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Financements
structurés
Innovations et révolutions financières
2e édition
Charles-Henri Larreur
Banquier d’affaires
Professeur à HEC
y Crowdfunding. Les clés du financement participatif, Adnane Maalaoui et Pierre Conreaux (coord.),
2014
y Digital Warketing. Créer et développer son marketing digital, Yannick Chatelain, 2013
y Droit du marketing, Caroline André et Emmanuelle Rigaud, 2014
y L’Entreprise coopérative. L’organisation de demain ?, Vassili Joannidès et Stéphane Jaumier
(coord.), 2014
y L’Entreprise humaniste. Le management par les valeurs, Jacques Horovitz (coord.), 2013
y E-réputation. Stratégies d’influence sur internet, Édouard Fillias et Alexandre Villeneuve, 2010
y Infodesign. Le management visuel de l’information à l’heure du Big Data, Yann Guilain, 2013
y Management participatif. La coopération au service de la performance, Laure Letellier, 2013
y Médiatiser sa boîte. Doper son business grâce aux relations presse, Valérie Bauer et Emmanuelle Souffi,
2013
y Nouveaux enjeux de la GRH. Pratiques actuelles et études de cas, Nicolas Arnaud (coord.), 2013
y Storytelling et Contenu de marque. La puissance du langage à l’ère numérique, Jeanne Bordeau, 2012
y Stratégies d’investissement. Les secrets de la fortune des Hedge Funds, Sébastien Laye, 2012
ISBN 9782340-065673
©Ellipses Édition Marketing S.A., 2022
8/10 rue la Quintinie 75015 Paris
Remerciements 7
Préface 9
Introduction 13
Chapitre 1 Introduction 25
Cas 1 Le LBO Harley-Davidson (1981-1986) 33
Chapitre 1 Introduction 77
Cas 3 Le financement de la tour Eiffel 84
Chapitre 2 Structuration 89
Cas 4 La presque faillite de Disneyland Paris 107
Partie 4 : L a titrisation
Conclusion 217
Index des entreprises présentes ou passées citées dans cet ouvrage 235
Bibliographie 239
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Les hommes
Les années 1970 sont une décennie pendant laquelle les hommes qui com-
mencent à prendre le pouvoir dans les banques américaines n’ont pas connu
les affres de la Grande Dépression. Ils sont sans doute plus audacieux (ou
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moins prudents) que leurs aînés et ont, en tout cas, moins de remords à
structurer des transactions avec un fort effet de levier1.
Parmi cette vague de banquiers ambitieux, certains introduisent ou popula-
risent de nouveaux types de financement. Ainsi, chez Bear Stearns, Jerome
Kohlberg, Henry Kravis et George Roberts créent le marché du LBO. Chez
Drexel Burnham, Michael Milken multiplie les émissions d’obligations à haut
rendement (high yield bonds). Enfin, chez Salomon Brothers, Lewis Ranieri et
ses traders structurent les toutes premières titrisations2.
Le contexte
Cette vague d’innovations financières est en partie conditionnée par l’évo-
lution du cadre réglementaire américain. À partir des années 1970, la libé-
ralisation des marchés financiers permet en effet de structurer ou de vendre
plus facilement certains produits de dette à de nouveaux types d’investisseurs
(compagnies d’assurances, caisses de retraite, etc.). D’une façon plus générale,
la déréglementation des années 1980 et 1990, sans être toujours directement
à l’origine des grandes innovations financières, offre un environnement éner-
gisant qui stimule la concurrence entre banques et le développement de ces
nouveaux types de montages.
Plus prosaïquement, les années 1980 et suivantes correspondent aussi à une
période de généralisation de l’informatique en entreprise et plus particulière-
ment dans les banques. Les logiciels de calcul de type Excel ou les terminaux
Bloomberg offrent par exemple des outils qui permettent aux financiers de
mettre plus facilement en place des montages structurés.
La demande
Le développement de ces nouveaux schémas financiers s’explique aussi parce
que les solutions de financement qu’ils proposent conviennent aux évolu-
tions économiques du moment. Du fait des chocs pétroliers, les années 1970
correspondent en effet à une période de forte augmentation des coûts de
l’énergie. Les compagnies pétrolières multiplient les initiatives pour limiter
1. Pour rappel, l’effet de levier est le rapport dette/capitaux propres utilisé pour financer un actif, que cet actif
soit une entreprise, un bien immobilier ou autre. Plus il est élevé, plus le recours à l’endettement est important.
2. Si on fait un parallèle avec l’industrie de l’asset management, un secteur de la finance assez lointain des finance-
ments structurés, on s’aperçoit que c’est à peu près à la même époque que les premiers hedge funds apparaissent,
d’abord avec Alfred Jones puis avec George Soros et Michael Steinhardt. C’est comme si, à Wall Street, à cette
époque, une jeune génération de financiers amenait un vent frais et des idées nouvelles.
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1. On trouve aussi, indifféremment, les termes Special Purpose Company (SPC) ou Special Purpose Entity (SPE).
Les trois expressions sont parfaitement équivalentes.
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Investisseurs Investisseurs
en capital en dette
SPV
Acquisition Rendement
Actif
Cependant, sans rentrer dès maintenant dans les détails de chaque schéma,
on peut résumer en quelques points certaines généralités sur les financements
structurés. Ce sont d’ailleurs ces similarités qui nous permettent de regrouper
tous ces montages dans une seule et même famille, celle du structured finance.
Si les raisons que nous évoquons ci-dessous semblent un peu abstraites à
un lecteur sans grand bagage financier, nous lui proposons de les retrouver
dans notre conclusion. Là, nous reprendrons un à un tous ces déterminants
et nous les comparerons aux montages que nous avons découverts en détail
dans le livre. Nous conseillons également au lecteur, à la fin de chaque cha-
pitre, de reprendre les six raisons fondamentales évoquées ci-dessous (cinq
d’ordre financier, une d’ordre réglementaire) et de vérifier en quoi le schéma
qu’il vient de voir répond à ces critères.
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1. Nous prévenons d’avance le lecteur que les explications qui vont suivre sont complexes. Elles sont cependant
essentielles pour comprendre la pertinence des financements structurés. Nous remercions d’avance le lecteur
pour sa patience.
2. Les accords Bâle II sont signés en 2004, ceux de Bâle III en 2010 et ceux de Bâle IV en 2017.
3. Les réserves ne sont rien d’autre que des profits non distribués, c’est-à‑dire un renoncement aux dividendes de
la part des actionnaires. Les réserves sont donc un apport indirect de ces derniers. Tout se passe comme s’ils
réinvestissaient leur droit au profit dans l’entreprise.
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donc pas financer la totalité des prêts qu’elle accorde uniquement par les
dépôts de ses clients.
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de 20 millions de dollars s’il s’agit d’un prêt à Allianz et de 100 millions dans
l’autre cas. Lorsqu’elle prête 100 millions à Allianz, une banque doit donc
utiliser au minimum 1,6 million de dollars de fonds propres (8 % × 20) alors
qu’elle doit en immobiliser 8 millions, soit cinq fois plus si elle veut prêter
la même somme aux deux adolescents (8 % × 100).
Avec cette approche pondérée du risque, le régulateur redresse la situation
paradoxale évoquée plus tôt. Alors que dans un système sans RWA dans lequel
chaque créance est prise en compte pour son montant nominal, il aurait été
plus rentable de prêter à la start-up, il est – avec le système proposé par Bâle
– plus intéressant désormais de s’engager avec Allianz.
1. L’expression « sans doute » pourra surprendre un lecteur non averti mais sans rentrer dans les méandres de
Bâle II et III, c’est souvent à la banque prêteuse elle-même que revient de calculer l’impact d’une garantie en
termes de RWAs. Notre exemple n’est ici donc qu’illustratif même si le montant de 20 % est sans doute proche
de la réalité.
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Montant
Montant
de fonds propres
Type Montant pondéré
que la banque
de financement du financement du financement
doit utiliser
(RWA)
(8 % × RWA)
Prêt à une société
non notée
100 100 8
par les agences
de notation
Prêt à Allianz
100 20 1,6
(noté AA par S&P)
Prêt à Allianz
avec garantie 100 env. 4 env. 0,32
sur le siège social
1. Nous rappelons ici une évidence pour le lecteur averti : un prêt à une entreprise est un passif pour celle-ci mais
un actif pour la banque qui l’accorde.
2. Nous rassurons le lecteur : il vient de terminer le passage le plus complexe du livre. Il mérite une médaille s’il
a tout compris. Si quelques doutes subsistent, il faut juste comprendre que la régulation actuelle oblige les
banques à financer leurs prêts avec une part minimale obligatoire de fonds propres. Les financements structurés
permettent souvent, d’une façon ou d’une autre, de diminuer cette part minimale. Cela permet mécaniquement
d’augmenter la rentabilité des fonds propres (car la banque mobilise moins de fonds propres pour financer le
même prêt ou actif).
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Pour les lecteurs qui ne connaissent pas les LBOs, nous espérons qu’ils
pourront découvrir ici les mystères de cette technique. Pour les autres, nous
souhaitons qu’ils redécouvrent ces montages ou qu’ils réapprennent à les
connaître.
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1. Définition
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Le leveraged buyout
Acquéreur Prêteurs
Échéances
Capital Dette
du prêt
HoldCo
Capital
Dividendes
100%
Cible
Point important, la dette apportée par les prêteurs est dite sans recours (non-
recourse), c’est-à-dire que si la cible ne génère pas assez de cash flows ou de
dividendes pour rembourser la dette, les prêteurs n’ont aucun recours juri-
dique ou financier sur les investisseurs en capital. Les prêteurs doivent prendre
ce risque en considération avant de rentrer dans une opération. Ils doivent
calibrer leur dette uniquement en fonction 2 du potentiel de la société cible.
En contrepartie, les prêteurs obtiennent généralement un nantissement sur
les actions de la holding et de la société cible (même si ce n’est pas toujours
le cas). Ils exercent ces nantissements dans le cas où la Holdco ou la cible
sont en défaut. Les prêteurs peuvent ainsi prendre le contrôle de la cible et
potentiellement la revendre ou revendre ses actifs pour limiter leurs pertes.
Le MBI (Management Buy-In) est un LBO dans lequel les acquéreurs sont
cette fois-ci des managers extérieurs à la société cible. Le cas le plus fréquent
est la vente d’une PME à un repreneur individuel qui finance une partie de
l’acquisition par un emprunt. Là encore, l’acquisition peut être faite par le
manager seul ou en lien avec un fonds d’investissement.
Le BIMBO (Buy-In Management Buyout) est une opération de rachat dans laquelle
des managers en place et des managers extérieurs participent ensemble au
rachat de la société cible. Là aussi, ce rachat peut se faire par ces managers
seuls ou en association avec un fonds d’investissement. Pour certaines grosses
opérations, les fonds d’investissement apprécient ce type de structures. Cela
leur permet de s’appuyer sur le savoir-faire des équipes existantes et d’in-
troduire les compétences extérieures nécessaires pour faire grandir la cible.
Enfin, le Build-Up est un LBO orchestré par une société sous LBO dans l’op-
tique de créer un groupe industriel qui permette de dégager des synergies
entre les deux entreprises. Dans ce cas, la nouvelle société est acquise direc-
tement par la cible par addition de dette (et potentiellement de capital) au
niveau de la HoldCo.
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doper la rentabilité des capitaux propres mais peut, à l’inverse, s’il est trop
élevé, assommer l’emprunteur en cas de retournement de marché.
Si les dividendes de la cible ne sont pas au rendez-vous, la HoldCo peut être
mise en faillite ou l’ensemble du montage peut être restructuré. C’est l’exemple
notamment du LBO sur Fraikin, le groupe de location de véhicules industriels.
En 2017, devant l’incapacité de la HoldCo de rembourser la dette d’acquisi-
tion, les prêteurs ont pris le contrôle de la holding de reprise de Fraikin. Les
actionnaires (les fonds CVC et Eurazeo notamment) ont perdu la totalité de
leur investissement et une partie de la dette a été convertie en capital, dimi-
nuant ainsi le montant total de la dette d’acquisition (de 730 m € à 265 m €).
L’échec du LBO Fraikin est un véritable cas d’école car la société elle-même
n’était pas en difficulté d’un point de vue opérationnel. En revanche, sa per-
formance ne permettait pas la distribution de dividendes suffisants pour
payer le service de la dette d’acquisition.
Le régime mère-fille
Le régime mère-fille (articles 145 et 216 du code général des impôts) permet
à la HoldCo de toucher les dividendes payés par la société cible en quasi-
franchise d’impôts. Cette disposition fiscale prévoit que si une société détient
plus de 5 % du capital d’une autre société, les dividendes versés sont exemptés
d’impôts à 95 %. En clair, la HoldCo n’est redevable de l’impôt sur les sociétés
que sur 5 % des revenus versés par sa filiale.
Le principe du régime mère-fille trouve son origine dans le développement
des groupes de sociétés. Pour éviter que les profits d’une filiale d’un groupe
soient taxés deux fois, d’abord au niveau de la filiale puis au niveau de la société
mère, le législateur a introduit ce concept de régime mère-fille. Dans le cas
précis du montage LBO, ce sont les acquéreurs de la cible qui en bénéficient.
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L’intégration fiscale
L’intégration fiscale (article 223 A du code général des impôts) permet – sous
conditions – à deux sociétés de fusionner leurs résultats fiscaux et de remplir
une déclaration d’impôts commune. Pour cela, il faut que l’une des sociétés
détienne plus de 95 % du capital de l’autre.
Cette intégration revêt un caractère fondamental dans un LBO. En effet, dans
un tel schéma, la HoldCo a un résultat fiscal fortement négatif : elle déduit
de son résultat les charges d’intérêt de la dette d’acquisition mais reçoit des
dividendes en quasi-franchise d’impôt (du fait du régime mère-fille). À l’inverse,
la société cible dégage en toute logique un résultat positif. C’est d’ailleurs
ce qui lui permet de verser les dividendes qui vont rembourser l’emprunt
souscrit par la HoldCo. L’intégration fiscale permet de fusionner le résultat
fiscal positif de la société cible avec le résultat fiscal structurellement négatif
de la HoldCo. Ainsi, alors que l’activité de la société cible est restée identique,
le nouvel ensemble composé de la HoldCo et de la société cible paie moins
d’impôts que la société cible seule avant l’opération.
En France, il existe plusieurs limites à la déductibilité des intérêts, la plus
célèbre étant que les intérêts des emprunts contractés par la HoldCo pour
racheter la cible ne sont déductibles que si les actionnaires directs ou indirects
de la HoldCo ne sont pas majoritairement les anciens actionnaires de celle-ci1.
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La fusion entre les deux entités est possible mais elle reste complexe d’un
point de vue financier et juridique :
− financièrement, la fusion peut poser problème car elle dilue les action-
naires de la HoldCo s’il existe des minoritaires au niveau de la société
cible. Grâce au LBO, l’acquéreur contrôle en effet la cible avec un mini-
mum de fonds propres. En cas de fusion, les minoritaires de la cible
vont donc avoir une part dans la nouvelle structure fusionnée plus
importante que dans la société cible à l’origine ;
− juridiquement, la fusion peut être interprétée comme allant à l’encontre
de l’intérêt social de la cible. Cette dernière ne gagne en effet rien à la
fusion : elle ne fait qu’hériter dans son bilan d’une dette qui a servi à
sa propre acquisition. L’administration fiscale peut donc refuser la
déductibilité des intérêts de la dette d’acquisition.
Au final, pour toutes ces raisons, il est toujours un peu compliqué avant
un délai de plusieurs années de fusionner rapidement les deux sociétés, en
France en tout cas.
Alternativement, on procède parfois à un debt push down, c’est-à‑dire à un
déplacement de la dette au niveau de la cible. Cela peut être fait en distri-
buant un dividende exceptionnel à la HoldCo qui permet de rembourser la
dette d’acquisition et qui est financé par endettement au niveau de la cible.
Là aussi, cependant, un tel procédé ne peut être employé que dans le respect
de l’intérêt social de la cible.
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Le Build-up
Le LBO de build-up donne une autre perspective au levier managérial. Dans
ce scénario en effet, une entreprise en rachète une autre sans forcément inté-
resser les dirigeants de la cible au capital. C’est donc ici plutôt l’existence de
synergies entre l’acquéreur et la cible qui permet de dégager un surplus de
performance.
Parmi les avantages possibles offerts au nouveau groupe du fait du rappro-
chement des deux entités, on peut citer :
− des capacités d’investissement et de développement accrues ;
− une ouverture vers de nouveaux clients ou marchés jusque-là inaccessibles ;
− un partage des meilleures pratiques entre les différentes entités du
groupe ;
− des synergies de coûts liées aux achats et aux fonctions internes ;
− un accès plus facile aux crédits ;
− etc.
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Les difficultés
En 1965, pour financer de nouveaux plans de développement, Harley-Davidson
entre en bourse même si, à cette date, les familles fondatrices contrôlent
encore une partie du capital. Quatre ans plus tard cependant, l’intégralité
de la société est acquise par le groupe AMF, un conglomérat spécialisé dans
les équipements de loisirs dont le patron, Rodney Gott, est un fan de Harley.
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Cette nouvelle phase dans l’histoire de la marque coïncide avec les premières
vraies difficultés du groupe. Concurrencées par les modèles japonais, les
Harley traînent la réputation de véhicules chers et peu fiables.
Arrivées sur le marché américain à la fin des années 1950, les marques Honda,
Yamaha, Suzuki et Kawasaki sont à l’origine regardées de haut par Harley-
Davidson. Elles se concentrent en effet sur les petites motos alors que Harley
est spécialiste des grosses et moyennes cylindrées. Ce manque de réaction
permet aux marques japonaises de s’installer tranquillement. Le chiffre
d’affaires de Honda aux États-Unis passe de 500 000 à 77 millions de dollars
entre 1960 et 1965.
À partir des années 1970, les marques japonaises entrent dans une seconde
phase de développement. Elles utilisent les positions acquises sur le marché
des petites cylindrées pour s’attaquer aux segments supérieurs. En 1974,
Honda lance ainsi la Gold Wing, une moto de 1000cc destinée à concurrencer
directement les Harley. En l’espace de quelques années, la marque américaine
perd son leadership sur le segment des moyennes puis des grosses cylindrées.
Alors que les parts de marché de Harley ne cessent de s’effondrer, rien ne
semble pouvoir inverser la tendance. La joint-venture avec le groupe italien
Aermacchi pour produire des modèles plus petits ou les investissements dans
de nouvelles lignes de production se révèlent sans effet. En outre, pour atta-
quer les motos japonaises sur leur terrain, la firme opte pour un marketing
grand public qui finit par brouiller son image. Alors que les difficultés se
multiplient, le groupe AMF décide de vendre sa filiale et demande à Goldman
Sachs de trouver un repreneur.
Le LBO
Devant le manque d’enthousiasme des acquéreurs potentiels – qui estiment
tous le déclin de Harley inéluctable – la solution du LBO interne commence
à s’imposer peu à peu. En 1981, les treize plus importants dirigeants de
Harley, menés par le PDG Vaughn Beals, décident de racheter l’entreprise.
Après plusieurs mois de difficiles négociations, Harley-Davidson est cédée à
ses propres manageurs dans le cadre d’un MBO de 81,5 millions de dollars.
87 % de ce montant (un ratio colossal !) est financé par dette – apportée en
totalité par Citibank.
Entré dans le groupe en 1977, le PDG Vaughn Beals est un ancien du MIT passé
par l’industrie aéronautique. Gêné durant plusieurs années par les tensions
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Le management post-LBO
Immédiatement après l’acquisition, Vaughn Beals tente d’introduire rapi-
dement une série de changements radicaux. Pour les faire accepter, il orga-
nise d’abord une visite d’usine chez Honda pour les dirigeants, les leaders
syndicaux et certains ingénieurs. Tous sont ébahis par la propreté des lieux.
Ils réalisent aussi que la ligne de production, bien que moins moderne, est
beaucoup mieux organisée. Le mode de fonctionnement privilégie la méthode
just in time, c’est-à‑dire une production à la commande qui permet de limiter
les stocks et d’introduire sans délai les améliorations décidées.
Le groupe de visiteurs prend également conscience de la bonne entente des
équipes et de l’existence de relations de travail moins conflictuelles que chez
eux. Un détail a son importance : les ingénieurs de l’usine connaissent par
leur prénom tous les ouvriers dont ils sont responsables.
Au final, les chiffres sont sans appel. Seulement 5 % des motos japonaises ne
passent pas le contrôle de qualité contre 50 à 60 % chez Harley. En outre, la
productivité d’un employé de Honda est au moins de 30 % supérieure.
Suite à cette visite, les méthodes japonaises sont donc rapidement impor-
tées, avec une attention toute particulière à la mise en place du just in time.
En parallèle malheureusement, près de 50 % des effectifs sont licenciés pour
s’adapter à la baisse de la production sur les dernières années. En outre, les
syndicats renoncent à une augmentation décidée avant l’acquisition et les
employés qui restent acceptent même une baisse de salaire de 9 % en moyenne.
Du côté du produit lui-même, un nouveau moteur Harley est conçu pour
remplacer l’ancien. Plus fiable, il permet au groupe de réaliser des économies
substantielles. Le design des motos est également repensé. Il met en avant les
chromes visibles, dans l’idée évidente de différencier davantage les Harley de
la concurrence japonaise.
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Le retour en bourse
Grâce à cette politique audacieuse, Harley renoue rapidement avec des indi-
cateurs financiers positifs. Le chiffre d’affaires augmente de 130 % en cinq ans
et en 1985, la société redevient, devant Honda, le leader sur le segment des
grosses cylindrées. Plus important encore, Harley améliore sur la période ses
marges de façon spectaculaire du fait de l’adoption des méthodes japonaises.
Malgré ces succès, Citibank décide en 1984 de ne pas renouveler les lignes
de crédit accordées pour financer l’acquisition. La banque craint en effet un
retournement de marché sous l’effet cumulé du vieillissement de la population
et de perspectives macro-économiques mitigées. Sous pression, Harley trouve
à la dernière minute un nouveau financier, Heller Inc., une société de prêt
spécialisée dans les entreprises moyennes, qui accepte de refinancer la dette.
Cet épisode marque profondément Vaughn Beals et les autres actionnaires.
Ceux-ci décident alors d’accélérer le retour en bourse de Harley-Davidson.
L’introduction se fait avec succès, en deux temps, en juin 1986 puis en juin 1987,
sur une valorisation bien supérieure à celle des concurrents de l’époque.
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1. La cible
Un LBO commence toujours par la recherche de la cible idéale. C’est un
processus chronophage qui est en général fluidifié par les départements
fusions-acquisitions des banques d’affaires. Pour les transactions plus petites,
le marché est moins organisé mais il existe des intermédiaires spécialisés dans
les reprises de PME.
Même si les acquéreurs potentiels se concentrent sur des secteurs et des tailles
d’entreprises qui ne sont pas les mêmes, il est malgré tout possible de dresser
un portrait-robot de la cible idéale. En simplifiant, on peut dire que celle-ci
doit (i) générer des cash flows stables qui permettront de rembourser la dette
d’acquisition et (ii) offrir, en parallèle, des perspectives de développement qui
invitent à penser qu’il est possible de revendre la cible avec une plus-value
quelques années plus tard.
D’avance, nous prévenons le lecteur que la cible idéale décrite ci-dessous est
un fantasme de banquier et qu’elle n’existe que dans les livres. Les différents
points mentionnés permettent néanmoins de constituer une grille de lecture
à laquelle il est possible de confronter tout LBO potentiel.
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Croissance interne
Parmi les stratégies de croissance fréquemment mises en place, on trouve
souvent l’internationalisation d’un concept qui a bien fonctionné dans un
pays. C’est notamment le cas pour de nombreux business de B to C (business to
consumer), c’est-à‑dire les entreprises qui vendent directement leurs produits
ou services à des consommateurs personnes physiques.
Cette croissance à l’international est cependant toujours plus compliquée
qu’il n’y paraît. Elle exige souvent une expérience ou une expertise particu-
lière. C’est parfois la raison pour laquelle les fonds de LBO recrutent pour la
cible des managers extérieurs dans le cadre d’un BIMBO.
Croissance externe
La croissance externe d’une société sous LBO est généralement faite dans
le cadre d’une stratégie de build-up. Si une telle politique est envisagée, il est
bon de l’annoncer aux prêteurs dès le premier LBO pour s’assurer que les
banques qui s’engagent dans la transaction initiale sont prêtes, le cas échéant,
à financer les acquisitions suivantes.
Les build-ups sont par exemple très fréquents dans le secteur des maisons de
retraite. De nombreux acteurs majeurs, détenus par des fonds de LBOs (Colisée,
Domidep, Domusvi), achètent régulièrement des groupes plus modestes ou
des maisons de retraite indépendantes. En 2019 par exemple, Colisée, contrôlé
alors par le fonds IK Partners a acquis le groupe belge Armonea, créant ainsi
l’un des plus importants acteurs européens du secteur.
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se contenter d’un audit partiel qui porte uniquement sur les principaux
éléments de la société. Il est donc plus exposé qu’un fonds à une mauvaise
surprise après l’acquisition.
Dans tous les cas, les acquéreurs demandent toujours une garantie de passif de
la part du vendeur, c’est-à‑dire un document dans lequel le vendeur s’engage
à prendre la responsabilité de tout passif (financier, fiscal, juridique, etc.) qui
trouverait son origine à un moment où il était encore propriétaire de la cible.
Si le cédant est une personne physique, cette garantie doit s’accompagner
d’une contre-garantie octroyée par une banque.
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2. Les acquéreurs
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Les débuts des trois associés sont compliqués. KKR ne décolle en fait réel-
lement qu’en 1981 lorsqu’ils convainquent le fonds de retraite des fonc-
tionnaires de l’État de l’Oregon de financer l’apport en capital de KKR dans
une acquisition. Cette transaction change le destin de KKR qui attire alors
le premier investisseur de ce type dans un financement LBO. C’est un très
grand changement, pour KKR comme pour l’industrie du LBO. Les fonds
de pension de ce type (pension funds1) sont en effet aujourd’hui parmi les plus
gros investisseurs dans des fonds de LBO.
1. Un fonds de pension est un fonds de retraite, de l’anglais pension qui veut dire retraite (pension fund).
2. Abus de langage que tout le monde fait dans cette industrie et que nous allons continuer à faire dans ce livre.
Il est cependant important que le lecteur comprenne le fonctionnement exact des fonds de LBO.
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fait que le repreneur, du fait de son parcours particulier, est moins impliqué
émotionnellement dans la société que le créateur-entrepreneur. Certains
repreneurs – une minorité cependant – deviennent d’ailleurs parfois des
serials repreneurs : ils achètent une société, la développent et la revendent puis
renouvellent l’opération avec une autre cible.
3. Les prêteurs
La structuration de la dette dans une transaction de LBO dépend en grande
partie de la taille de l’opération et de la localisation de la cible. Les tech-
niques de financement d’acquisition sont en effet différentes en Europe et
aux États-Unis.
Pour les petites opérations, notamment celles faites dans le cadre d’une
reprise individuelle d’entreprise, la structuration est relativement simple : la
HoldCo ne souscrit en général qu’un seul emprunt et la dette est contractée
auprès d’une ou deux banques partenaires uniquement. Celles-ci obtiennent
en contrepartie un nantissement sur les actions de la HoldCo et de la cible.
Pour les opérations plus importantes, celles faites par les fonds de LBO, la
dette peut comporter différentes tranches : une dette senior, remboursée en
priorité, et une dette subordonnée (ou junior) dont le remboursement n’in-
tervient qu’après la tranche senior. Les taux applicables sont bien évidemment
différents selon les tranches, les prêteurs juniors exigeant une marge plus
élevée compte tenu du risque additionnel supporté1.
Les paragraphes suivants s’appliquent à décrire les mécanismes de finance-
ment pour les acquisitions grandes ou moyennes réalisées par les fonds. La
structuration des petits LBOs est en effet relativement simple comme nous
l’avons évoqué ci-dessus.
1. Se reporter à l’annexe 1 en fin d’ouvrage pour comprendre comment les banques déterminent les taux qu’elles
facturent à leurs clients.
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Principe général
La dette senior est prioritaire en termes de remboursement et bénéficie géné-
ralement d’un nantissement sur les actions de la HoldCo et de la cible. Elle
peut comporter plusieurs tranches :
− une tranche dite A, qui s’amortit, au moins partiellement, sur 6 ou 7 ans
(appelée Term Loan A ou TLA) et ;
− une tranche B, non amortissable, remboursable in fine, dont la durée
est généralement similaire (appelée Term Loan B ou TLB).
En règle générale, la tranche A est perçue comme moins risquée que la
tranche B, du fait de son caractère amortissable. Elle bénéficie donc souvent
d’une marge moins élevée.
Il n’est pas obligatoire d’avoir une tranche A pour structurer un Term Loan
B. De nombreuses transactions sont aujourd’hui financées au moyen de TLB
uniquement, ce qui signifie que la totalité de la dette d’acquisition est rem-
boursable in fine. En d’autres termes, cela signifie que pendant la phase de
détention de la cible par la Holdco, les cash flows de la cible ne servent qu’à
payer les intérêts du prêt. Le remboursement du principal est conditionné à
un refinancement ou à la revente de la société. En règle générale, la vente de
la cible entraîne systématiquement le remboursement de la dette contractée
par le fonds, même si la maturité finale n’est pas atteinte.
Plus rarement, certaines transactions sont financées à l’aide d’une tranche
C, c’est-à‑dire d’une tranche de même type que la tranche B mais à maturité
plus longue. Là encore, cette tranche peut venir en addition d’une tranche A
ou B ou constituer la totalité du financement.
47
Les prêteurs
Lorsqu’il présente son offre de rachat, un fonds LBO s’associe en général
avec un ou plusieurs établissements chargés d’apporter le financement.
Selon la taille de la transaction et les conditions de marché, ce financement
est syndiqué ou partagé dans le cadre d’un club deal1. Parmi les entités qui
octroient ces prêts, on trouve bien évidemment des banques mais aussi des
prêteurs spécialisés. Ces prêteurs sont des fonds connus sous le nom de CDO
(Collateralized Debt Obligation) ou CLO (Collateralized Loan Obligation).
CDOs et CLOs jouent un rôle fondamental dans le financement des LBOs les
plus larges. Leur part de marché s’élève à plus de 50 % en Europe et à 80 % aux
États-Unis. Dans la mesure où les CLOs et les CDOs ne sont pas des banques
mais des entités juridiques qui cherchent à déployer le capital d’investisseurs
tiers, ils ont une forte préférence pour les instruments de type in fine, dont
le remboursement est simple. C’est l’une des raisons qui explique la part
croissante des TLB dans le secteur du LBO. Nous reviendrons sur les CLOs
et les CDOs dans la partie 4 du livre consacrée à la titrisation.
Second lien
On trouve parfois, dans certains LBOs, une tranche additionnelle de dette
senior appelée second lien. Cette tranche bénéficie également d’un nantissement
sur les actions de la cible et est donc juridiquement considérée comme une
tranche additionnelle de dette senior. Ce nantissement est cependant une
sûreté de second rang : les prêteurs ont uniquement un droit junior (second)
sur le collatéral (lien). En clair, la garantie des prêteurs qui fournissent la dette
second lien n’a de valeur que si, en cas d’exercice de la garantie par les prêteurs
seniors, la valeur des actions de la cible est supérieure à la somme restant à
payer aux titres du prêt senior.
Dans les faits, la garantie dont bénéficient les prêteurs second lien n’est pas
loin d’être une garantie de papier. Il est en effet fortement improbable que,
dans une situation qui justifie l’exercice de la garantie des prêteurs seniors
sur les actions de la cible, ces actions aient une valeur supérieure au montant
de dette senior. Il n’est pas surprenant que ce type de dette soit apparu dans
une période de bulle sur le marché du LBO, à savoir 2004-2007. Depuis 2008,
le recours à la dette de type second lien est beaucoup moins fréquent.
48
La dette mezzanine
Comme son nom l’indique, la dette mezzanine correspond à une tranche de
dette située – en termes de priorité – entre le capital et la dette senior. C’est
une dette en général apportée par des fonds spécialisés, appelés communé-
ment « mezzaneurs ».
La dette mezzanine est un financement hybride à mi-chemin entre dette
et capital qui prend souvent la forme d’obligations convertibles et dont le
rendement provient :
− du paiement d’intérêts pendant la transaction ;
− d’un intérêt capitalisé, payable à l’échéance, qui peut être versé sous la
forme d’actions ou d’options sur les actions de la cible : le PIK (payment
in kind).
Le recours à la dette mezzanine permet d’augmenter l’effet de levier financier
sans faire supporter la totalité du risque sur les prêteurs seniors. Son rem-
boursement ne peut intervenir qu’après le remboursement total de la dette
senior. En échange, le taux d’intérêt applicable (PIK compris) est supérieur au
taux dont bénéficient les prêteurs seniors. En fonction de la forme juridique
de la dette mezzanine et des négociations, il arrive parfois que les mezzaneurs
obtiennent un siège au conseil d’administration de la cible. L’utilisation
d’une tranche de mezzanine et d’une dette second lien sont généralement
mutuellement exclusives.
49
Principe
La dette unitranche est une forme de dette populaire pour financer les acqui-
sitions de taille moyenne. C’est une tranche de dette unique qui remplace le
couple dette senior et dette mezzanine. Son rendement est par conséquent
la somme pondérée des rendements des dettes senior et mezzanine.
50
Les « unitrancheurs »
La dette unitranche est offerte par des fonds de dette spécialisés. Ces fonds ont
une organisation proche de celle des fonds de LBO. La différence principale
est que ces fonds visent des investissements en dette et non en capital. Le
niveau de risque est donc inférieur mais le rendement également. Par rapport
aux banques traditionnelles, ces « unitrancheurs », comme ils sont appelés,
sont très souples et réactifs. Ils peuvent se positionner rapidement sur un
dossier. C’est la raison majeure de leur succès.
Ces fonds sont également ceux qui investissent dans les dettes mezzanine.
L’essentiel de leur activité reste cependant l’investissement dans les dettes
unitranche. Compte tenu de la simplicité de cet instrument, la dette unitranche
est en effet de plus en plus populaire dans le financement des LBOs de taille
moyenne, en Europe comme aux États-Unis. En France, les « unitrancheurs »
les plus actifs sont Ares, ICG, Tikehau ou Alcentra.
51
1. Groupe Bruxelles Lambert est une holding belge cotée sur Euronext. C’est l’une des plus grosses capitalisations
boursières de Belgique.
2. Sur la base des rapports annuels publiés au 31 décembre 1986.
52
À l’époque des débuts de Michael Milken, le marché du high yield est encore
très étroit. Il est composé principalement « d’anges déchus », c’est-à‑dire de
titres émis à l’origine avec une notation investment grade mais dont la note a
été revue à la baisse suite à des performances financières décevantes de l’émet-
teur. Sur ce marché, les titres s’échangent avec de fortes décotes par rapport
à leur valeur d’émission. Un trader attentif peut donc générer un rendement
bien supérieur à celui qu’il peut obtenir sur un portefeuille d’obligations
classiques, même en prenant en compte la probabilité de défaut plus élevée.
Les opportunités qui existent sur cette classe d’actifs s’expliquent princi-
palement par la faible liquidité du marché. Les titres non-investment grade
sont perçus comme mauvais, d’où leur surnom de junk bonds. De nombreux
investisseurs (assureurs, caisses d’épargne, fonds de pension) ne peuvent pas,
du fait de leurs règles internes de gestion, acheter ou conserver ce type de
titres. Si une obligation émise à l’origine avec une notation correcte est par
exemple dégradée sous BBB– ils doivent s’en séparer. La décote des titres sur
ce marché est donc forte, et bien supérieure à celle causée par l’augmentation
du risque de crédit.
Les débuts
Michael Milken rentre à l’origine chez Drexel comme analyste obligataire. Suite
à la fusion avec Burnham, il convainc son nouveau patron, Tubby Burnham,
lui aussi un ancien de Wharton, de lui laisser développer une activité de tra-
ding de junk bonds. Les débuts sont spectaculaires et Milken génère pendant
plusieurs années des performances supérieures à 100 % par an.
Là où les investisseurs regardent le risque uniquement, Michael Milken ana-
lyse le rendement ajusté au risque. Pour lui, ces titres sont donc extrêmement
attractifs. En outre, contrairement aux obligations les mieux notées, elles ont,
compte tenu de la décote qu’elles subissent, un véritable potentiel à la hausse.
Rapidement, Michael Milken devient la nouvelle star de Drexel et la coque-
luche de Wall Street. En 1976, il a trente ans et son salaire annuel est estimé à
5 millions de dollars. Son aura est telle qu’en 1978, Drexel l’autorise à déplacer
toute son équipe de New York à Beverly Hills, où il souhaite résider, pour se
rapprocher de ses parents.
53
1. Blackstone est ainsi créé en 1985 et Carlyle en 1987. Pour KKR, nous renvoyons le lecteur au chapitre 2, para-
graphe 2.1 de cette partie.
54
55
La chute
Malgré cette influence extraordinaire, la chute de Michael Milken est bru-
tale. En 1986, un célèbre trader, Ivan Boesky – qui inspira le personnage de
Gordon Gekko interprété par Michael Douglas dans le Wall Street d’Oliver
Stone – est arrêté pour délit d’initié. Pour diminuer sa peine, il propose de
livrer des informations compromettantes sur Michael Milken et Drexel
Burnham Lambert.
Une double enquête de presque trois ans – de la Security Exchange Commission
(SEC), le gendarme de la bourse américain, et du procureur du district Sud de
New York, un certain Rudolph Giuliani – conclut que Michael Milken et
ses équipes se livrent à des délits d’initiés. Ils achètent en effet, pour leur
compte, des actions de sociétés qu’ils savent menacées par des OPA hostiles
non encore rendues publiques mais sur lesquelles ils travaillent. Pire encore,
les enquêteurs découvrent qu’ils proposent également aux gérants de fonds
qui achètent la dette high yield placée par Drexel de participer, avec eux, à
ces achats d’actions.
Pour tous ces faits, Michael Milken est condamné à dix ans de prison et à
payer une amende et des indemnités à divers investisseurs pour un total de
1,1 milliard de dollars. De son côté, Drexel négocie un accord avec la SEC
au titre duquel la banque doit également s’acquitter d’une amende record et
céder, en plus, une partie de ses activités. Quelques mois plus tard, plusieurs
transactions malheureuses mettent Drexel en grande difficulté. La banque
recherche un nouveau partenaire mais sa réputation et la crainte d’autres
procès limitent l’enthousiasme des acquéreurs potentiels. En février 1990,
Drexel jette l’éponge et dépose le bilan.
56
Épilogue
Michael Milken ne fera au final que vingt-deux mois de prison. Libéré pour
bonne conduite, il est diagnostiqué par hasard peu après d’un cancer très
avancé lors d’un check-up de routine. Il réussit, contre toute attente, à survivre
et consacre aujourd’hui l’essentiel de sa large fortune à la recherche contre
cette maladie et à la promotion de l’accès à l’enseignement.
Le 18 février 2020, Michael Milken est pardonné pour ses fautes par le président
Donald Trump, qui souligne son impact positif sur la « démocratisation de la
finance » en permettant « aux femmes et minorités d’avoir accès à des capitaux
qui leur étaient indisponibles ». Ce pardon fait bien évidemment scandale
et relance la polémique sur la collusion des élites financières et politiques.
57
1. Le processus de vente
1. Alternativement, il arrive parfois que le NDA doive être signé avant réception même du teaser.
59
1.2. Valorisation
La valorisation de la cible est un moment clé du LBO. Pour les grosses
opérations, la valorisation de la cible se fait conformément aux techniques
financières classiques. Nous renvoyons à des ouvrages spécialisés les lecteurs
qui s’intéressent tout particulièrement à ce sujet. Pour les autres, nous allons
tenter de présenter simplement les méthodes communément admises pour
valoriser une société.
Pour simplifier, on peut dire qu’il existe deux façons d’évaluer une entreprise :
la méthode intrinsèque ou la méthode comparative. Rien de surprenant à
cela ; c’est la façon dont nous valorisons tous nos achats. Au supermarché par
exemple, nous déterminons si un produit est cher en comparant son prix au
besoin qu’il satisfait chez nous (méthode intrinsèque) ou en le confrontant aux
produits concurrents qui ont les mêmes propriétés (méthode comparative).
Méthode comparative
La méthode comparative est la plus intuitive. Elle est en fait proche de ce qui
se pratique pour l’immobilier. Il suffit de regarder les prix des transactions
similaires effectuées récemment et d’en déduire une valorisation de la cible.
C’est une méthode pertinente mais qui souffre du fait qu’il existe moins de
comparables fiables pour une entreprise que pour un appartement. Il n’est
en effet pas toujours possible, au moment de valoriser la cible, de trouver
une référence de vente récente dans le même secteur d’activité.
Concrètement, si l’acheteur réussit à identifier une ou plusieurs opérations
sur des sociétés comparables, il va rapporter le prix de vente appliqué lors
de chacune de ces transactions à différents critères propres à chaque société
(chiffre d’affaires, résultat d’exploitation, EBITDA, etc.). Ceci permet de déter-
miner la valorisation de chacune de ces sociétés en fonction d’indicateurs clés.
Grâce à cette méthode, on peut savoir pour quel multiple (de son chiffre
d’affaires ou de son résultat d’exploitation ou de son EBITDA, etc.) cha-
cune des sociétés comparables a été valorisée. On peut alors en déduire des
moyennes pour le secteur qui peuvent constituer des indicateurs de référence
pertinents pour négocier le prix de la cible. On peut ainsi découvrir que les
sociétés comparables ont en moyenne été cédées pour 7 fois leur EBITDA.
Il suffit alors d’appliquer ce multiple à l’EBITDA de la cible pour en déduire
une valorisation potentielle. Pour cette raison, cette technique de calcul
comparative est appelée, en finance, méthode des multiples.
60
Méthode intrinsèque
La méthode intrinsèque, dite des cash flows actualisés (ou en anglais, Discounted
Cash Flow method, DCF) est un peu plus complexe. Elle consiste à dire que la
valeur d’une entreprise est forcément égale à la valeur de l’ensemble des flux
financiers (cash flows) qu’elle permet de dégager sur le long terme. Il suffit
donc de calculer ces flux pour en déduire la valeur d’origine. Dans ce cas, la
difficulté est double :
1. Pour ceux qui aiment les formules, ROIC = profit opérationnel net /(total des fonds propres + dette nette).
61
62
− Ils modélisent d’abord les flux financiers futurs que la cible peut générer
sur leur horizon d’investissement (5 ans environ) en faisant un certain
nombre d’hypothèses de croissance et de coûts. Ils y intègrent les amé-
liorations potentielles qu’ils pensent pouvoir apporter.
− Ils anticipent un multiple de sortie à cette date. En d’autres termes, ils
fixent une valorisation théorique de la cible dans 5 ans en fonction d’un
multiple (en général l’EBIT ou l’EBITDA, comme indiqué plus haut).
− Ils soustraient de cette valorisation théorique, le montant de dette
qu’ils pensent que la structure de LBO devrait avoir à cette date. Ils en
déduisent la valeur des capitaux propres de la cible, c’est-à-dire la part
qui leur revient.
− Enfin, compte tenu des objectifs de rendement de leur fonds, ils sont
capables de trouver, à partir de cette valorisation des capitaux propres
de la cible dans 5 ans, le montant qu’ils sont prêts à investir aujourd’hui
pour acheter la cible.
63
64
1. Dans les opérations plus petites, où l’acheteur est un repreneur individuel, il arrive souvent que la phase d’ex-
clusivité commence après la remise de la NBO. Les repreneurs individuels ont en effet un budget plus serré
et ne souhaitent lancer les dépenses liées aux due diligences que lorsqu’ils ont un minimum de confort. Le
marché des petites transactions étant plus atomisé, il est d’ailleurs rare qu’il fonctionne via enchères. Ce sont
souvent des négociations bilatérales, un peu comme la vente d’un bien immobilier par exemple.
65
66
2.2. La vente
À un industriel
La vente de la cible à un industriel est un processus plus simple qu’une intro-
duction en bourse. L’idée est attractive. Du point de vue de la théorie financière,
cela signifie que la cible, une fois remise sur les rails grâce à un management
de qualité, devient plus attractive pour de nouveaux investisseurs. Les groupes
industriels, qui peuvent dégager d’éventuelles synergies en rachetant la cible
sont logiquement ceux qui sont prêts à la valoriser au mieux.
La vente de la cible peut se faire par appartements, c’est-à‑dire que les diffé-
rentes activités de l’entreprise ne sont pas nécessairement cédées à un même
industriel. C’est la stratégie adoptée par KKR pour le fameux deal RJR Nabisco.
67
Dans les faits, l’amortissement d’une partie de la dette d’acquisition et, logi-
quement, l’augmentation de la valorisation de la société cible (si le fonds a
bien fait son travail) peut permettre à la HoldCo de lever, après plusieurs
années, un nouveau financement plus important que le montant de la dette
restant due. Le refinancement de la dette d’acquisition par un emprunt d’une
valeur supérieure permet de disposer de trésorerie au niveau de la HoldCo et
de distribuer une partie de celle-ci à l’actionnaire.
La réalisation effective d’une telle opération dépend de critères juridiques
dans le pays en place. Il faut en effet que la HoldCo ait légalement le droit de
distribuer ses liquidités à son actionnaire sans contrevenir à son intérêt social
propre. Ce refinancement suppose également que des prêteurs acceptent de
participer à l’opération (certains peuvent être réticents à financer indirec-
tement ce qui est dans les faits un dividende exceptionnel à l’actionnaire).
1. À l’opposé, une public company correspond, dans le monde anglo-saxon, à une société cotée, c’est-à‑dire à une
société dont les actions peuvent être acquises sur un marché réglementé. Une public company n’est pas une
entreprise d’État et n’a aucun rapport avec la notion française de service public.
68
Capital-risque
Le capital-risque (ou venture capital) est une activité qui consiste à investir en
capital dans une société jeune et à fort potentiel pour lui donner les moyens
de se développer rapidement. Le but ultime est ensuite de revendre cette
participation en dégageant une plus-value.
L’un des exemples les plus emblématiques du capital-risque est l’investisse-
ment réalisé par le fonds américain Sequoia Capital dans Google. En 1999,
ce fonds de capital-risque de la Silicon Valley acquiert 10 % de Google pour
12,5 millions de dollars. En 2004, lors de l’introduction en bourse, Sequoia
Capital reçoit 23,9 millions d’actions à un prix de 85 dollars, soit plus de deux
milliards de dollars – ou encore plus de 162 fois son investissement initial.
Le capital-risque permet à des entrepreneurs aux moyens limités de financer le
développement de leur société en vendant une partie de leurs parts à un inves-
tisseur extérieur, qui peut être un fonds d’investissement spécialisé (comme
Sequoia) ou un riche investisseur (dit alors business angel). De nombreuses
success stories américaines récentes ont eu recours à ce type d’arrangement.
Parmi les fonds de venture capital les plus connus, on trouve notamment
Sequoia Capital (Apple, Yahoo, Cisco, Electronic Arts, Google, YouTube,
PayPal, LinkedIn ou WhatsApp), Kleiner Perkins (Amazon, Google, Twitter) et
Greylock Partners (Facebook, Airbnb, LinkedIn). Ces fonds ont une organisation
juridique similaire à celle des LBOs. Ils sont en réalité de sociétés de gestion
spécialisées qui lèvent des fonds auprès de limited partners via des véhicules
d’investissement dédiés et dans lesquels ils assument de rôle de general partner.
Dans la mesure où il est toujours très compliqué de prévoir le succès d’une
société qui a un faible historique, le venture capital est une activité très risquée :
les succès mentionnés ci-dessus ne doivent pas masquer les nombreux échecs
auxquels les capitaux-risqueurs ont apporté leurs fonds. Ceci étant dit, les
fonds mentionnés ci-dessus ont une méthodologie d’investissement qui leur
permet de limiter ce risque.
69
Histoire du capital-risque
Il est compliqué de donner avec précision une date de naissance exacte au
capital-risque. Investir dans des projets naissants et prometteurs est en effet
une activité très ancienne qui date de bien avant l’apparition de la finance
moderne. On trouve d’ailleurs des formes d’investissement en capital-risque
dès l’Antiquité sans que, pour autant, les acteurs de l’époque n’aient théorisé
leur démarche comme on le fait aujourd’hui. Sans remonter aussi loin, cer-
tains auteurs décrivent le financement de l’expédition de Christophe Colomb
en 1492 comme l’une des plus symboliques opérations de capital-risque de
l’Histoire. On trouve en effet un entrepreneur (Christophe Colomb) qui
mène un projet totalement novateur (accéder aux Indes par une nouvelle
route), qui cherche de l’argent (pour armer trois navires) auprès de personnes
capables de le financer (Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon), et qui est
prêt à abandonner une partie de ses gains potentiels (9/10e en l’occurrence).
On a même un contrat qui documente cet arrangement (les capitulations
de Santa Fe).
Les origines du venture capital moderne datent cependant d’après la Deuxième
Guerre mondiale. C’est à cette époque que le Français Georges Doriot1 crée
le premier fonds de capital-risque au sens moderne du terme : American
Research and Development Corporation (AR&D). AR&D est un fonds qui
fonctionne comme une entreprise d’investissement et qui ne dépend pas de
la fortune d’une seule personne. Il s’adresse à un ensemble d’investisseurs,
personnes physiques ou morales, qui sont décidées à dédier une partie de leur
argent au financement de jeunes entreprises prometteuses dans l’espoir de
céder plus tard leur participation et de réaliser un bénéfice.
Capital développement
Le capital développement (ou growth capital) est également une forme d’in-
vestissement en capital dans les entreprises. Il intervient en général plus
tard que le capital-risque, c’est-à‑dire une fois que l’entreprise a trouvé son
marché et éprouvé l’idée de départ. Il s’agit souvent d’une prise de participa-
tion minoritaire par un fonds d’investissement pour permettre à la société
de réaliser un projet bien précis (lancement d’un nouveau produit, dévelop-
pement à l’international, etc.). Une entreprise peut donc ouvrir son capital à
des capitaux-risqueurs peu après sa création et l’ouvrir à nouveau quelques
1. Personnage au destin exceptionnel, Georges Doriot est un Français qui émigre aux États-Unis pour faire un
MBA à Harvard. Il y deviendra professeur avant de fonder sa société de capital-risque en 1946 puis de créer
l’INSEAD, à Fontainebleau, en 1957.
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71
72
Lecture rapide
Leveraged buyouts : qu’avons-nous appris ?
y Un LBO est une technique de rachat d’entreprise par endettement à travers une
société ad hoc, dite société holding. Cette société holding est financée par capital
et par dette sans recours. Cette technique permet de prendre le contrôle d’une
société cible avec un capital limité.
y La société holding rembourse la dette d’acquisition grâce aux dividendes que lui
verse la société rachetée. Ce sont les dividendes de la société cible qui permettent
en fait d’en financer l’acquisition.
y Le LBO est aussi un montage fiscal : les acquéreurs profitent des dispositifs
d’intégration fiscale qui permettent à des sociétés du même groupe de déclarer
leurs revenus conjointement, comme si elles étaient une seule et même entreprise.
L’acquéreur peut donc fusionner les résultats fiscaux de la holding et de la cible,
compensant ainsi les profits de la cible par les pertes structurelles de la holding
(qui reçoit les dividendes de la cible en franchise d’impôts et qui déduit fiscalement
les intérêts de la dette d’acquisition).
y Un LBO repose aussi sur un levier humain : les dirigeants de la société cible sont
intéressés au capital de la holding, soit parce qu’ils sont eux-mêmes les acquéreurs,
soit parce que l’acheteur leur octroie une part du capital (ou des options).
Les dirigeants ont donc tout intérêt à travailler dans l’optique de valoriser la cible
– et donc leur patrimoine – au mieux.
y Les plus gros LBOs concernent des acquisitions par des fonds d’investissement
spécialisés mais des opérations peuvent également être réalisées par des repreneurs
individuels qui rachètent des petites PME.
y Les repreneurs individuels rachètent l’entreprise pour accomplir un projet
entrepreneurial mais les fonds d’investissement procèdent à des acquisitions
dans le but de revendre la cible quelques années plus tard avec une plus-value.
Cette sortie de l’opération peut se faire à travers une introduction en bourse ou
une vente à un industriel ou un autre fonds LBO.
y Il existe parfois plusieurs tranches de dette au niveau de la holding. La dette
senior est remboursée en priorité par rapport à la dette junior. Cette dernière peut
prendre la forme de dette mezzanine, dont une partie du rendement dépend de
la valeur de la société à la revente. Alternativement, la dette peut être structurée
comme une unitranche, c’est-à-dire une tranche de dette unique qui remplace
dette senior et mezzanine et dont le rendement est la moyenne pondérée des deux.
73
76
1. Définition
1. En effet, même s’il existe par exemple de nombreuses similitudes entre deux autoroutes, les contraintes seront
toujours différentes d’un projet à l’autre : tracé, acquisitions des terrains, topographie, cadre juridique du pays
concerné, contraintes environnementales, etc.
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78
Conception du
projet
Capital Dette Entreprise de
construction
Construction
du projet
Autorisations
administratives
SPV Achat des Turbinier
turbines
Achats
divers Autres
Fourniture
Paiements
d’électricité fournisseurs
Contrat de
maintenance
81
82
Financement corporate
Financement de projet
classique accordé au sponsor
Aucune. La banque est
un créancier chirographaire1. Nantissement des actions du
En cas de faillite du sponsor, SPV et, si c’est juridiquement
Garanties données la banque n’est remboursée possible, hypothèque sur les
à la banque qu’après l’État et les employés actifs. Le prêteur n’a aucun
(créanciers super-privilégiés) recours sur les autres actifs du
et les créanciers ayant une (ou des) sponsor(s)
garantie (créanciers privilégiés)
Capacité de l’entreprise
Risque pris Capacité du projet à générer
menant le projet à générer
par la banque des cash flows
des cash flows
Analyse bilancielle
de l’entreprise et recours
Analyse
à des analyses externes Analyse du projet
de la banque
(rating des agences
de notation)
Dépend du bilan Dépend des cash flows
Effet de levier
de l’emprunteur du projet
Très longue durée possible
(20 ans) si la durée de vie
Durée
Rarement plus de 5 ans du projet et la prédictibilité
du financement
des cash flows futurs
le permettent
La marge est fonction du risque La marge est fonction
Coût de la dette
de crédit du sponsor des risques du projet
Même en cas d’échec
Risques Risques limités à l’apport
du projet, il doit continuer
pour le promoteur en capital mis dans la société
à honorer les échéances
(ou sponsor) projet
du financement
Structuration Simple Complexe
1. Un créancier chirographaire est un créancier qui ne bénéficie pas de garanties ou de sûretés particulières.
83
Le cadre légal
Le 8 juillet 1887, un peu plus d’un an après la sélection du projet, Gustave
Eiffel, Édouard Lockroy et le préfet de la Seine, Eugène Poubelle, signent un
accord de concession tripartite qui règle la question du financement et de l’ex-
ploitation de la tour. Selon cet accord de douze pages1, Gustave Eiffel devient
– en son nom propre – responsable de la conception, de la construction et du
financement du projet. En échange, à l’issue de l’Exposition universelle, la
ville de Paris s’engage à lui accorder un droit de jouissance et d’exploitation
de la tour pendant 20 ans.
Le contrat prévoit également que Gustave Eiffel reçoive une participation de
l’État de 1,5 million de francs pour les travaux. Cette subvention doit être
versée en trois tranches de 500 000 francs, respectivement à l’achèvement du
premier, du second puis du troisième étage. En contrepartie, la convention
fixe les tarifs maximums que Gustave Eiffel peut appliquer aux visiteurs de
la tour pendant sa période de jouissance.
1. Ce chiffre est à mettre en lumière des contrats de financements de projets d’aujourd’hui qui, entre les aspects
opérationnels et financiers, comportent souvent plusieurs milliers de pages.
84
Le montage financier
En échange de leur participation au projet, les trois banques demandent à
Eiffel de transférer tous ses droits et obligations relatifs à la construction
et à l’exploitation de la tour à une société ad hoc, la Société de la tour Eiffel
(STE). Le capital de STE est réparti de la façon suivante :
− 10 200 actions ordinaires remboursables, d’une valeur de 500 francs
chacune, souscrites par Gustave Eiffel (10 000 actions) et des amis
(200 actions). Dès leur émission, la moitié de ces actions sont acquises
à leur prix d’origine par les banques, ce qui signifie concrètement que
l’apport d’Eiffel et de ses amis est de 2,55 millions de francs et celui des
banques également1 ;
− 10 200 actions fondateurs, sans valeur faciale, toutes attribuées à Gustave
Eiffel.
1. Si l’on ajoute le montant des subventions (1,5 million), on retrouve bien les 6,6 millions nécessaires à la
construction.
85
Après la construction
Le chantier de la tour Eiffel est achevé sans accident, dans le budget et le
calendrier prévus. Bien qu’inférieurs aux attentes, les revenus des visites de
la tour pendant l’Exposition universelle permettent de générer un profit de
5,6 millions de francs, soit 500 000 francs à distribuer aux actionnaires après
remboursement des actions ordinaires.
Grâce à ce succès industriel, le montage financier permet aux banques de
réaliser une belle opération. Le premier jour de leur cotation, les actions de
STE atteignent 770 francs et plus de 1 000 francs quelques semaines plus
tard. La transaction est également un succès financier pour Eiffel. Elle lui
permet notamment d’acquérir un luxueux hôtel particulier dans le VIIIe
arrondissement de Paris.
Épilogue
Malgré un nombre de visites décevant les années suivantes, la tour n’est pas
démontée à l’issue de la période initiale de 20 ans, comme il en est question
un moment. Gustave Eiffel obtient même en 1910 que la concession soit
renouvelée à STE pour 70 années supplémentaires. La tour joue alors un rôle
important de relais pour les communications civiles et militaires. Ce n’est
qu’après la Seconde Guerre mondiale cependant que le développement du
86
87
par exemple, les sponsors et les prêteurs sont exposés au risque qu’il n’y ait
pas assez de vent. Si des études météorologiques poussées sont faites pour
limiter ce risque, le projet n’est malgré tout pas à l’abri d’événements clima-
tiques exceptionnels sur une ou plusieurs années.
Les contrats d’achat long terme de type PPA ne sont pas uniquement passés
entre un SPV et une entité gouvernementale. Il arrive que certaines entre-
prises décident de sécuriser un approvisionnement quelconque sur longue
période au moyen de ce type de contrats. C’est par exemple le cas du groupe
Google, qui s’est engagé à n’utiliser que de l’énergie verte pour alimenter ses
serveurs. Google signe donc dans le monde entier des PPAs privés (private
PPAs ou corporate PPAs) avec des sociétés projets qui détiennent des fermes
éoliennes ou photovoltaïques.
91
Dans un PPP, l’actif construit et financé par le secteur privé ne permet pas
d’exploitation marchande. Les revenus ne proviennent donc pas de la mise
à disposition d’un service à des utilisateurs privés mais de la location d’une
infrastructure à l’État ou à une collectivité publique. Pour assurer une exploi-
tation de qualité, les loyers versés à la société projet sont indexés à des critères
de performance. Il existe en général un loyer standard que l’on ampute de
montants prédéterminés si la qualité de l’exploitation est insuffisante au
regard du cahier des charges rédigé à l’origine par la collectivité qui a passé
l’appel d’offres (absence de chauffage ou d’électricité, matériel défectueux,
maintenance insuffisante des équipements, propreté négligée, nuisances
diverses, etc.). Pour cette raison, ces loyers sont souvent appelés par l’expres-
sion anglaise d’availability payments (qui explique bien que les loyers doivent
être payés si l’infrastructure est « disponible » pour l’utilisateur).
Devant le succès de l’expérience britannique et les impératifs de contrôle de
la dépense publique dans de nombreux pays, le modèle du partenariat-public
privé (PPP) s’étend à l’étranger à partir des années 1990. De nombreux gou-
vernements ou collectivités locales font aujourd’hui appel à des PPPs pour
financer la construction de métros, d’écoles, de prisons, de bâtiments publics,
de tribunaux, etc. Du point de vue de l’État ou de la collectivité publique,
l’avantage d’un tel schéma est de faire porter au secteur privé l’ensemble des
risques de construction et d’exploitation d’une infrastructure pour mieux
se concentrer sur le cœur des missions de service public.
En France, les PPP voient le jour en 2004 sous la forme de contrats de par-
tenariats. Contrairement aux marchés publics traditionnels, dans lesquels
le secteur privé n’a que le chantier de construction à réaliser, les contrats de
partenariats accordent durant plusieurs années à un consortium privé la
gestion du bien construit, en échange d’un loyer payé par l’État (ou la col-
lectivité territoriale), dont le montant est fixé lors de la signature du contrat.
Parmi les projets menés avec succès dans ce cadre, on peut évoquer l’amé-
nagement de l’INSEP, le centre d’entraînement des sportifs français de haut
niveau. Dans le schéma définitif, la rénovation et l’exploitation pendant 30 ans
de la partie non sportive du centre (hébergement, restauration, formation)
ont été confiées à un consortium privé réunissant les groupes Vinci, Accor
et Casino au sein d’une société projet.
Compte tenu de la qualité de crédit des utilisateurs finaux (gouverne-
ments, collectivités), les PPPs sont considérés comme les moins risqués des
92
1. Nous invitons à ce stade le lecteur à retrouver le schéma d’un financement structuré standard évoqué page 17,
dans l’introduction. Project finance et LBO cadrent parfaitement avec ce graphique simplifié.
93
94
analyse varie très fortement selon les cas. Il est difficile de comparer un spon-
sor impliqué dans un PPP, qui construit une école et attend ses loyers d’une
collectivité locale, à un sponsor impliqué dans une concession autoroutière :
− Dans le cas du PPP, le travail des prêteurs se résume à l’analyse du risque
crédit de la collectivité publique qui paie les loyers à la société projet.
Pour un projet bénéficiant d’un contrat d’achat, le principe est simi-
laire : les banquiers doivent être à l’aise avec le risque de contrepartie.
− Dans le cas de la concession autoroutière, l’analyse stratégique doit être
très précise : il faut connaître l’offre des concurrents (train, avion, routes
nationales), tant en termes de prix que de service (temps, agréabilité
du trajet). Il faut également pouvoir mesurer combien les voyageurs
qui utilisent jusqu’à présent les moyens de transport existants seraient
prêts à payer pour utiliser l’autoroute. Ces analyses peuvent être menées
par des experts spécialisés ou des consultants en stratégie généralistes
(McKinsey, Roland Berger, BCG, etc.).
1. Pour rappel, l’annexe 1 reprend la définition des concepts de LIBOR et de point de base.
2. Le taux fixe (que nous donnons ici au hasard) est dans les faits déterminé au moment de la conclusion du swap
en fonction des anticipations du marché pour le LIBOR sur la période considérée, ici 20 ans. Ce taux fixe est
donc en quelque sorte la moyenne des taux variables anticipés sur les 20 prochaines années. Au moment de
la conclusion du swap, cela veut dire que recevoir le taux fixe sur 20 ans ou les taux variables anticipés sur la
même période est équivalent.
96
97
99
Personnel
Une société projet emploie en général très peu, voire pas du tout de personnel.
Elle n’a pas besoin d’équipes importantes car elle sous-traite souvent massi-
vement la construction, la maintenance et l’exploitation du projet.
Les contrats de sous-traitance signés par le SPV impliquent parfois la mise à
disposition de personnel spécifique, ce qui signifie que même si des employés
sont affectés sur le projet à plein-temps, ils ne sont pas pour autant des sala-
riés de la société projet.
On trouve quelques exceptions à cette règle pour des projets pharaoniques.
On pense notamment à Eurotunnel et Disneyland Paris, deux transactions
dans lesquelles les sociétés projet ont eu recours à un personnel important.
Ces exemples sont cependant un peu particuliers. Dans les deux cas, les socié-
tés étaient cotées et devaient justifier auprès des autorités boursières qu’elles
avaient bien les moyens de réaliser leur objet social de façon autonome.
Tirage du prêt
Le contrat de prêt signé entre la (ou les) banque(s) et le SPV est le document
central d’un financement de projet. Son objet est très strict : il doit servir
uniquement à financer la construction du projet. Toute entorse à cet objet
de la part du SPV entraîne une obligation de remboursement anticipée
immédiate du prêt.
100
1. Dans la mesure où le SPV ne génère pas de revenus pendant la phase de construction, il ne facture pas de TVA
sur laquelle il peut venir imputer la TVA déductible qu’il paye à ses fournisseurs. Il se trouve donc en crédit
de TVA. Ce crédit lui est bien sûr remboursé par l’État, mais après plusieurs mois seulement. Le « crédit TVA »
sert à couvrir cette avance de TVA.
101
Le security package
En contrepartie de leur engagement financier, les banques exigent un certain
nombre de sûretés. Communément désignées sous le terme générique de
security package, elles incluent généralement les éléments suivants :
1. Un nantissement des actions de la société projet. Ce nantissement peut
être exercé en cas de non-remboursement du prêt et permet aux banques
de prendre le contrôle du SPV en vue d’une restructuration ou, si c’est
possible, d’une cession à d’autres investisseurs.
2. Une hypothèque sur les actifs du projet. Cette hypothèque s’applique
dès le début du projet, y compris pendant la phase de construction.
Elle peut être exercée en cas de défaut du SPV. Il n’est cependant pas
toujours juridiquement possible pour les banques de prendre une
hypothèque. C’est le cas notamment si le projet est de type concessif
et qu’il est prévu que le projet, bien que construit et exploité par un
SPV reste juridiquement la propriété de l’autorité publique à l’origine
du projet. Dans ce cas, le SPV ne possède pas le projet, juste le droit de
l’exploiter. Il ne peut donc pas constituer une hypothèque.
102
103
Ceci étant dit, le security package accordé aux prêteurs dans un financement
de projet a une réelle valeur. Au Royaume-Uni par exemple, la M6 toll road,
une autoroute de 43 km près de Birmingham a été reprise par les prêteurs
suite à la faillite du projet en 2013. Le consortium de 27 banques a exercé ses
droits et l’actionnaire de l’époque, Macquarie, a été contraint de leur céder
le projet. Quatre ans plus tard, les banques revendaient la société à IFM, un
sponsor financier d’origine australienne.
Equity agreement
Ce document est le pendant du contrat de prêt. Il indique à quelles étapes du
projet les sponsors doivent réaliser leurs apports. Le calendrier du versement
des sponsors est en général calqué sur celui des banques pour permettre
de maintenir pendant toute la phase de construction le ratio dette/capital
décidé par les parties. Il se peut cependant que le projet exige que le capital
soit entièrement versé avant que la dette soit tirée.
Convention de prêt
Même si un projet se déroule sans accrocs, la société projet et les banques
sont en contact permanent. Un léger retard de construction peut par exemple
obliger le SPV à solliciter un accord des prêteurs pour modifier le calendrier
des tirages du prêt. Pour être en mesure de prendre rapidement des décisions
collectives, les banques doivent trouver le moyen de formaliser la façon dont
elles se mettent d’accord entre elles.
Le but de la convention de prêt (intercreditor agreement) est de structurer les
relations entre prêteurs. Elle contient donc les règles concernant la façon dont
les décisions sont prises par le syndicat bancaire : droits de vote en fonction
de la part dans le prêt, modalités du vote, délais, pouvoirs, procuration, etc.
Cette convention est d’autant plus importante que, dans un financement
de projet, le nombre de prêteurs est parfois très élevé (cf. l’étude de cas n° 4
sur Disneyland Paris).
104
Contrat de construction
Le contrat de construction doit être signé avec une contrepartie de qualité.
Comme nous l’avons déjà évoqué, cette contrepartie peut être une société liée
au sponsor (sans que ce soit une obligation). Dans le cas d’une concession
autoroutière octroyée au groupe Vinci Concessions par exemple, la construc-
tion sera confiée à Vinci Construction.
Il est impératif que le coût de la construction soit fixe et connu d’avance, ce
qui permet d’optimiser la visibilité des banques et des sponsors. En cas de
malfaçon, défaut de fabrication ou retard de livraison, le contrat doit prévoir
le versement d’indemnités compensatoires. Dans ce contexte, banques et
sponsors préfèrent idéalement travailler avec des entreprises de construction
qui ont une grande expérience et un rating investment grade. Cela permet de
s’assurer que les délais seront tenus et qu’en cas de problème, le coût de
construction restera inchangé et qu’éventuellement des indemnités pourront
effectivement être payées.
Contrat de maintenance
Le contrat de maintenance permet d’assurer l’exploitation du projet. Il doit
prévoir un strict encadrement des coûts ainsi que des possibilités de termi-
naison du contrat de la part de la société projet si le sous-traitant ne remplit
pas ses obligations. À l’inverse, les possibilités de rupture du contrat offertes
à la société de maintenance sont en général limitées.
la maturité de la dette. Plus un contrat est long, plus un SPV peut lever des
financements long terme.
Dans la plupart des cas, la dette d’un financement de projet s’amortit totale-
ment avant la fin du contrat d’achat ou de location, ce qui donne un certain
confort aux prêteurs. On parle alors de positive tail. Si la dette s’amortit totale-
ment après la date de fin du contrat, on parle alors de negative tail. Ce type de
structure de dette n’existe cependant que si l’infrastructure reste opération-
nelle à l’issue du contrat initial. C’est par exemple le cas de fermes éoliennes
ou solaires, qui bénéficient en France de contrats d’achat de vingt ans mais
qui ont une durée de vie de trente ou trente-cinq ans. Il est donc admis que le
projet pourra générer des cash flows au-delà de la période du contrat initial.
Certains prêteurs acceptent alors de prêter sur une durée plus longue. À ce
stade cependant le niveau de dette est extrêmement faible, ce qui minimise
le risque des prêteurs.
106
Genèse du projet
Lorsque Michael Eisner, le PDG de Disney, signe en 1985 un protocole d’ac-
cord avec l’État français et la région Ile-de-France pour l’établissement d’un
parc de loisir près de Paris, tous les voyants sont au vert pour un incroyable
succès commercial. La marque Disney a en effet une aura fantastique en
Europe où ses dessins animés génèrent traditionnellement plus de profits
qu’en Amérique du Nord.
Le groupe américain bénéficie en outre de l’expérience acquise dans trois autres
parcs de loisirs ouverts précédemment : en Californie en 1955, en Floride en
1971 et à Tokyo en 1983. Le projet est donc minutieusement mené et c’est
la ville de Marne-la-Vallée, à l’est de Paris, qui est choisie au terme d’une
sélection au cours de laquelle pas moins de quarante sites sont considérés en
Allemagne, en Espagne, en France, en Italie et au Royaume-Uni.
Marne-la-Vallée s’impose dans la dernière ligne droite face à un site proche
de Barcelone. Même si le climat y est moins clément, la région parisienne a
un plus grand bassin de population que la Catalogne. L’Île-de-France est en
outre plus facile d’accès pour les visiteurs étrangers et a, grâce à Paris, un
potentiel touristique très largement supérieur.
1. Le parc a changé plusieurs fois de nom depuis son ouverture. Par soucis de clarté, nous avons décidé d’utiliser
ici uniquement le nom en vigueur aujourd’hui.
107
Calibrage du projet
Au moment de débuter la planification de son projet, le groupe Disney fait
une constatation paradoxale : bien que les trois parcs déjà construits soient
chacun des succès commerciaux, le groupe n’a jamais trouvé la bonne formule
pour maximiser ses revenus. En Californie, un terrain trop petit a empêché
Disney de construire une infrastructure hôtelière suffisante. Ce sont donc les
hôtels des environs qui profitent de la manne financière que représentent les
clients du parc. En Floride, c’est le conservatisme financier du groupe qui l’a
incité à rester mesuré et à limiter la construction d’hôtels. Là encore, ce sont
des groupes hôteliers sans liens avec Disney qui accueillent l’essentiel de la
clientèle qui passe la nuit sur place. Enfin, au Japon, c’est un partenaire local
qui a construit et qui exploite le projet : Disney ne touche que des royalties et
ne profite donc que très partiellement de l’immense succès du parc.
Confiant dans la force de sa marque, le groupe Disney ne manque pas
d’ambition pour le parc européen. Pour éviter la frustration des situations
américaine et japonaise, il prévoit d’inclure dès l’origine un grand complexe
hôtelier et de ne pas avoir de partenaire local. Le coût total du projet est estimé
à 4,4 milliards de dollars, soit plus de trois fois le parc de Tokyo.
Le parc japonais est une référence capitale pour Disney dans son approche
de l’Europe. Premier projet d’envergure en dehors des frontières américaines,
ce parc a été réalisé à peine dix ans plus tôt et, chaque année, le nombre
de visiteurs a dépassé les anticipations. Il enregistre d’ailleurs, à l’époque,
des affluences moyennes supérieures aux parcs de Floride et de Californie.
D’un point de vue financier, le site est un succès. Le partenaire japonais de
Disney, Oriental Land Company, qui avait financé par dette 80 % du coût de
construction du parc (soit 1,1 milliard de dollars), a remboursé son emprunt
en trois ans.
108
Structure de financement2
Alors qu’il est un moment envisagé que le parc soit financé par des emprunts
levés au niveau du groupe Disney lui-même, les Américains finissent par
choisir de créer un véhicule de financement spécifique, dans l’esprit d’un
financement de projet. Le montage repose sur la création d’une société
ad hoc, Euro Disneyland SCA (dit Eurodisney), qui a la charge de construire
le parc et les hôtels. Eurodisney exploite également la marque (et verse pour
cela des royalties à la maison mère), prend les décisions relatives au projet,
détermine la stratégie du parc, emploie et rémunère le personnel et reçoit les
paiements des clients.
109
Investisseurs
Groupe Disney
(bourse)
Tickets
d’entrée et Eurodisney
nuits d’hôtel
Prêt Prêt
Syndicat de 30 Syndicat de 39
banques (hôtels) banques (parc)
110
165 francs, en hausse de plus de 120 % sur 3 ans. En octobre 1992, Michael Eisner
est même fait chevalier de la Légion d’honneur par le Premier ministre de
l’époque, Pierre Bérégovoy.
Le problème de la dette
Très rapidement cependant, il apparaît que le projet n’a pas été correctement
dimensionné. Les revenus sont trop faibles pour permettre le rembourse-
ment d’une dette qui se monte à plus de 3,5 milliards de dollars au total.
Fin 1993, pour sa première année d’exploitation, le parc enregistre une perte
de 900 millions de dollars. Le projet n’est plus en mesure de servir la dette et,
en novembre, l’action dévisse à 11 francs.
Le parc cumule les mauvais points. Disney a mal calibré son projet, notam-
ment le volet immobilier. Les hôtels sont jugés chers et les clients préfèrent
rentrer directement chez eux ou, s’ils sont touristes, passer la nuit sur Paris
pour un prix comparable. Disney, qui avait également prévu de vendre une
partie des terrains à des groupes hôteliers doit vite renoncer à cette idée,
d’autant que la remontée des taux en France à partir de 1990 entraîne une
crise immobilière.
Il est vite évident que l’ouverture du parc a lieu à contretemps. L’Europe
traverse en 1993 la pire crise de son histoire depuis la guerre. La France est
en récession et la situation est identique dans le reste de l’Europe, Royaume-
Uni excepté. Les visiteurs sont donc moins nombreux que prévu, d’autant
que la politique du franc fort renchérit le coût d’une visite pour les familles
étrangères.
111
Le parc est également mal adapté au climat parisien. Alors qu’il y fait bien
plus froid qu’en Californie, en Floride ou à Tokyo, les attractions sont les
mêmes. Le chiffre d’affaires diminue donc fortement dès que l’automne
arrive. En outre, les Américains pensaient que les Français n’auraient pas de
scrupules à faire rater une journée d’école à leurs enfants pour venir au parc
comme c’est le cas aux États-Unis. Là aussi, l’erreur est flagrante et les visites
pendant la semaine sont nettement inférieures aux prévisions.
Il serait trop facile, avec le recul, d’accuser les Américains d’avoir voulu imposer
un modèle sans l’adapter au goût local. L’exemple japonais – le plus grand
succès du groupe jusqu’à présent – plaidait en faveur d’un projet très forte-
ment américanisé, avec très peu de concessions. À Tokyo, les seules mains
tendues à la culture locale sont la présence d’un restaurant de sushis et les
kimonos que Mickey et Minnie enfilent le jour de l’an.
Restructuration
La direction du parc prend rapidement des mesures pour limiter les pertes.
Une nouvelle stratégie marketing est mise en place. Le prix des hôtels dimi-
nue fortement, les tarifs et les attractions s’adaptent pendant l’hiver et des
accords sont signés avec des tour-operators et des agences de voyages pour
faire venir des visiteurs. Par ailleurs, là où c’est possible, le parc adapte l’offre
de nourriture et de boissons au goût européen.
Un moment évoqué dans la presse, la fermeture du parc n’est pas à l’ordre
du jour chez Disney. Le groupe s’est trop engagé pour faire marche arrière
sans écorner son image. Au moment où le financement doit être renégocié
avec les banques, Disney est cependant ravi d’avoir privilégié une solution
dans laquelle la dette est sans recours sur les autres actifs du groupe. Cela le
place dans une situation plus favorable.
Le schéma de restructuration finalement accepté par les deux syndicats
bancaires comprend un renoncement à 18 mois d’intérêt et à un report du
remboursement du principal de la dette pendant 3 ans. En parallèle, une
augmentation de capital a lieu, souscrite à 51 % par les banques et à 49 %
par Disney. En 1994, les banques vendent leurs parts au prince saoudien Al-
Waleed, qui devient le second actionnaire du parc après Disney.
En contrepartie de cet accord, Disney renonce à tout versement de royalties
pendant 5 ans et accepte de diminuer, à l’issue de cette période, le montant
des paiements de royalties initialement prévus.
112
Épilogue
Grâce à cette restructuration, Disneyland Paris trouve peu à peu son rythme
de croisière. Le parc s’adapte à l’hiver parisien, construit de nouvelles attrac-
tions et dégage même des bénéfices. Beaucoup pensent alors que, comme
pour le parc en Floride, il fallait juste quelques années pour que le complexe
trouve enfin son public. En 2002, le groupe Disney décide d’ailleurs d’ouvrir
un second parc (Walt Disney Studios) juste à côté du premier.
Les déboires de Disneyland Paris ne sont pas terminés pour autant. En 2004,
le projet est rattrapé par ses démons et doit une nouvelle fois renégocier sa
dette. A posteriori, il apparaît que le coût du nouveau parc a été sous-estimé.
Plombé par une dette colossale et des royalties généreuses, Disneyland Paris
doit en 2012 puis en 2014 rééchelonner, respectivement, une troisième et une
quatrième fois sa dette. En 2017, le groupe Disney décide alors de tourner
une page. Il rachète les minoritaires de sa filiale et lance une OPA sur les titres
cotés. Disneyland Paris en termine alors enfin avec son aventure boursière.
113
1. Le financement de la transaction
1.1. Le capital
Sponsors industriels
Comme nous l’avons déjà indiqué, les sponsors industriels sont des entreprises
opérationnelles qui ont un intérêt industriel à construire et opérer un projet.
C’est le cas de Vinci par exemple dont nous avons déjà parlé, actif dans les
concessions autoroutières et aéroportuaires et qui délègue la construction
de ses projets à une filiale du groupe. On retrouve la même stratégie chez
de nombreux géants de la construction : Eiffage en France, Sacyr et ACS en
Espagne, etc.
Dans le domaine de l’énergie, les sponsors industriels sont également très
présents. L’exemple d’EDF, évoqué plus tôt, n’est pas isolé. Engie, RWE,
Iberdrola, Enel, Equnior et bien d’autres suivent la même stratégie. Ils par-
ticipent en capital à des projets d’énergie renouvelable dont ils assurent la
conception, la maintenance et l’exploitation.
Sponsors financiers
Les sponsors financiers constituent un ensemble de plus en plus important
dans le monde des financements de projets. Leur logique est différente de
celles des sponsors industriels et se rapproche plutôt de celle des fonds de
LBO1. La seule différence est qu’au lieu de prendre une participation dans
une société classique, ils prennent une participation dans une société dont
le but est de permettre la construction et l’exploitation d’une infrastructure.
Leur objectif est cependant identique : réaliser un investissement en capital
pour espérer un retour sous forme de dividendes et de plus-value à la revente.
De plus en plus d’investisseurs institutionnels qui ne réalisaient autrefois
que des investissements LBO, développent désormais une activité énergie ou
1. Le fonctionnement de ces sponsors est identique à ce que nous avons vu dans la partie précédente sur le LBO :
ce sont des sociétés de gestion qui gèrent des fonds levés auprès d’investisseurs divers. Seul leur champ d’in-
tervention est différent.
115
116
Même si cela reste rare, certains fonds d’investissement sont présents dans
les phases amont des projets. C’est le cas par exemple du fonds danois
Copenhagen Infrastructure Partners (CIP) qui a développé dans une JV avec
Iberdrola le premier projet éolien en mer aux États-Unis (Vineyard Wind),
financé avec succès en 2021.
Introductions en bourse
La bourse ne joue pas directement un rôle majeur dans les financements de
projets. Il est rare qu’une société projet soit cotée. La taille des projets et leur
objet social limité sont en général peu compatibles avec une cotation sur les
marchés.
Ceci étant dit, certains industriels dans le domaine des énergies renouvelables
ont parfois logé dans une filiale spécifique, qu’ils ont ensuite partiellement
introduite en bourse, l’ensemble de leurs projets. C’est le cas notamment des
industriels espagnols ACS et Abengoa dans les années 2010.
De telles structures, appelées Yieldcos, car elles ont l’objectif de verser un coupon
régulier à leurs actionnaires du fait de la nature des actifs sous-jacents, ont
aujourd’hui perdu en popularité. Pour grandir, ces filiales doivent en effet
acquérir régulièrement de nouveaux projets et ont en général un droit privilégié
de rachat de projets développés par leur maison mère. Dans la mesure où la
filiale a d’autres actionnaires, cela crée souvent des risques de conflit d’intérêts
(à quel prix acheter les projets ?) que les marchés financiers apprécient peu.
1.2. La dette
Par simplification, nous avons jusqu’à présent, dans ce chapitre, utilisé indif-
féremment les termes banque ou prêteur, soulignant implicitement que les
deux notions étaient des synonymes parfaits. La réalité est cependant plus
complexe.
Les banques
Les banques constituent l’essentiel des prêteurs en financement de projet.
Les banques d’investissement qui font partie d’un groupe lié à une banque
de détail sont en général actives sur ce créneau. Elles ont un accès facile à
la liquidité et peuvent donc plus naturellement prêter à long terme. C’est
notamment vrai en Europe où les banques françaises généralistes (BNPP,
Société Générale, CA-CIB, Natixis) figurent parmi les acteurs les plus actifs
du marché.
117
118
2. La modélisation financière
L’une des étapes les plus complexes d’un financement de projet est la modé-
lisation des flux financiers. Cette phase est capitale et peut être comparée,
dans le principe, à la rédaction d’un business plan pour une société tradi-
tionnelle. Il faut en effet déterminer l’ensemble des revenus et des charges
119
120
+ Revenus
– Coûts d’exploitation et de maintenance
– Assurances
– Impôts et taxes
= Cash flows opérationnels bruts
– Augmentation du Besoin en fonds de roulement (BFR)
= Cash flows opérationnels nets
121
1. Dans ce paragraphe, nous entendons par capital l’apport des sponsors, qu’il soit effectivement fait sous forme
de dette subordonnée ou de capital.
122
123
2.4. Le waterfall
La façon dont les cash flows opérationnels du projet sont partagés entre
prêteurs, sponsors et comptes de réserve prend le nom waterfall (cascade). Ce
terme illustre le fait qu’ils se déversent, de haut en bas, selon un agencement
précis.
Les détails du waterfall sont laissés à l’appréciation des parties. Ils s’organisent
autour des principes suivants :
124
1. Il arrive parfois que l’obligation d’abonder les comptes de réserves ait lieu avant paiement des prêteurs juniors.
125
127
Lecture rapide
Financements de projets : qu’avons nous appris ?
128
Les financements d’actifs sont des opérations destinées à financer des actifs
mobiliers comme des navires, des avions ou des trains. Même si l’essor de
ces montages ne date que des années 1970 (et de la création des premières
sociétés de leasing d’avions comme ILFC et GPA), les premiers schémas de
financements d’actifs apparaissent au xviie siècle. À cette époque, les marchands
hollandais mettent en place des financements spécifiques pour construire des
navires afin de commercer avec l’Asie. Compte tenu du risque des expéditions
de l’époque, ces financements ressemblent davantage à des investissements
en capital-risque qu’à des financements bancaires. Les financiers n’exigent
pas un remboursement avec intérêts mais offrent plutôt un apport en capi-
tal contre une part significative des profits que le navire permet de générer.
Dans les siècles suivants, la normalisation du commerce maritime change peu
à peu les structures de financement. On passe alors lentement d’un modèle
dans lequel le remboursement d’un prêt est directement lié à la vente d’une
cargaison à un modèle dans lequel des banquiers financent un armateur
tout en prenant une garantie sur le navire. En d’autres termes, on glisse
d’une logique de financement d’expédition à une logique de financement
de compagnie maritime.
Les financements d’actifs couvrent aujourd’hui une large famille de techniques
financières. Certaines d’entre elles sont les montages les plus simples que
nous verrons dans ce livre, d’autres – peut-être – les plus complexes.
129
1. Sans qu’il existe pour autant un montant minimal formellement établi, cela signifie que les financements
d’actifs concernent plutôt un montage à 100 millions d’euros que l’achat d’un photocopieur ou d’une machine
à eau – qui sont pourtant tous les deux des actifs physiques et mobiliers.
131
132
1. Un lecteur attentif remarquera que les prix annoncés ici sont très inférieurs aux tarifs présentés officiellement
par les deux géants de l’aéronautique. Les prix communiqués au grand public sont des prix dits « catalogue »,
avant négociation, et ne sont bien évidemment pas ceux payés par les clients finaux.
133
134
Opportunités
En continuant l’analyse du projet d’investissement d’Air Brazil, on peut
malgré tout souligner plusieurs éléments positifs. D’abord, même si c’est
une industrie compliquée, le secteur du transport aérien n’a pas été victime
de ruptures technologiques qui le condamnent au déclin. Rien à voir, par
exemple, avec la presse ou l’industrie du disque qui ont été bouleversés par
l’arrivée d’internet. D’ailleurs, le succès des compagnies low cost comme
Easyjet, Ryanair ou Southwest montre bien qu’on peut gagner de l’argent
dans le transport aérien. Une banque peut donc s’aventurer dans ce secteur.
Il faut sans doute mener une analyse de crédit plus poussée.
En creusant, on s’aperçoit que le transport aérien présente certaines spéci-
ficités positives :
− un avion de ligne est un actif standard. L’essentiel des flottes provient
de deux constructeurs uniquement1, ce qui renforce la valeur d’usage
de l’actif. En outre, c’est un actif qui n’a pas de substituts : les autres
moyens de transport (train, autobus, voiture) ne constituent pas des
alternatives crédibles, sauf pour des distances très courtes ;
− les avions sont des actifs dont la durée de vie est longue. Il est possible
d’utiliser un Airbus ou un Boeing pendant plus de 25 ans ;
− pour les deux raisons mentionnées ci-dessus, les avions de ligne sont
des actifs pour lesquels il existe un réel marché secondaire. De nom-
breuses compagnies vendent leurs avions au bout de quelques années
si les standards ou les modèles ne correspondent plus à leur stratégie.
Des compagnies plus jeunes, à la recherche d’avions moins chers ou
qui ont un besoin immédiat (les listes d’attente chez Airbus et Boeing
sont parfois longues) peuvent de leur côté décider d’acheter des avions
1. Nous négligeons ici volontairement les constructeurs d’avions régionaux (Embraer, Bombardier, ATR) ou privés
(Cessna, Dassault Aviation) qui ne représentent qu’une faible part du marché en valeur et qui proposent des
avions qui ne concurrencent pas directement Airbus et Boeing.
135
Risques Opportunités
Important financement requis Actif standardisé et sans substitut
Industrie avec des coûts fixes élevés Longue durée de vie de l’actif
Industrie cyclique Marché secondaire
Une lecture attentive du tableau permet de réaliser que les risques proviennent
de la nature du transport aérien et que les opportunités sont davantage liées
aux caractéristiques intrinsèques de l’actif. Avant même de devoir se pencher
sur les comptes d’Air Brazil, notre banquier-lecteur en déduit donc que, s’il
veut un jour financer son client, il doit mettre en place un montage qui s’ap-
puie sur les opportunités mentionnées dans le tableau 3.1.
136
1. Dans les faits c’est souvent moins, surtout pour les entreprises qui ne sont pas investment grade.
137
exception et les banques ne le font que si elles disposent d’une sûreté ou d’une
garantie sur un actif de qualité.
Le financement maritime
L’industrie du transport maritime présente à bien des égards des similitudes
avec le secteur aérien. Ainsi, si notre banquier-lecteur avait été confronté à
l’armateur Brazil Shipping plutôt qu’à la compagnie Air Brazil, il aurait pu
avoir des conclusions relativement similaires. D’un point de vue financier, le
secteur du transport maritime est en effet également une industrie cyclique.
L’essentiel du commerce mondial transite par navires et tout ralentissement
économique se ressent donc sur les taux de fret et les revenus des armateurs.
De même, navires et avions ont également, pour un banquier, de nombreux
points communs. Dans les deux cas, il s’agit de biens :
− dont le prix est élevé et ;
− pour lesquels il existe – du fait de la durée de vie des actifs et de leur
standardisation – un marché secondaire.
138
Bien évidemment, cette standardisation est moindre pour les navires. Il existe
plus de chantiers navals que de constructeurs d’avions, et plus de types de
bateaux que de types d’aéronefs (on trouve en effet des porte-containers, des
vraquiers, des tankers, des gaziers, etc.). Néanmoins, l’importance grandis-
sante des normes environnementales ou de sécurité (navires double coque
– double hull – par exemple) et la généralisation de standards de taille fluidifient
grandement le marché secondaire1.
Pour toutes ces raisons, les banques appliquent aux financements maritimes
les mêmes principes qu’aux financements d’avions. Elles mettent en place
des structures ad hoc qui permettent de prendre une sûreté sur le navire et
d’offrir un financement longue durée.
1. Ces standards de taille proviennent en partie des contraintes portuaires (port en eaux profondes ou non par
exemple) mais également des limites imposées par la largeur des plus célèbres points de passage. Ainsi, on
appelle Suezmax ou Panamax les navires qui ont la taille maximale autorisée pour franchir, respectivement, le
canal de Suez ou celui de Panama.
139
Au-delà des principes généraux évoqués dans le chapitre précédent, les tech-
niques de financement d’actifs couvrent une large famille de structures finan-
cières. Sans rentrer pour l’instant dans les montages les plus complexes (que
nous gardons pour le chapitre suivant), nous invitons le lecteur à découvrir
les bases du financement d’actifs : le prêt hypothécaire.
1. Montage
141
Banque
Prêt de Hypothèque
$120m sur l’actif
$150m
A350-900
Cette structure est au final assez proche de ce que les banques utilisent pour
financer les achats immobiliers de leurs clients particuliers. La principale
différence est que, dans le monde du financement aéronautique, plusieurs
banques peuvent décider de travailler ensemble pour partager le risque dans
le cadre d’un club deal1.
1. Pour les lecteurs intéressés, nous détaillons les mécanismes de la syndication et des clubs deals dans l’annexe 2.
142
Définition
Lorsqu’elles accordent un prêt, les banques surveillent avec attention la loan
to value (LTV) du financement, c’est-à‑dire le ratio qui rapporte le montant
de leur prêt (loan) à la valeur de marché de l’actif financé (value). Pour limiter
leurs risques, les banques prennent un matelas de sécurité et ne prêtent jamais
100 % de la valeur de l’actif. En général, et même si cela varie en fonction de
la compagnie, de la liquidité de l’appareil et des conditions de marchés, elles
financent entre 60 et 80 % du prix de l’actif.
Les banques surveillent la LTV d’un prêt pendant toute la durée du finance-
ment. Pour maintenir la qualité de sa sûreté, la banque doit en effet s’assurer
que la valeur de l’actif décline moins vite que son exposition. Autrement dit,
il faut que les remboursements du prêt soient supérieurs à la diminution
anticipée de la valeur de l’avion. Si c’est le cas, la banque a une sûreté dont
la valeur de marché reste supérieure à son engagement financier sur toute la
durée du financement.
143
144
Valeur de
Paiement Paiement Échéance marché
Année Exposition LTV
du principal des intérêts totale anticipée de
l’avion
80 000 000 100 000 000 80 %
1 73 336 724 6 663 276 3 200 000 9 863 276 92 500 000 79 %
2 66 406 918 6 929 807 2 933 469 9 863 276 86 487 500 77 %
3 59 199 919 7 206 999 2 656 277 9 863 276 80 865 813 73 %
4 51 704 640 7 495 279 2 367 997 9 863 276 75 609 535 68 %
5 43 909 550 7 795 090 2 068 186 9 863 276 71 072 963 62 %
6 35 802 657 8 106 894 1 756 382 9 863 276 66 808 585 54 %
7 27 371 488 8 431 169 1 432 106 9 863 276 63 134 113 43 %
8 18 603 071 8 768 416 1 094 860 9 863 276 59 661 736 31 %
9 9 483 919 9 119 153 744 123 9 863 276 56 380 341 17 %
10 0 9 483 919 379 357 9 863 276 53 279 422 0%
1. Le phénomène est identique pour les voitures mais il est ici amplifié car un avion bénéficie toujours d’amé-
nagements propres à la compagnie qui le possède. Tout acheteur d’un avion sur le marché secondaire doit
donc modifier le plan de l’appareil, changer les sièges, les couleurs, etc. Ce surcoût implique donc une décote
supplémentaire.
145
146
147
1. Par régulateurs, nous entendons ici la banque centrale et l’autorité de contrôle bancaire du pays dans lequel
la banque est située.
2. Comme évoqué dans l’introduction, le chiffre de 100 % peut se retrouver facilement avec une lecture attentive
des accords de Bâle. Le chiffre de 30 % est en revanche une approximation car il est, dans les faits, fixé de façon
bien plus complexe et dépend de la politique interne de contrôle de la banque. En clair, ce chiffre peut varier
d’un établissement à l’autre.
148
Cela n’a l’air de rien, mais cela signifie, qu’à fonds propres constants, une
banque augmente sa capacité à prêter et donc à générer des profits si elle
prend des hypothèques sur les biens de ses clients. Si par exemple la banque
n’a que 8 millions de fonds propres, elle ne peut prêter que 100 millions si
elle ne fait que des prêts corporates simples mais peut prêter 333,33 millions
si elle prend des hypothèques de façon systématique (8/2,4 × 100). Toutes
choses étant égales par ailleurs, pour un même montant de fonds propres, la
banque perçoit donc, avec la deuxième option, des profits 3,33 fois supérieurs.
En d’autres termes, le recours à des financements avec hypothèque permet à
une banque d’obtenir un meilleur retour sur capital (Return on Equity, RoE)
qu’une banque qui ne ferait que des prêts sans sûretés ni garanties.
149
1. Le crédit-bail financier
Un crédit-bail financier (finance lease) est une location longue durée dans
laquelle le locataire (i) conserve la propriété économique du bien et (ii) dispose
d’une option d’achat attractive à l’issue de la période de location. C’est une
technique de financement très souvent utilisée en asset finance.
151
Le financement d’actifs
Banque
Prêt
Capital
de$120m
$150m
Airbus SPV
A350
Crédit-bail Dépôt de
Loyers
financier $30m
Air France
Dans ce schéma, c’est le SPV qui achète l’avion auprès d’Airbus et le donne en
location à Air France. Le financement du SPV est assuré par la banque à hau-
teur de 80 % sous la forme d’un prêt de 120 millions de dollars. Le solde, soit
20 % (30 millions de dollars) est apporté directement par la compagnie sous
la forme d’un dépôt rémunéré qui fait office de dette junior. Alternativement,
ce dépôt peut prendre une autre forme juridique, par exemple, une avance
7
sur loyers pour l’utilisation du bien. Le libellé de cet apport importe peu et
dépend surtout des contraintes juridiques qui existent dans le pays concerné.
L’essentiel est de permettre au client de participer au financement de son
actif pour limiter la LTV de la banque.
Les loyers
Dans un crédit-bail financier, les loyers payés par la compagnie (le locataire
ou le lessee) au SPV (le loueur ou le lessor) pour l’utilisation de l’actif sont
strictement égaux aux remboursements que le SPV doit à la banque au titre
du prêt (plus éventuellement ce que doit le SPV à la compagnie au titre de
remboursement du dépôt). Le montant des loyers fixé dans le contrat de
location fait d’ailleurs explicitement référence à un taux d’intérêt, là aussi
calculé comme la somme d’un taux LIBOR (ou EURIBOR, etc.) et d’une
marge. Ces données sont bien évidemment les mêmes que celles utilisées pour
152
À l’issue du crédit-bail
Le prêt octroyé au SPV s’amortit généralement presque intégralement sur
la durée de la transaction (souvent entre 8 et 15 ans, comme pour un prêt
hypothécaire). Le balloon final est extrêmement faible, de l’ordre de 1 000 dol-
lars environ, et correspond à la valeur de l’option d’achat que le SPV offre à
la compagnie à l’issue de la période locative. Cette option est dans les faits
toujours exercée car même dans l’hypothèse où la compagnie ne souhaiterait
pas garder l’avion, elle peut l’acheter puis le revendre pour un prix largement
supérieur sur le marché secondaire.
Propriété juridique
Comparé à un prêt hypothécaire, le leasing financier offre une sécurité
juridique supérieure à la banque. L’établissement de crédit est en effet (au
travers du SPV qu’il contrôle) le propriétaire juridique de l’avion. En cas de
défaut de la compagnie1, le SPV peut récupérer l’actif et cesser de le mettre à
la disposition du locataire.
Quel que soit le droit applicable aux contrats, il est en général plus facile de
faire valoir un droit de propriété qu’une hypothèque. Cette différence semble
théorique mais elle a dans les faits une importance réelle. Il faut en effet avoir
à l’esprit que l’avion qui a fait l’objet d’un financement peut être n’importe où
1. Cette fois-ci en tant que locataire au titre du contrat de crédit-bail et non en tant qu’emprunteur au titre de
la convention de prêt.
153
Propriété économique
Bien que le SPV possède l’actif, il n’en assume pas pour autant la gestion quo-
tidienne. Celle-ci est déléguée à la compagnie à travers le contrat de crédit-bail
qui prévoit que le locataire choisit l’équipage, les spécificités de l’avion et les
affectations de l’appareil. Il doit en plus assurer la maintenance et prendre
en charge les réparations et tous les frais habituellement à la charge du pro-
priétaire. L’avion loué en crédit-bail fait intégralement partie de la flotte de
la compagnie et rien ne le distingue des autres appareils. On dit alors que le
SPV laisse au locataire la propriété économique de l’actif.
Vis-à‑vis des tiers, la compagnie assume également le rôle de propriétaire.
Elle reconnaît, dans le contrat de location, que le SPV n’est le propriétaire
juridique de l’avion que pour les raisons du montage financier et s’engage
en conséquence à assumer l’entière responsabilité de la propriété et de la
gestion de l’actif. Elle couvre ainsi notamment le SPV et la banque contre
tout recours juridique de tiers. Ces dispositions contractuelles, qui mettent
la banque et le SPV à l’abri des tracas opérationnels, sont particulièrement
utiles dans le cadre de financement de navires : en cas de pollution ou de perte
de marchandise par exemple, ni la responsabilité du SPV ni celle la banque
ne peuvent être engagées.
Propriété fiscale
D’un point de vue fiscal, et même si cela peut varier selon les pays, c’est en
général le propriétaire juridique de l’actif qui amortit l’appareil. Il bénéficie
alors des réductions d’impôts générées par cette charge. Un crédit-bail finan-
cier permet en conséquence de transférer l’avantage fiscal lié à la propriété
de l’actif de la compagnie aérienne vers le SPV.
1. Afin de faciliter des éventuelles démarches juridiques en cas de faillite ou de litiges, une plaque située à gauche
dans la cabine de pilotage indique toujours l’identité du propriétaire juridique de l’avion. De nombreux pays
ont également signé une convention internationale, la Convention du Cap, pour faciliter la reconnaissance
des droits des créanciers et des loueurs dans des opérations de financement d’actifs.
154
Définition
Dans la mesure où le SPV appartient à 100 % à la banque, celle-ci peut déci-
der d’intégrer fiscalement le SPV. Cela signifie que la banque et le SPV, bien
qu’étant des entités juridiques distinctes, peuvent choisir de déposer une
déclaration fiscale commune, qui additionne les résultats fiscaux des deux
sociétés. C’est exactement le même principe que celui qu’on trouve dans le
levier fiscal du LBO. Dans un cas, on fusionne le résultat fiscal de la cible
et de la HoldCo pour bénéficier de la déductibilité des intérêts de la dette
d’acquisition au niveau de la holding de reprise, dans l’autre, on ajoute le
résultat fiscal du SPV à celui de la banque pour que celle-ci puisse profiter
de l’amortissement de l’actif.
155
négatif les huit premières années puis positif les quatre années suivantes. En
d’autres termes, la banque qui forme un groupe fiscal avec le SPV diminue sa
charge fiscale sur huit ans et paie plus d’impôts les quatre années suivantes.
Bien que le montant des économies d’impôts pendant huit ans soit égal au
montant de l’impôt payé ensuite, cela représente un véritable avantage pour
la banque compte tenu de la valeur temps de l’argent, un concept vu au cha-
pitre 3 de la partie 1.
Compte tenu de cette valeur des flux fiscaux, la banque est même prête à
investir un certain montant de capital dans le SPV pour bénéficier de cet
avantage fiscal. Ce montant vient réduire le montant du dépôt et donc le coût
de l’actif pour la compagnie aérienne. C’est d’ailleurs l’unique raison pour
laquelle les compagnies aériennes entrent dans des opérations de crédit-bail.
Pour illustrer ce propos, prenons un exemple de crédit-bail pour une com-
pagnie aérienne avec les hypothèses suivantes :
− coût de l’actif : 100 m $ ;
− prêt bancaire : 80 m $ ;
− dépôt de la compagnie aérienne : 18 m $ ;
− investissement en capital par la banque dans le SPV : 2 m $ ;
− taux d’intérêt (sur le prêt et le dépôt) : 5,5 % ;
− durée du crédit-bail : 12 ans ;
− durée d’amortissement de l’actif : 8 ans ;
− taux d’actualisation : 5,5 % ;
− taux d’impôt sur les sociétés : 30 %.
En intégrant ces hypothèses à un fichier de calcul (tableaux 3.5 et 3.6), on
constate que la banque dégage un gain fiscal actualisé de 1.2 m $ en partici-
pant à cette transaction.
156
Total 100 000 000 -2 000 000 600 000 2 000 000 1 252 445
Principe
Le principe d’un schéma comme celui-ci repose sur le décalage entre la durée
de l’amortissement de l’actif et la durée de remboursement du prêt. Ce déca-
lage a une valeur et les banques sont donc prêtes à payer pour en bénéficier.
Le montant mis en capital dans la société ad hoc par les banques est donc
en quelque sorte une somme investie à perte : les banques n’attendent pas de
dividendes de leur investissement dans le SPV mais souhaitent simplement
157
158
159
Investisseurs fiscaux
Comme évoqué plus haut, le concept de crédit-bail financier met en évidence
l’existence d’investissements réalisés dans une optique purement fiscale.
L’investisseur participe au capital du SPV, non parce qu’il espère un dividende
ou un coupon mais parce qu’il anticipe des réductions d’impôts.
Cet investisseur fiscal (tax investor), que nous avons pour l’instant assimilé à
la banque peut être, dans les faits, n’importe quelle société désireuse d’op-
timiser sa position fiscale. Certaines banques ont d’ailleurs développé une
expertise dans la syndication d’investissements fiscaux (dits investissements
en tax equity ou equity fiscale). Les investisseurs visés sont des sociétés qui ont
idéalement une grande visibilité sur leurs résultats fiscaux car le schéma ne
prend évidemment tout son sens que si l’investisseur anticipe, sur la durée
de vie d’amortissement de l’actif, des résultats fiscaux positifs sur lesquels il
pourra venir imputer les pertes fiscales générées par le montage.
Bien évidemment, la documentation juridique d’une telle transaction prévoit
clairement que l’investisseur fiscal est tenu à l’écart de la gestion opération-
nelle de l’actif. Cet investisseur est indemnisé par la compagnie aérienne (ou
toute autre société qui a recours au montage pour financer ses équipements)
si l’investissement venait à avoir des conséquences d’ordre matériel. Le risque
de l’investisseur se limite donc à un risque fiscal uniquement.
160
161
Cession du SPV
Dans ce type de situations, on peut donc imaginer céder la propriété du SPV
dès que celui-ci dégage des profits taxables. Ce type de transaction est connu
sous le nom de lease tail (ou queue du crédit-bail en français), ce qui indique
que la transaction est cédée dès que la position fiscale du SPV se retourne,
passant de négative à positive.
Précisons que ce type de cession n’a rien à voir avec les opérations traitées
par les départements fusions-acquisitions des banques. Dans le cas qui nous
intéresse, le SPV dégage certes des profits mais n’a aucun cash flows (les
loyers servent à rembourser la dette). En outre, du fait de la documentation
très contraignante signée lors de la mise en place de la transaction, le SPV
est sur pilote automatique et ne peut sortir de son objet social étroit qui est
de louer l’avion à une compagnie aérienne.
1. L’amortissement ayant lieu aux États-Unis, la déduction profitait à l’investisseur fiscal américain. En somme,
le gouvernement fédéral américain constatait un manque à gagner fiscal… qui profitait à des entreprises euro-
péennes pour des investissements en Europe.
162
Qui pourrait cependant vouloir acquérir un SPV sans cash flows nets, dont
l’activité est totalement restreinte et dont la seule caractéristique est de générer
des profits et donc d’obliger son propriétaire à payer des impôts ?
Les seules entreprises candidates au rachat sont, dans les faits, des sociétés
pour lesquelles intégrer fiscalement un SPV profitable n’aura aucun impact.
Ce sont donc des entreprises structurellement déficitaires, souvent parce
qu’elles ont de forts reports fiscaux déficitaires. Pour rappel, le report fiscal
déficitaire permet à une entreprise déficitaire en année N de garder pour les
années suivantes le bénéfice de ces pertes fiscales. Ainsi, si une société réalise
une perte de 100 en année N et réalise un profit de 120 en année N +1, alors
l’entreprise ne sera taxée, en N +1, que sur la différence entre son bénéfice de
l’année N +1 et sa perte de l’année N (soit 20).
Dans les faits, certaines entreprises qui ont réalisé des investissements hasar-
deux et fait des pertes colossales sans pour autant faire faillite peuvent ainsi
reporter des pertes fiscales pendant de très nombreuses années. Elles peuvent
ainsi cumuler des reports déficitaires et être certaines de ne pas payer d’im-
pôts pendant longtemps. C’est à ce type de sociétés que les SPV mis en place
pour des transactions fiscales sont vendus. En quelque sorte, ces sociétés
monétisent leurs pertes fiscales.
3. La location opérationnelle
Définition
La location opérationnelle (operating lease) offre aux sociétés qui utilisent des
actifs mobiliers une alternative au prêt hypothécaire et au leasing financier.
C’est une location simple, sans option d’achat, dans laquelle le propriétaire
d’un actif le loue à un locataire pour une durée donnée. À l’issue de la période
de location, l’actif est rendu par le locataire à son propriétaire. Le leasing
opérationnel est très commun dans le secteur de l’aviation commerciale.
Dans ce schéma, et contrairement au leasing financier, le propriétaire de
l’actif assume un rôle de loueur et non uniquement de financier. Il court
un risque réel sur la valeur de l’actif, appelé aussi risque de valeur résiduelle.
Il accepte notamment l’idée que l’actif puisse ne pas être loué suite à la pre-
mière phase de location. Les loyers dus par le locataire intègrent ce risque,
ce qui fait en général du leasing opérationnel une solution de financement
relativement chère.
164
165
Pour cette raison, les acteurs engagés dans la location d’actifs ne sont pas
des banques. Ce sont des sociétés de location spécialisées, appelées loueurs
opérationnels (ou, en anglais, lessors ou operating lessors). Dans le domaine
aéronautique, les lessors ont des profils capitalistiques très divers. Certains
sont des sociétés cotées, d’autres des filiales de banques, d’autres enfin sont
détenus par des fonds d’investissement, de type private equity ou des fonds
souverains.
Le tableau 3.7 donne la liste des dix principaux loueurs d’avions, classés selon
la taille de leur flotte au 31 décembre 2020. Annoncé en début d’année 2021,
le rachat de GECAS par AerCap a été effectif en novembre 2021, donnant
naissance au leader incontesté du leasing d’avions.
Nombre
Rang Loueur Commandes1 Actionnaires
d’avions
1 AerCap 1,022 288 Coté sur le NYSE
2 GECAS 989 253 General Electric
Bohai Leasing (70 %) et Orix
3 Avolon 578 240
Corporation (30 %)
Onex (35 %), GIC (30 %),
4 BBAM 516 –
et management (35 %)
Nordic Aviation Martin Møller (fondateur),
5 483 72
Capital EQT, GIC
SMBC Aviation
6 473 223 SMBC
Capital
7 ICBC Leasing 457 108 ICBC
Bank of China (70 %), coté
8 BOC Aviation 404 135 sur le Hong Kong Stock
Exchange – HKEX (30 %)
Steven Udvar-Hazy
Air Lease
9 396 369 (fondateur),
Corporation
côté sur le NYSE
Investment Corporation
10 DAE Capital 365 –
of Dubai (ICD)
1. Avions commandés par le loueur aux différents constructeurs mais non encore livrés.
166
167
Dans certains cas, plus rares cependant, la location de l’appareil inclut égale-
ment la mise à disposition d’un équipage, la prise en charge de la maintenance
et la gestion des assurances. On parle alors de wet lease. Ce sont souvent des
locations de dépannage, utilisées par des compagnies aériennes – mais aussi
des entreprises et certains gouvernements – qui ont un besoin ponctuel. Dans
ce cas-là, l’operating lessor garde la propriété économique et juridique de l’avion.
168
Crédit-bail
Prêt hypothécaire Crédit-bail financier
opérationnel
169
Virgin Records
Confronté en 1970 aux difficultés du magazine Student qu’il a créé trois ans
plus tôt, Richard Branson décide de se lancer, à vingt ans, dans une nouvelle
aventure. Son projet est de monter à Londres un magasin de disques à prix
cassés. Devant le succès de la première boutique ouverte sur Oxford Street,
Branson en ouvre rapidement plusieurs autres. Surfant sur ce succès, il fonde
deux ans plus tard, avec deux amis, la maison de disques qui le rendra célèbre,
Virgin Records.
Le premier album paru sous le label Virgin est « Tubular Bells » de Mike
Oldfield, en 1973. Cet album s’avère être un succès colossal qui permet à
Virgin de dégager rapidement des profits et d’être en position de signer
d’autres artistes, notamment les Sex Pistols, Phil Collins ou Culture Club.
Virgin se diversifie peu à peu. Branson investit dans une boîte de nuit puis
développe une société de production et de distribution de vidéos, Virgin
Vision, qu’il revend rapidement. Branson est un touche-à‑tout. Lorsqu’un
vendredi soir, il découvre sur son bureau une proposition d’investissement
dans une compagnie aérienne, il est très vite séduit.
Lancement de la compagnie
Les débuts de la compagnie ont lieu très rapidement après. Branson veut lancer
Virgin Atlantic en juin, pour ne pas rater l’été, la meilleure période de l’année
en termes de chiffre d’affaires pour une compagnie aérienne. Les premiers
jours sont épiques : des chanteurs sous contrat avec Virgin Records viennent
remonter le moral d’un personnel débordé et sont présents pendant le vol
inaugural.
172
Épilogue
Malgré cette transaction inventive, Richard Branson est rapidement rattrapé
par la nature du transport aérien. Dès 1985, pour financer les coûts fixes de
Virgin Atlantic, il décide, à contrecœur, d’introduire en bourse une partie de
son groupe. Sept ans plus tard, en 1992, au milieu d’une dispute commerciale
majeure avec British Airways, il est contraint de vendre sa maison de disques
pour éviter la faillite de Virgin Atlantic.
Cette aventure est pourtant le début d’une longue histoire d’amour entre
Branson et le transport aérien. Virgin acquiert en 1996 la compagnie Euro
Belgian Airlines et la rebaptise Virgin Express, avant de la fusionner avec
Brussels Airlines et de la vendre à Lufthansa. Virgin lance ensuite Virgin Blue
en 2000 (aujourd’hui Virgin Australia), puis Virgin Nigeria en 2005 (disparue
depuis) et enfin, en 2007, Virgin America (revendue à Alaska Airlines en 2016).
Au-delà de ces ventes et acquisitions, Richard Branson reste célèbre pour
les innovations apportées au secteur du transport aérien. Virgin Atlantic
est notamment la première compagnie à intégrer des écrans dans les sièges
passagers et à inaugurer des bars à l’arrière des appareils.
173
Lecture rapide
Financements d’actifs : qu’avons-nous appris ?
y Le financement d’actif est une famille de montages qui permet le financement
d’investissements mobiliers onéreux de type avions, navires ou trains.
y On distingue trois sous-techniques de financement : le prêt hypothécaire, le
crédit-bail financier et la location opérationnelle.
y Comparé à un financement classique sans garantie, un prêt hypothécaire permet
de structurer un prêt plus long et d’offrir un effet de levier plus important (jusqu’à
80 % de la valeur de l’actif, à comparer avec le taux d’endettement moyen d’une
entreprise). Cet effet de levier et cette maturité s’expliquent par la durée de vie des
actifs en question et de l’existence d’un marché secondaire structuré sur lequel la
banque peut revendre l’actif en cas de défaut de son client.
y Les sociétés peuvent aussi financer leurs actifs à travers un crédit-bail financier.
Dans ce cas, une banque octroie un prêt à un SPV qui achète l’actif et le donne
en location au client sur longue durée. Les loyers payés par le client permettent au
SPV de rembourser sa dette. À l’issue de la période de location, le SPV a remboursé
la banque et le client a l’option d’acquérir l’actif pour un montant symbolique.
y Dans cette situation, c’est le SPV, en tant que propriétaire, qui amortit fiscalement
l’actif. C’est donc l’actionnaire du SPV qui bénéficie des économies d’impôts liées
à cet amortissement. Son apport en capital est remboursé uniquement par ces
réductions d’impôt, ce qui signifie que, pour le client, cet apport correspond à
une réduction du montant à financer pour acquérir l’actif. Tout se passe comme
si le client vendait des économies d’impôt futures en échange d’une réduction
immédiate du coût de l’actif.
y Hormis cette subtilité fiscale, le crédit-bail financier est similaire à un prêt
hypothécaire : il permet d’octroyer un financement longue durée pour un montant
important.
y Les actifs, et notamment les avions, peuvent également être financés par le biais
de location simple, dite de leasing opérationnel. Dans ce cas, l’avion est loué
par la compagnie aérienne auprès d’un loueur professionnel. C’est une solution
flexible qui permet de financer 100 % de la valeur d’un actif.
174
175
1.1. Définition
La titrisation est une technique financière qui permet de convertir des actifs
illiquides en titres financiers négociables. Plus précisément, la titrisation fait
référence à une vente d’actifs générant des cash flows (prêts aux entreprises,
prêts aux particuliers, créances diverses) par une entité (banque ou entreprise)
à une société spécialement créée pour l’occasion (Special Purpose Vehicle ou SPV).
Le SPV finance l’achat des actifs grâce à l’émission de titres financiers. Le ren-
dement de ces titres, désignés par le mot générique Asset-Backed Securities (ou
ABS), provient uniquement des cash flows générés par les actifs logés dans le
SPV. Ces ABS sont généralement acquis par des investisseurs institutionnels
(banques, compagnies d’assurances, asset managers, fonds de pension ou
des hedge funds1).
1.2. Illustration
Pour aider le lecteur à se faire une idée plus précise du concept de titrisation
(securitization en anglais), prenons l’exemple d’une banque qui décide de titriser
un portefeuille de prêts immobiliers aux particuliers. Dans une telle transac-
tion, la banque sélectionne les prêts qu’elle souhaite céder et les vend à un
SPV qui émet alors des titres pour financer l’achat de cet ensemble de prêts.
Une fois les actifs cédés, la totalité des remboursements, en principal et en
intérêts, payés par les emprunteurs à la banque au titre des prêts immobiliers,
sont reversés au SPV. La banque n’est donc plus qu’un conduit et ne conserve
aucun revenu sur les actifs transférés. Ces paiements sont donc intégralement
versés au SPV. Ce dernier les distribue ensuite aux investisseurs, comme l’il-
lustre le schéma 4.1.
1. Un hedge fund est un fonds alternatif qui utilise en général un fort effet de levier et qui pratique souvent la vente
à découvert de titres financiers.
177
La titrisation
Emprunteur 1 Investisseur 1
Banque /
Emprunteur 2 SPV Investisseur 2
cédant
Emprunteur… Investisseur…
Prêts Achat des Achat des titres
créances
Différentes tranches
Les ABS émis par le SPV et souscrits par les investisseurs ne sont pas tous
identiques. Ils sont regroupés en différentes catégories, appelées tranches.
178
Le nombre de ces tranches varie selon le type d’actifs titrisés. Il existe en effet
des normes de marché pour chaque catégorie de collatéral (prêts immobiliers,
créances professionnelles, prêts aux entreprises, etc.).
Pour ce qui est des prêts aux entreprises – qui est l’exemple que nous analy-
serons plus bas – la norme est souvent de structurer une opération avec six
ou sept tranches (même si rien n’empêche juridiquement, techniquement
ou financièrement d’en avoir plus ou moins). Quel que soit leur nombre,
chacune de ces tranches offre un rendement et un niveau de risque différent.
179
180
Principe
Afin de faciliter leur placement auprès des investisseurs et d’améliorer la
liquidité du marché secondaire, les ABS sont notés par une agence de notation
dont le rôle est d’évaluer la probabilité de défaut de chacune des tranches. Ces
agences sont le plus souvent Moody’s, Standard & Poor’s ou Fitch Ratings,
mais d’autres agences moins connues du grand public sont aussi très actives
(Scope Ratings, KBRA ou DBRS). Selon la répartition classique, sur les six
ou sept tranches, on trouve :
− quatre tranches dites investment grade1 ;
− une ou deux tranches sub-investment grade et ;
− une tranche non notée, la tranche equity.
La notation des tranches correspond au risque intrinsèque de chacune d’entre
elles. Celles qui sont le moins exposées au risque de défaut du collatéral sont
les mieux notées. Ainsi, la tranche prioritaire en termes de distribution est
notée AAA, la suivante AA et ainsi de suite. Dans le langage courant, la tranche
notée AAA est dite tranche senior alors que les autres tranches de dettes sont
appelées conjointement mezzanine (tranches AA, A, BBB, BB et potentiellement
B s’il y a sept tranches). Le bilan du SPV mis en place pour l’occasion peut
donc être représenté de façon simplifiée comme sur le schéma 4.3.
1. Pour rappel, les titres de dettes dits investment grade sont des titres dont la notation est au moins égale à BBB-.
181
SPV
Actif Passif
AAA Tranche
senior
Cash Flows
Portefeuille
Pertes
de créances
(collatéral) AA
Tranche
A mezzanine
BBB
BB
Tranche
Equity
equity
Comme indiqué sur le schéma, les différentes tranches n’ont pas une taille
identique. La tranche senior est généralement la plus large et représente
souvent 60 à 70 % de la transaction. La taille précise des tranches dépend de
11
chaque transaction et des exigences des agences de notation.
Évolution de la notation
Bien évidemment, la notation des tranches dont nous parlons ici est valable
uniquement lors de la mise en place de la transaction. En fonction des évé-
nements qui affectent ultérieurement le collatéral, les agences de notations
peuvent revoir les notes attribuées à une ou plusieurs tranches.
C’est notamment ce qui est arrivé au moment de la crise de 2008. La dégra-
dation de la situation économique a en effet entraîné une augmentation de
défauts sur de nombreux actifs (prêts immobiliers, prêts aux entreprises, etc.).
Dans ce contexte, les agences de notation ont parfois revu à la baisse les notes
données à des tranches dont le rendement pouvait potentiellement être
affecté par ces défauts. À l’inverse, lorsque la situation s’est améliorée et que
certains des défauts attendus dans les portefeuilles sous-jacents ne se sont
pas matérialisés, les agences de notations ont revu leurs notes à la hausse.
182
Par défaut, lorsque les titres n’ont pas de sigle propre, ils sont appelés ABS.
Le terme ABS est donc un sigle un peu trompeur puisqu’il désigne à la fois
un terme générique et les titres de titrisation n’ayant pas de nom spécifique.
Par souci de clarté, on précise donc souvent le type d’ABS dont il s’agit.
On parle donc de :
− student loans ABS : titrisation de prêts étudiants ;
− aircraft ABS : un operating lessor regroupe plusieurs avions loués à dif-
férentes compagnies aériennes et les cède à un SPV qui émet des ABS
pour en financer l’achat ;
− credit card ABS : titrisation par les banques ou des sociétés comme
American Express des avances faites à leurs clients au moyen de cartes
de paiement ;
− etc.
Afin de clarifier un point qui porte parfois à confusion, on peut préciser ici
que les termes employés pour désigner les titres émis dans le cadre d’une
titrisation (CDO, CLO, etc.) sont parfois également utilisés par les profes-
sionnels du milieu pour désigner le véhicule de titrisation (c’est-à-dire le SPV)
qui émet lesdits titres.
183
Le contexte
Les négociations autour des « Bowie Bonds » commencent fin 1996. La genèse
de l’idée est encore incertaine. Le banquier David Pullman, qui a arrangé
l’opération, prétend en être à l’origine mais Paul Trynka, dans sa biographie
consacrée au chanteur, explique c’est une idée de William Zysblat, le conseiller
financier de David Bowie à l’époque.
En 1997, David Bowie a 50 ans. Il s’est remarié cinq ans auparavant et pré-
voit d’avoir un enfant. Malgré sa réussite exceptionnelle et des tubes comme
« Heroes », « China girl » et « The man who sold the world », l’artiste n’a pas la
situation financière qu’on peut attendre de quelqu’un qui a vendu autant d’al-
bums. Les raisons sont multiples : train de vie dispendieux, divorce coûteux et,
surtout… contrat avec son ancien manager, selon lequel il doit reverser à celui-ci
jusqu’à 50 % des droits d’auteur sur les titres sortis pendant leur collaboration.
La transaction
Pour stabiliser sa situation financière, David Bowie, aidé par ses conseillers,
décide de s’inspirer des montages de titrisation mis en place pour refinancer
l’immobilier américain. À l’inverse de la plupart des chanteurs, l’artiste possède
en effet à la fois les enregistrements originaux et les droits d’auteur de la plupart
de ses œuvres. Il décide donc de céder, pour dix ans, 287 de ses chansons et
enregistrements. L’acquéreur est un SPV qui finance cet achat par l’émission
de titres financiers appelés les « David Bowie Class A Royalty-Backed Notes ».
Les titres sont acquis par l’assureur américain Prudential en 1997 au cours
d’un placement privé et sont émis pour une durée de dix ans. Ils sont notés
Aaa par Moody’s, soit l’équivalent du fameux AAA chez Standard & Poor’s.
À la différence de la plupart des opérations de ce type, le SPV n’émet qu’une
seule et unique tranche de titres.
184
Épilogue
Si pour les raisons évoquées ci-dessus, le marché de la titrisation des droits
d’auteur se tasse dès la fin des années 1990, la transaction faite par David Bowie
ouvre néanmoins la voie à des opérations financières sur des actifs immaté-
riels. Ainsi, en mai 1999, Morgan Stanley et WestLB arrangent une opération
similaire sur les droits télévisuels de la Formule 1. D’un montant de 1,4 mil-
liard de dollars, l’émission des « Bernie Bonds2 », représente plus de 25 fois
le volume de la titrisation Bowie.
1. Le journaliste Mark Steyn eu notamment un joli mot d’esprit : “Once upon a time, rock stars weren’t rated by
Moody’s. They were moody” (autrefois, les rock stars n’étaient pas notées par Moody’s, elles étaient d’humeur
changeante).
2. Surnom donné en référence à Bernie Ecclestone, grand argentier de la Formule 1 et négociateur de l’opération
avec les banques.
185
Définition
Apparu historiquement en Prusse en 1769 sous le nom de Pfandbriefe pendant
le règne de Frederick le Grand, un covered bond est une obligation dont les
deux principales caractéristiques sont (i) qu’elles sont émises exclusivement
par des banques et (ii) qu’elles sont garanties par un portefeuille d’actifs
détenus par l’émetteur. Le but d’un covered bond est de créer une obligation
extrêmement peu risquée et donc peu coûteuse pour son émetteur. Compte
tenu de la garantie additionnelle dont ils bénéficient, les covered bonds sont
en général notés au moins AA par les agences de notation.
Parfois confondus avec des ABS, les covered bonds sont pourtant bien diffé-
rents. Si les deux types de titres sont adossés à un portefeuille d’actifs, un ABS
est cependant sans recours sur l’entité qui a cédé ses actifs au SPV. En clair,
cela veut dire que si certains actifs du portefeuille vendu au SPV font défaut,
l’investisseur qui a acquis les ABS ne peut demander une quelconque indem-
nisation à la banque ou la société qui a, à l’origine, cédé les actifs au SPV.
À l’inverse, un covered bond a toutes les caractéristiques d’une obligation
traditionnelle. Il offre à son détenteur un recours plein et entier sur l’insti-
tution financière qui a émis l’obligation. Cependant, à la différence d’une
obligation traditionnelle, un covered bond offre aux investisseurs le bénéfice
d’un collatéral additionnel : le portefeuille d’actifs.
186
1. Introduit par les accords de Bâle III en 2010, le Liquidity Coverage Ratio (LCR) oblige les banques à maintenir
constamment un niveau d’actifs liquides supérieur à leurs besoins de trésorerie pour les 30 prochains jours.
C’est un ratio de liquidité court terme qui doit permettre d’assurer la survie des banques en cas d’absence de
liquidité prolongée sur les marchés. Il a été introduit en réaction à la faillite de Bear Stearns, Lehman Brothers
et Washington Mutual en 2008. Au titre de ce ratio, les covered bonds comptent pour des actifs liquides, ce
qui explique l’intérêt des banques à en acheter.
2. Solvency II est le nom donné à la directive qui réglemente le secteur de l’assurance dans l’Union Européenne.
L’objectif de cet ensemble de règles est assez proche des principes édictés par les accords de Bâle pour les
banques. Les compagnies d’assurances doivent démontrer qu’elles sont gérées de façon prudente et qu’elles
financent leurs actifs avec un certain niveau de capital. Ce niveau est fixé par Solvency II et dépend du risque
de chaque actif. En l’occurrence, l’achat de covered bonds ne génère pas une forte charge en capital pour les
compagnies d’assurances.
187
Quels risques ?
Tant que l’émetteur ne fait pas défaut, les coupons dus sur les covered bonds
sont payés sur les revenus d’exploitation de l’émetteur plutôt que sur les reve-
nus générés spécifiquement par le portefeuille d’actifs donnés en garantie.
Si une banque émettrice de covered bonds fait défaut, le portefeuille d’actifs
auquel ils sont adossés est retiré du bilan de l’émetteur et continue à être
exploité indépendamment par un administrateur. Si ces actifs sont insuffi-
sants pour couvrir le montant dû aux investisseurs, les détenteurs de covered
bonds se retrouvent, pour la part de leur créance non couverte, avec une
créance sur l’émetteur de rang égal à celles des créanciers chirographaires
(principe du « double recours »).
188
Avant de plonger plus loin dans les détails de la structuration d’une titrisation,
nous proposons au lecteur de nous arrêter un moment sur le rôle concret de
chacun des acteurs dans une opération de ce type.
1. Les débiteurs
Titrisation – schéma 4.5
Nous appelons ici « débiteurs » les personnes ou entités sur lesquelles existent
les créances qui sont transférées au SPV. Cette catégorie regroupe donc l’en-
semble des personnes physiques ou morales qui contribuent à générer des
revenus pour les actifs titrisés (cf. schéma 4.5).
Schéma 4.5 : rappel sur la place des débiteurs dans le processus de titrisation
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1. Contraintes imposées par les accords de Bâle successifs comme le sait maintenant le lecteur.
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1. Ceci s’explique parce que les investisseurs réalisent constamment des arbitrages. Si un titre noté AA émis il y
a deux ans distribue un coupon 2 % et que les nouveaux titres de ce type sont soudainement émis (du fait de
certaines conditions de marché) avec un taux de 1,5 %, les investisseurs vont chercher à acquérir le titre émis
il y a deux ans car il est plus rémunérateur que les nouveaux pour un risque équivalent. L’augmentation de
l’offre pour le titre ancien va faire monter son prix jusqu’à ce que son rendement ne soit plus que de 1,5 %.
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3.2. L’arrangeur
L’arrangeur est une banque d’affaires dont le rôle est de structurer l’opéra-
tion. Sa mission est d’aider le cédant à sélectionner les créances qui doivent
être transférées au SPV et de se mettre en lien avec les agences de notation
pour connaître leurs exigences en matière de constitution du portefeuille
d’actifs sous-jacents.
1. Le trust est une notion de droit britannique dans laquelle une personne morale ou physique cède des actifs à
une entité autonome (le trust). Les actifs sont contrôlés par une personne (le trustee) pour le bénéfice d’une
autre (le bénéficiaire). Ni le cédant, ni le trustee, ni le bénéficiaire ne possèdent le trust. Celui-ci est totalement
indépendant.
193
L’arrangeur agit également en tant que placement agent. Son rôle est d’identi-
fier les investisseurs potentiels et de leur faire acheter les ABS. Pour ce faire,
il rédige l’offering circular relatif à la transaction, c’est-à-dire le prospectus qui
présente de façon exhaustive les risques et les opportunités de l’investissement.
Préparer un offering circular est en général, dans chaque pays, une obligation
légale pour tout investisseur qui émet des titres.
L’arrangeur travaille toujours de concert avec un cabinet d’avocat. Ce dernier
rédige l’ensemble des documents et des contrats nécessaires au bon fonction-
nement de la transaction (statuts du SPV, contrat de cession des actifs, etc.)
et l’assiste dans la rédaction de l’offering circular.
3.4. Le trustee
Le trustee est l’entité responsable de l’administration du SPV. Son rôle couvre
donc une multitude de tâches :
194
− il s’assure d’abord que les actifs ont bien été transférés au SPV ;
− il récupère les flux générés par les actifs ;
− il organise le paiement des coupons et le remboursement du principal
des obligations émises ;
− il gère toutes les dépenses de fonctionnement du SPV (paiement des
comptables, des auditeurs et des avocats) et ;
− il fournit aux investisseurs tous les reportings prévus dans la documen-
tation juridique.
Le trustee est un acteur clé du processus de titrisation. Son rôle est dans les
faits de protéger les intérêts des investisseurs, en s’assurant à la fois de la
bonne marche de la transaction et en leur fournissant toutes les informations
nécessaires sur la performance du portefeuille sous-jacent.
3.5. Le servicer
Le servicer est l’entité en charge des aspects les plus opérationnels d’une
titrisation. Son rôle est notamment de collecter effectivement les paiements
dus au SPV, de recouvrer les impayés et d’exercer en cas de défaut les sûretés
éventuelles associées aux créances. Il arrive souvent que le servicer soit l’entité
qui a cédé ses actifs au SPV. Elle est en effet très bien placée pour s’occuper
de ces aspects très concrets.
4. Les investisseurs
Les investisseurs dans les opérations de titrisation (cf. schéma 4.8) sont géné-
ralement des hedge funds ou des investisseurs institutionnels mais sont aussi
parfois des family offices1 ou des banques privées2.
1. Un family office est une société d’investissement qui gère les actifs de familles extrêmement fortunées. Certains
family offices se concentrent sur la gestion de la fortune d’une seule famille, d’autres s’occupent de plusieurs
familles en même temps.
2. Des banques privées sont des banques spécialisées dans la gestion du patrimoine de clients fortunés. Elles
s’adressent à des clients plus aisés que les banques de détails mais beaucoup moins que les family offices.
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La titrisation
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créances
196
ses RWAs pour allouer son capital à d’autres transactions tout en conservant
une exposition (et des revenus) à des actifs qu’elle connaît bien.
Concrètement, on peut imaginer le cas suivant :
− une banque décide de titriser une partie de son portefeuille de titres
high yield ;
− ces titres de dette étant très risqués, leurs équivalents en RWAs sont de
l’ordre de 100 à 150 % de leur montant nominal1. Du fait des contraintes
réglementaires, la banque immobilise donc beaucoup de fonds propres
pour financer ces actifs ;
− le SPV mis en place à l’occasion de l’opération de titrisation, acquiert la
totalité du portefeuille de la banque et émet six tranches de titres – dont
cinq de dette (notées de AAA à BB) et une d’equity – pour le financer ;
− la banque souscrit la totalité de la tranche senior émise par le SPV et
place les cinq autres tranches auprès de divers investisseurs.
Dans une telle transaction, la banque garde une exposition aux titres high
yield qu’elle détenait mais conserve uniquement la partie la moins risquée
de son portefeuille. D’un point de vue conceptuel, on peut alors dire qu’elle
a échangé un portefeuille de prêts high yield (très consommateurs de fonds
propres) contre des liquidités et un plus petit portefeuille de titres notés AAA
(faiblement consommateur de fonds propres).
197
198
1. Fannie Mae et Freddie Mac sont deux sociétés privées qui bénéficient d’une garantie implicite de l’État fédéral
en échange de la réalisation de missions de service public dans le domaine du logement.
2. L’expression subprime désigne les ménages qui ont une faible qualité de crédit. Littéralement, elle signifie que les
emprunteurs se situent sous la catégorie des emprunteurs prime, c’est-à‑dire considérés comme naturellement
solvables.
199
− la première année, il doit payer à la banque 2 % sur 500 000 dollars, soit
10 000 dollars. Dans le même temps, son emprunt augmente de 8 %,
soit la valeur des intérêts dus et non payés. L’endettement du ménage
se monte donc à 540 000 dollars à la fin de la première année ;
− La seconde année, le ménage doit payer 2 % sur 540 000 dollars, soit
10 800 dollars. Sa dette progresse en parallèle de 8 % pour atteindre
583 200 dollars.
Le système est donc extrêmement pernicieux. Il n’existe que parce que tous les
intervenants croient en une hausse constante des prix de l’immobilier. La pro-
position commerciale de la banque est en effet très simple : si une maison vaut
aujourd’hui 500 000 dollars, on peut prêter cette somme à un ménage pour
en financer l’acquisition. Comme les prix de l’immobilier montent sans cesse,
cette maison aura dans deux ans une valeur bien supérieure. Elle doit donc
sans problème pouvoir servir de collatéral pour lever, deux ans plus tard, un
financement d’une valeur minimale de 583 200 dollars. Ce nouvel emprunt
doit permettre de rembourser l’ancien et de repartir avec le même schéma :
taux préférentiel sans remboursement de principal pendant deux ans puis
refinancement grâce à un nouveau financement (et ainsi de suite).
Cet incroyable montage est d’une fragilité extrême. Il reste vulnérable, non pas
seulement à une baisse des prix mais à une diminution de la hausse. En effet,
dans notre exemple, si les prix de l’immobilier augmentent moins vite que
8 % par an, il devient impossible, après deux ans, de refinancer son bien car
celui-ci a une valeur de marché inférieure au notionnel du prêt. L’emprunteur
fait donc défaut car il lui est impossible de faire face à l’échéancier du prêt
qui lui a été accordé à l’origine.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la crise éclate en 2007. C’est en effet deux ans
plus tôt, en 2005, que ce type de prêts devient très populaire. La faible hausse
des prix de l’immobilier cette année-là provoque des défauts en cascade chez
les ménages les plus modestes, incapables de refinancer leurs prêts. Parmi les
tristes histoires de la crise, on trouve en Californie, l’exemple d’un cueilleur
de fraises mexicain ne parlant pas un mot d’anglais, dont le salaire annuel
était de 14 000 dollars et auquel on a prêté 724 000 dollars, soit la totalité de
la valeur de la maison qu’il souhaitait acquérir.
200
sans historique de crédit d’obtenir de très bonnes notes. Les immigrés à faibles
revenus qui n’ont jamais emprunté peuvent donc obtenir un score excellent
pour peu qu’ils n’aient pas fait défaut sur leurs cartes de crédit.
Enfin, pour entretenir l’illusion que les portefeuilles de prêts présentent
une relative diversité, les banques mélangent entre elles, voire inventent, de
nouvelles sous-catégories de prêts subprimes : les prêts Alt-A (alternative aux
emprunteurs notés A), les HEL (Home Equity Loan), les HELOC (Home Equity
Line of Credit), les prêts midprimes … Ironie de l’histoire, pendant que certains
départements des banques d’affaires structurent des CDOs de plus en plus
risqués, d’autres départements, dans les mêmes établissements, investissent
dans ces titres qui offrent – en apparence – la sécurité d’un AAA.
202
et 2007. L’entreprise est d’ailleurs celle qui a la meilleure marge du S&P 5001
pendant 5 ans.
Un autre biais, plus pernicieux encore, vient également perturber le travail
des agences de notation : la plupart de leurs salariés rêvent de rejoindre une
banque d’affaires. Ils ont en général déjà postulé et ont été recalés. L’une des
expressions célèbres à New York à l’époque est de dire « que ceux qui n’arrivent
pas à avoir un job à Wall Street, prennent un job chez Moody’s ». La phrase
est cruelle mais pas totalement inexacte. Les analystes dans les agences de
notation sont donc souvent davantage occupés à faire passer leur CV aux
banquiers avec lesquels ils travaillent qu’à analyser des CDOs. Pour rappel,
en 2005, la rémunération annuelle moyenne d’un employé de Moody’s était
de 185 000 dollars contre 520 000 chez Goldman Sachs.
L’éclatement de la bulle
La somme de ces petites erreurs, de ces omissions et de ces mensonges
débouche en 2007 sur les premiers défauts de prêts subprimes. La crise
s’étend rapidement, entraînant la chute de nombreuses sociétés spécialisées
dans le crédit hypothécaire, puis celle de Bear Stearns et finalement celles de
Lehman Brothers et Washington Mutual, les deux plus grandes faillites de
l’histoire américaine.
Ultime ironie de cette histoire, c’est ceux-là mêmes qui n’avaient pas vu la
crise venir, voire qui l’ont provoquée, qui doivent mettre en place les solutions
pour la résoudre : Henry Paulson, secrétaire d’État au Trésor (ancien PDG
de Goldman Sachs de 1998 à 2006), Thimothy Geithner, qui remplacera
Paulson après l’élection d’Obama (ancien président de la Réserve Fédérale
de New York2) et Ben Bernanke, chairman de la FED (après avoir siégé à son
conseil d’administration de 2002 à 2005).
203
Se positionner à la baisse
Poussé par son obsession du détail, Michael Burry est à cette époque sans
doute le seul à lire avec attention les documentations juridiques de très
nombreuses transactions de CDOs et de RMBS. Il y découvre que la qualité
des emprunteurs des prêts hypothécaires sous-jacents s’est dégradée au fil
des années et que le recours aux ARM non amortissables3 s’est généralisé.
Pour commencer, Michael Burry, qui dirige à l’époque son propre fonds,
Scion Capital, décide d’acheter des CDS4 sur les principales sociétés de crédit
immobilier américaines. Il prend bien sûr cette position sans pour autant
posséder la dette de ces entreprises. Il accepte donc de s’assurer contre un
risque qu’il ne court pas. En clair, il parie sur la faillite de ces sociétés : il verse
une prime d’assurance (minime) dans l’espoir de voir ces sociétés faire faillite
et de toucher une indemnité (maximale). C’est une façon de shorter la dette
de ces sociétés.
Rapidement, Michael Burry comprend cependant qu’il a plus intérêt à shorter
les CDOs ou les RMBS directement. En effet, même s’il pense que les sociétés
de crédit immobilier ou les banques vont faire des pertes du fait des défauts
des emprunteurs, il n’est pas dit pour autant qu’elles seront dans l’impossi-
bilité de faire face à leurs obligations financières.
1. Le titre de cette étude de cas est un hommage à l’excellent ouvrage The Big Short de Michael Lewis, dont le
présent chapitre est librement inspiré.
2. Le syndrome d’Asperger est une forme d’autisme sans retard mental.
3. Cf. étude de cas précédente sur la crise des subprimes.
4. Un CDS est un produit financier qui fonctionne comme une assurance-crédit : celui qui l’achète paie une prime
pour être protégé en cas de défaut d’un titre financier. Il est donc indemnisé si ce titre fait effectivement défaut.
Nous renvoyons le lecteur peu familier des CDS à l’annexe 3 dans lequel leur fonctionnement est expliqué de
façon détaillée.
204
205
Épilogue
Paradoxalement, bien qu’il ait été le premier à voir la faille dans le marché des
subprimes, Michael Burry n’est pas celui qui en a profité le plus. La taille des
investissements d’un hedge fund est en effet limitée par les montants que ce
dernier a sous gestion. De ce point de vue, Scion Capital, est plutôt un petit
fonds. Avec seulement 500 millions de dollars sous gestion, il reste un acteur
très modeste. À titre de comparaison, Paulson & Co, le fonds qui enregistrera
les plus gros gains en spéculant contre les subprimes gère, à l’époque, plus
de 12 milliards de dollars.
En outre, en ayant été, dès la fin du premier semestre 2005, le premier à ache-
ter des CDS, Michael Burry a été celui qui a payé les primes d’assurance le
plus longtemps. Cette situation lui mettra certains de ses investisseurs à dos.
Fin 2006, Gotham Capital, un fonds new-yorkais ayant investi 100 millions
de dollars dans le fonds de Michael Burry, demande ainsi à récupérer son
investissement du fait de la faible performance du fonds. Sûr de lui, Burry
refuse de rendre son argent à Gotham Capital et est à deux doigts du procès
avant que l’éclatement de la bulle des subprimes vienne faire changer d’avis les
gérants de Gotham, très heureux, au final, de participer à une telle opération.
206
Après avoir établi les grands principes de la titrisation et détaillé le rôle des
différentes parties, nous pouvons désormais évoquer des points plus com-
plexes liés notamment à la structuration des transactions.
Principe
Même si la similarité des actifs du portefeuille doit être forte, il faut cependant
s’assurer que leur corrélation ne soit pas absolue. En effet, si tous les actifs
détenus par le SPV sont parfaitement corrélés, cela signifie que le défaut de
l’un d’entre eux entraîne nécessairement le défaut de tous les autres. Si c’est le
cas, il n’y a aucun intérêt à regrouper un grand nombre d’actifs au sein d’un
même portefeuille. Par ricochet, cela signifie aussi que le tranching des titres
n’a pas de sens puisque cela signifie que soit tous les ABS sont performants,
soit ils font tous défauts.
208
2. Transactions managées
1. On utilise aussi les termes de transactions bilancielles, pour souligner l’effet de la titrisation sur le bilan du
cédant.
209
Le collateral manager
À la différence d’une transaction bilancielle, une opération d’arbitrage n’est pas
donc pas initiée par un cédant mais par un gestionnaire d’actif (ou collateral
manager). Ce collateral manager est une société de gestion dont le rôle est de
mettre en place un SPV, de trouver des investisseurs et d’identifier des actifs
à acquérir. Tout se passe en fait comme si le collateral manager créait un fonds
d’investissement spécialisé dans l’acquisition de titres de dette. On parle alors
souvent, selon le cas, de CLOs ou de CDOs d’arbitrage (arbitrage CLO/CDO)1.
Le collateral manager peut être une société de gestion spécialisée uniquement
dans la tritrisation ou appartenir à un groupe plus large, qui gère des fonds
de private equity, des fonds de dette de type unitranche ou mezzanine, des
fonds immobiliers, etc. Dans tous les cas, même si ces sociétés sont actives sur
plusieurs marchés, les équipes de gestion sont distinctes. Parmi les collateral
managers les plus actifs, on retrouve notamment PIMCO, Carlyle, Blackstone,
Ares Management, etc.
Les actifs logés dans le SPV d’une transaction managée ne sont pas achetés
auprès d’un seul vendeur uniquement. Ils proviennent de différents acteurs
(banques, assurances, gestionnaires d’actifs, autres fonds) et sont même
souvent acquis directement sur le marché primaire. Les CDOs d’arbitrage
sont en effet très actifs sur le marché du high yield, de la dette de LBO (senior
ou mezzanine) mais aussi des prêts classiques. On peut retrouver dans le
graphique 4.9 une représentation schématique d’une titrisation managée.
1. Nous rappelons ici au lecteur que les termes CDO ou CLO désignent les obligations émises par les SPV mais
également, par extension, les SPV qui émettent ces CDOs ou CLOs.
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Lecture rapide
Titrisation : qu’avons-nous appris ?
y La titrisation est une technique de financement qui permet de convertir des actifs
illiquides en titres financiers négociables. Elle consiste, pour une banque ou une
entreprise, à vendre des actifs générant des cash flows – prêts aux entreprises,
prêts aux particuliers, créances diverses – à une société spécialement créée pour
l’occasion (Special Purpose Vehicle ou SPV).
y Le SPV finance l’achat des actifs grâce à l’émission de titres, appelés Asset-Backed
Securities (ABS). Le rendement de ces ABS provient uniquement des cash flows
générés par les actifs transférés au SPV.
y Dans certains cas, les titres émis par le SPV peuvent prendre des dénominations
plus spécifiques. On parle par exemple de CLO (Collateralized Loan Obligation) si
les actifs détenus par les SPV sont des prêts aux entreprises ou des prêts LBO.
y Un SPV émet en général plusieurs tranches de titres qui offrent chacune un couple
rendement/risque différent. La distribution des profits du SPV se fait selon la règle
suivante : plus une tranche est prioritaire dans l’ordre d’affectation des revenus
du SPV, plus son rendement est faible. La tranche la plus risquée offre le meilleur
rendement mais ses détenteurs courent le risque qu’il n’y ait plus assez de profits
à distribuer du fait de défauts dans le portefeuille sous-jacent.
y Toutes les tranches, sauf la plus risquée, sont notées par une ou plusieurs agences de
notation. La tranche la moins risquée (AAA) est appelée tranche senior, la tranche
non notée est appelée equity et les autres tranches sont appelées collectivement
mezzanine. La notation des tranches permet d’en renforcer la liquidité.
y Les investisseurs qui souscrivent des ABS sont des investisseurs institutionnels,
des hedges funds, des family offices ou des banques privées. Ils ont ainsi accès à de
nouvelles opportunités d’investissement sur des classes d’actifs autrefois illiquides.
y Dans certains cas, les SPV sont gérés de façon active par un gestionnaire d’actif
– appelé collateral manager – qui a la liberté d’acheter et de vendre les actifs sous-
jacents avec l’objectif de servir au mieux les investisseurs. Le SPV peut donc acquérir
des créances auprès de différents vendeurs, souscrire directement des obligations
ou participer à des syndications bancaires (corporate ou dans le cadre de LBOs).
y On parle, dans ce cas, de transaction managée (ou d’arbitrage), par opposition
aux transactions statiques (ou bilancielles) dans lesquelles les mêmes actifs sont
conservés du début à la fin de l’opération, sans possibilité pour le SPV de les céder
ou de les remplacer s’ils arrivent à échéance.
216
217
4. P
our un même montage, les investisseurs peuvent choisir le niveau de risque
qu’ils acceptent de prendre
Dans chaque montage, on retrouve différents types de financiers : des appor-
teurs en capital et en dette. Les investisseurs peuvent donc choisir leur position
dans l’ordre de priorité de distributions des revenus du SPV. C’est particuliè-
rement vrai pour les LBO, les financements de projets et la titrisation mais,
d’une certaine façon, on retrouve également ce concept dans un financement
d’actif. En effet, un investisseur a, là aussi, le choix entre un investissement
en dette ou en equity fiscale.
218
Financement Financement
LBO Titrisation
de projet d’actif
Principalement Portefeuille
Sous-jacent Entreprise Infrastructure avions, navires de créances
ou trains ou de prêts
Variable mais
une dizaine
8 à 15 ans
Durée Autour de 5 ans Jusqu’à 20 ans d’années
en général
pour les CDOs
d’arbitrage
Oui, sauf pour
les montages
SPV Oui Oui Oui
hypothécaires
simples
Dividendes versés Loyers payés
Origine Cash flows Rendements
par la société en échange
des revenus générés des actifs cédés
cible et cession de l’utilisation
du SPV par le projet au SPV
de cette dernière de l’actif
Une ou deux
Une seule Souvent cinq
tranches, selon En général
Propriétés tranche ou six tranches,
les transactions une seule
de la dette de dette notées de AAA
et la taille tranche de dette
en général à BB (ou B)
des cibles
Principalement
des banques
En général Banques,
ou des fonds
Variable selon une banque assurances,
de dette.
les transactions (même si banques
Apporteurs Après la phase
(banques, des transactions privées, familly
de dette de construction,
unitrancheurs, obligataires offices, hedge
la dette bancaire
CLOs) existent aux funds, fonds
peut être
États-Unis) de pension
refinancée par
des obligations
Loueurs
opérationnels
Fonds de LBO Sponsors
Apporteurs (operating Cf. apporteurs
ou repreneurs industriels
d’equity lease) ou de dette
individuels ou financiers
investisseur
fiscal (tax lease)
219
Dette
bancaire
Entreprise Banque
Allocation
Investissement
des fonds
Porteurs de
Actif / projet
liquidités
17
Entreprise Banque
Allocation Dette
des fonds obligataire
Porteurs de
Actif / projet
liquidités
Entreprise Banque
Porteurs de
Actif / projet
Financement liquidités
222
2. Le coût de la liquidité
Définition
Le coût de la liquidité est le coût que représente, pour la banque, l’acquisi-
tion des liquidités qu’elle va prêter à son client. Par simplification, ce coût
est aujourd’hui fixé en rapport avec les taux interbancaires, c’est-à‑dire les
taux que les banques s’appliquent les unes aux autres lorsqu’elles se prêtent
des fonds. C’est bien évidemment une approximation car la banque peut
s’être procurée ces liquidités d’une autre façon (dépôts des clients, émissions
223
Scandale du LIBOR
En 2008, quelques mois avant la faillite de Lehman Brothers, un article du
Wall Street Journal révèle que certaines banques manipulent le LIBOR pour
masquer leurs difficultés à sécuriser des liquidités. Elles communiquent à
l’association des banques britanniques (chargée à cette époque de publier le
taux LIBOR) des taux bien en dessous des taux auxquelles elles se financent
réellement.
Cette révélation déclenche une série d’enquêtes qui montrent que le LIBOR a
en fait été manipulé depuis des années. Plusieurs banques sont sanctionnées
financièrement et le management de Barclays est poussé vers la sortie.
Suite à ce scandale, il est proposé de remplacer le LIBOR, un taux prospectif
partagé par les banques, par des taux plus fiables, observés dans le marché.
Aux États-Unis, le SOFR (Secured Overnight Financing Rate), le taux au jour le
jour utilisé par les prêts sécurisés par des titres du gouvernement américain
devrait remplacer le USD LIBOR. Au Royaume-Uni, c’est le SONIA (Secured
Overnight Index Average), le taux des transactions monétaires en GBP qui devrait
remplacer le GBP LIBOR. Comme le SOFR, le SONIA présente l’avantage
d’être un taux passé et donc une donnée sûre.
Malgré ces changements de taux de référence et les implications techniques
que cela peut avoir, ces évolutions ne modifient pas le fait qu’un taux d’inté-
rêt est toujours fixé comme la somme d’un taux de référence et d’une marge
de crédit.
1. La convention jour varie selon les taux. L’EURIBOR considère qu’il y a 30 jours dans un mois et 360 dans une
année (convention dite ‘30/360’) alors que le LIBOR utilise une convention ‘actual/360’ (sauf pour le GBP
LIBOR pour lequel la convention est ‘actual/365’).
225
1. Définition
La syndication est un processus financier qui permet à plusieurs banques de
travailler ensemble pour accorder conjointement un financement à un client.
Le regroupement des banques en syndicat se fait pour des transactions dont
les montants sont particulièrement élevés. Le but est de permettre aux banques
d’accompagner leurs clients sur des projets d’investissement colossaux tout
en limitant leur participation individuelle et donc leur risque de perte en
cas de défaut.
Le processus de syndication est dans les faits relativement normé. Une ou
plusieurs banques sont mandatées par le client pour arranger le financement
et en négocier les clauses avec lui. Moyennant des commissions de structura-
tion et de placement, le travail de ces banques (underwriters) consiste ensuite
à faire la promotion de cette opportunité et à identifier les banques ou les
fonds qui souhaitent participer au prêt. Le syndicat qui avait accordé en
1986 à Eurotunnel un prêt de 5 milliards de livres sterling dans le cadre d’un
financement de projet avait par exemple réuni plus de 200 établissements.
Il existe deux types de syndications : la syndication avec placement garanti et
la syndication best efforts. Une troisième variante, un peu différente, le club deal
permet également aux banques de travailler conjointement, mais en général
sur des transactions plus petites.
227
de prêteurs uniquement et d’être assuré de disposer des fonds quel que soit
l’appétit du marché pour le prêt.
Seules les banques d’investissement les plus sophistiquées prennent le risque
de proposer des underwritings fermes. Il faut en effet être sûr de sa capacité
de placement. Les underwriters prennent le risque de se retrouver à assumer
une partie du financement pour un montant bien supérieur à leurs objectifs
initiaux. Cela peut arriver s’ils ne trouvent pas suffisamment de prêteurs
avec lesquels partager le risque. On dit alors que les banques arrangeuses
sont « collées ».
Offrir un underwriting ferme permet aux banques d’améliorer leur renta-
bilité. Elles touchent en effet des commissions, dites de syndication (ou
underwriting fees) pour rémunérer leur risque de placement. Pour un même
ticket dans un financement, un underwriter touche donc plus qu’un simple
participant1. Si tous les prêteurs touchent en effet la marge et l’upfront fee2,
seuls les underwriters perçoivent des commissions de structuration (structuring
fees) et de syndication (underwriting fees).
1. C’est ainsi qu’on appelle les établissements qui prennent part au financement sans l’avoir arrangé, ni underwrité.
2. L’upfront fee est une commission payée aux prêteurs au moment du tirage du prêt. C’est une commission
versée à tous les prêteurs, même à ceux qui n’ont pas participé à l’arrangement de la transaction.
228
4. Dispositions spécifiques
Même si elle reste importante, la différence entre syndication best efforts
et syndication avec placement garanti s’est quelque peu atténuée depuis
l’introduction fréquente dans les années 1990 de market flex clauses dans les
documents liant arrangeurs et emprunteurs. Ces clauses permettent aux
arrangeurs, en cas de modifications radicales des conditions de marché, de
modifier les termes du prêt envisagé pour en faciliter la syndication (montant,
marge, structure, conditions, garanties, etc.).
À l’inverse, on trouve parfois des clauses dites de reverse flex qui permettent
à l’emprunteur de bénéficier de conditions de marché favorables. Ainsi, en
cas de sursouscription du financement, l’arrangeur peut proposer une dimi-
nution de la marge aux prêteurs qui souhaitent participer au financement.
Si suffisamment de banques sont d’accord et que la somme des engagements
ne descend pas en dessous du montant recherché, la marge sur le prêt est
revue à la baisse.
Les clauses de market flex ne doivent pas être confondues avec les MAC clauses
(Material Adverse Change) qui permettent à des arrangeurs de se retirer d’un
deal si la situation devient telle qu’il n’est plus possible d’envisager une
transaction. Alors que les clauses de market flex ou de reverse flex permettent
d’adapter une transaction à de nouvelles conditions de marchés, la MAC
clause représente une option de sortie de la transaction. Les conditions
d’application de cette dernière sont bien évidemment très réduites et liées
à des situations extrêmes, listées ou non dans le contrat de prêt (guerre,
catastrophe naturelle, etc.).
5. Club deal
Un club deal est une forme de coopération entre prêteurs utilisée pour des
financements de taille modeste. Il ne s’agit pas d’un processus bien hiérarchisé
et coordonné par des arrangeurs mais d’un accord direct entre un emprunteur
et des banques dont il est proche.
Dans un club deal, tous les prêteurs participent à la négociation de la tran-
saction. Le club deal doit permettre d’arriver à une décision rapide entre
contreparties qui se connaissent bien (d’où le terme club). Un club deal est
utile lorsque le montant d’un financement est trop élevé pour une banque
229
230
Il est parfois compliqué pour une banque de diminuer son exposition à cer-
tains risques en syndiquant un prêt ou en le cédant sur le marché secondaire.
C’est notamment le cas pour les engagements d’une banque auprès de ses
clients historiques. Dans ces situations, les banques peuvent avoir recours
à des dérivés de crédit et vendre ainsi leur exposition de façon synthétique.
Paiement de
Remboursement la prime de
du prêt CDS
Institution
financière
Société Banque (agissant
comme
assureur)
Prêt Vente du
CDS
231
20
1. Pour rappel, un point de base = 0,01 %. Une prime de 200 points de base correspond donc à un paiement égal
à 2 % du montant notionnel servant de référence à l’indemnisation par le vendeur.
232
Paiement du
Remboursement coupon du
du prêt CLN
Institution
Banque financière
Société (émetteur du (agissant
CLN) comme
assureur)
Prêt Souscription
du CLN
Actifs sans
risques
233
234
235
236
N T
Napster 185 TA Associates 71
Natixis 117 Thalys 10, 11
New York Stock Exchange (NYSE) 166 Thomas Cook 134
Nordic Aviation Capital 166 Tikehau 51
Total 131, 180
Toys R Us 38
O TWA 134
Oriental Land Company 108 Twitter 69
Orix Corporation 166
V
P Verallia 66
PAI Partners 43 Vinci 92, 94
PanAm 134, 172 Vinci Concessions 105
Paulson & Co 206 Vinci Construction 105
PayPal, 69 Virgin America 173
Permira 43 Virgin Atlantic 134, 164, 170, 172, 173
Picard Surgelés 9, 12, 38 Virgin Australia 173
PIMCO 240 Virgin Blue 173
Prudential 184, 185 Virgin Express 173
Virgin Nigeria 173
Virgin Records 170, 172
R
Visa 10, 11
Revlon 13, 55 Volkswagen 209
RJR Nabisco 13, 55, 67 Volkswagen Bank 209
RWE 115
Ryanair 135, 171
W
Washington Mutual 203
S
WestLB 185
Sacyr 115 WhatsApp 69
Saint-Gobain 66
Salomon Brothers 14, 175
Scion Capital 204, 205, 206 X
Scope Ratings 181 XL Airways 134
Sequoia Capital 69
SG Warburg 110
SMBC 166 Y
SMBC Aviation Capital 166 Yahoo 69
SNCF 161 Yamaha 34
Société de la Tour Eiffel (STE) 85 YouTube 69
Société Générale 85, 110
Southwest 135
Standard & Poors 20, 50, 181, 184, 202
Summit Partners 71
Suzuki 34
Swissair 134
237
Ouvrages en Anglais
Bierman, Harold Jr., Private equity, transforming public stock to create value.
Hoboken NJ : J. Wiley and Sons, 2003.
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