Vous êtes sur la page 1sur 398

1

Le kiosquier du square ne
fait pas d'histoires

Auguste Picrate
Oeuvre publiée sous licence Creative Commons by-nd 3.0
En lecture libre sur Atramenta.net

2
Limons les prolégomènes !

Aux chiottes, les "psychatrices" !


Les gens n’aiment pas que le clown, Auguste, discute, alors il écrit .

Je savais bien, en mon for intérieur, que je devais attendre d’en


savoir un petit plus avant de proposer au responsable des achats
d’élargir notre gamme de sacs en proposant des poches en plastique
réellement biodégradables à base de fécules de pommes de terre -
une récente innovation technologique - plus performantes que celles
qui font semblant de l’être, mais nous étions, comme toujours, aux
taquets, la tête dans le guidon, et alors là, dans le monde réel, celui
qui me permet de croûter, pas trop le temps de philosopher, il fallait
prendre une décision.
Et que ça saute !
Dans l’urgence, toujours dans l’urgence, hors de question de
s’arrêter, pas le temps de penser ! Produire et produire toujours
plus !
Tu vas dire quoi à ceux qui attendent leurs commandes, que tu es
en train de cogiter , "d’alternatibavibrer" ?

Ma proposition aurait pu verdir notre image de pollueur et on


pourrait également communiquer là dessus. Il fallait valoriser notre
image (quoique l’on fasse concrètement, cela payait mieux ! )
On ferait un petit geste pour la planète tout en gagnant du

3
pognon ! Les actionnaires seraient contents, les écolos nous
serreraient la louche. Cela arrangerait beaucoup de monde et ce
n’était pas si compliqué que cela à mettre en œuvre. Il fallait juste se
lancer, ne pas avoir peur.

J’avais quand même les chocottes de passer pour un écolo allumé


barbu farfelu agent infiltrant.
De toutes façons, les idées du magasinier, tout le monde s’en
tamponnait le coco !
Alors j’allais la mettre en veilleuse. C’était plus sécurisant.
Prudence ! Reste à ta place, cool man !

Putain de pudeur !
Qu’est ce qu’on perdait comme temps !
Et si tout le monde fait comme moi en se défilant ?
Encore heureux que je me foutais pas mal de ma descendance !

Stratégiquement, j’aurais dû attendre d’être mieux intégré au sein


de l’équipe pour faire cette proposition car je n’étais en poste que
depuis un petit mois. Il fallait savoir patienter, attendre le moment
opportun.
« Le rhum ne se fabrique pas en un jour ! comme disait mon
paternel détenteur du record mondial du soupir prolongé, reconnu
en 1978, dans le fameux livre Biguinesse des records - un record
jamais dépassé depuis.

Non seulement, j’étais en période d’essai mais j’étais aussi, je le


ressentais bien dans mon for intérieur, dans ma phase de réveil
printanier «Ukulélé, banjo et cithare électrique et blagues pourries»,
alors j’avais intérêt d’y aller mollo sur les manifestations
d’enthousiasme, si vous voyez ce que je veux dire…

Alors nous avons renouvelé notre stock habituel de sacs en plastoc


moches. Et moi, j’ai gueulé en silence. Le respect des formes, des
normes sociales, des institutions, des convenances…

4
Depuis des années que je me coltinais ma tare, celle d’ex poivrot
« borderline », j’avais appris à placer quelques garde-fous qui me
permettaient de vivre à peu près comme tout le monde mais je savais
que j’allais rapidement crever si je ne soulevais pas de temps à autre
le couvercle de mes émotions lancées comme des crabes vivants dans
une marmite en ébullition.
Est-il utile de vous préciser que j’étais aussi dans ma période
« métaphores poétiques Prisunic »…

Je disais toujours les choses mal à propos, au mauvais moment, au


mauvais interlocuteur, brut de décoffrage, sans trop soigner
l’emballage, quoi. Or, l’emballage, le "packaging", c’est devenu
important dans une civilisation matérialiste. D’ailleurs pour ne rien
vous cacher, je travaille à 1234 Ramones emballage company, le
spécialiste de l’emballage. J’ai toujours privilégier le fond sur la
forme et ma compagne me reproche d’être toujours mal fagoté. Le
boss m’a appris à emballer nos emballages avec soin, car c’est notre
carte de visite comme il dit à juste titre. Moi j’ai du mal avec la
communication. Je sais parler, je sais parfois convaincre, je sais
mettre à l’aise de par mon attitude décontractée et ouverte, mais mon
côté fantaisie nuit au message de fond.
C’est con de tout le temps louper ses effets pour un ou deux
détails !
Je commençais à piger, en bossant dans l’emballage, que la forme
comptait vachement ! Les gens ordinaires avaient besoin d’être
rassuré, et c’était normal somme toute. Avec Flavia et Jacquo, mes
partenaires des stands de la banque coopérative LES ELFES, on
voulait innover un peu, tenir un discours sérieux quant au fond mais
faisons fi des critères communément admis, on voulait être des
commerciaux rasta cool et rock’n roll mais notre nouvelle sociétaire
active , Marie Cunégonde, voulait nous apprendre à communiquer
sans faire peur aux gens. Elle nous disait d’arrêter de coller nos
autocollants n’importe où, de laisser tomber la cravate mais pas le
parfum. Elle nous mis en contact avec Clyde BARROW, un as de la
vente rompu aux technologies nouvelles et Patricia LUCELAPIN,

5
une ancienne magasinière qui avait évolué dans les relations
publiques mais one ne va pas pouvoir tout aborder d’un coup, sous
peine de confusion, et c’est pour cela qu’il y a plusieurs chapitres.
Les chapitres, c’est bien pratique !

J’avais bien essayé d’apprendre la com, à essayer de vendre mes


bouquins ou mes parts sociales, mais rien à faire, j’avais un
problème avec le pognon. J’étais plus doué pour le dépenser que
pour le gagner.

J’avais pourtant suivi des cours à distance de CNV


(Communication non violente) et j’avais même participé un stage
mais à mon retour au bercail, quand j’avais tenté de mettre les
savoirs acquis en pratique, je m’étais engueulé avec tout mon
entourage… La CNV consistait à se parler entre adultes responsables
et éveillés, à se dire les choses sans faux-semblant et ce n’était pas
aussi simple que cela en avait l’air. Les gens, les pauvres, préféraient
souvent rester à la surface.

J’avais trimé pour trouver un boulot dans ma zone de


compétences, ma zone géographique, compatible avec mon age de
vieux con à chaussons, mes centres d’intérêt et mes activités
extraprofessionnelles. J’y tenais comme un arapède.
J’avais besoin de pognon. J’en avais ma claque d’être pauvre,
comprenez moi.
Pour une fois, j’avais envie de rendre la vie plus belle à mes
patrons car je leur étais reconnaissant de ce qu’il m’avait permis de
réaliser.
Habituellement, mes employeurs, je les rendais fous ou
dépressifs !
Ceux là, je l’es aimais bien.
Les deux frérots, Erwan le poète et Alfred le lunatique climato-
sceptique m’avaient sortis, sans forcément le savoir, de ma situation
merdique « d’idées sans le pétrole », de scribouillard dramaturge au
bout du rouleau. Je devais être réglo en retour, c’était la moindre des
choses.

6
C’était l’occasion d’une nouvelle expérience, de reconsidérer
certains préjugés sur les entrepreneurs.
C’était l’occasion d’apprendre à faire le distinguo entre ceux qui
bossaient dur et ceux qui palpaient de l’oseille sans jamais se salir les
mains, ceux qui décidaient et ceux qui s’adaptaient aux contraintes
économiques.
Depuis que je prenais des cours d’harmonica électronique, j’étais
vachement plus détendu. J’étais plus ouvert à l’esprit "phalanstère".
Je me pensais tout seul dans ma tronche, aux possibilités offertes par
une cohabitation, à défaut d’une entente, entre industriels, chefs
d’entreprise à taille humaine et artisans avec les avant-gardistes
associatifs. les scientifiques avaient bien réussi à bosser avec les
naturalistes, les écolos à pull en laine, alors pourquoi pas
décloisonner un peu, juste un peu.
A une époque je voulais distribuer des matériaux d’isolation
naturelle. Je refusais de faire de l’isolation avec du polystyrène ou de
la laine de cancer. Je ne jurais que par la laine de bois et le fermacell
(plaques de gypse cellulose) et le liège Mélior. Seulement, mes
clients voulaient du PVC et du stratifié alors j’ai fermé ma première
boite au bout de quatorze mois. J’avais parfois de bonnes idées mais
l’aspect pratico-pratique m’emmerdait, les lois comptables, les
normes pondus par les poules pondeuses à tête d’œuf élevées en
batteries. J’aimais bien bidouiller avec trois bouts de ficelle et des
mots. J’aimais jouer. J’emmerdais les normes !
Ambivalent, ambigu ou nuancé, je savais que les normes
permettaient aussi de protéger les personnes exclues des droits. En
somme, je n’étais ni plus ni moins qu’un anarchiste gaullien.
J’admirais le jeune général De gaulle qui s’était opposé à sa
hiérarchie, De Gaulle le visionnaire, et j’aimais le Dany le rouge
l’illuminé, jeune. J’aimais les Rolling Stones des années 70 et le
René Dumont des années 90. J’aimais presque tout le monde en
fait !
J’avais appris en fréquentant une choriste punk à adoucir ma rage
en dedans. A force d’écouter du reggae tous les vendredis, je m’étais
adouci. J’étais moins binaire, moins con.

7
A présent, le mec qui isole par l’extérieur avec des matériaux issus
de la pétrochimie, je le remercie, parce que je raisonne globalement,
en termes de bilan énergie grise. J’en ai ma claque des jugements
hâtifs qui mène à des impasses, du genre, "Ton cadre de vélo est en
alu, c’est pas bien, c’est énergivore ! Ton panneau photovoltaïque est
sur un support alu, ta membrane SOPRASOLAR est en bitume
SBS" et autres conneries du genre dignes de clampins mouches du
coche, écolos de salons avaleurs de mouches, punk en carton, qui ne
font que critiquer pendant que les autres agissent.
On aurait pu poser l’arc et ses flèches quelques minutes, prendre
une petite pause et réfléchir ensemble. Je rêvais d’une union sacrée
artisans, industriels ingénieux, scientifiques et militants associatifs.
J ’en avais ras le bol également des réflexions du genre : "T’as
pas vélo, t’es pas écolo ! " Je ne prétendais pas à l’exemplarité. Je ne
cherchais plus le plan détaillé du monde de demain, je cherchais des
réponses immédiates, des solutions concrètes. Il était impossible sauf
pour un génie de l’écologie d’être en permanence en cohérence
parfaite avec idées puisque nous ne maîtrisons plus ce qu’il advenait
de notre pognon, puisque la finance nous tenait en laisse.
Les mêmes mecs qui m’insultaient en me traitant d’activiste
khmer vert de rage, me reprochaient, lorsque je participais à un
happening organisé par le collectif animalier 06 , de ne pas
m’occuper des clodos ou des femmes battues ou des enfants esclaves.
Ces mecs ne faisaient rien d’autre que de phraser en l’air sans se
soucier de la déperdition énergétique qui en résultait.
Revenons-en à nos brebis :
Quoiqu’il en soit, j’étais, cette fois, moi, trimeur de la vraie
gauche, à des années lumière de la situation dans laquelle les patrons
se grattaient les couilles pendant que les ouvriers assemblaient,
j’étais dans le monde la PME familiale, aux antipodes du CACA 4O
"Bienvenue dans un monde meilleur ! Et vas-y que j’entourloupe ! "
J’étais dans le monde de l’entreprise dans laquelle on peut piger
que rien n’est simple, pas autant que dans les slogans que je clame
lorsque je défile le premier mai, même si ce constat ne m’empêchera
de crier à l’unisson, la bouche en cœur, des formules lapidaires le
prochain premier mai.

8
J’étais dans le monde réel qui en prenait plein la gueule et qui
devait s’adapter aux desiderata de financiers et mordre la poussière.
J’étais dans le monde de ceux et celles qui subissaient mais qui
allaient finir, tôt ou tard, par faire avaler leurs calculettes dans la
gueule à tous ces planqués en costard cravate qui nous pompaient
trop d’air. Je n’attendais que cela.
Comme toujours, agissant en qualité de punk en carton plâtre
sans la crête, je devais juste tempérer un peu ma rage en dedans. Je
devais attendre que le monde vire au no futur, ou sans issue. Simple
question de temps ! Et alors là, tout le monde se mobiliserait car les
solutions existaient.
Ce qui comptait après des années d’instabilité chronique, c’était
que je garde mon emploi sans y perdre mon identité, que je fasse ma
place.
Je devais pourvoir rentrer le soir, vanné physiquement, mais pas
lessivé psychologiquement, pas stressé, pas préoccupé par le
lendemain. Parce que j’avais des choses à faire, des choses très
importantes pour mon équilibre, du genre écrire, apprendre et faire
un peu, participer à quelques actions.

Je n’étais plus avec Fraüke HAMMER, une de mes premières


héroïnes, celle de ma première nouvelle, qui me faisait chier au
quotidien avec ses préoccupations d’écolo d’allemande, mais j’étais à
la colle avec Marie Cunégonde - qui aura droit à son chapitre afin
qu’elle rentre dans l’histoire (celle qui se contente d’un petit h qui se
voudrait un amalgame d’histoires personnelles et de rencontres avec
des personnages réels ou fruit de mon imagination).
Il était bien loin le temps de mes vingt ans, alors je devais juste
veiller à ce que Marie Cuné devienne Marie CUNI en lieu et place de
la Marie CUBI (c’est une licence poétique) et je devais juste un peu
prendre les choses en mains car elle se tapait, mine de rien, sans
soupirer, quatre vingt pour cent des tâches ménagères (C’était la
femme idéale pour un écrivain – Dans ma vie, je n’avais connu
véritablement que deux femmes labellisées «femmes d’écrivain ») en
veillant au gaspillage alimentaire et à la surconsommation des sacs
plastiques issus de la pétrochimie sans devenir un rabat-joie pour

9
autant.
Je cherchais des solutions pour limiter la suconsommation que
nous faisions de sacs plastiques. Je devais tout simplement trouver
des solutions concrètes pour être un peu plus en adéquation avec mes
idées. C’était bien plus facile à coucher sur le papier qu’à mettre en
pratique ! Sinon, ce ne serait pas autant le bordel ! Je recyclais les
pochettes qui emballaient les journaux que je recevais par
abonnement. J’utilisais l’emballage du Politis pour jeter les crottes
des chats ou alors je prenais des vieux jounraux, mais cela ne
suffirait pas à faire de moi un type bien et responsable. Il fallait aller
plus loin que quelques actions symboliques sans grande portée. Ce
n’était pas si simple mais réalisable. Il suffisait de le vouloir
vraiment. Et quand j’aurai réussi à être un poil plus cohérent, je
trouverais plus facilement les mots pour proposer à mon boss
d’élargir sa gamme de ses emballages, sans tourner le dos à sa
responsabilité de chef d’entreprise.

C’était un peu compliqué de s’impliquer sans devenir un tantinet


rigide. J’en avais marre d’être un mec caoutchouc modelé par les
impératifs de la finance.

En rentrant du taf, je devais donner à manger à mes deux chats


Dee Dee Diesélos et Clamy de la Joliette et à mon personnage fictif,
Auguste Picrate, celui à qui je vais céder la place dès le chapitre
suivant. C’était dans le contrat. Place aux rêves et rien à battre de la
triste réalité !
Auguste avait un nom illustre mais son patronyme le ramenait à la
triste réalité : « L’audace ne suffit pas quand on a de la merde dans
les yeux ! », c’était une phrase de mon papounet qui avait fini
écrabouillé. Je vais vous en parler en début de chapitre suivant car
j’ai une sacrée dette vis à vis de lui.
Et oui, lecteur pointilleux, Auguste n’est pas mon double, ni mon
petit, c’est juste ma bouteille d’oxygène. Quand on est assez con
pour donner un nom composé à ses chats, pourquoi ne pas pas
nommer sa bouteille d’O² ?

10
Nous devons, dans ce chapitre, aborder la dimension
psychologique et sociale de cette histoire, c’est mon rôle en tant que
Monsieur Loyal.

Alors en premier lieu, je dois, sans sombrer dans la fibre


« confessions intimes soft », pour ne pas gaver mes dizaines de
lecteurs, vous parler de ce qui peut me faire passer pour un mec
bizarre et renfermé. Il s’agit d’un stu,pide problème de dosage, de
réglage. Parfois, l’idée me prend de connecter le fil vert sur le bouton
rouge, histoire de voir ce que cela fait, juste histoire de rigoler. Tantôt
il se se passe rien, tantôt cela provoques des dissonances cognitives
ou d’autres trucs encore plus bizaroïdes.
J’ai consulté des spécialistes. Certains m’ont vite gavé à vouloir
me coller au bout de dizaine de minutes d’entretien, un diagnostic
normalisé et un traitement chimique à la clef. D’autres moins
intrusifs, plus habiles, comme un dénommé Marcel, praticien
efficace des méthodes de Carl ROGERS, m’ont aidé à y voir plus
clair pour mieux administrer mes excès d’enthousiasme intermittents,
à composer, à transformer un handicap en un atout, à faire atterrir
mon planeur lors de fortes bourrasques.

J’aimais écouter les gens, leur parler mais je détestais ceux qui
voulaient épater les autres, les convaincre à tout prix. J’étais un piètre
militant parce que je ne voulais pas vendre mon programme. C’est à
peine si j’osais distribuer un tract. Je préférais faire du "flying", la
technique qui consiste à piloter un ULM à gazogène ou un drone à
cellules solaires, au choix, selon sa motivation du moment, pour
balancer des milliers de tracts en papier recyclé. Les tracts pour
l’évènement ALTERNATIBABAR.
Des jeunes actifs, des étudiants, des artistes avaient décidé de
mettre leur grain de sel dans les enjeux climatiques qui étaient
habituellement débattus entre "grands de ce monde" entourés de leurs
conseillers payeurs de mots.
L’idée était de créer un évènement festif, mobilisateur, afin de
monter que les initiatives citoyennes existent d’ores et déjà. Nous
devions juste faire monter l’info un cran au dessus, toujours plus

11
haut.
Ce qui me plaisait dans cette initiative, c’est que le message était
clair, le mot d’ordre "Changeons le système, pas le climat" limpide et
qu’en associant des partenaires institutionnels et associatifs, en
mélangeant des citoyens impliqués et des simples curieux, on devrait
pouvoir faire monter un peu plus la sauce. Le parti pris était de voir
le bon côté de la lorgnette, de valoriser ce qui marchait et faire fi des
divergences. Je m’étais toujours méfié des "grandes messes" et puis
j’aimais bien habituellement rester dans mon petit cercle de "gens qui
savent comment sauver le monde", qui ont le plan de montage du
monde de demain avec tous les boulons et puis je n’aimais pas les
jeunes.
Ceux là étaient différents. Ils avaient la tête sur les épaules. Ils
rêvaient à plusieurs et réussiraient à donner envie à d’autres de se
bouger le popotin. C’étaient des "rallumeurs d’espoir", des
"souffleurs d’avenir".
Ils ont le plan d’une usine à biogaz qui permet transformer en
"positve vibration" des choses pas belles à entendre.
Il va falloir changer, companeros !
Aujourd’hui, mon patron m’a proposé un plan réglo. Il m’a dit que
si je lui ramenais des parts de marché en développant la signalétique
et la branche accessibilité, qu’il m’intéresserait, non pas en filant
directement du pognon car je n’avais pas envie de changer de tranche
fiscale - même si je trouvais normal de payer des impôts - mais
qu’il me prendrait des parts d’une des coopérative dont je faisais la
promotion lors de salons "écolos rigolos", la coopérative de fiannces
solidaires la NEF, Energie partagée/ ENERCOOP , ou TERRE DE
LIENS. Il était rusé mon patron, car ainsi il pourrait communique sur
autre chose que du vent. Je l’aimais bien.

Aux graines, les citoyens !

La dernière fois que j’ai parlé à mon père, il m’a dit, avec des
sanglots dans la voix : « J’ai échoué, tu n’y arriveras pas »

12
Notez bien, qu’il n’a pas dit « Là où j’ai échoué, tu n’y arriveras
pas non plus ».
A quoi faisait-il allusion ? A la lutte des classes ?
La lutte des classes ? Vous voulez rire ou quoi ? Ce terme est bien
trop connoté ! Ce n’est déjà pas facile de dégotter des lecteurs, alors
allons-y mollo sur le vocable craignos !
A la lutte contre ses déchets ? Pour les merdes de la litière de mes
chats, devais-je les jeter dans un sac en "plastique pratique" qui
finirait dans l’estomac d’un animal marin ou directement dans les
chiottes en consommant neuf litres d’eau ?
Je savais qu’il y avait urgence à se décider. J’étais prêt à faire des
petites concessions sur mon mode de vie mais il ne fallait pas trop
m’en demander. J’attendais que tout le monde s’y mette tout en
sachant que ce n’est pas le meilleur angle d’attaque, sauf pour celui
qui cherche une bonne planque…

Les braves gens n’ont plus envie d’être bassiné avec de la


politique, ni que l’on leur explique, le cul rivé sur son
siège, comment le monde devrait évoluer. Ils savent bien comment il
devrait être mais ils ne le veulent pas. Les pleutres et les braves
"gogoconsommateurs" n’ont envie de rien. Ils ont juste peur ou n’y
croient plus. Ils ne savent plus se parler alors ils déblatèrent sur des
sujets vides de toute substance, ils meublent le temps, ils parlent
déco, ils parlent promo et ils sont contents !

Je vivais de l’info, c’était mon job, et c’était mon rêve.


Rendez-vous compte, l’information de source sûre était essentielle
à remise en question de fondamentaux économiques censées être
intangibles. Le militant crédible avait dans sa besace d’autres
arguments à opposer face aux litanies répétées en boucle dans les
journaux appartenant à des grands groupes de presse qui n’étaient pas
indépendants des intérêts économiques ou sur les grands chaînes de
télé. Il fallait démonter, sans relâche, sauf le premier mai, les
impasses du productivisme, la croissance insoutenable. Les faits
observables ne suffisaient pas à emporter l’adhésion populaire à
l’impérative nécessité de changer de paradigme, de reconsidérer nos

13
modes de productions, nos modes de vie et nos priorités.
La technologie aurait pu permettre de réinventer le travail mais les
gains du progrès étaient spoliés par les capitaines du Titanic qui
contrairement à Edward John Smith, se sauvaient dès la première
secousse.
Cela faisait des lustres que l’on conversait gentiment à propos du
réchauffement climatique, de la disparition de la biodiversité, de
pesticides, de l’agriculture intensive mais l’urgence, c’était de
réhabiliter l’entreprise, faire confiance aux investisseurs. Il leur
fallait moins d’obstacles à leur expansion, moins de contraintes.
Promis, juré, ils créeraient des richesses et des emplois, tout en
chantant le crédo « développement durable, croissance verte ».
Et qui oserait douter de leur sincérité ?

L’éthique dans l’entreprise, c’était le dada des communicants qui


faisaient apparaître en page d’accueil de leurs sites internet leur
humanisme auto-proclamé.
Personne ne me ferait croire que ces gens là se préoccupaient de
l’intérêt général et qu’ils avaient assez le sens de leur responsabilité
historique pour se soustraire de la vision à court terme. La rentabilité
immédiate, le profit, la com, étaient des valeurs incompatibles avec
le monde des cui-cui, le monde dans lequel je voulais un jour
apprendre à voler plus haut, toujours plus haut… En attendant les
miracles, il fallait supporter de voir les choses d’ici bas.

Une étude du Commissariat général au développement durable


(CGDD) publiée par Charlie Hebdo n° 1186, révèle que 89 % des
cours d’eau de surface sont pollués par des pesticides (et 71 % des
prélèvements effectués sur les nappes souterraines contenaient au
moins un pesticide - dont certains interdits depuis 2003).
Non, définitivement, je ne comptais pas sur ceux qui avaient
plombé l’avenir pour nous aider à changer autrement que par des
actes symboliques. Je n’avais plus confiance quant aux capacités du
système pour s’auto-réguler. Je voulais le changer mais pas avec les
nostalgiques d’un ordre ancien. Je comptais sur les citoyens pour
reprendre position et inventer des scénarios concrets de transition,

14
des alternatives à la grand route double voie « Demain, ce sera
chouette / Hier c’était mieux ». Il y avait une culture de la résistance
à opposer aux faiseurs d’opinions gnan-gnan.
On ne pouvait pas revenir en arrière, il fallait innover, jeter les
cendres, torcher le cul du vieux capitaliste capitaine d’industrie de
mon cul et réfléchir ensemble à ce que devait être le progrès, notre
définition, pas celle de ceux qui se gavaient et qui nous dictaient
notre conduite.
Il n’y avait pas d’un côté les bons et les méchants. Ce qui me
gêne c’est que l’on si soit prompt à dénoncer les passeurs mais qu’on
laisse tranquille les spéculateurs qui provoquaient depuis leurs
terminaux des émeutes de la faim.

J’étais un républicain partisan du droit au mérite. J’étais un


nostalgique de la troisième république pour ainsi dire. J’avais croisé
dans ma carrière de tocard diplômé des chefs et cheftaines
d’entreprises qui gagnaient du pognon et je ne les jalousais même
pas. Alors mes amis de gauche me trouvaient limite réac. Je n’aimais
pas les personnes ambitieuses mais j’aimais celles qui réussissaient à
aller jusqu’au bout de leurs idées. Et si elles gagnaient du pognon
ainsi, je m’en foutais.
S’ils étaient heureux, c’était bien ! Je m’en foutais pas mal. Moi je
voulais juste être une peu poil plus connu car c’était toujours bon
pour draguer.

Une petite pièce pour mes obsèques ?

Le fric, j’avais appris à m’en passer depuis longtemps !


Je n’avais pas voyagé, je ne connaissais pas grand chose mais
dans ma vie peigne-cul, de misérable ouvrier intérimaire, j’avais
rencontré toutes sortes de gens : des patrons vipères et des salariés
profiteurs ou voleurs. J’en savais juste assez pour savoir que le fil
vert n’allait pas toujours sur le bouton rouge…
J’ai eu quand même la veine de travailler dans des entreprises
avec des responsables honnêtes et réglos et en retour, je m’efforçais
de besogner avec sérieux. C’était du donnant-donnant. Cela tenait un

15
temps.

J’idéalisais les entreprises dans lesquelles les écarts de salaires


restaient justifiés et dans lesquelles on ne vous prenait pas que pour
un larbin. Je n’étais pas à l’aise avec mes camarades de la gauche "à
gauche toute" parce que j’étais un mec coincé, toujours animé par
deux logiques antagonistes : Me résigner, me rendre ou combattre
pour le "yes futur", lutter pour ne pas perdre pendant que d’autres en
avaient toujours plus, ou essayer le plus plus avec la force des
convictions.
J’aurais tant voulu travailler dans l’entreprise de demain,
l’entreprise collaborative réelle, celle qui traduisait l’organisation
démocratique au pied de la lettre, qui ne prenait pas l’émancipation
pour un concept marketing creux, mais j’allais mourir avant car dans
mes histoires, il n’y avait pas d’issue heureuse.

Mon père, poète à ses heures, attendait la révolution des grandes


idées, vous savez, celle qui n’a pas eu lieu parce que les combattants
se sont crêpés le chignon entre eux. La révolution des autres. Mon
père était dans le trip "Aujourd’hui comme hier !" et moi, j’étais
partagé entre le "nono futur" et le "Mais qu’est-ce qu’on branle
demain en attendant la fin du monde ?" Et peut-on légitimement se
polir le chibre face à l’urgence ? Bref, des questions sans réponses
immédiates …
J’attendais patiemment « l’ère du peuple », très patiemment, sans
s’énerver, sans se presser, comme pour le bus navette 53 qui passait
de temps à autre, ou, idéalement, le retour en fanfare de l’an zéro
un, car c’était très bon pour mon petit commerce."

Ce n’était pas une histoire de thunes car j’aspirais sincèrement à


un "avenir radieux" mais je devais vivre avec les contraintes
immédiates et gagner de quoi payer mon loyer et mes frais divers.
Je suis ainsi devenu marchand de journaux, un peu par hasard.

Travailleur indépendant avec des revenus me faisant friser avec le


seuil de pauvreté.

16
Je savais que j’allais me planter mais je voulais essayer quand
même. D’après mon édifice théorique, cela pouvait marcher.
Les gens, las d’être distraits et à l’écart de leur choix de vie,
allaient se remettre à lire des journaux, de vrais journaux et je
pourrais maintenir ouvert mon petit kiosque qui était là depuis la nuit
des temps en luttant pour la liberté d’opinions. C’est tout ce que je
demandais.

Ce ne fut pas simple de tenir bon et je n’ai pas l’intention de vous


raconter des sornettes. J’ai dû faire des tas de concessions, des choses
dont je ne suis pas fier, mais je n’ai pas échoué. Je ne dois ma survie
économique que grâce à un heureux concours de circonstances, une
action conjuguée quoique désordonnée que plus personne n’attendait.
En tous les cas, moi je n’y croyais plus. J’ai même dû interrompre
mon activité durant de longs mois pour des considérations
mesquines, pour de bêtes histoires de trésorerie.

La liste des crasses

Que ce soit avec mon assureur, avec mon banquier, avec mon
employeur, je n’ai pas l’impression de traiter de partenaire à
partenaire, ni que nos intérêts soient toujours conciliables. Je suis
heureux que le Droit me protège des abus de pouvoir et inquiet que
des gens bien intentionnés, au nom du réalisme et de la croissance
économiques, n’aient cesse de vouloir réduire cette protection qu’ils
nomment "carcan". Pour moi qui suis faible, ces droits comptent. Il
en fallu des guerres et des grèves pour les obtenir et je ne pense pas
être plus heureux en apprenant à m’en passer. J’ai fait déjà beaucoup
de concessions pour devenir un honnête besogneux qui ne se plaint
jamais. En tant que salarié, j’aimais les jours fériés du mois de mai,
j’aimais les années où on l’on pouvait gratter quatre jours. En tant
que commerçant, les jours fériés, à l’exception du premier mai,
c’était un bon chiffre d’affaires. Le premier mai, c’était sacré même
si en tant que gogo-consommateur, j’étais content de trouver des
magasins ouverts pour acheter de la bière.

17
Il est question dans ce recueil d’aborder, avec légèreté, des sujets
essentiels, comme la fin d’un monde, l’agonie du veau d’élevage
industriel, la crise de la presse écrite, la disparition des abeilles, les
concours de fadaises organisés par des ados désœuvrés et d’un
éléphant qui a tué son dresseur lors d’une excursion touristique.
C’est très fouillis, comme la devanture d’un kiosque des années
cinquante, mais il y a un plan à défaut d’y avoir une intrigue : Il y a
un un et un deux, un avant, un après. J’aimerais que cela serve
témoignage pour les jeunes qui n’ont pas connu cette période sombre
de la civilisation.

1. Le chaos - l’ère du vide - Le désenchantement du monde

C’est la partie du livre consacrée à ce qui appartient désormais au


passé.
Une révolution inodore, imperceptible, qui a pratiquement réussi à
acculturer les personnes (assez prédisposées, faut-il le préciser). Pas
tous des idiots, n’exagérons rien, mais des personnes qui aimaient
qu’on leur raconte des histoires simples, des gens qui prenaient du
plaisir à être traités comme des ahuris.
Les mécanismes mis en œuvre conduisaient à la mise sous tutelle
culturelle de pauvres gens, le but ultime était de les déposséder de
leurs droits sans avoir à exercer de violence physique directe.
Depuis une trentaine d’année, nos amis qui nous veulent du bien,
puissants, nobles seigneurs ou simples profiteurs, avaient presque
réussi à démotiver les combattants et à donner de l’importance aux
gens insignifiants. Cela a failli marcher !
Lire des journaux sérieux se faisait en cachette ; les intellos étaient
moqués et mon kiosque a été menacé de fermeture. Même si ce n’est
pas très rigolo, je ne peux pas occulter cette période et faire comme si
elle n’avait jamais existé.

2. Le ras le bol, l’éveil du peuple - Les rêveurs au pouvoir

18
Les publicitaires, emberlificoteurs & enfumeurs associés ont
essayé de récupérer tout ce qu’il pouvait en faisant comme si ils
étaient du bon côté, tout ce qui existait et qui commençait à émerger
mais cela s’est retourné contre eux. Ce qu’ils avaient réussi avec le
rock, ils n’ont pas pu le faire avec la transition citoyenne.

Bon, en fait, car je vous dois bien de petits bouts de vérité, les
dernières paroles de mon père, que j’ai eu au téléphone l’avant veille
de son accident, ont été : "Oui je sais bien que je mange trop de rôtis
de dinde" car mon père avait mal au ventre mais il faut dire qu’il se
nourrissait très mal. Il bouffait trop d’œufs et trop de dindonneau et il
ne variait pas les mets. Quand on vit seul, on n’a pas toujours envie
de prendre soin de soi. C’est con de n’avoir que cela en guise de
phrases historiques mais la vie est faite aussi de petits tracas et de
mesquineries.

"La seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute"


Pierre Desproges

J’ai souvent eu des boulots ennuyeux, des boulots de gagne-petit


inintéressants, quand ils n’étaient pas avilissants. Le seul emploi qui
m’ait vraiment enchanté et qui m’a donné envie de me lever a été
celui de kiosquier. J’en ai pourtant bien bavé, tout au début, lorsque
nous étions encore dans « l’horreur économique ».

Un rêveur solitaire ne pouvait pas lutter contre les impératifs


économiques ! Certaines réformes le dépassaient mais il n’était pas
à le seul à ne plus rien comprendre. On produisait les repas de toutes
les écoles dans une unité de production centrale et pour répondre à
des normes d’hygiène évidentes, on conditionnait les repas dans des
barquettes en plastique jetables. Évidemment que le logo recyclable
était apposé sur ces emballages mais cela ne changeait tien au
problème de fond : On produisait de plus en plus de déchets issus de
la pétrochimie. Il était néanmoins plus rentable de livrer des repas
tout fait que d’avoir des cuisiniers "maisons", c’était cela le réalisme

19
économique d’avant !
La Poste avait perdu sa réputation à force d’utiliser sans vergogne
du personnel insuffisamment formé et motivé. D’une manière
générale les services publics d’hier étaient sans commune mesure
avec les centres de profit d’aujourd’hui, Les gens le savaient, ils en
parlaient ouvertement alors comment réagissait la Poste ? Elle faisait
des spots publicitaires télévisés pour dire à quel point elles prenaient
ses missions à cœur. Je suppose que ces spots devaient toucher une
partie de la population.

Seulement les gens, ma brave dame, on ne les entendait plus !

Ils dénonçaient la bouche en cœur les excès du capitalisme


débridé mais avait intériorisé la nécessité de la violence économique.
Nous étions en guerre. Nous avions à faire des choses pas toujours
plaisantes mais il valait mieux éliminer la concurrence de manière
policée plutôt que d’avoir à se battre à coup de massues. Ce que la
globalisation apportait comme lot d’insatisfactions était en somme
plus ou moins compensé par les cajoleries apportées par la
consommation de biens et par les occasions de se distraire et de
satisfaire sa curiosité. Nous pouvions faire comme les marchandises
et voyager dans le vaste monde. Tout était devenu plus facile ! C’est
pour cela que nous, nous les demi-pauvres, avions fermé nos gueules,
baisser le poing et bouffions des gélules, pour oublier nos rêves…
Il était là le consensus mollasson.
Se battre à coup d’édredons dans un monde si funny !
La défaite des idées dans les chariots des supermarchés !

J’étais devenu blasé, pas insensible, mais fatigué de ne pas


pouvoir aller au delà des constats. Les luttes sociales n’aboutissent
pas ! Le monde, bien que disposant de toutes les richesses et de
toutes les ressources, devient pourri et, devant tant de gâchis par
manque d’utopies concrètes, je ne sais pas s’il faut picoler ou
continuer à se battre car je reste, en dépit de toutes les désillusions et
les raisons d’abandonner le combat politique, intimement convaincu
qu’un autre monde est possible.

20
Le hic, c’est que je ne sais pas si l’on y parviendra ni ce qu’il
convient de faire. Mon pessimisme radical me freine et empêche à
mes véritables aspirations d’avoir la moindre chance de voir le jour.
Il me rend inopérant et inefficace. Je suis habitué à ce que toutes les
tentatives pour influer sur un changement radical soient des pets
foireux et je sais que je dois changer, avant toute proclamation
grandiloquente, de manière d’être pour gagner un tout peu plus sur
la distance qui me sépare avec mes belles idées.
Le gros problème, ce qui m’empêche de me défiler, c’est que je
constate

La lutte, c’est classe !

Bruno Blum a écrit sur sa page Face de Bouc :


Le problème du monde c’est que les gens intelligents doutent,
tandis que les gens stupides sont sûrs d’eux.

J’ai eu un regain d’intérêt pour la politique quelques mois avant


d’ouvrir le kiosque. Je ne me sentais pas à ma place nulle part,
témoin passif d’une catastrophe à venir et je ne savais pas quoi faire.
Alors, je me suis mis à faire ce que je ne faisais plus depuis
longtemps, à passer de temps en temps chez ma kiosquière pour
acheter un ticket de jeu et un journal.
En m’informant, je pouvais débattre, m’instruire, réfléchir et puis
passer de l’idée à l’action. J’ai eu de nouveau envie de m’impliquer
dans des collectifs. J’étais naturellement réticent à me fondre dans
un groupe car j’avais du mal à composer avec des manières d’agir et
de penser différentes mais en restant isolé, je me condamnais à
l’inaction. Je pouvais pleurer dans mon coin, si l’oignon fait la
farce, l’union fait la force ! Alors, il fallait apprendre à travailler
ensemble. Au boulot, je subissais une organisation qui ne
m’apparaissait pas toujours pertinente. Lorsque j’avais été à mon
compte, j’avais bouffé le bouillon à cause d’une organisation
déficiente. J’étais nul question efficacité mais j’aimais bien remettre

21
en cause les organisations. J’avais besoin des autres, même si cela
me faisait chier de devoir l’admettre.
C’était toujours cette histoire de la cruche, à moitié pleine ou à
moitié vide ! Je n’aimais plus vider les verres comme avant et je
n’aimais pas me prendre la tête sur mon temps libre. Je n’aimais pas
composer avec les adjudants chefs du militantisme qui se sentaient au
dessus de la mêlée, qui se croyaient investi d’une mission
civilisatrice et qui vous donnaient des ordres sur un ton que n’oserait
pas utiliser le plus rétro des patrons. Ancien objecteur de conscience,
j’acceptais que les organisateurs d’une action de rue soient
autoritaires lorsqu’il s’agissait de cadrer au mieux les activistes dans
un souci d’efficacité, d’éviter que les électrons libres déchaînés
entraînent tout le reste du groupe dans une danse guignolesque, mais
pas lorsque cette autoritarisme peinait à dissimuler un mal-être, une
peur d’être dans la rue et que son action passe une fois de plus
inaperçue.
J’aimais les mots mais je n’aimais pas les slogans. Je ne me
sentais pas à l’aise dans un parti politique. Je pouvais me reconnaître
dans les valeurs défendues par les partis alternatifs mais les moyens
habituels d’actions pour conquérir le pouvoir, pour exercer une
quelconque influence, me laissaient dubitatif. Il fallait en passer par
là, par une stratégie déployée patiemment permettant de conquérir
des suffrages à tous les échelons mais je n’étais pas assez motivé
pour consacrer du temps à des tâches si ingrates.

Je n’aimais pas le système, je voulais vraiment que les choses


changent mais je ne me sentais pas le droit de dire aux autres, à ceux
et celles qui subissaient ou qui cautionnaient, qu’ils se trompaient et
que leurs décisions avaient un impact fort sur l’avenir. Je contestais
en silence, sans gêner personne. Je ne faisais chier personne ainsi et
je subissais ce qui avait décidé par d’autres. Un jour, forcément, j’en
aurai mare et j’ouvrirai ma gueule ou bien je prendrais mon stylo car
je n’aimais pas trop parler en public.

Je préférais les projets associatifs qui se mêlaient bel et bien de


politique mais avec une approche plus centrée sur l’action, le travail

22
de longue haleine, que sur "l’événement". Je préférais me
"spécialiser" plutôt que d’avoir réponse à tout car je me méfie des
génies qui ont tout compris. Bref la vision "généraliste" et les
grandes lignes de la société du futur que me proposait mon parti
m’intéressait intellectuellement mais je me sentais plus utile en
boulonnant sur un ou deux thèmes du programme du monde
enchanté de demain.
Je ne voulais pas exercer non plus un sacerdoce pendant mon
temps disponible pour les loisirs. J’avais été élevé dans l’ère du
temps "consommateur qui peut donner son avis tout en se faisant
plumer ", contrairement aux animaux.
Je ne voulais pas pour autant abdiquer toute implication dans les
choses de la cité. Je cherchais ma voie, tranquillement. Je voulais être
concerné, impliqué mais pas enragé ni même engagé dans une
quelconque mouvement qui me pousse à renoncer à tout sens
critique.
Ce qui clochait dans mon raisonnement, c’est que d’un côté je
misais tout sur la démocratie active, sur les mouvements populaires,
mais au fond, je méprisais les gens. je les trouvais cons, simplistes ou
trop compliqués, jamais à la hauteur d’une utopie. Je me suis coltiné
pendant des mois des lecteurs de Coloser, franche démence et cie,
alors vous pensez bien, que les citoyens de la future sixième, ne se
bousculaient pas au portillon.

Les gens définitivement stupides et bornés m’horripilaient.


Les gens très intelligents me chauffaient les neurones à force de
vouloir apporter leur lumières à incandescence. Pour moi, la
simplicité volontaire rimait avec humilité car c’était la prétention de
l’homme à vouloir dominer la nature qui avait foutu le merdier,
Prométhée, Descartes et Néné du bar des trois amis me gonflaient.
En fait, la plupart de l’année, tout le monde me faisait chier tant
que je n’avais pas descendu une ou deux bières. C’est con, mais c’est
ainsi.

Les mots ont beaucoup compté dans le combat idéologique. Il a

23
fallu redécouvrir le bon usage des termes et savoir ce qu’il y avait
derrière les beaux discours finassés des emberlificoteurs de première.
Il a fallu se réapproprier la culture populaire, faire vivre la presse
écrite qui a quelque chose à dire, et laisser aux imbéciles heureux la
possibilité de se distraire en lisant et en regardant les images de la
presse à scandale, les laisser dans leur monde. Le combat pour que
les imbéciles aigris qui voient des complots partout aient honte de
parler a été vite torché. Il fallait juste qu’ils restent chez eux devant
leur télévision. Il fallait qu’ils se cachent, qu’ils n’osent pas ainsi
étaler leur ignorance poisseuse ! C’était un simple retour des choses :
« Au lit, les abrutis ! » C’est un combat auquel j’avais souvent
renoncé par lassitude, par "empêchement d’agir" mais surtout par
fainéantise.

J’avoue ne rien y comprendre à cette page de l’histoire


contemporaine. Je n’ai pas compris le retournement idéologique qui a
pu amener des jeunes à être attiré par un parti honni par la jeunesse
vingt ans auparavant.

En tant que commerçant solitaire, tenir un kiosque me permettrait


de mieux observer les gens de mon quartier, de mieux sonder les
goûts des autres, de comprendre pourquoi mon livre Pot cherche
cornichon ne se vendait pas. Je pouvais avoir aussi l’illusion d’être
utile en contribuant à la diffusion des idées, à la liberté d’expression.
Combien de temps allait durer cette impression que la presse écrite
était indispensable à l’émancipation ?

24
Le kiosque du square

Lorsque je fais mes courses, du moins dans mes histoires, je ne


vais pas dans les supermarchés géants mais dans un magasin "végé".
J’achète bio et local autant que possible et je paye mes courses avec
mes tickets restaurant de la coopérative de la Presse Pas Pareille du
kiosque Presse pour les gens qui ne sont pas trop pressés mais qui ne
sont pas paresseux pour autant…
Je n’utilise pas de sacs plastiques car je suis informé de ce que nos
merdes (nos déchets) provoquent. Je suis informé, conscientisé, alors
j’agis, c’est simple, non ?

Non, je déconne, le plastique, c’est pratique, et je fais mes courses


dans les enseignes qui obligent les éleveurs et les agriculteurs à se
donner la mort, mais à chaque fois, je me promets de faire mieux
demain… Le seul truc que je sais, c’est que j’y arriverai même si cela
demande du temps.
J’écris pour déguiser la réalité et pour déplacer les plots qui me
servent de repères dans mon parcours Santé / Mieux vivre / Vivons
heureux en attendant la mort.

Une petite promenade, juste histoire de prendre l’air et de


retrouver le sourire. La réalité, je vous la cache simplement pour ne
pas vous effaroucher et vous perdre ! Je vais faire comme si des
idées humanistes avaient pris le pas sur des théories simplistes, et
comme si le seul "complot" unanimement reconnu était celui monté
par l’homme contre l’homme, celui qui entraînait le réchauffement

25
de la planète et la disparition des espèces. Je vais faire comme si cela
ne faisait pas déjà un quart de siècle que l’on se sert la louche et que
l’on pond de belles déclarations lors des conférences sur l’effet de
serre, compensant par de la communication ce qui ne sera jamais
réalisé.
Je vais supposer que si deux restaurants se font face à face et que
l’un met du temps à servir les clients car le choix a été fait de
confectionner une carte exigeante, tandis que l’autre sert de la
"merde" mais avec un soin très particulier apportée à la présentation
et qu’il se targue d’être un lieu branché depuis qu’une star de la télé
réalité y a déjeuné, je vais émettre l’hypothèse que le premier
restaurant ne fera jamais faillite et que les gens finiront par le
fréquenter en masse. Je vais faire comme si les gens avaient du goût
du savoir-vivre, et l’esprit aiguisé et savaient faire le distinguo entre
la forme et le fond.

Imaginons un instant, que le front national plafonne à cinq pour


cent des intentions de vote, que les libéraux aient été balayé depuis la
crise bancaire et financière de 2008, que les kiosquiers soient tous
heureux de voir les lecteurs se détourner de la presse pour demeurés,
que Nice Matin réussisse à redémarrer sous la forme d’une Société
Coopérative d’Intérêt Collectif…
Avec un contexte si favorable, j’ai de quoi écrire des fariboles sur
le thème d’une révolution tout en douceur, sans violence, ni
catastrophes. Un changement radical dans nos modes de vies sans
même citer les zadistes et Cie, et du jour au lendemain, un grand pas
de côté…L’an zéro un "révisité " pour employer un terme à la mode.
je ne vais cesser de vous bassiner avec l’an zéro un, je préfère vous
prévenir !

Je ne vis pas pour l’écriture mais c’est parce que j’écris que je suis
en vie. J’ai envie de vous raconter ce qui s’est passé dans ma tête
pour que je devienne kiosquier et ce qui s’est produit avant et après
L’an quatorze de l’an Pépin zéro moins un et je retiens deux. Le
moment où tout a failli, failli …
Non, le moment où le monde a vraiment basculé …

26
Il ne faudrait surtout pas que j’aborde des sujets polémiques sous
peine de rebuter des lecteurs qui feront l’effort de me lire. Parler de
la souffrance animale, des animaux enlevés pour servir de cobayes,
des pratiques barbares de gavage, des bêtes élevées pour faire des
cols de doudoune, cela risquerait de heurter ceux et et celles qui
lisent pour se détendre. Parler de mon engagement à gauche, cela ne
peut que me desservir car les lecteurs qui seraient d’accord avec mes
convictions n’ont pas besoin qu’on leur explique une énième fois les
méfaits du libéralisme débridé et ceux qui pensent différemment
n’apprécieraient pas le mélange des genres..

Immédiatement en sortant de la Poste, après avoir réceptionné


deux colis début mai 2013 - des colis contenant mon livre "Pot
cherche cornichon" - j’ai proposé à la dame qui tenait le kiosque du
square Boyer, deux ou trois exemplaires, en dépôt-vente. Je lui
achetai le Canard enchaîné, Charlie hebdo, le Patriote, le mensuel
de la joie de vivre appelé "la Décroissance", L’humanité, Causette…
Je la trouvais sympathique, alors je me suis senti autorisé à lui
proposer cette belle affaire.
Elle a refusé, non pas parce qu’elle était contre l’idée mais parce
qu’elle avait donné son préavis. Le kiosque du square Boyer allait
fermer. Avant elle, il était resté huit mois clos. Il fallait être givré
pour tenir un kiosque de presse de nos jours !

L’étude de marché

Je me suis mis en quête de trouver un commerce de proximité, à


proximité de chez moi, pour commencer. Je n’ai jamais aimé perdre
du temps dans les trajets dodo-taf et j’ai trouvé un commerce dans la
rue d’à côté de chez moi ! La mise de fond pourrait bien
s’accommoder d’un compte en banque avec le solde en négatif avec
un peu de bol.

Il ne fallait pas faire n’importe quoi, il fallait savoir raison garder,

27
étudier rationnellement les données du problème, ne pas se précipiter
tête baissée dans n’importe quelle profession sous prétexte qu’elle
cadrait mieux avec l’étiquette d’écrivain que celle de factotum.

"La presse est un secteur florissant. Les Français achètent de plus


en plus de magazines, d’illustrés et de quotidiens. Certes, les
nouvelles technologies d’information et de communication (avec en
tête, notre fleuron, le minitel ) vont un jour révolutionner ce secteur
économique mais ce n’est pas demain la veille que les citoyens de
notre beau pays cesseront de feuilleter leur quotidiens favoris. Les
français savent que sans liberté d’informer il n’est point de véritable
démocratie. Comme l’a dit récemment, Raymond MALBARRE …."

J’ai finalisé une étude de marché pour convaincre la commission


d’attribution du bien fondé de ma demande. Je n’étais pas plus
fantaisiste qu’il ne le faut, j’étais un mec bien, un commerçant
honnête capable de vendre sans sourciller "Voilà", "Franche
Démenche" et autres revues cochonnes. Je m’étais inspiré d’un que-
sais-je sur la presse d’opinion acheté deux francs lors d’une brocante.
J’ai balancé des chiffres, des arguments mitonnés à l’Auguste.
Je les ai convaincu qu’il valait mieux m’enfermer dans un
kiosque, au moins, je ne ferais du tort à personne et je balayerai
chaque matin dans un périmètre de six mètres.

Je me suis donc lancé dans un commerce foisonnant : la presse.


Un commerce tout à fait adapté à la situation socio-professionnelle
d’écrivain. Une activité qui apporte son lots de contacts, permet
d’observer la vie de quartier, connaître le goût des autres. Un métier
indépendant de commerçant atypique que que je considère plus
comme une "mission" de service public que comme un moyen
d’enrichissement personnel. J’ai donc repris un des kiosques à
journaux de mon quartier. Je vais pouvoir rencontrer de vrais gens et
puis je vais surtout pouvoir vendre mes bouquins.

Je n’avais pas une thune, pas encore trouvé une deuxième activité
viable et régulière mais j’y croyais, je m’y voyais déjà et je m’y suis

28
tellement vu que j’ai fini un jour par avoir les clés de mon kiosque à
journaux.

Je savais que j’allais aimer ce travail mais j’ai compris de suite


que je plafonnerai à un taux horaire ridicule. Je ne m’en sortirai pas !
Je pouvais escompter trouver quelques clients pour faire de petits
services de bricolage une fois le kiosque fermé, mais c’était du
suicide économique. La seule option était de trouver un emploi à
temps partiel en après midi et en soirée. J’envisageais toutes sortes de
combinaisons : vendre des œufs bio, être relais colis d’un AMAP,
vendre des clés usb, me prostituer, vendre des articles de bazar que je
serais le seul à diffuser, faire de l’animation de quartier, devenir si
sympathique que les gens viendraient chez moi pour le sourire, faire
PMU, vendre de la barbe à papa ..

Des femmes !

Tous les matins, je voyais passer de femmes qui m’attiraient.. Des


toutes jeunes, des femmes plus âgées que moi. Des rondes, des
maigres, des petites, des longilignes, des bavardes, des taciturnes…
J’en voyais défiler ! Elles étaient là pour moi, je n’en doutais pas !

La jeune vendeuse en boulangerie a mis ses talons ce matin. Elle


m’a donc signifié qu’elle ne m’avait pas dans sa ligne de mire et que
son sourire enchanteur n’était qu’un joli rictus de femme positive
que je ne devais pas confondre avec un clin d’œil.
Fort heureusement, il y en a une qui est venu me voir. J’avais
discuté avec elle sur internet. Nous nous sommes parlés en direct
ainsi. Elle était légèrement plus âgée que la jeune boulangère, bof, à
peine d’une trentaine d’années, mais elle paraissait plus sensible à
mon charme, plus accessible…
Ce n’était sans doute pas ma femme idéale, mais c’était toujours
bon pour mon tableau de chasse aux papillons. Elle m’a d’ailleurs
demandé de retirer cette phrase, quel toupet !

29
J’aimais faire des rencontres, j’aimais le cul lorsque mon cerveau
restait connecté (parfois, il ne l’était pas, et là je m’ennuyais) mais je
n’appelais pas mes rencontres éphémères des plans cul car je ne
programmais rien et j’aimais parler avant et surtout après avoir baisé.

Le plombier "d’antan longtemps"

Le plombier couvreur m’a acheté Nice matin, et avant de rentrer


chez lui, a discuté avec moi pendant une heure, au moment où je
devais faire mes paquets d’invendus. Comme cela intéressait
l’écrivain qui sommeille en moi, j’ai fait mes colis plus tard et j’ai
fermé à 14h30 au lieu de 13 heures. Cela ne m’a pas tué.

Il m’a expliqué qu’il avait eu trois patrons dans sa vie dont une
patronne qui s’y connaissait pour de bon en plomberie. Il avait
toujours été grande gueule et indiscipliné. Impossible de lui
demander s’il était de droite ou de gauche car un kiosquier ne doit
pas faire de politique. Un kiosquier fait du commerce !

Je cherchais à comprendre pour quelle raisons on travaillait de


manière plus soigné dans le Bâtiment autrefois. Les gens aimaient
leur métier, ils en chiaient mais ils étaient plus heureux, me semble-
t’il. En tant qu’homme de gauche occupant des emplois de
subalterne, je trouve que le progrès qui consiste à avoir plus de temps
libre, plus de loisirs, c’est bien. Enfin c’était bien, à une époque, " çà
eut payé", quoi !
En tant qu’artisan et vendeur de presse indépendant, je trouvais
que cette civilisation du loisirs était à vomir.
Les gens ne lisaient plus les journaux mais des journaux caffis de
pubs et de ragots. Les matériaux s’allégeaient, les outils se
perfectionnaient mais les gens n’aimaient plus ce qu’ils avaient à
faire. Et moi j’aimais un métier en voie de disparition. Et j’allais
crever à moins de …

30
31
Faire l’article coûte que coûte

Je voulais être lu ! J’étais bien décidé à jouer au VRP quitte à


taquiner mon intégrité morale.
Mon mail envoyé à la rédaction de Nice Matin a débouché sur une
interview avec une vraie journaliste qui m’a ensuite tiré le portrait
avec un vrai appareil photo. Je ne lui ai pas parlé politique. J’ai
essayé, même si j’ai été mauvais, de lui montrer à quel point j’étais
un véritable écrivain !

Je savais l’enjeu que représentait la parution d’un article. C’était


le pied à l’étrier, le ticket d’entrée pour aller démarcher, les mains
dans les poches et en sifflotant "O solé Mio", les libraires
indépendants. Ils venaient de se fédérer pour faire face à la
concurrence malsaine de mastodontes comme Amazon en créant une
coopérative littéraire 2.0.

Le seul fait d’avoir tenté le coup m’apportait déjà un motif de


satisfaction.
Que j’aie ou pas donné envie à la journaliste d’écrire un article
passait au second plan. J’avais fait un pas en avant, j’avais osé et
c’est ce qui m’importait.

Je n’avais pas tout raconté ! Je n’avais pas occulté certains


aspects peu reluisants sans pour autant noircir le tableau. J’avais été
correct, honnête. Si je lui avais dit qu’il y a quelques années en
arrière, j’avais vécu en caravane et que je bossais tout en préparant
un concours, je l’aurais intriguée, peut être même intéressée. La

32
vérité, c’est que je me suis installé dans une caravane pendant
quelques mois mais j’étais sur un terrain familial, et j’avais l’eau, le
chauffage, l’électricité et accès à la salle de bains, bref pas vraiment
dans le trip du "poète maudit".
Je ne lui ai pas parlé de ma garde à vue ni de tout ce qui aurait pu
intéresser le lecteur de la rubrique faits divers, non le seul message
que je voulais faire passer était que je ne me prenais pas pour un mec
au dessus de la mêlée. Je ne me prenais pas pour un intello mais
j’étais curieux et je m’intéressais plus à la politique qu’au sport.
Je pensais au sexe mais il n’y avait pas plus de cul dans mon livre
que dans l’émission préférée de ma mère "les zamours" ou dans les
sketchs des humoristes actuels qui gravitaient dans la comète
Télévision. Je n’étais pas cohérent et exemplaire mais j’étais fidèle à
mes convictions. Je n’étais pas prêt à faire trop de concessions quant
à la forme. Je voulais simplement expliquer en quoi un mec ordinaire
devait se sentir impliqué dans un renouveau idéologique car le
libéralisme nous dépossédait et nous confisquait le pouvoir
démocratique à force de nous rendre bêtes et stupides. Je m’étais fait
piéger aussi et j’avais envie d’aborder le sujet, quitte à gaver
quelques lecteurs.

Et c’est là que je me suis vautré par excès d’optimisme ! On peut


le déplorer, on peut faire comme si, mais on ne sait plus penser par
nous mêmes. Nous, les occidentaux non exclus, vivons dans un
monde libre et pouvons accéder à l’information, mais jamais nous
n’avons été autant conditionnés !
Nous ne sommes plus maîtres de nos grilles d’analyse. Il faut
plaire à tout prix et pour plaire il faut répondre aux présupposés
idéologiques.

Pendant deux semaines, j’ai guetté la parution de l’article. La


journaliste m’avait pourtant dit que cela pouvait prendre du temps et
qu’elle en pouvait pas me dire quand l’article paraîtrait, s’il paraissait
un jour. J’ai acheté trois numéros du Nice Matin ancienne formule
(avant le passage en SCIC) et puis je me suis ravisé. Je verrais bien si
mon livre lui avait plu ou pas et si l’article était publié, je le verrais

33
bien à l’impact local qui en résulterait (ma boulangerie, la caissière
du magasin de bricolage, mes voisins abonnés à Nice matin etc…).
Un sourire plus appuyé signifierait que j’étais passé à la postérité,
que j’avais basculé dans le camp des écrivains localement connus
une fois dans l’année.
Cela me fit penser à mon état d’esprit lorsque Laetitia
l’overbookée me promettait de semaine en semaine que l’on allait
manger ensemble… J’étais toujours sur le qui-vive, à attendre un
événement qui ne se produirait pas.
Je ne voulais pas être inféodé à quoi que ce soit. Je devais certes
prendre des initiatives, ne pas tout miser sur le hasard, actionner
quelques leviers mais cela marchait mieux lorsque je ne prenais pas
mes vessies pour des lanternes.

Je n’avais plus les moyens d’aller prendre mon croissant-café-


journal à la boulangerie pour feuilleter l’édition du jour. Je fis plus
simple, je devins kiosquier.

J’avais eu une réponse favorable de la commission d’attribution.


J’allais pouvoir faire une activité qui me plaisait, à deux pas de chez
moi, vendre des magasines, vendre Nice matin, vendre mon livre et
développer ma deuxième activité l’après midi de service de
proximité. J’étais comblé. Je m’y voyais déjà, avec mes présentoirs
fait maison en chêne et en acier blanchi. Avec la petite table en bois
et les jeux en bois pour les petits, «La Décroissance » en évidence,
« Causette » qui recouvre légèrement « Voici », avec mes morceaux
de ficelles pour les paquets d’invendus. Je savais que ce travail de
commerçant de proximité pourrait me plaire.

J’allais glisser un ou deux "psychologies" ou "philosophie


magasine" dans les présentoirs de journaux glauques soit disant
divertissants. Les journaux qui prenaient les gens pour des cons
inguérissables. Je devrais vendre tous ces journaux au nom du
pluralisme de la presse, j’acceptais les règles du jeu de la comédie
jouée par une société de diffusion avec laquelle je devrais traiter, le
Marquis.

34
En attendant de révolutionner le métier de distributeur de presse,
voire même de gagner ma vie en vendant des canards, la réalité, à
travers la consultation de mon compte en banque en ligne, voulait
mettre son grain de sel. Avec quoi allais-je compléter cette source de
revenus ? Allais-je trouver des clients ?

J’imaginais toujours des moyens légaux de faire la une.

En tentant de dynamiter le rayon presse de Monoprix, il


déclenche les spinklers et se fait plaquer au sol par le vigile vigilant.
Il s’engage à rembourser les dégâts grâce aux bénéfices réalisés par
la vente de ses livres

Comment pouvais je penser raisonnablement que j’allais profiter


du kiosque pour vendre mes livres ? Je n’étais même pas fichu
d’avoir trois lignes dans le journal local ! Je m’étais promis de
prendre mes bouquins sous le bras, et d’essayer de trouver des points
de vente. Seulement, je n’osais pas et j’attendais que cela tombe du
ciel. Je deviendrais une commerçant et je ferais comme tout le
monde, je vendrais tous les magazines et illustrés existants, sans parti
pris. Je vendrais aux gens ce qu’ils aiment, tout ce qu’ils aiment. La
seule concession que je ne ferai jamais, c’est de me plier à leurs
goûts lorsque j’écris.

35
Un matin d’écrivain du quotidien

Animalier / Animalière de laboratoire


( Code Métier ROME A1408)
CENTRE DE RECHERCHE UNIVERSITAIRE RECONNU
RECHERCHE UN TECHNICIEN ANIMALIER POUR
COMPLÉTER UNE ÉQUIPE DE 6 PERSONNES. ANIMALERIE
RONGEURS, ENTRETIEN DES ANIMAUX, DU MATÉRIEL ET
DES LOCAUX. FORMATION ASSURÉE. CONTRAT
RENOUVELABLE
Lieu de travail :
06 - NICE

Vivisection, non merci !


Je n’ai pas envie de faire ce genre de trucs ni de travailler dans un
abattoir, ni faire l’employé de libre service ni de me lancer dans le
télémarketing. Je n’ai pas envie de participer à tout ce qui me
dérange, tout ce qui porte atteinte à ma conscience politique.
Évidemment, il ne reste plus grand chose.

Je devrais accepter le monde tel qu’il est et me contenter des


boulots proposés, par les temps qui courent.

J’avais cru, naïvement, que le progrès technique allait servir à


s’user moins la santé au travail, à produire tout ce que l’on avait
besoin sans gêner les générations à suivre, que l’on aurait plus de

36
temps pour se cultiver et que l’on ne se ferait plus détrousser sa vie
pour des gens sans scrupules.

Je pensais qu’il fallait faire des efforts, pour surmonter la crise. je


pensais que nous étions tous en train de bouffer de la vache enragée,
de faire cause commune et puis je me suis rendu compte que ceux
qui se serrent la ceinture le font pour des gens qui se moquent d’eux.
S’il s’agissait de se restreindre pour polluer moins, gaspiller moins
de ressources épuisables, mais non il s’agit juste d’aider ceux qui
sont engagés à fond dans une fuite en avant pour protéger
uniquement leurs intérêts. Du bien commun, de la chose publique, ils
s’en balancent.

Le fait de travailler dans des tas d’endroits différents me permet


de rencontrer des gens qui ont une vie plus intéressante que la
mienne, plus mouvementée dirons-nous. Quelqu’un qui a réussi mais
qui n’a fait que suivre une ligne droite bien balisée ("fils à papa"
dans le pire des cas ) je m’en fous carrément, mais quelqu’un qui a
"plusieurs vies" dans sa vie m’intéressera.
Une personne qui a eu une ou des bonnes idées, qui a expérimenté
plusieurs choses dans son parcours, qui a pu se planter,
recommencer, plonger, resurgir, pourra me donner matière à écrire
des histoires. Les pleurnichards, les gens qui se sentent en insécurité
permanente, les colosses de la "loose, les indécis immatures et
compagnie ne m’intéressent pas car je sais suffisamment ce que
c’est.
Ce qui compte ce n’est pas tant ce que l’on a vécu, c’est aussi la
façon dont on le raconte. On peut faire des histoires qui touchent à
l’universel si l’on fait autre chose que de raconter sa propre vie dans
sa dimension la plus étriquée. Par ailleurs, on peut peut toujours polir
des faits ordinaires.

Chaque matin, je me lève de très bonne heure. Si je suis dans la


semaine où je fais le chauffeur, je dois partir de chez moi entre 5h30
et 6h45 selon la tournée que j’assume. Je me réveille en ce moment à
5 heures. Je caresse mon chat (comme Brassens), bois l’équivalent

37
d’une cafetière (comme Balzac) et je regarde les offres d’emploi
envoyées sur ma messagerie pendant la nuit par Pole emploi (comme
beaucoup). Je regarde les offres, mes mails, je me connecte sur les
sites de recherches documentaires qui m’ont permis d’écrire Pot
cherche cornichon (PCC), à savoir Badoo, tchatche, facebook et
j’écris si l’inspiration est là. En principe, l’intention du soir de
fignoler un devis, un plan ou dresser une liste de fournitures s’est
évaporée dans la nuit.
Rien ne sert de se précipiter !

Lorsque je ne travaille pas comme chauffeur, je me lève à 6 h30


mais je ne pars pas de chez moi avant 9 heures sauf pour des clients
qui pensent que l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt.
Comme disait Coluche, "l’avenir appartient à ceux qui ont le
veto".

Après avoir effectué le ramassage scolaire du matin, je n’ai pas pu


dormir une heure comme je fais habituellement car j’avais rendez
vous avec une lectrice qui voulait m’acheter mon livre. Je suis passé
à l’école de coiffure prendre rendez vous pour une coupe de cheveux,
j’ai déposé deux chèques et j’ai fait quelques courses.

J’ai regardé la première page de Nice matin et j’en ai acheté un


car ils titraient sur la révolte des auto entrepreneurs (que je ne
soutiens pas : Les artisans ont raison de demander un niveau
d’exigences à ceux qui s’auto proclament ouvrier du bâtiment) et
lorsque que j’ai vu en haut à droite de la première page : Festival du
livre de Nice : Qui sont ces écrivains niçois méconnus ? j’ai failli en
acheter dix exemplaires, pour mes archives et pour ma promo, mais
il s’agissait du portrait de sept écrivains niçois, or moi, je ne suis que
niçois d’adoption, et mon heure n’est pas arrivée…

Allais-je pour autant me laisser aller à l’amertume ? Je n’avais pas


l’intention de renoncer à aller à la rencontre avec mes lecteurs.
Après avoir bu un café et discuté avec mon "acheteuse de livre",
j’ai piqué un mini roupillon avant d’aller, ce que je ne n’avais pas fait

38
depuis longtemps, déjeuner à la Dominante, un de mes restaurants
préférés. J’en ai eu pour 15 euros, la somme que je venais
d’empocher.

Cette matinée, je ne l’ai pas vécu comme un auto entrepreneur


débordé mais comme un écrivain tombé du nid et j’ai déjeuné
comme un écrivain qui n’a pas à se soucier du lendemain.

Ensuite, je suis allé bosser et le soir en rentrant, au lieu d’écrire,


j’ai regardé un DVD sur l’histoire du salariat, d’Anne Kunvari, et j’ai
bullé sur internet.

Le documentaire montre bien que la condition des ouvriers s’est


nettement améliorée. Évidemment, cela ne s’est pas fait sans heurts
et sans luttes…
Des hommes, à une époque, engagés dans la gauche modérée, ont
contribué, après quelques conquêtes sociales, à réhabiliter
l’entreprise. Je pense par exemple à Bernard Tapie qui montait les
escaliers en courant dans l’émission qu’il présentait "Ambitions " à la
fin des années 1980. On a ainsi réhabilité les ambitions personnelles,
la réussite individuelle, l’argent.
La société s’est dépolitisée, les gens se sont mis à moins gueuler,
et à consommer plus. Depuis une vingtaine d’années, mine de rien,
tous les thèmes fédérateurs de luttes sociales (le temps de travail, la
retraite etc…) sont passés sur le billot. Les gens disposent
généralement de plus de temps libre, plus de temps pour se divertir
ou se cultiver, travaillent plus en sécurité, mais ne le font plus
sereinement et avec passion. Les gens en ont marre !

J’ai ensuite visionné un autre documentaire : La mise à mort du


travail avec en sous titres, dans le genre j’annonce la couleur : La
destruction, l’aliénation, la dépossession. Comment les logiques de
rentabilité pulvérisent les liens sociaux et humains. Un film de Jean-
Robert Viallet sur une idée originale de Christophe Nick.

J’ai appris que dans notre pays de fainéants, vu du fauteuil

39
relaxant du PDG, que nous étions, mine de rien, au troisième rang
mondial en ce qui concerne la productivité horaire (derrière la
Norvège et les Etats Unis). On comprend facilement que les
méthodes et l’organisation du travail à l’origine de cette
performance, induisent des problèmes graves de santé au travail
(troubles musculo-squelettiques entre autres) et de violence
psychologique. Et là, le jeune poète s’est demandé : Mais pour qui et
pourquoi et pur encore combien de temps ?

Et le citoyen que la politique démange, s’est dit : quand est -ce


qu’on s’arrête ? On sort quand les bâtons ?

Un lundi d’une semaine ordinaire, j’ai eu deux heures de temps


réellement productif dans ma journée, disons trois pour être gentil.
J’ai gagné vingt cinq euros, pas de quoi pavoiser ! Je les ai mis dans
ma poche et en dégainant mon téléphone, j’ai perdu mes deux billets.
Cela a gâché ma journée, comme quoi les temps sont durs. Dans les
années Tapie (la force tranquille etc etc..) je ne me serais pas soucié
d’une telle perte. Je n’aurais pas laissé cette pensée parasite le temps
de s’installer. J’aurais agi en homme d’actions.

"Encore une journée de foutue" comme le chante Jacques


Higelin !

Cela fait deux mois que je me dis, in petto,"Tiens, je vais faire


ceci cela pour ma promotion". Il ne suffit pas d’avoir fait imprimer
cinquante exemplaires, il va falloir les écouler ! C’est devenu facile
d’être publié, être lu, c’est une autre paire de manches.
Ai-je envie de rester indéfiniment écrivain mondialement
inconnu ?
Je voulais démarcher des commerçants de quartier, des libraires,
des kiosquiers, écrire une lettre au conservateur de la médiathèque
pour savoir ce qu’il est advenu de l’exemplaire de mon livre que j’ai
offert, relancer Nice Matin au sujet du portrait d’un écrivain
mondialement inconnu… Je ne dois pas rester planté, à me lamenter

40
après une série d’échecs. Mon avenir en dépend.

"Encore une journée de foutue" comme le chante Jacques


Higelin !

J’oscille toujours entre la rêverie de l’internaute solitaire qui perd


un temps inouï sur les messageries - alors que lire un bon livre lui
procure bien plus de plaisir - et les tracasseries de l’autoentrepreneur
fauché qui doit trouver un emploi ou des clients.

Je prends au sérieux mon boulot d’écrivain. Lire le journal,


marcher, écouter, me documenter, vivre les yeux ouverts… Cela fait
partie d’un art de vivre qui demande un long entraînement. Je vis la
plupart du temps comme un écrivain en dilettante, peu crédible, pas
assez constant dans l’effort.
Lorsque je lis mon hebdo ou un bouquin, assis sur un banc, à deux
pas de chez moi, j’ai l’impression d’être, "un parmi les autres", mais
un qui agit et raisonne comme un auteur. Lorsque je participe à une
manifestation citoyenne, je ne suis qu’un homme ordinaire qui est en
plein dans le monde réel. S’il m’arrive un truc un peu rigolo ce jour
là, comme par exemple tomber du haut d’un mur en m’ouvrant
légèrement le cuir chevelu mais surtout en me payant un gros
hématome sur la fesse droite, je vais, comme tout bon crétin
respectable, essayer de me faire plaindre par mes proches, en profiter
pour buller deux jours mais de fil en aiguille, je vais toujours penser
à une histoire. Je vais la construire dans ma tête dans un premier
temps. Bon souvent, je finis par trouver mes idées de départ sans
grand intérêt et je passe à autre chose.

L’effort librement consenti rend libre (Louis Nucéra)

Je voulais que mon kiosque reste ouvert. Ce n’est pas moi qui
déterminait ce que je devais vendre. Mon fournisseur, le Marquis,
choisissait les quantités et les titres.
Il s’est déroulé de longs mois au cours desquels j’ai voulu agir

41
normalement comme tout le monde, enfin comme tous les petites
gens qui n’ont plus le choix. Alors, j’ai considéré que ce qui comptait
c’était de tenir le coup, et que je devais transformer mon kiosque de
journaux en un centre de profits, élaborer "un concept kiosque store
loundge dédié aux lecteurs sénior" pour leur bien-être bien
évidemment mais qui ciblerait leurs désirs compulsifs de
consommateur et qui déclencherait l’ouverture du porte monnaie.
S’il fallait pour cela vendre des magazines bien emballés et avec des
gadgets en plastoc, comme à la belle époque de pif gadget, je suivrai
la tendance. J’étais prêt à tout pour réussir.
Lorsque vous êtes à votre compte, payé à la commission, votre
esprit critique peut s’émousser.

Il suffit de mettre « concept » pour que cela fasse intelligent, il


suffit de changer les mots pour que la réclame soit moins agressive,
la manipulation moins perçue. Le libéralisme a réussi la performance
de nous rendre heureux d’être pris pour des cons. Nous consentons à
nous déposséder de notre esprit critique.

Si vous contestez, vous êtes négatifs, vous serez alors mal perçus,
mis sur la touche. Nous devons être positifs, aller de l’avant, accepter
les changements et ne pas craindre la modernité. Les clodos ont un
portable et un poste radio alors de quoi se plaignent -ils ? Les gens
ont les RTT et des conditions de travail moins dures et moins
dangereuses que dans le passé. Avant, c’était mieux ?

Il y a encore quelques années, une personne avait une idée, il se


démenait pour trouver des financements, pour mettre en place un
processus de fabrication, une stratégie de distribution. Il se battait
pour donner corps à son idée et s’il devenait riche, il avait au moins
créé de la valeur et donné du travail à des ouvriers, des magasiniers,
des commerciaux, des subalternes, des cadres. Ce qui était inventé et
commercialisé n’était pas forcement indispensable, utile et sans
impact sur l’atmosphère mais cela restait à dimension humaine,
contrôlable et l’on pouvait encore stopper les machines.

42
A présent des excités de la calculette s’amusent sur le dos des
cobayes-consommateurs-producteurs en spéculant sans se soucier des
répercussions sur l’économie réelle. On ne peut plus rien faire. Enfin,
si vous tenez à être "positif", vous devez penser qu’il n’y a rien de
mieux à faire que d’aller toujours en avant car "qui stagne régresse
et qui philosophe, paresse."
Celui qui tente d’avoir un regard critique sur toutes les "avancées"
que l’on nous vend à coup de slogans passe pour un rétrograde, un
vieux con. Il est plus simple de se foutre de tout et de profiter du
temps présent.

Tous les accords (TAFTA et cie) négociés plus ou moins par des
représentants politiques et des experts en catimini nous enferrent
encore plus dans un ordre immuable qui ne pourra cesser par des
amendements démocratiques car l’avenir est juridiquement
cadenassé, mais par sa totale disparition. Seul un élan populaire nous
autoriserait à reprendre la maîtrise de notre destin commun. Allons-
nous y parvenir en agitant nos pancartes en carton ? Allons-nous
infléchir le cours de l’histoire en organisant des conférences ?
Pour ma part, j’ai eu un début de prise de conscience que le
monde enchanté décrit par la télévision n’était pas tout à fait le
monde réel dans lequel j’aurais à me dépatouiller par le biais d’une
affiche exposée à la bibliothèque du lycée et grâce à une série de
conférences organisée à la fac de lettres sur les limites de la
croissance à toute zingue (Ingmar Granstedt, René Dumont etc…)
Je ne vois pas d’autres moyens de changer les mentalités qu’en
informant, qu’en encourageant les braves gens un peu endormis à
ouvrir les yeux (et à relire l’allégorie de la caverne de Platon s’ils en
ont envie…).

J’ai participé, parmi une centaine de personnes à une action


théâtrale (un happening) dont l’enjeu était de dénoncer les conditions
de l’expérimentation animale. Nous étions plus d’une centaine,
jeunes et vieux mélangés et ce fut un franc succès dans le sens où
l’objectif d’être vu et photographiés a été largement atteint. Ces
photos sont diffusées sur les réseaux sociaux. L’organisation était

43
très efficace. Ici, il n’était pas question de distribuer des tracts qui
allaient s’entasser dans les poubelles mais il y avait une table
d’informations pour répondre à toutes les questions aux alternatives
existantes car bien évidemment, il ne s’agit pas seulement d’être
contre. Il y avait du matériel mais qui est ré-utilisé à chaque
évènement (pancartes en carton plume, affiches dignes de ce nom,
combinaisons de peintre…)
Une action bien menée comme celle-ci touche plus de personnes
qu’un défilé de centaines de manifestants braillant des slogans car la
dimension artistique, la performance, est reconnue et il est plus
gratifiant de participer à une action qui s’avère efficace que de pisser
dans un violon en faisant acte de présence à un cortège. Je crois que
la transition se fera plus avec l’appui des artistes qu’avec celui des
pro de la politique.

Comme d’habitude, les gens qui circulaient ce samedi après-midi


avaient parfois des réactions qui me poussent à croire que l’on a beau
sacrifier et torturer des animaux, on ne trouvera jamais de remèdes
chimiques contre l’ignorance crasse.
Néanmoins, les réactions du public étaient moins déprimantes que
celles entendues le matin même devant le stand du front de gauche
où nous distribuions des tracts appelant à manifester contre
l’austérité, en fait, contre la politique menée par les socialistes au
pouvoir. Les gens reprochent aux militants actifs (dont je ne suis pas
car je ne suis pas à l’aise dans la rue) d’avoir contribué à l’accession
au pouvoir du fossoyeur des derniers espoirs des républicains de
gauche. L’ancien président incarnant la droite libérale orthodoxe,
s’excite et le front national se frotte les mains. Les braves gens de
gauche se font pratiquement insulter par les passants du marché de la
Libération qui nous cracheraient à la gueule s’ils le pouvaient.

Le seuil critique de passivité et de résignation a été atteint.


Comment je le sais ? En observant mes clients. Et puis, je ne vaux
pas mieux puisque j’ai aussi courbé l’échine.
Quelques années auront suffi ! Les abrutis de mon acabit se sont
d’abord défoulés sur les forums internet de rencontres ou de

44
discussions en tous genres. Tout le monde pouvait mener ses propres
investigations, colporter des rumeurs, dénoncer en masse un pauvre
type et puis on a commencé à le faire en parlant à table, à se monter
les uns contre les autres, à se calomnier, à se sentir en danger, à se
considérer en guerre contre les autres et à ne plus oser bouger pour
sauver le système. Le résistant est devenu un sale type. Les gens ont
osé être bêtes au grand jour ! Place réservée à la légèreté désormais !
Les gens s’adaptent, et même ont l’air de trouver cela normal. Les
gens ont l’air heureux tant que l’on peut les distraire.

45
Une matinée de sombre couillon

Je suis allé à la Poste mettre à la boite un chèque pour un labo


d’analyses et expédier un livre, mon "Pot Cherche Cornichon", à
André ROLLIN, du Canard enchaîné.
En sortant, je suis passé devant la mendiante roumaine avec son
bébé, et je n’ai pas répondu à son bonjour. J’ai fait l’écrivain distrait
mais en fait je me suis comporté clairement en qualité de mecton
ordinaire indifférent aux souffrances des autres.

Je lui avais donné deux euros la semaine précédente car je la


trouvais jolie et j’étais de bon poil, mais une fois je l’ai vu se faire
engueuler par son mec qui avait une sale tronche de gigolo. L’auto-
entrepreneur ne peut pas aider les plus pauvres que lui.
L’écrivain ne m’accompagnait pas car il aurait filé une petite pièce
qu’il destinait à l’achat d’un croissant enfin non, il aurait fait les
deux car un écrivain se fout pas mal des tracas du lendemain. Un
écrivain aurait supposé que cette jeune maman instrumentalisait son
enfant pour attirer la compassion mais qu’elle n’avait pas d’autres
choix.
Parfois, je suis vraiment fermé et bizarre ! Je suis "coincé" comme
disent les jeunes.

Je suis allé manger mon croissant et boire mon café. J’aime bien
l’endroit, surtout quand il y a la vendeuse qui me plaît beaucoup mais
je sais que je suis trop vieux pour elle alors je me contente de la
regarder. Ce matin, je n’étais pas à la hauteur.

46
Je devais partir avant 10 heures pour faire des travaux pour ma
mère, et je ne suis parti, en vélo, qu’à 11 heures trente.
Tandis que je pédalais, j’imaginais ce que je pourrais manigancer
pour faire les titres de la presse locale :

En cherchant à souder le rideau métallique de Monoprix,


il prend feu accidentellement .

Hospitalisé aux services des grands brûlés, Monsieur Picrate,


écrivain localement inconnu, soudeur amateur et menuisier raté, a
brusquement pris feu alors qu’il commettait un acte de vandalisme
suite à un conflit l’opposant au Directeur de Monoprix. Son slip en
lycra a littéralement fondu.

Il loupe le record mondial de danse de limbo tout nu sur place


publique.

M. Picrate qui entendait faire parler de lui, s’est fait très


rapidement embarqué par la police hier en fin d’après midi, place
Garibaldi. Alors qu’il était filmé avec un téléphone portable par
l’une des ses amies, il s’était entièrement déshabillé et procédait à
son échauffement lorsqu’une brigade l’a facilement maîtrisé.

Des matinées ou des journées ordinaires de tocard, je pourrais en


aligner des pages. Parfois je pars de chez moi avec l’œil vif de
l’écrivain et je rentre avec la mine du chien battu.

J’ai vu un punk à chien courir après son cleps. Je lisais le journal


assis sur un banc, dans un square, après avoir fait mon marché. Le
chien le narguait et avait clairement envie de jouer. Le punk sentait
bien qu’il perdait la face et qu’il avait l’air ridicule à courir sa bière à
la main. Nous étions plusieurs écrivains à l’observer du coin de l’œil
(je suppose que toutes les personnes qui viennent s’asseoir sur un
banc après avoir fait leur marché sont des consœurs et confrères qui
cherchent l’inspiration). Finalement, c’est son collègue moins bourré

47
visiblement qui a réussi à récupérer le chien, et là, il s’est passé
quelque chose car le punk qui riait à moitié - mais avait la haine
d’avoir perdu la face - a dû sentir tous les regards braqués sur lui car
il a donné une toute petite tape à son chien et a pris le parti d’en rire.
Le chien avait l’air de dire : "Je suis vraiment tombé sur un maître
con ! Soit je me coltine cet abruti toute ma vie, soit il va me vendre
au plus offrant et allez savoir sur qui je vais tomber ! Peut être un
merdeux qui m’utilisera comme chien de combat "

Et voilà encore une journée vite passée ! Le seul acte que j’ai fait,
digne d’un écrivain, c’est de m’être installé sur un banc public pour
lire mon hebdomadaire. Ne me croyez pas assez bête pour vous dire
qu’il s’agit de Politis car je n’ai pas envie que l’on me colle le patch
"de gauche", sur le front !

48
Je regarde passer le tram

Le kiosque est ouvert depuis déjà un mois. Je peux donc procéder


à l’étude de marché a posteriori.

La situation géographique

L’emplacement m’a tout de suite plu.

Protégés du soleil par des oliviers majestueux, les bancs en bois


verni garantis sans chewing-gum et sans graffitis, accueilleront sans
faiblir vos fesses, le vent caressera vos cheveux et vous pourrez voir
passer les tramway qui s’arrêtent un peu plus loin, là où un kiosquier
plus malin que vous a ouvert son troisième établissement, si l’on s’en
tient aux "on dit"… Malheureusement - oui malheureusement, car il
est si tentant de se laisser aller à la facilité - depuis que "vous
travaillez dans la presse", vous ne pouvez plus vous permettre de
colporter des ragots, des informations transmises oralement qui n’ont
pas été vérifiées par quelqu’un qui utilise des méthodes enseignées
dans des écoles, vous ne pouvez plus agir en brebis qui hurlent avec
les loups, vous devez agir avec tact et prendre du recul. Vous devez
agir en professionnel de l’info !
De la prochaine guerre mondiale à la mystérieuse disparition du
trousseau de clé de telle ou telle "very importante personnalité" qui a
inventé la poudre aux yeux et le fard à paupières, plus rien ne doit
vous échapper désormais !

49
La jolie kiosquière qui va ouvrir à la station de tram suivante, ne
va pas vous faire perdre votre clientèle car ce n’est pas tant une
question de distance géographique mais une question d’habitudes. Si
les gens vous ont à la bonne et vous ont inscrit sur leur itinéraire, et
que vous avez toujours de la monnaie, le sourire, et les journaux
qu’ils veulent, ils continueront à venir vous rendre visite et à vous
faire travailler. Après avoir discuté avec la kiosquière, quelques mois
après, il s’avérera que tout ce que l’on m’avait raconté sur son
compte n’était que pures productions d’esprits limités, de racontars
de petites gens racistes du front bas qui se croient au dessus de la
mêlée qui aiment bavasser et dénigrer.

Les gens ne vous pardonneront pas le moindre relâchement. Vous


devez être calme, disponible, souriant, propre et crédible. Les gens
n’aiment pas vous voir discuter avec des gens qu’ils ne connaissent
pas, n’aiment pas si vous écoutez la radio trop fort, n’aiment pas que
vous reluquiez leurs femmes. Les gens veulent que vous vous
donniez un peu de mal pour vous apprécier et vous rester fidèles et
vous pensez qu’ils ont bien raison. C’est par votre sérieux, votre
disponibilité et par votre travail que vous bâtissez votre crédibilité.
Une fois les portes du kiosque fermées, vous pouvez laisser libre
court à votre imagination, lâcher la bride au fantaisiste et chier un
bon coup sur les cons.

Vous pourrez faire coucou de la main aux voyageuses, elles vous


souriront ou vous snoberont, mais ne comptez pas qu’elles
descendent du tram en marche. Du point de vue du piéton qui n’est
pas trop pressé de mourir (un bon vivant, quoi ! ) votre kiosque est
idéalement situé. Du point de vue du boutiquier - car vous êtes là
aussi pour payer votre loyer - vous auriez été mieux placé quinze
mètres plus loin, juste en face. Vous n’aurez donc pas besoin de
recruter un expert comptable et d’acheter une caisse enregistreuse
perfectionnée car votre affaire va péricliter. Vous savez que vous
avez la corde au coup mais vous en foutez car vous n’êtes pas un
gestionnaire aguerri.

50
Niquette à la médiathèque

Je savais que j’allais passer une journée de merde.


Déjà, le temps était menaçant et dans ces cas, en bon père de
famille, je dois protéger mes petits journaux. Les clients frileux ne
viennent pas, je passe mon temps à accrocher mes bâches avec mes
pinces à linge multicolores et je ne vois pas la journée passer.
Ce matin, j’ai décidé d’ouvrir en grand et que la pluie attendrait
que je sois parti. Et elle a attendu !

J’ai eu la visite de Niquette qui a dépensé un euro pour le journal


local. Je la connais depuis des années. D’habitude, elle préfère le
feuilleter ou aller à la médiathèque le lire à l’œil. Elle est restée une
demie-heure. Je dis rien car j’aime bien la voir et j’aimerais bien
l’avoir (me la sauter, quoi, soit dit entre nous )

Un peu plus tard, j’ai eu le passage éclair de "la dame aux


bracelets " qui m’achète, de temps en temps, le Figaro. J’aimerais
bien entendre le doux cliquetis de ces bracelets au cours d’une bonne
levrette, mais je garde bien de le lui dire. En attendant, je me
contente de lui vendre mes journaux. C’est que je suis un honnête
commerçant avant d’être un galopin.
Pour les travaux, c’est idem. Je garde toujours une certaine
distance, je feins une froideur car il n’est jamais bon de mélanger le
plaisir et le "trepalium".
Je les regarde défiler. J’adore quand elles ont la robe qui leur colle
aux fesses. On voit la démarcation de la culotte et je laisse libre cours
à mon imagination.
Je ne pense souvent qu’à baiser. Baiser et vendre des journaux.
Baiser et écrire. Baiser et faire la une du canard local :

Un mari jaloux lui tire dessus avec son arbalète. Le kiosquer


du square Boyer s’en sort indemne, la flèche est déviée de sa
trajectoire grâce à son présentoir de mots croisés.

51
Pour m’occuper l’esprit, je dresse une typologie de ma clientèle de
quartier. Les gens ne sont pas méchants mais ils sont nostalgiques et
font ainsi la haie d’honneur aux néo fascistes.
Cette appréciation peut satisfaire un commerçant mais pas un
écrivain alors je vais essayer de creuser un peu et déterminer pour
quelles raisons je me sens proche, malgré nos divergences, de mes
clients de droite.

Qu’est-ce qui explique que j’éprouve de la sympathie pour la


dame aux bracelets ? Elle ne pense pas comme moi, elle pense mal,
elle !
Que son charme agisse sur moi pourrait expliquer une inclinaison
à laisser paresser l’homme engagé, l’homme de gauche, donc
l’homme idéal qui ne se trompe jamais. Mais alors, comment se fait-
il que j’apprécie les clients pour lesquels le rapport de séduction ne
peut être qu’intellectuel, ceux qui n’hésitent pas à afficher des
convictions de droite pure et dure, comme pour le Général qui
m’achète une revue sur les armes, pour l’ancien animateur de jeux,
pour l’ancienne gloire du football? Serais-je devenu d’une neutralité
à toute épreuve en bonne conformité avec la déontologie des
diffuseurs de presse ? Je n’ai pas eu besoin de forcer ma nature pour
privilégier le pluralisme et respecter les clients en tant que personnes
libres et responsables.
Alors, de la même façon que je ne cacherai pas les Charlie hebdo
et autres publications conformes à l’idée que je me fais d’un journal
utile car il gratte et ne prend pas ses lecteurs pour des demeurés,
journal que je vends peu, comparé aux titres de presse gnan-gnan cul-
cul, je ne mépriserai pas les lectrices des journaux de relâchement
cérébral, dans le cadre de mon activité.
Je préfère vendre aux femmes "Causette" mais je le présente au
même rang que les autres torchons et elles choisissent leurs lectures.
Ce qui me questionne, c’est l’état de santé de la démocratie lorsque
l’on voit les titres qui se vendent et les journaux d’opinion qui
poireautent sur leur présentoirs comme des vieux chiens dans un
refuge pour animaux.

52
Il y des personnes qui achètent encore un assortiment de journaux
d’opinion de tendances différentes mais elles se font rares. Celui que
j’avais, je l’ai vexé, car je lui ai dis que j’étais ici pour vendre des
journaux, pas pour faire de la propagande, et que ses idées néo
nazies, il pouvait se les garder. Et ces histoires de Charles Martel et
Cie, avec… Et depuis il passe devant mon kiosque sans me saluer.

Beaucoup de mes clients se sentent en insécurité. Ils aimeraient


que l’on coupe les mains aux voleurs et l’on guillotine les meurtriers.
Pour asseoir leur démonstration, ils attirent mon attention sur mes
affiches de Frenche Démence, Ici Paris et le nouveau détective…
Que du bon sens, quoi !

La vie, vue de mon kiosque

Comme je vous l’ai dit sans ambages, kiosquier est une


couverture. En fait, mon vrai boulot consiste à écouter, rêver,
imaginer, transformer, créer, déformer, embellir, exagérer, amplifier
et médire.

Quand j’aurais trouvé le moyen d´être connu, quand les gens


sauront que je suis champion martiniquais auto proclamé de hamac
de compétition, je n’aurais plus de souci à me faire.

Je déteste les marchands de journaux qui se permettent de


commenter mes choix de lectures…. Quand un mec m’achète une
revue de cul, je ne le regarde pas l’air goguenard en lui disant bonne
soirée, je ne lui emballe pas en catimini en le regardant comme si
j’avais affaire à un dépressif au bord du suicide et quand un mec
m’achète l’humanité, je ne lui dis pas bonne journée camarade.
Pour moi il y a une pudeur, une distance à respecter. Je dois
affecter une neutralité et éviter de parler politique. Beaucoup de
clients, en découvrant les titres, y vont de leurs commentaires. Je ne
me contente pas de parler de la pluie et du beau temps mais je

53
n’oublie pas que je suis commerçant.

J’apprends à relativiser. Mes catégories de sélection de femme


idéale élaborées pendant l’écriture de pot cherche Cornichon sont
inadaptées.
Beaucoup de femmes me plaisent physiquement. Le
premier critère que j’avais trouvé était le port de la charlotte, vous
savez l’odieux chapeau en papier que l’on met en cuisine ou en
milieu stérile. Affublé de cet accessoire, si une femme reste
désirable, c’est quelle est vraiment jolie. Le problème est que dans la
maison de retraite dans laquelle je travaillais, on trouvait des
occasions de faire porter une charlotte mais dans un kiosque à
journaux, c’est moins facile.
La deuxième épreuve consistait à manger des bulots à l’aïoli, mais
je n’en mange plus pour des raisons personnelles.

Le critère relatif à la lecture des journaux se vide de tout sens dès


lors que dans la presse payante, on trouve aussi des journaux de
merde, remplies de publicités et dès lors qu’une personne n’achète
pas forcément un journal pour elle même. Elle peut l’acheter pour
une dame pour laquelle elle fait les courses, elle peut l’acheter pour
ses clients (salons de coiffure de tatouage, ou toubibs). Je dois donc
réfléchir à de nouveaux critères moins exclusifs et moins réducteurs,
du genre elle lit ceci, donc c’est une idiote, elle lit cela donc, c’est
une bigote.

La rumeur

Aujourd’hui ça jasait et ça balançait sec au kiosque ! Le boulanger


qui ne vend plus de pains allait fermer. Il était expulsé, patati patala
et vas y que j’extrapole et que je désinforme ! Il va se lancer dans le
commerce équitable, ça lui est venu comme cela et tous ses produits
seront certifiés bio ! Quelle agréable surprise ! En êtes-vous sûr ma
brave dame ?

54
Quelle honte pour un marchand de journaux d’entendre toutes se
fadaises !

La presse avant d’être supplantée par la presse à ragots avait pour


mission d’informer, de ne pas balancer n’importe quelle pseudo
vérité sans en vérifier la source et la crédibilité. La boulangerie serait
fermée deux dimanches consécutifs, tout simplement.
J’étais quand même emmerdé car si la boulangerie fermait, il
faudrait que je me trouve d’autres commerces avec des vendeuses
marchandes de sourires et de fantasmes que l’on garde à part soi.

La bonne nouvelle de la journée, c’est je savais que la dame aux


bracelets était dans l’enseignement et on avait commencé à engager
un début de semblant de conversation.
Vanessa je l’avais laissé plusieurs fois en plan dans mes approches
de séduction car elle me faisait peur. En gros, je la trouvais trop
classe pour un mec mal dégrossi comme moi. Je n’osais pas lui
proposer une histoire qui ne durerait que le temps de quelques
représentations théâtrales. Je la trouvais désirable mais je ne voulais
pas la décevoir quant à mes attentes et mon refus de m’engager. De
fait, je cherchais la femme idéale et je la guettais depuis mon kiosque
et en attendant de la rencontrer, je ne voulais pas que mes relations
amoureuses à venir obèrent toute liberté de mouvement. Je n’étais
donc pas un être libre.

Tans que je pense au cul, je ne pense pas à la révolution et si la


révolution signifie pour moi un reversement de ces valeurs et un état
d’esprit plus exigeant, j’en suis très loin lorsque je passe mes soirées
sur internet. Que la connerie est douce au toucher, on a dû mal à s’en
défaire !

Je suis très loin de mon idéal et je me comporte pas comme


comme je veux. Je ne fais pas dans le raffinement mais dans le
volume et j’y vais au burin, pas vraiment au ciseau se sculpteur.

55
Bon ok un trou ne ressemble pas à un autre trou et chaque femme
monte en puissance différemment, ça c’est réglé, je le sais.
Pourquoi ne pas considérer que le "parcours découvertes"
s’achève et qu’il est temps de monter en altitude ?
C’est bien excitant de faire de nouvelles rencontres mais puisque
les femmes classes, distinguées, intelligentes et raffinées me font
encore peur, je sais d’avance que les femmes avec lesquelles je
fricote me lasseront vite. Même si je ne choisis pas les plus tartes
allant jusqu’à préférer une moins jolie qui a de l’humour à un joli
corps aux idées creuses, la manière dont je les aborde mène à
l’impasse car je suis trop pressé. Et je m’emmerde très rapidement !
Je pensais que c’était l’alcool qui provoquait autant de besoins
compulsifs de baiser. Il n’en est rien. Depuis plus de trois mois, je ne
bois que des bières sans alcool et des panachés et pourtant je suis
toujours dépendant des sites de tchatche sur internet. Je suis un
pauvre type.

Oser sans déranger

Satisfait ou remboursé, bonnes nouvelles garanties…


Comme dans un célèbre sketch de Fernand Raynaud, parfois
c’était à croire que les gens pensaient que c’était moi qui fabriquait
les journaux..

Je recevais des encouragements par des lecteurs et lectrices


d’Atramenta qui aimait bien manière de me dépoiler. J’aimais bien
me balader à poil chez moi et j’aimais bien m’étendre sur mes états
d’âme.
Une lectrice me demandait de laisser plus libre cours à mon
penchant pour le romantisme, de ne pas avoir peur.
J’étais irréversiblement et indécrottablement un romantique mais
je ne ressentais pas la nécessité de le revendiquer.

De la même manière que j’aime quand au restaurant la serveuse a


retenu mes habitudes, mes clients aiment que je leur serve sur un

56
plateau leurs revues préférées. Ils sont attentifs aux petits signes à la
manière dont je les accueille. J’aime les gens, à petites doses et
j’adore discuter avec des individus différents.

Je suis devenu plus "décontract du gland" et je vis plus sainement.


Je suis capable d’ouvrir mon échoppe sans avoir de billets de cinq
euros dans ma caisse, je bois mon café sans sucre, bref, je
m’améliore.
Je ne bois plus que du panaché et ne me considère plus comme
dépendant de l’alcool.

Je suis toujours addict des dialogues à deux balles sur internet. Ce


n’est pas bien et je fais tout pour m’en sortir. Les arguments ne
manquent pas mais la difficulté est d’atteindre le sas non encore
atteint par la connerie.

Le kiosque devrait m’inciter à passer de la drague du lourdingue à


la braguette entre-ouverte à l’état d’esprit du séducteur d’opérette au
fuseau moulant.

Je dois agir avec tact de manière quasiment indétectable pour les


intéressées de telle sorte qu l’on ne colle pas l’étiquette du dragueur
de kiosques ou celle, qui me vaudrait la guillotine, d’obsédé du cul.

Celle à qui je pourrais plaire, sait-on jamais, verra bien, à ma


manière de lui sourire ou de lui rendre la monnaie, si je suis en mode
"veilleuse, code, appel phare".
Si elle m’achète Politis hebdo, Charlie Hebdo ou Causette
mensuel, elle décèlera sans peine, mon approbation secrète
manifestée par le frétillement d’un poil de mon sourcil gauche. Si
elle achète une de mes nombreuses revues ’Ragots intimes" je me
dirais que ce n’est pas pour elle, que c’est pour offrir à une personne
dont elle s’occupe, car ça ne peut être que ça.

L’hippopotamuse

57
Le prix du contrôle technique et du ruban adhésif pour réparer le
rétroviseur de mon coupé AX 4 chevaux moteur TU, qu’elle m’a
coûté cette chichiteuse de première !
Je n’ai pas chances avec les Nadia de 5O piges. Je sais pourtant
que le restau n’est que rarement le bon endroit pour un premier
rendez-vous si on n’a pas baisé préalablement. Si cette soirée, à
inscrire au palmarès des soirées pourritures, me servait de leçons et
m’incitait à ne plus utiliser les sites de tchatche, mais pensez vous !
Après tout, si je tiens un kiosque, c’est avant tout pour y dénicher
une femme idéalement normale.

Quelle femme n’aime pas que l’on invite sans regarder à la


dépense ? Je déteste les radines et je n’aime pas me restreindre mais
quand on gagne peu, on doit faire avec et je n’ai pas d’autre choix
que de vivre chichement en m’offrant un restaurant du midi deux
fois par semaine, à la Dominante ou au bar des roses.

Soixante treize euros, c’est sept séances de cinéma, cinq entrées


au sauna libertin, dix huit sandwich, neuf formules crêpe sarrazin-
bolée de cidre, un an et demi du mensuel Fluide Glacial en l’achetant
au kiosquier (19 numéros), plus de deux mois de Nice morning …
J’espère que mes lecteurs comprendront l’allusion au fait qu’un
journal reste moins cher qu’un sandwich alors qu’il faut plus de
monde pour le fabriquer et le distribuer. Je n’aimerais pas être
obligé d’insister lourdement là dessus.

On fait connaissance. On a le temps pour ça. Seulement le frère de


ma dame de compagnie s’est fait larguer et est très déprimé alors elle
se doit de le réconforter en lui envoyant des SMS, de longs SMS, de
trop longs SMS, et moi je l’observe et je regarde par la fenêtre les
gens qui passent et les femmes de ma vie que je croiserais pas ce soir
car je suis attablé en face d"une personne comme moi, égocentrique
égoïste, individualiste.
Elle passe son temps à s’excuser mais elle continue à envoyer ses
textos. Je commence à lui dire de plus en plus fermement. Elle finit

58
par arrêter.
Plusieurs fois, j’ai failli me lever, régler la note et la planter avec
son téléphone mais je me disais que la soirée ne devait pas se
terminer ainsi sinon je n’aurais rien à raconter dans mon feuilleton
sentimentalo-pratique.

59
Mortelles journées

Des journées où il ne se passe rien

Quand il ne passe rien, que fait un écrivain ? Il fait la grève ?


Non, il observe et alimente le poêle à cancanages.

Les gens pressés

Les gens semblent pressés d’acheter leurs journaux. Bon, ils ne


rouspètent pas trop car, d’origine antillaise, je n’aime pas travailler
sous pression, et je pense qu’ils l’ont bien compris. Parfois j’ai des
clients qui se télescopent mais ça ne fait pas de mal.

Je suis d’une lenteur surprenante. J’aime prendre mon temps.


Lorsque les contraintes ne le permettent pas je m’adapte aux réalités
du monde mécanisé et du "sitôt commandé, sitôt préparé". Il m’est
arrivé de travailler rapidement mais ce n’est pas dans ma nature.

Même les voyous, enfin les petites frappes, ne prennent plus le


temps de préparer leur coup ! Ils agissent grossièrement sans souci
du détail. C’est quand même plus élégant de se faire arnaquer par un
pro que de se faire détrousser par un toxico qui ne prend pas la peine
de réfléchir, d’analyser le potentiel, de procéder à l’analyse des
risques en bonne et dûe forme (se prendre un extincteur dans la

60
gueule) et de déterminer un mode opératoire. Celui qui m’observait
ce matin n’était pas futé, ça se voyait rien qu’à sa tête. Déjà, ne
serait-ce que par correction, cet amateur aurait pu attendre que j’ai
récupéré à la poste mon colis contenant mon pack sécurité, enfin mon
colis anti-agression : Deux bombes, une matraque, un porte clés avec
une goupille qui déclenche un sirène dont tout le monde se fout.

En fait, il ne s’est rien passé mais cela aurait pu ! Quand on lit


certains journaux, on prend peur et quand on a peur, on s’arme.

Moi j’aimerais mieux me faire braquer par des gens malins. Il


élaboreraient un plan et au moins cela aurait du panache.

Voici mes plans d’attaque.

La distraction.

Il suffirait qu’une jolie touriste m’incite à parler en anglais et à


sortir mon plan plastifié de Nice. Distrait par son décolleté au
moment où je lui indiquerais où nous nous situons, son complice en
profiterait pour me voler trois cartes postales.

Jouer sur les apparences.

Le lecteur des "petites affiches des alpes maritimes" est un lecteur


dont on n’a pas à se méfier, au contraire.
Un lecteur "décideur" ne peut être un voleur, c’est juste un homme
d’affaires ou un fraudeur. Inutile de surveiller mon tourniquet de
cartes postales, le canard Colvert n’intéresse pas le délinquant à col
blanc.
Habillé avec élégance, en m’achetant une revue à 90 centimes
connotée sérieuse, ma méfiance s’éclipse. Un décideur ne peut être
un voleur de cartes postales. Il peut être un fraudeur fiscal qui coûte à
la société plusieurs années de commissions cumulées d’un marchand
de journaux, un habile utilisateur des niches fiscales et des aides de
l’Etat, tout ce que l’on voudra, mais ne peut pas être malhonnête s’il

61
m’achète les échos ou les petites affiches. Moi, si j’étais truand, je
sympathiserai toujours avec mes victimes, je les mettrais en
confiance avant de leur prendre la caisse.

Le shérif bijoutier

Le bijoutier s’est fait molesté, a été mis en joue avec un fusil à


pompes, s’est fait braquer. Il a riposté. Il a bien fait. Vive le Far
west !
Il faut bien palier aux défaillances de L’Etat ! Les armes en vente
libre ! Légitime défense selon Franche démence. Bien fait pour sa
gueule selon le fondu de Marine. Attention aux dérapages si le
citoyen lambda administre la Justice selon le kiosquier de gauche qui
ne fait pas de politique.

J’en ai entendu des réflexions ce jour là ! Et je ne suis pas assez


bien payé pour opiner du chef en toutes circonstances, faut pas
déconner ! Il y en a même une qui voulait que je lui signe une
pétition contre la réforme de la ministre de la Justice.

Pourtant à chaud, mon premier réflexe est d’approuver la réaction


du bijoutier. Nous ne sommes pas dans un café philo mais dans un
kiosque à journaux. Si quelqu’un veut me piquer ma caisse, je sors
ma matraque. Fort heureusement, je sais ce que valent ces opinions
exprimées à la va-vite sous le coup de l’émotion. Un bon journal
devrait permettre de prendre du recul. L’info-flash telle qu’elle est
martelée dans les journaux gratuits est dans l’esprit des journaux de
la presse à sensation, de la presse à neu-neu, de la presse à merde. La
démocratie ne se porte pas bien lorsqu’il devient impossible d’avoir
de vrais débats où chacun prend le temps d’écouter l’autre.
Quelques mois plus tard, face à une recrudescence d’actes
barbares sur des animaux à des fins de buzz, j’ai hurlé avec les loups.
Je me suis embourbé dans la frénésie faceboukienne. J’ai compris à
ce moment là - en fait, grâce à un jeune engagé dans la protection
animale et le combat anti facho - que dans la grande famille de la

62
protection animale, il y aurait des membres que je ne voudrais pas
voir car si je ne suis pas pour l’auto-justice et le lynchage en ce qui
concerne un commerçant qui défend sa boutique, je ne vais pas
utiliser non plus le vocabulaire et les méthodes de simili fachos pour
défendre les animaux.

Le masque et la plume, ce soir ou jamais !

Quelle connerie ! C’était donc cela ma maladie ! Être parfois si


enjoué que je ne réalisais pas l’incongruité de certaines initiatives !
Soit, je doutais à un point où il ne m’était pas permis d’entreprendre
quoi que ce soit, soit je ne doutais de rien. La modération, la machine
à doser les sentiments, je ne connaissais pas !

Et ce soir, après être allé au marché déguisé en homme du peuple,


m’être nourri d’une bonne brochette de poissons cuisinée avec une
sauce coco, j’écoutais le masque et la plume et j’écoutais les
commentateurs s’engueuler avec classe et je trouvais que le débat
ouvert, la liberté de ton, les gens intelligents ou cultivés, ben on
devrait en avoir plus souvent, ma brave dame !

J’avais passé encore un week-end tout seul comme un con, mais je


m’y habituais. Le vendredi précédent j’avais eu droit à une journée
d’écrivain à rayonnement local. Je me disais que dans le lot de mes
femmes savantes qui zonaient dans ma zone de chalandise - je parle
donc de femmes réelles, pas de ces courtisanes mal éduquées
qui envahissent les sites de rencontres - j’allais bien trouvé le
papillon manquant ou au moins une bonne sauterelle, mais que
nenni, quéquette à roulette, pas de baise de la semaine ! Je suis
même sorti le samedi soir pour la fête du port de Nice à la recherche
d’une poule mais comme j’avais passé juste une journée de kiosquier
de quartier désert, et non une journée particulière d’homme d’esprit,
je suis rentré bredouille.

J’avais Mathylde qui me courrait aux basques, ne voulait pas


lâcher le bonhomme. Plus elle faisait des pieds et des mains, moins

63
elle m’attirait car je n’aimais pas les femmes soumises.
Je voulais une femme que je pourrais admirer sans qu’elle ne
cherche à prendre le dessus. Elle voulait me revoir. Moi j’attendais
qu’elle ait trouvé un remplaçant.
J’en avais bien une dans le collimateur mais elle n’aimait pas Joey
Ramones, bien qu’il soit plus de sa génération que de la mienne,
alors je ne savais plus quoi penser.
J’essaye, j’y vais, je tente, je tends une perche, je fais trois pas en
arrière, je plaisante, je badine, je lui parle avec les yeux ? J’y vais ou
j’y vais pas ? Je me saborde ou j’aborde, mille milliards de sabord !
Est-elle chiante ou exigeante ? Est-ce qu’elle chante bien ? Dois-je
la craindre ? Serait-ce une égérie en puissance ?

64
Mouna Louze Klaxon

Mouna ne se drogue pas, ne boit pas et n’est pas folle.


Elle vient d’être jetée par la famille de l’aveugle dont elle s’est
occupée pendant douze ans. Pas de bail, pas moyen de faire valoir ses
droits face au gros bras qui accompagnait la fille de Monsieur PAUL,
Mouna n’a eu le temps que de récupérer sa petite valise trouée avec
quelques papiers mais n’a pas pas eu la permission d’emmener les
fringues que Monsieur PAUL lui avait achetées. Mouna est triste,
Mouna est mal barrée.

Le dossier de Mouna est suivi par "la secrétaire de Sarkosy"


m’assure t’elle en descendant une cannette de bière forte, la bière des
clodos.

A défaut de jouer au prince charmant du vent, je décide de lui


venir en aide, de manière désintéressée, c’est à dire sans attendre une
gâterie en retour, mais en fixant des limites : Deux jours, deux
douches, deux repas, pas plus ! Je ne pourrais pas la sauver de sa
maladie mais je ne me résigne pas à la savoir jetée à la rue comme
une moins que rien. C’est ce qu’il me reste en magasin de
compassion et en capacité d’indignation qui m’ont poussé à agir sans
trop réfléchir.
Allais-je transformer mon crapaud en reine du bal sans

65
l’embrasser ? Un des Dieux qui zonent dans les hautes sphères allait-
il être sensible à mon bon cœur et favoriser la publication de l’article,
de mon panégyrique, tant attendu après cette action caritative ?

Il faudrait que le journaliste parle aussi de Mouna, de la difficulté


de venir en aide à quelqu’un de paumé, de vulnérable. Je connais mal
les gens plus ou moins à la rue en dehors de ce qu’en disent les
journaux. Je sais seulement qu’il est très dangereux de jouer aux
apprentis sorciers. En même temps, je sais que les professionnels
"labellisés", les experts en travail social ne peuvent pas, à eux seuls,
par manque de moyens et de temps, répondre à toutes les urgences
sociales. Il faut parfois agir en citoyen, ordinaire, en voisin de la
misère et ne pas faire comme si on n’était pas concerné.

Mouna passait me voir tous les jours à mon kiosque. Elle avait
mis du temps avant de me demander de la dépanner. Je savais que
donner l’aumône revenait à donner un pourboire dans votre bistrot de
quartier. En créant un précédent, vous créez un avantage acquis, et
vous savez comment ça fonctionne, quand il s’agit de retirer un
parachute doré, à un dirigeant d’entreprise, il s’agrippe avec ses
mains manucurés, c’est le problème des avantages acquis. Avec un
pauvre, c’est plus facile, il a l’habitude d’être déçu, d’être jeté.

J’ai commencé à demander à Mouna de me rendre service, en


faisant le guet pendant que je pissais dans ma bouteille de jus de
pomme biologique, en allant me chercher des rouleaux pour la
monnaie à la poste, en me nettoyant les rayonnages, le tout en
échange d’un petit billet. Je faisais le nettoyage avec elle et ne la
laissais pas monter sur l’escabeau. Je n’avais pas besoin de son aide
car je savais me débrouiller seul mais après deux mois
d’apprentissage de la vie du commerçant, je trouvais qu’il ne fallait
pas donner un billet à une pauvre, mais la faire travailler car c’était
bon pour la santé. Je ne comprenais pas d’ailleurs pour quelles
obscures raisons les partisans de la retraite à 67 ans et plus ne
venaient pas en nombre dans les usines ou pour construire des
immeubles puisque l’on vivait de mieux en mieux et en bonne santé

66
depuis que nous connaissions le plein emploi…

Mouna buvait la bière des clodos, celle qui tape, se faisait des
clopes avec des mégots et passait ses journées à regarder en l’air, à
attendre un signe du ciel, la cigarette au bec. Je m’étais un peu
accroché avec elle pour qu’elle aille au rendez vous fixé par son
assistance sociale.

Il faudrait que le journaliste précise bien que face à des gens


fragiles, on se sent parfois démuni. Il est commode de se dire "on ne
peut rien faire ; elle est responsable ; elle n’a qu’à pas boire ; elle ne
veut pas s’en sortir ; elle n’a qu’à bosser ; bof, et puis après tout,
chacun sa vie, chacun sa merde !"

Cette femme en détresse est une personne à part entière qui n’a
pas toujours été du côté des invisibles. Avant d’être frappa-dingue,
elle a exercé des emplois à responsabilité, elle a gagné beaucoup
d’argent, donc c’est forcement une femme de valeur.
Mouna était "à l’ouest" et se trouvait sur un terrain glissant, à 57
ans.
Elle organisait son "échec, c’était évident . Elle aurait du faire ceci
ou cela ! L’assistante sociale lui avait demandé de venir avant 8h30
car il y avait du monde, elle avait bien insisté là dessus. Je l’avais
réveillé à six heures trente, lui avais bien expliqué l’itinéraire et je
l’ai vu passer vers 9 heures devant mon kiosque, la gueule enfarinée,
voulant me taxer de cinq euros et d’un café.
Je l’ai envoyée promener.

Elle est revenue le surlendemain comme je m’y attendais.


Mouna faisait partie du lot des assistés comme cette femme qui
faisait la manche avec son bébé dans les bras à coté du distributeur à
billets de la Poste. Une jolie femme, un joli bébé, et un mac en
embuscade. Mouna comptait sur les autres mais ne comptait pas pour
eux.

De fil en aiguille, après une enquête digne d’un journaliste de

67
radio potins, j’ai appris que la version racontée par Mouna de son
éviction n’était pas tout à fait conforme avec la réalité. Elle avait été
congédié quatre fois déjà et un ami du mec dont elle était censée
s’occuper m’avait dit qu’elle ne foutait plus rien et que Monsieur
PAUL ne voulait plus l’entretenir. Mouna voulait de l’argent pour
partir et elle en voulait toujours plus. Elle avait vécu 12 ans avec un
mec et elle voulait son cadeau de rupture. J’étais déçu que mon
image d’Epinal de la veuve qu’il fallait secourir soit ainsi écornée
mais pas tellement surpris. Il devenait difficile de trouver des
histoires qui déjouaient les pronostics de ceux qui aimaient les
préjugés. En somme Mouna était dans la merde mais elle l’avait bien
cherché.

Après, je ne sais pas si c’est l’homme de gauche ou si c’est


l’écrivain qui a pris le relais mais je ne pouvais pas non plus
considérer qu’un jugement aussi tranché puisse figurer dans une
chronique. C’était indigne de mes lecteurs de faire comme si une
leçon de morale pourrait d’une quelconque manière influer sur le
cours de la vie d’une personne dans la panade.

Mouna m’avait apporté deux choses :


Premièrement, l’aspect dramatique de sa situation m’avait
soudainement ôté toute envie de flâner sur les sites de discussions
superficielles. J’y perdais mon temps, j’y laissais mon âme et la vraie
vie était ailleurs. Je ne pouvais pas décemment me réfugier dans ce
monde virtuel totalement débile. C’était un peu comme les gens qui
se réfugiaient dans les séries télé ou les jeux télévisés, je ne voulais
pas en faire partie.

Elle me fit également avancer sur deux petites questions laissées


en suspens dans un chapitre précédent et sur une interrogation bien
plus fondamentale.

Etais-je un bon citoyen, un homme responsable, parce que je


sortais une pièce de temps en temps ou parce que j’avais hébergé
Mouna pendant deux jours ? N’étais-je pas qu’un salaud ordinaire

68
pressé de soulager sa conscience ? Face à Mouna, dans l’urgence, je
savais que si lâchais du lest, si je cédais, si je ne défendais pas ma
réputation de commerçant et mes intérêts patrimoniaux, je ne
pourrais alors difficilement me défaire d’une situation délicate.
Mouna compterait alors sur moi car j’aurais créé un terrain favorable
aux attentes sans bien en délimiter les contours.

J’aimais bien, dans mes relations amoureuses notamment, bien


délimiter le terrain. Je posais quelques plots et ne pouvais
m’empêcher d’enfouir quelques mines qui ne servaient pas pour les
crayons. Les femmes qui osaient s’y aventurer ne manquaient pas de
courage.

Qu’est ce qui faisait que cohabitait avec l’homme épris de liberté,


une aspiration à l’ordre à certaines valeurs de droite. C’était mon coté
"anarchiste Gaullien".
J’avais une cliente de droite que j’aimais beaucoup. Je savais que
son accumulation de valeurs n’était pas tombé du ciel. Elle et son
mari avait bossé toute leur vie et avait le droit à vivre dans le confort.
Je n’avais rien contre les gens friqués ou à l’aise. Ce qui
m’intéressait, c’était de savoir comment ils s’étaient enrichis. Je
détestais les gens qui n’avaient aucun autre mérite que d’avoir suivi
une voie toute tracée (les fils à papa Cash, les filles à Mamy Money).
Je crois que je méprisais d’une égale force les gens qui combinaient,
qui détournaient de l’argent public, qui usaient de leurs privilèges et
les pauvres convertis en fainéants qui palpaient l’argent des autres.
Suis-je vraiment de gauche ?

Je connaissais des hommes et des femmes de droite qui avaient


plus la fibre sociale et qui étaient plus efficaces dans leur manière de
venir en aide que des militants de gauche qui se payaient de mots. Je
ne parle pas de ceux qui ont la capacité de faire des chèques à des
œuvres de charité privée tout en s’arrangeant pour payer moins
d’impôt. Je ne fais pas allusion à ceux qui pensent compenser ce que
leur participation à un système détruit chaque jour. Rien ne
m’offusque plus que les géants de l’agro alimentaire et de la grande

69
distribution qui font des actions symboliques en faveur du
développement durable et que les grosses fortunes qui font semblant
de se soucier des pauvres.

Si la vie pouvait s’administrer aussi bien que les pièces d’un


rouleau de 20 centimes ! ( Je vous dis cela car je viens de me faire
une série de rouleaux de monnaie et le rouleau le plus commode à
remplir et à fermer, c’est celui-ci.) En fait , la vie, vue de mon
kiosque, ressemble plus à un rouleau de ferraille de menue monnaie,
de petites histoires, de bric et de broc.
Tout ne rentre pas en rang serré, il y a des petites pièces qui
s’obstinent à dépasser.
J’en avais tellement soupé des méthodes de classement et des
catégories et sous catégories qu’à présent, c’était les personnes qui
m’intéressaient, leurs particularités, leurs grandeurs, leurs
contradictions, leurs convictions.

J’étais de gauche parce que je croyais - en dépit de toutes les


illusions perdues - aux capacités de l’homme de bien saisir le cours
de l’histoire, d’améliorer son sort au lieu de se détruire. Je savais que
l’homme était capable de s’élever amoureux, d’apprendre en dehors
du cadre scolaire, de savoir comment il devait bosser, pour qui il
bossait et pourquoi il bossait. L’Homme était capable de s’organiser
pour que rien ne manque à quiconque. L’Homme était capable de
partage, de solidarité et l’Homme était capable de mieux que de
laisser Mouna se tirer une balle dans la tête.

70
L’expert et le conférencier ne lisent pas les
mêmes livres

Ce matin, je me suis fait attaquer par surprise. Cinq programmes


télé, armés de leur encarts publicitaires, me sont tombés dessus alors
que je me préparais un café. Cela n’a entaché en rien ma bonne
humeur. Hier soir, je suis allé assister à une conférence sur la
transition énergétique animé par un "vieux de la vieille" et cela m’a
fait du bien au moral.
Daniel le conférencier, la soixantaine, est un infatigable militant
dôté d’un indécrottable optimisme. Combattant "historique"anti-
nucléaire, il met en avant ce que les luttes menées ont apporté. En
somme, il démontre avec brio que l’action politique est nettement
plus efficace que la résignation et la bouderie individualiste.

Un mec intervient, il se présente comme un météorologue, bref un


expert, et il explique que le réchauffement s’est interrompu et que, de
la même façon qu’un glaçon qui fond dans un whisky ne change rien
au volume initial, la banquise ne fera pas monter le niveau de la mer.
Il a l’air convaincant comme le sont les gens faisant appel au bon
sens. Heureusement qu’il est dans une assemblée qui met à l’honneur
l’esprit critique. Il a dû en boire des whisky aujourd’hui le Monsieur
"Climato septique" car les commentaires vont bon train en ce qui
concerne le dernier rapport du GIEC. Ses affirmations d’hier ont pris
une tournure comique et j’aurais aimé voir sa tête au moment du
premier flash radio. Il y aura toujours des gens pour dire que tout va
bien et que rien ne doit changer…

71
J’ai reçu ce matin des revues intéressante sur les sciences et sur
l’art.
Il faut faire des choix : Mettre en évidence ce qui est censé se
vendre, les revues racoleuses, ou faire le pari que les spécialistes qui
prétendent connaître le goût des autres, se trompent et que les gens
ne sont pas totalement réfractaires à la culture.
En principe, je n’ai pas mon mot à dire sur les magazines que je
vends. Je peux par contre commander, en faibles quantités, des titres
que le Marquis omet de me livrer, préférant les publications censées
être plus rentables. Il y a de plus en plus de titres qui s’adressent à de
« non lecteurs »
Pour moi, c’est du gaspillage de papier. Comme s’il s’agissait
d’une bataille de petits soldats de plomb - celle, me semble-t’il
perdue d’avance de l’éveil des consciences contre les catapultes de
connerie récurrente - je reste vigilant dans la guerre des linéaires
pour que les revues qui prennent ouvertement les gens pour des cons
n’occultent pas les autres. Ce matin, j’avais de quoi être fier de
vendre des journaux !

Certaines revues s’adressent à un public éveillé en attente d’autres


choses d’un journal que d’un ramassis de racontars et de clichés
volés. Dans quelle mesure fallait-il donner raison aux flemmards de
la pensée et se laisser envahir, sous couvert de l’impératif de vendre
toujours et toujours, par des journaux merdiques ?

Les stars se quittaient et trouvaient de suite une nouvelle


personne, enfin c’est ce que racontaient certains magazines. Moi,
j’hésitais encore. J’avais des femmes en vue, elles me plaisaient mais
j’attendais un peu, je prenais mon temps pour les découvrir avant
d’arriver au poster central détachable qui ne resterait pas une image
glacée.

72
Une féministe qui s’épile

J’ai ouvert le kiosque à journaux pour trois raisons essentielles :


Exercer une profession qui me donne envie de me lever le matin,
écrire et surveiller la parution de l’article de Nice Matin sur le
portrait d’un écrivain mondialement inconnu et enfin, rencontrer une
compañeros.

Je dois agir discrètement. Tout passe par la communication non


verbale.
En attendant de trouver mon héroîne principal, et en attendant la
révolution, je devais trouver quelques personnages pour ne pas
ennuyer trop longuement mes lecteurs avec une fiction
autobiographique.

Je m’appelle Catherine, je suis professeur des écoles. J’ai été


outrée d’apprendre incidemment que le kiosquier - que je trouvais
sympathique de prime abord - m’appelle la dame aux bracelets et
rêve de me prendre en levrette ! Quel toupet et en plus il est de
gauche !
Depuis, je vais au kiosque un arrêt de tram plus loin, je préfère.
Je trouvais qu’il me regardait avec insistance et avec un air
coquin mais je trouvais cela amusant et assez flatteur.
Je suis retourné quand même le voir ce matin et je lui ai dit qu’il
avait une belle chemise. Il était occupé à taper sur son ordinateur et
je semblais le déranger. Il avait l’air de me reprocher de ne plus
venir comme je le faisais pendant l’été.
J’ai insisté, je l’ai flatté, je lui ai dit que j’aimais les Clash et il a

73
accepté de me faire lire ce qu’il écrivait. Il s’agissait d’une sorte de
sketch, enfin d’une enfilade de gags plus ou moins éculés (éculé,
hein, pas enculé ! Lol ! Enfin, voilà de ce genre là.. ). Le
protagoniste, je suppose qu’il se mettait en scène, rentrait chez lui,
dans son studio et se disait qu’il avait été cambriolé mais en fait
c’est seulement parce que c’était mal rangé ! Ah ah, je pouffe ! A
chaque fois qu’il ouvrait la porte d’entrée cela lui faisait cette
impression là. J’ai souri poliment. Il ferait mieux de nous parler de
la vie de tous les jours ou de politique mais il devrait éviter de
chercher à nous faire rire car il n’est pas doué. Je lis le Figaro, et je
l’emmerde ce donneur de leçons !

Je suis le voisin du kiosquier, celui qu’il a choisi de moquer tout


simplement parce que je suis jeune et que j’ai un ordi tunné qui
pompe 750 Watts que je laisse allumé en permanence car je m’en
fous pas mal du nucléaire. Je m’en balance aussi du tri des déchets.
Je m’en balance des journaux. Je suis venu au monde par hasard,
pour profiter et ce n’est pas en faisant des économies d’énergie que
je vais me taper des meufes.

Je me nomme, enfin mon pseudo, c’est Monsieur ESTEVE, je suis


celui qui dans le récit sert de bouc émissaire. Je joue le rôle du
méchant capitaliste qui profite des autres, celui qui considère que si
c’est bon pour ma gueule, c’est forcement bon pour l’intérêt
général ! Je loue des appartements et j’ai quelques affaires que je
gère de main de maître. J’ai de l’entregent, pas mal de sous même si
je ne m’en vante pas. Je suis celui qui a le mieux réussi dans la
famille. J’ai des tableaux, de bonnes bouteilles de vin, j’investis dans
des entreprises en difficulté, je fais tout le temps des travaux de
rénovation et je paye très peu d’impôts car mon fiscaliste connaît
son boulot. Ce que je représente existe bien mais s’agit-il dans une
chronique de parler de statistiques, de chiffres ? Non ! Intéressons-
nous à la psychologie, aux particularismes !
Lorsque nous nous réunissons, entre affairistes, on a des
anecdotes à se raconter en veux-tu en-voilà ! Le clodo que je paye
un euro et 70 centimes d’euros pour qu’il surveille mon cabriolet et

74
bien l’autre jour, il a pissé dessus ! Je l’ai vu faire du premier étage
et j’ai été obligé d’appeler un ami flic. On veut rendre service et
voilà ce qui se passe dans cette société d’assistés et de pochtrons !

Martin, sa secrétaire qu’il paye super bien, elle est tombée


enceinte ! Et elle le plante alors que c’est elle qui sait tout gérer, il
est bien emmerdé pour la remplacer. Il va recruter une plus jeune, la
former et virer l’autre qui lui a claqué dans les doigts. Elle a déjà
deux enfants, quel besoin elle a d’en faire un autre !
Bertrand, c’est son magasinier qui l’emmerde avec les consignes
de sécurité, et en plus il ne veut plus faire les extras le dimanche,
Monsieur tient au respect de sa vie de famille. Avec les extras, il
gagnait parfois deux cents euros au dessus du SMIG et voilà la
reconnaissance ! Pays de fainéants ! Pauvre France !

Monsieur le kiosquier, on s’en fout de ce genre de descriptions,


cause nous un peu des vrais gens, de ceux qui sont de bonne foi, qui
bossent dur, qui se font flouer par les employés, qui en ont marre de
voir les chômeurs dans les troquets. Ne sois pas excessif, ne regarde
pas dans une seule direction, affine tes observations et ne retiens pas
seulement ce qui t’arrange car cela permet de forcer le trait. Revois
ta copie ou je ne viendrais plus acheter mes journaux chez toi, mon
figaro magazine à 4.80 € !

75
Gaston Cosse

Gaston aimait bien rester un moment au kiosque. Il faisait des


commentaires tantôt sur les articles du Nice Matin, tantôt sur les
passantes. Il était sympa ce vieux, il faisait parti des personnalités
attachantes locales, mais il me gonflait. Je m’étais pris le chou avec
lui au sujet du bijoutier qui avait tué un jeune. Je faisais partie de
ceux qui considéraient que se faire justice soi même n’était pas un
signe de progrès.
J’étais un vieux con, attaché à des valeurs humanistes. Mon camp,
c’était celui de la vraie gauche. Comme je vous l’ai dit je partage
certaines idées de droite (responsabilité, liberté d’entreprendre etc..)
car je reste un individualiste et je déteste les parasites, disons que je
partage certains constats avec des gens de droite, mais cela s’arrête
là. Il y a quelque chose de fondamental qui nous différencie, c’est le
pari que nous faisons sur l’intelligence collective. et nous ne sommes
pas d’accord sur les questions relatives à l’héritage et à l’égalité des
chances.

Je suis d’accord pour donner sa chance à tous en tenant compte


des inégalités de départ (handicap etc…). Je suis donc à la fois pour
le "mérite" et le travail social. Je ne vois pas l’intérêt d’aider
quelqu’un, s’il n’est pas malade, artiste ou dépressif, qui ne veut
manifestement rien faire et qui attend tout des autres. Je déteste les
profiteurs. Il y en a même qui se prétendent anarchistes mais pour
moi, les véritables anarchistes sont des gens responsables,
autonomes, pas des rigolos qui vivent aux dépens des autres.

76
Aider celui qui ne veut rien faire revient à aider un alcoolique qui
est dans le déni et qui n’a pas l’intention de s’en sortir. Les perches
qui lui ont été tendues pourront lui servir un jour, ce n’est pas
toujours peine perdue, mais il ne pourra se sortir de la dépendance
que lorsqu’il aura lui même pris la décision et qu’il sera en mesure
d’assumer les changements qu’impliquent sa décision.

J’ai toujours pensé que le meilleur système pour organiser le


travail est celui qui repose sur l’esprit coopératif. Les valeurs que
l’on souhaite défendre seront mieux comprises dans les lieux où l"on
se parle plus facilement et où le pouvoir est mieux partagé, dans les
lieux où le plus gros des troupes se sent impliqué, valorisé et
responsable de ses actes.
Des individus, dans de petits groupes qui s’inscrivent dans une
dynamique du changement peuvent passer de la recherche de la
stabilité, de l’ordre, à l’expérimentation de nouveaux modes
d’organisation et modes de vie.

Si je peux échanger sans me fâcher avec des gens de droite, je


déteste les gens anti-républicains et les idées d’extrême-droite, même
insufflées à petites doses, mêmes édulcorées ou banalisées, me font
gerber. Je trouve que "les imbéciles heureux qui sont nés quelque
part" devraient se sentir mal à l’aise. Il ne faut pas laisser passer les
relâchements, les petites concessions à la haine ordinaire. Quelqu’un
de bête ne doit pas sentir encouragé, il faut juste lui dire qu’il dit des
bêtises et l’envoyer promener.
Ce n’est pas nouveau, je lisais "le matin" au lycée car j’en avais
marre d’entendre autour de moi les pires quolibets sur les socialistes,
alors je me suis intéressé à leurs idées.
C’est une des seules constances que je me connaisse. De la même
manière que j’ai toujours aimé la presse écrite, très jeune déjà, car je
sentais que pour me cultiver, la lecture d’un quotidien pouvait
m’aider.

Suis-je vraiment dans le monde réel ou dans le monde de "babar


traîne dans les bars" ? Lorsque je discute avec des gens instruits de

77
droite, j’ai la nette impression que pour eux je suis un peu niais, un
peu "paix et amour", aux antipodes de leurs représentations du
monde. J’ai toujours perçu le monde du travail avec les yeux du
salarié Tartampion qui doit être vigilant s’il ne veut pas se faire
entuber. Mes expériences de la vie concrète sont celles de l’ouvrier,
de l’employé, du chômeur, du technicien, de l’artisan, de l’auto-
entrepreneur, toujours tout en bas de l’échelle et parfois à deux pas
de trébucher. Lorsque je buvais, je voyais le monde vraiment tel qu’il
était, j’étais en plein dans l’horreur économique", pas du tout dans un
monde féerique ! Toutes les horreurs redoutés lorsque j’avais 20 ans
se sont produites et je ne veux plus de cette organisation là. J’ai donc
décidé, que le monde devait changer.

Le monde ne changera par décret et les proclamations de grandes


idées générales n’apporteront rien au débat d’idées qu’il faut
organiser partout. Partout, cela veut dire sur tous les lieux de
création, de production et de partage du savoir : sur son lieu de
travail, à l’université, dans les cafés, les magasins et chez son
kiosquier.

78
Je coquette, nous kiosquettons

Je coquette avec mes cocottes

Il m’a affublé du patronyme OUPS, il a osé m’appeler Madame


OUPS devant tout le monde ! Pourquoi suis-je revenu aussi?
Il m’a dévisagé cet enfoiré de marchand de journaux, avec son air
narquois. Avec ses yeux, il m’a dit : "Ben alors Mme OUPS, on
promène ses rides ? "
Lorsque je venais cet été, il me déshabillait des yeux et j’avoue
que je trouvais cela plutôt flatteur, mais un jour, il m’a dit d’arrêter
de lui demander tous les deux jours, avec mon air catastrophé, s’il
avait reçu "le nouvel opus d’Oups" car ce mag ne sortait que tous les
quinze jours pendant l’été et que lui, s’il vendait les journaux qu’il
recevait, il ne les fabriquait pas. Ensuite il m’a dit qu’il savait
pertinemment que j’étais missionnée par la kiosquière de l’arrêt de
tram d’à coté et que mon intention était de le faire culpabiliser de ne
pas recevoir les bons produits au bon moment et en quantité
suffisante et le démoraliser dans un contexte économique peu
ragoutant. Et il m’a dit :"Mâdâme OUPS, vous ne méritez pas dix
lignes veuillez sortir de mon univers et que ça saute !"

Mon père, je devais me préoccuper de mon père. Mon père n’était


pas heureux. Mon père était un chouette type qui s’emmerdait dans la

79
vie. Il y avait une situation urgente à régler, je le savais mais j’étais
un irresponsable. J’attendais d’être riche et célèbre pour pouvoir
l’aider et en attendant, qu’est-ce que je faisais, je vous le demande, je
coquettais !

Je "kiosquotte, je parle, je tchatche, je dragouille et je me torpille,


cela fait partie des avantages de la profession de pouvoir jouer un
peu, faire le pitre tout en bossant, et sourire aux passantes.
Ce n’est jamais méchant et cela n’engage à rien. J’ai la belle vie.
je sais que quand il fera froid, on ne viendra plus me voir. Je sais que
je vais déchanter car tout va anormalement bien en ce moment, cela
cache forcement quelque chose.

Je suis dans la période où je sens qu’il est encore temps de faire


quelque chose, que rien n’est figé, que ça va se débloquer et que les
braves gens vont se mettre à se parler et à s’agiter, au grand dam des
faiseurs d’opinion.

80
Monsieur TAXE

Qu’est-ce qu’il est hargneux ce nabot ! J’ai cru qu’il voulait


m’étriper. Je n’ai fait que lui demander une modeste contribution de
17 euros par mois pour pouvoir écouter TSF et France Inter et les
disques des Clash et des Ramones qu’il planque dans sa glacière. Je
fais un boulot dont je ne suis pas fier, c’est pour cela que je me suis
arrêté au troquet pour me mettre en condition. Quel accueil ! J’ai
cru qu’il allait me faire avaler son transistor !

Qu’est-ce que j’y peux si un marchand de journaux ne gagne plus


sa vie ? Ce n’est pas moi qui fait les lois, ce n’est pas moi qui
empêche les gens de lire tout de même ! Je vais aller m’en jeter un
derrière la cravate, tiens !

Tiens, il est là celui qui voulait me taxer ! Il est assis deux rangs
plus bas de la réunion publique pour célébrer la réapparition, sous
une nouvelle formule du Patriote Cote d’Azur, "hebdo libre et
solidaire". J’ai peut être été un peu vif avec lui, il ne fait que son
boulot après tout mais cela m’a rendu furieux de devoir me passer de
ma radio parce qu’il et hors de question que je paye une telle taxe ! Il
me disait qu’il était d’accord avec moi et qu’il n’y pouvait rien, qu’il
devait croûter lui aussi. Quel boulot de con ! Débarquer par surprise
pour réclamer du pognon ! Deux mois que j’attends l’autorisation de
vendre des timbres, trois semaines que j’ai envoyé ma lettre au
directeur de la régie qui gère le tram afin que je devienne dépositaire
de coupons dix voyages, deux mois que j’attends le réassortiment

81
d’un hors série de l’Express et l’autre pingouin qui arrive
la gueule enfarinée pour me demander de raquer pour son
organisation, la SACEM. Il en pris pour son grade. Je suis surpris de
le voir ici.

A part l’architecte qui bosse sur des projets d"habitat participatif


et écologique, qui donnait une conférence à la maison de
l’environnement récemment, je connais peu de personnes qui se
réalisent dans leur travail. J’aime ma nouvelle activité mais je n’aime
pas tout ce qui la caractérise. Lorsqu’il s’agit de mettre en avant des
revues stupides, de placarder des affiches racoleuses, je suis gêné aux
entournures. Cela fait partie du job et il faut que je le supporte.

82
Le froid et le pipi

Ma période "heureux comme un coq en pate et patte d’éph" fut


pulvérisée par le rejet d’un prélèvement. En attendant la venue d’un
monde harmonieux, un monde où l’on se parlerait, il y avait des
échéances bancaires à respecter dans le monde réel.

Le kiosque n’avait pas pour unique vocation de me faire


rencontrer la femme de ma vie et croiser de joyeux drilles dont je
pourrais m’inspirer. Je devais également vendre mes journaux et
financer un stock dormant.

Brutalement, tout me parut vert de grisâtre ce jour là. Déjà, pour


la première fois depuis l’ouverture de mon kiosque, j’ai ressenti le
froid. Plus rien n’allait, c’était la fin des haricots !
Je devrais vendre ma voiture et négocier un échelonnement pour
le paiement de mes impôts. Je devrais sans doute renoncer au
restaurant une à deux fois par semaine !

Le plombier qui devait me faire un devis ne s’était pas pointé. Le


commercial de Nice Matin qui devait m’apporter du matériel
promotionnel pour les formules" abonnement en kiosque" m’avait
oublié.
J’avais envie de pisser, je n’en pouvais plus de me retenir ! Je
n’avais pas envie de bavasser avec Raymond Calbuth qui me
racontait qu’il baisait, à 70 ans, des étudiantes pour soixante dix
euros une fois par semaine et qui me faisait admirer sa chevelure. Je
m’emmerdais avec les gens qui avaient besoin de se rassurer en

83
s’auto-congratulant. Je ne savais pas comment m’en défaire sans être
impoli. Je ne pouvais plus écouter la radio puisque je refusais de
payer la SACEM. Je me faisais chier comme un rat mort.

C’était le même jour que les résultats des élections cantonales à


Brignoles : un candidat communiste et une candidate écologiste
éliminés dès le premier tour et l’extrême droite (deux candidats)
totalisant 49 %. Les cons avaient le vent en poupe ! Cela me ramenait
des années en arrière, en 2002, lorsque des abrutis triomphaient et s’y
voyaient déjà.

Lorsque le pays serait vraiment gangrené par les idées des


fascistes, les gens ne liraient plus !

Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas d’intellectuels au Front


National, tout le problème est là d’ailleurs, mais le gros de leurs
troupes, leurs électeurs sont quand même au ras des pâquerettes,
mais le dire ne changeait rien au problème de fond, celui de l’échec
de la culture populaire. La victoire de l’écran sur l’écrit.
A force de prendre les gens pour des éponges tout juste bons à
consommer encore et encore plus, les inciter à la paresse
intellectuelle en leur balançant des programmes télévisés débilitants,
on fragilisait la démocratie et on transformait de braves gens en
période d’expansion, de braves soldats de la guerre économique, en
braves pantins qui pensaient lutter pour leur survie en se trouvant
des ennemis bien commodes.
Pour que les choses changent, il fallait que les gens sortent de
chez eux, discutent et lisent.

Mes clients allaient finir par mourir. Les jeunes lisaient avec leurs
tablettes tactiles, si jamais ils lisaient, mais la presse papier, la presse
à papa, c’était cuit et moi j’étais fini.

84
Eve s’inquiète

Eve s’inquiète. Elle nous parle du vent mauvais, de la brume de


mauvais augure, des idées faisandées, d’une atmosphère morbide.
Nous avons perdu la guerre idéologique, la bataille des mots. Nous
nous sommes laissés dominer par les nouveau réacs, les fachos bien
sapés. Du vieux recyclé, de la daube remixée. Des intellos, des profs
de philosophie adhèrent à L’Affront national. Des jeunes trouvent
cela cool de désigner des boucs émissaires et de
pester jusqu’à empester.

Je me suis souvenu du salon du livre organisé à la fac de droit par


un syndicat étudiant à la droite de la droite. Les fachos écrivent aussi
des livres. Les auteurs opposés au régime parlementaire ne
manquaient pas dans les années trente. Les animateurs du club de
l’horloge, Alain de Benoist et consorts ont réussi à reprendre du
terrain.

Je ne crains pas la peste brune, je redoute juste les ravages des


conneries lues ou entendues.
La presse écrite va t’elle nous sauver de l’info "flash-ball" ?

J’ai feuilleté un édito du nouveau détective. On y trouve un éloge


de l’auto défense. Ce journal ne fait pas de politique mais entretient
des débats publics et fabrique des exclus du savoir, des gens sans
horizon, des partisans de la grève illimitée de l’esprit. Ces gens sont
fiers et revendiquent leur étroitesse de vue.
J’ai honte de vendre ce genre journal mais je vends aussi des

85
revues parlant de safaris chasse et d’armes à feu pour milices privées,
des revues porno hard, et des "valeurs actuelles" actuellement à la
hausse sur la marché de la résignation, de la honte avalée et de la
puanteur décomplexée.
Mais, ce qui me fait tenir le coup, c’est que j’ai aussi d’autres
journaux à vous proposer, à vous lecteurs qui me suivez…

86
Le PPFH

Le précieux petit facteur humain a fait que ce matin je ne me


sentais pas bien. J’ai voulu mettre mon petit gilet en cuir, celui qui
fait "biker rock n’ roll à la Ramones", et je l’ai retrouvé couvert de
tâches de moisissures car l’air est très humide chez moi. J’étais déjà
contrarié et songeai à déménager.
Comment allais-je faire pour changer de logis ? Il fallait avoir de
quoi payer deux mois d’avance, une caution.
La matinée démarrait vraiment mal.

J’ai deux clients qui sont venus avec l’idée de taper la causette.
Cela fait partie de mes prestations. Parfois, je le fais avec plaisir,
parfois j’abrège car je n’arrive pas à me concentrer. Celui qui n’était
pas pressé ce matin, que j’aime bien du reste, m’a empêché de lire
mon journal car j’ai dû ensuite me dépêcher de faire ma gestion
quotidienne, c’est à dire pointer des listes pour m’assurer que tous les
journaux restitués ont bien été enregistrés, sinon, ils me sont facturés.
Ce n’est pas bien compliqué mais il faut le faire rigoureusement
sous peine d’avoir tôt ou tard des échéances rejetées. Je me demande
ce qu’attend la revue Challenges pour me proposer pour sa
couverture :

"Le meilleur gestionnaire de l’année, c’est le kiosquier ! "

Un peu plus tard, une de mes amoureuses du dimanche n’a pas ri


de mes espiègleries. Elle est partie sans me dire au revoir. Peut être

87
que mes fringues sentaient la cave et mes blagues le réchauffé, qui
sait ?

"Quand le kiosquier ferme ses portes à moitié, c’est que la pluie


va tomber".

Heureusement, j’ai rencontré des clients qui m’ont requinqué. Les


gens sont sympas en général pendant cinq bonnes minutes. Après
parfois, aux détours d’une phrase, je suis déçu d’apprendre qu’ils ne
pensent pas comme moi, enfin je veux dire, qu’ils ne pensent pas
comme tout le monde devrait penser pour vivre dans l’harmonie.

J’avais oublié mon téléphone. C’est la première fois que cela


m’arrive. J’avais la ferme intention d’appeler le service comptabilité
de la société de diffusion qui m’approvisionne chaque jour en
journaux, le Marquis. J’aurais dû le faire deux jours avant, dès
connaissance de l’incident bancaire. Je n’avais aucune solution à
court terme. Je comptais vendre ma voiture (six cents cinquante), et
au titre de ma seconde activité de travaux de finition, repeindre une
cuisine, ce qui me permettrait de payer la moitié de mon échéance
(de mille deux cents euros) mais il était clair qu’il fallait que
j’apprenne à vivre avec moins. Je dépensais plus que je gagnais et
j’avais une dette à rembourser. Il fallait que je devienne rapidement
célèbre, soit par l’article de Nice matin, soit par la couverture de
Challenges, mais il fallait un truc car je serai, sans cela, obligé de
prendre un job de salarié complémentaire.

Il fallait donc que je devienne écrivain connu dans les deux jours
suivants afin de pouvoir faire venir plus de clients à mon kiosque. Je
ferais ainsi un meilleur chiffre d’affaires journalier, pourrais faire
face à mes prélèvements du compte pro et renflouer mon compte en
banque personnel que je venais de vider. Les autres solutions qui
s’offraient à moi consistaient à braquer la caisse de la banque postale
(à deux pas de chez moi, donc je pourrais me passer de voiture) ou
bien à jouer aux courses hippiques en ayant pris soin de bien lire
l’intégralité des pronostics des journaux spécialisés.

88
A ces contrariétés s’ajoutaient celles de la Sacem qui m’interdisait
d’écouter ma radio, des timbres de la poste que j’attendais depuis
deux mois et des coupons voyages de lignes d’azur.
Pour l’instant, je tenais bon. J’allais trouver des solutions pour le
cas où je ne serai jamais connu.
Parce que le monde réel sentait vraiment la merde …

89
Rasé de près

Le pari que je faisais était un pari fou, un truc de malade. Je


misais tout sur un sursaut démocratique, un réveil citoyen, un souffle
révolutionnaire, un changement total de paradigme (rayez l’utopie
inutile).
Les gens allaient cesser d’avoir peur et s’abstenir d’apporter des
réponses simples à des problèmes qui ne pouvaient pas se régler en
deux coups de cuiller à pot. La télé, depuis l’époque révolue de
l’ORTF (Informer, cultiver, distraire) était devenue une télé libre.
Libre, pas libertaire, libre mais pas indépendante, libre de se vendre
au plus offrant, libre de faire la pute. La presse écrite allait reprendre
des forces !

La PPP (presse presque pareille - les titres comme le Ravi, l’age


de faire, le Coloser, Silence etc…) allait de nouveau s’afficher dans
les kiosques. Les gens n’auraient plus honte de passer pour des
originaux en choisissant des revues qui ne les prenaient pas pour des
ahuris. La presse à contenu allait niquer la presse à paillettes et
j’allais devenir un bon parti. Les idiots partiraient conquérir l’espace
en montgolfière, avec pour nourriture intellectuelle les émissions
divertissantes et un stock de revues glauques. Les gens curieux
resteraient les pieds au sol. Les lecteurs de la presse écrite parleraient
entre eux. Les pauvres s’amuseraient en apprenant.

Et l’on pourrait aller faire un tour chez le barbier gratuitement….

90
La décroissance dans les dents

Je vais aller à une conférence tout à l’heure. J’aurais pu aller


acheter mes fournitures pour mon chantier de peinture, j’aurais pu
avancer le meuble que je dois livrer dans quelques jours, mais non, il
est important que je pense à ma tête. Si je lui donne pas satisfaction
je vais sombrer dans la mélancolie et le découragement. Je vais
songer aux vingt deux euros et soixante douze centimes d’euros, en
votre aimable règlement à réception, de frais de traitement de dossier
que me facture la Marquis, auxquels s’ajoutent les onze euros de frais
de rejet facturés par la banque postale. Tu n’as plus rien et on te
ponctionne trente euros, vivement demain que les choses aillent
mieux et que je devienne riche ou que les riches ne soient plus
autorisés à ponctionner les pauvres !

Je bosserai demain toute la sainte journée et j’ai décidé d’aller à


cette conférence sur la décroissance dans le cadre du forum social
des alpes maritimes. Depuis quelques semaines, je sors m’aérer et
rencontrer des personnes qui pensent comme moi que rien ne va
plus, les jeux sont faits, les mines sont défaites, haro sur la banque !

Actuellement, je suis dans la phase, régression subie.

Je peux utiliser moins de ficelles pour faire mes paquets,


consommer moins de ruban scotch, vendre ma voiture, aller faire
vacciner mon chat à Fondation aide aux animaux pour débourser
vingt euros au lieu de soixante, bouffer des sardines à l’huile dans du

91
pain complet, acheter du café dégueulassasse à moins de deux euros.
Je fais des économies, j’y arrive, mais le moindre faux pas, la
moindre contravention, une mise à la fourrière, une panne ou je ne
sais quoi et je suis cuit.
Je n’ai rien, rien de rien ! Même plus de quoi inviter une copine au
restau !
Alors j’ai vendu ma voiture car je n’ai plus les moyens de ce luxe
et je dois apprendre à faire sans, à me débrouiller sans emmerder les
copains qui en ont encore une. En somme je dois aller vers plus
d’autonomie, me désaliéner d’usages bien commodes mais non
nécessaires. De fait, soit c’est moi qui décide d’expérimenter des
alternatives concrètes, soit c’est la société marchande qui, petit à
petit, avant que cela ne devienne encore plus brutal, me retire tout.

Des initiatives sont déjà expérimentées (habitat participatif, cafés


alternatifs, AMAP, coopératives d’achat, atelier de réparation de vélo
auto géré) y compris dans les Alpes maritimes département considéré
comme à la traîne et plus enclin à s’acoquiner avec les solutions
politiques d’extrême droite).

Après la conférence, il y avait un repas collectif à participation


libre. Une poignée de militants a récupéré deux cents kilos de
nourriture et proposait entrée crudités, ragoût et salade de fruits.
C’était ouvert à tous dans un quartier populaire de Nice, à bon
voyage.
A croire que c’était jour de grand match, il n’y avait pas grand
monde. C’est honteux et très décourageant pour des personnes qui
ont passé des heures à tout organiser. Les gens, oui je sais je dis trop
souvent "les gens", les gens aiment râler, se lamenter, parler de leurs
problèmes bancaires, mais quand il s’agit de faire du neuf, de se
remuer les méninges, il n’y a plus grand monde.
Il y a eu un spectacle en nissart. Je ne riais pas de tout car je ne le
parle pas, mais j’ai quand même compris de quoi cela parlait et cela
m’a donné l’envie d’apprendre cette belle langue. Ensuite, il y a eu
une chanteuse à textes, Zine, qui se démenait sur scène. Je me suis dit
que je serais bien avec une artiste underground.

92
Motivés, motivés !

J’ai le store en panne, enfin les butées du moteur sont encore


déréglées. J’ai froid aux pieds, aux doigts, j’ai des soucis de
trésorerie. Pas de quoi en chier une pendule mais je suis dans ma
période, je doute donc je fuis. Alors que faire ?

Une belle flamme. Les voyageurs du tram en auront pour leur


argent, ils verront au passage un bon spectacle avant Noël, braves
gens !
Avant de vendre ma voiture j’avais siphonné 5 litres de super 95.
Je vends des briquets. Je les vends un euro pièce. Enfin, je les
vendais…

Voici l’article de journal assuré ! Un kiosquier de quartier


s’immole par le feu après s’être fait saigné par le marquis. Sa lettre
postée la veille explique son geste : Ras le bol !
Il voulait vivre dans les années seventies et il se retrouve plongé
au cœur de la médiocrité, du degré zéro de la politique, du
découragement des militants, de l’impuissance des fantassins de la
misère. Pendant ce temps, il entend le ricanement des gens qui n’ont
rien fait d’extraordinaire mais qui ont le pognon et le pouvoir. Il ne
peut sortir de la spirale de l’endettement.
Alors lui pauvre kiosquier désargenté, écrivain mondialement
inconnu, parfait raté social qui fait faillite et qui ne peut plus faire
face à ses échéances, que pouvait -il faire d’autre que de ne pas
louper son acte manqué ?

93
Avait-il d’autres choix ?
Attendre la fin de la crise ?
Mais quelle crise ? La crise de la presse ?
Fuir ? Pour aller où ?

Voir se pavaner les nouveaux cons qui n’ont peur de rien ? Les
vrais et les simili fachos.

A -t’il vraiment le choix ?

Attendre tranquillement, squatter la place en attendant la venue de


la sixième république ?

Il pleut dans mon corps des trombes d’impuissance

L’immolation ?
Le laurier fleur ? le poison ?
Le suicide politique ? Je l’ai pratiqué pendant 15 ans quasi
ininterrompus. Je ne croyais en plus rien, je me battais pour rien,
pour du vent et je calmais mon feu intérieur à coup de rasades de
ricard.
Le sexe du chaud lapin en attendant le monde demain ? Quelle
couillonnade !

Bon sang qu’elle est longue cette transition ! Qu’il est pénible de
ne pouvoir que faire des constats sans pouvoir y changer quoi que ce
soit !

J’avais le moral plus bas que le niveau de la mer avant la fonte des
glaciers.
Je tenais debout, je tenais le coup, je ne buvais pas, et je restais
souriant et disponible, affable. J’attendais juste que le ciel me tombe
sur la tête et puis j’ai vu …

J’ai vu Natalia, ma cliente la plus jolie du mois.

94
Niquette est passée aussi et elle en a profité pour me raconter sa
vie et me gratter d’un ticket de jeu.
Les clients les plus sympas se sont succédé. Ils devaient participer
à un concours de politesse organisé par la Mairie, c’était étrange. Le
commercial de Nice Matin est venu pour me parler des abonnements
en kiosque et il m’a proposé un nouveau présentoir, tout rouge, tout
neuf ! En prenant l’autoroute pour aller dans une grand surface de
bricolage, j’ai vu une remorque, sur le bas-côté, avec des panneaux
photovoltaïques pour, je suppose, de l’éclairage de signalisation de
chantier. Le solaire pour lequel je m’étais battu plus de 20 ans avant,
était devenu une réalité palpable. On ne se battait jamais en vain !
En ne faisant rien, il y avait bien plus à perdre.
Je ne devais pas faire ma "Mouna" (qui avait fini par trouver un
foyer), je devais filer droit et ne pas plier. Je devais bouger mon
corps autrement qu’au moment des heures des siestes crapuleuses. En
aucun cas, je ne devais laisser choir.

Je vais devenir végétarien, je vais aller au bout de mes idées. Je


vais le faire uniquement pour moi, pour mon seul bien être ! Je ne
peux pas me sentir heureux en cautionnant les pires atrocités et des
pratiques louches de l’agro-industrie. Je ne peux plus faire comme si
je ne savais pas.

95
« Le courage, c’est d’aller à l’idéal
et de comprendre le réel ».
Jean Jaurès (discours à la jeunesse, ALBI , 1903).

Écrire, c’est vivre un peu en dedans, un peu en dehors. Au moins


je vis, et je vais me battre pour que vive mon kiosque, que je puisse
en vivre sans être tranché vif par les échéances. Je vais juste faire un
pas de coté.

96
Eviter de parler politique dans un roman

Pour faire un journal d’informations, il faut des gens et du


pognon !
Il ne faut pas compter sur la presse gratuite pour nous informer de
manière complète et honnête, en tous les cas pas de manière tout à
fait désintéressée !
Les journaux supports de publicité finissent dans les corbeilles à
papier après avoir pollué nos esprits.
C’est encore un signal d’alarme d’un système politique défaillant.
Ça sonne souvent pour rien et on continue comme avant, on ne
fait pas attention.
Nous sommes assommés par des informations de toutes natures,
de fiabilité diverses. Que sait-on au final, que retenons-nous ? Que
fait-on de toutes ces infos et que choisissons-nous d’occulter ? Nous
savons tous qu’un flux d’informations "immatérielles" a également
un impact écologique. Lire un document sur internet, envoyer un
mail, utiliser un moteur de recherche, tout cela a une coût, une
répercussion. Nous savons - enfin si nous voulons savoir - que les
cols de fourrure estampillés synthétique peuvent provenir d’animaux
exploités à cet effet, pour des raisons de coût de production. Nous
déléguons à d’autres les soin d’assumer notre barbarie. Nous ne
pouvons pas non plus nous contenter de collecter les informations
mortifères qui serviraient de prétextes pour ne plus rien faire.

Normalement, quand on apprécie un écrivain, on aime son style


ou bien ce qu’il a trouvé à nous raconter mais la vie privée de

97
l’auteur ne nous concerne pas. Ses engagements, ses idées politiques
ne doivent pas gêner le plaisir de la lecture.
J’aime certains écrivains classés, à tort ou à raison, à droite. J’ai
adoré lire Louis Ferdinand Céline et Knut Hamsun. Je pense que
l’écrivain, le vrai, celui qui est lu, peut s’engager, mouiller sa
chemise, mais ne doit jamais confondre la rédaction de tracts avec sa
prose.

Pour un écrivain mondialement inconnu, c’est différent. Il sait


qu’il ne pourra pas utiliser une quelconque notoriété pour faire la
promotion de ses idées, et personne ne prête attention à lui alors il
utilise sa plume pour pouvoir l’ouvrir tout en sachant qu’il ne
touchera jamais le grand public.

Avant, le… enfin la …, tout allait à vau-l’eau et tout s’accordait


pour donner raison aux plus pessimistes. Les gens étaient
irréductiblement attirés par la niaiserie. Au lieu de s’identifier à des
intellectuels, des gens, fiers d’être incultes, s’identifiaient à des
marques de transnationales et pataugeaient ainsi dans l’art de
combler le vide. Les gens étaient fatigués.

Les lançeurs d’alerte

Pour tenir un stand politique, on devait faire des efforts


d’originalité pour attirer le péquin, on devait séduire à tout prix. Il
fallait faire des concessions sur la forme. Pour un livre, c’était
pareil ! Pour faire ma clientèle je devais être léger, drôle et occulter
tout le reste. Les gens préféraient subir et ne pas se prendre la tête.
Les gens de gauche aimaient causer au coin du feu, faire la
révolution sur le papier, démonter le moteur sans se salir les mains et
bien évidemment dessiner la société de demain comme un
ornithoptère avec tous les plans et les vues éclatées mais sans les
boulons.
Tous mes nouveaux amis se posaient la question de la meilleure

98
manière de parler au peuple sans pouvoir être taxé de "simplistes, de
démagogues ou de populistes" mais sans les gonfler, sans leur faire
peur, sans les faire fuir et déserter les assemblées citoyennes.
Comment attirer l’attention en disant des choses désagréables à
entendre ?

Les animateurs du Front national s’étaient fait leur place au soleil


par la voie légale des élections.
les agitateurs d’idées versaient moins dans l’auto-congratulation
habituelle et en étaient même arrivés à s’autoflageller. Que faire pour
que le bon peuple se ressaisisse et ne cède plus si facilement aux
sirènes des emberlificoteurs ? Comment convaincre les gens qu’ils
devaient se prendre en charge ?

Certain cocos restaient attachés à de brillantes analyses, à des


discours fleuve et aux veilles ficelles d’un monde ancien, celui du
productivisme facteur de progrès social. Fermer les abattoirs, les
centrales nucléaires, il n’en était pas question ! Critiquer les
avantages acquis de la CGT du livre, considérer que ce qui était
valable en 1947 ne l’était plus en 2014 était perçu comme une
position de droite ou d’anarchiste ! Etre à son compte, travailleur
indépendant, était synonyme d’enrichissement individuel…

J’ai traqué bénévolement les tares des combattants virtuels pour


un monde réel mieux fagotté.

Verticales cloisons, plancher à l’horizontal


nous sommes bien dans nos maisons
donnez moi une raison d’en sortir
Encore une conférence
écoutons ceux qui ont des choses à nous dire
Partons quand les beaux parleurs seront déchainés
persuadés qu’il faut les écouter
Ils n’ont aucune question à poser.
Ils veulent juste dire qu’eux, ils savent, ils ont compris.
Les gens de gauche m’énervent à inventer un nouveau monde

99
avec des mots.
Ils parlent bien, je ne dis pas mais alors qu’est ce qu’ils se la
racontent !
Des phrases à satiété , des concepts, des citations
et chacun de rentrer chez soi
en attendant des jours meilleurs
la révolution de nos pensées
avec le chauffage par le sol.
Ce qui est rassurant, c’est de savoir qu’ils ont réponse à tout !
La révolution des lumières est contenue dans leurs têtes !
Les militants, pas ceux qui causent au restaurant, m’énervent
avec leur mégaphone, leurs pancartes.
Les activistes me font flipper avec leur clandestinité, leurs prises
de risques.
Qu’on me laisse en paix !
Moi je suis dedans-dedors,on et off, je suis « entre ».
Pas content comme le con qui chante, mais pas militant comme
celui qui sonne le cor.

Fausses évidences

Yaka mettre le smic à 1700 euros, yaka prendre aux riches, yaka
utiliser les gains de productivité et faire croître les biens réellement
utiles au lieu de faire croître les dividendes en ajoutant de la
pollution. Yaka faire une société du mérite mais tendance
républicaine, celle du "à chacun sa chance", pas seulement "bonne
chance à celui qui est bien né et qui pétera dans la soie" et si ceux qui
sont bien nés ne veulent pas lâcher leurs privilèges, yaka faire une
révolution.
Et c’est tout ! Et ça ira, ça ira !

Oui cela était naïf !


L’économie, c’est une science complexe, inaccessible au grand
public, faite de formules mathématiques et de raisonnements hyper
logiques que seules les experts peuvent maîtriser.

100
Heureusement qu’’il existe des experts pour contredire les experts
"offciels".
Il fallait donc leur faire confiance et s’ils disaient : l’économie
veut ça, il fallait baisser la tête et faire comme ils disent ces
messieurs et dames qui causaient si bien dans le transistor.
Ils pouvaient ainsi concilier des logiques assez opposées. Il
suffisait d’employer de nouveaux mots et balancer un peu de poudre
aux yeux.

Le salarié était un collaborateur. S’il gagnait peu, il avait au moins


la chance de faire partie d’une équipe jeune et dynamique. Le patron
qui passait deux heures par jour, fils à papa, tête à neuneu, n’était pas
un patron, c’était un manager animateur de groupe. L’entreprise
n’était pas une boite, c’était un centre de profit. Il était profitable à
tous de faire tourner la machine, de s’investir à fond, car sinon on
risquait de perdre son emploi. Le manager était super car il nous
permettait de travailler pour lui, enfin pour le centre de profit. En
somme, il fallait faire comme si on travaillait dans une coopérative
mais ne pas raisonner avec des idées ringardes et vulgaires du genre
"écart de salaires", droit d’expression, co-gestion.
Le manager n’était en place que pour quelques années, c’était fini
le temps de "papa-maman". Tant que le manager faisait jouir les
actionnaires, il restait à son poste et même si sa rémunération
représentait 150 fois le salaire d’un magasinier, ce n’était pas grave,
tant que ce qu’il faisait permettait aux actionnaires de palper toujours
plus de pognon !
Il fallait le croire sur parole, le manager faisait tourner la machine
pour le bien commun. Il ne pensait pas qu’à sa pomme ou à celles
des actionnaires, il créait des emplois tant qu’on le laissait libre de
licencier de dégraisser (ré-organiser), de moderniser, d’en faire plus
avec moins. Ce n’était pas de sa faute s’il fallait faire face à des pays
émergents qui voulaient arriver au même niveau de développement
que les anciennes puissances économiques. Il fallait faire durer le
plaisir, rester dans les pays de tête et pour cela renoncer à de vieux
avantages acquis. il fallait faire des efforts d’adaptation. les gens du
peuple étaient trop bêtes pour comprendre cela.

101
On vivait plus longtemps, il fallait bosser plus longtemps. ce n’est
pourtant pas compliqué. Les chinois bossaient plus que nous, il fallait
bosser plus, baisser les charges, le COÛT du travail et ne pas trop
taxer ceux qui touchaient les bénéfices des richesses produites car
sinon, ils finiraient pas ne pas être de bons patriotes et par dissimuler
de l’argent ou ils iraient massivement s’installer au parc d’attractions
Flouze land. Il fallait faire des sacrifices au nom de l’avenir. Les gens
pauvres avaient du mal à comprendre cela ! Ils considéraient que l’on
foutait de leurs gueules alors qu’il ne s’agissait de s’adapter aux lois
économiques…

Choisir son camp

Qu’il est loin le temps de mes vingt ans …


Je me suis assagi, tellement assagi que je suis devenu "poreux"
aux doux chants de la Modernité-Monde.
J’ai regardé passer les trains et j’ai aimé la bière. Et je suis devenu
peureux.

Au lieu de céder aux sirènes du "tous pourris", au pic du temps


"médiatique" de l’affaire CAHUZAC, j’ai adhéré au parti dans lequel
officie celui que l’on appelle un tribun populiste, le parti de gauche,
parti le plus en rapport avec mes convictions et mon milieu social.

Je dis que l’on désigne Jean Luc MELENCHON comme tribun


populiste en faisant comme s’il s’agissait d’une vérité officielle, ce
qui est sûr, c’est qu’il dérange suffisamment pour que l’on cherche à
le discréditer. Quoi qu’on en dise, je ne pense pas qu’un homme
politique qui prend tant de soin à expliquer en renouant avec la
tradition de l’éducation populaire (l’élitisme pour tous) puisse être
considéré comme flattant les bas instincts Pour moi il est surtout un
excellent orateur qui pratique la pédagogie comme sport de combat
(cela ne vous rappelle rien , cette phrase, non d’un Bourdieu !)

Alors oui on peut le trouver peu "diplomate" eu égard au contexte

102
actuel où on taille les mots comme des haies de parc privés, arrogant
car c’est lui qui veut mener la danse de l’interview politique. Je ne
suis pas d’accord avec tout ce qu’il dit et sa façon de le dire mais je
suis d’accord sur l’essentiel, je le trouve cultivé, franc du collier,
honnête et responsable. Pour moi, c’est un "René Dumont " en plus
social. Il réhabilite le politique. Il est capable de créer une dynamique
avant que le recours à la dynamite ne soit la seule alternative.

Je déteste la violence. Énoncer les choses sans fioritures n’est pas


une violence, c’est devenu indispensable.
La violence c’est l’exclusion, la mise au ban de millions de
personnes, la disqualification sociale pour l’unique jouissance de
personnes sans mérites, sans talents, elle est là la violence !

Monsieur le camarade Jean-Luc,

Je ne suis pas imperméable aux tentatives pour te discréditer et je


participe au concert de klaxons des gens affolés pour te dire que tu
coupes souvent la parole, que tu es rogue et parfois même méprisant.
Une personne plus placide aurait donné une image plus sympathique
du Front de Gauche, plus édulcorée, plus dans l’air du temps, quoi !

Tu peux prendre la parole mais il ne faut pas trop déranger non


plus les gens bien élevés, sinon, tu n’es pas "cool" ..
Tu nous rends davantage service en ne lâchant rien et en ne
voulant pas que la forme prenne le pas sur le fond ! La forme c’est
quand un homme de ménage est appelé « technicien de surface »,
une standardiste « chargée d’accueil » et le centre national des
patrons « le « mouvement ». Tu ne te fais pas piéger par la guerre
des mots, tu expliques bien, tu es pédagogue et il est clair que tu ne
prends pas les gens pour des incapables ou imbéciles. Je te le dis
tout de go, ce sont tes discours qui m’ont donné envie de ne pas
laisser la place au Front National, et d’adhérer au Parti de Gauche,
le 3 avril, en pleine « affaire Cahuzac ». Ce qui te différencie d’un
tribun classique ou d’un démagogue, c’est que tu te bats pour

103
réhabiliter l’éducation populaire et l’éveil politique.
Comme toi , je dis souvent "Je", mais je ne suis pas comme toi.
J’ai milité pour l’objection de conscience à 16 ans et pendant 15
jours au parti humaniste. A 20 ans j’ai adhéré aux Verts. J’ai
participé à quelques actions et campagnes électorales locales. Et
puis assez rapidement, j’en ai eu marre. Marre des gens, marre des
actions symboliques, marre de parler à des abrutis. Je n’ai pas eu
envie "d’évangéliser", pas eu la patience ou la volonté de surmonter
ma timidité afin de convaincre de la justesse mon credo républicain.
J’ai commencé à écrire, j’ai commencé à aimer boire et j’ai
commencé à me replier sur moi même, à m’enrouler autour de mon
nombril, à me plier en quatre pour me donner de bonnes raisons de
ne pas agir et j’ai subi, avec d’autres personnes résignées, les
bonnes paroles des gens qui savent et les bonnes actions de ceux qui
me promettent le paradis sur terre, demain. J’ai fait quelques
immersions, quelques apparitions (quelques manifs, asso de quartier
etc..) mais je ne me suis jamais vraiment impliqué. J’ai tenté d’être
pragmatique, concret, bosser dans les énergies renouvelables, faire
carrière dans le social, mais à force d’arrondir les angles j’ai
vraiment fini par tourner en rond. Je suis « entre », pas du tout dans
l’acceptation du modèle libéral mais pas non plus dans les luttes. Je
suis dans le rejet théorique, mais comme tu l’as bien expliqué à RTL
à laurent Bazin, ma logique de survie économique, ma peur de
perdre le peu qu’il me reste, m’amène à l’oblomovisme. Je suis
devenu, comme beaucoup de monde, un anti libéral en carton plâtre.
Je fais partie du décor et je ne dérange personne. Je subis les
changements, les récessions, les régressions.

J’en ai ras le bol ! Je suis né un mois après mai 68, tout était déjà
plié, et je me suis pris les chocs pétroliers en plein dans mes rêves de
société du progrès technologique. J’ai assisté à la prise de pouvoir
silencieuse des publicitaires, des capitaines d’industrie, des agences
de notation, des assureurs et des financiers. Boulots et salaires de
misère de magasinier, de facteur remplaçant, de chauffeur, de
menuisier bois, de menuisier alu PVC, de serrurier, d’animateur,
d’employé de bureau, artisan en micro entreprise, d’auto

104
entrepreneur, d’homme de maintenance. J’ai l’impression qu’un gros
rouleau à gazon m’est passé plusieurs fois dessus. J’ai pu me relever
mais à chaque fois, je suis pas mal secoué. Il m’arrive de guider
ceux qui poussent ce rouleau et il m’arrive de le pousser moi aussi.
Le mec pour qui nous le faisons, on ne le voit jamais mais on
suppose qu’il se la coule douce. Si le progrès c’est ça, je n’en veux
pas ! Les conséquences de l’inaction sont devenues intenable car
l’impasse est bel et bien réelle ! J’ai assisté au tout début des années
90, à des conférences animées par des personnes de valeur comme
René Dumont et je pense de puis longtemps que nous sommes à la
croisée des chemins (je pense donc j’essuie mes larmes). Je n’ai pas
de télé depuis deux ans, je résiste à certains désirs livrés prêt à
l’emploi par les publicitaires, je crois de moins en moins aux temps
forts médiatiques consacrés au réchauffement climatique et de plus
en plus en la planification écologique car les bonnes intentions ne
suffisent pas. J’espère un réveil citoyen, un sursaut démocratique
pour arriver à un "changement de paradigme", comme dirait Alain
Lipietz, ou alors nous assisterons à un putsch de la bêtise ambiante
avec des agissements comme ceux des consommateurs pressés de
faire des bonnes affaires sur les cendres du Virgin Mégastore et la
violence ne sera plus celle larvée (mais bien réelle) des donneurs
d’ordre mais elle sera celles de gens ordinaires déboussolés.
D’après un commerçant de ma famille, tu es le grand méchant qui
va faire fuir tous les riches, mais finalement, si le chercheur en
biologie dont tu parlais à une émission reste, lui, et continue d’aimer
son taf et de le faire bien, qu’un mec sans mérite particulier aille
vivre dans sa forteresse ailleurs ne va pas me déranger.

Le 5 mai, 2013, j’ai promené mon balai et je me suis senti bien

Le 15 mai , je suis allé à ma première assemblée citoyenne et je


me suis senti à l’aise.
Je viendrais voir le film que j’avais envie de voir tant ils en ont
parlé à France Inter, le grand retournement » au festival Visons
sociales et, si j’ose m’approcher de toi, je t’offrirai le troisième livre
d’un écrivain mondialement inconnu, le « pot cherche cornichon »

105
d’Auguste Picrate. C’est un peu la déroute d’une personne qui
pratique la fuite en avant, qui s’ennuie, mais qui finit par se lever. Il
y est question de toi, du front de gauche, de clémentine Autain. Plus
que d’un cheminement intellectuel, il s’agit d’une tentative pour
mettre la tête hors de l’eau, pris dans un flot d’aspirations
contradictoires (dernier chapitre) J’ai pris la liberté d’afficher ma
conversion de sympathisant europe écologie-les verts, à celle
d’adhérent au parti de gauche. Tant pis pour les éventuels lecteurs et
lectrices qui seraient rebutés par des considérations politiques. En
principe, lorsque l’on veut se la péter écrivain, il ne faut pas faire
référence à l’actualité, il faut prétendre à l’universel. Quoi qu’il en
soit, il ne s’agit pas d’un essai politique. Je l’ai classifié essai
érotico-politique et guide de l’anti séduction. Il y est surtout question
de formes, et de déformations. Il y a des passages amusants et
quelques jolies phrases à effet sonore. Je ne serai pas vexé si tu ne
trouves pas le temps de le lire. J’y parle aussi d’un journal qui aime
t’égratigner : la décroissance. J’aime ce journal de la même manière
que j’aimais lire à une époque le monde libertaire. J’ai une
sympathie intellectuelle pour certains contributeurs mais le temps est
venu d’agir et vite et je suis heureux d’avoir choisi mon camp. Je te
trouve positif, pas au sens qu’un hypermarché le voudrait, pas au
sens de tenter de soigner son mal être en s’entourant d’objets
rassurants mais parce que tu proposes à chacun de retrouver sa
capacité de s’indigner et de prendre la parole, et de relever le
menton.

Tu m’as redonné espoir, tu démontres que les mots ont du poids et


que la politique sert à quelque chose, alors merci Camarade !

Je pourrais lire plein d’ouvrages de sociologie, d’histoire, de


philosophie mais à quoi bon ? Non pas que j’avais tout compris, que
je savais tout, mais j’avais une idée tranchée sur le constat !
Des scientifiques, des météorologues pouvaient affirmer que le
réchauffement climatique n’était pas un réel problème, des
journalistes-écrivains pouvaient déblatérer avec des phrases bien

106
emballées les thèses du font national et désigner l’ennemi :
l’émancipation des femmes, les musulmans, les écologistes, le front
de gauche.. Ils seraient toujours entendus et suivis par des gens
fatigués de chercher et qui se trimballeraient toute leur vie avec leur
soupirs et nous devions faire avec !

Je voulais, à mon niveau, avec des termes simples, exprimer ce


qui m’empêchait de quitter un monde perdu pour un nouveau monde,
du moins à entrer tout entier dans une démarche de transition.
Je n’avais pas grand chose à perdre, car dans le vieux monde
pourrave, il n’y avait rien auquel je ne pourrais facilement renoncer.
J’avais beau écouter les arguments des journalistes, politiques ou
intellectuels de la droite décomplexée, je ne croyais pas que « Les
actions guidées uniquement par l’intérêt personnel de chacun peuvent
contribuer à la richesse et au bien-être de tous. ».
On ne pouvait pas pour autant me soupçonner de ne pas aimer
avant tout la liberté et je me suis toujours méfié des organisations
bureaucratiques et des hyper structures transnationales Je n’étais pas
un collectiviste. Je n’étais pas non plus pour les organisations dans
lesquelles seulement dix pour cents des salariés étaient actionnaires
de leur entreprise, j’étais pour la véritable coopérative, celle dans
laquelle la gouvernance démocratique n’était pas un vœu pieux.
Je voulais que les gains de productivité ne servent pas à licencier
des gens, et par la menace du chômage structurel, rendent les salariés
aussi dociles que des consommateurs hébétés. Un nouveau contrat
social, après quelques expropriations, pouvait permettre de donner du
travail à tous sans y laisser la santé. Les patrons me faisaient chier
avec leur ritournelles sur le coût du travail, eux qui gagnaient des
rémunérations mirobolantes au nom d’un risque qu’ils n’assumaient
pas ! Je ne savais pas ce que que c’était que de gagner plus que mille
trois cents euros par mois et cela me faisait suer de voir des bipèdes
en costards sur mesure à deux mille euros « décideurs auto proclamés
de notre avenir en commun » en réclamer toujours plus ! Ce n’était
pas normal de se faire enfumer ainsi ! Les journalistes de la télé me
gonflaient à vouloir me faire avaler la soupe insipide des peuples en
compétition et que je devais sacrifier au temps présent pour espérer

107
de jours meilleurs. Je n’avais rien contre les gens qui entreprenaient,
j’avais moi même tenté l’aventure, mais je n’avais strictement rien à
voir avec ces prétendus capitaines d’industrie capteurs d’héritage.

J’avais souvent l’impression qu’en réduisant ainsi à quelques


petites phrases les réalités d’un monde complexe, je ne faisais pas
bien mon boulot.
Il n’était pas non plus possible de se parer de la rigueur
intellectuelle et de l’approche scientifique face à des usurpateurs et
des cracheurs de feu de tous bois. Ils osaient étaler devant le « grand
public » - des gens affaiblis par des années de crise, désemparés,
noyés dans l’ère du vide mais aussi des abrutis fiers de le rester - de
faux raisonnements, du bon sens qui puait la revanche, de fausses
évidences mais surtout des idées honteuses Après Camus, Sartre,
Deleuze, Mounier, Bourdieu et tant d’autres,nous avions des Ménart
et de Zemour, et des présidents comme Sarkosy et Hollande. Nous
étions dans l’ère de la communication, à un moment où Nabila avait
réussi à se faire un nom sans avoir inventé la machine à cintrer les
bananes.

Le marché aux cons

Inutile d’attendre les soldes ou le marché de Noël


Le marché des cons est ouvert toute l’année et çà rapporte gros.
Temps de retour sur investissement à très court terme et après …
Après vogue la galère.
Le con s’autosuffit, le con se reproduit tout seul , le con
consomme,
le con fait ce qu’on lui dit de faire.
mais le con ne résiste pas aux intempéries, le con déteint et n’est
pas garanti à vie.
Le con achète les journaux paramétrés pour lui. Le con a été
étudié sous toutes les coutures.
Le goût des cons est commun. Le con favorise la standardisation
des normes et des procédés.

108
Le con est prévisible le con n’est pas forcément dangereux, mais il
peut être nuisible ;
Le con vote pour des cons et le con pollue.
J aurais pu gagner un fric fou en misant sur le con !

J’avais choisi mon camp mais je me méfiais des personnalités trop


enthousiastes ou trop pressées. Je n’étais surtout pas trop pressé
d’aller au combat. J’avais toujours mieux à faire, écrire par exemple,
en feignant de croire que je payais mon tribut ainsi.
J’avais un problème relationnel avec les militants trop exigeants
que je considérais un peu facilement comme trop intransigeants.

J’admettais que leur souci de cohérence entre le discours et les


actes était tout simplement plus élevé que le mien mais ils
m’agaçaient à se vouloir être exemplaires par tous les temps ! Je
détestais les prêcheurs qui, persuadés d’avoir raison sur les autres,
voulaient convertir les ignorants. Certes, il y avait urgence et il fallait
que chacun s’interroge sur son impact, sur son « empreinte
carbone », mais il y avait assez de problèmes avec tous ces excités de
la religion pour ne pas opter pour les mêmes méthodes de persuasion.
Il fallait changer les lois, les codes, la constitution mais ce ne
pouvait être par une loi suprême révélée mais par une œuvre
collective rassemblant poètes, chercheurs, chômeurs, actif, parasites,
artistes et physiciens.
ll y avait des végétariens qui vous refusaient le droit de manger de
temps à autre des sardines, des écolos qui critiquaient la fourche
aluminium de mon vélo, des vegans qui ne voulaient pas que les
chevaux tirent une calèche sous la pluie, tout ceci était dans un souci
de cohérence mais faisait flipper ceux et celles qui avaient envie
d’évoluer sans avoir l’impression d’opter pour un monde de
privations.
Le monde de demain deviendrait morbide si on ne changeait pas
radicalement mais l’idée que la révolution puisse être austère ne
m’allait pas.
La révolution allait venir par des petits riens, mais des petits riens
qui étaient concrets, pas dans la communication ni le symbolique.

109
Les partisans de l’extrême droite avaient réussi leur relooking et
devenaient fréquentables, des gens que l’on voyait de plus en plus
sur les plateaux de télévision. Ils voulaient eux aussi casser le
système mais ils resteraient à tout jamais des gens autoritaires
ennemis de la liberté.
Les idées de mes copains et de mes copines restaient minoritaires.
On les trouvait sympathiques mais pas suffisamment réalistes.
Pourtant, les faits semblaient bel et bien leur donner raison et depuis
lontemps.
J’avais longtemps oscillé entre les réformateurs socialistes et les
révolutionnaires de gauche. Le réalisme que je subissais ne
m’enchantait pas. On pouvait regarder ailleurs, on allait au désastre.
Il allait falloir faire un pas de côté, réfléchir et agir autrement.
Face à l’urgence, ma prudence était excessive.
C’était dur de s’adressera aux jeunes urbains, de leur dire que tous
ces biens qu’ils accumulaient allaient finir par leur exploser à la
gueule, qu’ils ne pourraient pas comme dans les années 70, « vivre
heureux en attendant la mort ». Il fallait qu’ils changent, qu’ils
inventent un autre monde sans compter sur les rabats joie et les peine
à jouir pour leur venir en aide. Ils devraient se démerder.

Les excès provoqués par lassitude, lâcheté ou indifférence sont


encouragés (que le tiers monde crève on s’en fout, que la planète soit
détruite, on s’en tamponne le coco en dehors des heures des grandes
messes événementielles.). Ceux qui se battent, refusent la
résignation, nous dérangent alors on leur colle l’étiquette
d’excessifs…
On peut toujours les prendre en flagrant délit de défaut de
cohérence, c’est commode pour se dédouaner. Tu nous sers à boire
dans un gobelet en plastique jetable ? Tu transportes ton matos de
promoteur de l’écologie dans une voiture, pas dans un vélo cargo ?

Ce qui est dur, c’est d’essayer de changer ses habitudes dans son
coin pour s’apercevoir à chaque "expérience collective" qu’au sein
du groupe, il y en aura toujours un ou deux pour se servir plus de
bouffe que les autres et foutre en l’air ton tri des déchets. Plus tu fais

110
preuves de cohérence, plus tu effraies les gens qui seraient près à
faire un pas vers toi. Tu passes pour le rabat-joie, le tueur de bonne
humeur.
Faut-il pour autant, par souci de faire œuvre pédagogique, pour
rassurer, séduire, occulter les efforts à fournir pour repenser la
manière dont nos actes les plus courants marquent les jours suivants.
Nous ne consommons pas comme les anciens. Tout ce que nous
faisons dans l’instant a un impact profond, parfois irréversible sur
l’environnement.
Il est tentant de fuir ses responsabilités et de faire comme si rien
n’avait changé depuis l’avènement de la consommation sans limites.
Il est tellement facile de faire comme les gens ordinaires et de s’en
foutre.
Parler écologie aujourd’hui à un innocent, à un naïf qui sort de
l’œuf, c’est comme si tu t’adressais à un malade alcoolique en lui
annonçant qu’il va devoir réinventer sa vie. Il va devoir se passer de
produits qui lui procurent plaisir tout en le condamnant à vivre à côté
de celui qu’il aurait pu devenir.
Selon la manière dont tu annonces la couleur, tu vas en effrayer
plus d’un. Je crois en l’abstinence heureuse - je n’emploie pas
volontairement le vocable "tempérance" - je crois en la démarche de
simplicité volontaire mais je crois qu’en définitive, JL
MELENCHON a raison de ne pas prôner le remplacement de la
voiture individuelle par les transports en commun ou les transports
non polluants, dans un souci de crédibilité. Il y a urgence à agir
mais effrayer les gens par des positions jugées trop radicales par le
plus grand nombre, et pas assez tranchées par des groupuscules
toujours à la pointe de la cohérence, n’apporte pas grand chose.
C’est éminemment plus compliqué que cela et c’est une question
qui turlipine beaucoup de responsables associatifs soucieux
d’accueillir de nouveaux adhérents sans pour autant mettre en péril
les valeurs qui les animent.

Il y a des choix qui ont été fait par d’autres et il faut s’y adapter.
Les urbanistes, les politiques, les industriels ont transformé les
territoires Il est plus difficile pour un citadin, de travailler, de sortir,

111
de se nourrir de manière responsable, de se loger, de se déplacer que
pour un paysan des années cinquante.

Les évolutions récentes, du moins, ce qui permettrait de croire que


le monde irait de mieux vers plus de justice, ne sont pas tombées du
ciel mais sont venues parce que des rabat-joie ont gueulé, ont
dénoncé, et se sont mobilisés. Ils ne se souciaient pas de plaire au
plus grand nombre, leur seule exigence était de mener un combat
juste.

La reconnaissance du lien de subordination intrinsèque au contrat


de travail a permis la lente élaboration du droit du travail (des
ouvriers ont perdu leur vie en faisant grève, en protestant). Les
inégalités commençaient à se réduire. Cela ne s’est pas fait par le bon
vouloir des possédants. On a reconnu une inégalité de fait et des
outils (le droit, la négociation syndicale etc..) ont été mis en place,
garantis par l’Etat. C’est le simple résultat d’un rapport de forces
politique. Rien n’est venu par le bon vouloir de bons princes éclairés.
Le progrès technique, l’éducation, le temps libre, les institutions
internationales issues de deux grandes guerres, tout concourrait à ce
que l’humanité offre un mode de vie universel pacifique, droits de
l’Homme au bout des baïonnettes et coopération internationale dans
la besace.

Et puis on s’est aperçu que les ressources naturelles n’étaient pas


inépuisables et puis les libéraux nouvelle tendance (ceux qui avaient
dégagé après les années 30) nous ont convaincu qu’un peu plus de
concurrence libre et loyale et qu’un peu de flexibilité, cela ne pouvait
pas faire du mal…

Depuis on produit encore et toujours. Nous pensons qu’il est


devenu impossible de nous arrêter et impensable de se ralentir. On
fabrique de jolies autos, des biens électroménagers à obsolescence
programmée, du meuble jetable, des téléphones, des tubes de l’été,
des modes d’hiver et d’été, des journaux gratuits, des publicités
hyper créatives, des fenêtres en PVC, des évènements médiatiques en

112
veux-tu en voilà et certaines personnes s’identifient à des marques et
les gens ne s’intéressent plus trop à la politique.

Il est bon de retrouver notre histoire, enfin notre devenir, à


l’époque où les gens de gauche faisaient peur aux puissants car ils
menaçaient leur ordre social. A l’époque où les entreprises faisaient
de la réclame pour vendre leurs produits mais où la vie s’inventait à
travers le théâtre, le cinéma, les partis politiques.

Un jour de mars, je suis allé à un débat sur "l’eau bien commun et


/ou service public à ne pas marchandiser", organisé à la Falabrak
Fabrik, à Nice.
C’était intéressant et les oratrices et les orateurs savaient de quoi
ils parlaient. Ils maîtrisaient le sujet, contrairement à moi. Par contre,
ou peut être ne suis-je pas assez habitué au franc parler des partisans
de la démocratie direct, le débat était vif ! Quand je dis vif, c’est un
euphémisme.
Il y a eu à un moment donné une sorte de surenchère idéologique.
Une écoute attentive révélait que les discours n’étaient pas creux,
mais d’un point de vue formel, on pouvait avoir l’impression d’une
vision "paranoïaque" de la vie. Aujourd’hui, à force de croire
d’entendre des fadaises du genre "Bienvenue dans un monde
meilleur ! "(Rhone Poulenc), je suis comme beaucoup de mes
congénères partisan involontaire du "tout doit être lisse " et un mec
comme René Dumont - qui a eu raison avant tout le monde -
passerait pour un exalté.
Si on se fout de la mode et du foot et que l’on ne participe pas
aux "temps forts collectifs", on passe pour un couillon, mais par
contre il faudrait agir comme une "couille molle" ou un ovaire booké
face à des enjeux politiques et culturels. Que nos réactions soient de
plus en plus paramétrables et si peu spontanées est préoccupant.
Avoir raison quant au fond ne suffit pas, il faut posséder l’art
d’enrober les choses, savoir dire les choses de manière crédible. Que
de temps perdu !

La vengeance du concombre masqué</><>

113
La page Face de bouc de Monoprix est en accès libre, enfin c’est
ce qu’elle donne à penser
Son site est gratuit, mais il y a un droit d’entrée officieux à payer :
aller dans le sens où ils veulent. C’est canalisé, il y a des balises. On
peut toujours déconner mais ne jamais parler du fond ! Le liberté
d’expression sur la page Face de bouc de Monoprix est à l’image de
celle de la presse gratuite.

Les gens s’expriment ! Ils ont des tas de choses à formuler mais
cela reste souvent formel et on ne gratte qu’un tout peut peu du
vernis. C’est la culture de l’écran qui paradoxalement au lieu de
libérer la parole nous rend timoré. Sur la forme, on se lâche, on se
permet de faire des commentaires que l’on oserait pas faire de visu,
en face à face, mais cela reste souvent très superficiel et n’a pas plus
d’effet qu’un pet de nonne…

Monoprix n’affiche pas à l’entrée "Attention, si ce que vous dites


ne vous plaît pas, votre commentaire disparaîtra car il n’est pas
conforme à notre ligne politique" car Monoprix veut se la jouer
copain sympatoche, créer une alliance d’intérêts, un sentiment
d’appartenance à la communauté des joyeux drilles heureux de faire
leurs courses.

Mourir pour des idées, l’idée est excellente … (Brassens)

Quand on est bien élevé, on ne critique pas ce que votre hôte vous
a préparé à manger. Et même si elle (c’est forcement une femme qui
cuisine, non ? Ah bon !) vous a préparé un gigot d’agneau, vous
tairez vos convictions de "végétarien en herbe" qui ne sont pas
encore suffisamment solides pour vous inciter à plomber l’ambiance.

Vous ne critiquerez pas non plus la décoration intérieure, enfin

114
tout dépend de votre franc parler et votre degré d’intimité. Pour
certaines personnes, donner sa manière de voir, dire ce que l’on
pense vraiment, sans chercher à blesser, est plus un gage de respect
qu’une attitude lisse de "béni-oui-oui". Enfin, je ne sais pas pour
vous alors je vais passez au "je" …

Je souffre de la maladie des gens heureux malgré eux. J’essaye de


prendre la vie du bon côté de la lorgnette mais quand quelque chose
me dérange je le dis. Je souffre de la maladie des gens qui en disent
toujours trop, qui font le pari de l’intelligence, qui n’ont pas peur de
rire d’eux mêmes. Comme le dit la sagesse populaire, "trop parler
nuit, trop gratter cuit". Parfois je gratte, j’enlève un peu de vernis
mais pas avec l’intention de faire du mal mais plutôt pour laisser
apparaître le "beau". Les gens ordinaires apprécient plus que l’on se
taise et que l’on rigole quand le chauffeur de salles dit qu’il faut rire.
Je préfère être plus naturel.

Si j’assiste à un concert gratuit, au cas où les musiciens ne me


plairaient pas, je ne vais pas leur jeter des tomates ou les huer. Je vais
quitter la salle en faisant le moins de bruit possible. Si ce que dit un
conférencier me déplaît, je ne vais pas l’interrompre. Je vais
éventuellement attendre la séquence des questions, mais timide en
public, la plupart du temps, je la mets en veilleuse et je me contente
d’un froncement de sourcil en guise de protestation.

Si je vais voir une exposition, même si l’entrée est gratuite, je ne


suis pas pour autant tenu de tout apprécier. Je peux dire "j’aime" ou
"j’aime pas" et tout en ayant du respect pour le travail de l’artiste,
essayer d’en donner les raisons.

Si je vais à un récital de chansons de Léo FERRE interprétée par


une chanteuse, accompagnée d’un accordéoniste, d’un contre-
bassiste et un pianiste, tous trois excellents musiciens, je ne vais pas
rouspéter même si je trouve que cela ressemble plus à un salon de thé
qu’à un concert des Ramones, tout cela pour dire, que je suis un mec
gentil, bon public, patient… Ferré est mort il y a 20 ans et même si

115
l’on aime ses airs, ses idées, ses textes ne peuvent être totalement
occultées, même si on lui rend hommage dans une atmosphère
"apaisée" pour ne pas effrayer la mamie ! Tour cela pour dire que
même si on n’a pas fêté l’anarchiste, on lui a rendu hommage malgré
tout.

Par contre, et là je vais faire semblant de m’énerver, si je me rends


sur le site officiel d’un marchand, qui m’envoie régulièrement des
mails depuis que j’ai pris sa carte fidélité et que ce marchand veut se
la jouer tendance, sur le mode "On est tous une bande de copains,
tralali tralère" qui fait sa promotion, sa publicité sur tous les
supports possibles sur le mode "Je ne suis pas là pour vendre des
produits, je suis là pour votre bien être" et que la marque, dans un
souci de cultiver une image positive, me donne la possibilité de
prendre part aux débats passionnants et argumentés de sa page fesses
de bouc, j’y vais !

Je le fais pour me défouler, donc dans un esprit de pamphlet, donc


avec des excès que je revendique.

Si je descends une rivière dans un canoë, je sais que je ne vais pas


avancer en seul coup de pagaie. Certains coups de pagaie ne seront
pas assez puissants, d’autres m’épuiseront mais je dois avancer et
continuer. C’est une image pompée sur le livre du docteur Bruno
KOELTZ "comment ne pas remettre tout au lendemain?"
Parfois, on me laisse l’impression que je suis libre de partir en
virée en canoë mais en fait je suis lié par une corde et si ma façon de
pagayer ne convient pas au loueur de canots de sauvetage, il me fait
couler ou bien il tire sur la corde pour me ramener sur la berge.

C’est un peu ce que j’ai ressenti en tentant d’utiliser mon droit à la


libre expression sur la page promotionnelle de MONOP…
Je décide de sortir du concert de "waouhn ptdr, lol, génial et
compagnie" et je dis ce que je pense de leur dernier film publicitaire
"splash ouah plouf ", sorti sur les petits écrans en 2013, de manière
entière et spontanée.

116
Au début, je me suis attaqué à la forme.
Je n’ai pas de télé, sans "télépseudoviseur", je subis moins le
matraquage publicitaire (Je ne me tape que les spots radios, les
affiches, la pub sur internet et les imprimés que j’entasse dans le
conteneur à papiers). C’est pour dire que je m’en fous pas mal de ce
film en définitive. Il ne s’agit pas d’un film de cinéma, d’un livre ou
d’un disque, il faut relativiser mais j’avais besoin de réagir, pour me
venger d’une humiliation subie et puis aussi pour me réapproprier
mes droits.
Je n’aime pas cette façon pernicieuse qu’ont les marques
d’envahir mon imaginaire. Cela aurait pu en rester là mais j’aime
encore moins que l’on m’ empêche de dire ce que je n’aime pas et
pourquoi je ne l’aime pas. Je n’aime pas les simulacres de liberté ! Je
ne veux pas que ce soit un spécialiste de la psychologie marketing
qui s’attribue le droit de juger de la bonne teneur de mes propos.

En dénigrant, en critiquant, évidemment, vous vous mettez à dos


les aficionados des marques (des gens comme vous et moi, des
consommateurs) et ceux qui en font leur boulot.

LE FILM :

Des adultes organisent pour des enfant une bataille d’eau mais ça
n’est pas très rock ’n roll au fond. C’est dans la pure veine du foutage
de gueule ambiant alors vous lâchez le commentaire suivant :

En dépit des efforts du staff marketing pour me faire aimer à tout


prix la marque Monoprix, développer un sentiment d’appartenance
(MONOPRIX, C’EST COOL, C’est TENDANCE, C’est SOFT
ÉCOLO etc..), je suis en train de faire connaissance avec des
échoppes plus petites, des commerçants de quartier. Je passe plus de
temps à faire des courses mais c’est devenu moins artificiel. Il y a du
lien, du vrai. A l’époque où l’on s’identifiait plus facilement à un
courant de pensée qu’à une enseigne commerciale, les meilleures
batailles à la cantine étaient alors spontanées et se faisaient sans la
bienveillance de gentils organisateurs (qui ne sont là que pour notre

117
bien être et nous permettre de nous détendre, bien évidemment). On
se passait d’eux , et c’était mieux ! Alors les petits zenfants des
années 50 revisitées, balancez vous des bulles, des ballons de
baudruche colorées remplies d’eau, Monop c’est la fête tous les
jours, c’est in, c’est bath (de base ball en mousse) !

Vous envoyez aussi une info sur une conférence dans le cadre de
la journée mondiale de l’eau, "l’eau service public".

Après tout, vous êtes consommateur, vous avez la carte fidélité et


le client a le doit de râler un peu tant qu ’il ne casse rien et qu’il reste
courtois !

Ensuite vous collez un lien sous la photo d’une assiette décorée


avec des cornichons car votre livre s’appelle POT CHERCHE
CORNICHON.

Votre commentaire disparaît (personne ne vous en prévient), on


coupe la photo au montage et il ne vous est plus permis d’en déposer
un autre. Vous changez d’identité et votre commentaire disparaît
également. Le modérateur a occulté vos propos, vous a coupé le
micro en quelque sorte. Sort-il du cadre de son travail ainsi ? Vous
ignorez les consignes qu’il a car il laisse des commentaires de
plaisantins, de fakes, de trolls de je ne sais quoi (des mecs qui se
vantent de voler des blocs de foie gras à 30 euros par exemple).
Le modérateur a dû juger arbitrairement que vous n’étiez pas un
mec cool et qu’il convenait de vous empêcher de vous exprimer. De
quel droit ? Il a tous les droits car il a le pouvoir technologique.

C’est comme si on vous demandait votre avis au cours d’un


référendum et que parce que ce que vous avez répondu ne convenait
pas aux têtes pensantes, on s’asseyait sur votre décision. Impensable,
n’est-ce pas ?

Le lendemain, sur votre chantier, vous écoutez France Inter, la

118
radio de ceux et celles qui ont quelque chose entre les oreilles et
après avoir écouté là Bas si j’y suis, consacrée à " l’e réputation", aux
sommes fabuleuses dépensées pour avoir une image positive, passer
pour une marque sympa, nous matraquer le cerveau sans avoir l’air
etc, vous avez envie d’élever un peu le niveau de la discussion et au
lieu de vous gratter la tête pour critiquer un spot publicitaire, vous
parlez plus du fond et vous dites :

Le client roi des gogos

MONOPRIX, WAOUH ! TU ES MON AMI POUR LA VIE ! En


dépit des efforts de créatifs pour développer ce merveilleux
sentiment d’appartenance, cette fédération d’intérêts et ces
fantastiques pistes de réflexion que vous proposez, je n’y vois que le
piège à cons, sans les élections. Je ne suis pas "oui -oui à la
sucrerie", et je préfère la vraie politique à la politique des prix. Vos
jeux de mots, vos créations culinaires, vos spots et vos slogans sont
bien étudiés, bien pensés, drôles bien comme il le faut, toutefois, ils
ne vont pas dans le sens de la culture populaire mais dans la
direction opposée : la distraction qui ramollit le cerveau (pour le
rendre disponible) Vos intérêts ne sont pas les miens, vous ne me
ferez jamais croire le contraire ! Vous voulez organiser mon bon
plaisir ? Vous voulez connaître mes goûts, mon avis vous intéresse ?
Vous voulez faire comme si j’étais un sociétaire d’une coopérative
alors que je ne suis qu’un client lambda ! Je sais que vous ne voulez
que pouvoir me paramétrer et m’influencer ! Vous voulez rendre
indispensable des choses que ne sont pas essentielles, vous voulez
me faire vibrer pour du superficiel et du "toujours plus" ! Vous en
voulez à mon pognon ! Vous n’êtes pas les pires et j’ai été fidèle à
votre enseigne pendant plus d’une dizaine d’années. Je n’y allais pas
pour vos prix, j’y allais pour rencontrer mes voisins et faire le plein
de sourires. Votre entreprise est dans le fil du temps : Vous me prenez
pour un gogo avec un large sourire, courtoisement. Votre présence
sur Face de bouc ne se justifie que pour cultiver une bonne image et
moi j’ai passé l’age de collectionner les images des tablettes de

119
chocolat. Vous n’êtes là que pour fourguer vos produits et nous
vendre, sans votre tenue de représentant, votre propre définition de
la qualité et votre conception du service rendu. Vous faites semblant
de pratiquer la libre expression mais vous censurez sans prévenir,
vous coupez la photo au montage. Votre boutique se moque de la
personne. elle s’attaque au nombre en lui faisant croire qu’elle va le
choyer. Ce message sera effacé vers 9 heures, lorsque le modérateur
aura bu son café. Tant que je n’aurais pas eu d’excuses officielles,
j’utiliserais tous les moyens légaux pour m’exprimer et je jouerai le
rôle du poil à gratter. "

Curieusement ce commentaire adressé via un amie, restera


quelques jours, sans doute, en raison de la première phrase élogieuse.
"Les gens n’ont plus le temps de lire, c’est terrible, ma brave
dame !"

Les gens jamais contents sont pénibles mais entre les râleurs qui
ne font que se défouler d’une manière lassante et harassante, et les
râleurs (d’autres les appellent les utopistes ou tout simplement les
"impliqués dans la vie politique de la Cité") qui se battent pour que
les choses aillent mieux - ou du moins n’empirent pas - j’ai choisi
mon camp.

J’aimerais tant que le réchauffement climatique, les enjeux en


ressources de base (énergie, eau etc..), l’explosion des inégalités, le
chômage etc… soient des fables. J’aimerais aussi qu’il fasse beau
tous les jours, que tout le monde, hommes et animaux soient radieux,
que l’on fasse des activités épanouissantes, que les petits oiseaux
chantent devant ma fenêtre, que la vie soit comme une comédie
musicale et une bande dessinée vivante…
Je voulais être publicitaire lorsque j’étais adolescent boutonneux.
J’aime le rêve, j’aime les mots. Depuis, j’ai compris que la publicité
ne servait pas à nous informer ni à nous rendre la vie meilleure, mais
à déclencher en nous certains ressorts psychologiques pour nous

120
inciter à dépenser notre argent.

S’identifier à une marque, pour un adolescent, je peux le


concevoir. C’est l’age ingrat, c’est un passage. Croire que le monde
est lisse, cela revient à dire que la terre est plate.

Les publicitaires sont là pour nous distraire. Tous les procédés


sont bons pour nous faire dépenser des sous, céder aux appels doux
de la mode, faire comme tout le monde, suivre le mouvement. Pire
que cela, les publicitaires arrivent à nous faire gober que nous
sommes uniques en utilisant des vieilles combines de psychologie
des masses. Compenser un mal-être par des achats, ne pas se prendre
la tête après une journée de boulot, se détendre, tout faire pour se
détendre et ne pas penser. Surtout ne rien déranger, ne rien remettre
en question. Trimer et s’amuser.

La colère exemplaire : la colère à Néné

Il faut lâcher un peu de pression de temps en temps, si vous


voulez éviter de somatiser.
Une bonne colère, cela vous vidange de quelques pulsions
négatives. Il faut libérer son agressivité si l’on veut s’amender.

Commençons par le plus important, la colère légitime. Laissez lui


prendre l’air de temps en temps, tant que vous maîtrisez vos nerfs,
dès lors que votre amour du prochain a supplanté la haine des
connards, allez y franco quand vous devez vous expliquer !
Au début, des années 1990, j’ai eu le bonheur d’assister à une
conférence de mon maître à penser "number one", René Dumont,

Un jeunot provocateur, votre serviteur, avait lancé une question


stupide, au sujet de l’estimation des stocks céréaliers mondiaux.

René Dumont s’est alors énervé, juste ce qu’il fallait, pour


faciliter une prise de conscience : Nos actes du quotidien ont une
incidence, un micro - impact sur le fonctionnement du monde : "Vous

121
buvez du café, vous mangez du cacao, vous roulez en bagnole, vous
mangez le caoutchouc de vos pneus de bicyclette et patali et patala."
Cela m’a calmé tout net et m’a permis de réfléchir sans fléchir
mais je ne suis pas resté éveillé longtemps. Depuis, je suis devenu
alcoologiste, c’est à dire à mi chemin entre un mode de vie « petits
oiseaux de bonne augure » et le canon scié contre la tempe.

RAS LE BOL !

Dans le film l’an 01, le papa ouvrier à vélo (ils étaient nombreux à
aller à l’usine en vélo) qui ne parle pas habituellement beaucoup (le
père de Coluche dans le film) se met à se bidonner car il a aperçu un
slogan peint sur le mur : RAS LE BOL !

J’en ai ras le bol, plein les guiboles que certains s’en mettent plein
les poches tandis que des ouvrières du textile au Bangladesh
meurent pour que je puisse avec un salaire de miséreux m’acheter un
nouveau fute.

Je dois accepter des boulots précaires, mal payés et faire le dos


rond. Si je ne le fais pas, d’autres le feront à ma place. Ceux qui me
le disent en tous les cas, ne le feraient pas. Ils me disent d’être
mobile, de faire des kilomètres pour gagner ce qui sont capables de
dépenser en une soirée. Et moi, j’ai cessé de les écouter.

122
L’écrivain a failli faire faillite

Pour être élu "le manager de l’année", c’était vachement


compromis !

La caisse de soutien à l’écrivain fauché n’était en fait qu’une


banale caisse destinée à honorer des prélèvements à venir. J’avais
feint de l’ignorer, au tout début du moins, car je dépensais plus
d’argent que je n’en avais. Je vivais en mode écrivain qui ne se
souciait pas des problèmes d’intendance. Je m’étais rattrapé en
vidant mon compte personnel et en versant le chèque de la vente de
ma CITROÊN AX quatre chevaux, cinq portières, pour honorer mes
échéances, échéances qui dépassaient largement le montant de mes
premières recettes.

J’avais cru qu’en prenant un commerce dont plus personne ne


voulait, parce que rapport au temps passé, les gains à en espérer
étaient bien minces, que la mise de fond serait nulle. Avec un différé
de cinq semaines, je pensais que les encaissements me permettraient
de faire face aux prélèvements du Marquis, celui qui me fournissait
ma camelote.

J’avais une montagne de feuillets à éplucher. Je pris mon économe


le mieux affûté mais les chiffres ne changeaient pas, aucun moyen de
réduire à néant les écritures comptables. D’un amas de factures et de
tableaux incompréhensibles, je dus me frayer un passage et me
faire une raison : Les journaux fournis, moins les journaux restitués,
« les invendus », devraient correspondre à ce que je devais. Or une

123
fois la commission déduite, mes encaissements effectués ne
correspondaient pas à cette somme ! Comment expliquer un tel
décalage ? Je suis allé rencontré le Directeur du Marquis. Je suis
ressorti sans avoir entendu la moindre explication.
Au moment où mon petit commerce commence à tourner, je ne
peux plus faire face aux prélèvements qui m’ont poussé dans les
derniers retranchements de la solvabilité.

Travailler chaque jour sans rien gagner de plus que de quoi payer
ses échéances, je me trouvais en plein dans le mécanisme infernal de
l’endettement. Je vais quitter à la fin du mois mon logement.
Le Marquis devait ventiler un prélèvement, il n’a pas tenu parole
et le prélèvement a été intégralement présenté. Cela m’a contrarié.

En allant rendre visite au marquis, j’ai eu la nette impression


d’être en terrain connu, dans une organisation où l’on aime parler et
rigoler pendant que de petites fourmis s’agitent. Quand je téléphone,
j’ai l’impression de déranger. Quand je demande une mise en service
d’une revue demandée par un client, un titre dont je suis sûr qu’il
sera vendu, j’ai l’impression de devoir demander une faveur.

Je ne pouvais pas faire faillite, trois mois après avoir repris le


kiosque, c’était la honte assurée. Ecrivain raté, pas lu, interviewé
passé à la trappe, oui, je l’acceptais, mais pas commerçant failli, car
sinon "déshonneur à la famille"!

Je devais continuer. Je le devais pour mon honneur mais je devais


aussi tenir pour finir mon job d’écrivain ! Le kiosque allait me servir
de parabole pour décrire les symptômes d’un système pervers, d’une
société malade. On vivait mal parce que que les éditeurs se foutaient
de notre gueule en nous balançant de plus en plus des journaux
débiles pour décérébrés. C’était une fuite sans fin, comme s’il fallait
ôter tout esprit critique pour pouvoir vendre de nouveaux produits.

Il y en avait de plus en plus de supports écrits identiques, on ne


savait plus où les cacher, c’était la honte ! Que d’efforts pour divertir

124
les gens, pour les soumettre et les vider de toute ambition ! Je ne
voulais pas quitter mon observatoire de la connerie. J’avais eu un
petit coup de cafard un jour de pluie persistante. J’avais l’air malin
avec mon store qui laissait l’eau passer. Je devais tout bâcher à
chaque grosse pluie. J’avais vu la postière en face avec sa carriole,
qui avait dû batailler pour enfiler son blouson de pluie. Je n’étais pas
si mal loti dans mon kiosque grand comme un abribus.

C’était la crise, cela allait bien plus mal que dans les années 70 et
cela allait chauffer pour ceux qui nous avaient mis dans toute cette
merde. Même mes lecteurs de droite n’aimaient pas les hyper riches.

L’humanité était vendue pour le prix d’un chausson aux pommes,


le figaro à peine plus cher, mais les gens trouvaient que les journaux
étaient trop cher. C’était la fin d’une belle époque, celle où les gens
s’instruisaient, avaient en vie d’apprendre et lisaient des journaux
écrits en tout petits caractères !

Ma situation empirait. D’écrivain non lu, j’allais passer à la


condition d’écrivain qui pue.

Le loyer ne serait pas payé, je devais me trouver un hébergement


contre travaux. J’allais ainsi économiser 540 euros par mois mais je
ne pourrais pas bosser en dehors. Il faudrait qu’avec 750 euros par
mois, je mette un peu de coté pour pouvoir retrouver un logement à
Nice nord. C’était çà ou trouver une femme de cœur qui adopterait
un kiosquier propre et affectueux quoique coureur. C’était cela ou
perdre mon indépendance.

Un écrivain ne peut pas baisser les bras et renoncer à écrire. Il


peut imaginer toutes sortes d’issues, tragiques, comiques ou les deux
mais il doit trouver une chute. Un kiosquier ne peut pas rendre les
armes quand les ramollis du bulbe se tiennent en embuscade. Il doit
contribuer à rendre ses lettres de noblesse à la presse qui informe.

125
Monsieur le Marquis,

J’ai ouvert le kiosque du "square de l’écrivain méconnu", le 17


juillet 2013. J’ai repris la suite de Mme M. qui m’a précédé et qui
avait fermé à la fin du mois de mai, non pas pour prendre sa retraite,
comme vous me l’avez dit, mais parce que financièrement, elle n’y
trouvait pas son compte.

J’ai choisi de ré-ouvrir le kiosque et fait les démarches auprès de


la mairie en sachant que cette activité devrait être complétée par un
emploi salarié ou une seconde activité indépendante. J’ai d’ailleurs
testé l’ouverture les après-midi pour vérifier le rendement du kiosque
en plage horaire étendue.
Soyons donc bien clair, je savais qu’en ouvrant ce commerce je
n’allais pas gagner des mille et des cents mais je ne connais pas
d’autres types de commerce où l’on peut s’y installer sans droit au
bail et investissement initial. La contre partie, c’est que je n’ai pas la
maîtrise de mon stock et je viens d’en faire les frais.

J’ai donc ouvert le kiosque sans épargne en réserve car j’avais


cru comprendre qu’avec le différé de 35 jours, j’aurais eu le temps
de me constituer une trésorerie et être même d’absorber les
échéances futures. Huit cent euros m’ont été prêté par ma mère afin
que je puisse faire face à mes dépenses et m’acheter un premier
stock de confiserie, cartes postales, une photocopieuse, une glacière
et des boissons et payer mon loyer.
Si j’avais su que pour faire face à mes échéances, trois mois après
l’ouverture il aurait fallu que je renonce à prélever l’argent de mes
commissions, je ne l’aurais pas fait.

Je me trouve dans la situation très délicate aujourd’hui (compte


perso à moins 820 euros, car j’ai du le vider, compte pro à 57 euros
avec 154 euros à venir de prélèvement pour la Française des jeux,
dépôt d’un chèque d’une cliente pour un chantier de peinture pour
renflouer mon compte professionnel). Je suis dans cette situation non

126
pas parce que le kiosque tourne mal (mes recettes sont en
augmentation) mais parce que les montants prélevés par vous
dépassent la valeur des marchandises qui ont été effectivement
vendues ou retournés. Ces marchandises ont été bien été livrées. En
résumé, les prélèvements ne correspondent pas à mes encaissements
tout simplement parce que je paye une partie du stock constitué.
Si je reçois 23 titres de magasines sur le thème de la cuisine, je ne
peux pas retourner les numéros précédents puisqu’il s’agit des
premiers numéros que je reçois, et outre le fait que face à telle
inflation de titres, je peux difficilement les présenter correctement
compte tenu des dimensions modestes du kiosque, j’ai un stock
"dormant".
En fait, c’est comme si vous décidiez de faire une dalle de béton.
Vous attendez cinq camions toupie de béton prêt à l’emploi, or ce
sont quinze camions qui déboulent sans crier gare, le béton tourne et
tourne mais vous ne pouvez pas l’utiliser alors vous le renvoyez et
puis vous commencez à recevoir les traites à payer… Certains
camions n’auront fait que transiter par chez vous occasionnant perte
de temps et d’énergie.

Ceci étant dit, je ne vais pas changer l’ordre des choses. La seule
question que je me pose face à des logiques (diffusion en masse) qui
ne vont pas dans le sens d’une gestion fine et adaptée (commerce de
proximité), c’est de savoir s’il est malgré tout possible de travailler
en bonne intelligence avec vous et de concilier nos intérêts.
Pour que je puisse être en capacité d’absorber les hors séries et
la flopée des nouveaux titres du genre ’olé, c’est vrai, histoires,
vraies, vécu, sans blague, ouh là là etc ) auxquels je ne pourrais
couper, je voudrais, au moins, que lorsqu’un titre n’est pas vendeur
compte tenu des particularités de ma clientèle, que les quantités
fournies soient réactualisées et que des remises à zéro soient
pratiquées.

Je sais que n’étant pas informatisé, le réglage de service est


délicat, aussi je vous proposerai à l’étude mes propres stat, et vous
en ferez ce que vous voudrez. Mon intérêt est comme pour vous de

127
vendre le plus possible et donc de coller au maximum à l’évolution
des goûts des lecteurs, tout en pouvant faire face aux échéances car
ce n’est pas mon activité secondaire, au ralenti faute de temps, qui
me permettra de faire face à des échéances trop élevées, qu’on se le
dise !

Aussi, je comprends qu’au mois d’août cela vous arrange de


m’envoyer 14 "Gazetta dello sport" alors que je n’en vends pas deux
par jour. Je ne dis rien quand je ne reçois que 4 "l’équipe" le matin,
mais comprenez que je ne sois pas d’accord lorsque vous me
fournissez pour 580 euros de DVD et revues X ! Je ne suis pas une
annexe de sex shop et je ne vais pas consacrer cinq rayonnages à "à
la queue leu leu ", "chattes d’amour" et autres réjouissances. Je
vends environ 4 à 6 revues "adultes" par mois et je n’ai pas besoin
d’autant de titres et de DVD !

Évidemment je dois avoir une offre assez large pour satisfaire au


goût du public mais je crois que dans ce quartier, le seul moyen de
fidéliser ma clientèle est d’avoir une offre suffisante des titres qui
marchent bien et de pouvoir répondre favorablement et rapidement
lorsque l’on me demande un titre précis et de pouvoir le commander
en petite quantité. Je sais bien que cela engendre des complications
logistiques mais moi, c’est le seul moyen que j’ai de garder mes
clients.

Je vous demande donc de me reprendre une partie de mon stock


dormant, ce qui m’allégera les échéances à venir (voir liste
proposée) à hauteur de 700 euros. Si vous acceptez, je pourrais alors
me faire prêter de l’argent car j’aurais la certitude de pouvoir le
rembourser sur mes commissions à venir (puisque je vais déménager
et prendre un studio loué gracieusement en échange de travaux ) et
faire face à mes échéances à venir et on repartira ainsi sur une base
plus saine.

Je vous demande de ne prélever que 700 euros sur les 1400 euros
exigibles au 30/10.

128
Les 700 euros, vous les aurez plus tard, lorsque vous m’aurez
crédité mon stock d’invendus de DVD cochons, quand votre système
de signalement des réclamations sera opérationnel (un simple
bordereau de liaison en entête du bon de livraison/bordereau de
reprise des invendus suffirait largement et je ne vois pourquoi les
kiosquiers non informatisés doivent faire votre travail), quand vous
serez plus courtois au téléphone et lorsque que vous aurez compris
que je ne vais pas me battre pour vendre des magazines "presse
-cervelles" ! Pour moi, votre boulot c’est de vous faire de l’argent en
contribuant à la culture, donc à l’essor de la République.

Je vous prie, Monsieur le Marquis, de ne plus vous faire prier,


vous n’êtes plus dans un système de monarchie absolue et l’ère du
minitel est révolue ! Ne nous obligez pas à ressortir les fourches !

Le Marquis a fini par réduire les quantités livrées ! Bon


évidemment, il n’a pas obtempéré de suite. Il a fallu qu’il comprenne
que je ne rigolais pas : j’allais désormais me verser mes commissions
et je n’allais pas me faire de mouron en cas de rejet d’une échéance,
mais il l’a fait trop tard. je n’avais plus de trésorerie, aucune capacité
d’investissement et j’ai fait faillite quelques mois après, avant de
rebondir sur un nouveau projet qui a pu se réaliser sans avoir à me
coltiner le Marquis comme fournisseur obligé.

129
Le jour où j’ai cessé d’être con

Le vegan day

Dans ma vie, il ne s’est passé pas grand chose jusqu’à présent. J’ai
toujours projeté plein de choses, eu des tas de bonnes idées mais
concrètement, cela ne pèse pas bien lourd dans l’épuisette.
Je me suis toujours foutu gentiment (car je suis un gars gentil) de
la gueule des végétaliens, de la même manière que je me moquais
des gens qui ne buvaient pas d’alcool, qui voulaient vivre sainement,
lorsque moi je picolais.
Je reçois souvent des infos sur Face de bouc, de Doc Reggae alias
Bruno Blum ou du collectif animalier 06 et cela fait vraiment
réfléchir sur mon niveau de complicité. En achetant de la barbaque,
je participe à fond à un système que je récuse intellectuellement et
l’industrie agro alimentaire loin de changer, accentue la dérive. Je
pollue d’avantage que le citadin qui se pavane en 4x4, même si cela
se voit moins !
Personne ne veut de ce monde, ou si peu. Si l’on attend les bras
ballants, autant crever tout de suite.

J’aime la saucisse sèche mais je vais changer de manière de


m’alimenter et en changeant ce que je mets dans mon assiette, je vais
changer également de mode de vie. Si j’attends indéfiniment que la
souffrance animale cesse par la bonne volonté des industriels
carnassiers, je vais être en porte-à-faux avec mes convictions toute
ma vie.
C’est nouveau chez moi cette envie d’agir par une démarche

130
personnelle car j’ai toujours considéré que l’action collective,
politique, primait sur le comportement individuel.
En bouffant moins de protéines animales, voire plus du tout, je
vais chercher à apprécier des mets plus raffinés. Je ne vais pas
devenir seulement plus gourmet, je vais surtout devenir moins
consommateur passif, prêt à engloutir tout ce que l’on me sert et à
sauter sur tout ce qui bouge. Cela devrait entraîner une autre
démarche spirituelle et une désaccoutumance à la consommation
effrénée de dialogues à deux balles en vue d’obtenir un hypothétique
plan cul, je vais enfin pouvoir redevenir normal, redevenir moi-
même.

Pour devenir végétarien, voire végétalien, je vais devoir me


documenter et donc rencontrer des gens différents, des gens sans
doute plus intéressants que les gens qui pensent qu’avoir raison
consiste à faire comme tout le monde.

131
132
Mort aux cons !

Parfois, je suis de mauvais poil, surtout quand en arrivant avec à


peine dix minutes de retard, cinq clients s’impatientent, tellement ils
sont pressés de lire les nouvelles locales. Il se met alors à pleuvoir
alors que j’ai ouvert mes portes en grand, en dehors de la zone
protégée par mon store en toile non imperméabilisée et j’ai déjà
envie de pisser alors que j’ai oublié ma bouteille de jus de pomme à
collerette large. Je déballe mes paquets et je constate que je vais
manquer de certains titres (comme l’Equipe) et que mes "GALA" ont
dû mal à se remettre du voyage (le cerclage a endommagé leurs
magnifiques couvertures en papier glacé). Je passe en revue le Nice
Matin, toujours pas d’article sur Auguste Picrate. Une de mes futures
"dames de bonne compagnie" et amoureuses potentielles du quartier
me dit qu’elle a rencontré quelqu’un d’intéressant car il a une moto.

La pluie, le pipi, les contrariétés de la vie… Il faut bien que je le


fasse payer à quelqu’un ! Les jeunes skaters qui sont venus
m’acheter des bombecs, je les ai fraichement accueillis et le mec qui
m’a acheté le Monde et une revue de femmes à poil aux fouffes
épilées, je lui ai mis dans un sac plastique transparent estampillé en
lettres oranges fluorescentes

"Au Kiosque du père Boyer, des revues HOT toute l’année !"

Du coup, j’ai retrouvé le sourire.

Je tiens à garder mon observatoire des belles et petites choses de

133
la vie. Je me battrai pour ne pas fermer.
Moi je n’aime ni le foot, ni les ragots, ni les princesses, ni les
jeux ! Je n’aime que la bouffe, les femmes, le ciné et mes clients. Je
m’intéresse à ce qu’ils cachent sous leur chapeaux.
Il y a de petites histoires qui te donnent envie d’embrasser tes
contemporains, d’autres qui t’incitent à prendre le large et celles qui
t’incitent à te soulever.
J’assiste aux premières loges, aux dernières salves d’un monde
fini, celui la démesure. Il a de quoi écrire l’écrivain fauché !
J’assiste aux derniers soubresauts d’une société fatiguée qui s’épuise
à force de vouloir nous divertir. Je constate que les jeunes
s’emmerdent et que l’on ne sait plus quoi inventer pour nous
empêcher de nous rencontrer et de nous fédérer.

Aujourd’hui j’ai reçu une nouveauté, le magazine "dingo-dingo".


Il ne s’agit pas, vous vous en doutez bien, d’une revue de
vulgarisation scientifique ou philosophique mais d’une simple revue
tout simplement vulgaire qui disparaitra rapidement, pour être
remplacée par une parution encore plus minable. Personne ne vous
oblige à la lire mais moi je suis obligé de vous la proposer, et croyez-
moi, parfois, j’ai honte. Les gens qui fabriquent ce genre de merde
ne le font avec la moindre considération pour leurs clients. Ils font
dans « le crétin, dans le lourdingue, dans le sordide", ils encaissent et
ils passent à autre chose. A coté de ça des éditeurs qui font l’honneur
de la presse, doivent se battre pour être lus, diffusés, vendus.
Certains journaux se sont ainsi retirés du réseau de diffusion
traditionnel, pour des raisons éthiques et économiques, ne souhaitant
pas participer au gaspillage (Pour être présent partout il faut y être
en nombre, il faut du tirage avec un taux d’invendus souvent
supérieur à 50%). La formule de l’abonnement en kiosque, comme
Nice Matin tend à développer, devrait servir d’exemple à mon
humble avis de kiosquier qui sort de l’œuf.

Pour moi il ne faut pas avoir peur de simplifier dans un monde


qui vire à l’absurde, pas l’absurde des Monthy Python, l’absurde
des gros cons.

134
Je classe la population mondiale en deux catégories : Les
hooligans de "Causeur" et les supporters de "Causette". Les causeurs
ont le vent en poupe ! Les pro-Causette sont ceux et celles qui me
donnent la pêche "en chantant avec Aragon, que le poète a toujours
raison, qui voit plus loin que l’horizon (…)"
Les "Causeurs" ont la belle vie en ce moment ! Ils se sentent forts,
en groupe et ils sont suivis. Ils sont à la mode, on leur fait une grande
place dans le temps médiatique. Ils ne sentent plus pisser et se voient
déjà au second tour de l’élection présidentielle. Ils franchissent
régulièrement les pas qui nous séparent des chutes du Niagara des
toilettes suspendues ! On ne fait pas dans la finesse avec ces gens là !
Il ne faut pas dire qu’ils sont décérébrés, car l’insulte est contre-
productive. ils sont "anti-système", ils souffrent d’assister,
impuissants, au délitement du monde, au manque d’audace, au
désespoir et ce constat "d’empêchement à agir" les pousse à trouver
des coupables plus accessibles. Ce sont les rebelles qui rendent grand
service aux génies du commerce qui ont tué le lien, nous ont rendu
influençables à souhait pour absorber les nouvelles offres. Les anti-
systèmes de façade ne font que rendre plus compliqué le
développement des alternatives car ils ajoutent de la confusion à une
situation complexe. Ils brouillent les pistes. Ils sont des râleurs
patentés qui aiment l’ordre. Veulent-ils vraiment la disparition du
libéralisme pour retrouver plus d’autonomie, plus de liberté car plus
de responsabilité, un épanouissement de la personne ?

Cette revue « dingo dingo », elle sera dans la pile des journaux
pour demeurés, dans le coin le plus obscur de mon kiosque.

Personne et individu

Qu’il s’agisse de réguler démocratiquement et socialement la


mondialisation de l’économie, d’accueillir les étrangers au lieu de
les rejeter, ou encore de questions bioéthiques et d’euthanasie,
l’opposition entre les conceptions individualistes et personnalistes se
révèle de plus en plus. Ce clivage individualisme-personnalisme
repousse au second plan des oppositions plus traditionnelles, qui

135
tendent d’ailleurs à s’estomper, comme celle qui a longtemps opposé
les croyants aux non-croyants.
Les sociétés occidentales ont été profondément marquées par
l’individualisme. Celui-ci est à l’origine des grands
impersonnalismes qui frappent ces sociétés :
l’impersonnalisme du marché délié de l’exigence éthique,
l’impersonnalisme d’une bureaucratie aveugle face aux visages des
hommes, l’impersonnalisme des racismes et des nationalismes.
L’individualisme ne fait nullement obstacle à la massification de
la société. Au contraire, il la favorise. «Là où l’individu se trouve, la
masse se trouve aussi, car l’individu est l’instance fondamentale de
tout massification» (Miguel Benasayag).

En face, la vision personnaliste affirme sa résistance. Celle-ci


agit à travers tout un univers de signes qui portent l’empreinte de la
gratuité, de ce qui ne se marchande pas : les liens familiaux, les
relations de voisinage, la vie associative, les formes multiples de
solidarité organisée, en bref tout ce qui anticipe cette utopie de la
fraternité que nous aimerions voir étendue des proches aux plus
lointains. Le don désintéressé constitue notre meilleure part, la plus
importante aussi, quoi qu’en disent les thuriféraires de
l’individualisme marchand.
Comme la plupart de nos contemporains, nous ressentons qu’il y
a une différence très pratique entre l’individu et la personne.
Lorsqu’il s’agit d’évoquer des aspects essentiels de la vie, comme
l’amitié ou la solidarité, nous parlons plus volontiers de la personne,
plutôt que de l’individu. Ce dernier terme nous semble froid, moins
chargé de sens. Mais la portée exacte de cette différence n’est pas
nécessairement connue, alors qu’elle représente une des clés de la
compréhension de la modernité.
Voici cinq siècles, l’idée de l’individu a marqué l’avènement des
temps modernes. La modernité a pu être présentée comme la «sortie
de l’humanité de son état de minorité». Avec la Renaissance et les
Lumières, la domination des traditions et des vérités imposées a été
rejetée, dans l’ordre de la connaissance comme dans celui de
l’action. Une nouvelle conception de l’homme est apparue, qui

136
mettait en exergue sa condition de sujet autonome, c’est-à-dire de
quelqu’un qui dit «Je» face au monde – et aux autres.
Riche idée que celle de ce sujet qui s’affirme. N’est-il pas
préférable d’être reconnu comme un être singulier, plutôt que
considéré comme un élément fondu dans un groupe et soumis à ses
lois, en voyant niée son identité propre ? Mais cette idée connaît une
dérive lorsque l’affirmation de la capacité de penser par soi-même
se voit redoublée par la revendication du droit de vivre pour soi,
selon ses intérêts. En célébrant le sujet réduit à lui-même,
l’individualisme conjugue le pouvoir de penser par soi et le droit de
vivre pour soi, revendiquant ensemble la liberté de «penser à son
gré» et celle de «vivre à son aise».
À l’avantage de l’individualisme, il y a son caractère
apparemment logique. Il semble même naturel. L’homme n’est-il pas
«un loup pour l’homme» ?
L’individu a des tendances alors qu’être une personne représente
des exigences. L’effort est nécessaire pour accomplir notre vocation
de personne. Car la fraternité reste difficile. «Elle s’oppose à la fois
aux pulsions fissionnelles et aux pulsions fusionnelles, au désir de
domination et au désir de dépendance ; elle est aspiration à
reconnaître l’autre – mon – frère dans sa différence et sa
personnalité, avec ses désirs, ses peurs et ses intérêts, aspiration à le
rencontrer, à échanger avec lui, à être reconnu par lui, à vaincre
l’angoisse de la séparation et à affronter celle de la rencontre»
(Marcel Bolle DeBal). Il faut donc sortir de soi, se saisir comme une
«personne déplacée» (Paul Ricoeur), dans une perspective de
libération permanente. Selon Emmanuel Mounier, «nous devons
nous délivrer de l’individu qui est en nous ».

La Vie Nouvelle - Mots-clés du personnalisme


Février 2003 source : http://www.lvn.asso.fr

Il est évident que des arguments intellectuels auront peu de prise


sur les Causeurs.
Faut-il pour autant opposer la force du slogan pour compenser le
vide ? Est ce que l’on va pouvoir s’en sortir en adoptant le mode

137
opératoire et les stratégie de ceux qui nous mènent à l’impasse ?

Les gens aigris et la populace crasse ne vont pas me gâcher mon


bon plaisir. Je ne vais pas m’immoler avant le grand soir.

138
Les femmes de ma vie de kiosquier

Mon fournisseur exclusif, le Marquis m’a récupéré une grosse


partie de mon stock de revues cochonnes. Toutes celles sous
cellophane que je ne pouvais pas feuilleter. Pour bien me montrer qui
tenait les rennes, la liste que j’avais proposée, afin de réduire le
montant des prélèvements à venir, a été retoquée. Je devais
impérativement tenir le coup jusqu’à ce que je reconnaisse "ma
promise".
Ces abrutis continuent néanmoins à m’envoyer des films X. Le
prélèvement de 1400 euros que j’avais demandé de suspendre a été
présenté et donc rejeté. Cela va me coûter plus de trente euros de
frais. Un individu isolé face à une grosse organisation ne peut rien
faire.
C’est lorsque nous nous sommes parlés entre kiosquiers et lorsque
les salariés de Nice Matin se sont regroupés en SCIC que le Marquis
a senti que le vent tournait.

Les femmes de ma vie de kiosquier.

Mes aventures ne durent que le temps d’une parution. J’ai laissé


tomber les quotidiennes, je n’ai pas besoin de tant de nouveauté que
cela, alors je cherche une liaison non dangereuse régulière, une
relation feuilleton. Et puis, voyons le coté pratique des choses,
draguer quand tu es fauché, ç’est craignos ! Je viens de me brouiller

139
avec une qui m’intéressait mais qui a eu le tort de me dire qu’elle
s’intéressait à un autre mec parce qu’il avait une moto. Avec une
autre qui a une douzaine d’années de plus que moi mais qui est jolie
et surtout qui est branchée "sobriété heureuse", j’ai compris quelle
n’arriverait jamais à se détacher de l’emprise se son ancien mec qui
l’avait larguée comme une merde. Un mec grand (grand = protecteur)
qui l’avait humiliée mais elle se rendait compte que c’était de sa
faute à elle car elle était trop déprimée, bref , le genre de nanas qui
patauge dans les embrouilles et qui aime se martyriser.

A 30 ans, j ’étais incapable de me "lever" une femme. J’étais trop


timide et pour compenser, je faisais le pitre, et donc, le rôle qui
m’était dévolu, c’était celui du bon copain, celui qui fait rire. Je me
suis rattrapé depuis en devenant, à force de lectures d’Union
magazine, le bon copain, celui avec qui on peut partager le pain tout
en jouant avec sa pine, mais comme je parle trop, je passe pour un
détrousseur de jupons, ce que je ne suis pas. Je me suis rassuré
quant à mes compétences d’amant et j’ai fini par admettre que je
suis un cérébral avant tout même si "je bande en pensant à Fernande
et que je bande encore et encore en pensant à Eléonore" !
Depuis que j’ai ouvert le kiosque, je suis devenu plus exigeant
quant au choix de mes lectures, quant à ma manière d’occuper mon
temps libre et de choisir mes femmes. Les femmes qui me plaisent
parce que je les trouve agréables à regarder, parce qu’elles sont "plus
féminines du cerveau que du capiton" et parce que j’apprécie leurs
conversations sont généralement et malheureusement plus âgées.
Malheureusement car si je choisis de me projeter dans l’avenir,
l’age compte. C’est l’un des critères.
Toutes les femmes que je fréquente d’un peu trop près veulent que
notre relation s’inscrive dans la durée même celles avec lesquelles il
ne s’est encore rien passé ! On n’a pas encore baisé, enfin je veux
dire, nous ne sommes pas encore découvert dans l’intimité, on n’a
pas échangé nos fluides corporels qu’il faudrait leur dire, en guise de
sésame, que l’on veut vivre quelque chose de fort avec elle même si
cela ne dure pas toute la vie, mais il ne faut surtout pas dire que l’on
ne veut qu’une "relation légère non superficielle", car elles entendent

140
alors "plan cul".

Et je les comprends, je comprends qu’elles soient lasses de passer


une soirée à baisouiller avec un mec qui ne veut pas s’engager.
D’un autre coté, alors qu’il m’est arrivé de ne proposer qu’un concert
unique de ma musique de chambre, je propose généralement un
abonnement, un coupon "dix voyages" de Lignes d’horizon, pour
commencer, afin de se donner le temps d’essayer. S’il est clair que
les harmoniques ne sont pas au rendez vous, on ne va pas insister.
S’il s’avère que les échanges pré et post concert ne sont pas à la
hauteur des attentes respectives, on n"utilise pas notre abonnement
dix voyages et on déchire en mille morceaux les coupons restants et
on attend la prochaine rame de drôles de dames…

141
Une tête à Télé Z

Tout a commencé par la presse et tout finira en batailles rangées,


avant que l’on ne retrouve les vertus des règlements de compte
démocratiques comme à la grande époque de la presse de combat.
Donc, il était une fois l’imprimerie qui sauve la démocratie…

Moi je sais maintenant comment sauver ma peau : en lisant les


journaux, en reprenant mes bonnes vieilles habitudes d’étudiant à
l’époque où je pensais. C’est en lisant Rock and folk que j’ai
découvert Led Zeppelin. C’est en lisant Union que j’ai appris que le
cunnilingus n’était pas un gros nuage menaçant.

Je dois changer ma manière d’être, c’est une question


d’organisation, de priorités, et c’est maintenant ou jamais. Plus je
découvre des choses, plus je laisse libre cours à ma curiosité, et plus
j’aurai des chance de pouvoir un jour toucher des lecteurs. Je ne peux
plus attendre tranquillement que tout s’écroule.
Depuis des années j’attends raisonnablement le bon moment pour
passer aux toilettes sèches, mais je n’ai pas de copeaux. J’attends le
bon moment pour faire le compostage (le lombricompostage, avec
des petits vers ) de mes déchets, J’attends de devenir végétarien,
j’attends de changer de vie.

Jeter ses déchets n’importe où, ne pas foutre de capotes, se


débarrasser des contraintes "qui prennent la tête", se sentir libre
parce que l’on est tatoué ou bien looké, libre d’aller dans le sens du
vent, de faire comme les autres… J’en ai franchement ras le bol de

142
ces manières de fuir ses responsabilités, de cet hédonisme de bon
marché.

Mes nouveaux amis ne font pas comme tout le monde, ne font


surtout plus comme on leur dit de faire. "On", c’est la télé, les gens,
les publicitaires, les décideurs, la presse à gnan-gnan et neu-neu,
enfin tout ce que vous voudrez qui va dans le sens de ne jamais
bousculer l’ordre établi.

J’ai arrêté de manger de la viande et je mange des graines germées


biologiques. Mes poteaux pourront toujours me dire "L’humain,
d’abord !", je crois que pour se sortir des habitudes qui nous
condamnent à pester plus qu’à protester (en somme à être résigné), il
faut passer par un changement assez radical dans sa manière
d’occuper son temps, de prendre ses repas, de faire des rencontres, de
se déplacer, de vendre sa marchandise…

J’essaye de deviner ce que mes clients vont m’acheter. Il y en a


qui prennent un air très solennel, d’autres qui ont l’air gêné si je les
fixe, d’autres qui sont enjoués. Certains ont déjà leurs sous en main,
d’autres mettent trois plombes à dégainer le porte-monnaie.
Les têtes à Télé Z TNT ont souvent déjà préparé leur quarante
centimes en main. Je les vois une fois par semaine. Les têtes à Nice
Matin, je les aime bien, les têtes à Fig Mag, ça dépend de mon
humour du jour. Les têtes à Politis, à Charlie et les têtes à Causette
me donnent la pêche. j’apprécie aussi les têtes à Canard enchaîné.
Pour les têtes à Oups ou à Voici, je suis plus réservé : Elles sont
parfois agréables à regarder mais je m’imagine pas passer plus d’un
dîner avec elles.

Parfois, avec ce jeu ridicule qui consiste à associer un visage, une


attitude avec un choix de lecture, j’ai des surprises et je me dis que si
les apparences sont trompeuses, la réalité peut l’être aussi et on va
peut être pouvoir échapper à l’insurrection des coquilles vides, à la
rébellion des abrutis, à la guerre civile Républicains-fascistes.

143
144
Bonnets rouges et capotes trouées

Mes ennuis ont commencé lorsque j’ai dû renoncé, après la visite


du poivrot de la Sacem, à écouter France Inter et TSF. Je n’ai rien
contre les poivrots, j’en suis un, reconverti depuis peu dans l’eau
pétillante, et j’ai beaucoup de clients qui tremblent des mains de bon
matin. Ce ne sont pas des moins que rien pour autant.

C’est après la SACEM que j’en ai ! Je sais que par sa collecte,


elle aide des artistes comme la chanteuse Zine, mais moi je ne peux
pas payer dix sept euros par mois pour écouter mon poste radio, c’est
inadmissible ! C’est scandaleux alors je lutte silencieusement.
J’ai décidé de venir avec une radio plus discrète.

Les gens grognent contre les impôts et moi, j’enrage que ce soient
quelques "ultra-riches hyper individualistes anti patriotes" qui
plantent la merde .

Je n’irai pas manifester aux cotés d’un patron, sauf bien sûr s’il
s’agit d’un artisan réglo ou d’un patron d’une entreprise "solidaire"
de l’économie sociale. Un patron, ce ne peut pas être un bonnet rouge
mais juste une capote qui peut se trouer. Le bonnet rouge, c’est un
déguisement, de la mise en scène, c’est comme Giscard d’Estaing
Valéry et son accordéon s’invitant à dîner chez des gens ordinaires ou
Nicolas S. si proche des ouvriers. Si les gens qui ont su profiter du
système commencent à sentir que le vent tourne et que la
mondialisation nous mène à une impasse, qu’ils créent des
coopératives, qu’ils fassent cause commune avec leurs salariés, et

145
qu’ils revoient leurs plans de communication.

Je suis allé à une deuxième réunion du collectif animalier. Les


réunions sont "pêchues" car le but des prises de paroles est de
déboucher sur des actions concrètes, bien maîtrisées et souvent
remarquablement relayées par la presse locale. Peu de militants mais
hyper motivés et efficaces.

Eve, une copine du front de gauche me disait que "les animaux,


c’était facile, il y a avait du monde pour cela car tout le monde aime
les animaux". Les gens de droite aiment les animaux aussi. Je le sais
et je m’en fous. La seule chose qui me gênerait serait l’entrisme de
mouvements fachos mais je suis rassuré sur ce point.
Tout le monde aime les animaux de compagnie, et même les
animaux en général, c’est vrai ! Les enfants aiment bien les animaux
au cirque tant qu’on ne voit pas l’enfer du décor. En faisant ses
courses, on oublie que l’on aime les animaux, on ferme les yeux, on
regarde le prix ! Avant l’homme ne mangeait pas de la viande ou du
poisson à tous les repas. Avant, l’homme connaissait l’envers du
décor. On devrait visiter les coulisses plus souvent, on ferait plus
attention à ce que nous racontent les publicitaires qui nous
promettent un monde meilleur.

C’est en regardant des films sur la souffrance animale que j’ai


décidé que je ne devais plus être complice de ce système d’élevage
intensif. Les méfaits du productivisme, je les connaissais un peu, en
théorie, depuis que j’ai lu quelques ouvrages de René Dumont, mais
cela fait 20 ans que je suis d’accord pour un jour ou l’autre passer à
l’acte et de la même façon que je me suis re-politisé très récemment,
j’ai décidé d’agir sur mon mode de vie, grâce à une prise de
conscience quant au respect dû aux animaux.
Je suis un « entre », c’est ce que j’ai essayé d’expliquer dans mon
premier roman. Je suis incapable d’aller au bout des choses. Je
voudrais vraiment que les choses changent mais je ne fais pas ce
qu’il faut pour. J’attends que les autres le fassent.
Nous en arrivons à des logiques tellement absurdes ! Manger du

146
foie gras et acheter des habits pour son caniche, acheter de la viande
issue de l’élevage intensif et caresser son lapin. C’est en remettant en
question ce que nous faisons endurer aux autres espèces que l’on
pourra progresser et cela fera bien chier les porteurs de capotes
trouées.

147
Free Angéla !

J’ai vu le film FREE ANGELA. Je me suis fait entraîner par une


copine, une camarade de jeux. Je vais l’appeler Free Causette, pour
que personne ne puisse la reconnaître ou la confonde avec Anne la
Coquette. Elle est bien plus qu’une jolie femme, c’est une femme
déterminée qui ne se laisse pas impressionnée par les "mâles"
embouchés. C’est une femme qui tient tête. Elle connait le pouvoir
de son cul, elle sait aussi converser. C’est à dire qu’elle sait parler
mais également écouter. C’est une femme cultivée mais il s’agit
d’une culture de combat, pas d’une culture d’apparat. Elle ne reste
pas dans son coin à distiller des leçons, elle paye de sa personne.
Cette femme passe pour un bloc de glace, mais en fait c’est un
volcan. Elle a juste trouvé le thermostat et sait dire non, alors les
hommes ne se la ramène pas et préfère dire qu’elle est froide,
simplement parce qu’elle a osé leur tenir tête. …
Les hommes ont en apprendre des femmes parce que le poète a
toujours raison..

Je l’ai rencontrée à une réunion d’un parti politique qui croit en


l’esprit critique et en l’éducation populaire. Elle m’impressionne
mais pas tant que cela mais juste assez pour que, le soir où je pensais
coucher avec elle, histoire de se détendre et de jouer avec le feu, et
bien, figurez-vous, mes amis, que j’avais des gargouillis. Je sais que
je pourrais être amoureux d’elle mais je ne peux plus l’être puisque
j’appartiens à Ma Dulcinée du Toboso. Vous ne le saviez pas ? Vous

148
allez le découvrir dans ce chapitre, un peu de patience.

Donc, avec ma Causette, on joue souvent à "C’est ce soir ou


jamais ": on débat sans se prendre dans les bras.
Je ne connaissais rien d’Angéla Davis. J’ai dit à Causette, que ce
film m’avait secoué mais que je ne savais pas pourquoi. C’est
toujours commode de ne pas trop secouer les neurones. J’aime rester
à la surface, dans les généralités. Ce qui m’a ému, c’est l’élan de
solidarité qui s’est créée autour de la militante féministe,
l’universitaire noire engagé dans l’action politique.

Ferait-on la même chose pour Angela aujourd’hui sachant qu’il ne


s’agit pas d’une candidate de "Danse avec le tsar ?

Qu’aurais-je fait moi ? Est ce que j’aurais attendu d’avoir la


certitude d’avoir raison pour me mobiliser en signant une pétition sur
face book ou aurais-je mis mon blouson pour sortir dans la rue ?

Faisons une pause.


J’ai décidé de prendre le bon coté de la lorgnette et de croire en
toutes les fables de nature à me faire prendre les choses en patience,
juste quelques minutes. Admettons que la naïf soit celui qui veut
combattre toutes les mauvaises blagues racontées par des crétins sur
entraînés du genre "communicants".

J’accuse la presse de gauche de démoraliser le pays !


J’affirme que :

- Il n’y a plus de sans abris, puisque la loi le dit ..

RAPPELONS ICI LA LOI : Article L345-2-2 (code de l’action


sociale) « Toute personne sans abri en situation de détresse
médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif
d’hébergement d’urgence. Cet hébergement d’urgence doit lui
permettre, dans des conditions d’accueil conformes à la dignité de la
personne humaine, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le

149
couvert et l’hygiène, … » Article L345-2-3 : « Toute personne
accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence doit pouvoir
y bénéficier d’un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès
lors qu’elle le souhaite, jusqu’à ce qu’une orientation lui soit
proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure
d’hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa
situation. » Loi de réquisition des logements vacants : Article L641-1
(code de la construction) : « Sur proposition du service municipal du
logement et après avis du maire, le représentant de l’Etat dans le
département peut procéder, par voie de réquisition, pour une durée
maximum d’un an renouvelable, à la prise de possession partielle ou
totale des locaux à usage d’habitation vacants, inoccupés ou
insuffisamment occupés, en vue de les attribuer aux personnes
mentionnées à l’article L. 641-2. » et tel que la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme le traduit dans son article 25 :
Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de
l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la
conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres
humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et
de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de
l’homme Article 25 1.Toute personne a droit à un niveau de vie
suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille,
notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins
médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a
droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de
veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens
de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa
volonté.

- Grâce à la puissance technologiques et à la réduction des


gaspillages alimentaires, les gens ne vont plus mourir de faim,
partout dans le monde. On le sait, les migrants viennent dans les pays
riches pour le plaisir de l’excursion touristique. Les réfugiés
climatiques, c’est juste le nom d’une entreprise de voyage organisé.

150
Source : http://guizien.hautetfort.com/archive/2013/11/06/l-onu-s-
alarme-des-niveaux-record-de-concentrations-de-gaz-a.html
Un nouveau rapport de l’OMM révèle en effet que le forçage
radiatif de l’atmosphère par les gaz à effet de serre, qui induit un
réchauffement climatique, s’est accru de 32% entre 1990 et 2012 à
cause du dioxyde de carbone et d’autres gaz persistants qui
retiennent la chaleur, tels le méthane et le protoxyde d’azote.

Depuis le début de l’ère industrielle, en 1750, la concentration


moyenne de CO2 dans l’atmosphère du globe a augmenté de 41%,
celle du méthane de 160% et celle du protoxyde d’azote de 20%.
Les processus qui se déroulent dans l’atmosphère ne sont qu’un
aspect des changements en cours. La moitié environ du CO2 rejeté
par les activités humaines demeure dans l’atmosphère, le reste est
absorbé par la biosphère et par les océans.

- Les animaux ne souffrent pas avant d’arriver découpés dans les


barquettes de supermarché, et on va renoncer à la vivisection : on en
sait assez pour ne plus faire d’expérimentations sur les animaux..

- L’hypothèque nucléaire va céder sa place à l’efficacité et la


sobriété énergétique.

Grâce à l’éducation à l’environnement, on produira de moins en


moins de déchets car les enfants vont sensibiliser les parents.

- Grâce à une bonne politique de santé publique, les fous ne


courront plus dans les rues après 22 heures, et enfin, pour finir en
beauté, par voie de décret, la somme des intérêts particuliers
correspondra à l’intérêt général.

Si je veux être un écrivain lu, je dois trouver des signes


encourageants, des raison d’espérer. Vu de mon kiosque, je constate
les changements sociologiques suivants : Les gens sont mécontents
de la hausse des prix du journal local, mais se sont vite fait une

151
raison. Les gens pestent mais ne vont pas jusqu’à rouspéter ni à
casser mon nouveau présentoir flambant neuf. Un journal pour même
pas le prix d’un café, ça va quand même, nous sommes encore en
démocratie ! Les gens ne feront donc pas la révolution pour ce genre
de motifs, alors pour quoi ?

Quel serait le point de départ de la révolution, par quel groupe


serait-elle impulsée ? Par les bonnets rouges, les démonteurs de
portiques, les démonteurs de mac do ? Par le pillage des
supermarchés, par le soulèvement à Acropolis (Nice city) des
spectateurs du "Richard Galliano sextet" car il manquait des places
assises pour le concert gratuit ?

Quel jour et par quoi allait commencé la révolution ? Par une


immolation, La mienne avec un message politique à la clef, comme
en Tunisie, Mohamed Bouazizi, ce vendeur ambulant qui avait
décidé de manifester son désespoir devant le gouvernorat de Sidi
Bouzid ?

Le problème est que je ne songeais pas à m’immoler, c’était trop


con et mon message partirait en fumée ne disposant pas de papier
ignifugé. Outre l’aspect technique, mon chat comptait sur moi, pour
ses croquettes mais pas que pour ça, mes acheteurs de journaux,
aussi. J’avais de très bons arguments en faveur du découragement,
du désespoir mais je voulais atteindre le stade supérieur de la
réflexion en ne sélectionnant que les bonnes raisons de croire
qu’aucune situation n’était figée et que ne rien faire en attendait la
mort revenait à une attitude ouvertement anti-philosophique. Je
n’aurais pas donné cher de la peau d’Angéla, à l’époque, et pourtant
elle s’en était bien tirée.

Comme avait dit Daniel F. lors de sa conférence sur la transition


énergétique, ceux qui avaient combattu le tout nucléaire avait permis
au moins de réduire le nombre des 58 centrales en activité par rapport
au plan initial.
Il fallait se battre, s’organiser, ne pas rester seul dans mon coin.

152
Puisque l’idée de foutre le feu à mon kiosque m’avait traversé
l’esprit, j’écrivis pour la forme mon testament politique, me couvris
de cendres et je disparus dans la nuit, pour ouvrir le kiosque de bon
matin, le lendemain, comme si de rien n’était. La fiction n’effaçait
pas la réalité, et la réalité, c’était chaque jour, "juste une petite lutte
pour la vie" comme aimait à dire mon père.

Dulcinée du Toboso

Dulcinée me fit le même effet que ma copine allemande Frauke


K. au moment de la première guerre du golfe. J’avais bien compris
que les femmes idéales ne se bousculeraient plus au portillon mais du
moins, j’étais rassuré : Elles existaient ! Oui, elles existaient en chair
et en os mais je ne pouvais pas les voir. J’en distinguai parfois les
contours. Le peu d’émotions que je ressentais suffisait à remplir mon
réservoir : J’avais la pêche, envie de bien faire les choses, faire des
efforts pour être moins borné. Je vais l’appeler Laetitia, pour
simplifier.

Laetitia c’est une femme imaginaire que j’ai choisi de placer dans
le cours de récit pour apporter un peu d’humanité dans un monde de
brutes. Je vais essayer de la faire parler mais cela ne va pas être
facile. Je vais l’aborder mais à distance, si vous voyez ce que je veux
dire.

Il faut dire qu’à force de bouffer des graines germées, je me sens


des ailes pousser ! J’ai sorti les mains de mes poches pour les mettre
dans le cambouis, mais du cambouis propre. Je veux dire que je me
contente surtout d’aller à des réunions "prise de conscience". Bien
évidemment, je vais tôt ou tard passer à l’action. D’ailleurs, ce qui
me plaît dans ces associations de défense des animaux, c’est que le
blabla habituel est proscrit. Les réunions sont dynamiques car
orientées vers les actions. La parole circule et le fonctionnement

153
démocratique est au point, bien plus que dans les deux partis
politiques que j’ai fréquentés. Donc, admettons que Lætitia soit
impliquée dans l’association. Elle est donc face à moi, à côté de la
présidente de l’association. Je peux donc l’observer pendant deux
heures sans avoir besoin de parler.

Je n’ai pas pensé à regarder si Lætitia avaient des bagues, j’ai cru
comprendre qu’elle n’était pas toute seule, car elle a dit "on fait des
travaux". Bordel, mais on c’est qui ce ’on’ ? Ton mari ? Ton associé ?
Ton employé ? Ton papounet ? Ton chéri ? Ta copine ? Tu ne pouvais
pas préciser, non ! Enfin, bon, soyons bon prince, du moment qu’elle
me donnait du grain à moudre et confiance en l’avenir, je n’en
attendais pas plus ! Notre relation pourrait rester platonique, je m’en
contenterais. Cette fille m’avait tapé dans l’œil pour d’autres raisons
que son popotin.
Ce n’était pas le genre de femmes à inviter pour une bonne petite
cote de bœuf à l’hipopotamuse…

154
Kiosquier, un journal suspendu !

Je suis consterné par la superficialité induite par les nouvelles


technologies de l’information. Sur internet je survole, je glane mais
je n’approfondis rien.

Je gagne tantôt du temps mais j’en perds tout autant car cela a
remplacé un peu la télé que j’ai bazardée il y a trois ans et je suis
devenu dépendant d’internet. C’est parce que j’y trouve aussi mon
compte, je suppose.

Les réseaux sociaux passent au crible mes goûts et représentent


une menace quant à ma vie privée, mais j’ai choisi de rendre public
mes états d’âme et tant pis pour "les braves gens qui n’aiment pas
que l’on suive une autre route qu’eux".
Sur face de bouc, j’ai pris conscience de la souffrance animale (les
petites vidéos que j’ai vues ont achevé de me persuader) et
j’apprends aussi l’existence de nouvelles pratiques, comme par
exemple le "café sospeso "

Le caffè sospeso (en français : « café suspendu ») est une


tradition de solidarité envers les plus pauvres, pratiquée dans les
bars napolitains.
Elle consiste – pour un Napolitain heureux et quelle qu’en soit la
raison – à commander un café et en payer deux, un pour lui et un
autre pour un client démuni qui en fera la demande. Cette tradition

155
ancestrale fait partie de la société napolitaine mais est moins
courante aujourd’hui.
Le 10 décembre 2011, a été instaurée la Giornata del Caffè
Sospeso (Journée du café suspendu) avec le soutien de plusieurs
organisations culturelles et le maire de Naples, Luigi De Magistris.

source wikipédia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Caff%C3%A8_sospeso

Cette initiative est reprise dans certains départements en France,


en Belgique et j’ai trouvé cette action concrète intéressante, pour les
cafetiers, les bénéficiaires et les clients qui peuvent payer un café à
un inconnu.

Et je me suis pensé " un journal suspendu ", voilà une idée à


creuser !
Un café, c’est important, mais un journal ça l’est aussi pour celui
qui est à la rue, sans travail, sans amis surtout !
J’ai souvent des idées comme celle-ci qui me traversent la tête
mais comme je m’obstine à utiliser les passages cloutés, par sécurité,
beaucoup de ces idées restent lettre morte. Elles ne font que traverser
et je ne leur laisse pas le temps de germer.

156
Manger de la viande "heureuse" ?

J’ai capté cette phrase lors de la projection organisée par le


Collectif Animalier 06, l’Association Végétarienne de France, et le
PECOS 06. On avait pu voir sur grand écran le documentaire "Love
Meat Ender." Un film qui aborde intelligemment les conséquences
désastreuses d’une alimentation carnée.

On préfère regarder les vitrines décorées des grands magasins au


lieu de regarder à travers les vitres des abattoirs (qui d’ailleurs n’ont
pas de vitres) et des producteurs industriels de charogne. J’aime bien
les projections publiques, souvent on peut en débattre après. Tantôt,
cela me donne confiance dans les capacités du "collectif" de trouver
des chemins de traverse, tantôt cela me rend amer quand les
"orodateurs" (les orateurs qui stationnent longtemps sur leur temps
de parole) enfilent des perles. Ce qui me gêne, c’est que je n’en tire
alors aucun bénéfice pour alimenter ma chronique. De la même
manière que mes clients râleurs qui me racontent leurs soucis
domestiques me pompent sur le système - alors que certains ont tant
de choses à raconter, à transmettre - j’aime quand les gens parlent
brillamment pour dire quelque chose au lieu de chercher à briller et
parler bruyamment en se polissant le manche.

Le débat sur l’euro organisé au Court-circuit par le groupe niçois


d’ATTAC avait permis à laisser les gens prendre le temps d’exprimer
leurs idées, car il était animé d’une main de fer par un petit bout de
femme qui en a dans le ventre. Sur le moment, je me suis pourtant

157
moqué de son ton martial. Lorsque les militants prendront le temps
de s’écouter, nous progresserons dans nos pratiques de la démocratie
participative et la démarche de transition.

A présent que je me suis bien moqué de mes nouveaux camarades,


je vais vous avouer quelque chose : Je ne crois pas en "l’homme
nouveau ! Il existe des individus dont j’aimerais m’inspirer mais je
sais que je ne serais jamais quelqu’un d’exemplaire car même quand
je crois fermement en quelque chose, je reste habité par des doutes et
des contradictions. Je crois par exemple qu’il est possible et
souhaitable de m’abstenir de boire de l’alcool et pourtant, je bois du
cidre et de la bière. Je sais que je peux m’abstenir de consommer de
la viande et pourtant la semaine dernière, je me suis régalé en
mangeant le couscous de Kara. Je me donne le droit à ne pas être
totalement cohérent. Parfois, je fais le tri de mes déchets
correctement, parfois je me laisse aller à plus de facilité. C’est si
tentant de confondre "vivre libre " avec vivre "sans contraintes" !
C’est si tentant de se laisser aller en se disant que les petits efforts
que l’on fait pour diminuer son empreinte écologique sont inutiles
dans le contexte général de "je m’en foutisme" absolu. Je trouve
toujours pire que moi et j’ai un don pour trouver les travers chez les
autres.
Ce qui a changé, depuis que j’ai ouvert mon kiosque, c’est que
j’essaye de me situer "stratégiquement" dans l’espace libre entre le
journal de divertissement pour incultes indécrottables et le journal
d’analyse fait par des gens très sérieux. J’ai l’intention de devenir un
"rabat-joie joyeux drille", un de ces nombreux citoyens qui sonnent
l’alerte tout en cherchant à éteindre l’incendie sans faire pipi dans
l’eau , mais sur les flammes.

J’ai été vraiment sensibilisé à la question cruciale de l’élevage


industriel grâce au film "Home", de celui que le mensuel La
Décroissance désigne comme un écolo tartuffe, l’hélicologiste Yann
Althus Bertrand.
Je m’intéresse, non plus que cela, je me revendique comme
écologiste (enfin comme alcoologiste) depuis mes années d’étude et

158
la lecture du livre de rené Dumont, un monde intolérable, à la fin des
années 8O, et pourtant, je n’avais jamais encore saisi l’impact de
l’élevage industriel sur la consommation énergétique, les ressources
en eau, les surfaces de terres à cultiver, le transport, l’utilisation
d’intrants, les rejets, les gaz à effet de serre, la souffrance animale, la
détresse des paysans, et j’en oublie, avant la projection de ce film. En
quelques années, la logique de l’absurde nous a mené à un résultat
inhumain.

Je n’ai plus de voiture, plus de moto, plus de télé mais je reste


ancré dans le matérialisme et le métier que je fais participe largement
à la civilisation du gaspillage, je suis bien obligé de l’admettre,
compte tenu de l’organisation actuelle de la diffusion de la presse.
Me faire culpabiliser serait contre productif pour qui veut lutter
contre le productivisme, mais m’encourager à me contenter des
fables actuelles que l’on raconte sous couvert de faire du
"développement durable" et d’actes purement symboliques ne
mènerait qu’à une impasse de plus. Ce qui m’intéresse en ce
moment, ce sont les moyens de parvenir à une réelle transition qui,
pour moi sera écosocialiste ou écolo-atristico quelque chose.

Une transition "douce" mais qui implique un changement radical,


un tout autre état d’esprit.
Alors, pour y arriver, je suis prêt à lâcher du lest ! Que l’on
débatte, que l’on s’informe, que l’on visionne des films, que l’on
danse, que l’on crée, tant que sort de la léthargie ! Il faut clouer le
bec à tous ces abrutis qui pratiquent la grève illimitée de la pensée,
qui cherchent des réponses simples, bêtes et méchantes à des
situations complexes mais pas inextricables. Je vois le monde
moderne comme une personne malade alcoolique qui veut sortir de
sa dépendance, qui sait qu’elle a perdu en capital santé mais qui peut
encore sauver sa peau. Oui ,je sais, je l’ai déjà dit trois fois. C’est
fréquent chez les poivrots de se répéter, il ne faut surtout pas vous
inquiéter.

Alors commencer par faire rentrer dans les mœurs une journée

159
"sans viande" par semaine ou à inciter les gens sensibles et soucieux
de leur santé de n’acheter que de la viande "bien élevée", je trouve
que c’est un bon début pour qui veut faire la course jusqu’au bout,
sans se décourager.

Je suis un rabat-joie parce que je dis que la fourrure ne provient


pas d’animaux qui ont été tués pour nous donner à manger, mais de
fermes à fourrures, que les animaux qui finissent dans notre assiette,
passent une vie concentrationnaire qui nous disqualifie à force de
vouloir masquer la réalité, que même pour faire plaisir à un enfant,
l’emmener voir des fauves à un cirque ou à un spectacle itinérant en
s’abritant derrière le paravent de l’amour que lui manifeste celui qui
détient les clefs de la cage, c’est du gros foutage de gueule ! Nous
sommes cernés par les marchands de poudre aux yeux qui n’aiment
pas que l’on aille voir ce qui passe en cuisine, dans les coulisses et
encore moins que l’on fouille dans leur poubelles. Décidément, il y a
du boulot !

160
Dee Dee Diesélos

Comme tous les dimanches, papy Auguste prend son petit cabas à
roulettes, passe par les contenairs à tri pour de débarrasser de ses
emballages plastiques, en carton et ses bouteilles en verre non
consigné. Il va ensuite à la boulangerie voir sa blonde, prendre un
café et manger un croissant, s’il en reste. S’il n’y a plus de croissant,
il s’adapte à la situation (réflexe d’aventurier des burlingues ) et
prend un pain au chocolat ou tente l’aventure du pain au raisin. Son
petit café en bouche, son petit sourire en tête, il ne reste jamais bien
longtemps.
Il traverse, regarde l’affichage du tram : s’il y a plus de sept
minutes d’attente, il décide toujours d’y aller en marchant. Il va Place
de la Libération, au marché. Il y achète sa salade pour la semaine,
toujours au même endroit. Il en a pour entre deux euros et quatre
euros. La vendeuse a tendance à arrondir les prix. C’est affiché 3.20
euros sur la balance, elle lui en demande 3.50 mais comme elle est
blonde et que sa salade coûte moins cher que la salade achetée à
monoprix, il paye sans sourciller. Ensuite, il marche un peu pour voir
du monde et éventuellement créer un accrochage de caddy avec une
femme pressée. Puis, la tête basse, la queue entre les jambes, il va au
marché couvert, en faisant bien attention en traversant la voie du
tram, pour y acheter des échalotes - si toutefois il a repéré au loin
Dominique la dermatologue, un petit bout de femme sexy, car elle y
fait ses courses comme lui, en fin de matinée - sinon, il va
directement acheter ses olives et mélange d’épices à salade car il
aime bien la marchande d’épices et n’avait pas besoin d’échalotes, il

161
en a tout un stock.

Pour finir sa virée dominicale, il passe acheter sa part de soca chez


Sylvain, en prenant soin d’affecter une mine triste et un visage fermé
face à la vendeuse si jamais elle lui sert de maigres portions. Il rentre
à la maison, me donne une petite caresse, me raconte sa vie et il se
prend un panaché. Il allume l’ordinateur pour voir sa messagerie. Je
demande à sortir car j’aime aller faire mon tour dans les jardins
avoisinants.

Il met la radio (France inter), étend son linge, va s’allonger avec le


journal. Quelle est la une du jour ? On s’en fout ! Quelle est son
humeur du jour ? Maussade. Heureusement que je suis là, il se sent
responsable de moi.
Aujourd’hui je ne vais pas lui mordre les pieds, je vais l’attaquer
un peu plus tard. je sais que dans la journée, quand il aura accompli
quelques tâches de sa liste, (faire son tableau des prélèvements,
peindre l’encadrement des fenêtres et la porte du placard, compter sa
caisse et mettre son journal comptable de suivi du kiosque à jour
(ventes réalisées, réassortiments, etc..) il retrouvera le sourire.

Il va encore sur internet. Il me regarde. Il est en train de se


renseigner pour me faire passer à une alimentation végétale. Il
regarde le prix des aliments végétariens pour chats, il a trouvé une
marque d’aliments bio mais ça coûte la peau du cul. Il aurait honte de
dépenser du pognon ainsi pour une boule de poils alors que Mouna
ne peut acheter toute la bière dont elle a besoin et parce que,
accessoirement, des êtres humains crèvent la dalle.

Dans le quotidien qu’il parcourt, deux articles l’intéressent, lui


"parlent » comme on dit aujourd’hui.
Un article traite des pillages aux Philippines aux lendemains d’une
catastrophe climatique. L’homme est un loup pour l’homme, les
pauvres pillent d’autres pauvres, les exclus se foutent des roustes,
alors vive les animaux, pense benoîtement mon maître es croquettes.
Un autre article traite d’une chaîne solidarité qui a permis

162
d’empêcher le suicide d’un salarié de la grande distribution : ses
collègues ont réagi à temps.
Les emmerdes n’améliorent pas les rapports humains mais il y a
encore de la solidarité dans une société devenue très "individualiste".
Si c’était totalement foutu, il n’y aurait plus d’associations et les gens
n’auraient pas laissé passer la dame avec son bébé en pleurs alors
qu’il y avait une queue interminable à LIDL l’autre jour, me dit-il
avec un enthousiasme non communicatif. Et là je sens qu’il va encore
m’instrumentaliser pour parler politique…
Deux caissières seulement, mais quel scandale, un samedi !
Des prix bas avec peu de personnel, comment faire autrement ?
En faire autant avec toujours moins de facteur humain, nous sommes
bien dans la logique capitaliste ! Trouver une organisation pour
réduire les coûts, soit sur les matières premières, soit sur le
personnel, soit sur la logistique mais cela reste une course au profit et
il faut sans cesse aller dans le sens de la réduction des coûts, ce n’est
pas le bien être de vous ou de moi en définitive.
Pour le petit commerce, c’est différent, j’en connais qui payent
correctement leur employés, pas uniquement pour avoir la paix
sociale ou des salariés plus motivés, mais par respect. Je ne dis pas
que ce genre de patrons courrent les rues mais il y en a. Par contre,
loi du profit oblige, il faut qu’ils trouvent des moyens pour gagner
sur un autre tableau en négociant "serré" avec leurs fournisseurs par
exemple. Le capitalisme n’autorise pas une autre organisation que
celle qui consiste "à faire avaler" une offre au lieu de mettre en
œuvre des moyens techniques, humains, "socialement et
écologiquement profitables à tous et pour longtemps" pour répondre
à des besoins réels. Les entreprises qui prennent en compte dans leur
valeur ajoutée le facteur humain, social sont des entreprises
collaboratives, des coopératives.

Ce dimanche, Papy Auguste n’a pas pris son cabas pour aller au
marché car papy et moi, on déménage. Alors lui, il fait les cartons, et
moi, je me planque dedans. Sept cartons de livres, deux de cd, un de
bibelot, deux d’ustensiles de cuisine, un de papiers administratifs, un
de salle de bains. On ne va pas habiter bien loin mais il faut partir car

163
Papy Auguste n’a pas de quoi payer son loyer.

Papy Auguste a laissé ses cartons avec la consigne de continuer


sans lui. Il est parti à l’heure pour une fois, pour assister une
formation sur l’utilisation des réseaux sociaux pour la cause animale.
Il s’est trompé de rue et est arrivé légèrement en retard, mais au
moins il avait pensé à recharger son laptop. Il y avait moins de
monde que prévu mais des personnes motivées et il en appris des
trucs ! Du coup il va créer une page Face de bouc à mon effigie Dee
Dee Diésélos afin de ne pas porter de marqueur politique et il va
mettre ma photo car je suis très beau.

Il a vu sa Dulcinée virtuelle mais il a compris qu’elle était déjà en


bonne compagnie, alors comme cela, c’est réglé une bonne fois pour
toute. Adieu monde enchanté, monde animé de la vache qui rit et des
poules qui dansent le french cancan. Bienvenue dans le monde réel !
Terminé les sardines à l’huile ! Fini, le poulet Yassa !
Sa Dulcinée universelle avait pris ses aises : Elle et ses affaires
occupaient toute la banquette. Son sac, la sacoche du portable. De la
part d’une femme quelconque, il aurait trouvé cela vulgaire et
individualiste mais il a compris le message : "Ne te mets pas à coté
de moi, garde tes distances observe sans toucher". Cette femme le
bottait parce qu’elle était comme lui dans une recherche d’un
compromis difficile à trouver entre des convictions fortes et la
volonté de ne pas heurter ses proches en manifestant trop
d’intransigeances. Il faut trouver le moyen d’être "souple mais
tenace", être clair et ferme quant à ses choix de vie sans pour autant
passer pour un excité. Trop d’infos tue l’info, stop au gavage !

Il n’a plus qu’à attendre au coin du kiosque une lectrice de


Causette. Pauvre papy Auguste!

164
Saletés de grévistes !

Les gens râlent parce que ce matin ils ne trouveront pas leur
journal au kiosque et moi je râle parce que perds un tiers de mon
chiffre d’affaires.

La grève ne m’arrange pas ! Elle tombe au mauvais moment ! Je


suis dans une logique de survie, moi aussi les gars ! Deux jours de
neige, si je tombe malade, si mon chat tombe malade, je suis dans la
merde ! Il ne doit rien m’arriver comme tuile, sinon, je rends les
clefs. Je me suis souvenu de mon premier job d’étudiant. J’étais
manutentionnaire aux transports Ducros. Un des manutentionnaires
les moins bêtes portait les cartons depuis qu’il avait dû fermer son
entreprise suite à des grèves prolongées. C’est à partir de là que j’ai
compris que tous les travailleurs indépendants n’étaient pas à placer
dans le même sac. A cette époque, je prenais tout à la galéjade, je
m’en tamponnais de la crise mondiale. J’étais un émule de René
Dumont et j’étais convaincu qu’il fallait changer de modèle de
développement, de paradigme comme dirait Alain Lipietz, avant que
tout s’embrase.

Le commercial qui cherche à vendre les abonnements en kiosque


bosse pour rien en ce moment. Cette absence du journal ne va pas
inciter les gens à s’abonner ! Nice Matin n’est pas diffusé depuis
deux jours. Ça sent le roussi ! Demain, il y a un débat organisé dans
les locaux du journal.

Le 22 novembre Marie George Buffet députée PCF/FG sera à

165
Nice-Matin à l’invitation de la Filpac-CGT pour évoquer avec les
salariés les difficultés de la presse écrite et présenter la Proposition
de Loi pour le pluralisme de la presse déposée le 22 février à
l’Assemblée Nationale.

Tas de fainéants ! Ils m’ont privé de mon gagne-pain. Nice Matin


en grève c’est la fin des haricots. Nice Matin qui s’éteint et c’est la
fin de mon petit commerce. Le marquis en grève et moi je n’aurais
plus que mes graines germées au souper, et je ne tiendrais pas bien
longtemps.
Je n’aime pas les grévistes. Ils sont instrumentalisés par les
syndicalistes qui s’accrochent comme des tiques sur les avantages
acquis, et ce n’est pas bon pour les affaires, pour le profit. Vous me
direz - ou vous omettrez de me dire selon vos orientations politiques
- que le MEDEF a gagné la guerre idéologique contre les gagne-
petits, et en définitive, que cela n’est vraiment pas bon du tout pour
vos affaires à vous. Les pauvres de plus en plus pauvres et les classes
moyennes de plus en plus ponctionnées et angoissées, cela augure
mal la fin du spectacle, la dernière représentation de la joyeuse
troupe des assureurs, agences de notation et banques réunies. Ça va
barder pour les bardes barges qui jouent l’hymne de l’orthodoxie
libérale, je n’en doute plus, mais en attendant ceux et celles qui sont
ric-rac, n’achètent plus le journal, c’est presque devenu un produit de
luxe.

Ce n’est plus comme du temps où je bossais à Nice Menteur, à la


bonne époque, quand Nice matin avait du pognon. Je bossais à la
plieuse ou pour charger les camions, aux "rebuts". Au bout de la
chaîne automatisée, tous les paquets avec la coiffe non lues, avec
Ricky mon collègue, nous les mettions sur des chariots et on aidait
les chauffeurs à charger les camions. Les rotativistes qui en voulaient
encore plus, bloquaient de temps à autre le journal et on en subissait
tous les effets en partant plus tard mais cette fois il ne s’agit plus d’en
avoir plus, il s’agit du maintien en vie du journal et de la suppression
de plus d’une centaine de poste (183 emplois sont en jeu et comment
faire un journal digne de ce nom avec autant de suppressions de

166
postes ?). C’est promis, la prochaine chronique, je parlerai d’amour
et d’amitié parce que la camaraderie, quand tu bosses en solo, c’est
pas gagné !

167
Monsieur l’Autocrate

Ne m’appelle pas Camarade ! Camarade, c’est beau dans la bouche


de Ferrat ou dans celle des Sales majestés mais pas celle d’un
individu perturbé , dans le bad trip « bouche de miel, coeur de fiel ».

Camarade, c’est un si beau projet ! Camarade de tranchée, camarade


à l’usine, camarade au front ! Camarade, je ne te connais pas, tu n’es
pas mon ami, tu n’es pas de ma tribu, mais nous nous soutenons
mutuellement, nous nous entre-aidons. Il y a tant à faire contre les
oppresseurs que nos différents sont peut être source de différents
mais nous avons à combattre, alors ne nous épuisons pas dans de
vaines querelles.

Oh là camarade de carnaval, que me dis-tu , qu’insinues-tu ? Que


je suis un dépravé ? Que je ne suis ici que pour vendre la presse du
grand capital ?

Programme du CNR ( Conseil National de la Résistance )


Afin d’assurer :
- le rétablissement de la démocratie la plus large en rendant la
parole au peuple français par le rétablissement du suffrage
universel ;
la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression ;
la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à
l’égard de l’Etat, des puissances de l’argent et des influences

168
étrangères ;

Je t’ai heurté ? Je t’ai pris une chose qui t’appartenait ? Un bien


meuble ? Un animal ?
Oui je sais l’animal ne doit plus être considéré comme un bien
meuble. Un animal ressent le plaisir et la douleur et des juristes sont
en train de faire évoluer le Droit, de nous faire sortir de la barbarie,
au moins là dessus,

Ah, nous y sommes, je t’ai pris « ta femme », celle qui t’a meurtri
le cœur, celle qui t’a brisé , et patali et patala ! Trois semaines de vie
commune et tu restes amer, blessé dans ton orgueil de caporal déchu.
Mon pauvre ami, je ne t’ai rien pris. Cette femme n’est ni à moi,
ni à toi et ce qui te fait enrager c’est de constater que tu n’as pas
d’emprise sur elle, pas d’influence. Elle est insensible à tes
cajoleries, tes minauderies et à tes menaces alors tu racontes à qui
veut t’entendre qu’elle est froide ou qu’elle est givrée. Tu aimes
discréditer les personnes, tu aimes que l’on te plaigne ! Et tu as as
gagné, je te plains !
Qu’est-ce mec comme toi ferait s’il jouissait du pouvoir ? Une
police politique ? Des coups de trique pour ceux qui n’aiment pas
Mozart ou Chopin ? Tu réglerais comment tes histoires privées ?

Tu fais de la politique parce que tu as des idées, parce que tu crois


que le peuple peut se prendre en charge. Tu prônes l’autonomie, la
démocratie dans la rue et dans les urnes. Tu veux changer la vie des
gens et tu peux prendre des décisions qui auront une répercussion sur
leur vie quotidienne (enfin si un jour, tu as le pouvoir) mais tu ne
changeras personne contre son gré et tu ne peux pas décider à la
place des autres car tu n’es pas le grand manitou.

Tu m’as déçu, camarade de mes couilles ! Tu as failli parce que je


voulais démontrer qu’un homme de la gauche "gauche à toute",
gauche à fond les manettes" avec des responsabilités politiques était

169
forcément élégant, digne, ouvert et féministe et je me retrouve avec
un dépressif qui fait des crochets du droit en criant au scandale.

Pauvre truffe !

170
Détartrer la cafetière

C’est important d’entretenir sa cafetière, surtout pour votre voisin


car si vous entendez ses conversations téléphoniques et sa chasse
d’eau, il y a des chances pour qu’il subisse le bruit que vous faites à
5 h 55 tapantes (café-caca-internet-douche-pipi-habillage)
Je ne le fais pas souvent et j’aime quand le ménage est fait surtout
quand j’ai le moral en berne, soit parce que je n’ai pas fait l’amour,
soit parce que j’ai fait un mauvais chiffre d’affaires hebdomadaire
qui ne me permet pas de faire face à mes échéances. J’ai alors
tendance à me négliger et à négliger mon intérieur.

Vous vous en foutez de mes soucis domestiques ?

Je n’aime pas les gens bruyants, ceux qui s’en foutent des autres et
je n’aime pas les gens qui prennent la parole en levant de doigt sans
se soucier du voisin qui avait levé la main avant, dans un débat
public.
Cela m’a gâché mon bon plaisir hier soir lors du débat qui a suivi
la projection du film "Cultures en transition". Les gens avaient de
bonnes idées mais certains accaparaient la parole et d’autres parlaient
juste pour le plaisir de sortir des mots. C’est agaçant ! Comment
changer la donne en restant les mêmes couillons ?

Quoiqu’il en soit, il m’a bien donné la pêche ce film et il fait écho,


à la phrase de Victor Hugo :

171
Les combats que l’on perd sont ceux que l’on ne mène pas

Le lieu (le café restau "le court-circuit"), le film, les orateurs, tout
a contribué à me requinquer. J’ai fait le plein de "good vibrations".
Passer de l’attitude de résistance passive à à la transition voulue,
j’ai encore beaucoup à découvrir mais je ne suis pas seul. J’ai fouillé
dans mes numéros de la revue SILENCE (Ecologie Alternatives, non-
violence ) à laquelle je suis abonné mais que je ne trouvais jamais le
temps de lire. Le temps, je vais le prendre à présent ! Au lieu de
brasser du vent, dire ce qu’il faudrait faire dans un monde idéal, il
faut partir de ce que l’on peut faire et avancer, avancer !
Je dois sortir de ma bulle car j’en ai fait le tour. Je sors de plus en
plus. Je suis content de ne plus avoir de télé. Je rencontre des gens
différents qui sont comme moi, apparemment dans une démarche
d’apprentissage, de recherche, et cela me plaît.

Aujourd’hui, j’ai eu de la visite à mon kiosque. Une copine d’une


association de défense des animaux. Elle est venue en vélo, le sien,
pas un vélo bleu de la ville de Nice. Elle lit Politis, Alternatives
économiques, bref, une femme comme il faut ! Elle est écolo
authentique pas écolo tartufe. Elle a des filles. Pour le reste, je ne sais
pas. Dès qu’elle est partie, je suis monté sur mon petit nuage et le
froid ne me mordait plus les pieds. C’est agréable de planer quand
une femme vous botte.

Ce matin, elle est revenue et sans que je lui pose la question, elle
m’a dit qu’elle était mariée. Ce n’est pas grave car ce qui compte,
c’est de savoir que ce genre de femmes, non superficielles, existent.

Les paquets de Nice matin m’attendaient ce matin (les affaires


reprenaient !), la merde du gros clébard qui trônait devant ma porte
d’entrée (saleté de maîtres !) avait disparue comme par enchantement
(merci la ville de Nice !), la pluie a cessé, la température a
augmentée, j’ai doublé mes chaussettes et je n’ai pas eu froid aux
pieds. Mon chat était très câlin ce matin, comme si il voulait me dire

172
"Ne lâche rien, bats toi ! Cela fait vingt cinq ans que tu attendais ce
moment, et tu le sens poindre ce "pas de coté", seul moyen de ne pas
s’illusionner par la révolution technologique qui nous sauvera du
réchauffement climatique et autres saloperies créées par notre
démesure en une poignée d’années. Tu vas l’avoir mon papounet, ta
révolution des libres penseurs ! "

173
Pas de foie gras à Noël

Non, ce n’est pas pour me plaindre de mon état de pauvreté


actuelle. Ma situation s’est nettement améliorée. Lorsque je suis
arrivé à Nice, à 32 piges ma sœur m’a payé une caravane et je buvais
du ricard alors que là, à 45 ans, j’ai trouvé un logement contre des
travaux et je ne bois que du cidre, du panaché ou de la bière bio.
Je me disais qu’avec le bol que j’ai, j’allais trouver une autre
solution, que je n’aurais pas à quitter mon logement, mais la réalité
ne se biffe pas à coup de crayons, alors il va falloir faire avec…

Le foie gras ne me manquera pas car cela fait des années que je
suis au courant de la cruauté des moyens employés par les
producteurs. J’ai le respect des animaux sélectif : Je mange des
huîtres, du crabe, des sardines à l’huile. Je ne suis pas un pur et dur et
il subsistera toujours un retard à l’allumage entre mes convictions et
mes actes de consommateur. Moi qui étais, il y a peu, un aficionado
du steak tartare (de boeuf, car je trouve un cheval plus "méritant"),
j’ai déjà réduit l’écart, et cela depuis mon embrouille avec le grand
dadet de directeur du Monoprix de Gorbella.
J’ai dû trouver d’autres filières pour m’approvisionner en denrées
alimentaires (des circuits plus courts de distribution pour l’essentiel)

Cela fait des années que je sais pertinemment que mon steack
tartare ne provient pas d’un petit élevage familial. Au prix de la
viande d’un circuit de distribution classique, ce que je fais revient à
verser de l’argent aux éleveurs industriels, à les engraisser, à les

174
inciter à ne surtout rien changer, à faire pire. On se cache derrière son
petit doigt en supposant que les animaux ne souffrent pas, et quand
on décide de faire un doigt d’honneur aux publicitaires, en leur
demandant de ne pas nous endormir en nous jouait du pipeau, on
passe pour un rabat-joie.

Je me suis de nouveau intéressé à la politique parce que ce sont les


idées des autres qui me sont imposées et je pense que mes idées
valent au moins le droit d’être exposées, débattues et confrontées. Je
déteste les campagnes électorales parce qu’il faut parler dans la rue et
distribuer des tracts et des autocollants mais je me sens quand même
plus légitime qu’un évangéliste ou une femme sandwich.

Pour la cause animale, je me suis crée un profil "Dee Dee


Diésélos" afin de ne pas tout mélanger. Dans un souci d’efficacité, je
dois mettre en veilleuse mes convictions politiques. Si je voulais
passer du rang d’écrivain mondialement inconnu à celui de
localement lu, je ne devrais pas de parler de politique mais que
voulez-vous, j’écris pour deux raisons :
Parce que cela me maintient en vie (c’est ma drogue douce) et
parce que j’ai envie de témoigner en évitant d’être donneur de leçons.
Mon engagement pour les animaux implique un changement
personnel mais il passe par des actions collectives et en définitive il y
a une finalité politique : lutter contre l’industrie agro-alimentaire,
contre le productivisme tel que le définissait Ingmar Granstedt dans
L’impasse industrielle et contre la disparition des paysans comme
l’avait annoncé Francois de Ravignan, ingénieur agronome.

J’ai beaucoup évolué en quelques mois. J’étais comme ceux et


celles à qui je dis que je suis devenu végétarien : j’explique que le
végé ne mange pas de poissons et que l’on doit faire face à beaucoup
d’idées reçues. Il n’est pas carencé ni sous protéïné et les produits
laitiers ne sont pas ses amis pour la vie mais sont juste les copains
des lobbies. Les lobbies agroalimentaires qui veulent notre bien,
notre santé et que l’on ne manque pas de calcium. Les lobbies qui
nous médicamentent pas …

175
Un poulet rôti

Poulet rôti, dinde fumée, kiosquier flambé pour les fêtes de fin
d’année ? Et bien rien de tout cela, car j’ai repris du poil de la bête
depuis que je m’intéresse au sort des mammifères autres que les
chien-chiens à Mamie liftées. Je n’arrive pas à comprendre comment
nous avons pu être assez détraqués pour mettre au point un système
si complexe de domestication de la nature qui nous asservit et nous
rend cruel tout en gardant les mains propres. L’élevage industriel, en
plus d’être un aberration écologique, est une abomination. J’ai mis
des années avant d’accepter de comprendre ce barbarisme auquel
nous collaborons silencieusement. Des années à considérer les
défenseurs de la cause animale comme des allumés qui plantent
l’ambiance des ripailles, des excités extrémistes focalisés sur une
lutte qui n’était pas la mienne.
Des animaux vivent cloîtrés pour ne prendre l’air que le jour de
leur exécution et il faut être borné pour penser qu’ils ne ressentent
pas la souffrance et s’en foutre. Des gamins travaillent en usine pour
fabriquer des jouets, des gens crèvent dans la rue, et pendant qu’au
Carlton on expose pour 103 millions de bijoux, les pauvres petits
kiosquiers abandonnés attendent leurs clients.

Ce matin, c’est un lundi et donc c’est le jour des programmes télé.


C’est le jour des "40 centimes Madame pour Télé Z TNT, en votre
aimable règlement. Oui, je rends la monnaie sur vingt euros. Oui,
vas y débarrasse toi de ta poupouille de tes pièces de un et deux
centimes, je n’ai que çà à foutre de faire des rouleaux et joyeux Noël
toi même ! ", c’est la journée où je vois du monde mais quand il
s’agit de compter la caisse à la fin, il vaut mieux penser que si on
avait été une dinde ou un agneau, cela aurait été pire pour son
matricule.
Or ce matin, un client arrive et me prend pour cinquante euros de
magazines, pour offrir à ses enfants. Un autre me prend cinq

176
pochettes cadeaux de jeux à gratter pour un total de soixante quinze
euros, bref, mon échéance à venir pourra être couverte, un coup de
bol inouï.

Je ne vais pas vous gonfler avec mes problèmes de trésorerie mais


sachez simplement que je suis un peu dans la situation d’un pauvre
paysan isolé en fermage, qui dépendrait d’un grand semencier qui lui
fourgue ce qu’il veut jusqu’à ce que les paysans, sous sa dépendance,
se révoltent ou disparaissent.
Pour l’instant, je suis un cul-terreux sans force car isolé, pas tout à
fait un damné de la terre mais un misérable. Je suis dépendant de
mon fournisseur, dépendant de la météo car ma récolte est maigre les
jours de flotte et je me sens otage, pris en tenaille d’une logique qui
me dépasse mais qui, je sais, ne mène à nulle part, complice d’un
système devenu sans avenir, d’un no futur qui dure et dure…
Je me sens comme un boxeur qui se serait entraîné pendant des
semaines et qui au moment de monter sur le ring se défilerait. Je
crois réellement que le temps de mettre les gants est venu, reste à
savoir si le soulèvement populaire sera celui des populos gogos qui
suivront les démagos ou celui du peuple bien éduqué qui sans aller
jusqu’à chier dans les bénitiers n’aime pas les Bénito. J’espère y
assister, y participer.

En attendant l’heure H du jour J, je n’ai pas pu me défiler pour le


repas de Noël. Je le prends plus comme une contrainte qu’un plaisir
car la perspective d’avoir le cul rivé sur une chaise pendant des
heures ne m’enchante pas. Nous sommes nombreux à dire que
n’aimons pas ces fêtes de fin d’année et nous nous sommes
nombreux à céder à la pression sociale, vouloir être considéré comme
"normaux", avoir la paix. Je savais que je ne serais pas l’aise car je
ne sais pas jouer la comédie.
Pire que cela, il a fallu me justifier, passer pour l’anormal car il ne
veut pas de cette dinde traditionnelle, pour le sectaire de service car
mettre en application ses idées implique une certaine radicalisation,
donc une marginalisation car mes positions, même si je les considère
justes et bien plus responsables que la fuite en avant consensuelle,

177
peuvent déranger. C’est assez incroyable qu’un choix personnel qui
porte sur ce que l’on veut avoir dans son assiette puisse faire autant
polémique et cela m’incite à me rapprocher de ceux et celles qui
n’aiment pas ce que l’industrie agro alimentaire a fait de nous. Et
qu’est ce que c’est que ces graines écogermées que tu nous
ramenées ? Et les escargots, ça a un cerveau ? Tu en reprendras une
petite douzaine ?

178
Un kiosquier suspendu

A REPRENDRE AVEC LE CHAP HAPPY END

J’en étais à mon troisième rejet au profit du marquis. Il s’agissait


cette fois d’une plus petite somme mais je n’avais plus la possibilité
d’aggraver le découvert de mon compte personnel pour payer un
stock de DVD X et de revues nulles à chier.
Le Marquis vivait sur ses conquêtes passées, à l’époque du
minitel. Vous étiez obligés de vous approvisionner chez lui et de
traiter avec un pseudo partenaire qui se foutait pas mal des situations
particulières tant qu’il donnait satisfaction aux diffuseurs. J’étais prêt
à tout lâcher, à prendre mon vélo et à partir très loin puis je me
ravisais : Dee Dee le chat comptait sur moi et puis je n’avais pas
envie de pédaler dans les cotes. Je n’étais pas un mec courageux,
j’aimais ma vie de pépère à chat.

Cette action se situe bien avant l’an 14 de l’an zéro moins un, à
une époque où les gens étaient encore résignées, carrément
désespérés et et où toutes les citadelles démocratiques menaçaient de
tomber les unes après les autres. Les gens ne s’intéressaient plus
qu’aux histoires de culs des élus et aux pensées des starlettes. C’était
avant la refondation d’une coopérative de diffusion de la presse qui
avait mal tourné, qui avait largué ses objectifs initiaux, et qui avait
été remplacée dès les premières semaines qui ont suivie, le … la …
enfin, bref, par une nouvelle structure, plus démocratique, avec des
objectifs autres que de remplir les poches de quelques personnes

179
mais patience, nous allons y venir.
Je sais bien que je tourne du pot et que je tarde à aborder dans les
détails cet événement, mais soyez patient car tout vient à point pour
celui qui sait mettre le poing sur la table.

Pour le moment, concentrons-nous sur la réalité merdique à court


terme, sur les petites tracasseries urgentes auxquelles il faut bien
apporter une réponse. Je ne pouvais plus régler mes problèmes par la
fuite, cela m’était devenu interdit.

En attendant que le monde redevienne plus normal, je devais me


coltiner avec la réalité palpable : J’avais eu mon autorisation de
découvert bancaire réduite de 900 à 150 euros. En plus, j’avais perdu
dans mon déménagement un lot de tickets de la Française des jeux !
Ces histoires de pognon ne m’empêchaient pas de dormir mais elles
affectaient ma vie d’écrivain : Je déambulais dans la peau d’un clodo
de luxe, Jojo le clodo romantique et je n’avais pratiquement plus de
désir sexuel. Je ne cherchais même plus ma promise, cela n’occupait
plus 90 % de mes pensées.

Au nom de la liberté de la presse, au lieu de proposer, comme sur


la photo de jacques Prévert devant l’étalage journaux d’opinion d’un
marchand de journaux, en 1962, je ne sais combien de titres ( je n’ai
pas trouvé le chiffre sur Wikipédia et je ne sais plus consacrer plus de
deux minutes à une recherche documentaire) j’exhibe, car je n’ai pas
le choix, les magazines affligeants comme : People poche, Télé
coulisses, Dream’up, histoires vraies, crazy, People inside, ouah,
chut, histoires vécues, One direction, scoop, Ma vie a basculé, Vécu,
100 % vrai, confessions, ce jour là, histoires vraies , c’est vrai, etc !
Alors on ne va pas refaire le monde, oui, c’est certain qu’avec des
journaux de cet acabit, on n’est pas prêt de refaire de le monde !
C’est très mal barré si on se laisse tout se dégrader.

Je ne suis pas opposé au fait de proposer de la presse "paresse" en


plus de la presse "presse" mais ce qui me gêne, c’est que ces
journaux prennent la place des autres et que, pour suivre le rythme

180
des nouvelles parutions, pour me constituer mon stock, je sois obligé
de renoncer à mes commissions.
Les titres qui ont des choses à dire n’ont pas les moyens d’être
diffusés massivement compte tenu du gaspillage induit. C’est comme
pour un restaurateur qui peut prévoir ses achats en fonction du
nombre de réservations, les abonnements pour un petit journal, c’est
l’idéal. Les abonnements en point fixe, en kiosque et non dans les
boites aux lettres, c’est peut être l’avenir des petites échoppes comme
la mienne (pour éviter leur mise en bière).

A reprendre

Je rêve d’un kiosques multi-services avec collecte de piles,


collecte de cartouches d’encre, informations sur les économies
d’énergie, prestations d’écrivain public, collecte des questionnaires
du comité de quartier et des référendums locaux, et surtout, point de
diffusion des abonnements. Pas de gaspillage ainsi avec les
"invendus" qui ôtent toute possibilité matérielle à certains titres
d’être diffusé partout. Les éditeurs, le client et le marchand
pourraient y trouver leur compte. Les gens s’abonneraient en point
de vente (en kiosque) comme cela existe déjà pour le Nice matin,
mensuellement, trimestriellement, à l’année, donc ils souscriraient,
payeraient d’avance et ils viendraient les mains dans les poches, au
kiosque chercher leurs journaux parce que c’est plus sympa dans ma
petite boutique que dans une boite aux lettres. Ils y viendraient pour
prendre l’air, pour discuter, rencontrer les voisins, et liraient des
journaux fédérateurs d’initiatives locales et d’intelligence collective
au lieu des revues habituelles divertissantes qui isolent les gens et
finissent par les réduire au silence sous couvert de leur faire oublier
leurs soucis et de leur vendre de la merde en boite.

C’est parce que je suis depuis passé de l’autre coté que je réalise à
quel point je m’étais montré impatient lorsque que j’avais commandé
"la décroissance, le mensuel de la joie de vivre" qui a pour emblème

181
l’escargot – à Béatrice, celle qui tenait le kiosque du square Boyer
avant moi et qui a cessé son activité en raison d’un rapport "boulot -
emmerdes - plaisir - "prélèvements sangsues" largement défavorable.

J’ai discuté avec la kiosquière du Square Lépine. Elle s’apprêtait à


ouvrir alors on a pris un quart d’heure pour discuter. Elle rencontre
les mêmes difficultés que moi avec le Marquis. Elle a discuté et a
rencontré d’autres kiosquiers et m’a donné les modalités pour ne plus
recevoir de DVD X et d’autres infos qui me seront utiles. Je suis
heureux d’avoir pu ainsi discuter avec elle, de ne pas me sentir tout à
fait isolé, le pot de terre contre le pot de fer. C’est parce que l’on se
sent impuissant que l’on se laisse de faire saigner à blanc. Je ne suis
pas prêt de renoncer à mon idéal. La kiosquière a fermé le rideau,
quelques semaines après.

Nous allons finir étouffer par la niaiserie si nous ne réagissons


pas. J’ai décidé de reconquérir la zone des journaux à contenu et de
reléguer dans un coin obscur les revues coquille vides, au nom de la
liberté de s’informer et de se former. J’ai décidé de ne plus subir et
de ne plus sacrifier mes commissions en payant un stock de
"produits" démocratiquement déficients, au nom de la liberté du
commerce.

Je dois de l’argent à deux personnes et je dois de l’argent à ma


banque. Je ne me fais plus de soucis pour les prélèvements rejetés du
marquis car après moult tentatives pour demander à mon bon prince
d’être plus raisonnable, de saisir que nos deux intérêts bien distincts
seront irrémédiablement inconciliables en continuant à me gaver de
titres que je ne vends pas, j’ai décidé que j’allais d’abord me verser
180 euros par semaine et déposer le reste pour mes prélèvements, et
tant pis si je dois fermer, je ne vais plus me faire saigner à blanc.
Je ne serai pas le premier ni le dernier marchand de journaux à ne
plus pouvoir suivre le rythme de cette course folle. Je dois juste
prendre les précautions légales pour me faire rembourser mon stock
sans attendre des lustres le bon vouloir du roitelet. Je ne suis plus son
sujet.

182
Que faire d’autre ? Un nouveau travail ? Chauffeur livreur ?
Factotum ? Je n’ai ni l’embarras du choix, ni le temps de trouver une
alternative.

Actuellement, ce qui me tient en vie, c’est mon chat et l’écriture,


sinon, j’aurais fait comme la commerçante niçoise qui s’est tuée sur
son lieu de travail et qui a ainsi eu droit à sa page dans Nice Matin.

Après l’écoute de "spirit of radio" de Rush pour me ressourcer,


j’ai été tenté d’acheter une guirlande lumineuse achetée dans un
bazar et de provoquer un incendie accidentel afin de me faire
rembourser mon stock par mon assureur mais, que voulez-vous, j’ai
été élevé avec des valeurs morales qui m’empêchent le passage à
l’acte, idem pour l’immolation ou la pendaison.
En tous les cas, je ne laisserais pas le poison du libéralisme sans
brides couler dans mes veines.

Quelques journées de soleil et la récupération de mes deux cents


cinquante euros de tickets de jeux et une conférence sur Diderot
auront eu raison de mes idées noires. Depuis l’adolescence, je suis
habitué à ce genre de spleen et je finis toujours par trouver une raison
de ne pas baisser les bras. On peut mourir pour des idées, mais pas
pour une histoire de pognon !

Mon père a eu un stupide accident. Il n’allait pas bien depuis la


mort de sa compagne survenue il y a trois ans. Il souffrait dans sa
chair et dans sa tête. Il n’en pouvait plus de cette solitude. Il a essayé
d’aller mieux, de faire avec … Il s’en était presque sorti. Mon père
aimait relever des défis sportifs.

Je l’ai un peu aidé à aller mieux et puis après, je l’ai lâché. Je l’ai
appelé moins souvent car je déteste le téléphone et j’avais mes
tracasseries liées à mon activité de kiosquier. Il savait qu’il allait
perdre son logement, il avait des problèmes d’argent et il ne voulait
pas être une charge pour ses enfants. J’ai honte de n’avoir rien pu

183
faire pour lui, absorbé que j’étais par mes problèmes personnels. Le
dernier chapitre que je peine tant à écrire lui sera dédié, c’est celui
sur un bouleversement qui va se produire dans l’échelle du temps,
un temps où les problèmes personnels peuvent prendre le pas sur le
destin commun. Les nostalgiques des jours heureux ne rêveront plus
d’un retour en arrière impossible et les punks d’un
monde décadent se lisseront la crête.
Une sorte de remise à l’heure des pendules concertée et
simultanée, rien d’impossible !
j’aurais aimé ajouter "par l’action non violente, par la persuasion",
mais je ne veux pas vous prendre pour des lecteurs de niaiseries
dignes des pires journaux nauséabonds. Je tiens absolument à finir
sur une note heureuse.

J’ai ouvert ce kiosque pour pouvoir écrire, pour rien d’autre. Je ne


voulais pas faire de l’écriture intimiste mais je suis obligé de parler
de l’accident de mon père car cela m’affectera, je n ’ai pas fini de
l’absorber. Ce soir j’avais envie de lui écrire un poème mais je
n’arrive pas à produire des textes sur commande, au moment où il
faudrait. Je ne peux pas dire que j’en veux à mon père d’être ainsi
parti, je suppose ce qu’il endurait et je sais que si j’avais été autre
chose que l’éternel perdant qui a toujours besoin des autres, il vivrait
heureux, à Nice, en attendant la Révolution. Il ne viendrait pas
manifester à mes cotés mais il aurait trouvé cela sympathique.

Il ne pensait pas comme moi, il se nourrissait de sandwich et de


rôti de dindonneau, il était plutôt à droite, il ne triait pas ses ordures
mais il était capable de faire des efforts. Par exemple, une fois il avait
acheté des œufs de poules élevées en plein air au lieu de les prendre
en lots de 24 . Il l’avait fait rien que pour moi, pour me faire plaisir.

Si je ferme mon kiosque demain, je le vivrais comme un échec,


c’est indéniable mais je le ferais sans remords car au moins j’aurais
essayé et je me serais battu. Je ne ne veux pas par contre renoncer à
ma volonté de voir le monde évoluer au lieu de régresser sans avoir
participé aux tentatives de le changer.

184
De la même manière que l’on peut aimer tourner la tête ailleurs
lorsque l’on vous montre ce que vos choix de consommation
impliquent en termes de gaspillage et de souffrance animale, on peut
choisir de ne voir que le pourri, que le laid ou s’intéresser aux
indicateurs de bonne humeur. Depuis que j’ai ouvert le kiosque, j’ai
fait de belles rencontres.
Il se trouve que l’ouverture du kiosque a coïncidé avec la fin de
ma crise de la quarantaine, le moment où j’ai commencé à me sentir
moins vieux et con, non parce que je me tapais des jeunettes mais
parce que je renouais avec les belles idées de mes vingt ans. J’ai eu
de nouveau l’envie de m’impliquer, d’aller fricoter dans des lieux où
l’on se résigne pas.

Le journal réservé

J’ai une idée : Le journal suspendu ou "le journal réservé pour


les fauchés". L’idée a germé.
L’idée est la suivante : s’informer, se distraire, tuer le temps avec
un journal, c’est aussi important que la baguette ou le kawa. Reste à
savoir à qui cela profitera ? Au diffuseur ? A l’éditeur ? Et de que
journal parle t’on ? Parce que si pour lire des niaiseries, autant lire
des journaux gratuits. Je voudrais qu’un retraité qui, une fois payé sa
baguette et les croquettes pour ses chats n’a plus assez pour un
journal (qui ne vaut que le prix d’un café) puisse partir avec un vrai
journal, un journal payant, un journal payé par d’autres lecteurs
solidaires. Un retraité, un clodo, une étudiante fauchée, peu importe
qui, juste quelqu’un qui connait la valeur de la gratuité. Cette petite
manifestation de solidarité citoyenne, elle existe déjà
quotidiennement. Certains clients offrent leurs journaux à des
voisins. La nouveauté, c’est que des commerçants de proximité s’en
mêlent et que l’on y met la lumière dessus avec les gros projecteurs
de Face book et autres médias qui vont là où il y a du monde. Le
risque, c’est que beaucoup en profitent pour faire leur promo pour
pas cher.

185
Comme je me dis avec les quelques clients avec lesquels je me
permets de faire un peu d’humour "Suspendu, en attente, réservé, on
s’en fout du nom, tant que cela me paye mon gastos ! "
Ce genre d’humour ne passe pas toujours…

Quid des radins, des pros de la rapine ?

Ceux qui ont l’habitude des systèmes d’entraide et de partage, de


solidarité active, savent que la plupart des gens sont dignes de
confiance. Je suis toujours plus méfiant qu’un militant associatif
exercé. Je sais qu’un militant du front de gauche fait le pari de
l’intelligence, du sens du collectif des citoyens et du bon sens
populaire, mais de mon kiosque, je vois la mesquinerie et le mal
partout. Ainsi, lorsque je lis Le Point consacré aux droits des
animaux, avant de l’offrir à la Présidente de l’association Justice
pour les animaux, et que je tombe sur un article consacrée à
Léonarda, la roumaine qui a été expulsée avec sa famille, je ne peux
m’empêcher de penser dans le sens indiqué par les journalistes : Le
père de léonarda, un sale profiteur, serait venu tous les jours à mon
kiosque pour me réclamer un café et un journal suspendu !

Alors j’ai décidé d’aller jusqu’au bout de mon idée pour me


prouver que tous les pauvres n’étaient pas des profiteurs !

Cela fait des semaines que je laisse trotter cette idée et pour une
fois j’ai décidé de ne pas la laisser filer. J’en suis aux modalités
concrètes. Nice Matin a fait un papier sur le café suspendu et la
baguette en attente. Ce jour là , j’ai pigé qu’il y avait des journalistes
dignes de ce nom dans ce quotidien régional.

Le court-circuit l’a mis en pratique pour la baguette et le café. Le


falabrac Fabrik pour le café, je crois. Pour le journal, ce n’est
vraiment pas compliqué à rendre opérationnel ! Une affiche et une
petite contribution personnelle pour démarrer et laisser le temps aux
clients d’adhérer ou pas à cette micro action solidaire. J’ai cherché

186
sur internet si d’autres marchands de journaux le faisaient et
apparemment cette idée tout bête n’avait pas été encore
expérimentée. Alors puisque nous sommes entre nous, je ne vais pas
raconter des sornettes. J’ai fait cela pour que l’on parle de mon
kiosque, pour que l’on reconnaisse qu’un écrivain mondialement
inconnu peut être solidaire.

Je pense offrir chaque jour, au choix, à un "fauché" le quotidien


Nice Matin, Aujourd’hui ou l’Humanité, L ’équipe, l’hebdo Le
Patriote ou le Petit Niçois, ceci dans un souci d’équilibre politique.
C’est ce que j’offre (cela ne coûte que le prix d’un café), après, libre
à mes clients d’offrir le journal de leur choix. Je ne crois pas qu’un
facho ou qu’une mémère à cancans souscrira au journal suspendu.

En tant que commerçant, je suis indépendant mais isolé aussi. Je


suis assez individualiste qui plus est. Le fait de savoir que d’autres
commerçant sont en train de s’organiser pour bricoler ce concept de
café suspendu, de baguette en attente et du journal réservé,
m’intéresse. Mona dont je parle dans un autre chapitre a été aidé par
un restaurateur qui lui préparait un repas et lui permettait de dormir
sur le perron de son restaurant. Comme quoi, les artisans, les
commerçants de quartier ne sont pas tous de gros cons de
poujadistes !
En tant que travailleur indépendant, kiosquier, je suis isolé et
j’avais eu l’idée du journal suspendu il y a quelques semaines déjà
lorsque j’ai découvert l’existence médiatique du café suspendu sur
Face de bouc, mais cette idée j’ai eu l’impulsion (l’émulation) et
l’envie de la réaliser grâce au café agrico-culturel le Court-circuit
qui a été le premier dans le 06, à proposer le café suspendu et la
baguette en attente.
Seul, j’aurais pu offrir un journal par jour. Parce que ce geste
solidaire a été médiatisé, je peux en offrir au moins trois par jour,
j’aurais assez de contributeurs. J’ai 30 journaux ou magazines en
réserve car seulement deux personnes utilisatrices, qui n’abusent pas
de la générosité de mes clients.

187
Comment identifier un fauché d’un moins fauché ? Moi je vis
comme un clochard de luxe. Sans la famille et les amis qui ne me
lâchent pas, je serai à la rue alors que je bosse plus de quarante
heures par semaine et alors que j’aime faire ce boulot.

Les gens vont toujours chercher à profiter de la gratuité. Il faut des


critères mais comment les déterminer sans tomber dans l’arbitraire ?
Je ne vais pas demander l’avis d’imposition de quelqu’un à qui
j’offre un journal réservé ! Je ne vais pas offrir un journal de courses
hippiques à un joueur de tiercé en tous les cas.

La réclame !

Et j’ai eu mon article dans le Nice Matin et un petit passage sur


Azur TV !
Et j’ai vu que les resquilleurs et les gens mauvais ne se
bousculaient pas.
Et mes clients ont suivi le pas et ont contribué en offrant des
journaux.

Dans tous les lieux qui font confiance aux personnes (libre
participation, implication des bénévoles etc..), ça m’a l’air de plutôt
bien marcher. Les mecs comme moi qui n’ont pas trempé dans le
bain du militantisme suffisamment tôt sont toujours un peu coincés,
sur leurs gardes, et ont du mal à se prendre en charge, à être
autonome, il faut un certain temps d’adaptation. Dans les projets
collectifs, beaucoup de participants attendent des autres avant de
voler de leurs propres ailes.

Toute la difficulté consiste à proposer quelque chose de gratuit


allant dans le sens de la reconnaissance de la personne à part entière
(Tu es pauvre, exclu de certains droits mais il est important que tu
lises le journal que tu écoutes la radio, que tu ailles au bistrot pour
rester des nôtres)
Comment manifester la solidarité sans stigmatiser, sans te
désigner comme le paria ?

188
Comment aborder la personne fauchée ans la heurter ? Je me base
sur d’inévitables a priori (code vestimentaire, durée de
stationnement sur les bancs etc..)
Qui a le droit de décider à la place des utilisateurs de ce service
financé par mes clients de ce qu’ils "méritent "de lire ? Le monde ?
le programme Télé ? Le figaro ? Paris match ? L’humanité ? Nice
Matin ? France dimanche ? Femme actuelle ? Un petit retraité aux
abois n’aurait il pas droit de lire le journal de son choix ?

J’ai cherché des éléments de réponse sur internet, sur les réseaux
sociaux (je ne vais plus sur les sites de tchatche à deux balles depuis
la disparition brutale de mon père) et puis j’ai mis à contribution les
clients avec lesquels un courant de sympathie existe.

L’idée généreuse de payer un café dans un bistrot pour quelqu’un


qui n’en aura pas les moyens allie convivialité et générosité de
Rouen à Toulouse, en passant par Tours (Indre-et-Loire). Agathe
Philippe et un groupe d’étudiantes en gestion des entreprises et des
administrations à l’IUT de Tours veulent ainsi rendre plus populaire
un café suspendu ou en attente : « Nous avons vu que cette initiative
fonctionnait dans les grandes villes, pourquoi pas à Tours ?
L’ardoise avec les cafés achetés s’adresse aux SDF, mais aussi aux
mères célibataires, aux étudiants et aux personnes dans le besoin ».
Au bouche à oreille de propager l’acte solidaire et la confiance
humaine qu’il génère
source :
http://www.lanouvellerepublique.fr/Vienne/Actualite/Dossiers-
actualite/n/Contenus/Dossiers/Actualite/Jeunes-Express-
596100/Initiatives/Le-partage-et-le-don-pour-vaincre-l-indifference-
1769226

La question qui revient souvent, c’est comment reconnaître une


personne dans le besoin. (Et l’autre question : comment éviter les
"profiteurs" ?)

189
Je connais des petits vieux très bien sapés qui se privent : Il faut
faire un choix : le journal ou la baguette ou le café (c’’est
sensiblement le même prix). Pour des raisons évidentes de dignité, il
faut être d’une discrétion et d’un tact exemplaire, sous peine de
stigmatiser, de désigner, de marquer une différence et là on sort de la
solidarité pour être dans une logique de charité privée à la mode
Bernadette.
En ce qui concerne la crainte de profiteurs, des resquilleurs ( car
nous ne sommes pas dans le mode de oui-oui à la sucrerie), je fais le
pari de l’intelligence collective et de l’honnêteté des gens.

Je m’adresse à des gens effacés, pas à des gens exclus. Des


personnes que la précarité ou la pauvreté pourraient marginaliser. Je
ne vais régler aucun de leurs problèmes, ce n’est pas le but. Le seul
intérêt du journal solidaire, c’est d’offrir fugacement et le plus
discrètement possible "quatre bouts de bois quand dans ma vie il
faisait froid".
C’est un geste symbolique, un tout petit geste. Un quotidien ce
c’est pas si cher payé que çà en définitive ! Ce qui compte, c’est que
la personne vienne le prendre elle même, reste visible. Ce qu’il
faudrait, c’est trouver un moyen discret de permettre à ces personnes
de récupérer le journal réservé dignement. Je pense à des coupons
presse. Des coupons qui permettrait de prendre n’importe quel
journal ou magazine, y compris de ceux que je n’aime pas vendre.
Cela ne doit fonctionner que par le bouche à oreille dès lors qu’il est
relayé par le réseau associatif.

La solidarité privée cela existe partout. Mes clients offrent


spontanément le journal à des gens qu’ils connaissent et c’est très
bien car cela doit circuler un journal. Je parle d’un vrai journal, un
qui a été conçu par une équipe, fabriqué, distribué, un qui fait
travailler beaucoup de personnes, je ne parle pas d’un de ces
journaux gratoches qui finissent dans les poubelles. Cette solidarité
du quotidien n’a pas besoin d’être mise en avant. En revanche cet
emballement pour le café suspendu et toutes les initiatives qui ont

190
suivi me plait car il indique que les gens ne sot pas résignés à ce que
les choses aillent de plus en plus mal. Tout en reconnaissant que c’est
bien naïf, j’ai décidé dans le dernier chapitre qui sera de
"l’anticipation immédiate", que c’est à partir de ces micro geste de
solidarité citoyenne que l’on allait écrire le premier chapitre d’un
monde meilleur (L’an quatorze de l’an Pépin zéro moins un et je
retiens deux)

Mon temps n’est pas plus précieux que le tien

Après l’enterrement de mon père, le surlendemain, j’ai participé à


un jeu de rôles suivi d’un repas. Cela s’appelle le repas insolent et
c’était impulsé par l’association La manuFabrik en partenariat avec
Artisans du Monde et la cantine autogérée Les Piedanlepla, au local
des Diables Bleus (pour aborder la répartition inégale des ressources
entre les continents). C’est Viva la Vie Va, qui m’a entraîné là bas. Je
n’aime ni les groupes de plus de dix personnes, ni les jeux de société
et pourtant j’ai passé un très bon moment en apprenant beaucoup de
choses sans m’ennuyer un instant. Évidemment, des gens ont tenté de
s’approprier la parole, il y a eu les petites luttes habituels de
leadership, mais cela s’est passé dans la bonne humeur car nous
avons parlé cash et direct et lorsque l’on pratique le langage non
mielleux, on y arrive. Même dans les lieux alternatifs, on trouve des
fanfarons qui aiment se montrer se gargarisent de leur propres
paroles. Le monde changera car ces gens là la fermeront.

Le samedi, après une galette des rois de l’AJPLA (Justice pour les
Animaux) au Falabrac Fabrik, je suis allé au court-circuit car il y
avait des groupes en live, dont Sarah Maison une magnifique folk
swingueuse, et après quelques bières (je sais que je suis censé ne
boire que du panaché et du cidre) j’étais vraiment dans l’ambiance et
de cela il faut absolument que je vous en parle, mais d’abord, venez
me rejoindre à enterrement de mon père car nous étions peu
nombreux et nous allons être en retard.

J’ai confondu quai de la Râpée avec quai de la gare et le

191
lendemain, en partant à 8 h 30 pour être à l’intitut-médico-légal à 9
heures, j’ai pensé que cela serait largement suffisant et que j’aurais
même le temps de boire un petit café en arrivant. Mon père n’avait
comme jus de fruits que du jus de pruneau et j’avais donc la chiasse
à mon réveil à 4 h 30. Je m’étais levé tôt pour faire des cartons car
mon père était comme moi, il n’aimait pas jeter. S’il s’achetait un
nouveau téléphone, il gardait l’ancien et il stockait d’énormes
quantités de fournitures bureautiques. Depuis notre arrivée à Paris
nous étions à la fois dans les préparatifs de ses obsèques et dans les
cartons car l’appartement qui appartenait à sa compagne décédée
devait être vendu, il l’avait appris récemment. J’ai profité pour jeter
deux gros sacs poubelle avant de me rendre dans la bouche du
métro.
Je ne vous dirais pas que je n’ai pas respecté les règles du tri qui
permettent une valorisation des déchets car je tiens à ma réputation
(Nous sommes peu nombreux chez les militants Pro Planète et tout
fini par se savoir quand on flâne sur les réseaux sociaux )

Mon père était "speed", toujours pressé, y compris au restaurant


et il aura donc eu droit à un enterrement "speed" car ces gens là
n’attendent pas. On ne plaisante pas avec un maître de cérémonie !
La messe était très bien. La messe, c’est le seul endroit où je peux
chanter sans que personne ne demande de me taire. J’ai dominé ma
peur de parler dans un micro et j’ai lu un éloge que nous avions
écrit avec ma sœur Christine et mon oncle Christian.
Le prêtre avait bien compris que je n’étais pas un bon pratiquant
mais il a fait une belle cérémonie et lui a rendu un hommage mérité.
Ensuite, nous avons recueilli les condoléances de la famille, des
amis, des voisins et j’ai même dû me résoudre à faire l’accolade avec
une dame qui portait un chapeau et un manteau en fourrure de poils
de la mort.
Nous sommes allés dans un petit restaurant et ensuite nous
devions nous trouver au crématorium du père Lachaise à 13h30
précises. Avec François et Patou mes amis, nous sommes arrivés un
bon quart d’heure en retard. Nous avons donc disposé de moins de
temps pour nous recueillir car d’autres familles attendaient leur

192
tour. J’avais fait gravé un musique que mon père aimait écouter
lorsqu’il était mélancolique, Fash, the duke of burlington, un
instrumental d’un groupe italien de jazz-soul-funk des années 70.
C’était bien.

Je ne peux plus l’appeler à présent, lui annoncer le chiffre de la


recette les bons jours, lui parler des femmes qui m’intéressent, de
mes toquades, de mes projets.

La vie continue

J’ai repris mon travail au kiosque sous une pluie battante. Nice
matin m’a suspendu la livraison. J’avais le vendeur juste à coté de
moi.
Il touche un fixe et gagne mieux sa vie que moi qui suis payé à la
commission.
Pour une question de dates, moi car je suis obligé de jongler en
permanence, j’ai eu deux prélèvements de Nice matin rejetés et cela a
entraîné une interruption des livraisons.

Vous voulez des détails ?


Bon alors, c’est bien parce que vous insistez !

Ces échéances n’avaient pas été présentées aux dates prévues et


n’avaient pu être honorées alors qu’elles correspondaient réellement
à de la marchandise livrée et vendue, au profit de celui du Marquis
(qui correspondait à de la marchandise bien livrée mais qui cette
marchandise ne faisait souvent que transiter avant d’être rendue et
remboursée plus tard), les autres prélèvements étant celui de
l’assurance et celui de la française de jeux. Jusqu’à présent, le
logisticien de Nice matin présentait, un jour avant le marquis, son
échéance et donc il n’y avait pas de rejet. C’était pour le marquis que
cela passait au fil du rasoir ou que cela ne passait pas (engendrant les
frais annexes).
Autant pour le Marquis, le seul fournisseur à ne pas présenter un

193
système de facturation simple et aisément vérifiable (par exemple le
monde : tant livrés, tant de vendus et ainsi de suite, cela ne me
perturberait plus, pour Nice Matin, j’étais très mal à l’aise car c’était
de l’argent comptant que j’avais réellement encaissé. Et il fallait le
trouver dare-dare.

Allo maman, tu sais je t’ai dit de ne pas te mêler de mes affaires


mais …

J’étais encore à deux doigts d’arrêter mais pour une fois que
j’aime ce que je fais et que je sens que je pourrai s’améliorer
certaines choses, j’ai la force de me battre. Même malade je vais
bosser. Je n’ai pas droit au moindre faux pas.

Et puis si comme je l’espère les gens vont renouer avec


l’intelligence collective, les gens auront de nouveau envie de lire des
journaux qui informent.

N’importe quelle personne comme moi sans livret d’épargne


n’aurait pas attendu pour baisser le rideau, mais moi je suis écrivain
et le kiosque est mon observatoire idéal. Fermer serait un échec à
ajouter à mon palmarès.

Je suis travailleur indépendant dans un domaine qui rapporte que


dalle et cela me plait tant que je peux continuer à écrire sans crier
famine. Une fois que j’aurais terminé les travaux en échange de
quelques mois de loyers, je prendrais une activité salariée
complémentaire, et bientôt, il y aura le printemps des poètes.

194
Les poules qui m’élèvent en l’air

Bon sang de bois, il est plus aisé de bander pour une poulette
standardisée que de s’élever amoureux d’une poule éprise de liberté
qui vous emmène dans son sillage et vous apprend à ouvrir les yeux !

Je cherche une poule bien élevée qui picore des graines de liberté,
c’est assez compliqué finalement !

Depuis que je sors, j’en connais de bien jolies dames, élégantes et


solides ! Elles ont toutes les yeux pétillants, le sourire rieur, et en
elles en ont sous la caboche, c’est à cela que l’on reconnait ! Elles ne
sont pas forcement adeptes de la décroissance mais trainent leurs
guêtres chez les activistes.

Certes, au sein de la cause animale, il y avait des membres de la


grande famille avec lesquels je ne passerais pas une soirée mais chez
mes poteaux du front de gauche, il y en avait aussi quelques uns avec
qui le courant ne passait pas non plus : Ceux qui étaient "tiers-
mondiste", "humaniste" mais qui ne voulaient pas voir que l’élevage
industriel menait à la ruine la paysannerie et à la catastrophe
écologique. En somme, les "écologistes de pétrolette" qui aimaient
bien la toute dernière Peugeot m’énervaient aux entournures. De
toute les façon, j’étais un solitaire et même avec moi même, il
m’arrivait souvent de me disputer.

Ces gonzesses épatantes s’inscrivaient, comme moi, dans une


démarche de changement de leurs habitudes bien ancrées. La plupart

195
étaient plus avancées que moi. Les fréquenter me procurait un plaisir
des yeux et un régal pour les oreilles.

Le seul truc qui m’emmerdait, et encore, c’était "peanuts, c’était


qu’il fallait s’arrêter tous les trois mètres pour laisser pisser les
clébards ou caresser les chiens des autres. Quand elles n’étaient pas
"gnan-gnan" ou "culcul la praline", les militantes de la cause animale
me réconciliaient avec l’humanité : Il était donc possible d’être
lucide et de voir le mal sans sombrer dans la mélancolie et l’inaction.

Il était souhaitable de transformer un monde en perdition. Il fallait


juste apprendre à traverser sans prendre les passages cloutés pour
rejoindre les bonshommes en vert et les punkettes à crête lissée.
Elles étaient belles, elles étaient fraiches, elles sentaient bon la vie
et je ne savais plus où donner de la tête (car il s’agissait bien de la
tête) et j’aurais voulu vivre une histoire avec chacune mais cela
n’était pas permis par la loi. Il fallait attende la promulgation du code
des artistes ou l’arrivée de l’an quatorze de l’an Pépin zéro moins un
et je retiens deux.
Il en restait plein de femmes qui m’attiraient pour d’autres raisons
que leurs plastiques. Certaines, je le pressentais, me correspondaient
largement, sur l’essentiel en tous les cas, en rendant caduc mes
critères mis au point au cours de l’écriture de Pot cherche
Cornichon.

Je ne mangeais plus de bulots à l’aïoli, et aimer les Ramones ou


Led Zeppelin n’était plus selon moi un gage d’éveil spirituel. Mon
défaut majeur qui consistait à ne jamais donner l’exclusivité
apparaissait assez rapidement (je ne cherchais même pas à me
dissimuler) et c’est certainement pour cela que mes relations
sexuelles avaient tendance à se raréfier ces derniers temps (sans
compter que je n’avais plus de vrai « chez moi ».)

Je ne séduisais que des intellos pour lesquelles donner de leur cul


n’étaient pas une perte de temps. Elles aimaient le sexe et n’avaient
pas peur de le dire. Seules les acculturés ou les lectrices de Closer

196
pensaient que le sexe était une monnaie d’échanges, et celles-ci
étaient monnaie courante selon les lieux que l’on choisissait de
fréquenter…

Un samedi, Lola est venue à mon kiosque. Elle devait participer à


une action commerciale, une campagne pour dénicher de nouveaux
abonnés en kiosque pour Nice Matin. Lola est la meilleure amie de
Noella.
Noëlla travaille dans la vente, pas loin de mon kiosque, une fois
par semaine. Elle est étudiante et elle est belle comme un pain
pomme cannelle.

Noëlla aime le jeu, les plaisirs, la communication. Pour elle, la


vie est un théâtre. Elle apprécie les changements et les voyages. Côté
cœur, c’est une passionnée sujette aux « coups de foudre », aux
emballements les plus fous ou les plus déraisonnables, mais sa
flamme est vite éteinte, la fidélité n’étant pas son fort. Séductrice,
voire conquérante, la vie amoureuse est importante chez cette
« amazone » qui a néanmoins besoin de la vie à deux pour son
équilibre, souvent précaire.

A l’heure du choix professionnel, ce sont en premier lieu les


professions où tout bouge et évolue qui auront l’honneur de lui
plaire, sinon Noëlla en changera souvent. Ainsi, elle sera surtout
attirée par la vente, la publicité, la représentation, le journalisme, la
comédie, la promotion immobilière, les métiers de guide, d’hôtesse
de l’air (surtout si elle est née un 3,5,12,14,21,23,30, ou possède
un chemin de vie 3 ou 5, ou encore si elle est née en mars ou en
mai), les emplois intérimaires, d’employée de bureau,
d’intermédiaire… Si le 2 l’emporte (née un 2,11,20,29, ou en février,
ou si elle possède un chemin de vie 2, les professions à but
humanitaire ou exigeant de l’intuition, de la psychologie ou de la
spiritualité ; si elle vit son 11 (Verseau ou née un 11 ou un 29, ou
possédant un chemin de vie 11, les professions liées au conseil ou à
l’enseignement…

197
Source : http://www.signification-prenom.com

Lola n’était pas sur ma liste de d’égéries chéries car elle est trop
jeune et pas estampillée "poule capable de m’élever en l’air". Il y a
des femmes que je suis obligé de retirer de ma liste soit parce
qu’elles sont trop belles, soit parce qu’elles sont trop grandes, soit
parce qu’elles ont un tempérament dominant, soit parce qu’elles
causent trop. Lola est juste sur ma liste de chasse aux papillons
même si j’ai dans l’idée d’abandonner la chasse car ce n’est plus de
mon age.

Il en restait bien suffisamment des histoires possibles : J’en avais


autant que sur ma liste de journaux suspendus et j’allais devoir
organiser dans ma tête les Olympiades du parcours du cœur.

Attention, une provocation à venir !


Le seul hic, c’était mon taux d’invendus ! Entre mes retours de
crics et mes histoires morts nées, j’avais autant d’invendus qu’avec
certaines de mes publications. Soit parce que celle que j’avais prise
pour une frangine de Fluide Glacial était partie chez "closer to the
heart", soit parce qu’elle voulait une histoire à la mode "nous deux"
et moi je détestais les boniments, soit parce que je les voulais toutes
au lieu de ne retenir que la seule qui tenait vraiment le pavé (et sous
le pavé, la plage ! )

Je suis satisfait par mon mode de sélection de ma "promise".


Dans le pire des cas, une fausse "promise" peut toujours devenue
une égérie haut de gamme.

Je n’avais que l’embarras du choix. Je ne rencontrais que des


femmes intéressantes. Celles qui étaient jolies mais creuses comme la
boulangère du "baba au rhum" - la boulangerie ouverte toute l’année
sauf quand le patron est bourré - je ne m’y attardais plus. Tant pis
pour leur cul (c’est juste pour faire une rime) !

198
J’assistais, impuissant, à l’acculturation des jeunes qui ne lisaient
plus rien d’autres que les journaux pour demeurés. Cette jolie petite
brune vendeuse de paninis et de tartes au citron discutait avec un
vieux con, un de ces vieux briscard pilier de troquet reconverti en
dragueur de boulangeries. Un facho de quartier du genre de ceux
qu’on laisse parler tout seul parce qu’il n’y a pas à lui tendre la
main, il se complait dans sa misère de gréviste de la cervelle. La
jeunette aux fesses fermes abondait dans son sens, en déblatérant sur
les « pédésexuels » et les immigrés qui viennent voler le pain des
français. Les jeunes m’énervaient à quelques exceptions près. Les
personnes qui misaient tout sur leurs apparences et qui se
complaisaient dans la pauvreté culturelle, je les dédaignais. J’étais un
vieux con qui n’aimaient pas les tatouages et les piercings chez les
futurs bourgeois rebelles de pacotille. Je n’aimais pas que les jeunes
viennent m’acheter Closer ou autres niaiseries. J’avais envie qu’ils
aient de nouveau envie de prendre en main leur vie, de ne pas tuer le
temps en jouant comme des gamins de dix ans et en se filmant en
train de transgresser des interdits ou en se faisant toujours les mêmes
blagues faciles.

Ces gens là m’emmerdaient et je décidai de leur tourner le dos


mais pas comme Miles Davis en certaines circonstances de sa vie sur
scène. Je ne les méprisais pas, je voulais juste ne plus les voir pour
ne voir que les gens "vivants".

Il était grand temps que je passe à la phase actions de mon plan


de développement en associant des artistes à mon projet d’injection
de doses non létales de culture populaire !

Mon père m’avait soufflé mon idée, s’en était allé me laissant
face à mes questions, s’était éclipsé et avait fini au Père Lachaise
sans même un article de journal.

Pour être connu, je n’avais pas trente six mille solutions : Révéler
au public, en choisissant le mode open source, les subtilités
techniques de mon radar à chichiteuses et de mes toilettes sèches

199
d’appoint à lombricompostage maitrisé ou, en deuxième possibilité
être élu manager de l’année par la revue Alternatives Economiques.
Je pouvais aussi faire la une des faits divers, soit en faisant exprès de
rater un braquage digne des pieds nickelés, soit en allant chercher au
pressing ma tenue de super kiosquier. Il y en avait des possibilités
finalement !

Mon Augustine
Intermède culturel :

L’apparition de “l’auguste” est un événement qui va bouleverser


et modifier totalement l’avenir du clown. Sa naissance va asseoir
définitivement, dans un rôle précis, la ligne de conduite du comique
de cirque.
La création du personnage a plusieurs versions selon les
historiens, mais nous pouvons aisément faire une synthèse de ses
origines :
Qu’en vérité il s’agisse d’un palefrenier, de Frédiani père, ou
probablement de Tom Belling, l’histoire se passe toujours au cirque
Renz en Allemagne vers 1870-1872.
Selon les Fratellini : le personnage chargé de faire la barrière
(rôle de garçon de piste tenu par les artistes avant et après leur
numéro), Tom Belling, artiste écuyer dans un état d’ébriété, le nez
légèrement rouge se prend les pieds dans le tapis, se trompe dans le
matériel - Un régisseur furieux le bouscule, le frappe, et c’est l’air
ahuri qu’il remarque que le public s’esclaffe de la situation.
Le directeur du cirque, comprenant l’intérêt de cet intermède, lui
fait refaire cela chaque jour. Tom Belling ayant pour pseudonyme
“Auguste”, l’expression “faire l’auguste” se répand comme une
traînée de poudre. Si plusieurs personnes ont revendiqué la paternité
de la création, il est certain que selon les cas, le farceur aux
vêtements trop grands, l’ivrogne, l’artiste s’étant trompé de frac,
bref, le résultat est surprenant.
L’auguste est né, adopté dans toute l’Europe du plus petit
chapiteau aux plus grands établissements (avant de s’exporter en

200
Amérique et dans les pays de l’est, où le clown blanc sera ignoré)
Le travail à deux commence, mais les débuts sont difficiles et peu
glorieux pour l’auguste qui doit s’affirmer, se modeler.
Il est, hors de la piste et pendant de longues années, le serviteur
du clown ; porte ses valises, cire ses chaussures ; Les contrats sont
au nom du clown qui paye (s’il le veut bien) son auguste.
Le beau clown voit le public aimer et applaudir plus que lui, ce
rustre à la trogne ahurie.
L’évolution se poursuit jusqu’entre les deux guerres où l’auguste,
de serviteur, passe maître du clown qui devient même son faire
valoir !

source : http://semeursdejoie.org/clowns.html

J’ai largement revu à la hausse mes critères, tout en les ramenant à


des choses qui me paraissaient essentielles :

Il me fallait une bonne vivante qui ne pensait pas qu’à s’amuser


Une femme populaire bien éduquée donc une femme de gauche
Une femme savante rocambolesque, un peu clown, un peu artiste.
Il me fallait une femme végétarienne ou prête à la devenir.

Le reste importait peu en définitive. J’étais bien conscient qu’il


n’était pas évident de répondre à la totalité de ces critères et que la
démarche qui consistait à vouloir, dans l’absolu, une personne qui
pense comme vous était totalitaire mais j’avais besoin de trouver de
la cohérence car j’en manquais. J’avais de bonnes idées mais aussi
des idées assez branques et il me fallait mon petit mortier de chaux,
ma Dulcinée reine de la truelle.

Ce qui me rassurait, c’est que je savais que ces personnes rares


existaient. Ma quête n’était donc pas vaine.

De bouffeur de viandes j’étais passé à bouffeur de pan bagnat.


J’étais pleinement conscient qu’il ne fallait pas stagner à cette étape

201
et qu’il était grand temps de me mettre à la cuisine. Il me fallait ainsi
me compliquer un peu plus la vie pour me rendre plus heureux en
laissant aux gros nazes le choix de l’indignation sélective. C’était
trop facile d’acheter le calendrier de la poste avec ses adorables petits
chatons et de feindre de croire que les animaux d’élevage étaient
traités dignement. C’était ce soi-disant progrès là qui me faisait peur.
Le progrès cela devait être la technologie au service de l’humanité.
Moins de temps pour produire et plus de temps pour s’instruire.
L’humanité progressait parce que les conditions de vie du peuple
s’élevaient et puis patratras quelques spécialistes en foutage de
gueule se sont emparés du problème est le petit cochon élevé en
ferme est devenu celui-ci :

202
L’an quatorze de l’an Pépin zéro moins un et je
retiens deux

Ce matin, je ne suis pas de bon poil. J’essaye de ne pas le montrer


mais je suis contrarié. A l’arrêt de tram - puisque depuis mon
déménagement, je vais au kiosque à pied ou en tram - lorsque j’ai vu
jubiler la vieille et moche, au moment précis où le livreur de
journaux gratuits de presse "flash" venait de remplir l’un des
présentoirs, j’ai grimacé mais c’est au moment précis où la jeune et
jolie salariée s’est précipitée à son tour que mon petit cœur de
démocrate a été blessé et que j’ai hurlé « Assez ! STOP !
Mobilisation générale ! »

Une fois déballés mes paquets de journaux et mis en place dans


mes beaux rayonnages, alors que je me réjouissais que pendant deux
jours de suite, le Marquis ait oublié de me fourguer des DVD X et
des produits hors presse, alourdissant inutilement ma trésorerie, je
tombe sur le numéro 37 de la revue Perfection, sous cellophane. Sur
la couverture, cette déclaration de Jade Fire : "Mon but dans la vie ?
Me bouffer un max de queues".
Moi, mon but à court terme, c’est de vendre des journaux, à
contenu rédactionnel si possible, et pouvoir payer mes factures avec
mes commissions.

Mon intention est de procéder à un nettoyage spirituel du


printemps en plein hiver, sans avoir l’idée outrecuidante de devenir
pur mais simplement pour limiter les ravages de la logique

203
commerciale sur le déroulement de ma journée. C’est tout !
Mon projet est de me rapprocher des personnes intéressées par la
transition et d’en parler, de servir de courroie crantée de
transmission.

La matinée était donc mal entamée ! Après un festival de têtes à


télé Z, de mamies grippe-sous, de « M’as-tu-vu » qui voudraient me
raconter leur vies d’aventurier en tongs en long et en large et de
chichiteuses qui ne pensent qu’au cul mais qui se restreignent, j’en
avais ma claque.

J’avais toujours des raisons de colère : Lignes d’azur qui ne


répondait même pas oui ou merde à ma deuxième demande pour être
dépositaire de carnets 10 voyages (je suppose pour des raisons
d’accointance avec l’exploitant des automates). Le monopole du
Marquis qui était un bastion truffé de fumistes qui avaient profité et
qui continuaient à gratter sur tout ce qu’il pouvait tout en amplifiant
la dérive libérale de la presse, EDF incapable de fixer une heure de
rendez vous mais proposant une plage horaire de 4 heures…
Les sacs laissés négligemment devant les contenairs à tri, cela
m’agace, les pieds sur les banquettes du tram, les gens qui hurlent au
téléphone ou qui forcent à écouter leur musiques de nazes, les
automobilistes qui klaxonnent, itou ! je déteste les gens qui se
foutent de tout, qui ne pensent qu’à leur gueule. Beaucoup de ces
témoignages d’une mentalité d’assistés horripilent. Il y a des gens qui
sont arrivés à un tel stade d’indifférence, qui sous couvert de vivre
sans contraintes, se foutent du collectif et comptent sur les autres
pour s’occuper de leurs merdes. Je les enverrai bien au goulag avec
la complicité de Monsieur L’Autocrate pour les éduquer avant de la
flageller sur place publique car aucune pédagogie n’est envisageable
avec ces parasites ultra-radicaux exemplaires de l’idéologie libérale.

Je n’avais pas le droit de me laisser aller, je devais me contenter


de ce que j’avais en stock d’idées positives, celles qui pouvaient
servir de carburant pour l’action.

204
J’ai mis "Lets’ s dance" des Ramones sans la permission du
contrôleur de la SACEM. Déjà, j’allais mieux.
En cherchant bien, on en trouvait : Mon client souffrant d’
Alzheimer avait fini par me ramener le Point consacré au droit des
animaux que j’avais décidé d’offrir à la présidente de l’AJPLA. Je lui
avais prêté le jour de sa dialyse sans le soupçonner d’être sujet à des
troubles de mémoire.

J’ai vu Natalia, ma cliente la plus canon et j’ai commencé à


positiver. Certes il pleuvait mais il ne pleuvait pas des boulons.
Mon client sourd que je ne voyais plus depuis quelques jours est
revenu tout sourire. Évidemment, je pensais qu’il avait été vexé par
mon manque d’entrain pour échanger quelques signes. J’ai du mal à
me mettre à la langue des signes. J’ai un livre pour apprendre mais je
ne trouve jamais le temps (Ce temps je l’ai pourtant pour aller sur
Face de bouc ! Je dois apprendre à mieux m’organiser et à mieux
gérer mes priorités.) Il ne m’en voulait pas, il savait que les gens
n’aimaient pas faire d’efforts.

Nice Matin avait osé rappeler sur son affiche, en plein concert de
louanges pour Nelson Mandéla, que Nice, du temps de Jacques
Médecin, s’était jumelé, en 1974, avec le Cap pendant l’apartheid !
Je me disais qu’il y avait donc de vrais journalistes dans ce journal.
Heureusement, la plupart des gens sont prêts à évoluer, voire à
expérimenter la transition.

Les sacs en plastique

Pas le temps de téléphoner pour avoir des sacs publicitaires auprès


de revues qui tirent vers le haut, du genre Causette, et hors de
question de demander quoi que ce soit au Marquis.

Il ne me reste plus qu’à les acheter moi même.


Or, un sou est un sou !

Alors quel modèle de sac offrir ? Le sac en toile en coton bio sans

205
publicité ? Le sac en papier kraft avec anses ? Le sac en plastoc qui
finit dans les océans (qui causent des dégâts considérables que plus
personne ne doit ignorer), le vrai sac biodégradable "ok compost" ou
le sac faussement biodégradable "fragmentable" par
photodégradation ou par oxydation, ou mieux, le sac en amidon de
maïs ? Tant d’informations à glaner rien que pour un sac !
Il faut savoir ce que l’on veut ! Militer, c’est d’abord s’informer
en vue d’agir ! Si mon impact écologique fait partie de mes
préoccupations, y compris sur mon lieu de travail, je dois chercher
des solutions alternatives et donc m’informer.

L’autre aspect des problèmes c’est les sous. Vision à court terme,
je prends les sacs les moins chers et je m’en tamponne. Les autres le
font ! Si ce n’est pas moi qui donne le sac ce sera le marchand de
fruits et légumes. Version transition : J’offre des sacs en papier et je
vends les sacs en toile, mais je dois trouver des sous pour faire
l’avance.

Je n’arriverais pas être cohérent car je n’ai pas la maîtrise de ce


que l’on me livre (toutes les revues sous plastique, tous ces gadgets à
la con fabriqués je ne sais où ..) mais je peux agir sur le choix des
sacs, et comme je n’ai pas de thunes, je dois ruser.
Donc la version monde moderne : je n’y peux rien et de toute
manière ce que je ferai ne servirait pas à grand chose compte tenu de
tous les autres déchets, cela revient à pisser dans un violon. C’est la
version dans laquelle je stagne actuellement.

Et la version à venir, la version "Transition" :


Localement, voici ce que je peux faire …

La victoire des écrans sur l’écrit

Qu’il est confortable de protester sans faire de bruit ! De maugréer


sans se bouger.
Il pleut ce matin et tout le monde me le fait remarquer, comme si

206
cela n’était pas évident. Contre la pluie, les gens trouvent des
arguments, contre les régressions sociales, on ne les entend plus.

Mais bon, j’étais comme eux avant la …., enfin le ……, enfin
vous savez de quoi je veux parler.

Bonne année kiosquier, que peut on vous souhaiter ? La santé ?


Souhaitez-moi d’avoir assez de rouleaux de monnaie et d’être
amoureux toute l’année pour avoir bon moral !

Et de vivre la vélorution, celle qui vient tout doucement !

Et elle est devenue (car en fait, il suffisait de se mettre à


plusieurs et de l’appeler, c’est con car personne n’y avait pensé ) !

Le changement est parti de trois fois rien plus un tout petit rien.
Les réseaux militants avaient bien bossé, il faut dire.

"On s’arrête, on réfléchit et c’est pas triste !"

Café suspendu, baguette en attente, journal réservé et révolution


accrochée. Les gens se sont dit : "On ne croit plus que les grosses
fortunes veulent notre bien, on va reprendre notre destin en mains.
Une pause s’impose".
Revenir en arrière était impossible mais nous avons
collectivement décidé de suspendre le temps.

J’étais un non-violent, je n’étais pas hargneux mais j’étais pour la


Révolution. Je ne croyais plus aux réformes. Je savais que la
politique c’était le monde des idées, c’était le débat mais c’était aussi
devenu le domaine réservé des stratèges en communication. Je savais
que cela n’irait pas mieux demain, même si on me promettait le
contraire et cela ne pouvait que mal tourner car on avait perdu tout

207
sens de la mesure et notre autonomie.

Je m’y perdais dans cette période de méli-mélo idéologique où les


fafs tentaient de faire de l’entrisme chez les altermondialistes, où les
nostalgiques côtoyaient les romantiques, où les bonnes idées
fricotaient avec les idées qui puent la haine et la peur.
A l’époque où je lisais le monde diplomatique, un article sur les
villes forteresses, les villes dans lesquelles les services publics
étaient assurés par des sociétés privées à commencer par la sécurité,
m’avait marqué. C’était dans les années 90.
Ce journal avait aussi anticipé sur le réveil des nationalismes !

A quoi devait servir le progrès technologique ? A rendre moins


pénible le travail, les tâches domestiques. A travailler moins pour
avoir du temps libre pour se distraire et apprendre. Cela n’était vrai
que pour une minorité de privilégiés qui avaient spolié les employés
dociles, qui, eux, attendaient les soldes, le nouvel ipode, et se
détendaient devant leur télé. La victoire des écrans sur l’écrit, c’était
la seule explication à autant de résignation et de passivité face à la
montée des inégalités, deux siècles après la Révolution. Les gens ne
voyaient plus ce qu’il y avait à voir et les gens étaient finalement
contents de pouvoir s’amuser en attendant la mort.

</><>
Une brève histoire du capitalisme

Je connais quelqu’un qui a une entreprise en redressement. C’est


l’un de mes proches. Ce n’est pas le mauvais bougre. Il est honnête et
paye correctement ses employés. Il leur fait sans doute trop
confiance et ils en profitent car nombreux sont ceux qui ne pensent
qu’à gratter. Le poseur part avec sa copine sur les chantiers et le
client a la mauvaise surprise de la trouver dans ses toilettes, l’autre le
plante en plein chantier parce qu’il vient de se rappeler qu’il était
invité à un mariage, et l’autre qui raconte sa vie au téléphone sans

208
parler de celui qui pique les produits d’entretien… Résultat, la boite
va fermer.

C’est l’histoire des relations humaines pas du capitalisme. Ce


sont les sciences sociales, le Droit et la Philosophie que l’on devrait
convier pour écrire le dernier chapitre, celui qui va me demander le
plus d’efforts et celui qui rendra mon opuscule ridicule ou pas.

Nous avons fait le trajet Nice Paris en voiture et j’ai pu écouter ses
conversations téléphoniques car je ne dormais qu’à moitié. C’était
incroyable de voir comme mes problèmes de logistique, de finances
étaient peu de choses en comparaison de ceux d’un dirigeant d’une
grosse boite car lui avait à gérer une multitude de conflits humains,
de problèmes financiers et techniques. j’étais bien dans mon kiosque,
travailleur indépendant. Je continuais à croire que le "small is
beautiful !" même si les journaux économiques indiquaient le
contraire. Dans le monde de demain, le local, le circuit court
deviendraient des atouts majeurs.

Je n’aimais pas mes collègues salariés qui se sucraient sur le dos


du patron, quand celui-ci était réglo. Je savais qu’avoir des salariés,
c’était la porte ouverte aux emmerdes : Les arrêts maladie de
complaisance, le vol dans la réserve de quincaillerie, les conneries à
rattraper chez les clients. Il y avait des salariés honnêtes mais parmi
les salariés pauvres que j’avais côtoyé, personne n’aimait faire son
boulot sans chercher à gratter à droite à gauche. Tout le monde
grattait comme il pouvait, pour compléter son salaire. Cela avait
moins de répercussions que ce que grappillaient les employeurs
malins mais cela ne me plaisait pas, moi qui rêvait d’une entreprise
où les trois quarts des employés associés se donneraient aux trois
quarts. Pourquoi trois quarts ? Parce qu’il restera toujours des
grincheux, des feignasses, des pros de la glandouille et que pour les
autres, il faut toujours garder des réserves, ne jamais se donner corps
et âme dans une entreprise fut-elle de forme associative.
Je n’ai jamais connu d’entreprises classiques où, au delà des
mots, on pouvait réellement considérer que les employés

209
deviendraient partie prenante tout simplement parce que l’on avait
décrété que la lutte des intérêts divergents (la lutte des classes) serait
démodée.

Dans les années 90, J’allais faire mes courses au Biocoop de


Tarbes parce que j’étais écolo et que je trouvais les gens qui y
travaillaient sympa. J’avais un maigre pécule d’objecteur de
conscience. Après, j’ai fait comme la plèbe, j’ai fait mes courses dans
les supermarchés qui se sont mis au bio parce que c’est porteur et qui
aiment les paysans tout comme Amazonzon aiment les livres.

Cette année, plutôt que de ruminer sous ma barbe, j’ai décidé de


passer le réveillon avec un groupe de végétariens, comme cela je me
sentirais plus à l’aise et je n’aurais pas à me justifier. Plus je me
documente et plus je découvre à quels points les moyens de répondre
à un besoin primaire comme celui de s’alimenter sont emblématiques
d’un choix de civilisation subi ou choisi. J’ai décidé de rejoindre,
avant qu’il ne soit trop tard, des groupes de sympathiques activistes
qui préfèrent se mobiliser au lieu de râler dans le vent.

Je ne vous dirais pas que j’ai vu passer Ludivine hier devant mon
kiosque, ni que je n’ai toujours pas reçu de réponses de Lignes
d’Azur pour vendre des tickets de tram.
Je voulais juste vous dire que je me sentais plutôt à l’aise dans un
des Biocoop de Nice. Le sans-gêne d’une bourge à fourrure qui a
garé son 4X4 citadin juste devant la sortie n’a pas entaché ma bonne
humeur : j’allais acheter les ingrédients pour préparer une salade
roquette - graines germées et deux crubble. C’est lorsque
j’accomplissais de petits gestes qui me donnaient l’illusion d’être en
accord avec ma conscience, que je me sentais le plus heureux. Ce
n’était pas si compliqué.

A présent, je vais cesser de raconter ma vie et place à la science


fiction. Le dernier chapitre devrait être consacré à ce qui s’est passé
après la révolution.

210
Vous vous en doutez, il ne s’est rien passé. Vous en auriez entendu
parler !
J’ai fermé mon kiosque. Il n’y a que les militants ou les gens
instruits qui lisent les journaux à présent et cela ne suffisait pas à
faire tourner la boutique. Ce n’est pas en vendant des télé Z à 40
centimes que j’allais pouvoir faire bouillir la marmite.
Je suis entré dans ma période sombre où plus rien ne va. Cela m’a
pris quelques mois. Quelques mois, c’est toujours vite passé.
J’appuyais sur le bouton pour traverser le passage clouté mais même
si le voyant indiquait que mon appel avait été pris en compte, le feu
ne changeait pas de couleur. J’allais acheter de la bière en sortant de
mes chantiers et mon bus me passait sous le nez. Bref, je n’étais plus
un écrivain. J’étais un pauvre clampin, un pauvre type atrabilaire
couvert de dettes. Ma peau ne valait pas tripette et j’aurais du mal à
m’en remettre. J’allais crever sans avoir vu l’an 01.
J’avais perdu mon lieu d’observations mais je pouvais m’en
trouver d’autres. Pas chez mes clients mais les lieux où l’on tricotait
et détricotait des canevas de révolution. Je devais me lever, marcher,
marcher, pédaler et continuer en avant, nez au vent !

211
Court-circuit à la Fabrique d’idées farfelues

Il y avait des lieux dans lesquels je me sentais à mon aise. Des


bars sans bagarres, des bouges à histoires drôles aux water closet
immaculés, des magasins remplis de matériaux pour les poètes. Je
vais vous dire pourquoi les toilettes restent propres un peu plus tard.
Tant qu’il s’agit de rester à la surface, de dire " C’est mignon, c’est
joli", je peux le faire assez rapidement mais ce chapitre va exiger un
peu plus de travail.

J’aime spécialement trois endroits : le Falabrac Fabrik, la Friche et


le Court-Circuit. Je les aime encore plus que la médiathèque Louis
Nucéra parce qu’ils sont plein de vie.

Ce sont des lieux associatifs qui sont ouverts à tous, même aux
plus "clos" d’entre nous, mais qui affichent clairement un projet sous
tendu. En résumé, dans ce genre d’établissement, les gens qui y
participent ne sont pas là que pour vendre de la bière. Ce genre
d’endroits est censé faire évoluer les bons consommateurs que nous
sommes devenus, bien disciplinés et qui aiment être servis, que "le
personnel" soit souriant, bien élevé et que l’on se se consacre
exclusivement à nous. A nous, rien qu’à nous !

Au kiosque, mes clients aiment discuter avec moi mais n’aiment


pas lorsque je discute avec les autres clients. Je suis à leur service, je
leur appartiens. Il est temps que je passe en mode "coopératif" réel,
qui permet de faire adhérer à un mode de fonctionnement participatif
les gens, les usagers, les clients qui deviennent alors des personnes.

212
Elles sont alors un peu plus impliquées et pour certaines plus actives
que le consommateur lambda bête et discipliné qui passe sa vie à
pisser contre le vent et à hurler avec les veaux (pardon aux
défenseurs des animaux, mais je ne voulais pas dire "avec les
loups", surtout que le loup des steppes est le premier livre qui m’ait
vraiment chamboulé, le livre d’Hermann Hesse.)

Parfois, dans ces endroits que j’aime, je n’avais pas besoin d’y
passer longtemps. J’y faisais mes emplettes. Mes noix de cajou
"artisans du monde", mes chips à la banane séchée. Je descendais
quelques pintes de bières bio et je gardais quelque part dans ma tête
des phrases entendues ci et là, des impressions fugaces qu’il ne me
restait plus qu’à faire pousser comme des champignons sur un tas de
fumier.

C’était cela qui différenciait un écrivain d’un simple beau parleur.


A mon humble avis de faux modeste, l’écrivain devait s’assurer de
trouver des phrases que tout le monde pourrait comprendre
facilement et il n’avait pas droit au repêchage. Certains de ses écrits
pouvaient le marquer au fer rouge. Certaines personnes qui avaient
lu Pot cherche cornichon oubliaient que ce livre faisait partie de la
collection "Eau de rose avec un peu de chlore" et qu’il portait
comme sous titre "le guide de l’anti-séduction". J’étais donc un peu
trop rapidement catalogué " alcoolo déprimé, obsédé, dragueur sur
internet et de supérettes ". C’était en partie vrai et je n’avais pas du
tout l’intention de masquer cette part d’ombre mais j’aurais aimé ne
pas être jugé sans procès équitable. C’est aussi stupide que de juger
les personnes sur leur apparences vestimentaires.

Depuis des années, lorsque je suis ivre de vie ou de mélancolie, je


me contente de faire quelques provocations mais je ne fais plus
d’esclandres. Cela n’empêche pas ma famille de me servir à table des
demi-verres de vin pendant qu’eux se vident, sans toujours pouvoir
l’apprécier, de bonnes bouteilles. C’est assez drôle d’être ainsi jugé !

Le débat du repas de famille de samedi soir a porté sur la violence

213
dans les années 70. Pour moi, et je l’ai vérifié ce matin dans les
archives de la presse sur internet, la société était bien plus violente
auparavant. On peut dire tout ce que l’on veut, pour celui qui croit
plus volontiers un chercheur en sciences sociales qu’un lecteur assidu
de Franche Démanche ou Nouveau détective, les gens se sont
toujours fait des crasses.
Apaches, blousons noirs, fauteuils arrachés, manif sanglantes,
feuilletons policiers, débats télévisés, chaînes à vélo et barre d’acier,
et l’inspecteur Harry en position du tireur couché, les gens étaient
moins cambriolés mais risquaient plus le meurtre. Je ne nie pas les
problèmes d’insécurité d’aujourd’hui, les phénomènes des bandes,
les braquages, les crimes crapuleux mais le risque premier, c’est que
les "vraiment très très cons" prennent du grade et finissent par se
mêler des affaires de la Cité.

214
Mes clients très très cons, je m’en suis débarrassé. On a beau être
commerçant, on est pas là pour tout endurer. Quoiqu’il en soit, la
démocratie n’est pas sauvée pour autant !

J’aurais aimé vivre dans un climat apaisé mais la vie c’est du


rapport de forces à ré-évaluer constamment et je ne suis pas du genre
à me laisser entièrement bouffer. Alors en général, les clients
lourdingues ne viennent qu’une fois ou deux. C’est cela la liberté du
commerce pour moi : Personne n’oblige l’autre à quoi que ce soit. Le
respect, c’est dans les deux sens que cela doit fonctionner. Tu veux
acheter un journal, tu l’achètes, tu ne supportes pas le kiosquier, va
voir ailleurs, je perdrais 18 centimes par jour et je trouverais des
clients plus agréables…

Le fait est que le courant ne passait pas avec les vielles liftées qui
portaient de la fourrure, non pas parce qu’elles portaient des peaux de
bêtes sur leur vielles peaux, puisque c’était trop tard, mais parce
qu’elles se la pétaient, et je déteste les snob ! Elles prennent leurs
grands airs, comme si elle m’accordait l’obole en achetant un
programme télé à un euro ! Et je devrais accepter ça sans afficher un
petit sourire narquois ! Une vieille bique m’avait même reproché
alors que je fermais mon kiosque avec une demie-heure de retard,
que l’on ne m’impose pas des horaires ! Je lui aurais bien vidé ma
bouteille de pisse sur le manteau mais je suis un punk à crête rentrée,
un mec ordinaire gentil et bien éduqué.
Le courant passait mal avec certains coq à la crête raplapla, ceux
qui avaient naturellement tendance, à se venger de leur vie de pépère
peigne-cul sur le "petit personnel", alors quand ce n’était pas la
caissière que ces toquards venaient emmerder, c’était le kiosquier.
Ils tombaient mal avec moi car j’étais du genre poli tout
simplement parce que j’aimais bien les gens mais je n’étais pas de
ces commerçants obséquieux qui vous font des courbettes et un doigt
d’honneur dans le dos.
Moi je suis un humain, je ne suis pas un distributeur
automatique : Je suis faillible, je suis sensible et susceptible comme

215
un écrivain. Je me cale sur les attitudes de mes clients. Si le client ne
veut pas causer, on ne cause pas, j’ai suffisamment à faire. S’il veut
parler et m’instruire, tant qu’il ne s’agit pas d’un monologue, je suis
preneur. S’il est d’humeur à plaisanter, on déconne et s’il veut parler
cul, on parle cul mais s’il commence à trop me coller et à me poser
trop de questions, je me replie dans ma boite. Je fais le pitre parce
que je suis timide. Je me méfie des gens que je ne connais pas et
j’aime bien garder une certaine distance, dans la vie réelle.

Mes clients me font parfois chier avec leurs jeux de mots ou leurs
histoires à deux balles. Ils sont bien gentils mais ils ont peur que le
monde change en mieux alors ils se contentent de se lamenter de
rouspéter et d’idéaliser le monde d’avant.

Mon neveu me dit "cash" qu’il fait partie d’une génération perdue.
Qu’est-ce que j’y peux, moi ?
Mes clients auraient aimé vivre différemment, mais ils restent à
l’étroit dans le monde des possibles. Mes clients méritent mieux que
le "shit" que je leur donne à lire. Ils méritent de la presse libre, de la
presse qui éveille ou réveille. J’ai ré-ouvert le kiosque pour cela, pas
pour vendre des gadgets sous blisters et des journaux qui
encouragent à la paresse. J’aurais toujours l’obligation de vendre ce
genre de journaux car je n’ai ni à m’ériger en censeur ni à être
partisan sur mon lieu de commerce, mais j’ai la responsabilité et la
liberté de leur proposer mieux. C’est à moi d’améliorer mon offre, je
ne dois pas compter sur le Marquis pour cela.
Et je vais m’y coller ! Je peux y arriver, je suis à deux poils de
bite de réussir. Ça doit marcher sauf si une bière m’assomme et me
faire perdre mon élan. J’ai un projet à soumettre à mes partenaires.
Mairie et contributeurs privés. Un projet écrit avec des mots passe-
partout pour ne pas effaroucher les gens normaux et un projet plus
audacieux, plus dans l’esprit "coopérative" réservé exclusivement à
mes lecteurs. Un projet assez traditionnel pour rassurer et assez
moderne pour faire déplacer le curseur d’un cran. Ces projets, je les
ai écrit entre autres parce que je suis allé me ressourcer au Court
Circuit et à la Fala. Ce sont eux qui m’ont donné le La.

216
Je me suis engagé au Parti de la Gauche suite à "l’affaire
Cahuzac", le socialiste qui a trahi les idéaux républicains sans aucun
regret - vous le savez puisque ma vie n’a plus aucun secret pour
vous… Le climat démocratique est devenu encore plus préoccupant
et les six mois de présence en première page de la presse "people" de
la reine des gourdasses (qui a produit une phrase "culte" que tout le
monde aura bientôt oublié car les gens ne sont pas si bêtes qu’ils s’en
donnent l’air !) n’incitent pas aux réjouissances.
Je les aime bien mais comme je ne tracte pas, n’ayant pas envie de
me trimballer avec une pancarte, ils me le font sentir que je les ai
déçus.

Le moment de prendre une décision est venu. Il n’y a plus la


possibilité de tergiverser ou de se dérober.

Selon la version de l’Histoire qui serait retenue (pas la mienne


mais je parle de notre Histoire commune, celle qui agglomère les
petites histoires quotidiennes et locales), j’allais devoir fermer
boutique. Si c’était l’Histoire autoritaire qui l’emportait, les quelques
journaux que je vendrais encore seraient alors des purs produits de la
honte et de la mesquinerie.

Si c’était la version Transition, retrouvons l’autonomie avec le


sourire, j’allais juste devoir remiser certaines veilles habitudes et
mon commerce allait redevenir un de ces lieux qui comptent.

Je mettrais en lettres bariolées, sur le lambrequin, l’inscription


"chez Pépé Auguste, kiosque popu-culturel" et les gens de toutes
conditions et toutes origines viendraient s’y mélanger, le temps d’une
valse.

Les gens y viendront déposer des piles usagées, lire la presse


courante mais aussi la Presse Pas Pareille distribuée sur abonnement.
Ils auront un réel choix et pourront commander les revues qu’ils
aiment, sans payer les frais de port. Je vendrais des cartes postales

217
réalisées par des artistes, des chips à la banane vendues par Artisans
du Monde, des fanzines et des livres, des sacs en toile en coton non
traité (oui bio et commerce équitable mais du vrai, dont la
provenance est vérifiable). Je détournerais les affiches de leur objet
initial par des collages. Ma toile de store serait une toile originale
peinte par une artiste.

C’est à moi en tant que commerçant de proposer autre choses que


ce que l’on trouve partout ailleurs, sans faire peur à mes clients, sans
les faire définitivement me voir sous l’angle d’un branquignole.
Passer pour un fantaisiste est largement suffisant.

On mettra en pratique quelques principes de la non violence : Se


dire les choses avant que cela ne dégénère. Ne pas fuir les conflits
par l’évitement mais chercher une issue sans compromission par la
négociation.
Au lieu de chercher des idées tout seul dans mon coin, j’ai
commencé à mettre à contribution mes clients, les usagers, les futurs
coopérateurs de la SCIC . La quoi ? Ben, la SCIC !
Dans la SCIC, les relations partenaires, fournisseurs, clients sont
placés sous l’auspice du respect mutuel. Cela ne veut pas dire qu’il
n’y a pas de rapports de force mais cela veut dire que l’on règle les
problèmes entre adultes bien éduqués.

Les seules exceptions que je connaisse à cet empêchement


constant de pouvoir baisser la garde, c’est avec les femmes
d’exception, les femmes de lettres ou les femmes savantes non
chiantes et dans certains lieux comme le court circuit, la friche ou la
falabrak fabrique… Il n’y a que dans ces circonstances et lieux que
je peux me laisser un peu aller en abaissant les barrières sans prendre
le risque que l’on joue à saute-moutons sur mon dos et que l’on me
tonde la laine.

Au court-circuit, je me sens en phase, mais ce n’est pas paradoxal,


c’est parce que les gens qui viennent au court-circuit aiment
généralement jouer avec les mots.

218
Après quelques échanges avec des pro animaux ou des gens de la
vraie gauche, je me dis que de la même manière que les Ramones
n’ont pas fait que de bons disques et que l’on ne peut pas aimer tout
comme un bloc, juger les gens sur les apparences, c’est nier leur
identité.

Tiens, prenez Mona la seule femme qui utilise la formule du


journal suspendu. Selon son état d’esprit et les bonnes ou mauvaises
personnes qu’elle croise, on peut, si on s’en tient à son look, la
prendre pour une riche ou bien pour une misérable. Il suffit qu’elle
se coiffe, qu’elle mette ses fausses dents et qu’elle se sape comme
une princesse, or elle sait le faire, pour les gens la regardent
autrement. Dans ses yeux on peut voir qu’elle est "strange", mais
beaucoup de gens qui ont un toît, ont le même regard.

Quant à moi, je passe pour un glandeur - je le sais et je m’en


amuse parfois. C’est marqué en gros sur mon front en lettres fluo ,
alors que je stabylobosse plus de 60 heures par semaine, et quand je
dis "stabylosse" je ne veux pas dire par là que j’utilise les vieilles
ficelles des cadres du public et du privé en faisant croire que je suis
toujours débordé, je déborde vraiment de projets et d’idées, et les
ranger, les organiser, réfléchir à une meilleure manière de les ranger,
cela prend du temps et c’est pour cela que je ne gagne pas beaucoup
d’argent car les gens sont bien pénibles car pour eux, seul le résultat
compte…

Revenons à nos moutons.


J’écoute les musiciens et quand je ne joue pas avec mon
insupportable téléphone, je discute avec des gens. On retrouve
souvent les mêmes têtes et cela me permet de me changer les idées,
de me ressourcer et d’avoir la preuve éclatante que la résistance et la
transition sont en route.

Dans une ville où le maire qui prétend être élu dès le premier tour

219
refuse de parler de ses adversaires politiques et refuse carrément le
débat démocratique. Dans une ville où l’édile professionnel de la
com promet à ses électeurs qu’il les emmènera faire de
l’accrobranche alors que pour financer ses projets pharaoniques, il
va devoir vendre au plus offrant le patrimoine communal, et bien
donc, disons le, même dans cette ville, il y a toujours moyens de se
faire entendre en attendant de se faire comprendre. J’ai décidé de
censurer ce paragraphe car il ne faut jamais se mettre le maire à dos
quand on postule dans une association para municipale, donc, vous
n’avez rien lu.

Il faut faire des concessions, montrer patte blanche, serrer la patte


à la municipale, leur montrer qu’il n’y a pas plus de bruits que dans
les autres troquets, que tu peux difficilement empêcher aux gens de
s’amuser et que tu ne mets en danger le maintien de l’ordre en
écoutant des musiciens de jazz.
Dans ce genre d’endroits, il y avait des fêtes parce que tu fais
venir plus de monde lorsqu’il s’agit de s’amuser que lorsque tu
organises une projection débat sur un sujet qui gratte. Il y avait de
l’alcool parce que tu fais venir plus de timides ou de "cool à
l’extérieur mais stressés à l’intérieur" avec de la bonne bière qu’en
proposant du jus de céleri, du breuvage d’herbe qui ne rend pas
nigaud (le jus commercialisé par Ecogerme) et parce que la bonne
bière alkholofrei n’est pas encore assez diffusée.

C’est mieux qu’il y ait du monde à une manif organisé par le DAL
(Droit au logement) parce que les gens vont y venir car ils savent que
ce ne sera pas une manif austère. C’est toujours mieux une journée
sans viande par semaine dans les cantine que des prêchi-prêcha à tout
va et ce sont des écolo tartuffes, des hélicologistes dont j’aime me
moquer, qui m’ont fait prendre conscience de l’enjeu énergétique et
les conséquences sur la paysannerie de l’élevage industriel.

Tout cela pour dire que faire un peu c’est toujours mieux que ne
rien faire. ..

220
Pour que cesse ma dépendance à l’écran, j’avais laissé de côté la
bibine sans alcool, le cidre et le panaché pour la bière des vrais
hommes, le temps de digérer la disparition de mon père. Je me suis
dit, si je sors, je serais moins tenté de passer trop de temps sur face
de bouc. Mais là, je suis en train de vous mentir car j’avais
recommencé à boire de la bière et du cidre bien avant que mon père
ne tire sa révérence…

Je m’y suis mal pris une fois de plus car l’alcool arrive toujours à
me kidnapper le cerveau, je ne pourrais jamais avoir le dessus.
L’alcool est pour moi comme un chien fougueux car je n’ai jamais pu
l’éduquer, je n’ai fait que jouer avec lui. Je ne savais jamais si je
pouvais le caresser ou s’il allait me mordre.

J’avais pourtant besoin de toute ma lucidité et pour me sortir de la


dépendance aux idées niaises, il fallait que je sois libre et pas accro.
Je savais que c’était possible, je devais juste piger comment y arriver
sans m’essouffler. Je n’étais plus le sale poivrot que j’avais été il y a
a quelques années. Avec le temps, je m’étais civilisé et même lorsque
je court-circuitais, je marchais, presque, presque droit. Ce qui n’allait
pas, c’est qu’une fois imbibé, je ne pouvais pas marcher sur un fil :
Mes pieds touchaient le sol et j’usais les semelles de mes gros
sabots. Je venais de recevoir un télégramme de mon paternel, il me
disait qu’il ne pourrait plus m’aider si je n’allais pas nettoyer la salle
des machines. Il m’intimait l’ordre d’être naturel et heureux.

Je me suis ainsi fait larguer par ma grande copine la bibine car


nous ne sommes pas fait pour nous entendre trop longtemps et
aujourd’hui, je suis triste.

Mon père est mort parce que je n’ai pas su lui montrer que le "Je
t’aime" n’était pas une parole en l’air. J’avais trop de souci pour
prendre soin de lui et à présent je dois continuer avec ce poids dans
mon petit pois. Mon père m’a montré clairement ce qu’il ne fallait
pas faire : Renoncer à "juste une lutte pour la vie ". Je suis comme lui
soumis à des sautes d’humeur. J’ai appris à me contrôler, à juguler

221
mes excès d’enthousiasme, à encaisser les crises de mélancolie, et si
je suis devenu kiosquier, ce n’est pas tout à fait un hasard…

222
Mon père, l’héritage

Mon Père,

Poète mondialement inconnu, inventeur méconnu, auteur


interprète compositeur harmoniciste, qui est au ciel, qui a fait une
escale au Père Lachaise et qui attend qu’une colombe du
Columbarium soit libre pour l’emmener en voyage.

Mon père est parti sans que je ne lui dise au revoir et sans me dire
« Adieu fiston, maintenant que je t’ai tout dit, c’est à toi de jouer !
Pose tes pâtés de sables, replies tes châteaux de cartes et fais leur
avaler le bouillon à tous ces connards d’arrivistes qui te pompent
l’air ». Mon père, alpiniste chevronné est tombé en escaladant une
falaise. Il n’avait pas bien vérifié son matériel, une erreur qui lui aura
été fatale.
Eternel optimiste, commerçant lunaire, vendeur de moulins à vent,
la médiocrité du monde a réussi à lui transpercer sa carapace. Il en
avait marre.

Mon père ne perdait pas de temps en boniments. Il parlait dru et


cru, un peu comme Mélenchon mais en moins rock ’n’ roll. C’était
un « américain » à Paris mais antillais dans l’âme et de culture il
savait qu’il fallait dire les choses sans avoir l’air de les dire, tout en
insistant poliment et tout en s’excusant d’avoir à les dire mais bon,
ne tournons pas non plus autour du pot : il fallait les dire, quoiqu’il
en coûte !
Et quand il les disait sans fioritures, ça faisait mal ! Vous en

223
connaissez beaucoup qui aiment que l’on dise ce que l’on pense
vraiment sans souci du respect des conventions et sans chercher à
plaire à tout prix alors qu’en définitive, on témoigne bien du respect
absolu en considérant qu’une personne est capable d’aller au delà des
flagorneries et des civilités d’usage ?

Mon père avait l’habitude de fréquenter les colloques


universitaires et il aimait bien cette liberté de ton qui y est de mise. Il
abhorrait les débats consensuels indignes des gens d’esprit. Quand
deux universitaires sont en désaccord, ils n’y vont pas avec le dos de
la cuiller, mais l’échange, même s’il est vif, reste toujours civilisé et
courtois. C’est classe, un colloque !

Moi qui suis un manuel (car je me lave les mains avant de faire
pipi alors qu’un intellectuel se lave les mains après avoir fait son
pissou) je préfère les débats organisés par les associations un peu
moins pointus car les colloques demandent un pouvoir de
concentration que je n’ai plus. Néanmoins, je sais qu’ils sont très
importants car ils font évoluer l’état des savoirs et parfois cela influe
sur les textes de lois. Le colloque organisé par l’ADDA à la faculté
de Droit de Nice a réuni scientifiques, juristes et philosophes et j’ose
espérer qu’en dépit d’une couverture médiatique insuffisante, il en
résultera un changement quant au statut de l’animal.

"On peut toujours dire la vérité même en lui ôtant sa chemise dès
lors que l’on reste placide et poli. "
Alain Marie Alphonse Périé

Que de temps perdu à nous quereller, nous chamailler, nous


ignorer, nous détester ! Nous nous sommes réconciliés lorsque je
suis venu m’installer à Paris mais nous n’avons fait que nous croiser.
Lorsque blessé dans son cœur et meurtri dans sa chair, mon père est
devenu misanthrope, discutant avec sa télévision, j’ai pris le chemin
inverse, la voie qu’il m’avait montrée, et je me suis mis à faire
comme lui, à ne plus avoir peur de parler aux gens et à parler à toutes

224
sortes de gens. Mon père parlait avec le même respect à un ministre,
un général ou à un clochard. Peu importe vos origines, votre couleur,
vos mœurs, soit vous lui conveniez, soit vous ne le conveniez pas. Il
détestait les tartuffes dégoulinant de gentillesse apparente et mettait à
l’aise même les plus introvertis.

Mon père a souffert d’être tout sa vie jugé sous le prisme de la


normalité. Quand il disait la vérité, on ne le prenait pas au sérieux et
quand il plaisantait, on le prenait pour un mec bizarre. Mon père ne
se trompait pas souvent, mais on l’a toujours pris pour un clown. Sa
propre famille n’aurait pas misé un kopeck sur ses inventions ! Il
était intelligent et honnête, ne mentait que pour faire rire, mais il
savait qu’il serait toujours le mal aimé. On lui a reproché d’avoir
failli une fois dans sa vie, et on lui a fait payer sa dette.

J’étais introverti, et au contact de mon père, j’ai appris à


m’affirmer et à faire confiance, quitte à me tromper. J’ai appris à
aimer les autres, ceux qui ne pensaient pas comme moi.

La plupart des gens médiocres préfèrent les bonnes vielles règles


de politesse en sauvant les apparences plutôt que le respect qui
consiste à se causer yeux dans les yeux. La plupart des hommes
évitent toute source de conflit en faisant comme si tout allait bien car
pour eux, enfin pour les plus archaïques, les conflits, ça se règle à
coup d’insultes et de barres de fer !

C’est pour cette raison que les femmes non effacées, féministes de
conviction ou féministes de combat, se tapent toujours le sale boulot,
celui qui consiste à souligner ce qui ne va pas, celui qui les fait
passer pour des emmerdeuses.
Un entrepreneur fait un mauvais boulot ou demande trop
d’argent : c’est la femme qui s’y colle ! Le mec fait celui qui n’a rien
vu, lève son verre avec l’entrepreneur tandis que la femme sort le
juge de paix (le niveau) et essaye de lui faire entendre raison car les
entrepreneurs tout corps d’état sont généralement de bonne foi, à
l’instar du tailleur de Fernand Raynaud. Tout cela parce que les

225
hommes ne savent toujours pas que dire ce qui ne va pas sert à faire
avancer les choses quand il et encore temps et ne mène pas forcément
au clash quand on sait y faire. Les américains des livres que j’aime
lire disent ce qui ne va pas quand il le faut mais ils savent dirent
quand ça va aussi. Il sont bien ces américains, dommage qu’ils soient
si peu à vivre comme ceux des livres…

Mon père a perdu beaucoup d’amis qui n’aimaient pas son franc-
parler. Je suis resté longtemps fâché avec mon père car il exigeait
toujours une explication de fond alors que dès fois, on préfère s’en
tenir à la forme car c’est bien plus commode.
Je lui ai même cassé un doigt un soir, le seul soir, où je me suis
retrouvé à l’hôpital Sainte Anne, chez les fous, parce que j’étais sorti
de mes gonds. Suite à cet épisode de ma vie dont je n’aime pas
particulièrement me souvenir, nous avons beaucoup discuté avec
mon père et Jenny, sa compagne. Mon père savait ce que cela
signifiait d’avoir une humeur qui se modifie en permanence, de
fonctionner par à-coup, d’être serein cinq minutes avant et troublé,
perturbé, par une parole ou un regard, sans même savoir pourquoi,
bref d’avoir du mal à canaliser son émotivité. Il ne pouvait pas faire
grand chose pour moi si ce n’est de me conseiller d’avoir un emploi
adapté, de pouvoir m’organiser librement, d’être indépendant. Par
contre ce que mon père a réussi à faire, c’est m’apprendre à canaliser
ma violence intérieure. C’est depuis que j’ai appris à aimer celui que
j’étais vraiment.

En fait, mon père n’a cessé toute sa vie d’expérimenter les bases
philosophiques de la non-violence active.

La non-violence active est un sport de combat qui se pratique les


mains dans les poches. Comme vous savez que vos adversaires sont
plus nombreux et plus costauds, vous les affrontez à mains nus avec
votre langue bien pendue. Vos adversaires vous écoutent et vous
respectent, soit parce qu’ils savent que vous avez dans vos poches un
fer à cheval, soit parce que vous disposez d’arguments convaincants.
Vous ne perdez pas la face tant que vous dites ce que vous pensez,

226
que cela plaise ou pas.

Mon père était arrivé à un stade où il s’en moulinait les écoutilles


de savoir ce que les gens médisants pouvaient penser de lui.
Il disait, les soirs de misanthropie avancés, bien calé dans son
fauteuil, qu’en perdant la faculté de dire ce qui n’allait pas, de dire ce
que l’on ne voulait pas, on avait accepté de se faire confisquer le
contrôle démocratique lâchant la bride à de drôles de zèbres qui ne
voulaient pas que notre bien. Mon père voulait sans doute parler des
capitalistes. Il disait aussi, "qu’à l’age où les raideurs se déplacent",
il savait à présent à quel point il était vain de pester contre ce qui ne
changerait jamais (la pluie, la vent, la canicule et l’eurovision) et
qu’il fallait contester depuis son salon, et de temps en temps,
protester dans la rue.

On perd trop de temps en circonvolutions et la révolution


commencera le jour où l’on cessera de jacter pour tuer le temps,
quand on clouera le bec de ceux qui aiment parler pour se faire
mousser.

La politesse ce n’est pas de faire comme madame la Baronne mais


de faire comme Jean Luc La Mélenche : Expliquer, démontrer,
appuyer, étayer, ouvrir en grand les mots valises, ridiculiser les
communicants et nuire aux partisans des idées creuses qui se
gargarisent avec des mots dont ils ignorent la réelle portée et
signification. En pratiquant cette forme de politesse, ce respect des
idées et du débat, vous témoignez d’un bien plus grand respect
envers la personne, qu’en singeant des courbettes et en respectant les
conventions qui vous font communément passer pour quelqu’un de
bien alors que vous n’avez que mépris pour les gens qui ne sont pas
de votre condition.

Faire preuve de tact et de pédagogie mais en allant à l’essentiel et


en restant ferme.
La communication est l’arme des décideurs, des managers sur les
mange-merdes et des pauvres types bien gentils et propres sur eux

227
qui ne se sentent plus pisser lorsqu’ils ont une once de pouvoir.
L’éducation populaire est la solution qui ne doit pas arriver trop
tard au chevet de la démocratie malade et essoufflée.
Il faut donc dire les choses sans trop tarder.

Mon père disait-il la vérité tout le temps ou seulement de temps en


temps ?

Mon père s’en branlait de la vérité !


Il voulait arranger la réalité à sa sauce. Quand tout partait à vau-
l’eau, quand les machines se liaient entre elles pour atteindre son
optimisme inébranlable, il s’énervait silencieusement. Je n’ai jamais
vu mon père donner des coups de marteau à son imprimante qui
tantôt lui annonçait que la cartouche d’encre qu’il venait de
remplacer était vide, tantôt lui annonçait qu’il n’y avait pas de papier
dans le bac d’alimentation en lui mentant effrontément. J’ai rarement
vu mon père en colère et d’ailleurs cela valait mieux.

Par contre, je savais, parce qu’il me le disait, qu’il avait à


l’intérieur une rage intérieure face à tout ce gâchis. Voir tant de
personnes se chamailler parce qu’elles n’ont pas su mettre les choses
à plat et se dire ce qui n’allait pas, assister, impuissant, aux bouderies
sans fondement, constater amèrement que les gens voulaient rester à
la surface, dans un était d’esprit engourdi, préférant maugréer et
subir, cela le tiraillait.
Mon père adorait la scène de "la remise à plat" du dernier volet de
la trilogie de Marcel Pagnol, celle où Marius s’explique, enfin, après
des années d’incompréhension réciproque.

Mon père était un falabrak qui était capable, s’il le voulait, de


faire croire aux autres qu’une table ronde était carrée et de de
transformer la réalité. Que font d’autres les libéraux aujourd’hui qui
nous assurent que tout va bien ? Mon père disait ce qu’il pensait mais
en racontant des sornettes. Il passait son temps à inventer des
histoires. Au lieu de dire qu’il avait passé le week-end à ranger sa
cave, il disait qu’il était parti à Londres pour un voyage d’affaires.

228
Mon père m’a appris à être un honnête homme, mais disait qu’il
fallait, rien que pour se détendre, faire des petits arrangements avec
la réalité et qu’il fallait toujours mieux faire envie que pitié. Ma mère
m’a appris les règles de politesse mais aussi à être persévérant dans
mes projets, à rester concret, les pieds sur terre et ne pas chercher à
retenir trop longtemps les projets qui partaient en fumée.

Ce n’est pas tant le verre à moitié vide ou à moitié plein qui


compte, ni que la table soit ronde ou carré, ce qui compte, et vous
pouvez le noter le sur vos tablettes, c’est :

1/ A force d’arrondir les angles, on finit par tourner en rond dans


un monde qui ne tourne pas rond.

2/ Ce qui compte c’est celui qui te sert la bière ! Si Marie


Antoinette te sert un bock quand tu lui demandes une pinte c’est
qu’elle a connu les désastres provoqués par l’abus prolongé des
boissons tueuses d’esprit, ou bien c’est qu’elle ne retient que le coté
mesquin de l’être humain et ne fait confiance en personne qui
n’aurait pas une harley Davison.
Si Jacquou le croquant te sert un mini-chevalier ou un baron
quand tu lui demandes une pinte, c’est qu’il est ouvert et sait mettre
en confiance les gens, parce qu’il sait que l’être humain est capable
de se surpasser lorsqu’il a sa place dans une histoire commune.

Le problème avec la bière, c’est que parfois le côté supporter de


foot prend le pas sur le côté poète en verve. Parfois, on se met à
parler comme des marchands de patates du marché au lieu de causer
comme des gens d’esprit capable de manger des chips sans faire de
bruit. C’est pour cette raison que je cherche à me procurer de la
bonne bière sans alcool car j’en ai bu dans les "biergarten" de
Munich, et donc je sais que cela existe.

Mon père n’avait pas de biens personnels mais il m’a transmis une
énergie inépuisable qui me permet actuellement d’avaler beaucoup

229
de couleuvres sans m’effondrer.

Mon père m’a appris que ses problèmes, il fallait se la garder et


dire aux autres que tout allait bien, qu’il ne fallait jamais passer pour
un fauché ou un toquard, qu’il fallait rester digne et ne jamais
sacrifier ses rêves même si la réalité ne vous le permettait pas. Il
fallait alors nier la réalité, la transformer en s’y mettant à plusieurs
ou bien il fallait juste passer à un autre rêve mais ne jamais baisser
les bras et laisser trop longtemps ses mains dans les poches et son
esprit en vadrouille. C’est un peu cela son héritage.

J’ai trop tardé à dire à mon père que je l’aimais et j’ai loupé le
coche.
La seule chose que je peux faire, c’est, non pas rattraper le temps
perdu, mais aller de l’avant, m’organiser et à savoir trier mes papiers
comme lui et mieux définir mes priorités.

Mon père m’a toujours dit qu’il fallait foncer car il était
impossible de revenir sur ces pas sans se prendre une bourrasque du
temps présent. Cela voudrait-il dire qu’il ne sert à rien d’être
nostalgique, de se laisser aller à la mélancolie le temps d’écrire une
chanson ou un poème ? Mon père pensait tout le temps au passé et
voulait revenir en arrière. Mon père m’a dit comment il fallait faire, il
ne m’a jamais dit que lui, il le faisait…

Papa,

Qu’importe le pourquoi, le comment, qu’importe le comment le


pourquoi, comment dire ce que l’on ressent lorsque l’on reste sans
voix. On voudrait plutôt voir des mirages, et ne pas vivre cet instant
douloureux, On voudrait pouvoir revenir en arrière, effacer
l’irréparable…
Tu as choisi de nous quitter tragiquement. Personne n’a pu t’en
empêcher. Tu te sentais si seul et au bout du rouleau. Tu as résisté,
autant que tu as pu.
Car tu as surmonté tant d’épreuves dans ta vie ! Tu as fait face à

230
deux cancers, tu étais soigné pour ton diabète mais tu étais coriace
et tu aimais la vie car tu étais un battant et une personne optimiste
en dépit de tes crises mélancoliques. Tu n’as pas supporté la
disparition de Jenny ta compagne qui a partagé ta vie pendant 35
ans. Dans les mois qui ont suivi sa disparition, le 14 octobre 2010, tu
étais terriblement déprimé, tu as perdu brutalement en autonomie et
tu as vieilli d’un coup. Toi qui étais si fier de ta chevelure "à la Jean
Gabin ", et qui étais maniaque, tu as commencé à te négliger car tu
n’avais goût à rien. Par ta seule volonté tu avais pu te sortir seul de
la dépendance alcool-tabac, mais cette nouvelle épreuve t’avait
anéanti et tu as passé des mois atroces.
Tu as réussi à remonter la pente et tu as continué ton activité
professionnelle dans le négoce en créant une nouvelle entreprise qui
ne t’apportait pas de grands revenus mais qui te donnait une raison
de te battre pour vivre dignement. Tu pleurais souvent ta compagne
mais tu avais retrouvé ton dynamisme et une meilleure hygiène de
vie. Nous étions fiers de toi car tu avais réussi, sans aide extérieure,
à te sortir de cette spirale du désespoir. Ton domicile était de
nouveau bien tenu et tu as connu des moments de joie partagée.

Tu es né à Fort-de-France et tu as commencé comme fort des


halles avant d’entamer ta carrière de vendeur de moulins à vent.
Espiègle, indépendant, aventureux, et généreux tu étais toujours
curieux des choses de la vie et tu as toujours trouvé avant tous, ce
qu’il fallait faire ou dire… Facétieux, et particulièrement doué en
élocution, tu possédais aussi une assurance intérieure et un charisme
qui faisaient tous te remarquer et t’écouter, et tu as souvent eu une
longueur d’avance sur tes contemporains… Tu passais ta vie à faire
des inventions mais tu ne pensais jamais à déposer les brevets à
temps. Tu avais eu l’idée de la trottinette pour adultes dans les
années 90, tu avais eu l’idée du sac plastique pouvant être composté.
Tu avais mis au point des toilettes sèches avec compost des
épluchures et des déchets biodégradables de cuisine associées.

Âgé de seulement 13 ans, tu avais stupéfié ton entourage en te


rendant sur ton unique initiative à la préfecture de Fort de France, et

231
tu n’avais pas hésité à demander audience au préfet - lequel
interloqué t’avais reçu - car tu voulais organiser un match de boxe
entre un capitaliste et un communiste. Doté d’un sens commercial et
d’un dynamisme peu communs ces qualités t’ont naturellement
conduites dans la vente et le négoce, domaine dans lequel tu as
toujours excellé.
Tu as épousé à l’église, Ma maman, à 19 ans mais vous avez
divorcé neuf ans après. Tu as quitté ta Martinique natale pour te
rapprocher de tes douze enfants Après un second mariage, tu as
rencontré le grand amour de ta vie Jenny, en 1978.

Tu étais très taquin et joueur, tu aimais chanter et faire la cuisine.


Tu passais de longues heures à préparer un repas pour ceux que tu
aimais. Tu aimais et toi, tu savais le dire. Parfois tu te levais pendant
la nuit pour écrire des poèmes à Jenny.
Tu as connu des périodes tumultueuses dans ta vie avant de
t’assagir, grâce à Jenny mais aussi parce que tu avais une volonté
très forte qui ne te faisait pas fléchir. Tu étais une personne entière
qui détestait par-dessus tout l’hypocrisie et qui n’avait pas peur de
dire ce qu’elle pensait, quitte à déplaire ou à passer pour un
original. Tu n’avais pas peur des "qu’en dira-t-on" et détestait les
cancans. Tu es resté pendant des années fâché avec une partie de ta
famille car tu ne savais pas alors transiger et faire des concessions.

Intermède poétique :

Bien que les fleurs se fanent, meurent et disparaissent, leurs


précieux parfums demeurent toujours. Tout comme ces fleurs
éclatantes, ceux que nous aimons ne meurent jamais réellement; ils
demeurent avec nous à jamais, et apportent leur empreinte à nos
souvenirs les plus précieux.

Après ton cancer de la prostate, tu es devenu plus sage et tu t’es


rapproché des tiens et comme tu ne faisais pas les choses à moitié, tu
as pardonné et effacé de ta mémoire à tout jamais les motifs de tes

232
discordes et tu leur as donné pleinement ton amour et ta confiance.
Tu as eu plein d’amis, toutes sortes d’amis, de tous âges, de toutes
les conditions, de toutes les origines. Les gens t’aimaient bien car tu
étais vif d’esprit et plein d’humour. Tu aimais beaucoup les africains
pour leur sagesse. Tu étais d’une audace inouïe, capable par
exemple d’entrer dans une boulangerie pour demander un carton
pour emballer le gâteau que tu venais de confectionner, tu négociais
en permanence pour satisfaire aux mieux tes clients dans l’esprit des
grandes maisons commerciales d’autrefois comme tu disais, et tu
avais un terrible bagout.

Tu as eu à lutter toute ta vie, contre ton caractère excessif, contre


tes crises de mélancolie, et en fin de ta vie, tu étais plus apaisé
jusqu’à la disparition de Jenny.
Depuis quelques mois, tu te sentais de nouveau désespéré. Tu
ressentais des douleurs épouvantables au ventre, douleurs dont les
médecins ne trouvaient pas la cause et ne savaient te soigner. Tu as
été plusieurs fois aux urgences, fait venir des médecins de nuit et les
anti-douleurs prescrits n’atténuaient pas ton mal-être. Tu devais
faire face à des soucis financiers et vivais dans l’angoisse de perdre
ton logement. Papa, nous voulons juste te dire que nous t’aimions et
que nous garderons en mémoire les beaux moments partagés
ensemble. Tu es parti rejoindre ta compagne adorée, disparue avant
toi, Vous allez maintenant vous retrouver dans l’éternité et reposer
côte à côte.

Lecture de l’Avé Maria :


Je vous salue, Marie pleine de grâce ; Le Seigneur est avec vous.
Vous êtes bénie entre toutes les femmes Et Jésus, le fruit de vos
entrailles, est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, Priez pour nous,
pauvres pécheurs, Maintenant, et à l’heure de notre mort. Amen et
viva la revolutione !

Lecture du poème d’Eluard :

La nuit n’est jamais complète. Il y a toujours puisque je le dis,

233
puisque je l’affirme,
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte,
Une fenêtre éclairée.
Il y a toujours un rêve qui veille,
Désir à combler, faim à satisfaire,
Un cœur généreux,
Une main tendue, une main ouverte,
Des yeux attentifs,
Une vie, la vie à se partager.

Paul Eluard

Vous m’avez donc bien compris, je déteste les gens infatués (1) de
leur prétendue connaissance des ressorts psychologiques de la
personne humaine alors qu’ils ne sont que d’obscurs manipulateurs,
des as de la vente formés aux techniques de la communication. On
devrait l’être tous, formés à ces techniques. Cela devrait s’enseigner
dans les écoles et en formation continue.
On éviterait beaucoup d’impairs de la vie courante si on arrivait à
se dire, au bon moment, quand les choses ne vont pas et se dire aussi
quand on est heureux d’être ensemble, et se donner la possibilité
d’intervenir dans un conflit avant qu’il ne s’envenime et devienne
sans issue. Puisque nous sommes confrontés à un décalage constant
entre celui que nos aimerions être, celui que nous sommes et celui
qui est perçu par les autres et puisque maîtriser le vocabulaire ne
suffit pas à être entendu et compris, nous sommes condamnés sans
cesse à mettre des mots, expliquer, ré-expliquer, rectifier et parfois, et
de plus en plus souvent, le temps d’une fulgurance, d’une pirouette
médiatique. Je dis tout cela pour essayer de faire comprendre que le
boulot de Jean Luc Mélenchon n’est pas facile et qu’il le fait plutôt
bien à mon humble avis.

(1) La prévention infatuée de la bourgeoisie qui de tout temps a


affirmé la solidarité du capital et du travail, irait jusqu’à dire qu’il y

234
a des patrons… dans l’intérêt du travailleur — (Karl Marx, Le
Manifeste communiste) source http://fr.wiktionary.org

Depuis des années, j’ai l’impression d’être un éternel incompris et


depuis ces mêmes années, je sais que je ne fais pas beaucoup
d’efforts non plus pour faire en sorte que la brume de l’ignorance des
attentes respectives ne finisse par trop s’épaissir. Bref, je laisse les
choses se faire, se déliter, et les sources de différents s’amoncellent
pour finir par former comme ces boules pleines de cheveux avec du
savon qui bouchent les tuyaux et les siphons. Alors je javelise mais
l’eau de javel, c’est « has been » et « too much ».
Et dire qu’il suffirait de souffler de temps en temps dans les
tuyaux !

Alors je passe pour un fainéant alors que je dors peu. Je passe


pour un fumiste alors que je suis un bosseur désorganisé. Je passe
pour un taciturne et un égoïste alors que je voudrais parler plus
spontanément mais que mon truc à moi, c’est l’écriture, et que je fais
très attention à m’octroyer la possibilité de pouvoir me réfugier dans
des bulles.

235
Le braquage raté

Je vous avais dit, au tout début de cette fantastique épopée, que


cela serait l’histoire de ma dégringolade.
Le problème que je me trimballais depuis des années était le
suivant : Je passais ma vie à élaborer des scénarios tantôt loufoques,
tantôt stratégiques, mais je faisais toujours autrement que ce qui était
prévu, je prenais toujours des variantes. Rien ne se passait jamais
comme je le pensais, en tous les cas, dans le déroulement du fil
conducteur.

Le Marquis m’a mis en demeure de régler dans les 72 heures, la


somme de 1700 euros et des brouettes sous peine de me suspendre
les livraisons. J’ai reçu un premier ultimatum, via un courrier
agraphé sur mon bon de livraison et cela revenait à prononcer ma
mise à mort, car pas de livraison = pas de vente = pas de recettes =
pas de sous à déposer en banque pour payer les quotidiens, les Gala,
les Public et autres journaux d’intérêt public … C’était le début de la
fin, sauf que je n’étais pas un de ces bestiaux de 500 kgs, drogué, qui
allait laisser un de ces freluquets en justaucorps à fausses couilles
rembourrées, me planter des pics.
J’avais un MAB 7.35 mm, mon masque de mardi gras, celui de
pépé Rocky, et j’allais devoir m’en servir pour régler le problème.

Il ne s’agissait pas d’une dette de jeux, il s’agissait d’argent que je


n’avais pas. Je ne passais pas mon temps à m’amuser, à raconter mes
vacances, je n’en prenais plus. Je bossais. j’ouvrais à 7 h 15 tous les
jours sauf le dimanche et pour 42 heures de boulot, je gagnais moins

236
de 700 euros nets par mois. Je ne plaignais pas car c’était le boulot
qui correspondait le mieux à mon statut d’écrivain mondialement
inconnu.
J’allais braquer la Banque postale car cela n’était pas très loin de
mon kiosque, et donc plus pratique ne disposant plus de voiture, mais
comme j’étais un mec drôle, même en pleine débandade généralisée,
j’allais donc m’arranger pour foirer mon premier et dernier braquage.
J’aurais ainsi un pleine page dans le Nice matin et on parlerait
localement d’Auguste Picrate, c’était le plus important et cela ne
pouvait qu’améliorer les ventes de mon livre.
Le directeur de la banque venait m’acheter tous les jours un à
deux journaux. C’était un mec balaise de deux mètres de haut et de
130 kgs, et il me disait toujours "bon courage" car il savait qu’il
fallait être écrivain, nostalgique ou azimuté pour tenir ce genre de
commerce en voie de disparition.
Avez-vous remarqué, braves gens, que les décideurs lisent la
presse ? Un homme anticipe, décide parce qu’il sait, et il sait parce
qu’il s’informe, cela fait partie de son travail Pendant que certains
parcourent les journaux "tue-le-temps" et les journaux gratuits, les
décideurs lisent la presse d’informations. Ils payent le journal et
s’enrichissent ainsi.
Je trouvais cela plus élégant de prévenir le Directeur de mes
intentions.

Monsieur le Directeur,
Je suis le kiosquier. Je dois de l’argent à mes deux fournisseurs et
cet argent, je ne l’ai pas dans mes caisses. Je suis incapable de
braquer une vieille dame sans défense, mais vous qui êtes balèze, je
peux. Je viendrais avec une arme car c’est plus facile ainsi mais elle
ne sera pas chargée car je n’ai pas voulu acheter de munitions et je
ne le ferais pas, je ne m’en servirais pas, c’est juste pour faire
comme dans les films.
Prévenez le négociateur que je veux un véhicule à air comprimé
produit par MDI pour ma fuite.
Soyez gentil de ne pas faire paniquer les personnes qui travaillent
chez vous, cela sera un braquage sans violence et donc je vous

237
serais gré de bien vouloir créditer directement sur mon compte la
modeste somme exigée par le Marquis, et que ça saute !
Cordialement, votre kiosquier.

J’ai pris un de mes derniers timbres "lettre verte ’ qui me restait et


j’ai mis dans la boite la lettre. J’avais prévu mon braquage pour le
jour du printemps, le 20 mars.
Pourvu que le courrier soit livré à temps !

Après je me suis relu. Je peux inventer des histoires mais je ne


peux pas en faire. J’allais devoir régler le problème en restant dans le
monde des idées. On trouve toujours des solutions. A court terme,
pour ne pas effaroucher mes futurs partenaires qui verraient d’un
mauvais œil que je ne sois pas approvisionné en presse (je savais
qu’ils me trouvaient sympa mais il était évident qu’ils iraient ailleurs,
c’était la dure loi du marché), je devais rester dans le concret, dans
l’immédiat et trouver des solutions de rechange.
J’ai envoyé une cliente braquer la banque à ma place. Chaque
matin, elle venait m’acheter un Nice matin et je lui disais que c’était
elle qui sauvait la presse grâce à sa fidélité à toute épreuve. Je l’ai
bien briefée et lui ai fourni un stylo en guise de pistolet et surtout, je
lui ai dit de bien insister sur le fait qu’elle agissait sans haine ni
violence et que c’était pour la bonne cause. Ma cliente est en prison.

Pour trouver le pognon, je pouvais aussi écrire des projets. Cela


demandait plus de jugeote, mais cela était dans mes cordes. Des
projets que j’élaborais dans ma tête pendant des semaines, que je
murissais en en parlant autour de moi, de la même manière que je
testais mes phrases et certains calembours in situ, et des projets que
j’écrivais car cela me permettait de structurer et d’y voir plus clair.
J’ai toujours aimé écrire et j’ai de plus en plus envie de faire en sorte
que la fiction agisse enfin sur la réalité.

238
239
Roméo EMPATHIE

Mais alors, que va faire Juliette ?

A présent, je vais vous raconter une véritable histoire de fous,


celle qui m’est arrivé un après-midi où j’avais réussi à fermer le
kiosque un peu avant 14 heures afin d’éviter d’avoir trop à poireauter
à mon bureau de la Poste de "proximité" comme m’a dit le cadre
barbu, un des deux escogriffes avec lesquels j’ai eu des mots. Dans
ce bureau de poste, ils aiment s’appeler par leur prénom mais je
connais des endroits où l’on se dit Monsieur, Madame, dans lesquels
la proximité n’est pas un mot vidé de sa substance par les stratèges
marketing.

Cette saynète de la stupidité ordinaire pourrait avoir un intérêt


pédagogique. Cela sera à vous d’en juger. Elle se déroule dans un
grand bureau de poste.

Ces derniers jours, j’ai manqué de sommeil car j’ai travaillé sur un
plan de sauvetage, sur un projet de redynamisation kiosquière. Les
mots sont importants, l’emballage du paquet, le respect des forme,
tout doit rentrer en ligne de compte. Dans les années 70 tu pouvais
encore écrire un journal à la main et en faisant des gribouillis, ce qui
comptait c’était le sens, pas la présentation mais aujourd’hui il n’y a
que quelques journaux comme fluide Glacial pour oser continuer à
miser sur le bon sens des lecteurs.

240
J’ai fait trois versions de mon projet.
J’ai fait une version totalement transparente qui fait état des
difficultés que je rencontre en trésorerie et dans mes relations avec le
marquis parce que je pense que lorsque l’on s’adresse à de futurs
partenaires, il faut être clair et ne rien dissimuler. Ensuite, j’ai fait
une version synthétique qui s’adressent aux gens pressés qui ne se
préoccupent jamais du contexte. Je me suis ensuite posé une
question tout bête : à quoi doit servir ce projet ? A me faire plaisir ou
à convaincre et à fédérer de bonnes volontés ?

Je veux juste causer ou je veux agir ? C’est important de le


définir car "qui veut agir ménage ses moutures et qui veut aller loin
prend le train". Celui qui veut agir se préoccupe de trouver les
moyens et vous avez plus de chances de susciter l’enthousiasme si
vous vous intéressez plus aux trains qui arrivent à l’heure qu’aux
raisons de larmoyer en laissant toujours aux autres le soin de régler
les problèmes d’intendance.
On ne peut donc pas tout dire, pas tout montrer et on ne doit
montrer que ce qui donne envie d’en voir plus. Cela ne veut pas dire
que l’on ne doit pas montrer ce qui déplait, ce qui choque. Si
personne ne m’avait montré la réalité qui se cache derrière les
abattoirs, je ne serai pas devenu "flexitarien" (dilettante végétarien)

Que l’on soit un résistant ou un consommateur en mode citoyen


éteint, que l’on soit tendance écolo-picolo, bobo-écolo, écologiste
des salons de thé, il est devenu très difficile de ne pas être sensible
aux apparences. Même les très pauvres sont mieux sapés que ceux
des années 60, c’est vous dire. J’aime la bière, j’aime les punks,
j’aime la "provocation douce " et pourtant quand je vois des punks à
chien arriver avec leurs canettes de 8.6, dans un square, je me tire
ailleurs. Je me tire ailleurs car j’aime la tranquillité
Je croise un mec avec une bière dans la rue dans la main, je le
considère comme craignos. Je vois le même mec dans mon bar
culturel préféré descendre plusieurs pintes, je le juge tout autrement.

241
Cela reste de la bière mais quand on se cause en buvant, ce n’est plus
tout à fait de alcoolisme, c’est de la convivialité et il est dommage
que les bistrots aient fermé pour que les gens aillent regarder la télé
chez eux, je ne pense pas qu’ils soient devenus plus heureux pour
autant. Je sais de quoi je parle, j’ai des années de pratique télévisuelle
derrière moi.

Lorsque j’étais plus jeune, je ne voyais pas encore le mal partout.


Je trouvais naturel de transporter des 1664 dans mon sac à dos et de
les partager avec nos stagiaires. Avec Hervé, un ancien de la Légion,
mon collègue formateur, nous faisions un bon boulot d’animateurs
scientifiques et nous nous donnions à fond pendant les formations.
Nos stages étaient appréciées. Pour autant, j’attendais toujours la
moindre occasion pour me déchirer et je n’avais pas apprécié que
mon directeur, Jean-Louis (dans les associations, les vraies, il est un
peu normal de se tutoyer) me fasse la réflexion car je la savais, au
fond, fondée. Il trouvait qu’en termes d’image, nous étions craignos !
ll avait raison ! Supposer que la plupart des gens vont faire le
"distingo" entre la forme et le fond, et soient capables de dépasser les
clichés, relève de la méconnaissance de la psychologie élémentaire.

Il n’y a que certaines personnes qui peuvent se permettre de


s’habiller et de comporter comme elles le veulent sans être jugées sur
ce genre de signes. Ces personnes jouissent d’un prestige qui leur
permettrait de se balader avec un poisson pourri dans le dos si elles
en avaient envie.

Récemment, dans le tramway, des jeunes bien élevés (car il en


existe), ont voulu me céder leur place. Depuis que je porte mes
lunettes pour me donner l’air intelligent, je passe pour un vieux.
Les vieux ne veulent pas paraitre vieux. Les mamies peinent à
porter leurs sacs de course avec leur cannes ou leur béquilles mais
elles ne veulent pas entendre parler de rollator à trois ou quatre roues
car c’est stigmatisant, c’est connoté vieillard. Il faudrait que je
reprenne les travaux de mon père sur la trottinette pour vieux
branché, une de ces inventions. Bon enfin tout cela pour dire que

242
nous sommes vraiment sous la dictature de l’image !

Il y a quelques jours, après cette petite histoire ridicule qui m’est


arrivée à la poste, je marchais avec des cabas et une table pliante
pour rejoindre mes nouveaux copains et copines végétariens, je me
dépêchais. J’avais une capuche et une barbe hirsute et une dame m’a
proposé une cigarette pensant qu’elle avait affaire à un clodo. Elle
était plus gênée que moi mais je me suis dit qu’il faudrait quand
même que je songe à nettoyer mon gilet.

Lorsque je suis allé à mon bureau de poste de proximité, il n’y


avait qu’une seule personne avant moi. Par contre, au guichet, il y
avait Monsieur "je suis débordé et je le fais savoir ", un abruti mal
dégrossi qui se prend pour un génie sans bouillir, et j’ai eu un
mauvais pressentiment. Alors que j’avais passé 7 heures à bosser
dans la bonne humeur, j’ai senti que ce monsieur allait me prendre le
chou. Je l’ai vu venir. Ce brave gars voudrait que je paye une carte
bleue "entreprise" afin que cela lui évite de copier sur un bordereau
le numéro de mon compte à la main (7 chiffres). Comme il ne peut
pas me l’imposer, il a utilisé les moyens à sa disposition, à savoir me
faire languir en faisant du zèle.
Alors, il a dépiauté consciencieusement un des deux rouleaux que
je lui ai apporté, celui de 2 euros, pas celui de 50 centimes et il a
recompté une à une les pièces en prenant bien son temps. En temps
normal, j’aurais pu prendre le parti d’en rire mais si on laisse les cons
tranquilles il vont se sentir de plus en plus à l’aise et alors que le vent
les poussent, ils vont finir par croire qu’ils ont des ailes. On ne peut
pas leur laisser ce plaisir. Un con, cela devrait avoir honte et vivre
caché. Avec tous les moyens d’éducation que nous avons, cela ne
devrait pas proliférer aussi vite que le frelon asiatique ou les limaces
tueuses.

J’ai donc manifesté mon désaccord en disant simplement : " C’est


bien la première fois que je vois dépiauter un rouleau pour le
contrôler, vous auriez fait un excellent douanier ! "

243
Je précise à l’intention de mes lecteurs et lectrices douaniers que
si je considère une profession comme utile, compte tenu des tous les
trafics en tous genres existants, c’est bien celle-ci. Il faudrait bien
plus de douaniers et moins de conseillers commerciaux, on ferait des
économies et on vivrait mieux !

Et voilà qu’il me rebranche avec son histoire de carte. Je lui


explique que je paierai cette carte quand je gagnerais ma vie en
vendant les journaux, que pour l’instant je suis dans une logique de
compression des coûts, mais lui, il n’en a cure. Et il me sort
l’argument qu’il ne fallait pas prononcer. Il me dit "Chez vous, les
journaux ne sont pas gratuits, tout est payant ! A la poste , c’est
pareil. C’est normal de payer pour une carte". Et là je vois qu’il
serait vain de lui expliquer que le journal suspendu est "offert" mais
pas "gratuit" car rien n’est vraiment gratuit, c’est un leurre que de le
croire. Je redoute qu’il débarque à mon kiosque, profitant de
l’aubaine, car je sais que j’ai affaire à un des ces "radins non
fauchés" qui prolifèrent également en ces temps de crise, en lui
expliquant que je diffuse un fanzine "gratuitement " mais avec un
prix libre, enfin pas un prix, une contribution, dans une caisse à part,
celle pour les artistes d’ENDEMIC, afin de les encourager à
produire de nouveaux numéros, alors je m’abstiens, je préfère éviter
ce genre de clients, mais au lieu de développer une stratégie
d’évitement du conflit par l’humour, voilà que la colère me monte au
nez et là, je lui gueule de fermer sa gueule et je pense qu’il a bien
fait de la boucler car sinon c’est moi qui l’aurait été…

Ensuite la pression baisse. On a juste le temps de se dire que l’on


se déteste réciproquement, ce que nous savions déjà et de fil en
aiguille et de minutes en minutes, un cadre barbu qui n’apprécie pas
le capitaine haddock, entre en scène. Il photocopie ma carte
d’identité et mon RIB et m’explique qu’ils vont clôturer mon compte
car j’avais déjà eu des mots avec Mme PICOLI (une seule fois et
parce que nous étions, tous les deux, dans un mauvais jour) et je suis
donc codé comme terroriste.

244
Je demande si c’est par rapport à un chèque sans provision, mais
non, il ne s’agit pas de cela, mais de mon comportement. Bien,
Monsieur le juge.

Ah, j’allais oublié, j’ai proféré des menaces devant témoins. J’ai
dit Monsieur "Jesuisdébordé" que s’il ne venait pas récupérer ses
revues non philatélistes qu’il m’avait commandées en catimini, que
je ne ne viendrais plus acheter de timbres lettre verte. Il m’a dit que
je faisais de la diffamation et je lui ai rétorqué : "Ben oui,
évidemment, mais toi, tu es qui pour clôturer mon compte parce que
je refuse de te faire le baise main? Ne fais pas trop le malin avec moi
car tout se paye un jour ! "
J’ai besoin d’être calme, d’être maître de moi car il n’y a que
comme cela que je peux être bon et progresser dans ma quête pour un
monde plus juste, un monde dans lequel le "juste mot" fait la nique
au "juste prix".

Je parle à mon père tous les jours. Je n’entends pas distinctement


sa voix mais je le comprends, bien mieux qu’avant son décès. Il
parait que c’est normal, qu’il n’y a rien d’inquiétant à cela.
Il n’a pas changé, il ne passe rien. « Ton mal-être, tu t’en
accommodes bien ! C’est une bonne excuse pour rester entre
parenthèses et fuir ce que tu as à faire. Tu ne vas pas bien alors tu
en as déjà fini avec tes belles idées. »
Il a raison, je suis de nouveau tenté de me replier tout au fond de
mes chaussures de ville. Je n’ai jamais le temps de rien, à
m’entendre, et je me spécialise dans l’art de s’occuper histoire de
tuer le temps. Je ne fais rien d’autre que de bosser et de me divertir.
L’écrivain est en congé.

Je m’en veux d’avoir dit à mon père qu’il faisait du cinéma, qu’il
n’avait pas mal au ventre, que c’était psychosomatique, que c’est
parce qu’il bouffait de rôti de dindonneau et des saloperies
industrielles qu’il était malade.
Lorsque j’ai appris son décès, ma première réaction a été de me

245
demander comment j’allais faire pour le kiosque. Je devais me faire
remplacer, je ne pouvais pas le laisser fermé ne fut-ce que trois
jours. Je me demandai comment faire pour financer les obsèques car
je n’avais aucun argent de côté. Mon père avait souscrit une
assurance obsèques. Il ne voulait pas que ses enfants aient le moindre
emmerde à cause de lui.
L’assureur me fait chier car il dit, six mois après, que partir faire
de l’escalade sans avoir inspecté son matériel avant est pure folie et
que par conséquent mon père est exclu des garanties. Et moi, je ne
réponds plus rien aux courriers car j’en ai marre que des assureurs se
sucrent sur le dos des défunts. L’assureur n’est autre que le banquier
principal de mon père car les banques ne se contentent plus depuis
longtemps d’avoir des activités de banque de dépôt, ils vous assurent
pour tous les risques de la vie, vous vendent des téléphones et des
abonnements. L’assureur veut se payer deux fois sur le dos d’un mort
qui ne dira plus rien. Mon père ne parle plus qu’à moi, la nuit et le
jour.

Mon père me dit que ce n’est pas parce que les résultats aux
dernières élections sont décourageants qu’il faut baisser le pavillon.
Il faut aller de l’avant et ne rien céder, ne pas perdre du terrain, se
battre pour l’accord commercial que l’on nous prépare en catimini
soit connu du public.
Il me donne l’injonction de continuer à m’informer pour être plus
efficace, de continuer à aller à des réunions même si sur le moment
j’ai l’impression d’y perdre mon temps, de faire ce que je n’aime pas
en allant en devant des gens.
" Tu sais que la plupart des gens suivent le mouvement. Tant que
plus ou moins tout le monde semble y trouver son compte en
consommant massivement, tant qu’il y aura des gens pour participer
sans faiblir à chaque grande messe commerciale, à vibrer à
l’unisson pour un nouvel objet, ceux et celles qui aspirent à autre
chose sont condamnés à explorer, essayer, exposer, s’exposer, et ces
personnes passeront par des périodes de découragement. Les
minorités actives font aussi partie de la majorité qui subit en silence,
pris en tenailles entre des motivations contradictoires. "

246
Il me dit que si que je veux devenir un écrivain à part entière, pas
un dilettante, il va falloir batailler plus et ne pas chaque jour remettre
à plus tard ce que je m’étais promis de réaliser. Mon père me connait,
il sait à quel point je suis heureux lorsque j’arrive à faire ce que
j’avais prévu. Il sait également à quel point je suis ingénieux pour
modifier constamment mon emploi du temps, et à quel point je
jubile, lorsque je peux me libérer d’une contrainte passagère. Je me
dis que je vais mettre à profit ce temps libre pour avancer dans mon
projet de roman mais généralement il n’en est rien, je préfère flâner.
Il me dit aussi que je serai plus crédible si j’étais plus impliqué dans
la vie de la cité qu’enfermé entre quatre murs. Comment pourrais-
je donner tort à un mort ?

247
Projet populo–politique "Anti people, tu perds
ton sang froid"

Avant c’était mieux ! Avant les gens qui s’agitaient dans leurs
petites boites vitrées restaient dans leur coin et celui qui ne voulait
pas voir gesticuler les stars d’une saison et voir les animateurs
s’auto-congratuler éteignait le poste et filait chez son marchand de
journaux acheter son canard avant de passer au bistrot. Les choses
étaient simples. Pas besoin de normes à la mord-moi- le nœud pour
vivre.

Le mâle dominant fumait un demi paquet de gauloises et picolait


au grand désespoir de se femme qui, rien qu’à la façon dont il
introduisait sa clef dans la serrure, savait si elle allait passer une
bonne ou une mauvaise soirée. Je dis cela pour ceux et celles qui me
diront que l’on avait pas besoin de fermer à clef sa porte dans les
années 70.

Les Seventies, que j’ai bien connues, n’étaient pas que Woostock
option Peace and Love des tee-shirts à 20 euros que l’on trouve dans
le vieux Nice. La vie était dure, alors certes la baguette pesait 300
grammes et coûtait moins de dix cents et effectivement, on parlait
plus de projets de société que des amourettes des snobs. Pas
d’angélisme non plus ! Les rapports sociaux étaient violents, on
aurait tendance à l’oublier. Et on ne plaisantait pas avec l’inspecteur
Harry. Oui, je sais, je l’ai déjà dit.

La crise et ses chocs pétroliers nous a bien fait flipper et des

248
hurluberlus non barbus ont commencé à nous emmerder parce que
soit disant on polluait trop et que l’on gaspillait l’eau et des
ressources non renouvelables. N’importe quoi ! Si c’était vrai, Le
staff qui s’occupe de nos loisirs déprogrammerait « la croisière
s’amuse » et Magnum pour nous informer et on se bougerait les
méninges !

Du grand n’importe quoi je vous dis ces écolos barbants ! Les


gens ne voulaient plus de guerre et voulaient la prospérité. On a
inventé des héros positifs, des chefs d’entreprises dynamiques qui ne
trébuchaient jamais dans les escaliers et avaient toujours un col de
chemise au pli irréprochable. Tout le monde s’est mis à aimer le
pognon sauf quelques escogriffes hirsutes illustres.

Les gens de l’après-guerre ne voulaient plus manquer de rien alors


ils se sont mis à acheter des machines qui au lieu de désaliéner
l’ouvrier l’ont entravé dans l’illusion technologique et se sont mis à
bouffer de la viande à chaque repas et à bouffer de plus en plus
d’essence. Pendant quelques années, cela a bien fonctionné, il faut le
reconnaître.

Les gens des petites boites qui s’agitaient mais ne faisaient surtout
pas de l’Agit-prop, car cela aurait mis en péril leur gagne-toast, ont
migré et ce sont retrouvés sur les couvertures des magazines que je
vends. Je suis marchand de journaux, pas de la grande époque de la
presse libre et indépendante mais celle d’aujourd’hui, où les
publicitaires se sont engouffrés partout. Les pin-up des années 50, les
étoiles du cinéma ont cédé la place aux pétasses à frasques, celles qui
font parler d’elles en pétant.

Lorsque j’étale mes journaux qui eux mêmes étalent de grandes


révélations fracassantes sur la vie intime ordinaire de gens qui sont
certes connus mais ne sont pas plus exemplaires qu’un chercheur ( de
ce que vous voudrez, chercheur en sciences sociales, traqueurs de
virus, chercheur d’emplois, chercheur d’histoires …), j’ai parfois
mal.

249
Les gens ont besoin de lire des sornettes, je peux le comprendre,
et en tant qu’écrivain mondialement inconnu, c’est mon fonds de
commerce la crédulité la propension à s’émerveiller des gens de la
foultitude (enfin, ceux qui vivent à mon altitude) mais les gens à
force de lire des sornettes deviennent aigris et parano quand ils
s’aperçoivent que leur vie ne se déroule pas comme dans un roman
feuilleton. Ils romancent, ils inventent mais ne font pas de la
littérature. Et les gens ont en marre !

Je ne suis pas mieux que les autres même si en tant que kiosquier
localement reconnu, je pourrais me la péter grave, je n’oublie pas que
pendant des années, sous couvert de me libérer les neurones, je
regardais le catch américain et que je passais trois à quatre heures
allongé sur le lit à regarder la télé.

Tout cela pour dire en introduction, en liminaire, en


préalablablabla que l’éducation populaire a perdu une bataille
puisque les idées crasses progressent mais la culture n’a pas rendu
son dernier souffle.
Je n’y crois pas tous les jours mais je veux me donner de bonnes
raisons d’y croire. et c’est pour cela que je veux que mon kiosque à
journaux ouvre chaque matin sauf les jours de confesse.

LES BABOS AVEC LES BOBOS !

Richard était un pauvre qui avait les idées bien en place et une
énergie à revendre. Il savait y faire et n’aimait pas les phraseurs de
mon acabit et lorsque je lui avais dit que je projetais de faire du
bénévolat moi aussi, en faisant du soutien scolaire, il m’ a pris au
mot en me disant : "Ok, tu commences quand ? "
Quel mufle ! Me faire cela à moi, un écrivain si sensible !
Et le pire, c’est qu’il avait raison car, à force de reporter je risquais
de rater la dernière représentation de la pièce de théâtre vivant qui

250
était en train de se monter.

Richard m’avait intéressé avec son histoire de SCOP et de SCIC,


enfin de coopérative. Nous étions d’accord pour dire que la forme
pouvait être aussi importante que le fond, de la même manière que le
passage à la sixième république devenait une impérieuse nécessité
sous peine de débandade généralisée et bain de sang, le choix d’un
mode de fonctionnement démocratique et de prise de décisions était
révélateur des valeurs qui étaient proclamées mais malheureusement
pas toujours mises en pratique. Du reste, si tout avait été si simple,
nous n’en serions pas là !

Pour mon kiosque, je commençais à douter de mes capacités à aller


jusqu’au bout de mes idées. Mon idée n’était audacieuse qu’en
apparence - parce que nous n’étions pas habitués à ce que l’on nous
demande notre avis - ni à réfléchir, ni à associer les clients à la prise
de décisions qui les concernaient. En quoi cela risquait -il de dépoter
les fleurs des villes ?

251
Sauvé par la littérature

Je crois vous l’avoir dit : Jim Thompson est l’un de mes écrivains
chéris.
Et Jim Thompson m’a sauvé la mise aujourd’hui.

Une gonzesse est venue me voir et a essayé de m’entourlouper.


Elle m’a demandé un magazine sur la pâtisserie. Je lui ai montré ce
que j’avais en magasin. Ensuite elle m’a charmé. Elle parlait sans
discontinuer et puis elle a choisi une revue à 2.90 €.
Elle me sort un billet de cinquante mais comme elle a de beaux
yeux, je ne râle pas. Elle continue à me parler non stop pendant que
je cherche sa monnaie : (48 euros puisqu’elle m’a donné 90
centimes). Elle parle tellement qu’elle finit par m’intriguer et voilà
que tout d’un coup, le bon vieux Jim me souffle à l’oreille
"Arnaqueuse". La vieille combine des années 50 décrite dans un des
ces livres. Je lui demande où est passé son billet de 50 euros et
l’effrontée de me répondre qu’elle m’a donné 20 euros, le billet que
j’ai en mains. Le billet que j’ai sorti de mon sac à dos car je n’avais
pas assez de billets en caisse… Merci Jim, merci les livres ! La
culture m’a sauvé des gens malfaisants.

Le soir même, je suis allé à une soirée au Court Circuit. C’était


consacré à la NELFE. A la Nouvelle Economie Fraternelle ( je me
méfie des termes, j’ai toujours trouvé cela nunuche ce blaze !) mais
comme j’ai bu deux bières, je peux dire NELFE si j’ai envie.
Nouvelle économie Fraternelle veut dire ce que cela veut dire après
tout et il y avait une ambiance de franche camaraderie, c’est déjà pas

252
si mal !
C’était une de ses soirées magiques comme il s’en passe dans ce
genre d’endroits, où l’on sent que l’histoire est en marche et que la
transition citoyenne va en secouer plus d’un… Je le dis d’un ton
léger et enjoué mais c’est important ! Les gros cons du FN n’ont pas
encore gagné ! Ils nous ont mis la pâtée sur l’éduc pop, tout comme
les publicitaires nous ont eu sur le "développement durable" mais ils
ne vont pas nous arnaquer sur le mode de vie "Transition " !

Cette démarche qui consiste à partir de la réalité (l’argent, les lois,


les gens) pour la biffer d’un coup de trait en pointillé en présentant
un projet croisé qui part lui, de l’utopie concrète, pour enraciner
dans le réalisme économique et le déterminisme sociologique des
graines de résistance me plait énormément et je veux en être ! C’était
cela le déplacement de curseur dont je parlais au début. je suis
devenu plus exigeant et je ne vais plus me contenter d’acheter du
liquide vaisselle "vert" !

Je ne suis pas naïf et je sais à quel point il est désolant de se battre


avec des idées face à une armée de cons répugnants. Et pourtant, les
gens peuvent aller vers toujours plus haut, c’est ce que prouve des
réunions comme celle de ce soir avec la NEF qui à force
d’opiniâtreté va devenir une vraie banque. La NEF finance depuis
des années des projets audacieux qui n’auraient pas pu avoir le
concours des banques classiques. Les "têtes de réseaux" que j’ai
rencontrées hier ne se prennent pas au sérieux et pourtant elles ont les
mains dans le cambouis de la fabrique à projets anti résignation.
Ces chercheurs autodidactes de l’antidote au mal être et aux voies
sans issues dans lesquelles les idéologues nous ont parqués, fichtre
que cette phrase est longue, ne cherchent pas les médailles ni le
pognon, ils veulent juste pourvoir mener à bien leurs
expérimentations. Ce sont des personnalités qui n’ont pas peur de se
frotter au collectif. Ils ne sentent pas en sécurité uniquement derrière
leur écran et leur clavier. Ils veulent voir et vivre, voir et essayer,
faire et défaire, recommencer et lancer des idées bombes à graines.

253
Ma démarche, celle que j’explique sans doute confusément, tout le
long de ce recueil de billets d’humeur, consiste à passer de l’état de
tête de nœud - même pas gordien ou giscardien - en une tête au carré
tête de réseaux. Je sais que, seul, je n’arriverai qu’à produire de
l’incertain, cela restera du bavardage. Il est donc important que je
cesse d’avoir peur de me fier aux autres.
Pour la tête au carré, c’est fait. Un soir où ma tête s’était
déconnectée de mon corps… Je n’ai ressenti aucune douleur.

La littérature m’a sauvé de l’arnaqueuse, la Fallabrac Fabrik, le


Court -circuit, la Friche m’ont sauvé de la morosité mais la
littérature n’a rien pu faire non plus pour mettre en fuite celui ou
ceux (car je voyais triple) qui m’ont dérobé mon portable.

Une agression banale, qui alimente la rubrique faits divers, le


genre de trucs qui, heureusement, ne m’est pas arrivé souvent, et le
genre de trucs qui te laissent le goût du sang dans la bouche et des
contusions un peu partout. La douleur physique n’est rien, la perte du
portable, n’en parlons pas, c’était une vrai daube qui m’avait coûté 9
euros, mais quid de mes numéros, quid de ma carte mémoire ?
Une carte mémoire, ça se remplace, mais comment doit réagir un
écrivain mondialement inconnu quand il se fait taper dessus ?

Que raconter à ses clients, le surlendemain, pour avoir la paix,


pour qu’ils ne me surinent pas de questions ?
Ils allaient soit être horrifiés, soit se payer ma tête. Je savais que
certains allaient adorer voir ma gueule cabossée et qu’ils allaient
devenir très curieux.
C’est comme quand tu viens de perdre un proche ou quand tu es à
l’hosto, tout le monde veut t’appeler en même temps. Si personne ne
le fait, tu n’es pas content, mais il y a des moments où tu as envie de
te recueillir, de te reposer ou de te taire.
J’ai pris le parti de rire de mon petit malheur.

Les clients qui me semblaient les plus éveillés se sont montrés


trop "ficanasses" et les pépettes se sont montrés relativement

254
discrètes.
Même si vous racontez l’exacte vérité, même si vous livrez un kit
méthodologique, même si vous présentez plusieurs hypothèses
vérifiables, ceux qui ont décidé de ne retenir que le plus sordide le
feront de toutes les façons et ne vous écouteront pas jusqu’au bout. A
quoi bon se donner de la peine, il faut les laisser dans leur vidéo
club.

Si vous décidez de ne rien dire, les plus tordus fantasmeront et


décideront pour vous. Il ne s’agit pas d’empathie, ces gens là sont
dans l’interprétation la plus misérabiliste possible. Ils aiment les
cancans, ils aiment déformer, ils aiment les histoires simples à
comprendre. Ils ont envie que cela soit conforme à la leur façon de
raisonner et les clichés sont les bienvenus. Ils boivent plus que vous,
sont plus agressifs que vous, ont plus souvent que vous l’occasion de
semer la discorde, mais peu importe, ils vont vous désigner comme
victime expiatoire et vous montrer du doigt !
Comment leur faire comprendre à mes clients que j’affectionne
que je pouvais raconter des choses très personnelles dans mes livres
tout en voulant protéger ma vie intime. On appelle cela la pudeur.
Si je leur disais que j’avais été agressé, pour un portable sans
valeur, immanquablement, ils me poseraient pleins de questions. Ils
flipperaient encore et encore, or c’est déjà trop ! Ils sont pénibles
ces clients qui aiment se donner eux mêmes les raisons de se
soumettre au repli sur soi, de sombrer dans le pessimisme. Ils ont
peur et tant qu’ils auront peur, ils ne remettront jamais en cause les
ordres et plus ils serviront sur un plateau leurs angoisses, plus ils
seront malléables et manipulables.
J’alimenterais, en parlant du vol du portable, le réservoir à
sensations, l’attrait pour l’irrationnel et les réflexes de haine. Ils
voudraient des détails, encore plus de détails. Cela relancerait mes
ventes de Nouveau détective mais je ne voulais surtout pas en vendre
plus : Il y avait suffisamment de paumés, de gens malheureux et de
gens prêts à voter pour n’importe qui. Par contre écrire un article
totalement bidonné et le proposer à ce torchon, je pouvais le faire,
c’était dans mes cordes.

255
La réalité était pourtant on ne peut plus bête :

1 / Je me suis fait agresser. Une agression stupide et gratuite.


J’aurais pu esquiver ou fuir si j’avais été en état de le faire. Je n’avais
pas la tête dans le guidon mais dans les sacoches. J’aurais pu laisser
le portable à mon premier agresseur et rentrer chez moi mais il ne
faut pas jamais contrarier un écrivain plein d’entrain alors je me suis
mis à le courser et je suis tombé dans un traquenard.

2/ Cela ne m’est pas arrivé souvent alors que je n’ai pas


l’habitude de me déplacer en voiture blindée. Je suis, comme tout à
chacun, perméable au discours des gens qui s’inquiètent tout le temps
mais je n’ai pas envie de vivre la peur au ventre. Ras le bol de
l’insécurité mais ras le bol surtout des flipés !

3/ Sur le coup de l’émotion du moment, on vous ferait croire


n’importe quoi ! Qu’est ce qu’un Homme s’il ne sait pas aller au delà
des apparences, des préjugés, des opinions "à la va vite comme je te
pousse" ! La réalité, c’est que j’ai plus de probabilités de m’amocher
en circulant en voiture qu’en marchant seul dans les rues y compris le
soir. Et j’ai plus de probabilités de perdre un doigt ou un œil en
meulant ou en "menuisant" qu’en me promenant dans la rue.

Je pouvais faire difficilement une version pour chaque personne.


J’ai servi la même crêpe pour tous (sans laits, sans œufs, mais tout
aussi bon) mais j’ai servi une garniture différente en fonction de
l’appétit et du degré de sympathie. Les trop curieux, je les ai envoyé,
poliment mais fermement, bouler. J’ai même eu des questions de la
part de gens que je ne connaissais pas, des clients de passage, c’est
vous dire si ces personnes, à force de mater des affiches de journaux
pour voyeurs, sont devenus malsaines et impudiques !

J’ai essayé de sortir une version différente, des variantes en


fonction des attentes de mes lecteurs-acheteurs de journaux. La
version "Water closer" pour les ankylosés de la tête et la version

256
romanesque et délirante pour les plus ouverts. Et puis, j’écrirai une
version carrément loufoque pour le Nouveau détective et je leur
posterai. On verra si les informations sont vérifiées ou s’ils ne se
donnent même plus cette peine.

Nous allons faire en sorte que cette petite péripétie urbaine ait une
quelconque utilité pédagogique.

A quoi cela servait il de dire la vérité à des acheteurs de revues


sur les princes et les stars et les revues pour flipés qui aiment avoir
des sensations "odeurs fortes". Les gens aiment bien râler après les
journalistes mais ces derniers leur en donnent pour leur pognon. Ils
veulent du sordide, du glauque, ils en ont !
Les éditeurs de magazines populo-pipolo offrent ce que veulent
les lecteurs. Ils vont dans leur sens ou ils les précèdent en suscitant
une offre adaptée au niveau et ceux qui ont envie de lire des revues
avec des textes et des illustrations non ramenées des égouts peuvent
toujours le faire. Ces revues existent et il est temps que chacun
assume ses responsabilités. Elles n’apparaissent pas forcément au
premier coup d’œil, elles ne sont pas vraiment mises en avant (loi de
l’offre et la demande) mais ne dites pas qu’elles n’existent pas car la
presse écrite n’a pas encore dit son dernier mot et c’est un kiosquier
assermenté qui vous le dit !

La presse quotidienne n’a pas la meilleure place car on voudrait


toujours tout savoir (et je mets dans le "on" puisque je suis un
internaute) avant que le journaliste n’ait eu le temps de vérifier les
infos et d’écrire un papier qui tienne le pavé.

Je le répète, les gens me pressaient de questions et lorsque je


disais ce qui ressemble le plus à la vérité, la conclusion tombait
comme le couperet de la guillotine : "Nous vivons dans un monde
pourri."

Je pouvais être d’accord avec ce triste constat. Personnellement, je


ne vivais pas dans le monde que j’aurais voulu mais je voulais vivre,

257
alors la seule solution que j’avais était de me joindre à celles et ceux
qui voulaient changer le monde. Cela excluait les partisans du repli
frileux, les colportes les fascistes et les cafardeux.

Il s’endort au volant et percute une carrossière carrossoise


catcheuse amatrice.

Les gens me décevaient. Lorsque je leur disais que j’avais eu un


accident de voiture, les gens ne me disaient pas "Mon Dieu, quelle
tête vous avez ! Ne montez jamais plus dans une voiture ! Vous
vendez des journaux et vous ignorez les statistiques en matière de
risques de blessures physiques dans une boite à quatre roues ?" mais
"oh mon pauvre ! Mais n’aviez vous pas écrit que vous n’aviez plus
voiture ? C’était avec une voiture électrique ? Ah bon une chute de
cheval, de dirigeable lors d’une tentative de pulvérisation de record
mondial, un accident d’hélicoptère lors d’une tentative d’évasion ?
Que dites-vous, vous avez une seconde activité de masseur pour
fauves en captivité ?

Toutes les versions valaient mieux que la triste banalité car le


triste quotidien rendait les gens sinistres et peureux : "Quel monde
pourri ! On ne peut plus sortir le soir ! Il faudrait un premier
ministre qui tire la gueule pour faire fuir les voyous."

J’ai parlé d’un accident de voiture puis me rappelant que j’étais


écolo, d’un accident de vélo, puis d’un accident de vélo à haute
vitesse. A Marie Thé, j’ai raconté que j’en avais eu marre du kiosque
et que j’avais posé deux sacoches sur mon vélo et que j’avais décidé
faire le tour du monde. Malheureusement, j’avais chuté dès la
première descente en roue libre et un tendeur m’a explosé à la
gueule. A un autre, un police man en civil, j’ai raconté que je m’étais
retrouvé en vélo sur la voie rapide mais pris en tenaille par deux
bolides qui m’ont accroché avec le rétro car elles se tapaient la
bourre pour figurer en bonne place d’un comparatif sur la voiture la

258
plus polluante et bruyante dans le mensuel Échappement. J’ai ajouté
quelques détails qui étaient assez drôles sur le moment mais qui ne
rendent rien par écrit.

A d’autres j’ai dit que j’avais été agressé. Tantôt il s’agissait d’un
vol de bijoux, tantôt il s’agissait d’un règlement de comptes entre
opposants politiques, tantôt d’une tentative pour séparer une querelle
d’amoureux, tantôt j’avais eu affaire à un mari jaloux. Parfois, c’est
la version de la mamie furieuse en apprenant que je n’avais plus de
France Dimanche et qui m’avait massacré à coup d’ombrelle ou qui
venait de réaliser tout le mal que je pensais de ce genre de journaux
pour demeurés, qui m’est venue à l’esprit. Il y a eu aussi la version
jardinage : Je laisse trainer un râteau par terre, la suite vous la
connaissez. Je suis groggy alors de m’être mangé le manche du
râteau, je vais me reposer un peu à l’ombre d’un pommier (ou d’un
poirier) mais là patatras, une rafale de vents et me voilà couvert de
pommes. Je n’ai pas osé dire que j’avais ensuite été changé une tuile
sur mon toit. Il me fallait trouver une version plausible pour des
journalistes de métier, avec donc des éléments vérifiables.

Il y a eu le lendemain autant de versions : j’avais rencontré un


chirurgien esthétique pour me gommer les pattes d’oie mais nous ne
nous étions pas entendus sur le prix et nous étions battus. Il avait eu
le dessus par sa force mais je l’avais eu question connaissances
juridiques et contrat d’assurances, et il allait me refaire la complète à
l’as. La victoire de l’esprit sur le corps.

Dans la nuit du passage à l’horaire d’été, à 1 h 40, Monsieur


Picrate a été conduit aux urgences de St Roch par un taxi minibus
rouge ou blanc, il ne sait plus. Rue St Siagre ou Pertinax, il ne sait
plus. Il a été attaqué par une personne qu’ il a vu triple, ou par par
trois elfes, par des étoiles filantes, par des phares de voiture, il ne
sait plus…

M Picrate est incapable de savoir à quoi ressemblait son ou ses


agresseurs ni même s’il a répliqué ni même à qui appartenait le sac

259
à dos bleu dont il était en possession le lendemain. Auguste a eu un
knock-out, un trou noir, un vide spatio-temporel. Il s’est trouvé dans
le même état d’esprit que lors de sa dernière agression, il y a une
vingtaine d’année d’années qu’il a raconté dans Elucubrations
vinassées, un des chapitres de MYSTERIUM CONJONCTIVITE.

Vous voyez le topo. je n’ai pas porté plainte parce que j’aurais
produit un faux témoignage car ma perception de la réalité n’était pas
celle d’un homme mesuré et sobre. Dans mon état d’exaltation, je
confondais les phares des voitures avec les étoiles filantes et
nounours avec mister Hyde.

J’ai même cru que j’étais au paradis des écrivains lorsque je me


suis réveillé.
J’entendais assez de rumeurs comme cela toute la journée. Ce
secteur du quartier n’intéressaient pas électoralement la ville de Nice,
donc pas de caméra de big Brother. En portant plainte, j’aurais eu
droit à un entrefilet dans Nice matin, mais de quelle manière allait-on
relater les faits ? Allait-on utiliser nom de kiosquier ou mon nom
d’écrivain car ce qui m’était arrivé était arrivé à l’écrivain mais mon
identité d’auteur était totalement fictive. Allait-on se contenter des
initiales A.P ou S.P ? Comme je ne m’appelais pas Mamadou ou
Mohamed, je n’intéressais pas les journaleux spécialistes de la
rubrique des faits divers en liaison permanente avec les fafs locaux.

Je n’étais pas le genre de mec à porter plainte. J’étais dans un


démarche qui consistait à assumer ses responsabilités. J’aurais pu
aussi protester contre la manière dont j’avais été traité par une partie
du personnel soignant mais je savais qu’ils en avaient leurs claques
de se faire emmerder par des poivrots et qu’ils faisaient ce qu’ils
pouvaient avec les moyens qui leur restaient.

260
Une histoire à peine croyable

Rosalie, Linda et les "suggar dadies"

J’avais toujours besoin d’argent frais et ma tentative de braquage à


la banque postale avait foiré comme un pet discret.
Je n’avais même plus le temps de me laisser abattre.

Il fallait que je sache si j’étais capable de devenir un homme


d’actions en dehors de mon siège. Un homme d’ombres qui opère en
pleine lumière car il n’a honte de rien.

Ce qui m’avait motivé, c’était une altercation avec un pingre qui


voulait, en journal suspendu, un journal de courses. Nous avions eu
alors un échange assez vif car je savais que j’avais clairement affaire
à un de ces assistés que je ne supporte pas. Un de ces mecs qui
profitent à fond du temps présent mais qui s’en branle de la
révolution. La seule chose à faire : revoir les règles d’usage du
journal suspendu (règlement, cela fait gendarme). J’ai précisé sur
l’affiche que le journal suspendu était offert à des personnes "fauchés
" mais pas à des pingres, pas à des "rachous". Le mec s’est vexé et il
a fallu rester calmos en prenant un bombon mentos.

Il fallait que je reprenne l’entrainement de danse classique. Après


avoir bu deux bières sans alcool Clausthaler, pas ma préférée mais
assez plaisante, j’entrais en tenue et me rendis direct sur le ring et je
criai à la bravade : "Que l’on m’envoie deux ou trois gaillards, et pas
des débutants, que l’écrivain leur donne une bonne leçon de vie."

261
Nous n’étions plus dans les années 70 et dans cette salle, les
jeunes avaient l’air speed.
Très rapidement, l’entraîneur décida de faire cesser le randori.
Je pus aborder la leçon inaugurale, sur l’humilité.

Avoir confiance ne signifie pas faire n’importe quoi. Il fallait ne


provoquer que les gens d’esprit, les gens de lettres. Par contre, se
prendre un gnon pour avoir osé dire ce que l’on avait envie de dire
ou pour dissiper les malentendus inévitables dans toutes situations de
communication n’était jamais honteux.

Quand on boit, refaire le monde devient une tâche bien


compliquée. D’une part, on répète au moins trois fois les mêmes
histoires, or il n’ y a plus de temps à perdre, et d’autre part, on
n’écoute pas ce que les autres disent et donc on ne sait plus comment
on doit faire pour les vieilles habitudes cessent. Je sais que j’écris
mieux avec de la bière sans alcool, je sais que je vis mieux. Le
procédé qui consiste à picoler pour se calmer, pour relâcher la
pression, est similaire à celui qui consiste à s’avachir dans un canapé
devant sa télé pour se vidanger les soucis.

On a passé une journée à s’agiter, à faire du vent alors on se dit


que l’on peut se détendre et puis comme cela, le lendemain on arrive
encore à cran et on recommence une énième journée de con. On ne
peut plus agir au fond, on ne peut pas remettre ainsi en question ce
qui nous fait subir toute une vie d’abruti, on peut seulement s’amuser
de temps en temps pour supporter les autres journées mais ce n’est
pas la vie dont je rêve.

Le gang du café corsé

J’ai commencé à fréquenter les cafés mal famés, peuplés de vrais


chômeurs fumeurs turfistes aguerris, tatoués avec des motos qui

262
pétaradent en faisant du vroum vroum viril. Ma voix ne portait pas,
je devais faire un stage pour asseoir mon autorité naturelle. Je
cherchais ma voie : Souple mais tenace, Placide mais révolté.
Jamais apaisé.

Plutôt que de suivre sur internet des cours de sagesse orientale, je


décidai d’opter pour le théâtre vivant. Celui qui a suffisamment de
charisme n’a ni besoin d’élever le ton, ni de s’agiter sur son siège. Il
n’a même plus besoin de faire des bras de fer ou de se mesurer aux
poings, il parle et on l’écoute, et c’est tout point barre !

Encombré par ma timidité, j’avais trop peu d’occasion d’ouvrir


ma gueule à bon escient et au bon moment, j’étais du genre à bouillir
à l’intérieur. Je ne voulais ni gêner ni être un trouble-fêtes, alors je
me taisais et je distribuais les bons points, dans mon for intérieur. Ce
n’était plus tenable ! Je devais reprendre les cours écrits de Jenny sur
l’art de dire les choses sans les dire, tout en les disant.
Je dois aussi ne plus hésiter à exploiter l’héritage transmis par
mon père en reprenant à mon compte "Les cahiers de méthodes de
pédagogie active" qu’il a écrit dans sa jeunesse pendant sa carrière de
boxeur. Il fallait que j’ai plus de culot !

Il était temps que je dise au revoir à mon père et que je tourne les
talons. Je n’allais jamais pouvoir comprendre ce qui lui était passé
par la tête lorsqu’il s’était trompé dans son équipement d’alpiniste,
lui qui était si méthodique. Je devais suivre ma route, sans lui, et tant
pis pour les explications que je n’avais pas su demander à temps. Je
devrais me dépatouiller avec. La seule chose que j’avais plus ou
moins capté, mais bien trop tard, c’est qu’il est très difficile d’être
cru même par les gens qui vous aiment ou qui disent vous aimer
quand vous vous débarrassez de votre armure pour essayer de
dépoiler votre âme. Personne ne veut vous suivre.

Le récit du Nouveau détective :

263
Kiosquier assermenté, à Nice Nord, dans un quartier mixte où
toutes sortes de gens se croisent. Je suis attaché à mon quartier et à
mon kiosque.

Depuis quelques temps, j’avais observé que gens bizarres


rodaient autour du kiosque. Je ne sens pas en insécurité car la Ville
De Nice fait bien les choses et aime le faire savoir. Il y a des caméras
et des patrouilles de policiers à vélo , à chevaux et trotinettes à piles
à combustibles régulièrement.
Je n’ai rien dit à personne car je ne pense pas représenter une
cible de choix pour d’éventuels braqueurs.

Riri, le boulanger du bas du boulevard Gorbella - qui a


récemment fermé brutalement pour des raisons qui j’ignore mais qui
sont assez étranges pour le moins (menaces sur sa vie, chantages,
procès au tribunal de commerce etc…) - m’avait mis en garde. Il
pensait que la délinquance allait se recentrer sur des modes
opératoires plus simples et moins risqués que ceux utilisés pour
piller des bijouteries à Nice.

Pourtant kiosquier, çà eut payé mais çà ne paye plus!


J’avais donc suivi ces conseils en achetant un pack auto-défense
sur un site internet en achetant un DVD sur les atémis.

Passionné d’astronomie, samedi dernier, vers minuit, je sortais


d’un club de lecture de poésie. J’avais ma lunette d’observation sur
moi. Je marchais pour aller récupérer mon vélo car je voulais
observer la lune. C’est une lunette offerte par mon père, récemment
disparu et j’y tenais beaucoup.
Je voulais observer une des lunes car il faut savoir qu’il en existe
plusieurs selon l’angle de vision. J’aime aussi les étoiles.
Pour voir les étoiles filantes, je m’installe dans un pré où toute
forme d’éclairage artificiel est bannie. Il y fait très froid et
j’emporte toujours dans mes sacoches des boissons chauffantes
énergétiques à base de houblon.
En rentrant en guise d’étoiles, ce sont des phares de fourgonnette

264
que j’ai vu de très près. Ils ont fait exprès, j’en ai la preuve ! Il s’agit
d’un faux accident, on a voulu m’intimider !
Je monte une roue avant voilée afin de rouler droit lorsque je suis
chargé et donc je suis certain de ce que j’avance : ce sont eux, ceux
qui étaient dans la voiture qui m’ont foncé dessus ! Au début, j’ai
cru que c’étaient des étoiles filantes et j’ai même ralenti pour sortir
mon appareil photo de la sacoche arrière droite mais j’ai vu
rapidement qu’il s’agissait de phares de voiture. Une fourgonnette
me fonçait droit dessus et comme j’ai étudié la physique je savais
que l’impact serait plus fort si je ralentissais alors je me suis mis à
pédaler plus fort.

Le choc n’a pas été trop violent car j’ai roulé sur le capot. Je
m’en suis sorti avec juste un bleu au genou droit.

Personne n’a voulu me croire ! Les policiers ont ri ! Nice Matin a


envoyé une stagiaire m’interviewer mais l’article n’est jamais sorti.

Et pourtant, juridiquement, pénalement, j’aurais pu porter plainte


si je n’avais pas eu peur des représailles : Séquestration - tortures -
tabassage, intimidation, extorsion de fonds (mon portable et ma
lunette) et ce sont eux qui m’ont fait chuter ! Je ne peux pas dire
qu’il y a eu délit de fuite, puisque je suis parti avec ceux, enfin
contre mon gré évidemment.

J’ai refusé d’entrer dans leur camionnette car cela sentait trop le
poisson or je suis nouvellement végétarien. J’ai tellement insisté et
résisté qu’ils m’ont ligoté et attaché sur le porte-vitres latéral, posé
sur mon vélo avec de solides sangles (j’ en ai encore gardé les
traces aux poignets. Impossible de filer à l’anglaise ainsi !) Je
n’entendais pas ce qu’ils disaient mais je les entendais rigoler fort à
l’intérieur de leur cabine.

Ils sont allés de plus en plus vite et j’ai commencé à avoir très
peur. J’ai crié mais il n’y avait personne. Tout d’un coup, le tendeur
qui tenait des bâches enroulées sur la galerie, a lâché et m’a claqué

265
sur l’arcade sourcilière. Fort heureusement, je dois être cocu car je
n’ai pas perdu l’œil droit.

Une fois arrivé, ils m’ont bandé les yeux et donné des coups de
bâton dans le dos et sur la tête pour me faire taire. Nous avons
marché pendant des centaines de mètres sur un chemin caillouteux
d’une largeur d’1.20 m maxi (car je marchais en zigzag et je me
cognais contre les clôtures). Nous sommes arrivés dans un cabanon,
une sorte d’abris de berger mais en pierre. Il y avait trois autres
personnes et la pièce était chauffée par un poêle à buches. Ils
parlaient et rigolaient fort. Certains avaient un accent du nord. Ils
avaient tous le crane dégarni et lisse mais ils n’étaient pas habillés
comme des skins mais comme des montagnards (je m’y connais en
mode vestimentaire, c’est ma passion).

Ils m’ont proposé de me réchauffer avec une soupe mais j’ai


refusé. Je leur ai dit que je voulais juste rentrer chez moi. Ils m’ont
fait asseoir et m’ont demandé si j’avais compris à qui j’avais affaire.
Ils ont commencé à me poser des questions sur le boulanger,
m’ont demandé si je savais où il était, ce qu’il devenait et plein plein
de questions..
Je ne savais rien, rien de rien et ils m’ont forcé à écouter The
voice. Ils m’ont affamé, m’ont ligoté et m’ont forcé à écouter de la
variété anglo saxonne. J’ai toujours maintenu que je ne savais pas
que le boulanger se trouvait dans la forêt primaire guyanaise. Ils
m’ont forcé à lire les magazines sur la Royauté. Ensuite ils m’ont fait
lire les Closer et consorts et ils m’ont dit que si je coopérais pas, ils
m’abonneraient à votre journal typique de la presse à merde.
Je leur ai dit que je devais partir car mon chat avait besoin de son
médicament et ils m’ont encore bousculé et ils continuaient de se
foutre de moi. Ils m’ont demandé pourquoi j’avais revu la plus jolie
vendeuse de la boulangerie. Je l’avais croisée par hasard, à Soca
tram. Comme je refusais de répondre, ils m’ont forcé à jouer avec
une console de jeux. je détestais les jeux vidéo, ils étaient bien
renseignés. Ils m’ont montré des photos où l’on me voyait discuter
avec la vendeuse et lui faire une bise dans le cou. Ils m’ont dit qu’ils

266
ne lâcheraient pas, qu’ils avaient tout leur temps et qu’ils me
forceraient à aimer ce que je n’aimais pas. En quelques semaines, je
deviendrais dépendant à des tas de produits. Ma vie se limiterait à
mes actes de consommateur. Je ne voulais pas mais ils finiraient par
m’avoir.

J’ai commencé à vraiment m’énerver, moi qui suis d’un calme


olympien, et je me suis souvenu que je connaissais quelques tours
d’illusion alors je me suis évaporé en les hypnotisant et je suis arrivé
en soucoupe volante aux urgences de St Roch, à une heure quarante
environ.

Les hôtesses de cet Hôpital public m’ont soigné et j’ai dormi plus
de quinze heures d’affilée.
Personne ne veut me croire !

267
Dee Dee Diésélos version Rastacoolos

Ils ont des chats poreux, vive les bretonnes !


– Pierre Desproges

Mon « papa » à moi, je ne dis pas mon maître, parce que ce type
ne maîtrise rien du tout à ce qui lui arrive, il se contente
d’improviser, et n’est pas maître de quoi que ce soit, donc mon
« papounet » est furax après moi. Il trouve que mon côté
« nonchalant, blessé de la vie, je fais attention à ne pas défriser ma
permanente, je change trois fois par jour de pelage parce que je
transpire beaucoup, et je vais faire mes griffes chez l’esthéticienne »,
nuit à ma crédibilité de donneur de leçons.

Il me dit, c’est bien d’être cool, c’est normal que tu joues, tu n’as
que cinq ans après tout, mais ne me prends pas pour un con en
faisant le chat torturé qui a besoin de faire la fête tous les jours pour
aller bien. Que tu préfères le jazz au rock brut est une chose que je
peux comprendre, mais ne fais pas le bobo, le chat gâté, pas avec
moi !
Je ne te rendrais pas service en te donnant l’illusion que tu pourras
jouer toute ta vie et que tu pourras compter sur moi pour les
croquettes. D’ailleurs si tu étais vraiment un chat anarchiste, tu ne te
contenterais pas d’en avoir le « total look rebelle et classe popu » tu
te tatouerais - car c’est une évidence, seuls les vrais chats qui ont de
la personnalité se tatouent - tu te tatouerais « Ni Dieu, ni nid

268
douillet, ni maître, ni croquettes ! »

Je ne peux pas te reprocher d’être né dans une période où les


apparences priment sur le reste car un mec bien sapé même aviné,
passera toujours avant un poète abîmé mal peigné.

Ainsi va la vie, ainsi s’en va le monde.

On ne peut pas lutter contre cela, nous devons séduire. Même le


clodo doit séduire s’il veut avoir de quoi se payer un nouveau jeu
vidéo ou un téléphone à 300 euros…

Le père de mon papa, s’est battu pour cela, dans le vide, contre les
vents dominants, pendant toute sa vie. Il s’en foutait de ce que les
gens pensaient et il était assez exubérant tout en sachant que les gens
riaient sous cape quand il le croisait. Par contre, ce qui l’ a affecté,
c’est de savoir que personne ne voulait le croire lorsqu’il disait qu’il
souffrait le martyr. Les médecins, son fils, tout le monde lui disait
que c’était dans la tête que çà se passait. Il alertait, il disait qu’il avait
mal au bide, que ce n’était pas du cinéma, qu’il avait des vertiges et
qu’il avait toujours peur de tomber, mais personne ne voulait le
prendre au sérieux. Il racontait tellement d’inventions que même
lorsqu’il disait vrai, les gens ne le croyaient pas. On disait, qu’il
buvait, qu’il était trop comédien et pourtant c’est bien en glissant
qu’il a dévissé !

Ah bon tu veux parler à présent, car ce n’est pas parce que tu es


un chat que tu n’aurais pas le droit à t’exprimer. Tu remarqueras, je
n’ai pas dit « à la parole » car je ne fais pas partie de ces crétins
anthropomorphes…

Que dis tu ? A gabba gabba yeah ? Oui, c’est une position


courageuse, une très important que tu soutiens là. Oui appelles cela
"concept" si tu veux, c’est encore mieux ! Ça colmate le vide, les
belles phrases…

269
Tu me dis que nous ne sommes plus dans les années 70 et que
nous, les jeunes vieux, on s’est fait bien mettre. Que puis-je
t’opposer ? Tu as raison. Dans les années 70, on se battait pour des
idées, on était politisés, plus politisés que polis, si tu vois ce que je
veux dire, et toi on t’a policé, on t’a chérit, on t’a offert tout ce qu’un
jeune blanc-bec de l’occident pouvait rêver. On t’a laissé nous faire
tes petits crachats d’amour, on t’a équipé de tous les moyens
techniques pour communiquer et jouer à « l’autiste » qui aura
toujours de quoi de quoi manger à table. Si tous les chats de ton age
du monde entier pompaient en énergie ce que tu nous coûtes, il nous
en faudrait des centrales en plus, mais de cela, tu ne te rends même
pas compte !

Tu ne fais pas ton tri, t’es bien trop classe pour te préoccuper de
ce genre de basses besognes car être cool, c’est un emploi à plein
temps après tout !

Et pourtant je te te plains car la belle vie que tu as, tu ne l’auras


pas demain, ne te fais aucune illusion ! Ceux qui ont raté les années
70, ceux qui entendent parler de la crise depuis qu’ils sont nés, ceux
qui ont entendu parler du tiers monde lorsqu’ils étaient petits en ont
vraiment ras le bol et vont jouer prochainement le grand baroud
d’honneur, et soit, cela finira en boucherie, soit le commerce de mon
papa sera une bonne idée car les gens vont se remettre à lire. A lire, à
rêver, à parler. Pas à rire comme des demeurés. Et les gens vont
apprendre à être heureux ensemble !

Pour toi c’est différent, on a mis un grand écran devant le monde


réel pour épargner tes jolis yeux.
On t’a choyé, on t’a donné à croire que tout allait bien, que tu
pouvais jouer en paix, que rien ne t’arriverait dans le cocon familial.
Demain, si tu ne te bouges pas, si tu comptes trop sur les « Juliette »
pour te tirer d’affaire, ton monde de divertissement sera un monde de
carcasses de bagnoles et de barils de pétrole, tu porteras un masque à
oxygène et les poissons flotteront sur l’eau, morts et toi tu n’es pas
même pas fichu de frotter deux silex avec tes mains manucurées.

270
Mon pauvre ami, je te plains !

Je sais ce tu penses : Pour qui se prend t’il celui là à me donner


des leçons ?

J’ai vu ces albums photos de famille. Lui aussi, se souciait de son


look. Chevelu coolos, chevelu hardos, rasta blanc-bec avec son
débardeur vert-jaune-rouge Freedom. Monsieur "Je n’aime pas les
jeunes glandeurs" allait, écouteurs de walkman vissés sur les oreilles,
bosser à la blanchisserie industrielle la Milanaise. Monsieur faisait le
fier. Quand ses collègues essayaient de lui faire comprendre la réalité
du monde du travail, que tout n’était pas un jeu, qu’il ne fallait pas
contrarier les chefs. Monsieur "Je suis étudiant l’année mais l’été, je
suis prolo" rigolait.

Lorsque son beau-père, adjudant dans l’armée de Terre, lui


demandait un coup de mains pour des travaux dans la villa de sa
grand mère, Monsieur trouvait des prétextes pour s’échapper :
Monsieur devait préparer ses partiels, cela tout le long de l’année. En
fait, Monsieur devait réviser ses bandes dessinées et se préparer pour
sortir avec sa bande d’amis pour se pochetronner.

En somme tu me reproches l’insouciance de mon jeune age ?

Je te reproche de rien apporter de neuf, d’aller là où te dises


d’aller les marchands de chimères, les industriels, les partisans de
l’ordre, les publicitaires, bref de faire comme tous ceux qui ne
soucient que de leur look, qui écoutent de la musique de hors la loi
mais qui traversent toujours dans les passages cloutés. Je déplore que
vous soyez devenus la cible marketing idéal. Je regrette que vous
soyez politiquement transparents et que sur le plan des idées vous
soyez si proches du néant car faire le buzz ou avoir le total look ne
sont pas pas des concepts défendables et Nabila la reine
des pommes, n’a pas encore obtenu son agrégation de philosophie,

271
que je sache.

Angoissé à l’intérieur, cool à l’extérieur


Sérieux en dedans, clown farceur

Peut-être que cette légèreté apparente dissimule une peur des


lendemains qui déchantent car le monde de demain sera
effectivement ce que vous déciderez d’en faire et comme vous ne
faites que suivre mais ne décidez de rien, mieux vaut se torcher la
gueule en prévision de la gueule de bois finale ou s’isoler en jouant.
Vous ne triez même pas vos emballages et suremballages, vous
pensez que tout vous est dû et que le monde entier doit être à votre
service, alors pourquoi vous souciez de vos déchets, et pourquoi
vous empêcher de consommer d’acheter des objets que vous jetterez
le jour de votre déménagement ? Pourquoi vous prendre le chou en
vous parlant de Papy Jean qui se torchait le cul avec de vieux
journaux recyclés, pourquoi tordre le coup à vos idées reçues ? Le
jour où le taulier va vous présenter la note, vous n’aurez plus vos
parents pour vous aider et ce ne seront plus des larmes de crocodile
qui couleront de vos prunelles d’adolescents choyés.

Et oui, je sais Dee Dee que tu n’y es en définitive pour rien. Je


t’ai harangué inutilement.
Tu n’es même pas catégorisé par le code civil incapable majeur,
tu es un bien meuble, capable de ressentir mais incapable de faire
valoir des droits. Tu n’as pas droit à la parole. Tu n’es pas admis
partout…

Et pourtant, tu sais t’exprimer à travers des signes et des attitudes.

272
Le coloque avec un seul L

L’incident de caducité de la déclaration d’appel,


fin de non recevoir en exception de procédure

Ce titre, je l’ai trouvé dans la tribune des Alpes maritimes et je


l’ai trouvé joli… La question qui m’anime est à peine plus simple :

L’homme pèse-t’il plus lourd que l’éléphant ?

Section 1 : L’homme animal

Section 2 : L’homme dénaturé

Section 3 : L’homme réduit

Section 4 : L’homme illuminé

Section 1 : L’homme « animal » entre dans l’anthropocène

Quand on observe les animaux sauvages comme mon chat Dee


Dee Diéséloos, Zorro et Moogly, le couple de chats de Causette, on
se rend compte que la parole ne leur manque pas. C‘est encore une

273
invention de notre part. On communique peu par la parole en
définitive. Ce n’est pas la parole qui manque aux animaux, c’est leur
libre consentement et leur droit à l’expression.

Les animaux savent communiquer entre eux. Les animaux


peuvent même apprendre quelques rudiments de la langue des signes,
la langue utilisé par les sourds. Ils ne l’apprennent pas tout seul, c’est
l’homme qui leur montre. Nous qui sommes des êtres supérieurs car
doté de la faculté de concevoir, fabriquer, utiliser des outils, signer
des chèques, conduire des motos, écrire des notes de services et des
lois, avons, un jour, décidé que l’animal serait considéré dans le code
civil comme un bien meuble. Évidemment, il y a des exceptions et,
par exemple, le canis lupus familiaris peut franchir le seuil de notre
porte, sans être mangé, mais pour manger avec nous (Béatrice
Préciado - Amour dans l’anthropocène - Libé Week end 12 avril) )

Les historiens de la Terre disent que désormais nous avons


abandonné l’holocène, pour entrer dans l’anthropocène :
au minimum depuis la révolution industrielle, notre espèce, l’Homo
sapiens, est devenue la principale force de modification de
l’écosystème terrestre. L’anthropocène ne se définit pas uniquement
par notre protagonisme mais surtout par l’extension à la totalité de
la planète des technologies nécropolitiques que notre espèce a
inventé : les pratiques capitalistes et coloniales, la culture du
charbon et du pétrole, la transformation des écosystèmes en
ressources exploitables qui a provoqué une vague d’extinctions
animales et végétales, et le réchauffement planétaire. Comment
sommes-nous arrivés là ? Pour que notre relation avec la planète
Terre se transforme en rapport de souveraineté, de domination et de
mort, il fut impératif d’initier un processus de rupture,
d’externalisation, de désaffection. Erotiser notre relation au pouvoir
et dés-érotiser notre relation à la planète. Nous convaincre que nous
étions dehors, que nous étions autres.

Philomène et moi sommes des enfants de l’anthropocène. Notre


relation demeure marquée par des liens de domination : légalement,

274
j’ai le droit de la soumettre, de l’enfermer, de la faire se reproduire,
de disposer de ses petits, de l’abandonner, de la vendre. Pourtant,
nous nous aimons. Car, comme nous le dit Donna Haraway, le Lupus
canis et l’Homo sapiens se sont construits, mutuellement, tout au
long de ces dernières 9 000 années, comme des «espèces
compagnes». Le chien est l’animal qui franchit le seuil de la maison
de l’homme non pour être mangé, mais pour manger avec nous. Il fut
un temps où nous étions les proies du loup et nous l’avons
transformé, nous nous sommes transformés, avec le prédateur,
en proies-compagnons. Nous sommes devenus humains au fur et à
mesure qu’ils sont devenus chiens. Comment cela a-t-il pu se
produire ? Il s’agit sans doute d’un des processus politiques le plus
extraordinaire et le plus singulier qu’il nous soit donné à
comprendre. Philomène et moi, nous nous aimons dans la brèche
nécropolitique. L’amour canin, dit Haraway, «est une aberration
historique et un héritage nature culture». Peut-être s’agit-il de
l’unique preuve de ce qu’un projet démocratique planétaire est
possible. Que le féminisme, que la décolonisation, que la
réconciliation à laquelle Mandela rêvait… sont possibles.

Nous sommes sans doute supérieurs intellectuellement par rapport


aux autres animaux et c’est cela qui nous permet de les dominer
même lorsqu’ils sont plus forts, car nous savons raconter des
histoires et surtout parce que nous avons inventé l’imprimerie
(Monsieur Johannes Gutemberg que j’ai bien connu).
Je ne sais pas si les animaux racontent des histoires à leurs petits
mais en tous les cas, ils font comme tous les parents, ils transmettent.
Entre eux, ils se transmettent des savoirs et une pie peut ainsi
apprendre une autre pie ouvrir un couvercle de pot de yaourt et
défaire la languette de la vache qui rit.
Notez bien, que la vache rit toujours, y compris sur les figurines et
les livres destinés aux enfants sur les animaux de la ferme, sauf au
moment de la séparation avec son petit veau, pendant toute sa
croissance et jusqu’à son transport qui la mène tout droit l’abattoir.
En général, on fait peu visiter les abattoirs…

275
L’homme a pu transmettre massivement le savoir consigné par les
scribes. Il a eu la puissance technique et a pu domestiquer la nature.
L’homme a toujours eu à lutter contre la nature. Pendant des années,
ce que prélevait l’homme sur la nature et ses déchets ne posaient
aucun problème. C’est lorsque l’homme (l’homme enfin, vous, je
ne sais pas mais moi, oui ) a cru qu’il pourrait un jour avoir la
maîtrise totale sur tous les éléments qu’il s’est fourvoyé. Broyer des
petits poussins vivants dans un souci de rentabilité n’est possible
qu’en niant toute part animale en nous. Les pires bêtes féroces ne
font pas autant de saloperies que nous. Le sanglier de corse va
abimer votre pelouse mais celui qui salope le plus avec ses déchets
inertes, c’est l’homme. Le chat joue avec la souris, la fait souffrir, se
bat mais le chat ne torture pas de manière aussi sophistiquée que
nous en sommes capables.

276
Photo présentant un singe tenu en captivité et maltraité pour des
besoins scientifiques en 1981. et photo représentant les dégâts
provoqués par les plastiques que nous jetons enfin vous je ne sais
pas, mais moi, oui )

Le Code pénal punit suivant l’article 521-1, toute personne


commettant un acte de cruauté ou de maltraitance sur un animal
d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à deux ans
d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 euros.
L’article 521-2 du même code, vise quant à lui les expériences
faites sur les animaux et punit ses auteurs des mêmes peines qu’à
l’article précédent.
Le Code rural punit via les articles R.214-17 à R.214-18,
notamment le fait de ne pas nourrir un animal ou de ne pas lui
prodiguer les soins nécessaires.
source : http://fr.wikipedia.org/wiki

277
/Cruaute_envers_les_animaux

Puisque les kiosques à journaux ferment, cela veut dire que le


savoir régresse, j’espère que vous n’en doutez pas. Lorsque l’on
passe devant mon kiosque voir les affiches, on peut se dire que la
nature a peur du vide, l’homme n’a pas peur de la démesure.

Il n’a pas cru les scientifiques donneurs d’alerte lorsqu’ils ont dit
qu’on ne maîtrisait plus notre développement et alors même que les
premières catastrophes écologiques sont apparues (marée noire,
accident nucléaire etc..) il y en a qui n’ont toujours pas cru.
Nous sommes dans le déni. D’autres ont dit qu’il fallait encore
plus de prouesses technologiques pour arriver à trouver une parade
contre les dérèglements du climat, cela revient au même
raisonnement qui consiste à installer des climatiseurs pour lutter
contre les effets du réchauffement climatique.

L’homme a besoin de lois et de codes pour régir les rapports entre


humains, personnes morales et la manière dont il peut s’approprier
les biens matériels ou immatériels, biens meubles ou immeubles. Les
animaux ne savent pas faire cela et c’est pour cela qu’ils ont besoin
de nous. Si j’ai pris le parti de mettre quatre fois de suite dans mes
entêtes "L’Homme ceci, l’homme cela, c’est pour bien faire
comprendre à mes amis qui parlent de la Nature à tous les repas,
qu’aimer les animaux, c’est noble et généreux, et c’est même
courageux quand on pousse l’amour des animaux jusqu’à aimer
toutes les espèces adorables bouboules de poils ou pas, mais que cela
ne suffira jamais à influer sur le cours des choses.

Si je dis à un paysan "quelle est jolie cette prairie, quelles sont


jolies vos baies de myrtilles", je ne suis pas certain que mon côté
citadin jardinier du dimanche l’enchantera. Ce que je voudrais
exprimer, tout simplement, c’est que je ne veux pas la planète des
singes ou la revanche des cafards, je veux que les hommes
comprennent qu’ils sont allés trop loin dans la démesure et qu’ils

278
aient envie de redécouvrir les techniques agricoles équilibrées
(agroforesterie, bois raméal fragmenté, sylvopastoralisme,
maraichage biologique etc..) ? Nous nous sommes séparés de la
nature, nous exploitons les animaux comme nous ferions avec
n’importe quel sous produit industriel, sans état d’âmes. Nous allons
tous nous retrouver des des fosses communes et des abattoirs sans
fenêtres si nous continuons à nier la réalité du monde "Tricatel" que
les hypermarché ont contribué à organiser.

Section 2 : L’homme dénaturé

"N’est-ce pas traiter indignement la raison de l’homme, et la


mettre en parallèle avec l’instinct des animaux, puisqu’on en ôte la
principale différence, qui consiste en ce que les effets du
raisonnement augmentent sans cesse, au lieu que l’instinct demeure
toujours dans un état égal ?
Exemple du comportement animal ne variant pas : les ruches des
abeilles.
La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse ; mais
cette science si fragile se perd avec les besoins qu’ils en ont : comme
ils la reçoivent sans étude, ils n’ont pas le bonheur de la conserver ;
et toutes les fois qu’elle leur est donnée, elle leur est nouvelle,
puisque, la nature n’ayant pour objet que de maintenir les animaux
dans un état de perfection bornée, elle leur inspire cette science
nécessaire, toujours égale, de peur qu’ils de tombent dans le
dépérissement, et ne permet pas qu’ils y ajoutent, de peur qu’ils ne
passent les limites qu’elle leur a prescrites. Il n’en est pas de même
de l’homme, qui n’est produit que pour l’infinité.
Il est dans l’ignorance dans le premier âge de sa vie ; mais il
s’instruit sans cesse dans son progrès : car il tire avantage non
seulement de sa propre expérience, mais encore de celle de ses
prédécesseurs, parce qu’il garde toujours dans sa mémoire les
connaissances qu’il s’est une fois acquises, et que celles des anciens
lui sont toujours présentes dans les livres qu’ils en ont laissés.

279
Et comme il conserve ces connaissances, il peut aussi les
augmenterfacilement ; de sorte que les hommes sont aujourd’hui eu
quelque sorte dans le même état où se trouvaient ces anciens
philosophes, s’ils pouvaient avoir vieilli jusqu’à présent, en ajoutant
aux connaissances qu’ils avaient celles que leurs études auraient pu
leur acquérir à la faveur de tant de siècles". Blaise Pascal Traité du
vide

L’Homme a conscience qu’il ne peut revenir sur son passé. Il peut


paraitre plus jeune mais il ne peut suspendre le temps. Il est ennemi
de la vieillesse et préfère ne pas parler de la mort. Ce qui est fait, ce
qui est dit, les remords, les regrets, rien ne lui permet de lutter contre
l’emprise du Temps linéaire. Il y a un début, il y a une fin. Il y a un
temps pour agir et un temps où il n’y a plus rien à faire. C’est trop
tard et on a loupé le moment.
La nature s’inscrit dans le temps linéaire mais également dans le
temps cyclique. La Nature se régénère, se renouvelle. La nature nous
encourage à agir tant qu’il est encore temps.

Section 3 : L’homme réduit

L’évangile selon St Auguste

Les décérébrés

En ces temps là, les Hommes se ruaient pour l’ouverture des


soldes.
Parfois, lorsque le magasin d’une grande chaine allait fermer, les
employés devenaient chômeurs, mais certains clients se frottaient les
mains en pensant aux bonnes affaires qu’ils allaient pouvoir faire lors
d’une razzia : Les clients déchainés se piétinaient, s’arrachaient les
cheveux , broyaient la main de celui qui voulaient prendre le dernier
« objet culte » avant liquidation du magasin.
Les gens suivaient la mode, enfin pas tout à fait la mode lancée

280
par les créatifs de tout poil, mais le mouvement, le guide-file installé
par les faiseurs d’opinions et les agitateurs du vide.
La mode évoluait, la mode était cyclique, la mode était parfois
belle. La mode devait tenir compte de la diversité des gens, il fallait
que chacun puisse y trouver son compte. Il y avait donc non pas une
mode, mais des modes…

En ce temps là, les gens croulaient sous les informations alors on


avait allégé le poids des mots en ôtant du contenu, en augmentant le
volume apparent, un peu comme une fraise gorgée d’eau d’un beau
rouge éclatant.
Les acheteurs pouvaient pertinemment savoir que ce qu’ils
achetaient avaient un prix affiché et un coût caché. Souvent les
consommateurs ne se souciaient pas du coût caché. Il ne fallait pas se
prendre la tête trop longtemps. Si on le cachait, c’est qu’il y avait
forcément une bonne raison. On ne pouvait pas se faire plaisir en
s’achetant une jolie veste tout en s’interrogeant sur la manière dont
elle avait été fabriquée, avec quels produits, d’où elle venait.
En vérité, hélas je vous le dis, seuls les gens vraiment
responsables se posaient les questions qui mettaient mal à l’aise les
industriels. Enfin, cela ne les dérangeait jamais bien longtemps. Ils
savaient parler à l’opinion, eux et ils avaient le budget pour faire des
campagnes de surins psychologiques.
La génération de l’après-guerre a connu les privations. C’est en
toute bonne foi que les paysans et les éleveurs ont accepté la
planification agricole des années 60. Peu de personnes remettaient
alors en cause l’idéologie du progrès et le productivisme. Les
quelques personnes à oser émettre des critiques n’ont été
« entendues » qu’une vingtaine d’années après.
Depuis les gens ont eu le temps d’être gavé d’informations
« sacrées », ce que l’on pourrait dénommer "ancres". Il est plus
facile de faire boire un âne qui n’a pas soif que de proposer
gentiment à un badaud de lever une ou deux ancres histoire de voir
un autre paysage. « Le lait apporte du calcium », « le végétarien est
carencé », « l’écologiste est un rétrograde qui veut revenir au temps
des lampes à huile », « le cri de la carotte » et on pourrait en remplir

281
des semi-remorques de ce genre de clichés résistants à toute épreuve.
Les affaires médiatisées de scandales de l’agro-alimentaire, d’experts
payés par les commanditaires d’une étude qui vont à l’encontre de
tout protocole scientifique, ne suffiront pas à rendre plus critique la
plupart des gens qui aiment penser comme il faut.
Il n’y a que l’opiniâtreté des militants associatifs, toute leur
énergie, qui peut faire contre feu et de temps en temps provoquer des
bouleversements.

Tous les efforts des citoyens actifs n’ont pas empêché, au nom du
progrès, les industrieux industriels de réduire les animaux à des
objets, des biens de fabrication, de la matière première à manipuler
sans perdre de temps avec des sentiments encombrants. Pour manger
de la viande bon marché en telle quantité, personne ne peut imaginer
que les bêtes soient traitées "humainement". Les éleveurs d’antan
n’avaient peut être les égards qu’auraient aujourd’hui - en théorie -
les écologistes de salon avec leur troupeau mais la souffrance
généralisée (pour produire de la viande, du lait, de la laine, de la
fourrure…) est liée au productivisme. Enfin, si, on peut imaginer et
croire, comme nous l’encourage à le faire la publicité, que les
animaux destinés à l’abattoir mènent une vie paisible dans une jolie
prairie verte.
Les bêtes sont réduises à l’état de choses car il serait impossible
autrement de produire autant de viande et sous-produits. Nous
sommes complices d’un système de production pervers pas par
choix, mais par nécessité, au nom du rendement.
Il est moins coûteux de dépenser de l’argent pour donner une
bonne image de l’élevage industriel que d’améliorer la condition
animale. C’est tout simplement impossible à grande échelle et c’est
pour cela que le statut juridique de l’animal n’est pas près d’évoluer
si les gens continuent à vouloir bouffer de la viande à tous les repas.

Section 4 : L’homme illuminé

C’est le paradoxe de notre temps c’est de l’argent. A l’époque où

282
le silence était d’or et où les pensées de Navéla n’auraient intéressées
vraiment que quelques tordus, les philosophes rois sont en prison et
celui qui dénonce la folie ordinaire passe pour un illuminé ou un
poivrot. René Dumont et son verre d’eau en 1974 était un fou.
Michel Serres et son contrat naturel était un fou. Les végétariens sont
quant à eux des sectaires car ils dénoncent la souffrance endurée par
les animaux. Nous affamons des villages entiers pour nourrir les
animaux qui finissent dans nos assiettes. Nous avons transformé
alimentation des ruminants et nous sommes donc fous !

Celui dénonce la folie passe pour un fou.

283
Coloser

COLOSER :
Les handicapés nous font chier

Coloser est la contraction de « Coloque universitaire » avec un


seul L, et de la revue qui touche des aides de l’Etat alors qu’elle
contribue à la déculturation.

J’ai placé un nouvel hebdo"culturel" parmi les hebdos écrits par


des journaleux qui aiment regarder sous les jupes et par le trou de la
serrure. Il coûte le double de la revue à niaiseries standard mais
comporte des articles de fond écrits par des écrivains et des
intellectuels, de prestigieuses signatures, qui savent encore prendre le
temps de réfléchir.

J’étais fier de vendre cet antidote aux "perturbateurs


démocratiques". Un journal sans publicité avait sa place chez un
kiosquier.

Les personnes à part entière que l’on s’obstinait à considérer


comme entièrement à part était un sujet qui m’intéressait. Je m’ étais
frotté « aux joyeuses colonies de vacances, merci la CAF », étant
plus jeune et les trois séjours « Loisirs Handicap » auxquels j’avais
eu la chance de participer m’avait procuré énormément de
satisfactions. Les personnes handicapées avaient envie de vivre

284
pleinement et voyaient les choses avec entrain et positivement.
Elles étaient toujours partie prenante, positives (pas positives au
sens où une grande enseigne de la distribution l’entend, je vous
rassure). Elles participaient, s’impliquaient, donnaient tout ce qu’elle
pouvaient. J’ai détesté être animateur auprès de gosses de riches et
d’ado des cités, mais avec les personnes handicapées physiques ou
mentales, j’ai aimé mon travail.

Les questions sur la place que l’on laisse aux personnes


handicapées sont assez révélatrices de l’état de santé de nos
institutions. Nice, qui est la 5 éme ville de france, était - bien avant
l’an 14 zéro moins un et j’en retiens deux - selon un article de Nice
Matin du 12 avril 2014 que j’ai trouvé dans mes archives, classé 48
ème quant à sa manière d’intégrer à la politique urbaine le handicap
selon le classement de l’APF.

Les personnes handicapées dérangent parce qu’elles ne sont pas


comme les autres. Il y a ceux qui ont un drôle de regard, ceux que
l’on ne comprend pas trop ce qu’ils racontent, ceux qui ne voient
rien, ceux qui tremblent, ceux qui n’ont plus de jambes, ceux qui ne
comprennent pas ce que vous racontez et je ne parle pas que des
lecteurs de Closer.

Des aménagements sont prévus, organisés, imposés par la loi mais


que voulez- vous, c’est la crise ! Lorsque c’est la crise, il n’y a plus
de sous pour les handicapées et pour la santé en général, et on
relègue l’écologie aux rayon des promesses électorales. On change
de priorités. Il y a des sous pour moderniser les ascenseurs mais pas
pour faire des rampes d’accès …

Ces personnes en ont vraiment à nous apprendre !

285
Tous à biclowns !

Nous voudrions de même que le journal fût en communion


constante avec tout le mouvement ouvrier, syndical et coopératif.
Certes, ici encore, il y a bien des divergences de méthode. Et ceux
qui tentent de détourner de l’action politique le prolétariat organisé,
commettent, à notre sens, une erreur funeste. Mais que serait et que
vaudrait cette action politique sans une forte organisation
économique de la classe ouvrière, sans une vive action continue du
prolétariat lui-même ? Voilà pourquoi, sans nous arrêter aux
diversités et aux contrariétés de tactiques et de formules, nous serons
heureux d’accueillir ici toutes les communications où se manifestera
la vie ouvrière ; et nous seconderons de notre mieux tous les efforts
de groupement syndical et coopératif du prolétariat. Ainsi la largeur
même et le mouvement de la vie nous mettrons en garde contre toute
tentation sectaire et tout esprit de coterie.
C’est par des informations étendues et exactes que nous
voudrions donner à toutes les intelligences libres le moyen de
comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde.

L’Humanité", 18 avril 1904.


Jean Jaurès. Notre but

Eve est passée ce matin, à vélo. Eve c’est ma conseillère politique.


Elle fait de très bonnes analyses et elle sait synthétiser. Elle a
l’habitude de scander les slogans lors des manifs et donc, alors que
je suis légèrement sourdingue, j’ai entendu ce qu’elle m’a dit en
passant de l’autre coté du boulevard en vélo : « Je passe te prendre

286
mon « manière de voir « demain matin sans faute »

Elle me parlait du hors série du monde diplomatique, un hors-série


qu’elle m’avait commandé il y a trois semaines mais que pendant
deux semaines j’avais oublié de commander car ces derniers temps je
laisse ma tête de kiosquier, en fermant mes portes, pour ne garder
que ma tête d’écrivain.

Je vais vous donner ma manière de voir en tant que commerçant.


Je prends ma fonction comme une mission de service commun. Je
me dois de traiter équitablement tous mes clients, quelles que soient
leurs opinions, quelque soit leur origine, qu’ils soient intéressants ou
insipides. Qu’il m’achète un journal à 40 centimes ou un hors-série à
8 €, mon client a droit au respect, à mes égards et parfois il a même
droit à la lueur dans le regard de l’écrivain mondialement connu dans
le quartier.

Évidemment, je ne vais accorder le même intérêt à une personne


avare qui me parle de ses varices qu’à un prolo qui me parle de son
boulot, qu’à un artiste qui me parle avec malice…

Je rends la monnaie de la pièce à celui qui me prend de haut, qui


me parle comme si j’étais son majordome. Je suis toujours à cheval
sur les limites à ne pas franchir quant au respect dû à chaque
personne, quelle soit jeune ou âgée, belle ou laide, en pleine forme
ou malade.
Parfois, on tombe de cheval mais il ne faut pas faiblir, il faut
remonter en selle.

Je suis désolé mais il arrive des moments où je n’ai plus envie de


raconter des fables à mes lecteurs. Je pense que nous sommes mus
par la recherche de nos propres intérêts, par l’instinct de
conservation, par le besoin de sécurité ou de stabilité, que nous
sommes naturellement agressifs et dominants. Je pense que la vie
n’est pas un bol de toloman mais une lutte permanente. Une lutte
avec les autres pour ne pas se faire bouffer ou humilier mais surtout

287
une lutte avec soi-même. Je ne vais vous parler de pulsions ni de
zones d’ombre, chacun peut savoir là où il a failli. Je ne vais ni
tendre la joue, ni vous tendre le miroir.
Je ne crois pas que ce soit notre part animale qui pose problème
mais bien au contraire, nous gagnerions à être plus naturels, plus
spontanés. Je ne dis pas que l’on passe notre vie à faire semblant car
on peut être authentique et sans armure avec ses vrais amis et ses
maitresses (de l’école de la vie). C’est parce que nous sommes
parfois subtils mais souvent ambigus que nous en restons à des
convenances et à des attaques ritualisées. Nous perdons beaucoup de
temps en boniments, en circonvolutions, en formules interminables et
vides de sens. Aller à l’essentiel, droit au but ne signifie pas manquer
de savoir-vivre.

Je suis parfois un peu brutal, un peu trop pressé de gratter le


vernis protecteur, et j’y vais parfois au papier de verre à gros grains,
celui qui raye. On a pas toujours le temps de choyer ses meubles en
cours de fabrication en prenant le temps de respecter toutes les étapes
de finition. Le temps manque pour faire les choses avec élégance. A
part courir après je ne sais quelle chimère, que faisons-nous ? C’est
le rapport au temps qui nous plante. On se trompe d’échelle du
temps, on veut parer au plus pressé et l’on passe à côté de l’essentiel.
Depuis que Nice Morning a arrêté de me livrer, j’ouvre le kiosque
plus tard et je prends, de nouveau, le temps de flâner. Je regarde les
oiseaux en ville et si mon tram arrive, je ne cours pas après, je prends
le suivant.

La vie de kiosquier est rude mais formatrice. Dans votre kiosque,


vous êtes à la fois à l’intérieur et à l’extérieur, protégé et exposé.
Vous devez vous adapter à vos clients, avoir le bon temps, les choyer
sans céder à leurs caprices, les respecter tant qu’ils vous respectent,
les écouter tant qu’ils vous intéressent, les envoyer balader quand ils
vous gonflent.

288
Phase-Neutre

Ricky la Roulotte m’avait flatté en s’adressant à moi comme un


conseiller occulte. En fait, il m’avait tout simplement demandé mon
avis sur son intention de modifier les statuts actuels du Phase-Neutre,
un restaurant-librairie-atelier associatif pour le faire évoluer en une
coopérative. Je ne pouvais qu’approuver car je ne connaissais pas de
meilleur système pour une prise de décisions réellement
collaborative. Des start-up pratiquaient une forme d’intéressement
aux résultats, voire même une démocratie salariale participative, et
s’en sortait bien mieux dans dans la mise en œuvre concrète de la
gestion de la ressource humaine que certaines structures associatives
ronronnantes. Faire partie de la grande famille de l’économie sociale
et solidaire ne garantissait en rien, qu’au delà des intentions
proclamées, les valeurs s’affirmaient dans la gestion quotidienne. La
démocratie concrète et participative ne coulait pas de source.

J’étais en rade quant à mon projet de transformation de mon


commerce d’individualiste en coopérative kiosquière. Je savais que
les valeurs qui sous tendaient mon projet étaient les plus aptes à
rendre ma petite entreprise pérenne en temps de crise. Je savais mais
je n’osais pas. J’avais peur d’effrayer les gens, de faire paniquer mes
clients. Nous étions tellement asservis, soumis à des logiques qui
nous dépassent, que le simple fait de libérer la parole, de dire aux
gens : « que voulez vous devenir ? Que voulez-vous vraiment ?
Qu’êtes-vous prêt à m’acheter sans déroger à la démarche de la
recherche du "moindre impact écologique" pouvait sembler hors de
propos.

289
C’était tout simplement les théories de la transition citoyenne que
je voulais mettre en pratique. D’autres y arrivaient sans se poser
autant de questions au préalable. Ils agissaient. Certes, ce n’était pas
facile et on devait se fritter assez régulièrement aux habitudes et
rancœurs tenaces. Obéir sans réfléchir à des lois immuables était bien
plus simple. Ravaler sa rage en se payant des crises de fou rire au
pub était plus commode et plus à ma portée. Faire appel aux bonnes
volontés, au sens de responsabilités, à l’intelligence collective
demandait une énergie que je n’étais pas certain de posséder, sur la
durée. Cela faisait des mois que j’observais toutes sortes de gens
différents et tantôt les raisons d’espérer me tiraient par les cheveux,
tantôt je me faisais fauché par toutes les réflexions stupides et les
niaiseries que j’entendais.

Je n’osais pas assez. Toujours cette peur de passer pour un fondu,


un illuminé, juste un rigolo. Et pourtant j’en mourrais d’envie et je
savais que je crèverai à petit feu si je me laissais envahir par
l’indifférence et l’insouciance.

L’heure de prendre mes responsabilités arrivait et mon boulot de


kiosquier, tel que je le concevais (pas comme un service public mais
comme un service commun), m’autorisait de tenter l’aventure en ne
traitant pas mes clients comme des vaches à lait, quoique
maigrelettes, mais comme des consommateurs responsables pouvant
s’impliquer dans le fonctionnement du kiosque. On se sentait fort en
fédérant des initiatives locales !

Il ne s’agissait pas de former des bataillons de guérilleros, de


fomenter des complots, il suffisait de dire : "Prenons nous en charge !
Méfions nous des gens qui veulent nous fourguer tout et n’importe
quoi sous prétexte de faire notre bien. Ils en ont surtout après nos
économies et notre avis ne les intéresse que lorsqu’il s’agit de nous
persuader d’acheter leurs babioles."

J’avais dit à la sauveuse de la presse quotidienne, super Nanny

290
Prese, que je l’avais envoyé en prison dans mon histoire et loin de
s’en offusquer elle avait trouvé cela amusant. Elle m’a demandé de
prévoir une cavale en véhicule électrique et j’ai décidé de l’envoyer
en périple avec son complice en utilisant l’ AIRPod de MDI.

Je n’arrivais pas à me consacrer sur la version officielle, la version


rassurante, de mon projet. J’étais animé par l’impérieux besoin
d’écrire et d’écrire sans relâche et l’impérieuse nécessité de rester les
pieds ancrés dans la réalité, en peignant, en grattant des murs, en
faisant des bâti en bois. Le temps de l’insouciance et de la tranquillité
était révolu.

291
En plein dans le mur, boum badaboum !

1/ Scénario "Jusque là, tout va bien!"

Chère maman,

Je t’ai laissé longtemps sans nouvelles car je suis submergé par


l’activité. Mes affaires marchent du feu du Dieu et j’ai ouvert une
« succursale ambulante ».
Je ne te remercierais jamais assez d’y avoir cru et d’y avoir
investi toutes tes économies.

J’ai recruté deux vendeurs de Nice martin pêcheur qui sont


venus me prêter main forte samedi en vendant le journal à quelques
mètres du kiosque. Ils se sont bien débrouillés. Je les paye au forfait,
cinq heures et comme ils me l’ont expliqué "S’il avait fait beau
temps, on en aurait vendu plus."

La prochaine fois, je vais demander à l’agence, en plus de cette


équipe de choc, cette force de vente d’appoint ultra efficace, des
hôtesses jongleuses et danseuses.

Je t’envoie les photos à ton adresse mail car tu m’as dit que tu ne
savais pas ouvrir les pièces jointes via Face book. J’y vais de moins
en moins sur ce réseau intrusif et voleur de temps. De toute façon,

292
j’ai trop à faire.
Les travaux dans mon appartement avancent bien. J’ai implanté
deux prises dans la future chambre et dès que le plombier aura le
temps de passer (il me dit qu’il doit attendre que l’électricien soit
passé et l’électricien me dit qu’il doit attendre que le plombier ait
fini, c’est toujours la même histoire).
Le menuisier antillais qui doit me faire le plancher m’a dit qu’il
suivait un stage de « redynamisation active et de gestion du stress »
et qu’il viendrait dès qu’il pourrait mais pas en avril car il ne
supporte pas la pluie. Il m’a dit qu’il n’irait pas manifester le
premier mai car il était artisan mais qu’il n’aurait pas bosser pour
autant car il voulait gagner mieux qu’un salarié mais en ayant les
mêmes droits au repos.
On va finir par y arriver, c’est ce qui compte !

Je prends quand même le temps d’écrire et de faire de longues


promenades à vélo, tous les dimanches. Après je consacre trois
heures à faire ma comptabilité pour ne pas faillir à ma réputation de
gestionnaire hors pair.
Tu sais qu’il est fondamental de bien tenir ses comptes et de faire
des ratios, des comparaisons. Par exemple, de vérifier combien tu
verses d’argent à tes fournisseurs, et combien il t’en reste au bout du
bout. Comme cela tu sais si cela vaut le coup de te casser la nénette
pour qu’une brochette de salariés puissent partir en congés tandis
que toi, tu ne peux pas fermer sans te faire remplacer. Il a raison ton
ami Jean-Luc de dire qu’il ne faut pas se couper des petits artisans
et besogneux auto-entrepreneurs car ils ne comptent pas leur temps
pour gagner que dalle et ils n’ont aucun intérêt à maintenir un
système aussi disparate. Ils sont même parfois plus révolutionnaires
que certains salariés planqués qui oublient leurs soucis en se
divertissant en regardant des émissions débiles ou en feuilletant les
revues pour dégénérés que je suis obligé de vendre, mais bon, tant
que ça tient, tant que ça marche, je ne vais quand même pas cracher
dans le bouillon !

Dee Dee est très heureux avec ses nouveaux amis. Ils se

293
chamaillent un peu de temps en temps, mais il le fait par jeu, je
suppose.

Robert, le président de notre association de joueurs de flûte


traversière est persuadé que le code civil a été modifié grâce au
colloque qu’il a, avec ses « petites mains », c’est à dire nous les
bénévoles, organisé au conservatoire. Tu dois te souvenir de tout le
tapage médiatique organisé autour de cet événement dont tous les
journaux, à l’exception notoire de Nice Menteur, avaient parlé. En
réalité, d’autres évènements et rencontres entre intellectuels avaient
bien préparé le terrain et je suis convaincu qu’il ne s’agit que d’une
coïncidence mais Bob est tellement gonflé à bloc qu’il serait trop
déçu si on lui disait « qu’il se le raconte trop », comme disent les
jeunes.
Sur le fond, il s’agit d’une retocade qui n’aura qu’une portée
symbolique si nous nous reposons sur nos lauriers. Ce n’est ni plus
ni moins un hasard du calendrier et une mise en conformité avec le
droit européen, mais comme le disait Jenny "On donne la charité à
un clochard et la confiance à celui qui porte bien l’habit." Bob est
quand même influent et il a des contacts bien placés à météo France
car il a réussi à annuler une marche des éléphantes accompagné par
la sonate de Chopin prévue place Masséna en raison du mauvais
temps et des nombreux manifestants venus affronter les éléments
naturels. Ce mec est gonflé mais il parvient à fédérer les bonnes
volontés, on ne peut pas lui enlever cela... Le fait est que comme tu
me l’as dit souvent, il vaux mieux donner envie que faire pitié et les
gens te suivront plus facilement si tu t’inscris dans une démarche de
"gnaque anti blues "plutôt que de "loose des anti bluettes ".
Heureusement que nous avons notre imagination pour pouvoir
supporter la réalité qui s’obstine parfois à paraître sous ses plus
mauvais jours ! Ne te fais pas de soucis, Maman, tant que je peux
encore rêver, ma fêlure me permettra de mener à bien mes projets les
plus hardis.

Je te laisse maman et je te renouvelle mes sincères excuses pour


avoir boudé ton traditionnel gigot d’agneau mais tu sais que j’essaye

294
de trouver un parcours cohérent entre mes préoccupations
philosophiques, de santé, écologiques, et que ces trois raisons me
conduisent à bouder tes plats à base carnée. Cela ne remet pas en
cause tes talents de cuisinière, c’est juste que pour avancer dans la
vie, il faut parfois changer certaines habitudes.

Je t’embrasse fort, maman.

Ton fils préféré

2/ Scénario de l’éternel perdant

Il est dans l’ordre naturel des choses qu’un écrivain, non rémunéré,
se paye de mots.

Stéphane Périé

Monsieur HULOT,

Je ne suis pas en mesure d’honorer la facture de 4000 euros que


vous me présentez quatre mois et demi après l’enterrement de mon
père.
J’ai tenu ce que j’ai pu pour maintenir en vie le kiosque du square
Boyer, un kiosque qui existe depuis des décennies. J’ai lutté mais
l’accumulation de tracasseries administratives et de la peine que
j’avais emmagasiné ont eut raison de ma lucidité. J’ai pété un câble
et je suis parti en sucette.

Je me suis rendu insupportable auprès de ma famille qui m’a


renvoyé face à mes propres responsabilités et, après avoir été

295
hébergé quelques temps par des amies, j’erre actuellement de squat
en squat et j’ai dû placer mon chat en famille d’accueil.

Comme vous le savez l’argent que j’ai touché de son héritage a


été intégralement investi dans ma petite entreprise de Bazar du
square Boyer. J’ai pu acheter du tissu au mètre pour faire
confectionner, par une couturière à la retraite, des sacs en toile. Je
les ai bien vendus mais il m’en reste encore tout un stock. Ensuite
j’ai fait faire des tee shirt en coton biologique « Auguste Picrate »
qui me sont restés sur les bras car personne n’avait envie de porter
un tel blaze. J’ai vendu des ombrelles les jours de pluie et des
parapluies les jours de canicule. J’ai distribué des journaux dont
personne ne voulait. J’ai réédité à compte d’auteur en 100
exemplaires un de mes livres mais mes clients l’ont boudé. Bref, mon
plan d’action a échoué. J’ai commencé à en avoir vraiment ras le
bol de tout cela et mes mauvaises relations avec mes fournisseurs qui
parlent « communication » mais vous prennent de haut alors que
c’est vous qui allez au feu. Rendez vous compte, je gagne mieux ma
vie depuis que je distribue des tracts publicitaires !

J’ai essayé de rebondir et j’ai créée une coopérative de Services


d’écolo-bricologie et de ventes de journaux. Les souscripteurs ont
pris des parts ouvrant droit à une déduction d’impôts, ce qui m’a
soulagé de mes problèmes récurrents de trésorerie. Je leur ai
échangé des bons pour travaux de bricolage et services en tous
genres (à l’exception du sado-masochisme) contre leurs parts
sociales et contre toute attente, ce système a rencontré l’adhésion.

Pour pouvoir tout caser dans la même journée, j’ai commencé à


dormir de moins en moins et à boire plus que les bières que je
m’autorisais. J’ai commencé à gratter des tickets de jeux que j’avais
sous les yeux et je me suis laissé happer par l’appât du gain sans
effort. Je savais que j’allais me planter mais cela a été
compulsionnel.
Je ne me suis plus contenté d’aller au restau de temps en temps le
midi pour prendre un plat du jour, j’y suis allé tous les soirs et j’y ai

296
invité mes amis pour leur faire partager le bonheur d’être ensemble
par temps de crise et de crispations. Pour me renflouer, j’ai joué aux
courses, aiguillé par des turfistes chevronnés. J’ai misé l’exact
montant de mes recettes quotidiennes, soit des sommes oscillant
entre 40 et 320 euros. J’ai gagné et je suis allé m’installer dans une
résidence hôtelière et j’ai acheté une Alfa Roméo. J’ai cessé de
fréquenter mes amis joyeux drilles de la transition écologique pour
ne fréquenter que des bourges qui ne parlaient que de leur cave à vin
et de leurs placement. J’ai voulu faire l’artiste sponsorisé, le gigolo
des mamies branchées qui m’ont offert des montres en or que je me
suis empressé de revendre au plus offrant. J’ai ensuite placé toutes
mes mises sur une seul cheval, en rachetant les murs d’une ancienne
boulangerie à deux pas de mon bazar – kiosque à journaux pour la
transformer en "cave à picrate, librairie, salon de thé". C’est là que
je suis devenu dépendant des éclairs à café et que mes soucis de
santé ont commencé.

Les gens sont venus au début, par curiosité et parce que j’avais
embauché une magnifique vendeuse, Noella. La concurrence de
l’enseigne Monoprout a eu raison de mon flair commercial et en
proposant des produits de moins bonne qualité mais moins chers et
du « faux » bio, c’est à dire du bio importé par avion, du bio de
façade, du « greenwashing ». Je n’ai jamais voulu gagner plus
d’argent en réduisant mes coûts mais au lieu d’en faire un argument
de vente, je ne voulais pas prendre le temps d’en parler, expliquer
que mes produits venaient de circuits courts et de filières contrôlées,
que je ne leur vendais pas de la merde. Ce manque de
reconnaissance de la part de mes clients m’a blessé.

Je suis devenu grincheux avec eux et je suis passé au baba au


rhum. Ils ont commencé à aller voir ailleurs si l’accueil n’était pas
plus chaleureux. Mes deux vendeuses en chef, deux étudiantes en
école du tourisme, rattrapaient le coup mais payés au smic, elles en
ont eu marre de mes frasques et de passer l’éponge après moi. Elles
sont parties et je me suis retrouvé avec des toquardes qui s’en
foutaient de tout.

297
J’ai du rendre les clefs de mon commerce et j’ai fermé le kiosque.
La suite de la dégringolade, vous l’avez lu dans les journaux que je
ne vends plus …

</><>

298
Recto-verso, un petit dernier chapitre pour la
route !

"Le fétu de paille se dresserait face à l’ouragan. Il chercherait la


vérité même si les hommes préfèrent qu’on leur dise la bonne
aventure. A croire qu’ils ne sont pas guéris des contes de fées de
l’enfance. La fiction plutôt que la vérité. L’atterrissage est trop dur "

Le Greffier Louis Nucéra- Ed Grasset

J’ai un peu les nerfs en pelote en ce moment. C’est sans doute lié
au manque de sommeil, à l’alcool, aux tracas du quotidien.

Si je n’étais pas un écrivain, on pourrait dire que je suis très mal


barré !

Il suffit que je me relise pour comprendre que le temps du sevrage


devient urgent et que je dois aller à l’essentiel et assurer mes arrières.

Betty va m’aider. Betty est le contraire de moi. Elle fait des


cauchemars le nuit alors que moi je dors toujours profondément en
faisant des rêves érotiques indicibles. Betty va au devant des gens.
Personne ne l’impressionne. Elle peut parler sans micro. Moi je
devais faire avec ma voix fluette et personne ne me remarquait.
Je n’étais pas jaloux d’elle et j’aimais quand elle cherchait à
m’épater mais elle n’était pas le personnage féminin de mon histoire.
Je ne connaissais pas encore le personnage principal de l’histoire
mais je ne lui avais pas attribué ce rôle là. Je ne décidai jamais de

299
rien dans la vie réelle, mais lorsque j’écrivais, j’avais tous les droits.

Elle me rendait service et je voulais lui rendre la pareille. Quand


vous êtes dans la survie, vous ne chipotez pas.

Néanmoins, si je ne changeais pas de méthodologie face à


l’adversité, elle allait me lâcher. Boire plus de bières pour ne plus
avoir l’apparence de la réalité à supporter n’était pas la bonne
solution. Faire semblant de jouer quand plus rien ne vous amuse
n’allait pas me mener bien loin. Je le savais pertinemment et je
prétendais attendre le bon moment pour relancer la machine mais je
prenais trop de temps. Je me laissais trop aller et je ne voyais plus a
vie en rose. Je ne voyais rien qui vaille la peine d’endurer le reste.
Mon père me manquait, le courage d’agir me manquait et j’étais
enferré dans une manière de vivre d’un vulgaire scribouillard. J’étais
surpris lorsque j’arrivais à atteindre mes objectifs de la journée,
j’étais de nouveau engoncé dans mon statut d’être sans intérêts et
sans histoire. La vie que je menais n’avait plus rien à voir avec celle
que je voulais. Ceux qui essayaient faire autrement, en se parlant, en
se regroupant, j’avais de nouveau envie de les fuir, préférant vivre
replié tout en faisant comme mes anciens clients : en protestant
poliment contre une transformation de nos modes de vie contre
laquelle je me sentais impuissant à lutter. Je devais réagir avant qu’il
ne soit trop tard. Je savais précisément ce que j’avais à faire pour
sortir du trou dans lequel je me trouvais. il fallait être patient mais il
fallait marquer des étapes et ne pas se laisser entraîner par
l’amertume. Picoler tous les soirs retardait l’échéance et ne
m’apportait plus aucun bien être. En quelques mois, j’étais redevenu
celui que j’étais avant mon sevrage. Je ne donnais pas cher de ma
peau.
Heureusement qu’une bonne étoile veille encore sur moi.

Sans elle, en quelques semaines, vous serez (je dis vous car nous
sommes tous capables de basculer) sur un banc public, mais pas avec
une amoureuse.
Au début, vous trouverez cette idée romantique et vous en

300
profiterez pour faire un chapitre sur les mécanismes de l’exclusion
mais une fois que votre portable sera déchargé et qu’il n’ y aura pas
un sympathique kiosquier pour vous recharger la batterie, vous
cesserez d’écrire pour ne faire rien d’autre que boire de la bière avant
de disparaître de la circulation.

Vous n’oserez pas demander au rayon presse de Monoprix de vous


céder un peu de courant. Monop ne fait pas partie des commerçants
solidaires. Monop est uniquement là pour le business.
Vous avez une rage qui vous dévore, alors vous picolez, mais
vous ne picolez pas cette fois pour rigoler mais pour vous calmer,
vous anesthésier et tout ce que vous avez à entreprendre pour
remonter la pente, vous le reportez à plus tard, à quand « il sera trop
tard ». Et arrive le moment où vous perdez votre dignité, et où les
gens détournent le regard quand ils vous croisent.

On a vite fait de dégringoler, je ne vous pas fait le dire, ma brave


acheteuse de franche démence !

Vous n’allez pas régler vos problèmes en vous laissant aller !

Parce que votre père vous parle dans vos rêves, vous n’allez pas
régler vos problèmes avec une arme bruyante, ni en vous enivrant.
Vous allez patiemment, stratégiquement, déjouer, un à un, les pièges
des braconniers de l’espoir.

On a vite fait de changer ses habitudes. Il y a quelques mois,


l’idée de pouvoir me passer de café le matin avant de partir de mon
domicile ne me serait jamais venue. L’idée même d’avoir à changer
régulièrement de domicile m’aurait parue saugrenue. L’idée de me
séparer de mes livres aurait été inconcevable.
L’idée de ne plus manger de saucisson sec et de steak tartare
m’aurait parue folle, également. On peut changer ses habitudes. Il
est bon de changer de mode de vie avant de s’encroûter.
J’étais finalement heureux de savoir que j’étais capable de
changer de registre, de varier les plaisirs. je n’étais pas encore foutu !

301
Les gens changent très vite d’opinions. Ceux qui vous trouvaient
sympathique et gentil hier peuvent vous trouver arrogant et agressif
demain. Il ne faut pas perdre de vue qu’il ne suffit pas d’avoir raison,
il faut que l’on vous croie !
Ce n’est pas la Raison qui domine le monde mais les passions !
(Guy V.M)

Les gens n’ont pas besoin de connaître vos petits malheurs. Il faut
être drôle et mieux vaut s’intéresser aux problèmes existentiels de
Charlène ou de Charlotte.
Vous avez des problèmes urgents à régler mais il faut faire bonne
figure et écouter patiemment vos clients vous raconter dans les
moindres détails leurs problèmes de décoration intérieure ou de
plomberie.

Qui connait l’avenir ? Qui aurait pu me dire il y a deux ans, je se


serai capable de me lever tous les jours à six heures et de travailler
six jours sur sept moi qui bossait du lundi au vendredi midi lorsque
j’étais homme de maintenance dans une maison de retraite ? Qui
serait capable de me dire que mes projets ne verront pas le jour alors
que d’autres projets bien plus « à contre-courant » et audacieux ont
été bel et bien réalisés ?

Vous connaissez la nature humaine. Il n’y a pas besoin d’aller


trainer vos guêtres dans les bas fonds pour savoir que les gens vous
cracheront dans le dos si vous avez les mains liés. Alors au lieu de
"vivre Ivre ou bien mourir", vous allez exister et vous allez l’ouvrir,
ne pas accepter de crever dans le silence indigné des braves gens.

Ce qui vous a manqué, c’est le temps, une fois de plus. Le temps


de réfléchir posément, le temps de vous organiser, le temps de bien
faire les choses. On ne construit pas un projet en s’épargnant le
temps de le mûrir, de le modifier, de le paramétrer au plus près de la
réalité. Dans une démarche de "parer au plus pressé", en faisant
comme tout le monde en train de courir poussé par le vent, vous vous

302
êtes fourvoyé. Vous n’aimez pas aller vite. Vous ne croyez pas que
l’humain progresse en se dépêchant.

Ce qui vous a sauvé, une fois de plus, c’est l’écriture. Vous


pouvez vous échapper des mauvaises nouvelles en faisant comme si
elles n’existaient pas ! Vous pouvez faire semblant de croire que vous
allez changer l’ordre immuable de l’amère réalité - votre
dégringolade, annoncée en préambule - à force d’écrire, tout ce qui
vous intéresse, c’est de pouvoir continuer à faire ce qui vous anime,
ce qui vous motive. Ce qui vous différencie d’un écrivain classique,
c’est qu’il vous en coûte à vous pour être lu ! Cela ne vous rapporte
rien, c’est comme tenir un kiosque à journaux de quartier, mais vous
savez que vous devez le faire quand même car c’est votre seule
ambition : être lu, un jour.

Vous savez baratiner, vous auriez pu mentir comme un artisan, et


faire votre blé en faisant le boulot à moitié en présentant de lourdes
factures. Faire des placards le jour, écrire la nuit. Les gens, quand ils
payent cher, ne mouftent pas. Ils se défoulent sur le gagne-petit, le
mange-merde qui veut travailler honnêtement, en lui demandant d’en
faire plus avec moins. Je n’ai pour autant envie de changer d’état
d’esprit.

Mon père m’a montré la voie, je lui dois bien çà, pour tout ce que
je n’ai pas pu faire pour lui lorsqu’il était encore temps et je dois
remonter la cote sans faillir, sans faiblir et ne jamais renoncer à mes
rêves, pour honorer sa mémoire.

Aux livres CITOYENS !

L’Appel du comité central de la garde nationale le 25 mars


1871 est un appel à la vigilance et à la réflexion émis par le Comité
central de la Garde nationale et diffusé par affiches aux électeurs
parisiens la veille des élections municipales pour le 26 mars.

303
Cet appel a été lancé lors d’une période insurrectionnelle de
l’histoire de Paris appelée la Commune de Paris. La Commune de
Paris dura deux mois, du 18 mars au 28 mai 1871 (pour s’achever
par la Semaine sanglante du 21 au 28 mai). Cette insurrection contre
le gouvernement investi par l’Assemblée nationale, qui venait d’être
élue au suffrage universel masculin, ébaucha pour la ville une
organisation proche de l’autogestion. Elle fut, au départ,
principalement une réaction à la défaite française lors de la Guerre
franco-allemande de 1870.

Partie interactive : deux suites possibles :

Le chapitre pour les pisse-froid poisseux

J’ ai bu le bénéfice, j’ai bu le bouillon. J’étais enragé.


J’ai joué, j’ai picolé, j’ai volé, j’ai arnaqué.
Je me disais que j’allais retrouver mon équilibre, que c’était une
situation transitoire, mais j’avais basculé dans tout ce que je
détestais. Je n’avais pas réussi à transformer la réalité et je vivais en
enfer.
Je le suis engueulé avec tous ceux qui ont tenté de m’aider.
Je me suis retrouvé rapidement sale et repoussant. J’avais les yeux
brillants par un cocktail détonnant de souffrance mentale,
alcoolisation, troubles du sommeil, et haine.

J’ai placé mon chat en sécurité, chez la dernière amie qui me


restait. J’ai braqué un bar-tabac-presse pour avoir de la fraiche et j’ai
taillé la route. Pas longtemps, pas loin.
Je voyageais dans ma tête en buvant de la bière. J’ai rejoint un
groupe de punks à chiens. J’aimais le punk rock mais pas ce que
faisaient de leurs clebs ces pignoufs avinés.
Ils étaient tellement déchirés qu’il ne savaient pas comment
occuper leurs bêtes. Les bêtes étaient en danger, comme le gamin de
la mendiante de la poste qui devait shooter sa progéniture pour attirer

304
la compassion des passants. L’enfant dormait tout le temps. Il ne
jouait jamais. Il subirait toutes sa vie les conséquences d’une urgence
sociale laissée sur le carreau. Le monde moderne tolérait ce genre de
scènes de la misère ordinaire.
Mes potes keupons me gonflaient : Ils ne voulaient rien faire en
attendant la mort. Ils n’étaient que la caricature de ceux que faisaient
silencieusement les gens qui rêvaient « plus-value ».

Moi je voulais "vivre libre ou mourir" alors j’ai levé le doigt pour
demander la permission aux lecteurs de migrer dans le chapitre
suivant, vu que j’étais en froid avec l’auteur.

Le chapitre pour les éternels optimistes


qui ne lâchent rien

Colloque aux îles Maldives sur la presse de combat du 28 avril au


3 mai.

Ce n’était pas bon de prendre l’avion pour se réunir dans un hôtel


luxueux, ce n’était pas bon pour le réchauffement de la planète et pas
très en cohérence avec nos idées, alors nous sommes réunis dans un
Biergarten dans l’arrière pays grassois.
Et les propositions, les motions, les résolutions ont fusé de toute
part. Il était plus facile d’être cohésif ensemble que cohérent
individuellement ! Ce qui était bon, c’était de pouvoir entendre des
gens qui avaient des choses à dire.

</><>
J’ai eu la chance d’assister à une deuxième conférence de ciné-
philo d’Olivier POURRIOL J’aimais bien les intellos de ce genre. Il
était clair, intéressant et sortait de sa boite hermétique pour s’adresser
à tous. Il était bon de temps en temps de sortir de sa condition de

305
marchand de patates pour laisser les idées gambader. La culture me
faisait encore plus de bien qu’une pinte de bière (un véritable mini
chevalier distingué)

Je ne suis pas le seul à être entré en rébellion. J’ai tout simplement


refusé que mes fournisseurs me dictent leurs règlements. J’ai posé
mes conditions, j’ai décidé d’exister juridiquement. Seul, je n’étais
rien. J’ai monté une coopérative réunissant des associations qui
s’inscrivaient dans une démarche de transition citoyenne et des
clients devenus des sociétaires.

Je faisais partie d’un réseau qui osait remettre à leur juste place les
personnes et les institutions qui résistaient pour que rien ne change et
que cela ne dérangeait pas que l’on aille de catastrophes écologiques
et émeutes sociales, tant qu’ils pouvaient profiter à moindre coût de
la sueur et du temps des salariés ou auto-entrepreneurs isolés.

Les logisticiens de l’optimisation, les tueurs de coûts ont été


poliment mais fermement renvoyés à leurs chères études. On les a
priés de revenir moins chers à la société avec leur visions à court
terme.

J’ai fermé le kiosque une semaine. J’avais décidé de ne prendre


que le premier mai comme jour de congé mais on ne fait pas toujours
ce que l’on veut ni ce que l’on dit. Il faut s’adapter. Quand cela sent
le roussi, il vaut mieux s’oxygéner le cerveau en respirant de bonnes
vapeurs de peinture. Je peignais et j’enduisais des murs en échange
de deux mois de loyer.

Tant que vous n’avez pas essayé, les choses paraissent


impossibles. Fermer une journée au risque de perdre votre chiffre
d’affaires vous semblait impossible car tout se joue au jour le jour et
une journée en moins, c’est une échéance rejetée à coup sûr mais est
ce normal de ne pas pouvoir partir en congé, de partir tête en avant
dans une course contre la montre perdue d’avance ? Vous ne voulez

306
plus être le dindon de la farce.

Je me suis vraiment battu pour que mon projet de coopérative


kiosquière voit le jour. Je savais qu’il devait être retravaillé mais que
fondamentalement, il tenait le pavé. Il me fallait le faire connaître et
convaincre les bonnes personnes. Je ne voulais pas faire le buzz en
m’enchainant à un olivier ou grimper en haut d’une grue. Je voulais
que mon projet s’inscrive dans la durée, pas dans celui du temps
médiatique. Je ne m’intéressais qu’aux personnes, et non plus aux
gens, à celles qui aiment lire et qui ne cantonnent pas aux
apparences. J’étais fait pour être commerçant comme ma grand-mère,
mon oncle, mon père. Je n’étais pas fait pour être un commercial.

J’ai envoyé la version résumé de mon projet tous azimut, et j’ai


attendu dans mon hamac de compétition que ma bonne étoile, que je
ne confondais plus avec un phare de bagnole, me fasse signe.

307
Je baisse les rideaux

On a beau prendre ses désirs pour des réalités, il arrive un moment


où vous devez mettre le nez dans les tableaux comptables.
Aidé par une amie férue de comptabilité analytique, de notices de
fabrication d’usines mixte nucléaire-gazogène en kit et des bonnes
phrases des Shaddock, j’ai fini par prendre conscience que mon
commerce ne pouvait profiter qu’au Marquis, mon fournisseur, pas à
moi, le dépositaire. Il allait me plumer vivant et ne me laisserait
aucun répit.
L’emplacement de mon kiosque ne justifiait pas une ouverture sur
une plage horaire étendue. Il n’était pas non plus dans une zone
touristique. Son rendement resterait faible même si j’apprenais à
jongler, à cracher le feu et à faire des tours de magies pour distraire
ma clientèle.
Le tour de magie que me fit le Marquis fut de transformer un
crédit d’invendus de mille cinq cent euros en une créance de deux
mille sept cent euros.
C’est un peu compliqué à comprendre sans se référer aux tableaux
mais on va essayer de faire simple :
Quand vous tenez un kiosque, vous êtes dépositaire de journaux et
vous êtes payés par vos commissions.
Quand vous vendez quatre cent cinquante « Nice Morning », vous
recevez la semaine suivante une facture qui correspond à quatre cent
cinquante journaux que l’on vous prélève une fois déduit votre taux
de commission. C’est simple et vérifiable.
Le Marquis a un tout autre fonctionnement et pratique un

308
paiement en différé pour la plupart des titres. On vous vend même la
bonne affaire en vous disant que pendant les cinq premières semaines
vous allez pouvoir constituer votre trésorerie. Ce que l’on oublie de
vous préciser, c’est que le montant de vos commissions indiqué sur
les relevés hebdomadaires est virtuel. Les premiers mois, vous
financez votre stock !
Quoi de plus logique pour un commerçant de devoir consentir à
des efforts et de se donner le temps de constituer sa clientèle ? La
question qui est restée des mois en suspens a été : Est-ce qu’un jour
je vais voir le retour de mes efforts et pouvoir tirer un revenu, même
modeste, de cette activité ?
Vous commencez à recevoir toutes les semaines des échéances
qui dépassent largement le produit de vos ventes. Vous recevez des
nouveaux magazines – et vous n’êtes pas là pour dire s’ils vous
plaisent ou pas, tout ce qui compte, c’est d’avoir une offre variée
pour répondre à tous les goûts – et comme vous n’avez pas de
retours, de journaux invendus à déduire de vos factures, vous ne
savez plus comment vous allez payer vos échéances car vos factures
dépassent le montant de vos recettes.
Trois mois après l’ouverture, j’étais déjà dans la merde !

Système D. Survie, baux précaires, cartons, nouilles au beurre.


Vous vous accrochez en attendant que votre stock d’amorçage soit
constitué et que vous puissiez commencer à renvoyer votre stock
« dormant », tous ces titres qui vous sont envoyés en nombre ne se
vendent pas. Plus de la moitié de vos magazines vous rentent sur le
dos ! Ils vous encombrent et vous vous faites à l’idée que quand vous
aurez suffisamment de titres différents, cela va finir par se réguler et
que chaque partie va finir par y trouver son compte, comme si vous
étiez partenaires. Les titres vendeurs sont quant à eux à « flux
tendus » et il vous arrive de vous trouver alors en rupture.
Vous avez l’impression d’être un commerçant qui se tromperait en
permanence dans ses commandes, sauf qu’en réalité, que vous ne
décidez de rien ou si peu. Vous êtes travailleur indépendant mais plus
du coté des tâcherons ou des métayers.
Au moins vous défendez une noble cause !

309
Vous vous battez pour la liberté de la presse, sauf que c’est à vous
de demander au Marquis de vous livrer deux numéros de « la
Décroissance » car vous tenez à avoir ce titre en kiosque, pas
seulement ceux que le Marquis tient à tout prix à vous fourguer , au
nom de la liberté de la presse et de celle du commerce, les "oups,
voici, closer et compagnie".
Nous étions dans deux mondes parallèles. Ces deux mondes ne
pouvaient pas se rencontrer,du moins, en théorie. Ils allaient finir par
entrer en collision.

Sur la durée de mon exercice, dix mois, j’ai gagné quatre cent
trente cinq euros par mois au titre des journaux vendus pour le
Marquis. Avec mes commissions de Nice morning, cela faisait moins
de sept cent quatre vingt euros par mois. Et encore, il s’agit d’un
montant brut !
J’ai payé le RSI sur la base de ces commissions calculées par le
Marquis, j’ai payé chaque mois l’assurance pour le kiosque, les frais
de tenue de compte professionnel et la redevance (minime) versée à
la Mairie.
En distribuant de la presse gratuite, j’aurais mieux gagné ma vie !
N’importe qui d’un peu plus attentif aux chiffres n’aurait pas
attendu si longtemps avant de plier bagage et essayer ses récupérer
ses billes. J’ai tout perdu dans cette histoire.
J’y croyais pourtant.
J’espérais vendre mes livres pour compléter mes revenus, j’en ai
vendu deux.
J’espérais qu’un événement politique incite les braves citoyens à
redécouvrir l’intérêt de la presse écrite mais même les militants que
je connaissais - qui continuaient à vouloir changer le monde en
distribuant des tracts - s’informaient avec leur smartphone ou sur
internet.
J’étais un "has been" qui aimait les journaux papier.

Le kiosque aurait pu marcher si la sixième république avait donné


envie aux citoyens de lire de journaux écrits pour eux et par eux,
mais les citoyens, après un grand défilé unitaire, ont vite fait de

310
regagner leurs pénates, comme après un bal du 14 juillet ou un match
de coupe du monde.
Depuis 1995, j’attendais un mai 68, une chiquenaude
révolutionnaire mais il ne se passait jamais rien d’autre que des feux
de broussaille.
Le kiosque aurait pu marcher si j’avais pu avoir suffisamment de
revenus complémentaires, si j’avais trouvé des produits autres à
vendre (du hors presse à forte marge) ou si la mairie avait utilisé une
partie des ressources publicitaires générées pour les emplacements
pour un fonds de maintien ou d’aide à l’installation des kiosquiers
« mal barrés » et si ma tante avait eu deux roues…
La marge est faible. Quand vous vendez vingt Télé Z à quarante
centimes l’unité, votre marge ne va pas vous permettre de faire
bouillir la marmite, alors comment font les autres ? Les autres
vendent plus et vendent des produits complémentaires. Les autres,
comme la boite à copies ( qui est à quelques mètres du kiosque de
Valrose qui vient de fermer au bout de trois mois), arrivent à salarier
trois personnes en vendant des photocopies à cinq centimes Ils
vendent aussi des prestations d’imprimerie, des fournitures en
papèterie. Ils y arrivent !
Vous vous êtes comme un épicier en zone rurale désertifiée. Tout
le monde serait ravi de vous voir ouvrir votre commerce et serait prêt
à vous aider mais il y aurait un fournisseur, un seul, celui là même
qui fournissait les grandes surfaces, qui ne jouerait pas le jeu.
Je n’avais pas la trésorerie suffisante pour tenir le coup, payer à
comptant ma marchandise, et investir dans des produits annexes. Je
ne pouvais pas solliciter des organismes de micro-crédit, ni la
coopérative de finances solidaires la NEF car il fallait pouvoir être en
mesure de pouvoir rembourser et la dimension « culturelle et
socialement utile » d’un kiosque à journaux supposait une offre des
éditeurs plus à la hauteur.

Alors je ne pouvais plus que me laisser aller à mes rêveries de


kiosquier solitaire.
Il était impossible de changer d’époque. Aucun décret ne pouvait
obliger les citoyens à s’informer en lisant des journaux. Ce n’était

311
pas un métier d’avenir ! L’avenir, c’était de vendre des abris
atomiques, des kits de survie et des gilets pare-balles ! J’étais dans
ma période de l’année où les idées moroses occupent le plus de
place. Je n’étais plus dans la peau de l’écrivain qui vivait dans le jour
d’après, j’étais un pauvre clampin en quête de reconnaissance.
Il fallait que l’utilité sociale d’un kiosquier de quartier soit
reconnue et que sa présence, son maintien, soit encouragée par le
développement de produits et de prestations annexes (relais colis
livres, vente de tickets, informations sorties, loisirs, référendums
locaux, enquêtes publiques, modération de sites internet pour le
compte de la ville ou d’institutions culturelles etc…)
Il fallait que les repreneurs de kiosques qui avaient un
emplacement à faible rendement soient aidés par l’obtention d’un
prêt à taux zéro pour le démarrage, une formation prise en charge
pour y voir clair dans le système alambiqué de facturation du
Marquis, une dotation de fonctionnement (comme pour celui qui
tient les toilettes publiques) ou des services délégués moyennant une
rémunération. Le kiosquier ne devait pas s’envisager uniquement
comme un commerçant de proximité indépendant mais aussi comme
un partenaire de la vie locale.

Une fois la boutique fermée, que faire ?


J’ai décidé de proposer mes services à Nice Morning. Il cherchait
une vendeur de journaux salarié. C’était rassurant d’être salarié
quand on n’avait ni les moyens intellectuels, ni les moyens financiers
de ses ambitions.

Monsieur le Responsable des Ressources Humaines,


Je vous prie de m’embaucher sans plus tarder comme salarié
d’un point de vente ambulant.
J’ai travaillé au journal Nice matin, enfin Publinices services, à
la belle époque, au début des années 90. Je faisais des vacations et
en travaillant quinze nuits par mois je gagnais suffisamment ma vie
pour boucler mon mois et payer mon loyer. Les étudiants vacataires
comme moi n’avaient pas à se plaindre et je me souviens que les
rotativistes - qui avaient le possibilité de paralyser toute la chaine de

312
production - gagnaient très bien leur vie.
Bien que de gauche, je ne comprenais pas trop pourquoi ces
salariés CGT du livre, plutôt privilégiés comparés à ceux qui bossent
dans le Bâtiment s’inscrivaient dans une logique de surenchère
revendicative. Écologiste de salon, je savais que le « toujours plus »
nous ferait boire un jour le bouillon. Je croyais encore en l’économie
de marché, en un capitalisme humain. Après des décennies de crises
(économique, crise des valeurs, crise écologique, crise financière …)
et un spectaculaire, quoique insidieux, revirement de l’histoire des
conquêtes sociales et de la qualité de la vie depuis les années 8O, je
suis prêt désormais à me battre pour que les valeurs de l’économie
mutualiste, coopérative, l’emportent face un système qui est en train
de tuer à petits feux et à coup de licenciements collectifs
« boursiers » ce qui fait ciment dans nos sociétés.
La presse est également en crise. Je le savais en reprenant un
kiosque à journaux qui venait de fermer, celui du Square Boyer, à
Nice nord. Il avait fermé en mai, je l’ai ré-ouvert le 17 juillet. Je ne
faisais pas d’illusion quant à la possibilité d’en faire une affaire
rentable. Mis à part un écrivain, quel actif serait assez fou pour
reprendre une activité si peu rentable ? En discutant avec un des
vendeurs « mobiles » de Nice Matin, un de ceux que vous voyez avec
leur parasol rouge et leur voiture, ceux qui font parfois aussi le
portage à domicile, donc certainement pas le genre de personnes à
se gaver sur le dos de la presse, je me suis aperçu que même un
salarié qui intervient aux derniers maillons de la chaine de
production d’un journal - qui n’a aucun intérêt à vendre plus de
journaux car il n’a pas d’objectif de résultat - s’en sortait mieux que
moi qui suis travailleur indépendant et qui suis payé en fonction de
ce que je vends, à la commission. Je suis fait pour être travailleur
indépendant.
Je préfère "m’exploiter moi même" en ne pouvant pas partir en
congé ni mettre de l’argent de coté mais en m’organisant comme je
l’entends, mais la coupe est pleine !
Un salarié ou un vacataire est payé au forfait et gagne, au bas
mot, trois fois plus que je gagne alors que je vends plus de
journaux ! Je cotise au RSI et mes impôts sont prélevés à la source.

313
Mon intérêt est aligné sur celui de mon fournisseur. Je dois vendre
ou fermer.
Les kiosquiers ferment. Je ne parle pas de ceux qui ont les
emplacements les plus prisés, je parle de ceux comme moi qui
trouvaient que faire partie de la longue succession des personnes qui
ont donné vie à ce kiosque installé dans ce quartier depuis la nuit
des temps avait du panache.
J’ai fait un projet pour que ce kiosque perdure mais je suis resté à
deux doigts d’aller au bout de mon rêve car je ne suis pas parvenu à
faire changer la réalité en écrivant toutes sortes de sornettes. J’ai
manqué d’audace, je vous le confesse et je vous tire ma révérence.
(Fin du premier acte.)

Allez savoir pourquoi, cela n’a pas marché !


Ma lettre était celle d’un mec à problème. Aucun employeur ne
m’aurait embauché !
Il y avait un temps pour le rêve où vous envisagiez sereinement le
monde de demain et un temps pluvieux où il fallait s’abriter de la
pluie de mauvaises nouvelles et de factures.
L’économie allait mal.
Pas pour tout le monde mais mal pour moi et pour les autres, enfin
les gens ordinaires.
Les gens étaient désabusés, enfin les gens normaux.
les jeunes votaient Front national ou Aube dorée, enfin les jeunes
cons mais l’invective ne changera rien. On peut se faire plaisir en
disant "cons", on ne les fera pas changer d’avis ainsi.
Les vieux militants continuaient à faire comme si les vœux pieux
faisaient le poids face aux investisseurs et décideurs.
Françoise Hardy n’était plus si jolie et trouvait que l’on traitait
mal les riches.
On avait plus trop le temps de tergiverser. Comme avait dit M.
HULOT, l’orchestre jouait, les gens dansaient tandis que le navire
coulait.
Il y avait des gens qui voyaient le monde différemment que moi.
Ils ne polarisaient pas sur l’écart des inégalités mais sur la
progression des richesses. Il fallait juste encourager les initiatives

314
privées et faire confiance aux chefs d’entreprise et leur laisser plus de
libertés Il fallait stigmatiser les fraudeurs du revenu minimum et
laisser tranquille les fraudeurs qui se pouvaient se payer des
conseillers fiscaux.
J’étais persuadé d’avoir raison, de voir juste, d’être du côté des
démocrates visionnaires. Mon parti ne pesait pas lourd dans les
suffrages. Je ne voulais pas perdre du temps à militer. Mettez vous
deux minutes à ma place :
La manière de conquérir le pouvoir, de convaincre vous emmerde.
Vous détestez distribuer des tracts et coller des autocollants. Si les
gens ne lisent plus à quoi cela sert ? Vous détestez les campagnes
électorales. Vous en avez marre des rassemblements à vingt
personnes avec leur bonnets et leurs écharpes, vous en avez marre
des réunions avec toujours les mêmes tronches, vous en avez ras le
cul des appels aux dons. Je savais que la bataille à mener était
culturelle. Les gens changeraient que si les artistes s’en mêlaient
avec les bonnes méthodes d’agit-prop. Les punks sans crêtes et les
"provos" new beatnik devaient sortir de leurs tanières. C’était devenu
trop sérieux pour pouvoir se passer du burlesque.
Parler sur le marché, serrer des mains, tracter, baratiner c’était
sans doute utile mais je m’en sentais bien incapable. Je l’avais fait il
y a vingt cinq ans et je crois plus que ce soit le bon levier d’action. Il
y avait encore beaucoup de monde pour penser que le monde tournait
rond. J’étais persuadé que la plupart des gens étaient hostiles au
capitalisme moderne mais c’était uniquement parce que je prenais
mes désirs pour des réalités. La plupart de mes contemporains étaient
aptes pour la dictature. Je le pensais vraiment et c’est là bien que
réside ma faille idéologique car les valeurs auxquelles je crois font le
pari de l’intelligence collective.

Je ne sais même pas si je nage entre deux eaux ou si je fais de la


brasse coulée. Je pense que les problèmes sont politiques avant d’être
spirituels et je crois plus au collectif qu’en l’élan individuel mais le
peuple me fait vraiment chier.
Le changement ne va pas se faire dans la bonne humeur.
Je veux juste vivre différemment, essayer autre chose tant qu’il en

315
est encore temps.
Je n’ai pas envie de vendre des canapés-lits. Je n’ai pas envie de
prendre les gens pour des abrutis.

Je voudrais me lancer dans une entreprise plus audacieuse.


Je cherche chemin entre la logique comptable, l’économie réelle
et le monde de demain.
Je veux juste gagner ma vie honnêtement.

L’argent relie les hommes.

Sans argent, comment faire ?


Certains arrivent à s’en passer. D’autres arrivent à le trouver.

Vous avez été formatés pour vous plier et penser qu’il n’y a
qu’une seule logique possible. Les idées gouvernance participative,
d’économie collaborative, de finances alternatives sonnent
agréablement à vos oreilles et vous aimeriez seulement que ce ne soit
pas que du vent.
C’est plus exigeant de miser sur l’humain et vous ne savez pas
encore si vous allez y arriver…
Vous n’allez pas y arrivez !
"Là où j’ai échoué , tu n’y arriveras pas !"

Le kiosque a fermé. Par la suite, dans le chapitre à venir, je fais


comme si j’avais pu, à force d’opiniâtreté, participer à un élan
populaire qui allait permettre au peuple d’exercer sa souveraineté.
Seulement, j’ai fait comme le plus grand nombre, j’ai gardé mes
idées vertueuses dans un coin, sans prendre le risque de les
confronter à la réalité et j’ai suivi la voie empruntée par le plus grand
nombre, celle de la résignation, l’adhésion par commodité à un projet
collectif qui ne me convient pas.

La culture démocratique, l’éducation populaire, les alternatives, la


gouvernance participative, l’économie collaborative, tous les
ingrédients pour le monde de demain, celui de l’après chaos,

316
Après un petit contrat de facteur remplaçant, j’ai continué dans la
vente. Il ne s’agit plus de vendre des journaux mais des emballages.
Du carton, de la mousse, du film plastique, des barquettes, du
scotch et autres babioles très utiles pour le transport des
marchandises dans le monde entier.
En tant que kiosquier, j’avais cherché à limiter la casse du point de
vue des sacs plastiques. Je n’avais rien fait concrètement par manque
de moyens ou d’audace, mais j’avais exploré les possibilités de faire
autrement un des ces jours…
J’avais décidé de le faire, je cherchais les moyens. C"était juste
une question de temps !
A présent, si je veux garder mon boulot, j’ai intérêt à nier en bloc
tous les problèmes liés aux déchets. Je suis tenu de faire comme si
ces choses là me dépassaient, ne me regardaient pas.
Ce qui compte c’est de rendre la vie plus facile, plus pratique, et
tant pis pour le reste ! Il faut vendre, vendre tout ce qui peut
améliorer le quotidien des clients.
Naturellement, nous avons aussi des produits recyclés, pour la
vitrine, pour faire comme si l’environnement faisait partie de nos
préoccupations immédiates et permanentes. Nous faisons comme tout
le monde.
Si on regarde les choses positivement, on peut dire que l’on
contribue à la lutte contre le gaspillage en proposant le regarnissage
de galets pour transpalettes, ce que l’on sous traite à un fournisseur
en caoutchouc des Alpes Maritimes, à la pointe du progrès. Ce
fournisseur fait du caoutchouc à adjonction de pissenlit et fait des
joints de frigo de rénovation histoire de lutter contre l’obsolescence
programmée…
Moi, je pense que chez nous, on pourrait proposer des sacs
plastiques en amidon réellement bio dégradables mais, que voulez-
vous, je ne dis rien, je ne suis pas en position de proposer quoi que
ce soit de différent. Je suis bien content d’avoir trouver un boulot ! Je
vois le bout du tunnel, je vais pouvoir m’acheter une moto.

Je suis dans une logique industrielle, une logique de flux tendus,

317
de performance. Les gens doivent pouvoir expédier au moment où ils
veulent tout ce dont ils rêvent. Ce "rêve" là est bien réel ! Il est
possible d’envoyer de fruits exotiques à des pays du nord et
d’envoyer des pièces par petits bouts dans plein d’usines disséminés
ci et là car le coût du transport n’est pas un obstacle économique
mais un facteur de richesse. Qui aurait pu prévoir cela ? L’écolo à
bicyclette ne fera rien face au camion diesel !
Je ne voulais plus avoir de bagnole ou de moto. J’avais été obligé
d’y renoncer pour honorer une échéance et j’en étais heureux car cela
m’avait permis de me passer d’un bien que j’estimais auparavant
indispensable alors qu’il ne l’était pas. Il ne l’était pas pour
quelqu’un qui peut se taper vingt kilomètres à vélo après une journée
d’un boulot où l’on utilise plus ses jambes que sa tête, mais il l’était,
en définitive, pour moi, alors mon oncle m’a offert sa vieille moto
custom et j’étais content de bosser et de pouvoir mettre de l’essence
dans mon véhicule à moteur. J’étais content de pouvoir faire de
nouveau comme tout le monde. Je n’avais pas la vie dont je rêvais
mais j’avais un bulletin de salaire.
Le soir, en rentrant, j’étais vanné. Je n’avais plus envie de faire la
révolution. Je voulais juste me détendre, m’avachir devant le poste
télé. Je n’avais plus l’énergie pour lire le journal. Je me disais
qu’après un temps d’adaptation, je serais moins fatigué.
Je voulais mettre des thunes de côté pour m’acheter une moto plus
récente, plus jolie. Le week-end, les fins de semaines, j’avais envie
de me vider la tête en me pochetronnant. J’étais très loin de la vie
dont je rêvais.
J’étais un lâche. j’aurais pu bosser dans l’éco soliaire, dans un truc
en cohérence avec mes idées, seulement, j’avais choisi la sécurité
matérielle.
Tranquillos, peinardos…
i
J’étais en plein dans le cinéma grand public : "Eclate toi, trime,
rigole, profite ! "
Rien ne m’empêchait de continuer, dans les chapitres à venir, à
vendre des journaux. Des journaux et des banderoles.
Personne ne m’empêchera d’aimer et de rêver.

318
319
Mao sait tout sur mes tongs

Le putain de facteur humain a fait que ce qui a été développé dans


les chapitres suivants s’est avéré être bien trop réducteur. J’ai oublié
de parler de ce qui se passait dans les coulisses.
Je croyais en l’homme, je croyais aux paroles mais tout le
problème était là : Le monde réel refusait obstinément de se laisser
plier en huit et emballer comme un vulgaire colis avec quelques
formules.

J’étais un utopiste et voir la réalité bien en face me donnait mal au


bide alors j’aimais bien m’enivrer en attendant que cette réalité se
mue.
C’est à peine si j’étais un brin soupçonneux lorsqu’à la publicité
télévisée, le réparateur de pare brises "Car glass répare" disait qu’il
se déplaçait partout parce qu’il était gentil, parce que le client était
gentil, parce que tout le monde aimait tout le monde…
J’adorais ce genre d’amour promesse à partouzes, sauf que nous
n’étions pas dans l’an zéro un mais dans le degré "over the top" de la
manipulation..
Je savais que c’était du pipeau ! Je savais que le premier boulot de
toute personne qui ne voulait pas tout gober et assister passivement à
la mise à sac du contrat social consistait à se faire entendre et à
déconstruire patiemment les discours réconfortants. Ce n’était pas
une partie de plaisir de vouloir passer d’ "un monde pourri" à "un
autre monde est possible" et c’était bien cela qui m’effrayait et me

320
donnait du grain à moudre pour ne pas m’engager réellement.
Méditer au lieu de militer…

Je cherchais, je réunissais des preuves, je me documentais et je


laissais les autres faire. Pendant ce temps, mes poteaux et potesses se
démenaient, certains, sous la pluie, devant le cirque de Venise avec
leurs pancartes "Oui au cirque sans animaux !" et leurs tracts,
d’autres avec d’autres pancartes et une table d’informations au
marché de la libération. Moi, j’attendais que les gens soient
éduquées pour leur parler. J’attendais qu’ils soient prêts. J’attendais
qu’ils lisent les journaux.
J’étais malheureux car en décalage permanent entre ma vie
assumée et mes grandes et belles idées et n’importe quel acte du
quotidien, que ce soit faire les courses, me balader en ville, bosser ou
chercher un nouveau taf, tout, absolument tout, finissait par
déprimer. J’étais fait ainsi, avec des hauts et bas. Je savais que des
personnes plus tenaces, plus équilibrées étaient parvenues à dépasser
le temps des constats pour se débrouiller autrement en inventant
d’autres manières de travailler, de se mouvoir, de manger et de
raisonner mais j’attendais que tout ceci soit plus cohérent. J’attendais
comme toujours. Et rien ne venait à point !
Trois fois par an, je manifestais devant le cirque et le reste du
temps c’est un peu comme si j’étais embarqué dans la bagnole
publicitaire - mégaphone en sourdine car j’avais honte - "Le grand
cirque est là, oyez oyez braves clients ! " Par nécessité, pas par choix.
Parce qu’il fallait bien bosser, s’occuper ! Parce qu’un jour ou
l’autre, je comptais bien ouvrir la portière et sauter en marche.

Il y avait urgence et je le savais. C’était cela qui me minait : Je


n’étais pas assez de mauvaise foi pour faire semblant de croire que
sans sursaut citoyen, nous allions nous en sortir, que tout allait
s’arranger comme par enchantement. Je savais que le bar allait
fermer et qu’il faudrait régler la note.

Je devais me coltiner la stupide réalité en cherchant un moyen non


compromettant de gagner ma croûte. Un boulot dans lequel je ne

321
serais pas "trop" complice d’un système vicieux. Un boulot où mon
age ne serait pas un obstacle et je ne trouvais pas. Le seul boulot que
je pouvais faire était celui d’un travailleur indépendant. Je ne
pouvais rien faire d’autre que d’écrire des sornettes et vendre mes
journaux. Il fallait que je puisse survivre ainsi et pour cela il fallait
trouver des lecteurs et des lectrices. Il le fallait, je l’espérais, je
l’écrivais mais cela ne suffisait pas.
Le réveil des gens qui s’étaient volontairement placés sous
anesthésie n’a pas eu lieu. Les gens ne sont pas levés d’un seul bloc
pour redécouvrir l’intérêt de la presse écrite. Le payeur de mots que
je suis a été décontenancé par l’attitude méprisante des faiseurs de
phrases.

Je ne devrais parler que des expériences qui fonctionnent même


cahin-caha, mais qui fonctionnent. Comment susciter un espoir de
transformation de la société quand toute l’actualité semble converger
vers un modèle unique : Vous votez pour un candidat qui s’engage à
lutter contre le poids exorbitant "la finance" mais qui renie,
rapidement, ses engagements. Vous ne votez pas pour lui par
conviction mais uniquement par rejet de l’autre candidat, le pire des
pitres, mais vous espérez qu’il agira tout de même différemment que
le délégué direct des patrons.

Vous nous pouvez pas que prendre des bûches dans la gueule ! Il
faut alimenter votre poêle autrement, pour vous réchauffer le coeur,
alors vous cherchez du côté des bonnes nouvelles. Pas pour vous
évader, pas pour oublier, juste pour pouvoir continuer. Vous vous
réjouissez que des membres d’ATAC, de Bizi et des Amis de la Terre
aient réussi, par une pression insistante, à faire renoncer la société
Générale à un projet climaticide (Politis n° 1342)

"La Société générale a annoncé ce vendredi 5 décembre qu’elle


jetait l’éponge : elle se retire du projet contesté Alpha Coal, une
gigantesque mine de charbon en Australie. Il s’agit d’une première
et importante victoire des mouvements citoyens qui exigeaient
l’abandon de cette « bombe climatique ». Le projet doit maintenant

322
être définitivement abandonné par ses promoteurs australiens et
indiens.
Depuis plusieurs mois, les Amis de la Terre, Attac et Bizi !
menaient des actions communes pour que la Société Générale
renonce à sa mission de conseil et au financement de ce projet de
mine à ciel ouvert dans le bassin de Galilée en Australie. Prévoyant
une voie ferrée et une expansion portuaire en plein cœur de la
Grande Barrière de corail, ce projet serait à la fois une bombe
climatique dont le développement serait à l’origine de l’émission de
1,8 milliards de tonnes de CO2 compromettant de façon irréversible
les efforts pour limiter le réchauffement de la planète ; mais aussi
une catastrophe pour les populations locales, la biodiversité et les
milieux.
Suite à une action d’occupation des agences de la Société
Générale lundi dernier, à Pau et à Paris, jour de l’ouverture du
sommet mondial sur le climat de Lima (COP20), dans le cadre de la
journée internationale de jeûne pour le climat, des actions de
« picketing » avaient été annoncées devant une dizaine d’agences de
la Société Générale dans toute la France, de Bayonne à Bourges, de
Chambéry à Concarneau, de Limoges à Mâcon en passant par,
Nîmes, Paris, Pornichet, Tours… Alors que la COP 20 se poursuit au
Pérou, les Amis de la Terre, Attac et Bizi !, démontrent que l’action
citoyenne permet d’obtenir des victoires concrètes qui sont autant de
premiers pas vers la mise sous contrôle citoyen des banques et
multinationales prédatrices, et pour relever le défi climatique !
La pression internationale contre GVK-Hancock doit encore
s’accentuer pour que ce projet climaticide ne voie jamais le jour.
Après cette première victoire, nos associations comptent
poursuivre leurs actions en 2015 en faveur du climat, notamment
contre les banques et multinationales impliquées dans le secteur du
charbon, énergie fossile qui reste la première source d’émissions
mondiales de CO2, un gaz à effet de serre responsable du
dérèglement climatique."
Source :
https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-
presse/article/sous-pression-citoyenne-la-societe

323
Vous apprenez par l’humanité (N° 21622- 304) que la biscuiterie
Jeannette a recueilli 105000 euros pour la constitution, par ses
salariés licenciés après la liquidation judiciaire et grâce à
l’occupation d’usine ayant empêché son démantèlement, d’une
société à actionnariat participatif.

Les gens ont raison de se battre et vous êtes heureux que les
choses avancent avec ou sans vous.
Seulement le pessimisme a vite fait de vous rogner jusqu’à la
moelle.

Vous pensez que dans le domaine de l’économie solidaire le


modèle de fonctionnement des instances démocratiques est un
modèle à suivre et vous vous heurtez, non pas à la réalité mais au
sempiternel credo qu’il faut y aller doucement et faire des
compromis.
Des gens qui prônaient le changement par la base, l’éducation
populaire, la gouvernance participative se sont arc-boutés sur un
pouvoir qu’ils ne voulaient pas lâcher, ne fût-ce que d’une once. Ils
craignaient de devoir céder la place à des plus jeunes. Ils ont
verrouillé leur conseil d’administration pour demeurer entre
personnes raisonnables, entre personnes du monde qui parlent à
demi-mots sans élever la voix.

La gauche de combat, une fois en situation de prendre des


décisions, a toujours été confrontée à cette impérieuse nécessité de
faire des compromis sans aller jusqu’à se compromettre, histoire de
rassurer les notables ou les modérés. Le front populaire devait
rassurer les radicaux et les industriels, rassurer le bourgeois au final,
et en quelques mois, toutes les avancées sociales ont été réduites à
peau de chagrin. Les expériences de transition démocratique qui
fonctionnent ailleurs (en Amérique Latine) sont peu médiatisées.

Tout n’est pas rose dans le bilan de Rafael Correa, mais au moins
le président équatorien représente-t-il une preuve bien vivante que la

324
politique du bulldozer contre les pauvres adoptée en Europe n’est
pas nécessairement la seule envisageable.

Peu de grands médias français – à l’exception du Monde


diplomatique et de quelques journaux de presse écrite - ont prêté
attention à la visite du président équatorien. Aucune chaîne de
télévision ni radio nationale n’a repris le message qu’il souhaitait
adresser aux populations européennes : ne faites pas la folie de vous
plier aux injonctions des banques, regardez comment l’austérité
qu’elles vous infligent aujourd’hui a failli ruiner notre pays par le
passé, et comment nous nous en sommes relevés en faisant tout le
contraire. Pareil avertissement est-il sans valeur pour le public
français ?
"On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif", a chuinté Ivan
Levaï, vétéran chez France Inter, quand les comparses de Pierre
Carles ont commencé à enquêter sur la question. Mais qui sont les
ânes ? Et comment redonner soif à une presse goulûment ravitaillée
dans l’abreuvoir des experts du CAC 40 ? »

Source : http://www.acrimed.org/article4493.html

Si les personnes que j’aime se mettent à douter eux mêmes de la


nécessité de changer l’ordre des choses, c’est bien que L’an
quatorze de l’an Pépin zéro moins un et je retiens deux ne viendra
pas à point. Il sera bien trop tard !

Un journaliste aurait cherché à comprendre leurs motivations


profondes. Qu’est-ce qui poussait des gens en qui j’avais confiance à
opter finalement pour le passage d’une porte blindée à une porte
entre-ouverte alors qu’ils étaient censés lutter contre l’idéologie
dominante, l’idéologie sécuritaire ? Par peur de l’entrisme ou par
peur de se faire dépasser par des électrons libres ?

Je comprends bien l’impérieuse nécessité qui conduit de vieux


routards de la vie associative à utiliser des garde-fous pour ne pas se
faire noyauter.

325
Je peux comprendre également que l’on déroge au principe "un
homme, une voix" quand le bonhomme en question y place ses
billes. Personnellement si j’avais du pognon, au lieu de le claquer
connement, je l’investirais, disons au hasard, dans une bouilloire
culturelle qui ferait en même temps restau-bar et j’aimerais avoir le
droit à la parole et ne pas me faire rapter mon bébé par des excités de
tous poils. Je veillerais donc à ce que l’orientation n’aille pas à
contre courant de mes idées politiques.
Pour éviter que des groupuscules aient la main mise, qu’ils soient
anti fascistes radicaux, communistes, écolos, colibristes, néfaliens ou
peu importe leurs causes, je ne leur laisserai pas la possibilité de
déroger au principe intangible de mixité sociale en plaçant au Conseil
d’administration une majorité de personnes dignes de confiance mais
je ne les exclurais pas, me reconnaissant plus proches de leurs
combats que de celui des gens indifférents à la politique qui viennent
juste bouffer dans un restau bon, bio et pas cher, un peu comme les
consommateurs d’un magasin de diététique bio soucieux de leur
bien-être.
Je me rends bien compte que la forme compte parfois autant que
le fond, ou du moins que le forme impacte sur le fond car les
questions d’organisation, de choix institutionnel ou statutaire sont
primordiales.

Je ne suis donc pas le seul à me gargariser de nobles idées, à


appliquer dans un futur conditionnel des concepts révolutionnaires. A
appeler des mes vœux des nouvelles manières d’être et modes de vie
que je ne suis pas pressé d’expérimenter car ils remettent en cause
des habitudes bien commodes.

Les militants de la "old school " préfèrent écrire " le journal des
débats de l’assemblée nationale" tandis que les jeunes tentent
d’actionner les leviers d’action. Je ne sais pas ce que c’est la
démocratie directe ni le travail collaboratif. Le jour où je l’aurais
compris, j’aurais fait un grand pas.
Je sais par contre que l’énergie créatrice collective n’est pas une
légende même si le mode d’emploi est un peu compliqué car écrit

326
dans une langue universelle.
J’ai été formaté pour attendre que les tâches soient réparties,
hiérarchisées et qu’il y ait un chef ou une chef pour dire aux autres ce
qu’il fallait faire et comment le faire. Il est possible de changer de
comportements mais comment changer de nature ? La tendance à la
sodomie des drosophiles nuit au combat des idées et à la mise en
place d’actions concrètes. Quand chacun parlera humblement pour
faire avancer les discussions et non pour se faire mousser, nous
serons parés !
En attendant, je ne peux pas me contenter de compter les points
depuis mon siège, de compiler les raisons de lâcher le morceau,
d’abandonner le combat sous prétexte que cela ne marche pas du
premier coup et qu’il faut graisser régulièrement les roulettes !
Personne n’est parfait et il est trop facile de juger ceux qui
agissent avec constance. Je ne tiens pas sur la longueur passant
constamment d’état vaporeux à état liquide, pour finir par me figer
dans le bloc immobile des citoyens passifs.

Ils ne comprennent rien !


Une petite leçon de politique par Pablo Iglesias

Par Pablo Iglesias. Leader de Podemos, parti espagnol issu du


Mouvement des Indignés qui, en même pas un an d’existence, est
devenu la deuxième force politique en Espagne. Les sondages le
donnent même en tête des intentions de vote pour les élections
générales qui approchent à grands pas.
Citoyen madrilène, professeur de sciences politiques et homme du
peuple, devenu en quelques mois le porte-voix de tous ceux que la
crise a frappés et que les pouvoirs publics ont abandonnés.
L’intervention (traduite ci-dessous) est disponible en version
originale ici :
https://www.youtube.com/watch?v=6-
T5ye_z5i0&feature=youtu.be

Source :http://blogs.mediapart.fr/blog/tatiana-ventose

327
Je sais pertinemment que la clé pour comprendre l’histoire des
cinq siècles passés est l’émergence de catégories sociales
spécifiques, appelées “classes”. Laissez-moi vous raconter une
anecdote. Quand le mouvement des Indignés a commencé, sur la
place de la Puerta del Sol, des étudiants de mon département, le
département de sciences politiques de l’Université Complutense de
Madrid, des étudiants très politisés (ils avaient lu Karl Marx et
Lénine) se confrontaient pour la première fois de leur vie à des gens
normaux.
Ils étaient désespérés : “Ils ne comprennent rien ! On leur dit
qu’ils font partie de la classe ouvrière, même s’ils ne le savent pas !”
Les gens les regardaient comme s’ils venaient d’une autre planète.
Et les étudiants rentraient à la maison, dépités, se lamentant : “ils ne
comprennent rien”.
[A eux je dis], “Ne voyez-vous pas que le problème, c’est vous?
Que la politique n’a rien à voir avec le fait d’avoir raison ?” Vous
pouvez avoir la meilleure analyse du monde, comprendre les
processus politiques qui se sont déroulés depuis le seizième siècle,
savoir que le matérialisme historique est la clé de la compréhension
des mécanismes sociaux, et vous allez en faire quoi, le hurler aux
gens ? “Vous faites partie de la classe ouvrière, et vous n’êtes même
pas au courant !”
L’ennemi ne cherche rien d’autre qu’à se moquer de vous. Vous
pouvez porter un tee-shirt avec la faucille et le marteau. Vous pouvez
même porter un grand drapeau, puis rentrer chez vous avec le
drapeau, tout ça pendant que l’ennemi se rit de vous. Parce que les
gens, les travailleurs, ils préfèrent l’ennemi plutôt que vous. Ils
croient à ce qu’il dit. Ils le comprennent quand il parle. Ils ne vous
comprennent pas, vous. Et peut-être que c’est vous qui avez raison !
Vous pourrez demander à vos enfants d’écrire ça sur votre tombe :
“il a toujours eu raison – mais personne ne le sut jamais”.
En étudiant les mouvements de transformation qui ont réussi par
le passé, on se rend compte que la clé du succès est l’établissement
d’une certaine identification entre votre analyse et ce que pense la
majorité. Et c’est très dur. Cela implique de dépasser ses

328
contradictions.
Croyez-vous que j’aie un problème idéologique avec
l’organisation d’une grève spontanée de 48 ou même de 72 heures ?
Pas le moins du monde ! Le problème est que l’organisation d’une
grève n’a rien à voir avec combien vous ou moi la voulons. Cela a à
voir avec la force de l’union, et vous comme moi y sommes
insignifiants.
Vous et moi, on peut souhaiter que la terre soit un paradis pour
l’humanité. On peut souhaiter tout ce qu’on veut, et l’écrire sur des
tee-shirts. Mais la politique a à voir avec la force, pas avec nos
souhaits ni avec ce qu’on dit en assemblées générales. Dans ce pays
il n’y a que deux syndicats qui ont la possibilité d’organiser une
grève générale : le CCOO et l’UGT. Est-ce que cette idée me plaît ?
Non. Mais c’est la réalité, et organiser une grève générale, c’est dur.
J’ai tenu des piquets de grève devant des stations d’autobus à
Madrid. Les gens qui passaient là-bas, à l’aube, vous savez où ils
allaient ? Au boulot. C’étaient pas des jaunes. Mais ils se seraient
faits virer de leur travail, parce qu’à leur travail il n’y avait pas de
syndicat pour les défendre.Parce que les travailleurs qui peuvent se
défendre ont des syndicats puissants. Mais les jeunes qui travaillent
dans des centres d’appel, ou comme livreurs de pizzas, ou dans la
vente, eux ne peuvent pas se défendre.
Ils vont se faire virer le jour qui suivra la fin de la grève, et ni
vous ni moi ne serons là, et aucun syndicat ne pourra garantir qu’ils
pourront parler en tête-à-tête avec le patron et dire : “vous feriez
mieux de ne pas virer cet employé pour avoir exercé son droit de
grève, parce que vous allez le payer”. Ce genre de choses n’existe
pas, peu importe notre enthousiasme.
La politique, ça n’est pas ce que vous ou moi voudrions qu’elle
soit. Elle est ce qu’elle est, terrible. Terrible. Et c’est pourquoi nous
devons parler d’unité populaire, et faire preuve d’humilité. Parfois il
faut parler à des gens qui n’aiment pas notre façon de parler, chez
qui les concepts qu’on utilise d’habitude ne résonnent pas. Qu’est-ce
que cela nous apprend ? Que nous nous faisons avoir depuis des
années. Le fait qu’on perde, à chaque fois, implique une seule
chose : que le “sens commun” des gens est différent de ce que nous

329
pensons être juste. Mais ça n’est pas nouveau. Les révolutionnaires
l’ont toujours su. La clé est de réussir à faire aller le “sens
commun” vers le changement.
César Rendueles, un mec très intelligent, dit que la plupart des
gens sont contre le capitalisme, mais ne le savent pas. La plupart des
gens sont féministes et n’ont pas lu Judith Butler ni Simone de
Beauvoir. Il y a plus de potentiel de transformation sociale chez un
papa qui fait la vaisselle ou qui joue avec sa fille, ou chez un grand-
père qui explique à son petit-fils qu’il faut partager les jouets, que
dans tous les drapeaux rouges que vous pouvez apporter à une
manif. Et si nous ne parvenons pas à comprendre que toutes ces
choses peuvent servir de trait d’union, l’ennemi continuera à se
moquer de nous.
C’est comme ça que l’ennemi nous veut : petits, parlant une
langue que personne ne comprend, minoritaires, cachés derrière nos
symboles habituels. Ca lui fait plaisir, à l’ennemi, car il sait qu’aussi
longtemps que nous ressemblerons à cela, nous ne représenterons
aucun danger.
Nous pouvons avoir un discours très radical, dire que nous
voulons faire une grève générale spontanée, parler de prendre les
armes, brandir des symboles, tenir haut des portraits de grands
révolutionnaires à nos manifestations – ça fait plaisir à l’ennemi ! Il
se moque de nous ! Mais quand on commence à rassembler des
centaines, des milliers de personnes, quand on commence à
convaincre la majorité, même ceux qui ont voté pour l’ennemi avant,
c’est là qu’ils commencent à avoir peur. Et c’est ça qu’on appelle la
politique. C’est ce que nous devons apprendre.
Il y avait un gars qui parlait de Soviets en 1905. Il y avait ce
chauve, là. Un génie. Il comprit l’analyse concrète de la situation.
En temps de guerre, en 1917, en Russie, quand le régime s’effondra,
il dit une chose très simple aux Russes, qu’ils soient soldats, paysans
ou travailleurs. Il leur dit “pain et paix”.
Et quand il dit ces mots, “pain et paix”, qui était ce que tout le
monde voulait (la fin de la guerre et de quoi manger), de nombreux
Russes qui ne savaient plus s’ils étaient “de gauche” ou “de droite”,
mais qui savaient qu’ils avaient faim, dirent : “le chauve a raison”.

330
Et le chauve fit très bien. Il ne parla pas au peuple de “matérialisme
dialectique”, il leur parla de “pain et de paix”. Voilà l’une des
principales leçons du XXème siècle.
Il est ridicule de vouloir transformer la société en imitant
l’histoire, en imitant des symboles. Les expériences d’autres pays, les
événements qui appartiennent à l’histoire ne se répètent pas. La clé
c’est d’analyser les processus, de tirer les leçons de l’histoire. Et de
comprendre qu’à chaque moment de l’histoire, si le “pain et paix”
que l’on prononce n’est pas connecté avec les sentiments et les
pensées des gens, on ne fera que répéter, comme une farce, une
tragique victoire du passé.

V.R.P de l’indignation

Que doit faire un bon vendeur ? Aller vers le client et avec des
mots et des techniques de communication emporter son adhésion, le
faire fléchir, l’aider à se décider, voir le bousculer un peu. Il le fait
pour toucher son pourcentage, pour son intérêt et celui de son
employeur.
Que cherche à faire le militant d’un parti ou d’une association qui
veut l’ordre des choses change ? Convaincre, persuader, faire
réfléchir, entrainer l’adhésion.

Que se passe t’il lorsque nous sommes tous devenus perméables


aux valeurs marchandes, lorsque nous finissons par nous sentir libres
de faire comme tout le monde au même moment ?
Le militant doit être d’un abord facile, agréable. Le message ne
doit pas faire peur au "client" d’un futur changement politique qui
sera mieux perçu s’il est vendu comme soft, cool, indolore, fait en
deux ou trois clics. L’avenir est sombre mais il faut vendre du rêve
pour pallier à la passivité. Nous sommes tombés bien bas.
Les journaux se sont adaptés : Les publications ont des maquettes
plus agréables à lire, sont plus accessibles, tout comme le journal
télévisé a changé un décor austère pour un décor très élaboré.
S’informer est devenu un divertissement. Tout devient plus facile

331
grâce aux nouvelles technologies. Moi je me suis toujours méfié des
gens qui promettaient de bien s’occuper de moi, de me simplifier la
vie, d’alléger ma charge, surtout lorsque je ne les connais pas.

Mon plan de développement était simple : Les braves gens, une


fois qui auraient lu nos tracts, une fois qu’ils auraient écouté nos
conférenciers, n’auraient plus qu’une idée en tête : s’informer pour
mieux agir et ils allaient venir m’acheter le journal.
C’est cette partie du plan qui a foiré !
J’ai fini par retrouver un boulot, après quelques mois d’idées
noires.

J’ai toujours considéré que mon engagement citoyen se résumait à


l’acte d’écrire. Je sais que cela ne suffit pas à m’acquitter de ma
quote-part, et, si je veux me sentir bien, je dois m’impliquer, ne pas
rester en marge de toute action collective. Je le sais mais je fais
quand même comme s’il en était autrement et je me cantonne à
quelques actions symboliques qui ne réclament que peu de temps de
présence "militante" et surtout pas d’engagement dans la durée.
Ce n’est pas facile de passer par des phases où tout vous paraît
simple - où d’ailleurs tout est finalement possible avec de la patience
et un minimum de rigueur - et des périodes où vous ne vous sentez
bien qu’en dormant.
Je me force à me lever pour aller bosser mais je suis en mode
automatique et dans un rôle bien convenu. Je ne suis plus dans la
peau d’un écrivain que par intermittence. En attendant que la forme
revienne, je fais ce que j’ai à faire, sans réelles convictions.
A chaque fois que je passe devant un kiosque, j’ai un petit
pincement. Je me dis que j’ai raté le coche, que j’ai raté ma vie. Ce
n’est pas la franche rigolade ces derniers temps.
Je commence à faire des petites concessions, des contournements
à mes principes. Je regarde la télé, je mange des quiches aux lardons,
je dépasse le litre aux 100 en consommation de spiritueux. J’accepte
l’idée d’être sous dépendance. Je connais des tas de personnes
formidables qui le sont. Elles ont la main lourde sur l’apéro mais je
les trouve plus intéressantes que des personnes qui ont la maitrise de

332
leur consommation. Pour autant, j’entrouvre la porte à la vie de
minable qui m’attend si je n’arrive pas à réagir à temps.
Il est facile de se laisser aller. Il n’y a nul besoin d’aller sur un
banc public pour dégringoler. On rentre chez soi le soir, sans énergie,
vide et on s’avachit devant une télé. On ne sait pas où l’on sera dans
une semaine. On sait que l’on ne doit pas s’écouter, se forcer à aller
mieux mais on ne contrôle plus grand chose, et en tous les cas, pas
ses émotions.
Quand on perd quelqu’un, on peut finir par se résigner en accusant
la fatalité. Quand on se fait plaquer, on peut finir par se consoler en
se disant que l’on ne peut forcer personne à vous aimer, mais là ce
qui m’intéresse, présentement, c’est de laisser faire ma bonne étoile
mais en lui donnant des gages de bonne volonté. Après tout, je n’ai
que perdu un logement et une boutique. Peut-être qu’au moment où
j’ai peu de répit, je me mets en danger pour risquer de tout perdre
afin d’avoir des matériaux pour bâtir une véritable histoire non
conventionnelle. Qui sait ?
Il est bien plus facile de descendre des pintes que d’écrire. Lever
le coude au lieu de se bouger les miches. C’est une fois de plus, Dan
FANTE, qui m’a aidé à m’y remettre. C’est un écrivain talentueux,
un mec qui prétend être un looser tout simplement parce que gagner
du pognon facilement en entubant les gens lui était devenu
insupportable. Alors il s’est trouvé des boulots d’appoint.
Je me force à me lever pour aller bosser mais je suis en mode
automatique et dans un rôle bien convenu. Je ne suis plus dans la
peau d’un écrivain que par intermittence. En attendant que la forme
revienne, je fais ce que j’ai à faire, sans réelles convictions.

Je suis devenu distributeur de lettres et de publicités postées. Pas


comme le postier des années soixante dix, je suis facteur remplaçant,
à durée déterminée. Je m’agite mais même les éclairages des hall
d’immeuble sont contre moi. Les ampoules me rappellent que le
temps est minuté, que le temps c’est de l’argent, qu’il faut être
rentable.
Je n’arrive pas à finir ma tournée dans le temps réglementaire. Il

333
faut que j’apprenne à mieux m’organiser, que je gagne du temps, que
je sois plus performant. Lorsque je maîtriserai mon secteur en
apprenant par cœur des listes de noms (les réexpéditions et la
cartographie des boites aux lettres), on me signifiera, la veille, la fin
de mon contrat.
Je dois donc anticiper pour trouver un autre emploi de cet acabit.
Il faut bosser vite, on a plus le temps de flâner. Elles sont bien loin
les années du flower power. Une période de l’histoire contemporaine
au cours de laquelle les conditions de vie et de travail étaient plus
pénibles pour la plupart mais les gens prenaient le temps de
s’envoyer du courrier et de lire un quotidien par jour.
Il est interdit par le MEDEF d’être passéiste et rétrograde. Il
convient d’aller dans la direction montrée du doigt par les notables.
Cette direction est celle de la médiocrité et de la soumission.
Les critères d’employabilité induisent la servilité. Je suis en CDD
de courte durée. A ce titre, je n’ai pas les mêmes droits que les
titulaires. Je n’ai pas de tenue de travail. Je suis censé passer à
travers la pluie et ne pas avoir besoin de chaussures de sécurité.
J’arrive avant les autres et je pars le dernier. Il y a quelques années,
ce genre de situations n’étaient pas permises. Un facteur était formé
et pouvait espérer être embauché durablement. Les gens n’ont plus le
temps de s’écrire alors la Poste ne cherche pas des facteurs qui
aiment le métier mais utilisent sans vergogne des bouche-trou
jetables. Ce n’est pas la Poste en tant qu’institution qui est en cause.
Elle doit s’adapter aux nouvelles méthodes d’organisation élaborées
par les génies du progrès.

Doté d’une expérience significative en vente auprès des


particuliers, vous êtes reconnu pour votre relationnel, votre
persévérance. De nature motivé, dynamique, passionné par ce
concept de vente ….

Je rêve souvent de mon père. J’ai des flash, des souvenirs qui se
manifestent à tout moment. Aujourd’hui, nous avons longuement

334
conversé. Il m’a expliqué que le factuel n’intéressait personne. Mes
petits soucis de gestion de mon échoppe à presse ne concernent que
moi et les gens avec qui j’étais forcé de bosser (mes fournisseurs).
Mon livre était mal ciblé et mon plan marketing était zéro. Il n’allait
pas se vendre, comme pour les autres. Je n’utilisais pas assez mon
imagination et donc je ne faisais pas correctement mon boulot.

Alors dans mon histoire, oubliez tout ce que j’ai pu raconté et


faisons comme si j’avais pu maintenir mon kiosque ouvert. Un
écrivain, s’il se contente de rendre compte du quotidien dans ce qu’il
a de plus banal ne peut intéresser que les insomniaques.
La roumaine qui faisait la manche à la poste, avec son bébé
toujours endormi, au début de l’histoire, au lieu de la parquer dans le
lot des damnés de la terre, un écrivain un peu éveillé aurait raconté
une histoire dans laquelle elle et son mari se battraient pour vivre et
pour déjouer les préjugés véhiculés dans les journaux pour écervelés
mais n’est pas écrivain qui veut… La seule question qui me restait à
trancher était celle-ci : Souhaitais-je toujours organiser ma vie pour
donner la priorité à l’écriture ? Faute d’avoir réussi ma vie, j’ai
cherché un strapontin dans le vaste monde des rêveurs indisciplinés.
Alors je suis devenu écrivain sans public, écrivain mondialement
inconnu, mais écrivain quand même.

Ne regardons dans la lorgnette que ce qui fonctionne !


Des jeunes ont réussi à organiser dans une ville de vieux, une
ALTERNATIBA, une manifestation grand public autour du thème
fédérateur du réchauffement climatique et d’autres personnes en
dehors du cercle habituel des militants se sont intéressées à cet
évènement ! Il y a eu une bonne participation !
Un mouvement de la gauche réelle a réussi à percer et à imposer
aux puissants un revirement de la situation : Nous ne voulons pas de
votre austérité ! Et l’aube dorée , le parti d’extrème droite, qui les
attendait au tournant, s’est viandé !
De plus en plus de salariés licenciés ont repris leur boites avec des
repreneurs et des financiers non véreux. La NEF est devenue la
banque alternative de référence. Elle a investi dans l’humain et non

335
dans les portes blindées. Sans utiliser d’alliages toxiques, elle est
devenue une institution solide et durable…

Journal de bord d’un soûlard

Premier jour :
Betty, ma logeuse m’a foutu à la porte, et ce faisant, le coup de
pied au cul a été opportun. Une autre main s’est tendue et j’ai
considéré que si de mon côté je ne faisais pas d’effort pour y voir
clair, que je ne vaudrais plus rien.
Il ne fallait pas trop compter sur les autres non plus. Si je n’étais
pas à la rue, ce n’était pas par mon mérite, c’était simplement parce
que j’avais encore des amis et la famille, mais si je ne faisais pas
rapidement la démonstration que je n’étais pas qu’un glandeur
irresponsable, raté et indigne de confiance, bref, si je ne me prenais
pas en main, j’allais rester sur le carreau.

Ce matin, lundi, je dois commencer mon sevrage, en ambulatoire


car mon cas est loin de nécesssiter une hospitalisation. Pendant les
quelques jours à venir, je vais éprouver un manque, je vais être
nerveux mais si je veux m’en tirer, je dois m’imposer ce que je
n’arrive pas à faire depuis des mois.
Au bout de trois jours, je vais déjà me sentir mieux, confiant et
c’est là que je peux décider de relâcher le contrôle, sur un simple
coup de tête, sur une pulsion.
Ma dépendance à l’alcool est psychologique et mes grands projets
et mes belles intentions ne seront que des feux de paille si je ne
change pas.
Je suis dans une situation très merdique dont je peux encore me
tirer. Cette situation n’est pas directement provoquée par ma
consommation d’alcool (pas excessive mais la dépendance est ré-
apparue. Quand on dit qu’un ex alcoolique ne doit plus boire, même
des alcools légers, c’est fondé) mais je ne peux pas m’en tirer en
tisant pour me calmer.

336
Je néglige tout, mes papiers, mon chat. Je n’ai toujours pas fini les
modalités pour fermer mon activité de kiosquier et le compte
bancaire lié. Je ne fais rien dans les délais, je ne fais rien de ce que je
prévois.
Lorsqu’il m’arrive une tuile, je peux dire que c’est le destin ou la
scoumoune mais lorsque je dois payer des pénalités de retard, c’est
simplement parce que je n’ai pas fait ce qu’il fallait en temps et en
heure.
Le quotidien réserve son lot de surprises et on doit s’adapter. On
ne peut jamais tout prévoir avec certitude mais ce qui est certain c’est
que si je passe ma soirée à boire de la bière en tuant le temps sur
internet, j’aurais du mal à émerger le lendemain et à être efficace,
donc organisé.
J’arrive toujours à finir les choses mais il me faut un temps
démesurément long, anormalement long.

Je sais exactement ce qui va se passer entre ce matin où je suis


serein, presque détendu et à midi où je vais avoir la boule au ventre.
C’est juste un passage. Le soir, je me sens bien car j’ai passé une
première journée libre.

Deuxième jour :

Ce matin, je me suis réveillé plus tôt qu’à l’accoutumée, à peine


plus tôt mais bien plus en forme. J’ai en tête mon emploi du temps de
la journée. Je me sens assez bien pour quelqu’un qui ne sait pas où il
ira la semaine prochaine, qui est conscient qu’il ne pourra séduire
personne tant qu’il sera dans une situation désespérée mais pas
encore irréversible…
Quand j’écrivais » l’histoire de ma déchéance » en prologue de ce
livre, je ne pensais pas que cela serait vrai. Jusqu’à présent, l’écriture
me servait à y voir plus clair, à m’améliorer. Cette place que je lui
accordais, était méritée et m’apportait un réconfort. Là, il faut que je
laisse fermées mes paupières pour ne pas voir à quel point je suis mal
barré. Mes rêveries m’ont amené à passer mon temps à me trimballer

337
d’un endroit à l’autre. J’ai vraiment envie de me trouver un havre de
paix.

A qui la faute ? Au lieu de remanier mon curriculum vitae et à


écrire des candidatures à tire-larigot, je passe des heures sur les
réseaux sociaux et les de sites de rencontres peuplés de gens bizarres
et devant la télé. Je passe mon temps à rêvasser, à me souvenir des
jours heureux de mon enfance.

J’ai galéré à remonter des meubles chez une cliente et ce soir,


j’aurai eu envie de descendre d’affilée deux bières, mais si je fais ce
que j’ai envie, dans l’instant, je suis foutu.

Troisième jour :

Je me suis couché tôt, à 23 heures, car je n’avais pas le moral et je


pensais me lever tôt pour faire mes papiers administratifs et essayer
de récupérer mon CV sur l’une de mes clefs usb car à force de
changer d’adresse constamment, on finit par perdre des papiers. C’est
mon chat qui m’a réveillé à 8 heures passées. Je n’avais pas envie de
faire la course contre le temps alors j’ai bu mon café tranquillement.
Je me sens apaisé.
On arrive à se défaire habitudes facilement en définitive. Le
cérémonial du matin avant de partir, les trois cafés en écoutant la
radio, ses affaires, son confort, ses manies, tout ce que auquel on
croyait être attaché… Au fur et à mesure de mes déménagements,
j’adapte mon exigence de confort. Quand on n’a pas le choix, on ne
chipote pas.

J’ai fait ma mise à jour au RSI, j’ai retoqué mon CV mais comme
j’ai du mal à me concentrer, il me faut du temps alors je suis arrivé à
midi sur mon lieu de chantier et j’avais honte d’être ainsi. Alors j’ai
eu envie de m’envoyer un pastis pour dissoudre la boule au ventre
mais je me suis raisonné. Alors j’ai mangé, j’ai fait une sieste et j’ai
écrit quelques lignes, histoire de dire que j’avance un peu.

338
Quatrième jour :

Trouver un logement contre services. Homme de compagnie,


chauffeur, homme d’entretien, hommes toutes mains. J’ai passé une
partie de la journée à faire des lettres de motivation et à postuler et
puis à utiliser internet pour trouver des logements bon marché pour
bons à rien. Si je ne réagis pas à temps, je sombre. Ce n’est pas
facile. C’est comme pour trouver une copine agréable, c’est toujours
une question de concordance Lieu/temps. L’action adéquate, juste au
bon moment et au bon endroit. En théorie, il est évident que des
femmes seules se font chier et apprécieraient ma compagnie. En
théorie, des proprio y trouveraient leur compte en recevant un bon
coup de main pour des travaux contre un hébergement temporaire. Il
y a toujours moyen de s’arranger. Il faut juste définir avec précision
les contours d’un accord. Avec Betty, les choses n’avaient pas été
clairement définies et le moyen de régler le loyer était peu orthodoxe,
d’où le clash. Pour payer l’amende, il suffisait de prononcer une
seule phrase, une phrase que même désespéré ou même torché, je
n’aurais jamais prononcée.

Cinquième jour :

Je me sens moins fort que le roquefort mais je me sens vachement


mieux. Je vois les choses avec plus de clarté. Si je regarde de trop
près, je vois l’étendue de la merde dans laquelle je me suis fourré
pour ne pas avoir assez mis l’accent sur l’aspect "relations
publiques". Je peux trouver une co-location à 300 euros qui ne soit
pas une arnaque mais la difficulté majeure consiste à trouver un
logeur qui accepte les animaux. Je ne me séparerai pas de mon chat.
Je vais trouver une solution, il me reste une semaine pour trouver.
J’ai une tête bien plus présentable depuis que je ne bois plus
d’alcool.
Je commence à mieux tenir mes listes de tâches même si ce n’est
pas encore gagné car je n’arrive pas à me fixer et à me concentrer.

Les raisons qui expliquent l’échec des trois mois passés avec

339
Betty sont les mêmes que celles qui font que j’ai été viré par les
Religieuses pour lesquelles je bossais dans une maison de retraite et
celles qui m’empêchent d’être un séducteur efficace. Je ne parle pas
comme il le faudrait, je ne dis pas les mots qui sonnent doux à
l’oreille. J’aime démystifier, appeler un chat un chat, une pute une
pute et tendre la glace à ceux qui se planquent derrière un paravent
de bons sentiments.

Évidemment, la séduction, c’est tout autre chose et il est sans


doute plus commode de ne se montrer que sous ses plus mauvais
jours, cela évite d’avoir à faire des efforts pour être à la hauteur de sa
réputation.
Le fait est que j’arrivais à faire de belles choses de mes mains
mais je mettais un temps inouï. Je savais aussi que je n’étais pas aussi
primaire que je m’en donnais l’air, je savais que je ne me définissais
pas que sous les habits d’un ivrogne. J’étais un mec bien qui ne
comprenaient pas que les choses de la vie puissent fonctionner
correctement, qui cherchaient toujours la faille ou le moyen de tout
faire écrouler.

Je connaissais des personnes qui trouvaient de bons jobs, qui


n’avaient pas peur de voyager loin de chez eux et pour qui l’aventure
ne se limitait pas à casser la routine en se refusant le droit à être
heureux.

Sixième jour :

La prouesse du capitalisme moderne a été d’aller encore plus loin


que "la réclame" en prenant possession de nos modes de pensées et
en "démodant" l’esprit critique". Il a pu rendre ainsi acceptable ce
qui ne l’est pas et trouver des modes de compensation à la violence
économique.
En picolant, je rendais supportable le fait de ne rien maîtriser à ce
qui m’arrivait. Je laissais ’la fatalité’ prendre le pilotage automatique.
Je me sens amer ce matin. Il me reste peu de temps pour trouver
une solution. Les annonces pour des logements en co-location sont

340
en accès payant. Il faut débourser 30 euros sans être certain d’y
trouver son compte. Je vais aller enduire mes murs de chaux, cela va
me faire du bien.

A FOND LA FORME !

Puisque des arguments ne suffiraient pas, il me fallait soigner


l’emballage. Je ne devais pas affoler les personnes qui me voulaient
du bien, ne surtout pas apparaitre comme un pauvre hère en voie de
marginalisation. Je ne devais surtout pas passer pour un mec
craignos. je devais exposer ma situation telle qu’elle l’était mais sans
insister, avec légèreté, autant que possible.
J’avais l’impression que l’Église avait perdu en influence mais
que le mode de communication des religieuses primait désormais : le
non-dit, les sous entendus, les kilomètres de phrases doucereuses
pour cacher le fiel.
Le capitalisme avait rendu acceptable ce qui avait été rejeté dans
le passé et réussissait à nous fourguer en guise de personnages
historiques de la trempe des Nelson Mandéla, Vaclav Havel, de
Gaulle et compagnie, des steve Jobs et autres capitaines d’industrie.
C’était du n’importe quoi ! Comme si un mec qui s’en tape de
l’intérêt public pouvait réussir quoi que que ce soit qui dépasse la
sphère économique. Et comme si l’économie devait supplanter toutes
les autres disciplines !

Septième jour :

Je n’ai rien écrit le septième jour. Je ne me suis pas reposé non


plus, j’ai rédigé des lettres de motivations pour des boulots
d’appoint. Les soucis domestiques prenaient le dessus sur la vie
d’artiste.

Huitème jour :

J’ai fait un texte très court, sans blabla, une petite annonce
envoyée en message privé et publiée sur face de bouc pour dire que

341
j’étais clairement dans la panade et cela a marché ! J’ai eu des
réponses. Les personnes que je connaissais n’allaient pas me laisser
tomber. Cela m’a fait plaisir et c’est cela qui me différenciait de
Mouna : J’avais des camarades qui ne tournaient pas les talons
lorsque le vent tournait.

Je suis très fataliste, je ne vis pas avec des remords mais il est
évident qu’en me reprenant en mains, tout simplement en ne
cherchant pas à m’évader virtuellement mais en prenant le temps
d’élaborer une fuite qui ne soit pas une "fuite en avant", cela devient
plus facile. Les problèmes de boulot, de sous, de logement se règlent
petit à petit. D’une part, grâce à un don conséquent de ma mère, qui
m’encourageait à changer de département pour un nouveau départ,
je n’avais plus de dettes. J’avais même un peu d’argent de coté pour
payer un meublé, le temps de trouver un emploi plus ou moins stable.
Je n’écrivais pas toujours sur ce qui s’était réellement passé et je
n’écrivais pas sur ce qui allait arriver mais je pouvais de nouveau
écrire sur ce qui pouvait éventuellement se produire. Pour la
première fois depuis des mois, je me sentais plein de vitalité, je
redécouvrais mon énergie.

Neuvième jour :

J’ai fait tout ce que j’avais prévu, dans les délais impartis. C’est
cela à mon avis qui peut rendre un homme heureux : arriver à faire ce
qu’il a décidé.

Bon évidemment, cela n’a pas duré ! En quête d’un rendez vous
galant, je me suis relâché l’après midi, j’ai réglé le dérailleur
n’importe comment et j’ai cassé ma chaine de transmission. La
gourde n’était pas au rendez vous et m’a prévenu cinq minutes avant.
En tous les cas et c’est mon seul motif de fierté actuellement : je
tiens bon!

342
DEE DEE S’ENNUIE

Dee Dee DIESELOS s’emmerde. Rien à voir, rien à faire. Dormir,


écouter la radio, faire ses besoins, manger, chasser les mouches.
Encore un changement de résidence, allez hop !

Je n’ai pas d’enfants, je n’ai que lui. Je me bats pour lui, je veux
lui offrir une autre vie mais comme je me tue à lui dire, c’est la crise
mondiale. Nos experts font tout ce qu’ils peuvent pour réparer mais
cela prend du temps. Et lui me dit que cela fait des décennies qu’on
lui sert la même rengaine et qu’il faut inventer autre chose car cela ne
marchera plus. C’est fini de vivre au dessus de ces moyens, de
prélever dans le stock, d’hypothéquer sur l’avenir des générations
futures. Et là, j’explose de rire ! Voila qu’il me cite ce qu’il a vue sur
Face de bouc, il me parler du chef indien Seattle ou je ne sais qui !
Non d’une nonne, ce chat est d’une naïveté déconcertante !

Comment ? Un chat ne parle pas, un chat ne pense pas comme un


humain ? Je ne parle du vulgus pecus cat, mais de Dee Dee !

Auguste fait semblant d’être très occupé, auguste fait semblant de


savoir où il va et fait semblant de trouver des solutions. Il est dans
l’illusion mais il n’est pas le seul puisque nous croyons
généralement que nous allons régler le problème du réchauffement
en climatisant nos bagnoles de série et que la technologie va nous
sauver…

Auguste met du temps chaque matin à se mettre le sourire en


place. Il ne veut pas lâcher. Au départ il a commencé par faire des
choix, par reprendre possession de son bonhomme de chemin alors il
a appris à se passer d’engins mécaniques, à ne plus acheter
d’outillage qui reste dans un coin et puis après, il n’a rien choisi, il a
subi et de nouveau, par lucidité, il veut s’adapter à un nouveau mode
de vie à la fois voulu et imposé par la nécessité. Un mode d’existence
où l’on déménage souvent, donc autant réduire les affaires inutiles.
Auguste n’a pas d’autres ambitions que celles d’être lu un jour.

343
Pour cela, il va apprendre à se passer d’internet en soirée pour
pouvoir écrire de manière soutenue.
Auguste foire sa vie à se raconter qu’il ne vaut pas un kopeck et
qu’il ne sait rien faire d’autre que de s’adapter aux situations
nouvelles.
Auguste est triste et comprend qu’il ne sera pas lu, alors il peut
faire ce qu’il fait quand il a picolé, raconter les pires horreurs sur
son compte..

C’est le même mécanisme mental que celui de la dépendance à


l’alcool qui vous fait vous promettre que demain vous allez vous
concentrer sur votre travail et être efficace car vous avez
suffisamment perdu de temps. Vous vous le promettez mais vous ne
le faites pas car vous êtes votre seul juge. Vous savez que vous êtes
en train de paumer votre journée mais vous le faites quand même,
dans le même état de pensée critique qu’un téléspectateur endurci pro
du zapping, faute d’avoir d’autres compétences.
On en arrive à un point où faire preuve d’esprit est mal considéré.
Il ne faut pas détonner !

Moi je ne décide de plus rien. Je n’organise rien. A cause de moi


pour l’essentiel, pas à cause d’un environnement social ou
économique qui me placerait dans la même position qu’un
producteur d’huile d’olive vivant dans les territoires occupés qui est
constamment obligé de s’adapter au bon vouloir des occupants, aux
contraintes administratives, à la violence quotidienne. Moi je dois
m’adapter à mes sauts de puce mentaux.

Je suis tellement d’humeur sombre que je pense que militer


revient à perdre son temps. Quelque part en moi, la part de lucidité
que je conserve me pousse à reconnaître que je suis en train de fuir le
temps, de le tuer à coup de pulsions. Pourtant je me doute bien que
Free Angéla n’a été soutenue que par un noyau d’individus, au tout
début, et la sauce a prise. Que les végétariens deviennent un groupe
d’influence à force d’être présent etc … J’ai beau le savoir, je suis
toujours enclin à céder aux sirènes de la résignation.

344
Le même mauvais geste qui me poussait à lever le coude me fait
enclencher le déclenchement des dialogues à deux balles sur internet,
à la recherche d’un cul. Il s’agit d’une véritable dépendance. Tu sais
que tu es en train de te perdre mais tu le fais quand même. Tu te mets
en retard sur ton travail mais tu le fais. Tu es incapable de t’organiser
seul, de te maîtriser et tu vas devoir être cadré en tant que salarié car
tu ne peux plus actuellement être indépendant. Ton moral est en dents
de scie, tantôt tu es plein d’allant, tu es capable de téléphoner de
donner une bonne impression, tantôt tu te méprises tant que c’est
affiché en gros sur ton visage de perdant.

En fait, j’attends une femme, une vraie femme, amie et amante.


Tout ma vie est orientée vers cela. Je vais prendre mes pauses
déjeuners dans les parcs pour cette raison, je lis le journal dans le
square, je m’assoie face à la mer, pour qu’elle me trouve.
A mon age, trouver un emploi n’est pas simple et j’ai finalement
trouvé un emploi en voie de disparition, comme celui de kiosquier :
postier. Après des semaines de doutes, avoir enfin pu trouver in
extremis un emploi m’a sauvé la mise. Je peux encore m’en sortir.

J’ai appris une chose et je sais en mourant


Qu’elle vaut pour chacun :
Vos bons sentiments, que signifient-ils
Si rien n’en paraît en dehors?
Et votre savoir, qu’en-est-il
… S’il reste sans conséquences?
[…]
Je vous le dis :
Souciez-vous, en quittant ce monde,
Non d’avoir été bon, cela ne suffit pas,
Mais de quitter un monde bon"

Bertolt Brecht
Sainte Jeanne des abattoirs.

345
et un autre poème, plus contemporain :

Le Téléprospecteur est un acteur principal du processus de vente.


En synergie avec la force de vente terrain, il émet des appels dans le
but de qualifier les rendez-vous, avec pour objectif unique et
commun d’aboutir à la signature de contrats. Votre profil : -
Première expérience réussie d’un an minimum en téléprospection
vers les professionnels - Bonne élocution, - Sens du contact, -
Dynamisme, - Connaissance du secteur d’activité de notre
entreprise, - Ambition, envie de réussir. Vos missions : - Développer
un portefeuille clients existant dans une démarche d’avant vente, -
Véritable garant de la qualité de service, proposer une offre adaptée
aux besoins des interlocuteurs, - Réaliser les objectifs quantitatifs et
participer à l’atteinte des objectifs, - Assurer les tâches consécutives
au contact (suivre l’activité, relance des prospects, renseigner les
fiches, …), - Communiquer les informations pertinentes en temps
réel à son encadrant.

Je n’avais pas envie de réussir, pas envie de me donner corps et


âme dans une entreprise qui ne cherchait que son avantage et qui
habillait la misère de mots sonores et dynamiques, dans l’ère du
temps. Je n’étais pas opposé à l’effort, c’était cela qui me faisait me
méfier des syndicalistes et de mes amis de gauche. Je détestais être
payé à rien foutre. Le temps consacré au travail ne devait pas être
celui de la désinvolture et de la discussion à bâtons rompus. Je savais
repérer rapidement les personnes qui faisaient savoir à tous qu’elles
étaient submergées de travail alors qu’elles glandouillaient en toute
impunité dès que les cadres avaient le dos tourné en s’affairant à la
mise au point, depuis leurs sièges, de procédures censées améliorer la
productivité.

C’était en cela que j’étais contradictoire. Une première impression


me faisaient me méfier des personnes syndiquées mais rapidement, je
comprenais les rouages d’une organisation bureaucratique qui sous
couvert de modernité, remettait au goût du jour la lutte des classes.

346
Les intérêts de mes patrons ne pouvaient être les miens dès lors
qu’ils ne songeaient qu’à leur intérêts au détriment du mien. Il n’y
avait pas de coopération possible et les syndicalistes permettaient de
rétablir un certain équilibre, de limiter les dégâts.
Je ne trouvais ma place nulle part.

Beaucoup de gens, même s’ils ne profitent pas directement de ce


système, ne voudraient pas que les lignes de partage se déplacent Ils
veulent bien aller gueuler dans la rue mais tant que leur machine à
laver ne les lâche pas, tant qu’ils peuvent avoir toutes ses machines
qui facilitent leur quotidien en les coupant de toute possibilité
d’autonomie, ils n’ont pas vraiment envie que le monde change. Je
faisais partie de ces gens.
Le système est pourri, cela fait des années qu’ils le répètent à qui
veut l’entendre mais ils sont bien lotis, alors on ne sait jamais. Le
système politique ne leur plait pas, mais l’idée récurrente est que
c’est mieux aujourd’hui qu’avant. Les choses peuvent ainsi durer,
"tant que cela peut durer"…
Si on veut ne plus laisser les gens faire n’importe quoi et polluer
toujours et encore plus, plus par facilité que par souci de faire des
économies, et que l’on veut utiliser d’autres moyens que la
contrainte, les amendes ou l’incitation fiscale, il ne faut pas les
effrayer dans notre manière d’aborder les problèmes pour pouvoir les
atteindre, les convaincre.

347
La lettre de Marcello

Lettre de Marcello
(Extrait de l’habilitation BMC, un livre non publié)

J’ai été trop longtemps malheureux. Je ne savais pas ce que je


voulais vraiment alors je détestais tout : les cérémonies, les fêtes de
fin d’année, les rassemblements, les groupes.
J’en voulais au monde entier. Ce que nous étions, collectivement,
en train de faire ne me plaisait pas mais je ne faisais rien pour
l’empêcher, je me contentais de contempler le désastre, alors j’étais
miné.
J’ai monté une petite entreprise qui a bien marché et pour me
donner bonne conscience, j’utilisais quelques produits estampillés
"développement durable". Je savais bien que cela ne pesait pas bien
lourd, mais au moins je le faisais. En fait, j’essayais d’y croire mais
je savais bien qu’il y avait une grosse part de cinoche dans tout ce
bazar de développement durable. J’étais donc assez à l’aise
professionnellement mais j’étais comme "ravagé de l’intérieur", pas
du tout en paix et pas heureux en ménage, disons, pas bien "assorti".

J’attendais la fin d’un monde et le signal de la révolution, mais je


constatais que les gens étaient amorphes, beaucoup moins combatifs
et imaginatifs que nos parents indignés des années d’après guerre.
Les gens s’étaient fait happer par les délices vantés par la petite
baleine de la société de consommation et ils se sont fait bouffer tout
crus ! Et moi avec ! J’avais la pointe en téléphonie, en informatique

348
et en outillage je n’arrêtais pas d’acheter les nouveautés mais je
trouvais cela ridicule. Je ne voulais plus de cette courses contre le
Temps, j’aspirais à tout autre chose. Seulement, je ne le faisais pas.

J’attendais le top départ pour changer, et en attendant de faire la


révolution, je levais le coude. Quand le dispositif serait entièrement
déployé, j’étais décidé à poser ma bière et à acheter le journal à la
place et je ferais alors mon entrée, mais vous en doutez, les
événements en ont décidé tout autrement.
J’ai rencontré une femme extraordinaire, qui m’a pas mal
bousculé. Vous la connaissez, peut-être vous souvenez-vous d’elle,
nous sommes venus à l’une de vos toutes premières sessions de
formations.

Il s’agit de Vénéra, une féministe qui avait entendu parler de votre


stage "habilitation BMC". Elle avait lu un article dans le mensuel
SILENCE. Votre entreprise coopérative n’était pas encore connue en
dehors de la "presse pas pareille". Vénéra voulait que je change et
que cela aille au delà des gestes symboliques. Elle ne voulait pas que
je sois "comme Monsieur tout le monde"… Contrairement à d’autres
femmes, elle ne cherchait pas à vivre dans un cocon mais à voler
toujours plus haut. Elle ne voulait pas que je change dans le sens de
me faire accepter de voir la réalité autrement, de me faire croire que
le monde était doux, fini et merveilleux, et que le dernier machin
truc que l’on pouvait payer en dix mensualités était devenu
indispensable. Elle ne me demandait pas de me complaire dans une
société sans projet politique qui me procurerait du plaisir uniquement
en faisant comme les autres et en courant après je ne sais quoi. Elle
voulait que je m’engage avec elle dans le féminisme, histoire de
développer mon esprit critique. Elle trouvait que je parlais beaucoup
du monde futur idéal mais qu’elle aimerait mieux que j’agisse, plus
humblement, mais plus sûrement et je savais qu’elle avait raison. Je
lui laissais faire le sale boulot pendant que je lisais des manifestes
politiques. Je considérais que son boulot était moins fatigant que le
mien mais c’est elle qui m’a fait prendre conscience, qu’au fond, cela
revenait à lui dire que mon temps était plus précieux que le sien.

349
Lire des manifestes, préparer des devis, étaient plus important que
de préparer la tambouille. Elle ne voulait pas de cette vie là. Elle
préférait que je fasse moins de chantier, que je gagne moins de
pognon, mais que je sois plus disponible.
On a failli se séparer à ce moment là. Et puis, il y a eu votre stage
qui nous a "fédéré" car vous nous avez fait rêver. (Nous nous
sommes séparés depuis mais nous sommes tous les deux heureux "en
ménage"). Il est tombé pile poil.
J’ai trouvé que c’était relativement facile de remettre en question
des vieilles répartitions de rôles. Nous n’avons plus eu besoin de la
télévision. Nos soirées étaient suffisamment animées ainsi. Déjà en
discussion, en négociations permanentes ! Vénéra ne lâchait sur rien,
à commencer par l’emploi de certains mots. C’est la conférence que
vous avez organisée, celle animée par Clémentine AUTANT et de
Diotima MELODIE qui l’a ébranlée ! A partir de là, elle s’est
documentée, elle a participé à l’infokiosques et elle a rejoint des
groupes libertaires. Je l’ai parfois accompagné, j’ai mis plus de temps
qu’elle à perdre de très mauvaises habitudes. J’ai de nouveau eu
envie de sortir. Pas seulement pour aller au restaurant, pour voir des
choses, voir des spectacles vivant et assister à des débats publics. Et
j’ai changé ! Et je tenais à vos dire un petit grand merci.

Je bosse à présent dans une recyclerie. Nous accueillons des


personnes qui veulent réapprendre à être autonomes, qui aiment se
débrouiller. Je ne pensais pas,après les sales épisodes que nous avons
connus, que le monde irait mieux et que les gens se
réapproprieraient l’espace et la parole.
J’ai cru que nous allions nous entre-déchirer, que les événements
allaient s’aggraver. J’ai eu très peur.
Les désordres se sont accélérés car il y a eu de nombreuses crises
pour définitivement enterrer le modèle des jours heureux, le modèle
issu de la RÉSISTANCE.
Des crises mais pas tellement de cris des gens laissés sur le
carreau. Plus personne ne croyait au fameux "cela ira mieux demain,
serrez vous la ceinture encore d’un cran". Les divertissements
n’étaient pas assez grandioses pour nous faire oublier les sacrifices

350
pour les évadés fiscaux.
Il y a eu un moment où l’on ne pouvait plus fêter Noël, on faisait
comme les Brésiliens qui trimaient dur pour leur carnaval, on en
bavait toute l’année, on serrait les dents, on faisait gaffe à nos fesses,
et puis un jour, il y a une femme qui a planté son grain de la colère et
tout le monde l’a suivi, comme un seul homme.
Vénéra m’avait bien formé politiquement, il y a eu votre stage
aussi. Je me sentais prêt.

Dans mon bled, On a fait comme partout, on s’est soulevés ! Nous


avons refusé d’être asservis.
D’où c’est parti ? Je ne sais plus. Des rassemblements, des petits
livres, des émissions de radio, l’internet, la rue ? On a voulu
réapprendre à devenir libres, alors on a redécouvert les mouvements
d’éducation populaire.
C’est le féminisme qui nous a sauvé ! Au 19 ème plan de
sauvetage de l’euro et des avantages acquis des financiers, les
femmes ont sifflé la fin de la récréation.

Il y avait plein de choses contre lesquelles personne n’avait plus


envie de lutter et cet agglomérat de petites choses avait conduit à une
situation très très merdique. On acceptait des situations aberrantes de
soumission, de domination, des entorses à l’élan démocratique. On a
dit tout simplement "ras le bol ! on ne veut plus de tout ça" On a
envoyé les financeurs se bouffer entre eux dans un bantoustan à
Monaco, on a bombardé quelques paradis fiscaux et on s’est mis à
réfléchir sur le comment faire autrement et le pourquoi nous en
étions arrivés là. Nous sommes tout simplement redevenus vigilants.

"A propos de ces très jeunes partisans, la question que j’aimerais


que l’on se pose n’est pas de savoir ce que nous aurions fait à leur
place mais plutôt ce qu’eux feraient à la notre aujourd’hui." Robert
Guédiguian (l’armée du crime – l’histoire des jeunes résistants du

351
groupe Manouchian)

352
Happy end

Conformément à mon plan Marketing initial, mon plan séduction


"grand public, voyons les gens en grand, voyons les choses
positivement", je ne peux absolument pas vous quitter sur un constat
d’échec.

J’ai été échaudé par la réflexion d’une jeune écrivaine totalement


inconnue qui me parlait de héros positifs, voire même de super-héros,
car c’est cela qu’aimaient les jeunes. Les paumés, les vieux cons
rabat-joie et rabâcheurs, c’était craignos, c’était has been, et prends
toi ça dans ton sourire émail diamant !
Dont acte. Je le note sur mon filofax.

Un dernier grognement avant d’attaquer le vif du sujet ? Juste


pour la route !
Allez quoi, c’est tellement plus simple de grogner …

Je ne pouvais pas continuer à engraisser ces ploutocrates !


J’ai fermé le kiosque, j’ai fermé mon entreprise individuelle. J’ai
vécu quelques mois avec l’argent du hold-up de la banque postale
réalisé par ma cliente qui a bien voulu se dévouer pour sauver la
presse, enfin me sauver moi, ma peau, parce qu’elle était folle de
moi. Lorsque je suis venu lui rendre visite au parloir, elle m’a
indiquée l’endroit où elle avait planqué le maigre butin.

J’ai vécu heureux en vivant caché, le temps que des gens idiots de

353
la fachosphère fassent leur baroud d’honneur, et quand les autres
gens mi figues mi raisin ont enfin réalisé qu’il fallait quand même se
lever avec la gueule de bois, se lever pour changer, j’ai compris que
le vent avait tourné et que je pouvais sortir de mon cocon.
J’ai monté une nouvelle entreprise que je me suis empressé
d’affilier à un réseau de coopératives et là, j’ai commencé à y croire.

Je sais très bien que c’est un moment charnière à saisir, que cela
ne va pas durer. Je crains qu’après quelques mois d’emballement,
d’intense créativité, les gens finissent par se lasser et reviennent à un
mode de vie plus pépère en abandonnant leurs responsabilités à
d’autres. Je fais partie des gens qui se méfient des réactions
populaires. Je ne crois pas le citoyen assez éduqué pour être capable
de vivre pleinement un idéal républicain, une démocratie vertueuse.
Seulement, il faut le faire, tenter le tout pour le tout.
J’ai progressé, grâce à mes lectures (L’Humanité et Politis,
principalement)
Je ne vois plus simplement les syndicalistes comme étant des
défenseurs d’intérêts corporatistes mais je vois le courage qu’il leur
faut pour résister aux pressions, chercher des compromis et défendre
leurs collègues qui sont intimidés ou condamnés lorsqu’ils se
défendent.
Je n’ai même plus de ressentiment contre les écolos bobos. Je ne
parle pas des snobs, je parle de ceux qui ont les moyens de vivre en
profitant à gogo mais qui essayent de limiter la casse et donnent du
travail à ceux qui se battent pour faire vivre leurs idées. Je préfère un
écolo bobo qui confie ses projets de rénovation à un architecte
bioclimaticien à un écolo farfelu qui sent des pieds et qui fabrique lui
même son éolienne avec des pales en carton.

Ce qui compte c’est de trouver des pistes et mener à bien des


projets qui sont la démonstration que l’on peut faire autrement et que
ce n’est pas triste !

Personne n’est parfait et ils sont bien nombreux ceux qui nous
attendent au moindre faux pas pour nous juger et nous prendre en

354
"flagrant délit" de défaut de cohérence. Ils se tiennent en embuscade
et nous guettent.
Ils n’ont que ça à faire, juger ce que les autres font.
Les gens moyennement informés de la classe moyenne
continueront à utiliser des colles toxiques, à mettre des fenêtres PVC,
de la laine de verre et à acheter du poulet à 1,40 €.
Les gens savent que ce n’est pas très sain et que cela va leur
retomber sur la gueule tôt ou tard mais ils préfèrent s’en foutre et
rester dans l’ignorance.
Alors, qu’ils crèvent ou qu’ils s’en aillent sur une colonie flottante
dans la haute atmosphère de Vénus !

Les lanceurs d’alerte, les utopistes, et les militants que je côtoie


ne me font plus tellement peur. En dehors de passer une partie de leur
temps libre à se crêper le chignon entre eux, ils sont dans une
recherche permanente de solutions et il n’y a pas à tortiller, je préfère
définitivement ceux qui cherchent à ceux qui râlent.

Entre aller manifester pour ou picoler, j’ai très longtemps opté


pour la seconde solution mais mes priorités ont changé, et c’est à eux
que je le dois. Le temps n’était plus à dresser des constats mais à
l’action. Je fais partie de ceux et celles qui savent "qu’il faut y aller",
mais qui ne sont pas trop pressés "d’en être"…
Pour certains, l’élément déclencheur était le changement radical
des habitudes alimentaires. Que le plus grand nombre cesse de
manger de la viande et toute la société allait être transformée en
profondeur ! Pour d’autres, l’angle d’attaque était la transition
énergétique. Sortir de l’ère de l’énergie abondante et bon marché et
du tout nucléaire. En passant à l’age de la sobriété énergétique, on
agissait sur les modes de production, les transports, les relations
commerciales.
Il y avait aussi des chercheurs de solutions qui pensaient que le
changement ne viendrait que par un renouveau spirituel. Chaque
personne devait apprendre à vivre plus sainement en harmonie avec
la nature.
Des agitateurs d’idées pensaient que l’argent était à la base de

355
toute la société moderne et que c’était le levier à actionner en
premier.
Je ne savais pas sur quel bouton il fallait appuyer en priorité. Je
savais que signer des pétitions en ligne via les réseaux sociaux ne
suffirait pas cette fois.

Je défendais mes intérêts de marchand de journaux et je prétendais


que l’on trouverait déjà pas mal de solutions en lisant certains titres
et livres, même s’il fallait y aller en tâtonnant, sans trop se presser,
mais il fallait y aller. J’aimais la presse écrite et j’aimais le papier
recyclé. Certes, j’étais un nostalgique et en même temps, je pensais
que l’emballement médiatique, les infos flash-ball ôtaient toute
possibilité de réfléchir, d’analyser lucidement. En somme, j’étais plus
"pas de côté" que "coup de poing".
Pour moi le fait marquant de la révolution, ce fut quand tous les
poivrots du quartier affluèrent préférant dépenser un euro soixante
dix pour un journal que de lâcher deux euros quatre vingt pour un
demi. C’était presque gagné… La vie allait changer, la mienne et la
leur !

Il s’agit d’informer et de convaincre. Vaincre les réticences au


renouvellement de paradigme, faire admettre l’idée que le véritable
changement ne consiste pas à assister passivement à la destruction
des droits et des libertés publiques, qu’il est temps de retrouver le
sens du collectif, que ce n’est pas si compliqué de faire un pas de
côté et de se parler… Le passage à la sixième République me paraît
être une excellente opportunité pour s’exprimer. Il ne s’agit pas d’une
quelconque enquête d’utilité publique.

"En définissant la Constitution, le peuple s’identifie à ses propres


yeux. Il se constitue lui-même en quelque sorte. Par exemple en
disant quels droits sont les siens, en organisant sa façon de prendre
les décisions, en définissant l’ensemble des pouvoirs qui agissent
pour faire fonctionner tout cela.
Le processus constituant est l’acte fondateur de la conquête de la
souveraineté par le peuple."

356
"Quand la multitude cesse d’être l’agitation individuelle des
citadins vaquant à leurs affaires personnelles, quand elle prend en
charge des revendications communes, alors elle change de nature.
Elle passe à un autre état sous l’effet de la température politique que
l’action réchauffe.
C’est alors qu’apparaît l’acteur politique de notre temps : le
peuple. C’est lui qu’il faut regarder de près. Et pour cela il faut
l’observer dans le seul état qui le rend visible : l’action."

Jean luc MELECHON - L’ère du peuple - Fayard 2014 -10 euros

L’éveil

L’an 14 zéro moins un : On ne s’est pas attardés sur le quoi qu’est-


ce et le quand est-ce qu’on le fait mais sur le comment on fait et qui
fait quoi.
C’en a secoué plus d’un !
Ça été violent mais pas longtemps !

Je n’y croyais plus du tout. Je ne voyais pas comment les gens


allaient se décider de changer. Il suffisait que je fasse la queue dans
un supermarché, que j’allume le poste télé ou que je zone sur
facebook pour comprendre que c’était foutu pour et que cela
prendrait des années pour que les idéologues libéraux soient dégagés
de l’horizon et il serait alors bien trop tard.
Regardez comme la prévention routière doit ruser pour balancer
son message ! Les gens préfèrent ne pas savoir en détournant le
regard.
Et en quelques semaines - et ne me demandez pas pourquoi, je
n’en sais strictement rien - les gens ont voulu savoir ! Ils ne voulaient
que cela : Savoir ! Voir le monde tel qu’il était !
Et c’est tout ! Enfin, cela a commencé par ça !

357
"L’improvisation peut aider à déjouer l’ordre dominant."
Didier LocWood - Lhumanité 26/27/28 décembre 2014

Des groupes se sont formés à droite à gauche. Des assemblées


citoyennes qui n’avaient qu’un seul mot d’ordre : Le vrai
changement, tant qu’il est encore temps !
On change de régime, on change vision. On voit et on fait le
choses autrement.
On ne disait pas qui veut revenir au temps des "kolkhozes" mais
simplement, qui en ras le bol d’engraisser des nantis qui se foutent de
notre gueule ?
En fait, les gens ont pris simplement la parole sur les sujets sur
lesquels les organismes de sondage ne les questionnait pas. La parole
était de nouveau libre et plus personne ne pourrait arrêter le
mouvement.
Curieusement ceux qui se moquaient du monde, on ne les voyait
pas. Ils n’allaient pas dans les laveries automatiques et ne
voyageaient pas en bus. Alors, avec les votants présents, on a décidé
de passer à la transition et que l’on se passerait d’eux.

Rien n’est simple mais tout est possible

La démarche de la transition citoyenne.


Si j’ai bien compris :

1/ On part de la réalité
2/ On se regroupe
3/ On participe à la transformation de la réalité
4/ On touille et on laisse agir mais on ne laisse pas sur le feu trop
longtemps …

Je ne sais pas du tout par quoi cela a commencé. On s’est sortis


d’une logique absurde : je t’apprivoise en te vidant le cerveau. Je te

358
distrais, tu consommes, tu en redemandes, je t’en ressers et tout le
monde est content.
Le gens n’étaient plus contents.

Alors on a renvoyé à ses études Nabila et les autres nouveaux


penseurs de l’ère médiatique et on a pu souffler un peu.

Les gens étaient entrées dans le consumérisme sans se méfier mais


ils n’étaient plus disposés à se faire plumer facilement, non pas parce
qu’ils étaient devenus des consommateurs avisés comme on en voit à
la télé, mais parce qu’ils ne voyaient plus l’intérêt de claquer du
pognon pour des conneries vite obsolètes.
Les gens ont eu marre d’acheter de la vraie fourrure estampillée
synthétique, des portables assemblées par des petites mains.
Les gens ont cessé d’acheter en masse. Ils ne voulaient plus qu’on
leur mentent.
Les gens voulaient absolument tout savoir à commencer par ce
qu’il y avait dans leurs assiettes.
Cela a commencé par le rôti de dindonneau et les plats préparés.
Depuis quelques mois déjà, après quelques révélations de
scandales, les plats préparés, la bouffe industrielle, ne faisaient plus
florès. Les gens s’intéressaient de plus en plus aux circuits courts,
aux produits locaux et ont redécouvert les produits non transformés.
Ils se sont mis à moins regarder la télé et à préparer la cuisine en
famille. Ils allaient au marché et se se sont remis à discuter.
Évidemment, en prenant le temps de se parler, ils ne faisaient pas
qu’échanger des recettes de cuisine.

Les supermarchés ont commencé à se faire du souci. Ils perdaient


des clients. Des années de propagande commerciale qui laissaient
penser que les produits laitiers et les hypermarchés étaient nos amis
pour la vie se réduisaient en fumée.
Le bon marché, c’était la mort des paysans, c’était l’effondrement
de pratiques ancestrales pour des méthodes de production qui
faisaient la honte de ceux qui étaient chargés de les mettre en œuvre.

359
Le mouvement impulsé « Les pendus », par les commerçants et
les artisans qui avaient organisé quelques manif contre le RSI, le
régime social des Indépendants a eu des répercussions inattendues.

Je ne pense que le grand balayage soit venu de là mais cela y a


largement contribué. Les commerçants n’étaient plus du coté des
bourgeois, des poujadistes. Ils détestaient le MEDEF et étaient les
premiers à subir les conséquences des politiques d’austérité. Ils
étaient bien placés pour voir humainement les dégâts provoqués
humainement par des décisions prises dans des salles de réunion. Ils
en avaient ras le bol eux aussi.
Les commerçants solidaires (ceux du mouvement du café
suspendu et de la baguette en attente ) et les travailleurs à domicile se
sont rapidement joints à eux, guidés par Marie Cunégonde, une
« Louise Michel » qui représentait les auto-entrepreneurs
trimardeurs.
Les employés n’étaient plus tout seul à arpenter le pavé.
Marie-Cunégonde disposait d’une grand bâtisse et elle logeait, des
artistes, des poètes, des militants.

Les grands médias qui avaient longtemps entretenu la paresse


intellectuelle étaient bien obligés de s’adapter et de parler, sans se
moquer cette fois, de ceux qui depuis des années tentaient d’autres
aventures en tournant le dos au productivisme. Ce qui se passait dans
les réseaux sociaux, ils étaient tenus de s’y référer et d’en parler. Les
scénaristes planchaient dessus en intégrant ça et là des petites
immersions de vie réelle.
En Grèce, en Espagne, en Italie, en Irlande les indignés ne
faisaient pas que faire du bruit, ils inventaient.
Un comédien, ancien footballeur, Eric CANTONA, avait
proposé, en 2010, de retirer massivement l’argent sur les comptes
courants mais cela n’avait pas été suivi et n’avait servi à rien.
Tout le monde essayait de lancer son mouvement de boycott avec
plus ou moins de succès. L’argent était un des leviers essentiels mais
les gens posés et sérieux ne voulait pas, par des décisions
irréfléchies, entrainer le chaos généralisé. Cette révolution a

360
fonctionné sans trop de casse car les gens avaient peur d’aller trop
loin et les centres de pouvoir traditionnels ont eu l’illusion de garder
les rennes, de contrôler ce ras le bol exprimé dans la bonne humeur.
Au lieu de faire une grève générale, les employés, ouvriers et
cadres débrayaient pendant une heure trente chaque jour pour parler
de la reconversion, de ce qu’il voulaient vraiment.
Les hackers ont mis en garde les transnationales en bloquant
simultanément quelques unes de leurs marques phares en balançant
le message suivant : "Ne vous croyez plus au dessus des lois ! Votre
TAFTA, vous l’oubliez ! "

La NELFE (NOUVELLE ECONOMIE LOCALE


FRATERNELLE EMANCIPATRICE) n’a pas fait tremblé les
institutions bancaires traditionnelles et n’a pas fait d’effet d’annonce
mais elle a rapidement trouvé son public. D’abord, avec des livrets
d’épargne qui finançaient des projets à finalité sociale ou écologique,
puis en devenant la première banque éthique française, une vraie
banque. Les autres banques ont tenté dans un premier temps de faire
de la surenchère de générosité et de pratiques éthiques proclamées,
plus grand monde n’y croyait.
On a commencé à parler des entreprises soutenues par cette
banque et au fur et à mesure que les gens découvraient que
l’utilisation de leur argent pouvait enfin servir à l’économie réelle, ils
sont voulu eux aussi ouvrir leur compte à la banque solidaire et
citoyenne. Discrètement, tranquillement mais sûrement
La NELFE a ensuite aider à structurer une assurance pour les
entrepreneurs. Une mutuelle qui couvrait le risque et qui pratiquait
des primes accessibles aux auto-entrepreneurs.

La vraie révolution est venue tranquillement à vélo avec des


revendications dans les sacoches. Il y avait des millions de vélos aux
sacoches pleines.
Il fallait redéfinir la place qu’occupait la voiture. Il fallait redéfinir
les politiques publiques d’urbanisme. Il fallait aussi savoir à quoi
servait notre argent. Combien d’argent était affecté à l’économie

361
réelle et combien l’était pour la spéculation ? Et puis plein d’autres
questions sont venues et les spéculateurs ont su à ce moment là qu’ils
avaient définitivement perdus parce que les gens savaient. Ils étaient
informés.

J’ai ré-ouvert mon kiosque.


Pour qu’un kiosque de quartier puisse vivre, il faut faire état de la
même capacité d’adaptation et de la même créativité que les libraires
indépendants ou les cafés restaurants associatifs ou en coopératives.
C’est plus dans cette direction qu’il faut aller au lieu de foncer tête
baissée dans une politique de surenchère dans l’offre des titres
disponibles, titres qui vous restent sur les bras et qui ne font que
transiter par votre kiosque, ce qui génère un fort taux d’invendus et
donc un gaspillage du papier.
Pire que cela, cela empêche aux journaux différents, à « la presse
pas pareille » de ne pas être diffusée en kiosques mais uniquement
sur abonnement ou dans certains dépôts triés sur le volet. Il serait
dommageable pour a démocratie et la liberté d’informer de ne
trouver en kiosques que les titres les plus rentables !
Par ailleurs, quand on reverse plus de 8O % de ses recettes à ses
fournisseurs, on est en droit d’avoir un minimum d’égards et de
prestations dignes de ce nom.

Je n’étais plus disposé à faire des concessions avec le Marquis. Il


m’avait remboursé les 980 euros qu’il me devait sans que j’ai besoin
de me mettre en rogne mais je ne pouvais plus leur faire confiance.

La mairie qui gérait les emplacements des kiosques a suivi le


mouvement. Elle avait déjà placé le service municipal de l’eau en
régie. Elle voulait répondre à la demande des associations de quartier
de réouvrir les quatre kiosques qui avaient fermé.
Elle nous encouragé à nous rencontrer et nous a laissé nous
organiser. Elle mettait un local à notre disposition. Elle a même pris
des parts dans notre SCIC. Quelques kiosquiers se sont fédérés et ont
commencé à être en mesure de changer la règle du jeu. Sur le plan
national, un nouveau syndicat professionnel de diffuseurs de presse

362
avait enfin réussi à obtenir une avancée sur la question lancinante de
la rémunération des marchands de journaux et sur la gestion des
abonnements.
« Les formules abonnements en boites aux lettres », proposés par
toutes sortes d’organismes dont ce n’est pas le métier (banques par
exemple) impactaient sur mon chiffre d’affaires.
J’ai, par la formule « abonnement en kiosque », récupéré des
clients qui ne venaient pratiquement plus. Les abonnements sont
prélevés directement sur leur compte et les clients viennent le
récupérer au kiosque à journaux. Le kiosquier conserve sa
commission, et pour l’éditeur, envoyer un colis supplémentaire pour
les abonnés en plus des journaux vendus au numéro revient moins
cher que de payer des porteurs à domicile ou la Poste.

Le marquis n’était plus en position dominante.


Il a fait comme les autres, face à la pression, il se disait prêt à
changer sa manière de travailler mais nous avons préféré le virer et
refonder une nouvelle coopérative de diffusion. Nous n’avions plus
confiance.

Je voulais, dans ma propre SCIC, associer des partenaires


différents, afin de pouvoir proposer des prestations complémentaires.
Alors, j’ai rencontré des élus, du conseil régional, du conseil Général,
de la Marie, des mutuelles, des privés et loin de les embobiner, je les
ai convaincu.

J’ai associé mes clients à la recherche de produits à vendre qui


seraient complémentaires de la vente de la presse. Certains me
poussent à vendre des téléphones pour séniors et des produits
« accessibilité – maintien à domicile », d’autres des jeux éducatifs et
des livres. Il en faut pour tous les goûts !

Au cœur du métier, je voulais conserver une offre large de tous


les titres principaux de la presse magazine, quotidienne,
hebdomadaire, mensuel, trimestrielle, toutes tendances politiques,
mais avec quelques ajustements (réglage des titres ). Par exemple,

363
moins de presse automobile (excepté les quelques titres que je
vends) mais plus de presse enfantine « instructive » type Cosinus,
science et vie junior etc….
Je devais coller à l’actualité, à ce que les gens voulaient
désormais.
Je ne voulais pas me couper d’une partie de mes clients, les braves
gens qui lisaient Ici Panâme ou autres. Je voulais élargir simplement
mon offre sans gaspiller du papier !
Après tout, Jean Luc MELENCHON, à sa demande, avait été
interviewé par CLOSER.
Il n’avait pas été piégé par cette revue et n’avait pas été censuré.
Les photos de lui ne le montraient pas avec le couteau entre les
dents. C’était à n’y rien comprendre !

Je voulais également diffuser des journaux à dimension locale


comme « Pays» en formule abonnement à retirer en kiosques sur
souscription (je gère l’abonnement mais le client me le paye
d’avance, par chèque, en choisissant la durée initiale afin que je n’en
sois pas de ma poche en cas de défaillance.)

Des journaux habituellement peu diffusés en kiosques pourraient


l’être aussi (presse spécialisée ou Presse de la tendance
« Slow », »Presse Pas Pareille » (« sur abonnement en point de
vente », à l’instar de Nice Morning, qui en plus d’être diffusé sur
abonnement en boites aux lettres et dans de multiples points de vente
développe cette formule avantageuse également pour le client) .
Il s’agit de journaux à contenu rédactionnel adaptée à une
clientèle ciblée (presse écologiste, fanzines et autres revues de
passionnées) qui n’ont plus les moyens financiers de passer par le
circuit classique de la diffusion de la presse mais qui représentent
quand même la diversité de la presse française

Enfin, pour en finir avec le cœur du métier, je voulais aussi coller


d’avantage à l’actualité en proposant des journaux en fonction des
événements culturels et sportifs (Par exemple, plus de journaux sur le
cinéma pendant le festival de Cannes). Cela était devenu possible

364
avec la nouvelle coopérative de diffusion très réactive et moderne
quant à sa manière d’appréhender la logistique.
Je voulais que les gens s’intéressent enfin à mon kiosque !

Je vendais aussi des produits dérivés ou complémentaires, du


"hors presse" que je choisissais, ils ne m’étaient pas imposés cette
fois.

- Des créations originales locales : sacs en toile peints par des


artistes niçois) pour les courses, pour inciter les consommateurs à se
passer des sacs plastiques non compostables
- Des produits commerce équitable Artisans du monde (sur
commande et sous la forme d’un mini dépôt car mon kiosque fait six
m²) comme les chips à la banane, sans sucres ajoutées, vendues à 2
euros , des noix de cajou du Honduras, barres de sésame vendues à
50 centimes d’euros etc..
- Des livres édités par les éditions ATRAMENTA sur commande
préalable (relais colis des éditions ATRAMENTA et j’étais relais
colis de réseau des librairies indépendantes (www.libairesanice.fr)
réponse intelligente à la suprématie des mastodontes comme
Amazon.
- Des sculptures en fer ferronnerie d’art produit dans les alpes
maritimes (sur catalogue et en dépôt vente)
- Desaffiches et d’aquarelles artistes méconnus
- Des coffrets de tour de magie et des jeux éducatifs
- Des téléphones spécial séniors

Je proposais aussi des services annexes, certains bénévolement,


d’autres pour m’assurer un complément de revenus.

- Récupération de piles, de cartouches d’encre et de bouchons


( COREPILE et Asso ARTEMIS)
- Présentoirs fiches ADEME (Agence de l’Environnement et de la
Maîtrise énergétique) et de la maison de l’environnement ainsi que
des infos municipales sur les animations culturelles.

365
Donner envie de lire, se se cultiver

Il fallait que les jeunes continent de s’informer, qu’ils aient envie


de lire et je devais faire venir plus de personnes toutes générations
confondues. De la même manière que Nice Matin organise des
débats, pilote ou accompagne des événements, plus modestement, un
kiosquier doit s’inscrire dans une dynamique s’il veut durer. Il ne
s’agit pas de rechercher des coups médiatiques mais de créer des
partenariats pour proposer des événements à contenus, de la culture
populaire.

J’ai progressivement mis en place des animations sur les thèmes


de la santé, vie pratique, loisirs, prévention des risques… en
partenariat avec Ville de Nice, CPAM, CAF, Mutualité Française,
Conseil Général, la maison de l’environnement, les secouristes, les
pompiers… Cela fait une petite animation de quartier et c’est de plus
en plus apprécié.
En plus, avec les commerçants de quartier, je participe à des
semaines thématiques : Semaine de la presse et des médias, semaine
accessibilité / handicap, semaine outre mer, semaine jeux coopératifs,
semaine contes etc… et une fois par mois, je propose une animation
musicale.
C’était plus de boulot mais j’étais fier de pouvoir vivre de mon
métier, et j’étais aux premières loges pour assister à la transformation
d’une société.

Cette dernière version est la plus dure à écrire pour quelles


raisons ? Parce qu’elle exige la participation du plus grand nombre.
Elle s’écrit forcément à plusieurs mains. Tout le reste ne serait que
pipeau si je devais y songer seul. C’est la version qui permet la
rencontre de la forme et du fond.

Je sais que dans l’état actuel, elle est très en deçà de ce qu’elle
devrait être parce qu’elle ne fait que survoler ce qui pourrait être. Je
n’ai aucune idée précise de ce que pourrait donner une révolution. Je

366
ne sais même pas si je la souhaite au point d’être prêt à bousculer
mes habitudes et arriver à penser et à agir autrement, à trouver un
nouvelle alliage "Théorie-pratique".
Ce ne sont pas les bonnes raisons qui me manquent, c’est le
courage, la ténacité. Soutenir Alexis Tsipras, je le fais bien volontiers
pendant un mois, mais au délà ? Les toilettes sèches, les transports
non polluants, l’alimentation végétale, j’y étais favorable mais les
jours de pluie, je n’avais pas envie de marcher et d’attendre le bus.
Assumer ses actes quotidiens avait un coût, en étais-je capable ?

Des gens y ont songé, ont écrit là dessus. Des universitaires et des
personnalités de l’université de la rue. Le gens d’ATTAC, les gens du
DAL, les gens de POLITIS, je ne veux pas pomper sur leurs livres.
Je sais juste que la révolution se fera avec les poètes et les artistes ou
elle ne se fera pas.

ALTERNATIBA 06

Faut-il y aller ou pas ? Et si on se fait récupérer ? Et si contribue


ainsi à l’écoblanchiment ( "green washing") ?
Qu’est ce que cela va changer par rapport aux grands messes
médiatiques précédentes (la projection sur écrans géants extérieurs
du film Home par exemple) ?
Ce film avait marqué le temps médiatique mais strictement rien
changé à la donne, sauf pour moi, parce que c’était la première fois
que j’avais pris conscience de l’impact de l’ élevage industriel sur la
destruction du monde d’hier, celui pétri de certitudes technologiques.
Et moi plus un autre, cela comptait au final !

Ce qui change, cette fois, c’est que cette initiative a été lancé par
des jeunes qui vont faire passer des idées à un public plus large que
le cercle des militants, à des gens qui s’en foutent pas mal de la
politique sans être irréductiblement fermés aux utopies concrètes.
Des jeunes qui n’ont pas connu les clash, les machines à ruban, le

367
minitel, les cartes perforées mais qui ne sont pas sortis d’un œuf
carré pour autant.
J’en avais marre de voir toujours le mauvais côté de la lorgnette.
Le choix des partenaires allait être crucial. Les institutionnels
allaient rassurer les commerçants, les pros. Je n’avais pas peur de la
récupération car le slogan annonçait que le vert délavé n’était pas la
couleur officielle : "Changeons le système, pas le climat !"

Il fallait se bouger. Pas faire n’importe quoi ni n’importe comment


mais ne pas rester le cul rivé dans le fauteuil d’un auditorium à
écouter pliement les autres dire ce qu’il faudrait faire.
Alterniba sera ce que les gens décideront d’en faire. Cela ne va
pas révolutionner le climat mais cela pourrait constituer un
événement marquant.
J’y croyais ! J’avais besoin que cela marche avant de prendre ma
retraite.
J’avais envie que cela marche. C’était le fait positif que j’attendais
depuis des années. J’avais du jusqu’à présent me contenter de petites
satisfactions, mais elles étaient plus provoquées par la réalité que par
l’adhésion populaire. Le tramway, les pistes cyclables, des idées, des
propositions pour lesquels les Verts de Nice s’étaient battus par
petites grappes d’individus étaient devenues réalités urbaines
palpables. Christian Escrozi n’avait pas eu le choix.
Mais cela ne suffisait pas.
L’esprit Charlie Bibi n’avaient pas transformé les lecteurs de
Closer to he earth en lecteurs du monde diplomatique ou de Silence.
Les gens n’avaient pas été déniaisées, loin s’en faut !
Alors Alternatiba allait souffler un petit vent chez les
indéboulonnables et, un bon coup de sirocco, et l’on se réveillerait
au petit matin, dans un monde transformé, un monde impacté.

368
Marie-Cunégonde

Marie-Cuné est une ancienne chanteuse punk qui a failli rater sa


reconversion. La partie de sa vie qui lui a plu, c’est celle qui s’est
déroulée comme sur un tapis roulant fonctionnant à l’envers quand
elle n’avait peur de rien.
A quarante piges, face à la pression sociale et avec l’aide
sournoise de la bière pression, elle a voulu commencé une nouvelle
carrière professionnelle mais elle ne tenait pas en place. Elle savait
qu’elle n’arriverait jamais à faire comme les autres mais elle avait la
farouche intention d’essayer.
Avant sa décision de changer de vie, elle s’était pas mal impliquée
dans des associations "agit-prop" plus ou moins déclarées à la
préfecture, mais elle en a eu sa claque de se coltiner des personnes
aigries, négatives, qui faisaient fuir les gens un peu ouverts. Elle
n’aimait pas les dérives des gens qui savaient toujours mieux que les
autres ce qu’il fallait faire. Alors elle a tout envoyer péter, a changé
de région, et elle a voulu changer de vie, se fondre dans la masse,
mais on peut changer de look, de lunettes, de lieu, on ne change pas
du tout au tout pour autant.

On lui expliquait poliment qu’il fallait s’adapter, chercher son


moule et y rester, mais ’on ne donne pas à boire à un âne qui n’a pas
soif de toutes ses conneries de merde de conso à deux balles "

Elle ne demandait qu’à bien faire. Elle a cherché dans quel secteur
professionnel elle pourrait être la plus efficace et elle a trouvé des

369
emplois dans lesquels elle a pu être utile, en servant les gens, des
emplois qu’elle a perdu, lourdée, avec ou sans préavis.
Elle persévérait et ne restait jamais inactive bien longtemps car
lorsqu’elle l’était, elle ne supportait pas le regard des autres, les
reproches qu’on lui distillait à demi-mot en sous entendant qu’elle
profitait du chômage. Alors elle se dépêchait de retrouver un emploi,
un remplacement, un tiers temps, un mi-temps, tout ce qui venait.

Depuis son adolescence, Marie-Cunégonde était une révoltée mais


à part lorsqu’elle le chantait, personne n’aurait pu le soupçonner en
la croisant dans la rue. Tout était contenue en elle, bien cadenassé.
Elle s’habillait dans un style passe-partout, à la mode quand même,
mais dans un style classique. C’était à l’intérieur qu’elle était en
ébullition !
Elle se sentait différente des autres mais préférait gommer ses
divergences et se fondre dans l’état d’esprit ambiant. Marie Cuné
n’était même pas tatouée, c’est vous dire !
Quand elle chantait, elle mettait deux plombes à enfler son futale
fétiche, son costume de scène : un jean teinté en coton non bio mais
labellisé no futur hyper moulant couvert de patches, un débardeur
des Ramones et son perfecto caffi de badges comme ce fut à la mode
dans les années 8O, et elle se maquillait comme son égérie, Nina
Hagen. Le reste du temps, Marie Cu s’en branlait les ovaires de son
look ! Nous étions dans les années où l’on pouvait s’habiller avec
une rideau de douche, ce qui comptait, c’était ce que l’on avait sous
la caboche, pas trop les fringues…
Seulement, les temps ont changé et l’histoire rhumatismale de la
France d’avant ne nous intéresse pas et nous la laissons aux
connards et connasses de fachos.

Ce qu’elle voulait, passé la quarantaine, c’était avoir un logement


salubre, un boulot, un scooter et elle ne ferait plus d’histoires. Elle
se plierait aux diktats de la modernité.
Elle a fait de terribles efforts pour s’adapter, y compris regarder la
télé !

370
Avant de la connaître, je tentais de garder la tête hors de l’eau
pour ne pas disparaître totalement dans un monde peuplé de
personnages de bandes dessinées pour adultes, alors qu’elle voyait
alors plutôt le monde sous l’angle de la télé-réalité. Elle m’avait parlé
d’une nouvelle trouvaille des scénaristes d’une chaîne privée, une
émission dans laquelle les chefs d’entreprise se déguisaient (la seule
fois où j’avais regardé cette émission, les patrons s’affublaient d’une
perruque pour avoir les cheveux longs) pour entrer en immersion
dans le monde des employés, sous couvert d’être formé par eux.
Il ne s’agissait pas de les fliquer, ni de leur voler des secrets, il
s’agissait juste de mieux les comprendre pour pouvoir les aider à
progresser. Enfin, c’était la présentation dans l’émission parce que
vous ne vous attendez pas non plus à ce que les restaurateur vous
dise que le poisson n’est pas frais…
En somme, les patrons n’arrivaient pas à suivre le rythme, ils
étaient bien en deçà du travail fourni par le salarié mais ils avaient la
faculté de poser des diagnostics, de trouver ce qui n’allait pas et des
moyens d’améliorer l’organisation du poste de travail et la
productivité.
Sacrés patrons, une journée d’observation-participante, ils ont
déjà tout saisi ! Pas étonnant qu’ils gagnent autant !

C’était différent dans la vie de tous les jours. Marie-Cunégonde


était rarement ami-ami avec ses employeurs.
Elle faisait ce que son supérieur lui demandait de faire. Elle
faisait son taf consciencieusement, elle donnait une bonne image de
l’entreprise, mais elle attendait en retour à être considérée et que l’on
ne cherche pas à l’embobiner avec de belles paroles. Quand elle
n’était pas respectée, elle allait au clash et elle partait.

Après avoir bossé dans l’hôtellerie, elle a travaillé comme


vendeuse en boulangerie et elle disait toujours lorsque vous veniez
lui acheter une baguette ou un croissant "Et avec ceci ?" pour faire
plaisir à son boss qui était persuadé qu’il fallait pousser le couillon
client roi à l’acte d’achat. Moi, si jamais vous venez à mon kiosque
m’acheter un télé Z à quarante centimes, je vous dis juste "Merci et

371
bonne journée!" et si vous me dites "C’est quoi cette arnaque votre
truc ? Le prix en gros affiché est trompeur, le cadeau n’est pas offert,
car c’est le prix à côté du code barre qui compte" je ne vous
répondrais rien qui puisse encourager les petits génies du marketing
qui imaginent relancer la croissance en trompant les gens sur la
marchandise et en offrant des gadgets avec un magazine. Je ne vous
dirais pas que vous pouvez vous torcher le cul avec le nice morning
pour pas cher et emballer vos légumes avec comme le faisait ma
mamie car nous sommes enfoncés dans l’ère du plastique pratique
fantastique.
Par contre, si vous me dites que le canard enchaîné à 1,20 €, le
Quotidien régional à 1,10 € et le journal d’opinion national à 1,70 €
sont devenus bien trop chers, je vous invite poliment mais
fermement, à réfléchir sur le nombre de personnes nécessaires à la
fabrication, la distribution et la mise à disposition d’un journal de la
presse libre. Est ce que le boulanger se casse autant le cul lorsqu’il
vous fourgue son pain a chocolat ?
J’achetais mes canettes de LEFFE entre 1,80 € et 2,50 € selon les
points de vente. Par contre, le journal, que vous l’achetez chez le
boulanger (le Nice matin), au rayon presse de Monoprix ou chez le
kiosquier, le prix ne changera pas.
Marie-Cuné n’était pas une grande lectrice. Elle faisait comme les
jeunes et s’informait essentiellement sur internet, avec la télé et la
radio car il lui arrivait d’écouter France Inter et radio keupon.

Marie-Cuné a commis trois erreurs avant de lever le poing gauche


et de renouer avec son destin.

- A force de regarder des émissions télévisuelles, elle a cru que


l’idéal serait, elle aussi, de devenir riche pour que l’on s’occupe enfin
d’elle. Elle voulait devenir comme ces clients des hôtels dans
lesquels elle avait travaillé. Des riches qui avaient de plus en plus
d’exigences. Elle n’y croyait qu’à moitié car elle était loin de la
connasse cible privilégiée de ce genre d’émissions, mais elle aimait
s’accrocher à ce leurre.
- Elle a cru qu’en téléchargeant l’application « sauvons le

372
monde ! »sur son smartphone, qu’elle allait s’en tirer en quelques
« like, clics et pétitions on line », mais elle dût payer de sa personne.
- Elle a cru qu’elle serait plus belle en portant une doudoune noire
en col de fourrure.

NE PAS COMMUNIQUER AVEC LES VASEUX

Marie-Cunégonde est passée à mon kiosque. Elle m’a demandé de


faire une photocopie et voulait savoir si je vendais des bougies
réchauffe-plat. C’est la première fois que je la voyais à mon kiosque.
Je vendais des briquets, des piles, les lampes torches mais je n’avais
pas de bougies. Je la connaissais de vue car je venais souvent acheter
des croissants. Deux croissants, 1,80 €, et avec ceci ?
Je lui ai fait sa photocopie. Elle m’a vidé presque tout mon
réservoir d’encre noire mais je n’ai rien dit compte tenu des
circonstances. Elle allait témoigner de son soutien à la presse libre en
se recueillant silencieusement, Place Garibaldi, à Nice. Des
obscurantistes avaient mitraillé en pleine conférence de presse au
journal hebdomadaire Charlie Hebdo. Et ils avaient réussi leur coup :
douze morts, onze blessés et un émoi national.

J’avais entendu le flash trois heures auparavant à la radio et j’étais


noué, j’avais mal pour eux. J’étais connecté non stop sur les réseaux
sociaux et je me suis réjoui de savoir que les français étaient
sensibles à ce drame et prêts à rendre hommage aux journalistes et
aux policiers abattus, dès le premier jour.
J’avais mis en place les trois exemplaires que j’avais reçu le matin
en ouvrant. Régulièrement, j’en renvoyais un ou deux sur les trois.
Charlie ne touchait que les lecteurs qui aimait les journaux qui
grattent sur ce qui est ordinairement consensuel : Le respect des
cultes, le footbaballe, les institutions, les stars médiatiques. Charlie
tapait constamment sur les culs bénits et les cul-cul la praline et
donc, forcement, je vendais très peu de Charlie Hebdo…

373
NE PAS POUVOIR RIRE DE TOUT
MAIS DEVOIR DÉFILER AVEC N’IMPORTE QUI ?

Moi aussi, je me joindrai à la foule, je ferai partie de cette union


sacrée. Les gens se foutaient pas mal du contenu éditorial de Charlie,
mais ils étaient soudainement prêts à défiler avec des pancartes « Je
suis Charlie » et on allait pas chipoter à la veille d’un jour de deuil
national !
Je n’avais qu’une trouille, compte tenu de la théorie des vases
communicants : que cette émotion ne se transforme en dopage des
ventes des livres des Zemmouri, Houellebeurk, et consorts.
Je savais bien que derrière cette unité de circonstance, les divisions
allaient vite reprendre entre les partisans de la liberté d’expression et
les réducteurs liberticides. Le combat n’allait pas être celui des "je
suis Charlie " contre "Je ne suis pas Charlie" (les "Je ne suis pas
Charlie" avaient perdu d’avance ), "Je suis charlie et je vends des tee
shirts" ou celui des "Je suis machin truc car je voudrais me
différencier des autres et faire parler de moi sur face book" mais celui
de la citoyenneté - avec le grand C qui exclut les gros cons - et de sa
manière de l’exercer.
La question primordiale, à chaud était celle de la peur, de
l’intimidation. Il fallait alors descendre dans la rue pour dire que
personne ne nous ferait taire et que nous nous sentions tous solidaires
des victimes. La question qui se profilait était celle des libertés.
Liberté d’expression, liberté de circuler et liberté de se sentir en
sécurité… Je savais d’avance que nous ne pourrions pas tous entrer
dans la même église lors de la grande cérémonie. Les querelles de
chapelle étaient justifiées pour la simple et bonne raison que nous ne
pouvions pas rester tous d’accord en fonction des réponses que l’on
apporterait face à la peur qui ne manquerait pas d’être
instrumentalisée par tous les va-ten-guerre, les croisés de la
prétendue civilisation en déclin. J’étais un mec négatif. Je savais que
derrière l’enthousiasme de façade les gens avaient toujours le cul
sale et les idées noires.

Parce que je me sentais mal à l’aise en compagnie des foules qui

374
se déplacent dans les stades de foot ou au moment des soldes, parce
que je préférais les enterrements en petit comité où les gens
hypocrites ne trouvent pas leur place, parce que je préférais être aux
côtés de citoyens qui s’organisent librement en associations, je fus
finalement soulagé qu’il y ait deux rassemblements unitaires à Nice.
Avant d’être soulagé, je fus tiraillé jusqu’à en avoir mal au bide !

Deux, ce n’est déjà plus l’unité ?

Ça s’est goupillé ainsi pour une bête question de calendrier. Le


Maire de Nice avait décidé d’organiser un rassemblement le samedi
afin de ne pas déprogrammer un événement sportif, prévu de longue
date, le dimanche et il y eut plus de vingt trois mille personnes
dignes et courageuses. Bravo !
La ligue des droits de l’Homme et les associations habituellement
impliquées dans le combat pour les libertés publiques maintenaient
le rassemblement, comme pour la plupart des autres villes de
France, le dimanche à quinze heures. Bravo !
J’ai passé une partie de la matinée à répéter sans relâche, sur la
page face de bouc de l’événement "Je suis charlie" créée par la ville
de Nice, que, pour ceux qui ne pouvaient pas manifester le samedi,
il y avait un autre rassemblement initiée par des citoyens qui
pouvaient se passer des bons et loyaux services de "papa le maire"
pour se prendre en charge. C’était ce rassemblement que j’avais
choisi et celui de samedi à dix sept heures (l’inauguration
symbolique de l’espace Charlie). Je n’ai pas prétendu dire aux autres
ce qu’ils avaient à faire ! Je ne savais pas moi même quelle attitude
adopter compte tenu des circonstances. Je suis charlie qui va se
réveiller avec une gueule de bois carabinée si on ne prolonge pas cet
"état de grâce - électrochoc" en quelque chose qui aurait plu à ceux
qui sont morts.

Quand on communique à brûle-pourpoint, on commet des impairs,


des maladresses et mes messages furent quelquefois interprétés
comme s’ils émanaient d’un diviseur, qui voulait profiter de

375
l’occasion pour faire de "la récupération politique". Je me retrouvai
dès lors dans le camp des méchants, des trouillards, des geignards et
je me sentis finalement bel et bien "cerné par les cons" qui
m’accusaient, quelle horreur, de faire de la politique ! BEURK !
Ben oui, je faisais de la politique, le maire faisait de la politique et
de la com, nous faisions tous de la politique et j’en étais fier !
J’étais soulagé que le peuple des internautes dopé à face de bouc
se mette à parler de sujets éminemment politiques même si j’aimais
moi aussi, en temps ordinaire, balancer des clips des Ramones et les
photos de mes chats. Je trouvais que c’était le meilleur hommage
rendu à la rédaction de Charlie Hebdo, journal politiquement
engagé, journal citoyen !
Je n’attendais qu’une chose, que les gens se mettent enfin à se
parler, comme dans le film l’an zéro un. Que les citoyens lisent,
s’informent, se mobilisent. Qu’ils achètent les journaux chez les
kiosquiers !
Qu’ils s’engueulent sans se fâcher ! Qu’ils se fédèrent, se
rassemblent.
Que la célébration de la mort de personnes héroïques ne soit pas
juste un pet foireux, un coup d’épée dans l’eau, comme lors des
grandes messes médiatiques sur le réchauffement climatique.

Je savais que plus que jamais, il ne fallait pas baisser la garde !


Après avoir fait le lit des idéologues sécuritaires, ces gens-là,
drapés dans leurs vertus républicaines, deviendraient-ils plus
démocrates qu’avant ou voudraient-ils rapidement que l’on
rétablisse la torture et la peine de mort ?
Face à quelques milliers de crétins fous de Dieu, à quelques ados
qui confondaient trait d’esprit et provocations faciles, et les quelques
"paranonos" habituels des réseaux sociaux, évidemment que tout le
monde s’accordait à dénoncer le terrorisme, mais qui était prêt à se
battre jusqu’au bout pour les libertés publiques ?

Marie-Cunégonde était différente du reste du troupeau. Elle tenait


elle aussi à la liberté de la presse.
Il y avait un temps pour l’émotion, un temps pour la réflexion et

376
l’action. Il y aurait aussi un temps pour la réaction.
Plus que jamais, après une unanimité de façade, il faudrait choisir
son camp.
Les journalistes de Charlie avaient payé de leurs personnes pour
avoir combattu l’extrémisme. Ils étaient autant excessifs que
modérés, ils étaient tout simplement subtils car dans les premières
lignes du combat pour l’esprit critique. Ils allaient jusqu’au bout de
leurs idées, tout simplement !
Marie-Cunégonde, comme eux, n’aimait pas les concours de
mièvrerie.

La semaine suivante, elle est venue m’acheter le Charlie Hebdo.


J’en avais reçu dix sept et j’étais en rupture de stock dès 8 h30.
De nombreux « Je suis Charlie » étaient réellement devenus des
« Je soutiens Charlie », le temps d’une journée…

Il y avait parmi eux de sacrés cons qui s’excitaient parce qu’il n’y
avait plus le journal que tout le monde devait acheter le jour J ! Ils
faisaient la queue devant mon kiosque ! Ils ne voulaient pas me
laisser le temps d’installer mes présentoirs, mes tourniquets, faire ma
caisse, déballer et pointer mes paquets. Certains, qui n’étaient jamais
venus, étaient agressifs. Pourtant, il s’agissait d’un journal, pas du
dernier i phone de mes deux ! J’ai placé une affiche pour expliquer
que je n’en avais plus parce qu’il y aurait plusieurs livraisons mais
toute la journée on m’a posé la question, alors moi qui ne sait pas
dessiner, j’ai fait une sorte de rébus. J’ai expliqué avec des mots
simples et des dessins grossiers que ce n’était pas le jour des soldes,
que les petits camions qui livraient tous les points de ventes ne
pouvaient pas suivre une telle demande, si soudaine. Chers clients,
on se défonce chaque jour pour vous et si vous étiez venus plus
souvent, les kiosquiers auraient l’infrastructure adaptée…

C’est cela que j’ai expliqué à Marie-Cuni qui est venue pour le
canard enchaîné sur le coup des treize heures (je n’en avais plus)

377
Je me demandais combien d’exemplaires j’allais vendre le
mercredi suivant…

LIRE SANS SE PRESSER AU LIEU DE


PLEURER RAPIDEMENT

Les gens avaient peur, les gens avaient compris que la presse
écrite était l’une des premières cibles des terroristes. Les gens étaient
prêts à défendre la liberté d’expression. Je voudrais que les gens
retiennent "que les journaux, il est toujours mieux de les lire que de
les pleurer" (Erik Emptaz). Mon combat, mon gagne-pain en
dépendaient. Il fallait que les gens se convertissent à la démocratie
réelle.

Pour cette fois, ma médisance a été mauvaise conseillère car ils


sont bel et bien venus, une fois le nuage de Nounours "Réveillez-
vous la Nation" dissipé.
Pas tous, c’est sûr, mais j ’avais réussi mon pari !
Il existait donc un intervalle entre les vendeurs de soupe et les
cracheurs de feu, un chemin à explorer entre «Causeur» et
« Causette ».

Charlie Hebdo qui traversait, comme de nombreux titres, une très


mauvaise passe financière s’en est sorti mais tous les autres journaux
d’information ont aussi revu le tirage à la hausse.
Je ne sais pas ce qui s’est passé dans la tête des gens !
Ce qui était en train de se passer, me donnait raison. L’écrivain
avait pris le pas sur le glandeur déprimé. J’avais eu raison de croire
que le désespoir ne menait à rien de bien.
Marie-Cunégonde au fur et à mesure qu’elle passait au kiosque
m’a expliqué.
Tout est venu d’un coup d’un seul. Elle a pris une grosse claque le
jour même de l’attentat et toutes ses idées se sont remises en place et
sa complainte est devenue projet bien ficelé dans le monde réel.
La veille, elle regardait comme chaque soir la télé et Michel

378
Houellebeurck faisait encore parler de lui. Il était invité sur tous les
plateaux. Certains journalistes ne lui ciraient pas les pompes mais
qu’ils fassent ou pas la gueule, cet écrivain-comédien avait une fois
de plus démontré son génie du marketing. Son livre allait faire partie
des événements littéraires et tout le monde devrait avoir une opinion
sur lui.

Le lendemain, des obscurantistes avaient eux montré leur


détermination à faire régner la terreur en dessoudant les journalistes
et dessinateurs de Charlie Hebdo et en tuant deux policiers.

Elle l’avait appris par un message sur face Book puis elle fit
comme chaque jour, elle alluma son poste télé pour voir le journal de
treize heures. Il y avait une édition spéciale sur France Télévisions.
Sur le plateau des experts en justice, des experts en police, des
experts en terrorisme, des experts en veux-tu en-voilà mais elle
n’apprit rien qu’elle ne sût déjà.

Elle resta une bonne partie de l’après-midi à suivre les fils


d’actualité et à voir pérorer les complotistes et déclinistes réunis, vite
rabroués par des citoyens choqués mais dignes.
Il ne fallait pas tout mélanger ! Une erreur d’analyse et c’était les
abrutis qui allaient triompher !
C’est comme si on faisait encore la guerre aux Allemands
d’aujourd’hui parce qu’il y avait eu les nazis ! Non, on demandait
juste aux Allemands, de se souvenir et ne pas permettre que cela se
reproduise un jour, de contrôler les excités qui voulaient remettre le
couvert.
Moi, et seul Dieu sait - enfin s’il existe - que j’en avais honte en
tant que clampin de gauche, je me réjouissais comme beaucoup de
Français, que le GIGN et que le RAID enfin réunis, aient dégommé
les terroristes sans traîner. J’étais soulagé, moi l’antimilitariste,
l’objecteur de conscience, que des plus que cons que les gros cons
crèvent !
Ces mauvais braqueurs, militaires de seconde zone, avaient
trouvé plus fort et plus aguerris que des dessinateurs et des

379
journalistes ! J’étais soulagé.
J’étais fier aussi que le peuple défile en masse pour dire tous en
coeur, "vous ne nous faites pas peur ! "
J’étais même prêt à chanter la Marseillaise ! J’étais même prêt à
ce que l’on prononce la déchéance de nationalité de ceux qui
revenaient des camps d’entraînement en Syrie ou ailleurs, comme le
proposait Bruno Mégréciotti, c’est vous dire comme j’étais sur le
coup de l’émotion !
Seulement, j’étais de gauche, et je savais que la plupart des gens
qui défilaient n’avaient rien compris aux valeurs défendues par
Charlie et que si demain on votait un "patriot act", si demain on
attentait à nos libertés publiques, par la voie étatique, sous couvert
de nous protéger des "barbares", en mettant en avant une guerre des
civilisations, on ne les verrait plus dans les rues ! Ces gens-là étaient
des pleutres, des pantins mûs par une réaction épidermique. J’aurais
tant aimé que ce moment historique nous transpose dans l’univers de
la sixième République. C’était le moment où jamais pour tous ceux
et celles qui comme moi rêvaient d’y aller, mais sans être trop
pressés d’en être…
J’aurais tant aimé que tous ces gens s’intéressent de nouveau à ce
qu’ils avaient choisi de déléguer à d’autres : le politique.
Seulement, j’avais plus de quarante ans, et je savais qu’il ne fallait
pas rêver, mais se battre…

Sursaut républicain ou Unité nationale ?

Marie-Cu, elle y croyait ! Elle m’a prédit que mon kiosque allait
bien marcher pour deux bonnes et simples raisons.

La première, c’est qu’immédiatement après l’attentat, face à la


frénésie de dire de quelle manière on était charlie, ou pas, suivre les
commentaires sur les réseaux sociaux prenait un temps fou ! On
passait inévitablement à côté de quelques contributions
intéressantes. Chacun y allait de son grain de sel ! La volonté de
débattre était bien là mais le problème c’est que l’on ne savait plus

380
trop comment s’y prendre. Les émissions des années quatre vingt
comme "Droit de réponse" dans lesquelles les invités s’engueulaient
parce qu’ils avaient des choses à dire avaient cédé la place à des
émissions ’Talk show" où les "clash" faisaient partie du cahier des
charges. La qualité des échanges en pâtissait la plupart du temps.
Depuis la tragédie, un esprit surréaliste flottait dans l’air et les
émissions du service public semblaient vouloir rattraper le temps
perdu. La plupart d’entre nous ne savions plus écouter, discuter,
entrer dans le vif du sujet et il nous fallait des outils pour nous
réapproprier notre aptitude à nous exprimer. Nous ne savions plus
vivre ensemble !

Libérez les mots !

Les fachos ordinaires et les croyants intégristes n’avaient pas


besoin de la presse écrite. Les vidéos de leurs leaders
charismatiques, les Dieudonné, les Soral et les prêcheurs
complotistes ou fanatiques les comblaient largement. Les
républicains, les vrais mais surtout les partisans de la sixième
république, avaient encore besoin de leurs journaux sous le bras pour
se sentir mieux. Les journalistes glanaient pour eux les informations
essentielles, ils faisaient leur boulot, décortiquaient, synthétisaient et
apportaient du grain à moudre pour que les moulins à vent ne fassent
pas que brasser de l’air.
La deuxième explication, c’est qu’il régnait un état d’esprit
comme dans le film l’an 01 (un film que j’avais découvert grâce à
Charlie Hebdo d’ailleurs). Nous étions nombreux à vouloir user de
notre liberté d’expression. On voulait pouvoir le faire librement
donc de manière responsable. Pour le respect du débat démocratique,
la grossièreté était permise mais pas l’insulte. Les incitations à la
haine, à l’exclusion, au racisme, le bête et méchant mais pas drôle
étaient pour quelque temps encore tolérés sur Face de bouc mais pas
dans les journaux, du moins ceux que j’aimais. Les républicains de
droite continuaient de s’instruire en lisant leurs journaux habituels
(qui se vendaient mieux aussi) et ils avaient leurs rubriques "courrier

381
des lecteurs". Les républicains de gauche avaient droit à des articles
faits par des professionnels mais ils avaient aussi leurs tribunes
ouvertes, qui s’appelaient selon les journaux "Je me mêle de ce qui
me regarde", "Défaiseurs d’opinions, constructeur du jour d’après",
"Ecris ce que tu penses sur le mur". Charlie Hebdo de "l’après
attentat" fût l’un des premiers à lancer la mode des deux ou quatre
pages (sur seize) dans l’esprit journal du collège de la citoyenneté et
les gens ne s’essoufflaient pas ! Dessins, poèmes, citations,
nouvelles, articles plus ou moins "sérieux". Un comité de publication
sélectionnait ce que le webmestre de leur site réceptionnait dans la
semaine, après un passage chez le correcteur, et les gens se sont mis à
acheter Charlie tous les mercredis car c’était plus bandant de lire son
texte dans un vrai journal que de voir son SMS ou son tweet
apparaître en bas d’un écran de télévision.
Marie Cuni (oui, je l’appelle affectueusement comme cela depuis
qu’elle est devenue mon amie) préférait contribuer anonymement
mais régulièrement alors elle signait "Charlie" comme beaucoup
d’autres contributeurs qui ne cherchaient ni à se faire mousser, ni
éclabousser les autres par leur savoir érudit, mais juste apporter sa
botte de paille à la maison républicaine.

Sur internet, les rumeurs allaient bon train ! Les oiseaux de


mauvais augure prédisaient des attentats chimiques. Les terroristes
islamistes allaient polluer l’eau, le coca cala, trafiquer les barquettes
de moussaka familiale et de brandade de morue…
Et pourquoi pas du cheval à la place du bœuf tant qu’à être dans le
délire !
Les gens auto-entretenaient la peur en donnant crédit à des
balivernes et se montant le chou entre eux. Cela évitait ainsi de voir
que si la moussaka était trafiquée ce n’était pas la faute aux vilains
barbus ! Tous les maux de la terre ne venaient pas de la menace
terroriste ! Cela ne voulait pas dire qu’il ne fallait pas répondre à la
menace des fondamentalistes, cela voulait juste dire que le choix de
la riposte allait être crucial.
L’idéologie sécuritaire avait fait déjà beaucoup de dégâts. Je
n’avais pas envie de me projeter dans un futur où il faudrait, plus par

382
nécessité que par choix, défiler sous la bannière de l’union nationale
et républicaine lorsque le front national, encouragé par les cracheurs
de feu et les clowns de la droite décomplexée, accéderait au pouvoir
par les urnes. À ce moment là, je me rangerai, comme en 2002,
derrière la bannière du mieux disant démocratique, à contrecœur.

En attendant, il fallait combattre les dérapages et ne pas mélanger


indignation nationale légitime et récupération fielleuse.
Michel Houellerbeurk avait décidé de se mettre au vert et de
suspendre sa promotion. Par trouille ou par dignité, je n’en avais
cure ! De toute manière, il ne manquerait de rien.

Marie-Cunégonde connaissait Charlie Hebdo car elle le lisait


lorsqu’elle était plus jeune. Elle ne l’achetait plus chaque semaine
depuis qu’il était passé, du jour au lendemain, de 2,50 € à 3 €. Tout
augmentait ! La bouffe, les clopes, les journaux. De temps en temps,
elle venait me prendre l’humanité par ce qu’elle préférait en
définitive lire l’info de cette manière qu’en suivant les journalistes de
la télé qui noyaient le poisson ou subir le matraquage d’infos sur les
réseaux, les flux constants d’informations mélangeant vidéos
amusantes, photos de bèbètes à poil et articles de fond.
Elle m’avoua qu’elle faisait comme moi, elle partageait en rafale
des articles parus sur internet, des post, sans toujours les lire jusqu’au
bout, sans toujours vérifier la source, histoire de les relayer, que les
gens sachent "qu’on nous cache tout, on nous dit rien". Il fallait faire
circuler l’info, la partager, mobiliser les gens. Il y avait des images
fortes, des vidéos qui vous secouaient mais elle me fit plaisir en me
disant que l’écrit restait pour elle supérieur à l’écran car il permettait
de retenir certains aspects, de ne pas survoler, d’aller au delà de
l’instant, de la secousse.

Pour elle, la démocratie avait besoin de temps pour s’élaborer, et


qu’il était redevenu indispensable que les citoyens lisent la presse
sans se presser, pour éviter non pas le choc de civilisation mais le
choc de "simplification".

383
J’admirai son enthousiasme. Elle ne voulait pas retenir les raisons
de céder à la morosité. Elle refusait de laisser tomber la première
déception venue. Une réunion publique d’information sur le Traité
TAFTA qui ne faisait pas déplacer beaucoup de monde et elle y
trouvait quand même satisfaction parce que la poignée de personnes
qui était venue allait en parler autour d’elle. Je me décourageais trop
facilement. L’électrochoc "attentat contre Charlie" n’allait pas
entraîner par magie le passage à la sixième République ! Il fallait
faire la part des choses entre un effet de mode et un véritable élan
démocratique. La victoire de SIRIZA en Grèce allait sans doute
donner le top départ de la course contre le fatalisme, là, comme elle,
j’y croyais.

Après avoir été exploité dans différents domaines, elle a saisi


l’opportunité d’un licenciement économique pour s’exploiter elle
même. Elle est devenue auto entrepreneuse dans les services de
proximité. Elle voulait faire les choses différemment, miser sur la
qualité du service rendu avec des valeurs de l’économie sociale et
solidaire. J’étais également à mon compte.
Elle bossait beaucoup mais gardait toujours du temps pour
l’engagement qu’elle avait pris quelques mois avant son virement de
cap professionnel : la cause animale.

Au début, elle participait aux actions clics sur internet. Elle


m’envoyait des liens et moi aussi ,je cliquais.
Elle a commencé à préférer des actions plus musclées. Moi, je n’y
allais pas, prétextant que j’avais mieux à faire.
Elle a rejoint une association de protection animale quant elle a
commencé à prendre dans la tronche des informations fiables et
précises concernant les trafics et les souffrances endurés par les
animaux.
Alors inutile de vous dire qu’elle a laissé la mode des cols à
fourrures ! Dès qu’elle voyait des veilles moches ou des jeunes
écervelées se pavaner avec, elle mettait un ou deux coups de cutter
toujours discrètement, et dans les magasins, elle participait à des
actions rapides « peinture sur les manteaux » et quelques bris de

384
vitrine. Elle trouvait cela plus efficace que de persuader les gens de
changer de comportements, car les gens se foutaient pas mal de tout
ce qui pouvait nuire à leur confort.
Elle était habile mais s’est fait prendre plusieurs fois dénoncés par
des passants. Ce n’est pas pour cela qu’elle a arrêté ce type d’actions.
Elle a considéré qu’elle agacerait, quelle dérangerait mais qu’elle ne
changerait pas les gens ainsi.

Elle s’impliqua de plus en plus.


Elle préférait changer son propre mode de vie sans pour autant
renoncer à empêcher les gens irresponsables de faire tout ce qu’ils
voulaient.
Je l’admirai, en secret.

385
Pourquoi une présentation de l’auteur par lui
même

Tout est parti de mon intention de faire mon auto-promotion et de


vendre trente exemplaires de mon livre sur les cinquante trois reçus à
domicile. Pas plus ni moins.

Sortir un roman est devenu techniquement simple et ne nécessite


pas une mise de fonds importante. N’importe qui peut publier
n’importe quoi avec les possibilités d’imprimerie moderne. J’y ai mis
quand même ce qui me restait d’économies, cinq cents euros, parce
que j’y crois, parce que j’aurais regretté de ne pas avoir essayé et
surtout parce que j’y ai consacré beaucoup de temps.
Je suis publié, et le livre ressemble à un vrai livre, qui plus est, sa
couverture est jolie ! L’heure est venue de me transformer en VRP de
mes textes ! Si je ne suis pas lu, mon travail d’écrivain ne sert à rien.
Il est grand temps de relire "Devenez l’as des ventes".
Avoir des lecteurs sur internet ne veut pas dire grand chose. Ça
flatte, ça fait plaisir mais ça ne suffit pas. Si les lecteurs d’internet
font comme moi, ils survolent, ils mettent un marque-pages et ils
passent très rapidement à autre chose car tous les jours, il y a des
choses nouvelles parfois intéressantes à lire et il est difficile de suivre
le rythme.

J’ai donc décidé d’aller au devant de mes lecteurs car je n’ai pas
d’autres choix. J’aurais aimé faire un buzz pépère depuis mon
domicile mais je ne sais pas faire et puis quelque part, faire du bruit
pour rien, ça me gêne. Je n’ai pas d’idées d’actions héroïques ou de

386
records du monde à battre en magasin, alors j’ai décidé de faire ma
promotion artisanalement.

"Mais enfin de quoi ça parle ton livre ? C’est sur les rencontres
sur internet ? Sur ta crise de la quarantaine ? Ça veut dire quoi
exactement érotico-politique ? Bof, mais il y a déjà plein de livres sur
ce thème. " Donne moi l’envie de te lire !"

Je suis un écrivain amateur et je le resterai tant que mes livres ne


seront pas lus. J’ai la prétention de ne plus être un écrivain du
dimanche car toute ma vie est organisée autour de l’impérieuse
nécessité d’écrire et comme tous les écrivains, je suis prétentieux car
je suppose que ce que j’écris peut toucher de nombreuses personnes.
Je suis susceptible, certes, mais je ne me sens pas bouffi d’orgueil.

L’écriture m’a aidé à me structurer, m’a permis de gagner en


estime, mais je ne suis pas du tout à l’aise lorsqu’il s’agit de me
mettre en avant, surtout lorsqu’il s’agit de donner envie de lire une
sorte de guide de l’anti-séduction. J’ai peur de paraître pédant, trop
égocentrique. Je crois en ce que je fais mais je ne sais pas "faire
l’article".

</><>
Mon plan de promotion :

Je suis allé à la médiathèque principale de ma ville, Nice,


J’ai chanté :
O ma belle Nice
Reine des fleurs
Tes vieilles toitures
Je les chanterai toujours.
Je chanterai les montagnes
Ton si riche décor
Tes vertes campagnes
Ton grand soleil d’or. (…) NISSA LA BELLA )

387
et sous mon nom civil, j’ai noté dans le cahier des suggestions
l’achat d’un exemplaire de mon livre, carrément !

Trois semaines après, la réponse m’est tombée sur le pied : "cet


ouvrage n’est plus disponible".

J’ai montré un exemplaire du livre à l’employé et j’ai réitéré ma


demande en précisant le numéro IBSN et le seul moyen de se le
procurer : en VPC sur le site ATRAMENTA. Deux semaines après,
toujours pas de réponses. En fait, n’étant pas référencé officiellement
par le réseau des libraires, la médiathèque ne peut se procurer le
livre. Je l’ai donc offert et je guette depuis sa mise en place dans les
rayons.

Ensuite, j’en ai envoyé un exemplaire à M. GARCIN (le masque


et la plume) et un exemplaire à Martine Billard (Front du Gauche),
comme l’aurait fait n’importe quel pisse-copies qui ne doute pas de
lui.
J’ai offert quelques exemplaires à mes proches et à une cliente.

Avant d’en envoyer un à Nice Matin, quotidien régional, j’ai


demandé par mail, s’il y avait une personne à qui je pourrais adresser
mon ouvrage en particulier et j’ai suggéré un article sur le portrait
d’un écrivain niçois, auto-entrepreneur, salarié à temps partiel, qui
diffuse son livre en dépôt vente dans des kiosques à journaux et
auprès de quelques libraires.

J’ai menti sur plusieurs points : je suis martiniquais et seulement


niçois d’adoption, et mon livre n’est distribué dans aucun point de
vente.
Je me suis dit qu’avec un article, il me serait plus facile de
démarcher les libraires et kiosquiers.
J’ai fait un mail assez bref mais amusant et une journaliste m’a
interviewé la semaine suivante. Je n’étais pas à mon aise et j’ai été
très brouillon, cédant aux bavardages et à la mode des idées creuses.

388
Je ne pense pas lui avoir donné l’envie d’écrire son article, Du coup,
j’ai acheté les numéros de nice matin sortis au moment du festival du
livre et j’ai appris ainsi qu’il existait un réseau de libraires
indépendants (www.librairesanice.fr) que je me suis promis de
contacter un jour ou l’autre.

Je me suis fait ensuite tout un tralala dans ma tête en supputant ce


que la parution d’un simple article pouvait engendrer comme
conséquences positives dans ma vie de peigne-cul.
Je m’étais promis de laisser le temps faire les choses et de ne
compter que sur ma bonne étoile, et de ne pas relancer la journaliste.
Je devais feindre l’indifférence et en aucun cas accorder à la
stagiaire journaliste plus d’importance qu’il ne le fallait, mais j’ai
fini par lui envoyer un message sur face de bouc.
Ensuite j’ai rangé mes papiers et ai retrouvé son numéro de
portable alors j’ai laissé plusieurs messages en adoptant divers modes
de communication. Elle a fini par me rappeler en m’assurant qu’elle
avait écrit l’article. Je ne peux pas lui en vouloir.

Je vais donc devoir faire le job tout seul.

POT CHERCHE CORNICHON

Le titre "Pot cherche cornichon" est rigolo. Une journaliste de


Nice matin m’a demandé ce que signifiait ce titre. Je ne savais pas
quoi lui raconter comme sornettes ! Je lui ai dit que c’était un simple
détournement du proverbe "A chaque pot son couvercle ! " et que
l’on pouvait le détrousser et faire des jeux de mots assez lourdingues
mais j’ai bien vu que je ne l’intéressais pas ainsi.

Juste avant les derniers virages de sortie de la crise de la


quarantaine, ce n’est plus l’homme en quête d’un réceptacle (de très
mauvais langues diraient un "trou"), c’est un homme, animé par la
volonté de s’affranchir des vieux codes, qui s’interroge sur la
meilleure manière de renouer avec ses idéaux de jeunesse. Il

389
s’interroge sur un art de vivre qui lui convient sans chercher à être
anti-conformiste à tout prix. C’est le Pot qui cherche un unique
cornichon sans vouloir forcément revisser le couvercle. Parfois il
m’arrive de faire des clins d’oeil, de glisser quelques références pour
faire intello, mais en l’occurrence, pour le titre, je ne me suis pas
foulé !

Je pense que l’on peut traiter avec humour des sujets sérieux
comme la domination masculine ou l’amour. Je pense que l’on peut
sortir indemne de quelques mois passés en immersion dans des lieux
virtuels cernés par des ramollis du bulbe. Ce qui me plaît dans PCC,
c’est que le narrateur finit par de nouveau s’intéresser au monde réel,
et décide de ne plus maugréer, subir mais de repasser en mode
"Action, on tourne !"

J’ai longtemps cherché une féministe qui ne me fasse pas peur. Je


ne suis pas arrivé au bout de ma quête. Par contre, à force de vivre
ma vie réelle comme un écrivain (avec toute la panoplie : égéries et
tout le tintouin), j’ai pu vivre mes rêves et c’est cela qui compte.

MYSTERIUM CONJONCTIVITE

Etudiant en droit, au lieu de m’inscrire dans la réalité et accepter


la lutte pour la survie économique, je m’imaginais scénariste de BD.
J’ai alors commencé à écrire. J’ai commencé par la tenue d’un
journal d’un militant de l’écologie assez ambivalent intitulé
"l’acoologiste" dont je me suis inspiré dans ma première nouvelle
(1991) et dans mon premier roman sorti en 2008, MYSTERIUM
CONJONCTIVITE.

J’ai longtemps écrit pour exprimer un mal être. J’avais besoin de


gerber mes désillusions et lancer quelques cris d’oisillon tombé du
nid. Mon Pot cherche Cornichon est plus empreint d’optimisme car
le narrateur finit par comprendre que pour sortir de la crise de la

390
quarantaine, il ne doit pas occulter ses rêves de jeunesse et que pour
réussir à changer, il doit renouer avec ce qui l’animait : le désir
d’apprendre, l’accès à la culture populaire, l’engagement associatif.

En dehors du thème de la dépendance, le fil conducteur est la lutte


contre la transparence. Je n’arrive pas à aller au bout de mes idées. Je
suis résigné, assommé par tant d’inepties, pas totalement aveuglé au
point de pouvoir considérer que rien ne peut s’opposer à l’ordre des
choses. Des raisons de ne pas moisir dans l’expectative, j’en ai
quelques unes. Je sais que tout peut aller très vite et que surtout, nous
n’avons pas d’autres choix que de nous battre contre ce que nous ne
voulons pas. Je crois réellement en l’action collective même si je
m’en méfie.
Je sais que mes problèmes de personnalité n’intéressent pas mes
lecteurs. Il est évident que mon estime de moi fluctue sans arrêt et
que je manque de constance et de détermination. J’ y crois / j’y crois
pas, j’y vais/ j’y vais pas…
Cahin-caha, je cherche une manière de participer, de m’impliquer.
Observer, témoigner et écrire. Puis-je payer mon "obole" en me
donnant l’air d’être un écrivain citoyen ? Je me suis récemment
"encarter " parce que je crois que ce tout ce qui me dérange peut
avoir des réponses politiques et parce que je crois que je dois avoir le
nez dans la réalité si je veux progresser. J’essaye de me sortir de la
nouvelle dépendance dans laquelle je me suis engouffré, celle à
internet. Je dilapide mon temps or je sais que ce n’est pas en me
dérobant que j’arriverais à être plus apaisé.

Mon premier roman, c’est un peu l’histoire d’une personne qui se


sent "entre" ? Entre quoi ? Entre la révolte et la résignation, entre
l’aspiration à la culture populaire et l’attirance de la médiocrité. C’est
l’histoire de mon double, Auguste Picrate, sujet parfois à des
épisodes délirants mais qui arrive grosso modo à composer avec ses
troubles et à rester bien arrimé sur terre. Cet idéaliste arrive à
dominer sa dépendance à l’alcool et parvient à réaliser son rêve :
devenir artisan.

391
Un poivrot remporte une victoire dans sa journée de peigne-cul
lorsqu’il parvient à repousser d’une demie-heure l’apéro. Il est
obsédé par le produit car cela l’aide à supporter sa personnalité qu’il
méprise au fond. Quand on utilise sa force pour ce genre de
triomphe, on n’est pas disponible pour la victoire poilitique. Toutes
les belles idées de monde nouveau et transformé sont reléguées au
second plan. On ne sert pas à grand chose, on est pas fiable. Il était
primordial que je m’en sorte. Ce roman est trop long (550 pages ) et
il comporte trois parties. La dernière aborde le détournement de sens,
la primauté de la forme sur le fond, et la grand escroquerie du
capitalisme vert.

LA FIN DES BONIMENTS

Un recueil de nouvelles a suivi (année 2011) regroupant des


nouvelles et deux contes, écrites entre 1994 et 2011 (La fin des
boniments ) Il inclut il se servut un whiska.
IL SE SERVUT UN WHISKA

La première nouvelle que j’ai écrite s’appelle il se servut un


whiska. J’avais 23 ans. J’étais plus ou moins engagé dans les
revendications écologistes. J’en voulais, je ne lâchais rien. Il s’agit
d’une tranche de vie d’un gars de 32 ans renfermé, préférant picoler
sans déranger personne, pris en tenaille entre ses aspirations
tronquées pour un peu de tranquillité, et la vie de misérable qu’il
menait. Je craignais vraiment de devenir ce personnage fictif et je le
suis devenu à quelques détails près. J’écrivais alors à titre "préventif"
mais je n’ai pas échappé à mon destin d’homme plombé.

</><>

392
393
PSYCHATRICES

Psychatrices
Aux graines citoyens !

Je savais que je devais attendre d’en savoir un petit plus avant de


proposer au responsable des achats d’étendre notre gamme de sacs en
proposant des poches en plastique réellement biodégradables à base
de fécules de pommes de terre, plus performantes que celles qui font
semblant de l’être, mais nous étions, comme toujours, aux taquets, la
tête dans le guidon, et pas le temps de philosopher, il fallait prendre
une décision. Ma proposition verdirait notre image de pollueur et on
pourrait également communiquer là dessus. Il fallait valoriser notre
image quoique l’on fasse concrètement, cela payait mieux. On ferait
un petit geste pour la planète tout en gagnant du pognon. Les
actionnaires seraient contents. Cela arrangerait beaucoup de monde
et ce n’était pas si compliqué que cela à mettre en œuvre. J’avais
juste peur de passer pour un écolo barbu farfelu.
Prudence !
Putain de pudeur !
Qu’est ce qu’on perdait comme temps !
Encore heureux que je me foutais pas mal de ma descendance !

J’attendais d’être d’être mieux intégré au sein de l’équipe pour


faire cette proposition car je n’étais en poste que depuis un petit

394
mois. Il fallait savoir patienter, « Le rhum ne se fabrique pas en un
jour ! comme disait mon paternel détenteur du record mondial du
soupir prolongé, reconnu en 1978, dans le fameux livre Guinness des
records et jamais dépassé depuis, c’était d’ailleurs son deuxième
titre de gloire après son premier prix en poésie pour son poème
dédié à Jenny. son titre de gloire qui lui avait permis de percer dans
les affaires.

Non seulement, j’étais en période d’essai mais j’étais aussi, je le


ressentais bien, dans mon for intérieur, dans ma phase de réveil
printanier « Ukulélé, banjo et cithare électrique et blagues
pourries », alors j’avais intérêt d’y aller mollo sur les manifestations
d’enthousiasme, si vous voyez ce que je veux dire…

Alors nous avons renouvelé notre stock habituel de sacs en plastoc


moches. Et j’ai gueulé en silence. Le respect des formes, des normes
sociales, des institutions, des convenances…

Depuis des années que je me coltinais mon handicap, celui d’ex


poivrot « borderline », j’avais appris à placer quelques garde-fous
qui me permettaient de vivre à peu près comme tout le monde mais je
savais que j’allais rapidement crever si je ne soulevais pas de temps à
autre le couvercle de mes émotions lancées comme des crabes
vivants dans une marmite en ébullition.
Est-il utile de vous préciser que j’étais aussi dans ma période
« métaphores poétiques Prisunic »…

J’avais trimé pour trouver un boulot dans ma zone de


compétences, ma zone géographique, compatible avec mon age de
vieu x con, mes centres d’intérêt et mes activités
extraprofessionnelles. J’y tenais comme un arapède. Pour une fois,
j’avais envie de rendre la vie plus belle à mes patrons car je leur étais
reconnaissant au lieu de les rendre dépressifs ! Les deux frérots,
Dany le gentil et Marcello le lunatique climato-sceptique m’avaient
sortis, sans forcément le savoir, de ma situation merdique « d’idées
sans le pétrole », de poète au bout du rouleau.

395
J’étais à des années lumière de la situation dans laquelle les
patrons se grattaient les couilles pendant que les ouvriers
assemblaient, j’étais dans le monde la PME familiale, aux antipodes
du CACA 40, le monde o
Comme toujours, agissant en qualité de punk sans la crête, je
devais juste tempérer un peu ma rage en dedans. Ce qui comptait,
c’était que je garde mon emploi sans y perdre mon identité. Je devais
pourvoir rentrer le soir, vanné physiquement, mais pas lessivé
psychologiquement, pas stressé, pas préoccupé par le lendemain.
Parce que j’avais des choses à faire, des choses très importantes pour
mon équilibre, du genre écrire, apprendre et faire un peu, participer à
quelques actions.
Chez moi, je n’étais plus avec Fraüke HAMMER qui me faisait
chier avec ses préoccupations écolo d’allemande mais avec Marie
Cunégonde, je veux dire par là que je n’ avais plus vingt ans, alors je
devais juste veiller à ce que Marie Cuné devienne Marie CUNI en
lieu et place de la Marie CUBI (c’est une licence poétique) et je
devais juste un peu prendre les choses en mains car elle se tapait
quatre vingt pour cent des tâches ménagères (c’était la femme idéale
pour un écrivain – Dans ma vie, je n’avais en tant que personne
entière connu que deux femmes labellisées « femmes d’écrivain ») en
veillant au gaspillage alimentaire et à la surconsommation des sacs
plastiques issus de la pétrochimie sans devenir un rabat-joie pour
autant.
Ce n’était pas si simple mais réalisable.

Je devais tout simplement trouver des solutions concrètes pour


être un peu plus en adéquation avec mes idées. C’était plus facile à
dire ou à écrire qu’à mettre en pratique ! Sinon, ce ne serait pas
autant le bordel !

En rentrant du taf, je devais donner à manger à mes deux chats


Dee Dee Diesélos et Clamy de la Joliette et à mon personnage fictif,
Auguste Picrate, celui à qui je vais céder la place dans le chapitre
suivant. Auguste avait un nom illustre mais son patronyme le
ramenait à la triste réalité : « L’audace ne suffit pas quand on a de la

396
merde dans les yeux ! », c’était une phrase de mon papounet qui avait
fini écrabouillé. Je vais vous en parler en début de chapitre suivant
car j’ai une dette vis à vis de lui.
Et oui, lecteur pointilleux, Auguste n’est pas mon double, ni mon
petit, c’est juste ma bouteille d’oxygène. Quand on est assez con
pour donner un nom composé à ses chats, pourquoi ne pas pas
nommer sa bouteille d’O² ?

Nous devons, dans ce chapitre, aborder la dimension


psychologique et sociale de cette histoire, c’est mon rôle en tant que
Monsieur Loyal.

Alors en premier lieu, je dois, sans sombrer dans la fibre


« confessions intimes soft » pour ne pas gaver mes centaines de
lecteur.
Et je dois m’arrêtez car je dois aller manifester en cette belle
journée du 23 mai, alors que j’avais bien d’autres choses à vous
dire !

397
À suivre...
Rendez-vous sur le profil de l'auteur et cliquez sur « suivre cet
auteur » pour être alerté lorsque la suite sera publiée.

Merci pour votre lecture.

Vous pouvez maintenant :


• Donner votre avis à propos de cette œuvre
• Découvrir d’autres œuvres du même auteur
• Découvrir d’autres oeuvres dans notre catalogue
« Biographies romancées »

Ou tout simplement nous rendre visite :


www.atramenta.net

Suivez-nous sur Facebook :


https://www.facebook.com/atramenta.net

Vous aimerez peut-être aussi