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Revue d'histoire moderne

Besançon en 1830
Louis Villat

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Villat Louis. Besançon en 1830. In: Revue d'histoire moderne, tome 6 N°33,1931. pp. 176-204;

doi : https://doi.org/10.3406/rhmc.1931.3937

https://www.persee.fr/doc/rhmc_0996-2727_1931_num_6_33_3937

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BESANÇON EN 1830

Besançon possédait, depuis le 22 mars 1829, une feuille


« politique, commerciale, agricole et littéraire », paraissant
tous les dimanches chez Charles Deis et portant ce beau titre
V Impartial. Il était l'organe de l'opinion libérale et, tirant à
400 exemplaires dont le prix était de 20 francs par an, était
envoyé à 360 personnes (1). Nous avons là une première
source, fort précieuse, où Ch. Weiss, le savant bibliothécaire
de Besançon, voyait dès 1830 une « collection indispensable à
qui voudra connaître la marche des affaires de la province » (2).
Ajoutons-y le journal de Ch. Weiss lui-même : ce sont des
notes prises au jour le jour et qui, la plupart du temps, de
l'aveu même de leur auteur, ne prétendent qu'à compléter
Y Impartial (cf. 19 septembre 1830). Ce journal, extrêmement
précieux, rédigé par un observateur pénétrant et souvent
caustique, appartient à la Bibliothèque municipale de Besan¬
çon et il est resté inédit, mais les fragments concernant la
Révolution de 1830 ont été publiés par Eug. Tavernier dans un
périodique littéraire régional aujourd'hui disparu — les
Gaudes — du n° 560 (1er août 1908) au n° 586 (1er septembre
1909) : ils vont du 4 avril 1830 au 14 octobre 1833. Signalons
enfin quelques souvenirs contemporains comme ceux que nous
ont laissés Armand Marquiset ( A travers ma vie), Estignard

paraîtra
nier
(2)
(1) Journal
D'après
{Ladeux
Presse
fois
de
uneWeiss,
bisontine
par
indication
semaine
19septembre
et la
de
à partir
V Impartial
Révolution
1830.
de novembre
de
lui-même,
juillet,
] 830.
p.citée
4, n°parI).Eug.
L' Impartial
Ta.ver-
BESANÇON EN 1830 177

(Portraits franco-comtois) ( 1), et nous avons ainsi les documents


essentiels qu'utilisèrent les historiens postérieurs : Eugène
Tavernier, La Presse bisontine et la Révolution de Juillet , qui
est un discours de réception à l'Académie des Sciences, Belles-
Lettres et Arts de Besançon (Besançon, Jacquin, 1908, in-8°,
57 p.), Mlle II. Nardin dans un mémoire présenté à la Faculté
des Lettres de Besançon le 18 mai 1928 pour le diplôme
d'Etudes Supérieures ( Besançon et la Révolution de 1830),
M. M. Pigallet dans un rapide article (la Révolution de 1830 et la
Franche-Comté) donné en juillet 1930 à la revue régionale
Franche-Comté, Monts Jura et Haute-Alsace (p. 129-131) (2).
Nous avons lu ces différents travaux et nous avons consulté
les sources où ils avaient puisé, et, plus qu'ils n'avaient fait
eux-mêmes, nous nous sommes aussi reportés aux Archives
Départementales : dossiers administratifs et police de la
série M (3), — notamment 16 M 34,— et justice de la série U (4),
— notamment correspondance du procureur général.

L'esprit public en 1830.


Les origines et les cadres de V opposition constitutionnelle.

Le département du Doubs, selon le préfet Choppin d'Arnou-


ville, fut toujours soumis aux lois et se rallia, d'une manière
générale, sans perturbation, aux gouvernements qui se succé¬
dèrent. Voilà qui est vite dit et sans doute un peu trop officiel
pour être tout à fait exact, car il y eut dans la Franche-Comté
de 1830 différentes façons d'accepter les événements parisiens
et d'être, comme on dit, à la suite et il est incontestable qu'à
partir de 1829, à Besançon tout au moins, nous constatons
un développement progressif de l'esprit public.

d'une
le
des(2)
(I)
(3)
(4)
reste
Débats,
Cf.
ville,
Gf
Le
84 268
: sous-séries
répertoire
Louis
aussi
Besançon,
7 sur
août
G.
Viliat,
fiches.
1930.
Coindre,
enont
1906-1912,
a, été
La
seules
dévolution
dressé
Mon
été6 par
vieux
vol.,
inventoriée
dein-8°.
M. Besançon,
1830
Piga'leten
en(M.
Franche-Comté,
histoire
Pigallet,
1921 (in-4°,
pittoresque
1911,
Idans
+in-4,
52
leetJournal
p.
10intime
). p.),

EE VUE D'HISTOIRE MODERNE N° 33 12


178 REVUE D'HISTOIRE MODERNE

1° Le malaise économique. — Cela se fit d'abord par suite du


malaise économique qui, depuis plusieurs mois, inquiétait les
populations. Les propriétaires de vignes et les vignerons de
Battant font entendre une série de doléances portant surtout
sur la lourdeur des taxes qui entravent ou réduisent la produc¬
tion. L'Impartial du 13 septembre 1829 signale ce « fâcheux »
état de choses. « La détresse de nos nombreux vignerons va
incessamment croissante; mais ce qui les tourmente le plus
n'est pas tant l'extrême exiguïté de la valeur des vendanges,
que les assujettissements auxquels le fisc les soumet, la rigueur
avec laquelle on leur fait perdre un long temps au jaugeage des
tonnes, cuves, hottes, etc., servant au transport, et on exige
le paiement pour de mauvais verjus comme pour les bonnes
qualités ». Les vignerons ont demandé la modification de la loi
sur les boissons qui date du 28 avril 1816, en ce qui touche la
matière imposable et la quotité de l'impôt. Le projet de loi que
présente M. Bacot de Romans ne semble pas plus satisfaisant,
tout au moins il en faudrait retrancher ces « effrayants articles
en vertu desquels gendarmes, préposés aux douanes, gardes-
champêtres et forestiers, agents de police, cantonniers des
routes, soldats, que sais-je? viendraient à tout instant sommer
le conducteur d'un misérable tonnelet de vin de leur exhiber
ses acquits à caution ou congés, et procéder à la dégustation
du liquide » (1). Une pétition a été rédigée pour être adressée
au préfet et l'on en a discuté dans une réunion tenue « hors des
murs » le dimanche 6 septembre 1829. La population de la
ville en a été émue, le bruit a couru « que to'us les vignerons
méditaient une sédition, qu'ils allaient se mettre en révolte
ouverte contre les employés des contributions indirectes,
contre les autorités publiques, tenter de les renverser... » (2).
Les postes militaires de la ville ont été doublés, de forts déta¬
chements d'infanterie et de cavalerie se tenaient dans les
casernes prêts à marcher. Cependant tout est resté calme et ce
ne fut qu'une alerte, bien significative cependant.

(1) Impartial, 26
(2) 13 septembre
avril, 1829. 1829.
BESANÇON EN 1830 179

D'autre part une vive impulsion a été donnée aux travaux


publics. Une série d'écluses doivent améliorer la navigation du
Doubs; et l'on démolit l'ancien barrage de Rivotte et les mou¬
lins de Ghamars; on procède à la rectification de la route; de
Suisse entre Besançon et le village de Morre; on achève la
promenade qui permettra d'atteindre facilement le fort de
Bregillefossés.
veaux pourvuDans
de l'intérieur
nouvelles de
casernes
la villeetonprotégé
achève par
la construc¬
de nou¬

tion du portail de la Madeleine avec ses deux tours, on restaure


Saint-Jean et Notre-Dame, on élève une nouvelle halle. « A
aucune autre époque, peut-être, notre ville n'a offert un aspect
plus animé »(1). Mais c'est une animation factice, due à l'afflux
de la main-d'œuvre étrangère — allemande, suisse, italienne, —
dont il faut assurer le ravitaillement. Or l'hiver 1829-1830 est
d'une exceptionnelle rigueur, le thermomètre descend à — 11°
le prix des denrées augmente et également celui des bois de
chauffage (la corde de 4 stères, qui valait 50 francs en novem¬
bre, coûte 66 francs au milieu de janvier). Les pauvres sont
nombreux et réclament des secours : on ouvre des souscrip¬
tions, on organise des distributions de pain et des ventes de
charité, on donne des représentations au théâtre et des bals
au bénéfice des indigents (2). Et l'archevêque de Besançon,
envisageant dans son mandement de Carême une misère si
douloureuse, une infortune si générale, y voit une manifesta¬
tion de la colère divine pour les péchés des hommes et il en
profite pour dénoncer « l'agitation des esprits », les « passions
déchaînées », le « débordement » des mauvaises doctrines et
des livres impies, la corruption toujours croissante des mœurs..
2° Le mécontentement politique et la question religieuse. —
Gar il y a un mécontentement très net dans l'ordre politique
et administratif. 11 est visible que, de plus en plus, le gouverne¬
ment cherche à entraver l'application loyale de la Charte, et
une opposition se forme.
Celle-ci affecte parfois la forme bonapartiste, mais en des

(2)
(1) Le
Impartial
prix du, 15
pain
août
augmentera
1829. encore le 1er mai (cf. plus bas p. 11-12).
180 REVUE D'HISTOIRE MODERNE

manifestations qui ne peuvent avoir aucune portée. C'est


ainsi que, le 8 janvier 1830, un journalier, Claude Dener-
vaux, a crié à plusieurs reprises : « Vive V empereur! » dans
la Grande-Rue et sur la place Saint-Pierre, « au point de
causer devant le corps de garde de ladite place un rassemble¬
ment considérable » (1). Ce cri séditieux, qui amène la compa¬
rution du délinquant devant le tribunal correctionnel de
Besançon, a d'ailleurs pour excuse un état d'ébriété prononcé.
Moins caractéristique encore est le cas de Pierre-Joseph Van-
chaux, ancien militaire, actuellement vigneron à Montgesoye
qui, le 30 mars 1830, est arrêté, portant à sa casquette une
cocarde tricolore et l'aigle impériale, mais c'est un homme
qui, de notoriété publique, est en état de démence et le pro¬
cureur abandonne sa plainte contre un pareil «napolitain » (2.)
La véritable opposition reste légale et constitutionnelle et
elle se forme autour de V Impartial, dont le premier numéro a
paru le 22 mars 1829 et dont on ne saurait exagérer le rôle
décisif. « Point de sécurité pour le trône, déclare-t-il comme
profession de foi, point de bonheur pour la France, sans les
institutions sanctionnées par la Restauration. Le Roi, la
Charte et toutes les libertés que nous tenons d'elle et de lui,
telle est notre devise, tel sera le fond de toutes nos réclama¬
tions ». Car ce nouveau journal, organe d'une opinion publique
qui se cherche, entend réclamer quand besoin sera et il repro¬
duit ce mot menaçant que Dupin fît entendre à la Chambre le
14 mars 1829 : « On veut suffisamment la liberté quand on se
plaint de la violation des lois ».
Dès la fin de 1829, recherchant pourquoi les progrès consti¬
tutionnels ont éprouvé tant d'entraves, il dénonce les manœu¬
vres du parti prêtre et la « phalange jésuitique » (3) qui plus
que jamais aspire à la domination politique. Depuis quelques
moi§, lisons-nous dans le numéro du 15 novembre 1829, « la
vieille haine du clergé catholique contre nos nouvelles institu-

14 (3)
(1)
(2)
janvier
Arch,
Impartial,
Ibid, 1830).
(audience
dép.,11 Uoctobre
(audience
du 101829.
avrildu 1830).
tribunal correctionnel de Besançon du
BESANÇON EN 1830 181

tions paraît s'être réveillée plus active que jamais, si la guerre


a de nouveau été déclarée, au nom de la religion, à l'esprit de
liberté qui anime notre siècle, si on ne cache plus le dessein
arrêté, presque l'espoir, d'anéantir cette importune liberté, ce
dangereux droit d'examen, et d'y substituer un pouvoir
absolu, mitigé d'abord, mais qui, comme tous les pouvoirs nés
de la force et non de la conviction, dégénérerait vite en odieuse
et insultante tyrannie ».
La lutte est engagée. Elle s'organise au sein des retraites
ecclésiastiques qui ont surtout pour objet de préparer « le
triomphe de l'ultramontanisme et le renversement de nos
institutions politiques » (1). Quelques prédicateurs ne crai¬
gnent pas de qualifier d' « athées » les lois de l'Etat, jetant
ainsi la suspicion sur des lois qui garantissent l'exercice du
culte, le protègent,- subviennent à l'entretien des églises et
assurent l'existence des pasteurs (2). L' Impartial du 22 novem¬
bre 1829 dénonce le dessein qu'on prête à l'archevêque de
Besançon de rétablir illégalement les ofFicialités métropoli¬
taines et diocésaines, c'est-à-dire ces tribunaux d'exception
que la « sage » loi du 6 septembre 1790 avait supprimés. Le
clergé va jusqu'à proscrire avec plus de sévérité que jamais les
danses qui se préparaient pour le carnaval de 1830; mais la
jeunesse peut se soumettre sans perdre sa bonne humeur et en
tournant la défense. A un vicaire qui, faisant allusion au bal
manqué, dit en plaisantant à une jeune fille : « Eh bien! la
jambe ne vous fait pas mal d'avoir dansé? » la jeune fîUe
répond : « Non, pas la jambe, mais la joue, d'avoir racheté des
gages » (3).
Ainsi donc il y a deux partis en présence : d'un côté, celui de
l'opinion constitutionnelle, qui exprime le vœu de la nation, et
de l'autre, celui qui, n'ayant voulu « rien oublier ni rien
apprendre » (4), essaie de dégoûter la nation française de ses
nouvelles libertés en les représentant comme les préliminaires

(2)
(3)
(1) Impartial,
(4) Hid. 23 5mai
2,1 février
octobre
1829.1830.
182 9.
182 REVUE D'HISTOIRE MODERNE

d'une nouvelle Terreur. « C'en est fait, disent quelques-uns,


du commerce même de la librairie, parce que la crainte de la
révolution qui approche, empêche les prêtres et les fidèles
d'acheter des livres de messe et d'église et que le clergé de
Franche-Comté garde son argent pour passer en Suisse au
premier coup de canon».
3 ° Le ministère Polignac ei le triomphe de V « Impartial ».
— Or le 8 août 1829, cette « coterie » a triomphé avec la cons¬
titution du ministère Polignac, le ministère « antinational » (1).
L'impression produite à Besançon et dans toute la province est
« fâcheuse » (2), mais l'on se ressaisit et les différentes nuances
du parti constitutionnel se rapprochent et se resserrent devant
la menace. « Nous nous attendons à des tracasseries, à des
sévices peut-être, mais nous saurons lutter. Si la force de cohé¬
sion congréganiste a eu des succès, est parvenue, malgré la
faiblesse du nombre, à usurper le pouvoir en trompant le roi,
nous aurons aussi recours à la puissance d'une opportune
cohésion. Unis de volonté, comme ils le sont de sentiments, les
royalistes constitutionnels seront toujours en mesure d'oppo¬
ser à l'arbitraire une résistance invincible, de soutenir la marclic
qui, en dépit d'une poignée de rétrogradateurs, doit conduire le
siècle de perfectionnements en perfectionnements sociaux » (3).
Sans doute il y a un Bisontin à la Justice, Jean-Joseph-
Antoine Courvoisier. C'est un honnête homme et un esprit
éclairé; ancien émigré, il n'a jamais incliné vers les solutions
extrêmes; avocat et conseiller à la Cour de Besançon en 1808,
député du Doubs de 1816 à 1824, procureur général à Lyon, il
est bien préparé à la tâche à laquelle Charles X vient de
l'appeler, mais il n'en est pas moins certain que, « dans sa com¬
position actuelle et avec l'esprit qui l'anime », ce ministère est
« une véritable anomalie politique, un non-sens duquel il
importe de se hâter de sortir. Où trouver l'issue? c'est là
désormais la question pressante » (4).

(2)
(1) Impartial, 23
(3)
(4) 22
30
15 août
novembre
1829.
182 9. 182 9.
1829.
BESANÇON EN 1830 183

Il est probable que le ministère assemblera les chambres


législatives pour essayer d'obtenir une majorité et se décidera à
dissoudre la Chambre des Députés. Il faut être prêt, et dès à
présent, donner les plus grands soins à la vérification des listes
électorales, h' Impartial publie à cet effet une série d'articles
sur les droits électoraux, il supplie les électeurs de se faire
inscrire pour participer aux élections nouvelles d'où « dépend
notre avenir » (1) et quand, au 16 octobre, la liste est officielle¬
ment close, il la publie en entier (noa du 1er novembre au 13 dé¬
cembre 1829) (2).
« Qu'importerait, au f-ond, que M. de Polignac n'aspirât
qu'au retour d'un régime jésuitique et aristocratique, ne rêvât
que droit d'aînesse, mœurs et usages de l'ancienne cour, si nos
listes électorales sont bien exactes, si les élections se font sans
fraudes, si les membres des conseils généraux, des municipa¬
lités, les agents de tous les services administratifs sont bien
choisis; si les intérêts de l'agriculture, du commerce, des manu¬
factures sont bien soignés; si rien n'est omis pour favoriser le
développement des intelligences, les progrès des sciences et
des arts, pour faire prospérer les établissements publics, pour
maintenir chacun dans la libre jouissance de ses droits et dans
la sécurité de son avenir; si l'action de la police est purement
protectrice; si, en un mot, les lois qui nous régissent, quelque
imparfaites qu'elles puissent être encore, sont fidèlement
observées? (3) »
Tout cela dépend en grande partie du préfet, dont l'heureuse
action peut contrebalancer les résultats d'une « intrigue » qui
a fait surgir au ministère « quelques courtisans dépourvus de
hautes vues et même de connaissances suffisantes ». Or voici
que M. le comte de Juigné est nommé préfet d'Indre-et-Loire
(novembre 1829). Il est remplacé à Besançon par M. le vicomte
de Beaumont, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
député de la Dordogne,et ce choix est assez heureux, car le

vote
(2)
(1)est
Impartial,
Le deminimum
755 f r.2070.
de
septembre
contribution
1829.pavé par les électeurs privilégiés (lu double
(3) Impartial, 29 novembre 1829.
184 REVUE D'HISTOIRE MODERNE

nouveau préfet arrive « précédé de la réputation d'administra¬


teur instruit, habile, désireux de suivre en toute affaire les
principes de l'équité et du droit ». Tandis que M. de Juigiié
avait annoncé, dans sa circulaire d'installation du 7 déc. 1828.
qu'il aurait principalement à cœur de « travailler à la splen¬
deur de la religion, en relevant ses temples et ses établisse¬
ments détruits 'par l'impiété et l'anarchie révolutionnaire »
le vicomte de Beaumont déclare prendre pour règle « le dévoue¬
ment au roi, sans en rechercher la date, l'attachement à nos
institutions ». Il prêche la paix et l'union et le développement
des libertés publiques sous l'autorité du roi, et V Impartial ne
lui ménage pas ses éloges (1).
C'est dans ces conditions qu'on apprend, au milieu de jan¬
vier 1830, la convocation des Chambres pour le 7 mars. Cette
nouvelle produit une certaine détente, on envisage avec satis¬
faction le terme prochain de cet état « d'incertitude, de mal¬
être national » (2), où l'on vit depuis le 8 août. L 'Impartial
fait à la Chambre une confiance entière : elle se prononcera
énergiquement « contre tout système attentatoire h nos droits
publics, contre les hommes et les choses qui tendraient à
rétroagir sur nos institutions, à les fausser, à entraver leur
développement ou simplement à éluder les conséquences
nécessaires de la charte et du mouvement progressif de la
société ». Alors le roi sera bien forcé d'opter: ou bien écarter le
ministère Polignac, pour rentrer « franchement » dans les voies
constitutionnelles, ou bien maintenir ce ministère et tenter
« ouvertement » la contre-révolution. Dans l'une ou l'autre
alternative, on verra clair.
D'autre part le roi signe, le dimanche 31 janvier, l'ordon¬
nance qui rend à la Franche-Comté son ancienne école d'artil¬
lerie et qui établit un arsenal de constructions. Voilà « un des
événements les plus heureux qui soient jamais survenus à la
province » (3) : il donnera une vive impulsion à l'industrie,

(1) 7617février
(2)
(3) décembre
janvier1830.
1830.
1829.
BESANÇON EN 1830 185

à la consommation, à toutes les sources de la richesse publique,


et le mécontentement de la Côte-d'Or, dépouillée de sa petite
école d'Auxonne, n'est pas pour déplaire à Besançon. Voilà
tous les Bisontins prêts à « célébrer la justice éclairée » du roi
pour lequel V Impartial du 21 février 1830 parle de son «amour »
et de son « dévouement ».
Mais le conflit entre la Chambre et le gouvernement éclate
au mois de mars. Il se formule dans la célèbre adresse des 221
et, tandis que le roi, optant pour la résistance, se décide à pro¬
roger la Chambre, V Impartial, qui commence sa deuxième
année d'existence, part avec un nouvel élan pour être « un
moyen de ralliement pour tous les hommes loyaux et amis de
l'ordre constitutionnel ». Il compte surtout sur la jeunesse
« grave et studieuse », qui demain prendra sa part des affaires
une
publiques,
verve intarissable.
et il mène la campagne avec un entrain endiablé et

Voici d'abord, en mars, l'affaire Amédée Thierry. C'était le


frère d'Augustin, il professait à la Faculté des Lettres et sa
destitution fit grand bruit. L'histoire est pittoresque, compli¬
quée de petites jalousies professionnelles et de mesquines riva¬
lités de personnes. Billy, professeur d'histoire à la Faculté des
Lettres, était depuis trois ans suppléé par M. Bourgon, ancien
élève de l'Ecole Normale et professeur au Collège royal de
Besançon lorsque, en février 1827, cette suppléance fut offi¬
ciellement sanctionnée par le ministère. Cette suppléance prit
fin en 1828, M. Bourgon fut envoyé dans l'Académie de Stras¬
bourg et, sur la demande des députés du Doubs, M. Thierry
fut appelé à remplir provisoirement la chaire d'histoire (1). Il
donna un enseignement extrêmement brillant et le public
apprit à connaître le chemin, qu'il avait quelque peu oublié, de
la Faculté des Lettres; Y Imparlial se plut à donner des ana¬
lyses de ses leçons (2) qui peuplèrent, comme il le dit fort
pittoresquement, « le désert de la Faculté » (3). Mais la muni-

doctorai
morali).
(1)
(2 ) 2C'est
(3) 5 8avril,
mars
(Ausone
à Besançon
21830.
4 mai
et la
1 82qu'il
littérature
9. soutient,
latine
le en
1er septembre
Gaule au IVe
1829,siècle;
ses deux
De cerlitudine
thèses de
186 REVUE D'HISTOIRE MODERNE

cipalité lui faisait une guerre acharnée : alors qu'elle avait,


le 24 octobre 1828, décidé la création d'un « Lycée de littéra¬
ture et arts » et qu'un arrêté de M. de Vatimesnil, ministre de
l'Instruction publique, y avait autorisé la création de trois
chaires, dont une d'histoire à laquelle il nommait expressé¬
ment M. Amédée Thierry (17 mars 1829), l'année scolaire
s'était achevée sans que le Conseil Municipal fît rien pour
mettre en marche l'institution nouvelle dont il avait pris
l?initiative : Y Impartial s'en étonne et dénonce l'opposition
personnelle du maire (1); il revient à la charge dès le début de
la nouvelle année scolaire (2). Mais le maire triomphe et
V Impartial du 21 mars annonce la destitution de M. Amédée
Thierry, qu'il attribue à de basses jalousies facilitant, contre
la science, l'œuvre de réaction politique et religieuse poursuivie
par le parti du pouvoir. Car il faut que le silence règne autour
de cette chaire d'histoire qui, galvanisant une Université lan¬
guissante dont la torpeur devenait légendaire, effrayait tant de
susceptibilités « apostoliques et aristocratiques » (3). Une
longue polémique s'ensuivit, MM. Pérennès et Génisset, pro¬
fesseurs à la Faculté (4), défendant leur attitude, M. Bourgon
affirmant ses droits, les députés du Doubs rappelant la haute
valeur, l'éminente dignité et la correction parfaite du profes¬
seur destitué.
Laissons, comme dit méchamment V Impartial (5), la Faculté
de Besançon rentrer dans son « obscurité natale ». Ce n'est pas
le professeur Génisset qui l'en tirera avec le journal ultra qu'il
songe à créer et qui ne vit pas le jour et signalons le remplace¬
ment de M. de Beaumont, préfet honnête et sympathique, par
M. Jules de Calvière, dont le rôle sera évidemment de préparer,
par la menace, les destitutions, les promesses de récompenses,
les élections qui vont suivre la dissolution de la Chambre.

l'Académie
Mémoires
Pérennès,
(5)
(2)
(4)
(1)2
(3) 428
4Sur
avril
6octobre
juillet,
mars
de
cf.
Génisset,
des
VM.
1830.
Académie...,
1 Sciences,
et
830.
9Druhen,
août
2 9 adepte
novembre
182
Belles-Lettres
9.Lefougueux
1927, centenaire
182
p. 117-131).
9. du
et du
Arts
romantisme
romantisme
de Besançon
etcri bataillant
contre
Franche-Comté
le « au
classique
sein
(dans
do
•»
BESANÇON EN 1830 187

|Elles se présentent mal pour le gouvernement. Le 1er mai,


le prix du pain a passé de 1 fr. 20 la miche de six livres à
1 fr.30 : cette hausse, qu'on s'explique malaisément, a provoqué
quelques rumeurs et, dans le quartier de Battant il s'est pro¬
duit dans la soirée du 30 avril quelques « scènes tumultueuses »
contre les boulangers qui ont manqué de pain, soit qu'ils aient
volontairement restreint leurs « cuites » afin de profiter de la
hausse, soit qu'ils aient dû livrer davantage à des clients dési¬
reux de faire des provisions avant la hausse (1). L 'Impartial
dénonce les menées ourdies avec tant de soins par le parti
contre-révolutionnaire qui depuis neuf mois est en possession
du pouvoir et qui essaie de faire croire aux électeurs qu'il s'agit
aujourd'hui d'opter « entre la royauté et la République, entre
les Bourbons et l'anarchie, entre Charles X et uneseconde révo¬
lution » (2). Il s'en prend avec violence aux membres du clergé,
qu'il représente comme les auxiliaires « les plus prononcés » du
parti de la contre-révolution. Il accuse les ministres de vouloir
des Chambres législatives dociles, « afin de ne plus éprouver de
contradiction » quand ils marchent dans les voies de l'arbi¬
traire et substituent « le régime du bon plaisir, le gouverne¬
ment des courtisans, au système franchement représentatif ».
Cette fois le gouvernement prit peur. Poursuivi pour exci¬
tation à la haine et au mépris du gouvernement du roi, pour
avoir cherché à troubler la paix publique et outragé les minis¬
tres de la religion de l'Etat, l'auteur de l'article, qui était aussi
le gérant du journal, Just Muron, fut condamné le 28 mai à
un mois de prison et 300 francs d'amende (3). Curieuse person¬
nalité, un peu isolée, que celle de ce disciple de Fourier, apôtre
inlassable de la doctrine phalanstérienne.
Cependant l'ordonnance royale du 16 mai, portant dissolu¬
tion de la Chambre des Députés, a été publiée à Besançon
le 22. Les électeurs ont huit jours — du 23 au 30 mai — pour

Besançon
général,
(1) Cf.
(2)
(3) Cf.
Impartial,
au
Archives
dumaire
13 mai
9 dép.
mai
départementales,
de 1830).
Besançon)
1830.
U., Impartial
— ,21U
30Mmai
(audience
8 (lettre
1830. du
de tribunal
M. de Joufi'roy,
correctionnel
secrétaire
de
188 REVUE D;HISTOIRE MODERNE

vérifier les listes électorales et Y Impartial stimule leur zèle


pour que puisse être écartée du pouvoir cette « poignée de
parasites » (1) dont l'astuce et les efforts empêchent les masses
de s'instruire et de s'affranchir. Il signale quelques noms de
censitaires figurant indûment sur les listes. Il entonne sur le
mode lyrique et fâcheusement grandiloquent le panégyrique
de Courvoisier qui a remis son portefeuille le 19 mai 1830
plutôt que de suivre plus longtemps les errements de Polignac.
« Sa parole puissante était l'épée qui brisa vingt foisdes trames
que les mêmes mains reformaient sans cesse et qu'elles peuvent
renouer aujourd'hui sans obstacle... La Franche-Comté recon¬
naissante inscrira son nom parmi les bienfaiteurs du pays ».
On sait le résultat d'une campagne menée avec une si belle
ardeur et, malgré la pression officielle (2), le 23 juin le collège
d'arrondissement de Besançon élut le candidat constitutionnel,
M. Gréa, député sortant, l'un des 221, à qui il avait donné
148 voix sur 281 votants, contre 109 à M. de Jallerange, can¬
didat ministériel. Les constitutionnels triomphaient également
à Baume, Vesoul, Gray et Lons-le-Saunier, et seul le collège de
Dole envoyait à la Chambre un /ministériel, M. de Vaulchier.
Besançon a lieu d'être satisfait. Il illumina le 11 juillet en
apprenant la prise d'Alger, « éclatante victoire, écrit Y Impar¬
tial, qui a été proclamée dans les rues aux cris de : Vive le
Roi! » (3) Il illumina encore le 15, à la nouvelle du bref de
Pie VIII qui élevait à la dignité cardinalice le duc de Rohan,
archevêque de Besançon, dont la joie naïve fait les délices du
malicieux Weiss (4). Mais le 29 juillet la physionomie de la
ville
ordonnances
change furent
brusquement
connues : à c'est
Besancon.
ce jour-là que les cjuatre

(1) Impartial, 27 mai 1830.


(2) Weiss signale à la date du 10 juin la circulaire que le procureur général
M. Clerc adresse
avancement
ministériels. ou destitution
à tous les suivant
fonctionnaires
qu'ils auront
de l'ordre
ou non
judiciaire,
voté pour
leurlespromettant
candidats

(3) Impartial, 11 juillet 1830.


(4) Weiss, 15 et 18 juillet..;
BESANÇON EN 1830 189

II

La Révolution à Besançon (29 juillet-14 août).

En l'absence du préfet, le secrétaire général, M. de Jouffroy,


fit réimprimer et afficher l'ordonnance du roi sur la presse
périodique. En l'absence du maire, le premier adjoint, marquis
de Lapérierre, prit un arrêté, calqué sur celui du préfet de
police de Paris, qui défendait de vendre, distribuer tout écrit
qui ne porterait pas le nom véritable de l'auteur, celui de l'im¬
primeur, etc.
Ces deux affiches, placardées dans la matinée du 29, fur, nt
immédiatement entourées et vivement commentées. Ch.
Weiss nous signale la surprise et le « chagrin » qu'elles provo¬
quèrent, î'émotion qui s'empara des jeunes gens. L 'Impartial
est supprimé par un arrêté du délégué du préfet. Mesure illé¬
gale, au témoignage même du procureur du roi, M. David, qui
avoue à un de ses intimes que, si les actionnaires portaient
une réclamation devant les tribunaux, il serait fort embar¬
rassé pour donner des conclusions.
On est à l'affût de toutes les nouvelles de Paris. Voici que
passe à Besançon un savant orientaliste génevois, M. Hum¬
bert : on l'interroge, il déclare que la capitale est « dans la
plus grande confusion » et qu'on s'attend à quelque coup de
main. Déplorable éventualité, car « que peuvent des enfants,
des élèves des écoles contre des, soldats armés et disciplinés,
obéissant à des officiers aguerris? » (1).
Cependant, dès le lendemain, la situation apparaît « alar¬
mante », on parle de massacres et l'inquiétude s'accroît de ce
fait que les communications avec Paris sont arrêtées. Un cer¬
tain M. Vieille, que ses affaires appelaient dans la capitale, n'a
pu dépasser Troyes. Le 31, le courrier et la diligence n'arri¬
vent pas. En prévision d'une révolte possible, on a désarmé

(1) Weiss, 29 juillet.


190 REVUE D'HISTOIRE MODERNE

les Compagnies de discipline et mis des canons à la citadelle et


au fort Griffon, on double la garde de la prison militaire. Rien
encore de très grave, mais les affiches portant les ordonnances
ont été partiellement déchirées et il y en a sur lesquelles on a
pu écrire au crayon « des provocations à la révolte et des mots
outrageants pour S. M. le roi ». Dans la nuit du 30 au 31 on
jette dans les rues des papiers portant ces mots : « Français,
aux armes! A bas le tyran! » (1).
C'est le dimanche 1er août qu'on apprend les événements.
Le Moniteur , arrivé le matin, restait très vague et annonçait
seulement qu'une espèce de junte maintenait la tranquillité
publique et qu'on ne se battait pas dans les rues; il n'était pas
question du roi. Sur l'initiative des habitants notables de
Besançon, qui s'offrent pour veiller, concurremment avec les
troupes de la garnison, à ce que la plus grande tranquillité.
règne dans la ville, on improvise une organisation de la garde
nationale et le maire exhorte ses concitoyens au calme, d'abord
parce que cela est conforme au tempérament bisontin, ensuite
parce que toute agitation ne servirait de rien. « Dans tous les
temps Besançon s'est distingué par sa prudence et son sang-
froid au milieu des événements les plus difficiles; une conduite
contraire
tinées. » alarmerait inutilement, sans rien changer à nos des¬

Mais dans la ville quelques troubles se produisent. Les jeunes


gens et les officiers de la garnison se rassemblent à Granvelle
et acclament la Charte. Les officiers placent leurs schakos
au-dessus de leurs épées en criant : « Vive l'Union! » Là-dessus
arrive un courrier de Paris qui confirme les nouvelles reçues le
matin. Les groupes deviennent plus nombreux et plus bruyants.
Vers huit heures un cortège se forme qui parcourt les rues en
criant et se mettant en devoir d'enlever les drapeaux blancs
qui flottent encore sur les édifices publics, notamment à la
mairie, où l'on arrive après avoir cassé les vitres de l'hôtel
particulier du maire (2). Des groupes se portent également

Weiss).
(2)
(1) Et
Weiss,
non de
30 l'Hôtel
et 31 juillet.
de Ville, comme écrit à tort M. Pigallet (cf. Journal de
BESANÇON EN 1830 191

devant l'hôtel de M. le lieutenant général, puis se retirent


devant les exhortations des officiers, mais ils reviennent à la
charge vers minuit et sont alors dispersés par, une charge de
quatre canonniers à cheval.
La foule se venge sur Pichegru, dont la statue se dressait
depuis 1828 sur la place de l'hôpital Saint-Jacques. Œuvre
d'une inspiration médiocre qui représentait le général debout,
tenant une branche de lis et ayant à ses pieds un lion et un
lévrier (1). Les émeutiers la renversent avec des 'cordes et la
mettent en pièces : la tête promenée dans les rues est ensuite
précipitée dans le Doubs du haut du pont de la Madeleine (ou
pont Battant); d'autres s'emparent des attributs et arrachent
la grille. « Une patrouille de vingt hommes, écrit M. Weiss,
aurait suffi pour empêcher tout ce désordre. On savait que les
factieux en voulaient à cette statue; un piquet, placé à l'hôpi¬
tal, aurait suffi pour les contenir. Mais personne n'a conservé
dans cette grave circonstance le sang-froid nécessaire ». Il
semble qu'il y ait eu partout consternation et indécision; le
maire ne peut arriver à prendre une décision, pris entre les
émeutiers qui continuent leurs vociférations pendant toute la
nuit et quelques partisans royalistes exaltés comme ce M. de
Boulot qui revient précipitamment de la campagne pour se
mettre à la tête des jeunes royalistes :
— « Eh! que fallait-il donc faire, lui dit un témoin, contre
une troupe de furieux?
— « Périr! » répond M. de Boulot en enfonçant son chapeau
sur sa tête.
Ce n'était dans l'intention d'aucun des administrateurs
bisontins dont l'âme n'avait rien de cornélien. L'archevêque
est parti après avoir donné l'ordre de mettre en sûreté tous les
objets précieux. Le préfet Galvière ne rentrera pas avant le
4 août. Cette indécision encourage les émeutiers qui projettent
dès le matin du 2 août, de renverser la croix de mission de la
place Saint-Jean. Le reste de la journée est tranquille jusqu'au
moment où arrive le courrier de Paris : le duc d'Orléans a été

(1) Cf. CoindrEj Mon vieux Besançon.


192 REVUE D'HISTOIRE MODERNE

proclamé lieutenant-général du royaume, et celui-ci, deman¬


dant à la nation française de reprendre ses couleurs, a décidé
qu' « il ne sera plus porté d'autre cocarde que la cocarde tri¬
colore ». Le maire n'ose d'abord rien faire; vers 4 heures,
un cortège d'étudiants et d'ouvriers, qui entend le forcer à
arborer les couleurs nationales, est dispersé par la rue d'Anvers
avant d'avoir atteint la place Saint-Pierre (qui est la place de
la mairie), mais on va boire dans les environs. Dans la crainte
de désordres, le maireà 5 h. 1 /2 fait hisser le drapeau. Mais
le bruit se répand que les vignerons des quartiers de Battant,
Gharmont et Arènes, projettent de se porter à de coupables
violences contre l'administration des contributions indirectes,
et le maire fait fermer dès 6 heures les portes de la ville pour
empêcher la rentrée des électeurs turbulents. D'ailleurs des
postes militaires occupent tous les endroits menacés : Chamars,
l'arsenal, le séminaire et l'archevêché. Des patrouilles par¬
courent les rues et la nuit se passe sans incident. C'est à peine
si le lendemain quelques manifestants se portent place Dau-
phine,aux cris de «A bas les rats!» : — il s'agit des fonctionnaires
de l'administration des droits réunis dont on voudrait prendre
les registres pour les brûler. Un détachement de la garde natio¬
nale suffît à repousser les manifestants et quelques personnes
« éclairées » achèvent de les éloigner en leur représentant que
le pouvoir ne peut, dans un moment aussi critique, se priver
d'une des branchés les plus productives de ses revenus (1).
Il n'est pas jusqu'aux élèves du collège royal de Besançon,
« même les plus jeunes », qui, avec une ardeur singulière, ne se
haussent au niveau des circonstances en coupant les boutons
de leurs uniformes « où figurent des armoiries désormais sédi¬
tieuses ». Le censeur est surpris d'une telle audace, il en réfère
au proviseur qui ne sait quel parti prendre. Devant « l'attitude
fière et décidée des petits patriotes », on décide de convoquer
le Conseil académique et V Impartial raille « les hautes capa¬
cités qui, depuis quinze ans, ont envahi toutes les adminis¬
trations, tous les emplois publics et qui, prenant tant de jésui-

(1) Weiss, 4 août. Cf. Impartial (lu 4-5 août..


BESANÇON EN 1830 193

tiques soins pour inspirer des sentiments d'obéissance passive


et de complète abnégation, n'ont pas seulement su parvenir à
leurs fins avec de jeunes enfants ».
Là-dessus le préfet, M. de Calvière, rentre mercredi matin,
4 août, « trop tard pour rendre confiance aux partisans peu
nombreux de l'ancien gouvernement » et sa présence n'a fait
qu' « effrayer et mécontenter les partisans de l'insurrection
parisienne » (4). « Après l'arrivée du courrier, trente jeunes gens
se sont rendus à son hôtel pour lui demander communication
des dépêches qu'il avait dû recevoir. Il a répondu qu'il n'avait
point encore repris son service, mais qu'il ne s'opposait point
à ce que le secrétaire général, qui continuait d'être chargé de
ses fonctions, communiquât toutes lès lettres ».
A 9 heures du soir, une alerte à la compagnie de discipline
casernée au fort Griffon est vite réprimée et 25 mutins sont
transférés à la prison militaire. Mais dès le lendemain matin
jeudi5 août, le bruit se répand que ces troublesont été suscités
par le préfet quiveut faire piller la ville par les disciplinaires et
la mettre à feu et à sang. Cette rumeur prend assez de consis¬
tance pour que des officiers de la garde nationale placent des
factionnaires devant la préfecture et aillent même signifier au
préfet que sa présence dans la ville est un sujet d'inquiétude
pour les citoyens. Il demande vingt-quatre heures, on ne lui
en accorde que quatre et il quitte Besançon à 2 heures de
l'après-midi. C'est bien le triomphe populaire.
Mais il n'y a plus aucune administration responsable de
l'ordre public, le maire et les adjoints ont donné leur démission.
Une assemblée de notables, convoquée pour 4 heures, et une
centaine d'individus, « se disant le peuple souverain », réunis
sous la présidence de M. Guillemet, ancien procureur impérial,
doyen d'âge, forment une commission administrative de
12 membres, chargée de veiller à la sécurité publique et de
prendre toutes mesures nécessitées par les circonstances.
Cette commission n'a évidemment aucun pouvoir légal, et
ne peut ordonnancer la moindre dépense, ni prendre le moindre

(1 ) Weiss, 4 août.
REVUE D'HISTOIRE MODERNE N° 33 13
194 REVUE D'HISTOIRE MODERNE

arrêté obligatoire. « C'est du désordre, écrit Ch. Weiss, et rien


de plus. » Cette commission n'en remplit pas moins une utile
besogne en rédigeant (6 août) un appel à l'ordre et en invi¬
tant les citoyens à payer leurs contributions, en envoyant
(7 août) une adresse au nouveau gouvernement. Un membre
ayant proposé d'y exprimer le désir de conserver la forme
monarchique, l'avocat Demesmay s'y oppose vivement et son
opinion l'emporte. « Que de chemin nous avon« fait depuis
huit jours! » écrit Weiss.
Bientôt arrivent les nouveaux administrateurs : le lieute¬
nant général comte Morand, commandant la. VIe division;
Choppin d'Arnouville, ex-officier d'artillerie, ex-inspecteur
général des finances, ancien préfet du Doubs (1820) où il a
laissé d'excellents souvenirs (il fait son entrée le 11); Flavien
de Magnoncourt, fils, est nommé maire de Besançon (1).
Le lundi 9, le duc d'Orléans a été proclamé roi des Français
et la nouvelle en arrive à Besançon le 12 après-midi. Illumi¬
nations, joie. « On ne sait, écrit Y Impartial (2), ce qu'on doit le
plus admirer : de la grandeur du résultat ou de la promptitude
avéc laquelle il a été obtenu. Les événements ont marché si
vite, tout s'est arrangé avec un si rare bonheur, un à-propos
si parfait, une convenance si grande qu'on a peine à croire à
la réalité» des faits et qu'on se demande si ce n'est pas une
illusion.

Les autorités régulièrement constituées étant entrées en


fonctions, les commissions administratives provisoires, dépar¬
tementales et municipales, cessent les leurs; et, en installant
le nouveau maire à l'Hôtel de Ville, le préfet Choppin d'Ar¬
nouville salue, le 14 août, l'avènement de l'ère nouvelle « qui
assure à jamais le maintien des libertés publiques ».

Haute-
(1) Amédée
(2) Impartial,
Saône. Thierry,
15 aoûtl'ancien
1830.- professeur de la Faculté, est nommé préfet de la
BESANÇON EN 1830 195

III

La mise en marche du nouveau régime.

Il s'agit maintenant de reprendre le travail, dans le cadre


affermi des institutions gouvernementales et administratives
et dans la sérénité d'une atmosphère libérale, où l'exécution
loyale de la Charte assurera « le développement de la véri¬
table monarchie représentative, toute-puissante pour le bien,
impuissante pour le mal». C'est M. Le Rouge, le nouveau
procureur général à la Cour d'appel, qui parle ainsi dans son
discours d'installation (1). Il ajoute, évoquant le règne où la
Charte ne fut pas une vérité, qu'on ne reverra plus l'époque où
« la tyrannie des sots » pesait sur la France et où « des pyg-
mées » essayaient de lutter contre la grande nation. On peut
se demander quelles purent être les impressions de ses audi-
'teurs, Ch. Weiss nous les donne J2). « On prétend qu'il a dit
que le règne de la sottise était passé et que les figures de
MM. les Conseillers sur ce propos se sont singulièrement allon¬
gées. »
On continue de procéder à la « régénération politique » (3)
et l'on envisage les réformes les plus urgentes qui doivent
suivre immédiatement la ratification de la Charte : on réclame
surtout l'établissement de la responsabilité des ministres (4)
et une réorganisation judiciaire qui devra aboutir à supprimer
les juges amovibles et à séparer les juges civils et les juges cri¬
minels (5). On achève d'épurer les fonctionnaires ët d'installer
le personnel nouveau, au milieu des banquets et des réjouis¬
sances où la garde nationale apparaît toujours au premier
rang (6).

Chambre
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
(6) Cette
Impartial.,
Impartial,
On ydes
chante
réclamation
Députés,
22
19
26
22
volontiers
août,
septembre.
août.
août
insérée
fait
1830.
l'objet
ledans
chant
d'une
-V Impartial
national
pétition
delà
dudes
29
Bisontine
habitants
août. (paroles
de Besançon
d'Auguste
à la ;
196 REVUE D'HISTOIRE MODERNE

Mais très vite il apparaît que toutes les questions n'ont' pas
été réglées et que le nouveau gouvernement a « quelques
ennemis ». Ainsi s'exprime le procureur général dans un rap¬
port politique que lui avait demandé le garde des sceaux et
qui est daté du 23 septembre 1830 (1). Après avoir affirmé
que « l'esprit public est aussi bon qu'on puisse le désirer »,
étant donné que « l'immense majorité de la population veut le
maintien de la monarchie constitutionnelle, abhorre l'arbi¬
traire et le despotisme et s'effraie à la seule idée de l'établisse¬
ment de la République », il signale cependant deux catégories
d'opposants. « Ce sont d'abord tous les hommes qui, s'étant
signalés par une haine aveugle contre les institutions libérales
ont perdu leur influence et l'espoir de la recouvrer. Vient
ensuite un fort grand nombre de ministres du culte catho¬
lique : ils font ici ce qu'ils font partout ailleurs; ils sèment des
bruits alarmants, ils feignent de croire qu'on cherche à détruire
la religion catholique, apostolique et romaine, et pour la
défendre, quelques-uns ne craignent pas de prêcher la guerre
civile... On accuse ici le clergé de tenir des conciliabules, de
profiter du voisinage de la Suisse pour y passer en secret et
aller chercher des instructions près de l'archevêque, que l'on
dit être réfugié à Fribourg... »
Sans doute il ne faut rien exagérer. « Je ne partage point
l'opinion de ceux pour qui les manœuvres du clergé sont un
sujet de craintes sérieuses, je fonds ma sécurité sur un fait
patent; c'est que, malgré les provocations presque journa¬
lières des prêtres catholiques, ils n'ont pu parvenir à égarer la
multitude et à l'entraîner à des excès. Leurs prédications
fanatiques n'ont eu d'autres résultats que de porter l'inquié¬
tude dans les esprits crédules et peu éclairés des habitants
des campagnes; et cependant, dans les montagnes de ce pays,
les prêtres exercent une grande influence, mais cette influence
diminue peu à peu et rentrerait dans de justes limites, si l'on
prenait des mesures pour répandre parmi les habitants l'ins-

Demesmay,
juillet
(I) Archives
et du roi
musique
départ,
citoyen,
dedu
sans
Th.Doubs,
Bellamy),
rien de14.
spécifiquement
U.
qui9.est une apologie
bisontin. dos événements de
BESANÇON EN 1830 197

truction primaire dont ils sont presque entièrement privés... »


Aucun trouble dans la Haute-Saône. « Dans le département
du Doubs, la ville de Besançon a éprouvé quelque agitation
qu'on ne peut attribuer qu'à la cherté des subsistances, des
placards incendiaires contre de prétendus accapareurs de
grains ontles
découvrir étéauteurs
affichésdedans
ces affiches
quelquesmanuscrites.
quartiers; on
Descherche
émeutesà

populaires ont éclaté dans plusieurs villes du Jura; mais, à


l'exception de Salins, elles n'ont eu jusqu'à ce jour aucune suite
vraiment sérieuse... La cherté des grains et la misère du peuple
sont les seules causes de ces troubles passagers qui disparaî¬
tront sans retour aussitôt que le prix des blés aura diminué et
que le gouvernement aura apporté des modifications à la per¬
ception de l'impôt sur les vins. »
Le rapport conclut par les paroles optimistes qui semblent
de règle en pareilles circonstances : «L'esprit public est
excellent dans le ressort de la Cour royale de Besançon. Par¬
tout les gardes nationales sont organisées. Les citoyens s'ac¬
quittent de leurs devoirs avec un zèle digne de tous éloges. Le
gouvernement peut compter sur l'entier dévouement de la
population, qui est bien convaincue que l'autorité a la ferme
volonté de protéger les intérêts de tous. »
Cependant dès le 24 septembre, au lendemain même du
jour où ce rapport avait été rédigé, une émeute éclatait à
Besançon parmi les ouvriers qui commençaient à manquer de
pain et de travail. On avait parlé de fermer certains ateliers et
les ouvriers, — les frères de ceux qui à Paris avaient été « les
• premiers, les vrais héros des grandes journées de juillet » (2) —
s'inquiétaient.
Ainsi en est-il à Paris, ainsi en est-il à Besançon où la popu¬
lation industrielle, active, « celle qui crée les richesses et se
voue au travail » (3) est très nombreuse. Elle a parfois mani¬
festé ses inquiétudes et elle a réclamé avec quelque vivacité

(1) On
(2)
(3) Impartial,
Ibid.,
voit15l'intérêt
août.
22 août
de pareils
1830. textes pour les origines de la loi Guizot de 1833
198 BEVUE D'HISTOIRE MODERNE

des améliorations fiscales. Elle ai beaucoup espéré, avec quel¬


que naïveté sans doute, du changement de régime et des
modifications apportées à la Charte, et elle constate que sa
situation reste précaire. Toute sa rancune se tourne contre
l'administration des droits réunis. La commission provisoire
avait apaisé le mécontentement qui grondait, puis il y avait
eu dans
tants en laeux-mêmes
nuit du 15 mais
au 16attestant
quelques une
mouvements
nervosité peu
croissante.
impor¬

Enfin le 24 septembre il y eut une véritable émeute (1).


L'occasion en fut un acte de bienveillance du maire, déci¬
dant que les droits à l'entrée des vendanges ne seraient pas
acquittés à la porte et qu'on se bornerait à des déclarations
dans chaque bureau d'octroi. Cette concession, interprétée
comme un signe de faiblesse, fut le principe de nouvelles exi¬
gences.
Le vendredi 24, à la fin de la matinée, une centaine de
femmes et d'enfants, sortant des faubourgs d'Arènes et de
Battant, traversent le pont de la Madeleine et montent la
Grande Rue, portant une perche à laquelle pendait un rat.
Cette petite troupe, « à laquelle, dit Weiss (2), on eut le tort
de ne pas faire assez d'attention », se dirigea sur la place Dau-
phine, devant l'hôtel des Droits réunis, « où elle se grossit
bientôt des ouvriers du canal, des vignerons et d'une foule de
déguenillés, qui se portèrent vers l'hôtel pour en briser les
portes ». Le général Delort, commandant la place, fit avancer
un piquet d'infanterie; il était temps : « les mutins brisaient
les vitres à coups de bâton et demandaient les registres et les
P. V. pour les brûPer ».
Tandis qu'ils se dispersaient, on vit arriver par la porte de
Bregille une vingtaine d'hommes portant un chêne qu'ils
venaient d'arracher dans la forêt et précédés d'un drapeau
tricolore sur lequel on lisait, d'un côté : « A bas les rats! » et,
de l'autre : « A bas les accapareurs! » (3). Cette petite troupe,

(1)
(2) 24
(3) Aroh.
D'après
septembre.
départ.,
Weiss.U.;L' Impartial,
Impartial du
26 septembre;
26 septembre
Weiss,
dit que
24 le
septembre.
drapeau tricolore
BESANÇON EN 1830 199

à laquelle se joignirent les femmes et des enfants, descendit


la Grande Rue sans être inquiétée et arriva devant la Made¬
leine où l'arbre de la liberté fut planté aux cris de « A bas les
rats! » On y attacha le drapeau tricolore et c'est le signal
convenu pour marquer qu'on ne voulait plus se soumettre à
l'impôt des boissons. Déjà un des employés de la régie était
assailli à Battant et maltraité par quelques hommes de la
populace. Devant cette effervescence la Garde nationale va
surveiller les abords du pont du côté d'Arènes et toutes les
autorités s'en mêlèrent : le général Morand, avec son état-
major, le préfet, le maire, « sorti malade de son lit » (Weiss),
le premier président, le procureur général, tous expliquent
que rien ne sera négligé pour obtenir la suppression d'un
impôt que le gouvernement sait être intolérable, mais la vio¬
lence est mauvaise conseillère et il est absolument indispen¬
sable d'attendre quelques jours. C'est ce que comprirent fort
bien les vignerons, mais il y avait des meneurs qui voulaient pil¬
ler les magasins de farine et qui brisèrent les vitres du bureau
de garantie des matières d'or et d'argent. Enfin l'arbre,
abattu, puis replanté, fut jeté dans la rivière et le calme fut
rétabli vers 3 h. 1 /2. Mais vers les 6 heures, une nouvelle
troupe, formée de gens ivres, armés de bâtons, se présenta
venant de Chaudande avec un nouveau chêne. Cette fois on
fit avancer deux pièces de canon soutenues par un bataillon
du 46e dont quelques soldats furent blessés et tout rentra vite
dans le calme, les mutins n'ayant été insolents, écrit Weiss
qui connaît bien ses compatriotes, que parce qu'on avait
voulu les ménager.
Les meneurs furent arrêtés, on éconduisit avec fermeté les
vignerons qui vinrent à la préfecture dans la matinée dti
dimanche 26 pour réclamer la mise en liberté de leurs cama¬
rades et l'on ferma dès 2 heures les portes de la ville pour
empêcher le retour des ouvriers dispersés dans les guinguettes
du voisinage. Le lendemain 27, un arrêté du préfet ordonnait à
est
tation.
attaché au chêne et que la 2e inscription fut ajoutée au cours de la manifes¬
200 R*feVUE D'HISTOIRE MODERNE

tous les ouvriers étrangers à la ville de se faire inscrire à la


mairie sous peine de tomber sous le coup des lois sur le vaga¬
bondage. Par ailleurs il ne craint pas, pour apaiser les esprits,
d'annoncer la suppression de toute taxe sur les vendanges, ce
qu'il n'avait, ainsi que le constate Ch. Weiss, pas le droit de
faire.

Mais l'alerte avait été chaude et elle se compliquait de tout


ce que la victoire bourgeoise et constitutionnelle avait laissé
de rancune chez les membres du clergé. On leur prêtait d'ail¬
leurs plus de responsabilités qu'ils n'en avaient réellement et
quelques-uns se demandèrent même si l'émeute du 24 sep¬
tembre n'était pas leur œuvre, le bruit courut que le drapeau
des manifestants avait été fourni par le sacristain de la Made¬
leine. Il est incontestable qu'un certain nombre de « parti¬
sans », tenant encore « aux hommes et au système criminel
des «ordonnances
sés d'avouer leur
dudéfaite
25 juillet
et de
», ne
se soumettre
paraissent au
pasnouveau
fort empres¬
sou¬

verain » (1). N'a-t-on pas vu certains prêtres, oublieux de


leurs propres prédications, où ils avaient affirmé avec raison que
toute puissance vient de Dieu et que la voix du peuple est la
voix de Dieu, essayer de susciter le trouble, et de transformer
la chaire du christianisme en tribune politique? « On s'y
répand en invectives contre les citoyens qui professent les
principes constitutionnels; on prodigue contre eux les calom¬
nies, les épithètes les plus outrageantes. Les héroïques Pari¬
siens sont peints sous les plus noires couleurs. On menace sur¬
tout des baïonnettes étrangères, et tel curé que nous pour¬
rions nommer, dont la résidence n'est éloignée de Besançon
que de cinq heures, vient de faire prendre en ville, par le mes¬
sager de sa paroisse, de fortes provisions de sucre, de café, etc.,
disant qu'il doit se garder d'être au dépourvu lorsque, très
prochainement, il lui faudra recevoir les officiers des troupes
autrichiennes. » Il ne convient pas de prendre au tragique de
pareils propos, mais il est incontestable que le clergé a, depuis
quelques années, contracté « la malheureuse habitude de se

(1) Impartial, 15 août


BESANÇON EN 1830 201

considérer comme une autorité qui doit tout dominer, et non


comme le digne, mais simple gardien de la foi et des mœurs ».
Evidemment, il ne doit plus y avoir de « religion de l'Etat »,
mais cela signifie seulement que le temps est fini de la « préé¬
minence ultramontaine » et pourquoi vouloir faire croire que
la religion elle-même est ou va être détruite? «Les idiots seuls
y seront trompés ». Ah! que l'insulte en France fleurit vite sur
les lèvres doctorales des donneurs de conseil! « Que les ecclé¬
siastiques y prennent garde! leurs déclamations, leurs injures
aux constitutionnels, leurs menaces de l'étranger ne peuvent
qu'exciter contre eux la déconsidération et la haine, et devenir
tôt ou tard le prétexte de beaucoup d'écarts. C'est par la croix
et non par l'épée que le Christ a voulu conquérir le monde. »
Cet article suscita une lettre très digne de M. l'abbé Cour¬
tois, directeur du séminaire, qui déclare que le clergé entend
se tenir à l'écart des querelles politiques : nous ne demandons,
assure-t-il, que « l'indépendance et la liberté de notre minis¬
tère » et « le catholicisme n'est hostile à aucun ordre établi ».
Le curé de Saint-Pierre, l'abbé Griffon, est également de ces
hommes pieux et tolérants qui se font respecter de tous. Mais
il est quelques maladroits. Quelques-uns jettent l'anathème
contre la nouvelle Sodome vouée à la colère céleste, d'autres
accentuent leur propagande défaitiste, qui parfois trouve
quelque écho : au début de septembre (1) une femme de
Besançon écrit à son mari, qui réside momentanément à
Paris, pour lui recommander de revenir au plus tôt, « attendu
que cette ville impie, ne pouvant plus subsister, allait être la
proie des flammes ».
C'est alors que se produisit, au début de décembre, l'épisode
le plus caractéristique de cette agitation religieuse inapaisée.
Il s'agit de la Lettre à M. le préfet du Doubs sur la Croix de
Mission de Besançon , qui parut le 2 décembre, sous la forme
d'une brochure de 12 pages in-4°,à l'imprimerie Gauthier, sous
la signature — évidemment fausse — de M. Dubuisson,
bibliothécaire (2). On reprochait au préfet d'avoir conçu le

(1)
(2) Impartial, 212décembre;
septembre.Weiss, 4 décembre.
202 REVUE D'HISTOIRE MODERNE

projet de faire enlever la croix pour la transporter dans la


cathédrale. «On vous a vu, Monsieur le Préfet (1), accompagné
d'un homme de l'art, tourner en tremblant autour du monu¬
ment sacré, sans doute pour assurer d'avance la prompte
exécution d'un projet difficile. » Mais des « chrétiens coura¬
geux » sont désignés, qui sauront empêcher ce déplacement.
La provocation était manifeste, elle s'accompagne de pétitions
arrachées ( Impartial , 9 décembre) et de certaines manifesta¬
tions : on voit des femmes, agenouillées sur les marches de ce
monument, levant les mains jointes et poussant des cris dou¬
loureux, cependant que des prêtres les surveillent derrière
les rideaux de l'archevêché. Tout cela, écrit V Impartial, n'est
qu'une « plaisante comédie », dont l'auteur est probablement
l'abbé Doney,«chanoine titulaire de la métropole et salarié
du gouvernement » (2). Celui-ci proteste d'abord, mais on ne
tardera pas à être fixé, car la brochure est saisie par le pro¬
cureur général qui donne l'ordre de poursuivre (3 décembre).
En attendant, V Impartial insère (5 décembre) une longue
lettre d'un correspondant anonyme qui se refuse à voir un
monument pieux dans cette croix érigée par la « factieuse »
mission de 1825 après des prédications « furibondes » et un
véritable « dévergondage de fanatisme » : elle est le symbole
de la «puissance» et de la « folie» d'un parti qui ne veut pas
abdiquer son ancienne domination (3). Il signale le 9 que,
dans la pétition présentée au préfet pour la conservation dé
la croix de mission, un certain nombre de signatures ont été
extorquées par des insistances déplacées. Et dans le même

tion
l'abbé
Historique,
nans
(cf.
des
que
Besançon,
Gustave
le (3)
(1)
(2)
nom
abbé
Sciences,
de
romaine).
et
Choppin
L'abbé
Cf.
Bautain
Montauban
de
auBoiteux,
Fallot
aussi
1889),
rapine.
juillet-août
collège
Belles-Lettres
Doney,
—d'Arnouville
répond
(cf.
la
r-Quand
p.lettre
Les
Félix
de303-315.
en qui
M
Besançon,
1843
de
1930).
ennaisiens
signalée
ilfaçon
avait
Ponteil,
etsera
(cf.
avait
Artsété
Mgr
piquante
préfet
s'est
de
par
proclamé
professeur
franc-comtois,
L'Affaire
Bksson,
Besançon,
Ch.
du
montré
auBas-Rhin,
Weiss
laNotices
bibliothécaire
Bautain,
de
chute
un
1928,
dans
(4
philosophie
ardent
décembre)
ilp.
imminente
biographiques,
les
interviendra
1834-1840,
74-77).
Mémoires
disciple
Dubuisson
auet
11de
séminaire
deviendra
de

dans
lat.enLamennais
de un
en
V1«faveur
Académie
supersti¬
laprenant
(Paris
certain
Revue
d'Or-
évê-
de
et
BESANÇON EN 1830 203

numéro l'abbé Doney se découvre, avec une certaine candeur,


parce que, dit-il à peu près, il n'y a pas moyen de faire autre¬
ment. « Maintenant que l'auteur de la lettre à M. le Préfet
relative à la Croix de Mission est connu», l'auteur n'a plus
qu'à préciser ses intentions et rectifier quelques erreurs com¬
mises à son sujet. Il le fait de façon assez embarrassée et par¬
fois contradictoire. LS Impartial en profite pour lui donner
quelques leçons et pour l'assurer de sa neutralité bienveil¬
lante envers le clergé, pourvu, ajoute-t-il, « que le clergé soit
gallican, qu'il soit Français, qu'il cesse d'être en hostilité fla¬
- grante
sociauxet». folle contre notre esprit national, contre nos progrès

Par ailleurs, il ne manque pas de signaler, le 23 décembre,


qu'on vient d'enlever, pour la transporter à l'église, la croix
de mission plantée à Vienne (Isère) en 1824 : elle rappelait
« les scènes de jongleries à l'aide desquelles une troupe de
jésuites ambulants avait exploité la bourse et la crédulité
publiques». -
L'abbé Doney, que défendait l'avocat Curasson (l),fut con¬
damné le 21 janvier 1831 à un mois de prison et 2.000 francs
d'amende. Un mois après, le 23 février, la croix sera transpor¬
tée au cimetière sans incident.

* ★*

Ainsi se prolongent les derniers échos de la résistance et du


choc des partis. Les événements extérieurs contribuent à rap¬
procher les esprits et V Impartial du 12 décembre 1830 a
inséré, à propos des bruits de guerre fondés sur les armements
de la Russie, de l'Autriche et de la Prusse, une lettre du pré¬
fet aux braves Francs-Comtois qui disent tous : « Nous vou¬
lons la paix, mais nous ne craignons pas la guerre » (2).

Baptiste-Bernard
de
provoquèrent
(Réponse
Nantes
(2)
(1)
Besançon,
Les
Ceensont
decritiques
mai
Jacques
in-4°,
les
une
1913.
Lèrouge,
mots
réponse
23
adressées
Curasson,
pages).
exacts
dequi
Dijon,
Cf.
employés
par
avocat,
voulait
Impartial,
le ancien
procureur
de par
porter
Neublans
avocat,
M.
30 le
général
janv.
R. débat
enprocureur
et
Poincaré
Franche-Comté,
1831.
audevant
mémoire
dans
général
leson
grand
dediscours
à deM.
Curasson
lapublic
Jean-
Cour
de
204 REVUE D'HISTOIRE MODERNE

L'adhésion au régime de la Charte révisée sera affermie, en


dépit de la misère des classes laborieuses — et notamment des
horlogers qui ont un moment songé à quitter Besançon, — en
dépit des prétentions de certains ecclésiastiques à « ne relever
d'aucune puissance terrestre » (1), en dépit de l'accaparement
des élections par des Comités sans mandat qui occasionnent
une série de brigues et de cabales, et cette plainte formulée
par Weiss (2), est évidemment fort grave. U Impartial, qui
paraît maintenant deux fois par semaine (depuis novembre
1830), n'est plus le seul journal : il s'encadre entre la Gazette
de Franche-Comté (qui combat pour la restauration légiti¬
miste, mais qui disparaîtra dès 1834), et le Patriote franc-com¬
tois, organe du « mouvement » (dont le 1er numéro paraît le
1er février 1831).
Bientôt le roi Louis-Philippe — dont V Impartial a publié,
les 25 et 28 novembre 1830, une biographie enthousiaste et
flatteuse — fera à Besançon, du 25 au 27 juin 1831, quelques
jours avant les élections du 5 juillet, un séjour triomphal.
Louis Villat.

(l)Cf. le discours du préfet, Choppin d'Arnouville à la session du Conseil


général du 31 mai 1831.
(2) 5 juillet 1831.

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