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DESIGN DE VIE
Ellen aimait les cailloux. Elle aimait les collec onner, les classer, les
trier selon leur taille, leur forme, leur nature ou leur couleur. Après
deux ans dans une université pres gieuse vint le moment pour Ellen
de choisir son op on majeure. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle
voulait faire dans la vie ou de qui elle voulait devenir plus tard, mais il
fallait choisir. La géologie lui apparut comme le meilleur choix. Après
tout, elle aimait vraiment beaucoup les cailloux.
Les parents d’Ellen étaient fiers de leur fille, la future géologue. Quand
elle ob nt son diplôme, elle revint vivre chez ses parents. Pour gagner
un peu d’argent, elle commença par faire du baby-si ng et à
promener les chiens des voisins. Ses parents n’y comprenaient rien.
C’était ce qu’elle faisait quand elle était lycéenne. Ils venaient de lui
payer des études à l’université. Quand donc leur fille allait-elle se
métamorphoser en géologue ? Quand donc allait-elle commencer son
mé er ? C’était pour ça qu’elle avait fait des études. C’était ce qu’elle
devait devenir.
Problème – Ellen s’était rendu compte qu’elle ne voulait pas devenir
géologue. Elle n’avait aucune envie de passer sa vie à étudier les
phénomènes à l’œuvre sur la Terre, ni ses matériaux, ni son histoire.
Le travail de terrain ne l’intéressait pas, pas plus que travailler pour
une société minière ou une agence pour l’environnement. Elle n’aimait
pas établir des cartes ni écrire des rapports. Elle avait choisi la
géologie par défaut, parce qu’elle s’était intéressée aux cailloux, et
maintenant, son diplôme en poche, ses parents sur le dos, Ellen ne
savait absolument pas comment trouver un travail ni quoi faire de sa
vie.
S’il était vrai, comme tout le monde le lui avait répété, que ses années
de collège avaient été les quatre meilleures de sa vie, alors tout le
reste serait forcément moins bien. Elle ne se rendait pas compte
qu’elle était loin d’être la seule à ne pas vouloir travailler dans le
domaine qu’elle avait choisi. En fait, aux États-Unis, seuls 27 % des
diplômés exercent un mé er lié à leur op on majeure. L’idée qu’elle
détermine le reste de sa vie, ou que les années d’université soient les
meilleures de sa vie (avant une vie de dur labeur et d’ennui),
correspondent à ce que nous appelons des « principes à problèmes »
– ces convic ons qui empêchent tant de gens de dessiner la vie dont
ils ont envie.
Vers l’âge de 35 ans, Janine était sur le point de recueillir les fruits de
vingt ans d’abnéga on. Elle était entrée tôt sur l’autoroute de la
réussite et s’y était maintenue. Diplômée d’une des meilleures
universités, tulaire d’un master dans une des meilleures écoles de
Droit, elle travaillait pour une grande firme influente : elle était
vraiment en train de « réussir ». Université, Droit, mariage, carrière –
tout dans sa vie se déroulait selon ses plans ; sa volonté et sa
capacité de travail lui avaient apporté tout ce qu’elle désirait. Elle était
l’image même de la réussite.
Mais Janine avait un secret.
Certains soirs, une fois rentrée de son cabinet d’avocats, l’un des plus
réputés de la Silicon Valley, elle s’asseyait sur sa terrasse face aux
lumières de la vallée qui s’allumaient, et elle pleurait. Elle possédait
tout ce qu’elle croyait désirer, mais elle était profondément
malheureuse. Elle savait qu’elle aurait dû s’extasier devant la vie
qu’elle s’était créée, mais elle n’y parvenait pas. Pas même un peu.
Janine se disait que quelque chose clochait en elle. Qui donc s’éveille
tous les ma ns incarna on de la réussite, pour se coucher tous les
soirs une boule à l’estomac, une impression de manque, comme si
quelque chose s’était perdu en route ? Vers qui se tourner quand on a
tout et rien en même temps ? Comme Ellen, Janine était porteuse
d’un principe à problèmes. Elle croyait que c’est en montant sur tous
les manèges et en a rapant tous les anneaux qu’on trouve le
bonheur. Janine non plus n’est pas seule dans ce cas-là. En Amérique,
deux ers des ac fs n’aiment pas leur travail. Et 15 % le détestent
carrément.
Donald avait bien gagné sa vie. Pendant plus de trente ans, il avait
exercé le même mé er. Sa maison était presque en èrement payée. Il
avait envoyé tous ses enfants à l’université. Le montant de sa retraite
avait été placé avec prudence. Sa vie professionnelle et sa vie
personnelle reposaient sur des bases solides. Lève-toi, va au boulot,
paye tes factures, rentre chez toi, va te coucher. Lève-toi le lendemain
et recommence. Métro. Boulot. Dodo.
Depuis des années, Donald se posait une ques on. Il se la posait au
café, à la table familiale, à l’église, et même au bar du coin, où
quelques doigts de whisky suffisaient à la faire tenir tranquille. Mais
toujours, elle revenait. Elle le réveilla toutes les nuits à 2 h du ma n
pendant près de dix ans, elle l’accompagnait devant le miroir de la
salle de bain : « Tout ça pour quoi, nom de Dieu ? »
Pas une seule fois, le type qui lui renvoyait son regard dans la glace
n’eut de réponse sa sfaisante. Le principe à problèmes de Donald
ressemblait à celui de Janine, mais il s’y accrochait depuis bien plus
longtemps – une vie de bons et loyaux services, ça doit amener le
bonheur. Non ? Donald souffrait aussi d’un autre principe : on doit
faire ce qu’on sait faire. Si seulement le type dans le miroir avait pu lui
dire qu’il n’était pas seul dans son cas et qu’il n’était pas obligé de
con nuer à faire ce qu’il avait toujours fait. Rien qu’aux États-Unis,
plus de 31 millions de personnes entre 44 et 70 ans espèrent une
« seconde carrière » – un travail à la fois porteur de sens, source de
revenus et u le à la société. Certains la trouvent, mais beaucoup ne
savent pas où commencer et redoutent qu’il soit trop tard pour un
changement radical.
COMMENT LE SAVONS-NOUS ?
Tout a commencé par un déjeuner.
En fait, tout a commencé quand nous é ons jeunes étudiants à
Stanford, dans les années 1970 (Dave quelques années avant Bill). Bill
a découvert la majeure « Design industriel » et, avec elle, une
trajectoire professionnelle excitante. Enfant, il dessinait des voitures
et des avions en restant assis sous la machine à coudre de sa grand-
mère et, s’il passa son diplôme en design industriel, c’était parce qu’il
avait découvert (à sa grande surprise) qu’il existait dans le monde des
gens qui faisaient ça tous les jours, qu’on appelait designers. En tant
que directeur exécu f de l’enseignement du design à Stanford, Bill
con nue à dessiner et à fabriquer des trucs (il est sor de sa cache e
sous la machine à coudre). Il dirige les programmes de licence et de
master en design et enseigne à la d.school (l’Ins tut de Design Hasso
Pla ner – plateforme interdisciplinaire d’innova on de Stanford où
tous les cours sont basés sur la pensée design). Bill a également
travaillé pour des start-ups et des sociétés du Fortune 100 ; il a passé
sept ans chez Apple, pour créer des portables (et des charnières)
primés, et pas mal d’années dans l’industrie du jouet, pour créer des
figurines Star Wars.
Bill mesure sa chance d’avoir découvert si tôt le design industriel et
une voie professionnelle amusante et épanouissante. En tant
qu’enseignants, nous nous sommes rendu compte à quel point c’était
rare pour les étudiants, même à Stanford.
À la différence de Bill, quand Dave était étudiant en licence, il ne
savait pas du tout ce qu’il voulait faire. Il échoua en biologie (on y
reviendra) et finit par passer son diplôme en ingénierie mécanique –
faute de mieux, pour être très franc. Durant son passage à
l’université, il n’a jamais su répondre à la ques on « Qu’est-ce que je
vais faire de ma vie ? ». Il a quand même fini par trouver, « à la dure »,
et a passé une bonne trentaine d’années à diriger ou conseiller des
entreprises dans les technologies de pointe. Chez Apple, il fut
responsable de la fabrica on de la première souris et des premières
imprimantes laser ; il fut l’un des cofondateurs d’Electronic Arts et a
aidé de nombreux jeunes entrepreneurs à trouver leur voie. Après des
débuts difficiles, sa carrière s’est magnifiquement déroulée – mais il
n’a jamais oublié que ça avait été beaucoup plus dur que ça n’aurait
dû l’être.
En marge de nos carrières et de nos vies de famille, nous avons
toujours été en contact avec des étudiants ; Bill, à Stanford, où,
pendant ses heures de permanence, il vit défiler des centaines
d’étudiants qui se demandaient ce qu’ils allaient faire après leur
diplôme ; Dave, à Berkeley, où il proposait un cours
in tulé « Comment trouver sa voca on (alias La voix de la voie) », qu’il
assura à quatorze reprises en huit ans. Mais Stanford lui manquait.
Entretemps, sa trajectoire et celle de Bill s’étaient croisées à plusieurs
reprises, aussi bien côté professionnel que personnel. Dave apprit que
Bill venait d’accepter le poste de directeur exécu f de l’enseignement
du design à Stanford, un programme que Dave connaissait bien. Il lui
sembla que les exigences interdisciplinaires du cursus de designer
risquaient de me re une pression par culièrement forte sur les
étudiants : essayer de trouver un projet de carrière à la fois sincère et
pleine de sens, tout en étant viable économiquement. Il décida
d’appeler Bill pour un déjeuner où il lui présenterait ses idées – à tout
hasard. Si ça se passait bien, peut-être en reparleraient-ils lors
d’autres déjeuners et, qui sait, d’ici un an ou deux, il en sor rait peut-
être quelque chose.
Voilà pourquoi tout a commencé par un déjeuner.
Au bout de cinq minutes, c’était fait. Nous avions décidé de nous
associer pour proposer un nouveau cours à Stanford, pour concevoir
sa vie après l’université, en u lisant la pensée design ; il serait d’abord
des né aux étudiants en design, puis, si ça se passait bien, à
l’ensemble des étudiants.
Ce cours a fini par devenir un des élec fs les plus choisis de Stanford.
Quand on nous demande ce qu’on fait à Stanford, nous donnons
parfois ce e réponse expresse bien rôdée : « Notre cours aide les
étudiants à u liser les principes d’innova on de la pensée design pour
résoudre un méchant problème : dessiner sa vie à Stanford et après ».
Et bien sûr, on nous dit alors : « Super ! Qu’est-ce que ça veut dire ? »
Ce à quoi nous répondons généralement : « Nous apprenons à u liser
le design pour trouver ce qu’on veut faire quand on sera grand ». Là,
presque tout le monde dit : « Oh ! Est-ce que je peux m’inscrire ? ! »
Pendant des années, nous avons été obligés de répondre non à ce e
ques on, en tout cas à tous ceux qui ne faisaient pas par e des
16 000 étudiants de Stanford. Ce n’est plus le cas. Nous proposons
désormais à tous un atelier (www.designingyour.life) et nous avons
écrit ce livre pour que vous n’ayez pas besoin d’aller à Stanford pour
vivre une vie bien dessinée.
Mais vous devez être prêt(e) à vous poser quelques ques ons. Des
ques ons difficiles.
LES DESIGNERS AIMENT AUSSI LES
QUESTIONS
Comme Donald qui se regardait dans la glace toutes les nuits en se
demandant « Pourquoi tout ça, nom de Dieu ? », chacun se débat avec
des ques ons de ce type sur sa vie, son boulot et son rôle dans le
monde.
Nous pouvons vous aider à répondre à toutes ces ques ons – sauf la
dernière.
On nous a tous un jour demandé : « Qu’est-ce que tu veux faire
quand tu seras grand(e) ? » C’est la ques on fondamentale de la vie –
qu’on ait quinze ou cinquante ans. Les designers adorent les
ques ons, mais ce qu’ils aiment par-dessus tout, c’est les recadrer.
Le recadrage est un des principaux par s pris du designer. Des tas de
grandes innova ons sont nées d’un recadrage. En mode design, on dit
toujours « Ne commence pas par le problème, commence par les
gens, commence par l’empathie ». Quand on se met à la place des
futurs u lisateurs, on définit un point de vue, on échange des idées et
on commence à faire des prototypes pour savoir ce qu’on ignore
encore du problème. Ce qui débouche habituellement sur un
recadrage, qu’on appelle aussi bascule. Un recadrage, c’est quand on
récupère de nouvelles informa ons sur un problème, qu’on modifie
son point de vue et qu’on se remet à réfléchir pour faire des
prototypes. Au départ, on pense qu’on est en train de concevoir un
produit (un nouveau mélange de café et une nouvelle machine à café)
et on recadre en s’apercevant qu’on est en train de changer
l’expérience même du café (Starbucks). Ou bien, pour réduire la
pauvreté, quand on arrête de prêter de l’argent aux riches (comme le
fait la Banque mondiale) pour en prêter à ceux qu’on considérait
comme trop pauvres pour être capables de rembourser (micro-crédit
et Grameen Bank). Ou encore l’équipe qui, chez Apple, imagine l’iPad,
soit un recadrage complet de l’u lisa on même d’un ordinateur
portable.
Dans le design de vie, on recadre beaucoup. Le plus important des
recadrages, c’est qu’on ne peut planifier parfaitement sa vie, qu’il
n’existe pas une solu on unique et que c’est une bonne chose. Il y a
bien des façons de construire sa vie, qui perme ent toutes d’espérer
le genre de réalité créa ve et ina endue qui fait que la vie vaut d’être
vécue. Votre vie n’est pas un objet, c’est une expérience ; le fun vient
de la façon de sculpter ce e expérience et d’y prendre plaisir.
Le recadrage de la ques on « Qu’est-ce que tu veux faire quand tu
seras grand(e) ? », c’est « Quelle personne veux-tu devenir ? ». La vie,
c’est grandir et changer. Rien de sta que là-dedans. Ce n’est pas la
des na on qui compte. Il ne s’agit pas de répondre à la ques on une
fois pour toutes, et après, c’est réglé. Personne ne sait vraiment ce
qu’il veut devenir. Même ceux qui ont coché la case docteur, avocat
ou ingénieur. Il ne s’agit là que d’indica ons vagues sur le chemin de
la vie. Il y a tant de ques ons qui con nuent de se poser à chaque
pas. Ce dont on a besoin, c’est d’un processus – un processus de
design – pour élucider ce qu’on veut, quel genre de personne on a
envie devenir et comment créer une vie qu’on aime.
QU’EN SAVONS-NOUS ?
Dans le cadre de l’enseignement du design à Stanford, nous avons
enseigné la pensée design et le design de sa vie à plus de mille
étudiants. Et nous allons vous confier un secret : personne n’a jamais
échoué à ce cours. En fait, c’est impossible. Nous avons plus de
soixante ans d’expérience combinée dans l’enseignement, nous avons
enseigné ce e approche à des lycéens, des étudiants en licence, en
master, en doctorat, à des jeunes adultes, des cadres en milieu de
parcours et des retraités à la recherche d’une seconde vie
professionnelle.
En tant que professeurs, nous avons toujours garan à nos élèves
« une permanence à vie ». Ça signifie que si vous prenez un cours
avec nous, nous serons toujours là pour vous. Point. Des anciens
étudiants reviennent nous voir au fil des ans et ils nous racontent
combien les ou ls, les idées et les par s pris que nous professons ont
changé leur vie. Nous avons bon espoir – et même confiance – que
ces idées puissent également changer la vôtre.
Mais ne nous croyez pas sur parole. Stanford est un lieu de rigueur.
Les anecdotes sympathiques n’ont pas beaucoup de valeur dans le
milieu universitaire. Pour parler avec autorité, il faut des chiffres.
Notre cours est l’un des rares cours de pensée design à avoir été testé
de façon scien fique et à avoir prouvé son rôle déterminant par
nombre d’indicateurs. Deux étudiants en doctorat y ont consacré leur
thèse et ce qu’ils ont trouvé était plutôt enthousiasmant.2 Ils ont
montré que ceux qui ont suivi notre cours arrivent mieux à définir et
suivre une voie professionnelle qui leur convient vraiment ; ils
souffrent de moins de « principes à problèmes » (ces maudites
convic ons qui vous retardent et sont juste erronées) et peuvent
mieux générer de nouvelles idées pour leur design de vie (capacité
d’idéa on accrue). Avec des chiffres « significa fs sur le plan
sta s que », ce qui, en langage normal, signifie que les idées et les
exercices que nous proposons dans notre cours et qui vont vous
accompagner tout au long de ce livre se sont révélés efficaces ; ils
peuvent vous aider à trouver ce que vous voulez et vous montrer
comment l’obtenir.
Mais nous devons être très clairs dès le départ. Science ou pas, c’est
avant tout une affaire très personnelle. Nous pouvons vous fournir
des ou ls, des idées, des exercices, mais nous ne pouvons pas trouver
la solu on pour vous. Nous ne pouvons pas avoir vos intui ons,
changer la façon dont vous envisagez les choses et vous alimenter en
révéla ons non-stop, le tout en dix étapes faciles. Ce que nous
pouvons vous dire, c’est que si vous décidez d’u liser ces ou ls et de
faire les exercices du design de vie, vous génèrerez les bonnes idées
dont vous avez besoin. Car telle est la grande vérité : il existe de
nombreuses versions de vous-même et elles sont toutes « bonnes ».
Le design de vie aide à vivre n’importe laquelle des vies qui sont à
l’affiche de votre mul plexe perso. Rappelez-vous, il n’y a pas de
mauvaises réponses et nous ne vous notons pas. Dans ce livre, nous
vous proposerons quelques exercices, mais il n’y aura pas de réponses
à la fin pour vous dire comment vous avez réussi. Nous avons ajouté
un récapitula f des exercices à la fin de chacun des chapitres qui en
comportent – une sec on « À vous de jouer » – parce que ce que
nous recommandons, c’est d’essayer soi-même. C’est ce que font les
designers. Nous ne vous comparons à personne et vous n’avez pas à
le faire. Nous sommes là pour co-créer avec vous. Imaginez que nous
faisons par e de votre équipe personnelle de designers.
En fait, nous vous conseillons de vous cons tuer immédiatement une
équipe de designers – un groupe de gens qui vont lire ce livre et faire
les exercices avec vous, une équipe de collaborateurs où chacun
sou ent tous les autres dans sa quête d’un bon design de vie. On
reparlera de cela plus loin dans le livre et, bien sûr, n’hésitez pas à le
lire d’abord de votre côté. Beaucoup de gens pensent que les
designers sont des génies solitaires, qui travaillent seuls en a endant
l’inspira on subite qui résoudra leur problème de design. Rien n’est
plus éloigné de la vérité. Certains problèmes, comme le dessin d’un
tabouret ou d’un nouveau jeu de blocs pour enfants, sont assez
simples pour être résolus par un seul individu, mais dans notre monde
très technique, presque tous les problèmes requièrent une équipe de
designers. La pensée design prolonge ce e idée en suggérant que les
meilleures idées viennent d’une collabora on sans réserve. Le par
pris de la collabora on sans réserve fonc onne sur le principe que
des gens d’horizons très divers apporteront à une équipe les
connaissances, humaines et techniques, qui leur sont propres. D’où
une meilleure capacité à se me re à la place des futurs u lisateurs et
de meilleures chances d’élaborer des solu ons vraiment uniques par
confronta on d’univers différents.
Nous en avons sans cesse la confirma on dans les cours d.school de
Stanford, où des étudiants en master montent des équipes de
business, de droit, d’ingénierie, d’enseignement ou de médecine, qui
ne cessent d’innover de manière spectaculaire. Ce qui fédère ces
équipes, c’est la pensée design, l’approche de la créa on fondée sur
l’humain, qui re avantage des différences de profils pour s muler la
collabora on et la créa vité. Généralement, quand ils s’inscrivent à
notre cours, les élèves n’ont pas de forma on en design et, au début,
les équipes ont du mal à être produc ves. Ils doivent d’abord adopter
les par s pris des designers − par culièrement la collabora on sans
réserve et la conscience qu’il s’agit d’un processus. Après, ils
découvrent que leurs capacités en équipe sont bien supérieures à
celles de n’importe quel individu isolé et la confiance qu’ils ont en leur
créa vité explose. C’est un processus qui a permis à des centaines de
projets d’étudiants et d’entreprises innovantes, comme D-Rev et
Embrace3, d’être couronnés de succès ; ce qui prouve que la
collabora on est la façon dont le design marche aujourd’hui.
Alors oui, dessinez votre vie avec génie, mais sans vous sen r obli-
gé(e) d’être un de ces fameux génies solitaires.
ÊTRE CURIEUX
La curiosité fait entrer la nouveauté partout. Elle invite à l’explora on.
Elle met tout en jeu. Mais avant tout, en étant curieux, « on améliore
ses chances d’avoir de la chance ». C’est comme cela que certains
voient des opportunités partout.
ESSAYER
Quand on adopte le par pris de l’ac on, on s’engage à avancer pas à
pas. Et non à s’asseoir sur un banc pour réfléchir à ce qu’on va faire de
sa vie. L’important, c’est d’entrer dans le jeu. Les designers tentent
des trucs. Ils font des tests. Prototype après prototype, échouant
souvent, jusqu’à trouver ce qui fonc onne et résout leur problème.
Parfois, ils découvrent que le problème est complètement différent de
ce qu’ils croyaient au départ. Les designers épousent le changement.
Ils ne se focalisent pas sur un objec f prédéterminé, parce qu’ils sont
toujours curieux de ce qui va se passer ensuite – pas du résultat
« final ».
DEMANDER DE L’AIDE
Le dernier par pris de la pensée design est peut-être le plus
important, par culièrement quand il s’agit de dessiner sa vie : c’est la
collabora on sans réserve. Ce que ça signifie est simple : on n’est pas
tout seul. Les meilleurs designers savent qu’une grande créa on exige
une collabora on sans réserve. Ça demande une équipe. Un peintre
peut créer un chef-d’œuvre tout seul sur une côte ba ue par les
vents, mais un designer ne peut pas créer l’iPhone tout seul, que la
plage soit ba ue par les vents ou pas. Une vie tenant davantage du
grand dessein que de l’œuvre d’art, on ne peut donc la créer tout seul.
On n’est pas obligé de trouver tout seul un grand design de vie. Le
design est un processus collabora f où les meilleures idées viennent
souvent des autres. Il suffit de demander. Et de savoir quelles sont les
bonnes ques ons à poser. Dans ce livre, vous apprendrez comment
un mentor ou une communauté bien veillante peut vous aider à
élaborer votre design de vie. Quand on s’ouvre au monde, le monde
s’ouvre en retour. Et ça change tout. En d’autres termes, le design de
vie, comme toute créa on, est un sport d’équipe.
L’ANTI-PASSION, NOTRE PASSION
Beaucoup de gens fonc onnent selon le principe à problèmes qu’il
suffit de trouver sa passion. Quand on l’a trouvée, tout le reste se met
en place magiquement. Nous détestons ce e idée pour une très
bonne raison : la plupart des gens ne savent pas quelle est leur
passion.
Notre collègue à Stanford, William Damon, directeur du Centre de
l’Adolescence, a montré que seulement un jeune sur cinq, entre 12 et
26 ans, a une vision claire de ce qu’il veut faire, réussir dans la vie et
pourquoi.4 Notre expérience nous porte à croire que 80 % des gens
de tous les âges ne savent pas vraiment ce qui les passionne.
Du coup, une conversa on avec un conseiller de carrière donne
souvent ça :
Certains conseillers de carrière font passer aux gens des tests pour
évaluer leurs forces, leurs centres d’intérêt ou leurs ap tudes, mais
quiconque a passé ce genre de tests sait que leurs conclusions sont
souvent loin d’être concluantes. En outre, découvrir qu’on pourrait
être pilote, ingénieur ou réparateur d’ascenseur n’est pas forcément
u le ou exploitable. Chercher sa passion, ça ne nous paraît donc pas
très… passionnant. En fait, nous croyons que les gens ont besoin de
temps pour développer une passion. Et les recherches montrent que,
pour la plupart des gens, une passion vient après avoir essayé quelque
chose, découvert qu’on a aimé ça et en avoir développé la maîtrise –
pas avant. Pour faire simple : une passion est la conséquence d’un
bon design de vie, pas la cause.
La plupart des gens n’ont pas ce truc dont ils sont passionnés – ce
moteur unique qui gouverne chacune de leurs décisions et donne à
chaque instant de leur vie un but et un sens. Si vous avez découvert
que vous êtes sur Terre pour étudier la reproduc on et l’évolu on des
mollusques, du Cambrien à nos jours – chapeau ! Charles Darwin a
passé 39 ans à étudier les vers de terre ; chapeau, Darwin ! Mais ce
que nous ne saluons pas, c’est l’approche du design de vie qui con-
siste à laisser 80 % de la popula on de côté. La vérité, c’est que la
plupart des gens sont passionnés par plein de choses différentes et
que la seule façon de savoir ce qu’on a envie de faire, c’est de faire
des prototypes de vies possibles, les essayer et voir ce qui nous fait
vraiment vibrer. Sérieusement, pas la peine de connaître sa passion
pour dessiner une vie qu’on aime. Une fois qu’on sait faire des
prototypes pour avancer pas à pas, on est sur la voie qui mène aux
choses qu’on aime vraiment, avec passion ou pas.
1. Jon Krakower, inventeur de la configura on notebook chez Apple, voir Brevet Européen
EP 0515664 B1.
2. Lindsay Oishi, 2012 et T. S. Reilly, 2013.
3. Pour en savoir plus sur ces sociétés : h p://embraceglobal.org et h ps ://d-rev.org.
4. William Damon, The Path to Purpose, How Young People Find Their Calling in Life (New York :
Free Press, 2009).
DESIGN DE VIE
CHAPITRE 1
Vélo et gravité
On ne peut rien changer à la gravité. Il faudrait modifier l’orbite de la
terre et c’est un objec f assez démesuré. Passez à autre chose.
Acceptez. En acceptant, vous être libre de contourner le problème et
trouver un objec f qui est réalisable. Ce e cycliste pourrait investir
dans un vélo plus léger. Elle pourrait essayer de perdre du poids. Elle
pourrait apprendre les nouvelles techniques pour grimper plus
efficacement (il s’avère que pédaler plus vite sur un plus pe t plateau
est plus facile et demande plus d’endurance que de puissance ;
l’endurance est plus facile à développer).
Poète et revenu
Pour changer le salaire moyen des poètes, il faudrait intervenir sur le
marché de la poésie, en faisant en sorte que les gens achètent plus de
poésie ou qu’ils la payent plus cher. Vous pouvez certes essayer ça.
Vous pourriez écrire au courrier des lecteurs pour vanter les mérites
de la poésie. Vous pourriez aller frapper aux portes pour que plus de
gens se rendent aux séances hebdomadaires de lecture au bar du
coin. Bon, ce n’est pas gagné. Même si c’est un problème plus
abordable que ne l’était la gravité, nous vous conseillons d’accepter
qu’il s’agit d’un problème auquel vous ne pouvez rien. En faisant cela,
vous libérez de l’a en on pour trouver des solu ons à d’autres
problèmes.
Santé
Depuis les premiers temps de la civilisa on, des gens sensés se sont
rendu compte qu’être en bonne santé est u le. Et par « bonne santé »,
nous entendons celle de l’esprit, du corps et de l’âme – la santé
morale, physique et mentale. L’importance rela ve de chacune est
laissée à l’apprécia on de chacun. La façon dont on mesure son état
de santé dans ces domaines dépend de chacun. Mais une fois que
vous savez comment vous définissez votre « santé », vous devez y
faire a en on. Votre état de santé pèse lourd dans la façon dont vous
évaluez la qualité de votre vie, lorsque vous répondez à la
ques on « Comment ça se passe ? ».
Travail
Par « travail », nous entendons votre par cipa on au développement
de la grande aventure humaine sur la planète. Vous pouvez être
payé(e) ou pas pour cela, mais c’est ce que vous « faites ». En
supposant que vous n’êtes pas indépendant(e) sur le plan financier,
vous êtes généralement payé(e), au moins pour une par e de
votre « travail ». Ne réduisez surtout pas votre travail à ce pour quoi
vous êtes payé(e). La plupart des gens ont plusieurs formes de travail
à la fois.
Jeu
Jouer, c’est s’amuser. Si vous regardez des enfants jouer (nous parlons
ici de jeux dans la boue plutôt que d’un championnat de football),
vous comprendrez à quel type de jeu nous faisons allusion. Un jeu est
une ac vité, n’importe laquelle, qui vous apporte de la joie quand
vous la pra quez. Ça peut être une ac vité organisée, une
compé on ou un effort produc f, mais pra quée pour le plaisir.
Quand elle est pra quée pour gagner, progresser ou réussir – même
si ça peut être « fun » – ce n’est pas un jeu. Ça peut être génial, mais
ça n’en fait pas un jeu. Ce dont il est ques on ici, c’est de joie pure.
Amour
On sait tous ce qu’est l’amour. Et on sait tous quand on en a ou pas.
C’est bien l’amour qui fait tourner le monde, et quand il manque, le
monde ne semble pas tourner très rond. Nous n’essaierons pas de
définir l’amour (vous avez déjà votre opinion là-dessus) et nous
n’avons pas la formule pour trouver le grand amour (il y a des tas
d’autres livres là-dessus), mais ce que nous savons, c’est qu’il faut y
faire a en on. L’amour vient à nous sous des formes très diverses
(affec on, communauté, éro sme), de sources très différentes
(parents, amis, collègues, amants), mais qui ont toutes en commun ce
« truc » humain. Ce sen ment de connexion. Qui sont les gens qui
peuplent votre vie et comment l’amour s’écoule-t-il entre vous et les
autres, et réciproquement ?
Nous allons vous demander d’évaluer votre état de santé et les façons
dont vous travaillez, jouez et aimez. La santé est à la base de notre
diagramme, parce que, quand on n’est pas en bonne santé, eh bien,
rien d’autre ne marche très bien dans la vie. Travail, jeu et amour
dépendent de la santé et sont trois domaines qu’il nous semble
important de surveiller. Précisons qu’il n’existe pas un équilibre idéal
entre tous ces domaines. Chacun les mélange différemment selon les
époques de sa vie. Un jeune célibataire qui sort de l’université peut
avoir le plein de santé physique, une bonne dose de jeu et de travail
et pas encore de rela on amoureuse forte. Un jeune couple avec des
enfants va beaucoup jouer, mais d’une façon différente de lorsqu’ils
étaient célibataires et sans enfant. En vieillissant, la santé prend plus
d’importance. Il y a un mélange approprié pour chaque étape de la
vie – et on le reconnaît quand on le trouve.
Santé
L’exemple de Bill :
Santé :
Mon état de santé général est bon, j’ai passé des examens
récemment. J’ai un peu de cholestérol, 6-7 kilos en trop par rapport à
mon poids de forme, pas d’exercice, manque d’entraînement et je suis
souvent essoufflé si je dois courir pour a raper le train. Je lis et j’écris
sur ma philosophie de la vie, du travail et de l’amour ; je lis les travaux
les plus récents sur l’esprit et la connexion corps-esprit, mais ma
mémoire baisse plus vite que je ne croyais. Je commence chaque
journée par une affirma on et cela a complètement changé ma
perspec ve sur la vie. Depuis la naissance de mon fils (il y a 21 ans), je
fais par e d’une associa on d’hommes de bonne volonté ; ils ont été
mes guides et mes compagnons dans de nombreux voyages spirituels.
Je note ma santé comme « à moi é pleine ».
Travail
L’exemple de Bill :
Travail :
Je travaille à Stanford et je fais un peu de conseil privé, j’enseigne
dans les ateliers Designing Your Life, je siège au conseil
d’administra on de VOZ, une start-up socialement responsable (non
rémunéré).
Jeu
L’exemple de Bill :
Jeu :
Je joue en faisant la cuisine pour des amis et en organisant des
grandes fêtes en plein air – mais c’est à peu près tout.
(À propos, Bill considère que c’est un témoin au rouge sur son tableau
de bord).
VOTRE TÉMOIN AMOUR
Nous croyons que c’est bien l’amour qui fait tourner le monde, et quand
on n’en a pas, le monde est certainement moins lumineux et moins vivant.
Nous savons aussi qu’il faut faire a en on à l’amour et qu’il se présente
sous une mul tude de formes. Notre rela on principale, c’est là où nous
allons d’abord pour en trouver ; viennent généralement ensuite les
enfants, puis un tas de gens, d’animaux, de communautés et tout ce qui
cons tue un objet d’affec on. Il est aussi important de se sen r aimé par
les autres que d’aimer soi-même – il faut que ça marche dans les deux
sens. Comment l’amour s’écoule-t-il dans votre vie, vers vous et vers les
autres ? Faites une liste puis coloriez votre jauge.
Amour
L’exemple de Bill :
Amour :
L’amour est présent dans de nombreux espaces de ma vie. J’aime ma
femme, mes enfants, mes parents, mes frères et ma sœur, et je reçois
de l’amour de leur part, chacun à sa façon. J’aime l’art, la peinture en
par culier ; rien ne me transporte davantage. J’aime la musique sous
toutes ses formes – elle peut me rendre heureux, elle peut me faire
pleurer. J’aime les grands espaces qui coupent le souffle, qu’ils soient
faits par l’homme ou naturels.
Quand on regarde le tableau de bord de Bill, on constate un manque
de jeu et quelques problèmes du côté de la santé physique. Ces
témoins « dans le rouge » indiquent les zones où Bill a peut-être
besoin d’intervenir.
FABRIQUER SA BOUSSOLE
Pour fabriquer sa boussole, il faut deux choses – une Concep on du
travail et une Concep on de la vie. Élucidons d’abord ce que le travail
signifie pour vous. À quoi sert le travail ? Pourquoi le faites-vous ?
Qu’est-ce qui est bon dans un bon travail ? Si vous arrivez à cerner
votre philosophie du travail (à quoi ça sert, pourquoi vous le faites) et
à bien la formuler, vous risquerez moins de laisser les autres dessiner
votre vie à votre place. Développer une concep on personnelle du
travail, c’est un des deux éléments de la boussole que vous êtes en
train de fabriquer ; l’autre, c’est une Concep on de la vie.
Alors, une Concep on de la vie, ça peut sembler un peu ambi eux,
mais ça ne l’est pas tant que ça – tout le monde à une concep on
de la vie. Vous ne l’avez peut-être pas encore formulée, mais du
moment qu’on est en vie, on a une concep on de la vie. Une
concep on de la vie, c’est simplement l’idée qu’on se fait du monde et
de sa marche. Qu’est-ce qui donne un sens à la vie ? Qu’est-ce qui
donne de la valeur à sa vie ? Comment sa vie est-elle reliée aux
autres, dans sa famille, sa communauté et dans le monde ? Quels
rôles jouent l’argent, la célébrité et la réussite personnelle dans une
vie sa sfaisante ? Quelle importance ennent l’expérience, le
développement et l’épanouissement dans votre vie ?
Une fois que vous aurez écrit votre Concep on du travail et votre
Concep on de la vie, et fini l’exercice simple qui suit, vous aurez votre
boussole et serez sur la voie d’une vie bien dessinée. Ne vous
inquiétez pas, nous savons que vos concep ons du travail et de la vie
vont changer. Il est évident que les vues qu’on a adolescent, après
l’université ou quand les enfants qui ent la maison sont toutes
passablement différentes. L’idée, c’est que vous n’avez pas besoin
d’avoir tout compris pour le reste de votre vie ; il vous suffit d’une
boussole qui vous indique ce qu’est la vie pour vous à cet instant.
Parker Palmer, grand réformateur de l’enseignement, auteur de Let
Your Life Speak (Laissez parler votre vie, 1999), raconte qu’il s’est
soudain rendu compte qu’il menait avec brio la vie de quelqu’un
d’autre. Parker imitait ses héros – Mar n Luther King, Gandhi – tous
deux grands hérauts de la jus ce sociale. Comme il accordait une
grande valeur à leurs convic ons et à leurs objec fs, il régla ses pas
dans le monde sur leur boussole, mais pas sur la sienne et il travailla
dur pour changer le système éduca f de l’intérieur. Il ob nt un
doctorat à l’université de Berkeley et était en passe d’a eindre son
but : devenir un président d’université respecté. Tout cela était bel et
bon, mais Parker détestait ça. Il finit par réaliser qu’il pouvait être
inspiré par des gens comme Mar n Luther King et Gandhi, mais qu’il
n’était pas obligé de suivre le même chemin. Il finit par se redessiner
une vie d’intellectuel et d’auteur – avec toujours les mêmes objec fs,
mais dans un registre qui était moins celui de l’imita on, plus
authen que.
Le fait est qu’il y a beaucoup de voix puissantes dans le monde et
beaucoup de voix puissantes dans nos têtes, qui nous disent quoi
faire ou qui devenir. Et comme il y a beaucoup de modèles à suivre
sur la façon de vivre sa vie, nous courons tous le risque, comme
Parker, d’u liser sans le vouloir la boussole de quelqu’un d’autre et de
vivre la vie de quelqu’un d’autre. La meilleure façon d’éviter ça, c’est
de formuler clairement ses propres vues sur le travail et la vie, de
façon à fabriquer sa propre boussole.
Notre but pour votre vie est plutôt simple : la cohérence. Une vie
cohérente est une vie où l’on peut aligner clairement trois choses :
• Qui on est
• Ce en quoi on croit
• Ce qu’on fait
• Pourquoi travailler ?
• À quoi sert le travail ?
• Que signifie le travail ?
• Quel est son rapport à l’individu, aux autres, à la société ?
• Qu’est-ce qui caractérise un bon travail ou un travail u le ?
• Quelle part y ent l’argent ?
• Quelle part y ennent l’expérience, la maturité et
l’épanouissement ?
Au fil des années passées à aider les gens à faire cet exercice, nous
avons remarqué que ce e idée de Concep on du travail est assez
nouvelle pour la plupart d’entre eux. Nous avons remarqué aussi que,
quand ils butent sur cet exercice, c’est parce qu’ils écrivent ce qu’ils
cherchent dans un emploi, ils font une « fiche de poste ». Dans cet
exercice, ce qui nous intéresse, ce n’est pas quel travail vous voulez
faire, mais pourquoi vous travaillez.
Ce que nous recherchons, c’est votre philosophie du travail – à quoi
ça sert, quel sens ça a. En gros, ce sera votre manifeste du travail.
Quand nous employons le mot « travail », c’est au sens le plus large –
pas seulement ce que vous faites pour gagner de l’argent ou
comme « boulot ». Le travail est souvent ce qui représente la plus
grande part de notre vie, et sur une durée de vie, il mobilise notre
a en on et notre énergie plus que toutes nos autres ac vités. Du
coup, nous vous conseillons de prendre le temps de peser et formuler
clairement ce que travail et profession signifient pour vous (et peut-
être ce que vous espérez que ça signifie aussi pour les autres).
Les concep ons du travail s’étagent largement dans ce qu’elles englo-
bent et les problèmes qu’elles incorporent, comme les services rendus
aux autres et au monde, l’argent et le niveau de vie, la maturité, les
appren ssages, les compétences et les talents. Tout cela peut faire
par e de l’équa on. Nous souhaitons que vous preniez en compte
tout ce qui vous paraît important. Vous n’êtes pas obligé(e) de vous
préoccuper de la ques on du service rendu aux autres ou de tout
autre lien explicite aux ques ons sociales. Cependant, Mar n
Seligman5, dans le courant de la psychologie posi ve, a montré que
les gens qui sont capables d’établir un lien explicite entre leur travail
et un élément social qui a de l’importance pour eux ont plus de
chances d’en re rer de la sa sfac on et peuvent mieux s’adapter aux
inévitables tensions et compromis liés au monde du travail. Comme la
plupart des gens souhaitent un travail gra fiant et porteur de sens,
nous vous encourageons à réfléchir aux ques ons posées plus haut et
rédiger votre concep on du travail. Sans cela, votre boussole ne sera
pas complète.
Nous sommes bien conscients que ce sont des ques ons quelque peu
philosophiques et que nous venons juste d’employer le mot « Dieu ».
Pour certains, la ques on de Dieu n’a pas d’importance ; pour
d’autres, il faut l’aborder d’emblée comme la plus importante. À ce
stade, vous avez sans doute déjà compris que le design est neutre du
point de vue des valeurs, nous ne prenons pas par . Ces ques ons, y
compris celles portant sur Dieu et la spiritualité, sont là pour susciter
la réflexion ; c’est à vous de choisir auxquelles vous voulez tenter de
répondre. Il ne s’agit pas d’affûter ses arguments pour des débats
religieux ou poli ques ; ici, pas de mauvaises réponses – pas de
mauvaise concep on de la vie. La seule façon de se tromper dans cet
exercice, c’est de ne pas le faire du tout. À part ça, restez curieux(se)
et pensez comme un designer. Posez les ques ons qui vous
conviennent, inventez les vôtres et observez ce que vous découvrez.
Écrivez vos réponses.
Prêt(e) ? Allez-y.
Prenez quelques instants pour noter vos idées sur l’intégra on de vos
deux concep ons. Nos élèves nous rapportent que c’est souvent là
qu’ils ont les plus grandes révéla ons ; du coup, prenez ce e par e
de l’exercice au sérieux et réfléchissez bien à ce e intégra on. Dans
la plupart des cas, ce e réflexion vous incitera à modifier l’une de vos
concep ons, voire les deux. En me ant votre concep on du travail et
votre concep on de la vie en harmonie, vous y voyez plus clair et
vous augmentez votre capacité à mener une vie cohérente et pleine
de sens – une vie où la personne que vous êtes, vos convic ons et
vos actes sont alignés.
LE VRAI NORD
Vous disposez désormais d’une concep on de la vie et d’une
concep on du travail clairement formulées et combinées. En fin de
compte, ce qu’elles indiquent, c’est votre « vrai Nord ». Voilà votre
boussole. Elles vous aident à savoir si vous êtes sur la bonne voie ou
la mauvaise. À tout instant, vous pouvez faire le point sur votre
posi on par rapport à votre vrai Nord. Il est rare qu’on navigue tout
droit tout au long d’une belle vie toute droite. En fait, comme le
savent tous les marins, on ne peut tracer une route en ligne droite –
on re des bords selon ce que perme ent les vents et les condi ons.
Quand on cherche le vrai Nord, on peut naviguer dans une direc on,
puis dans une autre, puis à nouveau dans la première. Parfois, on
navigue près de la côte pour éviter les mers agitées, on s’adapte selon
les besoins. Et parfois, on rencontre une tempête et on est perdu, ou
le bateau chavire.
Ce sont les moments où il est le plus u le de disposer d’une
concep on du travail et d’une concep on de la vie pour pouvoir se
réorienter. À chaque fois qu’on a l’impression que quelque chose ne
va pas dans sa vie ou qu’on traverse une transi on majeure, c’est le
moment de régler sa boussole. Nous le faisons au moins une fois par
an.
Permutez vos pneus de voiture.
Changez les piles de votre détecteur de fumée.
Vérifiez votre concep on du travail et votre concep on de la vie,
assurez-vous qu’elles sont bien alignées.
À chaque fois que votre situa on change, que vous modifiez vos
objec fs ou que vous vous demandez ce que vous fabriquez à un
poste donné – arrêtez-vous. Avant de se lancer, il est bon de
consulter sa boussole pour s’orienter. Et maintenant que vous en avez
une, il est temps de « trouver votre voie ».
Après tout, c’est une quête.
5. Mar n Seligman, S’épanouir (2016, tre original, Flourish, 2011). Beaucoup de nos idées et
de nos exercices s’inspirent du courant de la psychologie posi ve, par culièrement des
travaux de Mar n Seligman.
À vous de jouer
Concep on du travail et concep on de la vie
S’orienter
M ichael était heureux. Dans sa pe te ville universitaire du
centre de la Californie, il avait du succès, faisait du sport,
sortait avec ses amis et profitait de la vie rela vement insouciante
d’un ado adulé, spor f et sociable. Michael ne passait pas beaucoup
de temps à penser à son avenir ou à le préparer. Il faisait simplement
ce qui se présentait et sa vie semblait se dérouler sans encombre. Sa
mère, elle, avait des idées sur son avenir. Des tas d’idées. Elle décida
qu’il irait à l’université, choisit celles auxquelles il allait postuler et
même sa majeure. Du coup, Michael étudia à Cal Poly à San Luis
Obispo et s’orienta vers le génie civil. Il n’avait pas une envie
par culière de devenir ingénieur civil, mais il suivait le plan tracé par
maman.
Sa majeure se déroula bien et il ob nt son diplôme. Puis Michael
tomba amoureux de Skylar, qui terminait ses études avant de par r
travailler à Amsterdam dans une entreprise de conseil. Michael suivit
Skylar et trouva un très bon poste d’ingénieur à Amsterdam, où il fit
correctement son travail. À nouveau, Michael était content de suivre
une trajectoire décidée pour lui, sans jamais s’être demandé ce qu’il
avait envie de faire ou qui il voulait devenir. Il n’avait jamais formulé
sa concep on de la vie ou du travail et toujours laissé les autres
guider sa route. Jusque-là, ça avait bien marché.
Après Amsterdam, Michael revint en Californie avec Skylar (devenue
sa femme), qui avait trouvé un boulot génial qu’elle adorait ; Michael
prit un emploi dans une entreprise de génie civil, non loin de là. C’est
là que les problèmes commencèrent. Il faisait tout ce que font les
ingénieurs dignes de ce nom – mais il s’ennuyait, il était agité et
malheureux. Ce e souffrance nouvelle le perturba. Il ne savait à qui
s’adresser ni que faire. Pour la première fois de sa vie, tout ne se
déroulait pas comme prévu et, sans guide, Michael se sen t
complètement perdu.
Principe à problème : Le travail ne doit pas être un plaisir ; voilà
pourquoi on appelle ça un travail.
Recadrage : Le plaisir me guide vers le travail qui me convient.
TROUVER SA VOIE
L’orienta on est un art ancien qui consiste à déterminer sa route
quand on ne connaît pas sa des na on. Pour s’orienter, il faut une
boussole et une direc on. Pas une carte – une direc on. Rappelez-
vous les explorateurs américains Lewis et Clark. Ils n’avaient pas de
carte quand Jefferson les envoya traverser la Louisiane nouvellement
acquise et trouver leur route jusqu’au Pacifique. Tout en s’orientant
vers l’océan, ils dressèrent une carte de leur route (140 cartes, pour
être exact). S’orienter dans sa vie, c’est un peu la même chose.
Puisqu’il n’y a pas qu’une seule des na on dans la vie, on ne peut pas
entrer son objec f dans un GPS et a endre les instruc ons pour
tourner où il faut. Ce qu’on peut faire, c’est prêter a en on aux
signaux et essayer d’avancer au mieux avec les ou ls dont on dispose.
Nous pensons que les premiers signaux sont l’engagement et l’énergie.
L’ENGAGEMENT
Ce n’était pas le génie civil qui était mauvais. Michael ne faisait
simplement pas a en on à sa vie et tout ce qu’il savait, c’est que
quelque chose n’allait pas. À 34 ans, il ne savait pas ce qu’il aimait et
ce qu’il n’aimait pas. Quand il est venu chez nous chercher de l’aide, il
était sur le point de balancer complètement sa vie et sa carrière, sans
bonne raison. Nous lui avons demandé de tenir pendant quelques
semaines un journal à la fin de chaque journée de travail. Michael
devait noter les moments de la journée où il s’était ennuyé à son
travail, sen tendu ou malheureux, et ce qu’il faisait exactement à ces
moments-là (les moments où il était détaché). Il notait aussi les
moments où il était excité, concentré, où il passait un bon moment au
travail et ce qu’il était exactement en train de faire à ces moments-là
(les moments où il était engagé). Michael tenait là ce que nous
appelons le Journal des Bons Moments.
Pourquoi lui avoir demandé de faire cela (et, oui, nous allons vous
demander de faire la même chose) ? Ce que nous espérions, c’est qu’il
se surprenne lui-même en train de passer un bon moment. Quand on
découvre dans quelles ac vités on s’inves t volon ers, on découvre
et on exprime quelque chose de très u le en ma ère de design de
vie. Rappelez-vous que les designers sont tournés vers l’ac on –
autre façon de dire que nous faisons très a en on à la façon dont
nous faisons les choses, pas juste à la façon dont nous y pensons.
Noter les moments où on se sent engagé et plein d’énergie, ou pas,
aide à prêter a en on à ce qu’on fait et à trouver ce qui fonc onne
pour nous.
LE FLOW : L’ENGAGEMENT TOTAL
Le flow, c’est l’engagement sous stéroïdes. Le flow, c’est cet état
par culier dans lequel le temps s’arrête, où on est totalement inves
dans une ac vité, et où les difficultés qu’elle soulève correspondent à
notre savoir-faire – on évite ainsi l’ennui de ce qui est trop facile et
l’angoisse de ce qui est trop difficile. Un engagement que les gens
décrivent comme « euphorique », « dans la zone » ou « trop génial ».
Le flow a été « découvert » par le professeur Mihaly Csikszentmihalyi,
qui étudie ce phénomène depuis les années 1970. La première fois
qu’il a décrit l’état de flow, il avait étudié en détail les ac vités de la
vie quo dienne de milliers de gens, ce qui lui permit d’isoler ce e
forme spécialement intense d’engagement6.
Les gens qui sont dans le flow décrivent des expériences qui
présentent les caractéris ques suivantes :
Le flow peut naître au cours d’à peu près n’importe quelle ac vité
physique ou mentale et souvent lorsque les deux sont combinées.
Dave entre dans le flow lorsqu’il revoit chacun des détails d’un plan de
cours, ou bien sur son voilier, lorsqu’il règle les voiles dans le vent
naissant. Bill reconnaît être accro au flow ; donner des cours à ses
élèves, faire des croquis dans son carnet à idées ou couper un oignon
avec son couteau favori sont les ac vités qui y sont le plus propices.
Le flow fait par e de ces expériences rares « difficiles à décrire, mais
qu’on reconnaît quand on les vit » qu’il faut iden fier par soi-même.
En tant que stade ul me de l’engagement personnel, les expériences
de flow ont une place à part dans le design de vie. Il est donc
important de bien les iden fier dans votre Journal des Bons
Moments.
Le flow, c’est un jeu pour les grands. Dans le tableau de bord du
design de vie, nous avons mesuré nos niveaux de santé, de travail, de
jeu et d’amour. L’élément le plus absent dans nos vies modernes très
remplies, c’est le « jeu ». Vous pensez peut-être que nous avons tous
trop de responsabilités pour disposer de beaucoup de temps pour
jouer. D’accord, on peut faire un effort pour u liser ses talents dans
son travail et dans ses corvées, mais soyons honnêtes – c’est du
travail, pas un jeu. Peut-être. Peut-être pas. Le flow est une des clés
de ce que nous appelons le jeu d’adultes et un mé er gra fiant et
valorisant offre de nombreux moments de flow. L’essence d’un jeu,
c’est de s’y inves r totalement et de le faire avec plaisir, sans être
constamment distrait par le souci de ce qu’on en re re. Dans le flow,
c’est exactement ce qui se passe – on est totalement présent à ce
qu’on fait, tellement présent qu’on n’a même plus conscience du
temps. Vu de ce e façon, ce devrait être un objet de recherche
constant dans sa vie professionnelle (et dans sa vie privée, et dans sa
vie spor ve, et dans sa vie sexuelle… vous voyez le topo).
L’ÉNERGIE
Après l’engagement, le second signal à gue er pour s’orienter, c’est
l’énergie. L’être humain, comme toute créature vivante, a besoin
d’énergie pour vivre et se développer. Autrefois, les êtres humains
dépensaient l’essen el de leur énergie quo dienne en tâches
physiques. Pendant l’essen el de l’histoire humaine, hommes et
femmes ont travaillé à chasser et cueillir, à élever leurs enfants et
s’occuper de leurs cultures, l’essen el de leur temps passant en
travaux physiques qui consommaient beaucoup d’énergie.
Aujourd’hui, beaucoup d’entre nous sont des travailleurs du savoir et
ce sont nos cerveaux que nous employons pour soulever des charges
lourdes. Le cerveau est un organe très gourmand en énergie. Sur les
quelque 2 000 calories que l’on consomme chaque jour, 500 sont
consacrées au fonc onnement du cerveau. C’est incroyable : alors
que notre cerveau ne représente qu’environ 2 % du poids de notre
corps, il consomme 25 % de notre énergie quo dienne. Pas étonnant
donc que ce à quoi on consacre notre a en on soit déterminant dans
le fait de se sen r, ou pas, plein d’énergie7.
Toute la journée, on se livre à des ac vités physiques et mentales.
Certaines nous remplissent d’énergie, d’autres nous vident ; ce sont
ces flux d’énergie que nous cherchons à suivre dans le Journal des
Bons Moments. Une fois qu’on sait où passe notre énergie chaque
semaine, on peut commencer à redessiner nos ac vités pour
maximiser notre vitalité. Rappelez-vous, avec le design de vie, on
cherche à rer plus de notre vie actuelle – pas uniquement à
concevoir une vie en èrement nouvelle. Même si ce sont des
interroga ons portant sur un grand changement dans votre vie qui
vous ont mené(e) à ce livre, l’essen el du travail de design de vie
consiste à régler et améliorer la vie que vous menez, sans
bouleversements structurels radicaux, comme changer de travail,
déménager ou retourner à l’université.
Vous vous interrogez peut-être : suivre son niveau d’énergie, n’est-ce
pas la même chose que suivre son niveau d’engagement ? Oui et non.
Oui, un fort niveau d’engagement coïncide souvent avec un haut
niveau d’énergie, mais pas forcément. Un collègue de Dave, ingénieur
informa cien brillant, a découvert que défendre son point de vue
était une ac vité dans laquelle il s’inves ssait volon ers, parce que ça
l’obligeait à réfléchir vite. Il excellait à cela et souvent, dans son
travail, les autres lui demandaient d’aller déba re à leur place. Mais il
remarqua que ces débats l’épuisaient, même quand il « l’emportait ».
Ce n’était pas un homme querelleur et même si, sur le moment, c’est
amusant d’être plus malin que les autres, il se sentait toujours très mal
à la fin. L’énergie a également ceci d’unique : elle peut être
néga ve − certaines ac vités peuvent li éralement nous pomper l’air
et nous laisser épuisés. L’ennui est un gros pompeur d’énergie, mais il
est beaucoup plus facile de se reme re d’un moment d’ennui que
d’une perte totale d’énergie ; d’où l’importance de surveiller son
niveau d’énergie.
C’EST UNE QUESTION DE PLAISIR
Après avoir tenu son Journal des Bons Moments et prêté a en on
aux occasions où il se sentait engagé, dans le flow et à ce qui lui
donnait de l’énergie, Michael s’aperçut qu’il aimait son travail d’in-
génieur civil quand il travaillait sur des problèmes difficiles et
complexes. Ce qui le fa guait et le rendait malheureux, c’était les
moments où il était confronté à des gens pénibles, quand il avait du
mal à communiquer avec les autres et quand il devait se colleter à une
tâche ou une finesse administra ves, qui n’avaient rien à voir avec les
complexités du mé er d’ingénieur.
En fin de compte, pour la première fois de sa vie, Michael faisait
vraiment a en on à ce qui lui plaisait. Les résultats furent
incroyables. Rien qu’en iden fiant les moments où il prenait du plaisir
au travail, ceux qui lui donnaient de l’énergie ou qui le vidaient,
Michael comprit qu’il aimait réellement son mé er d’ingénieur civil.
Ce qu’il détestait, c’était les problèmes humains, la rédac on d’une
proposi on et les négocia ons salariales. Il fallait juste qu’il trouve
comment façonner son poste pour faire plus ce qu’il aimait et moins
ce qu’il détestait. Au lieu de faire une école de commerce (ce qui
aurait probablement été un désastre, très coûteux de surcroît),
Michael choisit de con nuer en ingénierie. Il finit par intégrer un
programme de doctorat et il est désormais un ingénieur structures de
haut niveau. Il passe son temps, généralement seul, à travailler sur des
problèmes d’ingénierie complexes qui le rendent vraiment heureux. Et
il a fini par a eindre une compétence technique telle que plus
personne ne lui demande de faire des tâches administra ves. Les
bons jours, il revient le soir à la maison avec plus d’énergie qu’il n’en
avait le ma n en partant. Soit plutôt une bonne façon de travailler.
Autre élément clé quand on s’oriente dans la vie : suivre son plaisir.
Suivez ce qui vous donne envie, ce qui vous excite, ce qui vous met
en joie. On enseigne à la plupart des gens que le travail est toujours
dur et qu’il faut souffrir. Certes, dans tout travail et toute profession,
il y a des aspects pénibles et ennuyeux – mais si l’essen el de ce que
vous faites au travail ne vous met pas en joie, alors ça vous tue. C’est
votre profession, et vous allez y consacrer un sacré bout de temps –
nous l’es mons entre 90 000 et 125 000 heures sur la durée d’une
vie. Si vous n’y prenez pas de plaisir, c’est un sacré morceau de vie
gâché.
Alors, qu’est-ce qui rend un travail amusant ? Ce n’est peut-être pas
ce que vous pensez. Ce n’est pas faire la fête sans arrêt au bureau. Ce
n’est pas être très bien payé. Ce n’est pas avoir beaucoup de congés
payés. Un travail est amusant quand on s’appuie sur ses forces, qu’on
s’engage à fond et qu’on en re re de l’énergie.
AEIOU
Tirer de grands enseignements des réflexions de votre Journal n’est
pas toujours facile ; voici quelques ou ls u lisés par les designers
pour faire des observa ons détaillées et exactes – qui perme ent
également de développer sa curiosité. C’est la méthode AEIOU8 qui
fournit cinq jeux de ques ons à se poser quand on réfléchit à son
Carnet de bord.
Ac vités
Qu’é ez-vous en train de faire ? S’agissait-il d’une ac vité structurée
ou déstructurée ? Aviez-vous un rôle précis (leader) ou é ez-vous
simple par cipant (à la réunion) ?
Environnements
Notre environnement a une influence profonde sur notre affec f.
Dans un stade de football, on n’éprouve pas la même émo on que
dans une cathédrale. Notez où vous é ez lorsque vous avez par cipé
à ce e ac vité. Quel genre d’endroit c’était, comment vous y sen ez-
vous ?
Interac ons
Avec quoi é ez-vous en interac on – des gens ou des machines ?
Ce e interac on était-elle inédite ou familière ? S’agissait-il d’un
cadre formel ou informel ?
Objets
É ez-vous en interac on avec des appareils ou des objets – iPad ou
smartphone, crosse de hockey ou bateau à voile ? Quels objets ont
créé ou renforcé votre sen ment d’engagement ?
U lisateurs
Qui d’autre était présent, quel a été son/leur rôle dans le caractère
posi f ou néga f de ce e expérience ?
Le modèle AEIOU peut vraiment vous aider à entrer efficacement
dans le détail et me re précisément en lumière ce qui fonc onne
pour vous, ou pas. En voici deux illustra ons :
Lydia est rédactrice indépendante. Elle aide des experts à documenter
leurs procédures pour des modes d’emploi. Elle est arrivée à la
conclusion qu’elle déteste travailler avec d’autres gens –
essen ellement à cause de l’état affreux dans lequel elle se trouve
après une réunion et du sen ment merveilleux qu’elle éprouve quand
elle peut écrire toute la journée. Elle en était à se demander comment
elle pourrait vivre sans plus jamais par ciper à une réunion, lorsqu’elle
commença à tenir son Journal des Bons Moments, avec la méthode
AEIOU. Quand elle entra dans le détail, elle observa qu’en fait, elle
aimait bien les gens – quand elle ne rencontrait qu’une ou deux
personnes à la fois, soit pour travailler sérieusement sur le texte, soit
pour de rapides séances de réflexion sur de nouveaux projets
(ac vité). Elle détestait les réunions qui portaient sur les prévisions, le
planning ou la stratégie, et toute réunion qui comptait plus de six
personnes ; elle était simplement incapable de suivre les différents
points de vue (environnement). Elle comprit qu’elle aimait juste
travailler de façon intense et concentrée et que ce e intensité
pouvait être nourrie ou contrariée par les autres (u lisateurs), selon la
forme que prenait ce e collabora on (interac on).
Basra adorait les études supérieures. Peu importe ce qu’elle faisait –
du moment qu’elle était sur un campus, elle était contente
(environnement). Du coup, elle prit un travail à l’université où elle
avait passé sa licence. Pendant cinq ou six ans, elle fut très sa sfaite
de faire tout et n’importe quoi, de la levée de fonds à l’orienta on des
nouveaux étudiants (ac vité). Puis le plaisir commença à se dissiper et
elle se demanda si son histoire d’amour avec l’éduca on n’était pas
terminée. Elle se mit à tenir un Journal des Bons Moments et comprit
qu’elle aimait toujours l’université, mais qu’elle n’occupait pas le bon
emploi. Approchant la trentaine, l’environnement seul ne lui suffisait
plus ; désormais, sa fonc on comptait aussi. Elle avait accepté une
promo on qui la transférait du pôle étudiant – avec beaucoup
d’interac ons avec les élèves – au pôle juridique – beaucoup de
réunions avec les administrateurs et les juristes (u lisateurs) et
beaucoup de paperasse (objets). Elle comprit cela et opta pour un
poste légèrement inférieur au bureau des logements, avec des
interac ons de nouveau plus construc ves et moins de paperasse.
Quand vous travaillez sur votre réflexion dans le Journal des Bons
Moments, n’hésitez pas à u liser la méthode AEIOU pour rer un
meilleur profit de vos observa ons. Il est important de consigner tout
ce qui vient, sans jugement – il n’y a pas de bonne ou mauvaise
percep on de ce que vous vivez. L’essen el, c’est que ce type
d’informa on va vous être incroyablement u le pour votre design de
vie.
PROFITEZ DU VOYAGE
Ce e nouvelle forme d’a en on vous aidera à vous orienter vers
l’étape d’après. Comme Lewis et Clark, vous commencez à faire la
carte des territoires que vous avez déjà parcourus et commencez à
entrevoir de nouveaux horizons, d’autres ouvertures. Vous êtes en
train de passer d’un niveau de conscience à un autre, en explorant
réellement comment vous – et pas Maman, Papa, votre boss ou votre
partenaire – réagissez aux choses. Vous avez commencé à vous
orienter – à passer de votre situa on actuelle à la prochaine. Armé(e)
de votre boussole et des intui ons rées de votre Journal, vous êtes
parfaitement capable de vous orienter.
Michael a trouvé sa voie.
Lewis et Clark ont trouvé leur voie.
Vous aussi, vous pouvez la trouver.
L’étape suivante consiste à générer autant d’op ons que possible,
toutes ma ère à expérimenta on et prototype.
Pour cela, il va falloir faire un peu de cartographie mentale.
6. Pour plus d’informa ons sur le concept de flow, voir Vivre, la psychologie du bonheur, de
Mihaly Csikszentmihalyi (Pocket, 2006).
7. Voir le TED talk de Suzana Herculano-Houzel, « What’s so special about the human brain ? »
(Qu’est-ce que le cerveau humain a de si par culier ?),
h ps://www.ted.com/talks/suzana_herculano_houzel_what_is_so_special_about_the_human
_brain ; et Nikhil Swaminathan, « Why does the brain need so much power ? » (Pourquoi le
cerveau a-t-il besoin de tant d’énergie ?), Scien fic American, 29 avril 2008,
h p://www.scien ficamerican.com/ar cle/why-does-the-brain-need-s/.
8. Ce cadre AEIOU vient de Dev Patnaik, Needfinding : Design Research and Planning, 2013
(Recherche des besoins : Recherche design et planifica on).
À vous de jouer
Le Journal des Bons Moments
Sans autre idée que celle de con nuer à faire ce qu’elle faisait déjà,
Sharon, comme Grant, était bloquée.
La plupart des gens font comme Sharon quand ils ont besoin de
travailler : ils regardent les annonces d’emploi à la recherche d’un
poste qu’ils pensent pouvoir obtenir. C’est une des pires façons de
trouver un travail − en fait, c’est celle qui a le plus faible taux de
réussite (nous aborderons ce phénomène en détail au chapitre 7).
Ce e façon de penser, ce n’est pas de la pensée design : c’est juste
essayer d’a raper tout ce qui passe à portée et ça n’est pas très
porteur de sa sfac on à long terme. Si les enfants ont faim, que la
banque s’apprête à saisir la maison ou que vous devez beaucoup
d’argent à quelqu’un, alors oui, bien sûr, prenez n’importe quel job.
Mais, si l’urgence ne frappe pas à votre porte, il est temps de vous
orienter vers des emplois plus prome eurs. Et ne vous inquiétez pas
des éventuels blocages. Les designers se retrouvent sans cesse
bloqués. Être bloqué peut être une piste de lancement pour la
créa vité. Quand on pense comme un designer, on sait comment
trouver des idées – comment « s’enflammer » – trouver des tas de
pistes pour des tas d’avenirs possibles.
C’est tout simple. On ne peut savoir ce qu’on veut tant qu’on ne sait
pas ce qu’on pourrait vouloir, alors il va vous falloir générer des tas
d’idées et de possibilités.
Acceptez le problème.
Heurtez-vous à des blocages.
Reme ez-vous-en et ayez des idées, des idées, des idées !
1. Choisir un sujet.
2. Faire la carte mentale.
ET MAINTENANT ?
Il se peut que vous vous disiez ici : « C’est génial ! Il y a là des idées
super dont je peux vraiment me servir ! ». Si c’est le cas, très bien –
mais ce n’est pas garan et ce n’est pas si fréquent.
Ou alors… vous avez fini l’exercice et vous vous dites : « Eh bien, quel
truc idiot ! À quoi ça sert d’avoir eu toutes ces idées ridicules ? ». Si
c’est le cas, vous n’avez pas été payé(e) en retour de vos efforts. Le
but de l’exercice est d’écarter tout jugement et de faire taire votre
cri que intérieur, toujours prêt à soulever des problèmes. Si vous n’y
êtes pas parvenu(e), vous avez probablement trouvé cet exercice
assez ridicule. Si vous vous reconnaissez, bienvenue au club des gens
intelligents qui essaient de bien faire (c’est-à-dire trouver tout de
suite la bonne réponse). Regardez à nouveau ce que vous avez fait
pour voir si vous pouvez l’envisager d’un autre œil ou retentez le coup
dans quelques jours.
Ou alors vous êtes en train de vous dire : « Eh bien, c’était assez
marrant et intéressant, mais je ne sais pas trop ce que je peux en rer
pour le moment ». Si ça vous ressemble, ça se passe très bien. Le but
de cet exercice n’est pas d’obtenir un résultat précis ; c’est d’agiter
votre esprit dans tous les sens pour avoir des idées sans retenue. En
faisant cet exercice jusqu’au bout, jusqu’à imaginer comment
combiner tous ces éléments avec créa vité pour les transformer en
jobs ou postes ina endus, vous êtes passé(e) avec succès de la
résolu on de problèmes (qu’est-ce que je fais ensuite ?) à la pensée
design (qu’est-ce que je peux imaginer ?). Vous travaillez à présent
avec la mentalité d’un designer et vous disposez de plein d’idées
importantes couchées sur le papier sous une forme créa ve.
Il est temps de s’a eler à la tâche d’imaginer trois vraies vies
alterna ves.
Il est temps de préparer vos Projets d’Odyssée.
À vous de jouer
Cartes mentales
• Autres idées :
◗ Gardez bien à l’esprit d’autres choses que votre carrière et
l’argent. Même si ce sont des éléments importants, centraux
peut-être, dans l’orienta on que vous allez donner à vos
prochaines années, il y a d’autres éléments décisifs dont il faut
tenir compte.
◗ Chacune des considéra ons de ce e liste peut servir de
tremplin à l’élabora on de vos différentes vies pour les cinq
années à venir. Si vous vous retrouvez bloqué(e), essayez de faire
une carte mentale de n’importe laquelle des considéra ons
design listées ici. Ne vous perdez pas en réflexion, mais ne
sautez pas cet exercice.
Pour chacun d’entre nous, les Projets d’Odyssée peuvent définir les
choses importantes qui nous restent à faire et nous aider à nous
souvenir des rêves que nous avons pu oublier. L’astronaute de douze
ans que vous é ez jadis est toujours là. Soyez curieux(se) de tout ce
que vous pourriez faire remonter. Faites en sorte qu’au moins un de
ces projets soit un peu fou. Même si c’est quelque chose que vous ne
feriez jamais dans votre état normal, notez votre idée la plus farfelue,
la plus folle. Il peut s’agir d’abandonner tout ce que vous possédez
pour vivre hors du monde, en Alaska ou en Inde. Ou d’apprendre à
jouer la comédie pour tenter votre chance à Hollywood. Ou de
devenir un pro du skate ou de vouer votre vie aux sports extrêmes
pleins d’adrénaline. Ou de par r à la recherche de ce grand-oncle
disparu depuis des lustres et boucher les trous de votre histoire
familiale. Ou de bâ r différents projets selon les compar ments de
votre vie : différents projets de carrière, d’amour, de santé ou de jeu.
Voire tout combiner. La seule façon de mal faire cet exercice, c’est de
ne pas le faire du tout.
Exemple 1
Titre : « Va-tout – Histoire de Silicon Valley »
QUESTIONS
1. « Ai-je en moi ce qu’il faut pour être une entrepreneure ? »
2. « Mon idée est-elle assez bonne ? »
3. « Serai-je capable de lever des fonds d’inves sseurs en capital-
risque ? »
Exemple 2
Titre : « U liser mon savoir-faire – Aider les enfants ! »
QUESTIONS
1. « Mes compétences marcheront-elles aussi dans le secteur non
marchand ? »
2. « Puis-je réellement aider des enfants à risque avec une
organisa on carita ve ? »
3. « Cela aura-t-il un sens ? »
Exemple 3
Titre : « Créer une communauté – Un verre à la fois ! »
QUESTIONS
1. « Suis-je prête à prendre un tel risque ? »
2. « Puis-je réellement créer une communauté en ouvrant un bar ? »
3. « Est-ce que ce sera rentable ? »
EXERCICE DES PROJETS D’ODYSSÉE
Établissez à présent vos trois projets à cinq ans, un sur chacun des
modèles fournis ici (téléchargeables sur www.designingyour.life).
9. Steven P. Dow, Alana Glassco, Jonathan Kass, Melissa Schwarz, Daniel L. Schwartz, Sco
R. Klemmer, « Parallel Prototyping Leads to Be er Design Results, More Divergence, and
Increased Self-Efficacy » (« Des prototypes en parallèle mènent à un meilleur design, une plus
grande divergence et une auto-efficacité accrue »), ACM Transac ons on Computer-Human
Interac ons 17, no. 4 (déc. 2010).
10. Outre Homère et les Grecs, nous avons emprunté le terme « années d’Odyssée » à David
Brooks, éditorialiste au New York Times. Dans un ar cle du 9 octobre 2007, il décrivait les
nouvelles condi ons de vie des Américains de 22 à 35 ans : « Avec un peu d’imagina on,
même un baby-boomer peut comprendre ce que c’est que de vivre ses années d’Odyssée. On
peut voir que ce e période d’improvisa on est une réponse sensée au monde moderne ».
À vous de jouer
Projets d’Odyssée
CONVERSATIONS PROTOTYPES :
L’INTERVIEW DESIGN
Une fois qu’on est décidé à réaliser des prototypes pour son design
de vie, comment fait-on ? La forme de prototype la plus simple et la
plus facile, c’est la conversa on. Nous allons décrire ici un format
spécial de conversa on prototype, que nous appelons interview
design.
Une interview design, c’est incroyablement simple. Il suffit de faire
raconter à quelqu’un son histoire. Pas n’importe qui et pas n’importe
quelle histoire évidemment. Vous cherchez à parler à quelqu’un qui
fait ou vit ce que vous envisagez de faire, ou qui a une expérience et
une exper se réelles du domaine sur lequel vous avez des ques ons.
Et l’histoire que vous cherchez, c’est son i néraire individuel –
comment ce e personne s’est-elle mise à faire ça, comment a-t-elle
acquis son exper se, comment le vit-elle ?
Vous cherchez à savoir ce que ce e personne, qui fait ce que vous
pourriez avoir envie de faire un jour, aime ou déteste dans son mé er,
à quoi ressemblent ses journées. Puis vous essayez de vous imaginer
faire ça – et aimer ça – pendant des mois, des années. En plus
d’interroger les gens sur leur travail et sur leur vie, vous pourrez
également élucider comment ils se sont retrouvés là – leur i néraire
professionnel. La plupart des gens échouent non par manque de
talent, mais par manque d’imagina on. On peut obtenir une grande
par e de ces informa ons simplement en prenant le temps d’écouter
l’histoire de quelqu’un. Voilà en quoi consiste l’interview design. Clara
a eu de nombreuses conversa ons de ce type, qui l’ont vraiment
aidée. Élise n’en a eu à peu près aucune et ça lui a vraiment été
dommageable.
“ La forme de prototype la plus simple et la
plus facile, c’est la conversa on. ”
La première chose à savoir sur l’interview design, c’est que ça n’est
pas un entre en d’embauche. Si vous vous retrouvez dans une de ces
interviews en train de répondre à des ques ons ou de parler de vous,
au lieu de recueillir l’histoire de la personne avec qui vous êtes,
arrêtez-vous et renversez tout. C’est essen el. Si la personne avec qui
vous êtes se méprend et a l’impression qu’il s’agit d’un entre en
d’embauche, c’est un désastre et votre interview design est un échec,
ou le sera. Tout est une ques on d’état d’esprit. Si elle pense que
vous cherchez un emploi, la première chose qu’elle a en tête n’a rien à
voir avec vous. Elle se demande : « Avons-nous un poste
disponible ? ». Et là, la réponse est généralement non. Du coup,
lorsqu’on essaie de prendre rendez-vous avec quelqu’un qui pense
que vous cherchez un emploi, tout ce qu’on ob ent, c’est un « non ».
Ça peut sembler sévère et arrogant, mais c’est en fait ce que la
personne peut faire de plus a en onné et bienveillant. Si vous
recherchez un emploi et que ce e personne n’en a pas à proposer ou
qu’elle n’intervient pas dans le processus de recrutement, la meilleure
chose qu’elle puisse faire, c’est de vous le dire et vous perme re ainsi
de chercher ailleurs. On ne le ressent pas comme un acte bienveillant
(et la plupart des gens formulent mal leur refus), mais c’est pourtant
ça.
Si la réponse à ce e première ques on est : « Oui, nous avons un
poste disponible », la ques on suivante est alors : « Est-ce qu’il/elle va
s’intégrer ici ? ». L’état d’esprit d’un entre en d’embauche repose sur
la cri que et le jugement et ce n’est pas cet état d’esprit qu’on
recherche quand on a end une histoire intéressante et une con-
nexion in me.
En fait, l’interview design n’est pas une « interview », c’est juste une
conversa on. Donc, quand vous voulez obtenir un rendez-vous,
n’u lisez pas les mots « interview » ou « entre en », sinon la personne
pensera à un entre en d’embauche (ou que vous êtes journaliste et ça
l’inquiètera pour d’autres raisons). Tout ce que vous faites ici, c’est
iden fier des gens qui sont en train de faire des choses qui vous
intéressent et dont vous voulez recueillir les histoires. C’est beaucoup
plus facile que vous ne croyez. Lorsque vous avez déterminé qu’Anna
a une personnalité sympa et qu’elle fait un boulot vraiment
intéressant, vous avez quelque chose en commun – vous êtes deux à
penser qu’elle et ce qu’elle fait sont deux de vos sujets favoris ! En
substance, votre demande de rendez-vous pour avoir ce e
conversa on consiste à dire : « Hello Anna, je suis très content(e) de
vous joindre. John m’a dit que vous é ez exactement la personne à
qui je devais parler. Je suis très impressionné(e) par ce que je sais de
votre travail et j’aimerais beaucoup vous en entendre parler. Auriez-
vous une demi-heure à me consacrer, où et quand vous voulez,
autour d’un café, le temps de m’en dire un peu plus sur vous ? ». C’est
à peu près tout – vraiment. (Et, oui, il est important de men onner
John, le cher ami ou collègue d’Anna, si c’est possible. John est celui
dont la recommanda on vous a permis de trouver Anna et c’est
également lui qui la rend plus encline à accepter votre invita on. Il y a
de nombreuses Anna de par le monde qui prendraient un café avec
vous, même si vous ne vous recommandiez pas de John, mais ça
marche beaucoup mieux avec ce référent. Nous parlerons de la façon
de trouver des référents au chapitre 8. Ça s’appelle un réseau. Oui, il
faut cul ver un réseau pour un design de vie efficace, mais on y
reviendra).
EXPÉRIENCES PROTOTYPES
Les conversa ons prototypes, c’est très bien ; elles sont
incroyablement informa ves et faciles à obtenir. Mais vous allez
vouloir plus que des histoires pour définir votre design de vie. Vous
allez vouloir faire l’expérience concrète de « ce » que c’est vraiment –
en regardant d’autres le faire ou, encore mieux, en le faisant vous-
même. Les expériences prototypes perme ent d’apprendre par la
rencontre directe d’une possible version future de nous-même. Ce e
variante expérimentale peut consister à suivre pendant une journée le
professionnel qu’on aimerait être (sur le mode « J’emmène un ami au
travail ») ou passer une semaine non rémunérée à travailler sur un
projet exploratoire que vous avez défini ou encore un stage de trois
mois (clairement, un stage de trois mois demande un inves ssement
plus important et un engagement plus fort). Si vous avez eu un bon
nombre de conversa ons prototypes du type interview design, vous
aurez rencontré des gens que vous aimeriez suivre ou observer. Vous
devriez donc être capable de varier les prototypes. Il vous suffit de
demander – et souvenez-vous, les gens aiment rendre service. La
plupart de ceux avec qui nous travaillons sont surpris à quel point
leurs interviews design se passent bien. Les gens qu’ils rencontrent
ont vraiment l’air d’apprécier. Suivre quelqu’un dans son travail, c’est
lui demander une faveur bien plus grande qu’une demi-heure autour
d’un café, mais après une douzaine de ces conversa ons prototypes,
vous serez prêt(e) à demander davantage. Essayez – même s’il vous
faut réessayer plusieurs fois. Vous apprendrez beaucoup.
Trouver des expériences prototypes concrètes, où on vous donne
quelque chose à faire, pas seulement écouter ou regarder, est encore
plus difficile. Mais ça vaut largement le coup de vous salir les mains
pour élucider réellement si quelque chose vous convient. On n’achète
pas une voiture sans l’essayer, n’est-ce pas ? Pourtant, nous faisons
cela sans cesse avec nos emplois et nos changements de vie. C’est
fou quand on y songe. Souvenez-vous de tout ce qu’Élise aurait pu
essayer avant d’ouvrir son épicerie – s’essayer comme traiteur ou
comme serveuse ? Voilà le genre d’idées que vous cherchez.
Concevoir des expériences prototypes comme celles-là, c’est un vrai
travail de design, qui va vous demander d’avoir beaucoup d’idées.
C’est donc un excellent moment pour vous présenter le brainstorming
design – une technique collabora ve pour trouver des tas d’idées.
Voici.
EXPÉRIENCES PROTOTYPES DE
BRAINSTORMING
Reprenez les projets d’Odyssée du chapitre précédent. Nous espérons
qu’ils ont donné naissance à de futures versions de vous-même que
vous aimeriez explorer et que vous avez à présent des ques ons qui
appellent des réponses. Qu’est-ce que ça fait de travailler dans une
pe te boîte après des années passées chez Énorme Interna onal ?
Quelle différence entre diriger à plein temps une ferme bio et y
travailler comme volontaire pendant un été ? À propos, un vendeur,
qu’est-ce que ça fait toute la journée ? Regardez de plus près le projet
d’Odyssée qui était le plus cohérent, le plus enthousiasmant et pour
lequel vous vous sentez assez confiant(e). Quelles ques ons vous
posez-vous ? Qu’aimeriez-vous mieux comprendre en faisant des
prototypes ?
Voilà le défi que nous allons relever en faisant des brainstormings sur
des idées prototypes.
À peu près tout le monde a déjà par cipé à un « brainstorming ». C’est
un de ces mots dont on use et abuse pour tout décrire, depuis un
exercice structuré de créa vité au fait de passer un moment dans une
pièce à lancer des idées. Le brainstorming, une technique pour
générer beaucoup d’idées créa ves et originales, a été décrit pour la
première fois par Alex Osborn dans un livre publié en 1953, Applied
Imagina on (traduit en 1956 sous le tre L’Imagina on construc ve). Il
y décrivait une méthode pour générer des idées qui reposait sur deux
règles : générer beaucoup d’idées sans se préoccuper de leur qualité
et suspendre son esprit cri que pour que les par cipants ne se
censurent pas. Depuis ce e première descrip on, le brainstorming
s’est popularisé comme moyen de générer des idées et de trouver des
innova ons ; il a revêtu bien des formats, mais tous respectent les
deux règles d’Osborn.
Le format le plus courant, c’est le brainstorming en groupe. Un groupe
de personnes, généralement quatre à six, se rassemble, choisit une
ques on ou un problème sur lesquels focaliser la réflexion commune,
avant de passer entre 20 minutes et une heure à générer autant
d’idées que possible pour résoudre le problème posé. L’objec f est
d’obtenir des idées dont on peut rer des prototypes qui seront
testés dans le monde réel.
Pour un brainstorming, il faut un groupe de gens bien inten onnés
qui ont une certaine pra que de la technique. Il n’est pas facile de
trouver de bons par cipants, mais quand un bon groupe est formé, on
peut bien progresser dans la généra on d’idées de design de vie, dont
on pourra faire des prototypes par la suite. Comme les grands
improvisateurs de jazz, les bons par cipants apprennent à se focaliser
sur un sujet, mais peuvent aussi se laisser aller, être dans l’instant et
improviser, trouver des idées réellement originales. Cela demande de
l’entraînement et de l’a en on, mais une fois qu’on maîtrise le
brainstorming design, on ne risque plus jamais de manquer d’idées.
Le brainstorming design se déroule en quatre étapes, selon une
approche très structurée pour trouver beaucoup d’idées de
prototypes. Généralement, si vous animez le groupe, vous aurez déjà
cadré le sujet du brainstorming. L’équipe ne doit pas comporter moins
de trois personnes et rarement plus de six, tous volontaires. Une fois
que le groupe est réuni, la séance se déroule comme suit.
2. S’échauffer
Les gens ont besoin de faire une transi on entre leur journée de
travail trépidante, d’un rendez-vous à l’autre, et l’état d’a en on,
détendue et créa ve, propice à une par cipa on u le. Ils ont besoin
qu’on les y aide par une ac vité transitoire qui fait passer leur esprit
d’un mode cri que/analy que à un mode ouvert/synthé que. C’est
un problème entre le corps et l’esprit et il faut une certaine pra que
pour bien opérer ce e transi on. Un bon animateur prend les rênes
de la séance pour s’assurer que tout le monde s’est échauffé et se
sent d’humeur créa ve. C’est essen el pour que le brainstorming soit
plein d’énergie et génère beaucoup d’idées.
Sur notre site www.designingyour.life, vous trouverez une série
d’exercices et de jeux d’improvisa on que nous u lisons tout le temps
avec nos élèves. Voici une pe te idée qui marche toujours : donnez à
chaque membre du groupe une boîte de pâte à modeler. Bill vit une
histoire d’amour avec la pâte à modeler depuis l’époque où il
travaillait pour la compagnie de jouets Kenner Products ; c’est un
matériau magique qui transforme les adultes en enfants. Si vous
laissez les par cipants jouer avec pendant la séance, nous vous
garan ssons que vous ob endrez plus d’idées et qu’elles seront
meilleures.
3. Le brainstorming lui-même
Comme nous l’avons dit au départ, pour un bon brainstorming, il faut
un animateur. C’est lui qui installe la pièce, s’assure qu’il y a du papier,
des post-its et des stylos pour tout le monde et que l’espace est
calme et confortable. L’animateur aide aussi à formuler la ques on,
dirige l’échauffement, s’assure que tout ce qui est dit est bien
enregistré et fait respecter les règles.
Nous recommandons que chaque par cipant ait de quoi écrire pour
noter ses idées. De ce e façon, le groupe n’est pas tributaire de la
vitesse à laquelle l’animateur note les idées et il y a moins de chances
qu’une bonne idée se perde.
RÈGLES DU BRAINSTORMING
1. On vise la quan té, pas la qualité.
2. On suspend tout esprit cri que et on ne censure pas les idées.
3. On construit à par r des idées des autres.
4. On encourage les idées folles.
• La plus excitante ;
• Celle qu’on ferait si l’argent ne comptait pas ;
• L’outsider – ça ne marchera probablement pas, mais dans le cas
contraire… ;
• Celle qui a le plus de chances de mener à une super vie ;
• Si on pouvait se dispenser des lois de la physique…
Une fois qu’on a voté, on débat de celles qui ont été sélec onnées, on
les regroupe si on peut et on les reformule à nouveau ; on décide
ensuite celle qui va servir au premier prototype.
À la fin de ce processus en quatre étapes, l’objec f est de dire quel
que chose comme : « Nous avons eu 141 idées, nous les avons
regroupées en six catégories et, par rapport à notre ques on de
départ, nous en avons sélec onné huit géniales pour faire des
prototypes ; enfin, nous les avons classées par ordre de priorité et
notre premier prototype est… ». Souvent, on peut revenir un peu sur
une des idées folles pour la transformer en grande idée. Imaginons
par exemple qu’il soit sor du brainstorming de Clara l’idée folle
de « Rencontrer cent donateurs à des associa ons de défense des
femmes ». Clara aurait pu se dire que cent rendez-vous, c’était plus
qu’elle n’était capable d’en obtenir, mais l’idée de s’ouvrir l’accès à un
large champ d’expérience et de capacité de recul était séduisante – et
pouvait donner d’idée de chercher un groupe de donateurs – ce qui
est exactement ce qu’elle trouva avec la Fonda on des femmes
californiennes.
Si vous suivez les quatre étapes et obtenez des résultats comme
ceux-là, vous n’aurez pas perdu votre temps avec ce brainstorming
design. Il génèrera de l’énergie et lancera une dynamique vers votre
objec f de trouver des expériences prototypes. C’est un exercice que
vous pouvez u liser avec des gens en qui vous avez confiance chaque
fois que vous avez besoin d’idées, du sou en d’une communauté ou
juste d’un peu plus de fun dans votre vie.
Une excellente façon de le faire serait de combiner la réunion de
présenta on de vos projets d’Odyssée (décrite au chapitre 5) avec
une expérience prototype de brainstorming. Les gens avec qui vous
travaillez passeront un bien meilleur moment s’ils peuvent non
seulement réagir à vos idées, mais aussi contribuer directement à
votre design de vie, avec des idées et des exemples réalisables de
prototypes.
À vous de jouer
Prototypes
Ce poste n’est pas pour les pe tes natures et seuls ceux qui ont
démontré leur capacité de réussite doivent se porter candidats.
Nous appelons celle-là la men on « Il faudrait être fou pour faire ce
travail ». Elle signifie en réalité « C’est un boulot nul, et seuls les gens
qui ont survécu à des boulots nuls devraient se porter candidats ».
LE SYNDROME DU SUPER-POSTE
Nous avons constaté que les annonces requièrent fréquemment des
qualifica ons que les gens en poste n’ont absolument pas. C’est la
version managériale de prendre ses espoirs pour des réalités, elle
sévit partout. En gros, le processus se déroule comme cela :
Jane (employée démissionnaire) était une excellente ges onnaire de
projet, mais, bon sang, j’aurais aimé qu’elle soit meilleure à X, Y et Z.
Maintenant qu’elle est par e, postons une offre pour une « Super
Jane » et faisons la liste de tout ce que faisait Jane, plus toutes les
choses qu’on aurait aimé qu’elle fasse, et espérons que ça marche.
La descrip on du super-poste est mise en ligne, des CV sont collectés
dans une recherche par mots-clés et les candidats sont
présélec onnés par téléphone. Des entre ens sont organisés et les
candidats sont éliminés un par un parce qu’ils n’ont pas le profil d’une
« Super Jane ». D’autant plus que personne correspondant à la
nouvelle descrip on du poste n’acceptera de travailler pour le salaire
de Jane. Le processus est faussé au départ – il épuise l’équipe chargée
du recrutement comme les candidats et, à la fin, personne n’est
embauché.
En tant que chercheur d’emploi, il faut élucider au plus tôt si on est
embringué dans un processus de ce type.
Une façon de le savoir, c’est de faire quelques recherches pour voir
depuis combien de temps le poste est ouvert. Dans un marché du
travail sain, une offre ne devrait pas être accessible plus de quatre
semaines (six maximum).
Une autre méthode consiste à savoir combien de personnes ont déjà
passé un entre en. Ces deux données donnent une idée de ce qui se
passe en coulisses. Elles sont étonnamment faciles à se procurer. Il
suffit de demander à une des personnes qui fait passer les entre ens.
S’ils sont dans ce e situa on, ils savent que quelque chose ne va pas,
ils sont frustrés et il est probable qu’on vous le dira. Ils confesseront
peut-être qu’ils songent eux-mêmes à s’en aller. Ça arrive plus
souvent qu’on ne croit !
Nous avons constaté que, si plus de huit personnes ont déjà été
passées à ce e mouline e et qu’aucune décision n’a été prise, il y a
probablement quelque chose qui ne va pas dans le processus de
recrutement. C’est le signe que l’entreprise n’est probablement pas un
très bon endroit où travailler et qu’il faut rapidement chercher
ailleurs.
Si le job de vos rêves ne vous a end pas sur le pas de la porte quand
vous rentrez chez vous, où le trouver ? D’abord, soyons clairs, le job
de vos rêves n’existe pas. Pas de licorne. Rien d’offert. Ce qu’on peut
trouver, ce sont des tas d’emplois intéressants dans des organisa ons
valables composées de gens travailleurs et dévoués qui essaient de
faire de leur mieux. Il y a de bons emplois dans de bonnes entreprises
avec de bons collègues, dont au moins quelques-uns que vous pouvez
rendre assez parfaits pour aimer les occuper. Voilà les « jobs de rêve »
que nous pouvons vous aider à trouver, mais vous ne pouvez voir
quasiment aucun d’entre eux, parce qu’ils font par e de la par e
cachée du marché du travail.
Comme nous l’avons dit plus tôt, nous ne recommandons pas de
chercher un emploi sur Internet. En fait, aux États-Unis, seuls 20 %
des emplois disponibles sont publiés sur Internet – et même publiés
tout court. Ça signifie que quatre emplois vacants sur cinq ne sont
pas accessibles par le modèle standard de recherche. Un chiffre
considérable ; pas étonnant qu’autant de gens se sentent frustrés et
rejetés quand ils sont à la recherche d’un emploi.
Comment pénétrer sur ce marché caché de l’emploi ? Eh bien, on ne
peut pas. Personne ne le peut. « L’entrée sur le marché caché de
l’emploi », ça n’existe pas. Le marché caché de l’emploi, c’est le marché
de l’emploi qui n’est ouvert qu’aux gens qui sont déjà connectés au
réseau de rela ons professionnelles au sein duquel cet emploi réside.
C’est un jeu d’ini és et il est pra quement impossible d’y entrer en
tant que chercheur d’emploi. Mais il est tout à fait possible de
pénétrer ce réseau en tant qu’observateur sincèrement intéressé –
quelqu’un qui s’intéresse à ce e histoire (pas à ce poste). Voilà
comment ça marche. C’est un merveilleux hasard que la meilleure des
techniques pour savoir quel genre de travail vous pourriez avoir envie
de faire (réaliser des interviews design prototypes, voir chapitre 6)
soit aussi la meilleure, sinon la seule, façon d’entrer sur le marché
caché du domaine qui vous intéresse, une fois que vous savez ce que
vous voulez. Kurt – celui qui avait un master de Yale et de Stanford et
trente-huit candidatures soignées pour zéro offre d’emploi – était
démoralisé par son manque de réussite avec les méthodes de
recherche tradi onnelles. Comprenant qu’il était temps d’appliquer la
pensée design à sa recherche d’emploi, Kurt cessa d’envoyer sa
candidature et commença à réaliser des interviews design. Il eut
cinquante-six véritables conversa ons prototypes avec des gens qu’il
avait vraiment envie de rencontrer. Ces cinquante-six conversa ons
débouchèrent sur sept proposi ons d’emploi de grande qualité et un
emploi de rêve (un vrai, pas un imaginaire) – qu’il ob nt. Il travaille
désormais à plein temps pour une société avec des horaires flexibles,
proche de chez lui, une bonne rémunéra on et un travail qui a du
sens pour lui, dans le secteur du design durable. Et ces sept
proposi ons, il les a obtenues non pas en demandant un job, mais en
demandant aux gens l’histoire de leur vie – cinquante-six fois.
Rappelez-vous, tout ce qu’on cherche dans une interview design (en
tant que conversa on prototype), c’est d’en savoir plus sur un mé er
ou un poste par culier, pour savoir si l’on aura envie, plus tard, de
faire soi-même un travail similaire. Quand on mène ce e
conversa on, on n’essaie vraiment pas d’obtenir un emploi – juste une
histoire. « A endez une minute », vous exclamez-vous alors. « Vous
venez juste de me dire comment Kurt a reçu sept proposi ons en
cinquante-six interviews design. Comment est-ce arrivé ? Comment
passe-t-on d’une histoire à un job ? » Bonne ques on. Et ques on
importante. La réponse est étonnamment simple.
La plupart du temps, la personne qui vous parle le fait pour vous.
« Kurt, tu as l’air très intéressé par ce que nous faisons ici et, de ce
que tu m’as dit jusque-là, il semble que tu aies des compétences que
nous pourrions u liser. As-tu déjà pensé à travailler dans une boîte
comme celle-ci ? »
Plus de la moi é du temps, quand l’approche que nous
recommandons déclenche une proposi on, elle vient d’eux. Vous
n’avez pas à le faire. S’ils ne le font pas, vous pouvez poser une
ques on qui fera basculer la conversa on de leur histoire à une
recherche d’emploi.
« Plus j’en apprends sur XYZ Environnement et plus je rencontre les
gens d’ici, plus ça m’intéresse. Je me pose la ques on, Allen, quel
serait le cheminement pour que quelqu’un comme moi fasse par e de
ce e organisa on ? »
C’est tout. Aussitôt que vous posez la ques on : « Quel serait le
cheminement pour que quelqu’un comme moi fasse par e de ce e
organisa on ? », Allen sait qu’il est temps de changer de régime et de
vous envisager comme un candidat possible. Ça signifie que son
esprit cri que va se me re en branle, mais c’est normal. Ça doit bien
finir par arriver, donc, quand c’est le bon moment, foncez.
Remarquez bien qu’il ne s’agit pas de dire : « Wow, c’est génial ici !
Vous cherchez quelqu’un ? ». Pour les raisons que nous avons
exprimées plus tôt, la réponse est probablement « non ». « Quel serait
le cheminement pour… » est une ques on ouverte (qui n’a end pas
une réponse par oui ou par non) et qui invite à des perspec ves plus
lointaines que ce qui est simplement vacant aujourd’hui. Et si vous la
posez à quelqu’un comme Allen, avec qui vous avez établi une
connexion et chez qui vous avez éveillé une certaine a en on, nous
espérons qu’il va vous faire une réponse sincère, mais bien
inten onnée. Dans certains cas, Allen pourrait même dire : « Non, il
n’y a rien chez nous pour le moment, mais je crois que tu pourrais très
bien t’intégrer chez un de nos partenaires. Tu as déjà rencontré des
gens chez Green Space ? Je crois que ce qu’ils font te plairait ».
Ça arrive. Tout le temps.
À propos, pour six des sept sociétés dont Kurt a reçu une proposi on,
il n’a pas eu à demander. Il a simplement recueilli les histoires des
gens qu’il interviewait et ils lui ont posé la ques on. Toutes ces
proposi ons sauf une ne furent pas publiées sur les sites
d’annonces – accessibles seulement sur le marché caché de l’emploi.
Le poste publié fut finalement celui qu’il choisit. Mais l’annonce
n’avait été publiée qu’après qu’il eut pris rendez-vous avec le PDG
pour une interview design ; un entre en qui se passa si bien que
quand l’annonce fut publiée, l’affaire était déjà pliée.
Oh, encore un pe t détail à propos de Kurt. Le dernier entre en avec
la société pour laquelle il travaille désormais se déroulait avec les cinq
membres du comité de direc on. Leur première ques on
fut : « Pensez-vous que vous puissiez efficacement établir une
rela on de partenariat entre les différents acteurs de l’architecture
durable ici ? Après tout, vous venez juste de vous installer en
Géorgie ». En regardant les gens autour de la table, Kurt avait eu
l’heureuse surprise de reconnaître trois des cinq membres du bureau,
pour avoir pris un café avec eux. Il répondit : « Eh bien, j’ai déjà réussi
à rencontrer trois d’entre vous. Je serais ravi de con nuer à faire ce
genre de rencontres au nom de ce e organisa on ». Ouais – il a réussi
son entre en. Mais avant cela, il avait dû faire beaucoup d’efforts
pour se bâ r un réseau.
CONSTRUIRE UN RÉSEAU
Quand Kurt s’est vraiment mis au travail pour réaliser ses interviews
prototypes, il a dû joindre toutes sortes de gens pour récolter les
connexions et les recommanda ons qui lui perme raient d’entrer en
contact avec les gens qu’il avait besoin de rencontrer. Pour obtenir
ces recommanda ons, Kurt a dû se bâ r un « réseau ». Il a dû faire
appel à ses contacts et aux contacts de ses contacts ; il a même dû
faire appel à des inconnus, iden fiés sur le net. Il a ensuite demandé à
ces personnes à qui il devrait s’adresser – quelles histoires il devait
entendre pour en savoir plus sur l’architecture durable dans la région
d’Atlanta. Ce fut difficile. Certainement pas la par e la plus agréable
du processus pour Kurt (pour personne, en fait), mais ça a fonc onné.
Et c’est absolument indispensable.
Bon, des tas de gens éprouvent une aversion ins nc ve pour le mot
« réseau ». Il évoque des gens faux et intéressés, qui manipulent les
autres pour obtenir des choses qu’ils ne méritent pas ou des
bonimenteurs qui font semblant de s’intéresser à quelqu’un dans le
seul but de l’u liser pour avoir accès à quelqu’un d’autre. Ce e
mauvaise image est tenace, renforcée par de nombreux personnages
de films et de romans et par beaucoup trop de personnes réelles que
nous avons rencontrées ou dont nous avons entendu parler. La bonne
nouvelle, c’est que même si ces stéréotypes ne sont pas sans
fondements, ils sont largement minoritaires. Voyons si nous pouvons
vous rendre la tâche plus facile en proposant une autre image des
réseaux (un recadrage).
12. h ps://test.naceweb.org/press/faq.aspx
CHAPITRE 9
Choisir le bonheur
D essiner son i néraire professionnel et sa vie requiert non
seulement de s’ouvrir à un vaste choix, à de belles alterna ves,
mais aussi à une capacité à faire les bons choix et à bien vivre ces
choix, avec confiance ; ça signifie qu’on les accepte et qu’on ne doute
pas de soi-même. Peu importe d’où on part, à quelle étape de sa vie
ou de son i néraire professionnel on se situe, qu’on es me être dans
une situa on favorable ou difficile, nous parierions notre dernier sou
qu’il y a un but que nous avons tous dans la vie :
Le bonheur.
Qui n’a pas envie d’être heureux ? Nous voulons être heureux, nous
voulons que nos élèves soient heureux et que vous soyez heureux.
Dans le design de vie, être heureux, c’est choisir le bonheur.
Choisir le bonheur, ça ne veut pas dire claquer des doigts en
souhaitant se retrouver dans son pe t coin de bonheur. Le secret du
bonheur dans le design de vie, ce n’est pas faire le bon choix ; c’est
apprendre à bien choisir.
On peut faire tout le travail du design de vie – avoir des idées, tester
des prototypes, agir – qui fait naître des op ons plaisantes, mais ça
ne garan t pas qu’on sera heureux et qu’on ob endra tout ce qu’on
veut. Peut-être, mais peut-être pas. Nous disons « peut-être » parce
que, dans le fait d’être heureux et d’obtenir ce qu’on veut, il ne s’agit
pas des risques à venir, ni de l’inconnu, ni de savoir si on a fait les
bons choix ; il s’agit de la façon dont on choisit et comment on vit ces
choix une fois qu’ils sont faits. Tous vos efforts peuvent être anéan s
par un mauvais choix. Pas tant en choisissant mal (c’est un risque,
mais franchement, pas très grand et en général, on s’en remet) qu’en
vous trompant sur ce que vous pensez de votre choix. Choisir de
façon design, bonne, saine, intelligente, est essen el pour être
heureux au bout du compte. Beaucoup de gens choisissent sans tenir
compte de leurs connaissances les plus importantes, ce qui les
empêche d’être heureux de leurs choix après coup. Nous observons
cela en permanence et les études le confirment : beaucoup de gens
s’assurent d’être malheureux parce qu’ils abordent mal ce e étape
primordiale du design qu’est le choix.
Quelques semaines plus tard, dans le même magasin et sur une durée
similaire, les chercheurs sont revenus avec vingt-quatre confitures.
Ce e fois, 60 % des clients du magasin se sont arrêtés – soit une
hausse de 50 % par rapport aux 6 pots ! Mais, face aux 24 pots, seuls
3 % en ont acheté un.
Que nous apprend ce e étude ? D’abord, que nous adorons avoir le
choix (« Wow ! Vingt-quatre confitures ? ! Allons voir ! ») et ensuite,
que nous ne savons que faire face à un choix trop important (« Hum…
il y en a tellement… impossible de décider ; je vais plutôt prendre du
fromage »). En fait, notre esprit ne parvient généralement à choisir
efficacement que parmi trois à cinq op ons. Dès qu’on dépasse ce
nombre, la capacité à choisir commence à faiblir – et si on va bien au-
delà, elle se bloque complètement. Tel est le fonc onnement de notre
cerveau. Avoir le choix nous plaît et la société moderne l’idolâtre par
principe. Mul plie les pistes ! Laisse-toi le choix ! Ne te laisse pas
enfermer ! On entend ça tout le temps et ça paraît sensé, mais on
peut être totalement dépassé par ce raisonnement. Quand on
rajoute à ça Internet et la possibilité d’être au courant de tous les faits
et idées du monde en une demi-seconde par une recherche sur
Google, la plupart d’entre nous se sentent dépassés.
La clé, c’est de prendre conscience que, si on a trop d’op ons, c’est
comme si on n’en avait pas. Quand on est pétrifié par une liste de
possibilités trop impressionnante, c’est comme si rien n’était possible.
Souvenez-vous qu’une possibilité ne crée véritablement de valeur
dans notre vie que lorsqu’on la choisit et qu’on la réalise. Nous
apprenons souvent à nos élèves que lorsqu’une possibilité grandit,
elle devient un choix. Donc, quand on a le choix entre vingt-quatre
confitures différentes, en fait, on n’a pas le choix. Comprendre que, en
ma ère de choix, vingt-quatre égale zéro (et c’est sacrément dur à
avaler quand on a travaillé dur pour les trouver et qu’on les aime
toutes), permet de passer à l’étape suivante : resserrer la liste.
Alors, que faire exactement face à un choix trop vaste ? C’est simple.
On se débarrasse de certaines op ons. D’abord, s’il s’avère que
plusieurs peuvent se rassembler en catégories, on divise sa liste en
plusieurs sous-listes. Ça peut aider à trouver la meilleure possibilité
dans chacune. Mais quand on se retrouve en situa on d’embarras du
choix, il faut se débarrasser d’un bon paquet de confitures.
Comment ? Simplement en les rayant de sa liste.
Si vous avez une liste de douze pistes possibles, barrez-en sept, avant
de réécrire votre liste avec les cinq qui restent, puis passez à l’étape
trois.
C’est une idée qui fait frémir la plupart de nos élèves et de nos
clients.
« On ne peut pas rayer des pistes comme ça ! »
« Et si je raye la mauvaise ? »
Nous comprenons. Mais nous ne plaisantons pas – vous les rayez,
c’est tout. Souvenez-vous, avoir trop de possibilités, c’est comme n’en
avoir aucune ; donc vous n’avez rien à perdre. Et vous ne rayerez pas
la mauvaise. Nous appelons ça l’Effet pizza-chinois. Nous le
connaissons tous. Ed passe la tête dans le bureau pour dire : « Hé
Paula, on va déjeuner. Tu viens avec nous ? ».
« Bien sûr ! »
« On hésite entre une pizza et un chinois – tu as une préférence ? »
« Non, ça m’est égal ! »
« OK, alors pizza. »
« Non, a ends. Je préfère chinois ! »
Dans ce e situa on, en donnant votre première réponse (« Ça m’est
égal »), vous é ez sûr(e) de vous. Vous ne saviez pas que vous aviez
une préférence jusqu’à ce qu’une solu on non désirée s’impose
comme un fait accompli. C’est seulement là que vous avez pris
conscience de votre préférence. C’est pourquoi vous n’avez rien à
perdre à raccourcir votre liste. Si vous rayez les mauvaises op ons,
vous vous en rendrez compte. Il vous faudra peut-être rayer sept
op ons parmi les douze et réécrire une nouvelle liste de cinq pour
vous en rendre compte, mais, si elle n’est pas bonne, vous le saurez.
Croyez-nous quand nous vous disons de vous faire confiance. Et si
vous découvrez que vous n’êtes toujours pas capable de choisir parmi
les cinq restantes, cela peut tenir à deux raisons très différentes. La
plus commune, c’est que vous êtes encore en train de regre er les
sept autres et que vous n’arrivez pas à lâcher prise. Si c’est le cas,
faites ce qu’il faut pour raccourcir votre liste. Brûlez la liste des sept
rejetées, faites autre chose pendant un jour ou deux, puis revenez à
votre liste de cinq et traitez ce e liste comme LA liste (et non comme
la liste raccourcie), mais avancez. Si, malgré tout cela, vous n’arrivez
pas à choisir parmi les cinq parce qu’aucune préférence ou différence
ne se dégage ne ement, vous avez gagné ! Vous venez de réaliser
que vous é ez dans une situa on forcément gagnante. Ces cinq
op ons sont toutes bonnes pour vous, rien ne les distingue vraiment
les unes des autres. Vous pouvez maintenant choisir en fonc on de
critères secondaires (la route est plus facile, le logo est cool, ça fera
un truc plus sympa à raconter dans les soirées).
Le but, c’est que vous qui ez le magasin avec un pot de confiture.
GNOQUER
Dans En terre étrangère, classique de la science-fic on des années
1960, Robert Heinlein inventa le verbe « gnoquer15 » pour décrire un
mode de connaissance u lisé par les Mar ens. Ça signifie
comprendre une chose en profondeur et en totalité, au point de ne
faire qu’un avec ce e chose. En raison de sa rareté, les Mar ens ne se
contentent pas de comprendre ce qu’est l’eau, ou de la boire : ils la
gnoquent. En anglais, le mot « grok » est entré dans le vocabulaire
courant – façon de souligner qu’on « pige » ou qu’on « capte ».
Quand on en arrive finalement à choisir parmi une liste courte de
possibilités, qu’on a évalué sur le mode cogni f les problèmes liés à
chacune, qu’on a scruté les op ons de façon affec ve ou médita ve,
il est peut-être temps de les gnoquer. Pour gnoquer un choix, on ne
réfléchit pas : on devient ce choix. Me ons que vous ayez trois
possibilités. Choisissez n’importe laquelle et cessez d’y réfléchir.
Pendant une période d’un à trois jours, pensez que vous êtes la
personne qui a pris la décision de choisir l’op on A. L’op on A est
désormais votre réalité. Quand vous vous lavez les dents le ma n,
vous le faites en ayant choisi l’op on A. Quand vous pa entez au feu
rouge, vous a endez de repar r vers une des na on liée à l’op on A.
Vous pouvez en parler aux autres – genre « Oh oui, je m’installe à
Pékin en mai ! » –… Ou plutôt pas, en fait, parce que ces déclara ons
peuvent engendrer une certaine confusion. Mais vous voyez l’idée :
vous êtes dans votre tête la personne qui vit la réalité de l’op on A.
Vous n’êtes pas en train de réfléchir à l’op on A, depuis votre réalité
actuelle, comme quelqu’un confronté à un choix difficile. Vous vivez
tranquillement comme quelqu’un qui a choisi A. Après un à trois jours
comme ça (la durée dépend de vous et de vos goûts), redevenez vous-
même au moins un jour ou deux. Puis faites la même chose avec
l’op on B, puis une nouvelle pause avant l’op on C. Nouvelle pause
ensuite, pour redevenir vous-même et enfin, une réflexion sérieuse
sur les enseignements de ces expériences : laquelle de ces personnes
seriez-vous le plus volon ers ? Ce e technique n’est pas garan e
(dans ce domaine, aucune ne l’est), mais l’inten on est ici de
perme re à vos modes de connaissance alterna fs – affec f, spirituel,
social, intui f – de pouvoir s’exprimer et compléter vos données
cogni ves qui, si vous êtes comme la majorité d’entre nous, dominent
vos pensées et vos choix.
13. Peter Salovey et John D. Mayer, « Emo onal Intelligence », Imagina on, Cogni on and
Personality 9 (1990), pp. 185-211.
14. Daniel Goleman, L’intelligence émo onnelle (Robert Laffont, 1997) et sa suite, Cul ver
l’intelligence rela onnelle (Laffont, 2009), d’où nous avons ré l’idée de « sagesse des
émo ons ».
15. To « grok » (Stranger in a Strange Land, Robert Heinlein, 1961) (N.d.T)
16. Pour en savoir plus sur les idées de Dan Gilbert, voir le TED Talk « The Surprising Science
of Happiness » (L’étonnante science du bonheur),
h ps://www.ted.com/talks/dan_gilbert_asks_why_are_we_happy/ et lire Et si le bonheur vous
tombait dessus (Laffont, 2007).
17. Pour en savoir plus sur les idées de Barry Schwartz, voir le TED Talk « The Paradox of
Choice » (Le Paradoxe du choix),
h ps://www.ted.com/talks/barry_schwartz_on_the_paradox_of_choice.
CHAPITRE 10
L’ÉCHEC INFINI
Nous avons bon espoir que vous comprenez désormais que faire des
prototypes pour dessiner sa vie est une excellente façon de réussir
plus vite (pour les choses importantes) en échouant plus souvent
(dans les pe tes expériences d’appren ssage, moins exposées). Une
fois qu’on est passé plusieurs fois par ce cycle de prototypes itéra fs,
on commence à vraiment apprécier le processus d’appren ssage via
les rencontres prototypes que d’autres pourraient appeler échecs. Par
exemple, un jour avant le démarrage de notre cours Designing Your
Life, Dave a fait une grosse modifica on sur un des exercices prévus.
Il avait eu une idée et voulait essayer. Il n’avait pas eu le temps de
prévenir Bill, qui découvrit cela en même temps que les étudiants.
Quand Dave eut présenté l’exercice (encore jamais testé) et alors que
les élèves y travaillaient, Bill alla voir Dave pour lui dire : « C’est
parfait ! J’adore l’idée que tu veuilles te planter lamentablement
devant quatre-vingts étudiants ! Je ne sais absolument pas si cet
exercice va marcher, mais j’adore la façon dont tu en fais un
prototype ! ». Dave et Bill en sont arrivés à faire une telle confiance au
processus de design qu’ils ne parlent même jamais de la bonne façon
de mener leur cours. Quand on maîtrise vraiment la pensée design, on
finit par tout penser différemment.
Le premier niveau d’immunité contre l’échec, c’est le biais vers l’ac on
et le fait d’être si clairement convaincu de la valeur éduca ve d’un
échec qu’on n’en sent plus la piqûre (et bien sûr, on re rapidement
les enseignements de cet échec pour s’améliorer). À propos, l’exercice
en cours se passa bien, mais nous avons décidé par la suite de le
balancer pour revenir à la version précédente, plus efficace. Quel
succès !
Il y a un autre niveau d’immunité que nous appelons l’immunité
contre les échecs graves et qui vient de la compréhension du grand
recadrage de la pensée design. Vous êtes prêt(e) ? Dessiner sa vie,
c’est la vie elle-même, parce que la vie est un processus, pas un
abou ssement.
Si vous comprenez ça, vous avez tout compris.
ÊTRE ET FAIRE
Pendant des millénaires, deux no ons se sont affrontées : celle de se
considérer comme un être humain (plus répandue dans les cultures
orientales), ou comme un acteur (plus répandue dans les cultures
occidentales). Être ou faire ? Le véritable moi intérieur ou le moi
extérieur, ac f et performant ? Lequel sommes-nous ? Selon le design
de vie, c’est une mauvaise dichotomie. Puisque la vie est un méchant
problème qu’on ne « résout » jamais, on se concentre simplement sur
le fait d’être meilleur à vivre sa vie en avançant pas à pas. Le
diagramme suivant est, selon nous, une meilleure façon d’envisager le
processus :
Là, vous vous dites peut-être que c’est bien joli, mais que dans le vrai
monde, ce n’est pas si simple. Nous croyons vraiment (nous l’avons vu
chez d’autres et vécu nous-mêmes) qu’on peut recadrer ses échecs
pour mener une vie plus heureuse et plus gra fiante. Il ne s’agit pas
d’une simple adapta on de la pensée posi ve ; c’est un ou l de
design, indispensable au design de vie.
L’échec est la ma ère première du succès. On se plante tous ; on a
tous des faiblesses ; on a tous des crises de croissance. Et nous avons
tous en nous au moins une histoire de recadrage, un changement de
point de vue, où nous avons perçu un échec comme la meilleure
chose qui pouvait nous arriver.
On connaît tous des histoires de rédemp on. Une vie parfaitement
planifiée, sans aucune surprise, qui ne met jamais en difficulté, est
une vie parfaitement ennuyeuse, pas une vie bien dessinée.
Acceptez les défauts, les faiblesses, les gros ratages et toutes les
choses qui se sont produites sur lesquelles vous n’aviez aucun con-
trôle. C’est tout ce qui rend la vie digne d’être vécue, et d’être
dessinée.
Il suffit de demander à Reed.
18. Les recherches d’Angela Duckworth sont résumées dans un excellent ar cle de Daniel J.
Tomasulo, « Grit : What Is It and Do You Have It ? » (« La ténacité : qu’est-ce que c’est et en
avez-vous ? »), Psychology Today, 8 janvier 2014,
h ps://www.psychologytoday.com/blog/the-healing-crowd/201401/grit-what-is-it-and-do-
have-it.
19. James P. Carse, Jeux finis, jeux infinis (Seuil, 1988).
20. Na onal Football League.
À vous de jouer
Recadrer les échecs
Bâ r une équipe
L e design d’un projet, d’un produit ou d’un bâ ment est réussi
parce que c’est une équipe qui l’a fait naître. Les designers croient
à la collabora on sans réserve parce que le vrai génie est un
processus collabora f. Nous dessinons nos vies en collabora on et en
lien avec les autres, parce que nous est toujours plus fort que je –
c’est aussi simple que ça.
1. Respect ;
2. Confiden alité ;
3. Par cipa on (pas de retenue) ;
4. Produc vité (on est construc f, pas scep que ou cri que).
Principe à problème : J’ai fini mon design de vie ; le plus difficile est
fait, tout va être génial.
Recadrage : Mon design de vie n’est jamais terminé – la vie est un
projet de design joyeux et sans fin qui me fait avancer pas à pas.
Certains d’entre vous lisent ce livre pour améliorer une vie qui est
déjà pas mal ; d’autres parce qu’ils se trouvent en pleine transi on,
qu’elle soit voulue ou forcée par la réalité. Vous avez des plans à
exécuter, des choix à faire et après, votre vie sera très différente de ce
qu’elle est aujourd’hui. Dans ce sens, votre nouveau design sera en
place et l’ancien dépassé ; ce e bascule est indéniablement
importante. Vous pouvez le sen r. Mais votre design de vie n’est pas
achevé.
Du coup, si c’est en cherchant à vous orienter que vous avez trouvé le
design de la vie que vous avez envie de mener, c’est aussi la façon de
le vivre. Con nuez à avancer pas à pas. Le design n’est pas qu’une
technique pour résoudre des problèmes et des projets ; c’est un mode
de vie. Une des raisons pour lesquelles le design de vie a tellement
bien marché dans nos cours Designing Your Life et dans notre ac vité
de conseil, c’est parce qu’il est très humain. En 1963, quand le design
a commencé à être enseigné à Stanford, c’était avec l’approche
spécifique de concevoir un « design centré sur l’humain ». À l’époque,
cela s’écartait significa vement des méthodologies classiques du
design, centrées sur la technique, l’art, l’ingénierie ou l’industrie. Et les
premiers travaux pour développer une méthodologie du design à
Stanford ont remarquablement gardé l’humanité (aux deux sens du
terme) au centre de leurs efforts. Puisqu’une vie est décidément une
entreprise humaine, il est logique que le design centré sur l’humain s’y
applique bien.
De plus, dans le design de vie, on ne s’occupe que de la ques on de
comment on dessine sa vie – pas quelle vie il faudrait vivre ou
pourquoi une vie est meilleure qu’une autre.
Notre ami Tim est sor de l’université avec une licence en ingénierie
électrique pour aller travailler dans la Silicon Valley. Son premier
emploi fut dans une start-up dynamique qui venait d’entrer en
bourse, où il concevait des micro-processeurs de pointe. Mais,
lorsque son premier projet fut abandonné, Tim réévalua ses nuits et
ses week-ends de travail et en vint à la conclusion que son travail ne
serait pas le centre de sa vie. Il accordait plus de valeur au fun et à
l’amour et il comprit qu’il devait procéder à quelques changements.
Il alla travailler pour une société mieux établie, accéda à un poste
confortable de cadre et y resta. Cela fait maintenant près de vingt
ans, il est très respecté, c’est le gourou technique de l’entreprise et il a
refusé plusieurs fois des promo ons et les augmenta ons qui allaient
avec.
« Il faut gagner assez d’argent pour payer les factures et avoir ce dont
on a besoin », dit-il. Dans son cas, ça signifie subvenir aux besoins de
sa famille, s’assurer que ses enfants ont accès à une très bonne
éduca on et posséder une belle maison à Berkeley. « Après, à quoi ça
sert ? Je préfère m’amuser davantage et avoir plus d’amis. L’argent, les
promo ons et plus de responsabilités, ça ne me mo ve pas. Une belle
vie, c’est pouvoir être heureux, pas travailler. »
Le design de Tim fonc onne et c’est l’un des types les plus équilibrés
que nous connaissons. C’est un père merveilleux, il est au centre
d’une vie sociale ac ve, il a plein d’amis, joue de la musique presque
toutes les semaines, ent un blog sur les cocktails, où il détaille ses
propres rece es, il lit beaucoup et c’est l’une des personnes les plus
heureuses qu’on puisse rencontrer. Tous les témoins de son compteur
santé/travail/jeu/amour sont au vert et il entend bien qu’ils le restent.
Un exemple parfait de design de vie bien pensé où le travail n’est pas
la chose la plus importante.
SECOUER SA VIE
Certains des recadrages que nous proposons peuvent s’avérer
perturbants ; désapprendre est souvent plus difficile et plus important
qu’apprendre. Mais nous misons sur le fait que rien de ce que vous
avez appris ou désappris lors de votre séjour dans ce livre – aussi
perturbant, évident, agaçant ou éclairant que ce soit – ne fera de vous
une personne différente. Nous nous a endons à ce que vous soyez
davantage vous-même. C’est ce qu’un bon design fait toujours : il
libère le meilleur de ce qui existait déjà, a endant simplement d’être
révélé. Depuis sa créa on, notre méthodologie du design a toujours
été un processus explicitement humain, qui s’applique par itéra on.
C’est pourquoi il propose non seulement une approche innovante de
la concep on de la vie qu’on désire, mais aussi de la façon de mener
sa vie. Ce qui nous ramène aux cinq par s pris.
Dans ce livre, nous avons introduit l’idée de design de vie en donnant
cinq choses simples à faire : (1) être curieux (curiosité), (2) essayer
(par pris de l’ac on), (3) recadrer les problèmes (recadrage), (4) com
prendre qu’il s’agit d’un processus (prise de conscience) et (5)
chercher de l’aide (collabora on sans réserve). Nous vous avons
rappelé ces par s pris tout au long du livre en passant en revue les
différents idées et ou ls qui composent le design de vie.
On peut appliquer certains de ces cinq par s pris à presque tout, tous
les jours. Les occasions de se montrer curieux ou d’essayer des
choses sont infinies. Dans nos cours, nous proposons un exercice
appelé Dessiner son avenir, dans lequel nous demandons aux élèves
d’iden fier deux ou trois choses sur lesquelles ils sont bloqués, des
choses qui n’avancent pas. Nous leur demandons ensuite d’avoir des
idées pendant quatre minutes sur ce problème avec deux autres
étudiants qui les aideront à appliquer n’importe lequel des cinq par s
pris comme moyen de déblocage. Comment « être curieux » peut
vous aider à surmonter la peur de parler à une professeure lauréate
du Nobel qui enseigne dans votre classe ? Eh bien… vous pourriez :
demander à trois autres étudiants qui l’ont rencontrée de quoi ils ont
parlé et comment ça s’est passé ; regarder si elle parle de sa propre
expérience à l’université dans un ar cle ou une interview et si sa
personnalité à vingt ans avait quelque chose à voir avec la vôtre ;
trouver si certains de ses projets ont déjà échoué lamentablement (et
si c’est le cas, lesquels ?) pour la rendre plus humaine et moins
in midante. Etc. Il s’avère qu’appliquer n’importe lequel de ces par s
pris aide à se débloquer et à faire des progrès. C’est également vrai
pour la vie bien vécue dans laquelle vous vous engagez. Voici
quelques rappels pour chacun de ces par s pris.
Essayer. Avec le par pris de l’ac on, on n’est plus jamais bloqué –
plus d’inquiétude, d’analyses, de considéra ons ou de mystères de la
vie. Juste, faites-le.
Comment essayer ça avant la fin de la journée ?
Sur quoi aimerions-nous en savoir plus ?
Que puis-je faire pour répondre à ça ?
Qu’est-ce qui est faisable et, si on essayait, que pourrait-on
apprendre ?
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ISBN 978-2-8073-1621-8
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