d’été. Je suis resté à l’intérieur de la maison aux
murs épais blanchis à la chaux. Cette maison de famille qui m’a vu naître et grandir, il y a bien longtemps déjà. Soixante-quinze étés qu’elle et moi cohabitons, mais celui de cette année est particulièrement chaud. Quand le soleil est à son zénith en Italie, et plus précisément dans le Sud, il devient le maître du monde, et nous qui habitons tout autour de la baie de Naples et de sa côte Amalfitaine, nous si fiers et vaillants, nous nous inclinons pendant quelques heures. Nous rentrons chez nous et nous le laissons faire. Nous laissons le soleil régner et briller de mille feux. Puis, vers la fin de l’après-midi, quand il commence à décliner, fatigué d’avoir trop brillé, nous sortons reprendre le monopole de nos petites villes que nous aimons tant.
Moi j’habite à Sorrento depuis toujours !
Sorrento, Bella Mia ! Que tu es belle. Comme je t’aime et comme je t’ai aimé. Je suis d’accord avec tous ceux qui le disent, tu es le centre du monde. Mà Che Bella! Maintenant je peux ouvrir la porte pour sortir te contempler comme je le fais chaque jour. Je mets une chaise sur la terrasse et je regarde droit devant moi. Il n’y a pas plus belle vue que celle-ci. Face à la mer, ma chère et jolie ville à flanc de colline adossée derrière moi te contemple. Et toi aussi, ma tendre mer, mon poumon bleu, mon oxygène salé, mon ADN cristallin. Toi aussi je t’aime ! tu es et tu as été toute ma vie. Tu m’as donné à manger. Tu as fait vivre ma famille de pêcheurs de père en fils, et tous les jours, j’ai pris soin de toi, comme j’ai pris soin des miens. Oui, tu fais partie de la famille. Et tu sais à quel point la famille c'est sacré en Italie. Et là, ce soir, je te regarde, comme tous les soirs. Tu t’es parée d’une belle robe d’un bleu profond et la brise te caresse avec douceur. Tu es calme et belle ! Tellement belle que le ciel bleu, jaloux de ta beauté, a voulu t’imiter en se parant de son plus beau bleu azuré. La seule chose qui vous différencie, c’est cette ligne d’horizon qui vous délimite. Seul un oeil aguerri peut vous distinguer l’un de l’autre. Vous êtes comme un frère et une sœur qui se chamaillent. Quand l’un est fâché, l’autre l’est aussi, vent et houle vont de pair. Mais cela ne dure que quelques heures. Et puis, de nouveau, le soleil réchauffe le cœur de cette mer aux yeux bleu-vert pour le plaisir des riverains et des touristes qui viennent profiter de la douceur de ses eaux et se promener le long de la côte sur des bateaux de plaisance.
Tiens tiens, j’entends du bruit derrière
moi. Qui cela peut-il être ? Réfléchissons un instant… Non, cela ne va pas recommencer ! Ah oui… Où avais-je la tête. Elle a dû sentir que j’avais encore plongé mes pensées dans tes belles eaux cristallines, et tu sais comment ma femme bien aimée peut être, quand mes pensées vont se promener ailleurs. Elle n’aime pas et elle n'hésite pas à me le faire savoir ! Mais si elle savait que depuis qu’elle est entrée dans ma vie, Linéa Blue, comme j’aime à l’appeler, a pris tout l’espace. Même toi, mer chérie, que je considère comme une sœur, tu t’es retirée de mon cœur comme les grandes marées, depuis que j'ai aperçu Linéa Blue pour la première fois. Et aujourd'hui, quand je plonge mes pensées dans tes eaux claires, c’est pour y voir le visage de mon tendre amour. Là et seulement là, mon esprit a de la mémoire pour se rappeler de tous ses merveilleux souvenirs que nous avons partagés elle et moi. Laura. Laura Esposito. Depuis bien longtemps, tu es devenue ma bouteille d’oxygène, mon bâton de pèlerin. Tu sais comme nous sommes croyants en Italie. Je sais que c’est Dieu qui nous a fait nous rencontrer. Tu appelleras cela le destin, le karma ou que sais-je encore. Toujours est-il, que pour l'heure, c’est toi que j’entends parler et parler encore, derrière moi ! Toi et ton fort caractère, vous bouillonnez. Ne me dis pas non, je vous entends. Mais tu sauras tout plus tard, je t’ai préparé une lettre. Cette petite nouvelle épistolaire à ton attention sera rangée dans mon bureau. Tu la trouveras un jour, quand tu trouveras la force de trier mes papiers. Tout ce que je t’ai dit ce soir, en pensée, je te l’ai écrit dans une lettre, pour ne rien oublier. Tu sais que je risque un jour de tout oublier ? Oui tu le sais… Demain est un autre jour avec ou sans mémoire, avec ou sans souvenirs. Mais ce soir, c’est un agréable moment, tu es à mes côtés Laura, j’ai conscience de ma chance, et la mer est le témoin de notre amour complice. Tout va bien ce soir. Que la vie est douce par instant. J'en profite, car, je ne sais pas quand j’aurais de nouveau l’occasion de te contempler, pleinement conscient, et de te parler à cœur ouvert comme je le fais là ce soir. A cet instant même les souvenirs m’envahissent. Ce moment est pour moi une véritable bouffée d’air pur dans tous ces trous noirs qui empoisonnent et rongent mon esprit petit à petit. Ma mémoire devient un clair-obscur, alors, pour une fois, arrête de me sermonner comme tu le fais et laisse-moi te parler de toi et de nous. Viens et assieds-toi à côté de moi. Profitons du paysage qui nous est offert. Et dans nos silences, laisse-moi te conter hier, ces quelques souvenirs te sont consacrés. Ce soir est une nuit de pleine lune, tout est clair, je me rappelle de tout, je ne veux me concentrer que sur toi…
La toute première fois que je t’ai aperçue ?
c’était en 1962. Un 18 mai. Il y a bien longtemps mais tu vois, je me rappelle exactement de cette date ! A cette époque je savais que tu serais mon dernier amour, et je savais que je voulais mourir dans tes bras dans tous les sens du terme. Je sais ce soir que les jours qui nous restent à vivre ensemble sont un peu plus courts que ceux que nous avons vécus. Quand le temps sera venu, je te demanderai de ne pas être triste, c’est un passage obligé de la vie que l’on ne peut contourner. Seul l’amour que j’ai pour toi est et restera éternel. Que ta main ne me quitte pas, je veux sentir ta chaleur ardente quand moi je m’éteindrai. C’est la seule chose que je te demande car je ne sais pas si je vais encore me souvenir de tout ce que j’ai pu te dire ou penser ce soir. Ah mais si ! tu l’auras lu dans la lettre que je t’ai écrite… Voilà les minutes nous sont déjà comptées je le sens… Ma mémoire me joue des tours. Cette mémoire, la meilleure des alliées, me trahit. Elle se retire comme les grandes marées au loin sans savoir si elle va revenir un jour. Tout devient vide de sens. Grandes marées, c’est drôle, je crois que j'ai déjà pensé à ce mot, mais à quel moment et à quelle occasion ? Ce n’est rien, reprenons le cours des choses… Quand tout devient vide, je nage alors dans un marasme de mots incompréhensibles, je vois des gens qui me sont inconnus, je me sens seul et désœuvré. Personne vers qui me tourner. C’est une vraie souffrance psychologique et psychique, bien plus que physique. Et je sais que cela l’est tout autant pour toi. Je sais que tu souffres de mes absences qui peuvent durer plus ou moins longtemps. Rien n’est programmé dans cette mémoire qui, jadis, était infatigable, surtout quand elle était mise à contribution pour penser à toi et te chercher dans les moindres recoins de mon esprit. J’étais tout le temps à ta recherche. Mon esprit était vif, en alerte, toujours sur le qui-vive, c’est d’ailleurs ce qui nous liait. Mais ton esprit et ta mémoire étaient imbattables. J’étais en admiration par ton agilité d’esprit…Ah Laura…
Assez parlé de moi. Laisse-moi me
souvenir de tout, laisse-moi te parler de toi telle que je te vois, tel que je te perçois, tel que je te connais. Je ne veux plus penser qu’à toi, rien qu’à toi, comme je le fais tous les jours, tout le temps, encore et encore à ton insu… Et n’oublie pas ce que je t’ai dit, surtout n’oublie pas ! Au moins que l’un de nous deux garde toute sa vivacité d’esprit. Et pardonne-moi par avance si mes pensées et mes mots simples se perdent en toi. Ils ont enfin trouvé leur maison.
Eté 1962 :
“L’amour ne se définit pas à la vitesse à
laquelle il nait.” Pour nous, cela aura été tout à la fois rapide, fulgurant et très long en même temps. Je ne te connaissais pas vraiment. J’avais juste entendu parler de toi brièvement à la télévision. Sans plus. Mes journées ? Je les passais dehors, en mer. Le métier était dur, éreintant, mais passionnant. Il faut de la passion pour être pêcheur. Tout comme il faut de la passion pour aimer ton métier d'actrice. Deux métiers très prenants et aux antipodes l'un de l'autre. Toi tu étais de Rome, issue de bonne famille. Tes parents aimaient l’art et je comprends pourquoi. Quelque part tu étais prédestinée à vouloir faire du cinéma. Et qui mieux que Rome pour exposer aux yeux du monde tes talents d’actrice ! Cinecittà était l’étendard, à l’époque, du cinéma italien et les films à grands budgets et autres péplums étaient plébiscités par Hollywood. Je crois qu’ils tournaient Ben Hur à cette époque. Ton nom commençait à être connu dans le milieu du cinéma et nos compatriotes Italiens aimaient te voir à l’écran. Tu étais rayonnante, souriante et tes cheveux avec tes longues boucles brunes qui s’enroulaient autour de ton visage te donnaient des airs de déesse. Tu avais un port altier, tu étais sûre de toi et une belle carrière te tendait les bras. Tu avais été prise pour tourner un film avec des acteurs français qui venaient souvent en Italie à cette époque. Et ce film devait être tourné à Sorrento, en extérieur. Quel hasard ! Mais ici, nous qui sommes fiers et chauvins, nous attendions avec une certaine méfiance la venue d’une équipe de cinéma venant de Rome. Il y avait toujours eu cette petite rivalité entre les Romains et toute la côte Napolitaine. Les derbys de football avaient toujours été un rendez-vous incontournable avec beaucoup de passion mais également de pression. La belle Rome antique, bourgeoise, élégante, gracieuse et précieuse descendait dans notre région populaire et mafieuse. Enfin, c’est ce que les Romains pensaient de nous. Mais nous n’étions pas que cela, il y avait aussi des gens simples et droits, dont une parole donnée valait tout l’or du monde. Nous étions des gens de principes. Mais les « on-dit » sont souvent bien ancrés dans les mœurs. Nous vous attendions donc, très fiers que notre région soit filmée et montrée aux yeux du monde. Mais, nous restions tout de même sur nos gardes.
Et vous êtes arrivés…
Vous étiez tous descendus, du moins tous
les acteurs, au Palazzo Murat, à Sorrento. Nous ressentions cette fébrilité. Il y avait une effervescence et une excitation. Nous étions intrigués et survoltés. L’ambiance était électrique. Les prémices d’un coup de foudre ? Moi j’étais heureux d’être en mer et de pouvoir éviter tout ce monde et ce brouhaha. Je n'étais pas sauvage mais plutôt solitaire, j’aimais être au calme. En ville, c’était tout sauf calme mais il me fallait rentrer le soir. Alors, j’accostais, je rangeais mon matériel, je réparais mes filets de pêche pour le lendemain, je nettoyais mon bateau et après tout cela, je remontais la rue principale pour rentrer chez moi. Ce soir-là, il n’avait pas été tard, les cloches de l’église avaient sonné dix-neuf heures. J’avais remonté, comme à mon habitude, la rue principale quand je vous avais aperçu toi et quelques membres de l’équipe qui descendaient cette même rue, les demoiselles en jolies robes et les messieurs en costumes élégants. Et moi, dans tout cela, je faisais un peu peine à voir. D’ailleurs, lorsque nous nous étions croisés, tes amis avaient pris un malin plaisir à sortir leur plus beau sourire dédaigneux. Je les avais regardés en face, avec ce regard dur et franc, voulant en découdre. Je crois bien que c’est à ce moment-là, que mon regard avait croisé furtivement le tien. Nous venions à cet instant de faire connaissance. Et mon regard incendiaire s’était tut soudainement adoucit par le tien. Dieu que tu étais belle. Tu portais une robe de couleur vert foncé avec un très joli décolleté. Ta peau légèrement brune happait les derniers rayons du soleil. Tu avais mis deux grandes boucles d’oreilles avec un petit pendant rouge qui se mariaient délicatement bien avec ton rouge à lèvres. Tes yeux… J’avais été comme hypnotisé. Je les avais longuement contemplés durant cette furtive première rencontre. Une seconde où mon esprit avait pu mémoriser tout ton être pour lequel mon cœur s’était ébranlé. Ta chevelure bouclée tombait sur tes épaules avec une petite raie sur le côté. Tout était parfait. A ce moment- là, j’avais compris pourquoi tous les Italiens aimaient tes films. Tu représentais la femme méditerranéenne que tout homme rêvait de conquérir. Tout était allé si vite. En me croisant, tu avais affiché un magnifique sourire pour me saluer, ce qui m’avait désarçonné un peu plus encore. Je ne m'étais pas attendu à ce que tu te mettes à mon niveau, tu avais un rang à tenir. Ton naturel avait tout emporté sur son passage et déjà tu étais loin. Je m’étais retourné et tu avais fait la même chose au même moment. La mer en arrière-plan, je n’avais plus distingué cette ligne d’horizon entre le ciel et la mer. Elle avait bougé, elle s’était avancée. Tu étais devenue subitement ma ligne d’horizon. Je t’avais chuchoté sans que tu n’aies pu m’entendre « Linéa Blue » et chacun avait continué sa route. Cette nuit-là, j'avais perdu mes repères. Tout était confus, je n’entendais que mon cœur cogner au même rythme que le clignement de tes cils qui m’avait joliment salué. Je m’étais repassé en boucle cet instant fugace. Familièrement j’avais mordu à l’hameçon. Et l’hameçon était vraiment bien accroché.
Les jours qui suivirent, on s’était vu
plusieurs fois. Toujours à la même heure, toi avec des hôtes différents, moi toujours seul. Et la même scène s’était reproduite mais de plus en plus longue. On s’était cherché du regard dès que nous marchions dans cette rue principale. Et quand nous nous apercevions au loin, nos pas instinctivement ralentissaient, comme pour faire durer un peu plus longtemps l’instant présent et le plaisir de moins en moins dissimulé de se voir. La journée, chacun de nous avait été absorbé par ses occupations mais chaque soir avait été un vrai cérémonial. Sans même le dire, nous savions que nous avions rendez-vous. J’aurai aimé, durant ces rendez-vous, que tu aies pu m’apercevoir habiller autrement qu’avec mon habit de travail, mais tu n’avais guère semblé t’en soucier et cela m’avait plu et touché.
Et un soir, tu étais descendue seule. Tu
avais fait de moi un homme heureux ce soir-là. Le cérémonial avait été le même mais nous nous étions arrêtés l’un en face de l’autre. Il y avait eu quelques secondes où nous nous nous étions dévisagés et tu m'avais soudain dit, toujours avec ce sourire désarmant : - Bonsoir, moi, c’est Laura.
Je t'avais répondu je ne sais trop
comment :
- Bonsoir, je m’appelle Alessandro, Alessandro
Mancini. Seriez-vous disponible pour diner avec moi ce soir ?
Avec un petit signe du visage, les yeux
baissés, tu m'avais fait un signe de la tête en guise d’acceptation. Je t'avais répondu, à mon tour par un sourire et je t'avais dit :
- Attendez-moi dans le petit restaurant un peu
plus bas, je rentre me préparer et je reviens au plus vite !
Le rendez-vous avait donc été pris. J’étais
rentré vivement chez moi, j’étais passé à la salle de bains, je m’étais préparé et j’étais reparti te rejoindre. Tu étais assise à siroter un jus de citron. Je m’étais assis en face de toi. Je crois me rappeler ne pas avoir eu besoin de manger ce soir-là, tu avais été mon joli coupe faim, mon plus joli coup de coeur. Nous avions beaucoup discuté. Enfin nous pouvions converser à notre aise, sans témoins autour de nous. Il n’y avait que nous deux. Nous avions ri, plaisanté, parlé de nos vies. Les heures s’étaient écoulées mais ne comptaient plus. J’avais été avec toi à cet instant et c’est tout ce qui m'avait importé. Enfin !! j’avais tellement rêvé de ce moment que rien ne m’avait déçu. Tu avais été accessible, tu avais été cette femme qui aimait les choses simples et ta belle éducation avait pris soin de moi avec tact. Il m’avait plu de t’écouter parler de ton métier, de tes envies, de tes moments de détente et d’évasion, de voyages qui t’avaient emmené dans des pays si lointains, moi qui n’avais jamais eu l’occasion de voir plus loin que la baie de Naples. Mais ce n’était pas important car ce soir-là, j’avais voyagé avec toi.
Puis bien plus tard dans la nuit, nous
avions remonté cette petite rue qui menait à ma maison et à ton hôtel. Je me souviens t’avoir pris la main. Ta main gauche. Elle était si douce et si fine. Tu avais accepté la mienne sans même la repousser. J’avais été un homme doublement heureux. Quelle soirée ! Nous étions arrivés devant l’entrée de ma maison, j’avais ouvert la porte et sans s’être parlé, nous étions entrés. Tout avait été déjà entendu sans un mot. Ni toi ni moi n’avions eu peur, nous avions eu une grande confiance l’un envers l’autre. Tout avait été si évident. Je me souviens encore avoir refermé la porte derrière nous et dans la pénombre du salon je t’avais pris par la taille. J’avais caressé ton dos et je m’étais penché vers toi. Mes lèvres ne s’étaient pas trompées de chemin, elles avaient trouvé les tiennes qui m’attendaient déjà entre- ouvertes. Ce baiser avait été doux puis soudainement passionné. Nos deux corps avaient été comme aimantés et le désir de l’autre s’était accentué au fur et à mesure que les secondes s’étaient écoulées. Ma langue avait rencontré la tienne. Nous ne nous étions plus retenus. Elles s’étaient entrelacées avec amour et passion. Nos corps nus s’étaient trouvés. Tes gestes avaient été d’une telle douceur. Tu avais passé ta main dans mes cheveux ébouriffés, ce geste tendre m’avait renversé et j’avais fondu sur toi avec tout l’amour que j’avais eu en moi. La symbiose avait été unique et délicieuse. Nous étions restés l’un contre l’autre blottis jusqu’au petit matin, nos corps s’épousant à nos envies et à nos désirs tout au long de la nuit. Nous n’avions pas voulu nous séparer. Nous n’avions fait qu’un. Mais il avait fallu reprendre notre travail… et le mois qui avait suivi avait été un mois de passion débordante. Mais plus les jours s’étaient écoulés et plus j’avais pensé à cette fin de tournage inéluctable. J’avais su dès le début que tu retournerais à Rome et que moi, je resterais à Sorrento. Nous nous étions alors promis de nous revoir.
Les mois suivants avaient été éprouvants.
Ni toi ni moi n’avions pensé que l’attachement aurait été si fort. Tu étais partie à Hollywood pour présenter le film tourné à Sorrento. Ce dernier avait été accueilli avec des bravos. Tous les journaux t’avaient encensé. Nous avions essayé de garder le contact en nous appelant le plus souvent possible. Mais nos rythmes de vie différents ainsi que le décalage horaire avaient joué contre nous. Tu t'étais impatientée, et plus le temps était pass, plus tu étais devenue irritable lorsqu'en journée tu avais eu du mal à me joindre. J'avais été simplement en mer. Il avait bien fallu que je poursuive mon travail pour gagner ma vie. Tu t’étais alors imaginée que je m’étais éloigné de toi, que je n’avais plus pensé à toi, et bien pire encore, que je t’avais remplacée. Quand tu m’avais montré ces petits signes de jalousie, j'avais souri, je m’étais senti flatté, enfin du moins au début. Quand j’ai vu que tu avais semblé poursuivre sur cette voie, c'est là que j'avais vite compris que cela pouvait compromettre notre histoire. Tu le vivais mal et je le vivais tout aussi mal que toi. Et à mon tour je me sentais vexé. Lors de nos échanges téléphoniques où nous aurions dû nous dire des mots tendres, même ces moments-là, nous les avions passé à nous prouver que l’autre s’était trompé, tentant de couper court à toute suspicion. Même quand tu n'avais pas été en cause, cela avait été alors à mon tour de douter de toi. Je m’étais dit que ce harem de riches bellâtres qui te tournaient autour, pouvait, un jour ou l'autre, avoir raison de notre amour. Et là tu avais surenchéri retournant la situation à ton avantage et tu avais tenté de te persuader que je ne t'aimais plus et que j’avais une autre femme dans ma vie. Cela m’avait ulcéré à l’époque. Il m'avait semblé que toutes les valeurs que l’on m’avait inculquées n’étaient rien à tes yeux. J’avais tenté, en vain, de te persuader que tu pouvais compter sur mon intégrité et sur la force de mes sentiments. Si tu savais que je n’aimais que toi ! Nous avions été éduqués à l’ancienne mes frères et moi : famille, amour, honneur étaient nos maitre-mots. Chez les Mancini, des générations se succédaient avec trente ou quarante ans d’amour. Et à mon tour, j’avais attendu de trouver un jour, la femme d’une vie, de la même manière que mes parents et mes grands-parents l'avaient fait avant moi. Tu avais été cette femme et tu n’avais pas voulu l’entendre.
Parfois, il arrivait de me dire que tu le
faisais de manière consciente de penser ainsi, cela t’évitait de t’engager avec moi et de perdre ta liberté. Tu reportais les fautes sur moi pour me dire qu'au final, tu avais eu raison. Oui, je crois que cela t’avait permis du gagner du temps. Mais ce temps et cette énergie dépensés nous avaient épuisé. Ce temps et cette énergie gaspillés avait mis à mal notre amour. Tu m’avais testé en permanence durant toute cette période. Tu avais été dans la vraie vie comme tu avais été dans ton métier : un jour dans un rôle, le jour suivant dans un autre rôle. Et j’avais dû composer avec tout cela. Mais j’avais mal réagi car à l’époque je n’avais pas compris cette résistance. J’avais alors tenté de sonder la profondeur de ton âme, d'aller dans ce bleu profond où plus on descend et moins il est aisé d’y voir clair. Juste pour tenter de comprendre d’où venait cette peur, cette appréhension viscérale de te sentir menacée par la présence d'une autre femme, qui n’avait jamais existé dans notre couple mais juste dans ton imagination. C’était peine perdue…
Puis comme par magie, un matin, la
résistance s'était évaporée. Tu avais fait le trajet jusqu’à Sorrento sans me le dire, Tu avais frappé à ma porte ce matin-là pensant sans doute me trouver en bonne compagnie. Mais ma ligne de conduite avait été irréprochable. Je n'avais attendu que toi. Que toi ! tu entends ? Et cela depuis des mois. Tu avais lâché tes deux valises et tu t'étais jetée à mon cou en guise de bienvenue comme s'il ne s’était jamais rien passé. Je t’avais accueilli en t’enlaçant et en t’embrassant sur toutes les parties de ton visage, comme si rien de ces mauvaises heures n’avaient existées. Les années suivantes avaient été heureuses et complices. Je t’avais trouvé, ma vie s’était stabilisée, il m’était même arrivé d’être bavard moi qui ne parlais guère avant de t'avoir dans ma vie. Eh oui ! Tu m’avais transformé et moi, je t’avais rassuré. J’avais été là quand tes angoisses de ne plus avoir de rôles ressurgissaient. Tu avais toujours aimé mon côté rassurant, j’avais toujours aimé ton esprit débordant. Certes, il nous était arrivé de glisser encore, mais nos deux fortes personnalités, après des jours de bouderies, s’étaient toujours retrouvées dans une passion qui avait dépassé tout entendement. Nous nous étions bien trouvés et nous nous aimions. Là avait été notre bonheur.
Et puis il y a deux ans, j’ai commencé à
oublier des petites choses, rien d’alarmant. Alzheimer était à cet instant entré dans notre vie. Voilà ! tu l’avais ton ménage à trois comme je te disais avec humour. Tu partais alors dans des énervements. Tu n’aimais pas que je puisse prendre tout sur le ton de l’humour même le pire de ce qui se présentait à nous. La situation était ce qu’elle était et nous ne pouvions rien y changer à part espérer que la médecine fasse peut-être un miracle…rapidement…qui sait…
Il me reste encore du temps, il nous reste
du temps. Alors ne t’énerve pas mon amour. Arrête de me sermonner. Laisse-moi me souvenir de tout. Laisse-moi te parler de toi telle que je te vois, tel que je te perçois, tel que je te connais. Laisse-moi te parler de nous. Viens et assieds-toi à côté de moi. Profite du paysage qui nous est encore donné de voir ensemble. Et dans nos silences, laisse-moi te conter hier…
C'est étrange…Ce que je viens de te dire me
rappelle quelque chose…Je ne t’ai pas déjà dit tout cela aujourd'hui ou peut-être hier ?