Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 19

Révélation de Dieu dans des traditions Luba

François Kabasele Lumbala


Dans Histoire et missions chrétiennes 2007/3 (n°3), pages 103 à 120
Éditions Karthala
ISSN 1957-5246
ISBN 9782845869011
DOI 10.3917/hmc.003.0103
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures-religieuses1-2007-3-page-103.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour Karthala.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
N° 3 SEPTEMBRE 2007

dossier

Révélation de Dieu
dans des traditions Luba
FRANÇOIS KABASELE LUMBALA

Q U’ISRAËL SOIT CONSIDÉRÉ COMME LE SEUL PEUPLE à qui Dieu ait


parlé d’une manière nette et claire, est un des présupposés de la
religion chrétienne qui ne résiste pas à l’examen minutieux de
l’histoire des religions: les textes des religions de l’Extrême Orient (l’hin-
douisme, le boudhisme, le taoïsme, le confucianisme, le shintoïsme), le
Coran, les textes sacrés de l’Égypte, ou encore les traditions orales mys-
tiques de l’Afrique noire, notamment celles des Luba, sont d’une densité
religieuse étonnante, méritant autant d’attention que les écritures saintes
juives et chrétiennes. Le fait de l’oralité africaine aide à mieux compren-
dre le contenu de la Bible judéo-chrétienne et m’a fait déboucher sur
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


une intuition développée ici: Dieu s’est révélé à nos ancêtres africains,
à travers les contes, les proverbes, les paroles rituelles destinées au ren-
forcement de la vie et au rétablissement de l’harmonie dans l’univers,
les paroles fortes et bénéfiques où le dire correspond au faire.
Dans un premier temps, on montrera l’ampleur du phénomène
d’«écritures sacrées» et de la communication entre les divinités et les
hommes dans l’histoire des religions afin d’éviter des conclusions hâtives
et lacunaires. Ensuite, sera abordée la révélation dans des traditions
orales des initiés chez les Luba, en faisant part de certains documents
souvent passés inaperçus. Enfin, on exposera brièvement la révélation
de Dieu dans les proverbes et dictons, dans les rites d’harmonisation de
la vie chez les Luba.

103
FRANÇOIS KABASELE LUMBALA

La communication des hommes avec la divinité

Les religions antiques

Dans l’expérience humaine du divin, la communication entre l’homme


et les dieux est une constante. L’initiation, dénominateur commun de
toutes les religions, entre dans le processus de la révélation: en effet, au
cours des rites, des «sacra», des symboles, sont dévoilés; mais en plus,
la démarche elle-même révèle à l’adepte ce qu’il est au plus profond de
lui-même, ce que le monde est, et la véritable nature des esprits. Pour les
initiations qui s’accompagnent d’extases, de possession, de transes, la
préparation du sujet à recevoir des révélations est encore plus claire 1.
Dans la religion de l’Égypte ancienne, le roi est considéré comme le
premier célébrant, celui que les dieux ont investi pour conduire le peuple.
Il apparaît comme un fils de Dieu devant agir continuellement selon sa
mouvance et son inspiration. Selon l’idéologie royale égyptienne, le roi
est informé par Ré de ses desseins, il est doué ou investi, dès le sein de
sa mère, du don divin de la perception et de la connaissance. Un texte de
l’Ancien Empire, dit du roi: «Dieu lui a donné de connaître la chose dans
son for intérieur 2.» Le fameux hymne d’Echnaton 3 mentionne qu’il a
été inspiré par Aton lui-même. L’endroit où devait être construit le
temple était indiqué par la divinité. Le roi n’était pas chargé d’écrire; ce
travail incombait aux scribes prêtres. Sous leur plume, Thot, l’aspect divin
de la sagesse, de l’omniscience et de la faculté d’invention, a communiqué
aux hommes les messages de la divinité, en sa qualité de «maître de la
Vérité», «seigneur des divines écritures», «scribe des paroles divines» 4.
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


Dans les processions rituelles de la religion égyptienne ancienne, on portait
les livres sacrés (une quarantaine) en mains 5.
L’expérience des oracles dans la religion grecque antique met aussi en
rapport avec le phénomène des révélations. Par le truchement des prêtres
ou des prêtresses, les dieux transmettaient leurs volontés et leurs messages
aux hommes. Les plus célèbres furent les prêtresses d’Apollon à Delphes.
De partout des dignitaires affluaient pour consulter la divinité et recevoir
des messages. Cette pratique semble venue des cultes d’Asie mineure, où

1. M. MESLIN, L’expérience humaine du divin, Paris, Cerf, 1988, p. 170-171.


2. A. ROCCATI, La littérature historique sous l’Ancien Empire égyptien, Paris, 1982, p. 98 § 72.
3. Voir l’analyse de cette hymne dans BILOLO MUBABINGE, Le créateur et la création dans la pen-
sée memphite et amarnienne, Kinshasa, Libreville, Munich, éd. Publications universitaires africaines,
1988.
4. A. BARUCQ et F DAUMAS, Hymnes et prières de l’Égypte ancienne, Paris, Cerf, 1980, p. 359.
Voir également les Textes des sarcophages, cité par SARWAT ANIS AL-ASSIOUTY, Jésus l’égyptien, d’après
les monuments, I., 1999, p. 28.
5. On pourrait consulter les détails de cette description chez J.-F. CHAMPOLLION, Panthéon
égyptien, Paris, 1823, p. 30.

104
Révélation de Dieu dans des traditions Luba

les initiations à l’immortalité dans divers cultes, amenaient les adeptes à


entrer en transe; des phénomènes de «possession» par les dieux amenaient
des individus à une perte temporaire des sens, parfois même à un chan-
gement de voix; et pendant cette période, le dieu concerné livrait son
message aux humains 6. Les cultes des Cabyres, de Dionysos, d’Ira et
d’Artémis, connaissaient fréquemment ces expériences extatiques.

L’expérience chrétienne

Le concile Vatican II définit clairement ce que les chrétiens doivent


entendre par révélation et parole de Dieu:

«Les livres entiers, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, avec toutes leurs
parties, la sainte mère Eglise, de par la foi apostolique, les tient pour sacrés et canoniques,
du fait que, rédigés sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, ils ont Dieu pour auteur et ont
été transmis à l’Eglise comme tels. Mais, pour composer les livres saints, Dieu a choisi
des hommes qu’il a employés, eux-mêmes usant de leurs facultés et de leurs forces
propres, de sorte que, agissant lui-même en eux et par eux, ils transmettent par écrit,
en véritables auteurs, tout et cela seulement que lui-même voulait 7.»

On distingue dans cette citation trois facteurs: Dieu, l’écrivain, et la


communauté église qui reçoit le message; le premier communique à
l’écrivain le message ou l’aide à reformuler ce que Dieu a déjà transmis
précédemment; le deuxième fait un travail qui ne lui appartient pas, mais
qui est marqué par sa vie et son talent; le troisième, c’est celui qui authen-
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


tifie et reconnaît la main de Dieu dans le message.
L’importance du troisième élément n’est pas à démontrer: il est très
clair qu’il devient de plus en plus déterminant, au fur et à mesure que des
dissensions naissent dans ces groupes «églises». Aussi, l’argument prin-
cipal pour déterminer si un écrit est un livre saint, traduisant la parole de
Dieu, sera «la tradition reçue», l’usage commun des communautés, depuis
les premiers siècles. Mais cet usage lui-même n’est pas purement autori-
taire; il repose sur un fondement, tel qu’il est stipulé dans les écritures
elles-mêmes:

«Toute écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour reprendre, pour
remettre les choses en ordre, pour discipliner dans la justice, pour que l’homme de Dieu

6. W. BURKERT, Αρχαι′α ελληνικη′ Θρησκει′α (la religion grecque ancienne), éd. ∫·Ú‰·Ì›ÙÛ·,
1993, p. 243-257.
7. Cité dans la constitution «Dei verbum», 11.

105
FRANÇOIS KABASELE LUMBALA

soit pleinement qualifié, parfaitement équipé pour toute œuvre bonne.» (2 Timothée
3: 16, 17.)

Selon ce fondement, un catalogue des livres a été fixé, regroupant


pour les catholiques 73 livres comprenant les écritures hébraïques et
chrétiennes, 66 livres pour les protestants.
Mais comment Dieu inspire-t-il? Est-ce à la manière d’un «souffle»,
d’une vision, d’un songe (Dan 7, 1; 9, 21 ss), par un ange entreposé
(Ap1, 1), ou encore face à face (Nb 12, 6-8, Ez 1-2, 2-ss, Isaïe 6, 1-8,
Ap.1, 1-2)? Il reste difficile de préciser comment Dieu a donné sa révé-
lation à chacun des rédacteurs originaux.
Conformément à ce qu’écrit Luc 1,1 (rapportant ce que les témoins
oculaires avaient transmis), pour les chrétiens, l’inspiration est close avec
la disparition des derniers témoins oculaires ou de leurs disciples.

L’expérience des Musulmans

Pour l’islam, le Coran est le livre révélé par Dieu à Muhamed sur une
période de 20 ans, de 612 à 632. Dès 612, dans la «nuit bénie» du 26 au
27 du mois de ramadan, l’ange Gabriel (Jibril) lui ordonne de «réciter»
ce qu’il entend, un message articulé autour de quatre éléments: l’unicité
de Dieu, ses 100 attributs, l’exigence fondamentale de soumission à Dieu,
et le jugement dernier. Le prophète étant illettré, ce sont ses compagnons
qui ont mis par écrit son message. Plus tard, sous le calife Othman,
(644-656), le canon est organisé sous forme de sourates et de versets.
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


Ci et là, le message souligne sa provenance divine, comme par exemple:
«Votre compatriote… ne parle pas de son propre mouvement. Ce qu’il
dit est une révélation qui lui a été faite» (Sour. III, 2-5; voir aussi Sour. II,
1-3; Sour. XVII, 106-107).

Les religions de l’Extrême-Orient

L’hindouisme repose sur plusieurs corpus de textes, tous censés d’une


manière ou d’une autre émaner de l’absolu divin ou de ses formes et
manifestations (Visnu, Siva…). Le Veda, corpus de base, se traduit par
«connaissance sacrée» ou «révélation». Il a été «exhalé» par l’absolu, au
commencement du monde, et «capté» par certains sages; ceux-ci l’ont
transmis de génération en génération, par voie orale; ce n’est que tardi-
vement et progressivement que cette parole a été mise par écrit, entre les
XVe- Xe siècles avant Jésus-Christ; cela a donné lieu à une immense litté-
rature, qui va des Veda aux Brahmana, en passant par les Aranyaka, pour

106
Révélation de Dieu dans des traditions Luba

aboutir aux Upanishad 8. C’est pour accueillir le livre sacré Adî Granth
des Sikhs (issus d’un syncrétisme entre l’islam et l’hindouisme) que le
fameux temple d’or d’Amristsar, avait été construit en Inde; et le leitmotiv
de ce Livre est donné par la syllabe OM (on kar) qui est chantée tous les
jours en ouvrant ce livre dans le temple d’or.
Certains affirment que le bouddhisme est une religion sans «dieux»
et qu’il n’y a donc pas de place pour une «révélation». Mais en fait, il
existe plusieurs bouddhismes, et quels qu’ils soient, ils gardent les traces
de l’hindouisme d’où ils sont tous issus; et parmi ces traces il faut noter
en particulier l’idée de l’absolu-un, vers lequel la vie humaine et cosmique
tend. Dans le bouddhisme tantrique, on connaît des divinités souvent
héritées de l’Inde, et qui ont révélé aux hommes (les Mahâsiddha) des
enseignements sur l’éveil, telles les déesses à l’esprit farouche, les dâkni,
«celles qui marchent dans les airs» 9. Les bouddhistes ont un canon
scripturaire divisé en trois groupes de textes, appelés «Triple corbeille»:
corbeille des Sutra (enseignements du Bouddha lui-même), corbeille
du Vinaya (règles disciplinaires de conduite), corbeille de l’Abhidarma
(élaborations sur l’enseignement du Bouddha) 10.
Le confucianisme se réfère avec le plus grand respect à un canon des
écritures, qui comprend: les Cinq Classiques (wu jing), consacrés par
Confucius lui-même, ainsi que les quatre livres (si shu), hérités des disciples
de Confucius. Confucius n’avait fait que rassembler ce qui existait déjà et
l’avait mis en forme pour rendre le tout accessible aux générations futu-
res. Il s’agit ici d’une «révélation» non pas divine comme pour les juifs,
les chrétiens, les hindous et musulmans, les taoïstes etc., mais d’une révé-
lation émanant des hommes supérieurs en intelligence et sagesse et qui
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


sont dans l’au-delà; c’est un mélange de sagesse et de la divination 11.
Certaines écritures du taoïsme sont considérées comme «révélées» par
voie médiumnique:

«Cette pure harmonie du grand Tao se répandit à travers le Vide parfait. Les immor-
tels célestes vinrent alors adorer cette sainte révélation et en firent copie. Quels
signes étranges! A la fois ronds et angulaires, bizarrement conformés, enchevêtrés et

8. M. HULIN et L. KAPANI, «L’hindouisme», dans J. DELUMEAU (dir.), Le fait religieux, Paris,


Fayard, 1993, p. 351-354.
9. N. BAZIN, «Samvara et Vajravârâhi», dans Actualité des religions, hors série 4, septembre 2000,
p. 27. Voir aussi A. HELLER, Arts et sagesses du Tibet, éd. Zodiaque, 1999.
10. J.N. ROBERT, «Le bouddhisme, histoire et fondements», dans J. DELUMEAU (dir.), Le fait
religieux, Paris, Fayard, 1993, p. 461-462.
11. L. VANDERMEERSCH, «Le confucianisme», dans J. DELUMEAU, Le fait religieux, op.cit., p. 580;
Voir les développements dans J. CHARBONNIER, «Le confucianisme», dans M. CLEVENOT (dir.), L’état
des religions dans le monde, Paris, La découverte et Cerf, 1987, p. 192-198.

107
FRANÇOIS KABASELE LUMBALA

dédaliques! Certains les appellent “écritures réelles”, d’autres “écritures sans images”.
C’est là le trésor des hauts cieux que nul ne peut saisir dans le monde ici-bas 12.»

Le canon taoïste contient plus de 1500 livres dont les plus importants
sont: le Daode jing (livre de la Voie et de la Vertu) et le Zhuangzi (à la fois
titre et nom de l’auteur).
Dans le système shintoïste, l’homme est intimement lié aux Kami (esprits
et divinités); sa vie est liée tant à la nature qu’aux divinités. Ceux qui
vivent selon le bon ordre peuvent entrer en communication avec les dieux
et avec la nature, et recevoir des messages et prescriptions. Les écritures
sacrées (Shinten) shintoïstes sont centrées sur les croyances à l’égard des
Kami. Les plus anciennes sont le Kojiki (3 volumes) et le Nohon-shoki
(30 volumes). L’influence du chamanisme, du bouddhisme et du taoïsme
sur le Japon est très manifeste dans le shintoïsme; mais l’effort japonais
de maintien d’une identité nationale est encore plus remarquable dans la
synthèse que les Japonais ont fait de tous ces courants, en les réunissant
au tronc traditionnel de leurs cultes ancestraux et impériaux.
Dans les traditions religieuses d’Afrique noire, nous y reviendrons plus
longuement, les personnages appelés «bilumbu» (nécromanciennes) et
un certain nombre de guérisseurs, ainsi que certains maîtres d’initiation,
particulièrement dans le Vaudou, connaissent des «révélations» de la part
de la divinité, des ancêtres ou de l’au-delà tout court. Ces révélations sont
des connaissances spéciales, particulières, relatives à l’objet de leurs démar-
ches; ils y accèdent par une attitude déterminée et une préparation qui
les fait passer par une mort à eux-mêmes. Une recherche faite à ce sujet
par Mabika Kalanda a mis à la disposition du grand public les révélations
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


que des «forts» Luba, bénéficiaires de cette communication spéciale avec
Dieu, avaient livrées à certains chercheurs 13.
Ainsi, on se rend compte de l’ampleur et de la complexité du phéno-
mène d’écritures sacrées, de textes inspirés par la divinité et des révélations
venues de l’au-delà ou des dieux. Les affirmations des juifs, chrétiens ou
autres, privilégiant chacun le caractère sacré de leurs écrits, n’est donc à
prendre que comme un acte de foi d’une communauté à l’égard de l’inter-
vention de Dieu ou des dieux dans leur vie. Au point de vue de l’histoire
des religions, rien ne peut justifier l’affirmation selon laquelle la divinité
n’aurait parlé qu’à un seul peuple et encore moins à une seule religion.
Quant à l’inspiration et à la technique même de cette communica-
tion, elle peut être très diversifiée, selon la nature complexe de l’homme

12. Texte liturgique cité par K. SCHIPPER, «Le taoïsme», dans J. DELUMEAU, Le fait religieux,
op.cit., p. 539.
13. MABIKA KALANDA, La révélation du Tiakani, Kinshasa, éd. Lask 1993, p. 11.

108
Révélation de Dieu dans des traditions Luba

et du caractère même de l’infini de Dieu. Le témoignage unanime de


l’histoire des religions est que derrière ce phénomène, il y a communi-
cation entre l’au-delà et les hommes. Mais personne ne peut décrire dans
les détails, ce processus, pour tous les espaces ni pour tous les temps.
Les auteurs du livre La Bible dévoilée 14 démontrent comment la
réforme religieuse entreprise par Josias, un des derniers rois de Juda
(639-609), a été décisive dans la rédaction du récit biblique: des prêtres
et scribes judéens sous l’impulsion des événements et de personnages
influents, l’ont reconstruit, donnant ainsi à un peuple frustré dans ses
ambitions politiques, une cohésion et une identité. Ce livre confirme
en fait nos intuitions tant par rapport à la révélation que par rapport à
l’histoire du salut. Nous avons toujours été persuadés que la bible judéo-
chrétienne n’était pas le sommet de la révélation divine dans l’expérience
humaine. Partout il y eut communication de Dieu ou des dieux avec les
hommes, que ce soit par des oracles, que ce soit par des songes. Ces
songes et ces oracles ont toujours été influencés par les circonstances de
la vie et des sociétés humaines, telles les visées politiques d’un royaume
ou les ambitions entre les différents centres religieux. Certes les auteurs
de La Bible dévoilée n’attribuent nullement l’origine divine aux récits
bibliques; mais nos yeux de croyants Luba habitués à voir la main de
l’au-delà dans des événements terrestres, n’ont pas eu de peine à déceler
dans les récits bibliques une intervention de Dieu, tout en reconnaissant
que le travail de l’homme est déterminant dans la cristallisation de cette
inspiration.
Pour nous, ce qui fait de ces récits idéologiques et théologiques, un
livre inspiré, c’est la place centrale que Dieu y occupe par rapport à la
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


sauvegarde de la vie de l’homme: «ce n’est pas la vigueur de mon cheval
qui me donnera la victoire, si Dieu le créateur ne me la donne pas»; en
d’autres mots, disent les Luba, «tu as beau être un mâle vigoureux et une
femelle féconde, si Dieu ne te donne pas l’enfant, tu n’auras jamais de
progéniture». L’histoire du salut telle que les écrivains bibliques l’écrivent
n’est plus à comprendre dans une perspective historique, comme ayant
débuté avec les patriarches Abraham, Isaac et Jacob, qui pourraient, en
fait, n’avoir jamais existé; l’histoire du salut a débuté partout avec la
création, avec nos ancêtres, avec les fondateurs de nos nations; elle inclut
tous ceux qui ont joué un rôle dans la sauvegarde et la croissance de la
vie, dans le rayonnement de l’amour et de la paix entre les hommes, dans
le rétablissement de l’harmonie sur la terre.

14. I. FINKELSTEIN et N. A. SILBERMAN, La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l’archéo-


logie, Paris, Bayard, 2002.

109
FRANÇOIS KABASELE LUMBALA

R é v é l a t i o n d e D i e u c h e z l e s i n i t i é s Lu b a

L’initiation est très diverse dans les rituels Luba; mais ils se rejoignent
tous dans les étapes et le processus, allant de la réclusion, à l’ouverture de
l’intelligence, en passant par une mort et une résurrection, et en termi-
nant par un retour à la vie quotidienne dans un nouveau rôle assumé par
l’initié. Certains initiés, appelés chez les Luba les «forts» ou «éveillés»,
ont connu des phénomènes de possession, ou de songes éveillés, ou même
de mort et de retour à la vie. Pendant ces moments d’intense activité
psychique, les dieux leur auraient parlé et montré des réalités nouvelles;
ils leur auraient ouvert l’intelligence pour un nouvel éclairage sur la vie.
Ceux qui ont pu parler ont alors créé des traditions; et celles-ci, de bouche
à bouche, se sont conservées. Ainsi par exemple tout enfant de mulopwe
(chef Luba) doit obligatoirement apprendre ce récit qui relate la venue
du premier homme sur la terre, et qui est la source première d’où décou-
lent les principes généraux de la coutume, et qui serait une révélation,
jadis faite à l’un de ses ancêtres:

«Depuis toujours, et avant nos Nkambulula, il existait un être suprême, invisible,


qui vivait dans l’espace, parce qu’il est le vent qu’on ne voit jamais. Il s’appelle Vidie
Mukulu, grand Dieu, Shiakapanga, Créateur, ou encore Vidie-Mwine-Bumi, Maître de
la Vie, car il a créé tout ce que nous voyons sur la Terre, dans les eaux et dans l’espace.
Tout est produit de son champ et de son élevage… Il vivait seul dans son immense
champ, entouré de ce qu’il avait créé. Le désir lui vint un jour de créer son image. Il fit
tomber une pluie abondante qui remplit les vallées et créa ainsi rivières et fleuves.
De cette pluie descendit un homme; il l’appela Mwikeulu descendu du ciel 15.»
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


Mais ce n’est pas l’unique tradition; il en existe bien d’autres, diffé-
rentes entre elles, mais qui se recoupent. Parmi ces traditions, il y en a une
qui nous paraît être plus élaborée; elle a été mise par écrit par un méde-
cin et un administrateur, tous deux des coloniaux belges, sous le titre de
Bible noire. En voici un extrait:

«Au commencement de Toutes-les-Choses, l’Esprit Aîné, Maweeja Nnangila, le


premier, l’aîné et le grand seigneur de tous les Esprits qui apparurent par la suite, se
manifesta seul, et de par soi-même. Puis, et d’abord, il créa les Esprits. Il les créa, non
pas à la façon dont il créa les autres choses, mais par une métamorphose de sa propre
personne, en la divisant magiquement, et sans qu’il en perde rien 16.»

15. KALEND’A MWAMBA, Shaba, Kasaï, où en sont nos coutumes?, 1981, p. 22-23.
16. T.A FOURCHE.et H.D MORLIGHEM Une Bible noire, cosmogonie bantu, 2e édition, Paris,
Les deux Océans, 2002, p. 31.

110
Révélation de Dieu dans des traditions Luba

Ainsi commence le récit fait par des initiés, ou des éveillés, dont on
cite quelques noms: Mapumba wa Kalenga Nsana, Kayiole et Kabanza,
Mpoyi wa Kaseya… La liste des inspirés n’est pas close, puisque la révé-
lation elle-même n’est pas close, du fait que Maweeja Nangila continue
son œuvre de création 17; la découverte, la compréhension et l’explicitation
de cette œuvre sont loin d’être achevées, car l’être humain est si limité
qu’il ne peut prétendre avoir une saisie définitive et complète de l’œuvre
divine. Aussi trouvera-t-on dans ces récits d’initiés des avis différents, des
manières différentes de comprendre, mais qui se rejoignent sur un certain
nombre de trames. C’est ainsi qu’en citant ce livre, il ne s’agit pas d’un
témoignage individuel d’un auteur sur des traditions Luba; c’est une com-
pilation de traditions mystiques Luba, en provenance de nombreux
témoins, et d’une pléiade de récits dont certains circulent encore
aujourd’hui de bouche à l’oreille dans les cercles d’initiés et dans de nom-
breuses traditions orales 18.

On distingue d’abord dans la genèse du monde, une trilogie de départ,


qui procède de l’unique Dieu qui lui-même s’est créé.
1) «Maweeja Nnangila», le premier et le plus grand, seigneur de tous
les esprits et de toutes choses. Il se métamorphosa d’abord en trois
personnes, créant ainsi deux autres esprits seigneurs, de second rang, à
ses côtés:
2) Le «Premier-né», «Sceptre issu de la calebasse», «Chair du front»,
et qui remplit auprès de Maweeja Nnangila le rôle du fils aîné dans un
foyer humain. S’il est appelé Premier-né, ce n’est pas qu’il a été engendré
comme un enfant. Mais c’est une comparaison qui nous permet de com-
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


prendre la place qu’il occupe, en recourant à nos catégories humaines.
Sceptre issu de la calebasse, fait allusion à la manière dont il est apparu,
déjà revêtu des insignes de pouvoir. Il représente la masculinité dans le
divin et dans le cosmos, ou encore le côté mâle de Maweeja Nnangila.
3) «Cyame Esprit aîné», ou Cyame issu de l’Esprit aîné, prenant la
place d’une première épouse dans un foyer d’hommes; non pas que Cyame
soit une femme (tous les esprits aînés sont hermaphrodites); mais sim-
plement il incarne la féminité dans le divin et dans le cosmos, ou encore

17. Ibidem, p. 33: «et l’on dit qu’il crée encore, même de nos jours». «L’archer ne se lasse pas
de bander son arc et de tirer des flèches: de même, Maweeja Nnangila ne se lasse pas de créer», dans
un dynamisme infiniment fécond comme celui de la Termite-Mère de la Termitière (p.71-72).
18. On trouvera par exemple certaines de ces traditions chez NSOMWE TSHISWAKA, Le bulumbue
(tradition initiatique bantu, cas du Zaïre), Lumbumbashi, 1986; l’auteur, lui-même initié par un
maître guérisseur, Lumami Mpiana, a mis par écrit des révélations relatives à la création, à la consti-
tution du monde et de l’homme, à la répartition et la hiérarchie des forces dans l’univers (p. 59-65);
ces révélations se recoupent en gros avec ce qui est dans la Bible noire, nonobstant quelques différences
minimes, relevant particulièrement des sociétés Songye.

111
FRANÇOIS KABASELE LUMBALA

le côté femelle de Maweeja Nnangila. «Issu de l’Aîné» ne veut pas dire


que l’aîné l’ait engendré; mais c’est pour marquer les rapports respectifs
d’antériorité entre eux.
La suite rapporte la création d’autres réalités dont l’homme était la
seule qui fut animée par Maweeja Nnangila avec son souffle, par lequel
il lui a donné un esprit. Il le voulait «seigneur de toutes les créatures, fait
à sa propre image 19»; c’est ainsi qu’il le dota de la parole et du pouvoir
du verbe. Tandis que toutes les autres créatures, il les a faites en y unissant
l’eau et le feu du ciel du sommet, dont les formes métamorphosées sont
l’eau et le feu que nous voyons quotidiennement.
Mais, quoique tout ait été créé en bien, en ordre numérique pair,
des traditions rapportent que l’évolution de l’univers connut une entorse.
Par rapport à cette entorse, il existe de nombreuses versions: il y en a qui
parlent d’une désobéissance de l’homme, comme dans certains contes
et mythes 20; mais d’autres traditions mentionnent une révolte de la part
de certains esprits, qui entraîna un certain nombre de créatures dans une
séparation avec Maweeja Nnangila. Des traditions d’initiés parlent de la
révolte de l’esprit aîné émissaire, qui avait été institué ordonnateur de
la loi, Nkongolo ka Lukanda; quand il sera déchu par Dieu, il deviendra
serpent d’eau, dont l’haleine apparaîtra dans le firmament sous forme
de lignes multicolores qu’on appelle «l’Arc-en-ciel» 21. C’est dans la
foulée de cette punition qu’il y eut séparation nette entre les cieux, les
terres, et les esprits, que le bien et le mal s’opposèrent, que les noms
des choses s’altérèrent, entraînant les créatures dans leur détérioration 22.
Des animaux changèrent de forme, tels des oiseaux-rats, des singes, des
varans, des pangolins (mi-poissons mi-bêtes), des serpents. L’homme
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


perdit une grande partie de ses pouvoirs initiaux; un certain nombre
des ouvertures de son corps se fermèrent, telle le creux épigastrique, la
fontanelle et l’occiput.
En vue de faire régner de nouveau l’ordre et de maintenir le cosmos
en équilibre, Maweeja Nnangila établit une séparation des lieux qui se
distinguèrent ainsi: 1) le ciel du sommet, demeure de la divinité et des
esprits aînés, de couleur toujours blanche; 2) la terre, où vivent hommes,
bêtes et insectes, ainsi que tous les végétaux, et qui est de couleur noire;
3) les profondeurs de la terre où brûle un feu éternel tout rouge, demeure
de tous ceux que Maweeja Nnangila veut châtier à jamais, qui est l’abîme
du frisson; 4) le village aux abords plantés de bananiers, lieu de repos et

19. Ibidem, p. 54.


20. L. FROBENIUS, Mythes et contes populaires des riverains du Kasaï, Bonn, éd. Inter Nationes,
1983, p. 114-119.
21. T. A FOURCHE.et H. D MORLIGHEM, La Bible dévoilée, op. cit., p. 73, 79 et passim
22. Ibidem, p. 43.

112
Révélation de Dieu dans des traditions Luba

de calme pour ceux qui ont été obéissants à Maweeja Nnangila, les ancê-
tres; il est de couleur indécis-blanc.
De cette mésaventure, l’homme était sorti très affaibli et diminué et
Maweeja Nnangila voulut lui faire récupérer une partie de ses pouvoirs
originaux par l’instauration de l’initiation et des instances de l’enseigne-
ment secret, où il se révèle lui-même. Cet enseignement, entre autres,
ouvre les orifices qui avaient été bouchés, tels le creux épigastrique, siège
du pouvoir de la parole forte, ainsi que la fontanelle et l’occiput, siège de
la voyance. Mais une telle initiation ne serait accessible qu’à un petit
nombre; aussi Maweeja Nnangila convoqua-t-il les créatures et conclut
avec elles un pacte: Il fit le sacrifice de sa «Chair de front», son Premier- né,
l’esprit aîné fils de Cyame qu’il métamorphosa en chair, et qu’il donna à
manger aux créatures; c’est l’acte réparateur de la création, par lequel
Maweeja Nnangila remit la paix et la prospérité chez ses créatures, asseyant
ainsi sa seigneurie. Aussitôt qu’ils eurent mangé de la chair du «Sceptre
issu de la calebasse» de «Maweeja Nnangila», les créatures s’endormi-
rent; mais le lendemain matin, l’esprit Aîné, fils de «Cyame», «Chair du
front», ressuscita, et avec lui toutes les créatures qui en avaient mangé 23.
Désormais, le sacrifice deviendra la loi de la prospérité et de la croissance
de l’homme. Les hommes ont peu à peu remplacé les sacrifices des pre-
miers nés, par le don des prémices de leur travail, le don d’une forte somme
d’argent, fruit d’un long labeur, l’immolation d’un bétail ou volaille, ou
même don de graines ou fruits des plantations. Les grands seigneurs
d’ici bas ne parachèvent leur seigneurie qu’en offrant le sang d’un enfant
premier-né. C’est depuis lors que des sacrifices de bêtes ou volailles, dont
on fait le repas après immolation autour de l’arbre des ancêtres, scellent
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


la prospérité de grandes causes et consacrent les grands événements de la
vie familiale.
Enfin, pour parachever le pacte, Maweeja Nnangila leur donna une
loi à observer désormais, sous peine d’une mort définitive. Cette loi se
présente ainsi: «Tu ne tueras ni ne blesseras autrui, tu ne t’empareras des
biens ni des femmes d’autrui, tu ne mangeras pas la vie d’autrui par malé-
fices, la femme ne commettra pas le crime d’adultère». L’homme s’est lié
à obéir à ces prescriptions, par serment, avec toutes les créatures qui étaient
là réunies. Désormais, celui qui suivrait ces prescriptions, après sa mort,
se réincarnerait et rejoindrait le village aux abords plantés de bananiers.
Une vie conforme à ces lois assure déjà une protection de l’homme contre
les maléfices que continuent de perpétrer les mauvais esprits à la tête des-
quels préside le Kavidyevidye, puni par Maweeja Nnangila et rejeté dans
les profondeurs de la terre. Il viendra un temps où la volonté de Maweeja
Nnangila fera échapper les hommes à ce cycle des réincarnations et les

23. Ibidem, p. 136-137.

113
FRANÇOIS KABASELE LUMBALA

fera redevenir mi-hommes et mi-esprits, comme à l’origine; ce sera la fin


des temps.

L a ré v é l a t i o n d e D i e u d a n s l ’ o ra l i t é

L’oralité ne veut pas dire «absence d’écriture», mais plutôt un mode


de communication qui privilégie le symbole, le contact vécu et concret;
l’oralité est une attitude devant la parole, qu’elle considère comme puis-
sance mystérieuse et participante du dynamisme de l’être; l’oralité est une
manière d’entrer en relation, en s’impliquant, en vibrant au rythme de ce
qu’on voit, de ce avec quoi on communique.
Dieu a utilisé plusieurs méthodes pour communiquer avec l’homme,
pour lui transmettre ses volontés et le guider vers le bien. Dans ces
méthodes, c’est l’oralité qui vient en tête, avec l’utilisation des signes,
des symboles, des phénomènes de la nature. La révélation a été trop sou-
vent liée à l’écrit, au point que l’attention n’est pas suffisamment attirée
sur le fait que Dieu n’a jamais écrit. De bouche à bouche, les paroles recueil-
lies dans des sanctuaires, lors des oracles, se sont communiquées. Ainsi
la Bible, comme beaucoup d’autres écrits sacrés, est-elle au départ une
somme de traditions orales, qui se fixaient au fur et à mesure des péré-
grinations des peuples 24.

Révélation dans les noms divins


© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


Les noms théophores

On rencontre en Afrique noire, lors des initiations ou d’une naissance


spéciale, des noms donnés à des êtres humains, tels que: Tiéssi: Il n’a
personne si ce n’est Dieu (Burkina Faso) – Amba dyuma: Attends Dieu
(Mali) – Esoxonam: Dieu a ri de moi (Togo) – Mwamba Nzambi: Comme
dira Dieu (Congo), – M-â-néba: J’ai vu Dieu (Tchad) – Bagamla:
Il y a Dieu (Cameroun). Le nom en Afrique noire recouvre souvent un
programme de vie; il est une expression de l’attitude des parents face à la
vie, à l’homme, aux ancêtres et à Dieu; le nom correspond à la personne
elle-même. Vu ce que représente le nom en Afrique noire, le moins
qu’on puisse déduire de ces quelques exemples pris au hasard, c’est qu’ils
traduisent une relation dont ils sont le signe, une relation interpersonnelle,
concrète. Ainsi, loin d’être un être vague, Dieu se pose comme une per-
sonne qui agit, qui parle, qui entre en relation avec l’homme; ces noms

24. E. MOREAU, De bouche à bouche, la Bible (transmission vivante), Monstsures, Resiac, 1977, p. 33.

114
Révélation de Dieu dans des traditions Luba

suggèrent que cette relation a dû être expérimentée comme heureuse,


décevante, ou déconcertante 25.

Les noms donnés à Dieu

Certains parmi les hommes ont écouté Dieu, faisant une expérience
originale, au point d’avoir retenu ses noms. Et ceux-ci ont été véhiculés
dans l’oralité africaine, depuis la nuit des temps. L’usage des symboles à
ce propos fut déterminant, tant pour la perpétuation de ces noms, que
pour le caractère inépuisable de l’expérience transmise. Le symbole dit,
suggère, et pousse à aller plus loin. Y-a-t-il quelque chose de meilleur pour
traduire la complexité du divin? Les images et les symboles dont nos pro-
verbes, nos contes et mythes Bantu sont tissés, en font un des lieux de la
contemplation de Dieu, de la révélation de Dieu.
Un des premiers documents à consulter pour connaître ces noms
africains de Dieu est le dossier des révélations transmises dans les pyra-
mides de l’Égypte ancienne 26. Sans pouvoir ouvrir ce trésor immense, qu’il
nous suffise de signaler que dans ces documents, il s’agit de la création du
monde par Dieu, un Dieu unique mais qui est évoqué par une pluralité
de noms, son essence étant illimitée et indéfinissable. Ces noms corres-
pondent à une pluralité d’attributs et de fonctions exercées par la divinité
dans le cosmos. Les sages égyptiens dès le troisième millénaire parlent
de Dieu au singulier; les textes des sarcophages font de même; qu’il me
suffise de rappeler l’hymne à Atoum d’Akhenaton:
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


«Je suis le Dieu Atoum (le parfait, le complet, la totalité, l’unique). Je suis celui qui
est… J’abonde en noms et abonde en formes, mes formes existent comme chaque dieu 27…»

La comparaison avec les traditions africaines actuelles s’est déjà


révélée féconde et séduisante 28. Ici je me limite à l’aspect de l’invocation

25. Voir différentes monographies dans Noms théophores d’Afrique, Ceeba II, 45, Bandundu, 1977,
p. 12, 44, 45 ss.
26. Je ne tranche pas ici la question du lien entre l’Afrique noire et la civilisation égyptienne,
question encore discutée entre le courant dit «afro-centriste» (Cheik Anta Diop, Théophile Obenga,
Kizerbo), et le courant classique euro-centriste qui rattache la civilisation égyptienne à la méditerranée.
Mais j’épouse l’option des afro-centristes dont l’hypothèse centrale demeure plausible, étant donné que
leurs arguments n’ont pas encore été démantelés par le courant classique.
27. Papyrus de Turin, publié par F.ROSSI et W. PLEYTE, CXXXII, 10, ANET, p. 13, col.1 cité par
SARWAT ANIS AL-ASSIOUTY, Jésus l’égyptien, d’après les monuments, I., 1999, p. 13
28. La revue d’égyptologie et des civilisations africaines est une mine riche à ce sujet; pour ce
qui concerne la conception du monde, de la vie, de l’homme, voir Th. OBENGA, «L’anthropologie
pharaonique, textes à l’appui», dans Ankh, 6-7, 1997-1998, p Voir du même l’article «L’histoire du
monde bantu», dans Racines bantu, Libreville, Ciciba, 1991, p.144-146.

115
FRANÇOIS KABASELE LUMBALA

divine qui s’exprime sous une infinité de noms divins puisés dans l’univers
tout entier, depuis les astres, en passant par les végétaux, les animaux et
jusqu’aux phénomènes cosmiques: Il est «le soleil qu’on ne peut regarder
fixement» (Dîba katangilayi cishiki, wakutangila dyamosha nsesa); il est
«la terre qui n’offre pas de tribut à la pluie» (Buloba kalambudi mvula)
«la route qui ne gémit pas, mais ceux qui gémissent ce sont ceux qui mar-
chent dessus» (Njila katu mikemu, batwatwa mikemu mbamwendenda);
il est «la termitière qui grouille de vie dans ses profondeurs et qui ne craint
ni pluies ni sécheresses» (Cilundu wa nkumina mund’a buloba, katwidi
mvula, katwidi minanga); il est «l’arbre Cinkunku sous lequel se rassem-
blent les chasseurs» (Cinkunku nsang’a bilembi); il est «l’oiseau qui ne
se crève jamais l’oeil, en passant à travers une forêt touffue de lianes et
d’épines» (Nyunyi kafu disu, nansha mubwela mu ditu dya nkodi ne meba);
il est le «léopard à la forêt propre» (Nkashama wa dyenda ditu); il est
«l’insecte en tête de file» (Dijinda ntung’a mulongo); il est «l’eau origine
du sel» (Mayi mfuki’a mukele); il est «l’Arc-en-ciel qui arrête les pluies
torrentielles» (Mwanza Nkongolo Lukanda mvula wa mudimbi); il est «le
vent à qui on ne peut tendre de piège», (Cipepela ukena kuteya), «l’ouragan
qui dévêt ceux qui portent les raphias» (Mvunda katuula ba madiba);
il est «l’étang marécageux auquel les pécheurs ne viennent jamais à bout»
(Dijiba dya lunteka, dyakamana batuwi mpata)… Dieu regroupe en lui
toutes ces formes: soleil, terre (route-chemin-termitière), eau, air (le vent),
arbre, oiseau, léopard, insecte, l’arc-en-ciel.
Mais est-ce que ces noms sont révélés par Dieu? N’est-ce pas une
simple construction poétique humaine? Selon les Bantu, Dieu est l’origine
de la parole; seuls à qui Dieu donne cette parole peuvent l’annoncer
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


correctement; et ceux-là, ce sont les sages, les maîtres d’initiation, les
hommes que l’on range dans la catégorie des «forts», comme les gué-
risseurs, les chefs intronisés.

Révélation dans les mythes et les contes Luba

Les différents mythes créateurs font émaner de Dieu, toute énergie


sur terre: Le souffle, l’eau et le feu, la lumière, les ténèbres. Alors, il n’est
pas étonnant que pour nommer Dieu on utilise toute la création qui porte
de manière indélébile les traces de sa main. Le couplet traditionnel connu
de tous les enfants Luba l’énonce bien clairement: «mba mba mba mba
mba mba mbalee… bintu byônso mbya Mvidye, Mvidye wa mulu wafuka».
Pour les Bantu, les contes sont un lieu de révélation divine, pour la
bonne raison que c’est dans les mythes et contes que sont le plus souvent
décrites, une conception du monde et de la vie, une genèse du cosmos,
les exigences éthiques pour la vie de l’homme sur la terre. En général, tous

116
Révélation de Dieu dans des traditions Luba

ces mythes rapportent que Dieu avait bien créé l’univers, mais que le mal
s’y était introduit, symbolisé par la mort, suite à la faute commise par
l’homme; ces mythes enseignent que ce mal n’est pas irrécupérable, mais
qu’il y a moyen de l’éviter en renouant avec les sources, avec le rythme de
Dieu et de l’univers. C’est dans ce sens d’abord que ces contes sont un
lieu d’une révélation de Dieu. Ils le sont aussi, dans le sens qu’ils sont
des lieux de régulation de la vie, des lieux d’harmonisation de la vie, des
lieux où l’on éduque la vie pour qu’elle croisse et atteigne la plénitude.
La vie est «le sacré» par excellence 29.

Révélation dans les proverbes et les dictons Luba

Parmi les paroles de vie, nous regroupons d’abord les proverbes et


dictons, car le rôle qu’ils jouent est essentiellement la régulation de la vie,
en éclairant aux yeux des humains la volonté divine. A travers les prover-
bes et les dictons, il se dessine une volonté de faire connaître, d’aiguiser
l’intelligence, de faire grandir l’homme dans la connaissance du bien
et du mal, de Dieu et du cosmos. Arrêtons-nous un instant sur le côté
éthique de ce savoir, qui fait partie de l’éducation habituelle de tout homme
et de toute femme.
Si les proverbes juifs ainsi que diverses expressions de la sagesse sont
consignées dans la révélation chrétienne, c’est parce qu’on leur reconnaît
une valeur de régulation de conduite et de la vie des hommes, dans la
ligne de Dieu. Ce n’est certes pas le cas de tous les proverbes, car il y en
a qui ne sont pas à la hauteur de la source divine, comme ces psaumes
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


de la vengeance, qui souhaitent la mort des ennemis (Ps. 58 (57), 8-10,
Ps. 68 (67), 22-24, Ps. 83 (82), 14-16, Ps.109 (108), 6-14, Ps. 140 (139),
11-12); comment Dieu pourrait-il inspirer une tel sentiment: que les
jours lui soient écourtés, que ses enfants deviennent orphelins, et sa femme,
une veuve?
La situation est bien différente pour les proverbes et dictons Luba.
En les parcourant, on constate que la leçon du triomphe de la vie et de
l’amour sur la mort et la haine y est permanente. Prenons quelques exem-
ples dans les différentes classes de proverbes et contes Luba. Le cycle de
Kabundi, qui semble être l’éloge de la malignité, se termine toujours par
le triomphe du bon sens et la condamnation du mensonge. Kabundi
finit toujours par être découvert et il prend la fuite. Le cycle du Kakaji
kakulu ou du Cikulukuuku, cet être maléfique, termine toujours par le
même triomphe de la vie, de la vérité, de la justice.

29. Je signale que dans cet article je développe à ce propos ce que j’ai déjà esquissé à la fin du
troisième chapitre de mon livre Renouer avec ses racines (Chemins d’inculturation), Paris, Karthala, 2005.

117
FRANÇOIS KABASELE LUMBALA

Ainsi en-est-il d’autres classes de contes qui ont trait aux rapports
familiaux et conjugaux, à l’exercice du pouvoir, au travail, la trans-
formation de la nature, aux rapports à l’au-delà.

R é v é l a t i o n d e D i e u d a n s l e s r i t e s , g e s t es
e t p a ro l e s d e v i e c h e z l e s Lu b a

Les rites qui manifestent de manière plus ou moins évidente la com-


munication avec l’au-delà sont les séances médiumniques, partout connues
en Afrique noire. Elles ont lieu, soit chez les devins, soit chez des guéris-
seurs: l’homme devient un «élément de transmission», un élément de
liaison (un médium) entre l’au-delà et les hommes terrestres. Cette média-
tion peut être d’ordre thérapeutique ou d’ordre de la connaissance. Ce
rôle n’est jamais recherché; il est donné d’en haut par l’au-delà. L’individu
va l’accueillir en lui, aidé par une initiation précise, qui peut durer plu-
sieurs années selon les cas. Dans l’exercice de ses fonctions, le médium
est possédé par les esprits; cet état est manifesté par la transe ou l’extase;
c’est alors qu’il prodigue des conseils, il parle des langues, pousse des cris
de joie souvent inintelligibles, ou fait des prophéties, des prédictions pour
l’avenir. C’est le cas le plus fréquent pour les devins. Quand aux médiums
guérisseurs, ils exercent la thérapie sur des malades pendant cet état d’extase:
c’est par exemple le cas des «anti-sorciers» 30. D’autres exercent cette
fonction dans un état d’immobilité totale, comme s’ils étaient morts 31.
Mais passons aux rites moins spectaculaires, qui sont les plus courants:
les rites de bénédictions, les rites d’initiation, les rites de conjuration du
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


mal, les rites de réconciliation, les rites d’intronisation; tous ces rites
sont des gestes et paroles qui révèlent la volonté de Dieu, car destinés à
faire croître la vie et à la promouvoir. C’est ainsi que je les place dans la
catégorie de la révélation divine 32.
Pour mieux le saisir, il faut avoir compris, un tant soit peu, que le
geste fait partie de la parole; celle-ci ne doit pas être restreinte au langage;
l’anthropologie de Marcel Jousse a bien fait de souligner que la parole
humaine est un ensemble de gestes affectant le corps, et qu’elle s’effectue
à travers des gestes du cops et des mains 33. C’est pour cela que dans nos
civilisations de l’oralité, le corps demeure très important, et qu’il n’est
jamais relégué à la seconde zone. Si dans la Bible, certains de gestes ont

30. LUFULUABO MIKEZA, L’antisorcier face à la science, Mbuji-Mayi, éd. Franciscaines, 1977.
31. E. DE ROSNY, Les yeux de ma chèvre, Paris, Plon, 1981, p. 18 et 89.
32. Voir notre ouvrage Ndi muluba, (Je suis un Muluba), Bruxelles, éd. Panubula, 2004, p. 164 et 180.
33. M. JOUSSE, L’anthropologie du geste, Paris, Gallimard, 1974. Voir également le développement
de l’enseignement de Jousse chez Y. BEAUPERIN, Anthropologie du geste symbolique, Paris, L’Harmattan,
2002.

118
Révélation de Dieu dans des traditions Luba

été retenus, c’est parce qu’ils participaient de la dynamique du salut, prenant


leur consistance de la parole créatrice et salvatrice de Dieu.
C’est dans la même perspective, que dans la tradition des Bantu, nous
attribuons à Dieu les gestes qui sauvent et qui rétablissent l’homme dans
l’harmonie avec le créateur, avec la nature et avec son semblable. Ces gestes
sont vécus par les Bantu comme «efficaces», dans le sens qu’ils produisent
leurs effets, du fait qu’ils sont une référence à la parole créatrice de l’être
suprême, répétée par les ancêtres et transmise dans les traditions rituelles
diverses. En passant par la manipulation de choses visibles, les rites attei-
gnent l’invisible, car selon les Bantu, toute chose du monde visible est le
symbole d’une réalité du monde invisible, et entretient donc une relation
ontologique avec la réalité invisible qu’elle signifie.
Ainsi le geste de la bénédiction des parents sur leur enfant: il est relié
au geste de création par le géniteur suprême, Dieu, et au geste des ancêtres,
qui ont transmis la vie et qui ont vécu dans la fidélité à la vie, en favorisant
l’amour et la communion dans leurs actes quotidiens. Ce geste de béné-
diction des parents peut s’exprimer de manières très variées selon les
mœurs; ici ce sera de la chaux ou du kaolin blanc qu’on met sur celui que
l’on bénit, là ce sera un arbre aux écorces blanches que l’on plantera dans la
cour de celui qu’on bénit, ou encore de la salive du père dont on frottera
le bénéficiaire de la bénédiction; parfois on fera passer l’enfant à bénir à
travers les jambes du géniteur. Mais quel que soit le geste, il sera toujours
accompagné d’une parole qui fait référence à l’action d’engendrer et,
par-delà, de créer.
Sans entrer en détails dans la description de tous ces rituels complexes,
qu’il s’agisse de bénédiction, de réconciliation, d’initiation, d’intronisation,
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


de guérison, il y a partout référence à l’origine première, qui est toujours
Dieu, l’être suprême. L’initiation c’est l’accompagnement de l’être humain
vers son accomplissement: on renoue d’abord avec les origines (la création),
on passe à travers une mort et résurrection, on retourne à la vie présente,
symbole de la vie future où on communiera avec les ancêtres et la
divinité. Dans les rites de guérison, il y a toujours une référence fonda-
mentale à l’état de l’harmonie originelle de la création, la maladie n’étant
qu’une brisure du rythme originel. La réconciliation est le retour à la
communion originelle de Dieu avec ses créatures, et des créatures entre
elles; c’est pour cela que chez les Bantu, il ne suffit pas de rembourser ce
qu’on avait volé à autrui, il faut encore se mettre ensemble avec lui et
remettre la communauté des hommes dans le rythme de la communion
qu’on avait brisé, rythme qui «réactualise le Temps primordial», comme
disait Mircea Eliade 34. C’est aussi le sens des sacrements chrétiens: dans
les sacrements, «nous sommes unis au Christ non par des sentiments de

34. MIRCEA ELIADE, Initiation, rites, sociétés secrètes (naissances mystiques), Paris, Gallimard, 1959, p. 110.

119
FRANÇOIS KABASELE LUMBALA

piété ou de dévotion, ni par la valeur morale de notre propre action, mais


par l’œuvre salvatrice objective dans laquelle le mystère nous introduit 35».

Conclusion

S’il y a un créateur de l’univers, comme la plupart des hommes en


font et en ont fait l’expérience dans la trame de l’histoire, j’ai nettement
l’intuition que ce créateur est en relation et en communication avec toutes
ses créatures. C’est la source et le nerf du phénomène qu’on appelle
Révélation. Chez certains peuples, il a donné naissance à de nombreux
écrits, appelés écritures saintes; chez les peuples qui sont demeurés atta-
chés à l’oralité, il se présente dans d’innombrables récits d’initiés, des
contes, des proverbes et dictons, dans des gestes et paroles de vie. Quand
des groupes religieux s’attribuent l’exclusivité de la révélation, c’est souvent
l’effet des limites de la connaissance de l’homme qui, non seulement ne
peut épuiser le mystère du divin et de l’au-delà, mais en plus se trouve
démuni dans la perception de ses semblables, tout aussi insondables que
lui-même. Inépuisable demeure également le mode de cette communi-
cation de Dieu avec l’homme: ici, ce sont les songes et les visions! Là, ce
sera la transe et l’extase, pour des devins, des médiums et des initiés; dans
un bosquet, une caverne, un temple, un scribe ou un prêtre entendra des
voix et les enregistrera dans des signes écrits; mais en Afrique subsaharienne,
la voix de Dieu s’inscrira dans des traditions orales pour qu’elle soit récitée,
contée, rythmée et dansée, de génération en génération; elle demeurera
ainsi vivante, actuelle et chaude. La voix divine gardera alors les caracté-
© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)

© Karthala | Téléchargé le 27/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 197.149.15.180)


ristiques du souffle de l’homme, un souffle qui porte l’odeur d’un médium,
qui revêt le visage d’un prophète, et qui apporte la présence d’un prêtre
ou guérisseur; la complicité des deux sera telle, que la crête de partage
entre les eaux divines et l’écume humaine demeurera toujours floue.

François KABASELE LUMBALA


Université Démocrite de Thrace (Grèce)

35. Dom O. CASEL, Le mystère du culte, richesse du mystère du Christ, Paris, Cerf, 1946, p. 175-176.

120

Vous aimerez peut-être aussi