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Conseil Pontifical

pour la promotion de l’unité des chrétiens

N° 142 (2013/II)

TABLE DES MATIÈRES

LE PAPE FRANÇOIS ET L’ŒCUMÉNISME (juillet-décembre 2013) ......................................................... 3

VISITE À ROME DE SA SAINTETÉ MORAN BASELIOS MARTHOMA PAULOSE II,


CATHOLICOS DE L’ORIENT ET MÉTROPOLITE DE L’ÉGLISE ORTHODOXE SYRO-MALANKARE
(4-6 septembre 2013) .................................................................................................................................... 7

XE ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU CONSEIL ŒCUMÉNIQUE DES ÉGLISES


(Busan, Corée, 30 octobre-8 novembre 2013) .......................................................................................... 10

VISITE D’UNE DÉLÉGATION DU SAINT-SIÈGE AU PATRIARCAT ŒCUMÉNIQUE


POUR LA FÊTE DE SAINT ANDRÉ (28 novembre – 1er décembre 2013)
Message du Pape François à Sa Sainteté Bartholomaios ................................................................... 11
Allocution du Patriarche œcuménique Bartholomaios à la délégation ........................................... 12

NOUVELLES ŒCUMÉNIQUES
Dialogue international pentecôtiste-catholique
(Baltimore, MD, États-Unis, 13-19 juillet 2013) ................................................................................ . 15

COMMISSION POUR LES RELATIONS RELIGIEUSES AVEC LE JUDAÏSME ............................................. 17

DOCUMENTATION SUPPLÉMENTAIRE
La Parole de Dieu dans la vie de l’Église
Rapport sur le Dialogue international entre l’Église Catholique
et l’Alliance Baptiste Mondiale (2006-2010) ....................................................................................... 21
Commentaire sur « La Parole de Dieu dans la vie de l’Église »
Une réflexion catholique sur le Rapport du Dialogue international entre l’Église Catholique
et l’Alliance Baptiste Mondiale 2006-2010 par Thomas A. Baima................................................... 68

BUREAUX: Via della Conciliazione 5 – 00193 Rome (Italie)


Tel: +39.06.698.83 568 (Rédaction)
Fax: +39.06.698.85.365 – Email: infoservice@christianunity.va
REDACTEUR EN CHEF
Fr. Hyacinthe Destivelle, OP

ADRESSE POSTALE
Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens
VA – 00120 Cité du Vatican

1 numéro de Service d’information déjà paru : US $ 9 - € 7

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LE PAPE FRANÇOIS ET L’ŒCUMÉNISME

ENTRETIEN DU PAPE FRANÇOIS nière de faire du Synode, car celle qui est pratiquée ac-
AVEC LES JOURNALISTES À BORD DE L’AVION tuellement me paraît statique. Cela pourra aussi avoir
AU RETOUR DE RIO une valeur œcuménique, tout particulièrement avec nos
28 juillet 2013 frères orthodoxes. À partir de leur expérience, nous
pouvons apprendre davantage sur le sens de la collégia-
lité épiscopale et sur la tradition de la synodalité.
Question (Alexey Bukalov): L’effort de réflexion commune, qui prend en considé-
[…] Bonsoir Saint-Père. Saint-Père, revenant à ration la manière dont l’Église était gouvernée dans les
l’œcuménisme : les orthodoxes fêtent aujourd’hui le 1025e anni- premiers siècle, avant la rupture entre l’Orient et
versaire du christianisme, il y a de grandes festivités dans de l’Occident, portera du fruit en son temps. Ceci est im-
nombreuses capitales. Si vous voulez faire un commentaire sur cet portant pour les relations œcuméniques : non seule-
événement, j’en serai heureux. Merci. ment mieux se connaître, mais aussi reconnaître ce que
l’Esprit a semé dans l’autre comme un don qui nous est
Pape François : destiné. Je veux poursuivre la réflexion sur la manière
d’exercer le primat de Pierre, déjà initiée en 2007 par la
Dans les Églises orthodoxes, on a conservé cette Commission mixte, ce qui a conduit à la signature du
antique liturgie si belle. Nous, nous avons perdu un peu
Document de Ravenne. Il faut continuer dans cette voie ».
le sens de l’adoration. Eux le conservent, ils louent
Dieu, ils adorent Dieu, ils chantent, le temps ne compte Je cherche à comprendre comment le Pape voit
pas. Le centre c’est Dieu, et cela est une richesse que je l’avenir de l’unité de l’Église. Il me répond : « Nous de-
veux souligner à l’occasion de la demande que vous me vons cheminer unis dans les différences : il n’y a pas
faites. Une fois, en parlant de l’Église occidentale, de d’autre chemin pour nous unir. C’est le chemin de
l’Europe occidentale, surtout l’Église qui s’est le plus Jésus » […]
développée, on m’a dit cette phrase : « Lux ex oriente, ex
occidente luxus ». L’esprit de consommation, le bien-être, ORF, 26.09.2013
nous ont fait beaucoup de mal. En revanche, vous,
vous conservez cette beauté de mettre Dieu au centre,
comme référence. Quand on lit Dostoïevski – je crois MESSAGE DU PAPE AU PRÉSIDENT DU CONSEIL
que pour nous tous il doit être un auteur à lire et à re- PONTIFICAL POUR LA PROMOTION DE L’UNITÉ
DES CHRÉTIENS À L’OCCASION DU XIIIE SYMPOSIUM
lire, parce qu’il a une sagesse – on perçoit quelle est
INTERCHRÉTIEN
l’âme russe, l’âme orientale. C’est une chose qui nous
fera beaucoup de bien. Nous avons besoin de ce re- Milan (Italie), 28-30 août 2013
nouvellement, de cet air frais de l’Orient, de cette lu-
mière de l’Orient. Jean-Paul II l’avait écrit dans sa
À mon vénéré frère le Cardinal Kurt Koch,
Lettre. Mais souvent le luxus de l’Occident nous fait
Président du Conseil Pontifical
perdre l’horizon. Je ne sais pas, il m’est venu de dire
pour la promotion de l’unité des chrétiens
cela. Merci. [...]

ORF, 08-15.08.2013 C’est avec une joie particulière que j’ai appris l’ini-
tiative des symposiums interchrétiens, organisés tous
les deux ans par l’Institut franciscain de spiritualité de
INTERVIEW AU PAPE FRANÇOIS DU PÈRE ANTONIO l’Université Pontificale Antonianum et par le
SPADARO, DIRECTEUR DE LA REVUE CIVILTÀ département de théologie de la faculté de théologie
CATTOLICA orthodoxe de l’Université Aristoteles de Thessalonique,
19 août 2013 dans le but d’approfondir la connaissance des traditions
théologiques et spirituelles de l’Orient et de l’Occident
et de cultiver des relations fraternelles d’amitié et
Question : d’étude entre les membres des deux institutions
[…] Comment concilier harmonieusement le primat de Pierre académiques.
et la synodalité ? Quels chemins peuvent être pratiqués, et ce dans Je désire donc adresser une salutation cordiale aux
une perspective œcuménique ? organisateurs, aux intervenants et à tous les participants
à la XIIIe édition de cette initiative de grand mérite, qui
Pape François : se déroule cette année à Milan, avec la collaboration de
« On doit marcher ensemble : Les personnes (la l’université catholique du Sacré-Cœur, sur le thème :
« La vie des chrétiens et le pouvoir civil. Questions
gente), les évêques et le Pape. La synodalité se vit à diffé-
historiques et perspectives actuelles en Orient et en
rents niveaux. Il est peut-être temps de changer la ma-
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Occident ». Ce thème s’inscrit bien dans le cadre des triste de trouver une Église « privatisée » par cet
multiples initiatives qui visent à commémorer le XVIIe égoïsme et ce manque de foi. […]
centenaire de la promulgation de l’Édit de Constantin,
Il est important de regarder en dehors de son
des initiatives qui, à Milan, ont eu des moments d’une
propre enclos, de se sentir Église, unique famille de
importance particulière, comme la visite du Patriarche
Dieu !
œcuménique Bartholomaios Ier à l’Église ambrosienne
et à la ville. Accomplissons un autre pas et demandons-nous :
La décision historique, par laquelle fut décrétée la cette unité a-t-elle des blessures ? Pouvons-nous blesser
liberté religieuse pour les chrétiens, ouvrit de nouvelles cette unité ? Malheureusement, nous voyons que sur le
voies à la diffusion de l’Évangile et contribua de façon chemin de l’histoire, même maintenant, nous ne vivons
déterminante à la naissance de la civilisation euro- pas toujours l’unité Parfois apparaissent des incompré-
péenne. La mémoire de cet événement offre l’opportu- hensions, des conflits, des tensions, des divisions, qui la
nité, pour le présent symposium, de réfléchir sur l’évo- blessent, et alors l’Église n’a pas le visage que nous
lution des modalités à travers lesquelles le monde chré- voudrions, elle ne manifeste pas la charité, ce que veut
tien est en relation avec la société civile et avec l’auto- Dieu. C’est nous qui créons des déchirements ! Et si
rité qui la préside. Ces modalités se sont développées nous regardons les divisions qui existent encore parmi
au cours de l’histoire dans des contextes très différents, les chrétiens, les catholiques, les orthodoxes, les pro-
et ont connu des diversifications significatives en testants… nous ressentons la difficulté de rendre plei-
Orient et en Occident. Dans le même temps, elles ont nement visible cette unité. Dieu nous donne l’unité,
conservé certains traits fondamentaux communs, mais nous avons souvent du mal à la vivre. Il faut cher-
comme la conviction selon laquelle le pouvoir civil cher, construire la communion, éduquer à la commu-
trouve sa limite face à la loi de Dieu, la revendication nion, à surmonter les incompréhensions et les divi-
du juste espace d’autonomie pour la conscience, la sions, en commençant par la famille, par les réalités ec-
conscience que l’autorité ecclésiastique et le pouvoir clésiales, également dans le dialogue œcuménique.
civil sont appelés à collaborer en vue du bien intégral Notre monde a besoin d’unité, c’est une époque où
de la communauté humaine. nous avons tous besoin d’unité, nous avons besoin de
réconciliation, de communion et l’Église est la Maison
En souhaitant que les travaux du symposium de la communion. […]
portent des fruits abondants pour le progrès de la re-
cherche historique et de la connaissance réciproque Est-ce que j’ai l’humilité de recoudre avec patience,
entre les diverses traditions, je vous assure de mon avec sacrifice, les blessures faites à la communion ?
souvenir dans la prière et j’invoque de tout cœur la Bé- Enfin, le dernier passage de manière plus approfon-
nédiction apostolique sur ceux qui ont contribué à die. Et c’est une belle question : qui est le moteur de
l’organisation du Congrès et sur tous ceux qui y pren- cette unité de l’Église ? C’est le Saint-Esprit que nous
dront part. avons tous reçu dans le Baptême et aussi dans le sa-
Du Vatican, le 19 août 2013 crement de la confirmation. C’est le Saint-Esprit. Notre
unité n’est pas avant tout le fruit de notre assentiment
ou de la démocratie dans l’Église, ou de notre effort
News.va 30.08.2013
pour nous entendre, mais elle vient de Lui qui fait
l’unité dans la diversité, car le Saint-Esprit est harmo-
AUDIENCE GÉNÉRALE nie, il crée toujours l’harmonie dans l’Église. Il est une
25 septembre 2013 unité harmonique dans une aussi grande diversité de
cultures, de langues et de pensée. C’est le Saint-Esprit
qui est le moteur. C’est pourquoi la prière est impor-
Chers frères et sœurs, tante, elle qui est l’âme de notre engagement d’hommes
et de femmes de communion, d’unité. La prière à
Dans le « Credo », nous disons « Je crois en l’Église
l’Esprit Saint, afin qu’il vienne et qu’il fasse l’unité dans
une », c’est-à-dire que nous professons que l’Église est
l’Église.
unique et cette Église est en soi unité. […]
Demandons au Seigneur : Seigneur, donne-nous
Unité dans la foi, dans l’espérance, dans la charité,
d’être toujours plus unis, de n’être jamais des instru-
unité dans les sacrements, dans le ministère : ce sont
ments de division ; fais que nous nous engagions,
comme des piliers qui soutiennent et maintiennent
comme le dit une belle prière franciscaine, à apporter
l’unique grand édifice de l’Église. […]
l’amour là où existe la haine, à apporter le pardon là où
Demandons-nous tous : moi, comme catholique, se trouve l’offense, à apporter l’union là où règne la
est-ce que je sens cette unité ? Ou bien ne m’intéresse- discorde. […]
t-elle pas, parce que je suis replié sur mon petit groupe
ou sur moi-même ? Suis-je au nombre de ceux qui
« privatisent » l’Église pour leur propre groupe, pour ORF, 26.09.2013
leur propre nation, pour leurs propres amis ? Il est

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ANGELUS peuvent demander pardon pour le mal causé les uns
29 septembre 2013 aux autres et pour les fautes commises devant Dieu, et
se réjouir ensemble pour la nostalgie d’unité que le
Seigneur a réveillée dans nos cœurs, et qui nous fait
[…] J’adresse un salut particulier à mon frère Sa nous tourner vers l’avenir avec un regard d’espérance.
Béatitude Youhanna X, Patriarche grec-orthodoxe
d’Antioche et de tout l’Orient. Sa présence nous invite À la lumière du chemin de ces décennies, et des
à prier encore une fois pour la Syrie et le Moyen- nombreux exemples de communion fraternelle entre
Orient. […] luthériens et catholiques dont nous sommes témoins,
réconfortés par la confiance dans la grâce qui nous est
ORF, 03.10.2013 donnée dans le Seigneur Jésus Christ, je suis certain que
nous saurons poursuivre notre chemin de dialogue et
DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS À UNE DÉLÉGATION de communion, en affrontant également les questions
DE LA FÉDÉRATION LUTHÉRIENNE MONDIALE ET fondamentales, ainsi que les divergences qui
AUX REPRÉSENTANTS DE LA COMMISSION POUR apparaissent dans le domaine anthropologique et
L’UNITÉ LUTHÉRIENNE-CATHOLIQUE éthique. Certes, les difficultés ne manquent pas et ne
21 octobre 2013 manqueront pas, elles exigeront encore patience, dia-
logue et compréhension réciproque, mais n’ayons pas
peur ! Nous savons bien — comme nous l’a rappelé à
Chers frères et sœurs luthériens, et chers frères ca- plusieurs reprises Benoît XVI — que l’unité n’est pas
tholiques, avant tout le fruit de notre effort, mais de l’action de
l’Esprit Saint auquel il faut ouvrir nos cœurs avec con-
Je souhaite volontiers la bienvenue à vous tous, dé- fiance afin qu’il nous conduise sur les voies de la ré-
légation de la Fédération luthérienne mondiale et repré- conciliation et de la communion.
sentants de la Commission pour l’unité luthérienne-
catholique. Cette rencontre fait suite à celle, très cor- Le bienheureux Jean-Paul II se demandait : « Com-
diale et appréciée, que j’ai eue avec vous, éminent ment annoncer l’Évangile de la réconciliation sans
Évêque Younan, et avec le Secrétaire de la Fédération s’engager en même temps à travailler pour la réconci-
luthérienne mondiale, le Révérend Junge, à l’occasion liation des chrétiens ? » (Ut unum sint, 98). Que la prière
de la célébration du début de mon ministère comme fidèle et constante dans nos communautés puisse sou-
Évêque de Rome. tenir le dialogue théologique, le renouveau de la vie et
la conversion des cœurs, afin que, avec l’aide de Dieu
Je constate avec un sentiment de profonde gratitude Un et Trine, nous puissions marcher vers
pour le Seigneur Jésus Christ les nombreux pas que les l’accomplissement du désir du Fils, Jésus Christ, afin
relations entre luthériens et catholiques ont accomplis que nous soyons tous un. Merci.
au cours des dernières décennies, et non seulement à
travers le dialogue théologique, mais également à tra-
ORF, 31.10.2013
vers la collaboration fraternelle dans de multiples do-
maines pastoraux, et surtout, dans l’engagement en vue
de progresser dans l’œcuménisme spirituel. Ce dernier LE CHŒUR SYNODAL DU PATRIARCAT DE MOSCOU
constitue, dans un certain sens, l’âme de notre chemin AU VATICAN
vers la pleine communion, et nous permet d’en goûter 3 novembre 2013
déjà certains fruits, même imparfaits. Dans la mesure
où nous nous approchons avec humilité d’esprit de
Notre Seigneur Jésus Christ, nous sommes certains de Le 3 novembre 2013, avec la bénédiction du Métropolite
nous rapprocher également les uns des autres, et dans Hilarion de Volokolamsk, Président du Département pour les
la mesure où nous invoquerons du Seigneur le don de relations ecclésiales extérieures du Patriarcat de Moscou, le
l’unité, nous sommes certains qu’Il nous prendra par la Chœur synodal de Moscou a donné un concert avec le Chœur de
main et que ce sera Lui notre guide. Il faut laisser le la Chapelle Sixtine à la Basilique Sainte-Marie-Majeure de
Seigneur Jésus Christ nous prendre par la main. Rome.
Cette année, comme résultat du dialogue théolo- En cette circonstance, un message de salutations du Pape
gique, qui célèbre désormais cinquante ans, et en vue François a été lu par le Cardinal Leonardo Sandri, Préfet de la
de la commémoration du cinquième centenaire de la Congrégation pour les Églises orientales.
Réforme, a été publié le texte de la Commission pour Nous publions, ci-dessous, le texte de ce message.
l’unité luthérienne-catholique, qui porte un titre signifi- Vivre un moment d’élévation spirituelle en la
catif : « Du conflit à la communion. L’interprétation Basilique Sainte-Marie-Majeure, à travers l’art musical
luthérienne-catholique de la Réforme en 2017 ». de l’Église latine et de l’Église orthodoxe russe, est une
L’effort de se confronter dans le dialogue sur la réalité intéressante et profonde expérience. De fait, cette
historique de la Réforme, sur ses conséquences et sur basilique fut édifiée pour célébrer en Occident le
les réponses qui y furent apportées, me semble vérita- Concile œcuménique d’Éphèse qui reconnut Marie
blement important pour tous. Catholiques et luthériens comme Théotokos, c’est-à-dire comme Mère de Dieu.
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Aussi cette basilique unit-elle deux traditions ecclésiales Jean-Paul II avait parlé de manière encore plus
qui se reconnaissent dans la même foi et s’enrichissent explicite d’une forme d’exercice du primat qui s’ouvre à
mutuellement de par leurs diversités culturelles. une situation nouvelle. Mais non seulement du point de
En évaluant l’histoire du christianisme dans sa vue des relations œcuméniques, également dans les re-
portée millénaire, nous pouvons observer que ce qui a lations avec la Curie et avec les Églises locales. Au
été séparé à la suite des événements historiques et des cours de ces neuf premiers mois, j’ai reçu la visite de
diverses manières de comprendre la révélation, a au beaucoup de frères orthodoxes. Bartholomaios,
fond conservé une unité profonde dans l’art. Hilarion, le théologien Zizioulas, le copte Tawadros : ce
Aujourd’hui, cette unité artistique fournit de fréquentes dernier est un mystique, en entrant dans une chapelle, il
occasions de rencontres fécondes permettant d’étudier enlevait ses chaussures et allait prier. Je me suis senti
et réfléchir ensemble sur les sources communes, ce qui leur frère. Ils ont une succession apostolique, je les ai
fait naître une compréhension mutuelle véritable, reçus comme des frères évêques. C’est une douleur de
respect et enrichissement de part et d’autre. ne pas pouvoir célébrer l’Eucharistie ensemble, mais
l’amitié existe. Je crois que la route est celle-ci : amitié,
Dans l’Église, l’art sous toutes ses formes n’existe travail commun, et prier pour l’unité. Nous nous
pas seulement en raison d’une simple utilité esthétique, sommes bénis l’un l’autre, un frère bénit l’autre, un
mais parce qu’à travers celui-ci, l’Église à chaque frère s’appelle Pierre et l’autre s’appelle André, Marc,
moment historique et dans chaque culture explique et Thomas …
interprète plastiquement la révélation pour le bien du
peuple de Dieu. L’art dans l’Église existe Question :
fondamentalement pour évangéliser et dans cette
L’unité des chrétiens est-elle pour vous une priorité ?
perspective, nous pouvons affirmer avec Dostoïevsky :
« La beauté sauvera le monde ». Oui, pour moi l’œcuménisme est prioritaire. Au-
jourd’hui il y a l’œcuménisme du sang. Dans certains
Aujourd’hui, l’Église peut et doit respirer de ses
pays, on tue les chrétiens parce qu’ils portent une croix
deux poumons : celui de l’Orient et celui de l’Occident.
ou ont une Bible, et avant de les tuer, on ne demande
Là où nous ne réussissons pas encore à le faire
pas s’ils sont anglicans, luthériens, catholiques ou or-
pleinement, selon la mesure de l’unité demandée par
thodoxes. Le sang est mêlé. Pour ceux qui tuent nous
Jésus dans sa prière au Père, nous pouvons le faire de
sommes chrétiens. Nous sommes unis dans le sang,
tant d’autres manières, l’une d’entre elles étant
même si entre nous, nous ne parvenons pas encore à
précisément l’immense patrimoine artistique et culturel
faire les pas nécessaires vers l’unité, et peut-être n’est-il
que les diverses traditions ont produit « pour la vie en
pas encore temps. L’unité est une grâce, que l’on doit
abondance » du Peuple de Dieu.
demander. Je connaissais, à Hambourg, un curé qui
La musique, la peinture, la sculpture, suivait la cause de béatification d’un prêtre catholique
l’architecture : en un mot, la beauté unit et fait grandir guillotiné par les nazis parce qu’il enseignait le
la foi, dans l’espérance prophétique et la charité catéchisme aux enfants. Après lui, dans la file des
témoignée, anticipant ainsi à travers les âges cette unité condamnés, il y avait un pasteur luthérien, tué pour le
voulue que tous nous recherchons et qu’un jour, par la même motif. Leur sang s’est mêlé. Ce curé me racontait
grâce de Dieu, nous atteindrons. être allé chez l’évêque et lui avoir dit : « Je continue à
suivre la cause, mais de tous les deux, pas uniquement
Traduction de l’anglais SI du catholique » . C’est cela l’œcuménisme du sang. Il
existe encore aujourd’hui, il suffit de lire les journaux.
ENTRETIEN DU PAPE FRANÇOIS ACCORDÉ Ceux qui tuent les chrétiens ne te demandent pas ta
AU QUOTIDIEN « LA STAMPA » carte d’identité pour savoir dans quelle Église tu as été
baptisé. Nous devons prendre cette réalité en compte.
10 décembre 2013
[…]

Question : ORF, 19-26.12.2013


[…] Vous avez annoncé une « conversion de la papauté ».
Les rencontres aces les patriarches orthodoxes vous ont-elles sug-
géré des voies concrètes ?

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VISITE A ROME
DE SA SAINTETÉ MORAN BASELIOS MARTHOMA PAULOSE II
NOUVEAU CATHOLICOS DE L’ORIENT
ET MÉTROPOLITE DE L’ÉGLISE ORTHODOXE SYRO-MALANKARE

4-6 septembre 2013

Œuvrer ensemble pour surmonter la « culture de l’affrontement » et faire place à une « culture de la rencontre » qui nous permette
d’envisager avec confiance la pleine communion. Ce sont les expressions employées par le Pape François lors de l’audience où il a reçu Sa
Sainteté Moran Baselios Marthoma Paulose II, dans la matinée du jeudi 5 septembre 2013.
La venue à Rome du Catholicos avait lieu dans le cadre d’une visite pastorale aux fidèles orthodoxes d’Europe. Outre l’audience avec le
Saint-Père, le Catholicos s’est rendu sur la tombe de l’Apôtre Pierre et a été reçu par le Président du Conseil Pontifical pour la promotion de
l’unité des chrétiens, le Cardinal Kurt Koch.
Nous publions, ci-après, les discours du Catholicos ainsi que celui du Saint-Père.

DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS orthodoxe syro-malankare. J’adresse une pensée parti-


5 septembre 2013 culière aux communautés que vous visitez en Europe.
Il y a trente ans, en juin 1983, le Catholicos Moran
Mar Baselios Marthoma Mathewsier rendit visite à mon
Sainteté, chers frères dans le Christ, vénéré prédécesseur, le Pape Jean-Paul II et à l’Église
C’est pour moi une joie de rencontrer aujourd’hui de Rome. Ils reconnurent ensemble leur foi commune
Votre Sainteté et l’éminente délégation de l’Église or- dans le Christ. Par la suite, ils se rencontrèrent à nou-
thodoxe syro-malankare auprès de la tombe de l’Apôtre veau à Kottayam, dans la cathédrale de Mar Elias, en
Pierre. À travers votre personne, je salue une Église née février 1986, au cours de la visite pastorale du Pape en
du témoignage que l’apôtre Thomas a rendu au Inde. À cette occasion, le Pape Jean-Paul II affirma :
Seigneur Jésus jusqu’au martyre. La fraternité aposto- « Avec vous, je désire que nos Églises puissent trouver
lique qui unissait les premiers disciples dans le service bientôt des moyens efficaces de résoudre les questions
de l’Évangile unit aujourd’hui encore nos Églises, bien pastorales urgentes qui se présentent à nous, et que
que, dans le cours parfois triste de l’histoire, soient ap- nous puissions progresser ensemble dans l’amour fra-
parues des divisions que, grâce à Dieu, nous nous ef- ternel et dans notre dialogue théologique, car c’est à
forçons de surmonter en obéissance à la volonté et au travers ces moyens que peuvent se concrétiser la ré-
désir du Seigneur lui-même (cf. Jn 17, 21). conciliation entre les chrétiens et la réconciliation dans
« Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20, 28) le monde. Je peux vous assurer que l’Église catholique,
s’exclama l’apôtre Thomas à travers l’une des plus avec l’engagement pris lors du Concile Vatican II, est
belles confessions de foi dans le Christ qui aient été prête à participer pleinement à cette entreprise ». Ces
transmises dans les Évangiles, une foi qui proclame la rencontres ont donné lieu à un chemin concret de dia-
divinité du Christ, son autorité sur notre vie, sa victoire logue à travers l’institution d’une Commission mixte,
sur le péché et sur la mort à travers la Résurrection. Un qui a conduit à l’Accord de 1990, le jour de la
événement si réel que saint Thomas est invité à toucher Pentecôte ; une Commission qui poursuit son travail
les signes concrets de Jésus crucifié et ressuscité (cf. précieux et qui nous a conduits à accomplir des pas si-
Jn 20, 27). C’est précisément dans cette foi que nous gnificatifs sur des thèmes tels que l’usage commun
nous rencontrons aujourd’hui ; c’est cette foi qui nous d’édifices de culte et de cimetières, la concession réci-
unit, même si nous ne pouvons pas encore partager la proque de ressources spirituelles et même liturgiques
table eucharistique ; et c’est cette foi qui nous pousse à dans des situations pastorales spécifiques, et sur la né-
continuer d’intensifier l’engagement œcuménique, la cessité d’identifier des formes nouvelles de collabora-
rencontre et le dialogue en vue de la pleine commu- tion face aux défis sociaux et religieux croissants.
nion. Avec une profonde affection, je donne la bienve- J’ai voulu rappeler certaines étapes de ces trente an-
nue à Votre Sainteté et aux membres de votre déléga- nées de rapprochement progressif entre nous, car je
tion, et je vous demande d’apporter mon salut chaleu- pense que sur le chemin œcuménique, il est important
reux aux évêques, au clergé et aux fidèles de l’Église de regarder avec confiance les pas accomplis en sur-
montant les préjugés et les fermetures, qui font partie
7
de la « culture de l’affrontement », qui est une source de La participation des représentants de l’Église
division et en laissant la place à la « culture de la ren- orthodoxe malankare au processus conciliaire de
contre », qui nous éduque à la compréhension réci- l’Église catholique, à partir du Concile Vatican II, a
proque et à œuvrer pour l’unité. Mais seuls, cela est im- été d’une importance fondamentale pour la crois-
possible ; nos faiblesses et nos pauvretés ralentissent sance de la compréhension réciproque. Au Concile
notre chemin. C’est pourquoi il est important Vatican II, le Père K. Philipose (devenu ensuite
d’intensifier la prière, car seul l’Esprit Saint, avec sa le Métropolite Mar Theophilos), le père Paul
grâce, avec sa lumière, avec sa chaleur, peut dissoudre Verghese (devenu ensuite le Métropolite Mar
nos réserves et guider nos pas vers une fraternité tou- Gregorios) et M. CT. Eapen ont été « observa-
jours plus grande : prière et engagement pour faire teurs ». Le Père K. M. George a participé comme
croître les relations d’amitié et de collaboration aux di- « délégué fraternel » au synode du millénaire des
vers niveaux, au sein du clergé, parmi les fidèles, des évêques asiatiques en 1998 et au synode des
diverses Églises nées du témoignage rendu par saint évêques de 2008, au Vatican. En tant que membre
Thomas. Que l’Esprit Saint continue de nous illuminer fondateur du Conseil œcuménique des Églises
et de nous guider vers la réconciliation et l’harmonie, (COE), l’Église orthodoxe malankare a eu de nom-
en surmontant toutes les causes de division et de riva- breuses autres occasions de dialoguer avec l’Église
lité qui ont marqué notre passé. Votre Sainteté, parcou- catholique à travers la Commission foi et constitu-
rons ensemble ce chemin en nous tournant avec con- tion et d’autres commissions du COE.
fiance vers le jour où, avec l’aide de Dieu, nous serons Sainteté,
unis auprès de l’autel du sacrifice du Christ, dans la
plénitude de la communion eucharistique. L’Église orthodoxe malankare, fidèlement enra-
cinée dans la tradition apostolique du saint apôtre
Prions les uns pour les autres, en invoquant la pro- Thomas en Inde, est engagée en vue de la véritable
tection de saint Pierre et de saint Thomas sur tout le unité de nos Églises, comme l’a voulue Jésus Christ
troupeau qui a été confié à notre soin pastoral. notre Seigneur et Sauveur. Dans le contexte plus
Puissent-ils, eux qui ont travaillé ensemble pour ample de l’unité de tous les chrétiens, je nourris un
l’Évangile, intercéder pour nous et accompagner le rêve particulier pour l’unité des chrétiens de la tra-
chemin de nos Églises. dition de saint Thomas. Partout où cela est possible
et opportun, nous sommes disposés à coopérer
ORF, 19.09.2013 avec nos Églises-sœurs pour servir les besoins pas-
toraux des personnes, en particulier les pauvres et
les personnes marginalisées. Certaines des questions
DISCOURS DU CATHOLICOS MORAN BASELIOS pastorales actuelles peuvent être résolues sur la base
MARTHOMA PAULOSE II de la tradition commune qui existait avant la divi-
sion de l’Église en Inde au XVIe siècle .
Sainteté, vénérable frère dans le Christ, En particulier, je reconnais la précieuse contri-
bution du Conseil pontifical pour la promotion de
En louant le Dieu Un et Trine, je désire vous
l’unité des chrétiens en vue de favoriser nos rela-
saluer humblement au nom des évêques, du clergé
tions bilatérales. En organisant des visites réci-
et des fidèles de l’Église orthodoxe syro-malankare
proques, en alimentant le dialogue théologique, en
en Inde. Je rends grâce à Dieu pour l’opportunité de
accordant des bourses d’études aux étudiants de
nous rencontrer en cette première année de votre
théologie et, surtout, en respectant l’identité ortho-
pontificat béni, dans cette ville sanctifiée par le
doxe de notre Église indienne, le Conseil promeut
martyre des saints apôtres Pierre et Paul. Partout,
de façon fructueuse notre recherche d’unité au-
Sainteté, les personnes de bonne volonté se
thentique dans le respect réciproque et dans
réjouissent de vos belles paroles, et de la façon
l’amour chrétien.
dont vous représentez le ministère pastoral du
Christ, notre Bon Pasteur. Bien que les chrétiens représentent une petite
minorité en Inde et en Asie en général, nous avons
Parmi mes illustres prédécesseurs au catholicos-
le devoir important de témoigner de l’Évangile qui
sat indien du siège de l’apôtre Thomas, Sa Sainteté
donne la vie du Christ, en prenant soin des
Baselios Augen Ier a eu le privilège d’accueillir Sa
pauvres et des opprimés, en favorisant la paix, la
Sainteté le Pape Paul VI à Bombay en I964, et Sa
justice et l’harmonie communautaire, en travaillant
Sainteté le Catholicos Marthoma Mathews Ier a
avec les grandes traditions éthiques et spirituelles
rendu visite à Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II à
d’Inde et en apprenant d’elles. Dans tout cela, les
Rome, et l’a accueilli dans la cathédrale orthodoxe
Églises catholique et orthodoxe en Inde peuvent
de Mar Elia à Kottayam en I986. Depuis lors, selon
coopérer de façon fructueuse dans le lien de
les instructions et avec la bénédiction des chefs des
l’amour.
deux Églises, est en cours un dialogue bilatéral
constant entre l’Église catholique romaine et Mon vénérable frère aîné dans le Christ, je
l’Église orthodoxe malankare. m’unis volontiers à vous, Sainteté, dans votre pro-
8
fonde prière pour la paix dans le monde, en parti- puissance de l’Esprit Saint et apporter une espé-
culier en Syrie, au Moyen-Orient et en Asie. Avec rance nouvelle pour l’humanité en général.
une profonde joie et espérance, nous vous invitons Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, Unique et
à visiter l’Inde, et nous offrons nos humbles vrai Dieu, aujourd’hui et pour toujours. Amen.
prières à Dieu notre Père, afin que votre ministère
béni puisse continuer d’inspirer nos Églises dans la
ORF, 19.09.2013

9
XE ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
DU CONSEIL ŒCUMÉNIQUE DES ÉGLISES

Busan (Corée du Sud), 30 octobre – 8 novembre 2013

Le Conseil œcuménique des Églises de Genève (COE) – World Council of Churches (WCC) – a tenu sa dixième Assemblée générale
du 30 octobre au 8 novembre 2013, à Busan, en Corée du Sud, sur le thème : « Dieu de la vie, guide-nous vers la justice et vers la paix ».
L’Assemblée, qui est le plus important organe de gestion du COE, est convoquée tous les sept ans. La réunion de cette année était accueillie
par le Conseil des Églises de Corée, dans le diocèse de Busan. Les participants à l’Assemblée étaient plus de trois mille et comprenaient des
délégués officiels représentant les 345 Églises et Communautés ecclésiales affiliées au COE, des délégations d’Églises non membres et des
envoyés de diverses organisations associées. Bien que l’Église catholique ne soit pas membre du COE, elle entretient une collaboration
multiforme avec cet organisme, en participant à la recherche théologique de la Commission Foi et Constitution sur les principales questions
qui divisent encore les chrétiens dans le domaine de l’ecclésiologie et surtout à travers un Groupe mixte de travail qui coordonne les diverses
activités et initiatives conjointes.
C’est pour cette raison qu’une délégation catholique officielle était présente à Busan, dont les membres participaient en tant
qu’observateurs. Le Cardinal Kurt Koch, Président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, a assisté à la séance
inaugurale de l’Assemblée pour transmettre aux participants le message de vœu du Pape François que nous publions, ci-dessous, dans une
traduction de l’anglais.

MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS À L’ASSEMBLÉE être humain et la promotion efficace des conditions
GÉNÉRALE DU COE culturelles, sociales et juridiques qui permettent aux in-
dividus et aux communautés de croître dans la liberté,
et qui soutiennent la mission de la famille comme
À mon vénérable frère le Cardinal Kurt Koch pierre fondamentale de la société, assurent une éduca-
Président du Conseil pontifical tion solide et intégrale des jeunes et garantissent à tous
pour la promotion de l’unité des chrétiens l’exercice inconditionné de la liberté religieuse. Dans la
À l’occasion de la Xe assemblée générale du Conseil fidélité à l’Évangile, et en réponse aux besoins urgents
œcuménique des Églises, je vous demande de trans- du présent, nous sommes appelés à aller au-devant de
mettre mes salutations cordiales et mes meilleurs vœux ceux qui se trouvent dans les périphéries existentielles
à tous ceux qui sont réunis à Busan, et en particulier au de nos sociétés et à montrer une solidarité particulière
Secrétaire général, M. Olav Fykse Tveit, et aux repré- avec nos frères et sœurs les plus vulnérables : les
sentants des communautés chrétiennes présentes. Je pauvres, les porteurs de handicaps, les enfants à naître
vous assure de mon grand intérêt pastoral pour les dé- et les malades, les migrants et les réfugiés, les personnes
libérations de l’Assemblée et je réaffirme bien volon- âgées et les jeunes privés de travail.
tiers l’engagement de l’Église catholique à poursuivre sa Conscient que la conversion authentique, la sainteté
longue coopération avec le Conseil œcuménique des et la prière continuent d’être l’âme de l’œcuménisme
Églises. (cf. Unitatis redintegratio, 8), je prie afin que l’Assemblée
Le thème de l’Assemblée, « Dieu de la vie, guide- générale puisse contribuer à donner un nouvel élan de
nous vers la justice et vers la paix », est surtout une vitalité et une nouvelle vision à tous ceux qui sont
invocation orante au Dieu Un et Trine, qui attire toute engagés dans la sainte cause de l’unité des chrétiens, en
la création vers son accomplissement au moyen de la fidélité à la volonté du Seigneur pour son Église (cf. Jn
force rédemptrice de la Croix de Jésus Christ et 17, 21) et dans l’ouverture aux suggestions du Saint-
l’effusion des multiples dons de l’Esprit Saint. Là où Esprit. Sur tous ceux qui sont réunis à Busan, j’invoque
l’on protège le don de la vie et prévalent la justice et la les abondantes bénédictions de Dieu tout-puissant,
paix, le Royaume de Dieu est véritablement présent et source de toute joie et de tout don spirituel.
sa puissance souveraine est déjà à l’œuvre. Du Vatican, le 4 octobre 2013, fête de saint
Pour cette raison, je suis certain que la présente As- François d’Assise
semblée aidera à consolider l’engagement de tous les
disciples du Christ en faveur d’une prière et d’une col-
laboration plus intense au service de l’Évangile et du FRANÇOIS
bien intégral de notre famille humaine. L’univers mon-
dialisé dans lequel nous vivons exige de nous un témoi- ORF, 07.11.2013
gnage commun de la dignité donnée par Dieu à tout

10
VISITE D’UNE DÉLÉGATION DU SAINT-SIÈGE
AU PATRIARCAT ŒCUMÉNIQUE
POUR LA FÊTE DE SAINT ANDRÉ

28 novembre – 1er décembre 2013

Dans le cadre de l’échange traditionnel de délégations pour les fêtes respectives des saints patrons – le 29 juin à Rome pour la célébration
des saints Pierre et Paul et le 30 novembre à Istanbul pour la célébration de saint André –, le Cardinal Kurt Koch, Président du Conseil
pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, a guidé cette année encore la délégation du Saint-Siège pour la fête du Patriarcat
œcuménique. Le Cardinal Koch était accompagné par S. Exc. Mgr Brian Farrell et par Mgr Andrea Palmieri, respectivement Secrétaire et
Sous-secrétaire du dicastère. À Istanbul s’est uni à la délégation le Nonce apostolique en Turquie, S. Exc. Mgr Antonio Lucibello.
La délégation du Saint-Siège a pris part à la Divine Liturgie solennelle présidée par Sa Sainteté Bartholomaios Ier dans l’église
patriarcale du Phanar, puis elle a rencontré le Patriarche et a eu des entretiens avec la commission synodale chargée des relations avec l’Église
catholique. Le Cardinal Koch a remis au Patriarche œcuménique un message autographe du Pape François – qui a lui-même célébré, dans la
matinée du samedi 30 novembre à Sainte Marthe, une Messe dédiée à Bartholomaios Ier –, message dont il a donné lecture en conclusion de
la divine liturgie et qui était accompagné d’un don. La délégation a en outre rendu visite au siège de l’École de théologie du Patriarcat
œcuménique à Halchi, fermée par les autorités turques en 1971 et dont on attend l’autorisation de réouverture.

MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS À SA SAINTETÉ Athénagoras, dont nous célébrerons dans peu de temps
BARTHOLOMAIOS IER le cinquantième anniversaire. Dieu, source de toute
paix et amour, nous a enseigné en ces années à nous
considérer les uns les autres comme membres de la
À Sa Sainteté Bartholomaios Ier
même famille. En effet, nous avons un seul Seigneur et
Archevêque de Constantinople, Patriarche œcuménique
un seul Sauveur. Nous lui appartenons à travers le don
de la bonne nouvelle du salut transmise par les apôtres,
« Que Dieu le Père et le Seigneur Jésus Christ à travers l’unique baptême au nom de la sainte Trinité
accordent paix aux frères, ainsi que charité et foi » et à travers le ministère sacré. Unis dans le Christ donc,
(Ep 6, 23). nous faisons déjà l’expérience de la joie de frères au-
thentiques dans le Christ, bien qu’étant pleinement
Après avoir accueilli avec joie la délégation que
conscients de ne pas avoir atteint l’objectif de la pleine
Votre Sainteté a envoyée à Rome pour la solennité des
communion. Dans l’anticipation du jour où nous parti-
saints Pierre et Paul, c’est avec la même joie que je
ciperons enfin ensemble au banquet eucharistique, les
transmets, à travers ce message confié au Cardinal Kurt
chrétiens ont le devoir de se préparer à recevoir ce don
Koch, Président du Conseil pontifical pour la promo-
de Dieu à travers la prière, la conversion intérieure, le
tion de l’unité des chrétiens, ma proximité spirituelle en
renouveau de vie et le dialogue fraternel.
la fête de saint André, frère de Pierre et saint patron du
patriarcat œcuménique. Avec la profonde affection ré- Notre joie à célébrer la fête de l’apôtre André ne
servée aux frères bien-aimés, je présente à Votre Sain- doit pas détourner notre regard de la situation drama-
teté mes meilleurs vœux dans la prière, ainsi qu’aux tique des nombreuses personnes qui souffrent à cause
membres du Saint-synode, au clergé, aux moines et à de la violence et de la guerre, de la faim, de la pauvreté
tous les fidèles et — avec mes frères et mes sœurs ca- et de graves catastrophes naturelles. Je suis conscient
tholiques — je m’unis à votre prière en cette occasion de votre profonde préoccupation pour la situation des
de fête. chrétiens au Moyen-Orient et pour leur droit à demeu-
rer dans leur patrie. Le dialogue, le pardon et la récon-
Sainteté, bien-aimé frère dans le Christ, c’est la
ciliation sont les uniques instruments possibles pour
première fois que je m’adresse à vous à l’occasion de la
obtenir la résolution du conflit. Nous sommes cons-
fête de l’apôtre André, le premier appelé. Je saisis cette
tants dans notre prière à Dieu tout-puissant et miséri-
occasion pour vous assurer de mon intention de pour-
cordieux pour la paix dans cette région, et nous conti-
suivre les relations fraternelles entre l’Église de Rome
nuons d’œuvrer en vue de la réconciliation et de la juste
et le Patriarcat œcuménique. C’est pour moi une source
reconnaissance des droits des personnes !
de grand réconfort de réfléchir sur la profondeur et sur
l’authenticité des liens existant entre nous, fruit d’un Votre Sainteté, la mémoire du martyre de l’apôtre
chemin empli de grâce le long duquel le Seigneur a saint André nous rappelle également les nombreux
guidé nos Églises depuis la rencontre historique à chrétiens de toutes les Églises et Communautés ecclé-
Jérusalem entre le Pape Paul VI et le Patriarche siales qui, dans de nombreuses parties du monde, sont

11
victimes de discriminations et paient parfois de leur Dans cette atmosphère joyeuse et de gratitude,
sang le prix de leur profession de foi. Nous célébrons Éminence, nous ressentons vivement l’amour fraternel
actuellement le 1700e anniversaire de l’Édit de de celui qui vous envoie, Sa Sainteté notre frère bien-
Constantin, qui a mis fin à la persécution religieuse aimé François, Pape de Rome, et nous vous remercions
dans l’Empire romain, tant en Orient qu’en Occident, très chaleureusement d’être venu prendre part avec
et a ouvert de nouvelles voies pour la diffusion de nous tous à ces célébrations.
l’Évangile. Aujourd’hui comme alors, les chrétiens En particulier, nous tenons à vous exprimer notre
d’Orient et d’Occident doivent apporter un témoignage joie et notre plaisir ainsi que notre attente pleine d’es-
commun afin que, renforcés par l’Esprit du Christ res- poir favorable, la nôtre et celle du Patriarcat œcumé-
suscité, ils puissent diffuser le message de salut dans le nique, quant à l’élection et l’installation sur le siège de
monde entier. Il existe en outre un besoin urgent de l’Ancienne Rome de Sa Sainteté le Pape François, suc-
coopération concrète et engagée entre les chrétiens afin cesseur du Pape Benoît XVI, sage et prudent mystique,
de sauvegarder partout le droit d’exprimer publique- grand connaisseur de la théologie et des lettres. Elle
ment leur foi et d’être traités de façon équitable sera une nouvelle source d’inspiration pour le chemi-
lorsqu’ils promeuvent la contribution que le christia- nement commun de nos deux Églises dans le monde
nisme continue d’offrir à la société et à la culture con- afin que nous sachions prendre des initiatives sociales
temporaine. et morales pour réconforter les êtres humains victimes
C’est avec des sentiments de profonde estime et de diverses crises au niveau mondial. Nous avons déjà
d’amitié cordiale dans le Christ que j’invoque eu l’occasion d’exprimer à Sa Sainteté ces espérances et
d’abondantes bénédictions sur Votre Sainteté, et sur ces sentiments qui sont les nôtres, le jour de Son intro-
tous les fidèles du Patriarcat œcuménique, en deman- nisation, en déclarant notre volonté et notre disposition
dant l’intercession de la Vierge Mère de Dieu et des à coopérer dans tous les domaines.
saints apôtres et martyrs Pierre et André. Avec ces La fête des saints Apôtres, dont la Grâce du Dieu
mêmes sentiments, je renouvelle mes meilleurs vœux et Miséricordieux nous a faits les successeurs, constitue
j’échange avec vous un baiser fraternel de paix. par ailleurs une source de consolation face aux dé-
tresses et aux épreuves de la vie, mais aussi l’occasion
Du Vatican, le 25 novembre 2013 d’une réflexion approfondie afin de discerner plus clai-
rement et d’évaluer sereinement tout ce qui concerne la
FRANÇOIS
responsabilité pastorale et ecclésiale nous incombant
dans le devenir mondial de l’Église.
ORF, 05.12.2013 Face à cette responsabilité, nos sentiments
fraternels sont imprégnés de tristesse car nous ne
ALLOCUTION DU PATRIARCHE ŒCUMÉNIQUE partageons pas encore le même Pain ni ne sommes en
BARTHOLOMAIOS IER À LA DÉLÉGATION mesure de boire le Vin de la même coupe, afin de ne
former plus qu’un seul corps, conformément aux
paroles de l’Apôtre (cf. 1 Co 10, 17). Sincèrement, du
Éminence et bien-aimé frère en Christ, Monsieur le point de vue ontologique et existentiel, nous vivons le
Cardinal Kurt Koch, Président du Conseil pontifical chagrin de cette division spirituelle comme la plus
pour la promotion de l’unité des chrétiens, et vous douloureuse des séparations.
tous, autres membres de la délégation de l’Église de
Rome et honorables représentants de Sa Sainteté notre En vue de surmonter les difficultés à cet égard et de
frère François, Pape de Rome. parvenir à l’unité désirée de tous en Christ, d’une part,
nous prions Dieu du fond du cœur, et de l’autre nous
Voici cette année encore la grande fête du saint menons dans une franchise réciproque un dialogue
apôtre André le premier-appelé, frère de l’apôtre Pierre, d’amour et de vérité, à savoir le Dialogue théologique
que depuis des décennies nous célébrons ensemble dans lequel nous sommes engagés. À ce sujet, nous
grâce à la participation de délégués de Rome bien-ai- considérons d’une importance décisive à maints égards
més. En célébrant aujourd’hui la mémoire de notre la nouvelle période de dialogue que nous venons d’en-
saint patron, nous exprimons notre joie dans l’action de tamer. Nous sommes appelés à mettre celle-ci à profit
grâce au Seigneur car c’est à travers les prières et l’inter- dans la charité et « en obéissant à la vérité, pour prati-
cession de saint André que la Grande Église de quer un amour fraternel sans hypocrisie » (1 P l, 22).
Constantinople a grandi et s’est fortifiée, fut persécutée C’est pourquoi, nous estimons absolument nécessaire
et survécut, et demeure à ce jour un témoin vivant de la d’éviter toute action ou décision susceptible d’être per-
vérité. Le petit levain que constituaient les quelques çue comme une embûche. En revanche, nous considé-
croyants des premiers temps, par l’énergie incréée du rons utile d’avoir des activités parallèles à divers ni-
Saint-Esprit, transforma une multitude de peuples et de veaux, susceptibles de soutenir le Dialogue théologique
cultures, faisant croître, tant en nombre qu’en profon- et la mission sociale, au sens large, de l’Église.
deur, au nord comme au sud, en Orient et en Occident,
la pâte du témoignage, de la vérité et de la tradition de Sa Sainteté notre frère le Pape François et mon
l’Église. humble personne avons déjà eu le loisir d’échanger nos
12
points de vue et idées sur ces questions, lors de notre lique et apostolique. Ils essayèrent de maintenir l’indé-
rencontre à Rome. De fait, comme première étape de pendance des groupes auxquels ils appartenaient
sensibilisation vers le monde, pour attester de notre moyennant des arguments variés. Ainsi, sur la base des
volonté d’intensifier nos efforts en vue d’une réconci- nombreuses thèses accumulées, ils tentèrent de justifier
liation chrétienne et pacifique, nous avons l’intention la perpétuation de la division, malgré la volonté du
de nous rencontrer à Jérusalem afin de prouver notre Seigneur « que soient un » tous ceux qui croient en Lui.
volonté commune d’avancer sur la route tracée par nos Dans un lointain passé, les discussions entre les déléga-
prédécesseurs. Cette initiative aura lieu l’année pro- tions des divers groupes chrétiens qui se considéraient
chaine et marquera également le cinquantième anniver- comme de véritables Églises possédant la vérité du
saire de la rencontre sur le même sol que le Seigneur Christ, étaient, pourrait-on dire, des monologues dans
foula de ses pieds durant sa vie sur terre, de deux lesquels chaque partie exposait ses propres thèses et
grands hommes d’Église, le Patriarche Athénagoras et son argumentation les concernant. Aujourd’hui, les po-
le Pape Paul VI. Ainsi faisant, ils ont ouvert dans l’his- sitions de chaque groupe sont clarifiées, mais les avis
toire une nouvelle voie à laquelle nous nous devons de sur la pertinence de celles-ci ne coïncident pas et, de ce
rendre hommage en esprit et en vérité et dont la suite fait, la division perdure. Nous avons par conséquent le
dépendra de la volonté du Seigneur. devoir de poursuivre le dialogue et d’approfondir notre
Par ailleurs, en tant que chefs spirituels de nos recherche jusqu’à ce que nous soyons en mesure d’éta-
Églises, nous nous rencontrerons pour appeler et invi- blir avec clarté quel fut l’enseignement du Seigneur et
ter au dialogue tous les êtres humains, indépendam- de ses Apôtres, tel que la théologie patristique de
ment de leur foi et de leurs vertus, un dialogue qui n’a, l’Église indivise l’a vécu et en a témoigné.
en définitive, d’autre but que de faire connaître la vérité Le dialogue s’est révélé le seul moyen d’échange ap-
qui est en Christ et la joie immense qui attend qui- proprié et sûr. C’est la conviction que Sa Sainteté le
conque va à sa découverte. Ceci ne peut être obtenu Pape et nous-même aurons pour devoir d’affirmer lors
qu’en substituant à la division des cœurs l’unité de tous de notre prochaine rencontre en Terre Sainte, en invi-
dans le Christ qui est plénitude d’amour et de joie. tant chacun au dialogue que Dieu lui-même a choisi et
Notre Père céleste pourvoit aux besoins de tous les continue d’utiliser pour transmettre aux humains sa vé-
hommes. C’est ce que nous a assuré notre Seigneur rité.
Jésus Christ et en tant que chrétiens, nous avons foi en Éminence, Monsieur le Cardinal Kurt Koch,
cette annonce. Nous en concluons que la crise actuelle Notre effort pour développer le dialogue, comme il
est le résultat de l’éloignement des êtres humains de la ressort de ce qui précède, a pour but ultime de con-
foi en Dieu et du respect des commandements divins. naître l’amour du Christ et de Sa personne. Il passe ce-
Dès lors, il est absolument urgent d’engager toutes pendant par des étapes intermédiaires, celles qui con-
nos forces pour attirer l’attention des sociétés sur la né- sistent à connaître et à aimer nos semblables, à trouver
cessité, pour faire face à cette crise, d’introduire une des points communs pouvant permettre le contact et la
dimension morale dans nos relations, conformément communication avec eux, comme en témoigne l’Apôtre
aux impératifs de l’Évangile. Un des principes moraux qui s’est fait tout à tous pour en sauver sûrement
les plus importants dans l’Évangile est d’éviter la cupi- quelques-uns. (Cf. 1 Co 9, 22-23.)
dité « qui est une idolâtrie » (Col 3,6). La cupidité, c’est- En pensant et en réfléchissant de la sorte, nous
à-dire le désir de possession immodéré, lorsqu’elle se trouvons conseil auprès de saint Jean Climaque, qui
manifeste de surcroît dans un mépris constant des li- nous exhorte à ne jamais abandonner le dialogue avec
mites éthiques, devient la cause et l’origine des crises tous ceux qui, de bonne foi, nous demandent de parler
sociales, telle celle à laquelle nous sommes aujourd’hui de l’espérance qui est en nous (discours 26, 2, 21). De
confrontés. Quoi qu’il en soit, notre Seigneur Jésus fait, nous avons pour modèles le saint apôtre André
Christ, par la célèbre parabole de l’homme riche, nous que nous fêtons aujourd’hui, Pierre le Premier
rappelle ce que l’hymnographe exprime avec poésie : coryphée et tous les saints apôtres car ils osèrent entrer
« La richesse ne demeure pas éternellement, la gloire de en dialogue avec les idolâtres et tous ceux qui pensaient
ce monde nous abandonne tôt ou tard. Car lorsque autrement, et allèrent jusqu’au sacrifice de leur vie pour
survient la mort, tout cela disparaît ». avoir la possibilité de leur faire connaître le Christ.
Aussi, au-delà de l’aspect purement théologique, le Nous déclarons encore une fois en ce moment
dialogue et les échanges sont nécessaires pour trouver solennel que le Patriarcat œcuménique souhaite pour-
et établir des règles plus efficaces pour une vie saine et suivre le dialogue avec tous, qu’ils soient orthodoxes ou
utile pour tous. En particulier, il est opportun de si- non-orthodoxes, chrétiens ou non-chrétiens, afin de
gnaler la nécessité d’engager des dialogues pour amélio- mieux nous connaître tout d’abord, de développer des
rer les relations entre chrétiens. Car durant les siècles relations pacifiques et de parvenir à la coexistence paci-
passés, incités par le diable qui est envieux, les chrétiens fique entre tous les êtres humains.
se divisèrent et certains d’entre eux formèrent des
groupes qu’ils appelèrent Églises, mettant à mal la foi Quant au Dialogue théologique avec la vénérable et
que nous proclamons dans le credo de Nicée- bien-aimée Église de l’Ancienne Rome, nous souhai-
Constantinople en l’Église du Christ une, sainte, catho- tons qu’il se poursuive et nous nous employons du
13
mieux que nous pouvons en ce sens, en cherchant à ré- ses responsabilités lors de notre prochaine rencontre,
duire les obstacles qui naissent de part et d’autre, par- pour continuer d’aller de l’avant, en faisant de toutes les
fois même de manière exogène, grâce aussi à l’inter- nations des disciples, en leur apprenant à garder tout ce
vention de son nouveau Primat, notre vénérable et que le Seigneur leur a prescrit (cf. Mt 28, 19-20).
bien-aimé frère le Pape François, qui est certainement En conclusion, nous remercions encore une fois
désireux de cultiver de bonnes relations avec nous et de cordialement notre frère le Pape François de Rome de
promouvoir la coopération et, le temps venu, l’unité de participer par l’intermédiaire de cette honorable déléga-
nos Églises. Nous attendons avec joie et serons hono- tion à la joie de notre fête patronale. Nous lui adres-
rés qu’il nous rende visite ici, lorsque ses fonctions le sons notre fraternel baiser de paix et l’invitons à la
lui permettront, par exemple et comme nous l’espérons coopération afin d’aider l’humanité à sortir de ses im-
pour notre fête patronale l’année prochaine. passes et de protéger les chrétiens de la division en de
Nous sommes particulièrement heureux que la ren- nombreux groupes, afin que le monde croie que Jésus
contre historique de nos deux prédécesseurs, il y a cin- Christ est l’envoyé de Dieu pour le salut des hommes
quante ans, ait apporté un changement de climat dans (Cf. Jn 17, 21-26). Amen.
les relations entre nos deux Églises, et ait permis de
rétablir la paix et d’entreprendre notre pèlerinage
commun dans le dialogue de la charité et de la vérité.
Pour finir, notre Patriarcat œcuménique entend réaf- Traduction de l’anglais Patriarcat œcuménique, révision SI
firmer sa détermination à respecter ses obligations et

14
NOUVELLES ŒCUMÉNIQUES

DIALOGUE INTERNATIONAL PENTECÔTISTE- ment concélébrant principal. Après la messe domini-


CATHOLIQUE cale, les membres du dialogue ont rencontré
Baltimore (MD, États-Unis), 13-19 juillet 2013 l’Archevêque Lori et ont visité la cathédrale, lieu spiri-
tuel d’une beauté impressionnante, que le Pape Jean-
La troisième session de la Sixième Phase du Dia- Paul II considérait comme un « symbole mondial de la
logue international entre les pentecôtistes et l’Église liberté religieuse ».
catholique s’est déroulée à Baltimore (MD, États-Unis)
du 13 au 19 juillet 2013. Ce dialogue a lieu entre le Le Rév. Robeck a remarqué que « la guérison est un
Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des sujet sur lequel catholiques et pentecôtistes ont beau-
chrétiens et quelques Églises et responsables pentecô- coup en commun. Alors que nombreux sont ceux qui
tistes classiques. La phase actuelle de dialogue a pour considèrent le ministère de guérison de notre Seigneur
thème : « Les charismes dans l’Église : signification spi- Jésus Christ avec scepticisme ou le rejettent totalement,
rituelle, discernement et implications pastorales ». Au catholiques et pentecôtistes croient que Dieu continue
cours des deux sessions précédentes, les participants à guérir et à réaliser des miracles. Par conséquent, ca-
ont abordé les thèmes suivants : « Charismes : un ter- tholiques et pentecôtistes affirment que « Jésus Christ
rain commun » (2011) et « Discernement » (2012). La est le même, hier et aujourd’hui et qu’il le sera pour
rencontre de cette année 2013 a porté sur le thème de l’éternité » (cf. He 13, 8). Forts de ces bases communes,
la « Guérison ». nous sommes optimistes et pensons que nous réalise-
rons un document qui sera utile à nos communautés ».
Commencé en 1972, ce dialogue ne vise pas à éta-
blir une unité structurelle. Son but est plutôt de pro- Selon l’Évêque Burbidge, « la rencontre de cette an-
mouvoir le respect mutuel et la compréhension dans les née a été une merveilleuse occasion pour les membres
domaines de la foi et de la pratique. Un échange sincère de l’équipe catholique et pentecôtiste de renouveler leur
et un dialogue franc sur les positions et pratiques de foi commune en la puissance de guérison de Jésus, Lui
nos deux traditions : ce sont les principes qui ont guidé qui continue à nous montrer Son amour et à faire des
nos conversations, qui chaque jour étaient ponctuées miracles parmi nous. La discussion nous a permis de
par une prière commune conduite tour à tour par les mieux comprendre comment le charisme de la guérison
catholiques et les pentecôtistes. est compris, exprimé et célébré dans nos Églises et
communautés spirituelles. Nous avons constaté que
Le Coprésident pentecôtiste du dialogue est le Rév. notre compréhension théologique du charisme de la
Cecil M. Robeck (Fuller Theological Seminary, Pasadena, guérison nécessite une étude ultérieure. De plus, nous
CA, États-Unis – Assemblées de Dieu). Du côté catho- avons estimé qu’une étude et une discussion plus ap-
lique, la Coprésidence est assurée par l’Évêque du Dio- profondies seront bénéfiques au contexte des
cèse de Raleigh, Mgr Michael F. Burbidge (NC, États- ministères de guérison dans nos Églises et
Unis). Communautés de foi et à la vigilance qu’ils requièrent.
Lors de cette troisième session, le Rév. Opoku Le dialogue a tiré un profit considérable des
Onyinah, Président de l’Église de la Pentecôte (Ghana) compétences et de la pondération des participants. Nos
a présenté un texte intitulé « Guérison : un point de vue conversations se sont déroulées dans le plus grand
pentecôtiste » tandis que le Dr Mary Healy, professeur respect, toujours enracinées dans la prière afin que le
associée au Sacred Heart Major Seminary (Detroit, MI, Seigneur conduise à son plein accomplissement la tâche
États-Unis) a présenté une étude offrant un « Point de que nous avons entreprise en Son nom ».
vue catholique sur la guérison ». L’agenda de ce dia- Les membres du groupe pentecôtiste classique
logue prévoit que la rencontre de 2014 sera consacrée à étaient les suivants : Rév. Cecil M. Robeck, Fuller Theo-
la « Prophétie » et celle de 2015 à la rédaction du rap- logical Seminary (Pasadena, CA, États-Unis – Assemblées
port final. de Dieu), Coprésident ; Rév. David Cole, chargé de liai-
Les membres du dialogue ont été heureux de se son avec les autres Communautés chrétiennes, Églises
réunir à l’Archidiocèse de Baltimore qui, en 1789, fut le pentecôtistes/charismatiques d’Amérique du Nord,
premier diocèse catholique constitué aux États-Unis. Vice-président pour le développement des étudiants et
En la Cathédrale Basilique du Sanctuaire national de la pastorale, Briercrest College and Seminary (Canada-Open
l’Assomption de la Sainte Vierge Marie, les participants Bible Churches), Cosecrétaire ; Rév. S. David Moore,
ont pris part à une messe concélébré par l’Archevêque Incoming M. G. « Pat » Robertson Professor, The King’s
de Baltimore, Mgr William E. Lori (célébrant principal), University (Van Nuys, CA, États-Unis-International
Mgr Michael F. Burbidge (concélébrant principal don- Church of the Foursquare Gospel) ; Rév. Opoku Onyinah,
nant l’homélie), Mgr Denis Madden, Évêque auxiliaire Président de l’Église de la Pentecôte (Ghana). M. Jelle
de Baltimore et Président du Comité pour les affaires Creemers, Th. M. de la Faculté de théologie protestante
œcuméniques et interreligieuses de la Conférence des de Louvain (Belgique), a assisté à la réunion en tant
évêques catholiques des États-Unis (USCCB), égale- qu’observateur.
15
Les membres du groupe catholique étaient les sui- au Séminaire du Saint-Esprit (Hong Kong, Chine) ;
vants : Mgr Michael F. Burbidge, Évêque de Raleigh, Rév. Marcial Maçaneiro, SCJ, professeur à l’Université
(NC, États-Unis), Coprésident ; Mgr Juan Usma pontificale de São Paulo et à la Faculté Dehonienne
Gómez, Chef de la Section occidentale du Conseil (Brésil) ; Dr Teresa Francesca Rossi, directeur associé
pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens du Centro Pro Unione et professeur à l’Université pontifi-
(Cité du Vatican/Colombie), Cosecrétaire ; Dr Mary cale Saint-Thomas-d’Aquin (Rome, Italie).
Healy, professeur associé au Grand Séminaire du Sacré
Cœur de Detroit (MI, États-Unis) ; Rév. Lawrence
Iwuamadi, professeur catholique à l’Institut œcumé- Traduction de l’anglais SI
nique de Bossey (Suisse/Nigéria) ; Sr Maria Ko, FMA.,
professeur à la Faculté pontificale Auxilium (Rome) et

16
COMMISSION POUR LES RELATIONS RELIGIEUSES
AVEC LE JUDAÏSME

DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS À LA DÉLÉGATION DE peu juives. Un chrétien ne peut pas être antisémite !
LA COMMUNAUTÉ JUIVE DE ROME Que l’antisémitisme soit banni du cœur et de la vie de
Salle des Papes, 11 octobre 2013 chaque homme et de chaque femme !
Cet anniversaire nous permettra aussi de rappeler
qu’à l’heure des ténèbres la communauté chrétienne de
Chers amis de la communauté juive de Rome,
cette ville a su tendre la main à son frère en difficulté.
Shalom ! Je suis heureux de vous accueillir et d’avoir Nous savons que de nombreux instituts religieux, mo-
ainsi la possibilité d’approfondir et d’élargir la première nastères et les basiliques papales elles-mêmes, inter-
rencontre que j’ai eue avec plusieurs de vos représen- prétant la volonté du Pape, ont ouvert leurs portes
tants le 20 mars dernier. Je vous salue tous avec affec- pour un accueil fraternel, et que nombre de simples
tion, en particulier le Grand Rabbin, M. Riccardo Di chrétiens ont offert l’aide qu’ils pouvaient donner,
Segni, que je remercie des paroles qu’il m’a adressées, qu’elle soit petite ou grande.
de même que je lui suis reconnaissant d’avoir rappelé le
En grande majorité, ils n’étaient certainement pas au
courage de notre père Abraham quand il luttait avec le
courant de la nécessité de mettre à jour la compréhen-
Seigneur pour sauver Sodome et Gomorrhe : « Et s’ils
sion chrétienne du judaïsme et peut-être connaissaient-
étaient trente, et s’ils étaient vingt-cinq et s’ils étaient
ils même bien peu la vie de la communauté juive. Ils
vingt... ». C’est vraiment une prière courageuse devant
eurent cependant le courage de faire ce qui à ce mo-
le Seigneur. Merci. Je salue aussi le Président de la
ment-là était juste : protéger leur frère qui était en dan-
communauté juive de Rome, M. Riccardo Pacifici, et le
ger. J’aime à souligner cet aspect, car s’il est vrai qu’il
Président de l’Union des communautés juives
est important d’approfondir, des deux côtés, la ré-
italiennes, M. Renzo Gattegna.
flexion théologique à travers le dialogue, il est égale-
En tant qu’Évêque de Rome, je me sens particuliè- ment vrai qu’il existe un dialogue vital, celui de
rement proche de la vie de la communauté juive de l’expérience quotidienne, qui n’est pas moins fonda-
l’Urbs : je sais que celle-ci, avec plus de deux mille ans mental. Au contraire, sans celui-ci, sans une véritable
de présence ininterrompue, peut se vanter d’être la plus culture concrète de la rencontre, qui conduit à des rela-
ancienne de l’Europe occidentale. Depuis de nombreux tions authentiques, sans préjugés ni soupçons,
siècles, la communauté juive et l’Église de Rome coha- l’engagement dans le domaine intellectuel servirait bien
bitent donc dans notre ville, avec une histoire — nous peu. Ici aussi, comme j’aime souvent le souligner, le
le savons bien — qui a souvent été traversée par des Peuple de Dieu a du flair et a l’intuition du sentier que
incompréhensions et aussi par d’authentiques injus- Dieu lui demande de parcourir. Dans le cas présent, le
tices. Mais c’est une histoire qui, avec l’aide de Dieu, sentier de l’amitié, de la proximité, de la fraternité.
connaît désormais depuis de nombreuses décennies le
J’espère contribuer ici à Rome, en tant qu’Évêque, à
développement de relations amicales et fraternelles.
cette proximité et à cette amitié, comme j’ai eu la grâce
À ce changement de mentalité a certainement con- — car cela a été une grâce — de le faire avec la com-
tribué, pour la partie catholique, la réflexion du Concile munauté juive de Buenos Aires. Parmi les nombreuses
Vatican II, mais un apport tout aussi important est choses qui peuvent nous rassembler, il y a le témoi-
venu de la vie et de l’action, des deux côtés, d’hommes gnage à la vérité des dix paroles ; au Décalogue, comme
sages et généreux, capables de reconnaître l’appel du fondement solide et source de vie également pour
Seigneur et de s’acheminer avec courage sur de nou- notre société, si désorientée par un pluralisme extrême
veaux sentiers de rencontre et de dialogue. des choix et des orientations, et marquée par un relati-
Paradoxalement, la tragédie commune de la guerre visme qui conduit à ne plus avoir de point de référence
nous a enseigné à marcher ensemble. Nous rappelle- solides et sûrs (cf. Benoît XVI, Discours à la syna-
rons dans quelques jours le 70e anniversaire de la dé- gogue de Rome, 17 janvier 2010 ; 5-6).
portation des juifs de Rome. Nous commémorerons et Chers amis, je vous remercie de votre visite et
nous prierons pour les nombreuses victimes innocentes j’invoque avec vous la protection et la bénédiction du
de la barbarie humaine, pour leurs familles. Ce sera Très-Haut pour notre chemin commun d’amitié et de
aussi l’occasion de garder notre attention toujours en confiance. Puisse-t-Il, dans sa bienveillance, accorder sa
éveil afin que ne reprennent pas vie, sous aucun pré- paix à nos jours. Merci.
texte, des formes d’intolérance et d’antisémitisme, à
Rome et dans le reste du monde. Je l’ai dit d’autres fois
et j’ai plaisir à le répéter à présent : c’est une contradic-
tion qu’un chrétien soit antisémite. Ses racines sont un
ORF, 24.10.2013
17
MESSAGE DU SAINT-PÈRE DÉCLARATION CONJOINTE DU COMITÉ DE LIAISON
POUR LE 70E ANNIVERSAIRE DE LA DÉPORTATION CATHOLIQUE-JUIF INTERNATIONAL LORS DE SA 22E
DES JUIFS DE ROME, LE 16 OCTOBRE 1943 RÉUNION
Madrid, 13-16 octobre 2013
llustre Grand rabbin, éminents membres de la com-
munauté juive de Rome,
Le Comité de liaison catholique-juif international
Je désire m’unir, à travers la proximité spirituelle et (ILC) est l’instance officielle au sein de laquelle se dé-
la prière, à la commémoration du soixante-dixième an- roule le dialogue entre la Commission du Saint-Siège
niversaire de la déportation des juifs de Rome. Alors pour les relations religieuses avec le Judaïsme et le Co-
que je reviens par la mémoire à ces heures tragiques mité juif international pour les consultations interreli-
d’octobre 1943, il est de notre devoir de garder présent gieuses (IJCIC). La 22e rencontre de l’ILC s’est tenue à
devant nos yeux le destin de ces déportés, de percevoir Madrid (Espagne) du 13 au 16 octobre 2013. Les parti-
leur peur, leur douleur, leur désespoir, pour ne pas les cipants, qui provenaient des cinq continents, ont été
oublier, pour les garder vivants, dans notre souvenir et accueillis par la Conférence épiscopale espagnole et la
dans notre prière, avec leurs proches, leurs parents et Fédération des communautés juives d’Espagne. Mme
leurs amis, qui en ont pleuré la perte et ont été horrifiés Betty Ehrenber, Présidente de l’IJCIC, et le Cardinal
face à la barbarie à laquelle peut parvenir l’être humain. Kurt Koch, Président de la Commission du Saint-Siège
Mais faire mémoire d’un événement ne signifie pas pour les relations religieuses avec le Judaïsme, assu-
simplement en avoir un souvenir ; cela signifie aussi et raient la coprésidence de la réunion.
surtout nous efforcer de comprendre quel est le mes-
La rencontre avait pour thème : « Les défis de la foi
sage que celui-ci représente aujourd’hui, de manière à
dans la société contemporaine ». Ces questions ont été
ce que la mémoire du passé puisse enseigner au présent
abordées au cours d’une série d’exposés, de débats et
à devenir la lumière qui éclaire la route de l’avenir. Le
d’ateliers portant sur les circonstances sociales, poli-
bienheureux Jean-Paul II écrivait que la mémoire est
tiques, culturelles, éthiques et religieuses dans lesquelles
appelée à jouer un rôle nécessaire « dans l’édification
hommes et femmes cherchent aujourd’hui à exprimer
d’un avenir où jamais plus l’indicible injustice de la
leurs convictions religieuses et à suivre les enseigne-
Shoah ne sera possible » (Lettre d’introduction au do-
ments de leurs traditions.
cument : Commission pour les relations religieuses avec
le judaïsme, Nous nous souvenons. Une réflexion sur la Shoah,
16 mars 1998) et Benoît XVI, dans le camp de con-
Un héritage commun
centration d’Auschwitz, affirmait que « le passé n’est
jamais seulement le passé. Il nous concerne et nous in- Juifs et chrétiens sont les héritiers du récit biblique
dique les voies à ne pas prendre et celles à prendre » qui décrit à travers les âges la relation entre Dieu et la
(Discours, 28 mai 2006). famille humaine. Ces Écritures que nous avons en
commun rendent témoignage de tous ceux qui, à la fois
La commémoration d’aujourd’hui pourrait donc
individuellement et en tant que peuple, furent appelés,
être définie comme une memoria futuri, un appel aux
instruits, guidés et protégés par la Divine Providence.
nouvelles générations à ne pas aplatir leur existence, à
C’est donc toujours à la lumière des Saintes Écritures
ne pas se laisser entraîner par des idéologies, à ne ja-
que les participants catholiques et juifs ont exprimé
mais justifier le mal que nous rencontrons, à ne pas
leurs réactions face aux opportunités et difficultés qui
baisser la garde contre l’antisémitisme et contre le ra-
cisme, quelle que soit leur provenance. Je souhaite qu’à apparaissent dans le monde d’aujourd’hui en ce qui
concerne la foi et la pratique religieuse.
partir d’initiatives comme celles-ci puissent se tisser et
se nourrir des réseaux d’amitié et de fraternité entre Il y a près de cinquante ans, le Concile Vatican II
juifs et catholiques dans notre bien-aimée ville de promulguait la Déclaration Nostra Aetate, inaugurant
Rome. ainsi une nouvelle ère dans les relations entre l’Église
Le Seigneur dit par la bouche du prophète Jérémie : catholique et le Judaïsme. La création d’un outil, l’ILC,
« Car je sais, moi, les desseins que je forme pour vous visant à fournir un cadre aux relations officielles entre
— oracle du Seigneur — desseins de paix et non de le Saint-Siège et la Communauté juive internationale,
malheur, pour vous donner un avenir et une espérance» est l’un des plus importants accomplissements de
(Jr 29, 11). Que le souvenir des tragédies du passé de- Nostra Aetate. Les débats qui se sont déroulés à Madrid
vienne pour tous un engagement à adhérer de toutes dans une atmosphère de confiance et de respect réci-
nos forces à l’avenir que Dieu veut préparer et cons- proques prolongent les progrès accomplis dans
truire pour nous et avec nous. l’enseignement et la mise en œuvre des principes énon-
cés dans cette mémorable Déclaration. Cette 22e ren-
Shalom ! contre est pour nous l’occasion de réaffirmer la relation
unique existant entre catholiques et juifs, basée sur
Du Vatican, 11 octobre 2013 l’héritage spirituel que nous partageons, et notre res-
FRANÇOIS ponsabilité commune dans la défense de la dignité hu-
ORF, 24.10.2013 maine.
18
En tant que catholiques et juifs, nous nous effor- Persécution des chrétiens
çons de construire un monde où les droits de l’homme L’ILC recommande que la Commission du Saint-
soient reconnus et respectés et où tous les peuples et Siège pour les relations religieuses avec le Judaïsme et
toutes les nations puissent s’épanouir en paix libre- l’IJCIC travaillent ensemble sur tous les cas de persé-
ment. Nous nous engageons à renforcer notre collabo- cutions de minorités chrétiennes, dès qu’ils
ration pour une distribution toujours plus juste et apparaissent et où que ce soit. De même, elle les invite
équitable des ressources, afin que tous puissent bénéfi- à attirer l’attention sur ces problèmes et à soutenir les
cier des progrès de la science, de la médecine, de efforts réalisés en vue de garantir, au Moyen-Orient
l’éducation et du développement économique. Nous mais aussi dans tous les autres pays, la pleine citoyen-
nous considérons comme des partenaires dans la sau- neté à toutes les personnes, quelles que soient leur
vegarde de la création pour qu’elle soit le reflet toujours identité religieuse et leur ethnie. Par ailleurs, nous en-
plus vif de la vision biblique des origines : « Dieu vit courageons tous les efforts accomplis dans le but de
tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon » (Gn 1, promouvoir le bien-être des minorités chrétiennes et
31). juives au Moyen-Orient.
La discussion en groupes restreints a permis aux
délégués de réfléchir à la montée actuelle de Montée de l’antisémitisme
l’antisémitisme, au phénomène croissant de la persécu- Comme le Pape François l’a affirmé à plusieurs re-
tion des chrétiens dans diverses parties du monde et prises, « un chrétien ne peut être antisémite ». Nous en-
aux menaces qui pèsent sur la liberté religieuse dans de courageons tous les responsables religieux à continuer
nombreux pays. Guidés par nos idéaux religieux com- de s’élever avec force contre ce péché. La célébration
muns, nous nous sommes penchés sur les réelles diffi- du 50e anniversaire de Nostra Aetate en 2015 sera un
cultés que doivent affronter de nos jours nos traditions moment privilégié pour réaffirmer sa condamnation de
religieuses, à savoir la violence, le terrorisme, les extré- l’antisémitisme. Nous insistons pour que soit éliminée,
mismes, les discriminations et la pauvreté. Nous partout dans le monde, toute expression antisémite se
sommes profondément attristés de voir le nom de Dieu trouvant dans les livres de prière et les texte de réfé-
profané par le mal sous le couvert de la religion. rence. Pareillement, toute expression de sentiments an-
tichrétiens est inacceptable.
Liberté religieuse
Éducation
Encouragés dans notre tâche par le souci du Pape
François quant au bien-être de tous dans le monde, en Nous recommandons que toutes les écoles reli-
particulier les pauvres et les opprimés, nous croyons à gieuses juives et les séminaires catholiques incluent
la dignité que Dieu donne à chaque être humain. Cela dans leur programme d’études Nostra Aetate et les do-
signifie que chaque personne a droit à la liberté de cuments du Saint-Siège qui l’ont suivie et ont pour ob-
conscience et à la liberté religieuse, que ce soit de ma- jectif la mise en application de la Déclaration conci-
nière individuelle ou institutionnelle, dans la vie privée liaire. Face à l’émergence d’une nouvelle génération de
ou publiquement. Nous déplorons les abus perpétrés responsables juifs et catholiques, nous tenons à souli-
dans le domaine de la religion, l’usage qui en est fait à gner combien Nostra Aetate a profondément modifié les
des fins politiques. Juifs et catholiques condamnent la relations entre juifs et catholiques. Cette nouvelle géné-
persécution pour des raisons religieuses. ration doit impérativement faire siens ces enseigne-
ments et s’assurer qu’ils soient diffusés aux quatre coins
Nous appelons les responsables politiques et les du monde.
gouvernements, les personnes, les responsables et or-
ganisations religieux à agir de manière à assurer la sécu- Face à ces défis, nous, catholiques et juifs, nous re-
rité physique et la protection juridique de tous ceux qui nouvelons notre engagement à éduquer nos commu-
exercent le droit fondamental de la liberté religieuse ; à nautés respectives dans la connaissance et le respect ré-
faire en sorte que soit respecté le droit d’abandonner sa ciproques. Nous nous engageons à coopérer pour amé-
propre religion ou d’en changer ; à protéger le droit liorer l’existence de ceux qui vivent en marge de la so-
d’exprimer ses propres convictions religieuses ; à élever ciété – les pauvres, les malades, les réfugiés, les victimes
ses enfants dans le respect de sa foi personnelle. Parmi de la traite d’êtres humains – et à protéger la divine
les revendications religieuses aujourd’hui prises pour création des dangers qu’entraînent les changements
cible et faisant partie des droits à protéger, figurent climatiques. Nous ne pouvons agir seuls. Nous appe-
l’abattage des animaux, la circoncision des hommes et lons toutes les autorités et réseaux d’influence à se ras-
l’usage et l’exposition en public de symboles religieux. sembler pour se mettre au service du bien commun,
afin que tous puissent vivre dans la dignité et la sécu-
rité, et pour la victoire de la justice et de la paix.

Traduction de l’anglais SI

19
DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS À UNE DÉLÉGATION avec une douleur particulière aux souffrances, à la mar-
DU CENTRE SIMON WIESENTHAL ginalisation et aux authentiques persécutions que de
Salle Clémentine, 24 octobre 2013 nombreux chrétiens subissent dans différents pays du
monde. Unissons nos forces pour favoriser une culture
de la rencontre, du respect, de la compréhension et du
Chers amis, pardon réciproques.
Je souhaite la bienvenue à la délégation du Simon Pour la construction d’une telle culture, je voudrais
Wiesenthal Center, organisation internationale juive souligner en particulier l’importance de la formation :
pour la défense des droits humains. Je sais que ce ren- une formation qui ne soit pas seulement une transmis-
dez-vous avait déjà été fixé depuis longtemps, par mon sion de connaissances, mais le passage d’un témoignage
bien-aimé prédécesseur Benoît XVI, à qui vous aviez vécu, qui suppose l’établissement d’une communion de
demandé de pouvoir rendre visite et à qui va toujours vie, d’une « alliance » avec les jeunes générations, tou-
notre pensée affectueuse et notre prière. jours ouverte à la vérité. Nous devons en effet savoir
Ces rencontres sont de votre part un signe de res- transmettre à celles-ci non seulement des connaissances
pect et d’estime pour les Évêques de Rome, dont je sur l’histoire du dialogue judéo-catholique, sur les diffi-
suis reconnaissant et auquel correspond la considéra- cultés traversées et sur les progrès accomplis dans les
tion du Pape pour l’œuvre à laquelle vous vous consa- dernières décennies : nous devons surtout être en me-
crez : combattre toute forme de racisme, d’intolérance sure de transmettre la passion pour la rencontre et la
et d’antisémitisme, en préservant la mémoire de la connaissance de l’autre, en promouvant une participa-
Shoah et en promouvant la compréhension réciproque tion active et responsable de nos jeunes. En cela,
à travers la formation et l’engagement social. l’engagement partagé au service de la société et des plus
faibles revêt une grande importance. Je vous encourage
J’ai eu l’occasion de répéter à plusieurs reprises, ces
à continuer de transmettre aux jeunes la valeur de
dernières semaines, que l’Église condamne toute forme
l’effort commun pour rejeter les murs et construire des
d’antisémitisme. Aujourd’hui, je voudrais souligner
ponts entre nos cultures et traditions de foi. Allons de
combien le problème de l’intolérance doit être affronté
l’avant avec confiance, courage et espérance. Shalom !
dans son ensemble : là où une minorité est persécutée
et marginalisée en raison de ses convictions religieuses
ou ethniques, le bien de toute une société est en danger
et nous devons tous nous sentir interpellés. Je pense ORF, 31.10.2013

20
DOCUMENTATION SUPPLÉMENTAIRE

LA PAROLE DE DIEU DANS LA VIE DE L’ÉGLISE

Rapport sur le Dialogue International entre


l’Église Catholique et l’Alliance Baptiste Mondiale 2006-2010

PRÉFACE
C’est avec gratitude envers Dieu et avec une pro- dicieux, non seulement parce qu’il nous a incités à ré-
fonde appréciation de l’amitié qui a grandi entre les fléchir continuellement sur le rapport entre Écriture et
participants catholiques et baptistes à ces conversations Tradition, mais aussi parce qu’il a orienté notre atten-
que nous arrivons au terme de ce travail de cinq ans. tion vers Celui qui est le Verbe de Dieu vivant et le Sei-
Lors de notre dernière réunion à Oxford, en Grande- gneur de l’Église. C’est ainsi que nous avons cherché à
Bretagne, nous avons tous ressenti une certaine tris- atteindre l’objectif fixé au moment où ces conversa-
tesse à l’idée que nous n’allions plus nous rencontrer et tions ont été programmées, qui était de promouvoir
partager la prière comme nous en avions pris une vie partagée de disciples.
l’habitude, mitigée seulement par notre engagement à Nous avons jugé utile d’indiquer dans les notes en
maintenir des contacts entre nous, afin de continuer à bas de page les références aux conciles catholiques et
former une communauté au moins « virtuelle ». aux enseignements du Magistère, pour donner la possi-
C’est pourquoi nous recommandons vivement ce bilité aux catholiques comme aux baptistes
rapport aux lecteurs baptistes et catholiques et à tous d’approfondir ultérieurement ces questions. Nous don-
ceux qui sont intéressés aux rapports entre eux. nons également les références des confessions de foi
Comme nous le disons dans notre conclusion, nous ne baptistes historiques, qui remontent pour la plupart aux
pensons pas qu’une tentative aussi poussée ait jamais débuts du mouvement baptiste en Angleterre au XVIIe
été réalisée pour identifier avec la plus grande précision siècle, en vue d’une étude plus approfondie. Nous te-
possible les convergences et les divergences entre les nons cependant à souligner (comme nous le précisons
chrétiens catholiques et baptistes. Les lecteurs intéres- dans une note en bas de page) que les références ca-
sés y trouveront un éclairage non seulement sur les tholiques et baptistes ne relèvent pas du même type
croyances d’une autre communion chrétienne, mais d’autorité, les confessions baptistes n’étant pas aussi
aussi sur leurs propres convictions. En mettant nos contraignantes pour les Églises locales que ne l’est le
croyances côte à côte, nous les avons mieux comprises, Magistère pour les fidèles catholiques. Les baptistes
nous nous sommes mieux compris mutuellement, et apprécieront sans aucun doute ce rappel de leur héri-
nous avons été en mesure de progresser ensemble vers tage de foi, et les autres trouveront ici un témoignage
le but que nous a indiqué notre Seigneur et Maître Jésus significatif sur ce que les baptistes croient.
Christ : « Qu’ils soient un ». Alors que nos lecteurs ne Nous espérons qu’il apparaît clairement dans tout
seront probablement pas surpris en voyant que des dif- ce rapport combien les dialogues que nous avions eu
férences subsistent entre nous, ils le seront assurément précédemment avec d’autres communions chrétiennes
par l’ampleur de la pensée commune ainsi mise en lu- ont aidé et informé nos conversations. Tout cela il-
mière. Nous espérons qu’ils apprécieront le système ty- lustre bien, pensons-nous, l’engagement des catho-
pographique que nous avons adopté, consistant à pré- liques et des baptistes, qui se sont efforcés de découvrir
senter un résumé de nos convergences dans les para- la pensée du Christ pour son Église en notre temps.
graphes en caractères gras. Nous y énonçons simple- C’est avec joie que nous avons ajouté une nouvelle
ment ce que nous pouvons déclarer ensemble sans pré- étape à ce chemin d’espérance parcouru ensemble. En
ciser chaque fois explicitement que nous sommes nous rencontrant comme nous l’avons fait tous les ans,
d’accord. Les paragraphes en caractères ordinaires sont juste avant Noël, nous étions prêts à dire avec l’Église
une sorte de commentaire de ces déclarations en ca- primitive Maranatha! « Viens, Seigneur Jésus ! ».
ractères gras, soit pour approfondir notre accord, soit
pour expliquer les divergences qui subsistent.
Nous avons découvert, en nous rencontrant ainsi +Arthur Serratelli
d’année en année, que le choix du thème général « La Paul S. Fiddes
Parole de Dieu dans la vie de l’Église » avait été très ju- Co-présidents du Dialogue international
21
Statut de ce rapport
Le rapport publié ici est le fruit des conversations internationales entre l’Église Catholique et l’Alliance Baptiste
Mondiale. C’est un document d’étude produit par les participants à ces conversations. Les autorités qui ont nommé
les participants en ont autorisé la publication pour qu’il puisse faire l’objet de plus amples discussions. C’est une
déclaration qui ne fait autorité ni pour l’Église Catholique, ni pour l’Alliance Baptiste Mondiale, lesquelles évalueront
aussi ce document de leur côté.

I. INTRODUCTION : BUTS, HISTORIQUE ET CADRE DE CES


3) Marie dans la communion de l’Église, à la Baptist House
CONVERSATIONS of Studies de la Divinity School, Duke University,
Durham, Caroline du Nord, États-Unis. ;
1. Les représentants de l’Église Catholique (à travers
4) Surveillance et primauté dans le ministère de l’Église, au
son Conseil Pontifical pour la promotion de l’unité des
Conseil Pontifical pour la promotion de l’unité
chrétiens)1 et de l’Alliance Baptiste Mondiale (à travers
des chrétiens à Rome, Italie ;
sa Commission Doctrine et Coopération Inter-Églises),
qui se sont rencontrés dans la Cité du Vatican à Rome 5) Rencontre conclusive pour recueillir les fruits des ses-
en mars 2006, ont publié la déclaration suivante : sions précédentes et préparer un avant-projet de
rapport, dans deux salles de l’Université
« Le but de ces conversations est de répondre à la
d’Oxford, au Regent’s Park College (baptiste) et au
prière de Notre Seigneur Jésus Christ à son Père pour
St. Benet’s Hall (bénédictin).
ses disciples « Qu’ils soient un… pour que le monde
croie » (Jn 17, 21). Face aux défis du monde En chacune de ces occasions, deux ou trois com-
d’aujourd’hui, nous croyons que cela signifie que nous munications théologiques ont été présentées par les
devons continuer à explorer nos bases communes dans membres de chaque communion (voir liste en annexe),
l’enseignement biblique, la foi apostolique et les pra- et à la fin de la semaine, les fruits des discussions ont
tiques de vie chrétienne, ainsi que les questions qui été recueillis dans un mémorandum commun qui est à
nous séparent encore, pour : la base de ce rapport. Un moment très enrichissant de
chacune de ces rencontres a été le partage des prières
1. accroître notre compréhension mutuelle, notre
du matin et du soir qui a uni les participants dans la
appréciation réciproque et notre charité chré-
communion, en donnant plus de profondeur à toutes
tienne les uns envers les autres ;
nos discussions.
2. promouvoir entre nous une vie partagée de dis-
Il avait été envisagé initialement que la dernière ses-
ciples dans la communion de Dieu Trinité ;
sion porterait sur le thème : « La Parole de Dieu dans la
3. développer et élargir notre témoignage commun à situation actuelle », afin d’explorer les défis qui se pré-
Jésus Christ, Sauveur du monde et Seigneur de sentent aujourd’hui à nos deux communions chré-
toute vie ; tiennes en matière de morale, mission et évangélisation.
4. encourager de nouvelles initiatives communes sur Ce thème a été présent, comme fil conducteur, dans
des questions éthiques telles que la justice, la toutes nos conversations, mais dans notre programme
paix, la sainteté de vie, conformément au plan de serré nous n’avons pas trouvé le temps pour le traiter
Dieu et pour sa plus grande gloire. séparément. Nous espérons qu’il sera possible de pour-
suivre ces conversations, peut-être sous une autre
Nous pensons pouvoir progresser en direction
forme et dans un autre cadre, pour explorer plus à fond
de ces buts en nous concentrant sur le thème :
ces questions pratiques à l’aide des convergences théo-
« La Parole de Dieu dans la vie de l’Église :
logiques mises en lumière dans le présent rapport.
Écriture, Tradition et Koinonia ».
3. L’histoire de ces conversations a commencé
2. Le thème choisi a été traité au cours de cinq ren-
avant la rencontre de mars 2006 au Vatican. Il y avait
contres annuelles d’une semaine, tenues chaque année
eu précédemment une série de rencontres en 1984-88
au mois de décembre, entre 2006 et 2010 :
sur le thème « Appelés à rendre témoignage au Christ
1) L’autorité du Christ dans l’Écriture et dans la Tradition, dans le monde d’aujourd’hui », entre ce qui était alors le
à la Beeson Divinity School de l’Université de Secrétariat du Vatican pour la promotion de l’unité des
Samford à Birmingham, Alabama, Etats-Unis ; chrétiens et le Département d’étude et de recherche de
2) Baptême et Sainte Cène/Eucharistie, Parole visible de l’Alliance Baptiste Mondiale. Les coprésidents avaient
Dieu dans la koinonia de l’Église, au Conseil Ponti- déclaré que « ceux d’entre nous qui ont participé à ces
fical pour la promotion de l’unité des chrétiens à conversations ont considéré notre expérience com-
Rome, Italie ; mune comme un grand don de Dieu », et le rapport
s’achevait sur une note de respect mutuel et de com-
préhension accrue. Un aspect essentiel de ces conver-
1. Dans ce rapport, l’expression « Église Catholique Romaine » est sations avait été l’accord ferme entre baptistes et catho-
abrégée en « Église Catholique ». Cela ne veut pas dire que les liques sur la Personne et sur l’œuvre du Christ, de telle
baptistes renoncent au qualificatif de « catholiques », indiquant leur sorte qu’au moment de choisir le thème de la présente
appartenance à l’Église universelle : voir le n. 30.
22
phase du dialogue, le Comité de pilotage n’a pas jugé pratique ». Comme on l’a vu plus haut (n. 2), les pré-
utile d’y revenir. Cependant, il était important de men- sentes conversations ont traité quatre des cinq « thèmes
tionner au début de ce rapport cette convergence pré- qui demandent à être explorés plus à fond ». Le pre-
cédente qui nous a fourni la base christologique néces- mier thème, considéré comme la clé de tout le reste,
saire pour aborder le thème de « La Parole de Dieu nous a occupés durant notre toute première rencontre
dans la vie de l’Église ». Les deux délégations avaient en 2006.
convenu en 1984-88 que : Le Comité de pilotage de mars 2006 était conscient
Les déclarations christologiques du Nouveau Tes- qu’en approfondissant ces points spécifiques dans le
tament expriment la foi de personnes et de groupes. cadre du thème d’ensemble « La Parole de Dieu dans la
Dans leurs formes les plus anciennes, telles que nous vie de l’Église » au lieu de passer en revue les diverses
les trouvons dans la paradosis de Paul sur la résurrection questions comme cela avait été fait précédemment, il
(1 Co 15, 1-11) et dans les discours « kerygmatiques » serait possible d’avancer au-delà de la simple compré-
des Actes (par ex. 2, 22-24 ; 3, 14-16 ; 4, 10-12 ; 10, 40- hension mutuelle des premières étapes, en direction
43), Jésus est proclamé celui que Dieu a élevé (ou fait d’un rapport ayant le caractère d’une « vie partagée de
Seigneur et Messie) pour nos péchés, et celui au nom disciples ». Nous remarquons que le premier para-
de qui nous avons été sauvés. La doctrine sur la per- graphe du programme proposé en 2006 est moins ti-
sonne du Christ ne peut [donc] pas être séparée du mide que la préface du rapport de 1988. Nous pou-
message de l’annonce du salut que Dieu a accompli vions parler désormais d’accroître la compréhension
dans et par le Christ (n. 6). mutuelle qui existait déjà entre nous (point 1), d’élargir
L’œuvre du Christ est représentée à l’aide de di- le témoignage commun que nous rendions déjà à Jésus
verses métaphores telles que la justification (Ga 2, 16 ; Christ (point 3), et de développer les initiatives communes
Rm 3, 26-28 ; 5, 18), le salut (2 Co 7, 10 ; Rm 1, 16, 10, que nous menions déjà sur les questions éthiques (point
10 ; 13, 11), l’expiation et la Rédemption (Rm 3, 24-25 ; 4). Le but de nos conversations n’était pas de chercher
8, 32) et la réconciliation (2 Co 5, 18-20 ; Rm 5, 10-11). à établir une structure ecclésiale unitaire (appelée aussi
Ces expressions renvoient à l’événement ontologique et unité « organique ») ; mais nous sentions que nous
objectif par lequel Dieu a commencé à rétablir pouvions cette fois nous donner comme but de devenir
l’humanité déchue dans sa relation avec lui, en inaugu- plus clairement « un » selon la prière de Jésus. Il faut
rant une nouvelle création par la mort du Christ sur la dire que dans les années 1980, certaines Conventions
croix et sa résurrection d’entre les morts. L’offre du baptistes d’Amérique du Sud émettaient de fortes ré-
salut de Dieu en Christ est reçue dans la foi, laquelle est serves quant à l’éventualité de s’engager dans un dia-
un don de Dieu « qui veut que tous les hommes soient logue mutuel avec les catholiques, à cause de ce qu’elles
sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 voyaient comme des obstacles au témoignage de
Tm 2, 4) (n. 10). l’évangile des baptistes. Mais lors de l’Assemblée an-
nuelle de l’Alliance Baptiste Mondiale à Mexico en juil-
Les discussions sur notre témoignage au Christ ont let 2006, le Secrétaire général Denton Lotz avait fait sa-
révélé que nos deux communions sont une, car elles voir que les responsables baptistes latino-américains
confessent toutes deux que Jésus Christ est le Fils de avaient déclaré récemment comprendre et approuver
Dieu, le Seigneur et Sauveur. La foi en Christ procla- les raisons de ces nouvelles conversations2.
mée dans le Nouveau Testament et exprimée par les
quatre premiers conciles œcuméniques, est commune à 5. Nous pouvions profiter en outre des conversa-
nos deux Églises. Nos discussions n’ont pas révélé de tions informelles tenues avant 2006 sur diverses ques-
différences notables en ce qui concerne la doctrine sur tions identifiées préalablement. En 2001, une rencontre
la personne et l’œuvre du Christ, mais certaines diffé- s’était tenue à Buenos Aires, en Argentine, entre les re-
rences sont apparues en ce qui concerne l’application présentants du Conseil Pontifical pour la promotion de
de l’œuvre salvatrice du Christ. Nous croyons que cette l’unité des chrétiens et l’Union des Baptistes
communion de foi dans le Christ doit être soulignée et d’Amérique Latine en présence du Cardinal Kasper,
que nous devons nous en réjouir, car elle sert de base alors président du Conseil Pontifical, avec des commu-
pour nos discussions dans d’autres domaines de la nications sur la koinonia et sur les sacre-
doctrine et la vie de l’Église où de sérieuses différences ments/ordonnances. La discussion sur ces thèmes re-
subsistent (n. 11). prit lors des deux premières rencontres des présentes
conversations. En décembre 2003, lors d’une rencontre
4. Ces « différences » qui subsistent, mentionnées entre les théologiens baptistes européens et le Conseil
dans le précédent rapport, portent sur l’autorité et sur Pontifical dans la Cité du Vatican, des communications
la méthode théologique (à propos de l’Écriture et la furent données sur les deux thèmes principaux : la
Tradition), sur la « forme de la koinonia » telle qu’elle est « Déclaration conjointe sur la doctrine de la justifica-
vécue aujourd’hui dans l’Église, et sur le rapport entre
foi et sacrements. À ces trois thèmes, le rapport ajoutait
la nécessité de clarifier les termes « mission » et « évan- 2. Le compte-rendu des décisions prises par le Conseil général lors
gélisme/évangélisation », et la nécessité d’aborder le de son Rassemblement annuel à Mexico, le 7 juillet 2006, est publié
(en langue anglaise) dans Baptist World Alliance Annual Gathering,
défi d’un témoignage commun en tenant compte des Accra, Ghana, July 2-7, 2007 (Falls Church, VA, Baptist World
divergences sur « la place de Marie dans la foi et dans la Alliance, 1977), p. 52.
23
tion » des catholiques et des luthériens, et le ministère Christ lui-même, qui règne en Seigneur par la
pétrinien à la lumière de l’Encyclique Ut unum sint grâce et la puissance de l’Esprit.
(« Qu’ils soient un »), où Jean-Paul II parlait de la place 8. Lors de notre première série de rencontres, nous
spéciale de l’Évêque de Rome en tant que ministre avons commencé par énoncer la doctrine du Verbe de
d’unité pour les Églises. Au cours de ces conversations, Dieu dans le cadre de la koinonia de Dieu Trinité. La
un théologien baptiste a fait une communication dans doctrine de la Trinité affirme que la vie de Dieu est ca-
laquelle il déclarait que le ministère pétrinien ne pouvait ractérisée par des relations mutuelles d’un amour qui se
être abordé que dans le cadre plus général d’une théo- donne et se reçoit, et où chacune des trois « per-
logie de la « surveillance » dans l’Église3. Telle est la sonnes » (le terme grec d’hypostasis signifie « identité
stratégie que nous avons suivie lors de la quatrième distincte ») est entièrement définie par ses rapports au
rencontre des présentes conversations. Un an plus tard, sein de l’être unique de Dieu. Nous n’avons trouvé au-
en décembre 2004, notre attention s’est déplacée en cune différence entre nous, baptistes et catholiques, en
Amérique du Nord, où des communications ont été ce qui concerne notre confession de Dieu Trinité, Père,
données à Washington par les baptistes américains et Fils et Saint-Esprit et nous avons eu la joie d’ajouter cet
les théologiens nommés par le Conseil Pontifical sur le accord à notre consensus précédent sur la nature et sur
baptême et sur la Vierge Marie. Une communication de la personne du Christ (voir plus haut, n. 3). Le Christ,
la délégation baptiste à cette rencontre de décembre en tant que Verbe de Dieu, est l’auto-communication
2004 affirmait que les évangéliques devaient honorer de Dieu. En sorte que le Verbe n’est pas tant un en-
Marie comme l’ont fait l’Écriture et l’Église primitive, semble de propositions ou de concepts, que l’auto-dé-
qui ont vu en elle un exemple pour tous les croyants en voilement personnel de Dieu. Non seulement il révèle la
raison de sa docilité à la Parole de Dieu et qui ont re- nature de Dieu Trinité en nous montrant le Père disant
connu l’importance de son rôle dans l’histoire du salut4. éternellement le Verbe – le Fils – dans l’histoire, mais il
Ces thèmes ont été repris durant la deuxième et la troi- nous appelle à participer à la vie trinitaire. On peut donc
sième rencontre des présentes conversations. dire que la communion (koinonia) de Dieu est le fon-
6. Reconnaissants pour les bases précieuses offertes dement de la communion de l’Église (Jn 17, 22-3, 1 Jn
par les précédentes conversations entre baptistes et 1, 3, Ep 4, 3-6, 2 P 1, 4).
catholiques, nous allons maintenant aborder le contenu Ces dernières années, ce langage nous est devenu
de nos présentes conversations. Le lecteur retrouvera le commun, à nous qui sommes catholiques, protestants,
même schéma dans les cinq parties ci-dessous. Les ou en l’occurrence baptistes. À travers le travail de nos
points d’accord entre les représentants baptistes et théologiens, nous avons tous souligné que Dieu « en
catholiques figurent, sous une forme condensée, lui-même » correspond à « Dieu pour nous » ; nous
en caractères gras. Les paragraphes en caractères or- avons affirmé que ce Dieu qui est éternellement, dans
dinaires qui suivent ou qui précèdent sont un appro- la communion trinitaire, doit être ce même Dieu que
fondissement de nos convergences ou une constatation nous connaissons à travers la Révélation. Les hommes
des divergences qui subsistent. Il en ressort un certain peuvent donc s’engager dans l’histoire des rapports
degré de consensus, mais aussi quelques différences mutuels de la Trinité et sont appelés à participer à la vie
entre nous. Nous espérons que cette présentation met- même de Dieu. L’une des implications de cette théolo-
tra en lumière, à mesure que la lecture de ce rapport gie de la koinonia est que l’œuvre salvatrice du Christ
progresse, à quel point nous partageons une vie de dis- (voir n. 3 ci-dessus) intervient dans le cadre d’un abais-
ciples chrétiens. sement de Dieu qui a permis que le lien d’amour entre
Jésus et son Père soit menacé sur la croix par le péché
II. LA KOINONIA DE DIEU TRINITÉ ET L’ÉGLISE humain, comme l’a révélé l’appel au pardon de Jésus.
7. Le Dieu unique existe de toute éternité dans La fragilité de l’amour humain dans le monde est ainsi
la vie de relation et dans la communion (koinonia) sauvée par l’amour sacrificiel de Dieu au moyen de la
des trois Personnes, Père, Fils et Saint-Esprit. mort de Jésus et de sa résurrection d’entre les morts.
Jésus Christ, le Fils éternel, est le Verbe de Dieu, 9. Parce que la koinonia de l’Église participe de celle
auto-communication d’amour oblatif de Dieu. de la Trinité, l’Église est placée sous le gouvernement
Jésus Christ est donc l’auto-révélation de Dieu qui du Verbe, qui est le Christ. Une précédente communi-
nous appelle à participer à la communion de la vie cation du groupe catholique affirmait que « le Christ
trinitaire de Dieu et à la communion (koinonia) demeure réellement présent dans son Église », en sorte
entre nous. Il en résulte que la Parole de Dieu dans que « le Seigneur Jésus crucifié et ressuscité accom-
l’Église, au sens le plus plein du terme, est le pagne et guide dans l’Esprit la communauté qu’il a ras-
semblée ». Tant les baptistes que les catholiques ont fait
référence dans la discussion aux paroles du Christ res-
suscité en Matthieu 28, 20 : « Et moi, je suis avec vous
3. Nigel Wright, « The Petrine Ministry: Baptist Reflections » publié
ensuite dans Pro Ecclesia 13/4 (2004), pp. 451-65. tous les jours jusqu’à la fin des temps », et les baptistes
4. Timothy George, « The Blessed Virgin Mary in Evangelical ont expliqué qu’un autre verset sur ce thème a eu une
Perspective », dans Denton Lotz (éd.), Papers Delivered at Meeting of importance historique pour eux, à savoir Matthieu 18,
North American Baptist Theologians and The Conseil Pontifical for Promoting 20 : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je
Christian Unity, Washington DC, 10-11 décembre 2004.
24
suis au milieu d’eux ». Tout cela est un terrain commun toujours prête à se laisser interpeller et provoquer par le
dans l’Église du Christ. Les différences commencent à Verbe.
apparaître lorsque nous examinons les implications de la Il est important de noter que pour les catholiques,
présence du Christ par laquelle est gouverné le peuple l’unité fondamentale entre la mission du Verbe et celle
de Dieu, au niveau de la forme et de la structure de de l’Esprit Saint découle du fait que l’action de l’Esprit
l’Église (voir les n. 14-15 ci-dessous). n’est pas extérieure ou parallèle à celle du Christ. Il y a
10. La koinonia trinitaire consiste non seulement une seule économie du salut du Dieu Un et Trine, réali-
dans les rapports entre le Père et le Fils – par exemple sée dans le mystère de l’incarnation, de la mort et de la
le Père envoie le Fils en mission dans le monde, et le résurrection du Fils de Dieu par l’intervention de
Fils glorifie le Père par son obéissance – mais aussi l’Esprit Saint, et dont la valeur salvifique s’étend à toute
dans leurs rapports mutuels avec et dans l’Esprit Saint. l’humanité et à tout l’univers : « Les hommes ne
Alors que les Églises d’Occident tendent à voir princi- peuvent entrer en communion avec Dieu que par le
palement dans l’Esprit un « lien d’amour » entre le Père Christ, sous l’action de l’Esprit »8.
et le Fils au sein de la Trinité, les Églises d’Orient nous 11. L’Église doit donc être vue comme une koi-
rappellent que l’Esprit a une identité propre et une ac- nonia (« communion », « participation » ou
tivité personnelle distincte au sein de la communion de « amour ») fondée sur la koinonia de Dieu Trinité.
l’unique Dieu. À propos de ce troisième mouvement de Les croyants sont introduits dans cette koinonia
la relation, l’Écriture utilise des images évocatrices telles par la participation à la communion du Père, du
que : souffle de vent, respiration, huile qui se répand, Fils et du Saint-Esprit. En même temps, ils sont
battement d’ailes, eau qui coule, feu qui brûle. Toutes en koinonia par leur participation à la commu-
ces images indiquent une activité qui stimule, ouvre, nauté des croyants rassemblés par le Christ dans
approfondit et provoque. Pour Richard de Saint-Victor, son Église : « ... ainsi vous serez unis à nous dans
nous pouvons concevoir le rôle de l’Esprit comme ou- la communion que nous avons avec le Père et avec
vrant les autres personnes divines à de nouvelles pro- son Fils Jésus-Christ » (1 Jn 1, 3). Même si
fondeurs de relations5 ; avec des théologiens l’expression « ecclésiologie de communion » est
contemporains, nous pouvons le concevoir aussi relativement récente et qu’elle est utilisée plus fré-
comme une ouverture de Dieu à de nouvelles possibi- quemment par les théologiens catholiques que par
lités pour le futur, une ouverture à une interaction et à les théologiens baptistes, nous reconnaissons en-
un partenariat entre Dieu et le monde. L’Esprit ouvre semble qu’elle exprime ce qui est au cœur de la
donc cette koinonia à des dimensions de relations tou- nature de l’Église.
jours nouvelles.
12. Le principe de koinonia s’applique à la fois
En relation avec le Verbe, l’Esprit ne rend pas seu- à l’Église réunie dans les assemblées locales et à
lement possible la réception de la Parole, en faisant toutes ces assemblées réunies ensemble, que ce
participer les hommes à la vie divine ; il leur permet soit dans une association régionale d’Églises (se-
aussi de découvrir des aspects inédits et imprévus de la lon le modèle baptiste), dans une Église locale
Parole ; c’est pourquoi l’Esprit est souvent associé à la (comme chez les catholiques), ou dans des expres-
prophétie, ou capacité de voir la réalité plus en profon- sions encore plus larges de l’Église universelle.
deur. Le Verbe et l’Esprit participent ensemble à la vie Ensemble, nous reconnaissons que la communion
de l’Église : l’auto-expression du dessein de Dieu et le locale ne découle pas de l’Église universelle, et
renouvellement continuel de ce dessein se rejoignent que l’Église universelle n’est pas la somme de ses
car, comme l’a dit un spécialiste de l’Ancien Testament, diverses formes locales, mais qu’il y a existence
Dieu tient toujours sa promesse de façon inattendue6. mutuelle et co-inhérence entre l’Église locale et
Il s’ensuit que notre perception du dessein de Dieu a be- l’Église universelle du Christ.
soin d’être sans cesse renouvelée. C’est un argument en
faveur de l’importance de la Tradition, dans laquelle le 13. Malgré cette convergence, une certaine asymé-
Verbe parle d’une façon nouvelle dans des temps nou- trie subsiste entre les baptistes et les catholiques sur la
veaux. C’est aussi un argument en faveur d’un renou- signification de l’Église « locale ». Les catholiques défi-
vellement et d’une réforme de l’Église7 qui doit être

5. Richard de Saint-Victor, De Trinitate, 3.11, 19. ayant une autorité comparable à celle qu’ont pour les catholiques les
6. Walther Zimmerli, « Promise and Fulfilment », dans C. références faites dans ce rapport aux conciles ou aux enseignements
Westermann (éd.), Essays on Old Testament Interpretation, transl. J. L. des papes. Chez les baptistes, les confessions de foi ne sont pas
Mays (Londres, SCM Press, 1963), 107. considérées comme contraignantes pour les Églises locales ; elles
7. Unitatis Redintegratio 6. Cf. An Orthodox Creed, or a Protestant fournissent une orientation pour l’enseignement, expriment l’accord
Confession of Faith [General Baptist] (Londres, 1679), XXX, dans trouvé au moment de leur rédaction, et expliquent les croyances à
William L. Lumpkin, Baptist Confessions of Faith (Philadelphia, Judson ceux qui sont extérieurs à la communauté baptiste. Ces citations des
Press, 1959), pp. 297-334. Les références faites dans ce rapport aux confessions baptistes, tant historiques que contemporaines, ne
confessions baptistes historiques sont empruntées tantôt au courant représentent donc que ce qu’un certain nombre de baptistes ont cru
« particulier » (calviniste), tantôt au courant « général » (arminien) de ou croient. La première citation d’un document particulier est suivie
la vie baptiste. Elles sont citées uniquement pour illustrer les de l’indication du livre moderne dans lequel elle peut être consultée.
explications données et ne doivent pas être considérées comme 8. Dominus Iesus 12, citant Redemptoris missio 28-29.
25
nissent l’Église locale (qui correspond généralement à dominical et de l’initiation chrétienne, où le peuple de
une « Église particulière » ou diocèse)9 comme : Dieu vit l’Église de la façon la plus immédiate. C’est
dans la paroisse que les catholiques se rassemblent pour
une portion du Peuple de Dieu confiée à un évêque
entendre la proclamation de l’Évangile du Christ et
pour qu’avec l’aide de son presbyterium, il en soit le
pour s’unir au Christ et les uns aux autres dans la célé-
pasteur : ainsi le diocèse, lié à son pasteur et par lui
bration de l’Eucharistie.
rassemblé dans le Saint-Esprit grâce à l’Évangile et à
l’Eucharistie, constitue une Église particulière10. 14. Malgré l’accord sur la base d’une « ecclésiologie
de communion » dans la communion de Dieu Trinité,
Pour les catholiques, le ministère de l’évêque est es- on peut discerner des différences entre baptistes et ca-
sentiel pour l’identité de l’Église locale puisque son of- tholiques. Pour les catholiques, chaque paroisse est
fice témoigne de la continuité de l’Église avec ses ori- dans un rapport de communion avec son évêque, et
gines apostoliques. C’est dans l’Église locale que les fi- chaque diocèse est dans un rapport de communion
dèles sont rassemblés par la prédication de l’Évangile avec l’Église universelle à travers l’union avec l’Évêque
du Christ et que le mystère de l’Eucharistie est célé- de Rome. Étant en communion entre eux et avec
bré11. Donc pour les catholiques, l’Église « locale » est l’Évêque de Rome, les évêques assurent la continuité
définie et identifiée par la parole, les sacrements et le des Églises avec l’Église apostolique. Les Églises locales
ministère apostolique. sont en communion entre elles, et cette communion est
La conception baptiste de l’Église « locale » est as- exprimée visiblement et personnellement par la collé-
sez semblable en principe pour ce qui est des trois élé- gialité des évêques, chaque évêque représentant sa
ments mentionnés ci-dessus, mais elle se traduit par propre Église « particulière » au sein du collège épisco-
l’identification de l’Église locale avec une congrégation pal – c’est-à-dire dans l’assemblée de tous les évêques
plutôt qu’avec un diocèse. Les baptistes définissent en communion avec l’Évêque de Rome. Ce rapport de
l’Église locale comme une congrégation de croyants communion s’exprime concrètement par leur sollici-
réunis par la foi et par le baptême, où la Parole de Dieu tude pour l’Église tout entière, notamment à travers
est prêchée et où la Sainte Cène est célébrée12. Pour les leurs efforts communs en matière d’évangélisation,
baptistes, le troisième élément, celui du ministère d’assistance aux autres Églises, et de collaboration aux
apostolique, n’est pas absent, mais il est représenté par actions communes15. Cette coopération est organisée le
le ou les ministres choisis par les membres de la con- plus souvent par les « conférences épiscopales » régio-
grégation locale pour servir parmi eux. Considéré du nales qui expriment concrètement cette communion,
point de vue théologique, l’office de ces ministres est bien qu’elles ne puissent pas exprimer la plénitude de la
« épiscopal » puisqu’ils exercent la « surveillance » communion, ni la plénitude de la collégialité de tout le
(episkopè) ; les premiers baptistes appelaient leurs mi- collège épiscopal au niveau mondial représentant toutes
nistres « anciens » (presbuteroi) ou « évêques » sans dis- les Églises particulières (diocèses) dans la communion
tinguer entre ces deux termes13. (Le sens et la pratique de l’unique Église.
de l’episkopè seront examinés plus loin dans ce rapport). L’Église Catholique se considère donc comme une
Ce ministère est aussi considéré comme apostolique, en unique Église qui se manifeste concrètement dans
ce sens qu’il continue le témoignage des apôtres au chaque Église locale. Comme l’a dit Jean-Paul II,
Christ et qu’il introduit la congrégation dans la tradition « l’Église Catholique subsiste dans chaque Église parti-
de la foi apostolique. Cette conception du « ministère culière, qui ne peut être complète que par une réelle
apostolique », à défaut duquel les premiers baptistes communion dans la foi, les sacrements et l’unité avec le
croyaient que l’Église locale n’était pas « complètement corps du Christ tout entier »16. L’Église particulière re-
organisée selon la pensée du Christ »14, se traduit donc présente l’Église universelle comme le lieu spécifique
pour eux par l’équivalence entre Église locale et con- où l’Église universelle est manifestée et rencontrée,
grégation locale. mais elle ne peut manifester cette universalité que par
Il faut ajouter que même si les catholiques sa communion avec les autres Églises particulières.
n’identifient pas l’Église locale à la paroisse, cette der- 15. Pour les baptistes, par le fait que le Christ gou-
nière n’en est pas moins le lieu du culte eucharistique verne au milieu de l’assemblée locale (voir le n. 9 sur le
gouvernement du Christ comme Verbe), chaque as-
9. On peut trouver ici des différences dans les documents semblée des croyants jouit de certaines prérogatives :
catholiques, où « l’Église locale » n’est pas toujours l’équivalent de les premiers baptistes les appelaient « signes (ou sceaux)
« l’Église particulière », mais peut représenter aussi l’Église nationale
plutôt qu’un diocèse.
de l’Alliance ». Comme la congrégation prend part au
10. Christus Dominus 11. triple office du Christ, prophète, prêtre et roi, il lui ap-
11. Lumen Gentium 26. partient de choisir son ministre, de célébrer les sacre-
12. Confession de foi des Églises appelées communément (quoique erronément)
anabaptistes [baptistes particuliers] (Londres, 1644), XXXIII-
XXXIV, dans Lumpkin, Baptist Confessions, pp. 153-71; Orthodox 15. Lumen Gentium 23.
Creed (Londres, 1679), XXX. 16. Jean-Paul II, Discours prononcé le 12 septembre 1987, dans
13. Seconde Confession de foi de Londres [Baptistes particuliers] (1677), Origins 17,16 (1er octobre 1987), p. 258. À la suite de Lumen Gentium
XXVI.8-9, dans Lumpkin, Baptist Confessions, pp. 241-95. 8 qui dit que l’Église du Christ subsiste dans l’Église Catholique,
14. Seconde confession de foi de Londres [Baptistes particuliers] (1677) ; Jean-Paul II affirme par analogie que tous les éléments de l’Église
cf. Orthodox Creed (Londres, 1678), XXXI. Catholique sont présents dans l’Église particulière ou locale.
26
ments ou ordonnances de l’Évangile, et d’organiser sa Comme les congrégations locales sont les membres
vie sous la conduite du Christ17. Cette autorité ne lui de l’« unique corps… dont le Christ est l’unique tête »,
appartient pas en propre ; elle appartient au Christ avec l’Église universelle n’est pas une simple accumulation
qui elle la partage. La congrégation est gouvernée par le d’Églises locales ; elle a ue réalité en tant que corps du
Verbe parce que le Christ ressuscité est présent au mi- Christ ressuscité. Et comme le Christ gouverne l’Église
lieu d’elle et que ses membres s’efforcent de discerner locale, les baptistes peuvent dire avec les catholiques
sa volonté dans les paroles de l’Écriture et cherchent que cette dernière représente et manifeste l’Église uni-
ensemble à découvrir sa pensée dans leurs réunions ec- verselle19.
clésiales. Les baptistes croient qu’aucune autorité exté- 16. La koinonia de l’Église peut être entendue
rieure, humaine ou ecclésiale, ne peut être imposée aux aussi comme une « communauté d’Alliance », bien
congrégations locales, qui doivent être libres que cette expression soit plus familière aux bap-
d’organiser leur propre vie. Il ne s’agit pas d’une « au- tistes qu’aux catholiques. Le mot « Alliance » ex-
tonomie » – un concept moderne qui signifie « auto- prime immédiatement à la fois l’initiative de Dieu
gouvernement » et que les baptistes n’ont appliqué à qui a d’abord établi un rapport avec son peuple à
l’Église locale qu’à la fin du XIXe siècle. La liberté des travers le Christ, et le libre engagement des
congrégations locales n’est pas la liberté individualiste croyants les uns envers les autres et envers Dieu.
des Lumières, mais une liberté « sous la règle du L’Église est un « don » au sens où elle est « ras-
Christ ». semblée » par le Christ et où elle « se rassemble »
Chaque Église locale est cependant « en commu- en réponse à l’appel du Christ. Le terme ekklesia
nion » avec les autres, non pas à travers ses ministres désigne une « assemblée » qui est « appelée » par
ou ses évêques, mais directement à travers le Christ qui Dieu. Dire que l’Église est une « communauté de
gouverne aussi les autres expressions de l’Église. Il croyants » ne signifie pas que l’Église est consti-
gouverne les assemblées d’Églises réunies en « associa- tuée uniquement par la foi : la foi est toujours une
tions », et il gouverne les conseils et les conventions réponse à la grâce initiale de Dieu. La communion
d’Églises au niveau national. Dans toutes ces assem- ou koinonia de l’Église est à la fois un don et un
blées, les Églises doivent se mettre à l’écoute de sa pa- appel, de même que l’unité de l’Église est à la fois
role, chercher à connaître sa pensée, à discerner son un don de l’Esprit et une tâche à réaliser.
dessein pour elles. Mais comme le Christ gouverne 17. L’« Alliance » ne doit pas être confondue avec
aussi les associations d’Églises, les Églises locales un contrat juridique ou avec un simple « accord de gré
doivent prendre très sérieusement en considération à gré ». Elle ne naît pas d’une décision humaine en vue
leurs résolutions, comme moyen pour découvrir le des- de conclure une alliance stratégique avec d’autres per-
sein du Christ pour leur vie et leur mission dans le sonnes pour atteindre un certain but, ou même pour
monde, tout en conservant la liberté de leurs décisions rendre à Dieu le culte qui convient le mieux aux choix
finales. En outre, en s’associant et en se regroupant, personnels de chacun. L’Alliance est fondée sur un ap-
elles ont l’occasion de s’entraider et de partager leurs pel de Dieu à travers le Christ, et depuis leur origine,
ressources et leurs initiatives sociales et évangélisatrices les baptistes proclament que l’« Alliance de grâce éter-
au niveau trans-local. Les Églises locales sont interdé- nelle » entre Dieu et l’humanité, initiée par Dieu, est
pendantes, mais les baptistes n’ont pas cherché à codi- actualisée en un temps et en un lieu particuliers quand
fier les rapports entre elles en structures d’autorité ou les croyants se rassemblent dans une Église locale20.
en questions de droit canonique, laissant l’autorité au Plus récemment, certains baptistes ont élargi la notion
Christ dont la volonté doit être discernée dans chaque d’Alliance pour donner des bases théologiques plus so-
situation. Comme le dit la Confession de foi de lides au rassemblement des Églises en associations, puis
Londres de 1644 : en conventions et en unions régionales et nationales.
Quoique les assemblées particulières constituent Ainsi, on peut dire que l’« ecclésiologie de l’Alliance »
des corps distincts et séparés, chacune est en elle- est parallèle à l’« ecclésiologie de communion », et que
même une cité unie et cohérente ; mais il faut ce langage est plus familier pour les baptistes.
qu’elles vivent selon une seule et même Règle, et
que par tous les moyens appropriés elles s’ap-
portent réciproquement conseil et secours chaque
fois que le besoin s’en manifeste dans l’Église, en 19. Confession de foi (Londres, 1677), XXVI.1-2.
tant que membres d’un seul et même corps 20. « Une communion des saints visible est formée de deux, trois ou
plusieurs saints liés ensemble par l’Alliance avec Dieu et entre eux »,
partageant une même foi, et soumis à Christ, leur a dit Jean Smyth, Principles and Inferences concerning the Visible
unique Chef18. Church (1607), dans W.T. Whitley (éd.), The Works of Jean Smyth
(2 volumes; Cambridge, Cambridge University Press, 1915), I, p.
252. L’Alliance peut être définie aussi comme la volonté de
« marcher ensemble », voir la Confession of Faith (Londres 1677),
17. Confession de foi (Londres 1644), XXXIV-XXXVI; Confession de foi XXVI.5-6. Pour un approfondissement de la notion baptiste
(Londres 1677), XXVI.7. d’Alliance, voir Paul S. Fiddes, « Walking Together », the Place of
18. Confession de foi (Londres 1644), XLVII. Cet article est Covenant Theology in Baptist Life Yesterday and Today, dans
pratiquement identique à l’article 38 des séparatistes, voir A True Fiddes, Tracks and Traces. Baptist Identity in Church and Theology (Milton
Confession (1596), dans Lumpkin, Baptist Confessions, p. 94. Keynes, Paternoster, 2003), pp. 21-47.
27
18. La base des actes d’alliance aujourd’hui, dans la pour pouvoir participer pleinement à l’Église, les
« Nouvelle Alliance » établie grâce à la mort rédemp- croyants doivent être en mesure de professer person-
trice et à la résurrection du Christ, met l’accent sur le nellement leur foi. Mais aux yeux des baptistes, attri-
rapport étroit que catholiques et baptistes buer la « foi infuse » aux petits enfants n’a pas de sens,
reconnaissent entre les sacrements (ou « ordon- même s’ils les accueillent parmi eux car ils
nances ») et l’Église. Pour les uns comme pour les « appartiennent à la communauté de foi » et sont en-
autres, l’Église est constituée par la présence et l’action tourés de son amour et de ses soins.
salvatrices du Christ par l’Esprit, et pour les uns 20. La communion avec Dieu Trinité et avec
comme pour les autres, cette constitution est insépa- toute l’Église du Christ est actualisée continuelle-
rable du baptême. Le baptême sera traité à part plus ment dans l’Eucharistie/Sainte Cène. Dans cette
loin dans ce rapport, mais nous devons le mettre en célébration, ceux qui y participent sont en com-
relation ici avec la koinonia de l’Église, en notant une munion non seulement les uns avec les autres dans
importante divergence et convergence entre catho- la congrégation locale, mais avec toute l’Église du
liques et baptistes. Les catholiques croient que tous les Christ en tout temps et en tout lieu. « Puisqu’il y a
baptisés sont incorporés au corps du Christ par le un seul pain, nous sommes tous un seul corps » (1
baptême, y compris les petits enfants. Pour les bap- Co 10, 17). Puisque nous écoutons la Parole de
tistes, le baptême est l’entrée des croyants repentants Dieu dans l’Eucharistie/Sainte Cène, nous parta-
dans l’Alliance, le « sceau » de l’alliance, ce qui com- geons à la fois la Parole et le sacrement (ou ordon-
porte pour les baptisés l’obligation d’assumer leurs res- nance).
ponsabilités de disciples. Comme on le verra mieux
plus avant, cela ne veut pas dire que les baptistes ne 21. Alors qu’ensemble, catholiques et baptistes
peuvent pas reconnaître un parcours d’initiation au peuvent affirmer tout ce qui précède, convaincus que,
Christ et à son Église dans les rites catholiques du ce faisant, ils sont fidèles à la tradition transmise par les
baptême et de la confirmation. En outre, la notion apôtres (1 Co 11, 23), ils divergent sur un certain
même d’Alliance fait que certains baptistes peuvent nombre de conditions relatives au ministre qui célèbre
parler avec les catholiques de « l’Église dans le Christ l’Eucharistie/Sainte Cène, ainsi que sur son rôle de re-
comme sacrement… de l’union intime avec Dieu et de présentation et de promotion de l’unité de la commu-
l’unité de tout le genre humain »21. nauté dans un sacrement/ordonnance d’unité. Pour les
catholiques, la célébration de l’Eucharistie doit être né-
19. Les baptistes sont bien familiarisés avec le lan- cessairement présidée par un évêque, ou par un prêtre
gage de « communion » qui désigne l’Église comme une ordonné par un évêque dans la succession apostolique
« communauté de croyants », entendant par là qu’une qui représente l’évêque dans l’assemblée eucharistique.
Église particulière est fondée par le baptême des dis- L’« ecclésiologie de communion » requiert un évêque
ciples croyants. À noter que pour les catholiques aussi, qui représente le Christ et l’Église – locale et universelle
le baptême est un événement de foi, puisqu’il impartit – comme signe visible de communion. Pour que
la foi et requiert la foi. Les catholiques voient eux aussi l’Eucharistie puisse être célébrée en communion avec
dans l’Église une communauté de croyants, car « ce l’Église apostolique, il faut qu’un évêque assure et pré-
n’est que dans la foi de l’Église que chacun des fidèles serve la succession apostolique de l’Évangile en « au-
peut croire »22. C’est cette foi commune qui opère dans thentique maître de la foi ». L’évêque, en sa personne et
le paradigme du baptême des petits enfants. L’enfant par son appartenance au collège des évêques, est en
est baptisé dans la foi de l’Église ; le rite baptismal communion avec l’Église tout entière, y compris avec
comporte un acte de foi professé par les parents, le par- l’Évêque de Rome et son ministère d’unité. Les catho-
rain et la marraine, et l’Église rassemblée. L’enfant est liques peuvent reconnaître que les actes liturgiques tels
accueilli dans la foi de la communauté où il sera éduqué que l’Eucharistie/Sainte Cène, dans les « communautés
à la foi personnelle à travers l’écoute de l’Évangile, pro- ecclésiales » (par exemple baptistes) qui son en-dehors
clamé en parole et par le témoignage. Dans le baptême de l’Église Catholique, « peuvent certainement produire
des petits enfants, la communauté de foi précède le effectivement la vie de grâce », et « donnent accès à la
croyant individuel (ceci est vrai aussi, bien entendu, communion du salut », mais qu’il ne peut y avoir une
pour les baptistes dans le cas du baptême d’un croyant plénitude de communion car il manque l’élément de la
qui professe sa foi). Les catholiques acceptent que les communion ecclésiale23.
très jeunes enfants soient considérés comme des
croyants s’ils font partie de la communauté de foi, en 22. Les baptistes sont d’accord pour dire que le mi-
sorte qu’ils reçoivent la foi « infuse ». Mais pour une nistre qui préside à la table de la Sainte Cène représente
pleine initiation, il faut avoir reçu les trois sacrements l’Église universelle dans la congrégation locale (voir n.
de l’initiation : baptême, confirmation et eucharistie. 171 et 178), et qu’il est donc approprié qu’il la préside
Dans la mesure où elle comporte une profession de foi normalement. Le « bon ordonnancement » du Christ
individuelle de la part du croyant, cette séquence n’est veut que la personne qui préside soit aussi celle qui pré-
pas éloignée de la conviction baptiste selon laquelle, serve la tradition apostolique et qui a la charge de
l’enseigner. Mais il n’est pas essentiel pour la pleine
21. Lumen Gentium 1.
22. CEC 1253. 23. Cf. Unitatis Redintegratio 3.
28
communion avec Dieu et avec l’Église qu’un ministre sions différemment (cf. n. 25 ci-dessous). Pour les ca-
ordonné préside. Il peut y avoir pleine communion si le tholiques, les saints qui ont quitté ce monde dans la foi
pain est rompu et le vin versé dans le cadre d’une re- ne sont pas la partie visible de l’Église, même si en
mémoration fidèle du Christ dans une congrégation elle-même l’Église est toujours visible. L’Église Catho-
rassemblée en Église. La raison en est pour les baptistes lique croit que l’Église universelle doit être à la fois une
que l’Église est assurée de la présence du Christ (« Là et visible, et elle distingue en elle-même ces deux carac-
où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au téristiques. L’Église universelle est visible dans la célé-
milieu d’eux »), de telle sorte qu’une congrégation lo- bration de la liturgie, puisque la nature de l’Église
cale est en communion avec toutes les autres Églises où s’exprime pleinement dans la célébration : « La princi-
le Christ est présent dans la communion de l’Esprit24. pale manifestation de l’Église réside dans la participa-
Le signe essentiel de communion – qui est un don de tion plénière et active de tout le saint Peuple de Dieu,
Dieu – n’est pas la personne qui préside, mais la visibi- aux mêmes célébrations liturgiques, surtout à la même
lité du corps du Christ dans l’Église rassemblée qui Eucharistie, dans une seule prière, auprès de l’autel
confesse la foi apostolique. unique où préside l’évêque entouré de son presbyte-
25
Il peut y avoir aussi des pratiques différentes chez rium et de ses ministres » . Elle est visible en tant que
les catholiques et chez les baptistes en ce qui concerne société constituée hiérarchiquement26 où la communion
la fréquence avec laquelle ils célèbrent l’Eucha- et l’unité de l’Église sont représentées par les évêques,
ristie/Sainte Cène. Les catholiques observent le Jour du dans les rapports collégiaux entre eux et avec l’Évêque
Seigneur en célébrant l’Eucharistie au moins chaque de Rome. Enfin, elle est visible chaque fois que le
dimanche. Certains baptistes célèbrent la Sainte Cène peuple de Dieu professe sa foi commune dans les sa-
toutes les semaines ou tous les quinze jours, mais crements et suit ses pasteurs légitimes27. Le concile
beaucoup d’autres la célèbrent moins fréquemment, Vatican II parle de la visibilité de l’Église quand il la
quoique régulièrement. Les baptistes croient que dans définit comme « un sacrement, c’est-à-dire à la fois le
les cultes où l’Écriture est lue et prêchée et où une ac- signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de
tion de grâce (eucharistia) est offerte à Dieu dans la
prière, ils peuvent être aussi en pleine communion avec l’unité de tout le genre humain »28, puisque les signes
Dieu Trinité, les uns avec les autres, et avec toute sont visibles par nature.
l’Église du Christ. D’autres documents récents ont affirmé, dans le
sillage de Vatican II, que « l’unique Église du Christ…
23. Les Églises locales doivent être en commu- subsiste dans l’Église Catholique, gouvernée par le Suc-
nion visible – et pas seulement spirituelle – car si- cesseur de Pierre et les évêques qui sont en commu-
non il n’y a pas pleine communion. 29
nion avec lui » . Cette formulation entend concilier
24. Pour les catholiques, la communion visible entre deux affirmations doctrinales : d’une part, que l’Église
les Églises est centrée sur la personne de l’évêque, qui du Christ n’existe dans sa plénitude que dans l’Église
la représente essentiellement, puisque l’unité et la Catholique, et d’autre part, qu’il existe en dehors d’elle
communion de l’Église Catholique sont rendues vi- des éléments nombreux de sanctification et de vérité
sibles dans le collège épiscopal. Il existe différents ni- (elementa Ecclesiae), dont la force « dérive de la plénitude
veaux et degrés de collégialité dans les diverses ins- de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église Catho-
tances qui regroupent les évêques – conférences épis- 30
lique » . Le document Dominus Iesus entend clarifier les
copales nationales, synodes et conciles œcuméniques,
implications de cette approche. Les communautés
ces derniers étant l’expression la plus complète de la
chrétiennes non catholiques d’Occident issues de la Ré-
collégialité épiscopale. Pour les catholiques, la réalité de
forme « ne sont pas Églises au sens propre, mais des
l’« ecclésiologie de communion » ne se limite pas au
Communautés ecclésiales ». Elles possèdent sans aucun
signe visible de l’épiscopat. La communion s’exprime
doute des aspects ou éléments de l’unique Église, et les
aussi sacramentellement, en particulier dans l’Eucha-
baptisés de ces communautés, qui sont incorporés au
ristie et nombre d’autres occasions où les Églises
Christ par le baptême, ont « une certaine communion,
locales et les fidèles qui la composent se rencontrent et
bien qu’imparfaite, avec l’Église ». Pour les catholiques,
s’entraident en dehors des structures ecclésiales
le baptême est le premier lien sacramentel de commu-
officielles. Il y a aussi dans l’Église les « nouveaux
mouvements » qui transcendent les limites formelles
des Églises locales. 25. Sacrosanctum Concilium 41.
26. Lumen Gentium 20.
Ensemble, baptistes et catholiques croient qu’ils 27. Voir la définition de l’Église de Robert Bellarmin : « L’Église est
sont en communion avec les élus au ciel dans la com- une, non pas double, et cette unique vraie Église est l’assemblée
munion des saints, et que l’Église a à la fois une dimen- d’hommes unis dans la profession de la même foi chrétienne et
dans la communion des mêmes sacrements, sous la règle de leurs
sion visible et une dimension invisible, bien que, dans pasteurs légitimes et en particulier celle du Vicaire du Christ sur la
une certaine mesure, ils conçoivent ces deux dimen- terre, le Pontife romain » saint Robert Bellarmin, De Controversiis
Christianae Fidei (Naples, 1857), vol. II, p. 74.
28. Lumen Gentium 1.
24. Voir Confession de foi de certains Anglais vivant en exil dans les Pays- 29. Lumen Gentium 8 ; cf. Unitatis Redintegratio 4 ; Ut Unum Sint, 10,
Bas [Baptistes Généraux] (Amsterdam, 1611), 11, dans Lumpkin 86 ; Dominus Iesus 6.
(éd.) Baptist Confessions, pp. 116-123. 30. Dominus Iesus 17 ; Unitatis Redintegratio 3.
29
nion avec les autres chrétiens. Et puisque toutes les koinonia » – une légitime diversité plutôt qu’une unifor-
Communautés ecclésiales ou Églises prennent part à la mité33.
koinonia de la Trinité, elles ne peuvent pas être « hors de
la communion », malgré la séparation, et partagent « un Aux yeux des baptistes, les autres communions
chrétiennes doivent être considérées comme des
certain degré de communion »31. « Églises » pour peu qu’elles possèdent les caractéris-
25. Au siècle dernier, certains baptistes ont affirmé tiques de l’Église de Jésus Christ, à savoir, une vie
que l’Église du Christ ne devient visible que dans commune qui laisse transparaître la présence du Christ,
l’Église locale, et que l’Église universelle doit demeurer une prédication authentique de la Parole, et la célébra-
« invisible » jusqu’à l’avènement du Règne de Dieu, ne tion des sacrements/ordonnances. C’est en premier lieu
pouvant être jusque là qu’une réalité « spirituelle ». Mais sur la base de ce genre de discernement de l’Église
cette affirmation ne correspond pas à la conception comme corps, et sur ce qui leur apparaît comme une
historique des baptistes, et elle a été contestée à di- preuve de l’action de l’Esprit Saint dans la vie d’une
verses reprises dans des documents baptistes récents. personne appartenant à une autre Église, que les bap-
Dans les premières confessions de foi et dans d’autres tistes reconnaissent leur unité avec les autres chrétiens.
écrits baptistes, on trouve une classification qui com- La recherche d’accords doctrinaux ou d’une compré-
prend l’Église locale visible (« les saints visibles »), hension commune des sacrements (ou ordonnances) et
l’Église universelle invisible (comprenant tous ceux qui de l’ecclésiologie, vient généralement dans un second
ont été régénérés par l’Esprit de Dieu, qu’ils fassent temps, après ce discernement initial et cette reconnais-
partie ou non des institutions de l’Église), et l’Église sance de l’autre.
universelle visible (comprenant tous ceux qui ont été ré- 26. Les Églises locales et congrégations doivent
générés et qui professent leur foi en Christ, ainsi que être en communion entre elles pour entendre la
l’Église à laquelle ils appartiennent)32. La communion Parole de Dieu et découvrir ensemble la « pensée
entre les Églises est visible dans les associations et du Christ ».
unions d’Églises qui réunissent les représentants ou 27. Pour les catholiques, le pape et le collège épis-
« messagers » des Églises locales, choisis non seulement copal remplissent un rôle essentiel en tant que gardiens
parmi les ministres ordonnés, mais aussi parmi les de l’unité et de la vérité dans l’Église. Ils discernent la
membres de la congrégation. Car conformément à la pensée du Christ en méditant sur l’Écriture, en consul-
conviction baptiste que l’episkopè est à la fois commune, tant la sagesse de la Tradition, en observant le témoi-
personnelle et collégiale, tant les pasteurs que les autres gnage des saints et des saintes. Ils écoutent la voix des
membres peuvent exercer l’episkopè selon des modalités prêtres, des diacres, des laïcs, des ordres religieux mas-
appropriées, en « veillant les uns sur les autres » (selon culins et féminins, des théologiens et de leurs parte-
l’expression des premiers covenantaires). La plupart des naires œcuméniques. Ils discernent les « signes des
baptistes préfèrent ne pas appeler « Église » ces struc- temps » dans le monde actuel34. Pour les catholiques,
tures de communion translocales, tout en les considé- vivre en accord avec le dessein du Christ, dans une
rant comme ecclésiales ou proches de l’Église. Église ou une assemblée locale, signifie sentire cum ecclesia
Il s’ensuit que les baptistes peuvent affirmer la visi- (« sentir et vivre avec l’Église »). Cette « réception » in-
bilité de l’Église universelle, même lorsqu’elle est divi- clut non seulement l’acceptation des conclusions des
sée et pécheresse. Les baptistes n’associent donc pas les conciles œcuméniques, des décrets dogmatiques du
termes « visible » et « une » comme le font les catho- pape et des formulations du credo, mais aussi une fré-
liques. Bien que l’unité de la koinonia divine doive se re- quentation assidue des saintes Écritures, le désir de se
fléter idéalement dans l’Église, c’est par humilité que laisser former par la liturgie et la vie de prière de
Dieu a consenti à venir habiter une Église déchirée, en l’Église, une bonne connaissance de la tradition de
proie aux tensions et aux conflits. En outre, les bap- l’Église, des enseignements du catéchisme de l’Église
tistes considèrent que la « pleine communion » à la- Catholique, et des encycliques et autres documents
quelle nous oeuvrons et que nous espérons est une promulgués de temps à autres par le pape ou par les
« diversité réconciliée ». De même que Dieu vit dans évêques. Le sensus fidei (« la sensibilité instinctive et le
l’unité et dans une vraie diversité en étant un seul Dieu discernement » des fidèles) joue également un rôle dans
en trois personnes, ainsi l’Église, à l’image de Dieu, la réception et peut contribuer à la compréhension des
peut et doit manifester – comme le dit le document du enseignements de l’Église sans les contredire.
Conseil œcuménique des Églises intitulé « Vers la 28. Chez les baptistes, les Églises locales cherchent
à découvrir ensemble la pensée du Christ en se réunis-

33. « Vers une koinonia dans la foi, la vie et le témoignage », suggère


31. The Church, Local and Universal, une étude commandée et reçue que la diversité n’est pas acceptable quand elle nie la « confession
par le Groupe de travail commun entre l’Église Catholique et le commune de Jésus Christ, Dieu et Sauveur », quand elle justifie les
Conseil œcuménique des Églises (Document de Foi et Constitution discriminations basées sur la race ou le sexe, quand elle empêche la
150, Genève, WCC Publications, 1990), p. 10. réconciliation, quand elle fait obstacle à la mission commune de
32 Voir par ex. The Orthodox Creed (1678), XXIX-XXX, dans l’Église, et quand elle met en danger la vie de koinonia.
Lumpkin (éd.), Baptist Confessions, pp. 318-19. 34. Gaudium et Spes 4.
30
sant dans une assemblée où les pasteurs et les membres en tout lieu. Les baptistes affirment certes que l’Église
ont tous les mêmes pouvoirs de représentation, con- doit être une institution stable dans un monde instable.
formément à la conviction que l’episkopè est partagée Mais tout en cherchant à découvrir la plénitude de la
entre les ministres ordonnés et tous les croyants bapti- pensée du Christ et en étant animés par l’espérance de
sés. Cependant toutes les voix n’ont pas la même in- l’accomplissement final de l’Église universelle, ils voient
fluence : les croyants donnent généralement plus de l’Église, telle qu’elle est actuellement, comme péche-
poids aux voix de ceux qui ont été désignés comme resse, nécessitant une réforme continuelle, non encore
« surveillants » ou comme éducateurs dans la foi. pleinement unifiée, et ayant à la fois des aspects invi-
L’office personnel de surveillance est exercé non seu- sibles et visibles (cf. n. 25 ci-dessus).
lement dans les congrégations locales, mais aussi dans 32. De même qu’il est la source de l’unité dans
les associations, unions et conventions qui ont mis en la catholicité de l’Église, le Christ est la source et
place les ministères translocaux de « ministres régio- le but de la sainteté de l’Église et de ses membres.
naux », « ministres exécutifs », « présidents », « secré- Le but final de l’Église est l’union au Christ, le
taires généraux », et « évêques » (dans certaines unions parfaitement saint, dans la communion des saints.
nationales). Ce sont des éducateurs dans la foi et des
guides fiables qui mettent leurs dons au service des 33. Tout en étant d’accord sur les bases christolo-
Églises pour les aider à découvrir la pensée du Christ et giques et sur l’accomplissement eschatologique de la
à vivre selon sa loi. Comme nous l’avons vu, pour les sainteté (Ep 5, 25-7), catholiques et baptistes divergent
baptistes aucune décision prise dans une assemblée sur la façon de formuler le rapport entre sainteté de
d’Églises ne peut être imposée à l’Église locale. Selon la l’Église comme corps, et sainteté de ses membres pris
modalité baptiste de « réception » au niveau local, une individuellement. Ensemble, ils affirment que le Christ
congrégation est tenue d’écouter ce que les unions est sans péché, mais seuls les catholiques en déduisent
d’Églises ont à lui dire, sans tenir pour acquis qu’elles que l’Église, en union avec le Christ dont elle est le
ont tous les dons nécessaires pour découvrir et mettre corps, est également sans péché36. Les catholiques
en application le dessein du Christ pour sa vie et sa l’expliquent de la façon suivante : « Tandis que le Christ
saint, innocent, sans tache ignore le péché, venant seu-
mission35. lement expier les péchés du peuple, l’Église, elle, en-
29. La communion universelle de l’Église de ferme des pécheurs dans son propre sein, elle est donc
Jésus Christ peut être dite très justement « catho- à la fois sainte et toujours appelée à se purifier, pour-
lique ». Le terme de « catholicité », d’un mot grec suivant constamment son effort de pénitence et de re-
qui signifie « totalité » ou « inclusivité », doit être nouvellement »37. Il en résulte que pour les catholiques,
entendu à la fois au sens de la plénitude de l’auto- l’Église en tant que telle réalise et génère une sainteté
manifestation de Dieu en Christ, et de la destina- incarnée, tout en accomplissant un chemin de renou-
tion finale du message évangélique qui touche et vellement continuel comme communauté en marche, à
transforme tous les hommes. La catholicité n’est cause des péchés de ses membres. Les baptistes sont
donc pas une possession statique de l’Église, mais d’accord pour dire que la sainteté est le but de l’Église
doit être cherchée activement dans la mission comme communauté en marche, mais ils mettent da-
d’évangélisation, en vue de la proclamation et de la vantage l’accent sur la nature non encore réalisée de la
réception de la plénitude de l’Évangile en tout sainteté de l’Église, en comparant l’état de l’Église à la
temps et en tout lieu. sainteté imparfaite de ses membres « pécheurs et justi-
30. Ensemble, baptistes et catholiques se fiés en même temps »38.
considèrent comme « catholiques » (avec un petit « c »)
au sens indiqué ci-dessus, le terme Catholique » (avec III. L’AUTORITÉ DU CHRIST DANS L’ÉCRITURE
ET DANS LA TRADITION
un grand « C ») étant réservé dans ce rapport à l’Église
Catholique qui reconnaît le primat de l’Évêque de 34. Le rapport des conversations entre l’Église Ca-
Rome. La catholicité se manifeste quand le message du tholique et l’Alliance Baptiste Mondiale, 1984-88, a pu
Christ est proclamé dans un large éventail de langues et « élaborer notre réponse commune à la révélation de
de mentalités, quand l’Eucharistie ou Sainte Cène est Dieu en Jésus Christ telle qu’elle nous a été donnée
célébrée par des hommes de toutes les cultures, ethnies dans la Bible et dans la foi et la pratique de nos com-
et nations, et quand les ministres vivent et servent la munautés respectives » (n. 4). Il reconnaît néanmoins
communion aux niveaux local, régional et mondial. qu’il existe des différences substantielles dans la façon
31. La notion de catholicité a toutefois des implica- dont les deux communions interprètent le rapport
tions assez différentes dans les deux traditions. Les ca- entre le canon de l’Écriture et les traditions des com-
tholiques croient que la plénitude de l’Évangile, révélé munautés qui l’interprètent. C’est pourquoi le rapport
en Christ, implique nécessairement la plénitude de cite « l’autorité et les méthodes théologiques » comme
l’Église, au sens d’une unité pleinement visible et orga- le premier des cinq domaines de conversations néces-
nique qui s’étend à tous les hommes, en tout temps et
36. Lumen Gentium 39.
35. Voir We Baptists. Study and Research Division, Baptist World 37. Lumen Gentium 8, citant He 7, 26, 2 Co 5, 21 et He 2, 17.
Alliance (Franklin: Provident House, 1999), pp. 24-5. 38. Ainsi Luther : simul justus et peccator.
31
sitant d’être approfondis. Les paragraphes qui résument Trinité. L’Écriture, qui contient la Parole, rend
ces diverses configurations de l’autorité demandant un témoignage à la Parole et est une manifestation de
approfondissement constituent un bon point de départ la Parole de Dieu, est active dans l’Église au-
pour cette partie de notre rapport : jourd’hui. Elle indique le chemin à la communauté
que Dieu a rassemblée et rend ses membres ca-
Ces conversations entre baptistes et catholiques
pables de participer au ministère du Christ, par la
romains ont fréquemment fait surgir des points de
puissance de l’Esprit et pour la gloire de Dieu.
vue et des usages différents concernant l’autorité et
L’Église, dans tous ses aspects, y compris son mi-
la méthode théologiques. La raison théorétique est
nistère, est gouvernée par la Parole de Dieu. La
claire à ce sujet : les baptistes s’appuient seulement
Parole de Dieu peut prendre différentes formes
sur l’Écriture, telle qu’elle est interprétée avec
dans le monde : parole orale de la prédication, pa-
l’assistance de l’Esprit Saint, c’est le principe de la
role écrite de l’Écriture, baptême et Eucharistie
Réforme. Les catholiques romains reçoivent la
(ou Sainte Cène), interventions de Dieu dans
révélation de Dieu de l’Écriture interprétée à la
l’histoire des hommes, témoignage des fidèles
lumière de la tradition sous la direction du
croyants.
magistère, dans un processus communautaire guidé
par l’Esprit Saint. 36. Comme il apparaît de façon évidente dans les af-
firmations communes qui précèdent, nous avons dé-
Cependant, les différences ne sont pas en réalité couvert qu’il était impossible de traiter les thèmes de la
aussi aiguës que cette formulation ne le laisserait Parole de Dieu, de la Révélation, de l’Écriture et de
penser. Au Concile Vatican II, l’Église Catholique l’autorité indépendamment de leur dimension ecclé-
s’est occupée minutieusement et avec beaucoup siologique. La partie précédente de ce rapport a déjà
d’attention des rapports entre l’Écriture et la mis en lumière un certain nombre de convergences et
Tradition (Constitution dogmatique sur la Révélation divergences à propos de la compréhension de l’Église.
divine, 2). Elle s’est efforcée de trouver et de Il nous faut maintenant observer que la Parole de Dieu
formuler la compréhension des rapports entre et sa transmission sont inséparables de la communauté
l’Écriture, la Tradition et l’enseignement officiel de à qui la révélation divine a été confiée, et qu’en consé-
l’Église (le Magistère). Chacun d’eux a sa place dans quence les différences dans les ecclésiologies des ca-
la présentation de la vérité de Jésus Christ. La place tholiques et des baptistes se traduisent nécessairement
de l’un n’est pas la même que celle de l’autre, par une conception différente de la fonction de
cependant, pour les catholiques, ces trois éléments l’Écriture dans la vie de l’Église. Malgré cela, les parti-
s’harmonisent pour former la révélation divine. De cipants catholiques et baptistes à ces conversations ont
leur côté, les baptistes font appel à leur héritage été en mesure de découvrir aussi d’importantes conver-
avec autant de force que les catholiques citent la gences sur l’utilisation de la Bible dans l’Église. En-
tradition, lui refusant généralement la même semble, ils affirment notamment l’autorité d’enseigner
autorité qu’à l’Écriture, mais s’y accrochant de l’Église, tout en la concevant différemment : pour
cependant vigoureusement… Le problème les premiers elle réside dans le Magistère, et pour les
principal à discuter sur ce sujet est celui de seconds dans la congrégation locale (une différence exa-
l’évolution de la doctrine (n. 45 à 47). minée plus en détail aux n. 49 et 61 ci-dessous).
Lorsque les délégations catholique et baptiste se 37. La Bible est la norme écrite, d’inspiration
sont réunies, dix-huit ans plus tard, pour une nouvelle divine, de la foi et de la pratique, mais la normati-
phase de conversations, les participants ont été en me- vité de l’Écriture se situe principalement dans le
sure de constater une convergence accrue et surpre- culte de l’Église, à partir duquel sa vie et sa mis-
nante sur la nature de l’Écriture comme Parole de Dieu sion peuvent grandir. Les canons bibliques ont été
inspirée et sur sa place centrale dans la vie de l’Église. établis par et pour la communauté des fidèles. Ils
En outre, ils se sont félicités mutuellement pour les comprennent des textes appropriés pour la lecture
deux avancées apparues dans cette nouvelle phase du et la prédication, et fournissant le contenu narratif
dialogue : une évaluation plus positive de la valeur de la d’autres actes de culte rappelant et représentant
Tradition et de ses rapports avec l’Écriture chez les (en anamnèse) les merveilles accomplies par Dieu
participants baptistes, et une approche plus critique de autrefois. Tant les modèles cultuels des catho-
la Tradition et de ses rapports avec l’Écriture chez les liques que ceux des baptistes présupposent que la
participants catholiques. sainte Écriture est la source de l’histoire de Dieu
Trinité à laquelle les fidèles participent.
La place de l’Écriture dans la vie de l’Église 38. L’Écriture occupe une place centrale dans la li-
turgie et dans le culte de l’Église parce qu’elle relate
35. Dans la sainte Écriture, la Parole de Dieu a l’histoire du salut, qui est l’histoire de la mission de
été consignée par écrit sous l’inspiration de Dieu Trinité dans le monde (1 Tm 4, 14). De même,
l’Esprit Saint, annonçant le don du salut. baptistes et catholiques utilisent l’Écriture pour pro-
L’Écriture a donc une place centrale dans la vie de clamer le kerygma ou Bonne Nouvelle du Christ. Ils
l’Église, laquelle participe de la koinonia de Dieu sont d’accord en outre sur l’utilisation catéchétique des
32
Ecritures pour former les chrétiens à la foi (2 Tm 3, 16- auteur et ils ont été transmis comme tels à l’Église
17). Cet accord trouve une expression pratique dans elle-même »42.
des collaborations pour la traduction et la diffusion des 42. Outre que l’origine divine des Écritures, bap-
Écritures. tistes et catholiques reconnaissent aussi que Dieu a
39. L’expression « norme écrite » est utilisée délibé- donné les Écritures à l’Église en se servant de moyens
rément ci-dessus, le Christ lui-même étant évidemment humains. Tout en contestant l’idée d’une incarnation
l’autorité suprême pour ce qui touche aux croyances et effective du Christ dans les livres des Écritures (ce qui
à la vie de l’Église chrétienne, en tant que Verbe per- se traduirait par une équivalence entre l’autorité du
sonnel et incarné à qui les Écritures rendent un témoi- Christ et l’Écriture), nous pouvons recourir à une ana-
gnage fiable. C’est donc très justement que la Déclara- logie christologique pour exprimer la vérité selon la-
tion de principe d’une Union baptiste dit que « Notre quelle, pour ce qui est de leur auteur, les Écritures ont
Seigneur et notre Sauveur Jésus Christ, Dieu manifesté une origine à la fois divine et humaine. Ainsi, dans
dans la chair, est l’autorité unique et absolue pour l’interprétation des Écritures, l’erreur consistant à ne
toutes les questions relatives à la foi et à la pratique, tel pas prêter suffisamment attention aux facteurs histo-
39
qu’il se révèle dans les saintes Écritures » . Nous pou- riques et culturels qui entrent en jeu dans leur compo-
vons dire que le Seigneur de l’Église est rencontré dans sition humaine donne lieu à une interprétation « docé-
le culte, et que cette rencontre est rendue possible par tique » (ou du moins d’une « seule nature ») selon la-
l’Écriture, qui lui rend témoignage et donne sa forme quelle elles n’auraient qu’une « apparence » humaine.
au culte. Inversement, l’erreur consistant à leur attribuer une
origine exclusivement divine donne lieu à l’approche
40. Pour les baptistes comme pour les catholiques,
« ébionite » de la Bible, selon laquelle leur auteur serait
la fonction liturgique de l’Écriture peut être exprimée
« à peine » humain. Tant chez les catholiques que chez
comme la « sacramentalité » de la parole. Même si les
les baptistes, des débats animés ont eu lieu sur la juste
baptistes sont moins susceptibles d’utiliser un tel lan-
place de l’enquête historique et critique dans
gage, ils n’en reconnaissent pas moins l’action salvatrice
l’interprétation de l’Écriture. Chacune des deux com-
du Verbe fait chair lorsqu’ils lisent, prêchent et
munions a cherché à définir des réponses ecclésiales
partagent sur l’Écriture, ainsi que la possibilité offerte
adéquates aux défis de la modernité, mais sur
aux hommes de rencontrer Dieu Trinité par ce moyen
l’essentiel, toutes deux cherchent à pratiquer une « lec-
de grâce (1 Co 1, 21). Or c’est précisément ce à quoi se
ture chalcédonienne » de l’Écriture, de même qu’elles
réfère le terme « sacramentel ». L’Écriture est essentielle
ont une « christologie chalcédonienne ». Par analogie
pour le culte dans nos deux traditions. Une célébration
avec le Concile de Chalcédoine, qui a déclaré : « Nous
eucharistique hebdomadaire est la norme dans les pa-
confessons tous unanimement un seul et même Fils,
roisses catholiques où toute la liturgie est imprégnée de
notre Seigneur Jésus Christ, le même parfait en divinité,
l’Écriture. De même, les baptistes utilisent la Bible pour
et le même parfait en humanité, le même vraiment
leurs lectures, leurs prières et leurs hymnes, même
Dieu et vraiment homme », nous pouvons dire que
quand la Sainte Cène n’est pas célébrée. Il existe par
l’Écriture est à la fois humaine et divine. Une « lecture
ailleurs des offices catholiques tels que l’office divin des
chalcédonienne » a donc sa juste place parmi les outils
heures, où la liturgie de la parole occupe la première
critiques historiques, culturels et littéraires utilisés pour
place et où la réalité divine relatée dans l’histoire bi-
discerner les instruments humains dans le don des
blique de Dieu Trinité est rendue présente. Les bap-
Écritures à l’Église ; mais il faut être conscient des li-
tistes peuvent donc se dire d’accord avec l’enseigne-
mites d’une telle interprétation lorsqu’elle est appliquée
ment catholique selon lequel « dans les Saints Livres, le
indépendamment de la lecture de la Sainte Écriture
Père qui est aux cieux vient avec tendresse au-devant
dans l’Église.
de ses fils et entre en conversation avec eux »40.
43. L’action de l’Esprit Saint parmi le peuple
41. « Dieu est l’Auteur de l’Écriture Sainte »41. d’Israël et dans l’Église du Christ, en inspirant les
L’Église « tient pour sacrés et canoniques tous les écrits de l’Ancien et du Nouveau Testament, a
livres tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, aussi amené ces communautés à discerner que ces
avec toutes leurs parties, puisque, rédigés sous Écritures ont une autorité canonique pour la foi et
l’inspiration de l’Esprit Saint : ils ont Dieu pour la pratique.
44. Le Catéchisme de l’Église Catholique spécifie que
« c’est la Tradition apostolique qui a fait discerner à
39. Déclaration de principe de l’Union des baptistes de Grande Bretagne, l’Église quels écrits devaient être comptés dans la liste
clause 1, dans Keith Parker, Baptists in Europe: History and Confessions des Livres Saints »43. Les baptistes croient en général
of Faith (Nashville, Broadman Press, 1982), p. 36. dans la providence de l’Esprit, qui « préserve »
40. Dei Verbum 21. l’Écriture dans l’histoire de l’Église. Mais ils n’affirment
41. CEC 105 ; de même, The New Hampshire Confession (1833), dans
Lumpkin (éd), Baptist Confessions, pp. 361-7, et le message des pas toujours explicitement que l’Esprit qui a inspiré les
baptistes (du Sud) Faith and Message (2000), I, consultable en anglais
sur www.sbc.net/bfm/bfm2000.asp: ‘it has God for its author’;
version 2000 du message Faith and Message qui reprend certaines 42. Dei Verbum 11.
formulations des versions de 1925 et 1963. 43. CEC 120.
33
Écritures est également à l’œuvre dans la tradition ec- l’affirmation que toute l’Écriture est un témoignage au
clésiale qui a reconnu le canon de l’Écriture. Malgré Christ en 2000, montrent qu’ensemble, baptistes et ca-
cette réserve, les baptistes présupposent l’assistance pro- tholiques voient dans la Bible un récit cohérent centré
videntielle de l’Esprit dans le discernement du canon de sur la personne du Christ.
l’Église, et comme les catholiques, ils voient dans le ca- 48. La Bible peut et doit être lue par les chré-
non de l’Écriture la norme écrite qui guide la foi et la tiens en privé. Mais cette lecture ne doit pas être
pratique car loin d’être un simple accident de l’histoire, isolée de l’interprétation de la communauté, habi-
il a été institué par Dieu. C’est pourquoi catholiques et tée par l’Esprit qui a inspiré les Écritures.
baptistes reconnaissent que le canon de l’Écriture a un
certain rapport avec le processus de fixation de la Tra- 49. Les catholiques croient que c’est sous
dition intervenu dans les premiers siècles de la vie de l’inspiration de l’Esprit qu’ils ont situé l’interprétation
l’Église à la suite de la rédaction des livres du Nouveau commune de l’Écriture dans la communauté ecclésiale
Testament, et par là-même, ils croient que l’Esprit a historiquement élargie représentée par leurs évêques :
guidé ces processus. « La charge d’interpréter de façon authentique la Parole
de Dieu… a été confiée au seul Magistère vivant de
45. Il faut cependant distinguer entre la reconnais- l’Église dont l’autorité s’exerce au nom de Jésus Christ.
sance du canon de l’Écriture de la part des baptistes et Pourtant, ce Magistère n’est pas au-dessus de la Parole
l’identification du canon de la part des catholiques : les de Dieu, mais il est à son service »48. Autrement dit, « la
baptistes excluent du canon de l’Ancien Testament les charge d’interpréter de façon authentique la Parole de
livres deutérocanoniques qui font partie de la version Dieu a été confiée… aux évêques en communion avec
des Septante et de la Vulgate, et qui ont été approuvés le Successeur de Pierre, l’Évêque de Rome »49. Les bap-
à la quatrième session du Concile de Trente. Dans leurs tistes aussi situent l’interprétation commune de
premières confessions de foi, les baptistes avaient dé- l’Écriture dans la communauté ecclésiale, mais dans
claré en effet que « les livres généralement appelés apo- leur cas, cette dernière est représentée en premier lieu
cryphes, n’étant pas d’inspiration divine, ne font pas par la congrégation locale réunie50. La pratique de
partie du canon de l’Écriture »44, et reconnu comme l’« herméneutique congrégationnelle » remonte au
faisant autorité le canon court qu’ils avaient hérité des temps des premiers anabaptistes et à la Réforme radi-
courants de la Réforme protestante antérieurs à la nais- cale.
sance de leur mouvement. Cependant, nombre de bap-
tistes reconnaissent l’importance des livres deutéroca- 50. Baptistes et catholiques affirment ensemble
noniques pour la connaissance du contexte historique l’ancienne pratique consistant à lire les textes bibliques
des communautés primitives. Certains les apprécient en tenant compte de leurs différents sens, parmi les-
aussi comme littérature dévotionnelle, tout comme la quels le sens littéral et le sens spirituel. Le sens spirituel
Bible protestante. de l’Écriture, fondé sur son sens littéral ou immédiat, se
prête à un usage dévotionnel de la part les croyants
46. Baptistes et catholiques croient que dans les communautés locales. L’application de la Bible
l’Ancien et le Nouveau Testament forment en- à la vie de tous les jours (ce que l’Église primitive ap-
semble une histoire cohérente qui appelle une in- pelait son sens « tropologique » ou moral) est d’un
terprétation centrée sur le Christ. grand soutien pour la vie de foi des croyants. Cette
47. Le Catéchisme de l’Église Catholique dit que « les lecture dévotionnelle pratiquée individuellement ne
chrétiens lisent l’Ancien Testament à la lumière du doit pas être confondue avec les interprétations privées
Christ mort et ressuscité »45. Plus loin, il cite Hugues de et isolées de l’Écriture. Il faut qu’il y ait continuité entre
Saint Victor pour qui « toute l’Écriture divine n’est la nourriture dévotionnelle apportée par l’Écriture au
qu’un seul livre, et ce seul livre c’est le Christ, car toute croyant qui la lit en privé, et l’interprétation commune
l’Écriture divine parle du Christ, et toute l’Écriture di- de la Parole de Dieu dans la prédication, dans les
vine s’accomplit dans le Christ »46. De même, les bap- groupes bibliques et dans la réflexion sur l’Écriture, où
tistes lisent la Bible dans une perspective christocen- le peuple de Dieu trouve une inspiration pour sa vie
trique. Ainsi, la déclaration de la Convention des bap- commune. Pratiquée ainsi, l’interprétation commune de
tistes du Sud de 1963 sur La profession de foi baptiste et son l’Écriture contribue à la formulation des doctrines
message dit que « Jésus Christ est le point de départ de normatives de la communauté chrétienne.
toute interprétation biblique », et la révision de 2000 de 51. Catholiques et baptistes tiennent en grande
cette même déclaration confessionnelle précise que considération le principe de catholicité dans l’in-
« toute l’Écriture est un témoignage au Christ, qui est terprétation de la Bible, et son incorporation à la
au centre de la révélation divine »47. L’accent mis sur le vie de l’Église.
point de départ christocentrique en 1963, et

44. Par ex. dans la Confession de foi (Londres 1677), I, 3, reproduite


dans Philadelphia Confession (1742). 48. Dei Verbum 10, cité dans le CEC 100.
45. CEC 129. 49. CEC 85.
46. CEC 134. 50. Voir par ex. Déclaration de foi (Amsterdam, 1611), 19 ; Confession
47. La profession de foi baptiste et son message (1963), de foi (Londres 1644), XLV; Confession de foi (Londres 1677),
www.sbc.net/translate/french/TheBaptistFaithAndMessage.pdf, 1. XXVI.11, 15.
34
52. La catholicité – entendue au sens de totalité, académiques52, et n’est pas largement répandue dans les
universalité et inclusivité – implique une ouverture aux Églises baptistes et parmi leurs membres.
besoins et aux dons du monde, et la vision que tous les De leur côté, les participants baptistes ont discerné
hommes sont appelés à participer à la nouvelle création dans les communications des membres de la délégation
apportée par Jésus Christ et par l’Esprit (sur le sens du catholique une approche plus critique de la formation
mot catholicité, voir les n. 29-31 ci-dessus). C’est à la de la Tradition, qui va à l’encontre des stéréotypes en-
lumière d’une telle vision que l’Écriture est lue et utili- tretenus par nombre de baptistes sur la nature de la
sée. C’est pourquoi, dans l’interprétation de l’Écriture, tradition catholique. Les communications, les réponses
il est important de comprendre comment les Églises et les commentaires des participants catholiques ont
des différentes régions du monde entendent la Parole bien montré à la délégation baptiste qu’aux yeux des
de Dieu qui leur est adressée dans les divers contextes catholiques, la Tradition s’est développée à travers des
sociaux, culturels et politiques. instruments humains 53. Une démarche fondée sur le
53. Baptistes et catholiques s’accordent à dire dialogue et sur l’écoute des différentes voix au sein de
qu’une lecture correcte de la Bible doit se traduire l’Église – non seulement celle du pape et des évêques,
par une conduite exemplaire de la communauté mais aussi celle des théologiens, y compris les théolo-
chrétienne. giens laïques et les laïcs eux-mêmes – permet de discer-
54. Il existe un paradoxe inhérent aux images bi- ner ce qui, dans la Tradition, fait réellement autorité. Le
bliques de l’Église à l’écoute de la Parole – par exemple, regard plus favorable des baptistes sur la valeur de la
l’Église comme corps du Christ ou comme épouse du Tradition et l’approche plus critique des catholiques
Christ – selon lequel, bien qu’ayant été formés par la nous ont permis d’arriver à une compréhension com-
Parole, les croyants n’ont pas toujours une conduite mune du rapport entre Écriture et Tradition (comme
exemplaire dans le monde. Parmi les exemples de ce indiqué ci-dessous), tout en constatant que nous avons
paradoxe qui viennent immédiatement à l’esprit, on des sensibilités différentes et que quelques désaccords
peut citer le cas des chrétiens blancs d’Afrique du Sud subsistent sur le rapport entre Écriture et Tradition.
au temps de l’Apartheid, ou encore celui des chrétiens 56. La Bible est l’incarnation écrite d’une tradi-
du Sud des États-Unis et des Caraïbes à l’époque de tion vivante (paradosis) transmise par l’œuvre de
l’esclavage. Des excuses publiques ont été faites, l’Esprit Saint parmi le peuple de Dieu. La source
comme il est juste, pour une conduite si immorale. Les de ce processus de transmission est le Verbe vivant
discussions sur ce triste état de choses ont mis en lu- de Dieu, Jésus Christ.
mière des divergences entre catholiques et baptistes sur 57. Le texte inspiré des Saintes Écritures est axé sur
la question de savoir si, outre les croyants, l’Église elle- la transmission de la bonne nouvelle que Jésus est le
même ne serait pas également pécheresse (voir n. 33 ci- Seigneur ressuscité et le Fils de Dieu, et sur celle des
dessus). enseignements et du style de vie qu’il a impartis à ses
disciples. Le Nouveau Testament a été mis par écrit
Le rapport entre Écriture et Tradition pendant un certain laps de temps sous la conduite de
l’Esprit Saint, qui a non seulement inspiré ses rédac-
55. À cause de leur insistance historique sur la nor- teurs, mais aussi guidé ensuite le processus de transmis-
mativité de l’Écriture comme seule règle écrite fiable sion de l’Évangile dans la communauté apostolique. Un
pour la foi et la pratique, les baptistes ont toujours eu processus analogue avait eu lieu pour la rédaction de
tendance à opposer Écriture et Tradition51, en manifes- l’Ancien Testament. Ce processus implique qu’il existait
tant souvent une certaine hostilité à l’égard des tradi- déjà des traditions orales avant la mise en forme de
tions post-bibliques. Si cette tendance historique appa- l’Écriture, un fait reconnu à la fois par les baptistes et
raît de façon évidente dans certaines tentatives actuelles par les catholiques.
pour définir l’identité baptiste, la nouvelle tendance ap-
parue dans la réflexion théologique baptiste depuis les La Bible est donc le livre de l’Église. Elle doit être
conversations de 1984-1988 a permis aux participants lue et comprise d’abord au sein d’une communauté de
baptistes à la présente phase des conversations de re- croyants. Car s’il est vrai que l’Écriture est le témoin
valoriser la Tradition dans le cadre des efforts conti- principal et inspiré de la Parole de Dieu, elle n’est ja-
nuels de l’Église pour vivre les enseignements des mais lue « seule », c’est-à-dire hors du cadre d’une
Écritures dans le présent ; c’est ainsi que les partici- communauté qui la traduit, la proclame et l’interprète à
pants catholiques ont pu constater qu’une certaine l’aide d’autres sources écrites54. Pour les baptistes
convergence était en train d’apparaître sur une vision comme pour les catholiques, la Tradition joue un rôle
commune de la Tradition. Toutefois, cette tendance à didactique. Credos, professions de foi, prédications,
reconnaître l’autorité de la Tradition ne concerne qu’un
petit nombre de théologiens baptistes issus des milieux 52. Pour un résumé utile de cette tendance, voir Steven R. Harmon,
Towards Baptist Catholicity. Essays on Tradition and the Baptist Vision
(Milton Keynes, Paternoster, 2006), chapitres 1, 3.
53 Voir Dei Verbum 8.
54. Cette perception dépasse l’opposition historique entre ‘scriptura
51. Le sens de ce terme apparaîtra dans la discussion qui suit. Voir sola’ (l’Écriture seule) et ‘scriptura numquam sola’ (l’Écriture jamais
en particulier n. 59. seule).
35
catéchèses, liturgies et cultes contribuent tous au pro- certains catholiques n’ont toujours pas compris le rôle
cessus actif de transmission de l’Évangile. Tous con- et l’autorité de l’Écriture dans leur vie, notamment à
tiennent des normes utiles pour la vie chrétienne. En travers des pratiques telles que la lecture de la Bible en
recevant la Parole de Dieu, l’Église reçoit aussi la mis- famille. Tant les catholiques que les baptistes doivent
sion d’évangéliser tous les peuples ; la Bible n’est pas reconnaître sincèrement certains manquements.
seulement le livre de l’Église : elle est aussi livre de 61. Catholiques et baptistes ont une conception dif-
l’Église pour le monde. férente de ceux qui ont l’autorité pour interpréter
58. Il y a une certaine « co-inhérence » entre l’Écriture. Comme on l’a vu, les catholiques
l’Écriture et la Tradition vivante, qui s’imprègnent soutiennent que la Bible tout entière est interprétée
et s’interpénètrent l’une l’autre. Elles ne doivent avec autorité par ceux qui ont la charge d’enseigner of-
donc pas être considérées comme deux sources ficiellement dans l’Église (le Magistère), c’est-à-dire par
séparées et isolées, mais comme deux courants les évêques en communion avec l’Évêque de Rome.
mêlés, issus de la même source, l’auto-révélation Les baptistes croient que les communautés locales de
de Dieu Trinité en Christ. croyants ont la responsabilité et la liberté d’interpréter
59. À la lumière de cette imprégnation mutuelle la Bible sous le gouvernement du Christ et avec
entre Écriture et Tradition, on peut aussi distinguer l’assistance de l’Esprit Saint, en communion avec les
entre la « tradition » comme l’évangile vivant de Jésus autres Églises. Dans cet exercice d’« herméneutique
Christ (appelée parfois aussi Tradition avec un grand T) congrégationnelle », la conscience des individus ne doit
et les « traditions » comme les diverses formes sous les- pas être forcée ou pressée d’accepter l’interprétation de
quelles cet évangile s’exprime dans chaque situation l’Écriture proposée par la congrégation locale ou par
historique et culturelle particulière. Il est parfois diffi- les instances dirigeantes de la dénomination. Aucune
cile de déterminer si une tradition particulière est vrai- formulation d’un enseignement de l’Église ne peut
ment la Tradition vivante du Christ. Néanmoins nous avoir la même force contraignante que l’Écriture. Mais
nous accordons à dire que la Bible est la norme qui en même temps, la communauté est tenue de vérifier
permet de critiquer et d’évaluer les diverses traditions, les interprétations individuelles de l’Écriture de ses
en distinguant celles qui sont uniquement humaines de membres.
celles qui constituent une expression authentique de 62. Il est difficile de nier que catholiques et baptistes
l’Évangile (cf. Mc 7, 5-13). ont une conception différente de la nature de la Tradi-
60. Alors que catholiques et baptistes s’accordent tion. Les baptistes ont tendance à parler plutôt de « foi
sur la normativité de l’Écriture, ils ont des sensibilités et pratique » que de « tradition ». La plupart des bap-
différentes sur la question du rapport entre Écriture et tistes se reconnaissent dans les traditions qui affirment
Tradition. Il faut dire que de ce point de vue, ils ont la primauté de l’Écriture, et certains sont portés à reje-
vécu des expériences très différentes dans le passé. ter les traditions en général. De leur côté, les catho-
Mais les uns comme les autres ont connu l’antagonisme liques affirment que la Tradition n’est rien d’autre que
et l’oppression des autres communautés chrétiennes la transmission de la Révélation en paroles et en actes.
dans la période qui a suivi la Réforme. Dans nos conversations, quelques convergences sont
apparues malgré tout sur la base du paragraphe 9 de la
Les baptistes, qui ont vécu un déni de leur liberté Constitution dogmatique sur la Révélation divine (Dei
religieuse de la part des Églises officielles, ont tendance Verbum) de Vatican II qui dit :
à se méfier des traditions en général. Leur méfiance à
l’égard de la Tradition peut être due en outre à un bibli- La sainte Tradition et la Sainte Écriture sont donc
cisme strict, ou à l’inverse à un rationalisme inspiré des reliées et communiquent étroitement entre elles. Car
Lumières. L’accent mis sur la connaissance de toutes deux, jaillissant de la même source divine, ne
l’Écriture est un trait caractéristique de la vie et des tra- forment pour ainsi dire qu’un tout et tendent à une
ditions des baptistes, qui se réfèrent continuellement à même fin. En effet, la Sainte Écriture est la Parole
l’autorité de la Bible. Mais ils reconnaissent eux-mêmes de Dieu en tant que, sous l’inspiration de l’Esprit
qu’ils n’ont pas toujours utilisé leur familiarité avec la divin, elle est consignée par écrit ; quant à la sainte
Bible dans le but de se conformer à l’image du Christ. Tradition, elle porte la Parole de Dieu, confiée par
le Christ Seigneur et par l’Esprit Saint aux Apôtres,
Dans la période qui a suivi la Réforme, l’Église Ca-
et la transmet intégralement à leurs successeurs,
tholique avait une conscience accrue des dangers d’une
pour que, illuminés par l’Esprit de vérité, en la prê-
interprétation privée de l’Écriture. C’est pourquoi,
chant, ils la gardent, l’exposent et la répandent avec
entre le Concile de Trente et le Concile Vatican II, la
fidélité : il en résulte que l’Église ne tire pas de la
lecture de la Bible de la part des fidèles catholiques ne
seule Écriture Sainte sa certitude sur tous les points
fut pas encouragée autant qu’elle aurait dû l’être. Rela-
de la Révélation. C’est pourquoi l’une et l’autre
tivement peu de soutien était offert aux laïcs catho-
doivent être reçues et vénérées avec un égal
liques qui désiraient rencontrer la Parole de Dieu dans
sentiment d’amour et de respect55.
l’Écriture. Et bien que Vatican II ait insisté sur la né-
cessité pour les fidèles d’être nourris par une profonde
connaissance de l’Écriture, il faut bien reconnaître que
55. Dei Verbum 9.
36
Dans nos discussions, nous avons convenu que l’enseignement initial des apôtres. Par exemple,
cette déclaration répond en grande partie au souci des l’enseignement du Concile de Chalcédoine qui dit que
baptistes de donner la primauté à l’Écriture sur la Tra- Jésus est « vrai Dieu et vrai homme » est un témoignage
dition, laquelle doit toujours être corrigée par l’Écriture fiable du message apostolique sur le Christ, même s’il
(une restriction à cet accord est signalée ci-dessous au est postérieur au temps des Apôtres. En principe, les
n. 65). Dans son commentaire sur Dei Verbum, Joseph baptistes se disent d’accord sur ce point même si, pour
Ratzinger met en lumière à la fois la différence et eux, tous les développements doctrinaux post-bibliques
l’unité entre Écriture et Tradition : « On a dit que ne sont pas des témoignages fiables du message apos-
l’Écriture est la Parole de Dieu consignée par écrit. Ce- tolique sur le Christ.
pendant la Tradition n’est définie que fonctionnelle- 65. Vatican II a réaffirmé l’enseignement du Concile
ment, par ce qu’elle fait : elle transmet la Parole de de Trente sur le lien étroit et la communication entre
Dieu, mais n’est pas la Parole de Dieu »56. La Tradition Écriture et Tradition, mais il l’a fait dans le cadre d’une
est un processus de transmission dynamique qui « con- compréhension approfondie de l’Écriture, de la Tradi-
serve, répand et diffuse au loin » la Parole de Dieu. Elle tion, et des liens qui existent entre elles. Dei Verbum n.
n’est pas en soi un ensemble de vérités révélées qui 9 dit que « la Sainte Écriture est la Parole de Dieu en
viennent s’ajouter à l’Écriture sans une base scriptu- tant que, sous l’inspiration de l’Esprit divin, elle est
rale ; au contraire, la Constitution affirme que le pro- consignée par écrit ; quant à la sainte Tradition, elle
cessus de la Tradition accroît notre « certitude » sur la porte la Parole de Dieu, confiée par le Christ Seigneur
signification des vérités révélées lorsque les Écritures et par l’Esprit Saint aux Apôtres, et la transmet inté-
sont lues dans la communion des saints, au sein de gralement à leurs successeurs, pour que, illuminés par
l’Église. En affirmant que la certitude de la foi ne vient l’Esprit de vérité, en la prêchant, ils la gardent,
pas « de la seule Écriture sainte » (non... per solam sacram l’exposent et la répandent avec fidélité ». Ce passage de
scripturam), elle reconnaît que la Tradition peut contri- Dei Verbum 9, contient néanmoins une phrase que les
buer à notre certitude sur la signification de l’Évangile. baptistes ne peuvent pas accepter, et qui est la sui-
Lorsqu’ils confessent la foi trinitaire, les baptistes sont vante : « L’Écriture et la Tradition doivent être reçues
tributaires des développements post-bibliques de la et vénérées avec un égal sentiment d’amour et de res-
doctrine, c’est-à-dire de la Tradition, en ce qui concerne pect ». Cette conception de la tradition va au-delà de ce
leur « certitude » de la nature trinitaire de Dieu. Un que les baptistes professent et semble entrer en conflit
théologien baptiste conseille vivement aux baptistes avec leur conviction que l’Écriture suffit à elle seule.
« qui… demandent avec insistance une formulation Mais en approfondissant ce thème, nous avons décou-
claire de la doctrine de la Trinité en utilisant bien sou- vert qu’au Concile de Trente et au Concile Vatican II,
vent des termes remontant à l’époque patristique », certains évêques catholiques avaient exprimé les mêmes
d’employer l’expression suprema Scriptura [« l’Écriture réserves que les baptistes sur l’« égal sentiment de res-
avant tout »] plutôt que la vague formule sola Scriptura pect » à attribuer à l’Écriture et à la Tradition, au risque
[« l’Écriture seule »]57. Par ailleurs, d’autres doctrines se d’obscurcir l’autorité de l’Écriture comme Parole de
sont développées dans la Tradition pour lesquelles les Dieu inspirée59. Nous avons compris que dans ces
baptistes ne trouveront aucune base dans l’Écriture58. deux conciles, l’intention des évêques n’était pas de re-
63. La Tradition apostolique, laissée par les mettre en question l’inspiration et la primauté de
Apôtres, a été transmise au cours des siècles par l’Écriture. Dans ces deux conciles, les évêques ont sou-
l’Église qui s’efforce de la comprendre toujours ligné aussi la distinction cruciale entre la Tradition
plus complètement. Elle ne doit pas être confon- apostolique et les traditions ecclésiales. La tradition
due avec les traditions postérieures qui sont seu- normative provient de l’Église apostolique au temps
lement ecclésiales. Seule la Tradition apostolique des Apôtres, c’est-à-dire de la communauté primitive
est normative avant, pendant et après la formation qui a reçu la plénitude de la Révélation en Christ. Ces
des Écritures canoniques. points de vue, exprimés dans les débats et consignés
64. En donnant la primauté à la tradition aposto- quelquefois dans les documents finaux des Conciles de
lique, les catholiques jugent que certains enseignements Trente et de Vatican II, sont plus proches de la con-
de l’Église peuvent être reconnus comme étant ception baptiste du rapport entre Écriture et Tradition.
« apostoliques », parce qu’ils clarifient fidèlement 66. Il existe d’autres questions relatives au rap-
port entre Révélation, Écriture, Tradition et pro-
clamation qui devraient être résolues, mais ces
56. Joseph Ratzinger, ‘Dogmatic Constitution on Divine questions font l’objet de débats internes dans cha-
Revelation: Chapter II, The Transmission of Divine Revelation’,
dans Herbert Vorgrimler (éd.), Commentary on the Documents of Vatican
II, Volume 3, trans. Lalit Adolphus, Kevin Smyth and Richard
Strachan (London: Burns & Oates, 1967-69), p. 194. Ici traduction
française du traducteur. 59. Ainsi, lors du scrutin de la Congrégation générale du 1er avril
1546, il y avait eu trente-trois voix en faveur d’une déclaration de
57. James Leo Garrett, Jr., Systematic Theology, Vol. 1 (Grand Rapids, parité entre Écriture et Tradition (pari pietatis affectu ac reverentia), mais
Eerdmans, 1990), p. 181. aussi onze voix demandant de remplacer pari (égal) par simili
58. Les exemples cités dans ce rapport sont quelques doctrines (similaire) : voir Hubert Jedin, A History of the Council of Trent, trans.
mariales et la doctrine de l’infaillibilité du Magistère de l’Église. Ernest Graf (St. Louis, Herder, 1961), vol. 2, p. 82.
37
cune de nos deux communions, et pas seulement hommes de toutes les religions et pour ceux qui n’en
entre nous. ont aucune63. Mais ils reconnaissent aussi que la cons-
67. L’une des questions ouvertes est celle de cience peut être déformée, en sorte qu’elle est invio-
l’autorévélation continue de Dieu. Ensemble, baptistes lable mais pas infaillible. Nos communions n’ont pas
et catholiques croient que la Révélation « publique », encore suffisamment réfléchi ensemble sur le rapport
celle dont le contenu doit être proclamé parce qu’il est entre conscience et réception de la doctrine de l’Église.
essentiel pour l’Évangile et qu’il a une valeur universelle Par le fait qu’elle est liée à la « réception » de la Tradi-
pour toute l’humanité, a pris fin à la mort du dernier tion, et plus en général à l’enseignement donné dans les
Apôtre. Mais cette croyance doit être conciliée avec la Églises et congrégations locales, la question de la cons-
conviction que Dieu continue à parler aujourd’hui dans cience demande une réflexion beaucoup plus appro-
la lecture de l’Écriture et dans la proclamation de fondie.
l’Évangile (prédication), où nous pouvons rencontrer 70. La différence entre « la Tradition vivante » du
un Dieu qui se révèle. Cette question a des implications Christ et « les traditions » humaines peut se présenter
sur la nature de la Révélation dans la Tradition, et rap- sous un jour très différent dans le Sud du monde par
pelle une déclaration récente des catholiques sur la rapport à l’Amérique du Nord ou l’Europe. Pour citer
Tradition selon laquelle « Dieu, qui a parlé jadis, ne un exemple, les nouveautés du christianisme africain en
cesse de converser avec l’Épouse de son Fils bien-aimé, plein épanouissement vont sans aucun doute façonner
l’Église »60. Il est d’autant plus urgent de trouver une de plus en plus notre pensée à l’avenir. Nous devons
méthode qui, en utilisant le critère de l’Écriture, per- nous demander dans quelle mesure les présupposés
mette de distinguer entre les développements authen- culturels du Nord du monde et de l’Occident déve-
tiques et légitimes du message originel révélé, et ses loppé conditionnent notre compréhension de la tradi-
« accrétions » illégitimes. tion. Et plus en général, nous devons réfléchir sur la
68. À propos de l’affirmation que « Dieu parle au- façon dont le contexte où nous nous trouvons déter-
jourd’hui », nous avons noté à diverses reprises, durant mine notre façon de concevoir la nature et le contenu
nos conversations, un lien possible entre la Tradition au de la Tradition.
sens où les catholiques l’entendent et la prédication à la- 71. Nos deux communautés reconnaissent la néces-
quelle les baptistes attribuent un rôle de premier plan sité de se mettre à l’école du monde, mais aussi
dans le culte. Dans la prédication, la Parole de Dieu, d’apprendre dans l’Église. Dieu est libre de nous parler
telle qu’elle a été donnée à l’origine, revit dans la situa- par le moyen terrestre qu’il choisit, et nous devons
tion présente sous une forme adaptée aux circonstances donc nous demander comment discerner ce que Karl
et au contexte social et culturel. Dans le rapport entre Barth appelait « les paraboles terrestres du Royaume
Écriture et prédication, il pourrait bien y avoir la clé du des cieux »64 et ce que Vatican II appelle les « signes
rapport entre Écriture et Tradition. À cet effet, une ré- des temps »65. Nous devons nous demander aussi com-
flexion plus approfondie sur la théologie de la procla- ment éviter de confondre la Parole avec la culture,
mation serait nécessaire. Les baptistes pourraient éga- même si nous pouvons discerner la Parole dans la cul-
lement trouver des pistes dans le début de leur histoire, ture, et comment l’écoute de la Parole dans le monde
quand les services du culte comportaient habituelle- influe sur l’évolution de la Tradition.
ment un temps d’enseignement et un temps de prédi- Le fait que toutes les questions non encore résolues
cation – une exégèse stricte de l’Écriture et une appli- mentionnées ci-dessus (n. 67-71) prennent une forme
cation plus « prophétique » de la Parole à la situation « missionnelle » plutôt que la forme plus convention-
présente – ce qui pourrait éclairer le rapport entre nelle des controverses qui ont divisé les communions
Écriture et Tradition. chrétiennes dans le passé est, à nos yeux, un signe des
69. Ensemble, nous croyons que la conscience a be- progrès accomplis par les baptistes et les catholiques
soin d’être formée pour entendre clairement la Parole dans leurs discussions sur Écriture et Tradition.
de Dieu. Chez les catholiques, l’éducation de la cons-
cience est un travail de toute une vie qui « garantit la
liberté » ; dans la formation de la conscience, la Parole
de Dieu est une « lumière pour mon sentier » (Ps
119)61. Les baptistes ont toujours défendu la liberté de
conscience et se sont battus pour la liberté de religion,
car ils croient que la conscience est un moyen pour
vivre selon la loi du Christ62. Depuis leur origine, les
baptistes ont revendiqué la liberté de conscience devant 63. Voir Thomas Helwys, A Short Declaration of the Mistery of
Dieu, non seulement pour les chrétiens, mais pour les Iniquity (Amsterdam, 1612), p. 69 : « … car la religion des
hommes envers Dieu est entre Dieu et eux-mêmes ; le Roi n’en
répond pas, et le Roi ne peut pas non plus être juge entre Dieu et
l’homme. Laissons que les Turcs, les Juifs et autres soient des
60. Dei Verbum 8 ; CEC 94. hérétiques, il n’appartient nullement au pouvoir terrestre de les en
61. CEC 1783-5. punir ».
62. Voir Confession de foi (Londres 1644), XLIX-LII : Confession courte 64. Karl Barth, Dogmatique, Editions Labor et Fides, Genève.
(Londres 1600), XXIV. 65. Gaudium et Spes 4.
38
donnances » d’une façon qui peut paraître très « sacra-
IV. BAPTÊME ET SAINTE CÈNE/EUCHARISTIE :
mentelle » aux autres chrétiens. Tous les baptistes
LA PAROLE DE DIEU VISIBLE DANS LA KOINONIA
DE L’ÉGLISE
s’approchent des ordonnances avec respect et dévo-
tion, en invoquant l’intervention de l’Esprit Saint pen-
La signification des sacrements/ordonnances dant qu’ils les célèbrent, et en espérant recevoir ainsi
72. Dans leur rapport, les précédentes conversations une « bénédiction » de Dieu, même si certains préfèrent
entre catholiques et baptistes (1984-88) avaient identifié parler de « grâce », outre que de bénédiction. Ils
la relation entre foi et sacrements – appelés « ordon- affirment que le Christ a promis de venir à la rencontre
nances » par la plupart des baptistes – comme l’un des de ses disciples dans les eaux du baptême et dans le
problèmes centraux à étudier dans l’avenir. Dans nos pain et le vin de la Sainte Cène, et que cette rencontre
présentes conversations, nous avons décidé de va changer leur vie. La fonction des ordonnances
l’aborder dans le cadre de notre thème principal « La comme signes ne signifie pas qu’elles sont purement
Parole de Dieu dans la vie de l’Église ». Car d’une part, des symboles vides.
l’évolution des croyances sur la nature des sacrements En dialoguant entre eux durant ces conversations,
ou ordonnances s’inscrit dans le contexte plus large du les baptistes sont arrivés à la conclusion qu’entre « sa-
rapport entre Écriture et Tradition examiné ci-dessus ; crement » et « ordonnance » il n’y a pas une différence
de l’autre, les sacrements ou ordonnances peuvent être radicale de sens, mais plutôt un chevauchement. En ef-
considérés comme une façon de « rendre visible » la fet, si la plupart des baptistes préfèrent donner au-
Parole de Dieu qui gouverne l’Église, en sorte que la jourd’hui à ces actes de culte le nom d’« ordonnances »,
combinaison entre grâce divine et foi humaine que le mot « sacrement » figure dans les professions de foi
nous trouvons dans l’écoute de la Parole se retrouve et dans les écrits des premiers baptistes67 ; en outre,
aussi dans la pratique concrète des sacrements ou or- qu’ils utilisent le mot « sacrement » ou le mot « ordon-
donnances. En outre, comme l’action de la Parole de nance », ils affirment la présence du Christ dans la
Dieu dans la vie de l’Église est fondée sur le fait que le Sainte Cène et la grâce transformante de Dieu dans le
Verbe participe de la vie trinitaire de Dieu (voir n. 8-9), baptême d’une façon sacramentelle, tout en rejetant les
les sacrements/ordonnances sont enracinés dans les doctrines catholiques de la transsubstantiation et de la
rapports de Dieu comme Trinité. régénération des enfants68. De nos jours, certains bap-
73. Les sacrements/ordonnances sont des tistes continuent à adhérer au point de vue sacramentel
signes à travers lesquels Dieu agit, et donc des des premiers baptistes. Si les baptistes approuvent en
signes visibles de la grâce ou bénédiction divine général la première partie de l’article du catéchisme de
invisible. l’Église Catholique qui dit que « le Christ agit par les
74. Pour les catholiques, les sacrements sont des ac- sacrements », ils rejettent tout ce qui suit, préférant dire
tions du Christ manifestées à travers des signes qui simplement que le Christ accorde la grâce que les sa-
rendent présente la grâce. Voici ce que dit le Catéchisme crements ou ordonnances signifient69.
de l’Église Catholique à ce propos : 76. Les différences de terminologie entre catho-
liques et baptistes, ainsi que celles entre les baptistes
‘Assis à la droite du Père’ et répandant l’Esprit Saint eux-mêmes, nous ont amené à adopter la convention
en son Corps qui est l’Église, le Christ agit suivante dans le présent rapport : pour indiquer unique-
désormais par les sacrements, institués par Lui pour ment la perspective catholique, nous parlons de « sacre-
communiquer sa grâce. Les sacrements sont des ment », et nous réservons l’expression sacre-
signes sensibles (paroles et actions), accessibles à ments/ordonnances aux points de vue divergents entre
notre humanité actuelle. Ils réalisent efficacement la baptistes, ainsi qu’aux convergences entre catholiques
grâce qu’ils signifient en vertu de l’action du Christ et baptistes.
et par la puissance de l’Esprit Saint.66
77. Les termes « sacrement » et « ordonnance »
75. Chez les baptistes, le terme « ordonnance » ren- expriment tous deux à la fois le don d’amour de
voie au fait que ces actions ont été ordonnées ou insti- Dieu (agapé) et la réponse des hommes dans la
tuées par Jésus Christ et confiées à l’Église pour signi- foi. Les sacrements/ordonnances deviennent ainsi
fier la mort, la mise au tombeau et la résurrection du le point d’intersection entre l’engagement divin et
Christ (1 Co 11, 25 ; Lc 22, 4-20 ; Mt 28, 19). Bien sou- l’engagement humain, où la priorité revient à
vent, les baptistes utilisent le terme « ordonnance » l’action salvifique de Dieu.
parce qu’ils n’aiment pas le terme « sacrement » et qu’ils
veulent se démarquer de ce qu’ils considèrent comme la
conception catholique du « sacrement ». Ils mettent 67. Par ex. Confession de foi de Jean Smyth en vingt articles [Baptistes
l’accent sur la « remémoration » du Christ à la table du Généraux] (1609), (13), dans Lumpkin (éd.), Baptist Confessions, pp.
Seigneur et sur le fait que le baptême témoigne d’une 100-102 ; Orthodox Creed (Londres 1679), XXVII.
régénération déjà advenue dans le croyant. Mais en 68. par ex. Confession ou Déclaration de foi [Baptistes Généraux]
(Londres 1660), XII, dans Lumpkin (éd.), Baptist Confessions, pp.
pratique, ces chrétiens baptistes s’approchent des « or- 224-235 ; Confession de foi (Londres, 1677), XXIX.1, XXX.6-7.
69. Ils refusent donc de considérer les sacrements comme étant
causals par eux-mêmes, à la différence des catholiques. Voir plus
66. CEC 1084. loin n. 88, 90.
39
78. Le mot latin sacramentum traduit le mot grec munions, d’autres actes cultuels qui ne sont pas consi-
mysterion, qui indique l’action de Dieu dans l’histoire dérés comme des sacrements/ordonnances au sens
pour le salut du monde, spécialement à travers strict participent de leurs qualités. Le baptême et
l’incarnation, la mort et la résurrection de son Fils (cf. l’Eucharistie/Sainte Cène gardent néanmoins leur place
Col 2,2-3). Ce mot était déjà utilisé par les Romains centrale, comme « principaux sacrements » ou ordon-
dans un sens non religieux pour désigner la promesse nances72.
solennelle d’allégeance du soldat. Dans leur sens théo- Pour les catholiques, le baptême et l’Eucharistie
logique, ces deux termes (mysterion et sacramentum) ont font partie des sept sacrements, qui comprennent en
deux significations complémentaires : ils expriment à la outre la confirmation, la réconciliation, l’onction des
fois l’action de Dieu (le « mystère » de l’œuvre ré- malades, les saints ordres et le mariage. Pour les bap-
demptrice de Dieu) et la réponse active et vécue des tistes en revanche, seuls le baptême et le Sainte Cène
hommes à cette action salvifique de Dieu à travers un sont des sacrements/ordonnances, même si certains
engagement personnel et libre (la « promesse solen- baptistes y ajoutent le lavement des pieds73, et
nelle » de la foi). Le terme « ordonnance », que la plu- occasionnellement d’autres rites aussi. Mais tout en
part des baptistes préfèrent à celui de « sacrement », refusant de reconnaître les cinq autres sacrements des
souligne l’institution selon le commandement du catholiques comme des sacrements/ordonnances74, les
Christ. Mais comme pour le « sacrement », ce terme in- baptistes ont des pratiques qui leur correspondent dans
dique à la fois l’action de Dieu et la nécessité de la foi. une certaine mesure : ils organisent des moments de
79. Le Christ doit toujours être au centre de confession mutuelle où les croyants peuvent se récon-
toute explication sur la signification des sacre- cilier avec Dieu et entre eux, encouragent la redédica-
ments/ordonnances et sur leur rapport avec tion de la vie dans le culte, fournissent une assistance
l’Église. pastorale ou une direction spirituelle, prient pour les
80. Pour les baptistes comme pour les catholiques, malades (et oignent même parfois les croyants),
le Christ est l’initiateur et l’auteur des sacre- ordonnent leurs ministres, et accomplissent les rites du
ments/ordonnances, ainsi que « celui qui mène à leur mariage chrétien. Certains baptistes pratiquent en outre
accomplissement »70. Ils s’accordent à dire que ces l’imposition des mains comme le faisaient les premiers
actes de culte ont été ordonnés par le Christ, qui agit Baptistes généraux. Les baptistes croient qu’en accom-
dans et à travers eux au sein de l’Église. Les rites et les plissant les actes décrits ci-dessus, ils expérimentent la
signes des sacrements/ordonnances n’ont d’efficacité présence et la grâce du Christ et communient avec lui,
que par le Christ qui agit à travers eux. Non seulement comme le font les catholiques avec les sept sacrements
ils témoignent du Christ mort et ressuscité, mais ils de leur propre tradition.
nous permettent de nous unir plus profondément à lui. 85. Les sacrements/ordonnances sont des ex-
81. Il y a co-inhérence entre les sacre- périences de rencontre avec le Christ qui changent
ments/ordonnances et la prédication de la Parole la vie de ceux qui vivent ces moments de culte, par
de Dieu. la présence et la puissance de l’Esprit Saint. En-
semble, catholiques et baptistes affirment la pleine
82. Dans les traditions catholique et baptiste, les sa- liberté de Dieu dans les sacrements/ordonnances,
crements/ordonnances proclament ce que Dieu a ac- et soulignent qu’aucune expérience de salut ne
compli en Christ ; ils fonctionnent donc comme des saurait être pleine et entière sans la participation
paroles tangibles et visibles de Dieu, en communiquant libre et aimante du croyant à l’alliance d’amour de
la bonne nouvelle du salut71. C’est pourquoi non seule- l’Église du Christ, car il ne peut y avoir aucune ex-
ment ils édifient la communauté chrétienne, mais ils périence de la grâce sans la foi.
sont destinés aussi au monde et à son salut puisque
l’Église participe à la mission de Dieu. La célébration 86. La Constitution sur la liturgie de Vatican II ré-
des sacrements/ordonnances est habituellement ac- sume ainsi le but des sacrements pour les catholiques :
compagnée du ministère de la Parole comprenant une Les sacrements ont pour fin de sanctifier les
lecture de l’Écriture et une prédication. hommes, d’édifier le Corps du Christ, enfin de
83. Baptême et Eucharistie/Sainte Cène sont rendre le culte à Dieu ; mais, à titre de signes, ils ont
au centre de la vie de l’Église. aussi un rôle d’enseignement. Non seulement ils
84. Chez les catholiques comme chez les baptistes, supposent la foi, mais encore, par les paroles et les
choses, ils la nourrissent, ils la fortifient, ils
d’autres actes cultuels outre le baptême et
l’Eucharistie/Sainte Cène peuvent être appelés sacre-
ments ou ordonnances. En outre, dans les deux com- 72. Les catholiques les appellent sacramenta maiora.
73. On en trouve des exemples aujourd’hui chez les ‘Primitive
Baptists’, ‘Old Regular Baptists’ et ‘Freewill Baptists’, présents sur
70. He 12,2 ; cf. l’application d’auctor au Christ dans l’Eucharistie tout le territoire des États-Unis, ainsi que chez certains baptistes de
chez Ambroise de Milan dans De sacramentis IV.4.13, et dans le Russie (de mouvance mennonite).
baptême par Augustin d’HipponedansContra Litteras Petitiani 74. Il y a des exceptions – par ex. le théologien baptiste Jean
II.24.57. Colwell plaide en faveur des sept sacrements catholiques. Cf.
71. De même, voir la discussion sur le fait que la Parole prêchée et Promise and Presence. An Exploration of Sacramental Theology (Milton
écrite est de la même nature que le sacrement au n. 40 ci-dessus. Keynes: Paternoster, 2005).
40
l’expriment ; c’est pourquoi ils sont dits sacrements qui a trait à sa sanctification. L’effet final d’un sacre-
de la foi. Certes, ils confèrent la grâce, mais, en ment chez celui qui le reçoit est toujours le résultat
outre, leur célébration dispose au mieux les fidèles à d’un échange harmonieux entre l’objectif et le subjectif,
recevoir fructueusement cette grâce, à rendre à Dieu entre le don de Dieu et l’attitude personnelle du
le juste culte, et à exercer la charité75. croyant. L’objectivité sacramentelle de l’ex opere operato
et de l’opus operatum (« l’acte opéré ») n’annule pas la li-
87. La profession de foi approuvée par la congréga-
berté humaine, de même que la réponse humaine ne
tion baptiste de John Smyth en 1610 rappelle par bien
donne pas aux sacrements une validité objective, ce qui
des côtés le passage de la Constitution cité ci-dessus :
limiterait la liberté de Dieu.
Deux sacrements sont institués par le Christ pour sa 90. Ayant mieux compris l’enseignement catholique
sainte Église… à savoir, le Saint Baptême et la sur l’ex opere operato, les baptistes ont pu confesser avec
Sainte Cène. Ce sont des actes et des signes les catholiques, comme ci-dessus, que Dieu fait preuve
extérieurs visibles qui manifestent à nos yeux, de la d’une pleine liberté dans les sacrements/ordonnances
part de Dieu, l’acte spirituel intérieur dans lequel et qu’« aucune expérience de grâce n’est possible sans la
Dieu intervient, par le Christ et avec la coopération foi ». Toutefois, les baptistes maintiennent leurs ré-
de l’Esprit Saint, pour la justification de l’âme du serves quant aux implications de l’enseignement catho-
fidèle pénitent, et de notre part, le témoignage de lique sur l’ex opere operato selon lesquelles les sacrements
notre religion, de notre expérience, de notre foi et en eux-mêmes « confèrent la grâce », « impartissent la
de notre obéissance, en obtenant une bonne grâce », « rendent la grâce effective » ou « rendent pré-
conscience au service de Dieu76. sente la grâce ». Il leur serait plus facile d’accepter un
88. Les baptistes mettent l’accent sur la liberté de autre aspect de cet enseignement, à savoir que Dieu
Dieu d’agir dans les sacrements/ordonnances quand et utilise les sacrements/ordonnances pour se rendre pré-
où il veut, tout en ayant confiance que Dieu est fidèle à sent, comme une occasion pour impartir sa grâce qui
ses promesses. Ils contestent généralement le don de la n’est autre que sa présence aimante (cf. n. 89).
grâce dans les sacrements ex opere operato (« par 91. Le rapport essentiel entre foi et sacre-
l’opération opérée » ou « par le fait même que l’action a ment/ordonnance met en jeu la foi du croyant et
été opérée »)77, car pour eux cela revient à dire que les celle de la communauté.
sacrements confèrent la grâce en eux-mêmes, ce qu’ils 92. Nos deux traditions affirment que la foi
voient comme une limite à la liberté de Dieu. s’exprime visiblement par une profession publique et
89. Pour les catholiques, la notion d’ex opere operato par le culte célébré par la communauté. Le catéchisme de
n’a rien à voir avec une interprétation « magique » de l’Église Catholique appelle aussi les sacrements « sacre-
l’efficacité des sacrements. Elle entend affirmer plutôt ments de la foi »78. Les sacrements sont la parole de
l’objectivité et le primat de l’action de Dieu sur celle du Dieu exprimée sous une forme sacramentelle. Ils sont
ministre, en assurant les chrétiens de l’intervention reçus dans la foi, à travers une libre acceptation du don
souveraine et gratuite de Dieu dans les sacrements. de Dieu. C’est pourquoi il ne peut y avoir d’événement
D’après l’enseignement catholique, la réception de la sacramentel sans la foi. Par le fait qu’ils expriment
grâce du sacrement dépend de la disposition de celui l’acceptation de la parole de Dieu, les sacrements sont
qui reçoit le sacrement en ne mettant aucun obstacle à une profession de foi. La foi est toujours à la fois indi-
la grâce de Dieu, de sa foi, et de l’intention du ministre viduelle et ecclésiale. L’enseignement baptiste insiste
de « faire ce que fait l’Église » et d’accomplir les gestes aussi sur la nécessité d’avoir la foi pour recevoir la
essentiels du sacrement. La générosité divine garantit le grâce de Dieu dans les sacrements/ordonnances79. S’il
don, et la liberté de l’homme l’accueille en collaborant est vrai que le Christ peut être rencontré personnelle-
avec Dieu dans un acte personnel qui comporte une ment dans la Sainte Cène et dans le baptême, la foi et la
conversion – et donc un renoncement au péché – pour confiance sont essentielles pour qu’une telle rencontre
trouver Dieu dans la foi, l’espérance et la charité, avec puisse avoir lieu, même si c’est toujours l’action de
le désir de vivre à l’image du Christ. Bien qu’aucun sa- l’Esprit Saint qui rend possible cet acte humain qui est
crement ne puisse être efficace en l’absence de ces dis- soutenu et encouragé par la foi de la communauté.
positions, l’action salvifique suscite par elle-même cette
bonne volonté. C’est en ce sens que la grâce conférée
par les sacrements est « opérante » : elle n’est pas le Le baptême
fruit d’une contribution purement humaine à l’efficacité 93. Nous baptisons en obéissance au comman-
du sacrement, mais plutôt le premier effet de la grâce dement du Christ : « Allez donc : de toutes les na-
sacramentelle. Le sacrement devient inefficace pour tions faites des disciples, les baptisant au nom du
celui qui refuse l’action de la grâce, du moins pour ce Père et du Fils et du Saint Esprit, en leur appre-
nant à garder tout ce que je vous ai prescrit » (Mt
75. Sacrosanctum Concilium 59.
76. Confession de foi courte [Baptistes Généraux/Mennonites] (1610),
28, dansW. Lumpkin, Baptist Confessions, pp. 102-13. Traduction 78. CEC 1122-1126 ; Sacrosanctum Concilium 59.
française du traducteur. 79. Confession de foi (Londres 1644), XXXIX; Confession de foi
77. CEC 1128. (Londres 1677), XXIX.2, XXX.7; Orthodox Creed, XXVIII, XXXIII.
41
28, 19-20). Le baptême trouve son fondement et de régénération antérieur, croient qu’un baptême dans
son sens dans la doctrine de la Trinité et dans la l’Esprit précède toujours le signe du baptême d’eau. En
christologie. Par notre baptême, nous sommes in- revanche, ceux qui croient que le baptême fait partie du
troduits dans la communion de Dieu Trinité, et long processus qui conduit à « être sauvé » (voir n. 95)
nous participons à la vie, la mort et la résurrection pensent que le baptême dans l’Esprit advient simulta-
du Christ. nément au baptême d’eau. Pour eux, le « baptême dans
94. Baptistes et catholiques peuvent faire beaucoup l’Esprit », qui advient au moment du baptême d’eau, est
d’affirmations communes sur la doctrine du baptême en fait un approfondissement de la réception de
en raison de leur profession de foi commune en Dieu l’Esprit qui a déjà eu lieu lors de la conversion. Les ca-
Trinité et en la personne et l’œuvre du Christ, qui sont tholiques affirment simplement que le don de l’Esprit
intrinsèques au baptême. Dans nos deux communions, se produit au moment du baptême, quel que soit l’âge
le baptême est une profession de foi en Dieu, Père, Fils du baptisé. Au sein des communions catholique et
et Saint-Esprit. Ensemble, nous croyons que l’acte du baptiste, certains groupes (qui s’inspirent généralement
baptême est une occasion pour rencontrer le Dieu du mouvement du « renouveau charismatique ») croient
d’amour et pour prendre part à la koinonia de la vie de que le « baptême dans l’Esprit » a lieu après la conver-
relation de Dieu. Ensemble, nous croyons en Jésus sion ou le baptême, mais nous interprétons générale-
Christ, le Fils de Dieu, qui s’est incarné, a souffert, est ment cette « seconde bénédiction » comme une récep-
mort et est ressuscité pour le salut des hommes. Nous tion plus profonde des dons de l’Esprit Saint qui ont
sommes baptisés dans le baptême même du Christ, qui déjà été accordés.
est son abaissement dans la condition humaine à tra- 97. La foi est toujours nécessaire dans le bap-
vers son ministère, sa mort sacrificielle et sa résurrec- tême.
tion transformante (Rm 6, 3-4). Nous souvenant des 98. Catholiques et baptistes s’accordent à dire que le
paroles de Jésus : « Du baptême dont je vais être bap- premier mouvement conscient de la foi au Christ est
tisé, vous serez baptisés » (Mc 10, 39), nous croyons initié par la grâce de Dieu, et qu’il est accompagné par
que l’« unique baptême » en Éphésiens 4,5 est en premier l’Esprit Saint qui introduit le croyant dans la commu-
lieu une immersion dans l’unique Seigneur Jésus Christ nion du Christ. Ensemble, ils reconnaissent aussi que le
(« Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême »), baptême est le sacrement/ordonnance de cette foi. En
et non une référence à un acte de baptême unifié pour outre, il existe un certain consensus entre eux sur la
toutes les Églises chrétiennes. nature de la foi qui entre en jeu dans cet événement.
95. Nombre de baptistes voient dans le baptême un Pour les uns comme pour les autres, l’acte du baptême
signe des bénéfices du salut qui ont déjà été reçus. Pour est une affirmation de la foi en Dieu Trinité au nom
eux, le baptême est une occasion pour le croyant duquel les chrétiens sont baptisés. Ensemble, ils
d’exercer la foi qui lui a été donnée par Dieu, en ré- affirment aussi que la foi de la communauté intervient
ponse au don du salut qu’il lui a déjà accordé. Ils dans le baptême, et que ses membres doivent s’aider
pensent que cet acte de foi est aussi une occasion pour mutuellement à grandir dans la foi. Le fait d’être bap-
obtenir la bénédiction de Dieu, et donc pour participer tisé en étant entouré de la prière publique de l’Église
plus intensément à sa vie de communion, sans attribuer manifeste la volonté du baptisé de vivre sa foi dans le
au baptême un effet salvifique. Pour la plupart des cadre de la foi de la communauté qui le reçoit. Bap-
baptistes, le salut n’est pas un moment isolé, mais un tistes et catholiques affirment que l’initiation comme
long processus qui conduit à « être sauvé » (comme le parcours (voir n. 101-103 ci-dessous) signifie que la foi
dit Paul en 1 Co 1, 18)80. Ils croient que le baptême que chacun apporte dans le baptême est une foi encore
nous introduit plus avant dans la vie de Dieu puisqu’il immature, qui a besoin de grandir et de se développer.
fait partie d’un processus qui consiste à nous laisser Catholiques et baptistes s’accordent à dire en outre que
transformer par la grâce salvifique de Dieu, un proces- l’acte du baptême prend son sens le plus plein dans le
sus qui a commencé par un travail préparatoire de Dieu cas d’un disciple croyant dont la foi est soutenue par
dans notre cœur, suivi de la conversion et du baptême. celle d’une communauté de croyants.
Pour l’Église Catholique, le baptême est efficace et ap- 99. Conformément à leur conception du rôle de la
porte les bénéfices du salut. foi dans le baptême tel qu’il est décrit ci-dessus, les
96. Ensemble, nous confessons avec saint Paul que baptistes demandent que, dans leurs Églises, le bap-
« nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit » (1 tême comporte toujours une confession de foi person-
Co 12, 13), mais il existe chez les baptistes des points de nelle du baptisé. Les baptistes ne baptisent que ceux
vue différents sur le rapport entre baptême dans qui sont déjà des croyants et des disciples, et donc à un
l’Esprit et baptême d’eau. Ceux qui croient que le bap- âge où ils peuvent assumer consciemment la responsa-
tême est uniquement un signe du salut déjà advenu, et qui bilité de prendre part à la mission de Dieu dans le
identifient le « baptême dans l’Esprit » avec le moment monde.
100. Pour les catholiques aussi, la foi est nécessaire
pour recevoir le baptême, mais ils acceptent que la
80. La vision du salut comme parcours qui aboutit à la sanctification
et la glorification finale est partagée par les baptistes, mais ils ne
communauté professe sa foi pour un enfant, à condi-
croient pas que le baptême fasse partie intégrante de ce parcours. tion que les parents indiquent leur volonté qu’il soit
42
baptisé et leur intention de l’élever dans la foi de le monde, premier partage de l’Eucharistie ou de la
l’Église. Les parents catholiques pensent que cette pra- Sainte Cène. Cette période d’initiation est suivie d’une
tique est conforme à leur rôle d’éducateurs81. Par na- vie de disciple qui s’étend sur toute la vie selon le mo-
ture, le baptême des petits enfants requiert une caté- dèle baptismal qui consiste à mourir et à ressusciter
chèse post-baptismale, et donc un parcours d’éducation chaque jour avec le Christ.
chrétienne qui aide les enfants à grandir dans la foi. 103. Chez les catholiques, il y a trois sacrements de
Toute la communauté ecclésiale est tenue de nourrir la l’initiation : le baptême, la confirmation et l’Eucharistie.
foi baptismale. Le « parcours d’initiation » décrit ci-dessus peut inclure
Bien qu’ils ne pratiquent pas le baptême des petits le baptême des petits enfants ; même si la séquence des
enfants, les baptistes sont convaincus que le Christ ap- étapes diffère pour eux de celle prévue pour les adultes,
pelle à lui les petits enfants, comme signe du Royaume tous les éléments du parcours sont néanmoins présents.
de Dieu. Ils expriment généralement cette conviction Chez les baptistes, le baptême ne peut être pratiqué
par un acte de « présentation des petits enfants » où on qu’au terme d’un chemin de conversion, souvent pré-
prie pour l’enfant et on le bénit, et où les parents cédé d’un long parcours d’éducation chrétienne depuis
s’engagent avec toute la communauté à l’élever dans l’enfance (marqué éventuellement par la bénédiction de
l’amour et dans les enseignements du Seigneur, en at- l’enfant dans la communauté de foi). Cependant, bap-
tendant qu’il puisse avoir une foi personnelle au Christ. tistes et catholiques reconnaissent que dans leurs deux
Pour certains baptistes, cette pratique d’entourer les en- communions, le parcours d’initiation dans son ensemble
fants des prières et des enseignements de l’Église fait est destiné à former des disciples chrétiens et à aider
partie de leur parcours d’initiation chrétienne. chaque disciple à approfondir son rapport avec Dieu
101. L’initiation au Christ et à son Église est un Trinité.
parcours qui ne s’arrête pas à l’acte du baptême. C’est pourquoi nous pensons que dans les relations
Nous pouvons œuvrer en vue d’une reconnais- entre baptistes et catholiques, il serait plus fructueux de
sance mutuelle des diverses formes d’initiation qui travailler à une reconnaissance mutuelle de l’initiation,
existent parmi nous, comme « parcours » de foi et plutôt que de chercher à affirmer un « baptême com-
de grâce. mun ». Pour les baptistes, le baptême des disciples
102. Dans leurs conversations récentes avec d’autres croyants ne peut pas avoir tout à fait la même significa-
communions chrétiennes, les baptistes ont défini le tion que celui des petits enfants. L’idée d’un « baptême
parcours d’initiation comme un « parcours des débuts commun » est donc inenvisageable pour eux. Dans les
chrétiens »82. Dans des termes très similaires, le Caté- conversations qu’ils ont eues récemment avec d’autres
chisme de l’Église Catholique dit : « Devenir chrétien, cela communions chrétiennes, les baptistes ont préféré
se réalise dès les temps des apôtres par un chemine- parler d’une « initiation commune », en reconnaissant
ment et une initiation à plusieurs étapes »83. Pour les leur « parcours des débuts chrétiens » malgré leurs di-
adultes qui découvrent la foi, ce parcours débute dans vergences de vues sur le baptême84. La question du
nos deux traditions par une évangélisation dans l’Église « baptême commun » se heurtera toujours à l’obstacle
et par une proclamation de l’Évangile qui les appelle à de la nature de la foi dans le baptême, déjà mis en lu-
la foi. L’appel de Dieu à la foi passe donc par la foi de mière dans les précédentes conversations entre catho-
la communauté : « Or, comment l’invoqueraient-ils, liques et baptistes. Même s’ils reconnaissent la place de
sans avoir cru en lui ? Et comment croiraient-ils en lui, la foi dans le baptême des petits enfants, représentée
sans l’avoir entendu ? Et comment l’entendraient-ils, si par la foi de leurs parents et de l’Église, la plupart des
personne ne le proclame ? Et comment le proclamer, baptistes pensent que ce n’est pas une foi appropriée
sans être envoyé ? Aussi est-il écrit : Qu’ils sont beaux pour recevoir le sacrement/ordonnance du baptême.
les pieds de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles ! » Néanmoins, certains baptistes seraient plus disposés
(Rm 10,14-15). La foi et l’adhésion à l’Évangile est un que d’autres à accepter que le baptême des petits en-
parcours qui comporte différents stades ou étapes : fants, complété par une profession de foi à l’âge adulte,
conversion (en réponse à la proclamation de puisse être un processus d’initiation équivalent au bap-
l’Évangile), puis baptême d’eau au nom du Père, du Fils tême des disciples croyants.
et du Saint-Esprit, réception des dons de l’Esprit avec 104. Il est plus facile pour les baptistes de recon-
la responsabilité de participer à la mission de Dieu dans naître l’existence d’un « parcours d’initiation chré-
tienne » dans les Églises qui pratiquent le baptême des
petits enfants si ce parcours d’initiation n’est considéré
81. CEC 1252.
82. C’est une caractéristique des précédentes conversations entre comme achevé que le jour où le baptisé peut confesser
baptistes et anglicans ; voir Conversations Around the World. personnellement sa foi au Christ. Pour un grand
Conversations between the Anglican Communion and the Baptist World nombre de baptistes, l’acte de confirmation des catho-
Alliance, 44-51. De même, voir Dialogue between the Community of liques comprend deux événements qui se trouvent gé-
Protestant Churches in Europe (CPCE) and the European Baptist Federation
(EBF) on the Doctrine and Practice of Baptism. Leuenberg Documents 9 néralement associés dans le baptême du disciple
(Frankfurt, Verlag Lembeck, 2005), 19-22 ; Pushing at the Boundaries croyant : une profession de foi personnelle et publique,
of Unity. Anglicans and Baptists in Conversation (Londres, Church
House Publishing 2005), 31-57.
83. CEC 1229. 84. Voir note 32 ci-dessus.
43
et la réception des dons du Saint-Esprit en vue du ser- (Ac 2, 38 ; 1 Co 6, 11 ; He 10, 22), de mort et de ré-
vice dans le monde. Les baptistes notent que le rite de surrection avec le Christ (Rm 6, 1-6), de baptême
confirmation de l’Église Catholique dit que « la récep- dans l’Esprit (1 Co 12, 13 ; Ac 2, 38, 10, 47 ; cf. Mc
tion du sacrement de la confirmation est nécessaire à 1, 9-11), de libération des forcces du mal (Col 1, 13),
l’accomplissement de la grâce baptismale »85. d’union au Christ (Ga 3, 27), d’adoption comme
105. Pour leur part, les catholiques précisent que enfants du Dieu (Ga 3, 26), et membres du corps du
l’essence du sacrement de la confirmation ne réside pas Christ (1 Co 12, 13 ; Gal 3, 27-28)91.
dans la profession de foi publique à l’âge adulte – Toutefois, il existe parmi les baptistes différents
même si le rite de la confirmation comporte un renou- points de vue sur le fait que les bénéfices du salut sont
vellement des promesses du baptême – mais plutôt efficaces et exprimés dans l’acte du baptême. Comme nous
dans la réception de l’Esprit Saint qui « enrichit les con- l’avons vu précédemment (n. 95-96), certains d’entre
firmands d’une force spéciale »86, en sorte que « leur eux voient surtout dans le baptême un signe des béné-
lien avec l’Église est rendu plus parfait »87 et qu’ils se fices du salut qui ont déjà été reçus. D’autres croient
trouvent ainsi obligés « plus strictement à répandre la que, puisque le baptême est une rencontre entre la foi
foi par la parole et par l’action en vrais témoins du du croyant et la grâce transformante de Dieu, ce que
Christ »88. Enfin, « les sacrements de la Confirmation et ces images du salut expriment est réellement donné
de la Sainte Eucharistie sont si intimement liés entre dans le baptême (1 P 3, 21, « le baptême vous sauve
eux que les fidèles qui ont reçu l’onction du baptême et maintenant… par la résurrection de Jésus Christ »). Ils
de la confirmation sont pleinement incorporés au soulignent cependant que le salut est un parcours con-
Corps du Christ par leur participation à tinu et quotidien qui consiste à se laisser transformer à
l’Eucharistie »89. La nature de la confirmation et les l’image du Christ (« Le langage de la croix est pour
conditions requises pour sa réception correspondent à nous puissance de Dieu », 1 Co 1, 18). Les catholiques
celles de la profession de foi d’un disciple baptiste (bien croient que les bénéfices du salut, exprimés par les
que l’âge auquel la confirmation peut être reçue soit images scripturales citées ci-dessus, sont réellement
également un obstacle)90. D’autre part, les catholiques rendus efficaces dans le baptême, mais ne se limitent pas
affirment que la confirmation est d’abord un acte de à l’acte du baptême.
Dieu avant d’être une profession de foi, en mettant 107. Le baptême est administré par l’eau, une
l’accent sur l’initiative gratuite de Dieu qui agit à travers fois pour toutes, au nom du Père, du Fils et du
les instruments sacramentels. En principe, les baptistes Saint-Esprit.
seraient prêts à accepter cette précision, puisqu’ils
croient eux aussi qu’en recevant le baptême, les dis- 108. Baptistes et catholiques sont substantiellement
ciples croyants reçoivent les dons de l’Esprit Saint pour d’accord sur la manière dont le baptême est administré
pouvoir participer à la mission de Dieu dans le monde : et sur le fait qu’il l’est une fois pour toutes. Nos deux
c’est précisément ce qu’ils voudraient que les catho- communions reconnaissent que le baptême est admi-
liques affirment dans leur acte de confirmation du nistré par l’eau en prononçant les mots « Je te baptise
croyant. au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit »92. En-
semble, nous croyons que l’immersion dans l’eau est la
106. Ensemble, catholiques et baptistes déclarent pratique qui exprime le mieux la signification du baptême,
que, même si le parcours d’initiation commence avant à savoir la mort et la résurrection du Christ. Mais les
le baptême et continue après, le baptême est la princi- catholiques n’exigent pas l’immersion, et pour eux le
pale étape de ce parcours. Ils approuvent donc la décla- baptême peut aussi être administré en faisant couler de
ration suivante des baptistes : l’eau sur la tête du candidat (par effusion) en récitant la
Chaque fois que Dieu vient à notre rencontre, nos formule baptismale. Certains baptistes reconnaissent le
vies sont transformées par la grâce et nos rapports baptême d’un disciple croyant administré par effusion –
acquièrent une nouvelle profondeur. Dans ce lieu de une pratique habituelle chez les premiers baptistes –
rencontre particulier ordonné par le Christ, la force tout en affirmant que le baptême par immersion doit
vivifiante est si puissante qu’avec les auteurs du être la norme93.
Nouveau Testament, nous pouvons y appliquer les Nous nous accordons à dire en outre que le bap-
images de nouvelle naissance ou régénération (Jn 3, tême, compris correctement, ne peut être reçu qu’une
5, Tt 3, 5), de pardon et de purification des péchés seule fois, même si des désaccords subsistent sur le

85. Rituel Romain, Rite de la Confirmation (OC), Introduction 1. 91. Believing and Being Baptized. Baptism, So-called Re-baptism, and
86. Lumen Gentium 11. Children in the Church. A Discussion Document by the Doctrine and Worship
87. Ibid. Committee of the Baptist Union of Great Britain (Londres, Baptist Union,
88. Ibid. Voir aussi Ad Gentes 11. 1996), pp. 9-10. Traduction française du traducteur.
89. Paul VI, Constitution apostolique sur le sacrement de la 92. Il existe cependant une variante dans les paroles de la liturgie
confirmation, Divinae consortium naturae, 15 août 1972, se référant à des Églises orientales : le catéchumène se tourne vers l’Est et le
Presbyterorum ordinis 5. prêtre dit : « Le serviteur de Dieu N. est baptisé au nom du Père, et
90. Par exemple, dans les Églises catholiques orientales, la du Fils, et du Saint-Esprit ».
confirmation a lieu en même temps que le baptême ; voir CEC 93. Le baptême par effusion fut pratiqué chez les Baptistes
1290. Généraux de 1609 à 1630 environ.
44
point de savoir si le baptême des petits enfants est un tisé son identité ecclésiale catholique. La foi de la
vrai baptême. La majorité des baptistes ne croient pas communauté qui le baptise, l’accueille, l’instruit dans la
que le baptême des petits enfants soit un vrai bap- foi, et dont il professe la foi, détermine l’identité ecclé-
tême94, et estiment donc que le baptême d’un croyant siale du nouveau baptisé. Aucun rite de baptême ne
déjà baptisé dans sa petite enfance n’est pas une répéti- spécifie le nom de l’Église ou de la dénomination dans
tion du baptême. Certains d’entre eux considèrent laquelle il est baptisé, car on présuppose qu’il a été
néanmoins le baptême des petits enfants comme fai- baptisé dans l’Église du Christ. L’identité ecclésiale du
sant partie du parcours d’initiation chrétienne, en y dé- baptisé découle donc non pas du rite du baptême en
celant des aspects de la grâce de Dieu et de la foi hu- lui-même, mais de la communauté où le baptême a eu
maine (voir plus loin les n. 101-103). lieu.
109. Par le baptême, nous sommes unis aux 112. Il est difficile pour les baptistes de reconnaître
autres croyants de l’Église du Christ, « car nous avec les catholiques que les jeunes enfants sont des
avons tous été baptisés dans un seul Esprit en un membres du corps du Christ en vertu de leur baptême.
seul corps » (1 Co 12, 13). Ils hésitent en effet à appeler « membre » un petit en-
110. Il existe chez les baptistes différents points de fant avant qu’il ait pu exercer la moindre foi personnelle,
vue sur le rapport entre le baptême et l’Église. Un pre- pas même la foi simple du jeune âge, car ils pensent
mier groupe considère qu’on peut être initié au Christ qu’un membre doit contribuer activement à faire en
et à son Église même sans avoir reçu le baptême. Ce sorte que la présence du Christ dans la communauté de
groupe voit donc dans les Églises pédobaptistes l’Église devienne matérielle, tangible et visible dans le
d’authentiques Églises de Jésus Christ sans reconnaître monde. Cependant les jeunes enfants sont considérés
leur baptême, car pour ses représentants c’est la foi qui chez eux comme appartenant à leur manière au « corps
constitue l’Église, et non le baptême. Certains d’entre du Christ » : ils sont accueillis et entourés par l’Église,
eux, qui appartiennent aux Églises dites « inclusives », plongés dans sa prière et objets de sa sollicitude pasto-
sont prêts à accueillir parmi eux les croyants baptisés en rale constante. Comme dans le cas du catéchuménat de
bas âge sans leur imposer un second baptême. S’ils le l’Église Catholique, les enfants qui ont vraiment la foi
font, ce n’est pas parce qu’ils acceptent le baptême des et qui se préparent au baptême sont considérés comme
petits enfants, mais parce qu’ils pensent que ce qui des membres du corps du Christ. Par leur baptême, ils
compte avant tout, pour devenir membre de l’Église, deviennent des membres aptes au service, en commu-
c’est la profession de foi personnelle. nion avec les autres disciples, et sont accueillis formel-
lement comme membres d’une Église locale particu-
Un second groupe croit que le baptême ne peut être lière.
séparé de l’appartenance à une Église. Pour ce groupe,
le baptême et la foi sont requis. La plupart de ceux qui 113. Le baptême signifie le pardon des péchés
ont cette conviction appartiennent aux Églises baptistes et une nouvelle naissance.
dites « exclusives », qui exigent le baptême des croyants 114. Pour les catholiques, les deux principaux effets
pour être admis comme membres de ces Églises. Enfin, du baptême sont la purification des péchés et une nou-
il y a toujours eu également chez les baptistes un troi- velle naissance dans l’Esprit Saint96. Par son baptême,
sième groupe qui associe la croyance en un lien indis- le baptisé devient une « nouvelle créature », une fille ou
soluble entre le baptême et l’appartenance à l’Église un fils adoptif de Dieu qui « participe de sa nature di-
avec l’approche « inclusive ». Autrefois, ce groupe in- vine », membre du corps du Christ et cohéritier avec
voquait la liberté de conscience devant Dieu pour ac- lui, temple de l’Esprit Saint (2 Co 5, 17 ; 2 P 1, 4 ; cf. Ga
cepter comme membres ceux qui eux-mêmes croyaient 4, 5-7 ; 1 Co 6, 15, 12, 27 ; Rm 8, 17). Le baptême est un
avoir été baptisés de façon valable en bas âge, et dont la « signe efficace » qui confère une grâce sanctifiante.
conviction, en conscience, ne pouvait être déniée. Ré- Pour les catholiques, la grâce de la justification est un
cemment un petit groupe est apparu chez les baptistes, don du baptême : elle comporte la rémission des pé-
dont le nombre ne cesse de croître, qui reconnaît le chés, la sanctification et le renouvellement de l’homme
baptême des petits enfants comme une forme secon- intérieur97. La Déclaration conjointe sur la Doctrine de
daire de baptême « dérivée » des normes du baptême la Justification (1999) approuvée par les luthériens et les
des croyants, tout en continuant à pratiquer unique- catholiques dit : « Le pécheur est justifié au moyen de la
ment la forme prescrite pour eux-mêmes. foi en l’œuvre salvatrice de Dieu en Christ ; ce salut lui
111. Les catholiques croient que par son baptême, est offert par l’Esprit Saint dans le baptême en tant que
le baptisé est incorporé à l’Église. Animé par l’Esprit et fondement de toute sa vie chrétienne »98. Plus loin, ce
désirant explicitement être incorporé à l’Église, le caté- document précise le point de vue catholique : « Audi-
chumène, c’est-à-dire celui qui se prépare au baptême, trice de la parole et croyante, la personne humaine est
est déjà considéré comme faisant partie de l’Église95. Le justifiée par son baptême. La justification du pécheur
baptême dans une communauté locale donne au bap- est pardon des péchés et réalisation de la justice par la

94. Pour les autres points de vue soutenus par les baptistes, voir le 96. CEC 1262.
n. 110. 97. CEC 1265, 2019-2020.
95. Lumen Gentium 14. 98. Déclaration conjointe sur la Doctrine de la Justification (1999) 25.
45
grâce justifiante qui fait de nous des enfants de Dieu. et la vie communautaire »103. C’est pourquoi la commu-
Dans la justification, les justifiés reçoivent du Christ la nion eucharistique est liée indissolublement à la pleine
foi, l’espérance et l’amour et sont ainsi reçus dans la communion ecclésiale et à son expression visible.
communion avec lui »99. L’Église Catholique enseigne en outre que « par le
115. Si les baptistes croient que le baptême signifie baptême les membres d’autres Églises et Communautés
une nouvelle naissance (régénération) et le pardon des ecclésiales se trouvent dans une réelle communion,
péchés, ainsi que d’autres images scripturales du sa- bien qu’imparfaite, avec l’Église Catholique et que le
lut100, ils ne sont pas tous d’accord sur le fait que ce baptême est le lien sacramentel d’unité existant entre
riche symbolisme est efficace dans le baptême. Comme ceux qui ont été régénérés par lui [...], il tend tout entier
nous l’avons vu plus haut (n. 95-96, 106), certains con- à l’acquisition de la plénitude de la vie du Christ »104. À
sidèrent que le baptême est essentiellement le signe la lumière de ces deux principes de base, « l’Église Ca-
d’un salut qui a déjà été reçu. D’autres reconnaissent tholique de façon générale donne accès à la commu-
qu’il y a régénération et rémission des péchés, tout en nion eucharistique et aux sacrements de pénitence et
affirmant que le don du salut ne se limite pas à un mo- d’onction des malades, uniquement à ceux qui sont
ment de conversion particulier et qu’il est accordé aussi dans son unité de foi, de culte et de vie ecclésiale. Pour
bien avant que pendant et après le baptême. les mêmes raisons, elle reconnaît aussi que, dans cer-
taines circonstances, de façon exceptionnelle et à cer-
taines conditions, l’admission à ces sacrements peut
L’Eucharistie/Sainte Cène être autorisée ou même recommandée à des chrétiens
116. L’Eucharistie/Sainte Cène101 est essentielle d’autres Églises et Communautés ecclésiales »105.
pour l’Église. Nous célébrons l’Eucharistie/Sainte Les baptistes reconnaissent avec les catholiques que
Cène en obéissance au commandement de Jésus le partage de la Sainte Cène renforce la communion
qui a dit : « Vous ferez cela en mémoire de moi » (1 entre les croyants dans l’Église, et ils ont généralement
Co 11, 24 ; Lc 22, 19). une « table ouverte » à laquelle sont invités les croyants
117. Baptistes et catholiques s’accordent à dire que de toutes les communions chrétiennes106. Ils disent que
sans l’Eucharistie/Sainte Cène, l’Église ne serait pas « cette table est celle du Seigneur, pas la nôtre ». Bien
l’Église. De même, il ne peut y avoir que la nature de cette invitation diffère d’une Église à
d’Eucharistie/Sainte Cène sans l’Église puisque cet acte l’autre, d’une façon générale, « tous ceux qui aiment
est toujours accompli au sein d’une communauté et vraiment et sincèrement Notre Seigneur Jésus Christ »
n’est jamais privé ou individuel. Les catholiques croient sont les bienvenus.
que d’une certain façon « l’Eucharistie fait l’Église »102. 119. La Bible joue un rôle de formation dans la
Même si cette expression peut leur paraître étrange, la liturgie eucharistique et dans l’ordre du culte de la
plupart des baptistes sont d’accord pour dire que dans Sainte Cène.
la Sainte Cène, le Christ unit ceux qui reçoivent le pain
et le vin à tous les fidèles en un seul corps, qui est 120. Ensemble, catholiques et baptistes affirment
l’Église (1 Co 10, 16-17). La communion dans que l’Écriture nous informe sur la manière de célébrer
l’Eucharistie/Sainte Cène renouvelle, renforce et ap- l’Eucharistie/Sainte Cène, structurée d’après les gestes
profondit l’incorporation à l’Église déjà accomplie par de Jésus tels qu’il y sont rapportés : il prit le pain, le
la conversion et par le baptême. rompit, le bénit et le donna à ses disciples ; il prit une
coupe de vin, la bénit et la partagea avec eux. Les bap-
118. La célébration de l’Eucharistie/Sainte Cène est tistes croient que prendre ce récit scriptural comme
à la fois le signe et la source de l’unité (1 Co 10, 16s). modèle signifie partager le pain et le vin avec toute la
Nous aspirons tous à pouvoir un jour la célébrer en- congrégation. Depuis le Concile Vatican II, les fidèles
semble. C’est pourquoi nous attendons l’unité visible catholiques peuvent recevoir la communion sous les
de l’Église sur la terre et la venue finale du Règne de deux espèces du pain et du vin107, mais concrètement
Dieu. Et nous nous désolons de ne pas pouvoir parta- les pratiques varient selon les directives locales et les
ger actuellement la pleine communion de la table du circonstances. Les catholiques croient que le Christ est
Seigneur.
pleinement présent dans chacun des éléments108.
Pour les catholiques, puisque le sacrement est à la
fois un acte du Christ et un acte de l’Église par l’Esprit
Saint, « sa célébration dans une communauté concrète
est le signe de la réalité de son unité dans la foi, le culte 103. Conseil Pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens,
Directoire pour l’application des Principes et des normes sur l’œcuménisme
1993, 129. Ci-après, Directoire œcuménique.
104. Directoire œcuménique, 1993, 129. Voir CEC 1399-1401.
99. Déclaration conjointe sur la Doctrine de la Justification 27. 105. Directoire œcuménique 129.
100. Voir la citation de Believing and Being Baptized, Baptist Union of 106. Dans le monde entier, la « table ouverte » est beaucoup plus
Great Britain au n. 106 ci-dessus. commune chez les baptistes que l’entrée ouverte à tous dans
101. Le terme « Eucharistie » signifie « action de grâce ». Ce terme l’Église ; dans certains pays comme le Brésil et le Mexique, la table
n’est pas utilisé habituellement par les baptistes, mais il l’est est réservée uniquement aux baptistes.
couramment par les catholiques pour parler de la Sainte Cène. 107. Sacrosanctum Concilium 55.
102. CEC 1396. 108. CEC 1390.
46
Dans l’Eucharistie/Sainte Cène, nous proclamons participe à l’offrande de sa Tête113. En re-présentant (et
les Écritures qui expriment la foi de l’Église, et nous non en répétant) ce sacrifice au moyen de l’anamnèse,
cherchons à vivre selon la Parole de Dieu. L’ordre du l’Église s’unit au sacrifice du Christ par le Christ lui-
culte baptiste se concentre habituellement sur la lecture même agissant par l’intermédiaire d’un ministre or-
des « paroles d’institution » telles qu’elles sont rappor- donné. L’Église invoque l’Esprit Saint (épiclèse) pour
tées par saint Paul (1 Co 11, 23-26), et fait appel au qu’il change le pain et le vin dans le corps et le sang sa-
genre scriptural du récit pour transmettre la « tradi- cramentel de son Seigneur, Jésus Christ, et pour qu’il
tion » (v. 11), en racontant l’histoire à la congrégation rassemble tous les présents dans le corps ecclésial du
rassemblée. La liturgie catholique de la Messe reprend Christ.
les paroles pauliniennes dans la prière d’action de 124. Les baptistes ne sont pas d’accord à tous
grâces au Père et dans la prière de consécration des points de vue avec les catholiques sur la dimension sa-
éléments. Alors que les pratiques baptistes mettent crificielle du rite, bien qu’ils y trouvent des résonances
l’accent sur l’élément scriptural de l’histoire, les pra- avec leur propre récit. Ils reconnaissent que la catégorie
tiques catholiques tendent à souligner plutôt l’élément d’anamnèse, au sens scriptural du terme, leur permet de
scriptural des gestes (présents aussi dans la forme bap- mieux comprendre les catholiques quand ils disent que
tiste, mais exprimés plus discrètement), en rompant le l’Eucharistie n’est pas une répétition du sacrifice du
pain et en élevant la coupe. Christ. Dans leur acte de remémoration (anamnèse), les
121. L’ordre du culte de l’Eucharistie/Sainte baptistes croient qu’ils participent réellement aux évé-
Cène suit un modèle trinitaire. L’Église adresse au nements de la mort et de la résurrection de Jésus et
Père une action de grâce (eucharistie) comme qu’ils partagent « tous les bénéfices » du sacrifice salvi-
Jésus le fit, en rappelant les actes de Dieu dans fique du Christ114. Mais ils font une distinction entre
l’histoire du salut ; elle fait mémoire, célèbre et « partager » le don de soi du Christ et « présenter » le
participe (anamnèse) à la mort et à la résurrection sacrifice du Christ au Père, considérant que seul le
du Fils ; enfin, elle invoque l’Esprit Saint (épiclèse) Christ peut se présenter lui-même. Dans leur prière à
pour qu’il rende le Christ réellement présent à ses Dieu Esprit Saint (épiclèse), ils invoquent son assistance
disciples. pour leur acte de remémoration et le prient pour que, à
122. L’anamnèse ou mémorial est une clé essentielle travers les signes du pain et du vin, il les fasse participer
pour expliquer les dimensions du sacrifice et de la tem- plus intimement à la communion avec le Christ et entre
poralité dans le sacrement/ordonnance. Tant les bap- eux. Ils ne demandent pas à l’Esprit Saint de changer la
tistes que les catholiques ont tenu compte des études substance du pain et du vin et préfèrent définir la
bibliques récentes qui soulignent que dans l’Ancien et Sainte Cène, de même que tous les autres actes du
le Nouveau Testament, la « remémoration » (anamnèse) culte, comme un « sacrifice d’action de grâce (eucharistie)
n’est pas une simple réminiscence historique, mais in- (Ps 50, 14 ; He 13, 15 ; cf. 1 P 2, 5), ou une « oblation
dique la participation, dans le présent, aux merveilles spirituelle à Dieu de toute louange possible »115.
que Dieu a accomplies autrefois. 125. Le Christ se rend « réellement présent » à
123. Les catholiques entendent le mémorial (anam- ses disciples dans la célébration de
nèse) et l’invocation de l’Esprit (épiclèse) au sens fort. l’Eucharistie/Sainte Cène.
Dans l’Eucharistie, l’Église ne fait pas seulement mé- 126. Les catholiques croient que dans l’Eucharistie,
moire de la Passion et de la Résurrection du Christ la substance du pain et du vin se change dans le corps
Jésus, elle « présente aussi au Père l’offrande de son Fils et le sang du Christ par l’efficacité de la Parole du
qui nous réconcilie avec Lui »109. Les catholiques disent Christ et par l’action de l’Esprit Saint. Ils croient que le
que l’Eucharistie est un sacrifice parce qu’elle re-pré- Christ est « vraiment, réellement et substantiellement
sente (rend présent) le sacrifice du Christ accompli une présent »116, au sens le plus plein du terme, dans
fois pour toutes sur la croix. C’est un mémorial de ce l’Eucharistie même si, dans leur apparence extérieure,
sacrifice et une application des fruits de ce sacrifice leur toucher, leur odeur et leur goût, les éléments de-
pour le pardon des péchés (cf. 1 Co 11, 23 ; He 7, 24, meurent du pain et du vin. Cette présence commence
27)110. Dans la célébration liturgique des événements au moment de la consécration et dure aussi longtemps
de la Passion du Christ, ceux-ci « deviennent d’une que subsiste l’apparence du pain et du vin. Pour les
certaine façon présents et réels »111. Pour les catho- catholiques, ce changement substantiel est « justement
liques, le sacrifice du Christ sur la croix et le sacrifice de et proprement appelé transsubstantiation »117.
l’Eucharistie sont un unique sacrifice, et « non la répé- 127. Les baptistes croient que le Christ – qui est
tition et la multiplication du sacrifice sacramentel »112. toujours présent auprès de son peuple – est certaine-
Dans l’Eucharistie, le sacrifice du Christ devient le sa-
crifice de toute l’Église qui, comme corps du Christ,
113. CEC 1368.
114. Confession de foi (Londres 1677), XXX.1, 7 ; Orthodox Creed
109. CEC 1354, 1362-1372. (Londres 1679), XXXIII.
110. Concile de Trente (1562), DS 1740. 115. Confession de foi (Londres 1677), XXX.2.
111. CEC 1363. 116. Concile de Trente, Session 13, canon 1.
112. Cf. CEC 1367. 117. Concile de Trente, Session 13, canons 2 et 4.
47
ment présent aussi à sa table. Certains baptistes pensent de l’Église dans l’offrande de la prière sacerdotale de
que le partage du pain et du vin les rend plus conscients l’Église au Père. D’après la théologie catholique, le
de la présence du Christ ; d’autres, qu’il se rend lui-même Christ est l’acteur principal de tous les sacrements et la
présent à ses disciples de façon plus profonde et in- Tête de l’Église. C’est le Christ qui, par la puissance de
tense au moment de la présentation des éléments (mais l’Esprit Saint, change les éléments en son corps et son
sans être présent en eux). Une confession de foi bap- sang. Et puisque le sacerdoce ministériel représente le
tiste récente affirme que « dans l’observance de la Christ sacramentellement, le prêtre récite efficacement
Sainte Cène, nous vivons la proximité et l’amour sal- les paroles d’institution du Christ à la première per-
vateurs de Jésus Christ, en nous remémorant ses souf- sonne du singulier (« Ceci est mon corps… Ceci est la
frances et sa mort pour nous »118. C’est pourquoi les coupe de mon sang »). C’est pourquoi, « dans le service
baptistes ont toujours été contraires aux doctrines qui ecclésial du ministre ordonné, c’est le Christ lui-même
parlent d’un changement de « substance » dans le pain qui est présent à son Église en tant que Tête de son
et le vin, et ont rejeté historiquement la « transsubstan- corps »123. Le prêtre, qui « est assimilé au Souverain
tiation »119 ; certains d’entre eux parlent de « nourriture Prêtre, à cause de la consécration sacerdotale qu’il a re-
et boisson spirituelles », ou de se « nourrir spirituelle- çue… jouit du pouvoir d’agir par la puissance du Christ
ment » du Christ120. Tous mettent autant l’accent sur la lui-même qu’il représente »124. Et parce que le sacre-
présence du Christ dans le « corps » des croyants ras- ment rend présent ce qu’il signifie au moyen d’un signe,
semblés qui partagent le pain et le vin que sur les élé- le sacerdoce sacramentel rend présent le Christ, Tête de
ments eux-mêmes, en citant les paroles de saint Paul : l’Église, de façon visible au milieu de la communauté
« Puisqu’il y a un seul pain, nous sommes tous un seul des croyants125. La représentation sacerdotale
corps : car nous partageons tous le même pain » (1 Co sacramentelle du Christ, et la présence et l’intervention
10, 17). Les baptistes ont découvert ainsi certaines affi- personnelles du Christ dans la liturgie, ont entre elles
nités entre leur ecclésiologie d’une communauté de un rapport dynamique et permanent de participation
l’Alliance et la célébration de la Sainte Cène. Les catho- réciproque à l’événement sacramentel.
liques reconnaissent qu’il y a aussi une présence du Tout en appréciant l’accent mis par les catholiques
Christ en-dehors des éléments, notamment dans la pa- sur la présence et l’action personnelles du Christ, les
role lue et annoncée à l’assemblé des fidèles et dans le baptistes trouvent que la nécessité de l’office sacramentel
ministre qui préside l’assemblée. Mais ils soulignent que d’un ministre dans la célébration de la Sainte Cène n’est
le Christ est pleinement présent dans les éléments eu- pas compatible avec la croyance que l’Église est formée
charistiques121, comme le dit la doctrine de la par la présence du Christ ressuscité – dans la lecture et
transsubstantiation. la prédication de la parole, dans les sacre-
128. La façon différente qu’ont les baptistes et les ments/ordonnances et dans les assemblées de l’Église.
catholiques de traiter les éléments du pain et du vin Le Christ ressuscité est présent dans la congrégation
après la célébration montre que des divergences sub- qui vit sous sa loi ; la congrégation est son corps, mais
sistent encore entre eux dans la compréhension de la lui seul en est la Tête. En tant que corps du Christ,
présence du Christ dans l’Eucharistie/Sainte Cène. Les l’assemblée de toute la congrégation rend le Christ vi-
baptistes disposent du pain et du vin restants avec res- sible. Depuis leur origine, les baptistes considèrent que
pect, en se souvenant qu’ils ont été « réservés » à le ministère ordonné est un don du Christ à son Église,
l’usage du culte, comme signe de la vie et de la mort du et que l’administration des sacrements/ordonnances est
Christ122, mais ils ne croient pas qu’ils doivent être con- normalement une responsabilité et un privilège confiés
sommés, et la réserve du pain consacré n’a pas de sens par le Christ aux ministres126. Le ministre représente
pour eux. toute l’Église de Dieu à la table du Seigneur (voir ci-
129. Baptistes et catholiques sont également en dé- dessous n. 171), en faisant bien comprendre à tous que
saccord en ce qui concerne la personne qui préside ou la table du Seigneur n’est pas la table privée d’une con-
officie dans l’Eucharistie/Sainte Cène. Chez les catho- grégation locale. Considérer son office comme assurant
liques, pour que le Christ soit présent dans le sacre- d’une certaine manière la présence du Christ dans son
ment, il faut qu’un prêtre consacre toujours les élé- Église à travers les sacrements/ordonnances apparaît
ments. Dans la liturgie de l’Eucharistie, le prêtre agit aux yeux des baptistes comme une limite imposée à la
« en la personne du Christ-Tête » (in persona Christi capi- loi du Christ, y compris pour ceux qui croient (comme
tis) vis-à-vis de son Corps qu’est l’Église. Il agit aussi les baptistes) que cet office a été donné en premier lieu
« en la personne de l’Église » (in persona ecclesiae) vis-à-vis par le Christ. Chez les baptistes, un ministre ordonné
appelé par l’assemblée à être son pasteur préside nor-
malement à la table, lorsqu’il ou elle est disponible ; de
118. Confession of Faith of the Union of Evangelical Free Churches in
Germany, dans Parker, Baptists in Europe, pp. 57-76, II.1.4.
Traduction française du traducteur.
119. Confession de foi (Londres 1677), XXX.6. 123. CEC 1548.
120. Confession de foi (Amsterdam, 1610), 32 ; Confession de foi 124. Pie XII, Lettre Encyclique Mediator Dei, 20 novembre 1947,
(Londres 1677), XXX.1,7 69 : AAS, 39 (1947) 548.
121. Sacrosanctum Concilium 7. 125. Lumen Gentium 21.
122. Confession de foi (Londres 1677), XXX.5 : « réservé pour les 126. Confession de foi (Amsterdam, 1610), 24 ; Confession de foi
usages ordonnés par le Christ ». (Londres 1677), XXVI.8 ; Orthodox Creed (Londres 1679), XXXIII.
48
nos jours, ceci est davantage une question de bonne d’être honorée et appelée « bienheureuse » (Lc 1,
pratique qu’une condition absolue, et dans certaines 42, 48) par les chrétiens de tous les temps et de
circonstances un laïc peut présider avec l’assentiment tous les lieux. Les croyances sur Marie doivent se
des membres de l’Église locale127. Alors qu’il subsiste fonder sur l’Écriture, être attestées par l’Écriture,
ici une divergence par rapport aux croyances et aux et ne pas être en contradiction avec l’Écriture.
pratiques catholiques, il y a une certaine convergence 134. Baptistes et catholiques ne sont pas d’accord
sur la conviction que le Christ a donné à l’Église un of- sur ce qui peut être considéré comme étant attesté par
fice de la parole et des sacrements/ordonnances. l’Écriture à propos de Marie. Leurs divergences doctri-
130. L’Eucharistie/Sainte Cène a une dimen- nales découlent des implications pratiques de leur con-
sion fortement éthique et eschatologique. ception différente du rapport entre Écriture et Tradi-
131. Parmi les dimensions de l’Église reconnues tion. Comme les catholiques, les baptistes croient que
tant par les baptistes que par les catholiques, il y a non la conception virginale a une base scripturale explicite
seulement la koinonia (fraternité, communion), le (Mt 1, 22-23). Croyant à la déité de Jésus Christ, ils
kerygma (proclamation) et la leiturgia (service de Dieu peuvent confesser avec les catholiques que Marie est
comportant une action de grâce ou « eucharistie »), theotokos, ou « Mère de Dieu » (Lc 1, 43)128. En re-
mais aussi la diakonia ou service des autres. Toutes ces vanche, ils disent qu’ils ne trouvent aucune confirma-
dimensions se retrouvent dans l’Eucharistie/Sainte tion dans l’Écriture des croyances catholiques concer-
Cène. Ce repas spécial nous appelle à partager le pain nant sa virginité perpétuelle (n. 141), son Immaculée
avec d’autres (surtout avec ceux qui sont dans le be- Conception (n. 147), et sa montée au ciel avec son
soin) comme acte de justice et de compassion. Tant corps (n. 149). Pour les catholiques, ces croyances sont
chez les catholiques que chez les baptistes, la confes- des doctrines révélées par Dieu et fondées sur
sion des péchés est nécessaire pour que l’Écriture telle qu’elle a été interprétée dans la vie de
l’Eucharistie/Sainte Cène puisse être célébrée valable- l’Église au cours des siècles.
ment (1 Co 11, 27-31). Et d’après les paroles de saint 135. Marie fait partie du peuple juif. Elle est is-
Paul, cette confession comporte en particulier le re- sue de la longue lignée de ceux qui attendent le
pentir pour n’avoir pas pris suffisamment soin des Messie, au point de rencontre entre l’Ancien et le
autres (1 Co 11, 33-34). Ensemble, catholiques et bap- Nouveau Testament (Ga 4, 4 ; Lc 2, 25-32). Marie
tistes mettent l’accent sur l’orientation eschatologique a sa place dans la généalogie du Messie (Mt 1, 16)
de l’Eucharistie, et célèbrent la Sainte Cène « en atten- et parmi les femmes d’exception qui ont gardé en
dant la venue du Christ ». Alors que nous voyons dans vie l’espérance de salut du peuple d’Israël. Marie
l’Eucharistie/Sainte Cène un « festin messianique » peut être appelée « Fille d’Israël », en sa qualité de
dans lequel le futur est déjà présent en un certain sens, mère de Celui qui est appelé Fils de David, parce
notre espérance dans l’avènement du Règne de Dieu qu’elle a accueilli le Sauveur avec joie, et parce
est pour nous une motivation à travailler pour changer qu’il établit sa demeure en elle (So 3, 14-17 ; Jl 2,
la société humaine dès à présent. 21-27 ; Za 2, 15, 9, 9-10 ; Lc 1, 28-33 ; Lc 3, 31).
136. Dans leurs confessions de foi, les baptistes ont
V. MARIE, MODELE DU DISCIPLE DANS LA COMMUNION
souvent mis l’accent sur le fait que Marie est une Juive
DE L’ÉGLISE
« de la tribu de Juda, descendante d’Abraham et de
David »129. De même, les catholiques voient en Marie
132. « Quand est venu l’accomplissement du temps, une « Fille de Sion » (So 3, 14 ; Za 2, 10), la personnifi-
Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et assujetti à la cation d’Israël et la demeure du Seigneur ; elle est donc
loi, pour payer la libération de ceux qui sont assujettis à l’image et le modèle de l’Église, nouvelle demeure de
la loi, pour qu’il nous soit donné d’être fils adoptifs » Dieu130.
(Ga 4,4-5). Cette confession de foi néotestamentaire,
qui nous rappelle le rôle crucial de Marie dans le mys- 137. Plusieurs passages de l’Ancien Testament
tère de l’Incarnation et dans la communion de l’Église, peuvent être interprétés comme se référant à
invite tous les chrétiens à prêter attention à la façon Marie. Isaïe 7, 14 peut être reconnu comme un
dont elle est présentée dans la Bible. En même temps, texte prophétique qui s’est avéré au moment où
le rôle de Marie est un point sur lequel il subsiste de Marie a conçu le Christ (Mt 1, 22-23). Nombre de
fortes divergences entre baptistes et catholiques. lecteurs chrétiens de l’Ancien Testament trouvent
une référence implicite à Marie dans « la Femme »
133. Marie occupe une place de premier plan de Genèse 3, 15 dont le fils, le Messie promis,
dans le Nouveau Testament. Elle a été témoin de triomphe du Malin.
l’œuvre salvifique du Christ depuis sa conception
et sa naissance jusqu’à sa mort et à l’effusion de
128. Comme le font, par exemple, les baptistes français dans Marie,
l’Esprit Saint après sa résurrection. Choisie par Comité mixte baptiste-catholique en France. Documents Episcopat, 10
Dieu pour être la mère du Sauveur, Marie mérite (Secrétariat général de la Conférence des Évêques de France, 2009),
n. 15.
129. Voir Confession de foi (Londres 1644), IX; Confession de foi
127. Cette pratique existait déjà dans la congrégation de Thomas (Londres 1677), VIII.2 ; cf. Confession courte (Londres 1660), III.
Helwys à Amsterdam : voir Déclaration de foi (Amsterdam, 1611), 11. 130. CEC 489.
49
138. Une lecture christologique de l’Écriture nous 141. L’Église Catholique enseigne que Marie était
permet de découvrir dans l’Ancien Testament des fi- vierge non seulement lorsqu’elle a conçu le Seigneur
gures annonciatrices du Christ. De la même façon, les par l’œuvre de l’Esprit Saint, mais aussi quand elle lui a
catholiques découvrent dans l’Ancien Testament des donné naissance et pour tout le reste de sa vie132. Alors
figures annonciatrices de Marie. Par exemple, suivant que le Nouveau Testament n’atteste expressément que
une ancienne tradition patristique, ils comparent Marie le premier aspect de sa virginité, le deuxième et le troi-
à Ève131 : d’une part, Ève, qui a participé à la Chute, est sième aspect appartiennent à une tradition très an-
opposée à Marie (la « nouvelle Ève »), qui a participé à cienne. Même si ces deux derniers aspects ont été con-
l’avènement de la Rédemption ; de l’autre, Ève, la testés au début, les catholiques disent qu’ils ont été
« mère de tous les vivants », est vue comme le proto- étayés ensuite par des arguments fondés sur l’Écriture
type de Marie. Les baptistes ne sont pas tous du même dans la période comprise entre le concile de Nicée et
avis quant à la pertinence de ces lectures typologiques celui d’Éphèse133. Le passage biblique cité générale-
sur Marie dans l’Ancien Testament. ment à l’appui de la virginité perpétuelle de Marie est
139. Les Évangiles nous présentent Marie Jean 19, 25-27, où Jésus confie sa mère aux soins de
comme celle qui a écouté la Parole et qui a ré- son Disciple bien-aimé car elle n’a pas d’autre enfant.
pondu à l’initiative gratuite de Dieu, en devenant Marie est appelée communément « aeiparthenos », c’est-
la disciple active et fidèle de son divin Fils. Marie a à-dire « toujours vierge », depuis la fin du IVe siècle134.
entendu la Parole et elle a obéi (Lc 1, 38). Elle l’a 142. Bien que la virginité perpétuelle de Marie ait
méditée et « gardée dans son cœur » (Lc 1, 29 ; 2, été affirmée par plusieurs réformateurs protestants (par
19. 51). Comme disciple, Marie a été une vraie ex, Luther et Zwingli), les baptistes ne trouvent aucun
croyante. Elle a répondu à l’appel de Dieu avec foi fondement à cette croyance dans les Écritures ; en li-
(Lc 1, 45 ; 11, 28) et elle a fait entièrement don sant le texte dans son sens littéral, ils affirment généra-
d’elle-même à Dieu en disant : « Qu’il m’advienne lement que Marie a accouché de Jésus de façon nor-
selon ta parole » (Lc 1, 38). Marie a grandi dans la male, qu’elle a mené avec Joseph une vie normale de
foi et dans la compréhension. Elle n’a pas été un femme mariée, et que les frères et sœurs de Jésus dont
instrument passif entre les mains de Dieu, mais il est question dans les Évangiles et dans les Lettres du
s’est engagée activement, en consentant librement Nouveau Testament (Mc 3, 31 ; 6, 3 ; Mt 1, 24-25 ; 12,
au choix de Dieu et en participant à son dessein 46 ; 13, 55 ; Lc 8, 19-21 ; Jn 2, 12 ; 7, 3,5,10 ; Ac 1, 14 ;
éternel. La réponse de Marie à Dieu est en soi un 1 Co 9, 5 ; Ga 1, 19) étaient sa vraie fratrie, fruit de leur
fruit de la grâce. mariage. Mais si les baptistes considèrent généralement
140. Jésus a été conçu du Saint-Esprit et est né que la doctrine de la virginité perpétuelle de Marie n’est
de la Vierge Marie. La conception virginale de pas fondée sur l’Écriture, certains d’entre eux pensent
Jésus est clairement attestée dans les évangiles de néanmoins qu’elle n’est pas directement en contradic-
Matthieu (1, 18-25) et de Luc (1, 26-38). Matthieu tion avec l’Écriture dans la mesure où les textes men-
(1, 22-23) voit dans la conception virginale tionnés ci-dessus se prêtent aussi à des explications dif-
l’accomplissement d’une prophétie (Es 7, 14). La férentes135.
doctrine selon laquelle Jésus a été « conçu du Saint 143. C’est très justement que Marie est appelée
Esprit » et est « né de la Vierge Marie » est affir- theotokos ou « Mère de Dieu ». Ce terme indique
mée dans le credo des Apôtres et a été ajoutée au qu’elle est la mère du Fils éternel de Dieu fait
credo de Nicée par le concile de Constantinople homme. Ce titre, qui a un fondement dans
(381). l’Écriture (« la mère de mon Seigneur », Lc 1, 43),
En tant que signe de l’origine à la fois divine et vise à sauvegarder l’identité du Christ : tout ce qui
vraiment humaine de Jésus, la maternité virginale est dit sur Marie, y compris qu’elle est theotokos,
de Marie sauvegarde l’orthodoxie christologique. découle de ce qui est dit sur le Christ. Marie est la
Cette doctrine concerne d’abord la personne et
l’identité de Jésus Christ, le Fils unique de Dieu
132. CEC 499-500, 510.
qui s’est incarné dans le sein de la Vierge Marie 133. Par exemple, certains auteurs patristiques affirmaient la
par l’œuvre de l’Esprit Saint. C’est un signe de virginité de Marie dans l’accouchement (virginitas in partu) par
l’origine divine de Jésus, puisque la Vierge Marie analogie avec les lieux et les choses consacrées à Dieu qui ne
l’a conçu par l’œuvre de l’Esprit Saint, sans peuvent pas servir à d’autres usages, qu’ils soutenaient en
l’intervention d’un père humain. En même temps, s’appuyant sur divers passages bibliques tels que Isaïe 7,14, Ezéchiel
44,2, ou Jean 20,19.
la naissance de Jésus de la Vierge Marie est la 134. Après le Concile de Chalcédoine, ce titre a été inclus dans les
preuve de son humanité véritable, puisqu’il est né prières de la liturgie eucharistique. On le trouve dans
d’une mère humaine. La naissance virginale est un l’enseignement du second Concile de Constantinople (553), et il est
signe eschatologique, un signe que Dieu est avec enseigné explicitement par le synode du Latran (649), un concile
dont les enseignements ont été confirmés ensuite au troisième
nous (Mt 1, 23 ; 28, 20), que le Messie est venu, et Concile de Constantinople (681), qui était un concile œcuménique.
qu’une nouvelle ère a commencé. 135. Par ex. Timothy George, « The Blessed Virgin Mary in
Evangelical Perspective »,dans Carl E. Braaten and Robert W.
Jenson (éd.), Mary, the Mother of God (Grand Rapids, Wm. B.
131. CEC 411. Eerdmans Pub. Co. , 2004), pp.100-121.
50
« Mère du Seigneur » en ce sens qu’elle est la mère rédemption singulier qui a consisté à la « préserver » du
humaine du Fils de Dieu incarné. Appeler Marie péché originel, plutôt que d’effacer ce péché en elle
« Mère de Dieu » n’implique pas que Marie soit après qu’elle en ait hérité. Ils croient que depuis le pre-
divine ou qu’elle soit la source de la nature divine mier instant de sa vie, en vertu d’une grâce singulière de
du Christ, et moins encore qu’elle soit la Mère de Dieu, Marie a été préservée de toute atteinte du péché
Dieu le Père ou de Dieu la Sainte Trinité. originel par l’anticipation des mérites de Jésus Christ, le
144. Toute tentative pour comprendre le Christ in- Sauveur du genre humain. Tel est le dogme de
dépendamment du mystère de l’incarnation dans le sein l’Immaculée Conception. D’après une interprétation
de Marie débouche sur une christologie tronquée. Le erronée de l’enseignement catholique soutenue par de
seul et unique Seigneur Jésus Christ, qui est « de la nombreux non-catholiques, l’Immaculée Conception
même substance » que le Père dans sa divinité, est aussi garantirait l’absence de péché de Jésus ou sa libération
« de la même substance » que nous dans son humanité subséquente du péché originel lors de sa naissance de
136 de par sa naissance de la Vierge Marie theotokos. Marie. Comprise correctement, cette doctrine enseigne
Parce que l’enfant auquel Marie a donné naissance est l’absence de péché de Marie : en ayant été conçue im-
vraiment le Fils de Dieu fait homme, Marie est vrai- maculée, Marie a été préparée par la grâce à donner sa
ment la « Mère de Dieu ». Cet enseignement a été af- réponse, son « oui » à Dieu, dans une liberté parfaite au
firmé au concile d’Éphèse en 431, et confirmé ensuite moment de l’Annonciation.
par le concile de Chalcédoine en 451. La doctrine selon laquelle Marie a été préservée du
145. Alors qu’aux yeux des baptistes, les credo des péché originel, la doctrine de l’Immaculée Conception,
quatre premiers conciles œcuméniques sont des résu- a été définie solennellement par Pie IX en 1854 comme
més fiables de ce qu’enseigne l’Écriture, il n’en va pas vérité révélée après plusieurs siècles de controverses138.
de même pour d’autres déclarations post-bibliques qui, Cette définition papale, loin d’imposer une nouvelle
selon eux, n’ont pas la même autorité que l’Écriture doctrine, entendait seulement confirmer que la
pour tous les croyants et pour les périodes postérieures croyance en Marie « toute sainte » appartient à la tradi-
de la vie de l’Église. C’est pourquoi ils ne se sentent pas tion apostolique et a été révélée par Dieu. Les catho-
obligés d’utiliser le titre de theotokos. En fait, ils utilisent liques affirment que cette doctrine a un fondement
rarement l’expression « Mère de Dieu » dans leurs pré- néotestamentaire en Luc 1, 28-30 où l’Ange s’adresse à
dications et dans leurs prières, estimant qu’elle peut Marie en l’appelant kecharitomene, « comblée de grâce »,
prêter à des malentendus. C’est pour cette raison que une expression qui se réfère à une condition existante
bon nombre de baptistes expriment des réserves sur et qui peut être entendue comme « pleine de grâce ». Ils
cette expression, mais pas sur la doctrine qu’elle re- trouvent une autre confirmation dans le salut
couvre. Les catholiques, quant à eux, appellent com- d’Élisabeth en Luc 1, 42, qui dit que Marie est « bénie
munément Marie « Mère de Dieu », notamment dans la entre toutes les femmes ». La préservation de Marie du
prière du « Je vous salue Marie ». Les théologiens ca- péché originel est attribuée entièrement aux mérites du
tholiques considèrent généralement l’identification de Christ (Lc 1, 47) qui partage avec elle sa victoire sur le
Marie comme theotokos comme le « principe fonda- péché en empêchant que la « souillure » du péché
mental » d’où découlent les autres doctrines mariales. d’Adam ne l’atteigne. Elle est considérée comme
Ainsi, la doctrine de sa virginité perpétuelle signifie sa « l’élue » de Dieu en vertu d’une grâce prédestinante
consécration totale, corps et âme, au rôle de theotokos, (Rm 8, 29 et Ep 1, 4) accordée en vue de sa vocation de
l’Immaculée Conception est sa préparation à ce rôle, et theotokos. Cette doctrine a un caractère doxologique :
son Assomption glorieuse en est la conséquence lo- elle loue le don gratuit de Dieu en vertu duquel Marie a
gique et juste. pu coopérer librement à son plan de salut139.
146. Parmi toutes les femmes de la Bible, Marie Les catholiques affirment que la sainteté de Marie
a été appelée à remplir un rôle spécial dans le plan comporte non seulement sa libération du péché origi-
de salut, mais comme tout chrétien, elle a été élue, nel, mais aussi sa libération du péché personnel. La li-
justifiée et sanctifiée par la grâce de Dieu (Rm 8,
29-30). Comme le dit l’Écriture : « Il n’y a qu’un 138. Quelques grands théologiens de l’Église latine (saint Augustin,
seul Dieu, un seul médiateur aussi entre Dieu et saint Bernard et saint Thomas d’Aquin) ont objecté que la notion
les hommes, un homme : Christ Jésus qui s’est d’Immaculée Conception n’était pas conciliable avec la foi au Christ
donné en rançon pour tous » (1 Tm 2,5-6). Tous comme Médiateur universel. Saint Thomas d’Aquin, par exemple,
ont besoin d’être rachetés par le Christ. Marie a été pensait que Marie avait dû été touchée par le péché originel avant
d’être sanctifiée. Le bienheureux Jean Duns Scot répondit à cette
rachetée, elle aussi, par le Christ, son Sauveur (Lc objection en avançant l’idée de sa rédemption par « préservation ».
1, 47). Il disait que le Christ, Médiateur parfait, était capable d’un acte de
médiation parfait, c’est-à-dire d’éviter qu’une âme soit touchée par
147. Ensemble, catholiques et baptistes croient que le péché originel dès le premier instant. Cette intuition spéculative
Marie a été rachetée par le Christ137 selon un mode de ouvrit la voie à la reconnaissance formelle de la croyance en
l’Immaculée Conception de Marie, une croyance fermement
soutenue par les catholiques, entretenue par la célébration annuelle
136. Concile de Chalcédoine (451), « Définition de la foi », cité dans de la fête liturgique de la Conception de Marie et par la piété des
Tanner, Decrees, p. 86. fidèles catholiques (sensus fidelium).
137. CEC 491-2. 139. CEC 511.
51
bération de Marie du péché personnel en vertu de sa personne de la vie ressuscitée promise à ceux qui se
coopération librement consentie avec la grâce divine sont endormis dans le Seigneur (Rm 8, 30 ; 1 Co 15, 51-
fut affirmée d’abord contre ceux qui soutenaient qu’elle 57). Les catholiques citent Genèse 3, 15 qui dit que le
devait avoir quelque péché pour lequel Jésus était mort. Messie vaincra le péché et la mort, confiants que le
À partir de la fin du IVe siècle, alors que la dévotion Christ a partagé avec sa mère sa victoire sur la mort.
mariale se répandait, elle fut appelée communément Les baptistes, pour leur part, ne trouvent aucun fon-
Mère « toute sainte » de Dieu, et un consensus se fit sur dement biblique ou historique à la croyance en
sa préservation du péché personnel140. l’Assomption de Marie dans son corps, qui implique
148. Les baptistes ne voient aucune raison de croire que Marie ferait exception parmi les disciples du Christ
que Marie a été sans péché, c’est-à-dire préservée du en étant glorifiée avant la fin des temps. Comme pour
péché personnel et du péché originel. Citant les paroles l’enseignement sur l’Immaculée Conception, la défini-
de l’apôtre Paul : « Tous ont péché, sont privés de la tion dogmatique de l’Assomption de Marie dans son
gloire de Dieu » (Rm 3, 23), ils ne voient pas pourquoi corps souligne que nos deux communautés ont des
elle devrait être considérée comme une exception. La points de vue différents sur le rapport entre Écriture et
seule personne dont il est dit dans l’Écriture qu’elle est Tradition.
sans péché est Jésus (He 4, 15). Lui seul est parfaite- 150. Par son écoute confiante et son obéissance
ment saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs. à la Parole de Dieu, Marie est un modèle pour
D’après la Bible, aucun autre être humain ne peut se chaque disciple. Les chrétiens ordinaires voient en
dire tel (Jn 8, 46 ; Rm 5, 12 ; 1 Co 15, 22 ; 2 Co 5,21 ; Ep elle la première disciple du Nouveau Testament.
2, 3). Les baptistes ne trouvent aucun fondement bi- 151. Baptistes et catholiques s’accordent à dire que
blique à la croyance dans l’Immaculée Conception de Marie est un membre de l’Église et un modèle pour
Marie, et ils se demandent comment elle aurait pu être chaque disciple142. Marie a écouté la Parole de Dieu ;
pardonnée et rachetée, tout en n’ayant jamais péché. elle a dit « oui » à l’Annonciation ; elle a grandi dans la
Pour eux, Marie a été l’objet de l’élection gratuite de foi au cours de sa vie de disciple itinérant ; elle a été
Dieu en Christ, et elle a été préparée de façon spéciale à présente avec d’autres au pied de la croix ; l’Esprit Saint
devenir la mère du Seigneur. Ils disent que Luc 1, 28 ne l’a couverte de son ombre avant la naissance du Christ,
parle pas de la conception de Marie, et que le participe et elle a reçu le don de l’Esprit au Cénacle à la
parfait passif kecharitomene est mieux rendu par Pentecôte. L’image de Marie Mère des douleurs (Lc 2,
l’expression « hautement favorisée », indiquant la grâce 35 ; Jn 19, 25-27) inspire les disciples baptistes et ca-
et la faveur de Dieu envers Marie. Cette faveur est une tholiques qui vivent la souffrance et le deuil.
« condition préexistante », en ce sens qu’elle a été choi-
sie par Dieu, un choix qui s’est manifesté par la venue 152. La doctrine catholique fait de Marie un modèle
de l’Esprit Saint qui l’a couverte de son ombre (Lc 1, pour tous les disciples, en voyant en elle en particulier –
35). C’est ainsi que Marie, uniquement par la grâce di- en tant que vierge, servante et mère – l’archétype de la
vine, a conçu et porté le Fils de Dieu. Les baptistes re- dignité personnelle de la femme143. Marie de Nazareth
connaissent que l’enseignement catholique sur est « bénie entre toutes les femmes », parce que Dieu
l’Immaculée Conception a été controversé au cours des lui a confié son Fils, en inaugurant la Nouvelle Alliance
siècles et qu’il n’a été défini comme dogme qu’en 1854. par son consentement libre et actif144. Par la grâce de
Ils reconnaissent aussi que cet enseignement a été mal l’Esprit Saint, Marie s’est livrée à Dieu sans réserve,
interprété par les non-catholiques (voir n. 147), et que dans la foi, en coopérant généreusement à la mission
les malentendus doivent être dissipés. Mais comme rédemptrice de son Fils. Et parce que « toutes les géné-
beaucoup d’autres chrétiens, ils pensent que cet ensei- rations » la diront « bienheureuse », Marie est un mo-
gnement rend plus difficile pour les disciples chrétiens dèle pour les femmes de notre temps qui vivent dans
de voir en Marie un modèle dont la foi et la confiance des circonstances nouvelles145.
ont grandi dans des conditions humaines normales. 153. Que ce soit chez les baptistes ou chez les ca-
149. Les catholiques croient que la rédemption de tholiques, certains contestent cependant la façon dont
Marie a déjà eu lieu. Le dogme de l’Assomption, solen- Marie est présentée aux femmes comme modèle de la
nellement défini par le pape Pie XII en 1950, dit que disciple. Ils s’élèvent contre ce qu’ils perçoivent comme
Christ le Seigneur a pris sa mère avec lui, corps et âme, une insistance trop marquée sur sa virginité et sa ma-
dans la gloire céleste, à la fin de sa vie terrestre141. Cette ternité, à l’exclusion des autres aspects de sa vie de dis-
croyance, commémorée dans la liturgie de l’Église de- ciple. Ils craignent que l’accent mis sur la virginité per-
puis la fin du VIe siècle, ne se fonde pas sur des faits pétuelle de Marie puisse conduire (souvent de façon
attestés par les Écritures. Elle naît plutôt du sensus non intentionnelle) à une dévalorisation de la sexualité
fidelium et célèbre la croyance confiante que, par la grâce
de Dieu, la Theotokos, dont la chair a donné au Fils de 142. Voir Marie, Comité mixte baptiste-catholique en France, n. 63.
Dieu son humanité, jouit dès maintenant dans toute sa 143. Jean-Paul II, Lettre Apostolique, Mulieris Dignitatem, 15 août
1988, 5.
144. Jean-Paul II, Lettre Encyclique, Redemptoris Mater, 25 mars
1987, 46 ; Mulieris Dignitatem 11.
140. CEC 493. 145. Paul VI, Exhortation Apostolique, Marialis Cultus, 2 février
141. CEC 966. 1974, 37.
52
et des passions humaines vues comme intrinsèquement des saints. Le « Magnificat », cantique prophé-
coupables, et que l’insistance sur la vocation de mère tique de Marie (Lc 1,46-55), exprime le chant de
des femmes ait pour effet d’écarter les femmes des louange et d’action de grâce de l’Église à son
rôles exercés par les hommes dans l’Église et dans la Sauveur, son amour préférentiel pour les pauvres
société. D’autres images empruntées à l’Écriture et les démunis, et sa mission d’établir le règne de
peuvent être citées pour réfuter cette tendance, comme justice de Dieu.
celle de Marie prophète et libératrice dépeinte dans le 157. Les catholiques ne prient pas seulement « avec
« Magnificat », qui prend toute sa signification dans les Marie et tous les saints », ils prient aussi Marie en lui
situations d’oppression. Récemment, les évêques ca- demandant d’intercéder pour eux. Ils reconnaissent que
tholiques d’Océanie ont proclamé Marie « Notre-Dame Marie occupe une place prééminente dans la commu-
de la Paix », car « en Jésus, qu’elle a porté dans son sein, nion des saints. Ils voient en elle leur Mère dans l’ordre
est né un monde nouveau où la justice rejoint la miséri- de la grâce (Jn 19, 26-27), qui intercède pour eux auprès
corde, un monde de liberté et de paix »146. de son Fils comme elle a un jour intercédé auprès de lui
154. Marie n’est pas seulement un membre de aux Noces de Cana (Jn 2, 3-5)151. Toutefois la dévotion
l’Église du Christ, elle en est aussi une figure re- spéciale qu’ils lui vouent « diffère essentiellement » du
présentative, ayant été choisie spécialement pour culte qu’ils rendent à Dieu, Père, Fils et Esprit Saint152.
rendre témoignage au Seigneur. Sa présence fidèle Lorsqu’ils invoquent Marie dans la prière, d’après une
au pied de la croix, avec d’autres disciples, repré- très ancienne tradition de l’Église, c’est pour demander
sente la fidélité de l’Église. son intercession maternelle auprès de son Fils en leur
155. Les catholiques voient en Marie « la Mère des faveur.
membres du Christ, ayant coopéré par sa charité à la 158. Les baptistes n’attribuent pas cette préémi-
naissance de l’Église des fidèles ». Elle est pour eux un nence à Marie, pour éviter qu’elle ne fasse de l’ombre à
modèle « dans l’ordre de la foi, de la charité et de la l’unique gloire et intercession du Christ. Ils
parfaite union au Christ »147. En tant que « vierge », reconnaissent que Marie est présente avec Jésus et tous
l’Église garde entière et pure la fidélité qu’elle a promise les saints dans la gloire, et peuvent donc prier « avec »
à son Époux. En tant que « mère », l’Église coopère à la elle, mais ils ne demandent pas son intercession (ni
nouvelle naissance et à la formation spirituelle de ses celle d’aucun autre saint)153, étant convaincus qu’ils
fils et ses filles. Marie est appelée aussi « Mère de peuvent s’avancer directement « avec pleine assurance
l’Église » parce que son rapport maternel avec le Christ, vers le trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et
sa Tête, s’étend à ses frères et ses sœurs (Rm 8, 29), de trouver grâce, pour être aidés en temps voulu » (He
membres de son corps148. Les baptistes reconnaissent 4, 16).
le rôle exceptionnel de Marie dans l’Église du Christ, 159. Parce que Marie a toujours témoigné le
car elle seule a été appelée à participer au plan de Dieu Christ, les représentations de Marie vénérées dans
en tant que Mère du « Verbe fait chair », ce qui lui les cultures particulières doivent être conformes à
donne une place unique dans la venue du Rédempteur l’Évangile, comme la norme centrée sur le Christ
dans le monde149. Toutefois, ils préfèrent dire que dont atteste l’Écriture.
Marie, modèle des disciples, est une figure représentative
de l’Église, plutôt que la « mère de l’Église »150. 160. L’Évangile étant toujours reçu dans un lieu et
un temps déterminés, il prend nécessairement forme
156. La prière des chrétiens participe toujours dans une variété de cultures, de langues et de pratiques
de l’intercession du Christ comme Fils au Père (1 spirituelles. Comme d’autres éléments de l’Évangile,
Jn 2,1) dont toute sa vie est l’exemple et qui conti- Marie est reçue dans des contextes culturels différents.
nue dans son exaltation (He 7, 25). Pour l’Apôtre C’est déjà évident dans les Évangiles où Marie est dé-
Paul, nous disons « Amen » à Dieu par le Christ (2 crite comme une « Fille de Sion », une image tirée de
Co 1,20) et nous prions le Père par le Fils dans l’Ancien Testament. Pour les catholiques, les diverses
l’Esprit Saint ; nous le faisons en compagnie de « lectures » de Marie, fondées sur l’Écriture et élaborées
tous les saints qui prient avec le Christ, ceux qui par des cultures particulières, peuvent aider les disciples
sont vivants et ceux qui ont quitté ce monde avant chrétiens à grandir dans la sainteté, à condition qu’elles
nous. Ainsi, l’Église prie avec Marie (Ac 1, 14) et soient conformes à la norme de la Révélation telle
apprend à prier comme Marie dans la communion qu’elle est reconnue dans toute l’Église. La dévotion à
Marie dans la piété populaire est souvent concentrée
146. Jean-Paul II, Exhortation Apostolique, Ecclesia in Oceania, 22 sur une apparition, une icône ou une statue, conçues
novembre 2001. comme une expression de la sollicitude providentielle
147. Lumen Gentium 63. de Dieu pour le peuple d’un lieu particulier, avec un
148. CEC 963-70.
149. Cf. Propositions and Conclusions Concerning True Christian Religion, titre qui reflète l’expérience de ce peuple (comme la
Containing a Confession of Faith of Certain English People, Living at
Amsterdam [Baptistes Généraux] (1612), 31, dans Lumpkin (éd.),
Baptist Confessions, pp. 124-142 ; Confession of Faith (Londres 1677),
VIII.1-2. 151. CEC 2618.
150. Ainsi les baptistes français dans Marie, Comité mixte baptiste- 152. Lumen Gentium 66 ; CEC 971.
catholique en France, n. 59. 153. Orthodox Creed (Londres 1679), XLI.
53
« Vierge de Guadalupe » ou la « Vierge Noire » de blées par la volonté du Christ et vivent de son Esprit
Czestochowa). qui les habite. Leur origine ne dépend pas en premier
L’Église Catholique enseigne que Marie est toujours lieu de la volonté humaine »156. Pour les baptistes, le
un témoin du Christ ; elle reconnaît qu’une dévotion Christ crée ainsi la koinonia dans l’Église sur laquelle il a
exagérée à Marie peut faire passer au second plan la autorité. Cette autorité est discernée dans les réunions
centralité du Christ, surtout lorsque cette piété popu- ecclésiales où les croyants cherchent ensemble la pen-
laire est séparée de la liturgie154. Elle dispose de normes sée du Christ. L’episkopè découle de la koinonia : en-
pour déterminer l’authenticité des apparitions et pour semble, le Christ et la communauté – le Christ appe-
établir si les pratiques locales et les attitudes associées à lant, la communauté se mettant à l’écoute de son appel
la dévotion mariale sont conformes ou non à la doc- – désignent celui qui doit exercer la surveillance per-
trine et au culte catholiques. Aucune apparition de sonnelle (episkopè). Ce sont « les dirigeants nommés par
Marie à un individu ne peut être considérée par elle- le Christ… pour l’administration des ordonnances et la
même comme garantissant une communication de mise en exécution du pouvoir ou du devoir qu’il leur
l’Évangile. confie »157, un office « qui doit être continué jusqu’à la
fin du monde »158.
161. Lorsqu’ils soumettent les représentations de
Marie à la critique de l’Évangile, les baptistes contestent 164. Pour les catholiques, tout ministère ecclésial est
généralement l’utilité pour la foi des apparitions mariales, appelé à continuer le ministère du Christ dans son
craignant qu’elles ne renforcent ce qu’ils perçoivent Église. Par la proclamation de l’Évangile et par la célé-
comme des tendances culturelles oppressives, voire bration des sacrements, les ministres ordonnés, agissant
même idolâtres. Certains baptistes pensent cependant au nom du Christ, nourrissent et soutiennent le peuple
qu’utilisées avec discernement, les images de Marie, et de Dieu. Fondée sur l’unique Évangile et sur l’unique
l’art religieux en général sur d’autres sujets, peuvent Eucharistie, l’Église du Christ est gardée dans l’unité
être un soutien pour la dévotion à Dieu. D’autres pré- dans un unique corps. La doctrine catholique enseigne
fèrent éviter toute représentation de Marie en raison de que le « ministère épiscopal » est exercé par les évêques,
ce qu’ils perçoivent comme le risque de rendre à Marie ordonnés dans la succession apostolique. Leur minis-
un culte dû uniquement au Christ. Ce qui précède tère découle de la mission confiée par le Christ aux
montre toutefois que les baptistes reconnaissent que Apôtres : « La mission divine confiée par le Christ aux
Marie, telle qu’elle apparaît dans la Bible, doit être ho- Apôtres est destinée à durer jusqu’à la fin des siècles
norée par tous les chrétiens qui trouvent un modèle (cf. Mt 28, 20), étant donné que l’Évangile qu’ils
dans sa vie de disciple. doivent transmettre est pour l’Église principe de toute
sa vie, pour toute la durée du temps. C’est pourquoi les
Apôtres prirent soin d’instituer, dans cette société hié-
VI. LE MINISTÈRE DE SURVEILLANCE (EPISKOPÈ) ET rarchiquement ordonnée, des successeurs »159.
D’UNITÉ DANS LA VIE DE L’ÉGLISE
165. L’episkopè (surveillance) est un don du
162. Le Christ est la Tête de l’Église, son fon- Christ à l’Église en vue du ministère de tout le
dateur, son créateur et sa pierre d’angle. L’Église peuple de Dieu. Le Christ appelle tout le peuple de
doit au Christ son existence même, et il demeure Dieu à partager son ministère de prophète, de
son « berger et son gardien (episkopos) » (1 P 2, prêtre et de roi. L’episkopè attribuée à certains est
25). Il nourrit et soutient son Église dans la pro- un don du Christ, pour permettre au corps du
clamation de l’Évangile et dans la célébration des Christ tout entier d’accomplir les tâches du mi-
sacrements/ordonnances. Par ces moyens, par la nistère (Ep 4, 11-13).
puissance de l’Esprit Saint, la communauté ecclé- 166. Dans la doctrine catholique, l’expression « ins-
siale grandit dans sa communion avec Dieu le titution divine » a été utilisée pour indiquer que le
Père, le Fils et le Saint-Esprit. Christ a donné à son Église, en la personne des apôtres
163. Les baptistes parlent du « gouvernement du qu’il s’est choisis, un ministère sacramentel ordonné au
Christ » dans la communauté locale de l’Église. Cette moyen duquel il veut continuer de guider le troupeau
dernière se considère comme née du Christ et vivant dont il est l’unique Pasteur (cf. Jn 10, 11,16). Cette
dans l’alliance avec Dieu et entre ses membres. D’après doctrine a été réaffirmée par Vatican II : « Les évêques,
la seconde Confession de Londres de 1677 (Baptistes en vertu de l’institution divine, succèdent aux Apôtres,
particuliers), les membres de l’Église sont ceux à qui le comme pasteurs de l’Église »160. Leur ministère est un
Christ « commande de marcher ensemble dans des don essentiel du Christ à l’Église. Les catholiques disent
groupements particuliers ou églises », et qui que la plénitude du sacrement de l’Ordre est conférée
« consentent librement à marcher ensemble selon
l’ordre du Christ »155. Une déclaration plus récente des
156. Dans The Baptist Doctrine of the Church (1948),dansHayden (Ed),
baptistes sur l’Église dit que « ces Églises sont rassem- Baptist Union Documents 1948-1977 (Londres, Baptist Historical
Society, 1980), p. 6. Traduction française du traducteur.
157. Confession de foi (Londres 1644), XXXVI.
154. Voir Lumen Gentium 60, 66, 67 ; Paul VI, Marialis Cultus, 23-26, 158. Confession de foi (Londres 1677), XXVI.8.
31. 159. Lumen Gentium 20.
155. Confession de foi (Londres 1677), XXVI.5-6. 160. Lumen Gentium 20.
54
aux évêques par la consécration épiscopale161. Le de disciples (les « Douze »), chargés par le Christ de
ministère ordonné a été voulu par le Christ pour servir continuer son ministère (Mt 28, 16-20 ; Mc 16, 14-20 ;
tout le peuple sacerdotal de Dieu (cf. 1 P 2, 9). Ainsi, Lc 24, 36-51 ; Jn 20, 21). Plus tard, nous trouvons un
pour les catholiques, même s’il existe « une différence groupe plus nombreux d’« Apôtres » appelés par le
essentielle et non seulement de degré » entre le sacer- Christ ressuscité durant ses apparitions. Enfin, ces der-
doce ministériel et le sacerdoce commun des fidèles, niers s’efforcent d’assurer la continuité du ministère
« l’un et l’autre, chacun selon son mode propre, avec d’autres, qui ont été « séparés » par eux. Dans le
participent de l’unique sacerdoce du Christ »162. Nouveau Testament nous assistons à la nomination
167. Les baptistes affirment que, par leur union au d’episkopoi (évêques) et de presbyteroi (anciens), ces deux
Christ, ils partagent le « sacerdoce de tous les termes étant utilisés de façon quasiment interchan-
croyants », ce qui signifie que l’Église tout entière est geable (Ph 1, 1 ; Ac 20, 17, 28 ; Tt 1, 5,7 ; 1 P 5, 1-5),
un sacerdoce qui offre à Dieu des sacrifices d’action de qui exercent leur ministère dans l’Église aux côtés des
grâce et de service163. Cette croyance est assez proche diakonoi (diacres ou serviteurs pastoraux). Ces « of-
de la notion de « sacerdoce commun » des catholiques. fices » ou ministères ont été établis pour guider et servir
Pour les baptistes, le sacerdoce de l’Église tout entière la communauté, et surtout pour la garder et lui trans-
inclut explicitement la tâche confiée à toute la commu- mettre le « dépôt » de la foi (1 Tm 1, 14).
nauté de « veiller les uns sur les autres dans l’amour », 170. Les catholiques voient dans ces textes néotes-
une forme d’e164 communautaire. Cependant les tamentaires une confirmation de leur conception des
Confessions des premiers baptistes parlaient aussi d’un origines et du développement du ministère ordonné
episkopè personnelle, créée par le Christ sous la forme sous sa triple forme : évêques, presbytres et diacres.
d’« offices » dans son Église pour ceux qui sont appelés Dans les descriptions postérieures, nous voyons que les
et désignés afin de « surveiller » la communauté ou de Apôtres établissent des presbytres ou episkopoi dans les
« veiller sur les âmes »165. L’une des caractéristiques de Églises au moyen de l’imposition des mains (Ac 14, 23,
l’ecclésiologie congrégationaliste baptiste est de ne pas Tt 1, 5-7) et confient la tradition des enseignements de
chercher à donner une définition juridique ou cano- l’Évangile à des hommes dignes de confiance (1 Tm 1,
nique des pouvoirs respectifs des ministres et de toute 3-7, 2 Tm 4, 1-5). Selon le point de vue catholique,
l’assemblée, mais de considérer leur rapport comme après la mort des premiers Apôtres, confrontées aux
une question de confiance et d’obéissance mutuelle au risques d’hérésies et de schismes, les communautés
gouvernement du Christ. Voici comment l’une des chrétiennes ont considéré ces hommes dignes de con-
toutes premières Confessions baptistes définissait ces fiance comme les gardiens de la tradition apostolique,
deux formes d’episkopè : en leur reconnaissant l’autorité de prendre des déci-
sions.
Afin de garantir la sainteté et l’ordre dans la
communion de l’Église, Christ place certains Les traits saillants de la succession dans le triple mi-
hommes spécialement choisis à la tête de celle-ci, nistère des évêques, presbytres et diacres ont été re-
leur confiant la charge de gouverner, de surveiller, connus par l’Église dans les premiers siècles, comme en
de visiter, et d’être vigilants de même, pour que tous témoignent les écrits des Pères de l’Église tels que
les membres, chacun à sa place, soient bien gardés, Clément de Rome, Ignace d’Antioche, Irénée de Lyon,
il confie à tous l’autorité et le devoir de veiller les Tertullien, et Cyprien de Carthage. Pour les catholiques,
uns sur les autres166. c’est une mise en application fidèle, sous la conduite de
l’Esprit Saint, de ce qui se trouvait en germe dans
168. Nos modèles différents d’episkopè se l’Écriture167. Alors que toute communauté transmet la
veulent fidèles à l’Écriture et à la tradition aposto- tradition apostolique, cette même communauté a dis-
lique. cerné que le Christ avait établi le ministère épiscopal
169. Dans le Nouveau Testament, nous pouvons
discerner une grande variété de formes et de modèles
de ministère, tantôt « charismatiques », tantôt plus « or- 167. Voici ce qu’a reconnu le dialogue entre luthériens et
donnés ». Nous trouvons d’abord le cercle rapproché catholiques : « … Le Nouveau Testament présente une grande
variété de ministères et de charismes, ainsi que des formes et des
concepts de ministères qui sont différents mais tendent à se
chevaucher entre eux. Avec la prudence qui s’impose, on peut
161. Lumen Gentium 21. distinguer des lignes de développement dans le Nouveau
162. Lumen Gentium 10. Testament. La façon dont ces développements sont discernés et
163. Voir Confession de foi (Londres 1644), XVII : « un sacerdoce évalués n’est pas indépendante de la façon dont on considère
parfait ». Pour les déclarations plus récentes, voir We Baptists, pp. l’évolution historique postérieure du ministère. La structure des
28-9. trois ministères dans l’Église primitive n’est pas attestée comme
164. Le verbe « watch over » (surveiller), que l’on trouve dans les telle dans le Nouveau New Testament. Elle est apparue à la suite du
premières confessions baptistes de Grande-Bretagne, forme développement des offices dont parle le Nouveau Testament, qui
anglaise du latin episkopèin, est synonyme du verbe « oversee ». ont été ensuite réunis selon une configuration particulière. Le
165. Confession de foi (Londres 1677), XXVI.10. développement de l’office du ministre dans l’Église primitive est
166. Confession de foi (1644), XLIV. Cette formulation est une forme spécifique de réception du témoignage du Nouveau
pratiquement identique à celle de l’article 26 de la Confessions des Testament sur les ministères et les charismes efficaces dans l’Église
séparatistes A True Confession (1596),dans Lumpkin (éd.), Baptist des Apôtres ». L’apostolicité de l’Église (2007) 169. Traduction du
Confessions, p. 90. traducteur.
55
dans la succession des apôtres comme moyen sûr pour l’episkopè pastorale invoquent généralement le fait que
garantir la fidélité à cette tradition. Les trois degrés du Jésus et ses apôtres étaient des hommes et se basent le
ministère sacerdotal ont existé dans toutes les Églises plus souvent sur une interprétation particulière des pas-
d’Orient et d’Occident jusqu’au moment de la sages du Nouveau Testament qui parlent de la place
Réforme, et ils existent encore de nos jours dans les des femmes dans l’Église (1 Co 11, 2-16, 14, 34-35 ; 1
communautés catholique, anglicane et orthodoxe. Ca- Tm 2, 8-15). Ceux qui sont favorables à l’ordination des
tholiques et orthodoxes ont également établi que, selon femmes disent que, puisqu’en Christ « il n’y a plus
le dessein de Dieu, seuls les hommes peuvent être or- l’homme et la femme car tous, vous n’êtes qu’un en
donnés à la prêtrise, en s’appuyant sur un très fort té- Jésus Christ » (Ga 3, 28), tout chrétien baptisé peut être
moignage commun de la Tradition. appelé à guider une congrégation et à veiller sur elle. Ils
La confiance des catholiques dans la fidélité absolue affirment en outre que l’Esprit Saint accorde ses dons
de l’Église à la tradition apostolique n’implique pas que gratuitement et librement aux femmes comme aux
ses dirigeants ne puissent faillir quelquefois dans leur hommes (1 Co 12, 4-11). Ils considèrent que
ministère, ni que l’Église soit toujours à l’abri de la né- l’association de ces dons avec le ministère ordonné
cessité d’un renouvellement ou d’une réforme. Car s’appuie sur les nombreuses références néotestamen-
« pour que nous puissions nous renouveler en lui sans taires à la direction spirituelle des femmes (par ex. Rm
cesse (cf. Ep 4, 23), il nous fait part de son Esprit qui, 16, 1-3,7 ; Ac 18, 24-8).
unique et présent, [est] identique à lui-même dans la Le XXe siècle a connu de grands débats, au sein de
tête et dans les membres (in capite et in membris) »168. la famille chrétienne, sur la question de l’ordination des
L’Église reconnaît que, étant formée de membres pé- femmes. L’Église Catholique n’ordonne pas les
cheurs, elle « est à la fois sainte et toujours appelée à se femmes, suivant une pratique constante de l’Église.
purifier, poursuivant constamment son effort de péni- Jean-Paul II a déclaré que « l’Église n’a en aucune ma-
tence et de renouvellement »169. nière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à
171. Les baptistes voient généralement dans ces des femmes » (Ordinatio sacerdotalis 4, 1994). L’Église
mêmes textes scripturaux (n. 169) une confirmation de Catholique enseigne que Jésus a établi la prêtrise en
leur vision du double ministère. Ils croient que le mo- choisissant douze hommes dans son groupe de dis-
dèle des anciens ou évêques (les offices de presbyteroi et ciples composé d’hommes et de femmes. Jean-Paul II
d’episkopoi étant en fait pratiquement confondus dans souligne que Jésus a choisi les Douze après avoir passé
l’Église primitive) et celui des diakonoi s’exprime dans une nuit en prière (cf. Lc 6,12) et que les Apôtres eux-
les deux offices du pasteur et du diacre170. C’est pour- mêmes ont soigneusement choisi leurs successeurs. Ces
quoi les premiers baptistes appelaient le pasteur or- hommes n’ont pas seulement reçu une fonction sus-
donné de leur congrégation soit « évêque » soit « an- ceptible d’être exercée ensuite par n’importe quel
membre de l’Église, ils ont été associés spécialement et
cien »171, et les baptistes d’aujourd’hui lui attribuent la
plupart des fonctions de l’« évêque » catholique. Pour intimement à la mission du Verbe incarné lui-même172.
les baptistes, la tradition apostolique consiste principa- 173. L’episkopè est exercée dans l’Église de fa-
lement dans la transmission par les fidèles du témoi- çon personnelle, collégiale et communautaire.
gnage originel à Jésus Christ ; cette continuité réside Loin de s’exclure l’une l’autre, ces diverses moda-
dans toute l’Église et dans ses ministres, par leur témoi- lités s’inscrivent dans un réseau de rapports dy-
gnage fidèle de l’Évangile. Néanmoins, ils voient dans namiques qui, ensemble, configurent le rôle de
les « surveillants » (episkopoi, pasteurs) de l’Église locale l’episkopè dans l’Église.
les héritiers du rôle du ministre apostolique, par leur té- 174. Chez les baptistes, l’episkopè (surveillance) est
moignage fidèle de la Parole de Dieu à travers la prédi- exercée de façon communautaire dans les réunions de
cation et les sacrements/ordonnances, et parce qu’ils l’Église locale, dont les membres nomment le pasteur
représentent l’Église universelle au niveau local. et les diacres à l’issue d’un discernement de l’appel du
172. Sur les femmes pasteurs, les baptistes n’ont pas Christ, afin qu’il « veille sur » le corps avec compétence
le même point de vue que les catholiques. Ceux qui ne et fidélité à la Parole de Dieu. Le pasteur, qui exerce
sont pas favorables à la nomination des femmes pour une episkopè personnelle, travaille collégialement avec
son conseil diaconal, et éventuellement avec d’autres
ministres ordonnés qui font partie de l’équipe des mi-
168. Lumen Gentium 7. nistres. Au-delà de l’Église locale, des structures ayant
169. Lumen Gentium 8. des caractéristiques ecclésiales mettent l’Église locale en
170. Voir Confession de foi courte (Jean Smyth, 1609), (16); Déclaration
de foi (Amsterdam: 1611), 20; Confession de foi (London: 1677), relation avec la communion de foi et de mission plus
XXVI.9. On peut trouver une exception à la structure double vaste : associations régionales, unions nationales et fé-
d’episkopè chez les Baptistes Généraux anglais (Arminiens) du milieu dérations internationales. Dans ces structures, certaines
du XVIIe siècle qui, pendant une courte période, ont eu un triple personnes sont nommées pour exercer une episkopè per-
ministère comprenant des évêques ou « messagers » (figures trans-
locales qui exerçaient leur ministère dans un groupe d’Églises, dont sonnelle qui leur confère une certaine « autorité » dans
le nom a une résonance apostolique), des anciens ou pasteurs, et
des diacres ou surveillants des pauvres. Voir Credo Orthodoxe (1679),
XXXI. 172. Cf. Ordinatio Sacerdotalis n. 2, cf. Mt 10, 1, 7-8 ; 28, 16-20 ; Mc 3,
171. Par ex. Confession de foi (Londres 1677), XXVI.9. 13-16 ; 16, 14-15.
56
leur propre sphère. Ce sont les « ministres régionaux », stable dont la structure et l’autorité se déterminent à
les « directeurs de missions », les « présidents » des partir de la Révélation »176. Les catholiques croient que
unions ou conventions, et enfin les « secrétaires géné- le « collège » des évêques a succédé au « collège » des
raux régionaux de l’Alliance Baptiste Mondiale. Dans Apôtres, une institution voulue par Jésus Christ lui-
certain pays, les baptistes utilisent le terme « évêque »173 même, qui a posé les fondements de ce ministère en
parce qu’il se trouve dans le Nouveau Testament plutôt appelant les Douze. Telle est la base de la croyance des
que pour indiquer une idée de succession aposto- catholiques dans la succession apostolique, selon la-
lique174. Ces episkopoi ne sont pas consacrés dans un quelle les évêques sont les successeurs des apôtres
« troisième ordre » de ministère ; ils sont considérés jusqu’à nos jours.
comme exerçant le même ordre de ministère que 176. L’episkopè est exercée en premier lieu
l’episkopos local (le Pasteur de la congrégation), mais dans l’Église locale ou particulière, mais toujours
avec une sphère de service plus vaste parmi les Églises. en communion avec toute l’Église.
Dans le cadre du double ordre de ministère, leur
episkopè diffère par son but, mais pas par son genre. Ils 177. Pour les catholiques, l’Église particulière est la
exercent également une surveillance commune en portion du peuple de Dieu (diocèse ou éparchie) ras-
union avec les groupements d’Églises plus vastes qui semblée autour de son évêque, qui rend visible la sou-
les ont nommés, et une surveillance collégiale avec les veraineté du Christ en proclamant la Parole, en prési-
autres ministres ordonnés. Tant au niveau local que dant à l’Eucharistie avec ses prêtres et ses diacres, et en
trans-local, leur episkopè est à la fois commune et per- veillant sur son peuple réuni en une seule communauté
sonnelle et se base sur des relations de confiance, sans dans l’Esprit Saint177. Dans chaque Église particulière,
que soit exercée aucune autorité juridique. en pleine communion avec les autres Églises particu-
lières, l’Église Catholique subsiste pleinement, comme
175. Chez les catholiques, l’évêque (episkopos) exerce l’a souligné Jean-Paul II : « Le mystère même de
une episkopè personnelle dans son Église particulière l’Église nous amène à reconnaître que l’Église une,
(c’est-à-dire dans son diocèse ou, pour les Églises sainte, catholique et apostolique est présente dans
orientales, dans son éparchie, comprenant de chaque Église particulière dans le monde entier »178.
nombreuses congrégations locales ou paroisses). En L’évêque n’est pas seulement le point de référence ou
tant que membre du « collège épiscopal » (c’est-à-dire le « principe visible » d’unité179 du diocèse auquel il est
de l’ensemble des évêques en communion avec assigné ; il est aussi un membre du collège des évêques.
l’Évêque de Rome), il veille sur l’Église universelle dans Par sa collaboration active avec les autres évêques, il est
le cadre d’une episkopè collégiale, qui trouve son au service du lien d’unité entre son Église locale et
expression la plus pleine dans les conciles toutes les autres Églises locales qui forment l’Église
œcuméniques. Dans son Église particulière (diocèse), tout entière. Dans la paroisse, le prêtre représente son
l’évêque gouverne en collaboration avec son conseil évêque, et c’est ce lien qui rend visible l’unique Église.
presbytéral, son conseil pastoral, son conseil
économique, ainsi qu’avec d’autres instances consulta- 178. Pour les baptistes comme pour les catholiques,
tives auxquelles participent des laïcs ; il y a là quelques le Christ rassemble l’Église (pour les catholiques
analogies avec la collégialité175. L’évêque exerce son l’Église « particulière », pour les baptistes la congréga-
episkopè dans la communauté plutôt que sur elle, dans tion locale) par la prédication de la Parole et par la cé-
ce qui pourrait être considéré comme une sorte lébration des sacrements/ordonnances180. Pour les
d’episkopè commune, à cette différence près qu’elle baptistes, il la rassemble aussi à travers l’episkopè per-
exerce aussi une autorité juridique. sonnelle de ceux qui ont été désignés par la commu-
nauté, qui reconnaît leur appel et confirme leurs dons
Le Concile Vatican II a beaucoup insisté sur la spirituels. La majorité des baptistes croient que le mi-
« collégialité » des évêques. On peut dire que depuis le nistre d’une Église locale est un ministre de l’Église en
début, la vie ecclésiale a été « collégiale » dans un général (c’est-à-dire un ministre de l’Église universelle
double sens : d’une part, parce que la vie interne de de Jésus Christ), et qu’il ou elle représente l’Église uni-
chaque Église locale se caractérisait par le dialogue et la verselle auprès de la congrégation locale. La congréga-
collaboration ; de l’autre, parce que dans les rapports tion locale est pleinement l’Église, mais n’est pas toute
entre les diverses Églises locales, la solidarité et le par- l’Église181. Le lien avec l’Église tout entière – que ce
tage étaient la norme. Le mot « collège » renvoie, dans soit entre les Églises baptistes ou en une communion
l’enseignement catholique sur les évêques, à « un corps
176. Concile Vatican II, Note explicative préalable 1.
173. Par ex. Russie, Géorgie, Burundi, Moldova, Lettonie 177. Christus Dominus 11 ; Lumen Gentium 21.
174. Un exemple exceptionnel est celui de la Géorgie (Europe) où 178. Jean-Paul II, Rencontre avec les Évêques des États-Unis, Los
les baptistes se font appeler « Église évangélique de Georgie », Angeles, 16 septembre, 1987. Dans ce contexte, le pape utilise aussi
plutôt que « Union », et ont adopté la structure du triple ministère. cet argument pour affirmer que le ministère du Successeur de Pierre
Le responsable baptiste national, appelé « Archevêque », a consacré appartient aussi à l’essence de chaque Église particulière.
quatre évêques pour l’assister et a mis en place un modèle 179. Voir Lumen Gentium 23.
d’« évêque » inspiré des traditions épiscopales de l’orthodoxie et de 180. Confession de foi (Londres 1644), XXXIII; Confession courte
l’anglicanisme. (Londres 1600), XI.
175. Jean-Paul II, Lettre Apostolique, Novo Millennio Ineunte, 6 181. Cf. Déclaration de foi (Amsterdam: 1611), 11-12; Confession de
janvier 2001, 45. foi (Londres 1644), XLVII.
57
avec les autres Églises chrétiennes – est une compo- l’Église. Comme le dit la Seconde Confession de foi de
sante nécessaire de l’Église locale. Les baptistes Londres des baptistes particuliers de 1677 : « Une
peuvent dire avec les catholiques que c’est la commu- Église particulière, rassemblée et complètement organi-
nion avec tout le corps du Christ qui rend l’Église lo- sée selon la pensée du Christ, comprend des officiers et
cale « complète », et de ce point de vue, le Pasteur joue des membres. Les dirigeants nommés par le Christ sont
un rôle essentiel. choisis et désignés par l’église (appelée et rassemblée)
Un rapport de l’Union baptiste de Grande-Bretagne pour l’administration des ordonnances et la mise en
sur les formes de ministère chez les baptistes dit que les exécution du pouvoir ou du devoir qu’il leur confie et
ministres ou pasteurs des Églises locales sont appelés à auxquels il les a appelés. Ceux-là doivent être continués
exercer une surveillance générale sur chaque aspect de jusqu’à la fin du monde : ces officiers sont les évêques,
la vie et du travail de la communauté ecclésiale. C’est ce ou anciens, et les diacres »184. L’Église peut toutefois
qui caractérise la figure de l’episkopos dans l’Église, et exister comme Église, quoique incomplète, sans
qui le distingue de celle des diakonoi, responsables de l’episkopè personnelle d’un ministre qui remplit cet
certains aspects particuliers de la vie de l’Église. Ainsi, office.
le pasteur ou ministre de l’Église locale 181. Les catholiques conviennent que l’episkopè per-
…a une vision d’ensemble sur tout le corps et sur sonnelle est exercée pour le bon ordre de l’Église. Mais
à ce sujet, ils ont aussi autre chose à dire. Le ministère
les dons de chacun de ses membres. Il exerce une
des évêques appartient à la structure sacramentelle (esse)
surveillance générale en aidant chaque membre à
grandir dans l’identité du Christ, Serviteur de tous de l’Église. Par leur consécration épiscopale, ils
les hommes, et à rendre visible autour de lui le reçoivent la plénitude du sacrement de l’Ordre. Ils sont
ministère de réconciliation de Dieu dans le assistés dans leur ministère par les prêtres et les diacres.
Le Christ a ordonné son Église de façon à ce que sa
monde182.
pleine communion soit maintenue par les liens de son
Cette vision d’ensemble et cette surveillance sont unique foi, par sa vie sacramentelle commune et par la
possibles à cause de la perspective apportée par la vie vie fraternelle du peuple de Dieu sous la conduite de
de l’Église universelle. Au cours de leur formation théo- ceux à qui a été confié le ministère épiscopal. Vatican II
logique, les ministres ont acquis une vision et une résume ainsi le rôle de l’évêque dans cet ordre : « Par la
compréhension de la foi de l’Église universelle, et c’est fidèle prédication de l’Évangile (par l’administration des
dans cette perspective que le ministre peut proclamer la sacrements et par le gouvernement dans l’amour), ac-
Parole de Dieu dans la situation locale particulière de complis par les apôtres et leurs successeurs, c’est-à-dire
son Église, et appeler la communauté à participer à la les évêques ayant à leur tête le successeur de Pierre,
mission de toute l’Église dans le monde actuel. En tant Jésus Christ veut que son peuple s’accroisse sous
que représentant de l’Église universelle, le ministre l’action du Saint-Esprit, et il accomplit la communion
ouvre l’horizon de la congrégation locale à une vision dans l’unité dans la profession d’une seule foi, dans la
plus large183. Ce rôle est bien mis en lumière lors de célébration commune du culte divin, dans la concorde
son ordination où, dans la plupart des Conventions et fraternelle de la famille de Dieu »185.
Unions baptistes, il reçoit l’imposition des mains de la 182. Le ministère d’episkopè ou surveillance,
part des représentants des Unions d’Églises et de qui prend racine dans le Nouveau Testament, est
l’Église locale. un service dont l’un des principaux buts est la
179. L’episkopè personnelle est établie par le promotion de l’unité de la communauté chré-
Christ pour le bien de l’Église. tienne.
180. Pour les baptistes, les ministères ordonnés as-
surent le bien et le bon ordre de l’Église. Ils savent que,
pour des raisons pratiques, certaines Églises locales ne 184. Confession de foi (Londres 1677), XXVI.8. De même le Credo
sont pas toujours en mesure d’avoir l’episkopè (surveil- orthodoxe (Londres 1679) XXXI. D’après la Confession de foi (Londres
lance) d’un pasteur ordonné. Lorsque cette surveillance 1644), XXXVI, anciens et diacres sont nommés par le Christ pour
que l’Église soit « nourrie, gouvernée, servie et édifiée ».
fait défaut, la congrégation est placée sous l’episkopè de 185. « Décret sur l’œcuménisme [Unitatis redintegratio] », 2. Ce rôle
ses réunions ecclésiales et de ses responsables locaux, est bien résumé aussi au début de chacun des trois premiers
par exemple de ses diacres. Mais même dans les Églises paragraphes de Lumen Gentium qui décrit la fonction prophétique,
baptistes où le diaconat est un office ordonné, les laïcs sacerdotale et royale du gouvernement des évêques. « Parmi les
sont toujours appelés à participer au leadership spirituel charges principales des évêques, la prédication de l’Évangile est la
première » (LG 25). « L’évêque, revêtu de la plénitude du sacrement
de l’Église locale. L’episkopè du pasteur est certainement de l’Ordre, porte la responsabilité de dispenser la grâce du suprême
essentielle et répond à la volonté du Christ pour sacerdoce, en particulier dans l’Eucharistie qu’il offre lui-même ou
dont il assure l’oblation, et d’où vient à l’Église continuellement vie
et croissance » (LG 26). « Les évêques les dirigent comme vicaires et
182. Forms of Ministry among Baptists. Towards an Understanding of légats du Christ, par leurs conseils, leurs encouragements, leurs
Spiritual Leadership. Un document de discussion du Comité de la exemples, mais aussi par leur autorité et par l’exercice du pouvoir
Doctrine et du Culte de l’Union baptiste de Grande-Bretagne sacré, dont l’usage cependant ne leur appartient qu’en vue de
(Union baptiste, Londres, 1994), p. 25. Traduction française du l’édification en vérité et en sainteté de leur troupeau, se souvenant
traducteur. que celui qui est le plus grand doit se faire le plus petit, et celui qui
183. Forms of Ministry Among Baptists, p. 30. commande, le serviteur (voir Lc 22, 26-27)’ (LG 27).
58
183. D’après ce qui précède, on peut voir que pour 21). L’Écriture atteste que l’Église est fondée sur
les baptistes comme pour les catholiques, celui qui les apôtres et sur les prophètes (Ep 2, 20, 3, 5), tout
exerce l’office de surveillance (episkopè) exerce dans en soulignant que son seul fondement est Jésus
l’Église locale (quelle que soit le sens que l’on donne à lui-même (1 Co 3, 11).
ce terme) un rôle spécial qui consiste à la relier à 187. L’unité de l’Église requiert l’unité de la foi. Cela
l’ensemble des autres Églises au niveau trans-local. vaut non seulement au niveau local ou régional, mais
Pour les catholiques, ce n’est pas seulement l’une des aussi à un niveau plus large, si l’on considère que tous
fonctions de cet office, mais une nécessité structurelle les chrétiens du monde entier font partie de l’unique
et sacramentelle en vue de l’unité de l’Église universelle. corps du Christ. L’unité de la foi est exprimée dans
Cependant, les communautés catholiques et baptistes l’Écriture par la Parole inspirée de Dieu ; elle est résu-
mettent l’accent sur des aspects différents de l’unité de mée dans les professions de foi courtes du Nouveau
l’Église. Les baptistes soulignent la liberté des congré- Testament telles que : « Jésus est le Seigneur » (Rm 10,
gations locales placées sous le gouvernement du Christ 9 ; 1 Co 12, 3 ; Ph 2, 11) ; elle est professée dans
et liées entre elles par des rapports fraternels. Les ca- l’ordonnance du baptême au nom du Père, du Fils et
tholiques soulignent l’unité et l’universalité de toute la du Saint-Esprit ; et elle se reflète dans les doctrines tri-
communauté catholique, sans les diversités paralysantes nitaire et christologique (ou « dogmes ») des premiers
légitimées et parfois même encouragées par conciles. Cette unité dans la foi a aussi ce qu’on pour-
l’ecclésiologie de communion. rait appeler une dimension « spirituelle », distincte mais
184. La prière de Jésus « Que tous soient un liée à sa dimension plus proprement doctrinale. Ceux
afin que le monde croie » (Jn 17, 21) établit la qui aiment personnellement Jésus Christ, le Seigneur et
vocation commune de tous les chrétiens à être Sauveur, qui mettent leur confiance en lui et s’efforcent
unis, en se conformant ainsi à la volonté de leur de le suivre dans leur vie de tous les jours, sont réelle-
Seigneur. Cette unité est à la fois spirituelle et ment des frères et des sœurs, même s’ils appartiennent
visible. à une autre Église et si les offices ou ministères sont
185. Les baptistes manifestent une certaine pru- différents dans leur Église.
dence quant à la nature et l’ampleur de cette visibilité, 188. Les catholiques professent régulièrement leur
et ils ne sont pas tous d’accord pour considérer les foi commune dans les credo, et en particulier dans le
structures visibles d’unité mises en place au-delà de credo des Apôtres et le credo de Nicée-Constantinople,
l’Église locale comme une réalité ecclésiale (voir n. 25). tandis que cette pratique n’est pas fréquente chez les
Cependant ils reconnaissent avec les catholiques qu’un baptistes. Ensemble, catholiques et baptistes croient
certain degré de visibilité est nécessaire, compte tenu que les paroles de ces credo sont un concentré des vé-
du motif pour lequel Jésus a demandé l’unité : « Pour rités exprimées dans les Écritures, sans leur attribuer la
que le monde croie ». Il faut donc qu’il y ait une forme même valeur qu’aux Écritures (voir n. 59). Néanmoins,
d’unité visible. Les Actes des Apôtres soulignent à à cause de leur lien avec l’office d’enseignement de
maintes reprises l’harmonie de la première commu- l’Église, les credo ont une autorité normative pour les
nauté, une harmonie que tous pouvaient voir et qui les catholiques. De leur côté, les baptistes adhèrent au
attirait. Ils nous parlent aussi d’une initiative pour sur- contenu des credo et les recommandent explicitement
monter les divisions qui menacent la communauté tout dans certaines confessions de foi comme témoignages
entière, au-delà du niveau local, à l’aide d’un discerne- fiables : ainsi, la confession d’un groupe d’Églises bap-
ment commun sous la conduite de l’Esprit Saint (Ac tistes générales anglaises déclarait en 1679 qu’il fallait
15). Les Lettres aux Éphésiens (4, 3) et aux Colossiens « recevoir » et « croire dans » le credo des Apôtres, dans
(1, 21-23) soulignent l’unité du corps du Christ dont le credo de Nicée et dans le Symbole d’Anastase, et que
Jésus est la Tête (Col 1, 18 ; Ep 1, 22-23). L’unité n’est les chrétiens devaient être « instruits par les ministres
pas une création de l’Église, mais un don donné et du Christ dans leur connaissance »186. En général, les
reçu : elle doit être trouvée et préservée. La notion credo n’ont pas la même autorité pour les baptistes que
même de « corps du Christ » renvoie à la présence du pour les catholiques ; mais catholiques et baptistes
Christ dans le monde, à sa manifestation et à sa visibi- croient que l’autorité des credo dépend de leur capacité
lité dans l’Église. En même temps, le don de l’unité ap- de refléter l’Écriture.
pelle une réponse de notre part.
186. L’unité de l’Église, à tous les niveaux, est
le reflet de son apostolicité, qui s’exprime à la fois
186. Credo orthodoxe XXXVIII ; les credo sont alors imprimés en
par la foi et par le ministère. La foi de l’Église est entier. Au XXe la confession baptiste en langue allemande utilisée
apostolique parce qu’elle est fidèle à la Révélation, en Allemagne, en Autriche et en Suisse déclare qu’« elle tient le
consignée dans l’Écriture et transmise au cours Credo des Apôtres pour la confession commune des chrétiens »
des siècles. Son ministère est apostolique parce (Parker, Baptists in Europe, p. 57) ; les baptistes de Norvège et de
Finlande reconnaissent le « contenu » du Credo des Apôtres et du
qu’il transmet la foi apostolique (2 Tm 2, 2 ; 1 Co Credo de Nicée (Parker, Baptists in Europe, p. 111). Le Credo des
11, 23, 15, 3-5) et qu’il s’efforce de remplir le man- Apôtres a été affirmé et récité par les délégués rassemblés à
dat missionnaire contenu dans les quatre évangiles l’occasion de la fondation de l’Alliance Baptiste Mondiale (Londres
(Mt 28, 16-20 ; Mc 16, 14-18 ; Lc 24, 44-49 ; Jn 20, 1905) et lors de la célébration de son centenaire (Birmingham,
Grande-Bretagne, 2005).
59
189. Outre que les credo, baptistes et catholiques de la Parole dans la communauté188. Toute l’Église
reconnaissent d’autres modalités où l’enseignement et prend part au ministère du Christ, qui est le Verbe de
l’évaluation de l’enseignement jouent un rôle important Dieu, mais le pasteur a la responsabilité principale d’en
dans l’établissement et le maintien de l’unité dans la foi témoigner par sa proclamation et son enseignement, en
apostolique. Les deux communautés utilisent aussi interprétant les paroles écrites de l’Écriture dans les
d’autres moyens pour transmettre et conserver les vé- temps actuels. D’autres membres de l’Église à qui le
rités de la foi, tels que le culte, la prédication, la caté- don d’enseigner a été donné peuvent prendre part au
chèse et les partages de foi auxquels participe tout le ministère de la Parole ; mais c’est le pasteur qui a la
peuple de Dieu. Les écrits des théologiens et le témoi- responsabilité de former, de surveiller et de coordonner
gnage des saints sont aussi des moyens pour trans- tous les enseignements et les prédications dans la con-
mettre la foi. grégation. Ainsi, toute l’Église est appelée à être
190. Un rôle important du ministère d’episkopè « apostolique » en témoignant la bonne nouvelle du
(surveillance) est celui de conserver et de promou- Christ et le pardon des péchés comme le faisaient les
voir la vraie doctrine, en coopération avec la grâce apôtres, mais quelques-uns seulement sont appelés à
de Dieu. être les gardiens de la tradition apostolique. Il peut arri-
ver que le pasteur stimule la congrégation par des pa-
191. Les catholiques croient que la promesse du roles de défi prophétique. L’Église accepte de bon gré
Christ d’envoyer l’Esprit Saint guider la communauté sa surveillance, car elle reconnaît l’appel de son pasteur
dans la vérité (Jn 16, 13 ; cf. 14, 16-17) comporte à exercer son ministère. Mais tout en respectant son
l’assurance que Dieu préserve la communauté de autorité, elle ne renonce pas à sa propre responsabilité
l’erreur quand elle professe les doctrines fondamentales d’interpréter la Parole dans la congrégation, ayant auto-
et normatives de la foi et de la morale. Tel est le sens rité, dans le cadre de l’episkopè commune (voir n. 167),
que la pensée catholique donne au terme « infaillibi- pour discerner qu’un pasteur n’est plus appelé par le
lité ». En ce sens, les catholiques attribuent une telle Christ à exercer son ministère auprès d’elle189. Une telle
autorité au pape et aux évêques. En appliquant ce décision est prise par des personnes faillibles, en toute
terme à certains enseignements du pape, le premier conscience devant le Christ.
concile du Vatican affirma que, dans des circonstances
bien précises et dans certaines limites, le pape, dans son Les associations ou unions baptistes d’Églises (con-
ministère pétrinien, peut exercer l’infaillibilité de ventions) peuvent exercer l’episkopè commune pour ex-
l’Église tout entière. Le Concile Vatican II a précisé que clure une congrégation de l’union, soit pour des motifs
la faculté d’enseigner infailliblement appartient égale- doctrinaux, soit parce que, par ses pratiques, cette
ment au collège des évêques en communion avec le Église n’apparaît plus comme une Église baptiste. Mais
pape, surtout lorsqu’ils sont réunis en concile œcumé- actuellement les baptistes ne croient pas qu’une telle
nique187. Les catholiques croient que l’une des décision puisse être prise au niveau universel. De
responsabilités essentielles du ministère ordonné de même, il n’y a pas accord entre les baptistes et les ca-
surveillance, conférée à chaque nouvel évêque par la tholiques sur le fait que le rôle d’enseigner au niveau
consécration sacramentelle, est de transmettre la doc- universel de la vie de l’Église ait une base dans le Nou-
trine chrétienne en matière de foi et de morale. Et que, veau Testament. Les baptistes rejettent l’idée que
tant individuellement dans leur diocèse qu’en groupe l’Église a le charisme d’enseigner de façon infaillible,
aux différents niveaux de la vie ecclésiale, les évêques attribuant l’infaillibilité uniquement au Christ, le Verbe
enseignent avec une autorité spéciale sous la conduite de Dieu.
de l’Eprit Saint. L’« office » ou « tâche » de 193. Le ministère d’unité, tel qu’il est exercé par
l’enseignement officiel est souvent appelé Magistère, un les « surveillants » (episkopoi), est nécessaire dans
terme appliqué quelquefois aussi à ceux qui exercent l’Église locale et aux différents niveaux où les
cet office ou à l’enseignement lui-même. Églises locales sont regroupées.
192. Les baptistes croient que la communauté, gui- 194. Chez les baptistes, l’episkopos du Nouveau Tes-
dée par l’Esprit Saint, est soumise à l’ordonnancement tament est d’abord le pasteur d’une congrégation locale,
de la Parole de Dieu, qui s’exprime à travers le minis- tandis que chez les catholiques c’est l’évêque, qui veille
tère donné par Dieu. Ainsi le pasteur, en qui la tâche de sur une communauté comprenant un certain nombre
l’episkopè est concentrée, est celui qui a principalement de paroisses. Baptistes et catholiques interprètent diffé-
(mais pas exclusivement) la responsabilité du ministère remment l’exercice de l’episkopè. Alors que les deux
communautés sont d’accord pour dire que ce ministère
est exercé de façon à la fois personnelle, commune et
collégiale (voir n. 173-175), les catholiques insistent
187. Par ex., en proposant un enseignement de la foi révélée plutôt sur la surveillance individuelle, en mettant
divinement. Voir CEC 891 ; cf. Lumen Gentium 25, Dei Verbum 10,2. l’accent sur le caractère personnel du ministère des
Ils peuvent aussi proposer, dans l’exercice du magistère ordinaire,
un enseignement qui conduise à une meilleure intelligence de la évêques. Ce ministère individuel est exercé aussi collé-
Révélation en matière de foi et de mœurs. À cet enseignement
ordinaire « les fidèles doivent donner l’assentiment religieux de leur
esprit » (Lumen Gentium 25) qui, s’il se distingue de l’assentiment de 188. Confession de foi (Londres 1644), XLV.
la foi, le prolonge cependant. Cf. CEC 892. 189. Voir Confession de foi courte (1609), (13)
60
gialement au sein du collège des évêques qui peuvent blées de responsables d’Églises sont plutôt des ins-
faire appel, au besoin, à d’autres structures communes. tances œcuméniques que des instances ecclésiales, tan-
Les baptistes, en revanche, mettent plutôt l’accent sur dis que pour les baptistes elles sont une caractéristique
l’exercice commun de l’episkopè (dans le cadre de de l’Église.
l’Église rassemblée, soit au niveau de l’Église locale, 197. Le Christ est la Tête de l’Église. Sous son
soit au niveau régional ou national) et ne conçoivent autorité suprême, le Nouveau Testament montre
l’episkopè personnelle et collégiale que dans ce cadre, une certaine primauté de leadership exercée par
comme le veut la « surveillance » mutuelle dans la l’apôtre Pierre parmi les Douze, un rôle qui cor-
koinonia de toute l’Église. Ces accentuations différentes respond aux intentions de Jésus.
demeureraient même si les baptistes reconnaissaient
une forme de ministère au service de l’unité de tous les 198. Baptistes et catholiques donnent des interpré-
chrétiens au-delà de la sphère nationale, au niveau uni- tations différentes des textes bibliques qui parlent de
versel. Pierre. S’il est vrai que les trois passages clé de Matthieu
16, 18-19, Luc 22, 31-32 et Jean 21, 15-19 montrent un
195. Les catholiques croient que, outre les instances certain intérêt pour le leadership de Pierre dans la
collégiales chargées de maintenir l’unité, un ministère communauté de l’Église primitive, les baptistes n’y
individuel d’episkopè a été attribué tout spécialement à voient pas une base suffisante pour affirmer le principe
Pierre par le Christ ressuscité, au service de l’unité de d’un « office pétrinien » ou d’un « ministère pétrinien »
toute la communauté. Au premier Concile du Vatican, stable destiné à se prolonger au-delà de la situation de
l’enseignement catholique sur le pape n’avait parlé que la première communauté ecclésiale192.
d’un « primat de juridiction », mais par la suite, ce pri-
mat fut interprété parfois d’une façon qui dépassait les En outre, les baptistes ont soutenu traditionnelle-
intentions de ce concile. Ce serait une erreur de croire ment qu’un passage tel que celui de Jean 21, 15-19 peut
que le « primat de juridiction » peut remplacer ou sup- s’appliquer à n’importe quel pasteur, comme exhorta-
planter le rôle des évêques et des autres ministres dans tion à veiller sur le troupeau du Christ ; il peut être in-
les Églises locales. L’une des contributions de Vatican terprété aussi comme l’assurance donnée à tout chré-
II a été d’insister sur le fait que le primat du pape ne tien qu’il peut être pardonné et qu’il pourra ensuite re-
peut pas être isolé de l’Église tout entière ; il ne peut partir du bon pied. Les baptistes pensent que le « roc »
être vraiment compris que dans le cadre d’une ecclé- dont il est question en Matthieu 16, 18-19 peut se réfé-
siologie de communion. Son but est d’édifier l’Église, et rer à tout disciple qui confesse le Christ, outre qu’à
ce but détermine aussi ses limites. Pierre dans ce contexte précis. Les textes où Pierre est
mentionné ne doivent pas être isolés de ceux où sont
196. Pour le moment, baptistes et catholiques n’ont mentionnés aussi les autres apôtres des premières
pas pu trouver un accord sur la question de savoir si le communautés. Car s’il est vrai que Pierre est cité dans
désir d’unité du Christ pour toute l’Église inclut un mi- beaucoup de versets, il en va de même pour Paul qui
nistère individuel tel que celui de la papauté au service exerçait un ministère d’unité transrégional ; et de
de l’unité universelle, ni sur la façon dont un tel minis- Jacques, qui semble avoir été le chef de la communauté
tère devrait être exercé. La plupart des baptistes de Jérusalem.
pensent qu’un ministère personnel de surveillance uni-
verselle n’est pas nécessaire. S’ils devaient envisager L’évaluation du poids à accorder à ces divers témoi-
une éventuelle participation à un ministère chargé de gnages est une tâche complexe, et cette complexité doit
promouvoir l’unité et la coopération entre les Églises à être prise en compte dans la recherche des preuves bi-
l’échelle mondiale, les baptistes pencheraient plutôt bliques d’un éventuel ministère de primat. En considé-
pour un ministère partagé entre un groupe de per- rant ces données bibliques, les baptistes font une dis-
sonnes, ou exercé à tour de rôle par des représentants tinction entre les différentes strates de la question : a) le
de l’Église appelés par Dieu190. Une telle solution serait rôle de leadership joué historiquement (mais pas exclu-
comparable à celle appliquée pour les instances dans sivement) par Pierre auprès des autres apôtres ; b) la
lesquelles les responsables baptistes participent aux croyance que ce rôle de leadership continue dans un
côtés des responsables catholiques et d’autres dénomi- « ministère pétrinien » après la mort de Pierre ; c) la
nations à un leadership collégial au niveau national, par croyance que le Nouveau Testament confirme la néces-
exemple quand un baptiste a été désigné comme l’un sité d’un ministère universel d’unité personnifié par un
des quatre présidents du conseil œcuménique national episkopos individuel ; d) la croyance, fondée sur la pré-
Together in England191. Pour les catholiques, ces assem- sence et le témoignage de Pierre à Rome, que le « mi-
nistère pétrinien » exerce ce ministère universel de fa-
çon continue et qu’il est représenté par l’Évêque de
190. Voir la réponse à Ut unum sint de l’Union baptiste de Grande- Rome.
Bretagne sur laquelle la Conférence des évêques de Grande-
Bretagne et d’Irlande a réfléchi : One in Christ. Ecumenical Notes and
Documentation No. 4 (1999), pp. 360-65.
191. Il existe un système de rotation selon lequel deux des quatre
présidents sont toujours les primats anglican et catholique romain 192. Par exemple, ces trois textes sont rappelés par Jean-Paul II
en Angleterre, les deux autres places sont réservées à un dans Ut unum sint, 91, et plus récemment par la Congrégation pour
responsable d’une Église libre et un responsable d’une autre Église la Doctrine de la Foi du Vatican dans « Le primat du Successeur de
pour une période de temps limitée. Pierre dans le mystère de l’Église », 3.
61
Pour les catholiques, ces quatre strates sont intime- 202. Les baptistes pensent que l’histoire et la répu-
ment liées entre elles, et l’expression « ministère pétri- tation de la papauté comporte à la fois des aspects po-
nien » les embrasse toutes. Les discussions avec les sitifs et négatifs qui demandent à être réévalués au-
autres communions rendent nécessaire une évaluation jourd’hui. La place importante de Rome dans la com-
mutuelle de ces strates, de leurs implications, et des munauté chrétienne est due à son lien avec le ministère
rapports qui existent entre elles. Nombre de baptistes et le martyre des apôtres Pierre et Paul. Le ministère
reconnaissent le premier point, qui est historique, et d’unité de certains évêques de Rome demeurés cé-
quelques-uns d’entre eux sont prêts à se laisser con- lèbres, tels Léon Ier au temps du concile de Chalcé-
vaincre du troisième, tout en considérant l’institution doine, est reconnu par beaucoup de communautés
d’un ministère universel d’episkopè comme un dévelop- chrétiennes. Dans les premiers siècles de notre ère,
pement post-biblique. Les deux autres points sont en- nombreux étaient ceux qui venaient demander le sou-
core plus controversés. De leur côté, les catholiques tien du pape ou qui s’adressaient à lui en cas de conflit,
affirment que le développement post-biblique d’un mi- ce qui montre bien la valeur attribuée généralement à
nistère au service de l’unité universelle de l’Église son ministère. Mais en même temps, les baptistes
trouve son fondement dans l’Écriture. pensent que cette histoire comporte aussi des événe-
199. La question du rapport entre ministère prima- ments et des décisions qui n’ont pas eu un effet unifi-
tial et Église locale de Rome est également controver- cateur. Baptistes et catholiques tirent donc des conclu-
sée. Alors que l’Écriture ne parle pas de leur mort, la sions différentes de l’usage qui a été fait de l’autorité
tradition historique selon laquelle Pierre et Paul au- papale dans l’histoire, même lorsqu’ils sont d’accord
raient été martyrisés à Rome, en rendant ainsi leur der- pour reconnaître les faits en question.
nier témoignage au Christ dans cette ville, est largement 203. Le témoignage rendu par les papes dans les
acceptée par les baptistes, par les catholiques et par de dernières décennies sur des vérités et des valeurs évan-
nombreux autres chrétiens193. Nous reconnaissons géliques chères à la communauté baptiste a amené
qu’en dépit des autres questions soulevées dans le cadre nombre de responsables et de théologiens des Églises
de la lutte de pouvoir entre l’Empire romain baptistes à réviser leurs anciennes positions sur la pa-
d’Occident et celui d’Orient, le lien historique avec les pauté. En particulier, le pontificat long et dynamique de
martyres de Pierre et Paul est un facteur qui joue en fa- Jean-Paul II, avec sa forte présence dans les médias, a
veur du rôle particulier de l’Église de Rome et de ses parlé à l’imagination des baptistes. Nombreux sont les
évêques en vue de maintenir la fidélité au témoignage baptistes qui voient désormais des avantages concrets
des apôtres. au fait d’avoir une voix qui parle au nom de toute la
À ce stade encore précoce des conversations entre communauté chrétienne. Cette voix a une fonction
baptistes et catholiques, aucun accord sur le ministère prophétique lorsqu’elle se base sur l’Écriture et pro-
de primat n’a pu être enregistré. Toutefois la clarifica- clame les vérités éternelles de la foi chrétienne en notre
tion de ces questions pertinentes est déjà en elle-même temps. L’utilité de ces enseignements pour la catéchèse
un début prometteur en vue d’un travail plus appro- et pour la solidarité sociale s’étend bien au-delà de la
fondi dans l’avenir. seule Église Catholique, en assumant les caractéris-
tiques d’un ministère d’unité.
200. Les erreurs historiques commises dans le
passé tant par les baptistes que par les catholiques 204. S’il n’y a pas d’accord substantiel sur un mi-
doivent être affrontées dans un esprit de repen- nistère d’unité universel, il existe en revanche au-
tance, par des actions appropriées dans le présent. jourd’hui des instances où catholiques et baptistes par-
tagent des ministères qui ont un effet unificateur à
201. La nouvelle situation créée par l’esprit l’échelle mondiale. En tant que figure reconnue dans le
d’œcuménisme appelle tous les frères et les soeurs en monde entier, le pape est en mesure de promouvoir
Christ à réexaminer le passé et, si nécessaire, à réviser avec d’autres responsables chrétiens et leurs commu-
certaines attitudes prises autrefois par les membres de nautés des actions communes dans les domaines cultu-
nos communautés. Dans nos deux communions chré- rel, scientifique, éthique et théologique. La participation
tiennes, nombreux sont ceux qui entendent se dissocier plus nombreuse des laïcs et des ministres d’autres
des jugements négatifs portés autrefois les uns sur les Églises aux synodes des évêques de l’Église Catholique,
autres. Du côté catholique, les erreurs historiques ont et la participation des catholiques aux divers conseils et
été reconnues, notamment par Jean Paul II dans son assemblées des Églises baptistes, sont des moyens pour
encyclique sur l’œcuménisme Ut unum sint (« Qu’ils promouvoir l’unité qui ne requièrent pas l’union entre
soient un »), et dans les liturgies de réconciliation telles les Églises. Une initiative utile, de la part des baptistes,
que celle du premier Dimanche de Carême du Jubilé de pourrait être de donner une réponse formelle à
l’an 2000. De leur côté, nombre de baptistes souhaitent l’invitation lancée par Jean-Paul II dans Ut unum sint de
oublier les termes peu flatteurs appliqués à la papauté réfléchir ensemble à un ministère d’unité à tous les ni-
par leurs ancêtres dans des circonstances bien diffé- veaux où il peut être exercé, et qui soit acceptable pour
rentes. les autres chrétiens dans la nouvelle situation œcumé-
nique. Par ailleurs, tous les responsables qui guident
193. La tradition selon laquelle Pierre et Paul furent martyrisés à nos communautés aux niveaux local, régional, national
Rome est rappelée par Jean-Paul II dansUt unum sint, 90.
62
et universel doivent être encouragés à formuler et à contemporain196. Ce fut réellement une expérience
mettre en œuvre des actions communes réalisables dès d’« échange de dons », pour citer une phrase mémo-
à présent194. rable de Jean-Paul II197. Et tout comme les participants
aux premières conversations de 1984-88, nous remer-
cions le Seigneur pour le don d’être ensemble.
VII. RÉFLEXIONS CONCLUSIVES
Élaborer une pensée commune Progresser ensemble
205. Dans nos conversations, nous avons examiné 206. L’une des principales avancées que nous avons
ensemble, attentivement et patiemment, les principales réalisée ensemble a trait à notre compréhension du
questions qui nous séparent, et qui avaient été identi- rapport entre Écriture et Tradition. À une exception
fiées au préalable comme étant particulièrement diffi- près (l’expression « avec un égal sentiment d’amour et
ciles (voir n. 4). On trouvera donc dans ce rapport une de respect » appliquée à l’Écriture et à la Tradition, voir
quantité de détails, mais nous sommes convaincus que n. 65), nous avons découvert que nous partageons la
jamais une tentative aussi poussée n’avait été réalisée croyance qu’Écriture et Tradition se fondent sur une
jusqu’à présent pour définir aussi précisément que pos- unique source, à savoir la Révélation de Dieu en Jésus
sible les convergences et les divergences entre les chré- Christ. Quelques différences subsistent quant aux im-
tiens catholiques et baptistes. Nous espérons que ceux plications pratiques de ce principe théologique, que ce
qui liront ce rapport avec sympathie y trouveront une soit sur les poids respectifs de l’Écriture et de la Tradi-
quantité surprenante de convergences et de pensée tion ou sur les différentes exégèses de l’Écriture dans
commune, non seulement dans les résumés en carac- l’enseignement de l’Église : on peut en trouver
tères gras, mais aussi dans les comparaisons entre les quelques exemples dans les paragraphes sur Marie et
points de vue des catholiques et des baptistes. sur la surveillance (episkopè) dans l’Église. Mais ayant
Il apparaît qu’une grande partie de la théologie reconnu que nous travaillons sur une base en grande
sous-jacente à ces conversations nous est commune. partie commune, nous pourrons désormais parler de
Nous avons commencé par le thème de la Parole de ces différences de façon constructive au lieu de nous
Dieu dans la vie de l’Église : « La Parole de Dieu dans limiter à constater qu’il y a impasse, et travailler à nous
l’Église, au sens le plus plein du terme, est le Christ lui- rapprocher encore davantage.
même, qui règne en Seigneur par la puissance et la 207. De même, nous avons proposé une certaine
grâce de l’Esprit » (n. 7). Notre point de départ com- convergence théologique sur la question du baptême :
mun a donc été que le Verbe fait chair nous introduit nous sommes d’accord en principe sur le fait que le
dans la communion trinitaire de Dieu, laquelle crée la baptême n’est pas un acte isolé, mais qu’il s’inscrit dans
communion de l’Église, en sorte que la koinonia de un parcours d’initiation chrétienne. C’est là une pers-
l’Église participe de la koinonia de la Trinité (n. 8-10).195 pective commune, en ligne avec celle réalisée entre
Partant de là, nous avons découvert qu’il existe de baptistes et anglicans. Même si quelques divergences
nombreux points communs dans nos principes théolo- subsistent sur le baptême (voir n. 103, 112), nous dis-
giques sur l’Écriture, la Tradition, les sacre- posons maintenant d’une base solide pour avancer vers
ments/ordonnances, la place de Marie dans la vie de une reconnaissance mutuelle du parcours d’initiation
l’Église, l’ordre ecclésial et le ministère de surveillance chrétienne. Nous ne sommes plus bloqués par ce qui
(episkopè). Dans ce rapport, nous avons voulu attirer apparaissait comme un fossé infranchissable entre la
l’attention sur ces points communs. Les divergences, pratique du baptême des petits enfants et celle du bap-
toujours regardées avec respect, sont dues bien souvent tême des disciples « professants ».
à la façon dont nos communions respectives se sont
développées, par rapport à des conflits historiques et
Reconsidérer les anciennes questions
dans des contextes sociaux différents. Cette réflexion
menée ensemble a beaucoup favorisé la compréhension 208. Avec la création d’un espace théologique
mutuelle et la sympathie entre nous, tout en dissipant commun dans lequel dialoguer, chaque délégation a été
des malentendus tenaces. Travailler ensemble nous a amenée à reconsidérer quelques-unes de ses prises de
permis non seulement de réaffirmer plus clairement position traditionnelles. Notre réexamen du riche ba-
nos convictions, mais aussi de les repenser dans une gage de témoignages bibliques sur Marie, la Mère de
perspective nouvelle, par un exercice d’« œcuménisme Jésus, nous a conduits à une compréhension commune
réceptif » selon l’expression d’un courant de pensée de Marie comme modèle des disciples dans la koinonia
de l’Église. Les participants baptistes à ces conversa-
tions ont eu ainsi l’occasion d’entamer une réflexion
sur la façon dont ils l’honorent et d’affirmer la place

194. On en trouve un exemple au n. 196.


195. Le synode des évêques a reconnu en 1985 que l’ecclésiologie 196. Voir Paul D. Murray, « Receptive Ecumenism and Ecclesial
de communion a été l’un des thèmes centraux de Vatican II. Plus Learning: Receiving Gifts for our Needs », Louvain Studies 33/1-2
récemment, les baptistes ont été appelés à réfléchir sur leur vie (2008), pp. 30-45.
ensemble comme Alliance Mondiale en termes de communion. 197. Jean-Paul II, Lettre Encyclique Ut unum sint, 25 mai 1995, 28.
63
spéciale que Dieu lui a réservée dans l’histoire du salut. dentale et de l’Amérique du Nord grâce à l’expérience
Une meilleure compréhension du rapport entre Marie de nos participants – originaires notamment de
et le Christ a conduit les participants baptistes à recon- Jamaïque, Pologne, Mexique, Argentine, Brésil, Ghana,
naître son rôle de theotokos, Mère de Dieu, un titre qui Singapore, Philippines ou Taiwan. À la lumière de toute
est essentiellement une affirmation de la divinité de ceci, nous espérons que les conversations futures, outre
Jésus Christ. Dans ces conversations, les catholiques que sur les sujets éthiques déjà indiqués, porteront aussi
ont été invités à mener une réflexion plus approfondie sur la question de l’Évangile et l’inculturation, ainsi que
sur le sens des images bibliques de Marie qui sont à la sur le problème urgent de la liberté religieuse. Nous es-
base de la doctrine et de la dévotion mariales. Les par- pérons que les bases théologiques posées dans ce rap-
ticipants catholiques ont ainsi pris conscience que les port représenteront un nouvel encouragement à
autres chrétiens ont le sentiment que certaines expres- l’action éthique, dans le cadre de mission et évangélisa-
sions populaires de la dévotion de Marie peuvent faire tion.
de l’ombre à la centralité du Christ et à la vie de disciple
chrétien. Les catholiques ont découvert le tort que cela
peut causer. Reconnaître le Christ les uns dans les autres
209. Dans un tout autre domaine, les participants 212. Que dire en conclusion ? Nous espérons que la
baptistes ont trouvé utile d’envisager la question du koinonia que nous avons vécue ensemble dans le culte et
ministère d’unité universelle sous un nouvel angle, sans dans les discussions s’étendra à la vie de nos commu-
arriver toutefois au point d’en affirmer la nécessité. Les nions de foi. Même si cela peut paraître insuffisant à
discussions ont permis de dissiper d’anciennes réti- ceux qui espèrent davantage, nous pouvons dire au
cences, et des suggestions sérieuses ont été faites en moins que nous discernons chacun les traits de l’Église
vue d’une meilleure coopération, en faisant entendre la du Christ dans l’autre communion, en y reconnaissant
voix des chrétiens aujourd’hui (voir n. 196, 204). De la présence de Jésus Christ, Seigneur de l’Église. Nous
leur côté, les participants catholiques à ces conversa- avons atteint « une certaine communion, bien
tions se sont sentis encouragés à développer une théo- qu’imparfaite »198, et nous continuons à déplorer les
logie plus riche de l’Église locale, et à réfléchir sur la divisions qui existent entre nous. Nous espérons que
formation à la vie de disciple dans les paroisses. cette reconnaissance mutuelle aura aussi un effet entre
les Églises baptistes et catholiques au niveau local, dans
leur vie et dans leur mission, loin de l’air raréfié de ces
Recevoir ce rapport conversations théologiques. Puisse ce discernement
210. Nous confions maintenant ce rapport à nos mutuel du Christ dans l’autre trouver un écho dans nos
deux communions de foi pour une réflexion attentive congrégations locales et nos paroisses. Puisse le Christ,
et priante. Les questions que nous avons abordées le Verbe de Dieu, continuer à nous guider, à nous cor-
touchent parfois de très près à notre identité, et nous riger et à nous renouveler conformément à sa Parole.
sommes conscients que certaines parties de ce rapport
peuvent être dérangeantes pour les membres de nos
Églises respectives. Nous espérons qu’il suscitera de ANNEXE 1
nouvelles conversations entre et à l’intérieur de cha-
cune de nos communions, et qu’il sera lu avec patience, Discours de bienvenue de Sa Sainteté le Pape Benoît XVI à
sympathie et charité, et non avec suspicion. De telles la Commission internationale conjointe de l’Alliance Baptiste
conversations peuvent avoir pour cadre les instituts de Mondiale et du Conseil Pontifical pour la promotion de l’unité
formation théologique, se dérouler entre pasteurs et des chrétiens à Rome, le 6 décembre 2007199.
prêtres des deux congrégations, dans des groupes de
travail au niveau local, ou dans le cadre de consulta- Chers amis,
tions ou de dialogues régionaux ou nationaux. Nous
espérons en outre que les théologiens des autres com- Je souhaite cordialement la bienvenue aux
munions chrétiennes s’intéresseront à cette tentative membres de la Commission conjointe promue par
sérieuse et nouvelle pour comparer et distinguer les l’Alliance Baptiste Mondiale et par le Conseil Pontifi-
convictions des baptistes et des catholiques. cal pour la promotion de l’unité des chrétiens. Je suis
heureux que vous ayez choisi comme lieu de votre
211. De même que pour le dialogue théologique sur rencontre la ville de Rome, où les apôtres Pierre et
les questions doctrinales, le dialogue sur les questions Paul ont proclamé l’Évangile et où ils ont couronné
éthiques demande une attention constante. Parmi nos leur témoignage au Seigneur ressuscité en versant leur
objectifs de départ, il y avait le désir d’« encourager de sang. Mon espoir est que vos conversations portent
nouvelles initiatives communes sur des questions des fruits abondants pour les progrès du dialogue et
éthiques, telles que la justice, la paix et la sainteté de pour une compréhension et une coopération accrues
vie ». Nous n’avons malheureusement pas eu la possi- entre catholiques et baptistes.
bilité d’approfondir ce point dans cette phase de nos
conversations, qui ont bénéficié par ailleurs d’un éclai-
rage sur d’autres contextes que ceux de l’Europe occi- 198. Ut unum sint 11; Voir Unitatis Redintegratio 3.
199. Reproduit avec l’autorisation de L’Osservatore Romano.
64
Le thème que vous avez choisi pour cette phase de Le dialogue ne consiste pas seulement en une re-
vos contacts – La Parole de Dieu dans la vie de l’Église : cherche sincère de la vérité de la part des participants,
Écriture, Tradition et Koinonia – offre un contexte pro- ni dans le discernement de convergences et de diver-
metteur pour l’examen de questions qui ont fait l’objet gences. Il ne consiste pas seulement non plus dans la
de controverses historiques, telles que le rapport entre recherche des moyens pour apprendre les uns des
Écriture et Tradition, la compréhension du baptême autres en cheminant vers la koinonia dans la foi, la vie et
et des sacrements, la place de Marie dans la commu- le témoignage. Le dialogue consiste aussi dans une do-
nion de l’Église, et la nature de la surveillance et du cilité mentale constante aux impulsions de l’Esprit,
primat dans la structure ministérielle de l’Église. Pour dans une volonté sincère de témoigner l’amour chrétien
que notre espoir d’une réconciliation et d’une plus en communauté, et dans un travail patient pour la
grande fraternité entre baptistes et catholiques puisse gloire de Dieu. Les partenaires qui s’engagent dans le
se réaliser, ces questions doivent être abordées en- dialogue doivent commencer par reconnaître qu’ils
semble dans un esprit d’ouverture, de respect mutuel n’ont pas une connaissance parfaite de la vérité, mais
et de fidélité à la vérité libératrice et au pouvoir salva- qu’ils ont la faculté d’apprendre les uns des autres dans
teur de l’Évangile de Jésus Christ. leur recherche commune de la volonté de Dieu. Ils
Comme croyants en Christ, nous reconnaissons en s’engagent ensemble dans une sorte de pèlerinage vers
lui l’unique médiateur entre Dieu et l’humanité (1 Tm Celui qui est « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6).
2, 5), notre Sauveur et notre Rédempteur. Il est la Pour ce cheminement, ils avancent à la lumière de la
pierre angulaire (Ep 2, 21 ; 1 P 2, 4-8), la Tête du révélation de la vérité telle qu’ils l’ont reconnue dans et
corps qu’est l’Église (Col 1, 18). En ce Temps de à travers leurs traditions. En même temps, ils
l’Avent, nous espérons sa venue dans une attente s’efforcent de profiter mutuellement des richesses de
priante. Aujourd’hui, comme toujours, le monde a be- leur expérience sur le chemin chrétien.
soin de notre témoignage commun du Christ et de Réunis aujourd’hui dans ce grand siège de la con-
l’espérance que l’Évangile apporte. C’est pourquoi naissance qu’est l’Université d’Oxford, cette observa-
l’obéissance à la volonté du Seigneur doit nous pous- tion que l’on trouve à la fin du rapport officiel de la
ser à rechercher constamment l’unité qu’il a exprimée première phase des conversations entre baptistes et
de façon si émouvante dans sa prière sacerdotale : catholiques romains nous revient à l’esprit : « Nous té-
« Que tous soient un… afin que le monde croie » (Jn moignons qu’au cours de toutes les sessions des cinq
17, 21). En effet, le manque d’unité entre les chrétiens dernières années, il a régné un esprit de respect mutuel
« s’oppose ouvertement à la volonté du Christ. Elle est et de compréhension croissante. Nous avons demandé
pour le monde un objet de scandale et elle fait obstacle l’assistance du Seigneur de l’Église et l’avons loué et
à la plus sainte des causes : la prédication de l’Évangile glorifié pour la présence et l’aide de l’Esprit Saint ». Je
à toute créature » (Unitatis Redintegratio, 1). crois que vous pouvez réaffirmer cette conviction alors
Mes chers amis, je vous présente mes vœux cor- que vous vous réunissez pour la session finale de cette
diaux et l’assurance de mes prières pour l’important deuxième phase de conversations théologiques, dans
travail que vous avez entrepris. Sur vos conversations laquelle les buts finaux louables ne doivent pas préva-
et sur chacun de vous et de vos proches, j’invoque avec loir sur les importants buts immédiats. Les chercheurs
joie les dons de l’Esprit Saint de sagesse, de compré- de vérité ne doivent jamais oublier les exigences de
hension, de force et de paix. l’amour dans leur effort commun et dans le rapport
qu’ils en feront. Il serait donc tout à fait approprié
qu’une telle approche caractérise les travaux de cette
Message de bienvenue du Rév. Neville Callam, Secrétaire gé- deuxième phase de notre dialogue, qui se construit sur
néral de l’Alliance Baptiste Mondiale, à la Commission inter- la phase précédente (1984-1988). De votre dialogue
nationale conjointe du Conseil Pontifical pour la promotion de autour du thème « La Parole de Dieu dans la vie de
l’unité des chrétiens et l’Alliance Baptiste Mondiale, Oxford, 13 l’Église » nous attendons des progrès en direction de la
décembre 2010. réalisation des buts de ces conversations. Ces buts ont
été clairement définis avant que nous entamions ce
Mes amis dans le Christ, cheminement ensemble.
En ce Temps de l’Avent, alors que l’Église attend la En vous souhaitant la bienvenue au début de votre
venue du Seigneur, vous vous réunissez pour attendre rencontre ici, à Oxford, demandons l’assistance de
la lumière qui brillera sur vos discussions, en éclairant l’Esprit Saint sur l’important travail que vous accom-
vos esprits tandis que vous portez à terme cette phase plissez. Demandons la sagesse nécessaire pour guider le
du travail précieux que vous accomplissez au service du processus de réception qui suivra la publication du rap-
Royaume. Nous prenons au sérieux la prière de notre port sur votre travail de ces cinq dernières années. De-
Seigneur pour l’unité de l’Église (Jn 17, 20-26), et nous mandons aussi l’assistance de l’Esprit Saint pour dis-
pensons que la prière et le travail en faveur de l’unité cerner les prochaines étapes de notre parcours com-
visible de l’Église constituent un aspect vital de notre mun.
mission. Nous avons choisi le chemin du dialogue au
service de l’unité pour laquelle le Seigneur a prié.
65
ANNEXE 2 « Word, Koinonia and Church: An Appreciative
Response to Bishop Serratelli » (Parole, koinonia et
Liste des participants à la commission conjointe internatio- Église : Une réponse appréciative à Mgr Serratelli), par
nale le Dr Paul S. Fiddes
« Scripture in the Life of the Baptist Churches:
MEMBRES CATHOLIQUES Opportunities for a Differentiated Catholic-Baptist
Consensus » (L’Écriture dans la vie des Églises bap-
Très Rév. Arthur Serratelli, Coprésident tistes : opportunités pour un consensus différencié
Rév. John Radano, Cosecrétaire (2006-2007)
entre catholiques et baptistes), par le Dr Steven R.
Rév. Gregory J. Fairbanks, Cosecrétaire (2008-2010)
Harmon
Dr Peter Casarella
P. Dr William Henn, OFM Cap. « The Use of Sacred Scripture in the Catholic Church »
Dr Krzysztof Mielcarek (L’utilisation de la Sainte Écriture dans l’Église Catho-
Dr Teresa Francesca Rossi lique), par le Dr Dennis D. McManus
P. Dr Jorge Scampini, OP « The Relation of Scripture and Tradition: Catholic
Sr Dr Susan Wood, SCL Discernment of the Authentic Tradition » (Le rapport
Rév. Dr Dennis D. McManus (Consultant 2006-2007) entre Écriture et Tradition : un discernement catho-
Sr Sara Butler, MSBT (Consultante 2008-2010) lique de la Tradition authentique), par le P. William
Henn, OFM Cap
MEMBRES BAPTISTES
« Scripture and Tradition: An Evangelical Baptist
Rév. Pr Paul S. Fiddes, Coprésident Perspective » (Écriture et Tradition : une perspective
Rév. Dr Fausto Aguiar de Vasconcelos, Cosecrétaire évangélique baptiste), par le Dr Timothy George
Rév. Neville G. Callam
Rév. Dr Fred Deegbe
Rév. Dr Timothy George 2e Rencontre : Les baptistes et la Sainte Sainte
Rév. Dr Steven R. Harmon Cène/Eucharistie comme Parole de Dieu visible
Dr Lilian Lim (2006-8)* dans la koinonia de l’Église
Dr Nora O. Lozano Rome, 2-8 décembre 2007
Rév. Dr Tomás Mackey « Sacraments of Initiation in the Catholic Tradition »
Rév. Anthony Peck (Les sacrements de l’initiation dans la tradition catho-
Dr Rachael Tan (2009-2010) lique), par Sr Susan K. Wood, SCL
Dr Tadeusz Zelinksi
« Baptist and Initiation: A Baptist Contribution » (Les
baptistes et l’initiation : une contribution baptiste), par
Rév. Dr Curtis Freeman (Consultant durant toute cette
phase) le Dr Paul S. Fiddes
Rév. Dr Denton Lotz (Consultant 2006-2007) « The Lord’s Supper in Light of Scripture and
Rév. Massimo Aprile (Consultant 2007 et 2009) Tradition: A Baptist Account » (La Sainte Cène à la lu-
Dr Nancy Elizabeth Bedford (Consultante 2008) mière de l’Écriture et de la Tradition : une présentation
Rév. Dr Elizabeth Newman (Consultant, 2008-2010) baptiste), par le Dr Tomas Mackey
« Sacraments and Sacramentality: The Crux of
*Les participants ont appris avec tristesse la nouvelle Doctrinal Disagreements on the Ecumenical
du décès de Lilian Lim, survenu en juin 2009. Dialogue » (Sacrements et sacramentalité : le nœud des
désaccords doctrinaux dans le dialogue œcuménique),
par le p. Jorge Scampini, OP
ANNEXE 3
« Scripture and Tradition according to Dei Verbum 9:
A Baptist View » (Écriture et Tradition selon Dei
Liste des interventions présentées durant les sessions de la Com-
Verbum 9 : le point de vue d’un baptiste), par le Dr
mission conjointe internationale
Steven R. Harmon
« Scripture and Tradition according to Dei Verbum 9:
1ère Rencontre : L’Autorité du Christ dans A Catholic View » (Écriture et Tradition selon Dei
l’Écriture et la tradition Verbum 9 : le point de vue d’un catholique), par le P.
Beeson Divinity School, 10-15 décembre 2006 William Henn, OFM Cap
« The Word of God: God’s Self-Communication in the
Koinonia of the Trinity and the Church » (La Parole de
Dieu comme auto-communication de Dieu dans la
koinonia de la Trinité et de l’Église), par Mgr Arthur
Serratelli, STD, SSL

66
3e Rencontre : Marie dans la communion de « A Baptist Reflection on the Virgin Mary » (Une ré-
l’Église flexion baptiste sur la Vierge Marie), par la Dr Nora
Lozano
Duke Divinity School, 14-20 décembre 2008
« Mary in the Light of Scripture and the Early Church:
4e Rencontre : Surveillance et Primat dans le mi-
A Catholic View » (Marie à la lumière de l’Écriture et
nistère de l’Église
de l’Église primitive : le point de vue d’un catholique),
Rome, 13-19 décembre 2009
par le Dr Krzysztof Mielcarek
« Catholic Ecclesiology » (Ecclésiologie catholique) par
« Mary in the Light of Scripture and the Early Church:
Sr Susan K. Wood, SCL
A Baptist View » (Marie à la lumière de l’Écriture et de
l’Église primitive : le point de vue d’un baptiste), par la « Baptist Ecclesiology » (Ecclésiologie baptiste), par le
Dr Elizabeth Newman Dr Curtis Freeman
« Mary in the Light of Ongoing Tradition: A Baptist « The Idea of Episkopè, Local and Universal, in Baptist
View » (Marie à la lumière de la Tradition : le point de Tradition » (L’idée d’episkopè locale et universelle dans
vue d’un baptiste), par le Dr Timothy George la tradition baptiste) par le Rév. Tony Peck
« Mary in the Light of Ongoing Tradition: A Catholic « The Idea of Episkopè in Relation to Scripture and
View » (Marie à la lumière de la Tradition : le point de Tradition: A Catholic View » (L’idée d’episkopè par
vue d’une catholique), par Sr Sara Butler, MSBT rapport à l’Écriture et à la tradition : le point de vue
d’un catholique), par le P. Jorge Scampini, OP
« Mary and Contemporary Issues of Inculturation and
Spirituality: The Sanctity of Life » (Marie et les ques- « The Petrine Office: A Baptist Approach » (L’office
tions actuelles d’inculturation et de spiritualité : la sain- pétrinien : une approche baptiste), par le Dr Tadeusz
teté de vie), par le Dr Peter Casarella Zelinski
« Mary and Contemporary Issues of Inculturation and « Contemporary Developments of the Petrine Office,
Spirituality: Mary Challenges the Debate on Women » including the Ministry of Unity as Outlined in Ut unum
(Marie et les questions actuelles d’inculturation et de sint » (Développements contemporains sur l’office
spiritualité : Marie, un défi dans le débat sur les pétrinien, et en particulier sur le ministère d’unité, tel
femmes), par la Dr Teresa Francesca Rossi qu’il est esquissé dans Ut inum sint), par le P. William
Henn, OFM Cap.

67
COMMENTAIRE SUR « LA PAROLE DE DIEU DANS LA VIE DE L’ÉGLISE »
Une réflexion catholique sur le Rapport du dialogue international
entre l’Église Catholique et l’Alliance Baptiste Mondiale 2006-2010

Thomas A. Baima*

Avril 2013
I. Introduction

La réception est une rencontre entre communautés


I. Introduction ecclésiales où, comme le dit Frederick Bliss :
Le rapport du dialogue international entre l’Église […] au nom de la communio, [les catholiques]
Catholique et l’Alliance Baptiste Mondiale nous offre tournent leur regard au-delà de leur Église, vers les
un excellent exemple de ce qu’est la discipline de la « communautés ecclésiales séparées », pour entrer
théologie œcuménique, mais aussi d’une méthode en relation avec elles... Dans les réunions de leurs
théologique originale. Par « théologie œcuménique », représentants, les traditions diverses se rencontrent
j’entends la réflexion que mènent ensemble un groupe dans un esprit fraternel en vue d’établir un dialogue
de théologiens mandatés par deux communautés ecclé- et, si possible, de trouver un consensus. Dans ce
siales en vue de la promotion de l’unité des chrétiens. dialogue, chaque communauté apporte son histoire,
Ces théologiens, qui parlent en leur propre nom et avec ses croyances, son style de vie, pour les soumettre à
l’autorité de leurs arguments et non en qualité de titu- un examen approfondi. Ce que chacune apporte ne
laires d’un office dans leur Église, cherchent à expliquer doit pas être utilisé contre les autres, mais offert
et à approfondir les vérités de la foi chrétienne dans dans un esprit d’ouverture, et apprécié honnêtement
une perspective de dialogue et dans un esprit de koino- à la lumière de la tradition apostolique. Le résultat
nia, en communion. En tant que membres de leurs espéré est un échange de dons réciproque1.
communautés respectives, ils représentent la foi et la L’une des approches que j’utiliserai dans ce com-
vie de ces communautés. En tant que théologiens, ils mentaire est la distinction entre doctrine et théologie2.
apportent leur foi personnelle et leurs connaissances à En tant que catholique, j’adhère aux doctrines du Ma-
la recherche d’une solution aux questions œcuméniques gistère de l’Église et je les soutiens. D’autre part, il ap-
qui leur sont présentées. Ils confient ensuite le résultat partient à la théologie d’expliquer et d’approfondir les
de leur travail aux communautés qui les ont mandatés questions sur lesquelles le Magistère ne s’est pas pro-
dans l’esprit de koinonia du dialogue. noncé d’une manière définitive.
La tâche du commentateur est différente. Choisi par La vérité révélée invite notre raison – don de Dieu
l’une des communautés, il parle en son nom et exprime pour percevoir la Vérité – à entrer en sa lumière et à
son point de vue. Dans mon cas, cette communauté est devenir ainsi capable de comprendre dans une
l’Église Catholique, et ma tâche consiste à examiner le certaine mesure ce qu’elle croit. La science
travail de la Commission du dialogue dans une pers- théologique, qui recherche l’intelligence de la foi en
pective catholique et à donner une évaluation de ce réponse à la voix de la Vérité qui appelle, aide le
rapport. Le but du commentateur est de contribuer au Peuple de Dieu, selon le commandement
processus de réception. apostolique (cf. 1 P 3, 15), à rendre compte de son

II. Contexte de ce commentaire


La tâche habituelle du commentateur d’un docu-
ment œcuménique est d’en fournir une évaluation du * Le Rév. Dr. Thomas A. BAIMA est le responsable des affaires
point de vue de son Église. Le but du commentaire œcuméniques et interreligieuses de l’Archidiocèse de Chicago et le
Vice Recteur des affaires académiques de l’université de Saint Mary
n’est donc pas le même que celui du document. Le of the Lake à Mundelein, Illinois.
commentaire n’a rien à ajouter aux questions traitées. Il 1. Voir Frederick M. Bliss, S.M., Understanding Reception: A Backdrop
doit seulement les examiner dans une autre perspective. to its ecumenical use (Milwaukee, Marquette University Press, 1993),
En donnant son évaluation du document, le but du 147-148.
2. Voir « La Parole de Dieu dans la vie de l’Église : Rapport du
commentateur est de contribuer à en promouvoir la ré- dialogue international entre l’Église Catholique et l’Alliance Baptiste
ception dans sa communauté. Mondiale (2006-2010). Le paragraphe 4 de ce Rapport note à
propos des points de la doctrine et de la vie de l’Église où de
sérieuses différences subsistent : « Ces ‘différences’ qui subsistent,
mentionnées dans le précédent rapport, portent sur l’autorité et les
méthode théologiques » (à propos d’Écriture et Tradition) ».
68
espérance à ceux qui le demandent3. vérités de la foi d’une manière qui soit à la fois en har-
Les théologiens s’inspirent de différentes écoles, monie avec la perception que l’une des communautés a
telles que les cinq écoles traditionnelles de l’Église d’elle-même, et acceptable pour l’autre communauté.
d’Occident : augustinisme, thomisme, bonaventurisme, Cette approche a été adoptée avec profit dans le dia-
scotisme et humanisme chrétien. Les catholiques logue entre l’Église Catholique et les Églises Orientales
doivent savoir qu’il existe aussi diverses écoles de pen- pour résoudre certaines questions doctrinales6. Elle
sée chez nos frères séparés, et en particulier une « école peut être utilisée aussi dans le dialogue avec les com-
de pensée baptiste » qui a une autre approche de la munautés issues de la Réforme. C’est pourquoi je pro-
théologie. Comme le note Thomas Stransky dans son pose d’appliquer dans ce dialogue la méthodologie qui
commentaire du Rapport de la première phase du dia- consiste à tenir compte des écoles de théologie qui ont
logue entre l’Alliance Baptiste Mondiale et l’Église Ca- inspiré ces communautés7.
tholique :
Les baptistes voient une cohésion dans leur hé- III. Appréciations
ritage. Celui-ci remonte à leurs débuts au XVIIe Ayant apprécié les diverses affirmations contenues
siècle en Angleterre et en Hollande, et à leurs dans ce rapport dans la perspective de sa réception de
racines plus lointaines dans la « phalange radicale » la part des catholiques, je ferai les remarques suivantes :
ou « aile gauche » de la Réforme au XVIe siècle :
refus du baptême des nouveaux-nés et accueil des
seuls « croyants » adultes (par immersion) pour A. Koinonia
former les membres régénérés d’une Église où tous Le point de départ trinitaire du rapport est une
possèdent les mêmes droits et les mêmes privilèges ; grande force. La déclaration commune du n. 7 s’inscrit
liberté de religion ; séparation de l’Église et de l’État dans une trajectoire théologique qui n’a cessé de
comme étant la meilleure garantie de la liberté de s’affirmer depuis Vatican II, et qui consiste à abandon-
conscience de chaque citoyen. Pour les baptistes, ner l’approche propositionnelle de la vérité propre à la
ces convictions se fondent sur leur conception de théologie scholastique au profit de l’approche person-
l’autorité et de la suffisance des Écritures, sur le naliste selon laquelle la vérité n’est autre que la Per-
sacerdoce des croyants, sur le salut comme don de sonne divine du Logos8. J’ai aussi apprécié l’accent mis
la grâce de Dieu reçu dans le repentir personnel et sur le Christ Chef de l’Église au n. 9. En reconnaissant
dans la foi en Jésus Christ ; enfin, elles se fondent la présence du Christ dans l’Église, par la puissance de
sur un engagement plein de zèle à partager la Bonne l’Esprit Saint, on pose la base pour affirmer un certain
Nouvelle à travers l’évangélisation directe dans sa nombre de points essentiels de l’ecclésiologie, telle que
patrie et à l’étranger, dans une obéissance in- l’Église Catholique l’entend9. Dès lors, il est possible de
conditionnelle au grand commandement de Jésus situer la Révélation dans l’histoire du salut et dans celle
(Mt 28, 19-20)4. de l’Église, comme l’enseigne le Magistère contempo-
D’après ma lecture de l’histoire, cette « école bap- rain10. En outre, la déclaration commune sur les rap-
tiste » est issue de l’école augustinienne dont se sont ports entre les Personnes divines au sein de la Trinité
inspirés les réformateurs au XVIe siècle, en réaction fait échec au modalisme, qui tend à réapparaître dans
contre les Églises officielles protestantes et contre leur certaines théologies féministes et dans la théologie dite
déni de la liberté religieuse aux « non-conformistes ». Il de « process ». Les croyances du christianisme sur Dieu
me semble que dans cette perspective, il est plus facile sont inséparables d’une solide théologie trinitaire11.
pour les théologiens de distinguer, parmi les points de
désaccord entre nos deux communautés, entre ceux qui
6 .Voir Déclaration christologique commune entre S.S. le Pape Jean Paul II et
découlent de vraies divergences doctrinales et ceux qui S.S. Mar Dinkha IV (Rome, Libreria Editrice Vaticana, 1992).
sont liés à des différences entre les écoles théologiques. 7. Cette approche était aussi celle du Bienheureux Jean Paul II
Benoît XVI a noté que « les questions doctrinales qui lorsqu’il avait demandé à nos frères séparés des indications sur la
nous séparent encore ne doivent pas être négligées ni formulation de la doctrine du primat et des suggestions sur son
exercice. Voir Jean Paul II, Ut Unum Sint, Lettre encyclique sur
minimisées »5. Le rapport montre que ce dialogue a fait l’œcuménisme (25 mai 1995), n. 89-96.
appel à une méthodologie plus raffinée, qui est la bien- 8. Voir Emery de Gaal, The Theology of Pope Benoît XVI: The
venue en théologie œcuménique. Les théologiens Christocentric Shift (San Francisco, Palgrave/Macmillan, 2011).
œcuméniques doivent sans cesse chercher à tester la 9. Voir Dominus Jesus, 16.
10. Voir Benoît XVI, Verbum Domini, Exhortation apostolique post-
capacité des diverses écoles de théologie à formuler les synodale sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église
(Rome, Libreria Editrice Vaticana, 2010), 6.
11. Les controverses théologiques actuelles sur la question du
3. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Donum monothéisme mettent en lumière ce point. Voir Robert Barron, The
Veritatis sur la vocation ecclésiale du théologien (24 mai 1990), n. 6. Priority of Christ: Toward a Postliberal Catholiciam (Grand Rapids,
4. Thomas Stransky, CSP « Comments on “Summons to Witness to Michigan, Brazos Press, 2007). Voir aussi Edward T. Oakes, Infinity
Christ in Today’s World: A Report on the Baptist-Roman Catholic Dwindled to Infancy: A Catholic and Evangelical Christology (Grand
Conversations ». Information Service N. 72, 1990 (I). Rapids, Michigan, Eerdmans Publishing Company, 2011) et
5. Benoît XVI, « Œcuménisme : avancer au-delà des barrières », Thomas Norris, The Trinity, Life of God, Hope for Humanity: Towards a
Allocution de Benoît XVI lors de la Cérémonie œcuménique à Theology of Communion (Hyde Park, New York, New City Press,
Saint-Paul hors-les-Murs, 25 janvier 2013. 2009).
69
On peut apprécier aussi l’affirmation du n. 10 sur dialogue est peut-être celle du n. 59, où les auteurs
l’origine trinitaire de la mission. La mise en garde notent : « Nous nous accordons à dire que la Bible est
contre l’idée que l’Esprit puisse agir indépendamment la norme qui permet de critiquer et d’évaluer les di-
du Christ est un point important en vue d’une sotério- verses traditions, en distinguant celles qui sont unique-
logie et d’une ecclésiologie correctes. ment humaines de celles qui constituent une expression
J’apprécie en outre la grande précision avec laquelle authentique de l’Évangile ». Il était important que le
les auteurs du rapport utilisent un terme tel que « Église dialogue aborde directement ce point. De nouvelles
locale », qui a une signification différente dans les conversations sur ce sujet seront nécessaires pour des
communions baptiste et catholique. De telles précisions raisons que j’indiquerai plus loin.
font avancer le dialogue. La suggestion faite au n. 62 de préférer suprema
Le parallèle du n. 17 entre ecclésiologie de l’Alliance Scriptura à sola Scriptura est très intéressante et mérite
et ecclésiologie de communion me paraît très utile. Il d’être approfondie aussi par les théologiens œcumé-
montre comment des écoles théologiques diverses niques dans les autres dialogues13.
traitent les mêmes questions en utilisant des méthodes
distinctes. Cela aide à mieux distinguer si les diver- C. Baptême et Sainte Cène
gences peuvent être attribuées à des différences doctri- Ma première observation sur cette partie du rapport
nales ou si elles sont dues à des écoles de pensée diffé- porte sur l’introduction très utile qui situe le débat sur
rentes. les sacrements dans le contexte plus large du rapport
Le n. 27 sur le discernement est particulièrement entre Écriture et Tradition14. Cette déclaration va dans
intéressant quand il traite du sentire cum ecclesia, de la ré- le sens de la conviction catholique que la tradition n’est
ception et du sensus fidei. Le sensus fidei, qui est une grâce pas seulement un ensemble de contenus, mais une
de l’Esprit Saint reçue au moment du baptême, met en transmission vivante dont la liturgie est le lieu privilé-
lumière le rôle de l’Église dans la transmission de la Vé- gié. Les auteurs du rapport font remarquer très juste-
rité. Sans l’Esprit Saint, l’Écriture est un livre fermé. Ce ment que les notions de « remémoration » et de « sym-
paragraphe explique comment l’Église intervient dans bole » sont beaucoup plus nuancées dans l’école de
la transmission et la conservation de la Vérité confiée pensée baptiste, en recommandant aux catholiques
autrefois aux Apôtres, et quelle est la place de l’Esprit d’éviter toute lecture réductionniste de ces termes15.
Saint dans la réception de cette Vérité. L’affirmation que l’on trouve au n. 87, selon laquelle
« Dieu intervient, par le Christ et avec la coopération
B. Autorité du Christ dans l’Écriture et dans la Tradition de l’Esprit Saint, pour la justification de l’âme du fidèle
Un aspect de la théologie de ce rapport qu’il con- pénitent », peut aider les catholiques à mieux com-
vient de signaler tout particulièrement est son approche prendre le point de vue baptiste. Elle souligne l’action
christologique du rapport entre origine divine et origine de la Trinité dans les sacrements/ordonnances. Il est
humaine des Écritures. Il établit une analogie utile qui important que les catholiques sachent que les baptistes
intervient directement dans la controverse sur ne croient pas que les sacrements/ordonnances « con-
l’utilisation de la méthode historico-critique dans les fèrent la grâce » par eux-mêmes. Au n. 92, la
études bibliques. À l’instar des controverses christolo- l’affirmation que les sacrements/ordonnances sont « la
giques des premiers siècles de notre ère, les polémiques parole de Dieu exprimée sous une forme sacramen-
sur les recherches historico-critiques naissent de la telle » met en lumière le fait que les sacrements sont des
crainte que l’un des auteurs ne finisse par absorber actes du Christ.
l’autre. La comparaison que ce rapport établit avec le La description précise, au n. 95, de la compréhen-
mystère du Logos incarné, à la fois « vrai Dieu et vrai sion baptiste de l’instant du salut est importante pour
homme », fait mieux comprendre que l’auteur humain les catholiques. La séparation entre l’instant où naît la
des pages sacrées est un « vrai auteur » qui transmet foi salvatrice au Christ et le moment de la célébration
« tout ce que Dieu veut, et seulement ce que Dieu du sacrement/ordonnance du baptême clarifie la com-
veut »12. Cette analogie a en outre le mérite de nous préhension baptiste de l’ordonnance.
rappeler que la question de l’auteur des Écritures est un Une chose que ce rapport fait très bien, c’est
mystère, et que toutes les affirmations que nos deux d’expliquer la diversité des points de vue à l’intérieur de
communautés pourront faire à ce propos n’épuiseront
pas le sens de ce livre unique qu’est la Bible. C’est
pourquoi le n. 47 doit être spécialement apprécié pour 13. Cette formulation est en ligne avec l’enseignement de Jean Paul
son approche christocentrique de l’interprétation. II dans Ut Unum Sint où il qualifie l’Écriture de norme suprême.
Voir Jean Paul II, Ut Unum Sint, Lettre encyclique sur l’oecuménisme
L’application du troisième trait distinctif de l’Église, la (Rome, Libreria Vaticana, 1995), paragraphe 54. Voir aussi la note
catholicité, à l’interprétation « d’après le tout » est une 30 ci-dessous.
bonne méthode. 14. Voir le n. 72.
15. Pour une réflexion sur l’application de la notion d’anemnèse à la
L’une des affirmations les plus importantes de ce question des sacrements/ordonnances, voir l’essai de Russell
Moore : « The Baptist View: Christ’s Presence as Memorial » in
Understanding Four Views on the Lord’s Supper, ed. John H. Armstrong
12. Dei Verbum, 11. (Grand Rapids, Michigan, Zondervan, 2007), 29-33.
70
l’école de pensée baptiste. Cette diversité apparaît tout tion de la part des théologiens catholiques des diverses
spécialement au n. 110, dans la description des diffé- dimensions de l’office épiscopal dans l’Église. J’ai éga-
rentes façons d’interpréter le rapport entre baptême et lement apprécié qu’au n. 172 sur l’ordination des
admission dans l’Église. Cette même approche sera uti- femmes, les auteurs expliquent que l’Église n’a pas au-
lisée avec succès dans la partie qui traite de la Présence torité pour changer la tradition apostolique18.
réelle. L’approche suivie, basée sur Ordinatio sacerdotalis, décrit
L’explication du rapport entre sacerdoce et en pratique la façon dont le Magistère de l’Église Ca-
Eucharistie mérite aussi d’être mentionnée. La nuance tholique opère sous la conduite et au service de la Pa-
subtile sur le fait que le prêtre agit à la fois in persona role de Dieu19. L’argument de l’autorité aide à clarifier
Christi capitis et in persona ecclesiae est bien présentée. le rapport entre Écriture et Tradition ainsi que
l’évolution de la doctrine, sur laquelle je reviendrai plus
À propos de l’Eucharistie/Sainte Cène, le rapport loin dans ce commentaire.
établi entre l’anamnèse et la « participation » est utile, car
il aide les catholiques à comprendre le sens plus nuancé
du terme « remémoration » qui caractérise l’école de IV. Quelques points à clarifier sur la doctrine ca-
pensée baptiste. tholique
Bien qu’ils ne soient pas énumérés, les cinq modes
de la présence du Christ dans l’Eucharistie sont tous Dans cette partie, je me propose d’identifier les
traités dans ce rapport. La présence du Christ en la per- questions qui, à mon avis, auraient besoin d’être mieux
sonne du prêtre ordonné y est bien expliquée16. La par- précisées, et je ferai ensuite un commentaire pour faci-
tie conclusive sur éthique et eschatologie contient une liter la réception. Je mentionnerai aussi quelques ques-
importante affirmation sur les cinq dimensions de tions qui pourraient être traitées avec profit dans une
l’Église : kerygma, koinonia, leiturgia, diakonia et episcope. Il prochaine phase du dialogue entre baptistes et catho-
ne s’agit pas tant de modèles que de dimensions cons- liques.
titutives de l’Église, qui révèlent sa nature essentielle17. Tout en appréciant la contribution significative que
ce rapport apporte à la théologie œcuménique, je pense
D. Marie dans la communion de l’Église que les points suivants auraient besoin d’être clarifiés.
Il y a beaucoup de choses à apprécier dans la partie
qui traite de Marie. Le texte donne une lecture du A. La koinonia
Nouveau Testament qui met en valeur la personne de Le rapport souligne très justement l’unicité et
Marie et son rôle dans l’histoire du salut. On peut si- l’universalité du Christ dans l’unique économie du sa-
gnaler en particulier l’accent mis au n. 135 sur lut. Mais du point de vue catholique, on peut regretter
l’appartenance de Marie au peuple juif. Les dogmes de qu’il ne soit pas fait mention du rôle de l’Église dans
la foi catholique sur Marie theotokos, sur l’Immaculée cette médiation unique et universelle. Le lecteur du pa-
Conception, sur la naissance virginale de Jésus, sur la ragraphe 10 peut très bien ne pas comprendre que
virginité perpétuelle de Marie et sur son assomption, l’affirmation doctrinale de l’Église Catholique inclut la
sont bien présentés dans ce rapport. Le n. 147 donne médiation ecclésiale20.
une excellente formulation de la théologie de
Au n. 12, le rapport entre Église particulière et
l’Immaculée Conception. En considérant l’Immaculée
Conception comme une préparation de Marie de Église universelle aurait besoin d’être mieux précisé.
Nazareth à répondre librement à la grâce, le rapport fait D’après la doctrine catholique, il y a priorité de
sortir le débat du contexte de la théologie spéculative l’universel. Historiquement, l’Église de Jérusalem,
pour le situer dans celui de la théologie biblique, qui constituée à la Pentecôte, a été universelle depuis le
premier instant de son existence. Elle comprenait en
montre Dieu préparant Marie à remplir son rôle dans
germe toutes les nations. Les efforts missionnaires des
l’histoire du salut comme la « Nouvelle Ève ».
Apôtres ont porté la foi en Asie Mineure jusqu’en
Syrie, vers l’ouest jusqu’en Europe, et vers l’est
E. Episkopè jusqu’en Mésopotamie. À mesure que les apôtres
La partie sur l’episkopè contient beaucoup de choses fondaient des Églises locales, l’unique Église du Christ
appréciables. Quand on la compare au texte de Lima de s’est particularisée en ces lieux21. Historiquement,
1988, on constate qu’il y a eu une évolution importante
de la pensée. Ces dernières années, la théologie œcu-
ménique s’est développée, et en particulier la formula- 18. Cette question complexe est traitée de façon exhaustive par Sara
Butler dans The Catholic Priesthood and Women: A Guide to the Teaching
of the Church (Chicago, Hillenbrand Books, 2007).
19. Voir Ordinatio Sacerdotalis paragraphe 4.
16. Voir Avery Cardinal Dulles, « How Real is the Real Presence? » 20. Voir Dominus Jesus, paragraphe 16.
in The Church and Society: The Lawrence J. McGinley Lectures 1988-2007 21. Johann Auer fait appel à la doctrine de la visibilité de l’Église
(New York, Fordham University Press, 2008), 455-467. pour expliquer le rapport entre universel et particulier. L’Église
17. Voir Thomas A. Baima, « Models of Church », et « Contribution to particulière est l’image de l’Église universelle dans ce lieu. Il met
Ecclesiology and Ecumenism », in Chicago Studies, Vol. 47,2 (été ainsi l’accent sur la nature simultanée des qualités de l’universel et
2008). du particulier. Puisque l’Église locale est l’image de l’Église
71
l’affirmation que « la communion locale ne découle pas tion peut nous aider à dépasser les notions plus ration-
de l’Église universelle » demande donc à être nuancée. nelles de Révélation propositionnelle, qui étaient cou-
Plus loin dans le rapport, ces nuances sont bien expli- rantes dans la période manualiste de la théologie catho-
quées, mais il n’en reste pas moins que cette déclaration lique, et qui trouvaient une expression similaire dans
commune manque de clarté. Le n. 14, dit que pour les tout le monde protestant à la même époque. La Com-
catholiques, « l’Église particulière représente l’Église mission du dialogue fait du bon travail cherchant à aller
universelle, comme lieu spécifique où l’Église univer- au-delà de l’idée que la Bible est la Révélation. Je suggè-
selle se manifeste et peut être rencontrée, mais elle ne rerais toutefois de mieux clarifier ce point important,
peut manifester cette universalité qu’en communion en partant de l’importante distinction entre Révélation
avec les autres Églises particulières ». Mais le catholique et inspiration.
ou le baptiste qui lira cette déclaration commune inter- Ce point à d’importantes dimensions pneumatolo-
prètera-t-il en ce sens l’affirmation selon laquelle « la giques et ecclésiologiques. L’expression « Écriture et
communion locale ne découle pas de l’Église univer- Tradition » pourrait faire penser à deux corps distincts
selle » ? L’explication donnée par les baptistes au n. 15 ayant tous deux un contenu écrit. En réalité, la Tradi-
sur le fait que les Églises locales sont « en commu- tion est, sous sa forme la plus simple, l’interprétation de
nion… directement à travers le Christ qui gouverne la Révélation dans l’Église23. De façon plus spécifique,
aussi d’autres expressions de l’Église » est utile, tout le même Esprit qui a guidé les auteurs sacrés au mo-
comme l’affirmation que les Églises locales baptistes ment où ils ont composé les Écritures est présent dans
sont interdépendantes. Je pense que le gouvernement l’Église, et agit continuellement pour conserver, trans-
du Christ pourrait servir de cadre à l’intérieur duquel mettre et interpréter les pages de la Bible24. Certes, la
harmoniser ces diverses déclarations sur la communio ec- Tradition possède un contenu, mais elle est avant tout
clésiale. La phrase conclusive qui dit que « le gouver- l’action continue de Dieu dans l’histoire. Au n. 44, qui
nement du Christ dans l’Église locale… incarne et ma- traite de la formation de la Tradition par rapport au ca-
nifeste l’universel » serait une meilleure façon de for- non, la dimension dynamique de la Tradition n’apparaît
muler l’accord du n. 12. Ce qui est en jeu ici, c’est à la pas aussi nettement qu’il serait souhaitable25.
fois la théologie de la mission, et la question de la mé-
diation ecclésiale. Comme l’a bien noté Yves Congar, il manque à la
théologie occidentale une pneumatologie solide. En
Au n. 21, on aurait peut-être pu ajouter que ce qui conséquence, alors que nos deux communions recon-
manque, dans l’Eucharistie célébrée dans une commu- naissent la présence et l’action de l’Esprit Saint dans
nauté ecclésiale où la succession apostolique est inter- l’interprétation des Écritures, et croient que le rôle de la
rompue, ce n’est pas seulement l’élément de la com- communauté dans l’interprétation est un exercice de
munion ecclésiale, mais aussi la pleine réalité de discernement de l’Esprit, cela n’est pas mentionné dans
l’Eucharistie22. L’explication pourrait être reportée à la la description, pourtant excellente, du n. 49. Vu la place
partie sur le baptême et de la Sainte Cène. Il y a bien importante donnée à l’Esprit Saint dans la troisième
une mention de la notion baptiste de présence du phase de la Réforme et dans la théologie baptiste, une
Christ au n. 22, mais on ne trouve pas la mention cor- étude plus approfondie de l’action de l’Esprit Saint
respondante de la croyance catholique dans la Présence dans le dialogue entre baptistes et catholiques pourrait
réelle au n. 21. porter à une plus grande convergence26.
On trouve au n. 59 un point important qui aurait
B. L’autorité du Christ dans l’Écriture et dans la Tradition besoin d’être clarifié : la Commission du dialogue y af-
Une question sur laquelle j’aurais souhaité que la firme en effet : « Nous nous accordons à dire que la
Commission du dialogue s’engage plus directement est Bible est la norme qui permet de critiquer et d’évaluer
celle de la distinction entre Révélation et inspiration. les diverses traditions, en distinguant celles qui sont
Dans l’enseignement catholique, il y a un consensus seulement humaines de celles qui constituent une ex-
croissant pour situer la Révélation, en particulier celle pression authentique de l’Évangile ». Or, sur ce point,
de la Nouvelle Alliance, dans la personne de Jésus et l’enseignement catholique est légèrement différent. Une
dans tout ce qu’il a dit et fait jusqu’à son ascension au comparaison entre Ut Unum Sint et Verbum Domini
ciel. L’inspiration se réfère à la conservation et à la montre que le Magistère de l’Église est encore en train
transmission de la Révélation, et elle est donc liée de de réfléchir sur cette question. Diverses théories ont été
près à la notion catholique de Tradition. Cette distinc- avancées par les théologiens sur la question de la suffi-
sance matérielle de l’Écriture27. Alors que cette théorie
était largement admise au début du XXe siècle, on tend
universelle, il ne peut y avoir d’Église locale en dehors de l’Église de plus en plus à penser aujourd’hui que la suffisance
universelle. Mais en même temps, les Églises locales sont le seul
moyen pour donner une visibilité à l’Église universelle dans le
monde. Voir Johann Auer The Church: Universal Sacrament of Salvation, 23. Fernando Ocariz, Fundamental Theology (Woodbridge, Illinois,
trans. Michael Waldstein, ed. Hugh M. Riley (Washington, DC: Midwest Theological Forum, 2009), 98.
Catholic University of America Press, 1993), 112. 24. Ibid., 107.
22. Voir « L’Église Catholique Romaine » in Réponse des Églises à 25. Yves Congar, La tradition et les traditions, Cerf, Paris, 2010.
BEM : les réponses officielles au texte de Lima sur Baptême, Eucharistie, 26. Voir Benoît XVI, Verbum Domini, 7.
Ministère (Genève, Conseil Mondial des Églises, 1988). 27. Ocariz, Op. Cit., 105.
72
matérielle est liée à la notion propositionnelle de la Ré- commandé. Quand Dieu parle au moment de la créa-
vélation. Ut Unum Sint fait une déclaration très claire, tion, la parole fait advenir ce qu’elle dit. Si l’on consi-
mais sans clarification ou application28. Dans Verbum dère l’ordonnance comme l’anamnèse du commande-
Domini, Benoît XVI dit : « En effet, la Parole de Dieu ment, la remémoration, par le fait même qu’elle est
se donne à nous dans l’Écriture Sainte comme témoi- provoquée par la Parole de Dieu, pourrait être conçue
gnage inspiré de la Révélation qui, avec la Tradition vi- comme étant efficace avant toute réponse humaine. La
vante de l’Église, constitue la règle suprême de la doctrine catholique de l’efficacité sacramentelle pour-
foi »29. Force est donc de constater que l’autorité de rait être mieux comprise de nos frères et sœurs bap-
l’Écriture sur la Tradition est encore une doctrine en tistes en explorant cette piste de réflexion30.
évolution. Un point qui, à mon avis, aurait besoin d’être clari-
Dans sa réflexion sur la Tradition, au n. 63, la Com- fié est le rapport entre grâce et foi. Dans ce rapport, la
mission du dialogue se penche sur la distinction entre foi est présentée comme une réponse de l’homme à la
tradition apostolique et tradition ecclésiale. Tout étant grâce (ce qu’elle est effectivement)31. Cependant, la
correct en soi, ce paragraphe et ceux qui suivent doctrine catholique a une conception plus complexe de
semblent réduire la définition de la tradition à son la foi. La foi est un don et une réponse. La foi est une
contenu. Cette lecture de la « Tradition » est plus limi- vertu théologale. La foi est un don, en ce sens qu’elle
tée que celle utilisée dans le reste du rapport. On re- est un « appel de Dieu », et une réponse de l’homme
trouve dans ce paragraphe un écho de l’ancienne ma- qui « vit et pense en fonction de la Parole et de l’amour
nière de parler des « deux sources » de la Révélation de Dieu »32. Comme telle, la foi ne découle pas
chez les catholiques. Le n. 64 pose la vraie question, qui l’homme, mais du don gratuit de Dieu. S’il est vrai qu’il
est celle de l’évolution de la doctrine. Le passage de la ne peut y avoir aucune expérience de la grâce sans la
Tradition comme contenu à la Tradition comme foi, celle-ci peut être implicite ou réflexe. La réponse
transmission peut être déroutant, mais il atteste aussi peut précéder le moment où la foi devient consciente
que ce point de la doctrine n’est pas entièrement résolu. chez le croyant. La théologie catholique, suivant en cela
Un point à prendre en considération, à propos du n. saint Robert Bellarmine, reconnaît la possibilité d’un
68, est celui du retour à l’exégèse patristique dans désir inconscient. C’est pourquoi le n. 85, qui souligne
l’Église Catholique. Les Pères formulaient leur théolo- l’importance d’un acte de foi conscient et réfléchi, me
gie non pas dans des manuels techniques, mais dans paraît plus restrictif que la doctrine catholique33.
leurs sermons et leurs traités. Autrement dit, la théolo- Dans le commentaire des n. 89 et 90, apparaissent
gie allait de pair avec la proclamation. Ce ressourcement implicitement des questions non résolues en ce qui
pourrait être une piste intéressante à approfondir dans concerne la doctrine de Dieu. La liberté personnelle de
les prochaines conversations sur la Tradition, vu Dieu dans l’école de pensée baptiste telle qu’elle est
l’importance que la communauté baptiste attribue à la présentée ici, semble plus grande que dans le Magistère
proclamation. La dimension vivante de la Tradition se- ordinaire de l’Église catholique. L’accent mis sur la
rait ainsi mieux mise en lumière. pleine liberté de Dieu peut être interprété en ce sens.
La théologie catholique affirme que Dieu peut tout,
C. Baptême et Sainte Cène sauf ce qui implique une contradiction logique. En tant
qu’Être en soi, Dieu ne peut pas vouloir cesser
L’accord sur « une co-inhérence entre sacre- d’exister. En conséquence, puisque Dieu est amour, les
ments/ordonnances et prédication de la Parole de actes de Dieu sont nécessairement conformes à sa na-
Dieu » est affirmé sous une forme liturgique. Si la pré- ture. Comme l’a dit Robert Barron34 :
dication est identifiée à la proclamation, et si la Parole
de Dieu est identifiée au Christ, il y aurait une possibi- L’affirmation centrale du christianisme classique est
lité de trouver de nouvelles convergences en réfléchis- qu’en Jésus de Nazareth, Dieu et l’humanité se sont
sant plus à fond sur le « commandement divin ». Dans rencontrés d’une façon non compétitive et non
la théologie catholique, cette notion est un aspect de la violente. D’après la formulation du concile de
théologie morale. L’école de pensée baptiste applique Chalcédoine, la nature humaine de Jésus n’a pas été
apparemment une théorie analogue aux sacre- changée, diminuée ou absorbée en s’unissant à sa
ments/ordonnances. Si les sacrements/ordonnances nature divine. Ces deux natures se fondent en lui
sont des commandements divins, on pourrait conce- « sans mélange, amalgame ou confusion » dans une
voir que le commandement rend effectif ce qui est union hypostatique, produisant un être parfait en

28. Jean Paul II, Ut Unum Sint, 54.


29. Benoît XVI, Verbum Domini, 18. Voir aussi Dei Verbum, 21. À
noter que, alors que Jean Paul II mettait l’accent sur la distinction 30. Ce commentaire peut s’appliquer aussi au paragraphe 106.
entre Écriture et Tradition dans Ut Unum Sint, Benoît XVI souligne 31. Plus loin dans le document, au paragraphe 97, on trouve un
plutôt le rapport qui existe entre elles. Benoît XVI fait en outre une traitement plus nuancé, qui répond mieux à mes préoccupations.
distinction entre le Verbe de Dieu (le Logos) et la transmission de la 32. Ocariz, Op. Cit., 148.
Parole de Dieu dans l’Écriture et dans la Tradition. Ceci indique à 33. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Dominus Jesus, 20.
mes yeux que l’enseignement catholique sur la « règle suprême de la 34. Voir Robert Barron, The Priority of Christ: Toward a Post-liberal
foi » est encore en cours de définition. Catholicism (Grand Rapids, Michigan, Brazos Books, 2007), 17.
73
divinité et parfait en humanité35. […] Si tion, où les auteurs disent que « l’essence du sacrement
l’incarnation est un fait accompli, alors la présence de la confirmation ne réside pas dans la profession de
du vrai Dieu n’est ni invasive, ni interruptive, mais foi publique… mais dans la réception de l’Esprit Saint
plutôt non compétitive. À la lumière de l’union de qui dote les confirmands d’une force spéciale »38.
ces deux natures, nous pouvons dire qu’il y a un La question de l’administration du baptême par « as-
rapport de co-inhérence entre le divin et l’humain, persion » n’est pas abordée dans ce rapport. Rejeté tant
chacun demeurant dans l’autre de telle sorte que par les catholiques que par les baptistes lorsqu’il se ré-
l’humanité est élevée par la proximité du divin36. fère à la pratique du baptême collectif dans lequel le
La liberté de Dieu ne peut pas être opposée à sa célébrant asperge d’eau la foule sans aucune certitude
nature divine. Comme l’a dit Thomas Norris : que tous ont été touchés, ce terme est également utilisé
Puisqu’une Personne divine ne peut être qu’une par les baptistes pour désigner le baptême sans immer-
« nullité d’amour », l’incarnation de « l’une des sion, et donc aussi le baptême par effusion. Il eut donc
Personnes de la Trinité » implique une économie de été utile de mieux préciser ce qu’il faut entendre par
la kénose. Le Christ, en tant que révélation du « baptême par aspersion ».
dessein, du plan et du mystère cachés de toute Une autre question implicite dans ce rapport est
éternité dans la Trinité, aimera le Père au point de la celle qui a trait au sacerdoce. Dans l’excellente présen-
kénose et de l’abandon du Père, et cela précisément tation sur la dimension sacrificielle de l’Eucharistie, la
pour nous donner accès, par l’Esprit Saint, à la vie question de la nature du sacerdoce dans la Nouvelle
et à la béatitude de notre patrie définitive. La Alliance n’est pas mentionnée39. C’est une question
merveille de l’union hypostatique, qui nous donne qu’il est difficile d’aborder dans un document œcumé-
un aperçu nouveau et radieux de la beauté-gloire de nique sur l’Eucharistie. Personnellement, j’ai aussi pris
la Sainte Trinité en sorte que nous sommes saisis le parti de la mettre entre parenthèses dans mon essai
dans l’amour de la Trinité que nous ne pouvons sur l’Eucharistie. Il se peut qu’il ne soit pas possible de
voir, est une vision d’unité et de communion qui traiter une question aussi complexe dans le cadre d’un
attire et fascine37. dialogue sur l’Eucharistie. Pourtant, sacerdoce et Eu-
La question de la souveraineté de Dieu doit être charistie sont inséparables pour les catholiques. J’ai
envisagée à la lumière des importants développements écrit :
intervenus dans la théologie de la doctrine de Dieu. De Si j’aborde la question du sacrifice, c’est uniquement
nouvelles conversations sur la Communion des saints, parce que, pour les catholiques, elle est étroitement
menées à la lumière de ces nouveaux développements liée à la notion de sacrement. Si vous voulez
de la théologie, pourraient aider à surmonter l’objection comprendre correctement notre croyance, vous
des baptistes selon laquelle la conception catholique de devez poser ce postulat. Le modèle biblique, qui est
la Communion des saints limiterait la souveraineté de celui du sacrifice, comportait une offrande, une
Dieu. médiation sacerdotale et un repas40. L’application de
Au n. 92, le mot « foi » est utilisé une nouvelle fois cette notion vétérotestamentaire au modèle
dans un sens plus restrictif, indiquant seulement la ré- sacramentel de la Nouvelle Alliance comporte
ponse de l’homme. Du point de vue catholique, dire l’utilisation des images bibliques qui ont révélé
que « la foi et la confiance sont essentielles pour qu’une l’action de Dieu dans l’histoire du salut pour
telle rencontre puisse avoir lieu, même si c’est toujours encadrer, interpréter et éclairer l’acte final et
l’action de l’Esprit Saint qui rend possible cet acte hu- définitif de Dieu en Jésus Christ41.
main » pourrait être un bon moyen de répondre aux ré- Comme l’a fait remarquer McGuckian, le modèle du
serves des baptistes décrites ci-dessus. culte sacrificiel vétérotestamentaire est parfaitement
On trouve au n. 97 une précision utile, qui répond répliqué dans le sacrifice de Jésus. L’offrande de soi, la
mieux à ma remarque sur ce qu’il faut entendre par le médiation en tant qu’unique Grand prêtre du Nouveau
mot « foi ». L’affirmation que « le premier mouvement Testament, le repas commandé en vue de la réception
conscient de la foi au Christ est initié par la grâce de de l’offrande (de son corps et de son sang), obéissent
Dieu et accompagné par l’Esprit Saint qui introduit le tous à ce modèle. Ce qui est en jeu entre catholiques et
croyant dans la communion du Christ » définit mieux la baptistes, c’est la façon d’entendre le sacerdoce du
foi, en montrant qu’elle n’est pas seulement une ré- Nouveau Testament. J’ai le sentiment que ce dialogue
ponse humaine. La doctrine catholique dit aussi que le
sacrement impartit la foi, et en particulier le sensus fidei
38. Voir n. 105.
(la capacité de reconnaître la Révélation). Cette ques- 39. Voir « L’Église Catholique Romaine » in Réponse des Églises à
tion est bien traitée dans le paragraphe sur la confirma- BEM : les réponses officielles au texte de Lima sur Baptême, Eucharistie et
Ministère (Genève, Conseil mondial des Églises, 1988), 31.
40. Voir Michael McGuckian, S.J., The Holy Sacrifice of the Mass
35. Ibid., Voir aussi Norman Tanner, Decrees of the Ecumenical Councils (Chicago, Hillenbrand Books, 2005).
(Washington, DC, Georgetown University Press, 1990), 1:86. 41. Thomas A. Baima, « Roman Catholic View: Christ’s True, Real
36. Ibid., Voir aussi Robert Sokolowski, The God of Faith and Reason and Substantial Presence » in Understanding Four Views on the Lord’s
(Washington, DC, Catholic University of America Press, 1995), 39. Supper, ed. John H. Armstrong (Grand Rapids, Michigan,
37. Norris, Op. Cit., 108. Zondervan, 2007), 24-25.
74
pourrait aboutir à une déclaration commune sur le non-divin un rapport très intime et non invasif43.
sacerdoce des baptisés, travail de ce rapport sur Je pense que cette approche de Barron peut aider à
l’anamnèse est déjà un bon point de départ pour une surmonter la difficulté qui se présente lorsqu’on
éventuelle conversation sur le sacerdoce du Nouveau cherche à défendre la souveraineté de Dieu. Je revien-
Testament. Il est intéressant de faire la petite drai sur cette possibilité plus loin dans ce commentaire.
expérience qui consiste à réécrire le n. 123 en
remplaçant « Eucharistie » par « sacerdoce » :
D. Marie dans la communion de l’Église
Les catholiques entendent le mémorial (anamnèse) et
l’invocation de l’Esprit (épiclèse) au sens fort. Dans Certains concepts de base du catholicisme, tels que
[le sacerdoce], l’Église ne fait pas seulement ceux de l’évolution de la doctrine et du sensus fidelium,
mémoire de la Passion et de la Résurrection du sont présumés connus des lecteurs. C’est une lacune de
Christ Jésus, elle « présente aussi au Père l’offrande ce rapport. J’aurais souhaité y trouver une discussion
de son Fils qui nous réconcilie avec Lui ». Les plus approfondie sur la controverse sur l’Immaculée
catholiques croient que [le sacerdoce]… représente Conception et sur son rôle dans l’évolution de la doc-
(rend présent) [le sacerdoce] du Christ accompli une trine. Telle qu’elle est présentée, un lecteur baptiste
fois pour toutes… Dans la célébration liturgique pourrait penser, en lisant ce rapport, qu’il s’agit d’un
des événements de la Passion du Christ, ceux-ci simple désaccord. En réalité, cette controverse a joué
« deviennent d’une certaine façon présents et réels ». un rôle non négligeable dans l’élaboration des formules
Pour les catholiques, [le sacerdoce] du Christ… et doctrinales. La note en bas de page du n. 138 est inté-
[le sacerdoce ministériel] sont un unique ressante, mais elle donne pour acquis que le lecteur a
[sacerdoce], et non la répétition ou la multiplication compris la façon dont le dogme s’est développé. Je fe-
de [ce sacerdoce]. En représentant (et non en rai quelques suggestions plus loin dans ce commentaire
répétant) [le sacerdoce du Christ] au moyen de au sujet de l’évolution de la doctrine.
l’anamnèse, l’Église est unie [au sacerdoce] du Christ
par le Christ lui-même, agissant en la personne d’un E. L’episkopè
ministre ordonné. L’Église invoque l’Esprit Saint Dans la partie qui traite des différents modèles
(épiclèse) pour qu’il change [le baptisé] en [un prêtre d’episkopè au n. 168, une précision historique serait utile
ministériel]42. sur la question des trois degrés du ministère sacerdotal.
Cette petite expérience montre, me semble-t-il, que Le rapport dit que « ces trois degrés du ministère sa-
le dialogue entre catholiques et baptistes, tel qu’il est cerdotal ont existé dans toutes les Églises d’Orient et
rapporté dans ce document, offre de précieuses occa- d’Occident jusqu’à la Réforme ». Cette affirmation est
sions pour explorer d’autres questions restées sans ré- exacte, mais demande à être nuancée. Car s’il est vrai
ponse à ce jour. C’est pourquoi je suggère que les Églises d’Orient ont maintenu l’organisation de
d’approfondir le thème du sacerdoce dans un prochain l’Église primitive fondée sur les trois degrés du minis-
dialogue. tère telle qu’elle avait été formulée par Ignace
Un autre problème implicite relatif à la doctrine de d’Antioche44, dans les Églises d’Occident en revanche,
Dieu se présente au paragraphe 130, où il est dit que les un courant de pensée s’est développé sous l’influence
offices du sacerdoce limiteraient d’une certaine façon la de saint Jérôme, selon lequel l’épiscopat serait simple-
souveraineté du Christ. Voici ce que dit Barron à ce ment une juridiction plus ample pour l’exercice des
propos : pouvoirs sacramentels conférés par l’ordination sacer-
dotale45. En se basant sur cet argument, les théologiens
Ce qui a été mal élaboré (et même oublié dans la
scholastiques ont soutenu que l’ordination épiscopale
plupart des cas) par les penseurs modernes, c’est
n’était pas un sacrement46. La tradition canonique, dis-
cette vision biblique dynamique de Dieu qui
tincte de la tradition théologique, insisté sur ce point.
rayonnait dans la pensée chrétienne du moyen âge,
Le catéchisme romain, paru à la suite du concile de
et qui permettait d’affirmer à la fois la pleine
Trente, constitue l’aboutissement de la notion des sept
divinité de Dieu et le plein épanouissement du sujet
humain dans son rapport avec Dieu. C’est la vision ordres et des cinq offices dans les Églises d’Occident47.
d’un Dieu Créateur de toute chose, une réalité dont
la modalité d’existence diffère de celle de toute
43. Barron, Op. Cit., 203.
créature ou ensemble de créatures, autrement autre 44. Ignace d’Antioche est bien connu pour son ecclésiologie
que le non-divin et donc capable d’avoir avec le sacramentelle/eucharistique dans laquelle il compare l’Église locale
à une synaxe eucharistique : l’évêque, entouré de ses presbytres et
assisté par ses diacres au milieu des baptisés, offre une doxologie à
42. Paraphrase du n. 123. La raison pour laquelle ce point est si Dieu et intercède pour ceux qui sont dans le besoin.
important est que la question de un sacrifice/beaucoup de sacrifices 45. Jérôme, Epître 146 in Ep. Ad Tit.1, 5
est aussi la préoccupation fondamentale qui se présente dans la 46. Ludwig Ott, Fundamentals of Catholic Dogma, trad. James Canon
question de la conception catholique du ministère comme Bastible (Rockford, Illinois, Tan Books and Publishers, 1974), 453.
sacerdoce. L’école de pensée baptiste est contraire, à juste titre, à 47. The Roman Catechism, trans. Robert I. Bradley, S.J. and Eugene
tout ce qui peut obscurcir l’unicité du sacerdoce de Jésus. La Kevane (Boston: Saint Paul Editions, 1985), 307-326. Voir en
solution œcuménique proposée sur l’Eucharistie pourrait particulier les notes en bas de page 42, 45, 51, 52 et 53. Ces sept
s’appliquer aussi à la question du sacerdoce. ordres étaient les suivants : portier, lecteur, exorciste, acolyte, sous-
75
Mais dans la période post-tridentine, nombre de théo- endroits seront appréhendées correctement. C’est
logiens rejetèrent la tradition canonique et pourquoi, je voudrais apporter ma contribution per-
réhabilitèrent la conception patristique des trois degrés sonnelle sur la question de la Tradition pour faciliter la
du sacrement de l’ordre. Avec le passage du temps, il y réception de ce rapport.
eut un retour progressif à la notion orientale des trois D’après mon expérience des dialogues œcumé-
ordres, qui trouva une confirmation dans les enseigne- niques, la principale difficulté, dans les discussions sur
ments de Pie XII et du concile Vatican II sur la sacra- la Tradition, consiste à faire comprendre aux non ca-
mentalité de la consécration épiscopale48. tholiques que la Tradition est quelque chose de plus
L’organisation des Églises baptistes qui, avec ses deux qu’une source additionnelle. Je me souviens que quand
degrés de ministère, est plus proche de l’organisation j’étais à l’université, un étudiant protestant est venu un
médiévale de l’Église d’Occident, doit être envisagée jour me demander de l’accompagner à la bibliothèque
dans ce contexte historique. Cette question pourrait du séminaire catholique du lieu pour « lui indiquer où
être, pour les théologiens œcuméniques, une occasion se trouve la Tradition ». Après avoir discuté un peu
de suivre ensemble un parcours de réappropriation des avec lui, je lui ai proposé de l’emmener d’abord à la
enseignements patristiques sur les trois degrés du mi- messe à la cathédrale le dimanche suivant, puis à un
nistère. service dévotionnel dans une paroisse pendant la se-
maine. Après quoi, nous pourrions aller à la biblio-
V. Questions à approfondir dans les prochains thèque. Mon but était de lui faire comprendre que pour
dialogues les catholiques, la Tradition n’est pas seulement une
source documentaire : c’est aussi une réalité vivante et
actuelle. Cette notion était très difficile à comprendre
A. La Communion des Saints
pour mon ami étudiant. Il pensait que la Tradition était
De mon point de vue, le n. 24 ouvre un débat sus- quelque chose comme le Livre de Mormon – un en-
ceptible, potentiellement, de porter beaucoup de fruit. semble de textes auxquels il pouvait se référer comme il
La définition baptiste de l’Église invisible, formée de le faisait pour la Bible. Notre notion de la Tradition est
tous ceux qui ont été régénérés par l’Esprit de Dieu, parfois déroutante et insatisfaisante pour nos frères sé-
pourrait être une piste intéressante pour une discussion parés. Mais comme le but du dialogue est de nous pré-
sur la doctrine de la Communion des Saints dans le senter les uns aux autres le plus exactement possible, il
cadre d’un accord œcuménique sur l’ecclésiologie. est essentiel d’approfondir la notion de Tradition pour
L’idée de « voir des preuves de l’action de l’Esprit Saint que ce dialogue puisse avancer.
dans la vie d’un individu » pourrait nous permettre
Le cardinal Yves Congar, O.P. est un grand spécia-
d’élargir notre cadre ecclésiologique pour y inclure aussi
liste de la théologie de la Tradition. Congar commence-
les membres de l’Église qui sont au déjà ciel dans
rait par noter que la Tradition peut être définie comme
l’attente des cieux nouveaux et de la terre nouvelle.
la « transmission d’un objet à une autre personne »49.
Le n. 158 revient encore une fois sur ce point. La On peut parler de la Tradition dans un sens actif : l’acte
crainte d’obscurcir l’unicité du Christ pousse l’école de de transmettre, ou dans un sens objectif : ce qui est
pensée baptiste à éviter toute affirmation concernant transmis50. Le contenu de la Tradition comprend aussi
l’intercession des saints. J’aurais souhaité que le dia- autre chose que des documents écrits51. C’est pourquoi,
logue se penche sur les différences d’attitude sur la dans toute discussion sur la Tradition, il est important
place de Marie dans l’Église aujourd’hui. Le sentiment de clarifier le mode de transmission (oral) et le contenu
de l’immédiateté de la Communion des Saints chez les de cette transmission (la Tradition orale), ce qui nous
catholique, et le sentiment de distance vis-à-vis de cette permet de distinguer entre la Tradition au sens strict et
même communion chez les baptistes, se traduisent par Écriture52.
des différences fondamentales dans la vie et dans la
pratique des deux communautés. À l’intérieur de la Tradition, d’autres distinctions
peuvent et doivent être faites. En premier lieu, la dis-
tinction entre tradition apostolique et tradition ecclé-
B. La Tradition siale. C’est un aspect plus subtil de toute cette question
Comme je l’ai dit plus haut, ce rapport semble pré- de la Tradition. Il convient de bien distinguer entre le
supposer que le lecteur a compris la notion catholique sujet de la Tradition et son objet. Congar identifie trois
de Tradition. Je ne suis pas certain que les nuances sujets : le Christ, les Apôtres et l’Église53. C’est précisé-
subtiles de la Commission que l’on trouve en différents ment ce troisième point qui fait débat dans le dialogue
œcuménique. Nombre de documents des dialogues of-
ficiels se concentrent sur les deux premiers points ;
diacre, diacre et sacerdos. Le sacerdos comportait cinq offices : prêtre
(au sens de presbytre), évêque, archevêque, patriarche, pape. On
peut voir dans cette formulation de tradition canonique que 49. Yves M.-J. Congar, O.P., La tradition et les traditions, Cerf, Paris,
l’épiscopat était à peine plus qu’une simple juridiction. 2010.
48. Pie XII, Sacramentum Ordinis : Constitution apostolique sur les ordres 50. Ibid.
sacrés du diaconat, de la prêtrise et de l’épiscopat (30 novembre 1947), n. 5. 51. Ibid.
Voir aussi Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Église 52. Ibid.
Lumen Gentium, n. 21. 53. Ibid.
76
pourtant c’est sur le troisième qu’ont porté les contro- leures que les nôtres témoigne contre nous. La seule
verses de la Réforme. réponse est la louange de Dieu pour ses dons merveil-
Congar note que l’Église est à la fois un canal de leux et la prière à Dieu pour lui demander pardon de
transmission de la Tradition apostolique et l’origine des n’avoir pas utilisé ces dons aussi bien que nos frères et
traditions. Dans le premier cas, l’acte de transmission sœurs séparés.
par l’Église d’une tradition réputée apostolique confère
son autorité à cette tradition. On peut citer à ce propos B. Œuvrer ensemble pour une culture chrétienne
l’exemple du canon de l’Écriture. La décision de Ces dernières années, à côté des dialogues officiels
l’Église d’attribuer le statut de Livre sacré à un livre en entre les Églises, se sont développés toute une série de
particulier est ce qui lui donne sa valeur normative54. conversations et dialogues informels très prometteurs
Cette décision est un acte de l’Église, et de tels actes entre les théologiens et les pasteurs. Ce nouvel œcumé-
sont ce qui donne à la Tradition son caractère vivant. nisme est en train de devenir une partie permanente du
Ce caractère peut être étendu à l’évolution du contenu, mouvement œcuménique. J’y vois la réception des cent
que ce soit sous une forme écrite ou non écrite, et ici la dernières années de dialogue œcuménique et une nou-
forme non écrite comprend aussi l’interprétation du velle œuvre de l’Esprit. Personnellement, je préfère
dépôt de la foi. Autrement dit, toute décision faisant l’appeler « œcuménisme missionel ». Par ce terme,
autorité sur le contenu de la Tradition est en elle-même j’entends un engagement œcuménique pour la mission
un acte de la Tradition. En conséquence, un troisième telle que la concevait Jean Paul II, consistant à procla-
élément doit être pris en compte dans la discussion sur mer l’Évangile dans le but de convertir, baptiser et
Écriture et Tradition, à savoir le Magistère. former des communautés chrétiennes, de promouvoir
La complexité de la notion de Tradition, qui com- les valeurs évangéliques et de changer la culture55. Le
prend à la fois une idée d’action, un contenu, une évo- nouvel œcuménisme a fait sien ce troisième élément,
lution et des décisions faisant autorité, est ce qui rend si celui de la mission. Il y a là pour les baptistes et les ca-
difficile le dialogue œcuménique sur ce sujet. Cela dit, tholiques une occasion exceptionnelle pour s’engager
tout n’est pas perdu. Dans l’école de pensée baptiste il ensemble.
existe une riche réflexion sur le fait qu’une interpréta- La Nouvelle Évangélisation nous présente aussi un
tion correcte de l’Écriture ne peut se faire que sous défi. Les intuitions des théologiens sur la doctrine de
l’inspiration de l’Esprit Saint. C’est aussi essentielle- Dieu et sur sa nature non compétitive vont-elles nous
ment le point de vue catholique. Pour que la religion encourager à collaborer à un projet commun
révélée perdure dans le temps, le Christ doit avoir pré- d’évangélisation ? C’est une grande question, compte
disposé des moyens pour conserver et transmettre la tenu de l’histoire des relations entre nos deux commu-
vérité de la Révélation. Les catholiques voient dans la nautés. Mais je suis porté à croire, après avoir lu ce
succession apostolique des évêques l’instrument de rapport et après avoir constaté les grands progrès réali-
cette conservation et de cette transmission. Le sujet ac- sés dans la compréhension mutuelle, que la mission,
tif dans l’Église est l’Esprit Saint. Un approfondisse- troisième élément de Jean Paul II, peut devenir pour les
ment pneumatologique sur la Tradition serait d’une baptistes et les catholiques un terrain commun
grande valeur pour la suite du dialogue entre baptistes d’œcuménisme missionnaire. J’exhorte tous ceux qui
et catholiques. liront La Parole de Dieu dans la vie de l’Église de réfléchir à
la façon dont leur communauté pourrait collaborer
VI. Exhortation à l’œcuménisme missionnel avec d’autres chrétiens afin de promouvoir les valeurs
de l’Évangile et de changer la culture.
A. Apprécier les attributs
L’un des principaux objectifs du mouvement
œcuménique est de développer chez les chrétiens une
spiritualité qui les aide à discerner l’Esprit de Dieu à
l’œuvre dans et parmi les Églises et les communautés
ecclésiales. La capacité de reconnaître l’Esprit à l’œuvre
est fondamentale pour comprendre que l’œcuménisme
est en fait une conversion. La conversion dont je veux
parler est avant tout une conversion au Christ et à sa
volonté pour l’Église, exprimée très clairement dans la
prière du Grand prêtre de l’évangile de Jean.
Voir l’Esprit de Dieu à l’œuvre dans une autre com-
munauté nous pousse à approfondir notre koinonia.
Voir que la réception des dons spirituels dans cette
communauté peut parfois suivre des modalités meil-

55. Voir Jean Paul II, Catéchèse sur le Credo, Vol. IV: L’Église, mystère,
54. Ibid. sacrement et communauté (Paris: Cerf, juillet 1990).
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