enseigne auprès Directeur artistique
d'étudiants de" métiers du livre" du département info-com de l'IUT Samuel Baluret
Narlcy-Charlemagne et rencontre régulièrement les professionnels
à l'occasion de conférences. Il vient de terminer un livre sur le Coordination éditoriale
métier (Être bibliothécaire, 2014). Il est également fondateur et Sophie Roué
membre du prix Livres-Hebdo des bibliothèques qui récompense
les établissements particulièrement en phase avec la populatlOn Secrétariat d'édition
qu'ils servent. Depuis quelques années, il observe avec intérêt le Sophie Roué
monde des professeurs-documentalistes et souhaite le questionner
à partir de cette problématique des publics. Mise en pages
Isabelle GUlcheteau

Conception graphique
Remerciements DES SIGNESstudio Muchir et Desclouds

Consacré aux professeurs-documentalistes, ce livre doit d'abord


beaucoup à tous ceux qui ont réussi à suspendre leurs activités
quelques minutes pour répondre au questionnaire que je leur ai ISSN : en cours
soumis. Sans leurs réponses nombreuses et riches, 11n'aurait pu ISBN: 978-2-240-03461-8
voir le jour. Leurs témoignages m'ont aidé à cerner les contours de Réf. : 755D02245
leur profession enthousiasmante et mcertaine. © Canopé-CNDP-2014
L'enquête n'aurait pas davantage pu voir le jour sans l'appui de (établissement public à caractère administratif)
l'inspection Établissements et Vie scolaire. Merci à Jean-Louis Téléport 1 @ 4 - CS 80158
Durpaire et aux inspecteurs pédagogiques régionaux des huit 86961 Futuroscope Cedex
académies retenues qui m'ont permis d'entrer en relation avec
les professionnels.
Merci à Véronique Verger, professeure-documentaliste à Rennes
(collège Montbarrot puis lycée Descartes), qui a nourri ma curiosité,
m'a encouragé dans ce travail qu'elle a relu avec soin Merci aussi Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés
à Jacques Poissenot, ancien professeur-documentaliste, relecteur pour tous pays.
vigilant et exigeant.
Enfin, je remercie l'IUT Nancy-Charlemagne et son département Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes
info-com qui me permet de mener des travaux sur les bibliothèques des articles L.122-4 et L.122-5, d'une part, que les « copies ou
et les CDI. Merci aux étudiants qui m'accompagnent dans les reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et
enquêtes et merci à mes collègues qui, par la prise en charge non destinées à une utilisation collective ", et, d'autre part, que
d'activités administratives, m'ont donné le temps d'écrire. les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et
d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou
partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants
droit ou ayants cause, est illicite"

Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que


ce soit, sans autorisation de l'éditeur ou du Centre français de
l'exploitation du droit de copie (20,rue des Grands-Augustins, 75006
Paris) constitueraient donc une contrefaçon sanctionnée par les
articles 425 et suivants du Code pénaL
Qui veut la fin des CDI ? Pas les élèves, eux qui sont familiers de cet équipement qu'ils
découvrent dès la sixième et qu'ils fréquentent régulièrement jusqu'au terme de leur
scolarité. Pas non plus les enseignants de discipline qui ont intégré l'utilité de cette ressource
et de son personnel compétent et dynamique. De leur côté, les chefs d'établissement se
réjouissent de pouvoir proposer à leurs élèves un espace qui n'est ni une salle de classe, ni
un foyer mais dans lequel ces derniers trouvent des moyens pour étudier et se construire.
L'Inspection générale, quant à elle, soutient la reconnaissance des CDI, « défendant»
le nombre de postes, formant les inspecteurs régionaux et inscrivant ces lieux dans les
mutations, notamment technologiques, en cours.

Pourtant, jusqu'à une période récente, de nombreux échos émanant de sites ou de la


presse professionnelle, de syndicats ou d'associations, suggéraient que les CDI et surtout
les professeurs-documentalistes étaient menacés dans leur existence. C'est ainsi le cas de
F. Chapron dans un texte qui invite les professeurs-documentalistes à « combattre ce projet
mortifère pour les professeurs-documentalistes, qui tiennent à garder leur mission centrale
et à contribuer de façon "noble" à la formation des élèves qui leur sont confiés. La circulaire
de 1986 est effectivement notre dernier rempart et nous n'avons pas à accepter de voir la
profession définie par des textes sans valeur réglementaire' ». Un discours professionnel
défensif, revendicatif et parfois plaintif s'est installé. La récente parution du« Référentiel de
compétences des enseignants' »est venue apaiser la situation en offrant une reconnaissance
depuis longtemps demandée. Mais ce texte ne fera pas disparaître l'impression d'écart
ressentie par les professionnels entre la réalité dans laquelle ils se trouvent et les orientations
larges des textes officiels et des discours professionnels. Et c'est logiquement qu'une partie
d'entre eux se sent un peu perdue à l'instar de D. Elkaim qui, au terme d'une réflexion riche
et de nombreuses questions, en vient à poser une interrogation fondamentale sur le métier:
« Qu'attend-on de nous3 ? »

Mais revenons un peu en arrière. Le CDI fait donc désormais partie des équipements évidents
des établissements scolaires. Cette absence de doute sur son bien-fondé est le produit d'un
long processus d'institutionnalisation auquel prend part l'écriture d'une histoire par ceux-là
même qui y travaillent'. L'histoire des CDI devient alors une histoire commune, une modalité
de fabrication de l'unité d'une profession par ailleurs assez éclatée. Il est alors question de
la lente prise de conscience collective de l'importance d'un lieu susceptible de fournir de
la documentation aux élèves (et aux professeurs). L'institutionnalisation est indissociable
aussi d'un processus de professionnalisation du personnel en charge de ces services. C'est
bien sûr la raison qui fait de la date de création du CAPES de documentation (1989) un
moment décisif de l'histoire des CDI. Un personnel est enfin spécifiquement recruté pour
prendre en charge cette fonction documentaire au cœur même des établissements scolaires 1

1 Françoise Chapron, " Bas les masques ou comment on tente de reprofiIer une profession sans décision
réglementaire ", 18 novembre 2011. En ligne lestroiscouronnes.esmeree.fr. entrer le titre de l'article dans
le moteur de recherche ..

2 Bulletin officiel du 25 juillet 2013.

3 Dahlia Elkaim,« Questions de positionnements' ", InterCDI, n° 238, juillet-août 2012. p. 27.
4 Y compris dans la dernière version de son livre (Les COI des lycées et collèges, Paris, Puf. 2012).
Françoise Chapron présente les CD! en consacrant le premier chapitre à leur histoire.
Le choix d)un concours de recrutement de professeur plutôt que de personnel administratif
ou technique a ancré le CDI du côté de la pédagogie. Ce choix alimente le trouble présent
chez certains professionnels qui demandent que le métier réel corresponde au statut.

Par comparaison avec les BCD(bibliothèque centre de documentation ou bibliothèque centre


documentaire), l'institutionnalisation des CD! se révèle un succès. Les BCD ont connu un
début de processus analogue avec des discours visant à pointer l'importance de tels lieux de
lecture au sein même des écoles primaires, c'est-à-dire au moment où les élèves sont en train
de faire l'apprentissage de la lecture. Mais ce processus a buté sur l'absence d'un personnel
professionnel spécifiquement formé et recruté en vue de prendre en charge ce lieuS.Ce point
de divergence a des conséquences importantes puisque les BCD qui demeurent sont le fait
de bonnes volontés locales et nombre d)écoles les ont fermées ou n'en ont plus l'usage. Cette
comparaison montre que la constitution d'un personnel spécifique se révèle déterminante
dans l'institutionnalisation d'un service documentaire6• C'est lui qui, individuellement dans
chaque établissement et collectivement à travers les discours (associatifs, ministériels,
universitaires), fait exister l'institution documentaire qu'est devenu le CDI.

Notre réflexion ne vient pas de nulle part. Elle est largement alimentée de notre connaissance
du monde des bibliothèques publiques. Celles-ci ont beaucoup à voir avec les CD! en cela
que ces deux institutions font se rencontrer des collections avec des publics libres de les
fréquenter (ou non) dans un espace dédié. Or, il se trouve que dans les dernières années,les
bibliothèques ont changé comme changent les discours des bibliothécaires. Alors que jusque
dans les années quatre-vingt-dix, les professionnels de la lecture publique cherchaient à
maintenir une définition de cette institution par l'offre (particulièrement'documentaire) en
essayant d'obtenir, en vain, un soutien politique notamment via une loi sur les bibliothèques,
ils y ont désormais renoncé dans leurs discours7• Une nouvelle approche se développe
rapidement qui place la question des usagers au cœur de la définition de la bibliothèque
et qui se repère au succès de la notion de « bibliothèque 3" lieuS ». Le cas des bibliothèques
publiques montre que la quête d'une loi comme moyen d'imposer une légitimité est vouée
à l'échec. Il montre aussi que c'est l'adéquation avec la situation dans laquelle se trouvent
les usagers du service public qui est en mesure de lui assurer une reconnaissance et une
légitimité. Par contraste, on ne peut qu'être frappé par la focalisation de la profession de
professeur-documentaliste qui, selon V. Delarue, est « toujours en attente d'une nouvelle
lettre de mission qui, clairement, appuierait notre rôle essentiel de pédagogue dans la
formation à la culture informationnelle et légitimerait notre identité professionnelle sur le
terrain9 ». Elle poursuit ensuite dans le même esprit: « Merci aussi de nous "faire exister" en
qualité de professeur-documentaliste dans les différents textes et référentiels, et non pas de
nous réduire au lieu CDI... » Cette vision n'est pas la seule'°, mais elle apparaît dominante
dans les discours professionnels. Riche de l'expérience des bibliothèques publiques, il s'agit
de la mettre en débat et de proposer une autre approche du métier.

5 Cf. Odile Lambert-Chesnot, « Bibliothèque-centre documentaire », in Philippe Champy et Christiane Etévé


(dir.), Dictionnaire encyclopédique de l'éducation et de la formation, Paris, Retz. 3' éd., 2005, p. 131-134.
6 Cf. Dominique Arot et Thierry Grognet, Les Relations des bibliothèques des collectivités territoriales avec les
établissements scalaires, rapport de l'Inspection générale des bibliothèques, Paris, Ministère de l'Enseignement
supérieur et de la Recherche, 2014.
7 Cf. Danielle Oppetit et Matthieu Rochelle, « Une loi sur les bibliothèques », Bulletin des bibliothèques de France,
n° 2, 2011, p. 6-12.
8 Pour une présentation de cette notion, cf. Amandine Jacquet (dir.), Les Bibliothèques 3' lieu, Paris, ABF,
coll. « Médiathème », à paraître.
9 Véronique Delarue,« Éditorial », InterCDI, n° 241, janvier-février 2013, p. 3.
10 Cf. Michèle Briziou (dir.), Les Professeurs· documentalistes, Orléans, CRDP de l'académie d'Orléans-Tours, 2011.
UNE ENQUÊTE

Quel est le point de vue effectif des professeurs-documentalistes sur leur métier? Plutôt que
de s'en remettre aux discours des représentants professionnels, syndicaux ou associatifs,
l'idée a consisté à s'adresser directement à eux. Pour cela, nous avons fait le choix d'interroger,
via un formulaire en ligne, tous les professionnels de huit académies: La Réunion, Lille, Lyon,
Nancy-Metz, Rennes, Toulouse, Versailles et Grenoble. Il s'agissait d'avoir une représentation
variée de la réalité des établissements scolaires en France. Les IPR ont transmis, via leurs
listes de diffusion, un message présentant l'enquête et comportant un lien vers le formulaire.

En 2011, la population des élèves du second degré de ces huit académies représentait 40 %
de la population totale des élèves du second degré en France et on dénombrait un total
de 4347 professeurs-documentalistes. L'enquête a recueilli 1 508 réponses, soit un taux
de réponses de 34) %. La qualité d'un échantillon s'apprécie à son volume: la masse de
réponses recueillies ici, conjuguée au fait qu'il s'agit d'une population assez homogène,
garantit une grande fiabilité des données. Par ailleurs, notre taux de réponses très élevé (plus
d'un tiers des personnes interrogées ont répondu 1) offre un gage de grande crédibilité à nos
résultats. On peut aussi rapporter le total des réponses au nombre total de professionnels
en France et nous arrivons à environ 12 % de ceux-ci qui ont pris part à l'enquête. Ce niveau
élevé de participation garantit une large représentativité des réponses obtenues. Si la base
de population avait été non les professionnels des huit académies mais ceux de toute la
France, il aurait fallu en interroger plus de 4 000 pour atteindre le même taux de réponse.
Notre large échantillon permet de retrouver presque exactement la même répartition des
collègues ayant répondu selon le type d'établissement que dans leur population en général:
57 % en collège (60 % dans la population globale), 10 % en lycée professionnel (10 %), 22 %
en lycée général ou technologique et 8 % en cité scolaire (30 % en lycée).

Le formulaire" était bien sûr anonyme et comportait uniquement des questions fermées,
à l'exception d'une ouverte libellée de la manière suivante :.« En quelques mots et selon
votre expérience, pourriez-vous définir votre métier? » Il s'organisait en cinq parties: la
pratique du métier qui consistait à mesurer la fréquence de pratiques professionnelles; la
perception du métier de professeur-documentaliste; la perception du CDI (comme espace) ;
la perception des élèves. Il se terminait par des questions sur l'établissement (type, statut,
taille, académie) ainsi que sur la personne interrogée (genre, âge, ancienneté en tant que
professeur-documentaliste, la détention du CAPES de documentation et celle d'un diplôme
en sciences de l'information et de la communication). L'essentiel de la passation a eu lieu
entre la fin novembre et décembre 2012. Quelques réponses complémentaires sont arrivées
début 2013.

Si le personnel est un acteur important de l'histoire des CDI, il paraît logique et utile de s'y
intéresser à l'heure où il est inquiet et en pleine réflexion sur son rôle et son avenir. Quelle
place les élèves occupent-ils dans leur activité effective? Comment les professionnels se
représentent-ils leur fonction de professeur-documentaliste et celle du CD! en tant que
lieu? Comment conçoivent-ils les élèves?

Toutes ces questions permettront de repérer l'univers de pensée des enseignants-


documentalistes et la manière dont celui-ci s'articule avec leurs pratiques. Nous verrons
que les représentations des professionnels ne forment pas une totalité cohérente venant
donner un sens évident à leurs multiples pratiques professionnelles. Dès lors, il s'agira
d'entrer plus en profondeur dans ce qui concourt à l'hétérogénéité des visions et pratiques

11 Le formulaire est disponible en annexe, à la fin du présent ouvrage.


BB
MËTlER VËCU III

On peut définir un métier par la manière dont il se Mais si les documentalistes sont également ensei-
donne à voir ou par la manière dont les profession- gnants, c'est aussi parce qu'ils épaulent les élèves
nels le conçoivent et se représentent leur environne- en dehors du strict cadre de la formation. Cela prend
ment. On peut aussi chercher à savoir ce qui le ainsi la forme de l'aide à la recherche d'informa-
constitue en observant les pratiques professionnelles tions à laquelle les élèves doivent se livrer dans le
qui lui sont associées. Le métier d'enseignant-docu- cadre de leurs études. 86 % des professionnels inter-
mentaliste renvoie à une variété d'activités et se rogés ont déclaré s'être livrés à cette activité dans la
définit par une pluralité de pratiques reflétant des semaine. Cette aide ne correspond pas seulement à
fonctions différentes. L'enquête a cherché à procéder une recherche d'informations, c'est aussi un moment
à un recensement de la fréquence de ces pratiques à d'apprentissage des techniques documentaires, un
travers les déclarations des professionnels. Nous les enseignement non in abstracto mais in situ. Sans que
présentons en les regroupant par thème, chacun cette activité porte ce nom, les professeurs-documen-
s'agrégeant aux autres pour former le métier de talistes procèdent effectivement à de l'accompagne-
professeur-documentaliste. ment personnalisé des élèves. Ils prennent en compte
à la fois les ressources documentaires disponibles,
la nature des recherches demandées aux élèves et
LA FONCTION ENSEIGNANTE la manière dont ceux-ci engagent cette tâche. Dans
ce dialogue particulier, ils pratiquent une pédagogie
Les professeurs-documentalistes remplissent une fonc- que les autres enseignants n'ont pas tellement l'occa-
tion enseignante de plusieurs manières. La première à sion de mettre en œuvre et qui tient à leur position
laquelle on pense spontanément concerne la prise en latérale par rapport à leurs collègues des autres disci-
charge d'un groupe d'élèves dans une intention péda- plines, matérialisée dans un espace spécifique doté de
gogique. Et c'est une proportion très importante des ressources documentaires.
professionnels qui prend part à la formation des élèves
dans un tel cadre explicite. C'est ainsi 89 % d'entre De façon un peu moins fréquente mais dans presque
eux qui disent avoir assùré une formation auprès des trois quarts des cas (73 %), les professeurs-documen-
élèves au cours de la semaine précédant l'enquête". talistes disent avoir aidé un élève pour ses devoirs.
Ils sont autant à avoir accueilli un groupe d'élèves Quelques-uns affirment même que cela fait partie de
dans le cadre d'un cours d'une autre discipline. Cette la définition de leur métier. De façon pratique, ils parti-
fonction enseignante s'exerce donc en lien étroit avec cipent ainsi à la formation des élèves, y compris dans
les collègues des autres disciplines et les professeurs- leurs apprentissages disciplinaires. Cette fonction n'est
documentalistes y consacrent une partie de leur temps pas au cœur des discours des professionnels ni des
et de leur énergie. 91 % ont ainsi échangé au cours de textes de cadrage de la mission du CD! mais pourtant
la semaine avec un collègue en vue d'un projet dans elle est largement présente dans les pratiques ordi-
sa discipline. L'ancrage des professeurs-documenta- naires de ce personnel. Les professeurs-documenta-
listes dans le cadre pédagogique ne relève pas d'une listes sont des enseignants, non seulement parce qu'ils
incantation mais bien de leurs pratiques quotidiennes. construisent des séquences pédagogiques et accom-
pagnent les élèves dans leurs recherches d'informa-
tions, mais aussi parce qu'ils sont sollicités comme
tels par certains élèves. Leur implication dans cette
tâche est aussi fonction de leur aisance (plus ou moins
grande) dans les domaines disciplinaires.
12 Dans la suite du texte, la notion de " semaine .. renvoie à la
semaine précédant la réponse à l'enquête.
Da COI, PERCEPTIONS ET RËALlTËS

LA FONCTION DOCUMENTALISTE très large majorité de la profession de remplir ces


tâches documentaires inhérentes et indispensables à
Les professeurs-documentalistes sont également l'existence des CD!. C'est peut-être aussi parce que cela
impliqués dans la gestion d'un centre de documenta- constitue un point de tension pour une minorité qu'il
tion. Cette dimension de leur activité n'est pas négli- est mis en sommeil dans les discours sur le métier.
geable et les déclarations recueillies le confirment. C'est la condition pour maintenir l'unité de la profes-
sion. Dire ce pour quoi on voudrait être reconnu plutôt
AU COURS DE LA SEMAINE DERNIÈRE,
AVEZ-VOUS ... que de dire ce qui fait la réalité du métier ...
... enregistré des prêts ou retours? 99%
L'opposition entre la fonction documentaliste et la
... catalogué ou indexé des documents? 97%
fonction enseignante se révèle surtout erronée. La
... conseillé des documents? 96 %
gestion d'un fonds n'est pas seulement un acte tech-
... fait respecter le silence dans le COI? 94% nique mais c'est aussi un acte pédagogique. Le choix
... équipé des documents? 87% des documents repose sur leur capacité à répondre à
... sélectionné des documents en vue 81% des demandes ou à susciter un intérêt chez les élèves .
d'acquisitions? De même,leur indexation se révèle d'une grande utilité
RËSULTATS DE L'ENQUËTE CONCERNANT LA FONCTION pour orienter les élèves dans leurs recherches d'infor-
« DOCUMENTALISTE» DU MÉTIER. mations mais aussi dans leurs lectures de fictionB
Aider les élèves à trouver un livre avec des vampires,
Les activités d'un documentaliste sont très forte- des pirates, de l'amour, etc., c'est créer les conditions
ment pratiquées au CDI. Transactions, traitement d'une trajectoire de lecteur dans laquelle le professeur-
des documents, conseils, maintien du silence, mais documentaliste intervient indirectement (par l'inter-
aussi, dans une légèrement moindre mesure, équi- médiaire de cette indexation ou de la mise en avant
pement et acquisitions relèvent des activités quoti- des ouvrages) ou directement (à travers un dialogue
diennes des professeurs-documentalistes. S'ils ne avec l'élève). Cette même tâche est aussi un moyen
sont pas seulement documentalistes, ils le sont dans pour s'adresser aux enseignants en leur proposant
la réalité ordinaire de leurs pratiques. Et il convient de des sélections d'ouvrages ou en les aidant à trouver
relever l'écart entre la fréquence des pratiques liées ce qui leur sera nécessaire. L'indexation s'effectue en
à la prise en charge d'un centre de documentation prenant en compte les programmes ainsi que la parti-
et la faiblesse de cette dimension dans les discours cularité des élèves et de l'établissement. Cette activité
des professionnels sur leur propre métier. Si le thème est donc pleinement pédagogique et les professeurs-
de la " politique documentaire" se retrouve parfois, documentalistes pourraient s'en convaincre afin de ne
notamment dans les textes ministériels, la fonction pas percevoir l'activité bibliothéconomique comme
documentaliste est largement passée sous silence dans en rupture mais en continuité avec leur mission
les discours professionnels. Au contraire, on retrouve, pédagogique.
y compris dans l'enquête, des prises de paroles, pas
très nombreuses (moins de 2 %) mais virulentes, qui
présentent le métier de professeur-documentaliste par L'ACCUEIL PERSONNALISÉ
opposition à celui de bibliothécaire. Écoutons ces cris:
«Tout sauf bibliothécaire " (académie de Nancy-Metz, L'activité pédagogique ou documentaire est princi-
femme d'une cité scolaire) ; " Nous ne sommes pas palement tournée vers les élèves. Les professeurs-
des bibliothécaires au service d'usagers" (académie documentalistes se distinguent de leurs collègues des
de Grenoble, femme en collège) ; " Le seul point noir autres disciplines par leur plus grand nombre d'heures
de notre métier est que bien souvent le CDI est encore face aux élèves. Ils se différencient également des
considéré comme une simple bibliothèque" (académie
de Nancy-Metz, homme ou femme d'une autre cité
scolaire). L'image du bibliothécaire sert de repoussoir à 13 On peut ainsi noter 1'« avance» des CDI par rapport aux
cette étroite minorité. Comme si la reconnaissance ne bibliothèques publiques sur ce sujet. La pratique est
fréquente et fait l'objet de publications (par exemple:
pouvait venir que de la fonction enseignante, comme Nicolas Dompnier, Indexer lafictIOndans les CD!et les
le suggère cette professeure-documentaliste en lycée bibliothèques jeunesses, Besançon, CRDPde l'académie de
général ou technique de l'académie de Lille: " Je ne Besançon, 1999). Il faudrait l'encourager et la faciliter,
par exemple en mutualisant la production de notices.
suis pas bibliothécaire, mais enseignante avant tout. » On peut regretter que la BNFne fournisse d'ailleurs pas
C'est un point de crispation qui n'empêche pas une ces informations dans celles qu'elle propose.
MÉTIER VÉCU

bibliothécaires par le fait que l'essentiel de leur temps celui rempli par les conseillers d'orientation mais il
de travail est en service public. Ce contact permanent n'en n'est pas moins important. tant les professeurs-
avec les élèves conduit à l'établissement d'une relation documentalistes sont plus aisément accessibles (du
qui peut devenir personnelle avec les élèves. fait de la fréquentation informelle du CDI) que leurs
collègues spécialisés dans l'orientation. La possibilité
Ainsi, 83 % des professeurs-documentalistes déclarent d'entrer en interaction interpersonnelle dans l'espace
avoir aidé un élève dans une recherche personnelle du CDI favorise très certainement l'établissement d'un
d'informations. Ils mettent leurs compétences en lien qui conjugue les dimensions statutaires et person-
information-documentation au service d'une dimen- nelles des enseignants-documentalistes. Relevons
sion personnelle de l'élève. Ce lien étroit entre l'élève, sur ce sujet encore, la faible place que les discours
son domaine d'intérêt et le professionnel crée des professionnels accordent à cette fonction effective des
conditions favorables à la transmission de compé-. professeurs-documen talistes.
tences dans la recherche d'informations. L'opposition
entre l'élève et la personne se résout, pUlsque c'est en Échanges personnels
prenant en compte la dimension personnelle de l'élève L'échange avec les élèves peut aussi glisser vers des
que l'enseignant-documentaliste fait œuvre pédago- sujets qui ne sont pas directement en lien avec la
gique. De façon consciente ou non, les professeurs- fonction officielle de l'enseignant-documentaliste ou
documentalistes utilisent ce levier personnel dans une du CDI. C'est ainsi que 52 % des professeurs-docu-
proportion notable. C'est peut-être là une de leur spéci- mentalistes avouent avoir parlé avec un élève de
ficité par rapport à leurs collègues des autres disci- problèmes ou questions personnels dans la semaine.
plines. C'est même sans doute dans cette position qui Cette pratique n'est donc que très légèrement majo-
cumule les dimensions scolaires et personnelles que ritaire dans la profession, mais cela indique bien
les professeurs-documentalistes innovent en matière l'importance de cette fonction d'écoute remplie par
pédagogique. Nous y reviendrons. une partie des enseignants-documentalistes. Ils repré-
sentent en effet une occasion pas si fréquente dans
Aide à l'orientation le cadre scolaire d'avoir un échange personnel avec
Mais l'accueil personnalisé peut dépasser cet objectif un adulte. L'absence de relations d'évaluation avec
pédagogique sous-jacent pour se situer sur le plan l'élève, le temps relativement plus important que les
d'une relation personnelle entre élève et adulte. professeurs-documentalistes peuvent accorder aux
L'orientation est un sujet qui illustre cette situation. élèves favorisent ces relations à forte composante
Et c'est plus de deux tiers des professeurs-documen- personnelle. Cette activité chronophage - qui n'est
talistes (69 %) qui disent avoir parlé avec un élève à ce pas reconnue par les textes qui encadrent le métier
sujet au cours de la semaine. La proportion est d'au- ni par les discours de ceux qui voudraient en fixer les
tant plus notable que l'enquête a été réalisée entre contours - est pourtant bien remplie et sans doute
la fin du mois de novembre et le début janvier, c'est- avec des profits non négligeables (mais peu visibles et
à-dire à une période où la question de l'orientation évaluables) pour les établissements et pour les élèves.
n'est pas encore autant d'actualité qu'au printemps. De nombreux répondants insistent sur cette dimension
Si, dans la question ouverte, certains répondants ont relationnelle du métier. Écoutons cette enseignante-
clairement exprimé qu'ils n'étaient pas conseillers d?cumentaliste d'un collège de l'académie de Nancy-
d'orientation (par exemple cette collègue d'un collège Metz: " Je souhaite que les élèves qui entrent dans
de l'académie de Lyon qui affirme que l'enseignant- le CD! trouvent un lieu accueillant et une personne
documentaliste n'est" ni garde d'enfant, ni conseiller à l'écoute de leurs demandes (diverses; parfois sans
d'orientation »), leur proximité avec les élèves crée rapport avec l'enseignement, mais nous sommes aussi
des occasions d'échanges sur des sujets variés dont des éducateurs) »Elle est en accord avec son collègue
l'orientation. Les professeurs-documentalistes sont d'un grand lycée de l'académie de Rennes: " Je dois
ainsi assez nombreux à reconnaître jouer un rôle dans être perçu par les élèves comme une personne-
l'aide à l'orientation. Les élèves entrent alors en rela- ressource dans tous les sens du terme, notamment
tion avec un adulte compétent (et probablement perçu humains. Je suis un passeur d'informations mais aussi
comme tel) auquel ils peuvent livrer leurs doutes et un facilitateur, quelqu'un qui peut créer du lien entre
réflexions. Faisant cela, les professeurs-documenta- les collègues, élèves, agents, administration. CDI et
listes prennent une part active et importante dans le documentalistes sont des outils d'humanisation du
mûrissement de choix déterminants dans la trajectoire lycée. » Bien sûr, ce professionnel ne remet pas en
de formation des élèves. Ce rôle est moins visible que cause le lien personnel entre les acteurs mais l'absence
BI COI, PERCEPTIONS ET RËALlTËS

d'humanité qui résulte des statuts que l'institution en affirmant que son" métier consiste à faire vivre le
assigne à chacun. Il suggère qu'au-delà des rôles qui CDI par des projets, des expositions, des concours ... ».
s'imposent aux acteurs (enseignant, élèves, etc.), les Cette animation se révèle particulièrement impor-
individus partagent une appartenance à ce que F. de tante auprès d'élèves moins familiers du lieu. Ainsi
Singly appelle la" commune humanité" ».Il a entrevu cette femme d'un lycée professionnel de l'académie
le potentiel du CDI dans la définition d'une relation de Versailles, pour qui il convient de « faire vivre le COI
moins formelle entre les membres de la communauté pour y attirer les élèves peu ou non lecteurs: exposi-
éducative ... En cela, il serait le lieu d'une reformu- tions, concours, mobilier convivi<ll, etc. ».
lation de la relation entre individus. L'humanisation
reposerait sur le partage du statut d'humain au-delà Si les expositions forment une évidence du travail des
des différences de statuts particuliers. professeurs-documentalistes, la Semaine de la presse
et des médias l'est encore davantage puisque 92 % de
L'activité d'accueil personnalisé suppose des compé- ceux interrogés déclarent y avoir pris part. Ils relaient
tences spécifiques qui ne sont pas formellement ainsi localement un événement d'ampleur nationale.
évaluées dans le cadre du concours de recrutement C'est un moyen de former les élèves à la citoyenneté.
des professeurs-documentalistes. L'attention à autrui, Une femme d'un lycée de l'académie de Versailles
la capacité d'écoute sont pourtant, de l'avis même des insiste sur ]'" acquisition de la notion de citoyen-
professionnels, des qualités nécessaires à l'exercice du neté, apprendre à penser par soi-même (le travail sur
métier. Ainsi, cette enseignante-documentaliste d'une la presse est essentiel) ». Mais la presse est aussi un
cité scolaire de l'académie de Lyon estime que son support pour encourager les élèves à la lecture comme
métier" demande des capacités d'écoute, d'adapta- l'affirme cette femme d'un coll~ge de La Réunion: le
bilité, d'organisation et une grande diplomatie» Elle professeur-documentaliste" incite à la lecture à l'occa-
est rejointe par nombre de ses collègues qui parlent sion de différents événements (Semaine de la presse,
d'" écoute» (terme qui revient dans 6 % des réponses sorties culturelles) ».
spontanées - soit 72/1 228 - recueillies grâce à la
question ouverte proposée dans le questionnaire) et Le CDr « hors les murs»
par ceux moins nombreux mais plus précis (12) qui Mais leur action ne se limite pas aux murs du CD!.
considèrent qu'il faut" être à l'écoute ». Sans être 79 % déclarent avoir organisé ou accompagné au
exclusive, cette compétence est donc assez largement moins une sortie (théâtre ou cinéma) ou un voyage
perçue comme importante, à l'instar de cette femme dans l'année. L'image du documentaliste indissociable
d'un lycée professionnel de l'académie de Nancy-Metz de " son » CDI paraît bien décalée par rapport à la
jugeant qu'" il faut être énormément polyvalent, savoir réalité de l'exercice du métier. Qu'ils les organisent ou
supporter la pression, avoir un grand sens de l'écoute non, les professeurs-documentalistes sont nombreux
et être très organisé». à participer aux sorties culturelles. Celles-ci parti-
cipent d'un projet pédagogique d'" ouverture cultu-
relie» (comme le formule une femme d'un collège de
LE COI, LIEU DE L'ÉVÉNEMENT l'académie de Rennes). Cette activité est donc bien
raisonnée et dans le prolongement d'une large défini-
À l'image des autres lieux du livre et de la lecture tion du métier. Une professeure-documentaliste d'un
(bibliothèques, librairies), les CDI ne se contentent pas petit collège de l'académie de Lille explicite sa vision:
de proposer des collections. Les professeurs-documen- " Je me définis professionnellement comment étant
talistes participent à l'animation du lieu et, au-delà, un passeur. Un passeur de culture et d'ouverture au
de l'établissement. C'est ainsi que 88 % disent avoir monde, que ce soit par le biais de la lecture, de sorties
mis (ou participé à mettre) en place une exposition au culturelles (musées, spectacles vivants, cinéma) ou en
cours de l'année. Comme le souligne cette femme d'un proposant des sites internet préréférencés sur lesquels
lycée de l'académie de Versailles, le professeur-docu- les élèves peuvent naviguer. » Remplir la fonction
mentaliste anime" le lieu en proposant notamment d'enseignant-documentaliste passe donc parfois par
des expositions, des concours ... ». Sa collègue d'un une prise de distance avec le rapport au lieu d'exercice
collège de l'académie de Lille en convient tout à fait habituel du métier. Cela n'est bien sûr pas aisément
compatible avec le temps de travail. Écoutons ainsi
cette professeure-documentaliste d'un lycée profes-
14 Cf. François de Singly, Les Uns avec les autres, Paris, A. Colin,
sionnel de l'académie de Lille: « À la fois professeur
2003. avec des cours à préparer et des bulletins à remplir,
MËTlER VËCU ElB

assistante sociale à l'écoute des collègues et des élèves, en scène de la lecture, son insertion dans le cadre de
ou encore animateur de groupes en sortie et créateur relations de sociabilité entre pairs ou entre élèves et
d'événements dans l'établissement, le professeur- adultes relèvent d'une évidence pour la plupart des
documentaliste a, chez nous (seule pour 900 élèves), professeurs-documentalistes. Ces derniers semblent
peu de temps pour informatiser et ranger. Mais le CDI avoir intégré dans leurs pratiques pédagogiques les
est un lieu de vie et c'est, pour moi, le plus important. » vertus de la « sociabilité littéraire'6 " mises en évidence
il y a vingt ans.
Le COI dans la vie de l'établissement
L'implication dans la vie de l'établissement prend aussi
assez souvent la forme d'une participation à une acti- LES RELATIONS AVEC LES PARTENAIRES
vité de club, y compris en dehors de la lecture: 53 %
se consacrent à un club de cinéma, théâtre, journal, Le CDI n'est pas une île isolée. Il est au croisement de
science ou autre. Le professeur-documentaliste trouve multiples relations avec des partenaires, tant au sein
encore une autre existence à travers ces activités. Cela de l'établissement (autres enseignants, vie scolaire,
contribue sans doute à les inclure dans la communauté intendance, direction) qu'à l'extérieur. Dans quelle
éducative. En cela, ils ont raison de présenter cette mesure les professeurs-documentalistes sont-ils asso-
participation dans le cadre d'une activité d'animation ciés et impliqués dans ces relations?
de l'établissement, comme le fait cette enseignante-
documentaliste d'une cité scolaire de l'académie de Avec les autres acteurs de l'établissement
Lille: " J'essaye de faire rayonner culturellement le Ils ont des relations étroites avec les collègues
CD!. » Spécifiquement, ces activités enrichissent la des autres disciplines puisqu'ils sont 91 % à avoir
palette des manières dont les élèves peuvent le perce- échangé, au moins une fois au cours de la semaine,
voir. L'implication subjective que supposent ces acti- pour un projet dans sa discipline avec un enseignant.
vités offre sans doute des occasions de renforcer une Nombreux sont ceux qui se retrouveraient dans l'ob-
proximité personnelle avec les élèves et, probablement, jectif que formule l'une d'entre eux en poste dans
les effets pédagogiques qui y sont associés. un lycée professionnel de l'académie de Grenoble:
" Concevoir et mettre en œuvre, avec les collègues de
discipline, des situations d'apprentissage. »

LA PROMOTION DE LA LECTURE EN ACTE


De façon un peu moins' fréquente (64 %), ils ont solli-
Nous verrons que nombre de professeurs-documenta- cité un collègue pour un projet dont ils étaient eux-
listes se mobilisent autour de la lectureI'. Mais l'étude mêmes porteurs. Du fait de leur insertion dans le cadre
de leurs pratiques révèle déjà leur implication dans de l'équipe pédagogique, les professeurs-documenta-
cette action. Nous avons vu que 96 % des répondants listes sont largement contraints de passer par les disci-
avaient conseillé des documents aux élèves au cours de plines des collègues. Mais dans leurs démarches de
la semaine, l'encouragement personnalisé à la lecture sollicitations, ils peuvent faire valoir leur propre point
apparaît donc comme au cœur du métier. Dans les de vue. Comme l'affirme cette femme d'un collège de
réponses spontanées des professeurs-documentalistes l'académie de Lille: " Le documentaliste se doit d'être
sur leur métier, plus d'une sur quatre comporte le mot eQ lien avec les autres disciplines. Il est porteur de
" lecture ». Les témoignages de cet engagement sont projet pluridisciplinaire. »

donc pléthoriques, comme celui de cette enseignante-


documentaliste d'un collège de l'académie de Nancy- Les échanges avec les collègues des disciplines peuvent
Metz: " favoriser la LECTURE en la plaçant au cœur passer par la participation des professeurs-documen-
du projet CDI (rondes de livres, défi-lecture, invitation talistes aux conseils d'enseignement qui réunissent
d'un auteur ... ). » Ils sont également très nombreux les enseignants par discipline. C'est le cas, mais de
(88 %) à prendre part ou organiser une activité autour façon légèrement majoritaire, puisque 61 % déclarent
de la lecture (défi, rallye, club, jeu, prix, etc.). La mise y prendre part dans l'année. Cette occasion pour
échanger sur les acquisitions ou sur les projets n'est

15 Pour un exemple, voir les expériences de Magalie Bossuyt à


Carcassonne relatées par Monique Royer dans" Le CD!, ce 16 Cf. MartIne Burgos et Jean·Marie Privat, " Le Goncourt des
lieu ouvert où les mots s'apprivoisent ", 23 septembre 2013 lycéens: vers une sociabilité littéraire' " in Martine poulain
En ligne: www.cahiers-pedagogiques com, entrer« Magalie (dir.), Lireen France aujourd'huI, Paris, Le Cercle de la librairie,
Bossuyt " dans le moteur de recherche. 1993, p. 163-181.
Dm COI, PERCEPTIONS ET RËALlTËS

donc pas systématique, sans qu'on sache si c'est le Ce point de vue est très marginal dans les témoi-
fait d'une absence d'invitation de la part des collègues gnages que nous avons recueillis. Seules six personnes
des disciplines ou d'un manque de disponibilité des mentionnent l'inspection (toutes pour regretter sa
enseignants-documentalistes. Cette activité ne fait pas non-spécificité) sur 1 228 qui ont répondu à la question
l'objet de discours spontané, comme si elle était large- ouverte. Les interrogations réelles des professionnels
ment perçue de manière périphérique. sur leur métier et sa reconnaissance ne passent pas
par l'ancrage institutionnel des CDI et des professeurs-
En dehors des enseignants, les professeurs-documen- documentalistes. Notre enquét'e ne signale pas une
talistes ont principalement des relations avec la vie reprise massive des arguments développés de façon
scolaire et les conseillers principaux d'éducation. régulière dans les discours tenus par les représentants
88 % disent avoir eu des relations avec ce domaine associatifs de la profession. Ils sont donc bien rares
de la vie de l'établissement au cours de la semaine ceux qui, comme F. Daveau, émettent« le regret qu'en
précédente. Et dans leur libre présentation du métier, 1989 Lionel Jospin, créant le CAPES,ne l'ait pas assorti
ils soulignent, comme cette professionnelle d'un d'une inspection spécifique. Notre reconnaissance
collège de l'académie de Rennes, que « nous travail- aurait été tout autre" ».Les représentants ne sont donc
lons forcément en collaboration avec les enseignants, sans doute pas si représentatifs de ceux qu'ils sont
mais également la vie scolaire, l'administration, les- censés représenter. La meilleure preuve en est que la
différents personnels de service et les partenaires revendication d'une agrégation spécifique est loin de
extérieurs ». C'est souvent autour de la gestion des remporter l'adhésion d'une majorité des professeurs-
flux d'élèves en permanence ou au CDI que portent les documentalistes. En effet, seuls cinq personnes inter-
échanges.« En collaboration avec la vie scolaire, définir rogées (soit 0,4 % des répondan~s à la question ouverte)
les modalités d'accueil des élèves en évitant surtout de évoquent spontanément ce qu'ils posent comme un
transformer le CDI en permanence bis. Le CDI ne doit problème et ce sont dans trois cas les mêmes que ceux
pas être le déversoir utilisé pour absorber le trop-plein qui parlaient de l'inspection. Ce résultat tranche nette-
d'élèves, situation très courante en cas d'absence de ment avec l'enquête réalisée par A. Cordier dans les
professeurs» (homme dans un ~ollège de l'académie académies de Rouen et Lille auprès d'un peu moins
de Nancy-Metz). La relation n'est donc pas toujours de 300 professeurs-documentalistes selon laquelle
harmonieuse avec la vie scolaire et le regret de cette « 75 % d'entre eux se prononcent pour une agrégation
enseignante-documentaliste d'un lycée de l'académie en documentation qui dépasserait la reconnaissance
de Lille d'être perçue comme une« super-surveillante» pédagogique obtenue avec le CAPES's ».Cet écart tient
est assez souvent partagé. C'est sans doute cette ques- probablement au mode d'interrogation via une ques-
tion de la prise en charge des élèves en cas d'absence tion fermée, au contraire de notre question ouverte.
de professeurs qui constitue un point de fixation de Il est possible aussi que le mode de présentation de
la question de la reconnaissance du métier. Dès lors l'enquête voire son origine rouennaise, c'est-à-dire
que le CDI est pensé comme une annexe de la perma- dans un contexte connu pour être fortement favo-
nence, les compétences professionnelles spécifiques rable à l'institutionnalisation des professeurs-docu-
des enseignants-documentalistes sont négligées. Le mentalistes, aient encouragé les répondants vers cette
rattachement des professeurs-documentalistes à l'ins- posture. La revendication du SNES de « la création
pection Vie scolaire est perçu comme la confirmation d'une agrégation en information-documentation et
de l'absence de la reconnaissance professionnelle dans d'une inspection spécifique'9 » ne ressort pas du tout
un système éducatif dans lequel l'inspection forme comme spontanément plébiscitée dans notre enquête.
un élément central. C'est ce que pense cette profes- Il faut signaler que même le CAPES n'est pas massive-
seure-documentaliste dans un collège d'une académie ment mis en avant dans les réponses des enseignants-
qu'elle n'a pas voulu indiquer: « Problème de recon- documentalistes puisqu'ils ne sont que 25 à recourir
naissance au niveau de l'institution: toujours pas de à ce terme et pas toujours pour s'en prévaloir contre
corps spécifique d'inspection malgré l'existence du un manque de reconnaissance dont ils feraient l'objet.
CAPES depuis 1989 1 Nous faisons les frais quotidienne-
ment du manque de personnel à tous les niveaux pour
gérer des flux d'élèves "désœuvrés". Et les CDI se trans-
17 François Daveau, " Notre fonctlOn : le détournement ",
forment en garderie dans l'indifférence générale car il InterCDI, n° 2'35,janvier-février 2012, p. 6-8.
ya toujours d'autres priorités à gérer. .. Et quand nous 18 Anne Cordier, "Je. tu, ils ... sont professeurs-
abordons la culture informationnelle et la politique documentalistes ". InterCDI, n° 238, juillet-août 2012, p. 16.
documentaire, nous passons pour de doux rêveurs ... » 19 Cf. site du SNES-FSU: www.snesedu/-Documentation-.htrnl.
MÉTIER VÉCU

Parce qu'elles sont sans doute moins nécessaires, les « Le professeur-documentaliste s'appuie obligatoire-
relations avec la direction ou l'intendance de l'éta- ment sur des partenariats et participe activement à
blissement sont un peu moins fréquentes: la moitié l'ouverture sur l'extérieur. Un métier passionnant. "
des professeurs-documentalistes déclare avoir pris
part à une réunion avec ces instances au cours de la C'est dire que les enseignants-documentalistes
semaine. Plus rare encore semble la participation des construisent leur identité professionnelle non tant
enseignants-documentalistes aux conseils de direction sur un ancrage statutaire (inspection, concours) que
puisque seuls 26 % signalent cette activité au cours de sur des relations qui vont de celles avec les collè-
l'année. Nombreux sont donc ceux qui restent à l'écart gues enseignants à celles avec la direction ou vers
de ce moment important de la vie de l'établissement. les partenaires extérieurs ou bien sûr avec les élèves.
Peut-être n'y sont-ils pas invités? Dans certains cas, En cela, elle apparaît comme le résultat d'une dyna-
les professeurs-documentalistes pointent le fait qu'ils mique plus que comme celui d'un statut délivré par
sont tenus à l'écart de certaines réunions relatives à l'institution vue comme une entité abstraite et supé-
la vie de l'établissement. « À la fois gestionnaire d'un rieure. D'ailleurs, c'est seulement dans onze témoi-
lieu et enseignant, l'intérêt de l'élève est central mais gnages que les professionnels ont recours au terme
l'enseignant-documentaliste n'a sa place que s'il est de « circulaire(s) ". Preuve en est qu'ils sont loin d'être
fortement intégré aux actions pédagogiques de l'éta- focalisés sur l'encadrement réglementaire de leur
blissement et participe aux réunions importantes. " profession. À l'image du couple d'aujourd'hui qui
Cette affirmation d'une enseignante-documentaliste n'est plus défini par le mariage mais par la relation
d'un collège de l'académie de Toulouse donne à voir affective" entre les conjoints, les professeurs-docu-
cette réalité par son contraire. Elle vient signaler mentalistes se construisent par les liens qu'ils tissent
que malgré l'appartenance commune à l'inspection avec ceux qui les entourent plus que par leur statut
Établissement et Vie scolaire, la coopération entre les inscrit dans des textes officiels. En cela, ils sont bien
équipes de direction et les professeurs-documenta- en phase avec la manière dont notre société contem-
listes n'est pas toujours optimale. Le cadre institu- poraine définit les individus".
tionnel ne suffit pas à engendrer des réflexes et envies
de collaboration.

Avec les partenaires extérieurs


À l'extérieur des murs de l'établissement, les profes-
seurs-documentalistes ont des relations fréquentes
avec une variété de partenaires. 70 % déclarent avoir
échangé avec un site Canopé'o, une bibliothèque muni-
cipale, une librairie ou autre au cours de la semaine.
Par son personnel, le COI est donc bien inséré dans
des relations de partenariats qui le font exister. C'est
même une caractéristique qui définit le CDI et le
métier de professeur-documentaliste. « Notre métier
relève avant tout de l'enseignement et s'appuie sur
la gestion d'un centre de ressources ouvert sur l'éta-
blissement et des partenaires extérieurs" insiste une
femme interrogée qui exerce dans une grande cité
scolaire de l'académie de Rennes. L'accent mis sur
cette spécificité est loin d'être marginal puisqu'on le
retrouve dans 8 % (99/1 228) des réponses à la ques-
tion ouverte. Dans la plupart des cas, ces partenariats
sont conçus comme une ouverture sur l'extérieur.
L'enthousiasme de ce pJ:ofesseur-documentaliste d'un
petit lycée professionnel de l'académie de Nancy-
Metz est assez représentatif des réponses recueillies:

21 Cf. Jean-Claude Kaufmann. Sociologie du couple, Paris, Pur. 2010.


22 XavIer Molénat (dir.), L'IndivIdu contemporain, Auxerre Sciences
20 Le SCÉREN {CNDP-CRDP] devient le réseau Canopé. humaines éditions, 2006.
MËTIER VËCU Ba

L'enquête permet de mesurer la diversité des tâches différent de celui de la formation à la culture de l'infor-
que les professeurs-documentalistes remplissent.· mation. Dans le premier cas, comme le formule une
Mais comment eux-mêmes conçoivent-ils le métier? enseignante-documentaliste d'un collège de l'aca-
Comment définissent-ils leur fonction? Comment se démie de Versailles, il s'agit d'" inculquer le goût de
situent-ils par rapport aux fonctions proposées par lire ». Se trouve en jeu la transmission d'une pratique
les textes statutaires? Comment conçoivent-ils le lieu qui conditionne l'acquisition de savoirs. Dans le
CDI ? Quelle est leur perception des élèves en tant que second cas, il s'agit d'acquérir des connaissances, une
public du CD! ? « culture ", un ensemble de réflexes et de références
potentiellement plus aisément formalisables dans un
corpus de compétences documentaires bien identi-
LES FONCTIONS DU MÉTIER fiées. Mais cette différence de contenu ne relève pas
de l'incompatibilité. En effet, 85 % des professeurs-
Culture de l'information et promotion de la lecture documentalistes se reconnaissent tout à fait dans ces
Dans l'esprit des professeurs-documentalistes, on deux fonctions. Ils cumulent ces deux « cœurs» de
peut repérer deux éléments constitutifs du cœur de métier. Les témoignages convergent beaucoup sur cette
leur mission. Il s'agit de la formation à la culture de position dualiste, ainsi le confirme une professionnelle
l'information et de la transmission du goût pour la d'un collège de l'académie de Versailles: «Mon métier
lecture. Alors que cette dernière relève d'une tradi- consiste à former les élèves à la recherche documen-
tion assez ancienne de promotion de la lecture telle taire sur tous les supports et à développer le goût de
que le discours s'est clairement développé à partir la lecture. »
des années quatre-vingt, la culture de l'information
est une notion plus récente mais qui a conquis très Si la promotion de la culture de l'information distingue
rapidement sa place dans l'univers professionnel des les professeurs-documentalistes de leurs collègues des
enseignants-documentalistes. Le quasi-plébiscite de enseignements disciplinaires, c'est en partie le cas
ces deux fonctions (90 '% de « tout à fait d'accord» pour la promotion de la lecture. La manière d'envi-
avec chacune) ne vaut pas une équivalence. La rela- sager la lecture et le type de corpus proposé différencie
tive « nouveauté» de l'ancrage des professeurs-docu- leur approche de celle des enseignants de lettres. Bien
mentalistes du côté des sciences de l'information se sûr, certains de ces derniers explorent et exploitent les
perçoit dans les témoignages. Seules 14 personnes (sur r~ssources de la littérature de jeunesse mais ils sont
1 228) définissent leur métier en citant les" sciences loin d'être majoritaires. Une enquête auprès de ces
de l'information ». Et même la notion de « culture de enseignants uniquement en collège révèle qu'ils sont
l'information» n'est mobilisée que dans 71 témoi- plus des deux tiers à percevoir« assez peu la nécessité
gnages contre 348 qui parlent de la « lecture ». C'est de s'informer sur la production contemporaine pour la
dire que la montée en puissance des discours sur la jeunesse et encore moins de recevoir une formation
culture de l'information n'est qu'en cours d'installa- dans ce domaine'3 ». Il faut dire que les programmes
tion dans l'identité professionnelle des enseignants- de 2008 signalent un retour vers les « classiques ». Le
documentalistes. Ces derniers reprennent cette notion CDI et l'enseignant-documentaliste forment donc un
qui émerge dans les discours ministériels et asso- vecteur d'une rénovation de la conception de la lecture
ciatifs mais son appropriation subjective n'est pas
encore achevée là où, au contraire, la promotion de la
lecture s'est constituée comme discours avant même 23 Sylviane Ahr, " État des lieux des usages de la littérature de
jeunesse au collège .. in Max Butlen et Annick Lorant-Jolly
la création du CAPES. Par ailleurs, la transmission et
(dir.), Recherches et formations en httérature de jeunesse: etat des
la promotion de la lecture reposent sur un fondement lieux et perspectives, Paris, BNF. 2012, p. 107.
BB COI, PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

(notamment au collège, comme nous le verrons) et de sauf à considérer la formation à la culture de l'infor-
sa pédagogie. Ils sont donc plutôt du côté de la réno- mation comme une discipline qui, à défaut d'être
vation pédagogique comme ils le sont dans le projet académique, constituerait un corpus à part entière.
d'engager une réflexion et une formation à propos de Comme nous l'avons vu, cette dernière vision est loin
l'information. d'être dominante vu la faible occurrence de la citation
des" sciences de l'information" dans les témoignages.
Culture générale et aide interdisciplinaire Par ailleurs, elle conduirait à ce. que les professeurs-
De façon un peu moins fréquente mais tout de même documentalistes aient à évaluer les compétences des
nettement majoritaire, les professeurs-documenta- élèves. Or seuls 35 % d'entre eux souscrivent à cette
listes jugent qu'il leur appartient de participer à l'ac- fonction. Ils se pensent comme enseignants mais
quisition de la culture générale des élèves (83 %) et de pas pour autant comme évaluateurs. Il serait aisé
les aider dans leurs travaux interdisciplinaires (76 %). de pointer là une contradiction, mais on peut aussi
y lire une hésitation qui traverse la profession entre
Dans la première fonction, les professeurs-documen- une frange qui pousse la logique enseignante jusqu'à
talistes ne se distinguent pas nettement de leurs collè- son terme et une autre plutôt hostile à cette intégra-
gues des autres disciplines. Relevons toutefois que, tion dans le cadre des enseignements disciplinaires.
quand ils situent leur activité par rapport à la « culture Les" réticents» sont presque aussi nombreux que les
générale », ils n'affirment pas tant la transmettre " partisans de l'évaluation» puisque 32 % se déclarent
que d'" aider les élèves» à l'acquérir ou" favoriser », un peu ou pas du tout en accord avec cette fonction.
" participer à " son acquisition voire les" éveiller à "
elle. Cela montre qu'ils se placent comme auxiliaire L'étude des témoignages spontanés des profession-
dans un processus d'apprentissage plutôt que comme nels confirme cette oscillation. Quelques-uns plaident
incarnant cette culture générale. L'arrivée des tech- pour prendre part à l'évaluation des élèves, càmme
nologies de l'information vient troubler cette mission cette femme d'un lycée professionnel de l'académie
ancienne comme le pointe justement ce professeur- de Versailles: " En tant que professeur, son rôle est
documentaliste d'un petit lycée de l'académie de Lille: de former les élèves à la recherche documentaire
" Ces derniers temps, la part "technique de l'informa- et à la culture de l'information. Ces apprentissages
tion" l'emporte sur "la culture générale". Est-ce un ne se conçoivent qu'en partenariat avec les profes-
bien, un mal? Je ne sais pas: j'ai remarqué que les seurs de discipline. Dans ce cadre, le prof-doc peut
élèves ont tendance à plus respecter les compétences évaluer les élèves. » L'évaluation est envisagée mais
de recherche que la culture. Mon rôle est de montrer pas de façon séparée de l'enseignement disciplinaire.
que les deux sont interconnectées. » Par opposition, plus nombreux sont ceux qui, non
seulement ne mettent pas de notes, mais insistent
La seconde fonction (l'aide aux travaux interdisci- sur l'importance de ne pas être engagés dans cette
plinaires) leur est plus spécifique, en ce qu'ils sont à tâche. Ainsi cette enseignante-documentaliste d'un
même de dépasser le cadre disciplinaire du fait de leur collège de l'académie de Versailles pour qui" le CDI
définition transversale. Les professeurs-documenta- n'est pas indispensable mais offre aux élèves, ainsi
listes sont nombreux à s'emparer de cette caractéris- qu'aux professeurs, un espace de liberté, une sorte
tique pour définir leur métier: 71 témoignages (sur de "bulle d'oxygène" salutaire dans l'environnement
1 228) comportent cette notion auxquels on peut contraignant régi par les horaires et les notes qu'est
ajouter 25 qui parlent de " transdisciplinarité " et 23 de le collège ». La faiblesse du CD! (et de ceux qui s'en
" pluridisciplinarité ". Par-delà les nuances de chacune chargent) serait ainsi sa force. A défaut d'attirer à
de ces définitions, toutes ont en commun de placer le lui par la contrainte, il y parvient par la liberté qu'il
travail de l'enseignant-documentaliste au milieu (ou incarne. Une enseignante-documentaliste d'un lycée
à côté) de plusieurs disciplines. Cette définition de la de l'académie de La Réunion partage ce sentiment:
fonction du professeur-documentaliste par le caractère " L'absence de programme et d'horaire fixe, ainsi que la
interdisciplinaire de sa position trouve une forte confir- possibilité de ne pas évaluer leur travail avec forcément
mation dans le rejet que suscite la définition du métier des notes, donne une grande liberté dans les rapports
par la formation des élèves dans les autres matières: avec eux, et sont des atouts indiscutables pour- établir
seuls 7 % se retrouvent tout à fait dans cette vision. Si un lien autre, privilégié et particulier. » La relation
les professeurs-documentalistes revendiquent souvent pédagogique change quand elle n'est plus associée
leur statut d'enseignant, cela ne passe pas par les disci- aux notes. Elle s'" horizontalise ", c'est-à-dire que les
plines mais plutôt par une approche interdisciplinaire, élèves ne sont plus placés en situation d'infériorité
MËTIER vËCU mm
constitutive du fait de la note qui part de l'enseignant écoutent leurs questions à ce sujet. L'oscillation existe
et tombe sur l'élève. La disparition de cette asymétrie de façon non négligeable puisque 11 % de ceux qui
crée les conditions d'une relation prenant en compte parlent de l'orientation avec des élèves jugent qu'ils
la singularité des élèves. Ils ne sont plus perçus comme ne devraient pas le faire et 6 % qui pensent qu'il leur
numéro à noter mais à travers leurs centres d'intérêts appartient de le faire n'ont pas déclaré l'avoir fait dans
et leur manière de les aborder. Cette prise en compte la semaine. La cohérence parfaite entre les pratiques
de la personne de l'élève n'est pas sans effet pédago- et les représentations de la fonction du professionnel
gique puisque" le contact direct avec les élèves, décon- concerne seulement 40 % des professeurs-documen-
necté en grande partie du processus d'évaluation, talistes : 34 % parlent d'orientation avec les élèves et
permet une approche pédagogique globale" (femme jugent que c'est tout à fait leur rôle et 6 % ne le font
dans un lycée de l'académie de Versailles). La question pas, tout en considérant que c'est peu ou pas du tout
de l'évaluation des élèves n'est donc pas seulement de leur ressort. On constate donc la fréquence d'une
reliée à celle de la reconnaissance des professionnels, attitude souple dans laquelle les principes n'écrasent
elle touche aussi fondamentalement à la relation qui pas les pratiques et celles-ci ne dictent pas les convic-
peut (ou non) se nouer et ouvrir la voie à une autre tions. Cette souplesse prend place dans le cadre des
manière d'apprendre. Tous les professeurs-documen- activités ordinaires du CD!. Par exemple, certains
talistes ne sont pas prêts à renoncer à la spécificité du professeurs-documentalistes participent à l'orienta-
rapport pédagogique qu'ils peuvent construire, au nom tion à travers la mise « à disposition d'un public visé de
de l'aspiration à la reconnaissance. C'est sans doute l'information de qualité et répondant à une demande
aussi, nous le verrons, qu'ils y trouvent une autre spécifique" (femme dans un collège de La Réunion).
satisfaction professionnelle, une autre reconnaissance. Pour d'autres, l'aide à l'orientation découle de la rela-
L'accent mis sur les différentes formes d'évaluation tion de proximité avec les élèves. Cela semble le cas de
(" formative ", " sommative ", etc.) par les candidats cette professionnelle d'une cité scolaire de l'académie
au CAPES et ceux qui les y préparent apparaît comme de Grenoble: " Accompagner les personnes (élèves
une tentative de compromis Ne pas renoncer à l'idée ou équipe éducative) dans leur démarche: recherche,
d'évaluation de façon à affirmer le statut d'enseignant orientation, lecture, etc. " Parce que l'accompagnement
mais tenir compte de la réalité qui laisse largement les suppose la prise en compte des questionnements d'au-
professeurs-documentalistes à l'écart de la notation trui, l'enseignant-documentaliste participe souvent à
des élèves. l'orientation des élèves.

L'aide à l'orientation La formation du citoyen


La question de la participation à l'orientation est égale- Entre les représentations dominantes du métier et
ment source d'hésitation. Si plus des deux tiers des celles qui font l'objet d'une mise à distance, on repère
professeurs-documentali.stes ont déclaré avoir parlé un accord assez majoritaire (68 %) mais pas unanime
avec un élève de son orientation dans la semaine, sur la fonction du professeur-documentaliste comme
seuls 39 % considèrent que c'est tout à fait leur fonc- participant à la formation du citoyen. Cette fonction
tion de se livrer à cette tâche. Cet écart s'explique par qu'ils remplissent réellement en devant maintenir le
le fait que cette fonction n'est pas reprise dans les silence (au moins relatif) et l'ordre dans le CD! n'est
discours sur le métier. Les professionnels ne veulent pourtant pas mise en avant au niveau des fonctions
pas se définir par cette aide à l'orientation même s'ils considérées comme au cœur du métier (culture de
la remplissent par ailleurs effectivement. Mais si on l'information et lecture). On sent par-là la quête de
leur propose de la mettre à distance, ils s'y engouffrent la spécificité des professeurs-documentalistes: la
comme le confirme la récente enquête de la Fadben", formation des citoyens est une fonction remplie par
dans laquelle 79 % ont affirmé qu'ils n'étaient pas favo- tous les membres du personnel des établissements
rables à la prise en charge de la gestion systématique et ne qualifie donc pas spécifiquement leur métier.
du webclasseur de l'Onisep. Mais, parce qu'ils savent L'aspiration à une reconnaissance professionnelle
que les élèves ont besoin de cette documentation, ils spécifique doit ainsi minorer la place des fonc-
tions transversales de la profession. Néanmoins, les
témoignages nuancent cette idée: bien sûr, la notion
24 Florian Reynaud, Gildas Oimier et Sandrine Vigato, de " formation de citoyen" (129/1 228 = 11 %) est
Les Professeurs documentalistes et les apprentissages info-
moins citée spontanément que la transmission de la
documentaires, Paris, Fadben, 2013, p. 37. En ligne.
www.fadbenasso.fr. entrer le titre de l'enquête dans " lecture" (28 %), mais elle l'est nettement plus que
le moteur de recherche. celle de " formation à la culture de l'information"
lUI COI, PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

(6 %). La force de la pratique qui consiste à tenir élèves au CD! et 45 % en collaboration. A l'image de
ensemble des élèves dans un même lieu, les sensibi- cette femme en collège: "J'aimerais que le CDI soit un
liser à la lecture, à la presse, etc. conduit les profes- lieu de travail et de socialisation et auquel les élèves
seurs-documentalistes à reconnaître dans leurs sont attachés. » Parce que le lieu sait satisfaire les
discours propres la notion de formation à la citoyen- attentes des élèves, il susciterait un attachement qui,
neté davantage que dans une réponse toute faite à en retour, viendrait reconnaître le travail du profes-
une question anonyme. Si certains évoquent ce sujet sionnel qui en a la charge.
incidemment, d'autres en font un point crucial de leur
activité, telle cette collègue d'un petit collège de l'aca- Ils ajoutent à cette aspiration celle d'un accueil d'élève
démie de Lyon: " Accompagner chaque élève sur le en solitaire plutôt qu'en groupe. Si 71 % sont tout à
chemin de la citoyenneté. " fait favorables pour que le CDI serve à accueillir les
élèves qui veulent travailler seuls, ils ne sont plus
que 59 % à soutenir la démarche d'élèves qui veulent
LE LIEU COI travailler en groupe. Le travail en groupe pose des diffi-
cultés dans le maintien d'une atmosphère studieuse
Les professeurs-documentalistes sont souvent asso- au sein du CD!. Le témoignage de cette collègue d'un
ciés au CD!, lieu dans lequel se déroule l'essentiel de- lycée de l'académie de Versailles le confirme: " Le
leur activité. Mais nombreux sont ceux qui souhaitent travail en petits groupes devient vite problématique
dissocier les deux dans le souci de faire reconnaître compte tenu du volume sonore et de la configuration
leur professionnalité. Après tout, les professeurs ne de l'espace CD!. " Plus que ce n'est le cas aujourd'hui, il
sont pas définis par leurs salles de cours ... Pour autant, faudrait des boxes de travail vitrés de façon à accueillir
ils ont bien une idée de la fonction qui devrait être les groupes dans un cadre confiné mais à l'intérieur
celle du CD!. Mais nous pouvons remarquer que l'affir- du CDI'6 C'est une solution technique qui permet
mation des fonctions de l'enseignant-documentaliste de concilier le maintien d'un certain calme dans le
atteint des scores plus élevés que celle des fonctions du CDI avec le souhait des professeurs-documentalistes
CDI comme espace. En moyenne la proportion de « tout d'accueillir les élèves désirant travailler en groupe. Ce
à fait" est de 61 % pour le premier cas contre 47 % souhait est réel puisque s'ils sont moins nombreux à
pour le second. On décèle dans cet écart un plus fort plébisciter cette fonction que le travail solitaire, ils sont
investissement des professeurs-documentalistes dans quand même près de six sur dix à le faire. Et il est vrai
la définition de leurs missions que dans celles des CD!. que le CDI pourrait trouver là une spécificité bien utile.
En effet, alors que les enseignants demandent réguliè-
Un espace de travail avant tout rement aux élèves des travaux en commun, les établis-
On repère une hiérarchie à l'intérieur des fonctions sements ne leur proposent pas vraiment de cadre
imputées au CD!. Cet espace est d'abord présenté susceptible de les accueillir. Et la mise en place de ces
comme celui du travail et plus précisément de la boxes est couronnée de succès. C'est ce dont atteste
démarche volontaire de travail. Lieu studieux, il découle cette professionnelle d'une cité scolaire de l'académie
idéalement d'une initiative personnelle et non un lieu de Grenoble qui a vu le (" son ») CDI restructuré récem-
où l'on échoue sans projet, faute de places en perma- ment: les «quatre petites salles lumineuses câblées et
nence par exemple ... C'est ce qu'exprime cette ensei- dotées de tableaux sont très prisées par les élèves pour
gnante-documentaliste en collège dans l'académie de un travail de groupe ou avec un professeur ».
Toulouse: " Malheureusement, le CD! est trop souvent
une annexe de la permanence. Notre rôle pédagogique Un espace numérique
devient pratiquement inexistant. » Les professionnels A l'heure où l'information est de plus en plus dispo-
souhaiteraient que la fréquentation du lieu par les nible par l'intermédiaire des outils numériques, il
élèves relève d'un choix, et qui plus est, d'une volonté n'est pas étonnant de constater que les professeurs-
d'y venir travailler. Cette revendication fait écho à la documentalistes soutiennent assez fortement (65 %)
situation dans laquelle, selon l'enquête Fadben2S, 47 % la vision d'un CDI proposant des ordinateurs ou outils
des répondants sont seuls décisionnaires des flux des

26 Le« Guide d'aménagement ", rédigé par le groupe


académique Politique documentaire de l'académie de
25 Florian Reynaud. Gildas Dimier et Sandrine Vigato. Toulouse en 2009, suggère cette idée qui n'est donc pas neuve.
Les Professeurs documentalistes et les apprentissages mfo· En ligne: espace-cdi.ac-toulouse.fr, entrer « Aménagement
documentaires. op. cit.. p. 9. CD! » dans le moteur de recherche.
MÉTIER VÉCU

numériques aux élèves. Ils ont besoin de ces outils pour d'accord avec les deux dernières questions. Le CDI est
aider et former les élèves. C'est le cas de ce profes- un lieu susceptible d'accueillir tous les élèves (qu'ils
sionnel d'un lycée de l'académie de Lille qui termine soient en difficultés ou non), peu importe leurs centres
la liste brève définissant son métier en considérant d'intérêts .. ce sont de potentiels apprenants .. d'une
qu'il doit« mettre à disposition des outils numériques même génération ... Par contre en aucun cas le CDI
(ordinateurs) et former à leur utilisation ». Mais si la a fonction de "Luna park" et la notion de divertisse-
demande n'est pas unanime, c'est peut-être parce ment peut être très vite galvaudée ... " Elle exprime une
que certains enseignants-documentalistes craignent crainte diffuse dans le monde des CDI (mais rarement
de voir disparaître la spécificité du CDI par rapport à exprimée) que l'on retrouve dans le monde de la lecture
une salle d'ordinateurs. C'est ce que déplore une ensei- publique qui lui aussi hésite à prendre au sérieux et
gnante-documentaliste d'un petit lycée professionnel explicitement la notion de divertissement. Celle-ci
de l'académie de Lyon: «Je ne suis que trop souvent, serait incompatible avec une mission de formation ou
faute de secrétaire, le gestionnaire du COI et des ordi- devrait se cantonner aux références qui relèveraient du
nateurs .. » La nature de l'usage que les élèves font corpus considéré par les représentants des institutions
du lieu et des ordinateurs déconcerte voire décourage éducatives comme dignes de prendre part à cet objectif.
certains professionnels. C'est le cas de cette femme
d'un collège de l'académie de Rennes pour qui « la Un espace de soutien aux élèves en difficulté scolaire
réalité du terrain est bien plus difficile que le métier De façon encore moins fréquente (42 %) les ensei-
idéal de documentaliste: peu de projets transdiscipli- gnants-documentalistes soutiennent l'idée du CDI
naires, des élèves qui lisent peu, qui utilisent les ordi- comme lieu d'accueil des élèves en difficulté scolaire.
nateurs pour s'amuser .. ». Il n'est pas sûr qu'il soit spontanément fréquenté
particulièrement par ce public27, mais en tous les cas
Un espace de divertissement les professionnels ne souhaitent pas majoritairement
S'agissant du CDI comme lieu de ressources documen- soutenir cette idée. Pour autant, on ne repère pas de
taires pour le divertissement des élèves, les profes- discours ouvertement hostile à cette idée de soutien
seurs-documentalistes sont assez partagés. C'est une aux élèves en difficulté. Au contraire, une minorité
petite moitié qui est tout à fait d'accord avec cette sans doute (mais assez active car plusieurs témoi-
vision alors qu'un petit quart n'est qu'un peu, voire pas gnages mettent l'accent dessus) se retrouve derrière
du tout, d'accord. C'est sans doute la notion de« diver- l'idée d'une professeure-documentaliste en collège
tissement » qui freine une partie des professionnels dans l'académie de Lille selon laquelle « le doc est un
alors que l'autre soutient l'idée d'une lecture plaisir, prof qui doit proposer aux élèves une autre façon de
qui suppose un rapport détendu plus que studieux travailler et s'investir auprès des élèves en difficulté ».
aux documents. Comme l'affirme une enseignante- Peut-être ne se sentent-ils pas formés, légitimes ou
documentaliste en collège dans l'académie de Nancy- craignent-ils que le CDI soit enfermé dans cette image
Metz: « Je pense qu'il est important de proposer des de lieu de soutien aux plus faibles alors qu'ils veulent
"lectures plaisir" afin de débarrasser la lecture de son s'adresser à tous les élèves, y compris les meilleurs.
côté scolaire et contraignant. » Elle est d'accord avec sa Leur réticence repose aussi, peut-être, sur le fait qu'ils
collègue, elle aussi en collège mais dans l'académie de ne souhaitent pas être définis par rapport au jugement
Grenoble, et pour laquelle « les élèves viennent aussi que leurs collègues des autres matières portent sur
au CD! pour travailler et le CDI est ouvert le soir aux les élèves. Après tout, eux-mêmes ne participent pas
internes par un surveillant. Ce doit être un lieu où les à cette hiérarchisation 1 Pour autant, cela ne la fait pas

élèves peuvent se former ou se divertir. Bien sûr un disparaître et elle demeure structurante des attentes
documentaliste est aussi professeur mais je pense que et besoins des élèves. L'hésitation des professeurs-
la documentation ne doit pas devenir une discipline. documentalistes sur l'accueil des élèves en difficultés
le CDI doit rester un lieu pour la pédagogie active ". Le repose donc sur la combinaison d'une réticence à se
contexte (présence d'un internat) et les attentes des
élèves méritent d'être pris en compte dans la définition
des contours du métier. Mais cette conception du CD!
27 Dans une enquête sur la fréquentation d'un CDI d'un lycée,
n'est en effet pas unanimement partagée. Ainsi cette
nous avons repéré que les meilleurs élèves s'investissent
femme d'une petite cité scolaire de l'académie de Lyon particulièrement dans ce cadre qu'lis fréquentent plus
qui s'insurge contre les questions sur la perception des assidûment que leurs homologues d'un niveau scolaire mOInS
élevé. Claude POlssenot, " Fréquentation d'un COI' une étude
élèves comme membres d'une génération et comme
à reproduire ", juin 2013. En ltgne : www.cndp.fr/savoirscdi.
élèves ayant vocation à apprendre: « Je ne suis pas entrer le tItre de l'article dans le moteur de recherche.
COI. PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

définir par rapport aux autres disciplines et d'un prin- foyer .. »Ce serait contraire à la vision du CDI comme
cipe de réalité devant l'existence effective d'élèves lieu de travail et encore plus du travail solitaire. Le
nécessitant un soutien plus important à la fois dans silence est une priorité qui entre en contradiction avec
les enseignements disciplinaires mais aussi dans le cet usage collégial et distractif du CDI. Une autre prise
domaine de la lecture. de parole d'une professionnelle dans un collège de
l'académie de Grenoble témoigne du rejet de cette pers-
Un espace-refuge pective du CDr comme un eSPel.ce d'accueil: « Notre
Pour une minorité d'élèves, le CD! peut constituer une métier est THÉORIQUEMENT fondé sur la transmis-
forme de « refuge» où ils sont à l'abri de la tension sion du goût de la culture, et ne saurait être dissocié
voire de la violence dont ils craignent, parfois à juste des enseignements donnés dans l'établissement.
titre, d'être victimes dans la cour ou en permanence. Mais les DÉRIVES sont TRÈS TRÈS TRÈS nombreuses:
Cette fonction effective du CDI n'est pour autant pas pour certains élèves, c'est un lieu indéfini (malgré les
réappropriée par les professeurs-documentalistes multiples efforts de préciser le rôle du CDI) où, par
puisque seul un quart (27 %) d'entre eux se retrouve conséquent, tout est permis, ça va du jeu de cartes
tout à fait dans cette idée, alors que 12 % Y sont au morceau de flûte qu'on répète, en passant par le
hostiles et 30 % peu favorables. Dans leur imaginaire,_ prétendu "travail en commun" qui n'est que du copiage
cette fonction se rapproche par trop de la vie scolaire en groupe. » Le lieu est défini par la vocation pédago-
et donc de la prise en compte des problèmes particu- gique et tout ce qui déroge à cette visée est repoussé.
liers des élèves. Une professionnelle d'un collège de
l'académie de Grenoble formule cette réticence avec Cette conception compréhensible du CDI comporte un
vigueur: « En aucun cas gestionnaire d'un centre style effet pervers: le groupe de pairs est le terreau dans
permanence améliorée (ou learning center), ou accueil lequel se construisent des références personnelles.
des élèves dont plus personne ne sait quoi faire (échec Le fait qu'ils ne puissent se réunir dans l'enceinte du
scolaire, rejet) ou ne veut (discipline). » Cette prise de CDI interdit de faire des documents (livres, revues,
position forte demeure ponctuelle. D'autres témoi- sites web) qu'il offre, des références personnelles des
gnages, au contraire, évoquent lQ.singularité du CD! élèves. Cela peut se révéler contradictoire avec le souci
comme espace d'attention aux personnes fragiles: «Je de faire de la lecture un plaisir. Le groupe de pairs peut
passe du temps en échange: des profs en difficulté être le support du maintien voire de l'émergence du
viennent être écoutés, des élèves en difficulté scolaire plaisir de lire. Il suffit de penser à la place que les
ou autres viennent parler, j'ai alors comme but de les échanges entre jeunes ont occupé dans la fabrication
redynamiser si possible» (femme d'une cité scolaire des succès de titres comme Harry Patter, Tluilight ou
de l'académie de Nancy-Metz). La définition du CDI Hunger Games. De jeunes lecteurs (lectrices) se sont
comme lieu d'écoute conduit à la prise en compte des lancés dans la lecture de ces romans, stimulés non par
élèves au-delà de la dimension pédagogique. C'est ce leurs parents, leurs enseignants mais par leurs cama-
qu'avance cette professionnelle d'un collège de l'aca- rades. Accessoirement, cette mise à l'écart de l'appar-
démie de Nancy-Metz: « Je souhaite que les élèves tenance des élèves à des groupes de jeunes (c'est-à-dire
qui entrent dans le CDI trouvent un lieu accueillant et d'une même génération) rabat le CDI sur une dimen-
une personne à l'écoute de leurs demandes (diverses; sion assez strictement scolaire qui rend difficile son
parfois sans rapport avec l'enseignement, mais nous appropriation personnelle par les élèves. Cela ouvre
sommes aussi des éducateurs). » la réflexion sur la manière dont les professeurs-docu-
mentalistes perçoivent ceux auxquels ils s'adressent.
Un espace de détente
Si le CDI ne doit pas devenir le bureau de l'assistante
sociale ou des CPE, il ne doit pas non plus devenir le LA PERCEPTION DES ÉLÈVES
foyer des élèves. C'est en effet seulement 11 % des
enseignants-documentalistes qui s'accordent avec la L'institution scolaire comme nombre d'autres (couple,
fonction du CDI comme lieu d'accueil des élèves qui famille, travail, etc.) n'échappe pas aux conséquences
veulent passer un moment en groupe, alors que 45 % de la modernité et du processus d'individualisation à
refusent explicitement cette idée. Un (ou une) collègue l'œuvre dans les sociétés occidentales28 Par-delà les
en poste dans un collège de l'académie de Grenoble
exprime cette vive réticence : « "Accueillir les élèves
qui veulent passer un moment en groupe", pour quoi 28 Cf. par exemple, François Dubet et Danilo Martuccelli,
faire? Si c'est juste pour parler, le collège dispose d'un A l'école: sociologie de l'expérience scolaire, Paris, Le Seuil, 1996.
MÉTIER VÉCU BEI

rôles que nous sommes amenés à jouer, nous défen- pas nécessairement pensée comme devant conduire
dons l'idée selon laquelle nous disposons d'une iden- à une déclinaison spécifique du rapport pédagogique.
tité personnelle qu'on ne saurait nous retirer. Dans
le cadre de la relation pédagogique, cela signifie que Mais cette approbation de la perception des élèves
les élèves, s'ils peuvent être vus comme tels par les comme ayant vocation à apprendre atteint 81 %, ce
enseignants, ne perdent pas les autres éléments qui qui montre qu'une minorité non négligeable (19 %) ne
les composent. Ils sont également citoyens, membres perçoit pas prioritairement les jeunes qu'ils reçoivent
de groupes de pairs, membres d'une génération et par leur statut. La mise à distance de cette vision péda-
sont aussi des personnes singulières. Ils n'estiment gogique des collégiens ou lycéens se traduit par un
plus devoir abandonner leur identité personnelle (et regard ouvrant un plus large spectre. Un enseignant-
ils sont de plus en plus rejoints par les enseignants documentaliste d'un collège de l'académie de Nancy-
sur cette idée), comme ils se débarrassaient naguère Metz exprime cette idée dans une formule ramassée:
de leur manteau à l'entrée de la salle de cours. Dans ce « un métier humaniste ». Par-delà le statut d'ensei-
contexte, l'enquête avait aussi pour objectif de mieux gnant (ou d'élève), le métier traite d'une palette de
cerner comment les enseignants-documentalistes domaines et d'intérêts qui concerne les individus en
perçoivent les élèves, c'est-à-dire la manière dont ils tant qu'ils appartiennent à un règne commun qui les
appréhendent leurs différentes facettes. rassemble'9 Une femme en fin de carrière d'un lycée
professionnel de l'académie de Versailles développe
COMMENT PERCEVEZ-VOUS LES ÉLÈVES
AUXQUELS S'ADRESSE LE COI? les réserves de son collègue: " Le métier de documen-
taliste est en pleine mutation et personnellement je
Des élèves [qui ont vocation à apprend rel 81%
n'adhère pas du tout aux orientations qui sont en train
Des [futursl citoyens 73 %
de se dessiner, à savoir faire de la documentaliste une
Des personnes [qui ont leurs propres centres 65% enseignante à part entière. Pour moi ce métier m'a
d'intérêtl
attirée pour son ouverture sur l'ensemble des élèves
Des jeunes [membre d'une générationl 55 %
d'un établissement, l'ouverture sur le monde extérieur,
Des membres d'un groupe de pairs 31% la diversité des tâches et des activités qui peuvent être
RÉSULTATS DE LA PARTIE" PERCEPTION DES ÉLÈVES ". menées par le documentaliste en partenariat avec des
intervenants tout aussi divers. Métier de relation, d'ou-
Des élèves d'abord perçus en tant que tels verture et non enfermement dans une discipline: la
Sans surprise les professeurs-documentalistes documentation. " La sPécialisation sur un domaine et
perçoivent d'abord les élèves comme tels. Leur posi- l'orientation pédagogique du métier semblent comme
tion d'adulte dans un établissement mais aussi leur incompatibles avec une attention ouverte aux élèves
définition d'eux-mêmes par la fonction enseignante et à leur environnement. Une autre critique pointe
convergent pour mettre en avant la dimension statu- la tension entre l'élève apprenant membre d'un
taire des élèves. Une je~ne professionnelle de l'aca- collectif classe large et l'attention individuelle à
démie de Versailles exprime bien cette idée en défi- chacun. Pour cette collègue d'un lycée professionnel
nissant le métier par cette formule synthétique de l'académie de Lille, l'enseignant-documentaliste
« PROFESSEUR et Documentaliste. » La dimension est" la seule personne qui puisse apporter une aide
enseignante arrive en premier et est mise en majus- iQdividuelle quasiment à tout moment ». L'intérêt de
cule, ce qui nécessite d'avoir des élèves définis par ces réserves quant à la définition des élèves par leur
cette finalité pédagogique. Les témoignages sont statut d'apprenant ne doit pas cacher le fait qu'elles
nombreux qui développent ce lien sous l'angle de la sont minoritaires et que les élèves sont bien largement
relation pédagogique. Par exemple, ce professionnel perçus de cette manière par une grande majorité des
d'un lycée général et technologique de l'académie de professeurs -docu men ta lis tes.
Lille pour qui « la mission la plus importante du prof
doc est celle qui consiste à faire passer aux élèves Des élèves futurs citoyens
des connaissances et compétences en SIC [sciences De façon un peu moins fréquente (73 %), les ensei-
de l'information et de la communication] ». Le profes- gnants-documentalistes appréhendent leurs élèves
seur-documentaliste est pensé comme porteur d'un comme de (futurs) citoyens. Cette vision recouvre des
corpus de connaissances inscrit dans une discipline
et se doit, comme n'importe quel autre professeur de
discipline, procéder à sa transmission. La spécificité
29 François de Singly, L'Individualisme est un humanisme, La Tour-
liée à l'espace du CDI ou à l'absence de notes n'est d'Aigues, Éd. de l'Aube, 2005.
COI, PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

réalités différentes puisqu'il s'agit à la fois de former leur épanouissement personnel de la seconde au
les élèves à des outils d'information et de compréhen- BTS. » Elle insiste bien sur la dimension particulière
sion du monde (par exemple, une enseignante-docu- de l'enseignant-documentaliste qui peut s'intéresser
mentaliste d'un lycée de l'académie de Rennes estime de façon personnelle aux élèves et à la fois les suivre
qu'il s'agit « de former des élèves futurs citoyens sur toute leur scolarité dans l'établissement. Souvent,
éclairés, critiques et actifs »),mais aussi de veiller à les professeurs-documentalistes regrettent de ne pas
une forme d'éducation civique par le respect mutuel disposer du temps nécessaire p0t;r accorder une atten-
des élèves dans l'espace du CD! (ce qu'illustre cette tion personnelle aux élèves. Cette fonction peut être
collègue d'un collège de l'académie de Lyon, pour menacée par le développement des outils, comme le
laquelle « notre rôle est aussi celui d'un éducateur: regrette cette femme d'un collège de l'académie de
vie en société, respect des pairs et des adultes, respect Lyon: « Ne pas être des techniciens de l'information
des documents etc. »). Comme les autres enseignants, et de l'informatique (il y a souvent plus compétent
mais dans les conditions spécifiques de leur activité, que nous) mais développer le côté humain qui nous
les professeurs-documentalistes contribuent à l'édu- permet d'appréhender la personne en face de nous et
cation des élèves qui seront les citoyens de demain. de l'encourager ou de la faire progresser dans le large
Ils revendiquent à juste titre leur participation à cette_ domaine de la culture (lecture, musique, cinéma). »
œuvre collective d'autant plus nécessaire que l'indivi- La fonction enseignante concurrence cette dimension
dualisation est susceptible de faire oublier aux élèves relationnelle à laquelle nombre de professionnels sont
qu'ils doivent vivre avec les autres .. Leur fonction attachés, telle cette collègue d'un collège de l'aca-
est particulièrement favorable à cette transmission démie de Rennes pour qui« l'aspect pédagogique doit
puisque les élèves viennent de façon libre et que se primer sur le reste mais je pense que nous avons un
pose la question de leur cohabitation entre eux et avec rôle important à jouer au niveau du suivi individua-
les adultes. De façon presque imperceptible, le COI est lisé des élèves et ce qui fait notre spécificité est que
donc un lieu d'apprentissage de la vie en société sous le notre contexte nous le permet davantage qu'un prof.
regard régulateur des enseignants-documentalistes30 Pour certains, le CDI est un vrai refuge, il m'est arrivé
d'en écouter et d'en aider certains aussi bien sur le
Des élèves perçus en tant que personnes singulières plan scolaire que psychologique et je tiens beaucoup
La perception des élèves ne se limite pas à la dimen- à cette richesse de notre métier ». Cette attention à
sion pédagogique ou citoyenne. Du point de vue des autrui suppose un sens du contact. Comme l'affirme
enseignants-documentalistes, les élèves sont aussi une femme d'un collège de l'académie de Versailles:
des personnes qui ont leurs propres centres d'inté- « Il faut établir un lien avec les élèves pour mieux les
rêts 1 C'est en tous les cas pour les deux tiers d'entre accompagner. » C'est dire que ce souci de la personne
eux une évidence. Seuls 9 % sont peu ou pas d'accord de l'élève n'est pas seulement une attention psycholo-
avec cette idée. C'est hélas impossible de comparer gique mais qu'elle est la condition d'une relation péda-
ce résultat avec celui qui aurait été obtenu auprès gogique optimale. S'intéresser aux élèves tels qu'ils
des enseignants des disciplines traditionnelles, mais sont n'est donc pas céder à une mode empathique
on observe chez les professeurs-documentalistes une mais bien créer les conditions d'un accompagnement
capacité à superposer le statut d'élève avec la figure de l'élève. Dans certains cas, la prise en compte de la
de la personne. Au-delà de son rôle, l'élève est riche dimension personnelle des élèves est une condition de
d'une consistance, d'une singularité dont les profes- l'action pédagogique des professeurs-documentalistes.
seurs-documentalistes reconnaissent l'existence. Les
témoignages sont très nombreux qui insistent sur cette Des élèves membres d'une génération
prise en compte. Écoutons cette enseignante-docu- La prise en compte des élèves comme des individus
mentaliste d'un lycée professionnel de l'académie de s'accompagne, dans une proportion un peu plus faible
Lille: « Rapports humains intéressants et privilégiés (55 %), de la perception des élèves comme membres
avec les élèves. [... ] Il est très avantageux de pouvoir d'une génération. Cela signifie que les professeurs-
suivre les usagers dans leur évolution de lecteur et documentalistes acceptent l'idée de s'adresser à
des « jeunes» qui ont des références et un univers
qui ne sont pas identiques aux leurs. Le souhait de
30 Pour un exemple, cf. Denis 1\lchais, " Un CDI au service du transmettre (la culture de l'information, le goût de la
"vivre ensemble" ", LesCahiers pédagogIques, n° 485, décembre lecture, la culture générale, etc.) n'entre pas totalement
2010 En ligne: www.cahiers-pedagogiques.com. rubriques
en contradiction avec la prise en compte de la diffé-
" PubhcatlOns .. puis" Les Cahiers pédagogiques ", choisir le
n° 485. rence de générations. D'ailleurs, 48 % des répondants
MÉTIER VÉCU BI
perçoivent les élèves comme membres d'une géné- canaux que celui du CDI mais cet équipement pourrait
ration et pensent tout à fait que le professeur-docu- intégrer cet enjeu (certains le font déjà) sans d'ailleurs
mentaliste a pour fonction de participer à l'acquisi- réellement menacer l'ordre qui doit y régner.
tion de leur culture générale. Reconnaître la différence
de culture ne signifie pas qu'il faille y renoncer. C'est
même la condition d'un échange interculturel. Par
exemple, quand les professionnels installent un
secteur dédié à la BD et aux mangas au sein même
du CDI, ils accordent une reconnaissance à la culture
juvénile et créent les conditions d'un dialogue dans
lequel les références de la « culture générale» peuvent
être proposées.

Néanmoins, le fait de percevoir les élèves comme


" jeunes» ne signifie pas que soient acceptées les
conditions de l'exercice de cette culture. Les références
générationnelles se développent et se propagent à
l'intérieur des groupes de pairs. Ce lien indissociable
n'est pas fait par la majorité des enseignants-docu-
mentalistes. Seulement 31 % d'entre eux s'accordent
pour percevoir tout à fait les élèves comme membres
de groupes de pairs. La faiblesse de ces réponses
tient probablement à une forme de déni fonctionnel:
comme ils n'ont pas le souhait, le temps ou les moyens
matériels (ou humains) d'accueillir des groupes, ils
préfèrent ne pas voir cette dimension pourtant si forte-
ment agissante. Cela constitue une limite indéniable
à leur action et à sa portée auprès des élèves car ces
derniers voient ainsi se refermer un cadre possible
d'existence en tant que membre d'une génération.
Le CDI rejoint en cela les bibliothèques publiques et
universitaires qui tendent à construire leurs espaces
et leur accueil à partir d'une représentation dominante
de l'usager comme un individu détaché de ces liens de
sociabilité. La fréquentation de la bibliothèque (du CD!)
serait le cadre d'un travail de l'individu (idéalement via
l'offre documentaire) sur lui-même qui serait incompa-
tible avec la participation à un groupe. Cette représen-
tation imprime profondément sa marque non seule-
ment dans la manière dont l'institution s'adresse à
son public mais dans l'analyse même du public auquel
elle s'adresse. En effet, la cécité sur la dimension des
liens de sociabilité des usagers n'empêche pas qu'elle
soit effectivement active et particulièrement chez les
jeunes qui ont à construire leur identité personnelle,
notamment par l'intermédiaire de références généra-
tionnelles31 Comment prendre part à la vie du groupe
classe sans la maîtrisl; et le partage d'un minimum
de références communes / Bien sûr, l'intégration au
groupe de pairs passe par une multitude d'autres

31 François de Singly. Les Adonaissants. Paris, A Colin, 2006.


MÉTIER VÉCU BD

En pleine interrogation sur leur métier, les profes- LE COLLÈGE, LIEU DE LA LECTURE
seurs-documentalistes pourraient être tentés par ET DE L'INSTITUTIONNALISATION
deux manières de chercher à donner du sens à leur DES SCIENCES DE L'INFORMATION
activité. La première consisterait à élaborer une vision
du métier dans laquelle se retrouveraient tous les Les professeurs-documentalistes qui exercent en
professionnels de façon unifiée. Cette vision partagée collège se distinguent de leurs collègues en lycée par
formerait une condition pour qu'elle soit perçue et un accent mis sur la lecture. C'est à peine 5 % d'entre
reconnue par l'environnement direct des ensei- eux qui ne mettent pas en place des activités autour
gnants-documentalistes (élèves, autres enseignants, de la promotion de la lecture (défi, club, rallye, jeu, prix,
parents, administration). L'autre possibilité consiste- etc.). La mobilisation pour la lecture qui rassemble la
rait à se définir en référence à l'environnement direct profession concerne particulièrement les premières
dans lequel chaque professionnel évolue. La particu- années du secondaire pour lesquelles l'acquisition
larité des élèves, de l'établissement, de l'équipe péda- d'une familiarité avec la pratique demeure un objectif
gogique, etc. produirait des effets sur la manière particulier et partagé, y compris par les enseignants de
d'envisager le métier. La question devient alors celle lettres qui sont encore pensés comme des" professeurs
de la perméabilité de la vision du métier au contexte de français ". La lecture apparaît comme une" cause
de son exercice. L'analyse globale des réponses commune ", au-delà des disciplines, dans laquelle les
suggère qu'il existe des repères communs à même de enseignants-documentalistes se reconnaissent. Si la
former un« cœur de métier », mais qu'il existe aussi lecture distingue pour une part le collège, c'est aussi la
des hésitations qui pourraient trouver leur source au manière dont les professeurs-documentalistes la font
sein des contextes d'exercice variables dans lesquels vivre qui les différencient puisque cela passe par la
prennent place les professionnels. forme d'actions qui ne relèvent pas d'une pédagogle
habituelle, en mettant l'accent sur le jeu ou l'échange.
Dans ce cadre, il devient intéressant d'analyser les Cette façon de faire se retrouve dans d'autres
réponses des professeurs-documentalistes non plus domaines que la lecture. Les professeurs-documenta-
dans leur globalité mais selon le type d'établissement listes des collèges sont plus souvent investis dans des
dans lequel ils exercent. Les professionnels en poste clubs portant sur le théâtre,le cinéma, un journal, etc.
en collège (57 % du total) ont-ils les mêmes pratiques que leurs collègues en lycée (58 % contre 42 %). Ils se
et visions du métier que leurs collègues qui sont en l_ancent à plus forte raison dans ces activités qu'elles
lycée général ou technologique (22 %), en lycée profes- sont susceptibles d'intéresser un public plus jeune
sionnel (10 %) ou dans une cité scolaire3' (8 %) ? et sans doute plus disponible à des activités périsco-
laires. Cette adaptabilité au contexte est d'autant plus
notable qu'elle concerne des activités facultatives.

Les professeurs-documentalistes en collège se singu-


larisent aussi par une pratique plus fréquente de
formations à destination des élèves. Presque tous les
répondants ont déclaré avoir effectué une formation
au cours de la semaine contre 82 % en lycée général
ou technologique et 77 % en lycée professionnel. Si les
enseignants-documentalistes sont plus enseignants
32 Du fait de l'hétérogénéité de ce type d'établissement et de
la relative faiblesse du nombre de réponses recueillies. nous que leurs collègues de lycée, c'est qu'ils ont plus la
avons renoncé à les traiter particulièrement. possibilité (voire l'obligation) de le faire. L'éloignement
CDI, PERCEPTIONS ET RËALlTËS

de l'épreuve du bac les préserve davantage de l'ensei- « menace» aux anciennes déjà installées. Les profes-
gnement disciplinaire. Il est d'ailleurs possible, au sein seurs-documentalistes ont conscience de la difficulté
même du lycée, que les élèves de seconde bénéficient de cette épreuve et en conçoivent une certaine amer-
plus souvent de formations que ceux de terminale. De tume : « C'est un métier présentant plusieurs aspects
façon complémentaire, les professeurs-documenta- et demandant plusieurs types de compétences: péda-
listes de collège disent moins souvent avoir accueilli gogiques, relationnelles, bibliothéconomiques. [... ]
un groupe d'élèves dans le cadre d'un cours d'une Ces compétences semblent PQur l'instant être peu
autre discipline. Le CD! est ainsi plus le lieu de la reconnues par l'Institution qui ne pense pas à solli-
formation à l'information au collège qu'au lycée où, citer les professeurs-documentalistes et à les inclure
au contraire, les autres disciplines tendent à réduire dans les grands projets en mettant en place des cursus
la place accordée à cette spécialité. de formation spécifiques en sciences de l'information
pour les collégiens et surtout les lycéens» (femme d'un
Parce que le CDI est particulièrement un lieu de forma- collège de l'académie de Versailles). L'accès au lycée
tion au moment du collège, les enseignants-documen- semble encore plus difficile que le collège mais repré-
talistes de ce type d'établissement considèrent plus sente bien l'objectif final.
que ceux en lycée qu'ils ont pour fonction d'évaluer
les compétences des élèves: un quart des premiers- L'institutionnalisation se heurte à deux obstacles. Le
seulement rejette cette idée contre 41 % des seconds. premier réside dans le poids de la structuration des
A l'intérieur des professionnels en collège, ceux qui enseignements disciplinaires et la difficulté à faire
revendiquent la fonction d'évaluation se recrutent reconnaître les sciences de l'information comme une
particulièrement dans les établissements de 200 à nouvelle discipline devant don\ler lieu à un enseigne-
600 élèves. A l'inverse ceux dans les gros collèges (plus ment tant au collège qu'au lycée. Le second tient à
de 600) ou, au contraire, ceux dans les petits établis- la spécificité de cette matière qui ne constitue pas,
sements (moins de 200) se prévalent moins de cette au moins dans son enseignement, un corpus totale-
prérogative. Les professeurs-documentalistes auraient ment autonome et limitant en cela son enseignement
ainsi besoin d'avoir un nombre ?uffisant - mais pas dans le cadre de cours spécifiques, académiques.
trop grand - de collègues des autres disciplines pour Les professeurs-documentalistes signalent ce lien
se poser comme évaluateurs. avec leurs collègues des autres matières. Ainsi cette
femme d'un collège de l'académie de Lille qui définit
Le collège apparaît ainsi comme le lieu et le moment le professionnel comme une « personne ayant des
privilégié de l'institutionnalisation des sciences de compétences en sciences de l'information et de la
l'information, dans la mesure où il s'agit du cadre communication voulant transmettre son savoir aux
dans lequel cette discipline est enseignée et devrait élèves, futurs citoyens, dans le cadre de disciplines
être évaluée. Une enseignante-documentaliste d'un dans un établissement scolaire, en partenariat avec
collège de l'académie de Lille exprime cette aspiration: d'autres enseignants ou non ». La collègue de Lille
« Les sciences de l'information doivent plus que jamais qui revendique d'insérer les sciences de l'information
intégrer les programmes d'enseignement, au-delà des dans les programmes inscrit sa réflexion dans le cadre
considérations académiques et figées sur la nature d'une rénovation pédagogique plus large en soutenant
d'une discipline. » que les « champs d'actions [des sciences de l'infor-
mation] et mises en œuvres sont divers et variés et
Ce témoignage insiste bien sur l'obstacle que repré- répondent au besoin d'un enseignement modernisé
sente le découpage des disciplines. La place particu- et alternatif ». Rénovation pédagogique, révolution
lière du collège dans l'insertion des sciences de l'infor- de l'ordre des disciplines, l'institutionnalisation des
mation dans les apprentissages tient sans doute au sciences de l'information est loin d'être acquise et
fait que l'enseignement du collège est peut-être plus risque de longtemps générer de la frustration chez les
interdisciplinaire qu'au lycée. Surtout, le poids symbo- enseignan ts-documen talistes.
lique du bac et le choix des filières au lycée confèrent
une place prééminente aux disciplines académiques La comparaison des réponses des professeurs-docu-
et ce, depuis longtemps. Si jamais l'institutionnali- mentalistes en collège avec celles de leurs collègues
sation des sciences de l'information devait être un en lycée pourrait conduire à fournir le sentiment
objectif, il sera sans nul doute bien plus difficile de d'une grande homogénéité à l'intérieur de ceux qui
« conquérir» le lycée (notamment général) car l'appa- exercent en collège. Il convient de soumettre cette
rition de nouvelles disciplines apparaîtrait comme une impression à l'examen, en comparant entre elles
MÉTIER VÉCU 1111

l'ensemble des réponses des enseignants-documen- suggèrent. Ce n'est pas tant positivement, c'est-à-dire
talistes qui exercent au collège. L'importance quantita- par l'approbation d'une pratique ou d'une représen-
tive de l'échantillon (900 réponses émanent de profes- tation, qu'ils se définissent que par la distance avec
sionnels en collège) autorise tout à fait cette analyse les énoncés proposés. L'exercice de leur métier dans le
approfondie. cadre du lycée serait contraint de manière telle qu'ils
ne parviennent pas à construire une vision positive
La première hypothèse concerne la taille des établis- qui leur soit spécifique. Établissements plus gros (plus
sements. Les pratiques et vision du métier ne seraient d'élèves et de collègues enseignants à connaître), poids
pas indépendantes des conditions de leur émergence: plus fort des enseignements disciplinaires, échéance
le fait d'exercer dans un " petit collège» (moins de du bac, etc., tous ces éléments limitent la marge de
400 élèves) ou dans un "gros» (plus de 600) modifie-t-il manœuvre des professeurs-documentalistes en lycée.
le rapport à l'administration, aux collègues des autres Si notre interprétation de l'institutionnalisation des
disciplines et aux élèves;> En réalité, et cela constitue sciences de l'information (et des professeurs-docu-
un résultat important, nous ne repérons presque pas mentalistes) passe d'abord par le collège. il n'est
de différences significatives entre les réponses des pas étonnant que ceux qui exercent en lycée ne s'y
professionnels selon la taille du collège. Il existe donc retrouvent pas et tendent à se définir non pas pour
une assez large homogénéité au sein des profession- ce qu'ils sont mais pour ce qu'ils ne sont pas compa-
nels. Néanmoins, quelques nuances apparaissent. Ceux rativement à une situation plus enviable qui serait
qui sont en poste dans un petit établissement ont plus (implicitement) en vigueur au collège. Une vision du
souvent participé à une réunion avec l'administration métier propre au lycée semble moins installée qu'au
(direction ou intendance). Le nombre réduit d'élèves, collège. Mais à défaut de cerner cette définition posi-
l'ampleur limitée des locaux créent des conditions plus tive, voyons comment ils se définissent par ce qu'ils
favorables aux relations avec celle-ci. Dans des petits mettent à distance.
collèges, les professeurs-documentalistes sont aussi
plus souvent impliqués dans des activités de sortie Les professeurs-documentalistes en lycée, contraire-
(cinéma, théâtre, voyages, etc.). Ils sont sans doute ment à leurs collègues en collège, voient moins souvent
plus disponibles et peuvent plus facilement engager leur mission comme visant à transmettre la lecture.
ce type de projets que dans des établissements plus L'enjeu de la lecture, qui est au cœur du collège et
gros. où l'absence de l'enseignant-documentaliste a pas seulement chez les enseignants-documentalistes,
de plus grandes conséquences sur le bon fonctionne- semble s'affaiblir au lycée. Cette professionnelle d'un
ment du COI. lycée de La Réunion signale cette évolution: " Le docu-
mentaliste promeut d'abord la lecture mais le métier
Hormis ces éléments limités, la taille du collège n'agit est différent s'il est exercé en collège, lycée général
pas sur la manière de percevoir les élèves ni sur la fonc- ou LEP. » Elle se sent obligée de justifier une forme
tion du CD! et du professeur-documentaliste. La condi- de retrait de cet objectif commun par son exercice
tion de professionnel en collège est assez homogène du en lycée. Elle se définit ainsi « en creux ». Plus globa-
point de vue de la taille de l'établissement et on verra lement, le reflux de la lecture dans la manière dont
que c'est moins le cas pour les lycées généraux et les les professionnels de lycée se définissent, se repère
lycées professionnels. Il est possible que cette période dp.ns nos témoignages. Alors qu'un tiers (227/697) des
du collège qui nous est apparue comme le cadre de témoignages des professionnels en collège comporte
l'institutionnalisation des sciences de l'information une référence à la « lecture »,ce terme ne revient que
participe à (ou découle de) cette homogénéisation des dans 23 % (62/270) des cas chez ceux en lycée. On
professionnels. Par-delà les conditions d'exercice, tous perçoit cette évolution également à travers le retrait
se retrouvent dans un " métier» unique. des professeurs-documentalistes par rapport à la
participation ou l'organisation d'activités autour de
la lecture: alors qu'en collège, seuls 4 % ne sont pas
LE LYCÉE, LIEU DU MÉTIER « EN CREUX .. impliqués dans un tel dispositif, ils sont 21 % en lycée.
Sans doute davantage de professionnels pensent-ils
La comparaison des réponses des enseignants-docu- qu'il n'est plus vraiment temps de remplir cette fonc-
mentalistes exerçant en lycée général ou techno- tion ou qu'il n'est plus guère possible d'atteindre un
logique (nous dirons" lycée» dans ce qui suit) avec objectif de familiarisation avec cette pratique. Ainsi,les
celles de leurs collègues en collège ou en lycée profes- professeurs-documentalistes de lycée voient moins le
sionnel frappe par la définition" en creux» qu'elles COI comme un lieu visant à proposer des documents
CDI. PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

pour le divertissement des élèves: ils sont un tiers à y dans l'établissement et notamment dans son équipe
être hostiles contre un cinquième chez leurs collègues de direction? Ce peut être aussi la marque d'une plus
en collège. Pourtant, il demeure une forte minorité à faible disponibilité du personnel de direction dans les
définir leur métier en cherchant à « donner le goût de lycées. Les relations des professeurs-documentalistes
la lecture» (comme cette enseignante-documentaliste semblent se réduire aussi avec les collègues des disci-
d'un lycée de l'académie de Nancy-Metz). Une de ses plines. Leur participation aux conseils d'enseignement
collègues d'un grand lycée de l'académie de Versailles connaît une érosion entre le collège et le lycée: si deux
complète cette visée en souhaitant « faire perdurer tiers des professionnels en collè'ge disent avoir assisté
la lecture plaisir qui se perd au lycée ». La tâche des aux conseils d'enseignement dans l'année, ils ne sont
professeurs-documentalistes en lycée consisterait à plus que la moitié au lycée. Leur retrait se perçoit
faire vivre une vision de la lecture qui a été promue par également à partir de leur vision de leur fonction: si
leurs collègues du collège. Cela se révèle d'autant plus un quart des professeurs-documentalistes en collège
difficile que la perspective du bac et, en particulier, des refuse l'idée de former les élèves dans les enseigne-
épreuves de français conduit à faire de cette pratique ments disciplinaires, la proportion passe à 41 % chez
moins une fin qu'un moyen en vue d'un objectif ceux en lycée. La fin de la scolarité secondaire passe
d'évaluation. Si l'attachement à cet idéal de la lecture par un poids plus grand des disciplines académiques.
comme activité gratuite et qui touche à la subjectivitê Le rôle structurant de celles-ci et la nouveauté ou le
de la personne n'est pas unanime, on constate qu'elle faible ancrage disciplinaire des enseignants-docu-
est fortement soutenue par les professeures-documen- mentalistes conduisent une partie de ces derniers à
talistes : 89 % de celles exerçant en lycée se retrouvent se retirer sur leur univers. Si l'institutionnalisation des
tout à fait dans l'idée que le professionnel sert à trans- sciences de l'information est ~ngagée au collège, elle
mettre le goût de la lecture alors que leurs homologues rencontre des limites ou difficultés à se poursuivre au
masculins ne sont que 63 % dans ce cas. Cela signale lycée. Si certains y réagissent par une forme de repli
l'importance de l'investissement personnel des ensei- sur le CDI, d'autres s'insurgent et prennent la parole.
gnants-documentalistes dans leur métier et son inci- On a ainsi mesuré que sur cent signataires profes-
dence sur l'exercice de ce dernier. seurs-documentalistes (la pétition était ouverte à tout
le monde) du manifeste de la Fadben de mars 201233,
Le repli des activités au lycée ne concerne pas seule- la proportion de professionnels exerçant au lycée est
ment la lecture. La participation aux sorties culturelles, plus importante que celle observée dans notre propre
si elle reste majoritaire, perd du terrain: si les non- enquête (35 % contre 24 %). La composition même du
participants étaient 17 % au collège, ils sont 28 % au bureau de la Fadben révèle une surreprésentation des
lycée. L'approche du bac, les réticences des élèves ou collègues en lycée (5 sur 12). Si le collège est le lieu de
des collègues réduisent les possibilités de prendre part l'institutionnalisation frémissante, le lycée est celui
à ces sorties culturelles. C'est uniquement dans les du combat pour la reconnaissance de cette nouvelle
petits lycées (400 à 600 élèves) que la participation ne discipline.
se réduit pas: le type de public, la taille limitée des
équipes pédagogiques favorisent sans doute le main- Le repli que nous observons des professeurs-docu-
tien de ces pratiques. mentalistes par rapport à la communauté éducative
résulte-toi! d'une évolution inhérente au passage du
Le métier de professeur-documentaliste change quand collège au lycée ou est-i!le produit du passage de petits
il est exercé au lycée au niveau des relations entrete- établissements à de gros établissements? Il est vrai que
nues avec la communauté éducative. Si plus de neuf les lycées sont en moyenne plus importants en nombre
professionnels en collège sur dix ont signalé des rela- d'élèves que les collèges (plus de la moitié des répon-
tions avec la vie scolaire au cours de la semaine, ils dants exerçant en lycée déclarent être dans un établis-
ne sont plus que huit sur dix dans ce cas au lycée. sement de plus de 1 000 élèves alors que seuls 28 % de
Les occasions d'échanges diminuent avec l'autorisa- ceux en collège évoluent dans un établissement de 600
tion de sortie des élèves à partir du lycée. La tenta- élèves ou plus). Comme pour les autres questions rela-
tion d'utiliser le CDI comme une sorte de permanence tives à la vie scolaire ou à l'administration, les relations
est donc moins grande. Le lycée voit aussi diminuer
la proportion d'enseignants-documentalistes à avoir
pris part à une réunion avec l'administration (direc- 33 Rappelons que le manifeste visait à promouvoir
l' " enseignement de l'information-documentation et
tion ou intendance) par rapport au collège. Peut-être l'ouverture à la culture informationnelle ". On le trouve sur le
est-ce un signe d'une moins grande intégration du CDI site de la Fadben . fadben.asso.fr/MANIFESTE-2012.html.
MÉTIER VÉCU DLl

avec les disciplines dans le cadre des conseils d'ensei- tendance incontestable n'est contrebalancée que par
gnement connaissent une érosion quelle que soit la une seule autre évolution. En lycée, les enseignants-
taille des établissements. C'est bien le lycée qui trans- documentalistes présentent plus souvent le CDI
forme le rapport à la communauté éducative et non le comme un lieu qui sert à accueillir les élèves qui
passage à des établissements plus gros qui modifierait veulent travailler seuls (78 % de " tout à fait" contre
fondamentalement la place effective et relative des 67 % en collège). Cette progression apparaît comme un
enseignants-documentalistes du collège au lycée. Le repli, au sens où le lycée serait le lieu par excellence de
CD! perd de ses attaches au lycée. Il est pris dans un la définition du CDI comme espace de travail et dans
contexte qui lui autorise moins d'exister qu'au collège. sa forme solitaire.

Dans la relation aux élèves, le passage au lycée Statistiquement, le lycée n'est donc pas le lieu de
se traduit par des changements qui, eux aussi, ne· l'exercice le plus épanoui du métier. La définition" en
résultent pas de l'agrandissement de la taille de creux ", le reflux des relations avec la communauté
l'établissement. Moins qu'au collège, les professeurs- éducative et avec les élèves, le repli sur la définition
documentalistes en lycée font du CDI le lieu pour du CDI comme lieu du travail solitaire ne débouchent
accueillir les élèves en difficulté scolaire. Plus large- pas sur une identité pleinement positive. Le cadre du
ment, ils ont moins souvent déclaré avoir aidé un élève lycée contraint le métier à ce reflux qui explique sans
pour ses devoirs au cours de la semaine (58 % contre doute une forme particulière de ressentiment chez les
78 % en collège). La part de leur activité qui consiste professionnels dans ces établissements.
à composer avec les aspirations fréquentes des élèves
pour les aider dans leurs devoirs connaît un affaiblis- À l'intérieur de la population des professeurs-docu-
sement. Et puisque ce n'est pas un effet de taille de mentalistes qui exercent en lycée, existe-t-il des
l'établissement, il s'agit bien d'une mutation en cours différences selon la taille de l'établissement? Cette
dans la relation pédagogique: les élèves osent peut- question cherche à nuancer la vision globalisante
être moins solliciter les enseignants-documentalistes des professionnels de lycée. Il convient d'abord de
ou ceux-ci se considèrent moins souvent compétents constater que le commun l'emporte sur les différences.
ou légitimes dans cette activité qui relève d'autres On n'observe qu'un nombre limité de spécificités.
matières (avec lesquelles nous avons vu qu'ils étaient Les enseignants-documentalistes en " petits lycées"
en cours de mise à distance). (moins de 600 élèves) s'adaptent à ce contexte. Ainsi, ils
font plus souvent de leur métier celui d'aide à l'orien-
Mais la séparation relative avec les élèves ne concerne tation (43 % sont" tout à fait d'accord» contre 29 %
pas seulement la dimension scolaire de ces derniers. chez leurs collègues de lycées de plus de 1 000 élèves).
Entre le collège et le lycée, les professeurs-documenta- Sans doute qu'il est plus difficile pour les élèves d'ac-
listes définissent moins souvent leur métier par l'aide à céder à un(e) COPSY dans un établissement plus petit
l'orientation des élèves (35 % contre 42 %). Les relations et les professeurs-documentalistes suppléent plus
de proximité avec les élèves se font aussi plus rares. facilement à ce manque. De même, dans les petits
ils ne sont plus que 38 % à mentionner une discussion lycées, les professionnels font état plus souvent de
sur des sujets personnels avec un élève au cours de participation à des activités de sortie (théâtre, cinéma,
la semaine alors qu'ils étaient 54 % au collège. Pour voyages, etc.). La taille plus réduite de l'établissement
autant, certains professionnels en lycée persistent les mcite particulièrement à s'inscrire dans des projets
à mettre en avant l'importance du contact avec les pour lesquels ils sont sollicités et auxquels il leur est
lé èves. Ainsi cette femme en poste dans un petit sans doute plus facile de répondre positivement. En
lycée de l'académie de Versailles: " Mon CDI est très revanche, les professeurs-documentalistes de " gros
fréquenté et j'ai un très bon contact avec les élèves. Ils lycées ", s'ils prennent part à moins de sorties, solli-
me font confiance et n'hésitent pas à me parler d'eux. " citent davantage leurs collègues des enseignements
Elle se définit dans une situation d'échange puisque disciplinaires pour des projets dont ils sont porteurs. Le
par ailleurs elle dit qu'elle souhaite" leur parler ". dynamisme des professionnels est tourné vers l'exté-
L'affaiblissement de la f.onction d'accueil personnalisé rieur dans les petits lycées et vers l'intérieur dans les
des élèves ne signifie donc pas sa disparition. gros. Enfin,les professeurs-documentalistes des petits
lycées semblent moins fixés sur une définition pres-
Jusqu'à présent, le métier de professeur-documen- criptive de leurs collections. En effet, 57 % s'accordent
taliste en lycée a té é présenté comme une vision tout à fait avec l'idée que le CDI doit proposer des
affaiblie de celle des professionnels en collège. Cette documents pour le divertissement des élèves alors
COI, PERCEPTIONS ET RËALlTËS

qu'ils sont 37 % dans un gros lycée. Cette variation autres matières et peut-être aussi par une moindre
interroge et on peut l'imputer à deux causes probables. sollicitation des élèves.
Du fait de leur implantation dans des villes de plus
petites tailles ou loin des centres villes, les petits lycées À défaut de pouvoir développer des formations à
accueillent sans doute des élèves moins scolairement destination des élèves autant qu'ils pourraient le
investis et (peut-être « performants »). Dès lors, les souhaiter, les professeurs-documentalistes des LP ne
professionnels sont plus à même d'ajuster leur poli- se réfugient pas dans les tâchesbibliothéconomiques.
tique d'acquisition pour les attirer vers la lecture en Ils sont en effet plutôt plus nombreux à ne pas avoir
prenant en compte leur aspiration au divertissement. indexé ou catalogué des documents, de même qu'ils
La seconde explication possible résiderait dans la taille ont moins souvent équipé des documents au cours
des CD!. Plus les établissements sont gros et plus ils de la semaine (20 % contre 13 % en collège et 9 % en
ont de chances d'avoir plusieurs professionnels à y lycée). L'alternative à la formation se trouve moins
travailler. Dans ce cadre, il est possible qu'il y ait une dans les tâches bibliothéconomiques que dans celles
forme de censure mutuelle à l'égard de demandes de d'accueil des élèves. Il s'agit d'abord d'un accueil indi-
lectures jugées peu légitimes. viduel. Les professeurs-documentalistes en LP sont
plus nombreux à juger qu'il est tout à fait du ressort
du CDI d'accueillir les élèves en difficulté scolaire
EXERCER EN LYCÉE PROFESSIONNEL: (51 % contre 42 % en collège et 39 % en lycée). Ils ont
ACCUEILLIR LES ÉLÈVES SEULS à cœur de se soucier des" gueules cassées» de la
OU EN GROUPES compétition scolaire. C'est encore plus le cas dans les
établissements du privé que daps ceux du public (64 %
Dans le panorama de l'enseignement secondaire, le contre 48 %). Le COI n'est pas seulement le lieu des
lycée professionnel (LP) occupe une place particu- « vainqueurs34 »de cette compétition. Pour une' légère
lière. Les élèves qu'il accueille ne sont pas seulement majorité des enseignants-documentalistes en LP, il a
plus âgés que ceux du collège, ils doivent largement aussi pour mission de recevoir ceux qui souffrent dans
(mais heureusement pas seulem.ent) leur orientation leur scolarité. Cette attention personnelle aux élèves
à des lacunes dans les savoirs académiques qui ont se retrouve dans la disponibilité dont ils font particu-
été repérées au cours du cursus en collège. Les profes- lièrement preuve pour parler avec eux de problèmes
seurs-documentalistes ont donc affaire à un public ou questions personnels. Il ne s'agit pas d'un point de
d'âge de lycée mais qui ont très souvent pâti de juge- vue théorique mais bien de pratiques réelles: deux
ments négatifs dans les enseignements disciplinaires. tiers mentionnent avoir eu de tels échanges au cours
Comment le professeur-documentaliste et le CDI, qui de la semaine contre 54 % en collège et 38 % en lycée.
incarnent une partie de ces savoirs sans s'y réduire, se On voit d'ailleurs que le fait que les élèves soient plus
définissent-ils dans ce contexte? âgés (qu'au collège) n'empêche donc pas une rela-
tion plus personnelle puisque les élèves de lycées
Les enseignants-documentalistes en LP se distinguent professionnels ont le même âge que ceux des lycées
de leurs collègues en lycée général ou technologique et généraux ou techniques. Le souci de l'élève prend la
surtout de ceux en collège par une fréquence moindre forme d'une attention plus aiguë à sa personne singu-
d'implication dans des formations auprès d'élèves: ils lière. Une enseignante-documentaliste expérimentée
ne sont plus que 77 % à avoir déclaré cette activité d'un LP de l'académie de Lyon formule la spécificité
dans la semaine contre 82 % et 95 %. Le nombre plus d'exercer dans ce type d'établissement: « Je pense

réduit d'enseignements généraux (au profit de cours que l'exercice de ce métier varie beaucoup selon le
professionnels) diminue sans doute les occasions de type d'établissement dans lequel nous nous trou-
collaboration avec les collègues des disciplines géné- vons. Pour ma part, l'ayant toujours exercé en lycée
rales. On constate d'ailleurs que les professeurs-docu- professionnel (industriel et tertiaire) avec un effectif
mentalistes des LP ont moins souvent échangé avec réduit, mon rôle ne s'arrête pas aux prescriptions de
un collègue en vue d'un projet dans sa discipline que la circulaire de mission. Les élèves de lycée pro sont
leurs collègues (notamment de collège). Le contexte est très demandeurs d'aide, je passe beaucoup de temps
donc moins favorable qu'au collège pour organiser des
formations à destination des élèves. On sent plus large-
ment que les professionnels sont moins en position de
34 Pour reprendre l'expression de François Dubet, par exemple
transmettre une formation à la culture de l'informa- dans « La jeunesse est une épreuve ". Comprendre. n° 5, 2004,
tion par la faiblesse de la stimulation de la part des p.285.
MÉTIER VÉCU ElB
à l'aide individualisée, à être à leur écoute .. » Cette formation du citoyen: respectivement 78 %, 63 %
capacité d'attention personnelle aux élèves n'est pas et 69 % estiment que c'est tout à fait leur fonction.
sans effet sur les apprentissages car" les enseignants La notion de citoyenneté est assez large puisqu'elle
ne sont pas perçus indépendamment des savoirs ensei- rassemble à la fois les moyens d'une critique de
gnés et [... ] [des] rapports de "sympathie", d'''écoute'' et l'information et la prise en compte de l'existence de
de "confiance3s" ». ses concitoyens. On présume que les professionnels
en LP mettent peut-être un peu plus l'accent sur la
Mais l'attention aux élèves ne se limite pas à l'écoute seconde dimension, alors que leurs collègues en
individuelle. Elle se prolonge dans une plus grande lycées généraux et en collèges le placent davantage
prise en compte des élèves en tant qu'ils forment des sur la première. En tout cas, cette collègue d'un petit
groupes. Ils ne sont pas encore majoritaires mais un LP de l'académie de Toulouse illustre cette vision:
tiers des professeurs-documentalistes en LP (dont un . " Un métier qui vise à développer chez les jeunes la
peu plus en établissements privés et un peu moins en relation sociale, l'esprit citoyen, l'autonomie. » Cette
établissements publics) s'accordent tout à fait ou assez manière spécifique de penser la citoyenneté suggère
avec l'idée que le CDI soit le lieu d'accueil d'élèves qui que, à défaut de voir l'appartenance sociale découler
souhaitent passer un moment en groupe alors que la de la formation avec succès dans le cadre scolaire, il
proportion est d'un quart chez ceux qui sont en collège convient de la faire émerger d'une vie harmonieuse
ou lycée. Ils voient sans doute la fonction que le CDI entre les membres de la communauté éducative. Cette
peut remplir auprès d'un public pour lequel la socia- idée serait à soumettre à vérification. Hélas, la présente
bilité revêt une importance, y compris jusque dans le enquête ne comporte pas d'informations sur le type
rapport aux savoirs36 Ils tirent la conséquence logique de public scolaire auquel les enseignants-documen-
de cette acceptation de la sociabilité juvénile dans le talistes interrogés sont confrontés. Il n'est donc pas
CDI : 18 % disent ne pas avoir fait respecter le silence possible de faire le lien entre la conception du métier
au cours de la semaine contre 6 % chez ceux en lycée et la spécificité des publics scolaires touchés. Toutefois,
et 2 % chez ceux en collège. Comment ne pas se réjouir le type d'établissement, et particulièrement le LP,
d'une fréquentation collective d'un lieu qui pourrait permet de saisir une partie de cette adaptation tant il
être perçu comme incarnant le savoir qui a participé est vrai que le recrutement social des élèves de LP est
à leur orientation hors de la voie générale 1 Cette très spécifique D'après les données ministérielles, si
appropriation collective n'est-elle pas un moyen réel 39,3 % de l'ensemble des élèves du second degré public
de modifier l'image du CD! et plus largement du savoir sont d'origine sociale défavorisée (retraités, ouvriers et
auprès de ces élèves à l'histoire scolaire délicate 1 De employés, inactifs), la proportion atteint 55,5 % dans
façon cohérente, on constate que les professeurs- le second cycle professionnej37. Ces résultats inclinent
documentalistes de LP sont un peu moins nombreux à fortement à penser qu'une partie des professeurs-
rejeter l'idée que le CDI soit le lieu du travail en groupe, documentalistes effectue un ajustement de leurs
d'une mobilisation scolàire des élèves en groupe. En missions larges en fonction de la situation effective
tous les cas, le fait d'approuver le CDI comme lieu pour dans laquelle ils sont amenés à exercer pendant
que les groupes d'élèves passent un moment ensemble plusieurs années. Mais cette plasticité de la définition
augmente fortement les chances de se retrouver dans des missions du professeur-documentaliste et du CDI
l'idée du CD! dédié au travail des élèves en groupe. Les n~ signifie pas que les professionnels en LP renoncent
enseignants-documentalistes qui prennent en compte à une volonté éducative. Si, comme nous l'avons vu, ils
la dimension collective des élèves la traduisent dans ont moins souvent réalisé des formations à destination
leurs dimensions à la fois scolaire et personnelle. des élèves au cours de la semaine que leurs collègues
en collège, ils ne sont pas moins (et même légèrement
Sans que cela n'apparaisse contradictoire, les profes- plus) souvent tout à fait d'accord avec la définition
seurs-documentalistes exerçant en LP se distinguent du métier par la participation à l'acquisition de la
de leurs collègues de lycée ou collège par un accent culture générale des élèves (88 % contre 84 % et 82 %
plus poussé sur leur fonction de participation à la en lycée). C'est comme si, à défaut de pouvoir trans-
mettre des éléments de la culture de l'information

35 AZIZ Jellab, Sociologie du lycée professionnel. Toulouse, Presses


universitaires du Mlfail, 2008, p. 182.

36 Aziz Jellab," Entre SOCialisation et apprentissages' les élèves 37 Cf. Repères et références statistiques sur les enseignements,
de lycée professionnel à l'épreuve des savoirs ", Revue française la formation et la recherche, Paris, Ministère de l'Éducation
de pédagogie, n° 142, 2003, P 55-67. nationale, 2013. p. 101
COI. PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

dans ce cadre formel, ils entendaient se valoriser par éducative est indispensable pour que nous puissions
cette fonction de participation à l'éducation" cultu- faire correctement notre travail. Nous devons nous
relie» des élèves. Ceux-ci étant plus souvent issus de battre pour cette reconnaissance au quotidien et pour
milieux populaires, il s'agirait de les" ouvrir» à des chaque personne. Ce n'est jamais acquis. De ce fait,
références qui ne leur sont pas familières et qui sont nous nous épuisons au lieu de mettre notre énergie
pensées par les professeurs-documentalistes, mais au service des élèves et de leur apprentissage. » Elle
aussi par ceux qui les forment et les recrutent, comme exprime bien cette tension entre l'investissement
relevant d'une « culture générale ». Un collègue d'un subjectif dans le travail et le fah que non seulement
petit LP de l'académie de Lille formule cette manière il ne suscite pas de reconnaissance en retour mais
d'envisager le métier: " Permettre aux élèves de s'ou- qu'il faut en plus se battre pour l'imposer. Hélas, le
vrir à la culture qu'elle soit artistique, littéraire, infor- doute est permis quant à la capacité d'un texte officiel
mative ou professionnelle. Aider au développement à institutionnaliser le bien-fondé de ce travail. Cela
d'une curiosité permettant à l'élève de s'ouvrir aux supposerait une adhésion collective à un programme
autres. » La culture est ainsi pensée largement mais à institutionnel qui n'est désormais plus guère possible
travers l'idée d'ouverture qui concerne non seulement pour des raisons que nous expliquerons plus loin.
des références mais aussi des possibilités d'échanges
interpersonnels. Un véritable militantisme culturel est Parmi les enseignants-documentalistes qui exercent
partagé par nombre des professeurs-documentalistes en LP, la moitié sont dans des petits établissements
et sans doute particulièrement en LP.À juste titre, ils (moins de 400 élèves), l'autre moitié se répartissant
pensent que les élèves peuvent encore être la cible entre des établissements moyens (400 à 600 élèves) ou
d'une politique culturelle puisqu'ils sont contraints à gros (plus de 600 élèves). Quanq ils sont dans des petits
la fréquentation de l'établissement scolaire alors qu'ils établissements, ils semblent davantage insérés dans la
ne sont pas du tout obligés d'aller dans des équipe- communauté éducative: ils ont plus souvent'eu des
ments culturels (musée, bibliothèque, théâtre, etc.). relations avec la vie scolaire au cours de la semaine;
Là où les établissements culturels ne sont parfois que dans l'année, ils ont davantage participé à des conseils
dans l'incantation pour toucher l.es publics populaires d'enseignement et à des sorties (cinéma, voyage, etc.).
ou dans des opérations qui touchent une frange très La taille étroite de l'établissement favorise sans doute
minime de cette population si vaste, les enseignants- les collaborations et les professeurs-documentalistes
documentalistes agissent dans les faits à cette démo- se saisissent de ces opportunités. En confiance, ils
cratisation avec leurs espoirs, leurs doutes, leurs sont du coup moins nombreux à rejeter totalement
succès et aussi parfois leurs désillusions. Une partie l'idée que le métier ait pour fonction de former les
de l'amertume qui recouvre l'activité des profession- élèves dans les disciplines académiques (18 % contre
nels puise sa source dans la faible visibilité ou recon- 38 % dans les gros établissements). De même, ils sont
naissance qu'ils reçoivent pour cette action qui leur plus nombreux à déclarer avoir aidé un élève pour ses
demande une forte mobilisation et qui relève pour- devoirs (85 % contre 64 %). Le petit effectif de l'établis-
tant, selon eux, de l'intérêt général puisqu'il s'agit d'un sement favorise une proximité et une approche plus
enjeu de promotion sociale et d'émancipation indivi- multidimensionnelle des élèves comme apprenants
duelle. Alors qu'ils sont au centre de ce qui a long- mais aussi plus souvent comme" jeunes », membres
temps constitué le cœur de l'école républicaine, c'est d'une génération (61 % sont" tout à fait d'accord»
à peine s'ils sont considérés comme des professeurs contre 48 %). Mais cette ouverture favorisée par les
et leur activité se heurte parfois à de l'indifférence. Ils petits établissements ne fait pas disparaître le souci
sont victimes du " déclin de l'institution »,c'est-à-dire d'affirmer son identité puisque les professeurs-docu-
de l'épuisement du programme institutionnel et de sa mentalistes dans ce cas revendiquent encore plus leur
capacité à faire tenir ensemble les élèves, les parents, métier à travers la formation à la culture de l'infor-
les enseignants et la direction. Ce sont des pratiquants mation que leurs collègues dans un établissement de
parfois très croyants dans un monde qui doute et dont taille plus importante (95 % contre 87 %). À l'intérieur
les croyances anciennes perdent leur hégémonie. même des LP,il existe bien des différences ponctuelles
Écoutons cette professionnelle d'un LP de l'académie dans la déclinaison du métier de professeur-documen-
de Grenoble: " Un métier aux missions passionnantes taliste. De cette façon, on constate que l'adaptabilité
auxquelles je crois mais qui ne sont pas du tout à la situation effective de son exercice fait partie de
reconnues ni par les enseignants de discipline, ni par sa définition.
la direction. Un cadre identifié par tous et expliqué
officiellement à tous les membres de la communauté
MÉTIER VÉCU

UN MÉTIER UNIQUE Si l'adhésion est moins forte à propos du CDI comme


AUX VISAGES MULTIPLES lieu d'accueil des élèves mal intégrés parmi les autres,
elle ne distingue pas les professionnels selon leur type
Le COI et le métier de professeur-documentaliste d'établissement. À défaut d'être un point d'accord,
prennent des visages différents selon le type d'établis- c'est un point d'équilibre entre les professionnels.
sement. Si au collège, le CDI est le lieu de la formation
et de la lecture, au lycée celui du travail scolaire indi- Concernant les représentations des missions du
viduel, en LP il est le lieu d'un accueil des élèves à titre professeur-documentaliste, l'unité se construit autour
individuel ou en groupe. de deux idées consensuelles. D'abord, l'idée de la fonc-
tion de formation des élèves à la culture de l'infor-
Mais par-delà ces différentes déclinaisons, existe-t-il mation permet de tenir ensemble les professionnels
un " fond commun» du métier de professeur-docu- quel que soit le type d'établissement. Les élèves sont
mentaliste ' Qu'est-ce donc qui rassemble les ensei- pensés à travers la nécessité de cette formation. La
gnants-documentalistes indépendamment du type culture de l'information est une notion récente qui a
d'établissement dans lequel ils exercent' réussi à s'imposer largement et rapidement auprès
de la quasi-totalité de la profession. Non seulement
Le trait majeur qui réunit tous les professionnels elle permet de légitimer la fonction pédagogique des
concerne la perception des élèves. Le type d'établis- enseignants-documentalistes, mais elle leur offre aussi
sement ne produit pas de différences dans la manière un socle commun susceptible de tenir ensemble la
dont ils pensent les élèves. Peu importe qu'ils soient profession malgré la diversité des conditions de son
en collège, lycée ou LP,ils s'accordent dans les mêmes exercice. De ce point de vue, elle se distingue de la
proportions sur la perception des élèves comme mission de transmission du goût de la lecture qui, si
personnes, citoyens, membres d'un groupe de pairs, elle connaît un soutien aussi fort (90 %), s'affaiblit
jeunes ou élèves. Cette vision unifiée tranche avec significativement dans le contexte du lycée. L'autre
l'idée d'une adaptabilité du métier aux circonstances idée fédératrice est celle qui concerne la mission d'aide
de son exercice. Cela signifie que les professeurs-docu- aux travaux interdisciplinaires. Que les professionnels
mentalistes modulent leurs pratiques mais souhaitent soient en collège, en lycée ou en LP, ils se retrouvent
conserver une vision relativement homogène de ceux dans cette idée juste qui les différencie de leurs collè-
à qui s'adresse leur métier. C'est sans doute le signe et gues des enseignements disciplinaires. On voit donc
le moyen d'une unité de la profession qui s'affirme à à travers ces deux éléments que ce qui rassemble
travers la définition des élèves comme des apprenants les professeurs-documentalistes est aussi ce qui les
et des (futurs) citoyens avant d'être des personnes et distingue des autres disciplines. La constitution d'un
plus lointainement des jeunes et des membres d'un fond commun apparaît comme une condition à la lutte
groupe de pairs. Ce portraIt des élèves est le fruit d'un collective pour la reconnaissance. Selon cette perspec-
processus complexe d'acqUIsition dans le cadre de la tive, les professeurs-documentalistes ne sont pas sans
formation, des discours officiels, syndicaux, associatifs, rapport avec les infirmières scolaires qui doivent" à
des échanges entre professionnels, etc. !lIes rassemble. la fois prouver leur appartenance et démontrer leur
volonté d'intégration à l'équipe, tout en sauvegardant
Dans la vision du CDI comme espace, les professeurs- leyr spécificité3S ». Ce n'est sans doute pas un hasard
documentalistes se retrouvent autour de l'idée selon que l'inspection générale a produit un document fédé-
laquelle il doit proposer des ordinateurs ou outils rateur (le fameux Parcours de culture de l'informa-
numériques. BIen sûr, tous les professionnels ne sont tion et de formation à l'information - Pacifi) qui fait
pas technophiles, à l'instar de cette professionnelle une large place à l'approche interdisciplinaire. C'est
d'un LP de l'académie de Toulouse qui entre autres un support venant acter une unité des professionnels.
évolutions" inquiétantes» pointe « les orientations Un moyen de les pacifier'
technicistes calamiteuses (pour faire simple: "idolâ-
trie de la machine" et gadgets au lieu d'analyse et
réflexion) face au forl"Qidable "outil informatique" ».
Mais la proportion qui définit le CDI par cet outil est
stable quel que soit le type d'établissement La défini-
tion du CDI comme lieu du numérique rassemble les
38 Françoise Osiek. " Négocier la différence professionnelle
professionnels par-delà la réalité de leurs conditions
et gérer la dlstance culturelle: un double défi pour les
d'exercice. infirmières scolaires ", Rechercheet Formation, n° 28. 1998. p. 70.
MÉTIER VÉCU lEI

Même s'il existe un fond commun au métier, le type statistiquement significatif. Les professeurs-documen-
d'établissement détermine les pratiques et représen- talistes du privé ont un répertoire de pratiques profes-
tations des professionnels. Au-delà de ce critère forte- sionnelles moins large que celui de leurs homologues
ment structurant, existe-t-il d'autres principes de du public. Ils ont moins souvent effectué de formation
variations à l'exercice et à l'imaginaire du métier chez pour les élèves au cours de la semaine (89 % contre
les professeurs-documentalistes? Nous allons iden- 96 %). De même, ils déclarent moins fréquemment
tifier des caractéristiques opérantes qui distinguent avoir aidé des élèves dans des recherches pour leurs
les professionnels: le lieu d'exercice selon que l'éta- études (80 % contre 87 %) et ils ont moins souvent
blissement soit privé ou public, l'accès au métier et la conseillé des documents (90 % contre 97 %). En termes
question du CAPES, l'enjeu de l'âge et les approches de tâches bibliothéconomiques, ils sont également
différentes entre hommes et femmes. légèrement en retrait: au cours de la semaine, 91 %
(contre 98 %) ont catalogué ou indexé des documents.
Dans l'année, ils ont moins souvent mis en place une
UNE PRATIQUE PLUS T
É ROITE DU MÉTIER exposition (79 % contre 89 %). Mais leur déclinaison
DANS LES COLLÈGES PRIVÉS réduite du métier ne concerne pas seulement le fonc-
tionnement du CDI mais aussi les relations de celui-ci
Le fait d'exercer dans un établissement privé ou public avec son environnement proche. L'écart est particu-
pourrait ne pas avoir d'incidence sur les pratiques et lièrement important à propos des réunions avec l'ad-
représentations du métier. Après tout, les programmes ministration ou l'intendance: seuls 32 % déclarent
scolaires sont les mÊmes et souvent les profils de y avoir participé dans la semaine contre 54 %. Pour
formation et les concours. Malgré tout, il est nécessaire les conseils d'enseignement, c'est plus de deux fois
de soumettre cette hypothèse de l'indifférenciation à moins de professeurs-documentalistes du privé qui y
la vérification empirique ont pris part que leurs collègues des collèges publics
(34 % contre 71 %) Ils donnent donc l'impression d'un
La proportion de professeurs-documentalistes qui plus grand isolement qui conduit à une réduction du
exercent en établissement privé s'élève à 17 % dans spectre des activités professionnelles. Sur les dix-huit
l'échantillon interrogé, ce qui correspond à la tendance activités proposées au cours de la semaine, 15 % des
observable au niveau national. Cette proportion relati- professeurs-documentalistes en collège privé déclarent
vement faible invite à la prudence pour la comparaison en avoir réellement effectué moins de douze, alors que
entre public et privé à l'intérieur des lycées généraux ce n'est le cas que de 5 % de leurs collègues du public.
ou technologiques et pour les lycées professionnels:
l'effectif de professeurs-documentalistes du privé Cette pratique plus réduite s'accompagne d'une vision
(respectivement 66 et 33) paraît un peu faible pour que plus restrictive du CD!. Les professionnels en collège
les données offrent une grande fiabilité. En revanche, privé font ainsi moins souvent du CDI le lieu de l'ac-
pour le collège, nous disposons de 117 réponses (et cueil du travail solitaire (59 % de « tout à fait" contre
765 de professeurs-dQcumentalistes en collèges 69 %). De même, ils jugent moins souvent du ressort
publics), ce qui procure une plus grande assurance de ce heu d'offrir des documents pour le divertisse-
dans les comparaisons. ment des élèves (44 % contre 56 %). De façon nette, ils
refusent aussi plus souvent la fonction d'accueil des
Il ressort d'abord une différence dans l'exercice du élèves les moins intégrés au CDI (25 % de « pas du tout"
métier. Si l'écart n'est pas très important, il est pourtant contre 11 %). De façon cohérente, ils reconnaissent
COI, PERCEPTIONS ET RËALlTËS

moins souvent les élèves comme des personnes (56 % aux devoirs. Cette moindre insertion dans les tâches
de" tout à fait» contre 66 %) et se retrouvent davan- courantes du CDI s'accompagne d'un retrait dans le
tage dans la fonction d'évaluation des compétences rapport aux collègues des autres disciplines: ils sont
des élèves (51 % de " tout à fait» contre 38 %). ainsi plus nombreux à ne pas avoir accueilli de collè-
gues d'autres disciplines que leurs collègues titulaires
La différence entre professeurs-documentalistes de du CAPES. Ils sollicitent également moins leurs collè-
collèges privés et publics concerne donc la moindre gues pour des projets, qu'ils soient porteurs ou non
étendue du spectre du métier sans que l'on puisse de celui-ci. À défaut d'être légitimés par le concours,
précisément en saisir les motifs. Mais cette différence ils semblent se mettre (ou être mis) en retrait de la
réelle se concentre sur une minorité des professeurs- vie de l'établissement. C'est ainsi d'ailleurs qu'ils sont
documentalistes en collège privé qu'on peut évaluer sensiblement moins nombreux à déclarer prendre part
à 15 % du total. Quand on cherche à en trouver des aux conseils d'enseignement Et en collège et lycée, ils
caractéristiques discriminantes, on constate que cette mentionnent moins que leurs collègues titulaires du
minorité ne se démarque pas vraiment des 85 % autres. CAPESleur participation à des réunions avec l'adminis-
Ils ne se distinguent pas par l'âge, la taille de l'établis- tration ou l'intendance au cours de la semaine.
sement ou l'ancienneté. C'est à peine si ce sont un peu
plus souvent des hommes et s'ils sont un peu moins Ces différences de pratiques sont sous-tendues par des
souvent titulaires d'un CAPES externe. visions du métier divergentes. Les non-titulaires du
CAPES se retrouvent moins dans la fonction d'évalua-
tion des compétences des élèves. Et, sans surprise, au
L'ACCÈS AU MÉTIER MODÈLE SA PERCEPTION moins au collège et en LP,ils ont moins souvent assuré
une formation des élèves. À l'i'nverse, ils mettent plus
Le rapport des professeurs-documentalistes au métier en avant la fonction d'accueil des élèves en groupes
est-il modelé par la manière dont ils sont entrés dans du CD!. Et ils mettent en œuvre cette conception,
la profession? Cette question se pose d'autant plus seulement au collège et au lycée, en déclarant plus
que l'instauration du CAPES a constitué une étape souvent que leurs homologues capésiens avoir parlé
importante dans la reconnaissànce de la particula- de problèmes ou questions personnels avec des élèves
rité du travail d'enseignant-documentaliste et que ce dans la semaine écoulée.
n'est pas le seul mode d'accès au métier. En effet, dans
l'échantillon interrogé, si 47 % des professionnels sont Au-delà de cette dimension pédagogique dans laquelle
titulaires du CAPES externe, 28 % l'ont passé de façon ils se retrouvent moins, ils voient moins souvent les
interne, 10 % par l'intermédiaire de la 3" voie ou dans le élèves comme des citoyens et, de façon cohérente, au
cadre des concours réservés et 15 % exercent le métier collège et en LP,se reconnaissent moins souvent dans la
sans être titulaires du concours. fonction du CDI comme lieu de participation à la forma-
tion du citoyen. Logiquement aussi, on les retrouve en
Le retrait des non-certifiés moindre proportion dans l'organisation de la Semaine
La principale différence réside entre ceux qui ont le de la presse et des médias. Cette mise à distance de
concours et ceux qui ne l'ont pas. Ces derniers donnent la dimension abstraite des élèves paraît comme
le sentiment d'une moins grande assurance et d'une compensée par une attention plus importante accordée
plus grande distance à l'égard des débats profes- à l'orientation des élèves. Ils sont plus nombreux à faire
sionnels autour de la définition du métier. Certaines de l'aide à l'orientation une fonction dévolue au CD!.
différences sont observables quel que soit le type
d'établissement d'exercice (collège, lycée général Le retrait sélectif des titulaires du CAPES externe
et technologique ou lycée professionnel) alors que Si les non-certifiés font l'expérience d'un spectre plus
d'autres sont plus spécifiques à un ou deux lieux. réduit du métier, c'est partiellement le cas aussi des
professeurs-documentalistes qui sont entrés dans la
Globalement, dans l'enquête, les professeurs-docu- profession par le concours externe. Qu'ils soient en
mentalistes sans le concours se caractérisent par un collège, en lycée ou en LP, ils ont moins souvent aidé
métier moins diversifié dans les tâches effectuées. Ils des élèves dans leurs recherches personnelles que
équipent ainsi moins de documents ou donnent moins leurs collègues qui ont eu le concours interne. Quand
de conseils de lecture aux élèves. Quand ils sont en ils sont en lycée, ils ajoutent à cette réticence celle qui
collège ou LP,ils font moins fréquemment de formation concerne la fonction d'acquisition de culture générale
auprès des élèves. En LP, ils proposent moins d'aide attribuée au CD!. En LP, ils sont plus hostiles à des
MÉTIER VÉCU

activités de club (hors club de lecture). Mais cela ne l'exercice du métier comme dans les représentations
les empêche pas de déclarer plus que leurs collègues des élèves ou du CD!. C'est effectivement ce que l'on
du concours interne qu'ils prennent part à des sorties observe avec des" anciens» qui se distinguent. pour
culturelles (cinéma, théâtre ... ). Ce qui rattache le COI une part, des" jeunes ».
à un univers qui lUI est étranger suscite une certaine
méfiance, qu'il s'agisse des centres d'mtérêtpersonnels Des « anciens» peu portés sur le divertissement ...
des élèves, de la culture générale ou des activités péris- Il serait bien sûr erroné de penser que les" anciens»
colaires. Formés et convaincus du périmètre de leur (55 ans et plus) professeurs-documentalistes se
fonction, les professeurs-documentalistes qui ont eu le distinguent fondamentalement des" jeunes» (moins de
concours externe aspirent à situer leur action à l'inté- 35 ans). Pour autant, on voit se dessiner un portrait un
rieur de celui-ci. En lycée, cela s'exprime aussi par une peu particulier des premiers par rapport aux seconds.
fréquence plus faible des relations avec la vie scolaire.
Un premier trait concerne le rapport aux collections,
Les professeurs-documentalistes qui sont entrés c'est-à-dire à l'ensemble des documents proposés aux
dans le métier par le biais d'un concours interne ne élèves et aux enseignants. Les" anciens » attachent
se distinguent pas fortement des autres. On constate davantage d'importance et d'intérét à cette dimen-
une légère tendance à privilégier le rapport aux collec- sion constitutive de leur métier. Quel que soit le type
tions. Ils sont plus nombreux à déclarer avoir procédé d'établissement d'exercice, ils déclarent plus souvent
à la sélection de documents en vue d'acquisitions au que les" jeunes » avoir sélectionné des documents
cours de la semaine. De façon complémentaire, ils se en vue de leur acquisition au cours de la semaine. Ce
distinguent de tous leurs collègues en émettant des soin aux collections se retrouve également dans leur
réserves sur l'idée que le CDI devrait proposer des réticence qu'ils expriment plus souvent concernant
documents pour le divertIssement des élèves. Peut- la fonction du CDI qui viserait à proposer des docu-
être leur carrière antérieure dans un domaine ou une ments pour le divertissement des élèves. Le CDI est
discipline différente les inVIte à chercher une forme de le lieu des collections mais pas n'importe lesquelles
légitimation de leur position à l'intérieur d'une insti- semblent-ils affirmer. Si 15 % des moins de 35 ans se
tution documentaire en affirmant l'importance des disent peu ou pas d'accord avec l'idée de collections
acquisitions dans leur nouveau métier. Pour autant, ils faisant place à des documents pour le divertissement,
ne sont pas enfermés dans leur activité documentaire la proportIOn s'élève progressivement avec l'âge des
puisque ces professionnels ont aussi pour particularité professionnels pour atteindre plus d'un tiers chez
de mettre en avant les échanges avec des partenaires les plus âgés. L'attachement à la notion de " qualité »
extérieurs. Quel que soit leur établissement d'exercice, semble s'éroder chez les nouvelles générations. L'idée
ils signalent systématiquement cette activité dans la d'une" politique d'offre» selon laquelle les institutions
semaine plus souvent que leurs collègues ayant accédé documentaires se doivent de sélectionner leurs acqui-
autrement au métier. sitions en fonction du contenu instructif ou culturel
des ouvrages recule. Les" Jeunes » croient moins à
la force mterne de l'attractivité des documents qu'à
UN MÉTIER EN COURS la fonction qu'ils pourront remplir pour leurs jeunes
DE RENOUVELLEMENT PARTIEL lecteurs Si le divertissement est le moyen pour l'entrée
en lecture de leurs élèves, alors ces jeunes profession-
Les CDI existent depuis suffisamment longtemps pour nels sont prêts à accepter des acquisitions visant à
que des professionnels de tous âges y exercent Dans les satisfaire. Ce résultat est particulièrement intéres-
l'enquête, 15 % ont 55 ans et plus, 26 % ont 45 à 54 sant, parce qu'on aurait pu penser que l'élévation du
ans, 33 % ont 35 à 44 ans et 24 % ont moins de 35 ans. niveau de diplôme et la difficulté croissante du CAPES
On constate ainsi que la profession n'est pas très âgée se traduiraient par un plus grand conformisme des
puisque plus de la moitié (57 %) des professeurs-docu- jeunes professionnels. La légitimité culturelle ne s'est
mentalistes ont moins de 45 ans. Chaque tranche d'âge pas transmise alors qu'elie a rencontré des conditions
correspond à une génér.p_tion particulière du point de a priori favorables. Elle est peu à peu remplacée par
vue de sa formation, des questions professionnelles une VIsion plus individualiste du rapport à la culture39.
qui faisaient l'actualité au moment de l'entrée dans
le métier, de l'expérience avec les élèves rencontrés et
plus largement avec l'ensemble du système éducatif.
39 Cf Bernard Lahlre, La Culture des Individus. Paris.
On pourrait donc s'attendre à des différences dans La Décou verte. 2004
COI. PERCEPTIONS ET RËALlTËS

On pourrait alors faire l'hypothèse que cet abandon de ... mais sur un accueil personnalisé
l'exigence du critère de« qualité» dans les collections La réserve des « anciens» à l'égard du divertissement
serait lié à un renouvellement de la composition de la des élèves pourrait suggérer une attitude générale plus
population des professeurs-documentalistes. On sait distante à leur propos. Ce serait pourtant faire erreur
en effet que les moins de 3S ans sont plus souvent titu- car les résultats de l'enquête n'attestent pas d'une telle
laires d'un diplôme universitaire en sciences de l'infor- tendance. Au contraire, les plus âgés des professeurs-
mation (un tiers contre un cinquième). Cette hypothèse documentalistes déclarent plu~ que les autres avoir
est repoussée par les faits puisque les professionnels, aidé un élève pour ses devoirs ou pour une recherche
qu'ils soient titulaires ou non d'un diplôme en sciences personnelle d'informations au cours de la semaine. Ils
de l'information, connaissent une évolution compa- font aussi davantage du CDI le lieu d'accueil des élèves
rable avec l'âge. Il s'agit bien d'un effet générationnel. qui veulent travailler seuls.

Ce résultat pourrait aussi être imputable à la légère Ces tendances valables quel que soit le type d'établisse-
surreprésentation des jeunes professeurs-documenta- ment se confirment par d'autres repérables uniquement
listes en collège et des « anciens» en LP et lycée. Cet en collège. Dans ce cadre,les« anciens »déclarent plus
effet de structure ne se vérifie pas non plus, car quel que les autres avoir parlé avec un élève de problèmes
que soit le type d'établissement, l'acceptation des docu- ou questions personnels au cours de la semaine. Et
ments pour le divertissement des élèves diminue avec davantage que leurs homologues plus jeunes, ils
l'âge. De la même manière, il s'agit bien d'un effet lié considèrent comme relevant de la fonction du CDI
à l'âge, ou plus exactement à la génération, et non à d'accueillir les élèves mal intégrés (63 % y sont assez
l'expérience. En effet, la réticence des plus « anClens » ou tout à fait favorables contrt< 53 % des plus jeunes).
à la politique documentaire orientée vers la demande
s'observe chez ceux qui ont beaucoup d'ancienneté Si la tendance est légère, les « anciens » profes-
(plus de vingt ans) comme chez ceux qui en ont moins seurs-documentalistes accordent une attention plus
(dix à vingt ans). fréquente à la singularité des élèves. Cela les conduit à
prendre une forme de distance par rapport à une vision
Il existerait donc bien une mutation générationnelle strictement pédagogique du métier. Leur expérience,
de la tolérance au divertissement. Ce résultat serait leur perception du métier au moment de leur entrée en
de nature évidemment à cautionner les discours sur fonction les autorise à cette prise de distance. À 'image
la baisse du niveau et le recul des exigences profes- de ce professionnel de 55 ans et plus exerçant dans une
sorales. Plus fondamentalement, nous avons affaire à cité scolaire de l'académie de Lyon, les plus âgés ont
une sorte de changement de paradigme pédagogique: particulièrement à cœur de rendre service aux élèves et
le divertissement qui a longtemps été pensé comme aux professeurs: « L'institution a à la fois un mérite et
l'antithèse du travail scolaire devient une sorte d'outil, un problème. Le mérite d'avoir permis l'existence d'un
d'allié pour des fins pensées comme supérieures. Si métier original, qui fait effectivement toute sa place à
40 % des professeurs-documentalistes de SS ans et plus une approche individualisée de son exercice et simul-
combinent le plein accord avec la fonction du profes- tanément laisse une grande capacité au professionnel
sionnel de transmettre le goût pour la lecture et celui de l'adapter aux spécificités de l'EPLE où il est pratiqué
pour que le CDI propose des documents pour le diver- (implantation dans une culture locale, dans un bassin
tissement des élèves, ils sont 46 % chez les 45-54 ans d'emploi; originalité des filières enseignées, diversité
et 53 % chez les moins de 3S ans. Plus ils sont jeunes des publics accueillis). Le problème de l'institution est
et plus les professionnels associent transmission du de n'avoir aucun discours lisible sur ce métier sauf en
goût pour la lecture et acquisitions faisant place au coulisse parmi les plus éclairés des membres des jurys
divertissement. C'est le lien entre un certain type de de concours. De sorte que les titulaires sont en perma-
documents légitimes et la transmission de la pratique
de la lecture qui se décompose. Là où les « anciens»
voulaient ou pensaient pouvoir faire d'une pierre deux
nence dans une poursuite de légitimité à l'égard des
autres métiers enseignants. [... ] Enfin pour couronner
l'ambiguïté du statut, la notion même de "professeur-
.
.'

coups, à juste titre, les « jeunes» y croient de moins en documentaliste" laisse les uns rechercher, souvent
moins et préfèrent s'assurer d'atteindre au moins un maladroitement, à oublier l'un des deux termes:
des deux objectifs de peur de manquer les deux. Il est documentaliste (mot honni) et les autres se prévaloir
possible également que les « jeunes» adhèrent moins du titre: professeur (symbole de dignité) ... Une des
à cette vision selon laquelle l'enseignement serait formatrices d'IUFM avait jadis théorisé la "servuction"
incompatible avec le divertissement. au CD! : lieu de service et de production. Ces deux
MËTlER VËCU liB
termes sont eux aussi honnis par certains qui refusent leurs aînés multiplient les tâches, eux semblent vouloir
radicalement l'idée d'être "au service" des collègues et davantage en réduire le nombre. Ainsi, sur les quatorze
des élèves. L"'ancillarité" étant sans doute trop indigne activités permettant de mesurer leurs pratiques au
de la revendication pédagogique 1 C'est donc oublier les cours de la semaine de l'enquête, deux tiers des moins
racines ancestrales du métier de professeur ... Changer de 3S ans répondent par la négative à au moins trois
le titre serait déjà la première réforme nécessaire pour activités alors qu'ils sont à peine plus de la moitié
changer le paradigme et évacuer les paradoxes »
1 chez les SS ans et plus. Devant l'éventail des possibles,
les jeunes entendent se prémunir d'une trop grande
Cette prise de parole montre bien le lien entre la prise dispersion. Mais cette crainte concerne uniquement les
en compte individualisée des élèves (et des profes- activités courantes mesurées à l'échelle de la semaine.
seurs) et la notion de service rendu. Se mettre au Elle ne touche pas les activités déclarées sur l'année
service résulte de cette attention à autrui constitutive' (sorties culturelles, activités autour de la lecture, de
d'une relation réellement personnalisée et non d'une club, d'exposition, Semaine de la presse et des médias,
soumission à une hiérarchie .. Prendre en compte participation à des conseils d'enseignement ou des
effectivement l'individu doit se traduire jusqu'à se conseils de direction). Au contraire, 28 % des moins
mettre à son service. Les" anciens» semblent plus de 3S ans ont répondu négativement à au moins trois
sensibles à cette dimension du métier. de ces activités contre 40 % des plus" anciens» Les
" jeunes» donnent donc l'impression de renoncer à
% DES NOMBRE
ÂGE ... COMME~;rAIRES '" .TOTAL DE certaines activités courantes au profit de projets ou
COMP.ORTANT LE' COMMENTAIRES de tâches plus rares.
TERME" AIDE ..
Moinsde 35 ans 14,9 % 302 Du point de vue du contenu des pratiques sélection-
35-44 ans 15.3 % 405 nées, outre une plus grande distance par rapport à
45-54 ans 19,4 % 324 l'aide des élèves dans leurs recherches personnelles
et à la sélection de documents pour les acquisitions, on
55 ans et plus 21,6 % 190
constate un retrait par rapport aux échanges avec des
PART DES COMMENTAIRES SPONTANÉS COMPORTANT LE TERME
partenaires extérieurs. En revanche, ils s'investissent
" AIDE" SELON L'ÂGE DES PROFESSEURS-DOCUMENTALISTES.
LECTURE 14.9 % DES COMMENTAIRES RÉDIGÉS PAR LES davantage dans des activités de club (autre que lecture)
PROFESSEURS-DOCUMENTALISTES DE MOINS DE 35 ANS ou autour de la promotion de la lecture (rallye, défi)
COMPORTENT LE TERME" AIDE ". et de la Semaine de la presse et des médias. L'action
pédagogique est moins pensée à travers un soutien
Il serait absurde de conclure à la disparition du sens du personnel quotidien des élèves qu'à travers des projets
service chez les nouvelles générations mais il apparaît plus vastes et .visibles. D'ailleurs, les commentaires
bien un repli de cette visipn du métier. Cela se traduit libres des « jeunes» comportent dans 23,8 % des cas
concrètement dans l'exercice courant de la profession. le terme" projet" là où il apparaît dans 18,3 % des
Alors qu'ils sont près des deux tiers à n'avoir fourni citations des 4S ans et plus.
aucune réponse négative aux trois questions sur l'aide
aux élèves au cours de la semaine, les plus jeunes ne sont La revendication des jeunes
qu'à peine plus de la moitié. Le renouvellement géné- pour la fonction professorale
rationnel semble s'opérer au détriment du désir d'aide Ce tournant des jeunes professeurs-documentalistes
personnalisé aux élèves. C'est là sans doute une limite s'accompagne d'une affirmation plus soutenue de leur
car, comme nous le verrons, l'attention individualisée statut de professeur. Quand ils écrivent librement pour
aux élèves forme une condition de l'avenir du métier. définir leur métier, 42,7 % utilisent le terme de" profes-
seur» alors que c'est plus de moitié moins le cas de
Le recentrage des « jeunes» sur les projets du CD! leurs collègues les plus âgés (cf. tableau page suivante).
Si on déplace le point d'entrée de la comparaison selon
l'âge des professeurs-documentalistes les plus âgés Le terme" enseignant» est synonyme de celui de
vers les plus jeunes, DEI peut chercher à repérer les " professeur» et il convient de vérifier la fréquence de
caractéristiques émergentes du métier tel qu'il pour- son usage spontané selon l'âge des répondants. Et en
rait se décliner à l'avenir. effet. il s'avère que le premier terme se retrouve un peu
plus dans les prises de parole des" anciens ».Pourquoi
Une des caractéristiques majeures des nouvelles géné- cet attrait des plus jeunes pour" professeur" et celui
rations concerne la sélectivité de leurs pratiques. Là où des plus âgés pour" enseignant" ? On peut penser que
COI. PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

ct PROFESSEUR .. NOMBRE DE CITATIONS NOMBRE DE COMMENTAIRES POURCENTAGE


MOINS DE 35 ANS 129 302 42,7%
35 À44 ANS . 122 405 30,1 %
45 À 5_!.ANS 71 324 21,9%
55 ANS ET PLUS 39 190 20,5%
<c ENSEIGNANT ... NOMBRE DE CITATIONS NOMBRE DE COMMENTAIRES POURCENTAGE
MOINS DE 35 ANS 48 302 15,9 %
35 À44ANS 84 405 20,7%
45 À 54 ANS 72 324 22,2 %
55 ANS ET PLUS 45 190 23,7%
PART DES COMMENTAIRES SPONTANÉS COMPORTANT LE TERME « PROFESSEUR» ET " ENSEIGNANT" SELON L'ÂGE DES PROFESSEURS-
DOCUMENTALISTES.

l'affirmation revendiquée de la fonction pédagogique devraient travailler avec un assistant qui se chargerait
passe davantage par la notion de « professeur ". Encore_ de la gestion du fonds 1 " On voit aussi, au passage,
plus que l'enseignant, il semble dépositaire d'un savoir que la dimension professorale s'affirme à travers le
légitime et docte. L'enseignant est moins défini par ce recours à des notions savantes telles que celle de
savoir accumulé que par la fonction de son ensei- « cartes heuristiques ". Il s'agit de mettre en scène un
gnement. Le choix n'est donc pas du tout anodin et savoir dont le caractère savant justifie l'emploi de réels
révélateur d'une démarche consciente et engagée « professeurs" à même de les maîtriser et de les ensei-
dans cette demande de reconnaissance du statut de gner. De même, la requête d'un personnel « assistant"
professeur-documentaliste. s'apparente à une manière de revendiquer la préémi-
nence du statut, au risque d'une hiérarchisation en
Pour autant, si les 55 ans et plus se décrivent un peu lieu et place d'une collaboration au sein d'une équipe.
plus souvent comme « enseignant" que leurs collè-
gues de moins de 35 ans, ils sont globalement moins Des « jeunes» porteurs de la culture de l'information
nombreux à recourir à ce qualificatif ou à celui de . De façon cohérente avec cette volonté de recon-
« professeur» : 39,5 % contre 51 % chez les moins de naissance du statut de « professeur ", les « jeunes"
35 ans. Si les 35-44 ans occupent une position inter- revendiquent davantage que les « anciens" leur parti-
médiaire dans la revendication professorale (46 %), cipation à l'évaluation des élèves: 43 % sont tout à
les 45-54 ans rejoignent les plus âgés dans leur plus fait d'accord pour que la fonction d'évaluation des
grande réserve (38 %). compétences des élèves leur revienne contre moins
d'un tiers de leurs collègues de 45 ans et plus. Attribut
La revendication des professeurs-documentalistes constitutif du professeur, l'évaluation leur apparaît
pour une reconnaissance de leur statut de professeur comme une conséquence logique de leur statut. Ils
paraît particulièrement portée par les plus jeunes. Ils fondent leur légitimité d'évaluation sur la fonction
aspirent à une reconnaissance qui a peut-être manqué qu'ils s'attribuent un peu plus souvent que leurs aînés
à leurs aînés à travers l'affirmation de ce statut. Une dans la transmission d'une culture de l'information.
jeune collègue de l'académie d'un gros collège de (cf. tableau page suivante).
l'académie de Versailles témoigne de cette difficulté:
« Nous devons souvent nous justifier, nous montrer, Spontanément, les jeunes professionnels en viennent
et parfois nous battre pour être reconnus, surtout en nettement plus souvent que les plus âgés à parler de
tant que professeurs. " Cette revendication de la fonc- culture de l'information: ils sont un sur sept dans ce
tion professorale peut conduire certains à minorer la cas contre un sur vingt chez les 55 ans et plus. Dans une
dimension « documentaliste ».Ainsi cette profession- enquête d'une quinzaine d'années40, l'auteure repé-
nelle de moins de 35 ans dans un collège rural de l'aca- rait déjà une focalisation plus fréquente des 25-45 ans
démie de Rennes: « Je passe beaucoup plus de temps sur la « formation à la recherche documentaire ».

sur la partie pédagogique (créer des séquences pédago-


giques innovantes [en ce moment je travaille beaucoup
avec les cartes heuristiques] avec les professeurs et
40 Marie-Annick Le Gouellec-Decrop, « Profession et
animer ces séances) que sur la partie gestion du fonds professionnalisation des documentalistes des établissements
documentaire. Tous les professeurs-documentalistes . scolaires". Revuefrançaise de pédagogie, vol. 127. n° 1, 1999, p. 90.
MËTIER vÉcu

NOMBRE DE CITATIONS NOMBRE DE COMMENTAIRES POURCENTAGE

MOINS DE 35 ANS 36 + 6 302 13,9 %

35 À44ANS - 14 + 13 405 6.7 %


45 À 54 ANS 14 + 13 324 8,3%

55 ANS ET PLUS 7+3 190 5,3%

PART DES COMMENTAIRES SPONTANÉS COMPORTANT LE TERME « CULTURE DE L'INFORMATION" OU " INFORMATIONNELILEI " SELON
L'ÂGE DES PROFESSEURS-DOCUMENTALISTES

La revendication professorale émergente chez la fonction professorale sur les autres. C'est le cas de
les jeunes professeurs-documentalistes s'adosse cette jeune professionnelle d'un collège de l'académie
aujourd'hui à l'affirmation relativement récente des de Versailles: « L'essentiel de notre métier est l'aspect
notions autour de la culture informationnelle. Bien pédagogique et didactique. Les autres missions se
sûr, les jeunes ne sont pas les seuls porteurs de ce corrèlent à cette mission principale qui est de former
thème; et même si leurs aînés ont connu le métier les élèves (futurs citoyens) à la culture de l'informa-
avant que celui-ci ne devienne prééminent, ils peuvent tion. L'enseignement de l'information-documentation
construire une autre signification quant à l'exercice devrait être inscrit dans les programmes d'enseigne-
de leur métier. Il est possible que le discours d'une ment et ne pas se limiter au "bon vouloir" du profes-
partie de leurs prédécesseurs sur la faible reconnais- seur-documentaliste en place dans un établissement. "
sance dont ils ont pu bénéficier les ait encouragés La notion de programme, dans ce qu'il a de contrai-
dans cette voie qui leur semble celle de leur « salut ". gnant et d'officiel, est mobilisée pour asseoir la légiti-
C'est par exemple le cas de F. Daveau qui écrit: « Le mité de cette fonction pédagogique.
CDI ne se réduit pas à n'être qu'une bibliothèque, lieu
de ressources et de détente, comme cherchent à le Mais au-delà de leur domaine spécifique, une partie des
circonscrire certains. Refuser d'énoncer clairement des professeurs-documentalistes se retrouve dans l'ensei-
objets de formation ... c'est aller droit vers notre évic- gnement des disciplines académiques. C'est près d'un
tion du CAPES devenu alors proprement sans objet. .. tiers des moins de 35 ans qui se reconnaissent dans
La dérive est déjà amorcée depuis longtemps4l " la fonction de formation dans ces disciplines contre
L'affirmation de la fonction professorale que symbolise moins d'un quart des plus âgés. Leur investissement
l'attachement au CAPES, et qUI passe par un contenu dans le statut de professeur leur permet de franchir
spécifique, apparaît comme la condition évidente d'un les frontières disciplinaires. Ce que l'on vérifie quand
renouveau qui s'impose après de longues frustrations. on croise les réponses des professeurs-documenta-
C'est ainsi que certains se focalisent alors sur cette listes: ceux pour lesquels la fonction d'évaluation des
définition du métier. Quand les 55 ans et plus parlent compétences des élèves leur revient sont trois fois plus
de la culture de l'information, ils l'associent systé- nombreux à juger assez ou tout à fait de leur ressort
matiquement à d'autres fonctions (documentaires, de former les élèves dans les disciplines académiques
d'accueil personnalisé, de transmission du goût de la que ceux réticents à cette idée.
lecture, etc), ce qui n'est parfois pas le cas chez les
plus jeunes. Écoutons, par exemple, cette femme d'un Qn observe effectivement un renouvellement de la
gros lycée de l'académie de Versailles: « Faire acquérir pratique du métier par les nouvelles générations. Les
aux élèves une culture de l'information. Participer à la « anciens ", moins tournés vers la fonction professorale
formation du futur citoyen et lui donner les compé- et davantage vers les collections, prennent en compte
tences pour s'adapter dans (et à 1) la société. Leur la singularité des élèves dans un accueil plus person-
apprendre à avoir un espnt critique sur l'information nalisé et attentif à leurs préoccupations personnelles.
pour la traiter au mieux en fonction des besoins. " Son En revanche, leur attachement aux collections opère
discours sur le métier est centré sur la question du comme une limite puisqu'ils rechignent davantage à
rapport des élèves à l'information, comme si c'était leur offrir des documents pour leur divertissement. De
la seule dimension des élèves dont le CDI devait tenir leur côté, les « jeunes" professeurs-documentalistes
compte. Une forme atténuée consiste à faire prévaloir se montrent plus tolérants à l'égard de la sèlection des
collections. Il faut dire qu'ils s'y investissent moins car
ils ont davantage à cœur l'affirmation de leur fonction
41 François Daveau," lTemplin pour le renouveau ", InterCDI. professorale. Clairement, l'enquête constate un rééqui-
n° 239, septembre-octobre 2012, p. 5. librage parmi les jeunes de la fonction documentaire
COI, PERCEPTIONS ET RËALlTËS

vers la fonction enseignante. Pour autant, il serait professionnelle antérieure à leur statut de professeur-
erroné de trop mettre l'accent sur les différences. documentaliste. Quand on confronte l'âge et l'ancien-
« Anciens» ou « jeunes ", les professeurs-documen- neté, on constate que si 19 % des femmes sont entrées
talistes partagent de nombreux éléments communs. dans le métier après 30 ou 35 ans, c'est le cas de 34 %
La fonction de participation à la formation du citoyen, des hommes. Il est ainsi possible qu'ils soient un
celle de transmettre le goût de la lecture, la culture peu plus souvent que leurs collègues femmes issus
générale ou encore celle d'aider à l'orientation ne font d'autres disciplines. On en perçoit}a preuve à travers le
pas l'objet de variations selon l'âge. Le renouvellement fait que seul un quart refuse la fonction du professeur-
s'opère donc mais avec un socle qui reste commun. documentaliste de former aux disciplines académiques
alors que c'est le cas de près d'un tiers des femmes.
La mise en avant de la fonction professorale n'em-
pêche pas une pratique du métier variée y compris Dans ce contexte, on peut se demander si les profes-
chez les plus jeunes. Les discours même les plus véhé- seurs-documen talistes hommes adoptent des
ments sur l'identité des professeurs-documentalistes pratiques et une vision différentes du métier que leurs
n'empêchent pas une pratique réelle du métier plus collègues féminines.
ouverte ... Chez les « jeunes ", ceux qui répondent,
« tout à fait" à la fonction d'évaluation des compé- Des hommes moins centrés sur la culture
tences des élèves ne se distinguent pas fortement de l'information et la lecture
dans l'exercice effectif du métier de leurs collègues La comparaison des professeurs-documentalistes
du même âge et moins inclinés vers cette fonction. La selon leur genre conduit au constat d'une forme de
posture professorale ne doit pas être confondue avec distance des hommes par rapport à ce qui constitue
la pratique réelle du métier. Dès lors se pose la ques- une sorte de cœur de métier. C'est ainsi qu'ils plébis-
tion de la fonction remplie par ses discours profes- citent moins que les femmes la fonction de formation
sionnels repris particulièrement par les plus jeunes des élèves à la culture de l'information (83 % contre
professeurs-documentalistes. C'est probablement une 92 %). Ils se retrouvent moins dans cette notion pivot
modalité de construction de l'identité professionnelle du métier. Ils en tirent d'ailleurs les conséquences en
et de la lutte pour sa reconnaissance. manifestant davantage de réticences par rapport à la
fonction d'évaluation des compétences des élèves:
39 % y sont hostiles ou peu favorables contre 31 % des
LE MÉTIER AU MASCULIN ET FÉMININ PLURIEL femmes. De même, ils s'approprient moins souvent la
spécificité de la fonction d'aide aux travaux interdis-
Dans l'ensemble de la population des certifiés de l'Édu- ciplinaires (67 % contre 78 %).
cation nationale, on recensait 62 % de femmes en 2010.
Au sein de notre échantillon interrogé, la proportion est Plus imperméables que les femmes au cadre théorique
globalement de 88 % et de 89 % pour le sous-ensemble qui entoure l'exercice de la profession, les hommes
des certifiés. On constate donc une très forte fémini- sont également moins sensibles à la question de la
sation de cette profession, supérieure à celle obser- transmission de la lecture. n-ois quarts d'entre eux
vable chez les conservateurs de bibliothèques" (69 %) soutiennent énergiquement cette fonction quand
et bibliothécaires d'État (78 %). S'ils sont minoritaires, c'est plus de 90 % des femmes qui sont dans ce cas.
les professionnels masculins semblent l'être aussi par Ils sont d'ailleurs plus nombreux que les femmes à
leur mode d'accès au métier. La part qui n'est pas titu- ne pas mettre en place d'activités de promotion de
laire du CAPES de documentation est deux fois plus la lecture de type rallye ou défi (17 % contre 10 %).
importante que parmi leurs collègues féminines (26 % On ne peut s'empêcher de faire le lien avec la place
contre 13 %). Par ailleurs, sans qu'ils soient particuliè- moins grande qu'occupe la lecture dans les pratiques
rement plus jeunes, la proportion de nouveaux dans le personnelles des hommes par rapport aux femmes. Si
métier se révèle plus importante: 57 % ont moins de ces dernières trouvent dans leur fonction profession-
dix ans d'ancienneté contre 46 % des femmes. Ils sont nelle un prolongement de leurs pratiques personnelles,
sans doute plus nombreux à avoir eu une expérience c'est moins le cas des hommes qui se trouveraient
davantage dans la situation de devoir transmettre
une pratique 'sans y être personnellement attachés.
L'étude des commentaires spontanés confirme cette
42 Cf." Quels emplois dans les bibliothèques) État des lieux
impression: si 19 % des commentaires masculins
et perspectives ", rapport de l'Inspection générale des
bibliothèques. avril 2013, p. 17. recourent au terme « lecture ", c'est le cas de 29 %
MÉTIER VÉCU

des commentaires féminins. Et quand ils utilisent ce en partie par cette distorsion dans la composition
mot, c'est peu souvent celui qui est cité en premier des deux populations. À titre d'exemple, le manifeste
ou mis en avant. Cette idée apparaît plus souvent à la de la Fadben intitulé" Enseignement de l'informa-
fin comme s'il ne fallait pas l'oublier ... Par exemple, tion-documentation et ouverture à la culture infor-
cet homme dans un collège de l'académie de Lille qui mationnelle ", qui se présente comme un acte fort
termine de cette façon son commentaire sur la défi- d'affirmation de l'identité professionnelle des profes-
nition du métier: « Si possible, participer à l'ouver- seurs-documentalistes, n'utilise pas même une fois le
ture culturelle: lecture (faire venir des auteurs ... ), terme" lecture ». C'est particulièrement frappant alors
expos .. " Ou encore son collègue dans un lycée de que 90 % des professionnels (hommes et femmes) sont
l'académie de Rennes qui, après avoir énoncé les tout à fait d'accord pour reconnaître que leur fonction
fonctions pédagogiques et documentaires, achève est de transmettre le goût de la lecture et plus d'un
son commentaire ainsi: " À ces tâches s'ajoutent quart d'entre eux évoquent spontanément ce sujet
des fonctions de médiation et d'information cultu- pour définir leur métier. Alors que la promotion de la
relles, ainsi qu'une fonction de développement de la lecture fait partie à la fois des pratiques ordinaires et
lecture publique dans le cadre de l'enseignement. " des missions fondatrices que s'assignent les profes-
sionnels, un discours alternatif s'est construit, particu-
À l'inverse, chez les femmes, le terme" lecture" appa- lièrement porté par les hommes et au mépris de cette
raît plus vite dans les commentaires spontanés. Ainsi réalité pourtant effective.
cette femme d'un collège de l'académie de Versailles
qui entame son propos de la manière suivante: " Le Des hommes moins « intégrés»
métier de documentaliste en collège consiste, selon dans leur environnement
moi, à créer un lieu propice à la lecture et au travail. " Le professeur-documentaliste doit une de ces parti-
Sa collègue d'un collège de La Réunion abonde dans cularités à sa position pivot entre une multitude d'ac-
son sens: " Nous sommes l'interface entre le livre, teurs de la communauté éducative et au-delà. Force
l'élève et la lecture. " On voit ainsi que la connexion est de constater que les hommes sont un peu moins
entre le métier de professeur-documentaliste et la engagés dans ces relations que leurs collègues femmes.
lecture tient pour une part au fait qu'il est largement Ils sont ainsi un peu moins nombreux à avoir accueilli
féminisé. La réticence de la profession à basculer dans un cours d'une autre discipline dans le CDI au cours
le tout numérique prend sa source probablement de la semaine (86 % contre 89 %). Ils ont aussi moins
dans cette composition sociologique. En revanche, la souvent sollicité untel collègue pour un projet dont ils
place occupée par la lecture et sa promotion dans les étaient porteurs (59 % contre 66 %). Au masculin, le
discours professionnels apparaît relativement faible eu CDI apparaît moins au cœur de l'établissement qu'au
égard à la forte proportion de femmes parmi les profes- féminin. Ce constat se confirme d'ailleurs par la plus
seurs-documentalistes. On peut risquer l'hypothèse faible participation des hommes aux conseils d'ensei-
selon laquelle ce déséquilibre prend sa source dans gnement (55 % contre 62 %).
la sous-représentation des femmes dans les lieux de
production et de diffusion du discours professionnel. Cette tendance un peu plus prononcée des hommes
Ainsi les contributions relatives au métier publiées à une forme d'" isolationnisme" se retrouve aussi
dans InterCDI, (dans les rubriques" Notre fonction ", dans les relations extérieures. Ils ont moins souvent
"Tribune libre ",,, Pédagogie ,,) : du numéro 238 à 24413, échangé avec des partenaires extérieurs au cours de
40 % des articles ont un auteur masculin. De même, la semaine (63 % contre 70 %). Sans surprise non plus,
parmi les membres du bureau national de la Fadben, ils ont moins souvent que les femmes participé à la
les hommes représentent 37 % du total des noms Semaine de la presse et des médias (87 % contre 93 %).
présents dans l'organigramme 2013. Ces deux propor-
tions sont sensiblement plus élevées que celle de Des hommes plus à l'aise avec les groupes
12 % observée dans l'ensemble des professeurs-docu- Le cadre scolaire reconnaît prioritairement les élèves
mentalistes. Le décalage perceptible entre le métier en tant qu'individu. L'accumulation du savoir et la
tel qu'il est vécu et e_nvisagé par les professionnels capacité à raisonner sont principalement pensées et
et la manière dont il est mis en discours s'explique évaluées à partir de l'échelon individuel Pourtant,
les élèves ne se réduisent pas à cet échelon et il
suffit de passer quelques minutes dans un établisse-
43 Pour ce numéro spécial. nous n'avons compté que les textes ment pour constater l'omniprésence de groupes en
de la dernière partie consacrée au métier formation et reformation permanente. Par ailleurs.
Dm COI, PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

l'individualisation par le cadre scolaire n'est pas l'enquête, 53 % affirment avoir parlé d'une question ou
la seule modalité de construction et d'affirmation d'un problème personnels avec un élève, quand c'est
de l'individu. Les élèves comportent une dimension le cas de 42 % des hommes. Il est. bien sûr probable
personnelle que ne dissout pas l'institution. Parce que que cette attention à autrui des femmes professeurs-
le CD! est à la fois un espace relevant de la logique documentalistes prenne place dans le cadre d'une
d'individualisation scolaire et un cadre possible à la vie inégale distribution de cette fonction du « care " dans
des groupes et des personnes, il est particulièrement notre société. Plus que les homrpes, les femmes sont
travaillé par cette pluralité. L'enquête met en évidence " éduquées à l'attention à autrui44", ce qui agit sur leur
de légères différences dans la manière dont les manière d'être. La manière personnelle d'incarner ce
hommes et les femmes appréhendent cette question. rôle professionnel passe par la prise en compte de la
dimension personnelle des élèves. Elle s'exprime dans
Il faut commencer par constater une convergence des l'exercice pratique de sa profession.
professeurs-documentalistes hommes et femmes à
propos de l'individualisation scolaire. Avec la même On peut d'ailleurs attribuer à ce souci de la personne
fréquence, ils témoignent avoir aidé des élèves dans de l'élève le fait que les femmes soient moins
une recherche pour leurs études ou pour faire leurs nombreuses que les hommes à se montrer hostiles ou
devoirs. Ils sont également aussi nombreux à consi- timides à propos de la fonction du CDI d'accueillir les
dérer comme tout à fait dans les missions du CDI que élèves en difficulté scolaire (25 % contre 31 %). Au nom
d'accueillir les élèves en difficulté scolaire. Mais cette de l'attachement plus fréquent des femmes à la valeur
égalité de pratique n'empêche pas les femmes de s'ac- de la personne de l'élève, elles peuvent plus facilement
corder un peu plus souvent que les hommes sur l'idée surmonter la contradiction entre l'accueil des élèves en
que le CDI s'adresse à des élèves, c'est-à-dire qu'ils ont difficulté scolaire et la revendication que le CDI ne soit
vocation à apprendre (82 % de" tout à fait» contre 74 %). pas assimilé à une permanence. D'ailleurs, parmi les
professeurs-documentalistes qui sont tout à fait d'ac-
Les hommes ont une posture un peu paradoxale. Ils cord avec l'idée que le CDI s'adresse à des personnes
sont moins nombreux à juger que le CDI s'adresse à - et non pas uniquement à des élèves -, la proportion
des membres de groupe's de pairs (21 % de " tout à de ceux qui allient tout à fait la fonction d'évaluation
fait" contre 33 % pour les femmes) et pourtant ils sont des compétences et l'idée que le CDI doit accueillir les
plus fréquemment assez ou tout à fait d'accord avec élèves en difficulté scolaire est nettement plus impor-
l'idée que le CDI se doit d'accueillir les groupes pour tante que parmi le sous-ensemble des professionnels
passer un moment ensemble (35 % contre 25 %). Sans pas, peu ou assez enclins à mettre en avant la dimen-
qu'ils en fassent un objectif, ils tolèrent plus aisément sion personnelle des élèves (22 % contre 11 %). C'est
la fréquentation du CDI en groupe. l'adhésion à cette valeur qui permet de surmonter
des contradictions entre une vision du métier et la
En revanche,les femmes font preuve d'une plus grande manière effective dont il se présente. On en perçoit
ouverture par rapport à la prise en compte person- un autre signe dans le fait que les promoteurs de la
nelle des élèves: deux tiers sont tout à fait d'accord vision personnelle des élèves combinent plus souvent
avec l'idée que le CD! s'adresse à des personnes qui le soutien fort à l'idée de la fonction du professeur-
ont leurs propres centres d'intérêts contre 59 % des documentaliste comme formateur à la culture de l'in-
hommes. Elles enferment moins les élèves dans leur formation et celle d'accueillir les élèves mal intégrés
rôle scolaire en ouvrant la focale de leur perception. dans l'établissement que leurs homologues distants
Cette ouverture se traduit dans différents domaines et par rapport à cette vision des élèves (30 % contre 15 %).
différentes pratiques du métier.
La dimension protéiforme du CDI et les attentes
Ainsi, les hommes sont plus nombreux à se montrer multiples qu'il suscite placent les professionnels
hostiles à l'idée que le CDI (comme espace) servirait dans des positions potentiellement antinomiques. Une
à accueillir les élèves mal intégrés (19 % contre 11 %). manière de surmonter ces contradictions consiste à
Les femmes sont plus nombreuses à conserver une faire émerger une valeur première et c'est le cas de celle
ouverture sur cette fonction, que le CDI est particuliè- de la primauté de la perception personnelle des élèves.
rement à même de remplir du fait de la suspension des
normes coercitives telles qu'elles peuvent s'exprimer
dans la cour à travers des paroles et des regards des 44 Cf. Christian Baudelot et Roger Establet, Quoi de neuf chez les·
groupes de camarades. D'ailleurs, dans la semaine de filles '. Paris, L'Harmattan, 2008, p. 97.
LlII

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M E T l E ~

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T l V E S
MÉTIER EN PERSPECTIVES mil

Divers, variable, le métier de professeur-documenta- nouveau discours pourrait être à même de fonder un
liste pose problème à une partie de ceux qui l'exercent nouveau regard et donc une nouvelle identité. Force
en ce qu'ils peinent à en cerner le centre et à en est de constater que les tentatives professionnelles et
obtenir une reconnaissance sociale. Bien sûr, des syndicales pour imposer le statut d'enseignant n'ont
revendications se font jour et des discours cherchent pas permis d'aboutir à la réécriture de la lettre de
à imposer une représentation du métier tant à l'inté- mission de 1986, à la création d'un corps d'inspection
rieur qu'à l'extérieur de la profession. Comme nous spécifique ou d'une agrégation, pas plus qu'elles n'ont
l'avons vu, celle-ci n'est pas largement partagée évité les diminutions de postes. La constitution et
parmi les professeurs-documentalistes qui, par l'affirmation (parfois véhémente) de ce discours n'ont
exemple, refusent le plus souvent un enfermement pas suffi, peut-être du fait d'une mauvaise volonté de
dans la fonction de professeur. Il existe un décalage la tutelle, mais peut-être aussi du fait de son inadé-
entre les discours professionnels sur le métier et quation par rapport au contexte dans lequel les
l'expérience réelle qu'en fait une part importante des professeurs-documentalistes exercent leur activité.
professeurs-documentalistes. Après tout, s'il n'est pas C'est la raison pour laquelle il semble indispensable
question de négliger la voix des signataires du mani- de faire précéder des propositions de pistes d'évolu-
feste de la Fadben de 2012 et la réalité de la souffrance tion pour les CD! et leur personnel d'une analyse de
qu'elle exprime parfois, ce document, qui a été large- ce contexte. Nous pouvons faire l'hypothèse qu'un
ment porté par les représentants de la profession, a discours est d'autant plus susceptible de susciter
recueilli 2 481 signatures (au 9 octobre 2013) dont une l'adhésion qu'il repose sur une vision fondée sur la
partie provient de l'extérieur (enseignants d'autres réalité effective.
disciplines, professionnels du livre, etc.) ou de
retraités. C'est dire qu'il rassemble sans doute moins
d'un professeur-documentaliste sur six en exercice. LES CONDITIONS DU MÉTIER
C'est loin d'être négligeable mais cela révèle qu'il
n'existe pas d'unanimité à l'intérieur de la profession L'affirmation d'un métier par référence à un discours
autour de la manière de se représenter. Le silence, la tenu par les professionnels eux-mêmes ou par
réserve de ce qui constitue sans doute une majorité l'affichage d'un texte ministériel ne saurait suffire.
des professeurs-documentalistes doivent être pris au Au contraire, être professeur-documentaliste revient
sérieux. Ils ne trouvent pas dans ce discours une à s'inscrire dans un contexte très large qui se compose
représentation en phase avec leur expérience du g'une multitude de dimensions qui en viennent à
métier. Dès lors se pose la question d'une autre former les conditions dans lesquelles il est possible
manière dont la profession se donnerait à voir et plus d'exercer ce métier. Explorons les principales.
largement celle de l'évolution du métier et de son
affirmation. Les élèves, acteurs oubliés
La lecture des textes rédigés sur le métier par les
L'enjeu de cette réflexion autour de l'évolution du professeurs-documentalistes eux-mêmes ou par ceux
métier réside non seulement dans la capacité à qui les étudient frappe par l'absence massive des élèves
fournir un cadre aux professeurs-documentalistes en comme acteurs des CD!. Il est, par contre, question des
phase avec la réalité d~ leur situation d'exercice mais professeurs de discipline, des chefs d'établissement,
aussi de modifier la manière dont la profession est de l'inspection, de l'" institution» comme il est parfois
perçue. Tant au sein de l'Éducation nationale, au écrit pour regrouper tous les rouages du ministère qui
niveau local (chefs d'établissement, collègues de encadrent l'existence de ce corps professionnel.
discipline) et national (inspection Établissement et
Vie scolaire et autres inspections) qu'à l'extérieur, un
COI. PERCEPTIONS ET RËALlTËS

Un signe particulièrement parlant de cette absence des" objectifs de la culture informationnelle pour
réside dans le fait que les élèves ne font que très rare- l'élève », il " demande que la circulaire de mission de
ment l'objet d'enquêtes de fréquentation ou d'usages 1986 soit actualisée pour préciser la priorité donnée à
des CD! et que celles-ci sont encore moins souvent l'acculturation informationnelle des'élèves ». Il conclut

publiées. A titre de confirmation, on ne repère aucune en appelant à des décisions afin de " permettre aux
publication d'enquête sur le thème du rapport des professeurs-documentalistes d'exercer convena-
élèves au CD! dans InterCDI entre 2005 et 2013. Comme blement leur mission et aux él.èves de s'approprier
le rappelle H. Fondin, cette démarche de connaissance cette culture ». Les élèves sont °convoqués dans les
des usagers devrait être au cœur du CDI s'il adoptait discours professionnels parce qu'ils sont nécessaires
une" approche "orientée-usager"4S ». Le fait que ce ne à l'affirmation de la mission pédagogique des profes-
soit pas le cas confirme bien la distance des CD! par seurs-documentalistes qui prend désormais la forme
rapport à cette prise en compte des élèves, mais on dominante de la transmission d'une culture de l'in-
pourrait en dire autant des professeurs qui ne font pas formation. En cela, ils remplissent la même fonction
davantage l'objet de travaux. Les discours profession- que pour les professeurs de mathématiques (ou d'une
nels donnent ainsi le sentiment que les professeurs autre matière) qui auraient besoin des élèves pour
et les élèves sont, au mieux, les destinataires ou les pouvoir appliquer le programme de leur discipline.
moyens d'une politique mais, en aucun cas, le cœur.
Mais, à la différence des enseignements disciplinaires,
Un autre signe de cette absence réside dans le fait que la l'information-documentation n'a pas achevé son
connaissance des élèves apparaît peu dans les discours institutionnalisation. Elle est certes reconnue dans le
sur la formation des professeurs-documentalistes. Ainsi cadre universitaire, mais en tar:t que branche margi-
par exemple, quand M. Frisch46, pose la question « quels nale (par le nombre de ses représentants) des sciences
sont les savoirs et les compétences indispensables à de l'information et de la communication et elle n'a
la profession d'enseignant-documentaliste en évolu- pas obtenu une agrégation et une inspection qui lui
tion ;> », elle y répond en insistant sur la maîtrise des soient spécifiques. L'alliance entre ce monde univer-
notions de" document », d'" information », d'" appren- sitaire et le monde des professeurs-documentalistes
tissage », de " formation ». A l'inverse, elle n'accorde vise à bénéficier à chacun des deux. Mais pour cela, il
aucune place pour la connaissance des jeunes et de ce apparaît comme indispensable de montrer la nécessité
qui les constitue, alors même que cela paraît indispen- de ce nouvel enseignement auprès des élèves. Ceux-ci
sable pour mettre en œuvre tout projet pédagogique. sont alors montrés en creux. Leurs pratiques indigènes
n'ont pour but que de souligner l'impérieuse néces-
Le fait que les élèves ne soient pas étudiés ne signifie sité de leur formation. On a ainsi vu se développer des
pas qu'ils soient ignorés. Dans son livre qui fait réfé- textes montrant la faiblesse des compétences informa-
rence, F. Chapron47 leur consacre quelques pages tionnelles des élèves. 0. Le Deuff présente son livre sur
mais le sujet n'est pas repris dans l'article4S, fruit la formation aux cultures numériques par cette ques-
d'un entretien avec V. Delarue, paru peu après la tion claire: «Peut-on vraiment prétendre qu'il suffit de
sortie de l'ouvrage. Souvent, les élèves sont évoqués faire partie de la génération Y, d'être né à l'époque des
comme objet d'une politique à défaut d'être pris en jeux vidéo et de l'Internet pour posséder une maîtrise
compte pour eux-mêmes. Ils sont les destinataires innée de la gestion de l'information et des outils du
d'actions pédagogiques sur des domaines variés numérique49 ;> » Dans un texte antérieur, il répondait à
comme la recherche documentaire ou la culture de la question en affirmant qu'« il y a une confusion entre
l'information. Le manifeste de la Fadben parle ainsi attrait des plus jeunes pour les nouveaux outils et leur
réelle maîtriseso ». Cette position tranchée est parfois
nuancée en arguant du fait que les enquêtes cherchant
à mesurer l'expertise des jeunes tendent à rendre
45 Hubert Fondin, " La conception et le fonctionnement du CD! :
" compte de ce que les novices ne font pas en référence
principes et rôles ", InterCOI, n° 199, janvier-février, 2006,
p.6-11 à l'activité experte et, en conséquence, fournissent une
46 Murielle Frisch (dir.), Nouvelles figures de l'information
documentation, Nancy, CRDP de l'académie de Nancy-Metz,
2008,p.89 49 Olivier Le Deuff, La Formation aux cultures numériques, Limoges,
47 Françoise Chapron, Les CD! des lycées et collèges, Paris, Puf. 2012. FYP Éditions, 2011.

48 Véronique Delarue, " Professeur documentaliste ... professeur 50 Olivier Le Deuff, " La skholé face aux négligences: former les
à part entière ". entretien avec Françoise Chapron, InterCOI, jeunes générations à l'attention ", Communication & langages,
n° 238. juillet-août 2012, p. 81-87. voL 163,2010, p. 47. .
MÉTIER EN PERSPECTIVES

descriptiun très limitée de ce qu'ils fontS1 ».Au-delà de Et devant cet enjeu, les formations proposées ne sont
leur statut de description, ces discours visent à opposer pas toujours jugées suffisantes. A. Serres" considère
les informations et pratiques informationnelles des ainsi que la formation (il préférerait le terme de
élèves à celles des experts que seraient et incarne- " sensibilisation »)documentaire « reste très éloignée,
raient les professeurs-documentalistes. Ils remplissent ou du moins très en deçà, de ce que nécessiterait
ainsi une fonction de distinction ancienne dans notre une véritable "culture de l'information" ». C'est donc
société entre sacré et profane, entre savant et ignorant. au nom de la nécessaire formation des élèves qu'il
Cela renvoie à ce que F. DubetS2 écrivait à la fin du siècle faut construire un curriculum dont les professeurs-
dernier à propos des bibliothécaires: « Et toute notre documentalistes auraient la responsabilité (éventuel-
rhétorique professionnelle vise évidemment à opposer lement partagée). Ainsi, de la même façon que la
la littérature à la sous-littérature de masse, le bon goût menace de l'illettrisme justifie la mobilisation pour la
au mauvais goût, le sérieux au ludique, etc., dans la lecture et l'enseignement du français, " l'illettrisme
continuité de l'effort scolaire du début du siècle. » Et il informationnel », ou « illectronismes6 ,., exige cet
poursuit en affirmant que le lecteur ou téléspectateur, effort de formation. Les professeurs-documentalistes
« supposé idiot, est exactement comme vous et moi, seraient ainsi les observateurs de l'incompétence
il regarde ce qui l'amuse et il sait que ce qui l'amuse informationnelle des élèves et F Chapron les invite
est débile ». Il faudrait ici de larges développements à " privilégier en ce moment la prise de conscience
sur les compétences indigènes des élèves qui ne sont par les responsables politiques et institutionnels des
pas toujours aussi éloignées des pratiques réelles des besoins des élèves57 ».À l'instar de ce qui a été fait pour
chercheurs et professionnels de l'information. l'illettrisme à partir des années quatre-vingt, il s'agit
de construire comme un problème socialss le risque
Il n'en demeure pas moins que la justification de la d'incompétence informationnelle des élèves.
mission d'enseignement des professeurs-documenta-
listes est appuyée sur le diagnostic (étayé ou non) de Élève réel ou idéal?
lacunes dans les pratiques et compétences des élèves. Les élèves sont les oubliés des discours des profession-
Le SNES, par exemple, insiste sur l'" enjeuS3 » que nels. En réalité, ils sont négligés dans leur existence
représente la « culture informationnelle pour l'école propre mais invoqués dans le cadre d'un programme
du XXI' siècle ». Il explique: " La nécessité de donner de refonte de la fonction des professeurs-documenta-
aux élèves une culture informationnelle devient, listes vers la fonction pédagogique, voire vers une réno-
chaque jour, de plus en plus pressante. On a tendance vation du système éducatif. Ainsi, F. Chaprons9 termine
à croire trop rapidement que parce qu'ils sont nés avec son entrevue avec V Delarue par une vision prospective
Internet, les élèves "digitales natives" maîtrisent parfai- dans laquelle elle montre que la mutation des missions
tement cet outil. » D. Fondanèche prolonge ce discours vers la formation des élèves est une nécessité au nom
en faisant référence à " une étude améncaine ,. selon de la transmission d'un « patrimoine culturel» et de la
laquelle l'usage d'Internet se traduit. entre autres, par " formation des citoyens ». Elle ajoute que c'est aussi
" une certaine paresse intellectuelle ».Et son jugement le moyen de rénover la pédagogie des enseignements
tombe: « Ce n'est pas en mettant un âne devant un disciplinaires qui montrent leurs limites et que c'est la
écran qu'on en fait un cheval de course" »Si on ne condition pour optimiser les dépenses des collectivités
peut que s'accorder sur les limites des vertus péda-
gogiques des out!ls, on voit bien que la perception de
l'élève comme« âne,. plonge ses racines profondément
55 Alexandre Serres. " Du curriculum documentaire à
dans la vision d'une école qui coiffait ses mauvais
l'enseignement de l'information' ", in Information et
élèves d'un bonnet d'âne .. democratie . formons nos citoyens, 6' Congrès des enseignants-
documentahstes de l'ÉducatlOn nationale, Nlce,
8·10 avril 2005. Pans, Nathan, 2006
56 Au printemps 2013. cette notion a connu un grand succès
51 Nicole Boubée et André Tricot. L'Activite informationnelle juvéntle. médiatique quand le délégué aux usages de l'Internet pour
Pans. Lavoisler/Hermès SClence publicatlons. 2011, p. 62. le ministère de la Recherche et de l'Économie numérique a
52 François Dubet, « Princip!=s démocratiques et expérience annoncé qu'environ 15 % de la population étalent concernés.
sociale ", Bulletin d'Informotlon de l'Association des bibliothecaires 57 Véronique Delarue," Professeur documentaliste ... professeur
français, n° 176. 3' trimestre 1997. p 33 à pan entière ", entretlen avec Françoise Chapron, art. cit , p. 87.
53 "DocumentatlOn ". L'unIVersite syndicaliste, supplément au 58 C'est l'analyse Issue de l'enquête de Bernard Lahlre,
n° 721, juin 2012. p. 4. L'Invention de l'illettrisme. Paris. La Découverte, 1999.
54 Daniel Fondanèche, « La documentation en milieu scolaire 59 Véronique Delarue." Professeur documentaliste ... professeur
un accident' ", InterCDI, n° 238, juillet-août 2012, p. 9. à part entière ", entretien avec Françoise Chapron. art. Clt ,p 87.
COI, PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

locales (régions, départements). Cette vision large et d'intervention pédagogique à leur endroit mais de les
ambitieuse fait une place aux élèves mais moins en prendre en compte pour ce qu'ils sont et non pour ce
tant que réalité effective qu'en tant qu'objectif idéal qu'ils devraient être. Qu'est-ce que le professeur-docu-
à atteindre. Elle s'adresse plus à des élèves à venir mentaliste et le CD! peuvent apporter aux élèves étant
qu'aux élèves dans le « ici et maintenant ". Et c'est donné la situation dans laquelle ils se trouvent respec-
au nom de cette vision idéale que les élèves réels tivement ;> Dans les points suivants, nous viserons à
apparaissent souvent comme un « stock» qui entrave présenter des caractéristiques inhérentes aux élèves
l'activité des professionnels: « Le CDI devient facile- d'aujourd'hui et qui agissent sur la manière dont les
ment un déversoir d'élèves inoccupés. » Les critiques professionnels peuvent s'adresser à eux. Comprendre
du projet des centres de connaissance et de culture se ce qui forme la réalité des élèves apparaît comme
concentrent sur cette idée qu'ils seraient le lieu d'« un une condition élémentaire pour définir les missions
gardiennage modernisé ».De même, l'auteure insiste: des professeurs-documentalistes et ainsi leur identité
« Les CDI n'ont pas vocation à être des cyberespaces professionnelle. Nous pensons en effet que le défaut
conviviaux destinés à accueillir "des conducteurs sans de reconnaissance dont font l'expérience nombre de
permis sur Internet", de simples consommateurs. » professionnels tient pour une part à l'écart existant
On voit bien que le recours à la notion de consom- entre la vision idéale des élèves et la réalité effective
mation vise à mobiliser un autre registre d'action que' de ceux-ci. À voir tout ce qu'il faudrait leur enseigner
celui du commerce. Les élèves n'ont pas à être des et les moyens dont il faudrait disposer pour ce faire,
consommateurs mais des citoyens respectueux du les professeurs-documentalistes ne voient pas assez
savoir et du service public. Les murs de l'institution ce qu'ils remplissent dès à présent comme missions
scolaire doivent les préserver de ces activités impures. effectives et les services qu'ils Tendent à l'institution
Hélas, cette posture, qui a sa cohérence et ses vertus, et aux élèves. Et cette forme de cécité auto-générée
ne correspond plus au monde contemporain. Les murs crée les conditions de l'absence de reconnaissance par
0! compris les anciens des établissements prestigieux) les autres acteurs du système éducatif. Plus grave, on
ne sont pas exempts d'instrumentalisation du savoir et pourrait presque considérer que l'affirmation idéale
de stratégies devant l'univers cOI).currentiel des titres de la fonction de formation à la culture de l'informa-
scolaires. tion au détriment des actions réellement conduites
alimente la souffrance qu'elle est supposée soulager,
Ce point de vue assez répandu conduit à des discours en empêchant de créer les conditions d'une identité
qui sont difficiles à comprendre du point de vue des professionnelle reconnue par ceux qui sont à même de
élèves réels. Ainsi, quand F. Daveau60 considère que le faire: collègues des autres disciplines, chefs d'éta-
pour le chef d'établissement le CDI devrait « être blissement, inspecteurs et bien sûr élèves.
toujours ouvert et rempli », il néglige le point de vue
des élèves qui, sans qu'il soit nécessaire de faire une
enquête, préfèrent cela a un CDI « toujours fermé et LES CONDITIONS DE L'ÉDUCATION61
vide »... Et l'affirmation identitaire «< Passer un CAPES
difficile pour se retrouver super-surveillant(e) ... non 1 ») Ne pas prendre en compte la réalité des élèves revient
ne suffira pas à convaincre les élèves du bien-fondé de à faire l'hypothèse selon laquelle l'enseignement relè-
se voir refoulés du CD!. .. Ne serait-il pas dommage que verait d'une activité scientifique qui échapperait aux
les élèves aient à pâtir d'un CDI réel au nom d'un CDI caprices de l'évolution historique. Avant d'être membre
idéal introuvable? d'une époque et d'une génération, les élèves seraient
de jeunes cerveaux auxquels il s'agirait d'appliquer
Repartir des fonctions réelles et effectives nous appa- une pédagogie fixée une fois pour toutes. C'est évidem-
raît comme la condition pour reconstruire une identité ment une vision intenable tant les changements sont
professionnelle fondée sur les faits et ainsi peut-être indéniables au fil de la succession des générations.
une forme de fierté au travail. Pour cela, il convient Il faut donc se poser la question de la spécificité des
de tenir compte de l'existence des élèves dans leur jeunes d'aujourd'hui pour envisager la manière dont
réalité. Il ne s'agit pas de les enfermer dans leur il est possible de les éduquer.
éventuelle médiocrité en renonçant à toute forme

61 Nous reprenons ici le titre de l'ouvrage de Marie-Claude Blais,


60 François Daveau, « Tremplin pour le renouveau ", InterCDI. Marcel Gauchet et Dominique Ottavi, Conditions de l'éducation,
n° 239, septembre-octobre 2012. p. 4-6. Paris, Stock. 2008.
MËTIER EN PERSPECTIVES BB
L'accès aux élèves résoudre une équation à deux inconnus, les profes-
L'ouverture de l'enseignement secondaire à tous les seurs-documentalistes sont confrontés à des jeunes
membres de chaque classe d'âge à partir des années qui ont des pratiques informationnelles avant même
soixante a engendré des modifications profondes de (le plus souvent) d'avoir eu un contact avec eux. Ils ont
l'enseignement et du rapport pédagogique. Les profes- déjà procédé à de la recherche d'informations dans
seurs sont de moins en moins dans un rapport de un cadre scolaire ou personnel notamment par les
connivence avec leurs élèves. La forte hétérogénéité moteurs de recherche sur Internet. La compétence du
du recrutement social de ces derniers conduit les professionnel se révèle en partie à partir des limites des
enseignants à souvent faire l'expérience de l'étran- compétences des élèves. La difficulté réside dans le fait
geté dans leurs relations aux élèves, avec lesquels ils que les élèves ne perçoivent pas toujours (ou souvent)
ne partagent pas nombre de codes et de références62 les limites de leurs propres recherches. Ils n'identi-
L'écart entre les profils sociologiques des enseignants fient pas systématiquement la nature de leurs sources
et de leurs élèves contribue à rendre le dialogue diffi- et omettent de porter dessus un regard critique. Ils
cile. L'ancienneté de cette situation n'a pas fait dispa- délaissent des ressources (numériques ou papier) qui
raître cet écart. Le mode de recrutement des ensei- seraient pourtant de bien meilleure qualité. Ils n'ex-
gnants et leur formation ont évolué mais sans que cela ploitent pas (ou pas de la meilleure des manières) les
n'annule les différences Les nouvelles générations informations qu'ils ont recueillies. C'est ainsi la lutte
sont sans doute un peu plus conscientes de l'écart et contre le fameux" copier-coller» auquel se livrent trop
peuvent mieux s'y préparer mais la faiblesse persis- souvent les élèves et qui conduit les professionnels à
tante de leur formation pédagogique et le rôle forte- s'exaspérer. Par exemple: " Il est possible d'imprimer
ment structurant du savoir disciplinaire alimentent des documents issus des recherches sur le Net, après
une situation que nombre de jeunes professeurs vérification par la documentaliste de la fiabilité du site
peuvent vivre sur le mode de la déception profession- et de la provenance de l'information (pas de copier/
nelle. Plus spécifiquement, le CAPESde documentation coller sans citer ses sources Il)63 »
intègre des éléments de pédagogie mais, à la différence
des autres disciplines, il ne donne pas directement Les élèves ont souvent l'impression de pouvoir se
accès aux élèves pour leur délivrer des connaissances " débrouiller» dans leur quête d'informations et
en information-documentation alors que sa prépara- cela place les professeurs-documentalistes dans une
tion suppose l'acquisition d'un savoir qui, s'il se reven- situation équivoque puisqu'ils doivent procéder à une
dique interdisciplinaire, se structure fortement comme cntique du produit de 'leur recherche sans avoir été à
une discipline académique au moins dans le champ l'origine de la demande. Les élèves reçoivent en effet
universitaire. Les professeurs-documentalistes doivent des travaux impliquant une recherche d'informations
parvenir à capter les élèves pour leur transmettre ce de la part des enseignants de discipline.
savoir, ce qui constitue une source de frustration chez
certains. Ils se pensent éomme enseignants mais ne L'intervention des professeurs-documentalistes prend
peuvent actualiser cette fonction qu'à la condition ainsi la forme de ce qui pourrait apparaître comme une
d'avoir des élèves en face d'eux. À défaut, ils regrettent intrusion dans une relation pédagogique déjà formée.
de ne pouvoir aisément exploiter leurs compétences C'est ce qui fait du partenariat entre les professeurs-
pédagogiques et aussi affirmer leur savoir disciplinaire dgcumentalistes et leurs collègues de discipline une
sur la culture de l'information. Non seulement il faut nécessité.
composer avec les élèves tels qu'ils sont mais en plus
faut-il déjà pouvoir y accéder 1 Pour l'heure, excepté en sixième ou cinquième, les
professeurs-documentalistes ne reçoivent tous les
Par ailleurs, les professeurs-documentalistes se élèves d'une classe que si un collègue de discipline en a
distinguent de leurs collègues par le fait que leur jugé l'utilité D'ailleurs, c'est à juste titre que l'épreuve
enseignement ne vient pas recouvrir un terrain de" séquence pédagogique» du CAPES de documenta-
vierge de toute représentation ou compétence. À la tion est très majoritairement énoncée sous la forme:
différence des profess,eurs de mathématiques qui " Le professeur de la discipline x vous sollicite dans le
ne voient pas leurs élèves imposer leur manière de

63 Page du sIte web du COI du collège F Rabelais de POltiers .


62 Cf. par exemple FrançOls Dubet, FaIts d'ecole, Paris, Éd. de http://etab.ac-poitiers fr/coll-rabelais-poitiers. rubrique
l'EHESS, 2008. " leCDI ..
BI COI, PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

cadre d'un projet sur le sujet y.» C'est dans ce contexte et la mobilisation de compétences documentaires.
qu'ils peuvent apporter leurs compétences spécifiques D. Elkaim6s s'interroge sur le contenu même de ce
et administrer la preuve de leur utilité. Ils sont à même type de formation: " À quoi sert-il d'obliger les élèves
de montrer la nécessité d'une sélection judicieuse des à se servir d'un dictionnaire ou d'un livre, alors que
sources d'information et, par exemple, d'une interro- spontanément n'importe quel collègue (et moi aussi)
gation raisonnée des moteurs de recherche. Leur inter- cherche ses réponses sur Internet 7 " Plus loin elle
vention se nourrit d'une recherche réelle et non d'un poursuit: " Mon rôle d'enseignant a-t-il encore un
exercice détaché de tout contexte. sens et une raison d'être, si n'importe quel quidam,
maîtrisant l'Internet et l'informatique, est à même de
Bien sûr, la compréhension de ce qu'est l'information me remplacer 7 "Son doute, peut-être excessif, traduit
et la manière de la rechercher font partie des notions bien le manque d'assurance qui traverse une partie de
que les élèves doivent acquérir afin d'en disposer dans la profession.
leurs bagages pour leur vie personnelle, profession-
nelle et citoyenne à venir. Mais si un accord peut se Et ce doute n'est pas réservé aux seuls élèves, il se
faire sur cet objectif. il reste à voir quelles sont les retrouve aussi à propos des collègues professeurs.
modalités les mieux à même d'y parvenir. Ainsi, S. Grasland-Deslot : " C'est bien joli d'apprendre
à manier Dewey, e-sidoc et Pearltrees. Si nos utilisa-
Est-ce qu'un" curriculum info-documentaire ", allant teurs ne se les approprient pas, il faut l'accepter66 "
de la sixième à la terminale et après, représente la
voie à privilégier comme le réclame le manifeste de Ces interrogations émanant de professeurs-docu-
la Fadben de 2012 7 Il nous est permis d'en douter mentalistes de terrain tranche!1t avec le point de vue
car le propre de l'information est d'être inscrite souvent affirmatif des représentants de la profession.
dans un contexte. Il faut apprendre à la penser, la Elles n'en sont pour autant pas exceptionnelles et
trier, la rechercher mais dans le cadre d'un contexte prennent leur source dans le contexte historique actuel
aussi singulier que les personnes qui sont impli- de la diffusion massive d'Internet et de la manière dont
quées. Inévitablement, le recours à un cours ou les jeunes vivent leur rapport à l'École.
à des exercices relèvera de situations artificielles,
c'est-à-dire détachées d'un contexte réel. Or, il paraît tlèves ou jeunes en voie d'autonomisation ?
évident que l'implication effective des élèves dans la La structuration de l'enseignement secondaire
démarche informationnelle semble la seule à même remonte au temps révolu du XIX· siècle. Elle repose sur
de produire une réelle appropriation des concepts et la place centrale des disciplines traditionnelles. L'élève
d'une posture de recherche d'informations. D'ailleurs, est défini implicitement comme étant un être de raison
certains professeurs-documentalistes ne cachent à qui il s'agit de fournir les lumières de la science
pas leur scepticisme par rapport à ce que les élèves (notamment mathématique) ou celle des humanités.
retiennent des formations qu'ils leur dispensent avec Le" bon élève» est celui qui reçoit, accepte et s'appro-
conviction. M. Gravey64 témoigne ainsi de son expé- prie ce contenu disciplinaire, alors que le " mauvais"
rience : " Travaillant dans un collège, l'établissement est celui qui résiste à cette transmission et ne parvient
m'a attribué des "heures sixièmes" dans un emploi pas à faire sien ce savoir. Ce " cancre" ne remet pas
du temps. Mon premier réflexe a été de construire en cause l'ordre disciplinaire du monde, il ne lui est
des séances sur les types de documents, les modes juste pas adapté.
de classification, l'utilisation des outils de recherche.
Ces séances, bien que nécessaires, m'ont parues être Bien que lointain, ce monde reste opérant, du fait des
sans grand intérêt pour les élèves: elles étaient trop institutions qu'il nous a léguées et qui demeurent.
décrochées et donc non porteuses de sens au niveau L'ancienneté des disciplines et leur poids symbo-
de leur apprentissage. »Il raconte ensuite comment il a lique déterminent en partie l'intérêt qu'elles peuvent
renoncé à cette formule pour saisir l'opportunité d'un susciter chez les élèves. Le fait que le CAPES de docu-
voyage scolaire à l'étranger et faire réaliser aux élèves mentation soit parmi les derniers à avoir vu le jour,
un carnet de voyage qui a nécessité l'apprentissage

65 Dahlia Elkaim, " Questions de positionnements' ", art. cit.,


p.25-26.
66 Sylvie Grasland-Deslot." D'où venons-no~s ? Que sommes-
64 Michel Gravey, " Témoignage d'un reconverti ", InterCDI, nous? Où allons-nous' ", InterCOI, n° 238, juillet-août 2012,
n° 238, juillet·août 2012, p. 57. p.49.
MÉTIER EN PERSPECTIVES

qu'il ne soit pas soutenu par une agrégation et une les responsabilités de la vie adulte. Cette évolution
inspection générale qui lui soient propres explique a connu une pénode d'accélération dans les années
que les professeurs-documentalistes ne donnent pas soixante avec une revendication affichée d'autonomie
de notes ni ne prennent part aux conseils de classe. qui s'est combinée avec une vision de la jeunesse
L'impossibilité d'insérer le B2i lycée dans la valida- comme moment de formation de la personne qui
tion du baccalauréat, sa rare mise en œuvre dans les sera l'adulte de demain. La mission des parents ne
établissements illustrent la faiblesse institutionnelle consiste pas seulement à transmettre à leurs enfants
de l'info-documentation La circulaire ministérielle des normes toutes faites et impersonnelles. Dans un
du 9 septembre 2005 affirmait que « le B2i lycée sera sondage de 2009", les adultes interrogés plaçaient
intégré au baccalauréat ". Le rapport de D. Renoult largement en tête le fait que l'enfant soit épanoui pour
et ].-L. Durpaire de 200967 déplorait que le B2i ne soit juger d'une éducation réussie bien largement devant le
« toujours pas intégré au baccalauréat ". En 2013, fait qu'il ait un travail (66 % contre 39 %). La proportion
B. Oevauchelle le constatait également, les établis- est encore plus forte chez les parents de jeunes enfants
sements scolaires « [ayant] délaissé le B2i lycée car (79 %) et il faut relever que l'épanouissement l'emporte
non obligatoire dans les examens6S". Conséquence, les chez les parents quel que soit leur milieu social. Ils se
élèves disposent donc particulièrement des moyens doivent de les aider à se découvrir eux-mêmes. Ils ont
de ne pas recevoir les lumières pourtant nécessaires une responsabilité dans le processus de révélation" de
des professeurs-documentalistes. Ils ne craignent donc la personne de leur enfant De même que les adultes
pas de mauvaises notes. Dès lors,l'adhésion des élèves revendiquent la prise en compte de leur existence
apparaît comme la seule condition de l'intervention personnelle au-delà des rôles qu'ils peuvent jouer dans
pédagogique des professeurs-documentalistes, contrai- le cadre professionnel, familial, conjugal, associatif,
rement aux professeurs de discipline qUI disposent du etc., de même les jeunes sont dotés d'une personna-
pouvoir de notation. lité latente qu'il s'agit de respecter et d'épanouir73

Mais au-delà du cas spécifique des enseignants en La force de cette conception spécifiquement contem-
charge du CDI, tous les professeurs doivent composer poraine de l'enfance et de la jeunesse est particu-
avec les jeunes tels qu'ils se présentent aUJourd'hui lièrement repérable quand elle est remise en cause.
La jeunesse n'est pas un invariant dont JI s'agirait de L'institution scolaire apparaît parfois comme un cadre
percer le mystère pour pouvoir lui transmettre des impersonnel qui s'applique sans distinction sur des
connaissances quelles que sOIent les époques. Bien élèves pourtant si différents De façon plus ou moins
sûr, elle est traversée par des processus de différen- directe, les parents peuvent se montrer insatisfaits
ciation et hiérarchisation sociale69, mais elle est aussi par ce traitement indistinct. Au contraire, ils appré-
définie par la place spécifique qu'elle en est venue à cient quand les enseignants s'adressent à leur enfant
occuper dans notre société La manière dont elle est dans sa singularité. Le programme institutionnel74
perçue a connu une longue évolution vIsant d'abord trouve sur sa route la revendication de la personne
à reconnaître son existence spécifique par rapport des élèves. La contradictIOn n'est évidemment pas
aux autres âges de la vie'° Les jeunes ont ainsi acqUIs systématique et il est tout à fait possible de trouver
un statut qui les distingue des enfants et des adultes. un épanOUIssement personnel dans le programme de
Sans être réduits à une dépendance totale par rapport physique, de latin, etc. Il reste que, pour une large part
à leurs parents, ils n'ont pas non plus à supporter des élèves, les « lumières de la Raison" peuvent appa-
raître comme trop aveuglantes pour leur personne.
Dès lors, naît un clivage entre le monde scolaire (dans
67 Jean-Louis Durpalre et Damel Renoult. L'Acces et la formation
son ensemble ou dans certains éléments précis qui le
a la documentation du Iycee li l'Université. rapport de l'Inspection composent) et la personne des élèves Cette tension,
générale des bibliotheques et de l'Inspection générale de qui peut tourner à l'affrontement, se trouve au cœur
l'Éducation nationale. mars 2009. p 5.

68 François Jarraud. " B. Devauchelle le nouveau B2i Lycée


va continuer a chercher sa place ", entretien avec Bruno
Devauchelle. 18 août 20n. En hgne www.cafepedagogique 71 Sondage" Qu'est-ce qu'une éducation réussie' ", Sofres!
net, entrer le titre de l'arucle dans le moteur de recherche Pélerin. Unapel. septembre 2009

69 Comme l'affirme Pierre Bourdieu dans" La Jeunesse n'est 72 François de Singly. Le Soi, le couple et la famille, Paris, Nathan,
qu'un mot ". in Questions de sOCiologie. Pans, Éd. de Minuit, 1996.
1984, p. 143-154 73 FrançOiS de Singly, Comment aider l'enfant a devenir IUI·même "
70 Phllippe Anès, L'Enfant et la vie famrliale sous l'Ancien Régime, Pans. A Colin, 2009.
Pans, Le SeuIl. 1975 74 FrançOIs Dubet, Le Déclin de l'institution, Paris, Le SeuIl. 2002.
COI, PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

des difficultés rencontrées par les acteurs du monde de jouer à certains jeux, de voir certaines vidéos sur
scolaire. Autrement dit, « le problème spécifique de YouThbe, etc. Les jeunes investissent l'univers numé-
l'école, c'est qu'elle doit trouver le moyen d'accorder rique parce qu'il représente un formidable territoire
l'obligation sociale de passer par elle avec l'adhésion de liberté. Le curriculum en information-documen-
personnelle des élèves à ses buts7S ". tation projette d'investir cet univers pour y mettre à
jour des enjeux éducatifs de premier ordre. Il s'agit de
Là où l'enseignement (y compris secondaire) s'est viser « une attitude générale de .~istanciation critique
construit dans un monde où il s'adressait à des vis-à-vis de l'information" " mais aussi « la compré-
jeunes définis centralement voire exclusivement par hension des environnements informationnels et numé-
leur statut d'élève, désormais il doit composer avec riques ", « l'utilisation avancée et inventive des TIC ",
des jeunes qui se définissent centralement comme « la responsabilité légale et éthique relative à l'usage de
des personnes. Ce bouleversement engendre de l'ins- l'information ", etc. Ce programme se construit contre
tabilité dans les relations entre les enseignants et les un état du monde en pointant « un enjeu politique et
élèves et leurs familles, mais aussi au sein même des économique d'importance afin d'éviter des processus
familles. L'action des CD! et des professeurs-docu- de délégation technologique qui ne serviraient que
mentalistes prend place dans ce contexte contraint. des intérêts privés ". Il pointe aussi des limites aux
L'enseignement de l'information-documentation ou pratiques ordinaires des élèves qui doivent acquérir
de la culture de l'information rencontrerait les mêmes « une véritable culture technique, permettant notam-
difficultés que celui des autres disciplines, à savoir le ment de comprendre le sens et le fonctionnement des
fait de devoir imposer sa logique et son contenu à objets techniques et informationnels ".
des élèves ayant le souci de se construire comme des
personnes indépendamment de l'institution scolaire, Il ne s'agit pas de discuter le bien-fondé de l'ensei-
ou à côté, voire contre celle-ci. Il n'est plus possible de gnement de ce contenu mais de pointer que les élèves
penser l'école comme le lieu évident de la transmission auront sans doute particulièrement des réserves à son
verticale. Les élèves ont effectivement changé et tous égard. C'est un peu comme si, à l'époque des chanteurs
les enseignants sont désormais confrontés à ce défi de yé-yé des années soixante, on avait voulu imposer aux
former des personnes qui entendent garder leur auto- élèves un cours sur les mass media et la culture .. Un
nomie constitutive. tel curriculum renvoie à un méta discours, un savoir
sur le savoir qui a sans aucun doute son intérêt mais
Mais à ces difficultés s'en ajoutent d'autres liées au présente le risque de générer une forme de jargon
contenu et aux conditions pédagogiques de la trans- peu compréhensible et encore plus au collège. Dès à
mission. Si l'enseignement scientifique ou linguistique présent, la littérature sur le sujet cherche à construire
s'impose aux enfants, il prend place sur un terrain rela- sa légitimité scientifique en recourant à des notions
tivement vierge, au sens où les élèves du secondaire savantes et peu intelligibles. La légitimation d'un
n'ont pas souvent construit de compétences que vien- savoir peut conduire à le rendre obscur à ceux qui n'y
drait remettre en cause l'intervention des enseignants. sont pas familiers. La construction sociale de cette
À l'inverse, l'enquête « L'enfance des loisirs" montre distance entre en contradiction directe avec la néces-
bien combien, entre onze et dix-sept ans, les jeunes sité de s'adresser, d'être écouté et compris par des
intensifient et diversifient leurs pratiques numé- élèves (mais aussi des collègues) qui sont en train de
riques : si seulement 11,5 % des onze ans déclarent découvrir les outils et l'accès à l'information. Imposer
au moins quatre usages différents de l'ordinateur, ils un tel discours risque fort de manquer la cible, voire
sont 51 % à quinze ans et 58 % à dix-sept ans76 Ils de susciter une hostilité incompatible avec toute forme
investissent ce champ de pratiques car ils y puisent de transmission78 C'est d'autant plus probable qu'un
une source d'épanouissement et d'expression d'autant tel curriculum vient à la fois troubler leurs pratiques
plus attractive que les adultes et les enseignants ne
l'investissent pas trop. Ces derniers ne leur imposent
pas d'aller vers certains sites web de divertissement,
77 Cette citation et celles qui suivent sont issues du travail
du Groupe de recherche sur la culture et la didactique
de l'information (GRCDI): « Douze propositions pour
75 Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet et Dominique Ottavi, l'élaboration d'un curriculum info-documentaire ", 2010.
Conditionsde l'éducatIOn, op.cit., p. 161. En ligne: culturedel info/grcdi, rubrique « 12 propositions ".
76 Sylvie Octobre, Christine Détrez, Pierre Mercklé 78 Anne Cordier relève cette difficulté dans" Profs docs et
et Nathalie Berthomier, L'Enfance des loisirs, Paris, Internet, "Je t'aime, moi non plus" », InterCDI,n° 220, juillet-
La Documentation française, 2010, p. 104. août 2009, p. 54.
MËTIER EN PERSPECTIVES

et marquer du sceau de la scolarisation un espace coefficient de notation. Par ailleurs, cela implique-
jusqu'alors pensé comme un domaine d'expression rait un accroissement notable du nombre de postes
personnelle. Par ailleurs, l'hétérogénéité des pratiques de professeurs (seraient-ils encore documentalistes ?)
personnelles et scolaires entrave leur transfert d'un afin que tous les élèves aient la possibilité. au collège
monde à l'autre''. La capacité des élèves à manifester comme au lycée, de recevoir un tel enseignement.
une capacité de résistance aux enseignements est forte. À titre indicatif, le nombre d'enseignants d'éducation
C'est par exemple le cas de l'orthographe qui corres- physique et sportive est plus de deux fois supérieur
pond à une tentative de normalisation de la langue à celui des professeurs-documentalistes81 Il est très
par l'institution et qui a connu un affaiblissement de peu probable que cette entrepnse réussisse dans le
sa maîtrise par les élèvesso La culture de l'information contexte de maîtrise actuelle de la dépense publique et
pourrait bien leur apparaître d'une manière similaire et du système éducatif" que les enquêtes internationales,
susciter des réactions profondes de défiance pouvant les experts, les enseignants, les hauts fonctionnaires
prendre la forme d'une opposition sur le principe reconnaissent comme bloquéS' ". On voit mal comment
même de l'enseignement, mais encore plus par une une nouvelle discipline pourrait venir s'implanter avec
réticence dans l'adoption de pratiques promues par un poids important dans l'enseignement secondaire
les professeurs-documentalistes. Pas facile de renoncer tel qu'il est. Les réactions que susciterait une volonté
à certains usages de Google, YouThbe ou Facebook .. d'instauration de cette matière seraient nombreuses,
fortes et hostiles de la part des autres disciplines qui
Le CD!, c'est noté? verraient leur poids diminuer, au moins relativement.
L'ancienneté des enseignements disciplinaires leur On peut d'ailleurs attribuer à ces obstacles institution-
assure une place inégalement importante dans le nels internes l'échec de la réforme de la circulaire de
système éducatif. Le volume horaire, l'existence d'une mission de 1986 entreprise en 2009-2010. La Direction
inspection, mais aussi la notation et les coefficients générale de l'enseignement scolaire a refusé de suivre
respectifs de chaque matière définissent leur poids les les représentants des professeurs-documentalistes
unes par rapport aux autres. Se constitue ainsi une dans leur redéfinition du métier, sans doute parce que
hiérarchie changeante mais qui structure l'ensemble cela risquait d'entraîner une déstabilisation à la fois
du système (filières, orientation) et des acteurs (élèves, dans le nombre et la définition des postes mais aussi
enseignants). Dans ce contexte, les professeurs-docu- dans les rapports entre les disciplines.
mentalistes occupent une place à part puisqu'ils
sont les seuls enseignants à ne pas (sauf exceptions) Il paraît donc extrêmement peu vraisemblable que
prendre part à l'évaluation des élèves. Titulaires d'un les programmes officiels de l'enseignement secon-
CAPES.celui-ci ne renvoie pas explicitement à un corps daire intègrent un curriculum d'" information-docu-
disciplinaire. Ils ne sont pas professeurs d'" informa- mentation ", au même titre que les autres disc:iplines,
tion-documentation " mais titulaires d'un CAPES de dans les années à venir. Cela signifie que pendant
" documentation ". Si fes revendications d'une partie longtemps encore les professeurs-documentalistes ne
de la profession vont dans le sens d'affirmer la mission disposeront pas du moyen de la notation pour imposer
enseignante, c'est une manière de faire reconnaître leur contenu aux élèves. Quand bien même une note
leur position à l'intérieur du système. Et le rappel serait instaurée, elle serait probablement perçue par
récurrent à la circulaire de 1986 sur le CDI pour légi- les élèves comme une note secondaire. Elle aurait
timer cette orientation montre bien que la seule créa- une place sans doute assez proche de celle d'autres
tion du CAPES (en 1989) n'a pas suffi à installer cette disciplines jugées" secondaires ". Comme l'affirme
fonction d'enseignement. V Lentillon-Kaestner à partir d'une enquête auprès
des élèves: " L'importance accordée à la note d'EPS
Mais ce " combat ", s'il doit aboutir, sera sans doute reflète le statut dévalorisé de l'EPS en milieu scolaire
très long, car il suppose que les autres disciplines au regard des disciplines d'enseignement plus "nobles".
accordent une place à cette nouvelle venue à la fois Cette importance lorsqu'elle est perçue (surtout par
en termes de volume horaire d'enseignement et de

81 Cf. Repères et références statistiques sur les enseignements, la


79 Cédric Fluckiger " l'école à l'épreuve de la culture numérique formation et la recherche, op. Clt ,p 309.
des élèves ", Revue française de pédagogie, n° 163, 2/2008. p. 51-61
82 Christian Bonrepaux, " Le système éducatif français est à
80 Thierry Rocher. " Lire, écrire, compter: les performances bout de souffle ", entretien avec François Dubet, 22 janvier
des élèves de CM2 à vingt ans d'intervalle 1987·2007 ", Note 2012. En ligne: frituremag2.kayaweb.fr, dans la rubrique" Nos
d'information, Ministère de l'Éducation nationale, n° 38. 2008. dossiers ", choisir" Éducation: où va l'école? ".
COI. PERCEPTIONS ET RËALlTËS

les lycéens) est toute relative puisqu'elle est inférieure sur la fonction d'évaluation des compétences des
pour la majorité des élèves à celle des notes des autres élèves par le professeur-documentaliste, seuls un
disciplines d'enseignement. Souvent,la note d'EPS est peu plus d'un tiers se disent tout à.fait d'accord et la
comparée aux notes de musique ou d'arts plastiques. même proportion y est clairement hostile ou réticente.
La note d'EPS fait office de rattrapage: elle permet Constatons aussi que, lorsqu'ils ont réussi à mettre
prioritairement de remonter la moyenne générales3 » en place un enseignement, ils ne recourent pas tous à
L'instauration d'une note ne suffirait donc pas à insti- la notations6 On peut donc estin:_ler que si la revendi-
tuer la discipline « info-documentaire » dans le pano- cation enseignante des professeurs-documentalistes
rama des enseignements disciplinaires. En revanche, existe, elle passe en revanche assez peu par le souhait
elle générerait des tensions particulières inhérentes d'introduction de notes. On peut relever à ce sujet une
à l'acte de notation. Plus même, elle participerait à la forme de contradiction au sein du mouvement actif
fragilisation des élèves les plus faibles qui fait conclure qui s'est élevé contre le projet de réforme de la circu-
P. Merle sur l'idée que" le système de notation en laire de mission de 1986 : l'institutionnalisation de la
vigueur dans l'école française est une des causes du discipline info-documentaire suppose de reprendre à
décrochage des élèvess4 ». son compte l'évaluation par la notation. C'est en effet
le seul moyen de peser par rapport aux autres disci-
Autrement dit, les professeurs-documentalistes n'ont plines déjà en place. Vouloir tout à la fois instaurer une
pas les moyens de mener ce qu'on pourrait appeler nouvelle discipline et remettre en cause le mode d'éva-
une" politique d'offre de formation », c'est-à-dire une luation des élèves représentait une" révolution » trop
politique qui consisterait à définir a priori les notions, importante pour que le " système » puisse l'accepter.
références et outils pour ensuite les transmettre aux
élèves dans le cadre d'un enseignement disciplinaire. Des voix divergentes se sont fait entendre sur certains
C'est un fait et il n'est pas sûr que, s'ils en avaient blogs avec une tonalité voisine. Ainsi, celui qui se donne
les moyens, cette politique porterait clairement ses le nom de M. PMB prend la parole au moment où la
fruits. Après tout, la notation des dictées n'empêche Dgesco propose sa dernière version de circulaire de
pas l'affaiblissement du niveau en orthographe .. Par mission en janvier 2011 : " Arrêtons de vouloir donner
ailleurs, les professionnels ne sont pas unanimes à des notes ou d'avoir toutes les classes: quel est l'in-
vouloir entrer dans le cadre d'un enseignement autour térêt de former des élèves à la recherche documentaire
d'une discipline et donnant lieu à notation. Le choix du si ce n'est pas fait lors d'une séquence avec un collègue
métier de professeur-documentaliste repose souvent de discipline ?? Si certains ont un besoin de recon-
sur cette prise de distance, comme en témoignent des naissance, ils peuvent la trouver dans autre chose que
jeunes collègues interrogées par le Café pédagogique: des notesS7 ? » Cette prise de parole ressemble à celle
«"Je n'ai pas envie de dépenser de l'énergie pour trans- d'une documentaliste de Bordeaux qui écrivait dans
mettre des choses que les élèves ne partagent pas. Au InterCDI il y a plus de vingt ans: " Que ceux et celles
CD! ne viennent que des élèves qui sont intéressés." qui veulent enseigner la documentation le fassent, moi
Aude aussi a fui la responsabilité d'une classe. Elle je m'y refuse et j'espère bien que mon syndicat ne va
pense trouver dans le métier de professeure-docu- pas m'embarquer dans cette galèreS8 »A l'époque, en
mentaliste un rôle éducatif mais "sans les copies"ss » s'appuyant sur des articles d'InterCDI, Annette Béguins9
Dans les prises de paroles spontanées de ceux qui ont
répondu à l'enquête, seuls deux (sur 1 228) ont fait
état de la pratique ou du souhait de noter les élèves 86 Le document du SNESsur le métier relate une initiative dans
et nettement plus nombreux (10) sont ceux qui ne l'académie de Créteil dans laquelle, sur les six professeurs-
documentalistes engagés dans un enseignement en sixième,
souhaitent pas entrer dans cette voie. A la question . trois ont procédé à une évaluation par une note mais dans un
seul cas avec une rubrique « CD! " sur le bulletin scolaire, les
deux autres donnant lieu à une note intégrée à la discipline
83 Vanessa Lentillon-Kaestner,« Les élèves de second degré partenaire. Cf. « Documentation ", L'Université syndicaliste,
face à l'évaluation en éducation physique et sportive ", Staps, op. cit., p. 43-44.
n° 79, 2008/1, p. 60. 87 Commentaire sur l'article « NOuveau prOjet de
84 Pierre Merle, " L'évaluation par les notes: quelle fiabilité circulaire (5) et PACIFI.. du Blog-O-noisettes, 23 janvier
et quelles réformes' ", Regards croisés sur l'économie, n° 12, 2011, En ligne: http://blogonoisettes.canalblog.com/
2/2012, p. 221. archives/2011101/22/20191667.html.

85 Cf. François Jarraud, « Entrer dans le métier de professeur- 88 Tribune libre: « L'après-Capes, donnez votre avis », InterCDI,

documentaliste rencontre avec trois stagiaires ", 25 mars n° 122, mars-avril 1993, p. 13-14.
2014. En ligne: www.cafepedagogique.net. entrer le titre de 89 Annette Béguin, « Didactique ou pédagogie documentaire? »,

l'article dans le moteur de recherche. L'école des Lettres,vol. 87, n° 12,juin 1996, p. 59.
MËTIER EN PERSPECTIVES

estimait que les professionnels étaient « peu nombreux les pratiques culturelles des Français confirme cette
à estimer que le documentaliste devrait devenir un tendance établie sur des données antérieures: alors
"professeur de documentation" ». que 39 % des 15-19 ans déclaraient avoir lu moins de
cinq livres au cours des douze derniers mois en 1997,
Ni tellement souhaitée ni tellement souhaitable, la ils sont désormais 50 % dans ce cas en 2008.
notation qui était la condition de l'institutionnalisa-
tion de l'information-documentation ne verra sans Mais l'érosion de la lecture n'est pas seulement inscrite
doute jamais sa mise en œuvre systématique. Il dans la succession des générations, elle concerne aussi
faut prendre acte de ce constat. Cela implique pour les jeunes à l'intérieur d'une même génération. Les
la profession de repenser la manière dont elle peut enquêtes établissent un affaiblissement de l'engage-
inscrire sa place dans le contexte éducatif et institu- ment dans la lecture au cours de l'avancée des jeunes
tionnel d'aujourd'hui. dans leur scolarité secondaire. La première enquête9'
longitudinale d'envergure sur une cohorte de jeunes
entre la troisième et la terminale mettait en évidence
LA DOUBLE ÉROSION DE LA LECTURE le recul de la pratique de lecture de livres. L'enquête de
D'IMPRIMÉS S. Octobre93 sur les loisirs culturels des 6-14 ans enre-
gistre aussi une baisse de la pratique entre la sixième
L'enquête sur les professeurs-documentalistes a et la troisième: si 40 % des premiers lisaient tous les
montré à quel point la transmission de la lecture jours, ils ne sont plus que 28 % chez les seconds. Enfin,
occupait une place importante dans leur définition la dernière enquête94 sur une cohorte de 11 à 17 ans
du métier: plus de neuf sur dix répondants se recon- confirme les tendances établies préalablement. Ainsi
naissent pleinement dans cette fonction. Cette mobi- la proportion de lecteurs quotidiens de livres passe
lisation inscrit ces professionnels dans le cadre de d'un tiers à moins de 10 % entre 11 et 17 ans. Pour
ceux de nos contemporains qui ont hérité du monde contrebalancer ce point de vue, il faut noter que les
des livres et qui entendent en faire bénéficier les plus lecteurs engagés dans cette pratique restent large-
jeunes afin que ce monde leur survive .. ment attachés à la lecture de livres. La bande dessinée
connaît aussi une tendance similaire puisque la part
Et il est vrai que le doute est permis tant la lecture de ses lecteurs quotidiens qui était de 21 % tombe à
de livres, et plus largement d'imprimés, connaît 6 %. Au sein des CDI,les professeurs-documentalistes
une évolution défavorable. Les enquêtes sur le sujet constatent également cette évolution, notamment au
démontrent qu'une tendance profonde à l'érosion de collège où les emprunts se concentrent chez les élèves
la lecture de papier est engagée dans notre société90 de sixième ou cinquième et se raréfient sensiblement
L'étude extrêmement fouillée d'O. Donnat et F. Lévy" en se rapprochant de la troisième.
montre avec force comment la lecture de la presse
quotidienne diminue au fur et à mesure de l'arrivée de Ces constats signalent les difficultés croissantes
nouvelles générations Au même âge, chaque nouvelle auxquelles sont et seront confrontés les professeurs-
génération est moins souvent investie dans cette documentalistes pour la transmission du goût pour la
pratique. Une tendance tout à fait similaire s'observe lecture d'imprimés. Elles sont d'ailleurs déjà prises en
à propos de la lecture de livres imprimés. La proportion .compte puisque nous avons vu que les jeunes profes-
de lecteurs intensifs (au moins vingt livres déclarés lus sionnels étaient moins regardants sur la « qualité» des
dans l'année) parmi les 15-28 ans qui était de 42 % pour livres à proposer aux élèves que leurs aînés. La tâche
la génération" Mai 68 » n'est plus que de 17 % pour sera de plus en plus difficile.
la génération" 11 Septembre ". Bien sûr, les anciens
ont depuis toujours déploré les renoncements de leurs
successeurs mais 11 se trouve que, pour une fois, les
enquêtes confortent leur point de vue. Les jeunes lisent
de moins en moins de livres. L'enquête de 2008 sur

92 ChristIan Baudelot, Marie Cartier et Christine Détrez,


90 Pour une enquête récente, cf François Oulac. " Alerte sur Et pourtant Ils lisent ... , Paris, Le Seuil, 1999.
la lecture ", Livres-Hebdo, n° 989, 14 mars 2014. 93 Sylvie Octobre, Les LOisirs culturels des 6·14 ans, Pans,
91 Olivier Donnat et Florence Lévy, " Approche générationnelle La Documentation française, 2004.
des pratIques culturelles et médiatiques ", Culture Prospective, 94 Sylvie Octobre, Christine Détrez, Pierre Mercklé
n° 3, 2007. et Nathalie Berthomier. L'Enfance des loiSirs, op cil.
COI. PERCEPTIONS ET RÉALlTËS

LA FORCE DE LA CULTURE NUMÉRIQUE ne doit donc pas être assimilée à une distance avec
ET EXPRESSIVE la lecture. Ils lisent mais sur d'autres supports (ordi-
nateurs, téléphones, tablettes) et des documents qui
Comme le pointait déjà C. Baudelot avec malice, le ne sont pas les mêmes. Les enquêtes réalisées par les
temps de la scolarisation se trouve donc aussi être celui adultes peinent à mettre en place les outils de mesure
du recul de la fréquence de la pratique de la lecture de leurs pratiques émergentes alors qu'elles mesurent
de livres. Ce « diagnostic» qu'il dressait à une période bien celles auxquelles ils tenden~ à renoncer .. Mais il
où la diffusion des ordinateurs était encore modeste convient de relever que leur culture de l'écran n'est
signale que cette évolution de la lecture n'est pas la pas la simple projection sur un autre support de la
conséquence de cette multiplication des écrans. Ces lecture de l'imprimé. Les écrans sont connectés97 et
derniers ne sont pas tant la cause que la manifestation les jeunes se distinguent des plus âgés par leur inves-
voire la conséquence d'un processus plus ancien par tissement plus fort dans la dimension de commu-
lequel les jeunes cherchent à construire un monde à nication de ces outils. C'est d'ailleurs un point de
eux, en se gardant de reproduire les pratiques promues tension entre les enfants et leurs parents puisque ces
par leurs parents et plus largement les adultes. derniers cherchent à contrôler leurs relations sur les
Individuellement et collectivement, ils ont investi le réseaux sociaux: « 67 % des enfants utilisant Facebook
champ des pratiques numériques comme un moyen de disent être amis avec leur(s) parent(s) ; c'est d'ailleurs
s'affranchir de l'héritage des adultes et de se démar- parfois une condition pour utiliser le réseau social98 »
quer de leurs références. Ils s'amusent d'ailleurs de L'enquête Hadopi montre ainsi des niveaux nettement
voir leurs parents entrer dans des pratiques qu'ils ont plus élevés des 15-24 ans que ceux des 40 ans et plus
déjà adoptées et instituées. La récente enquête Ifop- concernant la consultation de compte sur un ou des
Hadopi9s montre, par exemple, comment la fréquence réseau(x) social(aux), la messagerie instantanée, la
de consommation d'un bien culturel sur Internet participation à des forums ou des jeux en ligne. Ils sont
est nettement et systématiquement plus forte chez donc devant un écran qu'ils regardent, écoutent,lisent
les 15-24 ans que chez les 40 ans et plus. On observe et sa connexion leur donne la possibilité d'échanger, de
ainsi à travers l'appropriation du numérique un cas réagir et de participer collectivement à la fabrication
intéressant d'acculturation inversée, au sens où ce ne de références communes. Et c'est ainsi que se construit
sont plus les nouvelles générations qui apprennent une culture qui rassemble l'usage d'outils techniques
des anciennes mais celles-ci qui reçoivent des jeunes. et de contenus: jeux vidéo, musiques, vidéos comiques,
L'enquête longitudinale96 montre que si les pratiques etc. Le succès des « YouThber »comiques ~es trois plus
de loisirs sont globalement stables entre 11 et 17 ans, connus dépassent les trois millions d'abonnés, soit
il existe deux exceptions de sens contraire: la lecture une proportion consistante si on se rappelle que les
orientée à la baisse et l'usage de l'ordinateur en crois- élèves du second degré français sont un peu plus de
sance. C'est ainsi que les auteurs ne repèrent aucune cinq millions) et la mise en scène dont il fait l'objet
trajectoire à la hausse de la lecture de livres ou de montrent la fonction de construction d'un univers
bandes dessinées et corrélativement aucune trajectoire proprement juvénile et dont la forme d'expression
à la baisse de l'usage de l'ordinateur. laissera longtemps des traces sur cette génération.

Si ces pratiques font une large place aux images et Le défi du CDI et des professeurs-documentalistes
vidéos, elles ne délaissent pas totalement l'écrit et c'est consiste à savoir s'inscrire dans le contexte de
à juste titre qu'il faut relever l'importance du temps cette culture émergente. Pour cela, il est sans doute
qu'ils consacrent à lire sur écran, que ce soit de la
messagerie, de la presse en ligne, des blogs, des pages
Facebook, etc. Leur distance vis-à-vis de l'imprimé
97 Rappelons que, selon l'enquête CREDOCsur les" Conditions
de vie et les aspirations» de 2013, 98 % des 12-17 ans
disposent d'une connexion intemet à leur domicile.
La croissance de l'accès à Internet par le Wifi autorise
95 1Toisième vague du baromètre usage IFOP-HADOPI,« Hadopi, le recours de plus en plus fréquent à une diversité d'outils:
biens culturels et usages d'Internet: pratiques et perceptions ordinateur (53 % en 2013 contre 42 % en 2011), smartphone
des internautes français ", 10 juillet 2013 En ligne: ou tablette (33 % contre 13 %), console de jeux.
www.hadopi.fr. entrer « 3' vague du baromètre usage 98 L
« es pratiques des 9-16 ans sur Internet »,Viavoice,
IFOP-Hadopi .. dans le moteur de recherche. janvier 2013. En ligne: www.institut-viavoice.com, rubrique
96 Sylvie Octobre, Christine Détrez, Pierre Mercklé et " Études» puis entrer« 9-16 ans internet» dans le module de
Nathalie Berthomier, L'Enfance des loisirs,op. cit., p. 253. recherche.
MËTIER EN PERSPECTIVES

nécessaire d'en saisir les ressorts99, sans la rejeter dans Les CPE et personnels de surveillance sont quotidienne-
un mouvement de séparation des pratiques ordinaires ment confrontés à des élèves qui adoptent une posture
des élèves par rapport aux pratiques savantes des que leurs parents seraient bien étonnés de découvrir..
professionnels. Les professeurs-documentalistes n'échappent pas à
cette situation et ils accueillent des élèves qui utilisent
l'espace et les ressources documentaires comme des
DES JEUNES ET DES LOGIQUES D'USAGE opportunités de construire leur monde à distance de
leurs parents. Dans ce cas, les élèves importent une
La notion de " logique d'usagelOO " désigne une confi- logique extrascolaire dans l'environnement scolaire.
guration à la fois objective et subjective dans laquelle Évidemment, les professeurs-documentalistes peuvent
les individus se trouvent et qui oriente leurs comporte- veiller à ce que cela passe par des comportements
ments. La manière dont ils sont définis par une situa- compatibles avec l'ordre nécessaire à la vie du CDI
tion et la manière dont ils se pensent éclairent leurs mais, de la même manière que leurs collègues des
choix et attitudes, qui deviennent" logiques" quand disciplines académiques, ils ne sont en mesure de faire
on les interprète non de l'extérieur mais de leur point disparaître cette logique d'usage.
de vue. On peut ainsi identifier ce qui donne sens et
cohérence aux comportements des élèves. Bien sûr, les L'affiliation à un groupe de pairs: dans le processus
jeunes (comme les adultes) ne sont pas enfermés dans d'autonomisation, les jeunes ont besoin de leurs pairs.
une logique. Ils passent d'une logique à l'autre au fil Avant de se construire des références plus stricte-
de la journée et se montrent ainsi multiples. S'agissant ment personnelles, ils doivent adopter des références
des jeunes, on en repère quatre principales. distinctes de celles de leurs parents. Ils le font large-
ment par l'intermédiaire de leurs groupes de pairs.
L'autonomisation par rapport aux parents: les jeunes Il peut s'agir de musique, de films, de sites web ou
sont engagés dans un long processus d'autonomisation d'usages du téléphone portable, de codes de langages
qui les oblige à marquer une séparation d'avec leurs ou vestimentaires, etc. Le conformisme parfois critiqué
parents. Le collège notamment (mais le lycée poursuit des jeunes (notamment au collège) puise sa source
le processus) constitue un cadre de socialisation entre dans ce travail de différenciation à l'égard des parents.
pairs. En cela, il offre une opportunité pour construire Ils renoncent (au moins provisoirement) à un point de
des références propres à leur âge et qui entrent en vue personnel pour adopter celui du groupe au sein
décalage avec celles des parents. Qu'ils parlent avec duquel ils cherchent à construire leur place. Il n'est
des expressions qui leur sont propres, de musique dès lors pas étonnant qu'ils revendiquent avec force
ou de célébrités, qu'ils se montrent des vidéos sur un espace qui leur soit dédié au sein des bibliothèques
Internet, qu'ils jouent en réseau sur leur smartphone, quand on leur demande leur avis101 Ils agissent sous
etc., les élèves utilisent aussi le temps scolaire pour la contrainte de normes en vigueur entre pairs qui
se construire une culture commune à leur génération obligent à une forme de manifestation d'appartenance
et qui leur permet de s'émanciper des références de au groupe. Ne pas les respecter revient à prendre le
leurs parents. Tous les enseignants et plus largement risque d'une mise au ban du groupe avec le soupçon
les adultes de la communauté scolaire sont témoins corollaire de ne pas s'autonomiser vis-à-vis de ses
et acteurs de ce processus constitutif de la vie d'un _parents et donc de " manquer de maturité ". Les CDI
établissement. Les professeurs de français ont ainsi sont le témoin de ce type de mécanismes à la fois en
largement renoncé à faire étudier des textes classiques étant le lieu de la construction de l'appartenance ou
(notamment Corneille ou Racine) et cherchent à leur celui de la réticence à la soumission au groupe. Une
faire lire des œuvres plus contemporaines, mieux à bande d'élèves peut chercher à s'approprier le CDI
même d'entrer en cohérence avec la manière dont les pour affirmer son existence à travers le bruit et la
élèves vivent et s'expriment aujourd'hui. mise à distance des outils ou des collections propo-
sées ou, au contraire, en venant lire à plusieurs un
article de presse sur un sujet du moment par exemple.

99 C'est pour une part ce que fait Laure Tabary-Bolka dans


101 Parmi les usagers (inscrits ou non) des bibliothèques, 78 %
.. Culture adolescente vs culture informationnelle ",
des 11-18 ans et 87 % des collégiens expriment ce souhait
Lescahiers du numérique, vol. 5. n° 3, 2009, p. 85-97.
dans l'enquête de Cécile Touitou et Virginie Repaire, Les 11·18
100 Nous avons développé cette notion avec Sophie Ranjard dans ans et les blbliotheques municipales. Paris, BPI/Centre Pompidou.
Usagesdes bibliothèques, Villeurbanne, Presses de l'Enssib. 2005. 2010, p. 25.
COI, PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

A l'inverse, un élève peut apprécier dans le CDI la Netvibes donnant accès à des ressources organisées et
possibilité d'échapper à l'emprise du groupe en venant libres de soutien scolaire.
lire ou travailler'O'.
Si donc tous les élèves partagent le statut de jeunes
La construction de soi: dans notre société, les indi- scolarisés, tous ne s'approprient pas dans la même
vidus sont pensés comme des personnes avec leur mesure l'enjeu scolaire. Et surtout, les élèves, y compris
singularité propre. Cette définition nouvelle s'impose à quand ils sont dans les murs des établissements, ne
chacun d'entre nous en même temps que nous l'impo- se réduisent pas à ce statut d'ap-prenant. Les autres
sons aux autres. S'affirmer comme une personne passe dimensions qui les composent sont également actives
par une mise à distance de son héritage imposé. C'est et expliquent leurs comportements. La posture qui
la phase de l'autonomisation qui repose souvent sur consiste à refuser d'accepter de prendre en compte ces
l'affiliation à un groupe de pairs. Mais se construire autres facettes des élèves, au prétexte qu'ils sont dans
soi-même c'est aussi, se construire au contact des le cadre scolaire, est une impasse. Comment vouloir
autres, élaborer son propre rapport au monde, ses réfé- dépouiller les élèves d'attributs personnels (par une
rences, ses préférences et son récit personnel. C'est blouse ou l'interdiction du téléphone portable) quand
par adhésion, répulsion ou dérivation que l'expérience les adultes (y compris au sein de l'établissement) ne
scolaire se mue en expérience personnelle. Une discus- renoncent'pas à l'affirmation de leur singularité 1 Il est
sion avec un enseignant, une émotion mathématique vain d'espérer que les élèves s'en tiennent à leur statut.
ou littéraire, la rencontre d'un(e) camarade et bien La société à laquelle ils appartiennent les pousse à se
d'autres situations ordinaires de la vie scolaire sont définir autrement qu'à partir de leur appartenance
susceptibles de constituer des fragments élémentaires statutaire. Et d'ailleurs, ils font souvent l'expérience
d'une construction personnelle. Et bien sûr, de façon (parfois agréable, parfois déplaisante) d'enseignants,
consciente ou non, les professeurs-documentalistes et de surveillants ou d'autres adultes qui, dans leurs rela-
CDI fournissent des supports et expériences cruciales tions avec eux, ne s'en tiennent pas à leur dimension
pour la construction des élèves en tant que personnes. statutaire en leur racontant des éléments de leur vie
personnelle par exemple. Pourquoi devraient-ils s'en
Le rapport aux contraintes scolaires: les jeunes sont tenir à leur statut d'élève dans ces conditions 1 La
soumis à la scolarité obligatoire et à la puissance de question se pose particulièrement dans le cadre des
l'enjeu scolaire sur la définition de leur trajectoire relations avec les professeurs-documentalistes qui,
sociale à venir. Les parents sont de formidables relais du fait de leur position institutionnelle les privant du
voire accélérateurs de cette pression scolaire. Les pouvoir de la notation, peuvent encore moins imposer
jeunes n'entendent certainement pas être réduits à la relation statutaire.
leur statut d'élève et leurs camarades le rappellent
à ceux d'entre eux qui adoptent cette posture'03 Tout discours sur le métier doit partir non du projet
Néanmoins, les jeunes ne peuvent être conçus pédagogique mais de la réalité des élèves. C'est là une
comme des esprits libres de cette contrainte. S'ils limite à la mobilisation actuelle d'une partie de la
peuvent s'en affranchir en groupe, ils ne peuvent s'y profession sur la définition du métier par sa dimen-
soustraire comme enfant de leurs parents ou comme sion pédagogique. Elle occulte totalement une réalité
individu. Dès lors, on comprend bien la mobilisation pourtant effective au profit d'une vision de l'élève
forte de certains élèves sur ces enjeux et comment réduit à son statut. Elle part de ce que devraient être
cela oriente leur comportement dans les classes et plus les élèves plutôt que de ce qu'ils sont réellement. Une
largement dans l'établissement scolaire. Ils apprécient autre limite se situe dans les effets sociaux de cette
par exemple le CDI pour les conditions de travail favo- conception du métier et des élèves. En effet, en mettant
rables'04 qu'il offre, mais ils peuvent aussi apprécier un en avant la dimension statutaire de l'élève sans avoir
les moyens de l'imposer, elle suppose une adhésion
subjective des élèves à leur statut pour qu'ils puissent
pleinement bénéficier des apports pédagogiques des
102 On se souvient que dans le roman d'Édouard Louis (Enfinir
avec Eddy Bellegueule,Le Seuil, 2014), Eddy est persécuté par professeurs-documentalistes. Les élèves qui, du fait
deux camarades alors même qu'il cherche à se replier loin de leur milieu social d'origine, ne sont pas familiers
de l'univers de la cour, dans le CDI du collège.
de l'univers scolaire et vivent leur scolarité comme
103 C'est ce que montre Dominique Pasquier dans Cultures
lycéennes. la tyrannie de la majorité, Paris, Autrement, 2005.
extérieure à leur existence personnelle ne peuvent
recevoir pleinement les apports de ces professeurs qui
104 Claude Poissenot. « Fréquentation d'un CD! : une étude à
reproduire " art. cit. ne mettent pas de notes ... Parmi d'autres bienfaits,
MÉTIER EN PERSPECTIVES

s'adresser aux élèves par les autres dimensions qui les


constituent permet de les atteindre dans une plus large
diversité. Les" mauvais élèves » y compris peuvent
acquérir des compétences et connaissances parce
qu'ils n'ont pas été visés en tant qu'élèves mais par
une autre dimension de leur existence.
MÉTIER EN PERSPECTIVES

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Pourquoi les professionnels ne prendraient-ils pas en Le métier de professeur-documentaliste ne saurait se


compte le point de vue des élèves réels non seule- définir seulement par des discours volontaristes sur
ment dans l'exercice ordinaire de leur métier mais l'idéal du métier. Il ne peut davantage s'appuyer sur
aussi dans les discours qui visent à le fonder? Faut-il une vision strictement pédagogique des élèves. Ainsi,
vraiment que l'élève soit l'acteur le plus mineur du beaucoup d'énergie est dépensée à s'enfoncer dans
système éducatif pour que ses attentes soient non des impasses, de même que dans de fausses et vaines
seulement négligées mais même montrées du doigt querelles. À quoi bon faire le procès des learniny centers
comme la négation d'un objectif pédagogique 1 et des centres de connaissance et de culture;> En quoi
Pourtant, le CAPES de documentation a vu le jour cela répond-il à la situation dans laquelle se trouvent
dans le contexte d'une loi d'orientation sur l'éduca- les élèves et les enseignants aujourd'hui;> De l'exté-
tion dans laquelle l'élève était présenté comme rieur, on assiste à une bataille de positions peu en prise
devant devenir le cœur du système'os ... avec la réalité.

Il s'agit de revenir à ce moment fondateur et réfléchir Les discours professionnels participent évidem-
à la manière dont l'élève peut constituer le cœur de ment à la construction de l'identité professionnelle
l'activité des professeurs-documentalistes. Aussi belle mais cela ne peut suffire. La manière dont les autres
soit la vision idéale du système éducatif, le point de nous perçoivent se révèle tout aussi déterminante.
vue sociologique se doit de rappeler qu'elle prend place Les pompiers se construisent certes par leur culture
dans un monde réel déjà peuplé. M Weber pointe ainsi professionnelle (<< sauver ou périr ", l'uniforme, le
la limite du « partisan de l'éthique de conviction [qui] véhicule rouge, etc.) mais aussi par le regard admi-
ne se sentira "responsable" que de la nécessité de ratif qu'ils suscitent dans la population et chez les
veiller sur la flamme de la pure doctrine afin qu'elle ne élus lOS. Ils doivent la validation de leur identité par le
s'éteigne pas'06 ». Par contraste, il donne à voir la force fait que leur discours est orienté vers le secours aux
de l'éthique de responsabilité, celle qui caractérise personnes et que leur pratique réelle du métier s'ins-
pour une large part le rapport des professeurs-docu- crit effectivement dans cette orientation. L'enquête sur
mentalistes à leur métier et aux élèves. Nombreux sont les professeurs-documentalistes montre la diversité
les témoignages que nous avons recueillis qui vont des fonctions et des visions du métier qui se retrouvent
dans le sens d'une importance accordée à la fonction peu dans les discours que les professionnels tiennent
de la prise en compte des élèves mais sans que cela sur leur métier. On observe un décrochage entre les
ne transparaisse souvent dans les discours. C'est ainsi, _ pratiques variées et riches et le discours dominant
avec prudence, que G. Marie soutient cette idée: « On focalisé sur la revendication de la dimension professo-
peut, peut-être, considérer le CDI comme un espace rale du métier. Quand P.Chavernac écrit « seul compte
plutôt que comme un lieu, un espace où est à créer, le travail qu'on fournit pour les autres, en l'occurrence
chaque jour, un sens dans une relation au savoir et à dans notre cas, principalement pour les élèves mais
l'information que l'École n'a pas toujours fournie: celle aussi pour les professeurs 109 ", on a l'impression d'une
du chemin personnel de l'élève, et non pas seulement transgression par rapport aux discours récurrents dans
celle que proposent les programmes scolaireslO'. " la presse professionnelle. Ceux qui n'ont accès qu'aux
discours ne peuvent qu'être dubitatifs tant ceux-ci se
centrent sur la revendication de la reconnaissance d'un
105 Rappelons le début de l'article premier de la loi du 10 jUlllet
1989 . " Le service public de l'éducation est conçu et orgamsé
en fonctlOn des élèves et des étudiants"
106 Max Weber, LeSavant et le polltlque, Paris, Plon, 1959. p. 188. 108 Ryad Kanzari, Être pompier. Lyon, Ëd Lieux dits, 2012.
107 Guillaume Marie. " Une expérience en lycée professionnel", 109 Philippe Chavernac.« Une identité en construction' ".
InterCDI.n° 239, septembre-octobre 2012. p 8 fnterCDf,n° 238, juillet-août 2012, p. 62
am COI, PERCEPTIONS ET RËALlTÉS

statut en omettant le point de vue des élèves. En tant et d'information des élèves rendent cette définition
que fonctionnaires, les professeurs-documentalistes ne initiale intenable car par trop en décalage. En cela,
doivent-ils pas d'abord apparaître comme remplissant les CDI affrontent une épreuve que toutes les biblio-
une fonction à la fois d'intérêt général et effective? thèques traversent depuis plus d'une décennie. Dès
Par exemple, est-ce bien en entrant en tension avec lors, il n'est pas sans intérêt d'observer comment les
l'inspection que l'utilité du métier sera rendue visible? bibliothèques publiques et universitaires voient leurs
usages modifiés, ce qui se traduit par une mutation du
La conviction qui nourrit les pages qui suivent est que mode de conception de ces équipements.
pour s'imposer et conduire à une réelle reconnais-
sance, le métier doit s'inscrire dans le monde réel, Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, les biblio-
c'est-à-dire composer avec les élèves tels qu'ils sont, thèques voient leur fréquentation s'amoindrir si on
dans la société telle qu'elle est, autrement dit avec la la mesure par le nombre d'inscrits'". De même, la
définition qu'elle donne de l'individu et avec les outils plupart des établissements enregistrent une érosion
techniques qui sont ce qu'ils sont, proposés par un du nombre de prêts, y compris pour un support tel
système économique qui est ce qu'il est"O Bien sûr, que le CD, qui a pourtant connu un succès indéniable,
il ne s'agit pas de faire disparaître toute forme d'es- voire même pour les DVO. Autrement dit, du fait des
prit critique mais de prendre acte du fait que le CDI pratiques numériques notamment, les collections des
et les professeurs-documentalistes n'ont pas voca- bibliothèques perdent de leur attractivité. La mise en
tion ni même les moyens de modifier les structures place de ressources numériques peine à modifier la
sociales inégales (et/ou injustes). S'ils sont un rouage situation. Les usagers les évaluent de façon rationnelle
de l'ordre social, ils peuvent l'influencer mais sans en fonction de leur facilité d'usage, de leur accès depuis
être en mesure de le définir. Quels services rendent-ils le domicile et de l'étendue du catalogue proposé. Pour
effectivement à la collectivité dès à présent? En quoi l'heure, les bibliothèques publiques n'ont pas trouvé
sont-ils indispensables à la formation des élèves et à un moyen de conserver leur attractivité par leurs
la bonne marche des établissements? Quel est et peut collections. En revanche, elles découvrent l'intérêt que
être le rôle spécifique du CDI et des professeurs-docu- suscite leur espace dans la population. Les données les
mentalistes ? Toutes ces questions forment autant plus récentes'" suggèrent qu'il existe une bonne résis-
de pistes de réponses à la construction d'une identité tance de la fréquentation de l'espace de ces équipe-
professionnelle fondée non sur des discours mais sur ments. C'est fort de ces constats que la profession est
une reconnaissance effective de la part de ceux qui en cours de mue et qu'elle s'empare de la notion de" 3'
entourent les professeurs-documentalistes. La valida- lieu" popularisée par M. Servet'13 Il s'agit de repenser
tion réelle d'un métier (fonction, pratiques), fût-il un le service en partant de l'aspiration de la population
peu éloigné de l'idéal, offre une reconnaissance sans à trouver dans un espace qui n'est ni celui du travail
doute plus solide que l'illusion d'une reconnaissance ni celui du domicile, un cadre propice à l'épanouisse-
impossible car fondée sur du sable. ment personnel dans toutes les dimensions que celui-
ci peut supposer. Malgré la situation financière difficile
des collectivités locales, les élus sont de plus en plus
FACE AU NUMÉRIQUE: nombreux à s'approprier cette vision renouvelée des
LE COI À LA CROISÉE DES CHEMINS bibliothèques'H Le défi des professionnels de la lecture

Les CDI se sont imposés dans le paysage des établis-


sements scolaires dans un contexte qui a désormais
111 Claude Poissenot, « La fréquentation en questions ", Bulletin
clairement disparu. Ils ont occupé une place majeure des bibliothèques de France, t. 55, n° 5, 2010. p. 67-72.
dans l'accès des élèves aux collections de livres et de 112 Observatoire de la lecture publique, BiblIOthèques municipales:
documentation. On a vu que les pratiques de lecture données d'actIVIté 2012 - synthèse natIonale, Paris, Ministère de
la Culture et de la Communication, 2014.
113 Mathilde Servet, « Les bIbliothèques troisième lieu ",
mémoire de dIplôme de conservateur des bibliothèques,
110 Comme d'autres, François Daveau exprime l'idée d'une
Villeurbanne, Enssib, janvier 2009. En ligne: wwwenssib.fr,
emprise économique sous-jacente quand il pose la question:
dans le moteur de recherche de la rubrique « Bibliothèque
" Comment Iles inspecteurs] pourraient-ils nous représenter
numérique ,,; entrer le tItre du mémoire.
alors que les enjeux qu'ils promeuvent sont, en arrière-
plan, politiques, économiques, masqués derrière l'argument 114 Nous avons modestement contribué à cette mutation des
omniprésent du numérique ou de l'autonomie-responsabihté bibliothèques municipales à travers La Nouvelle Bibliothèque:
des élèves à tout prix' " (<< Le bluff des 3C ", InterCDI, n° 243, contribution pour la bIbliothèque de demaIn, Voiron, Territoriale
mai-juin 2013, p. 6). Éditions, 2009.
MÉTIER EN PERSPECTIVES BEI

publique est de s'inscrire dans cette vé olution de façon reformule et les CDI pourraient valablement s'inspirer
à la réussIr et ainsi assurer la survie des bibliothèques de ces évolutions, mais la condition du succès de la
parce qu'elles sauront répondre aux nouvelles attentes mutation des CDI réside dans son adéquation avec les
de la population liS attentes de ceux à qui ils sont destinés.

Du côté des bibliothèques universitaires, le constat


sur l'évolution des prêts des documents imprimés LE COI ET LES RESSOURCES NUMÉRIQUES
est largement identique. Grâce à leur tutelle minis-
térielle, elles ont pu plus rapidement construire une Puisque le numérique est au cœur du basculement des
offre numérique attractive auprès des étudiants et des pratiques, le CDI se doit d'être présent sur l'offre déma-
enseignants et/ou chercheurs. Mais, parallèlement, les térialisée. Ce tournant est déjà largement développé et
bibliothèques universitaires ont perçu l'aspiration des on peut le mesurer à travers l'écart de la situation des
étudiants pour un usage de l'espace. Pour eux, ce lieu CDI avec l'offre rare et limitée de ressources numé-
constitue un cadre librement choisi de contrainte pour riques dans les sections jeunesses des bibliothèques
le travail universitaire. C'est d'ailleurs pour y répondre publiques. Nombreux sont les CDI donnant accès à des
qu'elles ont largement augmenté leurs horaires d'ou- ressources souvent organisées thématiquement grâce
verture et qu'elles ont cherché à repenser leur espace à un agrégateur de flux. Les élèves peuvent se tourner
en insistant sur le confort, l'accueil. les services vers celles-ci pour se perfectionner dans les enseigne-
proposés dans leurs nouveaux établissements (cf. par ments disciplinaires et parfois accéder à des bases de
exemple: Versailles, section droit-lettres de Grenoble, presse en ligne. La réflexion professionnelle est large-
Poitiers). La notion de learning center a été utilisée pour ment avancée1l7 et doit, bien sûr, se poursuivre, ce qui
désigner cette nouvelle manière de penser les biblio- peut conduire à une mutation du travail des profes-
thèques universitaires, mais cette désignation qui seurs-documentalistes, dans la mesure où cette offre
tendrait à enfermer la conception de l'accueil autour numérique, si elle doit être appuyée. communiquée
de la fonction d'apprentissage ne tient pas compte au sein de l'établissement aux élèves et aux ensei-
de tout ce qui est fait pour le confort et l'agrément gnants, relève d'une tout autre échelle (académique
du séjour sur place (sièges, café, coins détente, etc.). voire nationale) afin de l'organiser et d'y donner accès
Au sein des universités autonomes comme chez les au meilleur coût.
finance urs (notamment les conseils régionaux), cette
conception renouvelée de la bibliothèque lui assure Le CDI est dans son rôle quand il fournit la possibilité
la pérennité de son soutIen. Le ministère a engagé ce aux élèves à la fois de mieux se repérer dans le foison-
travail en rédigeant un vadémécum 116 judicieux sur nement de l'offre d'information en ligne et quand il
la mIse en place des centres de culture et de connais- permet d'accéder à des ressources payantes. Ainsi,
sances. Il reste qu'il faudrait sans doute mieux montrer les professionnels se doivent de connaître les sources
en quO! il découle logi'quement de la prise en compte libres d'accès afin d'être en mesure d'en produire une
de la réalité des élèves d'aujourd'hui. analyse critique (mais juste) dans le cadre des rela-
tions pédagogiques qu'ils entretiennent avec les élèves.
Ces exemples montrent que les institutions documen- De même qu'ils étaient (et qu'ils demeurent) experts
taires sont face à la nécessité de se recomposer du dans la production éditoriale imprimée, de même ils se
fait de la montée des pratiques numériques. La perte doivent d'avoir un niveau d'expertise suffisant sur le
d'une certame forme de monopole de l'offre publique numérique, ce qui nécessite une compétence certaine
d'information contraint ces éqUIpements à renoncer à et une formation continue régulière.
se définir par le document et à prendre l'usager comme
point de départ et cœur de la réflexion. La bIbliothèque
n'est donc pas en voie de " nngardisation ", elle se

115 JustIne Margherin slgllale certaInS changements en cours


dans les bibllothèques en chromquant un livre paru aux
presses de l'EnsSlb. Cf Justine Margherin. " Nouveau à la
bibli ", 15 févner 2012 En llgne wwwcafepedagoglque net. 117 Cf.Anne Delannoy,« Ressources numériques' des
entrer le tltre de l'article dans le moteur de recherche.
perspectlves et des questions ". 21 mai 2012 En ligne'
116 Dgesco, Vers des centres de connaissances et de culture. Paris. www.cafepedagoglque.net. entrer le titre de l'article dans
MInIstère de l'Éducation nationale, mal 2012 le moteur de recherche.
BB COI. PERCEPTIONS ET RËALlTËS

UN CADRE PROPICE AU TRAVAIL PERSONNEL particulier qui répond à une attente forte chez les
élèves. Dans l'enquête sur la fréquentation d'un CD!
La complainte des professionnels des bibliothèques d'un lycée en Lorraine, 75 % des visites enregistrées
à l'égard de l'usage scolaire des lieux est ancienne. étaient justifiées par le motif des devoirs"8 Pourquoi
Outre que ce public étudiant ou lycéen prend de la faudrait-il en priver les élèves? La question se pose
place et confère une connotation studieuse au lieu, il d'autant plus que le CD! devient alors le lieu d'un
ne s'intéresse pas aux collections qui ont longtemps apprentissage de l'autonomie dans le travail scolaire.
été le cœur et la raison d'être des bibliothèques. S'il Savoir se mettre au travail de sa p-ropre initiative dans
s'agit de partir des publics tels qu'ils sont, il convient un cadre que l'on choisit fait partie de l'apprentissage
de s'interroger sur les ressorts de cet attrait des biblio- nécessaire du " métier d'élève» et de la préparation
thèques auprès des scolaires et étudiants. Ce lieu est aux études supérieures"9 Quand les professeurs-docu-
utilisé comme espace de travail pour plusieurs raisons. mentalistes croient valoriser leur métier en sous-esti-
D'abord, il offre un cadre normatif silencieux propice. mant la fonction de la permanence, ils passent à côté
Ensuite, il permet aux élèves ou étudiants de ne pas d'une manière de se valoriser par la dimension péda-
se sentir seuls face à leur tâche: « souffrir ensemble gogique que remplit l'accueil des élèves sur le temps'
c'est déjà moins souffrir », semblent-ils avouer. Enfin, de permanence, en plus de celle qui consiste à rendre
travailler dans un espace qui offre des collections ce service aux élèves. Il suffit de constater la décep-
ouvertes au divertissement et des meubles au confort tion des élèves quand le CDI est fermé (par exemple
du corps revient à adoucir la peine. Celui qui étudie pour cause de formation d'un groupe d'élèves) pour
peut se donner l'impression de ne pas se soumettre s'en convaincre. Après tout, n'est-ce pas dommage de
à une obligation ou tout du moins de s'y soumettre rendre difficile le travail personn.el des élèves à l'heure
dans un cadre qui ne le réduit pas à cette dimension où l'enquête Pisa pointe la faiblesse des résultats des
studieuse. Cela lui donne le sentiment réel d'une élèves français par rapport à leurs camarade's des
certaine maîtrise sur lui-même puisqu'il a choisi ce autres pays de l'OCDE?
cadre et qu'il peut faire aussi le choix d'interrompre
son activité pour aller se détendre dans un fauteuil, lire À partir du moment où cette fonction est pensée et
une bande dessinée voire boire une boisson chaude .. acceptée par les professionnels, il convient de faire
en sorte d'obtenir les moyens de la remplir. Cela peut
Si les bibliothèques municipales, la Bibliothèque passer par le renforcement des équipes ou le concours
publique d'information et la Bibliothèque nationale de surveillants afin d'offrir des horaires d'ouverture
de France font l'objet de cet usage, il n'est nulle raison élargis. Cela peut passer aussi par la conception de
que les collégiens et, encore plus, les lycéens ne s'ap- l'espace de façon à distinguer des zones de travail dans
proprient les CD! dans cette direction. Le service est à lesquels le niveau sonore peut être plus élevé.
proximité immédiate et il tranche avec la dimension
univoque et formellement contrainte de la perma-
nence. Bien sûr, certains professeurs-documentalistes LE COI, LIEU DE SOCIALISATION DES ÉLÈVES
refusent de voir le CDI transformé en " permanence
bis »," permanence améliorée »," annexe de la perma- Si l'école est le lieu de l'enseignement, il s'adresse aux
nence " ou « perm de luxe ", mais il s'agit d'une faible membres d'une classe d'âge réunie. Inévitablement
minorité puisque seuIl % des prises de paroles spon- donc, la scolarisation se double d'une socialisation
tanées des professionnels interrogés exprime cette entre pairs. Les comportements des élèves en dehors
crainte. On peut comprendre aussi que l'apport du de la classe (et parfois en classe) sont affectés par
CDI comme lieu de travail perd sa vertu si les élèves cette coprésence de jeunes. Dès lors, le CD! ne peut,
y sont dirigés en dehors de leur volonté. Il reste que lui non plus, y échapper et les élèves cherchent parfois
nombreux sont les élèves à apprécier le cadre du CDI à se l'approprier comme un espace où il s'agit plus de
pour le travail et qu'ils le distinguent nettement de construire le groupe que d'étudier. Il est donc néces-
la permanence. Y compris au collège, certains élèves saire de procéder à une forme de régulation de cet
aiment pouvoir passer de leur activité studieuse à une usage collectif du CDI, de façon à rendre possibles les
activité de lecture de presse ou de bandes dessinées
que la permanence n'est évidemment pas en mesure
d'offrir 1 Les professeurs-documentalistes apportent 118 Cf.« Fréquentation d'un CD! : une étude à reproduire ", art. cit.
par leur présence, mais aussi par leur mise en forme 119 Pour faire référence au travail d'Alain Coulon, Le Métier
du lieu et les collections qu'ils proposent, un service d'étudiant, Paris, Puf, 1997.
METIER EN PERSPECTIVES BI
autres fonctions qu'il doit remplir. Néanmoins, il doit VERS UN PROFESSEUR ACCOMPAGNATEUR
aussi permettre le travail collectif car les élèves n'ont
pas aisément d'autres possibilités pour se réunir. Si le Parce que le professeur-documentaliste ne peut pas
travail en groupe est souvent présenté comme un point remplir sa fonction professorale au même titre que ses
faible du système éducatif français 120, il ne seraIt pas collègues d'autres matières et parce que la déclinaison
mauvais de le favoriser en créant les conditions de sa magistrale de cette fonction devient difficile à imposer
pratique. aux élèves. il n'est pas souhaitable que les professeurs-
documentalistes cherchent à se définir prioritairement
Le CDI peut remplir cette fonction spécifique d'ac- comme professeur. Pour autant, il serait également
cueillir les groupes pour le travail en commun. Alors malvenu d'exclure cette dimension. Au contact perma-
que les enseignants des autres disciplines ne prennent nent avec les élèves et les enseignants, installés au
pas toujours le temps de cette démarche, les profes- cœur des établissements, ils remplissent une fonction
seurs-documentalistes ont les compétences et l'occa- enseignante qui justifie la reconnaissance de cette
sion d'accompagner les élèves dans ce type d'exercice. mission dans les textes qui orientent leur activité.
Cette fonction soulève des difficultés que l'aménage-
ment intérieur peut résoudre. Et c'est ainsi heureux de Mais là où les autres enseignants exercent dans un
constater que se développent des boxes ou salles de cadre imposé (le lieu, le professeur, l'heure sont définis
travail pour accueillir les élèves en groupes Séparés par l'administration de l'établissement), les élèves qui
du reste de l'espace du point de vue sonore, ils restent se tournent vers les professeurs-documentalistes ont
sous le contrôle visuel du personnel du CDI qui doit une liberté de choix (de l'heure, du personnel quand
bien sûr réguler ce qui s'y passe. le CDI est tenu par plusieurs personnes, du lieu dans
la mesure où ils peuvent renoncer à cette aide ..). La
Mais la socialisation des élèves ne se résume pas au spécificité de cette situation pédagogique assure une
travail en groupe. Le CDI accueille aussi des élèves attention des élèves qui sont pris dans une logique
qui, en marge d'activités studieuses (ou non), ont à scolaire qui les aiguillonne. Ils ont un travail à faire
cœur d'échanger entre eux. En cela, le CDI apparaît qui nécessite la récolte et le traitement d'informa-
comme le cadre de relations amicales émergentes ou tions pour lesquels les professeurs-documentalistes
finissantes mais aussi de rencontres ou de confron- sont à même de leur fournir une aide décisive. En
tations avec d'autres élèves non familiers Le profes- cela, les élèves ne sont pas si éloignés des cher-
seur-documentaliste, par sa présence, rend possible ces cheurs en sciences, techniques ou médecine que
interactions en les laissant se dérouler sans renoncer à décrit C. Boukacem . « Les recherches effectuées par
intervenir quand le rappel à l'ordre s'impose. Certains les usagers semblent moins s'inscrire dans un temps
professionnels s'offusqueront de cette fonction par dédié et consacré à la recherche d'informations qu'à
trop éloignée de la mission professorale à travers un temps dédié à d'autres tâches (rédaction, reviewing,
laquelle ils voudraient se définir mais cela relève de la enseignements) durant lequel des recherches sont
spécificité du CD!. Le cadre constitutivement informel lancées ponctuellement!''. "Leur travail sur l'informa-
du CDI rend particulièrement possible (sans doute tion prend intrinsèquement part à l'exercice, l'exposé,
souhaitable) cette fonction en offrant une occasion qui le devon qU'Ils sont en train de réaliser. L'efficacité
se distingue de la classe ou du cours. Avec sa spécificité _pédagogique réside dans l'adéquation et la réactivité
indéniable, le professeur-documentaliste rejoint tous de la réponse du service documentaire à une recherche
les enseignants et adultes des établissements dans la naissante et décisive pour les élèves. Celle-ci est très
fonction d'éducation certainement bien supérieure à celle d'un enseigne-
ment« hors sol» des principes et outils de la recherche
d'informatIOns. La «pédagogie de l'accompagnement»
spécifique, selon nous, à la relation des professeurs-
documentalistes avec les élèves, repose sur plusieurs
caractéristiques que l'on peut Identifier:

120 Cf. par exemple Robert Branche, " L'Éducation nationale don 121 Chérifa Boukacem-Zeghmoun, « Pratiques de consultatIOn
favoriser le travail en groupe et l'imagination ",3 jUlTl 2013. des revues électrOniques par les enseignants chercheurs:
En hgne lecercle lesechos fr, entrer le titre de l'article dans les STM en France ", Documentaliste- Sciencesde l'InformatlOll.
le moteur de recherche. vol. 47, n° 2, 2010, p. 8.
COI, PERCEPTIONS ET RËALlTËS

- la personnalisation de l'intervention du professeur- service public qui nous incombent: construire péda-
documentaliste par rapport aux élèves. Les commen- gogiquement leurs apprentissages, développer dans
taires et pistes proposées sont en lien direct avec le le temps et la progression leur savoir info-documen-
sujet auquel les élèves sont confrontés; taires123 » ? Voilà comment créer son propre malheur
- la réactivité de l'intervention par rapport à la (et celui d'une profession) par la référence à un idéal
demande des élèves. Autant que faire se peut, il s'agit inaccessible alors que le présent est déjà l'idéal.
de pouvoir répondre au plus tôt à la formulation de la
demande d'aide;
-la posture du professeur-documentaliste à l'égard des LE COI LIEU DE LA LECTURE VIVANTE
élèves n'est pas magistrale mais d'une proximité, voire
d'une forme de complicité, qui ne perd pour autant Dans leurs pratiques quotidiennes, les professeurs-
pas de vue l'objectif de l'apprentissage de la recherche documentalistes s'adressent à des jeunes pour lesquels
d'informations. Elle repose donc sur l'établissement le rapport au réel passe de moins en moins par la
d'une relation de confiance avec les élèves; lecture de l'imprimé. Ils sont en train de reformuler'"
- parce que l'information n'est pas une fin mais un l'univers des pratiques culturelles en minorant la place
moyen pour la connaissance, de même que l'épisté- du support papier. Ce constat s'impose plus qu'il ne
mologie ne constitue pas la finalité mais la condition doit susciter réserves ou enthousiasme. En quoi
de la science, l'accompagnement des élèves peut aussi marque-t-il l'univers des possibles des professeurs-
passer par des relations étroites entre professeurs- documentalistes? Après tout, on pourrait imaginer
documentalistes et professeurs de discipline. Cela que le développement du numérique et le retrait des
peut prendre des formes multiples et suppose l'éta- pratiques de lecture imprimée cqnduiraient à la même
blissement de liens entre collègues par lesquels les évolution que celle observée par la coprésidente de
professeurs-documentalistes apportent leurs compé- l'ADBS : « Ces dernières années, nous avons assisté à
tences spécifiques complémentaires au service d'un la réduction massive dans les entreprises des effectifs
enseignement. dédiés à la documentation. Cela a été un choc pour
les professionnels'2S. » Clairement, cela signifie que les
Si l'ancrage de l'activité des professeurs-documenta- professeurs-documentalistes voient progressivement
listes dans le champ des sciences de l'information a du les élèves prendre leurs distances avec les collections
sens, c'est bien dans cette attention à la particularité de livres que leurs prédécesseurs avaient accumu-
des situations. V. Couzinet définit ainsi la documen- lées et qui faisaient parfois leur fierté. On pense, par
tation « comme [un] processus de médiation visant à exemple, à ce CDI d'un lycée central d'une grande ville
faciliter l'accès au document et à son contenu dans qui a constitué un large fonds de philosophie au fil des
un contexte particulier'" ». Que ce soit dans une fina- ans et qui n'est plus utilisé que par quelques ensei-
lité scolaire ou pour un motif personnel, les élèves ont gnants .. Bien sûr, des actions sont conduites et avec
accès à un enseignant à même de les accompagner succès. Mais si elles ralentissent le processus, elles ne
dans leur parcours informationnel. C'est dans cette l'annulent pas. L'univers culturel juvénile se révèle
situation que le professeur-documentaliste est plei- de moins en moins favorable à l'appropriation collec-
nement dans son rôle. Il travaille à l'apprentissage de tive de la lecture de livres. Le plaisir de lire est voué
l'autonomie des élèves par l'aménagement de l'espace, à être un plaisir personnel pouvant être partagé dans
la présentation des collections et la mise en place le cadre de relations interpersonnelles et beaucoup
d'une situation de travail autonome. Ille fait tout en plus difficilement dans celui des relations entre pairs
étant disponible pour aider et veiller à ce que l'auto- d'une même génération. Dans les CDI,les profession-
nomie ne soit ni le chaos ni l'abandon. Comment une nels peuvent plus facilement s'adresser aux individus-
représentante associative peut-elle écrire: «Travailler élèves dans le cadre d'une relation interpersonnelle
ou collaborer avec nos collègues ne nous garantit pas que dans celui d'un rapport pédagogique. En cela, ils
d'œuvrer pour les élèves. Nous les verrons, nous les œuvrent donc effectivement pour la promotion de la
aiderons, nous les accompagnerons, sans aucun doute,
mais nous n'exercerons pas la tâche et la mission de
123 Emmanuelle Mucignat, « Veille et vigie comme valeur
ajoutée assoClative ", InterCOI,n° 238, juillet-août 2012, p. 74.
124 Claude Poissenot, « La lecture détraditionalisée ",
122 Viviane Couzinet, " Les dispositifs: questions Lecturejeune. vol. 34, n° 137, 2010, p. 14-17.
documentaires », in Cécile Gardiès (dir.),Approche de 125 Interview de Véronique Mesguich réalisée par Véronique
l'information·documentation, Toulouse, Cépaduès, 2011, p. 117. Heurtematte, Livres-Hebdo, n° 971, 25 octobre 2013, p. 18.
MËTIER EN PERSPECTIVES

lecture au sens de son appropriation personnelle par domaines de l'existence jusqu'à la manière dont ils
les élèves. Ils contribuent ainsi à fabriquer et faire souhaitent prendre en charge leur corps une fois la
perdurer des lecteurs parmi les jeunes des établisse- mort venue avec la forte croissance de la crémation 178
ments scolaires. Et c'est bien leur position institution-
nellement particulière qui le favorise. L'échange avec Ce souhait persistant imprime donc fortement sa
les élèves est d'autant plus personnel qu'il n'est pas marque sur notre monde et le CDI ne peut passer à
inscrit dans le cadre d'un cours évalué et qu'il résulte côté, qu'il s'agisse des élèves comme des professeurs-
d'une interaction laissée à la liberté de l'élève. De documentalistes. Les uns comme les autres trouvent
même, les activités de club de lecture et plus large- (ou aimeraient trouver) dans ce cadre un formidable
ment de réunion d'élèves autour de livres participent espace de liberté. Il représente une fantastique oppor-
à l'insertion de cette pratique dans l'univers juvénile. tunité d'expérience de cette sensatlOn de liberté. Si le
C'est là une autre modalité de socialisation à la lecture. cadre scolaire est sans doute moins contraignant
Il est indéniable que les professeurs-documentalistes qu'il ne l'a été avant 1968, les élèves ont encore plus
sont à l'origine de nombreuses découvertes, redécou- pris goût à leurs revendications personnelles. Cela
vertes, conversions à la lecture. En cela, ils la rendent signifie notamment qu'ils entendent encore moins
vivante et participent à ce que cette pratique perdure, que leurs parents ou grands-parents se dissoudre
malgré tout, dans ces nouvelles générations. comme personne pour entrer dans le moule du statut
d'élève. Ils veulent voir leur singularité'29 reconnue
Et parce que le CDI est aussi (et pas seulement) le lieu et pas seulement quand elle plaide en leur faveur,
de la lecture, il donne une visibilité à cette activité comme on l'observe à travers la multiplication de
au-delà des seuls pratiquants. Il donne à la lecture un l'affichage des dys- (-lexie, -orthographie, -calculie,
visage qui la sort du dialogue singulier avec le texte en etc.). Un nombre croissant revendique d'entrer dans
montrant des situations de sociabilité autour de celle- une relation interpersonnelle avec leurs enseignants.
ci. En cela aussi il fait de la lecture une pratique vivante. Les" bons» étant ceux qui les écoutent et acceptent
le dialogue. Ils n'apprécient pas les professeurs qui les
traitent comme de simples réceptacles à savoirs. Par
UN ESPACE DE LIBERTÉ contraste, les élèves peuvent trouver chez le profes-
seur-documentaliste une attention particulière qui
Alors que la liberté a longtemps été une valeur tranche avec celle que certains autres enseignants
abstraite et universaliste, elle est désormais reven- peinent à leur accorder puisqu'ils sont fondus dans
diquée concrètement pour les individus eux-mêmes. le groupe-classe. Ils ont ainsi la liberté d'être perçus
L'individualisation de notre société a modifié en pour eux-mêmes et non à travers leurs camarades.
profondeur la conception que nos contemporains se Par ailleurs, le cadre scolaire leur impose une multi-
font de la liberté. Elle est une valeur dont il s'agit de tude de contraintes puisqu'ils n'ont pas le choix des
faire l'expérience dans sa vie ordinaire. Elle s'actua- enseignants, des emplois du temps, des programmes,
lise dans des choix de consommation mais aussi dans etc. Autrement dit, les occasions de faire l'expérience
les relations à autrui. Il devient difficile de renoncer à de leur liberté sont rares. Ils ont parfois un foyer des
sa propre liberté d'actIOn au-delà du cadre statutaire élèves et la cour de récréation leur offre un moment de
à l'intérieur duquel on évolue Les membres d'asso- respiration, mais le CDI représente aussi une fort belle
ciations, syndicats ou partis politiques se refusent à opportumté pour se montrer à eux-mêmes qu'ils ne
disparaître comme individus autonomes malgré leur sont pas enfermés dans leur statut d'élève. Idéalement,
adhésion à une organisation 126. Même le président de ils peuvent choisir de s'y rendre plutôt que de devoir
la République s'offre une soirée de liberté en dehors aller en permanence. Réduire le CDI à une" super-
du protocole qui le lie à ceux chargés de sa surve!l- permanence ", c'est ne pas prendre en compte le fait
lance'" 1 Il existe donc une aspiration puissante et que si la fréquentation du CDI résulte d'un choix libre,
diffuse à la revendication d'une liberté personnelle elle constItue bien un moment de liberté. Mais dans la
chez tous nos contemporains. Elle concerne tous les multiplicité des usages-mêmes que les élèves peuvent
en faire, c'est aussi un territoire de liberté (lire la presse

126 Jacques Ion, S'engager dans une soc1été d'individus, Pans.


A Colin, 2012 128 Gaèlle Dupont, « La crémat1on. une rupture anthropolog1que
127 David Revault d'Allones,« Quand les Hollande s'évadent. les majeure ", Le Monde, 2 novembre 2013, p 9
'gorilles' sont à cran ", Le Monde, 12 octobre 2013, p 23. 129 Danilo Martuccelli. La Société smgulanste, Paris, A. Colin, 2010
COI, PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

ou des bandes dessinées, faire ses devoirs, travailler un individualiste qui aime les autres (savoir faire sa
à plusieurs, etc.). Ils peuvent choisir leur activité et place au sein de la structure tout en créant du lien
passer à leur guise de l'une à l'autre. Cette liberté avec tous les intervenants de l'établissement), être la
n'est évidemment pas absolue et suppose une forme bonne courroie de transmission des informations, être
de régulation de manière à faire tenir ensemble tous celle ou celui qui permettra de mettre un peu d'huile
les individus. Il n'est pas possible de laisser la liberté dans les rouages ». Ëtre individualiste ne signifie pas
de quelques-uns remettre en cause la possibilité de ici ne penser qu'à son propre intérêt mais plutôt être
celle des autres. Autant dire que le CDI devient un lieu capable de construire son actio~- de façon autonome,
exemplaire de notre société d'individus dans lequel sans attendre que l'institution l'exige. Une collègue
les élèves, qui ne sont pas réduits à cette dimension en milieu de carrière dans un collège de l'académie
scolaire, peuvent faire l'expérience de leur liberté, de Lyon exprime cette idée: « J'ai une très grande
sous réserve du respect d'un ordre collectif vivable130 liberté professionnelle car je définis moi-même les
N'en déplaise à ceux qui contestent cette affiliation, axes du projet-CDI (parce que j'ai la chance d'avoir la
le CDI relève effectivement bien du domaine de la vie confiance totale de ma direction). » La liberté résulte
scolaire ... d'une situation institutionnelle particulière et c'est
extrêmement judicieux de suggérer de se construire
Du côté des professeurs-documentalistes, la situation comme un individu aimant sa liberté pour vivre pleine-
particulière de leur position institutionnelle, si elle est ment son métier. D'autant plus que cette condition est
source de récriminations, n'est sans doute pas pour immédiatement assortie de celle" d'aimer les autres»
rien dans le sentiment de liberté éprouvé par nombre puisqu'en effet, il n'est pas possible d'être au milieu de
d'entre eux. On trouve cette ambivalence dans la litté- tous sans avoir une inclination.à leur égard.
rature professionnelle. Ainsi, S. Leturcq : " Frustrée, je
me sens plus libre qu'un collègue contraint d'appli- Comme le résume cette professeur-documentaliste
quer dans une course effrénée un programme qu'il ne dans la tranche de 45-54 ans d'un collège de l'aca-
pourra jamais choisir ni achever131 »Dans le domaine démie de Versailles: « Le CDI n'est pas indispensable
pédagogique lui-même, la diversité des formes d'ac- mais offre aux élèves, ainsi qu'aux professeurs, un
tions et des situations offre un choix dans lequel les espace de liberté, une sorte de "bulle d'oxygène" salu-
professeurs-documentalistes peuvent s'investir en taire dans l'environnement contraignant régi par les
faisant prévaloir des préférences personnelles. Ce point horaires et les notes qu'est le collège. » Son caractère
de vue se retrouve dans nombre de témoignages spon- « facultatif" s'entend pour une définition du cadre
tanés que nous avons recueillis. Ainsi cette collègue en scolaire comme il l'a longtemps été tant que l'indi-
fin de carrière dans un collège de l'académie de Lille vidualisation n'avait pas imprimé sa marque sur les
" apprécie la liberté pédagogique au quotidien" et " la élèves et les enseignants. En revanche, à l'heure où
grande liberté d'actions si la direction fait confiance ». celle-ci est désormais la nouvelle norme de défini-
Sa collègue, du même âge et d'un collège de l'académie tion de l'individu, cette liberté devient essentielle, au
de Grenoble poursuit cette idée: " Un métier varié, avec contraire. Et elle constitue (et constituera longtemps)
un espace de liberté qui permet à chaque documen- aussi une profonde source de satisfaction personnelle
taliste de s'exprimer en fonction de sa personnalité, pour nombre de professeurs-documentalistes.
des relations particulières avec les élèves dans un lieu
où les élèves se mélangent. " On voit bien comment
le sentiment de liberté naît de la possibilité pour la
personne de traduire dans son activité profession-
nelle des éléments de ce qui la constitue comme
telle. La liberté apparaît quand le cadre institutionnel
permet l'expression de soi. La même collègue, après
réflexion, arrive à la conclusion selon laquelle" c'est
un métier qui laisse beaucoup de libertés, il faut être

130 Cf. par exemple Julie Anne. " Vivre ensemble " 15 février
2012. En ligne: www.cafepedagogique.net. entrer le titre de
l'article dans le moteur de recherche.
131 Sandrine Leturcq, " Le parti pris des docs », InterCDI, n° 238,
juillet-août 2012, p. 4.
L'expérience que les professeurs-documentalistes font de leur métier se révèle assez
variable selon leur lieu d'exercice ou leur âge. L'enquête que nous avons réalisée sur un
vaste échantillon ne permet pas de conclure à une situation de crise généralisée. Il existe
bien une minorité très agissante qui cherche à définir le métier en plaçant l'accent sur
la dimension professorale du professeur-documentaliste. Ils parviennent à rallier à eux
certains professionnels qui vivent dans la souffrance la situation réellement fragile de la
reconnaissance dont ils font l'objet de la part de la hiérarchie de l'établissement, mais aussi
des autres enseignants voire des élèves. Pour autant, ce courant qui est bien structuré et
appuyé par une partie de la recherche en sciences de l'information ne saurait décrire la
globalité de l'expérience des professeurs-documentalistes. Il serait donc absurde de ne pas
voir l'existence d'un malaise réel parmi les professionnels mais il serait excessif de penser
au caractère systématique des revendications présentes chez les représentants associatifs,
syndicaux ou dans la presse professionnelle. Une part importante de la profession assiste
avec perplexité à certains débats qui ne font plus corps avec la situation effective dans
laquelle ils se trouvent. Le ministère lui-même ne fournit plus de cadre actuel convaincant
pour construire le sens de son action. Entre la circulaire de 1986 qui peine à être réécrite,
l'accent mis sur la « politique documentaire !>, le basculement vers les outils Internet, le
Pacifi,le centre de culture et de connaissances, etc., il n'est pas étonnant que les professeurs-
documentalistes peinent à construire un sens unifié à leur action. Pour autant, la tension
entretenue par une minorité active à l'égard du ministère et de l'inspection semble vaine.
On ne voit pas en quoi cela serait de nature à améliorer la situation.

Bien sûr, le malaise existant puise sa source dans la révolution du numérique, dans
l'ambiguïté du statut de professeur-documentaliste et des discours ministériels, mais il
est aussi largement le produit de discours professionnels eux-mêmes. Et c'est ce constat
d'une profession qui travaille si fortement à son propre malheur qui nous a conduits à écrire
ce livre. Plutôt que de partir de la réalité de la situation des élèves et du système éducatif,
les discours dominants partent d'un idéal de métier inaccessible. Comment revendiquer
un statut de« professeur» au même titre que les autres, quand on n'a pas accès aux élèves
dans le cadre de cours donnant lieu à des notes et à une présence au conseil de classe?
Comment croire qu'il suffirait d'une lettre de mission pour faire enfin des professeurs-
documentalistes de « vrais » professeurs dotés d'une légitimité vis-à-vis des équipes de
direction des établissements et d'un statut stable? Les conditions de l'éducation ne sont
plus réunies pour penser le rôle du professeur comme celui qui détient un savoir qu'il
va inculquer aux élèves. Cette énergie à générer du malheur occulte toute la richesse de
l'action des professionnels de terrain132.Et elle rend inaudible la profession tant par rapport
aux collègues des disciplines que vis-à-vis des environnements proches (si une partie des
bibliothécaires est solidaire des professeurs-documentalistes, nombreux sont ceux à être
dans l'incompréhension à leur égard) mais aussi des élèves ou de leurs familles. La voie de
l'affirmation dominante de la dimension professorale se révèle une impasse dont il s'agit
de sortir. Comment?

132 Quel contraste entre la vitalité des expériences et témoignages des professionnels et le ton critique voire
pessimiste de l'auteur de l'avant-propos du livre du collectif Vivre le CD!, C'es[ de plus en plus fOI! tOlt[ ce qu'on
peut encore faire au COI l, Paris, L'Harmattan, 2012.
[]TI] COI. PERCEPTIONS ET REALITES

Au lieu de partir du monde tel qu'il devrait être, il convient de partir du monde tel qu'il
est. Il ne s'agit pas de renoncer à le changer mais de partir de l'évidence selon laquelle on
ne peut changer le monde qu'en partant de sa réalité. Qui sont les élèves? Quelles sont
leurs pratiques informationnelles mais aussi scolaires? En quoi peut-on contribuer à leur
réussite, fi leur appropriation de la lecture et à leur bien-être? Quel peut être l'apport du
CD! et des professeurs-documentalistes à l'activité des enseignants de discipline dans
le contexte technologique et sociologique d'aujourd'hui? En quoi cela constitue-t-il une
opportunité pour faire passer les éléments indispensables de connaissance et de maîtrise
de l'information?

Bref, contrairement au mirage entretenu par une minorité de professeurs-documentalistes,


la légitimité d'une fonction et la reconnaissance qui en découle ne sauraient provenir
de textes officiels. C'est aussi la contrepartie de notre monde dans lequel nous pouvons
revendiquer une existence personnelle au-delà de notre définition statutaire. Elles puisent
leur source dans la réalité de leur action. Les témoignages sont nombreux de professionnels
parvenant à mener à bien des projets grâce au soutien de proviseurs, de principaux, de
CPE et de collègues de discipline. Dans chacun de ces cas, les professeurs-documentalistes
affirment et affichent le bien-fondé de leur existence, leur apport spécifique à l'œuvre
collective de la communauté éducative. Ils construisent ainsi une relation de confiance qui
permet d'autres projets. La reconnaissance se bâtit ainsi localement et constitue le ferment
d'une reconnaissance plus globale. Jamais aucun texte officiel n'aura la même efficacité.
C'est parce que les chefs d'établissement font l'expérience de la nécessité du CD! et de
son personnel qualifié qu'ils seront à même de demander ou défendre des postes. Mais la
profession pourrait aussi mettre en valeur son activité plus qu'elle ne le fait aujourd'hui.
Comment comprendre qu'il n'existe pas davantage de relevés de fréquentation du CD!, de
travaux sur les usages de ce lieu? Dans de nombreux cas, le CD! est plébiscité par les élèves
qui y trouvent un espace intermédiaire entre l'espace scolaire et le lieu privé, propice à un
usage scolaire ou personnel. Mais personne ne le sait, pas même les professionnels qui ne
mesurent pas souvent cette réalité, qui ne fait, hélas, l'objet de presqu'aucune publication
dans la presse spécialisée. Des enquêtes en cours ou passées montrent que la proportion
d'élèves n'ayant pas visité le CD! au moins une fois dans l'année de manière volontaire est
très faible. Cela signifie qu'il occupe une place majeure dans la socialisation des jeunes à
un espace documentaire. Il est ainsi à un niveau bien supérieur à celui des bibliothèques
publiques133• Si 42 % des jeunes de treize ans ont visité au moins une fois dans l'année
une bibliothèque municipale, ils ne sont plus que 21 % à dix-sept ans. Les professeurs-
documentalistes, qui sont souvent seuls à maintenir ouvert trente heures par semaine cet
équipement, remplissent une fonction sociale de premier plan et tout se passe comme s'ils
ne voulaient pas le savoir ni le faire savoir!

Une autre voie est donc possible qui consiste à partir des élèves tels qu'ils sont aujourd'hui
et de la position singulière du CD! dans le contexte des établissements. L'observation de
l'évolution des bibliothèques montre que le basculement de l'information vers le numérique
se traduit certes par un recul de l'usage des collections mais par le maintien, voire le
développement de l'usage de l'espace. Le.CD! (et son personnel) a de l'avenir non seulement
par la mise en place de services numériques et par l'accompagnement des élèves dans ce
domaine, mais également par une reformulation de ses espaces en partant non plus des
collections mais des usages à satisfaire.

133 Un'e enquête réalisée avec un groupe d'étudiantes de l'IUT Nancy-Charlemagne dans un collège d'un
quartier populaire de la périphérie de Nancy montre que 85 % des élèves ont au moins franchi une fois
les portes du CDI au cours de l'année 2012-2013. Dans un lycée professionnel. nous avions mesuré que
cette proportion était de 88 % (Cf.Élodie Grandmontagne et Claude Poissenot, " Le CDI vu par les élèves:
fréquentation ", InterCDI, t. 31, n° 182, 2003, p. 8).
Si l'affirmation de l'individu passe beaucoup de nos jours par la remise en cause des
discours officiels, cela ne saurait constituer une raison suffisante pour les rejeter. Penser
par soi-même consiste y compris à se méfier de ses propres démons ... La richesse, la
créativité des professionnels pourraient se tourner davantage vers les élèves et vers la
valorisation des CD! que vers des querelles chimériques. Il appartient aux professionnels
qui ne se reconnaissent pas dans le discours professoral sur le métier, de remettre en cause
la parole de ceux qui ont investi les tribunes en posant le débat en des termes simples:
qu'est-ce qu'un CDI et un professeur-documentaliste dans la situation actuelle et pour les
élèves tels qu'ils sont et non tels qu'ils devraient être? Plus largement, c'est autour de cette
question que pourraient se structurer la formation et la recherche dans ce domaine. Vaste
et enthousiasmant programme ... Bienvenue au CDI 1
ma

Ariès Philippe Gardiès Cécile (dir.l Poissenot Claude


L'Enfant et la vie familiale sous l'Ancien Approche de l'information-documentation, La Nouvelle Bibliotheque : contribution
Régime, Paris, Le Seuil, 1975 Toulouse, Cépaduès, 2011. pour la bibliothèque de demain, Voiron,
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ENQUÊTE SUR LES COI

Claude Poissenot (claude.poissenot@univ-lorraine.fr)


Enseignant-chercheur en sociologie, Centre de recherche sur les médiations

Qu'est-ce que le métier de professeur-documentaliste? Cette question agite les profes-


sionnels qui ont des discours forts à son sujet. Mais quel est le contenu effectif du
métier? Les pratiques et visions du métier sont-elles homogènes parmi les profes-
sionnels ? Ces questions justifient cette enquête à visée nationale. Celle-ci n'est pas
d'origine institutionnelle mais universitaire. Elle sera exploitée dans le cadre de mes
activités de recherche à l'université de Lorraine sur les jeunes et les institutions docu-
mentaires. Autant qu'il sera possible, les résultats seront publiés de façon à donner
aux professionnels une image de leurs pratiques et représentations.
Merci d'avance pour votre réponse bien sûr anonyme.

D'abord quelques questions sur votre pratique du métier ..

Au cours de la semaine dernière, avez-vous ...

... accueilli un groupe d'élèves dans le cadre d'un cours d'une autre discipline?
... assuré une formation auprès des élèves?
... aidé au mOinsun élève dans une recherche d'informations pour ses études?
... aidé un élève pour ses devoirs?
... aidé un élève dans une recherche personnelle d'informations?
... parlé avec un élève à propos de son orientation?
... parlé avec un élève de problèmes ou questions personnels?
... fait respecter le silence dans le COI?
... catalogué ou indexé des documents?
... sélectionné des documents en vue d'acquisitions
... équipé des documents?
... conseillé des documents?
... enregistré des prêts ou retours?
... participé à une réunion avec l'administration [direction ou intendance) ?
... eu des relations avec la vie scolaire/CPE ?
... échangé avec un collègue en vue d'un projet dans sa discipline?
... sollicité des collègues pour la mise en place d'un projet dont vous êtes porteur?
... échangé avec des' partenaires extérieurs [site Canopé, SM. librairie, etc.)
COI. PERCEPTIONS ET RÉALITÉS

Sur l'année, organisez-vous ou prenez-vous part aux activités suivantes?

Activité autour de la lecture: défi lecture. rallye, club, jeu, prix, etc.
Activité de club [sauf lecture) : cinéma, théâtre, journal, science, etc,
Activité de sortie: cinéma, théâtre, voyage, etc.
Mise en place d'une exposition
Semaine de la presse et des médias
Conseils d'enseignement
Conseils de direction [direction, CPE, intendance, etc.)

À présent, quelques questions sur votre perception du métier ..

D'après vous, le professeur-documentaliste a pour fonction de ...

... former les élèves à la culture de l'information


... évaluer les compétences des élèves
... former les élèves dans les disciplines académiques
... aider les élèves dans leurs travaux interdisciplinaires
... participer à la formation du citoyen
... transmettre le goût de la lecture
... aider les élèves dans leur orientation.
... participer à l'acquisition de la culture générale des élèves

D'après vous, le CD! (comme espace) sert à ...

... proposer des documents pour le divertissement des élèves


.... proposer des ordinateurs ou outils numériques aux élèves
... accueillir des élèves qui veulent passer un moment en groupe
... accueillir des élèves qui sont mal intégrés parmi les autres élèves
... accueillir des élèves qui sont en difficulté scolaire
... accueillir des élèves qui veulent travailler seuls
... accueillir des élèves qui veulent travailler en groupe

Comment percevez-vous les élèves auxquels s'adresse le CDr ?

Des personnes [qui ont leurs propres centres d'intérêt)


Des [futurs) citoyens
Des membres d'un groupe de pairs
Des jeunes [membre d'une génération)
Des élèves [qui ont vocation à apprendre)
ANNEXE

En quelques mots, pourriez-vous définir votre métier?

Pour finir, quelques questions sur vous et votre établissement..

Vous êtes dans ...


o Un collège o Un lycée professionnel o Un lycée général ou technologique
o Une cité scolaire o Autre
Votre établissement est ...
o Public 0 Privé

Combien d'élèves compte votre établissement:


o Moins de 200 0 De 200 à 400 0 De 400 à 600
o De 600 à 1 000 0 Plus de 1 000

Dans quelle académie est situé votre établissement:


o Lille 0 Versailles 0 Nancy-Metz o Rennes
o Toulouse 0 Grenoble 0 La Réunion o Lyon
Vous êtes ...
o Une femme o Un homme
Quel est votre âge?
o Moins de 35 ans 0 35 à 44 ans 045 à 54 ans o 55 ans et plus
Quelle est votre ancienneté en tant que professeur-documentaliste?
o Moins de 5 ans '0 5 à 10 ans 0 10 à 20 ans 0 plus de 20 ans

Êtes-vous titulaire du CAPES de documentation?


o Oui, externe 0 Oui, interne 0 Oui, 3· voie
o Oui, réservé 0 Non

Êtes-vous titulaire d'un diplôme universitaire en sciences de l'information et de la communication?


o Oui 0 Non
_REPÈRES
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Guide liCE
pour le professeur-
documentaliste
IlEn/euk numtl,lq.,.~,

Réussir le CAPES interne Réussir le CAPES externe Guide TICE pour le professeur-
de documentation de documentation documentaliste
Bernard Heizmann et Élodie Royer Bernard Heizmann et Élodie Royer Denis Tuchals et Jean-Pierre Véran
Canopé-CRDP: Nancy-Metz, 2011 Canopé-CRDP: Nancy-Metz, 2012 Canopé-CRDP : Paris, 2012
Réf. 540B5002 - 18 ¤ Réf 540B5004 - 20 ¤ Réf. 750LIV15- 22 ¤

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?EFC-
10-31-1510

Imprimé sur les presses de Corlet imprimeur


14110 Condé-sur-Noireau
Dépôt légal: juillet 2014

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