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À la découverte de la femme missionnaire

Sarah A. Curtis, Dorothée Chifflot


Dans Histoire et missions chrétiennes 2010/4 (n°16), pages 5 à 18
Éditions Karthala
ISSN 1957-5246
ISBN 9782811104863
DOI 10.3917/hmc.016.0005
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n° 16 décembre 2010

dossier

À la découverte
de la femme missionnaire
sarah a. curtis

E n français, le mot «missionnaire» est du genre masculin 1.


Jusqu’au début du xixe siècle, il n’y avait, dans le monde entier,
que très peu de femmes missionnaires alors même que les Fran-
ciscains et les Jésuites, entre autres, partaient jusqu’en Asie ou dans les
Amériques à la conquête des âmes pour le Seigneur. Les seules exceptions
furent quelques communautés d’Ursulines qui créèrent des maisons indi-
viduelles dans des territoires français (en commençant notamment par
Québec), et une congrégation de l’ancien régime, celle des Sœurs de
Saint-Paul de Chartres, qui a fondé de petites communautés à Cayenne
(Guyane), sur l’Île de France (aujourd’hui Île Maurice) et à l’Île Bourbon
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(aujourd’hui Île de la Réunion). Dans les territoires espagnols du Nouveau
Monde, les colons fondèrent des communautés monastiques féminines
mais elles n’avaient aucune mission évangélisatrice. La Congrégation
de la Mission – connue également sous le nom de Lazaristes –, fondée
par saint Vincent de Paul au xviie siècle, a créé des missions à Tunis et
à Madagascar et ce, vingt ans seulement après sa fondation. Mais les
Filles de la Charité, équivalent féminin des Lazaristes, ne dépassèrent
pas la Pologne et l’Italie jusqu’à la Révolution. Quand ces dernières
quittèrent pour la première fois l’Europe, en 1840, leur rôle était tellement
novateur que l’une des sœurs dut inventer un mot pour le décrire: «Nous
ne vous en parlons aujourd’hui que pour vous assurer que vos petites

1. Le mot «missionnaire» dans le dictionnaire Le Petit Robert, même s’il est dit pouvoir
être employé au féminin, est ainsi défini au masculin dans son premier sens: «Prêtre des Missions».
Sur le Web, l’encyclopédie Wikipedia donne du même mot une définition uniquement masculine:
«Un missionnaire est un religieux, envoyé dans un pays, avec pour mission l’annonce et le témoignage
de l’Évangile et éventuellement la conversion à sa religion des populations de ce pays.»

5
SARAh A. CuRtIS

Missionnairesses… etc.», écrivait-elle à son supérieur général en France 2.


Les femmes protestantes ne pouvaient pas être missionnaires à part entière,
mais seulement les compagnes et les assistantes de leurs époux 3.
Peu nombreuses et, d’une manière générale, limitées à la fois dans
leur périple et dans le martyre, les premières femmes missionnaires
modernes ne peuvent pas lutter contre le modèle dominant. Le mission-
naire tel qu’on se le figurait au début de l’ère moderne était un homme,
capable de braver les dangers d’un monde inconnu plein d’indigènes
souvent hostiles. Le vocabulaire était martial: le missionnaire était un
soldat de Dieu, prêt à mourir pour la Cause. En 1802, dans son ouvrage
Le Génie du Christianisme, Chateaubriand décrit un missionnaire qui revient
du Canada, glorieux et mutilé. Il raconte aussi une rencontre fortuite avec
un «Missionnaire de la Louisiane» à la barbe blanche vivant «au milieu
des solitudes américaines où il dirigeait un petit troupeau de Français et
de Sauvages chrétiens 4». Il ne décrit aucun équivalent féminin.

Fin x i x e , la majorité des missionnaires sont des femmes


et des Françaises

Une centaine d’années plus tard, trois quarts des missionnaires catho-
liques dans le monde étaient français et la majorité était des femmes 5.
En France, le xixe siècle a vu une explosion des congrégations religieuses
féminines actives qui remplacèrent les ordres monastiques supprimés
par la Révolution. Entre 1800 et 1880, près de quatre cents nouvelles
congrégations actives furent fondées en France, avec un point culminant
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entre 1820 et 1860, soit une moyenne de six nouvelles créations par an.
Vers 1880, le nombre des religieuses avait été multiplié par dix, atteignant
130 000 sœurs, dépassant le nombre des prêtres et des frères: on comptait
trois religieuses pour deux religieux 6. Ces congrégations étaient organisées
selon une structure administrative centralisée qui facilitait leur expansion

2. Annales de la Congrégation de la Mission, t. 8, Sœur Grignoux à M. Étienne, 9 janvier 1840.


3. Sur les Protestantes dans l’Empire britannique, voir Valentine cunningham, «“God and
Nature Intended You for a Missionary’s Wife”: Mary Hill, Jane Eyre and Other Missionary Women
in the 1840s», dans Women and Missions: Past and Present; Anthropological and Historical Perceptions,
dir. Fiona Bowie et al., Providence, Rhode Island., Berg, 1993, p. 85-105.
4. François-René de chateauBriand, Le Génie du Christianisme, t. 2, Paris, Firmin Didot
Frères, 1852, p. 143, 185-86.
5. Philippe Boutry, «Le mouvement vers Rome et le renouveau missionnaire», dans Histoire
de la France religieuse, t. 3, dir. Jacques le goff and René rémond, Paris, Seuil, 1991, p. 445-446.
En 1900, il y avait 10 000 femmes missionnaires et seulement 7 000 hommes: cf. Gérard cholvy,
Être chrétien en France au xixe siècle, 1790-1914, Paris, Seuil, 1997, p. 136.
6. Toutes les données statistiques sont de Claude langlois, Le catholicisme au féminin. Les
congrégations françaises à supérieure générale au xixe siècle, Paris, Cerf, 1984, p. 74-75, 78, 203, 205,
307-308, 314.

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À la découverte de la femme missionnaire

en France et à l’étranger, et elles n’étaient plus confinées au cloître. Pour


partie, cette croissance résultait des besoins grandissants de la population
métropolitaine en services sociaux de santé et d’éducation, services qui
n’étaient pas encore fournis par l’État, dans un siècle de profond bou-
leversement socio-économique.
Mais l’offre en religieuses dépassait parfois la demande. En effet,
dans les congrégations actives, les femmes trouvaient un modèle leur
procurant un emploi utile et respecté, qui, espéraient-elles, assurait aussi
le salut de leur âme ainsi que celui de quelques autres. Il leur offrait aussi
la possibilité d’accéder à des rôles de direction et à une vie plus aven-
tureuse que celle qui leur était accessible dans la société laïque. Une
vie bien plus passionnante et épanouissante attendait les femmes qui
embrassaient la carrière missionnaire. Dans quelle autre situation une
femme aurait-elle pu parcourir le monde tout en faisant le bien et en
sauvant des âmes?

Avec les femmes, un nouveau visage de la mission

Les premières congrégations à envoyer des femmes à l’étranger furent


les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny en 1817, les Religieuses du Sacré-
Cœur en 1818, les Sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition en 1835, et
les Filles de la Charité en 1839. Au fur et à mesure que la France étendait
son influence à l’étranger, les autres congrégations établirent des maisons
partout dans le monde. Pionnières au début du xixe siècle, les femmes
missionnaires étaient devenues des collaboratrices à part entière au début
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du xxe siècle. Cette féminisation des membres de la mission s’accompa-
gna d’un glissement de la nature du rôle missionnaire. Les missionnaires
hommes appréciaient leur succès en fonction du nombre de convertis,
le mesuraient par les baptêmes et la pratique régulière des sacrements.
Les femmes missionnaires dépendaient toujours des prêtres pour les
sacrements 7. Mais elles pouvaient dispenser l’instruction religieuse, que
ce soit officiellement dans des écoles ou des classes de catéchisme, ou de
façon informelle à la soupe populaire, dans les dispensaires, ou au chevet
des malades et des mourants. Pour la première fois, les femmes et les
enfants furent placés au centre des efforts missionnaires, en conformité

7. Une exception partielle était le pouvoir qu’avaient les religieuses catholiques en tant que catho-
liques baptisées, de baptiser des enfants en danger de mort («in extremis»). Au Maghreb, au Moyen Orient,
et en Chine, c’était une pratique courante, pouvant être clandestine, non connue des autorités coloniales
ou indigènes, ni même des parents auxquels on ne demandait pas la permission. Voir Sarah A. curtis,
Civilizing Habits: Women Missionaries and the Revival of French Empire, New York, Oxford University
Press, 2010, et Henrietta harrison, «“A Penny for the Little Chinese”: The French Holy Childhood
Association in China, 1843-1951», American Historical Review, 113, 1 (Février 2008), p. 72-92.

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SARAh A. CuRtIS

d’ailleurs avec une idéologie montante qui soutenait que le foyer familial
était la clef de l’intégration culturelle. Dans certaines parties du monde,
là ou le pouvoir colonial était officieux, comme au Moyen-Orient ou en
Chine, le prosélytisme était interdit et les chrétiens devaient s’en remettre
aux seules bonnes œuvres.

Pour avoir accès aux femmes et aux filles

Les prêtres se retrouvèrent dépendants des religieuses pour avoir


accès aux femmes et aux mères dont ils pensaient qu’elles pouvaient
faciliter la conversion de la famille. En Algérie, en 1841, un prêtre
missionnaire dit à Émilie de Vialar, fondatrice des Sœurs de Saint-Joseph
de l’Apparition, «que sans le ministère des sœurs, on ne pouvait rien
faire auprès des indigènes et que les prêtres, à cet égard, ne pouvaient
être que leurs auxiliaires 8». Les religieuses ne pouvaient peut-être pas
prêcher, mais elles pouvaient évangéliser par leurs encouragements ou
par l’exemple. Au sujet des Filles de la Charité, leur supérieur général,
M. Étienne, écrivait en 1845 que leur charité en actes «pénètre dans
l’intérieur des familles, où les Missionnaires n’auraient jamais espéré
d’entrer, et où la Sœur de Charité répand une odeur de vertu, où elle
exerce une puissance d’influence sur les cœurs 9…». En outre, les nou-
velles congrégations actives trouvaient leur sainteté dans l’aide apportée
à leur prochain. Leur salut dépendait de l’accomplissement de ces seules
bonnes œuvres, non du nombre de convertis.
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Les mêmes travaux qu’en métropole

Si l’on fait abstraction du contexte étranger, il est frappant de voir


à quel point le travail effectué par les femmes missionnaires en dehors
de France était semblable à celui effectué par leurs sœurs en métropole.
Comme ces dernières, elles enseignaient les personnes sans instruction,
soignaient les malades, nourrissaient les affamés et aidaient les pauvres.
Les Filles de la Charité, par exemple, transposèrent simplement à
l’étranger l’organisation charitable qu’elles avaient développé à l’origine
pour la France rurale 10. À ce point persuadées que tous les peuples

8. Archives des Sœurs de St-Joseph de l’Apparition, 1 A 4.1, Rapport adressé au Saint Père,
29 mars 1841.
9. Archives de la Propagation de la Foi, Fonds Lyon, I 23, M. Etienne aux Conseils centraux
de l’OPF, 15 mars 1845.
10. Sur les Filles de la Charité, voir Susan dinan, Women and Poor Relief in Seventeenth-Century
France: The Early History of the Daughters of Charity, Burlington, Vermont, Ashgate, 2006.

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À la découverte de la femme missionnaire

pouvaient être convertis au christianisme, les sœurs congréganistes appa-


raissent parfois inconscientes des profondes différences culturelles et
sociales les séparant des populations indigènes. En fait, la plupart d’entre
elles se considéraient comme des missionnaires envoyées en mission,
que ce soit en France ou à l’étranger, afin de ramener au sein de l’Église
catholique les Français, et tout particulièrement les Françaises, après la
déchristianisation de la Révolution. Dans leurs missions à l’étranger,
les populations qu’elles servaient étaient de plus en plus françaises ou
européennes, en particulier aux xixe-xxe siècles, où le nombre de colons
augmenta au point de dépasser celui des marchands, des explorateurs et
des marins dans la majorité blanche de la population. Pour les gouver-
nements européens qui justifiaient la colonisation par une «mission
civilisatrice», les femmes missionnaires étaient un alibi parfait: leurs
écoles, leurs pharmacies, leurs cliniques et leurs bureaux de bienfaisance
rendaient incontestable l’argument selon lequel les Français amélioraient
les conditions de vie locales. En tant que femmes, la présence de religieuses
était moins provocante que celle des prêtres dont le rôle public était bien
plus visible.
Durant la même période, les missionnaires protestantes étendaient
aussi leur influence, en particulier dans l’Empire britannique. Mais les
religieuses catholiques avaient l’avantage d’appartenir à des institutions
puissantes – les congrégations – qui, même si elles relevaient d’une Église
de style patriarcal, étaient dirigées, elles, par des femmes. Protégées par
leur habit et les règles de leurs congrégations, dans ces espaces étrangers,
elles opéraient de manière plutôt autonome. On peut donc affirmer
qu’au cours du xixe siècle, en France, les congrégations religieuses, mais
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aussi les missions, avaient été largement féminisées, pas seulement du fait
de leur composition, mais aussi dans la nouvelle image qu’elles donnaient,
à la fois familiale et nourricière 11.

Jusqu’à ces derniers temps, une faible présence


dans les études historiques

Que savons-nous au sujet de ces femmes? Jusqu’à ces derniers temps,


elles n’apparaissaient dans aucune des trois grandes sources de la litté-
rature historique: l’histoire religieuse, l’histoire coloniale et l’histoire
des femmes. La publication par Claude Langlois en 1984 de son ouvrage
Le Catholicisme au féminin a fait prendre conscience aux historiens du
11. Mary taylor huBer et Nancy C. lutKehaus, dir., Gendered Missions: Women and Men
in Missionary Discourse and Practice, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1999, p. 12. Voir aussi
Susan thorne, Congregational Missions and the Making of an Imperial Culture in Nineteenth-Century
England, Stanford, California, Stanford University Press, 1999, chap. 4.

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Années 1930, allégorie de la colonisation française sur la couverture d’un cahier d’école. La © Karthala | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 89.159.209.102)
France – Jeanne d’Arc en armure mais brandissant un rameau d’olivier – s’appuie sur un bouclier
dont les trois couleurs nationales s’ornent des mots «Progrès, Civilisation, Commerce». Sur les
rivages colonisés, elle n’est accueillie que par des hommes de différentes races. De féminin visible,
il n’y a guère qu’elle: seuls des soldats hommes de diverses époques se tiennent derrière…

rôle joué par les congrégations religieuses féminines au xixe siècle, mais
la plupart des recherches détaillées menées sur des congrégations féminines
l’ont été au sein des congrégations elles-mêmes, avec des degrés divers
d’objectivité 12. Les études menées sur les missions françaises n’accordent
12. Une exception notable: Élisabeth dufourcq, Les congrégations religieuses féminines hors
d’Europe de Richelieu à nos jours. Histoire naturelle d’une diaspora, 4 vols. Paris, Librairie de l’Inde,
1993. Version allégée: Élisabeth dufourcq, Les aventurières de Dieu. Trois siècles d’histoire missionnaire
française, Paris, J.-C. Lattés, 1993, 539 p.

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À la découverte de la femme missionnaire

pas, par exemple, la même attention aux femmes missionnaires qu’aux


missionnaires hommes ou aux congrégations masculines, et peu étudient
ce en quoi cette différence de sexe a influé sur leurs méthodes respectives.
Parce que très souvent les sources elles-mêmes ne citent ni ne décomptent
les femmes missionnaires, ces dernières restent invisibles aux yeux des
historiens religieux. Pourtant, partout, à l’époque, le travail des femmes
missionnaires prit une importance croissante dans la stratégie mission-
naire, ainsi qu’en témoignent différents glissements dans l’évangélisation:
le passage de démonstrations de foi publiques à une dévotion privée, ou
encore l’importance accordée à la conversion des femmes et des mères
de famille plutôt qu’à celle des leaders masculins, à l’exercice des œuvres
de charité plutôt qu’à la prédication.

De l’absence des missionnaires dans les études coloniales


françaises

L’histoire des colonies est un terrain d’étude en plein essor. Mais les
missionnaires français, qu’ils soient masculins ou féminins, y sont sou-
vent également absents. Cette omission contraste curieusement avec
l’histoire de l’Empire britannique où l’histoire des missions a été un sujet
abondamment traité 13. Les historiens qui étudient l’Empire colonial
français mentionnent à peine les missionnaires – quand ils le font! –, et
considèrent que leur travail n’était qu’un prétexte à l’expansion française
et à une appropriation culturelle. Jusqu’à la publication de An Empire
Divided by J. P. Daughton en 2008, la «mission civilisatrice» dans l’histoire
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coloniale était définie comme une mission laïque, prenant naissance dans
les valeurs universelles des Lumières, plutôt que comme une mission
religieuse 14. Pourtant, l’expansion de l’Empire français a coïncidé avec le
renouveau d’intérêt des Églises catholiques et protestantes pour le travail
missionnaire. Le pape Pie VII restaura la Propaganda Fide en 1817;
Pauline Jaricot fonda la Propagation de la Foi à Lyon en 1822, et, vers
1835, un demi-million de francs par an étaient collectés pour fonder des
missions à l’étranger. La Société des Missions Évangéliques de Paris fut
fondée par les protestants français en 1822. C’est l’expansion coloniale
française qui décida des limites de l’action des missions françaises. L’Église
et l’État avaient souvent des relations tendues pendant cette période,
mais les femmes missionnaires surent s’adapter aux deux pouvoirs

13. Deux études d’ensemble: Andrew porter, Religion versus Empire? British Protestant
Missionaries and Overseas Expansion, 1700-1914, Manchester, Manchester University Press, 2004, et
Norman etherington, dir., Missions and Empire, Oxford, Oxford University Press, 2005.
14. J.P. daughton, An Empire Divided: Religion, Republicanism, and the Making of French
Colonialism, 1880-1914, New York, Oxford University Press, 2008.

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SARAh A. CuRtIS

religieux et laïque, et leur nombre croissant leur permit d’adapter le


discours colonial à la réalité du terrain d’une manière que les historiens
ont rarement explorée.

La radicalité de l’action des femmes missionnaires


invisible aux yeux des historiens

Les historiens des colonies s’intéressent de plus en plus au rôle joué


par le partage des rôles entre les sexes dans l’extension du pouvoir
européen à l’étranger, mais les femmes missionnaires comme telles ne
sont presque jamais considérées comme un sujet de recherche. Les his-
toriens ont préféré concentrer leurs efforts sur les femmes laïques dans
les colonies, ou, de manière plus abstraite, sur l’élaboration idéologique
destinée aux peuples colonisés, dans laquelle les indigènes étaient conçus
comme féminins, c’est-à-dire soumis, et les colons comme masculins,
c’est-à-dire, dominants 15.
De même, l’histoire des femmes ne s’intéresse que très peu aux
religieuses dans la période contemporaine. Le xixe siècle est encore perçu
comme un siècle d’évolution vers une laïcisation de plus en plus grande,
et, pour les femmes, comme celui d’une vie de plus en plus consacrée
à la famille et à un rôle de femme d’intérieur. À une époque où la vie
de femme au foyer était conçue comme l’idéal féminin, ces centaines de
milliers de religieuses qui ont choisi de vivre en dehors du mariage et du
carcan familial, n’apparaissent tout simplement pas dans le tableau.
N’étant pas investies dans le mariage, elles ne cherchaient pas à le réfor-
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mer et, du coup, elles n’ont pas participé au combat le plus important
du siècle, celui pour les droits des femmes. Les religieuses catholiques,
généralement conservatrices sur le plan politique, défièrent pourtant
l’autorité, mais seulement au sein de l’Église. Vis-à-vis de l’extérieur, elles
semblaient accepter le pouvoir masculin et son discours paternaliste.
L’habit modeste et le comportement discret qui leur ont permis d’être
si bien acceptées par les officiers coloniaux comme par les populations
indigènes, ont également rendu invisible la radicalité de leur action aux
yeux des historiens. Au sujet des femmes Quakers, l’historienne Phyllis
Mack a écrit que les chrétiennes pratiquantes ont eu souvent plus d’in-
fluence que les femmes laïques, mais que cette influence ne pouvait pas
se définir seulement par des actes «d’expression de leur volonté», mais

15. Pour cette orientation, voir les articles dans Julia clancy-smith and Frances gouda,
Domesticating the Empire: Race, Gender, and Family Life in French and Dutch Colonialism, Charlottesville,
University Press of Virginia, 1998; et aussi Anne mcclintocK, Imperial Leather: Race, Gender and
Sexuality in the Colonial Contest, New York, Routledge, 1995, p. 36.

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À la découverte de la femme missionnaire

tout aussi bien par leurs actes «d’obéissance» 16. D’une certaine façon,
les femmes missionnaires décrites dans ce dossier, agissaient à la manière
des féministes d’aujourd’hui: elles voyageaient à travers le monde, gérant
leurs propres affaires, s’affranchissant de l’autorité masculine. Mais, dans
le même temps, elles cherchaient à se soumettre à ce qu’elles considéraient
comme la volonté de Dieu. Dans leur esprit, ces deux choses n’étaient
pas contradictoires. L’histoire des femmes doit admettre qu’il y a plusieurs
façons d’exercer le pouvoir si elle veut comprendre et reconnaître les
femmes religieuses et missionnaires.

tout commence en nouvelle-France avec Marie de l’Incarnation,


au x v i i e s.

Les articles de ce dossier reflètent les enjeux de l’histoire des sexes,


et cherchent à rendre visible les missionnaires françaises depuis le
xviie jusqu’au xxe siècle. Certes, jusqu’au xixe siècle, leur nombre n’a pas
été considérable mais pourtant, dès le xviie siècle, comme le montre
l’article de Heidi Keller-Lapp sur les Ursulines au Québec, les Ursulines
en général, et Marie de l’Incarnation en particulier, revendiquaient acti-
vement un rôle missionnaire. Les filles de la Réforme catholique, en
créant une mission dans la Nouvelle-France, cherchèrent à étendre vers
l’étranger leur mission intérieure de conversion. Alors qu’elles étaient
confinées dans leur cloître chez elles, le Canada leur offrait une oppor-
tunité d’échapper à ces restrictions. Heidi Keller-Lapp montre comment
les Ursulines ensuite ont utilisé leur travail missionnaire pour redéfinir
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leur identité en France. Comment, en particulier, elles se sont alignées
sur les Jésuites, en cherchant à créer une congrégation parallèle de femmes
agissant comme des «soldats du Christ». Elles reprirent à leur compte
le langage martial des Jésuites, d’une façon frappante et originale, qui
rompait avec l’image de l’époque concernant la femme d’intérieur et la
femme nourricière. On peut même déjà trouver, à la fois dans leur
approche de l’évangélisation du Québec et dans le soutien que leur appor-
tent les Jésuites, cette conviction que la conversion des autochtones serait
incomplète sans la conversion des mères et des épouses, conception que
l’on retrouvera surtout au xixe siècle.
Dans cette redéfinition de l’identité ursuline, le rôle clé a été joué par
Mère Marie de l’Incarnation, qui dirigea la mission et en fit la promotion
à travers une abondante correspondance. Pour son époque et pendant
longtemps, Marie de l’Incarnation fut une source d’inspiration, un

16. Phyllis macK, «Religion, Feminism, and the Problem of Agency: Reflections on Eighteenth-
Century Quakerism», Signs 29, 1 (2003), p. 155-56.

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SARAh A. CuRtIS

modèle et une véritable célébrité dans le monde des missions. Ainsi, deux
siècles plus tard, Philippine Duchesne, fondatrice des missions des reli-
gieuses du Sacré-Cœur aux États-Unis, nourrit ses ambitions mission-
naires à travers ses lectures des œuvres de Marie de l’Incarnation. Elle y
fait constamment référence dans ses propres courriers, imaginant les
paysages américains peuplés des mêmes tribus indigènes et considérant
identiquement les Jésuites comme ses partenaires dans sa mission évan-
gélique 17. Keller-Lapp nous montre comment Marie de l’Incarnation a
véritablement créé l’image de la femme missionnaire à travers ses écrits
et par ses actions, même si son côté mystique – elle fondait sa vocation
missionnaire sur les visions qu’elle avait eues avant de quitter la France –,
tranche avec le pragmatisme des femmes des xixe et xxe siècles qui
suivirent ses pas.
L’article de Heidi Keller-Lapp corrige la conception que nous
avons de la femme missionnaire comme étant un phénomène purement
post-révolutionnaire. Cependant, ce moment d’expérimentation et de
créativité fut bref et exceptionnel. Au cours du xviiie siècle, les Ursulines
à l’étranger devinrent des agents de la Couronne, confinées dans leur
cloître, ce qui réduisait leur possibilité de travailler avec les populations
indigènes. Aucune autre congrégation de femmes du début de la période
moderne ne s’aventurera dans des espaces aussi grands avec des objectifs
aussi audacieux.

Au xixe siècle, les Sœurs d’Anne-Marie Javouhey au bout du monde


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Une des premières congrégations à se lancer dans le travail mis-
sionnaire dans la période post-révolutionnaire fut celle des Sœurs de
Saint-Joseph de Cluny, fondée par Anne-Marie Javouhey en 1808. Bien
que l’objectif premier de la congrégation, au moment de sa création, fût
les bonnes œuvres en France, la Mère Javouhey fut la première à envoyer
des sœurs sur l’île Bourbon (île de la Réunion) en 1817 et elle accompagna
personnellement ses sœurs à Gorée et à Saint-Louis du Sénégal, en 1822,
puis en Guyane, en 1827. La Mère Javouhey établit un partenariat avec
le ministère des Colonies et de la Marine afin d’envoyer des sœurs dans
la plupart des colonies officielles de la France (à l’exception de l’Algérie)
et, au moment de sa mort, en 1851, un tiers des membres de sa congré-
gation servait dans les colonies françaises à travers le monde entier. Grâce
à ce statut officiel, les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny furent, plus que
toute autre congrégation missionnaire féminine, identifiées comme
congrégation missionnaire, même si la majorité de leurs maisons était

17. Voir curtis, Civilizing Habits…, op. cit., p. 43-45.

14
À la découverte de la femme missionnaire

pourtant située en France métropolitaine. La Mère Javouhey s’investit


tout particulièrement dans l’éducation, la «civilisation» et l’émancipation
des esclaves africains partout où on pouvait en trouver dans les colonies,
attitude tout à fait d’avant-garde par rapport à celle de son Église 18.
L’article d’Isabelle Denis sur les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny à
Mayotte entre 1846 et 1905, nous donne une vision des origines et des
itinéraires des soixante-deux religieuses qui ont dirigé l’hôpital local et
l’école de filles durant la seconde moitié du xixe siècle. Isabelle Denis
souligne la difficulté rencontrée pour rendre visibles ces femmes à partir
des sources officielles. C’est plutôt des archives des sœurs elles-mêmes
qu’il faut les extraire pour en dresser un portrait individuel et collectif.
Principalement nous apprenons que ces femmes étaient le plus souvent
issues d’un milieu très modeste et que plusieurs sont arrivées très jeunes
dans cette colonie du bout du monde. Leur tâche était difficile et les
conditions climatiques très éprouvantes pour leur santé. À Mayotte, la
population était essentiellement musulmane, ce qui rendait leur mission
d’évangélisation particulièrement délicate. Après 1881, quand les lois
Ferry furent étendues aux colonies, les Sœurs eurent aussi à faire face à
l’hostilité des fonctionnaires français et à la diminution des financements
publics. Mais, par rapport aux membres de l’administration française,
les sœurs font preuve d’une présence plus stable. À la fin de son article,
Isabelle Denis évoque une comparaison avec les militaires de la même
époque. Les deux groupes, constate-t-elle, cherchaient à améliorer leurs
conditions de vie pour servir pour une meilleure cause – le Seigneur ou
la République – dans un pays bien lointain. Les Sœurs du xixe siècle
étaient plus proches des soldats de Dieu qu’on ne l’a imaginé!
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Les Sœurs Bleues de Castres au Sénégal
dans un cadre colonial et masculin

L’article d’Elisabeth Foster décrit également la vie quotidienne des


religieuses dans un cadre colonial, mais cette fois, au Sénégal. Il s’agit
des Sœurs de l’Immaculée Conception de Castres (Sœurs Bleues), fondée
en 1836 et qui entamèrent leur travail missionnaire en dehors de la France
en 1848. Dans les dernières années du xixe siècle, les Sœurs Bleues qui
résidaient au Sénégal connaissaient les mêmes difficultés que les Sœurs
de Saint-Joseph de Cluny à Mayotte (à ce propos, il est intéressant de
constater que les sœurs de Saint-Joseph de Cluny au Sénégal apparaissent

18. Sur la vie de Anne-Marie Javouhey, voir Geneviève lecuir-nemo, Anne-Marie Javouhey.
Fondatrice de la congrégation des soeurs de Saint-Joseph de Cluny (1779-1851), Paris, Karthala, 2001,
et curtis, Civilizing Habits…, op. cit.

15
SARAh A. CuRtIS

être bien plus confortablement installées que leurs consœurs à Mayotte).


Mais ces Sœurs Bleues avaient aussi au Sénégal une vie qui dépassait de
loin ce qu’elles auraient pu connaître en France, ayant l’occasion de serrer
la main d’un roi africain ou de tirer du canon! En tant que Blanches
dans une colonie française, leur race leur donnait droit à certains pri-
vilèges qui dépassaient ceux de leur sexe et de leur classe. Leur travail
au Sénégal était par bien des aspects celui traditionnellement dévolu
aux femmes: l’enseignement, la tenue d’un intérieur, l’entretien du linge,
les soins aux malades (pour lesquels elles étaient beaucoup moins
payées que les religieux hommes). Mais l’environnement missionnaire
anoblissait le travail et lui donnait un sens.
Les Sœurs Bleues opéraient de manière autonome et n’étaient sou-
mises à aucune autorité masculine dans la colonie, qu’elle soit laïque ou
religieuse. Une grosse part de leur énergie était consacrée à diriger les
hommes de leur entourage, en utilisant les outils caractéristiques des
femmes dans un statut officiellement soumis: «tact, humilité et patience»,
comme le dit Foster, mais en s’appuyant aussi sur la conscience qu’elles
avaient de leur identité propre. Les conflits avec les hommes laïques qui
dirigeaient la colonie étaient prévisibles, en particulier sous la troisième
République anticléricale, mais les conflits avec les ecclésiastiques hommes
étaient également une constante du travail des religieuses dans les mis-
sions. Parfois, les religieux et les religieuses travaillaient ensemble comme
le firent les Jésuites et les Ursulines au Canada, mais parfois aussi les
religieuses irritaient leurs collègues masculins qui partaient du principe
qu’ils devaient exercer un contrôle sur elles. Quoi qu’il en soit, l’article
d’Elizabeth Foster nous montre que c’est aussi une erreur de considérer
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que les religieuses faisaient preuve entre elles d’une solidarité féminine
pouvant suggérer une sorte de proto-féminisme. Au Sénégal, les Sœurs
bleues se démarquent elles-mêmes par rapport à leurs rivales, les Sœurs
de Saint-Joseph de Cluny. Leur loyauté allait d’abord et avant tout à leur
congrégation, et pas à leurs consœurs ni même à leur Église.

une femme missionnaire protestante au Cameroun :


Idelette Allier et son évolution

La structure institutionnelle était d’un grand avantage pour les


femmes missionnaires catholiques. Les missionnaires protestantes,
comme l’article d’Hélène Baillot nous le montre, s’aventuraient seules en
terres étrangères, même si la Société des Missions Évangéliques de Paris
(smep) leur procurait formation et soutien. La carrière missionnaire
d’Idelette Allier en 1930 faisait suite à un siècle d’évangélisation pro-
testante française à l’étranger. Même si les femmes protestantes étaient
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À la découverte de la femme missionnaire

C’est en 1984 que paraît le livre pionnier de Claude langlois, Le Catholicisme au féminin.
Les congrégations françaises à supérieure générale au xixe siècle, Paris, Le Cerf, 776 p.
En 2010, dans son ouvrage Civilizing Habits: Women Missionaries and the Revival of French
Empire (New York, Oxford University Press, 2010, 384 p.), Sarah curtis se penche sur trois
figures de femmes missionnaires françaises: Philippine Duchesne (1769-1852), Émilie de Vialar
(1797-1856) et Anne-Marie Javouhey (1779-1851).
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peu nombreuses en comparaison de leurs consœurs catholiques, elles
étaient motivées par le même Grand Réveil des Protestants qu’en Angle-
terre et aux États Unis, et leur calendrier coïncide avec celui du renouveau
des missions catholiques. Au départ, les femmes protestantes n’étaient
tolérées que comme des assistantes de leurs maris missionnaires, mais à
la fin du xixe siècle, elles pouvaient être formées et devenir missionnaires
à part entière, même si elles restent ignorées par l’histoire. Tout comme
pour les Sœurs Bleues au Sénégal, le travail missionnaire d’Idette Allier
au Cameroun lui offre une possibilité d’évolution personnelle, qui, dans
son cas, a consisté à entreprendre un véritable travail ethnographique,
dans lequel elle se révélera comme une scientifique de qualité. Pour
reprendre la formule d’Helène Baillot, «on lui avait donné des ailes».
Ce travail, pourtant, se fit au détriment de son œuvre missionnaire, et
Hélène Baillot retrace la frustration qu’Idelette Allier ressentit à ses
débuts devant ce qu’elle considérait comme une conversion superficielle
17
SARAh A. CuRtIS

de la part des Africains, mais elle évolua plus tard vers une plus profonde
compréhension de leurs valeurs et de leur culture. En cela, elle apparaît
comme une exception, et aucune autre femme évoquée dans ce dossier
n’a vécu une expérience similaire, mais c’est peut-être justement parce
qu’Idelette Allier n’était pas intégrée au sein d’une communauté en
compagnie d’autres femmes partageant toutes les mêmes valeurs.

Conclusion : un chantier historique à poursuivre

Les quatre articles publiés dans ce dossier ne sont là qu’à titre


d’exemples du travail qu’il reste à faire sur les missionnaires françaises
– qu’elles soient catholiques ou protestantes – qui ont œuvré dans toutes
les régions du globe, que ce soit dans des colonies françaises ou non.
Partir à la recherche de ces femmes dans les archives se révèle parfois
décourageant, notamment parce que les dossiers officiels des Églises et
de l’État minimisent en général leur contribution. Mais les missionnaires
elles-mêmes nous ont laissé une très importante source d’information:
leurs lettres. Loin de chez elles, elles ont entretenu une correspondance
personnelle et administrative qui constitue une source riche en informa-
tions sur leur travail quotidien, leurs relations avec les fonctionnaires,
les ecclésiastiques et les autochtones, mais également sur ce qu’elles ont
conscience d’être et sur la façon dont elles conçoivent leur mission.
Comme les congrégations et les instituts qui détiennent ces corres-
pondances les ont rendues aujourd’hui plus accessibles aux historiens
professionnels, elles peuvent offrir une nouvelle façon d’étudier l’histoire,
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que soit celle de la religion, des colonies ou des femmes. Nous espérons
que la publication de ce dossier inspirera de nouvelles recherches sur cet
autre visage de la mission: les femmes.

Sarah A. Curtis
San Francisco State University, USA
(Traduction de Dorothée Chifflot)

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