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Comprendre LA FINANCE
Comprendre LA FINANCE
comprendre
LA FINANCE
Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point
problèmes économiques
HORS-SÉRIE
La revue de référence
société
économie
débat public
c a h i eç r s
Cahiers français 394
fran ais
• Les dernières tendances du numérique
• La politique de la ville,
un incubateur des politiques territoriales
QUELLES RÉFORMES
POUR LE MARCHÉ
DU TRAVAIL ?
Septembre-octobre 2016
Bimestriel
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La
documentation
Française
IMPACT SUR L’ EAU 1,5 g eq PO43- demander davantage que le montant déposé chez le notaire. Goethe s’en sortait avec un
CLIMAT 534 g eq CO2 des honoraires les plus élevés de l’époque – 1000 thalers – ; c’était également une bonne
Cet imprimé applique l'affichage environnemental.
affaire pour l’éditeur car l’œuvre se vendait très bien.
Markus Gabel
COMPRENDRE LA FINANCE
La finance au service de l’économie ?
P. 5 Un siècle de finance : de la première mondialisation
à la globalisation des marchés (Éric Monnet)
P. 12 Comprendre les marchés financiers en 2016 (Laurent Quignon)
P. 20 Investisseurs, assureurs et banques face à la politique
des taux d’intérêt zéro (Jean-Marc Figuet)
P. 27 Finance d’entreprise et finance de marché : une influence
par ricochet (Gunther Capelle-Blancard et Jérôme Glachant)
P. 35 Glossaire : les mots de la finance 1
P. 36 Les principales places financières
Un secteur controversé
P. 37 Inégalités et finance : quelles relations de causalité ?
(Rémi Bazillier et Jérôme Héricourt)
P. 43 Les banques centrales à la peine
(Jézabel Couppey-Soubeyran)
P. 50 La finance chinoise : quelle ampleur, quels risques ?
(Michel Aglietta)
P. 57 Shadow banking, trading haute fréquence : l’innovation
financière hors de contrôle ? (Dominique Namur)
P. 64 Les liens finance-États : entre nécessité et abus
(Clémentine Gallès)
P. 71 Étudier à Paris, travailler à Londres : fuite des cerveaux
et allocation des talents (Gunter Capelle-Blancard et Claire Célérier)
P. 78 Glossaire : les mots de la finance 2
La finance de demain
P. 80 FinTech : l’innovation financière au service de qui ?
(Julien Maldonato)
P. 87 Comment réguler demain la banque-finance ? (Laurent Clerc)
P. 96 L’avenir de la monnaie (Jörg Guido Hülsmann)
P. 104 Que devient la globalisation financière ? Avons-nous besoin
d’un Bretton Woods 2.0 ? (Christophe Boucher)
P. 111 Glossaire : les mots de la finance 3
P. 112 De la finance aux FinTech
Comparer l’actuelle mondialisation à celle qu’avait connue les trois ou quatre décennies
précédant la Première Guerre mondiale est devenu un lieu commun. De nombreux chercheurs
ont en effet travaillé sur cette comparaison, montrant comment la mobilité internationale du
capital avait atteint un maximum à la veille de la Grande Guerre, pour chuter ensuite puis remonter
petit à petit avant de retrouver au cours des années 1990 le niveau déjà atteint en 1914. Malgré
de frappantes similarités, la seconde mondialisation diffère toutefois profondément de la
première, comme le démontre Éric Monnet : au tournant du XXIe siècle, la globalisation financière
a atteint un niveau inconnu auparavant et pris des formes inédites.
Problèmes économiques
Un siècle de finance :
de la première mondialisation
à la globalisation des marchés
ÉRIC MONNET documents de cette époque en se rendant, par
exemple, sur le portail Gallica de la Biblio-
Économiste chercheur à la Banque de France, enseignant associé thèque nationale de France (BnF). On peut
à l’École d’économie de Paris1 ainsi feuilleter des publications économiques
françaises de référence (comme le Bulletin
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États-Unis : CBOE spx volatility VIX – price index
Royaume-Uni : FTSE 100 volatility index – price index Taux des « corporate » BBB 7 à 10 ans
Zone euro : eurostoxx 40 60d volatility index – price index
Japon : NIKKEI stock average volatility index – price index Taux des « corporate » A 7 à 10 ans
Taux des « corporate » AA 7 à 10 ans
Source : Thomson Reuters.
Source : iBoxx, Thomson Reuters.
Les marchés d’actions et de dette diminué à travers le monde durant les pre-
miers mois de 2016. Au cours du seul deu-
obligataire à haut rendement xième trimestre 2016, le rendement des
emprunts d’État à dix ans a chuté d’environ
au cœur des turbulences 30 points de base aux États-Unis et d’environ
15 points de base en Allemagne. Le taux du
La hausse de la volatilité observée au début
Bund à dix ans a même fait quelques incur-
de l’année 2016 a affecté plus particulière-
sions en territoire négatif (en mars et juin)
ment certains segments des marchés finan-
pour la première fois de son histoire, rejoi-
ciers. Elle en a, en revanche, plutôt épargné
gnant en cela les taux des emprunts d’État
d’autres. Le principal critère de la dichotomie
suisses et japonais.
fut le niveau de risque intrinsèque. Ainsi les
marchés sur lesquels les primes de risques Toutefois, au-delà de l’inquiétude des mar-
sont traditionnellement plus élevées (mar- chés obligataires quant à la croissance et
chés des actions, marché obligataire [high l’inflation futures (voir Zoom), d’autres fac-
yield]) ont été concernés au premier chef. A teurs ont contribué à affaiblir les rende-
contrario, les compartiments moins risqués ments à long terme. À cet égard, peuvent
du marché obligataire (dette souveraine, être mentionnés non seulement les achats
dette corporate [investment grade]) n’ont pas d’actifs opérés par la BCE et la Banque du
été affectés, de même que le marché moné- Japon, mais aussi la crainte d’un éventuel
taire, placé sous la bienveillance des autori- Brexit (sortie du Royaume-Uni de l’Union
[2] tés monétaires. européenne [UE]), suite au référendum du
Lors de ce référendum,
les Britanniques ont
23 juin 20162.
voté à près de 52 % en Enfin, les signatures de qualité moyenne ont
faveur du Brexit, donc
Le marché obligataire explore
de la sortie du Royaume- le territoire des taux négatifs vu leur prime de risque s’élargir davantage
Uni de l’UE, ouvrant que les signatures de meilleure qualité, ce qui
ainsi une nouvelle phase Dans le prolongement de la tendance amor- illustre le renforcement classique de la discri-
d’incertitude pour les
marchés financiers cée depuis la crise de 2008, les rendements mination opérée par le marché selon le risque
(voir infra). obligataires ont encore considérablement (voir graphique 1) en période de tensions.
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par les prix à terme, étaient plus fréquem-
ment attribuées au ralentissement attendu Total Secteur financier
de la demande6. Nos calculs suggèrent que la Banques Énergie
[6]
FMI (2016), Perspectives
corrélation entre le marché boursier européen économiques mondiales,
Source : IBES. avril.
et les prix du baril est positive (c’est-à-dire
[7]
baisses concomitantes des indices et des prix) Il s’agit du programme
dix ans, par la Réserve fédérale américaine dénommé targeted
pour des cours inférieurs à 75 dollars tan-
de son taux cible le 16 décembre 2015, lequel long-term refinancing
dis qu’elle devient indéterminée au-delà de operations, TLTRO II.
était largement anticipé. Cette relative indif-
ce seuil critique. Les baisses de prix actuels
férence contrastait avec les évolutions obser-
pèsent sur les performances financières des
vées en 2013, alors que de simples rumeurs
sociétés pétrolières et réduisent l’appétit des
de réduction progressive du programme
investisseurs pour le secteur, ce qui ne semble
d’achat (tapering) avaient suffi à les faire
plus être le cas au-delà du seuil de 75 dollars.
vaciller.
Du fait des craintes de diffusion du risque
La détérioration du contexte global et les
des entreprises pétrolières vers les banques,
actions des banques centrales ont nourri les
les actions des premières ont entraîné
anticipations de pause dans le resserrement
les secondes dans leur glissade (voir gra-
(États-Unis) et les espoirs d’assouplissement
phique 3). Les calculs de l’agence de notation
(zone euro) des politiques monétaires. Les
Moody’s indiquent toutefois que ces inquié-
tudes étaient largement exagérées : les dix- annonces des banques centrales ont, dès lors,
neuf plus grands établissements européens été favorablement accueillies par les mar-
concentrent 270 milliards d’euros de crédit chés financiers, plutôt considérées comme
accordés au secteur de l’énergie et du gaz, un une réponse adaptée que comme une justi-
niveau qui selon l’agence « ne présente pas de fication ex post des inquiétudes. À la fin du
risque significatif pour leurs revenus ou leur mois de janvier, la Banque du Japon a sur-
capitalisation ». Pour autant, la remontée du pris les marchés en introduisant des taux
prix du baril constatée depuis février 2016 d’intérêt négatifs. En mars, la BCE a annoncé,
est favorable à certaines banques hollan- en complément de sa politique d’assouplis-
daises et britanniques. Il écarte le risque sement quantitatif, le lancement d’une deu-
d’un accroissement des provisions sur les xième série d’opérations de refinancement à
prêts au secteur de l’énergie cette année. plus long terme7 et l’extension de ses achats
mensuels de titres à 80 milliards d’euros.
La politique monétaire, Dans le même temps, le rythme anticipé de
facteur de réduction de la volatilité resserrement monétaire aux États-Unis a été
Les marchés financiers n’ont que modeste- revu à la baisse. Les écarts d’anticipations
ment réagi au premier relèvement, depuis de taux entre le Federal Open Market Com-
donc incapable de répondre à la demande. Or, leurs réserves liquides, ce qui peut poser un
[2]
selon l’INSEE (2016)2, le taux moyen d’utili- problème de solvabilité lorsque les taux d’in- INSEE (2016),
« Enquête trimestrielle
sation est de 82 % pour les entreprises fran- térêt remonteront. C’est également le cas des
de conjoncture
çaises. Une accélération de la demande pour- firmes des pays émergents qui présentent le dans l’industrie »,
rait, dans un premier temps, être simplement handicap supplémentaire de s’endetter prin- Informations rapides,
no 106.
satisfaite par les capacités de production cipalement en dollars. La prochaine remon-
existantes, ce qui différerait la reprise de l’in- tée attendue des taux d’intérêt américains, et [3]
https://www.banque-
vestissement. En outre, face à l’incertitude de donc l’appréciation du dollar par rapport aux france.fr/economie-
et-statistiques/
la conjoncture, les entreprises peuvent préfé- monnaies des émergents, pourrait avoir des stats-info/detail/acces-
rer conserver des liquidités pour faire face à effets négatifs sur ces firmes endettées. des-entreprises-au-
des chocs futurs plutôt que d’investir et pri- credit.html
peut être couvert, à la différence de celui des dictoires ? Déjà, en 1958, F. Modigliani et
actionnaires. Par ailleurs, on observe que les M. Miller insistaient sur l’objectivité de la
dirigeants sont plus soucieux de leurs propres valeur de marché de l’entreprise, un concept
intérêts que de celui des actionnaires, ce qui bien difficile à dépasser.
a conduit à des prises de risque excessives et
à de nombreux désastres financiers. De plus
en plus, les économistes s’accordent donc Une théorie financière empreinte
sur le fait que l’entreprise doit prendre en
compte, non seulement l’intérêt des action- d’imperfections
naires (shareholders), mais également celui Dans la théorie du choix de portefeuille,
des parties prenantes (stakeholders), c’est- l’entreprise est une boîte noire : l’analyse
à-dire de tous ceux qui participent, de près porte sur le couple rendement-risque et sur
ou de loin, à la vie de l’entreprise et au rang le bêta des actifs financiers, en ignorant lar-
desquels on trouve les salariés, les fournis- gement les actifs réels qui font l’entreprise. À
seurs, les consommateurs, les riverains, les l’inverse, la théorie financière de l’entreprise
autorités, etc. suppose les marchés financiers efficients, en
L’approche est séduisante, mais elle bute sur mesure à tout instant de délivrer des capi-
un problème essentiel : comment apprécier taux au juste prix. Les décisions financières
les intérêts de chacun en termes de perfor- de l’entreprise sont alors dépendantes de ses
mances économiques, de protection de l’en- caractéristiques sans référence aux imper-
vironnement, d’engagement sociétal et de fections de marché. Mais que se passe-t-il si
bonne gouvernance ? Et surtout, comment le marché échoue à intégrer correctement les
concilier tous ces objectifs souvent contra- informations ? Que se passe-t-il si les arbi-
trages sont limités ? Les dirigeants d’entre- est élevé, rapportent moins que les actions
prise sont-ils en capacité d’exploiter ces moins volatiles, à bêta faible. Comment
imperfections de l’offre ? expliquer un tel écart à la théorie du CAPM ?
L’explication la plus convaincante se situe
« Anomalie du risque » et limites
du côté de la demande et provient de la
aux arbitrages difficulté des investisseurs à exploiter les
Plusieurs études récentes ont mis en évi- arbitrages. En effet, pour maximiser la ren-
dence une « anomalie du risque » : risque tabilité de leurs fonds, les gérants de por-
et rentabilité ne vont pas toujours de pair. tefeuilles ont pour plus immédiate stratégie
Certes, lorsque l’on compare les classes de choisir des actions avec un bêta élevé,
d’actifs, le principe fonctionne : les actions suivant en cela les préceptes courants de la
en moyenne plus risquées rapportent davan- théorie financière. Ce faisant, ils exercent
tage que les obligations d’entreprise, qui une pression à la hausse sur le prix des titres,
elles-mêmes sont mieux rémunérées que les ce qui réduit leur rentabilité. Parallèlement,
bons du Trésor. Mais à l’intérieur de la classe les actions à bêta faible sont sous-évaluées
des actions, il apparaît que les actions les et délivrent de ce fait une surrentabilité. Le
plus volatiles, celles dont le coefficient bêta principe d’arbitrage est mis en défaut, car
Colombia SE
Lima SE
São Paulo SE
Buenos Aires SE
Santiago SE Johannesburg SE
un secteur financier important. Cependant, tant l’absence de consensus qu’une très forte Dynamics of the
Finance-Inequality
rien ne garantit que cela suffise à permettre hétérogénéité dans les choix des indicateurs Nexus in Developing
un rattrapage des pays les plus pauvres avec d’inégalités et dans les méthodes empiriques. Countries », Journal of
Le contexte national et le cadre institutionnel Economic Inequality,
un niveau initial de développement financier volume 10(4),
plus faible. sont également cruciaux pour appréhender p. 551 à 563,
l’impact de la finance sur les inégalités. [17]
Jauch S. et Watzka S.
Impact sur les inégalités nationales Les conclusions sont plus tranchées lorsque (2011) « Financial
Development and
l’on s’intéresse plus particulièrement aux Income Inequality: A
Les contraintes de crédit pèsent plus forte- effets de la déréglementation financière. Stiju Panel Data Approach »,
ment sur les pauvres. Le développement du Claessens et Enrico Perotti (2007) soulignent CESifo Working Paper
Series, no 3687, CESifo
secteur financier pourrait donc relâcher ces que la libéralisation financière peut aug- Group Munich.
contraintes et permettre à un plus grand menter les inégalités lorsque les institutions
nombre d’accéder à des financements. Cela sont trop faibles pour éviter une captation
devrait théoriquement améliorer l’allocation des réformes par certains groupes d’intérêts.
du capital et réduire les inégalités. Cette idée Cette analyse est confirmée par plusieurs
d’une relation linéaire entre développement études empiriques.
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8e ÉDITION
LES FINANCES
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toutes ne l’ont pas fait avec la même inten- (en % du PIB des États-Unis). Il lui était éga-
sité, ni avec le même calendrier. Il a été repro- lement reproché de ne pas pousser suffisam-
ché à la BCE de chercher trop vite en 2013 à ment le quantitative easing : ses opérations
stabiliser la taille de son bilan. En 2014, ce d’achats de titres souverains dans le cadre
dernier représentait environ 20 % du produit de son programme SMP (securities market
intérieur brut (PIB) de la zone euro contre program) commencé en mai 2010 n’avaient
25 % pour la Banque d’Angleterre (en % du en effet pas dépassé 217 milliards d’euros à
PIB du Royaume-Uni) et 27 % pour la Fed la fin 2011. Mais au sein du Conseil des gou-
La finance chinoise :
quelle ampleur, quels risques ?
La situation financière de la Chine inquiète MICHEL AGLIETTA
les milieux financiers et les médias occiden-
taux. En effet, l’endettement du pays a connu Professeur émérite université Paris-Ouest, conseiller scientifique
une croissance très rapide, surtout à partir au CEPII et à France Stratégie
du plan de stimulation qui a suivi la crise
financière de 2008 dans les pays avancés. Il
est sûr que le montant de l’encours total de la
dette de la Chine est similaire à celui des pays Situation financière de la Chine :
avancés et bien plus élevé que celui des pays
en développement. Mais il en est de même des
les inquiétudes sont exagérées
ressources que la Chine peut mobiliser, car Comparons le niveau et la structure de la
la croissance chinoise est bien supérieure à dette chinoise à celle de trois pays de réfé-
celle des pays avancés. Il est donc indispen- rence : la Corée du Sud, les États-Unis et l’Al-
sable de repérer l’ampleur du problème et le lemagne (voir tableau). On laisse ici de côté
domaine de l’économie où il se situe, avant les pays hors norme que sont le Japon où la
d’évaluer les moyens dont les autorités poli- dette totale atteint 400 % du produit inté-
tiques et financières disposent pour contenir, rieur brut (PIB) et le seul endettement public
puis réduire la menace de crise financière. dépasse 250 % alors que l’économie stagne,
Cette analyse doit s’inscrire dans la perspec- et le Royaume-Uni, premier centre financier
tive de long terme vers le rétablissement de la mondial, où l’endettement brut des institu-
place de la Chine dans le monde. tions financières est lié à l’intermédiation
financière mondiale, sans lien avec l’écono- résiliente à une crise financière comme
mie interne. l’Occident l’a connue en 2008. D’abord, les
Ce qui frappe est que la dette chinoise est entreprises chinoises sont très peu endet-
concentrée dans les entreprises, plus parti- tées en devises étrangères. Lorsque le dol-
culièrement dans les entreprises d’État de lar a entamé son appréciation au troisième
l’industrie lourde, lesquelles ont été les prin- trimestre 2014, elles ont remboursé leurs
cipaux vecteurs du plan de relance chinois dettes en devises étrangères, de sorte que,
entre 2009 et 2012. L’autre partie de la dette au total, la dette en devises ne fait que 5 %
des entreprises concerne les promoteurs de la dette interne. Ensuite, la Chine est un
immobiliers qui ont souffert du retourne- énorme créancier net du reste du monde ;
ce qui distingue complètement la situation
ment des prix immobiliers dans les villes de
actuelle de la crise asiatique de 1997. Enfin
seconde et troisième catégories. Comme les
les ménages sont peu endettés (voir tableau).
industries lourdes ont fourni les matériaux
En conséquence, lorsque les prix immobi-
de la construction immobilière, la dynamique
liers se sont retournés, la situation finan-
du logement a été le principal coupable du
cière des ménages a été peu affectée. Ils ont
surendettement.
continué à consommer et ont donc permis
Le surendettement renvoie donc en Chine de soutenir la croissance en dépit du très
comme en Occident à la mauvaise allocation fort ralentissement de l’industrie. Quant à
de l’épargne découlant des inefficiences de la l’endettement du secteur public hors entre-
finance. En Occident, c’est le cercle vicieux prises, il se décompose en 22 % du PIB pour
du levier d’endettement et de la spécula- le gouvernement central et 33 % pour les
tion sur les prix des actifs à la poursuite de collectivités locales. Toutefois l’endettement
rentes financières de plus en plus grandes. local ne comprend pas les dettes contin-
En Chine ce sont les liens d’endogamie entre gentes issues des garanties implicites accor-
les grandes banques commerciales, les entre- dées aux entreprises (18 %). Si on les compte
prises d’État et les gouvernements locaux. à leur pleine valeur, cela fait monter l’endet-
Tant que la finance ne sera pas transfor- tement local et provincial à 51 % du PIB.
mée pour être remise au service de l’écono- Le problème de l’endettement des agents
mie réelle, le monde entier restera drogué non financiers est donc circonscrit à des
au crédit et les banques centrales ne pour- entreprises d’État de secteurs lourds de
ront qu’aggraver le problème pour éviter un l’économie qui souffrent d’importantes sur-
désendettement désordonné. capacités de production et à des collectivités
Néanmoins, la structure de la dette chinoise locales dans des régions moins développées,
présente des caractéristiques qui la rendent qui se sont endettées pour répondre au plan
[4]
Hors pures sociétés de leasing, les courtiers en titres4 bancaire traditionnel), soit environ 12 % des
négociations d’actions
et transactions
et dérivés (security and derivative dealers), actifs financiers mondiaux (contre 46 % pour
en devises non liées les fiducies d’actifs immobiliers (real estate le secteur bancaire classique) et 59 % du pro-
à l’intermédiation investment trusts), les sociétés d’assurance duit intérieur brut (PIB) des vingt-six pays
de crédit.
et de réassurance qui émettent ou garan- déclarants. Environ 40 % des actifs du SB
[5]
Les autres tissent des produits de crédit, les sociétés sont gérés aux États-Unis, suivis de la zone
intermédiaires financières spécialisées (specialised finan- euro (23 %) et du Royaume-Uni (11 %) ; la part
financiers comprennent
tous les intermédiaires cial corporations), les sociétés d’affacturage des pays émergents est passée de 6 % à 12 %
financiers non ou de factoring (crédit interentreprises). de 2010 à 2014, soutenue par le dynamisme
répertoriés comme
Fin 2014, le FSB estimait le montant total de des autres intermédiaires financiers en Chine.
banques, compagnies
d’assurance, fonds de l’intermédiation financière non bancaire (SB Pour des investisseurs fortement pourvus
pension, institutions au sens large) à 124 100 milliards de dollars,
financières publiques et
de liquidités, les produits du SB semblent
banques centrales. ventilé entre les autres intermédiaires finan- constituer des placements de court terme
ciers5 pour 68 100 milliards de dollars, les peu risqués (car adossés à un titre donné en
fonds de pension pour 29 000 milliards de garantie), complémentaires aux dépôts ban-
dollars, les sociétés d’assurance et de réas- caires, dont la garantie publique est plafon-
surance pour 27 000 milliards de dollars. Au née, ou aux titres d’État dont l’offre est limi-
sens étroit, le FSB restreint le SB aux activi- tée. En contrepartie de l’absence de garantie
tés d’intermédiation de crédits non bancaires publique et de coûts induits par la réglemen-
d’où peuvent émerger des risques systé- tation, ces placements alternatifs offrent un
miques et d’arbitrage réglementaire. En sont rendement supérieur. L’achat de tranches de
exclus environ un tiers des autres intermé- produits structurés permet de diversifier les
diaires financiers (fonds d’investissement en risques et de pallier un manque d’informa-
actions, fonds fermés, fiducies de placements tions sur les débiteurs. Pour les emprunteurs,
immobiliers), tous les fonds de pension et en particulier les petites et moyennes entre-
l’essentiel des sociétés d’assurance (sauf les prises (PME) ou les start-up, le SB peut propo-
compagnies d’assurance-crédit et les garants ser des financements spécialisés alternatifs à
financiers) et, enfin, les entités consolidées ceux des banques généralistes ou contraintes
dans les bilans bancaires à des fins de super- par des règles prudentielles. Globalement,
vision prudentielle. Au sens étroit, le SB gère l’efficience du marché financier peut être amé-
36 000 milliards de dollars d’actifs (contre liorée en termes de liquidité, de spécialisation
135 000 milliards de dollars pour le secteur des prêteurs, d’économies d’échelle dans les
[7]
numéro 6. études portaient davantage sur les économies
émergentes avant la crise, elles se sont plus
… qui peuvent devenir abusifs
dans des cas extrêmes
Autorité bancaire
européenne dont le siège récemment intéressées de nouveau aux éco-
est à Londres.
nomies développées5.
[8]
Système européen de Les crises financières peuvent s’avérer coû- Quand la finance est accusée
supervision financière.
teuses pour les finances publiques. Pour d’abuser de son importance
illustration, la Banque centrale européenne
(BCE)6 a publié en 2015 une étude récapitu- « Trop important pour faire faillite »
lant le coût net pour les finances publiques Comme évoqué dans la première partie, la
du soutien aux banques durant la crise dans sphère financière occupe une place fonda-
la zone euro. Sur la période 2008-2014, le coût mentale dans l’économie, pour le finance-
brut cumulé du sauvetage des banques dans ment des États, mais aussi pour assurer le
l’ensemble de la zone euro a été de 8 % du financement du secteur privé et donc soute-
PIB, dont 3,2 % du PIB ont déjà été récupérés nir la croissance économique d’un pays. Les
à fin 2014. L’impact net sur le ratio de dette acteurs de la finance, et donc les banques en
publique a donc été de 4,8 % du PIB, avec des zone euro, bénéficieraient du facteur « trop-
au financement des campagnes électorales. S’il a été reproché à certains États d’utiliser
Au-delà des montants dépensés, l’influence leur banque pour défendre leurs « champions
de l’industrie financière se ferait aussi par nationaux », de nombreux exemples dans
le phénomène dit des « portes tournantes ». l’histoire montrent aussi des États cherchant
Il est en effet fréquent aux États-Unis qu’un à orienter le crédit vers certains pans d’acti-
représentant du gouvernement aille travail- vité jugés stratégiques.
ler pour l’industrie financière et récipro- Le terme « répression financière », apparu
quement. Cette perméabilité entre les deux dans les années 1970 lors du développe-
milieux serait un canal supplémentaire par ment de plusieurs économies émergentes,
lequel le secteur financier influencerait les désigne un ensemble d’actions de politiques
autorités publiques. monétaire, réglementaire ou fiscale visant à
Cette description de « captation » des autori- influencer l’allocation de crédit vers certains
tés publiques a surtout été évoquée pour les secteurs d’activité, notamment vers le finan-
États-Unis. Le financement des campagnes cement de la dette publique. Ce terme a été
politiques et les « portes tournantes » utilisé rétrospectivement pour qualifier des
sont en effet des phénomènes de moindre politiques dans la période de l’après-guerre
ampleur en Europe, où le financement des dans les économies développées.
71 ÉTUDIER À PARIS, TRAVAILLER À LONDRES : FUITE DES CERVEAUX ET ALLOCATION DES TALENTS
à la libre circulation des capitaux. Les indi- gers qu’elle n’en perd chaque année1. Mais [1]
La France accueille
vidus eux-mêmes s’affranchissent désormais une note récente du Conseil d’analyse éco- près de 300 000 étudiants
étrangers chaque année,
facilement des frontières. La tendance est à la nomique2 (CAE) suggère que la situation ce qui représente un
mobilité : il est de plus en plus facile de vivre serait inversée pour les travailleurs les plus huitième des effectifs
de l’enseignement
et de travailler à l’étranger. qualifiés : la France verrait chaque année supérieur (source :
D’après l’Institut national de la statistique davantage de talents quitter son territoire MENESR 2014-2015).
et des études économiques (INSEE), plus de que le rejoindre. Ainsi, les personnes nées à Près de la moitié
viennent d’Afrique, et
3 millions de personnes nées en France vivent l’étranger immigrant en France sont-elles, un quart des autres pays
aujourd’hui à l’étranger et ce sont, chaque en moyenne, plus diplômées que la popula- européens ; les étudiants
tion française (27 % ont un diplôme Bac + 5, en provenance de la
année, plus de 100 000 Français qui à leur zone Asie-Pacifique ne
tour décident de s’expatrier. Si le phénomène contre 22 %), mais elles le sont moins que représentent que 17 %
n’est pas nouveau, il ne cesse de s’amplifier. les Français retournant en France après et ceux d’Amérique
une période d’expatriation (44 %). Et plus on que 9 %.
Depuis 1980, le taux d’émigration (défini
comme le stock d’émigrants de plus de 25 ans s’élève dans l’échelle des diplômes, plus les [2]
Garcia-Peñalosa C.
rapporté à la population totale) a ainsi dou- Français émigrent : 15 % des diplômés fran- et Wasmer É. (2016),
« Préparer la France à la
blé en France pour dépasser les 2 %. Assiste- çais des grandes écoles ont choisi de travail- mobilité internationale
t-on à un exode des travailleurs français ? ler à l’étranger pour leur premier emploi. croissante des talents »,
Conseil d’analyse
En quoi l’émigration des plus diplômés est-
Comparé à ses voisins européens, la France économique, note no 31.
elle un problème ? L’État à l’origine de ce
n’est pas particulièrement touchée : le taux [3]
La Note du CAE
flux migratoire supporte les coûts de for-
d’émigration est de plus de 3 % en Alle- (op. cit.) explicite bien
mation des migrants, mais ne perçoit pas
magne, et de plus de 7 % au Royaume-Uni par l’enjeu budgétaire :
les recettes fiscales ultérieures sur les reve- « Le parcours optimal
exemple. Par ailleurs, de nombreux étrangers (…) serait de se former
nus de ces « hauts potentiels » qui partent à
viennent chaque année s’installer en France, en France, de partir
l’étranger3. En outre, le pays se retrouve privé à l’étranger pour
de sorte que le solde migratoire est légère-
de ses éléments les plus talentueux (cher- démarrer une carrière
ment positif. de haut niveau, puis
cheurs, entrepreneurs…) dont l’activité pro-
de rentrer en France à
fite à l’ensemble de l’économie. À l’inverse, le l’âge où il faut payer les
… en particulier parmi départ des plus diplômés peut aussi bénéfi- études pour ses enfants
les plus diplômés cier à l’économie nationale, en permettant ou se soigner. »
73 ÉTUDIER À PARIS, TRAVAILLER À LONDRES : FUITE DES CERVEAUX ET ALLOCATION DES TALENTS
bonnes raisons de traverser la Manche. Reste grand nombre d’entreprises d’un même sec-
que nos compatriotes à Londres ne sont pas teur en un même lieu accroît la probabilité
vraiment plus nombreux que les Allemands pour un salarié qualifié dans ce secteur de
ou les Italiens. En fait, si l’on entend autant (re-) trouver rapidement l’emploi désiré,
parler français, c’est surtout parce que nous sans avoir à supporter les coûts d’un démé-
sommes deux millions chaque année à visiter nagement. Les entreprises bénéficient aussi
la capitale britannique, davantage que n’im- de cette concentration de main-d’œuvre
porte quelle autre nationalité ! qualifiée et spécialisée, dans la mesure où
On a beaucoup exagéré l’importance de la elles parviennent plus facilement à pour-
communauté française à Londres, mais il y voir leurs postes par du personnel adapté et
a un secteur où la France semble bien repré- diminuent ainsi les coûts de rotation de la
sentée : la finance. main-d’œuvre.
Ces trois sources d’économies d’agglomé-
La City : capitale de la finance ration expliquent donc, non seulement la
mondiale concentration à Londres des activités finan-
cières, sources d’externalités positives
Combien de Français travaillent à la City ? pour les entreprises financières, mais aussi
Beaucoup assurément, sans toutefois que l’attraction que représente la City pour les
l’on puisse donner de chiffres précis. Il est jeunes diplômés. En l’espèce, ce n’est pas tant
important de souligner que l’essentiel d’entre Londres qui attire, que la finance.
eux est en poste dans des filiales d’établis-
sements français. Notons également qu’il y
a probablement tout autant d’Allemands ou
d’Italiens à la City. Londres est, en effet, la
L’attrait de la finance pour les jeunes
capitale de la finance mondiale. diplômés
Les activités financières ont une tendance
très forte à la concentration géographique. De plus en plus d’étudiants
Depuis la création des premières bourses choisissent les métiers
au XVIe siècle, il en a toujours été ainsi. Et de la finance…
aujourd’hui, comme depuis deux siècles, la
City bénéficie pleinement des effets d’ag- Au cours des deux dernières décennies, les
glomération (clustering) qui poussent les diplômes en finance ont fleuri et drainé tou-
banques et les intermédiaires financiers à jours plus d’étudiants. Une part croissante des
se regrouper. La concentration d’entreprises Français les plus diplômés ont ainsi choisi de
d’un même secteur en un même lieu tend, travailler dans la finance et, en conséquence, de
tout d’abord, à y attirer des fournisseurs plus en plus volontiers à l’étranger, en particu-
spécialisés ce qui, en augmentant la concur- lier sur les places financières de Londres, New
rence, diminue les coûts. Dans le cas des York, voire Hong Kong. D’après l’association
activités financières, ce sont notamment les des Ingénieurs et scientifiques de France (IESF) [6]
Célérier C. et Vallée B.
avantages liés à la proximité des entreprises alors que, en 1985, 2 % d’entre eux travaillaient (2016), « Returns to
Talent and the Finance
informatiques et de télécommunications qui dans la finance, ils sont près de 4 % après 2005. Wage Premium »,
renforcent les effets d’agglomération. La Comme le montre le graphique 1, l’évolution document de travail.
concentration spatiale des activités facilite, est plus frappante encore parmi les ingénieurs [7]
L’enquête IESF étant
également, le transfert de savoirs spécialisés, diplômés des « très grandes écoles ». Alors que fondée sur le volontariat,
qu’il s’agisse de transfert de technologies ou 3 % d’entre eux travaillaient dans la finance en la représentativité de
d’échanges informels. Une localisation com- 1985, ils étaient près de 8 % en 20106. Le phéno- l’échantillon ne peut
être garantie malgré
mune crée, enfin, un effet d’attraction sur la mène s’est un peu ralenti après la crise finan- le nombre élevé de
main-d’œuvre spécialisée. La présence d’un cière de 2008, sans toutefois s’inverser7. participants.
75 ÉTUDIER À PARIS, TRAVAILLER À LONDRES : FUITE DES CERVEAUX ET ALLOCATION DES TALENTS
Ces départs sont évidemment l’expression James Tobin a été le premier, en 1984, à sug-
d’un certain savoir-faire à la française. Mais la gérer que les rendements sociaux du secteur
collectivité doit-elle financer les études supé- financier puissent être plus faibles que ses
rieures (les frais de scolarité sont particulière- rendements privés et à s’inquiéter que le sec-
ment modestes, surtout comparés à la situa- teur financier puisse « ravir » les talents au
tion au Royaume-Uni ou aux États-Unis9), si détriment des secteurs productifs et soit ainsi [9]
Les frais de scolarité
une part non négligeable des futurs diplômés inefficient au niveau de la société11 : plus de annuels s’échelonnent
de 215 dollars à
ne participent pas à la croissance française, ni financiers signifie aussi moins de chercheurs 715 dollars en France,
ne s’acquittent d’impôts en France ? en physique, en biochimie, en informatique, contre en moyenne plus
moins d’innovateurs, moins d’entrepreneurs, de 8 000 dollars en
Grande-Bretagne et
Une mauvaise allocation etc. Cela a évidemment des conséquences
importantes sur la croissance12.
aux États-Unis.
des talents ?
[10]
Philippon T. et
Reshef A. (2012), « Wages
Allocation des talents and Human Capital
Des salaires très (trop ?) élevés et « revolving doors » in the U.S. Financial
Industry: 1909-2006 »,
Quarterly Journal of
L’attrait pour le secteur finance est évidem- Le problème de l’allocation des talents se
Economics, 127 (4),
ment dû aux salaires qui y sont particulière- pose aussi entre le régulateur et les établisse- p. 1551 à 1609. Voir aussi
ment élevés. Et cela reste vrai malgré la crise. ments qu’il supervise. Difficile, en effet, pour Célérier C., et Vallée B.,
op. cit.
Parmi les diplômés de Harvard, par exemple, le régulateur d’offrir à ses contrôleurs des
ceux qui travaillent dans le secteur de la opportunités de carrière et des salaires équi- [11]
Tobin J., 1984, « On
valant à ceux qu’ils obtiendraient de l’autre the Efficiency of the
finance gagnent, toutes choses égales par ail- Financial System »,
leurs, presque trois fois plus que les autres. côté de la barrière. Les plus hautes compé- Lloyds Bank Review,
Plus généralement, l’évolution des salaires tences se retrouvent du côté des supervisés 153, p. 1 à 15.
sur longue période, aux États-Unis comme quand il en faudrait, au contraire, davantage [12]
Murphy K.
en France, fait apparaître une « prime » crois- du côté des superviseurs13. M., Shleifer A. et
sante en faveur des salariés de la finance10. Vishny R. W. (1991),
« The Allocation of
Et c’est sans compter les bonus qui, au total, De l’utilité sociale de la finance Talent: Implications for
s’élèvent chaque année à plusieurs dizaines Les débats sur la mauvaise allocation des Growth », Quarterly
de milliards de dollars à Wall Street. Journal of Economics,
talents renvoient en fait à ceux sur l’utilité 16(2), 503-530. Voir
sociale de la finance. Cette question est évi- aussi Boucher C.,
Financiers versus entrepreneurs demment bien délicate à trancher car elle
Capelle-Blancard G.,
Couppey-Soubeyran J.
Est-il souhaitable que tant de diplômés relève d’un discours normatif que la plupart et Havrylchyk O. (2012),
s’orientent dans le secteur de la finance ? des économistes déclinent, en apparence du « Quand la finance ne
sert plus la croissance »,
Outre le problème de fuite des cerveaux déjà moins. La crise financière, et le développement dans L’économie
évoqué, se pose la question des effets d’évic- de certaines activités, comme le trading haute mondiale 2013, La
fréquence (qui consiste à passer des milliers Découverte,
tion. Le risque est que le développement
p. 73 à 90.
des formations en finance se fasse au détri- d’ordres de bourse à une vitesse atteignant la
[13]
ment des autres filières. Certes, ce risque est milliseconde, voire plus), suscitent malgré tout Shive S. et Forster M.
(2016), « The Revolving
peut-être aujourd’hui masqué par la der- de nombreuses critiques. Un article de la Har- Door for Financial
nière crise financière, qui est encore dans vard Political Review, en 2014, n’hésitait pas Regulators », Review of
toutes les mémoires, mais qu’en sera-t-il à à dénoncer le « gâchis », en termes financiers Finance, à paraître.
moyen terme ? Le problème est que la France et humains, que représente le trading haute [14]
Tymins A. (2014),
souffre d’une désaffection de ses étudiants fréquence14. Gregory Mankiw, dans son article « The Rigged Market:
pour les carrières scientifiques et le nombre sur les inégalités publié en 2013 dans le Jour- A Review of Flash Boys »,
Harvard Political Review.
de création d’entreprises par les diplômés nal of Economic Perspectives résumait plutôt
issus des formations les plus prestigieuses bien la situation : « La dernière chose dont
est bien faible. nous avons besoin est que le prochain Steve
77 ÉTUDIER À PARIS, TRAVAILLER À LONDRES : FUITE DES CERVEAUX ET ALLOCATION DES TALENTS
GLOSSAIRE
suivie d’un rachat à terme à une date et à un prix
convenus d’avance (mise en pension).
Passif
Les mots de la finance 2 Ce que l’entreprise doit, une obligation à l’égard
d’un tiers dont il est très probable qu’elle
Actif provoquera une sortie de bénéfices.
Élément du patrimoine. On distingue actifs Quants
financiers et non financiers. Nom donné aux analystes quantitatifs.
Assouplissement quantitatif Répression financière
Opérations d’achat fermes de titres qui font Vision selon laquelle les autorités publiques
augmenter la taille du bilan de la banque pousseraient les banques et les ménages
centrale, ainsi que la base monétaire. à financer à des conditions privilégiées
Assouplissement qualitatif des secteurs choisis de l’État.
Echange de titres dégradés contre des titres Risque systémique
de meilleure qualité aux dépens de la banque Risque qu’un événement particulier entraîne
centrale.
par réactions en chaîne des effets négatifs
Blue chips considérables sur l’ensemble du système.
Les sociétés cotées en Bourse avec une grande Shadow banking
capitalisation et une liquidité importante.
Un système d’intermédiation de crédit
Captation de l’État impliquant des entités et des activités
Vision selon laquelle les autorités publiques extérieures au système bancaire régulé comme
seraient sous l’emprise des acteurs du secteur les fonds de placement monétaires, les banques
financier. d’investissement, les courtiers en titres,
les sociétés d’affacturage etc.
Droits de tirage spéciaux (DTS)
Un instrument monétaire international, créé Small caps
par le FMI en 1969, pour compléter les réserves Les petites capitalisations boursières.
officielles existantes des pays membres. Subprime
Hedge funds Désigne un crédit à risque, détenu par un
Fonds d’investissement pour lesquels il n’existe emprunteur qui n’offre pas les garanties
pas de définition formelle. À l’origine il s’agit suffisantes pour bénéficier d’un taux d’intérêt
de « fonds de couverture » se livrant à des au prix du marché. Ces produits ont joué un
placements de protection contre les fluctuations rôle central dans le déclenchement de la crise
des marchés. Mais en réalité ces fonds sont financière de 2007-2008.
particulièrement risqués. Too big to fail
Marché de gros de liquidité Soutien implicite des États aux banques
Financement sur les marchés financiers systémiques.
et non pas via dépôt bancaire. Trading haute fréquence
Market maker Forme de trading automatisé où la détection, la
Un animateur de marché (teneur de marché), transmission et l’exécution d’une décision sont
généralement une banque d’investissement, ou déclenchées par des algorithmes informatiques.
une personne qui, sur un marché donné, transmet Titrisation
en continu des prix à l’achat et à la vente.
Technique financière qui transforme des
Opération de repo actifs peu liquides (pour lesquels il n’y a pas
Une transaction dans laquelle deux parties véritablement de marché) en valeurs mobilières
s’entendent simultanément sur deux facilement négociables (généralement des
transactions : une vente de titres au comptant obligations).
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kiosque,, en librairie, sur www.ladocumentationfrancaise.fr
et par correspondance : DILA, 26 rue Desaix, 75727 Paris cedex 15
Grâce à la généralisation des nouvelles technologies, notamment les mobiles, et au développement
de l’informatique dématérialisée (cloud computing), le secteur des services financiers est en train
de vivre une profonde transformation. Cette tendance est notamment portée par les « FinTech »,
c’est-à-dire les start-up qui misent sur les technologies numériques pour dynamiser l’univers de la
finance. Tous les segments du marché des services financiers sont concernés comme le démontre
Julien Maldonato : moyens de paiement, crédit, gestion du patrimoine et de l’épargne, assurance.
Si ces changements sont perturbateurs, ils n’arrivent ni tout d’un coup ni de façon aléatoire, mais
forment une tendance à long terme. Les acteurs traditionnels de ces marchés, s’ils font preuve de
la capacité d’adaptation nécessaire, peuvent sortir renforcés de ces mutations.
Problèmes économiques
approches standards – c’est-à-dire les exi- public est devenu de plus en plus intenable pour soutenir les
institutions financières
gences qui s’appliquent à la plupart des politiquement. La réponse des régulateurs a (recapitalisation,
été double. garanties, aides
banques – pour le risque de crédit et le diverses).
risque opérationnel ; de réduire la variance Le CSF a tout d’abord souhaité combler une
observée dans le calcul des actifs pondérés lacune de la réglementation bancaire édictée [2]
Elles peuvent, en
par le Comité de Bâle, qui définit des exigences effet, prendre plus de
par les risques issus des modèles internes risques pour obtenir de
des banques, par l’intégration d’éventuelles réglementaires minimales au niveau interna- meilleurs rendements
contraintes supplémentaires sur les fac- tional sans prise en compte du caractère sys- (« privatisation des
témique des institutions. Le CSF a donc confié profits ») sachant que,
teurs entrant dans le calcul de ces risques en cas de pertes ou de
(ex. : probabilités de défaut ou pertes atten- au Comité de Bâle la mission de développer difficultés, l’État sera
dues en cas de défaut d’une contrepartie) ou une méthodologie d’identification des établis- amené à intervenir
(« mutualisation des
sur les résultats de ces modèles internes ; sements systémiques au niveau mondial. pertes »). On parle dans
de finaliser le calibrage du ratio de levier. Sur cette base, le CSF a établi, en novembre ce cas d’aléa moral.
Les premières évaluations disponibles font 2015, une liste de vingt-neuf institutions sys-
apparaître des besoins supplémentaires témiques mondiales et les a réparties en cinq
considérables pour les banques dans un sous-ensembles en fonction de leur degré
contexte où, par ailleurs, la reprise écono- de « systémicité ». Chaque sous-ensemble
mique demeure fragile et incertaine. Par correspond à une surcharge en capital que
IF IF
IF IF IF CC IF
IF IF
Approche
Approche directe
indirecte
Réguler indirectement
Réguler directement les entités Réguler directement les activités
les interactions entre
du système bancaire parallèle du système bancaire parallèle
le SB et les banques
ché américaine, a ainsi adopté une réglemen- Comité de Bâle et comprend : 1/des exigences
tation allant dans ce sens. La SEC autorise, en fonds propres supplémentaires pour la
en outre, la possibilité pour les sociétés de participation des banques dans les entités
gestion d’imposer des frais de sortie (jusqu’à du shadow banking (publiées en décembre
2 %) et/ou des restrictions de retrait (pour une 2013) ; 2/des limites sur la taille et la nature
période limitée à dix jours) pour tous les fonds de l’exposition des entités bancaires couvrant
monétaires non gouvernementaux. Le projet par exemple le soutien implicite aux fonds
de règlement européen, en cours de discus- monétaires et aux conduits de titrisation
sion, achoppe quant à lui sur cette question (règles adoptées en avril 2014) ; 3/un examen
de la valorisation des fonds, devant l’oppo- en cours des règles de consolidation pruden-
sition de l’Irlande ou du Luxembourg, dont tielle (par exemple, vis-à-vis des conduits ou
les fonds restent majoritairement à valeur des véhicules spéciaux d’investissement).
liquidative constante. Peu de progrès ont en
revanche été accomplis en ce qui concerne les
autres entités du shadow banking, en parti- Les effets des réformes
culier sur la question de la dimension systé-
mique de la gestion d’actifs.
et les points d’attention
Les réformes financières ont conduit à un
Le second élément vise à durcir la réglemen-
renforcement considérable du système
tation de la titrisation tout en essayant de
bancaire. Les exigences en capital sont
promouvoir une titrisation simple, transpa-
à présent environ sept fois plus impor-
rente et comparable. Le CSF a publié à cet
tantes qu’avant la crise pour la plupart des
égard des recommandations réglementaires
banques et près de dix fois plus importantes
en octobre 2014 qui visent à limiter l’accumu-
pour les banques systémiques mondiales.
lation d’un endettement excessif en dehors
Les banques ont également accru fortement
du système bancaire et à réduire la procycli-
la liquidité de leur actif, satisfaisant d’ores
cité de cet endettement.
et déjà pour la plupart des exigences régle-
L’approche directe cherche, quant à elle, à mentaires dont la mise en œuvre totale et
limiter et à encadrer les interactions des effective n’est prévue qu’à partir de 2019.
banques avec les entités du shadow banking. Elles ont également fortement réduit leur
Elle a été principalement développée par le risque de marché et de transformation.
2007 2013
Elles ont enfin diminué leur endettement, fortement réduit le coût de financement,
satisfaisant également pour la plupart les en particulier bancaire. Seule une baisse
exigences minimales de ratio de levier à 3 %, notable des prêts dans les économies émer-
arrêtées en 2016 et dont la mise en œuvre gentes a pu être observée. Cela constitue un
effective est également prévue en 2019. premier point de vigilance, car cette baisse
Cet effort de capitalisation des banques peut tout autant s’expliquer par une réduc-
s’est réalisé sans effets dommageables tion de la prise de risque et une meilleure
notables sur l’activité économique dans les tarification et gestion de ce dernier que par
économies industrialisées. Pour l’essentiel, des effets indésirables des réformes sur
la recapitalisation des banques s’est effec- la distribution de crédit. Ce mouvement
tuée par la rétention des dividendes. Seules s’accompagne, en outre, d’une réduction
les banques européennes ont réduit leur de la présence et des activités des grandes
actif, mais de façon modérée, abandonnant banques internationales sur certains mar-
notamment une partie de leurs activités en chés émergents.
dollars au moment de la crise des dettes Les marchés de dérivés de gré à gré sont
souveraines ou certaines activités de finan- également devenus plus sûrs. Ainsi, depuis
cement du commerce ou de projets. Ces la décision du CSF relative à l’obligation de
activités ont été reprises par des banques compensation pour les dérivés standards,
étrangères, canadiennes, australiennes ou la part des transactions passant par les
asiatiques notamment. Les banques ont chambres de compensation s’est fortement
également très rapidement constitué leur accrue, en particulier pour les dérivés de
stock d’actifs liquides de haute qualité et taux. Toutefois, un nombre important de
réduit leur activité de transformation, en transactions devrait rester sur les marchés
diminuant notamment leur endettement de de gré à gré, du fait notamment des besoins
marché. Ces ajustements ont été facilités spécifiques de certains investisseurs, ren-
par les politiques monétaires non conven- dant difficile la réalisation de l’objectif ini-
tionnelles très accommodantes qui ont tial du CSF.
L’avenir de la monnaie
Depuis la crise financière de 2007, les JÖRG GUIDO HÜLSMANN
grandes banques centrales ont réformé de
fond en comble la manière dont elles créent Professeur de sciences économiques à l’université d’Angers,
et absorbent de la monnaie. Cet activisme n’a membre du GRANEM
pas su éteindre les feux. Déjà l’on envisage
de doter la politique monétaire de nouveaux C’est ce que nous nous proposons de faire
outils, tels que l’interdiction des espèces et dans le présent article. Dans la première par-
la monnaie « hélicoptère », pour faire face aux tie, nous étudierons les principales forces à
défis présents et à venir. l’œuvre dans la production de monnaie, ainsi
Une chose semble claire : la politique moné- que des tendances qui en résultent in fine. La
taire de demain sera bien différente de celle seconde partie sera consacrée à l’analyse de
d’aujourd’hui. Aussi la monnaie et l’économie la situation actuelle et des tendances à plus
seront-elles profondément différentes elles court terme. En conclusion, nous opposerons
aussi. Peut-on pronostiquer cet avenir ? deux visions sur les implications globales de
cette évolution : la vision classique, ancrée
L’histoire monétaire s’est forgée sous l’im-
dans la conviction que la production de mon-
pact de certaines forces qui ont poussé inlas-
naie n’est pas un facteur de croissance, et la
sablement à l’inflation de la masse monétaire.
vision mercantiliste-keynésienne, basée sur
Ces forces sont à l’œuvre aujourd’hui comme
la conviction inverse.
à l’aube des temps, et elles ne vont pas dispa-
raître demain. Il est donc intéressant de les
identifier, d’imaginer leur prolongement dans
le futur et de les évaluer à la lumière de l’ana-
Causes et finalité de l’inflation
lyse économique. Le mot inflation est aujourd’hui commu-
nément défini au sens d’une augmentation
97 L’AVENIR DE LA MONNAIE
et les agents chargés de l’exécution tech- nouvelles unités produites : il peut les don-
nique de cette imposition peuvent en profi- ner, les échanger ou les prêter ;
ter également. – le pouvoir politique peut également contrô-
C’est effectivement cette tendance que l’on ler, sans frais, toutes les autres unités de
peut observer dans l’histoire monétaire monnaie, détenues par les agents du secteur
depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Il s’agit privé : particuliers, associations et firmes.
d’une tendance. Les dirigeants politiques ont Un tel système pourrait être mis en place sur
compris très tôt l’intérêt matériel des inter- un plan national ou régional. Dans ce cas, la
ventions monétaires. Mais leur opposition liberté monétaire de l’État serait encore limi-
politique l’a compris également. Aussi, les tée par la concurrence des autres monnaies.
États ont-ils rarement pu imposer du jour Mais ce système pourrait également être réa-
au lendemain un système monétaire qui leur lisé sur le plan mondial, et alors la liberté
laissait toute la liberté d’augmenter la masse monétaire de l’État serait à son comble.
monétaire comme bon leur semblait. L’évo-
Force est de constater qu’un tel système n’a
lution des systèmes monétaires s’est faite
jamais existé. Cependant, aujourd’hui, les
par des tâtonnements autour d’une tendance
systèmes monétaires du monde civilisé s’en
générale. Parfois, celle-ci se trouva interrom-
sont rapprochés considérablement, notam-
pue très brutalement (par exemple, lors de
ment en raison des progrès techniques des
l’abandon des assignats et des mandats terri-
cinquante dernières années, portant en par-
toriaux sous le Directoire), mais elle poursui-
ticulier sur les systèmes informationnels et
vit aussitôt son fil directeur expansionniste.
de paiement. Regardons donc de plus près
la pratique actuelle, à la fois pour mesurer
Finalité de l’interventionnisme l’écart entre elle et notre système monétaire
monétaire : le système monétaire futur, et pour anticiper les prochaines étapes
de l’avenir de l’évolution monétaire.
Au regard des faits que nous venons de
constater, nous considérons que la tendance
générale de l’évolution monétaire est d’aller
La situation actuelle
vers le système monétaire qui procure la plus Les systèmes monétaires existant aujourd’hui
grande liberté au pouvoir politique ; ou bien, dans les différents pays du monde sont des
pour dire la même chose du point de vue poli- variantes d’un même modèle qui a émergé à
tique opposé, vers le système monétaire qui travers les deux derniers siècles, d’abord dans
soumet la population aux choix les plus arbi- les pays anglo-saxons, puis dans l’ensemble
traires du pouvoir politique et qui crée donc de l’Occident, et enfin dans le monde entier.
la plus grande tyrannie monétaire. Pour se
forger une idée à peu près correcte de l’ave- Le modèle monétaire prépondérant
nir de la monnaie, il convient donc d’imagi- à l’aube du XXIe siècle
ner un tel système. Selon nous, il se distingue
notamment par cinq traits caractéristiques : Ce modèle se distingue par un fort inter-
– il y a une seule monnaie de base et pas ventionnisme étatique sur le plan des ins-
de substituts de monnaie (pas de monnaies titutions (banques centrales et diverses
secondaires) ; banques publiques) et des réglementations
– cette monnaie peut être produite sans frais ; monétaires et financières ; par la présence
– le pouvoir politique en contrôle la produc- d’un système bancaire hiérarchisé entre les
tion ; banques centrales, d’un côté, et les banques
– le pouvoir politique est complètement libre commerciales, de l’autre ; par une circulation
en ce qui concerne la manière d’utiliser les parallèle de monnaies de base, produites par
99 L’AVENIR DE LA MONNAIE
l’approche prudentielle au crédit qui a tra- Les taux d’intérêt négatifs
ditionnellement dominé la pratique ban- et l’interdiction des espèces
caire et selon laquelle les crédits bancaires
devraient être octroyés uniquement à court Les taux d’intérêt négatifs ont depuis long-
terme, uniquement à des contreparties sol- temps été pratiqués (en Suisse et au Japon)
vables, et uniquement sécurisés par des pour pénaliser la thésaurisation de monnaie.
gages de toute première qualité. D’autre part, Ce qui est nouveau dans la situation actuelle,
cette contrainte est renforcée par la pratique c’est qu’ils sont également utilisés pour
conventionnelle des banques centrales, qui encourager l’endettement. L’idée est qu’un
consiste à ne pas prêter directement à des emprunteur reçoive 100 euros aujourd’hui
gouvernements, mais uniquement par inter- pour rendre 98 euros demain. Au lieu de
position de banques commerciales. rémunérer le prêteur pour épargner, c’est
Il est vrai que ces limitations ont été adou- l’emprunteur qui est rémunéré pour s’endet-
cies ces dernières années dans le contexte de ter, car cet endettement va de pair avec une
la lutte contre la crise. Les banques centrales expansion de la masse monétaire.
de l’Eurosystème ont commencé à prêter à Cette approche ne pose pas de difficultés
plus long terme, à des firmes et à des États techniques particulières pour les banques
clairement insolvables, et contre des gages centrales. D’une part, elles bénéficient
de mauvaise qualité. Elles ont commencé à d’un monopole et leurs clients sont obligés
prêter plus directement aux gouvernements d’avoir des comptes auprès d’elles. D’autre
de la zone euro, en contournant l’intermé- part, elles peuvent créer de la monnaie de
diation des banques commerciales. Elles ont base – un bien économique qui n’est notam-
également contourné le principe même de la ment pas une créance sur un bien sous-
création bancaire de monnaie, notamment jacent. Puisque cette monnaie peut être pro-
en créant de la monnaie pour acheter des duite quasiment sans frais, elle peut aussi
dollars et d’autres devises dans le cadre des être prêtée à des taux négatifs (donc à perte),
currency swaps1 avec d’autres banques cen- sans que cela pose des problèmes particu- [1]
Un currency swap est
trales. Certaines banques centrales (notam- liers pour les banques centrales. un échange de devises.
Il correspond à un
ment celles de la Suisse, du Japon et des Les choses sont autrement plus difficiles accord conclu entre deux
États-Unis) ont même commencé à acheter pour les banques commerciales. Celles-ci parties par lequel les
devises sont échangées,
des actions d’entreprises. n’ont pas de position monopolistique sur à la mise en place et à
Tout de même, le principe de création moné- le marché et, surtout, elles ne créent pas de l’échéance du contrat,
taire par voie de crédit reste en vigueur. Il à un cours convenu
la monnaie de base, mais des substituts de d’avance.
contraint la liberté des banques centrales et monnaie, qui sont justement des créances sur
ralentit ainsi l’expansion de la masse moné- de la monnaie de base et peuvent donc être
taire. Quelles sont les solutions possibles ? converties en espèces sur la simple demande
Il y en a deux, une qui respecte le principe des propriétaires des comptes. Les banques
de la création bancaire de monnaie, et une commerciales pourraient octroyer des cré-
qui nécessite son abandon. La première est dits à taux négatifs uniquement si elles pou-
celle des taux d’intérêt négatifs, la deuxième vaient aussi taxer les avoirs en compte de
celle de la « monnaie hélicoptère ». Ces deux leurs clients, par des taux encore plus néga-
solutions exigent au préalable une élimina- tifs. Par exemple, pour prêter profitablement
tion des espèces et la mise en place d’une 100 euros à Dupont à – 2 %, il serait néces-
pure circulation de monnaie scripturale, saire d’imposer un taux de – 3 % sur l’avoir en
plus facilement maniable par les banques compte de 100 euros de Favreau. Cependant,
centrales. les taux négatifs sur les avoirs en comptes ne
sont pas vraiment réalisables tant qu’il y a
l’option du retrait en espèces. Favreau, dans
105 QUE DEVIENT LA GLOBALISATION FINANCIÈRE ? AVONS-NOUS BESOIN D’UN BRETTON WOODS 2.0 ?
Un système financier en réseau : les crises se manifeste se traduisant par une
forte hausse du prix des actifs les plus sûrs
entre partage et transmission et les plus liquides.
107 QUE DEVIENT LA GLOBALISATION FINANCIÈRE ? AVONS-NOUS BESOIN D’UN BRETTON WOODS 2.0 ?
Les épisodes majeurs de ralentissement des entrées nettes de capitaux (en % du PIB)
5
–1
–2
1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015
Période de ralentissement majeur Moyenne pondérée Moyenne pondérée hors Chine et Russie
Note : les calculs sont fondés sur un échantillon de 45 pays émergents (moyenne pondérée par le PIB en parité de pouvoir d’achat). La période
d’observation pour 2015 fait référence aux trois premiers trimestres de 2015.
Source : FMI (2016b).
recherche de rendement se sont alors massi- Ces cycles très marqués d’entrées et de sor-
vement investis dans les pays émergents et ties de capitaux amplifient les cycles éco-
ont exercé de fortes pressions haussières sur nomiques de ces pays, ce qui a de graves
leurs monnaies jusqu’en 2013. C’est alors que conséquences économiques et sociales. Si
s’est amorcé le débat sur la « guerre des mon- les entrées et sorties de capitaux ne sont pas
naies » ou « la guerre des changes ». À l’inverse, intrinsèquement problématiques, l’enjeu est
les pays émergents ont connu en 2014 et 2015 d’éviter que ces évolutions soient trop bru-
de fortes sorties de capitaux avec la normali- tales et déstabilisatrices pour les économies.
sation de la politique monétaire américaine,
qui ont entraîné des pressions à la baisse sur
les devises et un durcissement des conditions
financières, qui pèsent sur l’activité.
Quelles réformes du SMI ?
Le Système monétaire international se carac-
Le graphique illustre cette vague d’accélé-
térise aujourd’hui par des capitaux mobiles
ration puis de ralentissement des entrées
et un flottement presque général des grandes
nettes de capitaux dans les pays émergents. Il
monnaies (le dollar, l’euro, la livre sterling,
la replace dans son contexte historique pour
le yen), mais aussi par la persistance d’une
la comparer à deux vagues semblables au
« peur du flottement » dans beaucoup d’éco-
début des années 1980 et à la fin des années
nomies émergentes. Ce système post-Bretton
1990. Le premier de ces épisodes comprend la
Woods, sans ancrage à l’or ou à une monnaie
crise de la dette des pays en développement
clé et qui n’est régi par aucun mécanisme
dans les années 1980, tandis que le second se
explicite de coordination, a laissé de facto
superpose avec la crise asiatique de 1997-98
une place prépondérante au dollar.
et d’autres crises majeures des pays émer-
gents. Ces trois épisodes ont été précédés Depuis quelques années, cependant, le SMI a
par une augmentation forte et prolongée des entamé une transition vers un système plus
entrées de capitaux et sont tous semblables, « multipolaire », dont les piliers pourraient,
du point de vue de l’ampleur globale du à terme, être le dollar, le renminbi et l’euro.
ralentissement. Cette évolution ne fait qu’accompagner celle
109 QUE DEVIENT LA GLOBALISATION FINANCIÈRE ? AVONS-NOUS BESOIN D’UN BRETTON WOODS 2.0 ?
POUR EN SAVOIR PLUS
BÉNASSY-QUÉRÉ A., FARHI E. , EICHENGREEN B. et GUPTA P. émergents », dans Perspectives
GOURINCHAS P.-O., MISTRAL J., (2016), « Managing Sudden de l’économie mondiale,
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Réformer le système Policy research Working HALDANE A. (2014),
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BLANCHARD O. (2016), System – A Stocktaking », Finance Lecture, université de
« Currency Wars, IMF Policy Paper. Birmingham, 29 octobre 2014.
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Controls », NBER Working ralentissement des flux de
Paper, no 22388. capitaux vers les pays
111 QUE DEVIENT LA GLOBALISATION FINANCIÈRE ? AVONS-NOUS BESOIN D’UN BRETTON WOODS 2.0 ?
De la finance aux FinTech
Évolution du total des actifs financiers depuis 2002 (en millions de dollars)
150
125
100
75
50
25
0
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
600
10 Crowdfunding 14
Investissements
500 Paiement 18
8
400 Outils pour l’entreprise 10
6 Investissement 6
300
Finance personnelle 6
4
200 Investissement
4
2 institutionnel
100
Transfert de fonds 4
0 0
Néo-banque 2
2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
Leasing 2
Datavisualisation : Problèmes économiques © Dila. Sources : Conseil de stabilité financière (www.fsb.org/), Association France Fintech
(www.francefintech.org), Accenture et CB Insights.
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N°os 73-74
NUMÉRO
DOUBLE
N
S
192 PAGE
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M 09894 - 79 - F: 13,00 E - RD
Bimestriel
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HORS-SÉRIE
SEPTEMBRE 2016 NUMÉRO 10
comprendre
LA FINANCE
La finance fait rêver les uns et fait peur aux autres. Elle ne laisse personne
indifférent et a par ailleurs connu des mutations profondes : outil
technique à l’origine, elle a réussi à s’imposer au tout premier plan et
octroie aujourd’hui une puissance et une importance inégalées à ses
acteurs comme les investisseurs institutionnels ou les banques centrales,
d’un côté, et les instances de régulation de l’autre.
Ce dernier numéro hors-série de Problèmes économiques fait le point sur
les principales évolutions en matière de finance et propose une synthèse
claire et pédagogique des grandes controverses et des défis de l’économie
financière contemporaine.
Il se décline en trois parties :
- La finance au service de l’économie ?
- Un secteur controversé.
- La finance de demain.
Directeur de la publication
Bertrand Munch
Direction de l’information
légale et administrative
Tél. : 01 40 15 70 10
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