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Christophe Donner

Ready Cash
Arts équestres
ACTES SUD
READY CASH

Les chevaux de courses ne sont rien sans les hommes qui


les font naître, les entraînent, ceux qui ont rêvé de leur
gloire. Le propriétaire et entraîneur de Ready Cash s’ap-
pelle Philippe Allaire. C’est le fils de Pierre Allaire qui
fut le propriétaire et entraîneur d’Une de Mai, célébrité
du trotting mondial, que j’allais voir courir à Vincennes,
il y a quarante ans.
Entre Une de Mai et Ready Cash, quarante années de
victoires, de défaites, de fortunes et de faillites, quarante
années de trahisons, de bagarres, de drames. Cracks per-
dus, volés, estropiés, scandales de dopage et de courses
truquées, il suffit de rater une marche pour passer en
quelques heures du podium à la prison.
Aujourd’hui, je ne peux pas regarder courir Ready
Cash sans penser à la famille Allaire dont il est à la fois
le flambeau et la revanche.
Après l’avoir vu remporter deux Prix d’Amérique, en
2011 et 2012, et se faire battre en 2013, j’attends avec
tous ses fans qu’il reprenne sa couronne cette année. Ce
livre étant, comme tous les autres, un pari.
C. D.

Christophe Donner, écrivain et cinéaste français, est l’auteur d’une


œuvre importante et variée, dont notamment de nombreux récits
pour la jeunesse. Passionné de courses de chevaux, il a fondé le
magazine Of Course en 2003.

Photographie de couverture : © Scoopdyga

ACTES SUD
DU MÊME AUTEUR

Romans
PETIT JOSEPH, Fayard, 1982
M’EN FOUS LA MORT, Mazarine, 1985
TROIS MINUTES DE SOLEIL EN PLUS , Gallimard, 1986
LE CHAGRIN D’UN TIGRE , Gallimard, 1988
GITON, Le Seuil, 1989
LES SENTIMENTS , le Seuil, 1989
L’EUROPE MORDUE PAR UN CHIEN, Points Seuil, 1990
L’ESPRIT DE VENGEANCE , Grasset, 1991
LES MAISONS , Grasset, 1994
MON ONCLE , Grasset, 1995
L’ÉDIFICE DE LA RUPTURE , Actes Sud, 1996
FORME D’AMOUR N° 3 OU 4 , Grasset, 1997
RETOUR À ÉDEN, Grasset 1997
QUAND JE SUIS DEVENU FOU, Fayard, 1998
LE VOILE, LE VISAGE, L’ÂME , Fayard, 1998
CONTRE L’IMAGINATION, Fayard, 1998
MA VIE TROPICALE , Grasset, 1999
L’EMPIRE DE LA MORALE , Grasset, 2001 (Prix de Flore)
AINSI VA LE JEUNE LOUP AU SANG , Grasset, 2003 (Prix Jean Freustié)
L’INFLUENCE DE L’ARGENT SUR LES HISTOIRES D’AMOUR , Grasset, 2004
BANG ! BANG !, Grasset, 2005
UN ROI SANS LENDEMAIN, Grasset, 2007
20 000 EUROS SUR SÉGO, Grasset, 2009
VIVRE ENCORE UN PEU, Grasset, 2011
À QUOI JOUENT LES HOMMES , Grasset, 2012

Jeunesse
LE CHEVAL QUI SOURIT, L’École des Loisirs, 1992
MES DÉBUTS DANS LES COURSES , Fayard, 1997
LE PLUS BEAU CHEVAL DU MONDE , photos de Y. Arthus Bertrand, Le Chêne,
2005
TEMPÊTE AU HARAS , L’École des Loisirs, 2012

Théâtre
LIBRES ENFANTS , Actes Sud Papiers, 2008

© ACTES SUD, 2014


ISBN 978-2-330-03087-2
978-2-330-10184-8
CHRISTOPHE DONNER

Ready Cash

Arts équestres
ACTES SUD
25 janvier 2009, jour du Prix d’Amérique.
Dans les écuries de l’hippodrome de Vincennes,
après la seizième victoire de Ready Cash et tandis
que le cheval passe à la douche, on est tous là autour
de son entraîneur, Philippe Allaire, on le félicite, on
s’émerveille, on refait la course, on compare en cher-
chant les mots justes qui diront combien ce che-
val nous impressionne encore, et encore à chaque
course, on voudrait comprendre ce que Philippe
ressent à ce moment-là, et le partager, et l’écrire
dans le journal.
Mais ça ne vient pas, Philippe se contente de
déconner, de raconter des histoires, pas seulement
des histoires de courses, et puis à un moment il se
tait, son cheval vient de sortir de la douche, on lui
a posé une couverture sur le dos, il marche dans l’ère
de décontraction, Philippe le regarde :
— Au moins, j’aurai goûté à ça. Depuis que je
suis né, j’en ai vu des cracks, c’est magnifique à voir
passer, mais quand tu en as un, quand c’est le tien,
c’est quand même pas pareil !
La légende de Ready Cash commence vingt ans
avant sa naissance.
Le 6 décembre 1984, dans ces mêmes écuries de
Vincennes, Bernard Giot cherche un driver pour
sa pouliche, Océanide, le driver habituel ayant fait
défection. Il faut dire que lors de cinq dernières
courses elle a chaque fois été disqualifiée au départ.
Cinq RP : “restée au poteau”. Ce n’est donc pas la
pouliche la plus convoitée du champ de courses.
Bernard Giot traverse les écuries à la recherche
d’une bonne âme capable de driver son impossible
pouliche. Il tombe, certainement pas par hasard,
sur Philippe Allaire. Le fils de Bernard Giot, Jean-
Luc, est apprenti dans l’écurie de Philippe Allaire.
Ils parlent du gosse. Tout va bien.
— Et au fait, tu ne voudrais pas driver ma pou-
liche dans la dernière ?
— Elle a une chance ?
— Elle trotte, mais elle est un peu difficile au
départ. Avec toi, peut-être que…
— Voyons ça.
Avant d’accepter de la courir, Philippe Allaire veut
essayer la pouliche. On est à une heure du départ. Il
s’assied au sulky de la jument et monte sur la piste.

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Au pas, au petit trot, il la mène sur l’aire des départs,
il lui explique ce qu’il attend d’elle, la façon dont il
veut la faire démarrer, et trotter, vite, plus vite que
ça, plus vite qu’elle n’a jamais trotté. Il la reprend,
la décontracte, elle s’allonge, elle respire, elle obéit,
au cours de ces quelques minutes d’échauffement,
elle devient quelqu’un d’autre, Philippe Allaire lui
apprend quelque chose qui était en elle, mais caché,
bridé, une sorte de rage qui s’est libérée et qu’elle
n’oubliera pas.
— Pas mal, ta pouliche, dit Philippe en reve-
nant du heat.
Il est d’accord pour la courir. Bernard Giot est
enchanté.
Philippe retrouve son copain, Pierre Tébirent,
ils discutent de la pouliche. Pierre et Philippe se
connaissent depuis longtemps, ils ont eu des che-
vaux ensemble, et ça continue : la moitié d’un, le
quart d’un autre, on en achète, on en vend, ce petit
commerce a cimenté leur amitié, qui est maintenant
bien solide, à l’épreuve des victoires et des défaites,
des bonnes et des mauvaises affaires.
Pierre Tébirent est joueur, toujours à l’affût
d’un bon tuyau. Il ne va pas passer à côté de
celui-là.
Arrive la course. Philippe a équipé Océanide
à sa manière et dans les derniers échauffements
avant la course, le canter, elle va encore mieux.
Elle vole.
Pierre Tébirent est au bord de la piste, il n’est pas
aveugle, il comprend ce qu’il lui reste à faire : il fonce
au guichet, et met “une p’tite pièce”, en vérité plu-
sieurs petites pièces qui en s’ajoutant aux autres petites
pièces finissent par constituer une certaine somme.

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La course part, et Océanide aussi, première bonne
surprise : elle ne reste pas au poteau comme elle
en a pris l’habitude, elle trotte et prend même la
tête, qu’elle va garder jusqu’au bout, l’emportant
à 9 contre 1.
— Un coup de chance, prétend aujourd’hui Phi-
lippe Allaire.
Évidemment pas. Mais comme beaucoup
d’hommes de cheval, et particulièrement de che-
vaux de courses, Philippe Allaire ne croit pas en ses
pouvoirs. Parce qu’il est modeste ? Parce qu’il est
superstitieux ?
Parce que ce n’est pas à lui d’en parler.
Il me regarde avec des yeux ronds, persuadé
d’avoir affaire à un illuminé, quand je développe ma
théorie : tel un virus passé de l’animal à l’homme,
la rage de vaincre qu’il a transmise à Océanide ce
soir-là, elle l’a transmise à sa fille Docéanide du Lilas,
qui l’a transmise à sa fille Kidéa, qui l’a transmise au
mâle que cette lignée de femelle attendait : son fils
Ready Cash.
Dans l’euphorie de la victoire, l’ivresse du cham-
pagne et le miracle des petites pièces changées en
gros billets de banque, Tébirent et Allaire proposent
à Bernard Giot de lui acheter sa pouliche.
Malheureusement, la pouliche ne lui appar-
tient pas. Et les Allemands copropriétaires, aussitôt
contactés, ne veulent pas la vendre. Tant pis pour
eux, Océanide ne répétera jamais cette performance.
Comme si ce qu’elle avait appris sur la piste ce soir-
là, ce virus de la rage de vaincre inoculé par son
driver occasionnel, devait rester enfoui en elle, ino-
pérant. Mais transmis huit ans plus tard.
Huit ans pendant lesquels on n’entend plus par-
ler d’Océanide.
Ce qui nous laisse le temps de parler de Pierre
Tébirent. Pas du tout un homme de cheval, au
départ, un Parisien pur jus, né en 1946, son père
est employé à la Mairie de Paris, mais c’est vrai
qu’il l’emmène en vacances en Normandie. Là où il
y a des chevaux.
— Je devais avoir douze, treize ans quand j’ai
eu l’occasion de monter sur un cheval pour la pre-
mière fois de ma vie. Ça m’a tellement plu que, vers
l’âge de dix-neuf ans, j’ai acheté Corail de Lakmée,

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à M. Collombert, qui était à Joinville, à l’époque où
il y avait encore des écuries. J’ai appris à driver là.
Pas en course, je n’avais pas de licence, mais à l’en-
traînement, à la promenade, pour le plaisir de sortir
les chevaux au petit matin, traverser la ville à bord
d’un sulky aux côtés des vedettes de l’époque comme
Pierre Allaire, le père de Philippe. Pour tout vous
dire, j’ai appris à driver sur la route de Vincennes,
en passant sous le pont de Joinville, avec les voitures,
les camions. Un truc de fou, quand on y repense.
Mais j’adorais ça. Corail de Lakmée, je l’ai revendu
parce qu’il n’était vraiment pas bon. Et j’en ai acheté
un autre, une femelle qui s’appelait Dalila L que j’ai
mise à l’entraînement chez Ali Hawas. Et j’ai gagné
de l’argent avec elle. J’adorais Ali Hawas, un homme
gentil et tellement bosseur, capable de se lever la nuit
pour masser un cheval. C’est avec des gens comme ça
que ma passion du cheval s’est encore accrue. Mais
l’homme que j’admirais le plus c’était Pierre Allaire.

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