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La Lettre aux Amis du Musée

Louis-Philippe du Château d’Eu


Numéro 29
Automne – Hiver 2021-2022

Un document
exceptionnel
p. 5

Le mot du Président
Chers amis,
Régente, abolitionniste,
Les anniversaires se suivent et ne se ressemblent pas ! Lors châtelaine d’Eu
du précédent numéro de la Lettre, nous célébrions le bicentenaire Le centenaire d’Isabelle du Brésil,
de l’entrée en possession par Louis-Philippe et sa sœur Adélaïde Comtesse d’Eu p. 18
des domaines royaux d’Eu et de Randan. C’est maintenant à la
Princesse Impériale du Brésil Isabelle de Bragance, Comtesse d’Eu
que nous rendons hommage à l’occasion du centenaire de sa mort
au travers de nombreux articles qui, je l’espère, vous permettront
de mieux appréhender l’importance historique de cette « Grande
Dame », pour son pays d’origine et pour son pays d’adoption, la
France et le Château d’Eu.

Cet évènement nous a donné l’occasion de raviver les liens


entre nos deux pays grâce à notre participation à un Congrès
intitulé « D’Isabel Christina à la Comtesse d’Eu : trajectoire »
organisé par l’Institut Dona Isabel Ière à Petrópolis. Les initiateurs
de ce congrès réunissant universitaires et personnalités autour de
l’œuvre et de l’héritage de la Comtesse d’Eu avaient invité
Monsieur le Maire Michel Barbier, Alban Duparc et moi-même à
témoigner du souvenir laissé par cette princesse de ce côté-ci de
l’Atlantique. Nous aurions bien entendu préféré nous rendre sur
place et découvrir les attraits du Brésil … mais nous dûmes nous
contenter d’une intervention en visioconférence (que vous
retrouverez dans cette lettre) ! Toutefois, cela nous a permis de
mesurer l’importance de la marque imprimée durablement par la
Princesse Isabelle dans son pays grâce à son rôle dans l’abolition
de l’esclavage mais aussi de tisser des liens avec nos interlocuteurs
et de les inviter au Château d’Eu. Aurons-nous la visite d’une
délégation brésilienne à Eu en 2022 ? Ce serait une opportunité
unique de mettre en exergue les souvenirs du Brésil dans les
collections du Musée !
Suite en dernière page Une belle acquisition p. 32

1
Dans ce numéro
Comme le note notre Président, 2021 a été une année riche en commémorations pour le château d’Eu. Après notre
numéro spécial consacré au bicentenaire de l’entrée en possession des domaines d’Eu et de Randan par Louis-Philippe, nous
avons souhaité évoquer le destin d’Isabelle de Bragance, Princesse du Brésil, Comtesse d’Eu. Personnage oublié en France,
on garde d’elle au mieux le souvenir d’une vieille dame discrète que chérissait sa petite-fille, Isabelle, Comtesse de Paris,
dont elle avait hérité le prénom. Il est difficile d’imaginer que la même personne fut par trois fois, brièvement, à la tête d’un
des plus grands pays du monde. Au Brésil en revanche, son souvenir est reste vif dans toutes les couches de la société : par
trois fois régente du pays, c’est-à-dire chef d’Etat par intérim, elle décida lors d’une période de régence et contre de
nombreux avis, d’abolir immédiatement l’esclavage, une décision murie par sa profonde foi chrétienne mais qui finalement
coûta le trône à sa famille. Pendant trente ans, sous le nom d’Isabelle Ière, elle porta les espoirs des monarchistes brésiliens
et s’installa en France, à Boulogne-sur-Seine et à Eu. Une décision capitale pour les habitants de la ville d’Eu, puisqu’avec son
mari, Gaston, Comte d’Eu, petit-fils de Louis-Philippe, elle releva des ruines le château après l’incendie de 1902. C’est donc à
cette princesse que nous devons d’admirer cette superbe demeure et son musée. Cette autre grande dame du château d’Eu
méritait donc bien que l’on se souvienne d’elle cent ans après sa mort au château d’Eu.

Comme toujours, n’hésitez pas nous faire part de vos commentaires et suggestions.

Bonne lecture et bonne année 2022 !

François Terrade – francoisterrade.eu@gmail.com

Pour plus d’informations sur le Brésil impérial, on pourra se reporter à notre cahier spécial dans la Lettre aux amis no23,
Printemps 2019, disponible sur demande.

***
Pages
Première partie – Louis-Philippe et la famille d’Orléans
La colonne de Juillet, un monument parisien méconnu, par M. Paul Labesse 3
Un document exceptionnel : les donations par Louis-Philippe le 7 août 1830, par M. Michel Mabire 5
Louis-Philippe, éducateur, par M. Hervé Robert 8
Louis-Tirel et l’ « Almanach Louis-Philippe pour l’année 1851 », par le Père Hervé Rabel 10
La Monarchie de Juillet vue par Stendhal, par M. Paul Labesse 12
La chapelle de Carheil, un édifice royal méconnu, par le Père Hervé Rabel 14
L’obélisque dédié à Madame Adélaïde à Millebosc, par M. Marc Métay 16
Nous avons lu pour vous :
Le Lys et la Cocarde de Grégoire Franconie, par M. Francois Terrade 16
Ferdinand-Philippe d’Orléans, images d’un prince idéal, par le Père Hervé Rabel 17
Amitiés royales, La vie de la famille d'Orléans exilée en Grande-Bretagne de Mme Hughson, par F. Terrade 17

Deuxième partie – Isabelle du Brésil, Comtesse d’Eu


Mémoires d’une petite-fille, par M. Francois Pupil 18
Un objet, une histoire : Pie VII de Pedro Americo, par M. Alban Duparc 21
Dona Isabel, Comtesse d’Eu, une femme élevée pour devenir impératrice du Brésil, par Mme Argon de Matta et
M. Antunes de Cerqueira 22
L’Institut Dona Isabel Ière, par M. Antunes de Cerqueira 24
Intervention de M. Michel Barbier 25
Intervention de M. Alban Duparc 26
Fragments d’un empire disparu (première partie), par M. Carlos Lima Junior 27

Nouvelles de notre association et du château d’Eu


Les acquisitions 32
L’Assemblée générale du 2 octobre 2021 33
Rapport moral 2021 par M. Arnaud de Gromard, président 34
Agenda des amis 36

Les articles présentés dans la présente lettre sont publiés sous la responsabilité exclusive de leurs auteurs et ne sauraient engager la responsabilité
de l’Association des Amis du Musée Louis-Philippe du Château d’Eu.
Responsable de la rédaction – François Terrade (francoisterrade.eu@gmail.com)
Crédits photographiques Musée Louis-Philippe (sauf mention contraire)

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La colonne de Juillet : un monument parisien méconnu
Par M. Paul Labesse

Dès le début de son règne, Louis-Philippe, roi des Français, chercha à légitimer son accession au pouvoir et à s’inscrire
dans la continuité de l’Histoire de la France. C’est ainsi qu’il décida de commémorer Les Trois Glorieuses, c’est-à-dire les trois
journées révolutionnaires parisiennes des 27, 28 et 29 juillet 1830 qui ont chassé Charles X du pouvoir et ont conduit Louis-
Philippe sur le trône, en faisant dresser une colonne place de la Bastille. Un rapide retour en arrière est ici nécessaire pour
comprendre l’état des lieux au moment de débuter les travaux de cette colonne.

Contrairement à la légende propagée sans cesse par nos manuels scolaires et par la plupart des professeurs d’histoire,
la Bastille n’a pas été prise par une foule parisienne spontanée soucieuse de libérer les malheureux prisonniers
innombrables qui croupissaient dans les murs de cette forteresse ! En fait de victimes de l’absolutisme royal, il n’y avait alors
enfermés à la Bastille que sept prisonniers : quatre faussaires, un libertin et deux fous ! Quant au pauvre gouverneur de la
Bastille, Launay, trompé par la promesse de vie sauve donnée par les émeutiers s’il ouvrait les portes de la prison, il sera
cruellement assassiné et sa tête finira au bout d’une pique portée en triomphe comme un trophée d’armes…

Deux jours plus tard, le 16 juillet 1789, l’Assemblée nationale décida la démolition de cette forteresse. L’enthousiasme
fut considérable : bourgeois, artistes, ouvriers, tous venaient
assister à la démolition comme à une fête patriotique. Par la suite,
les matériaux furent utilisés au fur et à mesure pour refaire le
terre-plein du Pont-Neuf, et pour commencer la construction du
pont de la Concorde. Quant au terrain, nivelé, il servit ensuite de
lieu de rencontre pour des fêtes civiques ; ainsi, le 11 juillet 1791,
le corps de Voltaire y fut exposé avant d’être conduit au
Panthéon ; de même, en 1793, Héraut de Séchelle y présida la fête
de la Fraternité.

Sous le Consulat, la place, désormais déserte, fut


abandonnée. Le 2 décembre 1808, jour anniversaire du sacre de
l’empereur, et en l’honneur de l’arrivée à Paris des eaux de
l’Ourcq canalisée jusqu’à la Bastille précisément, le ministre de
l’Intérieur posa au milieu de la place de la Bastille la première
pierre d’une future fontaine alimentée par l’eau de l’Ourcq. En L’éléphant de la Bastille d’après une estampe – Estampe
Coll. G. Hartman
1810, Napoléon I chargea Alavoine d’élever une fontaine
er

triomphale coulée en bronze avec les canons pris aux Espagnols. Finalement, l’architecte opta pour une fontaine pour le
moins insolite : un éléphant monumental de vingt-quatre mètres de haut surmonté d’un palanquin en forme de tourelle
peinte en vert jetant de l’eau du canal de l’Ourcq par sa trompe !

Bâti provisoirement en torchis et en plâtre, l’éléphant devint


rapidement, sous l’action de la pluie, du vent et de la poussière, une
lamentable ruine, crevassée, lézardée, ignoble ; l’herbe poussait entre
ses jambes et les rats y avaient élus domicile… Vingt ans plus tard, le
10 décembre 1830, le roi Louis-Philippe promulguait une ordonnance
décidant « qu’un monument serait élevé sur la place de l’ancienne
Bastille en l’honneur des citoyens morts dans les journées des 27, 28 et
29 juillet 1830. » L’architecte Alavoine, celui-là même qui avait fait
édifier la fontaine de l’éléphant colossal, fut chargé de l’exécution, non
pas d’un obélisque, comme cela avait été initialement prévu, mais
d’une colonne en bronze sur le piédestal de laquelle seraient gravés
les noms des combattants de Juillet.

La première pierre fut posée par Louis-Philippe le 28 juillet


1831, jour anniversaire de cette révolution, mais les travaux ne
Translation des cendres des héros des journées 1830 commencèrent qu’en 1833 et furent achevés par Duc, et la colonne fut
Lithographie du temps. Musée Carnavalet inaugurée le 28 avril 1840. En grande pompe, devant une foule
nombreuse et enthousiaste, eut lieu la translation des cendres de tous
les morts lors des combats de juillet 1830, baptisés pour l’occasion
‘héros’ de la nation.

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Décrivons rapidement le monument. Il se compose d’un massif
circulaire entouré d’une grille ; au-dessous sont les caveaux où l’on a
déposé les corps des six-cent-quinze combattants de Juillet, dont les
noms sont inscrits en lettres d’or sur la colonne elle-même. Au-dessus
de ce massif circulaire sont fixés vingt-quatre médaillons de bronze
qui ornent un soubassement carré ; et au-dessus de ce soubassement,
on découvre un majestueux piédestal en marbre blanc sur lequel est
posée la colonne. Le principal ornement de ce piédestal est le fameux
Lion de Juillet, œuvre du sculpteur animalier Barye.

Sur le côté
opposé sont
représentées les
armes de la Ville de
Paris, et, à chacun Soubassement de la Colonne de Juillet
des quatre angles, le Photographie Nourdein
coq gaulois en
bronze, sculpté également par Barye. La colonne tout entière est en bronze
et son fût est constitué de trois parties symbolisant les trois journées de
Juillet 1830. La colonne est creuse : en effet, à l’intérieur est aménagé un
escalier en colimaçon qui permet de monter jusqu’au sommet de la
colonne. Sur le chapiteau sommital, se trouve une lanterne surmontée du
Génie de la Liberté. Cette statue en bronze doré, œuvre du sculpteur
Le Génie de la Bastille par Dumont – Dumont, tient dans sa main gauche des chaînes brisées, et dans sa main
Photographie Nourdein droite le flambeau de la Civilisation.

Voici quelques chiffres pour terminer. La colonne de Juillet pèse


170.000 kg ; le chapiteau du sommet pèse à lui seul 12 kg. Il a été coulé
d’un seul jet ; il mesure 5 mètres de face et 2m70 de hauteur, l’épaisseur
du bronze est de 12 millimètres ; enfin, la colonne mesure 52 mètres de
hauteur. Ce qui fait que du haut de cette colonne on découvre un horizon
très étendu : les monuments de Paris comme Notre-Dame, le Panthéon,
les Invalides et le Sacré-Cœur, mais aussi le rocher du zoo et le château de
Vincennes, et par beau temps on peut voir jusqu’aux clochers de Saint-
Denis à l’ombre desquels dormaient paisiblement autrefois nos rois de
France…
Nous ne résistons pas au plaisir de vous faire découvrir deux
lithographies intéressantes ; la première (à gauche), datée de 1842,
montre bien la coexistence, pendant plusieurs années de l’éléphant de la
Bastille, fontaine abandonnée et en ruines, et de la Colonne de Juillet toute
L’Eléphant et la Colonne de Juillet récente et toute pimpante.
Lithographie de Benoît (vers 1842)

Quant à la deuxième illustration (ci-contre), elle témoigne des


tourbillons de l’histoire : une Révolution chasse l’autre ! En effet, le 27
février 1848, les mêmes émeutiers parisiens, qui avaient installé sur le
trône le roi des Français Louis-Philippe, descendaient dans les rues de la
capitale pour le chasser ; et de façon incroyable, ils choisirent de
proclamer la République précisément au pied de la Colonne de Juillet qui
commémorait la révolution de 1830. Ils en profitèrent pour rajouter dans
les caveaux de la colonne les corps des cent-quatre-vingt-seize victimes
des 23 et 24 février 1848.

Bibliographie sommaire
ASSOLANT (Alfred) : La Colonne de Juillet, dans Paris-Guide, 1867
CAIN (Georges) : La Bastille, dans Images historiques, Henri Laurens, 1916 Proclamation de la République le 27 février 1848
HILLAIRET (Jacques) : Connaissance du vieux Paris, 1978 Lithographie du temps – Musée Carnavalet
SÉVILLIA (Jean) : La Révolution et la Terreur, dans Historiquement correct, Tempus,
2006
DEUTSCH (Lorànt) : Métronome illustré, 2010

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Un document exceptionnel : les donations par Louis-Philippe le 7 août 1830
Par M. Michel Mabire

Les Trois Glorieuses, les 29, 30 et 31 juillet 1830,


aboutissent à la nomination par les députés, du Duc Louis-
Philippe d’Orléans au titre de Lieutenant Général du
Royaume. Et le lundi 9 août, Louis-Philippe doit prêter
serment de respecter la Charte pour devenir Roi des
Français.

Afin d’éviter que ses biens soient réunis au


Domaine de la Couronne comme de coutume pour les rois
de France, Louis-Philippe a précipitamment signé avant,
deux actes notariés de donation.

L’examen de la minute de ces actes révèle


beaucoup de remarques tant sur la forme que sur le fond.

7 août 1830 DONATION de nue-propriété d’Immeubles,


droits, actions & créances
Par S.A.R. Monseigneur le Duc d’Orléans Aux Princes &
Princesses ses enfants
Pardevant Me Philippe Dentend et Me Victoire François
Casimir Noel, notaires à Paris, soussignés.
Fut présent
Très haut, très puissant et excellent Prince Monseigneur
Louis-Philippe d’Orléans Duc d’Orléans, Lieutenant
Général du Royaume demeurant à Paris, en son Palais rue
St Honoré
Lequel a par ces présentes fait donation entre vifs,
irrévocable et en la meilleure forme que donation puisse
être faite
à ses sept enfants mineurs ci-après nommés, savoir :….
Plusieurs remarques peuvent être faites dès maintenant avant
de poursuivre la lecture de l’acte.
Bien entendu, cela a été rédigé à la plume. En huit pages
d’écritures fines et serrées, la donation donne l’aspect d’un
brouillon avec des ratures, de très nombreux renvois en marge,
le tout difficile à déchiffrer.

Le notaire rédacteur et détenteur de la minute est donc


Maître Philippe Dentend, neveu de Louis-Philippe ! son
confrère Maître Victoire Noel est présent en tant que notaire
« en second ». S’agissant d’une donation, la présence de deux
notaires est obligatoire et ils sont tenus tous les deux, comme
tous les comparants, de parapher chaque renvoi, chaque page
et de signer à la dernière page.
L’essentiel de la réglementation des activités de notaire
résulte principalement de la loi du 25 ventôse de l’an XI qui
stipule notamment que « les notaires ne peuvent recevoir des
actes dans lesquels leurs parents ou alliés, en ligne directe, à
tous les degrés, et en ligne collatérale jusqu’au degré d’oncle ou
de neveu inclusivement, sont parties, ou qui contiennent
quelque disposition en leur faveur. »
Né à Marseille le 6 août 1797, Jean Antoine Philippe
Dentend est le fils naturel du duc de Montpensier, (frère de
Louis-Philippe) et de Françoise Barbaroux, épouse de Michel
Dentend qui est déclaré comme son père à l’état-civil. En 1829,

5
la sœur de Louis-Philippe, Mademoiselle Adélaïde, finance pour son « neveu » l’étude de Maître Cristy installée à Paris, 39
rue Croix-des-Petits-Champs, la famille des Orléans étant cliente habituelle de cette office notarial.
Ouf, les formes sont respectées, Maître Dentend n’agit pas comme neveu ! et il ne porte pas le nom des Orléans.

Ayant eu dix enfants, la donation du 7 août 1830 est consentie par Louis-Philippe à ses sept enfants mineurs nommés
dans l’acte. Il faut noter que :
• deux enfants étaient décédés précédemment sans postérité : Françoise en 1818 et Charles en 1828.
• et qu’il n’ait fait mention nulle part de son fils aîné Ferdinand-Philippe, mineur aussi, n’ayant pas encore
vingt ans, la majorité à l’époque étant de vingt-cinq ans pour les hommes.

On peut penser que c’est la volonté de Louis-Philippe d’exclure son fils aîné de cette donation, probablement pour le
protéger, car, étant successeur probable après son père du titre de Roi de Français, il aurait été possiblement amené à son
tour de faire une donation des biens reçus à ses propres enfants. Compte tenu de l’indivision avec ses sept frères et sœurs et
leurs descendants, cela serait certainement très compliqué.
Les biens personnels du roi devaient être réunis au domaine de la Couronne dès son avènement. Ce qui explique
l’urgence de cet acte de donation signé le sept août avant la prestation de serment prévue le neuf août et d’appliquer, pour
le futur, la même précaution pour le fils aîné.
Les mineurs ne pouvant intervenir ni signer l’acte, ils y sont représentés par M. Nicolas Thomas François Manche de
Broval, « agissant au nom et comme Tuteur spécial des Princes et Princesses d’Orléans, nommé à l’effet de faire la
présente acceptation par délibération du Conseil de Famille tenu et présidé par » le juge de Paix du 2ème arrondissement
de Paris « ce jourd’hui sept août, enregistrée également de jour ». Une magnifique copie certifiée de quinze pages de cette
délibération a été annexée à la minute de cet acte notarié de donation.
Avant l’énoncé des biens donnés, page deux, un simple renvoi en marge précise « Lesquels immeubles sont grevés
de l’usufruit en faveur de son Altesse Royale Madame la Duchesse d’Orléans sans y préjudicier ».
On a failli oublier la future reine des Français en la privant de l’usufruit des biens donnés par son mari à ses enfants !
Pourtant, le Conseil de famille réuni avant l’acte notarié, précise bien donner pouvoir à M. Manche de Broval pour accepter
au nom des enfants la « donation de la totalité de la nue-propriété ».
La désignation des biens donnés est rédigée en vingt articles de chacun quelques lignes sans détail, ni cadastre, ni
origine de propriété. Prenons par exemple un lieu que vous connaissez :
« Neuvièmement : du Domaine, bois et Forêts sis à Eu et communes circonvoisines, comprenant la forêt d’Eu,
trois moulins tant à blé qu’à scierie, petit Moulin, prairie, château, maisons et terres, le tout situé arrondissement de
Dieppe et de Neufchâtel, département de la Seine Inférieure. »

Difficile de faire plus simple par comparaison aux actes notariés de nos jours.

Un renvoi en marge numéroté aussi «vingtièmement» est rédigé comme suit : « des droits afférents au Prince
donateur, à lui appartenant pour la totalité, résultant des augmentations et améliorations faites à son apanage et qui
pourraient être réclamés en cas de réunion de cet apanage au Domaine de l’Etat lesquels droits ne peuvent pas être ici
exactement déterminés mais sont néanmoins évalués pour la perception de l’Enregistrement seulement à un revenu
annuel de Cent mille francs. »
A noter que parmi les biens donnés, certains sont en indivision avec Mademoiselle Adelaïde sa sœur. Si la plupart sont
de nature immobilière, d’autres biens consistent en actions dans le canal d’Orléans et de Loing. Puis, l’article seize énonce
« des droits indivis du Prince donateur pour les deux/tiers d’une valeur capitale de deux cent soixante et onze mille six
cent quarante-huit livres tournois (faisant en francs deux millions deux cent quarante-trois mille six cent deux francs
et quatre-vingt-treize centimes) dûe par l’Etat à la suite d’une cession en faveur du gouvernement de la Principauté de
Dombes… » (illisible)

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Le même jour, 7août 1830, par un autre acte des deux mêmes notaires, Louis-Philippe a fait donation à Mademoiselle
Adélaïde, sa sœur, de la nue-propriété de six maisons situées à Paris. Cet acte, à la différence de celui commenté ci-dessus,
semble être rédigé « plus calmement » et ne contient qu’un seul renvoi pour ajouter un seul mot. A signaler que le Palais
Royal ne semble pas avoir fait l’objet d’une donation et ainsi, semble destiné à rejoindre les biens du Domaine de la Couronne.
Miracles de l’administration fiscale : le même jour, samedi 7 août 1830, ont été enregistrés l’acte de donation à Mademoiselle
Adélaïde, le conseil de famille, et l’acte de donation aux 7 enfants.

A la dernière page de la minute de l’acte de donation aux enfants, sont


écrits à la plume, les mentions suivantes, (le debet signifiant une dette fiscale
due au Trésor Public) :
Enregistré à Paris 2è Bau le 7 août 1830, folio 17 N° C.8 etc …en debet
conformément à la décision de M. le Commissaire au Département des finances
énoncée dans une lettre de M. le Directeur général de l’Enregistrement en date de
ce jour.
Bordereau des droits en debet :
26.712.500 F à 4% 1.068.500 F
Don éventuelle (?) 9.011.920 F à 1,25% 112.649 F
Total en principal 1.181.149 F
Augmenté du décime (10e) 118.114,40 F
Total général 1.299.263,40 F
payé, savoir :
Le 2 juillet 1831, (près de la moitié) 603.981,96 F
Le 17 décembre 1831, 256.920,44 F
Le 26 avril 1832, 438.367,00 F
Total égal (avec 6 F en plus) 1.299.269,40 F

Pour l’acte de donation à Mademoiselle Adélaïde, les droits étaient


calculés au taux de 6,50% sur 862.000 € payés également en debet en une seule échéance le 26 avril 1832 pour un montant
de 56.030 F en principal augmenté de 5.603 F pour le décime soit ensemble 61.633 F.

Bien que l’objet de ces deux actes notariés soit d’une importance primordiale, l’urgence ne justifie pas que celui
concernant la donation aux enfants d’être si difficile à déchiffrer et le contenu des désignations, bâclé et très sommaire !
J’ai travaillé dans le notariat et les clercs étaient fiers
qu’un renvoi dans le corps d’un acte soit paraphé, ce qui
confirme que la minute a bien été vérifiée et relue avant de
recueillir les signatures. On appelait cela « un grain de
beauté ! ». Avec le traitement de texte, il n’y a plus d’ajouts, ni
renvois, ni mots nuls. Actuellement encore moins avec la
lecture électronique d’un texte sur un écran mural suivi d’une
seule signature sur une boite semblable à celle présentée par
un livreur d’un colis.
Pour conclure, je pense que Louis-Philippe et Maître
Dentend son notaire ont eu peu de temps pour convoquer le
conseil de famille, rédiger, corriger, compléter, calculer les
droits, enregistrer avec l’accord écrit de la hiérarchie fiscale, le
tout le même jour. On ne doute pas que les fonctionnaires du
fisc ne pouvaient pas refuser ou retarder les formalités et se
sont empressés de donner leur accord, compte tenu de la
position du Lieutenant Général du Royaume.
Ce sont les évènements des Trois Glorieuses qui ont
porté Louis-Philippe au pouvoir et il ne disposait que peu de temps pour charger son notaire de préparer les actes qui doivent
être signés avant la prestation de serment le lundi 9 août. C’était vraiment improvisé !

Michel Mabire

PS : Je tiens à remercier un fidèle adhérent de l’Association des Amis du Musée Louis-Philippe, Maître André BAYART, notaire
honoraire et maire de Bouttencourt (proche de Blangy dans la forêt d’Eu), pour m’avoir fait parvenir la photocopie de la minute
des actes ci-dessus commentés provenant des archives d'Alain GRACIA, cadre de l'Office National des Forêts, chargé de l’accueil
du public.

7
Découvertes d’archives par M. Hervé Robert
Louis-Philippe éducateur

Chaque fils de Louis-Philippe fut accompagné


jusqu’à sa majorité par un précepteur qui se chargeait de lui
faire la classe avant son entrée au Collège Henri IV puis de
l’encadrer et de l’accompagner dans sa vie de collégien, en
surveillant devoirs et leçons et en les entraînant pour les
compositions du concours général. Il lui incombait aussi
d’écrire un rapport quotidien sur le travail et la conduite de
leur protégé dans un carnet qui était remis tous les soirs au
duc d’Orléans. Le prince consignait à son tour ses réponses,
instructions et observations qui pouvaient être assez
développées. À compter d’avril 1823 Ferdinand-Philippe
duc de Chartres était pris en charge par Jacques Dominique
de Boismilon (1795-1871), normalien, professeur agrégé
d’histoire au Collège royal Charlemagne, choisi sur la
recommandation du prince de Talleyrand.

Nous proposons trois extraits du carnet de l’année


1824 qui a été conservé et se trouve aujourd’hui dans les
Archives de la Maison de France sous la cote 300 AP III 165.
Les propos échangés entre le père et le précepteur
concernent un adolescent alors dans sa quatorzième année.

Horace Vernet - Ferdinand-Philippe d’Orléans, Duc de Chartres,


élève au Collège royal Henri IV, 1821

Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Lundi 5 avril [1824]

Boismilon :

Le duc de Chartres avait toussé cette nuit, et était encore enroué ce matin : il a pris
un bain, et n’est allé au collège que pour la classe de l’après-midi. Il est assez bien ce soir
et j’espère que son indisposition ne nuira pas à la composition de demain.

Louis-Philippe :

Je l’espère aussi. Je désire que Chartres sache qu’il y a aujourd’hui trente & un ans
que j’ai été forcé par les orages politiques dont la France a été le théâtre, de m’en éloigner.
A pareil jour, mon cheval fut tué sous moi par une balle française qui le frappa entre l’œil
& l’oreille. Je souhaite qu’il n’éprouve jamais de pareils revers, mais qu’il les connaisse, qu’il
sache de bonne heure ce que les vicissitudes de la fortune, & que jouissant, comme moi, du
bonheur aussi étonnant que longtems inattendu, de se retrouver au sein de la patrie & sous
le toit de ce Palais qui m’a vu naître, nous répétions ensemble ce que disait Scipion
l’Africain, « Allons au Capitole en rendre grâce à Dieu ».

8
Vendredi 14 mai [1824]

Boismilon :

Que le duc de Chartres aime un jeu, il a le défaut de devenir quelquefois intraitable sur cet article,
et d’y mettre une personnalité trop exclusive. Hier soir, le bon petit duc de Penthièvre manifestait un grand
désir de jouer à la balle avec le duc de Chartre qui le refusa, tandis qu’il nous semblait qu’il ne devait avoir
alors d’autre sentiment que le plaisir de pouvoir amuser cet enfant qui n’y est pas toujours si bien disposé.

Le duc de Chartres a été très bien au collège avec son frère qui de son côté a montré aussi une
résolution et une bonne humeur tout-à-fait édifiante.

Louis-Philippe :

Chartres doit se considérer comme le second père de ses frères & sœurs, surtout d’un pauvre enfant
aussi retardé que Penthièvre. Il doit donc tâcher de se prêter à leurs désirs & surtout quand il refuse, ne pas le
faire sèchement.

Je lui ai parlé hier de son embarras & de son silence quand des personnes marquantes se font présenter
à lui : il ne leur dit pas une parole, & ne paraît occupé que du désir de leur échaper (sic) & de s’éloigner d’elles.
Cette maussaderie me désole, & lui fera un tort extrême, s’il ne la surmonte pas. Son âge & sa taille l’élèvent
au-dessus de l’enfance, & qu’il juge lui-même de ce qu’on doit penser en trouvant en lui, ce qui déplairait dans
un enfant. Plus il tardera à se débarasser (sic) de cette maussaderie, plus il aura de peine à la vaincre. Elle
croitra avec lui, & fera qu’au lieu de le rechercher on n’en fera aucun cas, & chacun après l’avoir acosté (sic),
lui tournera le dos en disant ou au moins en pensant qu’il est bien mal élevé. Il faut donc absolument qu’il se
forme sur ce point, & qu’il n’oublie jamais que tout est réciproque dans le monde, qu’on y est traité, comme on
traite les autres, que si on est impoli, on reçoit des impolitiques, & qu’on ne s’y trouve bien que quand on est
obligeant & prévenant envers tout le monde. C’est plus essentiel pour un Prince que pour tout autre, car le
monde est plus sévère & plus exigeant envers eux, & cela est juste. Quand on a les avantages d’un rang élevé &
il est juste d’en supporter les charges. Je suis bien aise au reste que Chartres soit un ami & un bon guide pour
Nemours. Rien ne me fait plus de plaisir que cette union, mais qu’il soit de même pour tous les autres. Voilà ce
que je demande avec instances.

Vendredi 4 juin [1824]


Boismilon :
Je n’ai pas à me plaindre du travail ni de la conduite aujourd’hui.
Je désirerais que le duc de Chartres fît quelques efforts sur lui-même pour parler moins
légèrement, et sinon avec égards, du moins sans expressions outrageantes des personnes à qui la
jeunesse des collèges doit porter du respect. L’occasion s’étant présentée par hazard (sic) dans la
conversation de parler des inspecteurs de l’université il se servit pour les qualifier d’un terme par
lequel les garçons de salle du collège se seraient crus insultés.

Louis-Philippe :
Ceci me fait beaucoup de peine, & c’est une bien mauvaise clôture pour ce livre que je vais
déposer dans ma Bibliothèque d’où il est probable qu’on le retirera quelque jour pour le faire
imprimer ; car tout perce tôt ou tard, & c’est une de ces vérités dont Chartres ne saurait se
pénétrer assez tôt & assés fortement. C’est que tout se sait dans le monde, & surtout les mauvaises
actions. Or rien n’est plus important surtout pour un Prince que de n’insulter personne & d’être
circonspect dans ses discours. Il est désirable, non seulement de ne jamais répéter des expressions
grossières, mais d’éprouver du dégoût quand on en entend & de décourager ceux qui ont cette
déplorable habitude. Si Chartres ne s’observe pas davantage à cet égard, tous nos efforts pour lui
procurer des succès & lui assurer dans le monde une carrière heureuse & brillante seront en pure
perte, & on dira de nous que nous l’avons mal élevé. Je ne veux pas écrire ce qu’on dira de lui ; il
m’est déjà assés pénible d’avoir à clore ce livre par une exhortation aussi triste. LP
Neuilly ce 5 juin 1824.

9
Louis Tirel et l’«Almanach Louis-Philippe pour l’année 1851»
par le P. Hervé Rabel

Qui était Louis Tirel ?

Pendant la Monarchie de Juillet, Louis Tirel assura les


fonctions de contrôleur des équipages du roi ; il avait la
responsabilité des achats de voiture, la sélection des chevaux,
l’affectation des équipages dans leurs différentes missions et, plus
globalement, la gestion du parc royal des voitures. Homme d’ordre
et de fidélité, il ne put supporter l’incendie criminel allumé le 24
février 1848 par les émeutiers, qui détruisit une partie du parc
hippomobile royal ; horrifié, Tirel qualifie cet évènement d’ ‘auto-
da-fé des voitures du Roi’.

Après la chute de la monarchie, cet homme se crut investi


d’une mission quasi divine de défense des intérêts des Orléans, et
cette ‘défense de l’Honneur du Roi déchu des Français’ prit la
forme d’un panégyrique du monarque et de sa famille dans un
ouvrage au titre évocateur : ‘La République dans les carrosses du
roi. Triomphe sans combat. Curée de la Liste civile et du Domaine
privé. Scènes de la Révolution de 1848’. Dans cet ouvrage, il
évoque, avec douleur et effarement, la destruction des voitures
royales, le pillage des Tuileries et du Palais Royal et l’incendie du
château de Neuilly.

Il se présente dans ce pamphlet comme ayant servi pendant


seize ans dans l’administration de la Liste civile et précise, à la
page 11 : « Vieux libéral sous la Restauration, homme de Juillet
1830, et décoré pour ma conduite à cette mémorable époque,
j’avais obtenu un modeste emploi de contrôleur dans
l’administration de la liste civile, et j’étais attaché en cette qualité
au service de l’habillement et du matériel des équipages » ; il était
logé à l’hôtel des Ecuries du roi, rue Saint-Thomas du Louvre, donc
aux premières loges pour être le spectateur navré des émeutes...

En plus de cet ouvrage, paru en 1850, Tirel est également l’auteur de ‘Mort de Louis-Philippe et pièces authentiques
à l’appui de la proposition de l’honorable M. Creton (de la Somme) pour le rappel des Princes de la Maison d’Orléans, en
qualité de citoyens français’, paru aussi en 1850. Il fit paraître également une ‘Abdication de Henri V. Au courage politique,
épitre en vers. La fête du 4 mai 1851, satire’.

L’ Almanach Louis-Philippe

Une collection particulière conserve ce très étonnant almanach, au titre exact... et évocateur : « Almanach Louis-
Philippe pour l’année 1851. Ses bienfaits pour chaque jour de l’année 1851 ». C’est un ouvrage in-12, en pleine percaline
noire, le dos orné de fers dorés romantiques, les plats décorés de fers à froid, avec au centre du plat supérieur, les armes de
France dorées et couronnées. Sa composition en est extrêmement originale : après le faux-titre et le titre, se trouve un ‘Projet
de statue à élever à la mémoire de S.M. Louis-Philippe’, gravure de Lacoste Aîné. Après une ‘Déclaration de l’auteur’, un
panégyrique du monarque déchu, et un calendrier et tableau des marées pour 1851, on trouve le cœur de l’ouvrage :
‘Almanach Louis-Philippe. Ses bienfaits pour chacun des 365 jours de l’année’ : chaque jour, Tirel va en effet rapporter un
‘bienfait’ du roi ! Pour ce qui est de notre région, on peut relever :
- jeudi 3 juillet Saint-Anatole : ‘Don de 12.000 fr pour la confection de la route de Paris au Tréport’ (Monit. de 1833, f°
1829’)
- jeudi 4 septembre Sainte Rosalie : ‘Don de 5.000 fr aux pauvres et aux hospices de la ville d’Eu (Seine-Inf) (Monit. de
1847, f° 2530)’

10
S’ensuivent des ‘Observations sur les dons du Roi.
Esprit dans lequel ils étaient faits’ où, à la page 55, on peut
lire : « Quant à la munificence royale, le Roi savait aussi
l’exercer dignement ; il l’a prouvé dans tous ses voyages,
dans toutes ses fêtes et réceptions. Lorsqu’il reçut la Reine
d’Angleterre à son château d’Eu, il voulut que les chevaux qui
seraient attelés à la voiture de S.M. Britannique pour la
conduire du Tréport au château (2 kilomètres tout au plus),
fussent harnachés et caparaçonnés avec les harnais, remis à
ses armes, et qui avaient servi au sacre de S.M. Charles X.
‘Mais, Sire, lui répondit son écuyer, ces harnais sont restés à
Paris. – Qu’on parte en poste les chercher. – Ces frais sont
considérables, Sire, et j’ai ici les équipages les plus
convenables. – Qu’on parte, dis-je...’. Puis reprenant avec
douceur et bonté : ‘Marquis, il est des circonstances où il faut
user de l’or comme du sable, ouvrir la main et le laisser
tomber sans en regretter un seul grain ; mais dans d’autres,
savoir la serrer fermement, pour n’en rien laisser perdre
inutilement’. Le Roi fut obéi ; et Dieu sait avec quel luxe et
quelle magnificence la Reine amie et son auguste époux
furent reçus à Eu ! Une aile fut plus tard ajoutée à ce vieux
manoir des Guises, pour y fonder, comme souvenir,
l’établissement de la galerie Victoria ».

Après un paragraphe sur la ‘Clémence royale’, un


autre sur les ‘Principaux faits de la vie de Louis-Philippe’, un
passage sur la ‘Dynastie de Juillet 1830’, un autre sur le
‘Martyre de la royauté’, on peut lire les ‘Travaux publics
exécutés sur la surface entière de la France pendant le règne
de S.M. Louis-Philippe’, les ‘Embellissements de Paris sous le
règne de Louis-Philippe’, les ‘Ministres sous le règne de S.M.
Louis-Philippe’, et les ‘Recettes et dépenses générales de la
Liste civile balancées pour toute la durée du règne, 17 ans ½’.

Suit un ensemble de dix gravures sur bois, illustrées par des vers de Tirel, représentant les membres de la famille
royale : « Les portraits qu’on va lire sont extraits de ma Philippide, biographie en vers de S.M. Louis-Philippe Ier, Roi des
Français ». Enfin, après plusieurs autres articles, Tirel décrit son ‘Projet d’un monument à élever à la mémoire de Louis-
Philippe et à la gloire de la France’, à la pointe de l’ile de la Cité, à Paris.

Voir sur l’auteur :


David Frapet Littérature pamphlétaire et apologétique au XIXe siècle : Fiche n° 2 : L’Orléanisme et les républicains. 1) Les
pamphlets et les écrits apologétiques orléanistes. A) Louis Tirel et le comte de Montalivet : deux visages de la littérature
orléaniste militante au XIXe siècle. Site fdv-srv.univ-lyon3.fr

11
La Monarchie de Juillet vue par Stendhal
par M. Paul Labesse

Tous les amoureux de littérature ont lu Le Rouge et le Noir (1830) et La


Chartreuse de Parme (1839), mais connaissent-ils pour autant un autre roman
écrit par Stendhal dans l’intervalle, resté inachevé et inédit jusqu’à la fin du XIX e
siècle ? En effet, en 1834 Henry Beyle arrivait à Trieste, puis à Civitavecchia où il
venait d’être nommé consul. Là, et à Rome, où il faisait de fréquents séjours, il
commença la rédaction d’un roman intitulé Lucien Leuwen. Il en écrivit les deux
premières parties, mais fonctionnaire du roi Louis-Philippe, Beyle sentit vite
l’impossibilité de le publier à cause de son contenu tant que la monarchie de
Juillet durerait. Et donc, il renonça à en écrire la troisième partie ; de plus, il ne
vit pas la chute de Louis-Philippe puisqu’il décéda en 1842. Pendant un an, du
juin 1834 au 28 avril 1835, Stendhal travailla sur ce deuxième roman. La peinture
ironique de la monarchie de Juillet esquissée par ce subtil analyste dans ce long
récit mouvementé méritait bien qu’on lui consacrât un article.

La première partie, forte de 480 pages, raconte les péripéties du jeune


Lucien Leuwen. Brillant polytechnicien, mais chassé de son école, car soupçonné
d’avoir des sympathies républicaines, séduisant et fortuné (il est le fils d’un
richissime banquier parisien), il vient d’être nommé sous-lieutenant de cavalerie
et arrive dans sa ville de garnison, Nancy. Introduit avec curiosité comme il se
doit dans tous les salons de la noblesse de la ville, Lucien fréquente bientôt toute Olof Johan Sӧdermark - Stendhal - 1840
l’aristocratie locale, prétexte pour Stendhal de tracer un panorama assez exact de
l’échiquier politique de l’époque.
Le premier clan politique, de loin le plus nombreux et le plus actif, est celui des légitimistes. Il s’agit de tous les nobles
fidèles au seul roi légitime à leurs yeux, c’est-à-dire les partisans de Charles X, le descendant de la branche aînée des
Bourbons. Certains d’entre eux, les plus portés sur la personne du roi déchu, s’enorgueillissent même du titre de ‘carlistes’.
Admis dans les différents salons légitimistes nancéens, Lucien Leuwen découvre avec étonnement toute cette faune ; ainsi,
dans le salon de Mme de Chasteller (dont il tombera d’ailleurs follement amoureux), il écoute avec étonnement cette dame
plaider ‘avec chaleur la cause de Charles X ; c’est une ultra enragée […] qui prend feu en faveur de Henri V’. Rappelons que ce
dernier personnage est le fils du duc de Berry assassiné par Louvel en 1820 ; il est alors âgé d’une quinzaine d’années.
Heureusement, une bonne partie des légitimistes rencontrés suit une politique beaucoup plus modérée que les ‘ultras’; on
les appelle les ‘juste milieu’. À Nancy, ‘un régiment entier passait pour juste milieu, où par conséquent l’argent est roi’.
Le deuxième clan, qui lui est d’ailleurs directement opposé, est celui des républicains, appelés par certains
‘révolutionnaires’. Ils considèrent, sans doute à juste titre, que lors des journées de Juillet 1830 ils ont joué le rôle de dupes ;
en effet, ils ont travaillé à l’avènement d’une dynastie, celle des Orléans, qui n’a rien de
démocratique et qui finalement perpétue le régime ancien sous un autre nom. Peu leur
importe que le monarque s’appelle Louis-Philippe au lieu de Charles X, si la liberté ne
s’épanouit pas plus largement ; aussi leur ressentiment est-il profond contre le ‘tard-venu’ qui
a confisqué la victoire populaire. Mais ces républicains parlent au nom d’une classe qui n’est
pas la leur ; en effet, on rencontre principalement dans leurs rangs des bourgeois et des fils
de bourgeois, bien rentés exerçant un commerce lucratif. Lucien Leuwen doit subir
passivement les discours revendicateurs des républicains : ‘Le docteur prêchait sur les
ouvriers du ton d’un Juvénal furieux ; il parlait de leur misère fort réelle qui, exaspérée par les
pamphlets jacobins, doit renverser Louis-Philippe’.

Qu’en est-il du parti orléaniste ? Il est totalement absent des salons nancéens et donc
du roman. Les seules mentions concernant Louis-Philippe sont toutes émises par les partis
d’opposition et donc négatives. Le couplet le plus fréquent est celui de l’usurpation ; ainsi un
des marquis salonards : ‘n’entendait jamais nommer Louis-Philippe sans lancer d’une voix
singulière et glapissante ce simple mot : voleur. C’était là son trait d’esprit, qui, à chaque fois,
L’éditeur a choisi pour faisait rire à gorge déployée la plupart des nobles dames de Nancy, et cela dix fois dans une
couverture le fameux tableau de soirée. Lucien fut choqué de l’éternelle répétition et de l’éternelle gaieté.’ Dans un autre salon,
Winterhalter représentant la la conversation générale porte sur le camp de Lunéville et ses suites probables : ‘qui n’étaient
visite de la Reine Victoria au Roi rien moins que la chute immédiate du pouvoir de l’usurper (du pouvoir usurpateur) qui avait
Louis-Philippe au château d’Eu l’imprudence d’en ordonner la formation.’ Partout est repris ‘le grand thème de l’impossibilité
de la durée du gouvernement de Louis-Philippe.’

12
Curieusement, Stendhal, par le biais de son héros Lucien Leuwen, ne dit pas un mot des bonapartistes, lui qui a suivi,
en tant qu’officier d’intendance, Napoléon en Allemagne, en Autriche et en Russie ! Ce parti très puissant avait contribué à
chasser le gouvernement des Bourbons parce qu’il leur avait été imposé par de prétendus vainqueurs, par la force étrangère
et les traîtres de l’intérieur. Aucune gloire ne s’était élevée assez haut depuis Waterloo pour faire oublier celle de Napoléon ;
son ombre se projetait sur le trône de Louis-Philippe, comme naguère sur celui de Louis XVIII et de Charles X, et sa légende
était en plein essor. Il devait bien exister à Nancy des bonapartistes ! Pourquoi Stendhal n’en dit-il pas un mot ? D’autant plus
que nous savons le culte que professait Stendhal pour l’empereur. Visitant le pays que traversa Napoléon au retour de l’île
d’Elbe, sur la route de La Mure, il marqua par un petit rameau de saule la place où Napoléon se heurta aux troupes envoyées
contre lui. Lucien Leuwen lui-même est un admirateur de l’empereur : ‘les récits de la vie du jeune général Bonaparte,
vainqueur au pont d’Arcole, me transportent ; c’est pour moi Homère, Le Tasse, et cent fois mieux encore.’
Petit détail amusant : à chaque fois, ou presque, que Stendhal fait parler ses personnages un peu sévèrement contre
la monarchie de Juillet, il s’empresse de mettre une note en bas de page : ‘C’est un républicain qui parle / Ce sont des ultras
qui parlent / C’est un légitimiste qui parle’. N’oublions pas que le dénommé Henry Beyle, consul en poste à Civitavecchia, est
fonctionnaire du gouvernement…

La deuxième partie, qui ne comporte pas moins de 520 pages, change totalement
de décor et de sujet. Lucien Leuwen s’est enfui de façon rocambolesque de Nancy à cause
d’un coup monté contre lui pour le faire douter de l’amour que lui porte Mme de
Chasteller. Le voici désormais à Paris ; grâce à l’influence de son père, grand banquier
tout puissant, Lucien se retrouve premier secrétaire du ministre de l’Intérieur. Par ce
biais, Stendhal dévoile les rouages de la monarchie de Juillet, marquée par les délits
d’initiés et les élections truquées où l’argent et les ‘coquineries’ dominent.

Deux thèmes principaux sont exposés dans cette deuxième partie du roman. Le
premier concerne la banque et les pouvoirs grandissants des financiers qui entourent
le roi Louis-Philippe. Ce sont eux qui règnent : ‘Une ordonnance du roi fait un ministre,
une ordonnance ne peut faire un homme comme le banquier M. Leuwen’. Avec l’arrivée de
la monarchie de Juillet, la Bourse a désormais le pas sur la vie politique : ‘Le
Gouvernement a le plus grand intérêt à ménager la Bourse. Un ministre ne peut pas défaire
la Bourse, et la Bourse peut défaire un ministère’. Au passage, Stendhal, bien au courant
de ces pratiques, ne peut résister au plaisir de révéler au lecteur comment un ministre
malhonnête peut faire fortune par délit d’initié. En effet, prévenu avant tout le monde et
de mèche avec un banquier véreux, il se met ‘compte à demi pour toutes les affaires de Bourse basées par des dépêches
télégraphiques’. C’est une réalité de l’époque : les banquiers tiennent désormais le haut du pavé : ‘La bourgeoisie a remplacé
le faubourg Saint-Germain et la banque est la noblesse de la classe bourgeoise’. De ce fait, ‘les gens à argent sont aux lieu et
place des grandes familles du faubourg Saint-Germain !’. Puisque c’est l’argent qui règne en maître, l’argent seul permet
finalement de gouverner : ‘Malheureuse monarchie ! Le nom du Roi est dépouillé de tout effet magique. Il est réellement
impossible de gouverner avec ces petits journaux qui démolissent tout. Il nous faut tout payer argent comptant ou par des
grades… et cela nous ruine !’
Le deuxième thème est celui du trucage des élections législatives. Lucien Leuwen est envoyé par son ministre avec
les pleins pouvoirs (de l’argent liquide, des postes à distribuer et l’autorisation de radier des fonctionnaires, préfets y
compris) pour tâcher de faire gagner les élections à deux candidats orléanistes en difficulté, à Blois et à Caen. Tous les
mécanismes employés avec talent par le jeune secrétaire sont développés avec force détails par Stendhal : menaces,
flatteries, prévarication et radiation sont tour à tour employés. Si la situation pour le siège de Blois semble bien se présenter,
en revanche Lucien échoue à Caen à faire élire un ultra au détriment du candidat républicain finalement victorieux. Les
limites du pouvoir préfectoral au sein d’une société provinciale sont révélées ainsi que la diversité des sentiments politiques
de la France de l’époque. Subitement, M. Leuwen, le banquier, ruiné, meurt. Le roman s’interrompt lorsque Lucien se décide
de partir pour Rome :’Il vit avec plus de plaisir qu’il n’appartient de le faire à un ignorant Milan, Sorona, la Chartreuse de Pavie,
etc. Bologne, Florence, le jetèrent dans un état d’attendrissement et de sensibilité aux moindres petites choses qui lui eût causé
bien des remords trois ans auparavant’.

Il est incontestable qu’Henry Beyle, consul de France, agent nommé par la monarchie de Juillet, ne pouvait guère se
permettre de publier, c’est-à-dire de mettre sur la place publique les ‘friponneries’ des ministères de ce régime à la fois
concernant les élections mais aussi les enrichissements frauduleux. S’il est vrai que notre sujet nous a fait mettre en avant
toutes les critiques politiques contenues dans ce roman, on ne doit pas oublier qu’il s’agit aussi d’un roman d’amour entre
deux personnages que tout semble opposer : Lucien Leuwen est un grand bourgeois de Paris, fils d’un riche banquier, dont
les affinités seraient plutôt républicaines, tandis que Mme de Chasteller est issue de la noblesse de province ultra-royaliste.
Finalement, d’après nous, la suite et la fin de cette histoire est plutôt à rechercher dans le roman suivant La Chartreuse de
Parme, histoire d’amour dans laquelle Fabrice del Dongo remplacera Lucien Leuwen, et Gina del Dongo, comtesse Pietranera,
duchesse de Sanseverina, se substituera à Mme de Chasteller.

13
La chapelle de Carheil : un édifice royal méconnu
par le P. Hervé Rabel

Un choix politique

Situé à Plessé (Loire-Atlantique), entre Redon et Nantes, le domaine de Carheil a une longue histoire. La terre, déjà
mentionnée au tout début du XVe siècle, passe en 1619 dans la famille de Cambout de Coislin et, de 1659 à 1668, un vaste
château est édifié, sur les plans de l’architecte Gilles Corbineau.
Après la Révolution, Pierre-Adolphe de Cambout (1805 – 1872), comte de Carheil et marquis de Coislin, sera
compromis, avec son père (mort en 1837) dans le complot légitimiste suscité, en 1832, par la duchesse de Berry : Carheil
servit alors de quartier général aux rebelles de la rive droite de la Loire. Ruinée par les dépenses occasionnées par ces
évènements, la famille de Coislin dut se résigner à vendre sa terre ancestrale.
Paradoxe de cette situation, Louis-Philippe désirait s’implanter dans cette Bretagne légitimiste ; en juin 1845, le duc
d’Aumale deviendra propriétaire du château de Châteaubriant... qu’il revendra en 1853 au Conseil général de la Loire-
Inférieure.
De la même manière, la terre de Carheil parut au monarque une opportunité et, dès 1842, il avait décidé l’acquisition
du château, avec l’intention d’en faire un centre orléaniste ; le 15 octobre, le domaine était acquis, de gré à gré, par le prince
de Joinville. Dans ses ‘Vieux Souvenirs’, le prince rapporte : « Le château était à vendre et mon père désirait l’acheter, pour
servir de centre aux landes de Saint-Gildas et de Lanvaux, qui lui appartenaient ».
Un ‘Rapport au Roi’ de 1847 avoue clairement ces préoccupations : « Sire, l’acquisition de Carheil a été faite dans un
but presqu’entièrement politique, il s’agissait d’annihiler une influence hostile ; de faire revivre la mémoire du duc de Penthièvre,
si chère aux anciens du pays ; et d’étendre dans toute la Bretagne l’attachement que les Bretons des bords de mer ont hautement
manifesté pour un de vos fils ».
Le prince de Joinville, comme son frère Aumale, gardera bien peu de temps la terre ; du fait de la Révolution de 1848,
le domaine sera revendu en 1852. Malheureusement, le 9 janvier 1945, le château fut détruit par un incendie, aux causes
encore indéterminées, et ses ruines rasées. La propriété a été depuis lotie et est devenue le ‘Domaine de Carheil’, divisé entre
de multiples propriétaires et auxquels appartient la chapelle.

L’apogée de l’Atelier de peinture sur verre de la Manufacture de Sèvres

Si le château a disparu, il nous reste heureusement la chapelle,


miraculeusement préservée, du fait de sa situation à 35 mètres de la demeure.
C’est le dernier des nombreux édifices religieux construits ou aménagés dans les
résidences du domaine privé de la famille d’Orléans, et l’un des rares à être
demeuré intact.
Dès 1844, les plans de ce modeste édifice (bâtiment rectangulaire de 17,40
m. de longueur sur 7,20 m. de largeur) étaient établis ; c’est Théodore Roussel,
entrepreneur à Paris, qui en établit les plans et se chargea des travaux, dans
l’esprit de l’église parisienne de Notre-Dame de Lorette. La construction sera
terminée en septembre 1846.
La merveille de cet édifice, ce sont ces huit verrières ornées de vitraux de
la Manufacture de Sèvres. L’Atelier de peinture sur verre, créé en 1827 à la
Manufacture, et qui fermera en 1851, travaillera donc essentiellement pour la
Monarchie de Juillet ; ce sera, en réalité, l’œuvre de Louis-Philippe, qui y jouera
un rôle prépondérant. Pas moins de vingt-quatre édifices seront ornés de
verrières de Sèvres, depuis Notre-Dame de Lorette (1827 – 1836) jusqu’à l’église
parisienne de Saint-Roch (1849). Mais un des plus beaux exemples de cet art - et
le plus méconnu sans doute - est sans conteste cette parure de lumière que
constitue l’ensemble de Carheil.
Ordonnés par le roi en août 1844, ces huit verrières seront posées en 1847 ;
les sujets des vitraux sont les patrons de la Bretagne et ceux de la famille royale
cependant, en décembre 1845, le programme est modifié, au détriment des saints
Ill. 1 - Saint-François d’Assise et Sainte-Elisabeth patrons de la famille d’Orléans. L’iconographie bretonne occupe ainsi dans ce
second programme une place prépondérante, afin de mieux répondre aux
préoccupations politiques du roi. Les verrières illustrent la formule du ‘vitrail-
tableau’, caractéristique de l’Atelier de Sèvres, avec des bordures néo-
Renaissance d’une ampleur considérable.

14
Ces huit vitraux, qui forment un ensemble remarquablement homogène, sont les
suivants :
- au-dessus de la porte d’entrée : ‘Le Baptême de Clovis’ (1847), carton de
François-Louis Dejuinne, dont le tableau (Salon de 1839) est au musée de
Versailles.
- à la tribune des Princes : ‘Saint-Gildas et Saint-Mathurin’ (1846), carton
d’Auguste Hesse et ‘Saint-Pierre et Saint-Paul’ (1846), carton de Paul Roussel
- dans la nef : ‘Sainte-Anne, la Vierge et l’Enfant’ (ci-dessous), carton de Hesse,
d’après Le Pérugin et une miniature ayant appartenu à la reine Marie-Amélie.
Ce vitrail se retrouve dans la chapelle du château d’Eu, avec un encadrement
plus simple (1843). Et ‘Notre-Dame d’Auray’ (1847), carton d’Achille Devéria.
- vers l’autel : ‘Saint-François d’Assise et Sainte-Elisabeth’ (page préc.), avec
pour modèle le prince et la princesse de Joinville, carton de Jean-Auguste Ingres.
Et ‘Saint-Louis et Saint-Philippe’ (1846) (ci-contre), carton de Ingres, 1843, pour
la chapelle Notre-Dame de la Compassion de Neuilly, remployé en 1845 pour la
chapelle de Dreux.
- enfin, au-dessus de l’autel : ‘Notre-Dame de Bon Secours’ (1846), carton de
Hesse.

Une œuvre d’art totale

Placée sous le
vocable de Notre-Dame de
la Bonne Délivrance, la
Ill. 2 - Saint Louis et Saint Philippe chapelle ne se réduit pas à
ses vitraux ; elle constitue
un ensemble Louis-Philippe très homogène et du plus grand intérêt.
En effet, dix toiles peintes alternent avec les vitraux, œuvres
d’artistes en renom de la Monarchie de Juillet, complétant une
iconographie à la gloire de la Bretagne : il s’agit de ‘Saint-Clair’, par
Joseph-Léon de Lestang-Parade, ‘Saint-Judicaël’, par Auguste Pichon,
‘Saint-Donatien’, ‘Saint-Rogatien’, ‘Saint-Corentin’ et ‘Saint-Brieuc’, par
Merry-Joseph Blondel, ‘Saint-Yves’, par Charles-Alexandre Craux, ‘Saint-
Samson’, par Charles-Victor Lefèvre, ‘Saint-Malo’, par Alexandre-
François Caminade et ‘Saint-Pol de Léon’, par Théophile-Auguste
Vauchelet, qui, on le rappelle, travailla aux décors du château d’Eu.
Ces peintures furent commandées en 1847, exécutées très
rapidement et livrées avant la fin de l’année ; ces toiles monumentales
aux tonalités discrètes et les verrières éclatantes, alternées selon un parti
proche de celui de Notre-Dame de Lorette, créent un décor somptueux,
bien insolite dans ce lieu campagnard. La disposition des lieux, avec une
tribune des Princes face à l’autel, n’est pas sans rappeler celle de la Ill. 3 - Sainte-Anne, la Vierge et l’Enfant
chapelle du château de Randan ; lambris, plancher et caissons du plafond
sont en chêne ciré. La pose des peintures et l’achèvement du lambris ne seront effectués qu’après 1848.
Toujours entretenu, mais peu utilisé, l’édifice a été entièrement restauré, la fin des travaux ayant eu lieu en octobre
2020. Pour la sauvegarde de la chapelle, il convient de mentionner le dynamisme de l’‘Association des Amis de la Chapelle
Royale de Carheil’, créée en 2015 (président Patrick Charbonnet charbonnet.patrick@wanadoo.fr), afin d’accompagner cette
restauration et qui veille avec sollicitude sur ce monument insigne de l’art de la Monarchie de Juillet.

Bibliographie :
- Geneviève et Jean Lacambre Les vitraux de la
chapelle de Carheil. Un témoignage de l’art
officiel au temps de Louis-Philippe in Revue de
l’Art, 1970, n° 10, p. 85 – 94
- Noëlle Martin-Blond Histoire et Mémoires de
Carheil. Si Carheil m’était conté et Quand la
mémoire du château brûle, 2ème édition, 2021.
Ill. 4 - Sainte-Anne, la Vierge
et l’Enfant (détail)

15
L’obélisque dédié à Madame Adélaïde à Millebosc
Par M. Marc Métay, secrétaire général de la Fondation Saint-Louis

Un promeneur peut être surpris de découvrir à Millebosc un grand obélisque à


l’orée de la forêt. Pour en comprendre la présence peut-être faut-il d’abord rappeler
que ce type de monument a connu une certaine faveur au 18 ème siècle et plus encore à
partir du premier Empire.
Cet engouement a perduré au début du 19 ème siècle et on peut évoquer
« l’affaire » de l’obélisque de Louxor. Offert par le Pacha d’Egypte dès 1830, il ne fut
solennellement érigé à Paris sur la place de la Concorde qu’en 1836, sous le règne de
Louis-Philippe.
C’est aussi au roi des Français, très attaché à cette terre normande, que l’on doit
la réalisation de ce monument symbolique à Millebosc. Il fit du château d’Eu, si proche,
la villégiature estivale favorite de sa nombreuse famille au sein de laquelle sa sœur,
Madame Adélaïde, jouissait d’une place privilégiée.
C’est en hommage à cette fidèle complice et conseillère qu’il fit édifier ce
monument dont l’une des faces est ornée de cette dédicace : Le roi Louis-Philippe 1er
ayant donné à cette forêt le nom de sa sœur bien-aimée Madame Adélaïde d’Orléans, a
fait ériger cet obélisque pour consacrer ce souvenir d’amitié fraternelle 1845.Sur la face
opposée à cette inscription figure en mandorle un portrait de Sainte-Adélaïde.
C’est un touchant témoignage d’affection qui peut être rapproché de celui que
matérialisa auparavant Madame Adélaïde en faisant implanter un obélisque dans le
domaine du château de Randan en Auvergne. Ce monument, certes de plus modestes dimensions (environ 5 mètres de
hauteur), était situé à la jonction du parc et de la forêt, à proximité immédiate du « charme planté par le Roi en 1829 » selon
un plan de 1846.
L’obélisque de Millebosc quant à lui, répond parfaitement à la description que fait Louis-Eustache Audot (1783-1870) :
parmi les fabriques formant monument, les obélisques tiennent un des premiers rangs (…). Comme les temples, ils sont empreints
d’une espèce de caractère historique qui les rend intéressant, parce qu’ils rappellent de grands souvenirs.
En la clairière de la forêt de Millebosc, ces grands souvenirs se nourrissent d’une délicate attention et témoignent
ostensiblement du romantisme du 19ème siècle, le siècle de l’Histoire.

Nous avons lu pour vous


Le lys et la cocarde,
Royauté et Nation à l'âge romantique
Grégoire Franconie - PUF 443 pages, 26,00€

Nous avions eu le plaisir d'accueillir Grégoire Franconie, jeune historien et universitaire,


pour notre conférence annuelle il y a quelques années. Son dernier ouvrage étudie sous divers
angles l'ambiguïté fondamentale de Louis-Philippe, "Roi des Français parce que Bourbon ou bien
que Bourbon", et du régime de la Monarchie de Juillet. Sa naissance put être interprétée de
manières très différentes, soit comme les prémices d'un régime libéral ou soit au contraire
comme une barrière contre le républicanisme. Pourtant, jamais sa légitimité ne put être
solidement établie en dépit de beaucoup d’efforts souvent sincères et novateurs. Puisant dans
un nombre impressionnant de sources (nos lecteurs apprécieront la monumentale
bibliographie), Grégoire Franconie montre à quel point les efforts de politique extérieure
dynastique qui visaient à renforcer l'influence de la France par des mariages prestigieux des enfants du roi furent incompris
en France. A cela s’ajoutaient les relations difficiles avec l'Eglise catholique et une communication officielle discrète ou
maladroite auprès de la population. La quasi-absence de représentation de la famille d'Orléans contraste avec l'intensité des
liens familiaux. Le déficit originel en légitimité ne fut jamais surmonté et priva le roi de la confiance durable qui aurait permis
l'enracinement du régime. La mort tragique du Prince royal, son meilleur atout, laissa le régime sans défense efficace quand
les difficultés économiques allaient générer un mécontentement profond.
Délaissant une approche chronologique classique pour une série de thématiques nouvelles, Grégoire Franconie a
réussi à combiner érudition et clarté qui font de cet ouvrage un excellent complément aux livres de références sur la
Monarchie de Juillet. Nos lecteurs pourront approfondir leurs connaissances (notamment une très brillante description du
baptême du Comte de Paris dont une représentation a été acquise cette année) et retrouver dans le château d'Eu la plus belle
illustration de cet âge romantique léguée par Louis-Philippe et sa famille. FT

16
Ferdinand Philippe d’Orléans. Images d’un prince idéal.
Sous la direction de Florence Viguier-Dutheil, Stéphanie Deschamps-Tan et Côme Fabre
Musée Ingres Bourdelle Montauban / Le Passage Editions - 395 pages – 39,00€

L’ancien palais épiscopal de Montauban, entièrement rénové et devenu Musée Ingres


Bourdelle, a offert, pour fêter cette réouverture, une exposition digne du Louvre ou de
Versailles. Elle présentait la figure de ce ‘prince idéal’, Ferdinand-Philippe (1810 – 1842),
duc de Chartres, puis duc d’Orléans et Prince royal, mort, on le sait, prématurément dans un
accident de cabriolet.

Notre musée Louis-Philippe était directement concerné, puisqu’au rez-de-chaussée


du château, les appartements du prince et de son épouse subsistent, bien que redécorés par
Viollet-le-Duc et qu’au sud de la cour d’honneur, se dresse sa statue équestre, œuvre de
Marochetti. Doublement concerné d’ailleurs, puisque plusieurs œuvres lui appartenant y
étaient présentées, dont cette touchante miniature à la gouache sur ivoire représentant l’enfant âgé de huit jours, acquise
grâce aux Amis du musée en 2020.
L’exposition s’articule - nous sommes au Musée Ingres - autour du célèbre portrait du duc, exécuté par l’artiste
quelques temps avant le tragique accident et acquis par le Louvre en 2006 ; clin d’œil de l’histoire, ce portrait a figuré au
château d’Eu du temps du comte de Paris...
Passionnante à plus d’un titre, cette exposition est particulièrement remarquable, puisqu’elle insiste sur le rôle du
collectionneur, si novateur à bien des égards ; ce mécénat du prince déjà évoqué, on le rappelle, dans l’exposition parisienne
de 1996, avec l’ouvrage (toujours proposé à la boutique du musée) sous la direction d’Hervé Robert, membre de notre
association.

L’exposition a pris fin le 24 octobre dernier ; si on n’a pu la visiter, on se consolera volontiers avec le somptueux
catalogue, véritable somme (de près de 400 pages...) sur la vie, l’iconographie et les collections du prince ; soulignons qu’il
commente, sous la plume d’Alban Duparc, plusieurs œuvres prêtées par notre musée (dont ‘Le baptême du comte de Paris’,
par Caminade, acquis en 2020 avec l’aide de notre association).

Comme l’écrit Didier Rykner (La Tribune de l’Art, 18 août 2021), « Essais, notices très détaillées pour (presque) chaque
œuvre exposée, bibliographie, index...Tout ce que nous attendons d’un tel ouvrage est présent, et se combine avec l’excellente
qualité des textes, faisant de celui-ci un exemple de ce que devraient toujours être les catalogues d’exposition ». A acquérir
d’urgence par chaque ami du musée... ! P. H. Rabel

Amitiés royales
La vie de la famille d'Orléans exilée en Grande-Bretagne
Odile Hughson - 490 pages, 22,90€
Ouvrage disponible en français et anglais à la librairie du Musée Condé Chantilly et à
Orleans House, Twickenham.

Nous pouvons remercier Madame Hughson, française établie en Grande-Bretagne,


d'avoir, pendant de nombreuses années, consacré son temps libre à l'étude de la vie de la
famille d'Orléans en exil en Grande-Bretagne et surtout d'avoir publié le fruit de ses
recherches.

La correspondance entre la famille du duc de Nemours et notamment sa fille


Marguerite et Amelia Sprigings, une jeune fille au service de la famille, est le fil conducteur
de ce livre passionnant qui permet de rentrer dans l'intimité des princes établis dans des
demeures proches les unes des autres dans le comté Surrey au sud de Londres.

Après leur arrivée à Claremont, les enfants de la famille grandissent dans l'ombre du couple royal vieillissant, puis
dans plusieurs résidences à Twickenham. Les Nemours, Joinville et Aumale vivront étroitement et bénéficieront de l'amitié
de la Reine Victoria qui les accueillera régulièrement à la Cour. Cette cohésion leur permettra de surmonter de nombreuses
épreuves, notamment la mort de plusieurs jeunes enfants. A la génération suivante, les Paris, Chartres et leurs cousins
maintiendront ces liens d’affection se retrouveront en Grande-Bretagne lors d'un nouvel exil. FT

Et aussi
Pierre-Louis Lensel, Le Duc du Maine, Le fils préféré de Louis XIV, Perrin, 490 pages, 25,00 €.
Raphaël Dargent, Marie-Amélie. La dernière reine, Taillandier, 2021, 493 pages - 24, 90 €

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Centenaire de la Princesse Isabelle du Brésil, Comtesse d’Eu
***
Notes de lecture : mémoires d’une petite-fille
Chronique de M. François Pupil

Il est encore temps pour les anciens habitants du château d’Eu de consigner par écrit leurs souvenirs : ainsi aideront-
ils les conservateurs du musée à localiser les pièces où ils ont vécu et permettront-ils d’en décrire le mobilier et d’en
retrouver les fonctions. Qui sait ? De ce qui a été laissé, partagé ou vendu se dégageront peut-être des ensembles faciles à
reconstituer ou tout au moins à décrire. Notre fondatrice, la comtesse de Paris, avait longuement raconté son enfance au
château dans le premier livre de ses mémoires, Tout m’est bonheur (Robert Laffont, 1978), qui fut un grand succès de librairie.
Pour le centenaire de la mort de la comtesse d’Eu, à qui est consacrée cette Lettre aux amis, nous proposons à nos adhérents
d’égrener quelques notes de lecture qui aident à cerner la personnalité de cette princesse Impériale du Brésil, qui mourut
en France en 1921.

Sans respecter toujours l’ordre du texte, nous pouvons


puiser dans ce livre des détails sur la comtesse d’Eu auxquels
les historiens n’ont pas toujours été sensibles, ceux que l’on
sait à l’intérieur des familles. L’auteur avait passé ses dix
premières années dans le proche entourage du comte et de la
comtesse d’Eu, tant en Normandie que dans leur demeure de
Boulogne. « J’étais la petite-fille chérie de mes grands-parents.
J’avais un amour vorace de petit chat envers ma grand-mère et
une immense tendresse pour mon grand-père.» (p.54). Selon un
usage brésilien, elle l’appelait Ayo ou Vovo, alors que Gaston
d’Orléans, comte d’Eu, avait surnommé sa petite-fille, Bébelle,
pour la distinguer de sa femme, Isabelle de Bragance (p.47).
Illustration tirée de Tout m’est bonheur
C’est le prince de Joinville, le beau-frère de Pedro II, qui
avait suggéré à Louis-Philippe d’envoyer le comte d’Eu au
Brésil pour épouser l’une de ses nièces, Léopoldine de Bragance, alors qu’Isabelle, l’aînée, était destinée à son cousin germain,
le prince Auguste de Saxe-Cobourg, qui faisait partie de ce voyage matrimonial, mais c’est le contraire qui se produisit. Le
contraste entre les époux était saisissant puisque le comte d’Eu était immense et sa femme « petite, blonde, les yeux bleus,
coiffée à la Titus, tout en boucles, souvenir d’une typhoïde qui avait nécessité une coupe particulièrement rase ». La description
se poursuit sans complaisance puisque « elle n’était pas très jolie, mais elle était charmante, intelligente et autoritaire. Sa voix
était douce et elle parlait non pas avec l’accent brésilien, mais avec les intonations très particulières des Bourbons des Deux-
Siciles qui subsistent en dépit de leur dispersion dans différents pays du monde.» (p.52)

En contraste avec l’amour immense qui unissait ses propres parents, la comtesse de Paris s’interrogeait sur celui de
ses grands-parents, qui étaient si dissemblables, ne serait-ce que par la taille : « je me suis toujours demandé de quelle sorte il
pouvait être » (p.51). Plus loin, l’auteur explique : « J’ai toujours vu mes grands-parents ensemble, mais je ne les ai jamais
entendus parler ou discuter entre eux ; ils habitaient le même appartement, avaient l’air de bons amis mais ils ne riaient
vraiment pas souvent. » (p.53). Il est vrai que le comte d’Eu “était sourd comme une trappe“ et vraiment très original dans son
mode de vie en Normandie. De sa mère, la duchesse de Nemours, il avait hérité la timidité des Saxe-Cobourg. Il était partagé
entre ses origines françaises et ses ambitions brésiliennes avortées. Son épouse apparaît dans Tout m’est bonheur comme
une femme de tête, qui était indifférente aux tiraillements familiaux des Orléans. « Ma grand-mère, la comtesse d’Eu,
paraissait se tenir au-dessus de toutes ces petites querelles de princes français. » (p.56)

« La comtesse d’Eu passait ses matinées dans sa chambre à écrire, assise


devant son petit bureau, sa secrétaire installée à ses pieds sur une chaise basse.
Lorsque j’y allais, je l’embrassais tout d’abord, et elle me disait “Ce matin, j’ai
écrit quatorze lettres ou dix-sept lettres“. » La princesse « recevait beaucoup et
parmi ses visites de nombreux grands personnages ». (p.58) La comtesse d’Eu
avait deux passions : “le Brésil et la conversion des athées“. Pour la première,
l’acte le plus important de la régence confiée par son père fut l’abolition de
l’esclavage : « C’était, de plus, une femme aux idées généreuses encore que
Carte de la Comtesse d’Eu (14 décembre 1900) – catégoriques. / Pour moi, sa générosité ne pouvait faire aucun doute ! N’avait-
Coll. Part. elle pas d’un coup de plume aboli l’esclavage au Brésil en 1888 ? / Elle accomplit

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ce geste magnifique pendant un voyage de l’Empereur qui lui avait confié la régence, le temps de son absence. Cette action la
rendit populaire au Brésil où on l’adore toujours et où on l’appelle depuis “Isabel a Redentora“. Mais cette abolition si subite
entraîna la chute de l’empire à cause des troubles économiques et sociaux qui s’ensuivirent. » (p.52).

De la Rose d’Or envoyée par le pape à la comtesse d’Eu pour son geste, la comtesse de Paris parlait comme d’une sorte
de “prix Nobel de la paix“ de l’époque. Dans l’histoire de Louis XVI, comme dans celle du tsar Alexandre II, on sait que
l’abolition du servage ne fut pas l’acte de gouvernement retenu par la postérité ou récompensé par la ferveur populaire
puisque le premier fut assassiné et le second guillotiné. Les Bragance
furent seulement contraints à s’exiler, ce qui fut néanmoins très
douloureux pour le comte d’Eu, qui avait déjà suivi son grand-père
Louis-Philippe en Angleterre, en 1848. Avec son frère Alençon et ses
sœurs, il y avait été élevé par la reine Marie-Amélie, “Ma sainte et
vénérée grand-mère“ (p.54). Cet exil fut pour l’auteur des mémoires le
prétexte d’une relation privilégiée avec la comtesse d’Eu, qui “avait une
adoration pour moi, et j’étais très fière de cet amour ; je me demande
maintenant si je le lui ai assez rendu… Elle me gâtait tant “ (p.53).
Au moment de la rédaction de son livre, la comtesse de Paris se
remémorait avec émotion ce qu’elle avait vécu dans son enfance ; ce
sont des bribes de la vie au château qui nous parviennent ainsi.

Pour un anniversaire de la comtesse d’Eu, il y avait eu une


messe dans la chapelle que nous voudrions tant restaurer
aujourd’hui, suivie d’une réception dans le grand hall. On avait fait
réciter à notre auteur un poème composé par l’empereur Pedro II et
elle avait dû l’apprendre en portugais, l’une des quatre langues
que les jeunes princes d’Orléans- Bragance devaient pratiquer lors
des repas familiaux. Il y était question de la faune et de la flore du
Brésil et rien en Normandie ne pouvait en approcher la splendeur :
« Maman me pousse contre les genoux de ma grand-mère qui est
assise dans un grand fauteuil et je commence ma récitation. / La
comtesse d’Eu me regarde avec ses bons yeux bleus, si clairs et si
souriants, d’abord si encourageants Isabelle du Brésil, Comtesse d’Eu et puis soudain, plein de larmes. /
J’étais consternée car je croyais lui Château d’Eu avoir fait de la peine. Je ne savais pas
encore que le mal du pays peut faire pleurer… » (pp.27-28)

Après avoir expliqué que le comte et la comtesse d’Eu habitaient le château, avec les oncles Antoine et Louis, l’auteur
écrit que le Pavillon des ministres “aux vingt-deux chambres“ était attribué à ses parents et à sa fratrie (pp.36-37), « Toutes
semblables, ces chambres étaient ravissantes avec leur papier peint orné de petits oiseaux et de bambous. » (p.38). Il y avait un
rythme à respecter : « Les dimanches, nous allions en grande pompe chez nos grands-parents dîner au château » (p.51). Le
jardin à la française était le domaine de la comtesse d’Eu, qui y avait fait planter plusieurs centaines de rosiers dont les cent
mille roses embaumaient le château (p.50) et qu’il fallait surveiller : « Ma grand-mère, la comtesse d’Eu, savait manifester son
autorité d’une façon très concrète. Lorsque nous avions l’audace de cueillir des roses dans le jardin français qui se trouvait sous
les fenêtres de son appartement, nous l’entendions élever la voix et crier par la fenêtre : “Petits malheureux, voulez-vous ne pas
abimer mes roses !“ (p.53)

Le détail donné à la page suivante explique l’attachement de l’auteur à son pavillon : « Parmi nos coutumes familiales,
il y en avait une que j’aimais par-dessus tout. Après le dîner, par les belles soirées d’été, tous les habitants du château et du
Pavillon des ministres allaient prendre le “café noir“ comme nous disions, au pavillon Montpensier… Nous gambadions devant,
autour de nos parents qui marchaient bras dessus dessous. Nos grands-parents étaient en tête du cortège, le brave Latapie, notre
maître d’hôtel, et un jeune valet de pied suivaient, portant le grand panier avec les tasses, le café et les liqueurs.» Latapie sortait
les fauteuils de paille et demandait aux enfants de faire moins de tapage : « et alors là, en grand silence, nous contemplions
tous le soleil qui disparaissait lentement dans la mer. / Tout le monde parlait bas, on n’entendait que le bruit des cuillères dans
les tasses et, dans le ciel, l’immense rumeur des choucas qui rentraient dans les champs pour se nicher. » (p.54)

Lorsque les Orléans-Bragance regagnaient Boulogne, le rythme était un peu différent, mais tout aussi pittoresque avec
la domesticité d’Eu, qui se mêlait à celle de Paris, la seconde méprisant la première et pour les enfants toujours “une vie de
bibliothèque rose“ (p.59). C’était un “bel hôtel Napoléon III“ avec une chapelle tendue de tissu rouge à l’étage, ornée de
reliquaires et de la Rose d’Or juchée sur une colonne. On gardait encore le souvenir des séjours de la princesse Clémentine

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de Saxe-Cobourg, la fille de Louis-Philippe, qui mourut seulement en
1904. Elle venait à Paris pour la saison de l’Opéra où elle avait sa
loge. (p.56). La comtesse de Paris se rappelait surtout que sa grand-
mère était une bonne musicienne, mais dans des duos assez
singuliers puisqu’elle accompagnait au piano un musicien noir
professionnel dont la description est pittoresque. On nous
pardonnera de citer intégralement l’auteur, qui écrivit en 1977,
c’est-à-dire bien avant les interdits actuels : « De tous les
personnages insolites qui rendaient visite à ma grand-mère, celui que
je préférais était M. White. Ce nègre aux cheveux touffus et blancs au-
dessus des oreilles, était violoniste et accompagnait la comtesse d’Eu
au piano ou plutôt, c’était la comtesse d’Eu qui accompagnait au piano
M. White. Je crois bien que c’était un bon virtuose. Il venait en tout cas
L'hôtel particulier de Boulogne (coll. part.)
plusieurs fois par mois et durant des heures on entendait de la
musique en provenance du salon où personne n’avait le droit d’entrer.

Les enfants étaient parfois admis dans : « ce salon rempli de bibelots, de statues de marbre et où il n’y avait jamais la
moindre fleur. Ils composaient un bien curieux duo… Le cher M. White trapu, tout noir dans un costume un peu fripé de même
couleur, avec sa cravate Lavallière, à côté de ma grand-mère toute petite devant ce grand piano, qui souriait agréablement
tandis que M. White interrompait sa sonate ou son lied pour nous raconter de longues histoires qu’il tirait de son violon. »
L’évocation ne manque pas de poésie : « Ces séances étaient tout à fait à part de la vie. Elles se déroulaient dans un monde
singulier où l’on parlait brésilien, où l’on respirait des parfums de sel contenus dans de petits flacons bleus, où les plaintes du
violon étaient curieusement assourdies par l’accumulation de paravents, de tapis, de poufs et de gros rideaux à franges qui
occultaient à moitié les fenêtres. » (p.59)

C’est dans ce contexte si poétique que la comtesse de Paris devait s’ancrer


dans la culture brésilienne puisque sa grand-mère lui faisait répéter des phrases en
brésilien et lui récitait des poèmes écrits par son père, l’empereur Pedro II. On sait
qu’à la fin de sa vie, elle avait pensé écrire une nouvelle biographie consacrée à la
comtesse d’Eu mais qu’elle n’en avait pas eu le temps. Le cours de ses mémoires est
parsemé de tant de rencontres, de scènes drolatiques, d’incessants voyages que
l’émotion y est toujours subtilement suggérée, sans que l’événement, qui l’a
provoquée, soit trop développé. Néanmoins, c’est après un séjour à Nancy où le comte
d’Eu avait emmené sa famille assister aux célèbres représentations de la Passion du
Christ que la mort de son aïeule réunit la famille au château d’Eu. C’était en novembre
1921.

Selon l’usage local, le glas sonnait pour signaler qu’il y avait un mourant et
associer les Eudois à la peine de leurs châtelains. Isabelle de Bragance, comtesse d’Eu,
était à l’agonie : « dans la grande chambre du château, dans cette très belle pièce aux
boiseries peintes et aux rideaux bleu de nuit que nous appelons le chambre de la Grande
Mademoiselle, cousine germaine de Louis XIV. ». Le détail est intéressant car les
notations de décor sont assez rares dans les mémoires de la comtesse de Paris. Elle
poursuit : « Tous agenouillés pêle-mêle, enfants, parents, domestiques, à prier, pendant
que M. Le Doyen donnait les derniers sacrements à notre grand-mère.» Le comte d’Eu
Isabelle, Comtesse d’Eu et ses petits- était très bouleversé mais dominait son émotion pour signaler au prêtre ce qu’il avait
enfants (1911) oublié dans le rituel de l’Extrême Onction.
Archives nationales du Brésil
Pour imaginer la scène, il faut se souvenir des prières filmées par Visconti dans
Le Guépard, lorsque le prince Salina réunit maîtres et domestiques, tous agenouillés dans l’un des salons de son palais, pour
implorer le Seigneur. À Eu, les enfants s’étaient retirés “sur la pointe des pieds“ ; puis chacun était retourné chez soi pour
attendre la mort de la comtesse d’Eu que l’arrêt du glas avait appris aux Eudois, quelques jours plus tard. « Nous sommes tous
retournés dans sa chambre pour l’embrasser et lui dire un dernier adieu en aspergeant sa dépouille d’eau bénite avec un petit
rameau de buis. » (pp.81-82)

Avant l’enterrement à Dreux, il y avait eu une première cérémonie à la collégiale, puis le cours de la vie normale avait
repris, c’est-à-dire entre Paris et Eu, mais avec les itinérances habituelles aux Orléans-Bragance. La sépulture française de la
comtesse d’Eu ne devait pas être définitive et c’est dans le second tome de ses mémoires, Les chemins creux (Robert Laffont,
1981), que la comtesse de Paris consacra tout un chapitre au retour des corps de ses grands-parents au Brésil (pp 114-123).
À la surprise des Orléans, en juin 1953, le gouvernement brésilien les avait réclamés pour honorer la Redentora et le comte

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d’Eu, héros de la guerre contre le Paraguay. Il avait envoyé au
Havre le croiseur Barroso pour les chercher et les ramener au
Brésil, ce que le comte d’Eu, prince français, n’aurait voulu à aucun
prix.

Il fallait le talent de conteuse de notre présidente et


fondatrice pour rendre pittoresque la traversée où la princesse et
sa cousine, la comtesse René de Nicolaÿ, étaient les seules femmes
à bord d’un navire de guerre, au grand dam du commandant, qui
avait espéré la présence du comte de Paris pour rendre la
situation plus normale. Le récit ne concerne plus la comtesse d’Eu,
mais nos lecteurs apprécieront de revenir au texte original et
suivront l’auteur en train d’amadouer progressivement
l’équipage, de participer au décor des cérémonies religieuses qui
ponctuèrent le retour et de mêler les prières aux sourires car Tout
Cathédrale de Petrópolis – tombeau d’Isabelle du Brésil, lui était bonheur.
Comtesse d’Eu et de Gaston, Comte d’Eu

Un objet, une histoire


Par M. Alban Duparc, Directeur du Musée Louis-Philippe

Pedro Américo, d’après Jacques-Louis David


Pie VII
Huile sur toile
Achat de la ville d’Eu, 1964

Peinte aux Tuileries en février-mars 1805, alors que le


pape Pie VII est à Paris pour le sacre de Napoléon, l’original de
cette œuvre célèbre a été copié à de multiples reprises. Des
versions existent dans les musées de Dijon, Perpignan ou
Montargis. La peinture a également connu des déclinaisons en
gravure et en lithographie. Il avait été commandé à Jacques-Louis
David l’original destiné au modèle (qui ne le reçut jamais) et deux
répétitions peintes à l’intention de Napoléon et Joséphine
aujourd’hui conservées au sein des châteaux de Versailles et de
Fontainebleau.
L’original, quant à lui, a intégré les collections du Louvre
en 1826 et est considéré comme l’un des plus beaux portraits de
Jacques-Louis David.
La présente version est de la main du peintre brésilien
Pedro Américo. L’œuvre porte en effet ses initiales en haut sur
notre gauche « P.A.F.M » pour Pedro Américo de Figueiredo e
Melo. Ce peintre est l’un des plus doués de sa génération et, à ce
titre, il est encouragé très tôt par l’empereur Pedro II. Le portrait
du pape Pie VII a été réalisé lorsque Pedro Américo était
pensionnaire en France (1859-1860), avec une bourse payée directement par l'empereur. Il n’était pas le seul à bénéficier
de ce soutien qui était appelé le « Bolsinho do Imperador » (La Petite Poche de l'Empereur). L’artiste réalise plusieurs copies
en Europe afin de parfaire ses connaissances. Grâce aux précieuses informations de M. Fábio D'Almeida, nous savons que
cette œuvre est commencée au Louvre le 28 mars 1860 puis envoyée par l’artiste comme cadeau à l'empereur en janvier
1862, ce afin de prouver les progrès accomplis et demander, par conséquent, une extension de sa bourse en Europe. A cette
œuvre est jointe une copie du Radeau de la Méduse de Géricault, qu'Américo débute également en 1860.
Ce portrait de Pie VII demeure à Rio de Janeiro jusqu'à la fin de l'Empire en 1889, avant d’accompagner dans la famille
impériale dans son exil en Europe.
La rédaction de cette notice n’aurait pas été possible sans l’aide précieuse de MM. Carlos Lima Junior et Fábio
D'Almeida.

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Dona Isabel, Comtesse d’Eu, une femme élevée pour devenir impératrice du Brésil
Par Mme Maria de Fátima Moraes Argon da Matta, présidente de l’Institut Historique de Petrópolis,
Et M. Bruno da Silva Antunes de Cerqueira, président-fondateur de l'Institut Culturel Dona Isabel Ière

Dona Isabel Christina Leopoldina Augusta Michaela Gabriela Raphaela Gonzaga, Princesse du Brésil, Princesse de
Bragance, était le deuxième enfant de l’empereur Dom Pedro II du Brésil et de l’impératrice, née Dona Teresa Cristina des
Deux-Siciles. Dona Isabel est née à Rio de Janeiro le 29 juillet 1846 à 18h25, dans le palais de la Quinta da Boa Vista, à São
Cristóvão.
Elle fut baptisée le 15 novembre 1846 dans la chapelle impériale de la cathédrale de Rio ; son parrain était l´époux de
sa tante paternelle, Dom Fernando II de Portugal (Ferdinand de Saxe-Cobourg-Gotha-Kohary), et sa marraine, la reine-mère
des Deux-Siciles, Dona Maria Isabella, née infante d´Espagne, en l’honneur de laquelle elle fut nommée.
Elle est devenue l'héritière du trône après la mort de ses deux frères Dom Affonso, en 1847, et Dom Pedro Affonso, en
1850; le 29 juillet 1860 la petite princesse a été reconnue Princesse impériale du Brésil par le Sénat de l’Empire situé dans
l’ancien palais du comte des Arcos, en présence des corps constitués.
La Princesse impériale reçut une formation différente des femmes de son temps, qui couvrait surtout les bonnes
manières et les activités domestiques, très importantes pour la future mère de famille.
Dom Pedro II s'occupa personnellement de la formation de ses filles et joua un rôle de premier plan en tant
qu'instituteur, assumant la mission avec un réel engagement, comme il le déclara lui-même en mars 1865 : «Durante os
ultimos annos muito estudei para Você estudar» (« ces dernières années j’ai beaucoup étudié pour que tu étudies »).
L'éducation de Dona Isabel et Dona Leopoldina Thereza (1847-1871) se déroulait dans l'espace domestique et était assurée
par plusieurs maîtres spécialisés dans différentes matières sous la supervision de leur gouvernante, la comtesse de Barral,
(née Dona Luiza Margarida Portugal de Barros) épouse d'Eugène de Barral-Monferrat. La gouvernante avait pour assistante
Melle Victorine Templier. Parmi ses professeurs figuraient les français Louis-Alexis Boulanger, Revert Henri Klumb, Félix-
Émile Taunay et Jules Toussaint.
La vie quotidienne des princesses avait un caractère privé et familial.
L’essentiel du temps était consacré à un sévère régime d'études. Le quotidien
de Dona Isabel était marqué par les enjeux de l'étiquette, du cérémoniel et du
protocole de la monarchie ; sa vie se déroulait dans le cadre des rituels
entourant son père qui en était l’acteur principal en tant que souverain. Bien
sûr elle s’était nourrie de l'imaginaire politique du XIXème siècle, dans lequel
les rois constitutionnels sont plus « régnants » que « gouvernants », selon la
formule de Thiers.
L'éducation formelle de Dona Isabel s’est achevée avec son mariage le
15 octobre 1864, avec le prince Gaston d´Orléans, Comte d’Eu (1842-1922),
mais sa formation politique, sociale et économique n’a jamais cessé,
particulièrement quand elle dut succéder à son père à la tête de l’État brésilien.
Il y avait beaucoup d'intrigues et de rumeurs autour de Dona Isabel et
de son mari, qui faisaient partie d'un réseau complexe d'alliances et de
solidarité et vivaient sous pression et tensions constantes avec peu de liberté.
La Princesse impériale était systématiquement combattue par les hommes
politiques qui craignaient le Troisième Règne, d’abord parce qu’ils réagissaient
à l’idée que le pays soit dirigé par une femme. Par ailleurs le comte d’Eu était
un homme mal compris, qui était arrivé au Brésil jeune et avec l’ambition de
devenir un grand chef militaire et politique. Ils étaient constamment la cible de
plaisanteries et de médisances.
Le couple, conservateur en matière de valeurs, était considéré libéral
pour les membres du Parti Conservateur du Brésil, où les défenseurs de
l’esclavage étaient plus nombreux que dans l’autre parti, le Parti Libéral, même Joaquim Insley Pacheco
s’il y avait beaucoup d’esclavagistes dans tous les bords l’échiquier politique Isabelle, Princesse du Brésil
brésilien. A la fin de la guerre contre le Paraguay (1870), le Comte d’Eu et le Musée Louis-Philippe, Eu
vicomte de Rio Branco, futur premier ministre de l’Empire, ont coordonné
l’abolition de l’esclavage des Noirs dans ce pays de l’Amérique du Sud, ce qui a provoqué la fureur aux milieux réactionnaires.
Enfin la princesse héritière était une catholique dévouée ; même si elle n’a pas été une « ultramontaine », était
considérée comme telle et ses actions dans ses trois régences ont été considérées par quelques chefs politiques comme celles
d’une « papiste ».
À cause de son christianisme viscéral, Dona Isabel a été depuis très jeune favorable à l’abolition de l’esclavage au
Brésil, qui était le sujet le plus tendu dans la politique du pays. Elle a été régente de l’Empire par trois fois, lors des absences
de son père : 1871-1872 ; 1877-1878 et 1887-1888. Lors de la dernière, elle a fait savoir publiquement son attachement au
mouvement abolitionniste brésilien et ses actions ont été considérées scandaleuses par les fermiers et chefs politiques,

22
même si elle est devenue très populaire parmi les pauvres. Elle a même soutenu le Quilombo de Leblon: un célèbre
rassemblement des noirs fuyant les fazendas.
Dans sa vie privée, Dona Isabel a fait face aux problèmes de
son hypothétique stérilité, supportant les pressions familiales
et surtout surmontant ses angoisses tant elle était désireuse
d'être mère. Il fallut attendre 1874 pour que vienne au monde une
fille, morte-née, et dans les années suivantes ses trois fils : Dom
Pedro de Alcantara (1875- 1940), Dom Luiz (1878-1920) et
Dom Antonio (1881-1918). Ce dernier est né rue de la Faisanderie
à Paris.
Face au machisme de son époque, elle s'est efforcée de
mener sa fonction publique de manière discrète et polie. Le fait que
les femmes brésiliennes n'occupaient pas de charge publique
ne signifie pas qu'elles étaient loin de la politique ; les problèmes et
grandes causes politiques étaient souvent au cœur de leur vie.
Comme les femmes n'étaient pas autorisées à participer
aux débats publics sur l'émancipation des esclaves ou toute
autre question, elles ont cherché d'autres moyens d'action.
Dona Isabel et des femmes de son entourage ont uni leurs forces et
conçu des stratégies de combat en faveur du mouvement
abolitionniste tout au long du processus. L’historiographie
postérieure, et même l’opinion publique formée surtout par les
journalistes républicains en 1888 et 1889, a fait croire que le rôle
de Dona Isabel n’était que de signataire d’une « loi incontournable
», comme si elle n'avait fait rien pour l’abolition. Le jour de la
sanction de la « Loi d’Or » (Lei Áurea) a été appelé le plus grand
jour de l’histoire brésilienne par les abolitionistes et a été
considéré comme notre « Seconde Indépendance ».
Dom Pedro II retourne au Brésil en août 1888 et, malgré les
conseils de grands dirigeants « Isabelle Ière du Brésil » en 1919, P. Gavelle politiques, il n'abdique pas en faveur
de sa fille. Son diabète le conduit à devenir de plus en plus
absent de la gouvernance de l'Empire. Le 15 novembre 1889, un coup d'État d'environ 600 hommes de l'armée, dont presque
aucun officier général, a déclaré la destitution du cabinet du vicomte d´Ouro Preto et, le lendemain, la fin de la monarchie.
La famille impériale a été déchue et bannie du Brésil. Dom Pedro est mort à minuit du 5 décembre 1891 à Paris à
l´Hôtel Bedford ; Sadi Carnot a approuvé pour lui des « honneurs impériaux » et une foule imposante a accompagné les
funérailles. Dona Isabel a été reconnue Impératrice titulaire par la cour brésilienne en exil.
Malgré la structure patriarcale rigide à laquelle elle était soumise, elle savait tracer son propre chemin, avec volonté
et particulière autorité, comme l’affirmait même sa petite-fille et filleule homonyme, la Comtesse de Paris, dans Tout m´est
bonheur. Dona Isabel a fait preuve d'intelligence et de courage pour prendre des décisions, tant dans le domaine personnel
que politique, fondées sur les valeurs et les préceptes du catholicisme, dans un monde qui prêchait déjà la pensée laïque, la
séparation entre l'Église et l'État, le scientisme, en quelque sorte la « désacralisation » de toutes les sphères de la vie sociale.
Si quelques actions de Dona Isabel peuvent, d’abord, être perçues comme peu progressistes, elles peuvent, au contraire, être
vues comme des formes de résistance, si on les replace dans la logique et la rationalité du sujet.
Dona Isabel est morte le 14 novembre 1921, au Château d'Eu, à l'âge de 75 ans, événement dont on commémore le
centenaire cette année.

Références :

Antunes de Cerqueira, Bruno da Silva; Argon, Maria de Fátima Moraes. Alegrias e Tristezas. Estudos sobre a autobiografia de
D. Isabel do Brasil. São Paulo: Linotipo Digital, 2019.

Bruno da Silva Antunes de Cerqueira est historien et avocat, diplômé de la PUC de Rio de Janeiro et du Centre Universitaire
de Brasilia ; il est fondateur et président de l'Institut Culturel Dona Isabel Ière (www.idisabel.org.br) et aussi spécialiste de
l’indigénisme à la Fondation Nationale des Peuples Indigènes du Brésil (Funai), dont le siège est à Brasilia.

Maria de Fátima Moraes Argon da Matta est historienne et archiviste, diplômée de l’Université Catholique de Petrópolis et
de l’Université Fédérale de l’État de Rio de Janeiro (Unirio) ; elle est présidente de l’Institut historique de Petrópolis
(www.ihp.org.br) et a été la responsable des Archives du Musée Impérial pendant plus de 20 ans.

23
Congrès du centenaire de la Princesse Isabelle du Brésil, Comtesse d’Eu
Petrópolis 16-19 novembre 2021

Ce congrès a réuni universitaires et personnalités autour de l’œuvre et de


l’héritage de la Comtesse d’Eu. M. Michel Barbier, maire de la Ville d’Eu, M.
Alban Duparc, directeur du Musée Louis-Philippe, et notre président, M.
Arnaud de Gromard, ont été invités à prononcer des discours en visio-
conférence pour l’ouverture de ce congrès, preuve s’il était besoin, de la
permanence des liens entre Eu et le Brésil.

L’Institut Dona Isabel 1ère (IDII)


Par M. Bruno da Silva Antunes de Cerqueira, président de l’IDII.

L’Institut Dona Isabel 1ère (IDII) perpétue le souvenir de l’œuvre politique


de la Princesse et présente sa pertinence dans la société brésilienne du
XXIème siècle. L’IDII, a été fondé à Rio le 13 mai 2001, dans les locaux de
l´église de la Fraternité de Notre-Dame du Rosaire et St Benoit des Hommes
Noirs, par l'historien et avocat Otto de Alencar de Sá Pereira (professeur à
l´Université catholique de Petrópolis) et Bruno da Silva Antunes de Cerqueira,
alors étudiant en Histoire à la PUC-Rio, ainsi que beaucoup d´autres
personnes engagées dans ce projet. Le but de l'Institut est de développer les
recherches sur les mouvements abolitionnistes du XIXème siècle, notamment
l´isabélisme.

L´IDII a conçu un mouvement qu'on appelle le "néo-abolitionnisme" pour reprendre les combats des abolitionnistes, mais
aussi pour maintenir leur mémoire. L´IDII n'est pas un mouvement monarchiste brésilien, mais une association civile qui
veut présenter l´Histoire du Brésil comme un moyen de développement de la citoyenneté pour les Brésiliens, surtout les
pauvres, dans le contexte de l’enseignement précaire de l’histoire brésilienne. Les coprésidentes d'honneur de l´IDII sont
les arrière-arrière-petite-filles de Dona Isabel, Dona Maria Elisabeth d´Orléans et Bragance, Mme. Pablo Trindade de Souza,
et Dona Maria Cristina d´Orléans-et-Bragance, respectivement la petite-fille de Dom Pedro Henrique et la petite-fille de Dom
João Maria.

L’Institut a publié plusieurs ouvrages sur la Princesse et sa famille :


▪ 2006 - D. Isabel I a Redentora. Textos e documentos sobre a imperatriz exilada do Brasil em seus 160 anos de nascimento
(Dona Isabelle Ière la Rédemptrice. Textes et documents sur l´impératrice exilée du Brésil à l’occasion du 160ème
anniversaire de sa naissance).
▪ 2013 et 2018 - Réédition de O Imperador no exílio (L´Empereur en exil), du Comte d´Affonso Celso, paru à l’origine en
1893. Le livre, fruit du partenariat institutionnel entre l´IDII et la maison Linotipo Digital, de São Paulo, inclut une
petite biographie de M. Affonso Celso de Assis Figueiredo Junior, Comte d´Affonso Celso (1860-1938), par M. Antunes
de Cerqueira. Affonso Celso a été le président de l´ABL (Académie Brésilienne de Lettres) et de l´IHGB et le principal
chef isabéliste du Brésil.
▪ 2018 - Publication de O Príncipe Soldado. A curta e empolgante vida de Dom Antonio de Orleans e Bragança (Le Prince
Soldat. La courte et passionnante vie de Dom Antonio d´Orléans et Bragance, fils du Comte et de la Comtesse d’Eu),
par l´historienne Teresa Malatian, arménienne-brésilienne, professeure de l´Université de l´État de São Paulo (Unesp),
aussi auteur d´une biographie sur Dom Luiz, le deuxième enfant et héritier de Dona Isabel (2010).
▪ 2019/2020 - Publication de Alegrias e Tristezas. Estudos sobre a autobiografia de D. Isabel do Brasil (Joies et Tristesses.
Études sur l´autobiographie de Dona Isabel du Brésil), de l´historienne et archiviste Maria de Fátima Moraes Argon,
présidente de l´IHP, et M. Antunes de Cerqueira. Le livre de 888 pages (hors illustrations) est la plus grande recherche
académique jamais publiée sur Dona Isabel et sur le « Troisième Règne », qui ne s’est pas déroulé. Une petite section
couvre son exil en France et ses différentes activités en tant qu´impératrice en exil. Mme Argon étudie les textes écrits
par Dona Isabel au cours de sa vie qui sont mis en contexte par M. Antunes de Cerqueira avec une analyse de
l´historiographie existante sur la Princesse. Le livre inclut des tables présentant tous les hommes et femmes brésiliens
titrés par Dona Isabel lors de ses trois régences, ainsi que des comtes ou vicomtes nommés par le Pape ou le roi de
Portugal par l'intermédiation isabéline.

24
Intervention de M. Michel Barbier, Maire de la ville d’Eu pour l’ouverture du Congrès du Brésil
Mardi 16 novembre 2021

Mesdames, Messieurs,

Merci de me donner la parole quelques minutes et ainsi modestement participer à ces journées d’étude auxquelles je
souhaite beaucoup de succès.

La ville d’Eu, en France, dans la région Normandie, entretient des liens d’amitié historiques avec le Brésil et nous
sommes très honorés et heureux de vous parler aujourd’hui.

Gaston d’Orléans (1842-1922) épouse, en 1864, Isabelle du Brésil (1846-1921), fille aînée et héritière de l’empereur
du Brésil, Pedro II. À la chute de l’Empire brésilien en 1889, le comte et la comtesse d’Eu sont exilés. Ils rachètent le château
d’Eu au duc d’Orléans, fils du comte de Paris, en 1905. À cette époque, le château est partiellement en ruines, une bonne
moitié ayant été détruite par un incendie en 1902. Ce désastre, s’il a touché en premier lieu la famille d’Orléans, a
profondément marqué les esprits tant au niveau national qu’au niveau local. Les articles de presse de l’époque en attestent.
Ils entreprennent alors et mènent à bien les travaux de restauration du château qui s’imposent.

Bien que leur intervention ici soit plus discrète que celle demandée par le roi des Français Louis-Philippe ou que les
travaux entrepris par l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, elle n’a pas été moins importante et a probablement sauvé le château
d’Eu qui en plus d’abriter notre musée municipal, est devenu l’hôtel de ville.

Relever l’édifice montrait l’attachement du comte d’Eu à ce lieu dont il portait le titre et où il avait passé de nombreux
séjours pendant son enfance. La comtesse d’Eu, quant à elle, a su s’acclimater à notre région et s’attacher aux habitants de
notre ville.
Des photos la montrent ainsi pendant la Première Guerre Mondiale au sein du fourneau économique, un lieu aménagé
au bout des dépendances du château afin de donner à manger aux plus nécessiteux. Elle et son époux furent récipiendaires
de la médaille de vermeil de la reconnaissance nationale en reconnaissance de l’aide apportée aux blessés revenus du front.

Si chacun bien naturellement était concerné à cette époque par les conséquences de la Première Guerre, la comtesse
d’Eu et son époux ont été touchés de la manière la plus profonde et la plus triste qui soit.
Deux de leurs fils, les prince Antoine et Louis, sont en effet morts peu après l’armistice, l’un dans un accident lors
d’une mission de liaison en tant qu’officier aviateur, l’autre des suites d’une maladie contractée sur le front.
Le Monument aux morts de la ville n’aurait pu être édifié sans leur aide financière et les noms des deux jeunes hommes
sont inscrits parmi ceux des autres Eudois victimes du conflit.

La comtesse d’Eu est décédée à Eu en 1921 à l’âge de 75 ans. Cela fait 100 ans cette année.
De nouveau autorisé à entrer dans son pays d’adoption, le comte d’Eu, devenu veuf, meurt en 1922 lors d’une
traversée qui devait le mener au Brésil pour la célébration du centenaire de l’indépendance du pays.
Les objets et les souvenirs que le comte et la comtesse d’Eu ont apportés avec eux du Brésil sont à l’origine du fonds
de collections extra-européennes du Musée Louis-Philippe.
Ces objets et souvenirs sont de toute beauté ; des hamacs, des éventails en plumes d’oiseaux chatoyantes. J’en suis
personnellement, à chaque fois, ébloui.

Eudoise d’adoption, la comtesse d’Eu a semble-t-il su mettre ses pas dans ceux de ses prédécesseurs et nouer à sa
façon le lien fort qui unissaient les habitants de notre ville aux habitants du château. Par l’intermédiaire de notre musée, aidé
en cela par l’association des amis du Musée Louis-Philippe, nous tentons au quotidien de faire comprendre cette histoire à
nos concitoyens, aux personnes de passage, aux plus jeunes d’entre nous.

Nous nous efforçons, aujourd’hui encore, de tisser des liens, de bâtir des passerelles ; notre dialogue de ce jour par-
delà l’Atlantique, en est l’illustration.
Ces journées d’étude montrent tout l’intérêt pour cette part de notre histoire et ces efforts ne sont pas vains.

Merci à nouveau de nous avoir invités à ces journées pour lesquelles, au nom de notre ville, je renouvelle tous mes
vœux de succès.

Merci de votre attention.

25
Intervention de M. Alban Duparc, directeur du Musée Louis-Philippe pour l’ouverture du
Congrès du Brésil,
Mardi 16 novembre 2021

Mesdames, Messieurs,

Merci de me donner la parole quelques minutes et ainsi modestement participer à ces journées d’étude auxquelles je
souhaite beaucoup de succès.

La ville d’Eu, en France, dans la région Normandie, entretient des liens d’amitié historiques avec le Brésil et nous
sommes très honorés et heureux de vous parler aujourd’hui.

Gaston d’Orléans épouse, en 1864, Isabelle du Brésil, fille aînée et héritière de l’empereur du Brésil, Pedro II. À la chute
de l’Empire brésilien en 1889, le comte et la comtesse d’Eu sont exilés. Ils rachètent le château d’Eu au duc d’Orléans, fils du
comte de Paris, en 1905. À cette époque, le château est partiellement en ruines, une bonne moitié ayant été détruite par un
incendie en 1902. Ce désastre, s’il a touché en premier lieu la famille d’Orléans, a profondément marqué les esprits tant au
niveau national qu’au niveau local. Les articles de presse de l’époque en attestent.

Ils entreprennent alors et mènent à bien les travaux de restauration du château qui s’imposent.

Bien que leur intervention ici soit plus discrète que celle demandée par le roi des Français Louis-Philippe ou que les
travaux entrepris par l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, elle n’a pas été moins importante et a probablement sauvé le château
d’Eu qui en plus d’abriter notre musée municipal, est devenu l’hôtel de ville.

Relever l’édifice montrait l’attachement du comte d’Eu à ce lieu dont il portait le titre et où il avait passé de nombreux
séjours pendant son enfance. La comtesse d’Eu, quant à elle, a su s’acclimater à notre région et s’attacher aux habitants de
notre ville.
Des photos la montrent ainsi pendant la Première Guerre Mondiale au sein du fourneau économique, un lieu aménagé
au bout des dépendances du château afin de donner à manger aux plus nécessiteux. Elle et son époux furent récipiendaires
de la médaille de vermeil de la reconnaissance nationale en reconnaissance de l’aide apportée aux blessés revenus du front.

Si chacun bien naturellement était concerné à cette époque par les conséquences de la Première Guerre, la comtesse
d’Eu et son époux ont été touchés de la manière la plus profonde et la plus triste qui soit.
Deux de leurs fils, les prince Antoine et Louis, sont en effet morts peu après l’armistice, l’un dans un accident lors
d’une mission de liaison en tant qu’officier aviateur, l’autre des suites d’une maladie contractée sur le front.
Le Monument aux morts de la ville n’aurait pu être édifié sans leur aide financière et les noms des deux jeunes hommes
sont inscrits parmi ceux des autres Eudois victimes du conflit.

La comtesse d’Eu est décédée à Eu en 1921 à l’âge de 75 ans. Cela fait 100 ans cette année.
De nouveau autorisé à entrer dans son pays d’adoption, le comte d’Eu, devenu veuf, meurt en 1922 lors d’une
traversée qui devait le mener au Brésil pour la célébration du centenaire de l’indépendance du pays.
Les objets et les souvenirs que le comte et la comtesse d’Eu ont apportés avec eux du Brésil sont à l’origine du fonds
de collections extra-européennes du Musée Louis-Philippe.
Ces objets et souvenirs sont de toute beauté ; des hamacs, des éventails en plumes d’oiseaux chatoyantes. J’en suis
personnellement, à chaque fois, ébloui.

Eudoise d’adoption, la comtesse d’Eu a semble-t-il su mettre ses pas dans ceux de ses prédécesseurs et nouer à sa
façon le lien fort qui unissaient les habitants de notre ville aux habitants du château. Par l’intermédiaire de notre musée, aidé
en cela par l’association des amis du Musée Louis-Philippe, nous tentons au quotidien de faire comprendre cette histoire à
nos concitoyens, aux personnes de passage, aux plus jeunes d’entre nous.

Nous nous efforçons, aujourd’hui encore, de tisser des liens, de bâtir des passerelles ; notre dialogue de ce jour par-
delà l’Atlantique, en est l’illustration.
Ces journées d’étude montrent tout l’intérêt pour cette part de notre histoire et ces efforts ne sont pas vains.

Merci à nouveau de nous avoir invités à ces journées pour lesquelles, au nom de notre ville, je renouvelle tous mes
vœux de succès.
Merci de votre attention.

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Fragments d’un Empire disparu (première partie) :
La Princesse Isabelle et les objets brésiliens dans les collections du château d’Eu
par M. Carlos Lima Junior (traduit par M. F. Terrade)1

“Nous habitons physiquement un espace mais sentimentalement nous sommes habités par les souvenirs”. Ces mots de
l’écrivain portugais José Saramago, sont particulièrement appropriés dans le contexte de ce texte. Fruit d’une recherche
entreprise dans le cadre postdoctoral comme chercheur associé au département d’études historiques de l’Université
Unicamp au Brésil, cet article traite de la problématique de la configuration du Château d’Eu comme résidence d’exil de la
Princesse Isabelle. En rassemblant tant d’objets aussi variés, envoyés du Brésil en 1891, la Princesse transforma la résidence
normande de sa belle-famille en un espace évoquant les souvenirs de sa famille, qui bien entendu, se confondaient avec son
propre passé impérial brésilien.2

Portraits, bustes, peintures historiques, mobilier qui jusque récemment remplissaient le Palais de Saint-Christophe
(São Cristóvão) et le Palais de Ville à Rio de Janeiro, et qui furent expédiés depuis Rio de Janeiro, ne furent pas disposés au
hasard par la Princesse ; au contraire, en regroupant certains objets dans des espaces dédiés du château, elle pouvait ainsi
affirmer à ceux qui franchissaient le seuil de la demeure, le caractère unique de ses propriétaires. Un certain nombre de
documents sont essentiels à la compréhension des intentions de la Princesse, tels que les listes de travaux, les inventaires et
les testaments, mais aussi les cartes postales qui permettent de découvrir de nombreuses pièces du Château. Ces documents
ont été regroupés dans les archives au Brésil et à l’étranger depuis l’achèvement de ma thèse de doctorat fin 2020.3.

Cet article se concentre par conséquent sur l’usage et remisage de certains objets qui ont rejoint la famille en exil. Je
ferai reference à la trajectoire d’un certain nombre d’objets ; certains très fortement associés à l’histoire de la Maison de
Bragance, arrivés au Brésil avec la famille royale portugaise en 1808, prirent le chemin inverse vers l’Europe en 1889.
Beaucoup d’objets traversèrent l’Atlantique pour retourner sous les tropiques dans les années 1960 et 1970 et intégrer les
collections du Musée impérial de Petrópolis et du Palais Itamaraty à Brasilia. Au cours de ces aller-retours, ces objets prirent
une nouvelle signification, devenant dépositaires de différentes perceptions du passé impérial. Dans leur lieu d’exil, ils
rappelaient le lointain Brésil ; ils étaient de véritables fragments d’un empire disparu.

La conversion du Chateau d’Eu en résidence de la “Rédemptrice”

En Octobre 1905, le magazine “La Vie Heureuse” présenta à ses lecteurs un long article illustré intitulé “Le Comte d’Eu
chez lui”:
“Le château d’Eu va reprendre une nouvelle vie. Le Duc d’Orléans a vendu à son oncle, le Comte d’Eu, la ruine qu’avait
laissée l’incendie de 1902. Restauré, et animé par la présence de ses hôtes, cet endroit célèbre retrouvera la splendeur
qu’il pouvait avoir quand la Reine Victoria y était reçue, ou quand la Grande Mademoiselle y faisait son entrée au
bruit de vingt-quatre ‘boîte’ et des vingt pièces de canon.4”

La rénovation complète du château après l’incendie qui ruina un côté du bâtiment en 1902 permit d’entamer un
nouveau programme de construction de la demeure, maintenant associée à la personnalité de ses nouveaux résidents. Bati
au XVIème siècle, dans le petit Comté d’Eu au nord de la Normandie, le château avait été la résidence de la Grande
Mademoiselle, Anne-Marie-Louise d'Orléans, cousine germaine de Louis XIV, et avait été choisi par le roi Louis-Philippe pour
y recevoir la reine Victoria lors de sa visite en France. Son ancien propriétaire, le Duc d’Orleans vivant en exil en Angleterre,
le château devint la demeure d’un autre exilé, mais cette fois-ci dans son pays d’origine, le Comte d’Eu, fils ainé du Duc de
Nemours, dont le titre conféré par le roi Louis-Philippe le rattachait à ce domaine symbolisé par le château. Les nouveaux

1 Carlos Lima Junior est titulaire d’un PhD en Esthétique et histoire de l’art du Musée d’art contemporain de l’Université de São Paulo au
Brésil et a effectué un programme de recherches à l’Université de Bourgogne (Dijon), soutenu par une bourse de la FAPESP. Ce texte est
issu de ses recherches postdoctorales comme Chercheur associé à la Faculté de Philosophie et de Sciences humaines de l’Université d’Etat
de Campinas à São Paulo, Brésil, sous la supervision de Iara Lis Franco Schiavinatto. L’auteur remercie M. François Terrade pour son
invitation à la publication du présent article. Courriel: crlslimajr@gmail.com
2 Voir BARMAN, Roderick J. Princesa Isabel do Brasil: gênero e poder no século XIX. Bauru: Unesp, 2005; CERQUEIRA, Bruno da Silva

Antunes de; ARGON, Maria de Fátima Moraes. Alegrias e Tristezas. Estudos sobre a autobriografia de D. Isabel do Brasil. São Paulo: Linotipo
Digital Editora, 2020.
3 Voir LIMA JUNIOR, Carlos. Marianne à brasileira: imagens republicanas e os dilemas do passado imperial. Tese (Doutorador em Estética

e História da Arte), MAC USP, 2020. Orientação Profa. Dra. Ana Paula Cavalcanti Simioni.
4 Le Comte d’Eu chez lui. In La Vie Heureuse, octobre 1905. Archives Musée Louis-Philippe.

27
propriétaires s’efforcèrent de marquer leur présence non seulement dans les intérieurs mais aussi en mettant après la
rénovation du château au-dessus de l’entrée, à la vue des visiteurs, les armoiries d’Orléans et Bragance.

La vie au château permit de rappeler le lignage de la Princesse Isabelle et du Comte d’Eu, que leur condition d’exilés
et de proscrits de leur pays ne devait pas faire oublier en dépit leur aisance matérielle. Dans ce sens, les observations de
Marcel Proust dans une lettre à sa mère datée du 14 septembre 1899, donc quelques années avant l’acquisition du château,
sont révélatrices :
Les « Eu » ont l’air de bonnes gens très simples. Bien que j’affecte le chapeau sur la tête et l’immobilité en
leur présence « Brouillés depuis Rennes » (*), m’étant trouvé avec le vieux devant une porte à avoir passer
l’un ou l’autre le premier, je me suis effacé, sans d’ailleurs toucher mon chapeau, c’est-à-dire ce que je fais
ici même pour des gens de mon âge. Et il a passé, mais en ôtant son chapeau avec un grand salut pas du
tout condescendant ni d’Haussonville mais de vieux brave homme très poli, salut que je n’ai encore eu
d’aucune des personnes devant que je m’efface de même, qui sont de « simples bourgeois » et passent raides
comme des princes. À ce propos ce Comte d’Eu glisse sur les parquets au lieu de marcher, comme on patine.
Mais je n’ose en reconstituer à la Cuvier que c’étaient là les bonnes manières ne sachant pas s’il faut
reconnaître dans cette glissade les atteintes de la goutte ou les souvenirs de la Cour. Ne pas montrer cette
lettre à mon ange de frère qui est un ange mais aussi un juge sévère et qui induirait de mes remarques sur
les Comte d’Eu un snobisme ou une frivolité bien éloignés de mon cœur au lieu de la nécessité qui me fait te
dire ce dont nous causerions et les remarques qui peuvent nous amuser5.
(*) [Note de Ph. Kolb ] Allusion à une vieille comédie Brouillés depuis Wagram de Grangé et Thiboust, qu’on devait reprendre le 8 octobre
1899 au Théâtre de la République.

L’expression ironique des “souvenirs de la Cour”, employée par l’auteur de La Recherche du temps perdu, n’est pas
uniquement applicable au comportement distingué du Comte d’Eu mais aussi à la décoration du Château, remplissant les
espaces intérieurs de souvenirs de France et du Brésil. Certains objets, comme les peintures de la résidence de la Princesse
à Laranjeiras (Rio de Janeiro), furent pris par des royalistes (comme le confessa la baronne de Muritiba 6 ). L’essentiel
cependant, mobilier, argenterie, carrosses et objets associés à la vie de cour, fut chargé dans 92 caisses envoyées en 1891 en
France depuis Rio de Janeiro par gouvernement républicain à la demande de la famille

Sur l’une des photographies


illustrant l’article du magazine La Vie
Heureuse (Ill.1.), on peut voir la Comtesse
d’Eu de dos. Le choix de cet angle de vue
pris dans le Salon noir semble délibéré. La
nouvelle propriétaire se présente face au
buste de son père, l’Empereur Pierre II du
Brésil et devant le portrait de Marie II, la
sœur ainée de ce dernier qui régna sur le
Portugal de 1834 à 1853 (ces deux objets
sont entrés dans les collections du Musée
impérial en 1968. 7 ). La présence de ces
œuvres, si proches l’une de l’autre,
rappelait la proche parenté de la Princesse
avec les souverains.

On note que le portrait de la Reine


Marie II sera tour-à-tour déplacé dans
d’autres pièces mais à chaque fois avec
l’objectif de l’associer à d’autres œuvres,
comme ce fut le cas quand il fit partie de la
Ill.1 - Le Comte d’Eu chez lui. (La Vie Heureuse. Octobre 1905).
Archives du Musée Louis-Philippe

5 LXVI [Évian] Jeudi 1 heure ½ [14 septembre 1899]. In PROUST, Marcel. Correspondance avec sa mère. 1887-1905. Lettres inédites
présentées et annotées par Philip Kolb. Paris: Plon, 2019. p. 134-135.
6 GRINBERG, Keila; MUAZE, Mariana (org.) O 15 de Novembro e a queda da Monarquia. Relatos da princesa Isabel, da baronesa e do barão

de Muritiba. São Paulo: Chão, 2019.


7 Depuis 1968, ces œuvres font partie de la collection de la “Société des Etudes brésiliennes D. Pedro II”, détenue auparavant par Francisco

Assis Chateaubriand,qui avant achete le château d’Eu dans les années 1950. Voir: Jean-Baptiste-Claude-Eugène. Busto de d. Pedro II. 1889,
argile, 85,0 x 57,5 x 31,5 cm. Museu Imperial/Ibram/MTur. Coleção Sociedade de Estudos Brasileiros de Dom Pedro II. Número de
processo: 451/ 1968. Doação; SIMPSON, John. "Dona Maria II, Reine de Portugal / 1819-1853". S.d. Óleo sobre tela, 131 x 104,5 cm. Museu
Imperial/Ibram/MTur. Coleção Sociedade de Estudos Brasileiros de Dom Pedro II. Número de processo: 451/ 1968. Doação. Disponible
sur le site http://dami.museuimperial.museus.gov.br/browse?rpp=20&sort_by=-1&type=collection&offset=20&etal=-1&order=ASC

28
galerie de portraits installée dans le Grand Hall (Ill.
2) à côté des portraits de l’empereur Pierre I et de la
Princesse Léopoldine (sœur de la Princesse Isabelle).

Le portrait de la reine fut aussi suspendu


dans le Grand Salon (Ill 3), à côté de portraits
d’autres souveraines, la Reine Marie Ière du Portugal
et l’Impératrice Amélie, deuxième impératrice du
Brésil. On retrouve enfin le portrait sur une
photographie prise vers 1950 (Ill. 4) avec la veuve du
Prince de Grão Pará, née comtesse Dobrzensky, sa
fille, la Comtesse de Paris, le Comte de Paris et leurs
enfants rassemblés dans la bibliothèque.

Ill. 2 - Château d’Eu – Grand Hall.


Archives Musée Louis-Philippe.
Ill.3 - Château d’Eu. Grand salon
du rez-de-chaussée. Carte postale
Archives Musée Louis-Philippe

Ill. 4 – la Princesse de Grão Pará (assise à


droite) entourée par ses filles (Isabelle,
Comtesse de Paris, assise, Françoise à
gauche et Thérèse, debout à droite), le
Comte de Paris, la Princesse Isabelle
d’Orléans et les Princes Michel et Jacques
d’Orléans).

Photographie prise vers 1950. Archives du


Musée Louis-Philippe.
Le portrait de la Reine Marie I est au-
dessus de la cheminée.

Cette photographie doit avoir été prise


entre l’automne 1950 et le printemps
1951(les princes étant chaudement
vêtus), c’est-à-dire entre le retour d’exil
du Comte de Paris en juin 1950 et le décès
de la Princesse de Grão Pará en juin
1951. Il s’agit probablement de l’une des
dernières photographies la représentant
(ici au premier plan).

29
A partir du moment où les ouvres furent installées au
château pour y être présentées, les visiteurs purent faire le lien
entre la fille de l’Empereur Pierre II, bannie par la République fin
1889, et l’héritière présomptive du trône brésilien. Il n’est donc
pas étonnant que l’article du magazine présentant le château
précise que “La Comtesse d'Eu reçoit le lundi. Le Faubourg Saint-
Germain rencontre dans son salon les plus nobles familles de la
colonie brésilienne, qui la considèrent toujours, malgré la
Révolution, comme l’Impératrice”.

Le photographe de la Vie Heureuse, lui aussi, masque les


autres parties de la pièce qui portent le souvenir des liens de
parentés étroits entre les Orléans et les Bragances, tels que
bustes, portraits et photographies des ancêtres d’Isabelle et de
Ill. 5 - Château d’Eu. Salon Noir (1er étage).
Gaston que l’on ne peut retrouver que sur les cartes postales (Ill.
Carte postale sans date.
4, 5, et6). Archives du Musée Louis-Philippe, château d’Eu.

Parmi ces objets rapportés du


Brésil, on distingue le portrait de
l’Empereur Pierre II à Uruguaiana, peint
par Edouard Viénot en 1874 (Ill. 7)8.

On sait aussi par exemple que des


peintures religieuses étaient aussi
accrochées dans la pièce, comme la copie
de Sainte Marie-Madeleine par Antoine
Van Dyck (1599-1641)9 (Ill. 8) au dos de
laquelle on peut lire “Galeries de São
Cristóvão 10 ”. C’est aussi le cas d’autres
portraits tel que celui de la Princesse
Françoise du Brésil, épouse du Prince de
Joinville, oncle du Comte d’Eu par Ary
Scheffer qui reçut des commandes de
Louis-Philippe pour la Galerie des
Batailles à Versailles.

Ill. 7 - Édouard Viénot (1804-1844). Ill. 6 - Château d’Eu - Salon noir (1er
D. Pedro II à Uruguaiana lors de la guerre étage).
contre le Paraguay, 1874, Carte postale sans date.
Huile sur toile, 257 x 160cm. Collection de D. Archives du Musée Louis-Philippe,
João de Orléans et Bragance, Rio de Janeiro. château d’Eu.

Ill. 8 – Anonyme – Saine Marie-Madeleine –


Sans date – Huile sur toile
Musée Louis-Philippe, château d’Eu

8
L’auteur est reconnaissant envers D. João de Orléans et Bragance pour sa gentillesse et son enthousiasme pour ses recherches.
9
Voir : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Anthonis_van_Dyck_(Nachfolger)_-_Hl._Maria_Magdalena_als_Büßerin_-_5432_-_Bavarian_State_ Painting_Collections.jpg
10
Les recherches au sein des collections du Musée Louis-Philippe eurent lieu pendant le stage de recherches doctorales de l’auteur en France en janvier 2020, sous
la supervision du Professeur Alain Bonnet et grâce au financement de la FAPESP. L’auteur est reconnaissant à M. Alban Duparc, Mme. Francine Mury et M. Franck
Demouchy pour leur attention et leur aide essentielle pour accéder aux œuvres au Musée Louis-Philippe.

30
La décoration du Salon Noir, à son tour, était en contraste avec les objets et les peintures présents dans la bibliothèque
(Ill.9). Dans ce vaste espace, l’histoire de la famille de la Comtesse d’Eu se confondait avec celle du Brésil. Ses ancêtres
étaient commémorés par des représentations d’actions solennelles C’est ainsi que le mur de la galerie (Ill. 10) permettait
l’accrochage de la peinture monumentale de Jean-Baptiste Debret, présentant le couronnement de l’Empereur Pierre I qui
se tint en 1821.11.

Ill 9 - Château d’Eu. Bibliothèque


Carte postale, sans date.
Coll. D. João de Orléans et Bragance -
Rio de Janeiro.

Ill. 10- Jean-Baptiste Debret.


Couronnement de l’Empereur
Pierre I 1828,
Huile sur toile, 380 x 636 cm.
Palais de Itamaray – Ministère
des relations extérieures,
Brasília.

Fin de la première partie

11Ce tableau appartenait au Palais de Ville (Paço da Cidade) a Rio de Janeiro. Sur les tribulations de cette oeuvre, voir LIMA JUNIOR, Carlos.
A Sagração e Coroação de d. Pedro I, de Jean-Baptiste Debret. Sobre a trajetória de uma pintura histórica. (enc ours d’impression).

31
Nouvelles de notre Association et du Château d’Eu

Grâce à vous, les acquisitions se poursuivent


Aidez-nous à enrichir les collections du Musée, par vos cotisations, vos dons mais aussi par vos signalements
d’objets relatifs au château d’Eu et à ses occupants.

Le Comte de Paris et le Duc de Chartres dans le parc de Claremont


d’après A. Dedreux

Objets de la manufacture Pillyvuit destinés au château d’Eu à


l’époque du Comte de Paris (ci-dessous)

Pièces en métal argenté aux armes du


Comte et de la Comtesse d’Eu

Eventail ayant appartenu à la


Comtesse d’Eu
Vers 1864 (probablement
réalisé au moment de son
mariage)

32
Assemblée Générale du 2 octobre 2021

Message de M. Barbier, maire de la ville d’Eu M. de Gromard, président

L’assistance respectait les règles de distanciation M. Alban Duparc, directeur de Musée Louis-Philippe,
présente les acquisitions (ici l’éventail d’Isabelle du
Brésil, Comtesse d’Eu).

M. Duparc a ensuite fait un exposé sur la restauration du Le Pasteur Joly fait une conférence sur Hélène de
tableau d’Alfred Johannot Mecklembourg-Schwerin, Duchesse d’Orléans

33
Rapport moral AG du 2 octobre 2021
Arnaud de Gromard, Président

Comme je le disais en introduction, l’exercice qui se clôt aujourd’hui s’est caractérisé par un contexte plus
qu’exceptionnel avec la pandémie qui a bloqué en partie notre pays - ce qui ne nous a pas empêché d’être actifs et de
maintenir le lien avec nos adhérents : ils nous ont démontré une fois encore leur soutien et leur fidélité en poursuivant leur
adhésion à notre association. Cela mérite d’être souligné car au congrès annuel des associations d’amis de musée, beaucoup
ont constaté une déperdition importante parmi leurs adhérents. En ce qui concerne les Amis du Château d’Eu, c’est plutôt le
contraire avec l’arrivée de nouveaux adhérents qui nous permettent de tangenter les 400 adhérents à jour de leur cotisation.
Qu’ils en soient chaleureusement remerciés !

Pour pallier l’impossibilité de se réunir « en présentiel », nous avons eu recours à des visioconférences aussi bien
entre les administrateurs qu’avec l’équipe municipale ce qui était particulièrement important puisqu’avec l’élection d’un
nouveau conseil municipal l’année dernière et d’un nouveau président pour l’association, il était primordial de faire
connaissance les uns avec les autres pour démarrer la collaboration sur de bonnes bases. Monsieur le Maire nous a proposé
d’adopter un rythme régulier de réunions ou de visioconférences avec son équipe manifestant ainsi son souhait d’établir un
flux permanent d’échange d’idées et d’informations sur le Musée Louis-Philippe. Je tiens à lui dire toute ma gratitude tant je
suis convaincu que rien ne peut se faire de positif sans une parfaite collaboration tripartite entre la direction du Musée,
l’équipe municipale et l’association des Amis du Château d’Eu.

Si nous passons maintenant en revue les évènements importants de l’année pour votre association, le premier qui
vient à l’esprit est le retour de restauration du tableau de Johannot « Le duc de Guise présentant au roi Charles IX les héros
de la bataille de Dreux ». En effet, grâce à votre générosité lors de la souscription, ce tableau dont les couleurs et le dessin se
perdaient dans les brumes du temps a maintenant retrouvé sa splendeur. Nous en reparlerons abondamment aujourd’hui.
Viennent ensuite les acquisitions réalisées au cours de l’exercice qu’Alban vous a détaillées. Je n’en reprendrai pas la liste au
risque de vous lasser mais je dirai un mot spécial pour deux tableaux particulièrement intéressants. Tout d’abord le baptême
du Comte de Paris : en dehors de son sujet qui nous est cher (le Comte de Paris est évidemment un personnage central de
l’histoire du Château), ce premier tableau illustre le succès d’une démarche collaborative entre la Région, la Ville et
l’Association, ce cofinancement nous ayant permis de réaliser la préemption durant la vente. C’est un schéma que nous
souhaitons reproduire autant que possible à l’avenir aussi bien pour des acquisitions que pour des restaurations car il
permet de démultiplier nos moyens d’action. Quant au double portrait du Comte de Paris enfant et du Duc de Chartres à
Claremont d’après Alfred de Dreux, c’est un charmant tableau qui vient combler un manque dans les collections du Musée.
L’original se trouve au Grand Trianon à Versailles.

Au total, vous contactez que les dépenses d’acquisition sont inférieures aux années précédentes même si nous avons
participé à de nombreuses enchères sans toutefois être couronnés de succès bien que nous ayons largement dépassé les
estimations initiales. En effet, nous avons noté avec Alban une véritable inflation des prix de vente dès que la provenance
royale des objets portant la marque du Château d’Eu était avérée. Il semble que nous ayons contre nous dans ces ventes des
« aficionados » des souvenirs des Orléans qui n’ont pas de limites de prix. Ce phénomène s’observe aussi bien pour le
mobilier que pour la porcelaine et bien d’autres objets. J’en veux pour exemple un fauteuil dit Cambacérès que nous
souhaitions particulièrement acquérir qui nous a échappé, les enchères s’étant littéralement envolées. Mais c’est vrai
également pour la porcelaine de Sèvres, notamment pour le service d’apparat du Château d’Eu une assiette seule s’étant
vendue 6 800€ ! Malgré notre désir et la vocation de l’Association d’enrichir les collections du Musée, il nous faut savoir
raison garder et s’arrêter dans les enchères - ce qui n’est pas toujours facile - certains objets pouvant se présenter de nouveau
en vente dans des conditions plus favorables.

Nous avons donc décidé de nous investir plus massivement dans des opérations de restauration. Les réserves du
Musée sont pleines mais tous les objets ne sont pas en état d’être présentés au public. Nous avons donc cette année continué
de contribuer aux frais de réinstallation du tableau de Johannot et de restauration de son cadre mais aussi à celle de 6
tableaux qui seront présentés au public dans le cadre de l’exposition temporaire prévue pour 2022 sur les peintres-femme
présentes dans les collections du Musée. Par ailleurs, Alban Duparc a identifié toute une série de tableaux dont l’Association
pourrait financer la restauration dans les années à venir si nous avons la trésorerie disponible. Un autre projet pour 2022
retiendra, j’en suis sûr toute votre attention. Il s’agit de la restauration de la superbe statue équestre du Duc d’Orléans qui
orne la cour du Château. Les premiers devis font état d’un budget de 70 000€ sans compter les bas-reliefs du socle. C’est
donc un projet d’envergure qui en vaut la peine mais qui nécessitera la participation de la Région, de la Ville et de
l’Association et une étude préalable approfondie. Cela nous parait un objectif attrayant pour 2022 !

Toujours dans l’esprit de participer à la remise en état du Château, nous avons déposé cette année un dossier auprès
de la Fondation Stéphane Bern pour la restauration de la Chapelle du Château et des cuisines. Nos interlocuteurs à la
Fondation Bern nous avaient recommandé de le faire avant la date limite du 15 décembre 2020 sachant que même s’il était
trop tard pour cette année, il était toujours bon de prendre date pour l’année suivante. Grâce à la collaboration des équipes

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de la Mairie, nous avons pu remettre en temps un dossier complet sachant que nous avions un devis pour la restauration de
la Chapelle mais pas encore pour les cuisines. Nous avons pu rêver à ce projet excitant qui dépassait le million d’euros rien
que pour la Chapelle en attendant le verdict de la Commission chargée d’examiner les dossiers pour toute la France.
Malheureusement, il nous a été finalement répondu que la Fondation Bern ne pouvait intervenir qu’aux côtés de la DRAC et
des Monuments Historiques et qu’il fallait donc pouvoir présenter un plan de financement incluant leurs subventions pour
qu’elle puisse examiner notre dossier. La déception fut grande d’autant que Monsieur le Maire nous avait dit qu’il considérait
également la restauration de la Chapelle comme un dossier prioritaire !

Entretemps, la DRAC a décidé qu’avant d’entreprendre de nouveaux projets il convenait de réaliser un bilan sanitaire
de l’ensemble du Château pour identifier tous les travaux à faire aussi bien sur la structure (toitures, étanchéité) que sur
l’intérieur. Ce diagnostic complet devrait être réalisé dans les prochains mois mais il est évident que cela reporte tout projet
de quelques mois voire années. Nous n’en perdons pas pour autant notre enthousiasme et notre souhait de voir le Musée
devenir toujours plus attrayant pour le public !

Parmi les éléments notables de la vie de l’Association, je voudrais dire un mot de la publication du numéro spécial de
la Lettre aux Amis consacré au bicentenaire de l’entrée en possession par Louis-Philippe et sa sœur Madame Adélaïde des
domaines royaux d’Eu et de Randan. Celle-ci a été réalisée en collaboration entre les Amis du Château d’Eu et ceux de Randan
mettant en exergue les points communs entre les deux domaines au-delà des liens très intimes entre le Roi et sa sœur. Je
tiens à souligner le travail considérable réalisé par deux de nos administrateurs François Terrade et le Père Hervé Rabel
mais aussi par tous les auteurs d’articles qui font l’intérêt exceptionnel de ce numéro. La qualité de la forme le dispute à la
valeur du fond ce qui fait que cette publication distribuée non seulement à nos adhérents mais également vendue dans le
public nous a attiré de nouveaux adhérents.

Cette année a vu également le démarrage d’un nouveau projet pour l’Association : la création de ce que nous avons
appelé « le Réseau Louis-Philippe ». Il s’agit d’établir un lien entre tous les lieux qui ont été marqués par la présence de la
Famille d’Orléans au-delà de ce qui existe déjà entre les conservateurs desdits Musées qui se connaissent et pratiquent des
échanges pour leurs expositions. Pour ce faire il nous faut donc nouer des liens entre les différentes associations d’Amis de
Musée, créer une dynamique entre elles et bien évidemment contribuer ainsi au rayonnement du Musée Louis-Philippe,
objet de notre Association. On pense immédiatement aux lieux les plus évidents comme Versailles, Fontainebleau, Chantilly
et Dreux mais il y en a bien d’autres comme le Musée de la Céramique à Sèvres, la Chapelle ND de la Compassion à Neuilly
ou même le château de Claremont en Angleterre …Je ne vous les énumérerai pas mais sachez que nous en avons déjà
dénombré plus de 23 ! C’est donc une tâche d’ampleur qui se présente à nous et qui prendra du temps à se réaliser mais qui
nous parait très prometteuse d’avenir.

J’en veux pour exemple nos premiers contacts avec Chantilly, Versailles et Fontainebleau qui nous ont tous manifesté
leur intérêt pour l’idée. Le Président des Amis de Chantilly aussi bien que le conservateur en chef nous ont chaleureusement
accueillis évoquant la possibilité d’organiser des visites réciproques entre les associations et d’établir une sorte de
Newsletter entre tous les Musées concernés permettant à chacun de signaler les évènements organisés par les uns et les
autres (expositions temporaires, concerts, voyages, séminaires etc.). C’est une tâche de longue haleine qui va nous amener à
porter notre bâton de pèlerin dans toute la France mais cela en vaut la peine !

Enfin, je voudrais mentionner parmi les axes à suivre pour 2021/2022 le souci de faire évoluer notre Association dans
deux directions : améliorer notre communication et offrir plus à nos adhérents. Certes, nous avons la preuve comme je
l’indiquais plus tôt que vous continuez de nous suivre et de démontrer votre fidélité mais « qui n’avance pas recule »! Il nous
faut donc sans cesse recruter de nouveaux membres et pour cela, nous n’avons que deux recettes : avoir une communication
plus percutante et proposer un produit plus attrayant. En ce qui concerne la communication, il nous faudra mobiliser les
ressources offertes par les technologies actuelles que sont Internet et les réseaux sociaux. Ce n’est pas évident pour notre
génération qui a longtemps vécu avant leur apparition et ne les utilise pas systématiquement mais mes contacts avec les
autres associations d’amis de musée notamment lors du congrès annuel de la FFSAM m’ont convaincu de leur efficacité et de
leur potentiel. Nous comptons donc sur notre spécialiste de la communication, Robin Devogelaere pour nous aider dans cette
entreprise. Pour ce qui est d’une proposition élargie envers nos adhérents, nous pensons essentiellement à développer les
conférences et les visites de sites voire les voyages organisés mais nous sommes ouverts à toutes vos idées.

En conclusion, je dirai que cette première année de présidence m’a convaincu encore un peu plus du potentiel
remarquable du Musée aussi bien que de l’Association. Certes, les difficultés ne manquent pas - à commencer par l’étendue
des besoins en ce qui concerne le château. Mais je suis plus que jamais persuadé qu’avec votre soutien à tous ainsi qu’avec
une harmonieuse collaboration avec la Mairie et la Direction du Musée, nous pouvons faire de grandes choses !

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L’Agenda des Amis et du Château
14 mars 2022 Réouverture du Musée Louis-Philippe.

1 octobre 2022 Assemblée générale de l‘Association

Suite du mot du Président


Par ailleurs, le projet de création d’un Réseau Louis-Philippe prend son envol avec des premiers contacts très positifs.
Rappelons que l’objectif en serait de développer un réseau de relations privilégiées au niveau des Conservateurs et des
Associations d’Amis de Musée entre tous les lieux marqués par la présence des Orléans afin d’organiser une meilleure
circulation de l’information, des échanges culturels, des visites croisées, des conférences, des évènements en commun …Nous
avons recensé plus de 23 lieux concernés (Châteaux, Musées, Chapelles …). Mais à tout seigneur tout honneur : nous avons
commencé par en parler avec Chantilly et Versailles et les idées commencent à fuser ! Pourquoi pas une Newsletter qui
communiquerait sur tous les évènements, expositions et publications réalisés par les uns et les autres ? Frédéric Lacaille,
Conservateur Général du Musée de Versailles nous a ainsi proposé d’organiser une visite personnalisée pour les Amis du
Château d’Eu de tous les espaces Louis-Philippe du Château de Versailles y compris ceux qui ne sont pas ouverts
habituellement au public. Je suis sûr qu’une telle opportunité va enthousiasmer nombre de nos adhérents ! L’année
prochaine verra donc la poursuite de notre « tournée » en commençant par le Musée de Dreux et Fontainebleau et se
prolongera par beaucoup d’autres.

Autre projet attrayant pour cette nouvelle année : la restauration de la statue équestre du Duc d’Orléans ! C’est un
chantier de grande ampleur qui nécessitera l’intervention aux côtés de la Ville de la DRAC et de la Région mais qui bénéficiera
évidemment du soutien inconditionnel de notre Association en plus des autres restaurations de tableaux en cours et de notre
politique d’acquisition traditionnelle. Nous verrons également dans les prochains mois le retour du grand tableau de
Johannot dans l’escalier d’honneur du Château après la superbe restauration que beaucoup d’entre vous ont déjà pu admirer.

Permettez-moi donc de souhaiter à chacun une excellente année 2022 en espérant qu’elle nous offre une liberté
retrouvée après cet épisode épidémique qui l’a durement malmenée et, pour l’association, qu’elle démontre tout le
dynamisme et la créativité qu’en attendent ses adhérents !

Arnaud de Gromard – arnaud.degromard@gmail.com

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La cotisation annuelle minimum est fixée à
15€ par personne ou
25€ pour un couple,
50€ cotisation de soutien à payable
- par chèque à l’ordre de l’Association des Amis du
Musée Louis-Philippe, ou
- par virement sur le compte de l’Association
(coordonnes ci-contre)
et à adresser à : Association des Amis du Musée Louis-
Philippe, Château d’Eu, 76260 Eu.
Un reçu fiscal sera adressé en début d’année suivante.

Cette lettre a été imprimée avec


le soutien de la Ville d’Eu
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