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DE LA BÊTISE
› Jean-Paul Clément
Tous ont joué sur ce ressort comique de la bêtise, qui s’arme de bon
sens pour contester sourdement la condescendance prudhommesque
de ceux qui croient détenir la science infuse, pas de Diafoirus sans
Toinette !
En 1937, un grand écrivain autrichien prononça une conférence (2)
sur la bêtise dans cette Vienne « hydrocéphale » – après la stupide et
sanglante guerre de 1914-1918 et alors que montait en Allemagne le
nazisme (Hitler est devenu chancelier en 1933) – dépouillée de son
grand empire millénaire : Robert Musil. Jean-Paul Clément est écrivain et historien.
Né en Carynthie en 1880 et mort en Dernier ouvrage publié : Charles X. Le
1942 à Genève, écrivain, ingénieur, dernier Bourbon (Perrin, 2015).
essayiste, dramaturge au sein d’une nation expressionniste allemande,
Robert Musil est surtout connu pour les Désarrois de l’élève Törless
(1906) et pour son roman inachevé, l’Homme sans qualités, considéré
comme l’un des romans fondateurs du XXe siècle avec À la recherche
du temps perdu de Marcel Proust, et Ulysse de James Joyce.
L’écrivain Thomas Mann, un de ses lecteurs, y trouve exprimés en
termes plus forts et complexes que nulle part ailleurs « l’aspiration
du début XXe siècle en termes de spiritualité, sur les ruines du passé ;
le règne d’une totalité mythique perdue ; son esthétique est fondée
sur les pouvoirs de l’observation, sur l’analyse des faits humains, des
sensations, la recherche de ce qu’il nomme la “structure essentielle des
choses” ».
Le progrès de la connaissance l’a profondément marqué, à tel point
que Musil a abandonné une brillante carrière d’ingénieur pour celle
d’écrivain et de philosophe.
Pour son traducteur français, le poète Philippe Jaccottet, « Musil
est un sceptique […] il est partagé entre la fascination pour la science,
la rationalité, la poésie et même la mystique », se voulant le témoin
d’une civilisation à l’agonie, car désenchantée.
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer cette conférence sur la
bêtise. Nous donnons ici quelques extraits qui montrent l’extrême
acuité de sa pensée, la subtilité avec laquelle il s’exprime.