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Les rencontres
du Sanglier solitaire
du nom de
Sylvestro
P
Rencontre N° 1
Lui-même
Rencontre 1
Si ce n’est un autre,
c’est donc peut-être moi.
du Sanglier solitaire
du nom de
Sylvestro
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Rencontre N° 2
La dame noire
Rencontre 2
La dame noire
ou la cigogne amoureuse
Cela fait maintenant plusieurs jours que notre sanglier d’âge mûr a qui é la
compagnie pour vivre ses propres aventures. La brise flo e gaiement sur les poils de son
cou musclé qui vibrent en rythme avec ses pinces s’enfonçant dans la neige. Il se sent libre
et soulagé des monotones grognements de ses congénères. Depuis tant d’années il n’a fait
que suivre la trace des pas du précédent dont il n’a eu que la vrille bringuebalante pour
seule distraction à contempler. Un bon bain de boue serait le bienvenu pour soulager
quelques démangeaisons mais le sol est encore trop rude et les flaques pour encore des
semaines surgelées. La forêt se dévoile à ses yeux comme jamais auparavant et c’est un peu
comme s’il la voyait véritablement pour la première fois, car il relève enfin la hure. Pour le
moment il n’a guère fait de rencontres aimables, car les rares sédentaires de l’hiver ont
tendance à fuir systématiquement par méfiance : la nourriture est rare et chacun craint de
faire le repas d’un autre. Il n’est pas rare que certains animaux très affamés vont jusqu’à
dévorer leurs petits pour survivre au grand froid… Mais Sylvestro ne serait pas de ceux-là
quand bien même il aurait eu des marcassins à chérir.
En a endant le soleil timide de la saison, il tro e de-ci de-là en fouissant de
temps en temps la neige de son large boutoir pour dénicher quelques racines dénudées ou
tout autre végétal comestible de près ou de loin pour combler un petit vide au centre de
l’abysse de son estomac. Mais peu lui importe car sans ordre à suivre de la laie dominante,
ce e vie nouvelle lui paraît bien plus appétissante que la précédente. Car souvenez-vous
que chez les sangliers, c’est une vieille femelle qui dirige la troupe et décide de tout ; c’est
donc en fugitif assumé que notre ami s’en est allé. Sans compter que pour ce mâle
distingué mais au caractère bien trempé ce e obédience était trop souvent bien lourde à
porter.
— Il était urgent d’en finir avec ce cirque !
Se convainc-t-il à haute voix
Tout en se mordillant le flanc droit
Où gît quelque reste de mauvaise tique.
Mais voici qu’à la cime des arbres des cris en rafales retentissent. Stoppé net dans sa
flânerie, l’animal dresse l’écoute et roule des mire es scrutant les fougères, les fourrés, les
troncs, les feuillages et les cimes.
— Fuuôôô ! Fuuôôô !
— Quelque malheureux hurle sa peine ?
— Fuuôôô ! Fuuôôô !
— Une victime d’une sombre haine ?
— Fuuôôô ! Fuuôôô !
— Est-il en danger ou aux abois ?
— Fuuôôô ! Fuuôôô !
— Ça vient-il droit de devant moi ?
— Fuuôôô ! Fuuôôô !
— À qui donc sont ces pénibles grincements de claquet?!
— Fuuôôô ! Fuuôôô !
— Il me faut incontinent de son sort m’inquiéter !
— Fuuôôô ! Fuuôôô !
Glo ore-t-elle sans cesse en mi comme en do
Tout en fixant le ciel, au gris plafond tout cotonné,
Avec larmes comme perles miroitantes, noyant son œil désespéré.
Ce e vision subjugue notre fruste sanglier ignorant des beautés de ce monde car ce
seul spectacle l’a totalement captivé au sens propre comme au figuré : prisonnier de visu
par les douces ferrures des formes et couleurs de la magnifique créature qui se désespère,
juste là ; avec sa silhoue e élancée, sa robe d’un noir étincelant malgré le froid, la fine
sculpture de son bec, ses grands yeux sombres et brillants bordés de cils étrangement
longs et graciles, elle lui apparaît comme une divine illumination. Seul son ventre est
couvert d’un pourpoint blanc nacré qui souligne ses courbes et la longueur éblouissante
de ses ailes repliées le long d’un corps oblong et fuselé monté sur deux interminables,
délicates et non moins fermes pa es aux teintes de pierreries soufrées.
Ce e cigogne noire, africaine d’origine, perturbée par le ton affable de notre gentil
sanglier, ne peut empêcher un hoquet soudain et nerveux. Loin d’être également
hypnotisée par la mine au poil hirsute de Sylvestro, elle n’en subit pas moins un assaut
confus, entremêlant étonnement curieux, respect pour telle délicatesse, et aussi, il faut le
dire, une certaine tendresse pour cet animal au physique ingrat et si mal loti au ras du sol.
C’est désormais avec un regard a endri qu’elle le considère tout intérieurement ce qui
calme derechef son immense détresse et sur un ton adouci par rapport à son a itude
précédente quelque peu irritée, s’adresse, maladroite mais confiante, à ce drôle d’indigène
et malgré tout son interlocuteur :
L’histoire est claire et ô combien dramatique pour ces exilés sacrifiés sur l’autel
d’une culture de peu d’académie palmée. Sylvestro, les pupilles mouillées de compassion
et de chagrin n’en a que plus d’a irance pour ce e malheureuse fée tombée du firmament
pour sa plus grande précarité.
La cigogne acquiesça et se mit en verve pour lui décrire son magnifique continent
d’origine : l’Afrique. Elle lui décrit ses savanes, ses baobabs et autres arbres immenses où
l’on peut nicher. Mais aussi lui conta quelques aventures risquées au museau et à la
crinière de quelques vifs carnassiers, les fauves, les crocodiles et d’autres oiseaux affamés.
Mais encore, elle le fit se pâmer en imagination en lui brossant le tableau des innombrables
couleurs des fleurs et des plantes aquatiques, de ses charmants petits amis les guêpiers et
paradisiers. Mais surtout, elle insista sur son amour du chant en toutes saisons dont il fit
une belle démonstration. Le bon Sylvestro en est béat d’admiration et ses yeux reflètent
des sentiments et des émotions que jusque-là il ne soupçonnait pas… Et plus elle le voit
dans cet état, plus elle en rajoute, non par fierté ou orgueil, car ce e cigogne est bonne,
mais pour le plaisir de justement en procurer à son aimable et tendre porcin en place d’un
preux chevalier.
Définitivement, la dame en noir et blanc porte une toute neuve admiration nourrie
de tendre compassion pour cet incroyable énergumène qu’elle avait si mal jaugé au
premier instant de leur rencontre. Tout au long de son récit, elle sentit revenir son petit
cœur d’oiselle amoureuse ba re bien trop fort pour les yeux d’un animal qui,
manifestement, n’a rien à faire dans son naturel environnement. Elle marque un silence sur
ces derniers mots mais son œil trahit une évidente envie de le serrer contre elle en toute
chasteté même si ce tableau pourrait soulever les moqueries de certains indiscrets. Elle
n’en fit rien. Évidemment. Les non-dits ici sont bien plus puissants que les démonstrations.
Alors, pour sortir de ce e vibrante impasse, elle se met à ba re des cils, sentant en son
palpitant un hymen improbable naître en forme d’inavouable émoi.
Tout d’un coup une violente gifle de blizzard vient la secouer de tout son long, la
ramenant incontinent à la morne réalité ; et s’il ne revenait pas ? Son expression se
métamorphose en quelques secondes en celle d’une intense inquiétude agitée de quelques
tremblements qu’on eut pu confondre avec une réaction nerveuse. Les tendres pensées
s’effacent devant l’angoisse. Sylvestro s’en aperçoit presque aussitôt :
La belle épousée à ces mots marque une pause tout en fermant ses grands yeux
humides. Elle semble revivre intérieurement les horribles traumatismes qui les ont jeté
sans pitié sur les routes du ciel pour se retrouver en ces hostiles forêts, étape de repos bien
mérité mais tellement précaire. Paupières closes, elle soupire gravement et de ses narines
cernées de givre, s’échappe par intervalles une lourde vapeur de désespoir ; son bec se
balançant de gauche à droite en signe de désapprobation prend ainsi l’apparence
imaginaire d’un funéraire encensoir comme on en agite au-dessus des corps inertes au
cimetière. Sylvestro la rejoint dans son recueillement et penche la hure en fermant à son
tour les mire es. Même les arbres autour semblent les accompagner en murmurant de
leurs branches jusqu’aux brindilles les plus désertées, un lointain chant millénaire en
preuve de compassion.
— Fuuôô ! Fuuôô !
Un cri déchire l’espace !
— Fuuôô ! Fuuôô !
La dame se dresse de l’ongle
Jusqu’à la pointe du bec.
— Fuuôô ! Fuuôô !
Au loin encore, une ombre
Ailée rase des arbres les faîtes.
— Fuuôô ! Fuuôô !
On espère qu’à cet instant, ce e préface
Augure le juste retour tant souhaité,
Tel mythe illustre d’un antique roi grec,
Par sa reine aux années avait été abandonnée.
C’est bien lui ! Sans tambour ni trompe e !
En quelques minutes et ba ements
De plumes moirées de flocons d’argent,
Le fier mâle domine maintenant
Toute l’a ention avec au bec beaux poissons
Étincelants de givre ciselé et de diamants.
Sitôt posé sur branche, ailes repliées,
Les déglutit illico dans la gorge
De son impatiente et miséreuse bien-aimée.
La dame, incontinent32, enfourne comme glouton ces trésors
Qui déforment son joli cou en grotesques courbes torves.
Simultanément, le revenant lui caresse la tête en réconfort
Et c’est grand soulagement pour tous.
Sylvestro, béat d’empathie, se réjouit à l’unisson.
Puis : – Mon ami, mon bienfaiteur !
S’exclame la belle Africaine pleinement ravivée.
Laissez-moi respectueusement vous présenter
Un habitant de ces bois aux mornes senteurs ;
Elle pointe de la pa e les racines au pied
De l’arbre où au milieu de la mousse
Le sanglier qui sourit comme niais larron.
Le mari se penche, par instinct le plumet hérissé.
— Voici Sylvestro, le fameux sanglier solitaire !
Improvise-t-elle sur un ton pompeux de soprano
Comme on annoncerait tel seigneur entrant au château.
Il m’a offert sans hésiter sa précieuse amitié
Épilogue
Alors l’élégante se redresse tel un Phoenix, déploie ses immenses ailes de noir
illuminées, les agitent un peu pour s’échauffer et faire tomber la gelée ; sautille aussi sur
place en délassant en mouvements vrillés le cou et la tête, son long bec orangé dessinant
de jolies arabesques dans la brume des souffles. Le mari bienheureux se met alors à
l’imiter, par habitude sans doute et renforçant ainsi leurs liens d’harmonie génétique et
d’objectifs migratoires. Puis, tous deux pointent le regard très haut vers le Sud et prennent
leur envol propulsant alentour des nuages de poudreuse formant un petit ouragan tout
blanc. Ils rasent d’abord les fougères avec la majesté d’un vif planement puis virent par
une terrible propulsion vers une luminescente percée à travers les nuages. Lui, passe
devant. Elle, semble traîner un peu…
Brusquement la dame noire africaine arque-boute pour dessiner une trajectoire en
quelques larges cercles emboîtés en signe d’adieu très probablement adressé à Sylvestro.
Tout cela suggérant une lévitation fondue d’une grâce hypnotique, les plumes
impeccablement regroupées et vibrantes de scintillements étoilés. Quel cadeau !
Puis à nouveau par une série d’accélérations vigoureuses, rejoint en un clin d’œil le sillage
de son compagnon.
Avec lui, disparaît au fin fond des nuées.
Notre ami, un moment figé dans la stupeur d’une profonde admiration, revient à lui en
secouant la hure ; Regarde à droite. Regarde à gauche. Qui e la place au centre sans se
retourner.
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Les rencontres
du Sanglier solitaire
du nom de
Sylvestro
P
Rencontre N° 3
Le masque de la mort
Rencontre 3
Le masque de la mort
Le charmant rongeur, tout ahuri, se redresse, ouvre encore plus grand les yeux, se
lisse les moustaches nerveusement, tend l’oreille et la queue, et après un silence de
circonstance, répond enfin en détachant curieusement chaque syllabe :
— Très_bien_mer_ci.
(Toujours sur ses gardes)
Il_sem_ble_que_le_prin_temps
Ar_rive_en_a_vance_et_s'em_balle…
Il semblerait que ce e manière un peu curieuse d’articuler les sons fasse partie de sa façon
habituelle de s’exprimer… Alors, pour ne pas le décontenancer, Sylvestro ralentit
courtoisement, mais non sans amusement, son débit verbal sur le même tempo ; mélange
subtil composé musicalement, alternant harmonieusement en staccato, les moderatos et les
allegre os, tout en couleur et en chanté :
— Je_me_fai_sais_jus_te_ment
Sem_bla_ble_ré_fle_xion.
L’hi_ver_nous_a_pour_tant
Cru_elle_ment_ran_ço_nés…
Et_voi_ci_que_le_so_leil
Poin_te_sans_tran_si_tion
Le_bout_jau_ni_de_son_nez.
— C’est_bien_le_pro_blème.
Point_de_noi_se e_ou_de_gro_seille
Ne_viennent_cha_tou_iller
Ma_dent._A_lors_même
Que_l'é_ner_gie_quo_ti_dienne
Man_que_à_l'a_ppel_frui_té
Pour_a_ssurer_mes_fré_né_tiques
Et_gour_man_des_ac_ti_vi_tés.
— Ni_ra_cines_dé_ter_rées ?
Ni_fou_gè_res_en_via_tique ?
Comme_je_vous_plaint…
A_mi_de_ces_fo_rêts_an_ci_ennes,
Es_pé_rons_de_meil_leurs_len_de_mains !
— Je_vais_de_voir_vous_lai_sser…
J’ai_é_té_char_mé
De_vous_ren_con_trer !
Et_d'a_voir_pu_par_ta_ger_ces_..
Et d’un coup d’un seul, tel un couperet libéré par la force du tonnerre, voici
l’écureuil plaqué au sol dans le dos par une pa e griffue surgie de nulle part ; une autre lui
enserre la gorge tel un collet tranchant. Aplati comme une feuille morte par le poids de la
neige, il ne peut remuer un seul poil si ce n’est de la queue qui foue e le sol et se débat tel
un poisson jeté sur la berge, agonisant hors de son élément naturel. Son regard implore, la
langue coincée à l’intérieur de la gueule prise dans la mâchoire de l’étau formé par le sol,
d’une part, et de la griffe acérée d’un ennemi qu’il ne peut identifier, d’autre part.
À l’autre extrémité de la mare, le sanglier, bien au contraire, a une vue bien ne e de
la scène qui vient de se figer dans le temps et discerne très distinctement, malgré la
surprise et la violence d’une telle a aque, la bête responsable de ce e lâcheté hors de toute
convention : car au point d’eau vitale à tous, on a end que la proie potentielle ait regagné
son espace naturel avant toute velléité, que ce soit par la faim commandée ou par
l’opportunité de s’imposer. Le tout premier choc passé, Sylvestro reconnaît parfaitement le
coupable dont la mauvaise réputation n’est plus à confirmer : la martre ! Ses cousins et ses
frères de race carnassière se sont installés quasiment sur tous les continents, s’adaptant
avec une facilité déconcertante aux variations de climats, de végétations et de nourritures
plus ou moins charnues, endossant diverses tenues aux couleurs dangereusement
hypnotiques : celle-ci est couverte d’une fourrure épaisse de teinte brune qui se fonce,
comme un papier brûlé en dégradé sur la partie basse des pa es ; en contraste, sa gorge est
de blanc peinte comme le dessous de sa mâchoire inférieure, et en prolongement sur le
haut des pa es et le thorax, de l’autre côté. Ce qui lui fait comme un vêtement étrange, et
très singulièrement élégant, à col roulé, avec des manches mi-longues mais dénué de tout
dos. Quant à la tête, elle est d’une unique nuance dite de « terre pourrie » telle une cagoule
de boue séchée, ou plutôt un masque, qu’elle se serait enfilé avant son forfait, à la hâte,
faisant ressortir ses yeux globuleux d’un noir profond et brillant, et se terminant en pointe
recourbée vers le haut comme une virgule enflée. Son allure d’ensemble reste troublante et
force l’imagination, combinant sans coutures apparentes un costume de noble guerrier
persan, un autre de brigand de grand chemin ou encore un autre ressemblant à celui d’un
juge.
Mais le caractère commun repose sur un air menaçant et glacé d’une tueuse sans
scrupules ; dévorant les œufs même sur le point d’éclore, pénétrant les terriers en l’absence
des parents pour déguster les tendres enfants, se jetant sur des serpents comme sur les
majestueux oiseaux égarés, mordant à mort à la gorge des plus gros qu’elle s’il le faut, et
souvent capture des rongeurs, car c’est la cervelle qu’en premier lieu elle leur préfère,
laissant les restes aux charognards.
Tandis que l’écureuil entame son agonie, mais encore bien vivant pour le moment,
le sanglier considère ce e prédatrice avec grand sérieux, fronçant des sourcils et soulevant
la lèvre pour exhiber en guise de menace ses défenses d’ivoire aux pointes assez
tranchantes. Car, si notre bon voyageur nous a paru jusqu’ici un peu pataud et bonnard, il
n’en est pas moins un acteur décisif de la vie sauvage forestière et sait parfaitement se
défendre en maintes occasions si nécessaire.
La martre le sait également et les quelques foulées qui la séparent de ce géant au
regard de sa propre taille, ne sont pas la garantie suffisante pour lui perme re une fuite
assurée. Ses pupilles dilatées et brillantes à la séduction fatale, cachent néanmoins une
intelligence instinctive de tueuse née, et sont à elles seules une promesse de drame
irréversible aux issues funestes. Elle connaît toutes les ficelles pour fixer dans l’inertie
l’a ention de son adversaire, telle la maudite Méduse, la Gorgone de l’antiquité pétrifiant
mortellement quiconque croise ses yeux.
Sylvestro garde constamment à l’esprit qu’un seul faux pas, un unique instant
maladroit de distraction, scellera le sort de son ami le rongeur dont il se sent solidaire
malgré leurs évidentes différences. C’est sans doute là un autre point de sa personnalité
qu’il découvre en pareille situation d’adversité : sa capacité à l’empathie alliée à une force
vengeresse. Sa responsabilité est aussi engagée, car c’est la conversation qu’il a lui-même
entamée qui a distrait le petit rouquin qui l’a mis en si mauvaise posture n’ayant ainsi
point reçu de signaux d’alerte alentour.. Peu importe ! Il faut agir.
Tout en bandant le torse et les muscles, il allonge le cou et suspend imperceptiblement la
pa e avant droite pour se donner un temps d’avance en cas de combat coursé précipité.
Alors il compose mentalement un plan subtil et fait l’hypothèse que s’il réussit à
distraire en retour la croqueuse impitoyable, il parviendra sans doute à se projeter pour
l’aplatir du boutoir avant qu’elle n’ait le loisir d’achever le rongeur de noise es. Mais voici
que ce e martre des pins le devance et l’interpelle vivement comme si elle avait pu lire en
ses pensées son projet :
—“Pédé”? “tarlouze”?
Je ne vous permets pas ! ! !
Réplique Sylvestro avec force et sans réserve.
Les grossièretés et les insultes
Ne conviennent à aucune situation !
Et encore moins ici ! cause de votre lâcheté !
Veuillez immédiatement et sans condition
Laisser aller mon ami l’écureuil
Avant que vous ne goûtiez à mes tumultes !
Ils rient tous deux de franc cœur et s’ils avaient eu de semblables proportions, ils se
seraient enlacés amicalement. Interrompus par un gémissement assorti d’une toux rauque,
les compères se retournent et découvrent la martre affalée, quasi inerte, au pied de l’arbre.
Sylvestro s’approche avec prudence malgré l’aspect totalement défait de l’ennemi et lui
adresse un dernier mot :
La martre moribonde, les côtes broyées par le choc titanesque, ne parvient à respirer
que péniblement. Le bassin fracturé, sans doute aussi la colonne vertébrale, lui laisse les
pa es arrières aussi molles qu’une argile engluée par la pluie. Elle soulève la tête, toise le
sanglier en rehaussant une lèvre supérieure provocante et au travers de crocs abîmés
crachote ces derniers vers mêlés de sang avant que ces autres vers ne viennent lui prendre
toute la chair :
— Je_vous_lai_sse_mon_a_mi.
A_llez_en_paix…
C’é_tait_là_une_mé_chan_te_bête.
A_dieu_donc. Je_m'en_vais.
— Elle_le_se_ra_grâ_ce_à_vous.
En un clin d’œil l’écureuil n’est plus qu’un point carmin sautillant parmi les
branches.. et disparaît.
Sylvestro reste là figé et ne parvient pas à qui er des yeux le masque, d’un genre
mortuaire dorénavant, de la martre, dont ressort par la fente de la gueule entr’ouverte un
long et luisant filet de sang frais, légèrement fumant au contact de l’air froid, qui court le
long de sa manche si blanche…
Mille questions lui viennent en bousculades car jamais la mort ne lui était apparu
jusque-là avec une telle violence et un tel aveugle acharnement. Jusqu’au bout la prédatrice
embusquée n’a daigné esquisser un quelconque scrupule ou regret. Comme pour ne pas
réveiller les esprits défunts et malfaisants, préférant la voix de la forêt à la sienne, il se
murmure en silence à lui-même sans en prendre acte :
Le bon porcin comprend alors qu’il est en train de s’embourber physiquement, car
ses pa es s’enfoncent dangereusement dans la boue fondue ; et moralement, dans
l’impasse des regrets et remords en tous genres. Il décide alors, tout en se sortant
péniblement de l’alambiqué bourbier du tout et du rien, de tourner le dos à cet
incompréhensible et dramatique épisode.
Point de réponse ne viendra…
Autant reprendre sa route là où il l’avait laissée.
O
Les rencontres
du Sanglier solitaire
du nom de
Sylvestro
P
Rencontre N° 4
L’étrange Guilde des Cryptides
Rencontre 433
L’essentiel est invisible…34
L’aube se lève à peine sur l’épaisse étendue de forêt où l’on entend déjà maints
bruits vivaces et tiraillants : c’est le signal, il faut se réveiller ! Ceux qui vivent plutôt la nuit
vont se coucher en leur terrier, se lover au fond d’un nid caché au creux d’un arbre ou
s’enfouir quelque part dans un trou sous l’humus moussu pour digérer et récupérer de
l’énergie. Aussi Sylvestro soulève-t-il lourdement l’une de ses paupières car ce matin, en
particulier, il a bien du mal à s’extirper de sa douille e bauge35. Confortablement installé
dans ce creux qu’on dirait moulé pour son corps, tapissé de feuilles et d’herbes sèches, ses
muscles ne semblent guère lui obéir nonobstant l’utilité de se reme re en route… Car un
sanglier paresseux est un sanglier en danger ; son instinct lui commande de s’éloigner au
plus vite pour éviter de se faire dévorer à l’emporte-pièce par un prédateur embusqué. En
parlant de tel « prédateur embusqué », les parasites de tous ses poils s’en donnent à cœur
joie au même instant :
Car à peine est-il debout que le cortège insupportable des piqûres sadiques enveloppe son
gros corps ; faute à lui de ne s’en être guère préoccupé la veille… Par conséquent, il en paie
le prix fort.
Il se précipite donc sur le premier arbre en vue et se colle dessus comme un faon au ventre
de sa mère. C’est un boulot un peu maigre mais il fera bien l’affaire dans l’urgence ; il est
difficile d’imaginer la souffrance quotidienne que représentent ces démangeaisons qui
vous strient l’épiderme sans raison apparente telles de minuscules diablotins munis de
socs de charrue et de tridents par centaines, vous labourant de part en part et tout autour,
et par-ci par-là sans aucune logique qu’aucun signe avant-coureur ne peut anticiper sinon
33Dans le titre :
— Guilde : association confraternelle ou économique
— Cryptide : créature ou animal légendaire dont l’existence est envisagée mais non confirmée par des preuves (ex : yéti, monstre du Loch Ness, etc).
34Allusion à SaintExupéry, Le petit prince, 1943
35Lieu fangeux où le sanglier se retire pendant le jour
36de « sacré nom » (de Dieu) : juron, comme parbleu, sacrebleu, tudieu, morbleu, etc. où “bleu” remplace
“dieu” pour éviter le blasphème.
37irrité, le sanglier claque violemment des dents : il casse la noisette
38groin du sanglier
39Lieu bourbeux où le sanglier se vautre car la boue le protège des parasites et les étouffe.
de se munir d’une rappe à portée de main perpétuellement. Or notre Sylvestro est
présentement bien démuni en la matière. C’est une des pires tortures que nombre
d’animaux doivent supporter, au diapason d’un savoir-faire de bourreau du Moyen âge,
qui enduisait le supplicié complètement de miel, les mains et les pieds entravés, et le jetait
au milieu d’une fourmilière affamée… Au temps pour le malheureux Sylvestro, il conserve
l’initiative et se frictionne généreusement partout sur le pauvre arbre mis malgré lui au
boulot40; ceci dit, la frêle constitution du végétal le fait vite ployer et craquer dans un bruit
sec et fatal. Qu’à cela ne tienne ! L’enragé passe au suivant qui, au bout d’une poignée de
secondes, passe ad patres41 également.
— Zut et re-zut ! !
Cela n’aura donc jamais de chute !
Qu’est-ce donc que ces fétus !?
Le coin est trop jeune… pas assez chenu42.
Il repart derechef et très énergiquement mu par grand énervement, la bave rageuse perlant
à sa barbe débroussaillée, maudissant la nature mal faite et pestant contre le Dieu-cerf de
l’avoir ainsi accablé d’inutiles et cruelles peines. Il jure bien haut de ne plus le révérer et de
ne qui er avant longtemps la prochaine flaque de boue envers et contre tous !
La mauvaise humeur le submerge. Bien entendu, il n’en pense pas un brin et sa colère
contre ces misères épidermiques ne fait qu’entraver plus encore sa liberté de mouvement.
D’ailleurs elle se dissipe bien vite à la vue d’un beau, large et bien trempé chêne entouré
de plusieurs de ses collègues et d’autres espèces moins corpulentes. Il se je e li éralement
sur le plus balèze en commençant par le flanc droit qu’il colle en oblique tout en enroulant
la nuque contre l’écorce, et se presse dessus jusqu’à la colonne vertébrale pour entamer
une séance de gra age titanesque à en faire trembler la terre ! L’affaire est un art délicat et
précis où l’on débute par de lents va-et-vient puis, progressivement, de plus en plus secs et
vifs tout en allongeant l’amplitude sans jamais oublier de bien plaquer le cou en étirant le
groin vers le haut de sorte à former une danse serpentine parcourant à la fois le haut et le
bas de la peau tout en vrillant autour du corps, et de la bête et de l’arbre, dans une
harmonie cylindrique parfaite : ce n’est qu’avec beaucoup de pratique que l’exercice porte
ses fruits et s’apprend dès le plus jeune âge ; quand un côté est soulagé, un pas de quatre
permet de s’occuper de l’autre flanc en exerçant la même friction sur un axe symétrique ;
heureusement pour leur bien-être, les animaux ne sont ni gauchers ni droitiers et sont
naturellement “ambidextres”, c’est-à-dire qu’ils ne sont sous l’influence d’aucune
différence entre le côté pile et le côté face si l’on peut voir la chose de ce e manière…
Le soulagement est instantané. Dans un troisième temps, le sanglier se dresse sur les pa es
arrière pour négocier l’allongement du ventre, impatient de voir son tour arriver, contre la
surface bienfaitrice ; les pa es de devant, forcément, s’étirent, pinces recourbées vers le
haut et nuque, ce e fois en arrière, la hure43 faisant contre-poids comme dans le
mécanisme d’un trébuchet44 qui, ramenée d’avant en arrière alternativement, génère le
40au travail
41loc. latine : mourir, rejoindre ses aïeux.
42blanchi par la vieillesse
43nom de la tête du sanglier
44Machine de guerre à contrepoids utilisée pour lancer des pierres contre les murailles des châteaux et des villes
fro is salvateur en lieu et place d’un lancer de projectile. Ce e dernière étape demande à
la bête un sens aigu de l’équilibre et de la répartition du poids malmené par l’énergie
générée qui croît en fonction de la surface arboricole utilisée en support ; bref, plus l’arbre
est large, plus ça déménage… c’est alors que ce dernier se met à hurler !?
À cet instant, Sylvestro ne sait plus du tout où il en est. Pas plus où il se trouve en réalité…
Aurait-il, par inadvertance, dans sa course effrénée pour contrer ses innombrables et
irritantes démangeaisons, à la recherche d’un bois guérisseur, déboulé aux frontières d’un
45 allusion à la bande dessinée « Gaston Lagaffe » créée en février 1957 par André Franquin
46 esprits divins et mystérieux de la Nature dans les croyances japonaises.
royaume peuplé de fées et de leurs soldats ? Lieu, ô combien interdit au simple animal
mortel ? Comment va-t-il se sortir de là ? Songe-t-il. Comment demander pardon à
l’Invisible ?
À ces derniers mots, Sylvestro découvre avec une immense surprise, là, juste devant lui, se
détacher du tronc une silhoue e de prime abord informe qui se met lentement à prendre
un volume bosselé ; Quelque créature semble s’être extirpée d’une matière morte pour
devenir vivante en une poignée de secondes : l’Invisible devient visible ! Tandis qu’une
structure bien articulée par un squele e, construit en jointures et en segments, se fait
maintenant parfaitement distinct du décor champêtre ; un oiseau au magnifique plumage
soyeux vibre de tout son long comme pour en réanimer l’étincelle jadis en sommeil. Ses
teintes et ses dessins fissurés épousent l’écorce du vieux chêne centenaire tel un miroir
sans tain : c’est donc bien le “oui” de l’illusion qui prévaut !
Une tête de forme aiguë et plate, munie d’un petit bec replié et bordé jusqu’aux yeux de
plumules ébouriffées jurant avec une moustache blanche de la commissure jusqu’à la joue,
semble lui sourire. La bestiole présente un corps replet mais robuste, tout aussi chamarré
de lueurs forestières convenant à divers supports de cache e. La queue taillée en fine
pointe permet d’assurer un dégradé estompant le contact entre le ventre et son berceau
naturel. Si ce e « vieille pelure gâtée » n’avait manifesté sa présence volontairement, elle
serait restée impeccablement indiscernable d’entre les végétaux environnant.
La bouille du sanglier s’illumine d’admiration alors que mille questions surgissent au bord
de ses grès47:
47 les 2 dents proéminentes du sanglier qui sont sous les défenses, sur la mâchoire inférieure.
— Bravo ! Mais comment parvenez-vous donc à tel prodige ?
Êtes-vous unique ? Ô créature magique !
— Hi Hi HI ! Ricane la dame plumée d’un œil sarcastique
Et en profite pour bondir sur une plus haute tige.
Rien de tout cela mon cher ami.
La Nature sage et inquiète m’a ainsi armée
Pour me perme re, comme d’autres, de me dissimuler
À la vue de quelques trop curieux et insatiables appétits.
De ce manteau, convenant à chacune des saisons,
Dépend ma survie au service de mon imagination.
— C’est donc cela… J’ai cru devenir fou !
À telle mesure que j’étais sur le point…
— Tranquillisez-vous dès à présent ! Tout a une fin.
Nous restons d’habitude très silencieux pour garantir l’effet.
Sinon à quoi nous servirait ce rempart contre les velléités ?
Mais nous vous avons bien observé depuis le matin
Levés et savaient que vous n’êtes pour nous un danger.
— C’est bien vrai et perme ez-moi de me présenter :
Sylvestro ! Sanglier libre et solitaire de forêt en forêt.
— Je suis Millie, une Engoulevent48 native de ces lieux
— Enchanté, répond le porcin tranquillisé.
Mais toutes ces voix..?. Aux vents vous commanderiez ?
— Hi Hi ! glousse Millie. Certainement pas !
Ce sont en fait mes amis et alliés d’ici et de tout là-bas !
Ils vous ont joyeusement bien titillé !
Mais… Regardez-y donc de plus près…
48 oiseau d’Europe : son plumage est de couleur feuille morte, strié et barré.
49 feuilles séchées et mortes
50synonyme de camouflage cryptique. Elle consiste en l’imitation d’un élément visuel, plus ou moins complexe, de l’environnement naturel
immédiat par mimétisme.
Voyez-vous tout là-haut ces Choue es et ces Effraies ?
— Ouiii ! Maintenant que vous le dîtes ! très net…
51Ornements excessifs
Alors il n’eut de cesse de leur raconter quelques-unes de ses incroyables rencontres où
celle-ci figurera fièrement tout en haut de son palmarès des plus surprenantes. On le
comble de bonnes a entions et en plus de subtiles nutriments cueillis aux endroits pour
lui inaccessibles ; ces échanges amicaux n’en ressortent que plus précieux. Pourtant, il s’en
faut de peu pour que le sanglier, ignorant, naïf et balourd, ne détruise ce trésor :
C’est alors que les politesses sont interrompues par des bruits très distincts pour une
oreille aussi exercée que celle de Millie et de ses amis : des pas furtifs piétinent les feuilles
et le bois sec. Le sanglier, lui, n’a rien capté d’alarmant et n’a pas le temps de finir sa phrase
que tous déjà sont repassés à l’invisibilité ; il ne reste que le gras porcin au milieu des
arbres bien qu’il aurait voulu pouvoir suivre le mouvement général. Pris de panique, il ne
trouve que le chêne auquel s’adosser en tremblant. C’est à cet instant précis que la menace
se dévoile depuis les fonds abyssaux de la forêt : une meute de loups ! Menée par un
grand, magnifique et blanc mâle dominant une douzaine d’impitoyables Garm55 montrant
les crocs face à lui avec les babines vibrantes et tordues par la dise e, l’échine courbée et
couverte de poils hérissés en posture de chasse ; les queues ondulent et ratissent le sol
comme autant de cobras alors que l’air même semble confondu de terreur et s’est glacé
brutalement. C’est la fin !
Le carnivore au pelage rare avance très lentement tout en glosant. Son verbe et sa hargne
sont efficaces et motivent à plein sa meute qui, si elle avait pu disposer de ses pa es avant
55chien monstrueux de la mythologie nordique accompagnant les géants dans le Ragnarok, bataille contre les Dieux
56Espace entouré de palissades où se déroulaient les tournois, les joutes au Moyen Âge – aire de combat ou de conflit.
57Ornement trompeur, faux éclat masquant la réalité : ici la peau du sanglier
par trop collées au sol, n’aurait pas manqué de s’en servir pour applaudir chaudement.
Mais ce ne sont pas leurs manières. Les grognements en chœurs roulent comme les
tambours d’un orchestre funèbre, l’éclat des canines saillantes éblouissent la pupille du
sanglier, spectateur de son propre rôle, la crinière dressée signale l’approche de l’acte final
du drame tandis que les yeux perçants et les arcades froncées signifient à Sylvestro sa
sortie de scène imminente…
Mais la confiance placée dans le commandement du chef de meute a eint vite ses limites
lorsque le peuple crie famine : il faut donc à l’alpha se presser de conclure au sens
commun a endu qui e à déroger à quelques précautions d’usage. Ceci dit, au vu de la
situation présente, nulle mauvaise surprise ne devrait entraver la naturelle course des
convives voraces vers leur tendre festin. L’esprit de Sylvestro a a eint depuis un bon
moment déjà les sommets vertigineux de la terreur, imaginant les enfers sanglants qui
l’a endent… car il n’a encore jamais été précipité face à un tel mur de griffes et de crocs
depuis qu’il a laissé la harde derrière lui. Ses pa es s’endolorissent, ses pinces s’enfoncent
dans le terreau et l’humus jusqu’au cou, lui semble-t-il ; même les démangeaisons ont fui
et se sont cachées quelque part dans son corps figé comme le marbre, à un endroit
incongru où on ne les trouvera pas !
Le grand loup blanc avance à petits pas décontractés et gracieux, les coussinets en osmose
avec la mousse et les feuilles. Toute ce e majesté funeste n’a en réalité aucun caractère de
noblesse et contraste avec ses propos grossiers et provocants :
Sylvestro comprend alors que ces sauvages canidés à la vue bridée par la fringale, n’ont
pas du tout détecté la présence proche de ses nouveaux amis, les cryptides… ne laissant
jamais derrière eux la moindre trace de leurs allers et venues nonobstant une incroyable
promptitude. Il s’en trouve soulagé.
C’est alors qu’une minuscule voix, plus discrète que celle de la souris, qu’il prend d’abord
pour celle de sa conscience couarde, lui chuchote en clair et très brièvement :
Et aussitôt se tait.
Un chatouillis lui fait secouer l’oreille nerveusement.
Ensuite se précipitent en se tortillant du plus vite qu’ils peuvent, des troupeaux entiers de
grosses chenilles poilues aux allures toxiques ; mais surtout, elles arborent étrangement la
queue qu’elles brandissent en mouvements sinueux. Sa hure en est recouverte, en plus
d’autres dont il ne sent que les petits pas et fro ements épars : impossible de les identifier.
Pas la moindre idée de ce qui est en train de se jouer.
Puis la petite voix revient à son oreille :
Sylvestro, sans broncher, s’exécute au mieux car imiter un cerf en rut et bouger tel un
dragon, chinois de surcroît, n’est pas une mince affaire quand on pèse un bon demi
quintal… et qu’on n’a jamais pris de leçon de danse folklorique ! Suant comme un bœuf à
l’approche du barbecue, une odeur immonde, pestilentielle comme on en imagine pas, fait
soudain explosion et révolutionne toutes les narines alentour. C’est un massacre olfactif !
Il sent sur son ventre et ses flancs de petites serres s’accrocher en prime lui lacérant le cuir.
Le sanglier manque d’en sursauter tout en éternuant ce qui aurait fait échouer
complètement la manœuvre en propulsant tout ce petit monde en l’air ; heureusement, un
Lucane cerf-volant60 secourable lui pince aussitôt le groin avec une force herculéenne et
59[Dans l’hindouisme et le bouddhisme] Figuration à valeur mystique et rituelle, représentant, sous la forme d’un diagramme géométrique
d’aspects variés, le cosmos et les différentes relations qui s’y établissent entre le matériel et le spirituel
60 coléoptère ; le lucane doit son surnom de cerf-volant aux grandes et puissantes mandibules en forme de bois de cerf qui sont l’apanage
des mâles
n’en démord plus (ce qui en fait un ornement guerrier de plus). Ouf ! Juste à temps… on se
croirait au théâtre où les machinistes de l’ombre sont essentiels, comme toujours.
Les loups commencent à reculer sans se retourner. Alors Sylvestro apporte le cri de grâce
et hurle de toutes ses forces à s’en décrocher les défenses, à la manière d’un éléphant bien
qu’il n’en ait jamais vu.
Sylvestro recouvre enfin l’usage intégral de la vue car le masque des papillons s’est
volatilisé au cri de la victoire. L’engoulevent se détache alors de son invisibilité, encore une
fois…
Mais surtout..
Quelle leçon d’humilité, de solidarité et de confiance !
61 de Méduse (en grec ancien : Μέδουσα), appelée aussi la Gorgone (Gorgo), dans la mythologie grecque l’une des trois Gorgones (avec ses
sœurs Euryale et Sthéno). Elle est la seule à être mortelle ; elle avait à l’époque archaïque un visage de sanglier, des yeux exorbités, des crocs, la
langue pendante et des serpents dans la chevelure ou à la taille.
62 elles ont la particularité de présenter une queue mimant la tête d’une vipère. D’autres ont aussi cette faculté mimer
des serpents pour éloigner les prétadateurs
Tome 1
4 rencontres
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