Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Demain se dessine
aujourd’hui
Note de l’auteure
CETTE œuvre est une fiction, toute ressemblance entre les héros du livre et
des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite.
Les lieux évoqués (Barré-les-Douces, BricoRémi, le parc Vascos, le
cabinet de Théodore Gavignet, l’église Sainte-Capucine, Okawu…) ne se
trouvent nulle part ailleurs qu’au travers de ses pages. Toute similitude avec
des endroits ou des sociétés portant le même nom ne serait que pure
coïncidence.
À propos de l’auteure
12 h 35
QUEL EST ce vacarme que j’entends en franchissant les portes du parc ?
Arrivée près de la fontaine, il ne me faut pas plus de quelques secondes
pour comprendre le drame qui se joue devant moi.
Des enfants.
Un milliard d’enfants.
Trois centres aérés des villages environnants ont décidé de déjeuner dans
le parc. À leurs cris, je comprends qu’ils vont ensuite participer à une
grande chasse au trésor. Ici même. Les gamins sont surexcités et les
animateurs déjà à bout de patience. Ça crie, ça court… et moi j’observe la
scène, médusée, mon Buddha Bowl à la main. Je me demande si discuter
avec D’Jonatane n’aurait pas été plus supportable.
Ne pouvant rester au bord de la fontaine devenue le repaire de lutins
survoltés, je me résous à chercher une planque. Je me dirige du côté de la
roseraie, espérant que les animateurs choisiront d’éviter les épines pour
disséminer leurs indices. Contournant un petit kiosque, j’aperçois un coteau
dissimulé derrière un cerisier japonais. La pente est un peu abrupte et le
chemin sombre. Je me dis que les animateurs n’auront pas été assez vicieux
pour envoyer les gamins se promener seuls par ici. Quoique… Le chemin
débouche sur un immense saule pleureur abritant un vieux banc en fer
forgé. Rouillé mais joli. Une chose est sûre : personne ne me trouvera
jamais ici. Luxe absolu, je vois tout sans être vue : les branches du saule
jouent le rôle d’une vitre sans tain. La fontaine est en dessous de moi,
quelques dizaines de mètres en contrebas. J’observe des petits gilets jaunes
s’agiter dans tous les sens, contrastant avec le calme absolu de ma cachette.
Je me sens sereine. Une vraie bouffée de liberté.
J’ai l’impression de pouvoir être moi-même, comme une parenthèse dans
mon éternel rôle de marionnette au sourire figé. Ce banc rouillé, isolé de
tout, invite à la confidence… J’ai envie de l’appeler Marcel. Mon arrière-
grand-père s’appelait ainsi et il était comme lui : vieux, rouillé mais
paisible. Je ferme les yeux et j’écoute le chant des oiseaux, mon dos appuyé
sur le métal froid. J’essaie de ne penser qu’au présent, à cet instant de paix
qui m’est offert. Ça faisait si longtemps.
Lorsque j’ai fini mon repas, je sors le roman que m’a prêté Josy.
D’habitude j’échange mes lectures avec Ophélie, qui travaille en tant
qu’intérimaire au magasin. Nous affectionnons toutes les deux la littérature
anglaise fantastique, Harry Potter ayant, bien évidemment, nos faveurs.
Ophélie étant en vacances cette semaine ma Josy a tenu à me prêter un de
ses bouquins, « un petit bijou », m’a-t-elle assurée en le glissant dans mon
sac. Elle a tellement insisté que je n’ai pas osé refuser. Le titre laisse peu de
place à l’interprétation : Attraction de Jackie Ashenden. J’ouvre le livre et
je m’aperçois que le roman classé « sexy » est édité chez Harlequin. J’ai
beau apprécier Josiane et respecter ses goûts, je ne me sens pas prête à lire
son roman. « Ce petit bijou », comme elle dit, restera dans mon sac
aujourd’hui.
Désœuvrée, je m’adonne à ma seconde activité préférée : observer les
passants. J’imagine la vie des gens : je parle à haute voix, je fais des
imitations et je ris intérieurement. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai
toujours aimé faire ça. Petite, quand je venais au parc, je pouvais rester des
heures, assise sur un banc, à regarder les autres enfants jouer. Je ne
m’ennuyais jamais, perdue dans mon monde intérieur. Les gamins du
village me trouvaient bizarre alors j’ai fini par arrêter, du moins en public.
Mon imagination reste toujours un terreau fertile et inventer des histoires,
l’une de mes plus grandes satisfactions (au même titre qu’un rayon de
bricolage bien ordonné).
Mon petit capuchon de thé à la menthe entre les mains, bien calée sur
Marcel, mon auditoire forcé, je cherche une proie… Trouvée !
— Tiens, Marcel, tu vois la nana qui court avec son oreillette de téléphone
vissée à l’oreille près du kiosque ? Ses baskets sont toutes neuves et son
chignon trop strict. C’est louche… Je pense que c’est la première fois de
l’année qu’elle essaie de courir. Je te parie que dans dix minutes, elle crache
ses poumons.
Et en effet, dix minutes plus tard, la grande blonde s’affale sur un banc,
les joues rouge écarlate.
— Bingo ! J’ai gagné. Et maintenant… Tiens, regarde ce petit gars en
costume gris qui s’essuie le front avec un mouchoir. Ah, euh… non,
maintenant il se mouche avec. Après le double effet Kiss Cool, le double
emploi du Kleenex, malin. Tu le vois ?
— Oui, très bien.
Merde alors ! Qui m’a répondu ?
Je reste figée un instant sans oser bouger. Retenant mon souffle, je me
retourne lentement.
Un homme se tient derrière moi, à quelques pas de Marcel. Il m’a fait une
de ces peurs ! J’ai horreur de me faire surprendre. Tout en tentant de calmer
les battements de mon cœur, je dévisage le nouveau venu. Discrètement,
hein, je ne lui fais pas un scan de haut en bas non plus, ce n’est pas mon
genre. Il n’a pas l’air méchant. Ses cheveux bruns en bataille entourent un
visage angélique avec deux grands yeux sombres, très sombres d’ailleurs.
Je crois n’avoir jamais vu un tel regard. Il n’est pas très grand et a un ventre
bedonnant. Trop de bière ou pas assez de sport, voire les deux. Il devait être
séduisant plus jeune mais là, un peu trop vieux pour moi : trente-cinq,
quarante ans ? Ses rides prononcées sur le front lui confèrent un air doux
empreint de sagesse. Il porte une chemise en lin blanche et un pantalon
clair. Simple et classe à la fois. Il tient un livre entre les mains.
Il me sourit d’un air penaud.
— Bonjour…
— Bonjour.
Je lui réponds assez froidement, sur mes gardes.
— J’espère que je ne vous ai pas effrayée ?
— Non.
Ben si, en fait, mais je n’ai pas envie de le lui avouer.
— Je vous ai entendue parler de cet homme près de la fontaine. Je l’avais
remarqué aussi. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai eu envie de participer à
votre conversation. Je vous prie de m’excuser. Je ne pensais pas que vous
m’entendriez.
Raté, je ne suis pas sourde. Devant son air contrit, je me radoucis. Il se
triture les mains avec l’air de ne plus savoir où se mettre. Je rougis à mon
tour, consciente de le mettre mal à l’aise. Après tout, il cherchait juste à
engager la conversation.
— Excuses acceptées, dis-je avec un sourire un peu forcé.
Je ne relance pas la conversation, pressée de retrouver ma solitude. Il est
déjà 12 h 55 et je dois être de retour au magasin dans peu de temps.
— Puis-je m’asseoir sur votre banc ? continue-t-il. J’avoue que cet endroit
me plaît beaucoup. On a une vue imprenable sur le parc tout en étant au
calme, je viens ici régulièrement.
— Euh…
— Merci.
Eh ben voilà, il s’est installé ! J’ai l’impression de me retrouver dans la
salle d’attente du dentiste. Je suis seule, tranquille, assise sur l’une des dix
chaises de la pièce quand arrive un autre patient qui décide de se mettre sur
le fauteuil juste à côté du mien. La logique voudrait pourtant qu’il opte pour
la place la plus éloignée, non ? En tout cas, moi, c’est ce que je fais.
Question de territoire, de limite, je ne sais pas moi… Il doit bien y avoir une
trentaine de bancs dans le parc, pourquoi s’assoit-il sur le mien ?! En même
temps, j’ai bien conscience que je ne peux pas empêcher cet inconnu de
s’asseoir sur Marcel. C’est mon banc, certes, mais nous sommes dans un
lieu public. Peut-être que si je me plonge dans mon livre il comprendra que
je n’ai pas envie de discuter ?
— À mon avis, il vient de lui avouer qu’il la trompait…
Autant pour ma tranquillité. Je ne réponds pas, mais tends l’oreille malgré
moi.
— Je pense qu’il veut rompre, chuchote l’inconnu en inclinant sa tête
légèrement vers la mienne. Il lui explique comment il est tombé fou
amoureux d’une autre. Il donne un peu trop de détails sur son idylle
naissante, d’où la colère de Tatiana.
Du doigt, il désigne un couple près de la fontaine. En un éclair, je
comprends qu’il s’essaie à mon jeu de devinettes.
— Pas « Tatiana », rétorqué-je spontanément.
Tatiana c’est vraiment une mauvaise idée de prénom. Une « Tatiana »
c’est grand, blond avec d’immenses yeux bleus et des jambes à la Adriana
Karembeu. Tout le contraire de cette jeune fille.
— Ah ? reprend l’homme, un peu surpris. Comment, alors ?
— Véronique, Sandrine… ou Vanessa à la rigueur.
Voilà que je me prends au jeu, j’ai même décroisé les jambes sans m’en
rendre compte. Je n’ai pourtant pas l’habitude de parler si facilement,
excepté avec les clients du magasin. C’est juste que c’est la première fois
que je rencontre quelqu’un qui semble autant s’amuser que moi à imaginer
la vie des autres.
— À mon avis, c’est Vanessa qui a surpris Maxime avec sa nouvelle
idylle, poursuis-je.
— Qu’est-ce qui vous fait croire ça ?
— Jamais un homme n’avouera à sa femme qu’il la quitte pour une autre.
Il faut faire preuve de courage pour cela : tous les hommes en manquent.
Voyant son air blessé, je m’empresse de corriger :
— Peut-être pas tous.
— Sans vouloir vous importuner… vous devriez vous méfier des mots
toxiques.
Je fronce les sourcils, piquée au vif par le reproche sous-jacent.
— Désolée si je vous ai blessé, mais je n’ai utilisé aucun terme délétère.
C’était une façon de parler.
Il sourit avec douceur, comme pour désamorcer le conflit. Il m’explique
d’un ton docte :
— Les mots dits « toxiques » ou « poisons » sont des termes négatifs qui
font d’un cas exceptionnel des généralités réductrices. En une phrase vous
en avez déjà utilisé deux : « jamais » et « tous ». Il aurait été plus opportun
de dire : « Il est rare qu’un homme avoue à sa femme qu’il la quitte pour
une autre. Il faut faire preuve de courage pour cela et je pense que la plupart
des hommes en manquent. »
OK… le mec est du genre à pinailler. Même M. Mouette, mon
professeur de 4e à la rigidité extrême, n’était pas aussi pointilleux. Face à
mon manque de réaction, l’inconnu se justifie :
— Les mots sont à l’origine de bien des maux. Pour moi, tout commence
par là… J’avoue que j’ai à cœur d’essayer d’appliquer au mieux le premier
accord toltèque : « Que votre parole soit impeccable. »
Les Quatre Accords toltèques, ça je connais ! Ophélie, qui aime autant le
développement personnel que les sorciers à lunettes, m’a bassinée avec ça
toute l’année dernière. Après avoir suivi je ne sais quelle conférence sur le
bien-être, elle s’est passionnée pour l’ouvrage de Don Miguel Ruiz.
Évidemment, elle me l’a prêté et je l’ai lu pour lui faire plaisir. Je me
souviens machinalement des trois autres grands principes : « N’en faites
jamais une affaire personnelle », « Ne faites pas de suppositions » et
« Faites de votre mieux ». Le livre, marqué par de nombreux cas concrets,
m’avait intéressée, mais je n’étais pas allée plus loin.
— Je comprends votre désir de parler au plus juste et c’est tout à votre
honneur, dis-je, quelque peu agacée. Maintenant, en ce qui me concerne,
mon utilisation de mots « toxiques », comme vous dites, est simplement une
habitude. Je sais pertinemment que tous les hommes ne sont pas lâches.
— Pour l’instant oui mais votre mental pourrait, à terme, vous persuader
du contraire. Nos croyances s’établissent à partir de phrases ou de pensées
d’apparence anodines qui, répétées plusieurs fois, finissent par s’ancrer en
nous. L’utilisation des mots toxiques revient, à mon sens, à utiliser la
méthode Coué à l’envers.
Quelle prise de tête pour un simple petit mot…
Légèrement irritée, je me renferme dans ma bulle. J’aimerais bien lui
répliquer vertement qu’il n’a qu’à s’en aller si ma conversation ne lui
convient pas mais je me retiens. Vexée… voilà, c’est le mot « juste » : je
suis vexée. Personne ne m’a jamais reprise sur ma façon de parler, même
pas Ophélie.
L’inconnu m’a déstabilisée et il le remarque :
— Je manque vraiment de manières… Toutes mes excuses, je vois bien
que je vous ai heurtée. J’ai tendance à m’emballer quand on aborde un sujet
qui me passionne.
Derrière sa timidité apparente, je retrouve la fougue d’Ophélie qui revient
d’une conférence un peu plus sûre d’elle-même, ou qui brûle de débattre sur
un outil qu’elle a découvert au fil de ses nombreuses lectures. Je comprends
qu’il ne cherche pas à me blesser. Peut-être qu’il n’a pas souvent l’occasion
de discuter de ce genre de sujet ?
Un peu radoucie, et confuse de m’être sentie agressée, j’avoue du bout des
lèvres :
— Je ne connais pas la méthode Coué, désolée.
Ragaillardi, il prend ça pour une invitation à poursuivre… et peut-être
qu’il n’a pas tout à fait tort.
— C’est une technique d’autohypnose mise en place par feu le
psychologue Émile Coué de la Châtaigneraie. Il proposait à ses patients de
répéter régulièrement une phrase positive et optimiste pour aller mieux.
— Du genre : « Je vais bien, tout va bien » ?
— Oui, mais avec une formule un peu plus précise. « Je vais de mieux en
mieux » ou « J’apprends à lâcher prise chaque jour un peu plus », par
exemple.
— Et ça fonctionne ?
— Si le patient est régulier dans sa pratique et croit en lui, oui. Cette
maxime est à répéter quotidiennement vingt fois de suite jusqu’à ce que
l’inconscient admette cela comme une réalité audible. C’est ce que l’on
nomme l’autosuggestion.
Entraînée par mes nombreux débats avec Ophélie, je ne résiste pas à me
laisser embarquer dans cette conversation un peu surréaliste. Qui eût cru
que je parlerais de « mots toxiques » et d’« autosuggestion » un mercredi
midi, sur un banc baptisé Marcel ? Il y a certains moments dans la vie, des
instants de grâce un peu spéciaux, où il faut savoir se laisser porter. Et tant
pis si ça ne nous ressemble pas.
Laissant parler ma curiosité naturelle, je le relance :
— On finit par se persuader que c’est vrai et ça finit par le devenir, c’est
ça ?
— Exactement. Un véritable cercle vertueux.
— Intéressant… Mais je reste quand même sceptique quant à la
démarche.
— L’essentiel est d’abord d’y croire. Un placebo peut très bien vous
guérir pour peu que vous vous persuadiez qu’il s’agisse d’un remède
miracle.
Pas faux. L’inconnu continue sa tirade sur les mots toxiques par un
parallèle avec la pensée positive. Quand Ophélie m’en avait parlé la
première fois, j’en avais déduit qu’il s’agissait de voir la vie toujours en
rose même quand elle était noire. À en croire mon voisin de banc, l’idée
serait plus subtile qu’il n’y paraît : il faudrait se focaliser sur ce qui
fonctionne sans pour autant omettre ce qui ne marche pas. L’objectif serait
de différencier ce qui peut être changé de ce qui ne peut pas l’être pour agir
en conséquence. Il me donne l’exemple de la météo et des opportunités qui
s’offrent à moi face à un aléa climatique :
— Vous aviez prévu de tondre votre pelouse et un orage, inattendu, éclate.
Vous voilà contrariée. La pluie est là et vous ne pouvez rien y changer,
m’explique l’homme, c’est un fait. Deux possibilités s’offrent à vous : soit
vous décidez de râler toute la journée, soit vous choisissez d’agir face à la
situation. Pourquoi ne pas en profiter pour prendre du temps pour vous ? Ou
pour faire du tri dans votre garage ? Voire aller déjeuner chez un ami que
vous n’aviez pas vu depuis longtemps ? Le choix ne manque pas. D’une
manière générale, la pensée positive nous propose de sortir de notre rôle de
victime pour nous transformer en acteurs du changement. Enfin… c’est
comme ça que je le perçois.
En écoutant ces explications je pense inévitablement à Amine, le vigile.
Amine est très sympa, mais c’est un bougonneur de la première heure. Il
fait trop chaud ou trop froid, il y a trop de monde au centre commercial ou
au contraire pas assez… Le juste milieu, il ne connaît pas, Amine. Je
l’écoute et lui réponds en lui souriant : « Eh oui ! La vie n’est pas facile »,
comme si nous étions tous des victimes, avant de poursuivre mon chemin.
Malgré moi, je me prends à réfléchir aux paroles de cet étrange inconnu
installé sur mon banc. Il n’y a rien de très nouveau dans ce qu’il dit,
d’autant que j’ai souvent eu l’occasion d’en discuter avec Ophélie, mais il
parvient davantage à susciter mon intérêt que ma collègue. Il a quelque
chose de différent, de plus… solaire. C’est dans sa façon de parler peut-être,
très douce et convaincue à la fois… c’est presque envoûtant. Il m’entraîne
dans un jeu de questions/réponses improbables auquel je me prête
volontiers, à ma grande surprise.
— Imaginez une femme qui n’aimerait plus son mari mais qui ne voudrait
pas le quitter pour des raisons financières. Si elle dit : « Je ne peux pas
quitter mon mari », c’est faux et toxique. Elle se positionne en martyre. Il
serait plus juste d’affirmer : « Je choisis de rester avec mon mari pour
garder un train de vie confortable. »
— Le résultat est le même, non ? Elle est coincée avec son mari…
— Au contraire, ça change tout ! La seconde phrase lui permet de prendre
sa vie en main : elle a conscience que le fait de rester est un choix personnel
et réfléchi, sans se positionner en victime. Le fait de rester avec son mari
n’est pas une fatalité mais bel et bien une volonté de sa part qu’elle assume
après avoir pesé le pour et le contre.
— Intéressant… Mais que penser des femmes qui n’osent pas quitter un
mari violent par peur des représailles ? « Je choisis de rester avec mon mari
car j’ai peur de lui ? » Pas très positif, tout ça…
— En effet, il serait plus opportun de dire : « Je choisis de rester avec mon
mari car je n’ai pas encore trouvé de solution pour assurer ma sécurité en le
quittant. »
— Mouais…, dis-je, moyennement convaincue.
— Je n’ai pas dit que la pensée positive réglait tous les problèmes,
simplement qu’elle nous offrait de meilleures croyances et de nouvelles
perspectives. Ce qui est finalement déjà beaucoup…
— Oh, regardez ! m’écrié-je. Notre petit couple ! Ça y est, la gifle est
partie !
Je me lève comme si j’allais faire une ola. Le gars va me prendre pour une
hystérique, tant pis.
— Vous êtes pour la violence ? m’interroge-t-il.
— Non, je suis pour la justice réparatrice, précisé-je tout en me rasseyant.
Je suis sûre que Vanessa se sent beaucoup mieux maintenant.
— M’est avis que si elle reste dans le coin, on la verra pleurer plutôt que
rire. Elle aimait sûrement Maxime… La colère qu’elle laisse entrevoir n’est
qu’une émotion-écran, ce qu’elle ressent au plus profond d’elle-même est
une énorme peine.
Je ne peux m’empêcher de faire une moue dubitative.
— Vous parlez comme un livre, lui lancé-je, un brin provocatrice.
— C’est amusant que vous me disiez cela, car j’en ai écrit un dans une
autre vie.
— …
Pourquoi ne pas répondre simplement : « J’ai été écrivain il y a quelques
années » ? Le type n’a pas cent ans non plus. Je ne comprends pas les gens
qui utilisent l’expression « dans une autre vie ». Je ne sais jamais quoi
répondre. Si on y réfléchit bien, c’est une phrase toxique, non ? Le gars
s’est fait prendre à son propre jeu… Comme quoi, personne n’est parfait !
— Ethan, reprend-il doucement.
— Non, « Maxime », rectifié-je en portant mon regard sur le jeune
homme près de la fontaine.
— Il s’agit de mon prénom, précise l’inconnu, gêné. Je m’appelle Ethan.
— Ah… OK, acquiescé-je, quelque peu surprise.
— Et… vous ?
— Et moi… Oh… Merde ! m’exclamé-je en regardant ma montre. Je suis
en retard !
Chapitre 3
L’Alchimiste
13 h 35
MAIS pourquoi j’ai discuté avec l’inconnu du banc ?
OK, il aime imaginer la vie des gens en leur choisissant des prénoms,
comme moi.
OK, son discours est fluide et percutant.
OK, il y a quelque chose de touchant en lui qui m’intrigue.
Mais… c’est tout !
Et à cause de lui, je suis en retard.
J’aurais dû l’ignorer ou carrément changer de banc.
Je n’ai jamais été en retard de ma vie : « L’exactitude est la politesse des
rois », comme on dit. La ponctualité est une valeur essentielle pour moi,
tout comme le respect des règles. En plus il fallait que ça tombe
aujourd’hui, LE jour où M. Rémi a laissé les rênes du magasin à
D’Jonatane. Une erreur de ma part et c’est le jackpot pour lui !
M. Rémi cherche un adjoint pour le remplacer à la tête de la boutique
quand il partira sur Lyon : « L’enseigne BricoRémi a fait un petit », comme
il dit. Enfin, ce serait plutôt un grand frère car le nouveau magasin sera
deux fois plus vaste. Le patron pense que c’est le début de la gloire. Il se
voit comme le colonel Sanders, le petit vieux qui a rencontré le succès
passé soixante ans avec ses chickens frits. Le créateur de KFC a en effet
attendu d’avoir tous ses cheveux blancs pour régner sur un empire. Bien
qu’il soit mort depuis plus de quarante ans, son visage sert toujours de logo
à la chaîne de fast-food. Et ça, c’est la consécration ultime pour M. Rémi.
Moi, ça me fait rire d’imaginer la face rondouillarde de mon boss sur une
affiche en format A0. Il mettrait quoi dans sa main ? Une boîte à outils ? Un
nettoyeur haute pression ? Une lunette de W.-C. ?
Je ne suis pas certaine que BricoRémi rayonne un jour à l’international
mais avoir deux boutiques en France, je trouve ça déjà très classe. Ce qui
serait encore plus classe c’est que je sois nommée directrice du magasin de
Barré-les-Douces. Je m’entends à peu près bien avec tout le monde, je ne
compte pas mes heures, je suis force de propositions et j’aime encadrer.
Depuis mon arrivée à BricoRémi je n’ai commis aucun faux pas, gravissant
les échelons rapidement. Je sais que je suis jeune mais je suis tout de même
l’une des plus anciennes du magasin : six ans à temps partiel et deux ans à
temps plein. Si Macron est devenu président à trente-neuf ans, moi, Chloé
Lejeune, je peux bien devenir gérante d’un magasin de bricolage à vingt-
six ans, non ?
Pour l’heure, le patron enchaîne les allers-retours entre la Ville des
lumières et Barré-les-Douces pour superviser les travaux de son nouveau
bébé. Et, quand il s’absente, D’Jonatane ou moi le remplaçons. Je crois
qu’il nous teste discrètement pour voir qui gère le mieux la boutique. Tout
le monde pense que M. Rémi donnera le nom du nouveau directeur d’ici la
fin de l’année, au moment des entretiens individuels. J’espère que mon
prénom sortira du lot car ce poste est dans mes cordes. Et puis, si je ne
l’obtiens pas, j’imagine que c’est D’Jonatane qui l’aura et ça, c’est
inenvisageable. Un gars qui porte une coupe mulet2 version années 1980 ne
peut pas devenir mon boss.
Impossible.
13 h 40, j’arrive au magasin. En courant avec mes petites tongs j’ai une
pensée pour la joggeuse de ce midi : j’aurais bien eu besoin de ses runnings
pour m’éviter des cloques aux pieds. Je n’aurais pas dû me moquer d’elle,
je paie mon karma. Arrivée dans la salle de repos, je lance mon sac dans
mon casier, troque mes nu-pieds contre des chaussures plus
conventionnelles (des baskets sombres, le dress code de l’enseigne) et
j’essuie les quelques gouttes de sueur perlant sur mon front. J’enfile ma
veste de cheffe de rayon, je remets mon badge et j’y vais. Pas de
D’Jonatane à l’horizon. Je m’installe à mon poste, derrière mon ordinateur,
au rayon outillage. Il est 13 h 47. Je serais bien passée aux W.-C. mais il est
déjà tard. Et, surtout, j’ai vu que Philippe y allait.
Philippe, on sait quand il entre aux toilettes mais jamais quand il en sort.
Il est tellement stressé qu’il en devient constipé ou au contraire diarrhéique.
Le pauvre… Il a manqué une place de chef de rayon pour ça. Pas
directement pour ses problèmes gastriques mais à cause des dommages
collatéraux occasionnés. M. Rémi a besoin de chefs de rayon qui peuvent se
rendre disponibles rapidement, vous savez, « au cas où ». Or c’est trop
demander pour Philippe qui a du mal à gérer ses soucis intestinaux. Le
patron le garde parce que c’est un ami d’enfance et que tout le monde
l’adore. Ce grand gaillard tout timide n’est que bienveillance et attentions.
Il déteste le conflit et est un parfait médiateur. Josy s’agace parfois de sa
nonchalance et de son manque de réaction, mais moi jamais. Sa présence
m’apaise. Son seul défaut en ce qui me concerne, ce sont ses intestins.
D’habitude on s’en accommode, mais en ce moment c’est un peu plus
compliqué car les deuxièmes W.-C. sont hors service. Une petite fuite. Oui,
je sais, c’est un comble pour une enseigne de bricolage. On ne peut pas dire
qu’on n’a pas le matériel pour la réparer, mais M. Rémi est tellement
occupé par l’ouverture de son second magasin qu’il ne s’est pas encore
penché sur la question. Il a simplement mis une étiquette sur la porte avec
quatre initiales évocatrices : « W.C. H.S. ». Je patiente encore deux jours
puis je m’attaque au problème ; ou alors je supplie Philippe de poser des
jours de congés. En attendant, je regrette ma tasse de thé de ce midi… Le
temps va me sembler long jusqu’à ma prochaine pause. Je respire
profondément et tente de contracter au maximum mon plancher pelvien.
Allez, ça va le faire, ça va le faire…
Toujours pas de D’Jonatane en vue.
Sur ce coup-là, j’ai vraiment de la chance. « Une chance de cocue »,
comme dirait Josiane. Il a dû commencer son tour par les Extérieurs et
Jardins. Le rayon est à l’opposé du mien. Si mes calculs sont bons, je
devrais voir sa petite tête de fayot débouler d’ici dix minutes, pas avant. Je
suis certaine qu’il inspecte chaque rayon avec son air d’adjudant. En
l’attendant, je consulte les stocks au niveau de l’outillage à main. Bizarre, il
ne me reste plus que deux pistolets à colle. Ah oui, j’oubliais… on a
proposé une belle promotion à la fin des vacances, ils sont partis comme
des petits pains. Faut croire que la rentrée scolaire donne envie de coller.
Ses enfants peut-être ?
J’en recommande. Des pistolets à colle, pas des enfants. Le rayon
outillage n’est pas mon domaine de prédilection mais c’est celui qui m’a été
attribué jusqu’à novembre. M. Rémi fait tourner les chefs de rayon tous les
trimestres à peu près, et les vendeurs tous les mois. C’est la force de
BricoRémi. Aucun salarié ne dira jamais à un client : « Ah, désolé, je ne
peux pas vous renseigner, ce n’est pas mon domaine. » En huit ans, j’ai
touché à tout : de l’électricité à la quincaillerie, du chauffage à la décoration
en passant par le jardin ou encore les sols et murs intérieurs. M. Rémi
dispense également des formations internes pour les salariés en CDI ; la
dernière date de février. J’ai suivi un module autour de la réalisation, la
pose et le remplacement d’éléments de menuiserie. Du coup, maintenant, je
suis parée pour changer une porte d’entrée à cinq points. La prochaine fois,
je crois que je suivrai la formation autour de la rénovation des sanitaires.
C’est plus utile de nos jours.
Pour en revenir au travail, je crois que vous l’aurez bien compris : je me
donne à fond. Je ne m’appuie jamais sur mes acquis et je veux sans cesse
progresser. D’Jonatane a ce côté besogneux aussi. Ça m’arrache un peu de
le dire mais c’est un vrai bosseur. Il est con mais il est bon. Du coup, la
compétition s’annonce serrée pour le poste de directeur… J’ai quand même
un avantage, et pas des moindres, car c’est moi qui ai été à l’initiative des
« Ateliers BricoRémi : faites-le vous-même ! ». C’était il y a plus de
trois ans. Je n’étais alors que simple vendeuse et cette idée m’a permis de
devenir cheffe de rayon un an plus tard, lorsque je suis passée à plein temps.
Tous les samedis nous organisons des animations autour d’une thématique
définie. Selon le sujet les places sont limitées à cinq ou dix personnes, et un
atelier dure entre une et six heures. Ça va de « Utiliser sa boîte à outils »
pour les novices à « Créer soi-même sa propre salle de bains » pour les plus
expérimentés. Les Ateliers BricoRémi remportent un franc succès – on doit
refuser du monde chaque semaine –, et c’est en grande partie grâce à moi.
M. Rémi n’aurait jamais tenté ce défi si je ne m’y étais pas autant investie.
Il pensait que les particuliers préféraient visionner des tutos sur Internet
plutôt que de suivre des cours en magasin. Raté. Les tutos ne fournissent
pas de conseils personnalisés ni ne corrigent d’éventuelles erreurs.
— Tiens, une revenante ! me lance D’Jonatane d’un air hautain en
arrivant avec une cliente. Je me demandais si tu avais pris ton après-midi. Je
sais que nous sommes mercredi mais quand même, j’aurais aimé être
prévenu. Mme Vincent cherchait désespérément la cheffe du rayon
outillage.
— Je… Je suis désolée, bredouillé-je, gênée. Je vais prendre la suite…
— J’apprécierais, en effet, Chloé, me coupe-t-il. Je suis assez occupé
aujourd’hui, j’ai toute la gestion du magasin. Si chacun arrive avec quinze
minutes de retard, les choses peuvent vite devenir compliquées. C’est une
histoire de respect. Respect des clients, des collègues.
— Oui, bien sûr…
— Bon, eh bien, madame Vincent, je vous laisse avec Chloé. Au plaisir.
Je regarde D’Jonatane partir avec son air satisfait. C’est limite s’il n’a pas
fait un baise-main à la cliente. Non mais quel lèche-bottes ! Je regrette de
ne pas pouvoir lui dire franchement le fond de ma pensée. Il voulait me
prendre en faute et il a réussi. Je lui en veux… mais je m’en veux encore
plus. Comment ai-je pu lui offrir une si belle opportunité de m’humilier ? Il
doit jubiler derrière sa moustache à la Magnum (oui, D’Jonatane a une
coupe mulet ET une grosse moustache).
— Bonjour…, tente timidement la femme devant moi alors que je reste
focalisée sur mon retard. Je… Je cherche une perceuse.
— Oui, oui, bien sûr, réponds-je en me recentrant sur ma cliente. Je suis
désolée que vous ayez eu à patienter.
— Oh, ne vous inquiétez pas, reprend la dame avec un sourire. Je n’ai pas
attendu du tout. J’arrivais dans l’allée « Vis en tout genre » quand votre
collègue m’a interpellée. Il voyait bien que je m’étais perdue. Quand je lui
ai dit que je recherchais une perceuse, il a tenu absolument à ce que la
cheffe de rayon me renseigne maintenant, là, tout de suite. Pour être tout à
fait honnête, je voulais d’abord regarder par moi-même avant de vous
solliciter.
D’Jonatane fait vraiment des histoires pour rien… Et le pire, c’est qu’il a
réussi à me faire culpabiliser !
J’amène Mme Vincent devant les perceuses en lui présentant brièvement
nos différents modèles. Je ne lui fais pas un cours magistral non plus, mais
pas loin. Entre les percussions, les colonnes, les sans-fils… nous n’avons
rien à envier aux grandes enseignes et j’en suis fière. Afin d’affiner le choix
de Mme Vincent, je lui demande le type de murs auquel elle souhaite
s’attaquer. Son sourire s’efface quand je parle de parois pleines et creuses,
de placo ou encore de béton armé. La quarantaine bien avancée, elle semble
complètement désorientée. Fraîchement divorcée, elle m’explique qu’elle
vient d’emménager dans une nouvelle maison où toute la décoration est à
refaire. Le problème, c’est qu’elle n’a jamais touché à un clou ni une vis de
sa vie. Reconnaître un mur ne fait absolument pas partie de ses
compétences. Dans son ancien foyer, elle gérait le ménage et les repas
quand son mari s’occupait du bricolage et du jardin. Le bon vieux schéma
classique. Son ex-mari lui a proposé de l’aider à s’installer mais
Mme Vincent a refusé. Elle veut prouver qu’elle peut se débrouiller seule,
et j’avoue que je suis assez d’accord avec ce principe. Elle me confie que
c’est lui qui l’a quittée pour une jeune fille à peine plus âgée que leur fils.
Le fameux démon de midi. Elle l’a mauvaise, Mme Vincent. Je l’écoute et
j’essaie de la rassurer, du moins pour la partie bricolage. Pour le reste, ce
n’est pas trop mon rayon. Finalement je l’oriente sur une perceuse sans fil
en promotion. Je lui propose également de l’inscrire à l’atelier « Apprenti
bricoleur » de ce samedi ; il me reste une place. Elle y apprendra
notamment à reconnaître les différents types de murs. Elle repart, ravie. Je
la sens remotivée à bloc, et moi avec. Nos échanges m’ont fait oublier les
remontrances de D’Jonatane et mon envie de pause pipi. C’est ce que
j’aime le plus dans mon métier : les rencontres. Discuter, mieux cerner le
problème de chacun, deviner les besoins et y répondre au plus près. J’ai
l’impression d’entrer dans la vie des gens, de partager un peu leurs projets
et leurs rêves. Certains diront que j’ai juste vendu une perceuse, moi j’y
vois beaucoup plus.
*
**
20 h 15
En sortant de BricoRémi, je fais un saut au supermarché de la galerie pour
acheter de quoi me sustenter ce soir. Bien que les caisses soient en train de
fermer, Amine, qui gère les sorties en fin de journée, me laisse passer. Il me
connaît bien et sait que je serai rapide. Une barquette industrielle et zou…
je file. J’achète toujours des trucs à l’arrache en sortant du travail. J’opte
pour des plats tout faits qui se réchauffent rapidement. Le soir, j’ai trop faim
pour attendre. En général, je ne quitte jamais BricoRémi avant 21 heures,
alors me mitonner un bon petit plat à cette heure-là, non merci. Les portes
du magasin ferment à 20 heures, mais le temps de vérifier les rayons et de
faire un point sur la journée avec M. Rémi, l’heure passe vite. D’Jonatane et
moi sommes toujours les derniers à partir. Josiane ne comprend pas à quoi
je joue. Une fois sa caisse fermée elle n’aspire qu’à une chose : rentrer chez
elle. Mais moi, après le boulot, dans mon petit appartement, je me sens vide
et seule. Je n’ai pas d’amoureux, pas d’enfants, pas de chien, pas de chat,
pas même un cochon d’Inde ; il n’y a que moi. Alors, non, je n’ai pas
spécialement d’entrain à quitter le travail. BricoRémi a pris toute la place
dans ma vie depuis deux ans. C’est comme ça.
Ce soir, il est à peine 20 h 30 quand je pose les fesses sur mon canapé.
Comme le boss n’était pas là j’ai juste rangé mon rayon, vérifié que tout
allait bien en caisse et je suis partie. J’ai laissé D’Jonatane faire les comptes
de la journée tout seul comme un grand. D’autant qu’en début de soirée j’ai
eu affaire à un client hyper désagréable. Ce maçon du dimanche, ou
devrais-je dire du mercredi, voulait absolument acheter, là tout de suite, une
scie à onglet que je n’avais pas en stock. Je lui ai proposé de la lui réserver
pour samedi matin mais il m’a hurlé dessus en me disant que c’était trop
tard, qu’il la lui fallait pour demain au plus tard. Il m’a dit que j’étais une
incompétente et que de toute façon « une nana au bricolage c’était de la
belle merde, que c’était comme remplacer Ronaldo par Barbie ». Je suis
restée impassible. Enfin en apparence. Je ne vous raconte pas comme je
bouillonnais intérieurement. Il a gueulé tout seul au milieu du rayon avant
de finalement passer commande. Tout ça pour ça… Je m’arrangerai pour ne
pas avoir à lui donner sa scie samedi, je n’ai pas envie de me faire injurier
de nouveau. Autant j’adore servir les clients aimables, autant les péteux
sexistes me sortent par les yeux.
M. Rémi ne cesse de nous dire que le chef suprême chez BricoRémi c’est
l’acheteur : « Le client a toujours raison même si c’est un gros con ». Je
comprends le principe mais de là à se faire traiter comme du poisson
pourri… Satisfaire le client, oui, évidemment ; en faire un roi omnipotent,
non, pas forcément.
Enfin, au moins demain pas de BricoRémi pour moi, je suis off. Non pas
que j’aie besoin de souffler mais j’y suis obligée : RTT imposée. Une
salariée qui veut trop travailler, ça ne le fait pas dans notre société actuelle.
M. Rémi aurait des ennuis s’il me laissait faire. Et puis Josiane, notre
représentante du personnel, veille au grain en s’assurant que je récupère
bien tous mes jours de congé. Elle veut que je me repose, que je sorte entre
djeuns’ comme elle dit, que je m’amuse… bref, que j’aie une vie hors de
BricoRémi. Je sais qu’elle a raison mais je n’y arrive pas vraiment.
J’ouvre mon micro-ondes pour y placer ma barquette d’« Émincés de
poulet mariné aux cinq légumes du soleil ». Dans deux minutes trente, mon
repas sera prêt. Je reste toujours perplexe face aux noms des plats
industriels. Les photos tape-à-l’œil et les titres alambiqués nous laissent
imaginer que l’on va goûter à un plat digne d’un chef étoilé. La déception
est souvent à la hauteur du taux de sel contenu dans ces produits
transformés. Je m’installe dans le salon, mon plateau-repas sur les genoux.
Je découvre six morceaux de viande élastique se battant en duel avec
quelques points de couleur. Les cinq légumes du soleil j’imagine. Je mange
sans grande conviction, histoire de stopper les bruits de mon estomac criant
famine.
Il est 21 h 15.
J’ai beau avoir le câble, Netflix et tout ça, je ne trouve aucun programme
correspondant à mes attentes ce soir. Je zappe, en vain. Je finis par éteindre
l’écran, blasée par les images. De toute façon je n’ai jamais été très
téléphage. Je parcours ma bibliothèque des yeux à la recherche d’un livre
qui pourrait me faire vibrer. Le problème, c’est que je connais par cœur tous
les ouvrages qui remplissent ces étagères. Je cherche une nouveauté… en
vain. Il faudra que je passe à la médiathèque ou à la librairie.
J’emprunte aussi bien que j’achète. J’en échange aussi, et je prête
beaucoup. Je crois qu’il n’y a pas un collègue à BricoRémi qui n’ait pas
emprunté l’un de mes livres. Enfin si, un : D’Jonatane. Imaginer que ce
petit cafard puisse poser ses doigts sur l’un de mes ouvrages me révulse.
Bon OK, j’exagère un peu. La vérité c’est que je ne le lui ai tout
simplement jamais proposé. Je ne sais même pas s’il aime lire ! J’ai
tellement pris l’habitude d’entrer dans ma bulle quand il parle que je ne sais
pas grand-chose de lui au final…
Bon, tout ça ne me dit pas ce que je vais faire de ma soirée…
Je ne vais quand même pas aller me coucher. Si ? Il n’est même pas
21 h 30… Dans des moments comme ça, j’aimerais avoir des amis avec qui
m’amuser. J’ai pour ainsi dire coupé les ponts avec tout le monde. Josiane
et Philippe m’ont proposé à de nombreuses reprises de sortir avec eux mais
j’ai toujours refusé. J’ai inventé tellement de prétextes qu’ils ont fini par
croire que j’avais moult amis et que j’avais à cœur de différencier ma vie
professionnelle de ma vie privée. En réalité, c’est juste que je n’ai pas envie
qu’ils me connaissent vraiment. Parler de mon passé… Je ne crois pas en
être capable. Plus depuis deux ans.
Bricoler et lire ; voilà à quoi se résume ma vie aujourd’hui. Pendant mes
journées de repos je travaille chez des particuliers, des clients de BricoRémi
ou des voisins : je monte des meubles, je fais un peu de peinture, une
chouille de plomberie… Je conseille aussi parfois. C’est plus pour
m’occuper que pour l’argent car je ne suis pas dépensière.
Je sens un vague spleen s’installer en moi.
Le livre de Josiane : la voilà ma solution !
Attirance ou Attraction, je ne sais plus. Parfait pour une soirée de
déprime.
Elle sera contente que je m’intéresse à son roman. Déjà que je refuse de
boire un coup après le boulot ou de l’accompagner à l’un de ses cours de
danse country, je peux bien me forcer à lire un bouquin qu’elle aime. Après
avoir calé un coussin sous ma tête et déployé un plaid sur mes pieds,
j’attrape le livre dans mon sac. Et là, stupeur, en lieu et place d’un corps
d’Apollon je découvre un homme et deux chameaux.
L’Alchimiste de Paulo Coehlo.
Mais d’où il sort, celui-là ?
Je me relève pour retourner fouiller le reste de ma besace. Point
d’Attraction à l’horizon. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
Perplexe, j’ouvre la première page où quelques lettres manuscrites
apparaissent : Ethan W. Je souris. En voilà un autre qui note son prénom
dans les livres qu’il prête, je ne suis donc pas la seule à le faire.
Ethan… Ethan… Mais oui, bien sûr ! L’inconnu du banc ! Je suis partie
tellement vite que j’ai dû emporter son roman à la place du mien en
rangeant mes affaires. La cruche ! Ethan aurait-il ramassé Attraction ? Je
rougis un peu à l’idée qu’il m’imagine en train de lire cette romance très
sexy ; mais, après tout, il n’y a pas de mauvaise lecture.
Je regarde à nouveau L’Alchimiste, curieuse d’en découvrir un peu plus
sur ses goûts à lui. J’ouvre la première page avec la sensation d’entamer
une nouvelle leçon.
*
**
3 h 05
J’étais partie pour lire un roman X et me voilà en plein conte
philosophique. Je pensais m’évader pour une ou deux heures mais l’histoire
me prend aux tripes jusqu’à la fin. Santiago, le héros, a suivi ce que son
cœur et son âme lui dictaient et l’Univers a alors conspiré pour lui apporter
tout ce dont il avait besoin. Le roman était court et l’écriture fluide. Si je
n’ai pas trop adhéré au côté spirituel, certaines choses m’ont tout de même
interpellée. J’aimerais bien savoir ce qu’en pense Ethan… Avait-il même
terminé de le lire ?
Épuisée, je décide de monter me coucher. Enfin, « monter » est un bien
grand mot puisque ma chambre se trouve exactement au même endroit que
mon salon. J’habite un studio dans le centre-ville de Barré-les-Douces. Mon
lit n’est autre qu’un clic-clac que je défais chaque jour. Je pourrais le laisser
ouvert ; ce serait plus simple, mais pas très esthétique. Or, chez moi, tout est
ordonné, classé, soigné. Mes rideaux sont alignés, mes franges de tapis
brossées, mes télécommandes rangées par taille et mes livres par auteur. Je
ferais une super femme de ménage. Mais je suis une super cheffe de rayon
et c’est déjà pas mal.
2. Coupe qui consiste à porter les cheveux longs sur la nuque et plus court sur les tempes. Dans les
années 1980 de nombreuses célébrités se sont essayées à la coupe mulet, avec plus ou moins de
succès. Pour D’Jonatane, c’est sans succès. Et puis surtout nous ne sommes plus dans les
années 1980.
Chapitre 4
Je m’affirme chaque jour davantage
*
**
Mardi 24 septembre, 15 h 30
Je ne sais pas si c’est le fait de répéter quotidiennement ma phrase
« positive », mais force est de constater que je me sens (un peu) plus sûre de
moi au magasin. J’essaie de changer de posture aussi, de me tenir plus
droite et les épaules en arrière. M. Rémi m’a dit qu’il me trouvait « plus en
forme », j’aime à croire que c’est un peu plus que ça. Ethan m’accompagne
souvent dans mes pensées depuis notre rencontre.
Ce matin, Josy était contrariée par un petit vieux qui avait payé un gros
caddie avec de la petite monnaie. Elle avait pris dix minutes pour tout
recompter. Lorsqu’elle m’a lancé : « De toute façon c’est toujours pareil
avec les retraités, ils paient tous en pièces ! », je me suis permis de
rectifier :
— La plupart des personnes âgées que tu rencontres à BricoRémi aiment
payer en espèces, mais… pas toutes.
Comme elle me regardait avec des yeux ronds, je lui ai parlé des mots
toxiques, de la méthode Coué et de pensées positives. Je lui ai retourné le
cerveau à ma Josy ! Et forcément elle m’a demandé d’où je sortais ça. Elle
savait qu’Ophélie n’y était pour rien vu qu’elle ne revient que dans une
dizaine de jours. Du coup je lui ai tout raconté. Je ne sais pas si j’aurais dû
car son état frôlait l’hystérie. Un mercredi, un banc, un inconnu… il n’en
fallait pas davantage à la spécialiste des comédies romantiques pour
imaginer la suite. Elle m’a dit que ce devait être l’homme de ma vie (avec
un grand H s’il vous plaît !) et qu’il fallait absolument que je le revoie. J’ai
eu beau lui expliquer que mon attirance était plus intellectuelle que
physique, rien n’y a fait.
Sacrée Josiane.
En attendant, je pense toujours à Ethan. Viendra-t-il s’asseoir sur mon
banc demain ? Je l’espère en tout cas.
*
**
Mercredi 25 septembre, 12 h 25
Je retrouve Marcel après une semaine d’absence. Le ciel est d’un bleu
azur et le soleil radieux. À quelques jours de l’automne, on se croirait en
plein cœur de l’été. Chaussée de nu-pieds et d’un joli débardeur rayé,
j’accueille avec un plaisir non dissimulé les rayons du soleil sur ma peau. Je
ferme les yeux et souris, libérant ma chevelure d’un chignon bien trop serré.
Moi qui suis d’un naturel plus que frileux, là, je n’ai rien à redire : je ne suis
on ne peut plus à mon aise. Le réchauffement climatique a parfois ses bons
côtés et j’avoue en profiter sans trop de culpabilité. Est-ce mal ?
L’écologie est un sujet qui me tient à cœur mais je ne suis pas non plus
une militante comme Fabienne, une autre cheffe de rayon. Écolo dans
l’âme, elle nous sensibilise régulièrement aux gestes simples qui, à grande
échelle, peuvent faire beaucoup.
J’admire les gens engagés comme Fabienne, je les envie même. Elle lutte
contre le réchauffement climatique alors que moi… je milite pour qu’on ne
confonde pas écrou et vis. J’aimerais bien apporter plus au monde mais…
quoi ? Et surtout, comment ?
Je ne sais même pas pourquoi je réfléchis à ça, là maintenant. Je me suis
perdue dans mes pensées, comme d’habitude. C’est fou comme je peux
m’éparpiller ! Petite, je fatiguais mes parents à passer d’un sujet à l’autre et
aujourd’hui, c’est moi que j’épuise. On m’a dit un jour que j’avais un
cerveau qui fonctionnait en arborescence : une idée, une image me font
penser systématiquement à autre chose et ainsi de suite. Du coup, je
papillonne régulièrement d’un thème à un autre sans raison linéaire logique.
Je me perds souvent et les autres avec.
Cela me joue parfois des tours. Je me souviens notamment d’un cours de
mathématiques en primaire. Je devais avoir six ou sept ans et le maître,
M. Julien, nous racontait l’histoire de passagers sur un bateau. Il fallait
simplement calculer le nombre de personnes restées à quai. Tous les enfants
de la classe avaient rapidement trouvé la réponse, il s’agissait d’un calcul
simple à un seul chiffre. Ce n’était d’ailleurs pas vraiment un problème
mais plutôt une devinette. En tout cas, en ce qui me concerne, j’étais partie
très loin. Je me demandais sur quel type de bateau les passagers avaient
embarqué : un voilier, un catamaran, un paquebot ? Comment ils étaient
habillés, leurs âges, s’ils se connaissaient avant de partir en voyage… Que
des questions sans aucun rapport avec l’énoncé ! Du coup, j’étais
complètement larguée. Finalement la seule élève restée à quai ce jour-là, ce
fut moi. Bref, tout ça pour dire que je pense beaucoup et que j’ai la fâcheuse
tendance à m’éparpiller quand je raconte une histoire.
Allez, STOP. J’arrête.
Revenons à cette magnifique journée de fin d’été, à Marcel et à… Ethan.
Si j’étais certaine qu’il viendrait je l’attendrais pour commencer mon
déjeuner, mais dans le doute j’ouvre dès à présent mon Poke Bowl. Le gars
qui m’a servie m’a rajouté des rondelles de concombre. Je déteste ça. Il
faudrait que je pense à demander « sans » la prochaine fois. Je dis ça mais
je sais pertinemment que je ne le ferai pas. C’est comme Josiane qui affirme
qu’elle va reprendre un temps plein : des paroles en l’air. Ça paraît pourtant
simple de dire : « Je voudrais sans concombre s’il vous plaît monsieur »,
mais c’est au-dessus de mes forces. Je sais, c’est étrange mais c’est ainsi : je
suis la fille qui n’ose jamais. Vous pouvez me faire patienter une demi-
heure à un rendez-vous sans que je vous fasse la moindre remarque. Je suis
aussi la fille qui déclarera avec aplomb : « Oui, avec plaisir » pour le plat du
jour conseillé par le serveur alors qu’elle mourait d’envie de goûter le
risotto de la carte. Ça ne sort jamais.
En revanche, je rumine… J’essaie de me convaincre que ce n’est pas si
grave mais bon, je m’agace quand même. C’est dingue d’être aussi neuneu.
Bon pour les concombres, ce n’est effectivement pas bien grave mais…
quand même. Question de principe. Si Josy était là, elle se moquerait de
moi. D’une part car je suis trop timide et d’autre part parce que je me
prends trop la tête pour ça. Ça tourne en boucle dans mon cerveau. Vous
allez sûrement vous moquer de moi mais il m’est déjà arrivé de préparer des
phrases à l’avance pour réussir à dire non. La semaine dernière, par
exemple, je me suis entraînée pendant dix minutes devant mon miroir pour
répéter « Non merci, ce n’est pas la peine » avant mon rendez-vous chez le
coiffeur. La gérante, Marion, veut toujours – ce n’est pas un mot toxique,
c’est vraiment le terme exact – me faire un soin aux cheveux qu’elle me
facture sept euros et pour lequel je ne vois aucun bénéfice. En plus, je lui ai
acheté un pot de crème hyper cher pour réaliser des masques capillaires à la
maison entre deux rendez-vous. À BricoRémi, l’ensemble de mes collègues
s’accordent à dire que ma chevelure auburn est digne d’une pub télé où je le
vaudrais bien. Donc, non, je n’ai absolument pas besoin d’un soin lorsque je
me rends chez le coiffeur pour couper mes pointes ! Eh bien, jeudi dernier,
alors que j’avais la tête dans le bac et ma phrase de refus bien affûtée,
qu’est-ce qui s’est passé quand elle m’a demandé : « On leur fait un soin ?
Ils en ont bien besoin vos cheveux ! » ? Je vous le donne dans le mille, j’ai
répondu : « Ben… d’accord. » Josy était morte de rire quand je lui ai
raconté ma mésaventure. Bref… je crois que j’ai vraiment bien trouvé ma
phrase Coué !
La légère brise qui souffle dans le feuillage du saule pleureur protégeant
Marcel me fait penser au son des vagues s’échouant sur la plage. Je décide
de rester là, les yeux clos, en me laissant porter par ce son. Depuis ma
rencontre avec Ethan, je savoure plus intensément les petits bonheurs que
m’offre mon quotidien. Je dois reconnaître que, passé mon scepticisme,
chercher le positif de chaque situation me fait vraiment du bien.
Au fait, j’ai retrouvé Attraction sur Marcel. Quelques feuilles de saule lui
sont tombées dessus mais c’est tout. Ethan ne l’a donc pas pris. Ou alors il
l’a pris puis redéposé, je ne sais pas. Peut-être est-il revenu le lendemain de
notre rencontre en espérant me revoir ? J’ose en tout cas l’espérer.
Et aujourd’hui… viendra ou viendra pas ?
*
**
13 h 20
Viendra pas.
*
**
Vendredi 27 septembre, 14 h 30
Je n’ai commencé qu’à 11 heures ce matin et pourtant je suis déjà
épuisée… Faut dire que je suis tombée sur Mme Odilon dès mon arrivée au
magasin et ça, c’est rude. Elle avait fini ses achats mais Josiane l’a retenue
en lui assurant que j’arrivais bientôt et que je serais ravie de la voir. Elle
n’en rate pas une celle-là… Papoter est la passion n° 1 de Mme Odilon. De
tout, de rien mais surtout d’elle. Depuis un an qu’elle fréquente le magasin,
je connais toute sa vie : son mari, René, ses enfants Danièle et Bernard, ses
crises de psoriasis, ses problèmes de thyroïde, ses disputes récurrentes avec
Mme Laurent, sa voisine, qu’elle continue tout de même de fréquenter ou
encore les tribulations de son chien Enzo qui souffre d’arthrose. Lorsque
Mme Odilon commence à raconter sa vie, c’est un peu comme quand
Philippe va aux toilettes : on n’en voit jamais la fin. Ce matin, elle a tenu
une heure sur son chien. Elle l’avait promené dans le village lorsqu’il a eu
besoin… de faire ses besoins. Seul hic, Mme Odilon avait oublié
d’emporter un petit sac en plastique pour ramasser sa création. Elle a donc
pris un bâton et poussé discrètement l’objet du délit sur le bas-côté. Pas de
chance pour elle, Pascal, le cantonnier du village, l’a repérée ! Il lui a refilé
illico une amende. C’est qu’on ne plaisante pas avec les crottes de chien, à
Barré-les-Douces. Le nouveau maire met tout en œuvre pour garder nos
chemins de campagne propres. Il en avait même fait le slogan de sa
campagne : « Déjection = pollution, pas de cacas sur nos traces de pas ! »
Faut croire que ses rimes ont plu puisqu’il a été élu. Un collectif s’était tout
de même créé au début de son mandat pour dénoncer ses méthodes de
répression, baptisé « Touche pas à mon caca ». Les meilleurs publicistes
habitent à Barré-les-Douces, c’est certain. Tout ça pour vous dire que
Mme Odilon a tenu une heure sur les crottes de son chien et sur l’abus de
pouvoir de Pascal. Elle m’a d’ailleurs affirmé avoir eu une poussée de
psoriasis tant cette histoire l’avait contrariée. C’est qu’elle n’aime pas être
mise en défaut, Mme Odilon. Moi non plus, remarquez : je garde toujours
en travers mon retard de la semaine dernière avec D’Jonatane.
Quoi qu’il en soit, je suis rincée. Je compte bien profiter de ma pause-
déjeuner pour me reposer. La salle des employées est grande et lumineuse,
M. Rémi nous a concocté un endroit plutôt sympa. On a même un grand
canapé couleur bleu canard assez classe. De loin le sofa fait son effet, de
près un peu moins. Il a fait son temps, dirons-nous. Il faut surtout éviter de
s’asseoir sur le côté gauche, là où les ressorts ont rendu l’âme. Le dernier
qui a essayé a dû être hélitreuillé pour se relever. Du côté droit, en
revanche, ça passe plutôt pas mal, on est même très bien installé, il y a de la
place pour deux, voire pour trois si on se serre un peu. Lorsqu’un
intérimaire arrive et s’étonne de nous trouver collés serrés sur le côté droit,
on se tait. Il se pose alors sur le côté gauche et… paf : il est englouti. On
fait le coup à chaque fois, de vrais gamins !
Ceux qui ne profitent pas du canapé se retrouvent autour de la table ronde
encadrée de chaises disparates. L’intégralité du mobilier a été déniché par
Fabienne. Notre écolo préférée ne jette rien et récupère régulièrement les
objets laissés à l’abandon par ses voisins. Son garage est à lui seul une
annexe de la déchetterie départementale. Vous y trouverez tout : de la roue
de vélo aux vêtements d’enfants en passant par des tuyaux de plomberie, de
vieilles étagères ou encore des tableaux indatables. Selon elle, tout objet a
plusieurs vies. Tel Lavoisier, elle applique à la lettre l’adage : « Rien ne se
perd, rien ne se crée, tout se transforme. » Elle passe ses week-ends à
organiser des journées de nettoyage dans la région, à aider au tri à la
recyclerie ou bien encore à fouiller les bennes de la déchetterie (si, si, je
vous jure). Chez BricoRémi tout le monde admire l’engagement de
Fabienne même s’il est parfois… encombrant. Ce matin, par exemple, elle
est arrivée avec plus d’une demi-heure de retard pour ramasser un énorme
frigo américain découvert dans un fossé. Elle a stoppé la circulation jusqu’à
ce qu’une âme charitable s’arrête pour l’aider à sortir cette vieille carcasse
de la nature et la dépose au magasin. L’engin, immense, obsolète et abîmé
trône maintenant fièrement au beau milieu de notre salle de repos.
— Qu’est-ce qu’on va faire de ça ? me demande Josy, les mains sur les
hanches.
— Fabienne a entrepris de le restaurer pour en faire une bibliothèque.
— Cette nana est folle.
— Follement géniale, précisé-je en rejoignant Josy sur le canapé. On
pourra y entreposer tous les livres qu’on veut bien se prêter entre nous.
C’est pratique et original. Fabienne va le customiser, je suis certaine qu’il
va claquer.
— Tant qu’elle ne nous reparle pas de son lombri composteur en guise
d’objet de déco, moi ça me va ! Bon, et sinon, comment va Mme Odilon ?
— T’abuses de me l’avoir envoyée…
— Cela faisait longtemps que tu ne l’avais pas vue, se justifie Josy pleine
d’ironie. J’ai pensé qu’elle te manquait.
— J’ai pris un retard fou dans le placement des produits à cause d’elle.
— Ah non, rectifie Josy, ça c’est à cause de toi. Tu n’avais qu’à pas la
laisser parler.
— Mais elle ne fait jamais de pause ! objecté-je. C’est comme si elle
retenait sa respiration pendant une heure pour être certaine de ne pas être
interrompue. Elle est championne du monde d’apnée, ce n’est pas possible
autrement. Elle est la définition type de la logorrhée verbale.
— Une logo quoi ?!
— Une logorrhée verbale, c’est un terme qui caractérise un besoin
constant de parler.
— Attends, je me le note pour ressortir ça ce soir au dîner. Je vais épater
mon Franky.
Josy sort son petit calepin rose de sa blouse. Elle y inscrit les bonnes
blagues qu’elle a entendues, de nouvelles expressions, des citations célèbres
ou encore des mots de vocabulaire « qui se la pètent » comme elle dit ;
comme « logorrhée verbale ».
— Tu me fais rire, reprend-elle après m’avoir demandé trois fois d’épeler
le mot « logorrhée ». Qu’est-ce que tu peux prendre des pincettes avec les
gens ! Tu te compliques trop la vie. Si tu veux que Mme Odilon se taise,
coupe-la dans son élan, tout simplement.
— En pleine phrase ? C’est chaud quand même.
— Mais non, question d’habitude. Je suis devenue experte en la matière
avec l’âge. La prochaine fois qu’elle revient, je te la renvoie histoire que tu
t’entraînes. Mais trêve de plaisanteries : passons au dossier du jour !
— Lequel ? m’étonné-je. Le fait qu’on fasse une super promo sur les
décapeurs thermiques ? Tu veux que je t’en mette un de côté ?
— Je ne sais même pas à quoi ça sert ! me lance-t-elle en riant à gorge
déployée. Mais je sais qu’ils partent comme des petits pains, j’en ai passé
dix en caisse ce matin. Et non, nouillotte : je parle de ton bel inconnu du
banc !
Ethan. J’ai beau essayer de ne plus penser à lui, je n’y arrive pas. J’aurais
réellement aimé le revoir.
— Tu n’as rien écouté de ce que je t’ai dit hier. Il n’est pas venu mercredi.
Il n’y a donc aucun « dossier ».
— Justement, j’ai peut-être trouvé une solution.
— Une solution pour quoi ?
— Pour que tu le retrouves, évidemment !
Josy me tend une feuille déchirée sur laquelle elle a écrit une prose.
« Je t’ai vu mercredi 18 septembre dans un coin reculé du parc Vascos
à l’heure du déjeuner. Sur un banc isolé, à l’ombre d’un saule pleureur,
nous nous sommes rencontrés pour mon plus grand bonheur. Tu m’as
laissé ton prénom, Ethan, mais je n’ai pu te donner le mien. Je ne
m’appelle pas Océane mais Chloé et je t’attendrai toute ma vie si besoin.
Je crois qu’entre toi et moi, il peut y avoir du toi + moi. J’ai craqué pour
toi alors contacte-moi vite au … ».
Il me faut toute ma volonté pour ne pas partir dans un grand fou rire. Josy
m’explique qu’elle a acheté un livre de rimes spécialement pour cette
occasion. Son Franky a validé le texte en lui assurant qu’elle était aussi
forte que Rambo. Je pense qu’il a voulu parler de Rimbaud mais, après
réflexion, je n’en suis pas si certaine alors dans le doute, je ne rectifie pas.
Je suis tellement médusée que je ne sais pas quoi répondre. Face à ma moue
indécise, Josy enchaîne :
— Je me suis dit qu’on pourrait placarder des affiches dans le parc, voire
distribuer des flyers dans les boîtes aux lettres aux alentours. Je demanderai
aux gamins de m’aider, ça nous occupera ce dimanche. Pour le numéro de
téléphone, j’hésitais, je laisse ton portable ou celui du magasin ?
— Aucun des deux ! objecté-je avec véhémence. Tu imagines tous les
appels bizarres que je pourrais recevoir ?
— Tu préfères lui donner directement rendez-vous sur votre banc secret ?
— Je ne préfère rien du tout. Je te remercie pour ton implication et pour
ce poème… singulier, mais non merci. Je ne souhaite rédiger aucune
annonce pour retrouver Ethan.
— Pourtant j’ai passé un temps fou à rédiger ce texte. Franky était épaté
et m’a dit que ça mériterait même un prix. J’ai même fait des rimes !
— Je crois que ma préférée est « Je ne m’appelle pas Océane » pour rimer
avec Ethan.
— J’ai peut-être un don pour la poésie, se met à réfléchir à haute voix
Josy.
— Sûrement, lui assuré-je. Mais en attendant de pouvoir exploiter ce
nouveau talent, mange vite ta soupe car on doit reprendre le boulot. Tu t’es
préparé quoi ce midi ?
— Une soupe aux épinards, aux pommes, à la vache qui rit et au
gingembre.
— OK…
— Je me suis dit que ça pouvait se tenter.
— Et alors ?
— Ça ne se tente pas.
Chapitre 5
À la recherche du soi perdu
*
**
15 h 45
— Magalie me soûle ! me lance Ophélie, agacée, de retour de la salle de
pause.
Magalie, une autre cheffe de rayon, filerait le bourdon à Mary Poppins et
à Bob l’Éponge réunis. C’est l’éternelle gentille fille qui se fait avoir par les
vilains méchants (les autres salariés, les clients, sa famille…). Elle a
toujours une anecdote à raconter pour corroborer ses plaintes, si bien que
tout le monde, excepté moi, a fini par l’éviter. Entendre ruminer à chaque
pause, dur, dur !
En ce moment, Magalie s’est persuadée que tout le monde parlait dans
son dos. Elle dit n’attendre qu’une seule chose : sa retraite. Elle a soixante
et un ans, plus qu’un an à tenir donc. Josy, qui ne la supporte plus, attend ce
jour avec impatience pour lui organiser un pot de départ de folie auquel elle
ne serait pas conviée. Je ne sais pas si Josy plaisante mais dans le doute, je
ne la relance pas sur le sujet, c’est quand même un peu violent.
Bref : pas besoin qu’Ophélie en dise plus, je sais très bien de quoi elle
parle.
— Laisse-moi deviner : le monde s’est encore ligué contre elle pour lui
gâcher la journée ?
— C’est quand même dingue de se positionner en victime à ce point !
— Oui… Et chaque fois que j’essaie de lui montrer le positif de sa
situation, je me heurte à un mur. À croire qu’elle se complaît dans son
malheur.
Contrairement à Amine, elle n’a pas été du tout sensible à mes arguments
de pensée positive. Il faut croire que chaque outil a ses limites… ce qui ne
l’empêche pas d’être efficace pour autant. Je soupire, frustrée.
— Toi qui étudies le développement personnel, relancé-je Ophélie, tu ne
connaîtrais pas quelque chose qui pourrait l’aider ?
— Tant qu’elle reste dans son triangle de Karpman, je ne vois pas ce
qu’on peut faire pour elle.
Je ne comprends pas du tout de quoi parle Ophélie et, entre deux clients,
lui demande de me fournir davantage d’explications. Ophélie n’est pas aussi
claire qu’Ethan lorsqu’elle m’explique un concept théorique, mais j’arrive
tout de même à rassembler les morceaux du puzzle. Le triangle de Karpman
est un outil d’analyse transactionnelle symbolisant une communication,
malsaine, entre trois personnes. L’une se pose en victime (Magalie), la
deuxième en persécuteur (les salariés de BricoRémi) et la troisième en
sauveur (moi, en l’occurrence). En écoutant Magalie se plaindre et en
tentant de trouver des solutions à sa place, je l’infantiliserais et
l’entretiendrais dans ce schéma.
— Le pire dans tout ça, m’explique Ophélie, c’est que les rôles peuvent
s’inverser ! Si tu ne soutiens plus Magalie un jour parce que tu es trop
agacée, elle pourrait t’en vouloir et se transformer alors en ta propre
persécutrice.
— Ça m’a tout l’air d’une histoire sans fin…
— L’histoire s’arrêtera quand Magalie sortira de ce triangle. Il faut qu’elle
reconnaisse ses vulnérabilités, assume sa part de responsabilités et apprenne
à régler ses problèmes seule.
— Donc, selon toi, je dois la laisser se débrouiller toute seule ?
— Si tu l’écoutes trop et essaies de la « sauver », elle va rester dans son
rôle de victime. Elle est assez grande pour trouver ses propres solutions et
doit en prendre conscience. Magalie doit arrêter de se voir comme une
pauvre biche apeurée sur laquelle des chasseurs veulent tirer. Elle a besoin
d’apprendre à communiquer autrement.
Je réfléchis un instant, assimilant l’information. Il y a quelques semaines
je serais passée à autre chose sans m’interroger davantage, mais ma
conversation avec Ethan résonne toujours en moi. Apprendre à
communiquer autrement : voilà qui semble enfin prendre un sens pour moi.
Les mots paraissent, en effet, avoir un véritable pouvoir.
— La communication c’est ton truc justement, non ? interrogé-je Ophélie.
Ce n’est pas ce que tu apprends dans ta formation ?
— Entre autres, si. Il y a tellement de choses qu’on pourrait facilement
appliquer au quotidien ! Même Magalie pourrait y être sensible.
— Tu penses à quelque chose en particulier ?
Ma collègue me lance un regard étonné, comme si elle ne s’attendait pas à
ce que je veuille en savoir plus. Elle a l’habitude de rester vague sur le
sujet, consciente que pour la plupart des gens ça passe pour une lubie un
peu bizarre. Quand elle comprend que je suis sérieuse, ses yeux se mettent à
pétiller et son visage s’enflamme avec tant de passion que je regrette de ne
pas avoir fait l’effort de m’y intéresser plus tôt.
— La CNV, ou communication non violente, par exemple, serait l’outil
idéal pour l’aider. On en aurait tous besoin en fait. J’en ai d’ailleurs parlé à
M. Rémi la semaine dernière et il a eu l’air intéressé. Je lui ai bien vendu le
truc en lui expliquant qu’au final si ses salariés se sentaient mieux, le chiffre
d’affaires de la boîte ne pourrait que croître. Il semble avoir été sensible à
cet argument. Je croise les doigts pour qu’on soit formés bientôt à cette
technique de communication.
Ophélie m’en expose les grandes lignes : cette démarche, mise en place
par un certain Marshall Rosenberg dans les années 1970, serait une
invitation à entrer en lien avec l’autre sans aucun jeu de pouvoir. L’idée
serait que chacun apprenne à définir ses sentiments puis ses besoins en
s’exprimant en « Je » avant de trouver des stratégies pouvant être mises en
place pour chacun et respectées par tous.
— Si on invite Magalie à s’exprimer en CNV, elle pourrait trouver le cœur
de son problème.
— Ses problèmes, rectifié-je. Rien ne va jamais.
— Elle commencerait par se focaliser sur une situation particulière de son
quotidien qui l’agace.
— Elle n’aurait que l’embarras du choix, ironisé-je.
— C’est sûr… La CNV t’invite ensuite à une véritable introspection.
Qu’est-ce que tu ressens réellement face à une problématique définie ?
Quels sentiments éprouves-tu ?
À quel(s) besoin(s) non nourris correspondent-ils ?
— OK… mais en quoi, concrètement, cela pourrait aider Magalie ? Je ne
situe pas l’enjeu.
— Tu ne crois pas que Magalie serait plus à même de sortir la tête de
l’eau si elle disait : « Je me sens triste car je ne trouve pas ma place au
travail, j’aurais besoin de me sentir connectée au reste de l’équipe » plutôt
que « Tout le monde est méchant à BricoRémi » ?
— Possible, oui.
— Carrément, tu veux dire ! Elle pourrait ensuite réfléchir à des moyens
concrets pour se sentir davantage impliquée au boulot.
Sur le papier cela semble bien beau, reste à savoir si nous arriverions à le
mettre en pratique… J’espère que M. Rémi nous proposera un intervenant
sur cette thématique pour l’année prochaine. En attendant, je vais faire
attention à ce que je dis à Magalie et je ne la complairai plus dans son rôle
de victime. Je vais déjà apprendre à m’occuper de moi et ce sera très bien.
Chapitre 8
Les émotions
Mardi 15 octobre
*
**
23 heures
Je me réveille en sursaut après un terrible cauchemar. Mon rayon avait
totalement été chamboulé dans la nuit par D’Jonatane ! Imaginez le
carnage : il m’avait remplacé tous les tournevis à tête fendue par des
tournevis cruciformes en mélangeant les têtes Philipps et Pozidriv.
Impossible pour les acheteurs de s’y repérer et pour moi de justifier ce
désordre. J’avais envie de pleurer, perdue, au milieu de mon rayon…
Mais ouf, tout cela n’était qu’un mauvais rêve. D’Jonatane est fourbe,
mais pas à ce point-là quand même. Il faut dire que j’ai passé plus de trois
heures à trier mes tournevis cet après-midi. Ophélie m’a trouvée trop zélée
mais elle se trompe : je voulais juste que tout soit plus clair pour le client.
J’ai même créé des fiches mémo explicatives disponibles gratuitement à
l’entrée du rayon. Il existe tellement de types de tournevis différents… Plus
le client sera informé et plus pertinent sera son achat, non ? Un chef de
rayon se doit de satisfaire au mieux le consommateur. Enfin, c’est ce que je
pense.
Je n’ai plus sommeil, mince… Ce cauchemar m’a bien réveillée.
Que faire ?
J’allume la télévision, à la recherche d’un film à regarder. Surfant sur les
replays disponibles, mon regard s’arrête sur un film d’animation Disney,
intitulé Vice-Versa. Je ne suis pas très dessin animé, mais celui-là
m’intrigue. Au pire, il m’aidera à retrouver le sommeil ; au mieux je
passerai un bon moment.
Ce long-métrage m’entraîne au pays des émotions d’une jeune fille
prénommée Riley. Dans sa tête cohabitent la joie, la tristesse, le dégoût, la
peur et la colère. Le film m’émeut plus que je ne l’aurais cru. Comme en
écho à la leçon d’Ethan, il montre que toutes les émotions ont leur place
dans notre vie et qu’aucune n’est à négliger. La joie, même si elle paraît
plus « acceptable », ne doit pas se montrer omniprésente. La peur, la colère,
le dégoût et la tristesse cherchent, eux aussi, à nous rendre la vie meilleure.
C’est fou que je sois tombée sur ce film aujourd’hui. Ethan a peut-être
raison : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. »
Je m’endors apaisée, en jurant de laisser mes tournevis de côté.
Chapitre 12
Les réactions émotionnelles parasitaires
*
**
13 h 05
Mes pieds sont en compote… Je n’ai pas arrêté de faire des allers-retours
dans les rayons ce matin. Le samedi, c’est vraiment de la folie ici ! Je suis
bien contente de pouvoir souffler un peu avant de retourner dans la fosse
aux lions. Je retrouve ma Josy pour trente minutes de pause commune.
— Au fait, je t’ai écoutée, me confie-t-elle. J’ai convoqué Franky et les
enfants pour une rencontre au sommet ce soir.
— Une réunion sur quoi ? l’interrogé-je tout en massant mes petits petons.
— Sur les tâches ménagères, pardi ! Pour que je leur montre tout ce que je
fais et que je réclame leur aide.
— Génial ! Je croise les doigts pour que ça marche.
Elle redresse fièrement le menton, d’un air de dire : « De toute façon
sinon tant pis pour eux, je fais la grève. » Et elle le fera, aucun doute là-
dessus !
— Bon, en attendant, balance-moi la fin de ton topo sur les émotions,
reprend-elle. En quoi, selon M. Ethan, la peur serait-elle une émotion utile ?
Je souris intérieurement, heureuse d’avoir quelqu’un avec qui en discuter.
J’y ai beaucoup réfléchi depuis mercredi, alors je n’ai aucun mal à lui
répondre :
— Elle te protège d’un potentiel danger.
— « La peur n’évite pas le danger », pourtant, me cite Josy.
Que se passe-t-il ? Où est passée ma Josy qui se mélange les pinceaux ? Je
crois que c’est la première fois de ma vie que j’entends mon amie me citer
un proverbe sans erreur. Non seulement chaque mot est correct mais en plus
ils sont dans le bon ordre ! Je la félicite.
— Et je n’ai même pas eu besoin de mon carnet, me précise-t-elle d’un air
satisfait.
— Tu peux être fière de toi.
— Bon, allez, cesse de m’huiler le bras et termine vite ton histoire de
pétoche utile.
« Huiler le bras », j’adore. Je ne rebondis pas, c’est trop mignon.
— Bon, imagine que tu fais un jogging dans la forêt…
— Je déteste courir, me coupe-t-elle.
— Josy, mets-y un peu du tien s’il te plaît, sinon je n’aurai jamais fini et je
reprends dans vingt minutes.
— OK, OK, vas-y ! Je cours donc dans un bois, et j’ai un corps sculpté
comme une déesse égyptienne.
— Voilà, c’est mieux. Tout à coup tu entends un gros bruit provenant des
buissons. La peur s’immisce alors en toi. D’abord c’est physique : ton pouls
s’accélère, ta nuque se raidit et tu te mets à transpirer. Ce corps en alerte va
te permettre de rester sur tes gardes. « Au cas où ».
— M. Rémi sortez de ce corps ! hurle Josy en me secouant par les
épaules.
— La peur peut donc t’éloigner du danger, résumé-je en souriant. Mais…
attention, murmuré-je à l’oreille de Josy après qu’elle m’a lâchée. Tu peux
aussi avoir des « fausses » peurs.
— Ah ben nous voilà pas sortis de l’auberge… Après la fausse colère,
v’là la fausse peur. Faut avoir bac +15 pour apprendre à bien se
connaître avec ton Ethan ? Non parce que si c’est ça, je n’ai pas encore le
niveau.
Je reste concentrée, tentant de ne pas perdre le fil de mes pensées. Les
fausses peurs tiennent plus de l’habitude, Ethan appelle ça des « réactions
émotionnelles parasitaires », celles que l’on peut avoir en lien avec un
souvenir douloureux. Par exemple, j’ai compris que je détestais la sonnerie
du téléphone tout simplement car j’y associais l’annonce d’une mauvaise
nouvelle. J’ai en effet appris la mort de ma mère par le coup de fil d’un
pompier. Du coup, chaque fois que je reçois un appel, je fais
immédiatement une association inconsciente, j’imagine qu’on va
m’annoncer une mauvaise nouvelle et je préfère ne pas répondre. C’est pour
ça que je communique essentiellement par textos.
Josy réfléchit, je crois que j’ai attiré son attention. Elle m’évoque sa peur
des hommes grands et barbus sans en comprendre l’origine. Je l’invite à y
réfléchir. Alors que les vraies émotions sont utiles et nous permettent
d’adapter nos attitudes face à une situation, les réactions émotionnelles
parasitaires, elles, ne servent à rien : je ne cours aucun danger à répondre au
téléphone, et cette « peur » ne me protège pas. Pire, elle m’empêche de
vivre sereinement. Le seul nom de « réaction émotionnelle parasitaire »
suffit à évoquer ce qu’elle provoque en nous : une gêne qui vit à nos
dépens. Maintenant que j’ai identifié la raison de ma « fausse » peur pour le
téléphone, je vais pouvoir la combattre plus facilement.
— Je ne vois pas en quoi le fait de savoir que tu flippes des appels
téléphoniques depuis la mort de ta maman va t’aider à vaincre cette
angoisse.
— Mon but est de pouvoir rationaliser cette « fausse » peur. Je sais
maintenant qu’elle n’a aucune raison valable d’exister, elle ne me protège
en rien. Ethan m’a dit de me concentrer sur les émotions qui m’animaient
quand mon portable sonne. Qu’est-ce que je ressens ? Pourquoi ? Et
surtout : de quoi aurais-je besoin pour aller mieux ?
— Et tu crois que si je trouve pourquoi les grands barbus me font peur
j’aurais moins peur d’eux ?
— J’imagine. En tout cas ça vaut le coup d’essayer, non ?
— Mouaip, ça ne mange pas de main.
De « pain » mais bon, ce n’est pas grave. Nous discutons encore un peu
quand D’Jonatane arrive. Je baisse le ton pour éviter qu’il ne s’immisce
dans notre conversation. Les émotions et lui, ça doit faire dix !
*
**
14 h 10
Une pour qui les émotions doivent signifier quelque chose, c’est sans nul
doute Ophélie. Non seulement les siennes sont visibles comme le nez au
milieu du visage mais j’imagine aussi qu’elle doit en parler dans sa
formation. Désireuse de valider mes théories et d’avoir un autre avis éclairé
sur le sujet, je lance la conversation « au cas où ». Quand je la vois partir
dans un monologue sans fin sur le sujet, je me dis que j’ai visé juste. Si je
suis devenue membre du fan club des émotions, nul doute qu’Ophélie en est
la présidente.
— Plus jeune, j’ai souvent pleuré seule dans mon lit, me confie-t-elle. Ma
mère ne venait jamais me consoler. Je lui en ai longtemps voulu, pensant
qu’elle n’en avait rien à faire.
— Et ce n’était pas le cas ?
— Pas du tout. En fait elle ne savait pas comment réagir, mes larmes
l’effrayaient. Elle m’a avoué récemment que son père la giflait à chaque
fois qu’elle pleurait.
— C’est horrible…
— Il ne savait pas quoi faire lui non plus. Tout ça pour te dire que l’écoute
des émotions des autres, c’est compliqué. On ne peut pas donner ce que l’on
a soi-même jamais reçu. Ma mère ne pouvait pas écouter mes pleurs car ses
parents ne l’avaient eux-mêmes jamais fait pour elle. Heureusement,
comme pour tout, cela se travaille.
Entre l’écoute de mes émotions et celle des autres, je me dis que j’en
apprendrai toute la vie… Ophélie m’apporte une foule d’autres exemples
qui me confortent dans mes réflexions ou, au contraire, les élargissent.
Je suis obligée de la stopper dans son élan car une animation m’attend. Je
lui confie la charge de mon rayon et file vers la salle des ateliers. Quelques
mètres avant d’arriver à bon port, je tombe nez à nez avec Mme Odilon.
C’est bien ma veine !
— Ah ! Chloé ! Tu tombes bien. Tu ne devineras jamais… Je ne lui
parlerai jamais plus !
— De qui parlez-vous ?
— De Myriam, évidemment.
— …
— Myriam Laurent !
Ça y est, je resitue, c’est la voisine et meilleure amie de Mme Odilon.
Enfin, aujourd’hui j’ai l’impression que c’est son ex-meilleure amie.
Mme Odilon a beau avoir soixante-quinze ans passés, ses relations amicales
ressemblent davantage à des engueulades de télé-réalité qu’à des rapports
apaisés. C’est « Je t’aime, moi non plus », comme dans une cour de récré.
— Je vais t’expliquer ce qu’elle m’a fait, tu vas comprendre…
Et la voilà repartie… Plus qu’un magasin de bricolage, c’est un cabinet de
psychologues qu’elle devrait consulter. Comment vais-je faire pour me
sortir de ce traquenard ? Autant je peux couper un collègue dans son élan
mais une cliente, j’ai du mal… Mais là, Fabienne m’attend pour la mise en
place de son atelier « Recycl’ et récup’ ». Elle a réussi à convaincre le boss
de l’insérer dans les animations du samedi. C’est une première pour elle et,
comme elle est un peu stressée, j’ai proposé de l’aider, ne serait-ce que pour
l’accueil des participants et la présentation de l’atelier. Aujourd’hui, elle
propose de réaliser des tawashis avec des chaussettes usagées. Les tawashis
sont des éponges zéro déchet fabriquées avec du matériel de récup.
Fabienne m’en a déjà confectionné plusieurs, du coup, je maîtrise le dossier.
Mme Odilon me raconte comment Myriam a oublié son anniversaire et
tenté de draguer son mari. Pour une fois j’aurais bien voulu connaître la
chute de l’histoire (René s’est-il laissé amadouer ?) mais je ne peux
vraiment pas. Prenant mon courage à deux mains, j’interromps Mme Odilon
au moment où elle insulte sa voisine de « coureuse de remparts ». Cette
expression plairait sûrement à Josy, je la retiens.
— Je suis désolée, Mme Odilon, mais je dois y aller. Fabienne m’attend
pour…
— J’ai presque fini, Chloé, m’interrompt-elle. Je voudrais ton avis.
Et elle repart…
Cette femme est incroyable. Et très culottée ! La moutarde commence à
me monter au nez. Son attitude est tout de même hyper sans-gêne ! Je
commence à ressentir des tensions en moi, je sens la colère arriver. Elle est
justifiée, donc, contrairement à mon habitude, je vais la laisser sortir mais…
calmement, comme je l’ai conseillé à Josy. Je ferme les yeux un bref instant
et me répète intérieurement ma devise « Coué » : « Je m’affirme chaque
jour un peu plus ». Allez, un, deux, trois, j’y vais !
— J’ai un rendez-vous, Mme Odilon, déclaré-je avec un aplomb
inhabituel, et je déteste me faire attendre. Je suis certaine que vous
comprendrez. Passez mercredi prochain, c’est un jour plutôt calme au
magasin. Vous aurez le temps de terminer votre histoire. Bonne journée à
vous !
J’ai parlé avec un débit accéléré pour être certaine de ne pas être coupée.
J’ai joint la parole aux actes en plantant Mme Odilon au beau milieu du
rayon. Je me dirige actuellement d’un pas vif vers le lieu de l’atelier. Au
bout de quelques secondes, je me retourne. Yes ! Sauvée. Mme Odilon ne
m’a pas suivie et je la vois discuter avec Ophélie. Notre future coach
trouvera-t-elle un moyen aimable de lui dire qu’elle nous gonfle ? Quant à
moi, je suis satisfaite de ma réaction. J’ai réussi à exprimer mon besoin et à
m’affirmer en douceur. Enfin, je trouve. Je suis hyper fière de moi !
Chapitre 13
L’ennéagramme
*
**
17 h 30
Je retrouve Ophélie après avoir animé l’atelier « Bricolos du dimanche ».
Le thème du jour portait sur le rafraîchissement d’une salle de bains. J’y ai
expliqué la pose d’un pommeau de douche mais aussi, plus difficile, d’un
mitigeur de lavabo, avant de donner des astuces pour customiser des
meubles et du carrelage. J’y ai retrouvé Mme Vincent qui, après avoir posé
ses rideaux toute seule, a décidé de donner un coup de jeune à sa salle de
douche. C’est vraiment une chouette femme. Je ne sais pas ce qu’elle fait
comme métier mais je sais qu’elle travaille de chez elle. Se faire un petit nid
douillet après son divorce est donc très important pour elle. Elle doit
repasser prochainement, elle compte repeindre quelques pièces.
Ophélie ayant repris sa formation, je ne la vois plus que le samedi à
présent. Entre deux clients, je lui parle de l’ennéagramme. Je n’ai toujours
pas identifié ma peur principale et j’aimerais bien qu’elle m’aiguille un peu,
si toutefois elle connaît l’outil.
— Carrément que je connais ! Mais pourquoi tu me demandes ça ?
— Comme ça… Je…
Je marque une pause et réfléchis un instant. Ai-je envie de parler d’Ethan
à Ophélie ? Rien n’est moins sûr. Même si je l’apprécie de plus en plus, elle
est toujours trop pipelette à mon goût. En plus elle est très copine avec
D’Jonatane. Je n’ai pas envie que tout BricoRémi, et encore moins
monsieur coupe mulet, sache pour mes rendez-vous du mercredi. Josiane ne
trouve déjà pas ça très clair alors si tous mes collègues y vont de leur
jugement, je crois que j’aurai du mal à y faire face.
— Je… Je suis tombée par hasard sur un livre traitant de ce sujet et je
cherche à mieux comprendre.
— La semaine dernière les émotions, aujourd’hui l’ennéagramme… Le
développement personnel semble t’intéresser ou je me trompe ? Tu devrais
t’inscrire aux cours libres de la fac.
Ophélie m’explique que des rencontres gratuites sont dispensées chaque
jeudi soir au sein même de son université, située à quarante-cinq minutes du
village. Organisées par des élèves de master et ouvertes à tous, jeunes
étudiants, retraités, chômeurs ou encore actifs, elles rencontrent un franc
succès. Développement de l’enfant, communication intra et
interpersonnelle, psychologie cognitive… tout y passe. Je note
l’information dans un coin de la tête. « Au cas où », comme dirait M. Rémi.
Pour l’heure, j’ai un prof particulier nommé Ethan et cela me suffit.
— Pour en revenir à l’ennéagramme, m’explique Ophélie, tu dois trouver
la peur qui, plus que toutes les autres, conditionne tes réactions. Par
exemple, moi, c’est l’abandon qui m’effraie le plus. Je l’ai compris à ma
façon de gérer mes relations intimes : je suis toujours celle qui quitte et bien
souvent sans raison. C’est juste que je ne suis pas capable d’accepter qu’on
me laisse. Je me suis aussi rendu compte que j’étais parfois un peu
« extrême » au niveau des émotions.
Je ne peux que valider : je me souviens d’une fois où Ophélie avait raté un
de ses examens et qu’elle pensait tout quitter. La formation, mais aussi
BricoRémi et sa famille. L’échec lui faisait tout voir en noir.
— Je travaille à trouver un juste équilibre avec ma psychothérapeute.
— Tu suis une psychothérapie ?
— Oui, et j’apprends beaucoup ! Je pense que tout le monde devrait en
suivre une. On traîne tous des casseroles depuis l’enfance.
— Pas faux.
— Bon et toi, alors, tu l’as identifié ton profil ?
— Non, justement… je m’y perds un peu. En réalité, plusieurs me parlent.
— Et c’est bien naturel car nous sommes tous un peu de tout. Néanmoins,
il est clair que nous avons tous une peur qui prédomine.
— Je ne sais absolument pas quelle serait la mienne…
Ophélie manque de s’étouffer avec son soda.
— Tu te fous de moi ?
— Non, pourquoi ?
— Sérieusement ? Tu ne vois pas ce qui compte plus que tout pour toi ?
Bah oui je suis sérieuse et non, je ne vois pas ce qui me semble essentiel.
Je ne comprends pas pourquoi elle insiste tant.
— Pardonne-moi… C’est juste que cela me semble tellement évident !
Autant il y a des gens que j’ai plus de mal à cerner, comme Magalie, mais
toi… Ça saute au visage quoi.
— Ah bon ?! m’étonné-je. Eh bien, instruis-moi ! répliqué-je, légèrement
agacée.
— Je pense que tu es de profil 1, une perfectionniste quoi. Je n’ai jamais
rencontré de personne aussi maniaque et cadrée que toi. L’erreur est, selon
moi, ta plus grande peur. Un tournevis blanc à côté d’un tournevis noir et tu
t’évanouis ! Tu ne fais pas « juste » ton travail, tu essaies de le faire de
manière… parfaite.
— Tu exagères.
— Tu as quand même fait une fiche à destination des clients pour
identifier tous les types de tournevis qui existent ! J’étais là, j’ai tout vu.
Qui fait ça ?
— Une personne méticuleuse.
— Une personne de profil 1. Enfin… Ce n’est que mon humble avis. Si tu
as encore des doutes, sache que le 1 a également un problème avec la
colère. Il fait tout pour l’éviter. Chez les autres, en faisant tout ce qu’il faut
pour être irréprochable, et chez lui aussi en contrôlant au maximum ses
émotions négatives. Est-ce que ça te parle ?
— Un peu…
Beaucoup en fait, mais je n’ose pas l’avouer à Ophélie. Je n’ai pas envie
de lui raconter toute ma vie. Nous nous arrêtons là car trois clients arrivent
vers nous. C’est toujours comme ça à BricoRémi : personne ne vient
pendant dix minutes et, d’un coup, tout le monde a besoin de nous en même
temps. Je fais au mieux pour renseigner chacun au plus vite, mais quel
stress !
*
**
21 heures
Rincée, je suis rincée… Je suis tellement fatiguée que je peine à ouvrir ma
porte d’entrée. Heureusement que je ne travaille pas demain. Je ne veux
dire AUCUN travail. Pas de BricoRémi ni de chantier chez des particuliers,
je vais déjeuner chez mon père. J’ai un peu peur mais je suis surtout hyper
heureuse. Il m’a dit qu’il avait fait du tri dans la maison et changé deux,
trois meubles de place, histoire d’apporter du renouveau. Je suis contente
qu’il aille de l’avant, comme moi, et j’ai hâte de voir ça. Je lui proposerai
aussi mon aide pour repeindre le salon et sa chambre. Il est temps de
redonner de la couleur à cette maison, trop longtemps restée figée dans le
passé.
J’enlève mes chaussures que je dépose sur un petit tapis dédié à cet effet
dans ma mini-entrée et accroche mon manteau dans le placard. Après
m’être lavé les mains, je m’enfonce dans mon canapé en soupirant. Mon
Dieu que je suis bien ! J’observe la pièce et les objets qui m’entourent et je
souris malgré moi. Tout est soigneusement rangé, trié, aligné, ordonné : une
vraie maison témoin. Ophélie a raison, je crois que j’ai un petit penchant
pour la perfection.
Chapitre 15
Personne n’est parfait et…
c’est parfait comme ça !
*
**
19 h 30
Je m’active à ranger mon rayon pour partir le plus tôt possible. J’ai envie
de dîner tranquillement puis de prendre une bonne douche avant de
rejoindre Josy. C’est fou comme cette sortie avec elle me réjouit ! Il était
temps que j’accepte son invitation. Ce n’est pas grand-chose, mais j’ai
l’impression de revivre. Qui eût cru qu’accompagner mon amie à un cours
de danse country dans la salle communale de Barré-les-Douces
m’enthousiasmerait autant ?
Je suis tellement dans ma bulle que je n’entends pas M. Rémi approcher.
Il s’excuse de m’avoir effrayée et me demande de remplacer D’Jonatane
pour la fermeture mais aussi pour l’inventaire des stocks. Ce soir ?
Impossible. Pour une fois, le boss fera sans moi.
— Je ne peux pas.
— Tu ne peux pas ? s’étonne M. Rémi. Mais… tu peux toujours
d’habitude ?
— C’est vrai, mais là j’ai décidé de prendre du temps pour moi, assumé-je
fièrement. J’accompagne Josy à son cours de danse country. J’ai hâte de
découvrir le fameux « Apple Jack » dont elle me parle tant et…
— Ah, me coupe M. Rémi, rassuré. Ce n’est que ça ! Tu peux donc
annuler facilement. Tu pourras toujours y aller une prochaine fois.
Pendant quelques secondes je me dis que le boss a raison, que ce n’est pas
si important que ça et que je peux me rendre disponible. Le boulot est plus
important, non ? Je joue ma place de directrice, et après tout ce n’est pas si
grave. Puis, je repense à ma discussion de mercredi et au fait de vouloir
toujours être parfaite aux yeux des autres. Je prends le temps de
m’interroger : qu’est-ce qui compte le plus pour moi, là, tout de suite ?
J’imagine ma balance Roberval avec d’un côté BricoRémi et de l’autre Josy
et sa country. Le verdict est sans appel : le Far West écrase tout. Et puis…
Ce n’est pas un unique refus qui remettra en cause la qualité de mon travail
et mon investissement.
— Non, monsieur Rémi. Je suis désolée mais je ne peux pas vous aider
pour ce soir.
Le patron me regarde, hébété. Je crois qu’il ne m’a jamais entendue
prononcer le mot « non ». Il met un long moment à trouver une repartie…
Finalement, il tente le chantage affectif :
— Chloé, j’ai vraiment besoin de toi, j’ai beaucoup de pression en ce
moment avec l’ouverture de ma nouvelle boutique. Ce soir, je suis fatigué…
La colère gronde en moi. Je trouve cette situation terriblement injuste. En
quoi sa fatigue est-elle plus importante que la mienne ? Ce n’est pas moi
qui lui ai demandé d’ouvrir un second magasin. J’ai bien envie de lui
dresser la liste de tous les soirs où j’ai fait la fermeture alors que ce n’était
pas mon tour mais je me ravise. Peu importe : ce soir, c’est non et c’est tout,
je n’ai pas à me justifier davantage. Il a le droit de me faire une demande et
moi de la lui refuser.
— J’entends bien, monsieur Rémi, mais je vous confirme que je ne suis
pas libre.
M. Rémi n’en croit pas ses oreilles et les traits de son visage commencent
à se durcir. Il me regarde droit dans les yeux, sourcils froncés, en
m’assurant qu’il « retient ». Moi qui le pensais compréhensif, je tombe de
haut. Je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse réagir ainsi. Après tout, peut-
être que ce seul refus est suffisant à me porter préjudice… ? J’aurais peut-
être dû dire oui.
*
**
21 heures
— Certainement pas ! me certifie Josy en m’entraînant dans un
mouvement à quatre temps appelé « grapevine ». Stop au « trop bon, trop
con » ! Tu as réagi comme il fallait et je suis fière de toi, ma Chloé.
— Je te remercie pour ton soutien, mais je me sens un peu mal quand
même… M. Rémi avait l’air vraiment contrarié.
— Eh bien tant pis pour lui ! C’est son problème, pas le tien. Il a tellement
pris l’habitude que tu dises amen à tout, que là, il s’est mangé une porte ! Il
n’est certainement pas content, mais ça vaut mieux : s’il t’engage comme
directrice en pensant que tu es toujours disponible, il s’attendra à ce que tu
le sois à l’avenir et demandera toujours plus. Ce n’est pas une base saine
pour une relation de travail. Tu vois, ajoute-t-elle tout en m’entraînant avec
elle sur la droite pour un pas de jazz box, moi, je lui dis souvent non. Du
coup, le jour où il me demande de faire des heures sup’ et où je lui dis oui,
il est tout content ! C’est toujours ceux qui râlent le plus qui ont le plus.
Josy a sans doute raison, j’ai mal habitué M. Rémi, et après tout c’est son
problème, pas le mien. Je vais essayer d’arrêter de penser à lui et de me
concentrer sur la danse. Pas question de le laisser me gâcher la soirée !
D’autant que la country est beaucoup plus technique qu’il n’y paraît. Moi
qui ne suis pas à l’aise avec mon corps, j’ai un peu du mal à suivre le
rythme.
*
**
Minuit
Je suis morte, Josy m’a tuée ! Elle ne m’a pas laissé une minute de répit.
Je me suis tapé TOUTES les danses de la soirée. Du Clogging à la Square
dance en passant par la fameuse danse en ligne, j’ai tout vu ! En tout cas, je
me suis bien amusée. Vraiment. Je suis même partie dans un fou rire
incontrôlable quand Josy est arrivée en cours avec sa tenue de cow-girl ! Du
chapeau aux santiags en passant par la petite jupe en jean et la chemise à
carreaux, rien ne manquait. Moi qui suis habituée à la voir en tenue de
BricoRémi, j’ai été bien dépaysée. J’avais l’air un peu à l’ouest en jogging
et converse mais peu importe : j’ai bien dansé quand même. Pendant deux
heures, au son de Johnny Cash ou Kenny Rogers, au milieu de tous ces
danseurs plus cow-boys les uns que les autres, je me serais crue à Nashville
au Tennessee. Je m’endors avec Further Up on the Road dans la tête en
songeant à notre team building de demain matin.
When the road is dark and the seed is sowed
Where the gun is cocked and the bullet’s cold
Where the miles are marked in the blood and gold
I’ll meet you further up on the road3…
*
**
15 heures
Josy ne dort pas, pourtant il règne un silence de mort dans la voiture. La
surprise de M. Rémi nous a tous fait perdre notre langue. Elle se prénomme
Mathias. Ce beau gosse de trente et un ans, directeur d’une enseigne de
Bricolage sur Lyon, sera notre futur boss d’ici deux mois. « Le choisir m’est
apparu comme une évidence », a précisé M. Rémi qui va le former dès
lundi. D’Jonatane et moi n’étions donc que des options de dernier recours.
Un « second choix », en somme.
— Bon, je crève l’abcès ! s’exclame Josy après dix minutes. C’est quoi ce
bordel ? D’où il sort ce Mathias ?
— De « Brico et nous », un concurrent, rappelle Fabienne.
— Ça j’avais compris, mais pourquoi c’est lui qui récupère le poste de
M. Rémi ?
— Fulbert a sans doute trouvé qu’il avait le bon profil, suggère Philippe.
La seule évocation du prénom du boss suffit à déclencher l’hilarité
générale. Je ne sais pas si la situation est si drôle ou si rire nous détend les
nerfs, mais plus personne n’arrive à s’arrêter. Quand la pression retombe,
Josy reprend :
— Ce poste devait te revenir, Chloé. Ou alors à défaut, à D’Jojo.
— M. Rémi ne nous a rien promis…, précisé-je.
— Il n’a jamais faire croire le contraire non plus, et il a largement profité
de la situation pour vous faire travailler plus dur. On y a tous cru.
— C’est vrai, confirme Fabienne. J’en parlais encore hier avec
D’Jonatane : il était sûr que ça allait se jouer entre vous deux. Il tenait
beaucoup à ce poste, il avait déjà plein d’idées pour améliorer le magasin.
Je n’ai pas pu en discuter avec lui tellement il a quitté précipitamment le
restaurant ce midi, mais j’imagine qu’il a dû tomber de haut.
Je ne me doutais pas que D’Jonatane convoitait tant cette place. Je savais
qu’il la voulait, évidemment, mais j’imaginais que c’était plus dans un
esprit de compétition qu’autre chose. Lui ou moi : il voulait gagner, quoi. À
en croire Fabienne, c’était plus fort que ça.
Est-ce que je suis déçue que M. Rémi ne m’ait pas choisie ? Oui ! Mais
sans doute moins que D’Jonatane. Je ne pense pas m’être autant investie
que lui dans la démarche. C’est surtout mon orgueil qui a été touché, ainsi
que ma confiance en moi. Pour l’instant, j’accuse le coup. Je suis aussi
terriblement déçue de l’attitude ambiguë de M. Rémi. Il a laissé planer le
doute jusqu’au bout pour finalement nous dire que Mathias était un choix
« évident »… Un peu difficile à encaisser !
Chapitre 18
Un peu de moodboard et ça repart
*
**
Je ne sais pas pourquoi j’ai sorti ça. Enfin si, je sais : je le pensais, tout
simplement. Pour une fois, j’ai dit tout haut ce qui me traversait l’esprit.
D’Jonatane va me trouver bizarre… Tant pis. Quelque part, ça m’a fait du
bien. Et puis, après tout, moi aussi je le trouve étrange par de nombreux
côtés, sa coiffure et sa moustache remportant la palme.
*
**
Bye bye le rayon outillage, place à la peinture !
Je suis trop contente, c’est l’un de mes rayons préférés. Mon nuancier en
poche, je me sens un peu comme la reine du monde. J’adore les couleurs,
elles changent la donne et ont un réel pouvoir. Une teinte peut apaiser,
stimuler, motiver… Elle n’est donc pas à choisir à la légère. Saviez-vous
que Google a choisi de mettre de la couleur partout dans ses locaux ? Mais
attention, pas n’importe comment. Les employés de l’entreprise américaine
choisissent d’aller travailler dans un bureau en fonction de leur envie du
jour. Ils recherchent l’inspiration ? Direction la salle bleue. Ils ont besoin
d’être productifs ? Go dans l’open space aux murs rouge vif ! Ceux qui
veulent réfléchir et prendre de grandes décisions préféreront la salle de
réunion jaune. Les couleurs, c’est toute une histoire… Plusieurs livres
abordent le sujet. Je suis en train d’en parler avec Philippe quand une
cliente m’interpelle :
— J’aurais besoin de vos conseils avisés, mademoiselle.
Mon ego se gonfle et je ne peux m’empêcher de sourire. Non, parce que
bon, c’est sympa de ranger le rayon et d’indiquer où trouver du papier à
poncer, mais utiliser mon savoir-faire pour aiguiller un client dans un projet,
ça, c’est vraiment gratifiant.
— Je voudrais repeindre mon local de travail, me précise la jeune femme.
Je cherche aussi des sièges et un peu de déco. Je viens de m’installer à mon
compte comme ostéopathe, ajoute-t-elle non sans une pointe de fierté.
— Félicitations, me réjouis-je pour elle. Combien de pièces devez-vous
refaire ?
— Deux. La salle d’attente et mon cabinet. J’aimerais en faire des lieux
cocooning où les patients se sentent bien. Un truc un peu punchy et sobre à
la fois. Je voudrais aussi créer deux ambiances différentes mais qui
s’accordent, évidemment. Je ne sais pas si je suis très claire… En même
temps, tout est encore un peu fouillis dans ma tête !
— Et c’est bien naturel : vous partez de rien, tout est à faire. Afin
d’affiner vos envies, je peux vous proposer la réalisation d’un moodboard
pour commencer.
— Un moodboard ?
Le moodboard, que l’on peut traduire littéralement par « tableau
d’humeur », est une combinaison d’images (photos, cartes postales, pages
de magazine), d’objets, de tissus et parfois de courts textes définissant le
style visuel que l’on souhaite donner à un projet. De nombreux créatifs
utilisent cet outil, designers et publicitaires en tête, afin de définir l’identité
graphique qu’ils souhaitent apporter à leur produit. Je propose à ma cliente
d’en réaliser un en ligne via un logiciel de montages que j’ai installé sur
mon poste de travail. Nous passons trois quarts d’heure à sélectionner
quelques photos et différentes textures. Philippe prend le relais pour
aiguiller les autres clients du rayon. Je ne sais pas ce qui se passe, mais je
constate qu’il va beaucoup moins aux toilettes aujourd’hui. Aurait-il enfin
trouvé une solution miracle ? J’en serais ravie pour lui.
Le tableau de Mlle Camille est majoritairement composé d’images de
nature et d’objets couleur or. Le vert, le jaune et une ambiance écolo sont
donc des thèmes qui ressortent. Après une heure passée ensemble à tourner
dans les différents rayons du magasin, son chariot est rempli et son visage
reflète sa joie. Elle est ravie, et moi aussi. Quel plaisir de se sentir utile et de
mettre ses connaissances à profit pour aider les autres ! Quant à Philippe, il
a assuré comme un chef en restant à son poste non-stop.
*
**
20 h 30
Je suis déjà chez moi, les pieds bien au chaud dans mes chaussons
douillets, un plaid sur mes jambes. Une vraie mémère ! Manque plus que le
chat sur les genoux et un tricot dans mes mains pour parfaire le tableau.
J’ai quitté à l’heure ce soir, aucun zèle. Pourquoi donner « trop » si
M. Rémi n’en est pas reconnaissant ? Je vais continuer à faire correctement
mon travail, sans excès. Le boss n’a vraiment pas été honnête avec
D’Jonatane et moi et ça, ça me reste en travers de la gorge.
En parlant de D’Jonatane, j’en ai une bien bonne. Il est venu me parler.
Enfin… il m’a juste dit quelques mots mais ça m’a toute chamboulée, j’en
ai même oublié d’aller m’acheter à manger, c’est pour dire ! Au moment de
quitter BricoRémi, il m’a interpellée. Je m’attendais à une blague toute
pourrie, mais il a fait sobre en me disant simplement :
— Toi aussi, Chloé.
Ethan avait raison : il n’est pas si con finalement.
Chapitre 19
Programme de remise en forme
*
**
7 h 55
Josy m’attend devant l’entrée de service de BricoRémi, une cigarette à la
main. Aujourd’hui elle a fait soft niveau vestimentaire : jupe noire et
chandail rose. J’espère qu’elle n’est pas malade. Je ne l’ai pas revue depuis
hier. Lorsqu’elle m’a dit qu’elle ne voyait pas Ethan au parc, j’ai pour ainsi
dire « bugué ». Je l’ai observée, médusée, j’ai regardé le banc vide devant
moi et je suis partie sans dire un mot. J’ai pris mes affaires dans mon casier
et je suis rentrée chez moi en invoquant une gastro fulgurante. Josy m’a
laissé une dizaine de messages pour savoir où j’étais et si on pouvait
discuter. Je lui ai renvoyé un simple texto en lui disant que je me reposais et
qu’on échangerait ce matin. Adossée au mur et tirant une bouffée de sa
clope, elle me tend sa joue pour avoir sa bise du jour, me demandant si
Nono va mieux.
— Nonovirus. C’est le nom intello et plus discret pour parler de la gastro,
affirme-t-elle, clin d’œil à l’appui. C’est bien pour ça que tu es partie si vite
hier midi, non ?
— Oui… Enfin, non.
Mal à l’aise, je me décide à lui raconter mon rendez-vous chez mon
docteur, non pour un nonovirus mais pour une suspicion de schizophrénie.
J’ai peur que Josy me dise que mon médecin est aussi timbré que moi. Je
l’imagine me conseiller de demander un abonnement groupé dans l’asile le
plus proche. Je lui raconte tout de même l’intégralité de ma discussion avec
Théodore. Elle m’écoute attentivement sans m’interrompre un seul instant,
ce qui est assez rare pour être souligné. Josy prend ensuite quelques
secondes pour réfléchir, écrase son mégot par terre avant de le ramasser
dans son sachet « recyclop » puis plante ses yeux dans les miens. Triturant
les clés dans ma poche de blouson, j’attends son avis telle une sentence à
l’issue d’un procès.
— Après tout, pourquoi pas, finit-elle par déclarer simplement en hochant
la tête. Peut-être que c’est moi qui ai un problème.
Je ne m’attendais pas à cette déclaration et reste circonspecte. Qu’entend-
elle par là ? Entre sa réaction et celle de Théodore, je n’y comprends plus
rien. Moi qui me pensais folle, je vais finir par croire que tout le monde
l’est sauf moi ! Josy vérifie que personne ne nous écoute et baisse la voix
comme pour me confier le plus grand des secrets :
— Il y a quelques années, alors que nous venions tout juste d’emménager
dans notre maison, Jason a commencé à faire des cauchemars. Il ne voulait
plus rester seul dans sa chambre et a demandé à dormir avec Marlon. Tu
imagines ? C’était le monde à l’envers. Le gosse avait dix ans et il était
pourtant très autonome et débrouillard. D’où lui venait cette idée saugrenue
de pioncer avec son petit frère ?
— Pourquoi me racontes-tu cette histoire ?
— Tu vas comprendre, m’assure Josy, patiente un peu.
À l’époque, j’avais évoqué le problème avec Albertina qui avait pris très à
cœur de m’aider.
— Attends… On parle bien de ta cousine porte de prison ? la questionné-
je. Genre… elle a eu de l’empathie pour toi ?
— Oui, et beaucoup. Toi, tu connais la partie émergée de l’iceberg, celle
qui glace lorsqu’on la regarde, m’explique Josy très sérieusement. Mais je
t’assure qu’Albertina peut se montrer réellement protectrice et bienveillante
avec ceux qu’elle aime.
— Si tu le dis…
Josy m’explique qu’Albertina lui a présenté l’une de ses amies, Marianne,
une chamane sachant parler aux esprits.
— Et tu l’as crue ? demandé-je, dubitative.
— Sur le coup, bien sûr que non ! s’écrie Josy. Mon deuxième prénom
avant cette histoire c’était « sceptique ». J’étais comme saint Lucas, je ne
croyais que ce que je voyais.
— Je pense que c’est saint Thomas, rectifié-je discrètement.
— Quoi qu’il en soit, je ne voyais pas de fantôme chez moi. J’ai surtout
pensé qu’Albertina avait perdu la tête, sa copine avec. Mais devant la
recrudescence des crises de panique de Jason j’ai quand même accepté que
Marianne nous aide. Après tout je ne risquais pas grand-chose, elle ne me
demandait rien en échange.
— Ne me dis pas qu’elle a allumé des bâtons d’encens chez toi, fumé de
l’herbe et prononcé des incantations à mi-voix ?
— Dis donc tu es hyper cliché toi, je te pensais plus ouverte, s’étonne
Josy.
— J’avoue…, concédé-je, honteuse. En plus je ne me suis jamais
réellement intéressée au sujet, j’ai juste regardé des vidéos parodiques sur le
Net.
— Je te charrie mais je comprends parfaitement ta réaction, je pensais
pareil que toi à l’époque. Franky allait même encore plus loin et
surnommait Marianne « la marabout des morts vivants ». Il n’a jamais
voulu la rencontrer, persuadé que c’était un charlatan. Moi, j’étais tellement
désespérée par le changement de comportement de Jason que j’ai voulu
tenter le coup.
— J’aurais sans doute fait pareil, lui assuré-je. Elle ne t’a pas demandé
d’argent ?
— Rien. Elle voulait juste aider Jason et moi par la même occasion. J’ai
simplement dû lui fournir une photo de la chambre du gamin pour qu’elle
effectue son « travail ». Ensuite je l’ai laissée faire sans poser aucune
question. Elle m’a simplement expliqué qu’elle allait faire un rituel pour
tenter d’entrer en contact avec une éventuelle âme perdue chez nous. Je ne
lui en ai pas demandé davantage et son rituel, elle l’a fait de chez elle.
— Et…
Et Josy me raconte que les crises de panique de son fils se sont aussitôt
arrêtées.
— Un soir, avant de le coucher, j’ai demandé à Jason s’il savait pourquoi
il se sentait mieux. Tu sais ce qu’il m’a répondu ?
— Non.
— Il m’a dit : « Il est parti, je n’ai plus peur. »
— Merde alors ! lancé-je tout en sentant un frisson me parcourir le corps.
Tu crois qu’il parlait de qui ?
— Franchement, j’en sais rien… mais ça me remue toujours autant d’en
parler. Tout ce que je peux te dire c’est que Marianne m’a raconté qu’elle
avait bien rencontré une âme perdue dans la chambre de Jason. Elle m’a dit
que c’était un jeune homme qui répondait au nom de Dimitri. Elle l’a aidé à
rejoindre l’autre monde, celui des morts quoi, et m’a assurée qu’il ne
reviendrait plus chez nous.
— Ça fiche la trouille ton truc…
— Marianne m’a assurée que les âmes perdues n’étaient pas méchantes
mais juste égarées, comme il peut nous arriver de l’être dans la vraie vie.
— Merde alors…
— Ça fait deux fois que tu le dis, ma poulette, varie un peu ton
vocabulaire. Tu sais bien que j’essaie d’arrêter les gros mots.
Josy me précise que Jason n’a jamais su pour l’intervention de Marianne
et qu’il n’a donc pas pu être victime d’un effet placebo. Je reste interdite,
soufflée par cette histoire dont je ne sais trop quoi penser. Forcément, je fais
le rapprochement avec Ethan en me demandant s’il n’était pas, lui aussi,
une âme égarée.
— Jason, termine Josy, hormis le fait d’être un grand blagueur, a vraiment
quelque chose d’unique par rapport à ses frères. J’ai du mal à expliquer sa
différence mais c’est comme s’il « sentait » des choses que Franky, ses
frères ou moi ne percevons pas. Il a déjà une ouïe et un toucher ultra
développés, alors pourquoi pas un genre de sixième sens ? Si ça se trouve,
oui, il est capable de « voir » des âmes perdues ou quelque chose de ce
type. Et toi aussi.
— Ou alors je me suis fait des films toute seule et Ethan n’existe que dans
mon imaginaire.
— Peut-être aussi… et alors ? Au fond, on s’en fout, non ? Je rejoins
complètement l’avis de ton doc. Est-ce qu’on n’est pas un peu tous fous,
finalement ? Toi à parler avec l’invisible, moi qui tente des essais culinaires
plus improbables les uns que les autres, Fabienne avec ses trips écolo à
gogo ou encore D’Jojo qui porte une coupe mulet au XXIe siècle ?
— Tu es bête ! m’esclaffé-je.
— Folle et bête, la totale quoi ! fanfaronne Josy en dansant sur place.
Quoi qu’il en soit, je rejoins Théodore Machin-chose : on s’en bat le steak
de savoir qui est réellement Ethan vu tout le bien qu’il te fait.
— Qu’il me faisait. Il est parti.
— Comment le sais-tu ?
— Je le sens, comme ton fils l’a probablement senti pour Dimitri.
Chapitre 24
À la recherche du soi perdu… retrouvé !
*
**
— Je voulais te remercier, ma Josy.
— De quoi ?
— De m’avoir écoutée puis de m’avoir confié ton histoire avec Jason. Ton
ouverture d’esprit m’épate. Je ne sais toujours pas où j’en suis ni si ce que
j’ai vu était vrai, mais je suis beaucoup moins affolée de la situation qu’hier
après-midi.
— Je suis factuelle, tout simplement, et puis la vie m’a appris à regarder
plus loin que le bout de mon nez. Ce n’est pas parce que je suis « juste »
caissière que je suis bornée et que je ne réfléchis pas au pourquoi du
comment.
— Je le sais bien, ma Josy. Et tu n’es pas « juste » caissière, tu es cheffe
de caisses, je te rappelle.
— Fous-toi de ma gueule, va ! s’exclame-t-elle dans un immense éclat de
rire. Mais plus pour très longtemps… Tu auras bientôt face à toi une AVS !
Quoi qu’il en soit, plus le temps passe et plus je pense que la réalité n’est
pas forcément la même pour tous. Un jour je me suis incrustée dans une
discussion sur la religion avec deux clientes de ma caisse. La première était
catholique, la seconde musulmane et moi, au milieu des deux, totalement
athée.
— Tu aimes les discussions risquées !
— Même pas ! Les deux nanas étaient hyper avenantes, et si j’avais pu je
serais allée prendre un café avec elles pour échanger davantage. On a
convenu que, finalement, peu importaient nos convictions tant qu’elles ne
nuisaient pas à autrui et qu’elles nous rendaient plus fortes.
— Jolie conclusion.
— Et depuis leur rencontre j’ai décidé de croire aux lutins des bois et aux
fées de la nature.
— Tu déconnes ?!
— Oui ! Quoique… pourquoi pas… ?
Des fées de la nature et des lutins des bois… Josy me fait bien rire. Ce
soir, je m’endormirai en espérant rêver de Clochette, Rosélia, Noa ou
encore Ondine, les esprits imaginés par Walt Disney. Enfin, imaginés… Qui
sait ? Peut-être que cet éternel enfant les a réellement rencontrés. Après ma
discussion avec Théodore et Josy, je me mets à douter de tout ou plutôt à
croire en tout. Ethan me l’avait dit une fois : les étoiles brillent plus fort
quand on y croit vraiment.
*
**
2 h 22
Je me réveille en sursaut : L’Alchimiste d’Ethan ! Enfin… L’Alchimiste de
Paulo Coehlo offert par Ethan, en voilà une preuve matérielle de mon
histoire ! Je saute de mon clic-clac et j’allume les lumières de ma
bibliothèque à la recherche de ladite œuvre. Si je la retrouve, cela me
prouvera que je suis saine d’esprit et qu’Ethan existe réellement. Je
farfouille mes étagères sans arriver à mettre la main sur l’ouvrage. Je
pensais l’avoir rangé à C, comme le nom de l’auteur, mais… rien. Je
regarde à la lettre P, puis A… chou blanc. Je finis par détailler tous les
livres présents sur les dix étagères de mon armoire. Rien. Une fois, deux
fois… toujours rien. Ma déception est immense. Je m’assois sur le rebord
de mon canapé et me laisse tomber en arrière. Les mains sur mon visage, je
ferme les yeux et souffle… À cet instant, mon mental et mon corps sont en
dissonance. Alors que le premier me certifie que j’ai rêvé, l’autre m’assure
que tout ce que j’ai vécu était bien vrai. Mes tripes, alliées à mon cœur sur
ce coup-là, me garantissent que mes rencontres avec Ethan ont existé.
Je tente un instant de méditation pour calmer mon esprit et laisser mes
pensées voguer sans m’envahir. Je reprends l’image conseillée par une
application que j’ai téléchargée il y a quelques jours. Je m’imagine nageant
dans un immense lac, sans me laisser distraire par les autres nageurs qui
tentent de m’interpeller. Je reste concentrée sur mes mouvements de brasse,
à regarder droit devant moi. Mon objectif est clair : traverser le lac, et je
suis focalisée dessus. Mes pensées matérialisées par les autres nageurs
gravitent autour de moi sans m’atteindre. Un calme m’envahit peu à peu. Je
me sens plus apaisée. Et puis soudain, elle arrive ! Une intuition si forte que
je ne peux m’empêcher de l’écouter. Je retourne vers la bibliothèque. C’est
assez troublant comme expérience mais je sens une force en moi qui
m’attire vers une étagère précise. Je touche une à une les reliures de mes
livres du bas jusqu’à… jusqu’à un ouvrage d’un certain Ethan Walter.
— Ethan…
Je le touche sans oser le saisir. Je n’ai aucun souvenir de ce texte. La
coïncidence est trop forte pour ne pas être liée à mon histoire. Ethan Walter
est forcément mon Ethan ! Prenant mon courage à deux mains, je tire le
livre vers moi. Le serrant très fort dans mes bras, je décide de m’asseoir sur
mon lit avant de l’ouvrir. Je ne sais pas encore ce qu’il contient, mais je suis
certaine que c’est important. Emmitouflée dans mon édredon, je détaille le
précieux sésame en commençant par la couverture, rouge et or.
À ma puce,
Voilà un livre au titre bien inspirant qui, j’espère… t’inspirera (même
si je sais pertinemment que tu vas littéralement te jeter sur Harry Potter
en priorité ).
Je te souhaite de trouver ta voie, d’être passionnée et heureuse, ma
fille. N’aie pas peur de ce que tu ne connais pas, ne t’attends à rien pour
ne jamais être déçue et surtout rêve en grand !
À vingt ans (et bien après encore, je te rassure), tout est possible.
Aie confiance en la vie, en toi.
Tout est parfait !
Merci d’être toi.
Je t’aime
Maman.
N.B. : Demain se dessine aujourd’hui, Chloé. Fonce vers ta vie !
Je referme le livre en le serrant encore plus fort dans mes bras. Quel
trésor… Je suis si émue que j’en tremble. Un souvenir retrouvé qui n’a pas
de prix… Ce texte résonne aujourd’hui en moi comme jamais et prend enfin
tout son sens. C’est comme s’il s’agissait de la pièce manquante d’un
puzzle enfin achevé. C’est une page qui se tourne et, oui, tout est parfait.
Les larmes qui coulent sur mes joues ne me brûlent pas, elles me
réchauffent le cœur. Je me sens bien.
Ma mère, plus scientifique que littéraire, avait dû peser chaque mot avant
de les coucher sur le papier. Je l’imagine, perfectionniste comme moi,
rédiger des brouillons pendant des heures sans être totalement satisfaite.
Elle voulait sans doute marquer le coup et écrire en quelques lignes
l’essentiel pour elle. À l’époque j’avais jeté un coup d’œil rapide sur cette
dédicace, trouvant le discours un peu trop Bisounours à mon goût. Les mots
de mon auteure britannique préférée, J.K. Rowling, m’interpellaient
davantage. Le temps ayant fait son œuvre, le livre d’Ethan Walter avec la
trace de ma mère a bien plus de valeur à mes yeux aujourd’hui.
Merci maman, merci Ethan, merci la vie.
Chapitre 25
Demain se dessine aujourd’hui
Demain se dessine
aujourd’hui
EYROLLES ROMAN
AUJOURD’HUI, je suis assise sur un banc. Pas n’importe lequel : il s’appelle
« Marcel ». C’est là que ma vie a basculé. Enfin, « basculé » n’est peut-être
pas le terme exact. Je dirais plutôt que c’est ici que ma vie a repris des
couleurs, après deux années passées en noir et blanc. Mais ces couleurs
m’ont aussi parfois aveuglée, et un peu perdue.
Marcel se situe dans un coin reculé du parc Vascos à Barré-les-Douces,
juste derrière le centre commercial Jacquier. Ou devant, tout dépend de quel
angle on se place. C’est comme pour tout dans la vie : la perception des uns
s’arrête là où commence celle des autres. Pourtant la réalité, elle, reste
identique. Déconcertant, non ?
Mais je m’égare, revenons à Barré-les-Douces. Il y a encore vingt ans ce
petit havre de paix, à vingt kilomètres à peine de Mâcon, n’était connu que
pour ses champs et son église à trois piscines liturgiques. Oui, vous avez
bien lu : trois piscines liturgiques. Et qui plus est, en bon état. Petite,
j’appelais ça les lavabos de Sainte-Capucine. Quand le curé Antoine m’a
vue m’y laver les mains avant le catéchisme (j’avais même apporté du
savon), il m’a fait un de ces sermons ! Mes parents ont rapidement compris
que la religion et moi ça faisait deux. Alléluia.
Quoi qu’il en soit, croyante ou non, comme tous les habitants de Barré-
les-Douces, je reste fière de mon église et de ses fameuses piscines
liturgiques. Les fervents catholiques en parleraient avec davantage d’ardeur
que moi, d’autant qu’ils sont nombreux à passer par chez nous rien que
pour ça. Enfin… étaient. Il est plus juste d’utiliser l’imparfait. Aujourd’hui
la tentation l’emporte sur la foi. Car, si la population de Barré-les-Douces a
été multipliée par dix et si la rue principale desservant le village est
régulièrement embouteillée le samedi, ce n’est plus pour l’église Sainte-
Capucine. Non. C’est pour le centre commercial Jacquier.
Même si j’étais jeune à l’époque de la construction de ce mastodonte – je
devais avoir six ou sept ans –, mes souvenirs restent intacts. Je me rappelle
très bien l’émoi suscité chez les habitants lors de la venue des promoteurs
immobiliers. Imaginez… bâtir un centre commercial ici, à Barré-les-
Douces, village rural de six cents âmes ! Forcément, le projet avait fait
jaser. Puis il avait fallu se rendre à l’évidence : la perspective n’était pas si
aberrante. La commune se désertait, l’école avait fermé et les champs
agricoles s’étalaient à perte de vue sans repreneur. Il fallait créer de
l’emploi, redynamiser le hameau, construire de nouveaux logements. Pour
faire céder les derniers réfractaires, une convention avait été signée entre la
mairie et les constructeurs. Ces derniers s’engageaient à édifier, dos au
centre commercial, un immense parc. Pas un simple square, non, un
véritable jardin paysager avec deux fontaines, un grand bassin d’eau, un
carrousel, des jeux pour enfants et une roseraie. Le tout sur un hectare de
verdure. Le projet était ambitieux. Certains n’y ont pas cru, et pourtant
aujourd’hui le parc Vascos est bel et bien là. Et Marcel aussi. C’est fou
comme tout ne tient qu’à peu de choses dans la vie. Pour moi, tout ne tient
qu’à ce centre commercial, au parc Vascos et à ce banc.
Et si je m’étais assise ailleurs, serait-il quand même venu ? J’aurais pu
m’installer sur la table de pique-nique en face des jeux pour enfants. Ou
encore sur l’une des innombrables chaises qui bordent le bassin principal.
J’aurais pu tout aussi bien décider d’aller flâner sous la tonnelle près de la
roseraie, mes écouteurs sur les oreilles. Mais non. Je suis montée jusqu’ici,
chercher ce banc sorti de nulle part. Il n’a pourtant rien d’extraordinaire. On
pourrait même dire qu’il est le mal-aimé du site. Niché sur un coteau, dans
un coin reculé du jardin, à l’ombre d’un immense saule pleureur, il n’est
accessible que par un sinueux chemin de terre. Qui plus est, il est abîmé. La
peinture de son assise s’écaille et ses pieds, rouillés par le temps, ne cessent
de grincer. Rares sont les personnes qui osent s’y aventurer. Si je suis venue
ici la première fois c’était pour éviter la foule. J’y suis tranquille, bien
protégée. Je n’entends rien mais vois tout. Les branches du saule pleureur
jouent le rôle de vitre sans tain. J’ai une vision panoramique sur le parc et
ses entrées principales. De ma tour d’ivoire, j’observe les badauds qui
s’activent telles des fourmis dans un nid. Voilà quelque temps que je viens
déjeuner sur ce banc, tous les mercredis midi. Je l’ai baptisé Marcel.
Pourquoi Marcel ? Je n’en sais rien. Marcel, c’est désuet et classe à la fois,
comme ce banc, tout simplement. Ce n’est pas un hommage à Marcel
Pagnol ou encore au grand amour d’Édith Piaf. Je n’ai jamais aimé
suffisamment quelqu’un au point d’idolâtrer un prénom. Qu’on soit roi
d’Égypte ou femme de ménage, qu’on s’appelle Marcel, D’Jonatane ou
Ethan ou Julien, on est tous pareils, non ?
De simples mortels avec des rêves plein la tête.
On mange, on travaille, on dort, on aime, on se déchire, on survit, on
meurt.
Point.
Fin de l’histoire.
Ou… le début.
La bibliothèque de Chloé, d’Ethan, d’Ophélie et…
de Josy
*
**
Activité n° 2
La méthode Coué
« Ayez la certitude d’obtenir ce que vous cherchez et vous l’obtiendrez, pourvu que cette chose
soit raisonnable. »
Émile Coué de la Châtaigneraie
*
**
Activité n° 3
La pensée positive
« L’optimiste ne refuse jamais de voir le côté négatif des choses ; il refuse simplement de
s’attarder dessus. »
Alexandre Lockhart
*
**
Activité n° 4
La pensée positive bis !
« Il n’y a pas d’erreurs dans la vie, il n’y a que des leçons. Il n’y a pas d’expériences
négatives, il n’y a que des occasions de grandir, d’apprendre, d’avancer le long de la voie de
la maîtrise de soi. »
Robin S. Sharma
Chaque soir, avant de vous endormir, plutôt que de ruminer sur les
contrariétés de votre journée, pensez à trois choses positives qui vous
sont arrivées. Même la pire journée du monde possède son lot de « petits
bonheurs ». Ce peut être des moments très simples, comme le sourire
d’un inconnu dans la rue, le bonjour jovial de votre boulangère, la
caresse du soleil sur votre peau ou encore les remerciements d’un voisin
pour une aide apportée.
Grâce à ces trois pensées positives, vous vous endormirez plus
« léger » et vous réveillerez dans un meilleur état d’esprit.
La pensée positive, pratiquée de manière régulière, peut avoir un réel
impact sur votre santé physique et psychique. Elle permet notamment de
dénouer les tensions musculaires, de développer votre bienveillance, de
réduire les troubles de l’anxiété ou encore de favoriser un sommeil
réparateur.
*
**
Activité n° 5
Une colère salutaire
« La violence, quelle que soit sa forme, est une expression tragique de nos besoins
insatisfaits. »
Marshall B. Rosenberg
*
**
Activité n° 6
Ennéagramme et peur
« Le courage n’est pas l’absence de peur
mais la capacité de vaincre ce qui fait peur. »
Nelson Mandela
Lisez les 9 encarts suivants et entourez celui qui, selon vous, vous
correspond le mieux (pour découvrir plus en détail l’outil ennéagramme,
une bibliographie vous est proposée avec quelques références page 219).
Profil 1
J’ai peur de l’imperfection. J’affectionne l’ordre, l’organisation, le cadre et les « bons »
comportements. On peut me trouver « strict » ou pas toujours « très drôle », c’est juste que je
suis concentré sur l’erreur. Je peux paraître exigeant avec les autres mais je le suis avant tout
avec moi-même. Mon juge intérieur est terrible. J’évite de montrer ma colère car je pense que
« c’est mal », que c’est un défaut à gommer. Du coup, je ressens beaucoup de tensions en moi.
Profil 2
J’ai peur de la solitude alors je ressens toujours le besoin d’aider et de soutenir les autres,
même si on ne me le demande pas. J’ai le don de savoir ce dont mon entourage a envie. Je
suis profondément altruiste. Mon amour peut parfois paraître étouffant et je m’en désole : je
veux simplement faire plaisir et me rendre utile. À force de m’occuper des autres, je m’oublie.
Je donne beaucoup et peux souffrir du manque de reconnaissance de mon entourage, ce qui
peut me rendre agressif.
Profil 3
Je déteste l’échec. Je fais d’ailleurs tout pour l’éviter quitte, je le concède, à enjoliver parfois
la réalité ou certaines de mes performances. Je ne veux pas que les autres voient mes
faiblesses. Pleurer en public, très peu pour moi, je suis un battant : « je gère ». Véritable
moteur, j’entraîne les autres dans mon sillage. Je suis un caméléon, m’adaptant à toutes les
situations. Pour être aimé il faut « paraître » plutôt qu’être selon moi. J’ai besoin de montrer
aux autres mon succès et mes réussites (professionnelles et privées).
Profil 4
L’hyperémotif ? C’est moi. Je ressens tout plus fort (l’amour, la tristesse, la souffrance…).
J’aime le beau, l’unique, le sublime, l’exceptionnel. J’aimerais que ma vie soit un renouveau
permanent. Avec moi, on ne s’ennuie pas et une simple fleur devient tout un poème. On me
dit parfois que je suis excessif, que j’en fais « trop ». J’apprécie toutes les formes d’art : la
musique, le cinéma, la lecture, le théâtre… Ma plus grande crainte ? Être perçu comme
quelqu’un de « banal » et être abandonné.
Profil 5
On peut me trouver en retrait, c’est simplement que j’aime observer. J’ai une soif insatiable
d’apprendre et de comprendre le monde qui m’entoure. J’évite les discussions futiles, j’ai
besoin de contenu. Je réfléchis beaucoup. Je suis un très bon analyste. Je crains le vide
intérieur et l’intrusion. J’ai parfois besoin de me reculer du monde afin d’avoir une
meilleure vue d’ensemble. On pourrait me croire « sans émotions » alors qu’elles
bouillonnent secrètement en moi comme des milliers de petites âmes.
Profil 6
Certains me trouvent « trouillard » ou au contraire « tête brûlée ». Le danger : je le sens, le
reconnais et le crains plus que tout. Soit je fais tout pour l’éviter, soit au contraire je me jette
dedans ! Lorsque j’étudie une situation, je suis le meilleur pour trouver ce qui pourrait mal
tourner. J’apporte des solutions efficaces et réalisables. Réfléchissant beaucoup, je peux
mettre du temps à passer à l’action. La loyauté est une valeur très importante à mes yeux.
Profil 7
L’épicurien de la vie : c’est moi ! Je ne croque pas la vie, je la bouffe ! On me trouve solaire
et toujours de bonne humeur. Je vois les bons côtés des choses. L’ennui, l’enfermement et la
souffrance sont mes phobies. Je veux être libre. Je papillonne d’une activité à l’autre pour ne
pas perdre une miette de chacune de mes envies. On peut me prendre pour une personne
dilettante mais c’est parce que mes rêves se comptent par milliers. J’ai besoin de tout tester.
Profil 8
J’aime être le maître de la situation et les rapports de force ne me font pas peur.
Incontestablement, je suis un meneur. On dit souvent de moi que j’ai du charisme et que j’en
impose. Je peux faire peur et je le regrette. Je suis toujours prêt à défendre les plus faibles.
L’injustice est ce que je déteste le plus. Je défends avec fermeté et ferveur tout ce qui doit
l’être, je n’arrête jamais. Faire la sieste ou rester au lit lorsque je suis malade ? Quelle
hérésie ! Je suis un boulimique de l’action.
Profil 9
Ce que je fuis plus que tout ? Le conflit évidemment. Je n’aspire qu’à un monde de paix et
d’harmonie. Dans un groupe, je suis souvent le médiateur. On me dit que ma présence est
apaisante. J’aime juste que tout le monde soit content. On me prend parfois pour quelqu’un
d’indécis voire de « mou » simplement parce que j’ai pris l’habitude de me référer à l’avis des
autres. Ma colère est tapie dans l’ombre mais lorsqu’elle surgit… elle est explosive et en
surprend plus d’un.
Déterminer votre profil ennéagramme, c’est finalement trouver le filtre
avec lequel vous percevez la réalité. La vie n’est que subjectivité, tout
dépend de quel point de vue vous vous placez. Pour trouver la « vérité »
il est bon de se détacher de sa place, de prendre de la hauteur et
d’accepter les points de vue de chacun.
Reconnaître votre plus grande peur vous permettra de la combattre
pour revenir à davantage d’authenticité.
*
**
Activité n° 7
Votre programme bien-être
« Prendre une pause, briser volontairement le rythme,
c’est se donner le temps de vivre. »
Robert Brisebois
➌ vous
Repensez à vos derniers échecs. Que vous ont-ils apporté ? Où
ont-ils amené ? Les échecs sont de grandes aventures qui nous
apprennent souvent bien plus que nos réussites, n’en ayez plus peur
et affrontez-les.
Ouvrez votre cœur pour davantage d’authenticité. Si cela vous
semble trop compliqué de prime abord, essayez avec des jeux de
société. Sous couvert d’une activité en famille ou entre amis, vous
pourrez vous confier plus facilement (exemples de jeux invitant à
libérer la parole : Perlipapotte de Frédérique Epelly aux Éditions
Souffle d’or, Le Monstre des couleurs, Asmodee, Feelings de Act in
Games…).
Apprenez à regarder ce qui va bien plutôt que ce qui vous
manque. Pour cela, la tenue d’un cahier de gratitudes peut être utile.
Réfléchissez quotidiennement à trois remerciements que vous
pourriez adresser autour de votre journée (aussi banale fût-elle !).
➍ Remerciez… le Soleil d’avoir été présent, un ami d’être venu vous
voir, votre facteur pour son sourire…
Développez encore et toujours votre créativité. Mettez votre
hyper émotivité au service d’un art : peinture, sculpture, gravure,
danse, théâtre…
*
**
Activité n° 8
Le cercle d’or
« Les gens n’achètent pas ce que vous faites
mais pourquoi vous le faites. »
Simon Sinek
*
**
Activité n° 9
Du rêve à la réalité
« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous
calmement et allez jusqu’au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. »
Walt Disney
À la fin des années 1940, Walt Disney voulait créer un grand parc
d’attractions avec des animations et des personnages de dessin animé à
câliner, Mickey en tête. Malgré des dizaines de refus de banques pour
l’accompagner sur ce projet un peu fou, Walt Disney n’a jamais perdu de
vue son rêve qu’il a fini par transformer en réalité. À votre tour !
1. Réfléchissez à l’un de vos rêves que vous aimeriez voir se
réaliser. Posez-vous des questions concernant votre motivation afin de
savoir si votre projet répond sincèrement à vos besoins du moment. Votre
rêve doit être une véritable ambition et non un fantasme divertissant.
2. Transformez votre rêve en intention. Il faut donner du pouvoir à
votre rêve ! Votre volonté doit être claire et limitée dans le temps. Elle ne
doit impliquer que vous (exit les « Je veux que mon patron
m’augmente. »). Choisissez une forme affirmative de phrase et utilisez
des termes positifs. Écrivez votre intention dans le cadre ci-dessous et
prononcez-la à haute voix (avec une power posture de surcroît !). Vous
devez impérativement y croire.
*
**
Merci à…
Depuis toujours, Siobhan Dorsé se tient dans l’ombre des hommes de sa vie. Son mari notamment –
éditeur accompli – ne la prend pas au sérieux. Pourtant, un jour, Siobhan se met à écrire en cachette.
Une fois son roman terminé, elle l’adresse à Dorsé Livres, sous un pseudonyme. Contre toute attente,
son mari adore le manuscrit et veut le publier ! S’engage alors une correspondance passionnelle entre
cette autrice fictive et son éditeur de mari. Siobhan révélera-t-elle sa véritable identité ?
Cornichon Therapy, Karen Merran
Une thérapie déjantée,
qui tourne au conte de fous !
« Bonjour, je suis un génie de bureau. J’ai le pouvoir d’exaucer trois de vos vœux. »
Lorsque Jeannette découvre cet improbable message devant son clavier d’ordinateur, elle se pense
victime d’un canular. Pourtant, la proposition tombe à pic : la vie de Jeannette manque de sel, ses
enfants sont partis, son mari se désintéresse d’elle et au travail, elle est invisible ! Se prenant au jeu,
elle formule donc un vœu, puis un autre et perd vite le contrôle de la situation. Embarquée malgré
elle dans une périlleuse affaire, Jeannette parviendra-t-elle à être heureuse ?
Ce petit rien qui change tout, Alexandra Potter
Lorsque tout s’écroule,
il suffit d’un petit rien pour retrouver le goût de vivre…
Fraîchement divorcée et confrontée à un avenir incertain, Liv Brooks quitte impulsivement sa vie
londonienne pour les collines verdoyantes des Yorkshire Dales, déterminée à repartir de zéro. Mais
ce nouveau départ est encore plus éprouvant qu’elle ne l’imaginait et, se sentant perdue et seule, elle
décide d’adopter Harry, un vieux chien du refuge voisin. Bientôt, Liv s’aperçoit qu’elle n’est pas la
seule à avoir soif de renouveau. Lors de ses promenades quotidiennes avec Harry, elle rencontre
Valentin, un vieil homme figé dans sa solitude, Stanley, un petit garçon que le monde effraie, et
Maya, une adolescente révoltée. Alors, les choses commencent à changer…
Le millième jour de la marmotte, Fanny Gayral
Une lecture hautement jubilatoire,
recommandée par le Dieu du Yogi Tea !
Brillante gestionnaire de patrimoine, Éléonore est comblée : son parfait petit ami s’apprête à la
demander en mariage ! Hélas, l’annonce est toute autre : son amoureux veut faire un break. Il la met
à la porte de leur appartement commun.
Ayant appris ses déboires, une richissime cliente lui propose de l’héberger dans son luxueux
appartement parisien. Éléonore y rencontre la star du développement personnel, qui n’est autre que le
petit-fils de sa bienfaitrice. Or ce coach de vie est loin d’être aussi positif que dans ses vidéos. Tout
juste quitté par sa femme, il s’effondre, et refuse d’assurer ses coachings. Éléonore décide alors de
prendre les choses en main ! Mais est-elle vraiment prête à s’aventurer hors de sa zone de confort ?
Ainsi naissent les mamans, Amélia Matar
Un trio de femmes bouleversantes,
qui tentent d’échapper au poids de la généalogie
Alice adore Fatima, sa nounou. Ses parents, Valentine et Pierre, sont des personnes importantes,
occupées, trop occupées pour s’occuper d’elle. Au gré des années et des soins, Fatima devient la
mère que la vie concède à Alice, même si elle en fait parfois trop. Alice a huit ans quand Valentine,
cherchant à reprendre en main l’éducation de sa fille, licencie brutalement Fatima. Cette décision va
changer irrémédiablement le cours des vies de chacune…
Pour suivre toutes les nouveautés numériques du Groupe Eyrolles,
retrouvez-nous sur Twitter et Facebook
@ebookEyrolles
EbooksEyrolles
Et retrouvez toutes les nouveautés papier sur
@Eyrolles
Eyrolles