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comprendre l’économie et la

finance

LES GUIDES PRATIQUES


Économie - Banque - Finance
Comprendre l’économie et la finance
Marchés nanciers, cash- ow, titrisation, hedge
funds, eurobonds... expliqués simplement
Auteur : Alain LEMASSON

Édition 2019

© GERESO Édition 2017, 2019


Direction de collection : Catherine FOURMOND
Conception graphique de couverture : Atmosphère
Suivi éditorial et conception graphique intérieure : GERESO Édition

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e-mail : edition@gereso.fr
Tél. 02 43 23 03 53 - Fax 02 43 28 40 67

Reproduction, traduction, adaptation interdites


Tous droits réservés pour tous pays francophones
Loi du 11 mars 1957

Dépôt légal : Mars 2019


ISBN : 978-2-37890-079-3
EAN 13 : 9782378900793
ISSN : 2260-6939

GERESO SAS au capital de 160 640 euros - RCS Le MANS B 311 975 577
Siège social : 38 rue de la Teillaie - CS 81826 - 72018 Le Mans CEDEX 2 - France
Dans la même collection :
• Comité d’entreprise : les bonnes pratiques
• Compensation & Benefits
• Comptabilité, finance, gestion en pratique
• Comprendre les comptes annuels
• CSE et CHSCT : les bonnes pratiques
• Délégués du personnel : les bonnes pratiques
• Guide d’indemnisation des accidents de la route
• Guide pratique des élections professionnelles
• La gestion de patrimoine
• Le contrôle de gestion
• Le contrôle de gestion sociale
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• Transformer et urbaniser l’entreprise

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srthvdtrchve
« Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de
pouvoir sur le monde qu’une idée vraie, mais complexe. »
ALEXIS DE TOCQUEVILLE

CSVD
AVANT-PROPOS
L’économie, la banque et la finance ne sont pas des sujets
compliqués. Ils le sont dans l’opinion, ce qui est différent. Certaines
disciplines scientifiques sont difficiles car elles impliquent la maîtrise
préalable de plusieurs savoirs eux-mêmes difficiles.
Il n’y a rien de cela en économie, banque et finance. Le bon sens
suffit pour comprendre l’essentiel. L’apparente complexité qui les
entoure est le résultat de plusieurs éléments : le vocabulaire opaque
des « experts », la manière dont ces disciplines sont enseignées (ou
ignorées) dans l’enseignement, l’importance donnée à l’approche
quantitative…
Mais il y a aussi le trouble créé dans les esprits par les divergences
de vues des économistes dans les débats ou dans les tribunes.
L’esprit scientifique, dévié de sa mission première de recherche de
la vérité, paraît souvent mis au service d’options idéologiques à
peine dissimulées.
Ces débats ont cristallisé dans l’opinion courante des clichés plus
souvent critiques que constructifs : « L’économie s’est financiarisée,
la globalisation a accentué les inégalités, les marchés sont
déconnectés de l’économie réelle, l’argent de la spéculation pourrait
être utilisé pour le bien des peuples, il faut réguler la finance
internationale, les marchés imposent le court terme aux entreprises,
la titrisation et les grandes banques de Wall Street sont
responsables de la crise, l’euro est un carcan pour la France »….
Ces clichés récurrents mélangent en proportions variables des
éléments vérifiables et des interprétations qui le sont moins. Ils
constituent néanmoins pour beaucoup le point de départ de
l’exploration du monde économique.
Le propos du livre est de montrer ces parts de vérité et
d’interprétation. Plus largement, il est d’expliquer ce que sont et font
vraiment les acteurs de l’économie : marchés, banques, entreprises,
ce que représente le rôle des banques centrales, des États et des
instances de régulation, ce qu’on sait et ce que l’on ne sait pas des
crises actuelles.
Banques, marchés, gestion des finances de l’entreprise, conduite de
l’économie, problèmes de croissance, emploi, taux de change,
commerce international, euro… tous ces sujets forment un tout et
s’inscrivent dans un ensemble cohérent que le lecteur est invité à
découvrir.
INTRODUCTION
Économie, banque et finance : tout est lié
Pour comprendre le monde réel et l’actualité, il est nécessaire
de rapprocher des sujets habituellement séparés. Il n’y a pas d’un
côté la banque, puis la finance et plus loin l’économie. Dans le
monde réel, ces domaines se mélangent.
Le survol du système financier dans son ensemble permet
d’apercevoir ces imbrications. Le marché, la banque et l’État sont les
trois pôles de pouvoir qui structurent la vie économique et
l’environnement de l’entreprise. Ces trois pouvoirs sont relativement
indépendants, et en tout cas indissociables.
La banque
Premier interlocuteur de l’entreprise, la banque fournit les systèmes
de paiement, de tenue des comptes et surtout le crédit. En fait, le
système bancaire est étroitement contrôlé par la BANQUE
CENTRALE. C’est là que se situe le premier pouvoir.
Maintenir l’inflation dans des limites étroites, combattre la déflation,
font partie de sa mission. La banque centrale utilise pour cela,
principalement, l’arme du volume et du taux des ressources mises à
la disposition des banques.
La banque centrale peut agir sur le cours des devises, de manière
indirecte, en modifiant les taux d’intérêt. Les interventions directes,
c’est-à-dire l’achat ou la vente de devises sont de plus en plus rares
pour les banques centrales comme pour les États. On l’a vu avec
l’attaque du franc suisse et du yuan au début de l’année 2016.

L’État
Grâce au crédit bancaire, les entreprises investissent et
entretiennent la croissance. L’État favorise ce mouvement par des
mesures incitatives à l’investissement et à la consommation
(subventions, fiscalité, grands travaux…). L’État est le deuxième
pouvoir.
L’action de l’État peut avoir des conséquences sur l’inflation
(politique de relance, salaires de la Fonction publique…) à l’encontre
des buts poursuivis par la banque centrale. Il faut noter que la
Banque centrale européenne, la BCE, est par statut indépendante
du pouvoir politique, à la différence de ses homologues, aux États-
Unis et surtout en Russie ou en Chine par exemple.

Le marché
Le marché - Bourse ou marché des obligations - représente une
source alternative de financement pour les ENTREPRISES, en
complément des crédits bancaires. C’est sa fonction la plus
importante. Le marché constitue le troisième pôle de pouvoir.
Le marché finance aussi les BANQUES ! La Bourse, bien sûr, pour
renforcer leur actionnariat, mais aussi le marché obligataire, qui leur
permet d’obtenir des fonds stables en complément des dépôts de la
clientèle.
Et enfin le marché finance les ÉTATS ! La dette de la France,
environ 2 000 milliards d’euros est financée par émission
d’obligations. Celles-ci sont placées sur les marchés en France et à
l’international.
Le marché détermine par ailleurs le cours des devises et des
matières premières.
Le schéma ci-dessous illustre les liens majeurs reliant le marché, le
système bancaire et l’État.
Les traits pleins représentent des flux d’argent. Les pointillés expriment des influences.
1re Partie

LES OUTILS DE BASE


CHAPITRE 1
TROIS NOTIONS INDISPENSABLES
De prime abord, les notions décrites ici peuvent paraître par trop
techniques, voire rébarbatives. Indépendantes les unes des autres,
ne nécessitant aucune connaissance préalable, elles sont en fait très
utiles. Elles sont les clés permettant de comprendre l’essentiel des
sujets économiques et financiers abordés dans le livre.

Marché interbancaire
C’est le POUMON des banques, un aspect peu connu de la vie
bancaire et dont il est pourtant facile de comprendre la raison d’être.
Les banques n’ont jamais à disposition immédiate les sommes
exactes que les clients retirent pour des paiements, ou au contraire
l’emploi immédiat des sommes que les clients déposent.
Elles ont donc inventé un système d’échange des excédents et des
déficits. Ce système a un nom… le marché interbancaire, appelé
aussi marché monétaire, dont il est la partie la plus importante. Cette
forme de solidarité s’est imposée naturellement. L’inconvénient
majeur du marché interbancaire est sa fragilité. La défaillance d’une
banque met en effet en danger toutes celles qui à un moment donné
lui ont prêté de l’argent et, par ricochet, presque toutes les autres. Et
surtout, le moindre doute sur la solidité d’une banque suffit à bloquer
le système.
Avoir cela à l’esprit change complètement la vision du monde
bancaire. Cela montre la fragilité des banques et le rôle crucial des
banques centrales qui surveillent le bon fonctionnement du marché
interbancaire. C’est une clé indispensable pour comprendre la
régulation, la crise des subprimes, ou… les différences entre liquidité
et rentabilité.

Les titres
Les titres sont une invention de bon sens, dont la portée est
insoupçonnée. Il y a en effet deux manières de matérialiser un prêt :
soit avec un contrat de crédit classique, soit avec un PAPIER AU
PORTEUR, signé par l’emprunteur. Ce « papier » est une action ou
une obligation, c’est-à-dire un titre. Ce titre, action ou obligation,
peut être acheté et revendu à tout moment par l’investisseur sur le
marché (marché obligataire ou Bourse), tandis que pour
l’emprunteur, rien ne change.
Cette notion de titre est fondamentale pour expliquer la
complémentarité entre le financement par le crédit bancaire et
le financement par le marché et donc l’importance des marchés
dans l’économie. Cette notion conduit tout naturellement à la notion
de… titrisation, qui n’est rien d’autre qu’une technique pour
transformer un crédit en titre. Le plus important est sans doute ce qui
est rarement dit : la Bourse permet à l’entreprise d’emprunter sans
obligation de rembourser !

Bilan
Il n’est évidemment pas question de plonger dans la comptabilité,
mais seulement de s’emparer de cet OUTIL DESCRIPTIF puissant
qu’est le bilan. Un outil qui s’apprend comme une langue
étrangère… qui n’aurait pas plus de quatre règles de grammaire et
vingt mots de vocabulaire. Un mini-langage pratiqué au fil de l’eau.
Son utilité est considérable. Grâce au bilan, par exemple, on peut
deviner l’activité d’une entreprise. Le bilan est une clé
aux applications multiples : diagnostic de gestion des entreprises,
des banques ou des fonds, régulation, analyse de la régulation
bancaire, du quantitative easing, des subprimes… Et là aussi, un
élément important et peu souligné : les entreprises se prêtent entre
elles.
C’est une réalité économique que la terminologie comptable ne
permet pas de percevoir immédiatement. Comment le voir ? Tout
simplement les postes « Clients » et « Fournisseurs ». Donc, une
entreprise bien gérée se doit de faire un travail de banquier !
L’attention prioritaire souvent donnée au bénéfice et au cash-flow ne
doit pas occulter cette importance du bilan en tant qu’outil d’analyse.
Ces trois notions de base sont développées dans les chapitres qui
suivent.
CHAPITRE 2
LE MARCHÉ INTERBANCAIRE, POUMON
DES BANQUES

Résumé de ce chapitre
Les banques remplissent trois fonctions de base nécessaires à
l’économie : les transferts, les dépôts et le crédit. Les dépôts
sont utilisés pour faire le crédit, mais pas seulement, car les
dépôts ne sont pas stables. Pour compenser cette instabilité, le
marché interbancaire a été créé pour permettre aux banques
excédentaires de prêter à celles qui sont en déficit de
liquidité. En amont des banques, la banque centrale veille à
l’alimentation correcte du circuit monétaire et régule le volume
des crédits distribués par les banques. La banque centrale joue
donc un rôle financier et un rôle économique. L’importance du
marché interbancaire et de son bon fonctionnement illustre deux
points importants : la fragilité du système bancaire et la solidarité
forcée des banques entre elles.

Fonctions des banques


Il faut se représenter le système bancaire comme un ensemble de
tuyauteries invisibles reliant entre eux tous les acteurs de
l’économie. Grâce aux banques, l’argent se déplace dans les circuits
sous forme électronique et se concrétise à certains endroits en
billets.
Dans ce système il y a des points d’entrée et des points de sortie.
Les distributeurs de billets installés par centaines dans le paysage
urbain sont des points de sortie d’argent, tout comme les fontaines
d’autrefois étaient des points de sortie d’eau. Pour continuer avec
cette analogie, les banques remplissent une double fonction de
réservoir et de pompe. Elles stockent et font circuler l’argent
nécessaire à l’économie.

L’argent tourne. Chaque utilisation de carte de crédit entraîne tôt ou


tard la diminution de la réserve bancaire de son détenteur. Cette
réserve disponible est inscrite dans un compte alimenté par un flux
d’argent d’origine diverse, le plus souvent un salaire.
Globalement, la banque gère l’ensemble des réserves de ses
clients. Loin d’être constante, cette masse d’argent fluctue
considérablement d’un jour à l’autre, en fonction des besoins des
détenteurs de comptes, besoin de paiements ou besoins de
stockage.
L’imprévisibilité des opérations de la clientèle
Dans l’exemple ci-dessus, il y a les flux prévisibles - les salaires sont
par exemple payés à date fixe - mais il faut se représenter aussi tous
les flux imprévisibles.
Ces flux imprévisibles correspondent aux retraits soudains des
particuliers ou des entreprises, à la réception des acomptes sur
commandes pour une entreprise, aux rappels d’impôts à payer, à
l’utilisation des crédits, etc.
Les banques font face chaque jour à l’imprévisibilité des opérations
des clients. Elles n’ont donc jamais exactement en caisse l’argent
disponible correspondant à leurs besoins (billets ou surtout argent
électronique). A contrario, elles n’ont jamais l’emploi immédiat des
sommes que ceux-ci déposent.
Cette situation de fluctuation permanente des excédents de
ressources ou des besoins de ressources est encore amplifiée par le
phénomène du crédit. L’argent prêté par la banque à certains
clients provient des dépôts et de l’épargne des autres clients. Cet
argent disponible permet d’accorder des crédits, mais il est bloqué
pour longtemps.
En fin de journée, au moment de faire ses comptes pourrait-on dire,
chaque banque se retrouve donc soit avec un excès d’argent
disponible, soit au contraire avec un manque.

Le marché interbancaire
C’est ici qu’intervient un élément capital, invisible, mais
indispensable au bon fonctionnement du monde bancaire. La
complémentarité des besoins d’une banque à l’autre a en effet
donné naissance à un système de solidarité et de facilités
mutuelles. C’est le marché interbancaire, appelé aussi marché
monétaire. dont il est un compartiment.
Concrètement, les banques se prêtent entre elles chaque jour (en fin
de journée) des sommes considérables. Ces prêts sont presque
essentiellement des prêts d’une durée de 24 heures. Le J/J dans le
jargon des banques. Les taux et les montants sont fixés d’un
commun accord par un simple coup de fil.
Ces échanges ne sont pas improvisés et font au contraire l’objet
d’une surveillance rigoureuse de la part de la banque centrale,
comme on le verra ci-après.

Une banque peut être emprunteuse un jour et prêteuse le


lendemain, ce qu’illustrent les schémas ci-dessous.
Au jour J : certaines banques sont prêteuses, d’autres
emprunteuses.
Au jour J + 1 : les besoins changent, telle banque hier emprunteuse
devient prêteuse.

Grâce au marché interbancaire, les banques qui ont des besoins


importants savent qu’elles peuvent compter sur d’autres banques
pour les couvrir. Il en est de même de celles qui ont des excédents,
et qui sont assurées que cet argent disponible ne « dormira » pas,
mais au contraire leur rapportera des intérêts.
Le blocage du marché interbancaire peut avoir de graves
conséquences. Des banques parfaitement saines peuvent faire
faillite faute de ressources immédiates. Par ricochet, ce mécanisme
risque de toucher un grand nombre de banques en bonne santé.
Impossible ? Pas du tout, cette situation s’est produite en 2008, dans
le contexte de la crise des subprimes. Cela a été également le cas
de certaines banques du sud de l’Europe auxquelles les autres
banques ont longtemps refusé de prêter du fait de leur situation
inquiétante. Elles sont à l’origine de certaines mesures prises par la
BCE depuis 2014 et poursuivies en 2015-2016.

Illustration
À titre d’exemple, le bilan de fin d’exercice (décembre 2013) d’une
grande banque française montre l’usage qu’a fait cette banque du
marché interbancaire à ce moment précis.
Pour faciliter la « lecture » du bilan de la banque, les données
chiffrées ont été représentées par des rectangles dont la taille est
proportionnelle aux montants.
En ce qui concerne la distribution de crédit à la clientèle, ce que la
banque a prêté correspond à peu près aux dépôts de la clientèle. La
différence a été couverte par recours au marché interbancaire.
On peut s’étonner de voir que la banque a simultanément prêté et
emprunté sur le marché interbancaire. La raison en est tout
simplement que ces prêts et ces emprunts sont de durées
différentes et ne se compensent donc pas.
Il faut garder à l’esprit qu’un bilan est une photographie instantanée
de la situation, et qu’il évolue en fait chaque jour.

À quoi sert la banque centrale


Le système décrit est idéal en ce qu’il suppose que les excédents
d’une partie des banques couvrent exactement les besoins des
autres. La réalité est un peu différente. Et même très différente si
l’on pense au crédit. Le système est alors susceptible d’être
déficitaire, si les crédits distribués globalement à un moment donné
dépassent l’ensemble de l’épargne disponible.
Une précision technique
Les banques ont d’autant plus besoin du marché interbancaire
qu’elles pratiquent ce que l’on appelle la transformation.
Résumé d’une phrase, la transformation désigne le fait que les
banques empruntent court et prêtent long. Pourquoi ? Pour profiter
de l’écart de taux entre le court terme et le long terme. Cet écart est
en leur faveur, sauf situation exceptionnelle d’inversion de la courbe
des taux. La contrepartie du risque pris est un supplément de
rentabilité puisque leur marge est plus forte.
Conséquence : à chaque fin de prêt court terme (une semaine, un
mois, trois mois), la banque rembourse le prêt précédent en
souscrivant un nouveau prêt court terme de même montant et ainsi
de suite jusqu’au remboursement définitif du crédit consenti au
client. Cela explique la très grande activité et la très grande
importance du bon fonctionnement du marché interbancaire. Vous
comprenez incidemment la complexité du job de trésorier de
banque !
Deux remarques
La France pratique aussi la transformation, pour profiter des taux
avantageux des emprunts de courte durée. Par ailleurs, la situation
exceptionnelle qui prévaut du fait de la politique de la BCE change
quelque peu le paysage. D’une part en effet les taux sont à un
niveau exceptionnellement bas, voire négatifs, et d’autre part la BCE
met directement à disposition des banques des crédits de longue
durée.
Comme le montre ce schéma, la banque centrale intervient pour
faire l’appoint, pourrait-on dire.
En fait, la banque centrale ne se limite pas à ce rôle de contrôleur
qui se contente de vérifier la bonne alimentation du système
en liquidité. Elle peut agir aussi de son propre chef et décider soit
de « suralimenter » les circuits, soit au contraire de retirer une partie
des liquidités des circuits bancaires.
Dans le premier cas, le but recherché est de faciliter le crédit. Elle
peut alors choisir aussi de baisser les taux d’intérêt, de moduler les
taux en fonction des durées, donc piloter de manière précise la
distribution du crédit à l’économie.
Dans le deuxième cas, son objectif est au contraire de limiter les
crédits à l’économie, de manière à éviter une surchauffe et à lutter
contre l’inflation. En 2015-2016, le phénomène inverse est apparu,
celui de la déflation. Une situation nouvelle qui a conduit la banque
centrale à prendre des mesures inédites. La politique inédite initiée
alors, dite d’« assouplissement quantitatif » est expliquée plus loin
dans le livre.
CHAPITRE 3
LES TITRES : UNE AUTRE FAÇON
D’EMPRUNTER

Résumé de ce chapitre
Une entreprise qui a besoin de financement peut choisir entre le
crédit bancaire et l’émission de titres, actions ou obligations. Les
titres sont achetés par des investisseurs qui peuvent les
revendre à tout moment à d’autres investisseurs sur les
marchés. La circulation des titres, fondamentale du point de vue
de l’investisseur, ne change rien pour l’entreprise émettrice. Les
actions présentent un avantage considérable car elles sont une
forme d’emprunt que l’entreprise n’est pas obligée de
rembourser !

Les limites du crédit classique


Actions et obligations sont des titres. Cette notion de titre est
née d’une limitation inhérente au crédit, la difficulté, voire
l’impossibilité pour le prêteur de changer d’avis. Dans un crédit
classique, crédit bancaire ou prêt personnel, le prêteur et
l’emprunteur sont liés jusqu’au remboursement complet du crédit.
Cet aspect des choses peut présenter un inconvénient pour le
prêteur, dont l’argent est en quelque sorte « bloqué ».
Pour l’illustrer cette situation, on peut prendre l’exemple d’un prêt
direct entre personnes, comme cela existe souvent, un prêt entre
amis.
Un particulier héritant de cinquante mille euros les prête à un ami
sous forme d’un prêt remboursable en totalité à l’issue d’une période
de cinq ans et porteur d’intérêts intermédiaires. Ils s’entendent pour
garder une trace écrite de leur accord et rédigent un document
ressemblant en tout point à un contrat de prêt. Les choses se
passent bien, les intérêts sont payés aux échéances convenues.
Mais la troisième année, le prêteur découvre qu’il aurait bien besoin
de ses cinquante mille euros car il doit faire face à une dépense
imprévue. Impossible, moralement, de demander le remboursement
anticipé du prêt à son ami, qui d’ailleurs ne le pourrait pas. Le
prêteur n’a d’autre ressource que de s’adresser à sa banque.
C’est précisément pour faire face à ce genre de situation
qu’une autre manière de faire a été conçue, la vente d’un titre.

Les avantages du titre


Plutôt qu’un prêt liant le prêteur et l’emprunteur, il aurait été plus
simple d’établir un document signé par l’emprunteur et lui seul,
précisant son engagement à payer cinquante mille euros à une date
du futur et des intérêts sur cette somme. Quelque chose comme une
reconnaissance de dette, mais sans mention de bénéficiaire.
Le prêteur aurait alors tout simplement « acheté » ce papier,
appelé titre.
L’avantage ? Le titre en question serait devenu
immédiatement cessible. En d’autres termes, le prêteur aurait pu le
revendre à tout moment, au bout de trois ans dans ce cas, sans
aucune formalité. À condition bien sûr de trouver un acheteur, c’est-
à-dire quelqu’un disposé à prêter cinquante mille euros
remboursables deux ans plus tard, et produisant l’intérêt fixé à
l’origine.
Formulé d’une autre façon, il faudrait trouver un investisseur
disposant de cette somme et désireux de la placer dans de bonnes
conditions.
Difficile ? Peut-être, si un nombre limité de personnes est au courant
de l’existence de ce titre à vendre. Très facile au contraire si
l’information est publique, car alors le nombre des investisseurs
potentiels augmente. Et encore plus facile si les taux d’intérêt ont
baissé sur la période écoulée, auquel cas le « placement » sur deux
ans au taux d’origine devient attractif pour l’investisseur. Et s’ils sont
plusieurs, une surenchère risque de se produire, ce qui ferait monter
le prix du titre… On voit s’ouvrir ici les portes du « marché ».
Ce titre cessible qu’auraient pu imaginer les deux amis est l’ancêtre
de ce qu’on appelle aujourd’hui - pour les entreprises et les États -
une obligation.

Les obligations peuvent être revendues à tout moment


Il faut bien voir dans ce mécanisme simple un élément fondamental :
celui qui rembourse l’investisseur initial n’est PAS l’emprunteur
d’origine, mais un autre investisseur.
Pour l’emprunteur d’origine, rien ne change : il paie les intérêts et le
capital aux dates indiquées sur l’obligation.
En revanche, le « prêteur », c’est-à-dire le détenteur du titre, peut
quant à lui être remboursé à tout moment.
Le succès des obligations est phénoménal : il y a dans le monde
énormément d’entreprises et d’États qui ont besoin d’argent. Et il y a
en face énormément d’autres entreprises, d’États et d’institutions qui
ont de l’argent disponible.

Cette demande et cette offre se rencontrent chaque jour sur un


« marché » appelé marché obligataire.
Les prêteurs, du fait de leur nombre sont toujours sûrs de pourvoir
revendre les obligations achetées, avec, en prime, la possibilité de
faire un bénéfice.
Cette souplesse considérable explique l’immense succès de cette
forme de prêt. Les volumes quotidiens avoisinent les milliers de
milliards d’euros ! Comme beaucoup d’inventions financières, celle-
ci repose sur une observation de bon sens : un prêteur sera d’autant
plus disposé à prêter qu’il sait qu’il n’est pas lié à l’emprunteur, et
qu’il peut récupérer sa mise à tout moment sans gêner l’emprunteur.

Les actions : des crédits jamais remboursés


Un crédit bancaire doit être impérativement remboursé.
Une émission obligataire aussi… sauf qu’il y a un moyen de l’éviter !
Par exemple en émettant, le jour du remboursement, de nouvelles
obligations pour le même montant que celles qui sont arrivées à
échéance. L’argent « frais » ainsi obtenu permet le remboursement
des obligations précédentes. L’opération est neutre pour
l’entreprise. Un emprunteur bien connu le fait chaque semaine, ou
presque ! Cet emprunteur c’est… l’État français.
Pour les actions, c’est beaucoup plus simple. Les actions émises ne
sont jamais remboursées… par l’entreprise. Sauf cas exceptionnel,
lorsqu’une entreprise est dissoute, ce qui n’arrive jamais ou presque,
ou, cas très rare aussi, lorsque l’entreprise rembourse pour partie les
actionnaires. En fait ce sont les actionnaires qui décident.

Mais comment ceux qui achètent des actions acceptent-ils de n’être


jamais remboursés ? La réponse est simple : ils savent qu’ils ne
seront jamais remboursés par l’entreprise, mais ils pourront revendre
leurs actions à tout moment sur le marché, c’est-à-dire en Bourse.
Avec là aussi, comme pour les obligations, l’espoir de gagner plus,
mais aussi de perdre.
CHAPITRE 4
LE BILAN : UN LANGAGE DESCRIPTIF
Résumé de ce chapitre
Les deux « cas » présentés ici ne demandent aucune
connaissance comptable, seulement un peu de réflexion.
L’objectif est de montrer la puissance de cet outil synthétique
qu’est le bilan. L’utilisation des chiffres a été bannie pour
permettre la focalisation de l’attention sur les valeurs relatives du
bilan. Le premier cas permet de voir que l’activité d’une
entreprise et d’une banque présentent de nombreux points
communs. Le deuxième cas, plus pointu, permet d’entrevoir
comment les difficultés de gestion les plus courantes des
entreprises peuvent être détectées.

Deviner qui fait quoi


Il s’agit de deviner à quel type d’entreprise correspondent les trois
bilans ci-après, sachant que pour chacune d’elles, seul le côté
gauche du bilan (l’actif) a été représenté.
Voici le premier bilan ou plutôt la première « moitié » de bilan de
l’exercice. Quelques explications préalables s’imposent.
La représentation des rectangles a été adoptée pour des raisons
pédagogiques évidentes : ces rectangles de tailles différentes sont
plus lisibles qu’une suite de chiffres (à gauche), et permettent surtout
de visualiser les valeurs relatives des différents postes.
Les postes qui figurent ici sont classiques. On les retrouve dans les
bilans les plus sophistiqués.
Voici leur signification :
Valeur des biens immobiliers, des machines de production, des véhicules
(les immobilisations en langage comptable).

Valeur de tous les stocks : les produits prêts à être vendus, les pièces
détachées, les produits de base…

Montant cumulé des factures EN ATTENTE DE PAIEMENT. Ces factures


ne sont pas dues à des retards. Lorsqu’une entreprise vend à un
particulier, elle exige le plus souvent un paiement comptant. Si le client
est une autre entreprise, la coutume est de faire crédit, de 3 à 6 mois.

Le CASH de l’entreprise : liquide et surtout comptes en banque.

Bilan n° 1
On peut déjà dire que ce bilan n° 1 correspond à une entreprise qui
fabrique et vend des biens à d’autres entreprises, des biens
industriels donc. Pourquoi ?
Le poste IMMOBILISATIONS, tout d’abord, peut laisser penser
qu’elle a des machines. Il est vrai qu’il peut s’agir aussi d’immobilier,
ou d’un mélange des deux.
Ce qui met sur la piste est l’importance des postes CLIENTS et
STOCKS. L’importance du poste clients signifie que l’entreprise
vend à d’autres « entreprises » auxquelles elle a donc consenti des
facilités de paiement. L’importance des stocks laisse penser qu’elle a
une activité de production.
À noter enfin que le CASH est presque négligeable, ce qui indique
qu’elle ne vend pas ou peu au détail. L’essentiel de ses ventes est
donc réalisé auprès d’autres entreprises.
On peut penser que le bilan n° 1 est celui d’une entreprise
industrielle. La connaissance des chiffres permettrait de voir s’il
s’agit d’une PME ou d’une entreprise plus importante.

Bilan n° 2
Que peut-on dire alors de l’activité de l’entreprise qui correspond au
BILAN n° 2 ?
Ce bilan n° 2 présente une structure d’actif différente, très différente
même de la précédente.
La première observation concerne l’absence des STOCKS.
Cette entreprise ne produit pas de biens physiques. Il s’agit donc
d’une société de services. On peut en déduire que le poste
IMMOBILISATIONS ne représente pas des machines de production.
Il s’agit très probablement de biens immobiliers.
Deviner l’activité de l’entreprise
Ce qui frappe ensuite est l’importance considérable du poste
CLIENTS. Une entreprise de services qui détient un gros volume de
crédits clients, c’est… mais oui…
UNE
BANQUE

Bilan n° 3
On peut s’interroger à présent sur le BILAN n° 3, et chercher à quel
type d’entreprise il correspond.
La question est plus difficile car il y a plusieurs solutions possibles.
Deviner l’activité de l’entreprise
Cette entreprise a des STOCKS, donc elle vend des produits.
Il est possible qu’elle les produise car elle a des
IMMOBILISATIONS, ce qui peut laisser penser qu’elle a des
machines, mais il peut s’agir aussi d’immobilier.
Le plus étrange est son CASH énorme, et pas de
crédit CLIENTS. On pourrait penser qu’elle vend principalement à
des clients qui paient comptant. Donc à des particuliers.
C’est l’hypothèse la plus plausible. Donc cette entreprise est
vraisemblablement…
UN HYPERMARCHÉ
Cet exercice montre la richesse et la transparence des informations
livrées par la partie gauche, c’est-à-dire par l’actif du bilan.

Les autres postes du bilan : le passif

Le passif du bilan, c’est-à-dire la partie droite, montre principalement


les DETTES de l’entreprise (ou de la banque). La notion de dette est
ici considérée au sens large. Elle désigne les crédits proprement
dits, et une catégorie particulière de dette que sont les fonds
propres.

Fonds propres
Les fonds propres désignent tout simplement la mise initiale des
actionnaires qui ont créé l’entreprise, augmentée ou diminuée
des profits ou pertes réalisés au fil des ans, et aussi de ce qu’on
appelle les augmentations de capital, c’est-à-dire l’appel aux
actionnaires.

Quelques remarques s’imposent pour clarifier cette notion de fonds


propres qui n’est pas a priori intuitive.
La première est qu’il est sans doute plus clair de parler globalement
d’origine des fonds plutôt que de dettes. Les fonds propres, et plus
généralement les postes du passif, montrent la provenance de
l’argent mis à disposition de l’entreprise.
Une autre difficulté de compréhension peut survenir du fait que les
fonds propres d’une entreprise (ou d’une banque) ne sont pas
« visibles » en ce sens qu’ils ne figurent pas sur un compte. Cet
argent, l’argent des actionnaires, est disséminé dans tout ce qui
appartient à l’entreprise, immeubles, créances… ce qu’on appelle
ses actifs.
Une manière approchée de se représenter les fonds propres est
d’imaginer qu’ils représentent l’argent qui resterait si les actionnaires
décidaient d’arrêter et de « liquider » l’entreprise. Les fonds propres
seraient alors le produit de la vente des actifs diminué du
remboursement des dettes. En fait, le résultat de ce calcul serait une
valeur de liquidation, qui dépend étroitement des prix de marché des
machines, des biens immobiliers, etc.
Les fonds propres représentent précisément ce que les actionnaires
ont investi augmenté ou diminué de ce que l’entreprise a gagné ou
perdu. Les fonds propres ne tiennent pas compte des valeurs de
marché.
Le haut et le bas de bilan
L’expression « haut de bilan » désigne les ressources et les
investissements les plus stables de l’entreprise. Les ressources
stables sont les « fonds propres » de l’entreprise et les crédits à long
terme en cours.
Le pendant à l’actif est représenté par les investissements stables,
appelés, comme indiqué plus haut, « immobilisations ». Il s’agit
principalement de machines et d’immobilier.
Le haut de bilan permet de déterminer un élément comptable
important pour la gestion de l’entreprise : le fonds de roulement, qui
est l’excédent des ressources longues sur les emplois longs, dont
l’utilité est analysée plus loin.

Le bas de bilan
L’expression « bas de bilan » résume et chiffre les éléments de
l’activité quotidienne de l’entreprise qui génèrent des décalages de
trésorerie, et sont par conséquent à l’origine des besoins de
financement.
L’exemple le plus « parlant » est celui des stocks. Les stocks de
matières premières sont payables immédiatement au fournisseur ou
avec un délai convenu. Ces matières premières sont
progressivement incorporées dans la production de produits finis.
Pour produire, il faut payer des salaires et diverses charges. Les
produits finis sont à leur tour stockés jusqu’à la vente.
Le règlement de la vente prend lui aussi un certain temps. Le flux de
la vente ne compense que beaucoup plus tard le flux des dépenses
correspondantes. L’entreprise peut réduire ce décalage en réduisant
le délai de paiement des clients et en allongeant la période de
règlement des fournisseurs.
Le bas de bilan permet de déterminer un élément comptable
important pour la gestion de l’entreprise : le besoin en fonds de
roulement.

Exemple pratique : diagnostic d’une mauvaise gestion


Une trop grande générosité commerciale en matière de conditions
de paiement, consécutive à de mauvaises ventes, se traduit par la
hausse du poste « clients ». Si cette générosité commerciale n’est
pas compensée par la négociation à la hausse des conditions
« fournisseurs », l’effet mécanique sera l’augmentation du BFR.
C’est-à-dire un besoin supplémentaire de financement.
Voici la conséquence sur le bilan d’une mauvaise gestion du bas de
bilan :
Dans cet exemple, la hausse des stocks et l’allongement des
conditions de paiement (l’augmentation du poste « clients ») vont
créer un « trou » c’est-à-dire un besoin de financement « x ». Le
premier réflexe de l’entreprise est de tenter de combler ce besoin
par l’augmentation des tirages de son découvert.
Tout dépend alors de l’attitude du banquier, qui voit bien qu’il y a un
problème de vente et veut s’assurer que ce découvert ne va pas
dépasser le plafond fixé d’un commun accord. Plusieurs solutions
peuvent être envisagées par l’entreprise pour empêcher que ce
plafond ne soit atteint. Elle peut obtenir de ses fournisseurs une
augmentation de la durée de paiement, et parallèlement réduire ses
stocks.
Croissance rapide de ventes
Si cela n’est pas possible ou ne suffit pas, le banquier lui demandera
de « consolider son haut de bilan ». En clair, il pourra demander que
les actionnaires renforcent les fonds propres par une augmentation
de capital. Cette nouvelle injection de ressources permettra de
compenser durablement l’augmentation du découvert générée par
l’augmentation du crédit client.
L’idée simple est celle du partage de l’effort à faire entre l’entreprise
et la banque. À défaut l’entreprise pourra connaître de graves
difficultés, et cela, quelle que soit sa rentabilité.
Cette problématique est reprise dans le chapitre 7 du livre.
2e Partie

LES CLICHÉS :CE QU’IL FAUT EN


PENSER
CHAPITRE 5
« LES MARCHÉS SONT DÉCONNECTÉS DE
L’ÉCONOMIE RÉELLE »

Résumé de ce chapitre
Loin d’être déconnectés de l’économie réelle, les marchés en sont
une composante essentielle. Le développement des entreprises
et de l’innovation a entraîné en effet un besoin de financement qui
dépasse les capacités de crédit des banques. Les limites du crédit
bancaire sont la conséquence directe des règles de prudence
imposées aux banques. Ces limites sont quantitatives, fixées en
fonction des fonds propres des banques, et qualitatives, en ce
sens que les banques ne doivent pas prendre trop de risques,
comme celui des start-up par exemple. Cette logique de prudence
repose tout simplement sur la nécessité de ne pas mettre en
danger les dépôts du public dans les banques. Les marchés ont
des moyens quasi illimités et un appétit au risque supérieur à
celui des banques. Ils sont ainsi complémentaires des banques
pour le financement des entreprises. Ils permettent aussi le
financement des États, comme c’est le cas pour la France, la
raison étant là aussi l’importance des besoins face aux capacités
des banques. C’est en grande partie grâce à la force des marchés
aux États-Unis que les entreprises américaines se sont
développées et continuent de se développer en si grand nombre,
passant rapidement du statut de start-up à celui d’entreprises
mondialisées..
Les marchés complètent l’action des banques
Le point particulier des limites des banques est capital pour saisir
l’importance des marchés.
À bien des égards, les banques fonctionnent comme des
entreprises, avec toutefois deux différences majeures :
- Les banques sont dépositaires de l’argent des milliers de
personnes et d’entreprises qui ne pourraient pas concevoir que
leurs avoirs soient mis en danger pour des raisons propres à la
banque.
- Les banques sont interdépendantes dans la mesure où elles se
prêtent entre elles, quotidiennement, des sommes considérables
pour ajuster leur trésorerie.
Du fait de cette interdépendance, la défaillance d’une seule banque
peut avoir des conséquences catastrophiques pour tous ses
déposants, et aussi pour nombre de ses consœurs, lesquelles, à
leur tour, peuvent mettre en danger leurs propres clients et d’autres
banques. C’est ce qui s’appelle le risque systémique.
La perspective de défaillance d’une banque entraîne la « ruée sur
les guichets » des déposants qui veulent retirer leurs avoirs avant
qu’il ne soit trop tard, et menace de faillites en chaîne les autres
banques qui ne peuvent plus récupérer ce qu’elles avaient
momentanément prêté.
Cette interdépendance des banques reproduit à une beaucoup plus
grande échelle ce que l’on peut observer au niveau des entreprises.
Ces dernières se font en effet crédit les unes aux autres selon la
pratique quasi universelle des facilités de paiement. Le résultat est
que les entreprises sont reliées entre elles par des chaînes de
« crédit-client » et de « crédit-fournisseur ». C’est ainsi que la faillite
d’une entreprise peut entraîner la faillite de plusieurs fournisseurs -
pourtant bien gérés. Les conséquences « systémiques » sont moins
grandes car le crédit interentreprises n’a pas la fonction vitale du
crédit interbancaire, ni surtout sa dimension.
Les limites quantitatives des banques
La question de la sécurité des opérations bancaires est donc
fondamentale. Les banques occidentales ont organisé elles-mêmes
cette sécurité au sein de ce qu’on appelle les accords de Bâle.
Le principe de base est simple. La banque utilise l’argent des dépôts
pour exercer une activité à risque, la distribution du crédit. Par
définition donc, elle est susceptible de perdre une partie de l’argent
qu’elle prête, même si elle exerce cette activité avec prudence.
Cette perte inévitable ne doit pas être prélevée sur les dépôts de ses
clients, qui ne le comprendraient pas. Cette perte doit être prélevée
sur l’argent qui est propre à la banque et donc sur l’argent de ses
actionnaires, ce qu’on appelle ses fonds propres.
Comme précisé au chapitre précédent, ces fonds
propres représentent tout simplement la mise initiale (le capital) de
ceux qui ont créé la banque, augmentée ou diminuée des profits ou
pertes réalisés au fil des ans, et aussi de ce qu’on appelle les
augmentations de capital, c’est-à-dire l’appel à de nouveaux
actionnaires.
Les fonds propres de la banque constituent en quelque sorte un
matelas de sécurité. C’est l’argent qu’elle peut perdre avant de
porter atteinte aux dépôts qui lui ont été confiés.
Les accords de Bâle ont fixé à 8 % du stock de crédits le montant
minimal des fonds propres des banques. En sens inverse, une
banque ne peut pas prêter plus de 12 fois le montant de ses fonds
propres. Le schéma, ci-dessus, illustre ce principe : ces chiffres sont
bien sûr arbitraires et résultent du compromis raisonnable des
banquiers réunis à Bâle pour fixer et réviser périodiquement les
règles.

Les limites qualitatives des banques


Une banque peut prêter moins que ce qu’autorisent les règles de
Bâle, et néanmoins risquer de perdre beaucoup si ses crédits ont été
distribués sans discrimination.
C’est le cas si la banque a concentré ses crédits sur un seul secteur
économique, ou sur une activité ou encore sur quelques entreprises
en particulier. L’immobilier en est un exemple. En cas de
retournement du marché, la banque qui y a concentré ses
engagements peut perdre plus que ses fonds propres.
Les banques sont tenues de répartir leurs risques sachant que les
défaillances touchent très rarement l’ensemble des secteurs
économiques. Elles le font à leur propre initiative, pour protéger
l’argent des déposants… comme celui des actionnaires.

Les start-up trop risquées


Pour ne pas prendre de trop grands risques, les banques
s’interdisent ainsi de s’engager sur certains types d’entreprises,
comme les start-up et les très jeunes entreprises. Les statistiques
sont impitoyables en effet : la « mortalité » des entreprises
nouvellement créées est très forte, et rares sont celles d’entre elles
qui dépassent le cap des cinq années d’existence.
Pour des raisons analogues, les banques sont prudentes en ce qui
concerne les achats d’actions ou de titres de dette souveraine.
Acheter des actions de Coca-Cola ou des titres de dette française
est sans risque, mais la tentation de meilleurs rendements donc de
placements plus risqués est grande.
Ce problème, et la difficulté de trouver la solution « juste »
expliquent l’hésitation des pouvoirs centraux à interdire strictement
les placements des banques sur les marchés.

Les marchés ont plus de ressources que les banques et plus


d’appétit pour les risques
Jusqu’aux années quatre-vingt-dix et sur toute la période
précédente, les États n’étaient que peu ou pas endettés, le
commerce international était marginal. Les banques et les Bourses
locales suffisaient largement aux besoins des entreprises.
Depuis lors, les flux de financement ont pris une ampleur
considérable. D’un côté, les entreprises ont vu croître leurs besoins
d’investir et de l’autre, les États, ou du moins une grande partie
d’entre eux, ont accumulé d’importants déficits. Progressivement, les
marchés ont pris le relais des banques pour assurer le financement.
Les marchés ont pu couvrir ces nouveaux besoins car parallèlement
l’argent disponible dans le monde a augmenté. On parle de dizaines
de milliers de milliards de dollars ! De plus en plus
d’« investisseurs » sont prêts en effet à placer leurs avoirs en dehors
des banques et à prendre des risques pour obtenir des meilleurs
rendements.
Au contraire des banques, les marchés ont peu de limites en termes
de volume ou en termes d’« appétit » pour les risques élevés.

La France emprunte sur les marchés


Pour bien voir l’utilité et le fonctionnement des marchés, partons
d’une réalité que chacun connaît, l’endettement de la France. La
traduction concrète de cet endettement est simple : chaque
semaine, un service spécialisé de l’État emprunte entre 5 et 10
milliards d’euros. Ces emprunts sont matérialisés par des obligations
au porteur.

À qui empruntons-nous ?
Ceux qui prêtent à la France le font à travers les marchés. Ils
pourraient le faire directement, on verra pourquoi ils préfèrent passer
par les marchés.
Ces prêteurs qui achètent les obligations émises par le Trésor
français sont des institutions de France et d’ailleurs qui ont
durablement ou épisodiquement de l’argent à placer. Institutions
privées ou publiques, personnes privées ou fonds de placement, on
les appelle des investisseurs.
Ces investisseurs pourraient placer cet argent dans les banques,
certains le font d’ailleurs. C’est une affaire de préférence. Beaucoup
s’orientent vers les placements en Bourse ou les achats
d’obligations, prennent des participations dans des entreprises, ou
confient simplement leur argent à des organismes spécialisés qui
feront des placements en leur nom. On trouve ainsi des compagnies
d’assurance, des fonds de pension, des États souverains détenteurs
d’excédents, des fonds de placement, etc.

Ordre de grandeur
L’endettement global de la France est d’environ 2 000 milliards
d’euros, ce qui représente à peu près le PIB français. On est loin,
très loin des capacités des investisseurs. Des banques d’affaires
spécialisées dans la création de supports d’investissement
sophistiqués estiment à 70 000 milliards d’euros les sommes
d’argent disponibles. Ce montant n’inclut pas le volume quotidien qui
circule sur le marché des changes ou les volumes échangés sur le
marché des matières premières…

Pourquoi passer par les marchés


Le marché présente des avantages considérables, pour celui qui
prête comme pour celui qui emprunte. Le principal avantage est lié
au nombre de participants.
1 - L’emprunteur est sûr ou presque qu’à tout moment quelqu’un
sera intéressé et disposé à lui prêter.
« L’emprunt français de la semaine dernière a été sur-
souscrit. »
Ce titre apparaît régulièrement dans la presse. Il signifie tout
simplement que ce jour-là, les investisseurs étaient prêts à prêter
plus à la France que ce qui était demandé.
2 - Le prêteur est également sûr de trouver quelqu’un disposé à lui
reprendre le prêt qu’il a consenti quelque temps auparavant.
« Le marché de la dette française est liquide. »
Ce commentaire exprime le fait que la dette française circule
facilement. Les emprunts français sont émis par l’État sous forme
d’obligations, lesquelles peuvent être achetées puis revendues
indéfiniment. Cette caractéristique donne de la souplesse aux
investisseurs.
3 - À la différence des banques, les marchés n’ont pas de limites.
Les marchés permettent aux investisseurs d’acheter autant
d’obligations du trésor français qu’ils le souhaitent. La seule limite
est celle qu’eux-mêmes se fixent en fonction de la qualité de
l’emprunteur « France ». La mesure de cette qualité est la notation
des agences, Standard & Poor, Moody ou Ficht.

L’Amérique est plus performante que l’Europe grâce à ses


marchés
Les multinationales américaines sont présentes partout dans le
monde, des plus anciennes, Coca-Cola ou General Electric, aux plus
récentes, Facebook, Amazon ou Apple. Ce qui frappe le plus est la
capacité à grandir de ces entreprises, leur longévité et, pour les plus
jeunes, leur vitesse de croissance. Plusieurs facteurs expliquent
cette vitalité exceptionnelle, parmi lesquels on peut citer la
stimulation d’un marché intérieur de 230 millions d’habitants, la
qualité du système éducatif, la mobilité de la main-d’œuvre, la
capacité d’innovation.
Sur tous ces points en fait, l’Europe n’a pas à rougir, comme en
témoigne notamment le dynamisme de ses jeunes pousses. La
modernisation économique de la « vieille Europe » est en route, qu’il
s’agisse de l’effacement progressif des obstacles au mouvement des
personnes et des marchandises sur un territoire de 530 millions
d’habitants (un peu moins depuis le Brexit) ou de l’adaptation des
systèmes éducatifs et juridiques aux exigences les plus actuelles de
l’économie. Cette évolution promet un rapprochement avec
l’économie américaine à plus ou moins longue échéance.

Retard européen
Il est cependant un point essentiel, sur lequel l’Europe accuse un
grand retard : les marchés financiers. Ces derniers ont atteint aux
États-Unis un niveau de sophistication extrême, tant sur le plan des
volumes mobilisés que dans leur capacité à répondre aux besoins
des entreprises dans leurs différents stades de développement. A
contrario, leur faible développement en Europe se mesure dans la
difficulté des start-up à franchir le pas de leur transformation en
entreprises moyennes et dans la difficulté des PME à devenir de
grandes ou de très grandes entreprises.
La situation n’est pas la même d’un pays européen à un autre.
L’Allemagne et l’Italie comptent par exemple respectivement trois et
deux fois plus de PME que la France. La fiscalité pénalisante des
successions, l’absence d’une culture « PME » dans le système
éducatif expliquent certes en partie le retard français, mais l’obstacle
commun au développement des entreprises européennes est bien
l’insuffisance du système de financement des « jeunes » et très
jeunes entreprises. La City de Londres, marché financier le plus
développé d’Europe, se concentre sur le financement des
entreprises cotées en Bourse. Son activité « capital risque » est très
loin de ce que l’on peut observer aux États-Unis.
Pendant longtemps, en Europe, la banque a été considérée comme
le lieu principal où s’opérait la distribution du crédit, le marché
obligataire et la Bourse étant limités aux grandes ou très grandes
entreprises. C’est en fait tout l’échelon inférieur des entreprises qui a
souffert et souffre encore du manque de financement. La
participation au capital des start-up par exemple leur a toujours été
proscrite précisément en raison du degré de risque que cela
représente.
Financement des start-up
Dans les premières phases de développement des start-up, leurs
besoins de financement, modestes, peuvent être couverts par les
entrepreneurs eux-mêmes, leurs amis, voire des business-angels.
Quelques rares fonds privés prennent ensuite le relais, mais très
vite, au-delà de la dizaine de millions d’euros, l’« offre » de capital-
risque se raréfie en Europe.
Désintermédiation
Le financement par les marchés est parfois assimilé à la
désintermédiation bancaire. Ce terme ambigu paraît signifier qu’il y a
dans le recours au marché une tendance à la réduction du rôle des
banques dans le financement de l’économie. Le terme porte ainsi
l’idée d’un autre choix possible, comme par exemple une action des
États pour réduire le rôle des marchés.
L’importance historique de l’État en Europe dans le contrôle de
l’économie explique pour une large part cette perception et une
forme de résistance à abandonner au marché ce qui pendant
longtemps relevait du domaine « régalien », le contrôle du
financement. Les crises économiques récentes attribuées
hâtivement à la non régulation des marchés ont conforté les États
européens et les opinions publiques dans leur méfiance à l’égard de
ces derniers.
La réputation des banques n’est pas vraiment meilleure mais dans
ce domaine au moins, les États se sentent encore en position de
force puisqu’ils disposent de l’arme de la nationalisation. Une arme
quelque peu illusoire en Europe dans la mesure où le pouvoir
bancaire a glissé progressivement vers la BCE. Nationaliser les
banques impliquerait donc pour le pays concerné la rupture du lien
avec la BCE et par conséquent la sortie de l’euro. Ces deux points
font l’objet de chapitres spécifiques dans la suite du livre.
CHAPITRE 6
« LES MARCHÉS SONT DANS LE COURT
TERME »

Résumé de ce chapitre
Les marchés ne sont pas seulement dans le court terme. Leur
particularité est en effet d’opérer la synthèse entre le temps court
de l’investisseur et le temps long de l’entreprise. L’importance
des marchés en matière de financement découle des propriétés
caractéristiques des « titres », actions et obligations. Loin d’être
lié à l’emprunteur-émetteur d’un titre, l’acheteur de ce titre peut
changer d’avis et le revendre à tout moment. Cela ne change
rien pour l’émetteur du titre qui bénéficie d’un financement dans
la durée. En fait c’est la spéculation des investisseurs qui
conditionne l’activité des marchés et donc leur finalité, qui est de
permettre aux entreprises de se financer. Les émissions
d’actions sont particulièrement intéressantes pour les entreprises
puisqu’il y a pour elles aucune obligation de « remboursement ».
Loin de se faire concurrence, les marchés et les banques sont
en fait complémentaires. Pour une raison essentielle : la
capacité de financement des banques est limitée. Quant à la
« pression » des marchés pour des résultats immédiats, ce n’est
qu’un élément parmi d’autres à gérer par le management.

Les marchés relient le temps long et le temps court


Tout le monde a une idée de ce qu’est la Bourse : c’est un endroit où
il est possible d’acheter et de vendre des actions. Il est très facile
d’acheter ou de vendre des actions depuis chez soi, grâce à
Internet.
Ce qui est intéressant à observer, c’est la naissance des actions.
Les entreprises émettent des actions dans le but d’obtenir des
ressources. Une introduction en Bourse, en jargon financier,
s’appelle une IPO, abréviation d’Initial Public Offer.
Le jour dit, n’importe qui (public) peut acheter les actions offertes, au
prix fixé par l’entreprise. En fait par son banquier conseil, car il faut
du métier pour fixer le « bon » prix. Ce bon prix est celui qui attire
beaucoup d’acheteurs, et permet de vendre plus d’actions que ce
qui était fixé à l’origine, afin de nourrir la confiance… et la hausse
future des cours. Acheter des actions c’est avoir confiance dans les
perspectives de l’entreprise.

La Bourse : des « financements » jamais remboursés


Il existe d’autres manières d’obtenir des ressources, le crédit
bancaire par exemple, ou l’émission d’obligations, mais du point de
vue de l’entreprise, les actions ont une caractéristique vraiment
intéressante : l’entreprise n’est pas tenue de rembourser aux
acheteurs les sommes qu’elle a reçues en échange de ses actions.
On pourrait dire que l’émission d’actions est un « crédit » qui n’est
jamais remboursé… ou presque (dans le très rare cas de réduction
du capital décidée par la majorité des actionnaires).

Pour l’investisseur, la possibilité de retrouver sa mise à tout moment


Mais comment ceux qui achètent des actions acceptent-ils de n’être
jamais remboursés ? La réponse est simple, ils savent qu’ils ne
seront jamais remboursés par l’entreprise, mais qu’ils pourront
revendre leurs actions à tout moment sur le marché, c’est-à-dire en
Bourse.
Une action peut se revendre d’un clic. Il y a toujours un acheteur.
Certes, le vendeur espère réaliser un bénéfice mais il sait qu’il y a
aussi le risque de perte. C’est toute la dimension du « pari » que font
les investisseurs sur l’évolution possible des cours.
L’émission d’actions en Bourse a toujours lieu un jour précis,
annoncé d’avance. Dès le lendemain, parfois le jour même, une
fraction plus ou moins importante des acheteurs revend les actions
acquises à de nouveaux investisseurs et le cycle achats-vente
démarre.
Le cas le plus spectaculaire de ces dernières années est celui
d’Alibaba. Son IPO de vingt milliards d’euros a suscité le jour même
un courant acheteur inattendu. À la première cotation, les cours ont
monté, signe que le marché était prêt à absorber plus d’actions.
Profitant de l’aubaine, la société a procédé dès le lendemain à une
deuxième émission qui lui a rapporté près de cinq milliards de
dollars supplémentaires.
Le volume des échanges quotidiens en Bourse est considérable. De
nombreux sites permettent de suivre cela à chaque instant. Le suivi
des cours pendant une semaine de l’action Apple par exemple
donne une idée de cette activité endiablée des investisseurs. Le
graphique ci-après est extrait du site gratuit Boursorama.
On voit que le volume, c’est-à-dire le nombre d’actions
Apple échangées chaque jour varie de 25 et 50 millions, soit un
montant quotidien entre 3 et 5 milliards de dollars. Ce montant ne
représente qu’une fraction de la valeur totale d’Apple en Bourse, de
l’ordre de 200 milliards de dollars au début 2016. Chaque jour, des
investisseurs ont payé ces sommes à d’autres investisseurs pour
l’achat de leurs actions d’Apple, soit un transfert entre 3 et 5 milliards
de dollars de comptes bancaires à comptes bancaires. Ceux qui
vendent pensent que l’action a perdu son potentiel de hausse et
ceux qui achètent pensent l’inverse.
La co-existence de ces perceptions opposées est la condition du
bon fonctionnement de la Bourse. À noter que lorsque tout le monde
pense la même chose, il n’y a plus de « marché ». Dans un
mouvement haussier par exemple, les cours peuvent ainsi atteindre
des niveaux vertigineux, donnant naissance à ce qu’on appelle une
bulle spéculative. Cette bulle peut se résorber dans le temps ou
exploser brutalement. Le krach se produit lorsque tout le monde
décide de vendre en même temps.

Temps long et temps court


Le miracle de la Bourse - et sa raison d’être - est dans la
cohabitation de deux mondes ayant des visions complémentaires de
la notion de temps, le monde des investisseurs et celui des
entreprises.
Les entreprises sont dans le temps long. Elles savent que les
ressources obtenues lors de l’émission initiale (l’IPO) et dans ses
émissions ultérieures, leur sont acquises dans la durée. Les
investisseurs sont dans le temps court. Ils peuvent revendre à tout
moment, voire faire plusieurs allers-retours dans une même journée.
La raison d’être et le bon fonctionnement de la Bourse reposent sur
ce mouvement quotidien et sur son intensité. Il n’y a pas chaque jour
une IPO, loin de là, mais chaque jour un grand nombre d’opérations
d’achat-vente, donc un grand nombre de participants. C’est la
condition pour l’entrée de nouveaux investisseurs.

Les volumes énormes échangés chaque jour en Bourse ne doivent


pas tromper, il s’agit bien d’échanges. Si mille échanges d’un euro
ont eu lieu dans la même journée, on parle d’un volume d’échanges
de mille euros, alors qu’en fait c’est le même euro qui a circulé ! Le
jour de l’IPO, le premier euro est allé directement dans les caisses
de l’entreprise qui a émis l’action. Lorsque le premier acheteur
revend son action, il récupère son euro qui par exemple retournera
sur son compte bancaire où il sera prêté par la banque. Bien loin
d’être perdu pour l’économie, ce premier euro a permis dans tous les
cas d’aider l’entreprise à investir.

Contrôle des opérations de Bourse


Comme on peut s’en douter, l’accès initial à la Bourse et le maintien
de la cotation au fil du temps imposent des contraintes sévères pour
les entreprises, comme la publication trimestrielle de comptes
certifiés et le respect des normes comptables. Le monde de la
Bourse est très encadré, il y va de l’intérêt de tous de préserver la
confiance.
Les organismes de contrôle des marchés jouent un rôle essentiel à
cet égard. Un organisme comme la SEC aux États-Unis dispose
ainsi de pouvoirs étendus. La capacité d’investigation de ces
organismes est essentielle. Leur mission est de contrôler qu’il n’y a
pas de manipulation des cours.
Les entreprises cotées doivent respecter des règles précises
concernant la publication d’informations susceptibles d’influencer
leur cours en Bourse. Les ordres d’achat - ou de vente - importants
précédant une communication essentielle sont particulièrement
scrutés.

La pression du marché sur les résultats


À ces dispositions réglementaires s’ajoute un élément de bon sens.
L’intérêt de toute entreprise cotée en Bourse est de voir son cours
progresser régulièrement. Il y va de son image, de l’intérêt financier
des cadres détenteurs de stock-options, et surtout de ses chances
d’accueil positif pour de futures émissions d’actions.
Les entreprises qui ont annoncé des pertes sont particulièrement
scrutées par le marché dans son ensemble et naturellement par les
détenteurs de ses actions. La chute des cours amplifie l’importance
des pertes tant que les perspectives de redressement restent floues.
La « pression » psychologique des investisseurs concernés est alors
très forte. L’entreprise se doit d’annoncer au plus vite des mesures
crédibles.
Pour les managers concernés, en fait, les choses ne sont pas très
différentes, que la société soit cotée en Bourse ou pas. Les
propriétaires d’une société en perte exercent de toute façon une
pression de tous les instants sur les managers. Les choses sont
simplement plus visibles en Bourse, puisque les propriétaires sont
les actionnaires et que ces derniers ont le droit de s’exprimer
publiquement sur la gestion de l’entreprise.

Entreprises : une alternative au financement bancaire


Une entreprise qui a besoin d’argent pour financer un investissement
- recruter ou acheter des machines - a le choix entre trois solutions :
elle peut souscrire un crédit bancaire, émettre des obligations ou
aller en Bourse.
En pratique, les entreprises combinent les trois modes de
financement. Il y a à cela une raison macro-économique, évoquée
au chapitre précédent, à savoir l’insuffisance des capacités du seul
système bancaire au regard des besoins de l’entreprise. Il y a aussi
une motivation des entreprises à combiner les caractéristiques de
ces trois modes de financement.
Le financement par le marché est adapté aux besoins de long terme
de l’entreprise, comme ses investissements « lourds ». La Bourse
permet ces financements de long terme mais au prix d’une perte
d’autonomie possible dans la mesure où les nouveaux ont leur mot à
dire sur la gestion de l’entreprise.
Le financement par le marché obligataire n’a pas cet inconvénient
mais oblige néanmoins l’entreprise à une certaine transparence car
elle est alors soumise à l’impératif de notation, c’est-à-dire à
l’évaluation périodique de sa note de risque.
Le crédit bancaire est adapté aux besoins de court et moyen terme
de l’entreprise. Il présente en revanche un risque d’instabilité car
l’établissement prêteur peut imposer des contraintes précises sous
peine de non-renouvellement des crédits court terme.

L’utilité de la spéculation
C’est un paradoxe qui peut étonner : la spéculation des investisseurs
sur les marchés conditionne le bon fonctionnement de leur finalité
première qui est de permettre aux entreprises de se financer.
L’importance du marché se mesure par sa taille, c’est-à-dire le
nombre d’intervenants, et par l’intensité des échanges, la
combinaison de ces caractéristiques définissant ce qu’on appelle sa
liquidité.
Les échanges-ventes et achats « spéculatifs » contribuent à doper
les volumes du marché. La volatilité des cours, c’est-à-dire les écarts
importants sur une courte durée, est pour beaucoup d’investisseurs
des opportunités de gain.
Plus il y a d’intervenants, plus ces intervenants sont actifs et plus le
marché est, selon l’expression consacrée, liquide. Un marché liquide
est celui qui garantit qu’à tout moment il y aura un acheteur ou un
vendeur.
Ce dynamisme profite indirectement aux entreprises qui ont besoin
de financement, car toute nouvelle émission d’obligations ou
d’actions de la part de l’une d’entre elles aura d’autant plus de
chances de trouver « preneur ».
CHAPITRE 7
« LES BANQUES NE PRENNENT PAS DE
RISQUES »

Résumé de ce chapitre
Les banques ne sont pas frileuses. Il ne faut pas confondre
frilosité et prudence. Les banquiers comme les hommes
d’affaires n’aiment pas les mauvaises affaires.
Le métier de la banque est un métier d’intermédiaire : la banque
prête ce qu’elle-même emprunte auprès d’autres banques. Elle
utilise surtout les dépôts de ses clients, considérés comme des
prêts, qu’elle se doit naturellement de rembourser.
Les marges des banques - moins de deux pour cent sur les
crédits - sont très inférieures à celles des sociétés commerciales
alors que leurs risques sont supérieurs. Lorsqu’un crédit tourne
mal en effet, la banque risque de perdre l’intégralité du capital,
donc, une partie de l’argent des déposants.
Si les banques sont attentives à respecter les règles
prudentielles imposées, elles le sont tout autant dans la
définition de leurs propres règles d’octroi des crédits.
La règle d’or du crédit : la banque ne prête pas sur garantie,
mais elle ne prête pas non plus sans garantie ».
Les banques sont (presque) des entreprises comme les
autres
D’une certaine manière, la banque fonctionne comme une société de
commerce dont l’activité est d’acheter et de vendre et qui « vit » en
quelque sorte de sa marge entre ses prix d’achat et ses prix de
vente. L’analogie est que la banque emprunte et prête, avec des
taux d’intérêt différents. On pourrait dire qu’elle achète et vend… de
l’argent, et que ses prix sont des taux d’intérêt.
Comme pour toute entreprise, le résultat de la banque résulte
globalement de la différence entre ses revenus et ses dépenses.
L’équivalent du chiffre d’affaires est le produit bancaire. Le produit
bancaire représente les intérêts et les commissions perçus. Les
dépenses sont principalement les intérêts et les commissions
payées, et l’ensemble des dépenses de fonctionnement, salaires,
achats de biens et de services.
Ce calcul est proche du calcul du bénéfice de l’entreprise, à une
différence près toutefois, une différence d’importance : la banque
tient compte du coût du risque, c’est-à-dire le coût des crédits
sinistrés du fait du non-remboursement. Ce risque n’est pas
occasionnel, il est permanent.
Il faut bien voir comment se pose le problème pour la banque. Sa
marge sur le crédit est d’environ deux pour cent. C’est en quelque
sorte son espérance de gain… si tout se passe bien. Mais si tout va
mal, c’est-à-dire en cas de défaillance de l’emprunteur, son risque de
perte est bien supérieur, car elle perd non seulement son espérance
de gain, mais aussi le capital prêté à son client, qu’elle est tenue de
rembourser quoi qu’il arrive à ses prêteurs externes ou à ses
déposants.
L’entreprise a également un risque d’impayé sur ses ventes (chèque
sans provision, traite refusée), mais par rapport à la banque, les
proportions sont sans commune mesure.
Pour fixer un ordre de grandeur, si, comme indiqué plus haut, la
banque peut gagner deux pourcents si tout va bien, son risque de
perdre est en revanche de cent pourcents, soit 50 fois plus ! Le
risque est au cœur du métier de banquier.

L’interdépendance des banques


La seconde différence avec les entreprises est l’importance des
échanges entre banques.
Pour que la banque puisse prêter, il faut naturellement qu’elle
dispose des ressources nécessaires, et il est essentiel pour cela que
le marché interbancaire fonctionne.
Ce problème des ressources des banques n’est pas immédiatement
perceptible. C’est un fait, la banque prête l’argent de ses clients.
Mais si à un moment donné, tout l’argent des dépôts a été prêté, elle
peut néanmoins emprunter auprès d’autres banques en excédent,
ce dont elle a besoin pour faire un nouveau prêt. Le problème est
d’autant plus aigu que les banques prêtent « long » et que leurs
ressources sont « courtes », en ce sens qu’un client peut retirer son
argent à tout moment. Les échanges entre banques sont quotidiens.
Le système d’échanges, vital pour les banques est ce qu’on appelle
le marché interbancaire. L’actualité des années 2008-2015 a montré
l’attention extrême portée à ce problème par les autorités bancaires -
et en premier lieu par la BCE.

Comment la banque accorde les crédits


L’analyse du risque
Prêter c’est faire un pari sur la situation future de l’emprunteur. Et
pour évaluer cette situation future, le prêteur ne dispose… que
d’éléments passés. C’est le passé qui permet de se faire une idée
de la capacité de l’emprunteur à rembourser son prêt.
En règle générale, les banques regardent les comptes des trois
années qui précèdent la demande de crédit. Pourquoi trois ? Parce
que l’expérience montre qu’aller plus loin dans le passé n’a pas
grand sens.
Aussi fine soit-elle, l’analyse du risque a toutefois ses limites,
puisque rien ne permet de prévoir exactement l’évolution de la
situation future d’un emprunteur. Le risque zéro n’existant pas, le
prêteur cherche en outre les moyens de se couvrir d’une défaillance
toujours possible de son emprunteur.
À l’examen des comptes on ajoute une analyse des perspectives
commerciales de l’entreprise et de la solidité de son management.
Il faut aussi que le crédit soit rémunérateur.
Partant du principe que les difficultés économiques touchent
rarement l’ensemble des secteurs, les banques font en outre très
attention à la répartition de leurs risques, sur le plan économique et
géographique. Elles s’efforcent de respecter avec rigueur un certain
nombre de ratios prudentiels comme par exemple le coefficient de
division des risques : la banque s’abstient de prêter plus qu’un
certain pourcentage de ses fonds propres à un client donné, ou à
l’ensemble des clients d’un secteur économique donné.

Rentabilité, solvabilité et garanties


Pour déterminer ensuite si le risque est acceptable, la banque doit
répondre à trois questions
1 - Rentabilité : ce client a-t-il les ressources nécessaires pour
rembourser son nouveau crédit ?
2 - Solvabilité : la solidité financière du client est-elle suffisante
pour minimiser le risque de faillite ?
3 - Garanties : comment s’assurer de la récupération du capital en
cas de problème ?
Le thème du cash-flow, son calcul et surtout sa raison d’être font
l’objet du chapitre 19 ci-après.
La solvabilité exprime la capacité de l’entreprise à résister à la
faillite. Elle se mesure par l’analyse de son bilan. Rentabilité et
solvabilité ne vont pas obligatoirement de pair. Une entreprise dont
la rentabilité est supérieure à la norme du secteur peut néanmoins
présenter une grande fragilité du fait d’une structure financière
déséquilibrée.
Ce qui déclenche la faillite est l’incapacité de l’entreprise à honorer
une créance qui lui est présentée. L’entreprise n’a pas assez
d’argent en caisse ou de facilités bancaires pour payer un créancier :
un fournisseur, l’échéance d’un gros crédit ou le fisc par exemple.
Elle n’a plus les liquidités nécessaires. Un tel événement
malheureux peut toucher une entreprise en bonne santé affectée
par exemple par la défaillance d’un de ses clients.
Dans les faits, c’est la banque « maison » qui déclenche la faillite,
car c’est elle qui tient les clés des liquidités. C’est elle qui peut
décider de ne plus augmenter les facilités courantes de trésorerie.
Le banquier qui accorde ces facilités voit fonctionner les comptes au
jour le jour. Il est le premier informé des difficultés de l’entreprise. Il
peut donc apprécier à quel moment la situation de l’entreprise est
sans espoir, et refuser de continuer à lui faire crédit.
Il peut également prendre une telle décision pour des raisons de
politique interne, même si l’entreprise se porte bien. La banque veut
par exemple diminuer son exposition sur un secteur économique ou
géographique donné. De telles décisions sont rares mais elles
se produisent néanmoins. Dans cette hypothèse, l’entreprise n’a pas
d’autre choix que de solliciter une autre banque. Pas question pour
celle-ci de s’engager sur un nouveau client qui a une trésorerie
tendue malgré une situation bénéficiaire. La situation de trésorerie
est donc fondamentale pour comprendre si l’emprunteur est proche
de ses limites.

Bas de bilan
En langage clair, le « bas de bilan » résume et chiffre les éléments
de l’activité de l’entreprise qui génèrent des décalages de trésorerie,
donc des besoins de financement.
Comme indiqué au chapitre 4, les stocks de matières premières sont
payables immédiatement au fournisseur ou avec un délai convenu.
Ces matières premières sont progressivement utilisées dans la
production de produits finis. Pour produire, il faut payer des salaires
et diverses charges. Les produits finis sont ensuite stockés jusqu’à
la vente. Et enfin, le règlement de la vente prend lui aussi du temps.
Le flux de la vente ne compense que bien après le flux des
dépenses correspondantes. L’entreprise peut diminuer ce
décalage en réduisant le délai de paiement des clients et en
allongeant la période de règlement des fournisseurs.
En langage comptable, le besoin en fonds de roulement (A) en
abrégé BFR traduit d’un chiffre le résultat de tous les décalages de
trésorerie.
Une trop grande générosité commerciale en matière de conditions
de paiement, donc la hausse du poste « clients » qui ne serait pas
compensée par une re-négociation des conditions « fournisseurs »
aura pour effet mécanique l’augmentation du BFR.
La représentation ci-dessous par blocs illustre les catégories de
comptes figurant au bilan. Le « bas » du bilan concerne ce qui
« bouge » souvent. Le poste clients est en fait un chiffre qui
représente la somme des factures émises et non réglées le jour où
le bilan a été construit. Le poste stocks correspond à la valeur des
produits fabriqués et non vendus. De l’autre côté du bilan, au passif,
figure le poste fournisseurs, pendant du poste clients, c’est-à-dire
les factures reçues par l’entreprise mais non payées. Le poste
clients représente le crédit fait aux clients. Fournisseurs représente
le crédit fait par les fournisseurs. Ces postes varient chaque jour, au
gré des achats et des ventes de l’entreprise, à la différence des
postes du haut de bilan, qui ne varient qu’une ou deux fois par an.

Haut de bilan
L’expression « haut de bilan » désigne les ressources et les
investissements les plus stables de l’entreprise. Les ressources
stables sont les fonds propres de l’entreprise et les crédits à long
terme en cours. Les investissements stables, ce sont les machines,
l’immobilier, les participations financières…
En langage comptable, la différence entre ces deux éléments
s’appelle le fonds de roulement (en abrégé FDR). Ce montant
représente la partie disponible des ressources stables qui est
disponible pour… compenser en partie le besoin de financement
décrit plus haut, résultant des décalages des flux dans l’activité de
production et de ventes.
Incidemment, si en théorie l’entreprise n’avait pas ce besoin de
financement, la partie disponible des ressources stables se
retrouverait dans ses disponibilités, c’est-à-dire, son compte en
banque.

En pratique, il ne peut pas y avoir de correspondance exacte entre le


besoin de financement et la capacité interne de financement. La
raison est simple : si les ressources internes sont stables, il n’en est
pas de même des besoins de financement, qui varient chaque jour
en fonction de l’évolution des ventes, et donc des achats.
La partie du BFR non couverte par le FDR représente le besoin de
découvert bancaire. La bonne gestion consiste à couvrir la plus
grande partie du BFR avec le FDR. L’entreprise dépend moins de
son découvert bancaire et conserve ainsi une marge de manœuvre
en cas de difficulté, comme le défaut de paiement de l’un de ses
clients.
La difficulté pour la banque est en fait de déterminer le montant
maximum du besoin de découvert. Si le FDR est stable, ou
relativement stable à l’horizon d’un an, il n’en est pas de même du
BFR, lequel peut présenter de fortes variations cycliques.
Les bilans présentés par les entreprises sont des photographies
plutôt flatteuses, dont on ne peut pas déduire le BFR maximum. Le
dialogue du banquier avec son client est alors nécessaire.
Si le besoin maximum de découvert dépasse les plafonds
d’engagement de la banque, celle-ci pourra par exemple demander
à son client une renégociation du crédit « fournisseurs », voire
l’augmentation de ses fonds propres.

Voici la conséquence sur le bilan d’une mauvaise gestion du bas de


bilan :
Croissance rapide des ventes
Dans cet exemple, l’allongement des conditions de paiement a pour
effet l’augmentation du poste « clients » et va donc créer un « trou »,
c’est-à-dire un besoin de financement. Si l’entreprise ne réagit pas,
elle va tenter de combler ce besoin par l’augmentation des tirages
de son découvert. Tout dépend alors de l’attitude du banquier lequel
va mettre en relation ce nouveau besoin avec les éléments de haut
de bilan de l’entreprise.
Derrière cette terminologie se cache l’idée simple de partage de
l’effort à faire entre l’entreprise et la banque.
Le banquier examine alors les ressources stables de l’entreprise afin
de déterminer leur contribution au financement du BFR. Pour cela il
analyse le haut de bilan.

Les garanties
Le constat de la rentabilité de l’activité de l’emprunteur et de sa
solidité financière à un moment donné ne met pas le prêteur à l’abri
d’événements imprévisibles susceptibles d’entraîner ultérieurement
un changement radical de situation.
Sur une durée de quatre, cinq ou six ans, la durée moyenne des
crédits sur les biens d’équipements, les retournements de situation
sont toujours possibles. Le plus classique est comme indiqué plus
haut, la défaillance d’un client majeur. L’analyse du portefeuille de
clients constitue à cet égard une précaution indispensable. La mise
en place de garanties correspond à la nécessité de se couvrir des
conséquences possibles de ces événements, indépendamment de
leur nature ou de leur probabilité de réalisation.
Les deux règles d’or en matière de crédit et de garantie sont les
suivantes :
- on ne prête pas sur garantie ;
- on ne prête pas sans garantie.
Prêter sur garantie signifie négliger l’analyse de crédit telle
qu’exposée ci-dessus du fait de l’existence d’une garantie solide.
Il n’est pas sain de faire crédit à un emprunteur sans ressources
régulières, ou dont les ressources sont insuffisantes pour
rembourser ses échéances, ou pire, qui est à la merci de la faillite,
faute de facilités de trésorerie suffisantes. Pour le prêteur, la mise en
jeu d’une garantie est processus lourd et coûteux qu’il vaut mieux
éviter.
Accorder un crédit sur la base d’une garantie à un emprunteur dont
on sait d’avance l’incapacité à honorer ses échéances, ne relève
plus du métier de banquier, mais de l’action sociale. Pire encore
lorsque cette garantie repose sur un bien dont le prix est susceptible
de fluctuer, comme l’immobilier.
Prêter sans garantie est dangereux, car en cas de difficulté de
trésorerie, ce crédit sans garantie sera le premier touché, et le
premier à subir des impayés. Le débiteur choisira en effet de
retarder le paiement des échéances, voire de les interrompre
puisqu’en agissant ainsi, il n’encourt pas le risque d’une mise en jeu
de la garantie susceptible de rendre visible ses difficultés.
Les garanties sont de deux types. Il y a d’une part les engagements
donnés par des tiers pour la reprise des obligations contractuelles
de l’emprunteur lorsque celui-ci est défaillant. Et d’autre part
les gages ou sûretés réelles sur des biens. Dans la première
catégorie on trouve par exemple les cautions ou les engagements
de reprise, donnés par des personnes physiques ou morales. Du
point de vue de l’analyse de crédit, tout se passe comme si le
prêteur avait en face de lui un deuxième emprunteur, susceptible de
se substituer au premier en cas de défaillance de celui-ci. La valeur
d’une telle garantie est celle du garant. Il est donc nécessaire de
procéder à une deuxième analyse de crédit complète du garant pour
s’assurer de sa capacité à honorer son engagement de sa solidité
financière. Cette deuxième analyse de crédit exige la même rigueur
que la première. Les garanties ou sûretés « réelles » les plus
courantes sont les garanties sur les actifs de l’entreprise. Il s’agit par
exemple de gages sur les d’actifs de production, de
nantissement des actifs financiers, ou d’hypothèque des actifs
immobiliers.
Il faut savoir que dans le domaine du crédit, un risque n’est jamais
totalement couvert. En particulier, si les garanties permettent de
réduire les risques, elles ne sont pas elles-mêmes sans risques.

Comment négocier avec la banque


La négociation avec la banque, comme toute négociation, demande
un travail de préparation. Le point de départ est de bien
comprendre la méthode d’analyse de la banque… et de maîtriser
son propre dossier. Il faut ensuite identifier le processus interne de
décision et la place réelle de son interlocuteur dans ce
processus. Vient ensuite la question du rapport de force et l’analyse
de ce qui peut être négocié.

Banque maison
En matière de négociation, il faut faire une distinction entre la
banque « maison » et les autres banques. La banque maison,
partenaire privilégié de l’entreprise, gère la plupart des flux
financiers, apporte des cautions et finance notamment le découvert.
Elle dispose pour cela des meilleures garanties que l’entreprise peut
lui apporter (fonds de commerce, nantissements, garanties
personnelles).
Les autres banques ont avec l’entreprise une relation plus
épisodique, mais qui peuvent être non moins importantes. C’est le
cas pour des crédits pour des investissements à moyen terme, et
surtout pour le commerce extérieur. En fonction de leur importance,
ou de l’importance du risque, ces crédits peuvent être syndiqués,
c’est-à-dire que plusieurs banques se partagent les risques et se
regroupent sous l’autorité d’un chef de file.
Dans tous les cas, la notion de négociation concerne moins l’aspect
financier c’est-à-dire le coût du crédit ou le coût des services
bancaires que le crédit lui-même, et le type de services que le client
peut demander à sa banque.
La relation avec la banque maison s’établit dans la durée et chaque
partenaire accorde une importance à cette durée. La banque connaît
de mieux en mieux son client, élément essentiel de sa connaissance
du risque. Et réciproquement l’entreprise sait qu’elle peut compter
sur sa banque, elle sait ce qu’elle peut ou ne peut pas lui demander.

Discuter les taux


La question du coût de l’ensemble des services apportés par la
banque est importante, sans être primordiale. Ce qui est important
est que l’entreprise sache exactement ce que la banque lui coûte et
surtout ce qu’elle rapporte à sa banque en termes de revenus. Ce
point est toujours évoqué en comité des risques, c’est en quelque
sorte le thermomètre de l’intérêt économique d’un client pour la
banque.
Demander à sa banque une réduction des commissions, frais de
tenue de compte, etc. est toujours possible mais l’entreprise est
souvent plus avisée de placer ailleurs l’enjeu de sa négociation avec
la banque. Qu’elle demande ou pas une réduction des conditions,
l’entreprise doit de toute façon savoir ce qu’elle rapporte à sa
banque et le dire à son banquier. Estimer ce revenu bancaire n’est
pas hors de portée. Il faut pour cela calculer le découvert moyen sur
l’année, lui appliquer le taux d’intérêt et les commissions convenues,
et ajouter les revenus générés par les autres services bancaires.
En lieu et place d’une baisse des coûts, l’entreprise peut obtenir des
avantages ponctuels non négligeables et qui rapporteront peut-être
plus qu’une simple baisse des conditions bancaires. C’est par
exemple une année de plus ou une période initiale en franchise de
paiement dans un crédit moyen terme. Le principe à respecter, et à
faire respecter est celui du win-win.

Autres banques
La manière la plus simple de procéder est la mise en concurrence
des banques, ce qui est toujours possible et même souhaitable
s’agissant des opérations ponctuelles, comme les crédits
d’investissement à moyen terme ou le crédit export.
Mais là aussi, l’entreprise doit d’agir de manière avisée et bien
choisir les banques qui seront mises en concurrence. Si par exemple
l’entreprise cherche à financer l’extension des bâtiments de son
siège et se préoccupe par ailleurs d’un éventuel développement à
l’étranger, elle inclura dans son appel d’offres une banque dont
l’expertise est reconnue dans la région qui l’intéresse. Le choix final
de la ou des banques s’appuiera sur ce type de considérations qui
vont plus loin que le taux facial d’un crédit. L’entreprise se devra
d’expliquer alors aux banques non retenues les (bonnes) raisons de
son choix.
Dans cet exemple, une opération « banale », un crédit immobilier est
pour l’entreprise une opportunité d’entrée en relation avec une ou
plusieurs nouvelles banques. La banque maison est bien sûr partie
prenante du crédit. L’entreprise « gagne » sur deux tableaux : elle
prépare l’avenir tout en faisant comprendre à la banque maison que
celle-ci n’est plus tout à fait seule. Voilà la vraie négociation,
l’appréciation du rapport de force, et lorsque l’opportunité se
présente, le changement en sa faveur du rapport de forces.
Une affaire de confiance réciproque
Pour l’entreprise comme pour le particulier, la relation avec la
banque doit se concevoir dans la confiance et dans la durée. Le
crédit n’est pas une science exacte. Les éléments « techniques » du
crédit doivent être bien sûr maîtrisés, mais ce qui compte tout autant
est le jugement, l’appréciation que chacun se fait de la capacité de
l’autre à tenir ses engagements.
Le commercial de la banque qui défend « son » client en comité des
risques s’engage en quelque sorte sur la qualité de l’emprunteur. Et
de même, le client doit sentir que la parole de la banque est solide,
ce que résume la formule anglo-saxonne my word is my bond, ma
parole m’engage.
Ce n’est pas qu’une clause de style. La vie des affaires s’accélère
parfois et il peut arriver que l’entreprise s’engage elle-même vis-à-vis
d’un client en s’appuyant sur un accord verbal de la banque. Dans
tous les cas, petite ou grande entreprise, petite ou grande banque,
la personnalisation de la relation est non seulement inévitable, elle
est nécessaire.

CHAPITRE 8
« IL FAUDRAIT NATIONALISER LES
BANQUES »

Résumé de ce chapitre
La présence de l’État dans une banque pose inévitablement le
problème de la confusion des genres. L’État peut être tenté de
résoudre des problèmes économiques et sociaux en
contraignant les banques qu’il contrôle à soutenir des
entreprises mal gérées, à l’encontre des règles de bonne
pratique de la profession, à l’encontre des règles européennes,
et aux frais des contribuables.
L’exemple français de la BPI montre qu’il existe en fait une
« zone grise » dans l’interprétation de ces règles et donc dans la
frontière entre interventionnisme étatique et libre jeu de la
concurrence. Cette banque nationale a su tirer parti de cette
zone grise et par une gestion habile éviter la trop grande visibilité
de ses actions de soutien.
L’exemple des banques nationales chinoises pose un problème
complexe aux autorités depuis que ce pays a choisi une politique
d’ouverture économique et monétaire. Les mauvais crédits
accumulés dans leurs bilans sous la pression des autorités
nationales et provinciales font douter de la solidité du système
bancaire chinois dans son ensemble. Cette situation empêche
l’intégration de la Chine dans la communauté bancaire
internationale et freine l’acceptation du Yuan en tant que
monnaie internationale.

Une fausse bonne solution


Les crises de ces dernières années dans le monde, les crises
immobilières notamment, ont montré que des banques, parfois
même des banques d’excellente réputation, commettent des erreurs
en ce sens qu’elles prêtent ou font des placements en contradiction
flagrante avec les principes cardinaux de la profession concernant la
maîtrise des risques.
À première vue, la nationalisation des banques peut paraître comme
une mesure de bon sens étant donné que les défaillances bancaires
sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public.
En risquant de faire faillite en effet, ces banques mettent en danger
les dépôts de leurs clients, des milliers, voire des millions de clients
selon la taille des établissements concernés. Ces déposants
risquent de perdre leurs avoirs alors qu’ils n’ont aucune
responsabilité dans l’activité de la banque et dans les erreurs de
gestion éventuelles commises par le management.
Le problème est plus large encore si l’on considère que des banques
même gérées de manière irréprochable peuvent être en quelque
sorte « contaminées » par la faillite d’un autre établissement de la
place. La raison en est l’interdépendance structurelle des banques
par le biais du marché interbancaire.
En deux mots, les banques utilisent l’argent des comptes des clients
pour faire leur métier qui est de prêter. Ce qui est prêté est prêté,
mais les dépôts varient au jour le jour en fonction des mouvements
de comptes de chaque client. À un moment donné, la banque peut
donc avoir un écart entre ses disponibilités et les demandes de la
clientèle (retraits ou nouveaux crédits). Le marché interbancaire, en
connectant toutes les banques entre elles, permet de résoudre ce
problème par la circulation quotidienne des excédents d’une banque
à l’autre. C’est donc un dispositif vital pour le bon fonctionnement du
système. Ce sujet est examiné en détail dans le zoom de la
deuxième partie du livre.
Dans ce contexte, l’idée de la nationalisation des banques a de tout
temps germé dans les esprits. Puisque l’activité bancaire présente
des risques potentiels élevés pour la population, il serait nécessaire
d’en laisser à l’État la prise en charge et son encadrement.
À cela s’est ajoutée - et s’ajoute encore - la croyance que l’État ferait
un meilleur banquier que les banques privées dont le seul objectif
est de faire des profits sans considération de l’intérêt général.
Les choses ne sont toutefois pas si simples. Il ne suffit pas de
décréter que les banques sont nationalisées pour résoudre les
problèmes. L’histoire des nationalisations passées et l’observation
de ce qui se passe dans certains pays montrent les nombreux effets
secondaires de ce « médicament ».
La confusion des genres pénalise les banques qui n’appartiennent
pas à l’État
Ces effets secondaires sont le résultat de la confusion qui se produit
presque immanquablement entre pouvoir politique et réalité
économique. Lorsque l’actionnaire d’une banque est l’État, la
tentation est grande pour ce dernier de « forcer » l’octroi des crédits
à partir de considérations politiques.
Le problème qui se pose alors est celui des limites. À quel moment
la banque nationale arrête de faire crédit aux entreprises qui ne sont
pas viables ? Pendant combien de temps doit-elle soutenir les
canards boiteux ? Sur quels critères juger le management de la
banque ? À cela s’ajoute le problème du coût pour l’État donc pour
le contribuable, puisque les pertes de la banque sont celles de
l’actionnaire, et que ce dernier doit bien les compenser. S’il ne le fait
pas, la banque ne peut plus honorer ses engagements, payer ses
salaires, etc.
Ce problème de la nationalisation des banques n’appartient pas au
passé puisque certains en Europe le préconisent. Deux exemples
contemporains illustrent cette inévitable tentation et ses
conséquences : la BPI en France et les banques chinoises.

L’exemple de la Banque pour l’Investissement (BPI)


Depuis sa création en 2011, la Banque Pour l’Investissement (BPI)
agit dans la discrétion. En fait cette institution n’a pas été créée ex-
nihilo mais résulte de la fusion d’entités étatiques qui existaient déjà
en France dans le domaine du financement des entreprises et de
l’aide à l’exportation.
La BPI prend chaque jour des décisions de financement sous forme
de crédits, de garanties ou par le biais d’investissements dans le
capital des entreprises. Les décisions de crédit sont prises comme
dans toutes les banques à partir des critères habituels de la
profession.
La prise de risque est au cœur du métier de la banque. Trop de
risques conduisent à des pertes excessives qui détruisent le capital
de la banque et donc celui des actionnaires, mais trop peu de
risques affectent également les bénéfices de la banque car les
crédits peu risqués sont peu rémunérés. Or la banque, comme toute
entreprise, doit générer une rentabilité suffisante pour que ses
actionnaires répondent favorablement à de futurs appels de fonds.
Ces décisions de crédit, toujours difficiles, sont prises dans toutes
les banques au sein de comités des risques où sont tour à tour
examinés les éléments économiques, commerciaux, et la qualité de
gestion des demandeurs de crédits.

Les pressions politiques


Des crédits sont refusés par la BPI, c’est inévitable. Certaines des
entreprises concernées savent qu’elles disposent d’un recours
possible, susceptible de fausser en quelque sorte l’analyse
économique de la banque. Elles peuvent plaider leur dossier auprès
d’instances politiques régionales.
Les instances politiques consultées peuvent alors faire pression sur
le management de la BPI, au besoin en faisant « monter » le dossier
à Paris. Elles vont mettre en avant la dimension sociale des
problèmes des entreprises concernées, les conséquences d’une fin
d’activité entraînée par le refus d’un crédit. Il faut tout le talent du
management pour résister aux pressions et trouver des solutions qui
préserveront autant que possible son autonomie de décision tout en
évitant d’apparaître comme le responsable d’une éventuelle faillite
d’entreprise.
Une manière « classique » de résoudre le problème est la suivante.
La banque d’État reste ferme sur son refus initial mais propose de
changer la donne avec une augmentation de capital de l’entreprise
en difficulté financière. Elle invite alors l’instance régionale qui est
« montée au créneau » pour défendre les intérêts de l’entreprise à
prendre sa part dans cette augmentation de capital.
Quel que soit le montage toutefois, si les choses se passent mal, en
cas de faillite de l’entreprise aidée, c’est l’argent du contribuable qui
est perdu.

Une concurrence accrue vis-à-vis des banques privées


Face à cette situation, le challenge posé au management de la
banque publique est de compenser par des bénéfices accrus les
pertes futures inévitables liées à certains crédits risqués consentis
contre son gré.
Pour préserver l’équilibre de ses comptes, et donc l’argent du
contribuable, elle est contrainte de développer son activité auprès
des « bons » clients, ce qui n’est pas vraiment sa mission première.
Le problème est qu’elle vient alors sur le terrain des banques de
crédit « classiques », lesquelles ont tout autant besoin de ces bons
clients. Elles aussi espèrent compenser leurs pertes sur les crédits
en cours par les revenus issus des « bons » crédits.
La différence avec la BPI est que ces banques ont déjà des pertes à
gérer du fait de crédits anciens. La compensation de ces pertes par
les gains sur les bons crédits est donc une composante essentielle
de leur business model.
Avec la BPI, elles doivent donc affronter une concurrence accrue sur
ce segment d’emprunteurs. Cette concurrence faussée de la BPI
crée une fragilisation inévitable des banques privées.
Le résultat final n’est pas vraiment positif au sens du bien public si
l’on considère que la BPI risque malgré tout d’enregistrer des pertes
tout en privant les banques classiques des moyens de diminuer les
leurs.

L’exemple des banques chinoises


La presse internationale fait état périodiquement des difficultés des
banques chinoises et des doutes sur la solidité de certaines d’entre
elles. Ce problème est perceptible dans le mauvais fonctionnement
du marché interbancaire. Les banques qui ont des excédents n’ont
plus confiance dans la solvabilité de celles qui veulent emprunter.
On parle de la fragilité du système bancaire, une manière élégante
et conventionnelle de dire que de nombreuses banques chinoises
ont accordé des prêts à des clients non solvables. Cela veut dire
aussi leurs pertes réelles ne sont pas traduites dans leurs comptes
apparents. Ces banques ont accordé des crédits à des emprunteurs
notoirement incapables de rembourser. Elles l’ont fait sous la
pression de l’État central ou des autorités locales, au niveau des
provinces. L’absence de visibilité des engagements réels des
banques a pour effet le blocage du marché interbancaire. La Banque
centrale de Chine est forcée d’intervenir en prêtant directement aux
banques en manque de liquidité ce que les autres banques ne
veulent pas leur prêter.
Le volume des prêts douteux détenus par l’ensemble des banques
n’est pas public. Selon des informations parues au début de l’année
2016 toutefois, l’endettement global des banques vis-à-vis du
secteur privé et du secteur public représenterait plusieurs fois le PIB
chinois. Peut-être que certaines de ces banques ont perdu
l’équivalent de leur capital, et plus même. En l’absence
d’information, sans une action drastique des autorités pour éliminer
ces banques ou les recapitaliser, la situation ne peut que perdurer.
Les banques chinoises continueront à se méfier les unes des autres
et donc le marché interbancaire restera bloqué.
Le problème posé aux autorités chinoises est que cette situation
empêche les banques chinoises de rejoindre la communauté
bancaire internationale. Or cette intégration est essentielle pour
permettre à la Chine d’atteindre pleinement son objectif
d’internationalisation de la monnaie nationale, le yuan.
CHAPITRE 9

« L’AUSTÉRITÉ AFFAIBLIT L’ÉCONOMIE »


Résumé de ce chapitre
À première vue, la notion d’austérité paraît s’opposer à la notion
de relance de l’économie, indispensable pour réduire le chômage.
Le problème est que la France s’est endettée pour financer ses
déficits, et le niveau atteint, contraire aux accords européens,
représente une menace pour son indépendance, car la capacité
d’emprunt française et le niveau des taux dépendent du bon
vouloir des marchés.
La relance est nécessaire pour lutter contre le chômage. Sa
réduction durable repose sur les créations d’emplois dans les
entreprises. L’action volontariste de l’État sur ce plan peut prendre
deux formes, appelées politique de l’offre ou politique de la
demande. La politique de l’offre consiste à renforcer les capacités
productives des entreprises par des mesures incitatives à
l’investissement comme les allégements de charges ou de
fiscalité. La politique de la demande consiste à augmenter le
pouvoir d’achat des consommateurs par diverses mesures
incitatives.
En pratique, les pouvoirs publics français combinent tous ces
éléments, L’austérité traduit la nécessité d’inscrire toute action de
relance dans un objectif global de réduction de la dépense
publique. La clé du succès est dans la restauration de la
compétitivité des entreprises.
La réduction de la dette est prioritaire
La question de la dépense publique est essentielle en situation
d’endettement élevé. Il faut considérer en effet que le budget
français est « déjà » en déficit, de sorte que toute dépense
supplémentaire ne peut être financée que par l’emprunt.
Un niveau élevé de dette n’est pas tenable dans la durée car le
paiement des intérêts représente une lourde charge. La situation
exceptionnelle des taux négatifs en 2015-2016 ne s’applique qu’à
une partie de la dette nouvelle. Outre le risque de taux, le risque de
liquidité est également à prendre en compte. Derrière cette
expression, il faut entendre le risque de ne plus trouver de prêteurs
disposés à financer l’État français, même si aujourd’hui ce risque
peut paraître théorique.

Endettement et dépendance des marchés


Il faut bien voir que les besoins français sont considérables. Le
montant des nouveaux emprunts annuels doit être calculé en
ajoutant au déficit de l’État - environ 70 milliards - le remboursement
des emprunts arrivés à échéance. En clair, la France doit emprunter
chaque année beaucoup plus que son déficit.
La raison est dans la manière d’emprunter de la France, qui n’est
pas celle que chacun connaît dans la vie courante. Un emprunt
immobilier, par exemple, est remboursé par mensualités constantes
incorporant une partie « remboursement du capital » et une partie
« intérêts ».
La France emprunte traditionnellement par « petits morceaux », sur
des durées variables de quelques mois à dix, quinze ou vingt ans et
rembourse à la fin de chaque période. Comme elle n’a pas de
ressources pour faire ces remboursements, elle émet de nouveaux
emprunts pour rembourser les anciens… et emprunte aussi pour
payer les intérêts. L’effet boule neige s’amplifie chaque année.

Une fausse sécurité


Depuis la création de l’euro, la France emprunte facilement, malgré
l’augmentation constante de la dette. Ces emprunts, réalisés sous
forme d’émissions d’obligations, sont souscrits semaine après
semaine par les investisseurs. Les apparences peuvent être
trompeuses.
La dette française pose un problème de sécurité lié à l’incertitude sur
le comportement des prêteurs, c’est-à-dire des marchés, dans
l’avenir, un aspect de la réalité rarement évoqué. Il règne à ce sujet
une sorte d’indifférence de l’opinion, une indifférence que l’État ne
cherche pas à corriger car le thème de la dépendance ou d’une
forme de dépendance de la France à l’égard des « marchés » est un
thème sensible.
Les prêteurs ont pour ainsi dire la main sur le robinet des crédits et
le pouvoir de fixer les règles du jeu.

Une grande partie de la dette est placée hors de France


La moitié environ de la dette française est souscrite en dehors de la
France. Il y a une grande différence sur ce point avec le Japon, par
exemple, dont la dette pourtant proportionnellement plus élevée, est
plus sûre que celle de la France, car placée exclusivement auprès
de prêteurs japonais, banques, assurances et fonds de pension. En
cas de difficultés aiguës, on peut concevoir que le patriotisme
japonais jouerait son rôle et que la continuité du financement de
l’État serait assurée. Il faut ajouter à cela un élément d’importance :
l’absence de risque de change du point de vue des prêteurs.

L’effet protecteur de l’euro


Il faut bien voir que les taux très bas et parfois négatifs dont la
France a profité sont la conséquence directe des mesures
conjoncturelles de la BCE.
La facilité de la France à trouver des prêteurs est à conséquence
directe de son appartenance à l’euro. La force et la stabilité de la
devise européenne rassurent les investisseurs mais il y a surtout le
sentiment que prêter à la France c’est en termes de risque comme
prêter à l’Europe. L’euro agit donc comme un bouclier protecteur
pour la France.
En cas de sortie de l’euro, la perception du risque « français » par
les prêteurs changerait du tout au tout et se traduirait d’emblée par
la hausse des taux d’intérêt. La dévaluation inévitable du franc
augmenterait mécaniquement le poids de la dette en cours et
l’évolution incertaine du taux de change rendrait les prêteurs encore
plus circonspects.

Politique de l’offre ou politique de la demande


Ce sont les entreprises qui créent des emplois et de la richesse.
L’action volontariste de l’État vise donc à aider ces dernières à
développer leur activité.
Plusieurs solutions sont possibles selon que l’État choisit d’aider
directement les entreprises par des allégements de leurs coûts ou
indirectement en aidant les clients des entreprises à consommer
plus.

Politique de l’offre
L’État aide directement les entreprises
Pour stimuler la demande globale de biens et de services en
direction des entreprises, il y a une première méthode consistant à
aider ces dernières à produire plus et moins cher.
Cette aide vise à baisser le coût des charges et de l’impôt pesant sur
leur activité.

On peut s’interroger sur l’efficacité réelle de cette politique qui ne


peut être mesurée que dans la durée. Toutes les entreprises ne
traduisent pas immédiatement les allégements de charges et de
fiscalité en investissements générateurs d’emplois nouveaux.
Une partie de l’opinion peut aussi s’émouvoir des « cadeaux sans
contrepartie » et ignorer complètement l’aspect positif des mesures.
Il est certain que certaines entreprises peuvent profiter d’un effet
d’aubaine, c’est-à-dire qu’elles avaient de toute façon prévu
d’investir et qu’elles avaient les moyens de le faire. D’autres
entreprises n’investissent pas immédiatement.
La politique de l’offre doit s’accompagner d’un élément
psychologique d’importance, la confiance des entreprises en l’avenir.
Les expériences récentes des pays européens concernés ont ainsi
toutes montré les effets positifs sur l’emploi de la politique de l’offre.

Politique de la demande
L’État augmente le pouvoir d’achat des consommateurs
L’aide à l’activité des entreprises peut aussi s’exprimer de manière
indirecte. C’est le cas des mesures d’amélioration du pouvoir d’achat
des consommateurs, mesures qui se traduisent en demande
additionnelle de biens et de services, donc en un supplément
d’activité pour les entreprises.
Techniquement, cette politique consiste à baisser la fiscalité directe
sur les ménages, à relever les salaires des fonctionnaires et à
augmenter le SMIC, sachant que toute hausse du SMIC induit une
hausse générale des bas et moyens salaires.
Alternativement ou en complément, l’État peut choisir d’augmenter
ses propres achats par le biais des commandes publiques, ciblées
sur certains secteurs clés comme le bâtiment et la construction.

Cette politique, électoralement attractive et facile à mettre en œuvre,


présente l’inconvénient d’une moindre efficacité sur l’emploi que la
précédente et entraîne surtout des effets secondaires négatifs.

Limites de la politique de la demande


La politique de la demande est moins efficace que la politique de
l’offre car il y a des « fuites ». L’aide financière aux « ménages »
c’est-à-dire aux consommateurs ne parvient pas en totalité aux
entreprises.
En d’autres termes, un euro d’aide ne se traduit pas par un euro de
chiffre d’affaires supplémentaire pour les entreprises. Il faut en effet
tenir compte de l’épargne et des achats de produits étrangers.
Plus de 50 % de l’aide fournie finance des importations de produits
de consommation. La raison est soit l’incapacité des entreprises à
faire face rapidement à une augmentation de la demande, soit la
préférence des consommateurs pour des produits qui ne sont pas ou
plus fabriqués en France.
C’est le cas de nombreux produits électroniques, comme les
ordinateurs et les téléphones ou l’équipement des foyers, c’est-à-
dire la plupart des produits dits « noirs » ou « blancs ».
Plus généralement, l’ensemble des produits dits « grand public », y
compris dans le domaine du textile, est concerné par le phénomène
du low cost qui s’applique aux produits, certes de moindre qualité,
mais bien moins chers car fabriqués dans des pays à faibles coûts.

Relance « keynesienne »
Sur le plan historique, la politique de la demande, théorisée par
Keynes dans les années trente, est à l’origine du New Deal de
Roosevelt, une politique qui a permis le redressement économique
des États-Unis après la grande crise. La politique de l’offre quant à
elle repose sur les travaux d’économistes comme Say et Ricardo, et
le meilleur exemple de son application se situe dans les années
1970 sous la présidence de Reagan. La relance dite keynésienne a
encore ses adeptes aujourd’hui du fait de ses effets positifs pour la
population. Il est toutefois reconnu que la mondialisation des
échanges a considérablement réduit son efficacité économique.

Restaurer la compétitivité
En pratique l’État combine la politique de l’offre et la politique de la
demande. Dépenser plus ou diminuer les recettes, aboutissent
finalement au même résultat qui est d’augmenter le déficit donc la
dette publique. Pour atténuer l’effet boule de neige de la dette, l’État
s’efforce parallèlement de diminuer quelque peu les autres
dépenses.
L’idée implicite est que cette nouvelle augmentation de la dette se
justifie par de nouvelles dépenses productives qui permettront
ensuite un désendettement plus rapide.
C’est oublier les multiples contraintes pesant sur ces choix : la
charge croissante des intérêts de la dette, l’incertitude sur le
comportement des marchés et l’engagement français dans la
construction européenne.
Les emplois publics sont une solution temporaire, socialement
bienvenue en période de chômage intense et leur avantage est dans
la rapidité de mise en place. C’est une caractéristique d’importance
car la reprise des investissements donc de l’emploi dans les
entreprises après une période de récession est un processus lent.
Ce processus ne peut être vertueux que s’il est ciblé prioritairement
sur la restauration de la compétitivité des entreprises. Préserver,
encourager, les capacités d’investissement des entreprises reste
pour cela au cœur de la politique à moyen et long terme de l’État.
CHAPITRE 10

« EN QUITTANT L’EURO, LA FRANCE


RETROUVERAIT SA SOUVERAINETÉ

Résumé de ce chapitre
L’idée de sortir de l’euro repose sur la perception que cette
mesure permettrait à la France de corriger par la dévaluation
l’écart de productivité vis-à-vis de l’Allemagne et aussi de ne plus
subir les contraintes imposées par l’Europe. Cette perception est
erronée à plusieurs titres. De nos jours, ce n’est plus l’État qui
décide de la valeur de sa monnaie, mais le marché. Le déficit
structurel du commerce extérieur français entraînerait la perte de
contrôle du franc sur le marché des changes et son instabilité
chronique. L’inflation importée résultant de la dévaluation
diminuerait considérablement l’effet prix à l’exportation, un effet
par ailleurs aléatoire, car la demande de produits exportés ne se
détermine plus seulement à partir du prix. La hausse immédiate
des prix de nombreux produits importés, l’énergie notamment
provoquerait une perte importante de pouvoir d’achat pour la
population. L’endettement public et privé souscrit hors de France
ne pourrait pas être converti en francs sous peine de bloquer
toute possibilité de nouveaux emprunts. Cette dette augmenterait
en fonction de la dévaluation. Toutes ces raisons détruisent
l’illusion d’une souveraineté retrouvée puisque la sortie de l’euro
soumettrait la France aux lois du marché. A contrario,
l’appartenance à l’euro représente un partage de souveraineté
dont les

effets positifs doivent être mesurés à leur juste importance. L’euro


protège la France car il apporte une double stabilité, vis-à-vis des
pays de la zone euro avec lesquels les échanges ont été
considérablement simplifiés, et en dehors, puisque la force de
l’euro lui permet de faire jeu égal avec les autres devises qui
dominent le monde, le dollar et le yuan principalement. L’exemple
de certains pays qui ont gardé leur devise - Royaume-Uni,
Norvège ou Suisse notamment, doit être regardé de près. Tous
ont gardé un avantage spécifique à l’exportation qui protège leurs
devises respectives. Mais tous ont aussi négocié des accords
particuliers avec l’Europe, pour obtenir dans les négociations
internationales un poids sans commune mesure avec la taille
relative de leur économie. C’est toute la difficulté à laquelle le
gouvernement britannique doit faire face depuis le vote en faveur
du Brexit.

Mythe et réalité de la dévaluation


L’opinion est sans mémoire. On a l’impression que l’euro, né en
janvier 1999, a toujours existé. La longue période d’une trentaine
d’années qui a précédé, marquée par des dévaluations répétées et
humiliantes, est déjà lointaine dans les esprits. La France dévaluait
souvent sa monnaie et l’opération se faisait dans la douleur.
Le problème de base était le déficit du commerce extérieur. La
France importait plus qu’elle n’exportait. La difficulté d’exporter était
la conséquence des prix élevés, eux-mêmes conséquence d’une
forte inflation intérieure. Concrètement, la dévaluation n’était pas
décidée tranquillement, mais imposée par de violentes attaques du
franc sur les marchés. Ceux qui avaient des francs les vendaient à
tout prix contre des devises plus solides. La Banque de France
puisait dans ses réserves de devises pour acheter les francs sur les
marchés de manière à freiner la chute du cours, mais en vain. À
chaque fois, ce scénario se terminait par une capitulation.
Après la dévaluation, les produits français devenaient
momentanément attractifs à l’exportation, mais dans le même
temps, les importations étaient plus chères, surtout le pétrole dont le
pays avait grand besoin. La hausse des prix des produits importés
grignotait peu à peu l’avantage initial de la dévaluation, de sorte
qu’une nouvelle dévaluation devenait nécessaire sur les marchés
extérieurs quelques mois ou années après pour corriger le déficit
extérieur.

La force de l’euro face à la mondialisation


La force de l’euro s’exprime à l’international, où il s’est établi en
concurrent sérieux du dollar. Elle s’exprime aussi à l’intérieur, dans
son rôle protecteur. Avant l’euro, comme indiqué, l’instabilité
chronique du franc était le résultat d’une forte inflation et du
déséquilibre importations/exportations. L’inflation a disparu, mais les
comptes extérieurs se sont dégradés, de sorte que l’on assisterait au
retour à l’instabilité. Le franc subirait l’immense pression des
marchés. On ne peut plus parler de dévaluation puisque, faute de
réserves en devises, la Banque de France ne pourrait pas annoncer
une parité et s’y tenir. L’érosion du franc aurait un effet immédiat sur
la dette française souscrite en dehors de France, dont le
remboursement pèserait de plus en plus lourd.
Plus grave encore, le retour au franc affaiblirait considérablement la
position française sur la scène internationale, face aux grands blocs
américain et asiatique. Qu’on le veuille ou non, les rapports entre les
blocs sont plus que jamais des rapports de force économique et
financier. Se priver de l’euro signifierait un affaiblissement immédiat
de la France vis-à-vis de ces blocs. La France n’a pas comme la
Suisse, la Norvège ou même le Royaume-Uni des avantages
comparatifs lui permettant de tirer son épingle du jeu en dehors de
l’euro. Ce que l’on sait moins et que le Brexit a révélé, c’est que ces
pays ont tous négocié des accords particuliers avec l’Europe, pour
profiter de sa force et faire meilleure figure dans les discussions
internationales.
L’euro est une notion difficile à saisir. Élément banal de la vie
quotidienne d’un côté et entité abstraite de l’autre. Ce côté abstrait
découle de la notion de confiance qui accompagne toute monnaie.
Un élément subjectif, perçu différemment selon que l’on est dans ou
en dehors de la zone concernée. Aujourd’hui, les Européens utilisent
l’euro comme ils utilisaient leur monnaie nationale, sans y penser
vraiment. Ils n’ont pas conscience du progrès qu’il a représenté et du
chaos qui suivrait sa disparition.
Le passage à l’euro a complètement changé la donne. Géré de
façon remarquable par la Banque centrale européenne, cette devise
a conquis en un temps record, contre tous les pronostics, la place
enviée de deuxième monnaie de réserve mondiale, après le dollar.
Cela signifie que ceux qui ont des réserves (pays du Golfe, Chine,
entreprises mondiales) ont suffisamment confiance dans la force et
la stabilité de l’euro pour placer dans cette devise une partie
importante de leurs avoirs. Ce n’est pas qu’une une affaire de
monnaie, mais, à travers la confiance dans la monnaie, la perception
de la vraie puissance économique de l’Europe.
Grâce à l’euro, des pays plus ou moins forts isolément sur le plan
économique, mais suffisamment complémentaires ont su constituer
un ensemble unifié puissant.
Globalement le commerce extérieur des pays de la zone euro est
excédentaire, ce qui veut dire que l’Europe n’a aucun problème de
ressources en devise autre que l’euro pour honorer ses
engagements, au contraire. La bonne santé globale de l’ensemble a
même été à l’origine d’une hausse de l’euro par rapport au dollar,
même si d’autres facteurs, comme les taux d’intérêt ont joué un rôle.
La France a bien évidemment profité de ce
formidable bouclier protecteur. Son déficit extérieur ne pèse pas sur
les comptes de l’Europe, et n’entame pas le crédit extérieur de l’euro
car il est compensé par les excédents des autres pays de la zone.
Sans l’euro, notre pays aurait été affaibli.
Il faut mettre au crédit de la BCE le succès indiscutable et la
crédibilité de l’euro.

Le grand public ne se rend pas compte de l’avantage de l’euro


En dehors du tourisme et des problèmes de transfert d’argent au
sein de la zone euro, la monnaie n’a pas changé de manière visible
la vie de tous les jours des Français.
Pour les entreprises en revanche le changement a été considérable,
et en premier lieu pour celles qui commercent avec les pays de la
zone euro. Le coût du change a été éliminé, de même que le risque
de change. Exporter ou importer vers ou depuis la zone euro est
devenu aussi simple que vendre ou acheter sur le territoire national.
Les transactions commerciales en dehors de la zone euro ont
également été facilitées par la relativité stabilité du taux de change
de l’euro vis-à-vis des autres devises. Dit autrement, le risque de
change est toujours présent mais dans des proportions fortement
diminuées.

Sortie de l’euro : les risques


La protection que nous apporte l’euro pourrait disparaître du jour au
lendemain en cas de retour au franc.
Ce retour est présenté comme la solution d’un problème réel,
la différence de productivité entre la France et l’Allemagne. Le retour
au franc nous laisserait libres de corriger cette différence par le
« jeu » de la dévaluation.
Ce serait la très mauvaise solution d’un vrai problème, une utopie
dangereuse par sa simplicité et donc par son attrait possible dans
l’opinion.
Il faut imaginer le chaos que provoquerait le scénario de la sortie de
l’euro. Les problèmes du déficit extérieur et de l’endettement
français surgiraient alors au premier plan,
provoquant une spéculation immédiate et la dévaluation continue du
franc sur les marchés, par rapport au dollar, au yen et… à l’euro,
avec toutes ses conséquences économiques et sociales.

Un chaos inéluctable
Pour le comprendre, il faut partir de la réalité concrète. De nombreux
acteurs de l’économie ont chaque jour besoin de se procurer des
devises pour payer des importations, pour effectuer des
remboursements de crédits accordés par des prêteurs situés hors de
France, pour investir à l’étranger, acheter des actions, etc.
Les emprunteurs sont des entreprises privées ou publiques, et l’État
lui-même. Ceux qui prêtent, les créanciers donc, sont des banques,
s’il s’agit de crédits, et plus généralement tous ceux qui détiennent
hors de France des obligations émises par des emprunteurs
français.
Avec l’euro, pas de problème, puisque d’une part une grosse partie
du commerce extérieur concerne les pays de la zone euro et pour le
reste, les paiements en devises sont faciles à effectuer, sachant que
la valeur de l’euro dans le temps est stable et en tout cas prévisible.
Sans l’euro, tout change, car alors ce n’est plus une partie des
importations, mais la totalité qui devrait être réglée en devises et
malheureusement, la France importe plus qu’elle n’exporte. Et c’est
de même l’ensemble de la dette de l’État et du secteur privé, placée
hors de France qui devrait être remboursée en devises.
Il s’ajouterait à cela un facteur aggravant. Les détenteurs de francs
en France, anticipant l’affaiblissement de la monnaie, se
dépêcheraient de les échanger contre des devises fortes, et ceux qui
reçoivent des paiements en devises ne les convertiraient pas en
francs. Sans compter la spéculation des marchés anticipant eux
aussi la baisse du franc. Comme on sait, le prix sur un marché
résulte autant du rapport entre l’offre et la demande que de
l’anticipation de ce rapport.
Pour « tenir » la parité décrétée par la puissance publique après une
sortie de l’euro, il faudrait que la Banque de France soit prête à
vendre au cours fixé les devises nécessaires pour couvrir tous ces
besoins. Les réserves françaises seraient balayées en quelques
heures, avec ou sans contrôle des changes.
L’époque où un pays pouvait se « murer » et décréter
unilatéralement un taux de change est révolue car les montants en
jeu sur le marché sont des multiples de ce qu’ils étaient il y a trente
ans.
La dimension du chaos serait en proportion directe de l’importance
des liens économiques et financiers que la France a tissés partout
du fait de la mondialisation. Des liens d’interdépendance sans
comparaison avec ce qu’ils étaient dans les années 1970-1980.
Les problèmes monétaires seraient rapidement transportés au
niveau de l’économie. Les prix en francs des importations
monteraient au fil de l’érosion du franc, l’inflation exploserait.
L’avantage de prix sur les marchés extérieurs consécutif à la
dévaluation du franc serait illusoire pour une raison simple, la part de
produits importés dans nos exportations, autrefois négligeable,
atteint aujourd’hui 50 %.
Et surtout, la bonne vieille règle enseignée en économie selon
laquelle les ventes augmentent lorsque les prix diminuent a perdu et
perd chaque jour de sa vérité. D’autres facteurs jouent un rôle tout
aussi important, comme la mode, la qualité ou la perception de la
qualité en fonction du prix.

Le problème de la dette extérieure


La dette privée en cours, libellée en euros augmenterait au fil des
dévaluations. La faillite menacerait les banques car les banques
françaises ont des liens étroits avec leurs homologues de la zone
euro et par ailleurs toutes ont émis des obligations dans et en
dehors de la zone euro.
La dette publique de la France représente l’équivalent du PIB, soit
un peu plus de 2 000 milliards d’euros. La moitié de cette dette, soit
1 000 milliards est portée par des prêteurs étrangers.
Pour rassurer ces prêteurs, et pouvoir obtenir de nouveaux prêts, il
faudrait alors que la France s’engage à maintenir ses
engagements existants en euro. La conséquence serait du jour au
lendemain une augmentation de la dette en cours dans la même
proportion que la dévaluation du franc nouvellement créé. La charge
d’intérêts deviendrait insoutenable car le taux des nouveaux
emprunts monterait en flèche.
Pour les particuliers et les entreprises, le marché des changes serait
encadré. Les banques seraient nationalisées. Seuls des taux
d’intérêt astronomiques permettraient d’attirer de nouveaux prêteurs,
pour rembourser la dette en cours.
En fait, dans la réalité, la simple évocation de ce scénario-
catastrophe dans un contexte d’élections suffirait à provoquer la
hausse immédiate des taux d’endettement français et la fuite des
capitaux. Les marchés, comme cela a été dit, anticipent.
L’exemple de la Suisse au premier trimestre 2016 le montre bien. Ce
pays n’a pas voulu suivre le mouvement de baisse de l’euro face au
dollar. Mais voyant ses réserves en devises baisser de façon
vertigineuse, la Banque centrale Suisse a été contrainte
d’abandonner en quelques jours sa politique de taux de change fixe
entre le franc suisse et les autres devises.

La France libre d’imposer sa monnaie aux créanciers extérieurs ?


Les partisans de la sortie de l’euro ne se contentent pas de plaider le
retour à la souveraineté monétaire de la France et notamment la
liberté de dévaluer. Il est aussi question d’une disposition du droit
français autorisant l’État à convertir sa dette dans la monnaie
nationale.
L’argument, pour juste qu’il soit en droit français, aurait un effet
psychologique désastreux sur les marchés. Il serait suicidaire
d’imposer aux prêteurs étrangers une telle disposition, même
juridiquement fondée. Le rapport de force est évidemment du côté
des prêteurs. Les chances de trouver de nouveaux prêteurs seraient
nulles si la France appliquait cette disposition.
Pour un prêteur étranger, accepter des remboursements en francs
serait prendre le risque de voir se dégrader la valeur des futurs
remboursements.
Opposer cette disposition aux prêteurs étrangers serait le meilleur
moyen de provoquer leur fuite et donc de mettre la France en
situation de défaut généralisé vis-à-vis de ses créanciers.
Or la continuité des prêts est essentielle pour la France, du fait
qu’une grande partie des nouveaux prêts sert à rembourser ceux qui
sont venus à échéance.

Les challenges d’une monnaie unique : la théorie de


Mundell
Robert Mundell, prix Nobel d’économie, a étudié la problématique de
la monnaie unique. Observant la manière dont le dollar s’était
imposé comme monnaie des États-Unis, il en a déduit les conditions
nécessaires du succès d’une monnaie unique et défini les « Zones
monétaires optimales ».
Selon cette théorie, la correction des différences de productivité
entre les pays qui ont adopté une monnaie unique repose sur deux
conditions essentielles, la mobilité de la main-d’œuvre et surtout
la centralisation budgétaire.
La mobilité permet aux habitants des régions (pays) défavorisés de
trouver ailleurs un emploi. Le temps que l’autorité fédérale soit à
même d’investir dans ces régions en retard de productivité. Sur ces
deux points l’Europe souffre de handicap, la mobilité étant freinée
par la barrière des langues et l’Europe n’ayant pas de réel pouvoir
budgétaire. Il faut noter qu’une certaine mobilité existe néanmoins
au sein de l’Europe et que l’absence d’un pouvoir budgétaire n’a pas
empêché les transferts financiers annuels de centaines de milliards
d’euros pour aider de nombreux pays - Espagne, Portugal, Grèce,
pays de l’Est - à se moderniser.
Le renforcement du pouvoir budgétaire de l’Europe suppose
l’unanimité des États membres de la zone euro. Les jeunes États
américains ont rapidement accepté le transfert du pouvoir budgétaire
à l’État fédéral, dans le cadre de la création du dollar. Il est certain
que le processus sera plus difficile en Europe, où la force des
traditions est naturellement plus importante.
La symbolique d’État souverain pèse dans les esprits et peut fausser
la lecture des faits.
Robert Mundell a d’abord fustigé l’euro au nom de ses défauts de
construction. Plus récemment il a reconnu que la déconstruction de
l’euro apporterait plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. Il
continue de plaider pour la centralisation budgétaire, un objectif que
les opinions européennes ne sont pas encore disposées à accepter.
CHAPITRE 11
« LA TITRISATION ET WALL STREET ONT
CRÉÉ LA CRISE DES SUBPRIMES »

Résumé de ce chapitre
La titrisation, instaurée dans les années trente aux États-Unis
pour relancer le crédit et notamment le crédit immobilier est une
technique de transformation des crédits bancaires en titres, ces
derniers étant ensuite vendus à des investisseurs. Sur le plan
macro-économique, ces crédits n’étaient plus financés par les
dépôts dans les banques mais par les marchés, un système
vertueux permettant plus de crédits à l’économie. Les banques
de Wall Street ont prolongé la titrisation en créant des titres de
titres sophistiqués à l’intention des investisseurs du monde
entier. La titrisation et Wall Street ne sont globalement pas plus
responsables de la crise des subprimes que l’avion ou le
contrôle aérien peuvent l’être des catastrophes aériennes. La
responsabilité de la crise se situe en fait du côté du ministère du
Logement américain qui n’a pas su ou pu limiter l’émission de la
garantie publique sur les titres issus de crédits immobiliers en
faveur des ménages défavorisés, les crédits subprimes
notamment. Pour tous les acteurs des marchés financiers, cette
garantie était implicite.
Lorsque le marché immobilier s’est retourné, le volume des
crédits immobiliers déjà titrisés était colossal et le mélange des
titres garantis avec
d’autres titres non garantis opéré par Wall Street a rendu
impossible toute traçabilité. Le système s’est bloqué et tous les
titres de titres en circulation ou presque ont vu leurs valeurs
s’écrouler. Le Gouvernement des États-Unis a dû verser des
milliards de dollars d’indemnisation au titre de sa garantie. Il a
beau jeu aujourd’hui de poursuivre les grandes banques qui ont
effectivement profité du « packaging » des titres et qui ont les
moyens de payer.
Les poursuites engagées par le DOJ, le Département de la
Justice, s’appuient sur des défauts de forme parfois insignifiants
touchant les milliers de contrats de cession des crédits et des
titres. Des centaines de milliers de pages en comptant les
annexes, donc impossibles à vérifier une par une. Le DOJ joue
de cette disposition susceptible d’obliger les banques d’affaires à
indemniser les détenteurs des titres … ou le garant, c’est-à-dire
Gouvernement des États-Unis. Plutôt que d’engager des frais de
procédure et de recherche contre l’adversaire redoutable qu’est
la justice américaine, les grandes banques acceptent de payer.

Le circuit des subprimes


La crise des subprimes résulte de la pollution généralisée de circuits
financiers sophistiqués façonnés par des banques d’affaires
américaines et par deux agences étatiques chargées dès l’origine de
faciliter le financement du crédit immobilier. Ces circuits reliaient d’un
côté des banques de particuliers et de l’autre des investisseurs
internationaux (banques européennes, fonds de pension, fonds
souverains, etc.).
Des crédits - principalement immobiliers - distribués par les banques
de particuliers ont été « vendus » aux investisseurs sous forme
d’obligations. Le mélange en proportion variable de ces crédits a
permis de créer des obligations sur-mesure, offrant différentes
combinaisons de taux d’intérêt et de risque. Leur succès auprès des
investisseurs a été considérable.
Dit d’une autre façon : l’argent des investisseurs qui achetaient les
obligations élaborées par ces banques d’affaires a été utilisé à
l’autre bout de la chaîne pour faire des prêts à des particuliers
américains acquéreurs de logements.
Beaucoup de ces emprunteurs - appelés emprunteurs « subprimes »
- n’avaient pas la capacité de rembourser, mais ils payaient des taux
d’intérêt élevés et la valeur sans cesse croissante de l’immobilier,
donc des garanties données aux prêteurs, a rassuré les
investisseurs… tant que les prix de l’immobilier montaient.
L’effondrement brutal du marché immobilier a déclenché la crise,
c’est-à-dire la perte de valeur de toutes les obligations car il y avait
un doute sur la présence et la proportion des
crédits subprimes présents dans les paquets de crédits auxquels ils
étaient adossés… il y en avait pour plus de 10 000 milliards de
dollars !

Mécanisme et schéma
Le chemin d’explication du mécanisme des subprimes traverse de
nombreux paysages « techniques » : comment passer d’un crédit
ponctuel à une obligation, quelles étaient les étapes intermédiaires,
comment fonctionnent la régulation et le contrôle américain, quelle
était l’analyse des risques des investisseurs, etc. ?
Au départ, un emprunteur américain obtient un crédit immobilier
d’une banque. Cet emprunteur s’est adressé à la banque
directement ou par l’intermédiaire d’un courtier, lui-même en relation
avec plusieurs banques. Le crédit est inscrit à l’actif du bilan de la
banque. Le contrat de crédit fonde la créance du prêteur sur
l’emprunteur.
Quelque temps après, on retrouve cette créance à l’autre bout de la
planète, « noyée » dans une obligation achetée par un investisseur,
fonds d’investissement, fonds souverain ou banque. Entre
l’emprunteur américain et l’investisseur en Europe ou en Asie, que
s’est-il passé ? La réponse est : une cascade de transformations.
Dans le schéma ci-dessous Fanny Mae est le nom de l’agence
publique qui a joué un rôle capital dans la crise et qui est décrite plus
loin dans ce module.
À noter aussi que les obligations correspondant aux crédits
immobiliers s’appellent des MBS (Mortgage Based
Security). Mortgage, qui veut dire hypothèque, est le mot utilisé pour
désigner un crédit immobilier. Security veut dire titre, au sens de titre
négociable, mot générique désignant, entre autres, les obligations.
Les ABS sont des Assets Based Security, c’est-à-dire des titres
adossés à des actifs autres que des crédits immobiliers (crédits
« automobile » par exemple).
Quant à CDO, il désigne des obligations garanties (Collateralized
Debt Obligation).

Les acronymes MBS, ABS, CDO, CDO² désignent donc tous, en fait,
des « obligations ». Le schéma, ci-dessus, peut être simplifié.
Ce schéma simplifié montre que le circuit des subprimes n’est rien
d’autre qu’un circuit de transformation de crédits bancaires en
obligations, lesquelles ont été ensuite retraitées pour être finalement
vendues à des investisseurs.

Pourquoi investir dans des crédits bancaires


L’idée de base était simple : elle est venue du constat que les
« investisseurs » voulaient de plus en plus investir leur argent dans
des produits « sur-mesure ». Sur- mesure, en termes de risque et de
rendement.
Pour les banques d’affaires, toujours soucieuses de proposer à leurs
clients les placements combinant rentabilité élevée et faible risque,
l’investissement dans les crédits bancaires présentait de réelles
possibilités de répondre à cette demande de « sur-mesure ».
L’intérêt porté aux crédits bancaires des particuliers comme produits
d’investissement peut surprendre.
Cela s’explique principalement par le fait que ces crédits bancaires
aux particuliers ont des rendements relativement élevés et que par
une méthode simple, on peut réduire leur risque global en les
regroupant.
On peut comprendre intuitivement en effet qu’il est moins risqué de
prêter 100 000 euros à dix emprunteurs plutôt que de prêter
l’équivalent, soit 1 million d’euros, à un seul emprunteur. La
probabilité de défaillance simultanée des dix emprunteurs est plus
faible que celle d’un seul. Et en plus, pour le prêteur, le risque de
perte ne porte que sur une fraction du capital investi.
C’est peut-être plus compliqué à gérer, mais l’avantage est double :
moins de risque et moins de pertes possibles.

Le problème qui se pose alors est : comment faire ? Un crédit est un


contrat qui comporte des garanties et des documents juridiques, ce
qu’on appelle la documentation. En fait un crédit n’est pas conçu
pour changer facilement de prêteur. La solution est
la transformation des crédits en obligations.
Les obligations sont des titres, dont la caractéristique principale est
la facilité d’échange. Ce point est détaillé dans les « notions de
base ».
Pour faire cette transformation, il est nécessaire de créer une
structure qui d’un côté va vendre des obligations à des investisseurs
et de l’autre utiliser le produit de cette vente pour acheter les
crédits à la banque.

Titrisation
La titrisation est un mécanisme permettant aux banques de sortir
des paquets de crédits de leurs livres, et de les vendre avec un
bénéfice.
Ce transfert est sans impact pour les emprunteurs, qui restent liés
par leur contrat de crédit initial. Pour la banque, en revanche, tout
change. N’étant plus partie de ces contrats, elle n’est plus engagée,
n’en supporte plus les risques et peut utiliser à sa guise le produit de
la vente pour se désendetter ou… faire de nouveaux crédits, qu’elle
revendra.
Les crédits « titrisés » de différentes origines (crédit immobilier,
crédit automobile, etc.) sont regroupés et revendus à des structures
d’accueil. Celles-ci émettent des obligations proposées à des
investisseurs. Le produit de la vente des obligations permet de payer
les crédits titrisés.
Ces structures d’accueil sont des sociétés existantes dont c’est le
métier (par exemple Fanny Mae aux États-Unis) et des sociétés
d’investissement créées pour l’occasion, appelées des SIC (Special
Investment Company) ou des SIV (Special Investment Vehicle).
Des sociétés très légères, sans personnel ni locaux physiques.
La formule de la SIV correspond dans son principe à la notion
française de Fonds commun de créances.
Cette SIV émet des obligations qu’elle vend à des investisseurs avec
la promesse d’un bon rendement. Les investisseurs ont confiance
car l’ « arrangeur » est presque toujours une banque de Wall Street,
connue pour sa compétence.

Wall Street et les outils de la finance internationale


Des millions d’obligations MBS issues de la titrisation de crédits
immobiliers et des obligations ABS ont été acquises par des
investisseurs privés ou institutionnels, comme des fonds ou des
banques.
Plutôt que de garder les titres issus de diverses opérations de
titrisation dans leurs bilans, certains de ces fonds ou de ces
banques ont continué le processus de transformation,
en mélangeant les titres.

Les CDOs
Des obligations d’origines différentes ont ainsi été logées à leur tour
dans de nouvelles structures indépendantes SIV donnant lieu à de
nouvelles émissions de titres. Le processus s’est répété en cascade.
Le but recherché était la création de produits financiers « sur
mesure » construits en fonction de différentes stratégies
d’investissement.
Ces produits sont les CDO - acronyme de Collateralized Debt
Obligation - ce qu’on peut traduire par obligation garantie par des
dettes. Ce sont des titres adossés à des actifs hétérogènes,
mélanges de titres MBS et ABS. C’est la différence principale avec
les titres ABS, adossés, eux, à des paquets de crédits homogènes.
On peut vraiment parler de sur-mesure à propos de ces produits.
Leurs concepteurs jouent sur la composition du portefeuille auquel
les CDO sont adossés de manière à obtenir un certain profil
de risque et de rémunération.
Ces titres CDO créés par certaines banques d’affaires ont connu un
grand succès auprès des investisseurs attirés par la variété des
produits obtenus. Il existe même des CDO de CDO, les CDO² ! Le
volume global des titres a dépassé la dizaine de milliers de milliards
de dollars.
Un succès qui est largement dû au développement du crédit
immobilier, encouragé par une politique globale de crédit facile et de
bas taux d’intérêt.
Profitant de ce crédit facile, certains - banques commerciales,
banques d’affaires, hedge funds, fonds de pension, sociétés
d’assurance, etc. - ont réalisé des gains importants en empruntant à
bas taux pour acheter des titres à haut rendement. Les institutions
qui ont « arrangé » les SIC - banques d’affaires ou hedge funds - ont
gagné beaucoup d’argent sous forme de commissions
proportionnelles aux montants.

Agences de notation
Contrairement à une opinion répandue, les arrangeurs et les
acheteurs d’ABS, MBS et CDO et CDO² n’étaient pas indifférents
aux risques attachés à ces titres. Toutes les émissions des SIV
faisaient en effet l’objet de notations rigoureuses, établies par les
grandes agences de notation reconnues au plan international,
comme Standard & Poor, Fitch ou Moody’s.
On conçoit pour ces agences l’ampleur et la difficulté de la tâche,
s’agissant de titres émis par des milliers de SIC, dont il a fallu
analyser les actifs. Ces actifs étant composés de « mille-feuilles » de
titres d’origines diverses, les agences ont mis au point des outils
d’analyse spécifiques et notamment des outils statistiques
permettant la modélisation des risques composites complexes.
Ce travail d’évaluation et de notation est fondamental. Le concept de
notation d’un titre va de pair avec sa rémunération. La notation
permet aux investisseurs des choix de profils risque/rémunération
sur-mesure. Pour les banques, la notation des actifs gardés au bilan
a une incidence directe sur leur pondération au regard des ratios de
solvabilité qu’elles doivent respecter.

Tranches
Les banques d’affaires et les fonds à l’origine des SIV ont imaginé
un système astucieux pour créer des obligations plus ou moins
risquées que les obligations auxquelles elles étaient adossées, ce
qui à première vue peut paraître impossible.
Dans ce système, les obligations nouvellement créées sont
regroupées en trois tranches de risque croissant : senior,
mezzanine, equity.
Le principe appliqué pour la création de ces tranches était d’une
extrême simplicité : chaque remboursement en capital d’un
emprunteur était affecté en priorité à la tranche la plus haute, la
tranche senior, puis en cascade à la tranche suivante, la tranche
mezzanine, et enfin à la dernière, la tranche equity… s’il restait
quelque chose.
Un mécanisme que l’on peut représenter de manière imagée, par un
alignement en cascade de bassins qui se remplissent
consécutivement, dès lors que le bassin précédent est plein.

Ce mécanisme vaut pour les remboursements en capital


uniquement.
Pour les intérêts, c’est l’inverse pourrait-on dire. La masse globale
des intérêts ne change pas, mais leur allocation se fait selon le
principe des intérêts proportionnels au risque.
En conséquence, les obligations de la tranche senior sont porteuses
d’un taux d’intérêt inférieur au taux moyen des crédits titrisés. Et
inversement, un taux plus élevé que ce taux moyen est alloué aux
obligations de la tranche la plus risquée, la tranche equity. Quant à
la tranche mezzanine, elle bénéficie du taux moyen ou proche du
taux moyen. C’est bien sûr l’arrangeur qui fixe la règle de répartition.
C’est ainsi qu’une tranche senior peut se voir attribuer une notation
AAA par une agence de notation, alors que la notation moyenne des
obligations auxquelles cette tranche est adossée n’a qu’une notation
AA, voire A.

Les CDS
Le mécanisme des tranches permet de créer des titres d’une qualité
supérieure à la qualité moyenne des titres auxquels ils sont adossés,
mais dans des limites de volume qui dépendent de la qualité des
actifs. Il a donc été nécessaire d’améliorer cette qualité.
Le principe a été le transfert partiel du risque de l’actif sur des tiers,
selon un mécanisme d’assurance. Deux méthodes de couverture
des risques ont été utilisées : la souscription d’une assurance
proprement dite auprès d’une monoliner, société d’assurance
spécialisée, ou l’achat de produits beaucoup plus simples d’emploi,
les CDS Credit Default Swaps.
Les CDS sont des contrats de couverture des risques de défaut des
crédits en portefeuille. Le principe de fonctionnement est le suivant :
l’acheteur de swap paie une prime périodique fixée d’avance et, en
contrepartie, le vendeur de swap paie l’encours du crédit en cas de
sinistre.
L’émetteur du swap peut être une banque, un fonds, une société
d’assurances, bref n’importe quelle entité ayant un bon rating. Les
CDS sont des titres négociables, donc susceptibles de circuler de
mains en mains. Les échanges se font de gré à gré, c’est-à-dire en
dehors d’un marché organisé. On sort complètement des contraintes
du métier d’assurance.
Le succès des CDS a été phénoménal. Leur vocation initiale de
couverture des crédits titrisés a été dépassée. Les investisseurs ont
utilisé les CDS pour spéculer massivement sur les faillites
d’entreprises. Le volume global des CDS a été estimé à plusieurs
dizaines de milliers de milliards de dollars. Il est clair que l’absence
de contrôle de ce marché gigantesque, sans être la cause de la crise
des subprimes en a été a été un facteur aggravant. Certains
émetteurs de CDS n’ont pas pu faire face à leurs obligations au titre
de ces contrats, soit parce qu’ils étaient par ailleurs fragilisés par
leurs propres investissements à risques, soit du fait de l’énormité
des sommes dues, comme cela a été le cas de l’assureur américain
AIG.
Sortant du contexte de la crise, il faut souligner la dimension
novatrice des CDS et de la titrisation. Ces mécanismes ont
transformé les activités d’assurance et de crédit, en leur conférant
une fluidité nouvelle. Dans la banque ou l’assurance « classiques »
en effet le crédit et le contrat d’assurance souscrits restent dans les
livres de l’émetteur preneur de risque. Les CDS et la titrisation
permettent la sortie d’un système statique.
Au crédit correspondent les titres ABS (et leurs dérivés, les CDO). À
l’assurance correspondent les titres CDS. Les prêteurs et les
assureurs disposent d’un outil de gestion fine de leur portefeuille de
risque.

La crise des subprimes : les vraies causes


Le schéma présenté en introduction a montré les différentes étapes
de transformation et de transport des crédits. Transformés
initialement en titres MBS ou ABS, ces crédits ont été ensuite dilués
avec d’autres crédits et d’autres titres pour donner de nouveaux
titres (CDOs), et le processus s’est répété. La dilution en cascade a
produit finalement des titres dont le contenu exact était difficile à
retracer. Cette opacité a été longtemps sans dommage dans la
mesure où chaque titre intermédiaire faisait l’objet d’une notation de
la part des grandes agences. L’acheteur des titres connaissait par
conséquent le niveau de risque de son investissement. Cette
« tuyauterie » bénéficiait d’un label de qualité explicite, la notation.
Le problème a commencé lorsque le marché de l’immobilier s’est
retourné et que les défaillances de crédits immobiliers se sont
multipliées.
Trois facteurs principaux expliquent l’intensité du choc et sa vitesse
de propagation sur le système financier :
1
. Les agences Fanny Mae et Freddy Mac, les émetteurs les plus
importants des titres MBS, semblent avoir tardé à faire part de
leurs difficultés.
2
. Les agences de notation ont corrigé tardivement et brutalement
leur système de notation.
3
. Certains mécanismes comptables ont amplifié les
dysfonctionnements financiers.

Facteur déclencheur : le retournement du marché immobilier


L’augmentation subite des défauts de crédits est due à l’explosion de
la bulle de l’immobilier. Cette bulle avait pour origine l’excès de la
demande de logements sur l’offre, une situation entretenue
durablement par une politique de crédit facile et pas cher.
Deux facteurs ont contribué au retournement du marché, c’est-à-dire
au point où la demande devient inférieure à l’offre. Les promoteurs,
en inondant le marché de constructions nouvelles ont fini par créer
un trop-plein de logements.
Un mécanisme infernal a joué : le prix des logements baissant, il
arrive un moment ou le crédit accordé par la banque n’est plus
couvert par la valeur du bien. La banque, insuffisamment garantie,
peut alors exiger le remboursement du solde restant dû.
L’emprunteur ne pouvant s’exécuter, son logement est saisi puis
vendu. La banque devient propriétaire de dizaines, de centaines de
logements qu’elle cherche à revendre, et brade souvent. Les prix
baissent encore plus, de nouveaux crédits deviennent défaillants, et
ainsi de suite. Ce phénomène a touché en premier les crédits
subprimes, les plus fragiles.

Premier facteur aggravant : le problème de la notation


Les agences de notation ont été accusées de tous les maux, et y
compris de collusion avec les groupes qu’elles étaient chargées
d’évaluer, ce qui paraît difficile à concevoir. Selon une étude de la
Banque de France, le problème serait surtout celui d’un défaut de la
modélisation.
La mesure du risque d’un paquet hétérogène de titres adossés à des
crédits reposait en effet sur l’analyse statistique des risques de
défaillance dans chaque catégorie de crédits : crédit immobilier,
crédit automobile, ou crédit de consommation (cartes de crédit). Le
risque global était pondéré en fonction du poids respectif de ces
catégories au sein de l’ensemble. Le système était affiné par la prise
en compte des corrélations de risques entre les secteurs
économiques des emprunteurs. Pour nourrir ces analyses, des listes
de données réelles des vingt ou trente dernières années étaient
passées au crible et actualisées en permanence.
Les modèles mis au point ont bien fonctionné tant que les
fluctuations des risques se situaient dans un certain intervalle. Le
problème est que les données récentes n’étaient considérées que
de façon atténuée dans les calculs de risques « moyens ». En
d’autres termes, les modèles n’étaient pas construits pour intégrer
rapidement dans la mesure du risque un « pic » subit de
défaillances. Lorsque les agences de notation ont réagi, des milliers
de titres avaient été notés à tort positivement. Ainsi sont apparus les
titres toxiques, dont le volume exact et surtout la localisation
devenait impossible à retracer.

Deuxième facteur aggravant, le mark to market


La panique bancaire s’est amplifiée sous l’effet d’une disposition de
la réglementation comptable selon laquelle le bilan doit indiquer la
valeur de marché des titres détenus. Il y avait longtemps que les
autorités réglementaires de la plupart des pays s’étaient entendues
pour supprimer la méthode ancienne consistant à valoriser un actif
par sa valeur historique d’acquisition.
La nouvelle règle reposait sur le bon sens puisqu’elle tendait à une
valorisation proche de la réalité. Ses conséquences ont été
malheureusement catastrophiques lorsque la crise a éclaté et que la
nouvelle des MBS toxiques disséminés partout a été connue.
Impossible en effet de se référer à une « valeur de marché » des
titres en portefeuille, puisqu’il n’y avait plus de marché. Les rares
transactions effectuées dans le cadre d’opérations de sauvetage
affichaient des prix ne représentant qu’une fraction de la valeur
faciale des titres.
Les banques ont été contraintes de déprécier leurs actifs à l’aveugle
en estimant elles-mêmes les valeurs de marché du moment. Des
pertes énormes sont apparues, des pertes comptables sans sortie
de cash puisque les banques ne vendaient pas leurs titres, et pour
cause. Mais des pertes malgré tout, diminuant d’autant les fonds
propres des établissements concernés et créant une situation de
fragilité extrême.

Crise de liquidité des banques


La crise a entraîné une conséquence « collatérale » désastreuse, la
perte de confiance mutuelle et l’assèchement du marché
interbancaire. En clair les banques ne se prêtaient plus entre elles
car elles ne pouvaient plus mesurer ce qu’on appelle le risque de
contrepartie. La non connaissance du risque est pire que la
confrontation à un risque élevé.
Or le marché interbancaire est le poumon du système bancaire. Les
banques se prêtent mutuellement chaque jour des milliards d’euros
sur la base de garanties formelles réduites au minimum de manière
à simplifier les transactions. Le moindre doute mutuel de solvabilité
réduit les échanges à zéro. C’est ce qui s’est passé. Dans la foulée,
les banques centrales sont intervenues en prêtant de manière
bilatérale à chaque institut demandeur.

Crise économique
La paralysie du système bancaire à peine évitée, une nouvelle
phase de la crise a commencé à se développer. L’activité
économique mondiale est entrée lentement et inéluctablement en
récession.
La première raison a été la diminution de la capacité des banques à
prêter. Faute de crédits, les entreprises ont bloqué leurs
investissements. L’activité interentreprises a chuté. La deuxième
raison est la perte de confiance des ménages. La consommation,
moteur de la croissance dans de nombreux pays et notamment aux
États-Unis, s’est écroulée.
La spirale des enchaînements négatifs a pris de l’ampleur, la baisse
de consommation a entraîné la baisse de l’activité industrielle, donc
les craintes de chômage, donc une nouvelle baisse de la
consommation, et ainsi de suite. Les banques, à peine remises des
problèmes des actifs toxiques ont dû se préparer à de nouvelles
dépréciations de leurs propres crédits accordés à leur client de
moins en moins capables d’honorer leurs engagements.

La responsabilité du ministère du Logement américain


Le monde entier a cru que les obligations issues des crédits
subprimes titrisés bénéficiaient de la garantie publique, ce qui en
réalité n’était pas tout à fait le cas.
La crise pose DEUX QUESTIONS fondamentales :
1
. Pourquoi les banques américaines ont-elles accordé des crédits à
des clients sans ressources avec de surcroît le risque prévisible de
retournement du marché immobilier ?
2
. Comment ces crédits douteux ont-ils pénétré les circuits de la
titrisation, en d’autres termes, pourquoi les acheteurs acceptaient-
ils d’acheter des crédits à haut risque ?
La réponse à la première question se trouve dans une loi
américaine, la Community Reinvestment Act, incitant les banques à
distribuer une partie de leurs crédits immobiliers aux populations
défavorisées de certaines zones, les obligeant ainsi à dégrader leurs
critères d’acceptation. Cette loi, vieille d’une trentaine d’années a été
amendée en 2005-2006. L’incitation donnée aux banques a été
transformée en contrainte assortie de sanctions.
La titrisation de ces crédits douteux, quant à elle, a été massivement
le fait d’un organisme public créé en 1938, la Government National
Mortgage Association, plus communément connue sous le nom
de Fanny Mae. Un organisme placé sous l’autorité du ministre du
Logement, dont le siège est à Washington. En 2008, Fanny Mae - et
son alter ego Freddy Mac - garantissaient près de la moitié des
crédits immobiliers subprimes (2 000 milliards de dollars !) titrisés
aux États-Unis, donc avec la garantie implicite de l’État.
Un mélange explosif était dès lors constitué par la combinaison
d’un haut rendement, celui des crédits subprimes, et d’un risque
zéro du fait de la garantie publique.
On imagine la ruée vers l’or des banques d’affaires et des hedge
funds sur ces produits titrisés. Ajoutés en mille-feuille à des crédits
plus classiques, ils permettaient de doper le rendement global des
obligations proposées aux investisseurs américains, européens,
chinois ou russes.
Lorsque le marché immobilier s’est retourné, les choses se sont
gâtées. Les crédits subprimes intégrés dans les mille-feuilles
adossés aux obligations sont peu à peu devenus défaillants et la
valeur des biens immobiliers correspondant à ces crédits est peu à
peu passée sous la valeur d’origine. Dès lors il était impossible de
savoir ce que valaient exactement ces obligations, d’autant plus que
les investisseurs ignoraient la part de crédits subprimes entrant dans
leur composition.
Fanny Mae et Freddy Mac ont vite été débordés par les appels à
garantie.
En jouant du flou juridique sur le bien-fondé de cette garantie, le
Gouvernement américain a pu adopter une attitude sélective sur
l’octroi de cette garantie. Les plus gros acheteurs de titres issus
de crédits subprimes, les fonds souverains des pays du Golfe,
russes et chinois, ont été les premiers à bénéficier de cette garantie.
Pour des raisons politiques et financières, ces pays étant à l’époque
les plus gros souscripteurs des titres de dette émis par le trésor
américain.
Dès les premières hésitations, le mal était fait, tout le monde doutait
de tout. La valeur des obligations s’est écroulée, car personne ne
savait exactement quelle quantité de subprimes non-garantis était
contenue dans les obligations émises par les banques d’affaires.
Il est malheureux de constater la règle classique selon laquelle les
mauvais diagnostics font les mauvaises réformes. Il faut se rappeler
qu’un commissaire européen a failli convaincre ses collègues de la
création d’une Agence européenne de notation. Comme si le
changement du thermomètre pouvait prémunir contre la maladie !
D’autres réformes malheureuses ont vu le jour, comme la séparation
des activités crédit et marché au sein des banques, ou la restriction
des investissements de marché des compagnies d’assurance…

Les amendes infligées aux grandes banques


Les poursuites engagées par le DOJ, le département de la Justice,
ont permis au Gouvernement américain de récupérer des dizaines
de milliards de dollars. C’est moins, beaucoup moins que ce que lui
a coûté la mise en jeu de sa garantie lorsque la crise a éclaté. Mais
l’importance des sommes donne à l’opération sa crédibilité politique,
et c’est surtout cela qui a été recherché. Le citoyen américain a la
preuve que les « grands » et en particulier les banques de Wall
Street ou certaines grandes banques étrangères n’échappaient pas
au couperet de la justice des États-Unis.
Une attitude qui n’était pas sans danger puisque la désignation de
ces coupables-là allait dans le sens de la dialectique populiste,
comme la suite l’a montré.
Techniquement, pourrait-on dire, l’arme utilisée par les juristes
gouvernementaux est intéressante à observer. Lorsqu’un crédit est
cédé, cette cession est sans recours, sauf si le contrat de cession
présente un vice de forme.
La probabilité de tels défauts de forme parfois insignifiants touchant
les milliers de contrats de cession, et des centaines de milliers de
pages (en comptant les annexes), était à la fois très élevée et
impossible à vérifier dossier par dossier.
Le DOJ a joué de cette disposition pour obliger les banques
d’affaires à indemniser les détenteurs des titres… et surtout le
garant, c’est-à-dire Gouvernement des États-Unis. Plutôt que
d’engager des frais de procédure et de recherche contre l’adversaire
redoutable qu’est la justice américaine, les grandes banques ont
toutes accepté de transiger et de payer.
CHAPITRE 12
« LES EUROBONDS PERMETTRAIENT
D’ÉVITER LES CRISES

Résumé de ce chapitre
Les eurobonds représentent pour les États de la zone euro le
moyen d’emprunter au nom de l’Europe et non plus en ordre
dispersé. La mise en commun les dettes européennes aurait pour
conséquence le même taux d’intérêt pour tous et surtout la
solidarité de tous vis-à-vis des prêteurs. Les pays les mieux notés
pourraient subir une augmentation de leur charge d’intérêts dans
la mesure où le taux d’intérêt applicable aux eurobonds serait la
moyenne des taux d’intérêt de chaque État. Le projet a échoué
dans le contexte de la crise grecque, du fait, notamment des pays
du nord de l’Europe qui ont mis en avant le risque d’une moindre
incitation des pays les plus endettés à réduire leurs déficits.
L’amélioration progressive de la situation financière des États et
surtout la diminution des écarts de taux d’intérêt vont
certainement donner une chance nouvelle aux eurobonds. La
politique de rachat des dettes souveraines conduite par la Banque
centrale européenne a contribué à cette convergence des taux.

La mutualisation des dettes


Aujourd’hui lorsqu’un pays emprunte, il le fait en émettant des
obligations à son nom, appelées en anglais des bonds. Cette
appellation est générique. En France, on parle d’OAT - Obligations
Assimilables du Trésor, aux États-Unis de Treasury Bills ou T-Bills,
en Allemagne de Bund.

Principe des bonds


Pour un emprunteur, signer un contrat de prêt ou émettre une
obligation revient au même sur le plan économique : dans l’un et
l’autre cas il faut rembourser et payer des intérêts.
Pour le prêteur ou l’acheteur de l’obligation, le point de vue est le
même. L’élément-clé est la confiance dans la capacité de
l’emprunteur à remplir ses obligations. Mais il y a une différence
capitale. L’acheteur de l’obligation peut la revendre à tout moment,
tandis que le prêteur classique est « ligoté ». Substituer un prêteur à
un autre dans le cadre d’un contrat de crédit n’est pas impossible,
mais c’est une démarche contraignante. Vendre une obligation
permet d’atteindre le même résultat avec infiniment plus de
souplesse.
Il existe un marché des obligations comme il existe un marché des
actions. C’est parce qu’il est facile de revendre une obligation (ou
une action) que ces produits attirent autant d’investisseurs. Cet
aspect des choses est la base de la notion de marché et de titre
développée au début du livre.

Qu’est-ce qu’un eurobond


L’idée de simplifier le processus d’émission des bonds pays par pays
était effectivement tentante. Les pays de la zone euro
n’emprunteraient plus de manière dispersée comme c’est le cas
aujourd’hui, mais à travers une seule entité emprunteuse et au nom
de l’Europe.
Dans ce contexte, un eurobond est une obligation émise par
l’Europe, c’est-à-dire par une institution financière européenne ou
une agence spécialisée agissant en son nom.
Le mot euro signifie que l’engagement de rembourser l’eurobond est
porté par une entité représentative de l’ensemble des pays de la
zone euro et non pas par un pays en particulier.

Point de vue des investisseurs


Les eurobonds n’existent pas pour le moment, mais il est certain que
leur succès auprès des investisseurs serait garanti.
Un eurobond engage en effet solidairement l’ensemble des pays de
la zone euro et non pas un pays particulier. En conséquence, le
détenteur d’un eurobond est sûr d’être payé puisque l’Europe est
solvable. Le débiteur n’est plus l’un des pays européens mais
l’ensemble de ceux-ci.
Le risque de non-paiement d’un eurobond représente une moyenne
des risques de chaque pays pris isolément. Ce risque moyen est
supérieur au risque allemand, qui est le meilleur au niveau
européen, mais inférieur au risque grec.
La rémunération du risque, c’est-à-dire le taux d’intérêt de
l’eurobond est le reflet de cette hiérarchie des risques. L’eurobond
offre une meilleure rémunération que le Bund allemand, mais moins
qu’un placement en obligation grecque.

Point de vue des emprunteurs


Du côté des débiteurs, donc du côté des pays européens, la
situation est moins simple. Le principe de solidarité implique en effet
qu’au cas où l’un des pays européens s’avère incapable rembourser
sa part de l’eurobond, les autres doivent s’arranger entre eux pour
payer à sa place.
Il s’ajoute à cela le problème des intérêts. Comme indiqué, les taux
d’intérêt des dettes varient d’un pays à l’autre : les « bons » payent
des taux faibles, les « moins bons » payent des taux plus élevés.
Avec les eurobonds, les pays à taux élevés paieraient moins
d’intérêts et inversement, le coût d’endettement des pays
« vertueux » augmenterait.
La solidarité implicite que crée l’eurobond a donc pour effet de
pénaliser doublement les pays « vertueux ». Non seulement ils
risquent d’avoir à payer pour les défaillances des autres, mais en
plus ils paient plus pour leur propre endettement. Les pays vertueux
ont dès lors le sentiment de subventionner les pays moins vertueux.
Ces derniers ont moins de raisons d’assainir leur situation financière.
Pour contourner ces difficultés, il faudrait que l’émission d’eurobonds
en faveur de tel ou tel pays fasse l’objet de l’accord des autres pays.
Ces effets « secondaires » des eurobonds et de la mutualisation des
risques expliquent pourquoi la discussion des Européens sur ce
point a achoppé à l’époque de la crise grecque.

La crise grecque et le débat européen


Les eurobonds sont apparus sur la scène publique dans le contexte
de la crise grecque.

Crise grecque : le syndrome de la famille riche


Avant la crise, le scénario grec s’apparentait à celui d’un débiteur
fragile, membre d’une famille riche. Chacun des créanciers du
débiteur fragile - banque, amis, relations d’affaires - était persuadé
qu’en cas de problème la famille viendrait toujours à la rescousse du
membre défaillant et paierait ses créanciers.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est exactement ce qui
s’est passé avec ce pays. Les banques du monde entier, les
sociétés d’assurance, les fonds de pension les plus sérieux avaient
prêté à la Grèce, persuadés que l’ « Europe », famille riche,
garantirait implicitement la dette de ce pays, ou de l’un quelconque
de ses membres d’ailleurs.
Certes tous savaient que la contrainte de solidarité européenne ne
figurait dans aucun texte. Le respect implicite de cette disposition
était cependant imaginable car il en allait à leurs yeux de la force
même de la monnaie européenne.
Lorsque les créanciers de la Grèce ont compris que l’Europe ne
garantirait pas la dette de ce pays, un vent de panique s’est levé. De
leur côté, bien sûr, mais aussi du côté grec, car du jour au lendemain
la Grèce ne trouvait plus d’acheteurs des nouvelles obligations
émises, sauf à payer des taux d’intérêt extravagants.
L’idée de créer des eurobonds était astucieuse car elle permettait
d’établir implicitement cette solidarité financière sans parler
explicitement de garantie, inacceptable au plan juridique et politique.
Comme on sait la proposition relative à la création des eurobonds a
été rejetée par les pays du nord de l’Europe et par le premier
d’entre eux, la République Fédérale d’Allemagne.
La raison de ce refus n’est pas seulement liée à un problème
d’opinion publique dans ces pays, qualifiés hâtivement d’
« égoïstes ». Elle repose aussi sur un élément proche du bon sens
du banquier. Le banquier ne débourse jamais un crédit avant que les
conditions de ce crédit (garantie, engagement de rentabilité,
équilibre des comptes, etc.) soient satisfaites. Si l’argent est versé
avant cela, il est illusoire de compter sur la mise en place de ces
conditions.
Il faut aussi reconnaître que l’incitation à réduire la dette serait
évidemment moins forte pour les pays déjà endettés, et c’est bien là
LE problème qui retarde la généralisation de cet outil.
Forts de ce principe, les pays du Nord ont dit aux pays du Sud :
« Faites d’abord le ménage dans vos dépenses, et nous serons
d’accord pour que l’Europe emprunte solidairement pour vous ».

Refus de l’Allemagne
Pour comprendre le refus de solidarité avec la Grèce dans l’opinion
publique allemande, il faut s’immerger dans le contexte de ce pays.
Trois éléments sont à retenir, la réunification de 1989, les lois
Schroeder et le système de péréquation fédérale.
La réunification allemande de 1989 a donné lieu à un immense
transfert de richesses de l’ouest vers l’est. Chaque foyer allemand a
dû s’acquitter d’un impôt spécifique, l’impôt de solidarité.
Les lois Schroeder et Harz de 1995 destinées à renforcer la
compétitivité allemande se sont traduites par de sévères contraintes
salariales ainsi que par des coupes drastiques dans le système
d’indemnisation du chômage.
La loi fédérale allemande en matière budgétaire stipule la
contribution des régions (Länder) riches en faveur des régions
pauvres. Ce mécanisme de solidarité des régions donne lieu chaque
année à de violents débats. L’indiscipline, voire la paresse des
régions pauvres est mise sur la place publique. La riche et vertueuse
Bavière annonce qu’elle refuse de payer pour la Basse-Saxe
dépensière. Après quelques semaines de discussion en et en
dehors de la sphère parlementaire, les choses rentrent dans l’ordre,
les budgets sont acceptés, et le mécanisme compensateur légal est
appliqué.
On comprend mieux les réticences allemandes face aux eurobonds.
Elles ne découlent pas seulement d’une opinion a priori hostile au
principe de solidarité. Elles procèdent aussi d’une analyse de bon
sens.
Où serait la contrainte à la remise en ordre des économies
concernées (Grèce, Italie, France, Espagne…) si du jour au
lendemain ces pays pouvaient se financer sans problème et à bas
coût ? Cette contrainte disparaîtrait instantanément. La position de
bon sens est donc pour chaque pays en difficulté de rétablir
l’équilibre budgétaire et d’en faire une contrainte légale
incontournable. C’est à ces conditions qu’un système d’eurobond
sera mis sur pied un jour en Europe. Cela dit, le « prix à payer »
pour le redressement budgétaire des pays concernés est énorme en
termes économiques et sociaux. De sorte qu’une interrogation se fait
jour à propos des alternatives à l’austérité. Un autre problème.

La politique de la BCE
La BCE a contourné de manière subtile le problème politique posé
par les pays du Nord et notamment par l’Allemagne et leur refus
d’émettre des eurobonds.
Il faut savoir en effet que la presque totalité de la dette publique
grecque est aujourd’hui détenue par la BCE. Donc finalement, c’est
l’ensemble des pays européens qui prêtent à la Grèce à travers la
Banque centrale européenne. C’était bien là le but recherché par le
biais des eurobonds.
Ce système de transfert de la dette européenne dans les livres de la
BCE a été généralisé avec le fameux plan de quantitative
easing lancé au début de l’année 2015.
La BCE a en effet offert aux banques européennes de racheter les
obligations qu’elles détenaient dans leur bilan. Les banques suivent
car les conditions de rachat sont très avantageuses.
Les règles de fonctionnement de la BCE lui interdisant souscrire
directement aux emprunts émis par les États, celle-ci intervient donc
uniquement dans le cadre de ce qu’on appelle le marché
secondaire, c’est-à-dire au niveau des reventes des titres de dettes.
En septembre 2016, la BCE déclarait avoir racheté 1 000 milliards
d’euros de dettes souveraines, c’est-à-dire entre dix et quinze pour
cent de la dette globale. Un montant suffisant pour envoyer un signal
de confiance aux marchés et surtout orienter l’évolution vers la
baisse des taux d’intérêt.
3e Partie

POUR ALLER PLUS LOIN


CHAPITRE 13
QUANTITATIVE EASING ET TAUX
NÉGATIFS, LE BILAN

Résumé de ce chapitre
Le quantitative easing est le nom donné à la politique de la BCE
visant à dynamiser la distribution du crédit en facilitant le travail
des banques. Cette politique est marquée par le clair-obscur.
C’est que le domaine d’intervention d’une banque centrale ne
repose pas seulement sur des éléments techniques, mais relève
aussi de la psychologie. Les premières mesures de la BCE
visaient à faire des prêts avantageux aux banques pour leur
permettre de distribuer plus de crédits à l’économie, une
politique dictée par le mauvais fonctionnement du marché
interbancaire. Malgré des ajustements, cette politique n’a pas eu
l’impact attendu sur la relance des investissements. La BCE a
alors procédé à des baisses importantes de taux d’intérêt et a
étendu son programme de rachat de titres souverains détenus
par les banques. Les menaces de déflation ont ensuite conduit à
l’introduction des taux négatifs dont l’objectif était de dissuader
les banques de garder leurs disponibilités et de les inciter à
prêter aux entreprises. Si les États de la zone euro ont
énormément bénéficié des taux négatifs, les banques sont
parallèlement sorties renforcées par les ventes de titres à la
BCE, un aspect des choses gardé plutôt confidentiel. Le
système a permis à beaucoup d’entre elles de renforcer leurs
fonds propres, un élément fondamental pour la reprise du crédit.
Les problèmes posés à la BCE
La mission BCE est depuis sa création la stabilité des prix et le
maintien de l’inflation « en dessous mais proche de » deux pour
cent. Elle n’est pas censée agir dans le domaine de l’économie,
mais elle le fait malgré tout, indirectement, en assurant le bon
fonctionnement du système bancaire pour la distribution du crédit à
l’économie.
Il faut trois conditions pour que le crédit parvienne aux entreprises :
1
. Que les banques aient accès au marché interbancaire (lieu
d’échange permanent des liquidités entre les banques) et en cas
de difficulté, qu’elles disposent de nouvelles ressources.
2
. Que ces banques disposent de fonds propres suffisants (leur
matelas de sécurité) au regard des règles internationales (accords
de Bâle).
3
. Qu’il y ait des clients solvables… (et qui aient envie d’investir).
De tous ces points, seul le premier est de son ressort. En fait,
subtilement, la BCE s’est également emparée du second avec le
quantitative easing. Le catalogue des actions entreprises est
impressionnant.

Les problèmes du marché interbancaire


Dès l’origine, la BCE a prêté directement aux banques pour
remédier au mauvais fonctionnement du marché interbancaire.
Il faut bien voir l’importance de ce marché pour les banques, et les
conséquences de son dysfonctionnement. Comme expliqué au
début du livre, les crédits bancaires proviennent des dépôts de la
clientèle, instables par définition. Les ajustements sont faits,
complétés par des emprunts des banques sur le marché
interbancaire et la rotation permanente des excédents des unes
dans les besoins des autres.
En temps « normal », la banque centrale n’intervient
qu’épisodiquement sur ce marché pour agir sur les taux par
exemple. La crise des subprimes a cassé cette mécanique bien
huilée, contraignant la BCE à intervenir. En fait, depuis cette époque,
le marché interbancaire ne s’est pas complètement rétabli du fait
d’un manque de confiance persistant entre les banques. L’état réel
de certaines banques (Italie et Allemagne notamment) n’a cessé
d’inquiéter.

Cibler le crédit sur les PME


Il y a ensuite la volonté de la BCE d’encourager la distribution
du crédit aux PME, principalement celles du sud de l’Europe.
Pour cela, la BCE a baissé en plusieurs étapes les taux des
ressources générales mises à disposition des banques par
l’intermédiaire du marché interbancaire - les fameux taux
directeurs aujourd’hui presque nuls. Elle pénalise de plus en plus
les banques qui se portent bien, mais refusent de prêter, et propose
une solution inédite pour aider les banques en position difficile.

Les premières mesures


Les programmes LTRO et TLTRO consistent en des prêts directs de
la BCE aux banques et destinés au financement des PME. LTRO
signifie « Opérations de refinancement à long terme ». Ce
programme lancé en 2014 n’a pas atteint ses objectifs. La BCE l’a
corrigé avec le dispositif LTLTRO qui signifie « Opérations de
refinancement ciblé à long terme », assorti d’un taux
particulièrement bas de 0,25 %.
Le TLTRO est donc plus limitatif que LTRO. La BCE veut freiner
l’achat des obligations étatiques par les banques (voir plus haut) et
limiter strictement l’usage de ces fonds aux prêts aux entreprises.
Elle est dans son rôle, qui est d’envoyer des signaux positifs à
l’économie.
Pour agir, la BCE a classé les banques en trois catégories :
A - Désigne les banques qui ont accès au marché interbancaire et
disposent de fonds propres suffisants pour prêter aux entreprises.
En 2013-2014, beaucoup ont préféré des placements plus lucratifs
et moins risqués que des crédits aux entreprises.
B - Désigne les banques qui ont des capacités de prêts (au sens
des fonds propres suffisants) mais qui ont peu de ressources, faute
de pouvoir accéder au marché interbancaire du fait d’un manque de
confiance des autres banques à leur égard. La BCE leur prête
directement, à condition qu’elles accordent des crédits aux
PME.
C - Désigne les banques qui elles non plus n’ont pas accès au
marché interbancaire et qui en plus ont atteint leurs limites de crédit
(fonds propres insuffisants). La BCE leur rachète des crédits en
cours (titrisés, c’est-à-dire transformés en obligations) pour qu’elles
puissent en faire de nouveaux à des PME.
Les subtilités du quantitative easing
Le quantitative easing - en abrégé QE - désigne l’un des outils à
disposition des banques centrales pour agir sur la circulation
monétaire. Un outil en fait peu utilisé à ce jour : si la banque centrale
américaine, la FED, y recourt avec succès depuis 2008, il n’en est
pas de même de son homologue, la Banque centrale du Japon, qui
a obtenu des résultats beaucoup plus mitigés.
En annonçant son lancement sur la période mars 2015 - septembre
2016, la BCE a surtout communiqué sur l’objectif de lutte contre la
déflation. Mais cet objectif, n’est pas le seul !
L’étude du quantitative easing se situe au carrefour de l’économie,
de la banque et des marchés. C’est un sujet technique mais
susceptible d’être abordé de manière globale. Pour bien
comprendre, il faut voir dans le QE un coup de billard à plusieurs
bandes. Les trois objectifs « officiels » abritent trois
autres objectifs « secondaires », qui sont en fait plus importants
que les premiers.
OBJECTIFS OFFICIELS : combattre la déflation, faciliter le
crédit, faire baisser les taux. Du côté de l’activité économique, le
phénomène le plus redouté est la déflation, c’est-à-dire une baisse
des prix progressive qui fait penser à chacun qu’il vaut mieux
retarder ses achats pour dépenser moins. Présent dans l’esprit de
millions d’individus, ce sentiment freine la consommation et pénalise
l’économie tout entière.
Pour les entreprises, un autre élément fondamental est le crédit. En
effet, même s’il y a peu de demande du fait du mécanisme décrit ci-
dessus, il y aura toujours des entrepreneurs qui veulent investir
parce qu’ils ont une idée, parce qu’ils pensent que la demande va
revenir, etc. Mais sans crédit ils ne peuvent rien faire.
Le quantitative easing agit à ces deux niveaux : empêcher la
déflation et faciliter le crédit. On va voir comment ces buts sont
atteints…
Pour combattre la déflation, il faut encourager son contraire,
l’inflation. Pour cela il est nécessaire de desserrer les freins
habituellement utilisés pour la contenir. Pour limiter l’inflation, la
banque centrale utilise deux leviers : le premier est le taux d’intérêt,
c’est-à-dire le prix de l’argent fourni aux banques pour que celles-ci
puissent accorder des crédits à leur clientèle. Le second est plus
direct puisqu’il concerne le volume des ressources mises à
disposition des banques.
Globalement, la banque centrale va augmenter la quantité de
monnaie par la création monétaire. En augmentant massivement le
volume des crédits à l’économie, on augmente la demande
potentielle de biens et de services, ce qui fait monter les prix dès
que les limites de capacités de production sont atteintes. Le
mécanisme d’augmentation des crédits disponibles repose en
grande partie sur la création monétaire qui s’ajoute aux dépôts dans
les banques pour « nourrir » les crédits.
OBJECTIFS SECONDAIRES : aider les banques, aider les États,
développer les marchés de capitaux. C’est l’aspect sans doute le
plus intéressant - et le plus discret - du dispositif. L’aide aux
banques consiste à leur permettre de faire des plus-values
importantes sur la cession des obligations qu’elles détiennent et que
la BCE propose de racheter. Ces plus-values seront en partie
utilisées pour augmenter leurs fonds-propres. Le calcul des plus-
values est simple. Par exemple, le rachat d’une obligation ayant un
taux nominal de 4 % sur 15 ans avec un taux de rachat de 3 % crée
une plus-value de 7 % pour le vendeur ! Ce calcul est explicité dans
la suite du cours.
L’aide aux États est indirecte à travers le rachat des obligations
souveraines détenues par les banques. Les traités européens
interdisent le financement direct des États par la banque centrale. Il
s’agit ici d’opérations sur le marché secondaire des dettes
souveraines. La controverse allemande sur l’illégalité des opérations
a échoué après l’arrêt de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe,
confirmé en juin 2016.
Quant aux marchés, ils vont grandement bénéficier de la montée en
puissance de la titrisation. La BCE ne va pas racheter la totalité des
crédits titrisés, comme elle a commencé à le faire, mais elle va
évidemment amorcer la pompe. Il est clair que, comme aux États-
Unis depuis des dizaines d’années, le financement du crédit aux
entreprises et aux particuliers va être progressivement partagé entre
les banques et les marchés. Cette action est nécessaire car le
système bancaire ne suffit pas à couvrir tous les besoins en
financement de l’économie. On note ici la prudence de vocabulaire
de la BCE qui ne parle pas de titrisation, mais de rachat d’ABS,
c’est-à-dire le rachat de titres issus de la titrisation.
BAISSE DE L’EURO : C’est, pourrait-on dire, l’objectif « tertiaire ».
En fait, deux éléments s’ajoutent. Le premier est le différentiel des
taux entre le dollar et l’euro. Ce différentiel entraîne la hausse du
dollar, plus attractif pour les investisseurs. Le deuxième est
la création monétaire. L’impact inflationniste de la création
monétaire devrait diluer la valeur de l’euro donc entraîner là aussi
son affaiblissement par rapport aux autres devises.
Cela dit, il ne faut pas perdre de vue que l’évolution de l’euro par
rapport au dollar reflète le déséquilibre des flux acheteurs et
vendeurs de ces deux devises. Ces flux sont multiples. Globalement
le commerce européen est excédentaire, ce qui constitue un facteur
d’appréciation de l’euro. Il faudrait regarder la balance des
investissements industriels dans la zone euro, la balance des
services, du tourisme, les investissements boursiers.
Tout cela pour dire qu’il ne faut pas surestimer les capacités d’action
de la BCE. La baisse de l’euro depuis juin 2014 est tout autant le
résultat de la politique de la BCE que celle… de la FED, son
homologue américaine. Les hésitations de sa présidente à relever
les taux d’intérêt, donc à augmenter le différentiel des taux avec
l’euro montre bien que les États-Unis veulent contrôler l’appréciation
du dollar.
Les conséquences de la baisse de l’euro sont doubles. Outre
l’impact sur le commerce extérieur de la zone euro, très progressif
dans le temps, il y a l’effet immédiat du renchérissement des
importations, donc une inflation « importée ». La baisse simultanée
du prix du pétrole a atténué l’effet de l’inflation importée, une
conjonction très heureuse pour l’acceptation politique du plan de la
BCE. Comme on sait, les opinions sont très sensibles au prix de
l’énergie.

Les taux négatifs


De semaine en semaine, la France emprunte à taux négatifs. Une
bonne affaire pour l’État, qui gagne en empruntant, mais a
contrario c’est aussi une interrogation à propos de ceux qui perdent
en prêtant, en fait les banques européennes.
Il est important de savoir que les banques n’ont pas le choix dans la
gestion de leurs disponibilités, en dehors des billets de banque. Ces
disponibilités - c’est-à-dire les sommes qui ne sont pas investies ou
prêtées - sont obligatoirement déposées dans leur compte auprès de
la BCE. C’est là que, depuis quelques années, cette dernière les
pénalise avec un taux d’intérêt négatif.
La comparaison des taux montre qu’en prêtant à la France, les
banques perdent un peu moins qu’en laissant leurs avoirs auprès de
la BCE. Mais elles perdent malgré tout !
L’explication conduit à s’interroger sur l’origine de ces disponibilités.
La réponse se trouve dans une autre mesure de la BCE : les achats
de titres de dette souveraine. Ces achats, composante-clé
du quantitative easing, se traduisent pour les banques par un
paiement versé sur leur compte… où il subit un taux d’intérêt négatif.
Les banques acceptent de vendre à la BCE les titres de dette
souveraine qu’elles détiennent, parce qu’elles y gagnent et que les
gains réalisés sont bien supérieurs au taux d’intérêt négatif qui
frappe les liquidités issues de ces opérations.
Les ventes de titres à la BCE génèrent en effet une marge
proportionnelle à la différence entre le taux d’intérêt de ces titres et
le taux proposé par la BCE, inférieur au précédent. Le facteur durée
décuple la marge globale. Pour fixer les idées, si la BCE propose de
racheter au taux d’un pour cent des crédits (des obligations) au taux
facial de quatre pour cent sur dix ans, la banque touche 115 % de la
valeur des crédits dans ses comptes ! Une plus-value de quinze
pour cent donc, immédiate et en cash. Pour la banque, le calcul est
évidemment très rentable. Quinze pour cent de revenu pour un
intérêt négatif au plus égal à 0,4 pour cent.
Il faut bien voir que cette opération ne coûte rien à la BCE, puisqu’il
s’agit de création monétaire. Au contraire, même, puisque dans cet
exemple, elle va toucher un pour cent d’intérêts au titre des crédits
qu’elle a rachetés et dont, par ailleurs, les conditions ne changent
pas pour les emprunteurs d’origine.

Une aide aux banques


C’est surtout l’ensemble du dispositif qui est vertueux, doublement
vertueux même. D’un côté la BCE lutte contre la déflation par la
création monétaire, et de l’autre elle permet aux banques
de reconstituer leurs fonds propres grâce aux profits réalisés. Cerise
sur le gâteau, celles-ci sont incitées à acheter les obligations des
États européens en difficulté, puisqu’elles peuvent les revendre avec
profit… tant que le dispositif perdure, naturellement. De cela, la BCE
est seule à décider, d’autant que confirmation lui a été donnée de
l’orthodoxie du dispositif au regard des accords de Maastricht et de
la constitution allemande.
CHAPITRE 14
LA TITRISATION EXISTE DEPUIS LES
ANNÉES TRENTE

Résumé de ce chapitre
Le mécanisme de la titrisation (en anglais : securitization ou
securitisation) est d’une grande simplicité. Cette technique
financière est importante en raison de son double impact, au
niveau micro-économique, pour les banques, et macro-
économique pour les marchés, et plus généralement dans le
monde de la finance. Les banques, grâce à la titrisation, peuvent
vendre des crédits existants contre un paiement cash. Elles y ont
recours pour alléger leur bilan par exemple, ou pour modifier leur
politique commerciale en visant de nouvelles catégories
d’emprunteurs sans alourdir leur bilan. Les marchés sont friands
de la possibilité d’investir dans des « paquets » de crédits issus
de secteurs spécifiques et regroupant des centaines ou des
milliers d’emprunteurs différents.

Principe de la titrisation
Pour expliquer ce principe, il faut imaginer un groupe d’amis ayant
ceci de particulier que tous ont consenti un prêt personnel à un tiers
(on suppose, pour simplifier, que les prêts ont les mêmes
caractéristiques de montant et de durée).
Chacun a donc signé un contrat de prêt avec un emprunteur. Partant
du principe qu’une gestion commune des prêts serait plus efficace
qu’une gestion individuelle, ils décident de transférer l’ensemble
des prêts dans une société créée pour la circonstance et qui va jouer
le rôle d’un pool. En contrepartie de son apport dans ce pool, chacun
reçoit un certificat d’un montant correspondant à la valeur du prêt
apporté. Ces certificats, appelés titres, sont au porteur.
On voit déjà un premier avantage : avant cette opération, chacun
était « lié » à son emprunteur par un contrat de prêt. Après, il n’y a
plus de contrat, mais un « titre » donnant droit à remboursement de
la part du pool.
C’est alors qu’une discussion s’engage. Certains des participants
proposent de se retirer, d’autres sont prêts à racheter les parts
disponibles. D’autres, enfin, réfléchissent à une revente possible,
mais en dehors du groupe d’amis. Ils viennent d’inventer la
titrisation, c’est-à-dire la transformation de crédits nominatifs en titres
anonymes et donc cessibles.
Les emprunteurs d’origine sont toujours les mêmes, à savoir les
bénéficiaires des prêts. Ils ne sont plus endettés vis-à-vis des
prêteurs, mais vis-à-vis du pool, ce qui, pour eux est sans
conséquence.
Pour les prêteurs d’origine, c’est comme si le pool s’était substitué
aux emprunteurs. Pour dire les choses autrement, les prêteurs
d’origine détiennent à présent des créances sur le pool. Pour eux la
différence est grande, à double « titre ». D’abord ils n’ont plus à se
préoccuper de la gestion administrative des prêts (collecte,
relance…), mais surtout, ils ont la possibilité de sortir à tout moment
de leur engagement. En contrepartie de ce service, naturellement, ils
consentent à l’administrateur du pool, l’un d’entre eux ou un tiers,
une petite rémunération.
Les prêteurs sont devenus des investisseurs. Ce n’est pas qu’un
changement de vocabulaire. L’investisseur est en effet libre de
retrouver sa mise à tout moment et de choisir un autre placement.
Le prêteur n’a pas ce choix, il est lié par contrat à l’emprunteur et
n’est libéré de cet assujettissement qu’à l’expiration du prêt.

Une passerelle entre la banque et le marché


Voici le schéma de la titrisation pour les banques.
Les crédits distribués par la banque s’inscrivent à l’actif du bilan. Ce
qui est important est la visualisation de quelque chose de très
abstrait : la vente des créances (les crédits) à l’acheteur lequel, pour
payer « vend » à son tour des obligations à des investisseurs.
L’acheteur est une structure intermédiaire, appelée SIV en jargon
anglais. C’est l’équivalent du pool évoqué ci-dessus.
L’actif du bilan de la SIV comporte les crédits achetés à la banque.
Le passif indique comment cet actif a été financé, en l’occurrence
par une dette obligataire matérialisée par des obligations.

Sur le plan juridique


Un simple contrat de cession B est passé entre la banque et la SIV.
Ce contrat définit la liste des contrats de crédits cédés, et le montant
total payé par la SIV à la banque. Il est important de voir que pour
l’emprunteur, le contrat de crédit initial A ne change pas. Le nouveau
contrat B est un contrat de vente des crédits et de cession des
droits du prêteur, comme par exemple les garanties attachées aux
crédits. À noter qu’au sens juridique l’actif de la SIV n’est pas
constitué de « crédits » mais de créances, une précision qui ne
change rien à la dimension financière de l’opération.

Sur le plan financier


Les emprunteurs continuent leurs remboursements à la banque qui
les transfère aussitôt à la SIV. La banque est devenue un simple
collecteur d’argent pour le compte de la SIV.
La SIV est le prêteur juridique qui supporte dorénavant les risques
de non-paiement des emprunteurs mais reçoit leurs paiements et
bénéficie des contrats d’origine. Les emprunteurs sont notifiés du
transfert des droits et obligations du prêteur - la banque - vers la SIV.
Les crédits sont devenus des titres adossés à des crédits. Ces titres
sont négociables, c’est-à-dire qu’ils peuvent être facilement vendus
et revendus.

Intérêt pour les banques


La signification profonde de la titrisation n’est pas le désir des
banques de simplifier leur gestion. Ou de se « débarrasser » des
mauvais crédits, comme cela a été hâtivement commenté dans le
contexte des subprimes. Une interprétation étrange au demeurant,
car on peut se demander qui aurait envie d’acheter des mauvais
crédits.
Les motivations des banques pour céder une partie de leurs crédits
sont multiples. Comme le montre le schéma, l’encours des crédits
« portés » par la banque a baissé, ce qui est une manière
d’améliorer le ratio encours/fonds.
Par ailleurs « dette bancaire » correspond au fait que les banques
se prêtent entre elles en permanence (voir le cours sur le
fonctionnement des banques).
- La principale raison est de réduire leur encours - c’est-à-dire le
volume de ces crédits - au regard des contraintes réglementaires
imposant un certain niveau de fonds propres par rapport aux
crédits accordés. Si les fonds propres baissent, après des pertes
par exemple, la banque doit réduire ses engagements pour
respecter les ratios imposés. Pour cela elle va vendre une partie de
ses crédits à un tiers, une banque ou… une structure de titrisation.
Pour les clients de la banque qui ont bénéficié de ces crédits, rien
ne change. La banque continue de percevoir les remboursements,
qu’elle reverse ensuite à la structure de titrisation.
- Une autre raison tout aussi importante est le souci de modifier le
profil de risque du portefeuille de crédits. Dans ce dernier cas, la
banque vend les crédits d’un secteur économique donné et
redistribue de nouveaux crédits dans un autre secteur.
- La troisième raison paraît contredire la première : en allégeant le
bilan des banques, la titrisation leur donne la possibilité
de prêter plus. Comment ? Tout simplement en titrisant chaque
nouveau crédit, ce qui n’augmente pas leur encours et donc ne
modifie pas les équilibres prudentiels. Il n’est donc pas étonnant
qu’en Europe on cherche à développer la titrisation, « on » étant les
banques et certains gouvernements. Ce qui motive la banque dans
le fait de prêter plus est la perspective de gagner plus. En effet, elle
perçoit une marge sur chaque crédit vendu à une structure de
titrisation. Cette marge a atteint des niveaux incroyablement
élevés. Le calcul actuariel, montre que le prix de vente d’un crédit
est la valeur présente des paiements futurs. Plus le taux
d’actualisation est faible, plus la valeur présente est forte. Il suffit de
revendre un crédit à un taux d’intérêt inférieur au taux que connaît
l’emprunteur pour réaliser une marge importante : plus de 7 % de
marge par exemple pour un crédit sur 25 ans revendu avec un
différentiel d’intérêt de 1 %. La banque qui cède un crédit de 100
000 euros dans ces conditions touche 107 000 euros !
La titrisation donne donc aux banques une immense flexibilité dans
la gestion de leurs crédits.

Intérêt pour les investisseurs


Pour les investisseurs aussi la titrisation est un facteur de flexibilité.
C’est en effet pour eux la possibilité de choisir avec précision où ils
souhaitent investir. Qui sont-ils ? Toutes les institutions de France et
d’ailleurs qui ont durablement ou épisodiquement de l’argent à
placer. Institutions privées ou publiques, ces investisseurs pourraient
placer cet argent dans les banques. Beaucoup préfèrent faire des
placements en Bourse, acheter des obligations, prendre des
participations dans des entreprises, ou simplement confier leur
argent à des organismes spécialisés qui feront des placements en
leur nom.
On trouve ainsi des compagnies d’assurance, des fonds de pension,
des États souverains détenteurs d’excédents, des fonds de
placement, etc.
L’ensemble des capacités financières des investisseurs est estimé à
70 000 milliards de dollars ! Ce chiffre astronomique explique la
motivation des banques d’affaires proposant des solutions
d’investissement.
Comme on l’a vu, la titrisation va permettre d’offrir de nouveaux
« titres » d’investissement sur le marché financier. Ces nouveaux
titres sont des obligations mélangeant des crédits d’origines
diverses. Cette diversité joue au niveau des catégories
d’emprunteurs. Elle joue aussi au niveau des catégories de biens
financés. C’est précisément ce que veulent les investisseurs :
choisir ! Ceux qui ont des affinités avec l’immobilier choisiront des
obligations issues de crédits immobiliers. Il en sera ainsi pour ceux
qui préfèrent tel ou tel secteur industriel ou tel type de biens (avions,
voitures, bateaux, etc.). Le choix d’un investissement sur-mesure est
dès lors possible ! Et à tous ces investisseurs, il apparaît qu’il est
moins risqué de prêter à 100 ou 1 000 emprunteurs, plutôt qu’à un
seul.
On comprend la ruée des banques d’affaires, en aval de la titrisation.
Elles ont exercé tous leurs talents pour diversifier au maximum les
choix possibles.

Un outil de politique économique pour les États


La titrisation a été inventée aux États-Unis en 1934, dans le contexte
du New Deal, sous Roosevelt. Le problème posé alors était la
relance de l’économie après le désastre de la crise de 1929. Les
banques, durement touchées par la crise, ne pouvaient pas fournir
les crédits nécessaires, du fait des pertes subies. Pourtant il y avait
des ressources disponibles. La titrisation a permis de capter ces
ressources pour financer les crédits à l’économie sans charger le
bilan des banques.
La titrisation est un moyen de développer le crédit sans charger les
banques. Il faut bien voir ce point : la titrisation entraîne un
changement profond du mode de financement du crédit. Les crédits
inscrits au bilan sont habituellement financés pour partie par les
dépôts de la clientèle, et pour le reste, massivement, par appel au
marché interbancaire, lui-même alimenté par les banques
excédentaires en trésorerie et par les banques centrales.
Cette possibilité de financer les crédits en dehors des circuits
bancaires est particulièrement recherchée lorsque les banques sont
à la peine pour faire leur métier, faute de fonds propres suffisants.
La relance de l’économie européenne impose le développement du
crédit aux entreprises. Or les banques ont atteint leurs limites, du fait
de l’augmentation des faillites et des dispositions de Bâle III qui
pèsent sur leurs fonds propres.
CHAPITRE 15
L’ORGANISATION DES BANQUES
Trouver le bon interlocuteur
La façade lisse et uniforme des banques abrite des réalités
complexes qui les distinguent des entreprises à de nombreux points
de vue. Voici un aperçu des nombreux métiers de la banque :

Gestion des comptes Crédits syndiqués


Gestion d’actifs Marché de taux
Financement export Fusions et acquisitions
Marchés de change Courtage d’actions
Titrisation Leasing fiscal
Émission de titres Financement d’avions, de bateaux
Introduction en Bourse Financement de projets
Émission de cautions Financement structuré
Leveraged buy out Banque privée

Ces métiers sont très spécialisés, au point que l’on puisse vraiment
parler de cultures différentes. Le trader de la salle de marchés et son
collègue des fusions et acquisitions appartiennent à deux mondes
qui n’ont rien en commun. Tout les sépare, l’origine, la formation, la
personnalité, le mode de rémunération. Il en est de même du
banquier dit « privé », spécialisé dans la gestion des fortunes des
particuliers, que tout sépare de son collègue du financement export,
globe-trotter familier des institutions financières internationales.
Pour illustrer le problème du cloisonnement des métiers, il faut
savoir qu’il est par exemple inutile de parler d’un problème de
financement export à un spécialiste en crédits syndiqués, ou
réciproquement.
La confusion la plus fréquente à cet égard concerne le rôle des
représentants des banques à l’étranger. Ces personnages, par
définition très « visibles », remplissent généralement des missions
précises en relation avec les autorités locales, pour le compte de
leur maison-mère. Par la force des choses, ils jouent aussi un rôle
incontournable d’accueil des clients de passage, lesquels comptent
aussitôt sur un soutien total en faveur de leurs dossiers particuliers.
Or il est inutile d’attendre un tel engagement, ce n’est pas leur job.
Pire même, une intervention ciblée et visible en faveur d’un client
pourrait nuire à leur délicat travail de lobbying local. De même, ces
personnages n’ont aucun pouvoir particulier vis-à-vis des « métiers »
de la maison-mère. Comme tout cela est du domaine du non-dit, les
situations de frustrations sont susceptibles de se multiplier.
On trouve par ailleurs des différences au sein de chaque métier. Des
personnels hautement spécialisés côtoient des généralistes.
Certains inventent de nouveaux produits, d’autres les
commercialisent, d’autres enfin relient le métier à la « machinerie »
interne de la banque, dans le domaine de la trésorerie, de la
comptabilité et du contrôle des risques.
La diversité des métiers de la banque et leur cloisonnement
impliquent de bien savoir qui fait quoi. Il se pose ici un petit problème
d’identification. Si les contenus de ces métiers se ressemblent
fortement d’une banque à l’autre, il n’en est malheureusement pas
de même de la terminologie employée et surtout de l’organisation,
ce qui peut entraîner une certaine confusion.

Problèmes d’organisation
Chaque métier a ses produits particuliers, son type de clientèle ou
de partenaires, son modèle économique, son profil de
collaborateurs, et on comprend dès lors la complexité des problèmes
d’organisation.
L’organisation interne des banques est le résultat du regroupement
des métiers selon des critères choisis en fonction de la stratégie de
chaque institution. On distingue globalement trois types de critères,
les critères « clients », « produits » et « marchés ».
Le problème est que les produits sont souvent multi-clients et qu’à
l’inverse, les clients d’un groupe donné sont concernés par plusieurs
produits. Il est ainsi fréquent d’isoler l’activité de « banque privée »,
ciblée sur les particuliers fortunés, ou de « banque d’affaires »,
ciblée sur les hauts dirigeants. Mais la banque privée doit s’appuyer
sur d’autres métiers, comme « courtage actions » et « produits
structurés ». De même, les clients de la banque d’affaires sont
concernés par les métiers de marchés et les « financements
structurés ».
Toute organisation est donc un compromis présentant d’inévitables
zones de recouvrement. Par ailleurs les organisations évoluent
dans le temps, parfois de manière soudaine.
Deux éléments sont à prendre en considération dans la relation avec
un banquier : son métier et dans certains cas son « grade », qu’il ne
faut pas confondre avec la position hiérarchique. Connaître le métier
de son interlocuteur est capital du fait du cloisonnement rigoureux
des activités bancaires et des responsabilités. Quant au grade, il est
important dès lors que l’on touche aux problèmes de prises de
risques et surtout de rapidité de décision. C’est particulièrement vrai
des métiers de crédit par exemple. À partir d’un certain niveau les
cadres de banque disposent en effet de délégations de crédit
personnelles qui leur confèrent une autorité accrue au sein des
comités de crédit et surtout leur donne la possibilité de prendre des
décisions en dehors du cadre formel des comités des risques, sous
conditions naturellement.
Les grands secteurs d’activité
On en distingue classiquement six :

1 - Banque Commerciale 4 - Banque d’Affaires


2 - Marchés 5 - Banque Privée
3 - Financements 6 - Courtage Actions

1 - Ce qu’on appelle la « Banque Commerciale » regroupe les


services courants apportés aux entreprises : gestion des comptes et
des flux, crédits de trésorerie, crédits d’investissement, émissions de
cautions. L’interface avec la clientèle se réalise au niveau des
agences régionales.
2 - Les métiers de Marché sont spécialisés en fonction des produits
considérés. On distingue les produits de taux d’intérêt, les produits
de change. Sur leurs marchés respectifs, les intervenants achètent
et vendent des produits classiques ou non, comme les couvertures
de change, les swaps de taux ou de devises, des options. Ils le font
pour le compte de leurs clients ou en compte propre. Leurs
partenaires sont des courtiers ou leurs homologues des autres
banques de la planète. Au sein des métiers de marché,
l’organisation est à peu près la même. C’est ainsi que l’on distingue
le front-office du middle office et du back office. Les opérateurs du
front office sont en contact direct avec les partenaires extérieurs,
avec lesquels ils négocient les transactions. Comme les choses se
passent très vite, les opérateurs n’ont pas le temps de saisir ces
transactions au plan comptable, et de modifier au fur et à mesure les
limites d’intervention. Ces tâches sont dévolues au middle et au
back office. Dans certains cas, on trouvera un ou deux « traders »
de front office dans la banque commerciale.
3 - Les métiers dits de Financement présentent des profondes
différences d’organisation d’une banque à l’autre. À la base, la
notion de financements structurés regroupe un ensemble de sous-
métiers comme les financements de projets, les LBO, acronyme de
Leverage Buy-out, ou les opérations de titrisation. On peut y trouver
aussi certains financements spécialisés comme les financements de
bateaux ou d’avions. Ces deux métiers sont souvent regroupés, car
ils s’appuient l’un et l’autre sur des technicités très proches dans le
domaine du leasing, de la fiscalité ou de l’assurance. Ils peuvent être
au contraire séparés dans les banques souhaitant mettre en avant
une expertise reconnue dans l’un ou l’autre de ces domaines.
La raison majeure du regroupement de tous ces métiers, plus que la
complémentarité ou la proximité de certains d’entre eux, est leur
liaison commune au comité des risques de crédit de la banque.
Spécialisés ou non, ces financements engagent le risque de la
banque, ce qui justifie leur centralisation.
4 - Les métiers de Banque d’Affaires sont aussi appelés métiers de
conseil ou de haut de bilan. Dans ce contexte, le haut de bilan
désigne la partie Equity du passif, c’est-à-dire ce qui concerne le
capital et les fonds propres de l’entreprise.
L’activité du banquier d’affaires est une activité de conseil
rémunérée. C’est lui qui aide par exemple son client à réaliser une
émission d’obligations, une introduction en Bourse ou une
augmentation de capital, toutes opérations qui ont un impact sur le
haut de bilan. Les « affaires » les plus recherchées sont les
opérations de fusions et d’acquisition, Mergers and Acquisitions.
Certaines grandes banques peuvent disposer d’un département
entier consacré aux M&A. Pour satisfaire aux impératifs de la
confidentialité et de l’éthique, ces départements sont entourés d’une
« muraille de Chine ».
5 - La Banque Privée est centrée sur la gestion des fortunes privées.
C’est une activité de conseil, conseil fiscal et patrimonial, et de
gestion des investissements des clients. Le savoir-faire relationnel,
fondamental, crée la réputation d’un établissement, plus que les
produits ou les conseils apportés, qui ne diffèrent pas
fondamentalement d’une banque à l’autre.
6 - Le Courtage Actions constitue une activité particulière, isolée
physiquement et juridiquement du reste de la banque. Les courtiers
actions exécutent les ordres d’achat et de vente pour le compte des
tiers ou pour leur compte propre. C’est surtout dans ce métier que
s’élabore la « recherche », c’est-à-dire l’analyse en profondeur des
forces et des faiblesses des entreprises cotées. Ces analyses font
l’objet de publications, ce qui explique les risques de conflits
d’intérêts avec certains clients de la banque et la nécessité d’une
organisation indépendante.
Les différences d’organisation les plus notables d’une banque à
l’autre se situent au niveau du contour des métiers de financement
et surtout de la banque d’affaires. Plutôt que de parler de banque
d’affaires, certaines banques utilisent les concepts de Corporate
Banking et de Investment Banking. Ces entités omniprésentes dans
les organisations sont à géométrie variable. La confusion règne car
si l’une d’elles peut contenir l’autre, dans certains cas, c’est le
contraire.

Le chargé de relation
Comment s’y retrouver alors ? Tout simplement en sachant qu’il est
normal de ne pas savoir et donc et qu’il ne faut pas hésiter à
interroger son interlocuteur. Pour l’entreprise cliente, la clé de la
bonne orientation au sein d’une banque est le « chargé de relation ».
Ces chargés de relation, appelés aussi chargés de clientèle, credit
officers ou senior bankers - la terminologie n’est là aussi pas
toujours très claire - remplissent une fonction commerciale et de
suivi de la relation avec les clients. Leur mission consiste à introduire
ces derniers auprès des différents métiers pouvant répondre à leurs
besoins, mais surtout à « défendre » les intérêts des clients devant
les instances de crédit de la banque.
Le rôle du chargé de relation est donc capital pour le client.
L’importance de ce lien n’exclut pas les contacts directs avec les
opérationnels de tel ou tel métier. Dans certains cas comme, par
exemple dans le contexte du financement export, ce lien direct est
souvent la clé de la réactivité indispensable dans les phases
d’accélération des négociations.
CHAPITRE 16
LES FINANCES D’UNE START-UP
Les premiers pas d’une start-up : le bilan commode
L’exemple choisi est celui de deux amis qui décident de créer une
petite entreprise d’achat-vente d’ordinateurs d’occasion.

Il est suggéré de suivre pas à pas ce qui se passe dans les


premières étapes et, crayon en main, d’essayer de refaire les
schémas. D’attendre ensuite quelques jours avant de recommencer,
en ajoutant une ou deux étapes supplémentaires. Comme indiqué
en introduction, ce qui est enseigné ici est un langage. Un langage
limité certes, mais dont l’apprentissage demande néanmoins une
certaine patience.

É
Étape 1 - Les associés versent leur part dans la société
Chacun met 1 000 € dans l’affaire, en liquide. Le tiroir « caisse »
contient ce premier versement, soit 2 000 €. Plus tard, on va puiser
dans cette caisse pour faire des achats, et, il faut l’espérer,
encaisser des ventes.
Pour s’y retrouver, il faut bien noter quelque part le montant de la
mise initiale des deux associés. C’est à cela que sert le tiroir
« capital ». Dedans il n’y a pas d’argent, mais deux papiers
indiquant seulement qui a versé quoi initialement.
Le schéma symbolique, ci-dessous, représente l’état de la commode
:

Total colonne de gauche : 2 000 € - colonne de droite : 2 000 €


Voilà, nous avons passé nos premières écritures !

Étape 2 - Achat d’un ordinateur pour la gestion


Les deux amis achètent un premier ordinateur de 1 500 €. La caisse
va baisser du même montant, mais l’entreprise possède à présent
un ordinateur. Pour faire état de cette acquisition, on place la facture
(payée) dans le tiroir supérieur gauche.
La nouvelle physionomie de la commode est donc comme suit :

Total colonne de gauche : 2 000 € - colonne de droite : 2 000 €

Étape 3 - De nouvelles ressources sont nécessaires


Un ordinateur, c’est insuffisant. Par ailleurs il faut pouvoir acheter les
ordinateurs d’occasion qui se présenteront. De nouvelles ressources
sont nécessaires. Un ami de la famille est disposé à mettre 5 000 €
dans leur affaire.
Les deux amis réfléchissent : quel statut donner à cet ami,
actionnaire ou prêteur ? S’il devient actionnaire, ses 5 000 € lui
donneront la majorité et le pouvoir de décider seul ou presque. S’il
prête les 5 000 €, il faudra commencer à le rembourser alors que
l’entreprise n’aura peut-être pas fait de ventes. Ils décident donc une
solution moyenne : un prêt de 3 500 € et l’achat d’une part de 1 500
€.
Le versement global du nouveau partenaire, soit 5 000 € vient dans
la caisse qui passe donc à 5 500 €. En ce qui concerne la colonne
de droite, le tiroir capital augmente de 1 500 €, soit la part de M. zzz.
Un nouveau tiroir est créé, intitulé « crédit ». On place dedans le
contrat de prêt des 3 500 €, souscrit entre l’entreprise et le même M.
zzz.
Le bilan « commode » devient le suivant :

Total colonne de gauche : 7 000 € - colonne de droite : 7 000 €

Étape 4 - Achat d’un deuxième ordinateur


Un deuxième ordinateur a été acheté 1 000 €. Le vendeur a
spontanément proposé de payer dans les quinze jours.
Voici le nouveau bilan après cette opération :
Total colonne de gauche : 8 000 € - colonne de droite : 8 000 €
Il n’y a pas eu de paiement, donc pas de changement au niveau de
la caisse. En revanche la colonne de droite voit apparaître le crédit
du fournisseur de l’ordinateur Dell. Ce n’est pas un emprunt, c’est
une forme de crédit. Pour dire les choses autrement, l’entreprise a
une dette vis-à-vis du fournisseur.

Étape 5 - Première vente, payable dans un mois


La première vente a été réalisée !
Plus exactement un achat d’ordinateur d’occasion, payé comptant
300 €, revendu quelques jours après, dans le même état, pour 500
euros. Une facilité de paiement de 30 jours a été accordée à
l’acheteur qui ne pouvait pas payer comptant.
Total colonne de gauche : 8 200 € - colonne de droite : 8 000 €
La caisse a baissé de 300 €, le prix de l’ordinateur d’occasion payé
comptant.
En revanche, les autres transactions (la revente de l’ordinateur
d’occasion et l’achat du Dell) n’ont pas donné lieu à des
mouvements de cash, puisque tout s’est fait à crédit.
On constate à présent que le total des colonnes n’est plus identique.
La différence est de 200 €. C’est précisément le bénéfice réalisé sur
l’opération d’achat-vente de l’ordinateur d’occasion. À qui appartient
ce bénéfice ? Aux actionnaires. Donc il figure à droite.
Voici comment le bénéfice est exprimé :
Total colonne de gauche : 8 200 € - colonne de droite : 8 200 €
Remarquons que la Caisse désigne en fait les liquidités, c’est-à-dire
le « cash » et surtout les avoirs bancaires courants. On a compris
dans l’exemple, ci-dessus, que ces liquidités n’ont rien à voir avec la
rentabilité ou le bénéfice.

Étape 6 - Le client est venu régler son achat


L’acheteur d’ordinateur d’occasion est venu régler son achat, soit
500 €. En conséquence, le crédit « client » est effacé et la caisse
augmente à hauteur de cet encaissement.
Total colonne de gauche : 8 200 € - colonne de droite : 8 200 €
Différence entre capital et fonds propres : le bénéfice appartient
aux actionnaires, c’est leur entreprise. Ils peuvent le retirer pour eux
(ce qu’on appelle un dividende) ou le laisser dans l’entreprise. Ce
bénéfice vient alors s’ajouter au capital. L’ensemble capital plus
bénéfice constitue les fonds propres. Cette notion de fonds
propres sera amplement discutée par la suite dans le contexte de
l’entreprise et de la banque.
Pourquoi cette importance ? Les fonds propres rassurent tous ceux
qui prêtent à l’entreprise, banques, fournisseurs et autres créanciers.
Les fonds propres sont un élément-clé pour l’attribution des crédits.
En ce qui concerne les banques elles-mêmes, les ratios de fonds
propres sont au cœur du contrôle de leur activité par les autorités
chargées de leur régulation.

Étape 7 - Distribuer le bénéfice ou le laisser dans la


société ?
Nos actionnaires ont décidé de ne pas distribuer de dividendes et
donc de garder le bénéfice de 200 € dans l’entreprise.
Avant l’affectation des bénéfices, le capital était de 3 500 €. Après
affectation, ce qu’on appelle dorénavant les fonds propres s’élève à
3 500 + 200 = 3 700 €

Total colonne de gauche : 8 200 € - colonne de droite : 8 200 €


En résumé, le bilan est à chaque instant la photographie à l’instant
T des avoirs et des dettes de l’entreprise. Il change donc au fur et à
mesure des transactions.
Le bilan est une manière condensée de décrire les choses, mais il
ne dit pas tout. Difficile de savoir par exemple comment le bénéfice
de 200 € a été généré si l’on s’en tient au dernier bilan. Pour en
avoir le détail, il faudra regarder le compte d’exploitation.
Comme il est dit en introduction, le bilan est un formidable outil
descriptif de l’activité des entreprises et des banques. Un coup
d’œil renseigne sur les forces et les points faibles. Un coup d’œil !
On voit tout de suite ce qui différencie les entreprises, les banques.
Les déséquilibres financiers, les problèmes de réglementation
bancaire. On voit tout de suite ce que « fait » un hedge fund ou une
société d’investissement.
CHAPITRE 17
LES HEDGE FUNDS
Résumé de ce chapitre
Placer son argent dans un fonds est plus simple et plus efficace
que d’acheter soi-même des actions ou des obligations. Les
fonds sont des sociétés ultra-légères et qui fonctionnent un peu
comme des banques. Les hedge funds sont une catégorie de
fonds, qui prennent des risques plus élevés dans des secteurs
que délaissent les autres fonds.

Placer son argent dans un fonds est plus simple et plus efficace que
d’acheter soi-même des actions ou des obligations. Les fonds sont
des sociétés ultra-légères et qui fonctionnent un peu comme des
banques. Les hedge funds sont une catégorie de fonds, qui prennent
des risques plus élevés dans des secteurs que délaissent les autres
fonds.
Les fonds dits « classiques » sont créés par les départements
spécialisés des banques, qui en gèrent des centaines. En France on
parle d’OPCVM par exemple. On parle aussi d’assurance-vie pour
désigner des fonds assortis d’avantages fiscaux au niveau de la
succession. Certains fonds sont spécialisés dans l’immobilier, par
exemple, les devises, ou les matières premières. L’activité des fonds
est proche du métier bancaire, mais ne prenant pas de dépôts
publics, ils ne sont pas régulés comme des banques.
Les hedge funds sont plutôt le fait des grandes banques d’affaires
anglo-saxonnes et des professionnels indépendants. Leur
caractéristique est leur modèle d’investissement plus complexe que
celui des fonds « classiques ». C’est pourquoi on parle de shadow
banking ce qui veut simplement dire que leur activité n’est pas
contrôlée aussi sévèrement que celle des banques. La crise des
subprimes a accrédité dans l’opinion l’idée de leur responsabilité et
donc une volonté politique de régulation. La réalité est en fait
beaucoup plus nuancée.
Il faut bien voir l’importance des fonds et des hedge funds dans
l’économie. Ils prennent des risques que ni les banques ni les
investisseurs traditionnels, comme les fonds de pension ou les
sociétés d’assurances, ne voudraient prendre. Il est par exemple
très simple de comprendre qu’une banque de dépôt ne peut pas
risquer les dépôts de ses clients dans ce qu’on appelle le capital-
risque par exemple. On peut dire que les fonds sont à l’origine de la
formidable vitalité du secteur des créateurs d’entreprises
américaines. Sans les hedge funds, pas de success story comme
les Facebook, Google, Amazon, etc.
La France et l’Europe ont besoin de ce type d’investisseurs
puissants et audacieux. Entre le crowd-funding (financement
participatif), les business angels et l’entrée en Bourse, c’est le vide
ou presque. La BPI, organisme d’État ne peut évidemment pas
« trop » risquer l’argent du contribuable.
Ce vide explique l’incapacité des jeunes pousses à grandir vite,
faute de capitaux. Il faut dire aussi que les hedge funds ne sont pas
tous gagnants : beaucoup perdent et perdent beaucoup, certains
disparaissent.

Les fonds
Il y a dans le monde une masse énorme de capitaux disponibles,
estimée à 70 000 milliards de dollars. Qui détient cet argent ? Des
États, des fonds de retraites, des fonds souverains, des entreprises
(Apple aurait plus de 100 milliards de cash), de très riches
particuliers, etc.
Il y a en face de ces ressources des besoins immenses : les
entreprises, les États en déficit, les créateurs d’entreprises.

Entre les deux, il y avait pendant longtemps deux intermédiaires


possibles :
Les banques

Et les marchés
Une troisième catégorie d’intermédiaires est apparue, LES
FONDS.
L’industrie des fonds s’est développée à l’initiative des banques et
surtout des banques spécialisées (banques d’affaires, banques
d’investissements) pour faciliter la vie des investisseurs et les
aider à placer au mieux leurs avoirs, en Bourse, sur les marchés ou
directement auprès des entreprises.
Les fonds offrent aux investisseurs des produits de placement sur-
mesure et simples à utiliser. Les plus courants : les SICAV, les fonds
spécialisés. Les plus sophistiqués des fonds et les plus prestigieux
ont été créés par des banques d’affaires new-yorkaises, qu’on
appelle globalement Wall Street. Ou par d’anciens gestionnaires de
ces banques qui se sont mis à leur compte pour créer des hedge
funds.
Selon le degré de risque des placements proposés, les fonds portent
des noms différents. Les investissements sur les marchés d’actions
et les produits dérivés sont les plus risqués, c’est le domaine
privilégié des hedge funds.
Le schéma ci-dessous résume cette situation :
Ce schéma représente l’ensemble de la finance mondiale !
Les flèches montrent le sens de l’argent, qui va de ceux qui ont des
ressources à ceux qui en ont besoin.
1 - Tout en haut, le CIRCUIT DES FONDS.
2 - Plus bas le CIRCUIT DES MARCHÉS : les placements donnent
les financements.
3 - Tout en bas le CIRCUIT DES BANQUES : les dépôts auprès des
banques donnent les crédits.
Les fonds captent l’argent des investisseurs auxquels ils proposent
des placements à haut rendement, supérieurs à l’intérêt servi par les
banques et aux rendements boursiers. Et surtout, certains d’entre
eux utilisent des techniques de couverture pour éviter de perdre
lorsque les marchés d’actions se retournent, lorsque les devises
baissent subitement, etc.
À noter que les marchés représentent ici tous les marchés. Non
seulement la Bourse et le marché obligataire, mais aussi les
marchés des devises, des taux d’intérêt, des produits dérivés, des
matières premières.
Concrètement, comment placer de l’argent dans un fonds ? Tout
simplement en s’adressant à une banque, ou, s’il s’agit de sommes
importantes (millions d’euros), en se tournant directement vers un
fonds connu. Par exemple, Carmignac, en France, Black Rock aux
États-Unis, etc.
Les Allemands « fortunés » sont très friands d’investissements
immobiliers. Des centaines de fonds spécialisés dans ce domaine
prospèrent en Allemagne.

Les hedge funds


Appelés aussi fonds alternatifs, les hedge funds sont aujourd’hui
banalisés. Hedge en anglais veut dire couverture au sens de la
couverture des risques. Hedger une position veut dire qu’en cas
d’événement imprévu le risque de perte est limité par un mécanisme
de couverture. Le point clé est le degré de risque du fonds. Un fonds
risqué, dit spéculatif sera rarement en risque total. Donc il y a
toujours une couverture pour éviter la catastrophe.
Les hedge funds franchissent le cap des 2 700 milliards de dollars
de capitaux
Cette couverture a un coût, mais le bilan bénéfice/coût leur permet
d’offrir in fine des rendements supérieurs à la moyenne.
Pour obtenir de hauts rendements, ils utilisent toutes les ressources
possibles pour analyser à chaque seconde quels sont les meilleurs
placements en actions, en obligations, sur les marchés en devises,
en matières premières, etc. ou pour investir directement dans les
entreprises qui ne sont pas cotées en Bourse.
Ces fonds ne sont évidemment pas toujours gagnants, mais les
meilleurs obtiennent effectivement des rendements impressionnants.
Il ne faut pas s’étonner d’apprendre de temps à autre que tel ou tel
d’entre eux a fait des pertes abyssales.
Il existe des dizaines de catégories de fonds, selon les secteurs
économiques dans lesquels ils opèrent, selon les marchés sur
lesquels ils se spécialisent et selon les techniques d’investissement
adoptées.
Certains travaillent dans le long terme, d’autres dans la…
milliseconde, dans ce qu’on appelle le trading haute fréquence.
Certains utilisent l’effet de levier extrême (100 de dette pour 1 de
capital investi). Certains se spécialisent par type d’activité, comme
l’immobilier, ou l’industrie électronique, etc.

Les paradis fiscaux


Les médias ont beaucoup fantasmé sur les paradis fiscaux et les
fraudes massives commises en ces lieux. La réalité est plus
prosaïque.
Il y a effectivement dans le monde un certain nombre de pays ou de
micro-pays qui se sont fait une spécialité de l’hébergement de
sociétés « papier ». Ainsi on peut créer en dix minutes une société à
Panama ou à Monaco, lui ouvrir un compte en banque, désigner un
ou plusieurs administrateurs fictifs.
L’avantage ?
- Les frais de tenue de l’assemblée générale annuelle sont
minimes, quelques centaines d’euros. La même société créée en
France entraînerait l’obligation d’un véritable conseil
d’administration et une gestion se chiffrant à plusieurs milliers
d’euros annuels.
- La fiscalité des bénéfices est faible, mais cet avantage joue peu
car les banques qui créent ces fonds les déclarent au fisc de leur
pays et les bénéfices « off-shore » sont finalement taxés comme
dans le pays d’origine. Seuls subsistent des avantages fiscaux
ponctuels pour qui sait utiliser au mieux et légalement les finesses
du droit fiscal.
Pour une banque qui gère une centaine de fonds, l’économie de
gestion et d’impôts réalisée en plaçant les fonds dans les paradis
fiscaux peut atteindre quelques millions d’euros ! En toute légalité !
À noter qu’au début de 2016, l’un des plus gros et plus anciens
hedge funds, Bridgewater, gère des placements d’une valeur de 169
milliards de dollars. Un changement de PDG est prévu dans le
courant de l’année : il s’agit de l’ancien bras droit de Steve Jobs,
l’inventeur de l’iPod. Cela pour marquer le changement de stratégie
du fonds, désormais soucieux d’investir dans le secteur « geek »,
selon les propres termes de l’intéressé.
CHAPITRE 18
COMPTABILITÉ : LIMITES ET ZONES DE
FLOU

Résumé de ce chapitre
Les règles de construction des états comptables sont
rigoureuses et font l’objet de codification au niveau international.
L’impression d’objectivité qui leur est attachée est cependant
trompeuse, car il y a plusieurs zones de flou quasi-
incontournables.
La première, sans doute la plus épineuse concerne les
provisions pour risques, Le risque de défaillance d’un client ou le
risque d’endommagement des stocks, par exemple ne peuvent
pas être occultés du fait de leur impact possible sur les résultats
de l’entreprise. La difficulté est de déterminer une méthode de
mesure objective.
Un autre problème tout aussi important concerne l’évaluation
d’un bien comme un immeuble ou une participation financière.
Dans ce domaine, la valeur comptable s’oppose à la valeur de
marché. Cette dernière paraît la plus proche de la réalité mais
outre le fait qu’elle varie sans cesse se pose le problème de sa
détermination dans le cas où il n’y a plus de marché.
Les autres problèmes les plus courants concernent les éléments
dits « hors bilan » ou le fait de la dispersion juridique de
certaines entreprises.
Les provisions pour risques
En dépit d’un impératif général de rigueur, certains éléments
essentiels de la comptabilité relèvent de la subjectivité. Il en est ainsi
des méthodes de dépréciation d’actifs et surtout de calcul des
provisions, les provisions pour risques par exemple.
Comment savoir qu’un risque a été surestimé ou au contraire sous-
estimé, voire ignoré ?
Les provisions ont un impact direct sur le résultat, et leur
détermination fait en conséquence l’objet de la plus grande attention
de la part des dirigeants. Il y a certes des mécanismes
autorégulateurs. Ne pas provisionner un risque ou le sous-estimer
volontairement peut être tentant en ce qu’il permet de maintenir un
résultat d’exploitation flatteur… à court terme. Mais si le risque se
matérialise pendant l’exercice suivant, l’impact sur le résultat sera
d’autant plus fort, et le dirigeant peut se voir reprocher un manque
d’anticipation.
L’impact des provisions pour risque est particulièrement sensible au
niveau du résultat des organismes de crédit puisque, par définition,
le risque est inhérent à leur activité. Le problème est que la
détermination du « juste » niveau n’a pas de réponse automatique.
Dans une certaine mesure, la fixation définitive du montant des
provisions relève de critères « politiques », disons de politique
financière.
Certes le commissaire aux comptes et le fisc s’emploient à vérifier le
bien-fondé des provisions. Ils le font par l’observation des
statistiques de retard de paiement, voire par sondage sur certains
dossiers. Mais leurs conclusions sont plus qualitatives que
quantitatives. Comment contester une décision de fixer un taux de
provision à 0,5 % d’un portefeuille de crédits plutôt qu’à 0,75 % ?
La différence de 0,25 % peut paraître minime, puisque 0,25 % d’un
portefeuille de 100 millions d’euros par exemple ne représente que
250 000 euros, mais rapportée au montant des fonds propres, soit 8
millions d’euros (8 % du portefeuille), cette différence représente
3,1 %. En clair, le ROE, le rendement des fonds propres, est amputé
de plus de 3 %.

Valeur comptable ou valeur de marché (la fair market


value)
Dans certains cas, la recherche de l’objectivité a conduit
paradoxalement à la déconnexion entre la réalité comptable et la
réalité économique. L’exemple le plus frappant est celui de
l’évaluation des actifs immobiliers. Ces derniers figurent au bilan en
valeur comptable nette, calculée en retranchant de la valeur
d’acquisition l’amortissement légal, en parfaite application de
l’orthodoxie comptable.
Le problème est qu’au bout d’un certain temps, par le jeu de
l’amortissement cumulé, ces actifs ne figurent plus que pour une
valeur dérisoire au bilan ! Or dans la durée, leur valeur économique
n’est jamais nulle, bien au contraire. Le plus souvent elle ne cesse
d’augmenter, en dépit de leur caractère cyclique.
La recherche des plus-values latentes sur ces actifs explique la
motivation de certains opérateurs spécialisés dans les rachats
d’entreprise. Les actifs immobiliers d’une entreprise n’ont pas
vocation à faire l’objet d’un commerce et ne sont donc pas
susceptibles d’entrée et de sorties fréquentes au bilan.
Il n’en est pas de même des actifs mobiliers. La crise des subprimes
a illustré la difficulté du choix de la bonne méthode d’évaluation,
entre valeur d’achat, dite « valeur historique » et valeur de
marché.
Dans un contexte de forte volatilité des cours, l’évaluation de
certains actifs mobiliers selon le principe de la valeur de marché a
causé de graves problèmes aux banques, car il n’y avait plus de
marché. Certaines d’entre elles, contraintes de prendre comme
référence des opérations de liquidation effectuées dans la panique,
ont dû procéder à de lourdes dépréciations d’actifs. Ces
dépréciations d’actifs, ont bouleversé leur équilibre bilanciel au point
de les précipiter dans la zone rouge des règles de solvabilité.
Mais il est tout aussi clair que même en période dite « normale »,
l’évaluation d’un portefeuille de titres à partir du prix d’origine n’a pas
beaucoup de sens, ce qui a expliqué d’ailleurs le passage à la
méthode de prix du marché (market value) ou de « juste valeur »
(fair value). La crise des subprimes a montré la difficulté à trouver
une règle « juste » dans les cas extrêmes.

Le hors-bilan
Certains éléments touchant au patrimoine de l’entreprise ou à des
risques liés à des engagements financiers ne figurent pas au bilan.
On parle ici du « hors-bilan ». En fait, il faut faire une distinction
entre ce qui fait l’objet d’une mention annexée au bilan, le « bas de
bilan », de ce qui n’apparaît pas dans le bilan, le « hors-bilan ».
On peut citer ainsi l’exemple ancien du leasing, ou celui plus récent
des engagements de retraite de certaines entreprises.
Pendant longtemps en France (et actuellement encore dans de
nombreux pays), les financements en leasing n’apparaissaient pas
au bilan des entreprises. C’est d’ailleurs une des raisons qui ont fait
le succès de cette formule. Cela n’a pas empêché les banques
faisant par ailleurs crédit à ces entreprises de considérer les
engagements en leasing comme une dette. La prise en compte de
cette dette « cachée » a en effet une incidence non négligeable en
termes d’analyse de risque.
En France les règles comptables imposent à présent la mention des
engagements au titre des contrats de leasing. L’encours résiduel des
contrats en cours doit être précisé explicitement.
La même chose se produit actuellement ou va se produire en ce qui
concerne le problème des retraites. Les engagements des
entreprises à ce titre sont progressivement révélés, et les montants
qui apparaissent sont souvent considérables, en valeur absolue et
au regard de leurs fonds propres. Ce problème, qui touche des
entreprises moyennes et pas seulement de grands groupes est
moins sensible en France où la notion de retraite « maison » est
moins répandue qu’ailleurs dans le monde.
Le problème le plus délicat du hors-bilan est lié à aux situations de
déconsolidation. Les exemples abondent de situations où la
reconsolidation s’est imposée, ce qui a pour conséquence une
modification profonde de la structure du bilan.
La crise des subprimes en fournit à nouveau l’illustration, dans le
domaine de la banque. certaines d’entre elles avaient créé des
structures juridiques indépendantes, en dehors de leur périmètre de
consolidation. Ces structures ont finalement dû faire l’objet de
réintégration comptable avec à nouveau un effet de bouleversement
des ratios de bilan.

La dispersion juridique
L’effet de flou est particulièrement marqué dans le cas de la
dispersion de l’activité de certaines entreprises. Ce phénomène, qui
n’est pas seulement le fait de groupes internationaux, touche
également des PME. Il semble concerner les ensembles familiaux,
quelle que soit leur taille.
Toutes les entreprises, à des degrés divers, ont recours à
l’optimisation fiscale. Ces pratiques conduisent certaines d’entre
elles à créer des sociétés plus ou moins fictives de concentration
des flux de trésorerie, ou à transférer ailleurs le siège de l’une de
leurs activités. On peut citer à titre d’exemple les centres de
coordination en Belgique ou l’attrait particulier de la Hollande comme
siège principal. Ces « délocalisations » juridiques partielles
n’affectent pas vraiment la lisibilité comptable et financière de
l’ensemble.
Un vrai problème d’opacité apparaît en revanche dans certains
groupes, par une sorte d’effet champignon. Une multitude de
sociétés sont créées, sociétés de patrimoine, sociétés de services
ou sociétés à vocation financière. Ceci peut même concerner
l’activité industrielle du groupe, littéralement « éclaté » entre
plusieurs entités juridiques. L’ensemble repose sur un système de
prestations interentreprises. Chaque unité reçoit et apporte - contre
rémunération - des biens et/ou des services aux autres.
Certes les entreprises pratiquent la fusion des comptes de
l’ensemble des sociétés, ce qu’on appelle la consolidation. Mais là
aussi les méthodes sont différentes d’un continent à l’autre. L’image
résultante de cette consolidation peut être trompeuse.
Dans ce contexte l’analyse de crédit devient un véritable casse-tête.
Ce n’est pas seulement le calcul des agrégats comptables et des
ratios qui pose alors problème, mais surtout la détermination de la
contrepartie juridique la moins risquée.
CHAPITRE 19
LE CASH-FLOW
Résumé de ce chapitre
Le cash-flow est utile pour comprendre des sujets plus généraux
: comment les banques (ou les agences de notation) s’y
prennent pour mesurer la qualité de signature des emprunteurs,
comment les banques d’affaires évaluent la valeur des
entreprises et... comment il faut négocier les crédits avec les
banques. C’est donc un sujet technique, un sujet qui a pris une
place importante dans le cursus des écoles de commerce. Sa
compréhension repose sur la notion d’amortissement.

Principe
Le concept de cash-flow répond à une question simple : quelle est la
« vraie » marge créée par une entreprise ? Qu’est-ce que cette
entreprise gagne vraiment ?
La réponse à cette question n’est pas évidente. Le premier réflexe
est de se référer au résultat net tel qu’il ressort de la comptabilité. Ce
résultat comptable a le mérite d’exister et d’être publié. C’est
d’ailleurs la référence du calcul de l’impôt et des dividendes. Mais ce
n’est pas si simple.
Le problème est qu’il n’est pas un bon indicateur de la rentabilité, car
il y a des éléments qui « perturbent » son calcul. C’est le cas des
provisions et surtout de l’amortissement, qui ne représente pas une
dépense réelle, mais qui peut le devenir, lorsque l’entreprise change
son matériel.
Pour permettre d’apprécier pleinement la performance d’une
entreprise, ou pour comparer des entreprises entre elles, on a donc
recours au cash-flow qui est un bénéfice net retraité, c’est-à-dire
calculé comme s’il n’y avait pas d’amortissement.
À noter qu’il existe une autre interprétation du cash-flow, au sens de
l’analyse de la trésorerie de l’entreprise sur une période donnée.

Calcul
Voici la première définition du cash-flow. C’est la plus courante, celle
qui est par exemple enseignée aux étudiants des business schools
et utilisée par les analystes de crédit.
CASH-FLOW =
BÉNÉFICE + AMORTISSEMENT

Cette formule est plus « parlante » si l’on regarde la place de


l’amortissement dans la séquence de calcul du bénéfice. Comme ce
schéma le suggère, on a en quelque sorte extrait l’amortissement de
l’ensemble des dépenses pour ne faire apparaître que les « vraies »
dépenses.
Si l’on fait un nouveau calcul du résultat avec seulement ces
VRAIES DÉPENSES, on obtient le cash-flow.
Il y a donc deux manières de calculer le cash-flow :
De HAUT en BAS : CASH-FLOW = VENTES - « VRAIES »
DÉPENSES
De BAS en HAUT : CASH-FLOW = BÉNÉFICE +
AMORTISSEMENT
Ainsi, ajouter l’amortissement au bénéfice, c’est la même chose que
ne pas le retrancher des ventes. Dans les deux cas on a considéré
que l’amortissement n’était pas une dépense comme les autres, ce
n’est pas une dépense opérationnelle.
Avant d’examiner pourquoi l’amortissement n’est pas considéré
comme une « vraie » dépense, voyons la deuxième définition du
cash-flow, consistant à tenir compte aussi des provisions
comptables.
CASH-FLOW =
BÉNÉFICE + AMORTISSEMENT + PROVISIONS
Ces deux définitions du cash-flow peuvent être illustrées comme suit
:
Dans ces définitions le point central est en effet la notion
d’amortissement. La raison d’être du cash-flow est donc que le
bénéfice comptable de l’entreprise ne rend pas vraiment compte de
sa rentabilité. Le cash-flow résulte d’un recalcul de ce bénéfice.

Notion d’amortissement
Le bénéfice, tout le monde « voit » ce que c’est, mais
l’amortissement, c’est moins clair. Pour comprendre il faut faire une
incursion dans la comptabilité.
L’amortissement est un drôle de concept, c’est un concept flou. Plus
précisément, son calcul est flou dans l’univers rigoureux de la
comptabilité. Il y a d’ailleurs d’autres concepts de même nature
(comme les provisions évoquées ci-dessus).
Cet aspect des choses n’est pas explicité aux étudiants. Le discours
convenu et l’usage comptable indiquent que l’amortissement est lié à
la durée de vie, donc à l’obsolescence des investissements. Sauf
que personne n’est capable de déterminer cette durée de vie avec
exactitude.
Pour expliquer l’origine de l’amortissement, un petit détour. Le
bénéfice est grosso modo la différence entre les revenus et les
coûts. Le bénéfice du boulanger, par exemple, est ce qui reste
quand on retire du produit des ventes de pain les dépenses liées à
cette activité, l’achat de farine, le salaire de la vendeuse, l’électricité,
etc. Mais supposons qu’un jour le boulanger décide de changer son
four. Grosse dépense, énorme dépense même, susceptible de
bouleverser le calcul de son bénéfice. Ce bénéfice va fortement
diminuer, peut-être se transformer en perte l’année de l’achat, même
si les ventes de pain connaissent un bel essor. Donc le bénéfice
calculé de cette manière ne rendrait plus compte de la performance
économique.
Pour se rapprocher de la réalité « économique », « on » a eu l’idée
d’étaler la dépense d’investissement dans le temps. Plutôt que la
considérer en totalité, cette dépense est fractionnée sur plusieurs
années successives. Et pour rendre comparables les calculs de
bénéfices, on a défini des durées-types par catégories
d’investissements. Le critère retenu a été celui de la durée de vie
estimée des investissements concernés. « On » c’était les
associations de normalisation comptables. Le fisc s’en est mêlé,
puisque l’étalement change le calcul de l’impôt annuel sur les
bénéfices.
Résultat : une mesure de bon sens, mais des interprétations
multiples. Cela explique pourquoi la plupart des entreprises ont au
moins deux comptabilités, une comptabilité disons « économique »
et une comptabilité fiscale. Le but n’est pas le secret ou la fraude.
Cela résulte simplement des différences d’interprétations de certains
concepts - par exemple l’amortissement - entre l’administration
fiscale et les normes comptables. Quand on sait que les normes ne
sont pas encore harmonisées au plan fiscal et que chaque fisc a ses
« particularités », on imagine le casse-tête des auditeurs chargés de
faire les états consolidés d’une multinationale…

Utilité du cash-flow
Le cash-flow est utile pour évaluer la rentabilité et la valeur des
entreprises. Cet élément dérivé de la comptabilité intéresse donc au
premier chef les banquiers qui prêtent, les agences de notation et
les banquiers d’affaires impliqués dans les opérations en capital :
ventes d’entreprises, introduction en Bourse, fusions, etc.
Les banquiers qui prêtent, et les agences de notation, utilisent les
ratios de cash-flow, comme par exemple le ratio cash-flow/chiffre
d’affaires, mais ce n’est qu’un ratio parmi d’autres. L’analyse de
risque est une discipline qui demande une technique rigoureuse,
bien sûr, mais aussi la capacité de jugement. Et cette capacité de
jugement s’acquiert avec l’expérience. Un peu comme le médecin
qui se doit d’ajouter un « vécu » à ses connaissances théoriques.
Les banquiers d’affaires et les sociétés de conseil utilisent la très
populaire méthode dite des Cash-Flows Actualisés (Discounted
Cash-Flows) qui est l’une des méthodes d’évaluation de la valeur
d’une entreprise. En pratique cette méthode est utilisée
conjointement avec d’autres, comme la valeur comptable, la valeur
en Bourse, ou la valeur actualisée des dividendes. Comme toujours,
en matière de prix, le « vrai » prix est celui qui est effectivement
payé à un moment donné par un acheteur.

Ebitda, cash-flow et free cash-flow


L’ebitda (earning before interest, tax, depreciation and amortization)
est un concept proche du cash-flow qui ne tient pas compte des
intérêts payés. Il est notamment utilisé pour la valorisation des
entreprises, avant une introduction en Bourse par exemple. Cela dit,
il présente des variations de calcul d’une banque à l’autre.
Le free cash-flow intéresse particulièrement les banquiers sollicités
pour de nouveaux crédits et les actionnaires, car il mesure l’argent
réellement disponible pour rembourser de nouveaux emprunts et
payer des dividendes. Pour le calculer, on tient compte des
dépenses « nécessaires » pour maintenir en l’état l’appareil de
production. Le free cash flow est inférieur au cash-flow. En pratique,
il est calculé par l’entreprise elle-même, et est mentionné dans son
rapport annuel.
Cash-flow et négociation
Comme cela a été dit, le cash-flow est principalement utilisé pour le
calcul de ratios dans le cadre de l’analyse de risque ou pour le calcul
de la valeur d’une entreprise. On est alors dans le domaine de
l’incertain, de l’estimation et surtout de la négociation.
Les analystes de crédit s’efforcent de déterminer le « vrai » risque
d’une entreprise, ce qui est évidemment impossible à mesurer. Pour
donner à cette mesure une apparence d’objectivité, on va utiliser les
mêmes critères, les mêmes ratios d’une entreprise à l’autre.
On peut imaginer par ailleurs les batailles de banquiers conseils
d’entreprises en pourparlers dans une opération de fusion-
acquisitions. Les uns vont essayer de minimiser la valeur de
l’entreprise, les autres de maximiser cette valeur. Les calculs et
recalculs de cash-flows « corrigés » ou pas de certaines provisions,
sont l’une des armes de ces négociations.

Flux de trésorerie
Il existe une autre interprétation du cash-flow au sens des flux
financiers, et de l’analyse de la trésorerie.
Cette interprétation ne contredit pas vraiment la précédente mais
elle risque de semer le trouble. Dans cette lecture, il est considéré
que l’activité de l’entreprise génère progressivement un flux de
liquidité tout au long de l’année. Ce flux n’apparaît pas dans la
comptabilité car il est disséminé dans l’entreprise. Une partie est
notamment absorbée par les variations de stocks, le crédit client et
le crédit fournisseur (ce qu’en jargon comptable on appelle le besoin
en fonds de roulement, le BFR ). Le point le plus déroutant relève et
de la terminologie et de l’apparente confusion des concepts.
Un directeur financier d’une entreprise mobilise parfois ses troupes
sur le thème : « Il faut réduire le BFR ». Dans les mêmes
circonstances, le discours de son homologue d’un groupe américain
aurait été : « We have to increase our CASH-FLOW. »
Dans les deux cas, il s’agit en fait du même message, exprimé
différemment. Le but recherché est d’améliorer la trésorerie de
l’entreprise, de manière à produire deux effets : réduire
l’endettement et donc réduire les frais financiers.
Le calcul du « flux de trésorerie » figure dans les rapports annuels
des sociétés. Le point de départ est le cash-flow de « rentabilité »,
auquel on ajoute, ou retranche tous les éléments ayant affecté la
liquidité.

Ebitda
La formule signifie earnings before interest, taxes, depreciation and
amortization, ce qui se traduit par « marge avant frais financiers,
impôts et amortissements ». L’idée est de savoir ce que l’entreprise
a gagné AVANT ses amortissements (comme le cash-flow), AVANT
de payer ses impôts (qui varient d’un pays à l’autre), AVANT ses
provisions et les frais financiers (qui, l’un et l’autre, ne sont pas liés à
l’activité).
L’ebitda se calcule à partir du cash-flow (ebitda = cash-flow
(bénéfice net plus amortissement) + impôts + intérêts + provisions).
L’ebitda intéresse surtout les marchés. Dans un secteur donné, la
comparaison des ebitda des entreprises permet d’identifier celles qui
sont promises aux meilleures performances boursières.
Une harmonisation internationale n’a pas pu être trouvée sur
l’utilisation et le sens du mot cash-flow. Il faut donc s’habituer à la
coexistence de termes et de concepts différents, dont chacun
correspond à un contexte professionnel particulier : ebitda, marge
d’autofinancement, cash-flow libre.
Cette diversité de points de vue explique la difficulté à codifier cette
notion de cash-flow. On comprend la complexité des rapports
annuels sur ce point. Ces rapports annuels sont destinés à un large
public : les banques prêteuses, les analystes de Bourse, les
investisseurs futurs, les actionnaires du moment, etc. Les rapports
annuels donnent tous les éléments permettant à chacun de faire
ressortir l’agrégat qui l’intéresse.
4e Partie

COMPLÉMENTS
CHAPITRE 20
S’INFORMER, SE FORMER : OÙ,
COMMENT ?

L’impossible objectivité des médias


Bien s’informer est bien sûr souhaitable, c’est une question de temps
et d’organisation. L’information idéale, complète et objective n’existe
probablement pas. Intentionnellement ou pas les médias colorent
toujours l’information d’une part variable d’interprétation. C’est ainsi.
D’un commentateur à l’autre les analyses sont différentes. Il y a bien
sûr les lignes éditoriales, marquées et reconnues. Il y aussi des
différences moins apparentes. Ainsi, d’un média à l’autre, d’un
journal télévisé à l’autre, les titres sont différents, l’ordre des sujets,
la mise en valeur des faits, les citations sont différentes.
Dans l’univers franco-français, des nuances sont peu perceptibles
au premier abord. Tout change au contraire lors d’un changement de
contexte. Sur des sujets identiques, la presse non française n’a pas
les mêmes angles, les chaînes de télévision européennes ou
américaines n’ont pas les mêmes angles. Les titres, le choix des
sujets sont différents.
Le biais incontournable dans la restitution de l’information grandit
naturellement en fonction de la complexité ou de l’abstraction des
sujets abordés. L’économie, la banque et la finance sont
particulièrement concernées.
Plusieurs sources
On peut néanmoins s’affranchir de ces difficultés par le recours à
plusieurs sources.
La représentation du réel, la « vérité » du monde pourrait-on dire, est
quelque part au centre, dans l’intersection des points de vue
juxtaposés. Cette juxtaposition est une manière de réduire les
inévitables distorsions d’informations.
Il faut lire chaque jour au moins deux journaux « papier », suivre
plusieurs journaux étrangers en ligne. Écouter chaque semaine
plusieurs émissions radio et télé. Ce programme, à première vue
difficile à suivre suppose une discipline stricte, et principalement la
séparation des genres.
On ne peut pas tout lire d’un support donné, journal ou magazine, et
il ne faut surtout pas tout lire, sous peine de perdre un temps
précieux. L’exception à la règle est le voyage intercontinental. Faute
de mieux, ayant épuisé toutes les autres possibilités de distraction,
la tentation est grande de lire de A à Z et à la suite tous les
magazines de bord. La vie de tous les jours laisse à peine le temps
d’une information minimale. Le surplus de temps disponible à
l’occasion du voyage donne le sentiment épisodique de combler
cette frustration.
Ce problème d’organisation est important car il s’agit de préserver
un élément capital qui est l’envie, et ce qui est lié, le plaisir. Le travail
sur papier et le travail sur Internet se complètent harmonieusement.

Comment faire ?
Mais comment faire, puisque le temps de chacun est limité. Il suffit
d’adopter une discipline très simple. S’interdire la lecture des faits
divers ou de l’actualité. Pour rester au courant, la radio en voiture
suffit. Le temps précieux de la lecture doit être efficace. Donc choisir
ses sujets, deux ou trois. Politique intérieure, relations
internationales, économie. Ajouter à cela quelques dossiers
particuliers, certaines entreprises, conseils boursiers, suivi d’un
secteur industriel.

Le programme idéal
Tôt le matin : New york times, spiegel, ilsole24ore - 30-45min
La @-revue de presse internationale
C’est le moment de la revue de presse, personnalisée, sur Internet.
De préférence sur grand écran voire tablette, genre iPad mini.
L’écran permet la vue d’ensemble et la sélection rapide des articles
du domaine « éco-fi ». Il faut faire l’effort de ne pas s’attarder sur
l’actualité « ludique » et privilégier les grands sujets d’intérêt mondial
donc susceptibles d’être abordés dans chaque journal, ce qui permet
les comparaisons. Si le temps manque, il est facile de « marquer »
un article pour une lecture ultérieure. La manière la plus simple de
faire est de s’envoyer un mail à soi-même ou via sa page facebook.
Il est très facile de créer un compte facebook dédié, qui devient une
sorte de bibliothèque personnelle et partageable des meilleurs
articles, consultables à tout moment.
Quels journaux Internet ? Pour les étrangers, New York Times,
Spiegel, El Pays et Il sole24ore sont les plus agréables à parcourir et
surtout gratuits ou à peu près. Il faut compter quelques six mois de
pratique patiente pour être à l’aise dans le vocabulaire économique
de chacun d’eux. À l’exception du Spiegel, qui demande une vraie
connaissance de la langue. On peut faire l’impasse sur les versions
Internet des journaux français. Le Monde et Le Figaro réservent les
analyses de fond aux abonnés. Les Échos deviennent payants après
quelques articles consultés et le site, trop touffu, ne permet pas une
« revue de presse » rapide.
Matinée : Les Échos
Le journal papier
Le quotidien économique français est incontournable, son format
agréable. Les Échos est le quotidien de référence en France pour ce
qui est de l’économie et de la finance. Comme ailleurs l’autocensure
est bien présente. Il ne faut pas mécontenter son électorat de base,
cadres et dirigeants de banques, ou d’entreprises.
Midi : Bloomberg : 1 heure
Le moment de qualité « universitaire »
Ce moment de la journée est susceptible d’être le plus riche, à
condition de disposer d’une plage d’environ une heure. C’est le
moment de la chaîne Bloomberg. Cette chaîne de télévision peut
être suivie en direct partout, en 3G et a fortiori en 4G sur n’importe
quel support, y compris le Smartphone. Dans ce dernier cas, les
graphiques ne sont pas très lisibles, mais ce n’est pas fondamental.
On peut la suivre également en version Internet, avec en prime, le
différé. Un must, disponible en chaîne télé ou via Internet. L’intérêt
de cette chaîne est multiple. Une forme d’objectivité, d’abord qui
résulte d’une attitude de questionnement permanent. L’équipe de
journaliste fait défiler une suite d’« experts » d’origines différentes.
Ce sont des CEO ou des CFO de grandes sociétés ou de grandes
banques. Les choix sont faits naturellement en fonction des
problématiques d’actualité. Sont également sollicités des
universitaires. Entre deux interviews, menés à plusieurs, les
journalistes discutent entre eux. Ils le font sur la base des données
économiques et financières du moment et leurs explications sont
illustrées par de très nombreux graphiques. Le niveau est élevé, les
discussions sont techniques. C’est vraiment une chaîne de « pros ».
Une sorte de cours d’université en continu.
Bloomberg TV mérite une mention spéciale. La chaîne est de niveau
quasi-universitaire. Il y a vraiment un cap à passer avant d’en
apprécier toutes les vertus. Il faut bien connaître le sens des mots et
des concepts « basiques » comme IPO, hedge funds, leverage,
swap, etc., tous ces éléments sont expliqués dans le site de e-
learning de l’auteur, et avoir aussi une culture économique elle-
même « basique ».
La diversité des intervenants, la qualité des journalistes donnent au
moment Bloomberg une dimension inégalée. Il n’y a pas de vérité
affirmée, mais un questionnement permanent et une atmosphère de
courtoisie. L’impression de recherche de la vérité fait penser à un
monde universitaire idéalisé, où le discours serait multiple et non
plus dépendant d’un seul « professeur censé détenir le savoir
universel ». C’est mieux qu’un MOOC.
Le soir : les journaux papiers français 30 min
Les journaux français permettent de trouver des analyses plus libres
du camp adverse. Le Figaro en France renseigne mieux sur ce qui
se passe à gauche que son grand concurrent du soir, à condition
d’éviter les tribunes polémiques. Le Monde excelle en pépites
inattendues, reportages insolites, biographies ou autres. L’économie
et la finance ne sont pas son point fort. Encore moins que Le Figaro,
dont les pages saumon n’ont de l’imitation du FT, le Financial Times,
que le point commun de la couleur.
Le week-end : The Economist 30 min
C’est l’hebdo le plus vendu dans le monde. La langue est
impeccable. La particularité de ce magazine est que les articles ne
sont pas signés et sont tous censés représenter l’opinion du journal.
Une opinion « pro-british », comment en douter donc prompte à
mettre en exergue les défauts réels ou supposés de l’Europe. Le
magazine vendu en dehors du Royaume-Uni est dépourvu de
publicité, ce qui le rend particulièrement agréable. La ligne est « pro-
british », ce qui ne doit pas surprendre. Les contenus sont plus
politiques qu’économiques.
CHAPITRE 21
L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉCONOMIE ET DE
LA FINANCE
L’enseignement de l’économie en France ne paraît pas en rapport
avec l’importance du sujet dans le monde actuel. Du lycée à
l’université, en passant par les écoles de l’enseignement supérieur,
ce domaine est loin d’occuper la place qu’il mérite dans les
programmes de l’éducation nationale. L’économie, au sens large
c’est-à-dire incluant la banque et la finance, est le parent pauvre de
l’enseignement.
Et quand il est effectivement question d’économie, la manière de
présenter les choses fait apparaître de nombreuses lacunes. Ainsi,
du lycée à l’université en passant par les écoles d’ingénieurs ou les
écoles commerciales, il n’est vraiment question ni des banques, ni
de l’euro, ni de la BCE. Ceci bien sûr en dehors des enseignements
bancaires spécialisés délivrés ici et là.
Dans les écoles de l’enseignement supérieur par exemple,
l’enseignement de l’économie met l’accent sur deux volets, la
pensée économique et la modélisation mathématique, ce qu’on
appelle l’économie quantitative.
Quant à la partie « entreprises », cet enseignement aborde des
sujets très spécialisés, comme l’étude de la liasse fiscale ou du
cash-flow. Entre macro-économie et micro-économie, le gouffre est
béant. Le rôle des banques et des marchés dans le financement de
l’économie, la problématique des entreprises confrontées à la
globalisation, sont des sujets à peine évoqués. La pensée
économique et la modélisation mathématiques ne sont pas sans
intérêt, mais un enseignement réduit à ces sujets manque l’objectif
pédagogique principal qui est de donner aux apprenants les outils
d’une compréhension du monde.
Ce qui manque sans doute le plus est certainement une approche
globale des différents sujets. Dans le monde réel, il n’y a pas d’un
côté les entreprises, puis la banque et par les banques et plus loin
les marchés. Dans le monde réel, ces sujets sont liés. Il ne suffit pas
de nommer les choses, il faut aussi les expliquer et les mettre en
perspective en relation avec l’actualité.

Compléments : articles de l’auteur parus dans Les Échos


L’économie, parent pauvre de l’enseignement
Article paru en juillet 2014
« L’économie et la finance figurent parmi les sujets d’actualité les
plus commentés et… sans doute les plus méconnus des Français.
Dans ces domaines comme en d’autres, la substitution de l’émotion
à l’analyse est l’indice de cette méconnaissance. C’est ainsi que la
finance, l’euro, les marchés financiers ou les banques sont
régulièrement qualifiés d’« absurdes, spéculatifs, atteints de folie,
débridés » et ainsi de suite.
Difficile cependant de blâmer ceux qui se prêtent à ces facilités de
pensée. L’économie, la banque et la finance sont, avec le droit, des
matières quasiment absentes des programmes scolaires. On peut
d’ailleurs aller plus avant dans le diagnostic : la compilation des
programmes d’études de grandes écoles de commerce françaises
ou étrangères est pleine de surprises. L’économie et la finance y
sont effectivement enseignées, mais de manière étonnamment
abstraite.
L’économie est ainsi confondue avec l’histoire de la pensée
économique ou les modèles mathématiques. Quant à la finance,
l’enseignement couvre généralement deux volets de ce vaste
domaine, la finance de l’entreprise et la finance des marchés. Mais
outre la comptabilité, considérée de manière plus ou moins
synthétique, il s’agit surtout de mathématiques financières et de
modélisation statistique des risques appliquée à la gestion de
portefeuille. Cela se comprend au regard de la qualification des
enseignants-chercheurs, dont les cours dérivent des recherches.
Un diplômé d’HEC, de l’INSEAD, de la Nanyang Université de
Singapour ou de Bocconi n’ignorera rien du calcul des taux internes
de rentabilité et pourra commenter intelligemment le concept
d’efficience des marchés. Mais de la crise des subprimes, de la
titrisation, des eurobonds, de Bâle III, du marché monétaire ou de la
problématique de l’euro, il ne connaît en revanche que les flashes
d’actualité zébrant par instants l’écran de son smartphone.
Il suffirait pourtant de si peu de chose ! Prenons la titrisation, sujet
d’actualité récurrent et sujet mystérieux s’il en est. Moins d’une
heure suffit pour l’expliquer à un élève de terminale. Or la titrisation
est encore dans les esprits du plus grand nombre une boîte noire,
plus ou moins responsable de la crise des subprimes, alors qu’elle
n’a été à cet égard que l’un des maillons d’une chaîne.
Des banques françaises, la BCE et plus récemment le commissaire
français à Bruxelles évoquent prudemment l’introduction de cette
technique en Europe. C’est en effet le moyen de compléter les
capacités limitées des banques en matière de crédits aux
entreprises. Comme l’ont fait les Américains, il y a bien longtemps,
dans le cadre du New Deal ! La prudence des responsables
financiers et politiques en France et en Europe est à la hauteur des
craintes de l’opinion sur des sujets qui lui sont étrangers. On pourrait
évoquer de même des sujets plus familiers et non moins méconnus :
comment fonctionne une banque, comprendre les chiffres d’une
entreprise.
Il faut le dire et le redire, l’acquisition du bagage élémentaire
permettant le décryptage des sujets économiques et financiers les
plus importants est l’affaire de quelques heures d’étude seulement,
voire de quelques jours. Le rapport bénéfice - effort d’acquisition de
ces connaissances serait considérable, pour les citoyens comme
pour la puissance publique. Il est temps d’agir pour combler ce
déficit d’éducation ! »
La performance de la BCE
Article paru en juin 2018
La fin du quantitative easing a été officiellement annoncée, une fin
certes graduelle et soumise à conditions, mais néanmoins
programmée. Le temps est venu de louer le brio et l’efficacité des
mesures mises en place par l’institution de Francfort depuis 2014. Et
de s’étonner de l’indifférence, voire de l’incompréhension des
économistes à leur égard.
La performance mérite d’être soulignée, en effet. Sans déroger d’un
pouce au cadre légal de sa mission, le contrôle de l’inflation, la BCE
a joué un rôle majeur dans la relance de l’économie de la zone euro,
la protection des dettes souveraines et l’assainissement du système
financier.
Le rachat des obligations d’État détenues par les banques, mis en
place au nom de la lutte contre la déflation, a ainsi permis de
dégager chez ces dernières de nouvelles capacités de prêts aux
entreprises, favorisant ainsi la reprise de l’investissement.
Cette politique a également profité aux États, dont la dette a été en
partie transférée dans les livres de l’institution. Les taux d’intérêts
proches de zéro ou négatifs ont permis par ailleurs des économies
budgétaires se chiffrant en milliards d’euros.
Il faut surtout voir que la dette transférée a été dès lors sécurisée
dans la mesure où la BCE s’est engagée à son renouvellement à
l’échéance. Loin d’inonder les marchés en liquidités, comme cela a
été dit, le quantitative easing a ainsi profité aux entreprises et aux
États de la zone euro.
L’élément primordial de cette politique concerne en fait les banques.
C’est l’aspect le plus discret pour ne pas dire le plus secret du
dispositif.
Il a été indiqué que le montant des obligations souveraines vendues
à la BCE atteignait 2400 milliards d’euros en mai dernier, ce qui est
considérable. Pourtant, curieusement, les rapports annuels des
établissements financiers n’en font pas état.
On peut imaginer que pour atteindre lde tels montants, les banques
ont non seulement vendu ce qu’elles détenaient, mais qu’elles ont
utilisé une partie des liquidités obtenues pour acheter des
obligations souveraines nouvellement émises et les revendre
aussitôt à la BCE. Un fonctionnement en boucle en quelque sorte.
Et si les banques ont été promptes à fonctionner ainsi, c’’est qu’elles
y ont bien-sûr été incitées. Le mécanisme probablement utilisé est
simple : les obligations ont été rachetées à un taux inférieur au taux
d’origine. Ainsi, une obligation sur dix ans au taux de 2% rachetée
au taux de 1% entraîne une plus-value de 9,5% dans les livres du
vendeur. Le calcul actuariel montre que cette plus-value est doublée
si l’acheteur offre un taux de rachat de 0.25% !
Cette hypothèse explique le succès de la politique de rachat
d’obligations de la BCE et son aspect triplement vertueux : l’aide à
l’économie et aux États s’est accompagnée d’un sérieux coup de
pouce aux institutions financières en mal de fonds propres. On
comprend dès lors l’étonnante hausse de 100% en 4 ans des fonds
propres des cinq plus grandes françaises révélé par l’ACPR.
Ainsi considérée, la politique de la BCE rappelle les mesures de
sauvetage des banques américaines touchées par la crise des
Savings&Loans. Celles-ci avaient alors bénéficié de crédits féféraux
à faible taux aussitôt ré-investis dans les Bons du Trésor à fort
rendement, générant ainsi des marges confortables. Sans que les
finances publiques n’en soient affectées et, pourrait-on dire, à l’insu
du contribuable américain.
Le soutien aux banques européennes, à certaines banques
allemandes en difficulté notamment, explique l’approbation implicite
par l’Allemagne de la politique subtile menée par la BCE.
La science économique à bout de souffle ?
Article paru en août 2018
La renommée des Schools of Economics françaises masque de
surprenantes lacunes dans l’enseignement de cette discipline.
L’examen attentif des programmes révèle en effet que du Lycée aux
Grandes Écoles, l’univers de la finance, des banques et des
marchés est tout simplement ignoré.
Tout laisse à penser que la science économique n’a pas pu ou voulu
s’adapter à la mondialisation et à son corollaire, l’omniprésence de
la finance. La recherche actuelle se focalise sur des aspects
périphériques de l’économie au détriment de la vue d’ensemble.
Aux États-Unis, l’économie est financée à 60% par les marchés et à
40% par les banques. En Europe, les proportions sont inversées. Il
faut voir dans l’insuffisance des marchés européens la raison
majeure de l’absence d’entreprises européennes dans le peloton de
tête des Gafas et autres licornes américaines. L’épargne
européenne, pourtant considérable, s’investit pour une large part en
dehors d’Europe. Ce n’est donc pas sans raison que les autorités
monétaires européennes donnent priorité au développement des
marchés européens de capitaux.
Faute de moyens financiers adéquats, nos start-ups et de trop
nombreuses PME/ETI ratent le coche du développement. Les unes
sont rachetées, et les autres abandonnent des projets
d’investissement pourtant prometteurs. Quant aux grandes
entreprises, l’insuffisance des marchés européens les contraint à
chercher ailleurs les ressources nécessaires.
Dans le même temps, alors que l’importance du financement se
décline quasi-quotidiennement dans le monde, nos étudiants
apprennent que les banques ont perdu leur rôle premier qui est celui
de l’intermédiation, que la titrisation a créé la crise des subprimes,
que les marchés sont instables et doivent être régulés. Les étudiants
d’Écoles de Commerce sont formés aux calculs statistiques, alors
que de leur côté, les élèves-ingénieurs s’immergent dans le Plan
Comptable Français.
De la politique subtile de la BCE, de la notion de risque, de la
complémentarité des banques et des marchés, de l’Union Bancaire,
du financement de la dette souveraine, pas un mot.
Quant à l’euro, deuxième monnaie mondiale, il est traité à l’aune
d’une théorie des années soixante … conduisant au constat de sa
non-viabilité.
Comment en est-on arrivé-là, pourquoi ce décalage entre le monde
réel et la chose enseignée ? Pourquoi le silence sur ce facteur
essentiel du développement qu’est le financement par les marchés ?
L’explication la plus plausible est que la théorie économique n’a pas
suivi la globalisation. Dans l’ordre ancien, le territoire économique
était fermé et le commerce extérieur marginal. La vie économique se
déroulait ainsi essentiellement en vase clos, sous le contrôle étroit
du pouvoir étatique.
Progressivement et d’une manière irréversible, l’économie s’est
internationalisée. Les chaines de production et de valeur ont éclaté.
Parallèlement, les États ont perdu de leur pouvoir, et notamment
celui de fixer le cours des monnaies, un pouvoir à présent dévolu
aux marchés. Notons que la dévaluation apparait encore dans les
manuels comme le moyen de corriger les différentiels de
productivité. Et il n’est dit mot de son impact théorique fortement
réduit du fait de la forte composante de produits importés dans les
exportations.
La difficulté à modéliser cette Économie devenue globale pourrait
ainsi expliquer les silences des programmes d’enseignement. Il y a
néanmoins urgence à mieux préparer les diplômés à la
compréhension de l’environnement financier des entreprises et du
monde contemporain. L’Ecole Centrale de Pékin a d’ores et déjà
commencé, avec l’introduction de conférences sur le thème de la
Banque et des Marchés.
CONCLUSION
Tout n’a pas été dit dans ce livre car tel n’est pas son but. Celui-ci
était de montrer que la finance n’est pas le domaine obscur voire
hostile que l’on peut imaginer. Mais au contraire, que la banque, la
finance et l’économie se mélangent en un paysage unique que le
lecteur est invité à parcourir.
Le récit est celui d’un survol paisible de régions peu ou mal connues
et dont on perçoit peu à peu les contours et la réalité. Un survol
agrémenté de plongées occasionnelles pour des observations
précises mais sans jamais perdre de vue le contexte.
Le lecteur est invité à poursuivre seul le chemin dont les grandes
lignes lui ont été tracées. Les moyens ne manquent pas. La presse,
Internet, les journaux spécialisés et Google constituent autant
d’outils à la disposition de chacun. Il pourra consulter utilement le
site de e-learning de l’auteur infofi2000.com

Alain LEMASSON est diplômé de l’Insead et de l’École Centrale de


Lille.
Négociateur de financements aéronautiques (groupe Airbus),
dirigeant de société de leasing en Allemagne et en Belgique, senior
banker (Banque Indosuez), puis vice-président financial services
d’une multinationale américaine et CEO de la banque holding du
groupe en Irlande (CNH Capital), Alain Lemasson a une large
connaissance de la finance et de la banque.
Par ailleurs auteur de livres sur l’exportation et le crédit, il publie
régulièrement des tribunes dans Les Échos, sur des sujets
économiques et financiers, sur l’euro, l’éducation, l’Europe…
Il anime depuis 2012 un site d’e-learning, infofi2000.com, dédié à la
formation financière des non-financiers.
Ouvrages du même auteur :
- Financer les exportations, Dunod
- Stratégie commerciale de l’entreprise, GERESO Édition
Contact : a@lemasson.org
Sites Internet : alainlemasson.fr/publications www.infofi2000.com (e-
learning)

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