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Professeur d’Histoire Contemporaine


Université de Pau et des pays de l’Adour.

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DEDICACES

Je dédie ce travail à mes parents : ma mère, Valentine NTSAME MBA, mon père, Feu
Jean NSI BIKORO. Mes pensées se tournent ensuite vers mon oncle, Feu Dr. NZEH MBA
NZEH Michel qui m’a toujours encouragé et aidé dans les moments de galère et parfois
d’incertitude.

Je tiens également à remercier tous ceux qui m’ont aidé dans mes études. Je pense à
mes frères et sœurs, amis(es) et connaissances ; je n’oublie pas tous mes enseignants.

Enfin j’exprime un sentiment particulier à l’endroit de mes enfants, que le bon Dieu
les garde !
REMERCIEMENTS

Au-delà des usages, je tiens particulièrement à remercier le Professeur Christian


THIBON qui, malgré ses multiples charges, a bien voulu diriger avec tant d’attention et de
sollicitude ma thèse. Je tiens également à lui témoigner ma gratitude pour avoir mené ce
travail jusqu’en soutenance.

Je tiens enfin à remercier Robert Edgard NDONG et Siméon DJIEMBI KOUMBA


pour le temps consacré à la lecture de ce travail et à la confection de certaines cartes.
LISTE DES ABREVIATIONS ESSENTIELLES

Archives, Documentation
AAL : Archives Archidiocèse de Libreville.
ANG : Archives Nationales du Gabon.
ACEG: Archives de la Conférence Episcopale du Gabon.
Archives CSSP: Archives de la Congrégation du Saint Esprit
CAOM: Centre d’Archives d’Outre Mer
DOCATGAB: Documentation Catholique Gabonaise
DOCGAB: Documentation Gabonaise
DOCSSP: Documentation de la Congrégation du Saint Esprit.
ASSJ: Archives séminaire Saint Jean.
ARP: Archives Fondation Raponda Walker.

Périodiques, Revues
JOAEF : Journal Officiel de l’Afrique Equatoriale Française.
BG : Bulletin Général (Congrégation du Saint Esprit)
JO : Journal Officiel
Institutions
Partis politiques et organisations
MORENA : Mouvement de Redressement National.
PDG : Parti Démocratique Gabonais.
FECAM : Fédération Catholique des mouvements.
JOC : Jeunesse Ouvrière chrétienne
UGRP : Union Gabonaise pour la Recherche Pastorale

Divers
CEG : Conférence Episcopale du Gabon
AEF: Afrique Equatoriale Française.
ACERAC : Assemblée des Conférences Episcopales des Régions d’Afrique
Centrale.
DAEAC : Délégation Apostolique des Etats d’Afrique Centrale.
Fr: Frère.

1
Vénérable Père
Mgr: Monseigneur.
UOB: Université Omar Bongo.
RTG: Radio Télévision Gabonaise.

2
SOMMAIRE

Liste des abréviations……………………………………………………..……………….1


Introduction Générale……………………………………………………………………...4
Première partie : LA MISSION AU GABON AU DEBUT DU XIXè SIECLE : LES
PREMIERS ESSAIS MISSIONNAIRES ET L’EVANGELISATION DU
PAYS..................................................................................................................................16
Introduction de partie……………………………………………………………………..16
Chapitre premier : Prolégomènes historiques…………………………………………..17
Chapitre II : les réalisations de la Mission……………………………………………..100
Chapitre III : Les débuts du séminaire au Gabon……………………………………...123
Conclusion de la première partie………………………………………………………..144
Deuxième partie : LE DIOCESE DU GABON, DE LA LONGUE GESTATION A LA
NAISSANCE………………………………………………………………………...…147
Introduction de partie……………………………………………………………………147
Chapitre IV : Le séminaire Saint Jean, un élément central dans la formation du clergé
autochtone……………………………………………………………………………….148
Chapitre V : Les premières vocations sacerdotales…………………………………….179
Chapitre VI : L’administration ecclésiastique au Gabon de la naissance à
1969……………………………………………………………………………………..216
Conclusion de la deuxième partie……………………………………………………….252
Troisième partie : L’EGLISE LOCALE DU GABON FACE A SON DESTIN DE
1969 A 1982 : ENGAGEMENTS, DIFFICULTES, PERSPECTIVES ET
ORIENTATIONS……………………………………………………………………...254
Introduction de partie……………………………………………………………………254
Chapitre VII : Le dynamisme de l’Eglise du Gabon dès 1969………………………...255
Chapitre VIII : L’Eglise dans la vie politique dès 1981…...…………………………..332
Conclusion de la troisième partie……………………………………………………….363
CONCLUSION GENERALE……………………..………………………………….364
Cartes, illustrations et tableaux………………………………………………………….374
Sources et bibliographie………………………………………………………………...378
Annexes…………………………………………………………………………………411
Table des matières………………………………………………………………………422
Index des noms propres…………………………………………………………………430
3
INTRODUCTION GENERALE

Notre thèse a pour sujet : L’Eglise catholique au Gabon. De l’entreprise


missionnaire à la mise en place d’une Eglise locale (1842-1982). Avant de définir
l’intérêt de notre étude et d’en cerner la problématique centrale, nous souhaitons dresser
de façon laconique une mise au point historiographique sur le passé religieux du Gabon.
En effet, passée sous silence depuis plus d’un siècle au profit de l’histoire politique,
sociale ou économique et aidée par l’intérêt de plus en plus croissant que les historiens
accordent aux mentalités, l’histoire religieuse propre au Gabon connaît depuis un certain
temps un regain d’attention. Sans doute à cause du fait que les spécialistes de l’histoire
religieuse s’y intéressent de plus en plus. Les écrits les plus anciens sur la question
religieuse dans ce pays ont été pendant longtemps les mémoires et les correspondances
des missionnaires, lesquels décrivent bien souvent l’expansion de la nouvelle religion
comme le seul apanage des vaillants missionnaires, prêts à sacrifier leurs vies pour ceux
qu’ils appelaient avec affection les indigènes. De plus, ces écrits qui nous sont parvenus
sont, soit tronqués, soit mal conservés voire rapatriés du Gabon. En réalité, l’histoire de
l’Eglise catholique au Gabon ne manque pas de littérature, chaque auteur aborde la
question sous un angle différent. A l’exception des travaux de Jacques Hubert et de
Gérard Morel qui ont publié, lors de la célébration du 150ème anniversaire de cette Eglise,
deux fascicules intitulés : Naissance d’une Eglise au XIXè siècle et Album Souvenirs du
150ème anniversaire. Il existe cependant quelques travaux scientifiques au Gabon et en
France sur l’histoire de cette Eglise, notamment sur ses rapports avec la société. Nous
pouvons nous arrêter sur quelques uns des plus remarquables.

D’abord il y a l’abbé Florent Mboumba Bwassa1 qui a soutenu, en 1972, à l’université


Marc Bloch, une thèse de doctorat en théologie intitulée : Genèse de l’Eglise catholique
au Gabon, étude historique et canonique. Dans cette thèse, l’auteur aborde la question du
recrutement et de la formation des missionnaires français et dresse une étude générale sur
les débuts de l’Eglise catholique au Gabon. Aussi, l’auteur se montre parfois très critique
à l’endroit de la colonisation. Citons également la thèse de l’abbé Jean Pierre Elelaghe

1
Florent MBOUMBA BWASSA, Genèse de l’Eglise catholique au Gabon, étude historique et canonique,
thèse de doctorat 3è cycle de théologie, Strasbourg, 1972.
4
Nzé2, soutenue elle aussi à l’université de Strasbourg en 1977, intitulée : De l’aliénation à
l’authenticité. Problématique missionnaire et affrontements culturels au Gabon :
l’exemple des fang. Dans cette thèse, l’auteur souligne la question et le problème de
l’inculturation. Selon l’Abbé gabonais, la religion catholique a été à l’origine de
nombreux bouleversements culturels chez les peuples du Gabon. Enfin, il y a la thèse de
Jean Ndoume Assebe3 qui s’intitule : l’enseignement missionnaire au Gabon de 1842 à
1960, thèse d’histoire soutenue en 1979 à Paris I Sorbonne. Dans cette thèse, l’auteur met
en évidence l’implication des missionnaires (catholiques et protestants) dans
l’enseignement au Gabon, il apporte également des précisions sur le recrutement des
premiers volontaires au sacerdoce et aborde tant soit peu la question de la fondation du
séminaire Saint Jean. Nous avons également des travaux universitaires plus récents dont
la thèse soutenue par Léandre Assa Mboulou4 : Influence catholique et pouvoir colonial
au Gabon. Dans cette thèse, l’auteur traite de la question de la Mission catholique et de la
colonisation. Les préoccupations fondamentales dans ce travail sont essentiellement
orientées vers l’acculturation des peuples due à la forte présence de la mission catholique
et de l’administration coloniale au Gabon. Enfin il y a la thèse de Hervé Essone Mezui5 :
Eglise catholique, vie politique et démocratisation au Gabon. Cette étude présente
l’Eglise comme une force religieuse active depuis la période missionnaire. Elle décrit son
rôle dans la vie politique et dans la société en général.

A côté de cette littérature doctorale que nous venons de présenter d’une façon somme
toute succincte, il faut également noter l’apport de nombreuses monographies et études
sur la question de l’histoire religieuse au Gabon, de la mise en place et du développement
de l’Eglise diocésaine. A côté de ces monographies non négligeables, il faut également
noter les nombreux écrits du Père Gérard Morel6, et de bien d’autres (cf. bibliographie).
Eu égard à ce qui a été réalisé, quel est donc l’objet de notre propre recherche ?

2
Jean Pierre ELELAGHE NZE, De l’aliénation à l’authenticité : problématique missionnaire et
affrontements culturels au Gabon. L’exemple du peuple Fang, thèse de doctorat 3è cycle de théologie
catholique, Strasbourg, 1977, 481 pages.
3
Jean NDOUME ASSEBE, L’enseignement missionnaire au Gabon de 1842 à 1960, Thèse de doctorat 3è
cycle histoire, Paris I Sorbonne, 1979, 597 pages.
4
Léandre ASSA MBOULOU, Influence catholique et pouvoir colonial au Gabon (1848-1958), Thèse de
Doctorat NR Histoire, Lille 3, 2003, 406 pages.
5
Hervé ESSONE MEZUI, Eglise catholique, vie politique et démocratisation au Gabon 1945-1995, thèse
de Doctorat d’Histoire, Université Lumière Lyon II, avril 2006.
6
Gérard Morel est un prêtre spiritain. Depuis 1959, il est à Libreville, sans discontinuer : d’abord dans
l’enseignement au collège Bessieux (1959-1967) ; à la paroisse Saint Michel (1967-1970) ; Supérieur
principal du district du Gabon (1970-1976) ; puis de nouveau à Saint Michel (1977-1980, avant d’être
chargé de la formation permanente et des vocations (1981-1989) et de retrouver à nouveau la paroisse Saint
Michel en passant par Sainte Monique. Gérard Morel est également cité dans ce travail comme source orale.
5
L’Eglise est une société universelle fondée par Jésus, fils de Dieu, que ses
disciples appelaient le Christ, et qui vient du mot grec khristos, c'est-à-dire « envoyé » de
Dieu. Les premiers chrétiens qui acceptent la doctrine du Christ sont ainsi marqués d’une
onction et sont soumis à l’exigence de « remplir une mission » aux quatre coins du monde
où l’Eglise n’est pas encore installée. L’Eglise en elle-même est éternellement en
mission7. L’histoire de l’Eglise fait donc partie de l’histoire du monde et on ne peut
l’écrire sans penser à ce qu’elle apporte à l’histoire des mœurs, des idées, de la tradition,
de la politique, de l’économie et du social. En plus de 2000 ans de présence sur terre,
l’histoire de l’Eglise est diversement appréciée, car comme le dit Jean Paul II: « Chaque
pays a son histoire particulière, très ancienne ou toute récente, humaine et religieuse qui
mérite d’être mieux connue, respectée et aimée »8, son histoire est ancrée dans un
contexte, une longévité qu’il nous faut nécessairement prendre en compte.

Dans le cas général de l’Afrique Equatoriale Française et dans celui du Gabon en


particulier, on situe le début de l’histoire de l’Eglise au milieu du XIXè siècle avec
l’arrivée massive des missionnaires catholiques et protestants sur les côtes du continent
africain. Cette arrivée correspond au développement des conquêtes territoriales que
venaient d’entreprendre plusieurs nations européennes dont la France qui notamment
envoya le plus gros contingent des missionnaires au Gabon. Selon Claude Prudhomme, la
part prépondérante prise par la France dans le réveil missionnaire est une donnée
essentielle. Au XIXè siècle, elle constitue le vivier essentiel dans lequel se recrutent les
missionnaires et sont puisés les fonds aux expéditions lointaines9. Toutefois, la découverte
des territoires africains date du XVè siècle, à l’époque où les vaisseaux des navigateurs
portugais en cherchant la route des Indes, descendent le long de la côte et fondent les
premiers établissements permanents pour y faire des échanges commerciaux10. L’action
des missionnaires a suivi en empruntant les mêmes itinéraires. Au Gabon, ce privilège
revient au Père Bessieux qui arrive au Gabon le 28 septembre 1842. Dès lors, l’Eglise
catholique s’implante sur le territoire gabonais avec la création successive de nombreuses
missions catholiques, et elle va participer au devenir de l’histoire du pays aussi bien dans
les domaines du social, de l’éducation, de la santé et de la vie politique.

7
Le Pape Paul VI aux chrétiens de Kampala en 1969.
8
La Pape Jean Paul II aux chrétiens du Gabon en 1982.
9
Claude PRUDHOMME, Stratégie missionnaire du Saint Siège sous Léon XIII (1878-1903), collection de
l’Ecole Française de Rome-186, Paris, 1994, 631 pages.
10
Il s’agit essentiellement des territoires de Fernando Pô en 1471, le Congo en 1484, le Cap de Bonne
Espérance en 1497…
6
Nous avons choisi de travailler sur l’Eglise catholique au Gabon pour deux
motivations essentielles : la première est personnelle. Durant notre jeunesse, nous avons
été marqué par la célébration des messes. L’idée de nous faire prêtre nous a d’ailleurs
interpellé à un moment donné. Nous sommes donc intimement lié à l’Eglise pour ces
raisons là. La seconde raison est d’ordre scientifique. Force est de constater que face aux
malheurs de la société gabonaise, l’Eglise a son mot à dire. Nous souhaitons réfléchir et
apporter notre contribution à la connaissance des problèmes qui minent l’Eglise
catholique du Gabon. L’objet de notre étude étant l’Eglise, nous souhaitons toutefois
préciser qu’il ne s’agira pas ici de traiter de la question de la colonisation. On a souvent
confondu les termes Mission et colonisation, même si en réalité les deux entreprises
étaient complémentaires à bien des niveaux. Au cours de son histoire, le christianisme a
en effet entretenu avec les Etats coloniaux des rapports complexes où alternent conflits et
coopération, compromis et volonté réciproque d’instrumentalisation. Si les mouvements
qui portent les sociétés occidentales à fonder des missions et conquérir des colonies
s’inscrivent dans une séquence historique commune, dans laquelle coexistent et
collaborent, du XVè au XXè siècles, l’expansion de l’Europe et l’extension du
christianisme, on ne peut pas en déduire automatiquement que colonisation et mission
constituent les deux faces d’un même phénomène11. Si nous aborderons la question
relative aux rapports entre missionnaires et administration coloniale, toutefois, il convient
de ne pas épouser sans enquête critique de fausses évidences qui réduisent la mission à
une expansion coloniale, car selon Claude Prudhomme, le christianisme est
« missionnaire » par sa propre nature et son expansion n’a pas toujours été liée à une
expansion politique12. L’intérêt particulier de notre étude par rapport à l’historiographie
que nous avons présentée plus haut, réside dans le fait qu’elle oriente une attention toute
particulière autours de deux axes : l’Eglise des Missions et l’Eglise autochtone ou
diocésaine.

11
Claude PRUDHOMME, Missions chrétiennes et colonisation XVIè-XXè siècles, Histoire du
Christianisme, édition du Cerf, Paris 2004, 171 pages.
12
Idem, p. 8.
7
Que désignons nous précisément par Mission ? Le vocabulaire qui est associé à ce
concept est loin d’être univoque et a subi des transformations considérables depuis quatre
siècles. A l’origine le mot Mission, du latin mittere, « envoyer », est à l’origine un
concept théologique utilisé dans la version latine de la bible pour désigner l’envoi du Fils
par le Père, puis celui des disciples par Jésus. Il a pris tardivement à l’époque moderne, le
sens actuel d’action pacifique visant à la diffusion organisée du christianisme par
opposition aux croisades médiévales. De même, d’après l’encyclopédie universalis, le
terme mission dans le vocabulaire religieux courant au XIXè XXè siècles, désigne l’envoi
par une communauté de représentants ou de délégués qui sont mandatés pour propager sa
foi et implanter ses institutions. Dans ce sens, il n’y a mission uniquement que vers
l’extérieur auprès de gens qui ignorent le message qu’on leur apporte. Ainsi, Jésus Christ,
pour que l’évangile soit annoncé, choisit douze apôtres et leur donne « autorité sur les
démons, pouvoir de guérir les malades »13. Il leur confie ceci : « Comme le Père céleste
m’a envoyé, moi aussi je vous envoie…allez dans le monde entier, de toutes les nations et
faites des disciples »14. Par ailleurs, le mot missionnaire quant à lui comporte plusieurs
sens. Ainsi, on parle de mission de première évangélisation pour l’annonce de la Bonne
Nouvelle aux non croyants, de mission catéchétique pour le développement et
l’approfondissement de ce premier enseignement. On réserve toutefois le terme
missionnaire à ceux qui inaugurent pour la première fois l’évangile : ainsi, la naissance de
l’Eglise au Gabon est l’aboutissement de l’envoi en mission par le VP Libermann, du Père
Jean Rémy Bessieux et du Frère Grégoire.

Le but de la Mission catholique tel que définie par l’Eglise catholique romaine, est
donc de propager la religion du Christ, mais surtout d’implanter dans le pays une Eglise
locale. Les missionnaires ne voient leur tâche accomplie que lorsque cette entreprise a été
rendue possible. En 1820, Sa Sainteté Pie VI le rappelle : « Les vicaires apostoliques
doivent regarder l’établissement des séminaires comme premier de leur devoir. Ils ne
peuvent rien faire de plus utile à l’Eglise que de permettre et de travailler pour la mise en
place d’un clergé indigène »15, ce qui posait déjà problème.

13
Luc, IX, 1.
14
Matthieu, XVII et XXVIII, 18-19.
15
Chérubin DELICAT, La Mission catholique de Mayumba de 1888 à 1958, mémoire de maîtrise Histoire,
Université Omar Bongo, Libreville, 1984.
8
Ainsi, en 1914, le premier point sur lequel s’opère le pontificat de Benoît XV
réside sur la réorientation de la Mission. Celle-ci concerne la formation et le rôle d’un
clergé issu des peuples évangélisés. Déjà en 1845, Grégoire XVI avait demandé aux
vicaires apostoliques et aux missionnaires de porter l’essentiel de leurs efforts sur la
formation du clergé local ; il encourage alors l’esprit missionnaire, invite à accroître le
personnel travaillant dans les Missions, insiste enfin sur la formation d’auxiliaires
catéchistes16. Partant de ces deux positions des différents Souverains Pontifes, il est clair
que les Missions étrangères devaient le plus rapidement possible aboutir à leur propre
transformation en Eglises locales, animées par des prêtres issus du pays et gouvernées par
des évêques choisis dans leurs rangs17. De même, il convient de souligner un aspect très
important. La présence de la Mission qui a engendré naturellement l’imposition de la
religion catholique aux peuples autochtones n’a pas nécessairement apporté que des
aspects positifs. En effet, beaucoup d’historiens s’accordent a reconnaître que l’histoire de
la colonisation et ou de la christianisation a été à l’origine de certains changements
radicaux dans les sociétés dominées, lesquelles étaient jadis bien organisées18, du moins
possédaient des modes de fonctionnement. Ce que certains auteurs dont l’abbé Jean Pierre
Elelaghe Nzé qualifient d’acculturation, voire d’aliénation19. En effet, on ne saurait
observer honnêtement, froidement, objectivement, un passé qui a bouleversé l’existence
de millions d’hommes, et provoqué tant de tragédies. De même, on ne peut prétendre à un
discours distancé sans donner l’impression de refuser d’examiner les responsabilités des
missionnaires dans le système colonial.

S’il convient de prendre en considération les évidences observées par les


différentes positions du Saint Siège au sujet de l’érection des Missions en Eglises locales,
il nous faut les examiner sur le terrain afin de saisir l’implication objective des
missionnaires dans cette entreprise impérative sans oublier de prendre en compte les
rapports aussi bien harmonieux que tendus avec le pouvoir colonial au Gabon. C’est
autour de cette problématique que nous souhaitons concentrer notre étude.

16
Grégoire XVI, (02 février 1831-01 juin 1846), in Meminem Profecto. Il est sans conteste le pape qui a été
à l’origine d’une grande relance des Missions au milieu du XIXè siècle.
17
Ss. La dir. R. AUBERT, M.D. KNOWLES, L.J. ROGIER, Nouvelle Histoire de l’Eglise de 1848 à nos
jours, vo. 5, édition du Seuil, Paris, 1975.
18
Nicolas METEGHE N’NAH, Economie et société au Gabon dans la première moitié du XIXè siècle,
édition l’Harmattan, Paris, 1979.
19
Jean Pierre Elelaghe Nzé, op. cit.
9
Le choix de la méthode est bien entendu fonction de la problématique posée par
cette étude et la réponse à ces problèmes dépend des informations diverses contenues dans
les documents que nous avons pu exploiter. Pourquoi avoir choisi le milieu du XIXè
siècle (1844) et 1982 comme bornes chronologiques de ce travail ? Le choix de cette
chronologie découle d’une particularité. En effet, l’histoire de l’Eglise catholique au
Gabon, comme celle de plusieurs autres pays qui ont subi l’influence du catholicisme, est
marquée par deux étapes importantes : celle de la mise en place des bases de la nouvelle
religion, c’est-à-dire la création des stations missionnaires, et celle de l’Eglise autochtone
dirigée par un clergé local issu du peuple. Or le passage du flambeau a été bien long.

En effet, il faut attendre l’année 1958 pour que le Gabon soit érigé en diocèse
autochtone.

Le choix du milieu du XIXè siècle comme point de départ de cette étude trouve
son explication dans le fait que c’est en 1844 que les missionnaires du Saint Cœur de
Marie débarquent pour la première fois au Gabon et commencent l’évangélisation des
peuples autochtones. Il semble donc normal que nous calions notre étude dès cette date
qui marque les premières intentions de l’établissement d’une Eglise. Ces premières
intentions marquées par la création des stations d’évangélisation vont être concrétisées par
l’ouverture de l’école des latinistes, un prélude au séminaire Saint Jean en 1856. Cette
école est l’œuvre du Père Jean Rémy Bessieux dont les recommandations avaient été
adressées au Père Duparquet20. Notre problématique centrale repose plus précisément sur
la mise en place du clergé locale au Gabon dont l’année1856 incarne les premières
véritables intentions. Pour des raisons de commodité, nous avons choisi comme point de
chute l’année 1982 qui marque la visite du Souverain pontife Jean Paul II au Gabon.

Les sources qui ont servi à l’élaboration de ce travail n’ont pas toujours été faciles
d’accès. La recherche effectuée en France et au Gabon démontre que les sources orales,
malgré une prépondérance des sources écrites sont tout autant importantes. Le Gabon, à
l’exemple de plusieurs autres pays d’Afrique noire au sud du Sahara reste un pays où la
transmission orale est encore essentielle. Dans le cadre de ce type de sources, nous avons
20
Jeanne NTSAME ASSOGO, le fondement de la collaboration scolaire entre l’Eglise et l’Etat au Gabon,
thèse de Doctorat 3è cycle de l’Education, Université de Bordeaux II, 1985.
10
eu recours aux membres du clergé gabonais, Gabonais ou expatriés, à d’anciens prêtres
gabonais reconvertis dans las carrières politico administratives, à des universitaires, à des
séminaristes et des laïcs. Les sources écrites constituent elles aussi un élément important
de notre travail et en quantité plus importante que les sources orales.

Il s’agit des archives publiques, recueillies en France et au Gabon ; des Archives


de la Congrégation du Saint Esprit (Archives CSSP), des archives d’Outre Mer (CAOM),
des Archives Nationales du Gabon et d’autres archives consultées à l’archidiocèse de
Libreville et à la Fondation Raponda Walker à Libreville. Nous regrettons toutefois le fait
de ne pas avoir eu la possibilité de visiter les Archives de l’œuvre pontificale missionnaire
de Lyon. Pour compléter les archives, nous avons eu recours aux centres de
documentation surtout ceux de la Congrégation du Saint Esprit (DOCSSP), de Sainte
Marie (DOCATGAB) et de la documentation gabonaise (DOCGAB). Les informations
recueillies dans ces centres sont tout autant intéressantes et sont réparties entre les
rapports, les déclarations, les discours, les articles de presse, les revues et périodiques et
les écrits privés. Aux sources consultées vient s’ajouter une bibliographie sériée
composée d’ouvrages de méthodologie, d’ouvrages sur l’Afrique, d’ouvrages sur
l’histoire de l’Eglise, et d’ouvrages sur le Gabon.

L’histoire construite à partir de ces sources et bibliographie permet de dégager un


plan chronologique. La césure chronologique importante est l’année 1969 au cours de
laquelle l’Eglise nome un archevêque gabonais à l’archidiocèse de Libreville alors qu’une
année auparavant, sur le plan politique, le régime de la Rénovation instaurait le parti
unique. La période chronologique indiqué 1844-1982 est traitée en trois parties réparties
sur huit chapitres.

Notre avons découpé notre travail en trois périodes ayant pour césures les années
1899 et 1969 parce qu’elles marquent un tournant majeur dans le processus de mise en
place de l’Eglise autochtone. Ces périodes sont ainsi inégales dans l’intensité de leur
déroulement, les réalisations constatées, les intervenants (acteurs missionnaires et clergé
autochtone, population, administration coloniale…) et l’analyse des contextes existants.
Notre progression sera donc chronologiquement linéaire, à dissocier clairement du simple
récit dépourvu de critique historique ou de l’événementiel, chaque période correspondant
à une partie.

11
La première partie est très importante de par sa chronologie. Elle s’étend de 1844 à
1899. Elle dresse une analyse générale sur les premières réalisations missionnaires et
donne un net aperçu sur les débuts de l’Eglise du Gabon. En effet, nous nous proposons
de situer les grandes étapes qui ont précédé la naissance du diocèse en 1955. Mais pour
comprendre le passage de la Mission à l’Eglise locale au Gabon de 1844 à 1982, il nous
est apparu nécessaire de jeter un regard rétrospectif sur l’installation des missionnaires et
sur l’œuvre accomplie par ces derniers. Ce tour d’horizon décrit et présente l’histoire de la
Mission au Gabon. Au-delà se sa propre histoire, ces prolégomènes fixent les enjeux du
catholicisme en présentant les protagonistes, les prémices de la passation du flambeau
« Mission vers Eglise locale » et la participation de cette nouvelle Eglise catholique non
seulement à son propre destin, mais aussi à la construction de la société gabonaise.

Cette partie donne aussi une idée sur les premières tentatives de mise en place
d’un clergé autochtone au Gabon, cette décision qui fait naturellement suite à moult
difficultés rencontrées dont le processus d’évangélisation dans le pays. Au demeurant si
l’année 1856 marque certes la création de la section des Latinistes, elle ne sous-tend pas
forcément l’amorce d’une politique particulière sur la formation du clergé autochtone.
Malgré le fait que de nombreux Noirs manifestent leurs intentions au sacerdoce, plusieurs
thèses et discours mettent alors sérieusement en doute les qualités humaines et religieuses
du Noir. Les critères du jugement sont l’esclavage du noir et son principal manque de
volonté. En 1859, c'est-à-dire peu de temps après l’ouverture de la section des Latinistes,
Mgr Leberre écrit : « Nous n’avons pas grandes espérances qu’il y ait si tôt des vocations
à l’état ecclésiastique parmi nos jeunes indigènes21. Nous pouvons à priori penser que ces
réticences sont une des causes du retard dans l’établissement du clergé local. De plus,
nous verrons plus loin dans notre développement que les réticences de Monseigneur
Leberre que nous signalons ici ont également été celles de beaucoup d’autres
missionnaires. Certains allant jusqu’à mettre en cause la mentalité des Noirs et leur
inadéquation aux longues études. Nous allons tenter de démontrer à travers cette partie
que la volonté des Noirs était bien présente comme les entrées massives tant à l’école des
latinistes qu’au séminaire Saint Jean le montrent à suffisance. Dans cette partie en
définitive, nous nous proposons de faire une analyse sur l’implication véritable ou non des
missionnaires dans le processus de mise en place du clergé autochtone au Gabon.

21
Jean Pierre Elelaghe Nze, op. cit p. 123.
12
La seconde étape s’étend de 1899 à 1969. Par ses bornes chronologiques, elle
marque la première ordination d’un prêtre gabonais et l’accession du premier autochtone
à la tête du diocèse du Gabon (Archevêché de Libreville). Dans cette seconde partie,
l’occasion nous sera donnée de retracer le parcours suivi par le séminaire Saint Jean avant
son implantation définitive à Libreville. Nous dresserons aussi le bilan lié au retard des
vocations dans le pays car, s’il est admis que le premier prêtre gabonais est ordonné en
1899, il faut néanmoins attendre vingt années plus tard pour que le Vicariat apostolique
du Gabon ne célèbre son deuxième prêtre indigène. Nous allons en outre tenter
d’apprécier les degrés d’administration de l’Eglise du Gabon, d’une part une Eglise
dirigée par ses premiers pasteurs, et d’autre part une Eglise confiée aux mains des
autochtones22. Dans cette partie également, nous étudierons le fonctionnement des
premières structures de l’Eglise autochtone, de la création des diocèses à la conférence
épiscopale.

La troisième partie de cette thèse nous permet de situer les grandes orientations et
perspectives de la jeune Eglise locale. En effet, nous nous sommes proposé de fixer
l’année 1969 comme point de départ, celle-ci correspondant à l’accession de Mgr
Anguilet à la tête de l’Archevêché de Libreville, puis nous avons opté pour 1982 comme
point de chute car, c’est l’année où le saint Père, le Pape Jean Paul II visite le Gabon.
Cette date comme point de chute de notre thèse n’est assurément pas un hasard.
Longtemps endurée par la crise incessante des vocations l’Eglise catholique du Gabon
considère la venue de Jean Paul II comme un regain de confiance dans la foi. Selon
Martin Alihanga, la venue du Saint Père au Gabon a donné aux laïcs et au peuple la
capacité de mieux s’affirmer et de confirmer l’Eglise diocésaine car elle marque la prise
de conscience d’une Eglise présente chez elle23. Le Pape Jean Paul II prononce à cette
occasion une phrase : Eglise du Gabon, lève toi et marche…Sur le plan pastoral, cette
phrase marque l’hardiesse d’une Eglise locale, la capacité de réfléchir sur les problèmes
de l’Eglise et sur ceux du passé, mais elle répond aussi à une crise interne. Dans cette
thèse, la possibilité de réfléchir sur les problèmes posés par l’Eglise après la venue du
Saint Père au Gabon, ne nous sera pas donnée (dans la mesure où notre travail prend fin
avec l’année 1982). Cependant, nous allons clairement poser les difficultés incessantes
qui minent l’Eglise catholique du Gabon de 1969 à 1982. Ce faisant au travers de la crise

22
L’administration de l’Eglise du Gabon va de Jean Rémy Bessieux à Jean Martin Adam avant d’être
confiée en 1969 à Monseigneur Anguilet.
23
Entretien oral du 10 janvier 2005 à Libreville. Nous avons évoqué avec le Pr. Alihanga plusieurs autres
sujets notamment celui qui concerne le mouvement de l’UGRP.
13
des vocations, il n’en demeure pas moins que d’autres difficultés sont bien présentes
notamment l’appréciation du message évangélique apportée par les nouveaux pasteurs. En
somme, cette troisième partie se propose de faire une analyse sur le fonctionnement de
l’Eglise du Gabon jusqu’en 1982.


14


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LA MISSION AU GABON AU DEBUT
DU XIXè SIECLE: LES ESSAIS DES
PREMIERS MISSIONNAIRES ET
L’EVANGELISATION DU PAYS.

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15
Introduction de partie :

D’emblée, que l’on puisse se poser la question suivante : quelle est la position de
l’historien face aux missions catholiques et au colonialisme en Afrique au XIXè – XXè
siècles ? La neutralité absolue d’un historien, rapportant un événement, comme s’il ne
faisait pas partie de l’humanité, n’est qu’une vue de l’esprit. L’historien sait très bien qu’il
est de son temps, avec une hérédité personnelle ainsi que sa culture et toutes ses
composantes dont son appartenance à une nation. Il doit cependant s’efforcer de
s’abstraire de tout ce qui fait sa propre personnalité pour présenter en toute objectivité les
faits dont il retrace les composantes, quelle que soit sa nationalité, sa religion, sa
philosophie…ses humeurs. On sait que l’histoire des guerres est souvent présentée de
façon partisane selon qu’elle est enseignée par l’un ou l’autre des belligérants. Or dans
cette question sensible qui concerne l’établissement de la mission au Gabon et/ou du
colonialisme, que penser des compromissions du VP Libermann et de ses missionnaires
avec l’action colonisatrice de la France en Afrique et au Gabon en particulier ? Ainsi
l’historien rapportant le déroulement de cette entreprise, doit-il s’efforcer de rester neutre,
qu’il se situe du côté du peuple des colonisés ou de celui des colonisateurs.

Toutefois cette partie dépend en grande partie des écrits des pasteurs de l’Eglise.
La correspondance très abondante et variée et particulièrement celle de Mgr Jean Rémi
Bessieux reste une source de documentation incontournable dans la connaissance des
débuts de l’établissement de l’Eglise au Gabon. Ainsi, les lettres de Jean Rémy Bessieux
décrivent un maître spirituel au jugement sûr, un prêtre plein de fermeté et de délicatesse,
comme cela se confirmera dans l’affaire de la tentative d’abandon du territoire du Gabon
par la France et de ses nombreuses autres prises de positions vis-à-vis de l’administration
coloniale, ce qui en fait un homme assez pratique, le pivot d’une époque de pionniers dans
une aventure extraordinaire. L’histoire de la création de l’Eglise au Gabon nous est donc
en grande partie révélée par les écrits de cet homme. Nous voulons à travers la première
partie de notre étude, montrer les conditions qui ont favorisé cette création mais aussi les
difficultés endurées.

16
L’histoire du Gabon est très ancienne. Elle se caractérise avant et après l’arrivée
des Européens par de grandes vagues de peuplement et de migrations. Lorsque les
Européens arrivent au Gabon, ils trouvent des formes d’organisation politiques,
économiques et sociales chez les peuples autochtones. Les contacts noués à partir du XVè
siècle vont progressivement modifier les choses pour donner une autre réalité historique
dans laquelle les peuples autochtones ne sont pas totalement les seuls acteurs.

Il s’agit ici de présenter succinctement la situation géographique, historique et


sociale du pays avant 1844. Ainsi, le but de notre résumé est de réunir, sous une forme
assez simple, les principales données de la géographie et de l’histoire du Gabon plus
précisément avant l’avènement du catholicisme. Cette entreprise a un triple objectif.
D’abord, Il s’agit rapidement de donner une vue d’ensemble du territoire gabonais, en
mettant de côté une masse de renseignements qui n’entrent pas dans le cadre étudié.
Ensuite il convient de montrer que bien avant la pénétration missionnaire de 1844, les
peuples gabonais avaient déjà noué des contacts avec les Occidentaux, lesquelles tel que
nous le précisions plus haut, ont évidemment apporté un remodelage de la société
autochtone. Enfin, il s’agit de montrer qu’avec l’arrivée du christianisme, du catholicisme
notamment, la société autochtone gabonaise est composée d’une mosaïque de peuples, qui
possèdent des croyances traditionnelles, lesquels ont été ou non, un obstacle à la mise en
place du catholicisme dans le pays. Dans ce sens, nous nous sommes efforcé de rendre
chacune de ces données claires et dans la mesure du possible, assez précises même si
systématiquement les détails ont été éliminés.

Comment se présente cette région du Gabon, où débarquent, Jean Rémy Bessieux


et Grégoire, le 28 septembre 1844 ? On s’est beaucoup interrogé sur la signification du
nom Gabon. Nous trouvons beaucoup de pertinence dans l’explication d’Annie Merlet,
citant François Gaulme : « Gabam », vient-il vraiment, comme le veut une tradition
tenace, du portugais Gabao qui désigne un caban de marin ? Il pense, non sans raison
qu’il faut beaucoup d’imagination pour trouver à l’estuaire, la forme de ce vêtement. Il
croit plutôt que selon un usage assez courant, on a donné au pays le nom de son
souverain : le Mani Gabam dont Van Linschoten nous parle en 1950 et qui aurait été « le
chef le plus important de l’Estuaire au temps de la prééminence portugaise » (XVIè

17
siècle). De façon plus pratique, notons que le Gabon est un pays situé sur la côte ouest du
continent africain qui s’étend de part et d’autre de l’équateur entre 2°30 nord et 4°sud de
latitude. Sa superficie, 267667 kilomètres², est très modeste. La raison doit être cherchée
dans le fait qu’il est situé à la limite méridionale de la côte du golfe de Guinée , le long de
laquelle la compétition entre les nations européennes a été vive et a engendré un
morcellement territorial très poussé.24 Le Gabon est limité au nord-ouest par la Guinée
Equatoriale (ou espagnole pour la période étudiée), au nord par le Cameroun, à l’est et au
sud par le Congo (Moyen Congo), à l’ouest il est baigné par l’immense océan atlantique
sur une longueur de côte d’environ 850 kilomètres25. Ses frontières terrestres sont dans
l’ensemble conventionnelles et ne sont représentées ni par des chaînes de montagne ni par
des fleuves. Le territoire gabonais a une forme ramassée, compacte à la différence de
nombreux autres territoires de la côte. Il est recouvert par une immense forêt dense qui
recouvre près de 80% de la superficie totale du pays et dont l’exploitation constitue une
ressource importante à côté des industries extractives : uranium, manganèse, pétrole…26.

Du point de vue historique, c’est en 1472 que les Européens franchissent pour la
première fois les côtes gabonaises ; ils pratiquent dès lors la traite des Noirs en même
temps que le commerce de l’ivoire et de l’ébène. Lopo Gonçalves est le premier à arriver
au delta de l’Ogooué et donne son nom à la presqu’île de Mandji aujourd’hui cap Lopez
(1472). Rui de Sequeira arrive en pays Ngowe, au sud d’Eliwenkomi, le 25 novembre de
la même année, alors que Fernao-Vaz atteint le pays Nkomi, auquel il laisse son nom :
Fernand Vaz. Plus au nord, les Portugais étaient entrés en contact avec les riverains de
l’Estuaire mpongwé, qu’ils allaient appeler Pongo et auquel est rattaché le premier nom
européen du pays : Rio Pongo ou Rio do Gabao, (rivière du Gabon) assimilant la forme de
l’Estuaire à un caban ou manteau de marins. Abordant la pointe nord de Libreville, les
Portugais appelèrent cette région cabo de Esteira, c'est-à-dire cap des Spartes, à cause de
l’utilisation courante des spartes (nattes) par les riverains. On peut considérer qu’en 1475
toute la côte jusqu’à Mayumba était explorée. Les navigateurs portugais y exerçaient un
commerce de troc avec les populations. Il faudra attendre la fin du XVI siècle pour que la
connaissance de l’intérieur du pays se précise, et qu’on observe en même temps l’entrée
dans l’ère commerciale des Espagnols, des Hollandais, des Anglais et des Français. Dès le

24
Henri PION, L’évolution politique du Gabon depuis le milieu du XXè siècle jusqu’à la mort du président
Léon M’ba en 1967, thèse de doctorat 3è cycle Histoire, Bordeaux 3, 1976.
25
Frédérique MEYO BIBANG, Le Gabon mon pays, Edicef, Paris, 1986.
26
Idem
18
9 février 183927, le capitaine Bouët de Willaumez signe le premier traité avec les rois du
Gabon, régnant sur les rives d’un vaste estuaire. Ce traité conclu avec Kowè
Rapotchombo dit « Roi Denis », permet à la marine française de s’installer sur l’ensemble
de la rive gauche de l’Estuaire du Como, pour assurer la liberté du commerce, réprimer le
brigandage et protéger le roi.

Pour flatter le pouvoir royal, le nouveau comptoir est appelé le Fort d’Aumale, du
nom du plus jeune fils du roi, Louis Philippe. A partir de 1875, Pierre Savorgnan De
Brazza explore l’Ogooué et, en 1886, le Gabon devient une colonie française à part
entière. Il fusionne avec le Congo (1888-1904), puis intègre l’Afrique Equatoriale
Française créée en 1910. En quatre siècles de présence, les portugais ne développèrent ni
écoles, ni routes, ni hôpitaux, encore moins un contact direct avec les populations locales.
Ce n’est que dans la première moitié du XIX è siècle que de nouveaux Européens vont
s’installer durablement. Notons que le commerce des esclaves a donc joué un rôle capital
dans les premiers contacts entre les Occidentaux et les peuples autochtones, que l’arrivée
des Portugais n’était pas liée à une cause religieuse, mais à une cause économico
politique. Nous verrons plus tard les raisons qui ont justifié depuis le XVè siècle, l’arrivée
des Européens au Gabon.

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Il faut en effet signaler que durant les quatre siècles de présence portugaise
d’autres nations européennes ont tenté de mettre pied au Gabon. L’arrivée des Hollandais
au XVIIè siècle força les Portugais à leur abandonner le territoire. Le commerce du
caoutchouc, du bois et d’autres produits de la forêt emmenèrent les Français et d’autres
nations occidentales à installer des comptoirs sur les côtes. Le développement de ces
activités commerciales s’amplifia avec la traite négrière.

Des nombreux traités sont signés entre les Français et les souverains des côtes,
légitimant ainsi l’implantation des Français sur une bonne partie du territoire gabonais. La
souveraineté française s’établit sur l’ensemble de l’estuaire du Como à la suite de la
signature du traité général du 1er avril 1844. Ce traité est signé collectivement avec tous
les rois et chefs indigènes de la côte à l’exception du Roi Glass dont les adjoints

27
Hubert DESCHAMPS, Quinze ans de Gabon, les débuts de l’établissement français 1839-1853, paris,
Société française d’Histoire d’outre-mer, 1965.
19
envoyèrent, le 5 avril 1844, une pétition à Louis Philippe, le Roi des Français, pour
dénoncer et protester contre les conditions dans lesquelles, dans la nuit du 27 mars 1844,
un représentant de la marine française avait fait signer un traité à Ré Ndama dit « Roi
Glass ». Dans cette pétition on peut lire : « …dans la nuit du 27 mars 1844, Mr
Amouroux, capitaine du vaisseau marchand français « Ossian », se présenta chez le Roi
Glass avec un pot d’eau de vie, et (nous le disons à notre honte) ne trouva pas de
difficulté à persuader la Roi et un autre individu de boire jusqu’à ce qu’ils fussent
ivres…28 »

Dès 1848, les Français commencèrent à lutter contre le commerce négrier et en


1849, des esclaves libérés des navires clandestins fondèrent Libreville. Les accords avec
les groupes de populations se multiplièrent alors, assurant ainsi la prépondérance
française sur les côtes ainsi que sur l’ensemble du territoire gabonais. En 1862, le traité du
Cap Lopez signé entre les représentants de la population locale et les Français autorisa
l’évangélisation de la population par les missionnaires français. Bien installés sur les
côtes, les Français s’élancèrent alors dans la découverte de l’intérieur du territoire. Dans
cette démarche, les voies les plus accessibles étaient fluviales29.

&
En arrière plan sociologique, le Gabon est essentiellement peuplé d’habitants du
type bantou dont les Fang sont les plus nombreux, et une minorité de pygmées vivants
dans l’arrière pays : ces derniers sont d’ailleurs considérés comme les premiers habitants
du Gabon. Il est intéressant de mieux saisir cette composition culturelle des peuples du
Gabon, car la diversité ethnique, ajoutée aux nombreuses coutumes locales, est sans doute
à l’origine des différentes formes d’obstacles à la propagation de la religion catholique
dès 184430 .

28
Extrait de la pétition des chefs notables de Glass à Louis Philippe, Roi des Français, transmise par le
ministre des affaires étrangères au ministre de la marine, le 22 juillet 1844. in Elikia MBOKOLO, Noirs et
Blancs en Afrique Equatoriale, les sociétés côtières et la pénétration française, 1820-1874, Paris 1981,
302p.
29
Il faut signaler en réalité que le rôle de la marine française est sans doute la principale cause de la
prépondérance française sur le territoire du Gabon. L’arrivée des Français au Gabon, d’une manière
générale, découlait de la nouvelle orientation politique de la France dans les années 1840 sur la côte
d’Afrique. Dans la rivalité avec l’Angleterre, il s’agissait de créer des points d’appui pour la flotte et de
favoriser les entreprises commerciales. Les premiers explorateurs les plus connus sont : Serval, Ûmes, Paul
du Chaillu, Pierre Savorgnan de Brazza.
30
Cette date représente l’arrivée des missionnaires catholiques au Gabon, alors que leurs concurrents
protestants les avaient précédés de deux années.
20
En effet, en 1875, dès le début de la prospection du fleuve Ogooué, les
explorateurs sont surpris par la très forte diversité des peuples31. D’après André Raponda
Walker, ce serait plus d’une cinquantaine d’ethnies qui se partageraient le pays avant
l’arrivée des colonisateurs32. Cependant, des études plus approfondies sur la question
montrent d’ailleurs que la plupart d’entres elles présentent des affinités linguistiques et
culturelles. Ces peuples du Gabon précolonial sont divisés en six groupes : Les groupes de
l’ouest (Omyénés), les groupes du centre (Tsogo, Pindji, Nzébi, Punu, Eshira, Sangu,
Okandè…), les groupes du sud est (Téké, Duma, Wumbu, Ndassa…), les groupes du sud-
ouest (Wungu, Varama…), les groupes du nord est (Kota, Mahongwè, Kélé, Shamai…33)
les groupes du nord (essentiellement les Fang). Sur le plan social, tous ces groupes sont
organisés sur la base des liens de sang. Avec l’arrivée des missionnaires, ils se retrouvent
divisés, bien que la nouvelle religion prône la fraternité et l’amour du prochain.

31
André RAPONDA WALKER, Notes d’Histoire du Gabon, ed. Raponda Walker, Libreville, 1996.
32
André RAPONDA WALKER et Roger SILLANS, Rites et croyances des peuples du Gabon, Pres.
Africaine, Paris, 1962, 378p.
33
Anges RATANGA ATOZ, Les peuples du Gabon occidental pendant la première période coloniale
1839-1914, tome 1 : le cadre traditionnel, Editions Raponda Walker, Libreville, 1999, 359 pages.
21
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22
Avant l’avènement du christianisme, l’organisation de ces peuples reposait sur la
religion traditionnelle. Elle était à la base de tout. Cette dernière était fondée sur une
vision particulière du monde qui n’incluait pas seulement une perception du surnaturel,
mais aussi celle de la nature, de l’univers et des êtres humains. Plusieurs rites tels que le
byéri, le ndjobi, le bwiti, le ndjembè, le mwiri, le mvett, le melane, le ikokou… étaient en
effet pratiqués. La particularité des coutumes présentes au Gabon de la fin du XIXè siècle
réside dans le fait qu’elles placent Dieu au centre de toutes préoccupations34. Toutefois,
on note quand même une hiérarchie des esprits (ancêtres protecteurs), que les autochtones
traitent tout de même avec crainte et respect. Au dessus des esprits, il y a les dieux qui
ont, eux, le pouvoir de récompenser les hommes ou de les châtier. En analysant les rites et
contes, il apparaît que les peuples du Gabon croyaient en l’existence d’un être tout
puissant, créateur du monde, qu’ils désignent différemment selon les langues, par des
mots ayant en principe la même racine : Nzambi pour les Aduma, Nzèmbi pour les
Ndzébi, Nzame pour les Fang, Ndjambé pour les Tsogo, Sékè et Benga, Nzambé pour les
Kota, Nzambyè pour les Kélè, Anyambyè pour les Ngwèmyènè, Manyambyè pour les
Evia, etc35. Cependant, malgré cette mosaïque des peuples et ces différentes appellations
que l’être suprême avait reçues, les peuples du Gabon ne consacraient aucun culte à cette
divinité. Pour eux, Dieu a bien crée le monde mais, depuis, il l’a abandonné à son sort et
n’a plus rien à voir avec ce qui s’y passe. Par conséquent, il ne s’intéresse pas à l’homme
qui, en retour, ne lui doit rien non plus. En outre, ces peuples n’avaient aucune idée du
démon et de l’enfer. Dans les langues locales, il n’existe, d’ailleurs, pas des mots
typiquement gabonais pour désigner ces réalités. En revanche, on considérait que le sort
de chaque homme dépendait plus étroitement de la nature des rapports que chacun
entretenait avec le milieu ambiant, à savoir le milieu social et le monde invisible des
esprits36. Cette perception du monde, de la part des peuples du Gabon antique ou
précolonial leur laissait croire qu’en réalité, les morts continuaient à côtoyer les vivants et
à influencer leur destin. Ils pouvaient ainsi punir ceux qui se comportaient mal ou même
récompenser ceux qui agissaient bien. Quoi qu’il en soit, le système de croyance des
peuples du Gabon constituait l’un des fondements de la société ancienne.

F. GREBERT, « Au Gabon de l’Afrique Equatoriale française », in société des Missions évangéliques, 2è


édition, Paris, 1922, pp 8-11
35
P. BIRINDA, La bible secrète des Noirs selon le Bouity (Doctrine initiatique de l’Afrique Equatoriale).
Omnium Littéraire, Paris, 1952.
36
Pour les peuples du Gabon, tout ce qui se produisait sur terre était dû soit aux hommes, morts ou vivants,
soit aux génies et aux fées. Il était admis que l’homme pouvait agir sur le destin de son prochain de deux
manières. Vivant, il pouvait avoir un don de se dédoubler, lui donnant la faculté de se muer en vampire et
d’aller nuitamment, en compagnie de ses semblables, nuire aux autres hommes en leur jetant des mauvais
sorts. Mais, parfois aussi, ces êtres désignés couramment sous le terme de « vampireux » pouvaient sauver
certains individus de la vindicte de l’un d’entre eux et, même, vouer certains jeunes enfants à un destin plus
brillant.
23
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L’intérêt du commerce et du prestige européen au Gabon dépendait énormément
de la connaissance du pays. Des hommes d’affaires soutenus et encouragés par leurs Etats
respectifs s’enhardirent à l’intérieur du pays pour essayer d’exploiter la colonie. La prise
de possession de l’estuaire du Gabon fournit la base d’une reconnaissance géographique
du pays. Jusque vers 1860, la colonisation fut essentiellement l’œuvre de la Marine, les
données sur le Gabon furent le fait d’officiers et de médecins navals tels que le Baron
Darricau, le baron Mequet, Bouet de Willaumez etc. Les autres renseignements sont
l’œuvre de Paul Belloni du Chaillu (1837-1903) français de naissance, naturalisé
américain : il fit connaître, grâce à ses récits, l’arrière pays et ses habitants. En trois
voyages, parti de la lagune du Fernand Vaz, il fut le premier européen à atteindre la
Ngounié et à reconnaître entre 1863 et 1865 le massif qui porte son nom et la région
avoisinante. Après 1860, l’exploration du Gabon fut poursuivie par l’américain Bert, les
anglais Burton et Reade ; en 1862, le lieutenant Serval et le docteur Griffon du Bellay
remontèrent l’Ogooué jusqu’au Ngomo, pendant qu’en 1867 le lieutenant de vaisseau
Aymes, à bord d’une canonnière, remontait l’Ogooué jusqu’au confluent de la Ngounié37.

L’exploration du centre et du sud du Gabon est essentiellement l’œuvre de Pierre


Savorgnan de Brazza (1852-1905). Très tôt, l’Ogooué avait attiré l’attention des
explorateurs et du monde des affaires.

Le problème fut donc de reconnaître sa source, d’autant plus qu’une idée erronée
courait dans les milieux d’affaires, selon laquelle l’Ogooué remonterait jusqu’au centre de
l’Afrique, car il serait une branche du Congo. Les voyages de Brazza ont d’ailleurs
prouvé à suffisance que l’Ogooué n’était pas une branche du Congo. En tout, Pierre
Savorgnan de Brazza a effectué trois voyages très fructueux. Le premier de 1875 à 1878
lui a permis de réunir des renseignements sur les pays non encore explorés : ces
explorations lui ont en effet donné la possibilité de réaliser que le bassin de l’Ogooué est
indépendant du Congo. Le deuxième voyage s’est, quant à lui, effectué entre 1879 et 1882
et le troisième de 1883 à 1885. Ce dernier voyage, appelé « la mission de l’ouest
africain » devait parachever l’œuvre des deux précédentes missions. Il créa 26 nouveaux
postes sur l’Ogooué et au Moyen Congo et aboutit à la création de la colonie du Gabon et
de la colonie du Moyen Congo. Pierre Savorgnan de Brazza nommé par la France
Commissaire du Gouvernement en 1883, était chargé d’organiser les deux colonies. Il élit
37
Anges Ratanta Atoz, Histoire du Gabon, des migrations historiques à la République du XVè siècle au
XXè siècle, Paris, NEA, 1981, 95 pages.
24
résidence à Libreville qui devint la capitale du Gabon et du Moyen Congo, puis par le
décret du 2 décembre 1888, de la colonie unifiée du Gabon-Congo. Les voyages effectués
par Pierre Savorgnan de Brazza concluent la première phase de l’exploration
géographique du Gabon38. Pour ce qui est de l’organisation administrative, la France avait
pris possession du Gabon par les différents traités signés avec les chefs et les rois du pays.
Supposé receler certaines richesses, le Gabon fut passé au crible par des agents et
explorateurs de toutes nationalités. Cette exploration méthodique était le signe avant
coureur du développement du commerce et de l’évolution du système capitaliste qui
devrait ouvrir la voie aux affaires. En 1843, le Gabon dépendait encore du Sénégal. Il ne
s’en sépara qu’en 1859 pour faire partie de l’ensemble que l’on dénomma
« établissements français de la Côte d’or et du Gabon », avec à leur tête, un commandant
qui résidait à Libreville. Par la suite, l’administration fut restructurée, et à partir de 1883,
l’ensemble porta le nom d’établissements français du Golfe de Guinée.

Jusqu’en 1886, le Gabon fut régi par le Ministère de la Marine. Après 1886, date à
laquelle il se sépare de ses dépendances (Cotonou et Porto-Novo qui furent rattachés au
Sénégal), le Gabon eut droit à une administration autonome, rattachée directement au
Ministère de la Marine et des Colonies. Le décret du 29 juin 1886 détermina le régime
sous lequel devaient être placées respectivement la colonie du Gabon et celle du Congo,
puis le décret du 11 décembre 1888 réunit la colonie du Gabon et du Congo pour former
désormais une unité, placée sous l’autorité du commissaire général Brazza. Mais le décret
du 30 avril 1891 modifia celui du 11 décembre 1888 : le Gabon Congo devint le Congo
français, administré par un commissaire général toujours en résidence à Libreville. Le
territoire prit de plus en plus d’ampleur avec les dépendances de l’Oubangui-Chari39 et du
Tchad. Le 15 janvier 1910 fut créée la Fédération de l’Afrique Equatoriale Française
(AEF), regroupant le Gabon, le Moyen-Congo, l’Oubangui-Chari et le Tchad. Un
gouverneur général en résidence à Brazzaville supervisait les quatre colonies. En 1920, le
territoire du Tchad fut érigé en colonie distincte.

38
Idem, p. 15.
39
Actuelle République centrafricaine.
25
L’évolution de l’organisation administrative du Gabon se situe véritablement à
partir de 1934. A cette date, les quatre colonies distinctes composant l’AEF formèrent en
vertu du décret du 30 juin 1934, une seule colonie administrée par le Gouverneur général
en résidence à Brazzaville40. Jusqu’en 1937 il n’ y eut en AEF qu’une seule colonie dotée
d’un même budget et administrée par un même chef. En 1948, le député Jean Hilaire
Aubame demanda la séparation du Gabon des autres colonies afin de créer un territoire
autonome et administré par un Gouverneur. Cette prise de position se comprenait, car la
colonie du Gabon était « la vache laitière » de l’ensemble de l’AEF. Pour assurer son
développement, il fallait la séparer de l’ensemble des colonies. Cette proposition du
député gabonais auprès de l’Assemblée nationale française ne fut pas adoptée, mais elle
illustrait fort bien la réaction des dirigeants gabonais à l’égard de toute formule ou de
fédération d’Etats. C’est séparément que les quatre anciennes colonies accéderont à
l’Indépendance en 1960. Les cartes ci après mettent en évidence les délimitations
géographiques de l’Afrique Equatoriale Française en 1910 et l’organisation administrative
du Gabon après l’indépendance.

40
Max REMONDO, L’organisation administrative du Gabon de 1843 à nos jours, thèse de droit, Paris,
décembre 1970.
26
27
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28
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Plusieurs étapes ont marqué l’implantation définitive du catholicisme au Gabon en
1844. De façon générale, l’avènement du christianisme en Afrique s’est fait en plusieurs
étapes41. Au Gabon, deux étapes sont à distinguer. La première est celle qui marque le
début des grandes explorations au XVè siècle et qui s’achève avec l’abolition de la traite
des Noirs à partir de 1815 lors du congrès de Vienne. Cette première étape s’explique par
le fait que les missionnaires voulaient baptiser tous les chefs côtiers qui, à leur tour,
devaient favoriser la pénétration des missionnaires. Cette ère de colonisation est
couronnée par le baptême du roi Nzinga du Kongo et la prêtrise de son fils, qui devint
Evêque puis vicaire apostolique du royaume du Kongo en 151942. Malheureusement, ces
quelques succès sont couronnés par des craintes. La plupart des autochtones n’acceptent
pas la nouvelle religion avec enthousiasme et beaucoup d’ailleurs en expriment le
soupçon43. Dès leur première rencontre, certains se posaient la question de savoir si les
Blancs étaient vraiment des hommes, des esprits ou même des bantous déjà morts qui
avaient abandonné leur peau et revenaient au village. On croyait même reconnaître un
mort dans un missionnaire. On murmurait d’ailleurs que les Blancs étaient des cannibales.
On en veut pour preuve l’interrogatoire que trois chefs de la côte firent subir à un
villageois qui avait rencontré des Blancs :
_Ce sont des hommes, dit-il ?
_Oui mais comment ?
_Ils sont blancs et ont des corps mous et flexibles ;
_Mais ne mangent-ils pas les hommes ?
_je ne sais pas mais je le crains car, la mort les suit partout qu’ils aillent44.

Le révérend père Trilles45 en mission au Gabon raconte d’ailleurs que lors de sa


première rencontre avec un Noir (Fang46), l’indigène dut s’enfuir dans la forêt car il
pensait avoir rencontré un esprit47.

41
Koffi ASARE OPAKU : « la religion en Afrique à l’époque coloniale », in Histoire générale de
L’Afrique, Unesco, Nouvelles Editions Africaines, 1987.
Donatien MBA ALLOGHO, Les Relations entre l’Eglise et l’Etat au Gabon, mémoire de maîtrise en Sociologie,
Université de Nantes, 1980.
43
Le soupçon ici vient du fait qu’il semblait difficile de cerner avec précision ce qui justifiant la présence de
l’homme blanc sur les terres africaines, d’autant plus qu’il est à tort ou à raison considéré comme un esprit
ou même un fantôme.
44
Jeannine OLSON, L’histoire de l’Eglise, vingt siècles et six continents, éditions Clé, Yaoundé, 1972.
45
Le Révérend Henri Trilles est un missionnaire de la Congrégation du Saint Esprit. Il débarque au Gabon
en septembre 1889 où il est placé à la mission de Lambaréné, puis l’année suivante à la mission Sainte
Marie de Libreville. Il fut chargé du séminaire africain et de l’école des catéchistes, mais se fit surtout
remarquer par ses tournées en brousse notamment en pays Fang.
46
A l’origine, réputés comme étant des guerriers, les Fang sont un groupe ethnique répandu à travers cinq
pays d’Afrique Centrale, à savoir la Guinée Equatoriale, le Cameroun, le Gabon, le Congo et le Sao Tomé et
29
Ces craintes, ajoutées au commerce des esclaves dont les missionnaires étaient
soupçonnés d’en être complices conditionnent l’interruption de l’œuvre missionnaire au
XVè siècle48. On note toutefois d’autres cas d’introduction du catholicisme au Gabon vers
le XVIIIè siècle. En 1777, des Capucins italiens dépendant de la Mission de Sao Tomé
fondèrent un établissement catholique en pays mpongwé, sur la côte de l’actuelle zone de
Libreville. Mais cet énième contact n’a pas tenu pour des raisons diverses, notamment la
pratique du commerce des esclaves que nous signalions déjà plus haut. Tout cela suscita
un mécontentement des peuples côtiers et une grande méfiance vis-à-vis des
missionnaires européens. Finalement, aucune relation durable ne fut établie. Il faut
souligner à ce propos que l’esclavage et la traite négrière constituaient un projet
économique systématique, bien pensé et soigneusement agencé. Or la philosophie sous-
jacente qui l’inspirait, celle de la suprématie des Blancs, soulève de graves questions
éthiques et existentielles à propos des relations raciales. Le fait que l’on puisse se servir
du labeur animal et humain indifféremment en toute impunité pour satisfaire les désirs du
maître des esclaves est absolument incompréhensible et l’Eglise en réalité doit encore se
faire pardonner le rôle qu’elle a joué dans la réduction d’autres races à l’esclavage.

Principe. En réalité avant le découpage géographique de la région du bassin du Congo, les Fang vivent au
sein d’un territoire de ce qu’il est permis d’appeler un territoire bien défini. Au Gabon, ils se distinguent des
autres groupes ethniques du fait qu’ils sont les seuls à être désignés comme étant non bantous. Leur langue,
leur religion traditionnelle (le bieri ; le melane), l’organisation sociale qui leur est propre et surtout leur
histoire en font une société qui a toujours intéressé les anthropologues. L’origine du peuple est d’ailleurs
très controversée et les thèses sont nombreuses. Nous avons retenu celle du Révérend Trilles qui situe
l’habitat originel des Fang dans la région d’Afrique où prennent naissance les affluents du Nil, aux environs
de Fachoda. Selon cet auteur, les Fang sont chassé dans cet habitat originel par les Benvu. Une première
migration les conduit dans une région où coule une large rivière et où se trouve un immense marrais. C’est
progressivement qu’ils arrivent vers l’Estuaire du Como vers la fin du XIXè siècle entre 1848 et 1863.
47
DOCATGAB, Rev. Trilles, Le Gabon catholique 1844-1994, réédition imprimerie saint Joseph, Libreville, 1994.
Document dactylographié.
48
L’esclavage est un vieux phénomène de société auquel l’Eglise s’est retrouvée confrontée dès ses
origines. Si elle n’a jamais été vraiment indifférente au sort des esclaves, surtout des esclaves chrétiens
l’Eglise semble pourtant avoir eu du mal à prendre parti. Son attitude à l’égard de la traite négrière s’inscrit
dans cette hésitation. Le cas de la traite négrière revêt cependant un caractère particulier, car si l’Eglise a
combattu l’esclavage des Indiens contre lequel des chrétiens s’insurgent assez tôt, elle tarda en revanche à
adopter la même attitude à l’égard du sort réservé aux Noirs. Les Eglises elle mêmes furent en certaines
circonstances partie prenante de ce trafic, tel que le commerce qui s’installa au XVè siècle entre le Portugal
et l’Afrique.
30
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La deuxième phase (1840-1885) est plus ou moins enclenchée par le Congrès de


Vienne (1815) où toutes les nations européennes partent en guerre contre le trafic des
esclaves, mais aussi par un puissant mouvement missionnaire apparu vers la fin du
XVIIIè siècle dans toute l’Europe. En effet, on note à cette époque en Occident, un
renouveau missionnaire tant protestant que catholique (Société de Marie, Les Oblats de
Marie Immaculée, Les missionnaires africains de Lyon, la congrégation des Pères des
Sacrés Cœurs de Jésus et Marie, les Pères Blancs...) qui favorise le départ de plusieurs
missionnaires pour l’Afrique49. Ainsi, et sans s’en référer au Vatican, les puissances
européennes vont appuyer le mouvement missionnaire. Cette étape marque le début de la
collaboration entre l’Eglise et le pouvoir colonial50. C’est dans cet élan que les
missionnaires du sacré cœur de Jésus et Marie arrivent au Gabon en 1844. Toutefois, il
faut préciser que ces derniers sont précédés, deux ans plus tôt, par les missionnaires
protestants américains51.

L’histoire de l’Eglise catholique du Gabon a donc commencé il y a cent soixante


ans, plus précisément le 29 septembre 1844, date de la célébration de la première messe
en terre gabonaise. A l’époque, le Gabon n’était qu’un simple comptoir. C’était un point
de relâche pour les navires de guerre qui venaient surveiller le commerce et la traite des
esclaves. L’ivoire, l’ébène et le bois rouge prenaient la route de l’Europe et les Noirs celle
du Brésil et de Cuba52.

49
Toutes ces congrégations voient le jour au début du XIXè siècle et elles viennent rendre favorable l’élan
missionnaire. Ces dernières s’adjoignent à d’autres congrégations plus anciennes telles que les Lazaristes ou
les Pères du Saint esprit ;
50
Voir annexe sur la convention pour l’envoi et l’entretien des missionnaires en AEF.
51
Archives CSSP, Boite 1001 « Chronologie de l’évolution politique du Gabon jusqu’en 1947 ».
52
Jacques HUBERT : 150 è anniversaire de l’Eglise catholique au Gabon 1844-1994, imprimerie saint
Joseph, Libreville, 1994.
31
L’étude que nous voulons entreprendre à travers notre première partie s’inscrit
dans une double perspective chronologique et pastorale. Nous nous proposons de revivre
les premières décennies de l’installation de la Mission catholique sur le territoire du
Gabon mais aussi celles de leurs premiers rapports avec les autorités coloniales.
Cependant notre point de vue n’est pas celui d’une histoire de la colonisation du Gabon,
ni une histoire de l’Afrique. Nous faisons juste appel à des événements antérieurs ayant
contribué à l’éclosion de la chrétienté du Gabon. Toutefois, l’influence de la politique
coloniale sur les Missions en général n’étant plus à établir, il est intéressant de chercher
dans quelle mesure la congrégation des Pères du Saint Esprit et celle du Saint Cœur de
Marie ont collaboré avec les autorités coloniales et quel a été le rôle joué par celles-ci
dans l’implantation de la Mission53. Mais là n’est pas notre objet, nous n’aborderons
qu’accessoirement ce problème qui n’est pas toujours sans intérêt.

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Jean Rémy Bessieux est le fondateur de l’Eglise catholique au Gabon, qui se
trouvait alors dans l’immense Vicariat apostolique des Deux Guinées, sur la côte ouest de
l’Afrique. En débarquant au Gabon le 28 septembre 1844, il a permis à l’Eglise catholique
de poursuivre son œuvre dans le jeune et vaste Vicariat apostolique, érigé depuis
seulement deux ans, le 3 octobre 1842. Il a un rapport fondateur avec toutes les Eglises
issues de ce vicariat Apostolique.

*
Nous connaissons au jour le jour, jusque dans les moindres détails, le premier
voyage des missionnaires du Saint Cœur de Marie, grâce aux écrits disponibles à ce
sujet54. Cependant, nous n’allons pas faire l’examen total de cette longue aventure, il sera
juste question de présenter le principal itinéraire qui a conduit le Père Bessieux et ses
compagnons au Gabon après plusieurs escales dans les autres comptoirs français. Mais
dans quelles dispositions particulières s’embarquent les missionnaires pour l’Afrique au
XIXè siècle, de quels moyens disposaient-ils. ? D’emblée, pour illustrer le début de la
collaboration avec le colonialisme français, nous savons que la petite congrégation du

53
Les premiers missionnaires qui on évangélisé le Gabon, à partir de 1844, faisaient partie de la
congrégation du Saint Cœur de Marie. Dans le dynamisme des fondations, de nombreuses vocations
viennent à elle. Par contre, la vieille congrégation du Saint Esprit, qui depuis le XVIIIè siècle, envoyait
quelques prêtres au Sénégal, n’a alors presque plus de membres. Les deux congrégations fusionnent en 1848
et forment la congrégation du saint Esprit et du Saint Cœur de Marie, dont les membres sont appelés,
jusqu’à ce jour : les Spiritains.
54
Il s’agit en très grande partie des écrits du Père Morel Gérard, des archives spiritaines, et de nombreuses
correspondances disponibles autours de la question.
32
Saint Cœur de Marie n’avait pas la capacité financière de prendre en charge les frais de
voyage et d’entretien de ses missionnaires. Sur la côte africaine, les moyens de transport
et d’hébergement étaient dépendants des nations colonisatrices. En réalité, c’est
Monseigneur Baron55 lui-même qui a demandé au Vénérable Père Libermann56 de prendre
contact avec les autorités françaises pour en obtenir les recommandations qui favoriseront
le séjour des missionnaires dans les territoires français. Ces contacts concernant l’Afrique,
ont lieu après le départ des missionnaires : l’entrevue a lieu entre le VP Libermann et le
Ministère de la Marine, vers la mi-octobre 184357. Le transport gratuit des missionnaires
sur les navires de guerre français et certains avantages financiers sont ainsi proposés à
Libermann, mais en contre partie, il doit accepter que ses communautés s’installent dans
les territoires français : Garroway, Grand Bassam, Assinie et le Gabon58.

Cependant, Libermann ne pouvait pas accepter de telles dispositions sans l’accord


des autorités romaines. Celui-ci est finalement conclu avec le Nonce apostolique en poste
à Paris. Le Père Libermann ne manque pas d’en rendre compte dès le jour même à Son
Eminence le Cardinal Préfet. Par la suite, il confirme son approbation à Mgr Barron, dans
une lettre du 23 janvier 184459. En réalité, c’est fort de cette offre avantageuse que les
missionnaires ont pu continuer leur périple sur le continent africain.60

55
Edward Barron est né en 1801 à Waterford, en Irlande, d’une riche famille noble. Après des études
secondaires, il commença à mener une vie mondaine, avec d’autant plus d’amis qu’il était riche. Un matin,
entrant chez lui après toute une nuit passée en joyeuse compagnie, il rencontre un Père jésuite qui l’invite
impérativement à sa messe. Touché par la grâce, au cours de l’Eucharistie, le jeune fêtard renonce à sa vie
désordonnée. Peu de temps après il décide de devenir prêtre. Il se prépare au sacerdoce d’abord en Irlande,
puis son évêque l’envoie à Rome, pour y achever ses études de grand séminaire. Jeune prêtre, il retourne
dans son diocèse irlandais avec un doctorat en théologie et commence sa vie sacerdotale. A la mort de son
père, il hérite d’une grande fortune et décide de s’installer au USA où il s’engage dans l diocèse de
Philadelphia avant de s’engager par la suite comme missionnaire. Il est le responsable d’une communauté
de missionnaire qui s’engage pour l’Afrique (Libéria, dans un premier temps et Gabon ensuite) dès 1842. Il
est ordonné évêque en 1843. Il meurt le 12 septembre 1854.
56
François Marie Paul Libermann est né le 12 avril 1802. Il est le fondateur de la Congrégation du Saint
Cœur de Marie qui devient, en 1848, la Congrégation du Saint Esprit.
57
Gérard MOREL, Jean Rémy Bessieux et le Gabon, la naissance de l’Eglise catholique à travers sa
correspondance 1803-1849, Collection Mémoires d’Eglise, éditions Karthala, Paris 2007, 536 pages..
58
Le Gabon n’était pas la destination des missionnaires français au départ de Bordeaux. Comme nous le
verrons plus tard, ils étaient envoyés vers d’autres territoires de l’immense « vicariat des Deux Guinées »
dirigé par Mgr Baron. En réalité, l’arrivée des missionnaires de la congrégation du saint cœur de Marie en
1844 est le résultat d’une entente cordiale entre le Père Libermann (responsable de la congrégation du saint
cœur de Marie) et Mgr Baron responsable du vicariat). L’un, le père Libermann possédait des missionnaires
et, l’autre, Mgr Barron, cherchait justement des missionnaires pour servir dans son vicariat.
59
Ibid.
60
Le Cardinal et Libermann n’étaient pas dupes des intentions du gouvernement français, mais le réalisme
était certainement d’accepter ces propositions, tout en conservant la liberté d’action pour l’évangélisation.
33
*

Vous serez mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre61, disait le Christ à ses
apôtres. Le 28 septembre 1844, un navire français nommé le zèbre arrive dans le vaste
estuaire du Gabon. Il mouille à quelques encablures du Fort d’Aumale62, modeste
forteresse qui permet à la France d’affirmer sa prétention à administrer le Gabon63.

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A bord du bateau, deux épaves humaines, deux religieux dont un prêtre et un jeune
homme. Ils sont les seuls rescapés d’une folle aventure apostolique qui en deux ans a
presque anéanti la petite troupe de Missionnaires de diverses nationalités qui, après tant
d’autres, s’était risquée à évangéliser cette longue côte ouest de l’Afrique64. Leur évêque,
Monseigneur Barron les accompagne pour l’occasion jusqu’à Bordeaux, lieu où ils
embarquent à destination de l’Afrique. L’Afrique, ce continent qui leur est totalement
inconnu.

61
La Bible, Actes des Apôtres, I ; 8
62
Un plan de 1848 est gardé dans les archives de l’Archidiocèse de sainte Marie et nous donne une idée de
ce point défendu. C’est un quadrilatère de 100m de côté, palissadé, muni de six canons à la disposition des
négriers.
63
Gérard MOREL, Naissance d’une Eglise 1844, naissance de l’Eglise catholique au XIXè siècle sur la
côte Occidentale de l’Afrique, édition du Bosquet, Libreville, 1996, 48 pages.
64
Les dix missionnaires s’embarquent à Bordeaux le 13 septembre 1843 sur les « Deux Clémentines ». Ce
sont les pères : De Régnier, Bouchet, Roussel, Maurice, Audibert, Laval et le Père Bessieux. Trois Frères se
joignent à eux : Grégoire Sey et les frères André et Pierre Fabé.
34
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L’histoire de l’évangélisation de l’Afrique et celle du Gabon en particulier est le


récit d’une grande détermination qui animait des Européens, aventuriers pour la plupart et
qui avaient pour seule motivation le désir d’aller vers des horizons lointains. En 1843
lorsque les premiers missionnaires doivent embarquer pour le continent noir, on estime
leur nombre trop restreint pour la lourde et difficile tâche qui les attend. Monseigneur
Baron qui espère trouver d’autres missionnaires dans son pays natal, reste encore
quelques temps en Europe. Ce fut une erreur même si celle-ci était motivée par de bons
sentiments. Il voulait trouver des missionnaires dans son environnement anglo-saxon, en
Angleterre et en Irlande. Là, il put entraîner à sa suite deux jeunes gens, un grand
séminariste, Jacques Kielly et un jeune Frère, John Egan. Dès que le vent fut favorable, le
13 septembre 1843, le voilier « les deux clémentines » quitte Bordeaux. Si les
missionnaires sont conscients qu’ils s’embarquent pour une aventure à hauts risques, ils
ignorent évidemment que parmi eux, sept sur dix ne reverront plus cette terre où ils sont
nés, que six vont mourir dans les prochains mois. En réalité, en s’embarquant à Bordeaux
pour l’Afrique, la petite troupe des missionnaires du Saint Cœur de Marie a connu
plusieurs escales avant d’aboutir définitivement au Gabon. Il faut pour cela retenir que la

35
première destination fut Gorée, lieu où la troupe des missionnaires a connu ses premières
hésitations, ses premiers malentendus et premières maladresses.

Avant le départ, Le Vénérable Père Libermann avait divisé ses missionnaires en


deux communautés, l’une resterait à Gorée pour y travailler au Sénégal, l’autre irait au
Libéria. Le 26 octobre, ils seront donc encore tous les dix à bord lorsque le voilier, les
« deux clémentines » appareille pour le Cap des Palmes. Sur place, les trois premiers
mois, commencés dans l’enthousiasme, vont rapidement être vécus dans la douleur. Le 12
janvier 1844, Jean Rémi Bessieux, responsable de la communauté apostolique rend
compte à son supérieur des événements dramatiques qui leur sont arrivés65. Le VP
Libermann est conscient des faiblesses des ressources missionnaires et assiste, impuissant,
depuis l’Europe, à la disparition de ses premiers hommes envoyés sur le continent
africain : « Il ne suffit pas d’aller au hasard avec la pensée générale de convertir les
fidèles. Il faut fixer une somme de moyens… »66

Mais cela ne décourage pas le Père Jean Rémi Bessieux. Cependant Monseigneur
Baron tarde à rejoindre sa communauté. Les jeunes missionnaires sont très affectés par la
mort de trois d’entre eux et le départ de John Kelly, le prêtre irlandais, malade et
découragé. Lorsqu’enfin, leur évêque les rejoint, le 1er mars 1844, il ne trouve plus que les
huit français. L’évêque leur apporte de nouvelles dispositions prises par le VP
Libermann : ils doivent en effet quitter le Cap des Palmes pour se rendre plus vers le sud,
dans les territoires administrés par la France, ils sont ravis de quitter le Libéria et son
environnement protestant67.

Le 3 mars 1844, ils quittent le Cap des Palmes pour la destination de Grand
Bassam (région de l’actuel Abidjan) en attendant une occasion pour atteindre le Gabon68.
Dans cette région malsaine, infestée de moustiques et de marécages, ce sera la fin

65
Archives CSSP, Boite 23, « Correspondances du Père Bessieux ». Dans sa lettre du 12 janvier, le Père
Bessieux parle des méfaits du climat mais aussi de la fièvre. Il parle aussi de la mort de plusieurs de ses
compagnons.
66
Notes de François Libermann dans une lettre adressée au Ministère de la Marine, le 7 mai 1845,
Rapportés par Jean Michel Vasquez, La cartographie missionnaire en Afrique, science, religion et conquête
(1870-1930), Karthala, Paris, 2011462 pages.
67
Les missionnaires protestants et les missionnaires catholiques, dans les mêmes temps et dans les mêmes
lieux, bien qu’ils se soient ignorés et combattus, ont vécu le même martyr, jusqu’à l’exprimer parfois avec
les mêmes mots.
68
En réalité, la destination du Gabon représente le quasi miracle de la survie de l’œuvre missionnaire du
Saint Cœur de Marie. C’est en effet le seul endroit favorable, vaste estuaire, collines bien ventilées, mais cet
estuaire est situé loin, à l’extrême sud du vicariat où il n’y a que de petites rivières, et l’arrière pays, tout
occupé par la forêt équatoriale, est sous peuplé.
36
apparente de la Mission. La communauté des neuf missionnaires y est presque anéantie.
Quatre vont encore mourir, quatre rapatriés à « demi morts », il ne restera plus que Frère
Grégoire à Grand Bassam et le Père Bessieux au cap des Palmes où la situation n’est
guère plus reluisante, les deux hommes sont eux aussi anéantis69. Les survivants de la
mission catholique, ceux qui ne purent être rapatriés, avant que la mort ne les visite, ne
pouvaient qu’y dépérir et y mourir. Finalement, ils décident tout de même de continuer
leur mission et partent pour le Gabon. Le prêtre, Jean Rémy Bessieux âgé de 40 ans, le
jeune homme, Grégoire Sey à peine âgé de 20 ans, sont presque agonisants lorsqu’ils
arrivent au Gabon. Toutefois, il faut préciser qu’à leur arrivée, Monseigneur Barron
annonçait prématurément leur retour en France. « Je crains que notre entreprise
missionnaire n’ait échoué…Frère Grégoire a reçu les derniers sacrements. Quand il sera
en état d’aller à bord de quelque bateau, il doit retourner en Europe…À Gorée, je vais
demander au commandant de la station de rapporter le Père Bessieux en France. Il a
toujours été faible de santé… »70. C’est ainsi que s’exprimait Mgr Barron, très inquiet de
l’état de santé de ses missionnaires à peine arrivés au Gabon. On note à cet instant une
grande consternation mais aussi un constat d’échec chez le supérieur des missionnaires.
Ses dernières recommandations auraient-elles été exécutées qu’il n’y aurait certainement
jamais eu de mission au Gabon, du moins pas à ce moment là !Si les nombreuses
expériences désastreuses et la mort qui avait fait plusieurs ravages chez les missionnaires,
pouvaient laisser penser qu’aucune entreprise n’était possible en cette fin d’année 1844,
c’est compter sans la foi de fondateurs d’Eglise qui les habite. Lorsque je suis faible, c’est
alors que je suis fort71. Le Père Bessieux et Le Frère Grégoire, descendus à terre, il n’est
pas alors question de repartir pour l’Europe après une si longue traversée : ceci serait
pour eux un aveu d’échec.

C’est donc dans ce contexte difficile que les deux religieux décident de rester dans
la colonie du Gabon. Selon le Père Gérard Morel72, Monseigneur Barron exprime en
réalité son opinion personnelle sur la faisabilité de la mission au Gabon ; de plus, il estime
que lorsque le Père Jean Rémy Bessieux s’embarque du Cap des Palmes à bord du
« Zèbre », c’est pour rentrer en France. Ce jugement n’est pas fiable car de toute
évidence, les deux hommes ne s’étaient pas vus depuis plus de six mois. En revanche,

69
Les ravages de la maladie sont à mettre au compte de l’inexpérience de tous les européens, qu’ils soient
missionnaires, commerçants, soldats, marins ou médecins ! Les missionnaires ne négligèrent rien de ce qui
pouvait être tenté pour se soigner. Ils ont recours fréquemment au médecin, bien qu’il se fit payer très cher.
70
Archives CSSP, Boîte 23 « Correspondances du Père Bessieux », voire aussi Gérard Morel : op. cit. p2
71
Archives CSSP, Boite 23 « Correspondance de Bessieux à Libermann du 12 mars 1845 ».
72
Gérard Morel, Le Père Bessieux et le Gabon, op. cit. p. 196
37
selon le commandant Monléon, commandant du navire le « Zèbre », le Père Jean Rémy
Bessieux exprimait sa grande motivation à se rendre au Gabon, afin d’y commencer enfin,
dans la stabilité, sa vie missionnaire africaine73. De toute évidence, cette démission n’était
certainement pas dans l’esprit du dernier survivant du projet missionnaire du VP
Libermann.

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Arrivé le lendemain matin, Jean Rémi Bessieux célèbre sa première messe au


Gabon. Grégoire est son servant. Les sources ne nous renseignent nullement sur la
présence ou pas de gens ce jour là. D’après de nombreux écrits, il se peut même que le
jeune Frère soit son seul assistant en ce 29 septembre 1844, fête de saint Michel
Archange, sur la place du Fort d’Aumale74. Le Fort était installé sur une petite colline,
entre les deux rivières. L’administration française, quelques années plus tard, fuira ce site
et les moustiques du Fort d’Aumale, pour s’installer un kilomètre plus au sud sur une
autre élévation appelée le Plateau, plus éloignée des rivières et marigots75. La mission
catholique héritera alors du Fort d’Aumale76. L’Eglise catholique prenait ainsi racine en
Afrique centrale, particulièrement au Gabon. Le Père Bessieux la plaça sous la divine

73
Idem, in revue maritime, t. III 1845, p. 499.
74
DOCSSP, « Le Gabon, porte du monde noir » in pentecôte sur le monde, juin 1959.
75
Ibid p. 195.
76
Au XXIè siècle, la cathédrale Sainte Marie et l’évêché occupent encore l’emplacement de l’ancien Fort
d’Aumale, alors que l’actuelle présidence de la République (palais de la Rénovation) se trouve sur le
Plateau.
38
protection des saints anges après l’avoir consacrée à la « souveraine Maîtresse, notre
puissante mère »77.

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Ce tableau nominatif nous donne une idée plus précise sur le sort réservé aux
quinze premiers missionnaires qui ont été envoyés en Afrique.

77
Archives CSSP, Boîte 148, « Lettre du Père Bessieux du 15 mai 1845 ».
39
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!
Nous sommes assez bien informés sur la vie des deux premiers missionnaires
français au Gabon. Nous savons que les fièvres ne leur laissèrent pas un long temps de
répit. Pendant les premiers mois, leur vie est partagée entre la prière, l’apostolat, l’étude
de la langue locale l’omyèné et la maladie ! Cependant, ils sont encouragés dans leur
apostolat par le bon accueil des populations de l’estuaire du Gabon. « Mes espérances se
fondent sur le caractère de ces peuples et sur les dispositions qu’ils nous ont manifestées.
Douceur, affabilité, sont les heureux traits de leurs caractères…78 ». La non pratique de
la langue locale était en effet le principal handicap ; cependant le vœu des deux hommes
restait celui d’implanter solidement et au plus tôt la religion catholique au Gabon. Le Père
Bessieux estimait d’ailleurs que le meilleur moyen d’y parvenir, était de passer par les
écoles : « Il faudrait des écoles pour l’un ou l’autre des deux sexes. Les protestants
américains ont une école avec des annexes, mais on y apprend l’anglais »79. Cette lettre
était l’une des toutes premières qu’il adresse au VP Libermann.

Il faut en effet souligner ici que la volonté qu’affirmait le Père Bessieux à ouvrir
une école était également partagée par la population. Très tôt, les missionnaires avaient
fait comprendre aux autochtones la nécessité pour eux de s’instruire. Dans une de ses

78
Monseigneur Barron, cité par le Père Morel in Naissance d’une Eglise, p 10.
79
Père Gaston Pouchet : Vieux Gabon, vieilles missions, essais et souvenirs, document dactylographié.
40
lettres, le Père Bessieux s’adresse à son supérieur en ces termes : « Me voici dans le
sixième mois de mon séjour au Gabon. Je n’ai rien reçu depuis notre arrivé en Afrique
Monseigneur ne m’a donné aucune nouvelle, aucun ordre. Je n’ai que la bonté de Dieu
qui me console et me fortifie. Ici, je n’ai pas encore le bonheur de pouvoir répandre la
semence évangélique. Je ne connais pas assez la langue pour instruire. Dès les premiers
jours, je vis qu’il n’y avait rien à faire avec le français. Voici cinq mois que je cherche à
connaître une langue simple et facile et je ne la connais pas encore Je manque d’un
homme qui connaisse le français pour m’expliquer sa langue. J’ai d’ailleurs mauvaise
mémoire. Je commence à pouvoir dire quelque chose. J’espère, avec la grâce de Dieu,
qu’à la fin de l’année je pourrais leur parler sur toutes les choses nécessaires. J’agis mon
Père, comme si j’étais sûr que vous me devez laisser toujours ici et que bientôt je verrai
de zélés missionnaires encourager et soutenir nos pas languissants. Le pays ici n’est pas
malsain, personne n’est mort au poste…nous retirer après un premier essai malheureux,
ce serait, il me semble, manquer à Dieu et à ces pauvres peuples…80 ». Dans cette lettre,
deux aspects sont saisissables : d’une part la volonté du missionnaire à continuer son
action tout en situant les nombreuses difficultés, notamment la non maîtrise d’une, ou des
langues locales, d’autre part il évoque aussi la possibilité de recevoir un renfort, c’est à
dire l’apport d’autres missionnaires dans cette entreprise qui s’annonçait déjà difficile81.
Nous voyons bien que les missionnaires portent dans leurs prières toute l’espérance de
cette « Eglise naissante ». Pendant les longues journées qu’ils passent alités par la fièvre,
ils méditent sur leur situation. Ils savent qu’ils ne peuvent espérer de renfort au plus tôt.
Cette affirmation est confirmée par le fait que les nombreuses lettres envoyées par le Père
Bessieux à ses supérieurs n’ont jamais eu de réponse ; d’où, l’inquiétude qui se faisait
grandissante82. Très vite, ils en arrivent à la conviction qu’ils sont embarqués dans une
entreprise sans issue si de nouveaux missionnaires ne viennent pas leur secours. Selon sa
tendance à douter de lui-même, le Père Bessieux se culpabilise, il imagine de fausses
raisons à ce silence, mais finalement l’ardeur apostolique l’emporte sur les interrogations
qu’il formulait. Selon toutes vraisemblances, le VP Libermann avait répondu mais ses
lettres s’étaient toutes perdues83. Comme les évangélisations antérieures, celle-ci risque de
connaître un échec. Il faut qu’elle soit prise en charge par des sociétés de religieux, qui

80
Archives CSSP, Boite 23, « Lettre du Père Bessieux du 12 mars 1845 ».
81
En débarquant dans l’estuaire du Gabon, en 1844, les missionnaires catholiques ont rencontré les quatre
peuples qui l’occupaient alors : d’abord les Mpongwe, puis les Sékyani, les Benga et les Bakwélé. Cf carte
sur la répartition des peuples du Gabon en introduction générale.
82
A peine arrivé au Gabon, Jean Rémy Bessieux écrit six lettres au Père Libermann. Ses six lettres confiées
aux commandants des bateaux qui faisaient escale au Fort d’Aumale, n’arrivèrent jamais à Neuville, les
seules lettres étaient celles de Mgr Barron qui avait annoncé la maladie et le rapatriement du Frère Grégoire.
83
Gérard Morel : op. Cit. p 36
41
peuvent assurer une continuité lorsque leurs membres, individuellement, sont déficients,
ou peu suffisants. En juin 1845, arrive enfin la première lettre du Père Bessieux. A
l’occasion, le VP Libermann envoie son homme de confiance, le Père Schwindenhammer,
à Rome pour y rencontrer Mgr Barron. Celui-ci ayant démissionné, le Vicariat des Deux
Guinées84 est confiée à la congrégation du Saint Cœur de Marie85. Jadis préfecture
apostolique, « le Vicariat Apostolique des Deux Guinées » fut créé le 3 octobre 1842, à la
suite de la nomination de Mgr Barron comme Vicaire apostolique, le 28 septembre
184286.

Face à l’urgence, Rome comprend que seule une congrégation religieuse peut
sauver l’œuvre, remplacer les morts, continuer dans le même esprit. « Le navire entrait
dans la rivière du Gabon à dix heures du soir. Le Commandant par une délicatesse qu’on
ne saurait trop louer, fit porter les lettres à onze heures du soir, à M. Bessieux, qui n’était
pas encore couché. Ce bon Père s’en fut réveiller Grégoire et ils s’en furent à la chapelle
lire leurs lettres à genoux devant le très saint Sacrement. Que de larmes de joie coulèrent.
Ils n’avaient reçu aucunes nouvelles de France, ni de la congrégation depuis presque
deux ans. Ils croyaient la société dissoute et ils apprenaient par leurs lettres que, au
contraire, elle était très florissante ; plus, que de nouveaux confrères venaient à leur aide.
Ils se mirent à chanter le magnificat en action de grâce. Il était minuit, peu importe : ils
continuèrent le reste de la nuit à causer de toutes les bonnes choses87 ». Les lettres reçues
par les deux hommes constituaient en effet un espoir pour les renforts. Il est évident que
seuls, ils ne pouvaient pas faire ni espérer grand-chose. Au pire, l’évangélisation se serait
limitée à la seule zone du Fort d’Aumale.

84
« Deux Guinées » Au XIXè siècle, au sud du Sénégal, en dehors des côtes, l’Afrique était totalement
inconnue. Elle était divisée en deux régions aux limites imprécises : la Guinée supérieure ou septentrionale,
qui s’étendait du Sénégal jusqu’au Congo et la Guinée inférieure ou méridionale, qui comprenait le Congo.
Le Gabon faisait partie de la Guinée supérieure.
85
Archives CSSP, Boite 165. Souvenons nous que c’était une issue que Monseigneur Barron envisageait de
longue date surtout après l’abandon des territoires britanniques. Celui-ci dépassé par les événements, peu à
peu marginalisé, avait écrit à Libermann dès le 08 février 1844 : « Je ne me promets pas une longue vie, ça
sera à vous de continuer cette Mission de la côte occidentale de l’Afrique ». Cf. Gérard Morel in Jean Rémy
Bessieux et le Gabon…p. 202.
86
Archives CSSP, Boite 165, « Les Deux Guinées ».
87
Archives CSSP, Boite 167, « Frère Pierre, 1863 ».
42
+ A G % D / 7 8

# ! ! - & "

« Le saint », « le grand ami de Dieu »88, c’est ainsi que le vieil évêque Bessieux était
appelé par les habitants de Libreville, pendant les dernières années de sa vie.
Spontanément, témoins de son intense vie de prière, de sa bonté, de son infatigable ardeur
au travail, y compris le travail manuel, les Librevillois avaient su l’apprécier.

Au début de l’année 1846, les premiers renforts arrivent. En effet, le 17 janvier


1846, le Père Briot de la Maillerie et le Frère Grégoire Théophile arrivent au Gabon. Ils
viennent rendre une courte visite aux deux seuls missionnaires. Le Vénérable Père
Libermann déclare à ce sujet : « Nous regardons le Gabon comme la position principale
et nous mettrons tout le zèle possible pour le pourvoir de missionnaires89 ». Ces arrivées
ne contribuent en rien à rassurer le Père Bessieux étant donné que les deux religieux
envoyés au Gabon ne sont porteurs que de quelques nouvelles du supérieur de la
congrégation. Il est possible que les tristes descriptions des aventures missionnaires ne
rendent plus possible le nouvel élan apostolique en ce milieu du XIXè siècle ; beaucoup
de religieux hésitent désormais à partir d’Europe pour l’Afrique. Sans chercher à verser
dans le sentimentalisme, il faut pourtant reconnaître que c’est plutôt une énorme
motivation qui réside dans l’esprit du fondateur de l’Eglise catholique au Gabon.
Conscient de la difficulté, il reste cependant très optimiste. Nous en voulons pour preuve
ce qu’il déclare quelques mois après son arrivée : « Nos épreuves ne doivent pas

88
Archives CSSP, Boîte 166, « Notes sur le Père Bessieux ».
89
Lettre du Père Libermann du 21 décembre 1845, in Gérard Morel, Le Père Bessieux et le Gabon…p.203.
43
décourager ceux qui désirent venir travailler au salut des âmes,…pour aller leur porter la
connaissance d’une religion qui peut les rendre heureux90 ».

Les nombreux appels aux renforts restés sans succès amènent les deux religieux à
estimer qu’il fallait non seulement se rendre indépendant de l’administration mais aussi de
la congrégation. A partir de ce moment, les deux missionnaires estiment que l’un d’entre
eux se doit de repartir en Europe pour chercher des sociétés religieuses sans lesquelles il
ne peut y avoir d’évangélisation durable et prospère : pas de Mission sans communauté !
Cette conviction va être servie par certaines circonstances car le Père Bessieux, tombé
gravement malade et épuisé, doit quitter le Gabon le 22 décembre 1846. Le médecin exige
qu’il reparte en Europe. Dans un sens, ce voyage fut doublement bénéfique car, non
seulement il va revenir au Gabon avec des Sœurs, mais aussi avec une élévation au rang
d’évêque91.

& *
On parle d’éveil de la Mission à partir du moment où l’entreprise missionnaire
commence véritablement à prendre racine. Face au manque de soutien de la part de la
congrégation, le Père Bessieux et son assistant repoussent le travail pour lequel ils avaient
été mandatés par Mgr Barron, c’est à dire l’évangélisation du Gabon. Il est possible que
ce premier échec s’explique par le fait que seuls les religieux soient partis pour l’Afrique
sans les Soeurs. Pourtant, il se trouve qu’en 1842, des congrégations de religieuses
existaient déjà dont celle dirigée par Emilie de Villeneuve. En réalité, le Vénérable Père
Libermann éprouvait quelques inquiétudes quant à envoyer des Sœurs au Gabon. Certes,
il fallait faire venir des sœurs, mais il était certainement imprudent de les envoyer en
Afrique avant que l’on ne soit sûr de ce qui se passe dans le pays d’accueil. Il fallait que
les missionnaires soient bien établis dans le pays afin d’instruire de ce qui s’y passe.
Envoyer des sœurs aussi loin sans savoir ce qu’elles deviendraient les inquiétait.

Pourtant, le Père Bessieux avait déjà pris l’initiative de mettre le VP Libermann


en relation avec la fondatrice de la congrégation des Sœurs de l’Immaculée Conception de
Castres. Pendant toute l’année 1843, jusqu’au départ de Bordeaux des premiers religieux,
le projet hante déjà les esprits : il faut faire partir des sœurs en même temps que des
prêtres pour la même destination. Si nous pensons que cette initiative était presque

90
Archives CSSP ; Boite 23 et 146, « Lettre du Père Bessieux du 12 mai 1844 ».
91
Le Père Bessieux est ordonné évêque le 14 janvier 1849. Le 17 février, il s’embarque à Toulon, avec les
premières sœurs pour le Gabon.
44
impossible pour les raisons déjà évoquées plus haut, il n’en demeure pas moins de la
nécessité pour les actions d’envoyer des sœurs en Afrique pour l’évangélisation. Mais
pourquoi des Sœurs ?

Dès les origines de l’Eglise, il y eut des hommes et des femmes qui voulurent, par
la pratique des conseils évangéliques, suivre plus librement le Christ et l’imiter plus
fidèlement et qui, chacun à sa manière, menèrent une vie consacrée à Dieu. Beaucoup
parmi eux vécurent dans la solitude ou fondèrent des familles religieuses que l’Eglise
accueillit volontiers et approuve de son autorité. A partir de là se développe une variété de
sociétés religieuses92. L’idée d’envoyer une congrégation de religieuses pour s’occuper
des femmes et pour faire les œuvres sociales s’impose. C’est ainsi qu’en février 1849, le
Père Jean Rémi Bessieux s’embarque avec les premières religieuses à destination du
Gabon. Elles arrivent dans l’Estuaire le 12 octobre 1849 et s’installent à Quaben93, mais Il
fallait aussi construire des maisons solides pour abriter tout le monde : on décide
évidemment de séparer les prêtres d’avec les religieuses. La construction des locaux qui
devaient abriter les missionnaires était une tâche dévouée à l’administration coloniale94.
En 1849, les missionnaires sont définitivement placés dans leur nouvelle maison
préfabriquée, venue d’Angleterre. L’administration coloniale les aide aussitôt à s’installer
décemment95 : la construction des maisons est confiée à l’administration en vertu d’une
convention relative à l’envoi et l’entretien des missionnaires en Afrique (Cf. note annexe
n°.1). A la suite de l’arrivée des religieuses, on assiste à la fondation de plusieurs missions
aussi bien dans l’Estuaire que dans certaines régions de la côte.

92
Vatican II : Perfectae caritatis
93
Gérard Morel, Naissance d’une Eglise, op. cit. p 37.
94
Confère article 7 sur la convention de l’envoi et l’entretien des missionnaires en Afrique. Voire annexe.
95
Jacques FONTANA : L’implantation du catholicisme au Gabon, in Annales de l’Université nationale du
Gabon n° 1, Nancy, 1977.
45
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Ainsi, dès 1849, le Père Jean Rémy Bessieux, aidé par le Père Le Berre arrivé au
Gabon le 22 décembre 1846, visite plusieurs villages de la Mondah96. Cette même année,
ils fondent la Mission du Cap Estérias qui sera abandonné dix ans plus tard. Les
missionnaires vont sillonner jusqu’au Rio Benito qui deviendra plus tard la Guinée
Equatoriale. En 1850 est fondée la Mission de Grand Bassam, mais elle sera abandonnée
en 1852. En 1851 est fondée la Mission Saint Jacques à Chinchoua dans l’Estuaire : elle
ne tiendra pas une année entière, pourtant Monseigneur Jean Rémy Bessieux attachait une
grande importance à cette fondation qui, pour lui était une première étape de pénétration
vers l’intérieur du pays. En 1852, une communauté est créée à la Pointe Denis ; elle
n’aura qu’une seule année d’existence.

Comme on peut le constater, la plupart des missions mises en place soit étaient
abandonnées quelques années plus tard, soit périclitaient totalement. Les missionnaires
sont alors conscients de l’ampleur de la tâche qui les attend : mis à part le fait qu’il
manquait du personnel dans les missions créées, les moyens matériels mis en œuvre pour
la poursuite de l’œuvre missionnaire faisaient défaut. En 1854, après un nouveau repos en
Europe, Monseigneur Bessieux, de retour au Gabon, ressent douloureusement les échecs
successifs. Ce découragement se vérifie dans la vie quotidienne. De facto et de plus en
plus, les missionnaires s’abandonnent à eux-mêmes et s’adonnent à d’autres activités.
Ainsi, le Père Jean Rémy Bessieux s’oriente désormais vers la culture de la terre97, car
selon Gérard Morel98, la culture de la terre serait apparemment une tradition familiale : les

96
Région de l’actuel Cocobeach dans la province de l’Estuaire.
97
Joseph NGOMO, La vie et l’œuvre de Monseigneur Jean Rémy Bessieux au Gabon 1844-1876, mémoire
de Licence d’Histoire, Libreville, 1984.
98
Gérard Morel, Jean Rémy Bessieux et le Gabon, op cit. P. 203.
46
Bessieux sont cultivateurs, viticulteurs, éleveurs de moutons et de chèvres, une tradition
qui s’est succédée de père en fils.

Le manque de renfort laisse sous entendre que l’œuvre n’était bien pensée à
l’avance. On est même en droit de se demander si l’arrivée des missionnaires au Gabon
trouve sa seule explication dans le désir d’évangéliser le pays. A cette préoccupation,
nous avons voulu connaître les raisons lointaines ou immédiates qui conditionnèrent
l’arrivée des missionnaires au milieu du XIXè siècle. Qu’est ce qui explique l’arrivée des
missionnaires dès 1844 sur les côtes de l’estuaire du Como ?

! #
La présence de la France au Gabon découlait d’une manière générale de la
nouvelle orientation politique de la France dans les années 1840 sur la côte d’Afrique.
Dans la rivalité avec l’Angleterre, il s’agissait de créer des points d’appui pour la flotte et
de favoriser les entreprises commerciales. Cette nouvelle orientation politique et
économique fut aussi soutenue par une cause humanitaire, notamment la lutte contre les
négriers. Au milieu du XIXè siècle, l’entreprise missionnaire ne se distingue pas plus de
la conquête coloniale : le colonial et le missionnaire ont en commun le fait d’être Blancs
et les représentants d’une même civilisation conquérante, et, partant d’une même
domination, les services qu’ils se rendent réciproquement sont nombreux. La colonisation
vient à la rencontre de l’idéal missionnaire en s’affirmant civilisatrice. Action
missionnaire et colonisation se retrouvent ainsi inextricablement liées durant de
nombreuses années, même si à un moment donné, on note quelques décalages dans les
relations entre les deux institutions, mais cela n’enlève rien au fait que la colonisation et
l’Eglise se sont mutuellement apportées une aide considérable. En règle générale, il
convient de supposer que le manque de renfort en prêtres était la raison principale du
retard dans l’établissement des clergés autochtones en Afrique, au Gabon notamment.
Mais par ailleurs, il faut reconnaître que l’évangélisation du Gabon n’avait certainement
pas été pensée à l’avance99, ce qui explique logiquement le manque de renfort en prêtres,
qui arrivent très souvent au compte goutte plusieurs années après l’installation de Jean
Rémy Bessieux au Gabon. L’arrivée du Père Jean Rémy Bessieux et du jeune Frère
Grégoire en terre gabonaise résulte beaucoup plus d’un concours de circonstance. Nous y
apportons un éclaircissement dans les lignes qui vont suivre.Toutefois, pour ce qui est des

99
Dans les lignes précédentes, page 40 notamment, nous voyons bien que la destination finale des
missionnaires, c’est à dire le Gabon est en réalité la conséquence d’une implantation non réussie dans les
premiers territoires occupés jadis par les missionnaires.
47
circonstances proches ou immédiates, il faut dire que plusieurs causes en effet peuvent
expliquer le débarquement des missionnaires au Gabon en 1844. Ce serait en réalité une
erreur de penser que seule l’envie de christianiser les Africains animait les nombreuses
congrégations religieuses européennes au milieu du XIXè siècle ; d’autres raisons plus
pertinentes entraient en ligne de compte. Il y a en effet trois motivations particulières qui
expliquent cette arrivée dans les années 1840. Il y a naturellement les causes religieuses
qui existent mais elles sont plus ou moins en accord avec d’autres motivations. Il y a en
effet l’idéalisme (fin de l’esclavage, rivalité protestante…) qui semble marquer cette
arrivée. Notons ensuite les causes stratégique avec la règle des trois « C100 » puis enfin les
causes politico économique et géopolitique.

! #
Selon l’idéologie missionnaire de l’époque, le commerce des esclaves avait ruiné
l’Afrique, celui-ci fit du continent noir un théâtre de misère et de répugnance : aussi
convenait-il d’arracher à Satan la race « méprisée » et de déposer dans ce continent les
fondements du bonheur (paix et amour du prochain) qui conditionnent la croyance en
Christ101. Tel était le message que véhiculaient les principales congrégations religieuses
au sujet de l’abolition de la traite des Noirs. Ce faisant, les Africains étaient également
considérés comme des êtres vivants dans l’ombre et qui n’ont ni culture ni civilisation.
Christianiser et civiliser deviennent dès lors les mots d’ordre des missionnaires. Cette
motivation religieuse est également favorisée par une compétition intense opposant les
catholiques aux protestants. En 1842, lorsque les missionnaires protestants arrivent au
Gabon, ils ne sont rejoints que deux années plus tard par les missionnaires catholiques.
Entre temps, les protestants avaient déjà largement eu le temps de gagner du terrain. Face
à cette concurrence l’Eglise catholique décide à son tour d’envoyer des missionnaires
catholiques dans un premier temps au Libéria, pays qui avait été très marqué par la traite
négrière. Par ailleurs, on peut dire qu’en un certain sens c’est le détachement des sociétés
européennes par rapport à la foi chrétienne qui conditionna le renouveau missionnaire de
l’époque romantique coloniale. L’aventure missionnaire est aussi une réponse à la crise
des élites européennes. En effet, beaucoup d’historiens s’accordent pour expliquer la
dynamique d’expansion outre-mer du XIXè siècle, en partie du moins, par une volonté de
compenser au loin le terrain perdu par l’Eglise dans les pays d’ancienne chrétienté102 .

100
Commerce, Christianisation, Civilisation.
101
Mba Allogho, op. cit. p 12
102
Bernard SALVAING, “Le paradoxe missionnaire”, dans Revue d’Histoire moderne et contemporaine, t.
XXX, 1983, p. 271-282, cité par Jean Pirotte p. 37.
48
Ainsi, la deuxième « première évangélisation » comme nous le soulignions plus
haut, est à mettre en relation avec la fin de l’esclavage. Le point de départ des
missionnaires était l’Europe en passant par le Libéria et le Sénégal. En effet, dès 1815
après le Congrès de Vienne, toutes les nations occidentales décident de lutter contre
l’esclavage103. Les abolitionnistes s’organisent donc en sociétés philanthropiques avec
une forte présence des protestants Américains qui fondent avec les esclaves libérés le
Libéria en 1821. Sur place, les résultats sont spectaculaires et l’œuvre d’évangélisation
protestante gagne du terrain. Les catholiques américains décident à leur tour de ne pas
rester étrangers à ce mouvement d’évangélisation. En 1833, des évêques réunis en un
concile provincial à Baltimore aux USA adressent une supplique au Pape pour qu’une
mission catholique soit envoyée au Libéria et ils suggèrent que celle-ci soit confiée aux
Jésuites. Ne voyant rien venir, ils écrivent de nouveau en juillet 1834 en réitérant leur
demande ; cette énième requête s’avéra nulle. Ainsi, l’Eglise de Baltimore se décida
finalement à envoyer ses propres fils en Afrique. Dans cet élan, ils lancent un appel à leur
diocèse en 1840. Deux prêtres et un catéchiste répondent à cet appel : il s’agit d’Edward
Baron (40 ans), John Kelly (39 ans) et Denis Pindar (catéchiste). Avec eux, ils amènent
30 esclaves libérés qui vont s’installer au Libéria après quarante jours de voyage au Cap
Palmas. Lorsque Edward Baron est consacrée évêque de la Sénégambie, il décide de
rentrer à Rome en 1842 afin de rendre compte de sa mission et pour trouver de nouveaux
missionnaires. Mais après des démarches infructueuses en Italie et en Espagne, il se
décide de se rendre en France. C’est alors qu’il fait la connaissance du Vénérable Père
Libermann qui venait lui aussi de fonder une société missionnaire pour l’évangélisation
des Noirs. C’est à l’issue de l’accord conclu entre les deux hommes que plusieurs
missionnaires français vont répondre à l’appel de Mgr Baron et vont s’embarquer pour
l’Afrique le 13 septembre 1843 à bord du voilier les Deux Clémentine. C’est donc à partir
du Libéria, en passant par Gorée que l’évangélisation catholique va progressivement
gagner la plupart de tous les pays côtiers de l’Afrique de l’ouest et Centrale.

103
En réalité, l’abolition de la traite des Noirs fut différemment appliquée par les pays européens. La France
ne se résigna au droit de visite qu’en 1831, tandis que le Portugal n’admit l’illégalité de la traite qu’au nord
de l’équateur. L’interdiction n’a été généralisée qu’en 1836, mais elle demeure théorique.
49
!! #
Pour ce qui est des raisons stratégiques, nous notons que l’arrivée des
missionnaires était aussi favorisée par des circonstances extérieures à l’Eglise. Il convient
tout simplement de parler d’une réévaluation et d’une redécouverte du Gabon par la
France. En effet, l’Europe et particulièrement la France, désire mettre un terme au
commerce des esclaves : aussi, le principe libéral de s’accorder le droit de visite fut
remplacé par la procédure plus scrupuleuse de la vérification du pavillon pour arrêter les
négriers104. Ces causes stratégiques qui reposaient sur l’idéologie fondamentale des
spiritains « sauver les nègres », mettaient en pratique la théorie de ce qu’il conviendrait
d’appeler les trois C : commerce, civilisation et christianisation. Les causes stratégiques
peuvent aussi être appréciées sous un autre angle. En s’embarquant pour un territoire
inconnu comme l’Afrique, la France par l’entremise de ses officiers de marine est
consciente des dangers qui peuvent guetter ses représentants. Selon eux, ils risquaient de
faire face à des peuples nouveaux qu’ils estimaient barbares et certainement sauvages.
Afin d’éviter de se faire lyncher, ils font appel aux missionnaires qui proclament la paix et
l’amour du prochain, mettant ainsi les explorateurs à l’abris du danger105. C’est d’ailleurs
dans ce sens que Léopold II, le Roi des Belges organise en 1883 à Bruxelles une
conférence internationale devant débattre du problème des explorations106. Au cours de
cette conférence, le roi des belges prononce un discours à l’endroit des prêtres devant se
rendre au Congo : « Révérends Pères et chers compatriotes, la tâche qui vous est confiée
est très délicate et demande beaucoup de tact. Prêtres, vous allez certes pour
l’évangélisation, mais celle-ci doit avant tout s’inspirer à nos propres intérêts. Le but
principal de votre mission au Congo n’est point d’apprendre aux nègres à connaître Dieu
car, ils le connaissent déjà. Ils parlent et se soumettent à un mundi, un mundu, un
diakomba et que sais-je encore…votre rôle est de faciliter la taches aux administratifs et
aux industriels. Pour ce faire, veuillez désintéresser nos sauvages Noirs des richesses
dont regorgent leur sol t sous sol pou éviter qu’ils ne nous fassent un concurrence
meurtrière et qu’ils rêvent un jour à nous déloger avant qu’on s’enrichissent. (…)C’est

104
Hervé ESSONO MEZUI, op. cit. p 46
105
Donatien MBA ALLOGHO, op. cit. p 12
106
Au cours de cette conférence, les représentants des pays occidentaux décident d’entreprendre des
démarches auprès du Saint Siège pour l’envoi des missionnaires en Afrique. Mais bien avant, une
convention est signée en 1843 entre le gouvernement français et le Révérend Libermann, père des spiritains
pour l’envoi des missionnaires en Afrique dont la France convoite les produit économiques Avec l’accord
du Saint Siège, la congrégation de Libermann s’engage à pourvoir des prêtres dans les comptoirs d’Assinie,
du Sénégal et du Gabon.
50
dire donc que vous interpréterez l’évangile de façon à mieux protéger nos intérêts dans
cette partie du monde…107 ».

Deux analyses possibles peuvent être faites de ce discours. Primo les


missionnaires de par la mission qui leur était confiée, pouvaient être considérés comme
des agents indirects de la colonisation, ce qui était le contraire des missionnaires
protestants. En cela, le discours du Roi des Belges n’est en rien différent des instructions
que le Père Libermann donnait à ses missionnaires : « Vous seconderez en tout temps
l’œuvre de l’administration coloniale chaque fois que votre conscience vous le
recommandera. Nous aussi avons le devoir d’implanter la culture et la civilisation
française chez ces peuples d’Afrique…108 ». Secundo, l’autre interprétation que nous
pouvons tirer du discours de Léopold II est que celui-ci recommande même une
déformation du message biblique. La tâche d’évangélisation qui était la leur, pouvait être
mise à défaut et l’on est en droit de se poser la question de savoir si les missionnaires ont
ensuite favorisé la mise en place des clergés autochtones. Cette question qui constitue l’un
des fondements de notre problématique nous permet en effet d’énoncer une réponse à
priori. Les missionnaires n’ont pas toujours favorisé la mise en place du clergé
autochtone, ce point de vue fera l’objet d’une analyse ultérieure.

Ainsi les missionnaires français devaient asseoir l’influence de la Métropole ; à


son tour l’administration se devait donc de favoriser le déplacement et l’installation des
religieux comme en témoignent ces paroles du ministre de la marine française en 1843 :
« …Dans son rapport du 28 juin dernier, le Comte de Mauléon, en vous invitant à la
création du comptoir du Gabon, m’a annoncé qu’il lui paraîtrait d’une sage et bonne
politique de faire venir dans le pays, le plutôt possible quelques religieux des deux sexes.
Au reçu de cette lettre, donnez des ordres pour l’installation dans chaque comptoir d’un
local destiné à la mesure des prêtres et des religieuses…109 ». L’étroitesse des relations
entre les missionnaires et l’administration coloniale trouve ses origines au Gabon dès ces
premières années.

107
Discours prononcé par Léopold II, roi des Belges devant les missionnaires devant se rendre an Afrique
en 1843, in Afrique nature, n° 005, octobre 1994, p.11.
108
ANG, carton n° 4045 « Notes sur l’Eglise catholique du Gabon ».
109
Ministre Makan, cité par J. FONTANA, p.79
51
!& # # #
En énumérant les circonstances qui favorisèrent l’élan missionnaire dans la
seconde moitié du XIXè siècle, nous notons également les circonstances politiques : les
nations occidentales, pensant imposer leur hégémonie dans le monde, obligent des pays
jusque là fermés ou très réticents à ouvrir leurs frontières à l’action missionnaire ; ailleurs,
elles assument elles même le pouvoir politique et instaurent un régime colonial où les
missions chrétiennes, notamment catholiques viennent s’insérer. Dans les cas du Gabon,
c’est donc tout naturellement que la France fait appel aux missionnaires catholiques110.
En soi, il apparaît logique pour l’administration qu’il n’y a rien d’anormal à ce que
l’Eglise profite de circonstances politiques favorables pour aller de l’avant dans sa
mission évangélisatrice. Il n’y a rien d’anormal non plus à ce que les puissances politiques
usent de leur influence pour faire régner la liberté religieuse.

Cette absence de rivalité entre Etat et Eglise est rappelée lors de la conférence de
Berlin, (novembre 1884- février 1885), organisée par le chancelier Bismarck afin d’établir
les règles qui devaient présider à la colonisation de l’Afrique. Lors de celle-ci, les nations
européennes (Allemagne, Belgique, France, Angleterre, Portugal…) signent un texte
stipulant que « toutes les puissances exerçant des droits de souveraineté dans les dits
territoires…protégeront et favoriseront, sans distinction de nationalité et de cultes, toutes
les institutions et entreprises religieuses, scientifiques et charitables…les missionnaires
chrétiens, les explorateurs…seront également l’objet d’une protection spéciale »111.

Les raisons économiques ne sont pas à exclure dans la conquête des missionnaires
en Afrique. Au début du XIXè siècle, l’Afrique était considérée comme un « eldorado »
caché qu’il fallait nécessairement ouvrir au commerce, à la colonisation et à la
civilisation, d’où les accords signés entre les explorateurs français et les chefs côtiers
gabonais (Dowé, Glass, Quaben…). Il est aussi possible de penser que les Etats européens
colonisèrent l’Afrique principalement pour plusieurs raisons : d’abord avoir de nouveaux
marchés où écouler leurs produits, ensuite pour trouver une source régulière de matières
premières, enfin pour investir leur surplus de capital et pour garder leur prestige et leur
puissance.

Le Gabon constituait un territoire certain en approvisionnement de matières


premières (caoutchouc, ivoire, or etc.) non encore exploités. On comprend aisément que
110
Il s’agit des missionnaires du Saint Cœur de Marie.
111
Extrait du traité d’accord entre les Nations européennes. MBA ALLOGHO, p. 18.
52
l’Afrique et le Gabon n’ont intéressé la France que pour leurs richesses, c’est d’ailleurs la
raison pour laquelle la France voulut échanger le Gabon contre la Gold Coast dont les
fournitures en produits économiques étaient plus importants, et caractéristiques de
l’impérialisme français112.
& * " #
« Messieurs les missionnaires, (tout en demeurant placés sous la juridiction
spirituelle et la discipline ecclésiastique des évêques in pertibus ou vicaires apostoliques
ayant une action sur eux, à raison de leur résidence respective), auront à rendre compte
de leurs travaux à l’autorité coloniale, avec laquelle, dans l’intérêt du service et pour le
succès de l’œuvre religieuse elle même. Ils auront à entretenir des relations aussi suivies
que possibles…113 ».

Le VP Libermann éprouva quelques scrupules à la lecture de cet article et


demanda au Directeur des colonies le 18 novembre 1844 « un correctif qui exprime
purement et simplement que ce compte rendu par les missionnaires ne les soumet en
aucune façon à leur pouvoir quant aux spirituelles »114. Voici résumé l’article 10
concernant l’envoi et l’entretien des missionnaires devant se rendre au Gabon. A leur
arrivée dans l’Estuaire, les missionnaires sont supposés avoir un chef hiérarchique qui
était l’administration coloniale. Toutefois, les rapports entre les missionnaires et le
pouvoir colonial ont énormément évolué dans le temps. On ne peut avoir une vision
simple et globale des liens de l’action missionnaire et de l’entreprise coloniale. Aussi,
vers la fin du XIXè siècle, l’action missionnaire manifeste des réticences sinon des
velléités de rejet au sujet de compromissions qu’imposerait une liaison trop étroite avec la
colonisation.

Deux événements majeurs peuvent accentuer ce désir de distance vis à vis de


l’emprise de l’autorité coloniale. Il y a d’abord la séparation de 1905. En effet, la
dégradation des rapports entre l’Eglise et l’Etat en France a suscité une certaine prise de
position de la part des missionnaires en service au Gabon qui finirent, d’une façon plus ou
moins claire, par se débarrasser de leur étiquette d’instrument du pouvoir colonial115.
C’est à partir de ce moment que les missionnaires vont de façon ouverte critiquer la

112
CAOM, série Gabon/Congo, côte XXVIII, “Projet d’évacuation du territoire du Gabon par la France en
1875”. Aussi, MBA ALLOGHO, op. Cit. p 12
113
Article 10 sur la convention de l’envoi et l’entretien des missionnaires au Gabon.
114
Archives CSSP, Boite 146, « Lettre du 18 novembre 1848 ». Libermann respecta cette idée dans
plusieurs autres lettres.
115
Léandre Assa Mboulou, op cit. p. 159.
53
politique de l’administration dans le cadre de la gestion de la colonie. En 1906,
Monseigneur Jean Martin Adam116 estime qu’il faut se rendre totalement indépendant de
l’administration. En effet, les missionnaires sont désormais soucieux d’habiter dans leurs
propres maisons117, décision qui rentre totalement en contradiction avec la convention
signée entre le Père Libermann et le pouvoir colonial118. Il y aura ensuite l’époque de la
décolonisation où l’on découvre bien souvent les dangers d’une symbiose trop étroite
entre missions et colonisation et qui incite à une constante distinction. Mais quoi qu’on
puisse en dire, le missionnaire est, de facto, avec l’administrateur, le soldat et le
marchand, le représentant de l’Europe et de la France conquérante119.

& * #
#
Les missionnaires catholiques qui débarquent au Gabon en 1844 sont pour la
plupart d’entre eux des ressortissants français et à ce titre ont des devoirs envers leur pays.
Mais au delà de l’aspect purement patriotique, ces derniers comptent mener à bien leur
mission d’évangélisation avec les moyens matériels et financiers dont la plus grande
partie provient des subventions de l’Administration coloniale120. Autant dire tout de suite,
que leur marge de manœuvre semble, dès le départ, assez réduite, surtout en ce qui
concerne les questions primordiales liées à l’organisation de la colonie du Gabon121. Dans
bien des cas, la Mission a été à l’avant garde de la colonisation au Gabon, soit que le
soucis de protéger les missionnaires ait servi de prétexte à une intervention parfois
brutale, soit que la Mission ait été le point de départ ou le point stratégique d’une
mainmise économique, puis politique.

Du temps de la « bonne entente » avant la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les


missionnaires en tout temps ont souvent eu recours à l’administration comme en témoigne
cet extrait : « Par une lettre en date du 23 juin 1878 dernier, Mgr Leberre, supérieur de la
Mission, nous a demandé de bien vouloir lui venir en aide pour couvrir en partie les
dépenses d’acquisition et d’installation qui ont été nécessitées par la construction d’une
école des sœurs à Lambaréné…je vous propose d’accueillir en principe le vœu de Mgr
116
Jean Martin Adam est le quatrième évêque résidentiel au Gabon après Jean Rémy Bessieux. Il reste en
fonction de 1897 à 1914.
117
CAOM, AEF, 5D/87 « Affaires religieuses et influence des Missions 1828-1854 ».
118
Il s’agit de l’article 6 qui prévoit la construction des locaux des missionnaires par le pouvoir colonial
(Voir annexe N°1).
119
Pierre GUILLAUME, Le monde colonial XIXè-XXè siècle, Armand Colin, Paris, 1999.
120
Annexe N°1, Voir articles 3 et 8 sur la convention pour l’envoie et l’entretien des missionnaires devant
se rendre au Gabon.
121
ASSA MBOULOU, op. cit. p159.
54
Leberre. Toutefois, devant votre situation budgétaire et devant les dépenses déjà
considérables que nous avons inscrites au chapitre culte et instruction publique, je crois
qu’il y a lieu de faire exception de cette demande pour la nouvelle école… »122. Toutefois,
il faut souligner que toutes les demandes n’ont pas toujours reçues de réponses favorables.
Voici pour exemple une lettre administrative adressée au Père Lejeune, Supérieur de la
Mission de l’Ogooué, le 16 juillet 1896 : « En me faisant connaître votre intention
d’ouvrir une école professionnelle à Ndjolé dont le but est d’enseigner aux populations de
l’Ogooué, vous avez fait appel aux services financiers du département. J’ai l’honneur de
vous informer que le budget du département ne prévoit aucun crédit qui puisse être
affecté à des entreprises de cette nature. J’ai recommandé votre intéressant projet à toute
la sollicitude du Gouverneur local123 ». Mais le soutien est acquis. Ces deux extraits de
lettre donnent une idée de la « bonne entente » qui prévalait entre missionnaire et
colonisateur. Cependant, des points de désaccord pouvaient apparaître entre eux.

&!
La solidarité de race qui lie le missionnaire au colonisateur n’a nullement empêché
les heurts et l’affirmation d’objectifs différents. Le colonisateur a parfois été très défiant
vis à vis du missionnaire considéré parfois comme un élément perturbateur. Missionnaire
et colonisateur sont deux termes apparemment différents dans leur terminologie mais
aussi dans leur signification ; cependant, il n’en demeure pas moins que le prêtre blanc et
le colon ont entretenu, durant de nombreuses années, une entente bien cordiale. Pourquoi
de la coexistence pacifique on en arrive parfois au désaccord ? Nous allons nous contenter
ici de noter certains points de divergence.

Pour mieux comprendre les relations conflictuelles qui sont nées entre
colonisateurs et missionnaires, il faut remonter à l’année 1875, lorsqu’il était question, de
la part de la France d’abandonner le comptoir du Gabon124. Devant cette situation, les
missionnaires notamment Jean Rémy Bessieux se sont montrés intransigeants. Malgré le
fait que le territoire du Gabon reste préservé par la France, il ressort de cette altercation
une méfiance réciproque des deux parties. Monseigneur Bessieux avait publiquement
refusé d’obtempérer aux ordres de la Métropole. On peux dire que si le Gabon avait été

122
CAOM, Gabon-Congo, côte X, dossier 1 et 1bis. « Lettre du Directeur de l’Intérieur du Gabon à
Monsieur le Lieutenant gouverneur ».
123
CAOM, Gabon Congo, Côte X 1. Il ressort qu’une subvention de 20.000 F/ an a été accordée à ce projet
par la suite. Dossier VII.
124
Nous y consacrons un large résumé sur ce problème dans le chapitré consacré aux premières difficultés
de l’Eglise du Gabon. Voir note 3 concernant le projet d’abandon du comptoir du Gabon.
55
évacué complètement et non échangé contre la Gambie, il n’eut pas été perdu pour autant
pour la France puisque Grand Bassam et Assinie qui avaient été abandonnés à cette même
époque, sous la garde d’un Résident, furent réoccupés sans trop de difficultés. Il faut relire
toute la littérature spiritaine pour mieux appréhender ce conflit entre missionnaires et
administration coloniale. La vérité est que ce conflit a largement contribué à influencer les
relations qui existaient alors entre les missionnaires et les fonctionnaires de
l’administration. En effet, ces actes et paroles prêtées à Mgr Bessieux et le cours de
l’histoire donnaient une sorte de légitimité aux missionnaires en poste au Gabon, à
intervenir dans les grandes décisions pour la colonie, ce qui n’était pas nécessairement le
cas dans les autres colonies françaises125 et qui était diversement apprécié par les
administrateurs.

Le conflit qui oppose la Mission à l’administration coloniale à partir de 1875 est


certainement l’élément qui détermine véritablement une détérioration des relations entre
les deux institutions, il n’est pas le seul. Bien avant cette date, on note déjà quelques
conflits moins négligeables. Dans plusieurs cas, les missionnaires ont souvent été les
premiers à s’opposer à une colonisation systématique, dans le but de « protéger les
indigènes ». Car contrairement à ce qu’on croit, le colonialiste n’a jamais sérieusement
favorisé la conversion religieuse du colonisé. Les relations entre l’Eglise catholique et le
colonialisme sont donc plus complexes qu’on ne l’affirme. Si l’Eglise a beaucoup aidé la
colonisation, cautionnant ses entreprises, lui donnant bonne conscience, contribuant
parfois à la faire accepter par le colonisé, ce ne fut pour elle qu’une alliance temporaire et
profitable dans la mesure où la colonisation en retour lui accordait certains privilèges et
moyens aux missionnaires126.

&&
En analysant minutieusement la situation entre les deux parties, il ressort
clairement que la situation d’entente et d’entraide d’une part, et le climat d’indifférence,
de passivité devant les abus et les exactions des uns et des autres d’autre part, ne pouvait
que perdurer, alors même que la Mission et la colonisation semblent à la plupart des
hommes de l’entre-deux guerres deux entreprises complémentaires vouées à s’allier. Car

125
Sauf pour le Sénégal où les spiritains se sont méfiés d’une autre histoire que l’on racontait alors, selon
laquelle ce serait à la Mission catholique qui, la première, se serait installée à Dakar, précédant ainsi de dix
ans l’administration civile et fondant ainsi la future capitale de l’A.O.F.. Mais évidemment, les
missionnaires n’ont pas continué dans cette voie.
126
Cf. convention sur l’envoi et l’entretien des missionnaires devant se rendre au Gabon (document en
annexe).
56
aucune religion civilisatrice et organisée ne pouvait s’installer continuellement dans
l’apolitisme, puisque toute religion vise à transformer les mentalités et à orienter la
société selon ses principes doctrinaux. Dans bien des cas, la collaboration s’est avérée
illusoire, voire provisoire car la logique de la Mission n’est pas celle de la colonisation127.
En effet, face à l’implication de plus en plus grande de l’administration dans le quotidien
des autochtones, l’Eglise entendait jouer un rôle un peu plus protecteur et renoncer à toute
influence sur les populations locales eut été pour elle un véritable suicide. Enfin l’Eglise
catholique ne partageait pas les mêmes convictions que l’administration dans beaucoup de
domaines comme le droit matrimonial, la politique scolaire128, entre autres. Tous ces
points de divergence vont essentiellement constituer la pomme de discorde entre les deux
institutions129.

Forts de leur influence et de la « sympathie » que beaucoup d’entre eux avaient


capitalisée auprès des autochtones, les missionnaires estimeront avoir le droit d’intervenir
en faveur des autochtones devenus depuis lors leurs protégés. Dans bien des cas, les
missionnaires ont parfois dénoncé certains abus de l’administration coloniale, notamment
les mauvais traitements dont faisaient l’objet certains autochtones. Il n’était pas rare de
voir certains agents de l’administration fouetter les indigènes lorsqu’ils étaient victimes
soit de paresse ou de « vol ». Ces mauvais traitements étaient souvent dénoncés par les
missionnaires130. Evidemment, les missionnaires en protégeant les indigènes et en
décidant d’interférer dans les décisions prises par l’administration coloniale ne pouvaient
continuer d’agir ainsi sans se risquer à heurter la sensibilité et l’hostilité des agents de
l’administration. Il est vrai que les missionnaires reprochaient aux autres européens du
comptoir leur mauvaise conduite à l’endroit des indigènes. Il est tout aussi vrai que les
marins, connus pour leur détachement du christianisme, ne comprenaient pas toujours
l’attitude des missionnaires dont ils interprétaient mal les paroles. Voici ce que Mgr Jean
Rémi Bessieux dit à ce propos : « Vous avez mal interprété mes sentiments en croyant que
j’ai l’aigreur dans l’âme et la haine envers les Blancs. C’est une grande erreur car j’aime
les Blancs (…), je ne déteste que le désordre et l’irréligion »131Dans le cas précis du
Gabon, la tentation des missionnaires était bien grande. Il fallait dès lors continuer à
127
Ss la dir. Claude PRUDHOMME : Une appropriation du monde Missions et Missions XIXè XXè siècles,
Publisud, Lyon, 2004, 254 pages.
128
A ce sujet, c’est la langue d’usage à l’école qui les oppose pour la première fois. Les missionnaires, dont
le Père Bessieux, estimaient dès 1845 qu’il fallait mettre un accent particulier sur les langues locales.
L’administration s’y oppose quelques années plus tard en décidant que les cours devaient uniquement se
faire en langue française.
129
Léandre ASSA MBOULOU, op. cit. p. 237.
130
ANG, carton n° 187 portant surveillance de l’administration coloniale sur les missionnaires.
131
Archives CSSP, Boite 173, Lettre de Mgr Bessieux au Commandant Parent.
57
étendre leur influence auprès des populations et, cela passait nécessairement par
l’extension des campagnes d’évangélisation dans les endroits les plus reculés du pays afin
de bien occuper le terrain et en même temps tenter de transformer les lois et coutumes
locales en leur faveur. Ainsi, les relations entre les deux institutions vont continuer à
s’alimenter autour de cette lutte d’influence jusqu’en 1875, date du véritable premier
conflit entre l’Eglise et l’administration coloniale. Pourtant, malgré cette ambiguïté voire
cette ambivalence sur le fait missionnaire que l’Eglise catholique tend à s’installer
progressivement dans le pays.

++ #
A travers les lignes qui vont suivre, nous voulons montrer de quelle façon le
catholicisme s’est progressivement propagé dans le pays et quels étaient les moyens dont
disposaient les missionnaires pour parvenir à leurs objectifs c'est-à-dire de doter
progressivement le pays de structures qui permettent d’asseoir la nouvelle religion et
surtout à terme, former un clergé local. Nous entendons également mesurer les effectifs
missionnaires en ce milieu du XIXè siècle ce qui nous permet de voir quels furent les
premiers obstacles à une évangélisation hésitante. Ensuite nous verrons quel est le rôle du
personnel missionnaire parfois insignifiant dans d’évangélisation tant dans l’Estuaire que
dans les autres régions du pays, quelles sont les méthodes employées par les
missionnaires pour convaincre les autochtones et comment s’expliquer les nombreuses
conversions des autochtones en ce milieu du XIXè siècle.Sans doute s’agit-il d’une tâche
difficile, voire impossible, car on ne peut sonder ni les intentions profondes des convertis
ni les cheminements éventuels des missionnaires pour obtenir les conversions, mais nous
souhaitons néanmoins souligner que plusieurs méthodes ont été adoptées pour obtenir des
conversions.

#
La première et certainement la meilleure méthode pour répandre une nouvelle
religion en pays de Mission passe nécessairement par la mise en place des stations
d’évangélisation. Les missionnaires catholiques au Gabon ne faillirent pas à la règle et, à
ce sujet, les propos du Révérend Père Trilles ne sont que révélateurs : « Soucieux de
répandre au plus vite la nouvelle religion, le Père Bessieux parcouru dès 1845 toute la
côte en vue d’une installation d’une autre mission catholique…132 ». Cela consistait dans
un premier temps à effectuer des tournées pastorales ; en effet, la fréquentation des

132
DOCATGAB, Rev. Père Trilles, op. cit. p 148
58
autochtones fut une méthode qui porta ses fruits, car elle a été à l’origine de la création de
plusieurs stations missionnaires, d’autant qu’elle se doublait de la politique des cadeaux
inaugurée par les colons mais bien reprise par les missionnaires. Le Père Pouchet dit à ce
sujet : « …Monseigneur Bessieux entretenait de bons rapports avec les rois Louis et
Quaben à qui il offrait souvent des cadeaux, parfois des statuettes ou des plantes de son
jardin. En revanche, les rois n’hésitaient pas à lui confier l’éducation des enfants de leurs
villages133… ». En réalité, il s’agissait de convertir les chefs, des conversions qui se
diffuseraient dans la société du haut vers le bas. Toutefois, d’autres mécanismes furent
employés par les missionnaires afin de répandre la religion catholique. En premier on note
l’ascendant psychologique que les missionnaires pensaient avoir sur les autochtones. En
effet, les prêtres avaient pris conscience de la grande « impressionnabilité » et de la
sensibilité des Noirs. Aussi les missionnaires donnaient-ils un côté très festif et de pompe
aux cérémonies religieuses organisées dans les villages134. Cette dimension protocolaire
sera d’ailleurs exploitée aussi bien par les catholiques que par les protestants135.

La mission catholique n’hésitait pas à présenter les peuples autochtones comme


facilement « christianisables », en tout cas c’est ce qui ressort dans certains témoignages
tel celui de Monseigneur Béné qui soulignait que plus que la simple curiosité profane, ces
populations avaient « une très bonne disposition pour notre religion »136. Toutefois, cette
lecture de la personnalité de l’autochtone n’était pas partagée par tous, notamment
certains agents de l’administration qui n’y voyaient là qu’une simple curiosité de la part
des Noirs137. En effet, l’autochtone, entre autres le peuple fang, considérait l’homme
blanc comme quelqu’un qui était venu l’instruire, le soigner, en somme, un bienfaiteur.
Cette vision était entretenue par certains missionnaires qui à l’instar du Révérend Père
Trilles vont cultiver un esprit de mystère auprès des Noirs. En effet, ils vont tenter de leur
faire croire que les missionnaires étaient dotés de pouvoirs exceptionnels plus puissants
que ceux du sorcier noir. Pour cela, le RP Trilles avait dans ses bagages une petite
seringue pour les soins d’urgence, il fit croire à ceux qui l’entouraient qu’il avait à sa
disposition un puissant fétiche, plus dangereux qu’un fusil, pouvant atteindre une cible à
distance. Naturellement, les Noirs n’y croyaient pas car la plupart d’entre eux y voyaient
un moyen de dissuasion et de peur. Mais pour prouver ses dires, le RP Trilles n’hésitait

133
DACATGAB, Père Gaston Pouchet, Vieux Gabon, vieilles missions, essais et souvenirs, document
dactylographié.
134
DOCSSP, BG, « Père Gachon à la maison mère1875-1880 ».
135
Léandre Assa Mboulou, op. cit. p.213.
136
DOCSSP, BG, « Père Gachon à la maison mère1875-1880 ».
137
Idem
59
pas à passer à l’action. Un jour, il attrapa un chien, lui posa discrètement une boulette de
viande empoisonnée dans la bouche. Le chien, au bout de quelques mètres, s’arrêta, le
missionnaire fit actionner sa seringue magique pleine d’eau, le chien tomba raide mort ! A
la stupéfaction générale, à commencer par le « Ngil »138 lui-même. Le lendemain à
l’occasion d’un cours de catéchisme, le Révérend Père Trilles insistait de nouveau : « Je
vous ai bien fait comprendre qu’il ne faut pas confondre sorcier noir et sorcier
139
blanc ».

A l’instar de l’ascendant psychologique, les missionnaires eurent recours à


d’autres méthodes car, si l’on a pu à juste titre noter le fait que les missionnaires
exploitaient la confiance et l’estime des Noirs pour les amener à accepter la religion
catholique, il n’en demeure pas moins que les missionnaires ont parfois usé de la
contrainte. A ce titre, ils recoururent à d’autres arguments : l’accès à l’école et aux soins
et aux dispensaires étaient autant de moyens de chantage afin d’obtenir des
conversions140. L’attrait exercé sur les populations autochtones par les services offerts
(écoles, dispensaires, hôpitaux) et, plus concrètement, par l’infrastructure matérielle de la
mission (transports, biens d’équipement et de consommations), étaient autant de moyens
qui ont conditionné l’attrait des Noirs pour la nouvelle religion.

Ainsi, au début de leur ministère, les missionnaires allaient donc profiter de cette
disposition, de cette naïveté et de cette malléabilité des populations pour asseoir le
catholicisme au Gabon. Avec des méthodes pour le moins critiquables, il apparaît évident
que l’adhésion au catholicisme ne se faisait pas toujours avec conviction. Nous en
voulons pour preuve la méthode des cadeaux employée par les missionnaires. La
corruption prenait déjà racine dans ces premières formes d’attitude car les chefs se
sentaient presque obligés d’accorder certaines faveurs aux missionnaires en contre partie
de quelques biens. De façon évidente, si l’évangélisation du Gabon était une priorité
incontestable pour les missionnaires, il va sans dire que toutes les méthodes pour rallier
les autochtones étaient forcément bonnes pour eux. Mais toutes ces méthodes et stratégies
employées par les missionnaires ont eu pour conséquence immédiate la création des

138
Chez les Fang, le « Ngil » constitue une sorte de société secrète qui avait à sa disposition une police
tribale chargée d’exécuter les sentences prononcées lors des séances plénières du Ngil. Les missionnaires et
l’administration coloniale s’étaient élevés contre cette pratique qui décimait la population avec son lot de
condamnations à mort.
139
DOACTGAB, Rev. Père Trilles op. cit. p. 186.
140
Voir chapitre II sur les réalisations de la Mission (œuvre sociale).
60
premières missions dans le pays que nous distinguons ici en deux phases : d’abord les
missions dans l’Estuaire, ensuite dans l’intérieur du pays.

Du temps de l’arrivée des premiers explorateurs, le pays tout entier n’était connu
qu’à travers la région de l’Estuaire et particulièrement Libreville141. Celle-ci constituait le
point d’entrée de toutes personnes pénétrant au Gabon. Le Père Bessieux, arrivé le 28
septembre 1844, fut installé dans une petite case à côté du Fort d’Aumale, endroit
d’infortune où va commencer son apostolat. De facto de 1844 à 1905, l’évangélisation ne
concerne qu’une partie du Gabon, notamment la région de l’Estuaire du Como. Le
catholicisme pendant cette période n’a jamais dépassé les limites de l’actuelle province de
l’Estuaire. Dans l’espace, cette expansion correspond aux limites du rayonnement de
Sainte Marie142. Les raisons de ce retard sont nombreuses. Dès 1845, le Père Bessieux
cherche à asseoir la nouvelle religion dans tout le pays et sillonne toute la côte en vue de
l’installation d’une station missionnaire143. L’entreprise ne semblait pas du tout aisée car
de nombreux obstacles se posaient à lui. Il y a d’abord l’hostilité de certaines populations
qui ne regardaient pas toujours d’un bon œil cette pénétration étrangère à l’opposé du
premier avis des missionnaires. De plus, l’entreprise paraissait plus difficile dans la
mesure où le Père Bessieux n’avait personne pour le seconder. Il faut aussi noter les voies
d’accès qui dans certains endroits étaient impraticables, sans compter la nocivité du climat
et l’agressivité du milieu physique. Certains explorateurs décrivent d’ailleurs les terres
tropicales en des termes d’apocalypse. La conclusion apportée à ces évocations d’horreurs
est que les terres tropicales sont impropres à la survie de l’homme blanc. Toutefois, cette
option catégorique s’est progressivement nuancée ; on considère la survie du blanc
comme possible, au prix de précautions multiples dont les plus essentielles sont la
brièveté du séjour et le respect d’une hygiène personnelle extrêmement stricte. Il n’en
demeure pas moins que les grandes maladies restent invaincues et parmi elles, la fièvre
jaune. Toutes ces raisons ont contribué certainement à retarder considérablement l’œuvre
d’évangélisation aussi bien dans l’Estuaire mais surtout dans le reste du pays. Nous
verrons aussi que d’autres facteurs s’ajoutent en ce qui concerne ce retard. Ces facteurs
étaient généralement liés au maintien des stations en éveil.

141
Libreville, appelée aussi « plateau », n’est composé durant cette période que d’esclaves libérés dépendant
directement du commandant du poste au Gabon.
142
André NDOND ONDO et Joseph LENDJOUNGOU FOUTA, L’évolution de la Mission catholique
Sainte Marie (1844-1905), mémoire de Licence Histoire, UOB, Libreville, 1984.
143
DOCATGAB, Rev. PèreTrilles, op. cit. p 21.
61
En 1844, le Père Jean Rémy Bessieux fonde donc la mission Sainte Marie de
Libreville, qui devait ensuite constituer le principal centre d’expansion du catholicisme144.
Au départ, une première chapelle est construite en planche. Incendiée le 24 décembre
1848, les missionnaires songèrent alors à construire quelque chose en dur ; en 1864, la
nouvelle église est achevée145. A cette époque, c’était un monument long de trente mètres
sur dix de large, réalisée par l’œuvre des Frères et des apprentis mais c’est en 1958 que
Monseigneur Jean Jérôme Adam146 fera construire la nouvelle cathédrale en prenant soin
de ne pas détruire le patrimoine culturel national, que constitue la première église du
Gabon de 1864147. Il faut dire que Sainte Marie a toujours été le centre administratif du
Vicariat Apostolique, puis de l’Archidiocèse.

Le ministère en dehors de Libreville, était administré par les prêtres dont la


résidence se trouvait à Saint Joseph148, à l’emplacement des bâtiments de l’actuel Centre
Pour les Apprentis de Libreville. Cette situation a perduré jusqu’en 1864, date à laquelle
Sainte Marie est devenue paroisse avec comme curé le Père Mayor149.

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144
A. NDONG ONDO et J. LENDJOUNGOU FOUTA, op. cit. p 18
145
Jacques Hubert, op. cit. p 22.
146
Monseigneur Adam (Jean Jérôme) est le septième vicaire apostolique de l’Eglise catholique au Gabon, le
premier archevêque du diocèse du Gabon.
147
Idem
148
C’est une école professionnelle proche de sainte Marie où on formait des menuisiers, des charpentiers,
des forgerons, des cordonniers, des tailleurs, des maçons…dans la suite, on formera également des
boulangers dont le pain était fourni par l’administration coloniale.
149
A. NDONG ONDO et J. LENDJOUNGOU FOUTA, op. cit. p20.
62
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Sainte Marie devait constituer pour les missionnaires un véritable point


d’organisation. En effet, outre le centre d’évangélisation, la mission devait être un lieu
d’apprentissage. Aux alentours des centres comme celui du CPA, on pensait aussi à
cultiver la terre. Voici ce qu’écrivait le Marquis de Compiègne lors de son passage à
Libreville : « Alors que personne n’a su jusqu’ici rien tirer du sol du Gabon si riche
cependant, les Pères comptent par centaine dans leurs plantations des arbres fruitiers
(avocatiers, arbres à pain, goyaviers, mandariniers, orangers, bananiers…ils ont
commencé la culture du cacao dans leurs grandes plantations…s’ils pouvaient en faire du
commerce, ils les vendraient à n’importe quel prix. »150. A cette première infrastructure,
ajoutons sur une petite élévation, à l’emplacement de l’ancien Fort d’Aumale, un hôpital
autochtone géré par un Frère infirmier : il recueille gratuitement de petits orphelins, de
vieux esclaves abandonnés mais aussi de malades souffrants de toutes sortes d’infirmités,
que l’on nourrissait, soignait, instruisait. A Sainte Marie, les premiers manœuvres
engagés par la mission furent des gens du pays, ensuite des Loango. Ils étaient chargés
d’exécuter des gros travaux : embarquement et débarquement des personnes, des bagages
et des marchandises à bord des voiliers ou des paquebots151. Aux alentours les
missionnaires se montraient inquiets par la présence d’animaux dangereux ou autres bêtes
féroces, des pythons, des vipères mais aussi la probable présence de panthères152. C’est
face à cette insécurité que les missionnaires étaient réticents quant à l’évangélisation des

150
DOCATGAB, Marche de Compiègne, cf. l’Afrique Equatoriale, document dactylographié.
151
Raponda WALKER, Souvenirs d’un nonagénaire, ed. Les classiques africains, Versailles, 1993.
152
Idem p. 33.
63
zones trop éloignées de Sainte Marie. Cependant, cette insécurité ne constituait pas
toujours un obstacle majeur. Le zèle missionnaire est certainement à mettre à l’actif des
efforts déployés par les missionnaires pour apporter la nouvelle religion dans le reste de
la région de l’Estuaire. Dès 1849, on note la création de stations missionnaires dans les
alentours de la maison mère, Sainte Marie.

En 1849, Saint Joseph des Benga voit le jour au Cap Estérias ; cette région avait
pourtant la réputation d’être très hostile à toute pénétration missionnaire. Les Pères
Bouchet, Clément, Poussot y travaillent jusqu’en 1855, date à laquelle ils durent quitter
les lieux suite aux mauvaises dispositions des Benga153 à l’initiative des protestants contre
les missionnaires catholiques154. En effet, les protestants avaient pris une avancée
considérable sur cette partie de l’Estuaire du Como. C’est en raison de cette concurrence
que les missionnaires catholiques décidèrent de s’y implanter car cette région constituait
également un emplacement assez stratégique et les missionnaires en étaient conscients155.
En 1877, le chef des Benga en la personne de Vané réclame le retour des missionnaires,
ce qui fut fait. Lors de la messe du 3 août 1877, et l’homélie du Père Gachon, le chef des
Benga entouré de ses collaborateurs répondit au Père : « C’est notre désir à tous que vous
veniez ici pour nous instruire, nous apprendre à connaître Dieu…aux protestants
américains, j’ai répondu que nous voulions être catholiques et non protestants »156. Mais
devant la diminution de la population et aussi face aux problèmes récurrents du manque
de prêtres pour le maintien des stations en éveil, il fallut bien fermer la Mission de Saint
Joseph des Benga.

153
Outre les Fang, les Benga sont une des nombreuses composantes ethniques qui habitent la région du Cap
Estérias.
154
Jacques Hubert, op. cit. p 34.
155
La région du Cap Estérias était considérée comme un merveilleux lieu de repos et de prière. Il fallait
donc chercher à en avoir le contrôle.
156
Jacques Hubert, op. cit. p 34.
64
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Du Cap Estérias, les missionnaires, par la mer et par les rivières sillonnent de
nombreux villages de la côte et de la Mondah, ils vont même jusqu’au Rio Benito aux
alentours de la Guinée espagnole. Notons que la plupart de leurs déplacements sont
entièrement pris en charge par l’administration coloniale157. Ainsi, en 1850, la Mission de
Grand Bassam est fondée par le Père Klaine puis elle est abandonnée en 1852 pour faute
de personnel. En 1851, La Mission Saint Jacques voit elle aussi le jour. En 1852, une
autre Mission est créée chez le Roi Denis et prend le nom de Saint Thomas. En 1853, on
fonde Saint Benoît de Glass. Toutes ces Missions ont une particularité : elles ne restent
pas en éveil plus d’une année et les échecs sont ressentis douloureusement par les
missionnaires. En effet, le manque de prêtres oblige les stations à fermer prématurément
leurs portes. On pense même à laisser péricliter l’œuvre d’évangélisation.

En 1876 après la mort de Monseigneur Bessieux, l’œuvre d’évangélisation est


reprise par son successeur, Monseigneur Le Berre158. Ce dernier avait assisté à tous les
échecs de fondations entrepris par Mgr Bessieux. Il prend la direction du Vicariat alors
que la plupart des explorations de l’Ogooué et de tout l’intérieur du pays sont achevées. Il
réalise cependant le rêve de Mgr Bessieux, celui de pénétrer l’intérieur du pays. En 1878,
avant de s’aventurer véritablement dans l’intérieur du Gabon, Mgr Le Berre parcourt

157
Cf. article 5 de la convention qui autorise les missionnaires à voyager gratuitement à bord des navires ou
autres bateaux de l’Etat.
158
Mgr Le Berre est le deuxième Vicaire apostolique du Gabon. En 1868, il devient administrateur du
Vicariat des Deux Guinées. Il administre le Vicariat de 1878 à 1891.
65
d’abord certaines zones de l’Estuaire. La création de la Mission Saint Paul de Donguila
est à mettre à son actif. En effet, Donguila est une localité située à quelques kilomètres de
Libreville. En 1880, le mérite revient au Père Delorme159 qui en fait une station modèle
ave maison d’habitation pour les Pères et les sœurs. La Mission Saint Paul offrira au
Gabon son premier évêque, Mgr François Ndong160. La liste de création des Missions que
nous avons présenté plus haut n’est pas exhaustive mais elle témoigne néanmoins de
l’importante œuvre d’évangélisation entamée dans le pays. La carte ci-dessus en est
l’illustration.

159
Le Père Delorme a été un grand fondateur de missions au Gabon. A lui seul, il en a fondé trois : Saint
Paul de Donguila (1878), la première mission chez les Fang, nouvellement établie sur l’Estuaire ; Saint
François Xavier de Lambaréné chez les Galoa (1880), après une expédition dans l’Ogooué et la Ngounié à
la suite de M. de Brazza ; et Saint Benoît le Maure au Rio-Bénito, chez les Kombes (1884) ; il avait ouvert
celle de Saint Joseph des Bengas, au Cap Estérias vers 1882.
160
Mgr Ndong est le premier évêque du Gabon, ordonné en 1964.
66
Carte n°5 : Les stations missionnaires dans l’Estuaire

67
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Il faut reconnaître que le développement des voies de communication a donné aux


missionnaires la possibilité d’aller au-delà de Libreville et des ses environs. Avec la
participation des explorateurs français, les missionnaires embarquent gratuitement à bord
des navires français et eurent ainsi la possibilité de fonder de nouvelles stations
d’évangélisation. La première Mission créée dans l’intérieur du pays est Saint François
Xavier de Lambaréné. Dès leur arrivée en 1880, les premiers missionnaires y trouvent des
anciens élèves de Sainte Marie. Le 19 décembre 1880, le Père Delorme achète un terrain
pour y installer la Mission. Les populations environnantes en l’occurrence les Galoa
participèrent à cet effort de construction. Une première case de douze mètres sur six
constitue dans un premier temps les fondements de la nouvelle station. Le Père Lejeune161
est à l’origine des nouvelles constructions. En 1894, on note au sein de cette Mission la

161
Le Père Lejeune arrive au Gabon en 1885. Travailleur acharné, il organisait des écoles, installait des
catéchistes dans les principaux villages des bords de l’Ogooué et des lacs avoisinants qu’il visitait
régulièrement, apprenait le galoa et le fang où il rédigea des ouvrages dans ces langues.
68
présence d’une maison d’habitation et d’une école pour les petits garçons162. Après la
création de cette Mission, on remarque chez les missionnaires le désir ardent d’aller de
l’avant. Il fallait en effet tout faire pour évangéliser tout le pays. Selon eux, l’expansion
du catholicisme devait se faire selon les principales voies de communications que
constituaient les cours d’eau du fleuve Ogooué163.

En 1883, l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza prit dans son bateau les Pères
Davezac et Bichet pour remonter l’Ogooué. C’est à la suite de cette expédition qu’ils
fondent en mars 1885, la Mission Saint Pierre Claver de Lastourville164. En 1887, plus
précisément le 6 mars, les Pères Buléon et Bichet débarquent à la pointe Igoumbi pour y
acheter un terrain. Le Père Buléon confiera la nouvelle Mission à Sainte Anne165. La
création de cette Mission, établie dans le Fernand Vaz, a une particularité. En effet, c’est
sur demande de la population elle-même que cette dernière a été créée : les populations
Nkomi auraient demandé à recevoir la présence de missionnaires, ils adressent une lettre
à l’évêque qui précisait ceci : « …nous avons constaté par expérience qu’un pays sans
missionnaire ne peut être ni bon ni prospère. Nous avons résolu de nous adresser à votre
grandeur et à votre Révérence, afin qu’elle ait la bonté de nous envoyer un missionnaire
qui nous enseigne la parole sainte, car nous promettons que cette parole de salut sera
conservée dans tous nos cœurs…166 ». Cette lettre laisse supposer que les autochtones
prenaient conscience de la présence de la nouvelle religion mais aussi de la nécessité de
l’adopter dans leurs comportements et mœurs quotidiennes.

Après la création de la mission Sainte Anne du Fernand Vaz, les missionnaires


explorent d’autres parties du Gabon. Successivement, ils créent deux nouvelles stations :
une à Mayumba167 et l’autre à Sette Cama. En 1888, sur ordre de Mgr Carrie, le Père
Stoffel explore la région de Mayumba et installe la mission au bord de la lagune Banio.
Cette région est très particulière car elle va avoir des résultats très rapides au point de vue
de l’évangélisation. Les longues tournées dans les villages, à pied, en pirogue le long de la
lagune ou plus tard en automobile, l’internat des garçons, le couvent des filles composent
le lot des grandes réalisations dans cette mission. Mais Mayumba est connu par son
162
Jacques SIMA, La Mission catholique saint François Xavier de Lambaréné de 1881 à nos jours,
mémoire de Licence Histoire, UOB, Libreville, 1981.
163
A. Ndong Ondo et J. Lendjoungou, op. cit. p 53.
164
Idem.
165
Jacques Hubert, op. cit. p 36.
166
ANG, carton n° 4045. « Notes sur l’Eglise catholique du Gabon ». Cette lettre a été écrite par un chef
local en la personne de Jean Benga, le 13 février 1887.
167
Géographiquement, la région de Mayumba à cette époque faisait partie du Gabon. Du point de vue
apostolique, elle dépendait du royaume du Loango dont Mgr Carrie était l’évêque lors de sa création.
69
séminaire, petit et grand à partir de 1954. En 1909, on dénombrait déjà un peu plus de 230
chrétiens dans cette mission168. Sous la houlette des Pères Stoffel (1888-1894), Joseph Le
Mintier (1896-1906), Alfred Garnier (1906-1915), Emile Baraban (1921-1928), Joannes
Molager (1928-1935), l’Abbé Henri Tchibassa (1935-1943), et surtout du Père Henri
Heidet 1935-1970), Mayumba connut non sans difficultés son heure de gloire et de
renommée169.

Pour terminer avec les Missions crées à l’intérieur du pays, nous ne saurons passer
sous silence la création de la Mission de Sette Cama en 1890. Cette mission est souhaitée
car, à l’instar de la mission Sainte Anne du Fernand Vaz, ce sont les villageois eux-
mêmes qui ont demandé à recevoir les missionnaires chez eux. En effet, en décembre
1890, le chef du village de Sette Cama demande la création d’une école pour son village.
Face à cette demande, Mgr Carrie dépêche le Père Ussel qui obtint un terrain de 200
hectares pour la construction d’un bâtiment qui devait abriter une école et une mission.
Par la suite et dans l’ordre de création, on note d’autres missions comme Saint Cœur de
Boutika en 1895, Saint Michel de Ndjolé en 1897, Notre Dame des Trois Epis de Sindara
en 1899…

Toutes ces Missions peuvent laisser supposer que le catholicisme, à défaut d’avoir
gagné tout l’intérieur du pays, s’était plus ou moins bien implanté au Gabon puisque de
1845 à 1905, plusieurs stations sont créées aussi bien dans l’Estuaire que dans d’autres
localités du pays. Un fait est cependant à remarquer : toutes ces stations ne restent pas
longtemps en activité. Après leur création, beaucoup étaient souvent abandonnées. Le
manque de prêtres pour leur maintien en éveil explique très largement ces échecs. En
effet, les quelques missionnaires envoyés au Gabon préféraient rester à Sainte Marie ou
aux alentours de la maison mère. Beaucoup estimaient que l’intérieur du pays n’offre pas
des conditions propices de vie. Aussi, face à la trop grande insécurité, il était mieux pour
eux de s’abstenir à rester trop longtemps parmi les autochtones. Aussi, l’idée apparaît de
plus en plus grande de confier certaines charges apostoliques aux autochtones. En effet, le
manque chronique de personnel dans les missions incitait les missionnaires à former des
dirigeants locaux dont la tâche sera uniquement de seconder le prêtre blanc car il leur
paraissait trop dangereux de confier plus tard les responsabilités du ministère sacerdotal à

168
Jacques Hubert, op. cit. p 36.
169
Idem.
70
des hommes récemment évangélisés170. Aux yeux des missionnaires, le Noir devait rester
un subalterne, et sa tâche devrait être bien limitée. Par ailleurs et paradoxalement, on
pensait aussi que seuls les autochtones pouvaient mieux communiquer avec leurs frères
nouvellement évangélisés, d’où la nécessiter des catéchistes. Il faut néanmoins noter
qu’en dépit du manque de personnel dans les stations nouvellement mise en place par les
missionnaires, l’œuvre d’évangélisation pouvait être appréciée à sa juste valeur. En effet,
on note de 1845 à 1905, une grande progression du nombre de baptisés sur l’ensemble de
la population de la colonie du Gabon. En 1905, pour une population estimée de 600000
habitants171, le nombre des baptisés est aux environs de 8300 personnes172.

Concernant les méthodes d’évangélisation, comme nous le signalions


précédemment se sont déroulées sans heurts. Certes, les missionnaires ont quelques fois
employé la ruse ou la corruption pour amener les autochtones à accepter le baptême173.
Mais il n’a jamais été question d’une évangélisation par la force. Le tableau qui suit
présente une évolution de la population catholique du Gabon de 1844 à 1905.

170
Ss la dir. de, R.Aubert…Des missions étrangères aux Eglises locales, in Nouvelle Histoire de
l’Eglise…op. cit. p. 430.
171
Ces chiffres sont discutables si l’on tient compte de la traite négrière qui a énormément contribué à
décimer la population du pays. Ils peuvent en effet être vus à la baisse comme à la hausse.
172
ANG, carton n° 4015 « Notes sur le Vicariat apostolique du Gabon ».
173
Michel ASSOUMOU NSI, L’Eglise catholique au Gabon, de l’entreprise missionnaire à la mise en
place d’une Eglise locale (1844-1969), mémoire de DEA d’histoire contemporaine, Bordeaux 3, 2002.
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Le tableau ci-dessus nous donne une idée de l’évolution de la population


catholique au Gabon de 1844 à 1905. Les effectifs affichés ne donnent pas la différence
entre le nombre d’hommes et de femmes baptisés au Gabon durant cette époque. Cette
différence aurait été importante et nous aurait donné la possibilité de jauger qui des deux
sexes accepte le plus rapidement la nouvelle religion. Nous pouvons néanmoins constater
que de 1844 à 1905, les chiffres sont en constante progression. A travers le graphique ci-
dessous, cette progression est mieux perceptible. Il va s’en dire que le dynamisme des
Missions créées à l’intérieur du pays est à mettre à l’actif de cette évolution

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Evolution de la population catholique de 1844 à 1905

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Nombres
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Années

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En définitive, la fondation des missions catholique au Gabon se déroula en trois


grandes phases. La première phase, de 1844 à 1876, se caractérise par la fondation des
missions sur le long de la côte de l’Estuaire. La seconde phase allant de 1876 jusqu’à la
veille de la première guerre mondiale, correspond à des fondations de missions à
l’intérieur des terres, le long des cours d’eau. La troisième et dernière phase allant de
1914 à 1945, a vu le développement de l’Eglise.La carte ci-dessous nous permet de situer
l’implantation géographique des stations missionnaires du pays, aussi bien dans l’Estuaire
que dans le reste du Gabon.

73
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74
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Par nature, l’Eglise est destinée à étendre le règne de Christ à toute la terre pour la
gloire de Dieu le Père, à faire participer tous les hommes à la rédemption salutaire et à
ordonner réellement, par eux, le monde entier au Christ174. Toute activité du corps
mystique qui est orientée vers cette fin est nommée apostolat, apostolat que l’Eglise
exerce par tous ses membres, de diverses manières cependant ; en effet, la vocation
chrétienne est aussi, par nature, vocation à l’apostolat. Aux apôtres et à leurs successeurs
a été confiée par le Christ la charge d’enseigner, de sanctifier et de gouverner en son nom
et en vertu de son pouvoir. Mais les laïcs, devenus participants de la fonction sacerdotale,
ont eux aussi assumé leur part dans la mission du peuple de Dieu. Une question qui a
souvent été posée aux missionnaires est celle-ci : comment procédez-vous pour
évangéliser vos immenses contrées…que faites vous en pratique ? Pour beaucoup de
missionnaires sinon pour tous d’ailleurs, la première chose à mettre en pratique était
l’usage de la langue locale, chose qui n’était pas toujours facile car les peuples du Gabon
à cette époque n’avaient pas d’écriture. Aussi, l’alphabet européen paraissait insuffisant
pour transcrire exactement les dialectes avec leur consonantes gutturaux ou nasals. Pour
les missionnaires, il a fallu créer des caractères conventionnels. Pour ce faire, les
missionnaires ont été heureux de se servir de la méthode de transcription phonétique
enseignée naguère dans les collèges de France par l’Abbé Rousselot, et qu’un
missionnaire du Saint Esprit, modeste savant lui aussi, en l’occurrence le Père Charles
Sacleux, a adapté aux idiomes africains175. Cette méthode a rendu beaucoup de services
aux missionnaires en poste au Gabon et dans certains autres territoires de l’AEF.
Apprendre la langue pour connaître les peuples autochtones était indispensable. Il faut
tenir compte du fait que les missionnaires ne travaillaient pas sur des types abstraits mais
réels. La plupart des missionnaires qui arrivaient en Afrique, et particulièrement au Gabon
avaient malheureusement des idées préconçues sur les Noirs. Mais si on ne se met pas à
l’étude des langues locales, c’est la Mission qui était faussée dès le départ, ce que
reconnaît le Père Jean Remi Bessieux: « Quand on commence à connaître l’indigène, à
savoir un peu sa langue qu’on manipule d’ailleurs bien au bout de quelques années
d’étude et de pratique, on peut réellement entrer en contact avec lui. On va le voir dans
son village, on s’intéresse à sa vie, on soigne les malades qu’il vous présente et Dieu sait

174
DOCATGAB, Cf. Pie XII, Allocution aux cardinaux, 18 février 1946.
175
Archives CSSP, Boite 357, « Apostolat des missionnaires au Gabon »..
75
combien le rôle de missionnaire à ce point de vue peut être bienfaisant dans un pays
comme le Gabon »176.

Une fois que les missionnaires à travers toutes les marques d’attentions soulignées
ci-dessus gagnaient la confiance de l’autochtone, c’est alors que ce dernier pouvait ouvrir
son cœur. Les autochtones au fil du temps pouvaient alors entrevoir le missionnaire sous
son vrai jour et ils faisaient dès lors la différence entre lui et les autres Blancs. La
conversion le plus souvent se préparait ainsi. Ce qui souligne le fait comme nous
l’affirmions supra que les méthodes de conversion se sont déroulées sans heurts. De façon
pratique, la plupart des villages se dotaient très rapidement d’un catéchiste, ce qui
encourageait ainsi l’inscription de plusieurs catéchumènes, d’abord les enfants et les
jeunes gens, puis leurs parents eux-mêmes, du moins si la polygamie et le fétichisme, ces
deux grands obstacles à la conversion, ne les retenaient pas dans le paganisme177.

En relation avec les conceptions raciales de l’époque, les missionnaires pensaient


qu’à moins d’un miracle d’ordre psychologique, le baptême n’allait en aucune façon
transformer les Noirs du jour au lendemain en anges de vertu ou simplement en
d’honnêtes et bons chrétiens sans un temps de formation préalable. L’épreuve obligatoire
du catéchuménat implique non seulement la connaissance plus ou moins de la bible mais
aussi l’obligation d’un stage à la Mission. En règle générale, ce sont de jeunes gens
(garçons) choisis dans le village qui pouvaient prétendre à cette formation nécessaire. Ce
stage est également requis pour les jeunes filles qui sont reçues chez les Sœurs
missionnaires. En ce qui concerne le stage, les Pères du Saint Esprit se contentaient en
général de donner des leçons de catéchisme et de prédication178. Mais à l’instruction
purement religieuse, les missionnaires joignaient le travail manuel et la formation
disciplinaire, ce qui constituait une formation plus ou moins complète. Il reste évident que
la somme des connaissances que l’on envisageait par exemple d’un moniteur ou d’un
futur prêtre indigène était plus grande que celle de ses nombreux condisciples de classe.
En 1926, Mgr Tardy179 estimait que dans l’état actuel des populations gabonaises, il y
avait tout avantage, et pour l’évangélisation, et pour le mieux être social des autochtones,
à insister surtout sur la formation morale et religieuse, sur le travail manuel, sur
l’enseignement professionnel et agricole, beaucoup plus que sur une instruction purement

176
Joseph NGOMO TCHIKAYA, op cit. P 36.
177
Archives CSSP, Boite 357, « Apostolat des missionnaires au Gabon ».
178
Archives CSSP, Boite 271. D’après les notes de Monseigneur Louis Tardy, sur la vie apostolique au
Gabon
179
Monseigneur Tardy est le sixième Vicaire apostolique en poste au Gabon de 1926 à 1947.
76
spéculative et livresque qui ne mènerait présentement à rien de bon, il fallait former de
bons travailleurs, d’honnêtes gens et si possible des chrétiens sérieux180.

Il y a certes de la lucidité et de la clairvoyance dans les recommandations de


Monseigneur Tardy, mais il n’en demeure pas moins vrai que celles-ci font surtout la part
belle des choses à la Mission et corrobore l’idée d’une supériorité des Blancs sur les Noirs
et implicitement une incapacité de ces derniers. Mgr Tardy occulte toute véritable
connaissance intellectuelle pour laisser la place à une instruction purement religieuse.
Ainsi, le nouveau converti devait s’abstenir de toute attitude critique à l’endroit du
missionnaire et devait apprendre à travailler pour être au service de la Mission. Le fait
même d’insister sur l’honnêteté des autochtones suppose qu’il leur était interdit de mentir
aux missionnaires : le tout impliquait la loyauté sinon la soumission de l’autochtone
envers le Blanc. Par ailleurs, Mgr Tardy bien que d’une génération du XXè siècle ne se
départit pas de la vision du XIXè siècle, il continue d’émettre quelques réserves sur la
possibilité des indigènes à devenir de bons chrétiens. Il estime d’ailleurs qu’une fois les
jeunes gens sortis de la Mission, ces derniers, même après avoir regagné leurs tribus
d’origine, étaient le plus souvent confrontés à une vie sans repères car, ils n’avaient plus
personne pour les guider et sans plus avoir les mêmes bons conseils qu’on leur prodiguait
à la Mission. Pour eux, la vie indisciplinée reprenait le dessus.

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Durant cette période, un second indicateur de l’évangélisation se mesure par les


effectifs missionnaires. De façon générale, nous présentons ci-dessous un tableau sur
l’évolution du personnel religieux dans le Vicariat apostolique du Gabon. On peut donc y
apprécier les différentes variations et fluctuations du nombre de religieux selon les années
et selon les périodes. Notre objectif est de situer, dans un premier temps, la situation
numérique des missionnaires au Gabon au milieu du XIXè siècle, et dans un second temps
de montrer quelle a été leur contribution181 dans l’évangélisation du pays.

180
Archives CSSP, Boite 271 « Notes sur la vie apostolique au Gabon de Mgr Tardy 1920-1949 »
181
Aussi bien les missionnaires que les autres acteurs de l’évangélisation.
77
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Nombre total du personnel


religieux

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Ce tableau a été élaboré à partir des données et statistiques annuels dressés par les
Vicaires apostoliques. Ces chiffres traduisent, d’une façon générale, pendant un siècle, la
situation du personnel religieux en service dans le Vicariat apostolique du Gabon. On y
constate la prépondérance des missionnaires du Saint Esprit (Européens), qui avaient
naturellement en charge l’évangélisation du vicariat. Malgré une évolution croissante dans
l’ensemble, il faut remarquer que les effectifs religieux stagnent durant les années 1855-
1895 et 1905-1950 avec des changements notables durant les deux guerres mondiales.

78
On entend parfois dire que trop peu de missionnaires ont été envoyés au Gabon, et
que les premiers missionnaires sont restés trop longtemps sur place à Libreville. Le retard
dans l’établissement de l’Eglise locale au Gabon serait en grande partie lié à ces deux
facteurs. Mais ces deux affirmations sont à relativiser. Nous avons vu dans les chapitres
précédents que la difficulté d’accès vers l’intérieur du pays avait constitué pendant
longtemps un frein à l’évangélisation. Cependant, dès 1850, c'est-à-dire moins de six
années après leur arrivée au Gabon, les missionnaires ont fondé Saint Jacques de
Chinchoua, à quinze heures de pirogue de Libreville182. Mais il est tout aussi vrai qu’après
son arrivée dans l’Estuaire du Gabon, le Père Jean Remi Bessieux connaît des débuts
difficiles, n’étant pas secondé par d’autres missionnaires durant de longs mois voire
durant plusieurs années. Par ailleurs, le départ des missionnaires pour l’Afrique a été
ralenti à cause des expériences douloureuses vécues par les premiers missionnaires au
départ de Bordeaux pour L’Afrique. Cependant, la situation a bien changé à partir de
1850. En effet, on note dès cette date une progression croissante de missionnaires au
départ pour le Gabon. Cela s’explique sans doute par le renouveau de la vie religieuse qui
se manifeste en France dès le milieu du siècle. Le fait caractéristique est la fondation,
après 1850, de toute une série d’instituts créés spécialement en vue de l’activité
missionnaire. Depuis son origine au XVIIIè siècle, la Société des Missions étrangères de
Paris était restée la seule institution exclusivement missionnaire jusqu’à la formation, par
Libermann, en 1841-1848, de la Congrégation du Saint Esprit183. Dès lors, de nombreux
missionnaires sont envoyés au Gabon pour seconder l’œuvre déjà ébauchée.

Effectifs plus conséquents, soutien de l’action missionnaire par l’administration


coloniale, apostolat déjà étendu à certaines régions reculées de Libreville, tout ceci
impose une organisation solide, une mise en place des structures ecclésiastiques pour
conforter la présence de la nouvelle religion. A partir du chapitre suivant, nous allons
dresser un état du nombre de religieux présents au Gabon dès le milieu du XIXè siècle et
examiner l’influence ou l’impact que cette progression de missionnaires a eu sur le
développement du devenir de l’Eglise du Gabon.

182
Gérard Morel, Brève histoire des vocations sacerdotales et religieuses dans l’Eglise catholique au
Gabon de 1844 à 1989, Centre Appels 2è édition, Libreville, 1989.
183
Ss la dir. de R. Aubert, J. Bruls…op. cit. p 423.
79
! .
L’une des forces majeures dans l’évangélisation du Gabon au milieu du XIXè
siècle reste incontestablement la présence des Pères missionnaires. Pendant les six
premières décennies de la présence missionnaire au Gabon, de 1844 à 1907, cent quarante
trois prêtres de la Fondation du VP Libermann y ont été envoyés184. Parmi eux, beaucoup
sont morts prématurément ou avaient dû être rapatriés pour diverses raisons. Il est à noter
que la plupart des missionnaires étaient totalement inexpérimentés. Beaucoup ont adopté
un mode de vie avec un règlement strictement appliqué et une nourriture volontairement
frugale. Or ces excès de zèle et la rigueur du climat produisirent des effets parfois
dramatiques tel que la mort185. Toutes ces raisons sont à mettre à l’actif des nombreux cas
d’abandon qui ont été signalés durant tout le parcours de la jeune Eglise catholique du
Gabon. De facto entre 1844 et 1945, la Mission du Gabon fut développée par un petit
nombre de missionnaires mais en croissance perpétuelle, malgré les épisodes des guerres.
Les vicaires apostoliques successifs, devant l’immensité de la tâche qui était la leur,
demandent souvent du renfort en nombre de prêtres186 : chaque fois, ils jugent le
personnel trop faible qui était en outre, instable187.

!!
Jusqu’au début du XXè siècle, la quasi-totalité des religieux envoyés au Gabon
vient de la congrégation du Saint Esprit. A partir de 1900, d’autres congrégations arrivent
au Gabon et se spécialisent essentiellement dans l’enseignement. L’initiative d’obtenir
des Frères pour les Deux Guinées échoit à Mgr Barron. Dans sa lettre du 9 février 1843,
adressée au VP Libermann, il souhaite « de porter avec nous la France, des Frères ou
bien des artisans qui seraient disposés à se faire Frères »188, des Frères c'est-à-dire des
religieux, des jeunes gens ayant la vocation religieuse, entrés dans une congrégation
religieuse où ils ont fait un noviciat. En réalité, avec les trois « Frères », qui font partie de
la communauté des missionnaires du Saint Cœur de Marie en 1843, on est très loin de ce
portrait du « Frère religieux »189. En réalité, c’étaient des jeunes qui n’avaient reçu aucune

184
Archives CSSP, Boite 336, « Etat nominatif des missionnaires au Gabon 1920-1949 ».
185
François Ernoult (spiritain), François Libermann (1802-1852), Congrégation du saint Esprit, Montréal,
1967.
186
Archives CSSP, Boîte 23 « Lettres de Mgr Bessieux ».Cette idée de renfort apparaît dans plusieurs
correspondances des missionnaires du Gabon, en commençant par Monseigneur Bessieux en 1846.
187
Les raisons de cette instabilité sont nombreuses. Nous avons parlé plus haut des effets dramatiques du
climat. Les missionnaires venaient des régions froides, ils avant donc du mal à s’adapter aux réalités du
climat local. Il y a aussi les nombreux cas de naufrages, les attaques d’animaux sauvages, et surtout les
morts par la maladie. Autant de raisons qui peuvent justifier cette instabilité.
188
Gerard Morel, op. cit p. 112.
189
Il s’agissait de André le sabotier, Grégoire le tailleur et Jean le rémouleur, des « enfants trouvés », des
orphelins qui n’ont jamais connu ni père ni mère, enfants abandonnés et depuis le premier instant de leur
80
formation religieuse dans une congrégation et qui n’avaient aucun engagement religieux.
Tout au plus, ont-ils fait un petit apprentissage technique dans leur hospice des enfants
trouvés190. Certes, ils seront plus ou moins intégrés dans la vie communautaire des
missionnaires et on les appellera « Frères », dans le quotidien de l’existence, mais c’est
un langage abusif du mot ; en réalité, ce sont des domestiques parfois traités comme
tels191. Quoi qu’il en fût et malgré ce premier épisode, il faut reconnaître que
l’introduction des Frères au sein du service de l’Eglise s’avéra positive. Sur les trois
premiers Frères envoyés pour l’expédition missionnaires africaine, un est mort en mer et
le second a été rapatrié en Europe, un seul a survécu aux côtés du Père Bessieux192. On
ne saurait donc penser que l’œuvre d’évangélisation au Gabon s’est faite uniquement avec
le seul concours des prêtres. L’œuvre colossale réalisé par les Frères au Gabon ne se
présente pas. Au détour de chaque mission, les Frères ont été là. De façon pratique et
hiérarchisée, le personnel religieux était chargé du ministère d’évangélisation et de la
direction des écoles ; les prêtres spiritains puis autochtones, par la suite, bâtissaient et
évangélisaient ; les Sœurs de l’immaculée puis les sœurs indigènes éduquaient et
soignaient, tandis que les Frères (européens et autochtones) éduquaient et aidaient à bâtir.

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existence, ce sont des enfants mal aimés. Trois petits canards anonymes, à côté de ces messieurs prêtres, les
missionnaires.
190
A bordeaux, l’Hospice des enfants trouvés étaient l’œuvre la plus importante de toute la ville.
191
Gérard Morel, Le Père Bessieux et le Gabon…p. 114.
192
Il s’agit des Frères Jean, André et Grégoire Sey, arrivé en même temps que Bessieux le 29 septembre
1844.
81
/

Nous venons de voir comment se présentait la situation numérique du personnel


religieux au Gabon vers la fin du XIX siècle. Il est évident que ces effectifs variaient
énormément selon les périodes. Il est possible de penser que cette stagnation des effectifs
missionnaires soit une des causes qui expliquent le long retard dans l’éclosion des
vocations sacerdotales dans le pays. Il faut tout aussi reconnaître que c’est avec ces
effectifs de prêtres et de Frères réduits que s’est dessinée la première forme d’Eglise
indigène dans le pays.

# # #
# ## 0#
# 1 ++ #

C’est le 14 septembre 1955, que la Saint Siège décide de transformer le Vicariat


apostolique du Gabon, jadis des Deux Guinées, en un diocèse autonome qui fut divisé en
quatre diocèses appartenant à l’Eglise catholique du Gabon193. Cette décision n’est pas le
fruit du hasard. Il convient de signifier qu’en effet, une nette organisation bien précise
existait déjà dans la colonie du Gabon au milieu du XIXè siècle. Il s’agit de l’Eglise
locale mise en place par les missionnaires pour justifier des efforts entrepris dans la
colonie en ce qui concerne la progression du catholicisme. Dans le chapitre précédent,
nous avons montré la progression du nombre des baptisés et la création des stations
missionnaires : la somme de ces deux évolutions renforçait la position des missionnaires
sur la nécessité de créer un clergé local. Il apparaissait de plus en plus urgent dans ce
troisième quart du XIXè siècle, de recruter et de former des dirigeants originaires des pays
des Missions194. Mais l’opinion missionnaire à ce sujet était partagée entre deux
tendances, l’une assez réticente dont quelques témoignages ont été rapportés plus haut,
l’autre plus hardie représentée par des noms comme Libermann, Gabet, Lavigerie et
d’autres. A cette dernière tendance, Rome va résolument renouveler son appui. Léon XIII
et surtout Benoît XV rappellent les directives anciennes et soulignent avec force
l’importance et l’urgence d’un clergé qui devait nécessairement passer par des Eglises
locales195 ; c’est ce que firent les missionnaires au Gabon durant la deuxième moitié du
XIXè siècle. Mais l’Eglise indigène ne représente que les prémices d’une véritable Eglise
193
ANG, carton N° 4015, « Décret du Saint Siège fixant les principes d’une Eglise locale ».
194
Ss de R Aubert…op cit. P.33
195
Idem p 433, voir aussi Stratégie missionnaire du Saint Siège sous le pontificat de Léon XIII.
82
locale. Dès lors, il convient de se pencher sur le cheminement entrepris par l’Eglise locale
du Gabon à ses débuts. Celui-ci passait nécessairement par des débuts de catéchismes
hésitants, mais qui se révélèrent être l’un des premiers moyens, si ce n’est le seul, de
préserver les stations missionnaires en activité196. Pour comprendre ces débuts de l’Eglise
locale, il convient au préalable de préciser la relation entre le catholicisme et la société, du
moins s’arrêter sur la rencontre.

# # $$ # #
La rencontre de l’Evangile avec la diversité des cultures et des religions ne s’est
pas toujours opérée sur un mode totalement pacifique, mais a parfois été vécue comme
une rupture dramatique. La mission est une annonce dérangeante, mais aussi un combat
qui implique des opposants197. Ainsi, dans le cas particulier du Gabon, Il nous semble
important de saisir quels étaient les premiers rapports des autochtones avec la nouvelle
religion dès lors que ces derniers adhèrent massivement à la nouvelle religion. Cette
approche nous semble importante car elle explique certainement l’engouement que les
colonisés auraient eu pour se constituer en famille chrétienne, c’est à dire en Eglise. Mais
il existe des écarts considérables entre la théorie et les pratiques même si cela ne mettait
nullement en cause la nécessité, pour les missionnaires de créer une « Eglise indigène ».
L’Eglise indigène est en définitive le résultat d’une somme de difficultés au Gabon. Selon
Martin Alihanga198, l’établissement d’une telle structure devait passer par un certain
nombre de faits, entre autres, l’augmentation du nombre des familles chrétiennes et le
respect par les nouveaux convertis d’un certain nombre de règles propres à la nouvelle
religion.

En ces temps là , il s’avère que l’instabilité constatée dans la vie des autochtones
(nouveaux convertis) vient souvent de l’action trop pesante du milieu (païen) à l’intérieur
duquel ils continuent cependant à demeurer. La question de la polygamie est un point
d’achoppement et de tensions entre le missionnaire et la société. A ce sujet, les
missionnaires évoquaient souvent un sentiment embarrassant. Il n’était pas rare de voir
certaines femmes, pourtant converties mais mariées à un homme polygame, rester
infidèles à cet unique mari. Afin de se donner bonne conscience, les missionnaires
évoquaient l’argument suivant : « Tu es la femme de cet homme, sois lui fidèle, restes

196
M.Assoumou Nsi, op cit. p. 68
197
Jean PIROTTE (dir.), Résistances à l’évangélisation, interprétations historiques et enjeux théologiques,
mémoires d’Eglises, édition Karthala, Paris 2004, 303 pages.
198
Enquête orale réalisée à Libreville, le 10/01/05
83
avec lui, telle est la foi chrétienne… »199. Généralement, la femme trouvait toujours à
répondre devant un missionnaire qui lui rappelait ce principe : « Mais je ne suis pas sa
femme, je suis son esclave pour ses enfants et ses plantations. Ne t’étonne pas s’il n’est
pas le père de mes enfants. Je ferais bien mieux de devenir païenne, je fuirais alors dans
mon clan, je montrerais ma mauvaise tête jusqu’à ce que j’ai un vrai mari avec lequel la
vie en famille serait plus normale »200. Mais la réalité est plus complexe car même là où la
polygamie est encouragée par la coutume et considérée comme tout à fait normale, la
première femme a un statut à part qui en fait la mère commune et le chef de ses
compagnes. C’est presque toujours à elle que doit s’adresser le mari pour obtenir la
permission d’épouser d’autres femmes.

Ajoutons un autre aspect important pour le Gabon la question de la fécondité.


Comme dit Pie XII : « L’individu et la société, le peuple et l’Etat, l’Eglise elle-même,
dépendent pour leur existence, dans l’ordre établi par Dieu, du mariage fécond »201. Si on
reste dans cette logique, comment faire face à un mariage qui n’est pas fécond ? La
question qui semble constituer un des points chauds de la théologie et de la pastorale est
de savoir si la polygamie peut être compatible avec le message chrétien ? Tous les
chercheurs qui ont traité de ce problème distinguent la polygamie de la polyandrie. La
dernière étant plutôt rare en Afrique dans la forme typique, les auteurs n’en parlent
presque point, croyant qu’elle ne pose pas de problème.

Traitant de la polygamie, E. Hillman affirme : « des missionnaires et des pasteurs


originaires des Eglises locales, en nombre sans cesse croissant dans toutes les parties de
l’Afrique subsaharienne, découvrent que la discipline ecclésiastique traditionnelle au
sujet de la polygamie simultanée n’est pas aussi solidement fondée bibliquement et
théologiquement qu’on l’a supposé jusqu’à présent. Les questions posées maintenant par
ses serviteurs de l’Eglise, et aussi par beaucoup de laïcs, ne peuvent plus désormais être
écartées par l’assertion naïve que la polygamie est de toute façon en voie de disparition.
L’auteur E. Hillman plaide ici en réalité sur la thèse selon laquelle l’on pourrait décider
d’admettre au baptême et à la communion des polygames qui étaient déjà mariés avant de
rencontrer le message de l’évangile202. Mais il a soin de préciser : « Différente, bien sûr,
est la position de celui qui ; baptisé et sacramentalement engagé à la monogamie

199
DOCATGAB, Gaston Pouchet, « Principes d’un catéchisme indigène ».
200
F. Grébert, op cit. P 185.
201
Pie XO, Allocution aux membres de l’union catholique italienne…cité par Vincent MULAGO.
202
Eugène. HILLMAN, perspectives nouvelles sur la polygamie, cite par Vincent MULAGO, p. 277.
84
indissoluble, est devenu polygame »203. Parmi les voix africaines, les auteurs du dossier
« Vie de famille et mariage des chrétiens en Afrique subsaharienne » rapportent cette
assertion de Mgr J. Njenga, évêque catholique au Kenya : « La convention dans une
famille polygame est un lien entre deux personnes, le mari et chacune de ses épouses. Le
mari ressent sincèrement que chacune de ses femmes a une relation toute particulière
avec lui. Cette conception du mariage était acceptée, elle était gardée religieusement et
réalisée. D’ailleurs, chacune des femmes a une relation monogamique avec son mari »204.

Il est donc évident que les missionnaires ne prennent en compte la complexité de


la question en se basant sur les coutumes, les lois matrimoniales et les libertés
chrétiennes. Cette compréhension n’a pas eu lieu aussi, les missionnaires se sont-ils
montrés très radicaux contre la polygamie ; ils allaient jusqu’à exiger avec le concours de
l’administration coloniale qu’un impôt supplémentaire soit exigé aux couples polygames.
De même, les missionnaires, accompagnés de certains catéchistes zélés, ont incendié les
cases et fouetté les polygames pour exiger leur reddition205.

Les mêmes problèmes étaient présents chez les jeunes personnes. On voit le
garçon s’épanouir et plein de promesses, puis vers dix huit ans, se fermer complètement.
Ces difficultés sont également liées au fait qu’il existe un conflit entre les lois prônées par
les missionnaires et celles sociales fondées sur la polygamie et les pratiques religieuses
propres aux cultures africaines206. C’est ce que notent les premiers missionnaires de façon
évidente quand un homme subissait de gros bouleversements dans sa vie quotidienne dès
lors qu’il embrassait la religion catholique, tant et si bien que les autochtones
considéraient la nouvelle religion comme un énorme sacrifice du point de vue social. Si
les missionnaires étaient néanmoins conscients de tous ces dérangements, ils avaient en
toute occasion le souci de montrer aux hommes et aux femmes les bienfaits de leur
conversion.

Les méthodes utilisées par les missionnaires pour contraindre les autochtones à
cette nouvelle situation étaient bien simples. Il fallait pour cela faire comprendre aux
nouveaux convertis qu’il existait l’enfer, cet endroit maudit où iraient toutes les personnes

203
Idem.
204
Cité par Vincent Mulago, p. 279.
205
Flavien NKAY MALU, La mission chrétienne à l’épreuve de la tradition ancestrale (Congo belge,
1891-1933), mémoires d’Eglise, édition Karthala, Paris, 2007, 433 pages.
206
Ce sont des débats actuels, mais n’en demeure pas moins qu’ils existaient déjà sous l’ère de la Mission.
85
qui ne respectaient pas scrupuleusement les recommandations qu’on leur administrait207.
Cette méthode fonctionne bien puisqu’elle portait ses fruits et surtout dans la mesure où
elle est savamment orchestrée juste pour faire peur aux Noirs. Les autochtones étaient en
effet conscients qu’au delà de leurs dieux et ancêtres protecteurs, existait un autre univers,
celui du diable que tous craignaient d’ailleurs208. Ce qui n’était pas nécessairement l’enfer
selon la description faite des missionnaires. L’appréhension de l’enfer est sans doute à
mettre à l’actif du ralliement de plusieurs autochtones à la religion catholique en ces
temps là209. Une petite analyse sur la société autochtone gabonaise en ce milieu du XIXè
siècle nous laisse clairement comprendre que la plupart des autochtones étaient voués au
culte et au respect des ancêtres. Ce sont ces derniers qui accordaient la bonne récolte,
l’agrandissement de la famille, et bien sûr, récompensaient les hommes. La crainte du
mauvais esprit ne parvenait que lorsqu’on avait désobéît, ou lorsqu’on avait commis une
faute grave et que l’on en prenait aussitôt conscience210. Le fait d’entendre parler de
l’enfer a servi à installer chez plusieurs personnes le sentiment de la crainte211. Les
missionnaires en étaient conscients et s’en servaient volontiers. A l’instar de la crainte de
l’enfer (chose jusque là inconnue par les autochtones), d’autres méthodes avaient été
initiées par les missionnaires. Il s’agit de celle à l’exemple du Père Bessieux dès 1850, de
s’appuyer sur une politique de cadeaux. Il fallait en effet récompenser tous ceux qui
acceptaient d’envoyer leurs enfants à l’école ou à la messe212. De nombreux autochtones
durent accepter la nouvelle religion soit sous la contrainte morale, soit à cause de cette
mince corruption. Le fait est que cela a permis dans un premier temps à accroître le
nombre de personnes baptisées, et dans un second temps, à préserver les gens dans la
nouvelle religion. Reste donc à savoir combien d’entre eux avaient réellement reçu le
message de la nouvelle religion avec conviction, une question difficile.

Notons en premier que les premières conversions étaient illusoires car beaucoup
abandonnaient par la suite et préféraient s’adonner à la vie « mondaine »213, c'est-à-dire à
une vie où la religion n’a pas sa place. Les facteurs socio culturels pouvaient aussi
faciliter les conversions. C’est le cas, par exemple, du peuple fang. Les Fang sont parmi
les derniers à immigrer au Gabon vers la fin du XVIIIè siècle. Le Révérend Trilles
207
Bernard Salvaing, op. cit.p 54.
208
A. RAPONDA WALKER, op. cit. P 112.
209
CAOM, Carton N° 5/8, Missions religieuses et étrangères en AEF.
210
A. RAPONDA WALKER, p 120.
211
Nous en parlions déjà en évoquant les rites et croyances des peuples autochtones avant l’arrivée des
missionnaires. L’historien gabonais, METEGHE N’NAH parle de l’enfer comme étant une chose
absolument inconnue des peuples autochtones.
212
Archives CSSP, Boite 23, Cela se vérifie dans les notes de Mgr Bessieux.
213
W. BULHMANN, Visage de l’Eglise en Afrique, Desclée, Bruxelles, 1967.
86
apporte une explication à ces conversions, il prend l’exemple des Fang. Il souligne que
les Fang donnaient l’impression de connaître Dieu. La vraie raison de cette illusion réside
dans le fait que le peuple fang était convaincu que le minisse214 était tout simplement
l’unique intermédiaire entre lui et Dieu. Les « bonnes choses », (c’est-à-dire le troc)
apportées par le Blanc étaient des dons de Dieu. L’histoire des migrations des peuples du
Gabon nous apprends d’ailleurs que le peuple Fang avait délibérément choisi de
s’installer vers la côte occidentale afin d’être directement en contact avec le Blanc215. A
partir des différentes pratiques énumérées plus haut, beaucoup d’autochtones se rallièrent
au catholicisme. Ces nombreuses conversions ont contribué de façon effective à mettre en
place une petite Eglise au Gabon, laquelle se manifestait sous plusieurs aspects.

Dans l’ensemble, selon les rapports des missionnaires du Gabon entre 1844 et
1945, les causes de la conversion des indigènes étaient très variées : la peur de l’enfer
telle que définie plus haut, l’ornementation de l’église, la beauté des cérémonies et des
chants et bien d’autre choses qu’on ne retrouvait pas toujours chez les protestants ; En fin
de compte, il s’agissait de conversions absolument extérieures à la foi chrétienne. Pour les
missionnaires, le plus important était le nombre et non la qualité, d’autant qu’ils étaient en
concurrence, à certains endroits, avec les protestants216. Disons en définitive que la
rencontre de la mission chrétienne avec les cultures indigènes devait, comme on pouvait
s’y attendre, produire des effets inédits et provoquer de vrais défis humains et culturels
auxquels les autochtones étaient sommés de répondre217.

!
Nous ne connaissons pas avec précision la date du début de l’Eglise indigène au
Gabon. Il semblerait néanmoins que celle ci prend forme à partir de 1852, année à partir
de laquelle le catholicisme donne l’impression d’avoir gagné une bonne partie des régions
du Gabon. L’ « Eglise indigène », telle que définie par le Père Bessieux en ce temps là,
devait servir à préparer la mise en place de structures plus solides218. Ces structures mises
en place dans certains villages du Gabon présentaient des caractéristiques particulières.

Il y avait d’abord une annexe, terme utilisé pour désigner les premières formes de
chapelles ou lieux de prière. Pour consolider les conversions, les missionnaires estimaient

214
Appellation donnée par les Fang aux missionnaires.
215
DOCATGAB, Rev. Père Trilles, op. cit. p 58.
216
CAOM, 5D/8 “Missions religisuses et étrangères en AEF”.
217
Flavien Nkay Malu, op cit. P 17.
218
Ngomo Tchikaya, op. cit p 32
87
qu’il fallait installer des annexes dans les villages. La chapelle est alors construite par les
gens du village et les chrétiens avec l’aide et les conseils du missionnaire qui
généralement choisissait un endroit au centre du village, et de manière à ne pas être
incommodé par les bruits des alentours. La chapelle pouvait aussi servir de lieu pour
l’école où les jeunes enfants pouvaient venir apprendre à lire et à écrire avant de faire leur
entrée à la grande école de la station lorsqu’ils lisent désormais correctement.

Il y a ensuite la pratique du culte. A son arrivée au Gabon, et comme beaucoup


d’autres missionnaires qui lui ont emboîté le pas, le Père Bessieux s’était aussitôt mis à
l’apprentissage des langues locales : plusieurs grammaires dans les langues fang et
omyènè furent rédigées par les missionnaires219. Un peu plus tard, vers 1884,
Monseigneur Le Roy avait complètement traduit la bible en langue galoa et instaura aussi
la pratique régulière du culte que les nouveaux convertis se devaient d’observer
scrupuleusement220. Les jours de semaine, il y avait un petit culte au lever du matin, pour
ceux qui devaient aller dans les plantations ou dans une autre activité et un autre culte le
soir. Celui-ci avait la particularité de rassembler le plus grand nombre de personnes.
Jusqu’en 1893, le catéchisme n’existe pas à proprement dit au Gabon. Il y avait certes
quelques personnes qui avaient la prétention d’être catéchistes : elles avaient reçu des
formations dérisoires, savaient lire et écrire, avaient quelques connaissances sur le
nouveau testament : la somme de tous ces facteurs permettait d’accéder à la fonction de
catéchiste. Le mérite revient à Monseigneur Le Roy d’avoir établi le véritable premier
catéchisme au Gabon en 1894221.

Pour ce qui est de la discipline ecclésiastique, il faut rappeler que chaque station
évangélique n’avait pas la possibilité de disposer à tout moment de la présence d’un
missionnaire. D’ailleurs, lorsqu’elles en possédaient, il n’était pas exclu de voir ce dernier
demander à partir. Dans certaines stations du Gabon, les missionnaires avaient mis en
place des registres à l’intérieur desquels on pouvait consigner les noms de tous les fidèles
ainsi que toutes les personnes régulières au culte du dimanche. Le prêtre choisissait parmi
les garçons les plus assidus ceux qui pouvaient l’aider222. Il leur confiait certaines tâches
comme l’appel du dimanche à la messe, la responsabilité de la discipline, ou même la
fermeture des portes de la chapelle. Le missionnaire leur accordait le baptême lorsqu’il les

219
Archives CSSP, Boite 357, « Notes sur la pratique de l’apostolat des missionnaires au Gabon »
220
DOCATGAB, M. BRIAULT, « Un grand Evêque missionnaire, Monseigneur Le Roy », doc.
dactylographié.
221
Idem, p. 56.
222
C’est le début de l’action des enfants de chœur au Gabon. Cité par : F Grébert, op. cit. p 174
88
jugeait aptes et sérieux. A cette époque, il s’agissait de baptêmes isolés et qui ne
dépassaient guère plus de trois personnes par séance du dimanche223. Dès l’accession au
baptême, le nouveau converti se devait de vivre en bon chrétien et servir de bon exemple
aux autres membres de la communauté encore païens. Afin de réglementer la discipline,
les missionnaires avaient instauré une sorte de Conseil d’Eglise chargée de prononcer les
peines et sanctions disciplinaires, à l’endroit de tous ceux qui n’observaient pas les règles
élémentaires du bon chrétien, comme le retard au culte par exemple224. Nous n’avons pas
pu exactement recenser la liste des peines qui étaient parfois prononcées. La peine
minimale pouvait aller jusqu’à deux semaines de sanction avant que le nouveau chrétien
ne soit de nouveau admis sur la scène : durant sa sanction, il était considéré comme
« chrétien sous disciplinaire », ce qui selon le Révérend Trilles le mettait dans la crainte
d’une punition divine. Selon une enquête réalisée auprès des autochtones, le Révérend
Trilles énonce ce qui suit : « Les nouveaux convertis vivant très souvent dans la peur,
craignent parfois de replonger dans le péché car on leur promettait la sanction divine,
s’ils commettaient de nouveau des actes qui allaient à l’encontre de leur nouvelle
condition… »225.

Quant aux contributions d’Eglise, il faut signaler qu’au fur et à mesure que le
nombre des baptisés augmente, cela instaurait auprès des villageois un esprit de
communauté avec une entraide envers les membres, ce qui a énormément remodelé la
société indigène. Pour favoriser cet esprit, les missionnaires avaient institué des
contributions sociales. Le Père Grébert, afin d’expliquer cette nouvelle socialisation
s’appuie sur l’exemple du peuple des Fang. Il décrit au départ l’homme fang comme étant
individualiste et cherchant souvent à tirer profit226 au détriment des autres, de la
communauté autochtone, ne se montrant généreux qu’envers ses frères. Avec
l’instauration de l’entraide sociale, l’homme fang est désormais plus communautaire. Les
missionnaires qui demandaient à certaines personnes ayant des biens d’en donner pour
l’évangélisation d’autres tribus, prononçaient des sanctions contre tous ceux qui se
disaient chrétiens mais qui se montraient indifférents vis à vis des autres. Les
missionnaires pensaient que l’enracinement de l’Eglise indigène passait nécessairement
par la générosité des uns et des autres. Toutefois, il ne fallait pas pour autant employer des
lois sévères, comme l’exemple des sanctions évoquée plus haut, mais plutôt de favoriser

223
Idem, p 176.
224
Ibid.
225
DOCATGAB, Rev. Père Trille, op. cit. p 69.
226
F. Grébert, op. cit. P 177.
89
le progrès spirituel entre tous les membres de la communauté, comme le précise
Monseigneur Le Roy en 1893 : « Aussi, sommes nous résolus à travailler à l’avancement
spirituel du troupeau, espérant le repousser dans la voie de l’espérance et de
l’indépendance dont il est encore él »227.

Vers la fin du XIXè siècle ont été instaurées les fêtes de station. Ces nombreuses
activités confortaient la position de l’Eglise indigène au Gabon, et elles ont été mise en
place par les missionnaires. Elles étaient aussi l’occasion de dresser un bilan sur l’avancée
de la Mission et de l’évolution de la religion dans le pays. En effet, tous les dimanches
matin, les chrétiens et catéchumènes se réunissaient dans l’annexe : on y faisait l’appel
pour constater les absences, les morts, les migrations, les changements de clan par
mariage et pour pointer ce que les habitants avaient à donner comme contribution pour
l’Eglise. Les villageois apportaient donc leurs dons : bananes, chocolat indigène,
tabac…ces produits pour la plupart étaient emmenés au magasin et étaient par la suite
vendus pour être transformés en argent. Ceux qui recevaient le baptême ce jour là se
joignaient aux anciens, aux catéchistes et aux missionnaires pour une courte prière.

Dans l’ensemble, ces différentes pratiques (annexes, cultes, discipline


ecclésiastique, contributions…) ont contribué à faire naître chez les autochtones le
sentiment d’appartenir à une même famille, celle de l’Eglise catholique. Ainsi, l’Eglise
indigène prenait forme au Gabon et s’enracinait dans les mœurs des villageois.
Cependant, comme nous l’avons noté, les méthodes d’évangélisation étaient critiquables ;
les missionnaires ont joué sur la peur et la crainte des autochtones, sur l’appât du gain,
mais en dépit de ces dérives, il n’en demeure pas moins que le jeune Eglise du Gabon
prenait bien forme au fur et à mesure qu’elle s’implantait sur l’ensemble du pays.

Cependant, les nombreux biens accumulés par l’Eglise indigène, l’aide apportée
par les villageois ainsi que le climat serein qui semblait s’être établi entre les
missionnaires et les autochtones, ne laissait pas l’administration coloniale indifférente.
Les colons estimaient que les missionnaires trop prévoyants envers les indigènes ne les
incitent à contester l’autorité coloniale228. De plus, tout ne semblait pas être réuni pour
favoriser l’œuvre d’implantation de l’autorité et de la culture française229. Après la
séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, les paroles de Monseigneur Jean Jérôme Adam

227
Briault, op. cit. p 68.
228
ANG, Carton N° 187 « L’administration exerce une surveillance sur les missionnaires catholiques »
229
ANG, carton n° 184 « surveillance sur les missionnaires ».
90
vont plus loin: « Nous n’allons plus établir au Gabon la France, ni une autre contrée
d’Europe, mais uniquement la sainte Eglise catholique en dehors et au dessus de toutes
nationalités »230. Cette mise à distance existait implicitement. Depuis les années 1875, les
milieux catholiques romains s’étaient déjà montrés très critiques à l’égard des
missionnaires exerçant au Gabon. Ils soulignaient en effet le paradoxe d’une France qui
persécute l’Eglise et qui veut l’instrumentaliser dans ses empires coloniaux. Un article
daté du 18 novembre 1884 le reconnaît : « Les républicains français ne font aucune
difficulté pour reconnaître l’appui que la France peut tirer de l’Eglise dans sa politique
coloniale. Les deux sont inséparables. Une bonne politique coloniale est inséparable d’une
politique religieuse équitable231 ». Le réalisme poussait à se servir ainsi de l’influence
religieuse des Missions à l’intérieur des colonies et de facto et durant de nombreuses
années, le rôle joué par les missionnaires a été très similaire de celui de la colonisation.
De leur côté et de façon réaliste voire opportuniste, à l’exemple du Vénérable Père
Libermann, dans la conjoncture politique de son époque, les missionnaires estiment que
les desseins de Dieu coïncidaient avec les intérêts de la France232. Mais quelle que soit la
relation entre l’Eglise et la République, l’essentiel était de confirmer cette implantation,
ces conversions par les vocations.

Le déroulement des événements semble plutôt laisser penser que des mesures ont
été mise en place pour favoriser l’émergence des vocations dans le pays. Vers 1894, Mgr
Le Roy inaugure la véritable étude du catéchisme233. Cependant, il faut préciser que
d’autres formes analogues mais moins efficaces existaient déjà au Gabon avant cette date.
Concernant le catéchisme de Mgr Le Roy, cette initiative n’était que la relance d’un vieux
projet mis en place par le Père Bessieux depuis 1846, qui consistait à organiser un
enseignement religieux, professionnel et agricole, complété par des notions d’écriture et
de calcul. Le projet du Père Bessieux avait déjà pour but de former les catéchistes « les
évolués », les bons pères de famille, les auxiliaires de l’administration et des maisons de
commerce234. Si cet enseignement devait avant tout former de bons pères de famille, les
missionnaires n’excluent pas d’entrevoir de futurs catéchistes et des aspirants au
sacerdoce où à la vie religieuse235. Mais le projet n’avait presque jamais vu le jour étant
donné que la Mission ne possédait pas d’effectifs suffisants pour assumer cette tâche.

230
ANG, carton n° 184 « Surveillance sur les missionnaires ».
231
ANG, Carton N° 926 « Notes sur l’application de la loi de séparation dans les colonies après 1905 ».
232
François Ernoult, op. cit. p 122
233
Rev Briault, op. cit. p 82.
234
Jeanne Ntsame Assogo, op.cit. p 18.
235
Mboumba Bwassa, op cit, p. 197.
91
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# # # #

## 

L’établissement des relations avec le monde occidental implique ici de faire le


point sur les conséquences des rapports nés aussi bien entre colonisateurs et indigènes
mais aussi entre missionnaires et autochtones dans la première moitié du XIXè siècle. Il
est évident que la nouvelle religion avait considérablement changé le mode de vie des
autochtones, nous avons parlé plus haut de la polygamie mais aussi des pratiques locales
tels que le fétichisme. Nous avons vu qu’avec la mise en place de l’Eglise indigène, des
annexes dans plusieurs villages, du culte religieux, de la discipline ecclésiastique, des
contributions d’église, des fêtes de stations…, les changements sont perceptibles dans les
comportements des indigènes. Entre doutes et espoirs, le Père Bessieux adresse une lettre
à son supérieur en date du 12 mars 1845. Le fondateur de l’Eglise catholique au Gabon dit
ceci : « Les besoins des indigènes sont infinis. L’ignorance pour les choses de Dieu ne
peut être plus grande, ils ne lui rendent aucun hommage, ils ne le prient ni par un vrai
culte public ni dans leur particulier. Ils ont leurs fétiches, des superstitions. La raison
qu’on m’a donnée de cela n’a point un but religieux ; ils ont les vices des pays civilisés,
ils connaissent toutes les ruses et les tromperies du commerce. La plaie de ces peuples
paraît si profonde aux observateurs qu’ils disent que ce serait un bien grand miracle si la
religion les change. Mais nous savons que tout est possible à Dieu. C’est pourquoi nous
espérons, parce que tout semble désespéré. D’ailleurs, mon Père, nous sommes ici
environnés de peuples féroces236. Nous ne pouvons arriver à eux que par degrés. C’est là
surtout que l’Evangile fera des progrès »237. Mais ces changements s’inscrivaient dans un
contexte de dépendance économique et d’acculturation.

On peut donc constater les changements aussi bien sur le plan religieux, que sur le
plan du suivi des relations avec le monde occidental, avec le colon en occurrence. Il faut
en effet signaler que l’établissement des relations suivies avec les Occidentaux et le
développement concomitant de l’économie marchande au Gabon entraîna une lente mais
profonde transformation des mentalités et des sociétés indigènes. Peu à peu, le goût du
luxe occidental et du profit entra dans les mœurs des autochtones, provoquant du même
coup, la montée de l’esprit individualiste qui, progressivement, ruina les bases de la

236
Les peuples les plus féroces de l’Estuaire du Gabon étaient au nord, les Sékyani, appelés alors Boulou,
les Benga et les Bakwélé. Quand il les connaîtra, Jean Rémy Bessieux constatera qu’ils n’étaient pas plus
féroces que leurs voisins.
237
Gérard Morel, Le Père Bessieux et le Gabon…p. 207.
92
« communauté ancienne », égalitariste et communautariste238. En réalité, nous avons
affaire ici à deux réalités très opposées. Autant le suivi des relations entre missionnaires et
autochtones avait progressivement amené les peuples locaux à consolider l’étroitesse des
relations entre eux par le biais de l’Eglise, autant le suivi de ces mêmes relations avec le
colonisateur était perceptible à un degré différent, entraînant par la suite, d’un côté
comme de l’autre l’amorce d’un processus d’acculturation.

Sur le plan religieux notamment, signalons que l’annonce de l’évangile n’est en


aucun cas la prédication d’une vérité temporelle formulée de la même manière dans tous
les temps et dans tous les pays. Depuis les origines, l’évangile lui-même né dans une
culture s’exprime à travers des cultures quand elle est annoncée à un peuple nouveau, en
réalité c’est une culture qui rencontre une autre culture avec des conséquences pour l’une
et pour l’autre. D’où l’importance du concept d’acculturation apparu en anthropologie
vers 1880 et généralisé dans les années trente selon la définition d’Erskovits (1936) :
« l’acculturation est l’ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et
direct entre les groupes et cultures différentes et qui entraînent des changements dans les
modèles culturels initiaux de l’un ou de l’autre groupe »239. Dans le cas du Gabon, les
phénomènes d’acculturation sont nés du fait que les missionnaires ont importé un modèle
religieux pour l’imposer aux autochtones sans nécessairement tenir compte des réalités
locales. C’est donc une culture qui a été transformée complètement même si en réalité le
culte aux ancêtres n’a pas pour autant disparu.

Toutefois il convient de noter que ce processus d’acculturation avait commencé


bien avant l’arrivée des missionnaires. Sur le plan formel, les pratiques des peuples du
Gabon depuis l’Antiquité ne subirent, dans l’ensemble, aucune influence venant
d’Europe, en revanche, certains d’entre eux s’enrichirent de thèmes nouveaux inspirés des
scènes de la traite négrière. A cette époque semble remonter la création d’une série de
contes dénommée « Ogoula » qui rapporte les exploits d’un jeune homme intrépide aux
prises avec les gros rapaces symbolisant les bateaux à voile négriers. Par ailleurs, le
développement des échanges commerciaux intérieurs favorisa, dans une certaine mesure,
le rayonnement culturel des peuples riverains de l’Atlantique ; en l’occurrence, les
Ngwèmyènè dont une branche, les Mpongwè s’enorgueillissent de cette position au point

238
Nicolas Metegue N’nah, Histoire du Gabon…op cit. p. 80.
239
Jean COMBY (dir.), Diffusion et acculturation du christianisme (XIXè-XXè siècles), vingt cinq ans de
recherches missionnaires par le CREDIC, coll. Mémoires d’Eglise, éditions Khartala, Paris 2005, 696
pages.
93
de se dénommer « ayogo », devenu « beyokh » en fang, c'est-à-dire les « hommes
civilisés »240. Mais, en fait de civilisation, il s’agissait plutôt, ici, des bribes de celle de
l’Occident qui commençait à pénétrer les sociétés locales à partir de la côte, initiant ainsi,
dans le pays, un processus irréversible d’acculturation. Cette pénétration de la culture
occidentale se traduisait également par l’incorporation de nouveaux mots des langues
européennes aux langues locales et, surtout, par l’adoption du costume mais aussi d’autres
manières. En fait, le changement des habitudes vestimentaires était le signe d’un
phénomène plus profond, à savoir le changement des goûts, des mentalités et des
comportements qui s’opérait chez les autochtones du Gabon au contact des valeurs
cultivées en Occident. En somme, entre le XVè et le XIXè siècle, bien avant la période
coloniale, s’amorça un bouleversement progressif des échelles des valeurs dans les
sociétés gabonaises de l’époque, l’ordre des valeurs établi dans ces dernières tendant à
céder le pas à celui qui prévalait en Europe241.

! " *
L’Eglise catholique au Gabon avait besoin de s’étendre, et le nombre très restreint
de prêtres ne pouvait pas prétendre à cette mission difficile. Il fallait pour cela former des
agents locaux qui auraient un minimum de connaissances religieuses pour enseigner la
religion dans les villages. Le catéchiste devint donc une courroie de transmission entre les
villageois et le prêtre missionnaire. Au cours des lignes suivantes, nous souhaitons
succinctement montrer comment s’est développée cette activité bénévole ainsi que les
succès qu’elle a apporté au rayonnement de la nouvelle religion, sans omettre de voir
quels étaient les modes de désignation des premiers catéchistes.

! # # 2 "
Impressionnée par les succès des catéchismes protestants, l’Eglise catholique
décide, au Concile de Trente, de publier un catéchisme romain, réservé au clergé et
approuvé par le Pape Pie V, si bien que d’autres catéchismes diocésains, régionaux ou
nationaux ont été diffusés pas la suite. Pour assurer une permanence dans les villages,
donner aux enfants et aux personnes sympathisantes dispersées dans les quatre coins de la
station une instruction sommaire, il fallait au missionnaire des auxiliaires indigènes.
L’institution des catéchistes est donc née du besoin de constituer et d’étendre l’action du
missionnaire242. Dans la société missionnaire du Gabon, Mgr Le Roy met en place

240
Nicolas Metegue N’nah, Histoire du Gabon, op. cit. p. 82.
241
Idem, p. 84.
242
Mboumba Bwassa, op. cit. p 195.
94
l’œuvre des catéchistes à partir de 1890. Pour lui, ils étaient les derniers maillons de la
chaîne d’évangélisation et devaient jouer un rôle fondamental. Ils entretenaient la foi dans
les coins les plus reculés du Vicariat où les missionnaires Européens ne pouvaient que
rarement et régulièrement passer. En effet, ce que le missionnaire a ébauché, le catéchiste
devait le poursuivre à sa place. L’article du RP Lejeune sur les catéchistes de l’Ogowé
résume ainsi l’intérêt spatial de la méthode : dans une paroisse très vaste, les catéchistes
permettent de suppléer à la pénurie de missionnaires, selon la remarque suivante : « Ma
paroisse représente un cercle de soixante-dix lieues de rayon. Je crains de m’être trompé,
non pas en exagérant, mais en restant au dessous de la vérité. Bien des curés de trois,
quatre et six vicaires, doivent se demander comment il est possible d’administrer une
pareille étendue (…) Nous sommes donc forcés de recourir aux catéchistes »243. Le RP
Lejeune précise de nouveau : « Le missionnaire ne peut pas être partout ; il ne peut pas
visiter tous les jours sa paroisse, surtout quand elle a l’étendue de la notre (…)244.

Dès les premiers temps de la Mission le besoin en catéchistes s’est fait ressentir
mais l’expérience fut vite abandonnée, pour des raisons que nous ignorons. Il faut attendre
1894 pour voir l’œuvre définitivement mise en place. Cependant elle connaît plusieurs
déboires à son début, ce qui est tout à fait normal car cette invention était aux yeux des
autochtones un vrai mystère. Pour encourager l’évêque apostolique dans son entreprise,
certains prêtres dont le Père Monnier245 et certainement d’autres, se lancèrent dans cette
nouvelle voie. D’autres y mirent plus de lenteur et de réticences à l’exemple du RP
Lejeune qui arrive au Gabon en 1885. Ce dernier propose déjà un essai de catéchisme
finement élaboré en une huitaine de pages, qu’il soumet ensuite à l’appréciation de
l’évêque246. Dans cet essai, l’auteur propose quelques règles fondamentales propres à
l’avenir d’un bon chrétien, il énonce l’obligation d’avoir de bonnes connaissances sur le
Nouveau Testament et les Dix Commandements de Dieu, le tout afin de parvenir au
baptême247. Mais durant les deux premières années, le constat est plutôt amer. Mgr Le
Roy note ce qui suit : « En deux ans, nous avons connu trop d’échecs, car le nombre des
baptêmes est trop faible de ce qu’il aurait pu être en six mois avant l’instauration de cette
œuvre de catéchisme 248». En effet, on note moins d’une dizaine de baptisés en deux

243
RP Lejeune, « Les catéchistes de l’Ogowé » cité par Jean Michel Vasquez p. 180.
244
Jean Michel Vasquez, p. 180.
245
Le Père Monnier est de la Congrégation du Saint Esprit. Il a été directeur du petit séminaire Saint Jean en
1887, ensuite curé de la paroisse Saint Pierre de Libreville en 1892. Marchant sur les traces de son
devancier le Père Lejeune, il est en effet l’un des précurseurs du catéchisme au Gabon.
246
DOCSSP, Père Lejeune « Les catéchistes de l’Ogowé, » in Annales de la propagation de la foi.
247
DOCSSP, Père Lejeune. Principes d’un catéchisme indigène.
248
Briault, op. cit. p 63.
95
années. La raison de cet échec s’explique sans doute par le fait que les missionnaires
avaient mis en place un procédé d’accession au baptême contraignant pour les
autochtones. Ces derniers ne pouvaient pas enregistrer trop de choses. En somme, l’œuvre
recevait de moins en moins d’adhérents. Interrogé sur la question, Le Père Gérard
Morel249 reconnaît que les conditions d’accès étaient particulièrement difficiles. Primo le
candidat au catéchisme devait remplir certaines conditions civiles et sociales pour son
entrée dans l’Eglise, c’est à dire qu’il devait déclarer avoir rompu avec le péché, les
fétiches, la polygamie et la boisson. En plus, la durée du stage était fixée à deux ans,
pendant lesquelles le catéchiste est observé et instruit250. Toutes ces contraintes ont ralenti
les choses bien qu’il faille reconnaître que cela a permis de doter le pays d’une classe
sociale assez bien instruite.

En 1896, Après quatre ans d’épiscopat, Mgr Le Roy quitte le Gabon mais l’œuvre
des catéchistes était déjà bien amorcée dans le pays du moins dans la région de l’Estuaire
et dans certaines Missions de la côte occidentale. L’œuvre pouvait être appréciée à sa
juste valeur et méritait un hommage certain. A ce sujet, Pie X déclare: « La fonction du
catéchiste consiste à prendre comme sujet une vérité qui se rattache à la foi et aux mœurs
chrétiennes et à éclairer sous tous ses aspects. Mais le but de l’enseignement est le
perfectionnement de la vie. Le catéchisme doit donc établir une comparaison entre ce que
Dieu ordonne de faire et ce que les Hommes font en réalité. Puisé dans la Sainte Ecriture,
et dans l’histoire ecclésiastique, il doit persuader ses auditeurs et leur montrer du doigt
en quelque sorte, la règle suivant laquelle, les catéchumènes ont à ordonner leur vie. Le
catéchiste terminera enfin en exhortant à détester et à fuir les vices, et à pratiquer les
vertus. »251.

Les catéchumènes doivent être instruits par les catéchistes mais aussi par d’autres
membres de l’Eglise. La connaissance littérale du catéchisme étant une exigence, mais
pas pour tous. Il était presque certain que les adultes des villages ne maîtrisaient pas la
lecture rapidement. On se contentait donc de leur apprendre quelques rudiments de
connaissances qu’ils devaient mémoriser par cœur afin de pouvoir les réciter. Plusieurs
catéchismes étaient entièrement rédigés en langues locales. Nous avons disposé de
certains textes de catéchisme en langue fang et galoa. Mgr Le Roy estimait que

249
Enquête orale du 26 janvier 2005.
250
F. Grébert, op. cit. p 174.
251
DOCATGAB, Citation de Pie X, faite par le cardinal Fumasoni-Biondi dans une lettre reproduite en
introduction au catéchisme de 1951 à son Excellence Jean Jérôme Adam, Archevêque de Libreville, in le
catéchisme catholique de Gaston Pouchet, Paris, les presses missionnaires, 1959.
96
l’enseignement du catéchisme en langue française ne servirait pas la cause de
l’évangélisation et qu’il fallait le limiter car le but de la Mission, disait-il, qu’on ne devait
jamais perdre de vue est le maintien et la propagation de la foi catholique dans le pays252.
Le catéchuménat a donc apporté une nouvelle configuration du paysage catholique du
pays et a permis d’asseoir les premières bases de l’Eglise du Gabon. Toutefois, ces efforts
restaient insuffisants. Il fallait à long terme mettre en place une structure plus forte. Il était
de plus en plus question de la nécessité des vocations sacerdotales et religieuses
indigènes : cette évidence était reconnue par tous.

!! # #
Les Archives de la Congrégation du Saint Esprit ne contenant pas beaucoup
d’informations sur les attributions du catéchiste et l’organisation des postes de ce secteur,
nous nous sommes limité au règlement pour le travail des catéchistes253. Ce document
dégage incontestablement l’image du catéchiste des premiers temps de la jeune Eglise du
Gabon, et de ses rapports avec les missionnaires. Dans ses attributions spéciales, le
catéchiste est placé dans un village pour enseigner régulièrement le catéchisme. Il est
muni d’une carte renouvelable chaque année, qui fait office de pièce d’identité. Le
catéchiste s’occupe essentiellement du village qui lui est confié. Les séances de travail se
déroulaient soit en plein air soit dans l’annexe située aux alentours du village, un peu à
l’image de la photographie quelque peu composée suivante.

252
Archives CSSP, Boite 362, « Monseigneur le Roy dans ses instructions à la Mission de Lastourville ».
253
Archives CSSP, Boite 362. Le Règlement pour le travail des catéchistes a été publié à Sainte Marie en
1897 par Mgr Adam qui s’est largement inspiré des directives de Mgr Le Roy. C’est un ensemble de seize
pages en huit points.
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L’un des principaux buts avec l’instauration de l’Eglise indigène fut de former des
catéchistes. Généralement, on choisissait le catéchiste parmi les jeunes gens doués
intellectuellement, les plus courageux, les plus généreux pour la parole de Dieu, et les
plus vertueux. Leur formation dure en moyenne quatre ans. Ils doivent savoir lire et écrire
convenablement leur langue et le français…ils doivent connaître le chant, les cantiques les
plus ordinaires, soit en langue locale, soit en français, tenir convenablement une sacristie,
une chapelle et leur propre habitation. Leur conduite doit avant tout être chrétienne et
exemplaire ; c’est pourquoi ils sont en général mariés à des femmes chrétiennes mais ils
doivent aussi apprendre aux autres indigènes à travailler254. Plus tard, sous l’impulsion de
Mgr Le Roy en 1892, on mit en place la formule du recrutement à domicile. Ainsi, à la
veille de la Première Guerre Mondiale, on avait à la fois des catéchistes issus de l’école
primaire et ceux formés sur place255. Mgr Leroy composa un catéchisme en langue
française qu’il fit approuver par Rome et demanda à tous les Supérieurs des stations qu’on
le traduise en langues vernaculaires, ce qui se fit petit à petit dans presque tous les coins
du Gabon en commençant par la langue fang256.

254
Principes du catéchisme indigène en AEF, élaboré par Mgr Augouard, évêque apostolique au Congo.
255
Mboumba Bwassa, op. cit. p 195.
256
Révérend Trille, op. cit.
98
Au début, le recrutement des catéchistes se faisait essentiellement dans les écoles
ou chez les apprentis de la mission Sainte Marie. Le supérieur d’une station avait la
possibilité de choisir dans son école, des élèves qui montraient des prédispositions, et les
initiait lui-même à l’enseignement du catéchisme257. En 1880, Mgr Le Roy annonce à la
maison mère, Sainte Marie, que dix de ses anciens élèves remplissent la fonction de
catéchiste. Dès lors, le prosélytisme commence à germer un peu partout. A Donguila, le
supérieur fait faire un stage à la station à ses élèves avant de les envoyer dans les
différents postes. Les plus grands et les mieux disposés des élèves sont alors choisis pour
devenir de véritables catéchistes et font ainsi leur apprentissage en instruisant les enfants
dans les villages et les contrées voisines258.

Il existait une seconde méthode de recrutement. Pour les missionnaires, elle


consistait à aller dans les villages et ainsi, provoquer des discussions avec les autochtones.
Ils pouvaient de cette façon distinguer les gens les plus curieux et les plus instruits. Ils les
choisissaient ensuite pour en faire des catéchistes259.

L’œuvre des catéchistes date de plusieurs années, avant même l’instauration d’un
véritable catéchisme en 1894. On note déjà à Sainte Marie un enseignement similaire à
celui proposé par Mgr Le Roy mais moins riche ; ce n’était en effet que quelques
connaissances sur l’Ancien et le Nouveau Testament, transmises d’année en année entre
des personnes de même famille depuis le XVè siècle, époque de l’arrivée des Portugais.
Mais il faut attendre l’année 1880 pour voir ce que nous pourrions appeler, le premier
catéchiste instruit, en la personne de Jean Marie Lasséni. Il était aussi le tout premier
chrétien sékiany260. Signalons aussi l’exemple du roitelet Félix Adandè, maître d’école et
catéchiste bénévole ; il avait ouvert chez lui une école où plusieurs générations d’élèves
acquièrent une instruction suffisante sans avoir besoin d’aller ailleurs. Il existait aussi des
catéchistes ambulants chargés de visiter les villages de la côte, et baptiser les
moribonds261. Enfin, il y a l’époque du Père Trilles qui disposait d’une bonne équipe
composée de six à sept jeunes fang, élèves catéchistes262 : Il s’agissait d’ Ignace Nzé que
les prêtres emmenèrent en France, d’Evariste Essaba, de Charles Mba, de Joseph Obiang,
empoisonné dans le village où il enseignait, d’Yves Essone ainsi que deux ou trois autres

257
DOCSSP, Bulletin Général, T.XVIII « recrutement des catéchistes »
258
DOCSSP, Bulletin Général, T. XVIII « recrutement des catéchistes »
259
Mboumba Bwassa, op. cit. p 199.
260
A. Raponda Walker, Mémoires…op. cit. p 200.
261
Idem, p. 201.
262
Ibid, P. 202.
99
élèves dont nous n’avons pu retrouver les noms. Avec eux, le Vénérable Père Trilles
visitait régulièrement, en pirogue, les nombreux villages de la rive sud de l’Estuaire de
1895 à 1900.

En somme, depuis la deuxième moitié du XIXè siècle, l’œuvre des catéchistes au


Gabon progressait. Sans doute, elle a constitué un point fort dans l’édification de la jeune
Eglise indigène du Gabon. Cheville ouvrière de l’évangélisation, le catéchiste indigène est
le reflet du missionnaire. Désormais, les missionnaires, trop peu nombreux à faire le
catéchisme, prêcher, administrer les sacrements, visiter les villages à la recherche des
malades et des moribonds, pouvaient compter sur eux comme relais. Certes, les
catéchistes ne disposaient pas d’une formation de très grande qualité, d’ailleurs, les degrés
d’enseignement sont très différents à cette époque. Cependant, il n’en demeure pas moins
que ces derniers ont contribué à l’élargissement de l’influence catholique dans l’arrière
pays. Les raisons sont simples, d’abord, le catéchiste qui maîtrise la langue locale est donc
plus disposé à enseigner dans son propre dialecte. Ensuite, et contrairement au
missionnaire, le catéchiste est habitué à la vie au village et en brousse dont il est issu.
L’adaptation ne posait donc aucune difficulté.

*
Le missionnaire du XIXè siècle, était à la fois prédicateur, médecin, pédagogue,
maître d’œuvre, mais aussi le soucieux des âmes en peine. Dans la tâche d’évangéliste qui
était la sienne, son rôle au sein de la population autochtone s’est progressivement
diversifié sans cependant que la hiérarchie des tâches s’en trouve bouleversée263. En effet,
l’évangélisation fut de tout temps, leur fonction essentielle, mais l’exercice de la charité,
tout comme le souci plus immédiat d’assurer le succès et la gestion de la Mission, les
conduisent naturellement à s’occuper des hommes et de leur misère, ainsi qu’à assurer
d’autres fonctions. L’action du missionnaire dans sa très grande complexité, aboutit
inévitablement à remettre en cause toutes les structures des sociétés indigènes. Se voulant
élément de progrès, les missionnaires au Gabon ont également été un instrument de
destruction de certaines d’entre elles.

263
P. Guillaume, op. cit. p 67.
100
3 #
L’action sociale de l’œuvre missionnaire au Gabon, depuis le milieu du XIXè
siècle, peut se vérifier à plusieurs niveaux. Nous disposons pour cela d’une
documentation variée et les preuves ne manquent pas à ce sujet. Cette action peut se
justifier essentiellement à deux niveaux. Il y a d’abord l’œuvre d’éducation, marquée par
l’évangélisation et la scolarisation, ensuite l’œuvre sanitaire dont les missionnaires,
catholiques et protestants264 ont été à l’avant-garde dans le pays. La vérité est qu’il faut
reconnaître que les missionnaires ont peiné dur, affronté l’inconfort, la faim, la maladie, la
certitude d’une vie très brève, la mort265. En parcourant la correspondance très diversifiée
sur l’entreprise missionnaire au Gabon, on découvre les difficultés d’une vie de brousse
sous la chaleur du climat équatorial, les effets de la malaria et autres maladies qui n’ont
pas épargné les missionnaires dans un continent qui fut longtemps considéré comme le
« tombeau des Blancs »266. D’après le Père Jean Rémi Bessieux, les missionnaires
couraient des dangers à cause de l’hostilité des peuples autochtones267. A l’instar de
l’œuvre d’évangélisation, nous souhaitons à travers les lignes qui vont suivre, montrer la
contribution à la promotion humaine de la part des missionnaires.

# # 

C’est Mgr Leberre qui fut le plus explicite sur la raison pour laquelle les
missionnaires catholiques ouvraient des écoles au Gabon.
« La première et la plus importante des œuvres de la Mission est l’éducation des jeunes
Noirs…le but général de la Mission en cette œuvre c’est la civilisation chrétienne et
sociale du pays : les fins particulières sont la formation d’un clergé indigène…des
catéchistes, de bons pères de famille, de bons ouvriers dans les professions les plus utiles
pour le pays »268. Partant de ce postulat de base, les missionnaires étaient nécessairement
conduits à avoir un rôle éducatif dans le pays, dépassant la simple évangélisation.
D’ailleurs en 1845, Le Père Bessieux estimait que l’école était assurément la meilleure
méthode afin de mieux répandre la nouvelle religion dans le pays. Il disait à ce sujet :
« …il nous faudra des écoles pour l’un ou l’autre des deux sexes… »269, c’est à dire que

264
L’exemple le plus marquant reste incontestablement le cas du Docteur Albert Schweitzer à Lambaréné,
où on a pu déceler la plus admirable patience et la difficile conciliation du respect des mœurs locales avec
l’intronisation de la médecine occidentale.
265
Maurice CHEZA, Le synode africain. Histoire et textes, Karthala, Paris, 1996.
266
Jean Pirotte, op. cit. p. 148.
267
Archives CSSP, Boite 23 « D’après des notes contenues dans une correspondances adressée à Libermann
en juin 1845 ».
268
Archives CSSP, Boite 166, Rapports de Mgr Bessieux et Mgr Leberre.
269
Extrait d’une lettre du Père Bessieux qui date de 1845. ANG, carton n° 4015.
101
l’œuvre missionnaire n’entendait pas se limiter à la simple évangélisation. Il fallait dans
un premier temps apprendre aux Noirs à lire et à écrire, puis dans un second temps, tenter
de former une élite locale.

# %
De manière générale, les missionnaires séparaient l’école des garçons de celle des
filles : la fin de ce système est d’ailleurs encore très récente270. Pour ce qui est du cas des
garçons, le Père Bessieux ouvre le 2 janvier 1845, la toute première école indigène qui se
trouvait à proximité de Sainte Marie. Cette école était réservée aux garçons et il y avait au
total soixante cinq jeunes271. La création des écoles dans la plupart des colonies
françaises, et au Gabon notamment, avait un double objectif : d’abord, instruire la
jeunesse de manière à mieux asseoir la nouvelle religion, concomitamment, tenter de
contrecarrer l’action des missionnaires protestants qui étaient déjà bien implantés dans le
pays.

Mais les débuts semblent avoir été très difficiles. Premièrement s’est opéré le
choix de la langue d’étude : les missionnaires ont à faire le choix préalable entre la langue
d’enseignement, langue européenne, c'est-à-dire française, et la langue indigène ; en règle
générale, les protestants furent plus portés que les catholiques à enseigner dans les
langues locales. En effet, pour eux, la pratique religieuse ne se dissocie pas de la lecture
des livres saints, qu’il fallait mettre très largement à la portée de l’ensemble de la
population272. Les catholiques choisirent plus souvent d’enseigner dans leur propre
langue, car c’était pour ceux qu’ils considéraient comme de futurs prêtres, ou même de
futurs catéchistes, un préalable à l’apprentissage indispensable à l’étude du latin273.
Toutefois, un accent non négligeable était mis sur la pratique des langues locales : pour
rester en contact avec le peuple, pour préparer la jeunesse à jouer plus tard son rôle social
ou religieux, pour lui conserver toute sa personnalité, il fallait reconnaître aux langues
locales de larges et légitimes concessions. Une œuvre missionnaire en pays indigène, qui
ne le comprendrait pas, se suiciderait inévitablement, en même temps qu’elle contribuerait
à tuer l’âme de ceux qu’elle prétend vouloir émanciper…telle était la volonté (sans doute)
des missionnaires.

270
On peut citer les cas du collège Bessieux pour les garçons, du collège de l’Immaculée Conception, de
collège Quaben et du collège Sainte Marie pour les filles.
271
Archives CSSP, Lettres du Père Bessieux du 12 mars 1845.
272
Pierre Guillaume, op. cit. p 69.
273
Idem.
102
Au Gabon, ce projet a réellement du mal à voir le jour car, face à la multitude de
langues locales, aucune ne semblait faire l’unanimité dans le pays. De plus, les
missionnaires estimaient qu’ils s’engageraient certainement dans des luttes internes s’ils
voulaient imposer une langue commune. On opte donc pour le français dans tous les
programmes scolaires. Implicitement, les missionnaires se faisaient aussi des agents d’une
politique officielle d’assimilation limitée, tendant à donner ses auxiliaires indigènes à la
colonisation274.

La deuxième difficulté qui se pose aux missionnaires dès l’ouverture de l’école


résidait sur l’attitude des jeunes face à cette nouvelle situation. En effet, beaucoup
d’enfants montraient une hostilité quant à se séparer de leur domicile durant de longues
heures. De plus, les parents hésitaient à envoyer leurs enfants à l’école, c’est ce qui
explique d’ailleurs les très faibles effectifs enregistrés au début. En 1845 notamment, on
dénombrait seulement à peine quinze élèves275. De plus, le recrutement parmi les élèves
était exclusif, il ne touchait malheureusement pas toutes les couches ethniques des
populations vivant dans l’Estuaire car ces recrutements se faisaient essentiellement parmi
les enfants des villages Louis et Quaben276. Durant les premiers mois de sa création,
l’école n’a donc intéressé que très peu de garçons. L’enseignement fut dans un premier
temps donné en langue mpongwé : le Père Bessieux qui y attachait du prix, publia des
essais de vocabulaire dans cette langue. Selon lui, cela devait faciliter l’instruction277.
Mais très vite, ce système d’enseignement fut contesté par les autorités coloniales.
L’administrateur Général estimait que l’école devait se faire essentiellement en langue
française et pour ce faire, une subvention particulière fut accordée aux missionnaires afin
de donner la meilleure instruction aux jeunes garçons noirs278. L’épisode d’un
enseignement en langue vernaculaire fut donc écourté.

274
Ibid.
275
L.C. Obiang, op. cit. p. 67.
276
Idem.
277
Ibid.
278
ANG, carton N° 187 « Rapports administration coloniale et missionnaires ».
103
! # $
C’est seulement en 1853 que fut ouverte la première école chargée de l’éducation
des filles, soit huit ans après celle des garçons. Les raisons de ce retard s’expliquent par le
fait que les missionnaires tenaient à distinguer l’éducation des garçons de celle des filles
et en raison de l’arrivée décalée des sœurs chargées de s’occuper des jeunes filles. Aux
sœurs de l’Immaculée Conception de Castres279, on confia de façon complète l’éducation
de la jeune fille gabonaise. Plus tard, les femmes européennes s’investissent également
dans la colonie en fonction de la mission que la métropole leur confie, tacitement ou
explicitement. Si l’on conçoit assez facilement que les religieuses enseignantes ou
hospitalières partent pour remplir des taches bien précises, il en est de même pour
certaines européennes établies dans la colonie avec leurs époux. Elles sont chargées et
assument un rôle civilisateur à l’égard des femmes indigènes, rapidement considérées par
les autorités coloniales comme les meilleurs agents potentiels de la pénétration des idées
occidentales280. La mission qui leur incombe est finalement peu éloignée du rôle des
religieuses tant et si bien que la femme européenne se transforme peu à peu dans le
discours colonial comme une sorte de missionnaire laïque.Trois angles d’attaque sont
généralement proposés : lutter contre la polygamie, transformer l’Africaine en une bonne
mère et développer l’éducation scolaire des filles indigènes281. Cependant, ce ne semble
pas motiver pour autant certains parents à envoyer leur fille à l’école. D’après les
anciennes coutumes, la femme était uniquement vouée au travail à la cuisine et dans les
champs ; en outre, elle constituait aussi une source de revenus pour les parents car elle
était destinée au mariage. Ces nombreuses raisons retardèrent pendant longtemps
l’éducation des jeunes filles.

Contrairement aux garçons, les missionnaires n’entendaient pas assigner les


mêmes tâches aux jeunes filles. Certes, elles pouvaient une fois chez elles, parler de
l’évangile, mais elles étaient plutôt préparées à devenir bonnes mères de famille. Leur
éducation consistait pour l’essentiel à l’apprentissage des métiers usuels féminins :
couture, broderie, cuisine, jardinage…282. Dans leur façon de procéder, les missionnaires
préparaient, certes, la jeune gabonaise dans son futur rôle de femme au foyer, mais il n’en

279
Première congrégation religieuse à s’être implantée au Gabon. En 1842 à Neuville, Jean Rémy Bessieux
est le principal artisan de cette découverte. Ils les amène au Gabon quelques années plus tard (voir chapitre
premier, I-1.3)
280
Catherine JACQUES et Valérie PIETTE, « l’Union des femmes coloniales (1923-1940) », in Histoires
des femmes en situation coloniale, Afrique et Asie, Ss la dir. de Anne Hugon, Kathala, Paris 2004.
281
Idem, p. 98.
282
Christian Clotaire IVALA, L’œuvre éducatrice des missions du Gabon 1870-1914, mémoire de Licence
d’Histoire, Libreville, UOB, 1980, 71 p.
104
demeure pas moins que ce type d’éducation restait très réducteur. La jeune femme devait
se contenter de savoir lire et écrire ; elle dépassait rarement le cap du cours préparatoire.
En plus, ce système représentait une excellente main d’œuvre pour les sœurs : les jeunes
filles se livraient aux tâches de cuisinières, blanchisseuses, et leur entretien ne coûtait pas
cher.

En définitive, qu’elle soit fournie par la mission ou par l’administration coloniale,


l’éducation a eu une forte influence sur l’implantation de la Mission au Gabon. Elle
prépara les autochtones à prendre les responsabilités des missionnaires. Selon Martin
Alihanga283, il devenait possible de leur confier de plus en plus de grandes responsabilités.
Le tableau ci-dessous ainsi que le graphique qui l’accompagne nous permet d’apprécier
l’évolution des effectifs scolaires au Gabon entre 1845 et 1905.

283
Martin Alihanga (sociologue), Entretien du 23 avril 2001 à l’UOB.
105
= ? &* ! ! '5?
(,?

Années Ecoles Ateliers Nombre de Nombre de Total des


garçons filles effectifs

1845 1 65 65

1850 2 23 23

1855 3 37 35 72

1860 2 2 75 35 110

1865 2 4 160 60 220

1870 2 5 160 61 221

1875 5 5 155 45 200

1880 6 5 263 60 323

1885 6 6 264 60 324

1890 6 6 487 190 677

1895 6 6 633 188 821

1900 7 7 700 192 892

1905 8 6 723 208 931

# ! $ ! * ## : ! # : "

106
) & ! ! '5? ; (,?

Courbe d'évolution garçons/filles entre


1845 et 1905

800
700

Nombre total
600
500 Garçons
400
300 Filles
200
100
0
45

55

65

75

85

95

05
18

18

18

18

18

18

19
Années

# ! $ ! * ##

Le tableau ci-dessus représente l’évolution des effectifs scolaire entre 1845 et


1905. Cependant, ces effectifs ne cadrent pas avec la situation globale du pays. Ils ne
concernent que la région de l’Estuaire de l’époque. De 1845 à 1875, les effectifs sont très
faibles par tranches de cinq années, le nombre des élèves inscrits à l’école ne s’accroît
considérablement qu’à partir de 1880. Les raisons de cette situation trouvent leur
explication à plusieurs niveaux. D’abord, il y a les parents qui acceptaient difficilement
d’envoyer leurs enfants à l’école, sans compter la volonté même de ces derniers. Ensuite
les moyens mis en place par la politique coloniale en matière d’éducation restaient
succints. De plus, la France à cette époque ne consentait plus trop à vouloir garder le
Gabon comme colonie même si les missionnaires catholiques s’y étaient opposés
farouchement284. Toutes ces raisons viennent donc se rajouter aux obstacles et contraintes
structurelles déjà signalées. En revanche, avec le règlement de la question géopolitique,
les effectifs vont augmenter d’une façon visible dès 1885-90.

! #
3 #
Les missionnaires ont-ils réellement pratiqué la médecine ? En réalité, ils n’étaient
pas médecins même si selon la philosophie missionnaire de l’époque, tout prêtre
(missionnaire) devait être un docteur : à lui d’étudier un peu de médecine, de façon à se
débrouiller pour les cas les plus usuels. D’après les sources consultées, nous savons que

284
Voir chapitre suivant sur le projet d’évacuation de la colonie du Gabon au profit de la Gold Coast
(actuelle République de la Gambie).
107
les missionnaires soignaient les malades lors de leurs périples apostoliques. Ils profitaient
en effet de leurs tournées pastorales dans les villages pour procurer les médicaments à
ceux qui souffraient285. Ils repéraient les malades du sommeil ou d’autres mourants, et
leurs administraient le baptême. Les catéchistes et les « boys » aidaient les missionnaires
dans leur tache286. Malgré la superstition des indigènes et la méfiance que certains
affichaient vis-à-vis de cette médecine occidentale, les missionnaires se rendent très vite
compte qu’il fallait conjuguer avec les pratiques traditionnelles. L’évolution se situe en
deux périodes. Il y a d’abord celle d’une médecine latente marquée par beaucoup
d’incertitudes et d’approximations, ensuite, celle qui apporte des progrès.

! 4 #
Comme nous l’avons précisé plus haut, le missionnaire était aussi le médecin du
village dans lequel il exerçait son ministère. En effet, l’exercice de la charité chrétienne et
les impératifs de l’évangélisation ont conduit les missionnaires à soulager les maux
physiques des populations autochtones287. Dans le domaine de la santé, il faut pourtant
reconnaître qu’au départ, les missionnaires catholiques comme leurs collègues protestants
étaient pourtant bien mal armés. A leur arrivée au Gabon, ils sont immédiatement frappés
par la souffrance et la misère qui habitent les populations locales, notamment celles de
l’Estuaire du Como. Cette misère s’accompagnait de nombreuses maladies endémiques
qui sévissaient dans toutes les classes d’age de la population. Face à ce drame, les
missionnaires pensent qu’il faut rapidement mettre en place des structures sanitaires afin
de démarquer les Noirs de leurs anciennes pratiques traditionnelles souvent inefficaces,
du moins c’est ce qu’ils pensaient. A peine arrivée au Gabon, le Père Bessieux exprime
son inquiétude au VP Libermann en ces termes : « …c’est un peuple souffrant, il y a
souvent de nombreux décès. Nous pouvons pourtant leur venir en aide car il ne s’agit pas
de maladies incurables »288. Cette demande n’est pas restée sans suite. En 1850, on
compte déjà deux dispensaires à Sainte Marie et à Saint Joseph des Benga dans le Cap
Estérias289. Toutefois, ces dispensaires sont restés très limités en matériel médical. De
plus, les autochtones ont hésité pendant longtemps avant de se rendre dans ces espaces
aménagés par les missionnaires. Beaucoup pensaient qu’il était plus utile de continuer à

285
Flavien Nkay Malu, op. cit. P. 68.
286
Idem. P. 68.
287
Pierre Guillaume, op. cit. p 72.
288
ANG, carton n° 4015, extrait d’une lettre du Père Bessieux en 1844.Voir aussi Archives CSSP, Boite 23.
289
Il ne s’agit pas de dispensaires à la dimension de ceux que nous connaissons aujourd’hui, encore moins
de structures bien équipées. En 1850, il s’agissait de petites maisons assez bien aménagées où on pouvait
trouver quelques lits susceptibles de recevoir quelques personnes.
108
faire confiance à la médecine traditionnelle. Mais à l’âge d’une médecine traditionnelle
dont les objectifs se situaient surtout dans l’au-delà, se substitue progressivement une
époque de lutte scientifique contre la maladie par la thérapie, le diagnostique et l’hygiène.
Dans ce domaine, la contribution des missionnaires catholiques fut importance. Afin de
lutter contre la médecine traditionnelle, qu’ils estimaient barbare et sans utilité, les
missionnaires catholiques initièrent une pratique qui consistait à récompenser tous ceux
qui amenaient les malades. Cela occasionna par la suite un nombre croissant de malades
dont les petits dispensaires déjà très limités en moyens et en matériels ne purent
accueillir290.

Mais six années après l’installation des premières structures sanitaires, c'est-à-dire
vers 1855-1856, la « médecine missionnaire » ne semblait toujours pas porter ses fruits
tant les résultats restaient assez médiocres291. Vingt ans après, les résultats n’étaient
toujours pas probants. Cette inefficacité s’explique par le manque de matériels disponibles
dans les structures sanitaires. De plus, en matière de médicament, les missionnaires se
contentaient de distribuer quelques comprimés aux villageois et certaines maladies
comme la lèpre, la tuberculose, la dysenterie n’étaient même pas traitées292.

!! 5 #
C’est à partir de 1875 que l’action de la médecine missionnaire porta ses fruits
dans la colonie du Gabon. On comptait facilement plus de vingt malades dans chaque
dispensaire dont le nombre avait lui aussi augmenté293. Il faut dire que les missionnaires
ont eu du mal à convaincre les autochtones de la nécessité d’envoyer les malades dans les
dispensaires. Les progrès en perspective s’expliquent aussi par le fait que les
missionnaires ont finalement compris que la médecine traditionnelle gabonaise avait ses
vertus. Si, parmi les remèdes indigènes, employés par les Gabonais, il y en a qui ne valent
rien ou pas grand-chose, il y en a aussi, et bon nombre, dont l’efficacité est indiscutable.
En voici quelques cas anecdotiques mais révélateurs de ce changement d’esprit : Vers
1890, Benoît Anguilet, âgé environ de dix huit ans, fut envoyé comme moniteur à la
mission de Boutika (Rio Mouni). Peu après, il fut atteint d’aliénation mentale et renvoyé à
Libreville. Mgr Le Berre, alors évêque du Gabon, fit venir une vieille femme mpongwè

290
Michel Assoumou Nsi, op. cit. p 28.
291
L.C. Obiang, op. cit. p 73.
292
Idem p. 74.
293
Nicolas METEGHE N’NAH, Le Gabon de 1854 à 1886, présence africaine et peuples autochtones,
thèse de Doctorat 3è cycle d’Histoire, Paris, Sorbonne, 1974.
109
du village Anongo-Amyani et lui confia le jeune homme. Un ou deux mois après, celui-ci
revenait à Sainte Marie : il avait recouvré la raison grâce à quelques simples plantes
recueillies par la guérisseuse dans la forêt voisine. Le jeune homme a vécu encore de
longues années pendant lesquelles il a été envoyé dans les bureaux de l’administration ou
des maisons de commerce294. Le premier prêtre gabonais raconte que quelques mois après
son installation à la mission Saint Pierre (1911), un chrétien fang vint le voir et, tout triste,
il lui raconta que le médecin de l’hôpital avait renvoyé son petit garçon, disant qu’il était
perdu : il n’y a avait pas moyen de le guérir. Or, au bout de quelques semaines, le brave
homme, tout heureux, ramenait son fils en bonne santé. Une vieille dame Fang avait bien
voulu lui donner des soins et l’avait guéri295. Les cas de ce genre sont nombreux et
rapportés par les missionnaires. Aussi, ces derniers se rendirent de plus en plus à
l’évidence que la médecine traditionnelle était indispensable, du moins devait-elle prise
en considération.

Aux efforts de la médecine traditionnelle de plus en plus reconnue par les


missionnaires, vient s’ajouter d’autres éléments qui contribuèrent à donner un élan aux
soins médicaux dans le pays. Responsables des dispensaires comme ils l’étaient des
écoles, les ordres missionnaires surtout féminins, se dotèrent progressivement d’un
personnel médical bien qualifié. Dès 1877, le dévouement bien connu de ces bonnes
sœurs se caractérise par leur présence dans les hôpitaux et les dispensaires296. En voyant
le nombre massif de malades qu’il y avait de plus en plus dans les hôpitaux, les
missionnaires en profitaient pour répandre la religion du Christ, ce faisant, les centres
médicaux devinrent des lieux actifs d’évangélisation.

L’œuvre des missionnaires ne se limita donc pas uniquement à l’évangélisation et


à la construction d’églises dans le but de laisser un témoignage de leur présence.
L’ouverture d’école permet aussi à l’administration coloniale et à la Mission de
commencer à préparer l’élite intellectuelle du pays, celle qui sera recrutée parmi les
nombreux jeunes formés dans les classes des écoles missionnaires. L’arrivée des
religieuses apporta une nouvelle dimension à l’œuvre sociale des missionnaires dans le
pays. L’éducation des filles par les sœurs et la formation d’ouvriers qualifiés dans les
écoles professionnelles en l’occurrence l’école des apprentis de Sainte Marie, sous

294
André Raponda Walker, op. cit. p 195.
295
Idem p. 195.
296
Claude Dauthuille, op. cit. p 9.
110
l’impulsion des Pères et des Frères sont un véritable succès297. Mais malgré cette réussite
dans le domaine scolaire, il demeure des problèmes considérables dans la jeune Eglise du
Gabon. On parle de plus en plus de la nécessité urgente d’accélérer le processus de mise
en place de structures devant progressivement permettre à la colonie de se doter d’un
clergé local. Avant cette étape, un certain nombre de difficultés entravent cette entreprise,
à court, moyen ou long terme.

$$ # #
#
L’œuvre d’évangélisation au Gabon ainsi que le processus de mise en place d’un
clergé indigène ne se sont pas opérés sans difficultés majeures. En effet, plusieurs causes
viennent enrayer à la propagation du catholicisme dans le pays, en particulier lorsqu’il
s’agit de la formation d’un clergé local. La principale question que l’on doit se poser
avant toute forme d’exposé est celle de savoir pourquoi les missionnaires décident à un
moment donné de l’urgence de créer le clergé local au Gabon ? Certes la raison la plus
fondamentale est que les pays de missions devaient progressivement se doter d’un clergé
local libre. Mais parmi les raisons les plus citées pour expliquer cette urgence, il y a
naturellement ce que nous pouvons appeler des causes immédiates. En effet, la faiblesse
des effectifs chez les prêtres missionnaires blancs, la rigueur du climat, la difficulté de la
vie et du travail pour les Blancs dans certaines zones de la colonie, la concurrence
protestante et dans une certaine mesure, la réserve des peuples indigènes sont autant de
causes qui expliquèrent à un moment donné, l’urgence, voire l’impératif d’avoir un clergé
noir.

Déjà en 1844, le VP Libermann envisageait de former des prêtres noirs. C’est


donc dire que l’idée existait déjà, il fallait juste les moyens pour la concrétiser.
Cependant, la formation du clergé noir devait répondre à des particularités. Le chef des
spiritains estimait que les futurs prêtres noirs devaient être placés dans les endroits les
plus dangereux de la côte et surtout dans l’intérieur du pays où les conditions de vie
restaient très précaires298, tandis que les missionnaires blancs ne leur rendraient visite que
durant la bonne saison, pour les soutenir et pour les aider en leur donnant des conseils. Le
VP Libermann estimait en définitive que l’emploi du prêtre noir était nécessaire car en
tant que ressortissant du pays, il était habitué au climat rigoureux, il pouvait donc occuper

297
Idem.
298
Lettre du 22 juillet 1844, cité de Mboumba Bwassa, p. 218
111
les terres les plus lointaines et éviter de mettre en péril la santé fragile du missionnaire299.
De même, pour Mgr Kobes300, l’immensité étendue de la Mission, la multitude des
langues parlées dans les dites régions, le nombre très restreint des missionnaires étaient
autant de raisons qui rendaient indispensable la formation d’un clergé indigène.

On peut donc dire que tout le monde s’accordait alors à reconnaître l’importance
d’un auxiliaire autochtone, qui aurait l’avantage d’apporter un plus à l’œuvre
d’évangélisation dans le pays. A la lecture des motifs évoqués par les responsables des
missionnaires aussi bien celles émises par la maison mère et celles des vicaires
apostoliques locaux, toutes les conditions semblaient être remplies pour faire du futur
prêtre indigène un simple assistant du missionnaire, un rôle extrêmement secondaire sans
pouvoir de décision. En définitive, les prêtres noirs ne vaudront pas les prêtres blancs, ni
en mérite, ni en traitement. A travers les lignes qui vont suivre, notre objectif sera de
traiter des problèmes qui ont entravé la propagation du catholicisme dans le pays, mais
aussi, de justifier les raisons pratiques qui ont favorisé la mise en place des structures de
formation du clergé noir.

$$ # # 6# $ #

Ayant pleinement conscience que la rénovation souhaitée de toute l’Eglise dépend


en grande partie du ministère des prêtres, lesquels sont animés par l’esprit du Christ301, le
Saint Concile de Vatican II proclame l’importance tout à fait déterminante de la formation
des prêtres, et il présente quelques principes fondamentaux relatifs à celle-ci, qui
confirment des lois déjà éprouvées par l’expérience des siècles passés et qui introduisent
des éléments nouveaux qui correspondant aux changement intervenus à notre époque. A
cause même de l’unité du sacerdoce catholique, cette formation sacerdotale est nécessaire
pour tous les prêtres du clergé séculier, quel que soit leur rite, c’est pourquoi, ces
prescriptions qui regardent directement le clergé diocésain, doivent être appliquées à tous.

299
Idem, p. 218.
300
Mgr Kobes est Vicaire apostolique du Loango, région appartenant géographiquement au Gabon, mais du
point de vue ecclésiastique, elle dépendait du Moyen Congo. Il est également le premier évêque de
Sénégambie (1848-1872), région où il encourage les premières vocations autochtones, in Histoire de
l’Eglise catholique au Sénégal, du milieu du XVè siècle à l’aube du troisième millénaire, Karthala, Paris
2008, 584 pages.
301
Selon la volonté du Christ, le progrès de tout le peuple de Dieu dépend principalement du ministère des
prêtres. Cela ressort des paroles par lesquelles le seigneur a constitué les apôtres ainsi que leurs successeurs.
Cela est encore confirmé par les paroles de différents Pères et des Saints, ainsi que par les documents
réitérés des souverains pontifes.
112
Le devoir de favoriser les vocations incombe à la communauté chrétienne tout entière, qui
doit s’en acquitter avant tout par une vie pleinement chrétienne ; le concours le plus
important sous ce rapport est fourni par les familles qui, animées d’un esprit de foi, de
charité et de piété, deviennent en quelque sorte le premier séminaire, il en est de même
des paroisses où les premiers signes doivent impérativement être détectés.

En 1856, c'est-à-dire plus d’une dizaine d’année après leur arrivée au Gabon, les
missionnaires évoquent toujours des difficultés liées à la maîtrise des langues
vernaculaires, ce qui rend assez difficile la pratique de l’apostolat. Cependant, la langue
n’a pas été un obstacle insurmontable. Le Père Jean Rémi Bessieux lui-même s’adonnait
déjà dès 1845 à l’étude de l’omyénè. Les pratiques occultes traditionnelles et la polygamie
sont d’autres éléments qui viennent s’ajouter aux difficultés rencontrées. En effet, afin de
répandre la nouvelle religion, les missionnaires avaient jugé nécessaire de supprimer tout
objet de culte. Malgré les mises en garde du missionnaire, les autochtones ne se
montraient pas souvent favorables à ces mesures. Pour souligner cette double difficulté,
l’Abbé Florent Mboumba Bwassa fait remarquer ce qui suit : « L’ignorance de la langue
et de la civilisation africaine ont contribué à l’échec des différentes fondations et au
piétinement de l’évangélisation dans le pays… »302.

Toutes ces raisons ont donc été des facteurs non négligeables qui ont conduit les
missionnaires à mettre en place un clergé indigène dans la mesure où le prêtre indigène
apparaissait comme le personnage clé pour dompter toutes ces difficultés. Certes, il y a
dans les principes de l’Eglise catholique des Missions, la formation du clergé autochtone,
cependant, il y a une forte ambiguïté dans le processus que cette entreprise a connu au
Gabon. On peut aussi penser que les motivations ont évolué dans le temps. Au temps de la
colonisation triomphante, il s’agissait surtout dans l’Eglise catholique, de donner des
auxiliaires aux missionnaires écrasés par leurs tâches, et il paraissait tout naturel que la
hiérarchie de celle-ci reste blanche. Mais à l’heure des premières difficultés, l’existence
d’un clergé indigène est de plus en plus apparue comme la condition même de survie du
catholicisme au Gabon ; il ne s’agit plus seulement de former de simples auxiliaires
(catéchistes…), mais de former des prêtres capables de seconder le missionnaire même si
leur pouvoir restait très limité303. De toute façon, les décisions prises par les autorités
indigènes membres de l’Eglise indigène étaient soumises à l’approbation de la conférence

302
Mboumba Bwassa (thèse), op. cit. p.51.
303
Débat sur l’instauration d’une hierachie indigène, voir actes du CREDIC : Des missions aux Eglises :
naissance et passation des pouvoirs, XVII-XX7 siècles, Lyon, Université Jean Moulin, CNRS, 1989-1990.
113
des missionnaires, une organisation paternaliste sans doute, mais qu’à longtemps légitimé
la faiblesse numérique des membres de l’Eglise indigène.

Pierre Guillaume rappelle cependant que l’absence des cadres, l’incertitude


spirituelle et théologique des nouveaux convertis retournant facilement au paganisme dès
que la pression tribale se faisait sentir, l’inaptitude des indigènes à manier les deniers de
la collectivité, et surtout le manque de maturité des indigènes pour entreprendre à leur
tour une action missionnaire…304 ces quelques raisons ont conduit inévitablement le
pragmatisme catholique à confier aux futurs prêtres noirs des tâches subalternes et ont
conforté les missionnaires dans cette vision supérieure.

! # #
De 1856 à 1899, année de l’ordination d’André Raponda Walker, il a fallut
attendre bien longtemps avant de voir l’ordination du premier prêtre gabonais. Et même
après 1899, les ordinations de prêtres indigènes restèrent pendant longtemps assez rares.
Les missionnaires durent s’expliquer sur les raisons de cette attente et tentèrent de réfuter
ce qu’ils appelèrent publiquement le reproche de la lenteur305. Aussi, pour expliquer les
raisons d’un tel retard, Martin Alihanga306 fait remarquer que le but des Missions était
l’installation définitive de l’Eglise locale. Mais en préalable, il fallait former des familles
chrétiennes, des catéchistes. Tout ceci devait provoquer l’adhésion aux vocations
sacerdotales et religieuses dans le pays, qui allaient à leur tour constituer les pierres de
fondation d’une Eglise définitive. Mais on se heurtait en la matière à de forts préjugés,
ceux des missionnaires d’abord, qui doutaient des aptitudes de leurs néophytes, ceux des
autochtones également qui acceptaient de suivre un Européen, beaucoup plus
difficilement qu’un congénère.

Afin de justifier les préjugés qu’ils portent sur leurs néophytes, les missionnaires,
et particulièrement Mgr Fauret, soulignent quatre arguments qui sont l’infériorité de
l’homme noir à l’image du cas d’Armand Bambara, ce grand séminariste gabonais qui, à
quelques semaines de son ordination sacerdotale donna des signes de folie et dû être
enfermé et surveillé jusqu’à sa mort. Les autres séminaristes qui avaient été en étude avec
lui évoquent le fait qu’il aurait été empoisonné, ou tout simplement qu’il aurait subi des
pressions familiales au point où certains parents, foncièrement jaloux, lui auraient jeté un

304
Pierre Guillaume, op. cit. p 82.
305
Sœur Marie Germaine, Le Christ au Gabon, Louvain, 1931, 172 p.
306
E. O. op. cit.
114
mauvais sort307. Mgr Fauret réfute cette interprétation et se demande plutôt si son cerveau
de primitif avait fourni un effort trop grand pour s’assimiler les connaissances parfois
abstraites requises de tout prêtre en Afrique comme en Europe308. De son côté, Mgr
Briault estime qu’il ne fait aucun doute que le jeune Bambara ne put supporter le poids
des études et sombra dans l’aliénation mentale309. Cette interprétation est tout à fait
subjective et n’est fondée sur aucune sincérité, toutefois elle est révélatrice de l’état de
l’opinion du clergé missionnaire. Ajoutés à l’infériorité de l’homme noir, d’autres
arguments sont avancés par les missionnaires tels que les vices et les défauts propres à la
race noire, le complexe de la couleur et l’infériorité néfaste du milieu familial. Selon Mgr
Derouet, Vicaire apostolique du Loango en 1856, on rencontre dans les séminaires
africains de forts belles âmes, naïves et pures où le regard pénètre sans obstacle. Mais
avec l’age et sous l’influence de l’ativisme, de la différence de race et de la couleur, la
distance s’établit, les voiles se tendent et les rapports deviennent moins fréquents310.

Au vu de toutes ces réserves formulées par les missionnaires, on est en droit de se


demander quels genres de prêtres voulaient-ils former en définitive ? Sans doute, le
comportement de certains missionnaires n’était pas toujours exempt de racisme, voire
d’un complexe de supériorité. Pour tenter d’expliquer les appréhensions des missionnaires
à l’endroit des noirs, candidats au sacerdoce, il est possible de penser que certains
missionnaires avaient du mal à admettre l’idée future de servir sous l’autorité d’un évêque
noir, de surcroît leurs anciens élèves311. De telles attitudes sont tout à fait humaines et
peuvent se comprendre, on ne saurait donc les généraliser, mais tout porte à croire que
c’était bien là, le sentiment de cette époque même si on doit en toute honnêteté
reconnaître le dévouement des missionnaires et les grands services qu’ils ont rendus,
aussi bien dans les milieux christianisés que dans ceux qui n’avaient pas encore reçu la
nouvelle religion. Cette critique ne remet pas en cause le caractère désintéressé.
Aujourd’hui encore, plus d’un gabonais peut porter le témoignage selon lequel les
missionnaires, prêtres et pasteurs ont parcouru à bicyclette des dizaines de kilomètres,
sous le soleil ou la pluie, par moment en pirogue dans les villages lacustres, pour apporter

307
DOCSSP, Bulletin Général, T. XII, “Le séminaire au Gabon”.
308
DOCATGAB, Monseigneur Fauret, Le séminaire Saint Jean de Libreville, 1849- 1832.
309
DOCATGAB, Monseigneur Briault, Le clergé indigène en AEF, Paris, 1939. Voir aussi CSSP, Boite 631
« Correspondances Mgr Briault ».
310
DOCATGAB, Mgr Derouet, le séminaire de Mayumba, Loango, 1912.
311
Les craintes observées par les missionnaires sont contenues dans certaines de leurs propres
correspondances. Voir par exemple Archives CSSP Boite 351, Notes du Père Gervain.
115
la Bonne Nouvelle312. Des prêtres se déplaçaient souvent, à vingt kilomètres à la ronde,
pour assurer la messe du dimanche dans plusieurs villages, où se rassemblait une fois par
an, les communautés chrétiennes.

! *
Les difficultés rencontrées relèvent aussi de problèmes généraux. Nous devons les
prendre en considération afin de mieux cerner l’action missionnaire. Sans perdre de vue
leur mission prioritaire qui est d’implanter l’Eglise locale, nous souhaitons aborder les
premières difficultés qui ont ralenti l’implantation d’une Mission durable dans le pays.

! $$ # ,
Si comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, plusieurs stations
missionnaires avaient été crées au Gabon depuis 1844, ces dernières étaient très souvent
abandonnées juste après leur création, ou même ne fonctionnaient pas du tout, elles ont
été supprimées ou même déplacées pour plusieurs raisons. En effet, trois raisons ont
compromis l’installation définitive d’une mission au Gabon. Comme nous le stipulions
dans les chapitres précédents, on parlait d’abord de stations missionnaires. Celles-ci
pouvaient être érigées plus tard en missions catholiques, c’est le cas de Saint Pierre créée
en 1849, qui en 1882 fut placé au rang de mission par Mgr Leberre313. Mais pour
implanter une mission, il fallait avoir une population importante. Dans certains cas,
certains chefs avaient imaginé des stratagèmes afin de grossir la population et réclamer
une mission. Au Cap Estérias par exemple, on comptait par dizaine des Benga, or il
apparaît que ces chiffres étaient faux314 ! Il semble que les chefs ne réclamaient
l’installation d’une mission juste dans le but d’en faire une factorerie et en tirer des
retombées : à ce sujet, Monseigneur Bessieux note ceci : « …Ce qu’ils veulent…des
pagnes, de l’alougou…le reste, ils s’en moquent315. Monseigneur Leberre dit la même
chose et dévoile l’identification du missionnaire au commerçant blanc : « L’attitude des
primitifs se comprend. Comment auraient-ils pu s’imaginer que les blancs viendraient
chez eux leur parler de Dieu gratuitement, et non pour autre chose comme les combines
financières. Pour eux, le Blanc était le commerçant, le trafiquant, un point c’est tout.316.

312
Maurice AHAHANZO GLELE, Religion, Culture et Politique en Afrique Noire, Paris, Présence
Africaine, 1981.
313
Michel Assoumou Nsi,…p. 28.
314
Gaston Pouchet, op. cit. p 67.Voir aussi Archives CSSP Boite 1001 « Notes Père Pouchet ».
315
Monseigneur Bessieux, cité par le Père Gaston Pouchet, p. 68.
316
Idem.
116
La deuxième raison est liée aux voies de communication. Les pistes du Gabon
profond étaient souvent très impraticables en saison de pluie. Mgr Tardy qui visitait son
diocèse tous les ans, mettait souvent huit mois avec des arrêts forcés. Certaines pistes qui
devenaient de petites rivières, rendaient impraticables la marche à pied et contraignaient
les porteurs à beaucoup de pénibilité317. De plus, les pistes impraticables presque durant
toute l’année ne permettaient pas de ravitailler régulièrement les missions, lesquelles
durent souvent être fermées voire supprimées.

La troisième et dernière raison, la plus importante était liée à un manque cruel de


prêtres. Il n’y a pas de vraies missions sans la présence d’un pasteur. Le manque de
prêtres n’a pas permis d’ériger certaines stations en missions surtout celles situées à
l’intérieur du pays. De plus, les autochtones ont souvent voulu le changement continuel
des Supérieurs de missions. Voir un nouveau prêtre débarquer dans le village
enthousiasmait les villageois qui se rendaient en grand nombre vers l’église pour
l’écouter : cela occasionnait aussi de nombreux cas d’adhésion au baptême. En plus, le
fait qu’un nouveau prêtre arrivait dans le village était souvent l’occasion d’élever celui-ci
au rang de dignitaire dans le village. C’est le cas en 1897, quand les Nkomi318 accordèrent
une intronisation royale à un missionnaire catholique français, le Père Bichet. Ce n’était
pas la première fois qu’ils décernaient de tels honneurs traditionnels à un Européen, mais
le nom de Rénima qui fut donné au Père Bichet avec le sens supposé de chef de tout le
pays s’accordait très mal avec les formes contemporaines de l’autorité politique319. Les
nkomi étaient sensés obéir à un chef suprême, le Régondo, qui n’avait pas été déposé
lorsqu’on sacra le missionnaire. Aujourd’hui encore, les descendants de ce chef
n’accordent aucune valeur au titre du Père Bichet, leur argumentation est d’autant plus
valable sur le plan clanique qu’ethnique. Toutefois, ces honneurs ne fidélisaient pas dans
la durée les populations.

317
Gaston Pouchet, op. cit p 68.
318
Environ 10000 personnes aujourd’hui, les Nkomi sont les représentants méridionaux du groupe myéné
qui réside sur le littoral gabonais. Géographiquement et culturellement parlant, ils se situent entre les bavilis
organisés de l’ancien royaume du Loango et les peuples typiques des sociétés fragmentaires de la côte qui
sont les mpongwés et les Orungu.
319
François Gaulme, « Missionnaires au Gabon », in Pentecôte sur le monde, n° 87, mai-juin 1971, Revue
bimestrielle.
117
& 7 # #
S’il y a une question qui a beaucoup influencé les rapports entre l’Administration
coloniale et l’Eglise catholique au Gabon, c’est bien celle du projet d’abandon de ce
territoire. A l’issue de cette affaire, les missionnaires revendiquent en quelque sorte le
mérite d’avoir sauvé le Gabon de l’abandon et par conséquent, plus que toute autre
communauté, ils pensent devoir être consultés pour toute décision importante concernant
l’avenir de la colonie. Cependant l’Administration ne voyait pas les choses de cette
façon320. Il est important de signaler que ce projet est décidé par les autorités françaises en
1875, alors que l’Eglise est déjà plus ou moins installée au Gabon, notamment avec
l’école des latinistes en 1856. Pourquoi avoir décidé de s’arrêter sur le projet d’évacuation
du comptoir du Gabon comme une difficulté majeure dans l’installation de la Mission ? Il
apparaît évident qu’à cette époque si la France décide de quitter le Gabon, cela anéantirait
tous les efforts déjà consentis par les missionnaires pour installer définitivement l’Eglise.
Les missionnaires s’étaient déjà pliés à ce type de décision : en 1852, l’administration
décide de quitter le Fort d’Aumale pour se transporter sur un plateau devenu le centre de
Libreville ayant d’un côté Sainte Marie et de l’autre côté quelques maisons françaises321,
les Sœurs les suivront à cause de l’hôpital dont elles avaient la charge322. Mais l’abandon
du comptoir du Gabon est une décision bien plus importante et géopolitique. Les raisons
d’une telle décision prise en 1871, mais entérinée en 1875 ne nous sont pas bien connues.
Il apparaît cependant clair, au vu de nos recherches sur la question que la France
n’attachait désormais plus que peu d’importance à ce comptoir. Visiblement, la métropole
avait procédé à un certain nombre d’accord avec la Grande Bretagne afin de procéder à un
échange contre la Sénégambie323 dont les matières premières étaient beaucoup plus
importantes et donc, convoitées par la France. Lorsque la décision de l’abandon du Gabon
avait été entérinée, la Mission ne comprenait alors que trois ou quatre prêtres et quelques
Frères (dont le Père Leberre)324. L’intervention particulière des missionnaires dont
Monseigneur Bessieux fut prépondérante alors que les brillantes explorations de l’Ogooué
par Pierre Savorgnan de Brazza attirèrent l’attention des autorités françaises qui jugèrent
alors bon de garder le Gabon. A travers les lignes qui vont suivre, nous nous proposons
brièvement de rappeler les raisons et les buts de cette entreprise, sans omettre de situer

320
Assa Mboulou, op. cit. p. 127
321
Cette décision a été prise par Monseigneur Kobes, mais jamais, Mgr Bessieux n’acceptât cette décision..
Voir Archives CSSP Boite 173, « Lettre de Mgr Bessieux au Commandant Parent ».
322
Jacques Hubert, op. cit. p 4
323
Il s’agit de la côte de l’or (Afrique de l’Ouest)
324
Jacques Hubert, p. 4.
118
quelle a été l’importance de la Mission dans cette affaire et les conséquences que cela a eu
sur le devenir de l’Eglise du Gabon.

& 7 # 8 #
9
Ce projet proposait la cession à l’Angleterre, en contrepartie de la Gambie, de
certains établissements de la Côte Occidentale d’Afrique, au nombre desquels la France
avait finalement décidé d’inclure le Gabon si la cession de ce comptoir devait faire
aboutir le projet d’échange. Mais ce ne fut qu’en 1875, soit plusieurs années après cette
décision que la Grande Bretagne devait demander à la France de renoncer à toute
influence politique dans la partie de la côte qui s’étend du Rio Pongo au Gabon325.
L’acquisition de la Gambie par la France visait à faire du Sénégal une contrée compacte,
homogène, limitée par des frontières naturelles. Outre les facilités d’administration et de
gouvernement, cela aurait permis la répression du commerce des armes qui s’effectuait
par la rivière de Gambie. Visiblement, la France voulait se débarrasser du Gabon soit pour
des raisons stratégiques soit pour des raisons économiques. Dans tous les cas, la France
avait vraisemblablement décidé d’évacuer toutes ses forces du Gabon, décision prise par
le Ministre de la Marine en date du 26 septembre 1873 visant au retrait total du personnel
civil et militaire du Gabon. Transposition vraisemblable de la décision de Mgr Kobes326
(le gouvernement) d’abandonner la Mission Sainte Marie (le Gabon). Monseigneur
Kobes, représentant local du Gouvernement avait tout simplement décidé, en 1873,
d’envoyer un amiral au Gabon, accompagné du Père Barbier. Ces derniers étaient porteurs
du décret du transfert de Sainte Marie, décision qui devait rallier tous les Pères présents à
Mgr Kobes et déclencher aussi le départ de Mgr Bessieux du Gabon327. De toute
évidence, il apparaît logique de penser que la décision de céder le Gabon à la Grande
Bretagne était une préoccupation commune entre la métropole et une certaine partie de
l’Eglise dont la plus haute autorité même, c'est-à-dire le Pape328. C’est à ce moment là que
l’intervention de Mgr Bessieux devient décisive en 1873.

325
Otto GOLLNHOFER et Roger SILLANS, « l’historicité des paroles attribuées au premier évêque du
Gabon à propos du maintien du comptoir du Gabon entre 1871 et 1873 », in Revue française d’histoire
d’Outre Mer, T. LIX, 1972. pp. 611-644.
326
M ; Kobes est ordonné prêtre le 21 décembre 1844 par Monseigneur Raess. Le futur coadjuteur du
vicaire apostolique des Deux Guinées, de 1849 à 1863, et Vicaire apostolique de la Sénégambie, de 1863 à
sa mort. Après d’excellentes études classiques au petit séminaire de Saint Louis, il entre au Grand séminaire
de Strasbourg ; C’est là ; qu’en 1841, il rencontre pour la première fois M. Libermann.
327
Archives CSSP, Boite 167 « Les Deux Guinées ».
328
L’Amiral devant ramener le Père Bessieux en France avoue avoir des ordres du Pape. Il s’agit à cette
époque de Pie IX (Pape de 1846 à 1878).
119
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En 1873, Monseigneur Bessieux avait clairement manifesté son refus de quitter le
Gabon et sa volonté de continuer à consolider l’œuvre déjà entreprise dans le pays. De
plus, à la décision de transférer la Mission Sainte Marie, il s’y opposa fermement. Pour
lui, il n’était pas question qu’il abandonne la Mission, même s’il fallait pour cela y rester
seul accompagné de deux Frères329. Les sources consultées à ce sujet nous renseignent
qu’il resta, et quelques temps après, le Ministère voyant que les missionnaires
s’obstinaient à demeurer, revint sur sa décision quant au transfert de la Mission Sainte
Marie. Il est évident que le premier évêque du Gabon tout comme le Père Leberre et
chacun des autres missionnaires présents à cette époque ont manifesté d’une façon ou
d’une autre, la désapprobation au sujet d’une éventuelle évacuation du territoire.
Objection d’autant plus vive de la part de Mgr Jean Rémy Bessieux que celui-ci avait
fondé la Mission Sainte Marie et l’avait sauvée d’une tentative d’abandon. Par ce geste,
les missionnaires avaient clairement montré l’attachement qu’ils avaient pour leur
entreprise au Gabon, celle d’y établir une Eglise définitive330, quelles que soient les
décisions et calculs géopolitiques des autorités françaises.

Cependant, il reste très important à mettre en évidence le processus qui plaça


Monseigneur Bessieux au sein d’un contexte historique dont tous les éléments semblaient
être réunis pour donner à son attitude une dimension politique qu’elle ne pouvait avoir. Il
est tout aussi évident que l’obstination d’être abandonnés par la France avait crée un
climat de grande inquiétude, d’une part chez les missionnaires, d’autre part chez les
colons. Du côté de la Mission, Monseigneur Bessieux et le Père Leberre étaient morts
après avoir marqué leur passage d’une empreinte indélébile quant à leur désintéressement
et à leur obstination, cette mémoire sensible fortifie les missionnaires.

La décision de 1871331 avait profondément troublé la Mission Sainte Marie. Les


rumeurs de cet échange se répandirent dans les milieux missionnaires au Gabon et en

329
Archives CSSP, Boite 167 « Rapports dur le Vicariat des Deux Guinées ». Nous rapportons ici certaines
notes du Père Barbier du 06 août 1858 pendant sa visite à Libreville.
330
La seule conséquence des épreuves de 1870 fut la décision prise par le gouvernement français, désireux
de conserver toutes les ressources du pays à son relèvement, d’abandonner en 1871 la colonie du Gabon.
L’Amiral Du Quilo, commandant de la division navale de l’Atlantique sud, fut chargé du repliement du
personnel. Il offrit à Monseigneur Bessieux de le rapatrier. Les Pères établis au Gabon depuis 1844 ne
pourraient plus être protégés et courraient vraisemblablement un grand danger. Très fermement, Mgr
Bessieux refusa de s’embarquer.
331
La décision d’abandonner le territoire du Gabon est entérinée en 1871, mais en réalité, cette affaire
débuta en 1869, sous le second Empire. Cette année là ; les Anglais voulaient déjà échanger la Gambie,
possession britannique, contre la Mellacorée, rivière en bordure de la Sierra Léone et sur le territoire de
120
Gambie, comme en témoignent les extraits de lettres publiées dans le bulletin Général de
la Congrégation su Saint Esprit332, les missionnaires du Gabon se montrent vivement
opposés à ce projet333. La venue du Père Barbier à Libreville en 1873 et surtout le départ
du Père Bessieux pour la France n’avaient pas été dissociés et n’étaient point passés
inaperçus. D’ailleurs, on ne saurait les dissocier dans la mesure où l’un entraîne
nécessairement l’autre. Face à l’obstination des missionnaires, mais aussi au refus final de
la Grande Bretagne de voir la France occuper la Gambie, la France dut se résoudre à
conserver le Gabon334. Il est tout aussi vrai que c’est aux missionnaires que l’Etat pensait
pour la garde du pavillon en cas de retrait de ses forces335. Mais quelles sont les
responsabilités qui allaient incomber aux missionnaires en pareil cas ? Quant aux
bâtiments que l’Etat allait abandonner, alors que Mgr Le Berre fixait déjà son choix sur
certain d’entre eux, qu’allait-ils devenir ? Qu’allaient devenir les populations
européennes ? Qu’allaient devenir les Africains qui avaient suivi les enseignements des
missionnaires ? Qu’allait devenir le jeune séminaire ? Voici toutes les interrogations qui
se posaient si la France mettait à exécution son intention d’abandonner le pays, même si il
faut bien avouer que ce comptoir du Gabon avait eu des débuts difficiles tant sur le plan
civil que sur le plan religieux336. En somme, disons que l’intervention des missionnaires
notamment de Mgr Bessieux fut plus que déterminante dans la survie du comptoir du
Gabon en 1873. En effet, l’opposition du premier évêque du Gabon fut très vive en dépit
de la présence d’un visiteur apostolique porteur d’un décret que lui avait dépêché Mgr
Kobes.

La France après plusieurs tractations se décida finalement à conserver son


territoire du Gabon. Cette décision était d’autant plus importante qu’elle permet à la
Mission de retrouver une nouvelle impulsion. Coup sur coup, des missions vont être
créées aux annexes de Libreville comme à l’intérieur du pays : Saint Pierre de Libreville
en 1879, Donguila en 1880 dans les confluents du Como, Mouni en 1890 qui se fixera à
Boutika en 1895337…ceci se vérifie dans les autres indications tel que le nombre de
baptisés et les effectifs scolaires.

l’actuelle Guinée.La Mellacorée était jugée de peu d’importance, les Anglais voulaient que les Français y
ajoutent le Gabon.
332
DOCSSP, Bulletin Général, Tome VII, « projet d’évacuation ».
333
DOCSSP, Bulletin Général, Tome VII, p. 332. « Projet d’évacuation ».
334
Archives CSSP, Boite 351, « Notes sur Mgr Adam ».
335
Otto Gollnhofer et R. Sillans, op. cit. p 637.
336
Il s’agit entre autres des tergiversations de l’Administration pour payer les chefs locaux, projet d’échange
territorial, décès continuels chez les missionnaires.
337
Jacques Hubert, op. cit. p 4.
121
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L’histoire retiendra donc que Mgr Bessieux est le grand architecte de la fondation
de l’Eglise au Gabon, cette jeune Eglise qui se trouvait encore dans l’immense Vicariat
apostolique des Deux Guinées. En débarquant au Gabon le 28 septembre 1844, il a permis
à l’Eglise catholique de poursuivre son œuvre. Si le mot événement, en Histoire, doit être
réservé à une action qui a durablement apporté un changement important dans l’humanité,
on peut dire que le Père Jean Rémy Bessieux, en décidant de rester au Gabon en cette fin
septembre 1844, est entré dans l’histoire. Son action est un événement historique pour les
Eglises catholiques sur la côte ouest de l’Afrique. De plus, les lettres de Monseigneur
Bessieux nous décrivent un grand maître spirituel au jugement sûr, un prêtre plein de
fermeté comme nous l’atteste sa volonté à faire conserver le Gabon par la France, mais
aussi sa grande délicatesse. Cet homme pratique jusqu’aux menus détails est
incontestablement le pivot d’une époque de pionniers dans une aventure missionnaire
extraordinaire338. Ses échanges avec le Vénérable Père Libermann sont pour beaucoup, un
trésor inépuisable dont on pourrait extraire aussi bien une anthologie de maximes
missionnaires qu’une spiritualité de la mission pour notre monde d’aujourd’hui. Sans
jamais manquer à la charité, il a toujours eu le mérite de dire la vérité sur les personnes et
les événements, avec toujours pour premier souci, la réussite de la grande entreprise de
l’évangélisation du vaste Vicariat apostolique des Deux Guinées.

Pour situer les débuts du séminaire au Gabon, il faut remonter à l’année 1856,
même si en ce temps là, il ne s’agit pas d’un véritable séminaire à proprement dit. Dans

338
Gérard Morel, Le Père Bessieux…op. cit. p. 11.
122
les chapitres précédents, nous avons vu la difficulté de la construction d’une Eglise au
Gabon, notamment en raison du manque cruel de prêtres permanents, de l’attitude des
convertis, mais aussi du scepticisme qu’éprouvaient certains missionnaires sur l’idée de
former des prêtres gabonais. Toutes ces raisons permettent de penser qu’elles ont
longtemps retardé le séminaire au point où on peut se poser des questions sur les
responsabilités des uns et des autres .Afin de répondre à cette préoccupation, nous nous
proposons de déterminer quels étaient les engagements des différentes parties, c'est-à-dire,
les missionnaires, les autochtones et le Saint Siège.

# #

* 2
Le principal but des missions en terre non encore évangélisée reposait sur un seul
principe : celui de l’évangélisation de la contrée et ensuite, la formation du clergé local ;
les missionnaires ne voyaient leur tâche achevée que lorsqu’ils avaient rendu cette
entreprise possible. Dans le cas de l’évangélisation du Congo et du Gabon, cette
préoccupation tenait une place de choix. Précédemment, nous avons déjà eu l’occasion de
rappeler les instructions de l’Eglise à ce sujet notamment avec les recommandations du
Pape Pie VI. Selon ce dernier, les Vicaires apostoliques en mission avaient tout intérêt à
établir les séminaires au sein de leurs vicariats respectifs, dès lors qu’ils avaient rempli
leurs premières missions d’éducation et d’évangélisation. Nous avons également vu le
rôle et toute l’abnégation des missionnaires concernant ces engagements. Nul doute que
c’est grâce à la mission que le Gabon a connu sa première classe de demi lettrés et plus
tard de véritables cadres d’administration. L’évangélisation des populations autochtones
et l’éducation des jeunes du Gabon étaient au cœur même des soucis des missionnaires
catholiques comme des protestants d’ailleurs. De ce fait, les autorités françaises
n’hésitaient pas à les remercier de leurs bons et loyaux services. En 1882, L’Amiral
Ribourt écrivait au Père Leberre en ces termes : « J’encouragerais de tous mes efforts la
colonie naissante du Gabon que la France doit à votre généreux dévouement, ainsi qu’à
ceux des vaillants autres missionnaires qui vous aident »339.

Cette phrase donne une idée des bons rapports que pouvaient entretenir alors
l’administration coloniale et la mission. Attitude tout à fait normale de la part des

339
Cité par Mba Allogho, op. cit. p 56.
123
missionnaires qui ne pouvaient pas totalement rester indifférents vis-à-vis de leurs
compatriotes, d’autant qu’ il y avait un sentiment d’appartenance à la même race, c’est du
moins ce que pense l’Abbé Paul Akoué interrogé à ce sujet340. D’un certain point de vue,
l’attitude des missionnaires se comprenait aisément lorsqu’on tient compte de tous les
privilèges dont ils faisaient l’objet de la part de l’administration341. Au demeurant, le VP
Libermann, le patron des spiritains, recommandait à ses missionnaires de seconder en
tout temps l’œuvre de l’administration chaque fois que leur conscience le leur
permettait342. De facto, le rôle premier des missionnaires a souvent été dérouté dans la
mesure où ils ont cru bon et nécessaire de suppléer l’œuvre coloniale d’autant que les
intérêts des uns et des autres convergeaient. Nous pouvons donc affirmer, certes avec
quelques réserves que le retard pris par le séminaire du Gabon quant à sa mise en place est
du en partie au fait que les missionnaires avaient quelque peu failli à certaines de leurs
obligations, du moins privilégié les obligations envers leur mère patrie. On est même tenté
de croire qu’ils avaient tout intérêt à contribuer au maintien de la colonisation française
sous toutes ses formes, y compris dans la gestion malthusienne de la formation de
nouveaux membres indigènes du clergé.

Cette situation est visible autant dans les faits et gestes de l’époque que dans les
décisions prises. Par ailleurs, s’ils consentirent plus tard à former des prêtres locaux, il
n’en demeure pas moins que les missionnaires ont l’intention d’assigner à ces derniers des
tâches purement subalternes, au nom de la logique de l’époque qui voulait que le Noir ne
soit jamais l’égal de l’homme blanc. Il semble d’ailleurs que l’Eglise la partageait. Ce ne
serait pas une grossièreté que de penser que le retard constaté dans la mise en place du
clergé autochtone au Gabon trouve une de ces principales explications dans les relations
trop étroites entre la métropole et la Mission et une communion de pensée. Dans les faits
et même s’il pouvait y avoir des dissonances, l’action des missionnaires préparait les
conditions de l’expansion et de l’impérialisme français au Gabon, comme dans d’autres
colonies sous domination de la France343.

Il faut cependant signaler qu’avant 1905, les relations se sont détériorées entre les
deux institutions, occasionnant la méfiance de l’Administration coloniale envers les

340
Abbé Paul Akoué, Entretien à Sainte Marie le 30 avril 2001.
341
Ceux-ci sont clairement définis dans la convention signée en 1843 entre le Directeur des colonies, de la
marine française et la congrégation du vénérable Père Libermann. Voir convention en annexe.
342
Mba Allogho, op. cit. p 28.
343
Catherine COQUERY VIDROVITCH et H. MONIOT, L’Afrique Noire de 1800 à nos jours, Puf,
Nouvelle Clio, Paris, 1947.
124
missionnaires344. Alors que les missionnaires tout comme les congrégations étaient
suspectés en France, qu’on dénonçait sans cesse les richesses accumulées par l’Eglise.
Dès lors, on commençait à parler de séparation entre l’Eglise et l’Etat, c’est d’ailleurs ce
qui ressort de la déclaration du chef du gouvernement Emile Combes en octobre 1904
dont la politique était anti cléricale345. Il ressort aussi en parcourant « Les Notes sur
l’histoire du Vicariat apostolique du Gabon » que dès les années 1850, plusieurs
privilèges furent supprimés aux missionnaires, ce qui naturellement déplu aux prêtres346.

En réaction, les missionnaires décident de conscientiser les autochtones encore


opprimés par le colonisateur, en d’autres termes, de constituer avec eux, un front uni
contre leur ennemi commun347. Les missionnaires qui jadis prônaient les vertus de
faiblesse pour endormir les Noirs, prêchent désormais pour une prise de conscience contre
les oppresseurs. Autant il est logique de penser que l’étroitesse des relations entre les
missionnaires et l’administration coloniale durant de nombreuses années a peut être rendu
possible le retard du séminaire et l’éclosion des vocations, autant il ne faut pas voir
l’expansion missionnaire comme l’expression d’une volonté délibéré de conquête348. Les
missionnaires avaient juste été utilisés à un moment donné comme instrument colonial,
leurs méthodes parfois maladroites rendirent difficile le maintien du statut quo349. Au
milieu du XIXè siècle, le Gabon est encore un vaste chantier. Selon Mgr Kobes que nous
avons cité plus haut, les conditions de vie à l’intérieur du pays restent très précaires voire
dangereuses, ce qui explique donc que seuls les prêtres autochtones formés étaient à
même de mieux s’imprégner des conditions de vie présents dans ces milieux.

De 1844 à 1855, l’action des missionnaires s’est limitée à l’évangélisation des


populations autochtones, cela pour mieux asseoir la présence de la religion catholique.
Cependant, comment expliquer que plus d’une décennie plus tard, les spiritains pensent à
passer des missions étrangères à l’Eglise locale ? Aux raisons déjà soulignées plus haut,
l’Abbé Jean Mbeng350 donne une autre explication, il souligne que toutes les conditions
ne semblaient pas être réunies à l’époque afin que cette entreprise puisse se faire. Il fallait
344
ANG, carton n° 184 « Surveillance des missionnaires ».
345
ANG, carton 4015 « Notes sur la Vicariat apostolique du Gabon ».
346
ANG, carton n° 184 « Surveillances sur les missionnaires ».
347
D. Mba Allogho, op. cit. p. 180.
348
C. Coquery Vidrovitch et H. Moniot, op. cit. p. 181.
349
Idem.
350
Nous avons eu plusieurs entretiens avec l’Abbé Jean Mbeng. Celui dont il est question ici a eu lieu le 06
mai 2001 dans le cadre de notre mémoire de maîtrise. Le fait que nous soyons rapproché de lui est sans
surprises. L’Abbé Jean Mbeng a été directeur du petit séminaire saint jean dans les années 80, et il fut l’un
des membres de la cellule UGRP à Libreville dont nous aurons l’occasion de reparler dans les prochains
chapitres.
125
pour cela mieux « ouvrir les yeux » aux autochtones, leur enseigner d’avantage le bien
fondé de la religion catholique mai aussi faire augmenter le nombre de familles
chrétiennes. En 1844, le Gabon ne comptait qu’environ 63 baptisés. Ce chiffre n’évolua
pratiquement pas jusqu’en 1849. D’un certain point de vue, l’augmentation du nombre de
familles chrétiennes n’était pas un élément déterminant dans la mise en place du clergé
local. En effet, dans les chapitres à venir, nous verrons que la plupart des jeunes qui
manifestaient le vœu de rejoindre le séminaire n’étaient pas nécessairement issus de
familles chrétiennes. L’exemple du tout premier prêtre gabonais est très révélateur. Dans
ses mémoires, André Raponda Walker évoque les difficultés avec sa mère non chrétienne
au sujet de sa vocation351.Aux cours de nos enquêtes à Libreville, nous avons constaté que
les prêtres gabonais interrogés sur la question restent très réservés. Evidemment, notre
démarche ne consiste pas à leur demander de porter des critiques négatives sur la présence
missionnaire et l’établissement de l’Eglise locale, plutôt de donner un point de vue
constructeur et objectif. Il a fallu totalement se démarquer du simple religieux pour avoir
un avis plus nuancé. Raison pour laquelle nous avons aussi dirigé notre recherche auprès
de prêtres gabonais universitaires. Dans quelle mesure peut-on parler d’une réelle
contribution des missionnaires à l’établissement de l’Eglise locale ? L’enquête a
cependant un travers, les récits ne portent que sur les générations du XXè siècle.

! 5 * , #
L’article 1 (des prêtres indigènes) alinéa 26 de l’ordonnance 1853 énonce ceci :
« Tous les missionnaires, les supérieurs surtout, s’appliqueront à découvrir les vocations
auprès des jeunes noirs, ils les encourageront, les dirigeront, les favoriseront par tous les
moyens en leur pouvoir, sans jamais se laisser rebuter par les échecs et les
mécontentements auxquels il faut bien s’attendre »352. Ce texte fait naturellement allusion
à la nécessité qui semblait s’imposer aux missionnaires pour la formation d’un clergé
local. Certes, l’institution de ce clergé obéissait à un motif d’ordre structurel, lié à la
nature même de la mission comme l’a réaffirmé l’instruction de la propagande de 1845
« Neminem profecto ». Cependant, les arguments qui militaient en faveur de la mise en
place de ce clergé indigène étaient d’abord d’ordres pratiques et structurels, comme nous
l’avons vu, car il s’agissait essentiellement entre autres de penser à la faiblesse des
effectifs en prêtres blancs, mais aussi de contrecarrer la concurrence protestante353. Dès
1844, le Vénérable Père Libermann envisageait déjà la formation de prêtres noirs qu’on

351
André Raponda Walker, Mémoires…op. cit. P 21.
352
Archives CSSP, Boite 271. « Cf. Mgr Tardy sur le règlement des prêtres indigènes ».
353
L. Assa Mboulou, op. cit. p 231.
126
placera dans les endroits les plus mauvais de la côte et dans l’intérieur des terres. Dans les
sections précédentes, nous avons vu que d’autres missionnaires comme Mgr Kobes
évoquaient des arguments tels que l’immense étendue de la Mission, la multitude des
langues parlées dans les régions reculées, le faible effectif des missionnaires…autant de
circonstances qui rendaient nécessaire la formation d’un clergé indigène. On peut donc
dire que tout le monde reconnaissait la nécessité d’un clergé noir. Cependant, l’évaluation
des capacités intellectuelles humaines des Noirs reste très négative aux yeux de ces
mêmes missionnaires. Les missionnaires dans leur ensemble doutent sérieusement des
qualités du Noir. Libermann en tête, estime que le prêtre noir ne peut en aucun cas être
l’égal de son homologue blanc354. En somme, les missionnaires ont aidé et favorisé la
naissance du clergé autochtone au Gabon, mais à leur manière. Nous avons pu le
constater à travers les lignes précédentes, cependant, il n’en demeure pas moins vrai que
les missionnaires y sont allés plutôt lentement. Parfois consciemment, parfois
inconsciemment, les prêtres blancs notamment Libermann pensaient qu’il fallait mieux
préparer les Noirs avant de les amener au sacerdoce, ce qui somme toute entrait dans le
cadre traditionnel de la formation au séminaire. Depuis le temps, toutes les générations
des séminaristes au Gabon ont entendu ce principe : « plutôt la qualité que le nombre ».
Cependant, en 1877, vingt et un ans après l’ouverture du séminaire du Gabon (section des
latinistes), on s’étonnait qu’il n’y ait eu encore aucune ordination sacerdotale355.

! # #
L’évangélisation n’a été possible que grâce à un dévouement des femmes et des
hommes venus d’Occident et à la collaboration, sinon à la « complicité », tacite ou
volontaire, des autochtones qui ont tôt compris dans quel sens tournait la roue de
l’histoire. L’historiographie coloniale et missionnaire a souvent privilégié le rôle des
missionnaires blancs reléguant au second plan les efforts des natifs.
C’est, historiquement, une injustice, car la participation des natifs du pays à
l’œuvre pionnière de l’évangélisation, celle qui va conduire le Gabon à se doter de son
premier séminaire locale, n’a été ni secondaire ni négative ni moins encore passive. Le
travail des missionnaires aurait été inefficace, si les autochtones n’avaient accepté et
répandu le message auprès de leurs frères. Ce serait donc une erreur de considérer
l’évangélisation du Gabon comme le seul résultat des efforts des missionnaires. Pourtant
on aurait tendance à le faire d’autant que la majorité des documents et témoignages
disponibles proviennent généralement des seules sources de l’administration coloniale et
354
Lettre du 24 juillet 1844 à la communauté d’Assinie.
355
L. ASSA MBOULOU, op. cit. p. 233.
127
celles des Missions européennes acquises à cette vision exclusive, héroïque. Ainsi la
quasi-totalité des sources et témoignages s’accordent à dire que l’idée du séminaire au
Gabon n’a été que la seule affaire des missionnaires. En revanche, on possède très peu de
documents, sinon aucun dévoilant le rôle qu’auraient pu jouer les autochtones dans cette
entreprise. Aussi, nous nous sommes posé la question de savoir quel rôle ont pu jouer les
indigènes dans l’érection du séminaire gabonais ?

! " #
« Les Missions de l’intérieur prirent véritablement leur essor qu’en milieu fang.
Les Fang, très nombreux, prolifiques, dynamiques, ouverts à l‘idée d’un Dieu unique,
avides de participer à tous les secrets des Blancs, accueillirent très bien les
missionnaires, souvent même, ils les acclamèrent »356. Ces propos suscitent en nous
quelques appréciations. On remarque bien que certains peuples du Gabon, notamment les
Fang ont participé favorablement à l’idée de Dieu malgré la méfiance qu’ils pouvaient
tout de même avoir envers l’homme blanc. Si l’homme fang estimait en tout point de vue
que le Blanc était l’intermédiaire entre lui et Dieu357, il n’est donc pas étonnant de
s’interroger sur leur éventuelle participation à la mise en place du séminaire et sur leur
engouement. Toutefois, cette question est débattue. Selon certains interlocuteurs
notamment l’Abbé Paul Akoué358, seuls les missionnaires ont aidé les Africains à ouvrir
les yeux par le biais de l’évangélisation, la création des écoles et des dispensaires et les
Gabonais n’ont pas une responsabilité immédiate dans la mise en place du clergé, ils ont
simplement suivi les recommandations des missionnaires. En revanche d’autres
interlocuteurs dont Martin Alihanga359 estime que les autochtones ont d’une façon
effective favorisé l’ouverture du séminaire, ceci par l’envoi massif des enfants à l’école
du catéchisme car les parents avaient en idée que plus tard, leurs enfants deviendront
comme les missionnaires. Il estime en outre qu’avec la multiplication du nombre de
familles chrétiennes, on aboutit nécessairement à l’éclosion des vocations dans le pays.
Cette deuxième lecture selon laquelle les autochtones n’ont ménagé aucun effort pour
aider à l’œuvre d’évangélisation dans le pays se vérifie, elle est confirmée par leur
participation dans les différents travaux de construction ou de remise en état des églises

356
Jacques Hubert, op. cit. p. 56.
357
Rev. Trilles, Le Gabon catholique…p. 191.
358
Abbé Paul Akoué, Entretien oral à Sainte Marie le 30 avril 2001. Notre préoccupation du jour portait sur
la qualité de l’enseignement dispensé au petit séminaire Saint Jean et les raisons sui ont contribué à la mise
en place du séminaire au Gabon.
359
Enquête orale, op. cit.
128
aux quatre coins du pays, à l’exemple des Galoa qui contribuèrent à la construction de la
mission Saint François Xavier de Lambaréné en 1880360.

Il y avait donc débat, comme aujourd’hui, sur les efforts locaux d’une
évangélisation. En ce domaine, l’action du Saint Siège fut alors importante.

!! #
Le point de vue entre les missionnaires en poste au Gabon et les recommandations
du Saint Siège semblaient être assez divergentes. Au regard de la situation qui précède,
les missionnaires agissaient selon les recommandations de leur patron, le Vénérable Père
Libermann. L’action du Saint Siège en matière de formation d’un clergé autochtone fut
décisive et positive. Elle permit de doter le pays d’un personnel qualifié, alors que dans le
même temps, l’administration coloniale pratiquait une politique tendant à bloquer le
développement de l’enseignement et ne favorisait pas la formation d’un personnel
administratif et technique autochtone qualifié361. En revanche selon les recommandations
du Saint Siège, le clergé africain devait être traité sur le même pied d’égalité que les
missionnaires européens conformément aux instructions des Papes Pie XI et surtout Pie
XII dans son encyclique Rerum Eclesiae : « le clergé africain doit prendre place à côté
du clergé blanc comme son égal en valeur divine de sacerdoce et en valeur humaine de
conduite du peuple ; donc, entre les missionnaires européens et les prêtres indigènes,
qu’on ne fasse aucune différence et qu’il n’y ait point de distance entre les uns et les
autres mais qu’ils soient tous unis par un rapport humain et une commune charité »362.
Dans le cas du Gabon, ces indications n’ont pas toujours été suivies, ce que démontrent
maints conflits entre missionnaires et prêtres gabonais, nous le verrons ultérieurement. De
plus, on remarque que le discours prôné par le Pape et celui du Vénérable Père
Libermann, sont en totale inadéquation.
< # ++ #
« La première et la plus importante des œuvres de la Mission est l’éducation des
jeunes noirs du pays et des environs. Elle consiste à leur donner gratuitement l’entretien
complet, l’enseignement religieux, primaire, secondaire et professionnel. En outre, le but
général de nos Missions en cette œuvre c’est la civilisation chrétienne et sociale du pays.
Les fins particulières qu’elle s’y propose c’est de tendre progressivement à la formation
d’un clergé indigène, de former de bons catéchistes utiles pour l’avancement de l’oeuvre

360
Jacques Hubert, op. cit. p. 35.
361
M. Ahahanzo Glélé, op. cit. p. 98.
362
Op. cit. p. 99.
129
de Dieu, d’éduquer de bons pères de familles et aussi de bons ouvriers dans les
formations les plus utiles pour le pays en Mission »363. Ces instructions de Monseigneur
Leberre, deuxième évêque du Gabon après la mort de Mgr Bessieux servent à redonner un
souffle nouveau à une œuvre bien essoufflée, comme nous le verrons plus tard. A long
terme, l’évêque du Gabon voyait dans les missions l’obligation de former une véritable
chrétienté dans le pays. Dans la section précédente, nous avons tenté d’établir les
responsabilités des différentes parties dans la mise en place du séminaire au Gabon.
Toutefois, au-delà des efforts consentis par chacun, il ressort de façon évidente que seuls
les missionnaires avaient le pouvoir de concrétiser cette volonté. Donc, c’est
certainement dans le souci de répondre favorablement aux préoccupations de l’Eglise
catholique romaine, mais aussi de confier les responsabilités de l’Eglise aux autochtones,
qu’ils décident de préparer les Gabonais au ministère du sacerdoce.L’école des
Latinistes364 qui est la résultante de tout ce qui précède, est tout simplement un prélude à
ce qui prendra quelques années plus tard la dénomination de séminaire Saint Jean.

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Le 1er janvier 1856, sous l’impulsion du Père Bessieux, le Père Duparquet365
ouvre dans les locaux de Sainte Marie un petit cours de latin dénommé l’ « œuvre des
Latinistes »366. Cette école, comme nous l’avons déjà souligné plus haut est l’ancêtre de
l’actuel séminaire Saint Jean de Libreville. Les conditions de sa création sont très
difficiles, et les raisons très divergentes entre les missionnaires de l’époque à propos de sa
conception, autant de raisons qui ne garantissent pas son bon fonctionnement dès le
départ367. En effet, de 1856 à 1859, les vieux schémas sur le Noir sont toujours très
présents dans l’esprit des missionnaires européens ; ces a-prioris continuent dès lors à

363
DOCSSP, Bulletin général, T.II, 1852-1859 « Notes sur Mgr Leberre ».
364
Au début de cette œuvre, il ne s’agit pas obligatoirement de former des prêtres indigènes. L’école des
Latinistes signifie simplement, la préparation des jeunes garçons à l’étude du latin. Certains missionnaires
tels que Mgr Kobes pensaient qu’il ne fallait pas précipiter les choses. Selon lui, la formation du clergé
indigène devait être préparée pendant bien longtemps avant d’être concrétisée.
365
Le Père Duparquet est le premier directeur de l’école des Latinistes de 1856 à 1861. Arrivé à Libreville
en 1855, il fut l’un des premiers collecteurs de plantes du Gabon. En 1865, il fut envoyé à Mossamodes
(Angola), ensuite à Zanzibar (Côte Orientale), puis en Afrique du Sud, d’où il revint mourir à Loango le 24
août 1888 à l’age de 58 ans.
366
DOCSSP, Bulletin Général, Tome II, 1852-1859 « Notes sur Mgr Leberre ».
367
Nous verrons plus tard en effet que le but assigné à cette école est difficilement cerné.D’une part, le
cours de Latin est uniquement destiné à un enseignement simple sans orientations précises sur le sacerdoce,
d’autre part, les missionnaires ne savent pas si en réalité ce cours doit être destiné à former les futurs prêtres
du Gabon.
130
constituer les principaux critères du jugement. De plus, certains missionnaires estiment
que même après la création de l’œuvre, le but essentiel n’était pas de précipiter les choses
car les Noirs n’étaient pas suffisamment prêts pour prétendre au sacerdoce. Pour
confirmer ses pensées, Mgr Kobes368 entendait d’ailleurs procéder à un choix très
rigoureux des candidats pris très jeunes, réunis dans une maison centrale, formés
intellectuellement et religieusement, et sévèrement éprouvés pour tester la solidité de leur
vocation369.

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Le Père Duparquet a souvent été considéré comme un missionnaire du XXIè siècle


mais égaré dans le XIXè siècle. Il a parcouru toutes les côtes des Deux Guinées et bien
au-delà. C’était un homme d’une très grande intelligence et d’une activité débordante,
insupportable à ses pairs, qui ne pouvaient suivre ni ses idées, ni son rythme. Il a été
directeur du petit séminaire Saint Jean de 1856 (année de sa création) à 1861. Il notait sur
des cahiers tout ce qu’il observait. Concernant une lettre du Père Bessieux au VP
Libermann, il note ceci : « M. Bessieux dans sa lettre du 12 janvier 1844, dit que M.
Pindar fut frappé d’un coup de soleil le surlendemain de la mort de M. de Régnier, et
mourut quelques instants après, c'est-à-dire le lundi 2 janvier. Le P. Audebert dit qu’il
gagna la fièvre le samedi 6 et mourut le lundi 8, par conséquent huit jours plus tard que
ne le fait mourir M. Bessieux. Nous croyons qu’on doit plutôt ajouter foi au récit de M.
Bessieux, vu que M. Bessieux écrit seulement une semaine environ après l’événement,

368
Monseigneur KOBES est ordonné prêtre le 21 décembre 1844. Il reste deux années dans son diocèse
d’origine avant de pouvoir entrer, en juillet 1846, au Noviciat de la Neuville-Les-Amiens, dans l’institut du
Saint Cœur de Marie que dirige M. Libermann. Sacré le 30 novembre 1848, il devient à 28 ans le plus jeune
évêque de la chrétienté. Du temps des Latinistes, Mgr Kobes est coadjuteur du Vicariat Apostolique des
Deux Guinées (1849-1863).
369
DOCSSP, Bulletin Général, T.II. 1852-1859, “Rapport de Mgr. Kobes en 1856”
131
tandis que M. Audebert resta alité depuis le 23 décembre, jusqu’au 18 janvier, et ne
parait avoir repris son journal qu’après cette maladie. Il est donc probable que
n’écrivant que quelques semaines après, il se sera trompé. ».

En 1856, lorsqu’il est question de créer cette œuvre, le choix de l’emplacement


n’est pas déterminé. Le Père Bessieux pense qu’il faut l’implanter non loin de Sainte
Marie. A défaut de terrain mais aussi de moyens financiers suffisants, on décide
finalement de loger les latinistes dans l’enceinte de Sainte Marie, ce qui ne garantissait
pas les conditions d’études rigoureuses comme le préconise Mgr Kobes car les élèves du
cours de latin sont mélangés avec les élèves de l’école primaire370.

! # # ## ,
#
Avant d’aborder la question relative au recrutement des élèves, il est nécessaire de
comprendre comment se faisait le recrutement de ces derniers. Pour un rappel historique,
le Gabon du point de vue ecclésiastique faisait parti du « Vicariat apostolique des Deux
Guinées » depuis 1844371. Le Vicariat apostolique est la dénomination accordée aux
diocèses dans les pays où l’Eglise n’est pas encore établie. Seul le Pape en est l’Evêque et
ceux qui y exercent en son nom l’épiscopat sont des Vicaires apostoliques. Au XIXè
siècle, la région des Deux Guinées372 était divisée en deux grandes parties aux limites
assez imprécises : la Guinée Supérieure ou septentrionale, qui s’étendait du Sénégal
jusqu’au Congo et la Guinée inférieure ou méridionale, qui comprenait le Congo. Le
Gabon appartenait à la Guinée supérieure373. C’est donc dans ce vaste territoire qu’avaient
lieu les échanges surtout du point de vue des séminaristes. C’est d’ailleurs ce qui explique
la présence de plusieurs nationalités à l’intérieur de l’œuvre des Latinistes. Les
recrutements se faisaient de manière très simple. Chaque mission disposait d’un internat
de filles ou de garçons. Pour le cas des garçons essentiellement, les supérieurs étaient
chargés de suivre les jeunes. Autrement dit, si des signes de vocations étaient visibles en
eux, ils étaient immédiatement envoyés à l’école des Latinistes pour étudier le latin.

H 6 ! 1 8

370
Raponda Walker, op. cit. p. 36.
371
Archives CSSP, Boite 168, Evolution du Vicariat des Deux Guinées.
372
Le vaste Vicariat des Deux Guinées est créé le 28 septembre 1842 par le Saint Siège.
373
Gérard Morel, p. 11.
132
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Comme précédemment dit, l’école des latinistes à son début ne se donne pas pour
objectifs de former des prêtres. Dans les écoles primaires de la région de l’Estuaire, les
missionnaires distinguaient parmi les jeunes garçons les plus doués intellectuellement, ces
derniers étaient envoyés à Sainte Marie pour y étudier le latin374. En ce qui concerne le
recrutement des élèves, nous avons disposé des données très précises sur le nombre
d’entrée au « séminaire » d’année en année grâce aux registres officiels du séminaire
Saint Jean. Pour ce qui est de la période de 1856 à 1886, l’école des latinistes a reçu en
tout soixante huit élèves venus d’horizons divers375. Parmi les nationalités les plus
représentées, il y avait bien sûr les Gabonais, les Portugais (venus d’Angola), les
Camerounais, les Congolais, les Sénégalais, les Dahoméens et des élèves venus de la
Sierra Léone376. La diversité des peuples rencontrés dans cette école s’explique par le fait
que le Gabon du point de vue ecclésiastique appartenait aux Deux-Guinées. Ce vaste
territoire s’étendait du Sénégal jusqu’au Congo. A cette époque, le Gabon est le premier

374
Michel ASSOUMOU NSI, Le séminaire Saint Jean et la formation du clergé du Gabon de 1856 à 1940,
mémoire de Maîtrise Histoire, UOB, Libreville, 2001.
375
Idem p. 48.
376
DOCSSP, Bulletin Général 1885-1892 « le séminaire du Gabon ».
133
territoire à ouvrir un séminaire, il n’est donc pas étonnant de voir autant de nationalités.
De plus, les jeunes de cette époque montraient un engouement particulier pour le
séminaire sans savoir ce qu’il représentait en réalité, ce qui se traduit par une évaporation
des effectifs. En effet, il ressort que plusieurs élèves prenaient la décision de s’enfuir du
séminaire à cause du mode ou même du rythme de vie trop difficile, c’est d’ailleurs le cas
en 1859 où le séminaire dû fermer ses portes car les élèves avaient pris la fuite377.
Officiellement, ce sont un peu plus d’une dizaine de candidats qui font leur entrée chez
les latinistes en 1856378. Les conditions de sélection sont très rigoureuses comme le
préconisait Mgr Kobes. Les missionnaires mettaient dans l’environnement des
séminaristes des conditions de vie difficiles afin de mettre à l’épreuve tous les candidats
prétendants. A l’instar de la méthode qui consistait à recruter des catéchistes dans les
villages, les missionnaires ont appliqué la même chose quant au recrutement des jeunes
latinistes. Ces derniers étaient généralement choisis parmi les meilleurs d’entre tous. De
plus, il fallait montrer quelques prédispositions au sacerdoce comme la patience, le
pardon, la gentillesse et bien sûr la politesse, qualités très facilement perceptibles de la
part des missionnaires auprès de leurs jeunes ouailles379. De plus, il fallait pour les
mineurs avoir impérativement l’accord des deux parents pour rentrer chez les Latinistes.
A ce sujet, André Raponda Walker évoque d’ailleurs les difficultés qu’il a eues avec sa
mère au sujet de sa vocation en 1889, aussi attendit-il l’année 1892 pour faire son entrée
au séminaire après sa majorité380.

Lors de la création de l’école en 1856, on compte parmi les principaux élèves


Emmanuel Garcia originaire de l’Ile du Prince, décédé le 09 novembre 1859, au petit
séminaire trois ans après son entrée ; Pedro de Barros originaire lui aussi de la même
région que le premier cité, il sort en 1859 à la suite d’une fuite collective des élèves de
l’école et s’installe dans son pays natal. Le troisième, Antonio George Da Sylva était
comme les deux premiers, originaire de l’Ile du Prince : il entre en 1856 et sort en 1863
car le séminaire dû fermer ses portes à ce moment381. A côté des trois Portugais382 que
nous venons de présenter, sept autres élèves font leur entrée en 1856 dont six
ressortissants de la colonie du Gabon, soit trois mpongwés de Libreville ; Siméon
Kashou, Félix Adandè, et Joachim Mbéndjé. Un sékyani de Moanda Félicien

377
Notes sur le registre officiel du séminaire Saint Jean (Registre N°1).
378
On parle de neuf ou de onze élèves.
379
Michel Assoumou Nsi, op. cit. p. 49.
380
André Raponda Walker, Mémoires…p. 21.
381
Michel Assoumou Nsi, p. 48.
382
Ce sont des séminaristes originaires de l’actuel Sao Tomé et Principe.
134
Ndabouéyane, deux Orungu du Cap Lopez, Sylvestre Ambendjo et Guillaume Dorsay383.
Suite à la fermeture provisoire de l’école, les six Gabonais sortent tous du séminaire en
1863. Seul persévère Guillaume Dorsay, originaire de la Côte d’Ivoire ; il arrive au Gabon
avec ses parents protestants qui le mirent à l’école de Sainte Marie où il fut baptisé et
élevé dans la religion catholique. Admis à l’étude du latin, il manifesta le désir de se faire
prêtre. Mais devant l’opposition de sa famille, il dut quitter le Gabon pour aller poursuivre
ses études en France et au Sénégal384. Il était clerc minoré et reçoit la soutane avant de
devenir scolastique de la congrégation du Saint Esprit. Il meut malheureusement le 29
décembre 1869385.

Devant être une pépinière des vocations sacerdotales, l’œuvre n’avait toujours pas
enregistré un envol conséquent, mais le mot d’ordre est d’y aller lentement. Voici ce que
le VP Libermann pense au sujet de cette école : « Lorsqu’une fois le pays sera civilisé, les
esprits se développeront davantage et le nombre des vocations sacerdotales
augmentera »386. De 1856 à 1864, la seule note positive restait le cas du séminariste
Guillaume Dorsay lequel malheureusement ne put parvenir au sacerdoce malgré la
soutane. C’est là un exemple qui aurait pu servi pour contester le scepticisme de certains
missionnaires sur les qualités et les capacités de l’homme noir. Pourtant, les doutes
subsistent toujours et on le verra plus tard. De plus, il est à noter que l’école avait déjà
enregistré deux fermetures, en 1861 et 1863. On pense même à abandonner
définitivement l’œuvre : en 1859, soit quelques années seulement après le début de
l’œuvre, voici ce que Monseigneur Leberre387 pense de cette triste situation : « …Il n’y a
pas grande espérance qu’il y ait de sitôt des vocations à l’état ecclésiastique parmi les
jeunes indigènes, ni à la vie religieuse », et d’invoquer le cas des « misérables prêtres
noirs des îles portugaises »388.

Lorsque le « séminaire » ouvre à nouveau ses portes à la rentrée de 1864, d’autres


élèves font leur entrée chez les Latinistes. Il s’agit de Joseph Xavier de l’Ile du Prince, il
passe chez les apprentis en 1865 ; François Moussa un Congolais envoyé au grand
séminaire de France en 1865, mais rapatrié à Libreville l’année suivante, il meurt petit

383
DOCSSP, Bull.etin Général T.II, 1852-1859.
384
A. Raponda Walker, op. cit. P. 145.
385
DOCSSP, Bull.etin Général. 1868-1879 « Les primitifs scholastiques »
386
DOCSSP, Bulletin Général. 1868-1879 « Les primitifs scholastiques »
387
Monseigneur Jean Marie Leberre est le deuxième évêque résidentiel du Gabon après Mgr Jean Rémy
Bessieux. Son ministère dure de 1877 à 1891.
388
Monseigneur Leberre, cité par L. Assa Mboulou p. 232.
135
séminariste à Sainte Marie le 26 août 1866 à dix sept ans389. Enfin, on peut citer le cas de
Rémi Rénombé ; un mpongwé de Libreville lui aussi envoyé en France en 1865 qui prend
la soutane le 09 juin 1868 et meurt clerc minoré à Gorée le 23 juin 1878 à 21 ans390. A la
rentrée de 1865, l’œuvre enregistre la venue d’un élève qui a le mérite d’avoir marqué
l’histoire de cette modeste école des Latiniste : il s’agit d’Armand Bambara d’origine fiot
du Sénégal. Après un excellent parcours, il est envoyé à Langonet en 1868, puis à
Ngazobil dans son pays natal où il pend la soutane le 28 mai 1871391 ; tonsuré en 1874,
Diacre le 01 décembre 1875, il meurt aliéné à Sainte Marie le 30 juin 1883 à 31 ans392. Le
cas du séminariste Armand Bambara est assez particulier. C’est en effet grâce à lui que
l’école des Latinistes a failli enregistrer son premier prêtre indigène au Gabon. Mais ce
dernier meurt dans des circonstances assez douteuses. Certaines sources énoncent qu’il
serait mort empoisonné, d’autres par contre retiennent la thèse de l’aliénation, thèse qui
était d’ailleurs partagée par certains missionnaires tel que Mgr Kobes comme nous le
stipulions plus haut. L’aliénation de ce dernier serait la conséquence d’un cerveau de
primitif trop faible pour emmagasiner trop de connaissances.

Au début des années 1880, le scepticisme gagnait de plus en plus le cœur des
missionnaires, et même de certains autochtones à commencer par les candidats au
sacerdoce. La preuve de cette situation résulte dans le fait que quelques années avant le
décès d’Armand Bambara, le séminaire avait continué à enregistrer de nombreuses
recrues. En 1867, plusieurs jeunes font leur entrée au séminaire mais les cas d’abandon se
font énormément ressentir. D’autres élèves trouvent malheureusement la mort393. A la
lecture du registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon, on note que de 1868 à
1873, l’école des Latinistes a accueilli vingt trois nouveaux élèves. Une fois de plus, on
enregistre plusieurs décès parmi les candidats, mais aussi plusieurs évasions. A ce sujet,
on peut citer certains cas dont celui du séminariste Pie Akaye, il entre chez les Latinistes
en 1873 et s’évade une année plus tard. L’autre cas est celui de Fabien Soungué, un
mpongwè qui entre en 1893 et s’évade lui aussi un an plus tard394. De 1874 à 1880,
l’œuvre n’enregistre pas beaucoup d’entrées. Le Père Hossenlop qui est le Directeur à
cette époque pense d’ailleurs qu’il faut fermer l’école. Pour lui, et comme pour beaucoup
d’autres missionnaires, il est question de se rendre à l’évidence car l’œuvre ne risquait pas

389
DOCSSP, Bull. gen. 1868-1879
390
Idem.
391
M. Assoumou Nsi, op. cit. p. 49.
392
DOCSSP, Bull.etin Général 1868-1879.
393
M. Assoumou Nsi, op. cit. p. 49.
394
Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon.
136
de porter ses fruits395. De plus, il n’était pas question de continuer à sacrifier tant d’efforts
pour une entreprise qui tournait presque au ralenti. De 1874 à 1880, l’école des Latinistes
n’a fonctionné qu’avec deux élèves dont un seul a été envoyé au Sénégal396.

Dès la rentrée de 1881, l’école des latinistes dut consentir à accueillir de nouveaux
élèves car il était nécessaire de continuer l’œuvre déjà entreprise, comme l’estimait
Monseigneur Jean Rémi Bessieux397 ; on décide aussitôt de nommer un nouveau
responsable à la tête de l’école, le Père Walter398. Jusqu’en 1886, l’école des Latinistes
enregistre dix nouvelles entrées dont celle d’André Raponda Walker qui devient quelques
années plus tard le tout premier prêtre indigène. On les appellera tous les Latinistes, et
leur école, l’œuvre des Latinistes qui perdure jusqu’en 1887. Nous nous sommes
essentiellement intéressé à l’historique de l’œuvre des Latinistes jusqu’en 1886 pour de
simples raisons de commodité. En effet, à partir de l’année 1887, la structure prend la
dénomination de séminaire Saint Jean, automatiquement, l’école des Latinistes a cessé
d’exister. Dans les chapitres à venir, nous tentons d’apporter des éclaircissements aux
raisons de ce changement.

! 7 # $ #
!
Les jeunes latinistes de l’école de Sainte Marie se différenciaient des autres
garçons par l’étude du latin. Un Père était chargé de leur faire des cours chaque jour,
matin et soir. Mais en dehors de ce temps, il n’avait aucun contact avec eux399. Déjà en
1856, bien que les Latinistes soient peu nombreux, l’intention est déjà très claire et
exprimée sans équivoque dans une lettre du Père Duparquet, fondateur de l’œuvre :
« …cela nous permettra à même, de former un clergé indigène »400. Dans certaines
intentions moins précises telles que celle formulées supra par le Père Duparquet, l’école
devait plus tard avoir la vocation de préparer les jeunes au sacerdoce. Ces intentions sont
aussi celles du Père Bessieux qui à son tour insiste sur la grande importance de
l’apprentissage du latin. Pour lui, l’accès à la vocation sacerdotale passait nécessairement
par l’usage du latin. D’ailleurs, le Père Jean Rémi Bessieux lui même se charge de cet

395
ANG, carton N° 4015. « Le Vicariat apostolique du Gabon »
396
A. Ndong Ondo et J. Lendjoungou Fouta op. cit. p. 4 (notes à travers le tableau reproduit dans la thèse de
Mboumba Bwassa.
397
ANG, carton n° 4015. « Le Vicariat apostolique du Gabon ».
398
A. Ndong Ondo et J. Lendjoungou, op. cit. p. 40.
399
Raponda Walker, op. cit. p. 36.
400
DOCSSP, Bulletin Général T. I 1856-1867.
137
enseignement jusqu’en 1862401. En tout, les Latinistes suivaient le programme de l’école
primaire et ceux d’entre eux qui donnaient des signes plus prononcés allaient continuer
leurs études à Notre Dame de Langonet (France), ou Saint Joseph de Ngazobil (Sénégal).
Des cinq qui y furent envoyés, aucun n’est arrivé à terminer sa formation. Quatre d’entre
eux sont décédés au cours de leurs études, le cinquième n’a pas persévéré402. Depuis son
ouverture en 1856, l’école des Latinistes dont les objectifs étaient restés très modestes se
proposait tout de même un programme d’enseignement assez diversifié. Outre l’objectif
principal qui était l’étude du latin, les élèves étaient soumis à un enseignement assez
rigoureux. Les Latinistes étudiaient les sciences physiques et naturelles, le français, les
mathématiques, la géographie et l’histoire de la France403. Toutefois, la lecture et
l’appréhension des Saintes Ecritures faisaient également parti du programme général.
Selon l’Abbé Paul Akoué404, il fallait avoir suivi régulièrement son cycle primaire pour
étudier le latin. Notre interlocuteur note d’ailleurs qu’à cette époque, les études primaires
n’étaient pas très différentes de celles que l’on connaît aujourd’hui.

Le certificat d’études primaires sanctionnait le parcours complet. Après


l’obtention de ce certificat, les élèves avaient le choix entre passer un concours pour
devenir moniteur d’école ou être sélectionné par les missionnaires et aller chez les
Latinistes. En complément des études générales, les premiers missionnaires ont pensé à
utiliser le théâtre comme méthode pédagogique car ils en savaient l’utilité. Ils le
considéraient comme le meilleur « fétiche » pour faciliter l’élocution des élèves et
combattre le trac405.

Le parcours d’étude conduisant au sacerdoce n’était pas une sinécure. Pour faire
son entrée au petit séminaire, le jeune garçon était soumis à un parcours rigoureux. En
effet, les différents niveaux allaient de la première à la quatrième année. En fait, les
degrés d’études ne différaient véritablement pas selon qu’on se trouvait en première ou en
quatrième année. L’analyse au terme de cette étude permet de dire et même d’affirmer
l’hypothèse de départ, c'est-à-dire que l’œuvre des Latinistes ne formait pas de prêtres.
Sans doute elle a contribué de façon effective à mieux déceler certaines vocations auprès

401
M. Assoumou Nsi, Le séminaire Saint Jean… p. 51
402
DOCSSP, Bulletin Général T. I1856-1867.
403
ANG, carton N° 188 « Vicariat apostolique du Gabon ».
404
Abbé Paul Akoué, entretien oral du 30 avril 2001 à 10h à Sainte Marie.
405
Vincent De Paul Nyonda, Autobiographie d’un Gabonais, du villageois au ministre, Coll. Mémoires
Africaines, L’Harmattan, Paris, 1994.
138
des jeunes. Cependant, l’essentiel de l’enseignement dispensé au sein de cette école
donnait juste la possibilité d’acquérir une bonne formation et des connaissances générales.

!! 7 # $ #
Parler des objectifs de l’école des Latinistes revient à situer les buts poursuivis par
cette structure à court ou à long terme. Selon une idéologie bien précise en cette époque,
l’œuvre des latinistes n’aurait pas suffi à doter le pays d’un clergé diocésain, encore
moins en bons prêtres. Cependant, les intentions formulées par certains missionnaires
étaient bien claires et sincères. Ainsi, durant les trois premières décennies de son
existence (1856-1886), l’œuvre qui avait pourtant accueilli plusieurs jeunes n’avait pas
connu un grand succès406. On avance plusieurs raisons à cet échec, notamment le fait
qu’elle soit restée trop longtemps cantonnée à la section de l’école primaire de Sainte
Marie407.

Mais à vrai dire, l’une des principales raisons qui explique l’insuccès de cette
école réside dans la vision qu’en avaient les missionnaires. Ils partent d’un principe bien
simple opposé à ce qui se pratique chez les missionnaires anglais et américains, pour qui
il faut d’abord former des chrétiens et qui deviendront assez vite des hommes. Les
missionnaires catholiques au contraire préfèrent former d’abord des hommes laborieux,
intelligents, qui comprennent la langue française pour en faire des chrétiens civilisés,
peut-être même de bons subalternes. De ce constat, il apparaît que l’œuvre devait à long
terme faciliter l’éclosion des vocations dans le pays. Pour justifier à nouveau les raisons
de l’échec, la confusion entre la section du primaire et les Latinistes durant de nombreuses
années a tout son sens, cependant il ne faut pas occulter le doute permanant de certains
missionnaires sur le futur de cette structure408. Le pessimisme des missionnaires est
certainement une des raisons principales qui ont contribué au retard de l’œuvre des
vocations. Face à cette confusion générale, on ne perdait pas de vue qu’il fallait faire
avancer les choses. Mais il est clair que la mission de l’œuvre des latinistes restait très
limitée du fait qu’elle n’avait pas pour principal objectif de former des prêtres, cette
fonction se précise avec la création du séminaire : en 1886, sur les instances du Père

406
Les renseignements que nous apportons ici nous sont connus grâce aux registres officiels du séminaire
Saint Jean. Au total, l’œuvre a accueilli 68 élèves dont le premier est Emmanuel de Garcia, originaire du
Portugal. Il entre en 1856 et meurt petit séminariste le 20 novembre 1859. Le soixante huitième est Victor
Maka d’origine Fiot. Il entre en 1886 et sort en 1892 car, étant influencé par sa mère, pourtant, il montrait
de bonnes prédispositions.
407
Gérard Morel, Brève histoire des vocations sacerdotales et religieuses dans l’Eglise catholique au Gabon
de 1844 à 1989, Centre Appel, 2è édition-27 février 1989, Sainte Marie, 1989, Libreville.
408
Nous avons situé les cas de Mgr Fauret ou de Mgr Kobes.
139
Buléon, alors professeur des Latinistes, Mgr Leberre, deuxième Vicaire apostolique du
Gabon, décide la séparation des Latinistes d’avec les élèves de l’école primaire auxquels
ils étaient restés mêlés jusque là409. A la rentrée de 1887, on ne parle plus d’école des
Latinistes mais de séminaire Saint jean dont le Père Monier est nommé Directeur410.
Toutefois, il faut préciser que ce changement de dénomination n’implique pas une rupture
totale. L’instabilité et la faiblesse dans le recrutement caractérise autant l’école des
Latinistes que le séminaire Saint Jean.

409
Raponda Walker, op. cit. p. 36.
410
Idem, p. 37.
140
EVOLUTION DE L’ECOLE DES LATINISTES (1856-1886)

ANNEES DIRECTEURS EFFECTIFS REMARQUES


En 1858, on envoie Guillaume Dorsay
1856-1858 Duparquet 2
au Sénégal où il meurt.
Duparquet
1859-1861 4
Le séminaire est fermé car, les élèves
1859-1861 Duparquet 4
ayant fuit une répression.
1861-1863 Mgr Bessieux 6
Le séminaire est fermé.
1863-1864 Mgr Bessieux 6

1864-1865 Père Stoffel 3


Fermé…les séminaristes Moussa et
1865-1866 Père Stoffel 3
Rénombé sont envoyés en France.
Armand Bambara est envoyé en
1866-1868 Père Delorme 14
France.
1869 Père Delorme 8

1870 Père Welty 14


Séparation des séminaristes d’avec les
1871 Père Welty 18 apprentis. Réduction des effectifs pour
des raisons financières.
1872-1873 Père Welty 8

1874-1875 Père Hossenlop 2


Le deuxième est envoyé au Sénégal
1876-1877 Père Dubourg 2

1877-1878 Père Davezac 2


Fermé.
1878-1881 Père Davezac 0

1881-1882 Père Walter 4


Père Delorme (août Transfert du séminaire au Fernand
1882-1883 3
82-jan.83) Vaz à St Joseph des Benga.
Retour du séminaire à Sainte Marie,
1883 Père Heintz 3 on estime qu’il n’est pas assez loin
(sept heures de marche de Libreville).
Fermé. Les missionnaires ont le désir
1884-1886 Père Heintz 0 de repartir à zéro. Les élèves
réintègrent l’école du Père Klaine.
Père Buléon (jan. 86- Le séminaire repart pour le Fernand
1886 12
déc. 86). Vaz.

141
EVOLUTION DU SEMINAIRE SAINT JEAN (1887-1915)
ANNEES DIRECTEURS EFFECTIFS REMARQUES
Père Monier (Dec. 86-
1887 13
Mai 89.
1888 Père Monier 6
Père Delorme (mai 89-
1889 6
juin 89)
Le séminaire revient à
Père Buléon (Juin 89-
1889-1890 18 Libreville le 13 juin 1889 et en
Mai 90)
repart le 14 mai 1890.
Père Monier (mai 90-
1890-1891 18
mars 91)
1891-1892 Père Pringault 17 Un grand séminariste
Mgr Le Roy fait la première
1892-1893 Père Pringault 22
classe de philosophie
Mgr Adam (nov. 93-avril
1893-1895 7
95)
Réorganisation du séminaire.
1895-1896 Rev. Trilles 7 De 1856 à 1896, le séminaire a
reçu plus de 93 élèves.
1896-1897 Rev. Trilles 7
Transfert au Fernand Vaz cause
de la proximité des parents
Père Breidel (juin 97- considérés (par Mgr Adam)
1897 10
nov 97) comme obstacles à
l’épanouissement). « Bull. gén.
T. XIX 1896-1897.
1897-1898 Père Macé 10
Première ordination sacerdotale
1898-1899 Père Macé 12
le 23 juillet 1899.
Père Macé (16 mars Transfert à Notre Dame des
1899-1900 2
1900) Trois Epis.
Père Leclerc (16 mars A partir de cette date, on
1900-Août 1901) commence une nouvelle section
1900-1901 2
des Latinistes à Sainte Marie
avec quatre élèves.
1901-1902 Père Boutin 2
La direction du séminaire est
1902-1903 Raponda Walker 6
confiée à un autochtone.
1903-1906 Raponda Walker 6
1906-1907 Père Macé 6 Transfert à Sainte Marie
Mgr Adam devient professeur
1907-1911 Père Macé 10
des grands séminaristes.
Père Monnaye (mars Les éphémérides restent
1911-1912 1911-juin 1912) désormais muettes sur les
effectifs du séminaire.
1912-1915 Père Macé

# ! $ ! * P L . *
* ! 0"

142
Les deux tableaux ci-dessus montrent à la fois l’évolution de l’école des Latinistes
(1856-1886), mais aussi celle du séminaire Saint Jean de 1887 à 1915. Ces tableaux ont
été réalisés à partir des données (éphémérides) recueillies sur le séminaire Saint Jean.
Dans un souci de synthèse, nous nous sommes juste contenté de retracer à partir de la
colonne des observations, les événements importants qui ont marqué la vie de ces deux
structures. De 1856 à 1915, le séminaire a reçu en tout vingt et un directeurs différents.
Certains qui étaient remplacés et qui revenaient, ce qui démontre à suffisance la non
stabilité de cette structure, pourtant, l’effort était bien présent411. Quant aux effectifs, ils
ne varient pas beaucoup. Bien que le séminaire ait reçu plusieurs élèves aux origines
diverses, il n’en demeure pas moins que très peu restaient.

411
Cas du Père Macé, trois fois directeur du séminaire (1897-1899 ; 1906-1911 ; 1912-1915).
143
Conclusion de la première partie.

Au terme de cette première partie consacrée à l’étude de la Mission au Gabon du


début du XIXè siècle, nous avons mis un accent particulier sur les premiers essais et sur la
première évangélisation du pays. Notre souci a donc été d’apporter des réponses aux
préoccupations formulées dans notre problématique de départ : quelques points de repères
permettent d’apprécier l’allure de la progression. Ainsi, nous avons démontré que
l’arrivée des missionnaires en terre gabonaise au milieu du XIXè siècle a timidement,
mais doucement conduit le pays à se doter de structures missionnaires tant religieuses que
sociale.

Mais l’évangélisation du pays devait en second lieu impliquer la formation de


prêtres et religieux autochtones, capables d’assumer certaines responsabilités, et d’une
hiérarchie nationale. Comme nous avons pu le voir, cette tâche a tant bien que mal été
assumée par les missionnaires. A l’instigation du VP Libermann, L’Afrique au milieu du
XIXè siècle, et le Gabon en particulier va voir s’amorcer une formation systématique d’un
clergé autochtone. Le patron des missionnaires du Saint Cœur de Marie précise : « Je suis
de plus en plus convaincu que l’on doit faire tous les efforts possibles pour former un
clergé indigène, étant donné que l’on aura jamais assez de prêtres pour convertir ces
territoires immenses »412.

Autant les paroles formulées par le patron des missionnaires envoyés au Gabon
peuvent être couronnées de sincérité, autant il nous a été possible tout au long de cette
première partie de relever plusieurs points de contradictions, dont le principal est que le
prêtre africain devait rester le subalterne du Blanc. Les nombreuses contradictions
relevées nous ont amené à nous poser des interrogations sur la volonté des missionnaires à
voir réellement cette tâche s’accomplir le plus tôt possible. En effet, même s’ils ne
représentent qu’une partie des causes, l’étroitesse des relations entre missionnaires et
colonisateurs a été à l’origine de certains retards occasionnés dans la mise en place du
séminaire au Gabon et même de son décollage. Dans le système colonial français, on a
très souvent confondu le missionnaire et l’administratif. Ces égarements ou même les
abus de langage à ce propos sont à notre avis parfois justifiés. Les missionnaires français
étaient bien à l’avant-garde de la colonisation et cette communion ne cesse que dès lors où

412
M.Ahahanzo Glelé, op cit p. 97.
144
les intérêts respectifs sont menacés413. Par ailleurs, nous nous sommes interrogé sur le
comportement de certains missionnaires lequel à notre avis n’était pas toujours exempt de
racisme. Tous ces faits, ont, d’une façon ou d’une façon ou d’une autre contribué au
retard dans l’éclosion des vocations dans le pays. On note également que de 1856 à 1887,
l’œuvre du séminaire amorcée au Gabon ne porte aucun fruit, c’est à dire qu’il n’y a
toujours aucun prêtre formé. Il en sera autant durant plusieurs années plus tard.
Cependant, malgré les insuffisances et les quelques bavures dans leur apostolat, on doit
rendre un hommage mérité aux missionnaires. A cet hommage doivent être associés les
premiers catéchistes gabonais, les auxiliaires dévoués et désintéressés ainsi que les
familles. On les oublie très souvent dans l’étude de la propagation du christianisme au
Gabon et pourtant leur effort et leur participation ont bien été bénéfiques. En somme au
début du XXè siècle, le bilan a été assez difficile et les tentatives de mise en place du
clergé indigène très limitées, pourtant l’Eglise autochtone apparaît aux yeux des
missionnaires comme un élément essentiel. La rencontre en elle même n’aboutit pas
nécessairement. Les contacts entre populations locales et missionnaires restent emprunts
d’une certaine méfiance à l’exception du peuple fang.

413
Les événements de 1875 peuvent en témoigner et plus encore, la séparation de 1905 et son lot de
conséquence : surveillance des missionnaires par les Colons, réduction des privilèges, conscientisation des
autochtones etc.
145
'(8;,(0(3$57,(
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LE DIOCESE DU GABON. DE LA
LONGUE GESTATION A LA
NAISSANCE D’UNE EGLISE
1887-1955

146
Introduction de la deuxième partie

Dans le cadre de l’évolution de l’Eglise catholique au Gabon, nous avons à travers


la partie précédente, présenté des débuts lents et difficiles. Les premières intentions
sacerdotales marquées par la mise en place de l’école des Latinistes en ont été la grande
illustration. On les a appelés les « primitifs scholastiques », c'est-à-dire ceux par lesquels
tout a commencé.

La seconde partie de notre étude se propose de dresser une étude sur les vocations
religieuses et sacerdotales dans l’Eglise au Gabon depuis 1899 : avec la création du
séminaire Saint Jean, cette entreprise, en prolongement des Latinistes, devenait plus que
possible. Mais si nous voulons rendre compte de l’évolution de l’Eglise catholique au
Gabon, depuis ses origines, il faut présenter tout le peuple des baptisés. Brosser un tel
tableau serait impossible car il faudrait enquêter dans toutes les Missions du Gabon et
certaines ont disparu sans laisser d’archives. Pour d’autres Missions, ce sont les archives
qui ont disparu ! Nous pouvons cependant connaître l’authentique et fidèle vitalité de
toute l’Eglise catholique au Gabon en considérant depuis 1844 l’évolution des vocations
sacerdotales et religieuses gabonaises. Cette enquête particulière est révélatrice car,
comme le dit Jean Paul II, « les vocations sacerdotales sont le signe et la condition de la
vitalité d’une Eglise »414. A côté des vocations sacerdotales qui sont le signe incontestable
de la pérennisation de l’Eglise, nous souhaitons à travers cette partie, d’une part procéder
à l’évaluation des prémisses de cette Eglise à partir de 1940 avec la mise en fonction des
premiers prêtres indigènes, d’autre part apprécier l’administration ecclésiastique au
Gabon, des origines à 1969 et les implications nées au lendemain de l’élévation du Gabon
comme diocèse autonome en 1955.

414
DOCATGAB, Jean Paul II, discours du 18 février 1982 lors de sa visite à Libreville.
147
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La fondation du séminaire Saint Jean obéît à l’intention clairement posée par les
premiers missionnaires qui en ouvrant la section des Latinistes en 1856 devait à terme
conduire vers un clergé autochtone. L’histoire du séminaire du Gabon a été une œuvre
longue et plutôt difficile. Jusqu’en 1886, il n’existait pas de séminaire proprement dit au
Gabon. Les élèves, appelés « latinistes », faisaient partie de l’école de Sainte Marie dont
ils formaient la première classe415. C’est au cours de cette même année qu’on décide de
leur séparation d’avec les élèves de l’école primaire et l’œuvre des latinistes prend
officiellement la dénomination de séminaire Saint jean en 1887 auquel on pense doter
d’installations spécifiques416.

Les débuts du séminaire Saint Jean au Gabon sont assez connus grâce aux écrits de
l’Abbé André Raponda Walker417, premier prêtre gabonais et contemporain d’une partie
de cette histoire, de Jean Rémy Ayoune418 et enfin de Vincent de Paul
Nyonda419.Toutefois, avant d’examiner l’importance du séminaire, une question mérite
d’être posée : pourquoi la dénomination de Saint Jean ? Difficile d’apporter une réponse
claire. Cependant, grâce aux enquêtes orales, il apparaît que plusieurs raisons peuvent
sous-tendre cette dénomination. La plus courante, celle avancée par l’Abbé Paul
Akoué420, est que les missionnaires voyaient en ce nom une manière d’honorer la
mémoire de Saint Jean, l’apôtre qui est le saint patron des séminaristes et aussi parce que
Jean était l’apôtre le plus aimé du Christ.

D’emblée, le séminaire du Gabon n’a pas connu des débuts aisés. Il y a eu en effet
une série de mésaventures qui ont entravé son établissement définitif à Libreville. L’une
des causes de cette situation résulte dans la fait que les missionnaires en décidant de
séparer les latinistes d’avec les élèves de l’école primaire n’avaient pas pensé à un
nouveau site d’implantation du séminaire. La Mission Sainte Marie déjà trop petite, ne
pouvait pas contenir tout le monde au même endroit.

415
A. Raponda Walker, op cit. p. 36.
416
Père G. Morel, L’évolution…p. 12.
417
André Raponda Walker, fils d’un explorateur, Bruce Walker, est le premier prêtre gabonais. Il raconte
l’histoire du séminaire Saint Jean dans Souvenirs d’un nonagénaire.
418
Il l’a raconte dans Réflexions sur l’évolution de l’Afrique Noire.
419
Autobiographie d’un Gabonais, du villageois au ministre.
420
Entretien du 30 avril 2001 à Sainte Marie.
148
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Avec au total treize séminaristes, c’est en 1887 que le séminaire prend ses
premières assises autonomes en dehors de Sainte Marie421. Cependant, celles-ci se
révélèrent très précaires car aucun véritable bâtiment digne de ce nom n’était capable
d’abriter le nouveau séminaire. Le Père Buléon, désigné pour la nouvelle Mission de
Sainte Anne du Fernand Vaz, est remplacé par le Père Monnier, nouvellement arrivé,
comme directeur du petit séminaire. Toutefois, afin de palier aux premières difficultés,
Mgr Leberre propose de ne pas éloigner le bâtiment du nouveau séminaire de Sainte
Marie. C’est pourquoi il fut décidé d’implanter les locaux aux alentours même de la
maison mère422. Les séminaristes furent donc logés à Saint Joseph423 qui avait l’avantage
d’offrir les meilleures conditions d’étude. A l’intérieur de ce même bâtiment, il y avait la
chambre du Père directeur et au milieu, la salle d’étude. A l’autre extrémité, un petit
oratoire. Sur la véranda, le réfectoire : une grande table pour les séminaristes et une petite
pour le Père directeur. Au grenier, la lingerie et le dortoir : pour lits, on se servait du
plancher sur lequel on étendait une natte avec une couverture et un petit oreiller424. Autant
dire qu’il s’agissait là de conditions de vie pas très aisées.

L’année 1887 fut aussi celle de beaucoup d’épreuves. Mis à part le fait que le
séminaire était obligé d’avoir un site précaire, on note également les conditions de vie et
de travail très aléatoires comme cela est décrit plus haut. En consultant les éphémérides
du séminaire Saint Jean, on relève d’ailleurs que ces mauvaises conditions étaient souvent
à l’origine des nombreux abandons. Les élèves, très comprimés, n’avaient aucun contact
direct avec leurs parents et le monde extérieur, ce qui occasionna par la suite plusieurs
tentatives d’évasions425. Un deuxième moyen d’abandon était la désertion par le biais de
la permission. Certains séminaristes qui recevaient la permission d’aller au village voir
leurs parents en profitaient pour ne jamais revenir426. Enfin une troisième raison et non
des moindres qui poussait les élèves à quitter le séminaire est l’interférence des parents.

421
Aux douze anciens qui existaient déjà en 1886, s’adjoignit André Walker en remplacement d’un des
anciens et qui avait déjà l’avantage d’avoir fait du latin entre 1882-1883.
422
M. Assoumou Nsi, op. cit. p. 56.
423
Site de l’actuel CPA et où a résidé pendant 20 ans un ancien catéchiste Eugène Evoung.
424
Cette description est l’authenticité de ce que révèle André Raponda Walker à travers son ouvrage :
Mémoires d’un nonagénaire, p. 37.
425
Cas de joseph Onguéwomori (nkomi) en 1887, de Augustin Tangoma (fiot) en 1886, de Victor Maka
(fiot) en 1892…
426
On peux citer le cas du séminariste Isidore Onémé (mpongwé), il entre en 1889 et en 1891, il reçoit la
permission d’aller au village et ne revint plus ; c’est aussi le cas de Pierre Clovis Akwé (fang) en 1926.
149
Autant beaucoup venaient au séminaire sur décision des parents, autant d’autres y
venaient par simple conviction par rapport à leur vocation. André Raponda Walker
raconte d’ailleurs les difficultés qu’il a eues avec sa mère au sujet de sa vocation. En effet,
sa mère bien que souhaitant qu’il fasse de longues études, ne voulait pas pour autant que
celles-ci aboutissent au sacerdoce. D’autres cas au sujet de l’opposition des parents sont à
signaler, entre autre ceux des séminaristes Isidore Oubélo et Jean Baptiste Mpini qui sont
retirés de Saint Jean en 1887 par leurs parents.

Quelles étaient les raisons qui motivaient certains parents à retirer leurs enfants du
séminaire ? Comment justifier que les mêmes parents, qui après avoir donné leur avis
positif sur l’entrée au séminaire de leurs garçons, décident quelque temps après de les en
retirer ? On en ignore les raisons véritables, pourtant il semblait aux yeux de beaucoup
que la fonction de prêtre en Afrique Equatoriale et au Gabon en particulier représentait
une ascension sociale. Le missionnaire blanc était presque vénéré, pour preuve, certains
peuples n’ont pas hésité à les introniser comme rois427. De plus, certains missionnaires à
l’aide de plusieurs subterfuges donnaient l’impression qu’ils étaient magiciens.
L’ignorance de plusieurs autochtones leur faisait donc penser qu’ils pouvaient eux aussi
devenir comme les prêtres blancs428. De plus, chez certains autochtones plus éveillés, il
fallait envoyer les jeunes au séminaire afin qu’à long terme, le pays soit doté de ses
propres ecclésiastes. Les raisons de l’envoi des garçons au séminaire ainsi énumérées, on
est en droit de s’étonner d’un tel revirement de situation chez les parents.

En fait, plusieurs parents notamment les mères n’ont pas toujours donné raison au
comportement des missionnaires. Beaucoup ne comprenaient pas que le futur prêtre
autochtone devait vivre loin de l’environnement familial et de toute autre forme de
perturbation.
De plus, ce qu’il convient de nommer ici sous le terme de « mauvaises
langues »429 disent que beaucoup devenaient fou après leur entrée au séminaire. Loin de
chercher à soutenir cette dernière idée, force est de constater que les nombreux cas de

427
En 1897, les Nkomi accordèrent une intronisation royale à un missionnaire catholique français, le Père
Bichet, ce qui n’était pas la première fois. Il fut intronisé comme « dernier roi Ré-nima » du royaume nkomi
suivant les rites coutumiers, in Missionnaires au Gabon, Pentecôte sur le monde, n° 87, mai-juin 1971.
428
F. Gaulme, un problème d’histoire du Gabon, le sacre du Père Bichet par les Nkomi en 1897, in Revue
française d’histoire d’Outre Mer, t. LVI, 1974, N° 222.
429
Dans le langage local, le terme mauvaises langues est utilisé pour désigner un type de personnes qui
parlent et qui se mêlent de tout. Des gens qui racontent et rapportent des choses souvent non avérées et sans
fondement.
150
folie enregistrés au séminaire laissaient certains parents très dubitatifs430. On citait aussi
plusieurs cas de noyade431. Ces situations ont malheureusement amené certains élèves à
s’évader du séminaire et certains parents à retirer leurs enfants de cette structure
religieuse. D’où la fluctuation des effectifs d’année en année

L’analyse des différents mobiles cités plus haut prouve à suffisance que les débuts
du séminaire au Gabon furent difficiles. Entre le manque de vocation de certains élèves et
les appréhensions d’ordre raciales des missionnaires, on était en droit de se demander si
après plus de quarante ans d’installation missionnaire l’Eglise n’a pas pu former des
religieux autochtones, combien de temps lui faudrait-il à présent pour doter l’Eglise des
cadres africains et surtout gabonais ? Optimiste, Mgr Pierre Marie Leberre432, alors
Vicaire apostolique et certains autres missionnaires estiment que le séminaire ne prendra
son essor qu’avec la réalisation définitive du nouveau bâtiment devant abriter les élèves.

430
Selon le registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon (1856-1946), on peux citer plusieurs cas
engendrés : Armand Bambara (fiot) qui meurt aliéné en 1883 ; André Mamadi (fiot) meurt fou en 1890 à
Libreville ; Alfred Louabala (mpongwé), fils de Denis Rapotchombo, mort à Glass aliéné ; Auguste Ngoma
(fiot), meut aliéné en 1870 ; Joseph Renami (ngové), meurt aliéné en 1891…
431
On peux retenir les cas des séminaristes suivant : François Sega, noyé en 1884 ; Emile Nguia Besa, noyé
en 1897 ; Antoine Mba, noyé en 1907…
432
Deuxième vicaire apostolique (1877-1891). C’est avec lui que l’Eglise du Gabon reçoit les premières
professions religieuses de jeunes gabonaises.
151
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Seminaire Saint Jean 1888 à 1897

mort par noyade


25%
manque de vocation
14%
Cas de fuite
Cas de folie
8% 31% retrait par les parents
8% Renvois
6%
8% Moniteurs

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Le graphique ci-dessus donne une idée sur les motifs expliquant le départ des
élèves du séminaire Saint Jean. Nous avons volontairement choisi de montrer les raisons
les plus évoquées entre autres il s’agit des revois, le fait de devenir moniteurs d’école ou
même le retrait par les parents. Il est intéressant de voir comment se présente la situation
du séminaire Saint Jean avec la construction des nouveaux bâtiments en 1888.

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Commencé en 1887, le bâtiment du petit séminaire Saint Jean fut terminé en 1888.
Béni par Mgr Leberre le 14 septembre, fête de l’exaltation de la Sainte-Croix, il abrita les
petits séminaristes jusqu’en 1897, date de leur départ pour le Fernand Vaz433. En réalité,
le « nouveau » bâtiment qui est livré aux séminaristes en 1888 n’est pas une nouvelle
construction. Son existence date déjà, c’est en effet un vieux bâtiment rénové qui abritait
les services de l’administration coloniale et qui avait été cédé aux missionnaires après les
événements de 1875434. Dès l’occupation du nouveau site, l’ancien bâtiment était devenu
la direction du séminaire Saint Jean. Au total, les nouveaux locaux du séminaire se
dressaient sur deux étages. Au niveau supérieur étaient logés les directeurs et on y trouvait
aussi les principaux bureaux : à l’extrême droite celui du titulaire puis à l’extrême gauche,
celui de son adjoint. Au milieu, se trouvait une grande salle réservée pour la bibliothèque

433
A. Raponda Walker, p. 37.
434
ANG, carton n° 4015 Notes sur le Père Bessieux au sujet de l’évacuation du comptoir du Gabon en 1875.
152
principale. On notait aussi la présence d’un petit autel. Selon l’Abbé Jean Mbeng435, cet
autel pouvait servir à plusieurs occasions notamment lors du passage de certains prêtres à
Sainte Marie pour la prière. Au rez de chaussée, il y avait une petite chapelle et deux
salles de classe réservées aux élèves. A côté du vieux bâtiment rénové, on avait construit
un autre en planches solides. S’il est difficile de parler des services de celui-ci436, on peut
souligner qu’après 1892, ce bâtiment abrite désormais les services du grand séminaire437.

En 1897, date du départ pour la région du Fernand Vaz, le fonctionnement du


séminaire au Gabon n’est pas encore clairement défini. En d’autres termes, que
deviennent les élèves qui avaient la possibilité de terminer leurs études au petit
séminaire ? Cette principale interrogation trouve un début de réponse dès 1897 quand Mgr
Adam, alors vicaire apostolique du Gabon fut le premier à initier dans le Vicariat la
première section de la philosophie et de la théologie438. C’est donc à cette date que l’on
situe le début du grand séminaire au Gabon avec des élèves tels qu’André Raponda
Walker. Lors de la rentrée de 1888, le séminaire compte environ six élèves439. Cependant
le nombre d’entrées et de sorties n’avait cessé de varier entre l’année de la construction
définitive des nouveaux bâtiments et 1897. Au total, il y a eu trente six élèves qui ont
fréquenté le séminaire, ainsi qu’en témoigne la statistique ci-dessous.

435
Enquête du 07-07-2001 à Sainte Marie. Ancien directeur du petit séminaire Saint Jean de 1953 à 1957.
436
Nous n’avons pas eu d’informations à ce sujet.
437
1892 est vraisemblablement la date qui marque les débuts du grand séminaire au Gabon.
438
Jean Martin Adam est le quatrième vicaire apostolique du Gabon (1892-1914).
439
Voir tableau sur l’évolution du séminaire Saint Jean 1887-1915.
153
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Les données représentées dans le tableau ci-dessus ainsi que le graphique que nous
présentions déjà sont des témoignages suffisants pour montrer autant l’instabilité de
l’œuvre mais aussi les difficultés rencontrées par le séminaire. Très peu d’élèves
atteignaient le stade moyen du sacerdoce. Les envois comme moniteurs d’école, les
renvois ainsi que les nombreux retraits par les parents sont les plus fréquents. Autant de

154
situations qui pouvaient laisser les missionnaires perplexes sur le devenir de cette jeune
institution.

Comme nous le soulignions plus haut, la principale raison avancée pour expliquer
cette situation réside dans le manque de structure fiable pour abriter le séminaire. En
regardant de très près, cette raison parait fragile d’autant plus qu’en 1888 lorsque les
travaux des nouveaux bâtiments du séminaire sont terminés, les mêmes difficultés
persistent toujours : le départ de 1897 en témoigne à suffisance. Aussi récurrente soit-elle,
force est de se poser la question de savoir pourquoi le séminaire tardait-il à prendre son
essor ? Trois acteurs majeurs sont en ligne de mire : les missionnaires, les élèves et les
parents, on pourrait en citer un quatrième, l’environnement qui a même été très
déterminant comme nous le verrons plus tard en étudiant les tribulations du séminaire.
D’abord, il y a les missionnaires qui sans cesse éprouvaient des doutes sur la réussite de
l’œuvre et même sur les qualités intellectuelles du jeune noir. Il y avait aussi cette vision
qui tendait à penser qu’il ne fallait pas trop donner des connaissances aux autochtones,
sinon ils pouvaient à long terme devenir trop éclairés et prétendre à la direction des
affaires détenues par les missionnaires. Ensuite il y a les élèves eux-mêmes qui se
décourageaient. Certains ont d’ailleurs fréquenté le séminaire sans vocation car beaucoup
y allaient juste pour avoir des connaissances et devenir moniteur. De plus, le séminaire
Saint Jean était bien le seul endroit où on donnait un enseignement de type secondaire.
Enfin, il y a les parents, souvent très hostiles à l’idée de voir leur enfant devenir
minisse440. Enfin, le séminaire Saint Jean a connu moult emplacement avant son
installation définitive à Libreville441.

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D’un point de vue général, les missionnaires souhaitaient mettre en place un vrai
séminaire malgré les différents dysfonctionnements que nous avons soulignés dans les
chapitres précédents. Une structure fiable et organisée devait permettre l’éveil des jeunes
noirs ; le chanoine Blanchard disait d’ailleurs à ce sujet : « Il fallait mettre en place une
maison spéciale pour les Noirs car ils doivent former le clergé séculier »442. En d’autres
termes, on pensait que les séminaristes devaient vivre loin de toute forme de perturbation
du monde extérieur. Ils ne devaient pas être mêlés avec les autres, d’où la toute première

440
Terme employé chez les coutumes fang pour désigner le missionnaire.
441
L’actuel site du séminaire Saint Jean se trouve à la gare routière de Libreville. Les travaux de
construction ont débuté le 21-05-1948, mais ce n’est qu’en 1952 qu’il fut totalement livré et quitte
définitivement Sainte Marie. En 1953, le grand séminaire est transféré à Brazzaville, capitale de l’AEF.
442
Père Gaston Pouchet, op. cit. p. 192.
155
séparation d’avec les élèves de l’école primaire en 1886. L’esprit de la Contre-réforme et
la stratégie « pédagogique » militaient pour cet isolement.

L’illusion des missionnaires, une logique partagée par Mgr Leberre grand vicaire
apostolique, part du point de vue que l’aménagement d’un nouveau bâtiment suffirait pour
garantir de meilleurs résultats dans l’œuvre du séminaire. Cependant, il n’en a point été le
cas. L’implantation définitive du séminaire à Libreville fut longue à se dessiner. Plusieurs
raisons avaient souvent été évoquées à chaque fois pour justifier une nouvelle
délocalisation vers un site jugé « plus propice » à l’étude. De 1856 à 1925, l’œuvre avait
parcouru presque toute la côte de l’Estuaire, allant parfois jusqu’aux frontières de la
Guinée espagnole, avant de rejoindre définitivement la Capitale. Ainsi, il nous paraît
opportun de retracer le cheminement parcouru par le séminaire de la création à la fin des
tribulations : un parcours marqué par deux grandes phases.

! @ 0 (=>6 (A&1
Cette première période d’errements du séminaire Saint Jean n’a pas été choisie de
façon hasardeuse. Concernant cette chronologie, nous notons deux faits particuliers.
D’abord l’année 1856, dont l’événement marquant, n’est plus à expliquer. Ensuite, il y a
l’année 1893 qui ouvre une ère nouvelle dans l’histoire du séminaire du Gabon. On estime
qu’à cette date l’œuvre a pris de l’ampleur et de dynamisme. La philosophie et la
théologie font partie du programme d’étude : c’est donc le début du grand séminaire au
Gabon443.

En 1856, l’option d’accueil de l’école des Latinistes s’est bien entendue portée sur
Libreville pour une raison bien évidente. La Capitale administrative de la colonie abrite
Sainte Marie, principal pôle d’expansion du catholicisme. Cependant, on remarque au tout
début que l’œuvre n’intéresse guère les jeunes garçons originaires de la Côte de
l’Estuaire. En 1856, il y a en tout trois Latinistes : Emmanuel de Garcia, Pedro de Barros
et Antonio Georges Da Silva444, tous originaires de l’île de Port au Prince. Quelques
années après l’ouverture de 1856, les missionnaires font un constat sur le devenir de cette
œuvre : quel avenir donner au séminaire si les jeunes de la localité ne s’y intéressent pas,
ou alors s’ils viennent pour ne pas y rester445 ? Pour tenter de trouver une solution au

443
Avant cette date, les petits séminaristes dont on jugeait aptes à la vocation étaient envoyés à Ngazobil au
Sénégal ou à Langonet en France pour y parfaire leur formation.
444
Registre des élèves latinistes du Vicariat du Gabon (1856-1848).
445
DOCSSP, Bulletin Général T. I 1856-1867
156
problème, les missionnaires affirment que le manque d’affluence et même de résultats
s’explique par la fait qu’à Libreville, la famille est beaucoup trop proche, qu’elle constitue
un obstacle à l’affirmation de la vocation des jeunes446. Après vingt six ans, on décide
d’éloigner l’école des Latinistes de Libreville447. Si vraisemblablement il s’agit pour les
missionnaires d’une ère nouvelle, il est intéressant de s’interroger sur ces aménagements.
Pouvaient-ils garantir des conditions plus propices aux études ?

Difficile d’apporter des éléments de réponse448. Tout juste, on peut souligner


qu’en 1882, le séminaire fait un essai à Saint Joseph des Bengas449. Sur ce site, on estime
que l’atmosphère y est plus saine pour l’étude. De plus, on y trouve le calme parfait, loin
de l’influence des parents. Le Père Delorme450 enseignait le latin tandis que le Père
Théodose tenait la petite école. Plus tard, le Père Delorme fut remplacé par le Père
Heintz, un ancien missionnaire de Pondichéry, aux Indes françaises, futur prédicateur des
retraites dans les maisons des Pères du Saint-Esprit. Saint Joseph des Bengas avait
l’avantage d’offrir un site agréable à la différence de Sainte Marie un peu trop exposé
selon les missionnaires. Dans cette contrée éloignée de Libreville on y trouvait en effet la
solitude et le calme parfait pour les études451. Sans compter un excellent régime, des
vivres en abondance préparés par les femmes de la localité. Saint Joseph des Bengas fut
également favorable pour l’éveil psychologique des élèves : ce fut les cas du premier
prêtre gabonais qui avoue que c’est à Saint Joseph des Bengas qu’il prend conscience de
sa vocation452: « C’est au Cap Estérias que me vint l’idée de me faire prêtre. Sans doute à
cause de Mgr l’Abbé Bambara que j’avais vu en soutane à Sainte Marie à son retour du
séminaire de Ngazobil où il avait reçu le diaconat. Je m’en ouvris au Père Delorme qui
m’encouragea dans cette voie. Depuis lors, cette idée ne m’a plus quitté »453.

446
Idem.
447
Gaston Pouchet (Père), op. cit. p. 194.
448
Les archives consultées sont muettes sur le sujet.
449
Saint Joseph est une mission située au Cap Estérias à plusieurs dizaines de kilomètres de Libreville. Dans
cette localité de l’Estuaire, l’ethnie majoritaire est constituée par les Bengas, mais on y trouve aussi les
Fang.
450
Le Père Délorme est le fondateur de trois missions au Gabon : il s’agit de Saint Paul de Donguila (1878),
Saint François Xavier de Lambaréné chez les Galoas (1880) et Saint Benoît au Rio Bénito. Il parlait
d’ailleurs couramment le Fang et le mpongwè.
451
A. Raponda Walker, p. 34.
452
Saint Joseph des Bengas a eu le mérite d’accueillir le séminaire à plusieurs reprises. C’est notamment au
cours de son second transfert dans cette localité que le jeune Raponda Walker eu la véritable intention de se
faire prêtre.
453
Idem, P. 35.
157
Le séjour au Cap Estérias fut aussi l’occasion du bon temps. L’aubaine était très
souvent donnée aux élèves d’assister à des veillées passées sur la véranda de la maison
des Pères. A tour de rôle, le Père Delorme et le Frère Théodose égayaient les élèves par
de belles histoires mais aussi par des chansons que les élèves s’amusaient volontiers à
déformer. Ce fut d’ailleurs le cas de la marseillaise. Voici « la Marseillaise travestie » :

« 1.-Allons, enfants de la Courtille,


L’heure de dîner est arrivée.
C’est pour nous que le boudin grille :
C’est pour nous qu’il est préparé ! (Bis)
Refrain…A table, mes amis !
Vidons tous ces flacons.
Mangeons, buvons :
Qu’un vin bien pur abreuve nos poumons !
2.-Entendez-vous dans la cuisine,
Rôtir ces dindons, ces gigots ?
Si nous leur faisons triste mine,
Ma foi, nous serions bien nigauds. »454

Une année durant son implantation à Saint Joseph des Bengas, le séminaire n’a
connu aucun succès et les missionnaires déchantèrent très vite. Sur le registre du Vicariat
du Gabon durant cette période, une seule entrée y est mentionnée, celle du jeune Benoît
Walker455, un autre fils de Bruce Walker, ancien explorateur de l’Ogooué. Face à ce
constat d’échec, le séminaire est supprimé au Cap Estérias et revient à Sainte Marie en
1883456. Cependant, une attitude est plutôt contradictoire chez les missionnaires. Dans le
souci de ne pas affirmer clairement les raisons de la fermeture du séminaire au Cap
Estérias, en l’occurrence le manque de nouvelles entrées, ils évoquent plutôt d’autres
raisons plus adéquates. Pour eux, il fallait ramener l’œuvre à Sainte Marie qui, chez les
Bengas était trop éloigné et peu accessible en mauvaise saison. Il faut souligner qu’en ce
temps, seule la pirogue apparaît comme le moyen de locomotion le plus sûr, et la
traversée des rivières et des fleuves n’était pas souvent de tout repos457.

454
Idem P. 36.
455
Il entre en 1882 et en ressort la même année. Son entrée chez les Latinistes s’explique par le fait qu’il
voulait acquérir des connaissances et devenir moniteur. En 1882, il est envoyé à Donguila.
456
Gaston Pouchet (Père), op. cit. p. 192.
457
Idem
158
De 1883 à 1886, le séminaire n’enregistre aucune nouvelle entrée. De 1886 à
1893, trente neuf arrivées d’élèves sont mentionnées dans le registre du Vicariat, dont
celle du futur prêtre indigène. Sur ces nouvelles recrues, les résultats ne sont toujours pas
probants. Les élèves ne parviennent pas à l’ordination et les mêmes raisons précédemment
mentionnées sont toujours présentes : les cas de décès, le désir simple de devenir
moniteur, la médiation négative des parents, le renvoi et bien d’autres. En 1893,
Monseigneur Le Roy décide pour la seconde fois d’envoyer le séminaire Saint Jean au
Cap Estérias chez les Bengas, où il y reste durant trois années458. Sur ce second essai, la
pression des parents est continuellement présente, mais aussi les décès successifs de
plusieurs latinistes dont Alphonse Peter (mpongwé), Eugène Ongouwou (mpongwé),
André Boubou (Sénégal), Bernard Outimbou (Benga), Augustin Tangoma (Fiot) et bien
d’autres459. Toutes ces morts sont curieuses et cela explique sans doute les raisons pour
lesquelles le séminaire tardait à produire des résultats. Le Vénérable Père Trilles qui avait
fait un séjour au Cap Estérias, à l’époque de la seconde affectation du séminaire dans
cette localité donne son point de vue. Il pense en effet que les nombreux cas de décès,
souvent inexpliqués, sont le résultat de manœuvres criminelles. Pour lui, il s’agit, entre
autre, de parents déçus en d’infâmes espérances, citoyens jaloux de voir l’un d’eux
s’élever au dessus de la commune mesure ou encore les dernières luttes d’un culte460. Les
missionnaires qui croient plutôt à la mort naturelle reconnaissent qu’elles ne le sont pas
toutes et qu’il y a d’assez curieuses coïncidences. Toutes ces raisons font en sorte que le
séminaire est à nouveau supprimé au Cap Estérias.

Cependant, il ne fallait pas pour autant arrêter le travail déjà accompli. Pour Mgr
Le Roy, il n’était pas question de ramener le séminaire à Libreville. En 1897, on
aménagea donc à Sainte Anne dans le Fernand Vaz461, de nouvelles structures capables
d’accueillir le séminaire. Les matériaux de base, sont composés de pierres, et du gravier.
Tout cela fut amené par pirogue, en naviguant sur le Rembo qui permet l’accès à des
carrières de granite. C’est donc en août 1897 que la superbe mission de Sainte Anne
accueille le séminaire Saint Jean durant trois années462.

458
A.N.G. carton n° 4015 « Les populations catholiques du Gabon ».
459
Registre des élèves du Vicariat Apostolique du Gabon.
460
Revd. Trilles, Le Gabon catholique…cité par Gaston Pouchet p. 193.
461
Sainte Anne du Fernand Vaz est une petite mission riche d’histoire que l’on atteint de Port Gentil après
huit heures de pirogue à moteur. C’est le 6 mars que les Pères Buléon et Bichet débarquent à la Pointe
Igoumbi pour y acheter un terrain et y construire une nouvelle mission. Elle tient son nom Sainte Anne du
fait que le Père Buléon était originaire de Sainte Anne d’Auray dans le Morbihan.
462
Claude Dauthuille, op. cit. p. 32.
159
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Cette fourchette temporelle concernant la deuxième période des tribulations n’est
pas choisie elle aussi au hasard. La dernière boucle l’ère des transferts et marque
l’implantation définitive à Libreville. Cette seconde période est elle aussi caractérisée par
de nombreux événements majeurs. En 1900, c'est-à-dire trois années après l’établissement
dans le Fernand Vaz, le cours est supprimé. Deux séminaristes sont envoyés à Sindara
(sud du Gabon) où le séminaire venait d’y être implanté, tandis que quatre autres
séminaristes rejoignent Libreville pour leur entrée au grand séminaire463. A Sindara, le
cours fut logé dans les annexes de la mission Notre Dame des Trois Epis de l’Equateur464.
Dans cette localité située dans le sud du Gabon, le petit séminaire perdura quatre années.
Son établissement à Sindara trouve sa justification dans le fait qu’on voulait honorer le
parcours du premier prêtre gabonais, envoyé un an plus tard après son ordination pour y
débuter sa carrière apostolique. Mais comme les autres sites ayant abrité l’œuvre, Sindara
devient très vite une illusion. En effet, les difficultés sont nombreuses :
l’approvisionnement des hommes est difficile sans compter avec la présence récurrente de
la peste, des incendies et des invasions. De plus, la multiplicité des langues parlées dans la
région ne facilite pas les choses465. Sindara constituait véritablement une région difficile
et mal desservie. Mgr Raponda raconte qu’à l’occasion de sa première affectation
apostolique, l’accès dans certains coins était une gageure. Il fallait se glisser dans la forêt,
passer des rivières et patauger dans les marais466. De plus, les entrées au petit séminaire
restent dérisoires : entre 1900 et 1905, on note seulement quatre nouveaux élèves dont
François Vané (120è séminariste), qui reçoit la soutane en 1908 mais qui fait preuve d’un
manque de vocation par la suite467. Pour ces quelques raisons, l’œuvre doit à nouveau
fermer.

En 1905, on réunit donc et de nouveau les petits séminaristes à Libreville. Cette


nouvelle expérience dure dix huit ans. Cependant ces nombreuses années de
sédentarisation ont été déterminantes pour redonner un regain d’espoir au séminaire.
D’abord cette fois-ci à cause du nombre important d’entrées au cours, soit quarante quatre
au total468 , mais aussi au vu des nombreuses ordinations sacerdotales durant cette

463
DOCSSP, Bulletin Général, 1898-1906 « Le séminaire du Gabon ».
464
Cette mission fut fondée en 1899, par le Père Boutin et le Père Barreau qui furent rejoints par le premier
prêtre gabonais.
465
Jacques Hubert dans son livre parle de la, mentalité particulière des Isogho (peuple du sud Gabon) dont
l’âme est aussi imperméable que la brousse.
466
Raponda Walker, op. cit. p. 47.
467
Registre du Vicariat Apostolique.
468
Archives Raponda Walker. Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon »
160
période, cela fera l’objet d’une étude ultérieure. Mais en 1923, on décide d’implanter
l’œuvre dans la région de Boutika, proche de la Guinée espagnole469. Les justificatifs de
cette énième délocalisation sont doubles : d’une part l’Abbé André Raponda Walker
venait d’y être envoyé pour son ministère, où il en a d’ailleurs gardé un souvenir saumâtre
car le pays fang n’était pas son fort ; d’autre part, les missionnaires estimaient aussi qu’il
fallait se rapprocher de la Guinée espagnole470. En effet depuis sa création, l’œuvre avait
reçu des jeunes d’origines diverses sauf de cette contrée pourtant proche de la colonie du
Gabon. Or, l’essai se révèle très vite comme un échec car le séminaire y est supprimé
deux années plus tard. Les éphémérides sont d’ailleurs assez muettes sur les entrées et
sorties des élèves durant cette période. En avril 1925, le séminaire regagne Libreville et
cette date marque aussi la fin des tribulations.

Quel bilan retenir de toutes ces années de « nomadisme » ? En somme, très peu
d’ordinations pour un nombre important d’entrées au séminaire. En 1925, le Gabon ne
compte que sept prêtres autochtones, dont six en fonction. Un bilan bien maigre, les
missionnaires du Saint Esprit en sont conscients, ils l’enregistrent, le déplorent, mais ne
pensent pas devoir en porter toutes les responsabilités : parfois pour se dédouaner ils
estiment que les peuples auxquels ils apportaient le Bonne Nouvelle n’étaient pas mûrs471.

469
La Guinée espagnole (actuelle Guinée Equatoriale) se trouve au nord du Gabon. Dans le cadre de la
période étudiée, on pouvait rejoindre Boutika après plusieurs heures de pirogue en passant par Cocobeach.
470
DOCSSP, Bulletin Général 1921-1936.
471
André Picciola, Missionnaires en Afrique, 1840-1940, Desnoël, Paris, 1987.
161
162
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Nous ne saurions donner avec exactitude un fonctionnement bien défini de l’école
des Latinistes, n’ayant pas disposé d’informations spécifiques à ce sujet. Toutefois, pour
appréhender un tel sujet même de peu, il faut pouvoir analyser l’historique de sa création.
Il est évident que le fonctionnement du séminaire ait beaucoup fluctué dans le temps et
selon les différentes époques. Nous avons d’ailleurs vu à quel point il a été difficile de
trouver une stabilité à ce cours. Le retard dans la mise en place d’une véritable
organisation est certainement à mettre à l’actif de ces différentes implantations.

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Jusqu’en 1886, aucun objectif précis n’a présidé à l’organisation officielle d’un
programme d’enseignement bien défini. Les pères du Saint Esprit ainsi que le Vénérable
Père Libermann qui ont voulu la création d’une structure devant préparer les jeunes
garçons aux vocations sacerdotales ne donnent aucune directive précise quant aux
méthodes d’enseignement. Loin de prétendre que les missionnaires refusaient de faire
naître un clergé autochtone, nous relevons plutôt que l’objectif visé avait belle apparence,
mais celle-ci était, à notre avis, mal orientée du moins dans les faits mis au ralenti.
Jusqu’en 1886, la section des Latinistes s’est limitée à l’étude du Latin comme matière
principale et de base472. On repère cependant d’autres matières auxiliaires qui
participaient à l’éveil des jeunes et parmi ces dernières le français et l’arithmétique. Le
Directeur chargé de l’école qui travaillait sous la direction de l’évêque résident, n’avait
aucun contact direct avec les élèves qu’en dehors des heures de cours473.

En règle générale, une disposition bien spécifique s’appliquait à tout élève qui
entrait au séminaire : pas de contact régulier avec les parents. Or, le constat qui est fait
révèle que les jeunes gens n’étaient pas toujours préparés à cette situation. L’analyse du
tableau des entrées et sorties du séminaire Saint Jean de 1856 à 1897 révèle d’ailleurs que
plusieurs jeunes ne revenaient plus, une fois retournés en vacance au village. Les
missionnaires n’avaient certainement pas préparé psychologiquement les jeunes noirs.
Ainsi, jusqu’en 1887, les Latinistes ou séminaristes sont restés livrés à eux-mêmes.

472
DOCSSP, Bulletin Général, T. I 1856-1867 « notes sur les premiers séminaristes du Gabon ».
473
M. Assoumou Nsi, op cit p. 65.
163
&! 9 - ((;
 Dès l’année 1887, date de l’érection de la section des Latinistes en petit séminaire,
la mise en place d’une véritable organisation s’est faite sentir. Désormais, le directeur du
séminaire est assisté par un adjoint474, et les rôles sont bien définis. Avec les nouvelles
installations autonomes de l’institution, le personnel enseignant lui aussi augmenta et les
frères de Saint Gabriel475 constituent une frange du personnel enseignant à partir de 1900,
avec un enseignant titulaire pour chaque matière dispensée. Selon la nouvelle organisation
du Vicariat, une hiérarchie s’imposait : après l’évêque, il y avait le directeur du séminaire
et les pères missionnaires alors qu’un Père spécial est désigné pour la direction de la
bibliothèque qui se trouvait en annexe du bureau du directeur du séminaire. C’est donc à
partir de 1887 que les premières traces d’un réel fonctionnement se font sentir puis en
1892, on identifie désormais deux entités bien distinctes : le petit séminaire et le grand
séminaire, avec un seul directeur pour les deux établissements. Certaines tâches
domestiques comme le nettoyage, la fermeture des portes et bien d’autres étaient
entièrement dévouées aux séminaristes selon leur niveau d’étude476, et selon un règlement
bien spécifique, l’isolement n’était rompu que lorsque les séminaristes effectuaient
certaines balades en compagnie du directeur chaque jeudi après midi.

Ainsi comme à l’époque des Latinistes, les séminaristes n’avaient pas trop de
contacts avec le monde extérieur. Cependant, chaque élève avait droit, une fois par mois,
à une visite chez les parents. Ce droit de visite était accordé par le Père directeur qui n’en
était toutefois pas obligé477. Avant d’être ratifiées par le directeur, les permissions de
sorties étaient dans un premier temps envoyées chez l’évêque qui devait les approuver. En
réalité, c’est à l’évêque résidentiel que revenait le pouvoir de ce droit de visite. En 1887,
Mgr Leberre avait publié un document très rigoureux concernant les balades et sorties en
dehors du séminaire. Vers la fin de l’année 1887, les petits séminaristes effectuèrent leur
première sortie à la mission de Donguila, où Mgr Leberre était en visite épiscopale478 . En
général, la réglementation au sein du séminaire reposait sur quatre types de promenades
définies par le Père Klaine479. En premier les promenades réglementaires qui avaient lieu

474
DOCSSP, Bulletin Général, 1885-1892 « Notes sur les errements du séminaire Saint Jean ».
475
Les missionnaires ont détenu le monopole de l’enseignement au Gabon, devançant ainsi plusieurs années
l’organisation de l’enseignement officiel. Les Frères de Saint Gabriel sont une congrégation religieuse qui
participe au développement de l’enseignement dans la colonie de 1900 à 1972 pratiquement.
476
En dehors du réfectoire et des séances de sport, les petits séminaristes n’étaient pas mélangés d’avec les
grands.
477
M. Assoumou Nsi, Le séminaire…p. 66.
478
Raponda Walker, op. cit. p. 49.
479
Théophile Joseph Klaine naquit le 20 mars 1820, à Vannecourt, en Lorraine dans le diocèse de Nancy ;
Arrivé à Libreville en novembre 1865, il fut chargé de l’école annexée à la mission Sainte Marie.
164
tous les dimanches après midi : à cette occasion, les séminaristes effectuaient une
promenade sous la direction d’un Frère, le mercredi sous celle du Père Klaine. A chaque
promenade, seuls les élèves habitants les quartiers alentours avaient la permission d’aller
chez eux. Deuxièmement, s’agissant des promenades supplémentaires et au temps où les
jeunes Pères Stalter et Davezac étaient chargés de l’école, ces derniers avaient la
possibilité en l’absence du Père supérieur, d’aller en promenade avec les élèves chaque
mercredi de la semaine, le lundi de Paque et de Pentecôte, ainsi que les fêtes doubles de
deuxième classe de la Sainte vierge et des apôtres. Troisièmement, les grandes
promenades, grandes sorties qui duraient toute la journée, avaient lieu pendant l’année
scolaire, une ou deux fois chaque trimestre. Quatrièmement, les vacances. La durée des
vacances était de six semaines. Elles commençaient le 14 juillet et se terminaient au début
du mois de septembre. Outre le dimanche et le mercredi, les élèves avaient la possibilité
de sortir le lundi et le vendredi, ce qui donnait lieu à quatre promenades par semaine. Le
reste du temps était consacré à des travaux manuels comme le débroussage ou le
nettoyage. Au bout d’un certain temps, le Père Klaine avait estimé qu’il fallait supprimer
certaines promenades, surtout celles qui étaient sujettes à trop de liberté, car certains
élèves en profitaient pour s’échapper480.

Un règlement spécifique existait au séminaire ; il s’appliquait en période scolaire


lors des jours de classe. La rigueur instaurée par les missionnaires voulait que les élèves
soient debout à six heures du matin ; après la toilette matinale, la prière du matin se
déroulait dans la salle d’étude avant d’aller à la messe de l’Eglise de Sainte Marie qui
durait trente minutes. Après le culte, certains élèves avaient la possibilité d’aller laver leur
pied à la mer481. Vers sept heures du matin, les séminaristes s’adonnaient aux travaux de
nettoyage de toutes les salles des différents bâtiments : classes, réfectoire, dortoir, latrines,
ainsi que les alentours. A sept heures trente, le petit déjeuner sous la présidence du Père
supérieur suivie d’une courte récréation avant le début des cours qui avait lieu une demi-
heure plus tard. La récréation intervenait aux alentours de dix heures. Les cours finissaient
à midi pour reprendre à quinze heures. Pour ce qui est de l’organisation, le séminaire
Saint Jean comme toute société structurée avait à sa tête un Directeur assisté d’un adjoint.
Il y avait ensuite le Père Supérieur chargé de l’éducation des séminaristes et aussi d’autres
missionnaires chargés des cours. On trouvait en dessous de cette organisation des Frères
et enfin les élèves eux-mêmes.

480
Idem
481
Cette tradition leur permettait de tuer les chiques dont souffraient certains, car, les chiques étaient un
véritable fléau à cette époque.
165
Au séminaire Saint Jean, il existait aussi des punitions, qui pouvaient varier de la
chicotte à la fessée selon la gravité de la faute commise. Dans le règlement intérieur, le
chapitre réservé aux punitions était précédé non d’un verset biblique, mais d’une citation:
« Celui qui corrige doit se souvenir qu’il remplit la fonction d’un ange : il doit s’acquitter
de ce ministère d’une manière angélique, sans colère et sans passion, avec sincérité,
calme, modestie et bonté, en montrant des sentiments de bonté et de compassion »482. Les
consignes émises par l’institut au XIXè siècle illustrent cet idéal. En voici les principales :
« En punissant un enfant, il faut en écarter tout motif personnel. Il aura en vue le bien du
coupable et l’avantage des autres, que l’impunité porterait à commettre la même faute.
On évitera de punir les enfants quand on sera ému d’indignation ou de colère »483. Les
élèves punis, étaient généralement mis à genoux dans la salle d’étude ou dans le
réfectoire. Les Pères employaient ces méthodes pour tenter de dissuader ceux des élèves
qui voulaient commettre les mêmes erreurs. Pour eux, la punition publique de certains
élèves devant leurs camarades était bénéfique. D’autres formes de punitions existaient. Il
s’agissait essentiellement des travaux de débroussaillage pendant une, deux voire trois
heures. Comme précisé plus haut en ce qui concerne les cas des fessées, tout dépendait de
la gravité de la faute. Le Père supérieur attachait de l’importance à la propreté des lieux.
Signalons, avant de clore avec ce passage sur les punitions prises par les missionnaires
que certains retards comme certaines absences pouvaient entraîner des exclusions aux
cours484. Pour les missionnaires, ces retards étaient considérés comme des sources de
perturbation. Un premier retard au deuxième coup de sifflet donnait droit à une punition.
Un deuxième retard dans le trimestre pouvait donner lieu à huit jours d’exclusion ; un
troisième retard dans le trimestre donnait lieu à une exclusion485.

En définitive, au petit séminaire, lieu par excellence érigé pour cultiver les germes
de la vocation, les élèves devaient être préparés par une formation religieuse particulière
et surtout par une direction spirituelle appropriée, à suivre le Christ avec générosité
d’esprit et pureté de cœur. Sous la conduite paternelle des supérieurs du petit séminaire
Saint Jean, avec la collaboration opportune des parents, ils devaient mener une vie qui
convienne à leur âge, à la mentalité et à l’évolution des jeunes et qui soit pleinement

482
L. BAUVINAU, Histoire des Frères de Saint Gabriel, Centre International montfortain, Rome, 1991,
400p.
483
Idem, p. 416.
484
C’est le cas du séminariste Dominique Kouéré qui avait été renvoyé du cours pour vacances prolongés
chez les parents. In Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon.
485
L. Bauvinau, Ibid.
166
conforme aux normes d’une saine psychologie, sans que soient omis une expérience
convenable des réalités humaines et des rapports avec leur propre famille486.

$ , .
Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, l’idée de la formation d’un
clergé autochtone dans la colonie du Gabon avait son histoire. L’insistance des Papes à
demander sa promotion en est aussi la grande preuve. Toutefois, nous nous sommes posé
la question de savoir si le Vatican était véritablement tenu informé des difficultés de sa
mise en fonction ? Nous avons vu que même si les missionnaires ont favorisé son
éclosion, il n’en demeure pas moins vrai qu’ils en sont souvent restés réticents, organisant
même sa lenteur. Nous retrouvons dans le cas étudié la thèse formulée par André Picciola,
selon laquelle les missionnaires doutaient sérieusement de parvenir dans un délai court à
susciter beaucoup de vocations durables parmi la population colonisée487. Ils ne
pouvaient, sans un singulier orgueil, nier que le futur prêtre indigène aurait sur eux la
supériorité de posséder, de l’âme de ses compatriotes, cette intelligence plus aiguë que le
Pape Pie XII se plaisait à reconnaître488. Etant donné que l’idée de former des prêtres
locaux était retenue et claire pour tous, nous nous sommes demandé quel était le
cheminement mis en place pour parvenir au sacerdoce, autrement dit, considérant les
préjugés de certains missionnaires sur l’infériorité du Noir par rapport aux Blancs, de
quelle formation ont bénéficié les prêtre indigènes ordonnés au Gabon à partir de 1899 ?
Au demeurant il convient de rappeler que les formateurs n’avaient pas nécessairement le
niveau requis, c’est du moins ce que pense un de nos informateurs : « D’origine
paysanne, la plupart des missionnaires ne recevaient qu’une formation dérisoire et
parfois étriquée dans les séminaires de France »489. Est-ce à dire que la formation suivie
par les premiers prêtres autochtones était elle aussi dérisoire ? Pas nécessairement.
N’ayant pas disposé de programme d’études dans les séminaires en France au milieu du
XIXè siècle et au début du XXè siècle, nous ne saurions répondre précisément mais nous
pouvons simplement dire que les prêtres ordonnés au Gabon ont constitué des pierres
angulaires pour la propagation du catholicisme dans le pays, autrement dit, ils avaient
certaines prédispositions pour réussir leur apostolat490. Par ailleurs les quelques sources
aussi bien orales qu’écrites que nous avons consultées nous permettent avec quelques
égards de penser que la formation reçue par les prêtres indigènes n’était en rien différente

486
DOCATGAB, Cf. Pie XII, exh. Apost. Menti Nostrae, 23 sept.1950.
487
A. Picciola, op. cit. p. 177.
488
Idem.
489
Mboumba Bwassa, op. cit. p. 114.
490
Idem, p. 178.
167
de celle donnée dans les séminaires en France. En règle générale, les études conduisant au
sacerdoce s’échelonnaient sur une période de quatorze années491. Il est évident qu’il fallait
passer par les classes générales avant de faire son entrée au grand séminaire. Il devient
donc opportun de présenter les programmes d’étude au séminaire Saint Jean pour étayer
cette interprétation

Au petit séminaire, l’enseignement était général mais à celui-ci s’ajoutaient des


matières purement religieuses mais aussi du Latin492. Le programme des classes était
reparti sur six classes allant de la première à la sixième classe : il n’existait pas de classe
de terminale en ces temps là493. Une chose est importante à souligner ici : la formation au
petit séminaire n’ouvrait pas directement les portes du grand séminaire. Avec les illusions
successives concernant l’école des Latinistes, les missionnaires avaient estimé qu’il fallait
accorder l’entrée au grand séminaire qu’aux seuls élèves ayant pleinement montré
satisfaction dans les épreuves consacrées à la future vie sacerdotale. Il s’agit de l’année
d’épreuve, autrement appelée année de probation494. De plus, tous les jeunes qui venaient
au petit séminaire n’avaient pas nécessairement le désir de se faire prêtre495. Le séminaire
Saint Jean était en ce temps le seul lieu qui offrait le seul enseignement de type secondaire
et garantissait la meilleure formation. Il n’est point inutile de rappeler que de nombreux
Gabonais sont devenus instituteurs, charpentiers, menuisiers, moniteurs d’école
missionnaire, ou autre, grâce au séminaire Saint Jean ou à l’école des apprentis de Sainte
Marie. Ce fut le cas en 1892 du séminariste Félicien Rekati qui devient moniteur au
Fernand Vaz ; en 1893, de Pierre Maka devenu moniteur à Lambaréné, ou encore de
Guérin Ambourouet. Concernant ce dernier, les missionnaires eux même l’avaient envoyé
comme moniteur à l’Okano496. En effet, il n’était pas rare de voir des cas de ce genre. Les
témoignages oraux recueillis à ce sujet nous enseignent que les missionnaires durent avoir
recours à cette pratique pour favoriser l’éclosion dans la pratique de l’enseignement au
Gabon497. Ces moniteurs d’école qui n’avaient aucun statut particulier étaient placés sous

491
Abbé Paul Akoué (ordonné le 10 octobre 1954 à Mitzic). Entretien oral du 30 avril 2001 à Sainte Marie.
492
C’est ce qui ressort des programmes d’études qui ont été appliqués au séminaire dès l’année 1886 dont la
contenu avait été approuvé par Mgr Leberre en 1887.
493
Abbé Jean Mbeng, Enquête orale.
494
Nous y reviendrons.
495
Idem.
496
Archives Raponda Walker. « Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon », 1907-1920,
registre N° 6.
497
Ces moniteurs d’école étaient en réalité des enseignants subalternes avec un rang inférieur à celui de
l’instituteur de nos jours.
168
la direction du Père supérieur, responsable de la mission. Nous ignorons tout du montant
des émoluments qui leur étaient attribués par le Vicariat498. Encore faut-t-il réussir à
prouver qu’ils étaient rémunérés.

Avec la création du séminaire en 1887, les programmes d’études avaient


complètement été bouleversés. Certaines matières telles le Latin ou des notions de
philosophie furent supprimées dès les classes les plus basses et la philosophie fut
supprimée totalement. L’étude du Latin ne débutait qu’au niveau de ce qui représente la
classe de seconde d’aujourd’hui. C’est d’ailleurs ce que souligne l’Abbé André Raponda
Walker : « En 1891, c'est-à-dire quelques temps avant la mort de Monseigneur Leberre,
je débutais l’étude du latin en même temps que je passais ma première communion »499

D’autres matières ont subsisté, elles étaient enseignées de la première à la sixième


classe, ainsi que l’atteste le programme d’étude aménagé en 1888. Dans les classes les
plus moyennes c'est-à-dire les trois premiers degrés, les élèves devaient pouvoir lire le
français de la façon la plus courante et même le parler. Au tout premier niveau, il y avait
une révision générale sur les règles de calculs : addition, soustraction, division et
multiplication. Au troisième niveau par exemple, les élèves devaient avoir une bonne
connaissance de l’analyse grammaticale. On les initiait aussi à la rédaction. Le chant, le
dessin, les sciences d’observation, les nombres complexes, le catéchisme et la prière
n’étaient pas en reste. Dans les niveaux supérieurs, on initiait les séminaristes aux cours
d’histoire et de géographie de France. Dès le quatrième degré, les élèves découvraient
l’Histoire Sainte500, ce qui constituait certainement une prémisse à la théologie501. Mais
l’étude des langues aussi bien des dialectes locaux que des langues comme l’anglais ou
l’espagnol, n’existait pas. En gros, deux types d’enseignement sont perçus dans ce qui
précède. D’abord un enseignement qui regroupe certaines matières profanes qu’on peut
désigner comme enseignement ordinaire ou général : il comprend le Français et ses
disciplines dérivées (lecture, écriture, copie, grammaire, dictée, analyse grammaticale,
rédaction…) ; le calcul et ses disciplines dérivées (arithmétique, système métrique,
géométrie et opérations). Ensuite, un enseignement sur l’instruction religieuse : les
prières, le catéchisme et l’Histoire Sainte en constituent les principales disciplines. Etant

498
En 1905, la loi de séparation oblige les missions à devenir presque autonomes et ne sont plus en parti
prises en charge par l’administration coloniale. Seule le Vicariat en est responsable.
499
R. Raponda Walker, op. cit. p. 38.
500
A ne pas confondre avec les programmes de la section des Latinistes. Ici, il s’agit d’initier véritablement
le séminariste avec les textes bibliques afin qu’il en ait le maniement et la connaissance. Dans le cadre de
l’école du latin, l’enseignement donné était en somme une forme de catéchisme.
501
A. Ndong Ondo et J. Lendjoungou, op. cit. p. 40.
169
donné que nous sommes ici dans un cadre bien spécifique qui est de l’ordre d’un
enseignement dispensé dans un séminaire, nous nous sommes posé la question de savoir
quel est l’impact de ces matières sur le futur prêtre ? Les sources sont assez muettes en ce
qui concerne le contenu de l’enseignement. L’essentiel du travail que nous présentons
concernant les programmes d’étude au séminaire saint Jean a été réalisé à partir des
sources orales mais aussi des éphémérides. Mais si nous procédons par comparaison avec
l’enseignement religieux actuel, le catéchisme n’est autre que la catéchèse, c'est-à-dire
l’enseignement de la morale selon la vertu chrétienne et les principes de l’évangile502.
Quant à l’Histoire Sainte, elle est l’étude de la bible (ancien et nouveau Testament). Les
élèves étaient initiés à cette matière afin de mieux comprendre quels étaient la doctrine et
les enseignements de Jésus Christ. Il est donc évident que c’est à partir de l’Histoire
Sainte que s’enseignent les vertus morales. Enfin les prières sont une manifestation de la
relation que chacun, en l’occurrence le séminariste, probable futur prêtre, doit avoir avec
Dieu : cela s’apprend par le catéchisme et se manifeste en pratique par des prières du
matin, en général collectives.

En somme, ces programmes montrent bien que la durée des études en


s’échelonnant sur plusieurs années, correspond à un cycle réduit des études du niveau
général. Nous n’avons eu aucune information attestant qu’un diplôme particulier
sanctionnait le passage d’un niveau à un autre. Les missionnaires dans le cadre du petit
séminaire n’avaient pas d’ambition de former des diplômés. La logique était désormais
bien simple : il fallait donner aux ouailles un niveau d’étude à peine moyen qui devait
permettre d’accéder à la compréhension des Ecritures Saintes, sans perdre de vue une
formation morale et spirituelle. Seul donc l’enseignement religieux proprement dit
pouvait garantir cette ambition. Aussi, cet enseignement occupe t-il une place de premier
rang dans les programmes d’étude. S’il est admis qu’aucun diplôme n’était décerné à la
fin de ce cycle, nous savons en revanche que ceux des séminaristes qui présentaient des
dispositions solides pouvaient faire leur entrée au grand séminaire. Mais selon Martin
Alihanga503, il fallait avant cette étape, passer une année de probation dans une station à
l’intérieur du pays. En quoi consistait-elle ?

502
Frère Hubert Guerineau, communauté Saint Gabriel de Libreville. Entretien du 26 mai 2001.
503
Martin Alihanga, Enquête orale, op. cit.
170
!
L’année de probation, autrement appelée année d’épreuve ou noviciat pour
certains, marquait une étape obligatoire ; elle précédait l’entrée au grand séminaire. Elle
permettait aux missionnaires de vérifier que le candidat à la vie religieuse avait bien les
capacités, les qualités et les connaissances requises pour prétendre au sacerdoce. Les
premiers prétendants à cette étape sont bien connus : il s’agit des séminaristes Gustave
Ovovi, qui, en 1895, est jugé indigne du sacerdoce par les missionnaires504, de Paulin
Ndinga lequel, en 1899, ne reçoit pas l’aval d’intégrer le séminaire car il était jugé ne pas
avoir de réelle vocation ecclésiastique505. Il est dans l’ordre des choses, assez logique de
se poser la question de savoir sur quels éléments les missionnaires se fondent pour juger
un séminariste inapte au sacerdoce. Disons qu’à l’origine, l’année d’épreuve se déroulait
au terme des six premières années au petit séminaire. Les diaires du séminaire nous
renseignent que très peu de séminaristes ont donné de réelles satisfactions à ce temps
d’épreuves. Par ailleurs, la réussite à cette épreuve ne signifiait pas qu’on devienne prêtre
par la suite. Les exemples à ce sujet sont assez évocateurs : en 1899 après une année de
probation réussie, le séminariste Marc Rempano demande à quitter le grand séminaire
pour des raisons que nous n’avons pas pu élucider. Au cours de la même année, c’est au
tour du séminariste Martin François Mbouwédjano de quitter l’établissement506.
Rappelons aussi l’exemple de François de Paul Vané qui se retire du grand séminaire en
1910 car il estime qu’il ne veut plus se faire prêtre507. Pour toutes ces raisons, Mgr Jean
Martin Adam supprime cette obligation en 1911508. Désormais, l’année d’épreuve n’était
plus obligatoire après le petit séminaire, plutôt avant la prononciation des voeux509. Par ce
changement, les missionnaires voulaient être sûrs que le candidat à la vie religieuse passe
son noviciat une fois sûr de sa vocation dont il convient d’éclairer le déroulement.
Comment se déroulait l’année de probation ?

Au cours de son année d’épreuves, le séminariste avait le devoir, voire l’obligation


de servir pendant un minimum de douze mois dans une paroisse à l’intérieur du pays. Le
choix de la paroisse ne lui incombait pas. Chaque candidat était placé sous la direction
d’un prêtre qui devenait logiquement son tuteur. Le choix de la paroisse était la
504
Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon, 1885-1892, N°4.
505
Idem.
506
Dans l’ordre, il est le 115è séminariste. Il reçoit la tonsure en 1897 et les ordres mineurs en 1899.
507
Dans l’ordre, il est le 12Oè séminariste. Il reçoit la soutane en 1908.
508
CAOM, 5D/8 (bis), « notes sur les Missions religieuses françaises et étrangères installées en AEF (1907-
1940) ».
509
Pour signifier ce changement, l’Abbé Gustave Batodié par exemple passe son année d’épreuve à l’Okano
en 1916, c'est-à-dire après ses études de philosophie. Voir Registre des élèves du Vicariat apostolique du
Gabon.
171
prérogative du Vicaire apostolique. Selon l’Abbé Paul Akoué510, cet essai devait avoir
lieu loin de l’influence des parents et des proches. C’est ainsi que les candidats au
noviciat n’étaient jamais envoyés dans des paroisses se trouvant dans leur région ou leur
terroir d’origine.

Durant l’année d’épreuve, le séminariste était soumis à plusieurs obligations,


celles qui devaient régir sa future vie de prêtre. Parmi les tâches dévolues, il devait
assister à la messe et accompagner le Père supérieur dans toutes ses tournées. Il disait
aussi la prière et devait faire le vœu du secret et du silence. Le séminariste était très
souvent mis à l’épreuve des situations difficiles comme la résolution des problèmes au
sein d’un village. En effet, le prêtre était un élément essentiel pour préserver un équilibre
social au sein d’une communauté : il devait faire preuve d’un arbitrage sans préjugés ni
parti pris. Toutes les tâches auxquelles il était généralement confronté constituaient un
sacerdoce, mais il devait les assumer avec détermination, c’était le prix à payer. D’après
certains procès verbaux rédigés, chaque fin de semaine, le supérieur de la paroisse
d’affectation envoyait une lettre à l’évêque afin de statuer sur les progrès, les qualités et
les défauts du candidat. A ce sujet, le révérend Père Defrauld parlant de l’Abbé Gustave
Batodié en 1916, note que : « …L’Abbé Batodié est un travailleur acharné. Il sait
fabriquer des briques et aide à la construction des maisons dans le village. Il organise
bien l’école et aide à l’installation des catéchistes. Il visite régulièrement les villageois et
les malades et, a déjà appris à parler le fang. Il a un très bon moral…je pense qu’il ferait
un bon prêtre pour cette communauté… »511. Au terme de l’année d’épreuves, le
séminariste devait passer obligatoirement le diplôme officiel d’instituteur512.

Mais les rapports rédigés par les pères supérieurs étaient déterminants dans la suite
de la formation du séminariste. Trois cas de figures se sont souvent présentés. D’abord, il
y avait des procès verbaux qui décrivaient le caractère négatif du séminariste et ses
incapacités au sacerdoce513 : dans ce cas, l’élève devenait juste moniteur et ne repartait
pas au séminaire. Ensuite des rapports dressaient l’assurance et confirmaient les capacités
requises pour la vie religieuse. Enfin, il y eut des situations où le rapport sur le noviciat
confirme réellement les capacités du séminariste. Ce dernier regagnait le grand séminaire
et se faisait prêtre quelques années par la suite. Dans cette dernière situation, les sources

510
Paul Akoué, Enquête orale, op. cit.
511
CAOM, AEF, 5d/ 171, « Rapports sur les prêtres indigènes du Gabon ».
512
CAOM, AEF, 5d/171, « Les prêtres indigènes du Gabon »
513
CAOM, AEF, 5d/ 171, « Rapports sur les prêtres indigènes du Gabon ».
172
consultées nous révèlent que certains séminaristes ont eu droit à des prolongements de
probation qui pouvaient durer jusqu’à trois ans514. Nous précisions plus haut que le
séminariste qui entrait en station pour son épreuve avait aussi l’obligation de passer le
diplôme d’instituteur. Cela permet à l’école du village d’être mieux organisée comme le
note le Révérend Père Defrauld au sujet des qualités du deuxième prêtre indigène
gabonais. Dans la plupart des cas, le séminariste, une fois reparti au grand séminaire
laissait l’école sans instituteur qualifié. Or, en mai 1911, les premières lois en matière
d’école officielle sont prises515. Au cours de cette année, un arrêté organise le service de
l’enseignement qui comprend, entre autres, l’obligation d’enseignant au rang
professionnel516. Pour résoudre ce problème d’école sans enseignant, les missionnaires
ont trouvé un subterfuge. Les moniteurs auxiliaires ont exercé avec les noms des prêtres
enseignants. Selon Martin Alihanga517, ce système de nom d’emprunt a perduré jusqu’à
Monseigneur Jean Jérôme Adam en 1968..

! #
Pour ce qui est des grands séminaires au Gabon, leur histoire est belle et bien
présente, quoique anonymement dans les pages précédentes pour ce qui est des noviciats.
Il est évident que pour devenir Prêtre ou Frère, ces petits séminaristes dont nous avons
parlés, sont passés soit par un grand séminaire soit par un noviciat. Pour mieux situer
l’histoire des séminaires au Gabon et des noviciats, nous verrons tour à tour : le type de
formation suivie par les grands séminaristes et les degrés d’appréciation, une rapide
histoire des grands séminaires du Gabon et leurs noviciats puis une place aux petits
séminaires annexes de Saint Jean.

! $
Il est bien connu que l’étape la plus importante qui marque la progression vers le
sacerdoce est bien le grand séminaire. Contrairement à ce que nous avons vu concernant
le petit séminaire Saint Jean, l’enseignement dispensé au grand séminaire est purement
religieux et s’étalait sur une période de sept années. Durant cette période, le candidat au

514
L’Abbé Jean Baptiste Adiwa en est l’exemple. Année d’épreuve en 1916, puis moniteur en 1918. Notes
du Registre.
515
Cette loi est instaurée par le Gouverneur Merlin. Elle s’applique dès aussi bien aux écoles laïques qu’aux
écoles missionnaires.
516
CAOM, AEF, 5D/27, “L’enseignement public en AEF (1911-1952),. Réglementations et principes
généraux. Voir aussi J. Ntsame Assogo, op. cit. p. 121.
517
Martin Alihanga, Enquête orale, op. cit.
173
sacerdoce est initié aux choses divines et, par conséquent, il reçoit les différents ordres518.
Selon l’Abbé Jean Mbeng519, le passage aux Ordres se faisait sur demande individuelle.
Le séminariste rédigeait une correspondance qu’il devait adresser à l’évêque pour se faire
ordonner. Cette méthode avait été instaurée pour mesurer la détermination du candidat.
En règle générale, l’éducation qu’on donne aux grands séminaristes doit tendre à les
former à être de véritables pasteurs d’âmes, à l’exemple même de Jésus Christ, maître,
prêtre et pasteur. Ils doivent donc être préparés au ministère de la parole afin de
comprendre toujours plus à fond la parole de Dieu révélée, de la posséder par la
méditation, de l’exprimer par leurs paroles et leur conduite, au ministère du culte et de la
sanctification, afin que, s’adonnant à la prière et célébrant la sainte liturgie, ils
accomplissent l’œuvre du salut par le sacrifice eucharistique et les sacrements.

Les directeurs et professeurs doivent savoir combien le succès de la formation des


séminaristes dépend de leur propre manière de penser et de se comporter. Le programme
des études était divisé en deux parties : trois années de philosophie et quatre années de
théologie.

Pour ce qui est de la philosophie, le séminariste passait ses études en civil, c'est-à-
dire sans le port de la soutane qui ne devait intervenir qu’en cycle de théologie. Lors de
cette ultime étape, un mode de vie assez stricte marquait la vie des grands séminaristes.
Dans l’ordre de la disposition des espaces du bâtiment qui leur était réservé à tous, seuls
les théologiens avaient des pièces séparées de toutes les autres et de tous. D’ailleurs,
chaque théologien avait le droit à une chambre individuelle. Les moindres contacts qu’ils
avaient avec les autres séminaristes (petits et philosophes) se limitaient au réfectoire.
Selon Martin Alihanga520, les théologiens finissaient leur formation sans effectuer ni
promenade ni sortie chez les parents sans motif urgent. Ils avaient un mode de vie très
isolé et enfermé. Seuls les séminaristes originaires de Libreville avaient quelques
possibilités. Toujours dans le but d’éloigner les séminaristes de l’environnement familial,
les missionnaires craignaient d’exposer continuellement les grands séminaristes aux
pesanteurs familiales et à d’autres formes de familiarités qui constituaient depuis toujours
des obstacles à la consécration finale. Comme nous l’avons fait remarquer plus haut,
l’étape de la théologie était marquée par la réception des Ordres : les Ordres mineures

518
Dans l’ordre d’évolution, le candidat recevait les ordres suivants : La soutane, la Tonsure, Les Ordres
Mineures, le sous diaconat, le diaconat et la prêtrise.
519
Jean Mbeng, op. cit. (E.O.)
520
Martin Alihanga, op. cit. (E.O.)
174
(appelés aujourd’hui ministères) et les Ordres majeurs. D’abord les Ordres mineurs, au
nombre de quatre, durant les deux premières années du cycle de théologie, le séminariste
recevait deux par année : parmi ceux-ci il y a : le portier, le lecteur, l’exorciste et
l’acolyte. Après cette étape, le candidat avait l’obligation de faire la promesse du célibat
ecclésiastique. Ensuite, les Ordres mineurs. Ils sont au nombre de trois : Le sous diaconat,
le diaconat et l’ordination.

!!
Il s’agit ici de faire une brève étude sur les grands séminaires du Gabon et de leur
évolution. Nous avons juste voulu donner un aperçu de l’histoire des séminaires au
Gabon. De ce fait, il est nécessaire de rappeler que Saint Jean n’a pas été le seul séminaire
à participer à l’élan des vocations sacerdotales et religieuses au Gabon. C’est en 1892 que
le premier grand séminaire du Gabon fut ouvert, auparavant les premiers grands
séminaristes gabonais furent envoyés en France ou au Sénégal. Dès 1892, le grand
séminaire de Libreville est alors le seul de tout le territoire de l’AEF. Pour des raisons que
nous étudierons dans une partie ultérieure, il reste au Gabon jusqu’en 1945521. Ce grand
séminaire à part un court séjour dans certaines localités du pays, s’est fixé à Sainte Marie ;
c’est là que pendant plus de cinquante ans (1892-1945), les grands séminaristes gabonais
firent leurs études522.

En ce qui concerne le séminaire Il poverello de Mouila, nous avons bénéficié de


très peu d’informations. Ce séminaire au critère de séminaire diocésain est créé en 1966
par l’évêque de Mouila et reçoit des séminaristes originaires du diocèse de cette contrée
du Gabon. Sa durée d’existence a été de sept ans avant d’être remplacé par le Foyer de
formation sacerdotale523. Le nombre d’entrées n’aurait pas dépassé quatre vingt dix
élèves, soit une statistique de quinze entrées par an524. D’ailleurs, aucune information ne
révèle qu’un ancien du Poverello soit devenu prêtre ou religieux.

Pour finir avec l’étude des grands séminaires du Gabon, nous avons souhaité
accorder un regard sur les noviciats du Gabon. Les deux premières congrégations de
Frères de l’Eglise du Gabon sont nées vraisemblablement autours de la même année : il
s’agit des Frères de Sainte Marie en 1895 et des Frères de Saint Pierre Claver en 1899.

521
En 1946-1947, le grand séminaire est transféré à Brazzaville, capitale de l’Afrique Equatoriale Française
de cette époque.
522
Gérard Morel, Brève histoire…op. cit. p. 23.
523
Idem, p. 23.
524
Ibid, p. 20.
175
Les Frères de Sainte Marie on toujours eu leur noviciat à Sainte Marie. En 1932, ils
changent de dénomination et se font désormais appeler Frères de Saint Joseph525. Les
Frères de Saint Pierre Claver avaient eu leur noviciat à Mayumba où ils accueillaient des
Frères aussi bien du Congo que du Gabon526. A partir de 1959, il y a eu à Sainte Marie le
noviciat des Frères Auxiliaires où des Frères originaires de différents pays voisins vinrent
se joindre aux Frères gabonais.

!&
Cette étude sur les petits séminaires au Gabon vient en fait apporter un appui à
l’œuvre initiée par les missionnaires avec la création du grand séminaire Saint Jean. Bien
que créés plus tardivement après les années 1950, ces petits séminaires étaient en fait des
séminaires de diocèses, lesquels pour la plupart envoyaient leurs élèves terminer leurs
études au grand séminaire de Libreville et au Cameroun. Parmi ces institutions, on peut
noter : Le juvénat Notre Dame de Lourdes de Lambaréné à partir de 1958. Ce juvénat est
ouvert en octobre 1958 par la Congrégation des Frères de Saint Gabriel527. Jusqu’en 1862,
il reçoit les juvénistes gabonais et congolais, puis uniquement gabonais à partir de 1963. Il
cesse d’être juvénat en 1968, même si dans le langage courant de Lambaréné, il continue
à porter ce nom jusqu’à ses derniers jours, avant de devenir en décembre 1968, le collège
Jean Baptiste Adiwa, du nom du deuxième prêtre gabonais de Saint Jean528. D’après le
Père Gérard Morel, cette école pendant les dix années de son existence, aurait reçu en
moyenne dix élèves, voire moins par an529. Cela nous donne une estimation de cent
juvénistes pour la période de 1958 à 1968. Cependant, aucun de ces élèves n’est devenu
Frère de Saint Gabriel, ni religieux, ni prêtre. Il y a ensuite le séminaire des aînés de
Sindara à partir de 1965. Pour des raisons de commodité, nous avons préféré réserver une
étude spéciale sur ce séminaire dans la partie consacrée à la crise des vocations au Gabon
car comme son nom l’indique, ce séminaire, à l’origine, avait été créé pour des gens à
vocation tardive. Nous pouvons juste préciser qu’au total, ce séminaire a reçu environ 255
séminariste dont cinq sont devenus prêtre, soit 1 prêtre sur 50 entrées530.

525
Ibidem
526
Jusqu’en 1959, l’actuelle province de la Nyanga, avec ses missions de Mayumba, Sette Cama, Mourindi,
Tchibanga, faisait partie du Vicariat apostolique de Loango (Moyen Congo). Selon les informations
recueillies, il est probable que ce séminaire de 1856 à 1930 ait donné cinq prêtres et quatre Frères.
527
L’Institut des Frères de Saint Gabriel est l’une des trois congrégations religieuses fondées par Louis
Marie Grignon de Montfort, prêtre missionnaire né le 31 janvier 1673 à Montfort en Bretagne. Cette
congrégation est très présente au Gabon à partir de 1900 notamment dans le domaine de l’enseignement.
528
A l’origine, ce juvénat est crée pour préparer les jeunes garçons aux fonctions de Frère de Saint Gabriel.
529
Gérard Morel, Brève histoire…op. cit. p. 18.
530
Idem, p. 19.
176
Pour ce qui est du séminaire Saint Kisito d’Oyem ouvert dès 1964, il faut dire que
ce petit séminaire a commencé avec la classe de sixième en octobre 1964, pour arriver
progressivement à la classe de 3è en 1970. Il a donc fonctionné avec ses cinq classes
jusqu’en 1980, il a même eu une classe de seconde pendant un an en 1976531. Au-delà de
la troisième, les élèves de Saint Kisito persévérant dans leur vocation, achèvent leurs
études secondaires à Saint Jean de Libreville. A l’origine, ce séminaire est ouvert à tous
les jeunes du Woleu Ntem et de l’Ogooué Ivindo (deux régions situées dans le du nord du
Gabon) qui veulent devenir prêtres. Il est installé à Oyem en raison du grand nombre de
vocations dans le nord du pays. Le séminaire compte pour ses premières années environ
cent élèves. Le fonctionnement et les cours sont assurés par deux Frères spiritains, un
Frère Auxiliaire et trois coopérants532. Depuis sa première année jusqu’en 1980, le
séminaire a reçu au total près de 727 élèves533. Ce total donne en moyenne 45 entrées par
an. Parmi ces 727 séminaristes, deux sont devenus prêtre dont l’un a terminé ses études à
Saint Jean, ce qui donne un prêtre sur 360 entrées.

Cet inventaire des séminaires du Gabon, petits et grands, noviciats et juvénats


compris, dégage trois principales périodes. La première va de 1856 à 1930 ; la deuxième
va de 1930 à 1960534 et la troisième va de 1960 à 1980. Cette périodisation s’explique par
la fait que de 1856 à 1960, le séminaire Saint Jean est le seul établissement du Gabon qui
propose une formation religieuse aux jeunes. Par contre, à partir de 1960, d’autres
structures ayant la même vocation existent désormais dans tout le pays.

531
Gérard Morel, p. 19.
532
CAOM, AEF, X, 1960-1963, Cultes, instructions publiques et beaux arts, par les témoignages du Père
Yves Bolay
533
Ces renseignements nous sont fournis par le Père Morel qui a réalisé une étude sur les séminaires du
Gabon (déjà cité) et le Père Yves Bolay qui a vécu une bonne partie du séminaire Saint Kisito (voir
Archives CAOM).
534
Cette deuxième période est aussi marqué par la seule présence du séminaire Saint Jean mais nous avons
voulu la mettre en évidence car elle concentre une très forte activité tant au niveau du nombre d’entrées que
sur celui du nombre de religieux.
177
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535
Il s’agit d’un séminariste de Saint Kisito qui serait probablement resté à Oyem si son séminaire avait eu
un cycle secondaire complet. Il est donc pris en compte à Saint Kisito.
178
/ # #
De nos jours, l’idée que les premiers missionnaires ne favorisèrent pas les
vocations sacerdotales est courante dans l’opinion publique mais cela paraît exagéré.
Quelques grandes étapes et quelques grands exemples, d’abord chez les garçons puis chez
les filles, montrent bien comment dès le début, l’éveil et l’accompagnement de vocations
sacerdotales et religieuses furent une de leurs pressantes occupations. Certes, nous
pouvons évoquer des mobiles subjectifs chez les missionnaires qui auraient à un moment
donné retardé ou accéléré cette entreprise, mais on ne peut en aucune façon penser que
les missionnaires ne favorisèrent pas les vocations sacerdotales dans le pays. L’étude de
celles-ci au sein de l’Eglise catholique au Gabon peut être divisée en plusieurs périodes,
marquées autant pas des incertitudes, des piétinements que par des signes d’espoir. Nous
voulons à travers le présent chapitre suivre cette évolution.

# # @
Le séminaire Saint Jean comme nous l’avons vu, a accueilli des jeunes aux
horizons divers. Mais très peu sont arrivés au terme, c'est-à-dire sont devenus prêtre ou
religieux. Parmi les nombreux latinistes qui ont séjourné au séminaire, un seul est devenu
prêtre. Cependant, on tait parfois quelques bonnes volontés qui présentaient de bonnes
dispositions, lesquelles, n’eussent été la maladie ou la mort, auraient amené à la prêtrise.
Contrairement à ce que pensaient certains missionnaires sur l’infériorité des Noirs, le
sacerdoce intéressait beaucoup de Gabonais. Pour des raisons que nous allons préciser, les
prédécesseurs au premier prêtre autochtone étaient nombreux.

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De 1856, date à laquelle fut ouvert un cours de latin à la mission Sainte Marie,
jusqu’en 1883 environ, sept élèves de la mission du Gabon ont poussé leurs études
jusqu’à la philosophie et au-delà. Certains à Libreville, d’autres au Sénégal ou en France.
Le premier, Guillaume Dorsay de Glass, scolastique de la congrégation du Saint Esprit,
est né au Cap des Palmas mais venu très tôt à Sainte Marie. Quelques doutes cependant
persistent sur son réel prénom : certaines sources le désignent sous Guillaume Marie,
d’autres par contre disent qu’il s’appelle Marie Joseph536. Dans tous les cas, il entre au
séminaire en 1860. Cinq années plus tard, il est envoyé au Sénégal car il présentait de

536
Dans le registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon, il est désigné sous Guillaume Marie, en
revanche, le bulletin général le désigne sous Marie Joseph. Mais il s’agit tout simplement de la même
personne.
179
bonnes dispositions. Admis comme scholastique titulaire en 1865 à Saint Joseph de
Ngazobil (Sénégal), il reçoit la tonsure le 28 novembre 1866537. En 1869, suite à une
épidémie de choléra qui fait de nombreux ravages au Sénégal, le jeune homme trouve la
mort. A son sujet, on note ceci : « Le trait édifiant de sa conduite, jusqu’à la fin de son
obéissance. Il meurt le 29 décembre 1869 laissant toute la communauté affligée… »538.

Le deuxième clerc est Rémi Rénombé du village Quaben. Il est Mpongwé. Son
entrée chez les Latinistes se fait en 1864. En 1865, il est envoyé en France suite à son
désir de se faire missionnaire. Il fait ses études secondaires à Notre Dame de Langonet en
Bretagne où il devient scolastique du Saint Esprit. Il est envoyé à Ngazobil (Sénégal) pour
le grand séminaire, où il reçoit les ordres mineurs. Rémi Rénombé meurt d’une
tuberculose le 23 juin 1873 à Gorée539. On note ceci à son sujet : « Le bon Dieu lui a
donné beaucoup de grâce. Il a tout enduré dans sa vie sans se plaindre avec calme et
sérénité »540.

Le dernier de cette vague est Armand Bambara, d’origine congolaise. Il est né à


Brazzaville mais réalise toutes ses études à Libreville. Il serait à l’origine de la vocation
de Raponda Walker. Ce dernier décrit dans ses mémoires ainsi : « …voici un de mes
frères de race, revêtu de soutane qui m’avait profondément ému. On pouvait donc, nous
aussi être prêtre »541. Armand Bambara fait son séminaire au Sénégal où il devient
scolastique spiritain et prend la soutane en 1871. Il est tonsuré en 1874, puis, Diacre en
1875. Quelques temps avant son ordination sacerdotale, il meurt aliéné à Sainte Marie en
1883542

! " ((& , ABB


Cette seconde période est moins riche car, contrairement à la première, nous
notons certes de bonnes dispositions, cependant ces dernières n’ont pas le mérite d’avoir
été aussi prononcées que celles que nous citons plus haut. En revanche, la seconde
période a eu le mérite d’enregistrer l’ordination d’André Raponda Walker, premier prêtre
indigène. Parmi les séminaristes qui auraient pu parvenir au sacerdoce durant cette
537
DOCSSP, Bulletin Général, 1868-1879.
538
Idem
539
Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon.
540
DOCSSP, Bulletin General, 1868-1879.
541
A. Raponda Walker, op. cit. p. 203.
542
Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon. C’est d’ailleurs à son sujet que les missionnaires
vont élaborer la thèse sur l’incapacité des « primitifs » à emmagasiner trop de connaissances, au risque de
devenir fou. Cette thèse est notamment défendue par Mgr Fauret in le séminaire saint Jean de Libreville
1849-1932.
180
période, on note les cas suivants : Patrice Mètèdiani, d’origine bulu (Cameroun), entre au
séminaire en 1872 et demande à aller poursuivre ses études à Ngazobil (Sénégal) où il
reçoit la tonsure en 1876 ; il meurt dans le Haut Ogooué en 1880 où il faisait partie de la
seconde expédition de Pierre Savorgnan de Brazza543. Il y a aussi le cas du séminariste
Alphonse Peter, d’origine mpongwé. Arrivé au séminaire Saint Jean en 1886, il en ressort
en 1894. Ce séminariste étudia la philosophie universitaire sous le Révérend Père Jean
Martin Adam, futur évêque du Gabon, à la mission Sainte Marie544. Il meurt à Libreville
en 1896. Notons aussi l’exemple du séminariste Jean Félix Rapontchombo, oncle du
prince Félix Adandè et petit fils du roi Denis. Après des études élémentaires à Sainte
Marie, il alla poursuivre ses études secondaires chez les Frères Ploëmel au Sénégal et en
France. Il était bachelier es lettres en philosophie de l’enseignement secondaire spécial,
avec mention Très bien, et fut le premier gabonais à avoir un grade universitaire en
1890545. D’autres cas peuvent être retenus: Pierre Pearce originaire de Sierra Léone, arrive
au séminaire en 1881 et en ressort en 1892 ; il passe son épreuve à l’Okano en 1891 et
devient tonsuré une année plus tard mais il sort sur les insistances de ses parents. Joseph
Rénani entre en 1888 et en sort en 1891 ; il meurt aliéné en 1919546.

En un mot, l’histoire de plusieurs grands séminaristes du Gabon, bien avancés


dans leurs ordres, révèle qu’ils auraient pu devenir prêtres et servir l’Eglise du Gabon.
Seule la mort les en a empêchés. On ne peut donc pas dire que la volonté manquait chez
les jeunes gabonais, car en dépit du nombre important d’entrées, non proportionnel aux
résultats, les dispositions étaient bien là. Il est évident que cette proportion cléricale aurait
pu constituer un réel stimulant pour le zèle apostolique au Gabon. Pour cette génération
appelée les « primitifs scolastiques »547, on s’arrêtera sur la biographie d’André Raponda
Walker éclairante sur les défis et contraintes de cette époque.

! . 9 C D E
Le premier prêtre gabonais à être ordonné dans le Vicariat du Gabon est André
Raponda Walker. Il exerce son ministère pendant de longues années sans qu’aucun autre
gabonais ne soit ordonné. L’objet est ici de se pencher, aussi brièvement soit-il, sur ce

543
Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon.
544
A. Raponda Walker, op. cit. p. 190.
545
Idem, p. 191.
546
Le cas de ce séminariste est assez spécial. Après avoir été enlevé du séminaire par ses parents en 1891, il
revient quelques temps plus tard (date non précisée) pour sortir définitivement en 1900. Les éphémérides à
son sujet disent qu’on lui aurait lancé un mauvais sort, ce qui explique certainement son aliénation et sa
mort en 1919.
547
DOCSSP, Bulletin General, 1896-1899 “les primitifs scholastiques”.
181
premier clerc gabonais en abordant notamment son enfance, son parcours au séminaire et
son ordination, ainsi que sa carrière apostolique.

! 4 $ # # $ , $$ # 7 #
André Raponda Walker est né le 19 juin 1871. Son nom à lui seul pouvait si l’on
se place dans le contexte historique de l’époque, prévoir à un avenir glorieux. Il est le fils
d’un explorateur et commerçant anglais, directeur au Gabon de la maison Hatton &
Cookson. De son nom, Bruce Walker est le premier à pénétrer dans l’Okandè supérieur
(Haut Ogooué). André Raponda Walker passe une bonne partie de sa jeunesse en
Angleterre où il grandit essentiellement aux côtés de sa grand-mère paternelle. C’est avec
cette dernière, de confession protestante, qu’il commença à fréquenter l’église :
« J’assistais aux prêches, on chantait, on priait puis on écoutait un pasteur parlant du
haut d’une chaire. Je m’y tenais tranquille aux côtés de ma grand-mère sans savoir trop
de quoi il s’agissait »548. C’est également à Southampton qu’il commence à fréquenter
l’école. Face aux insistances pressantes de sa mère qui le réclamait, André Raponda
Walker raconte que c’est à Liverpool qu’il prend le bateau pour se rendre à nouveau au
Gabon. Son père, Bruce Walker, ne souhaitant plus se rendre en Afrique l’avait confié à
un de ses amis, le capitaine Jonathan Holt, pour le ramener à Libreville549. Nous savons
aussi que le premier prêtre gabonais à l’instar de plusieurs jeunes gabonais désireux de se
faire prêtre, a connu des difficultés avec ses parents au sujet de sa vocation. Au premier
plan, on cite très souvent l’influence que les mères avaient sur leurs fils. André Raponda
Walker n’a pas échappé à cela. Il raconte lui-même que sa mère, n’ayant jamais été à
l’école, comprenait pourtant les bienfaits de l’instruction ; elle n’hésitait pas à demander
aux missionnaires de punir son fils s’il arrivait que ces derniers se plaignent de lui. Voici
ce qu’elle recommande au Père Klaine : « S’il n’apprend pas bien ou qu’il ne se conduit
pas bien, il n’y a qu’à m’appeler et nous administrerons tous les deux une bonne
fessée »550. Mais la hardiesse de la mère s’estompa le jour où elle entendit son fils dire
qu’il voulait devenir prêtre. Face à cela, l’Abbé Walker raconte que c’est en 1889, alors
qu’il approchait ses dix huit ans que sa mère avait pris la décision de le retirer de l’école.
Le destin a certainement voulu que ce fils de commerçant anglais soit le premier prêtre du
Gabon, mais il n’aurait pas été là si face à l’insistance de sa mère, le jeune homme n’avait
pas fait montre de ténacité. En effet, il ressort qu’une épreuve de force allant jusqu’au
tribunal avait opposé le premier prêtre indigène à sa mère. Le Gabon dépendant de la loi

548
A. Raponda Walker, op. cit. p. 12.
549
Idem.
550
Ibid, p. 20.
182
française, qui stipule l’âge de la majorité à dix huit ans, André Raponda Walker, dès
l’année 1890 put user de ses droits et continua ses études au séminaire Saint Jean.

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Le parcours au séminaire Saint Jean jusqu’à l’ordination du premier prêtre


indigène gabonais se résume essentiellement en quelques dates et étapes importantes :
1886 est l’entrée au séminaire Saint Jean où il débute l’étude du latin avec une dizaine de
jeunes garçons qui étaient déjà au séminaire. Cette date a le mérite d’attirer notre attention
car elle marque la séparation des séminaristes d’avec les élèves de l’école primaire et les
débuts du séminaire Saint Jean. L’année1889 est la grande année d’épreuve avec sa mère
au sujet de sa vocation. Cette dernière comme nous l’avons vu, ne souhaitait pas voir son
fils devenir prêtre. En 1892, il débute l’étude de la philosophie alors que Mgr Jean Martin
Adam administre le Vicariat apostolique du Gabon. Le 23 avril 1893, au troisième
dimanche après Pâques, il reçoit la soutane des mains de Mgr Le Roy, nouvellement
arrivé au Gabon551. Le 29 septembre 1894, au cinquantième anniversaire de la fondation
de la mission Sainte Marie, fête de Saint Michel Archange, Mgr Le Roy lui confère la
Tonsure, à l’emplacement de l’ancien Fort d’Aumale, sous une grande tente dressée par
les soins de le marine. En 1895, il étudie la théologie et le dogme sous le Père Trilles et la
morale sous le Père Adam. Le 6 octobre de la même année, Mgr Le Roy lui confère les
deux premiers ordres mineurs à l’église Sainte Marie. Le 18 juin 1897, Mgr Adam,
successeur de Mgr Le Roy lui confère les deux derniers ordres mineurs à Sainte Marie,
quelques jours après son sacre. Le 30 janvier 1898, Mgr Adam lui confère le sous
diaconat à l’église Sainte Anne du Fernand Vaz où le petit séminaire a été transféré
l’année suivante. le 15 janvier 1899, il reçoit le diaconat à Sainte Anne du Fernand Vaz
des mains de Mgr Adam et, le 23 juillet, Mgr Adam lui confère la prêtrise à l’église Saint
Pierre de Libreville. Le dimanche suivant, le premier prêtre gabonais célèbre sa première
messe à Saint Pierre de Libreville, en présence de Mgr Adam, assistés des Pères Trilles et
Macé, ses derniers professeurs comme diacre et sous diacre. Le Révérend Père Breidel,
ancien vicaire à Saint Pierre prononce le discours de circonstance552.

551
Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon.
552
A. Raponda Walker, op. cit. p. 42.
183
!& # .
Entreprendre de faire un bref récit sur la carrière apostolique du premier prêtre
autochtone nous permet de vérifier deux aspects d’abord, nous nous proposons de
mesurer l’œuvre accomplie tant sur le plan apostolique que sur les nombreux mémoires
qu’il laisse à travers une bibliographie diversifiée. Ensuite, nous souhaitons à travers ce
récit voir dans quelle mesure le premier gabonais prêtre a travaillé dans un climat parfois
difficile.

C’est à Sindara, dans le sud du Gabon, à la mission des « Trois Epis » qui n’existe
encore qu’en projet que l’Abbé Walker débute son apostolat. Dans cette localité, les
difficultés rencontrées sont multiples, notamment avec les peuples qui parlaient plusieurs
langues : Eshira, Bavili, Ivéa, Mitsogo, Bakèlè et Fang. L’Abbé Walker qui est d’origine
mpongwé ne parle aucun de ces dialectes, excepté quelques mots de fang. Sa première
détermination a donc été de se mettre à l’étude des langues locales. Il faut dire que
l’avantage que ce premier prêtre gabonais avait sur les missionnaires était bien cerné. La
langue constitue à n’en point douter un élément essentiel de persuasion, mais aussi, la
possibilité d’aller servir dans les endroits les plus reculés du pays, jugés parfois
dangereux. A travers une interview réalisée par le Père Pouget en 1960, le premier prêtre
gabonais répond à la question de savoir de quoi après sa longue carrière sacerdotale, il
remerciait Dieu le plus. Il répond en disant ceci : « …je remercie Dieu d’avoir pu tenir
bon durant vingt ans, étant seul prêtre gabonais, et ne voyant point la possibilité d’être
suivie par d’autres gabonais. Et aussi d’avoir été le premier missionnaire à pénétrer chez
certaines tribus »553.

Les nombreuses tournées réalisées à Sindara de 1899 à 1910 et de 1929 à 1934,


suffisent pour le démontrer554. Après les onze années passées dans le sud, il séjourne
durant onze mois dans la province du Haut Ogooué, puis il est nommé professeur au petit
séminaire Saint Jean de Libreville. Fort de ses expériences à travers l’étude des langues
locales, le Père Macé, directeur du petit séminaire, lui suggère de rédiger un dictionnaire
mpongwé français pour remplacer la première édition complètement épuisée555. De plus,
Mgr Martrou qui reconnaît ses qualités exceptionnelles de chercheur, le pousse aux études
ethnographiques et linguistiques. C’est donc après six années d’enseignement, que l’Abbé

553
Interview du Père Pouget en 1960 in Mémoires d’un nonagénaire.
554
L’Abbé Walker a passé deux séjours à la mission des Trois Epis.
555
La première édition a été réalisée par le Père Jean Rémy Bessieux quelques années après son arrivée au
Gabon.
184
reprend ses tournées dans la brousse556. Après le bref passage au séminaire Saint Jean
comme professeur, la carrière apostolique de l’Abbé Walker le conduit successivement au
Rio Mouni chez les Fang durant quatre ans, à Donguila durant cinq ans, à Lambaréné
durant quatre ans. Il effectue un retour de cinq ans à Sindara à la mission Saint Martin des
Apindjis. De 1941 à 1949, il est à Sainte Anne dans le Fernand Vaz puis en 1950, il
regagne Libreville pour sa retraite définitive557.

D’après Hubert Deschamps, jamais une retraite ne fut aussi laborieuse. De l’aube à
la nuit, portes et fenêtres ouvertes, il converse, renseigne, confesse, et surtout travaille.
Combien de machines à écrire a-t-il usées ? Combien d’articles a-t-il donné à
d’innombrables revues françaises, congolaises et locales, y compris des publications de la
Mission ? En somme, son œuvre reste très grande, de l’histoire en passant par
l’ethnographie, la linguistique, la botanique, les proverbes et les contes, André Raponda
Walker, doué d’une mémoire prodigieuse a presque tout écrit.

556
Hubert DESCHAMPS, Histoire Générale de l’Afrique Noire, Puf, Paris, 1970, 2 volumes.
557
Idem, p. 47.
185
5 6-$ P L % * .

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186
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& 4
En 1899 après l’ordination du premier prêtre gabonais, la communauté pensait
qu’il devrait y avoir une floraison de vocations sacerdotales. Cela ne fut pas le cas, bien
au contraire, le vicariat du Gabon dû patienter presque durant vingt ans, avant de voir
ressurgir de nouvelles ordinations. Pourquoi cette rareté de vocations après l’exception
amorcée par Raponda Walker en 1899 ? Nous allons tenter d’apporter quelques raisons
éclairantes.

& 0 (AA6 A A1
Comme nous le précisions plus haut, l’ordination du premier prêtre indigène avait
constitué une grande source de motivation pour tous les autres séminaristes. Les
missionnaires du Saint Esprit ainsi que les autochtones avaient réalisé en cet événement,
l’amorce d’un élan dans les vocations aussi bien sacerdotales que religieuses. Une des
raisons qui pouvaient aussi sous entendre cette logique trouve son explication dans les
entrées au séminaire. A partir de 1900, celles-ci sont plus restreintes. On peut penser à ce
moment que l’œuvre va orienter ses objectifs beaucoup plus sur des vocations sérieuses,
on pense plus à la qualité qu’à la quantité. De 1900 à 1910 par exemple, le séminaire

187
Saint Jean reçoit seulement seize nouveaux élèves558. D’ailleurs, on compte parmi ses
nouvelles recrues les cinq prochaines ordinations sacerdotales. En 1910, toute la
communauté religieuse s’interroge sur le cas d’un séminariste pour lequel beaucoup
entrevoyait le deuxième prêtre autochtone. Il s’agit de François de Paul Vané559, qui reçoit
la soutane en 1908 des mains de Mgr Jean Martin Adam. En additionnant les entrées
restreintes au séminaire ainsi que les quelques cas isolés de bonne volonté comme celui
que nous venons de souligner, on est en droit de penser que la thèse des vocations
sérieuses tient la route, cependant le séminaire tarde toujours à prendre son envol . Une
question mérite d’être alors posée : qu’est ce qui explique la rareté des vocations durant
plus de vingt ans ? Pourquoi le premier prêtre indigène dut travailler tout seul durant de
longues années avant d’avoir la possibilité d’être suivi par un autre Gabonais ? A vrai
dire, les raisons de ce silence sont multiples. Pour mieux les comprendre, nous avons
interrogé les éphémérides du séminaire Saint Jean.

La première explication que nous pouvons évoquer est liée aux difficultés
d’orientations données à l’œuvre des Latinistes. Si en réalité les missionnaires pensent
dans un premier temps à dispenser uniquement un cours de latin aux jeunes garçons, ils ne
savent pas si c’est pour en faire de futurs prêtres. La seconde raison est à chercher à
travers l’histoire de l’œuvre des Latinistes. Ce cours créé en 1856 a trop souvent été
supprimé et repris. Dans les chapitres précédents, nous avons vu que les missionnaires
avant de se fixer définitivement à Libreville en 1925, n’ont réellement jamais réussi à
trouver un emplacement idéal pour la quiétude des élèves et leur épanouissement
religieux. On a souvent pensé que tenir l’école loin de l’environnement familial pouvait
servir à mieux orienter le projet des vocations. Mais cela n’a malheureusement abouti
qu’à une instabilité de l’institution. De plus, les séminaristes ont durant de nombreuses
années été assimilés avec les élèves de l’école primaire de Sainte Marie alors que le Père
chargé du cours de latin n’avait pas un entretien avec les élèves au sujet de la vocation :
on pourrait presque y voir une attitude désinvolte de la part des missionnaires. Enfin on
peut aussi citer le cas des nombreux décès successifs des élèves qui montraient pourtant
de bonnes dispositions. Sur les deux premiers élèves du début de l’œuvre, l’un mourut au
bout de deux ou trois ans et son compagnon resté seul se découragea. Il en est de même
des quatre ou cinq Latinistes dirigés sur la France puis sur le Sénégal : deux moururent
durant leur grand scolasticat, un autre fut rapatrié d’urgence dès son arrivée en France et

558
Voir liste des séminaristes à travers le registre officiel des entrées.
559
Il est le 120è séminariste de l’histoire du Vicariat apostolique du Gabon. Il entre en 1904 et, suite à des
pressions non élucidées, se retire du cours en 1910.
188
vint mourir à Libreville. Un quatrième ordonné diacre est devenu aliéné peu de temps
après son diaconat et dut être enfermé avant sa mort prématurée. Tout cela découragea de
nombreuses volontés et les parents ne consentirent plus que leurs enfants se fassent
prêtres, d’où les nombreux retraits enregistrés au séminaire.

Une autre explication réside dans les recrutements défectueux. De 1886 voire
jusqu’en 1900, le recrutement des séminaristes s’est plus ou moins fait en dépit du bon
sens. D’une part on envoyait souvent au séminaire des élèves indésirables ou qui
n’avaient manifesté aucun signe de vocation. D’autre part, certains prêtres n’espéraient
rien du séminaire, car la majorité des garçons qui y allaient étaient en définitive retenus
comme moniteurs, où y allaient dans le seul but de s’instruire et de se retirer par la suite,
ceci d’autant plus qu’à cette époque il n’existait ni collège ni lycée.

&! #
Notre but étant bien entendu de réserver une étude particulière aux vocations
sacerdotales, nous ne saurions néanmoins passer outre les autres vocations religieuses.
Pour ce faire, nous avons justement opté de situer cette évolution à travers la période qui
concerne bien entendu celle qui fait l’objet du ralentissement des vocations sacerdotales
dans le Vicariat du Gabon. A Libreville, on compte à cette époque deux congrégations
religieuses, trois au début des années 1860560. Il y a les Sœurs de l’Immaculée Conception
de Castres, arrivées en 1849 et les Petites Sœurs de Sainte Marie fondées en 1911. Pour ce
qui est des congrégations des Frères, on compte essentiellement celles des Frères de Saint
Joseph et des Frères de Saint Gabriel. De toutes ces congrégations, de nombreux religieux
ont manifesté le désir d’embrasser la vie religieuse. Chez les professions masculines, on
peux citer les cas des deux premiers religieux gabonais : il s’agit du Frère Dominique Fara
d’origine congolaise et du Frère Jean Marie Owaruwé561, tous les deux ont été à l’école du
Père Klaine. Pour ce qui est des professions féminines, on cite les cas de la Mère Julia
Dembyano, de la mère Andréa Zékouè, de la Sœur Rosa Essongué562.

560
Avec la création des diocèses dans tout le Gabon, une diversité de congrégations religieuses voient le
jour. Elles sont disséminées à travers essentiellement Libreville et le diocèse de Mouila à partir de 1960.
Parmi celles-ci on peut citer les Sœurs dominicaines de la délivrance, les Sœurs du Saint Rosaire ou encore
les Sœurs Trinitaires institutrices.
561
ANG, Carton N° 184, Professions de foi respectivement en 1905 et en 1899.
562
ANG, Carton N° 184, Professions de foi respectivement le 12 décembre 1917, le 08 septembre 1920 et le
décembre 1920.
189
) A A
Le terme rebond est employé ici pour montrer la situation latente qui était celle de
l’Eglise du Gabon de 1899 à 1920 environ. La situation plus que préoccupante amenait les
missionnaires à se poser des questions sur le devenir de la Mission du Gabon sans prêtres
indigènes même si leur rôle les confinait essentiellement à la situation d’auxiliaire comme
en témoigne cet extrait : « …en conséquence, il faudra rejeter et complètement abroger la
coutume et réduire les prêtres indigènes à la condition du clergé seulement
auxiliaire… »563. Même s’ils le dévalorisaient, les missionnaires reconnaissaient
l’importance d’un clergé autochtone. Le travail sur le terrain amorcé par le tout premier
prêtre gabonais suffisait à lui tout seul pour promouvoir de nouvelles ordinations comme
nous l’avons vu précédemment. Il fallait donc impérativement de nouvelles âmes à Dieu,
promouvoir de nouvelles ordinations, des hommes qui auraient l’avantage du dialecte
local. Il est intéressant de voir comment la situation se présente en 1919.

) # 0 (AA6 A A1
Comme nous l’avions déjà signalé plus haut, la particularité de ces recrues réside
dans le fait qu’elles ont apporté un nombre important de prêtres dans l’histoire du Vicariat
du Gabon. Si l’on s’en tient aux statistiques, neuf prêtres ordonnés en 1919 pour un total
de près de vingt quatre élèves à avoir fréquenté le séminaire. C’est louable pour une
œuvre qui avait piétiné durant de nombreuses années sans résultats positifs. Parmi les
élèves inscrits durant cette période il y a : Cyrille Mba, Guillaume Pango, Augustin
Avélé, François de Paul Vané, Antoine Mba, Guillaume Owondo, Justin Obame, Gustave
Batodié (2è prêtre indigène), François Mpuna, Victor Onanga, Jean Urbain Rémi Obame
(3è prêtre), Cyprien Guipriéry, Auguste André Outuna, Sébastien Ebendjé, Jean Baptiste
Adiwa (4è prêtre), Basile Okoé, Charles Guibinga (5è prêtre), Clair Bakenda (6è prêtre),
Jérôme Marie Mba (7è prêtre), Guérin Ambourouet, Joseph Marie Bakale, Auguste Marie
Eléwarnyé (8è prêtre), Augustin Louis Essono (9è prêtre), Théodore Kwaou (10è prêtre
indigène)564. On peut non seulement expliquer le succès de ces élèves par le fait d’un
recrutement plus strict, mais aussi sur la base d’une discipline plus prononcée. La guerre a
sûrement forcé le destin.

563
Archives CSSP, Boîte 432, note n° 4 sur les règles adressées aux chefs des missions pour la mise en
service du clergé indigène du 23 novembre 1845.
564
Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon.
190
)! # " A A
 Après les événements tragiques de la guerre 1914-1818, les missionnaires pensent
sérieusement à réaffirmer l’œuvre des vocations565. La guerre ne ralentit pas, semble t-il,
le progrès des « missions étrangères aux Eglises locales », on pense même au contraire
qu’elle le galvanise. Le prélèvement massif du personnel missionnaire rappelé sous les
drapeaux fut un des effets les plus immédiats, sans omettre l’assujettissement au service
militaire des prêtres catholiques, affectés aux unités sanitaires et à l’aumônerie566. Il
faudra aussi prendre en compte, cas par cas, les défections pour raisons de santé qui furent
aussi assez nombreuses. En tout, la guerre aura porté un sérieux coup à la mission du
Gabon en la vidant d’un grand nombre de prêtres dont les plus jeunes. Mgr Martrou qui
administre le vicariat du Gabon à cette époque reconnaît lui-même que l’Eglise a vécu
une période particulièrement difficile. Il se verra d’ailleurs obligé de fermer certaines
missions, faute de personnel : ce fut le cas de la mission des Trois Epis de Sindara et de la
Sainte Croix des Eshiras567. Toutes ces raisons ont progressivement diminué le nombre de
missionnaires présents au Gabon. C’est dans cette perspective ecclésiale que trois
nouvelles ordinations sont prononcées après la guerre : Gustave Batodié, Jean Urbain
Rémi Obame et Jean Baptiste Adiwa sont les nouveaux prêtres du Gabon en 1919. A la
différence des deux premiers qui sont entrés au séminaire en 1907, l’Abbé Adiwa fit la
sienne en 1909, toutefois les trois ont tous eu le même parcours au séminaire568.

Gustave Batodié dont le mérite a été d’être le deuxième prêtre du Gabon, entre au
séminaire à 10 ans. C’est presque précoce quand on sait le retard qu’avaient beaucoup de
jeunes à cette époque. Il est d’origine Akèlè (village Bakissi). Les éphémérides du
séminaire nous renseignent que ses parents étant eux même catholiques sont à l’origine de
sa vocation. Il est baptisé le 8 juillet 1902 et reçoit les sacrements en 1906569. En 1915,
Monseigneur Girod lui confère la soutane et la tonsure avant qu’il n’aille passer une
année d’épreuve dans l’Okano en 1916570. Simultanément, il reçoit les ordres mineurs le
15 avril 1917, le sous diaconat le 6 janvier 1918, le diaconat le 28 septembre, puis il est
ordonné prêtre le 04 mai 1919571.

565
Archives CSSP, Boîte 386, « Les événements tragiques du Gabon après la guerre ».
566
Archives CSSP, Boîte 309, « note sur liste des missionnaires envoyés au Gabon ». Le cas évoqué ici est
celui du Père Leyzor Jean Marie, rappelé en 1917.
567
Jacques Hubert, op. cit. p. 14.
568
Archives CSSP, Boite 1002, Fond Gaston Pouchet..
569
Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon.
570
Idem.
571
Ibid.
191
Le troisième prêtre gabonais est fang, peuple qui a donné au séminaire Saint Jean
le plus de recrues. Il s’agit de Jean Rémi Urbain Obame. Ordonné le même jour que
Gustave Batodié, Jean Rémi Urbain Obame est le fils de Urbain Ntoutoum et Louise
Bendome. Il est né le 07 novembre 1890 et est baptisé le 27 décembre de la même année.
Ses sacrements (communion et confession) interviennent le 10 mai 1903. Il faut dire que
le parcours au séminaire Saint Jean du troisième prêtre indigène n’est en rien différent de
celui du deuxième. Il reçoit la soutane le 01 avril 1915, des mains de Mgr Girod, il est
tonsuré le 13 juillet 1915. Son épreuve se fait à la paroisse Saint Michel de Ndjolé, avant
d’être ordonné prêtre le 04 mai 1919572.

Le quatrième prêtre gabonais est un Galoa. C’est Jean Baptiste Adiwa. Bien
entendu, les Galoa c’est l’Ogooué et les lacs de Lambaréné mais c’est aussi le clan qui a
le plus été marquée par l’influence protestante573. La contrée toute entière a été ravie en
apprenant son désir de se faire prêtre en 1909574. Il reçoit la soutane des mains de Mgr
Girod le 01 avril 1915, la tonsure le 13 juin 1915 avant d’aller faire son année d’épreuve à
la paroisse Saint Paul de Donguila en 1916. Il reçoit les ordres mineurs le 11 avril 1917, le
sous diaconat le 06 janvier 1918, le diaconat le 29 septembre 1918, il est ordonné prêtre le
04 mai 1919575. Jean Baptiste Adiwa a souvent été présenté comme une « tête fêlée »,
c’est du moins ce que pensait Mgr Tardy, qui affirme cependant les qualités
d’intelligence, de piété et de zèle chez ce prêtre autochtone576, ce qui explique sûrement la
raison pour laquelle ce prêtre autochtone occupe à partir du 8 avril 1940 la fonction de
supérieur des prêtres indigènes577.

Les trois prêtres sus mentionnés ont constitué la génération des ecclésiastes de
1919, lesquels ont eu le mérite d’apporter un regain d’espoir dans l’ordre des vocations
sacerdotales dans le vicariat du Gabon, restées muettes durant près de vingt ans. Leur rôle
était bien assigné. Ils devaient seconder l’œuvre entamée par le premier prêtre ordonné en
1899. Nous n’avons pas disposé de renseignements précis concernant leur apostolat. Nous
n’avons eu que des informations éparses qui convergent toutes vers une seule thèse, celle
qui atteste que le catholicisme prend de nouvelles proportions au Gabon avec leur
intronisation. A l’instar de André Raponda Walker, les autres prêtres indigènes étaient

572
Archives CSSP, Boite 1002, Fond Gaston Pouchet.
573
Gaston Pouchet, op. cit. p. 197.
574
DOCSSP, Bulletin Général 1906-1920 « Les missions chrétiennes du Gabon ».
575
Registre des élèves du Vicariat.
576
Archives CSSP « Rapport quinquennal 1930-1935 ».
577
Idem.
192
affectés dans une station à l’intérieur du pays. Concernant le quatrième abbé gabonais,
nous savons par exemple qu’il a été affecté dans le nord du Gabon, plus précisément à
Bitam, où il crée d’ailleurs une mission578. A 83 ans, malgré une santé fragile, il a
toujours continué à œuvrer pour la consolidation du catholicisme auprès des autochtones.
Ce fut aussi le cas pour les autres prêtres gabonais. Gustave Batodié meurt à Lambaréné
dans la mission où il a œuvré pour la dernière fois en 1938. Jean Rémy Urbain Obame
meurt quant à lui en 1934579.

" # A!&6 A)B


Les progrès vers la mise en place d’un clergé indigène ont été lents et difficiles.
En 1920, il y a avait quatre prêtres gabonais, moins d’une dizaine de Frères et quelques
religieuses, malgré l’évolution timide constatée dès 1919 mais l’évolution des vocations
sacerdotales dans le pays s’accélère à nouveau à partir de 1923 jusqu’en 1940. Cette
seconde période, bien que caractérisée par des entrées lentes, a été plus féconde.

- # A!&
A!&
Il apparaît évident que l’ordination des trois nouveaux prêtres au Gabon, en 1919,
n’a fait que redynamiser les vocations. Les prêtres ordonnés en 1923 font parti de la
vague des entrées au séminaire Saint Jean dans la grande période de jachère des
vocations, c'est-à-dire de 1899 à 1919. Cette période reste certainement l’une des plus
importantes dans l’histoire des vocations au Gabon. Elle consacre à elle seule près de neuf
ordinations. Les vocations sacerdotales n’étaient pas en réalité la préoccupation d’une
ethnie particulière ou d’un groupe d’individus désigné. Le registre des élèves du vicariat
apostolique du Gabon (1856-1946), bien fourni en informations, nous renseigne sur des
garçons aux origines diverses qui ont fréquenté le séminaire durant la période sus
mentionnée. Cependant, parmi les plus citées, il y a avait le cas des Galwa, des Mpongwé,
des Fang et des Benga alors que le groupe Eshira était pratiquement inexistant même si on
signale quelques rares passages de séminaristes de cette ethnie. Ce sont Cyprien
Guipriéry ou d’Henri Guiméni en 1898 qui tous les deux furent renvoyés du séminaire580.

578
Archives CSSP, Boite 1002, Fond Gaston Pouchet voir aussi Gaston Pouchet, op. cit. p. 198.
579
Raponda Walker, op. cit. p.181.
580
Registre des élèves du vicariat apostolique du Gabon.
193
Parmi les prêtres ordonnés en 1923, deux sont Eshira et le dernier est Fang. Dans
cette liste, on cite en premier Charles Guibinga qui arrive au séminaire en 1910. A l’instar
de quelques rares séminaristes à avoir persévéré, ses parents sont eux aussi à l’origine de
sa vocation. Dans son cas, c’est avant d’entrer à Saint Jean qu’il reçut ses premiers
sacrements : en 1905, il reçoit le baptême et en 1907, il est communié et confessé. Pour ce
qui est du parcours au séminaire, il reçoit simultanément la soutane et la tonsure le 23
avril 1922 avant les ordres mineurs qui interviennent le 09 juillet 1922. Quant aux ordres
majeurs, le sous diaconat intervient le 31 décembre 1922 tandis que la diaconat le 18 mars
1923. C’est à la paroisse Sainte Croix des Eshira de la plaine Ndolu (Mandji) qu’il passe
son année d’épreuve581. Le 15 août 1923, il est ordonné prêtre dans la même paroisse où il
fait ses débuts582. Comme pour la plupart des prêtres de l’histoire des premières
ordinations au Gabon, il demeure difficile de connaître les détails de son parcours
pastoral. Les quelques informations recueillies permettent seulement de dire qu’il fait
partie des tous premiers intellectuels Eshira. D’une santé très faible, il doit très souvent
rester sur place à Libreville. Il décède le 23 mars 1941583.

Le second Eshira ordonné est l’Abbé Clair Bakenda, il arrive au séminaire en


1910. Bien que moins âgé d’une année que son frère de clan, les deux séminaristes font
un parcours similaire au séminaire, à la seule différence qu’il passe son année d’épreuve
dans l’Okano en 1917584. Son apostolat ne dura pas longtemps. A son sujet, André
Raponda Walker écrit : « …consummati in brevi, expleverunt tempora multa ! »,
autrement dit, celui qui n’a fait que passer. Il est décédé le 26 mai 1924 de suite d’une
pneumonie, après moins d’une année d’exercice de son apostolat585. Il est évident qu’à sa
mort, c’est toutes les communautés, missionnaires et autochtones, qui sont
compatissantes. Comment bâtir une Eglise avec un clergé suffisant si les quelques prêtres
ordonnés trouvent aussitôt la mort, dira à son sujet Mgr Martrou586. Le dernier de la liste
de 1923 est l’Abbé Jérôme Marie Mba587. Il fait son entrée à Saint Jean en 1913588. Celle-
ci a été faite sous l’impulsion des Frères de Saint Gabriel qui en avaient fait un bon

581
Jacques Hubert, op. cit. p. 64.
582
Idem, p. 64.
583
Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon.
584
Idem.
585
A. Raponda Walker, op. cit. p. 169.
586
Monseigneur Martrou était en effet bien placé pour parler de la situation difficile des vocations et du
manque cruel du personnel missionnaire après les événements de 1914-1918.
587
Dont les affinités sont très proches de la famille du premier président de la République Gabonaise.
588
Le décret portant création de la République Gabonaise est prononcé en 1958.
194
chrétien, et chez lesquels il réalise une bonne partie de sa formation589. Dans son parcours
au séminaire, il reçoit la soutane et la tonsure le 23 avril 1922, les ordres mineurs le 09
juillet 1922, le sous diaconat le 31 décembre 1922 et le diaconat le 18 mars 1923. Il est
ordonné prêtre le 15 août 1923 à Libreville590. Pas grand-chose sur son ministère et sa
mort, juste que l’Abbé Jérôme Marie Mba était polyglotte et parlait couramment plusieurs
langues du Gabon dont le fang (sa langue d’origine), le kota, le nzébi, l’éshira591.

! A&B
Les ordinations intervenues en 1930 dans le vicariat du Gabon sont au nombre de
quatre. Ces prêtres font aussi parti des entrées allant de la période 1899 à 1919. Cela
confirme donc notre hypothèse de départ selon laquelle cette période est, à n’en pont
douter, l’une des plus faste dans le recrutement des séminaristes du Gabon. Pour
comprendre cet état de chose, il faut remonter l’histoire en rappelant qu’avant 1900,
l’enseignement est la seule exclusivité des quelques missionnaires voire catéchistes ou
moniteurs, lesquels ne sont réellement pas spécialisés dans le domaine. Avec l’arrivée des
premiers Frères au Gabon, l’enseignement devient une spécialité592. Désormais c’est aux
Frères que revient le monopole de l’enseignement catholique en particulier. Leur rôle, il
faut le souligner, ne se limite pas seulement à instruire. Ils éduquent aussi et décèlent des
qualités chez les jeunes. Il est fort évident que c’est avec expérience qu’ils décidaient
d’envoyer certains de leurs élèves continuer leurs études au séminaire, après avoir décelé
chez eux les aptitudes requises. La réussite de beaucoup de garçons entrés au séminaire
par la suite est certainement la conséquence de cette nouvelle donne. Au demeurant plus
les entrées étaient rares, plus elles étaient sélectives et qualitatives. Parmi les prêtres

589
Les Frères de Saint Gabriel (de Montfort) sont arrivés au Gabon en 1910 à la demande de Monseigneur
Jean Martin Adam qui leur confie le soin des écoles afin de décharger de cette tâche les missionnaires
occupés à l’évangélisation. Dès 1900, ils prirent en main les écoles de Libreville et Lambaréné. Ils durent
les quitter en 1917 au moment de la guerre par manque de personnel et revinrent en 1924 pour continuer
leur action éducatrice : éducation de tout l’homme, intellectuelle, spirituelle et morale. Leur manière
d’enseigner a énormément impressionné leurs élèves. Parmi les figures illustres des Frères de Saint Gabriel,
une mention toute spéciale doit être faite au Frère Macaire, arrivé à Libreville en février 1932 où il débute
ses activités à l’école Montfort. Les livres du Frère Macaire sont toujours (de nos jours) en usage dans les
écoles gabonaises.
590
Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon.
591
Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon.
592
La troisième congrégation à s’installer au Gabon (après celle des Père du sacré cœur de Marie et les
sœurs de l’Immaculée Conception) en 1900 fut celle des Frères de Saint Gabriel de la branche des Pères
Monfortains. Ils arrivent à la demande de Mgr Jean Martin Adam, Vicaire apostolique qui leur confie les
écoles afin de décharger de cette tâche les spiritains occupés à l’évangélisation. Les trois premiers Frères
arrivés au Gabon furent Fulgent, Théodule et Roger qui prirent aussitôt la direction des écoles de Sainte
Marie, Saint Pierre de Libreville et Saint François Xavier à Lambaréné.
195
gabonais ordonnés en 1930, il y a : Augustin Marie Eléwanyé (138è séminariste),
Augustin Louis Essone (139è), Théodore Kwaou (140è) et Joseph Marie Bekale (141è)593.

Signalons, par ailleurs, que malgré la différence des dates d’entrée, la plupart des
séminaristes suivaient un parcours identique. Ce fut le cas comme nous l’avons vu avec
les ordinations de 1924. Pour ce qui est de celles de 1930, elles ne dérogent pas à la règle.
Nous citons pour mémoire le cas du Galwa Augustin Marie Eléwanyé qui entre en 1915,
celui du Fang, Augustin Essone qui entre en 1916 et celui d’un autre Fang, Joseph Marie
Bekalé qui n’entre qu’en 1919. Ces hommes sont tous ordonnés prêtres le 11 mai 1930594.
Monseigneur Martrou qui estime que la nouvelle Eglise du Gabon a besoin incessamment
de prêtres, pensait, de ce fait, qu’il ne fallait pas individualiser les ordinations, bien au
contraire il fallait les regrouper. C’est dans cette dynamique qu’ils reçoivent la soutane le
17 avril 1927 et la tonsure le 08 avril 1928. Les ordres mineurs interviennent le 31 mars
1929, le sous diaconat le 25 décembre 1929 et le diaconat le 06 avril 1930.

La dernière ordination de 1930 concerne celle du troisième prêtre eshira :


Théodore Kwaou. Il entre au séminaire en 1917 et prend sa soutane ainsi que la tonsure
les 8 et 17 avril 1928. Il passe son épreuve à Saint Michel de Ndjolé en 1921. Il reçoit les
ordres mineurs le 31 mars 1929 et les ordres majeurs les 25 décembre 1929 et 06 avril
1930. Suite à un petit problème de maladie, son ordination n’intervient pas au même
moment que les trois premiers cités plus haut, mais le 17 mai 1930595. Cette nouvelle
vague redynamise le jeune Eglise du Gabon. Selon les statistiques disponibles, il y a alors
onze prêtres autochtones ordonnés, dont dix en service après la mort prématurée de
l’Abbé Clair Bakenda. Signalons aussi, au passage, que l’Abbé Jean Marie Bekale
abandonne la vie religieuse en 1941596. Ainsi, malgré des débuts lents et difficiles, on peut
penser que le clergé gabonais prenait véritablement forme. Mais Mgr Tardy estimait que
c’était encore trop peu597, qu’il fallait encore former plus de prêtres, encourager plus de
volontés.

593
Registre des élèves (Abbés et Latinistes) du Vicariat apostolique du Gabon 1856-1946.
594
Idem.
595
Ibid.
596
Registre des élèves du vicariat apostolique du Gabon.
597
Mgr Tardy est le quatrième vicaire apostolique du Gabon (1926-1947).Voir notes en annexe.
196
& A&( , A)B
Durant la période allant de 1920 à 1927, le séminaire a connu un bon nombre
d’entrées bien que ces dernières soient toujours irrégulières. Les dernières ordinations qui
interviennent en 1930 concernaient des jeunes, entrés dans la période de 1899-1919. Entre
1920 et 1927, les éphémérides nous renseignent que l’œuvre a reçu environ vingt neuf
élèves dont trois sont ordonnés prêtre entre 1938 et 1940. Deux d’entre eux sont Fang et
le troisième est un Nkomi. Il s’agit de Thomas Ossima (12è prêtre indigène et 166è
séminariste), François Ndong598 (13è prêtre indigène et 170è séminariste) et Pierre
Joachim Yoya (14è prêtre indigène et 171è séminariste). Notons par ailleurs, qu’avant
eux, deux autres Gabonais sont ordonnés prêtre en 1924 et en 1934 : il s’agit de Gabriel
Nguimbi et Sylvestre Douta599. Cependant, leurs noms ne sont pas pris en compte dans les
statistiques du Gabon car étant tous les deux originaire de la mission de Sette Cama,
mission qui dépendait du séminaire de Mayumba dont la direction ecclésiastique se
trouvait dans le Loango jusqu’en 1955. Qu’en est-il de leur parcours et de leurs
ordinations ? S’agissant du premier prêtre de cette nouvelle vague : Thomas Ossima. Il
arrive au séminaire Saint Jean en 1923 à l’âge de dix huit ans. Comme plusieurs de ses
prédécesseurs, il bénéficie lui aussi d’une formation suffisante chez les Frères de Saint
Gabriel. Baptisé le 01 mai 1915, il prend ses sacrements le 25 décembre de la même
année. Il passe son année d’épreuve à Bitam dans le nord du Gabon de septembre 1922 à
avril 1923. De retour au séminaire, il reçoit les ordres mineurs le 05 janvier 1936 et le 29
mars de la même année. Le sous diaconat intervient le 25 décembre 1937 et le diaconat le
19 mars 1938. Il est ordonné prêtre le 17 avril 1938 à Libreville600. Pour ce qui est de
l’Abbé François Ndong, son parcours au séminaire n’est pas différent. Les sources
consultées notamment les éphémérides et le registre officiel du séminaire nous disent que
l’acquisition des différents ordres précédant le sacerdoce s’est faite au même moment.
Evidemment, il s’agit toujours de la dynamique des ordinations groupées introduite par
Mgr Martrou. L’Abbé Ndong qui passe une bonne partie de son ministère dans le sud du
Gabon a connu un apostolat très riche. Il a le mérite d’être le tout premier évêque
gabonais (nous verrons cela dans une partie ultérieure consacrée aux premiers évêques du
Gabon), qui lui confère la position d’évêque auxiliaire à Mgr Jean Jérôme Adam, premier
archevêque de Libreville.

598
Futur premier évêque du Gabon.
599
DOCSSP, Bulletin Général, 1921-1936 « Notes sur le séminaire du Gabon ».
600
Registre des élèves du vicariat apostolique du Gabon.
197
Le dernier prêtre de cette vague est un Nkomi, originaire du Fernand Vaz. Il s’agit
de l’Abbé Pierre Joachim Yoya dont l’ordination avait ému toute sa communauté601. Ce
n’est donc pas sans raison que la mission Sainte Anne lui échoit pour ses premiers pas
dans le sacerdoce. Concernant son parcours au séminaire, il y entre en 1924 ; en 1929, il
est envoyé en probation à Sindara dans le sud où il rencontre l’Abbé André Raponda
Walker qui devient son tuteur. A son sujet, il porte le jugement suivant : « Ce fut un
grand plaisir pour moi de regarder cet illustre pasteur, pionnier de notre Eglise. Lorsque
je le regardais prêcher, administrer des sacrements et dire la messe, cela a constitué pour
moi une grande source de motivation »602. C’est vers la fin de l’année 1930 qu’il revient
au séminaire et prend ses ordres, il accède au sous diaconat le 30 avril 1839 et le diaconat
le 8 décembre de la même année ; il est ordonné le 29 septembre 1940, fête de Saint
Michel Archange.

Au terme de cette étude consacrée aux premières ordinations sacerdotales de


l’Eglise catholique au Gabon, il apparaît que tous ces hommes (de l’Abbé André Raponda
Walker, 1er prêtre autochtone, à l’Abbé Yoya), ont constitué la branche des premiers
prêtes autochtones, la deuxième pierre angulaire du catholicisme dans l’histoire du
Vicariat du Gabon En 1940, ils sont quatorze au total, ce chiffre n’est pas très grand,
cependant il n’est pas dérisoire. En 1940, on pense à évaluer l’œuvre accomplie et
redéfinir les nouvelles préoccupations de cette Eglise autochtone naissante. En près de
cent années d’existence, le séminaire du Gabon avait donné ses premiers fruits, pour
autant on est encore loin du compte et il serait trop prématuré de parler d’une réelle Eglise
autochtone. Néanmoins, cette situation du clergé suffisait déjà à inquiéter certains
missionnaires qui voyaient dans l’œuvre du séminaire au Gabon, une remise en cause de
leur présence. En fait, les motivations profondes de certains missionnaires sont liées
beaucoup plus à la crainte : en d’autres termes, beaucoup n’acceptaient pas la situation
d’être un jour dirigés par les probables futurs dirigeants autochtones603. De toute manière,
si l’on s’en tient aux recommandations données par le Saint Siège, il était évident qu’à
terme, les missions étrangères devaient progressivement faire place aux Eglises locales.
La « gabonisation » de l’Eglise catholique ne devait donc pas y échapper et les
missionnaires devaient confier la direction des communautés religieuses à des Gabonais.

601
DOCSSP, Bulletin Général, 1921-1936 « Notes sur le séminaire du Gabon ».
602
Idem.
603
Martin Alihanga, enquête orale
198
En 1940, alors que le clergé gabonais commence à prendre forme, certaines
interrogations peuvent être posées telles que la future position des clerc gabonais au sein
d’un clergé encore fortement et très nettement composé de ressortissants expatriés. On
peux tout aussi se demander s’il y aura querelle des investitures entre missionnaires et
prêtres autochtones. Ces préoccupations sont fondamentales car à terme, l’Eglise en terre
d’accueil doit être sous la direction des autochtones. « C’est grâce à ses militants de base,
et à un clergé valable, issu du peuple, qu’une véritable Eglise prend racine »604.

! 4 # A)B

A cette étape de notre étude, il s’agit de mesurer le chemin accompli dans la


formation du clergé autochtone, autrement dit, de situer son importance dans les années
1940. Nous allons au terme de cette étape pouvoir répondre à la question suivante : le
Gabon peut-il prétendre à une Eglise locale au début des années 1940 ? La réponse à cette
question nous amènera certainement à situer les intérêts des uns et des autres, c'est-à-dire
des prêtres autochtones et des missionnaires en poste au Gabon à cette date. De façon
générale, même si on admet volontiers qu’il ne saurait être question d’étape définitive
vers une Eglise locale avec seulement quatorze prêtres ordonnés dont onze sont en
fonction, il est au moins clair que cette maturité naissante devait certainement conduire
vers une hiérarchisation autochtone605. Toutefois, pour le VP Libermann, cette étape
obligerait les autochtones vers des exploits particulièrement héroïques pour leur salut606.
Nous y reviendrons lorsque nous aborderons l’étape de la consécration des évêques
gabonais. Pour l’heure, nous nous contentons de mesurer l’œuvre accomplie.

! # A)B
En 1939-1940, le clergé au Gabon (missionnaires et autochtones compris) se
compose ainsi. Il y a trente deux prêtres résidants au Gabon, tous de la congrégation du
Saint Esprit et de nationalité française : on comptait parmi eux Mgr Tardy, Les Pères
Berger, Mouquet, Clément, Gillet, Mace, Hee, Weiss et Mgr Fauret607. Vingt sept sœurs
européennes appartenant à la congrégation de l’Immaculée de Castres dont vingt deux

604
Mboumba Bwassa, cité par Gaston Pouchet, p ; 198.
605
Archives Raponda Walker. Sur les quatorze prêtes ordonnés entre 1899 et 1940, trois sont mort au cours
de l’exercice de leur sacerdoce. Ce sont : Clair Bakenda en 1924, Jean Obame en 1934 et Gustave Batodié
en 1938. Il y a cependant le cas d’un quatrième, Augustin Louis Essono qui est défroqué en 1941.
606
Pierre Guillaume, op. cit. p. 82.
607
CAOM, AEF/5d/170/ « Etat quantitatif du clergé du Gabon en 1939-1940 par Mgr Defrauld, vicaire
général du Gabon »
199
Françaises, une Belge et une Monégasque : on compte parmi elles Sœurs Cécilia, Marie
Agnès, Marie Elise, Mère Valéria…plusieurs catéchistes dans les nombreuses subdivisons
de la colonie, vingt deux Frères du Saint Esprit, tous Français, vingt quatre religieuses
indigènes, sept Frères indigènes et onze prêtres indigènes608. En règle générale, il est à
noter que sur un total de cent quatre vingt dix missionnaires environ, plus de cent soixante
dix sont de nationalité française, dans ce nombre sont comprises les religieuses
appartenant à divers ordres (religieuses Bleus de Castres, Sœurs de Saint Joseph de
Clunny) et les Frères de la congrégation du Saint Esprit. Jusque dans les années 1940, les
Pères missionnaires appartenaient exclusivement à la congrégation du Saint Esprit, mais
après la conquête de l’Ethiopie, les Pères de l’Ordre des Capucins de Toulouse, chassés
par les Italiens se sont installés un peu partout en Afrique609.

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Remarquons que les effectifs des missionnaires présents dans la colonie du Gabon
pouvaient fluctuer avec le temps : cela dépendait des départs et des arrivées, mais nous
présentons ici, les chiffres les plus complets en janvier 1940, un relevé inspiré du tableau
réalisé par le Révérend Père Defrauld en 1940610. Ces chiffres témoignent d’une
particularité évidente, celle de la supériorité en nombre des missionnaires sur le personnel
autochtone. Non seulement, il paraissait tout naturel que la hiérarchie reste blanche, mais
aussi il faut dire que celle-ci n’était pas prête de changer. Nous avons vu dans les
chapitres précédents que deux étapes marquaient particulièrement l’apostolat des prêtres
gabonais : la probation, et le sacerdoce en lui-même. Pour ce qui est de la seconde étape,
la faiblesse numérique des prêtres indigènes obligea certainement les missionnaires à les
disséminer dans la plupart des circonscriptions du Gabon. Cependant, leur rôle était bien
contrôlé sinon limité. Pour justifier cet état des choses, les missionnaires l’expliquent par

608
Idem.
609
CAOM, AEF,5d/8, Affaires politiques, « Notes sur les Missions installées en AEF du 06 août 1940 ».
610
Le Révérend Père Defrauld est Vicaire général de la Mission du Gabon en 1940.
200
l’absence des cadres au sein de la nouvelle équipe indigène, l’incertitude spirituelle, la
possibilité de retourner facilement au paganisme dès que la pression tribale se ferait
sentir, leur manque de maturité. En tout, un ensemble de préjugés a confiné les prêtres
gabonais dans un rôle de subalterne : en réalité ils n’avaient pas la possibilité de prendre
des décisions, cette priorité revenant à leur supérieur. Voici comment sont répartis les
prêtres gabonais en 1940 dans tout le vicariat :

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A travers cette répartition, on constate que chaque région du pays compte au


moins en son sein, la présence d’un prêtre autochtone.

201
202
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A l’heure des premières évaluations dans le vicariat en 1940, l’Eglise catholique
missionnaire pensait largement tirer profit des efforts qu’elle avait fait de longue date
pour former des prêtres indigènes. On peut citer une instruction d’Alexandre VII, datant
de 1659, et prônant « d’amener jusqu’aux ordres sacrés le plus grand nombre possible de
sujets et les plus aptes ». Au XIXè siècle, Léon XIII reprend cette instruction dans une
Lettre apostolique du 24 juin 1893, après que Grégoire XVI l’ait rappelée dans Neminem
Profecto dès 1845. Au XXè siècle, les papes Benoît XV, dans l’encyclique Maximum
Illud, en 1919, Pie XI, dans l’encyclique Rerum Ecclésia, en 1926, mettent à leur tour la
formation d’un clergé indigène et sa mise en fonction au premier rang des obligations
missionnaires611. Il n’ y a donc, dans les principes, aucune ambiguïté lorsque les prêtres
ordonnés au Gabon sont mis à la disposition de l’Eglise.

Une mission, c’est avant tout un prêtre qui prêche et a la facilité d’aller au contact
des populations. Nous avons vu que l’hynospitalité du milieu physique, telle qu’elle était
dépeinte par les explorateurs et la nocivité du climat, voire les réticences des populations,
ont amené les prêtres autochtones à desservir les endroits les plus difficiles. Pour les
missionnaires, les nouveaux pasteurs bénéficiaient des critères indéniables qui étaient la
langue, mais surtout la peau : en effet, cela pouvait heurter la sensibilité des populations
les plus reculées en voyant un missionnaire noir prêcher comme l’homme blanc612.
Pourtant, et bien au contraire au Gabon, cette nouvelle matérialisation du dessein
catholique contribua à installer plus de confiance et une meilleure acceptation du message
de l’Eglise. Ainsi, dans le pays profond, on profitait de grandes fêtes pour accroître la
population catholique et de surcroît agrandir l’Eglise : il s’agissait des fêtes de Paques et
de Noël. De Koulamoutou, on partait en caravane pour Mbigou. De Cocobeach, les Fang
descendaient sur Sainte Marie de Libreville. De tous les coins de l’Ogooué, on gagnait les
grandes stations en pirogue. Ces fêtes agrandissaient les pèlerins de la mission. Le Père
Gaston Pouchet décrit ces moments comme des instants intenses de joie et de

611
L’insistance des Papes à demander la promotion d’un clergé autochtone ne constituait pas à proprement
parler une idée nouvelle, révolutionnaire et susceptible par là de dresser contre elle une part importante des
catholiques. Ce qui était hostile était moins l’idée elle-même que l’attention, en quelque sorte privilégiée,
que le Pape accordait au sujet, et la nature des arguments avancés, en particulier l’hypothèse de
décolonisation évoquée par Pie XI. Encore convient-il de préciser que c’était une hypothèse parmi d’autres
propositions. Il s’agissait avant tout d’inciter les missionnaires à favoriser l’éclosion d’un nouveau clergé
parmi les indigènes. Que les colonies dussent vouloir un jour se libérer, le clergé autochtone serait
indispensable.
612
André Picciola, op. cit. p. 191. L’auteur parle ici d’un cas général applicable à l’ensemble des terres
africaines nouvellement évangélisées par les missionnaires.
203
retrouvailles dans l’Eglise. La grande attraction était de venir écouter un prêtre noir613. De
plus, il ressort très nettement que la méthode de prêche en langue locale avait porté ses
fruits, même s’il est reconnu que beaucoup de missionnaires s’y étaient essayé. De fait,
l’impact n’était pas le même. Nous pouvons d’ailleurs mesurer cette portée à travers des
chiffres. Pour cela nous avons choisi trois années : 1912, 1925 et 1935. Celles-ci ne sont
pas choisies au hasard, elles correspondent à des évolutions bien précises de ce que nous
pouvons désigner sous l’appellation « des missions étrangères à l’Eglise locale ».
Autrement dit, quelle est l’évolution de la population catholique de la colonie en 1912,
alors que le Gabon ne compte qu’un seul prêtre ? Qu’en est-il en 1925 avec de nouveaux
effectifs ? Enfin, comment se présente la situation en 1938 ? Les tableaux ci-dessous
permettent d’apporter des réponses.

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Le tableau ci-dessus montre bien l’évolution de la population catholique sur


l’année 1912 et 1938. Nous l’avons réalisé à partir des données statistiques de quelques
paroisses du Gabon614. De façon générale, on peut non seulement apprécier la poussée
vertigineuse du nombre des baptisés mais aussi celle des catéchumènes et catéchistes.
Cela montre les efforts réalisés par cette œuvre des catéchistes au cours des années citées
supra. Toutes ces statistiques viennent en effet confirmer ce que nous affirmions déjà plus
haut concernant les progrès réalisés par le jeune Eglise du Gabon, malgré les
tâtonnements de ses débuts. Il est tout autant évident qu’une partie de ces progrès est à
mettre à l’actif des prêtres indigènes mais aussi au dévouement de tous les missionnaires
conscients de la nécessité de promouvoir la colonie vers une hiérarchie locale. En 1939-
1940 si l’on prend les données locales, la situation se présente ainsi :

613
Gaston Pouchet, op. cit. p. 71. Voir aussi Archives CSSP, journal des communautés, Boite 998, Mission
de Lastourville.
614
CAOM, AEF/5d/170/, Sainte Marie, Saint Pierre, mission de Donguila, mission Sainte Anne du Fernand
Vaz, Franceville, Lambaréné, Mbigou…
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Les chiffres présentés dans le tableau ci-dessus sont ceux de 1940, paroisse par
paroisse. Si on les compare avec ceux de 1938 par exemple, on se rend très vite compte
qu’ils sont en nette progression. On ne saurait donc nier les effets des prêtres autochtones
qui se déplacent très souvent pour administrer les sacrements chez les villageois et les
moribonds. En 1940, alors que l’exploration du Gabon est déjà terminée et les
délimitations administratives bien précisées, chaque prêtre autochtone avait un secteur de
travail précis. Généralement, la piste se faisait à pied ou en tipoï615, car il n’y avait pas de
routes toujours praticables surtout en saison des pluies, même la bicyclette n’était pas
toujours d’un grand secours. La pirogue aussi a eu son importance sur l’Ogooué. Ainsi, la
tâche qui exigeait un énorme dévouement ne paraissait pas être une sinécure.

615
Système de transport traditionnel jadis utilisé à l’époque de la colonisation pour porter des dignitaires. A
l’aide de deux planches ou bois, on fabriquait un fauteuil pour servir de place. A chaque extrémité des deux
planches, des villageois portaient le missionnaire ou le prêtre qui allait en tournées.
205
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La parution de Rerum Ecclesiae616, l’encyclique de Pie XI, peu de temps après


celle de Benoît XV (Maximum Illud), invite aux rapprochements. On est en droit de se
demander à quelle exigence obéissait cette deuxième publication, sur ce même problème
des missions ? Rien n’était venu modifier les données du problème. On est contraint de
penser que le Pape avait senti le besoin de provoquer la chrétienté, de reprendre l’examen
des questions trop brièvement traitées. Il est inévitable qu’il existe entre ces deux textes
une ressemblance : la préoccupation qu’ils montrent l’un et l’autre pour un clergé
autochtone qui reste le grand espoir des églises nouvelles nées en Afrique. D’abord parce
qu’un tel clergé, mieux enraciné, partageant les habitudes et les démarches profondes de
ceux que l’on veut évangéliser, se trouve mieux placé dans des conditions plus favorables
pour répandre la foi617. Ce rôle, nous l’avons vu dans la section précédente, se traduit dans
les résultats qui s’en suivaient avec l’administration des baptêmes et l’accroissement de la
population catholique. C’est même lorsque ce clergé indigène aura bien été formé et
enraciné qu’il pourra diriger lui-même, sans intermédiaire ni tuteur, la communauté des
croyants née de l’entreprise missionnaire, que l’on pourra considérer comme œuvre
menée à son terme.

616
Pape Pie XI, 26 février 1926, encyclique sur les missions catholiques.
617
A. Picciola, op. cit. p. 157.
206
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Evidemment, il n’est pas question ici de dire qu’au terme de cette entreprise les
missionnaires pouvaient s’exiler vers une autre terre encore privée des « lumières de la
foi ». Nous comprenons donc aisément les paroles du Pape Pie XI lorsqu’il tient à
rappeler que le but de la mission n’est pas la présence pour une durée indéfinie, du
missionnaire en terre étrangère, et la mission en est une, mais la naissance d’une
communauté de croyants qui rend le missionnaire libre pour d’autres implantations. Pie
XI, abordant le sujet des missionnaires et leurs devoirs envers le clergé autochtone note :
« Du fait que le Pontife romain vous ai confié, ainsi qu’à vos collaborateurs, la charge de
prêcher la vérité chrétienne à des nations non chrétiennes, ne concluez pas que les
prêtres indigènes ne doivent avoir aucune utilité que d’aider les missionnaires dans des
besognes de moindre intérêt et que leur ministère doit rester comme un complément du
vôtre…Et pourquoi le clergé indigène serait-il écarté du champ qui est le sien et qu’il lui
est naturel de travailler, à savoir le gouvernement de sa propre nation ? »618.

618
DOCATGAB, Pie XI in Rerum Ecclésiae. Il faut entendre par gouverneur de sa propre nation, un
gouvernement d’abord spirituel, la direction des âmes.
208
Voici en résumé, les recommandations faites à l’endroit du clergé autochtone mais
aussi aux devoirs des missionnaires, même si nous savons qu’en réalité, cette ordonnance
ne traduisait pas toujours la réalité sur le terrain. Jusqu’en 1940, aucun prêtre indigène
n’est chef de station. Selon Paul Akoué619, en dehors de prêcher, son rôle était très limité.
A la mission, le prêtre faisait des tournées et visitait les malades. Généralement, certains
prêtres se faisaient toujours accompagner dans leurs tournées par des catéchistes
bénévoles au service de la mission. Parmi eux, le prêtre choisissait toujours un jeune
garçon instruit qui lui servait de lecteur. Mais en 1940, l’intensification des visites
pastorales dans l’intérieur du pays et la création des stations missionnaires marquaient
inexorablement la progression vers les bases d’une Eglise locale annonçant naturellement
la fin de la période missionnaire.

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Dès les débuts de son apostolat, Monseigneur Le Roy évoquait déjà les
orientations à assigner aux prêtres indigènes. Pour le vicaire en poste au Gabon,
l’apostolat du prêtre indigène ne devait pas se limiter au seul travail de prêtre. Il devait
pouvoir s’ouvrir à d’autres activités mêmes rémunératrices620. Rappelons que l’ensemble
des prêtres formés au Gabon depuis les origines du séminaire jusqu’à 1940, sont tous
diocésains. Autrement dit, leur champ d’apostolat ne dépassait pas le cadre de la
circonscription du vicariat du Gabon, même si nous savons que certains prêtres,
originaires du diocèse du Loango (Mayumba) ont servi au Gabon. Lors de leur ordination,
les prêtres indigènes faisaient le vœu d’obéissance à l’évêque621, ce qui marquait ainsi
leur attachement à leur vicariat voire plus tard à leur diocèse. En 1935, Monseigneur
Louis Tardy à son tour, prenait une ordonnance au sein du vicariat, celle-ci s’adressait aux
prêtres indigènes dans l’exercice quotidien de leurs fonctions. Cette ordonnance vicariale
disait ceci en préambule : « Ordonnés au service de la Mission, ils font le serment prescrit
par la congrégation de la propagande de rester toute leur vie dans le vicariat, sauf
permission du Saint Siège, et d’y travailler sous la direction de l’autorité de l’ordination.
Ne pouvant dans nos chrétientés encore jeunes, rester seuls en station, les prêtres
indigènes seront admis à vivre en communauté, et c’est pourquoi avant leur ordination au
sous diaconat, ils prendront par écrit, l’engagement formel de vivre de la vie
communautaire sous la direction du supérieur de la station »622. En réalité, cette

619
Paul Akoué, op. cit.
620
M. Briault, op. cit. p. 108 et Archives CSSP, boite 271 b, Missionnaires, prêtres et soeurs indigènes”
621
Abbé Jean Meng, Entretien du 07 juillet 2001 à Sainte Marie.
622
Archives CSSP, Boîte 362 « Ordonnance du Vicariat du 09 juin 1935 par Mgr Tardy ».
209
ordonnance vicariale, qui s’articulait autour de cinq principaux points était de facto, une
sorte de règlement des prêtres indigènes, auquel ils devaient scrupuleusement s’y
conformer623. A la lecture de ces points, nous percevons les appréhensions que les
missionnaires continuaient à avoir sur les prêtres indigènes. Un cadre de vie bien spécifiée
et des règles de conduite assez strictes faisaient référence à l’incertitude spirituelle
attribuée aux prêtres indigènes et surtout à leur docilité.

A la lecture des recommandations faites par le Pape (cf. Pie XI, Rerum ecclesiae)
à travers son encyclique, on constate qu’il y a toujours un fossé énorme entre tout ce qui
était prescrit par la hiérarchie et la réalité dans les territoires de missions.

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Partant du principe émis par Mgr Tardy dans le préambule au règlement des
prêtres indigènes, il est donc admis que le prêtre indigène devait avoir une double vie :
une vie religieuse articulée autour de cinq points principaux et une vie privée,
généralement en communauté. En outre, il n’était pas exclu que le prêtre ait recours à des
activités rémunératrices. Pour ce qui est de la vie sacerdotale, en préambule de celle-ci,
les prêtres indigènes en fonction devaient accomplir leur devoir avec fidélité et piété624.
Parmi les devoirs qui leur sont assignés, il y a la Sainte messe : tous les jours, ils devaient
dire la sainte messe à moins d’être empêchés. Il y avait également des sanctions
disciplinaires prononcées à l’encontre des prêtres qui ne respectaient pas certaines règles.
De plus, il fallait avoir une tenue correcte pendant la récitation du bréviaire. Nous n’avons
pas eu connaissance du type de sanctions qui étaient prises à l’encontre des prêtres qui
avaient failli à certaines règles. Nous savons juste, pour mémoire, que le 11 décembre
1938 à Mouila, l’Abbé Jean en station à la mission saint Martin n’avait pas pu lire la
messe parce qu’il ne retrouvait pas son bréviaire : à ce sujet, il avait été convoqué par
Monseigneur Tardy625. Ce sont les catéchistes qui auraient consciemment caché le livre
du prêtre pour lui faire une blague626. Sur un autre aspect de la vie sacerdotale, le prêtre
indigène à l’instar de ses pairs missionnaires devait vivre de prière et de lecture
spirituelle. Avec la communauté, il devait dire les prières du matin et du soir. Pour finir
sur ces aspects de la vie sacerdotale, tout prêtre devait régulièrement faire sa confession.
Selon les règles établies en 1935 par Mgr Tardy, tout prêtre autochtone devait faire le

623
Les cinq points d’articulation étaient les suivants : Vie sacerdotale et privée, vertus exigées du bon
prêtre, Etudes, Fonction et emploi et enfin le régime qui leur était assigné.
624
Archives CSSP, Boite 362 « Règlement des prêtres indigènes ».
625
CAOM, AEF, 5d/171 « Rapports sur les prêtres indigènes du Gabon en 1940 »
626
CAOM, AEF, 5D/171 « Rapport sur les prêtres indigènes du Gabon en 1940 »
210
sacrement de pénitence une fois par semaine627 : un des sept sacrements de l’Eglise
catholique par lequel le prêtre absout les péchés. Cette suspicion reposait sur une
perception tenace. Selon Mgr Tardy, le prêtre indigène qui vivait en communauté avec les
autres villageois n’était pas éloigné du péché. Cependant, il n’existait pas la même rigueur
disciplinaire chez leurs homologues missionnaires. Enfin, on instaure des retraites
trimestrielles auxquelles tous devaient s’y conformer. Pour ce qui est de la vie privée, le
prêtre indigène la partageait entre la mission et la communauté. Dans ses activités
quotidiennes, il partageait son temps entre l’école du village mais aussi avec d’autres
activités. Pour toutes celles-ci, le prêtre indigène devait faire preuve de vertu, car il en
était beaucoup plus tenu par rapport au chrétien ordinaire. Selon Mgr Tardy, sa vie devait
être vertueuse et saine : « Clerici dehent sanctiorem prae laicis vitam interiorem et
exteriorem durece eisque virtute et recte factis in exemplum excellere… »628.

En fait, le droit canon ne fait que résumer ici les prescriptions données par le
concile de Trente629. Mais en même temps, il faut reconnaître qu’à la lecture du texte de
Mgr Tardy, on est surtout en présence de certaines règles d’obéissance et de bon esprit,
auxquelles les prêtres indigènes étaient particulièrement contraints. En réalité, tout cela
découle du fait que dans l’observation stricte du règlement et l’accomplissement de son
travail, le prêtre devait montrer une docilité parfaite et sans faille. Pour finir avec les
vertus propres au bon prêtre, notons dans un premier temps que celui-ci devait faire
preuve tout au long de son sacerdoce d’une vie de chasteté et de mortification630. Au jour
du sous-diaconat, les prêtres indigènes devaient promettre d’observer, durant toute leur
vie, le célibat et de s’interdire de tout acte contraire à la pureté. Ensuite, tous les actes
posés devaient être accomplis avec esprit d’humilité et de pauvreté. Autrement dit, le
prêtre indigène devait sagement savoir rester à sa place et ne rien contester.

Pour ce qui est de l’école, il faut signaler que toutes les missions de l’intérieur du
pays en étaient dotées en 1940. C’est donc dire que l’école faisait partie des activités du
prêtre. Il pouvait enseigner directement ou en devenait le directeur. Jusqu’en 1945, bien
que la généralisation de l’enseignement soit presque détenue par les Frères, il n’en était
pas pour autant dans toutes les missions. Les prêtres ou quelques autochtones qui

627
Archives CSSP, Boîte 362 « Règlement des prêtres indigènes »
628
Archives CSSP, Boîte 362 « Règlement des prêtres indigènes »
629
Concile œcuménique qui se tint à Trente (Italie) de 1545 à 1547, puis à Bologne de 1547 à 1549, et de
nouveau à Trente en 1551-1552 et en 1562-1563. Convoqué par Sa Sainteté Paul III en 1545 et clos par Pie
VI, il fut la pièce maîtresse de la réforme catholique par laquelle l’Eglise romaine opposa aux protestants
une révision complète de sa discipline et une réaffirmation solennelle de ses dogmes.
630
CAOM, AEF, 5D/45, note 2 « Régime et entretien des prêtres indigènes en AEF »
211
détenaient le certificat d’aptitude à l’enseignement assuraient les cours. Concernant les
notes du règlement des prêtres indigènes, il est écrit ceci: « Après leur ordination et
jusqu’à ce que le vicariat apostolique juge bon de les en dispenser, les prêtres indigènes
auront à jouir chaque année un examen oral ou écrit portant sur les matières orales ou
écrit (théologique, historique ou scripturaire) »631. Plus encore : « Le prêtre indigène est
à disposition du supérieur local pour la fonction qui lui est donnée. Etant donné qu’il est
dans son pays, il lui est donc plus facile de s’acquitter de certaines fonctions qui peuvent
être plus pénibles. Qu’il ne s’étonne pas si on les lui confie »632.

Finement décryptées, ces lignes écrites en 1935 ne constituent en fait que de forts
préjugés envers les prêtres autochtones. Leur traitement n’avait rien à voir avec celui
accordé aux missionnaires et l’on est tout simplement en face d’une primauté du clergé
blanc. Il convenait en fait que le clergé autochtone, s’il n’était pas possible de refuser son
existence, devait pourtant demeurer sous tutelle. On est enclin à dire que l’Eglise locale
pour être acceptée des missionnaires, et même de la puissance coloniale, devait se faire
distinguer par sa sagesse, sa prudence et le loyalisme de sa conduite. En d’autres termes,
elle devait être digne de confiance car, pour beaucoup, elle était jugée moins apte, moins
efficace en tout cas que le clergé missionnaire blanc. Dans certaines appréhensions
missionnaires, on continue de mettre sérieusement en doute les qualités du prêtre
indigène. Pour les sceptiques, la vocation du prêtre indigène n’est pas en soi une vocation
missionnaire. Une expérience déjà longue et diverse a montré que les prêtres indigènes
réussissaient rarement auprès des païens633, comme le remarque Mgr Tchidimbo. D’autres
écrits missionnaires précisent ceci : « A culture égale (et souvent le prêtre indigène, très
pieux et zélé, n’a pas encore la « culture générale » du prêtre blanc), celui-ci a sur
l’indigène le prestige humain de sa race, de ses relations, et l’auréole du grand sacrifice
qu’il accompli pour venir de si loin se vouer à son apostolat. Même les païens restent
sensibles à ce double avantage634». Autrement dit, les succès engendré avec l’évolution
de la population catholique en 1940 n’étaient pas à mettre à l’actif des prêtres
autochtones : un sentiment partagé par certains missionnaires au milieu du XXè siècle
relève tout simplement d’un sentiment de crainte. On voit poindre la thèse suivante : plus
l’effort aura été grand pour enseigner le clergé indigène, plus la culture qu’on lui aura
donnée aura été forte. Bref, plus on en aura fait un véritable clergé, plus il importe d’en

631
CAOM, AEF, 5D/45, note 3, portant sur les études.
632
CAOM, AEF, 5D/45, note 4 portant sur la fonction et l’emploi des prêtres.
633
Mgr Raymond Marie TCHIDIMBO, L’homme Noir face au christianisme, présence africaine, Paris,
1963.
634
CAOM, AEF, 5D/45, note 5 « L’entretien du prêtre indigène ».
212
être inquiet comme soutenait Paul Lessourd635. D’abord ces clergés indigènes, qui pouvait
assurer qu’ils ne se muteraient pas, livrés à eux-mêmes, en clergé schismatique : enclins à
compléter par l’indépendance religieuse à l’égard de Rome, l’indépendance politique à
l’égard de la métropole636 ?

De telles conclusions partiales sont étrangères à l’Eglise mais expriment bien le


sentiment partagé par les Missions. Certains missionnaires du Saint Esprit installés au
Gabon partageaient aussi ce point de vue. Beaucoup estimaient que la création du
séminaire n’obéissait pas coûte que coûte à la consigne de former un clergé indigène
nombreux. Selon eux, nul n’ignore que l’avenir de l’Eglise dépend, en tous lieux, de la
vague du prêtre intellectuel, moral et spirituel. Il pourra en AEF comme ailleurs, devenir
évêque et recevoir avec la plénitude du sacerdoce la possibilité d’ordonner d’autres
prêtres indigènes. Pourtant en 1940 les catholiques gabonais arrivaient à l’ « age adulte »
et réclamaient des responsabilités, soutient un missionnaire en poste au Gabon. Devant
cette situation, les avis étaient partagés dans la communauté missionnaire du Gabon. Le
Père Bouchaud, ayant servi au Gabon, dit à ce sujet : « Un Père doit comprendre que son
fils devait nécessairement grandir et s’établir à son compte. Il faudra passer la main,
partager les responsabilités, faire de concessions, même si on n’approuve pas tout et si
l’on se sent plein d’appréhension637 ».

Cette crainte d’un schisme était-elle objective ou subjective. En effet en pays noir
plus qu’ailleurs peut être, la tentative peut être forte de briser avec l’obédience romaine,
de créer une église africaine, en un mot de créer un schisme. Les missionnaires pensaient
d’ailleurs que ce danger n’était pas chimérique638. Pour justifier leurs propos, les
missionnaires prenaient en exemple les réclamations faites par certains séminaristes
renvoyés du séminaire : ces derniers souhaitaient notamment la nomination d’un évêque
noir moins sévère dans le choix de son clergé. Portant ces appréhensions faites au sujet du
clergé autochtone sont fausses car en règle générale, le missionnaire est celui qui va
apporter pour la première fois la « Bonne Nouvelle » à des peuples pas encore
évangélisés. Or ce rôle a bien été assumé par les prêtres indigènes. C’est à eux qu’on
attribuait la charge d’aller dans des endroits les plus reculés du pays. Il n’était d’ailleurs
pas exclu que la présence d’un prêtre indigène soit très mal acceptée dans un village ou

635
Paul Lessourd est professeur honoraire à l’université catholique de Paris.
636
Paul LESSOURD, Histoire des missions catholiques, ed Cerf, Paris, 1937, pp. 311-338.
637
Joseph Bouchaud, L’Eglise en Afrique Noire, Paris, La Palastine.
638
CAOM, AEF, 5D/87, affaires politiques « influence des Missions 1928-1954 ».
213
dans une contrée précise. De plus certains prêtres ont été affectés vers d’autres villages
suite à des agressions physiques. En témoigne ce passage d’une lettre du 15 mai 1943
écrite par l’Abbé Jérôme Mba à Monseigneur Tardy, vicaire apostolique. « Mon révérend
Père, je vous écris cette triste nouvelle pour vous tenir informé d’une situation : Voulant
me rendre à un poste de catéchisme au village Nkomassi, j’ai été assailli à trois reprises
par un chef de terre du village Aboctom, le nommé Edzo Biban et de tous les gens de son
village, environ 25 à 30 personnes. Je vous signale Monseigneur, que Edzo Biban est en
même temps chef de bwiti de son village. L’année dernière à pareille époque, j’avais déjà
demandé à monsieur Le Bris qu’il soit destitué de son titre de chef de canton pour devenir
simple chef de terre, chose qui avait été faite. Je lui avais donc renversé son mbanjda639.
C’est donc une vengeance et une vengeance bien préméditée… »640. De cette altercation,
un indigène nommé Nguéma Biban (probablement le fils du chef de terre) est décédé par
un coup de fusil donné par les hommes qui accompagnaient la mission (un apprenti
certainement). En réalité, le coup de fusil avait été donné pour provoquer certainement
l’Abbé641. A titre de réparations civiles, le prêtre indigène a payé une amende de 1000f,
somme versée par le Révérend Père Defrauld, supérieur immédiat de l’Abbé Jérôme Mba.
Nous savons aussi qu’à la suite de cette affaire Monseigneur Tardy a affecté l’Abbé dans
une autre mission de l’intérieur642. Cette sombre affaire montre à quel point certains
autochtones, non imprégnés par la nouvelle religion, pouvaient se montrer très hostiles
envers les prêtres indigènes.

639
Fétiche.
640
CAOM, AEF, 5D/8, affaires politiques, « Notes sur le traitement des prêtres indigènes en AEF »
641
CAOM AEF, 5d/118, affaires politiques, « Procès verbal du 10 octobre 1934 adressée au gouverneur de
la colonie du Gabon».
642
CAOM, 5d/118, affaires politiques, « Mgr Tardy dans une lettre du 25 octobre 1934 adressée au
Gouverneur des colonies ».
214
&! .
Les règles sur le régime et l’entretien des prêtres autochtones ont essentiellement
été rédigées sous la Vicariat de Monseigneur Louis Tardy. Ce sont ces mêmes règles qui
vont faire l’objet de vives contestations de la part des premiers prêtres intellectuels
gabonais au début des années 1970, autant dire que celles-ci loin de faire certainement
l’unanimité, se distinguaient du traitement dont jouissaient les missionnaires blancs. Voici
ce qu’énonce Mgr Tardy à ce sujet : « Autant que possible, la procure fournira aux
prêtres indigènes quelques intentions de messe, et l’honoraire de ces messes leur
appartiendra. Ils pourront également recevoir, des fidèles, quelques vivres. Les prêtres
peuvent également disposer de dons strictement personnels de la part de la communauté
religieuse… »643.

Il convient de rappeler que la vie en communauté des prêtres indigènes les


obligeait à avoir recours à d’autres activités en dehors des deniers de messe pour se
nourrir. Il fallait des plantations et pour manger une basse cour et un verger. Aussi,
beaucoup se sont engagés dans ces activités jadis commencées par les premiers
missionnaires644. Généralement, on plantait des arbres et même des fleurs. On cultivait
des plantes potagères. Si la pomme de terre et la carotte n’avaient pas la côte, le chou,
l’épinard et la tomate étaient très prisés. Le Père Bessieux tout comme beaucoup d’autres
missionnaires ont régulièrement pratiqué l’agriculture vivrière.

Ce système permettait aux prêtres indigènes de s’assurer une certaine


indépendance vis-à-vis des populations villageoises. Nous savons par ailleurs que chaque
prêtre en station avait sa propre plantation. Il n’était pas exclu que certains prêtres
profitèrent des largesses que leur attribuait le règlement des prêtres autochtones, afin de se
venger sur les fidèles. Ainsi, en 1942, l’Abbé Jean Baptiste Adiwa refusa de donner la
communion à une partie de fidèles qui ne s’étaient pas acquittés de leurs offrandes645.
Même si ces faits étaient des cas isolés, il n’en demeure pas moins vrai que la pratique
était bien présente. La pratique du travail dans les ateliers n’était pas exclue : de moins en
moins présente chez les prêtres, elle était beaucoup plus aux mains des Frères. La
présence d’un atelier au sein du village contribuait non seulement à le développer, mais
aussi à donner aux autochtones l’esprit de travail et de participation646. En 1942, Mgr

643
CAOM, AEF 5D/45, note 5 « Objet portant sur l’entretien des prêtres indigènes ».
644
On se souvient encore que le Père Jean Rémy Bessieux était un passionné du jardinnage.
645
CAOM, AEF 5D/45, affaires politiques, « « Notes sur le régime et l’entretien des prêtres indigènes ».
646
Mgr Tchidimbo, op. cit. p. 56.
215
Fauret, supérieur de la mission de Mbigou dit à ce propos : « De tout ce que gagne
l’atelier, il y a 10 % pour la mission et ça marche… »647. Les gains financiers pouvaient
servir à améliorer, sinon à créer plusieurs œuvres telles que l’école, les dispensaires, ainsi
que l’œuvre des filles dont le ménage et les plantations. D’autres activités comme la
charpenterie, la menuiserie et même le commerce faisaient parties de certaines activités
auxquelles s’adonnaient les prêtres du village.

Cet ensemble de règles ordonnées par Mgr Louis Tardy était applicable à tous les
prêtres indigènes au Gabon. Cet évêque, sans doute après consultation et au regard de son
expérience avait mis en place ce système. Au fond, il y a dans ce document une règle de
vie bien précise qui était certainement la même que pour la plupart d’autres clergés
indigènes présents en Afrique Equatoriale Française. Pour Mgr Tardy, comme certains
défenseurs de sa logique à l’instar du Père Pouchet, il fallait tenir compte des réalités
locales. A leurs yeux, le prêtre indigène restait un homme du peuple, parfois même un
être ordinaire qu’on ne différenciait de la masse populaire que lorsqu’il revêtait sa
soutane. Pour l’évêque, seul le vicaire apostolique n’était pas tenu de vivre en
communauté. Mais la question qui ne se posait pas de son vivant, va revenir à l’ordre du
jour. Ainsi, convient-il de s’arrêter sur cet échelon.

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De 1845 à 1969, l’organisation du Vicariat apostolique du Gabon s’affina au fil du
temps et au gré des déférents acteurs : vicaires, prêtres, frères, sœurs, missionnaires et
autochtones qui se succédèrent. Pour mieux cerner cette évolution et comprendre la vie de
l’Eglise catholique au Gabon, il est sans doute opportun de jeter un regard sur l’action des
Vicaires apostoliques.

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Nous avons vu à travers les lignes précédentes la naissance du séminaire au Gabon
et l’évolution des premières vocations religieuses et sacerdotales au Gabon. Nous avons
aussi pu mesurer les premières difficultés de ce clergé indigène, difficultés liées au
manque de reconnaissance de la part des missionnaires mais aussi celles inhérentes à leur
travail sur le terrain. La conclusion que nous avons toutefois pu tirer au vu de cette

647
Gaston Pouchet, op. cit. p. 169.
216
analyse est que, malgré les épreuves et la lourdeur de la tâche, l’œuvre était en train de
s’accomplir et surtout de prendre forme. Le petit peuple du Gabon était en droit de croire
que la hiérarchie autochtone allait certainement voir le jour. Afin de mieux présenter cette
transition entre Eglise de mission et Eglise autochtone, nous avons choisi de procéder à
une mise en perspective des faits. A travers les lignes qui vont suivre, nous aborderons un
deuxième aspect de l’émergence de l’Eglise gabonaise en deux temps, l’Eglise
missionnaires à travers les Vicaires apostoliques, puis la transition avec l’ordination des
premiers évêques autochtones648.

# 0 ())6 A )1
L’évolution de l’Eglise du Gabon au cours de cette période se fit en deux
principales phases : la première allant de 1844 à 1876, fut caractérisée par l’implantation
et le tâtonnement de la jeune Mission sur la côte occidentale de l’estuaire du Como. La
grande phase qui couvre les années 1876 à 1914 marque une grande expansion et une
installation massive de l’Eglise sur le long des cours d’eaux649.

* ? C -: "2 0 ()A6 (;>1650.


C’est en effet sous la houlette du Père Bessieux et Mgr Martrou que la jeune
Eglise du Gabon réalisa toutes ses premières œuvres de mutation dans le pays à travers la
période que nous avons précisé plus haut. Tout d’abord, l’œuvre apostolique se
caractérise essentiellement par la fondation de plusieurs stations d’évangélisation, tant au
niveau de la province de l’Estuaire qu’au niveau des zones les plus reculées du pays.
Cette implantation se fait au fur et à mesure de l’exploration du Gabon qui était assurée
par les explorateurs notamment Pierre Savorgnan de Brazza ou Paul Du Chaillu651. Au
demeurant, il y eut également quelques missionnaires explorateurs : le Père Briot de La
Mailleraie qui remonta l’Estuaire au-delà de l’île Koniké en 1847 ; Le Père Lossédat puis
Mgr Bessieux qui visitèrent le Cap Lopez en 1850, les Pères Davezac et Bichet qui

648
Pour situer l’ordre chronologique des choses, cette étude se propose de remonter dans le temps, plus
précisément en 1844 avec l’arrivée du Père Bessieux qui devient de droit le premier vicaire apostolique de
l’Eglise de mission, ce, jusqu’en 1969 avec la nomination à la tête de l’Eglise du premier évêque
autochtone. Entre ces deux bornes, il y aura bien entendu la naissance du diocèse du Gabon (Libreville).
649
DOCSSP, Bulletin Général, 1856-1867. « Comme il n’y a pas de peuple de Dieu sans pasteur, c’est donc
en toute logique que cette Eglise fut dirigée par ses pères fondateurs ».
650
Le Père Bessieux est ordonné évêque le 13 décembre 1848, et revient au Gabon en 1849 après un court
séjour en France pour raison de maladie entre autres.
651
En octobre 1855, Paul du Chaillu commence sa première expédition qui durera jusqu’en 1859. Au
Mouni, il est à l’instar du Père Trille d’un des premiers Blancs à prendre contact avec les populations fang,
vers les premiers contreforts des Monts de Cristal. Au Cap Lopez, il visite les derniers « baracons » ou parcs
d’esclaves tenus par les Portugais. Au Fernand Vaz où il s’installe ensuite, il rayonne de toutes parts,
remonte le Rembo-Nkomi et explore successivement le pays des Bakèles, des Eshiras, des Apindjis, des
Ivéas et des Mitsogos.
217
accompagnent Pierre Savorgnan De Brazza jusqu’à Lastourville chez les Badoumas en
1883…652.

Le 29 septembre 1844, le Père Jean Rémy Bessieux crée la première mission


catholique du pays, qui devait, selon lui, caractériser le principal pôle du christianisme653.
Toutefois, les débuts furent difficiles. Cette mission était aussi le centre de
l’administration du vicariat des Deux Guinées et du Sénégal. En juin 1845, lorsqu’ arrive
la toute première lettre du Père Bessieux en France, le VP Libermann avait compris qu’il
était nécessaire pour la survie de la mission, d’apporter du renfort à l’œuvre entreprise au
Gabon654. Le Saint Siège avait également compris que seule une congrégation religieuse
pouvait sauver l’œuvre.

De 1846 à 1849, tout en poursuivant l’œuvre d’implantation des missions autour


de Sainte Marie, les premiers missionnaires reçurent d’autres renforts. Le 22 décembre
1846, le Père Bessieux est obligé de repartir en France pour des raisons de santé mais le
1er février 1849, il s’embarque dans un bateau avec plusieurs religieuses à destination du
Gabon. Le 30 juillet 1849, il rejoint le sol de Libreville655. C’est donc avec un effectif
renforcé, composé de quelques prêtres, de religieux et de religieuses que l’œuvre
d’évangélisation se renforce considérablement dès 1849. Implicitement, la reprise de leur
action va permettre d’enrayer la nette progression du protestantisme. En effet, les
missionnaires protestants avaient des écoles et des annexes où on y enseignait l’anglais : à
compter de cette date, l’engagement de Mgr Bessieux est très mal perçu par les
concurrents protestants656. Il loue auprès des chefs de la région des maisons pour la
mission, tout en s’appuyant sur l’aide de l’administration de la marine française. Cette
détermination lui permet de créer ou d’aider à la création de plusieurs missions à
l’intérieur du pays. C’est à ce moment là qu’il gagne peu à peu l’estime de la population.
L’un de ses plus grands amis sera le roi Denis. Mais malgré des succès infructueux, seule
la mission de Sainte Marie subsiste et prospère, la plupart des stations qui avaient vu le
jour surtout dans l’intérieur du pays ne donnèrent guère satisfaction. De plus en plus, il
devenait difficile pour Mgr Bessieux d’aller vers l’intérieur du pays. Il laissera le soin à

652
A. Raponda Walker, op. cit. p. 84.
653
H. Essoni Mezui, op. cit. p. 17.
654
DOCSSP, Bulletin Général, 1856-1867… « Le navire entrait dans la rivière du Gabon à dix heures du
soir. Le commandant, par une délicatesse qu’on ne saurait trop louer, fit porter les lettres à onze heures du
soir, à M. Bessieux, qui n’était pas encore couché. Ce bon Père s’en fut réveiller Grégoire et ils s’en furent
à la chapelle lire leurs lettres à genoux devant le très saint Sacrement… »
655
Jacques Hubert, op. cit. p. 105.
656
Idem, p. 11.
218
ses successeurs…et aux explorateurs de le faire. Mais les bases du catholicisme sont
fondées sur des pierres nouvelles, assises de la nouvelle Eglise du Gabon que Mgr
Bessieux défendra hardiment contre l’abandon du territoire par la France après sa guerre
contre l’Allemagne (1870-1871), avec au final gain de cause. Bien entendu, l’origine des
vocations sacerdotales, avec implicitement la création de l’œuvre des Latinistes est à
mettre à l’actif de Mgr Bessieux qui meurt en 1876 à l’age de 70 ans un an après sa
rencontre avec Pierre Savorgnan De Brazza qui venait d’entreprendre l’exploration du
Haut Ogooué.

! 5 * : ,* C - 0 (;>6 (A>1
En 1868, Monseigneur Le Berre devient administrateur du Vicariat des Deux
Guinées. Il est sacré évêque le 28 octobre 1877 et hérite de la suite de Mgr Bessieux et
assiste à tous les échecs de fondations entrepris par son prédécesseur. Il arrive au Gabon
alors que la plupart des principales explorations sont terminées, aussi réalise t-il le rêve de
Mgr Bessieux, pénétrer dans l’intérieur du pays657. De 1878 à 1890, on assiste à une
véritable expansion des missions le long des cours d’eaux qui constituaient les principales
voies de communication. Ces missions voyaient également le jour avec l’aide financière
de l’administration coloniale, les subsides de la foi, mais aussi des populations elles-
mêmes658. La ténacité de Mgr Le Berre fut remarquable, elle fut même payante659. En fait,
il semble que Mgr Le Berre hérita après la mort de Mgr Bessieux, d’une autorité qu’il
détenait déjà : en effet, dans ses derniers jours, Mgr Bessieux, très malade ne pouvant plus
assumer certaines de ses fonctions les délègue à plusieurs reprises à son successeur. Il vit
le début des Frères africains et des premières Sœurs africaines dont la très célèbre Sœur
Hyacinthe Antini660, la filleule de Monsieur de Brazza. Mais malgré son impulsion,
l’œuvre des vocations religieuses au Gabon connut les mêmes difficultés. Après quarante
cinq ans d’Afrique et treize ans d’épiscopat, meurt, le 16 juillet 1891, le semeur et
principal fondateur des missions à l’intérieur du Gabon. Il est remplacé par Mgr
Alexandre Le Roy.

L’apostolat de Monseigneur Alexandre Le Roy fut très bref. Il dirige en effet le


Vicariat du Gabon de 1892 à 1896. Toutefois, l’Eglise missionnaire lui reconnaît qu’il fut

657
Gérard Morel, op. cit. p. 44.
658
H. Essono Mezui, op. cit. p. 19.
659
Ibid.
660
C’est la toute première religieuse gabonaise. Elle exerce successivement à Saint Pierre (1890-1894), à
Donguila (1894-1919), puis au Fernand Vaz (1919-1952). Sœur Hyacinthe, de tribu ndumu, parlait
mpongouè et le fang à la perfection. M. le Président Léon Mba lui a dédié le centre social de Nombakèlè.
Elle meurt le 16 juillet 1952 dans sa dernière mission d’affectation.
219
le principal artisan des manifestations du cinquantenaire de la mission du Gabon. Il n’a
fondé qu’une seule mission pendant son épiscopat au Gabon, la mission Sainte Croix des
Eshiras. Mais son action fut toutefois prédominante pour l’avenir de la Mission et même
de la future Eglise autochtone du Gabon. En effet, il institua la pratique de l’apostolat par
les catéchistes en 1894661. Il composa un catéchisme en langue française qu’il fit
approuver par Rome et demanda à tous les supérieurs de stations qu’on le traduise en
langues vernaculaires ; la première traduction a été éditée en langue fang662. En 1895,
Mgr Le Roy reçoit les professions de foi des premiers Frères Gabonais. En 1896, année
où il quitte le Gabon, il devient Supérieur Général de sa congrégation663. Monseigneur Le
Roy a connu une fin particulière au Gabon. En effet, les sources nous renseignent qu’il
avait attiré beaucoup d’attention sur lui. C’est certainement ce qui justifie la fin d’un
épiscopat précoce. Nous savons que certains missionnaires du Saint Esprit avaient tenu à
élire l’un des leurs comme leur Supérieur Général. Selon le Père Pouchet, il fut un grand
évêque missionnaire, un merveilleux chef des spiritains. Voici ce qu’il écrit au Ministre
des Colonies à son départ du Gabon : « Par suite de mon élection comme Supérieur
Général de la Congrégation, j’ai dû donner ma démission de Vicaire apostolique du
Gabon. J’ai l’honneur de vous informer que par brève du 16 février, le Saint Siège a
nommé pour me remplacer dans la direction de cette Mission, le Révérend Père Jean
Martin Adam qui en avait déjà l’administration par intérim depuis mon départ… » 664.

Nous ignorons toutefois les circonstances précises qui ont présidé au départ de cet
évêque, toujours est-il qu’à son départ, des voix s’étaient élevées pour se poser la question
si le Gabon n’avait pas perdu un grand évêque. Il lui fallait un remplaçant. Nul mieux que
le Père Adam comme Vicaire Général n’était préparé à cette lourde tâche.

& * ? * 9 G H 0 (A;6 A )1
Monseigneur Jean Martin Adam reste près de dix sept années au Gabon, il aimait
d’ailleurs à dire : « Mon cœur est aux Africains ». Il le prouva grandement en réorganisant
et en créant plusieurs missions au Gabon. Il exigea en son temps que chaque mission
arrive à se suffire à elle-même et se trouve un moyen de subsistance. On note par ailleurs
que c’est sous sa direction que vont se créer les premiers ateliers de menuiserie, de
briqueterie et les plantations de caféiers, cacaoyers, manguiers bananiers, etc665. Les

661
Archives CSSP, Boîte 357 « Apostolat des missionnaires au Gabon ».
662
Révérend Père Trille in Le Gabon catholique…, cité par Jacques Hubert, p. 13.
663
Gérard Morel, p. 44.
664
Archives CSSP, Boîte 167 « lettre de Mgr Le Roy du 06 mars 1897 ».
665
Jacques Hubert, op. cit. p. 13.
220
sources disent de lui que c’était un évêque téméraire qui ne se décourageait pas au
moindre problème. C’est en effet à lui qu’on doit la venue des Frères de Saint Gabriel en
1900 : il voulait que les écoles catholiques du vicariat soient dirigées par des instituteurs
spécialisés et non par des prêtres trop tiraillés par leur ministère666. La scolarisation était
en effet considérée tant par Mgr Adam que par bien d’autres missionnaires, comme le
facteur essentiel dans la transformation du système traditionnel en un système occidental.
C’est d’ailleurs ce que Jeannine Ntsame Assogo appelle : la formation des enfants de
Dieu667. Par ailleurs, le Gabon doit à Jean Martin Adam la fondation des Sœurs de Sainte
Marie en 1911. Il voulait en effet une congrégation des Sœurs purement gabonaises. Cette
congrégation accueille au noviciat les deux premières jeunes gabonaises dont Léonie
Bibédie et Anne Marie Dembiano, devenues plus tard Sœurs Augusta et Julia668 . Mais
cette congrégation ne prospéra véritablement qu’avec son successeur, Mgr Martrou. La
première prise d’habit eut donc lieu à noël 1915 en pleine guerre669 .

L’œuvre apostolique de cet évêque se caractérise aussi par l’œuvre des Enfants.
En effet, celle-ci est particulièrement à mettre à l’actif de l’école des Latinistes et du
séminaire Saint Jean, l’œuvre des scolastiques primitifs que nous avons vue dans les
étapes précédentes. Mais Mgr Adam eu à souffrir de l’anticléricalisme qui commençait à
ce moment à se répandre en Afrique670. La marine française est partie, les Sœurs sont
expulsées de l’hôpital, les allocations scolaires sont supprimées, le presbytère de Saint
Pierre est confisqué, alors que la franc maçonnerie s’impose partout, que l’administration
française se méfie de lui comme du Docteur Albert Schweitzer car il est alsacien comme
lui...671. Fatigué, menacé de surdité, Mgr Jean Martin Adam donnera sa démission et
rejoindra Bordeaux où il mourra à l’âge de 82 ans.

666
L’école catholique a joué un rôle important dans la formation de la première élite intellectuelle
gabonaise. Jusqu’en 1907, date d’ouverture de la toute première école officielle de l’Etat, et 1912, date
d’arrivée du tout premier instituteur d’Etat, toutes les écoles du vicariat étaient catholiques ou protestantes.
667
J. Ntsame Assogo, op. cit. p. 111.
668
ANG, carton N° 328 “Professions de foi des indigènes”.
669
Sœur Marie Germaine, op. ; cit. p. 52.
670
ANG, carton n° 184, « note sur surveillance des missionnaires au Gabon ».
671
Du point de vue historique, c’est la première guerre mondiale avec toutes les conséquences que nous
avons vu pour ce qui est du rapatriement du personnel missionnaire du Gabon. Il faut également préciser
que les relations conflictuelles entre administration coloniale et clergé remonte à 1905, à l’époque de la
séparation. Evidemment, cette séparation entraîne dans la colonie la diminution de l’aide octroyée par la
colonie à la Mission.
221
! # *
Ce terme de consolidation pour parler toujours des premiers dirigeants de l’Eglise
du Gabon n’est pas choisi de façon fortuite. Nous savons ce que cette Eglise a connu,
particulièrement durant la première guerre mondiale. Il était donc important au sortir de
celle-ci, de réaffirmer les choses, surtout du point de vue des vocations qui, comme nous
l’avons vu, étaient au ralenti. Ainsi, l’évolution de la Mission durant la période 1914-1969
peut être vue en deux phases. La première allant de 1914 à 1955, caractérisée par
l’implantation de l’Eglise à l’intérieur des terres, notamment la progression des
ordinations sacerdotales et religieuses, mais aussi la naissance du diocèse du Gabon. La
seconde étape de 1955 à 1969 correspond à l’établissement de l’Eglise locale en diocèses.
Les pasteurs de cette Eglise sont : Mgr Martrou, Mgr Tardy, Mgr Jean Jérôme Adam, Mgr
Raymond De la Moureyre, Mgr François Ndong, Mgr Anguilet, etc.672.

! 5 * * ,* I - 0 A )6 A);1
Pour analyser succinctement l’œuvre accomplie par chacun de ces pasteurs, nous
débutons bien entendu par l’apostolat de Mgr Martrou (1914-1925), souvent désigné
comme le « Saint Monseigneur Martrou673 ». Coadjuteur dès 1912, il succéda à Mgr
Adam en 1914 et sera sacré évêque le 8 juin 1915 par Mgr Girod, vicaire apostolique du
Loango. Mgr Martrou consolide les jeunes et fragiles fondations laissées par son
prédécesseur, les visite à un rythme accéléré et meurt de fatigue à l’age de quarante cinq
ans674. Il vécut une époque particulièrement difficile car il dirige le Vicariat Apostolique
du Gabon pendant la première guerre mondiale. La particularité de Mgr Louis Martrou
était qu’il maîtrisait parfaitement bien la langue Fang, ses proverbes et ses coutumes, à tel
point que les autochtones disaient de lui : « Il n’est pas possible que tu sois un Blanc
d’Europe. Un Blanc ne pourrait pas, comme toi, connaître les choses du monde fang. Tu
es un Kone, tu es l’âme de nos anciens chefs qui vient nous revoir675. On comprend
pourquoi les catholiques, à sa mort, ont fait dire des messes pendant une année entière,
reconnaissant ainsi la simplicité et le dévouement inlassable de leur évêque.

Ensuite, lui succède Mgr Louis Tardy. Le Père Tardy est resté à Ndjolé de 1909 à
1920. Il était également appelé l’évêque des Fang car il fit pénétrer l’Eglise dans le nord

672
Gérard Morel, op. cit. 44-45.
673
Archives CSSP, Boîte 271, « Notes sur Mgr Martrou 1914-1920) ».
674
Archives CSSP, Boîte 271 « Qui était Mgr Martrou ».
675
« Kone » est un mot fang, langue vernaculaire du peuple majoritaire dans le nord du Gabon. Ce mot
désigne un fantôme. Il s’agit d’une personne morte revenue à la vie.
222
du Gabon676 . Après son long séjour à Ndjolé, il repart pour la France où il assura la
direction du Grand séminaire spiritain de Chevilly de 1921 à 1926, année au cours de
laquelle il revient au Gabon, suite à un vote de plusieurs missionnaires sur place, lesquels
souhaitaient le voir diriger le vicariat apostolique677. Durant ses 21 ans d’épiscopat,
l’Eglise s’implante sur toute l’étendue du territoire. Mgr Tardy, ainsi que nous l’avons vu,
encourage les vocations sacerdotales et met en place le système des ordinations groupées
qui été très bénéfique pour l’accélération de la mise en place du clergé indigène678. Nous
retenons par ailleurs qu’il eut à l’instar de Mgr Adam, des relations très conflictuelles
avec l’administration coloniale679. Sur lui, on peut lire ceci : « Ce qui paraîtra le plus
frappant dans la vie de Mgr Tardy c’est son extraordinaire unité, c’est une simple
vocation de missionnaire fidèlement suivie, sans objections ni détours…c’est une
expérience croissant sur place que l’épiscopat couronna sans la transplanter »680.

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C’est avec Mgr Jean Jérôme Adam que prend fin la hiérarchie missionnaire en
1969. En outre, Mgr Adam sera aussi le premier archevêque du Gabon en 1958681. Le
Père Adam est arrivé au Gabon en 1929. Sa grande spécialité aura été le sud du Gabon.
C’est sous Mgr Adam qu’ont été créés les principaux collèges catholiques du pays : le
collège Bessieux en 1948, en hommage au premier dirigeant de l’Eglise catholique du
Gabon, le collège de l’Immaculée Conception etc. Ces deux entités devaient pour l’une
constituer le principal lieu de formation des garçons, et pour l’autre, l’éducation
rigoureuse de la jeune femme gabonaise682. A partir de 1962, la création des paroisses se
multiplie à Libreville683. L’Eglise du Gabon lui doit aussi les nouvelles constructions du
séminaire Saint Jean en 1952, la cathédrale Sainte Marie en 1958. En 1969, Mgr Adam
donne sa démission pour confier le siège archiépiscopal à un évêque gabonais, Mgr André
Fernand Anguilet. Quelles sont les raisons qui motivent cette démission ? En 1969, quelle
est la configuration de l’épiscopat gabonais et la position en elle-même du clergé sur la
scène publique ? Ces principales interrogations que nous traiterons dans une partie
ultérieure vont nous aider à mieux comprendre le contexte à la fois socio politique et bien

676
Idem
677
Ibid.
678
Archives CSSP, Boîte 357 « Vie et œuvre de Mgr Tardy », voire aussi note sur le registre des élèves du
Vicariat apostolique du Gabon.
679
En plus de critiquer ouvertement les abus de l’administration coloniale, Mgr Tardy était vichyste.
680
Archives CSSP, Boite 1001, fond Gaston Pouchet, « Notes sur le Père Tardy »
681
Nous le verrons ultérieurement.
682
Archives CSSP, Boîte 309, « Ordonnances synodales de Mgr Adam Jean Jérôme ».
683
Il s’agit essentiellement de Saint Michel de Nkémbo, Saint André de Gros Bouquet, Saint Joseph de
Lalala, les Rois Mages d’Akébé.
223
entendu voir les conditions dans lesquelles le Gabon est définitivement élevé au rang
d’Eglise locale.

& # # A== # #

& 7 # #
Toute société est structurée en institutions et en divisions territoriales administrées
par une autorité. Il en va de même pour l’Eglise, organisée en diocèses, paroisses,
congrégations, communautés diverses684. Or, jusqu’en avril 1954, le Vicariat apostolique
de Libreville est le seul de la délégation de Dakar qui correspond encore à un vaste
territoire administratif : les missionnaires eux-mêmes le qualifiaient comme étant un
territoire immense et très difficile à visiter. De fait, selon Mgr Jean Jérôme Adam, il y
aurait avantage dans un premier temps à transformer ce vicariat en diocèse autonome et
dans un second temps à le diviser comme cela avait déjà été proposé dans un rapport
quinquennal en 1950685. Selon le vicaire, le Nord se distingue nettement du Sud au point
de vue linguistique et ethnique d’autant qu’il y a suffisamment de missions établies, et
une chrétienté nombreuse dans l’autre vicariat686. En outre, la création du diocèse et sa
division seraient très avantageuse du point de vue financier. Le centre du nouveau vicariat
du sud pourrait être Mouila et à l’occasion de cette division du vicariat, il serait bon de
rectifier les limites du vicariat de Libreville et de Pointe Noire et de les mettre d’accord
avec les limites administratives, avec lesquelles elles ne cadraient pas jusqu’à présent. Il
ressort dans ce projet de création que pour obtenir ces rectifications territoriales, une
partie du vicariat de Pointe Noire faisant partie du Gabon devait être rattachée au futur
vicariat de Mouila687. Le sud du vicariat de Libreville (district de Zanaga) qui
administrativement fait partie du Moyen Congo, devrait par contre revenir au vicariat de
Pointe Noire.

Ce dernier vicariat, qui perdrait ainsi les missions de Mourindi et de Mayumba,


aurait par contre, en échange la mission de Zanaga. Ces différentes propositions faites par
Mgr Jean Jérôme Adam dans une lettre du 18 avril 1954, avaient reçu l’approbation du
Délégué apostolique, lequel devait les soumettre à la Sacrée Congrégation de la

684
Paul WINNIGER, Des prêtres mariés pour l’Eglise, les éditions de l’Atelier, Paris, 2003.
685
Monseigneur Jean Jérôme Adam, vicaire apostolique du Gabon et Archevêque de Libreville, Archives du
Saint Esprit, Notice 108410, côte 4J1, 9a8.
686
Il s’agit du vicariat de Loango dont Mayumba en faisait partie.
687
Il s’agit de Mayumba.
224
Propagande688. C’est le 14 septembre 1955, que le Saint Siège décida de transformer le
vicariat apostolique du Gabon, jadis des Deux Guinées en un diocèse autonome qui sera
plus tard divisé en quatre diocèses appartenant à l’Eglise catholique du Gabon689.

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Conformément au projet de Mgr Adam, voici comment se présente la situation :

1) Le nouveau vicariat de Mouila se compose des missions suivantes :


Dibwangui et Ndéndé : 4000 catholiques pour une population de 60000 habitants;
Franceville : 8000 catholiques pour une population de 27000 habitants
Koulamoutou : 3000 catholiques pour 30000 habitants
Lastourville : 7000 catholiques pour 2000 habitants
Mayumba : 3000 catholiques pour 11000 habitants
Mouila et Saint Martin : 5000 catholiques pour 23000 habitants
Mourindi : 3000 catholiques pour 29000 habitants
Okondja : 9000 catholiques pour 13000 habitants.

2) Vicariat du nord Libreville


Dans le vicariat du nord, il restera encore une douzaine de missions en éveil dont près
de 110000 catholiques pour une population de 217000 catholiques

3) Vicariat de Pointe Noire


Ce vicariat perd 6000 chrétiens (Mayumba et Mourindi) et 40000 habitants. Il reçoit
en échange 3000 chrétiens et 20000 habitants de Zanaga. Le vicariat aura donc encore
environ 72000 catholiques et 275000 habitants.

Cette division formulée par Mgr Adam ne prend pas en compte l’élévation de
Franceville en diocèse autonome. Au départ, Franceville et toutes les autres missions du
Haut Ogooué font partie du diocèse de Mouila. Cependant, la conséquence à retenir de ce
projet de division est le grand retour du séminaire de Mayumba au Gabon en novembre
1958690. Quelles sont les limites entre les trois vicariats ? D’abord entre Mouila et
Libreville, de toute évidence, le vicariat de Mouila comprendrait les régions du Haut

688
Archives CSSP, Boite 351, « Propositions de Mgr Adam ».
689
Une Eglise locale.
690
Chérubin DELICAT, La Mission catholique de Mayumba, op cit,p.88.
225
Ogooué, de l’Ogooué Lolo, de la Nyanga et de la Ngounié (limites administratives), ce
qui en ferait un très grand vicariat avec quatre régions. A l’origine, il fallait les séparer car
l’administration d’un territoire aussi immense poserait inévitablement un problème691.
Sauf pour la région de la Ngounié, la mission de Sindara (Les Trois Epis) qui se ravitaille
le mieux par l’Ogooué et renferme le noviciat des Sœurs africaines qu’il est difficile de
séparer de Libreville. La ligne de séparation serait donc la suivante : l’océan atlantique,
ligne de partage des eaux du Ndogo et de la Nyanga (district d’Ombooué), rivière
Doubandji et Ouaka (district de Fougamou). Une ligne droite qui part de la Ouaka au
confluent de l’Ogooué et de la Lassayo, la rivière Langoué et ensuite la ligne de partage
des eaux entre Mouniadji et la Sébé. Enfin, la limite entre Mouila et Pointe Noire serait
naturellement la limite territoriale entre le Gabon et le Congo telle que nous la
connaissons à ce jour.

&& # .
#

Pour qu’un diocèse se réalise, il faut naturellement un certain nombre de critères


notamment une délimitation convenable des frontières territoriales, une répartition des
clercs et des ressources raisonnables et adaptées aux exigences de l’apostolat. Dans les
deux cas de figures, le jeune diocèse du Gabon ne remplissait aucune de ces exigences.
En 1955, les délimitations territoriales du Gabon ne sont pas encore clairement définies. Il
se trouve en effet que la partie sud du Gabon, notamment la région de Mayumba, demeure
du point de vue ecclésiastique une circonscription du diocèse de Pointe Noire692. C’est
pourquoi, pour ce qui est de la délimitation des diocèses, le Concile de Vatican II décrète
que, dans la mesure où le bien des âmes l’exige, on procède avec prudence, au plus tôt, à
une révision appropriée, en divisant, en démembrant ou en regroupant des diocèses, en
modifiant leurs limites, ou en fixant un lieu plus approprié pour les sièges épiscopaux, ou
enfin, en les disposant selon les endroits où se trouvent les grandes villes. Si l’on s’en
tient à cette dernière disposition, il ressort très clairement que les propositions faites par
Mgr Adam méritent à être modifiées.

691
Le 04 mai 1954, à ce sujet, le Conseil Général fait répondre à Son Excellence Monseigneur le Vicaire
Apostolique de Libreville qu’à son avis, rien ne presse, d’autant plus qu’il y aura à songer à une juridiction
pour le clergé africain et qu’il n’y aura pas d’espoir de voir dans des années qui viennent, augmenter le
nombre de missionnaires pour son territoire et qu’il ne peut être question d’en confier une partie à une autre
province d’ici longtemps.
692
Selon les propositions faites par Mgr Adam, il faut attendre 1958 pour que cette circonscription revienne
définitivement au Gabon.
226
En effet, le premier archevêque de Libreville dans son projet ne prend pas en
compte la ville de Franceville et ses nombreuse subdivisons comme un potentiel diocèse
autonome, ce qui, naturellement, posait un problème de gestion. Dans tous les cas, il faut
dans la révision des circonscriptions diocésaines, garantir avant tout l’unité organique de
chaque diocèse sous le rapport des personnes, des offices et des institutions. Après avoir
soigneusement examiné toutes les circonstances, on prend en compte les critères généraux
suivants : pour la délimitation du territoire diocésain, on tiendra compte, autant que faire
ce peut, de la composition diversifiée du « peuple de Dieu », ce qui peut grandement
contribuer à un exercice mieux approprié de la charge pastorale ; en même temps il est
question de prendre soin de conserver, autant que possible, l’unité entre les concentrations
démographiques. L’étendue du territoire diocésain ou le nombre de ses habitants seront en
général tels que, d’une part, l’évêque, même s’il est aidé par d’autres, soit en mesure
d’accomplir personnellement les cérémonies pontificales et de faire convenablement les
visites pastorales, de diriger et de coordonner comme il convient toutes les œuvres
d’apostolat à l’intérieur de son diocèse et surtout de bien connaître ses prêtres ainsi que
l’ensemble de tous les religieux et laïcs qui apportent leur concours pour les activités
diocésaines, et que, d’autre part, soit offert un champ d’action suffisamment vaste et
convenable, dans lequel soit l’évêque soit les clercs pourront utilement vouer leur forces
au ministère, et ne perdant pas de vue les besoin de l’Eglise toute entière693.

Il convient en effet de comprendre qu’à partir de ces instructions faites par Vatican
II, on est bien loin du compte en ce qui concerne la jeune Eglise du Gabon, partant tout
simplement du point de vue des évêques autochtones qui ont tardé à être ordonnés au sein
du diocèse. De plus, il faut signaler un fait non négligeable, pour que le ministère du salut
puisse s’exercer d’une façon mieux appropriée, chaque diocèse doit avoir à sa disposition
des clercs qui, par leur nombre et leurs aptitudes, soient au moins suffisants pour faire
grandir le peuple de Dieu ; que ne manquent pas les services, institutions et œuvres qui
sont propres à une Eglise particulière et dont la nécessité pour le bon gouvernement et
l’œuvre apostolique est prouvée par l’usage.

A cette même fin, là où se trouvent des fidèles de rites différents, l’évêque


diocésain devra pourvoir à leurs besoins spirituels. De même, on devra s’occuper des
fidèles d’une langue différente, soit par l’intermédiaire de prêtres ou de paroisses où leur
langue est bien pratiquée, soit par l’intermédiaire d’un vicaire épiscopal possédant bien

693
Cf. Vatican II sur la délimitation des diocèses, p. 229.
227
cette langue694. Ce denier impératif dévolu aux jeunes territoires diocésains n’est pas
négligeable. En effet, les missionnaires en charge d’implanter l’Eglise locale et ses
structures administratives ont en été confrontés à cette dure réalité : le territoire est
constitué par des peuplements venus de divers horizons. Cette diversité a donc réellement
été une épine non négligeable dans le projet de division des diocèses au Gabon en 1954.
En ce qui concerne les modifications des diocèses et les innovations à y apporter, cela
reste du domaine des conférences épiscopales695 compétentes qui soumettent ce genre
d’affaire à leur examen, chacune pour son territoire respectif. S’il est entendu que dans le
gouvernement des diocèses, il faut pourvoir à la charge pastorale des évêques, il n’est pas
rare qu’il faille établir des évêques auxiliaires, du fait que l’évêque diocésain, soit à cause
de la trop grande étendue de son diocèse, ou du nombre trop grand de ses habitants, soit
en raison des circonstances particulières d’apostolat ou pour d’autres motifs de nature
diverse, ne peut accomplir par lui-même toutes les fonctions épiscopales696. Bien plus, un
besoin spécifique exige parfois qu’un évêque coadjuteur soit établi pour seconder
l’évêque diocésain. En règle générale, ces évêques coadjuteurs et auxiliaires doivent être
pourvus de pouvoirs appropriés de façon à ce que leurs actions soient toujours rendues
plus efficaces et que la dignité propre aux évêques soit mieux assurée. Mais du fait que les
évêques coadjuteurs et auxiliaires ont été appelés à partager la sollicitude voire la charge
de l’évêque diocésain, ils s’acquitteront de leur tâche de telle façon que pour toutes les
affaires, ils procèdent en plein accord avec ce dernier. De plus, ils feront toujours preuve
de soumission et de respect à l’égard de l’évêque diocésain.

Si dans les lettres de nomination la chose n’est pas prévue, l’évêque diocésain est
tenu d’établir son ou ses évêques auxiliaires vicaires généraux, ou du moins vicaires
épiscopaux, ceux-ci ne dépendant que de sa seule autorité, et il voudra bien les consulter
pour l’examen des questions de la plus grande importance, surtout de caractère pastoral. A
moins que l’autorité compétente n’en ait décidé autrement, les pouvoirs et facultés
conférés par le droit aux évêques auxiliaires n’expirent pas avec la charge des évêques
diocésains. Il est aussi souhaitable qu’à la vacance du siège la charge de gouverner le

694
Idem.
695
C’est une des grandes structures de l’Eglise catholique romaine. Dans le cas précis du Gabon, elle est
connue sous l’appellation de Conférence Episcopale Gabonaise (CEG).
696
Vatican II, Orientalium Ecclesiarum. A la base, ce principe avait été élaboré pour les Eglises catholiques
orientales, vraisemblablement à cause de très fortes populations dans cette partie du monde. Mais il n’est
pas exclu que cela ait été le cas dans les diocèses africains. Au Gabon notamment, l’évêque (missionnaire)
était assisté par un auxiliaire autochtone. Au début, il était question de préparer les autochtones aux
nouvelles charges de direction.
228
diocèse soit confiée à l’évêque auxiliaire. L’évêque coadjuteur, attendu qu’il est nommé
avec droit de succession, doit toujours être établi vicaire général par l’évêque diocésain697.

Cette recommandation née du concile de Vatican II mérite une attention


particulière en ce qui concerne l’Eglise du Gabon car au sein du jeune diocèse du Gabon,
certaines incompréhensions sont nées au lendemain de la nomination de Monseigneur
Jean Fernand Anguilet à la tête de l’Eglise du Gabon. Ces nombreuses incompréhensions
avaient pour la plupart été formulées par les Fang. En effet, il se trouve que Mgr Jean
François Ndong, premier évêque gabonais n’a jamais succédé à Mgr Adam en 1969.

Bien entendu, nous avons ainsi orienté notre réflexion en partant du fait que le
plus ancien devait très logiquement avoir le droit de succession surtout dans la mesure où
la jeune Eglise locale est en pleine construction. En regardant de plus près, une réalité se
dégage : Monseigneur François Ndong était en fait l’évêque auxiliaire et Mgr Anguilet
était l’évêque coadjuteur de Mgr Adam698. C’est donc en toute logique que Mgr Anguilet
est devenu le premier archevêque autochtone de la jeune Eglise du Gabon. De plus, en
1969, c'est-à-dire l’année où l’administration de l’Eglise passe définitivement aux mains
des locaux, les subdivisions administratives du point de vue des diocèses sont déjà
terminées. En ce temps, une certaine logique non avouée voulait que les différents
diocèses locaux soient gouvernés par les ressortissants même de la région699. La charge
de confier les diocèses aux ressortissants même de la région répondait à une logique
particulière : l’évêque nommé avait l’avantage de la connaissance du milieu dans lequel
il devra exercer son ministère, mais surtout il en connaissait la langue. Dès à présent, il
parait utile de voir comment se présentaient les structures administratives et l’organisation
de l’Eglise du Gabon de 1955 à 1974.

697
Cf. Vatican II, sur la charge pastorale des évêques.
698
Paul Akoué, enquête orale.
699
Paul Akoué, op. cit.
229
&) #
Dans cette partie, nous allons, en partant du schéma tracé par Mgr Adam, montrer
comment était structurée l’Eglise à partir des nombreuses divisions qui y ont été faites.
Mais d’ores et déjà signalons que la mouture présentée par le premier archevêque de
Libreville avait subi d’importantes modifications.

En 1971, le Gabon comprenait trois diocèses700. Pour ce qui est de la première


grande structure administrative de l’Eglise, il y a la Nonciature apostolique. Elle a été
instituée en octobre 1967 au moment où le Gabon ne comprenait que deux diocèses. En
effet, le Gabon dépendait d’abord de la « délégation apostolique de Dakar » créée le 22
septembre 1948, puis le 24 septembre 1960, de Lagos pour L’Afrique centre occidentale.
En 1963, il fait partie de la délégation apostolique des Etats de l’Afrique Centrale
(Cameroun, Congo Brazzaville, Gabon, Tchad, République Centrafricaine)701. En 1967, le
Gabon noue des relations diplomatiques avec le Saint Siège et c’est à la suite de celles-ci
qu’un Pro Nonce est nommé à Libreville avec résidence à Yaoundé702.

Avant de voir comment le diocèse de Libreville, point central du catholicisme au


Gabon a donné naissance à tous les diocèses du pays, il serait intéressant de situer ses
différentes mutations depuis 1822, avant même que les missionnaires catholiques ne
débarquent au Fort d’Aumale. Le diocèse de Libreville devient Archidiocèse le 11
novembre 1958. Préfecture Apostolique des Deux Guinées, le 22 janvier 1822 allant de
Dakar à Orange. Vicariat apostolique le 3 octobre 1842, il sera subdivisé en Vicariat de
Sierra Léone, Vicariat du Dahomey, Vicariat de la Sénégambie, puis Vicariat du Gabon le
6 février 1863703. Ce Vicariat sera lui-même subdivisé en Préfecture de Cimbébasie, de la
Côte d’Or et du Haut Niger. Le 24 novembre 1886, il deviendra le Vicariat du Congo
français puis successivement établissement de la Préfecture du Niger Méridional, de la
Préfecture du Cameroun et du territoire espagnol de Bata704. Il prendra le nom de diocèse
de Libreville le 14 septembre 1955 pour devenir ensuite Archidiocèse de Libreville. En
1958, l’Archidiocèse de Libreville regroupait les provinces de l’Estuaire, du Moyen
Ogooué et de l’Ogooué Maritime. Cet Archidiocèse compte environ une population de
153000 habitants parmi lesquels on distingue : 14000 étrangers, 106960 catholiques,

700
Archives CSSP, Boite 410, « Les diocèses du Gabon ».
701
ANG, carton n° 4015, « Le Vicariat apostolique du Gabon »
702
De 1967 à 1982, le Gabon a connu successivement les Pro Nonces Apostoliques suivants : Luiggi Poggi
(1967-1969) ; Ernesto Gallina (1969-1971) ; Jean Jadot (1971-1973) ; Luciano Storero (1973-1976) ; Joseph
Uhac (1976-1982).
703
Jacques Hubert, op. cit. p73.
704
Idem.
230
13130 protestants, près de 2000 musulmans et un peu plus de 23000 animistes705. Depuis
sa création, le diocèse de Libreville, devenu Archidiocèse a été successivement gouverné
par Mgr Jean Jérôme Adam (1955-1969) et Monseigneur Anguilet depuis 1969. Le
clergé diocésain est aidé par les Pères du Saint Esprit.

Conformément au projet initial, la deuxième structure administrative de l’Eglise


du Gabon du point de vue des diocèses est bien entendu le diocèse de Mouila qui a été
érigé en même temps que l’Archidiocèse de Libreville, c'est-à-dire le 11 décembre 1958.
Il a été bien entendu créé par division du diocèse de Libreville. Il comprend au départ les
préfectures de la Ngounié, de la Nyanga, de l’Ogooué Lolo et du Haut Ogooué, ce qui
donnait, bien évidemment, un territoire très vaste et vraisemblablement difficile à
administrer pour une population estimée à plus de 205000 habitants en 1958706. Au sein
de cette population, on décompte 83500 catholiques, 4500 protestants, 500 islamisés et
116500 animistes. Ce sont les Pères du Saint Esprit qui sont chargés de l’évangélisation
de ce territoire. Depuis sa création, le diocèse de Mouila a successivement été gouverné
par Raymond de la Moureyre (1959-1977) puis Cyriaque Obamba (1977-1991)707.

Ensuite il y a le diocèse d’Oyem qui a été érigé le 29 mai 1969 par division du
diocèse de Libreville. Il est limité au nord par la République du Cameroun, à l’est par la
République du Congo, au nord-ouest par la Guinée Equatoriale, à l’ouest par la région de
l’Estuaire et au sud par les régions du Moyen Ogooué et de l’Ogooué Lolo. A sa création,
le diocèse d’Oyem comprend les provinces du Woleu Ntem et de l’Ogooué Ivindo pour
une superficie de 84540 km2 avec 133527 habitants708. Au sein de cette population, on
dénombre 68700 catholiques, 8700 catéchumènes, 21000 protestants et 670 musulmans.
L’apostolat y est assuré par dix sept prêtres, cinq Frères, trois sœurs gabonaises et dix huit
sœurs étrangères709. Les principaux pasteurs de ce diocèse depuis sa création sont Mgr
François Ndong (1969-1982) et Mgr Basile Mvé Engone (depuis 1982). Ce diocèse était
entre 1969 et jusqu’au début des années 1980, le plus christianisé et le plus catholique du
Gabon. Avec une population essentiellement rurale et agricole, le diocèse d’Oyem connaît
aussi une forte influence de l’Eglise évangélique du Gabon et de l’Islam avec une forte
705
Archives CSSP, Boite 368. Les statistiques du début des années 80 estiment cette même population à
plus de 550000 habitants.
706
Idem…à souligner juste qu’en 1974, date de la subdivision de ce territoire, le diocèse de Mouila ne
compte plus que les provinces de la Ngounié et de la Nyanga. Les statistiques du début des années 80 estime
sa population à environ115000 habitants.
707
Mgr Obamba démissionne de son poste au début des années 90 pour des raisons de maladie et cède sa
place à Mgr Basile Mvé Engone qui en devient Administrateur Apostolique.
708
Cette même population selon les statistiques des années 80 est estimée à environ 145000 habitants.
709
Archives CSSP, Boite 368, « L’Eglise du Gabon en 1958 »
231
communauté haoussa venant du Cameroun et du Nigéria. Ce diocèse bénéficie presque
d’une unité linguistique et culturelle puisque étant essentiellement fang surtout dans le
Woleu Ntem où la population originaire est fang. Mais on note aussi la présence d’autres
ethnies comme les Kota et les Kélé dans la zone de Mékambo, Makokou et Booué dans la
région de l’Ogooué Ivindo. A cause de cette quasi unité linguistique et culturelle, le
diocèse d’Oyem constituait un véritable champs d’expérimentation de l’inculturation de
l’évangile et de la pratique religieuse à travers le réseau des catéchistes ruraux. Ainsi on
note l’existence d’un catéchiste et d’une chapelle dans la plupart des villages de la région
au début des années 1980710.
Enfin, il y a le diocèse de Franceville, créé par division du diocèse de Mouila,
érigé le 5 octobre 1974 et comprenant les préfectures de l’Ogooué Lolo et du Haut
Ogooué. Situé au sud de l’équateur, ce diocèse était limité au nord par la région de
l’Ogooué Ivindo ; au nord est, par la République populaire du Congo et à l’ouest par la
région de la Ngounié. Pour ce dernier diocèse, nous n’avons pas disposé de chiffres sur le
nombre exact de sa population et de sa composition, nous savons cependant que sa
population au début des années 1980 est d’environ 150000 habitants qui appartenaient à
diverses groupes ethniques telles que les Adoumas, les Nzébi, les Obamba, les Batéké, les
Bakanigui, les Wandji…cette diversité ethnique avec une population essentiellement
urbaine dans les villes comme Franceville, Moanda (cité du manganèse) et Mounana (cité
de l’uranium), rend quelque peu difficile la poursuite de l’évangélisation dans les langues
locales et, au delà, la pratique de l’inculturation pour enraciner véritablement l’évangile
au sein d’une population relativement encore attachée aux cultures, traditions locales et
ancestrales. En 1974, le diocèse de Franceville comptait sensiblement 44425 catholiques,
pour un peu plus de 100000 habitants.

Telle est globalement la situation administrative de l’Eglise du Gabon. Cette


organisation administrative permit à la jeune Eglise de trouver ses repères et de mieux
progresser. Comme nous l’avons précisé, le diocèse est une structure de l’Eglise qui a été
définie au concile de Vatican II. C’est en réalité une petite portion du « peuple de Dieu »
qui est confiée à un évêque pour qu’avec l’aide de son presbyterium, il en soit le
pasteur711. Les quatre diocèses du Gabon, en tant que communauté des fidèles d’un même
territoire que préside un évêque, sont symbolisés par des « sièges cathédrales », qui se
rapportent autant à l’Eglise diocésaine, qu’au ministère de l’évêque dans sa réalité. Ces
sièges sont situés dans les Eglises cathédrales mères de toutes les églises du diocèse. C’est
710
Hervé Essono Mezui, Eglise catholique, vie politique et démocratisation, op. cit.
711
P. Poulard, op. cit.
232
ainsi que pour l’Archidiocèse de Libreville, il se trouve à la cathédrale Sainte Marie712.
Pour le diocèse de Mouila, le siège se situe à la cathédrale Saint Martin713.Le siège du
diocèse d’Oyem est implanté à la cathédrale Saint Charles, construite en 1967 par les
soins du Père Mayor. En 1969 avec la nomination de Mgr François Ndong comme évêque
du diocèse, on note un agrandissement du diocèse, matérialisé d’abord par la construction
d’un évêché puis d’une cathédrale. Commencée en 1975, cette dernière fut consacrée le
12 décembre 1982 par le Pro Nonce Apostolique, Mgr Donato Squicciarini. Ce même
jour, Mgr Ndong partait à la retraite et cédait le siège épiscopal à son évêque coadjuteur,
Mgr Basile Mvé Engone, le plus jeune évêque d’Afrique. Enfin, le diocèse de Franceville
est implanté dans la cathédrale Saint Hilaire.

Ces différentes cathédrales constituent non seulement les sièges pastoraux, socio
administratifs des diocèses, mais aussi des lieux de résidence des Evêques appelés
« Evêché ».L’organisation et les structures des diocèses de l’Eglise catholique du Gabon
obéissent à celle de l’Eglise toute entière : l’épiscopat, le presbyterium ou le clergé et les
laïcs. En marge de ce que nous avons déjà dit plus haut concernant les attributions de
l’évêque diocésain, il est opportun de souligner que ce dernier, au sein de son diocèse
assure l’animation et la coordination des activités de tout ordre. Il est tenu de rendre
compte de son ministère au Saint Siège lors de la visite « ad limita » que tous les évêques
effectuent tous les cinq ans. Les évêques diocésains du Gabon assument des tâches
véritables, c’est la raison pour laquelle ils s’entourent de collaborateurs qui pour la plupart
sont choisis dans le presbyterium ou le clergé714. Les véritables « sénats » des évêques
diocésains du Gabon sont les conseils presbytéraux, formés de prêtres choisis ou élus par
le clergé diocésain, l’autre moitié est formée soit de membres de droit soit de clercs
désignés par les Evêques. C’est dans cette instance que les évêques agissent avec la
collaboration des prêtres devant n’importe quelle situation pastorale, administrative et
parfois social ou politique du diocèse. Chaque diocèse du Gabon dispose, selon ses
besoins, d’un conseil des affaires économiques dont le nom suffit seul à indiquer les
fonctions.

712
Les premières constructions en planches, datées de 1844 sont l’œuvre du Père Bessieux. Après l’incendie
de cette première chapelle en 1848, on songea à faire quelque chose en matériaux durables, et la nouvelle
église fut terminée en 1864. La cathédrale Sainte Marie telle que nous la connaissons à ce jour fut construite
en 1958 par les soins de Mgr Adam en ayant pris soin de ne pas détruire l’ancien patrimoine national
construit en 1864.
713
Les premières constructions datent de 1899-1900 et sont l’œuvre du Père Nicolas.
714
Parmi les coopérateurs de l’évêque dans le gouvernement du diocèse comptent surtout ces prêtres qui
constituent son sénat ou son conseil comme c’est le cas du chapitre cathédral.
233
Il faut par ailleurs souligner que tous les prêtres du diocèse, soit diocésains soit
religieux, participent avec l’évêque à l’unique sacerdoce du Christ et l’exerce avec lui,
c’est ainsi qu’ils sont établis comme coopérateurs avisés de l’ordre épiscopal. Cependant,
pour l’exercice de cette charge pastorale, les prêtres diocésains tiennent la première place,
puisque affectés à une Eglise particulière, ils se vouent pleinement à ce service. C’est
pourquoi ils forment un même presbyterium et une seule famille, dont l’évêque est le
père715. A vrai dire, si les recommandations de Vatican II pour le bon fonctionnement de
l’Eglise sont applicables à toutes les Eglises catholiques du monde, il n’en demeure pas
moins qu’au sein de chaque diocèse on instaure un fonctionnement propre au milieu dans
lequel on exerce. Dans cet ordre d’idées, il est à souligner qu’au sein de l’Eglise du
Gabon, il existe en réalité deux autres types de conseils, cela au bon gré des évêques : il
s’agit du conseil épiscopal (formé du Vicaire Général, des Vicaires épiscopaux chargés
chacun d’une portion géographique du diocèse, un chancelier, et un secrétaire et un
économe) et du conseil pastoral.

Avec l’accord du Saint Siège, les diocèses du Gabon ont été gérés de façon
spéciale. Monseigneur François Ndong a été évêque auxiliaire de Libreville de 1961 à
1969 avant d’avoir comme évêque coadjuteur Mgr Basile Mvé dans le diocèse d’Oyem de
1980 à 1982716. La deuxième grande structure des diocèses du Gabon est constituée par le
« presbyterium » ou clergé : en règle générale, il est composé de clercs séculiers
communément appelés « abbés », ou de clercs réguliers souvent appelés « pères »
appartenant à une congrégation missionnaire ou apostolique. Généralement, il s’agit de la
congrégation du Saint Esprit. Il y a aussi les religieuses ou religieux apostoliques
« contemplatifs » ou « semi contemplatifs », vivant en communauté ou dans un
monastère, mais aussi de religieux missionnaires séculiers appelés « Frères »717. Nous
avons vu dans les chapitres précédents quelle a été leur apport dans l’œuvre
d’évangélisation du Gabon notamment dans l’éducation des jeunes filles pour ce qui est
des Sœurs et la charge des écoles pour ce qui est des Frères. Avec l’érection du diocèse du
Gabon, leur rôle et leurs devoirs n’ont pas changé pour autant. Dans tous les cas, tous les
religieux doivent faire preuve d’une soumission et d’un respect envers l’évêque ou le
curé. En outre, chaque fois qu’ils sont légitimement appelés pour des œuvres d’apostolat,
ils sont tenus d’exercer leur charge de telle sorte qu’ils soient des auxiliaires qui assistent

715
Cf Vatican II, le clergé diocésain, p. 233.
716
H. Essono Mezui, op. cit. p. 42.
717
Les congrégations les plus anciennes sont celles des sœurs de l’Immaculée Conception dont la date
d’arrivée au Gabon est en 1849 et celle des Frères de Saint Gabriel en 1900.
234
leur supérieur et lui sont soumis718. Bien plus, les religieux doivent se prêter promptement
et fidèlement aux demandes et aux vœux de leurs supérieurs de les voir prendre une part
plus importante dans le ministère. En considération des besoins urgents de la pastorale et
en raison de la pénurie du clergé diocésain, les religieux envoyés dans les différents
diocèses du Gabon ont souvent eu en charge l’enseignement du catéchisme. Toutefois, et
comme pour la plupart des clercs réguliers, leur présence au Gabon était bien limitée dans
le temps. En règle générale, la durée de mission d’un religieux n’excédait guère trois
ans ; au terme de sa mission, ils repartaient soit en Europe (en France notamment) ou ils
continuaient vers un autre pays.

Le presbyterium occupe des charges essentiellement pastorales dans les diocèses à


travers des structures comme les paroisses qui peuvent être urbaines ou rurales. Enfin, le
plus gros du « peuple de Dieu » dans les diocèses du Gabon est de façon indéniable
constitué par les laïcs à travers les communautés ecclésiales depuis 1955 où ils deviennent
de plus en plus les relais et les auxiliaires des prêtres. A l’instar des religieux, ils
s’occupent le plus souvent de la catéchèse, des mouvements des jeunes, des œuvres
caritatives et des moyens de communications sociales719.

718
Cf. Pie XII, allocution du 8 décembre 1950 ; Paul VI, allocution du 23 mai 1964 in Vatican II, p. 239.
719
Au début des années 80, on dénombre un peu plus de douze associations sur l’apostolat des laïcs au
Gabon.
235
236
) # " - #
Les principales structures qui composent le diocèse ne suffisent pas à elles seules à
garantir le bon fonctionnement de l’Eglise, surtout dans le cas de l’Eglise du Gabon qui
constitue à l’orée de 1969, une jeune structure en pleine croissance mais surtout à la
recherche de repères. En règle générale et ce depuis les premiers siècles de l’Eglise, les
évêques placés à la tête d’Eglises dans une situation analogue ont été poussés à faire
concourir leurs forces et leur volonté collective en vue de promouvoir le bien de
l’ensemble des Eglises et celui de chacune d’entre elles720. Pour cette raison, certains
moyens d’interventions ont été promulgués afin d’établir des règles à observer dans les
différentes Eglises, tant pour l’enseignement des vérités de la foi que pour l’établissement
de la discipline ecclésiastique, ce que souhaite le Saint Concile œcuménique avec
l’institution des synodes, des conciles et des conférences épiscopales. La nouvelle Eglise
locale du Gabon n’a évidemment pas failli à cette règle capitale. C’est ainsi que l’on
distingue essentiellement deux principaux moyens d’intervention : le synode et la
conférence épiscopale gabonaise.

) -
Un synode est une institution nouvelle née du deuxième Concile du Vatican. Des
évêques choisis par des conférences épiscopales et représentant l’épiscopat du monde
entier se réunissent pour collaborer avec le Pape, par leurs informations et leurs conseils
dans le gouvernement de l’Eglise entière721. De 1844 à 1982, c'est-à-dire en près de 138
ans d’évangélisation, le Gabon n’a connu que deux synodes. C’est peu mais en même
temps cela peut se comprendre pour une si jeune Eglise. A ce sujet, le tout premier synode
organisé au Gabon s’est tenu en 1901 alors que le Gabon et les pays limitrophes
constituaient le Vicariat Apostolique des Deux Guinées722.

Le deuxième synode s’est, quant à lui, tenu du 8 au 15 août 1966723. Ce synode


s’est préparé durant deux ans à travers les quatre doyennes de l’archidiocèse de Libreville,
autrement dit, tous les diocèses ont été mis à contribution. Il regroupa pendant ses « dix
congrégations générales » près de 51 personnes représentant tous les aspects de
l’apostolat au Gabon. Trois grands sujets furent débattus au cours des trente heures de
travail en commun concernant l’organisation du diocèse et les doyennés des paroisses,
720
Vatican II, Synodi, concilia, et praesertim episcoparum conferentiae.
721
Norman TANNER, Conciles et synodes, les éditions du cerf, Paris, 2000.
722
Archives CSSP, Boite 438, « Notes sur les synodes du Gabon ».
723
Idem.
237
l’organisation des Missions ainsi que des questions de pastorale touchant l’apostolat.Ainsi
furent tour à tour abordés le rôle pastoral de l’évêque, le rôle du clergé, des religieux,
l’action catholique et sociale, l’enseignement religieux catholique724, les séminaristes, les
moyens de communication sociale et l’œcuménisme. Le dernier grand sujet traita de la
pastorale et des sacrements. Il convient de noter l’unanimité du synode pour que soit
revalorisé dans l’administration du baptême, la présence du groupe familial au sens
africain du mot, et cela comme une condition préalable pour tout baptême donné dans un
cas normal. C’est là un signe de l’adaptation de l’Eglise du Gabon aux traditions
africaines, quand on sait combien est grande dans ses traditions l’importance de la famille
dans tous les événements graves marquant la vie de l’individu. La question de
l’inculturation est alors centrale dans l’Eglise.

La problématique qui a été posée lors de ce synode est la suivante : le recours à la


culture locale gabonaise peut-il favoriser une meilleure compréhension ou une adoption
plus facile des principes du catholicisme. En d’autres termes, la culture gabonaise peut-
elle favoriser la propagation de la foi catholique, surtout dans un pays qui jouit de ses
premières années de souveraineté ? La réponse est affirmative. Cette démarche appliquée
au Gabon, est similaire à celle menée en d’autres lieux. Une pratique générale qu’évoque
le Pape Pie XII : « De tous temps, nos missionnaires entreprirent de persévérantes
recherches et de laborieuses études afin de faciliter une pénétration plus profonde, une
meilleure connaissance des civilisations variées et d’utiliser leurs qualités pour faciliter
et rendre plus fructueux l’enseignement de l’évangile de Christ. Tout ce qui peut se
trouver dans les coutumes locales qui ne soit pas irrémédiablement lié à des superstitions
et à des erreurs sera toujours considéré avec bienveillance et si possible, préservé
intact »725. Au Gabon, comme dans la plupart des autres diocèses africains, on observe
l’apport massif de l’art traditionnel (tam-tams, symboles traditionnels…) et il n’était pas
rare qu’un prêtre accompagne le baptême de rites traditionnels indigènes, le tout étant
accompli en langue vernaculaire, ce qui a favorisé l’évangélisation : on peut alors parler
de concept de la négro théologie726. Voyant cela, les gens affluaient à l’église avec leurs

724
Le saint Synode a élaboré un système éducatif repris dans certains établissements secondaires. La
catéchèse est encore assurée dans la plupart des établissements secondaires. Certains maîtres de
l’enseignement primaire assurent également la catéchèse dans leur classe.La vocation enseignante demeure
plus que jamais une vocation de service et de dévouement. Suite aux déclarations du concile de Vatican II
encourageant l’enseignement religieux catholique, le synode a pensé qu’il fallait se remettre en cause et voir
si l’école catholique est encore capable de porter le message évangélique à ses enfants et à ses élèves.
725
Jean Chélini, op. cit.
726
Négro théologie est un terme employé par R. Otayek et Comi Toulabor pour expliquer
l’approfondissement et l’immersion du christianisme dans les cultures africaines. In Innovation et
contestations religieuses, « Politiques Africaines », N° 39, septembre 1990, pp 109-111.
238
bébés pour qu’ils soient baptisés rapidement. Le point qui est mis en évidence par le
synode est que la culture gabonaise, et à fortiori africaine, peut largement contribuer à la
diffusion de la foi catholique soit dans la forme extérieure du culte, soit dans la
présentation, la compréhension de la doctrine. Il ne s’agit pas de forger une séparation
entre la religion catholique et la culture du peuple christianisé, ce doit être au contraire
une mutuelle incorporation, une coopération, une intégration, suivant les règles
d’adaptation existantes.

En réalité, ce synode organisé en 1966 a soulevé des questions déterminantes pour


le devenir de la jeune Eglise, questions essentiellement liées sur la pastorale au Gabon.
Toutefois, il n’en demeure pas moins que de nombreux problèmes subsistent dont ceux
récurrents concernant la prêtrise. Pour ce qui est du cas des séminaristes, il apparaît
clairement que la vocation intéresse de moins en moins les jeunes. Primo, le synode
constate que la foi catholique n’aura pas son avenir assuré et que son progrès restera
incertain tant que fera défaut un clergé composé de gens bien formés aux fonctions
sacerdotales, qui soient capables non seulement d’aider les missionnaires, mais de gérer
convenablement les intérêts de la religion au sein de leurs propres cités. Le souci pastoral,
qui doit imprégner profondément la formation tout entière des séminaristes, exige aussi
qu’ils soient préparés soigneusement en ce qui concerne tout spécialement le saint
ministère, surtout la catéchèse et la prédication, le culte liturgique et l’administration des
sacrements, les œuvres de charité, le devoir d’aller à la rencontre de ceux qui sont dans
l’erreur et dans l’incroyance et les autres charges pastorales. Ils doivent aussi être bien
formés à l’art de la direction spirituelle qui les rend capables d’apprendre à tous les fils de
l’Eglise à mener avant tout une vie chrétienne pleinement consciente et apostolique727.Le
problème de la crise des vocations qui se pose avec acuité n’est pas sans interpeller les
participants au synode. Ce constat est confirmé par les tendances récentes : au début des
indépendances jusqu’à la tenue de ce concile, le Gabon n’enregistre seulement que six
ordinations728.

727
Vatican II, Lumen Gentium.
728
Registre des élèves du Vicariat apostolique du Gabon.
239
)! # $ # #
Une des grandes innovations a été la mise en place de la Conférence Episcopale au
début des années 1970. Sa création s’est faite dans la mouvance des réformes préconisées
par Vatican II, avec la constitution des Eglises diocésaines et l’élévation à l’épiscopat de
certains clercs gabonais. Une conférence épiscopale est une assemblée dans laquelle les
évêques d’un pays ou d’un territoire exercent conjointement leur charge pastorale, pour
promouvoir l’Eglise par des formes et des méthodes d’apostolat qui soient
convenablement adaptées aux circonstances de telle époque729. Chaque conférence
épiscopale élaborera ses statuts, qui devront être reconnus par le siège apostolique et dans
lesquels il faut prévoir, entre autres, les organes qui permettront d’atteindre, de façon plus
efficace, la fin poursuivie, par exemple, un conseil permanent d’évêques, un secrétariat
général.

Dans le cas précis du Gabon, la Conférence Episcopale Gabonaise, à l’instar du


synode, est un autre moyen d’intervention de la jeune Eglise locale du pays. Elle a été
créée aux assises du Concile de Vatican II. Les statuts de cette conférence ont été
approuvés par le décret n° 5844/73 du 10 octobre 1973 par le Saint Siège à travers la
« sacrée congrégation pour l’évangile des peuples »730. Toutefois, ce n’est que vers 1977
que la CEG se dota d’un règlement intérieur promulgué par le Saint Siège731. Placée sous
la présidence d’un évêque diocésain, la Conférence Episcopale Gabonaise se réunit
chaque année en session ordinaire, généralement dans l’archidiocèse de Libreville. Les
travaux de la session ordinaire se déroulent en deux parties : les séances plénières qui
peuvent durer jusqu’à quatre jours regroupent les évêques, les clercs, les religieux et
religieuses et les laïcs directement concernés par le thème discuté ou l’ordre du jour732 :
ils étudient en commun les dossiers préalablement posés dans chaque diocèse du pays et
proposent des orientations. Après les séances plénières vient la réunion épiscopale qui ne
regroupe que les évêques. C’est au cours de cette dernière que les dirigeants des diocèses

729
Vatican II, p. 143.
730
DOCATGAB, CEG, « Affermis tes frères dans la Foi », 1982. Document publié par les évêques du
Gabon à l’occasion de la visite du Pape Jean Paul II au Gabon en février 1982.
731
Archives CSSP, Boite 453 « Rapport dur la conférence Episcopale de 1978.
732
En règle générale, les thèmes qui sont abordés concernent les problèmes de famille, de communautés
chrétiennes, de vocations, de l’œcuménisme, enfance et jeunesse. Chaque commission est présidée par un
évêque et chaque diocèse y délègue un ou plusieurs membres, généralement un clerc. Au regard des
rapports de la CEG que nous avons consultés, il ressort que depuis 1973, il ressort clairement que cette
institution n’a abordé qu’une seule fois un thème sur la situation politique du Gabon, en 1991. Ce thème
était centré sur les problèmes sociaux en relation avec la vie chrétienne.
240
tenant compte des orientations proposées, prennent les décisions qui s’imposent733.
Depuis sa création, la CEG a étudié divers thèmes, ceux-ci sont généralement en lien très
étroit avec les problèmes sociaux du pays car l’Eglise en tant qu’institution morale a le
devoir de donner certaines orientations sur la conduite d’un pays734. C’est ainsi que selon
les événements ou les circonstances, la Conférence Episcopale gabonaise se réunit pour
prendre des décisions importantes, faire une déclaration, lancer un message à la
population ou aux autorités publiques. C’est d’ailleurs le cas chaque fin d’année quand
l’Eglise, par l’archevêque de Libreville, donne des recommandations aux plus hautes
autorités de l’Etat lors de la traditionnelle cérémonie de présentation de vœux au Président
de la République.

De facto la conférence Episcopale est le porte-voix du catholicisme au Gabon et


en même temps l’interlocuteur privilégié des autorités politiques ou publiques. Notre
intention n’est pas de verser dans la critique systématique ou dans le prosélytisme, il faut
cependant reconnaître que la CEG à travers les différents domaines dans lesquels elle
intervient, fait toujours l’état des lieux avec beaucoup d’objectivité. Son rôle apparaît tout
simplement moral, fédérateur et ses interventions sans parti pris, vont toujours dans le
sens de garantir un meilleur équilibre social pour le bien être du peuple gabonais. Ses
moyens d’intervention se caractérisent par la parole ordinaire, l’enseignement des
pasteurs (Evêques, prêtres, religieux) et des associations de fidèles laïcs (Mouvements de
jeunesse et d’adultes, catéchistes)735. Bien entendu, cette parole dite ordinaire s’appuie sur
des récits évangéliques, apostoliques, pontificaux et sur les publications du Saint Siège ;
dans la plupart des cas, la tribune le plus utilisée pour proclamer la parole ordinaire est
celle des célébrations eucharistiques. En dehors de la parole ordinaire, il y a aussi la
parole dite implicite qui est le désir pour l’Eglise du Gabon, de prendre en charge les
problèmes de la société. Généralement, il s’agit des actes caritatifs, du domaine de la
santé, de l’éducation et de la justice sociale : elle est le moyen privilégié des laïcs de

733
Les décisions de la Conférence épiscopale gabonaise, pourvues qu’elles aient été prises légitimement et
par les deux tiers au moins des suffrages des prélats qui sont membres de la conférence avec vois
délibérative, et qu’elles soient reconnues par le Siège apostolique, ont valeur juridiquement contraignante.
734
Bien que les événements de 1990 au sujet de la Conférence Nationale ne concernent pas directement la
chronologie de notre étude, nous souhaitons au moins signifié que c’est bien l’Eglise par le biais d’un
évêque diocésain qui a eu le mérite de présider ces assises importantes pour l’avenir sociopolitique et
économique du Gabon. Ce choix porté sur les ecclésiastiques avait une valeur profonde. Pour le clergé
catholique, le Gabon est sous l’œil de Dieu à travers sa loi fondamentale depuis l’indépendance qui affirme
que « le peuple gabonais conscient de sa responsabilité devant Dieu… ».Les niveaux d’interventions pour
l’Eglise locale du Gabon sont : l’Evêque, les prêtres et les laïcs.
735
Ces associations constituent de véritables centres de formation à la vie apostolique. Les clercs à leur tour
assurent une responsabilité dans ces groupes en tant qu’aumôniers. La parole ordinaire dans les associations
appelle les membres à plus de responsabilité et à une vie exemplaire dans la société.
241
l’Eglise du Gabon pour intervenir dans la société au moyen de diverses associations
comme nous l’avons précisé plus haut736.

Toutefois les propositions et recommandations de la Conférence Episcopale ne


sont pas toujours appliquées par les autorités civiles, sur le plan social ou politique, et sur
le plan pastoral par tous les diocèses, pour différentes raisons. Il existe une séparation
entre l’Eglise et l’Etat au Gabon depuis l’époque coloniale avec la rupture du concordat
en 1905 et depuis l’Indépendance avec la loi 30/63 qui organise les nouveaux rapports
entre l’Eglise et l’Etat737. Par ailleurs même s’il est reconnu que la jeune Eglise locale du
Gabon depuis son érection en diocèse en 1955 s’est progressivement dotée de structures
qui assurent son bon fonctionnement, il n’en demeure pas moins vrai que les problèmes
subsistent toujours. Les problèmes restent les mêmes. La conférence épiscopale gabonaise
insiste essentiellement sur des efforts plus constants pour favoriser les vocations
sacerdotales et s’interroge sur les raisons d’un tel état. En d’autres terme, la crise des
vocations amène à s’interroger sur la formation administrée aux prêtres du diocèse et sur
l’adéquation aux réalités locales. A vrai dire, nous ne saurions donner une réponse
définitive à cette question quand bien même nous l’estimons cruciale. Cependant nous
pouvons tenter d’y répondre par la négative car si l’on tient compte du fait que le manque
de vocation a toujours été l’une des principales épreuves que connaît l’Eglise catholique
partout738.

Plusieurs explications de ces crises sacerdotales sont avancées, nous les


examinerons tour à tour. Si le devoir de favoriser les vocations incombe à la communauté
chrétienne tout entière, qui doit s’en acquitter avant tout par une vie pleinement
chrétienne, le parcours le plus important sous ce rapport est fourni par les familles qui,
animées d’un esprit de foi, de charité et de piété, deviennent en quelque sorte les premiers
« séminaires », il en est de même des paroisses. Nous ne saurions, avec exactitude,

736
L’une des associations les plus connue du Gabon est sans conteste Caritas qui est installé dans tous les
diocèses du Gabon, les mouvements d’adultes spécialisés dans les domaines de la santé comme le
mouvement évangélique et santé (MES), d’autres comme la légion de Marie, le renouveau Charismatique,
les cœurs vaillants et âmes vaillantes, jeunesse ouvrière chrétienne, Chevaliers de l’Immaculée
Conceptions…
737
La loi 30/63 de 1963 organise les nouveaux rapports entre l’Eglise et l’Etat par l’augmentation du corps
enseignant et la prise en charge d’indemnités telles que la prime de direction. En outre, les enseignants
catholiques demandent à être payés par l’Etat et les missionnaires se désengagent des écoles.
738
DOCATGAB, Cf. Pie XII, exhortation apostolique Menti Nostrae : « le nombre de prêtres dans les pays
catholiques comme dans les missions (ainsi que dans les jeunes Eglises locales), s’est avéré bien souvent
insuffisant pour faire face aux besoins toujours croissants » (1950). Ou encore Jean XXIII : « le problème
des vocations ecclésiastiques et religieuses est la préoccupation quotidienne du Pape, il est le soupir de sa
prière et l’ardente aspiration de son âme » (Allocution au 1er congrès internationales des vocations
religieuses du 16 décembre 1961.
242
déterminer quel est ou a été le rôle de ces famille, dans le concert des vocations, mais une
certitude s’impose cependant : plusieurs familles n’ont pas souvent apporté leur soutien
aux jeunes qui avaient des prédispositions. Nous l’avons vu avec le cas d’André Raponda
Walker, le tout premier prêtre gabonais ; ce fut aussi le cas de plusieurs séminaristes qui
ont été retirés du séminaire par leurs parents. Ces quelques exemples suffisent à attester
que les familles ne constituent pas souvent les premières cellules d’appel à la vocation.
Par contre, il y a aussi des cas où les familles ont constitué la première pierre angulaire de
la vocation : dans ces cas, le fait de devenir prêtre a souvent été considéré comme une
sorte d’élévation sociale. Autrement dit, un homme important au sein d’une communauté
que l’on consulte et dont l’avis est forcément pris en compte, de la même façon que dans
la France rurale de 1814-1914, l’état ecclésiastique pour bon nombre de prêtres était
considéré comme une forme de promotion sociale, d’autant plus qu’à la campagne, il
n’est pas rare que le prêtre soit un notable, vivant « bourgeoisement » dans un grand
presbytère739.

La crise des vocations au Gabon peut aussi s’expliquer par la présence encore trop
importante des missionnaires, plus de 50% du clergé, fait de l’Eglise locale encore une
Eglise étrangère ou du moins assistée. Cette analyse est faite de façon générale pour le cas
de l’Afrique par Meinrad Hegba qui parle de l’émancipation des Eglises sous tutelle740.
De facto les prêtres gabonais n’étaient en réalité, que les assistants des missionnaires, or
une telle situation n’est pas sans poser de problèmes ni de frustration. Pour tenter de
remédier aux problèmes de l’Eglise du Gabon, il faut nécessairement passer par
l’africanisation de cette dernière. Autant cette préoccupation s’avérait déjà nécessaire
dans les années 1950, autant elle l’est de plus en plus de nos jours. Le premier aspect sur
l’africanisation de l’Eglise du Gabon porte sur la formation donnée aux prêtres. En règle
générale, il convient de souligner que la formation donnée aux prêtres se faisait
uniquement dans les petits séminaires et grands séminaires, souvent d’un bon niveau.
Mais l’approfondissement des connaissances reste une affaire personnelle. On ne peut
manquer de s’interroger sur le fait qu’il a fallu attendre les années 1950 pour voir le
collège de la Propagande de la Foi, à Rome, ouvrir largement ses portes aux Africains.
Beaucoup estimaient que le collège de la Propagande n’était pas très progressiste,
beaucoup au contraire le jugeaient dangereux. A la vérité, Rome réclamait des Africains

739
D.Barjot, Jena Pierre Chaline, A. Encrevé, La France au XIXè siècle 1814-1914, 5è édition corrigée,
PUF, paris 1995.
740
Meinrad P. Hegba : Emancipation d’Eglises sous tutelle. Essai sur l’ère post missionnaire, Présence
Africaine, Paris, 1976.
243
mais ce sont les évêques responsables alors de ces Eglises africaines qui refusaient
d’envoyer des séminaristes à Rome, de peur qu’ils n’en revinssent orgueilleux ou avec
des idées progressistes741, ce que nous confirme le tout premier prêtre gabonais à avoir
étudié à Rome au sujet de la création de l’Union Gabonaise pour la Recherche
Pastorale742, nous y reviendrons dans la troisième partie de ce travail. Les Africains
auraient pu y acquérir plus tôt une formation ecclésiastique approfondie, car l’Eglise ne
deviendra véritablement gabonaise, ne pourra s’implanter réellement dans
l’environnement socio culturel, du reste en pleine transformation, que si elle possède des
cadres hautement qualifiés. L’Eglise du Gabon gagnerait ainsi à former des cadres qui se
sentent de plein pied dans la vie séculière moderne, aptes à éduquer les chrétiens et à les
aider dans leur engagement temporel d’hommes même si un hiatus risque de se produire
entre une élite moderne, formée dans les universités laïques, prompte à tout contester ou à
tout remettre en cause, en quête d’un système de développement économique et social
rapide.

Pourtant, il n’est pas question de disqualifier ni de sous-estimer la formation


donnée aux prêtes gabonais durant les premières années de la Mission, mais l’analyse des
sociétés africaines contemporaines montre que les rapports des religions et de la politique
doivent se situer dans des perspectives nouvelles743. Pour ce faire, la formation de cadres
supérieurs en matière religieuse. L’Eglise locale ne saurait se contenter de pasteurs
sommairement formés. Le second aspect de l’africanisation de l’Eglise du Gabon est bien
entendu l’établissement d’une hiérarchie locale, cela comme une marque de maturité et
d’indépendance. Cet effort est en effet consenti depuis le milieu des années 1950, mais il
doit l’être d’avantage au travers de la direction de micro structures de l’Eglise comme les
paroisses. La direction de celles-ci est encore beaucoup plus aux mains de curés étrangers.
Il faudrait de plus en plus les confier aux autochtones.

741
Ahahanzo Glélé M. op. cit. p100.
742
Il s’agit de Martin Alihanga, ordonné le 04 juillet 1959 à Franceville. Avec plusieurs autres prêtes
gabonais dont certain en Europe et d’autres au Gabon, ils créent l’UGRP, qui a constitué à l’époque une
« véritable bombe ».
743
Ahahanzo Glélé, p. 101.
244
= $ # #
A travers les lignes précédentes, les problèmes de la jeune Eglise locale du Gabon
au milieu des années 1950 ont mis en évidence la question des vocations : nous situons
essentiellement les manifestations de cette crise autours de deux événements majeurs : la
délocalisation du séminaire Saint Jean, et la création du séminaire des aînés.

= # : JJ
La création de ce séminaire est une vieille idée de Mgr Martrou qui la préconisait
déjà en 1923, mais elle n’est matérialisée qu’en 1945. Elle constitue la première réponse
de la crise des vocations dans le diocèse. Selon Mgr Martrou, il est nécessaire que face à
la rareté des vocations, la réunion des trois séminaires du Cameroun, du Loango et Gabon
en un seul, s’impose744. Un séminaire régional est tout indiqué pour un pays où les
vocations sont encore très rares : de plus, chaque Vicariat ne peut vraiment pas constituer
un corps professoral pour les nombreux élèves de la fin de la sixième classique jusqu’en
théologie745. Mais pour que ce séminaire régional puisse se constituer, il fallait au
préalable l’accord des vicaires apostoliques intéressés et nécessairement, leurs points de
convergences devaient porter sur les questions suivantes dont les études, l’admission et
l’exclusion des sujets ainsi que sur la surveillance du séminaire, sur des questions
techniques comme la quotte part des charges du séminaire et enfin sur le personnel
dirigeant et sa nomination.

Lorsque Mgr Martrou émet ces idées, il est tout à fait conscient de l’existence du
séminaire de Libreville qui a déjà ses traditions et son expérience, sans compter la
singularité de celui du Loango. Ainsi, à Libreville, les méthodes sont différentes : on
congédie plus facilement les sujets qui semblent inaptes au sacerdoce mais aussi la durée
des études est souvent plus longue (14 à 15 ans) sans compter l’année d’épreuve au sein
d’une station. Les nombreux points de divergences sur l’organisation entre les vicariats
ont donc constitué le véritable frein à la naissance de ce grand séminaire en 1923. De
plus, même si les différents vicaires estiment que l’idée de ce séminaire est bonne,
personne ne souhaite abriter le nouveau grand séminaire. A ce sujet, le vicaire du Gabon
et grand porteur de ce projet affirme : « Je ne doute pas qu’un accord puisse se faire sur
les points essentiels d’un séminaire régional, mais à l’heure actuelle, on ne peut songer à
l’organiser à Libreville. Notre séminaire Saint Jean, construit pour 18 à 20 séminaristes

744
Archives CSSP, boite 356, Notes de Mgr Martrou « Le séminaire inter vicarial de Brazzaville ».
745
Archives CSSP, idem
245
est comble en peu d’élèves. De plus, vu la rareté des vivres à Libreville, il est souvent fort
difficile de nourrir enfants et apprentis. Les séminaristes à qui il faudrait donner une
nourriture plus abondante ont souffert de cette pénurie de vivre. C’est pour les remettre
en bon point que je les ai envoyés passer trois mois de vacances. Si la situation vivrière
ne s’améliorait pas à Sainte Marie, je n’hésiterais pas à déplacer ou définitivement ou
provisoirement le séminaire. Le Cap Estérias s’il y avait des baptisés serait plus indiqué.
De ces quelques mots, vous pouvez conclure que je suis rallié à l’idée d’un séminaire
régional dont je reconnais la haute utilité mais qui ne peut se réaliser à Libreville en ce
moment à cause d’un manque de local ou l’impossibilité de nourrir les séminaristes
convenablement»746.

Malgré les hésitations, aucune région de l’AEF n’était prédisposée à vouloir


abriter le grand séminaire même si les vicaires apostoliques de l’AEF semblaient tous
unanimes sur ce projet. Finalement, ce choix s’offrit à Libreville le 2 octobre 1931,
malgré les difficultés que le petit séminaire connaissait déjà747. Il y avait alors cinq grands
séminaristes : deux venaient de Loango ; l’Abbé Sylvestre Douta, théologien et Denis
Moussavou, philosophe ; Brazzaville envoyait trois philosophes ; Eugène Nkakou,
Auguste Nkounkou et Basile Okemba. Libreville à son tour en comptait neuf dont un
théologien et huit philosophes748. Saint Jean devint donc grand séminaire régional tout en
continuant à être un petit séminaire avec 20 élèves en 1931. Les premiers directeurs de ce
grand séminaire régional sont : Jean Baptiste Fauret (1931-1934) ; Marcel Lebevre (1934-
1938) ; Augustin Berger (1938-1946) ; Gilles Sillard (1946-1947) ; Henri Nouaille
(1947). Les premiers prêtres qui sont sortis de ce grand séminaire sont issus du vicariat de
Brazzaville : Eugène Nkakou et Augustin Nkounkou, ils furent ordonnés par Monseigneur
Biéchy le 29 mai 1938 à la cathédrale de Brazzaville.

De 1931 à 1945, Libreville abrite donc le grand séminaire malgré les difficultés
persistantes. Il se trouve qu’au milieu des années 1940, c’est la guerre. C’est aussi une
période difficile entre partisans français de Vichy ou de De Gaulle. Monseigneur l’abbé
André Raponda Walker sera arrêté et envoyé en semi retraite au Fernand Vaz pour les
mêmes motifs. Au début des années 1940, il faut signaler que l’intervention des
responsables religieux dans les affaires de l’administration coloniale et de la politique est
de plus en plus grande. Jusqu’à la veille de l’Indépendance, l’implantation des Missions

746
Ibid.
747
Archives CSSP, Boite 365
748
Idem.
246
recoupait généralement celle des postes administratifs, seules les Missions de Dibwangui
dans la Ngounié, Donguila dans l’Estuaire et Mourindi dans la Nyanga ne suivirent pas ce
schéma. Cette situation eu pour corollaire depuis la rupture du Concordat de 1905, la
montée des ambitions séculières de l’Eglise catholique du Gabon. En 1945, malgré les
progressions des entrées au séminaire, on estime finalement à ce moment là qu’il faut
délocaliser le séminaire Saint Jean, autrement dit créer un véritable grand séminaire inter-
vicarial. Cette délocalisation a lieu finalement à Brazzaville pour un motif bien
simple.Afin d’éviter de tomber de nouveau sur les hésitations de 1923 au sujet du lieu qui
devait abriter le séminaire, on estime tout simplement qu’il faut l’implanter au sein de la
capitale de l’AEF, ce qui paraissait logique pour les différents vicaires. De plus
Brazzaville représente tout simplement le lieu central. Cette idée est finalement adoptée le
23 septembre 1945. Le 15 février 1947, les originaires de l’AEF réunis à Brazzaville
décident le transfert du grand séminaire inter vicarial de Libreville à la capitale du Moyen
Congo et prend la dénomination de Grand séminaire international Libermann749. Les
différentes colonies (ou vicariats) qui y envoyaient leurs grands séminaristes sont le
Gabon, l’Oubangui-Chari, le Moyen Congo et le Cameroun. Ce séminaire international
relevait du droit pontifical romain et dépendait du Saint Siège.

L’Abbé Albert Lingo, grand séminariste de Bangui, quitte le premier le Gabon


pour se rendre à Brazzaville le 16 juillet 1947. Les grands séminaristes de Brazzaville
prennent le même chemin le 23 octobre de la même année, ceux de Libreville partent à
peu près à la même date. Les espoirs portés sur ce séminaire sont énormes.

Chaque vicariat estime que face à la rareté des vocations au sein de chaque
diocèse, l’unification des différents séminaires va certainement accélérer l’élan des
vocations. Mais ce ne fut jamais le cas. Bien que les sources, très lacunaires ne permettent
pas de quantifier les vocations, nous savons cependant que ce séminaire n’a pas duré
longtemps à Brazzaville. Cet énième revers oblige donc la délocalisation du séminaire
Libermann vers le Cameroun. On estime à ce moment là que le Cameroun est le territoire
qui pouvait offrir les meilleures possibilités d’étude750. A la suite du Père Emile Laurent,
premier recteur du grand séminaire, se succèdent à sa direction : Joseph Hirtz, Michel

749
La Sacrée Congrégation de la Propagande (Rome) érige le grand séminaire régional de Brazzaville par
un décret du 23 octobre 1947. Ce séminaire est confié à la Congrégation du Saint Esprit. Ce séminaire
gardera le nom de Libermann jusqu’en 1977. Après l’assassinat du cardinal Biyenda, il prendra le nom de
ce dernier
750
Cf ; entretien avec M. Alihanga, op. cit.
247
Picard, joseph Cross, Christian de Marre…751. Parallèlement, il s’est mis en place au
Gabon un séminaire des aînés à Sindara, qui avait pour mission d’éveiller les vocations
tardives avec les Pères Salésiens752. Parmi les prêtres sortis de ce séminaire, on peut citer
les cas de Mgr Modibo (Franceville) et l’abbé Makita.

=! K
Le séminaire d’aînés de Sindara a été fondé en 1965 à l’initiative de Mgr de la
Moureyre en vue de tenter de porter remède au problème des vocations dans son diocèse
et les diocèses limitrophes. Implanté dans la Mission de Sindara, dans le district de
Fougamou, la direction a été confiée aux Pères Salésiens. Depuis sa création, le nombre
des élèves n’a fait que s’accroître. Ils se répartissent sur quatre classes, de la sixième à la
troisième. Il s’agit de jeunes de seize ans ou plus, originaires des trois diocèses du Gabon
de l’époque, de Pointe Noire et des trois diocèses du Cameroun, ayant terminé leurs
études primaires et désireux de devenir prêtres. Ceux-ci y reçoivent, outre une culture
générale, une formation professionnelle accélérée, notamment en menuiserie. En fin
d’année scolaire 1969-1970, les trois premiers élèves de Sindara on été reçus par le
séminaire d’aînés d’Otélé (Cameroun) afin d’y achever leurs études secondaires. Cette
même année, huit autres séminaristes les rejoignent et c’est aussi la naissance du grand
séminaire753.

751
Archives CSSP, Boite 365 « Le mariage indigène au Gabon ; le séminaire des aînés de Sindara »
752
La reconnaissance des salésiens a eu lieu en 1874. Ils vivent dans le monde entier le projet de Don
Bosco, personnellement et en communauté. Etre salésiens c’est une manière de vivre son baptême par
amour, de vivre avec les jeunes un esprit de famille empreint de confiance, de pureté, d’appel à la foi ainsi
qu’à la responsabilité généreuse. Les salésiens sont implantés au Gabon depuis 1962 et leur adresse se
trouve au séminaire Saint Jean.
753
Le grand séminaire du Cameroun est né après la énième délocalisation à Brazzaville pour faute de
guerre.
248
= 5 &* K #
. (+?J (H+0
0 " "
2345 4
2344 24
2346 27
2347 84
2363 89
236: 89
2362 82
2368 88
2369 94
236; ;:
2365 84
2364 92

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? 6 # . (+?J (H+0

Evolution des entreés au séminaire des


aînés de Sindara (1965-1976)

50
Nombre d'entrées

40
30
20
10
0
1965
1966
1967
1968
1969
1970
1971
1972
1973
1974
1975
1976

Années

< 1

Ces résultats sont pertinents ; en revanche, les difficultés ne manquent pas. Les
vocations solides et vraiment décidées ne sont le fait que d’un petit nombre.
L’engagement au sacerdoce, exigeant, décourage beaucoup de jeunes. En outre, le
problème d’une méthode adaptée se pose avec acuité. Il n’est pas simple de former des
prêtres pour l’Afrique sans les faire passer par un moule uniforme. Le Gabon a besoin des
prêtres attentifs aux problèmes des pauvres, rendant eux même témoignage de la pauvreté,

249
des prêtres simples, entièrement donnés, engagés. Les témoignages des séminaristes eux-
mêmes, dont nous rapportons ci-dessous quelques extraits, sont révélateurs de leurs
aspirations en même temps que de ce qui constitue le principal des soucis chez les
responsables du séminaire.

B.S.- « Le soir, nous consacrons nos récréations à rendre aux vieux le maximum
de services dont nous sommes capables. Certains habitent seuls dans une case entourée
d’herbes. Leur lit est dans un état de pitié…Pour les aider, nous avons constitué un
comité d’action sociale, composé d’une vingtaine de séminaristes. Comme certains toits
laissent tomber de l’eau à l’intérieur, nous achetons la paille pour couvrir ces toitures.
Nous débroussons les hautes herbes qui parfois pénètrent jusque dans la case »754.

G.M. « Sindara est peuplé d’une multitude de races : Eshira, Mitsogo, Badjahi,
Banili et Fang. Les habitants vivent des plantations de manioc, de tarots, de banane et
d’ignames. Les plantations sont dans la forêt à une distance de cinq à sept kilomètres du
village. Chaque dimanche après-midi, au cours de nos sorties, en faisant notre apostolat,
nous découvrons des vieillards qui n’ont aucun parent près d’eux pour les aider. Une
vieille planche qui sert de lit. Ils passent deux à trois jours sans manger ».

L. MB. « J’aidais une femme appelée NANGUI Catherine. Pour moi c’était une
femme inconnue que j’aidais, non seulement parce qu’elle était pauvre et vieille, mais
aussi j’accomplissais mon devoir de bon chrétien ».

J.C.O. « Vous vous intéressez sans doute à Sindara, notre petit village qui compte
environ 2000 habitants. Vers la route qui mène à Libreville, tout un quartier s’étend sur
une colline. C’est là que demeure le vieux Moanda. Il est âgé de plus de 70 ans. Il se tient
à peine debout. Il vit seul, sa famille est dispersée dans la région. Le vieux Moanda dort
dans une ancienne cuisine que les hommes ont abandonné à cause de la ruine ».

A.N. « Pour les débutants, on leur apprend à se servir des petits outils dont ils
disposent : rabot, varlope, scie…on les initie à monter de petites pièces en bois. Les plus
habiles sont autorisés à travailler aux machines, raboteuse, scie à ruban…c’est ainsi
qu’ils sont capables de fabriquer des bancs, des tables, des portes, des fenêtres, des lits,

754
CAOM, AEF 5D/48,, affaires politiques, « Le séminaire de aînés de Sindara »
250
des brouettes et même des buffets. Certains de ces meubles sont donnés gratuitement aux
malheureux.

Sindara est un village situé dans la Ngounié, une des neuf régions du Gabon. Il y a
un énorme contraste entre la vie des hommes de ce lieu et celle des citadins. La plupart
sont des gens pauvres et malheureux, des vieux qui n’en peuvent plus, des malades, des
lépreux etc. Ils ont besoin d’aide et d’appui. Cette aide, ils la trouvent de temps en temps
chez nous. Pendant l’année scolaire, et principalement durant les vacances de Noël et de
Pâques, nous apportons à chacun d’eux du riz et des boites de conserve ».

Ces témoignages différents permettent à la fois d’apprécier le dévouement des


séminaristes du Gabon envers leur prochain, mais aussi de mesurer la difficulté de la
tâche qui était la leur sans omettre le poids que le sacerdoce pouvait peser sur la plupart
d’entre eux. Ceci confirme bien entendu la grande crise de vocations que le pays
connaissait. En réalité, la création du séminaire des aînés n’avait pas la prétention de
résoudre ce problème, mais de tenter d’y trouver des solutions. Ce séminaire a accueillit
près de 288 élèves de 1965 à 1976755, dont 255 Gabonais. Mais nous ne disposons pas de
renseignements pour la période post 1976.

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755
CAOM.
251
Conclusion de la deuxième partie.

Malgré la progression de l’évangélisation et la mise en place du séminaire pour les


vocations sacerdotales, les problèmes restent les mêmes. La deuxième partie de ce travail
nous a cependant donné la possibilité d’apprécier le chemin parcouru par la jeune Eglise
du Gabon. Nous avons pu mesurer la lente mais sûre progression des vocations
sacerdotales et les difficultés liées à cette tâche. A la question de savoir pourquoi après
plusieurs années d’évangélisation la Mission du Gabon n’avait que très peu de prêtres
formés, nous avons tenté d’apporter des esquisses de réponses. Toutefois, il est tout aussi
important de souligner que le dynamisme de l’évangélisation à partir de la fin de la
première moitié du XXè siècle est sans nul doute lié à la faible propension des prêtres
autochtones et à leur mise en fonction. Sans doute, ils étaient très appréciés par leurs
paroissiens. Certains signes tangibles tels que la langue commune ou la couleur de la peau
ont certainement été des éléments moteurs. La vie quotidienne du prêtre indigène reste
toutefois très différente de celle du blanc. Des écarts de traitement entre les prêtres sont
très visibles, en d’autres termes, l’indigène doit rester l’adjoint du missionnaire. L’Eglise
reste aux mains des missionnaires malgré son érection en diocèse en 1955. Dans le fond,
il faut souligner que même après 1969, les problèmes de l’Eglise restent les mêmes
malgré la progression de l’évangélisation. Pourquoi penser qu’après l’élévation de
monseigneur Anguilet comme archevêque, l’Eglise du Gabon allait mieux se porter ?
Tenter de le croire serait se fourvoyer complètement. Aussi bien au Gabon qu’ailleurs,
l’un des problèmes majeur, et sans nul doute le plus important reste celui des ordinations,
ce qui a inéluctablement provoqué ce que nous avons appelé la crise des vocations.

En 1969, le nouvel archevêque du Gabon estime pouvoir apporter un regain


d’attention à l’Eglise du Gabon. Dès lors, il convient de voir dans quelle mesure l’Eglise
du Gabon a tenté de se moderniser et les conséquences probables. Nous allons voir
l’engagement de l’Eglise dans les mutations politiques et sociale

252
752,6,(0(3$57,(
752,6,(0(3$57,(
L’EGLISE LOCALE DU GABON
FACE A SON DESTIN DE 1969 A
1982 : ENGAGEMENTS,
DIFFICULTES, PERSPECTIVES ET
ORIENTATIONS.

! !

253
Introduction de la troisième partie

La troisième partie de notre travail voudrait répondre à une question essentielle :


que devient l’Eglise du Gabon à partir de 1969, année de départ de l’Archevêque
missionnaire de Libreville, Jean Jérôme Adam ? L’année 1969 est surtout considérée
comme l’aboutissement des balbutiements de l’indépendance religieuse entamée depuis
1958. En décidant de nommer un Gabonais à la tête de l’Archidiocèse, le Vatican et la
Congrégation du Saint Esprit décidaient de l’affranchissement de l’Eglise du
Gabon.Autour de l’interrogation concernant le devenir de l’Eglise du Gabon après 1969
notre objectif, autant que faire ce peu est de cerner les premiers engagements, les
perspectives et les difficultés de l’Eglise catholique locale. Dans les deux parties
précédentes, nous avons tour à tour pu situer l’évolution de l’Eglise catholique du Gabon
en passant par l’établissement des missions jusqu’à la création du diocèse en 1955. Ce
parcours nous a donné la possibilité de mesurer le long chemin parcouru tant par les
premiers missionnaires que par les premiers ecclésiastes autochtones. Il a été évident de
constater que ce parcours, très parsemé d’embûche n’a pas été facile. Selon les principes
de l’Eglise catholique de Rome, toute partie du monde qui a connu l’évangélisation par
l’étape de la mission, ce qui sous entend une administration et une hiérarchie étrangère,
doit à terme se transformer en Eglise autochtone, la formation du clergé local étant l’étape
impérative. En réalité, même s’ils ont favorisé l’établissement d’une Eglise locale au
Gabon, les missionnaires n’ont pas souvent vu d’un bon œil le fait qu’ils devraient un jour
seconder les autochtones. Pour certains, le prêtre indigène devait en tout lieu seconder le
Blanc, il n’était pas logique qu’il en soit l’égal.

Pourtant à ce sujet les propos du Pape Pie XII sont clairs. Il disait que le clergé
africain doit prendre place à côté du clergé blanc comme son égal en valeur divine du
sacerdoce et en valeur humaine de conduite du peuple. Dans tous les cas, le pays fut
néanmoins doté dans un premiers temps d’un personnel enseignant qualifié, mais aussi
d’un clergé autochtone en nombre insuffisant, mais qui permit de voir l’ordination des
premiers évêques locaux. A l’heure d’une administration autochtone de l’Eglise, cette
partie se propose donc de situer non seulement les engagements et les difficultés de cette
jeune Eglise locale, mais aussi les craintes, les doutes et les perspectives d’avenir, car ne
dit-on pas au Gabon : Eglise de Jésus Christ au Gabon, Eglise aux lentes maturations,
Eglise aux lentes patiences, Eglise de l’Espérance, quelle longue route tu as déjà
parcourue pendant ces longues années et pourtant, à peine ta route vient-elle de

254
commencer car, avec Jésus, la route qui reste à parcourir est toujours infiniment plus
longue que le chemin que tu as déjà parcourue756.

/ - A>A
Nous voulons à travers ce chapitre faire un état des lieux, non pas exhaustif, mais
qui décrit les principaux traits de la présence de l’Eglise catholique au Gabon et les
changements intervenus dans l’épiscopat, le personnel religieux et la population
chrétienne des nouveaux diocèses. Nous voulons enfin situer les nouveaux enjeux de cette
Eglise locale.

$$ # #
# A>A
Cette affirmation passe nécessairement par différents acteurs. Ces derniers, aux
prix de nombreux efforts et sacrifices, s’engagent à pérenniser l’Eglise catholique du
Gabon. Les acteurs de cette accélération depuis 1969 sont avant tout les évêques.

.
La désignation d’évêques autochtones ainsi que l’établissement d’une hiérarchie
locale sont incontestablement les grands moments de l’africanisation des jeunes Eglises
d’Afrique. L’opinion publique estime que, de même que les gouverneurs des colonies
françaises ou les représentants de la couronne britannique ont dû se retirer au lendemain
des Indépendances, de même les Eglises devraient confier la direction des communautés
religieuses à des Africains757. Avant d’aborder le cas particulier du Gabon, il convient de
rappeler le contexte et la situation dans certains pays africain au sujet de l’érection des
évêques noirs à la tête des Eglises. En réalité, les pays africains n’ont certes pas engagé
« une querelles des investitures » à ce sujet, mais certains entendent contrôler
l’organisation des communautés religieuses, surtout catholiques, qui relèvent d’une
hiérarchie « étrangère » comme le dit le Président Sékou Touré : « Il est normal et logique
que les organisations de toute nature fonctionnant en République de Guinée ne soient pas
l’œuvre d’une institution, d’une nation, d’un groupe étranger…Aucun responsable de
l’Eglise catholique ne sera accrédité chez nous, s’il n’est pas africain. Qu’il vienne de tel

756
DOCATGAB. Prière des chrétiens du Gabon à l’occasion de la visite de Jean Paul II au Gabon (17-19
février 1982).
757
Ahahanzo Glélé, op. cit. p. 101.
255
Etat africain que l’on voudra, ce n’est pas une question de racisme… »758. Ceci amène fin
1967, La Guinée à expulser tous les missionnaires étrangers. Toutefois, les 13 prêtres et
les 13 religieuses africaines, arrivés à Conakry pour remplacer les missionnaires étrangers
sont limités dans leurs déplacements et en repartent plus ou moins rapidement. Puis, on
s’achemine vers l’arrestation de l’archevêque de Conakry, Mgr Tchidimbo759. Il faut en
effet dire qu’en Guinée, pendant le « règne » sans partage du président Sékou Touré,
depuis l’indépendance en 1958, jusqu’à sa mort, fin mars 1984, l’Eglise catholique a
connu son épreuve la plus sévère depuis le début de l’évangélisation en 1875760.

Nonobstant le caractère dur du dirigeant guinéen à cette époque, il faut pourtant


saisir une réalité. En effet, deux mobiles semblent inspirer l’attitude du Président
guinéen : d’une part le désir de voir l’Eglise aux mains des Guinéens, d’autre part, la
volonté de contrôler étroitement l’administration de l’Eglise locale, comme toutes les
autres communautés religieuses. Notons que cette même préoccupation a animé les
décisions du gouvernement camerounais ; en effet, l’Etat exerce un contrôle rigoureux sur
les ressources provenant de l’étranger et destinées aux Eglises. De même cette même peur
d’une autorité concurrentielle a conduit le gouvernement militaire révolutionnaire du
Bénin à assigner à résidence le Cardinal Bernardin Gantin, en juillet 1977, lors de la visite
officielle qu’il fit dans son pays natal761. Pour plusieurs dirigeants africains au lendemain
des indépendances, l’Eglise est en réalité un « vestige du colonialisme » et le missionnaire
européen, l’agent d’un pays colonisateur désireux de perpétuer sa domination762. Ces
différents exemples montrent à suffisance l’esprit unanime qui animait la plupart des Etats
africains au sujet de l’africanisation de l’Eglise et la mise en place d’une hiérarchie
autochtone, mais également la suspicion envers l’Eglise catholique.

Cependant le Gabon se singularise d’une telle évolution. En effet, dans le cas de


cette ancienne colonie française, nous ne signalons aucun incident particulier lié aux
investitures, bien que de 1958 à 1969, l’Eglise catholique continue à être aux mains des
« étrangers » après son élévation diocésaine en 1955. La raison officielle est que le Gabon
ne possédant pas à cette époque un évêque et il n’existe pas de traces écrites où des

758
Idem.
759
Gérard VIEIRA, L’Eglise catholique en Guinée à l’épreuve de Sékou Touré (1958-1984), coll. Mémoire
d’Eglise, édition Karthala, Paris 2005, 501 pages.
760
Idem…Le Père VIEIRA a travers son livre raconte des faits qu’il a lui-même vécus en tant que
missionnaire dans ce pays de 1954 à 1967. Il a été expulsé de Guinée en même temps que plusieurs autres
missionnaires européens.
761
Ahahanzo Glélé, op. cit. p. 102.
762
Gérard Vieira, ibid.
256
prêtres indigènes gabonais ou même de responsables du nouvel Etat indépendant,
exprimant clairement la volonté de gérer leur Eglise. Toutefois la correspondance
conservée dans les différents centres d’archives, témoigne de la volonté des chrétiens
gabonais de s’affranchir et d’être responsables, notamment chez les plus jeunes qui
contestent parfois l’abus d’autorité des missionnaires. De nombreuses autres lettres de
chrétiens dénoncent les violences verbales et physiques de certains pères missionnaires.
En 1946, par exemple, les chrétiens de la Mission Saint Martin écrivent au Père Fauret,
supérieur des pères du Saint Esprit au Gabon pour dénoncer l’attitude du Père Reinhard
vis-à-vis de chrétiens qu’il traitait de « nègres » et « singes »763.

Si la nomination des évêques nationaux à la direction des diocèses marque


incontestablement l’affirmation du caractère national de l’Eglise catholique au Gabon, il
ne faut pas omettre de souligner que cette accélération est tout autant liée à des facteurs
autres que les critères religieux. En 1958, lorsque le Gabon devient une République, les
missionnaires sentent ainsi l’urgence de se mettre au diapason, mais la volonté manifeste
de garder leurs prérogatives reste perceptible. C’est ce que reconnaît le Père Auguste
Gervain764 : « Nous sommes à un tournant de l’histoire. Hier, ici, au Gabon, nous étions
chez nous, aujourd’hui nous sommes des étrangers, au service des africains. Hier, nous
commandions en maîtres. Aujourd’hui, nous devons nous contenter de conseiller, aider,
mettre le plus possible les africains à notre place. Je me demande si tous les Pères
sauront faire le rétablissement en toute loyauté et sans arrière pensée, en toute charité et
en prenant garde de ne pas se réjouir des échecs »765. Ce témoignage dévoile le caractère
ambiguë sinon réfractaire de certains missionnaires, surtout ceux arrivés au Gabon au
moment de l’instauration du débat sur la mutation de la Mission, à l’idée des transmettre
leurs pouvoirs au clergé indigène. Cependant, ayant compris que le mouvement était
irréversible, les missionnaires du Gabon demandèrent à la Mission Mère de hâter le
processus avant d’être contraints par la force766. Mais la transmission des pouvoirs se fit
donc avec beaucoup de lenteur. Au Gabon, les missionnaires craignaient que les œuvres
ne soient la proie de graves difficultés financières car la manne provenant de l’Etat
colonial allait disparaître et tout ce qui appartenait à la Mission devenait propriété de la

763
Hervé Essono Mezui, Eglise catholoique..op. cit.
764
Archives CSSP, Boite 346, « Etat nominatif des missionnaires au Gabon ». Le Père Gervain est un
missionnaire du Saint Esprit. Il arrive au Gabon en 1945.
765
Archives CSSP, boite 351, « Correspondances du Père Gervain du 25 juillet 1960.
766
Archives CSSP, boîte 351, lettre du 22 septembre 1960.
257
jeune Eglise diocésaine767. Pourtant la nécessité et l’urgence d’une autonomie religieuse
n’échappaient à personne. Les missionnaires catholiques du Gabon en étaient pleinement
conscients, ils voulaient cependant retarder les échéances de la fin de la Mission
prétextant un manque de moyens pour un passage de témoin efficace. Aussi, le Père
Auguste Gervain proposait-il la pérennisation de la congrégation du Saint Esprit au
Gabon et la construction d’une maison leur appartenant768. Cette proposition révélait en
effet l’état d’esprit de certains missionnaires, non désireux de quitter le Gabon avant la
fin intégrale de leur mission. C’est donc dans cette atmosphère que la jeune Eglise
diocésaine du Gabon accueille la désignation de ses nouveaux évêques locaux.

* 9 8 9 0 A>A1
Depuis 1969, ce natif du pays préside aux destinées de l’Eglise catholique du
Gabon suite à la démission de Monseigneur Jean Jérôme Adam, premier archevêque de
Libreville depuis le 11 décembre 1958. « Maintenant, c’est vous les Africains qui êtes vos
propres missionnaires, vous devez continuer à bâtir l’Eglise sur ce continent. Un élan né
au cœur de l’Afrique elle-même doit maintenant s’associer à l’impulsion donnée par
l’action missionnaire étrangère, en continuité avec elle. D’ailleurs, l’Eglise par sa nature
même est toujours missionnaire », annonçait le 1er août 1969 le Pape Paul VI aux
chrétiens de Kampala en Ouganda. « C’est le Frère Juste qui a éveillé ma vocation » dira
plus tard Mgr Anguilet. « Il était pour moi comme un maître et un père »769. Bien que de
famille profondément chrétienne, il lui a été difficile d’avoir l’accord de sa famille pour
qu’il devienne prêtre. Le tout premier prêtre indigène, l’Abbé André Raponda Walker
avait déjà connu les mêmes difficultés avec sa mère au sujet de sa vocation. Néanmoins,
en 1946, la famille d’André Fernand accepte de donner à Dieu son fils unique et le jeune
homme rejoint définitivement ses amis au grand séminaire de Brazzaville qui est le
prolongement du séminaire Saint Jean de Libreville : Pierre Marie Rapontchombo,
Charles Aboghe, Jules Pandjo et Jude Mba770. Pour les éprouver, le directeur ne les

767
Les difficultés de la Mission au Gabon dans les années 50 sont internes et externes. Elles sont
essentiellement liées au manque de ressources internes et aux relations entre l’évêque et son clergé. Entre
1945 et 1960, beaucoup de Missions du Gabon ne disposaient d’aucunes ressources locales à cause de la
disparition de l’œuvre agricole qui permettait de subvenir à certains besoins financiers. Les rapports entre le
vicaire apostolique et son clergé, et même entre missionnaires constituaient une difficulté en ce sens qu’il y
avait au début des années 50 et même jusqu’à son départ en 1969, une grave crise d’autorité. Mgr Jean
Jérôme Adam était arrivé au Gabon à la surprise générale, alors que la plupart des missionnaires espéraient
un autre évêque. Un autre type de difficulté provenait des nouvelles réalités sociales du pays. Il y a en effet
la présence de la franc maçonnerie (très présente chez certains personnages officiels du pays) dont la
Mission s’inquiétait. La fin institutionnelle de la Mission est aussi marquée par le retour en force aux
sociétés secrètes dont le cas très récurrent du bwiti.
768
Ibid.
769
Jacques Hubert, op. cit. p.17.
770
Idem.
258
accepta pas immédiatement, tout en les autorisant à assister aux cours, en tant qu’externes
pendant quelques mois. A son entrée au grand séminaire, le Père Emile Laurent, le grand
recteur, dira à son sujet : « C’est un garçon plein d’enthousiasme et de foi. Cela ne fait
aucun doute qu’il va réussir »771. Après une année de pastorale qu’il exerce à Brazzaville,
il revient au Gabon pour servir à la Mission Saint Louis de Port Gentil, avec le Père
Clément comme curé et le Père Jacquart comme vicaire. Il est de nouveau nommé comme
vicaire de la paroisse Saint Pierre de Libreville en 1954, puis curé en 1956. Monseigneur
Jean Jérôme Adam ayant remarqué ses dispositions intellectuelles, l’envoie, avec l’Abbé
Cyriaque Obamba, poursuivre ses études en France. A son retour, il est nommé Directeur
Général de l’Enseignement Privée Catholique jusqu’en 1969. Mais dès 1968, il occupait
déjà le poste de vicaire Général de l’archevêché de Libreville.

En 1969, il est nommé à la tête du diocèse du Gabon, après son ordination


épiscopale en Ouganda, en compagnie de onze nouveaux évêques africains. L’histoire de
l’Eglise catholique du Gabon retiendra que c’est sous sa houlette que l’Eglise connaît une
nouvelle extension par l’ouverture et la construction d’un grand nombre de paroisses ou
d’annexes de paroisses qui malheureusement ne pouvaient pas toujours bénéficier d’un
prêtre permanent. Le problème est bien connu depuis l’époque de la Mission ; cependant,
la nouveauté est que la plupart de ces nouvelles paroisses, même sans bénéficier d’un
prêtre régulier fonctionnaient tout de même. Afin de palier au manque cruel de prêtres,
Mgr Anguilet ouvre les portes du Gabon à de nombreuses congrégations religieuses
favorisant l’extension de l’Evangile, sans toutefois négliger les congrégations locales et
encouragea fortement le recrutement des vocations dont le Gabon a le plus extrême
besoin772. Ce sont ces mêmes congrégations qui vont assurer le relais du prêtre absent, ou
manquant, au sein des paroisses. L’éclosion de ces nouveaux mouvements religieux est
remarquable sous sa responsabilité et leur influence est prépondérante. C’est ainsi qu’on
assiste successivement à la création de communautés de base, communauté du Foyer de
Charité, des Béatitudes, des Sœurs de Saint Méen, des Carmélites de la Charité, des
Sœurs du Divin Amour, des Sœurs Clarisses…

Monseigneur Anguilet est très connu pour ses prises de position face à la situation
socio politique du Gabon. Par exemple, le 3 janvier 1982, Monseigneur Anguilet adresse

771
Archives CSSP, Boite 356 « Le séminaire inter vicarial de Brazzaville ».
772
Le Centre « Appels » de Sainte Marie, crée en 1976 en est l’illustration parfaite. Ces groupes constituent
la relève de demain. Ce sont des jeunes qui ont entendu l’appel de Dieu à une vie donnée et qui se confient à
un prêtre, un religieux ou une religieuse pour étudier avec leur accompagnateur leur vocation. Qu’est ce que
Dieu veut de moi ?
259
un message de vœux au Président de La République dans lequel il dénonce un malaise
déjà largement diffusé au sein de la société gabonaise. De même en 1990 où il demande
au Père Paul Mba Abessole de renoncer à la présidence du MORENA et à la politique.
Enfin en 1993, quand il lance un appel au calme à la suite des troubles intervenus après
l’annonce des résultats des élections présidentielles de la même année. Ces prises de
position lui ont souvent valu des critiques et des incompréhensions. Pour certains, Mgr
Anguilet était un « vendu du système et du régime politique en place », pour d’autres,
c’est à cause des affinités politiques avec le pouvoir qu’il est devenu archevêque de
Libreville en lieu et place de Mgr François Ndong, premier évêque gabonais. Un de nos
informateurs nous a même affirmé que si Anguilet est devenu archevêque de Libreville,
c’est tout simplement parce qu’il appartient à la même famille que le tout premier prêtre
gabonais, André Raponda Walker, mais aussi à la même ethnie, les omyéné : ce serait
donc en hommage à ce dernier qu’il serait devenu Archevêque. D’aucuns pensent même
qu’il était tribaliste, qu’il n’aimait pas certains peuples du Gabon notamment les Fang.
Toutes ces opinions relèvent tout simplement d’affirmations subjectives, mais là n’est pas
notre sujet, raison pour laquelle nous n’entendons pas établir un débat à ce sujet. En
revanche, nous avons eu l’occasion au cours des chapitres précédents d’expliquer les
raisons fondamentales qui ont fait de lui le deuxième Archevêque de Libreville,
notamment le fait qu’il était évêque coadjuteur.

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En réalité, le rôle joué par l’Archevêque de Libreville au sujet de la situation socio


politique du Gabon depuis 1969 est fondé sur la morale : ses interventions n’avaient pour
but que d’aviser et de prévenir, sans prendre position. Nous aurons au cours des chapitres
suivants l’occasion de revenir sur le rôle politique du clergé local et ses implications sur la
société gabonaise773. Dans l’ordre des décorations, Monseigneur André Fernand Anguilet
a été Chevalier dans l’Ordre des Palmes académiques de France le 23 mars 1967 ; Officier
dans l’Ordre de l’éducation Nationale le 5 juillet 1971 ; Grand Officier dans l’Ordre
National de l’Etoile Equatoriale ; Commandeur dans l’Ordre National de l’Etoile
Equatoriale le 20 août 1971 et enfin Commandeur dans l’Ordre National du Mérite
Français le 29 mai 1992.

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Né en 1906 à Avame (Libreville), François Ndong est ordonné prêtre le 17 avril
1938 par Monseigneur Louis Tardy en même temps que l’Abbé Thomas Ossima. Les
quelques notes que nous avons pu recueillir au sujet de son enfance nous renseignent que
ses parents n’étaient pas chrétiens et que son père meurt sans avoir été baptisé. Le jeune
François Ndong a travaillé sous les ordres du Frère Sidoine comme aide magasinier, puis
comme aide boulanger. Baptisé le 18 mars 1923, il s’adonne au métier de charpentier. Ses
qualités humaines et professionnelles le font remarquer et la charge d’adjoint à l’atelier de
menuiserie lui est confiée. C’est à Donguila que naîtra en lui l’idée de se faire prêtre. En

261
1925, il entre au petit puis au grand séminaire. Ses années de stage préparatoire au
sacerdoce, il les passera à Donguila puis à Oyem. Ordonné prêtre, il célèbre sa première
messe à Sainte Marie, en 1939774. C’est à la paroisse Saint Michel de Ndjolé qu’il occupe
son premier poste durant deux années. En 1941, Monseigneur Tardy l’affecte à la mission
de Franceville, puis à Lastourville et enfin à Donguila où il reste sept ans. Après cette
étape, on l’envoie ensuite à Bitam dans le nord du pays, puis curé à Mitzic en 1951
jusqu’à sa nomination comme évêque titulaire de Rafanée et évêque auxiliaire de
Libreville le 15 novembre 1960. Il sera d’ailleurs sacré évêque le 2 juillet 1961 par
Monseigneur Lefebvre, archevêque de Dakar775.

L’histoire retiendra qu’il est non seulement le premier évêque gabonais, mais aussi
le tout premier et le plus jeune en Afrique Equatoriale. C’est d’ailleurs avec un très grand
enthousiasme que les populations fangs reçoivent cette nouvelle.Le 29 mai 1969, il
devient le premier évêque du nouveau diocèse d’Oyem. Dans cette période difficile pour
la jeune Eglise du Gabon, Mgr Ndong œuvre pour une relance spirituelle. Il ordonne neuf
prêtres et fait construire la nouvelle cathédrale d’Oyem qui restera à jamais l’un des
témoignages précieux de son dynamisme pastoral. Il assure sa fonction jusqu’en 1982,
date à laquelle il est remplacé par Mgr Basile Mvé Engone, qui est alors le plus jeune
évêque d’Afrique776. A l’age de 74 ans, il avait préparé sa succession en promouvant
l’ordination épiscopale de ce fils originaire du diocèse qui le remplace. Pendant plus de
dix ans, de 1969 à 1982, Mgr François Ndong s’attela à la modernisation de son diocèse.
Non sans tenir compte de la forte présence des missionnaires, il voulut faire du diocèse
d’Oyem, « un diocèse où tous sont responsables de la foi »777. Il continua d’assurer le
fonctionnement du diocèse comme dans une Mission, avec tous les aspects liés à l’œuvre
d’évangélisation, éducative et sanitaire. Il voulait faire de l’évangile « un phare pour la
culture africaine ». Le 9 juillet 1961 à Mitzic, il ordonne Jacques Nguéma et le 16 juillet à
Oyem, il ordonne Jean Mbeng778. Dans l’ordre des décorations que nous avons
connaissance de lui, Mgr François Ndong a été Officier dans l’Ordre du Mérite Gabonais
et Commandeur dans l’Ordre de l’Etoile Equatoriale779.

774
Jacques Hubert, op. cit. p. 18.
775
Archives CSSP, Boite 412, « Notes sur Mgr Ndong, évêque auxiliaire de Mgr Adam ».
776
Idem.
777
Archives CSSP, boite 412, « Notes sur Monseigneur Ndong ».
778
Archives CSSP, Boîte 412, « Monseigneur Jean François Ndong, premier évêque du Gabon ».
779
Monseigneur François Ndong meut en 1989 à l’age de 83 ans. Sa tombe jouxte celle du pionnier de
l’Eglise catholique du Gabon, Mgr Bessieux, à la cathédrale Sainte Marie.
262
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Le nouveau diocèse de Franceville est confié pour la première fois à un évêque
autochtone en la personne de Mgr Félicien Patrice Makouaka. Il est né à Ngomo
Boulango dans le diocèse de Mouila et est ordonné prêtre le 10 octobre 1954 à
Dibwangi780. C’est le 5 octobre 1974 qu’il devient évêque de Franceville avant d’être
sacré le 12 janvier 1975 par Monseigneur Anguilet, Archevêque de Libreville. Sa
nouvelle fonction au sein de l’Eglise l’oblige de ce fait à quitter ses anciennes obligations
de Directeur National de l’Enseignement Catholique. Il choisit comme devise :
« Seigneur, montre moi le chemin »781. Tout jeune, il a fréquenté l’école de Ndenga. Puis
à onze ans, il part pour Libreville et poursuit ses études primaires à l’école Montfort de
1933 à 1937. Il entre au séminaire Saint Jean et gagne le grand séminaire de Brazzaville
en 1947 où il sera ordonné. De retour au Gabon, il devient professeur au Séminaire Saint
Jean de Libreville pendant trois années avant de rejoindre sa première mission comme
vicaire à Ndéndé. Sa seconde affectation l’amène un peu plus dans le sud, plus
précisément à Tchibanga où il sert comme vicaire et y reste deux ans de 1963 à 1965. En
1966, il part en France pour poursuivre ses études pédagogiques à l’Institut Catholique
d’Angers où il obtient le diplôme de pédagogie, ce qui lui permet de devenir Directeur
diocésain des écoles du diocèse de Mouila avant d’occuper les hautes fonctions de
Directeur National de l’Enseignement Catholique en 1968. Lors de son passage à Mouila,
il fonda un centre rural pour les cultivateurs. Monseigneur Makouaka, jusqu’en 1974, bien
qu’originaire du diocèse de Mouila, n’avait jamais exercé dans cette zone géographique
du diocèse (le haut Ogooué et l’Ogooué Lolo). Comme nous venons de le préciser, il
n’avait essentiellement servi que dans les régions de la Ngounié et dans celle de la

780
André Raponda Walker, op. cit. p.182.
781
Jacques Hubert, op. cit. p. 19.
263
Nyanga. Il s’attela à implanter l’Eglise catholique dans tous les coins du diocèse, avec
essentiellement un clergé missionnaire (les Pères du Saint Esprit et les Clarétains), avec
des résultats modestes782.

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Quant à Monseigneur Cyriaque Obamba, né le 28 février 1918 à Oguéwa, un


village du grand lac Onangué, district de Lambaréné,il ne fut pas brimé par sa famille au
sujet de sa vocation ; bien au contraire, ces derniers se montraient plutôt favorables. Il fait
ses études primaires à la Mission Saint François Xavier de Lambaréné et entre au petit
séminaire en 1935, avant d’être ordonné prêtre le 12 mai 1946 à Lambaréné. Son évêque,
Monseigneur Louis Tardy lui confie alors la paroisse Saint Michel de Ndjolé comme
première affectation où il reste trois ans. Il fait neuf mois à Oyem, en qualité de vicaire à
la mission Sainte Thérèse d’Angone. De là, il est ensuite affecté dans la Ngounié à la
mission Saint Martin des Apindji et après à Notre Dame des Trois Epis de Sindara d’où il
partira à Libreville comme professeur de septième au petit séminaire Saint Jean. Un an
après, son supérieur, qui est alors Jean Jérôme Adam, le renvoie à Saint Martin des
Apindji en qualité de Supérieur de la station. Il y restera jusqu’à la fermeture de cette
station en 1955783. Il passe une année de vicariat à Sindara avant d’être affecté comme
vicaire à la Mission Saint François Xavier de Lambaréné ; il y séjourna jusqu’en 1960,
année de l’indépendance du pays. L’Abbé Cyriaque Obamba sera alors désigné par son
évêque pour aller faire des stages de pastorale et de liturgie à Bruges en Belgique, et de
sociologie à Lille et à la catho de Paris784. De retour au Gabon, Monsieur l’Abbé Cyriaque
Obamba est nommé tour à tour, Directeur Adjoint, Puis Supérieur du séminaire Saint
Jean, puis vicaire et enfin curé de la paroisse Saint Pierre de Libreville. Lorsque arrive son

782
Hervé Essono Mezui, Eglise catholique, vie politique…op. cit.
783
C’est à cause d’un exode trop important que cette Mission a été fermée. Elle est passée de plus de 30000
habitants à 2000 personnes et moins encore.
784
Jacques Hubert, op. cit. p. 19.
264
élévation épiscopale le 30 janvier 1977, elle le trouve Vicaire Général de l’Archidiocèse
de Libreville et curé de Saint Pierre.

Monseigneur Cyriaque Obamba devient alors le deuxième évêque du diocèse de


Mouila, mais le premier évêque gabonais de ce diocèse le 30 janvier 1977. Ce sacre aura
permis à Mgr Raymond de la Moureyre d’aller se reposer dans les montagnes de son
Auvergne natale, mais ce dernier choisira le diocèse de Brazzaville comme cadre idéal
pour sa retraite785. Le 28 octobre 1976, le Pape Paul VI accepte cette démission de
l’évêque missionnaire. Avec la nomination de Mgr Obamba, les quatre diocèses du Gabon
étaient désormais dirigés par des Gabonais ; ce qui constitua la première preuve de
l’indépendance religieuse souhaitée par les gabonais, surtout par le clergé avec la
génération des prêtres de 1970786. Avant son ordination épiscopale, l’abbé Obamba avait
servi un peu partout dans le Gabon. Son service dans les différentes stations et missions,
puis dans les paroisses fut coupé par un court séjour comme professeur au petit séminaire
Saint Jean de Libreville. Il lui permit d’acquérir le goût de l’enseignement pour la
formation des futurs prêtres au point d’être envoyé par son évêque, Mgr Jean Jérôme
Adam, pour aller faire des stages de pastorale et de liturgie à Bruges. L’épiscopat de
Monseigneur Obamba se signale surtout par son grand souci de promouvoir un clergé
africain suffisamment nombreux et bien formé. Des problèmes de santé ne l’obligent pas
à assumer son œuvre jusqu’au bout. Son diocèse est alors confié à un administrateur
apostolique, Mgr Basile Mvé, évêque d’Oyem.

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Il y a enfin Monseigneur Basile Mvé Engone, né le 30 mai 1941 à Nkomelene


(diocèse d’Oyem), il entre dans la Congrégation des Salésiens et fait son noviciat à
Dormans, près de Reims en France. Il sera ordonné prêtre le 29 juillet 1973 à Oyem et
sera affecté comme socius (maître des novices adjoint) au Noviciat de Pointe Noire au

785
Monseigneur de la Moureyre démissionne volontairement en 1976. Non pas qu’il avait quelques
problèmes de santé, il décide tout simplement de laisser la place à un évêque Gabonais. Son geste est salué
par toute l’Eglise du Gabon. Son œuvre est remarquable car l’Eglise lui doit entre autres, les merveilleux
progrès réalisés par le Secours Catholique dans son diocèse.
786
Nous le verrons plus tard avec l’Union gabonaise pour la recherche pastorale.
265
Congo de 1974 à 1975. A son retour au Gabon en 1976, il est envoyé comme professeur
au collège Raponda Walker de Port Gentil pour enseigner la catéchèse et le français, tout
en assumant les fonctions de vicaire à la paroisse Sainte Barbe de Port Gentil, le Père
Anton en étant le curé787. Comme troisième affectation, Basile Mvé rejoint Libreville afin
de travailler au Centre Audiovisuel dirigé par Monsieur l’Abbé Florent Mbumba Bwassa.
En 1977, une année sabbatique lui est accordée pour parfaire ses études à Rome. Il en
revient comme professeur au séminaire Saint Jean qu’il retrouve en 1978 jusqu’à sa
nomination comme évêque coadjuteur d’Oyem le 24 avril 1980788. Il est ordonné évêque à
Oyem le 24 août de la même année par Monseigneur François Ndong, évêque d’Oyem en
compagnie de trois autres évêchés de l’Archidiocèse : André Fernand Anguilet, Félicien
Makouaka et Cyriaque Obamba. Le 24 août 1982, Monseigneur Basile Mvé succède à
Mgr Ndong, il est alors âgé de 39 ans. La même année, suite à la démission pour raisons
de santé de Mgr Obamba, évêque de Mouila, il devient administrateur apostolique de ce
diocèse tout en continuant à assurer la charge du diocèse d’Oyem.

Le début de son épiscopat est marqué par un désir d’encourager les jeunes du
séminaire Saint Kisito à aller de l’avant et persévérer au service du Seigneur. Il s’attaque
aux problèmes cruciaux du moment comme ceux de l’Eglise et de la culture africaine, la
lutte contre les sectes. Sa plus grande joie est de pouvoir ordonner à la prêtrise ces jeunes,
pour qu’ils puissent, à leur tour, se faire apôtres dans leur milieu. Dans deux diocèses si
étendus, nous comprenons également pourquoi Mgr Basile Mvé Engone entretient la
flamme près des chrétiens qui s’engagent comme catéchistes dans les villages et qui
suppléent au manque de prêtres. La formation des catéchistes est dès lors l’une des
priorités du début de son épiscopat ainsi que la prise de responsabilité des laïcs au sein de
l’Eglise789. Mais Monseigneur Basile Mvé fit surtout face à une grave crise des vocations
au sein de son diocèse, crise que connaissaient d’ailleurs tous les autres diocèses du

787
La Mission Sainte Barbe des Pétroliers a été fondée en 1964 et les maîtres d’œuvre en furent le Frère
Régis et Monsieur Schola. Elle fut consacrée en mai 1965 par Mgr Adam assisté des PP. Petit, Pouchet, et
de l’Abbé Yoya et les prêtres de Saint Louis assurèrent le ministère dès le départ. L’équipe des Salésiens
arrivée en 1971 a toujours été dynamique au sein de cette Mission.
788
Jacques Hubert, p. 21.
789
A l’heure où nous écrivons ces lignes, Monseigneur Basile Mvé préside aux destinées de l’Eglise
catholique du Gabon depuis juin 1998 en remplacement de Feu Monseigneur Anguilet décédé en 2001.
Monseigneur Basile Mvé est également à ce jour Président de la Conférence Episcopale du Gabon.
Monseigneur Anguilet en fut le premier Président de 1970 à 1980. Cette fonction fut également exercée par
Mgr Makouaka de 1980 à 1990. Monseigneur Basile Mvé a également été le Président de la Conférence
Nationale du Gabon en 1990. L’on se souvient encore des responsabilités qu’il a prises lors de la réunion de
l’ACERAC (Assemblée des Conférences Episcopales des Régions d’Afrique Centrale) en 1992.
266
pays790. Dans le cas de la région septentrionale, cette crise était d’autant plus palpable car
le diocèse d’Oyem était présenté depuis longtemps comme le principal vivrier des
vocations sacerdotales dans le pays. De plus en plus, les jeunes se sentent moins
concernés par le sacerdoce. C’est la raison pour laquelle, le jeune évêque d’Oyem mit un
accent particulier sur le séminaire Saint Kisito. Notre informateur, nous rapporte ceci à ce
sujet : « Monseigneur Basile était quelqu’un de très rigoureux. Mes deux années passées
au séminaire saint Kisito avaient été très longues et pénibles. Nous étions soumis à un
mode de vie très strict. Il faut dire que la rigueur de notre évêque a certainement été une
motivation pour beaucoup à vouloir continuer sur cette « probable » voie du sacerdoce et
aller jusqu’au séminaire saint Jean ; pour d’autres, elle a été un motif de
découragement »791

35 : 7 :* . ('30

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C’est donc avec ces quatre premiers responsables autochtones que l’Eglise
catholique au Gabon connaît ses premiers engagements. Ils ont reçu avec leurs
collaborateurs, les prêtres et les diacres, le ministère de la communauté, présidant, à la
place de Dieu, au troupeau dont ils sont les pasteurs en tant que maîtres pour
l’enseignement, prêtres pour le culte sacré, ministres pour le gouvernement. Non
seulement les évêques gabonais ont eu pour leur ministère divers auxiliaires, mais pour
que leur mission qui leur a été confiée se poursuivit après leur mort ou leur démission, ils
ont remis à leurs collaborateurs immédiats, en quelque sorte sous forme de testament, la
charge d’achever et d’affermir l’œuvre qu’ils avaient commencé.

A partir de 1969, la vie de la jeune Eglise du Gabon est caractérisée, sur le plan
structurel, par deux innovations majeures. Sur le plan interne, les premiers évêques

790
En effet, Monseigneur Basile MVE n’a célébré qu’une seule ordination sacerdotale en tant qu’évêque du
diocèse d’Oyem, celle de l’abbé Jean René MEZUI, le 02 mai 1993, soit quatorze ans après les abbés Serge
Pasquier Nzué et Abel Eyeghé.
791
Entretien oral avec Martial ASSOUME, ancien séminariste à saint Kisito. Entretien réalisé en novembre
2007 à Talence.
267
gabonais créent la Conférence des Evêques du Gabon (CEG). Mais cette création avait été
précédée sur le plan externe par l’établissement de relations directes avec le Vatican et le
Gabon en 1967.

Tous les premiers évêques du Gabon, chacun dans leur diocèse, ont participé à
l’encouragement de l’œuvre des vocations. C’est ainsi que de 1960 à 1980, on enregistre
22 ordinations en comparaison avec la période de 1940 à 1960 avec 14 ordinations ou sur
la période de 1920 à 1940 avec 13 ordinations sur l’ensemble de ce qui s’appelait à
l’époque le Vicariat apostolique du Gabon792. Ces chiffres sont évocateurs et témoignent
bien de l’évolution des vocations sur l’ensemble du pays. Toutefois, au fur et à mesure
que le catholicisme progresse dans le pays avec l’ouverture de nouvelles paroisses, le
besoin en prêtres se fait ressentir et bien qu’on enregistre durant quelques années une
montée progressive des vocations sacerdotales, il ne faut pas se précipiter en pensant que
celles-ci constituaient la fin de la crise des vocations. En réalité, elle est toujours présente.
Des solutions pour tenter de la freiner peuvent être trouvées, c’est d’ailleurs le rôle que
s’assigne la Conférence Episcopale Gabonaise dès sa création. En effet la CEG a mis sur
pied une commission qui étudie depuis toujours le problème des vocations dans le pays,
mais aussi la formation d’autres agents pastoraux en général793. Avant de présenter les
autres facteurs liés à l’affirmation de l’Eglise locale du Gabon, voici comment se présente
l’évolution des vocations sacerdotales dans le diocèse. Le nombre de prêtres gabonais est
un élément essentiel dans le processus de mise en place d’une Eglise autochtone.

792
Ces chiffres sont ceux de l’Archidiocèse de Libreville de 1938 à nos jours, et du registre des élèves du
Vicariat apostolique du Gabon de 1854 à 1940
793
Cf. Rapports de Mgr Matthieu Madéga, CEG n° 53-54,75,95.Ss la dir. : Joseph NDI OKALLA, Mgr
Antoine NTALOU, D’un synode africain à l’autre. Réception synodale et perspectives d’avenir : Eglise et
société en Afrique, édition Karthala, Paris, 2007, 231 pages.
268
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ordinations sacerdotales, 1960-1980

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1960 1962 1964 1968 1973 1979
Années

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Le tableau ci-dessus nous donne une idée approximative de l’endroit où l’on


pouvait localiser le bastion du plus grand nombre d’ordinations au Gabon. Il s’agit en
effet du diocèse d’Oyem (dirigé par les évêques Mgr François Ondo et Mgr Basile Mvé)
dans le nord chez les populations fang. Sur la période mentionnée (1960-1980), le diocèse
d’Oyem enregistre dix ordinations par rapport à celui de Libreville qui n’en a que cinq.
Les diocèses de Franceville et de Mouila se retrouvent respectivement avec deux et quatre
ordinations. Il faut par ailleurs noter que les prêtres ordonnés dans leur diocèse d’origine
n’avaient pas pour lieu d’affectation obligatoire ce même diocèse. En tant que prêtres
diocésains, ils avaient le devoir d’aller en mission là où leurs supérieurs les envoyaient, et
surtout là où le besoin se faisait sentir794.

794
Parmi les vœux prononcés par les prêtres diocésains, il y a celui de « l’Obéissance à l’évêque ».
270
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Pour comprendre ce que devient l’Eglise catholique au Gabon à partir de 1969, il
faut s’appuyer sur la situation statistique du personnel religieux et de la population
chrétienne et sur quelques éléments sociologiques et historiques. Cette représentation
statistique permet de mesurer ainsi ce que représente le catholicisme au Gabon mais aussi
d’apprécier le degré du caractère national de l’Eglise au Gabon. Cette appréciation
consiste à examiner la création de nouvelles paroisses, à estimer l’état du personnel
religieux et l’installation de nouvelles congrégations dans le pays.

S’il y a une activité au Gabon, liée au catholicisme, c’est bien celle de la création
des missions. Leur dynamisme est bien entendu antérieur à 1969. Toutefois la différence
avec les paroisses crées sous l’ère de l’Eglise locale est que celles-ci connaissent un élan
plus concret, voire plus dynamique. En effet, le rôle des prêtres a très souvent été relayé
par d’autres acteurs extérieurs ou internes au clergé catholique. Il s’agit de la montée en
puissance des congrégations masculines et féminines qui ont souvent gardé en éveil les
paroisses, mais aussi de l’apport évident de l’œuvre des laïcs. Les évêques du Gabon ont
par le biais de la CEG ont d’ailleurs mis un accent particulier sur cette œuvre795.

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L’évolution des paroisses durant la période de 1969 au début des années 1980
présente une double situation entre un archidiocèse en pleine croissance et des diocèses de
l’intérieur en pleine stagnation. Les déplacements de la population vers les grands centres
urbains de la côte et les villes minières du Haut Ogooué ont favorisé cette situation. En
effet, l’archidiocèse qui compte les deux principales villes du pays (Libreville et Port
Gentil) a bénéficié d’une augmentation exponentielle de la population, ce qui explique
l’ouverture de nouvelles paroisses dans cette circonscription ecclésiastique796. Dans
l’ordre chronologique de la création des missions création, il y a d’abord celle de Saint
Pierre et Paul de Bissock, dans le diocèse d’Oyem. Elle est en réalité une annexe de la
cathédrale Sainte Thérèse et les premières constructions de 1932 et 1955 sont l’œuvre du
Père Bouchaud et du Père Gauthier, qui avaient reçu l’aide de certains catéchistes de la
région. Les réalisations définitives de cette chapelle datent du 15 août 1967. Le Père
Gauthier dirigea la mission pendant près de vingt ans. Le Père Dominique Van der Becke
(Hollandais) lui succéda pendant trois ans, puis l’Abbé Camille Nziboe pendant cinq ans.

795
Cf. Mgr Matthieu Madéga cité par Ndi Okalla, et Mgr Ntalou, op ; cit. p. 117.
796
Nous présentons en annexe une carte sur l’implantation géographique des missions à Libreville et ses
environs.
271
L’Abbé Fidèle Okoué Ngou, tout en assurant des heures d’enseignement au collège
Raponda de Port Gentil, viendra régulièrement voir ses paroissiens de Bissock ainsi que
l’Abbé Léon Ondo797. En l’absence des prêtres, la mission vit grâce à l’action efficace des
bénévoles et des catéchistes.

En 1969, les diocèses Mouila et d’Oyem enregistrent la naissance de deux


nouvelles paroisses. Il s’agit de Saint Nicolas de Flue de Mimongo et Saint François
d’Assise de Booué. La région de Mimongo (sud) est en effet un carrefour d’ethnies
diverses. On y rencontre les Massango, des Mitsogo, des Bakélé, des Pygmées…Le Père
Girod construisit l’église, puis le Père Coursol fut nommé Curé de la paroisse, l’Abbé
Nazaire Yaba lui succéda, puis le Père Laurent et le Père Hugues Moulin. Parmi les
activités importantes au sein de cette paroisse, il y a l’œuvre des filles qui a été confiée
aux Sœurs. Pour ce qui est de la paroisse Saint François d’Assise, cette dernière est née
grâce au passage de la ligne de chemin de fer entre Libreville et Franceville qui a
naturellement donné de l’importance à la région de Booué (nord-est) devenue un centre
de transit important. La population s’étant déplacée, une mission est donc née en 1969 et a
été confiée au clergé diocésain, l’Abbé Charles Aboghe en particulier, successeur des
Pères Morvan et Sockeel798. En 1970, c’est la naissance des paroisses de Notre Dame de
l’Ogooué à Lambaréné (diocèse de Libreville) et de Saint Augustin de Lébamba. Le
nombre des habitants d’Isaac, quartier sis sur la rive sud du fleuve, étant important, les
Pères y construisirent d’abord une école, puis une chapelle, puis une mission des Sœurs
de Sainte Marie et un dispensaire sont implantés au sein de cette paroisse. Pour ce qui est
de la paroisse Saint Augustin, il faut noter que cette dernière a pris la relève de Dibwangi
(ancien Vicariat de Loango). L’institut catéchétique de Dibwangi a été déménagé à
Lébamba en 1969 avec le Père Vallée : c’est là qu’est née la mission. Le Père Nazaire
Yaba y installe le foyer sacerdotal en 1974. Monseigneur Cyriaque Obamba le transféra à
Mouila en 1977799.

En 1972, le diocèse de Libreville accueille une nouvelle paroisse. Elle est


implantée à Port Gentil grâce au développement de la cité pétrolière. En effet, la capitale
économique du Gabon attire beaucoup de travailleurs en quête d’un emploi. C’est sur

797
Jacques Hubert, op. cit. p. 50.
798
Dans l’histoire de l’Eglise catholique du Gabon, c’est la première fois qu’une nouvelle mission créée est
confiée à un prêtre issu du clergé diocésain.
799
Ce foyer sacerdotal à l’instar des centres Appels de sainte Marie est mis en place pour constituer une
cellule d’écoute face aux vocations qui se manifestent chez les jeunes, filles comme garçons, désireux de se
faire religieux ou prêtres.
272
l’initiative du Père Macé qu’une chapelle est construite tandis que les Sœurs de
l’Immaculée Conception y installèrent un dispensaire800. Cependant, avec l’accroissement
de la population catholique, cette chapelle s’est donc avéré trop petite. Il devint en effet
urgent de procéder à la construction d’un édifice plus grand, capable de contenir un
nombre de personne plus important. Dans la même année, on construisit la paroisse Saint
Michel de Bakoumba dans le diocèse de Franceville. Bakoumba, simple village de
brousse, acquit de l’importance grâce à la COMILOG (Compagnie Minière de l’Ogooué)
qui, pour évacuer la manganèse, a construit un téléphérique de 76 kilomètres entre
Moanda et Mbinda. En 1962, le Père Plesnage commença a visiter Bakoumba et y
construit une chapelle qui est en réalité l’ancêtre de la chapelle actuelle, construite par le
Père Hugues Moulin en 1972801. Nous avons vu les réalisations dans l’intérieur du Gabon,
mais il faut également signaler le cas de la région de Libreville et ses environs qui ne sont
pas en reste dans la création de nouvelles paroisses sous l’ère de l’Eglise locale. Il y a
certes moins de nouvelles implantations, mais ces dernières concourent également à
apprécier l’œuvre entreprise depuis des années. Au même titre que certaines paroisses
créées dans l’intérieur du pays après 1960, la naissance de celles dans la province de
l’Estuaire fait suite au développement des infrastructures engagées dans tout le pays.
C’est ainsi qu’en 1978, on implante dans la région de Kango la paroisse Saint Marcel :
cette création fait suite à la construction d’un pont qui relia les deux rives du Como. A ses
débuts, le Père Legagneur, Le Père Jéhel et le Frère Raymond s’occupent de cette
chapelle. Signalons pour terminer, la naissance des paroisses de Sainte Croix d’Ovendo et
Notre Dame du port de la Nomba. Ces deux chapelles sont situées en périphérie de
Libreville viennent répondre à l’augmentation croissante de la population dans cette
banlieue librevilloise802. Ces constructions sont en effet l’œuvre d’une rencontre heureuse
entre les Pères François Laigo, salésien de Fougamou, et Georges Fonferrier, spiritain de
Port Gentil. Ils décidèrent donc de la construction d’une grande et belle église : le 11 juin
1984, celle-ci est livrée aux populations chrétiennes de la région d’Owendo : elle est
longue de 32 mètres sur 16 et d’une hauteur de 9 mètres pour une capacité d’accueil de
600 à 700 fidèles.

C’est donc avec ces nouvelles paroisses que l’œuvre engagée depuis des années
continue à perdurer. Cette dynamique se poursuit bien évidemment après 1980. Parler de

800
La guérison de 50% des malades est due à la qualité de l’accueil qu’ils reçoivent dans ce dispensaire.
801
Jacques Hubert, p. 52.
802
Cette augmentation de la population est due à la construction de deux grandes cités sur ces lieux, ainsi
qu’au passage de l’OCTRA sans oublier la Gendarmerie et l’Ecole Nationale de Gendarmerie.
273
caractère national en ce qui concerne la création de ces nouvelles paroisses ne revient pas
à dire que les prêtres non issus du clergé diocésain n’ont apporté aucune participation.
Bien au contraire, ce fut souvent sous leur impulsion que la plupart de ces paroisses ont
continué à voir le jour. D’ailleurs, il faut partir du principe que dans les jeunes Eglises (tel
est les cas du Gabon pour la période que nous présentons), les prêtres et évêques
originaires du pays doivent s’engager avec ardeur dans l’œuvre d’évangélisation en
pratiquant la collaboration avec les missionnaires étrangers avec lesquels ils forment un
seul presbyterium, uni sous l’autorité de l’évêque local803. La nouveauté ici est double :
D’abord, il y a le fait que le pays après 1960 connaît d’importants changements surtout
sur le plan des infrastructures. Avec l’augmentation de la population dans des endroits
jadis sous peuplés, la mise en place des paroisses pour la population catholique devenait
nécessaire. La plupart des jeunes cadres du pays nouvellement indépendant sont pour
beaucoup d’entre eux issus de milieux chrétiens et bien entendu formés dans des écoles
d’obédience catholique804. Il n’était donc pas rare que ces jeunes, devenus politiciens
aident l’Eglise à se développer, certains voulant à tout prix qu’une belle chapelle soit
installée dans sa région d’origine. Mais il faut surtout dire que ces nouvelles implantations
sont surtout faites sous la conduite de l’évêque local. L’autre nouveauté à signaler dans
ces nouvelles paroisses est que celles-ci sont souvent placées sous la responsabilité des
prêtres autochtones, ce qui n’était pas le cas sous l’ère de la Mission où le prêtre gabonais
se contentait d’être le second du prêtre blanc. Toutefois, ce ne fut pas un cas très
généralisé. Les missionnaires ont continué à occuper une place de choix comme curés de
paroisses.

En général, la coopération a été très importante dans cette nouvelle situation. Avec
un pays nouvellement indépendant, une élite gabonaise bien formée dans les écoles
occidentales, des prêtres diocésains et bien sûr une hiérarchie locale, on est facilement
tombé dans la prétention et le zèle, soutient le Père Vincent805. En réalité, beaucoup de
prêtres blancs estiment sournoisement que la prétention et le zèle sont les traits de
caractère qui animent les prêtres diocésains, désireux de prendre des responsabilités plus
importantes au sein de l’Eglise806. C’est aussi le sentiment qui ressort aux cours de nos

803
DOCATGAB, Cf. Jean XXIII, encycl. Princeps Pastorum, 28 novembre 1959. SEA.
804
Il s’agit souvent des établissements suivants: Ecole catholique Saint Montfort, le collège Bessieux ou
encore le séminaire Saint Jean de Libreville.
805
Le Père Vincent est curé de la paroisse du Rosaire. Nous avons été enfant de chœur sous sa
responsabilité. En réalité, nous n’avons pas eu d’entretien avec ce dernier dans le cadre propre de ce travail.
Nos discussions étaient souvent d’ordre général et nous abordions souvent plusieurs questions, notamment
celle relatives aux prises de responsabilités de prêtres gabonais.
806
Séverin MBA (prêtre gabonais et universitaire), entretien du 02 avril 2007 à Libreville.
274
discussions avec les prêtres blancs en poste au Gabon. Mais comment en vouloir à des
autochtones qui éprouvent le besoin de présider aux destinées de leur propre Eglise ?
Nous parlions précédemment de la querelle des investitures au sein de l’Eglise dans
certains Etats africains. Même si au Gabon on ne signale pas d’incident de ce genre
comme le rapatriement des missionnaires, il n’en demeure pas moins qu’à un moment
donné, les ecclésiastes gabonais ont manifesté ouvertement le désir d’être traités sur un
pied d’égalité par rapport aux missionnaires. Cette adaptation était presque imposée par
des circonstances extérieures à la Mission : l’évolution de la situation politique du Gabon.
Le Père Bouchaud estima qu’il était indispensable que l’évangélisation allât du même pas,
c'est-à-dire au pas de l’évolution politique807. Nous verrons plus tard quelles étaient les
revendications du clergé autochtone en 1971. Pour l’heure, nous nous contentons, à
l’instar des nouvelles paroisses, de présenter d’autres facteurs qui concourent à
promouvoir l’Eglise catholique locale.

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807
Joseph Bouchaud, op.cit. p. 169.
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Notons que entre 1969 et 1982, le personnel religieux de l’Eglise catholique est
encore et très majoritairement missionnaire, malgré une légère évolution du clergé
gabonais, les missionnaires du Saint Esprit sont encore nombreux808. Cette prépondérance
des missionnaires était renforcée par la grave crise des vocations masculines et surtout
féminines et malgré une légère évolution des méthodes de formation, l’Eglise constatait
globalement l’insuffisance des structures de formation. C’est donc à partir de 1969 que
l’Eglise locale du Gabon se dote de nouvelles congrégations religieuses qui viennent pour
continuer l’œuvre déjà entreprise par d’autres, plus anciennes au service du pays809. Ces
congrégations qui voient le jour au Gabon sont essentiellement féminines. L’apport des
religieuses a toujours été une des grandes préoccupations de l’Eglise catholique du
Gabon, comme en témoigne cet extrait du VP Libermann qu’il adresse à la Supérieure
Générale des Soeurs : « C’est Monseigneur Bessieux qui a été l’occasion ou plutôt
l’instrument dont la divine Providence s’est servie pour nous mettre en rapport ensemble.
Vous serez encore plus satisfaite quand vous apprendrez par lui-même, le désir qu’il a
d’avoir de vos chères Sœurs au Gabon »810.

9 # A>A
7 A(B
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Le dynamisme des congrégations religieuses féminines est antérieur à 1969. Il y a
avant tout les Sœurs de Rosaire. L’esprit de cette congrégation, créée en 1958 par
Elisabeth Giraud, est essentiellement fondé sur l’humilité et la simplicité de la Vierge
Marie. Les principales activités sont la catéchèse, les mouvements de jeunes, les foyers de
jeunes filles, les jardins d’enfants et l’enseignement dans les collèges. C’est grâce à elles
que la valorisation féminine a fait des progrès dans le pays. En 1960, apparaissent les
Sœurs de Jésus Marie811. Leurs principales activités sont l’éducation de la foi qui doit
être la priorité de tout, les écoles et collèges, la catéchèse, les internats, les mouvements
de jeunes, les foyers de jeunes filles, la promotion des adultes, la pastorale familiale etc.

808
Jusqu’en 1969, aucune autre congrégation n’est installée au Gabon. Dès lors que les autres congrégation
comment à s’isnstaller au Gabon, cela apporte une plus value au catholicisme dans le pays.
809
Les congrégations les plus anciennes sont celles des Sœurs Bleues de l’Immaculée Conception de castre
arrivées au Gabon en 1848, ou les Sœurs de Sainte Marie, fondée en 1917 à l’occasion des deux premières
professions des Sœurs Augusta et Julia à Donguila.
810
DOCSSP, Boite 166 « Rapport sur le Vicariat des Deux Guinées ». Propos de Monseigneur Libermann à
Emilie de Villeneuve, 31 mai 1847.
811
Cette congrégation a été fondée en 1818.
278
Autant d’activités qui font d’elles un élément incontournable dans la propagation du
catholicisme, mais aussi le développement de la jeune fille gabonaise. Une troisième
congrégation arrive au Gabon la même année : il s’agit des Sœurs de Saint Joseph812.
Elles orientent leurs activités auprès des jeunes en difficultés et s’occupent en même
temps des orphelinats, des malades, des prisonniers et des activités pastorales ; elles
travaillent à une double union : celle des hommes entre eux et celle des hommes avec
Dieu. C’est grâce à elles que l’ont voit apparaitre dans le pays les premiers centres de
protection maternelles et infantiles (PMI). Elles interviennent auprès des populations
villageoises813. En 1963, deux nouvelles congrégations arrivent au Gabon. Il s’agit des
Sœurs de la Providence et des Sœurs Trinitaire814. Les Sœurs de la Providence travaillent
spécialement à Libreville et s’occupent de Caritas815Les Soeurs Trinitaires sont présentes
beaucoup plus vers les régions reculées du pays. Au tout début de leurs activités, on les
localise spécialement dans le sud : Mouila, Mimongo et Mbigou. Les activités de ces deux
congrégations ne sont pas très différentes de celles des autres que nous avons sus
mentionnées : dans les domaines de l’enseignement, de la santé et de la formation
féminine.

Plus récemment, on note l’arrivée des Sœurs de Saint Joseph de Cluny en 1966 et
des Sœurs Salésiennes en 1971816, en 1972, l’Ordre des Vierges Consacrées apporte à son
tour sa participation à l’oeuvre catholique au Gabon. C’est avec cette congrégation que
l’on voit pour la toute première fois au Gabon, la direction d’une paroisse être placée sous
la responsabilité d’une femme. En effet, Monseigneur André Fernand Anguilet confie
cette paroisse à la sœur Servane en 1973. En l’absence d’un prêtre, cette dernière
s’occupait de tout : catéchèse, animation liturgique en semaine et, le dimanche, l’entretien
de l’église, le groupe de jeunes, la couture aux femmes, ainsi que les groupes de prières.
Aux grandes fêtes seulement, elle recevait la visite d’un prêtre pour la célébration de
l’eucharistie. Avec cet exemple, nous souhaitions montrer le degré d’implication que
certaines responsables de congrégations religieuses ont eu sur les paroisses du Gabon.

812
Cette congrégation a été fondée en 1650 et elle s’installe dans le sud est du pays en l’occurrence à
Koulamoutou et Lastourville.
813
Gérard Morel, op. cit. p 59.
814
Elles sont respectivement fondées en 1828 et 1685.
815
Il s’agit ici de l’apostolat des laïcs.
816
Selon Jacques Hubert, les Sœurs de Saint Joseph de Cluny arrivent dans le sud est du pays à la demande
de Mgr de la Moureyre pour sa paroisse de Saint Dominique de Moanda.
279
Enfin en 1973, la communauté des Foyers de charité s’installe à Libreville. Ce
sont des communautés de laïcs, hommes et femmes, qui, à l’exemple des premiers
chrétiens, mettent tout en commun pour vivre dans un même esprit leur engagement et
réaliser, avec Marie pour mère, une véritable famille chrétienne. Leurs activités sont
orientées vers l’organisation de retraites données dans un climat de silence, de charité, de
dévotion maritale, de catéchèse aux adultes etc.

Entre 1969 jusqu’au début des années 1980, les congrégations religieuses
féminines qui sont installées au Gabon sont nettement plus nombreuses que les
congrégations masculines. Cette arrivée est liée à la répartition des tâches dans le clergé.
En effet, les Frères se faisant de plus en plus rares, on demande aux religieuses de
s’occuper de la formation (enseignement, catéchèse), de l’encadrement des mouvements
et de l’œuvre sanitaire, ce qui constitua un grand soulagement pour les prêtres. Ce
dynamisme se poursuit avec l’arrivée des Sœurs Clarisses qui s’installent en périphérie de
la capitale en 1976 : au nombre de onze lorsqu’elles commencent leurs services au sein de
l’Eglise au Gabon, leurs principales activités sont au monastère, elles font un travail de
métier (broderie) destiné pour la vente dans le but de la vie de la communauté. Il y a aussi
les Sœurs Clarétaines, arrivées en 1979, qui s’installent dans le diocèse de Franceville, à
Okondja et Franceville plus précisément : elles ont pour mission d’assurer la catéchèse au
sein du diocèse ainsi que le travail lié aux enfants et à la santé. Après 1980 avec
l’installation des Sœurs du Divin Amour, l’élan de naissance des congrégations féminines
au Gabon reste bien présent. Au total, les religieuses prennent une part importante dans la
vie pastorale des quatre diocèses du Gabon. Leurs différentes activités paroissiales,
éducatives ou hospitalières, accomplissant depuis toujours un généreux travail au service
de la population, sans distinction d’origine, s’attirant ainsi l’estime de tous.

Les activités des religieuses sont sans doute la marque sans conteste de la
féminisation du culte dans la jeune Eglise du Gabon. Leur rôle et leur apport sont
considérables. Nous présentons ci-dessous un récapitulatif des congrégations féminines
installées au Gabon entre 1970 et 1980.

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Les congrégations masculines ne sont pas en reste dans la dynamique amorcée
sous l’ère de l’Eglise diocésaine. A l’instar des Sœurs, on note bien la présence des
congrégations masculines depuis la Mission. Nous avons vu essentiellement les prêtres du
Saint Cœur de Marie et les Pères du Saint Esprit qui fusionnent en 1848, puis les Frères
de Saint Gabriel. Plus récemment, ce sont les prêtres diocésains, mais aussi les Frères de
Saint Joseph en 1931817.

Les congrégations les plus récentes sont celles des Salésiens. Ils vivent dans le
monde entier et portent le projet de Don Bosco. A leur arrivée au Gabon en 1962, ils
s’installent dans le diocèse d’Oyem et se préoccupent des jeunes, les garçons en
particulier. Le séminaire Saint Kisito d’Oyem reste assurément l’une de leur plus grande
œuvre. Entre 1969 jusqu’au début des années 1980, une seule congrégation s’installe au
Gabon, il s’agit de celle des Pères Clarétains qui arrive à Franceville en 1975. Il s’agit
d’une Congrégation de prêtres espagnols. Il faut toutefois attendre jusqu’au milieu des
années 1990 pour voir une nouvelle congrégation masculine. Il s’agit de celle des Père du
Christ Roi qui s’installe dans le sud du pays, plus précisément à Mouila. Dès le début des
années 1980, la Congrégation du Saint Esprit ne fit plus venir ses membres d’Europe,
surtout de la France. Elle s’appuya sur son personnel d’origine africaine, les Pères
missionnaires qui venaient des pays voisins du Gabon (Cameroun, Congo, Zaïre…). Les
évêques du Gabon quant à eux continuent aussi à faire venir des prêtres d’autres diocèses
d’Afrique. Il s’agit des prêtres Fidei Donum. Toujours en rapport avec les Pères
Clarétains, ils arrivent dans le diocèse à la demande de l’Evêque, Mgr Félicien Makouaka.
Ils exercent leurs activités dans ce diocèse situé dans le sud est du pays et donnent la
priorité à la formation des communautés chrétiennes sur place et le long des routes. Ils

817
Le tout premier Frère issu de cette congrégation est le Frère Grégoire Sey qui débarque au Gabon en
1844 en même temps que le Père Bessieux. Les premiers Frères Gabonais de cette congrégations sont les
Frères Dominique Fara et Jean Marie Ogwarouwé qui ont fait leur profession en 1895.Les Frères de Saint
Joseph se spécialisent tous dans un métier : menuiserie, imprimerie, maçonnerie, cordonnerie, chauffeurs,
enseignement…
281
consacrent également beaucoup de leur temps au service des jeunes, par les mouvements
et la catéchèse.

C’est avec toutes ces congrégations religieuses (féminines et masculines) que


l’Eglise du Gabon se consolide et prend racine dans le peuple, chaque congrégation se
spécialisant dans un domaine bien défini même si les différentes activités pratiquées au
sein de celles-ci convergent entre elles et se complètent. Les congrégations féminines sont
les plus nombreuses, et la raison de leur forte présence s’explique par le fait que pendant
bien longtemps, l’éducation de la jeune fille gabonaise a été négligée818. En 1969, de
nombreux diocèses ont répondu à l’appel du Pape Paul VI et des Eglises d’Afrique afin de
participer à l’évangélisation des peuples. Dès lors, ce sont tous les diocèses du Gabon qui
participent dans cet élan. Les prêtres « Fidei Donum », qu’ils soient français, nigérians,
congolais, camerounais, centrafricain, tous donnent le meilleur d’eux mêmes à l’Eglise du
Gabon depuis 1969. Il faut également ajouter qu’il y a eu aussi des Frères qui sont venus
prêter main forte dans le même cadre819.

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En 1980, le Gabon compte quatre évêques gabonais, environ 27 prêtres
autochtones820. Comparativement aux pays voisins, le nombre de prêtres a fait que
décroître au Gabon depuis la fin des années 1960, une régression quantitative qui se
faisait sentir sur le terrain. C’est ainsi que, dès 1970, huit paroisses n’avaient plus de
prêtre résident821. Le clergé dans l’ensemble est en croissante régression. Cette situation
était surtout palpable chez les prêtres diocésains qui vivaient parfois seuls dans les
paroisses urbaines. L’isolement, la dispersion dans les zones rurales sont autant de
facteurs à mettre à l’actif de cette diminution. Le tableau ci-dessus nous permet
d’apprécier les caractéristiques du personnel religieux gabonais.

818
Faute de présence féminine au Gabon, les premières écoles de filles ne naissent qu’à partir de 1849-1850.
De plus, l’éducation administrée au sein de celles-ci ne s’articulait qu’autour des tâches ménagères.
819
Fidei Donum, est le titre de la dernière encyclique du Pape Pie XII, en date du 21 avril 1957. Face à la
situation d’extrême nécessité dans laquelle se trouvait alors l’Afrique, le Pape demandait aux évêques des
diocèses les plus anciens d’envoyer des prêtres et des laïcs comme « don de la foi ». Depuis lors, le concept
s’est élargi pour englober tous les prêtres envoyés de diocèses à d’autres diocèses dans le monde, en signe
de coopération et de solidarité.
820
Archives Archidiocèse de Libreville « Rapports quinquennaux de 1970 ».
821
Archives Archidiocèse de Libreville « Rapports quinquennaux de 1970 ».
282

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Le tableau ci-dessus nous permet de vérifier deux choses. D’abord la présence


missionnaire reste très importante et dominante. Il y a aussi la baisse du nombre de
prêtres gabonais dès 1975 avec une légère remontée au début des années 1980,
compensée par le nombre de prêtres expatriés toujours en constante progression, cela
s’explique par l’appel des missionnaires africains venant des pays voisins. L’ensemble de
ce personnel religieux est réparti dans les quatre diocèses du Gabon de la façon suivante :

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Ce tableau permet de constater que le diocèse (archidiocèse) de Libreville, le plus


vaste et le plus peuplé, concentre le plus de personnel religieux. Toutefois, on constate
que les religieux étrangers sont toujours plus nombreux dans chaque diocèse du pays. La
situation du diocèse de Mouila est assez particulière. Non seulement il a été divisé en

822
Aucune précision cependant sur le nombre de prêtres africains dans ce chiffre. Nous nous contentons de
présenter un chiffre global qui comprend les Prêtres Noirs et Blancs. Il est toutefois possible de penser que
le nombre de prêtres Noirs soit plus important grâce à l’apport des Fidei Donum.
283
1974 mais il a aussi vécu difficilement le passage de la Mission à une Eglise diocésaine.
Evangélisé dès le XIXe siècle avec la fondation des premières missions dans le sud du
pays823, le diocèse de Mouila et l’ensemble du sud du Gabon a souffert de l’ensemble de
l’hostilité des peuples de ces régions à accepter le christianisme824. Contrairement à tous
les autres diocèses, celui de Mouila présente aussi la particularité (à son début) d’avoir
reçu la présence d’un évêque missionnaire, Mgr Raymond de la Moureyre, ce qui
témoigne ainsi de l’immensité du travail qui restait à accomplir dans cette localité. En ce
qui concerne le mode de vie et l’entretien du personnel religieux, la situation reste très
précaire dans tous les diocèses du pays, nous y reviendrons lorsqu’on abordera l’aspect
sur le clergé diocésain et la vie matérielle en 1971.

Le tableau suivant met l’accent sur une réalité indéniable. Entre 1969 et 1980, le
personnel religieux en poste au Gabon reste très largement expatrié.

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823
Les Missions qui ont été créées sont essentiellement Sainte Croix des Eshiras, Notre Dame des Trois
Epis de Sindara et Saint Martin des Apindjis.
824
La région de la Ngounié présente une multitude de peuple souvent très inconnus. Il s’agit des Eshiras,
Mitsogos, Apindjis, Bavilis, Ivéa, bakèlè, Fang.
284
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Répartition du personnel religieux par nationalité


de 1970 à 1982

250 1,2
200 1
Nombre total

0,8
150
0,6
100
0,4
50 0,2
0 0
1970 1975 1980 1982
Années

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Si nous insistons sur cet aspect, c’est parce que la présence importante d’un
personnel religieux expatrié pose le problème de l’autonomie religieuse. En effet, le
Gabon, continue à accuser un retard dans la constitution d’un clergé national,
suffisamment imposant et capable d’assumer les responsabilités au sein de l’Eglise,
d’enraciner véritablement la culture chrétienne dans les mentalités. Si les missionnaires
du Gabon affirment la volonté de confier l’Eglise du Gabon aux autochtones, ce passage
n’a pu se faire véritablement en raison de l’éternel problème des vocations qui se pose
avec acuité dès 1970825. Aussi la grave crise des années 1970 pose le problème de
l’enracinement d’une véritable Eglise locale. En effet, on note de façon persistante
l’extinction d’un clergé gabonais. De plus, la plupart des clercs qui devenaient vieux,
malades ou retraités n’étaient pas souvent remplacés. Les séminaires se vidaient, par
ailleurs et très souvent on notait aussi une très grande instabilité dans le sacerdoce. Très
souvent, à peine ordonnés, certains jeunes quittaient leur ministère.

Les raisons qui expliquent cette grave crise sont nombreuses. Selon le rapport des
évêques gabonais en 1982, cette crise était causée par l’évolution générale d’une société
gabonaise fascinée par le goût du luxe et de l’argent. Le nouveau contexte social avait
créé des besoins nouveaux, ce qui provoquait naturellement des questions morales et
spirituelles. Les jeunes qui sont les plus concernés par la vocation (sacerdoce ou vie

825
Le problème des vocations s’est toujours posé au Gabon. Que ce soit sous l’ère missionnaire, c'est-à-dire
depuis le Père Bessieux que sous l’époque de l’Eglise diocésaine dès 1969. C’est donc dire que la crise des
vocations de 1970 n’est pas nouvelle en tant que telle. Nous avons vu les efforts pour tenter d’y remédier
avec la création du séminaire inter vicarial de Brazzaville ou la séminaire des aînés de Sindara.
285
religieuse) sont naturellement les plus touchés par cette situation. Ils avaient presque
déserté les chemins de l’Eglise et ne voulaient plus s’engager dans la vie religieuse826 car
malgré le nouveau contexte social qui provoque l’appétit croissant (argent, luxe…) chez
les jeunes, il n’en demeure pas moins vrai que leur situation économique demeure
pourtant très précaire. Selon la CEG, la pauvreté a toujours eu un impact négatif sur eux,
sans oublier le crucial phénomène des enfants de la rue. Ce phénomène préoccupe les
évêques du Gabon. Dans bien des cas, les jeunes entrent dans la vie adulte avec très peu
d’enthousiasme pour un présent porteur de nombreuses frustrations et avec encore moins
d’espoir pour un avenir qui leur paraît triste et sombre. C’est pourquoi ils ont tendance à
fuir les régions rurales délaissées et à se regrouper dans les villes qui, en fait, n’ont pas
beaucoup mieux à leur offrir827. Pourtant, il est plus que temps de redonner espoir aux
jeunes. Jean Paul II formule à ce sujet : « Chers jeunes, le synode vous demande de
prendre en charge le développement de vos nations, d’aimer la culture de votre peuple et
de travailler à sa redynamisation, fidèles à votre héritage culturel, en perfectionnant
votre esprit scientifique et technique et surtout en rendant témoignage de votre foi
chrétienne »828.

Une autre cause pour expliquer cette crise est le manque de véritables structures
pour former les prêtres. Jusqu’au début des années 1980, les évêques du Gabon
envoyaient toujours les jeunes poursuivre leur formation hors du pays. Les quelques
petites structures qui existaient se limitaient à une formation préparatoire829.
Naturellement, le but des petits séminaires était de préparer les jeunes à entrer au grand
séminaire, mais très souvent, de nombreux jeunes passés par ces structures ne terminaient
pas leur cursus ou encore renonçaient en cours de route. Du côté des filles, la situation
était encore plus désastreuse. Le noviciat de la seule congrégation féminine nationale
avait fermé ses portes au début des années 1970. Seules les congrégations féminines
étrangères essayaient encore de recruter de jeunes gabonaises mais sans grand succès. Il
faut néanmoins attendre l’année 1978 pour que les autorités religieuses du Gabon songent
à lutter véritablement contre le problème de la crise des vocations avec la création des
Centres Appels à Sainte Marie dont l’objectif était de promouvoir les vocations
religieuses et sacerdotales. Ainsi de 1978 jusqu’au milieu des années 1980, on
n’enregistre aucune vocation féminine. Toutefois après près de dix années de survie, les

826
DOCATGAB, CEG, « Affermis tes frères dans le foi ». Libreville, le 17-19 février 1982.
827
DOCATGAB, CEG, « Affermis tes frères dans la foi ». Libreville, le 17-19 février 1982.
828
Jean Paul II, L’Eglise en Afrique, ed. du Cerf, paris 1995.
829
Il s’agit des séminaires Saint Jean (diocèse de Libreville), Saint Kisito (diocèse d’Oyem), séminaire des
aînés de Sindara (Mouila).
286
Centres Appels vont constituer de véritables tremplins pour le désir de vocation chez les
jeunes. Il y a en effet la création des groupes de jeunes tels que les Chevaliers de
l’Immaculée Conception830.

S’il convient de penser que les prêtres sont sans aucun doute la principale pierre
angulaire de l’affirmation de l’Eglise locale du Gabon, il ne faut cependant pas oublier
l’apport d’autres acteurs dans ce dynamisme.

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Autant la consolidation de l’Eglise locale ne s’est pas faite aussi rapidement,
autant on peut dire que celle-ci n’est pas le seul apanage des membres du clergé
catholique. Il y a en effet d’autres acteurs qui ont participé et concourent encore de nos
jours à affermir les fidèles dans la foi catholique. Nous ne saurions donc négliger leur
apport dans ce travail.

& # L
Par nature, l’Eglise est destinée à étendre le règne du Christ à toute la terre pour la
gloire de Dieu le Père, à faire participer tous les hommes à la rédemption salutaire et à
ordonner réellement, par eux, le monde entier au Christ831. A côté des congrégations
religieuses masculines et féminines, il y a l’apport non négligeable des communautés
religieuses laïques à savoir celle des « Foyers de Charité » et des « Béatitudes » depuis
1973. Au Gabon, tous les évêques de l’Eglise diocésaine accordent une part importante à
l’œuvre des laïcs. Selon Mgr Basile Mvé, il est important que l’exercice de l’apostolat se
fasse uniquement dans la foi, l’espérance et la charité que le Saint Esprit répand dans le
cœur de tout chrétien qui se sent orienté vers cette mission d’apostolat832. Lors du conseil
pastoral de 1973, devant la croissance des communautés chrétiennes de base dans
l’archidiocèse de Libreville et l’insuffisance de formation spirituelle des membres, Mgr
Anguilé avait désigné le Père François Emmanuel833 pour s’occuper de cette formation

830
Il faut attendre le début des années 1990, en 1994 plus précisément pour que le pays se dote de son
propre grand séminaire national dénommé séminaire Saint Augustin dont la direction fut confiée à un prêtre
diocésain, l’Abbé Jean Pierre Elelaghe Nzé, ordonné en 1969.
831
DOCATGAB, Cf. Pie XII, Allocution aux cardinaux et à des membres de la jeunesse ouvrière
catholique, 18 février 1946, 25 août 1957.
832
Entretien de février 2007.
833
Le Père François est le responsable du Foyer de Charité au Gabon. Après avoir été détaché par son
évêque en France en 1973, il arrive au Gabon en 1974 pour créer le Foyer de Charité dont la principale
activité est l’organisation de retraites dans un climat de silence, de charité et de dévotion maritale. Nous
287
spirituelle. L’archevêque de Libreville estimait que les buts à atteindre pour l’Eglise
diocésaine en ces années 1970 et pour bien plus tard étaient considérables.

Au sein de l’Eglise diocésaine du Gabon, les laïcs exercent leur apostolat


multiforme tant dans l’Eglise que dans la vie quotidienne. Dans ces deux ordres, s’ouvrent
à eux des champs d’action apostolique variés dont nous voulons rappeler ici les
principaux : les communautés ecclésiastiques, la famille, les jeunes, les milieux sociaux,
les domaines nationaux. Ils se doivent de cultiver sans cesse le sens du diocèse, dont la
paroisse est comme une cellule, et doivent toujours être prêts, sur l’invitation de leur
pasteur, à apporter leur contribution aux initiatives du diocèse. Avec l’arrivée croissante
des congrégations féminines dans le pays, les femmes jouent un rôle de plus en plus actif
dans toute la vie de la société, avec une participation plus large de leur part dans les
différents domaines de l’apostolat de l’Eglise. Pour pratiquer l’apostolat au Gabon, les
laïcs peuvent exercer leur activité soit individuellement, soit regroupés en communautés
ou associations diverses, soit en couple. Ce derniers cas de mode d’apostolat est très
répandu au sein des diocèses dans les années 1980. L’apostolat des époux et des familles
revêt une grande importance tant pour l’Eglise que pour la société civile. En effet, les
familles chrétiennes doivent représenter les véritables premières cellules d’écoute.
L’apostolat à titre individuel est aussi très appréciable car il permet au laïc de suppléer la
place du prêtre dans la mesure du possible. Ce type d’apostolat est en effet très pratiqué
au Gabon. L’apostolat exercé ensemble est aussi d’une grande importance du fait que
souvent, soit dans des communautés ecclésiales, soit dans les divers milieux, l’apostolat
exige d’être exercé sous forme d’action commune. On rencontre souvent ce type
d’apostolat dans les foyers de charité. Aussi, l’apostolat ne peut atteindre sa pleine
efficacité que moyennant une formation multiforme et complète. Selon Mgr Matthieu
Madéga, la CEG, se penche depuis sa création spécialement sur la formation des laïcs,
spécialement à Libreville. Dans le diocèse de Mouila, une formation de catéchiste est
organisée à Lébamba834. En règle générale, chaque évêque définit au sein de son diocèse
les objectifs à atteindre en ce qui concerne la pratique de l’apostolat de ses fidèles et en
donne si possible les moyens. Mais dans la plupart des cas, on a toujours fait appel à la
bonté des laïcs.

mentionnons pour mémoire que nous avons été son servant de messe durant trois ans au quartier Cocotiers
de Libreville.
834
Cf. Mgr Matthieu Madéga, cité par Ndi Okalla, p. 117.
288
Le mouvement de la Légion de Marie est certainement le plus ancien mouvement
de laïcs au Gabon. Il a été créé en 1976. Ce sont des chrétiens qui se regroupent autour de
la prière mariale pour un engagement social affectif, notamment au service des pauvres et
des malades. Tout cela nécessite une organisation rigoureuse835. Parmi les mouvements et
associations de laïcs qui se développent au Gabon au début des années 1970, il y a
l’association catholique des médias. Cette association regroupe des personnes physiques
et morales qui veulent agir chrétiennement dans le monde des moyens audiovisuels
(presse, radio, cinéma, télévision…) par le soutien aux professionnels catholiques et la
promotion des médias dans un esprit d’évangélisation et de présence chrétienne.
Evidemment, cette association jouit d’une reconnaissance légale au niveau du Ministère
de l’intérieur. Citons également le mouvement « Espérance et Vie » qui concerne
essentiellement des femmes, veuves, séparées ou divorcées, et sont parfois chef de
famille. Ce mouvement est une cellule d’entraide et de spiritualité au sein de laquelle on
retrouve les deux formes d’apostolat. Des femmes peuvent se déplacer de façon
individuelle pour rencontrer des gens chez eux et parler avec eux de la parole de Dieu, ou
elles se déplacent en groupe. Madame Clémentine Ovono, chef de famille que nous avons
rencontrée nous confie à ce sujet : « Les gens sont parfois assez réticents quand on vient
cogner chez eux afin d’aborder avec eux leur vie de chrétien. Dans la plus part des cas,
ils se montent ensuite plus ouverts, mais rien ne les oblige par la suite à prendre des
engagements ». Cette dernière nous confie de même : « De nos jours, les gens sont trop
méfiants car ils confondent tout ce qui est mouvement chrétien d’obédience catholique et
les témoins de Jéhovah »836. D’autres mouvements tels que celui de « Mère et
Miséricorde » sont bien présents au Gabon. C’est une association liée à la communauté
des Béatitudes pour le soutien spirituel et éventuellement matériel des femmes et des filles
qui penseraient à l’avortement. C’est avant tout un service d’écoute soutenu par la prière
des membres de cette association.

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A l’instar des communautés religieuses laïques, les mouvements de jeunesse sont
d’un apport incontournable dans le rayonnement de l’Eglise catholique au Gabon. Ils
représentent en réalité le troisième pilier de l’action de l’Eglise au Gabon depuis 1969. La
Conférence Episcopale Gabonaise y accorde une attention spéciale en insistant sur

835
Jacques Hubert, p. 70.
836
Madame Clémentine Ovono, Chef de famille. Entretiens du 13 février 2007.
289
l’importance des écoles catholiques et la qualité de la formation qui y est donnée837. Par
ailleurs, le phénomène des « enfants de la rue » est tout aussi préoccupant838. L’Eglise sait
bien que la jeunesse n’est pas seulement le présent mais surtout l’avenir de l’humanité : il
faut donc aider les jeunes à vaincre les obstacles et favoriser leur épanouissement839.
D’emblée, la principale question qu’il faut se poser avant tout est celle des savoir ce que
l’Eglise toute entière pense des jeunes, quel est leur apport au sein de l’Eglise ? Pour le
Pape Pie X, les jeunes exercent une influence de la plus haute importance dans la société
d’aujourd’hui, alors que leurs conditions de vie, leur mentalité et les rapports avec leurs
propres familles ont connu un changement assez complet840. 

Dans les débuts de l’Eglise locale en 1969, les mouvements d’action catholique,
dirigés par des jeunes ont pour but l’éveil de la spiritualité, la réflexion, la prière, et bien
entendu l’affermissement dans la foi. Ces mouvements de jeunesse sont pour la plupart :
le scoutisme, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, les cercles catholiques à vocation artistique
et sportive et bien d’autres comme les « Cœurs Vaillants » et « Ames Vaillantes » ou Les
« Chevaliers de l’Immaculée » que nous abordons plus loin. Le plus ancien mouvement
de jeunes au Gabon est sans doute celui de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC). Sa
naissance se situe en 1955841. A l’origine, c’est un mouvement dirigé par les prêtres des
paroisses qui se fixait comme principale mission l’évangélisation du monde du travail,
non seulement par la pratique de la révision de vie (VOIR-JUGER-AGIR), mais aussi par
des engagements liés à la problématique du milieu. De ce fait, le mouvement se propose
d’assister et d’aider les jeunes travailleurs en les préparant à la vie d’adulte ainsi qu’à les
défendre devant des problèmes spécifiques liés à l’emploi dans le pays, qu’il s’agisse de
jeunes diplômés qui se retrouvent au chômage, ou de jeunes sans qualification spécifique.
Le tout premier rassemblement de la JOC s’est tenu à Rome en 1957, trois Gabonais y
assistaient842. On retrouve dans les différents conseils mondiaux, les délégués de la JOC
gabonaise jusque vers les années 1980, pour la JOC, faute de moyens, a perdu sa qualité
de membre au niveau administratif. Face à la réalité et au changement que connaît le
monde du travail, la JOC au Gabon est aujourd’hui réduite à une simple cellule mais il

837
DOCATGAB, CEG, « La formation intégrale du peuple de Dieu : une priorité pastorale », rapport des
évêques lors de la visite de Jean Paul II au Gabon, 1982.
838
Mgr Matthieu Madéga, cité Ndi Okalla, in D’un synode africain à un autre, op. cit. p. 118.
839
Jean Paul II, L’Eglise en Afrique, op. cit. p. 90.
840
DOCATGAB, Cf. Pie X, alloc. A l’Association catholique de la jeunesse française : piété, science,
action, 25 septembre 1904.
841
Claude Dauthuille, op. cit. p. 9.
842
Idem.
290
n’en demeure pas moins que ses activités sont toujours présentes dans le pays, peut être
avec une intensité moins importante.

En dehors de la JOC, d’autres mouvements de la même importance sont présents


au Gabon au début des années 1970. Tout d’abord « Génération Nouvelle » (GEN), en
1972, ensuite les « Chevaliers de l’Immaculée » en 1982, un mouvement qui se situe dans
la branche de la Mission de l’Immaculée fondé en 1917. Tous ces mouvements (JOC,
JEC, Cœurs Vaillants et Ames Vaillantes, Chevaliers de l’Immaculée…) sont réunis au
sein de la FECAM (Fédération catholique des Mouvements), une fédération placée sous la
double tutelle de la Conférence Episcopale et du Ministère de la Jeunesse et des Sport.
Dans ces mouvements, sous l’impulsion des autorités religieuses, du bureau national de la
FECAM, des coordinations diocésaines, les jeunes approfondissent leur foi, développent
les aptitudes de citoyens honnêtes et s’initient aux actions caritatives. Toutefois, de 1969
jusqu’au début des années 1980, l’œuvre caritative de l’Eglise du Gabon se cherche.
Hormis les soins dispensés par les religieuses à domicile et dans les écoles catholiques,
l’Eglise ne possède ni maison d’accueil pour les jeunes et pour les vieux, ni dispensaire,
ni hospices pour les gens âgés843. Dans un rapport en 1982, les évêques parlaient de
consentir des efforts dans l’ouverture d’un centre d’accueil pour personnes âgées à
Lambaréné et un foyer pour vieilles personnes, tenus par des religieuses dans le sud du
pays à Tchibanga844. Mais ces projets ne verront pas le jour immédiatement.

A côté de la FECAM, il y a le scoutisme. L’esprit de ce mouvement a été initié


sous l’impulsion de l’Eglise catholique vers 1936845. De nos jours, le scoutisme qui est
pratiqué dans la plupart des établissements primaires catholiques, a pour but de
développer chez les jeunes et les enfants à partir de huit ans, la santé physique et morale
et de leur inculquer le goût de l’action846. Tout commence par la promesse scoute par
laquelle l’enfant s’engage à vivre la loi scoute, avec comme principes, la franchise, le sens
du devoir et l’assistance des autres. Les activités des mouvements scoutes se déroulent
généralement dans la nature avec des camps organisés autour d’un feu traditionnel. Les
843
DOCATGAB, FECAM, Rapport de la cession de réflexion sur la situation des jeunes, Libreville 1980.
844
DACATGAB, CEG, Rapport des évêques lors de la visite de Jean Paul II au Gabon dans « Affermis tes
frères dans la foi ».
845
C’est le Frère Jérôme Emilien de la Congrégation des Frères de Saint Gabriel qui initie ce mouvement au
Gabon. Il a été aidé dans cette tâche par le Frère Isidore, responsable des scouts routiers et le Frère Macaire
des Louveteaux, puis par un Père du Saint Esprit. Très vite, sous l’impulsion du Frère Jérôme, le
mouvement connaît un essor exceptionnel, sous l’égide du scoutisme français, les associations de filles
venant parfois renforcer les effectifs.
846
Le scoutisme est en réalité un mouvement de jeunesse international, apolitique, qui fut fondé en
Angleterre en 1908, par le Général Baden Powell, héros du siège de la ville de Makefing, pendant la guerre
des Boers. Il compte aujourd’hui plus d’une vingtaine de millions d’adeptes dans le monde.
291
scouts sont généralement groupés en patrouilles de six à huit membres, sous la
responsabilité d’un des leurs, il s’agit souvent du plus âgé du groupe ou du plus ancien.
Tous les quatre ans, tous les scouts du monde entier se réunissent dans des camps scouts
internationaux appelés Jamboree847 qui signifie assemblée d’amis. Très caractéristique,
l’uniforme traditionnel des scouts, avec le foulard, la culotte courte, quant au chapeau à
quatre bosses, il a été abandonné au bénéfice du béret. Les activités des scouts sont
orientées vers la vie moderne et la bonne action quotidienne (B.A.) et s’orientent vers des
formes de services plus collectives, comme les chantiers de jeunesse et la lutte contre la
pollution.

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Les associations d’inspiration catholique, guides et scouts, sont de loin les plus
nombreuses. Sans que cela ne constitue une obligation formelle de la part de la hiérarchie
catholique, on note qu’il y a au moins un groupement de scout dans chaque école primaire
d’obédience catholique, c’est dire à quel point l’Eglise accorde une importance
particulière à ce mouvement de jeunes qui prône essentiellement des valeurs propres à
l’Eglise. En dehors des rassemblements mondiaux, le mouvement scout du Gabon est
également présent à l’occasion des regroupements africains et regroupements nationaux
de tous les scouts du Gabon qui permettent aussi de témoigner toute la vitalité scoute.
C’est le 12 août 1971 que le scoutisme gabonais est reconnu par l’organisation mondiale
du scoutisme et Ange Mba en devient le premier président848. En août 1981, Le quatrième
congrès panafricain de scoutisme qui devait se tenir à Abidjan a été remplacé par la
vingt-huitième conférence mondiale du scoutisme à Dakar.

847
Le dernier rassemblement international scout date de juillet 2007.
848
Il est mort accidentellement sur la route de Kango en revenant d’une mission scout.
292
Nous avons vu l’engagement de la JOC ainsi que la forte présence du scoutisme
dans l’Eglise catholique gabonaise depuis les années 1960, mais il n’en demeure pas
moins qu’en dehors de ces deux mouvements, d’autres associations catholiques de jeunes
participent eux aussi à la consolidation et à l’affermissement de la foi.

293
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294
# # A;B

Avec l’accession d’un autochtone à la tête de l’Eglise du Gabon en 1969, les


espoirs sont immenses au sein de toute la communauté catholique, mais en même temps
les doutes liés à une telle charge étaient présents. Comme le souligne notre informateur,
Aloise Mboumba849, la pesanteur liée aux doutes que formulaient certains missionnaires
sur les incapacités des autochtones à prendre en charge l’Eglise locale, est bien présente.
Sans donner raison à cette forme de pessimisme, il fallait pourtant reconnaître que les
nouvelles fonctions qui incombaient désormais au nouvel archevêque de Libreville, fusse-
t-il un natif du pays, n’étaient pas sans difficultés majeures. Au chapitre des problèmes
qu’il doit affronter au tout début de son épiscopat en tant que nouveau dirigeant de
l’Eglise diocésaine, Monseigneur André Fernand Anguilet doit répondre aux
revendications du clergé diocésain. Mais au-delà de celles-ci, L’archevêque de Libreville
affirme sa détermination à continuer, sinon à tenter d’améliorer l’œuvre entamée déjà
depuis plus d’un siècle d’histoire par les premiers pasteurs de l’Eglise catholique du
Gabon. Ce défi est aussi structurel.

Avec l’accession du Gabon à la souveraineté internationale en 1960, le


développement rapide de certaines villes du pays a exigé en même temps l’ouverture de
nombreuses paroisses surtout à Libreville et à Port Gentil, c’est ce que nous avons montré
dans le chapitre lié au développement des paroisses et leur extension. Certaines de ces
paroisses restaient souvent en éveil grâce à l’implication de plus en plus importante des
congrégations religieuses, surtout féminines, mais aussi à la forte présence des laïcs qui
occupent dès lors une place de choix dans la vie religieuse au Gabon.Le Saint Père en
visite en terre gabonaise du 17 au 19 février 1982 ne manque d’ailleurs pas de signaler
cette importance : «…Je m’adresse aux laïcs chrétiens du Gabon qui portent si
généreusement les responsabilités nombreuses et diverses à travers les diocèses et les
paroisses du Gabon. Je les félicite et les remercie de tout cœur, au nom de l’Eglise toute
entière, du travail évangélique qu’ils ont fait et qu’ils feront encore. Bien des pays
d’Europe sont loin d’avoir des effectifs aussi importants de laïcs engagés et, qui plus,
souvent de façon spontanée et bénévole… »850.

849
Dr. Aloïse Mboumba, Entretien de mars 2007. Notre informateur est aussi un membre fondateur de
l’UGRP.
850
DACATGAB, Documents Sonapress, « Discours et homélies », le Pape Jean Paul II en visite au Gabon,
17 février 1982.
295
Sur le plan quantitatif, les progrès de l’Eglise s’accélèrent entre 1969 et jusqu’au
début des années 1980. La présence des mouvements laïcs et d’associations de jeunes sont
des éléments incontournables de ce dynamisme, sans oublier la présence plus
qu’importante des prêtres fidei donum. Toutefois, il nous paraît utile de souligner qu’au-
delà de tous ces aspects qui marquent vraisemblablement l’action évolutive de l’Eglise
diocésaine, il y a la situation du clergé diocésain en 1970. Comme nous l’avons souligné
plus haut, celle-ci va déterminer les débuts de l’épiscopat de Mgr André Fernand
Anguilet.

Au début des années 1970, la situation du clergé autochtone est loin d’être
satisfaisante du point de vue matériel. Pour les prêtres gabonais, les préjugés et les
appréhensions dont faisait l’objet les gabonais sous l’ère de la Mission n’ont pas encore
complètement disparu. Ils partent également du principe que la nouvelle branche des
prêtres autochtones doit être mise sur un pied d’égalité que les Blancs. De plus, il apparaît
que sur le plan de la gestion des paroisses, il y a toujours beaucoup trop de
« missionnaires » qui en sont responsables. Selon notre informateur, Paterne Kombila,
ancien membre fondateur du mouvement dont il sera question ici, « En 1970, le Gabon
n’est plus sous l’ère de la colonisation. Les prêtres gabonais sont des universitaires et
sont donc capables de conduire une réflexion scientifique sur les problèmes que rencontre
l’Eglise du Gabon. Il n’y a plus de petit prêtre ou ceux de seconde zone contrairement
aux anciennes fonctions que l’on accordait aux premiers prêtres autochtones dont les
tâches devaient de limiter à seconder le missionnaire… »851.

C’est donc autour de ces quelques interrogations que naît en Europe, en 1971, le
mouvement dit Union Gabonaise pour la Recherche Pastorale (UGRP)852. Ce mouvement
avait pour but de tenter d’adapter l’Evangile aux réalités culturelles gabonaises853. En
dehors des causes lointaines qui sont le traitement accordé aux prêtres gabonais et la
nécessité pour ces derniers de conduire eux même les destinées de leur Eglise, il y a des
raisons plus proches en 1970 qui conditionnent la naissance de l’UGRP. Selon notre
informateur, Claude Bekalé854, Monseigneur Anguilet est à l’origine des causes

851
Paterne Kombila, homme politique du pays. Il est marié et père de famille et ne participe plus à la vie de
l’Eglise. Entretien de février 2007.
852
L’Union Gabonaise pour la Recherche Pastorale est certainement un mouvement proche de celui créé le
3 novembre 1968 en France, par le clergé français ou même de celui de la théologie de la libération.
853
Noël Aimé, NGWA MINTSA, Choisir de dire la vérité, édition. L’Harmattan, Paris, 2008.
854
Claude Bekale, entretien de février 2007. Notre informateur est un homme politique et universitaire. Il a
été ordonné prêtre dans les années 60, et est également membre fondateur du mouvement.Il a choisi, à
l’instar d’autres de ses congénères, la vie maritale et l’abandon de l’Eglise.
296
immédiates de la naissance du mouvement. En effet, en 1970, l’archevêque de Libreville
réagissait sur les antennes de la RTG855 au sujet du célibat des prêtres gabonais. Selon
notre informateur, le premier dirigeant de l’Eglise locale estimait alors que le célibat ne
posait aucun problème particulier aux prêtres gabonais qui le vivaient très bien. C’est
donc cette déclaration radio télévisée qui aurait été une des principales causes immédiates
de la contestation en 1971. Les prêtres gabonais ainsi que quelques laïcs présents à Paris,
Rome, Stockholm et Libreville se sont alors réunis autour de l’UGRP et ont rédigé un
fascicule soumis au Pape qualifié de « bombe gabonaise »856. Il fit du bruit et souleva de
vives discussions. Ce fascicule est rédigé au moment où se tint à Rome le Saint Synode.

# # A;B
Comme nous l’avons souligné plus haut, les principaux animateurs de cette
structure sont basés à la fois en Europe mais aussi à Libreville. A la création de l’UGRP,
on retrouve essentiellement des noms tels : Lazare Digombé, Président de la structure,
Casimir Ondo Mba, trésorier, Jean Martin Eboulia, Secrétaire Général (résidant en Suède)
ainsi que d’autres membres tels que Martin Alihanga (Paris), Jean Mbundu et Jean Mbeng
(Libreville), Damas Djodji Georges (Paris), Jean Pierre Elelaghe Nzé (Paris), Florent
Mboumba Bwassa (Paris), Mintsa Mi Mbundu José et Nguéma Obame Paulin857. On peut
aussi citer des laïcs et d’autres religieux qui ont rejoint la structure à Libreville tels que
Jules Aristide Ogouliguéndé, Pierre Louis Agondjo ou même la Sœur Assounta858. En
règle générale, un congrès s’appuie sur plusieurs points. Celui de l’UGRP s’est arrêté sur
trois questions essentielles que les prêtres gabonais, tous doctorants, présents en Europe
estiment capitales pour le jeune clergé du Gabon : la vie matérielle, le célibat et la
formation de ses membres. Pour les clercs gabonais, la mission la plus urgente à l’heure
où l’Eglise est devenue locale, est de tout faire afin de dépasser un certain moule selon
lequel tous les prêtres se ressemblent et d’admettre la diversité. Tout cela leur semble à la
fois respecter les données de l’évangile, la tradition la plus ancienne de l’Eglise, l’être
humain en général mais aussi la variété des individus appelés au sacerdoce et les besoins
concrets des communautés chez lesquelles ils sont envoyés. Pour tenter de mieux saisir la
situation en 1971, nous nous proposons en quelques lignes de dresser un diagnostic sur les
principales revendications des prêtres gabonais.

855
Radio Télévision Gabonaise, émission de mars 1970.
856
La « bombe gabonaise », pour expliquer la caractère explosif de ce fascicule, est en réalité une
expression que nous tenons du Pr Martin Alihanga, membre de l’UGRP.
857
Nous ne connaissons pas exactement les titres de chacun. Selon Martin Alihanga, la structure était tout
simplement scindée de deux sections : le groupe de Libreville et celui d’Europe.
858
Archives CSSP, Boite 406 « Rapport du Congrès gabonais sur la recherche pastorale ».
297
#
Le congrès de l’Union Gabonaise pour la Recherche Pastorale ouvre ses débats à
travers la phrase suivante : « Tout être vivant a besoin pour sa survie de moyens
appropriés »859. En priorité, il faut noter que le congrès porte une attention particulière à
la vie matérielle et professionnelle car elle constitue un problème crucial pour l’Eglise au
Gabon. Afin de mieux saisir l’état de la vie matérielle des prêtres gabonais en 1971, il est
nécessaire de dresser un tableau sur leur situation antérieure.

A;B
Avant 1970, si les prêtres gabonais estiment que leur traitement est loin d’être
similaire à celui accordée aux expatriés, aux prêtres blancs notamment, personne ne
semble oser élever la voix pour dénoncer cette différence. Il faut donc attendre le début
des années 1970 pour voir la volonté d’affranchissement du clergé autochtone. En effet,
jusqu’en 1970, la formation du clergé indigène et le traitement accordé à celui-ci se faisait
dans un esprit colonialiste affirme le Père Paul Mba Abessole qui, pour étayer son propos,
cite des extraits du Règlement des prêtres indigènes élaboré par Mgr Tardy (1926-1947) :
« Dans l’observation du règlement, et dans l’accomplissement de leur travail, les prêtres
indigènes s’efforceront d’être d’une docilité parfaite. Ils sauront se soumettre
humblement et loyalement aux avis et directives de ceux qui ont autorité sur eux. Il
importe que le prêtre indigène sache humblement rester à sa place, se conservant
fidèlement dans l’honnête simplicité qui lui convient »860. La génération des prêtres de
1970 semble donc porter le problème lié à leur traitement avec pleine détermination. Dès
lors, la question qu’on est tenté de se poser est celle de savoir pourquoi cette distanciation
des deux clergés ?

Le règlement élaboré par Mgr Tardy est clair et donne une priorité du clergé blanc
au détriment des prêtres autochtones. Pourtant, certaines affirmations de l’époque
tendaient à dire que le prêtre autochtone doit être traité au même titre que le missionnaire
blanc. Face à cet écart, le clergé diocésain s’est rendu compte petit à petit que le
programme de vie communautaire n’a pas été réalisé de façon générale. En effet, la
volonté de transformation de la Mission du Gabon entre 1945 et 1958, favorable à des
circonstances politiques, semble apporter des solutions aux problèmes rencontrés par les
deux clergés. Les membres de la cellule UGRP estiment dès lors que seul le prêtre

859
Archives CSPP, boite 436 « Préambule du fascicule de l’UGRP en 1971 ».
860
Paul Mba Abessole, propos rapportés par Essone Mezui, op. cit. p. 126.
298
diocésain avait fait l’effort nécessaire pour réaliser les clauses du contrat, alors que l’autre
partie, c'est-à-dire le clergé expatrié, n’a fait qu’exploiter cette fidélité. Pour ce qui est du
logement, il faut souligner que depuis toujours, prêtres diocésains et expatriés ont souvent
habité le même logement, les locaux qui abritaient les services de la mission où qu’elle
soit installée dans le Gabon. Toutefois, ils n’étaient pas souvent amenés à se rencontrer. Il
se produisait toujours une sorte de discrimination car le prêtre diocésain était logé à
l’écart des ses confrères en général dans le dortoir des enfants, de même il ne mangeait
pas à la même table que les autres missionnaires. Ce comportement portait une grave
atteinte au prêtre diocésain. Il en est de même de la pauvreté imposée par le règlement des
prêtres indigènes, la conduite du prêtre expatrié à l’endroit du prêtre diocésain a pour
manifestation sous jacente l’idée que le Noir est naturellement pauvre, qu’il n’apporte
rien, qu’il a tout reçu et qu’il a tout à recevoir861. En d’autres termes, selon Mgr Tardy, le
jeune homme gabonais qui décidait de devenir prêtre acceptait les conditions mentionnées
dans le règlement des prêtres indigènes : de facto, il abandonnait tout ce qui faisait sa
richesse dans son milieu naturel. Cette conception entraînait de nombreuses
discriminations quotidiennes. Ainsi le prêtre indigène ne devait pas prétendre à certains
médicaments tels que la quinine ni des soins considérés comme extraordinaires tels que
l’hôpital. Si un prêtre indigène tombait malade, on devait tout simplement le conduire
vers la médecine indigène. Quant à ce qui est de la nourriture, il en était de même :
normalement, le prêtre diocésain vivant en communauté avec les missionnaires devait en
principe partager la même table que ces derniers, or ce n’était pas le cas. Une différence
considérable visible se dégageait dans les repas. Par exemple, le prêtre diocésain n’avait
pas droit à des produits de type européens tels que le fromage ni aucun dessert : il arrivait
même que certains produits locaux lui soient interdits. Lors des repas, le clergé expatrié
devait se servir avant et les Noirs après. Cette discrimination se retrouve présente dans
d’autres domaines. En effet, le congrès de l’UGRP souligne également la très forte
discrimination au sujet du port vestimentaire. Comme la nourriture, le vêtement était
procuré par la mission, mais le prêtre indigène n’avait rien à dire sur la qualité des habits
qu’on lui donnait.

Pour ce qui est de l’argent, le prêtre diocésain n’avait d’autres revenus que ses
maigres honoraires de messe et si le prêtre diocésain était enseignant donc rémunéré par
la colonie ou l’Etat, il ne recevait rien. Les membres du congrès ont donc tenu à qualifier
cet ancien état des choses comme étant un vol, même une escroquerie grave.
861
Archives CSSP, Boîte 562, « Notes sur Mgr Tardy au sujet du règlement des prêtres indigènes de Mgr
Tardy 1940 ».
299
Quant au moyen de locomotion, il faut souligner qu’à l’instar des autres
différences entre les Blancs et les Noirs, le prêtre indigène devait se servir uniquement des
moyens du pays, il devait utiliser la pirogue au lieu de la pinasse des missionnaires. Les
missionnaires avaient aussi l’avantage de pouvoir voyager gratuitement à bord des navires
de la marine française862. Lorsque le prêtre indigène se déplaçait en pirogue, on lui
donnait comme pagayeurs les enfants de la mission. Enfin sur la terre ferme, il devait se
déplacer à pied, alors que le missionnaire pouvait utiliser le véhicule de la Mission ou
même la bicyclette. En ce qui concerne les congés, ce mot était complètement banni du
vocabulaire du prêtre diocésain. Les congés n’étaient valables que pour les Blancs qui
avaient la possibilité de rentrer en Europe au moyen d’un voyage gratuit à bords des
bateaux de la marine. Il existait juste une exception pour ceux des prêtres indigènes qui
avaient perdu un parent proche. Selon les conclusions de l’UGRP, voici en quelques
lignes comment on pouvait définir la situation matérielle des prêtres gabonais entre 1899
jusqu’au milieu des années 60, c'est-à-dire approximativement vers 1964. Qu’en est-il de
la situation après 1965 et surtout au début des années 1970 ?

A;B
En 1971, les membres du congrès de l’UGRP estiment que depuis toujours, la
Mission a fonctionné de façon déficiente contrairement à son esprit. Elle a de ce fait
contribué à faire du prêtre diocésain un éternel assisté. Toutefois, la recherche
d’autonomie et la modification sensible du statut du Gabon passant de pays de Mission à
Eglise locale a plus ou moins fait éclater cette situation, mais sans jamais améliorer les
conditions de vie des intéressés. Il faut néanmoins reconnaître qu’à l’aube des années
1970, la situation semble être légèrement modifiée, des modifications allant plus ou moins
dans le sens positif. A ce sujet, force est de reconnaître avant tout qu’une certaine
dévalorisation du prêtre diocésain est dépassée dans tous les diocèses du Gabon, sinon
dans l’esprit, du moins dans les faits. Mais en ce qui concerne le mode de vie, la situation
du personnel religieux reste misérable dans l’ensemble particulièrement pour le clergé
diocésain, ce qui entraîne souvent la démission de certains. Les témoignages de certains
prêtres et laïcs gabonais confirment cette assertion : les prêtres gabonais éprouvent de
grandes difficultés à être présents auprès du peuple alors qu’ils passent leur temps à
assurer leur existence matérielle ; dans ces conditions, leur tâche est assez difficile.

862
Annexe n°1. cf. articles 3 et 5 sur la convention de l’envoie et l’entretien des missionnaires devant se
rendre en Afrique.
300
Cependant pour ce qui est des honoraires de messe, les moyens de locomotion, la
nourriture, le logement…les membres de l’UGRP constatent une légère amélioration dans
ces différents domaines de la vie quotidienne. Il est donc à noter que le prêtre diocésain
avait désormais la possibilité de s’habiller à peu près convenablement et, pour ceux qui
exerçaient une activité rémunérée comme l’enseignement, ils avaient désormais la
possibilité de percevoir leur salaire863. Mais ces conditions de vie misérable de certains
clercs gabonais fait dire à Janot Poulin, une laïque québécoise arrivée au Gabon en 1986,
que : « Malheureusement, lorsque le sacerdoce est exercé par un Gabonais, il y a bien
des chances qu’il s’agisse d’une pauvre… »864. Le personnel religieux d’origine étrangère
membre des congrégations n’est pas logé à la même enseigne : ils n’ont pas besoin de
gagner leur vie en plus d’exercer leur ministère. A côté des quelques points positifs que
nous venons de noter, le contraste est évident : un clivage de fait existe entre les deux
clergés sur le plan économique, d’un côté le prêtre diocésain improductif et ruineux,
surtout quand il vit près des siens865, de l’autre, le prêtre expatrié, qui, sans être un nanti,
peut toutefois apporter quelque chose de chez lui et n’a pas de famille à ses côtés.

Ces notes de Mgr Tardy semblent rester d’actualité. Il évoque d’ailleurs le fait
qu’une Mission progresserait mieux entre les mains d’un prêtre blanc que celles d’un
indigène866. Sur plusieurs plans, le prêtre diocésain est laissé à lui-même
économiquement, c’est un peu le prix qu’il paie pour avoir revendiqué sa liberté et d’avoir
critiqué les méthodes de la Mission. En effet, la situation qui est perceptible après 1955
est qu’il existe deux statuts : celui du missionnaire blanc et celui du prêtre autochtone.

Il faut également noter que suite à cette dégradation des rapports entre les deux
clergés, une tendance se dessine de plus en plus chez les jeunes prêtres, celle d’aller vivre
dans les quartiers et avoir un chez soi. En réalité, cette tendance a plusieurs causes : le
désir d’être en plein épanouissement mais aussi des raisons familiales et personnelles. En
effet, les prêtres diocésains ont toujours estimé qu’ils ont une famille malgré le fait qu’ils
soient devenus prêtres de Jésus Christ, témoigne ainsi Paterne Kombila867. Pour eux, il
n’est pas question de se séparer de leurs parents ; bien au contraire, il devait en rester
proche car leur travail n’était pas incompatible avec une vie en famille.

863
Archives CSSP, Boîte 436 « Congrès de l’UGRP, rapport sur la vie matérielles des prêtres gabonais ».
864
Janot POULIN, « L’Eglise qui est au Gabon » in Univers, N° mars avril 1992.
865
A ce sujet, les missionnaires estiment que la famille est un fardeau pour le prêtre diocésain pour la
simple raison que ce dernier profitait des quelques privilèges que lui procurait la Mission pour en donner un
peu aux membres de sa famille. Quoi de plus normal selon les membres de l’UGRP.
866
Archives CSSP, Boite 562 « Règlement des prêtres indigènes de Mgr Tardy ».
867
Op cit. Témoignage oral de janvier 2007.
301
Enfin toujours en rapport aux aspects négatifs, le congrès évoque la question
relative à l’état de santé du prêtre diocésain. Quelle est sa situation exacte en cas de
maladie grave ? Qu’en est-il de ses congés et de sa retraite ? A ces interrogations, le
synode national tenu en 1966 à Libreville avait émis quelques vœux allant dans le sens
d’une certaine amélioration. Toutefois, il n’en demeure pas moins que celles-ci restaient
très vagues car ne bénéficiant en réalité d’aucun statut bien défini. A ce sujet, les prêtres
gabonais ont marqué leur scepticisme.

D’autres questions sont soulevées. En ce qui concerne le cas des nombreux départs
des élèves dans les séminaires, la situation d’antan n’a donc pas changé après 1970868.
Pour les membres du clergé gabonais, le diagnostic exact de cette situation s’explique par
l’état de pauvreté et de misère auquel les élèves sont confrontés : la crise des moyens de
subsistance tant du côté des fidèles que celui du clergé autochtone n’épargnait pas les
séminaristes. Il y a également le problème du personnel généralement sous payé et perçu
comme de la main d’œuvre gratuite même si la situation a changé en 1971. On estime
qu’en cette date, l’Eglise a désormais des moyens un peu plus importants qu’autrefois.
Les questions que l’on se posent sont très concrètes, par exemple celle de savoir si le
prêtre diocésain sera servi par une personne bénévole, par une épouse, par une personne
rémunérée ou s’il fera le ménage lui-même ? Ces interrogations se posent bien entendu en
fonction du traitement auquel avait droit le clergé expatrié. Enfin, il y a la question
relative aux parents, peut-on rester authentiquement gabonais même si l’on est prêtre et
ignorer la réalité familiale qui implique nécessairement la solidarité économique ? Il faut
noter que ce sont souvent les enfants de famille pauvres ou pas trop riches qui font le vœu
de devenir prêtre. Les membres du clergé diocésain reconnaissent en définitive que rien
n’est plus démoralisant que de voir des parents regretter en quelque sorte le don d’un fils
à la communauté chrétienne. Cet état des choses est vrai et nous l’avons déjà souligné
dans la recherche des causes sur les origines de la crise des vocations. C’est peut être
même l’une des raisons les plus importantes. Une famille pauvre n’a pour seul souci que
de voir son fils réussir dans les études et pouvoir un jour aider la famille. Or, peut-il le
faire en étant prêtre ? Ce n’est pas le cas puisque tous les prêtres n’exercent pas forcément
à côté de leur activité religieuse, une activité rémunératrice869. C’est cette situation que le
congrès de l’UGRP a tenu à dénoncer. Les nombreux écarts entre le traitement du clergé
autochtone et celui du clergé expatrié ont toujours contribué à bloquer le ministère du

868
Le séminaire du Gabon a toujours enregistré des entrées importantes en termes d’élèves, mais très peu
restaient en définitive. Cette situation existe depuis 1856 et n’a visiblement pas changé même après 1970.
869
Archives CSSP, Boîte 406 « Rapport du congrès de l’UGRP ».
302
prêtre gabonais à cause de sa situation matérielle, souligne l’abbé Jean Mbeng. Le
dilemme est le suivant : s’il travaille, il risque d’être soumis à toutes les servitudes d’un
employé, s’il reste sans emploi, il sera à la merci de la mendicité et de l’instabilité. Le
premier aspect est le moins humiliant et certainement le plus utile pour un pays en voie de
développement.

Par ailleurs, le congrès de l’UGRP note à l’occasion qu’il devient de plus en plus
utile de faire participer le maximum de laïcs compétents et en équipe. Il faut également
informer les fidèles sur la situation de leur clergé et l’usage que l’on fait de leurs
offrandes. Il faut en outre de la justice dans la rémunération des employés prêtres et fixer
les congés et les retraites. En définitive, puisque le congrès approuve l’utilité des
communautés de base et à un clergé marié, il devient donc de plus en plus nécessaire
d’envisager l’insertion dans les quartiers et les habitations personnelles pour les prêtres.
Une telle évolution ne pourrait se faire qu’avec prudence, discrétion et avec un esprit de
solidarité avec les confrères. Il est bon d’attirer l’attention sur les dangers de la richesse
surtout en comparaison avec le peuple dont il est important de rester proche par le mode
de vie870.

! # #
Au chapitre des revendications du congrès de l’UGRP, il faut souligner le
problème crucial du célibat. En réalité, nous confie notre informateur, c’est la chose qui a
fâché les plus hautes autorités de l’Eglise catholique où il y a trop d’ « hypocrisies »871.
Avant de situer le problème du célibat sacerdotal dans le contexte propre à l’Eglise au
Gabon, il convient de faire un peu d’histoire et de comprendre pourquoi l’Eglise
catholique maintient la règle du célibat sacerdotal. Il faut savoir que dans l’Eglise
catholique occidentale de rite latin, le célibat des prêtres est une règle constante depuis
toujours bien qu’elle fut constamment attaquée. Le concile de Nicée (325) avait rejeté une
motion importante imposant le célibat à tout le clergé, et depuis lors les Eglises
orthodoxes et les Eglises catholiques orientales admettent que leurs prêtres (non leurs
évêques) soient mariés, à condition qu’ils l’aient été avant leur ordination. Cette pratique
souligne le fait que le célibat des prêtres n’est pas d’ordre divin, il s’agit simplement
d’une question de discipline interne à l’Eglise latine. En Occident, la règle du célibat
ecclésiastique pour le clergé séculier est une extension du célibat monastique. Elle a été
870
Idem.
871
Paterne Kombila, op. cit. Entretien de janvier 2007.
303
confirmée, époque après époque, depuis le concile d’Elvire (306) en passant par le concile
de Trente (1545-1563), jusqu’à l’encyclique de Paul VI sur le célibat sacerdotal (1967), la
lettre aux prêtres de Jean Paul II (1979) et le code du droit canon de 1983 où il est dit que
le mariage des prêtres est déclaré nul. Or ces rappels fréquents soulignent bien les
difficultés que soulève le célibat ecclésiastique872.

L’Eglise catholique occidentale de rite latin voit dans le célibat de ses prêtres un
signe important par lequel le prêtre doit se consacrer entièrement à son ministère. Par son
célibat, le prêtre a une autre paternité : il est complètement au service des autres hommes.
Le prêtre est au service d’une communauté déterminée du peuple de Dieu, dans laquelle
chacun s’attend à recevoir attention, sollicitude, amour, pour être disponible à un tel
service, le cœur du prêtre doit être libre d’après les paroles du Pape Jean Paul II dans sa
lettre aux prêtres du 8 avril 1979. Si les responsables de l’Eglise n’ont cessé d’être
conscients de la difficulté d’un tel engagement, ils ont constamment insisté sur la
nécessité de la confiance totale en Dieu, celle qui faisait dire à Saint Paul : « je peux tout
en celui qui me fortifie ». Il est donc important et nécessaire que l’Eglise catholique
maintienne le célibat sacerdotal car cette règle prouve seulement que, dès le début de
l’Eglise, on a pensé que les clercs (diacre, prêtre, évêque) devaient être disponibles pour
le peuple dont ils ont la charge. Autrement dit, le prêtre ne peut pas à la fois s’occuper
d’une famille et d’un peuple qui lui est confié

En réalité, la règle du célibat des prêtres disciplinaire et propre à l’Eglise


catholique de rite latin, recouvre une motivation évangélique et apostolique : le prêtre
diocésain choisit de vivre le célibat à l’exemple de Jésus Christ et par son célibat, il
acquiert la paternité spirituelle.Toutefois le pape pourrait changer cette règle, s’il le juge
nécessaire, cela ne dépend que de lui. Or, pourquoi le congrès de l’UGRP conteste t-il
cette règle à partir de 1971 ? Selon Paterne Kombila873, les paroles prononcées par
l’archevêque de Libreville sur les antennes de la RTG en 1969 sont un élément
déterminant, provocative à la naissance de ce mouvement. Selon le premier responsable
de l’Eglise catholique du Gabon, le célibat ne pose pas un problème aux clercs gabonais.
Comme nous l’avons souligné plus haut, cette déclaration du premier dirigeant de l’Eglise
catholique autochtone ne trouve pas l’écho favorable auprès de certains prêtres gabonais.

872
Archives CSSP, Boîte 436, « préambule sur le fascicule de l’UGRP en 1971 ».
873
Paterne Kombila (homme politique gabonais, membre fondateur de l’UGRP), op. cit, enquête orale de
janvier 2007.
304
Bien au contraire, le célibat pose un véritable problème au clergé autochtone, c’est du
moins ce que les prêtres ont exposé lors du congrès de l’UGRP.

Proche de certains autres mouvements de prêtres contestataires nés entre 1968 et


au début des années 1970 à l’instar de « Echanges et Dialogue »874 en France, l’UGRP
dénonce en réalité un malaise profond, ancien et caché qui mine le clergé autochtone. En
effet, la loi du célibat imposée dans l’Eglise d’Occident au IVe siècle et passée dans les
faits avec la Contre Réforme, a provoqué dans l’Eglise une crise générale avec les
revendications nées au lendemain de 1968875. Or les jeunes Eglise d’Afrique se trouvent
en même temps concernés par cette crise. Affirmer que celle-ci n’affecte pas les pays
riches relève d’une ignorance. Partant de cette constatation que la crise est bien présente
dans les pays africains, mais en situant le débat dans le cadre du clergé gabonais, le
congrès de l’UGRP a tenu à apporter une contribution à la résolution de cette crise, mais
aussi esquisser l’image de ce que pourrait être le prêtre gabonais de demain. En réalité, on
ne peut de façon permanente continuer à parler de célibat sacerdotal et ignorer les réalités
propres à chaque région, à chaque peuple ou à chaque culture. Les prêtres gabonais réunis
au sein de l’UGRP estiment en 1971 que l’Eglise catholique traîne une version erronée de
la sexualité : à leurs yeux, estimer que celle-ci rend impur et donc impropre aux actions
sacrées lèse gravement la conception chrétienne de l’homme. En d’autres termes, le
célibat n’a jamais été une valeur dans la culture africaine, aussi la loi de l’Eglise
d’Occident est-elle sentie comme une mutilation dans la mesure où le célibat a été imposé
au clergé africain876.

Les Africains ne sont plus dupes et le nombre de prêtres intellectuels gabonais ne


cesse de s’accroître, tout ceci pousse à considérer le prêtre comme un homme comme tous
les autres qui doit mener une vie normale et se marier. Continuer à le voir demeurer
célibataire relève d’une certaine hypocrisie877.

Pour ce qui est de la formation du prêtre diocésain, s’il faut déjà une option de
base, le style du prêtre doit être au diapason de la communauté chrétienne. Par rapport aux

874
Dans la mouvance des groupes contestataires issus de mai 1968, émerge un mouvement très particulier,
entendant jouer un rôle dans l’Eglise et dans la société : « Echanges et Dialogue » qui rassemble des prêtres.
Pour ce mouvement, le prêtre doit occuper un emploi salarié, s’engager dans la vie politique ou syndicale, et
peut se marier s’il le désire. De 1968 à 1975, la vie d’Echanges et Dialogue s’inscrit dans cette période du
catholicisme français que l’on qualifie généralement de crise.
875
Olivier CLEMENT, « célibat sacerdotal et tradition », in Le Monde, 29 octobre 1971, p. 12.
876
Archives CSSP, Boîte 436 « Notes au sujet du célibat sacerdotal des prêtres gabonais par l’UGRP ».
877
Idem.
305
exigences concrètes, il y a évidemment la nécessité d’être inséré au sein de cette
communauté, d’être reconnu par elle et d’y assumer des responsabilités. Pour ces raisons,
le Congrès réclame une formation permanente et une continuelle remise en question.

& / # " #
#
Au début des années 1970, il est toujours question de répondre à la difficile
question du recrutement nécessaire des prêtres pour les quatre diocèses du Gabon.
Vocation et appel sont en réalité deux termes synonymes en étymologie, mais pas en fait.
L’invitation à la prêtrise comporte deux interventions. Au départ, subjectivement, le plus
souvent dans les jeunes années, par la grâce sans doute de l’Esprit Saint et sous
l’influence de circonstances variées, les familles chrétiennes, les paroisses, les curés
doivent susciter et encourager ces vocations comme l’exprime le canon 223 § 1 : « A la
communauté chrétienne tout entière incombe le devoir de favoriser les vocations pour
qu’il soit suffisamment pourvu aux besoins du ministère sacré dans toute l’Eglise ; ce
devoir incombe spécialement aux famille chrétiennes, aux éducateurs et, à un titre
particulier, aux prêtres, surtout aux curés. Les évêques diocésains, à qui il appartient
surtout de veiller à promouvoir les vocations, instruiront le peuple de l’importance du
ministère sacré et de la nécessité de ministres dans l’Eglise, et ils susciteront et
soutiendront les initiatives en faveur des vocations, en particulier dans les œuvres
instituées à cette fin »878. Dans le langage habituel, le terme de vocation désigne surtout ce
premier aspect, personnel et subjectif. Pour répondre à un tel défi, l’Evêché de Libreville
met en place les centres ou groupes Appels en 1978, c’est surtout pour répondre
favorablement au désir urgent de sonder les vocations879. Les différents candidats doivent
être jugés aptes et sincères dans leur désir de devenir prêtre. Ces centres Appels ont-ils eu
un succès et y a-t-il eu plus d’ordinations dans le diocèse du Gabon ? 

Assez souvent, tous ces jeunes qui affirment avoir reçu l’appel ne deviennent pas
souvent prêtres. Au début de l’Eglise du Gabon, nous avons disposé de chiffres à peu près
exacts sur le nombre d’entrées au séminaire bien que très peu de jeunes aient été
ordonnées prêtres par la suite. Néanmoins, cet engouement à prétendre devenir ministre

878
Paul WINNINGER, op. cit. p. 59.
879
Ces groupes constituent la relève de demain.Il s’agit de jeunes qui ont entendu l’appel de Dieu à une vie
donnée et qui se confie à un prêtre, un religieux ou une religieuse pour étudier avec leur accompagnement
leur vocation.
306
de Dieu apportait un regain de confiance aux dirigeants880. De nos jours, et plus
précisément sous l’ère diocésaine, la ferveur des gens est moins spontanée vers le
sacerdoce.La surabondance des vocations masculines au début de la mise en place du
séminaire au Gabon s’explique par des circonstances bien précises. Nous l’avons déjà
souligné. Certes, nous n’avons pas disposé de chiffres précis concernant les entrées dans
les séminaires au début de l’Eglise diocésaine, mais il n’en demeure pas moins que les
établissements censés former les vocations sont de plus en plus vides881. Au chapitre des
raisons énoncées plus haut et qui expliquent cet effondrement des vocations, il y a
d’autres raisons. En effet, les jeunes y compris les croyants, sont ébranlés par une pluralité
de choses qui contribuent à semer le doute en eux : les opinions politiques, l’économie,
l’argent…autant de facteurs qui font qu’on devient tout à fait indifférent. Certes chez les
plus jeunes, la foi est naturellement transmise par le biais des parents issus de familles
chrétiennes, on va à la messe tous les dimanches et on reçoit ses premiers sacrements.
Mais arrivés un peu plus vers l’age adulte, ces mêmes jeunes commencent à se détourner
de l’Eglise.

Les curés éducateurs se font aussi de plus en plus rares, ou même se détournent de
leurs responsabilités. Dans ces conditions, comment espérer une progression des
vocations ? De plus, l’image de l’Eglise dans les médias n’est pas montrée à sa juste
valeur, et le ministère du prêtre n’apparaît plus aussi valorisant que ce qu’on pouvait
penser autrefois. En réalité, le célibat n’est pas le seul obstacle à la vocation des jeunes au
Gabon. Les difficultés structurelles énumérées précédemment et les changements socio-
culturels sont souvent décisifs. Mais l’exigence du célibat s’y ajoute et les aggrave,
réduisant encore la force de volonté pour l’engagement à la prêtrise882. Les enquêtes
menées sur le terrain883, généralement auprès de séminaristes ou d’anciens séminaristes,
nous ont révélé que beaucoup ont quitté l’institution par peur du célibat et les autres par
peur de na pas être capables d’endosser une telle responsabilité. D’autres témoignages
ajoutent à cela l’hypocrisie des supérieurs. En réalité, les jeunes vivent pleinement mais
discrètement leur sexualité même lorsqu’ils sont séminaristes. Il n’est pas question de

880
Martial Assoume, ancien séminariste, enquête orale, op.cit.
881
Les Archives de l’Archevêché de Libreville ou même du séminaire Saint Jean censées nous renseigner
là-dessus sont vides, ou inexistantes. Au secrétariat de l’archevêque, lorsque vous vous présentez en tant
qu’enseignant chercheur ou en tant qu’étudiant qui prépare un travail de recherche, on vous répondra tout
simplement que l’ensemble des Archives a été transporté en Europe, en France notamment.
882
A l’exemple du mouvement Echanges et Dialogue, réuni à Paris les 11 et 12 janvier 1969, le mouvement
UGRP pose sérieusement la question du célibat des prêtres et leur mariage. Les exigences du mouvement
Echanges et Dialogues sont exposés par Sylvaine Guinle Lorinet in Libérer le prêtre de l’état clérical,
Echanges et Dialogue (1968-1975), l’Harmattan, Paris 2008, 297 pages.
883
Martial Assoume, ancien séminariste, Clotaire N’nagué, séminariste, Séverin Mba, prêtre.
307
verser dans la permissivité. Mais au début des années 1980, force est de reconnaître que
tous les exégètes, théologiens, moralistes, sociologues, historiens et psychologues
restituent à la sexualité sa dimension biblique d’humanité mâle et femelle créée à l’image
de Dieu884.

) .
Parler de « prêtres mariés », c’est définir la personne par rapport à la loi du célibat
et à sa transgression. On ne parle pas de pasteurs protestants mariés parce que la plupart le
sont. De plus, ces termes ne recouvrent pas l’ensemble des situations de prêtres qui on
cessé leurs activités officielles885. Ainsi, notre recherche nous révèle que la quasi-totalité
des prêtres gabonais, membres de l’UGRP se sont mariés dans les années 1970 ou peu
après, très peu parmi eux étant restés célibataires. Ensuite, parler de prêtres mariés c’est
affirmer le caractère sacerdotal permanent de ces hommes. Or si certains se considèrent
toujours prêtres, d’autres récusent nettement cette position886. Enfin, certains estiment
avoir été écartés par l’Eglise et la hiérarchie et ne souhaitent plus du tout en parler. C’est
dans ce dernier cas que nous avons rencontré un prêtre gabonais, membre fondateur de
l’UGRP : « Je ne souhaite pas réagir sur les problèmes de l’Eglise du Gabon car j’estime
ne plus en faire parti malgré mon ordination en 1955 », précise Paterne Kombila887. Pour
tenter de répondre à la question de savoir en quoi des prêtres mariés, serait une bonne ou
mauvaise chose, il faut d’abord poser la problématique de l’obligation du célibat. Il faut
en effet souligner que l’Eglise dans son entièreté n’est pas une démocratie, mais pas non
plus une dictature. Les fidèles ont le droit d’être entendus, ils veulent des prêtres et en ont
besoin, mais se heurtent à un refus. Que feraient-ils demain lors d’un dimanche sans
prêtres ? Les ecclésiastes en nombre décroissant demandent des confrères et des
successeurs, mais ne sont pas entendus. Les conférences épiscopales de certaines Eglises
régionales ont un besoin urgent de clergé…888.

Le vrai problème du célibat réside dans son obligation, elle est problématique car
de plus en plus, bon nombre de responsables religieux souhaitent la modification de

884
Paul WINNINGER, op. cit. 62.
885
Jean LANDRY, Julien POTEL, Henry POUSSET, Femmes et prêtres mariés dans la société
d’aujourd’hui, éditions Karthala, Paris 1997, 245 pages.
886
Lors d’une de nos enquêtes, nous sommes passé au cabinet de travail d’un potentiel informateur. Lorsque
nous nous somme présenté et avons défini le motif de notre visite qui consistait à voir monsieur M, en sa
qualité d’ancien prêtre, la réaction du directeur de cabinet (sans doute) a été presque vive. Ce dernier nous
avait répondu en disant : « attention jeune homme, monsieur M n’est pas un ancien prêtre, c’est toujours un
prêtre ».
887
Paterne Kombila, op. cit.
888
Paul Winniger, p. 97.
308
l’obligation du célibat pour devenir prêtre. Nous l’avons vu précédemment avec le
congrès de l’UGRP. De plus, tout candidat au sacerdoce n’a pas les possibilités de
s’engager toute sa vie dans le célibat, d’autant que les jeunes vocations sacerdotales et
religieuses ou mêmes monastiques, suscitées par la générosité de la jeunesse, risquent
souvent de se révéler tardivement ou difficilement. Et même lorsqu’elles sont révélées,
elles supportent mal l’état du célibat à l’age de la maturité. A la question de savoir si les
prêtres du clergé diocésain faisaient-ils le vœu de chasteté, un prêtre gabonais que nous
avons interrogé nous répond ceci : « Les prêtres diocésains ne font pas le vœu de pauvreté
ni de chasteté contrairement aux moines, mais ils s’engagent au célibat et à obéir à leur
évêque »889. Réponse diplomatique intellectuelle qui montre toutes les limites.

Faire des vœux est le propre des religieux. En réalité, même si les prêtres
diocésains ne font pas le vœu de chasteté, ils doivent néanmoins vivre cet état chaste mais
aussi l’obéissance à l’Eglise et le détachement des biens matériels. Ils doivent les vivre
d’autant plus que ce sont des conditions nécessaires à la mission qui leur est confiée.
Répondre à la question de savoir sur le bien fondé ou non des prêtres mariés pour l’Eglise
du Gabon n’est pas une chose aisée car il pourrait y avoir autant de points négatifs que
positifs. Sur les points négatifs, il y a d’abord la conscientisation du peuple ou des fidèles.
De tout temps, on a fait admettre dans l’esprit des gens, qu’un prêtre est un homme chaste
et qui n’a pas de femme. Un bouleversement subite pourrait choquer plus d’un et le risque
de confiance entre le prêtre et le chrétien pourrait en pâtir. En effet, qui oserait se confier
à un prêtre dont on sait qu’il est marié ? Qu’en ferait-il des secrets de la confession dans
la mesure où on sait que cela peut créer des liens qui peuvent ensuite poser des problèmes
dans la vie d’un couple ? Autant de questions qui pourraient justifier que le mariage des
prêtres n’est peut être pas envisageable dans l’immédiat.

Aujourd’hui encore, le problème de formation des prêtres gabonais pose problème.


Selon notre informateur890, il n’y a plus, ou peu de prêtres assez bien formés, du moins sur
le plan universitaire. La naissance du mouvement de l’UGRP était assurément une très
bonne chose pour le clergé du Gabon car il proposait en outre de mener des réflexions sur
la situation du clergé au Gabon, mais aussi d’inciter les prêtres à une formation beaucoup
plus solide. La disparition du l’UGRP a donc signé une sorte de déperdition intellectuelle
ce que confirme une source interrogée sur la question: « Après la disparition du
mouvement vers 1974, le niveau de formation de nos prêtres a baissé. Nous sommes très
889
Séverin Mba (Anonyme), prêtre et universitaire.Entretien réalisé en Mars 2007.
890
Séverin Mba, op. cit. mars 2007.
309
loin derrière des pays comme le Cameroun ou le Congo, lesquels depuis les années 70
possèdent des prêtres qui sont pour la plupart des sommités intellectuelles. Ils sont tous
théologiens ou docteurs »891. Pourquoi l’Eglise catholique reste t-elle fermée à cette
possibilité892. Dans une lettre adressée au pape Benoît XVI quelque temps avant sa mort,
l’abbé Pierre rappelait ainsi cette urgence au Saint Père : « Il faut ordonner prêtres des
hommes mariés, fervents et capables »893. Il est donc urgent de conjuguer avec prêtre
mariés et formation solide pour un travail bien rémunéré.

Comment interpréter les paroles du pape Paul VI lorsqu’il déclare ceci : « Vous
pouvez et vous devez avoir votre christianisme africain » ? Jean Paul II ne déclare t-il pas
que « Le célibat n’est pas essentiel au sacerdoce ; il ne fut pas promulgué comme une loi
par Jésus Christ »894. Le Père Jean Rémy Bessieux proposait déjà au milieu du XIXè
siècle la possibilité d’un clergé gabonais marié et responsable. Ces différentes prises de
positions que nous venons de citer ne nous laisse pas sans commentaires. Dans un premier
temps, les paroles du Pape Paul VI à Kampala en 1969 nous rappellent bien que le
christianisme soit certes universel, il n’en demeure pas moins que chaque région a ses
cultures et propres réalités. L’Afrique doit avoir sa théologie propre, sa philosophie
propre, sa liturgie propre, certains points de discipline ecclésiastique propres895. Cette
tâche est cependant difficile mais aussi de longue haleine ! La rapide africanisation de
l’épiscopat au Gabon et la recrudescence des congrégations masculines et féminines a
certes aidé à ce renversement de situation, mais il est encore plus vrai qu’au début des
années 1970, et encore de nos jours les missionnaires étrangers portent encore le fardeau
de l’évangélisation. C’est ce que pense le Père Biard : « L’africanisation de l’Eglise au
Gabon n’est pas très avancée car elle ne fait que commencer. Pour la formation
doctrinale, on commence à composer des livres d’initiation en fang, langue de la majorité
de Gabonais. Ce sont des travaux originaux tenant compte de la vieille sagesse
traditionnelle, qui s’exprimait par exemple dans des centaines de contes et proverbes896.
De même au sujet du clergé gabonais, il répond ceci : « Le clergé gabonais est à mon sens
le grand problème de l’avenir. En schématisant, on pourrait décrire la situation ainsi :
891
Entretien avec Martin Alihanga, prêtre et universitaire. Ancien membre de l’UGRP. Entretien du 10
janvier 2005 dans son bureau à l’Office du Bac. Il faut aussi souligner en complément de cet entretien que le
Cameroun possède une Université catholique qui forme des sommités. Dans le cas du Gabon, nous avons
posé la question à l’Archevêque de Libreville, Mgr Basile à savoir à quand la mise en place d’un institut
d’étude catholique au Gabon ? Ce dernier nous a tout simplement répondu que cela était en cours.
892
En rappel, en octobre 2005 s’est tenu à Rome un synode réunissant des évêques du monde entier autour
du pape Benoît XVI. Le synode a rappelé que l’ordination d’hommes mariés n’était pas à l’ordre du jour.
893
Cf. Annexe, lettre de l’abbé Pierre à Sa Sainteté le Pape Benoît XVI.
894
Déclaration de Jean Paul II en juillet 1993.
895
Synode spécial du mois s’avril 1994. Précisé par Jacques Hubert, p. 9.
896
Archives CSSP, Boite 436 « rapport Congrès de l’UGRP"
310
une première génération de prêtres gabonais a été formée dans les petits séminaires à
l’européenne. Ce sont de bons prêtres qui assurent un service paroissial, mais très
marqué par leur formation, ils ont du mal à franchir l’étape rendue possible et nécessaire
à l’africanisation de l’Eglise. La seconde génération est au moins psychologiquement
celle de l’indépendance. Elle est brillante intellectuellement. Aussi, pour affirmer leurs
capacités, ces prêtres poursuivent-ils définitivement les études. Sur trente prêtres
gabonais, douze sont en Europe pour y préparer des thèses, excellents théoriciens de
l’africanisation. On les voit mal insérés dans les réalités locales quotidiennes897 ».

Autrement dit, si les Africains doivent avoir leur propre christianisme, l’Eglise
doit pouvoir s’adapter aux réalités locales gabonaises. Sans le signifier réellement, le Père
Biard pose ici les questions avancées par les prêtres gabonais membres de l’UGRP au
sujet du mariage des prêtres. Il précise que les prêtres gabonais de la nouvelle génération
sont d’excellents universitaires et certainement bons prêtres, mais qu’en sera-t-il au sujet
du célibat lorsqu’ils s’installent au pays après leurs études ? Le second commentaire que
nous souhaitions faire au sujet des déclarations d’hommes d’Eglises est lié aux dires de Sa
Sainteté Jean Paul II. En déclarant que le célibat n’est pas essentiel au sacerdoce, cela
démontre la possibilité que nous confirmions déjà plus haut, c'est-à-dire le fait que le
célibat peut devenir facultatif. Enfin pour rappel, il y a la position du Père Jean Rémy
Bessieux qui prônait déjà en son temps la possibilité d’un clergé marié. En effet, face aux
réalités locales qui étaient la polygamie, les missionnaires se sont montrés très
défavorables vis-à-vis de cette pratique africaine et gabonaise de surcroît. Etant donné
qu’il était impératif pour les missionnaires de mettre en place à court ou à long terme un
clergé autochtone, les missionnaires se sont souvent montrés réticents non seulement face
aux capacités de fidélité de leurs ouailles, mais aussi au respect du strict célibat des futurs
prêtres gabonais898. Pour tenter de résoudre le problème lié à la possibilité d’un mariage
des prêtres pour le Gabon, et peut être même pour certaines régions d’Afrique centrale,
l’idéal serait de faire une recherche sur les religieux mariés et prêtres diocésains. C’est un
travail d’une grande envergure, difficile à réaliser actuellement étant donné les blocages
potentiels au sein de la hiérarchie sur le sujet, et les moyens nécessaires pour une
telle entreprise. Toutefois, quelques religieux et surtout séminaristes nous ont répondu
brièvement comme le disions déjà plus haut, et leurs réactions montrent certainement le
grand intérêt d’une telle recherche.

897
Idem.
898
Père F. Grébert, op. cit. 186.
311
! # #
Le fait que l’Eglise catholique qui se trouve au Gabon constitue une société est
indéniable. En effet, elle se caractérise par une pluralité de membres, une union de
volonté, une unité de fin, une communauté de moyens, une autorité directrice et elle agit
dans l’histoire de ce pays. Certes, la mission spécifique que le Christ a confiée à cette
Eglise par l’entremise du Père Bessieux est l’évangélisation, mais elle ne peut la dissocier
de la promotion humaine puisque l’Eglise est « faite pour les hommes »899. La
constitution pastorale de l’Eglise dans le monde de ce temps, tout en comportant deux
parties, constitue cependant un tout. Elle est appelée « constitution pastorale » parce que
s’appuyant sur les principes doctrinaux, elle entend exprimer les rapports de l’Eglise avec
le monde et les hommes d’aujourd’hui. C’est pourquoi l’intention pastorale ne fait pas
défaut dans la première partie, ni l’intention doctrinale dans la seconde. En effet, la jeune
Eglise du Gabon veut s’atteler à développer sa doctrine sur l’homme,mais également sur
la société dans laquelle elle est insérée. Dans un second temps, elle veut examiner de plus
près certains aspects de la vie et de la société humaine et tout spécialement des questions
et des problèmes qui paraissent avoir à cet égard un caractère de plus grande urgence en
notre temps. Disons en règle générale que l’Eglise diocésaine sous la houlette de ses
premiers fils autochtones, notamment Mgr Anguilet, ne veut, et ne compte pas rester en
marge des problèmes qui se posent à la société gabonaise, bien au contraire, elle souhaite
y réfléchir et tenter d’y apporter des solutions. Parmi les questions les plus urgentes, il y a
la question politique, de l’attitude de l’Eglise face à la politique, aux politiques, aux
politiques publiques…

Cette problématique ancienne, rappelons nous des relations de l’Eglise


missionnaire avec le pouvoir colonial est peut-être mieux définie avec l’arrivée du
deuxième archevêque de Libreville, mais il n’empêche que les questions d’ordre n’ont
jamais laissé indifférente l’Eglise du Gabon avant 1980, même si les quelques
interventions du clergé dans la vie politique gabonaise sont restées jusqu’alors très
prudentes. Parler de l’Eglise catholique au Gabon dans le monde de ce temps revient bien
évidemment à situer la situation pastorale de la population chrétienne au lendemain de la
gabonisation du clergé, mais aussi de mesurer le rôle et l’engagement du clergé local dans
la vie politique. Mais en réalité, la question que l’on devrait se poser avant tout est celle
de savoir si l’Eglise a le droit de se mêler de la politique. Pour notre part, cette
intervention du clergé au sein du débat politique est tout à fait justifiée. Si l’Eglise du

899
J.B. d’Onorio, Le Pape et le gouvernement de l’Eglise, op. cit. p. 31.
312
Gabon veut être présente dans la promotion humaine tel que nous l’avons décrite plus
haut, elle est obligée d’avoir une opinion sur la politique. L’engagement dans la vie
politique peut être un moyen de venir en aide aux pauvres. Tout en estimant que même si
le système politique ne s’accorde pas avec la volonté de Dieu, l’Eglise doit lui donner la
main afin de rendre justice aux pauvres. Les déclarations des grands hommes d’Eglise
prônant l’immixtion dans la politique ne sont pas rares, pas plus que l’attribution des
postes politiques à des religieux. Cependant, il faut dire que l’activisme politique des
hommes d’Eglise peut souvent être très mal perçu par les fidèles qui estiment que l’Eglise
est un lieu trop sacré pour qu’on y fasse de la politique.

En outre, on est en droit de penser que tous ceux qui affirment prêcher le
christianisme finissent par glisser vers le politique avec de bonnes intentions mais ensuite
finissent par sombrer dans la corruption. L’exemple le plus éloquent en ces années 1960
nous vient du Congo voisin. L’abbé Fulbert Youlou est l’un des personnages les plus
controversés du Congo Brazzaville, à tel point que durant des décennies, il fit l’objet d’un
anathème dans son pays. Pourtant, à ses débuts, celui qu’on appelait l’ « abbé » était
apparu à ses concitoyens comme une sorte d’homme providentiel. C’est lui qui, an août
1960, avait conduit son pays à l’Indépendance. Lui qui, en décembre 1960, avait organisé
une grande Conférence internationale à Brazzaville, au cours de laquelle il vanta les
bienfaits du libéralisme économique et condamna le communisme. Trois ans plus tard, la
prospérité n’était toujours pas au rendez-vous, alors que le gouvernement déployait un
faste insolent. Fulbert Youlou le « modéré » décevait. Sa décision d’imposer en août
1963, le monopartisme en emprisonnant les leaders syndicaux fut l’élément déclencheur
de la Révolution des « Trois Glorieuses ». La France refusa, alors, d’aider ce chef d’Etat
africain. Ne disposant quasiment plus d’aucun soutien, cet ancien prêtre quitta le pouvoir
en laissant derrière lui l’image d’un président de la République excentrique, autoritaire et
corrompu900.

! #
Entre 1969 jusqu’au début des années 1980, la population catholique est en très
nette croissance au Gabon. Mais au-delà de cette première observation, il faut reconnaître
que la Gabon a toujours été un pays fortement religieux. Cela se caractérise par la
présence de multiples religions, rites et croyances traditionnelles (Bwiti, Ndjembè…) et le

900
Cet exemple a sûrement refroidi l’activisme politique des religieux au Gabon.
313
développement des Eglise chrétiennes (catholique, protestants). La religion la plus
répandue reste le christianisme et l’Eglise catholique la plus importante du pays. En 1970,
les chrétiens catholiques formaient déjà la moitié de la population totale du pays901. Cette
domination de la religion catholique est liée au fait que l’histoire coloniale a favorisé la
prépondérance du catholicisme. Le tableau qui suit présente le nombre de catholique
comparativement à la population totale du pays. On constate en effet que depuis les
années 70, la religion catholique est devenue très nettement la religion majoritaire au
Gabon avec plus de 50% de la population totale, avec des inconnus sur les effectifs même
si on peut prendre en considération les données de 1985 (en 1985, la population totale du
Gabon est estimée à 1.102.063 habitants)902.

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Evolution de la population catholique de


1970 à 1982

600000
500000
400000
Nombre de
300000
catholiques
200000
100000
0
1970 1975 1980 1982
Années

# ! $ -& !

901
DACATGAB, « Rapport, quinquennal de 1970 par l’archidiocèse de Libreville ».
902
DOCATGAB, « Annuaires de l’Eglise catholique en 1985 ». Il faut toutefois prendre ces chiffres
officiels avec prudence car on sait très bien qu’en ce temps, le Gabon avait l’habitude de gonfler les chiffres
de recensement général de la population. Par exemple, en 1993, on chiffre la population totale du pays à
1.014.000 habitants.
314
Entre 1969 et 1982, la situation pastorale de la population chrétienne catholique
nous est connue grâce aux rapports des évêques. L’organisation des catholiques, pendant
cette période reposait sur quatre principaux aspects : les communautés chrétiennes de
base, le catéchisme, la pastorale des jeunes et les œuvres caritatives.

!! # A(B
Au Gabon comme partout ailleurs dans le monde, certains leaders religieux se
voient confrontés au dilemme théologique qui consiste à savoir comment se comporter
par rapport aux abus de pouvoir sans paraître déloyal vis-à-vis de l’autorité de l’Etat,
surtout quand l’Eglise lui est directement et officiellement liée. Cette préoccupation n’a
pas échappé aux missionnaires qui avaient non seulement le sentiment d’appartenance à la
nation colonisatrice, mais aussi le devoir d’être justes vis-à-vis des chrétiens903. Beaucoup
d’entre eux veulent sincèrement rester loyaux, mais ils sont aussi confrontés à la question
de savoir s’il est moralement juste d’être loyal vis-à-vis d’un tyran904?

Avant 1980, l’Eglise catholique au Gabon n’est pas totalement absente du débat
politique sur le pays. Ses interventions sont toutefois restées très prudentes comme nous
l’avons souligné plus haut. Avant la grande ère des mutations politiques et sociales905,
l’œuvre de l’Eglise catholique se limite essentiellement par quelques incursions,
notamment le soutien accordé à certains candidats et l’implication dans l’organisation des
élections906. En ce qui concerne les rapports avec l’administration, ils sont très loin d’être
les meilleurs. En effet, l’Eglise critiquait très souvent les abus du pouvoir colonial.
Jusqu’à la veille de l’indépendance en 1960, l’implantation des missions recoupait
généralement celles des postes administratifs, seules les missions de Dibwangui dans la
Ngounié, Donguila dans l’Estuaire et Mourindi dans la Nyanga ne suivirent pas ce
schéma. Cette situation eut pour corollaire depuis la rupture du concordat en 1905, la
montée des ambitions séculières de l’Eglise catholique dans le jeu politique national.
Surtout la hiérarchie prit des précautions de ne pas se compromettre surtout après
l’intervention de Mgr Tardy en 1940907.

903
Dans ces moments là, c’est Romain 13 qu’on rappelle à ces leaders ecclésiastiques, ainsi que l’injonction
de Paul avertissant les chrétiens qu’ils ont un devoir d’obéissance vis-à-vis des gouvernants.
904
Pasteur Samuel KOBIA, Le courage de l’Espérance, les racines d’une vision nouvelle pour l’Eglise et sa
vocation en Afrique, éditions du Cerf, Paris 2006, 257 pages.
905
1990
906
H. Essono Mezui, op. cit. P 26.
907
Monseigneur Tardy était vichyste et en lutte avec les nouvelles autorités gaullistes.
315
L’Eglise s’accommoda malgré tout aux circonstances politiques qu’elle contribua
dans une moindre mesure à influencer. En effet, à l’occasion des premières élections
générales de 1945 à 1951, les missionnaires catholiques apportèrent toujours leur soutien
aux membres de l’opposition, en l’occurrence Jean Hilaire Aubame qu’ils considéraient
un peu comme leur poulain. La vie politique et l’intervention des missionnaires
commença à s’animer à l’occasion des élections organisées les 21 octobre et 18 novembre
1945 pour l’Assemblée Constituante. A ces élections, trois candidats908 briguèrent le seul
siège qui leur était alors réservé aux territoires du Gabon et du Moyen Congo au titre du
collège des autochtones. Les missionnaires ne ménagèrent pas conseils et menaces envers
leurs fidèles lors des prêches du dimanche pour voter en faveur d’Aubame en 1946 au lieu
d’Issembé jugé pro communiste909. Le choix porté par les missionnaires catholiques sur la
personne de Jean Hilaire Aubame n’est pas fortuit. En effet, ce dernier fait parti des
cadres gabonais bien instruits, dit « élite gabonaise », qui ont eu le privilège de suivre des
études secondaires soit à l’étranger soit dans les nombreux collèges crées au Gabon entre
1945 et 1960910. De plus, Jean Hilaire Aubame, leader fang, éduqué par les Pères du Saint
Esprit, fervent catholique, homme modéré, présentait pour les missionnaires toutes les
principales garanties. Lors du référendum de 1958911 et des élections générales de 1961,
les sources révèlent également l’intervention de l’Eglise catholique. Le rapport de
l’administrateur chef de l’Ogooué Lolo à Léon Mba dévoile le soutien des missionnaires à
cette région pour accroître « l’influence des électeurs dans les urnes…qui était de 80
% »912. Au demeurant, l’Eglise en tant qu’institution était parti prenante. En effet le choix
des présidents de vote fut confié aux européens « fonctionnaires, secteur privé, missions
religieuses ». Ainsi, l’administration en collaboration avec l’Eglise catholique avait
toutefois réussi à garder la jeunesse en dehors d’une mobilisation directement politique
jusqu’en 1956, qui pouvait devenir radicale, nationaliste.

908
Il s’agit de Emile Issembé, Félix Tchikaya et Jean Hilaire Aubame.
909
Dossier de réclamation d’Emile Issembé ANSOM 21D19, cité par Bernault, p. 100.
910
Jusqu’en 1945, le Gabon ne comptait que deux établissements d’enseignement secondaire, à savoir le
séminaire Saint Jean, créé en 1856, et le Cours complémentaire d’Andéndé, fondé en 1938. Le cours
d’enseignement secondaire de Libreville devenu par la suite « école primaire supérieure » (EPS), puis
« collège classique et moderne de Libreville », puis « Lycée Léon Mba », fut créé en 1945. Ensuite furent
ouverts : L’école professionnelle d’Owendo (actuel Lycée technique national Omar Bongo) et l’école
territoriale d’agriculture d’Oyem en 1948, le collège Bessieux en hommage au premier pasteur de l’Eglise
du Gabon en 1949, le collège normal du Gabon en 1952 à Oyem…
911
Dans son projet de constitution qu’il envisageait de soumettre à un référendum le 28 septembre 1958, Le
Général de Gaulle arrivé au pouvoir en France dans la même année, proposait aux populations des
territoires d’outre mer un nouveau cadre d’évolution politique qu’il baptisa du nom de « communauté
franco-africaine ». Au sein de cette nouvelle entité politique, les territoires d’outre-mer étaient appelés à
devenir des Etats dotés chacun d’un gouvernement dirigé par un premier ministre.
912
ANG, carton 4046, série rapports politiques, « Rapport de l’administrateur chef de l’Ogooué Lolo à
Léon Mba du 1er octobre 1958 ».
316
Toutefois, la lassitude des jeunes embrigadés dans les associations religieuses et
mouvements de jeunes se fit plus évidente au moment des années de l’Indépendance.
L’Eglise s’ouvrit alors au débat. Ainsi, « la semaine » qui bénéficiait du réseau de
distribution des missions catholiques ouvrit ses colonnes aux jeunes intellectuels, tout en
gardant un contrôle sur le fond des articles. De ce fait, la réécriture des correspondances,
le refus de passer certains articles étaient monnaie courante, sous la direction du Père Le
Gall de 1952 à 1956 et d’avantage avec le Père Raymond de La Moureyre de 1956 à
1959. Mais la « neutralité » de ce journal sur les querelles politiques le distinguait des
organes partisans et il parut beaucoup plus comme le porte voix des plaintes sociales, ce
qui influença largement l’opinion des fidèles sur les décisions politiques913.

Durant cette transition de la décolonisation politique, la situation définie plus haut


nous montre très nettement que l’Eglise au Gabon n’est pas souvent restée en réserve des
décisions politiques du pays, particulièrement sur les questions concernant les élections.
Si l’Eglise n’a pas le pouvoir de décision, en revanche, elle a plutôt un pouvoir de
conscientisation ou d’influence du peuple vis-à-vis des choix qu’il peut avoir à opérer et
elle ne reste pas neutre à l’endroit de ceux dont on estime être les porteurs des plaintes
sociales. Dans cette logique, on est tenté de se demander si les Eglises en général
(protestante, catholique et autres…) ne doivent pas s’allier avec les institutions civiles ou
même avec les partis politiques d’opposition censés défendre les plus opprimés pour faire
pression sur les décideurs en place ? Mais aussi, comment les Eglises peuvent-elle
s’engager dans un processus de changement politique tout en évitant les cooptations ? ce
qui est clair en tout cas, c’est que l’Eglise ne peut pas s’engager directement dans la
politique, et jouer le jeu de la realpolitik qui fonctionne souvent par le biais d’intrigues
malhonnêtes et de l’usage aveugle de la force914. C’est du moins ce que l’on peut penser
avant le début des années 1980, avec une présence fluide de l’Eglise au sein du jeu
politique, sans engagements directs et ni cooptation. De ce fait avant les années 1980, les
interventions de l’Eglise catholique dans les situations politiques restent à priori très au-
delà des clivages politiques, que ce soit à l’intérieur des partis eux-mêmes ou vis-à-vis de
la politique de l’Etat. Le coup d’Etat de 1964 est révélateur de cette prudence.

913
Bernault, cité par Essone Mezui, p. 28.
914
Pasteur Samuel Kobia, op. cit. p. 190.
317
!& # A>) .
Le Gabon à l’instar de plusieurs autres Etats africains au lendemain des
indépendances n’a pas échappé à la dure réalité des mécontentements politiques lesquels
se sont souvent manifestés par des renversements de régime par le biais de coups d’état
militaires915. Ainsi, dans la nuit du 17 au 18 février 1964, Léon Mba, premier président de
la République Gabonaise fut destitué par l’armée qui arrêta aussi les membres du
gouvernement présents à Libreville916. Un comité révolutionnaire, composé de plusieurs
lieutenants et de sous lieutenants a dirigé l’ensemble des opérations mais désireux
d’associer les civils à la gestion des affaires de l’Etat, les militaires prirent contact avec
Jean Hilaire Aubame qui accepta de diriger, comme premier ministre, le gouvernement
provisoire dont la composition fut rendue publique dans l’après midi du 18 février917. Le
communiqué de presse à la suite de ce coup d’Etat précise les raisons : « Pour éviter des
troubles dans le pays à la suite du mécontentement de la population, l’armée a décidé de
prendre le pouvoir. Le président Léon Mba et ses ministres ont été arrêtés. L’armée prend
des contacts avec des personnalités civiles politiques pour constituer le gouvernement
provisoire… 918». Dans ce même communiqué, Jean Hilaire Aubame explique pourquoi
l’armée avait décidé de prendre le pouvoir : les méthodes policières du régime avaient
fatigué le pays et il fallait mieux ne pas laisser les mouvements incontrôlés se produire ;
de plus Jean Hilaire Aubame adjure les conseillers techniques européens de ne pas
intervenir dans une affaire qui est purement intérieure919. Une heure plus tard, l’acte de
démission du Président Léon Mba intervient, il semble d’ailleurs qu’un quiproquo soit fait
à cette occasion : le président lit un papier qui lui est adressé à lui-même (Monsieur le
Président, le peuple est fatigué de votre gouvernement…). En dehors de Jean Hilaire
Aubame, ce gouvernement provisoire comprend dix autres membres, tous civils, dont
Paul Marie Gondjout Ministre d’Etat, Ministre des Finances920.

Qu’est ce qui explique l’intervention de l’Eglise en 1964 ? Il faut en principe noter


que le coup d’Etat, en lui-même, se passa sans problème ; nous entendons par là qu’il n’y
eut pas de pertes humaines du point de vue des civils. Il fut très rapide et très bien mené :

915
Avant 1964, trois coups d’Etat avaient eu lieu dans les anciennes colonies françaises d’Afrique, à savoir
au Togo (janvier 1963), au Congo (août 1963) et au Dahomey (octobre 1963). La France n’était pas
intervenue dans ces pays.
916
Seul Gustave Anguilé fut épargné. Mais ce dernier préféra, de son propre chef, rejoindre ses collègues
arrêtés.
917
Nicolas METEGUE N’NAH, Histoire du Gabon. Des origines à l’aube du XXIè siècle, L’Harmattan,
Paris 2007, 370 pages.
918
Archives CSSP, Boite 468 « récit des événements du 18 février 1964 ».
919
Idem.
920
Nicolas Metegue N’nah, op. cit. P. 175.
318
tous les points stratégiques avaient bien été occupés pendant la nuit sans qu’un seul coup
de feu n’ait été tiré. La gendarmerie et la police nationale s’étaient laissées désarmer sans
la moindre résistance. Il est juste à noter la mort de deux officiers gabonais qui avaient
refusé de marcher dans le coup et qui avaient été fusillés par les mutins921. Le 18 février et
la nuit suivante, la population point du tout mécontente resta très calme. Toutefois, des
allusions au sujet d’une intervention française circulaient parmi les Européens, chose à
laquelle Jean Hilaire Aubame avait fait allusion dans son communiqué. Ainsi le mercredi
19 février à 6h30, l’armée française était pourtant à pied d’œuvre et contrairement à ce
qu’elle avait fait jusqu’alors dans ses autres colonies d’Afrique, la France décida
d’intervenir au Gabon, soulignant ainsi la position très spéciale qu’occupe ce pays au sous
sol très riche dans son dispositif militaire et stratégique dans le continent noir. En cette
matinée du 19 février, de nombreux coups de feu sont tirés vers le camp militaire de
Baraka où ont eu lieu les combats les plus acharnés. La radio diffuse des messages en
langue française et fang, demandant aux gens de descendre dans la rue avec des armes
qu’ils possèdent pour prêter main forte à l’armée attaquée par des Français. Cet appel fut
médiocrement suivi. On note toutefois certaines interventions de plusieurs lycéens qui
commencèrent à manifester contre l’intervention française922. Durant presque toute la
matinée, les affrontements reprirent à Baraka tant et si bien que l’hôpital n’était plus
capable de contenir tous les blessés en nombre trop important. Plusieurs des membres de
la Mission catholique s’était présentés spontanément pour donner du sang. Le soir, on
dénombre déjà plus de 21 morts et près de 40 blessés. Au bout de plusieurs heures de
combat, les défenseurs du camp militaire de Baraka, décimés par le pilonnage intensif des
troupes françaises contre lesquelles ils ne pouvaient rien faire faute d’armement anti-
aérien, durent cesser le combat et libérer les personnalités politiques qu’ils détenaient
prisonnières.

Cependant, il restait encore une cinquantaine de Gabonais sous la conduite du


lieutenant Mombo qui tenaient le Palais de la Présidence de la République923. Quelques
heures avant la reddition des troupes gabonaises, les évêques se sont présentés à
l’Ambassade de France. Ils ont demandé à l’ambassadeur d’envoyer un télégramme au
921
Archives CSSP, carton N°468 « récit des événements du 17-18 février 1964 ». Ces faits sont relatés par
un prêtre missionnaire.
922
Il s’agissait essentiellement des élèves du lycée Léon Mba et ceux du collège technique.
923
Ce n’est que vers 17h que ce dernier point tenu par les mutins tomba aussi sans coup férir. Les trois
membres du comité révolutionnaire (Jean Essono, Jacques Mombo et Daniel Mbene) ayant survécu aux
combats et de nombreux autres militaires furent arrêtés en même temps qu’un certain nombre de membre du
gouvernement provisoire. Le Président Léon Mba qui avait été amené sous bonne garde à Lambaréné, revint
à Libreville dans la nuit du 19 au 20 février 1964 et déclara qu’il n’y aura pour les responsables ni pardon ni
pitié.
319
Général de Gaulle pour faire arrêter les combats et l’effusion du sang. Nos sources nous
révèlent en effet que ce télégramme a été accepté par le Général de Gaulle, même si en
réalité, les combats auraient sans doute pris fin malgré leur intervention car il ne fait nul
doute que les troupes françaises étaient largement supérieures. Toujours est-il que cette
intervention très importante marque bien le fait que les religieux (Eglise catholique) sont
bien présents au sein du débat politico social du pays et qu’ils ont leur mot à dire.

Un autre fait important est à signaler, c’est celui de l’harmonie des différentes
confessions religieuses chrétiennes. Peut-on parler de dialogue œcuménique en cette
occasion ? Toujours est-il que ce sont les différents responsables des Eglises catholiques
et protestantes du Gabon924 qui se sont mises d’accord pour tenter de résoudre cette triste
situation sociale en 1964. Dès le 21 novembre 1964, les autorités religieuses protestantes
et catholiques ont, dans une lettre adressée au Président de la République, condamné la
politique de ce dernier et demandé en même temps « l’organisation d’élections libres »925.
Quelques jours après le rétablissement de Léon Mba au pouvoir, Mgr Jean Jérôme Adam
le rencontra pour lui demander d’être souple, surtout que ce dernier avait eu la bonne idée
de demander une messe d’action de grâce pour remercier Dieu de l’avoir gardé en vie. En
effet, Léon Mba, bouleversé par les événements qui l’avaient éloigné du pouvoir, déclara
à son retour à Libreville : « J’entendais la mort, cette faucheuse de personnes. J’ai vu la
mort de près, j’étais à un millimètre de la mort. Je ne sais par quel miracle je me retrouve
au milieu de vous »926. Cette inquiétude de Léon Mba fut utilisée par les autorités
religieuses catholiques et protestantes pour le convaincre de revenir à de meilleurs
sentiments. L’archevêque de Libreville, à l’image du Président de l’Eglise Evangélique,
fit une déclaration radio diffusée dans laquelle il demande au peuple gabonais de
reconnaître le gouvernement établi de Léon Mba.

A l’instar d’autres événements antérieurs dans le domaine politique, l’intervention


des Evêques lors du coup d’Etat de 1964 démontre à suffisante que la jeune Eglise du
Gabon, consciente de rappeler à tous les principes de justice, de liberté et de charité est
bien présente dans le jeu politique du pays. L’insurrection de 1964 avait ainsi permis aux
autorités religieuses de sortir officiellement du mutisme dans lequel elles étaient après
l’indépendance de 1960, même si en réalité on note quelques réactions des clercs

924
Il s’agit de Monseigneur Jean Jérôme Adam (Archevêque de Libreville), de Monseigneur François
Ndong (Evêque Auxiliaire de Libreville), de Monsieur le Pasteur Ndong (Président de l’Eglise évangélique
du Gabon) et de Monsieur le Pasteur Lauverjat (Conseiller).Voir télégramme en annexe. SEA.
925
Il s’agit des élections des députés du 12 avril 1964…rapporté par Metegue N’hah, p. 177.
926
Archives CSSP, Boite 353 “Allocution de Léon Mba le 20 février 1964. Transcription écrite ».
320
gabonais avant 1964. Pour preuve, en janvier 1964, lorsque Léon Mba prend la décision
de dissoudre l’Assemblée Nationale, on signale quelques réactions individuelles des
membres du clergé, en tête desquels Mgr François Ndong, évêque auxiliaire de Libreville
qui était suivi par deux autres clercs gabonais : les abbés Joseph Mintsa et Jean Marie
Rapotchombo qui dénonçaient la rigueur excessive, proche de la dictature, du pouvoir de
Léon Mba. Mgr Ndong reprochait ouvertement à Léon Mba sa pratique de la polygamie et
le fait qu’il soutenait les indigènes réfractaires à l’action missionnaire.

Cependant après le coup d’Etat de 1964 et les élections législatives de la même


année, l’Eglise en particulier sa hiérarchie entra par la suite dans un mutisme total face au
débat politique, certainement en prélude du parti unique. On note cependant quelques
interventions individuelles de Monseigneur André Raponda Walker en 1964 après le coup
d’Etat manqué contre le Président Léon Mba, à qui il reprochait l’esprit d’intolérance qui
s’en prenait à la population, puis celle du Père Paul Mba Abessole en février 1974 à
Makokou lors des élections présidentielles927. Ce mutisme devient plus total après la
conversion du Président Omar Bongo à la religion islamique en 1973. Ce denier tronqua
son prénom chrétien, Bernard Albert, contre celui musulman, d’Omar, puis d’El Hadj
Omar après un pèlerinage à la Mecque. Sa conversion à l’Islam, dit-on, avait facilité
l’admission du Gabon au sein de l’organisation des pays producteurs de pétrole928
(OPEP). D’une façon générale, l’Eglise resta muette durant les années fastes et de rigueur
jusqu’au début des années 1980929. Mais elle se fit de nouveau entendre à partir de 1981.

Si de façon générale nous savons que la hiérarchie catholique s’est prononcée sur
le coup d’Etat raté de 1964, ce qu’il convient également de souligner c’est l’opinion
religieuse toute entière sur cette affaire. Malgré l’intervention très modérée et prudente de
Mgr Adam qui condamne l’attitude des mutins et demande au peuple gabonais de
reconnaître le gouvernement de Léon Mba, l’ensemble des missionnaires européens
encore en poste au Gabon ne se prononce pas sur cette affaire. Selon le Père Gérard
Morel930, la gabonisation des institutions était en plein essor. Il était donc difficile aux
ressortissants étrangers, aux Français notamment de dénoncer la situation surtout après
927
Le Père Paul Mba Abessole accuse d’organisation des élections au Gabon. Pour lui, il on ne peux parler
d’élections démocratiques alors qu’il n’y a qu’un seul candidat en liste. Nous y reviendrons lorsque nous
aborderons l’engagement des clercs gabonais dans la vie politique gabonaise.
928
Guy PENNE, Mémoires d’Afrique (1981-1998), Entretiens avec Claude Wauthier, éditions Fayard, Paris,
1999, 393 pages.
929
De 1968 à 1980, le régime de la rénovation évolua sans accroc majeur. Deux éléments ont contribué au
maintient de cette stabilité politique : le discours rassembleur adopté parle nouveau régime dès le départ et,
surtout le boom pétrolier qui, à partir de 1973, inonda le pays de devises.
930
Entretien, septembre 2006
321
l’intervention de l’armée. C’est donc au clergé gabonais que revenait cette tâche mais il
n’était pas encore solidement organisé, il se trouvait divisé.

En effet, après le coup d’Etat, une partie du clergé gabonais est favorable à Léon
Mba et l’autre ne l’est pas. Mgr François Ndong par exemple se montre favorable au
gouvernement provisoire, formé par Jean Hilaire Aubame. Pour lui et ceux qui
partageaient son opinion, Jean Hilaire Aubame était modéré et chrétien pratiquant. De
plus, il rendait régulièrement visite aux séminaristes, ce qui augmentait sa côte de
popularité auprès du clergé. Léon Mba était conscient de cette situation lorsqu il revient à
Libreville après le coup d’Etat. Il envoie une lettre à tous les membres du clergé gabonais
dans laquelle il leur demande non seulement de se prononcer à propos du coup d’Etat
mais surtout de condamner le coup de force des mutins931. Il écrit aussi au Père Eloi
Mayor, vicaire général, pour lui reprocher d’avoir accueilli la famille de Jean Hilaire
Aubame après le coup d’Etat. Plusieurs prêtres n’ont pas osé se prononcer sur cette lettre
et ceux qui l’ont fait comme les abbés Joseph Mintsa et Jean Marie Rapotchombo, l’ont
fait à leurs dépens. Les conséquences furent immédiates : l’arrestation, la libération puis
l’exil en France. Par ailleurs, les partisans de Léon Mba mirent en garde les autorités
religieuses, les prêtres européens qui, selon eux, s’étaient rangés du côté des opposants,
ces prêtres devaient être dénoncés et regagner leur pays. Les partisans de Léon Mba s’en
prirent également aux curés, surtout les prêtres gabonais qu’ils accusaient d’introduire le
communisme. « Nous ferons tout pour exterminer les faux curés. Mgr Ndong François
suivra Jean Hilaire Aubame en passant par Mintsa qui est curé malgré lui »932. Dans une
certaine mesure, tous les responsables de l’Eglise étaient comparés à des colons. Les
étudiants de leur côté appellent alors la population à la vigilance et l’exhorte à manifester
contre les autorités religieuses933. Les menaces se radicalisèrent ainsi les partisans de
Léon Mba menaçaient également de mener une campagne contre l’Eglise catholique :
« …faite ce que vous voulez, mais nous verrons après les élections si Dieu existe… »934.
Les pressions furent tellement fortes que certains prêtres gabonais se réfugièrent hors du
pays, c’est le cas de l’abbé Mintsa.

L’analyse des relations entre l’Eglise et le régime Léon Mba après le coup d’Etat
montre qu’il y a eut des clivages importants dans le personnel religieux. En effet, les

931
Archives CSSP, Boîte 353 « Lettre de Léon Mba, 6 avril 1964 ».
932
Archives CSSP, Boite 343, « lettre au Président Léon Mba après le coup d’Etat de 1964 ».
933
Archives CSSP, Boite 353, Lettre des étudiants gabonais en France sur la politique des missions
catholiques.
934
Idem.
322
missionnaires européens, majoritaires ne voulaient pas se prononcer sur la situation
politique du Gabon tandis que le personnel religieux, gabonais, minoritaire était impliqué.
Le régime exploitait ce clivage puisqu’il critiquait sans distinction tous les clercs. La
principale cible était Mgr François Ndong que les partisans de Léon Mba qualifiait de
« rouge », c'est-à-dire enclin à instaurer le désordre au Gabon par ses mauvaises
idées.Après le coup d’Etat manqué de 1964, tous ceux qui critiquaient le pouvoir de Léon
Mba étaient assimilés à des communistes, qui voulaient semer le trouble et créer un climat
de désordre. Il faut cependant attendre vers la fin de l’année 1965 pour voir une
amélioration des relations entre le clergé et le gouvernement. Dans le rapport annuel de
1964 ; Mgr Adam Jean Jérôme ne manque pas de souligner que : « L’Eglise a eu des
difficultés d’ordre politique bien que le gouvernement soit favorable à la religion et
anticommuniste »935. Mais il précise que : « la tension entre le gouvernement et le clergé
africain semble s’apaiser »936. C’est dans ce climat d’apaisement des autorités religieuses,
de prudence du clergé missionnaire et de critiques officieuses du clergé gabonais que
l’Eglise assiste à la fin du régime du président Léon Mba, à la naissance du parti unique et
aux premières difficultés de gestion interne.

!) $ $$ # #
Les défis et les difficultés de la population chrétienne du Gabon, entre 1969
jusqu’au début des années 1980 nous sont connus grâce aux rapports des évêques et aux
annuaires de l’Eglise catholique. En 1982 par exemple, les évêques reconnaissent ces
difficultés en parlant de la « précarité du nouveau contexte social » et « une crise de la
croissance de la société gabonaise937 » qui avaient conduit à des signes d’essoufflement
dans l’Eglise, notamment chez les catholiques et chrétiens en général. Autrement dit, les
difficultés des catholiques gabonais entre 1969 et 1982 étaient liées à l’évolution globale
du pays. La situation économique favorable du pays dès 1970938 avait porté atteinte aux
mentalités gabonaises. A cette occasion, les autorités de l’Eglise ne manquaient jamais de
décrire les difficultés internes de l’Eglise liés à cette nouvelle situation939. A côté des
problèmes majeurs qui affectent la jeune Eglise locale du Gabon telle que la crise des
vocations et le dépeuplement des séminaires, il y a d’autres facteurs qui concourent à
935
Archives CSSP, Boite 353 « Tensions entre l’Etat et les missions ».
936
Idem.
937
DOCATGAB, CEG, « Regard sur l’Eglise du Gabon, mai 1982. »
938
En 1973 et 1979, le Gabon connaît deux importants « Boom pétrolier » qui engendrent d’importantes
rentrées de devises mais aussi le mirage d’un décollage économique. Mais, au cours de ces années
d’euphorie, en même temps que l’activité économique, se développèrent aussi divers maux que le président
Bongo lui-même révéla publiquement dans son discours du 11 mars 1976.
939
Nous avons parlé de la déperdition surtout du côté des jeunes qui en étaient les plus affectées, et la
conséquence était leur détournement vis-à-vis de la chose de l’Eglise.
323
essouffler l’élan du catholicisme dans le pays. Avec l’ère nouvelle des indépendances en
Afrique, un nouveau tournant sera pris au Gabon au fil des années. Le troisième
cinquantenaire de l’Eglise va être crucial. Les attitudes diverses des uns et des autres, face
aux événements politiques, provoquant parfois des drames et des bastonnades. Un autre
vent s’est levé, celui du modernisme qui emporte avec lui bon nombre de valeurs
religieuses et renvoie les esprits à un pragmatisme qui va engendrer la fièvre de l’argent.
Un souci de bien être, de mieux être, engage l’Etat à se pencher sur les conditions de vie
de son peuple. Mais on vit au jour le jour et on profite au maximum de sa position pou
s’enrichir au détriment de ce même peuple. Le train de vie de la population gabonaise
devint attractif au point de provoquer une immigration et un exode rural de plus en plus
accéléré qui gonfle surtout la population de la capitale. Dans celle-ci et à Port Gentil en
particulier, se développèrent, autour du centre ville aux grands immeubles administratifs
et commerciaux et à côté de quartiers résidentiels bourgeois aux villas somptueuses avec
de vastes bidonvilles tentaculaires où grossissait, au fil des jours, une faune humaine
grouillante, composée d’originaires du Gabon et de ressortissants d’autres pays africains
exerçants des activités des plus diverses, depuis les plus honorables et les plus légales,
jusqu’au plus illicites940. Or des frontières, la situation du Gabon du Gabon devenait des
plus envieuse : « Un pays non seulement riche, mais où l’on pouvait devenir rapidement
riche, un pays vide donc en manque de main d’œuvre, un pays vers lequel il était
intéressant d’émigrer »941.

Ce même vent de facilité qui frappe le monde entier et pas seulement les pays
africains tel que le Gabon, sera lui-même à l’origine de la perte de la foi chez les
chrétiens, des pertes de vocations religieuses et sacerdotales et de la foi tout court en une
mission évangélisatrice avec comme conséquence directe la fermeture des petits
séminaires et des juvénats, le mariage de prêtres et les vocations religieuses qui se
sécularisent.

Cette crise de confiance envers l’Eglise voire la religion se manifeste chez les
enseignants catholiques, cela aboutira à des revendications telles qu’elles ébranleront les
fondements même de leur action ; avec le rejet de la tutelle des missionnaires qui jusque
là contrôlaient les écoles, et la demande de prise en charge des salaires par l’Etat, en
1974942. De plus les mêmes causes engendrant les mêmes effets, le matérialisme ambiant

940
Nicolas Meteghe N’nah, Histoire du Gabon, op. cit. p. 201.
941
DOCSSP, « L’heure de vérité », in Pentecôte sur le monde, N° de juin 1994.
942
DOCATGAB, CEG « Situation générale de l’Eglise catholique en 1975 ».
324
encouragé par un certain nombre de facteurs, provoque une réaction inverse et la
naissance de mouvements religieux incontrôlés, de sectes indépendantistes vers lesquelles
vont se jeter les esprits troublés, pour ne pas dire déboussolés. Au milieu des années 1970
et au début des années 1980, le phénomène est encore moindre mais il est bien présent.
Toutefois il n’est pas nouveau. Ainsi, Antoine Glaser et Stephen Smith soulignent que les
premières églises évangéliques américaines s’installent au Gabon dans les années 1930 et
leurs prédicateurs entrent en concurrence avec le clergé catholique, qui s’est établi dans le
sillage de la colonisation943. D’autres rapports de missionnaires signalent déjà par
exemple la présence des Témoins de Jéhovah depuis 1945944, ces groupes de prières ne
représentent pas pour autant une grande menace pour l’Eglise catholique. Or, il faut se
souvenir que la particularité des églises évangéliques américaines se situe dans sa grande
mouvance et sa capacité de multiplication. Au lendemain des indépendances, la plupart de
ces églises se structurent grâce à l’aide financière et le soutien des églises mères au Etats-
Unis945. La multiplication des groupes de prière et des sectes dans le pays a eu tendance à
réduire en grand nombre les adhérents de l’Eglise catholique, sans parler de la montée
dans le pays du nombre de gabonais qui se convertissent à la religion musulmane. En
réalité, beaucoup de gabonais se convertissent soudainement à la religion musulmane par
effet de mode, pour suivre le Président de la République et tenter de rentrer dans son
estime946.

Pour tenter d’expliquer cette situation née au Gabon, il est possible que celle ci
soit liée à un besoin social des croyants qui n’est pas rempli totalement par les grandes
églises institutionnalisées. En effet ces croyants se sentent à l’écart des modes structurés
de piété et accueillent favorablement des groupes qui célèbrent autrement le culte de
Dieu, par une participation de tous. Le contact avec la divinité est obtenu au prix d’une
dépense considérable d’énergie par chaque adhérant947. Ainsi, la plupart des chercheurs
qui analysent le phénomène de la naissance des Eglises dites du réveil et autres groupes
de prière, mettent en évidence une crise globale : économique, politique et sociale telle
que nous l’avons décrite.En réalité, il ne serait pas erroné de penser que l’Eglise
943
Antoine GLASER, Stephen SMITH, Comment La France a perdu l’Afrique, éditions Calmann-lévy,
Paris 2005.
944
Archives CSSP, Rapports quinquennaux et annuels entre 1945 et 1960.
945
Idem, p. 249.
946
En 1958 date de l’élévation du Gabon comme terre de diocèse, le pays compte environ 3000 musulmans
et ces derniers se comptent à plus des ¾ par des ressortissants étrangers venus du Cameroun, et surtout du
Nigéria et autre pays d’Afrique de l’Ouest. La source nous vient des Archives du Saint Esprit, boite 368. Au
début des années 80, ce chiffre est largement vu à la hausse et le nombre de Gabonais musulmans est au
dessus de 10000.
947
Rémi Bazenguissa-Ganga, sectes et groupes de prières : les privatisations de l’expérience religieuse au
Congo, in Recherches Africaines : les religions africaines, l’harmattan, Paris, 1999, pp 7-13.
325
catholique soit la grande perdante dans la multiplication des petites Eglise dans le pays
car le dépeuplement des chapelles s’est fait au profit de ces églises aux habitations de
fortune qui se serrent au kilomètre carré à Libreville comme dans d’autres grandes villes
du pays. Elles se qualifient sous la dénomination d’églises du réveil et beaucoup de ceux
qui y adhèrent sont en rupture avec l’Eglise catholique à qui ils reprochent son manque de
sincérité.

Toutefois, il faut cependant reconnaître qu’après 1970, la situation des sectes au


Gabon n’est pas bien connue et sursignifiée948. En effet une certaine confusion fait que
tout ce qui n’est pas catholique, protestant ou musulman, fût désigné par secte. Au début
des années 1980, la confusion prend de l’ampleur à cause du développement de petites
églises, mais il est assez difficile de cerner le problème dans la mesure où toutes ces
églises opéraient dans la discrétion. A l’instar de la crise que connaît l’Eglise catholique
du Gabon, la multiplication des sectes ou groupes de prière dit indépendants est
indissociable de la situation économique du pays.

& # $ # " # # "


Entre 1969 et 1982, la jeune Eglise locale s’est résolument ouverte à la société
gabonaise. Les rapports qu’elle noue dès lors, non seulement avec les autres confessions
religieuses présentes sur l’échiquier national, mais aussi avec l’Etat, la culture, mérite
une attention particulière. Même si la gabonisation du clergé est en effet effective avec la
nomination des évêques nationaux à la tête des diocèses du pays, il n’en demeure pas
moins vrai que l’Eglise locale doit tenir compte des réalités et faire face à des défis
nouveaux. Nous avons exposé les revendications du clergé gabonais en 1971 qui posent
un problème crucial sur le traitement des prêtres gabonais comparativement aux
expatriées (missionnaires en particulier). Cette distanciation entre les deux entités n’est
pas sans poser un problème de rapports entre eux949. Pourtant tout en s’affirmant comme
la première force religieuse du pays, la jeune Eglise diocésaine souhaite établir des
rapport étroits avec d’autres entités religieuses. Cette cohabitation entre l’Eglise
catholique locale et l’ancienne congrégation du Saint esprit, les Protestants, les

948
Il n’existe aucun véritable rapport administratif, encore moins un rapport établi par l’Eglise elle-même
pour mesurer le phénomène.
949
D’une part, témoigne Paterne Kombila, les missionnaires ne se sentent plus chez eux (c’est ce qui
explique certainement qu’en 1980, la congrégation du Saint Esprit ne fit plus venir son personnel d’Europe,
en France notamment, préférant s’appuyer sur son personnel des pays voisins africains), d’autre part, les
gabonais n’acceptent pas le traitement souvent négatif dont il font l’objet…Enquête orale, op. cit.
326
musulmans et autres, conduit l’Eglise locale à la pratique de l’œcuménisme et au dialogue
inter religieux.

& 3# "
Depuis leurs installations respectives en 1842950 et 1844, l’Eglise protestante et
l’Eglise catholique cohabitent. Au-delà d’une concurrence loyale qui se mesure par le
degré d’implantation de l’une et de l’autre dans le pays, les deux entités ont cependant
toujours eu des rapports cordiaux, d’entente et d’implication conjointe951. Depuis 1969, la
volonté d’œcuménisme est d’ordre purement relationnel, et les relations avec l’Eglise
protestante sont toujours aussi présentes, mais dès 1982 le dialogue œcuménique est
réellement réaffirmé par Sa Sainteté Jean Paul II lors de sa visite au Gabon. A l’occasion
d’une grande cérémonie œcuménique organisée au grand stade de Libreville, le Pape dit
sa volonté de voir « exister entre les frères chrétiens du Gabon une collaboration
particulière »952. Pourtant, il faut reconnaître que les relations entre les deux entités
chrétiennes les plus importantes du pays sont toujours restées au stade des
balbutiements953. Aucun domaine concret d’intervention ne les unit, sans oublier
l’interprétation différente qui est faite de la bible. De plus, depuis son indépendance en
1961, L’Eglise protestante a toujours été en proie à de graves luttes internes caractérisées
par des rivalités d’ordre ethniques, régional et claniques. En dehors de l’Eglise
protestante, aucun document officiel ne mentionne un état de relation entre l’Eglise
catholique et les autres groupes chrétiens indépendants ou les sectes. Par ailleurs la
multitude des petites églises nées surtout après 1985 a amené l’Eglise catholique à n’avoir
que les protestants comme seuls partenaire chrétien954.

&! " #
La première religion non chrétienne du Gabon entre 1969 et 1982 est sans nul
doute la religion musulmane. Son implantation au Gabon remonte dans les années 1920

950
Date d’installation des missionnaires protestants au Gabon.
951
Cf. lettre signée entre les deux Eglises en 1964 pour dénoncer le coup d’Etat et appeler à la
responsabilité civile.
952
DOCATGAB, « Discours du pape Jean Paul II lors de la cérémonie œcuménique en 1982, in affermis tes
frères dans la foi.
953
En réalité, il faut attendre le milieu des années 90 pour voir s’établir un cadre relationnel plus concret
avec la célébration de messes œcuméniques, et la présence de chorales chrétiennes.
954
Même s’il est vrai que l’Eglise catholique ne doit pas seulement compter avec l’Eglise évangélique entre
1969 et 1982 à cause de la présence encore très faible des petites autres églises du réveil, nous n’abordons
cependant pas ici le problème de relation entre la hiérarchie catholiques et les églises éveillées. Leur
situation est très peu connue avant le début des années 90 et même si, comme leur présence est pourtant
signalée, il faut dire que jusqu’au début des années 80, l’Eglise catholique ne les considère véritablement
pas comme une menace.
327
grâce à la venue massive de ressortissants ouest africains et l’arrivée des Haoussas
musulmans Peuls dans le nord du Gabon dans les années 1940955. Il nous est difficile de
cerner les rapports entre les deux confessions avant 1982 même si en réalité il faut
reconnaître qu’il existe une concurrence symbolique entre les deux institutions depuis la
conversion du Président Bongo Omar à L’islam. Néanmoins, le dialogue inter religieux
entre catholiques et musulmans du Gabon émerge après le passage de Jean Paul II au
Gabon en 1982. Après cette date, les deux communautés se sont rapprochées et prônent
dès lors un discours commun à l’endroit de la société et de la justice sociale envers les
plus faibles. Le rapprochement entre les deux institutions est aussi stratégique du fait de la
conversion du Président Bongo Omar à l’islam en 1974. Les relations entre les deux
confessions scellent une sorte d’union autours du chef de l’Etat (lui-même ancien
catholique), qui pourrait ainsi être très sensible aux doléances des deux confessions. Mais
les relations entre l’Eglise en général et l’Islam entre 1969 et 1982 ont beaucoup souffert
du motif de conversion de certains Gabonais. En effet, pendant les années faste du régime,
quelques Gabonais se sont convertis à la religion musulmane pour diverses raisons, le
plus souvent motivées par une certaine idée de promotion sociale, alors que d’autres
chrétiens et païens, issus de couches sociales démunies, surtout les jeunes, se sont
convertis surtout dans le but de bénéficier de certaines largesses sociales que redistribuent
l’Islam956.

) # $ # , #
Un des signes d’implantation durable de l’Eglise autochtone depuis 1969 se
mesure dans sa relation avec les questions de culture et de médias. Ces deux sujets ont
constitué des préoccupations majeures pour les autorités religieuses et l’ensemble des
catholiques en général. Deux principes peuvent expliquer cet intérêt de l’Eglise catholique
pour la culture et les médias. D’une part, il faut reconnaître que la culture d’un peuple doit
être prise en considération par la religion catholique qui ne peut l’ignorer de façon
permanente. D’autre part, les médias représentent un précieux moyen de communication
moderne qui permet d’atteindre tous les chrétiens du Gabon. Cette communication est
d’autant plus importante que l’Eglise souffre d’un manque d’encadrement.

955
En 1987, le Gabon comptait 65% de catholiques pour un total de 96,2% de chrétiens dont 18,8% de
protestants et 12,1% de chrétiens indépendants. Il n’y avait que 1% de musulmans et 2,8% pour les religions
traditionnelles. Cf., CLAVENOT, L’état des religions dans le monde, ed. Cerf, Paris, 1987.
956

328
) #
Depuis leur arrivée au Gabon, les missionnaires catholiques ont toujours rejeté les
pratiques culturelles des peuples autochtones, les jugeant non compatibles ou non
conformes à la nouvelle religion. Ce désintérêt a énormément contribué à retarder le
rapprochement des éléments culturels autochtones dans la foi chrétienne. Le Concile
Vatican II, en réaffirmant la volonté de l’Eglise catholique de servir l’homme, a opéré un
déplacement de celle-ci vers le culturel, surtout dans les Eglises du Tiers Monde comme
celle du Gabon. Ce recentrage s’est caractérisé au Gabon par les prémices d’une
inculturation de l’évangile. Les rites et croyances locales gabonaises ont donc connu dès
1969 une forme de reconnaissance de la part de l’Eglise. Les autorités religieuses jadis
réfractaires aux croyances locales, appellent alors à une meilleure considération de celles-
ci ; un des exemples les plus précis est la revalorisation de « la foi des ancêtres » ; qui
selon l’Eglise catholique pouvait aider les Gabonais à retrouver un meilleur sentiment
religieux957. En reconnaissant les bienfaits de la « foi des ancêtres » qui véhicule un
certain nombre de vertus, l’Eglise catholique admet en même temps que l’homme vit de
façon permanente sous l’influence des ancêtres qui sont à la foi guides et protecteurs.
Pour l’Eglise catholique, tout cela devient une base solide pour la consolidation de la foi
chrétienne mais aussi une raison pour laquelle le christianisme s’est installé avec succès.
Pour l’ensemble des évêques du Gabon, mais aussi prêtres et autres religieux et
religieuses, si les coutumes comportaient des éléments discutables, elles constituaient
aussi un fond solide sur lequel pouvait s’édifier une civilisation moderne et chrétienne au
Gabon. En 1980, en s’exprimant au sujet des croyances et coutumes locales, Mgr Basile
Mvé déclare : « Depuis le concile Vatican II, il y a eu des modification dans l’expression
de notre foi. On fait d’avantage appel à ce qui, hier, était condamné comme diabolique958.

Pour ce qui est de l’inculturation de l’évangile, l’Eglise catholique locale va se


pencher effectivement sur ce problème depuis 1969. Dans les années 70, les termes
d’inculturation, incarnation ou indigénisation sont en vogue et synonymes chez les
catholiques et les protestants. Tout le monde s’accorde à reconnaître l’urgence de cette
démarche dans la mesure où elle implique une véritable rencontre entre l’évangile et les
cultures africaines959.Selon l’Abbé Noël Ngwa Nguéma estime que : « L’inculturation
dont on parle beaucoup depuis quelque temps n’est rien d’autre que cette démarche qui

957
DOCATGAB, Mgr Jean Jérôme Adam, « La foi des peuples du Gabon : pierre d’attente du Christ »,
Franceville, 1975.
958
DOCATGAB, Mgr Basile Mvé, interview dans Bingo, N° 334, novembre 1980.
959
André KARAMAGA, L’Evangile en Afrique, ruptures et continuités, Coll. Archives Vivantes, Yens
/Morges, 1990.
329
consiste à favoriser l’incarnation du message de Jésus Christ dans la culture de ceux à
qui il est proposé… »960. L’inculturation est donc tout simplement une forme
d’adaptation de l’évangile aux réalités locale d’une région, d’un pays, d’une contrée. Au
Gabon, cette forme d’adaptation se traduit surtout dans le discours des autorités
religieuses et dans l’ambition des catholiques d’enraciner l’évangile dans la diversité des
cultures gabonaises. Mais la pratique reste souvent très éloignée du discours. En réalité, il
faut reconnaître qu’entre 1969 jusqu’à la fin des années 80, l’inculturation au Gabon est
restée au stade des balbutiements malgré les nombreux messages des évêques, et même de
Rome qui encourageaient son enracinement. En 1969, à cause de son unité linguistique et
culturelle, le diocèse d’Oyem dirigé par Mgr François Ndong apparaissait comme
l’exemple idéal pour les premiers champs d’expérimentation de l’inculturation de
l’évangile : dans plusieurs paroisses de ce diocèse, on commençait à chanter en langue
vernaculaire. A Libreville, la paroisse de Saint Michel de Nkémbo961 a été le théâtre de
cette forme d’inculturation. Mais malgré ces réalisations, le bilan est limité.

Les causes de cet échec de l’inculturation sont multiples. La première raison est
sans nul doute l’insuffisance d’un clergé local suffisamment formé et armé sur la
question. La seconde raison est l’attitude des Gabonais qui sont un peu conservateurs. A
ces deux raisons fondamentales s’ajoute le fait que l’Eglise est dépourvue de moyens pour
cette difficile entreprise. Il n’existe ni grand séminaire, ni institut supérieur catholique, ni
même un centre de réflexion sur les problèmes de culture et de foi. Pourtant, l’Eglise
travaille toujours dans le sens de la réalisation de ces objectifs, c’est du moins ce que nous
affirme Mgr Basile Mvé, archevêque de Libreville lors d’un entretien962 . Mais le fossé est
resté considérable entre les intentions et les réalisations. D’une manière générale, il faut
tout simplement reconnaître que l’Eglise du Gabon comme d’autres en Afrique est face à
des défis du futur et du passé et à assumer le mandat missionnaire, c'est-à-dire qu’elle
n’est plus un ensemble de postes de mission, mais elle est devenue elle-même une Eglise
missionnaire à la quête de nouvelles âmes, de nouvelles conversions et à la recherche

960
L’abbé Noël Ngwa Nguéma, cité par MVONE NDONG Simon Pierre, Bwiti et christianisme : approche
philosophique et théologique, ed. L’Harmattan, Paris, 2007.
961
Située à quelques mètres du feu rouge STFO, l’Eglise Saint Michel de Nkémbo est une des plus belles
œuvres sculpturales du continent africain. Sa beauté plastique, synthèse de l’acculturation et du cubisme des
origines, expose les étapes bibliques de la crucifixion de Jésus et bien d’autres. Le Révérend Père Morel
Gérard contacta le talentueux artiste sculpteur de Lambaréné LENDONGNIO Zéphirin, pour réaliser cette
œuvre qu’il initia.
962
Nous avons eu un très court entretien avec Mgr Basile Mvé, archevêque de Libreville en février 2005.
Interrogé sur la question de la création des centres de réflexion sur la foi, ou instituts catholique, ce dernier
nous laisse entendre que ces problèmes étaient en effet une grande préoccupation pour son épiscopat.
330
d’une identité. Cette situation exige cependant une prise de conscience de ses valeurs
propres et l’élaboration d’une organisation spécifique.

)!
Depuis 1969, les médias occupent une place non négligeable dans la vie quotidienne
des Gabonais. La radio, la télévision et même la presse écrite sont autant de vecteurs
d’informations que les nationaux utilisent quotidiennement. L’Eglise catholique a pris
conscience de cette évolution importante963. Pourtant, l’idée des médias catholiques est
bien antérieure. Déjà en 1963, l’archevêque de Libreville, Mgr Jean Jérôme Adam, confie
déjà à l’abbé Maurice Patry la responsabilité de mettre en place une petite unité de
médias. Par la suite, l’Eglise catholique se dote dans les années 1970 d’un véritable
service audio visuel. Sa mise en place est perçue par l’ensemble des évêques gabonais
comme un véritable lévier d’évangélisation car le souci est de tenter d’atteindre tous les
Gabonais dans leurs milieux respectifs. Arrivée au Gabon en 1963, pour les premières
images couleurs en 1975, la télévision fut présentée par les autorités religieuses, comme
un instrument qui met en « communion toutes les cultures gabonaises »964. Tout le pays
étant résolument engagé vers une voie de dialogue et entente des cultures, l’Eglise
catholique estime pour sa part qu’elle ne peut rester en marge de ce mouvement
extraordinaire ; elle s’applique donc à traduire le message évangélique dans un langage
audio visuel afin d’atteindre toutes les couches de la population et amener à des
conversions massives.

Quant à la presse écrite, sa diffusion reste récente dans les milieux de l’Eglise. Son
apparition ne se situe que vers la fin des années 1970 avec la parution des « bulletins
paroissiaux », mais ceci s’avère très vite peu attrayant. Sur le plan national, ce n’est qu’en
1980 que l’Eglise catholique s’est dotée de son premier bulletin de presse écrite : il s’agit
du bulletin « IIumbi »965, produit par le service national des médias catholiques. La
diffusion de ce journal était internationale et sa responsabilité a été donnée à l’abbé
Florent Mboumba Bouassa. Ce journal traite des activités propres à l’Eglise catholique et
de ses relations avec la société gabonaise : ses informations constituent de ce fait une
mine de renseignements précieux.

963
Abbé Florent MBOUMBA BOUASSA, « Omniprésence de l’audiovisuel », in le journal Lumière, N°
14, mai 1992.
964
DOCATGAB, CEG, « L’Eglise et les moyens modernes de communication », in Rapport de session de
juin 1986.
965
Le messager.
331
/ #
, A(
De 1969 jusqu’au début des années 1980, l’Eglise catholique gabonaise doit
s’affirmer et surtout trouver ses repères. Elle doit pourtant émerger dans un climat
particulier : en effet depuis 1967, le Gabon vit sous le régime de parti unique instauré par
le Président Omar Bongo966. Pourtant, jusqu’au début des années 1980, sous ce même
parti unique, l’Eglise du Gabon, en réalité la hiérarchie, est resté presque muette sur la
situation sociale du pays, d’où l’idée souvent répandue que l’Eglise s’était tue face à la
situation générale du Gabon. Toutefois à défaut d’intervenir directement dans la vie
politique du pays, l’Eglise entend s’exprimer à propos de la situation sociale et morale.
Ainsi au début des années 1980, dans un contexte de plus en plus difficile pour bon
nombre de Gabonais, les interpellations de l’Eglise deviennent répétitives, souvent lors de
cérémonies officielles comme le Nouvel An à l’occasion de la présentation de vœux au
Président de la République. Ces interventions de l’Archevêque de Libreville avaient pour
but de plaider pour l’homme gabonais en toutes circonstances. Cependant, l’Eglise
n’entend pas se transformer en force d’opposition, encore moins en syndicat défenseur
des Gabonais. C’est la raison pour laquelle elle continue à être particulièrement attentive à
préserver ses relations avec l’Etat surtout dans le domaine de l’éducation.

Pour tenter de comprendre l’intervention directe ou indirecte de l’Eglise dans la


vie politique gabonaise, nous allons d’abord définir le cadre de ses relations avec l’Etat.

L’Eglise catholique locale (1969-1982) et le parti unique au Gabon (1968 jusqu’au


début des années 1980), présentent, pourrait-on dire, deux destins qui se ressemblent. En
effet, de la fin des années 1960 jusqu’au milieu des années 1980, l’Eglise et le parti
unique sont amenés l’un comme l’autre à asseoir leur autorité et trouver leurs marques,
tant et si bien que ces deux institutions sont amenés dans le temps à dialoguer et échanger.
A travers les lignes qui vont suivre, nous nous proposons de dresser dans un premiers
temps un bref rappel de la situation générale (politique, économique et sociale) du pays
sous le parti unique et dans un second temps, définir le cadre de relations entre l’Eglise et
l’Etat sous ce même parti unique. Nous n’envisageons pas de faire un exposé exhaustif
des richesses gabonaises dans les années 1970, nous souhaitons juste monter un aperçu

966
DOCGAB, JO.Le parti unique est instauré le 13 mars 1968 par l’ordonnance n° 13/68 portant institution
d’un parti unique. Dans le journal officiel de la République gabonaise, n° 13, 15 juin 1968, p. 379.
332
des potentialités économiques du pays durant cette période car il faut dire que la mauvaise
gestion de celles-ci et la misère du peuple gabonais qui en découle sont autant
d’éléments qui provoquent l’engagement des prêtres gabonais sur la scène politique.

A>(
Avec l’avènement au pouvoir du président Bongo Albert, commença une nouvelle
période de l’histoire du Gabon indépendant, à savoir celle de la « Rénovation ». En
réalité, ce mot n’était pas nouveau dans le discours politique officiel au Gabon, mais,
seulement, à partir de cette année là, il symbolisa tout un régime, qui, tout en étant héritier
du précédent, se forgea rapidement sa propre philosophie, sa propre image.

$ C A>(6 A(B
De 1968 à 1980, le régime de la Rénovation évolua sans difficultés majeures, si
l’on excepte la petite crise économique survenue en 1977. Deux éléments contribuèrent au
maintien de cette stabilité politique : le discours rassembleur adopté par le nouveau
régime dès le départ et, surtout, le boom pétrolier qui, à partir de 1973, inonda le pays de
devise, donnant l’illusion d’un décollage économique mais provoquant un développement
sans précédent des phénomènes de corruption et de détournement967. C’est aussi lors de
ces années fastes que l’Eglise du Gabon connaît aussi une crise sans précédent telle que
nous l’avons définie dans les pages précédentes968. La présentation du Gabon dans la
littérature (ouvrages, articles de presse..) se caractérise par des expressions comme « le
petit eldorado » ou même comme « pays riche ». En effet, la nature a doté le Gabon de
ressources importantes. La première à avoir été mise en valeur est le bois qui est exploité
depuis l’époque coloniale969 Alors que le bois, qui fut, pendant plus d’un demi siècle, la
principale richesse d’exploitation du Gabon, voyait sa part dans le revenu national
diminuer au fil des ans avant de sombrer vers 1974-1975, les richesses du sous sol, elles,
prirent de plus en plus d’importance. A côté de l’uranium et du manganèse, le pétrole
connut un essor exceptionnel, ce qui engendra à partir de 1974, d’importantes rentrées de
devises à l’Etat970.

967
Nicolas METEGHE N’NAH, Histoire du Gabon…p. 191.
968
Il s’agit de la crise des vocations et le détournement des jeunes vis-à-vis du monde religieux.
969
Pierre OMBIGATH, Le commerce du bois au Gabon de 1919 à 1949, Mémoire de maîtrise d’Histoire,
Université Omar Bongo, Libreville, 2000.
970
En octobre 1973, le prix du baril passe de 3 à 5, 03 dollars. En décembre 1973, il atteint 11, 5 dollars et,
en 1974, il dépasse les 13 dollars.
333
Comme signifié plus haut, ces richesses donnèrent au Gabon d’importantes
rentrées financières qui occasionnèrent en même temps la réalisation de grands projets: le
port d’Owendo et le barrage hydroélectrique de Kinguélé furent construits, les travaux du
chemin de fer, baptisé « Transgabonais » furent lancés. La production de manganèse
dépassait la barre de 2 millions de tonnes et celle de l’uranium avoisinait les 1500 tonnes
de concentré et entièrement vendu à la France. La progression la plus spectaculaire était
celle du pétrole qui vers la fin des années 70 atteignait la barre des 10 millions de tonnes.
Le pétrole finit par devenir dans les années 80, la principale richesse du pays rapportant à
l’Etat plus de la moitié des recettes971.

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$ ! . 0
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(H+ ")3?,,,

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Le tableau ci-dessus témoigne effectivement de la part plus qu’importante des


recettes pétrolières dans le budget de l’Etat. En l’espace de quatre ans, celui-ci passe de
37 milliards en 1973 à 228 milliards en 1976972. De façon générale, les Gabonais étaient
présentés comme des nouveaux riches. Les recettes pétrolières et les richesses du pays,
selon une propagande bien orchestrée par le régime en place, semblaient profiter à toute la
population gabonaise, ce qui était plutôt exagéré. La carte ci-dessus nous donne un aperçu
des richesses du Gabon dans les années 70 ainsi que leur localisation géographique.

971
Rolland POURTIER, Le Gabon, Tome II : Etat et développement, L’Harmattan, Paris, 1989.
972
Idem.
334
335
Mais au cours des années d’euphorie, en même temps que l’activité économique,
se développèrent aussi divers maux tels que la gabegie, la corruption, les meurtres ou le
vol. La criminalité augmenta rapidement notamment à Libreville, où les autorités durent
procéder à des exécutions publiques. Par ailleurs, durant ces années fastes, l’Etat s’endetta
fortement973. Cet argent n’a guère servi, en totalité, au développement des infrastructures
du pays. Une bonne partie était allée dans les poches des plus hauts responsables du pays.
Ainsi, profitant de leur position dans la hiérarchie administrative, certaines n’avaient
aucun scrupule à piller de façon systématique les biens de l’Etat. Le vol était presque
légalisé puisque les auteurs étaient rarement punis974. Le mirage du développement
économique a eu pour conséquence des mutations sociales indéniables. Sur le plan
culturel, l’ère de la Rénovation fut marquée par une absence totale de politique, une
ouverture de plus en grande du pays aux influences étrangères, notamment occidentales,
et une accélération de la perte de l’identité des peuples autochtones. C’est dans cette
situation économique et sociale florissante, ajoutée à des manquements comme l’absence
d’une réelle politique culturelle, que le régime de la rénovation et le parti unique se sont
imposés. Plus d’une décennie durant laquelle le pays se sentait plus ou moins bien, tant et
si bien que les autorités politiques pensèrent avoir réalisé l’unité sociale dans le pays.

! $ # A;;
En fait, le régime de la Rénovation ne triompha que durant la prospérité
économique et tant qu’aucun mouvement extérieur ne vint bouleverser l’ordre établi.
Mais dès que changea la situation politique en France975, que se manifestèrent les
premiers effets de la récession économique, le régime de la Rénovation plongea dans une
longue agonie. L’euphorie économique et sociale des années 1970 n’a donc pas duré. La
chute du prix du pétrole, la pénurie des ressources agricoles, la gabegie entretenue par les
hommes politiques, autant d’éléments qui ont peu à peu conduit le pays vers la voie de
l’essoufflement. Sous l’époque des grands travaux, le financement de certains projets
ressemblait plutôt à du gaspillage ou même à la volonté de satisfaire des intérêts
personnels976. La débauche d’investissement initiée depuis 1973 et son corollaire la dette,

973
En 1977, La dette extérieure du Gabon était estimée de l’ordre de 500 milliards de francs CFA.
974
NGWA NGUEMA Noêl (Abbé), « Choisir de dire la vérité ».
975
Le changement de la situation politique en France avec l’élection de François Mitterrand va être un
tournant décisif aussi bien pour le pays en général mais surtout pour l’Eglise du Gabon. L’intervention de
plus en plus grande des hommes d’Eglise sera effective. Nous allons y revenir.
976
Nous en voulons pour preuve, la construction du chemin de fer « Transgabonais ». Initialement prévu
pour l’évacuation du minerai de fer de Bélinga (région de Mékambo) vers le port d’Owendo (Libreville), le
tracé du chemin de fer fut dévié vers Franceville (région natale du chef de l’Etat) par la volonté de Bongo
336
ont mis à mal le pays à partir de 1977. Dès 1979, on parle même de crise économique au
Gabon, ce qui implique naturellement une détérioration des conditions de vie des
Gabonais car si dans les années 1970, on ne parlait presque pas de pauvre, dans les années
1980 la situation était bien inversée. Les habitations de nombreux Gabonais étaient
insalubres et parfois n’avaient pas d’électricité. Les mesures sociales étaient inexistantes
ou pas du tout respectées. C’est dans ce contexte des difficultés économiques et sociales
que l’Eglise qui doit non seulement entretenir des relations avec le pouvoir (Etat), réagit.

En effet, la calamiteuse situation économique du Gabon, résultante d’une politique


de gaspillage des deniers publics depuis les années 1970 ne laisse pas indifférents les
hommes d’Eglise car du point de vue des autorités religieuses, la situation que connaissait
le pays entraînait en même temps une crise dans la foi chrétienne et des valeurs morales
ancestrales. L’amour et le respect de la vie, le sens de la dignité et de l’effort avaient
disparu au profit de certains comportements qui effritent la morale chrétienne et
religieuse977. Dans l’ensemble, les interpellations de l’Eglise par rapport à une situation
sociale préoccupante faisaient toujours la part des choses. Elles s’adressaient aux
dirigeants politiques, aux décideurs économiques et aux populations qui en fin de compte
étaient les plus concernées et les victimes de cette situation, mais l’Eglise n’accusait pas
directement le régime de la Rénovation et le parti unique d’être à l’origine de cette
situation, elle appelait à plus de rigueur.

!
Au moment où le régime de la Rénovation atteint son apogée dans les années 70, il
est utile de situer quelles sont ses relations avec les confessions religieuses, l’Eglise
catholique notamment. Dans l’ensemble, ces relations se caractérisent sous plusieurs
aspects. D’abord il y a les échanges diplomatiques entre le Gabon et le Vatican. Ces
échanges se caractérisent par les visites des autorités des deux institutions. Elles
comportent ensuite une intense collaboration dans le domaine de l’éducation.

Omar. Les travaux débutèrent à la fin du mois de décembre 1973, malgré l’opposition de la banque
mondiale qui, pressentie comme l’un des bailleurs de fonds, préférait la construction d’un bon réseau
routier.
977
DOCGAB, Le Journal l’Union n° 1840, 19 février 1982.
337
! $$ #
Lorsque l’Eglise catholique au Gabon est érigée en diocèse autonome en 1955,
cela entraîne naturellement une nouvelle organisation. La nomination des évêques
gabonais comme nous l’avons précédemment vu, en est un des éléments majeurs. Il faut
tout aussi préciser que le nouveau statut de cette jeune Eglise autonome ainsi que son
africanisation fut accompagné par l’établissement des relations suivies entre le Gabon,
Etat indépendant et le Saint Siège de Rome. C’est en effet le 31 octobre 1967, c'est-à-dire
quelques mois après l’arrivée au pouvoir du président Omar Bongo, que l’ancienne
colonie française noua des relations diplomatiques avec le Vatican. Celles-ci
responsabilisaient d’avantage les nouvelles autorités religieuses du pays, et favorisaient
l’indépendance religieuse tout en confirmant la prépondérance de l’Eglise catholique dans
la société gabonaise toute entière. En quelque sorte, l’Eglise catholique devenait par cette
occasion un partenaire officiel du développement politique, économique et social du
Gabon, bien qu’elle ait depuis toujours joué ce rôle. Toutefois, l’établissement officiel des
relations diplomatiques directes était opportun pour les deux parties. Celles-ci étaient la
concrétisation d’une évolution entamée après la Seconde Guerre Mondiale. Avant 1967,
les relations entre le Gabon et le Saint Siège étaient beaucoup plus théoriques, à cause de
l’immensité du territoire apostolique auquel appartenait le Gabon978. L’établissement des
relations diplomatiques entre le Gabon et le Saint Siège permit la nomination d’un Pro-
nonce représentant du Pape au Gabon. De 1967 à 1982, six Pro-nonce se sont succédés.

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Source : Hervé Essono Mezui, Eglise catholique, vie politique…Gabon

978
En 1948, le Gabon appartenait à la « Délégation Apostolique » de Dakar créée le 22 octobre de la même
année. Au moment des indépendances, le Gabon fut placé dans la délégation apostolique de Lagos, le 03
mai 1960, qui regroupait tous les pays de l’Afrique centre Occidentale. Le 03 avril 1965, le Gabon
appartenait désormais à la délégation apostolique des Etats de l’Afrique Centrale qui regroupait alors le
Cameroun, le Congo Brazzaville, la République Centrafricaine et le Tchad.
338
Les autorités gabonaises en firent de même en nommant un ambassadeur près du
Saint Siège. En 1975, par exemple, Marcel Sandoungoult présentait ses lettres de créance
au Souverain Pontife, le Pape Paul VI. Marcel Sandoungoult avait remplacé à ce poste
Georges Rawiri. Depuis 1960 en effet, les relations entre l’Eglise et l’Etat au Gabon
étaient toujours vécues selon les principes de la loi de la séparation entre l’Etat et les
Eglises. Cet héritage de l’époque coloniale avait été plus ou moins appliqué par les deux
partenaires durant le régime de Léon Mba, c'est-à-dire de 1960 à 1967. Mais avec
l’établissement des relations diplomatiques en 1967, la coopération entre l’Eglise et l’Etat
connut d’abord un certain essor. Les relations entre le Saint Siège et le Gabon depuis
1967 laissent penser que les Eglises diocésaines pouvaient sortir de la dépendance
financière des congrégations missionnaires françaises installées au Gabon et des Œuvres
missionnaires dépendant du Saint Siège car l’Etat gabonais pouvait apporter une
contribution plus grande à l’Eglise. Mais il en fut autrement car ces relations étaient plus
théoriques que pratiques. Quoi qu’il en soit, il faut simplement signifier que depuis 1967,
les relations entre le Gabon et le Vatican sont marquées par une intense activité
diplomatique. On note aussi l’appui de l’Etat lors de grandes manifestations de l’Eglise,
comme notamment la réception du pape Jean Paul II à Libreville en 1982, même si en
réalité, aucun accord n’a jamais lié véritablement les deux institutions. Il s’agissait plutôt
de négociations faites de respect et de collaboration mutuelle sur les questions de liberté
religieuse et dans le domaine de l’éducation.

Les Nonces apostoliques, au cours de leurs audiences, intervenaient pour


remercier les autorités politiques gabonaises pour le respect des libertés religieuses et
surtout pour la bonne situation de l’Eglise catholique dans le paysage religieux. Les
entretiens tournaient aussi sur le bon fonctionnement des institutions catholiques
gabonaises et surtout l’aide que celles-ci recevaient de l’Etat. Il faut donc dire que durant
les années 70, les relations entre le Saint Siège et l’Etat gabonais sont de bonne facture.
Bien entendu, ce climat de bonne entente amène le régime de la Rénovation à entretenir
des relations privilégiées avec l’Eglise catholique du Gabon. Ainsi la plupart des grandes
manifestations organisées par l’Eglise reçoivent d’ailleurs l’aide logistique de l’Etat979.

979
L’une des meilleures preuves est sans doute la construction d’une ville en annexe de la cathédrale Sainte
Marie pour accueillir le Pape en 1982. Elle sert aujourd’hui de résidence à l’Archevêque de Libreville.
339
Tout le monde s’accorde donc à reconnaître l’excellence des relations qui existent
entre le régime de la Rénovation et l’Eglise catholique. En 1980, le Pro Nonce, Mgr
Donato déclarait : « Le Saint Siège se félicite de l’harmonie et du respect qui règne dans
les relations entre l’Eglise et l’Etat au Gabon. Le Saint Père souhaite que le Gabon soit
un modèle d’équilibre, de progrès harmonieux, de justice, de maturité politique et
d’ouverture aux valeurs morales et spirituelle »980. De son côté, l’Archevêque de
Libreville et l’ensemble des évêques des diocèses du pays ne manquaient pas à leur tour
de déclarer publiquement que les relations entre l’Eglise et l’Etat étaient harmonieuses.

Dans l’ensemble, il faut dire que les relations entre les deux institutions sont au
beau fixe durant les années 70. Au début des années 80, elles deviennent plus difficiles.
Les évêques gabonais commencent peu à peu à sortir de leur silence. Une bonne partie
des prêtres gabonais s’engage de façon libre dans la vie politique gabonaise. Les
responsables de l’Eglise catholique (évêques) en tête desquels l’archevêque de Libreville,
commencent à dénoncer le phénomène de la corruption et des restrictions des libertés
publiques dont beaucoup de compatriotes faisaient l’objet. En réponse à cela, le régime de
la rénovation, au nom du principe de la laïcité de l’Etat et de la liberté de la presse, laissa
critiquer ouvertement les responsables de l’Eglise dans la presse nationale et étrangère981.

!! # 2 #
Historiquement et ce depuis l’arrivée des missionnaires au Gabon en 1844,
l’enseignement a toujours été un domaine d’entente entre l’Eglise et le pouvoir politique.
Avec l’avènement de l’Eglise locale, le meilleur champ d’application des relations entre
l’Eglise et le régime de la Rénovation reste incontestablement l’enseignement dont la
nationalisation remonte à 1960. Les difficultés croissantes rencontrées par l’enseignement
privé catholique avaient amené l’Eglise à avoir une coopération assez régulière avec
l’Etat gabonais. Des responsables politiques gabonais, de façon individuelle sont
d’ailleurs, pour certains très attentifs aux difficultés rencontrées par les collèges privés
catholiques982. En règle générale, l’Etat gabonais a souvent été assez attentif aux
problèmes rencontrés par l’enseignement privé catholique. Quelques exemples suffisent à

980
DOCGAB, l’Union du 12 décembre 1981.
981
Le plus bel exemple nous est fourni en mars 1982, quelques jours après la visite du Pape Jean Paul II au
Gabon où la presse accuse l’archevêque de Libreville de malversation financière au sujet de la construction
de la villa qui avait servie d’accueil au Pape. Cette affaire avait jeté un trouble énorme dans les relations
entre l’Etat et l’Eglise.
982
Cette attention particulière s’explique par le fait que beaucoup de cadres gabonais avaient d’ailleurs été
formés dans les établissements privés catholiques. L’exemple le plus cité est l’école Montfort ou le collège
Bessieux de Libreville.
340
le démontrer. En 1974, les enseignants catholiques demandent à être payés par l’Etat car
les missionnaires se désengagent des écoles. Auparavant, en 1963, c'est-à-dire avant l’ère
de la Rénovation, la loi n° 30/63 organise déjà les nouveaux rapports entre L’Eglise et
l’Etat par l’augmentation du corps enseignant et la prise en charge d’indemnités telle que
la prime de direction983. Bien plus tard, en 1981, la direction nationale de l’enseignement
privé catholique obtient de l’Etat que tous les enseignants catholiques formés à l’Ecole
Normale Supérieure soient affectés sans restriction dans l’enseignement catholique et
ainsi satisfaire à l’obligation de leur engagement décennal à servir l’Etat984. De même
qu’en 1982, les enseignants catholiques sont devenus contractuels de l’Etat et bénéficient
désormais de la plupart des avantages accordés aux fonctionnaires. Les élèves de
l’enseignement catholique peuvent être boursiers nationaux selon les mêmes critères que
ceux de l’enseignement public985.

En novembre 1981, les responsables de l’enseignement catholique, encouragés par


les autorités religieuses organisent un colloque dont les débats portent sur les difficultés
financières de l’enseignement catholique. Cet ordre du jour avait ainsi été fixé parce que
l’Etat voulait désormais verser sa contribution directement aux établissements
catholiques, ce que conteste la direction de l’enseignement catholique qui craint que les
établissements ne deviennent autonomes. D’ailleurs, dès 1977, l’Etat ne verse plus sa
subvention pour l’enseignement primaire catholique, tâche qui, selon les textes, était du
ressort des collectivités locales. De manière générale, l’aide de l’Etat en faveur de
l’enseignement privée catholique a souvent été d’une importance capitale. L’Etat assure
les fournitures scolaires, l’entretien des élèves et du personnel enseignant, charges
essentielles pour le fonctionnement des établissements, bien qu’il s’exclu des
constructions. Cependant, dans son projet de loi portant organisation de l’enseignement au
Gabon en 1959, il laisse la latitude aux responsables de l’enseignement privé de soumettre
à l’approbation de l’Assemblée législative, des demandes de crédits pour les
constructions986. Dans l’ensemble, l’Eglise tenait à marquer la spécificité de
l’enseignement catholique. Les autorités religieuses demandent sans cesse à l’Etat que la
morale soit au centre des objectifs à atteindre dans l’enseignement catholique en
particulier, et dans l’enseignement en général. Pour conclure, l’enseignement catholique a

983
Jacques HUBERT, op. cit. p. 75.
984
Audience accordée par le Président de la République au Directeur National de l’Enseignement
catholique, M. L’Abbé Florent Mbumba Bwassa Florent. Cf. Jacques HUBERT, p. 76.
985
Jacques HUBERT, ibid.
986
BOTTI M, et VENIZET P, Enseignement au Gabon, société d’études pour le développement
économique (SEDES), Paris, 1965, T1.
341
élaboré un projet éducatif repris dans certains établissements secondaires. La catéchèse
reste dans les années 1980, assurée dans la plupart des établissements secondaires. Pour
l’Eglise catholique, la vocation enseignante demeure plus que jamais une vocation de
service et de dévouement.

# M ,
A(
Cette partie de notre travail se propose de répondre à la question suivante :
pourquoi l’Eglise intervient-elle de façon indirecte dans la vie politique gabonaise à partir
de 1981 et quelles sont les causes de ce réveil politique ? Avant de tenter d’apporter des
éléments de réponse à cette question, nous tenons à préciser une circonstance particulière
qui amène les Gabonais à oser élever la voix à partir de 1981987. En effet, en prélude à la
fin du parti unique, il y a la première secousse qui concerne l’affaire du MORENA988. La
victoire de François Mitterrand aux élections présidentielles en France le 10 mai 1981 fut
accueillie dans la liesse par le peuple gabonais989. En novembre 1981, se manifesta une
organisation politique dénommée « Mouvement de Redressement National », qui allait
être le fer de lance de la principale opposition gabonaise au début des années 1980. Ce
mouvement réunit en son sein de nombreuses personnalités gabonaises, tous des
intellectuels résidants en France ou au Gabon. La particularité du MORENA se situe
également dans le fait que c’est à travers des leaders charismatiques, pour certains des
hommes d’Église, que la principale résistance va se faire. En son sein, on note la présence
de l’abbé Noël Ngwa Nguéma990 qui organise les principaux réseaux de résistance dans
les quartiers de Libreville, et surtout celle du Père Paul Mba Abessole, leader à Paris.
Nous avons vu à travers le chapitre précédent que de l’Eglise a souvent plus ou moins
donné son point de vue sur le déroulement de la chose politique au Gabon, sans
clairement se positionner au devant de la scène. Les choses changent cependant en 1981
et il faut dire que les circonstances particulières que nous venons de définir plus haut
concernant la situation économique et sociale plus que désastreuse du pays, obligent

987
Sous les années fastes de la rénovation, le Gabon vit sous un régime de dictature où on ne pouvait pas de
façon osée, critiquer les faits et agissements du pouvoir. Le multipartisme n’existe plus depuis 1968, et
l’adhésion au parti unique est presque de faite pour tous les Gabonais.
988
Il s’agit du mouvement de redressement national.
989
Le discours humaniste des socialistes français, convaincus que la défaite de la Droite en France allait
nécessairement s’accompagner de la chute des régimes monopartistes que celle-ci soutenait fermement en
Afrique. Les milieux de l’opposition gabonaise reprirent donc confiance et, les semaines et les mois suivant
la victoire de François Mitterrand, ils multiplièrent les réunions.
990
Selon l’historien Nicolas Metegue N’nah, l’abbé Noël est en réalité membre du Parti Gabonais d’Action
Populaire (PGAP), parti qui a accepté de taire son nom au profit du MORENA.
342
moralement les hommes d’Église à entreprendre un combat engagé, sous le sceau, parfois,
d’une étiquette politique. A l’heure des changements de ces temps, l’action de l’Église
catholique au Gabon ne se limite donc plus à la célébration des offices religieux et à la
distribution des sacrements. Elle intervient dans le processus de développement politique.
Nous n’entendons pas réaliser une analyse exhaustive sur la question des mutations
politiques et sociales. Nous souhaitons juste, à travers cette partie, montrer les
engagements « hors sacristie » de l’Église locale (par ses membres), mais aussi la
contribution de celle-ci dans les mutations. Cette approche de l’histoire religieuse du
Gabon soulève un certain nombre de questions: quel message est perceptible à travers
l’action de l’Église du Gabon? Quel a été son degré d’implication dans l’ouverture
politique qu’à connu ce pays à partir de 1981?

$$ *<C '9 0* C ' 1


A(
Au début des années 1980, alors que le régime de la Rénovation exerce une
domination sans précédent dans tout le pays, survint l’affaire du Morena considérée
comme la manifestation du réveil de l’opposition, et surtout le début d’une nouvelle ère
pour l’histoire politique du Gabon. Cette affaire a eu pour conséquence une vague de
répressions et d’arrestations de certains opposants au système Bongo. Le pays tout entier
sombre alors dans une vague de violences jamais connues, ce qui entraîne par la même
occasion l’engagement de certains prêtres gabonais.

# $ $$ *
Les membres fondateurs du Morena, en majorité des acteurs politiques et des
cadres administratifs sous le régime de Léon Mba, n’avaient jamais admis l’instauration
d’un parti unique en 1967. Leur position fut rapidement confortée par la dérive de ce
même parti unique durant les années fastes. Pour ce qui est des circonstances directes qui
provoquent la naissance de ce mouvement, il y’a bien évidemment la victoire de la gauche
en France en 1981, ce qui occasionna la montée d’un espoir dans les anciennes colonies
françaises où l’on estimait que les régimes monopartistes avaient été mis en place et
soutenus par les réseaux gaullistes et le pouvoir de Droite991. Dans les colonies françaises,
on pense donc que l’heure est venue pour le changement. C’est ainsi que plusieurs
Gabonais, animés par le même esprit de lutte et de recherche de liberté se regroupent en

991
Archives CSSP, Boite n° 450 « Le Mouvement de Redressement National »
343
1981 pour fonder le Morena dont les principaux membres fondateurs sont : Simon Oyono
Aba’a, Jules Mba Bekale, Jean Marie Aubame, Moubamba Nziengui, Jean Baptiste
Obiang Etoughe. Les fondateurs et collaborateurs de ce mouvement rédigèrent un « livre
blanc » qu’ils devaient remettre aux nouvelles autorités françaises. Le document, que ses
acteurs envisageaient de remettre aussi aux autorités de Libreville par les soins d’une
délégation qui devait se rendre à la Présidence de la République, dénonce les abus et les
méfaits du régime de la Rénovation et réclame l’institution du multipartisme. Mais la
délégation prévue ne put voir le jour992

Il faut dire que durant les premiers jours de la découverte de l’affaire, les autorités
politiques gabonaises ne firent aucun commentaire et préféraient minimiser l’affaire. Elles
qualifient plutôt ce mouvement comme « des individus isolés pour la plupart anciens
détenus de droit commun » qui diffusent des tracts et propagent de fausses nouvelles pour
tenter de troubler l’ordre établi, c’est du moins ce qui ressort de la part des autorités après
la grande manifestation du Morena le 1er décembre 1981993. A la suite de cette
manifestation, plusieurs arrestations ont eu lieu, ce qui entraîne d’autres troubles sociaux
notamment à l’université où les étudiants refusent la nomination d’un nouveau recteur994.
La conséquence immédiate fut la fermeture du campus universitaire et tous les étudiants
sont rapatriés chez eux. Le calme plus ou moins revenu pouvait donner l’impression
d’être une forme de déstabilisation du régime de la Rénovation : d’une manière générale,
en décembre 1981, les autorités politiques gabonaises donnent l’impression de maîtriser la
situation. Pourtant, les conséquences de ce mouvement n’ont pas totalement été
insignifiantes. Si les arrestations des principaux membres avaient définitivement tué le
Morena, un autre groupe clandestin avait pris le relais en janvier 1982. Ce groupe était
issu d’un parti dénommé PGAP (Parti Gabonais d’Action Populaire). En réalité, ce parti
était antérieur au Morena et avait accepté de taire son nom au profit du Mouvement de
Redressement National995. Ce parti, sous la direction de l’Abbé Noël Ngwa Nguéma,
s’était donc maintenu en toute clandestinité pour continuer l’action qui avait débutée en
1981.

992
METEGHE N’NAH p. 213.
993
DOCGAB, L’Union du 02 décembre 1981.
994
L’ancien Recteur, Jean Pierre Nzoghe Nguéma, considéré depuis longtemps comme un opposant, venait
d’être arrêté par le régime au retour d’une mission à Brazzaville.
995
METEGHE N’NAH, ibid.
344
L’Eglise catholique et les autres communautés religieuses ne s’exprimèrent pas
officielement sur l’affaire Morena. Pourtant, il ressort que le discours qui devait être lu
par l’archevêque de Libreville lors de la cérémonie de présentation de vœux au Président
de la République avait été finalement prononcé par le Pasteur Nang Essono996. Le silence
officiel de l’Eglise catholique laisse penser qu’elle était beaucoup plus préoccupée par ses
problèmes internes, notamment la visite pontificale qu’elle préparait. De même, la priorité
de l’Eglise au moment de l’affaire du Morena n’était pas nécessairement la situation
politique du pays. Elle s’intéressait beaucoup plus aux conditions de vie des Gabonais.

! . A(!
Ce qui a également caractérisé l’affaire Morena c’est aussi l’engagement politique
des prêtres gabonais, et l’intervention indirecte de l’Eglise catholique dans la vie politique
du pays. Si l’engagement politique des prêtres gabonais remonte effectivement à 1981,
leur combat dans la société est cependant antérieure à cette date là. On peut s’arrêter sur
les prêtres gabonais suivants :

! # 9 ' N ' O ' 0 . # 1


Né le 25 décembre 1933 à Lambaréné dans la région du Moyen Ogooué, Noël
Ngwa Nguéma est ordonné prêtre le 26 juin 1964 à Lambaréné997. Après des études
supérieures aux séminaires de Brazzaville et de Strasbourg, il obtient une licence ancien
régime en théologie, en philosophie, puis un doctorat de 3è cycle en lettres modernes à
l’université de Strasbourg. Il rentre définitivement au Gabon en 1970. Le combat social
et politique de l’Abbé se situe essentiellement sous le régime du parti unique. Il dénonce
le vol, la violence et l’injustice, des préoccupations qui sont aussi celles de la société
gabonaise toute entière. En acceptant de collaborer avec le Mouvement de redressement
National, l’abbé choisit de se mêler du politique, autrement dit de faire de la politique.
D’après lui, c’était une tâche exaltante pour l’homme d’Eglise qu’il était, et son devoir
était justement de dénoncer un certain nombre de faits qui paralysaient la société
gabonaise998. Pourtant, il faut dire que l’engagement de l’abbé n’était pas perçu par
beaucoup de compatriotes comme une bonne chose. Beaucoup estimaient d’ailleurs que
ce n’était pas son rôle, sa place était selon eux à l’Eglise, d’où les nombreuses questions
au sujet de son engagement qu’il se posait lui-même. Pourtant, il faut préciser que son
engagement politique en 1981, loin d’être motivé par des raisons personnelles, était plutôt

996
Président de l’Eglise évangélique du Gabon.
997
Jacques HUBERT, op. cit. p 65.
998
Noël NGWA NGUEMA, Choisir de dire la vérité, op. cit. p13.
345
celui de l’Eglise catholique au Gabon. Il estimait que l’Eglise avait son mot à dire et ne
restait pas rester en marge du bouillonnement d’idées d’où devait jaillir une société
gabonaise plus juste et plus fraternelle à laquelle aspirait une grande majorité de
Gabonais. Il considérait d’ailleurs son engagement comme une action voulue par Dieu. En
tant que prêtre de l’Eglise, il voulait apporter sa contribution, même s’il n’avait pas l’aval
de sa hiérarchie999.

Il choisit donc de s’engager aux côtés du Morena pour dénoncer un certain nombre
de choses que les opprimés (petite classe des Gabonais) pensaient tout bas. D’ailleurs, qui
pouvait oser élever le ton au Gabon en cette période où le régime de la Rénovation régnait
par l’oppression et la brimade ? Les nombreuses arrestations à l’endroit de tous ceux qui
manifestaient ouvertement contre le régime en sont la preuve sans omettre les exécutions
publiques1000. Outre les raisons que nous venons d’évoquer et qui motivent son
orientation, le choix de l’abbé semble aussi avoir été guidé pat l’attitude de certains
hommes d’Eglise du Tiers monde et de l’Europe de l’Est. Il cite les exemples de Mgr
Helder Camara et Oscar Roméro assassiné le 24 mars 1980 pour avoir ouvertement
défendu les opprimés1001.

3+ 6- Q

# ! 1 * "

En s’engageant pour le Morena et pour avoir ouvertement pris la défense des


Gabonais au début des années 1980, Noël Ngwa Nguéma faisait l’objet d’une surveillance
constante de la part du régime et un mandat d’arrêt planait sur lui. En effet, en avril 1982,

999
Idem, p.58.
1000
Les premières arrestations eurent lieu dès le 27 novembre 1981, c'est-à-dire quelques jours seulement
après la création du mouvement de résistance. La chasse aux sorcières engagée par le pouvoir à la suite de
l’affaire MORENA et l’exécution du capitaine Mandza, accrurent le mécontentement dans la population.
1001
L’action de ces deux évêques s’inscrit dans la logique de la théologie de la Libération qui tire son
origine des pays latino américains. La polémique sur la théologie de la libération est née dans les années
soixante et elle a été exportée vers les pays du Tiers monde, en Afrique notamment ; La théologie de la
libération a pris naissance dans une pratique sociale fondée sur le constat d’une opposition de classes et une
lecture engagée de l’évangile, situant résolument les chrétiens dans le champ des pauvres. Gustavo Gutierez
passe pour son fondateur.
346
les services spéciaux l’avaient discrètement invité à se désolidariser de ses camarades de
lutte et à cesser toute activité politique1002, ce qu’il ne fit jamais car il estimait que cela
allait contre ses principes1003. Son attitude à ne pas obéir provoquait naturellement les
autorités politiques qui le qualifiaient parfois de mauvais curé et de dangereux. Au début
du mois d’octobre 1982, à la suite d’une erreur d’un membre du réseau de Sotéga1004, de
nombreuses personnes parmi lesquelles l’abbé Noël Ngwa Nguéma, alors directeur du
collège Bessieux et enseignant à la faculté des lettres et Sciences humaines de Libreville,
ainsi que quelques étudiants furent arrêtés1005. D’autres enseignants de l’université, eux
aussi soupçonnés, furent rétrogradés dans les lycées de l’intérieur du pays avec des
salaires considérablement revus à la baisse.

Finalement, le procès de tous ceux qui furent arrêtés eut lieu en novembre 1982.
Ils furent tous condamnés à de lourdes peines de prison allant jusqu’à vingt ans de travaux
forcés plus dix ans d’interdiction de séjour et cinq ans de suspension de droits
civiques1006. L’abbé fut condamné à quatre ans d’emprisonnement ferme pour atteinte à la
sûreté de l’Etat1007. La hiérarchie de l’Eglise resta cependant assez muette après la
condamnation de l’abbé. L’Eglise ne dénonça pas officiellement sa condamnation et ne
réclama pas sa libération.

1002
Noel NGWA NGUEMA, op. cit. P. 75.
1003
Idem.
1004
Le mouvement s’était organisé de façon clandestine dans plusieurs quartiers de la capitale et Sotéga
(quartier populaire de Libreville) en était un.
1005
METEGHE N’NAH, Histoire du Gabon, p. 215.
1006
Idem.
1007
En réalité, il ne sort de prison qu’en 1988. Durant son incarcération, le Pro Nonce, Mgr Donato,
ambassadeur du Vatican au Gabon, vint le voir en 1984, pour lui proposer d’écrire une lettre de repentir au
Président Bongo en échange de sa libération. Ce qu’il refusa de faire.
347
!! # * 9 0 1

3H 6 : $

# ! !

Le second prêtre qui se signale au Gabon par son combat et son engagement
politique est Paul Mba Abessole, membre de la congrégation du Saint Esprit. Né le 9
octobre 1938 dans la province de l’Estuaire, il reçoit son sacerdoce le 30 juin 1968 à la
cathédrale Sainte Marie. Son combat au Gabon remonte à 1973. En effet, en cette année,
alors qu’il était curé de la paroisse Notre Da me des Victoires à Makokou1008, la campagne
électorale bat son plein au Gabon. Le jeune prêtre se fait remarquer par des propos qu’il
tint au sujet d’une élection libre et transparente dans le pays. Il estimait par ailleurs
qu’une élection signifie faire un choix parmi plusieurs candidats au lieu qu’un seul ne soit
imposé au peuple. Pour les autorités politiques, les propos tenus par le prêtre étaient une
manœuvre pour tenter d’empêcher la tenue de l’élection présidentielle. Le régime prit
donc la décision de l’arrêter pour le faire taire. Mais la tentative d’arrestation du jeune
prêtre donna lieu à une manifestation qui agita toute la population locale et dont les
événements sont restés à ce jour inscrits dans les pages de l’histoire politique du pays. Ces
événements ont été appelés les événements de Makokou. En effet, le 17 février 1973, la
gendarmerie nationale se rend à Makokou, petite ville située au nord est du pays pour
tenter d’interpeller le Père Paul Mba Abessole. On parle ce jour d’affrontements entre les
paroissiens désireux de protéger leur prêtre politicien et les éléments de la gendarmerie
nationale. Au demeurant Paul Mba Abessole n’a jamais été arrêté ce jour là ; il s’était
enfui vers le Cameroun et les moyens employés par ce dernier sont restés jusqu’alors
inconnus. La légende la plus répandue dit qu’il aurait disparu. D’ailleurs, ce raisonnement
tient la route quand on sait très bien que le jeune prêtre appartenait à la Congrégation du

1008
Chef lieu de la province de l’Ogooué Ivindo (nord est du Gabon).
348
Saint Esprit et pour beaucoup de chrétiens, depuis l’époque missionnaire, les prêtres
possèdent certains pouvoirs cachés !

Depuis cette tentative d’arrestation échouée et les événements de Makokou qui


s’en suivirent, l’Etat gabonais mit sérieusement en garde l’Eglise catholique contre
l’attitude de tous les prêtres gabonais qui osaient se mêler de politique. Il réaffirme par
ailleurs son respect à l’endroit de l’Eglise catholique, son appui et les services qu’il lui a
rendus notamment la nationalisation de l’enseignement privé catholique. C’est du moins
ce qui ressort des propos du Président de la République lors d’un discours tenu le 20
février 1973 à Makokou1009. Après avoir quitté clandestinement la pays en 1973, l’exil du
Père Paul Mba Abessole ne dura pas longtemps ; il revient au Gabon quelque temps par la
suite et il exerce ensuite son ministère dans la province du Woleu Ntem (nord), à Oyem
notamment dans le paroisse Sainte Thérèse d’Angone.Durant son affectation à Oyem, le
Père parcourt les villages et visiblement, son discours n’a pas changé de celui qu’il tenait
déjà à Makokou dans lequel les valeurs de la liberté revenaient sans cesse. Entre 1976 et
1981, le Père Paul Mba Abessole s’exile volontairement en France non sans renoncer
totalement à son combat politique. C’est ainsi qu’en octobre 1982, alors que la répression
exercée par le pouvoir avait paralysé l’action du Morena à l’intérieur du Gabon, des
groupes clandestins s’organisèrent en France. Ils avaient à leur tête le prêtre exilé. Celui-
ci exilé en Europe n’avait pas participé à la création du Morena. Mais le flambeau de la
lutte lui fut passé par l’un des responsables de cette organisation politique, en
l’occurrence l’abbé Noel Ngwa Nguéma qui, sentant son arrestation imminente, prit
contact avec le curé exilé et le chargea de continuer l’action1010. L’intéressé qui avait déjà
créé, avec des compatriotes, une espèce de comité de soutien aux détenus politiques du
Gabon dénommé « » s’acquitta courageusement de sa tâche malgré
la défection de certain de ses camarades1011, ce qui le rendait d’ailleurs plus déterminé. De
plus, un événement supplémentaire vient galvaniser le prêtre exilé : il s’agit de
l’arrestation de l’abbé Noel Ngwa. L’engagement politique de Paul Mba Abessole au
début des années 1980 eut pour principale conséquence dans son sacerdoce les rappels à
l’ordre de sa congrégation religieuse. Celle-ci soulignait en effet l’incompatibilité de son
statut de religieux avec ses nouvelles orientations politiques. Pourtant, les menaces
proférées par sa hiérarchie ne vont pas le ralentir dans son élan.

1009
Archives CSSP, Boite 353 « Les événements du 17 février 1973 à Makokou ».
1010
METEGHE N’NAH, op. cit. p. 219.
1011
La plupart d’entre eux avaient rallié le régime de la Rénovation.
349
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Dans cette partie de notre travail, nous nous proposons de définir quelles sont les
raisons profondes qui militent en faveur de l’intervention de l’Eglise catholique dans la
société gabonaise. Nous avons précédemment vu les motivations individuelles des clercs
gabonais, mais qu’elle est la position exacte de l’Eglise ? Il faut dire qu’en 1960, l’Église
catholique avait salué avec joie l’avènement du pays à la souveraineté internationale. Elle
établit donc avec les nouveaux pouvoirs locaux du président Léon Mba puis du président
Bongo en 1967, des rapports harmonieux faits d’estimes réciproques et sans empiétement,
même si en réalité, on note quelques interventions de faible importance. Toutefois,
l’Église s’est toujours gardé de mesurer ses interventions au sein de la société politique.
Au début de la décennie des années 1980, et durant toute celle-ci, il y eut quelques
frictions qui firent réagir l’Église sur ses rapports avec la société gabonaise, à cause d’une
certaine dérive autoritaire et anti démocratique en vogue un peu partout en Afrique.
L’Église joue alors le rôle de porte parole des sans voix. Cette institution, estiment les
prêtres gabonais engagés, doit continuer à jouer son rôle prophétique et être la voix de
ceux qui n’en possèdent pas, afin que la dignité humaine soit reconnue à toute personne et
que l’homme soit toujours au centre de tous les programmes gouvernementaux1012. La
vision humaine et divine de l’Église l’oblige donc naturellement à œuvrer pour le bien
être de la société. Les évangiles, les encycliques, les textes apostoliques et canoniques
ainsi que toute la doctrine sociale qu’ils véhiculent participent de cet idéal. En tant
qu’homme, le chrétien doit réellement et intimement être solidaire du genre humain et de
son histoire. Mais l’Église du Gabon, héritière de l’Église universelle, s’est efforcé de
s’exprimer dans la société conformément à la tradition catholique, c'est-à-dire que son
royaume n’étant pas de ce monde1013, la prise du pouvoir ne l’intéresse pas, aussi, se
contente t-elle de reconnaître et de rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à
Dieu1014. Cependant, la mise en application des lois de Dieu l’oblige à une inévitable
confrontation avec le profane, malgré sa volonté de n’agir que sur ses prérogatives et de
se garder d’empiéter sur le domaine de l’Etat.

C’est dans le cadre de cette vision ou de cette pensée ambivalente compliquée que
l’Église du Gabon saisit naturellement l’occasion des réformes politiques pour affirmer

1012
La promotion de la dignité et la primauté de l’Homme gabonais signifient pour l’Eglise le respect de la
loi générale inscrite dans la conscience de chacun (principe des commandements de Dieu. L’Eglise veut
révéler l’Homme gabonais à lui-même, l’introduire dans la vérité totale sur lui même et son dessein.
1013
Jean, 14, 6.
1014
Matthieu, 22, 15 et 22.
350
les fondements spirituels et divins qui, selon elle, sous-entend toute action menée en
faveur de la dignité, de la promotion et de la primauté de l’homme1015. En tant que corps
mystique, l’Église du Gabon intervient au nom de la mission reçue du Christ son divin
maître en particulier et au nom de la mission prophétique ; elle intervient parce qu’elle ne
peut rester indifférente à la vie et au destin du Gabon et son peuple. Elle a une parole à
dire sur la nature, les conditions, les exigences et les fins du développement authentique et
aussi sur les obstacles qui l’entravent1016. L’Église catholique du Gabon intervient
beaucoup plus parce qu’elle est une société juridique, organisée, égale mais hiérarchisée.
Elle est dotée de la loi d’origine divine et responsable. Ces lois sont présentes dans la
bible et grâce à celles-ci, l’Église aborde mieux ses relations avec la société gabonaise.

Le caractère institutionnel mais hiérarchique permet à l’Église de rendre plus


efficaces ses interventions et d’en comprendre les niveaux des évêques aux
laïcs.L’engagement véritable des hommes d’Église en 1981 suffit pour expliquer un
certains nombre de points que nous venons de préciser. Le bouillonnement politique et
démocratique né au lendemain des événements du début des années 1980 a fait en sorte
que les hommes d’Église (de façon individuelle) n’hésitaient plus à entrevoir une
restauration du respect et de l’application des commandements de Dieu. Sans pour autant
avoir d’idées préconçues au sujet des mutations, mais ayant placé l’homme au centre de
ses préoccupations, l’Église du Gabon s’est servi de sa longue expérience pour adapter
son discours au temps et aux circonstances1017.
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L’Eglise catholique n’a pas de solutions à offrir face aux « mutations » en tant que
telles1018 mais c’est parce qu’elle est dotée d’une expérience multiséculaire qu’elle
accorde une importance à l’homme dans toutes ses dimensions. En effet, l’engagement
politique de l’Eglise au Gabon s’est fait de deux manières : d’abord à titre personnel,
comme nous l’avons montré plus haut, autrement dit non légitimé par la hiérarchie
catholique. En réalité, la hiérarchie de l’Eglise catholique n’a jamais orienté l’action des

1015
Chérubin Délicat, « L’Église du Gabon dans la tourmente des mutations politiques (1981-1995) », in
Les Cahiers d’Histoire et Archéologie n°3, Université Omar Bongo, Libreville, 2001.
1016
Jean Paul II, sillicitudo Rei socialis.
1017
Face à la gravité du moment, l’Église ne pouvait pas continuer à rester muette. Elle ne peut pas
continuer à ignorer son rôle de dénonciateur des injustices sociales. Depuis les premières années de
l’indépendance, l’Église a été remarquable par une certaine attitude de discrétion. On note quelques
interventions de certain ecclésiastes, mais la hiérarchie a souvent été discrète. Après les événements de
1981, cette même hiérarchie va encore rester discrète, préférant la diplomatie à l’intervention directe.
1018
Jean Paul II, Sollicitudo Rei Socialis.
351
prêtres politiciens. Les plus hautes autorités de celle-ci, en tête desquelles le Pro Nonce,
Mgr Donato précisait ceci : « Le rôle de l’Eglise n’est pas de dénoncer mais de former la
conscience de l’homme…laissez les hommes politiques faire tranquillement leur travail.
Vous donnez l’impression de vouloir prendre leur place »1019. Pourtant, il n’en demeure
pas moins que c’est au nom de l’Eglise que se fait l’engagement et le combat politique
des prêtres gabonais, ceci en raison des fondements bibliques. Le clergé local, intéressé,
comme le commun des mortels, par les problèmes sociaux de ses congénères, n’entend
pas rester en marge du débat politique national dont les Gabonais espèrent plus de
développement, de justice et de fraternité1020. Pour montrer cet engagement au début des
années 80, nous avons défini le cas des prêtres Noël Ngwa Nguéma et Paul Mba
Abessole1021.

L’Abbé Mintsa Mi Mbeng, un autre prêtre gabonais qui exilé lui aussi en France
depuis le milieu des années soixante, est le co-auteur d’un livre intitulé « l’Eglise et l’Etat
en conflit ouvert au Gabon ». Dans cet ouvrage, les hommes d’Eglise gabonais fustigent
l’amalgame qu’entretient l’Etat quant au traitement des clercs par rapport aux « gens du
monde » ainsi que le mépris de la séparation des pouvoirs spirituels et temporels1022. Ces
engagements, soulignons-le de nouveau, n’ont jamais été légitimés par la hiérarchie de
l’Eglise catholique. Le durcissement du régime en place depuis 1968 n’entraîne pourtant
pas la capitulation des forces du changement. Les solutions, parfois peu orthodoxes,
prises par elles pour sortir le pays de l’embrigadement monopartiste, ont fait réagir
l’Eglise. Il faut donc reconnaître que la force du changement née au début des années
1980 et qui va progressivement conduire le pays vers de profonds bouleversements est
incontestablement à mettre à l’actif de l’engagement individuel de certains clercs
gabonais.

1019
Ce sont là les propos du Pro Nonce, Mgr Donato Squicciarini, rapportées par l’abbé Noel Ngwa
Nguéma dans son livre, choisir de dire la vérité.
1020
Chérubin Délicat, p. 163.
1021
Nous avons volontairement choisi de montrer le cas de ces deux prêtres gabonais car leurs engagements
respectifs dans la vie politique gabonaise sont souvent parmi les cas les plus cités et les mieux connus.
Pourtant, ils ne furent pas les seuls, il y a aussi l’Abbé Mintsa Mi Mbeng, dont le combat remonte à
l’époque du président Léon Mba. Il a été pratiquement exilé en France après la tentative du coup d’Etat de
1964 et la dénonciation violente des dérives autoritaires qui ont suivi. Arrêté par Léon Mba, l’évêque de
l’époque avait réussi à obtenir sa libération et à l’envoyer en Europe pour le mettre à l’abri des tracasseries
du gouvernement.
1022
Idem, p. 164.
352
Se sont-ils investis pour d’autres raisons purement personnelles ? C’est possible
car un grand philosophe a dit que rien de grand ne se fait sans passion1023. Toutefois, il
n’en demeure pas moins que ceux des hommes d’Eglise qui se sont ouvertement engagés
dès 1981 l’ont essentiellement fait au nom de l’Eglise et des valeurs que véhicule son
message. Nous avons souligné l’apport de l’Eglise face aux mutations sur le plan
individuel. Mais qu’en est-il sur le plan institutionnel ? Il faut souligner que l’Eglise
universelle se tourne de plus en plus vers les jeunes nations.

La crise de confiance de la société gabonaise rend en effet indispensable la visite


du Pape Jean Paul II au Gabon, en sa qualité de chef de l’Etat du Vatican et pasteur
spirituel des chrétiens. Ainsi, du 17 au 19 février 1982, le Souverain Pontife, sur
invitation du Président de la République gabonaise (bien que de confession musulmane),
séjourne dans le pays. Profitant de l’excellence des relations qui existent entre le Saint
Siège et la République Gabonaise, le chef de l’Etat gabonais, Omar Bongo invite son
hôte, le pèlerin courageux de la paix dans le monde, l’apôtre infatigable de la dignité et
de la personne humaine et combattant intransigeant de la justice sociale1024, à réaffirmer
sa foi en l’avenir de l’homme, en sa capacité pour vaincre et dépasser les facteurs qui
entravent l’harmonie entre les peuples…d’apporter sa contribution à la recherche du
bonheur.

Quoique de caractère pastoral, la visite du chef de l’Eglise n’en demeure donc pas
moins politique. C’est pour lui l’occasion de raviver les vertus chrétiennes mais
également civiques, d’autant plus que le chef de l’Etat gabonais fait sienne l’inquiétude
devant les drames et les misères qui bouleverseront notre monde chaotique et désemparé
s’il ne retrouvait pas, rapidement, un idéal de dignité, de justice et de paix1025. En ce
temps de crise particulière que connaît le pays au début des années 1980, on peut donc
dire que la visite de l’évêque de Rome a aussi pour but de calmer le jeu.

1023
A l’heure de la rédaction de ces lignes, le dénommé Père Paul Mba Abessole a à de nombreuses reprises
été membre des gouvernement de l’homme qu’il a si souvent vilipendé et critiqué durant de longues
années. De l’avis de plusieurs gabonais qui s’intéressent tant soit peu à la politique, les intentions nées du
Père Paul Mba étaient purement stratégiques afin d’arriver subtilement au pouvoir, ou du moins se faire sa
place au soleil. Cela nous ramène à nous poser la question inévitable de savoir si réellement l’Eglise peut
entrevoir de s’engager dans un processus de changement politique en évitant les cooptations ?
1024
Omar Bongo, Allocution au palais de la Rénovation, Libreville le 17 février 1982, cité par Chérubin
Délicat.
1025
Idem, p. 165.
353
La situation née de l’engagement personnel des prêtres gabonais sur la scène
politique était devenue une crainte certaine pour le régime et peut être pour l’Eglise1026.

Dans ses différentes réponses à Omar Bongo, Jean Paul II développe la doctrine
sociale de l’Eglise (l’Eglise et la promotion de l’homme) qui va être reprise par les
évêques du Gabon à travers les conférences épiscopales. Le progrès est fondé non
seulement sur la richesse et le travail, mais également sur les autres valeurs comme celles
de la justice sociale, du respect des droits de l’homme, de la liberté, du sens du bien
commun, de l’honnêteté, de la solidarité avec les plus démunis1027. Pour l’essentiel, les
discours du Pape à l’endroit du Président de la République Gabonaise, aux professions
libérales, aux universitaires, aux ouvriers et aux jeunes s’orientent vers la défense et la
promotion des valeurs éthiques fondamentales, sans lesquelles la stabilité et la prospérité
d’un peuple sont condamnés à plus ou moins longue échéance. Disons que la jeune Eglise
au Gabon a donc doublement conscience de son action apostolique et de la promotion de
l’individu. Dans ce dernier rôle, elle évite, autant que faire ce peut, de heurter les
sensibilités des hommes politiques. Son degré d’engagement par rapport aux mutations
diffère de celui des clercs qui s’y sont ouvertement prononcés, et ce, de leur propre chef.
Cette structure, disons le, s’est d’abord mise en marge de la violence perpétrée par le
régime contre l’opposition. Elle a plutôt mené une politique attentiste, temporisatrice,
impartiale à l’endroit des deux parties.

1026
Cf. voyage de Jean Paul II en Amérique Latine en 1979 où les Eglises nationales étaient confrontées à
des défis qui mettaient en jeu l’avenir même de la catholicité, notamment la lutte contre la théologie de la
Libération. Le Pape voyait ce mouvement avec l’opinion d’un Polonais ayant combattu le nazisme et le
stalinisme. Il voulait maintenir une Eglise fortement unie, traditionnelle, devant être une force s’opposant à
ce type de régime. La Pape redoutait donc la diffusion de ce type de doctrine dans ce qui est considéré
comme l’espace le plus catholique du monde, c'est-à-dire l’Amérique latine, une région secouée par les
luttes sociales et politiques. Le pape alla même jusqu’à adresser publiquement une réprimande au ministre
nicaraguayen de la Culture, le Père Ernesto Cardenal, qui avait défié une interdiction du Vatican en
acceptant de participer au gouvernement révolutionnaire de son pays. Ces mêmes réprimandes, Jean Paul II
ne manque pas de les faire aux prêtres gabonais s’engageant ouvertement dans la politique.
1027
Jean Paul II, Allocution du 17 février 1982.
354
?

Entre 1969 et 1982, l’Eglise catholique qui est au Gabon connaît des changements
importants dans le mode d’évangélisation hérité de l’époque missionnaire. Ces
changements sont en grande partie liés aux conséquences de Vatican II, mais surtout à la
visite de l’évêque de Rome en février 1982, qui est l’illustration des difficultés internes de
l’Eglise catholique mais aussi, le message de Jean Paul II allait servir à redynamiser la
chrétienté catholique dans le pays.

Du 14 au 17 février 1982, le Pape Jean Paul II effectua une visite à caractère


essentiellement pastoral. Cette visite fut qualifiée par les évêques comme le signe « d’une
nouvelle Pentecôte pour l’Eglise du Gabon, une occasion extraordinaire pour renforcer
les liens de la foi envers le Christ »1028. Avant de situer le caractère pastoral de la visite du
Saint Père au Gabon, nous souhaitons de nouveau donner un bref aperçu de la situation
numérique du clergé (Evêques, prêtres, religieux et religieuses) au Gabon en 1982. Ce
récapitulatif nous semble important car non seulement il donne une idée du nombre de
personnes vouées à l’évangélisation dans le pays, mais aussi, il permet au Pape de faire
son bilan sur l’œuvre accomplie et surtout ce qui reste à faire. C’est à travers tous ces
acteurs qu’il accentue son discours du 17 février 1982. En 1980, la situation numérique
du personnel religieux se présente de la façon suivante : 119 prêtres dont 27 Gabonais
pour 92 expatriés ; 149 religieuses dont 117 expatriées pour 32 Gabonaises ; 35 Frères
dont 25 Français pour 10 Gabonais. De même, en 1982, lors de la visite du pape, le Gabon
compte 105 prêtres dont 79 étrangers pour 26 nationaux ; 155 religieuses dont 31
Gabonaises pour 124 étrangères et 24 Frères dont 16 étrangers pour 8 Gabonais1029. En
lui-même un tel bilan est assez problématique.

A partir de ces chiffres, on constate clairement le faible nombre de religieux


(prêtres, Frères et Sœurs confondus) gabonais et la nette dominance du clergé expatrié
encore très présent en 1982. Comme nous l’avons souligné plus haut, la visite du
Souverain Pontife au Gabon en 1982 a avant tout un caractère purement pastoral. Lors du
premier jour de sa visite, le pape est accueilli à sa descente d’avion par le Président de la

1028
DOCATGAB, CEG, « Lettre des évêques du Gabon aux chrétiens avant l’arrivée de Jean Paul II »,
janvier 1982.
1029
Ces chiffres nous sont connus grâce aux annuaires de l’Eglise catholique du Gabon, voir tableau sur la
situation numérique du personnel religieux entre 1980 et 1982.
355
République Gabonaise, Omar Bongo. Deux allocutions marquent ce premier instant :
d’abord il y a celle du président Bongo qui souligne la joie qui anime l’ensemble des
Gabonais toutes confessions religieuses confondues : Le Président à cette occasion parle
d’unité entre les hommes1030. Il témoigne ensuite au Pape toute la gratitude et la joie qui
anime le peuple gabonais tout entier : « La joie qui anime les Gabonais en ce jour, à
jamais historique, est celle, non seulement des chrétiens catholiques mais également celle
des autres communautés religieuses qui voient en vous le messager de paix et de l’unité
des hommes »1031. Ensuite il y a l’intervention du Pape qui tient à remercier tous les
Gabonais tout en précisant que sa venue au Gabon était d’un caractère purement pastoral.
Pour le Souverain Pontife, « Le Gabon méritait cette visite pastorale surtout à l’heure où
l’Eglise locale prenait ses marques, car l’évangélisation est vraiment partie de là pour
irradier toute l’Afrique Centrale1032 ». Il précise à nouveau ceci : « C’est uniquement
comme Pasteur, spécialement chargé, à la suite de l’apôtre Pierre et tous ses successeur,
de veiller à l’unité de toutes les églises dans la foi et la charité1033 ». Pourtant au-delà de
ces déclarations diplomatiques et des problèmes structurels de l’Eglise, il faut souligner
le contexte particulier dans lequel le Saint Père arrive au Gabon. L’Eglise catholique est
en pleine effervescence avec l’engagement des prêtres gabonais dans la vie politique et il
y a aussi les souvenirs encore très récents sur l’affaire du Morena et les nombreuses
arrestations qui ont suivies1034.

Pour ces différents facteurs, le Saint Père espère apporter son soutien indéfectible
à toute la communauté catholique. A son arrivée à Libreville, Jean Paul II, fidèle à son
habitude et en signe d’humilité, baise le sol du tarmac de l’aéroport de Libreville.
Lorsqu’il se rend à la cathédrale Sainte Marie après les différents discours d’arrivée, le
Pape est accueilli par l’archevêque de Libreville et le Pro Nonce apostolique Mgr Donato
Squicciarini. Au cours de cette rencontre avec le premier responsable de l’Eglise
catholique du Gabon, Le pape prononce une allocution à l’endroit de tous les religieux du
Gabon. Aussi, l’affirmation de son soutien va t-elle à l’endroit de tous les acteurs de
l’œuvre d’évangélisation: évêques et prêtres gabonais, aux Pères spiritains, salésiens,
clarétains, Fidei donum ainsi qu’à l’ensemble des religieux et religieuses sans omettre

1030
DOCATGAB, Allocution de bienvenue du Président de la République lors de l’arrivée du pape à
l’aéroport international de Libreville.
1031
DOCATGAB, Allocution de bienvenue du Président Bongo lors de la visite de Jean Paul II, 17 février
1982.
1032
DOCATGAB, CEG « Jean Paul II, Allocution du 17 février 1982 ».
1033
DOCATBAG, Discours du Pape lors de la cérémonie d’accueil à l’aéroport international Léon Mba de
Libreville, le 17 février 1982, in Affermis tes Frères dans la foi, mai 1982.
1034
La visite du Pape au Gabon eut lieu moins de deux mois après l’arrestation des membres du Morena.
356
l’importance incontestable des fidèles laïcs et des mouvements de jeunes. Pour Le Saint
Père, il est primordial pour le devenir de la jeune Eglise que les uns et les autres ne
perdent pas de vue l’importance de l’œuvre pour laquelle Dieu les a choisis, même s’il
faut conjuguer avec la difficulté. Particulièrement à l’endroit des prêtres, il déclare ceci :
« A vous, chers frères dans la sacerdoce ministériel, qui n’êtes pas sans vous inquiéter de
votre nombre restreint, ni sans souffrir parfois des interrogations même en Afrique sur
l’identité et la mission du prêtre, je veux confier un certain nombre de choses qui me
tiennent profondément à cœur. Et tout d’abord ceci : sans nullement perdre de vue le
problème extrêmement sérieux de la relève sacerdotale dont nous reparlerons, ne croyez
vous pas et cela vaut bien d’autres régions du monde, que les prêtres du Christ sont
appelés plus que jamais à une très grande qualité de vie sacerdotale ? Il est des moments
où la qualité doit nécessairement suppléer la quantité…1035 ». Le Pape reprend
l’explication « classique » missionnaire, justifiant la faiblesse des résultats. A travers ces
paroles, le Souverain Pontife est conscient non seulement du problème des vocations
sacerdotales dans le pays, mais aussi de l’engagement de certains prêtres dans la vie
politique à qui il demande de rester fidèle face à leur engagement sacerdotal.

1035
DOCATGAB, CEG, « Jean Paul II, Allocution du 17 février 1982 ».
357
3' 6 -&

.
# ! $ * "

Dans la soirée, le Pape rend ensuite une visite au Président de la République. Les
allocutions prononcées sont d’avantage une série d’éloges et des invitations à la
collaboration entre l’Eglise et l’Etat, surtout dans le domaine de l’éducation. Sur le plan
culturel, le pape insiste sur la construction d’une Nation. Sa visite au Gabon était aussi un
signe d’encouragement dans ce sens : une des caractéristiques d’une Nation c’est sa
culture, affirme le pape, qui précise: « La culture d’un peuple c’est ce qu’il a de plus
original, ce qui le différencie de ses voisins, sans pour autant l’en séparer. La culture du
Gabon doit pouvoir inclure les traditions ancestrales, en ce sens qu’elles ont de meilleur,
et ne pas craindre la nouveauté…soyez donc fiers d’être Gabonais »1036. Dans son
discours, le Pape reconnaît la liberté religieuse dont jouit l’Eglise catholique au Gabon et
son énorme contribution dans le domaine de l’éducation. Il appelle aussi à plus d’efforts
de collaboration entre l’Eglise et l’Etat.

Le deuxième jour de sa visite, le pape prononce une allocution à l’endroit des


professions libérales, des universitaires, des ouvriers et des jeunes. Il insiste sur la

1036
DOCATGAB, « Discours du Pape à la présidence de la République, premier jour de sa visite ».
358
responsabilité de chacun dans son domaine pour participer au développement du pays.
Aux jeunes, il les invite à une prise de conscience et leur demande essentiellement de ne
plus avoir peur car leur vie est précieuse pour le Gabon et pour l’Eglise catholique qui s’y
trouve1037. Dans la soirée du 18 février, le pape rencontre les évêques gabonais, les
familles du clergé et les malades. Avec les responsables de l’Eglise du Gabon, le Pape
Jean Paul II passe en revue toute la vie de l’Eglise. Il évoque les difficultés liées au
manque de persévérance des vocations, les hésitations devant le mariage chrétien et bien
d’autres problèmes internes1038. Au sujet des vocations, la Pape alerte les évêques sur la
situation précaire de celles-ci dans l’ensemble du diocèse et leur demande de prendre
leurs responsabilités face à ce problème important pour le devenir de la jeune Eglise
autochtone.

3( 6 * ; 6 * !
*G

# ! $ # *

Lors du dernier jour de sa visite, le pape célèbre une grande messe œcuménique au
stade de Libreville. A cette occasion, il ne manque pas de rappeler la collaboration très
ancienne entre les catholiques et les protestants. Il insiste aussi sur la vitalité de l’Eglise
locale et la famille. Le pape termine enfin son discours par un appel qui est devenu un
slogan pour l’Eglise catholique du Gabon « Eglise du Gabon, lève toi et marche »1039.

1037
DOCATGAB, CEG, Lettre des évêques aux chrétiens après la visite du pape au Gabon, mai 1982.
1038
DOCATGAB, Discours du Pape aux évêques gabonais, Libreville, le 18 février 1982, in Affermis tes
frères dans la foi.
1039
DOCATGAB, Homélie du pape à la messe du 19 février 1982 au stade, in affermis tes frères dans la foi.
359
), 6 D 9!
6 * "

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! # # ?

La visite du pape a-t-elle été comme le souhaitaient les évêques une nouvelle
pentecôte pour l’Eglise du Gabon ? Dans tous les cas elle a constitué un nouveau départ
pour le clergé et les chrétiens. Selon Martin Alihanga1040, « La visite du saint Père est un
regain de la foi chez tous les catholiques du Gabon. Aux laïcs et à tout le peuple, c’est un
véritable moyen, de mieux s’affirmer et ainsi confirmer l’Eglise diocésaine qui doit
prendre conscience de ses responsabilités en réfléchissant sur ses propres problèmes ».
En effet, lors de sa visite, la Pape avait mis l’accent sur les vocations sacerdotales. Malgré
ce problème récurrent qui est celui du manque de prêtes, il faut reconnaître que la visite
de Jean Paul II a été une véritable source de motivation pour les catholiques du Gabon1041.
Celle-ci a engendré à coup sûr, des reprises en main à tous les niveaux. Les différentes
congrégations religieuses1042 (masculines et féminines) vont repenser leur mode de vie et
d’action pour se pencher d’avantage sur un certain nombre de problèmes urgents qui sont

1040
Enquête orale, op. cit.
1041
A l’instar des propos de Martin Alihanga (prêtre et universitaire gabonais) que nous rapportons ici, il
faut dire que d’autres témoignages oraux recueillis lors de nos entretiens viennent corroborer cet état de
chose.
1042
DOCATGAB, CEG. En 1982, il y a Dix huit congrégations religieuses qui oeuvrent à travers les quatre
diocèses du pays. Rapport de l’archevêché de Libreville en prélude la visite du Saint Père au Gabon.
360
essentiellement la misère des peuples. De plus, les vocations sacerdotales et religieuses
elles aussi vont germer dans le cœur des jeunes grâce aux journées organisées chaque
année à cet effet au petit séminaire Saint Jean. Aussi, il y a l’émergence de nouveaux
mouvements religieux. En concluant son homélie par les paroles « Eglise du Gabon, lève
toi et marche ! », le Pape galvanisa le catholicisme au Gabon. Bien que cette visite se
situe à un moment particulièrement pénible pour le pays, à cause du contexte politique,
social et économique, elle avait en effet touché les chrétiens. La conséquence la plus
importante de cette visite était la nouvelle prise de parole de l’Eglise. Les évêques du
Gabon s’exprimaient désormais sur les problèmes de la société. Les rapports et les
déclarations de la conférence épiscopale étaient désormais rendus publiques après 1982.
Même si en réalité les premiers concernés par cette visite étaient les laïcs, il faut en effet
préciser que cette rencontre a eu une portée et une dimension importante pour l’ensemble
des évêques du pays. Leur mobilisation fut totale avant et après la visite. Deux lettres en
témoignent1043.

Le nouveau discours de l’Eglise au lendemain de la visite pontificale s’interprète


sous plusieurs niveaux. : La manière de s’adresser aux Gabonais, les niveaux
d’intervention des dirigeants (évêques, prêtres et laïcs) et les domaines abordés. Pour
s’adresser aux Gabonais, l’Eglise utilise la « parole ordinaire » qui concerne surtout
l’évangélisation mais aussi la morale chrétienne dans la société. Cette forme de parole se
manifeste dans les déclarations, les discours et les appels des évêques. De plus, afin de
toucher le plus grand nombre de chrétiens, ces paroles des évêques ou autres responsables
du clergé (prêtres) sont ensuite prolongées par les associations ou groupes de laïcs. En
outre, l’Eglise du Gabon dispose aussi de moyens de communication pour se faire
entendre radio, télévision et presse écrite). La tribune la plus utilisée pour proclamer la
parole ordinaire est celle des célébrations de l’eucharistie. Les homélies prononcées par
les prêtres permettent ainsi d’interpeller bon nombre de chrétiens. De même, les discours
prononcés par le chef de l’Eglise catholique lors de la cérémonie de présentation de vœux
au Président de la République sont aussi un moyen efficace pour proclamer cette parole
ordinaire1044.

La seconde manière dont l’Eglise s’adresse à la société relève du « discours


implicite ». Il s’agit de l’action sociale du personnel religieux et surtout des fidèles laïcs.

1043
Deux lettres adressées au Pape pour lui témoigner des bienfaits de sa rencontre avec le peuple gabonais.
1044
L’Eglise occupe une place de choix dans le protocole d’Etat. Le discours prononcé par le chef de
l’Eglise catholique est un discours officiel.
361
La parole implicite est le désir, pour l’Eglise catholique au Gabon, de prendre en charge
les problèmes de la société à travers une intervention à l’endroit des gens qui sont le plus
dans le besoin. La parole implicite concerne essentiellement les domaines de la santé,
l’éducation, et la justice sociale. A travers ces deux types de paroles, l’Eglise catholique
entend promouvoir une société gabonaise plus humaine depuis 1969 et surtout après 1982.
Elle insiste plus spécialement sur les valeurs de la morale chrétienne1045.

La visite du Pape Jean Paul II aux Gabonais marque assurément une sorte de
Renaissance pour l’Eglise catholique, une sorte de seconde étape de la fin de l’époque de
la Mission telle qu’elle était conçue avant 1958. Elle a constitué un nouveau départ tant
pour les membres du clergé que pour les chrétiens eux-mêmes, témoigne Martin
Alihanga1046, qui parle de l’Eglise qui est devenue une « grande » et peut s’organiser elle-
même. Les premiers à prendre conscience de cette visite sont certainement les évêques,
ensuite l’ensemble du clergé sans oublier les chrétiens eux-mêmes et tous les laïcs.
Comme nous l’avons défini plus haut, la conséquence la plus immédiate de tout cela est la
nouvelle prise de parole de l’Eglise catholique à tous les niveaux de la société1047. Quand
elle doit se prononcer sur la situation politique du pays, l’Eglise affiche sa neutralité, se
limitant à une parole indicative. Sur le plan des vocations, nous n’avons pas disposé de
chiffres précis sur la question, mais les témoignages oraux recueillis démontrent bien que
même si les vocations ne restent pas toujours fidèles, elles ont cependant pris un nouvel
envol. Dans les mouvements des jeunes, de nombreuses réunions sont désormais
consacrées à la mise en ouvre des paroles de Jean Paul II « Eglise du Gabon, lève toi et
marche ! ». Sur le plan de la chrétienté en elle-même, il faut se conformer aux rapports
paroissiaux et les correspondances1048 du personnel religieux adressées aux évêques pour
se rendre compte de cette nouvelle vitalité. Certes, de nombreux Gabonais affirment de
nouveau leur appartenance à l’Eglise catholique, mais il n’en demeure pas moins que la
pratique reste assez sommaire.

1045
Il s’agit de la morale collective à travers la défense des droits de l’Homme, la réduction des inégalités
sociales, la paix et la solidarité, et de la morale privée qui concerne les problèmes familiaux.
1046
Op. cit.
1047
Cf. Rapports de la CEG. Mais cette prise de parole fut encore plus effective après la grande Conférence
Nationale de 1990 présidée par l’Eglise.
1048
Il s’agit des conséquences pastorales et spirituelles.
362
Conclusion de la troisième partie.

Au terme de cette troisième partie, il est en effet possible de dresser un véritable


premier bilan de l’œuvre accomplie par la jeune Eglise locale au Gabon. La lente mais
progressive « gabonisation » de l’épiscopat local, la mise en place des structures assurant
le maintien de l’Eglise en éveil et bien d’autres acteurs, sont autant d’éléments qui nous
permettent d’affirmer que l’Eglise au Gabon est bien dans un processus d’accélération au
début des années 1980. Cette Eglise, aux lentes mais sûres mutations depuis Jean Remy
Bessieux à André Fernand Anguilet, a connu moult tracasseries. On ne saurait nier les
problèmes qui se posent à cette Eglise. Bien au contraire, il a fallu les combattre et c’est la
tâche que s’est assigné le premier dirigeant local ainsi que l’ensemble des premiers
évêques du Gabon. Mais nous avons vu que le lancinant problème des vocations restait
d’actualité, et nous pensons qu’il va l’être encore, car on ne peut certainement pas
endiguer totalement cette préoccupation majeure au sein de l’Eglise catholique, comme en
témoigne Séverin Mba, prêtre et universitaire gabonais1049.

Que ferait-on demain lors d’un dimanche sans prêtres ? Nous pensons que cette
interrogation n’est pas exagérée. Nous l’avons posée au premier responsable de l’Eglise
catholique, Mgr Basile Mvé1050. Pour ce dernier, sans pour autant nier l’évidence, il pense
tout de même qu’il y aura toujours des prêtres. Malgré la montée importante de la prise de
responsabilités des laïcs au sein de l’Eglise, il ne serait pas exagéré de penser que jamais
ils ne pourront remplacer le rôle joué par le prêtre.

1049
Séverin Mba, prêtre gabonais…op. cit.
1050
Monseigneur Basile est l’actuel archevêque de Libreville, le deuxième autochtone à occuper ce poste
après Mgr André Fernand Anguilet.
363
Conclusion générale

Nous voulons au terme de ce travail apporter un certain nombre de réponses


concrètes et globales aux préoccupations que nous avons formulées dès le départ. De
façon générale, ce travail autant que faire ce peu, nous a donné une idée de ce qu’était
l’engagement des missionnaires catholiques vis à vis des Missions évangélisatrices et de
l’établissement des Eglise locales en Afrique et au Gabon dont il a été ici question. La
naissance de l’Eglise catholique au Gabon, celle qui va de l’entreprise missionnaire dès
1844 à la mise en place d’un clergé locale en 1955 n’a pas été une sinécure. La réalisation
de ce long parcours a été le fruit aussi bien des missionnaires que des premiers pasteurs
locaux, lesquels par leur dynamisme ont apporté un nouvel élan à l’œuvre entamée depuis
le Père Jean Rémi Bessieux sous l’ère de « l’Eglise des commencements », tel que le
définissait ainsi Sa Sainteté Jean Paul II : «…Je me sens pressé d’affermir tous ceux et
toutes celles que le Christ a mystérieusement appelés aux tâches d’évangélisation en cette
terre gabonaise. Dans une optique de reconnaissance et de fidélité aux pionniers du
siècle dernier, ils poursuivent la même œuvre selon les méthodes renouvelées par l’Eglise
en notre temps…1051 ». Sur le plan de l’évangélisation, la Congrégation du Saint Esprit
initia un contact pacifique avec les populations autochtones qui déboucha sur un échange
malgré plusieurs malentendus. Mais dans l’ensemble, le contact fut difficile mais
productif. Le discours des missionnaires est basé sur la conversion, le changement de
religion et la lutte contre le paganisme. La crainte de l’enfer est un moyen de persuasion
qui s’est avéré efficace. L’évangélisation donna ses fruits puisque bon nombre de
Gabonais se convertirent à la nouvelle religion catholique malgré la présence encore très
importante voire la résistance de religions traditionnelles. A la fin de la période
missionnaire l’Eglise est déjà bien implantée aux quatre coins du territoire. Sur le plan de
l’éducation, les missionnaires contribuèrent de façon évidente à l’introduction de la
culture européenne mais aussi à la formation de la première classe lettrée du pays. Pour
légitimer leur présence, les missionnaires s’intéressent aussi à un autre domaine, mais
moins fructueux, celui de la santé. Comparativement à l’évangélisation et à l’éducation,
ce secteur n’a pas été florissant pour des raisons que nous avons vues. Le constat final est
qu’en arrivant au Gabon, les missionnaires ont entraîné la perte de légitimité des
structures traditionnelles gardiennes de la morale sociale. Ils ont cherché à la remplacer
par une morale chrétienne qui a du mal à s’imposer, la rencontre n’est donc pas aisée.
Entre les deux références, les autochtones ne savent à quel saint se vouer, écartelées entre

1051
DOCATGAB, Discours de Jean Paul II, voyage apostolique au Gabon, 17 février 1982.
364
une religion traditionnelle et l’adoption d’une morale chrétienne perçue comme
étrangère.A côté de ces succès et de ces quelques échecs, on ne perd pas de vue l’idée de
la mise en place du clergé local.

A la principale question de savoir si les Pères missionnaires ont aidé et encouragé


la mise en place du clergé autochtone, la réponse peut d’abord être formulée à
l’affirmative, puisque cela était leur mission prioritaire, de même, on peut se permette de
nuancer notre propos car en réalité, on note quelques égarements dans le comportement
des missionnaires. Cependant, nous avons tout au long de ce travail montré que certains
facteurs indépendamment du comportement des missionnaires ont toutefois retardé cet
impératif. Le manque cruel de prêtres en nombre suffisant, les nombreuses délocalisations
du séminaire Saint Jean, les vocations manquées sans omettre les appréhensions des
missionnaires sur les aptitudes psychologiques et intellectuelles des Noirs ont été des
éléments qui, à notre entendement, ont retardé l’élan de l’établissement de l’Eglise locale
au Gabon. En un mot et il ne serait pas inutile de le préciser de nouveau que la rencontre a
été difficile. La fin de la période missionnaire au Gabon, en 1955, est marquée par la
volonté de confier aux autochtones leur Eglise alors que le mouvement de décolonisation
conduit à l’indépendance politique. La période missionnaire se termine alors avec une
nouvelle situation administrative de l’Eglise du Gabon avec notamment la création des
quatre diocèses.

Lorsque le Gabon est élevé en diocèse autonome le 14 septembre 1955, l’Eglise


locale, que nous aimons également à définir sous le vocable « d’Eglise adolescente » est
animée dans un premier temps par les missionnaires, et dans un second temps par les
autochtones, mais elle doit chercher à s’affirmer voire s’imposer. Au delà de la création
des diocèses, l’affirmation de l’Eglise locale passait aussi par l’accroissement du nombre
de congrégations féminines et masculines qui viennent soutenir l’effort des ecclésiastes,
toujours en nombre insuffisant même pour une population estimée à moins d’un million
d’habitants. A côté de cette participation des congrégations, il faut également ajouter la
participation des groupes de jeunes qui animent la vie catholique à l’intérieur des
paroisses mais surtout la présence sans conditions des fidèles laïcs au sein de cette Eglise
autochtone. Le Gabon vit à ce moment sous l’ère de « l’Eglise locale en plein chantiers »,
sous la houlette du premier archevêque autochtone, Monseigneur André Fernand
Anguilet. Aussi, l’Eglise locale est, au regard de ses acteurs que nous venons de citer,
bien autre chose qu’une pyramide d’où tout descendrait du sommet à des membres

365
passifs. Il faut la participation de tous les baptisés. L’Eglise locale existe de par la
symbiose et la synergie de ses membres et de leurs fonctions qui s’équilibrent1052.

Lorsque Mgr André Fernand Anguilet prend le relais de Mgr Jean Jérôme Adam
démissionnaire en 1969, il s’interrogeait déjà sur le devenir de la jeune Eglise du Gabon.
Il fallait regarder, entendre, discerner. Sur la base de l’Eglise en plein chantier, le nouvel
archevêque de Libreville doit affronter les premières revendications du clergé autochtone.
Des prêtres gabonais réunis sous l’étiquette d’une association dénommée UGRP, posent
un certain nombre de revendications au début des années 1970. On se rend très vite
compte que les problèmes soulevés par l’Eglise du Gabon après l’Indépendance
apparaissent plus importants que sous l’époque missionnaire. A certains moments, cette
Eglise locale a généré un débat, celui de la génération des prêtres de 1970. Les questions
formulées par l’UGRP tournent essentiellement sur la vie matérielle des clercs gabonais,
mais surtout sur le droit au mariage de ces derniers. La hiérarchie de l’Eglise catholique
n’avait naturellement donné aucune suite favorable à certaines de ces revendications
jugées trop révolutionnaires. La conséquence immédiate de cette situation a été l’éviction
de certains prêtres au sein de l’Eglise, mais aussi le mariage de beaucoup d’entre eux.
L’Eglise locale connaît donc au milieu des années 1970 un certain nombre de difficultés
qui entravent naturellement son bon fonctionnement. Mais comment tenter de surmonter
ces difficultés ? Si nous insistons sur cet aspect, c’est parce que la question concernant le
célibat du clergé dans l’Eglise catholique et diocésaine au Gabon a retenu notre attention,
dans toute son ampleur et sa gravité : faut-il encore aujourd’hui maintenir cette obligation
pour les hommes qui désirent accéder aux Ordres Majeurs ? L’observance de cette
obligation est-elle possible, en d’autres termes, est-elle opportune aujourd’hui ? Le temps
ne serait-il pas venu après près de 2000 ans d’histoire de rompre le lien qui, dans l’Eglise,
attache le célibat au sacerdoce ? Cette observance difficile ne pourrait-elle pas devenir
facultative ? Le ministère sacerdotal ne gagnerait-il pas et le rapprochement œcuménique
n’en serait-il pas rendu plus aisé que si cette noble loi du célibat doit rester en vigueur ad
vit aeternam ? Quelles sont les raisons qui aujourd’hui en montrent la convenance ? Enfin,
moyennant quelles aides peut-elle être respectée, et comment la vie sacerdotale y trouvera
t-elle, au lieu d’un poids, un soutien ? Autant d’interrogations que nous avons souhaité
formuler autours de ce travail. Autant dire que celles-ci ne sont pas propres à l’Eglise au
Gabon uniquement, elles sont universelles. Ces interrogations sont des préoccupations qui
devraient urgemment être celles de la plus haute hiérarchie de l’Eglise catholique. Le

1052
J.M.R. Tillard, L’Eglise locale. Ecclésiologie de communion et catholicité, édition du cerf, Paris, 1995.
366
congrès de l’UGRP qui se tient en Europe au début des années 1970, et dont nous avons
exposé les principales revendications pose assurément des problèmes de fond. Outre le
questionnement que nous venons de formuler plus haut, il faut également se demander si
l’Eglise catholique peut-elle envisager les mutations à venir sans penser la question du
recrutement des prêtres ? Voici la question fondamentale que nous sommes tenté de nous
poser. Il y a d’une part le problème relatif aux conditions matérielles et de vie des prêtres
diocésains. Il est vrai que leur situation a souvent été très précaire contrairement à celle de
leurs confrères blancs. En réalité, sur le plan du traitement, on est bien loin de certaines
affirmations qui tendaient à dire que le prêtre autochtone doit être l’égal du prêtre blanc.
Cela n’a jamais été le cas, même après la création du diocèse du Gabon. C’est cet état de
choses que le congrès a tenu à dénoncer. D’autre part, il y a le problème du célibat. Si le
congrès de l’UGRP pose le problème du célibat ecclésiastique c’est tout simplement parce
que celui-ci est un problème d’hier comme d’aujourd’hui mais aussi de demain.

La question du célibat des prêtres au sein de l’Eglise catholique est sans cesse
remise en question et elle a toujours été difficilement observée depuis son imposition. De
nos jours, l’imposition du célibat pour devenir prêtre est un problème d’actualité et c’est
aussi sans doute une des raisons majeures qui pourrait expliquer le manque cruel des
vocations sacerdotales dans les pays pauvres, le Gabon en l’occurrence, estime un ancien
grand séminariste gabonais proche du sacerdoce1053. Le texte de la Genèse ne dit-il pas :
« Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul ; donnons lui une femme ». Concernant la
question des jeunes dans les séminaires, notre informateur poursuit en disant ceci : « Les
jeunes choisissent librement la voie du sacerdoce avec un élan particulier. Arrivés à l’age
mûr, ils le supportent mal et deviennent renfermés »1054. C’est dire le malaise que
beaucoup de jeunes peuvent ressentir face à l’état du célibat ecclésiastique qui les attend.

Comme nous l’avons déjà souligné plus haut, l’UGRP est créée en Europe par un
groupe de prêtres gabonais intellectuels mais aussi de sympathisants. Les conclusions
rédigées à la suite de leur congrès en 1971 ont reçu des avis très divers. En réalité,
beaucoup de leurs confrères estiment que le célibat n’est pas étranger à la culture
africaine. Plusieurs religions traditionnelles africaines prévoient des prêtres célibataires, et
même ceux qui sont mariés doivent s’abstenir de tout rapport sexuel pendant trois jours

1053
Clotaire N’nague (Anonyme), Entretient de mars 2007. Notre informateur partage le point de vue selon
lequel le célibat est la cause fondamentale du recul des vocations. Son avis est très révélateur car ce dernier
était très proche du sacerdoce avant d’abandonner finalement quelques temps avant son ordination.
1054
Idem.
367
avant de célébrer leurs rites. Selon le cardinal Peter Kodwo Appiah Turkson1055, « Ceux
qui disent que le célibat est inconcevable pour la mentalité africaine ont totalement tort.
Bien sûr, il peut y avoir des prêtres africains qui ne sont pas fidèles à leurs vœux. Il s’agit
là de péchés, et il y a des pécheurs partout dans le monde, pas seulement en Afrique, mais
ceci ne veut pas dire que le célibat des prêtres est étranger à la réalité africaine, pas du
tout »1056. Cette affirmation qui en réalité vient contrer la position de l’UGRP témoigne en
effet des divergences d’opinions que les uns et les autres ont apporté au lendemain du
congrès de l’UGRP. La classe gabonaise1057 elle-même en était divisée. Un autre
informateur, proche de l’UGRP nous réitère ceci : « Nous pensons qu’il est juste et utile
de saluer le courage de ces prêtres gabonais qui ont librement choisi de parler de choses
aussi délicates au sein de l’Eglise »1058.

Nous pensons qu’il est tout autant juste et utile de se poser la question de savoir si
ces derniers ignoraient la dure réalité du célibat qui les attendait lorsqu’ils se sont engagés
sur la voie du sacerdoce ? N’y a-t-il pas un peu d’hypocrisie à dénoncer des choses pour
lesquelles on connaît l’existence et dont on s’est accordé à s’y engager ? La plupart des
prêtres signataires de ce congrès ont librement choisi par la suite de se consacrer à la vie
de famille (en d’autres termes, ils se sont mariés), mais aussi à la vie politique au Gabon.
Les autres ont continué sur la voie du ministère sacerdotal, d’autres sont devenus
« pestiférés »1059. Beaucoup de gens ont vu en cette union des signes d’espoir et
d’ouverture pour l’Eglise catholique au Gabon. Mais pour la hiérarchie, de tels
bouleversements au sein de l’Eglise pouvaient être trop dangereux. En 1974, le
mouvement n’existe quasiment plus car la plupart des prêtres n’avaient pas été repris par
la hiérarchie de l’Eglise catholique. Cette situation se comprend aisément car à l’issu du
congrès, les rapports sont devenus très difficiles avec l’Eglise catholique.

Dans l’optique des solutions envisageables, plusieurs sources anonymes


interrogées sur la question pensent que le mariage des prêtres peut constituer une solution
pour la crise des vocations, du moins elle pourrait la freiner. Cependant, il ne faut pas
ignorer que ce bouleversement subite pourrait choquer plus d’un et le risque de confiance

1055
Peter Kodwo Appiah Turkson est archevêque de Cape Coast (Ghana).
1056
Interview réalisée lors du synode des évêques en octobre 2005. Cette déclaration ne concerne pas
spécialement les conclusions du congrès de l’UGRP. Nous voulons juste montrer à travers celle-ci les
réactions de ce genre qui ont fait suite au congrès.
1057
Il s’agit ici du clergé d’abord, mais aussi du politique et du laïc.
1058
Claude Bekale, op. cit.
1059
Martin Alihanga, Enquête orale, op. cit..
368
entre le prêtre et le chrétien pourrait en pâtir1060. En effet, qui oserait se confier à un prêtre
dont on sait qu’il est marié ? Qu’en ferait-il des secrets de la confession dans la mesure où
on sait que cela peut créer des liens qui peuvent ensuite poser des problèmes dans la vie
de couple ? Une société gabonaise avec des prêtres mariés, est ce que cela engendrerait
plus de prêtres ? C’est possible mais ce n’est pas certain. En effet chez les pasteurs
protestants qui se marient, on parle également de crise des vocations. Autant de questions
qui pourraient justifier que le mariage des prêtres n’est peut être pas envisageable dans
l’immédiat. Nous convenons bien de ces difficultés pourtant nous pensons qu’il est
possible de conjuguer avec société et prêtres mariés, les prêtres gabonais marié interrogés
sur la question sont les premiers à le reconnaître. Il faut faire un travail de
conscientisation du peuple. La mariage des prêtre entraînerait aussi le traitement de ces
derniers ave une vie de famille. Il lui faudrait un travail professionnel par ailleurs. Il
faudrait une grande révolution à ce niveau car en dehors de son ministère, le prêtre devrait
avoir une formation universitaire tel que le suggère Martin Alihanga1061. Une formation
universitaire solide qui pourrait lui permettre d’avoir un travail bien rémunéré. Il faut en
effet souligner qu’en 1971, pour réagir aux différentes propositions faites par le Congrès
de l’UGRP, l’Etat gabonais par l’intermédiaire de Paul Marie Gondjout, Président de
l’Assemblée Nationale avait rencontré les prêtres gabonais à Paris pour leur proposer le
modèle suisse, c'est-à-dire des prêtres rémunérés1062. Il est donc possible de conjuguer
avec prêtre mariés et formation solide pour un travail bien rémunéré.

Certes, l’Eglise du Gabon ne peut pas rester en marge des lois dictées par la Saint
Siège, mais nous pensons que chaque région, compte tenu des difficultés doit néanmoins
avoir des spécificités propres. Autrement dit, nous voulons revenir à l’idée que nous
formulions déjà plus haut sur la possibilité facultative du célibat. L’Eglise du Gabon
aurait certainement gagné en ampleur si on avait permis à tous ces prêtres qui ont dû
quitter le sacerdoce dans les années 1970 de vivre pleinement leur statut de mariés et
ministre du culte religieux, d’autant que dans ces mêmes années 1970 et certainement au
début des années 1980, on est encore loin des scandales que nous rencontrons de nos
jours1063.

1060
De tous temps, on a fait admettre dans l’esprit des gens qu’un prêtre est un homme chaste et qui n’a pas
de femme.
1061
Op. cit.
1062
Paterne Kombila, homme politique gabonais, op. cit. février 2005.
1063
Ce sont entre autres les cas de pédophilie, de liaisons amoureuses qu’entretiennent parfois les prêtres,
cas des prêtres défroqués ou même à l’homosexualité. Tous ces faits sont réels et il faut en tenir compte.
369
Un analyse de la situation actuelle au sein de l’Eglise catholique du Gabon nous
montre qu’il y a deux problèmes majeurs : L’Eglise catholique manque, non seulement de
prêtres avec des vocations solides, mais elle connaît également la présence, peut être
encore moins importante, mais réelle de petites sectes aussi bien à Libreville que dans le
reste du pays. Plusieurs raisons peuvent expliquer le recul des vocations dans ce pays
ainsi que la perte de la foi. La volonté de vivre certaines valeurs telle que la sexualité, la
famille, la solidarité ainsi que la fraternité en sont autant de raisons. Dans ce travail, nous
avons posé le problème du mariage des prêtres, mais il n’en demeure pas moins vrai que
celui-ci constitue l’une des grosses raisons du recul des vocations, non seulement au
Gabon mais partout ailleurs dans le monde. Il est plus que temps que les principaux
dirigeants de l’Eglise réfléchissent d’avantage sur la question. Certes, la possibilité
d’ordonner au diaconat des hommes mariés accordée par Vatican II a redonné espoir à un
certain nombre de laïcs désireux de prendre des responsabilités au sein de l’Eglise locale,
mais il est évident que cet effort est encore très mince. Si à cause de la pénurie de prêtres,
l’Evêque diocésain croit devoir confier à un diacre ou à une autre personne non revêtue du
caractère sacerdotal ou encore à une communauté de personnes, une participation à
l’exercice de la charge pastorale d’une paroisse, il constituera un prêtre qui, muni des
pouvoirs et facultés du curé, sera le modérateur de la charge pastorale1064. Mais
reconnaissons le, la charge de diriger n’incombe ni au diacre, ni au laïc responsable au
sein de l’Eglise, la possibilité de remplacer ou de jouer le rôle d’un prêtre. A coté de cette
préoccupation importante, soulignons aussi la position des laïcs au sein de l’Eglise du
Gabon car il ne faut pas oublier le travail effectué par ces derniers.

Au demeurant, lorsque Jean Paul II parle de l’engagement des laïcs au sein de


l’Eglise catholique au Gabon en 1982, le Saint Père encourage et loue en même temps ces
braves personnes qui volent inlassablement au secours du clergé parfois essoufflé. Ce
faisant, il plaide pour une reconnaissance plus importante pour le ministère des laïcs. Fort
de ce qui précède, notre modeste contribution va vers un certain nombre de souhaits : Il
faut de plus en plus associer les laïcs parmi les intervenants conférenciers lors des
colloques de l’Eglise catholique. Il faut promouvoir la vulgarisation des documents du
Concile de Vatican II afin qu’ils soient connus et appréciés par un bon nombre de
personnes. Il faut définir l’identité et le statut des ministres laïcs à travers des documents
législatifs clairs. Enfin, la formation des laïcs doit également devenir une préoccupation
fondamentale pour la hiérarchie.
1064
F. Malolo, A. Ramazani, M. Moerschbacher, L. Santedi, Pour une institution des laïcs dans l’Eglise,
Africains et Européens en quête de renouveau conciliaire, édition l’harmattan, Paris, 2004.
370
Pour favoriser la concertation au sein de l’Eglise locale, cette tâche passe par des
synodes dans les diocèses et dans les paroisses pour débattre des problèmes importants
tels que la gestion des biens et du personnel des paroisses, le défi grandissants des sectes
ainsi que le dépeuplement de ces mêmes paroisses. Une statistique que nous avons
apportée dans ce travail nous révèle que sur dix gabonais, membres d’une Eglise éveillée,
huit sont d’obédience catholique dès le départ1065. Les évêques diocésains ont le devoir de
comprendre les raisons massives du dépeuplement des paroisses, mais aussi les moyens
de ramener le peuple de Dieu égaré. De façon plus personnelle, nous ne croyons pas aux
pouvoirs mystiques et autres paroles véhiculées par de nombreux pseudo pasteurs
mercantilistes. Ce n’est nullement du prosélytisme, mais une réalité évidente. L’Etat
gabonais accorde, certes, la liberté du culte religieux, mais il serait utile de diagnostiquer
le véritable fonctionnement de nombreuses petites églises.

Concernant la question sur l’engagement de l’Eglise du Gabon, il faut dire que


celle-ci, comme l’Eglise universelle, lie son destin à celui des hommes et se sent
interpellée par leurs problèmes. Elle va au début des années 1980, faire corps avec le
peuple dans la conduite des changements politiques. L’Eglise catholique est ainsi devenue
l’une des composantes majeures du Gabon contemporain. On ne peut pas faire son
histoire sans rendre compte du rôle joué par cette Eglise dans la société gabonaise. En un
peu plus de 150 ans de présence effective, elle a partagé les joies et malheurs, les
espérances et les désespoirs du peuple gabonais1066. L’engagement individuel des prêtres
gabonais en est la preuve évidente1067. Ils ont été le moteur essentiel qui a amorcé le
processus des mutations socio-politiques dans le pays. L’Eglise gabonaise doit donc
continuer à s’affirmer avec force dans la société. Son rôle préventif reste important, elle
doit aussi pouvoir continuer à surmonter ses difficultés aux moyens de réflexions
incessantes ; Elle doit s’affirmer chez tous les membres qui a composent ; L’Eglise du
Gabon doit continuellement être consciente des attentes qu’elle suscite, non seulement
auprès des catholiques, mais aussi auprès de tous les hommes et femmes qui affrontent les
différents maux de tous les jours qui accablent la société gabonaise. Ainsi, c’est dans le
1065
Etant nous même membre d’une famille avec de nombreuses personnes membres de ces petites Eglises,
nous avons parallèlement effectué des enquêtes de voisinages et auprès d’autres personnes. Le résultat de
ces investigations nous a permis cette affirmation.
1066
Hervé Essono Mezui, Eglise catholique, vie politique et démocratisation, 1945-1995, thèse de doctorat
Histoire contemporaine, Lyon, 2006.
1067
La conférence nationale de 1990, sous la conduite de la haute hiérarchie de l’Eglise catholique est un
élément déterminant dans cette conduite des changements politiques dans le pays. L’Eglise a amorcé cette
phase de l’histoire avec le peuple gabonais tout entier, s’est sentie interpellée et a même été appelée par
l’Etat pour prendre part à l’opération de conversion des esprits au dialogue, à la tolérance, à la créativité, au
sens du bien commun, à l’unité nationale, aux libertés fondamentales et autres aspirations légitimes des
compatriotes.
371
bouillonnement particulier des problèmes que rencontre l’Eglise catholique du Gabon
(recul des vocations, mariages des prêtres dans les années 1970, prêtres défroqués,
naissances de sectes et églises dites du réveil, engagement politique des clercs, attentes…)
que le Saint Père effectue sa visite apostolique en 1982.

Même si au début des années 1980 on estime que le problème des vocations n’est
plus très préoccupant, l’Eglise du Gabon rencontre aussi d’autres problèmes tel que
l’inculturation de l’Evangile, le dialogue avec l’Islam et l’œcuménisme. Ces difficultés
constituent des enjeux majeurs en ce début du XXIè siècle. Situé à la frontière entre
l’Afrique chrétienne et musulmane le Gabon risque de poser dans quelques années, le
problème du dialogue inter religieux avec l’Islam dont les membres sont en constante
progression.

L’Eglise catholique au Gabon n’a nullement la prétention d’avoir une mission


politique ou économique, mais elle sait devoir contribuer à la prédication de l’évangile, à
la conversion des cœurs, au respect des droits et des peuples, à la reconnaissance des
erreurs, à la réconciliation, à la grande clémence et à l’harmonie entre les peuples.Les
diocèses mis en place depuis 1958 participent tous de cet effort et développent des
initiatives plus ou moins efficaces de solidarité chrétienne. Les conférences épiscopales
disposent quant à elles de commissions pour la justice et la paix. Les réfugiés trouvent
aussi au sein de cette Eglise une rare institution en mesure de leur apporter une modeste
aide.

Les objectifs de ce travail ont été de montrer la naissance de l’Eglise du Gabon en


passant par le cheminement parcouru par celle-ci jusqu’à la naissance d’une Eglise
diocésaine. Autant que faire ce peu, nous espérons avoir répondu à cette exigence.
Toutefois, tout reste à faire, et il faut reconnaître que l’Eglise catholique n’a pas
subitement été guérie de ses maux avec la visite de Jean Paul II. Quelle est la place
actuelle de l’Eglise catholique au sein d’une société gabonaise de plus en plus marquée
par les incertitudes ? Comment se comporter face à la montée impressionnante des petites
Eglises ? Quoi qu’il en soit, non seulement le nombre de ces petites églises est
considérable, mais il en naît de nouvelles dans pratiquement tous les pays d’Afrique noire.
Elles se réduisent souvent à de petites chapelles qu’une ont parfois une audience limitée et
une existence éphémère. Mais elles peuvent aussi se développer très rapidement et
devenir des confessions importantes et estimées comme l’Eglise kimbanguiste de la

372
République démocratique du Congo1068. Il va sans dire que ces églises peuvent
représenter, à la mesure du nombre de leurs fidèles, un poids non négligeable sur la scène
politique du pays.

1068
Claude Wauthier, sectes et prophètes d’Afrique noire, Seuil, Paris 2007.
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ANNEXE N° I :

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MISSIONNAIRES EN AFRIQUE

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André Ndong Ondo et Joseph Lendjoungou Fouta, L’évolution de la Mission catholique Sainte Marie de
1844 à 1905, mémoire de Licence Histoire, UOB, juin 1979.
411
ANNEXE II

Source : Archives CSSP

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Source : Archives CSSP

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421
TABLE DES MATIERES :

REMERCIEMENTS
DEDICACE

ABREVIATION ESSENTIELLES……………………………………………………...1

Introduction Générale
I. Etat de la question……………………………………………………………...4
II. Objet et intérêt de l’étude……………………………………………………...6
III. Problématique……………………………………………………………….....8
IV. Méthodologie et justification du cadre chronologique……………………….10
V. Structure du Travail.…………………………………………………….……11

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Introduction de la première partie………………………………………………....16

% > …………………………...……...17
I. Eléments de géographie et d’histoire du Gabon…………………………..17
1. Situation géographique, historique et sociale du Gabon avant l’arrivée des
missionnaires………………..…………………………………………………...17
1.1 L’arrivée des Européens au Gabon : les Portugais en premier…………………...18
1.2 L’arrivée de nouveaux Européens et le processus de mise en place de la
prépondérance française au Gabon…………………………………...…………………..19
1.3 Les peuples du Gabon et les pratiques religieuses……………………….........….20
2. Pénétration et organisation de la colonie du Gabon…………………………....24
3. Grandes phases d’implantation du catholicisme au Gabon…………………….29
II. La Naissance d’une Eglise en 1844………………………………………....32
1. L’arrivée et l’installation des missionnaires…………………………………….32
1.1 L’arrivée des missionnaires………………..…………………………………......34
1.2 Les premières années au Gabon……………………………………..…………...40
1.3 L’éveil de la Mission………………………….………………………….…...….44
422
2. Les causes qui conditionnent l’arrivée des missionnaires au
Gabon…………………………………………………………………………….47
2.1 Les causes religieuses……………………………………………………….……48
2.2 Les causes stratégiques…………………………………………………………...50
2.3 Les causes politico économiques…………………………………………….…...52
3. L’adaptation de la Mission aux réalités coloniales……………………………..53
3.1La Mission et le colonisateur : interprétations et limites d’une alliance
provisoire………………………………………………………………….……………...54
3.2 Les heurts…………………………………………………………………….…...55
3.3 La rupture………………………………………………………………………...56
III. La progression religieuse au milieu du XIXè siècle…………………….....58
1. La mise en place des stations d’évangélisation……………………………….....58
1.1 Les stations dans l’Estuaire……………………………………………………....61
1.2 Les stations dans l’intérieur du pays………………………………………..…….68
1.3 La pratique de l’apostolat au Gabon…………………………………….………..75
2. Effectifs missionnaires au XIX è siècle………………………………………....77
2.1Les prêtres…………………………………………………………………….…..80
2.2 Les autres artisans de l’évangélisation…………………………………………...80
IV. Les débuts de l’Eglise indigène au Gabon…………………………………82
1. L’éclosion de l’Eglise indigène et l’établissement des relations avec le monde
occidental vers la première moitié du XIXè
siècle……………………………………………………………………………...82
1.1 Le catholicisme et ses effets sur la population indigène……………………….…83
1.2 L’Eglise indigène…………………………………………………………….…...87
1.3 L’établissement des relations avec le monde occidental et l’amorce de la
dépendance économique envers l’Europe et du processus
d’acculturation……………………………………………………………………............92
2. Les auxiliaires de la Mission…………………………………………………….94
2.1 Le catéchiste, auxiliaire du missionnaire………………………………………....94
2.2 Les attributions du catéchiste.………………………………………………..…...97
2.3 La formation et le recrutement des catéchistes…………………………………...98

423
% > ………………………………………100
I. L’œuvre sociale…………………………………………………………….101
1. L’action éducative………………………………………………………………101
1.1La scolarisation des garçons……………………………………………………..102
1.2 La scolarisation des filles………………………………………………………..104
2. L’action sanitaire : Autre élément d’implantation de la religion dans les mœurs
des autochtones………………………………………………………………....107
2.1 Une médecine missionnaire latente……………………………………………..108
2.2 Des progrès en perspective……………………………………………………...109
II. Les limites et les premières difficultés…………………..………………..111
1. les difficultés socio culturelles dans la formation d’un clergé………………..112
1.1 Les raisons pratiques de conduire le Gabon vers un clergé
autochtone……………………………………………………………………………….112
1.2 La formation du clergé au Gabon : les raisons d’un scepticisme
missionnaire……………………………………………………………………………..114
2. La Mission au Gabon………………………………………………………..…116
2.1 Les difficultés liées à l’implantation durable…………………………………....116
3. Le projet d’évacuation du comptoir du Gabon………………………………...118
3.1 Les raisons du projet d’échange entre la France et
l’Angleterre…………………………………………………………………….………..119
3.2 L’intervention de Monseigneur Bessieux…………………………………….…120
% > ……………………………..123
I. La mise en place des premières structures……………………………….123
1. Les missionnaires……………………………………………………………….123
1.1. Les relations Mission, missionnaires et Métropole.............................................123
1.2. De la Mission vers une Eglise locale…………………………………………...126
2. Les autochtones et le Saint Siège………………………………………………..127
2.1. L’exemple de certains peuples du Gabon………………………………………128
2.2. L’action du Saint Siège…………………………….…………………………..129
II. L’ouverture de l’école des Latinistes au milieu du XIXè
siècle………………………………………………………………………………...130
1. La fondation et le recrutement des premiers élèves (1856-
1886)…………………………………………………………………………….130
1.1 La fondation en 1856…………………………………………………………....130
1.2 Les premiers élèves et les conditions d’accès à l’école……………………..…..132

424
2. L’enseignement et les objectifs de l’école……………………………………...137
2.1 L’enseignement……………………………………………………………….....137
2.2 Les objectifs de l’école des Latinistes……………………………………….….139
Conclusion de la première partie………………………………………………………144

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!
Introduction de la deuxième partie……………………………………………......147
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……………………………………………...….148
I. Les tribulations du séminaire……………………………………………..148
1. Le choix du site et les premières constructions………………………………..149
1.1 La première année d’essai (1887)………………………………………………149
1.2 La construction définitive du séminaire en 1888……………………………….152
2. Les délocalisations du séminaire Saint Jean…………………………………..155
2.1 La première période d’essai et de tâtonnements (1856-1893)………………….156
2.2 La deuxième période d’essai et de tâtonnements (1900-1925)…………….…...160
3. Le fonctionnement et le règlement du petit séminaire………………………...163
3.1 Analyse de la situation de 1856 à 1886………………………………………....163
3.2 Analyse de la situation après 1887……………………………………………...164
II. La formation à la prêtrise…………………………………………………167
1. Au petit séminaire………………………………………………………………168
1.1 Le programme des enseignements……………………………………………....168
1.2 L’année de probation…………………………………………………………....171
2. Les grands séminaires et les noviciats…………………………………...…….173
2.1 Le programme et la durée de formation………………………………………...173
2.2 Les grands séminaires…………………………………………………………..175
2.3 Les petits séminaires)))))))))))))))))))))……176

425
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……………………………………………………………..........……..179
! La première période des vocations sacerdotales ……………………………179
1. Les premiers postulants………………………………………………………...179
1.1 La première période (1856-1883)…………………………………………….…179
1.2 La deuxième période (1883-1900)……………………………………………....180
2. Le premier prêtre autochtone : André Raponda Walker…………………..…..181
2.1 Une enfance confrontée à des difficultés au sujet de sa vocation…………….....182
2.2 Le parcours au séminaire et l’ordination en 1899……………………………....183
2.3 La carrière apostolique du premier prêtre indigène……………………………..184
3. La longue période d’attente……………………………………………………...187
3.1. Les raisons de l’attente (1899-1919)……………………………………….......187
3.2. Les autres vocations…………………………………………………………….189
4. Le rebond des ordinations en 1919……………………………………………..190
4.1. Les recrues du séminaire (1899-1919)…………………………………………190
4.2. Le parcours religieux et les ordinations de 1919…………………………….....191
II. La deuxième période des vocations (1923-1940)……………………………...193
1. Le dynamisme des vocations dès 1923…………………………………………193
1.1 Les ordinations de 1923………………………………………………………...193
1.2 Les ordination de 1930…………………………………………………….……195
1.3 Les ordinations de 1938 à 1940………………………………………………....197
2. Des évaluations des prémisses de l’Eglise du Gabon en 1940…………………199
2.1. La situation numérique du clergé gabonais en 1940…………………………...199
2.2. La mise en fonction des prêtres gabonais………………………………………203
2.3. Le rôle du clergé autochtone……………………………………………………206
3. la vie quotidienne du prêtre en fonction………………………………………...209
3.1. Vie sacerdotale et privée………………………………………………………..210
3.2. Régime et entretien des prêtres indigènes……………………………………...215

426
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I. De l’ère du Vicariat apostolique du Gabon………………………………216
1. Les pionniers de cette Eglise (1844-1914)……………………………………..217
1.1 Jean Rémy Bessieux (1849-1876)……………………………………………....217
1.2 De Mgr Leberre à Mgr Le Roy (1876-1897)……………………………….…..219
1.3 Mgr Jean Martin Adam (1897-1914)…………………………………….….…220
2. La consolidation de l’Eglise des Missions……………………………………..222
2.1De Mgr Martrou à Mgr Tardy (1914-1947)…………………………………….222
2.2 Mgr Jean Jérôme Adam (1947-1969)………………….……………………..…223
3. la naissance du diocèse du Gabon en 1955 et ses incidences sur la situation
administrative de l’Eglise du catholique au Gabon……………………………….224
3.1. Le projet de création du diocèse du Gabon et ses divisions……………………224
3.2. Etat des Vicariats divisés……………………………………………………….225
3.3. La délimitation des diocèses et les attributions des évêques
diocésains……………………………………………………………………………226
3.4. Les structures administratives de l’Eglise du Gabon…………………………...230
4. Les principaux moyens d’intervention de l’Eglise locale………………………237
4.1. Le synode……………………………………………………………………….237
4.2. La conférence épiscopale (CEG)……………………………………………….240
5. Les manifestations de la crise des vocations au Gabon………………………...245
5.1. Le séminaire inter vicarial de Brazzaville……………………………………...245
5.2. La séminaire d’aînés de Sindara………………………………………………..248
Conclusion de la deuxième partie……………………………………………………...252

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Introduction de la troisième partie………………………………………...254

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427
I. L’affirmation du caractère national de l’Eglise du Gabon et
l’établissement des relations avec le Saint
Siège………………………………………………………………………...255
1. Les évêques……………………………………………………………………...255
1.1Monseigneur André Fernand Anguilet depuis 1969………………………..……258
1.2 Monseigneur François Ndong depuis 1965……………………………….…….261
1.3 Monseigneurs Félicien Patrice Makouaka (1975) ; Cyriaque Obamba (1976) et
Basile Mvé Engone (1982)………………………………………………………….…..263

2. Les autres facteurs liés à l’affirmation de l’Eglise locale……………………..271


2.1 La naissance de nouvelles paroisses dans le pays………………………….…...271
2.2 Le personnel religieux et l’installation de nouvelles congrégations
religieuses………………………………………………………………………….…....278
A. L’installation de nouvelles congrégations religieuses……………...……………278
a. Les congrégations féminines…………………………………………………...…278
b. Les congrégations masculines……………………………………………………281
B. La situation du personnel religieux…………………………………………...….282
3. Les artisans extérieurs au clergé……………………………………………….287
3.1 Les communautés religieuses laïques…………………………………....……...287
3.2 Les mouvements de jeunesse…………………………………………………....289
II. Le clergé diocésain dans les années 1970………………………..………..295
1. un diagnostic sur la situation du clergé diocésain au début des années
1970……………………………………………………………………………..297
1.1 La vie matérielle………………………………………………………………...298
1.2 La question du célibat sacerdotal au sein de l’Eglise au Gabon…………….….303
1.3 Vocations et appels au sein de l’Eglise du Gabon……………………………...306
1.4 Des prêtres mariés pour l’Eglise au Gabon………………………………….….308
2. L’Eglise catholique dans la société…………………...………………………..312
2.1 Situation pastorale de la population chrétienne………………………………...313
2.2 Eglise catholique et Etat : situation avant 1980………………………...………315
2.3 Le coup d’état de 1964 et l’intervention des l’Eglise
(évêques)………………………………………………………………………………...318
2.4 Les défis et difficultés de la population chrétienne………………………...…...323
3. L’Eglise locale face aux autres acteurs sociaux.................................................326
3.1 L’œcuménisme et le dialogue inter religieux…...……………………………....327

428
3.2 Le dialogue inter religieux avec les musulmans…………………………..….....327
4. L’Eglise catholique face à la culture et les médias………………………….…..328
4.1 L’Eglise et la culture……………………………………………..........…..…….329
4.2 L’Eglise et les médias………………………………..…………………..……...331
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& "#'"…………………………………………………….……………….332
I. L’Eglise et le triomphe du parti unique………………………………….332
1. Le Gabon sous l’ère de la Rénovation depuis 1968……………………....…….333
1.1 Les années fastes de la Rénovation………………………………………….….333
1.2 La fin du mirage économique vers 1977………………………...……………...336
2. Les relations entre l’Eglise et l’Etat sous le parti unique………………….....…337
2.1 Les relations officielles et diplomatiques……………………………………....338
2.2 L’enseignement catholique : un autre champ des relations…………………….340
II. Le réveil politique et l’intervention indirecte de l’Eglise dès 1981………...342
1. L’affaire du MORENA (mouvement de Redressement National)…………..….343
1.1 Les causes et manifestations de l’affaire MORENA……………………….......343
2. L’engagement politique des prêtres gabonais en 1982………………….……....345
2.1 Le cas de l’abbé Noël Ngwa Nguéma……………………………………….….345
2.2 Le cas du Père Paul Mba Abessole……………………………………………..348
2.3 L’Eglise et la société pour la promotion humaine…………………………...…350
2.4 Contribution de l’Eglise face aux mutations………………………………...….351
III. La visite de Jean Paul II et la nouvelle parole de l’Eglise…………......…….....355
1. Le déroulement de la visite……………………………………………………….355
2. Les conséquences de la visite de Jean Paul II…………………………………....360
Conclusion de la troisième partie………………………………………………………363
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429
INDEX DES NOMS
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