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Becker, Colette : Préface à Pot-Bouille

d'Émile Zola, Garnier-Flammarion, 1969.

•• CHRONOLOGIE

1840 (2 avril) :· Naissance à Paris d'Emile Zola, fils


d'Emilie Aubert, née à Dourdan et de François Zola,
. ingénieur originaire de Venise, auteur de multiples
mémoires et projets, dont le percement du canal d'Aix-
en-Provence. , .,
1843: Les Zola s'installent à Aix. Vic ·heureuse.
1847 (27 mars) : Mort de François Zola. Sa femme Sf
. trouve devant une situation financière difficile. Vie de
plus en plus modeste.
1852-1858 : Etudes d'Emile Zola au Collège . Bourbon
d'Aix. Il s'y_ lie avec Cézanne et Baille.
1858 (février ): Les Zola quittent Aix pour venir à Paris.
Emile a obtenu une bourse pour entrer dans un lycée.
1858-1859: Seconde et réthorique au Lycée Saint-Louis.
Double échec au baccalauréat - sciences, à l'oral,
puis à l'écrit à la deuxième session.
1859-1860: Années d'incertitudes dont on trouve l'écho
• dans les lettres à Baille et Cézanne.
1860 (1 1·r février) : Il doit accepter avec répulsion un
emploi aux docks de la Douane, à 60 F par mois.
Au bout de deux mois, il préfère la misère à cette vie
de copiste. •
1860-1861: Années de détresse et de solitude. La Confes­
sion de Claude et certains contes en ·conservent le
souvenir. Il écrit de nombreux vers, inspirés de
. Musset.
1862 (1 t•r mars) : Il entre chez Hachette, comme commis
aux expéditions. Bientôt chef de la publicité, il y reste
jusqu'au 31 janvier 1866 et s'y fait de nombreuses
6 POT-BOUILLE

relations parmi les écrivains et les journalistes.


Louis Hachette lui conseille de délaisser la poésie.
1864 : Contes à Ninon (novembre), premier livre de l 'écri­
vain. Rencontre avec Gabrielle-Alexandrine Meley qu'il
épouse le 31 mai. 1870. Quelques articles.
1865 : Devient chroniqueur au Petit Journal et critique
littéraire au Salut public de Lyon. La Confession de
Claude (25 novembre).
1866 : Entre à L'Evénement comme courriériste litté­
raire. Il y fait du 27 avril au 20 mai la critique du
Salon de 1866, attaquant les gloires consacrées et
défendant Manet. Mes haines (juin), recueil des
articles publiés en 1865 dans Le Salut public, auquel
il joint une étude sur Taine.
Le Vœu d'une 11wrte (novembre).
1867 : Les Mystères de Marseille (juin), Thérèse Raquin
(décembre).
1868 : Collaboration au Globe (janvier-février); à L'Evé­
nement illustré (salon de 1868 en mai-juin); à La Tri­
bune (qui publie sa causerie hebdomadaire du
14 juin 1868 au 9 janvier 1870). Conception du cycle
des Rougon-Macquart dont il envoie les premiers
plans ·à l'éditeur Lacroix à la fin de 1868 ou au début
de 1869.
1869 : Collabore parallèlement au Rappel, au Gaulois,
à La Tribune. .L· •

1870: Entre à La Cloche (19 janvier) - Le Siècle


commence la publication en feuilleton de La Fortune
des Rougon (juin). Article sur Balzac dans Le rappel
(13 mai).
Dégagé de toute obligation militaire comme fils de
veuve, il quitte en septembre Paris pour Marseille où
il fonde, avec Marius Roux, un quotidien éphémère :
La Marseillaise. Puis, il se rend en décembre à Bor-
deaux où il tente vainement d'obtenir une sous-pré-
fecture.
1871 : Correspondant parlementaire du Sémaphore de
Marseille et de La Cloche (11 Lettres de Bordeaux n,
puis ci Lettres de Versailles n après son retour à Paris
le 14 mars. En octobre, La Forwne des Rougon premier
tome des Rougon-Macquart. La Cloche doit interrompre
la publication en feuilleton de La Curée, le 5 novembre,
. sur intervention du parquet.
CHRONOLOGIE 7
1872 : Collaboration à La Cloche (suite des Lettres de
ic

Versailles ,,, puis à partir du 4 mai, cc Lettres pari­


siennes ))' parmi lesquelles, le I 5 septembre, un article
sur la morale des convenances : cc Monsieur Nisard
n'avait point tort ,,) ; puis au Corsaire, suspendu le 23
décembre, à cause d'un article de Zola ! •c Le lendemain
de la cr�se. ,, La Curée"sort en librairie (t. II des R. M.).
1873: Le Ventre de Paris (t. III des R. M.). Zola entre
à L'Avenir Narional pour tenir la rubrique des théâtres.
Première représentation de Thérèse Raquin le II juil­
let. Il continue sa collaboration au Sémaphore de Mar­
seille, auquel il enverra du 17 février 1871 au 22mai 1877
plus de I 800 articles. • • •• ••
1874: La Conquête de Plassans (t: I. V des R. M.)·. ·Pre-.
mière de Les Hériciers Rabourdin (3 novembre).
1875: Publication de La Faute de l'Abbé Mouret' (t. V
des R. M.) dans Le Messager de l'Europe à Saint­
Pétersbourg. En mars, début d'une collaboration à
cette revue qui durera jusqu'en décembre 1880 :
études sur George Sand, la critique, le théatre, la
poésie et le roman ·contemporains qui, publiées par
la suite en• France, soulèveront une vive émotion.
1876 : Son Excellence Eugène Rougon (t. VI des R. M.).
Zola devient critique -dramatique au Bien Public en
février. L'Assommoir paraît en feuilleton. Scandale.
1877: L' Assommoir (t. VII des R. M.). • '. , • '
1878 :. Ach�t de la propriété de Médan. Premièrè du
Bouton de Rose le 6 mai. Une page d'amour (t. _VIII).
Juillet 1878-août 1880 : Collaboration au Voltaire. Il
y pose le problème de la moralité dans la littérature,
fait campagne contre les politiciens et en particulier
contre les républicains au pouvoir, au nom de la vérité.
11 La République sera naturaliste ou ne sera pas. ,,
0

1880: Nana (mars). Les Soirées de Médan (mai), en colla­


boration avec Maupassant, Huysmans, Hennique,
Céard et Alexis. . , .. , . • • . •.
(20 septembre) : début dans Le Figaro d'une campagne
qui durera un an. Il aborde ·souvent le problème de
l'éducation des filles et de· la moralité dans la litté­
rature. Le Roman expérimental (décembre).
Deuils successifs : morts de Duranty (9 avril) de
Flaubert (8 mai), de sa mère (17 octobre).
8 POT-BOUILLE

1881: Première de Nana le 24 janvier.


Le Nawralisme au théâtre (avril). Nos ameurs drama­
tiques (mai), Les Roma11ciers nacuralisces (septembre)
Documents littéraires (décembre). .. , .
1882: Pot-Bouille (t. X). Une campagne (recueil des
articles publiés dans Le-'Figaro en 1880-1881). ....:_ Le
Capitaine Burie (novembre) (six nouvelles publiées
dans_ Le Messager de l'Europe).
1883: Au bonheur des dames (t. XI)., - Première de
J:ot-Bouille, le 13 décembre; • • •
1884 : La Joie de viv�e (t. XII): En ma.rs, Nais Mico;�lin
(six nouvelles publiées dans Le Messager). ,
1885: Germinal (t. XIII).
1886 : L'Œuvre (t. XIV). Rupture �vec Cézanne.
1887: 16 avril, première de Renée, pi_èce tirée de La
Curée. La Terre paraît. en feuilleton (t. XV). Cinq
jeunes écrivains, Bonnetain, Rosny, Descaves, Mar­
guerite et Guiches publient dans le Figaro, le 18 août,_
un manifeste contre La Terre et contre Zola.
1888: Première de Germinal le 12 avril. Rencontre de
Jeanne Rozerot, à Médan, au printemps. le Rtcc
(t. XVI).
1889 : Le 20 septembre naît Denise, fiJle. de Zola et de
Jeanne Rozerot.
1890 : La Bête humaine (t. XVII). . . ,
1891: L'Argent (t. XVIII). Séjou� dans les .J?yrénées en
septembre : Zola y .forme le projet d'un roman sur
Lourdes.
Naissance le 25 septembre de Jacques, deuxième enfant
de Zola et de Jcanne Rozerot.
189�: La Débâcle (t. XIX). Deuxiè�e _séfo'ur' à Lourdes
du 19 août au 1l'r septe�bre. . : . .
1893 : Le Docteur Pascal, vingtième et dernier tome des
. Rougon-Macquarc.
1894: Lourdes, premier ouvrage des Trois Villes. Voyage
en Italie du 31 octobre au 15 décembre. Le capitaine
• , Dreyfus est condamné • à la déportation à vie pour
trahison, le 22 décembre. •.
1895: du 1"r décembre 1895 au 13 juin 1896 : nouvelle
série d'articles dans Le Figaro, publiés ultérieurement
sous le titre Nouvelle Campagne.
CHRONOLOGIE 9
1896 : (26 mai) Rome.
1897: (15 février) première à l'Opéra de Messidor, drame
lyrique d'Alfred Bruneau sur un livret de Zola.
Zola, convaincu de l'innocence de Dreyfus, publie
trois articles retentissants dans Le Figaro (25 novembre,
1 1 •r décembre et 5 décembre). Lettre à. la Jeunesse
publiée sous forme de brochure le 14 décembre.
1898: Lecrre à la Fmnce (brochure le 6 janvier). 11 J'ac­
cuse", dans L'Aurore, du 13 janvier.
Du 7 au 23 février, procès de Zola, condamné à un
an d'emprisonnement et 3 ooo F d'amendes.
Paris (26 mars) Zola défend, dans L' Aumre, la mémoire
de son père ignominieusement attaquée par Judet
(28 mai). Condamné pour la deuxième fois, le 18 juillet,
il fait défaut et quitte précipitamment la France.
18 juillet 1898-5 juin 1899: Exil en Angleterre.
1899 : Fécondité, premier des Quatre Evangiles.
1900: Trois articles de Zola sur son père, François Zola.
Le 14 décembre, loi d'amnistie pour tous les faits
relatifs à l' Affaire Dreyfus.
1901 : Travail. La Vérité en Marche, recueil de tous les
articles concernant l' Affaire Dreyfus.
1902: (29 septembre)- mort de Zola -Anatole France
prononce son oraison funèbre le 5 octobre au cimetière
Montmartre.
1903 : Vél'ité.
1908 : 6 juin : transfert des cendres de Zola au Panthéon.
PRÉFACE

Lorsqu,il projetait, en 1868, d,étudier u les ambitions


et les appétits d,une famille lancée à travers le monde
moderne ... au début d,un siècle de liberté et de vérité »,
Zola n,avait pas songé à un roman consacré à la « pot­
bouille 11 de la petite bourgeoisie, « à la cuisine de tous
les jours, cuisine terriblement louche et menteuse sous
son apparente bonhomie li; C'est là en effet le sens de ce
vieux mot qu'il choisit pour titre et qui, à lui seul, évoque
les arrangements équivoques. et les malpropretés.
On ne trouve mention de cette ccuvre ni sur la pre­
mière liste des dix romans projetés en 1869,-ni sur celle
plus complète de 1872, ni même dans l'article qu'Alexis
écrivait sur les projets de son ami le 12 mars. 1881.
Octave Mouret, run de ses personnages, apparaît bien
en 1872, mais comme futur héros d'un 1< roman sur le
haut commerce li, Et pourtant Zola commença à rédiger
son manuscrit le 16 juin 1881. Poe-Bouille fut publié en
feuilleton dans Le Gaulois, du 23 janvier au 14 avril 1882,
puis sortit immédiatement après en librairie.
A quoi donc devons-nou� la peinture de ce inonde
étouffant et u abominable » que cache la belle façade de
l'immeuble de la rue de Choiseul ?

Le vacarme soulevé par Nana n,était pas encore calmé


qu'un journal nouvellement fondé, le Gif Blas, « obtint
tour d'un, coup un grand succès, en se faisant une spé­
cialité d'histoires- grivoises 11. Zola fut immédiatement
accusé d,avoir inventé la littérature obscène et, selon ses
mots, .de u faire mal tourner le siècle ,,. cc Ce n'est plus
la faute à Voltaire, écrit-il avec stupeur, c'est la faute à
Zola. » . •
12 POT-BOUILLE

C'était aller trop loin! Le romancier voulut en finir


avec tous ces bien-pensants dont il ne cessait de dénoncer
l'hypocrisie et l'influence néfaste sur la littérature et
plus généralement sur l'homme. Car le combat durait
depuis longtemps.
Déjà, à vingt ans, il attaquait dans une lettre à Baille, •
du 10 août 1860, ces,, hommes comme il faut». Dans un
article de La Cloche du 6 juillet 1872, même condamnation
des u honnêtes gens", qui 1< commettent dans l'ordre moral
les choses les plus délicates et- les plus surprenantes ».
La Fortune des Rougon, La Curée, Le Vemre de Paris
s'en prennent, eux aussi, aux piliers du nouveau régime,
loups u prêts à détrousser les événements », ou " gras »
dont l'honnêteté cache, des u dessous formidables de
lâcheté, de cruauté». Aussi, dès cette époque, le romancier
subir-il, par deux fois, les colères et la peur des " parti­
sans de l'ordre et de la morale ,, : il dut interrompre la
publication de La Curée, le 5 novembre 1871, dans
La Cloche, et Le Corsaire fut interdit, le 23 décembre 1872;
pour avoir publié un de ses articles. Déjà La Revue des
Deux Mondes, critiquant Le Vemre de Paris, l'exhortait
à renoncer •< à ces exagérations malsaines qui contribuent
à dépraver le goût du public ». Premières manifestations
du conformisme politique, social et religieux que Zola
pressentait et qui allait être instauré : le maréchal de
Mac-Mahon fut élu président de la République le
24 mai 1873. Nombreux furent alors les -ouvrages que
ce gouvernement de l'Ordre moral taxa d'immoralité
ou <l'outrages aux bonnes mœurs, qu'il fit saisir et
condamna. Dans un tel climat, La Faute de l 'abbé Mouret
ne pouvait que déchaîner à son tour un hourvari par sa
violente diatribe contre la religion et son exaltation de
la Nature et de l'Amour. . , •
Jusque-là, Zola admettait ces incompréhensions, -bien
qu'il en souffrît beaucoup. Mais lorsque, à propos de
L'Assommoir, des hommes comme Ranc se joignirent au
chceur des critiques, il fut consterné. Tous, bourgeois
et républicains, avaient peur de la vérité. Or, pour le
romancier, seule la vérité, quelque effroyable qu'elle fût,
était efficace et morale. Elle seule pouvait attaquer le
mal social, alerter le législateur et conduire à la justice.
Aussi décida-t-il de s'adresser directement au public
pour lui dessiller les yeux. Il s'en prit systématiquement
et avec violence aux critiques célèbres de. l'époque, à
George Sand et aux autres romanciers à la mode, enfin
PRÉFACE 13
aux républicains• doctrinaires alors au pouvoir, en trois
articles, d'abord envoyés au Messager de l'Europe à
Saint-Pétersbourg, puis respectivement publiés en France
par• Le Voltaire, Le Supplément littéraire du Figaro, et
La. Revue bleue.
J Le scandale fut énorme. Le drame tiré de L'Assommoir

par -W. Busnach et O. • .Gastineau, malgré le succès


immense que lui réserva le pul:>lic· dès le premier soir,
le 18 janvier. 1879, rencontra · · un accueil franchement
malveillant dans la critique. Et même le nom du roman­
cier · fut rayé de la liste de ceux qui devaient recevoir
la Légion d'Honneur dans la promotion de janvier 1879.:.
(il lui fallut attendre le 14 juillet 1 888 pour- être · enfin
décoré)..·. • . . .. :·
, Or qu'attaquait Zola ? L'hypocrisie, la • morale . des
convenances, c'est-à-dire la peur de la vérité, car pour
lui, tous, écrivains comme politiciens, étaient - menés
par l'ambition, le souci de faire carrière. Même les répu­
blicains qui, lors de la publication de L'Assommoir,
l'avaient accusé de mépriser le peuple, et qui, avec
Char les Floquet, continuaient à le traiter de . « calom­
niateur ·du peuple », se souciaient peu, en fait, :et malgré
leur belle, rhétorique, du bien - des · ouvriers. , .,
. . ,·! ,- .

u Il y a beaucoup d'hypocrisie à propos de leur


cas, écrit-il à leur sujet. Notre besogne est faite trop
au grand jour, nous disons trop la • • vérité, nous les•
troublons par notre franchise. . :· ..
" Ils gouvernent, il faut jeter un voile... ,. .
" Hommes d'équilibre ou hommes de doctrine, bour­
geois à préjugés ou farceurs jouant la comédie de la
• vertu, gens habiles qui veulent forcer l'abonnement
en publiant des· feuilletons pour les familles, mélanges
d'esprits académiques et de cervelles pédagogiques,
to1.1:s . détestent par instinct ou par intérêt la libre
allure des lettres, le style vivant et coloré d'images,
les audaces de l'analyse, l'affirmation puissantè de la
personnalité de !'écrivain... La République sera natu-
_. raliste . ou ne sera pas ... » . .
, . . . (,c La République et la littérature ", dans Le Roman
. , . expérimcmal, p. _297�) . ,
., ,·
• Il voulut réagir avec Nana :· :il ne montrerait pas
l'adultère sous un jour aimable comme le faisaient dans
.. les feuilletons pour les familles 11, Feuillet, Cherbuliez
ou Ponson du Terrail; il décrirait, «c en anatomiste », la
q POT-BOUILI.E

faute dans les saletés et les tourments de ses consé-


quences ».
Il ne comprit donc pas le vacarine soulevé par l'œuvrc
et les attaques qu'on porta de tous côtés contre lui lors­
qu'on l'accusa d'avoir inventé la littérature obscène. Il
vit surtout dans l'importance donnée tout à coup à ce
problème un grave danger : on ne s'indignait pas seule­
ment au nom du bon goût et de la morale contre une
œuvre; on voulait régenter la façon de vivre de tous les
jours et - ce qui était plus grave - refuser à la Raison
le droit de tout regarder et de tout dire au nom de la
Vérité.
Il revint donc sur sa conception de la moralité et de la
littérature qu'il avait si souvent affirmée, dans deux
articles publiés dans Le VolcairL' en août 1880 : . 1, De la
moralité dans la littérature ,,, . et .. De la littérature
obscène ,,.
Il affirma, une fois de plus, que les œuvres obscènes
n'étaient pas, pour lui, celles qui peignaient la vie telle
qu'elle était, avec franchise et sérénité, comme le faisaient
les savants· pour instruire et aider, mais plutôt 1< les
œuvres mal pensées et mal exécutées n. C'est-à-dire les
romans faux et larmoyants des « spéculateurs de la
vertu » qui, travestissant la réalité ou mentant par omis­
sion, pervertissent ceux qui les lisent et leur font prendre
la vie en horreur.
Influence néfaste d'une littérature qu'il avait déjà
dénoncée avec Thérèse Raquin ou dans son article sur
George Sand de 1876 :

" les femmes, après une pareille lecture, se déclarent


incomprises, comme les héroïnes; lçs hommes cher­
cheront des aventures, mettront en pratique la thèse
de la sainteté de la passion... Combien de femmes
ont trompé leur mari avec le héros du dernier roman
qu'elles avaient lu! »

C'est là un des thèmes les plus importants de Pot­


Bouille : Marie Pichon hait Balzac mais se passionne
pour Walter Scott et George Sand. « Restée ignorante
dans le mariage », elle préfère se plonger dans la lecture
d'André plutôt que de s'occuper de sa fille et de son
ménage; elle tombera, sans plaisir, dans l'adultère. Illus­
tration de l'analyse que Zola venait de faire dans l'ar­
ticle : « De la moralité dans la littérature. »
PRÉFACE 15
Parallèlement i l s'en prenait à nouveau à la morale
des convenances 11 qui passe sur les petites infamies
pourvu qu'elles soient aimables et bien portées ». Ce
qu'il disait déjà dans un article de La Cloche, en 187 2 :
" Monsieur Nisard . n'avai� point tort. » Car ce n'étaient
pas les sujets de ses œuvres qui blessaient les critiques,
mais les mots, la vérité simple, sans le fard des dehors
aimables, sans le ton de bonne compagnie. Lui, il refusait
cette hypocrisie, cette - vertu qui n'était qu'apparente,
dans la littérature comme. .dans la vie. Et il écrivait, dès
1880 : - :• ' '

" Si nous • sommes curieux, si nous regardons par


les fentes, je soupçonne que nous verrons, dans les
classes distinguées, ce que nous avons vu dans le
peuple, car la bête humaine est la même partout ».
(Roman expérimental, p. 2 3 1 , « De la moralité 11)

C'est déjà le sujet de Pot-Bouille : faire un 11 assom­


moir » plus terrible que l'autre, u sous des lambris dorés,
sous des dehors respectables », selon les mots d'Alexis.

L'actualité offrit alors à Zola de nouveaux aliments


à ses méditations sur l'hypocrisie et la morale.
Depuis le 3 juillet 1879, Alfred Naquet faisait paraître
dans Le Volcaire, auquel le romancier collaborait et
qu'il lisait, une série d'articles sur le divorce. Il publiait
aussi de nombreuses lettres envoyées par des femmes,
des hommes, des enfants, qui révélaient leurs souffrances,
les mésententes difficilement dissimulées, les consé­
quences fatales des mauvais mariages : l'adultère et
même la prostitution quand la femme restait seule.
. De son côté, à la suite d'une série de crimes passion­
nels commis par des femmes trompées, A. Dumas fils
avait publié une brochure : Les femmes qui tuent et les
femmes qui votent, dans laquelle il posait avec hardiesse
le problème des droits de la femme et celui de son édu­
cation. Le retentissement en fut d'autant plus grand que
la presse ne cessait de s'insurger, et en quels termes !,
contre la détérioration des mœurs et, en particulier,
contre le nombre croissant d'infanticides.
Parallèlement, on discutait la loi sur la création des
lycées et collèges pour jeunes filles, qui fut votée le
�I décembre 1880. On posait donc officiellement le •
16 1
POT-BOUILLE

problème de l'éducation des filles. Fallait-il les élever


dans des internats ? à la maison ? Question d'autant plus
brûlante qu'éclata alors, à Bordeaux, un scandale dont
les récits occupèrent toute la presse· à partir du
14 février 1881 : deux enfants avaient été corrompus
par leur domestique qui les conduisait, chaque nuit, à
des débauches dans la ville, après avoir drogué leurs
parents.. ,, . ,
C'était là une série de questions auxquelles Zola avait
souvent réfléchi, dans des articles, des nouvelles ou des
romans. Outre l'oisiveté dans laquelle on tenait les
femmes, qui étaient alors livrées aux lectures pernicieuses
des romans à la mode, il avait condamné l'éducation
dans les pensionnats : la jeune héroïne du conte :u Le
Couvent n, Madeleine • Férat, Renée, y ont corinu le
vice... • •
Il ne pouvait non plus rester insensible au: ton mora­
lisateur des journaux qu'il lisait, à la condamnation bru­
tale des jeunes ouvrières conduites à la prostitution ou à
l'infanticide. Car il savait trop, ne serait-ce que par les
comptes rendus d'audience qu'il lisait dans Le Figaro
et qu'il conservait, ce qui se . passait derrière la façade
des convenances et de la 'lertu bourgeoises. (« De la
moralité n, Roman expérimental, p. 231.) Il connaissait
aussi la misère du peuple et il pouvait s'expliquer cer­
tains gestes, sinon les excuser.
Avant de reprendre tous ces problèmes dans Pot­
Bouille � il y fait commettre deux infanticides et s'ins­
pire de plusieurs affaires contemporaines dont le scan­
dale de Bordeaux - il écrivit deux articles sur ce sujet.
C'est ainsi que Le Figaro publia, le 21 février 1881 :
« Comment elles poussent », analyse des mécanismes
(misère, promiscuité, coups, faim, tentation du luxe et
de la vie facile) qui mènent les filles des faubourgs à la
prostitution. Et, le 28 février, ce fut « L'adultère dans la
bourgeoisie »:, sorte de c',m evas dù futur roman et illus­
tration des trois causes qui, selon lui, conduisent les
filles de la bourgeoisie à l'adultère :· le détraquement
nerveux, résultat d'une éducation dans un milieu étouf­
fant et mesquin; l'éducation par des parents que brûle
l'envie de paraître, dans « une lésinerie et une saleté
féroces sous une affectation de dehors mondains »; la
bêtise, c'est-à-dire la méconnaissance totale de la· vie,
,, une somme d'ignorance et de niaiserie incalculable n.
On reconnaît déjà dans ces trois esquisses, successive-
PRÉFACE 17
ment, Valérie Vabre,- Berthe Josserand et Marie Pichon.
La situation, le milieu, des mots, voire des phrases de
l'article,. passer.ont direcœment dans le roman. - En effet,
le travail du journaliste . et celui-. du romancier ont été
pendant toute . cette . pério.de exceptionnellement . imbri'7
qués. Mêmes thèmes,-mêmes réflexions, mêmes exemples
dans les colonnes du Figaro . et dans les dossiers prépa­
ratoires .de Poe-Bouille. Un autre article du 18 avril,
u Nos femmes 11, qui est un pendant à celui du 28 février
écrit pour répondre à qes protestations de lectrices, trace
le . portrait de trois « épouses travailleuses » parmi les­
quelles on reconnaît la future Caroline Hédouin. Et
lorsque Zola rédigeait • déjà son manuscrit,• un dernier
article du 27 juin, u Femmes du monde >1, trait� �ncore
de , l'éducation des filles et de leur mariage, thèmes qu'il
était en train d'illustrer avec Berthe, Marie, Valérie, et
aussi. avec _Clotilde Duveyrier dont on r_etrouve le drame
dans l'articlé . et dans le roman.
L'actualité le mettait donc en ·présence de problèmes
qui lui étaient chers. Il sentait la nécessité de démasquer
ces bien-pensants capables de commettre, à l'abri de leurs
u belles po.rtes d'acajo.u ,,, les pires vilenies, et de pousser
leurs filles au -malheur par hypocrisie,. bêtise ou vanité.
Il trouvait surtout l'occasion de vider une vieille que­
relle - cette fois. plus personnelle - avec ceux qui l'in­
juriaient depuis des années et ne voulaient pas comprendre
. son œuvre. • ., 1 .
Or il venait de renoncer au grand roman sur la douleur
qui - devait suivre Nana. Il avait fait part de ce projet à
Fernand Xau, au printemps de 1880. Mais il fut pris
par un travail énorme : il participa . alors aux Soirées de
Médan, il écrivit un nombre �onsidérable d'articles pour
Le Messager de l'Europe ou Le Volcafre, �t il préparait
cinq grands recueils de textes . criti9.ues : Le Roman
expérimenral, . Le Naturalisme au théatre, Nos Auteurs
dramatiques, Les Romanciers r,acuralistes et Documems
liuéraires. Il traversait par ailleurs, en ces années 1880-
1881, une crise morale dont, Goncourt se fait souvent
l'écho dans son Journal, Les morts successives de
Duranty, de Flaubert, et enfin celle de sa mère, le
plongèrent dans le désarroi et le détournèrent pour long­
temps. de . la composition de ce roman sur la douleur
qui aurait ravivé de cruels souvenirs.
Zola trouva donc, dans ses préoccupations du moment,
un nouveau sujet, celui de Pot-Bouille : cc montrer la
18 POT-BOUILLE

bourgeoisie à nu, après avoir montré le peuple, et - la


montrer plus abominable, elle qui se dit l'ordre et
l'honnêteté », comme il le dit en tête de son plan, ouvrir
« la marmite où mijotent toutes les pourritures de la
famille et tous les relâchements de la morale ». Il fut
certainement poussé à ce choix par ses amis. Ils ëtaient
cinq à se réunir fréquemment chez lui, les cinq avec
lesquels il venait de publier Les Soirées de Médan :
Alexis, Céard, Hennique, Huysmans, Maupassant. Aucun
d'eux n'était tendre pour les bourgeois et certaines des
nouvelles de ce recueil annoncent déjà le ton et le sujet
'
de Pot-Bouille. • ,
Mais, en réalité, le roman de Zola n'est qu'apparem­
ment improvisé; il a des racines profondes dans la vie
et l'œuvre de son auteur. S'il fut inspiré par l'actualité,
il exprime des idées fondamentales de sa pensée, il trahit
son exaspération. C'est un des aspects les plus violents
et les plus amers du combat qu'il ne cessa de mener pour
le triomphe de la vérité. . . .•

Lorsqu'il écrivit ce qu'il appelle •< l'ébauche » du


roman, c'est-à-dire le premier canevas de l'œuvre, à la'
mi-avril 1881, Zola se borna à reprendre ses réflexions
sur ,c l'adultère dans la bourgeoisie >>. Il prit comme
point de départ la deuxième des situations qu'il avait
analysées : une jeune fille - Berthe Josserand - issue
d'une famille de cc petite bourgeoisie nécessiteuse n mais
que tt brûle l'envie de paraître », épouse un jeune homme
plus riche qu'elle, à la suite d'une féroce chasse au mari.
Bientôt, la mauvaise éducation qu'elle a reçue, ses besoins
d'argent et de luxe, entraînent la mésentente des époux
et l'adultère de la jeune femme. Zola songea ensuite aux
deux autres cas possibles d'adultère qu'il avait déjà
envisagés : l'adultère par bêtise et l'adultère par détra­
quement nerveux, fautes dans lesquelles tomberont
Marie Pichon et Valérie Vabre. Mais, à ce stade de son
travail, il esquisse seulement trois situations, les héroïnes
ne sont que des symboles. Un seul personnage possède
une certaine consistance : Octave Mouret. Zola en fait
d'abord le mari de Berthe, puis son amant, afin de ne
pas le ridiculiser et de le réserver au roman sur le grand
commerce pour lequel il l'avait prévu dès 1872. Ce ,c type
du jeune bourgeois intelligent n, « venu à Paris pour
faire fortune n, fait l'unité de l'œuvre.
PRÉFACE 19
cc C'est lui qui doit conduire le roman : fouillant,
' • 1 ..,. flairant, tâchant de faire son affaire, se promenant
•ainsi parmi_ la bourgeoisie et [me] l� donnant. 11
J ' 'I
Il sera l'amant de Berthe et de Marie Pichon, le confident
de Valérie. • •
, Pour donner vie à cette intrigue schématique et boule­
vardière, Zola eut recours à ses amis. Accaparé dès sa
jeunesse par un travail acharné qui venait à peine de
lui apporter une certaine aisance, il avait peu fréquenté
les salons bourgeois auxquels d'ailleurs il préférait une
solitude studieuse. Céard et Huysmans - deux obser­
_vateurs aigus mais non amènes de la bourgeoisie :- lui
fournirent un nombre considérable de types et d'his­
toires. Il en tira entre autres Hortense et son amant,
le c, . type du vieux monsieur qui fait des fiches sur, le
-salon », le ménage à trois que forment les Campardon
et Gasparine, Mme Juzeur, Berthe et Saturnin, l'oncle
Bachelard (inspiré. par un oncle de Huysmans), l'his­
toire de D uveyrier qu'il prit à Céard en transformant le
personnage,• etc., toute une atmosphère· de canaillerie,
d'adultère, d'hypocrisie, , sans compter une .masse. de
précisions techniques sur le métier de commissionnaire
en marchandises, sur les tribunaux, les conseillers à la
cour, les copistes à la maison, etc. On ne peut toute­
fois affirmer, avec Goncourt, que Pot-Bouille est « fait
de racontars de disciples ». Car, parti d'une intrigue qui
s�y prêtait, Zola a su - à la différence de Julien Duvivier
qui tira un film du roman - éviter de tomber dans le
vaudeville. Il écrivit une sorte de farce féroce que coupent
parfois des morceaux << d'humanité lamentable ». Pour
cela, il provoqua les informations, il choisit parmi les
documents qu'on lui offrait, il les assimila, les modifia
au besoin pour qu'ils contribuent tous à faire de l'un�
meuble de la rue de Choiseul l'image d'une •• société qui
va vers l'écroulement.
Dès le départ en effet, la maison devient un symbole·.
Presque tous les protagonistes, quarante sur les cinquante
qui participent . à l'action, l'habitent. Les diverses intrigues
s'y déroulent. C'est un monde soigneusement clos où ne
circule aucun air, où tous les bruits sont étouffés. Pas
une fleur, pas un rayon de soleil, rien de ce qui fait la
vie. De chapitre en chapitre, revient, en leit-motiv obsé­
dant, la vision . d e sa façade, celle surcout de son escalier
et de « ses belles portes d'acajou luisant » hermétiquement
20 POT-BOUILI.I:

fermées on ne sait sur quels abîmes. Les mêmes adjectifs


traduisent, -'de page en page, l'impression que laissent
l'immeuble et ses habitants : " grave H, 11 convenable »,
" honnête 11 digne n. Mais derrière la façade en pierre
)1,

de taille, se cache la cour, image de l'âme bourgeoise,


non pas une échappée sur l'extérieur, mais un boyau à
ordures-, où les misères des maîtres sont étalées avec une
joie grossière par les domestiques et se répercutent d'étage
en étage. .
Car dans ce monde de la mesquinerie et de l'envie
haineuse, tous s'épient et se dénigrent sournoisement,
concierges, locataires, • bonnes: Même les· fêtes se ter­
minent lamentablement et, devant un mort, on ne songe
qu'à la succession. L'argent pousse toujours à la crapu­
lerie'. Tout est mensonge. Personne qui fasse excep­
tion : ceux qui ne commettent pas de canailleries couvrent
celles des autres par lâcheté ou pour retarder, comme
l'abbé Mauduit, la décomposition finale. Et ainsi que
le dit Julie, à la fin du livre ,, -toutes les baraques se res­
semblent u. Conclusion pessimiste : il n'y a en effet aucun
espoir, à la différence de Germinal ou même de L'As­
sommoir car le mal n'est pas dû aux mauvaises conditions
d'existence, au manque d'argent ou au labeur trop dur;
il semble tenir aux gens eux-mêmes. Un seul couple -
Octave et Caroline Hédouin - échappe au malheur qui
frappe tous les autres : c'est qu'il vit hors de ce monde
moralement et matériellement. Ces deux personnages
représentent une autre façon de vivre, un cc siècle d'action
et de conquête n.
Ces exagérations, ces outrances caricaturales, ces oppo­
sitions trop systématiques sont volontaires. Zola savait
bien que tout n'était pas mauvais dans cette classe à
laquelle il appa,;tenait. Mais il voulait sonner son ,c glas
entêté, la décomposition et l'écroulement de la bourgeoisie
dont les étais pourris craquaient d'eux-mêmes 11. (Pot­
Bouille, chap. XVII.) Sans laisser pressentir un monde
nouveau de justic;e et de bonheur, Por-Bouille annonce
ainsi « ' la débâcle proche d'une société finissante qui
pourrissait jusqu'à ses prêtres ». De sorte que cette
œuvre, qui n'était pas originellement prévue, s'insère
dans la suite des Rougon-Macquart. Par sa violente mise
en accusation de la classe des nantis, elle prélude aux
deux autres grands romans de la décrépitude de ce
monde bourgeois que Zola rejette : L'Argem et /.a
Débâcle. . :. 1r.
PRÉFACE 21

La crise morale que }'écrivain traversait en ces années,


l'influence de Schopenhauer qu'il subissait peut-être à
travers ses amis, les attaques dont il était l'objet, durent
noircir sa vision. Mais Poe-Bouille est avant tout l'affir­
mation, dans un style volontairement dramatique et sec,
d'un tempérament qui n'a pas peur de dire. ce qu'il
pense, au plus fort . de la mêlée, et qui ne peut souffrir
certaines façons de vivre et de penser. • •
,

' 1

· ' Por�Bouille füt, de ce fait, accueilli par des critiques


acerbes et très · i_njurieusès pour !'écrivain. Les amis de
Zola eux-mêmes :,firent quelques restrictions. Huysmans
trouvait qu'il n'avait pas attrapé la façon de parler: des
femmes de la bourgeoisie : • ·'
1 : 1.. \ . .

' .
• ,. .-_. " Cc · que vous leur faites dire, lui écrit-il, est juste
1 . , et , vrai, mais c'est quelqu�fois l'expression qui m�
' , · 1 déroute .un peu; c'est plus jésuite que .cela et plus
• • - • faussement distingué. li

,.- )

Et Céatd reprochait à l'œuvre sa cc rigueur de démons­


tration mathématique ». Ce qui n'est pas faux, mais qui
s'explique par le parti pris qu'avait Zola de u faire >•
u l'acte d'accusation le plus violent qu'on puisse lancer
contre la société française >1.
Outre ce succès de scandale, l'œuvre connut une
publicité inattendue. A peine les premiers feuilletons
avaient-ils paru qu'un avocat à la cour d'appel de Paris,
qui n'habitait pas très loin de la rue de Choiseul et qui,
de surcroît, s'était présenté aux élections dans la cir­
conscription de Médan, crut se reconnaître dans l'avocat
du roman qui, primitivement, et par hasard, s'appelait,
comme lui : Duverdy. Il demanda à Zola d'enlever son
nom de l'œuvre. Le romancier fut condamné en justice
et dut s'incliner. Il remplaça Duverdy par Duveyrier...
. Mais il avait défendu dans les journaux un droit fonda­
mental de !'écrivain : celui d'être libre de choisir dans
la vie les noms de ses personnages, à condition de ne pas
faire d'attaques personnelles. Il avait à ce point mis
l'opinion de son côté, qu'il put refuser d'écouter, sans
être davantage inquiété, les réclamations d'un Louis
Vabre, d'un Hédouin, de trois Josserand et d'un Mouret.
Par les multiples articles qu'il avait publiés à ce sujet,
22 POT-BOUII.LE.

il avait ainsi réussi, et malgré une condamnation, à faire


admettre définitivement cette habitude.

Il y . a de grandes pages dans le roman : la rentrée


furieuse de Mme Josserand et de ses filles, au chapitre .III,
avec ses gros plans et ses (/ travellings » prêts à être -
filmés ; la scène qui suit dont le comique féroce atteint
au burlesque; ou le récit à la fois si simple et si déses­
péré de l'accouchement misérable d'Adèle. Zola qui
voulait faire de Pot-Bouille son Education sentimentale,
avait en effet décidé d'éviter tout lyrisme, toute descrip­
tion de plus de cinq lignes. Les personnages agissent,
parlent comme sur une scène;'chaque chapitre se referme
sur lui-même comme un acte dans une pièce de théâtre.
Le roman en tire un accent qui est très particulier dans
l'œuvre de }'écrivain.
Mais, ce qui retient surtout le lecteur et fait la moder­
nité de ce livre, c'est le refus passionné d'un ordre moral,
du conformisme et de l'hypocrisie sous toutes ses formes,
qui transparaît sous presque chaque ligne. • • •
Colette BECKER.
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE • •

MANUSCRITS

Le manuscrit et le dossier préparatoire de Pot-Bouille


se trouvent à la Bibliothèque Nationale, Département
des Manuscrits - Nouvelles acquisitions françaises,
N°8 10319, 10320, 10321.

ÉDITIONS

Les Rougon-Macquart : édition intégrale publiée sous


la direction d'Armand Lanoux, études, notes et variantes
par Henri Mitterand, Paris, Gallimard, 1960-1967.
Pot-Bouille figure au tome Ill de cette édition qui
comporte des notices et des bibliographies très impor­
tantes.
Œuvres Complètes de Zola : éditions en cours de publi­
cation sous la direction d'H. Mitterand au Cercle du
Livre Précieux et au Club Français du Livre.

ÉTUDES RELATIVES A ZOLA

PAUL ALEXIS : Emile Zola, notes d'un ami, Paris, Char­


pentier, 188 2.
JEAN FREVILLE : Zola semeur d'orages, Paris, Editions
Sociales, 195 2.
24 POT-BOUILI.E
HENRI GUILLEMIN : Présentation des Rougon-Macquart,
Paris, Gallimard, 1964.
ARMAND LANOUX : Bonjour Monsieur Zola, Paris,
Hachette, 1962.
DENISE LEBLOND-ZOLA : Emile Zola raconté par sa fille,
Paris, Fasquelle, 193 1.
HENRI MITTERAND : Zola journaliste, Paris, A. Colin,
1962.
GUY ROBERT : Emile Zola, principes et caractères géné­
raux de son œuvre, Paris, Belles Lettres, 1952.
RENÉ TERNOIS : Zola et �on temps, Lourdes, Rome, Paris,
Paris, Belles Lettres, 1961.

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