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audrey-morin
Éditions Druide
1435, rue Saint-Alexandre, bureau 1040
Montréal (Québec) H3A 2G4
www.editionsdruide.com
GR I MOI R E S
Les Éditions Druide remercient le Conseil des arts du Canada et la SODEC de leur soutien.
Il est interdit de reproduire une partie quelconque de ce livre sans l’autorisation écrite
de l’éditeur. Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.
Avant-Propos..................................................................................... 11
Chantal Beauregard – Le carnage canin......................................... 13
Geneviève Blouin – Dans les entrailles
du dragon de briques.................................................................... 31
Simon Boulerice – M’infiltrer dans ta vie
(Try to fit in your life).................................................................. 45
Laurent Chabin – Le placard............................................................ 59
Evelyne Gauthier – Le Justicier........................................................ 73
Karine Lambert – La déposition de 34-B7...................................... 91
Martine Latulippe – Ça suffit......................................................... 107
André Marois – Encanador !.......................................................... 121
Richard Migneault – Keviiiiiiiin, au bureau du directeur !.......... 137
Suzanne Myre – En vers et contre tous.......................................... 153
Julie Rivard – Panique para(normale)........................................... 169
Sonia Sarfati – Rats.......................................................................... 187
Robert Soulières – On sort Carignan !.......................................... 203
Chloé Varin – Comme la reine ou la constellation ?..................... 221
Pierre-Yves Villeneuve – Jour J pour Jesse-James......................... 237
Les auteurs........................................................................................ 257
AVANT-PROPOS
11
pas prévue. Voilà la chute ! Le moment où vous vous direz :
« Il ou elle m’a bien eu ! »
Voici donc ce que vous offre ce recueil : 15 histoires qui, je
l’espère, sauront vous plaire. Vous y découvrirez autant d’au-
teurs ; certains que vous connaissez sans doute et d’autres,
inconnus. Qui sait ? Vous aurez peut-être ensuite envie de
lire leurs romans…
Bonne découverte !
Richard Migneault
Directeur de publication et, accessoirement, auteur
12
CH A N TA L BE AU R EGA R D
Le carnage canin
D es talons martèlent le linoléum dans le long couloir
de l’étage. Les pas se rapprochent dangereusement de
moi. Ma gorge se noue et je sens le souffle saccadé de ma res-
piration. D’étranges souvenirs me heurtent la tête, comme
si j’étais pris dans un étau. Une peur irrationnelle s’empare
de tout mon être.
Suis ds l’trouble
15
J’esquisse un petit sourire affecté. D’une voix un peu chevro-
tante, je lui réponds :
— Je te raccompagne, insiste-t-elle.
::
— Toute garnie.
18
— Végétarienne.
DÉCOUVERTE ACCIDENTELLE
DANS UN SOUS-SOL DE ROSEMONT
Les ossements trouvés en octobre dernier, dans le sous-
sol en rénovation d’un duplex de Rosemont, seraient vieux
d’environ 80 ans. « Six petits squelettes gisaient au même
endroit, raconte Mme Bernanos, anthropologue judiciaire.
Nous pensons qu’il s’agissait peut-être d’un tombeau fami-
lial ou d’une fosse commune oubliée. Il est rare de décou-
vrir des os d’enfants en aussi bon état. Ils sont beaucoup
plus fragiles que ceux des adultes. »
Les enfants étaient liés les uns aux autres par le poignet
avec des chaînettes très ajustées. Selon le Service de police
19
de la Ville de Montréal (spvm), des tests seront effectués
par le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine
légale du Québec pour en savoir davantage sur les causes
des décès. Les autorités suivent la procédure établie en cas
de mort suspecte.
::
— Merci.
— Tu as ma parole.
::
22
Samedi 8 h 30. Un silence irréel, aussi soudain que pro-
visoire, régnait sur la maisonnée. Les appareils électro
ménagers semblaient avoir cessé de fonctionner. Mon brave
cocker anglais restait sourd à mon appel pour sa promenade
matinale. Également attentif au manque de réaction de notre
animal, mon père m’a suggéré :
— Délivrés du mal.
— Penses-tu que… ?
Je me lève en disant :
::
27
L’un des enquêteurs assignés au dossier a émis l’hypothèse
que le décès des six petits puisse être attribuable à une secte
dangereuse qui aurait pratiqué des expériences paranor-
males avant de les enterrer.
::
28
Récemment, mes parents et moi avons adopté un formidable
caniche royal, dans un refuge pour animaux. De fière allure,
il me témoigne beaucoup d’affection. Son nom est assez
original. En verlan : Islou 61. C’est le dernier roi de France,
Louis xvi.
::
29
GE N EV I ÈV E BLOU I N
::
— Gabrielle ! T’es où ? ! ?
Plus tard, juste avant de se glisser dans son lit, elle regarde
du côté de l’école et remarque que la fenêtre n’est plus illu-
minée. Le dragon de briques s’est rendormi, la curieuse réu-
nion semble être terminée. Mais pourquoi a-t-elle eu lieu ?
::
— D’alphabétisation.
— Oh !
Elle n’est pas sûre que le rêve de Samir soit possible, mais
elle hoche la tête quand même. Elle croit avoir déjà entendu
sa mère dire qu’il existe des centaines de langues. Combien,
exactement ? C’est le genre de chose que Madame Lucie
doit savoir. Quand la cloche va sonner, Gabrielle va aller lui
demander. Et elle va aussi lui expliquer qu’elle a l’intention
de travailler plus fort en classe désormais. Pour que Madame
Lucie ne soit pas trop surprise.
44
SI MON BOU L E R ICE
— Hi, Maxime !
48
— So… are you free ? May I talk with you, Maxime ?
— Cool.
— Sandra.
— Good.
— You ?
— No, I’m alone. My parents have only me. I like them. They
will pay for my licence to drive.
— Friends.
— Oh ! I loooove Friends !
— Cool.
— Phoebe.
— À pied ! Tu vis pas trop loin ? You don’t live too much far ?
— Pas loin.
Tu avais regardé autour de nous pour être sûr que notre inti-
mité était préservée.
— T’aurais-tu de la shit ?
— De la quoi ? Sorry ?
— Du pot.
— Tu sais que t’es pas obligé de tout traduire ce que tu dis, hein ?
— I know, I know.
— Cool ! Super !
J’avais tant parlé avec toi dans le corridor – alors que les
élèves couraient vers la sortie – que j’avais manqué mon
bus. J’avais manqué mon bus, mais j’avais gagné ton amitié.
C’est ce que je me disais. J’en avais pour une quarantaine de
minutes de marche, tout au plus.
Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais je suis resté un bon vingt
minutes à vous regarder, en retrait. Je me sentais comme un
espion. I was like a spy.
::
::
::
— That’s life.
::
Nous y voilà.
C’est samedi. Hier, j’ai obtenu mon permis. Mon père m’a
prêté son auto. Je conduis seul, comme un grand. Je me
rends à toi. Je roule jusqu’à toi. Je me souviens de ta maison,
dans ce nouveau lotissement sans âme. Je me stationne dans
la rue, devant chez toi.
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L AU R E N T CH A BI N
Le placard
I l y a d’abord eu ce cri perçant, dans mon dos. Un cri
affreux, un cri de mort…
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Licence enqc-13-327153-LIQ800206 accordée le 06 janvier 2022 à
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— Sylviane, voyons, qu’est-ce qui vous arrive ? a demandé la
directrice, visiblement inquiète.
::
Les policiers ont placé des bandes jaune fluo pour interdire
l’accès au couloir et, après quelques instants, l’ambulance
est arrivée. Trop tard. David, avons-nous appris par la suite,
était déjà mort depuis plusieurs minutes.
— Jacob ?
Mais, bien entendu, c’est moi qui ai été puni. Une fois de
plus. Alors j’ai explosé et je lui ai hurlé à la face que s’il
recommençait, j’allais le tuer.
Et il est mort.
::
— C’est le tien ?
::
Alicia n’aimait pas montrer ses écrits, qui étaient tout ce qui
comptait pour elle, de peur justement qu’on se moque d’elle.
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Licence enqc-13-327153-LIQ800206 accordée le 06 janvier 2022 à
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Elle avait cru pourtant trouver un lecteur sensible en David,
qui avait semblé intéressé par sa prose.
Mais David était surtout un provocateur qui s’était joué d’elle.
De plus, il avait eu le culot d’ajouter que même moi, qui déteste
tout ce qui est fiction, j’écrivais mieux qu’elle.
Ulcérée, ruminant sa vengeance, Alicia avait fini par attirer
David à l’heure du lunch. Ils s’étaient enfermés dans le pla-
card. (Alicia n’a jamais voulu dire ce qu’elle lui avait raconté
pour qu’il accepte…)
Là, ivre de fureur, elle l’avait serré à la gorge avec force jusqu’à
ce qu’il s’affaisse sur le sol. Jusqu’au bout, cependant, David
s’était débattu avec la dernière énergie et il avait réussi à lui
arracher son bracelet de perles, qui était tombé à terre.
L’appel reçu par le policier au moment où je venais de retrou-
ver l’objet l’informait qu’on avait découvert de légères traces
de sang sous les ongles de David. C’est pourquoi l’enquêteur
avait demandé à voir mes mains et mes avant-bras.
C’est quand je lui ai montré le bracelet qu’il a compris, je sup-
pose. En tout cas, il l’a saisi et s’est aussitôt dirigé vers Alicia. Il
a constaté qu’elle avait des griffures aux poignets. Et elle n’a pas
pu nier que le bracelet était le sien, toute la classe le connaissait.
Alicia a été arrêtée. Elle n’ira pas en prison, toutefois. Si j’ai
bien compris, elle est moins criminelle que malade, et on va
l’envoyer dans un établissement spécialisé.
Ça m’est égal, après tout.
Je n’ai jamais beaucoup aimé les faiseurs d’histoires, mais là,
je crois que j’en suis dégoûté à tout jamais…
71
EV E LY N E GAU T H I E R
Le Justicier
C e matin, j’ai eu de la difficulté à me lever. J’ai mal dormi
et j’ai les yeux bouffis. Pas besoin de me regarder dans
la glace de ma chambre. Quelques rapides coups de doigts
dans mes cheveux châtains en broussaille suffisent pour
me coiffer. Je porte le même coton ouaté et les mêmes jeans
que la veille, mais ça m’est égal. Je n’ai jamais été très exi-
geant envers moi-même, y compris en ce qui concerne mon
apparence.
— Mouin…
75
Je marche vers l’arrêt d’autobus scolaire, mon sac à dos sur
l’épaule et mon skate sous le bras. Je rabats mon capuchon
sur ma tête en soupirant. Aujourd’hui, j’ai encore moins
envie d’aller à l’école que d’habitude.
::
::
— Hm hm…
De ça, j’en suis pas certain. Après tout, il n’a pas subi la même
chose que moi, alors comment peut-il réellement com-
prendre ? Tout de même, Raph, c’est le gars le plus sympa,
l’ami le plus fidèle qu’on puisse avoir. Son soutien est crucial
pour moi, surtout en ce moment. Mon père dit parfois à la
blague qu’un gars aussi parfait que lui n’existe pas et qu’il a
sûrement une part d’ombre. Je ne sais pas pourquoi il est si
cynique ; c’est pourtant moi l’ado.
77
Je songe aux dernières semaines. Et au fait qu’aujourd’hui, je
ferai quelque chose que je n’ai jamais fait avant.
::
Quant à Raph, bien qu’il soit dévoué, il n’est pas assez malin.
78
Sur un pupitre, Félix a étalé des feuilles, un cahier et un
calendrier qu’il a annoté. Je ne devrais pas être surpris de le
voir si organisé. Je m’assois de l’autre côté du bureau, un peu
mal à l’aise. Nos relations n’ont jamais été mauvaises, mais
elles ne sont pas chaleureuses non plus. Je décide de briser la
glace rapidement, surtout que nous avons peu de temps. Les
cours recommencent dans cinquante minutes.
Comment oublier…
Cette fois, c’est Mia Gervais qui a été ciblée. C’est la fille
populaire supposément bitch, mais dont le potentiel de
vacherie est d’assez bas niveau. Elle se contente de rire de
80
l’apparence des autres et d’essayer de propager des rumeurs
improbables facilement démontées.
— C’est ça. Une feuille avec photo collée sur les casiers et des
photos sur Snapchat.
— Précisément.
83
— Pourquoi ?
— Ha ouais…
Réflexion stupide.
85
— Mais c’est peut-être un proche des geeks, dis-je.
— Émy…, marmonné-je.
— Exact. Elle a trouvé son rat sur sa case seulement trois jours
après le mien.
Quand on est aussi désagréable, pas étonnant que
personne ne nous aime.
Le Justicier
Deux jours plus tard, c’était à mon tour d’avoir un rat sur ma
case.
On ne laisse pas tomber ses amis dans le pétrin.
Le Justicier
J’ai passé les jours suivants dans une sorte de brouillard, en état
de choc. Je ne comprenais pas ni ne méritais ça. Quelques jours
plus tard, Camille avait un rat sur sa case. Ce jour-là, j’ai décidé
d’agir. C’était assez. Et c’est comme ça qu’aujourd’hui, je suis
avec Félix en train de chercher à démasquer notre « Justicier ».
— Notre gars vient sûrement porter ses lettres et ses rats tard
le soir ou tôt le matin. Donc, il y a de bonnes chances qu’il ait
la clé de l’école. Où va-t-il chercher les rats ? Dans le bois ? Et
il arrive à prendre facilement des photos de ses victimes. Quel
élève aurait pu avoir la clé ?
— … ce soir…
::
87
J’ai prétexté un travail de groupe à faire à l’école et Félix, une
rencontre au club d’échec pour rester plus tard. À quatorze
ans, on est assez libres. Je surveille le troisième étage et Félix,
le deuxième. Dès qu’on voit quelque chose, on texte l’autre.
Viens vite ! ! ! ! !
::
88
Sa rage l’avait aveuglée. À l’insu de tous, l’élève timide,
secrète, insoupçonnable avait tenu l’école en haleine,
contrôlé et torturé les esprits pendant des semaines. De
victime, elle était passée à bourreau. Elle s’était moquée de
tous. La gentille élève nous avait fait basculer dans l’horreur.
89
K A R I N E L A M BE RT
La déposition de 34-B7
L’ inspecteur Comeau éteint la vidéo et jette un coup
d’œil par la fenêtre de la navette. Il est passé dix heures
du matin. Pourtant, dans le ciel de Tetra, deux lunes brillent
au-dessus des dunes enneigées. Ici, le soleil s’est couché
il y a deux semaines déjà et ne réapparaîtra pas avant un
mois. Dans de telles conditions, pas étonnant que certains
deviennent fous…
93
— Oui, bon ! Peu importe… Dans ce cas-ci, le motif de
l’agression ne fait pas de doute.
— Alors, vous allez épingler notre gars, vite fait, bien fait,
pour qu’on classe le dossier, compris ?
::
96
Transcription de l’unité 34-B7
8 h 30 à 8 h 43 (heure de destruction)
Je ne suis pas censé être aussi précis dans mes réponses aux
humains. D’habitude, je reste un peu plus flou, histoire de
ne pas me faire repérer. Mais avec Nico, je fais une excep-
tion. D’ailleurs, c’est devenu un genre de jeu entre nous…
De toute façon, il doit penser que je réponds n’importe quoi.
Nico sourit.
97
lorsque mon regard est attiré par les lumières d’une petite
navette de transport qui s’approche. L’engin ralentit, puis
dans un grand tourbillon de neige folle, se pose silencieuse-
ment près de l’aile des sciences.
— Chut !
Le zorq plante ses crocs dans mon cou, alors que je contemple
le merveilleux ciel noir et glacé de Tetra… Est-ce que les
humains réaliseront à temps la menace qui se cache derrière
le calme des dunes de neige et qui s’étendra, tel un cancer, au
reste de leur univers ? Tetra, puis Urion, Marek, Plurion… et
la Terre. Quelles sont leurs chances de survie ?
Ça suffit
Mardi après-midi, 14 h 20
109
Juste comme je tape le dernier caractère, un mouvement dans
le cadre de porte attire mon attention.
Je lève la tête. Nos regards se croisent. Zut ! Il va me dénoncer
au prof, c’est sûr et certain.
La tête basse, la gorge serrée, je ne dis rien. Trop tard. Même
pas le temps d’effacer ce que j’ai écrit. Je me dépêche d’aller
m’asseoir à mon pupitre, comme si de rien n’était, pendant
que les autres élèves s’installent peu à peu à leurs places.
Monsieur Plante entre à son tour.
La cloche sonne.
::
14 h 26
L’enseignant de français nous informe de ce dont il sera
question pendant le cours.
— Bon, maintenant, prenez vos ordinateurs.
Les élèves s’animent, sortent leurs ordis, en profitent pour
chuchoter au passage. Monsieur Plante projette à l’écran,
devant la classe, l’exercice planifié pour le début du cours.
Quelques rires s’élèvent, un murmure plein de malaises par-
court le local. Dos à l’écran, le professeur demande :
— Tout va bien, mesdemoiselles et messieurs ? Je peux savoir
ce qui se passe ?
Un peu frondeuse, comme toujours, Mélissa lève la main.
Elle lance avec un petit sourire ironique :
— Ce serait plutôt à nous de vous demander si ça va, mon-
sieur. Drôle d’exercice ! C’est vous qui avez écrit ça ?
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Quand l’enseignant se retourne, il voit, en plein centre de
l’écran, en lettres rouges démesurées :
VOUS ME DONNEZ ENVIE DE VOMIR ! ! !
BANDE D’ABRUTIS ! ! !
::
14 h 30
Personne ne répond, évidemment. Je ne suis pas surpris. Ce
ne sont pas de mauvais ados, mais ils sont prêts à tout pour
avoir de l’attention, pour provoquer quelques rires. J’enseigne
dans cette école depuis dix-sept ans, et aucun groupe ne m’a
jamais donné autant de mal que celui-ci. Chaque fois que
je tente de faire un projet un peu spécial, ils gâchent l’am-
biance que je souhaite installer en classe.
Rester calme. Ne pas hausser le ton. Si l’auteur du message
cherche à me provoquer, il sera trop content de voir qu’il y
parvient.
— Vous trouvez peut-être ça amusant, mais ça ne l’est pas
du tout. C’est même plutôt grave.
111
Devant moi, le timide Arnaud baisse la tête. Mégane rou-
git. Je suis presque triste pour ces deux-là : tomber sur une
telle classe ! Deux bons élèves, pleins de potentiel, sans cesse
retardés par les pitreries des autres, de ceux qui nous font
perdre un temps fou à chaque période.
— Oui, Jérémy ?
Cette fois, je sens que mes paroles portent. Les sourires s’ef-
facent.
::
14 h 45
Et Mathis n’aime pas du tout Arnaud. Parce qu’il est petit ? Pas
sportif ? Timide ? Personne ne le sait. Mais Mathis n’hésite pas
114
à le bousculer chaque fois qu’il le peut. Ce qui semble amu-
ser ses inséparables coéquipiers. Ce n’est jamais Jérémy qui
entraîne les autres à se liguer contre Arnaud. Mais quand ses
coéquipiers de foot le font, il sourit. Il ne prend pas sa défense.
Les rires, les moqueries, les railleries… Ça n’arrête jamais. Au
point où Arnaud se réfugie à la bibliothèque dès que possible,
après avoir avalé son dîner, seul sur un banc.
Il ne s’en plaint à personne. Il attend que le secondaire se ter-
mine. Encore quatre ans, quatre mois et dix-huit jours. Il le
sait. Il les a comptés.
::
15 h 25
Plus que quinze minutes avant que la période se termine.
Monsieur Plante s’éclaircit la voix :
— Bon, fermez vos ordis. Maintenant que vous avez eu du
temps pour réfléchir, pouvez-vous me dire qui s’est servi de
mon ordinateur avant le cours ?
Personne ne parle. Tout le monde se jette des regards furtifs.
— Comprenez-moi bien, je finirai par savoir qui a fait ça.
Vous connaissez l’expression « Faute avouée est à moitié par-
donnée » ? Les conséquences seront beaucoup moins grandes
si la personne qui a posé ce geste a au moins l’honnêteté de
reconnaître son méfait. De toute façon, vous ne sortirez pas
d’ici tant que quelqu’un n’aura pas répondu à ma question.
Mathis proteste :
— Mais monsieur… vous n’avez pas le droit de faire ça !
C’est la dernière période ! Je ne peux pas manquer mon bus !
115
Plusieurs se joignent à lui. L’enseignant déclare plus doucement :
14 h 23
15 h 40
::
15 h 55
Jérémy répond :
118
Jérémy met ses écouteurs sur ses oreilles.
Fin de la discussion.
J’aurais voulu lui dire merci. Mais je n’ai pas eu le temps de
le faire. C’est difficile, pour moi. J’ai du mal à parler. J’ai tou-
jours été meilleur à l’écrit.
119
A N DR É M A ROIS
Encanador !
Q uand je suis arrivé à l’école ce matin-là, j’étais en
retard. Je me suis dépêché pour me déshabiller, mais
l’hiver, ça prend toujours un temps fou pour ôter tous nos
vêtements. Les mitaines, la tuque, le manteau, le foulard, le
gros pantalon : c’est long et compliqué. Je suais en essayant
d’accélérer le mouvement, mais ça n’allait pas plus vite. Je
me suis assis sur le banc pour enlever mes bottes et c’est là
que je l’ai aperçu, au bout du couloir. Un garçon d’environ
mon âge (j’ai onze ans), avec un chandail bariolé, un jean
et des espadrilles. Il marchait vers les escaliers et quand il a
remarqué que je le regardais, il est parti en courant.
— De qui tu parles ?
123
— Du garçon en cinquième année, avec le t-shirt de toutes
les couleurs.
— Y’a pas de nouveau ! ?
Ils ne me croyaient pas, alors on est allés tous les trois jusqu’à
la classe de madame Léa.
— C’est qui le nouveau, madame ?
Elle nous a dévisagés en se demandant si on lui racontait
une blague.
— Il n’y a pas de nouvel élève ici.
— Ah, j’avais raison, a triomphé Mustapha.
— Mais si, je l’ai vu !
Madame Léa a levé les yeux au plafond, comme si j’avais
encore inventé une autre de mes histoires farfelues. Je n’avais
pourtant pas rêvé ! Mais ça ne servait à rien d’insister. On a
mis nos habits de neige et on est allés jouer dans la cour.
De retour en classe, j’admirais par la fenêtre les flocons qui
commençaient à tomber au ralenti, je trouvais ça joli. J’ai eu
l’impression que quelqu’un m’observait. J’ai cherché d’où ça
pouvait venir et j’ai aperçu le même garçon que plus tôt, qui
sortait des toilettes sèches dans la cour. Il était en chandail
et en espadrilles ! Je lui ai fait un signe de la main et il m’a
répondu ! Je me suis pincé : oui, j’étais dans la réalité.
Je me suis penché vers Mustapha et j’ai murmuré :
— Il est là, tu le vois ?
J’ai indiqué la direction où il se tenait, mais il n’y avait plus
personne !
124
— C’est encore ton fantôme ? s’est moqué Mustapha.
C’était évident qu’il était là, mais je ne savais pas quoi dire.
— Encanador !
— Encanador, là !
— Alors, c’est ça !
— Comment tu t’appelles ?
— Nathan.
— Encanador !
— Encanador ?
— Tiago !
134
On est retournés en classe et la vie a repris comme d’habi-
tude. À 9 h, on a toqué à notre porte et le directeur est entré,
l’air sérieux. Il m’a cherché des yeux. Ça y est, j’allais encore
me faire enguirlander !
— Encanador !
Il a cogné son poing dans le mien, comme si on était deux
vieux copains.
135
R ICH A R D M IGN E AU LT
::
139
Bien des années auparavant
::
Une dame était assise derrière une table où il n’y avait rien
à manger. Juste une tonne de papier. Une madame, toute
maigre, avec les cheveux gris frisés retenus par des centaines
d’épingles, de grands yeux ronds derrière ses lunettes noires
et une voix pire que celle des corbeaux du parc quand ils se
battent pour une frite du restaurant. Ne manquait plus que
le balai pour qu’elle ressemble à une vieille sorcière. Une sor-
cière qui se faisait appeler madame la directrice. Pour moi,
elle était madame la « directe triste » et ma mère venait de
signer mon arrêt de l’enfance.
::
141
Licence enqc-13-327153-LIQ800206 accordée le 06 janvier 2022 à
audrey-morin
La première année, ça s’est quand même bien passé. Mais
je me posais des questions. Déjà six mois que je fréquen-
tais l’école et on me disait que si je travaillais bien, j’irais…
en première année ! Cette année que je passais à l’école ne
comptait pas ? Je devais en faire une autre ?
::
Trop vite, les mois d’été ont passé et il a fallu que je retourne
à l’école. J’avais hâte de retrouver mes amis, mais pas la
madame du bureau. J’ai très rapidement appris une chose :
j’aimais m’amuser en classe, ce qui ne plaisait pas du tout
à la nouvelle maîtresse. Avant même que je commence à
apprendre à lire, j’ai lu dans ses yeux que notre amour de
la première semaine venait de se terminer. « Kevin, chez la
directrice… et vite ! »
::
::
Dès mon entrée en classe, l’air satisfait de mon bon coup, j’ai
entendu : « Keviiiiiiiin ! ! ! ! », le « iiiiiiiin » s’étirant jusqu’à
ce que je devienne coupable de tous les mauvais coups de
l’école. La figure rouge de la maîtresse bouillonnait de colère
144
et ses souliers bruns étaient devenus blancs de farine ; elle
venait de parler à l’intercom, le doigt rageur encore sur le
bouton. D’un seul regard, j’ai su que j’avais peut-être été un
petit peu trop loin dans mon enquête. Surtout qu’en baissant
les yeux, j’ai remarqué la trace accusatrice d’une traînée de
farine sur mon chandail. Je me suis senti disparaître et j’au-
rais voulu me téléporter au bureau de l’homme à la petite
moustache.
::
— Keviiiiiiiiiiiin !
— Regarde-moi, Kevin.
Je baisse la tête.
::
::
148
Cinquième année. Plus que deux ans au primaire ! La pre-
mière journée, la première heure, j’apprends que je serai
dans la classe de monsieur Paradis. Ça va être l’enfer ! Dès
les premiers instants, il me regarde avec des yeux accusa-
teurs, le front plissé et la veine du cou qui tressaute du plaisir
anticipé de me mettre à sa main.
::
::
152
SUZ A N N E M Y R E
Aussi vrai que j’ai un nez en pleine figure, mon nom est Élisa
et je n’aime pas ça. J’aurais préféré un prénom romantique,
historique, sensuel, un prénom original qui sied à mon statut
d’artiste. Car je suis poète. Élisa, ce n’est pas un nom pour une
poète. Lorsque je publierai, je signerai Pénélope, comme la
femme d’Ulysse qui attendit si longtemps son mari. Ça, c’est
un personnage, et un nom noble. En attendant, je suis coincée
avec Élisa, même si ce nom ne (me) dit pas qui je suis vraiment.
::
155
Il s’appelait Guillaume. Le genre de gars au-dessus de ses
affaires, la démarche assurée de quelqu’un à qui rien de grave
ne peut arriver, un ballon de basket sous le bras comme s’il
y était collé. Ses yeux un peu tristes avaient l’air de dire
« Venez vers moi si vous voulez, moi je ne peux pas aller
vers vous ». J’ai de l’imagination, d’accord. C’est pour ça que
j’écris ; si je gardais tout à l’intérieur, je serais une personne
très perturbée, bonne pour l’asile avant l’âge adulte, comme
Émile Nelligan.
160
On m’a applaudie. J’ai sauvé mon honneur et le leur a fondu
comme glace au soleil. Ai-je été trop loin ? Des copines m’ont
félicitée à la sortie de la classe.
— Les gars nous en font assez baver, t’as bien fait, Élisa. On
ne savait pas que ces deux-là étaient de ce genre.
J’étais fière.
::
161
UN P’TIT POÈME AVEC ÇA ?
Élisa est entrée dans ma vie ce jeudi matin là, par le biais
d’un stupide poème.
162
Dès que sur toi les yeux j’ai posés
Des papillons partout se sont mis à voleter
Depuis, à toi je ne fais plus que penser
Daigne sur ma timide personne tes beaux yeux lever.
Élisa.
Mais j’ai été retenu par la vision d’une jambe bien jolie qui se
balançait, donnant des petits coups contre la patte de la chaise,
où son peut-être aussi joli derrière était déposé. Je suis un gars,
quoi. Pas vite vite, des fois, OK. Est-ce que je pouvais savoir ce
qui m’attendait ?
— Oui.
165
Je lui ai fait remarquer que, côté rimes, elle pourrait lui don-
ner des cours. Il tenait absolument à mettre le mot basket.
Décidément, Maxime ne me serait d’aucun secours.
167
Ça commençait comme ça. La suite, je l’ai entendue dans un
genre de brouillard. Je ne percevais que les maudites rimes.
On n’a pas ri. Pas nous en tous cas. Quarante yeux ricaneurs
se sont tournés vers nous pendant qu’elle récitait son poème
merdique, qu’elle s’affairait, avec un sourire d’ange, à régler
ses comptes avec nous devant tout le monde.
168
J U L I E R I VA R D
Panique para(normale)
J e n’ai jamais vu mon école secondaire comme ça.
JAMAIS. Dans la vaste salle commune appelée l’agora,
pas un chat. Même constat dans la salle des casiers avec, en
prime, une obscurité inquiétante. Mais où se terrent les cen-
taines d’élèves bavards ? Et où sont passés les enseignants
à thermos de café, pressés d’arriver en premier au photo-
copieur ? J’étais aux toilettes lorsque l’incident s’est produit.
Mais quel incident ? J’avance avec réticence. J’entends des
toussotements. Je vois des élèves réfugiés dans des recoins.
Je les questionne du regard. J’aperçois des flashes de néon
au plafond. Est-ce une défectuosité de la boîte électrique du
bâtiment ? Pourquoi cette atmosphère lourde et stressante si
ce n’est qu’un problème d’électricité ? À cet instant, un des
professeurs de sciences fait son apparition, suivi de membres
de la direction. « Pas de panique, mais rassemblez-vous à
l’agora sur-le-champ ! » Sans rouspéter, je me dirige vers
l’endroit désigné, précédée par de plus en plus d’adolescents
angoissés.
171
Lundi matin
Mardi midi
Mardi après-midi
Mardi soir
Mercredi matin
178
Je zieute. En effet, les autres élèves semblent plus détendus
que les jours précédents. Serait-ce un retour à la normale ?
Ça nous ferait à tous un grand bien.
Jeudi matin
180
— T’es plus brillante que je pensais, m’agace Madden en
déverrouillant sa case.
— Hé, vous savez pas quoi ? nous murmure alors Jack, sur
un ton précipité. Il paraît que les journalistes sont insultés
par la vidéo. Ils disent qu’en demandant à n’importe qui de
filmer des suspects, on vole leur job de reporter !
Le moment fatidique
Samedi
185
SON I A SA R FAT I
Rats
À Hugo Girard, pour le coup
de pouce… et la pelle
O n pourrait croire que tout avait commencé par l’appa-
rition de graffitis sur les murs de la polyvalente et le
bal masqué de la Saint-Valentin.
190
Cinq cents mots sur « l’arrivée, dans un quartier très riche,
d’une famille nombreuse et modeste qui vient de gagner à
la loterie » à remettre vendredi à 15 h 30, c’est 500 mots (pas
489 ni 508) sur « l’arrivée, dans un quartier très riche, d’une
famille nombreuse et modeste qui vient de gagner à la lote-
rie » que je remets le vendredi à 15 h 30 tapantes.
Le seul cours qui m’allume vraiment est celui de science et
technologie. Le rat de laboratoire y est comme un poisson
dans l’eau.
C’est d’ailleurs là, dans le labo, que je me suis fait une
« amie ». Amie entre guillemets : la camaraderie intergénéra-
tionnelle n’est pas la norme. Or, miss S. est une adulte. Une
jeune adulte, mais elle a quand même l’âge de voter. Le S.,
c’est pour Sandford, son nom de famille. Le miss, c’est parce
qu’elle a de lointaines origines britanniques.
Elle est technicienne en laboratoire. Elle est le bras droit
de monsieur Gingras, le prof de S&T. Elle passe sa vie pro-
fessionnelle (je ne connais pas la personnelle, autre raison
de mettre des guillemets autour de amie) entre les longues
tables, les brûleurs, les microscopes, les béchers.
Et elle accepte que je squatte le labo en dehors des heures de
cours. Après tout, je ne manque à personne et je ne dérange
personne, puisque, anyway, personne ne me voit. Je suis
comme Sue Storm, la femme invisible dans les Fantastic Four.
Pas surprenant que je sois fascinée par la science de l’in-
visible. Je lis tout là-dessus. Car, oui, des scientifiques font
des recherches sur le sujet. Les résultats ne sont pas encore
vraiment concluants. Pour dire ça simplement, ils n’ont pas
encore fabriqué la cape d’invisibilité d’Harry Potter.
191
— Et puis, Ramona, tu as pris une décision ?
Miss S. ! Pour la première fois depuis… depuis que je la
connais, elle m’énerve. Elle me fait chanter. Chanter comme
dans chantage, pas comme dans chanson.
Elle a décidé que je devais aller au bal masqué de la Saint-
Valentin. Elle fait même partie des adultes qui joueront les
chaperons ce soir-là, je suis sûre que c’est pour s’assurer que
je serai présente.
C’est sadique. Parce que…
Bal masqué + Saint-Valentin ≠ Ramona Jones.
Mais miss S. ne veut rien savoir. Selon elle, je dois socialiser,
créer des liens avec des gens de mon âge. Ça fait partie de l’ap-
prentissage scolaire.
— J’y vais en femme invisible. Ça te va ?
— Ramona s’en va danser, déguisée en courant d’air. « Personne
ne m’a vue, mais j’étais là, juré, craché ! » Tu me prends pour
une idiote ?
— C’est le seul déguisement qui me convienne !
— Faux, il y en a un autre.
— Lequel ?
— Réfléchis, tu trouveras. Je te fais confiance.
Je n’ai donc pas le choix. Pour continuer à squatter le labo
quand bon me semble, moi, Ramona Jones, la fille invisible, le
rat de laboratoire, je vais devoir aller au bal de la S aint-Valentin.
::
192
C’est dans la semaine précédant le grand événement (je fais
de l’ironie) que des graffitis ont commencé à apparaître sur
les murs de l’école.
R
a
T
Était-ce le début des moyens de protestation pour sauver
les rats de laboratoire (pas moi, les vrais) qui, selon le jour-
nal étudiant, seraient bientôt euthanasiés ? Ce qui, d’après
miss S., était entièrement faux. Encore heureux !
R
a
T
m’ont donné une idée.
193
II
RAT DE BIBLIOTHÈQUE
Sauf que je garde mes distances avec lui, car je n’aime pas
attirer l’attention sur moi. La seule personne avec qui j’aime
sortir de l’ombre est Alex. Aide-bibliothécaire de son état.
Qui accepte que je reste dans la bibliothèque en dehors des
heures d’ouverture.
::
R
a
T
ont inspiré le rat en moi.
197
III
RATS
::
Mes
R
a
T
201
étaient le message subliminal que je leur adressais. Ils l’ont
décodé… même s’ils ne le réalisent pas encore. Ça viendra
peut-être. Je n’en suis pas sûre. Je suis de science et de fiction,
pas de surnaturel ni de magie.
R amona
a IME
T héodore
202
ROBE RT SOU L I È R E S
On sort Carignan !
(d’après un fait vécu arrangé avec le gars des vues)
Pour mon amie Manon T.
— Mais on ne dit plus ça de nos jours, monsieur Soulières,
le gars des vues. Ciel ! que vous êtes rétrograde, dépassé, d’un
autre temps, d’une époque antérieure à celle des dinosaures.
Je vous ferai remarquer que le gars des vues, c’est aussi très
sexiste, c’est comme s’il n’y avait pas de filles qui réalisent des
films…
205
— Fake news ou pas, fait vécu ou non, arrangé par une
personne extérieure à l’histoire… ça commence à bien
faire ! Voulez-vous que je vous la raconte cette histoire avec
Carignan, oui ou non ? Un Carignan qui a bel et bien existé.
— 1873 ?
207
— … Carignan suivait son cours de mécanique automobile,
secteur professionnel…
— Encore ! Décidément, il pleut de plus en plus d’indices
concernant votre sénilité précoce !
— … mais être au professionnel, disons que cela en dit sou-
vent beaucoup sur la motivation de ces élèves à fréquenter
l’école. À cette époque, la polyvalente était pour plusieurs
un passage obligé, une perte de temps avant d’aller travailler
pour de vrai. Je débute donc mon cours… euh fort intéres-
sant au demeurant, sur le marché du travail, les possibilités
d’emploi dans la région pour un mécanicien en automobile
et ses exigences lorsque, tout à coup, du fond de la classe, on
commence à crier : « On sort Carignan ! On sort Carignan ! »
Je me dis en mon for intérieur : « Ah ! non, pas encore, ça ne
va pas recommencer. » Pour la petite histoire, disons que,
dans mes cours, on avait sorti Carignan par la fenêtre à deux
ou trois reprises. Heureusement, le local étant situé au rez-
de-chaussée, les dégâts physiques et les risques de transport
à l’hôpital ont toujours été limités. Mais Carignan en avait
quand même soupé depuis longtemps de ce petit manège
pas du tout rigolo. Et, j’en avais ras le pompon, moi aussi.
— Non, les gars, pitié, dit Carignan, faites pas ça, faites pas
ça ! Soyez pas chiens, y mouille à siaux dehors !
Je renchéris en criant :
— Hé ! ça suffit les gars ! Arrêtez ça ! Retournez à votre place
immédiatement !
La bêtise humaine est sourde et aveugle. J’ai à peine ter-
miné ma phrase que trois élèves plutôt costauds, ils sont loin
208
d’avoir une carrure philosophique, disons, se lèvent et se
ruent sur Carignan plutôt chétif, bref, qui ne pèse pas lourd.
Les trois malabars l’empoignent, l’un par le collet, l’autre
par les jambes et le dernier par le torse. Un quatrième lar-
ron, comme celui qui attend dans l’auto durant d’un vol de
banque, ouvre la fenêtre…
::
210
Le lendemain matin
— Moi, j’ai entendu dire qu’il avait le nez aussi pas mal amo-
ché et qu’il avait de la misère à respirer.
Nos trois lascars n’en mènent pas large. S’ils avaient pu raser
les murs de l’école ou marcher sous le terrazzo, ils l’au-
raient fait.
— Là on est dans la m…
Mais fausse alerte, les deux hommes passent près d’eux sans
même les regarder et se rendent au bureau de la direction.
Encore une histoire de dope trouvée dans un casier. Les
policiers font souvent des visites surprises dans le casier de
Tousignant.
* Encore lui !
212
Il ne s’est pas écoulé plus de six minutes qu’on entend à l’in-
terphone :
Mercredi matin
— J’ai pensé à ça, les gars, dit l’une des brutes, je vais passer
chez sa mère à soir pour prendre des nouvelles. Je ferai l’in-
nocent.
— Ouais, tu vas être bon là-dedans. Y a personne de meil-
leur que toi pour faire l’innocent !
Et puis la nouvelle concernant Carignan, comme la plupart
des nouvelles dans le monde, a fini par s’estomper et ne plus
être la nouvelle du jour.
Mercredi soir
— ‘soir…
214
— Je viens prendre des nouvelles de votre fils, il va bien ?
Jeudi matin
— Maudit Carignan !
Vendredi matin
L’école est dans tous ses états. On dirait une ruche tellement
ça bourdonne de partout.
Dans mon local, tous sont à leur place. Certains sont encore
sonnés par cette affaire. On frappe à la porte.
216
Carignan fait son entrée ! On dirait presque Louis xiv ! Il est
frais comme une rose. Pas de plâtre, pas de cicatrices. Il a
tous ses morceaux. Moins de boutons sur le visage, on dirait.
C’est un autre gars… OK, pas la vedette de l’école tout de
même ni celui qu’on amènera fièrement au bal des finissants,
mais il y a comme un changement dans l’air. C’est un autre
gars. Totalement. Carignan dépose son sac d’école sur son
bureau et s’assoit calmement, savourant son effet.
Le frère Bayard le suit. Il s’installe devant la classe et d’une
voix de stentor dit :
— Votre copain Carignan est sain et sauf comme vous pou-
vez le constater. Bon, je pense que vous avez eu votre leçon,
Albert, Lane et Mignot. L’intimidation a fait son temps dans
cette polyvalente. Tout le monde a droit au respect. Qu’on
soit petit, gros, laid, d’une autre race ou d’une autre religion.
Tout le monde a sa place dans la société. Messieurs, votre
ami Carignan a droit à des excuses, il me semble.
C’est le grand Albert qui s’avance en premier. Rouge et
confus, il présente en premier ses excuses à Carignan. Les
deux autres, de bonne grâce, lui demandent aussi pardon.
« On ne recommencera plus, précise Mignot, c’est juré ! On
te croyait mort et on avait… de la peine, crois-moi. »
— Bon, toute cette affreuse histoire est oubliée… On se serre
la main, les gars ?
217
Lundi, le jour où Carignan est passé par la fenêtre
En plus souriant.
— Séance photo ?
— Non, essayage.
— Voilà, Cassiopée !
— Merci.
— Ma fille.
22 – 31 – 15
« Ça y est, ça recommence… »
La curiosité l’emporte.
— HA ! HA ! HA ! Ben voyons ? !
226
J’ai crié, ce n’était pas voulu. Je pensais l’avoir dit dans ma
tête, mais c’est sorti à haute voix. Ça m’étonnerait qu’on
m’ait entendue. Je suis seule dans cette mer de casiers, dans
ces rangées de portes cadenassées qui sont censées protéger
notre vie privée. C’est précisément ce qui m’agace. J’ai l’im-
pression d’avoir été cambriolée. On a envahi mon espace,
mon intimité !
Qui es-tu ?
Que veux-tu ?
Pourquoi moi ?
::
::
— Fais voir !
230
— Non, attends…
— C’est quoi ?
— L. S., toujours ?
— Ha ! Ha ! Ha !
Et c’est reparti…
::
::
• Comment je m’appelle
• Où est ma case
• Où j’habite
• …
— À l’hameçon, tu as mordu…
233
Avril complète :
— Non coupables !
— Aucune idée.
Je n’y comprends rien. Qui est cette Ana ? Le nom m’est fami-
lier… Je lève les yeux vers la secrétaire dans l’espoir qu’elle
puisse m’aider à résoudre ce nouveau mystère. Sur le mur
derrière elle, j’aperçois une photo encadrée sur laquelle on la
voit accompagnée d’une jolie fille de première ou deuxième
235
secondaire. Je reconnais cette fille. C’est l’élève qui m’a souri
devant la classe de monsieur Hamdani, l’autre jour.
— Ma fille vient tout juste de partir. Tu peux encore la rat-
traper.
236
PI E R R E -Y V E S V I L L E N EU V E
239
Licence enqc-13-327153-LIQ800206 accordée le 06 janvier 2022 à
audrey-morin
Car soyons honnêtes, la plupart du temps, Jesse-James a beau
ouvrir ses livres et ses cahiers, les disposer sur la table de tra-
vail surdimensionnée du club de sciences afin d’étudier ou de
prendre de l’avance dans ses travaux scolaires, trop souvent,
il aboutit sur son portable et passe son temps à surfer sur le
web, à commenter des photos sur Instagram ou à envoyer
des textos niaiseux à ses ami·e·s. Ce n’est pas la volonté qui
manque, mais disons qu’une panne de réseau de temps à autre
ne lui ferait pas de tort.
— Quoi ?
— Oh, attends !
— Connais-tu la réponse ?
— L’ouvres-tu ?
— Hey, les losers ! lance Alex en faisant son entrée dans le club.
— Aucune idée.
— Les Acadiens… ?
Une petite lettre. Voilà tout ce qui sépare Lisa LeBlanc d’Indiana
Jones !
246
Mais qui donc écrit encore l’akkadien aujourd’hui ? J esse-James
n’en sait absolument rien. La seule idée qui lui vient en tête – et
elle n’est pas si mauvaise que ça –, c’est de passer par la biblio-
thèque pour trouver un manuel qui lui permettrait de déchif-
frer le message secret.
— Ce n’est pas de l’akkadien, lui annonce Marianne en rigo-
lant, après que Jesse-James lui ait expliqué la situation.
— Vous en êtes certaine ?
— Absolument.
Marianne pianote sur le clavier de son ordinateur puis tourne
l’écran vers Jesse-James.
— C’est du draconique*. C’est une langue qui a été inventée
pour un jeu vidéo.
Voilà qui en dit long ! La mystérieuse personne derrière le colis
n’est pas un vieil universitaire à la Indiana Jones. Indy aurait
écrit en akkadien (ou en sumérien), pas en draconique !
Armé de l’adresse url du site que lui a transmise Marianne,
Jesse-James passe une partie de l’heure du dîner à déchiffrer
le message et obtient ceci :
Qui a quatre jambes
Puis deux jambes
Et finalement trois ?
d’additionner
8 + 15 + 13 + 13 + 5 = 054,
8 - 15 - 13 - 13 - 5 = -038,
+ + = 45
ou bien
+ × = ?**.
252
On voit tout de suite le genre. C’est exactement ce type de
problème logique que l’on retrouve sur les réseaux sociaux
et qui soulève les passions, car monsieur et madame Tout-
le-monde oublient généralement la priorité des opérations
dans la dernière équation, ce qui mène inévitablement à une
série de réponses tout aussi inexactes les unes que les autres.
253
cherche de nouveaux dans le papier kraft qu’il a conservé. En
vain. Son enquête piétine.
— Salut…
C’est Adèle. Une Adèle qui s’est habillée chic et dont les che-
veux longs sont adroitement coiffés pour la danse, qui doit
commencer dans quelques minutes. Elle est resplendissante,
pense Jesse-James. Si splendide qu’il en reste bouche bée.
Alors il répond maladroitement :
—…
— Comment… ?
254
— C’est… le jour où on s’est rencontrés, avoue doucement
la jeune fille.
255
LES AUTEURS
3
Jeune, j’ai reçu un très beau cadeau : la bibliothèque complète
des livres de La courte échelle. Ma carrière de lectrice était
lancée. Bertrand Gauthier, Sylvie Desrosiers, Sonia Sarfati
et Chrystine Brouillet m’ont accompagnée durant toute ma
jeunesse. Puis, j’ai rêvé d’être comédienne. J’ai effectivement
décroché de petits rôles à la télévision, mais je préfère la tran-
quillité de mon bureau à l’effervescence des plateaux de télé.
Je travaille à plusieurs projets, dont des chroniques littéraires
à la radio. Un jour, par hasard, j’ai écrit un premier roman :
Par hasard… rue Saint-Denis. Ma carrière littéraire commen-
çait. J’ai écrit une série pour adolescents qui s’intitule Planches
d’enfer. Dali, dans la collection C ma vie (pour adolescents),
est ma publication la plus récente. Ah oui, je suis la seule végé-
tarienne au monde qui mange du bacon ! Qui suis-je ?
258
4
259
Licence enqc-13-327153-LIQ800206 accordée le 06 janvier 2022 à
audrey-morin
6
260
8
261
10
11
262
12
13
263
14
15
264
267
1. André Marois
2. Chantal Beauregard
3. Chloé Varin
4. Evelyne Gauthier
5. Geneviève Blouin
6. Julie Rivard
7. Karine Lambert
8. Laurent Chabin
9. Martine Latulippe
10. Pierre-Yves Villeneuve
11. Richard Migneault
12. Robert Soulières
13. Simon Boulerice
14. Sonia Sarfati
15. Suzanne Myre
SOLUTION
R EMERCIEMENTS
Cette fois, j’ai envie de m’adresser aux personnes qui ont formé
le lecteur que je suis devenu. Celles-là mêmes qui, sur mon
parcours de jeunesse, ont déposé dans mes mains les livres qui
m’ont passionné.
Merci à Hergé et à Jules Vernes qui m’ont ouvert les yeux sur
le monde et sur l’aventure ! Mais surtout, un grand merci à
Bob Morane (Henri Vernes, son auteur, m’était parfaitement
inconnu), ce personnage qui m’a transporté à travers le monde,
qui a peuplé mes rêves d’enfant du quartier Saint-Henri et qui
Enfin, merci mille fois à Henri Tranquille. Celui qui a fait décou-
vrir à cet étudiant en Lettres françaises du Cégep du Vieux-
Montréal ce qu’était une librairie et l’importance des libraires
dans la vie des lecteurs. Je n’oublierai jamais comment on était
bien dans sa librairie, où j’ai même appris à jouer aux échecs.
Richard Migneault
richard16migneault@gmail.com
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