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Annales historiques de la

Révolution française

La Révolution de 1830 dans l'histoire du XIXe siècle français


Maurice Agulhon

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Agulhon Maurice. La Révolution de 1830 dans l'histoire du XIXe siècle français . In: Annales historiques de la Révolution
française, n°242, 1980. Cent cinquantième anniversaire de la Révolution de 1830. pp. 483-498;

doi : https://doi.org/10.3406/ahrf.1980.4225

https://www.persee.fr/doc/ahrf_0003-4436_1980_num_242_1_4225

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LA REVOLUTION DE 1830
DANS L'HISTOIRE

DU XIXe SIECLE FRANÇAIS

appelle
a renversé
de
si
ou cette
Juillet.
une
La àquestion
simple
substitution
première
Au-delà
la monarchie
péripétie.
que
devue
constitue
nous
cette
restaurée,
uneformulons
évidence,
réponse
un et
important
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facile
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s’agit
a le
: établi
cependant
en
tournant
titre
juillet
lademonarchie...
cet
du
de
1830
article
savoir
siècle,
on

Il n’est guère douteux qu’en France, aujourd’hui, la réponse


la plus fréquente soit la réponse péripétie. On le voit bien si
l’on considère la périodisation la plus répandue. L’usage est de
considérer comme une sorte de bloc historique la période « Révo¬
lution et Empire» (1789-1815), puis de faire apparaître une
autre période-bloc, 1815-1848, sous le nom de « Monarchie
constitutionnelle » ou de « Monarchie censitaire », quand ce n’est
pas la France «des notables» ou l’époque «romantique» (1).
Il va de soi que chacune de ces étiquettes a sa justification, et
l’on ne s’attardera pas ici à les expliciter. Reste que, dans tout
traitement global de la période 1815-1848, 1830 marque une
simple subdivision, date mineure pour une révolution mineure.

Or la périodisation n’est pas une science exacte. Elle est


relative au sujet que l’on traite, et à la façon dont on le traite.
Rien n’empêcherait, après tout, que l’on réduise le bloc Révo¬
lution à la période 1789-An VIII (1800) et que l’on considère
qu’à1800
de partirà 1830,
du 18 sous
brumaire,
deux formes
c’est la successives
contre-révolution
; après qui
quoi,
sévit,
en

la *Révolution
Romantisme,
Nous tenons,
revue
de du
par
1830,
XIXe
ce ignorée
texte,
siècle à(n°*
des
marquer
28-29,
célébrations
1980),
le cent-cinquantième
qui officielles.
en a autorisé
Nous
anniversaire
la publication.
remercions
de

(1) F. Ponteil, La monarchie parlementaire, 1815-1848, A. Colin, 1949. A. Jardin


et A.-J. Tudesq, La France des notables, 1815-1848, N.H.F., n°* 6 et 7, Seuil, 1973.
484 M. AGULHON

1830, la Révolution pourra repartir de l’avant (2). C’est un peu


la vision des choses que nous aimerions rajeunir, ou du moins
ne pas complètement laisser perdre... Mais n’anticipons pas !
Nous voulions seulement rappeler d’abord que la périodisa¬
tion est toujours déterminée par une vision d’interprétation dans
laquelle l’idéologie a sa part. Mettre en valeur 1830, de la
façon que nous venons de suggérer, c’est mettre en valeur le
Libéralisme, la Révolution de 1789 et tout ce qui s’y rattache,
la
auxmonarchie
dépens desautoritaire
deux repoussoirs
et cléricale
que et,
constituent
secondairement,
en premier
la dic¬
lieu
tature napoléonienne. Résorber 1830 au rang de péripétie, c’est
accorder moins d’importance aux valeurs au nom desquelles cette
révolution s’est opérée.
Avant d’entamer notre propre discussion sur ces problèmes,
il nous reste à nous demander pourquoi, dans ces dernières
années, la tendance de l’historiographie française a joué dans un
sens
1830. hostile ou du moins réducteur, dépréciatif, par rapport à

La première raison est que la Restauration, longtemps


dénoncée, a été réhabilitée, réévaluée, et bien servie par une
grande et belle œuvre historique, celle de G. de Bertier de
Sauvigny, alors que la Monarchie de Juillet n’a pas actuellement
pour elle de synthèse comparable, celle de Philippe Vigier, fort
bonne, étant réduite aux dimensions d’un « Que sais-je ?» (3).
Mais une deuxième raison, plus générale et plus diffuse,
tient à l’influence du marxisme et des idées politiques d’extrême
gauche, qui mettent en valeur le peuple, l’ouvrier et la lutte
des classes. Or, de ce point de vue, Louis-Philippe est vulnérable.
La Révolution de la liberté a inauguré le régime qui eut le
premier à subir l’assaut de la lutte ouvrière naissante ; de là
vint que les forces de l’ordre ont beaucoup plus souvent tiré
sur le peuple sous Louis-Philippe que sous Charles X. Le
bourgeois vainqueur de 1830 s’est révélé égoïste, dur et avide,
et le blâme que la sensibilité populiste contemporaine lui décerne

de
avec
par
t.Charles
« parti
IV,
(2)saréforme,
1789). p.
Rappelons
forme
dede273
Autrement
laRémusat,
etmais
(changement
révolution
passim.
qu’à
tout
dit,
ami
cette
».simplement
révolution
brusque
Cf.
deépoque-là
Mémoires
Guizot
etavec
ne violent)
etlafaisait
contre-révolution.
dede
révolution
ma
Thiers,
que
pas,vie,par
comme
était
5s’est
son
vol.,
C’est
moins
contenu
aujourd’hui,
toujours
Plon,
en souvent
ce1954,
(les
reconnu
sens
principes
antithèse
par
définie
qu'un
ex.
du

(3) G. de Bertibr de Sauvigny, La Restauration, Flammarion, 1955. Ph. Vigier,


La Monarchie de Juillet, P.U.F., coll. « Que Sais-Je ? », 1962.
LA RÉVOLUTION DE 1830 485

rejaillit un peu sur le régime et la Révolution qui passent pour


être les siens. Cette sensibilité inspire le dernier grand récit
qui ait été tenté en français sur « les Trois Glorieuses », celui
du regretté Jean-Louis Bory, avec sa dédicace spectaculaire
«Aux maçons, serruriers, tailleurs, mécaniciens [...] qui se sont
battus par trois très beaux jours de la fin d’un mois de Juillet,
persuadés de se battre pour la liberté, alors qu’ils le faisaient
pour que l’action des mines d’Anzin, de 1.000 F en 1815, passe
à 150.000 en 1834 ». Belle formule qui se voulait démystifica¬
trice et se croyait probablement marxiste, alors qu’elle évoque
bien davantage du Beau de Loménie (4).
Cette vision des choses a enfin reçu le renfort de l’inter¬
prétation sociologique de David Pinkney (5), bien que les
prémisses idéologiques de ce dernier fussent probablement
différentes. De ce travail si remarquable, et si neuf en beaucoup
de ses parties, le public retient surtout la comparaison finale
entre les personnels dirigeants d’avant et d’après 1830 : du fait
que le contraste entre les deux groupes soit fort pour ce qui
est des idées et des carrières des gens, mais faible pour ce qui
est de leur appartenance sociale, Pinkney conclut que la Révo¬
lution n’a pas opposé des groupes socialement définis, mais
des groupes politiquement et historiquement constitués, donc des
équipes rivales émanant d’un même milieu ; d’où la conclusion-
choc : une révolution de chasseurs de places (« Job seekers »).
Qu’il s’agisse donc de marxisme, d’humanitarisme imprégné
de marxisme, ou « d’anti-bourgeoisismes » d’origines diverses,
mais convergeant avec le marxisme, l’historiographie récente et
dominante est donc aussi défavorable que possible à Louis-
Philippe, à ses hommes et à ses idéaux.
Rien de cela n’est scandaleux, bien sûr. Le jeu des tendances
idéologiques a toujours existé en histoire, et il n’y fait du mal
que s’il entraîne les auteurs à transgresser les règles de l’objec¬
le
tivité
rôle élémentaire
fécond de ; stimulant
dans le de
cas lacontraire,
recherche l’idéologie
et de la découverte.
a souvent

L’historiographie d’inspiration libérale, puis républicaine, celle


de la gauche modérée d’autrefois, humaniste, démocrate et laïque,
était inspirée par le combat des principes de 1789 que la
Troisième République devait enfin inscrire dans les faits contre

nées...
1943.(4) ».J.-L.
E. Bory,
Beau de
La Loménib,
Révolution
Les deresponsabilités
Juillet, Gallimard,
des dynasties
1972, coll.
bourgeoises,
« Trente t.jour¬
I,

(5) D. Pinkney, The french révolution of 1830, Princeton University Press, 1972.
486 M. AGULHON

les réactions et grâce aux révolutions politiques successives de


notre XIXe siècle. On a tracé avec cette Geste le cadre événe¬
mentiel, institutionnel et politique solide d’une histoire légère¬
ment finaliste (6). Il est juste de dire que, dans cette perspective,
l’évolution sociale, la formation de la classe ouvrière, ses
souffrances et ses luttes étaient quelque peu marginalisées.
La vulgate marxiste a appelé au contraire l’attention, avec
la force que l’on sait, sur ces dernières réalités. Alors Babeuf
a pris dans l’histoire de la Révolution autant de place que Danton
et davantage que La Fayette ; alors Blanqui est devenu un
personnage deaussi
Commune Paris notoire
est devenue
et révéré
l’un de
quecesGambetta
tournants; du
alors
siècle
la
que 1830 cessait d’être. On peut seulement se demander si ce
pan-ouvriérisme n’a pas, pour la compréhension de l’histoire, les
inconvénients symétriques de ceux du pan-libéralisme. Dans
l’éclairage d’une réalité intellectuelle, comme dans le monde
matériel, un coup de projecteur éclaire vivement un secteur du
champ d’observation et laisse le secteur voisin dans une obscurité
relative. Aussi faut-il de temps en temps déplacer le projecteur.
C’est ce que nous tenterons de faire ici, en reprenant à
propos
associés. de 1830 les thèmes qui lui sont le plus classiquement

I. — 1830 et la Liberté
Qu’est-ce que la Liberté ? — Vaste problème...
Pour commencer, par le plus simple, on peut rappeler
l’idée qu’en
semble- t-il. avaient les libéraux de 1830. Trois thèmes, nous

D’abord, la liberté est l’élément essentiel de la Révolution


de 1789, elle en fut très tôt le symbole, voire la déesse, et,
bien sûr, le maître-mot. Etre libéral et reprendre la voie de
1789, c’est tout un (7).
En second lieu, cette liberté politique est le fruit de la
liberté de pensée, en d’autres termes, de « la philosophie ».
Ce qui revient à dire qu’elle a pour adversaire spirituel principal
l’Eglise catholique ; autant la Révolution a pour fondement la

France,
des
tauration
(6)
(7)
idéologies,
A1814-1X70,
Rémusat
àtitre
la 5ed’où
d’exemple,
cité
Alcan,
République,
émerge
note1900
on
2 R.
; (rééd.
Aubier,
citera
etRémond,
plus
1928,
G.Í963.
généralement,
La
Weill,
et droite
Slatkine
Histoire
en 1979).
France
voirdu toute
parti
de lal’historiographie
républicain
première Res¬
en
LA RÉVOLUTION DE 1830 487

philosophie, autant la contre-révolution s’étaye d’un traditiona¬


lisme global que le dogme religieux justifie. Etre libéral, c’est
être
religieux
aujourd’hui,
sinon
dansanti-religieux,
laïque.
la vie politique
du etmoins
sociale,
adversaire
c’est être,dudirions-nous
magistère

En troisième lieu enfin, cette liberté politique doit être


concrète, la liberté doit être vécue, elle doit se monnayer en
libertés au pluriel. De même qu’on a été matériellement et
socialement plus libre après juillet 1789 qu’avant, de même le
sera-t-on davantage après qu’avant juillet 1830. Or c’est bien
ce programme qui a été rempli, point par point, quasi totalement.
Il est superflu d’insister sur le côté retour à 89, tant il
est évident. Le remplacement d’une dynastie hostile à la Révo¬
lution par un monarque qui avait accepté de bon cœur 1789 et
même 1792 («le roi-citoyen», «j’ai combattu à Valmy et à
Jemappes »...), le rétablissement du drapeau tricolore, l’érection
d’un monument commémoratif place de la Bastille, comme pour
honorer les vainqueurs du 14 Juillet 1789 en même temps que
ceux des Trois Glorieuses : ce sont des symboles assez clairs.
L’aspect philosophique ne l’est pas moins. Dans la Charte
de 1814 (8), l’article 6 assortissait l’affirmation de la liberté
des cultes d’un inquiétant privilège moral accordé au culte
majoritaire : «... cependant la religion catholique, apostolique et
romaine est la religion de l’Etat ». Dans la Charte révisée de
1830, l’article 6 ne comporte plus cette phrase, mais seulement
une incidente de pure constatation : ... « la religion catholique,
apostolique et romaine professée par la majorité des Français... »
Dans la même logique, le serment de fidélité dû par le
roi et ses successeurs à la Charte constitutionnelle ne sera plus
prêté « dans la solennité de leur sacre » (Charte de 1814, article

mot
74) :mais
article une
65).« en
C’est
cérémonie
présence
la dé-sacralisation
tout
des Chambres
humaineauréunies
etsenssociale
le
» (Charte
plus
remplace
précis
révisée,
du
la

consécration par un Dieu et par un clergé que tous les citoyens


ne reconnaissaient pas.
L’histoire du Panthéon, que 1830 enlève une seconde fois
des
(aprèsgrands
1790)hommes,
au culteréunit
catholique
de façon
pour hautement
l’affecter au
significative
culte civique
ces

titutions
(8) Onetsedocuments
reportera politiques,
au texte, très
P.U.F.,
accessible,
« Thémis
par», ex.
1957.dans M. Duverger, Cons¬
488 M. AGULHON

deux premiers aspects de la liberté, l’hommage à 89 et la


laïcisation de l’Etat.

Reste le troisième aspect, le libéralisme en actes. Il n’est


pas si dérisoire qu’on le dit souvent. En bonne doctrine libérale,
tout ce
ceux quiqui
les augmente
élisent vale dans
pouvoir
le bon
des députés
sens. C’est
et lebien
nombre
en fait
de
ce qui se passe. Sans nous attarder ici à comparer un à un
les articles de la Charte de 1814 et ceux de sa version nouvelle
suivie des lois organiques, on rappellera les deux faits principaux,
l’abaissement du cens électoral qui double le nombre des électeurs,
et le changement de l’article 14. Cet article 14 (de la Charte
de 1814) stipulait, comme on sait, que «le roi [...] fait les
règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois
et la sûreté de l’Etat ». Dans la révision de 1830, cet article,
devenu l’article 13, s’énonce ainsi: «Le roi [...] fait les
règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois,
sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser
de leur exécution ». Disparaît ainsi la notion de « sûreté de
l’Etat », dangereuse par son imprécision (qui décidera, sinon,
arbitrairement, un homme providentiel, ou un fauteur de coup
d’Etat, qu’il y a une raison d’Etat à violenter les lois ?), au
profit d’un rappel de la souveraineté absolue de la loi. C’est
vraiment le grand conflit du siècle en matière de politique pure,
Napoléon III et Mac-Mahon y sont combattus par avance autant
que Charles X rétrospectivement.

Au-delà de la Charte, quelques lois des premières années


Trente traduisent en acte l’esprit nouveau. Ce n’est certes pas
négligeable pour la cause de la liberté, même dans la conception
plus désabusée et plus empirique que l’on en retient aujourd’hui,
que l’application du vote à la désignation des conseils généraux,
d’arrondissement et municipaux, jusque-là nommés. En même
temps qu’un progrès dans l’émancipation des forces sociales par
rapport à l’Etat, c’est toute une propédeutique de la pratique
politique qui se met en place avec des votes plus fréquents et
plus étendus.
La logique de cette extension de la responsabilité politique
entraînait l’exigence d’en faciliter l’éducation. Ainsi la liberté de
la presse, pour la défense de laquelle la Révolution avait été
déclenchée, est-elle renforcée par la loi du 8 octobre 1830 qui
réduit le nombre des délits de presse et les fait apprécier par
le jury, c’est-à-dire en principe par les citoyens indépendants.
Quant au droit d’association, il reste en l’état d’avant 1830,
LA RÉVOLUTION DE 1830 489

amendé seulement par une grande tolérance de fait au cours des


premières années du régime (9).

On pourrait allonger encore la liste des dispositions concrè¬


tement libérales des lendemains de la Révolution ; contentons-
nous d’un exemple qui peut être encore sensible aujourd’hui,
celui de la minorité religieuse juive. Son culte ne bénéficiait
pas des Articles organiques ajoutés au Concordat napoléonien,
et se trouvait donc en position de discrimination par rapport
à celui des confessions chrétiennes. A cela, la Restauration n’avait
rien changé, et c’est une loi du 8 février 1831 qui fit bénéficier
le culte israëlite
quement à parité du
avec
budget
le catholique
des cultes,
et le réformé.
mettant ainsi juridi¬

Pourquoi ce bilan libéral est-il si sous-estimé de nos jours ?


La raison la plus évidente est que, sur deux points politiquement
importants, il y eut bientôt retour en arrière, avec la loi de
1834 sur le contrôle des associations, et avec les lois de septembre
1835 sur la presse.

Cependant, pour que ces deux exceptions régressives fassent


contrepoids à tous les autres postes, restés positifs, du bilan, il
faut bien sûr qu’il y ait une raison. Nous suggérons volontiers
que c’est le succès même du libéralisme de Juillet qui a fini
par l’estomper, aux yeux de nos contemporains, en quelque
sorte par accoutumance. Il nous est devenu si naturel d’avoir
un drapeau tricolore, de n’avoir pas de religion officielle, ou
de désigner nos élus locaux que nous (que le grand public plus
exactement) avons perdu l’idée qu’il y fallut une révolution ;
le libéralisme est entré dans nos mœurs, et du fait qu’il est
désormais notre civilisation, nous oublions qu’il fut d’abord un
combat partisan.

II. — 1830 et la Bourgeoisie


Tout cela est bel et bon, a-t-on dit ; mais cette liberté
profitait surtout à ceux qui étaient le mieux à même de s’en
servirdonc
Qui par levait
leur puissance
le plus haut
sociale,
le drapeau
et qui de
en laétaient
liberté,conscients.
sinon la
bourgeoisie ? Et n’était-ce pas parce que ce rideau de fumée
tricolore masquait efficacement la consolidation de son pouvoir ?

France
et des
(9) Pour
régimes
de 1814
tout
politiques
à ceci,
1870, consulter
P.U.F.,
de la France
1966notamment
; ou
de 1789
J.-J. F.
àChevalier,
nos
Ponteil,
jours,Histoire
Les
Dalloz,
Institutions
des institutions
1977. de Ut
490 M. AGULHON

La thèse (une révolution bourgeoise derrière la façade de


la liberté) est aussi vieille que la révolution elle-même. Aussitôt
après les polémiques d’époque dans lesquelles elle figure, elle
est fortement énoncée, par exemple, par Louis Blanc (10). Pour
un Tocqueville, si différent de Louis Blanc pourtant, elle ne
sera pas moins évidente (11). Avec Marx (12), on commencera
à préciser, à dire que ce n’est pas toute la bourgeoisie, mais
certains de ses secteurs, les plus puissants, qui ont fait la
révolution, ou qui en ont profité. Au-delà, jusqu’à la classique
systématisation due à Jean Lhomme (13), on s’en doutera guère.
Pour critiquer l’idée de la révolution bourgeoise (ou grande-
bourgeoise), il faut attendre Alfred Cobban (14), («la bourgeoisie »,
qu’est-ce que cela veut dire ? la notion est trop élastique pour
servir à expliquer quoi que ce soit). Il faut attendre Ernest
Labrousse (15), («la bourgeoisie»? soit, mais elle n’aurait pas
été révolutionnaire si les classes populaires n’avaient pas été
mobilisées avec elle par le fait d’une conjoncture où l’économie
a autant de part que la politique). Il faut attendre enfin David
Pinkney, déjà cité (« la bourgeoisie » dans les instances du
pouvoir : elle est à peu près aussi fortement représentée,
statistiquement, après 1830 qu’avant ; la mutation, considérable,
du personnel dirigeant, n’a pas remplacé un milieu social par
un autre ; mais, au sein d’un milieu social à peine changé,
des individus par d’autres, des coteries politiques par d’autres).
Que penser de tout ceci ?
Peut-être faut-il d’abord faire un instant abstraction de
l’épithète bourgeoise (nous la retrouverons bientôt), pour consi¬
dérer le substantif révolution. De ce qu’une révolution change
peu les rapports sociaux, on conclurait un peu trop vite qu’elle
n’est pas révolutionnaire, comme si le terme de révolution devait
être réservé (par une définition marxiste implicite ou explicite)
à une substitution de classe au pouvoir.
Mais lorsque tout change dans l’Etat, depuis les principes
et les symboles jusqu’aux agents du gouvernement dans leur
totalité (tous les préfets, par exemple), lorsque ceux qui étaient

centenaire
paraître
(13)
(15)
(14)
(10) La
(11)
(12) Dès
Souvenirs,
Les
« enComment
degrande
luttes
1841.
lesla premières
Révolution
t.bourgeoisie
de naissent
XII
classes
depages
de
les
l’éd.
enau1848,
France
révolutions
de
pouvoir
desP.U.F.,
son
Œuvres
(1850),
Histoire
(1830-1880),
» 1949.
incomplètes,
(Ed.
Actes
deSoc.,
P.U.F.,
Dix
duGallimard,
Paris,
Ans,
Congrès
1960.1946,
qui historique
1964,
commence
pp. p. 30.duà
25-26).
LA RÉVOLUTION DE 1830 491

ministres vont en prison et que ceux qui étaient en prison, ou


menacés
le
équivalente
terme d’y
de? révolution
être mis, , vont
à moins
au gouvernement,
d’en trouver uncomment
autre derejeter
force

Songeons, pour prendre un exemple mieux perçu parce que


plus proche, à la France en août 1944 : la Libération survenue
alors n’a que bien partiellement touché les rapports socio-écono¬
miques, on peut donc refuser de dire que ce fut une « révolution »,
mais qui soutiendrait que ce fut une péripétie ? Un rapport
de forces changea alors radicalement, rapport de forces purement
moral et politique, sans doute, mais assez important cependant
pour qu’à terme le rapport de forces social puisse évoluer plus
aisément. Il nous semble qu’on peut, jusqu’à un certain point,
reporter à juillet 1830 cette esquisse d’analyse d’août 1944.
La « bourgeoisie » (disons, l’élément — quel qu’il soit —
vainqueur et profiteur) de 1830 a bien pu garder un système
social, ou l’amender à son profit, ou en accaparer les bénéfices ;
du seul fait qu’elle avait opéré cet ajustement par une « révolu¬
tion » (au sens banal et empirique du mot), elle avait compromis
la sécurité de ses gains parce que toute révolution introduit de
la mobilité dans le jeu des événements, et plus encore parce
qu’elle justifie par son exemple les révolutions à venir. En
d’autres termes, il existe une dynamique de la révolution,
relativement indépendante de son point d’application social.

C’est ce que nous verrons mieux tout à l’heure.

Avant d’en arriver à ce point, il faut revenir, sans l’esquiver,


au problème de la qualification bourgeoise de cette révolution-là.
Comme nous l’avons fait précédemment pour la liberté,
nous aimerions nous demander ce qu’était la bourgeoisie pour
les gens de 1830. Etait-ce essentiellement les banquiers plutôt

que
taires
ou l’inverse
les? épiciers
le grand
? Rien
? les
affairisme
de
entrepreneurs
cela n’est
plutôttrès
plutôt
quenet,
que
la rien
prudence
les en
simples
toutrentière
proprié¬
cas ne?

s’impose autant que l’identification, le caractère interchangeable,


des mots de bourgeoisie et de classe moyenne (16). Or, qu’est-ce
que la « classe moyenne » (au singulier) sinon une définition
négative de la bourgeoisie ? sinon la définition de la bourgeoisie
par une double
au-dessus d’elle, exclusion,
celle des masses
celle depopulaires
toute aristocratie
au-dessousà ?privilege

(16) A. Daumàrd, La bourgeoisie parisienne 1815-1848, 1963, p. 649.


492 M. AGULHON

Ainsi considérée, la nature bourgeoise de la révolution de


Juillet est à peu près évidente. L’exclusion de toute aristocratie
à privilège, à une époque où, en fait, l’ancienne noblesse était
surtout importante et ostensible dans les couches supérieures
de la propriété foncière, est obtenue, en fait, par la fin du
privilège que « la loi du double vote » donnait au quart le plus
imposé des électeurs, et par le renforcement du bas de la
pyramide électorale grâce à l’abaissement du cens. Et cette
exclusion est renforcée, symboliquement, mais très clairement, par
l’abolition du principe héréditaire dans le recrutement de la
Chambre des pairs. La noblesse terrienne riche n’est nullement
menacée, on se garantit seulement contre le risque de son
érection en caste, telle qu’on l’avait redouté (fût-ce avec exagé¬
ration) sous le règne de Charles X. La richesse mobilière, celle
du banquier, du négociant, du manufacturier n’est pas privilégiée,
on se garantit seulement contre tout recul qui serait arbitraire¬
ment imposé à son influence, et à cet égard on ne saurait oublier
que la révolution de 1830 s’est faite, aussi, contre l’ordonnance
qui retirait la patente du calcul du cens électoral.

le sens
Réduit
de classe
aux considérations
de la révolution
simples
est que
incontestable
l’on vient: lade classe
dire,
moyenne s’assure que l’ancienne éventuelle classe supérieure ne
se constituera jamais comme étroite classe dominante, mais qu’elle
sera absorbée au sein du monde des notables, maître-mot de
l’époque, comme on sait (17).
Dans ce monde des notables, l’intérêt terrien est très
fortement présent à côté de la richesse mobilière, mais l’anti-
aristocratisme est assez net pour que l’équilibre politique soit
tout de même légèrement modifié en faveur de celle-ci. En
comparant les Chambres des députés de 1829 et 1831, David
Pinkney a donné les compositions sociales suivantes (18) :
1829 1831
Hommes d’affaires 14 % 17 %
Professions libérales 5 % 12 %
Fonctionnaires 40 % 38 %
Propriétaires 31 % 23 %
Non identifiés 10 % 10 %

Pinkney insiste, nous l’avons dit, sur la faiblesse

(17) A.-J. Tudesq, Les grands notables en France, 1840-1849, 2 vol., P.U.F., 1964.
(18) Op. cit., p. 279.
LA RÉVOLUTION DE 1830 493

différences, et elles sont faibles en effet ; mais, dans la mesure


où elles existent, elles vont tout de même dans le sens de la
thèse classique que nous rappelons.

Mais, encore une fois, celle-ci s’étaye principalement sur


la grande, simple et, si l’on veut, simpliste révolution électorale
de 1830 : 2.000 grands propriétaires terriens électeurs pèseront
moins dans un corps électoral de 200.000, sans double vote,
qu’ils ne pesaient dans un corps de 100.000, avec double vote
aux plus riches.
Il est inutile de s’attarder sur l’autre frontière de la classe
moyenne. Le peuple dans sa masse ne peut voter parce que,
très massivement pauvre, il serait trop facilement dépendant de
qui peut acheter son suffrage, et parce que, très massivement
ignorant, il serait trop facilement entraîné par les autorités
dotées d’une influence séculaire, religieuse principalement. Le
bourgeois de 1830 est en cela l’héritier direct des Constituants
de 1789 qui ont inventé le principe du « citoyen actif - citoyen
passif ». Exclure le pauvre du vote, c’est encore une façon
indirecte d’en écarter le « féodal » et le prêtre, dont les pauvres
subornés multiplieraient abusivement la puissance. Par cette
considération, la bourgeoisie peut défendre le vote censitaire au
nom même de la liberté.

Dès cette époque cependant, la critique démocratique ne


se prive pas de faire remarquer que le monopole politique de
la classe moyenne avait souvent d’autres motifs que cet idéalisme-
là. On ne contestera nullement ici que bien des bourgeois
redoutaient le suffrage des pauvres non pas en tant qu’ils étaient
ou seraient réactionnaires, mais en tant qu’ils seraient « jacobins »,
« anarchistes » ou « communistes ». Mais cet aspect de la question
est si fréquemment rappelé aujourd’hui qu’il est dans toutes les
mémoires ; il fallait aussi rappeler l’autre.

En vérité, c’est au-delà de 1830 que « la bourgeoisie » ou


— pour mieux dire — les personnages bourgeois au pouvoir
s’écartèrent des principes libéraux qu’ils étaient supposés avoir.
Dans la logique de l’interprétation libérale du droit électoral, il
est clair que le peuple devait accéder au vote au fur et à mesure
que l’aisance et les lumières l’en rendraient digne. Or on ne
vit rien de tel, puisque Guizot se refusa même à la plus timide
494 M. AGULHON

« adjonction des capacités » (19). Dès lors, l’immobilité n’avait


plus d’autre
voire gouvernemental
raison possible
le plusque
plat.
le conservatisme
Et c’est contresocial,
lui que
politique,
s’enfla

poussait
la vague lede vent
1848politique)
(ou, si l’on
(20).veut,
« L’égoïsme
la partie
» était
de la moins
vague dans
que
le cens à 200 francs que dans sa pérennisation têtue. On peut

donclaGuizot
tant
du
comprendre
rappelé
de faite
serévolution
—risquer
contre
dont
des
le àannées
prestige
lal’idéologie
dedire
révolution
1848.
que
Quarante.
considérable
Proclamée
ladede
révolution
1830
juillet
Celaà que
—l’Hôtel
nous
1830
de trop
contre
1848
aide
a dejoui
peu
ne
Ville
la
peut-être
s’est
au
pratique
souvent
lecours
pas
24à

février au soir, la République a été re-proclamée trois jours


après au pied de la colonne de Juillet, par le Gouvernement
provisoire au complet, dont c’était la première sortie en corps
hors
a durédu bien
bâtiment
au-delà.
municipal. Et le culte de la colonne de Juillet

On objectera peut-être ici, il est vrai, que le culte rendu


par les républicains de 1848 s’adressait aux combattants de
juillet 1830, parfois déjà républicains eux-mêmes, et frustrés de
leur victoire — et non pas à Louis-Philippe, Guizot ou Thiers.
La chose est indubitable. Mais on ne peut tout traiter ainsi
en termes de clivage social, ou politique. D’autres aspects de
1830 restèrent en vénération, la colonne (et pas seulement le
tombeau), le coq gaulois, le drapeau tricolore, le patriotisme, la
Pologne, le Panthéon, Béranger, et l’on en passe ; autant de
référencesenà 48.
vivantes la révolution globale de 1830, et cependant bien

Le fait que la révolution républicaine, démocratique et


sociale de 1848, se soit ainsi posée, par rapport à la révolution
« bourgeoise » et « libérale » de 1830, comme une héritière
plutôt que comme une antagoniste, est aussi un fait historique
qu’il convient de considérer.

Il nous encouragera à entamer notre dernière série d’analyses.

électoral
C’est
l'ascension
cynique
bien (19)
desleIlà gens
en
sens
est
lasociale,
mettant
rapacité.
vrai
àdula qu’il
etfameux
fois
denon
Reste
pensait
modestes
plus
pas
« que
Enrichissez-vous...
enque
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et
plus
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prospérité
de des
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contribuables
le
»,200
élargissait
dit
qui
francs
trop
estau-dessus
était
naturellement
souvent
un appel
tropde
—haute
logique
lale barre.
un corps
appel
pourà

(20) Puisqu'il y avait aussi une large part de détermination directement écono¬
mique (cf. E. Labrousse, cité ci-dessus, note 15).
LA RÉVOLUTION DE 1830 495

III. — 1830 et l’avenir démocratique

Martin Nadaud, ouvrier maçon militant, républicain, commu¬


niste (icarien), syndicaliste avant la lettre, sera dans les années
Quarante un lutteur résolu contre le gouvernement Guizot. Mais
en décembre 1851, emprisonné par le coup d’Etat bonapartiste,
il lira l’œuvre historique du même Guizot, et il l’admirera. Et
plus tard, écrivant ses Mémoires, tout en restant très sévère
pour Louis-Philippe, il rendra justice à la loi Guizot de 1833
comme contribution à la libération du peuple. Ainsi, l’un des
ouvriers les mieux placés pour apprécier les aspects négatifs du
régime
1830 (21).
de Juillet, a pu juger positive l’inspiration initiale de

A l’échelle de l’historiographie, un lien analogue est établi :


un accord assez général existe en effet en France pour assigner
à 1830 le point de départ de « l’histoire du mouvement
ouvrier » (22).

Il est juste de dire qu’on a pu — notamment du côté


du marxisme — trouver à cela une raison de pure logique. Si
l’on interprète en effet 1830 comme « révolution bourgeoise »
au sens de « révolution capitaliste », plus précisément comme
le moment de la victoire définitive du capitalisme sur les derniers
soubresauts du « féodalisme », alors, en 1830, l’antagonisme
entre capital et féodalisme de majeur devient mineur ; c’est au
tour du conflit capital-travail de devenir majeur ; avec le capi¬
talisme installé, la classe ouvrière naît et lutte, et le mouvement
ouvrier commence. Nous avons pour notre part tout à l’heure
préféré une interprétation moins catégorique de l’idée de révolte
bourgeoise.
Toutefois, l’idée que « le mouvement ouvrier » commence
en (ou vers) 1830, ne s’autorise pas seulement du schéma
quelque peu a priori que nous venons de citer. Elle est valable
aussi a posteriori, à partir de la constatation empirique de la
multiplication des organisations compagnonniques ou mutualistes,
de l’explosion de luttes comme celles des canuts de Lyon, de
l’émergence de leaders... Proposons à notre tour un schéma :
la notion de « mouvement ouvrier » implique que la classe

préfacée
et
J. Bruhat,
des passim).
(21)
(22)
canuts,
Martin
E.
et Dolléans,
Histoire
commentée
Ed. Nadaud,
Sociales,
duHistoire
Mémoires
par
mouvement
1952M.du(sur
Agulhon,
mouvement
dele
ouvrier
Léonard,
choix
Hachette,
français,
de
ouvrier,
ancien
la date
1976.
t.t. garçon
I,de
I, Des
1830-1871,
1831,origines
maçon,
voir A.l’Introduction
nouvelle
àColin,
la révolte
1953.
éd.
496 M. AGULHON

ouvrière existe, qu’elle a une unité potentielle, puis de plus


en plus réelle, une conscience, une visée, et que cette visée est
être discutée, mais
rétablissement du socialisme.
ce n’est pas
Chacune
ici le delieu.
ces Ilassertions
suffit de pourrait
retenir
ceci : dans la mesure où un certain mouvement de l’histoire
sociale du XIXe siècle a bien été la rencontre des ouvriers
organisés avec l’idée socialiste, il est indéniable que 1830 en
est une étape décisive. Avant 1830, il existe des ouvriers, et
même organisés, et même des grèves, mais ils ignorent le
socialisme ; il y a aussi des penseurs que l’on peut déjà dire
socialistes (les saint-simoniens, par exemple), mais ils sont tous
bourgeois. C’est à partir de 1830 que s’opèrent les premières
conjonctions et que l’on peut rencontrer les premiers ouvriers
socialistes, ou, si l’on préfère, les premiers socialistes ouvriers.
Les saint-simoniens, pour garder cet exemple, passent alors de
la conférence de salon (rue Monsigny) à la conférence de réunion
publique (rue Taitbout) ; ils passent de Paris à la province
(les « missions ») ; et dans ces deux mouvements, ils atteignent
des ouvriers. Avant les Trois Glorieuses, ils n’en auraient pas
eu la possibilité, peut-être même pas l’idée (23).
Il est clair qu’en cette affaire 1830 ne joue pas comme
date économique approximative de la « révolution industrielle »,
ne joue guère comme date sociale de la substitution de la
domination capitaliste sur la féodale, mais joue pleinement
comme date politique, celle d’une explosion de liberté.
Comme toute révolution en effet, Juillet 1830 a créé une
substitution de pouvoirs locaux et départementaux, avec des
flottements, parfois des vacances, dans un affaiblissement momen¬
tané d’appareil répressif dont mille effervescences habituellement
contenues, dont mille initiatives jusque-là non envisageables ont
profité pour s’exprimer.
Comme toute révolution libérale, celle de 1830 a mis en
place des administrateurs improvisés et libéraux qui ont favorisé
l’expression des idées et des groupes, et qui, appelés le plus
souvent à être révoqués bientôt pour laxisme ou pour incompé¬
mois
tence, deontliberté.
du moins présidé à quelques semaines ou quelques

En tant que révolution de 1830, par ce caractère propre,


elle a remis à l’honneur 1789 et 1792, et les exemples ¿’éman¬
cipation et de mouvement qu’impliquaient ces souvenirs. En

(23) S. Charléty, Histoire du Saint-Simonisme, P. Hartmann, 1931.


LA RÉVOLUTION DE 1830 497

tant que révolution toujours, elle a exalté pour un temps


l’ouvrier combattant et vainqueur.
Enfin, plus largement encore, on le sait bien, 1830 a ouvert
à lacinq
ou liberté
années
de d’essor.
la presse et à la liberté d’association quatre

Ce n’est pas ici le lieu de retracer à nouveau l’histoire


de la floraison de journaux et de la prolifération de sociétés
qui ont marqué ces années (24). Comme on le sait, la crise
politique de 1834-35 leur a donné un coup d’arrêt brutal, lui
aussi souvent rappelé. Ce qu’on oublie de dire, c’est combien,
au regard de l’histoire, il fut inefficace. Les années qui vont de
juillet 1830 à avril 34 ou septembre 35 ont été des années de
libertés d’expression d’une fécondité extraordinaire. La naissance
du mouvement ouvrier n’est que l’exemple le plus frappant des
élargissements d’audience, des rencontres, des prises de conscience,
des cristallisations qui s’opèrent alors et par rapport auxquelles
les entraves prochaines seront dérisoires (25).
Pour l’éveil de la démocratie au plein sens du mot, qui
suppose que se rencontrent de façon plus qu’occasionnelle le
peuple et la politique, ce furent peut-être les années les plus
importantes du siècle.

**
*

Ceci n’est pas une apologie de Louis-Philippe. Porté par


la vague de 1830, le roi des Français sera aisément, et justement,
emporté par la vague plus forte de 1848. Nous voulions seulement
montrer qu’on comprendrait mal la vague de 1848 si on oubliait
ou seulement si l’on minimisait trop celle de 1830.

Attachons-nous encore un instant à Louis-Philippe. Nous


savons qu’il a voulu célébrer sa révolution de Juillet par la
colonne commémorative érigée place de la Bastille. Les travaux
durèrent dix ans. Or en juillet 1840, au moment de l’inaugurer,
Louis-Philippe se demanda s’il était bien prudent d’aller à la
Bastille, tant la colonne était devenue, en plein cœur du Paris
populaire, le centre d’attraction et de vénération de l’opposi¬
tion républicaine (26). Tant le régime, par son auto-célébration

Godechot,
dans(24)le Est-il
(25)
(26) En
Récit
domaine
Guiral
dernier
etbesoin
commentaire
etreligieux
lieu,
Terrou,
de rappeler
consulter
? dans
dans
P.U.F.,
ce
Rémusat,
lel ’Histoire
t.que
domaine
II, leMémoires
1969.
choc
générale
littéraire
de de1830
de?malareprésente,
vie...,
presset. III,
parparpp.
Bellanger,
exemple,
395-401.
498 M. AGULHON

avait abouti en fait à doter sa capitale du symbole principal de


sa contestation.

Est-il abusif de voir là un symbole plus général, celui


d’une révolution de la liberté qui, parce qu’elle est de liberté,
a créé à la fois un régime et les conditions de la critique de
oe régime, par l’appel permanent qui pourra être fait des
réalités du régime à ses propres principes ?
Dire cela, c’est reconnaître aux principes une sorte de force,
à « l’esprit » une présence dont l’énoncé pourrait aisément donner
lieu à facile éloquence et être par conséquent dénoncé pour
« idéalisme ». Mais — outre que nous avons à quelques reprises
essayé de citer les réalités intellectuelles, sociales ou juridiques
nouvelles que « l’esprit » de 1830 peut commodément servir à
résumer — , une considération majeure subsiste : les thèses
« démystificatrices » qui ne voient partout que capitalistes rapaces,
bourgeoisie répressive, réaction complète, proclamations poudre-
aux-yeux, ne rendent pas mieux compte de l’histoire qui s’en
est effectivement suivi, que ne faisaient jadis les thèses contrai¬
res dans leur naïveté. Les deux rappels en sont perpétuellement
nécessaires.

L’histoire entremêle sans cesse des aspects contradictoires.


En 1830, reconnaître la complexité de l’histoire, c’est admettre
que la liberté a été un peu plus qu’un drapeau, et la bourgeoisie
autre chose qu’un démiurge hypocrite.
Maurice AGULHON.

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