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Édition 2019
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Dans la même collection :
• Comité d’entreprise : les bonnes pratiques
• Compensation & Benefits
• Comptabilité, finance, gestion en pratique
• Comprendre les comptes annuels
• CSE et CHSCT : les bonnes pratiques
• Délégués du personnel : les bonnes pratiques
• Guide d’indemnisation des accidents de la route
• Guide pratique des élections professionnelles
• La gestion de patrimoine
• Le contrôle de gestion
• Le contrôle de gestion sociale
• Le droit des contrats en 60 questions
• Management des compétences en pratique
• Manager dans le secteur sanitaire et médico-social
• Manager un établissement de santé
• Manager un service ressources humaines
• Responsabilités civiles et pénales pour autrui
• Stratégie commerciale de l’entreprise
• Transformer et urbaniser l’entreprise
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« Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de
pouvoir sur le monde qu’une idée vraie, mais complexe. »
ALEXIS DE TOCQUEVILLE
CSVD
AVANT-PROPOS
L’économie, la banque et la finance ne sont pas des sujets
compliqués. Ils le sont dans l’opinion, ce qui est différent. Certaines
disciplines scientifiques sont difficiles car elles impliquent la maîtrise
préalable de plusieurs savoirs eux-mêmes difficiles.
Il n’y a rien de cela en économie, banque et finance. Le bon sens
suffit pour comprendre l’essentiel. L’apparente complexité qui les
entoure est le résultat de plusieurs éléments : le vocabulaire opaque
des « experts », la manière dont ces disciplines sont enseignées (ou
ignorées) dans l’enseignement, l’importance donnée à l’approche
quantitative…
Mais il y a aussi le trouble créé dans les esprits par les divergences
de vues des économistes dans les débats ou dans les tribunes.
L’esprit scientifique, dévié de sa mission première de recherche de
la vérité, paraît souvent mis au service d’options idéologiques à
peine dissimulées.
Ces débats ont cristallisé dans l’opinion courante des clichés plus
souvent critiques que constructifs : « L’économie s’est financiarisée,
la globalisation a accentué les inégalités, les marchés sont
déconnectés de l’économie réelle, l’argent de la spéculation pourrait
être utilisé pour le bien des peuples, il faut réguler la finance
internationale, les marchés imposent le court terme aux entreprises,
la titrisation et les grandes banques de Wall Street sont
responsables de la crise, l’euro est un carcan pour la France »….
Ces clichés récurrents mélangent en proportions variables des
éléments vérifiables et des interprétations qui le sont moins. Ils
constituent néanmoins pour beaucoup le point de départ de
l’exploration du monde économique.
Le propos du livre est de montrer ces parts de vérité et
d’interprétation. Plus largement, il est d’expliquer ce que sont et font
vraiment les acteurs de l’économie : marchés, banques, entreprises,
ce que représente le rôle des banques centrales, des États et des
instances de régulation, ce qu’on sait et ce que l’on ne sait pas des
crises actuelles.
Banques, marchés, gestion des finances de l’entreprise, conduite de
l’économie, problèmes de croissance, emploi, taux de change,
commerce international, euro… tous ces sujets forment un tout et
s’inscrivent dans un ensemble cohérent que le lecteur est invité à
découvrir.
INTRODUCTION
Économie, banque et finance : tout est lié
Pour comprendre le monde réel et l’actualité, il est nécessaire
de rapprocher des sujets habituellement séparés. Il n’y a pas d’un
côté la banque, puis la finance et plus loin l’économie. Dans le
monde réel, ces domaines se mélangent.
Le survol du système financier dans son ensemble permet
d’apercevoir ces imbrications. Le marché, la banque et l’État sont les
trois pôles de pouvoir qui structurent la vie économique et
l’environnement de l’entreprise. Ces trois pouvoirs sont relativement
indépendants, et en tout cas indissociables.
La banque
Premier interlocuteur de l’entreprise, la banque fournit les systèmes
de paiement, de tenue des comptes et surtout le crédit. En fait, le
système bancaire est étroitement contrôlé par la BANQUE
CENTRALE. C’est là que se situe le premier pouvoir.
Maintenir l’inflation dans des limites étroites, combattre la déflation,
font partie de sa mission. La banque centrale utilise pour cela,
principalement, l’arme du volume et du taux des ressources mises à
la disposition des banques.
La banque centrale peut agir sur le cours des devises, de manière
indirecte, en modifiant les taux d’intérêt. Les interventions directes,
c’est-à-dire l’achat ou la vente de devises sont de plus en plus rares
pour les banques centrales comme pour les États. On l’a vu avec
l’attaque du franc suisse et du yuan au début de l’année 2016.
L’État
Grâce au crédit bancaire, les entreprises investissent et
entretiennent la croissance. L’État favorise ce mouvement par des
mesures incitatives à l’investissement et à la consommation
(subventions, fiscalité, grands travaux…). L’État est le deuxième
pouvoir.
L’action de l’État peut avoir des conséquences sur l’inflation
(politique de relance, salaires de la Fonction publique…) à l’encontre
des buts poursuivis par la banque centrale. Il faut noter que la
Banque centrale européenne, la BCE, est par statut indépendante
du pouvoir politique, à la différence de ses homologues, aux États-
Unis et surtout en Russie ou en Chine par exemple.
Le marché
Le marché - Bourse ou marché des obligations - représente une
source alternative de financement pour les ENTREPRISES, en
complément des crédits bancaires. C’est sa fonction la plus
importante. Le marché constitue le troisième pôle de pouvoir.
Le marché finance aussi les BANQUES ! La Bourse, bien sûr, pour
renforcer leur actionnariat, mais aussi le marché obligataire, qui leur
permet d’obtenir des fonds stables en complément des dépôts de la
clientèle.
Et enfin le marché finance les ÉTATS ! La dette de la France,
environ 2 000 milliards d’euros est financée par émission
d’obligations. Celles-ci sont placées sur les marchés en France et à
l’international.
Le marché détermine par ailleurs le cours des devises et des
matières premières.
Le schéma ci-dessous illustre les liens majeurs reliant le marché, le
système bancaire et l’État.
Les traits pleins représentent des flux d’argent. Les pointillés expriment des influences.
1re Partie
Marché interbancaire
C’est le POUMON des banques, un aspect peu connu de la vie
bancaire et dont il est pourtant facile de comprendre la raison d’être.
Les banques n’ont jamais à disposition immédiate les sommes
exactes que les clients retirent pour des paiements, ou au contraire
l’emploi immédiat des sommes que les clients déposent.
Elles ont donc inventé un système d’échange des excédents et des
déficits. Ce système a un nom… le marché interbancaire, appelé
aussi marché monétaire, dont il est la partie la plus importante. Cette
forme de solidarité s’est imposée naturellement. L’inconvénient
majeur du marché interbancaire est sa fragilité. La défaillance d’une
banque met en effet en danger toutes celles qui à un moment donné
lui ont prêté de l’argent et, par ricochet, presque toutes les autres. Et
surtout, le moindre doute sur la solidité d’une banque suffit à bloquer
le système.
Avoir cela à l’esprit change complètement la vision du monde
bancaire. Cela montre la fragilité des banques et le rôle crucial des
banques centrales qui surveillent le bon fonctionnement du marché
interbancaire. C’est une clé indispensable pour comprendre la
régulation, la crise des subprimes, ou… les différences entre liquidité
et rentabilité.
Les titres
Les titres sont une invention de bon sens, dont la portée est
insoupçonnée. Il y a en effet deux manières de matérialiser un prêt :
soit avec un contrat de crédit classique, soit avec un PAPIER AU
PORTEUR, signé par l’emprunteur. Ce « papier » est une action ou
une obligation, c’est-à-dire un titre. Ce titre, action ou obligation,
peut être acheté et revendu à tout moment par l’investisseur sur le
marché (marché obligataire ou Bourse), tandis que pour
l’emprunteur, rien ne change.
Cette notion de titre est fondamentale pour expliquer la
complémentarité entre le financement par le crédit bancaire et
le financement par le marché et donc l’importance des marchés
dans l’économie. Cette notion conduit tout naturellement à la notion
de… titrisation, qui n’est rien d’autre qu’une technique pour
transformer un crédit en titre. Le plus important est sans doute ce qui
est rarement dit : la Bourse permet à l’entreprise d’emprunter sans
obligation de rembourser !
Bilan
Il n’est évidemment pas question de plonger dans la comptabilité,
mais seulement de s’emparer de cet OUTIL DESCRIPTIF puissant
qu’est le bilan. Un outil qui s’apprend comme une langue
étrangère… qui n’aurait pas plus de quatre règles de grammaire et
vingt mots de vocabulaire. Un mini-langage pratiqué au fil de l’eau.
Son utilité est considérable. Grâce au bilan, par exemple, on peut
deviner l’activité d’une entreprise. Le bilan est une clé
aux applications multiples : diagnostic de gestion des entreprises,
des banques ou des fonds, régulation, analyse de la régulation
bancaire, du quantitative easing, des subprimes… Et là aussi, un
élément important et peu souligné : les entreprises se prêtent entre
elles.
C’est une réalité économique que la terminologie comptable ne
permet pas de percevoir immédiatement. Comment le voir ? Tout
simplement les postes « Clients » et « Fournisseurs ». Donc, une
entreprise bien gérée se doit de faire un travail de banquier !
L’attention prioritaire souvent donnée au bénéfice et au cash-flow ne
doit pas occulter cette importance du bilan en tant qu’outil d’analyse.
Ces trois notions de base sont développées dans les chapitres qui
suivent.
CHAPITRE 2
LE MARCHÉ INTERBANCAIRE, POUMON
DES BANQUES
Résumé de ce chapitre
Les banques remplissent trois fonctions de base nécessaires à
l’économie : les transferts, les dépôts et le crédit. Les dépôts
sont utilisés pour faire le crédit, mais pas seulement, car les
dépôts ne sont pas stables. Pour compenser cette instabilité, le
marché interbancaire a été créé pour permettre aux banques
excédentaires de prêter à celles qui sont en déficit de
liquidité. En amont des banques, la banque centrale veille à
l’alimentation correcte du circuit monétaire et régule le volume
des crédits distribués par les banques. La banque centrale joue
donc un rôle financier et un rôle économique. L’importance du
marché interbancaire et de son bon fonctionnement illustre deux
points importants : la fragilité du système bancaire et la solidarité
forcée des banques entre elles.
Le marché interbancaire
C’est ici qu’intervient un élément capital, invisible, mais
indispensable au bon fonctionnement du monde bancaire. La
complémentarité des besoins d’une banque à l’autre a en effet
donné naissance à un système de solidarité et de facilités
mutuelles. C’est le marché interbancaire, appelé aussi marché
monétaire. dont il est un compartiment.
Concrètement, les banques se prêtent entre elles chaque jour (en fin
de journée) des sommes considérables. Ces prêts sont presque
essentiellement des prêts d’une durée de 24 heures. Le J/J dans le
jargon des banques. Les taux et les montants sont fixés d’un
commun accord par un simple coup de fil.
Ces échanges ne sont pas improvisés et font au contraire l’objet
d’une surveillance rigoureuse de la part de la banque centrale,
comme on le verra ci-après.
Illustration
À titre d’exemple, le bilan de fin d’exercice (décembre 2013) d’une
grande banque française montre l’usage qu’a fait cette banque du
marché interbancaire à ce moment précis.
Pour faciliter la « lecture » du bilan de la banque, les données
chiffrées ont été représentées par des rectangles dont la taille est
proportionnelle aux montants.
En ce qui concerne la distribution de crédit à la clientèle, ce que la
banque a prêté correspond à peu près aux dépôts de la clientèle. La
différence a été couverte par recours au marché interbancaire.
On peut s’étonner de voir que la banque a simultanément prêté et
emprunté sur le marché interbancaire. La raison en est tout
simplement que ces prêts et ces emprunts sont de durées
différentes et ne se compensent donc pas.
Il faut garder à l’esprit qu’un bilan est une photographie instantanée
de la situation, et qu’il évolue en fait chaque jour.
Résumé de ce chapitre
Une entreprise qui a besoin de financement peut choisir entre le
crédit bancaire et l’émission de titres, actions ou obligations. Les
titres sont achetés par des investisseurs qui peuvent les
revendre à tout moment à d’autres investisseurs sur les
marchés. La circulation des titres, fondamentale du point de vue
de l’investisseur, ne change rien pour l’entreprise émettrice. Les
actions présentent un avantage considérable car elles sont une
forme d’emprunt que l’entreprise n’est pas obligée de
rembourser !
Valeur de tous les stocks : les produits prêts à être vendus, les pièces
détachées, les produits de base…
Bilan n° 1
On peut déjà dire que ce bilan n° 1 correspond à une entreprise qui
fabrique et vend des biens à d’autres entreprises, des biens
industriels donc. Pourquoi ?
Le poste IMMOBILISATIONS, tout d’abord, peut laisser penser
qu’elle a des machines. Il est vrai qu’il peut s’agir aussi d’immobilier,
ou d’un mélange des deux.
Ce qui met sur la piste est l’importance des postes CLIENTS et
STOCKS. L’importance du poste clients signifie que l’entreprise
vend à d’autres « entreprises » auxquelles elle a donc consenti des
facilités de paiement. L’importance des stocks laisse penser qu’elle a
une activité de production.
À noter enfin que le CASH est presque négligeable, ce qui indique
qu’elle ne vend pas ou peu au détail. L’essentiel de ses ventes est
donc réalisé auprès d’autres entreprises.
On peut penser que le bilan n° 1 est celui d’une entreprise
industrielle. La connaissance des chiffres permettrait de voir s’il
s’agit d’une PME ou d’une entreprise plus importante.
Bilan n° 2
Que peut-on dire alors de l’activité de l’entreprise qui correspond au
BILAN n° 2 ?
Ce bilan n° 2 présente une structure d’actif différente, très différente
même de la précédente.
La première observation concerne l’absence des STOCKS.
Cette entreprise ne produit pas de biens physiques. Il s’agit donc
d’une société de services. On peut en déduire que le poste
IMMOBILISATIONS ne représente pas des machines de production.
Il s’agit très probablement de biens immobiliers.
Deviner l’activité de l’entreprise
Ce qui frappe ensuite est l’importance considérable du poste
CLIENTS. Une entreprise de services qui détient un gros volume de
crédits clients, c’est… mais oui…
UNE
BANQUE
Bilan n° 3
On peut s’interroger à présent sur le BILAN n° 3, et chercher à quel
type d’entreprise il correspond.
La question est plus difficile car il y a plusieurs solutions possibles.
Deviner l’activité de l’entreprise
Cette entreprise a des STOCKS, donc elle vend des produits.
Il est possible qu’elle les produise car elle a des
IMMOBILISATIONS, ce qui peut laisser penser qu’elle a des
machines, mais il peut s’agir aussi d’immobilier.
Le plus étrange est son CASH énorme, et pas de
crédit CLIENTS. On pourrait penser qu’elle vend principalement à
des clients qui paient comptant. Donc à des particuliers.
C’est l’hypothèse la plus plausible. Donc cette entreprise est
vraisemblablement…
UN HYPERMARCHÉ
Cet exercice montre la richesse et la transparence des informations
livrées par la partie gauche, c’est-à-dire par l’actif du bilan.
Fonds propres
Les fonds propres désignent tout simplement la mise initiale des
actionnaires qui ont créé l’entreprise, augmentée ou diminuée
des profits ou pertes réalisés au fil des ans, et aussi de ce qu’on
appelle les augmentations de capital, c’est-à-dire l’appel aux
actionnaires.
Le bas de bilan
L’expression « bas de bilan » résume et chiffre les éléments de
l’activité quotidienne de l’entreprise qui génèrent des décalages de
trésorerie, et sont par conséquent à l’origine des besoins de
financement.
L’exemple le plus « parlant » est celui des stocks. Les stocks de
matières premières sont payables immédiatement au fournisseur ou
avec un délai convenu. Ces matières premières sont
progressivement incorporées dans la production de produits finis.
Pour produire, il faut payer des salaires et diverses charges. Les
produits finis sont à leur tour stockés jusqu’à la vente.
Le règlement de la vente prend lui aussi un certain temps. Le flux de
la vente ne compense que beaucoup plus tard le flux des dépenses
correspondantes. L’entreprise peut réduire ce décalage en réduisant
le délai de paiement des clients et en allongeant la période de
règlement des fournisseurs.
Le bas de bilan permet de déterminer un élément comptable
important pour la gestion de l’entreprise : le besoin en fonds de
roulement.
Résumé de ce chapitre
Loin d’être déconnectés de l’économie réelle, les marchés en sont
une composante essentielle. Le développement des entreprises
et de l’innovation a entraîné en effet un besoin de financement qui
dépasse les capacités de crédit des banques. Les limites du crédit
bancaire sont la conséquence directe des règles de prudence
imposées aux banques. Ces limites sont quantitatives, fixées en
fonction des fonds propres des banques, et qualitatives, en ce
sens que les banques ne doivent pas prendre trop de risques,
comme celui des start-up par exemple. Cette logique de prudence
repose tout simplement sur la nécessité de ne pas mettre en
danger les dépôts du public dans les banques. Les marchés ont
des moyens quasi illimités et un appétit au risque supérieur à
celui des banques. Ils sont ainsi complémentaires des banques
pour le financement des entreprises. Ils permettent aussi le
financement des États, comme c’est le cas pour la France, la
raison étant là aussi l’importance des besoins face aux capacités
des banques. C’est en grande partie grâce à la force des marchés
aux États-Unis que les entreprises américaines se sont
développées et continuent de se développer en si grand nombre,
passant rapidement du statut de start-up à celui d’entreprises
mondialisées..
Les marchés complètent l’action des banques
Le point particulier des limites des banques est capital pour saisir
l’importance des marchés.
À bien des égards, les banques fonctionnent comme des
entreprises, avec toutefois deux différences majeures :
- Les banques sont dépositaires de l’argent des milliers de
personnes et d’entreprises qui ne pourraient pas concevoir que
leurs avoirs soient mis en danger pour des raisons propres à la
banque.
- Les banques sont interdépendantes dans la mesure où elles se
prêtent entre elles, quotidiennement, des sommes considérables
pour ajuster leur trésorerie.
Du fait de cette interdépendance, la défaillance d’une seule banque
peut avoir des conséquences catastrophiques pour tous ses
déposants, et aussi pour nombre de ses consœurs, lesquelles, à
leur tour, peuvent mettre en danger leurs propres clients et d’autres
banques. C’est ce qui s’appelle le risque systémique.
La perspective de défaillance d’une banque entraîne la « ruée sur
les guichets » des déposants qui veulent retirer leurs avoirs avant
qu’il ne soit trop tard, et menace de faillites en chaîne les autres
banques qui ne peuvent plus récupérer ce qu’elles avaient
momentanément prêté.
Cette interdépendance des banques reproduit à une beaucoup plus
grande échelle ce que l’on peut observer au niveau des entreprises.
Ces dernières se font en effet crédit les unes aux autres selon la
pratique quasi universelle des facilités de paiement. Le résultat est
que les entreprises sont reliées entre elles par des chaînes de
« crédit-client » et de « crédit-fournisseur ». C’est ainsi que la faillite
d’une entreprise peut entraîner la faillite de plusieurs fournisseurs -
pourtant bien gérés. Les conséquences « systémiques » sont moins
grandes car le crédit interentreprises n’a pas la fonction vitale du
crédit interbancaire, ni surtout sa dimension.
Les limites quantitatives des banques
La question de la sécurité des opérations bancaires est donc
fondamentale. Les banques occidentales ont organisé elles-mêmes
cette sécurité au sein de ce qu’on appelle les accords de Bâle.
Le principe de base est simple. La banque utilise l’argent des dépôts
pour exercer une activité à risque, la distribution du crédit. Par
définition donc, elle est susceptible de perdre une partie de l’argent
qu’elle prête, même si elle exerce cette activité avec prudence.
Cette perte inévitable ne doit pas être prélevée sur les dépôts de ses
clients, qui ne le comprendraient pas. Cette perte doit être prélevée
sur l’argent qui est propre à la banque et donc sur l’argent de ses
actionnaires, ce qu’on appelle ses fonds propres.
Comme précisé au chapitre précédent, ces fonds
propres représentent tout simplement la mise initiale (le capital) de
ceux qui ont créé la banque, augmentée ou diminuée des profits ou
pertes réalisés au fil des ans, et aussi de ce qu’on appelle les
augmentations de capital, c’est-à-dire l’appel à de nouveaux
actionnaires.
Les fonds propres de la banque constituent en quelque sorte un
matelas de sécurité. C’est l’argent qu’elle peut perdre avant de
porter atteinte aux dépôts qui lui ont été confiés.
Les accords de Bâle ont fixé à 8 % du stock de crédits le montant
minimal des fonds propres des banques. En sens inverse, une
banque ne peut pas prêter plus de 12 fois le montant de ses fonds
propres. Le schéma, ci-dessus, illustre ce principe : ces chiffres sont
bien sûr arbitraires et résultent du compromis raisonnable des
banquiers réunis à Bâle pour fixer et réviser périodiquement les
règles.
À qui empruntons-nous ?
Ceux qui prêtent à la France le font à travers les marchés. Ils
pourraient le faire directement, on verra pourquoi ils préfèrent passer
par les marchés.
Ces prêteurs qui achètent les obligations émises par le Trésor
français sont des institutions de France et d’ailleurs qui ont
durablement ou épisodiquement de l’argent à placer. Institutions
privées ou publiques, personnes privées ou fonds de placement, on
les appelle des investisseurs.
Ces investisseurs pourraient placer cet argent dans les banques,
certains le font d’ailleurs. C’est une affaire de préférence. Beaucoup
s’orientent vers les placements en Bourse ou les achats
d’obligations, prennent des participations dans des entreprises, ou
confient simplement leur argent à des organismes spécialisés qui
feront des placements en leur nom. On trouve ainsi des compagnies
d’assurance, des fonds de pension, des États souverains détenteurs
d’excédents, des fonds de placement, etc.
Ordre de grandeur
L’endettement global de la France est d’environ 2 000 milliards
d’euros, ce qui représente à peu près le PIB français. On est loin,
très loin des capacités des investisseurs. Des banques d’affaires
spécialisées dans la création de supports d’investissement
sophistiqués estiment à 70 000 milliards d’euros les sommes
d’argent disponibles. Ce montant n’inclut pas le volume quotidien qui
circule sur le marché des changes ou les volumes échangés sur le
marché des matières premières…
Retard européen
Il est cependant un point essentiel, sur lequel l’Europe accuse un
grand retard : les marchés financiers. Ces derniers ont atteint aux
États-Unis un niveau de sophistication extrême, tant sur le plan des
volumes mobilisés que dans leur capacité à répondre aux besoins
des entreprises dans leurs différents stades de développement. A
contrario, leur faible développement en Europe se mesure dans la
difficulté des start-up à franchir le pas de leur transformation en
entreprises moyennes et dans la difficulté des PME à devenir de
grandes ou de très grandes entreprises.
La situation n’est pas la même d’un pays européen à un autre.
L’Allemagne et l’Italie comptent par exemple respectivement trois et
deux fois plus de PME que la France. La fiscalité pénalisante des
successions, l’absence d’une culture « PME » dans le système
éducatif expliquent certes en partie le retard français, mais l’obstacle
commun au développement des entreprises européennes est bien
l’insuffisance du système de financement des « jeunes » et très
jeunes entreprises. La City de Londres, marché financier le plus
développé d’Europe, se concentre sur le financement des
entreprises cotées en Bourse. Son activité « capital risque » est très
loin de ce que l’on peut observer aux États-Unis.
Pendant longtemps, en Europe, la banque a été considérée comme
le lieu principal où s’opérait la distribution du crédit, le marché
obligataire et la Bourse étant limités aux grandes ou très grandes
entreprises. C’est en fait tout l’échelon inférieur des entreprises qui a
souffert et souffre encore du manque de financement. La
participation au capital des start-up par exemple leur a toujours été
proscrite précisément en raison du degré de risque que cela
représente.
Financement des start-up
Dans les premières phases de développement des start-up, leurs
besoins de financement, modestes, peuvent être couverts par les
entrepreneurs eux-mêmes, leurs amis, voire des business-angels.
Quelques rares fonds privés prennent ensuite le relais, mais très
vite, au-delà de la dizaine de millions d’euros, l’« offre » de capital-
risque se raréfie en Europe.
Désintermédiation
Le financement par les marchés est parfois assimilé à la
désintermédiation bancaire. Ce terme ambigu paraît signifier qu’il y a
dans le recours au marché une tendance à la réduction du rôle des
banques dans le financement de l’économie. Le terme porte ainsi
l’idée d’un autre choix possible, comme par exemple une action des
États pour réduire le rôle des marchés.
L’importance historique de l’État en Europe dans le contrôle de
l’économie explique pour une large part cette perception et une
forme de résistance à abandonner au marché ce qui pendant
longtemps relevait du domaine « régalien », le contrôle du
financement. Les crises économiques récentes attribuées
hâtivement à la non régulation des marchés ont conforté les États
européens et les opinions publiques dans leur méfiance à l’égard de
ces derniers.
La réputation des banques n’est pas vraiment meilleure mais dans
ce domaine au moins, les États se sentent encore en position de
force puisqu’ils disposent de l’arme de la nationalisation. Une arme
quelque peu illusoire en Europe dans la mesure où le pouvoir
bancaire a glissé progressivement vers la BCE. Nationaliser les
banques impliquerait donc pour le pays concerné la rupture du lien
avec la BCE et par conséquent la sortie de l’euro. Ces deux points
font l’objet de chapitres spécifiques dans la suite du livre.
CHAPITRE 6
« LES MARCHÉS SONT DANS LE COURT
TERME »
Résumé de ce chapitre
Les marchés ne sont pas seulement dans le court terme. Leur
particularité est en effet d’opérer la synthèse entre le temps court
de l’investisseur et le temps long de l’entreprise. L’importance
des marchés en matière de financement découle des propriétés
caractéristiques des « titres », actions et obligations. Loin d’être
lié à l’emprunteur-émetteur d’un titre, l’acheteur de ce titre peut
changer d’avis et le revendre à tout moment. Cela ne change
rien pour l’émetteur du titre qui bénéficie d’un financement dans
la durée. En fait c’est la spéculation des investisseurs qui
conditionne l’activité des marchés et donc leur finalité, qui est de
permettre aux entreprises de se financer. Les émissions
d’actions sont particulièrement intéressantes pour les entreprises
puisqu’il y a pour elles aucune obligation de « remboursement ».
Loin de se faire concurrence, les marchés et les banques sont
en fait complémentaires. Pour une raison essentielle : la
capacité de financement des banques est limitée. Quant à la
« pression » des marchés pour des résultats immédiats, ce n’est
qu’un élément parmi d’autres à gérer par le management.
L’utilité de la spéculation
C’est un paradoxe qui peut étonner : la spéculation des investisseurs
sur les marchés conditionne le bon fonctionnement de leur finalité
première qui est de permettre aux entreprises de se financer.
L’importance du marché se mesure par sa taille, c’est-à-dire le
nombre d’intervenants, et par l’intensité des échanges, la
combinaison de ces caractéristiques définissant ce qu’on appelle sa
liquidité.
Les échanges-ventes et achats « spéculatifs » contribuent à doper
les volumes du marché. La volatilité des cours, c’est-à-dire les écarts
importants sur une courte durée, est pour beaucoup d’investisseurs
des opportunités de gain.
Plus il y a d’intervenants, plus ces intervenants sont actifs et plus le
marché est, selon l’expression consacrée, liquide. Un marché liquide
est celui qui garantit qu’à tout moment il y aura un acheteur ou un
vendeur.
Ce dynamisme profite indirectement aux entreprises qui ont besoin
de financement, car toute nouvelle émission d’obligations ou
d’actions de la part de l’une d’entre elles aura d’autant plus de
chances de trouver « preneur ».
CHAPITRE 7
« LES BANQUES NE PRENNENT PAS DE
RISQUES »
Résumé de ce chapitre
Les banques ne sont pas frileuses. Il ne faut pas confondre
frilosité et prudence. Les banquiers comme les hommes
d’affaires n’aiment pas les mauvaises affaires.
Le métier de la banque est un métier d’intermédiaire : la banque
prête ce qu’elle-même emprunte auprès d’autres banques. Elle
utilise surtout les dépôts de ses clients, considérés comme des
prêts, qu’elle se doit naturellement de rembourser.
Les marges des banques - moins de deux pour cent sur les
crédits - sont très inférieures à celles des sociétés commerciales
alors que leurs risques sont supérieurs. Lorsqu’un crédit tourne
mal en effet, la banque risque de perdre l’intégralité du capital,
donc, une partie de l’argent des déposants.
Si les banques sont attentives à respecter les règles
prudentielles imposées, elles le sont tout autant dans la
définition de leurs propres règles d’octroi des crédits.
La règle d’or du crédit : la banque ne prête pas sur garantie,
mais elle ne prête pas non plus sans garantie ».
Les banques sont (presque) des entreprises comme les
autres
D’une certaine manière, la banque fonctionne comme une société de
commerce dont l’activité est d’acheter et de vendre et qui « vit » en
quelque sorte de sa marge entre ses prix d’achat et ses prix de
vente. L’analogie est que la banque emprunte et prête, avec des
taux d’intérêt différents. On pourrait dire qu’elle achète et vend… de
l’argent, et que ses prix sont des taux d’intérêt.
Comme pour toute entreprise, le résultat de la banque résulte
globalement de la différence entre ses revenus et ses dépenses.
L’équivalent du chiffre d’affaires est le produit bancaire. Le produit
bancaire représente les intérêts et les commissions perçus. Les
dépenses sont principalement les intérêts et les commissions
payées, et l’ensemble des dépenses de fonctionnement, salaires,
achats de biens et de services.
Ce calcul est proche du calcul du bénéfice de l’entreprise, à une
différence près toutefois, une différence d’importance : la banque
tient compte du coût du risque, c’est-à-dire le coût des crédits
sinistrés du fait du non-remboursement. Ce risque n’est pas
occasionnel, il est permanent.
Il faut bien voir comment se pose le problème pour la banque. Sa
marge sur le crédit est d’environ deux pour cent. C’est en quelque
sorte son espérance de gain… si tout se passe bien. Mais si tout va
mal, c’est-à-dire en cas de défaillance de l’emprunteur, son risque de
perte est bien supérieur, car elle perd non seulement son espérance
de gain, mais aussi le capital prêté à son client, qu’elle est tenue de
rembourser quoi qu’il arrive à ses prêteurs externes ou à ses
déposants.
L’entreprise a également un risque d’impayé sur ses ventes (chèque
sans provision, traite refusée), mais par rapport à la banque, les
proportions sont sans commune mesure.
Pour fixer un ordre de grandeur, si, comme indiqué plus haut, la
banque peut gagner deux pourcents si tout va bien, son risque de
perdre est en revanche de cent pourcents, soit 50 fois plus ! Le
risque est au cœur du métier de banquier.
Bas de bilan
En langage clair, le « bas de bilan » résume et chiffre les éléments
de l’activité de l’entreprise qui génèrent des décalages de trésorerie,
donc des besoins de financement.
Comme indiqué au chapitre 4, les stocks de matières premières sont
payables immédiatement au fournisseur ou avec un délai convenu.
Ces matières premières sont progressivement utilisées dans la
production de produits finis. Pour produire, il faut payer des salaires
et diverses charges. Les produits finis sont ensuite stockés jusqu’à
la vente. Et enfin, le règlement de la vente prend lui aussi du temps.
Le flux de la vente ne compense que bien après le flux des
dépenses correspondantes. L’entreprise peut diminuer ce
décalage en réduisant le délai de paiement des clients et en
allongeant la période de règlement des fournisseurs.
En langage comptable, le besoin en fonds de roulement (A) en
abrégé BFR traduit d’un chiffre le résultat de tous les décalages de
trésorerie.
Une trop grande générosité commerciale en matière de conditions
de paiement, donc la hausse du poste « clients » qui ne serait pas
compensée par une re-négociation des conditions « fournisseurs »
aura pour effet mécanique l’augmentation du BFR.
La représentation ci-dessous par blocs illustre les catégories de
comptes figurant au bilan. Le « bas » du bilan concerne ce qui
« bouge » souvent. Le poste clients est en fait un chiffre qui
représente la somme des factures émises et non réglées le jour où
le bilan a été construit. Le poste stocks correspond à la valeur des
produits fabriqués et non vendus. De l’autre côté du bilan, au passif,
figure le poste fournisseurs, pendant du poste clients, c’est-à-dire
les factures reçues par l’entreprise mais non payées. Le poste
clients représente le crédit fait aux clients. Fournisseurs représente
le crédit fait par les fournisseurs. Ces postes varient chaque jour, au
gré des achats et des ventes de l’entreprise, à la différence des
postes du haut de bilan, qui ne varient qu’une ou deux fois par an.
Haut de bilan
L’expression « haut de bilan » désigne les ressources et les
investissements les plus stables de l’entreprise. Les ressources
stables sont les fonds propres de l’entreprise et les crédits à long
terme en cours. Les investissements stables, ce sont les machines,
l’immobilier, les participations financières…
En langage comptable, la différence entre ces deux éléments
s’appelle le fonds de roulement (en abrégé FDR). Ce montant
représente la partie disponible des ressources stables qui est
disponible pour… compenser en partie le besoin de financement
décrit plus haut, résultant des décalages des flux dans l’activité de
production et de ventes.
Incidemment, si en théorie l’entreprise n’avait pas ce besoin de
financement, la partie disponible des ressources stables se
retrouverait dans ses disponibilités, c’est-à-dire, son compte en
banque.
Les garanties
Le constat de la rentabilité de l’activité de l’emprunteur et de sa
solidité financière à un moment donné ne met pas le prêteur à l’abri
d’événements imprévisibles susceptibles d’entraîner ultérieurement
un changement radical de situation.
Sur une durée de quatre, cinq ou six ans, la durée moyenne des
crédits sur les biens d’équipements, les retournements de situation
sont toujours possibles. Le plus classique est comme indiqué plus
haut, la défaillance d’un client majeur. L’analyse du portefeuille de
clients constitue à cet égard une précaution indispensable. La mise
en place de garanties correspond à la nécessité de se couvrir des
conséquences possibles de ces événements, indépendamment de
leur nature ou de leur probabilité de réalisation.
Les deux règles d’or en matière de crédit et de garantie sont les
suivantes :
- on ne prête pas sur garantie ;
- on ne prête pas sans garantie.
Prêter sur garantie signifie négliger l’analyse de crédit telle
qu’exposée ci-dessus du fait de l’existence d’une garantie solide.
Il n’est pas sain de faire crédit à un emprunteur sans ressources
régulières, ou dont les ressources sont insuffisantes pour
rembourser ses échéances, ou pire, qui est à la merci de la faillite,
faute de facilités de trésorerie suffisantes. Pour le prêteur, la mise en
jeu d’une garantie est processus lourd et coûteux qu’il vaut mieux
éviter.
Accorder un crédit sur la base d’une garantie à un emprunteur dont
on sait d’avance l’incapacité à honorer ses échéances, ne relève
plus du métier de banquier, mais de l’action sociale. Pire encore
lorsque cette garantie repose sur un bien dont le prix est susceptible
de fluctuer, comme l’immobilier.
Prêter sans garantie est dangereux, car en cas de difficulté de
trésorerie, ce crédit sans garantie sera le premier touché, et le
premier à subir des impayés. Le débiteur choisira en effet de
retarder le paiement des échéances, voire de les interrompre
puisqu’en agissant ainsi, il n’encourt pas le risque d’une mise en jeu
de la garantie susceptible de rendre visible ses difficultés.
Les garanties sont de deux types. Il y a d’une part les engagements
donnés par des tiers pour la reprise des obligations contractuelles
de l’emprunteur lorsque celui-ci est défaillant. Et d’autre part
les gages ou sûretés réelles sur des biens. Dans la première
catégorie on trouve par exemple les cautions ou les engagements
de reprise, donnés par des personnes physiques ou morales. Du
point de vue de l’analyse de crédit, tout se passe comme si le
prêteur avait en face de lui un deuxième emprunteur, susceptible de
se substituer au premier en cas de défaillance de celui-ci. La valeur
d’une telle garantie est celle du garant. Il est donc nécessaire de
procéder à une deuxième analyse de crédit complète du garant pour
s’assurer de sa capacité à honorer son engagement de sa solidité
financière. Cette deuxième analyse de crédit exige la même rigueur
que la première. Les garanties ou sûretés « réelles » les plus
courantes sont les garanties sur les actifs de l’entreprise. Il s’agit par
exemple de gages sur les d’actifs de production, de
nantissement des actifs financiers, ou d’hypothèque des actifs
immobiliers.
Il faut savoir que dans le domaine du crédit, un risque n’est jamais
totalement couvert. En particulier, si les garanties permettent de
réduire les risques, elles ne sont pas elles-mêmes sans risques.
Banque maison
En matière de négociation, il faut faire une distinction entre la
banque « maison » et les autres banques. La banque maison,
partenaire privilégié de l’entreprise, gère la plupart des flux
financiers, apporte des cautions et finance notamment le découvert.
Elle dispose pour cela des meilleures garanties que l’entreprise peut
lui apporter (fonds de commerce, nantissements, garanties
personnelles).
Les autres banques ont avec l’entreprise une relation plus
épisodique, mais qui peuvent être non moins importantes. C’est le
cas pour des crédits pour des investissements à moyen terme, et
surtout pour le commerce extérieur. En fonction de leur importance,
ou de l’importance du risque, ces crédits peuvent être syndiqués,
c’est-à-dire que plusieurs banques se partagent les risques et se
regroupent sous l’autorité d’un chef de file.
Dans tous les cas, la notion de négociation concerne moins l’aspect
financier c’est-à-dire le coût du crédit ou le coût des services
bancaires que le crédit lui-même, et le type de services que le client
peut demander à sa banque.
La relation avec la banque maison s’établit dans la durée et chaque
partenaire accorde une importance à cette durée. La banque connaît
de mieux en mieux son client, élément essentiel de sa connaissance
du risque. Et réciproquement l’entreprise sait qu’elle peut compter
sur sa banque, elle sait ce qu’elle peut ou ne peut pas lui demander.
Autres banques
La manière la plus simple de procéder est la mise en concurrence
des banques, ce qui est toujours possible et même souhaitable
s’agissant des opérations ponctuelles, comme les crédits
d’investissement à moyen terme ou le crédit export.
Mais là aussi, l’entreprise doit d’agir de manière avisée et bien
choisir les banques qui seront mises en concurrence. Si par exemple
l’entreprise cherche à financer l’extension des bâtiments de son
siège et se préoccupe par ailleurs d’un éventuel développement à
l’étranger, elle inclura dans son appel d’offres une banque dont
l’expertise est reconnue dans la région qui l’intéresse. Le choix final
de la ou des banques s’appuiera sur ce type de considérations qui
vont plus loin que le taux facial d’un crédit. L’entreprise se devra
d’expliquer alors aux banques non retenues les (bonnes) raisons de
son choix.
Dans cet exemple, une opération « banale », un crédit immobilier est
pour l’entreprise une opportunité d’entrée en relation avec une ou
plusieurs nouvelles banques. La banque maison est bien sûr partie
prenante du crédit. L’entreprise « gagne » sur deux tableaux : elle
prépare l’avenir tout en faisant comprendre à la banque maison que
celle-ci n’est plus tout à fait seule. Voilà la vraie négociation,
l’appréciation du rapport de force, et lorsque l’opportunité se
présente, le changement en sa faveur du rapport de forces.
Une affaire de confiance réciproque
Pour l’entreprise comme pour le particulier, la relation avec la
banque doit se concevoir dans la confiance et dans la durée. Le
crédit n’est pas une science exacte. Les éléments « techniques » du
crédit doivent être bien sûr maîtrisés, mais ce qui compte tout autant
est le jugement, l’appréciation que chacun se fait de la capacité de
l’autre à tenir ses engagements.
Le commercial de la banque qui défend « son » client en comité des
risques s’engage en quelque sorte sur la qualité de l’emprunteur. Et
de même, le client doit sentir que la parole de la banque est solide,
ce que résume la formule anglo-saxonne my word is my bond, ma
parole m’engage.
Ce n’est pas qu’une clause de style. La vie des affaires s’accélère
parfois et il peut arriver que l’entreprise s’engage elle-même vis-à-vis
d’un client en s’appuyant sur un accord verbal de la banque. Dans
tous les cas, petite ou grande entreprise, petite ou grande banque,
la personnalisation de la relation est non seulement inévitable, elle
est nécessaire.
CHAPITRE 8
« IL FAUDRAIT NATIONALISER LES
BANQUES »
Résumé de ce chapitre
La présence de l’État dans une banque pose inévitablement le
problème de la confusion des genres. L’État peut être tenté de
résoudre des problèmes économiques et sociaux en
contraignant les banques qu’il contrôle à soutenir des
entreprises mal gérées, à l’encontre des règles de bonne
pratique de la profession, à l’encontre des règles européennes,
et aux frais des contribuables.
L’exemple français de la BPI montre qu’il existe en fait une
« zone grise » dans l’interprétation de ces règles et donc dans la
frontière entre interventionnisme étatique et libre jeu de la
concurrence. Cette banque nationale a su tirer parti de cette
zone grise et par une gestion habile éviter la trop grande visibilité
de ses actions de soutien.
L’exemple des banques nationales chinoises pose un problème
complexe aux autorités depuis que ce pays a choisi une politique
d’ouverture économique et monétaire. Les mauvais crédits
accumulés dans leurs bilans sous la pression des autorités
nationales et provinciales font douter de la solidité du système
bancaire chinois dans son ensemble. Cette situation empêche
l’intégration de la Chine dans la communauté bancaire
internationale et freine l’acceptation du Yuan en tant que
monnaie internationale.
Politique de l’offre
L’État aide directement les entreprises
Pour stimuler la demande globale de biens et de services en
direction des entreprises, il y a une première méthode consistant à
aider ces dernières à produire plus et moins cher.
Cette aide vise à baisser le coût des charges et de l’impôt pesant sur
leur activité.
Politique de la demande
L’État augmente le pouvoir d’achat des consommateurs
L’aide à l’activité des entreprises peut aussi s’exprimer de manière
indirecte. C’est le cas des mesures d’amélioration du pouvoir d’achat
des consommateurs, mesures qui se traduisent en demande
additionnelle de biens et de services, donc en un supplément
d’activité pour les entreprises.
Techniquement, cette politique consiste à baisser la fiscalité directe
sur les ménages, à relever les salaires des fonctionnaires et à
augmenter le SMIC, sachant que toute hausse du SMIC induit une
hausse générale des bas et moyens salaires.
Alternativement ou en complément, l’État peut choisir d’augmenter
ses propres achats par le biais des commandes publiques, ciblées
sur certains secteurs clés comme le bâtiment et la construction.
Relance « keynesienne »
Sur le plan historique, la politique de la demande, théorisée par
Keynes dans les années trente, est à l’origine du New Deal de
Roosevelt, une politique qui a permis le redressement économique
des États-Unis après la grande crise. La politique de l’offre quant à
elle repose sur les travaux d’économistes comme Say et Ricardo, et
le meilleur exemple de son application se situe dans les années
1970 sous la présidence de Reagan. La relance dite keynésienne a
encore ses adeptes aujourd’hui du fait de ses effets positifs pour la
population. Il est toutefois reconnu que la mondialisation des
échanges a considérablement réduit son efficacité économique.
Restaurer la compétitivité
En pratique l’État combine la politique de l’offre et la politique de la
demande. Dépenser plus ou diminuer les recettes, aboutissent
finalement au même résultat qui est d’augmenter le déficit donc la
dette publique. Pour atténuer l’effet boule de neige de la dette, l’État
s’efforce parallèlement de diminuer quelque peu les autres
dépenses.
L’idée implicite est que cette nouvelle augmentation de la dette se
justifie par de nouvelles dépenses productives qui permettront
ensuite un désendettement plus rapide.
C’est oublier les multiples contraintes pesant sur ces choix : la
charge croissante des intérêts de la dette, l’incertitude sur le
comportement des marchés et l’engagement français dans la
construction européenne.
Les emplois publics sont une solution temporaire, socialement
bienvenue en période de chômage intense et leur avantage est dans
la rapidité de mise en place. C’est une caractéristique d’importance
car la reprise des investissements donc de l’emploi dans les
entreprises après une période de récession est un processus lent.
Ce processus ne peut être vertueux que s’il est ciblé prioritairement
sur la restauration de la compétitivité des entreprises. Préserver,
encourager, les capacités d’investissement des entreprises reste
pour cela au cœur de la politique à moyen et long terme de l’État.
CHAPITRE 10
Résumé de ce chapitre
L’idée de sortir de l’euro repose sur la perception que cette
mesure permettrait à la France de corriger par la dévaluation
l’écart de productivité vis-à-vis de l’Allemagne et aussi de ne plus
subir les contraintes imposées par l’Europe. Cette perception est
erronée à plusieurs titres. De nos jours, ce n’est plus l’État qui
décide de la valeur de sa monnaie, mais le marché. Le déficit
structurel du commerce extérieur français entraînerait la perte de
contrôle du franc sur le marché des changes et son instabilité
chronique. L’inflation importée résultant de la dévaluation
diminuerait considérablement l’effet prix à l’exportation, un effet
par ailleurs aléatoire, car la demande de produits exportés ne se
détermine plus seulement à partir du prix. La hausse immédiate
des prix de nombreux produits importés, l’énergie notamment
provoquerait une perte importante de pouvoir d’achat pour la
population. L’endettement public et privé souscrit hors de France
ne pourrait pas être converti en francs sous peine de bloquer
toute possibilité de nouveaux emprunts. Cette dette augmenterait
en fonction de la dévaluation. Toutes ces raisons détruisent
l’illusion d’une souveraineté retrouvée puisque la sortie de l’euro
soumettrait la France aux lois du marché. A contrario,
l’appartenance à l’euro représente un partage de souveraineté
dont les
Un chaos inéluctable
Pour le comprendre, il faut partir de la réalité concrète. De nombreux
acteurs de l’économie ont chaque jour besoin de se procurer des
devises pour payer des importations, pour effectuer des
remboursements de crédits accordés par des prêteurs situés hors de
France, pour investir à l’étranger, acheter des actions, etc.
Les emprunteurs sont des entreprises privées ou publiques, et l’État
lui-même. Ceux qui prêtent, les créanciers donc, sont des banques,
s’il s’agit de crédits, et plus généralement tous ceux qui détiennent
hors de France des obligations émises par des emprunteurs
français.
Avec l’euro, pas de problème, puisque d’une part une grosse partie
du commerce extérieur concerne les pays de la zone euro et pour le
reste, les paiements en devises sont faciles à effectuer, sachant que
la valeur de l’euro dans le temps est stable et en tout cas prévisible.
Sans l’euro, tout change, car alors ce n’est plus une partie des
importations, mais la totalité qui devrait être réglée en devises et
malheureusement, la France importe plus qu’elle n’exporte. Et c’est
de même l’ensemble de la dette de l’État et du secteur privé, placée
hors de France qui devrait être remboursée en devises.
Il s’ajouterait à cela un facteur aggravant. Les détenteurs de francs
en France, anticipant l’affaiblissement de la monnaie, se
dépêcheraient de les échanger contre des devises fortes, et ceux qui
reçoivent des paiements en devises ne les convertiraient pas en
francs. Sans compter la spéculation des marchés anticipant eux
aussi la baisse du franc. Comme on sait, le prix sur un marché
résulte autant du rapport entre l’offre et la demande que de
l’anticipation de ce rapport.
Pour « tenir » la parité décrétée par la puissance publique après une
sortie de l’euro, il faudrait que la Banque de France soit prête à
vendre au cours fixé les devises nécessaires pour couvrir tous ces
besoins. Les réserves françaises seraient balayées en quelques
heures, avec ou sans contrôle des changes.
L’époque où un pays pouvait se « murer » et décréter
unilatéralement un taux de change est révolue car les montants en
jeu sur le marché sont des multiples de ce qu’ils étaient il y a trente
ans.
La dimension du chaos serait en proportion directe de l’importance
des liens économiques et financiers que la France a tissés partout
du fait de la mondialisation. Des liens d’interdépendance sans
comparaison avec ce qu’ils étaient dans les années 1970-1980.
Les problèmes monétaires seraient rapidement transportés au
niveau de l’économie. Les prix en francs des importations
monteraient au fil de l’érosion du franc, l’inflation exploserait.
L’avantage de prix sur les marchés extérieurs consécutif à la
dévaluation du franc serait illusoire pour une raison simple, la part de
produits importés dans nos exportations, autrefois négligeable,
atteint aujourd’hui 50 %.
Et surtout, la bonne vieille règle enseignée en économie selon
laquelle les ventes augmentent lorsque les prix diminuent a perdu et
perd chaque jour de sa vérité. D’autres facteurs jouent un rôle tout
aussi important, comme la mode, la qualité ou la perception de la
qualité en fonction du prix.
Résumé de ce chapitre
La titrisation, instaurée dans les années trente aux États-Unis
pour relancer le crédit et notamment le crédit immobilier est une
technique de transformation des crédits bancaires en titres, ces
derniers étant ensuite vendus à des investisseurs. Sur le plan
macro-économique, ces crédits n’étaient plus financés par les
dépôts dans les banques mais par les marchés, un système
vertueux permettant plus de crédits à l’économie. Les banques
de Wall Street ont prolongé la titrisation en créant des titres de
titres sophistiqués à l’intention des investisseurs du monde
entier. La titrisation et Wall Street ne sont globalement pas plus
responsables de la crise des subprimes que l’avion ou le
contrôle aérien peuvent l’être des catastrophes aériennes. La
responsabilité de la crise se situe en fait du côté du ministère du
Logement américain qui n’a pas su ou pu limiter l’émission de la
garantie publique sur les titres issus de crédits immobiliers en
faveur des ménages défavorisés, les crédits subprimes
notamment. Pour tous les acteurs des marchés financiers, cette
garantie était implicite.
Lorsque le marché immobilier s’est retourné, le volume des
crédits immobiliers déjà titrisés était colossal et le mélange des
titres garantis avec
d’autres titres non garantis opéré par Wall Street a rendu
impossible toute traçabilité. Le système s’est bloqué et tous les
titres de titres en circulation ou presque ont vu leurs valeurs
s’écrouler. Le Gouvernement des États-Unis a dû verser des
milliards de dollars d’indemnisation au titre de sa garantie. Il a
beau jeu aujourd’hui de poursuivre les grandes banques qui ont
effectivement profité du « packaging » des titres et qui ont les
moyens de payer.
Les poursuites engagées par le DOJ, le Département de la
Justice, s’appuient sur des défauts de forme parfois insignifiants
touchant les milliers de contrats de cession des crédits et des
titres. Des centaines de milliers de pages en comptant les
annexes, donc impossibles à vérifier une par une. Le DOJ joue
de cette disposition susceptible d’obliger les banques d’affaires à
indemniser les détenteurs des titres … ou le garant, c’est-à-dire
Gouvernement des États-Unis. Plutôt que d’engager des frais de
procédure et de recherche contre l’adversaire redoutable qu’est
la justice américaine, les grandes banques acceptent de payer.
Mécanisme et schéma
Le chemin d’explication du mécanisme des subprimes traverse de
nombreux paysages « techniques » : comment passer d’un crédit
ponctuel à une obligation, quelles étaient les étapes intermédiaires,
comment fonctionnent la régulation et le contrôle américain, quelle
était l’analyse des risques des investisseurs, etc. ?
Au départ, un emprunteur américain obtient un crédit immobilier
d’une banque. Cet emprunteur s’est adressé à la banque
directement ou par l’intermédiaire d’un courtier, lui-même en relation
avec plusieurs banques. Le crédit est inscrit à l’actif du bilan de la
banque. Le contrat de crédit fonde la créance du prêteur sur
l’emprunteur.
Quelque temps après, on retrouve cette créance à l’autre bout de la
planète, « noyée » dans une obligation achetée par un investisseur,
fonds d’investissement, fonds souverain ou banque. Entre
l’emprunteur américain et l’investisseur en Europe ou en Asie, que
s’est-il passé ? La réponse est : une cascade de transformations.
Dans le schéma ci-dessous Fanny Mae est le nom de l’agence
publique qui a joué un rôle capital dans la crise et qui est décrite plus
loin dans ce module.
À noter aussi que les obligations correspondant aux crédits
immobiliers s’appellent des MBS (Mortgage Based
Security). Mortgage, qui veut dire hypothèque, est le mot utilisé pour
désigner un crédit immobilier. Security veut dire titre, au sens de titre
négociable, mot générique désignant, entre autres, les obligations.
Les ABS sont des Assets Based Security, c’est-à-dire des titres
adossés à des actifs autres que des crédits immobiliers (crédits
« automobile » par exemple).
Quant à CDO, il désigne des obligations garanties (Collateralized
Debt Obligation).
Les acronymes MBS, ABS, CDO, CDO² désignent donc tous, en fait,
des « obligations ». Le schéma, ci-dessus, peut être simplifié.
Ce schéma simplifié montre que le circuit des subprimes n’est rien
d’autre qu’un circuit de transformation de crédits bancaires en
obligations, lesquelles ont été ensuite retraitées pour être finalement
vendues à des investisseurs.
Titrisation
La titrisation est un mécanisme permettant aux banques de sortir
des paquets de crédits de leurs livres, et de les vendre avec un
bénéfice.
Ce transfert est sans impact pour les emprunteurs, qui restent liés
par leur contrat de crédit initial. Pour la banque, en revanche, tout
change. N’étant plus partie de ces contrats, elle n’est plus engagée,
n’en supporte plus les risques et peut utiliser à sa guise le produit de
la vente pour se désendetter ou… faire de nouveaux crédits, qu’elle
revendra.
Les crédits « titrisés » de différentes origines (crédit immobilier,
crédit automobile, etc.) sont regroupés et revendus à des structures
d’accueil. Celles-ci émettent des obligations proposées à des
investisseurs. Le produit de la vente des obligations permet de payer
les crédits titrisés.
Ces structures d’accueil sont des sociétés existantes dont c’est le
métier (par exemple Fanny Mae aux États-Unis) et des sociétés
d’investissement créées pour l’occasion, appelées des SIC (Special
Investment Company) ou des SIV (Special Investment Vehicle).
Des sociétés très légères, sans personnel ni locaux physiques.
La formule de la SIV correspond dans son principe à la notion
française de Fonds commun de créances.
Cette SIV émet des obligations qu’elle vend à des investisseurs avec
la promesse d’un bon rendement. Les investisseurs ont confiance
car l’ « arrangeur » est presque toujours une banque de Wall Street,
connue pour sa compétence.
Les CDOs
Des obligations d’origines différentes ont ainsi été logées à leur tour
dans de nouvelles structures indépendantes SIV donnant lieu à de
nouvelles émissions de titres. Le processus s’est répété en cascade.
Le but recherché était la création de produits financiers « sur
mesure » construits en fonction de différentes stratégies
d’investissement.
Ces produits sont les CDO - acronyme de Collateralized Debt
Obligation - ce qu’on peut traduire par obligation garantie par des
dettes. Ce sont des titres adossés à des actifs hétérogènes,
mélanges de titres MBS et ABS. C’est la différence principale avec
les titres ABS, adossés, eux, à des paquets de crédits homogènes.
On peut vraiment parler de sur-mesure à propos de ces produits.
Leurs concepteurs jouent sur la composition du portefeuille auquel
les CDO sont adossés de manière à obtenir un certain profil
de risque et de rémunération.
Ces titres CDO créés par certaines banques d’affaires ont connu un
grand succès auprès des investisseurs attirés par la variété des
produits obtenus. Il existe même des CDO de CDO, les CDO² ! Le
volume global des titres a dépassé la dizaine de milliers de milliards
de dollars.
Un succès qui est largement dû au développement du crédit
immobilier, encouragé par une politique globale de crédit facile et de
bas taux d’intérêt.
Profitant de ce crédit facile, certains - banques commerciales,
banques d’affaires, hedge funds, fonds de pension, sociétés
d’assurance, etc. - ont réalisé des gains importants en empruntant à
bas taux pour acheter des titres à haut rendement. Les institutions
qui ont « arrangé » les SIC - banques d’affaires ou hedge funds - ont
gagné beaucoup d’argent sous forme de commissions
proportionnelles aux montants.
Agences de notation
Contrairement à une opinion répandue, les arrangeurs et les
acheteurs d’ABS, MBS et CDO et CDO² n’étaient pas indifférents
aux risques attachés à ces titres. Toutes les émissions des SIV
faisaient en effet l’objet de notations rigoureuses, établies par les
grandes agences de notation reconnues au plan international,
comme Standard & Poor, Fitch ou Moody’s.
On conçoit pour ces agences l’ampleur et la difficulté de la tâche,
s’agissant de titres émis par des milliers de SIC, dont il a fallu
analyser les actifs. Ces actifs étant composés de « mille-feuilles » de
titres d’origines diverses, les agences ont mis au point des outils
d’analyse spécifiques et notamment des outils statistiques
permettant la modélisation des risques composites complexes.
Ce travail d’évaluation et de notation est fondamental. Le concept de
notation d’un titre va de pair avec sa rémunération. La notation
permet aux investisseurs des choix de profils risque/rémunération
sur-mesure. Pour les banques, la notation des actifs gardés au bilan
a une incidence directe sur leur pondération au regard des ratios de
solvabilité qu’elles doivent respecter.
Tranches
Les banques d’affaires et les fonds à l’origine des SIV ont imaginé
un système astucieux pour créer des obligations plus ou moins
risquées que les obligations auxquelles elles étaient adossées, ce
qui à première vue peut paraître impossible.
Dans ce système, les obligations nouvellement créées sont
regroupées en trois tranches de risque croissant : senior,
mezzanine, equity.
Le principe appliqué pour la création de ces tranches était d’une
extrême simplicité : chaque remboursement en capital d’un
emprunteur était affecté en priorité à la tranche la plus haute, la
tranche senior, puis en cascade à la tranche suivante, la tranche
mezzanine, et enfin à la dernière, la tranche equity… s’il restait
quelque chose.
Un mécanisme que l’on peut représenter de manière imagée, par un
alignement en cascade de bassins qui se remplissent
consécutivement, dès lors que le bassin précédent est plein.
Les CDS
Le mécanisme des tranches permet de créer des titres d’une qualité
supérieure à la qualité moyenne des titres auxquels ils sont adossés,
mais dans des limites de volume qui dépendent de la qualité des
actifs. Il a donc été nécessaire d’améliorer cette qualité.
Le principe a été le transfert partiel du risque de l’actif sur des tiers,
selon un mécanisme d’assurance. Deux méthodes de couverture
des risques ont été utilisées : la souscription d’une assurance
proprement dite auprès d’une monoliner, société d’assurance
spécialisée, ou l’achat de produits beaucoup plus simples d’emploi,
les CDS Credit Default Swaps.
Les CDS sont des contrats de couverture des risques de défaut des
crédits en portefeuille. Le principe de fonctionnement est le suivant :
l’acheteur de swap paie une prime périodique fixée d’avance et, en
contrepartie, le vendeur de swap paie l’encours du crédit en cas de
sinistre.
L’émetteur du swap peut être une banque, un fonds, une société
d’assurances, bref n’importe quelle entité ayant un bon rating. Les
CDS sont des titres négociables, donc susceptibles de circuler de
mains en mains. Les échanges se font de gré à gré, c’est-à-dire en
dehors d’un marché organisé. On sort complètement des contraintes
du métier d’assurance.
Le succès des CDS a été phénoménal. Leur vocation initiale de
couverture des crédits titrisés a été dépassée. Les investisseurs ont
utilisé les CDS pour spéculer massivement sur les faillites
d’entreprises. Le volume global des CDS a été estimé à plusieurs
dizaines de milliers de milliards de dollars. Il est clair que l’absence
de contrôle de ce marché gigantesque, sans être la cause de la crise
des subprimes en a été a été un facteur aggravant. Certains
émetteurs de CDS n’ont pas pu faire face à leurs obligations au titre
de ces contrats, soit parce qu’ils étaient par ailleurs fragilisés par
leurs propres investissements à risques, soit du fait de l’énormité
des sommes dues, comme cela a été le cas de l’assureur américain
AIG.
Sortant du contexte de la crise, il faut souligner la dimension
novatrice des CDS et de la titrisation. Ces mécanismes ont
transformé les activités d’assurance et de crédit, en leur conférant
une fluidité nouvelle. Dans la banque ou l’assurance « classiques »
en effet le crédit et le contrat d’assurance souscrits restent dans les
livres de l’émetteur preneur de risque. Les CDS et la titrisation
permettent la sortie d’un système statique.
Au crédit correspondent les titres ABS (et leurs dérivés, les CDO). À
l’assurance correspondent les titres CDS. Les prêteurs et les
assureurs disposent d’un outil de gestion fine de leur portefeuille de
risque.
Crise économique
La paralysie du système bancaire à peine évitée, une nouvelle
phase de la crise a commencé à se développer. L’activité
économique mondiale est entrée lentement et inéluctablement en
récession.
La première raison a été la diminution de la capacité des banques à
prêter. Faute de crédits, les entreprises ont bloqué leurs
investissements. L’activité interentreprises a chuté. La deuxième
raison est la perte de confiance des ménages. La consommation,
moteur de la croissance dans de nombreux pays et notamment aux
États-Unis, s’est écroulée.
La spirale des enchaînements négatifs a pris de l’ampleur, la baisse
de consommation a entraîné la baisse de l’activité industrielle, donc
les craintes de chômage, donc une nouvelle baisse de la
consommation, et ainsi de suite. Les banques, à peine remises des
problèmes des actifs toxiques ont dû se préparer à de nouvelles
dépréciations de leurs propres crédits accordés à leur client de
moins en moins capables d’honorer leurs engagements.
Résumé de ce chapitre
Les eurobonds représentent pour les États de la zone euro le
moyen d’emprunter au nom de l’Europe et non plus en ordre
dispersé. La mise en commun les dettes européennes aurait pour
conséquence le même taux d’intérêt pour tous et surtout la
solidarité de tous vis-à-vis des prêteurs. Les pays les mieux notés
pourraient subir une augmentation de leur charge d’intérêts dans
la mesure où le taux d’intérêt applicable aux eurobonds serait la
moyenne des taux d’intérêt de chaque État. Le projet a échoué
dans le contexte de la crise grecque, du fait, notamment des pays
du nord de l’Europe qui ont mis en avant le risque d’une moindre
incitation des pays les plus endettés à réduire leurs déficits.
L’amélioration progressive de la situation financière des États et
surtout la diminution des écarts de taux d’intérêt vont
certainement donner une chance nouvelle aux eurobonds. La
politique de rachat des dettes souveraines conduite par la Banque
centrale européenne a contribué à cette convergence des taux.
Refus de l’Allemagne
Pour comprendre le refus de solidarité avec la Grèce dans l’opinion
publique allemande, il faut s’immerger dans le contexte de ce pays.
Trois éléments sont à retenir, la réunification de 1989, les lois
Schroeder et le système de péréquation fédérale.
La réunification allemande de 1989 a donné lieu à un immense
transfert de richesses de l’ouest vers l’est. Chaque foyer allemand a
dû s’acquitter d’un impôt spécifique, l’impôt de solidarité.
Les lois Schroeder et Harz de 1995 destinées à renforcer la
compétitivité allemande se sont traduites par de sévères contraintes
salariales ainsi que par des coupes drastiques dans le système
d’indemnisation du chômage.
La loi fédérale allemande en matière budgétaire stipule la
contribution des régions (Länder) riches en faveur des régions
pauvres. Ce mécanisme de solidarité des régions donne lieu chaque
année à de violents débats. L’indiscipline, voire la paresse des
régions pauvres est mise sur la place publique. La riche et vertueuse
Bavière annonce qu’elle refuse de payer pour la Basse-Saxe
dépensière. Après quelques semaines de discussion en et en
dehors de la sphère parlementaire, les choses rentrent dans l’ordre,
les budgets sont acceptés, et le mécanisme compensateur légal est
appliqué.
On comprend mieux les réticences allemandes face aux eurobonds.
Elles ne découlent pas seulement d’une opinion a priori hostile au
principe de solidarité. Elles procèdent aussi d’une analyse de bon
sens.
Où serait la contrainte à la remise en ordre des économies
concernées (Grèce, Italie, France, Espagne…) si du jour au
lendemain ces pays pouvaient se financer sans problème et à bas
coût ? Cette contrainte disparaîtrait instantanément. La position de
bon sens est donc pour chaque pays en difficulté de rétablir
l’équilibre budgétaire et d’en faire une contrainte légale
incontournable. C’est à ces conditions qu’un système d’eurobond
sera mis sur pied un jour en Europe. Cela dit, le « prix à payer »
pour le redressement budgétaire des pays concernés est énorme en
termes économiques et sociaux. De sorte qu’une interrogation se fait
jour à propos des alternatives à l’austérité. Un autre problème.
La politique de la BCE
La BCE a contourné de manière subtile le problème politique posé
par les pays du Nord et notamment par l’Allemagne et leur refus
d’émettre des eurobonds.
Il faut savoir en effet que la presque totalité de la dette publique
grecque est aujourd’hui détenue par la BCE. Donc finalement, c’est
l’ensemble des pays européens qui prêtent à la Grèce à travers la
Banque centrale européenne. C’était bien là le but recherché par le
biais des eurobonds.
Ce système de transfert de la dette européenne dans les livres de la
BCE a été généralisé avec le fameux plan de quantitative
easing lancé au début de l’année 2015.
La BCE a en effet offert aux banques européennes de racheter les
obligations qu’elles détenaient dans leur bilan. Les banques suivent
car les conditions de rachat sont très avantageuses.
Les règles de fonctionnement de la BCE lui interdisant souscrire
directement aux emprunts émis par les États, celle-ci intervient donc
uniquement dans le cadre de ce qu’on appelle le marché
secondaire, c’est-à-dire au niveau des reventes des titres de dettes.
En septembre 2016, la BCE déclarait avoir racheté 1 000 milliards
d’euros de dettes souveraines, c’est-à-dire entre dix et quinze pour
cent de la dette globale. Un montant suffisant pour envoyer un signal
de confiance aux marchés et surtout orienter l’évolution vers la
baisse des taux d’intérêt.
3e Partie
Résumé de ce chapitre
Le quantitative easing est le nom donné à la politique de la BCE
visant à dynamiser la distribution du crédit en facilitant le travail
des banques. Cette politique est marquée par le clair-obscur.
C’est que le domaine d’intervention d’une banque centrale ne
repose pas seulement sur des éléments techniques, mais relève
aussi de la psychologie. Les premières mesures de la BCE
visaient à faire des prêts avantageux aux banques pour leur
permettre de distribuer plus de crédits à l’économie, une
politique dictée par le mauvais fonctionnement du marché
interbancaire. Malgré des ajustements, cette politique n’a pas eu
l’impact attendu sur la relance des investissements. La BCE a
alors procédé à des baisses importantes de taux d’intérêt et a
étendu son programme de rachat de titres souverains détenus
par les banques. Les menaces de déflation ont ensuite conduit à
l’introduction des taux négatifs dont l’objectif était de dissuader
les banques de garder leurs disponibilités et de les inciter à
prêter aux entreprises. Si les États de la zone euro ont
énormément bénéficié des taux négatifs, les banques sont
parallèlement sorties renforcées par les ventes de titres à la
BCE, un aspect des choses gardé plutôt confidentiel. Le
système a permis à beaucoup d’entre elles de renforcer leurs
fonds propres, un élément fondamental pour la reprise du crédit.
Les problèmes posés à la BCE
La mission BCE est depuis sa création la stabilité des prix et le
maintien de l’inflation « en dessous mais proche de » deux pour
cent. Elle n’est pas censée agir dans le domaine de l’économie,
mais elle le fait malgré tout, indirectement, en assurant le bon
fonctionnement du système bancaire pour la distribution du crédit à
l’économie.
Il faut trois conditions pour que le crédit parvienne aux entreprises :
1
. Que les banques aient accès au marché interbancaire (lieu
d’échange permanent des liquidités entre les banques) et en cas
de difficulté, qu’elles disposent de nouvelles ressources.
2
. Que ces banques disposent de fonds propres suffisants (leur
matelas de sécurité) au regard des règles internationales (accords
de Bâle).
3
. Qu’il y ait des clients solvables… (et qui aient envie d’investir).
De tous ces points, seul le premier est de son ressort. En fait,
subtilement, la BCE s’est également emparée du second avec le
quantitative easing. Le catalogue des actions entreprises est
impressionnant.
Résumé de ce chapitre
Le mécanisme de la titrisation (en anglais : securitization ou
securitisation) est d’une grande simplicité. Cette technique
financière est importante en raison de son double impact, au
niveau micro-économique, pour les banques, et macro-
économique pour les marchés, et plus généralement dans le
monde de la finance. Les banques, grâce à la titrisation, peuvent
vendre des crédits existants contre un paiement cash. Elles y ont
recours pour alléger leur bilan par exemple, ou pour modifier leur
politique commerciale en visant de nouvelles catégories
d’emprunteurs sans alourdir leur bilan. Les marchés sont friands
de la possibilité d’investir dans des « paquets » de crédits issus
de secteurs spécifiques et regroupant des centaines ou des
milliers d’emprunteurs différents.
Principe de la titrisation
Pour expliquer ce principe, il faut imaginer un groupe d’amis ayant
ceci de particulier que tous ont consenti un prêt personnel à un tiers
(on suppose, pour simplifier, que les prêts ont les mêmes
caractéristiques de montant et de durée).
Chacun a donc signé un contrat de prêt avec un emprunteur. Partant
du principe qu’une gestion commune des prêts serait plus efficace
qu’une gestion individuelle, ils décident de transférer l’ensemble
des prêts dans une société créée pour la circonstance et qui va jouer
le rôle d’un pool. En contrepartie de son apport dans ce pool, chacun
reçoit un certificat d’un montant correspondant à la valeur du prêt
apporté. Ces certificats, appelés titres, sont au porteur.
On voit déjà un premier avantage : avant cette opération, chacun
était « lié » à son emprunteur par un contrat de prêt. Après, il n’y a
plus de contrat, mais un « titre » donnant droit à remboursement de
la part du pool.
C’est alors qu’une discussion s’engage. Certains des participants
proposent de se retirer, d’autres sont prêts à racheter les parts
disponibles. D’autres, enfin, réfléchissent à une revente possible,
mais en dehors du groupe d’amis. Ils viennent d’inventer la
titrisation, c’est-à-dire la transformation de crédits nominatifs en titres
anonymes et donc cessibles.
Les emprunteurs d’origine sont toujours les mêmes, à savoir les
bénéficiaires des prêts. Ils ne sont plus endettés vis-à-vis des
prêteurs, mais vis-à-vis du pool, ce qui, pour eux est sans
conséquence.
Pour les prêteurs d’origine, c’est comme si le pool s’était substitué
aux emprunteurs. Pour dire les choses autrement, les prêteurs
d’origine détiennent à présent des créances sur le pool. Pour eux la
différence est grande, à double « titre ». D’abord ils n’ont plus à se
préoccuper de la gestion administrative des prêts (collecte,
relance…), mais surtout, ils ont la possibilité de sortir à tout moment
de leur engagement. En contrepartie de ce service, naturellement, ils
consentent à l’administrateur du pool, l’un d’entre eux ou un tiers,
une petite rémunération.
Les prêteurs sont devenus des investisseurs. Ce n’est pas qu’un
changement de vocabulaire. L’investisseur est en effet libre de
retrouver sa mise à tout moment et de choisir un autre placement.
Le prêteur n’a pas ce choix, il est lié par contrat à l’emprunteur et
n’est libéré de cet assujettissement qu’à l’expiration du prêt.
Ces métiers sont très spécialisés, au point que l’on puisse vraiment
parler de cultures différentes. Le trader de la salle de marchés et son
collègue des fusions et acquisitions appartiennent à deux mondes
qui n’ont rien en commun. Tout les sépare, l’origine, la formation, la
personnalité, le mode de rémunération. Il en est de même du
banquier dit « privé », spécialisé dans la gestion des fortunes des
particuliers, que tout sépare de son collègue du financement export,
globe-trotter familier des institutions financières internationales.
Pour illustrer le problème du cloisonnement des métiers, il faut
savoir qu’il est par exemple inutile de parler d’un problème de
financement export à un spécialiste en crédits syndiqués, ou
réciproquement.
La confusion la plus fréquente à cet égard concerne le rôle des
représentants des banques à l’étranger. Ces personnages, par
définition très « visibles », remplissent généralement des missions
précises en relation avec les autorités locales, pour le compte de
leur maison-mère. Par la force des choses, ils jouent aussi un rôle
incontournable d’accueil des clients de passage, lesquels comptent
aussitôt sur un soutien total en faveur de leurs dossiers particuliers.
Or il est inutile d’attendre un tel engagement, ce n’est pas leur job.
Pire même, une intervention ciblée et visible en faveur d’un client
pourrait nuire à leur délicat travail de lobbying local. De même, ces
personnages n’ont aucun pouvoir particulier vis-à-vis des « métiers »
de la maison-mère. Comme tout cela est du domaine du non-dit, les
situations de frustrations sont susceptibles de se multiplier.
On trouve par ailleurs des différences au sein de chaque métier. Des
personnels hautement spécialisés côtoient des généralistes.
Certains inventent de nouveaux produits, d’autres les
commercialisent, d’autres enfin relient le métier à la « machinerie »
interne de la banque, dans le domaine de la trésorerie, de la
comptabilité et du contrôle des risques.
La diversité des métiers de la banque et leur cloisonnement
impliquent de bien savoir qui fait quoi. Il se pose ici un petit problème
d’identification. Si les contenus de ces métiers se ressemblent
fortement d’une banque à l’autre, il n’en est malheureusement pas
de même de la terminologie employée et surtout de l’organisation,
ce qui peut entraîner une certaine confusion.
Problèmes d’organisation
Chaque métier a ses produits particuliers, son type de clientèle ou
de partenaires, son modèle économique, son profil de
collaborateurs, et on comprend dès lors la complexité des problèmes
d’organisation.
L’organisation interne des banques est le résultat du regroupement
des métiers selon des critères choisis en fonction de la stratégie de
chaque institution. On distingue globalement trois types de critères,
les critères « clients », « produits » et « marchés ».
Le problème est que les produits sont souvent multi-clients et qu’à
l’inverse, les clients d’un groupe donné sont concernés par plusieurs
produits. Il est ainsi fréquent d’isoler l’activité de « banque privée »,
ciblée sur les particuliers fortunés, ou de « banque d’affaires »,
ciblée sur les hauts dirigeants. Mais la banque privée doit s’appuyer
sur d’autres métiers, comme « courtage actions » et « produits
structurés ». De même, les clients de la banque d’affaires sont
concernés par les métiers de marchés et les « financements
structurés ».
Toute organisation est donc un compromis présentant d’inévitables
zones de recouvrement. Par ailleurs les organisations évoluent
dans le temps, parfois de manière soudaine.
Deux éléments sont à prendre en considération dans la relation avec
un banquier : son métier et dans certains cas son « grade », qu’il ne
faut pas confondre avec la position hiérarchique. Connaître le métier
de son interlocuteur est capital du fait du cloisonnement rigoureux
des activités bancaires et des responsabilités. Quant au grade, il est
important dès lors que l’on touche aux problèmes de prises de
risques et surtout de rapidité de décision. C’est particulièrement vrai
des métiers de crédit par exemple. À partir d’un certain niveau les
cadres de banque disposent en effet de délégations de crédit
personnelles qui leur confèrent une autorité accrue au sein des
comités de crédit et surtout leur donne la possibilité de prendre des
décisions en dehors du cadre formel des comités des risques, sous
conditions naturellement.
Les grands secteurs d’activité
On en distingue classiquement six :
Le chargé de relation
Comment s’y retrouver alors ? Tout simplement en sachant qu’il est
normal de ne pas savoir et donc et qu’il ne faut pas hésiter à
interroger son interlocuteur. Pour l’entreprise cliente, la clé de la
bonne orientation au sein d’une banque est le « chargé de relation ».
Ces chargés de relation, appelés aussi chargés de clientèle, credit
officers ou senior bankers - la terminologie n’est là aussi pas
toujours très claire - remplissent une fonction commerciale et de
suivi de la relation avec les clients. Leur mission consiste à introduire
ces derniers auprès des différents métiers pouvant répondre à leurs
besoins, mais surtout à « défendre » les intérêts des clients devant
les instances de crédit de la banque.
Le rôle du chargé de relation est donc capital pour le client.
L’importance de ce lien n’exclut pas les contacts directs avec les
opérationnels de tel ou tel métier. Dans certains cas comme, par
exemple dans le contexte du financement export, ce lien direct est
souvent la clé de la réactivité indispensable dans les phases
d’accélération des négociations.
CHAPITRE 16
LES FINANCES D’UNE START-UP
Les premiers pas d’une start-up : le bilan commode
L’exemple choisi est celui de deux amis qui décident de créer une
petite entreprise d’achat-vente d’ordinateurs d’occasion.
É
Étape 1 - Les associés versent leur part dans la société
Chacun met 1 000 € dans l’affaire, en liquide. Le tiroir « caisse »
contient ce premier versement, soit 2 000 €. Plus tard, on va puiser
dans cette caisse pour faire des achats, et, il faut l’espérer,
encaisser des ventes.
Pour s’y retrouver, il faut bien noter quelque part le montant de la
mise initiale des deux associés. C’est à cela que sert le tiroir
« capital ». Dedans il n’y a pas d’argent, mais deux papiers
indiquant seulement qui a versé quoi initialement.
Le schéma symbolique, ci-dessous, représente l’état de la commode
:
Placer son argent dans un fonds est plus simple et plus efficace que
d’acheter soi-même des actions ou des obligations. Les fonds sont
des sociétés ultra-légères et qui fonctionnent un peu comme des
banques. Les hedge funds sont une catégorie de fonds, qui prennent
des risques plus élevés dans des secteurs que délaissent les autres
fonds.
Les fonds dits « classiques » sont créés par les départements
spécialisés des banques, qui en gèrent des centaines. En France on
parle d’OPCVM par exemple. On parle aussi d’assurance-vie pour
désigner des fonds assortis d’avantages fiscaux au niveau de la
succession. Certains fonds sont spécialisés dans l’immobilier, par
exemple, les devises, ou les matières premières. L’activité des fonds
est proche du métier bancaire, mais ne prenant pas de dépôts
publics, ils ne sont pas régulés comme des banques.
Les hedge funds sont plutôt le fait des grandes banques d’affaires
anglo-saxonnes et des professionnels indépendants. Leur
caractéristique est leur modèle d’investissement plus complexe que
celui des fonds « classiques ». C’est pourquoi on parle de shadow
banking ce qui veut simplement dire que leur activité n’est pas
contrôlée aussi sévèrement que celle des banques. La crise des
subprimes a accrédité dans l’opinion l’idée de leur responsabilité et
donc une volonté politique de régulation. La réalité est en fait
beaucoup plus nuancée.
Il faut bien voir l’importance des fonds et des hedge funds dans
l’économie. Ils prennent des risques que ni les banques ni les
investisseurs traditionnels, comme les fonds de pension ou les
sociétés d’assurances, ne voudraient prendre. Il est par exemple
très simple de comprendre qu’une banque de dépôt ne peut pas
risquer les dépôts de ses clients dans ce qu’on appelle le capital-
risque par exemple. On peut dire que les fonds sont à l’origine de la
formidable vitalité du secteur des créateurs d’entreprises
américaines. Sans les hedge funds, pas de success story comme
les Facebook, Google, Amazon, etc.
La France et l’Europe ont besoin de ce type d’investisseurs
puissants et audacieux. Entre le crowd-funding (financement
participatif), les business angels et l’entrée en Bourse, c’est le vide
ou presque. La BPI, organisme d’État ne peut évidemment pas
« trop » risquer l’argent du contribuable.
Ce vide explique l’incapacité des jeunes pousses à grandir vite,
faute de capitaux. Il faut dire aussi que les hedge funds ne sont pas
tous gagnants : beaucoup perdent et perdent beaucoup, certains
disparaissent.
Les fonds
Il y a dans le monde une masse énorme de capitaux disponibles,
estimée à 70 000 milliards de dollars. Qui détient cet argent ? Des
États, des fonds de retraites, des fonds souverains, des entreprises
(Apple aurait plus de 100 milliards de cash), de très riches
particuliers, etc.
Il y a en face de ces ressources des besoins immenses : les
entreprises, les États en déficit, les créateurs d’entreprises.
Et les marchés
Une troisième catégorie d’intermédiaires est apparue, LES
FONDS.
L’industrie des fonds s’est développée à l’initiative des banques et
surtout des banques spécialisées (banques d’affaires, banques
d’investissements) pour faciliter la vie des investisseurs et les
aider à placer au mieux leurs avoirs, en Bourse, sur les marchés ou
directement auprès des entreprises.
Les fonds offrent aux investisseurs des produits de placement sur-
mesure et simples à utiliser. Les plus courants : les SICAV, les fonds
spécialisés. Les plus sophistiqués des fonds et les plus prestigieux
ont été créés par des banques d’affaires new-yorkaises, qu’on
appelle globalement Wall Street. Ou par d’anciens gestionnaires de
ces banques qui se sont mis à leur compte pour créer des hedge
funds.
Selon le degré de risque des placements proposés, les fonds portent
des noms différents. Les investissements sur les marchés d’actions
et les produits dérivés sont les plus risqués, c’est le domaine
privilégié des hedge funds.
Le schéma ci-dessous résume cette situation :
Ce schéma représente l’ensemble de la finance mondiale !
Les flèches montrent le sens de l’argent, qui va de ceux qui ont des
ressources à ceux qui en ont besoin.
1 - Tout en haut, le CIRCUIT DES FONDS.
2 - Plus bas le CIRCUIT DES MARCHÉS : les placements donnent
les financements.
3 - Tout en bas le CIRCUIT DES BANQUES : les dépôts auprès des
banques donnent les crédits.
Les fonds captent l’argent des investisseurs auxquels ils proposent
des placements à haut rendement, supérieurs à l’intérêt servi par les
banques et aux rendements boursiers. Et surtout, certains d’entre
eux utilisent des techniques de couverture pour éviter de perdre
lorsque les marchés d’actions se retournent, lorsque les devises
baissent subitement, etc.
À noter que les marchés représentent ici tous les marchés. Non
seulement la Bourse et le marché obligataire, mais aussi les
marchés des devises, des taux d’intérêt, des produits dérivés, des
matières premières.
Concrètement, comment placer de l’argent dans un fonds ? Tout
simplement en s’adressant à une banque, ou, s’il s’agit de sommes
importantes (millions d’euros), en se tournant directement vers un
fonds connu. Par exemple, Carmignac, en France, Black Rock aux
États-Unis, etc.
Les Allemands « fortunés » sont très friands d’investissements
immobiliers. Des centaines de fonds spécialisés dans ce domaine
prospèrent en Allemagne.
Résumé de ce chapitre
Les règles de construction des états comptables sont
rigoureuses et font l’objet de codification au niveau international.
L’impression d’objectivité qui leur est attachée est cependant
trompeuse, car il y a plusieurs zones de flou quasi-
incontournables.
La première, sans doute la plus épineuse concerne les
provisions pour risques, Le risque de défaillance d’un client ou le
risque d’endommagement des stocks, par exemple ne peuvent
pas être occultés du fait de leur impact possible sur les résultats
de l’entreprise. La difficulté est de déterminer une méthode de
mesure objective.
Un autre problème tout aussi important concerne l’évaluation
d’un bien comme un immeuble ou une participation financière.
Dans ce domaine, la valeur comptable s’oppose à la valeur de
marché. Cette dernière paraît la plus proche de la réalité mais
outre le fait qu’elle varie sans cesse se pose le problème de sa
détermination dans le cas où il n’y a plus de marché.
Les autres problèmes les plus courants concernent les éléments
dits « hors bilan » ou le fait de la dispersion juridique de
certaines entreprises.
Les provisions pour risques
En dépit d’un impératif général de rigueur, certains éléments
essentiels de la comptabilité relèvent de la subjectivité. Il en est ainsi
des méthodes de dépréciation d’actifs et surtout de calcul des
provisions, les provisions pour risques par exemple.
Comment savoir qu’un risque a été surestimé ou au contraire sous-
estimé, voire ignoré ?
Les provisions ont un impact direct sur le résultat, et leur
détermination fait en conséquence l’objet de la plus grande attention
de la part des dirigeants. Il y a certes des mécanismes
autorégulateurs. Ne pas provisionner un risque ou le sous-estimer
volontairement peut être tentant en ce qu’il permet de maintenir un
résultat d’exploitation flatteur… à court terme. Mais si le risque se
matérialise pendant l’exercice suivant, l’impact sur le résultat sera
d’autant plus fort, et le dirigeant peut se voir reprocher un manque
d’anticipation.
L’impact des provisions pour risque est particulièrement sensible au
niveau du résultat des organismes de crédit puisque, par définition,
le risque est inhérent à leur activité. Le problème est que la
détermination du « juste » niveau n’a pas de réponse automatique.
Dans une certaine mesure, la fixation définitive du montant des
provisions relève de critères « politiques », disons de politique
financière.
Certes le commissaire aux comptes et le fisc s’emploient à vérifier le
bien-fondé des provisions. Ils le font par l’observation des
statistiques de retard de paiement, voire par sondage sur certains
dossiers. Mais leurs conclusions sont plus qualitatives que
quantitatives. Comment contester une décision de fixer un taux de
provision à 0,5 % d’un portefeuille de crédits plutôt qu’à 0,75 % ?
La différence de 0,25 % peut paraître minime, puisque 0,25 % d’un
portefeuille de 100 millions d’euros par exemple ne représente que
250 000 euros, mais rapportée au montant des fonds propres, soit 8
millions d’euros (8 % du portefeuille), cette différence représente
3,1 %. En clair, le ROE, le rendement des fonds propres, est amputé
de plus de 3 %.
Le hors-bilan
Certains éléments touchant au patrimoine de l’entreprise ou à des
risques liés à des engagements financiers ne figurent pas au bilan.
On parle ici du « hors-bilan ». En fait, il faut faire une distinction
entre ce qui fait l’objet d’une mention annexée au bilan, le « bas de
bilan », de ce qui n’apparaît pas dans le bilan, le « hors-bilan ».
On peut citer ainsi l’exemple ancien du leasing, ou celui plus récent
des engagements de retraite de certaines entreprises.
Pendant longtemps en France (et actuellement encore dans de
nombreux pays), les financements en leasing n’apparaissaient pas
au bilan des entreprises. C’est d’ailleurs une des raisons qui ont fait
le succès de cette formule. Cela n’a pas empêché les banques
faisant par ailleurs crédit à ces entreprises de considérer les
engagements en leasing comme une dette. La prise en compte de
cette dette « cachée » a en effet une incidence non négligeable en
termes d’analyse de risque.
En France les règles comptables imposent à présent la mention des
engagements au titre des contrats de leasing. L’encours résiduel des
contrats en cours doit être précisé explicitement.
La même chose se produit actuellement ou va se produire en ce qui
concerne le problème des retraites. Les engagements des
entreprises à ce titre sont progressivement révélés, et les montants
qui apparaissent sont souvent considérables, en valeur absolue et
au regard de leurs fonds propres. Ce problème, qui touche des
entreprises moyennes et pas seulement de grands groupes est
moins sensible en France où la notion de retraite « maison » est
moins répandue qu’ailleurs dans le monde.
Le problème le plus délicat du hors-bilan est lié à aux situations de
déconsolidation. Les exemples abondent de situations où la
reconsolidation s’est imposée, ce qui a pour conséquence une
modification profonde de la structure du bilan.
La crise des subprimes en fournit à nouveau l’illustration, dans le
domaine de la banque. certaines d’entre elles avaient créé des
structures juridiques indépendantes, en dehors de leur périmètre de
consolidation. Ces structures ont finalement dû faire l’objet de
réintégration comptable avec à nouveau un effet de bouleversement
des ratios de bilan.
La dispersion juridique
L’effet de flou est particulièrement marqué dans le cas de la
dispersion de l’activité de certaines entreprises. Ce phénomène, qui
n’est pas seulement le fait de groupes internationaux, touche
également des PME. Il semble concerner les ensembles familiaux,
quelle que soit leur taille.
Toutes les entreprises, à des degrés divers, ont recours à
l’optimisation fiscale. Ces pratiques conduisent certaines d’entre
elles à créer des sociétés plus ou moins fictives de concentration
des flux de trésorerie, ou à transférer ailleurs le siège de l’une de
leurs activités. On peut citer à titre d’exemple les centres de
coordination en Belgique ou l’attrait particulier de la Hollande comme
siège principal. Ces « délocalisations » juridiques partielles
n’affectent pas vraiment la lisibilité comptable et financière de
l’ensemble.
Un vrai problème d’opacité apparaît en revanche dans certains
groupes, par une sorte d’effet champignon. Une multitude de
sociétés sont créées, sociétés de patrimoine, sociétés de services
ou sociétés à vocation financière. Ceci peut même concerner
l’activité industrielle du groupe, littéralement « éclaté » entre
plusieurs entités juridiques. L’ensemble repose sur un système de
prestations interentreprises. Chaque unité reçoit et apporte - contre
rémunération - des biens et/ou des services aux autres.
Certes les entreprises pratiquent la fusion des comptes de
l’ensemble des sociétés, ce qu’on appelle la consolidation. Mais là
aussi les méthodes sont différentes d’un continent à l’autre. L’image
résultante de cette consolidation peut être trompeuse.
Dans ce contexte l’analyse de crédit devient un véritable casse-tête.
Ce n’est pas seulement le calcul des agrégats comptables et des
ratios qui pose alors problème, mais surtout la détermination de la
contrepartie juridique la moins risquée.
CHAPITRE 19
LE CASH-FLOW
Résumé de ce chapitre
Le cash-flow est utile pour comprendre des sujets plus généraux
: comment les banques (ou les agences de notation) s’y
prennent pour mesurer la qualité de signature des emprunteurs,
comment les banques d’affaires évaluent la valeur des
entreprises et... comment il faut négocier les crédits avec les
banques. C’est donc un sujet technique, un sujet qui a pris une
place importante dans le cursus des écoles de commerce. Sa
compréhension repose sur la notion d’amortissement.
Principe
Le concept de cash-flow répond à une question simple : quelle est la
« vraie » marge créée par une entreprise ? Qu’est-ce que cette
entreprise gagne vraiment ?
La réponse à cette question n’est pas évidente. Le premier réflexe
est de se référer au résultat net tel qu’il ressort de la comptabilité. Ce
résultat comptable a le mérite d’exister et d’être publié. C’est
d’ailleurs la référence du calcul de l’impôt et des dividendes. Mais ce
n’est pas si simple.
Le problème est qu’il n’est pas un bon indicateur de la rentabilité, car
il y a des éléments qui « perturbent » son calcul. C’est le cas des
provisions et surtout de l’amortissement, qui ne représente pas une
dépense réelle, mais qui peut le devenir, lorsque l’entreprise change
son matériel.
Pour permettre d’apprécier pleinement la performance d’une
entreprise, ou pour comparer des entreprises entre elles, on a donc
recours au cash-flow qui est un bénéfice net retraité, c’est-à-dire
calculé comme s’il n’y avait pas d’amortissement.
À noter qu’il existe une autre interprétation du cash-flow, au sens de
l’analyse de la trésorerie de l’entreprise sur une période donnée.
Calcul
Voici la première définition du cash-flow. C’est la plus courante, celle
qui est par exemple enseignée aux étudiants des business schools
et utilisée par les analystes de crédit.
CASH-FLOW =
BÉNÉFICE + AMORTISSEMENT
Notion d’amortissement
Le bénéfice, tout le monde « voit » ce que c’est, mais
l’amortissement, c’est moins clair. Pour comprendre il faut faire une
incursion dans la comptabilité.
L’amortissement est un drôle de concept, c’est un concept flou. Plus
précisément, son calcul est flou dans l’univers rigoureux de la
comptabilité. Il y a d’ailleurs d’autres concepts de même nature
(comme les provisions évoquées ci-dessus).
Cet aspect des choses n’est pas explicité aux étudiants. Le discours
convenu et l’usage comptable indiquent que l’amortissement est lié à
la durée de vie, donc à l’obsolescence des investissements. Sauf
que personne n’est capable de déterminer cette durée de vie avec
exactitude.
Pour expliquer l’origine de l’amortissement, un petit détour. Le
bénéfice est grosso modo la différence entre les revenus et les
coûts. Le bénéfice du boulanger, par exemple, est ce qui reste
quand on retire du produit des ventes de pain les dépenses liées à
cette activité, l’achat de farine, le salaire de la vendeuse, l’électricité,
etc. Mais supposons qu’un jour le boulanger décide de changer son
four. Grosse dépense, énorme dépense même, susceptible de
bouleverser le calcul de son bénéfice. Ce bénéfice va fortement
diminuer, peut-être se transformer en perte l’année de l’achat, même
si les ventes de pain connaissent un bel essor. Donc le bénéfice
calculé de cette manière ne rendrait plus compte de la performance
économique.
Pour se rapprocher de la réalité « économique », « on » a eu l’idée
d’étaler la dépense d’investissement dans le temps. Plutôt que la
considérer en totalité, cette dépense est fractionnée sur plusieurs
années successives. Et pour rendre comparables les calculs de
bénéfices, on a défini des durées-types par catégories
d’investissements. Le critère retenu a été celui de la durée de vie
estimée des investissements concernés. « On » c’était les
associations de normalisation comptables. Le fisc s’en est mêlé,
puisque l’étalement change le calcul de l’impôt annuel sur les
bénéfices.
Résultat : une mesure de bon sens, mais des interprétations
multiples. Cela explique pourquoi la plupart des entreprises ont au
moins deux comptabilités, une comptabilité disons « économique »
et une comptabilité fiscale. Le but n’est pas le secret ou la fraude.
Cela résulte simplement des différences d’interprétations de certains
concepts - par exemple l’amortissement - entre l’administration
fiscale et les normes comptables. Quand on sait que les normes ne
sont pas encore harmonisées au plan fiscal et que chaque fisc a ses
« particularités », on imagine le casse-tête des auditeurs chargés de
faire les états consolidés d’une multinationale…
Utilité du cash-flow
Le cash-flow est utile pour évaluer la rentabilité et la valeur des
entreprises. Cet élément dérivé de la comptabilité intéresse donc au
premier chef les banquiers qui prêtent, les agences de notation et
les banquiers d’affaires impliqués dans les opérations en capital :
ventes d’entreprises, introduction en Bourse, fusions, etc.
Les banquiers qui prêtent, et les agences de notation, utilisent les
ratios de cash-flow, comme par exemple le ratio cash-flow/chiffre
d’affaires, mais ce n’est qu’un ratio parmi d’autres. L’analyse de
risque est une discipline qui demande une technique rigoureuse,
bien sûr, mais aussi la capacité de jugement. Et cette capacité de
jugement s’acquiert avec l’expérience. Un peu comme le médecin
qui se doit d’ajouter un « vécu » à ses connaissances théoriques.
Les banquiers d’affaires et les sociétés de conseil utilisent la très
populaire méthode dite des Cash-Flows Actualisés (Discounted
Cash-Flows) qui est l’une des méthodes d’évaluation de la valeur
d’une entreprise. En pratique cette méthode est utilisée
conjointement avec d’autres, comme la valeur comptable, la valeur
en Bourse, ou la valeur actualisée des dividendes. Comme toujours,
en matière de prix, le « vrai » prix est celui qui est effectivement
payé à un moment donné par un acheteur.
Flux de trésorerie
Il existe une autre interprétation du cash-flow au sens des flux
financiers, et de l’analyse de la trésorerie.
Cette interprétation ne contredit pas vraiment la précédente mais
elle risque de semer le trouble. Dans cette lecture, il est considéré
que l’activité de l’entreprise génère progressivement un flux de
liquidité tout au long de l’année. Ce flux n’apparaît pas dans la
comptabilité car il est disséminé dans l’entreprise. Une partie est
notamment absorbée par les variations de stocks, le crédit client et
le crédit fournisseur (ce qu’en jargon comptable on appelle le besoin
en fonds de roulement, le BFR ). Le point le plus déroutant relève et
de la terminologie et de l’apparente confusion des concepts.
Un directeur financier d’une entreprise mobilise parfois ses troupes
sur le thème : « Il faut réduire le BFR ». Dans les mêmes
circonstances, le discours de son homologue d’un groupe américain
aurait été : « We have to increase our CASH-FLOW. »
Dans les deux cas, il s’agit en fait du même message, exprimé
différemment. Le but recherché est d’améliorer la trésorerie de
l’entreprise, de manière à produire deux effets : réduire
l’endettement et donc réduire les frais financiers.
Le calcul du « flux de trésorerie » figure dans les rapports annuels
des sociétés. Le point de départ est le cash-flow de « rentabilité »,
auquel on ajoute, ou retranche tous les éléments ayant affecté la
liquidité.
Ebitda
La formule signifie earnings before interest, taxes, depreciation and
amortization, ce qui se traduit par « marge avant frais financiers,
impôts et amortissements ». L’idée est de savoir ce que l’entreprise
a gagné AVANT ses amortissements (comme le cash-flow), AVANT
de payer ses impôts (qui varient d’un pays à l’autre), AVANT ses
provisions et les frais financiers (qui, l’un et l’autre, ne sont pas liés à
l’activité).
L’ebitda se calcule à partir du cash-flow (ebitda = cash-flow
(bénéfice net plus amortissement) + impôts + intérêts + provisions).
L’ebitda intéresse surtout les marchés. Dans un secteur donné, la
comparaison des ebitda des entreprises permet d’identifier celles qui
sont promises aux meilleures performances boursières.
Une harmonisation internationale n’a pas pu être trouvée sur
l’utilisation et le sens du mot cash-flow. Il faut donc s’habituer à la
coexistence de termes et de concepts différents, dont chacun
correspond à un contexte professionnel particulier : ebitda, marge
d’autofinancement, cash-flow libre.
Cette diversité de points de vue explique la difficulté à codifier cette
notion de cash-flow. On comprend la complexité des rapports
annuels sur ce point. Ces rapports annuels sont destinés à un large
public : les banques prêteuses, les analystes de Bourse, les
investisseurs futurs, les actionnaires du moment, etc. Les rapports
annuels donnent tous les éléments permettant à chacun de faire
ressortir l’agrégat qui l’intéresse.
4e Partie
COMPLÉMENTS
CHAPITRE 20
S’INFORMER, SE FORMER : OÙ,
COMMENT ?
Comment faire ?
Mais comment faire, puisque le temps de chacun est limité. Il suffit
d’adopter une discipline très simple. S’interdire la lecture des faits
divers ou de l’actualité. Pour rester au courant, la radio en voiture
suffit. Le temps précieux de la lecture doit être efficace. Donc choisir
ses sujets, deux ou trois. Politique intérieure, relations
internationales, économie. Ajouter à cela quelques dossiers
particuliers, certaines entreprises, conseils boursiers, suivi d’un
secteur industriel.
Le programme idéal
Tôt le matin : New york times, spiegel, ilsole24ore - 30-45min
La @-revue de presse internationale
C’est le moment de la revue de presse, personnalisée, sur Internet.
De préférence sur grand écran voire tablette, genre iPad mini.
L’écran permet la vue d’ensemble et la sélection rapide des articles
du domaine « éco-fi ». Il faut faire l’effort de ne pas s’attarder sur
l’actualité « ludique » et privilégier les grands sujets d’intérêt mondial
donc susceptibles d’être abordés dans chaque journal, ce qui permet
les comparaisons. Si le temps manque, il est facile de « marquer »
un article pour une lecture ultérieure. La manière la plus simple de
faire est de s’envoyer un mail à soi-même ou via sa page facebook.
Il est très facile de créer un compte facebook dédié, qui devient une
sorte de bibliothèque personnelle et partageable des meilleurs
articles, consultables à tout moment.
Quels journaux Internet ? Pour les étrangers, New York Times,
Spiegel, El Pays et Il sole24ore sont les plus agréables à parcourir et
surtout gratuits ou à peu près. Il faut compter quelques six mois de
pratique patiente pour être à l’aise dans le vocabulaire économique
de chacun d’eux. À l’exception du Spiegel, qui demande une vraie
connaissance de la langue. On peut faire l’impasse sur les versions
Internet des journaux français. Le Monde et Le Figaro réservent les
analyses de fond aux abonnés. Les Échos deviennent payants après
quelques articles consultés et le site, trop touffu, ne permet pas une
« revue de presse » rapide.
Matinée : Les Échos
Le journal papier
Le quotidien économique français est incontournable, son format
agréable. Les Échos est le quotidien de référence en France pour ce
qui est de l’économie et de la finance. Comme ailleurs l’autocensure
est bien présente. Il ne faut pas mécontenter son électorat de base,
cadres et dirigeants de banques, ou d’entreprises.
Midi : Bloomberg : 1 heure
Le moment de qualité « universitaire »
Ce moment de la journée est susceptible d’être le plus riche, à
condition de disposer d’une plage d’environ une heure. C’est le
moment de la chaîne Bloomberg. Cette chaîne de télévision peut
être suivie en direct partout, en 3G et a fortiori en 4G sur n’importe
quel support, y compris le Smartphone. Dans ce dernier cas, les
graphiques ne sont pas très lisibles, mais ce n’est pas fondamental.
On peut la suivre également en version Internet, avec en prime, le
différé. Un must, disponible en chaîne télé ou via Internet. L’intérêt
de cette chaîne est multiple. Une forme d’objectivité, d’abord qui
résulte d’une attitude de questionnement permanent. L’équipe de
journaliste fait défiler une suite d’« experts » d’origines différentes.
Ce sont des CEO ou des CFO de grandes sociétés ou de grandes
banques. Les choix sont faits naturellement en fonction des
problématiques d’actualité. Sont également sollicités des
universitaires. Entre deux interviews, menés à plusieurs, les
journalistes discutent entre eux. Ils le font sur la base des données
économiques et financières du moment et leurs explications sont
illustrées par de très nombreux graphiques. Le niveau est élevé, les
discussions sont techniques. C’est vraiment une chaîne de « pros ».
Une sorte de cours d’université en continu.
Bloomberg TV mérite une mention spéciale. La chaîne est de niveau
quasi-universitaire. Il y a vraiment un cap à passer avant d’en
apprécier toutes les vertus. Il faut bien connaître le sens des mots et
des concepts « basiques » comme IPO, hedge funds, leverage,
swap, etc., tous ces éléments sont expliqués dans le site de e-
learning de l’auteur, et avoir aussi une culture économique elle-
même « basique ».
La diversité des intervenants, la qualité des journalistes donnent au
moment Bloomberg une dimension inégalée. Il n’y a pas de vérité
affirmée, mais un questionnement permanent et une atmosphère de
courtoisie. L’impression de recherche de la vérité fait penser à un
monde universitaire idéalisé, où le discours serait multiple et non
plus dépendant d’un seul « professeur censé détenir le savoir
universel ». C’est mieux qu’un MOOC.
Le soir : les journaux papiers français 30 min
Les journaux français permettent de trouver des analyses plus libres
du camp adverse. Le Figaro en France renseigne mieux sur ce qui
se passe à gauche que son grand concurrent du soir, à condition
d’éviter les tribunes polémiques. Le Monde excelle en pépites
inattendues, reportages insolites, biographies ou autres. L’économie
et la finance ne sont pas son point fort. Encore moins que Le Figaro,
dont les pages saumon n’ont de l’imitation du FT, le Financial Times,
que le point commun de la couleur.
Le week-end : The Economist 30 min
C’est l’hebdo le plus vendu dans le monde. La langue est
impeccable. La particularité de ce magazine est que les articles ne
sont pas signés et sont tous censés représenter l’opinion du journal.
Une opinion « pro-british », comment en douter donc prompte à
mettre en exergue les défauts réels ou supposés de l’Europe. Le
magazine vendu en dehors du Royaume-Uni est dépourvu de
publicité, ce qui le rend particulièrement agréable. La ligne est « pro-
british », ce qui ne doit pas surprendre. Les contenus sont plus
politiques qu’économiques.
CHAPITRE 21
L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉCONOMIE ET DE
LA FINANCE
L’enseignement de l’économie en France ne paraît pas en rapport
avec l’importance du sujet dans le monde actuel. Du lycée à
l’université, en passant par les écoles de l’enseignement supérieur,
ce domaine est loin d’occuper la place qu’il mérite dans les
programmes de l’éducation nationale. L’économie, au sens large
c’est-à-dire incluant la banque et la finance, est le parent pauvre de
l’enseignement.
Et quand il est effectivement question d’économie, la manière de
présenter les choses fait apparaître de nombreuses lacunes. Ainsi,
du lycée à l’université en passant par les écoles d’ingénieurs ou les
écoles commerciales, il n’est vraiment question ni des banques, ni
de l’euro, ni de la BCE. Ceci bien sûr en dehors des enseignements
bancaires spécialisés délivrés ici et là.
Dans les écoles de l’enseignement supérieur par exemple,
l’enseignement de l’économie met l’accent sur deux volets, la
pensée économique et la modélisation mathématique, ce qu’on
appelle l’économie quantitative.
Quant à la partie « entreprises », cet enseignement aborde des
sujets très spécialisés, comme l’étude de la liasse fiscale ou du
cash-flow. Entre macro-économie et micro-économie, le gouffre est
béant. Le rôle des banques et des marchés dans le financement de
l’économie, la problématique des entreprises confrontées à la
globalisation, sont des sujets à peine évoqués. La pensée
économique et la modélisation mathématiques ne sont pas sans
intérêt, mais un enseignement réduit à ces sujets manque l’objectif
pédagogique principal qui est de donner aux apprenants les outils
d’une compréhension du monde.
Ce qui manque sans doute le plus est certainement une approche
globale des différents sujets. Dans le monde réel, il n’y a pas d’un
côté les entreprises, puis la banque et par les banques et plus loin
les marchés. Dans le monde réel, ces sujets sont liés. Il ne suffit pas
de nommer les choses, il faut aussi les expliquer et les mettre en
perspective en relation avec l’actualité.