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Collection dirigée par Édouard Fillias

Financements
structurés
Innovations et révolutions financières

2e édition

Charles-­Henri Larreur
Banquier d’affaires
Professeur à HEC

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Dans la collection « Actu’ Gestion »

y Crowdfunding. Les clés du financement participatif, Adnane Maalaoui et Pierre Conreaux (coord.),
2014
y Digital Warketing. Créer et développer son marketing digital, Yannick Chatelain, 2013
y Droit du marketing, Caroline André et Emmanuelle Rigaud, 2014
y L’Entreprise coopérative. L’organisation de demain ?, Vassili Joannidès et Stéphane Jaumier
(coord.), 2014
y L’Entreprise humaniste. Le management par les valeurs, Jacques Horovitz (coord.), 2013
y E-­réputation. Stratégies d’influence sur internet, Édouard Fillias et Alexandre Villeneuve, 2010
y Infodesign. Le management visuel de l’information à l’heure du Big Data, Yann Guilain, 2013
y Management participatif. La coopération au service de la performance, Laure Letellier, 2013
y Médiatiser sa boîte. Doper son business grâce aux relations presse, Valérie Bauer et Emmanuelle Souffi,
2013
y Nouveaux enjeux de la GRH. Pratiques actuelles et études de cas, Nicolas Arnaud (coord.), 2013
y Storytelling et Contenu de marque. La puissance du langage à l’ère numérique, Jeanne Bordeau, 2012
y Stratégies d’investissement. Les secrets de la fortune des Hedge Funds, Sébastien Laye, 2012

ISBN 9782340-­065673
©Ellipses Édition Marketing S.A., 2022
8/10 rue la Quintinie 75015 Paris

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Pour mes parents

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Sommaire

Remerciements 7

Préface 9

Introduction 13

Partie 1 : Le leveraged buyout (LBO)

Chapitre 1 Introduction 25
Cas 1 Le LBO Harley-­Davidson (1981-­1986) 33

Chapitre 2 Les différents acteurs 37


Cas 2 Michael Milken et les high yield bonds 52

Chapitre 3 Le processus du LBO 59

Partie 2 : Le financement de projet

Chapitre 1 Introduction 77
Cas 3 Le financement de la tour Eiffel 84

Chapitre 2 Structuration 89
Cas 4 La presque faillite de Disneyland Paris 107

Chapitre 3 Aspects financiers 115

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Sommaire

Partie 3 : Le financement d’actifs

Chapitre 1 Définition 131

Chapitre 2 Prêt hypothécaire 141

Chapitre 3 Crédit-­bail et location 151


Cas 5 Richard Branson et le financement
de Virgin Atlantic 170

Partie 4 : L a titrisation

Chapitre 1 Les mécanismes de la titrisation 177


Cas 6 La titrisation des droits d’auteur de David Bowie 184
Cas 7 Les covered bonds 186

Chapitre 2 Les acteurs de la titrisation 189


Cas 8 La crise des subprimes 198
Cas 9 Le Big Short de Michael Burry 204

Chapitre 3 Structuration d’une transaction 207

Conclusion 217

Annexe 1 Comment les banques fixent un taux d’intérêt ? 223

Annexe 2 Syndication 227

Annexe 3 Dérivés de crédit 231

Index des entreprises présentes ou passées citées dans cet ouvrage 235
Bibliographie 239

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Remerciements

Mes remerciements vont d’abord à ceux qui m’ont accompagné dans la


rédaction et la relecture de ce livre, que ce soit pour la première ou la seconde
édition. Je pense ici tout particulièrement à Jean-­Christophe Labbé, Romain
Larreur, Andrey Maramzine et Aurore Mosnier.
Je remercie aussi les amis, collègues, confrères et clients avec lesquels j’ai pu
échanger toutes ces années sur le vaste sujet des financements structurés. Ce
livre est d’une certaine façon le fruit des interactions que j’ai eues avec eux.
Je remercie également mes étudiants, à Sciences Po, à HEC, à Hong Kong
University ou à la Chinese University of Hong Kong. Ce sont eux qui m’ont
donné, hier, envie d’écrire ce livre et, aujourd’hui, de le mettre à jour. J’espère
qu’ils pourront y trouver les clés dont ils ont besoin pour comprendre la
nébuleuse des financements structurés.
Je remercie enfin le groupe HEC, qui m’a donné la chance il y a quelques années
de proposer le cours Structured Finance, dont ce livre est directement inspiré.

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Préface

Les financements structurés ou le quotidien de mon ami Paul


J’ai connu Paul en école de commerce. Contrairement à moi, Paul n’a pas choisi
la finance ni la grisaille de Londres. Il travaille à Paris, pour un grand groupe
français, leader mondial dans son secteur. Dans son entreprise, Paul est un
high potential, un haut potentiel. En clair, il est l’un de ceux qui pourront, dans
quelques années, rejoindre le cercle très fermé du conseil d’administration
et de la direction générale.
Cela peut paraître étonnant mais Paul me rappelle parfois le Bourgeois
Gentilhomme. Non pas parce qu’il est ridicule ou fat. Au contraire, Paul est
brillant et discret. Plutôt parce que, là où Monsieur Jourdain faisait de la
prose sans le savoir, Paul a tous les jours, en l’ignorant, recours aux finance-
ments structurés.

Une journée type dans la vie de Paul


Lorsqu’il doit aller en Grande-­Bretagne pour rencontrer les cadres de la filiale
dont il a la responsabilité, Paul se lève en général très tôt. Après avoir avalé un
café, il sort de son appartement et part pour Roissy dans un taxi qui l’attend
en bas de chez lui, à côté du Picard Surgelés. Sur le chemin, il passe toujours
devant la tour Eiffel avant de suivre les quais et de sortir de Paris.
Pour aller à Londres, Paul voyage indifféremment sur Air France ou British
Airways. Il atterrit ensuite à Heathrow, à l’ouest de la ville ou à Gatwick, plus
au sud. Une fois sorti de l’avion, il prend une voiture de location chez Hertz
puis roule une petite heure pour rejoindre le siège de la filiale anglaise, situé
en banlieue. Comme il reste en général deux jours sur place, il dépose en route
son bagage à l’hôtel, le Hilton, pour ne pas arriver trop chargé au bureau.
Au cours de son séjour, Paul passe l’essentiel de son temps en réunion.
Son agenda est chargé et il n’a que trop rarement l’occasion de s’arrêter
prendre une bière dans un pub typiquement britannique, comme il aimerait

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Préface

le faire plus souvent. Il regrette également que le directeur général de la filiale


insiste toujours pour l’inviter à dîner le soir du premier jour. Il aimerait, au
moins une fois, rien qu’une fois, pouvoir aller tranquillement seul au Burger
King, son restaurant préféré quand il était adolescent.
Le soir, après le dîner, ou avant s’il le peut, Paul appelle sa femme et parle
rapidement aux enfants. Ils sont toujours excités, parlent de ce qu’ils ont fait
à l’école, lui réclament un maillot de Chelsea ou de Manchester United et lui
demandent d’aller bientôt à Disneyland Paris.
Le lendemain, après une nouvelle série de réunions et un déjeuner rapide,
Paul part en général pour Londres. Il y rencontre tantôt les avocats du groupe,
tantôt l’agence de communication. Il fait un point sur les dossiers en cours,
propose quelques pistes de travail et demande qu’on le tienne au courant.
Parfois, s’il a le temps, Paul boit un verre avec moi ou un autre ami avant de
prendre l’Eurostar pour rentrer sur Paris. Une fois dans le centre de Londres,
il est en effet plus pratique d’aller à la gare qu’à l’aéroport. Paul apprécie ces
moments avec ses vieux amis. C’est d’ailleurs souvent lui qui invite, utilisant,
selon le cas, sa Visa ou son American Express.
Occasionnellement, Paul rencontre aussi des chasseurs de têtes. Il a d’ailleurs
failli l’an dernier quitter son job pour rejoindre la concurrence. L’offre était
intéressante mais le poste, basé aux Pays Bas, lui a semblé un peu compliqué
à concilier avec sa vie de famille. Il fallait soit déménager, ce qui n’est jamais
facile quand les enfants vont à l’école, soit accepter de vivre seul à Amsterdam
la semaine et de faire les allers-­retours chaque week-­end en Thalys. Paul a
donc décliné l’offre. Très bonne idée au final, car deux mois plus tard, il était
promu responsable pour toute l’Europe du Nord – et donc pour cette filiale
anglaise.
De retour vers Paris, il profite du trajet à travers le tunnel sous la Manche
pour relire les rapports financiers préparés par les comptables anglais. Il le
fait, les écouteurs de son smartphone calés sur les oreilles et branchés sur
les tubes du moment ou sur David Bowie, son chanteur préféré. Une fois
son travail terminé, Paul s’accorde un moment pour souffler. Il parcourt le
journal, un œil attentif aux articles sur le sport et sur la Formule 1. Grand
fan de sports mécaniques et de motos, il pense d’ailleurs à son week-­end et
espère qu’il aura assez de temps pour aller faire réviser sa Harley-­Davidson.
Puis le train entre en gare. Il est tard. Paul prend un taxi. Le lendemain, une
autre longue journée l’attend.

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Préface

Partout, des financements structurés


Lorsqu’il me raconte ses déplacements à Londres, Paul ne se rend pas compte
que ses journées évoluent au rythme des financements structurés. Comme
beaucoup, il n’a qu’une très vague idée de ce dont il s’agit. L’expression struc-
tured finance fait d’ailleurs pour lui – et malgré mes dénégations énergiques
– uniquement référence à la crise des subprimes.
Pourtant, au cours de son déplacement à Londres, Paul a croisé vingt finan-
cements structurés, c’est-­à‑dire vingt montages financiers complexes destinés
à financer l’activité économique. De la titrisation aux financements de pro-
jets et des rachats d’entreprises aux financements d’actifs, les financements
structurés sont le grand paradoxe de la finance moderne : ils sont partout,
au cœur de l’activité économique, et sont pourtant les grands absents de la
littérature financière.
Vilipendée pendant la crise de 2008 et assimilée aux subprimes, la titrisation
n’a heureusement pas été limitée à la distribution de crédits immobiliers aux
ménages américains insolvables. Paul l’ignore sans doute très certainement
mais Visa et American Express, les deux leaders mondiaux des cartes de crédit,
sont de très gros consommateurs de transactions financières de ce type. C’est
en effet souvent grâce à des montages structurés qu’elles financent tous les
jours, dans le monde entier, les avances qu’elles accordent à leurs clients.
Enfin, au cas par cas, la titrisation concerne aussi parfois des sous-­jacents
inattendus, comme les droits d’auteur de David Bowie ou les droits télévisuels
de la Formule 1.
Mais les financements structurés ne se limitent pas à la titrisation et aux mon-
tages qui ont fait la une des journaux au moment de la crise des subprimes.
Les financements structurés concernent en effet tout un pan de transactions
moins médiatiques, qui permettent aux banques d’accompagner quotidien-
nement leurs clients. Les entreprises qui investissent régulièrement dans de
coûteux actifs mobiliers ont ainsi recours de façon intensive aux montages
structurés. Air France, British Airways, Eurostar ou Thalys financent souvent
leurs acquisitions d’avions ou de trains de cette façon.
Et que dire des infrastructures gigantesques que nous croisons et utilisons
tous les jours sans même le remarquer ? Qui peut réellement penser qu’elles
sont financées par des prêts « à la papa » plutôt que par des montages spéci-
fiques ? Les aéroports d’Heathrow et de Gatwick à Londres sont deux exemples

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Préface

d’infrastructures financées au moyen de financements de projets, un autre


sous-­ensemble des montages structurés et une technique financière qui
concerne – ou a concerné – également Eurotunnel, Disneyland Paris, la tour Eiffel
et toutes les infrastructures de télécommunication qui nous servent chaque fois
que nous utilisons un smartphone.
Enfin, peut-­on parler des financements structurés sans évoquer les rachats
d’entreprises qui font quotidiennement la une de la presse économique ? Le rôle
croissant des fonds d’investissement depuis la fin des années 1970 a en effet
contribué à rendre populaires les fameux leveraged buyouts (LBOs), eux aussi
un sous-­ensemble de plus en plus important des montages structurés. Pour
preuve, lors de son court déplacement à Londres, Paul a croisé six sociétés
qui ont un jour fait l’objet d’un LBO : Picard Surgelés, Hertz, les hôtels Hilton,
Burger King, Manchester United et Harley-­Davidson.

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Introduction

Petite histoire des financements structurés


Comme le souligne le titre de ce livre, l’apparition – ou plutôt la généralisa-
tion – des financements structurés à partir des années 1970 correspond à une
véritable révolution dans le monde de la finance, le plus grand changement
peut-­être depuis la création des bourses de valeurs. Un big bang financier
qui va permettre aux banques et aux autres prêteurs de financer des actifs
(physiques et financiers) pour des montants croissants.
En à peine une dizaine d’années, les financements structurés vont s’imposer
comme un élément central de l’actualité financière. Apparition de la titrisa-
tion, rachats d’entreprises pour des montants records (Revlon, Beatrice Foods,
RJR Nabisco), construction d’infrastructures pétrolières gigantesques, la
double décennie 1970-­1980 marque un tournant dans l’histoire des montages
structurés. Autrefois limités à des situations isolées, les financements ad hoc
prennent leur envol et deviennent « the new big thing » de la finance mondiale.
Ils sont en outre orchestrés par les stars du moment aux bonus incroyables :
Michael Milken, Jerome Kohlberg ou Lewis Ranieri.
La généralisation soudaine de ces montages structurés peut surprendre.
On passe en effet en quelques années seulement d’un mode de financement
traditionnel de l’économie à un système dans lequel les banques et leurs
clients ont fréquemment recours aux financements structurés. L’analyse de
ce profond changement est complexe mais on peut sans doute regrouper en
trois idées fortes les principaux déterminants de cette évolution : (i) l’avène-
ment d’une nouvelle génération de banquiers, (ii) l’existence d’un contexte
politique et technologique favorable et (iii) une demande de financement
croissante de la part des entreprises.

Les hommes
Les années 1970 sont une décennie pendant laquelle les hommes qui com-
mencent à prendre le pouvoir dans les banques américaines n’ont pas connu
les affres de la Grande Dépression. Ils sont sans doute plus audacieux (ou

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Introduction

moins prudents) que leurs aînés et ont, en tout cas, moins de remords à
structurer des transactions avec un fort effet de levier1.
Parmi cette vague de banquiers ambitieux, certains introduisent ou popula-
risent de nouveaux types de financement. Ainsi, chez Bear Stearns, Jerome
Kohlberg, Henry Kravis et George Roberts créent le marché du LBO. Chez
Drexel Burnham, Michael Milken multiplie les émissions d’obligations à haut
rendement (high yield bonds). Enfin, chez Salomon Brothers, Lewis Ranieri et
ses traders structurent les toutes premières titrisations2.

Le contexte
Cette vague d’innovations financières est en partie conditionnée par l’évo-
lution du cadre réglementaire américain. À partir des années 1970, la libé-
ralisation des marchés financiers permet en effet de structurer ou de vendre
plus facilement certains produits de dette à de nouveaux types d’investisseurs
(compagnies d’assurances, caisses de retraite, etc.). D’une façon plus générale,
la déréglementation des années 1980 et 1990, sans être toujours directement
à l’origine des grandes innovations financières, offre un environnement éner-
gisant qui stimule la concurrence entre banques et le développement de ces
nouveaux types de montages.
Plus prosaïquement, les années 1980 et suivantes correspondent aussi à une
période de généralisation de l’informatique en entreprise et plus particulière-
ment dans les banques. Les logiciels de calcul de type Excel ou les terminaux
Bloomberg offrent par exemple des outils qui permettent aux financiers de
mettre plus facilement en place des montages structurés.

La demande
Le développement de ces nouveaux schémas financiers s’explique aussi parce
que les solutions de financement qu’ils proposent conviennent aux évolu-
tions économiques du moment. Du fait des chocs pétroliers, les années 1970
correspondent en effet à une période de forte augmentation des coûts de
l’énergie. Les compagnies pétrolières multiplient les initiatives pour limiter

1. Pour rappel, l’effet de levier est le rapport dette/capitaux propres utilisé pour financer un actif, que cet actif
soit une entreprise, un bien immobilier ou autre. Plus il est élevé, plus le recours à l’endettement est important.
2. Si on fait un parallèle avec l’industrie de l’asset management, un secteur de la finance assez lointain des finance-
ments structurés, on s’aperçoit que c’est à peu près à la même époque que les premiers hedge funds apparaissent,
d’abord avec Alfred Jones puis avec George Soros et Michael Steinhardt. C’est comme si, à Wall Street, à cette
époque, une jeune génération de financiers amenait un vent frais et des idées nouvelles.

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Introduction

leur dépendance vis-­à‑vis de l’OPEP et investissent massivement dans de


nouvelles infrastructures, notamment en Mer du Nord. Pour apporter plus
facilement des financements colossaux, les banques ont alors recours de
façon systématique à des montages structurés.
D’autres secteurs subissent aussi, à la même époque, de profonds bouleverse-
ments. C’est le cas notamment du transport aérien, qui se démocratise peu à
peu et oblige les banquiers à financer activement les lourds investissements
des compagnies aériennes. Quelques années plus tard, ce sont les secteurs des
télécommunications (infrastructures) ou du transport ferroviaire (tramways,
métros) qui, du fait de leur envol et de leur fort besoin de financement, vont
également faire appel de façon massive à des montages structurés.

Définir les financements structurés


Après cette longue introduction, il est sans doute temps de donner une pre-
mière définition du concept de financement structuré. Pour y parvenir, nous
proposons ici une approche par étages : trois versions d’une même expression
pour essayer de mieux comprendre le thème de cet ouvrage.
Première version : les financements structurés correspondent à tous les
financements qui ne sont pas « vanille » (vanilla ou plain vanilla en anglais),
c’est-­à‑dire des prêts bancaires ou obligataires classiques qui n’exigent pas
de structuration juridique ou financière particulière.
Cette définition souligne la complexité des financements structurés et
représente sans doute une bonne première approche. C’est une définition
valable mais elle nous semble peut-­être un peu trop large. Elle pourrait
presque inclure des prêts relativement simples dans lesquels les banques
exigent tout simplement de nombreuses garanties. En outre, c’est une
définition par défaut, ce qui n’est pas de nature à satisfaire un public aussi
exigeant que celui intéressé par ce livre.
Seconde version : les financements structurés sont des montages dans
lesquels des liquidités sont apportées à une société dédiée (aussi appelée
Special Purpose Vehicle ou SPV), créée uniquement dans le but de financer
l’acquisition d’un actif ou d’un ensemble d’actifs précis. Le rembourse-
ment des prêteurs dépend intégralement des revenus de ce SPV qui sont

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Introduction

eux-­mêmes, en partie ou en totalité, déterminés par le rendement de (ou


des) actif(s) ainsi isolé(s).
Cette définition met en valeur le fait que les financements structurés sont
essentiellement des montages dédiés, non au financement d’une entreprise
– comme c’est généralement le cas des prêts traditionnels – mais au finan-
cement d’un actif ou d’un portefeuille d’actifs clairement identifié. Cette
seconde définition nous paraît plus pertinente que la première. Peut-­être
un peu restrictive selon certains (qui penchent pour la définition préalable),
c’est pourtant celle que nous avons adoptée dans ce livre. De nombreux
schémas de financement présentés ici intégreront donc la création de SPV,
dont on verra, au fil des chapitres, les nombreux avantages1.
Troisième version : un financement structuré a pour double objectif (i) de
transférer des fonds d’un prêteur vers un emprunteur (ii) tout en s’adaptant
à une contrainte particulière de l’une des deux parties. Cette contrainte
peut être liée à la nature de l’actif financé, des garanties données ou à la
situation juridique, comptable ou fiscale de l’emprunteur. D’une certaine
façon, on peut donc voir les financements structurés comme un moyen
de financer l’impossible.
Complémentaire de la version précédente, cette définition présente les sché-
mas structurés comme une solution de financement. Nous la retenons
également. Elle souligne que la structuration des montages se fait avec
l’objectif de servir des clients qui n’auraient pas pu réaliser autrement
leurs projets d’investissement (ou, en tout cas, pas dans d’aussi bonnes
conditions).
Au final, nous traitons dans cet ouvrage quatre types de montages structurés
qui répondent tous à la double définition que nous venons de donner :
− le financement d’acquisition d’entreprise, dit plus communément LBO
ou leveraged buy-­out ;
− le financement de grandes infrastructures publiques, énergétiques ou
industrielles, appelé financement de projets ;
− le financement d’investissements mobiliers de type avions, navires ou
trains, c’est-­à‑dire le financement d’actifs, et enfin ;
− le financement de portefeuilles d’actifs financiers : la titrisation.

1. On trouve aussi, indifféremment, les termes Special Purpose Company (SPC) ou Special Purpose Entity (SPE).
Les trois expressions sont parfaitement équivalentes.

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Introduction

Dans ces quatre schémas de financement, on retrouve plus ou moins la même


structure de base : un SPV est créé par des apports en capital et en dette dans
l’unique but de financer un actif. Les propriétés de cet actif sont différentes
selon les cas (entreprise, infrastructure, avion/navire ou portefeuille de titres)
mais les quatre montages sont tous, au final, des variations du schéma 1.a.
Même si nous comprenons qu’un lecteur puisse avoir une approche ciblée
de cet ouvrage et commencer par tel ou tel chapitre, nous recommandons
cependant,
Intro – schéma 1.a pour en tirer pleinement parti, de le lire dans le sens dans lequel
il est présenté ici. La construction du livre est en effet telle que chaque partieModifié
fait des références aux chapitres précédents, à la fois pour illustrer les res-
semblances mais aussi pour mieux souligner les différences entre montages.

Schéma 1.a : représentation simplifiée d’un financement structuré standard

Investisseurs Investisseurs
en capital en dette

Dividendes ou Capital ou Remboursement


Dette
assimilés assimilé et intérêts

SPV

Acquisition Rendement

Actif

Pour quelles raisons mettre en place


des financements structurés ?
Les raisons qui conduisent les banques à mettre en place des financements
1
structurés peuvent être très diverses. Elles dépendent du sous-­jacent financé et
nous verrons dans chaque chapitre quels sont les éléments qui prédisposent
à la structuration de tel ou tel montage.
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Introduction

Cependant, sans rentrer dès maintenant dans les détails de chaque schéma,
on peut résumer en quelques points certaines généralités sur les financements
structurés. Ce sont d’ailleurs ces similarités qui nous permettent de regrouper
tous ces montages dans une seule et même famille, celle du structured finance.
Si les raisons que nous évoquons ci-­dessous semblent un peu abstraites à
un lecteur sans grand bagage financier, nous lui proposons de les retrouver
dans notre conclusion. Là, nous reprendrons un à un tous ces déterminants
et nous les comparerons aux montages que nous avons découverts en détail
dans le livre. Nous conseillons également au lecteur, à la fin de chaque cha-
pitre, de reprendre les six raisons fondamentales évoquées ci-­dessous (cinq
d’ordre financier, une d’ordre réglementaire) et de vérifier en quoi le schéma
qu’il vient de voir répond à ces critères.

Les raisons financières


Du point de vue de l’emprunteur, la mise en place d’une société ad hoc pour
financer un actif permet, en général, d’isoler cet actif hors d’un bilan.
Paradoxalement, en ayant une approche centrée sur le(s) actif(s) financé(s)
et non uniquement sur l’analyse du bilan d’un emprunteur, les montages
structurés permettent aux banques d’offrir un niveau de levier plus important
sur ces financements que sur des prêts classiques.
Les financements ad hoc permettent également aux prêteurs de mieux sélec-
tionner leur risque. Ils peuvent ainsi être exposés aux cash flows d’un actif ou
d’un ensemble d’actifs précis, sans être affectés par le comportement ou la
rentabilité d’autres actifs, que ces actifs soient la propriété de l’emprunteur
ou qu’ils appartiennent à l’entité qui a cédé les actifs financés. En exagérant,
on peut dire que tant que les actifs financés ne sont pas en défaut, le finan-
cement continue à vivre sa vie, même si le monde s’écroule à côté.
Pour un même montage, les investisseurs peuvent en outre choisir le niveau
de risque qu’ils acceptent de prendre. En isolant un actif et en ayant ainsi une
bonne visibilité des cash flows générés par ce dernier, les prêteurs peuvent se
permettre de le financer par divers instruments (dette senior, dette subordon-
née, capital) qui présentent chacun des couples rendement/risque différents.
Enfin, les financements structurés permettent aussi à des prêteurs et des
investisseurs d’être exposés à de nouveaux types de produits, auxquels ils
n’avaient auparavant pas accès.

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Introduction

Les raisons réglementaires


Les financements ad hoc ne sont pas montés uniquement pour des raisons
financières. Ils permettent en effet également aux banques d’optimiser leur
bilan1. Cette idée réglementaire trouve ses origines dans les accords de Bâle,
signés à l’origine en 1988 entre les banques centrales de différents pays et
renouvelés depuis à plusieurs reprises2. Les accords de Bâle prévoient de donner
des outils aux régulateurs nationaux pour mieux contrôler les banques dont
ils ont la responsabilité. Parmi les préoccupations des accords de Bâle, on
trouve la volonté de limiter le risque pris par les banques. En effet, les banques
sont des institutions qui, plus que n’importe quelles entreprises, financent
leurs activités au moyen d’emprunts : ces emprunts sont tout simplement,
en grande majorité, les dépôts des clients.

Rappel sur la régulation bancaire


En clair, cela veut dire que non seulement les banques sont très endettées
mais qu’elles empruntent en plus massivement à Monsieur Tout Le Monde.
Contrairement aux entreprises classiques, cette capacité d’emprunt est quasi
sans limite. Alors que les comptes de toute entreprise qui sollicite un prêt sont
nécessairement décortiqués par le banquier en charge d’analyser la demande
de crédit, aucun déposant n’analyse le bilan de l’institution dans laquelle il a
son compte. Par conséquent, une banque pourrait théoriquement avoir un
ratio dette/capital infini. Bien évidemment, une telle situation serait préju-
diciable car toute perte importante de la banque aurait alors un impact sur
les dépôts des clients.
Pour éviter que de tels cas de figure se présentent, les accords de Bâle prévoient
de limiter la capacité des banques à prêter. En simplifiant, on peut dire que
les accords de Bâle exigent que, pour chaque prêt accordé à un client, une
part minimale doit être financée par des fonds propres de la banque, c’est-­
à‑dire par des apports des actionnaires – pour rappel, ces apports sont faits
soit directement (capital), soit indirectement (réserves3). Une banque ne peut

1. Nous prévenons d’avance le lecteur que les explications qui vont suivre sont complexes. Elles sont cependant
essentielles pour comprendre la pertinence des financements structurés. Nous remercions d’avance le lecteur
pour sa patience.
2. Les accords Bâle II sont signés en 2004, ceux de Bâle III en 2010 et ceux de Bâle IV en 2017.
3. Les réserves ne sont rien d’autre que des profits non distribués, c’est-­à‑dire un renoncement aux dividendes de
la part des actionnaires. Les réserves sont donc un apport indirect de ces derniers. Tout se passe comme s’ils
réinvestissaient leur droit au profit dans l’entreprise.

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Introduction

donc pas financer la totalité des prêts qu’elle accorde uniquement par les
dépôts de ses clients.

Une approche pondérée du risque


Derrière ce principe louable se cache cependant un dilemme. Lorsque deux
banques prêtent chacune 100 millions de dollars, elles ne prennent pas néces-
sairement le même risque. L’une peut par exemple prêter à l’assureur Allianz,
noté AA par Standard & Poor’s, et l’autre prêter à une start-­up montée par
deux adolescents. Même si le projet des deux garçons est sérieux, il est évident
que la banque qui finance la start-­up prend un risque bien supérieur à la
banque qui prête à Allianz. Il n’est donc pas possible d’exiger des banques de
financer chaque prêt par une part constante de fonds propres.
En effet, si les banques devaient obligatoirement financer chaque prêt accordé
à hauteur de 8 % par des fonds propres par exemple, elles auraient tendance à
multiplier les prêts risqués1. Les taux d’intérêt applicables aux financements
de petites sociétés sans historique sont en effet supérieurs à ceux facturés
lorsqu’on prête à Allianz. Par conséquent, les banques pourraient avoir ten-
dance à privilégier, non pas des prêts peu risqués mais des prêts bien margés
(donc risqués). Si dans tous les cas, pour un financement de 100 millions
de dollars, une banque doit utiliser 8 millions (100 × 8 %) de fonds propres,
la banque préférera souvent la solution la plus rémunératrice car elle générera
une meilleure rentabilité des fonds propres.
Pour contourner ce problème, les accords de Bâle prévoient que les banques
doivent convertir, pour les besoins de la réglementation, tout prêt ou enga-
gement en créance pondérée par le risque (appelée en anglais RWA – Risk
Weighted Asset). Elles doivent ensuite s’assurer d’avoir, dans leurs livres,
un montant de fonds propres au moins égal à 8 % de chaque créance pondé-
rée. Sans rentrer dans les détails, qui ont d’ailleurs fortement évolué depuis
les accords d’origine, Bâle prévoit par exemple que l’équivalent en RWA
d’un prêt accordé à une entreprise notée AA comme Allianz est égal à 20 %
du montant du notionnel du prêt. Pour un prêt à une entreprise non notée,
comme la start-­up que les deux adolescents ont créée, le montant des RWAs
doit être égal à 100 % de la créance.
En somme, pour un engagement de 100 millions de dollars, les dispositions
des accords de Bâle vont considérer que le montant pondéré de la créance est
1. Ce chiffre de 8 % est tiré des accords de Bâle. Prendre 8 % est une simplification car ce chiffre peut parfois être
différent.

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Introduction

de 20 millions de dollars s’il s’agit d’un prêt à Allianz et de 100 millions dans
l’autre cas. Lorsqu’elle prête 100 millions à Allianz, une banque doit donc
utiliser au minimum 1,6 million de dollars de fonds propres (8 % × 20) alors
qu’elle doit en immobiliser 8 millions, soit cinq fois plus si elle veut prêter
la même somme aux deux adolescents (8 % × 100).
Avec cette approche pondérée du risque, le régulateur redresse la situation
paradoxale évoquée plus tôt. Alors que dans un système sans RWA dans lequel
chaque créance est prise en compte pour son montant nominal, il aurait été
plus rentable de prêter à la start-­up, il est – avec le système proposé par Bâle
– plus intéressant désormais de s’engager avec Allianz.

L’apport des financements structurés


Quel rapport entre la régulation bancaire telle qu’exposée jusqu’ici et les
financements structurés ? En fait, pour simplifier, nous avons pour l’instant
considéré que la pondération des engagements des banques n’était fonction
que du risque de crédit de l’emprunteur. Dans la réalité, le système est plus
complexe et le montant des RWAs dépend aussi des garanties additionnelles
octroyées. En clair, si en échange du prêt de 100 millions de dollars à Allianz,
la banque obtient en plus une hypothèque sur le siège social de la société,
le montant des RWAs (qui était de 20 millions) va encore diminuer, pour
atteindre sans doute 4 millions, c’est-­à‑dire 20 % du montant des RWAs
sans garantie1. Conséquence essentielle de l’existence de cette hypothèque,
la banque ne doit plus utiliser que 320 000 dollars (8 % × 4) de fonds propres
au minimum pour financer son prêt à Allianz.
Pour le lecteur un peu perdu à ce stade, le tableau 1.b récapitule les différents
financements évoqués jusque-­là. Il montre que, moins un prêt est risqué,
plus le niveau de fonds propres à utiliser de façon obligatoire pour financer
ce prêt est faible.

1. L’expression « sans doute » pourra surprendre un lecteur non averti mais sans rentrer dans les méandres de
Bâle II et III, c’est souvent à la banque prêteuse elle-­même que revient de calculer l’impact d’une garantie en
termes de RWAs. Notre exemple n’est ici donc qu’illustratif même si le montant de 20 % est sans doute proche
de la réalité.

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Introduction

Tableau 1.b : récapitulatif de l’utilisation des fonds propres d’une banque


pour un financement donné (en millions de dollars)

Montant
Montant
de fonds propres
Type Montant pondéré
que la banque
de financement du financement du financement
doit utiliser
(RWA)
(8 % × RWA)
Prêt à une société
non notée
100 100 8
par les agences
de notation
Prêt à Allianz
100 20 1,6
(noté AA par S&P)
Prêt à Allianz
avec garantie 100 env. 4 env. 0,32
sur le siège social

La prise de garantie sur le siège social semble au premier abord un détail


mais elle est en réalité capitale. Elle permet en effet à la banque d’économiser
1,28 million de dollars (1,6 – 0,32) de fonds propres. Elle peut donc allouer
cette somme à d’autres projets. Ces projets généreront tous un certain ren-
dement et au final, les 1,6 million de dollars apportés par les actionnaires
de la banque – et qui servaient à l’origine uniquement à financer Allianz
– pourront être utilisés pour financer également d’autres prêts. En clair, le
retour sur capitaux propres de la banque est fortement amélioré.
En permettant d’obtenir des garanties additionnelles ou en facilitant la cession
de certains actifs bancaires, les financements structurés jouent un rôle essentiel
d’un point de vue réglementaire. Ils peuvent soit doper le rendement offert
par des actifs particuliers1 – comme on l’a vu dans l’exemple de l’hypothèque
sur le siège social d’Allianz – soit permettre de transférer des actifs que la
banque juge trop consommateurs en fonds propres à des acteurs qui ne sont
pas soumis à la même régulation (fonds d’investissement, hedge funds, etc.2).

1. Nous rappelons ici une évidence pour le lecteur averti : un prêt à une entreprise est un passif pour celle-­ci mais
un actif pour la banque qui l’accorde.
2. Nous rassurons le lecteur : il vient de terminer le passage le plus complexe du livre. Il mérite une médaille s’il
a tout compris. Si quelques doutes subsistent, il faut juste comprendre que la régulation actuelle oblige les
banques à financer leurs prêts avec une part minimale obligatoire de fonds propres. Les financements structurés
permettent souvent, d’une façon ou d’une autre, de diminuer cette part minimale. Cela permet mécaniquement
d’augmenter la rentabilité des fonds propres (car la banque mobilise moins de fonds propres pour financer le
même prêt ou actif).

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Partie 1
Le leveraged buyout (LBO)

Le LBO (leveraged buyout) correspond à une opération de rachat d’entreprise


par endettement. C’est une technique financière apparue timidement au début
du xxe siècle mais qui n’a pris réellement son envol que dans les années 1980.
Le lecteur qui possède déjà un bagage en finance est en général un peu plus
familier avec le LBO qu’avec les techniques financières que nous verrons par
la suite. C’est un sujet qu’il a pu aborder lors de ses lectures précédentes ou
étudier dans un cours sur la valorisation d’entreprise (corporate finance).
Sans vouloir minimiser les liens entre corporate finance et LBO, il nous semble
cependant que le leveraged buyout est avant tout une technique de financement
structuré dans laquelle le recours à l’endettement permet d’acquérir un actif
qui génère des cash flows. Le LBO est donc dans la droite ligne des montages
que nous verrons plus tard : l’actif financé a simplement un visage différent.
Il est ici une entreprise alors qu’il sera plus tard une infrastructure (partie 2),
un actif mobilier (partie 3) ou un portefeuille de créances (partie 4).
Plus encore que les autres montages, les LBOs personnifient la série de
révolutions financières dont ce livre est l’objet. Ils associent en effet tous les
éléments de cette nouvelle finance : montages ad hoc, structures complexes,
effet de levier et dimension fiscale. Le fait que les entreprises rachetées soient
parfois des sociétés connues donne en outre aux leveraged buyouts une dimen-
sion médiatique que les autres types de montages n’ont pas. Il est en effet
plus facile de faire la une du Financial Times avec un LBO sur Burger King
qu’avec le financement d’une ferme éolienne. En cela sans doute, le LBO est
le plus symbolique des financements structurés.

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Le leveraged buyout

Pour les lecteurs qui ne connaissent pas les LBOs, nous espérons qu’ils
pourront découvrir ici les mystères de cette technique. Pour les autres, nous
souhaitons qu’ils redécouvrent ces montages ou qu’ils réapprennent à les
connaître.

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Chapitre 1 Introduction

1. Définition

1.1. Un rachat d’entreprise par endettement


Comme évoqué préalablement, un LBO est une technique de rachat d’en-
treprise par endettement. Ce rachat se fait au travers d’une société créée
spécialement pour l’occasion. Cette société ad hoc, qui ne comprend aucun
salarié et dont le seul objet est de procéder au rachat de l’entreprise cible, est
un simple véhicule de financement. Elle prend communément le nom de SPV
(special purpose vehicule) ou de SPC (special purpose company).
Le SPV est créé avec un objet social limité, qui est celui de racheter les actions
(souvent la totalité) de l’entreprise cible. Ce SPV, que l’on appelle également
« holding de reprise » ou, selon les cas HoldCo ou NewCo, est financé par dette
et capital. La répartition entre les deux dépend du type de société cible et des
conditions de marché mais l’objectif est en général de maximiser le montant
du prêt. Le capital de la holding de reprise est apporté par l’acheteur intéressé
par la cible et la dette est financée par des banques ou des prêteurs spécialisés.
Une fois rachetée, l’entreprise cible est contrôlée intégralement par la HoldCo.
La dette levée par la holding de reprise est alors remboursée par les dividendes
payés par la cible. C’est là la magie du LBO : un acheteur peut acquérir une
société en apportant une part modeste du montant total de la valeur de l’en-
treprise. Le solde est apporté par des prêteurs. Comme le montre le schéma 1.1,
dans un LBO, ce sont les dividendes de la société cible qui permettent en fait
d’en financer l’acquisition.

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LBO – schéma 1.1
Modifié

Le leveraged buyout

Schéma 1.1 : structure simplifiée d’une opération de LBO

Acquéreur Prêteurs

Échéances
Capital Dette
du prêt

HoldCo

Capital
Dividendes
100%

Cible

Point important, la dette apportée par les prêteurs est dite sans recours (non-­
recourse), c’est-­à-­dire que si la cible ne génère pas assez de cash flows ou de
dividendes pour rembourser la dette, les prêteurs n’ont aucun recours juri-
dique ou financier sur les investisseurs en capital. Les prêteurs doivent prendre
ce risque en considération avant de rentrer dans une opération. Ils doivent
calibrer leur dette uniquement en fonction 2 du potentiel de la société cible.
En contrepartie, les prêteurs obtiennent généralement un nantissement sur
les actions de la holding et de la société cible (même si ce n’est pas toujours
le cas). Ils exercent ces nantissements dans le cas où la Holdco ou la cible
sont en défaut. Les prêteurs peuvent ainsi prendre le contrôle de la cible et
potentiellement la revendre ou revendre ses actifs pour limiter leurs pertes.

1.2. Les différentes formes de LBO


Au-­delà du terme générique de LBO, d’autres acronymes sont utilisés pour
désigner plus spécifiquement certaines opérations.
Le MBO (Management Buyout) est une opération de LBO dans laquelle, le
management de la société cible participe au rachat de celle-­ci, seul ou au côté
d’un fonds d’investissement. On trouve ce type de situation lorsqu’un grand
groupe cède une de ses filiales à ses cadres ou lorsqu’un chef d’entreprise vend
sa société à son bras droit au moment de partir en retraite. Certains fonds
d’investissement ont comme politique de toujours associer à leur acquisition
des managers déjà en place.
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Introduction

Le MBI (Management Buy-­In) est un LBO dans lequel les acquéreurs sont
cette fois-­ci des managers extérieurs à la société cible. Le cas le plus fréquent
est la vente d’une PME à un repreneur individuel qui finance une partie de
l’acquisition par un emprunt. Là encore, l’acquisition peut être faite par le
manager seul ou en lien avec un fonds d’investissement.
Le BIMBO (Buy-­In Management Buyout) est une opération de rachat dans laquelle
des managers en place et des managers extérieurs participent ensemble au
rachat de la société cible. Là aussi, ce rachat peut se faire par ces managers
seuls ou en association avec un fonds d’investissement. Pour certaines grosses
opérations, les fonds d’investissement apprécient ce type de structures. Cela
leur permet de s’appuyer sur le savoir-­faire des équipes existantes et d’in-
troduire les compétences extérieures nécessaires pour faire grandir la cible.
Enfin, le Build-­Up est un LBO orchestré par une société sous LBO dans l’op-
tique de créer un groupe industriel qui permette de dégager des synergies
entre les deux entreprises. Dans ce cas, la nouvelle société est acquise direc-
tement par la cible par addition de dette (et potentiellement de capital) au
niveau de la HoldCo.

2. Un triple effet de levier


Dans les faits, un LBO n’est pas uniquement une opération financière. C’est
aussi un montage fiscal qui permet une nouvelle répartition des rôles au
sein de la société cible. Le succès d’un LBO repose donc sur un triple levier :
financier, fiscal et managérial.

2.1. Le levier financier


Des trois leviers évoqués ici, le levier financier (leverage en anglais) est le plus
évident. Il définit le recours à un emprunt pour financer l’acquisition de la
société cible. Cet effet de levier est appelé ainsi car il permet de multiplier,
grâce à la dette, l’impact de l’apport en fonds propres de l’acquéreur. Le levier
est par exemple de 3,3 lorsque l’investissement de l’acheteur est égal à 30 %
de la valeur des actions de la société cible (100/30 = 3,3).
Bien évidemment, l’effet de levier financier a, pour un LBO, les mêmes consé-
quences que pour n’importe quelle autre entreprise endettée. Il permet de

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Le leveraged buyout

doper la rentabilité des capitaux propres mais peut, à l’inverse, s’il est trop
élevé, assommer l’emprunteur en cas de retournement de marché.
Si les dividendes de la cible ne sont pas au rendez-­vous, la HoldCo peut être
mise en faillite ou l’ensemble du montage peut être restructuré. C’est l’exemple
notamment du LBO sur Fraikin, le groupe de location de véhicules industriels.
En 2017, devant l’incapacité de la HoldCo de rembourser la dette d’acquisi-
tion, les prêteurs ont pris le contrôle de la holding de reprise de Fraikin. Les
actionnaires (les fonds CVC et Eurazeo notamment) ont perdu la totalité de
leur investissement et une partie de la dette a été convertie en capital, dimi-
nuant ainsi le montant total de la dette d’acquisition (de 730 m € à 265 m €).
L’échec du LBO Fraikin est un véritable cas d’école car la société elle-­même
n’était pas en difficulté d’un point de vue opérationnel. En revanche, sa per-
formance ne permettait pas la distribution de dividendes suffisants pour
payer le service de la dette d’acquisition.

2.2. Le levier fiscal


Le levier fiscal est le second élément qui contribue à la performance d’un
LBO. Il permet d’optimiser le coût de la dette même si – dans les faits – son
ampleur dépend du cadre juridique du pays dans lequel l’opération a lieu.
Pour faciliter la démonstration, nous nous appuyons ici sur les règles fiscales
en vigueur en France. Elles comprennent un double volet : le régime mère-­fille
et l’intégration fiscale.

Le régime mère-­fille
Le régime mère-­fille (articles 145 et 216 du code général des impôts) permet
à la HoldCo de toucher les dividendes payés par la société cible en quasi-­
franchise d’impôts. Cette disposition fiscale prévoit que si une société détient
plus de 5 % du capital d’une autre société, les dividendes versés sont exemptés
d’impôts à 95 %. En clair, la HoldCo n’est redevable de l’impôt sur les sociétés
que sur 5 % des revenus versés par sa filiale.
Le principe du régime mère-­fille trouve son origine dans le développement
des groupes de sociétés. Pour éviter que les profits d’une filiale d’un groupe
soient taxés deux fois, d’abord au niveau de la filiale puis au niveau de la société
mère, le législateur a introduit ce concept de régime mère-­fille. Dans le cas
précis du montage LBO, ce sont les acquéreurs de la cible qui en bénéficient.

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Introduction

L’intégration fiscale
L’intégration fiscale (article 223 A du code général des impôts) permet – sous
conditions – à deux sociétés de fusionner leurs résultats fiscaux et de remplir
une déclaration d’impôts commune. Pour cela, il faut que l’une des sociétés
détienne plus de 95 % du capital de l’autre.
Cette intégration revêt un caractère fondamental dans un LBO. En effet, dans
un tel schéma, la HoldCo a un résultat fiscal fortement négatif : elle déduit
de son résultat les charges d’intérêt de la dette d’acquisition mais reçoit des
dividendes en quasi-­franchise d’impôt (du fait du régime mère-­fille). À l’inverse,
la société cible dégage en toute logique un résultat positif. C’est d’ailleurs
ce qui lui permet de verser les dividendes qui vont rembourser l’emprunt
souscrit par la HoldCo. L’intégration fiscale permet de fusionner le résultat
fiscal positif de la société cible avec le résultat fiscal structurellement négatif
de la HoldCo. Ainsi, alors que l’activité de la société cible est restée identique,
le nouvel ensemble composé de la HoldCo et de la société cible paie moins
d’impôts que la société cible seule avant l’opération.
En France, il existe plusieurs limites à la déductibilité des intérêts, la plus
célèbre étant que les intérêts des emprunts contractés par la HoldCo pour
racheter la cible ne sont déductibles que si les actionnaires directs ou indirects
de la HoldCo ne sont pas majoritairement les anciens actionnaires de celle-­ci1.

Alternativement, la fusion ou le debt push down


Si pour diverses raisons, l’intégration fiscale n’est pas possible – soit parce
que la HoldCo possède moins de 95 % des actions de la cible, soit parce que
le schéma d’acquisition concerne un pays dans lequel l’application d’un tel
principe est limitée – le schéma de LBO peut prévoir à la place :
(i) une fusion ultérieure de la HoldCo et de la cible ou ;
(ii) un debt push down.

1. Règle connue sous le nom « d’amendement Charasse ».

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Le leveraged buyout

La fusion entre les deux entités est possible mais elle reste complexe d’un
point de vue financier et juridique :
− financièrement, la fusion peut poser problème car elle dilue les action-
naires de la HoldCo s’il existe des minoritaires au niveau de la société
cible. Grâce au LBO, l’acquéreur contrôle en effet la cible avec un mini-
mum de fonds propres. En cas de fusion, les minoritaires de la cible
vont donc avoir une part dans la nouvelle structure fusionnée plus
importante que dans la société cible à l’origine ;
− juridiquement, la fusion peut être interprétée comme allant à l’encontre
de l’intérêt social de la cible. Cette dernière ne gagne en effet rien à la
fusion : elle ne fait qu’hériter dans son bilan d’une dette qui a servi à
sa propre acquisition. L’administration fiscale peut donc refuser la
déductibilité des intérêts de la dette d’acquisition.
Au final, pour toutes ces raisons, il est toujours un peu compliqué avant
un délai de plusieurs années de fusionner rapidement les deux sociétés, en
France en tout cas.
Alternativement, on procède parfois à un debt push down, c’est-­à‑dire à un
déplacement de la dette au niveau de la cible. Cela peut être fait en distri-
buant un dividende exceptionnel à la HoldCo qui permet de rembourser la
dette d’acquisition et qui est financé par endettement au niveau de la cible.
Là aussi, cependant, un tel procédé ne peut être employé que dans le respect
de l’intérêt social de la cible.

2.3. Le levier managérial


Aussi inventif que soit un schéma d’acquisition, un rachat d’entreprise n’est
réellement concluant que si la société cible continue à être (ou devient) perfor-
mante. Au-­delà d’une structuration financière, un LBO est donc une histoire
d’hommes : c’est aux nouveaux actionnaires et à l’équipe de direction d’écrire
une nouvelle page de l’histoire de la société cible. Cet effet managérial est le
troisième levier clé d’un LBO réussi. Il est à la fois le plus important et plus
difficile à quantifier. Selon le type d’opération, il peut d’ailleurs prendre des
visages différents.

Les reprises par les fonds d’investissement


La force d’un LBO est de pouvoir changer le destin d’une entreprise. Comme
nous l’avons expliqué plus haut, le rachat de la cible se fait souvent avec

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Introduction

l’implication de l’équipe dirigeante. Celle-­ci peut être en place préalablement


au rachat (MBO) ou entrer au capital à l’occasion de l’acquisition (MBI et
BIMBO). Dans les deux cas, le LBO promeut l’idée de dirigeants-­actionnaires,
directement intéressés au succès de l’entreprise cible, non plus uniquement
par un salaire mais également par une participation au capital.
Dans ce sens, le LBO aligne les intérêts des dirigeants et des actionnaires.
Dans un schéma classique, les dirigeants sont des salariés de l’entreprise.
Ils peuvent avoir un agenda personnel qui ne correspond pas aux intérêts
de la société qu’ils dirigent et privilégier certaines décisions court-­termistes.
Dans un LBO, en revanche, le dirigeant devient actionnaire de la société cible.
Une partie de son patrimoine est donc liée à la valorisation de l’entreprise.
Un LBO suppose donc explicitement que, toute chose étant égale par ailleurs,
la motivation ou l’implication d’un entrepreneur – ou tout du moins d’un
dirigeant-­actionnaire – est supérieure à celle d’un cadre. C’est pour cette
raison que les fonds LBO, même s’ils n’ont pas besoin du capital du (ou
des) dirigeant(s) demandent néanmoins très souvent à la future équipe de
direction d’investir en capital à leurs côtés et/ou proposent un système de
rémunération lié à la valorisation de la société. L’un des cas les plus emblé-
matiques du changement de motivation des dirigeants est le LBO sur Harley-­
Davidson dans les années 1980, qui transforma une société moribonde en
une entreprise performante (cf. étude de cas n° 1).

Les acquisitions de PME par un repreneur individuel


Comment analyser cependant ce levier managérial dans le cadre de la reprise
d’une PME ? Dans cette situation, il s’agit en effet souvent d’un entrepreneur
qui cède sa société à un repreneur extérieur. Les deux sont intéressés en capital
au succès de la société et l’effet psychologique mentionné plus haut ne peut
donc être valable.
Dans ce cas précis, on peut cependant penser qu’un repreneur qui investit une
grande partie de son épargne dans une nouvelle aventure entrepreneuriale
sera plus impliqué dans la gestion de la société que le chef d’entreprise qui
cherche avant tout à valoriser son patrimoine pour partir à la retraite dans les
meilleures conditions. On peut aussi penser qu’un nouveau dirigeant amène
de nouvelles idées, de nouvelles méthodes et une énergie positive.

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Le leveraged buyout

Le Build-­up
Le LBO de build-­up donne une autre perspective au levier managérial. Dans
ce scénario en effet, une entreprise en rachète une autre sans forcément inté-
resser les dirigeants de la cible au capital. C’est donc ici plutôt l’existence de
synergies entre l’acquéreur et la cible qui permet de dégager un surplus de
performance.
Parmi les avantages possibles offerts au nouveau groupe du fait du rappro-
chement des deux entités, on peut citer :
− des capacités d’investissement et de développement accrues ;
− une ouverture vers de nouveaux clients ou marchés jusque-­là inaccessibles ;
− un partage des meilleures pratiques entre les différentes entités du
groupe ;
− des synergies de coûts liées aux achats et aux fonctions internes ;
− un accès plus facile aux crédits ;
− etc.

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Introduction

Cas 1 Le LBO Harley-­Davidson (1981-­1986)


Harley-­Davidson est sans doute l’une des plus belles histoires jamais écrites
dans l’univers du LBO. Un cas d’école par excellence dans lequel levier finan-
cier et levier managérial se conjuguent pour redresser un mythe américain.

„ La naissance d’un mythe


La première Harley-­Davidson voit le jour en 1903, à Milwaukee, lorsque
Bill Harley construit sa première moto à l’aide de ses amis Arthur et Walter
Davidson. Ce prototype n’est qu’un demi-­succès technique (il faut encore
pédaler dans les montées !) mais rapidement, les trois compères acquièrent
une réputation de mécaniciens de talent. Ils produisent d’abord quelques
motos pour des amis et, rejoints par le troisième frère Davidson, décident
finalement en 1907 de quitter leurs emplois respectifs pour créer leur propre
société.
Les débuts sont plus que prometteurs. Harley-­Davidson fournit rapidement
différents services de police à travers le pays et quelques années plus tard, la
société signe même un contrat avec l’US Army. Le modèle WTA équipe d’ail-
leurs l’armée américaine pendant la Deuxième Guerre mondiale et contribue
fortement à la notoriété de la marque en Europe.
Harley devient peu à peu partie intégrante du paysage américain. Le bruit de
ses moteurs, le dessin de ses motos et son image rebelle, associés aux acteurs
James Dean et Marlon Brando ou au film Easy Rider lui permettent d’avoir
une identité forte et des clients fidèles. En 1953, à la suite de la faillite de
son principal concurrent, Indian Motorcycle, Harley-­Davidson devient le
seul constructeur de motos aux États-Unis. À cette date, le groupe contrôle
60 % du marché américain, tous segments confondus – petites, moyennes et
grosses cylindrées.

„ Les difficultés
En 1965, pour financer de nouveaux plans de développement, Harley-­Davidson
entre en bourse même si, à cette date, les familles fondatrices contrôlent
encore une partie du capital. Quatre ans plus tard cependant, l’intégralité
de la société est acquise par le groupe AMF, un conglomérat spécialisé dans
les équipements de loisirs dont le patron, Rodney Gott, est un fan de Harley.

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Le leveraged buyout

Cette nouvelle phase dans l’histoire de la marque coïncide avec les premières
vraies difficultés du groupe. Concurrencées par les modèles japonais, les
Harley traînent la réputation de véhicules chers et peu fiables.
Arrivées sur le marché américain à la fin des années 1950, les marques Honda,
Yamaha, Suzuki et Kawasaki sont à l’origine regardées de haut par Harley-­
Davidson. Elles se concentrent en effet sur les petites motos alors que Harley
est spécialiste des grosses et moyennes cylindrées. Ce manque de réaction
permet aux marques japonaises de s’installer tranquillement. Le chiffre
d’affaires de Honda aux États-­Unis passe de 500 000 à 77 millions de dollars
entre 1960 et 1965.
À partir des années 1970, les marques japonaises entrent dans une seconde
phase de développement. Elles utilisent les positions acquises sur le marché
des petites cylindrées pour s’attaquer aux segments supérieurs. En 1974,
Honda lance ainsi la Gold Wing, une moto de 1000cc destinée à concurrencer
directement les Harley. En l’espace de quelques années, la marque américaine
perd son leadership sur le segment des moyennes puis des grosses cylindrées.
Alors que les parts de marché de Harley ne cessent de s’effondrer, rien ne
semble pouvoir inverser la tendance. La joint-­venture avec le groupe italien
Aermacchi pour produire des modèles plus petits ou les investissements dans
de nouvelles lignes de production se révèlent sans effet. En outre, pour atta-
quer les motos japonaises sur leur terrain, la firme opte pour un marketing
grand public qui finit par brouiller son image. Alors que les difficultés se
multiplient, le groupe AMF décide de vendre sa filiale et demande à Goldman
Sachs de trouver un repreneur.

„ Le LBO
Devant le manque d’enthousiasme des acquéreurs potentiels – qui estiment
tous le déclin de Harley inéluctable – la solution du LBO interne commence
à s’imposer peu à peu. En 1981, les treize plus importants dirigeants de
Harley, menés par le PDG Vaughn Beals, décident de racheter l’entreprise.
Après plusieurs mois de difficiles négociations, Harley-­Davidson est cédée à
ses propres manageurs dans le cadre d’un MBO de 81,5 millions de dollars.
87 % de ce montant (un ratio colossal !) est financé par dette – apportée en
totalité par Citibank.
Entré dans le groupe en 1977, le PDG Vaughn Beals est un ancien du MIT passé
par l’industrie aéronautique. Gêné durant plusieurs années par les tensions
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Introduction

entre AMF et Harley-­Davidson, il n’a jamais vraiment pu imposer la stratégie


qu’il souhaitait mettre en place. Libéré des contraintes de la maison mère, il est
persuadé de pouvoir redresser la société. Pour célébrer l’acquisition, il organise
un voyage New York-­Milwaukee en Harley avec les nouveaux actionnaires
et leurs femmes. L’effet sur le moral des revendeurs est immédiat. Certains
prennent d’ailleurs leur moto pour se joindre aux nouveaux propriétaires
sur quelques kilomètres.

„ Le management post-­LBO
Immédiatement après l’acquisition, Vaughn Beals tente d’introduire rapi-
dement une série de changements radicaux. Pour les faire accepter, il orga-
nise d’abord une visite d’usine chez Honda pour les dirigeants, les leaders
syndicaux et certains ingénieurs. Tous sont ébahis par la propreté des lieux.
Ils réalisent aussi que la ligne de production, bien que moins moderne, est
beaucoup mieux organisée. Le mode de fonctionnement privilégie la méthode
just in time, c’est-­à‑dire une production à la commande qui permet de limiter
les stocks et d’introduire sans délai les améliorations décidées.
Le groupe de visiteurs prend également conscience de la bonne entente des
équipes et de l’existence de relations de travail moins conflictuelles que chez
eux. Un détail a son importance : les ingénieurs de l’usine connaissent par
leur prénom tous les ouvriers dont ils sont responsables.
Au final, les chiffres sont sans appel. Seulement 5 % des motos japonaises ne
passent pas le contrôle de qualité contre 50 à 60 % chez Harley. En outre, la
productivité d’un employé de Honda est au moins de 30 % supérieure.
Suite à cette visite, les méthodes japonaises sont donc rapidement impor-
tées, avec une attention toute particulière à la mise en place du just in time.
En parallèle malheureusement, près de 50 % des effectifs sont licenciés pour
s’adapter à la baisse de la production sur les dernières années. En outre, les
syndicats renoncent à une augmentation décidée avant l’acquisition et les
employés qui restent acceptent même une baisse de salaire de 9 % en moyenne.
Du côté du produit lui-­même, un nouveau moteur Harley est conçu pour
remplacer l’ancien. Plus fiable, il permet au groupe de réaliser des économies
substantielles. Le design des motos est également repensé. Il met en avant les
chromes visibles, dans l’idée évidente de différencier davantage les Harley de
la concurrence japonaise.

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Le leveraged buyout

Le marketing et la distribution ne sont pas négligés. La firme renoue avec


son identité originelle un peu rebelle et abandonne le positionnement grand
public voulu par AMF. Harley investit également dans la décoration de ses
boutiques et soutient davantage ses distributeurs en organisant régulièrement
avec eux des courses de motos ou des événements promotionnels.

„ Le retour en bourse
Grâce à cette politique audacieuse, Harley renoue rapidement avec des indi-
cateurs financiers positifs. Le chiffre d’affaires augmente de 130 % en cinq ans
et en 1985, la société redevient, devant Honda, le leader sur le segment des
grosses cylindrées. Plus important encore, Harley améliore sur la période ses
marges de façon spectaculaire du fait de l’adoption des méthodes japonaises.
Malgré ces succès, Citibank décide en 1984 de ne pas renouveler les lignes
de crédit accordées pour financer l’acquisition. La banque craint en effet un
retournement de marché sous l’effet cumulé du vieillissement de la population
et de perspectives macro-­économiques mitigées. Sous pression, Harley trouve
à la dernière minute un nouveau financier, Heller Inc., une société de prêt
spécialisée dans les entreprises moyennes, qui accepte de refinancer la dette.
Cet épisode marque profondément Vaughn Beals et les autres actionnaires.
Ceux-­ci décident alors d’accélérer le retour en bourse de Harley-­Davidson.
L’introduction se fait avec succès, en deux temps, en juin 1986 puis en juin 1987,
sur une valorisation bien supérieure à celle des concurrents de l’époque.

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Chapitre 2 Les différents acteurs

1. La cible
Un LBO commence toujours par la recherche de la cible idéale. C’est un
processus chronophage qui est en général fluidifié par les départements
fusions-­acquisitions des banques d’affaires. Pour les transactions plus petites,
le marché est moins organisé mais il existe des intermédiaires spécialisés dans
les reprises de PME.
Même si les acquéreurs potentiels se concentrent sur des secteurs et des tailles
d’entreprises qui ne sont pas les mêmes, il est malgré tout possible de dresser
un portrait-­robot de la cible idéale. En simplifiant, on peut dire que celle-­ci
doit (i) générer des cash flows stables qui permettront de rembourser la dette
d’acquisition et (ii) offrir, en parallèle, des perspectives de développement qui
invitent à penser qu’il est possible de revendre la cible avec une plus-­value
quelques années plus tard.
D’avance, nous prévenons le lecteur que la cible idéale décrite ci-­dessous est
un fantasme de banquier et qu’elle n’existe que dans les livres. Les différents
points mentionnés permettent néanmoins de constituer une grille de lecture
à laquelle il est possible de confronter tout LBO potentiel.

1.1. Des cash flows importants et récurrents


Compte tenu du levier financier, il est critique pour une société cible d’avoir
la capacité à générer des cash flows importants, stables et récurrents. C’est
un point primordial pour les banques et les investisseurs en dette.
Les sociétés dont le business model permet de générer des cash flows prévi-
sibles et robustes sont les plus recherchées. Les fonds de LBO s’intéressent
donc tout particulièrement aux sociétés établies qui sont présentes sur des
marchés matures, idéalement de niche, dans lesquels la demande est stable et
les alternatives limitées. On retrouve souvent, dans ce groupe de cibles poten-
tielles, des entreprises avec une marque forte et des clients fidèles. Les chaînes
de magasins spécialisés (ou de restaurants) sont, pour cette raison, des cibles
très prisées par les fonds. Parmi la liste des sociétés passées ou encore sous

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Le leveraged buyout

LBO, on retrouve ainsi notamment Burger King, Domino’s Pizza, Léon de


Bruxelles ou Picard Surgelés.
Dans leur analyse, menée préalablement à tout investissement, les fonds de
LBO testent à l’aide de modèles financiers la sensibilité des cash flows à des
variations de la demande en fonction de données historiques ou prévision-
nelles. Le but est de déterminer la capacité d’une cible à verser des dividendes
à la HoldCo selon différents scénarios.

1.2. Des opportunités de croissance


Quel qu’il soit, un acquéreur a toujours pour objectif d’augmenter les profits
de la cible qu’il achète. Il doit donc identifier, préalablement à tout investis-
sement, les opportunités de croissance qui se présentent à lui.

Croissance interne
Parmi les stratégies de croissance fréquemment mises en place, on trouve
souvent l’internationalisation d’un concept qui a bien fonctionné dans un
pays. C’est notamment le cas pour de nombreux business de B to C (business to
consumer), c’est-­à‑dire les entreprises qui vendent directement leurs produits
ou services à des consommateurs personnes physiques.
Cette croissance à l’international est cependant toujours plus compliquée
qu’il n’y paraît. Elle exige souvent une expérience ou une expertise particu-
lière. C’est parfois la raison pour laquelle les fonds de LBO recrutent pour la
cible des managers extérieurs dans le cadre d’un BIMBO.

Croissance externe
La croissance externe d’une société sous LBO est généralement faite dans
le cadre d’une stratégie de build-­up. Si une telle politique est envisagée, il est
bon de l’annoncer aux prêteurs dès le premier LBO pour s’assurer que les
banques qui s’engagent dans la transaction initiale sont prêtes, le cas échéant,
à financer les acquisitions suivantes.
Les build-­ups sont par exemple très fréquents dans le secteur des maisons de
retraite. De nombreux acteurs majeurs, détenus par des fonds de LBOs (Colisée,
Domidep, Domusvi), achètent régulièrement des groupes plus modestes ou
des maisons de retraite indépendantes. En 2019 par exemple, Colisée, contrôlé
alors par le fonds IK Partners a acquis le groupe belge Armonea, créant ainsi
l’un des plus importants acteurs européens du secteur.

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Les différents acteurs

1.3. La possibilité d’améliorer les processus opérationnels


Idéalement, la cible parfaite est une « belle endormie », c’est-­à‑dire une société
qui a jusque-­là un peu négligé les processus opérationnels et qui n’a pas
toujours géré au mieux sa trésorerie. Cette belle endormie est typiquement
une entreprise qui a vécu un peu sur ses acquis et qui a besoin d’un dirigeant
motivé et connaissant les processus opérationnels du secteur. Si ces conditions
sont réunies, c’est dans ce cadre que le levier managérial dont nous avons
parlé plus haut est le plus efficace. Pour illustrer ce point, nous renvoyons
notre lecteur une nouvelle fois à l’étude de cas consacrée à Harley-­Davidson.
La société cible peut également être une entreprise qui doit modifier sa stra-
tégie et se recentrer sur certaines activités. Un LBO peut permettre de réaliser
ce repositionnement. C’est notamment la raison pour laquelle certains fonds
n’hésitent pas à racheter des entreprises cotées (opérations de public to private).
Ce type de transaction peut avoir lieu lorsque le business model de l’entre-
prise doit être revu en profondeur, ce qui est difficilement possible pour une
entreprise cotée qui doit publier des résultats trimestriels. Retirer la société
de la cote est donc une solution pour la restructurer sereinement et espérer
entrer dans une nouvelle phase de croissance. Plusieurs sociétés ont connu
des opérations de public to private avant de revenir en bourse, notamment
Burger King, Dell, ou Hilton.

1.4. Un faible endettement long terme


Compte tenu de l’importance de la dette d’acquisition, la cible idéale, prise
isolément, doit avoir un endettement limité ou, tout du moins, un endet-
tement acceptable compte tenu du secteur. Dans le cas contraire, le levier
financier global sur la cible et la HoldCo deviendrait trop risqué.
Idéalement, cette entreprise parfaite ne doit pas non plus appartenir à un
secteur dit, dans le jargon financier, « intense capitalistiquement », c’est-­à‑dire
une industrie qui réclame de lourds investissements réguliers (sidérurgie,
construction automobile, etc.). En effet, compte tenu de l’importance des
coûts fixes dans ce type de secteurs, une diminution, même faible, des revenus
peut entraîner des pertes opérationnelles importantes, empêchant la cible de
verser des dividendes à la HoldCo.

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Le leveraged buyout

1.5. Un faible besoin en fonds de roulement


Théoriquement, la cible doit également avoir un faible besoin en fonds de
roulement (ou BFR). Pour rappel, le BFR est l’argent dont la société a besoin
pour réaliser son cycle d’exploitation. Il se calcule comme la somme des
créances clients et des stocks moins les dettes fournisseurs.
Un BFR élevé suppose un fort besoin en trésorerie. Ce dernier peut être financé
de deux façons : soit en immobilisant des liquidités d’origine long terme
(capital ou dette), soit en multipliant les crédits court terme. Quelle que soit
la solution choisie, les banques n’aiment pas les BFR élevés : ils augmentent
l’endettement ou limitent la rentabilité des fonds propres, voire les deux.
Ce faisant, ils font peser des risques sur la distribution des cash flows par la
cible et donc sur le remboursement de la dette d’acquisition.
Dans certains cas, appréciés des banquiers et des fonds LBO, le BFR de la
cible est parfois négatif. Cela veut dire que la cible n’a pas besoin de financer
son cycle d’exploitation. C’est le cas par exemple de la grande distribution
ou des chaînes de restaurants : le paiement des fournisseurs se fait à 30 jours
(ou plus) alors que les clients paient comptant. C’est là une autre raison pour
laquelle ces secteurs sont attractifs aux yeux des professionnels du LBO.
Une entreprise qui a un BFR élevé mais qui pourrait avoir un BFR plus faible
si elle était mieux gérée est également une cible idéale pour un fonds de LBO.
On retrouve ici une situation où le fonds identifie une amélioration possible
des processus opérationnels (cf. paragraphe 1.3 ci-­dessus).

1.6. Un bilan impeccable


Les acquéreurs potentiels fuient les situations dans lesquelles ils peuvent
avoir un doute sur l’honnêteté des actionnaires en place. Ils ne souhaitent pas
endosser, en tant que nouveaux propriétaires, la responsabilité de faits passés
légalement répréhensibles. Ils recherchent donc des cibles qui présentent un
bilan impeccable, tant d’un point de vue financier et comptable que social,
humain ou juridique.
Ce point est bien plus sensible pour les repreneurs individuels que pour
les fonds de LBO. Ces derniers ont en effet les moyens de mener une étude
approfondie de la cible avant toute acquisition. S’ils ont le moindre doute, ils
peuvent abandonner le processus d’achat. À l’inverse, un repreneur individuel
extérieur (dans le cadre d’un MBI) doit souvent, pour des raisons financières,

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Les différents acteurs

se contenter d’un audit partiel qui porte uniquement sur les principaux
éléments de la société. Il est donc plus exposé qu’un fonds à une mauvaise
surprise après l’acquisition.
Dans tous les cas, les acquéreurs demandent toujours une garantie de passif de
la part du vendeur, c’est-­à‑dire un document dans lequel le vendeur s’engage
à prendre la responsabilité de tout passif (financier, fiscal, juridique, etc.) qui
trouverait son origine à un moment où il était encore propriétaire de la cible.
Si le cédant est une personne physique, cette garantie doit s’accompagner
d’une contre-­garantie octroyée par une banque.

1.7. Un management de qualité


Pour les fonds LBO, il est plus facile, après l’acquisition, de repartir avec
l’équipe en place que de nommer de nouveaux dirigeants. Il est donc essentiel
d’intéresser au capital le management de l’entreprise si celui-­ci est efficace.
L’une des décisions les plus importantes que le fonds doit prendre est de
décider le nombre exact de dirigeants qui doivent participer au capital. C’est
un arbitrage délicat. Si les participants sont trop nombreux, chacun est trop
peu intéressé financièrement. À l’inverse, si certains managers sont laissés de
côté, des tensions peuvent venir polluer l’atmosphère et détériorer la perfor-
mance de l’entreprise.
Connaître la cible de l’intérieur est un atout non négligeable. Pour les opé-
rations plus petites, initiées par un repreneur individuel, les fonds préfèrent
en général plutôt participer à une transaction menée par un ancien cadre de
la société que par un acquéreur extérieur.
Enfin, si la cible est encore plus petite et qu’il s’agit d’une acquisition faite par
un repreneur seul, celui-­ci doit s’assurer de pouvoir compter sur le soutien du
personnel de l’entreprise. Ce repreneur peut éventuellement, lui aussi, faire
participer certains hommes clés au capital pour s’assurer de leur implication
sur le long terme.

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Le leveraged buyout

2. Les acquéreurs

2.1. Les fonds de private equity

Fonds de LBO et autres fonds de private equity


Le gros des acquisitions dans le cadre de LBO est réalisé par des fonds d’in-
vestissement (private equity sponsors ou simplement sponsors). Leur objectif est
d’acquérir une société grâce à un important levier financier, de la développer
puis de la revendre ou de l’introduire en bourse après 3 à 8 ans.

Les débuts des fonds de LBO


Les premiers fonds de LBO sont apparus aux États-­Unis dans les années 1970-­
1980. Ils ont à la fois surfé sur la popularité croissante de cette technique de
financement et contribué à la développer fortement. KKR, le fonds pionnier
dans ce domaine, est créé en 1976. Auparavant néanmoins, alors qu’ils tra-
vaillaient encore dans le département fusions & acquisitions de Bear Stearns,
ses trois futurs fondateurs, Jerome Kohlberg, Henry Kravis et George Roberts,
avaient déjà procédé à ce type d’opérations. C’est parce qu’il devenait évident
que ce n’était pas le rôle d’une banque d’investir en capital dans des socié-
tés non cotées que Kohlberg, Kravis et Roberts décidèrent de fonder KKR.
L’apparition du terme leveraged buyout coïncide d’ailleurs avec l’apparition de
ces premiers fonds. Il supplante peu à peu celui de bootstrap investments (qui
signifie littéralement « investissements avec peu de capital »).
À l’origine, Kohlberg, Kravis et Roberts cherchent à racheter des sociétés
confrontées à des problèmes de succession. Leur cible idéale est une entre-
prise dont le dirigeant :
− veut partir en retraite ;
− n’a pas de successeur désigné ;
− ne souhaite pas vendre son entreprise à un concurrent contre lequel il
s’est battu toute sa vie et ;
− n’est pas en mesure d’introduire la société en bourse (souvent pour des
raisons de taille).
Quand ces conditions sont réunies et que la cible est viable, les trois associés,
d’abord chez Bear Stearns puis dans leur propre fonds, procèdent à l’acqui-
sition dans l’espoir de revendre la société quelques années plus tard.

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Les différents acteurs

Les débuts des trois associés sont compliqués. KKR ne décolle en fait réel-
lement qu’en 1981 lorsqu’ils convainquent le fonds de retraite des fonc-
tionnaires de l’État de l’Oregon de financer l’apport en capital de KKR dans
une acquisition. Cette transaction change le destin de KKR qui attire alors
le premier investisseur de ce type dans un financement LBO. C’est un très
grand changement, pour KKR comme pour l’industrie du LBO. Les fonds
de pension de ce type (pension funds1) sont en effet aujourd’hui parmi les plus
gros investisseurs dans des fonds de LBO.

Le fonctionnement d’un fonds


Les fonds de LBO ont tous un positionnement et une stratégie d’investissement
qui leur est propre. Leurs critères d’acquisition sont fondés sur la situation
géographique, la taille et le secteur d’activité des cibles. Les premiers fonds
de LBO ont été créés aux États-­Unis (Blackstone, Carlyle, KKR…) mais de
nombreux fonds existent également en Europe : Ardian, BC Partners, Cinven,
CVC, PAI Partners, Permira ou 3i par exemple.
Dans les faits, parler de fonds de LBO ou de fonds d’investissement pour
désigner ces sociétés est un abus de langage2. En effet, ces entreprises n’inves-
tissent pas directement au capital des HoldCo qui doivent acquérir les cibles.
Elles sont en réalité des sociétés de gestion, qui lèvent des liquidités auprès
d’investisseurs tiers, privés ou institutionnels (compagnies d’assurances,
fonds souverains, fonds de retraite, etc.). Ces liquidités sont réunies dans des
poches d’investissements dédiées, qui sont, elles, dans les faits, les fonds qui
réalisent les investissements.
Les sociétés de gestion sont managing partners de ces fonds. Les investisseurs tiers
sont eux des limited partners. Le rôle des limited partners est d’apporter l’argent
qui permettra d’acquérir les cibles alors que celui du managing partner est de :
− créer le fonds, avec un objectif de taille, une durée et un positionnement
particulier. Dans les faits, une société de gestion peut donc par exemple
avoir pour objectif de lancer un fonds de 2 milliards d’euros, d’une
durée de vie de 10 ans et qui vise les sociétés européennes de moins de
100 millions d’euros de chiffre d’affaires ;

1. Un fonds de pension est un fonds de retraite, de l’anglais pension qui veut dire retraite (pension fund).
2. Abus de langage que tout le monde fait dans cette industrie et que nous allons continuer à faire dans ce livre.
Il est cependant important que le lecteur comprenne le fonctionnement exact des fonds de LBO.

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Le leveraged buyout

− identifier les investisseurs : les sociétés de gestion présentent leur pro-


jet à de nombreux investisseurs potentiels et tentent de les convaincre
d’investir dans leurs fonds. Cette étape, que l’on appelle road show, peut
être organisée avec l’aide d’une banque d’affaires ou d’une boutique
spécialisée, chargée de présenter de nouveaux investisseurs à la société
de gestion ;
− sélectionner les cibles et réaliser les investissements : une fois que la
société de gestion a la certitude d’avoir réuni une partie des fonds envi-
sagés (disons, dans notre exemple, 1 milliard sur les 2 milliards d’euros),
elle commence à investir l’argent des limited partners. Pour réaliser les
premières acquisitions, ceux qui se sont engagés à participer au fonds
sont donc invités à faire des versements au prorata de leur promesse
d’investissement totale ;
− gérer les participations dans les différentes holdings de reprise : une
fois qu’un investissement est réalisé, le managing partner assure le suivi
de l’acquisition et de la mise en place de la stratégie. Un membre de
l’équipe d’investissement de la société de gestion, qui a souvent le titre
de directeur de participations, est chargé d’assurer ce rôle. Il siège en
général au conseil d’administration de la cible ;
− vendre la participation : à l’issue d’une période de détention de plusieurs
années, la société de gestion doit trouver un nouvel acquéreur pour la
cible. Elle mandate souvent une banque d’affaires à cette fin.
La société de gestion se rémunère pour ce travail sur la base de commissions
de gestion (management fees) calculées comme un pourcentage des sommes
investies par les limited partners, souvent 2 % par an. Elle prélève également,
une partie des gains des investisseurs au-­delà d’une certaine performance
(appelée hurdle rate), par exemple 20 % au-­delà d’un rendement de 9 %. Cette
rémunération s’appelle le carried interest.

Les objectifs de rendement


Compte tenu du levier et donc du risque d’une opération de LBO, les sociétés
de gestion ne procèdent à un investissement que si leurs projections finan-
cières leur permettent de penser qu’elles peuvent dégager une rentabilité
élevée, souvent de l’ordre de 20 % par an. Cet objectif est mis en avant par la
société de gestion lors du road show qui accompagne le lancement du fonds.
Dans les faits, chaque fonds comprend différents investissements. Le ren-
dement offert aux investisseurs d’un fonds est donc la somme pondérée du
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Les différents acteurs

rendement de chaque acquisition moins les commissions payées au managing


partner. Pour la crédibilité de la société de gestion, c’est ce rendement final
qui doit être en ligne avec la rentabilité cible annoncée dans le road show.
La performance d’un fonds détermine souvent la capacité d’une société de
gestion à en lever un autre.

Apport moyen par acquisition


L’apport moyen des investisseurs en pourcentage de la valeur d’acquisition
de la cible est fonction des conditions de marché et dépend beaucoup de la
capacité des prêteurs à offrir un levier important. En simplifiant, on peut
dire que les investisseurs cherchent d’abord à maximiser la dette (tout en
s’assurant que ce montant est tenable pour la cible) et que le solde est investi
en capital. Si l’investissement permet de générer un rendement en lien avec
les attentes du fonds, l’acquisition est réalisée.

2.2. Les repreneurs individuels


Un LBO n’est pas toujours le fait d’un fonds d’investissement spécialisé. Il
peut être orchestré par un repreneur individuel désireux de se lancer dans un
projet entrepreneurial. Ces acquisitions sont en général de petites transactions.
Elles concernent souvent le bras droit d’un chef d’entreprise qui souhaite
vendre sa société et partir en retraite ou un cadre d’un grand groupe, qui fort
de ses économies, souhaite acquérir une petite PME. Ces reprises se font pour
des montants très variables mais l’essentiel des transactions se traduit, en
France, par des apports personnels compris entre 100 000 et 400 000 euros.
Pour les grosses acquisitions individuelles, il n’est pas rare que le repreneur
sollicite le soutien d’un fonds.
Les acquisitions par des repreneurs individuels ne se font pas tout à fait dans
la même optique que les opérations de LBO mises en place par les fonds.
Ces derniers cherchent en effet uniquement une plus-­value financière et
ont pour objectif de revendre la cible quelques années plus tard (4 à 6 ans).
À l’inverse, un repreneur individuel cherche d’abord une aventure entre-
preneuriale. Il veut évidemment développer la société mais ne souhaite pas
nécessairement s’en séparer rapidement. Son projet personnel peut l’amener
à s’impliquer de très nombreuses années.
Ceci étant, les repreneurs sont en général plus ouverts à une cession de leur
société que les chefs d’entreprise créateurs. Ceci s’explique sans doute par le

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Le leveraged buyout

fait que le repreneur, du fait de son parcours particulier, est moins impliqué
émotionnellement dans la société que le créateur-­entrepreneur. Certains
repreneurs – une minorité cependant – deviennent d’ailleurs parfois des
serials repreneurs : ils achètent une société, la développent et la revendent puis
renouvellent l’opération avec une autre cible.

3. Les prêteurs
La structuration de la dette dans une transaction de LBO dépend en grande
partie de la taille de l’opération et de la localisation de la cible. Les tech-
niques de financement d’acquisition sont en effet différentes en Europe et
aux États-­Unis.
Pour les petites opérations, notamment celles faites dans le cadre d’une
reprise individuelle d’entreprise, la structuration est relativement simple : la
HoldCo ne souscrit en général qu’un seul emprunt et la dette est contractée
auprès d’une ou deux banques partenaires uniquement. Celles-­ci obtiennent
en contrepartie un nantissement sur les actions de la HoldCo et de la cible.
Pour les opérations plus importantes, celles faites par les fonds de LBO, la
dette peut comporter différentes tranches : une dette senior, remboursée en
priorité, et une dette subordonnée (ou junior) dont le remboursement n’in-
tervient qu’après la tranche senior. Les taux applicables sont bien évidemment
différents selon les tranches, les prêteurs juniors exigeant une marge plus
élevée compte tenu du risque additionnel supporté1.
Les paragraphes suivants s’appliquent à décrire les mécanismes de finance-
ment pour les acquisitions grandes ou moyennes réalisées par les fonds. La
structuration des petits LBOs est en effet relativement simple comme nous
l’avons évoqué ci-­dessus.

3.1. Déterminer le niveau de dette dans un LBO


Le montant de dette dans un LBO s’exprime en général comme un multiple de
l’EBITDA de la société cible. L’EBITDA (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation
and Amortization ou, en français, Excédent Brut d’Exploitation – EBE) est le
solde entre les produits et les charges d’exploitation d’une société. L’EBITDA

1. Se reporter à l’annexe 1 en fin d’ouvrage pour comprendre comment les banques déterminent les taux qu’elles
facturent à leurs clients.

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Les différents acteurs

correspond donc au résultat du processus d’exploitation d’une entreprise.


Il donne une indication de la profitabilité d’une société sans considération
des effets financiers, fiscaux ou de la politique d’investissement. En cela, il est
un indicateur fondamental du potentiel d’une entreprise particulière. C’est
pour cette raison qu’il sert de référence pour déterminer le niveau de dette
final dans un LBO. Selon les cas, le montant de la dette d’acquisition peut
donc être égal à trois fois, quatre fois ou cinq fois l’EBITDA, etc.

3.2. La dette senior

Principe général
La dette senior est prioritaire en termes de remboursement et bénéficie géné-
ralement d’un nantissement sur les actions de la HoldCo et de la cible. Elle
peut comporter plusieurs tranches :
− une tranche dite A, qui s’amortit, au moins partiellement, sur 6 ou 7 ans
(appelée Term Loan A ou TLA) et ;
− une tranche B, non amortissable, remboursable in fine, dont la durée
est généralement similaire (appelée Term Loan B ou TLB).
En règle générale, la tranche A est perçue comme moins risquée que la
tranche B, du fait de son caractère amortissable. Elle bénéficie donc souvent
d’une marge moins élevée.
Il n’est pas obligatoire d’avoir une tranche A pour structurer un Term Loan
B. De nombreuses transactions sont aujourd’hui financées au moyen de TLB
uniquement, ce qui signifie que la totalité de la dette d’acquisition est rem-
boursable in fine. En d’autres termes, cela signifie que pendant la phase de
détention de la cible par la Holdco, les cash flows de la cible ne servent qu’à
payer les intérêts du prêt. Le remboursement du principal est conditionné à
un refinancement ou à la revente de la société. En règle générale, la vente de
la cible entraîne systématiquement le remboursement de la dette contractée
par le fonds, même si la maturité finale n’est pas atteinte.
Plus rarement, certaines transactions sont financées à l’aide d’une tranche
C, c’est-­à‑dire d’une tranche de même type que la tranche B mais à maturité
plus longue. Là encore, cette tranche peut venir en addition d’une tranche A
ou B ou constituer la totalité du financement.

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Le leveraged buyout

Les prêteurs
Lorsqu’il présente son offre de rachat, un fonds LBO s’associe en général
avec un ou plusieurs établissements chargés d’apporter le financement.
Selon la taille de la transaction et les conditions de marché, ce financement
est syndiqué ou partagé dans le cadre d’un club deal1. Parmi les entités qui
octroient ces prêts, on trouve bien évidemment des banques mais aussi des
prêteurs spécialisés. Ces prêteurs sont des fonds connus sous le nom de CDO
(Collateralized Debt Obligation) ou CLO (Collateralized Loan Obligation).
CDOs et CLOs jouent un rôle fondamental dans le financement des LBOs les
plus larges. Leur part de marché s’élève à plus de 50 % en Europe et à 80 % aux
États-­Unis. Dans la mesure où les CLOs et les CDOs ne sont pas des banques
mais des entités juridiques qui cherchent à déployer le capital d’investisseurs
tiers, ils ont une forte préférence pour les instruments de type in fine, dont
le remboursement est simple. C’est l’une des raisons qui explique la part
croissante des TLB dans le secteur du LBO. Nous reviendrons sur les CLOs
et les CDOs dans la partie 4 du livre consacrée à la titrisation.

Second lien
On trouve parfois, dans certains LBOs, une tranche additionnelle de dette
senior appelée second lien. Cette tranche bénéficie également d’un nantissement
sur les actions de la cible et est donc juridiquement considérée comme une
tranche additionnelle de dette senior. Ce nantissement est cependant une
sûreté de second rang : les prêteurs ont uniquement un droit junior (second)
sur le collatéral (lien). En clair, la garantie des prêteurs qui fournissent la dette
second lien n’a de valeur que si, en cas d’exercice de la garantie par les prêteurs
seniors, la valeur des actions de la cible est supérieure à la somme restant à
payer aux titres du prêt senior.
Dans les faits, la garantie dont bénéficient les prêteurs second lien n’est pas
loin d’être une garantie de papier. Il est en effet fortement improbable que,
dans une situation qui justifie l’exercice de la garantie des prêteurs seniors
sur les actions de la cible, ces actions aient une valeur supérieure au montant
de dette senior. Il n’est pas surprenant que ce type de dette soit apparu dans
une période de bulle sur le marché du LBO, à savoir 2004-­2007. Depuis 2008,
le recours à la dette de type second lien est beaucoup moins fréquent.

1. Cf. annexe 2 consacrée à la syndication et aux club deals.

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Les différents acteurs

Implications au niveau de la cible


Un LBO implique également une remise à plat des financements souscrits
directement par la société cible. Ce sont des financements dont la cible a
besoin pour son activité quotidienne et la gestion de sa trésorerie. Afin de
faciliter la gestion d’un LBO sur la durée, il est préférable que les prêteurs
au niveau de la cible acceptent le principe du LBO. Cela permet d’éviter les
conflits relatifs aux distributions de dividendes ou à la politique d’investis-
sement de la cible. À cette fin, un LBO prévoit souvent le remboursement
anticipé des emprunts souscrits par la cible préalablement à l’opération. Les
nouveaux prêteurs sont souvent des prêteurs présents dans le prêt d’acqui-
sition au niveau de la HoldCo.

3.3. Dette subordonnée et high yield bonds

La dette mezzanine
Comme son nom l’indique, la dette mezzanine correspond à une tranche de
dette située – en termes de priorité – entre le capital et la dette senior. C’est
une dette en général apportée par des fonds spécialisés, appelés communé-
ment « mezzaneurs ».
La dette mezzanine est un financement hybride à mi-­chemin entre dette
et capital qui prend souvent la forme d’obligations convertibles et dont le
rendement provient :
− du paiement d’intérêts pendant la transaction ;
− d’un intérêt capitalisé, payable à l’échéance, qui peut être versé sous la
forme d’actions ou d’options sur les actions de la cible : le PIK (payment
in kind).
Le recours à la dette mezzanine permet d’augmenter l’effet de levier financier
sans faire supporter la totalité du risque sur les prêteurs seniors. Son rem-
boursement ne peut intervenir qu’après le remboursement total de la dette
senior. En échange, le taux d’intérêt applicable (PIK compris) est supérieur au
taux dont bénéficient les prêteurs seniors. En fonction de la forme juridique
de la dette mezzanine et des négociations, il arrive parfois que les mezzaneurs
obtiennent un siège au conseil d’administration de la cible. L’utilisation
d’une tranche de mezzanine et d’une dette second lien sont généralement
mutuellement exclusives.

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Le leveraged buyout

Les obligations à haut rendement (high yield)


Les obligations à haut rendement, appelées également high yield bonds ou plus
communément junk bonds (littéralement « obligations poubelles ») ont été
popularisées dans les années 1980 par le banquier américain Michael Milken1,
la star de la banque Drexel Burnham Lambert. Elles correspondent à des obli-
gations considérées comme non-­investment grade par les agences de notations.
Pour rappel, les notes des trois grandes agences (Moody’s, Standard & Poor’s
et Fitch Ratings) vont de AAA (ou équivalent) pour les dettes présentant un
caractère de remboursement quasi certain à D (ou équivalent) pour les titres
en défaut. On partage en général l’ensemble des titres notés en deux sous-­
catégories, les dettes investment grade, dont la notation est supérieure ou égale
à BBB– et les titres non-­investment grade, pour ceux dont la note est égale ou
inférieure à BB+. En clair, les obligations à haut rendement sont considérées
comme des titres de dette risqués.
Les high yield bonds sont remboursables in fine. Ils sont en général souscrits
par des investisseurs institutionnels qui cherchent du rendement. Ce sont les
instruments privilégiés pour structurer des transactions très larges compte
tenu de la liquidité qui existe sur ce marché.
Cette dette high yield peut être structurée de plusieurs façons. Elle peut
représenter une alternative à un financement senior de type dette bancaire
classique ou TLB mais peut aussi être structurée comme une tranche de dette
additionnelle de type junior. Dans ce cas, la dette high yield est souvent émise
par une HoldCo additionnelle située entre la HoldCo classique qui détient
la cible et le sponsor.
Structurer une dette junior sous la forme de high yield bonds n’a de sens que
pour les transactions extrêmement larges. Pour les acquisitions de taille
moyenne, la dette junior (s’il y en a une) prend plutôt la forme de mezzanine.

3.4. La dette unitranche

Principe
La dette unitranche est une forme de dette populaire pour financer les acqui-
sitions de taille moyenne. C’est une tranche de dette unique qui remplace le
couple dette senior et dette mezzanine. Son rendement est par conséquent
la somme pondérée des rendements des dettes senior et mezzanine.

1. Cf. étude de cas n° 2.

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Les différents acteurs

La dette unitranche présente l’avantage d’être plus facile à négocier qu’une


double tranche de dette. Les sponsors n’ont pas à structurer deux prêts dis-
tincts mais un seul uniquement. Cela leur permet de délivrer plus rapidement
leurs offres d’achat, ce qui est un atout lorsque le processus de vente d’une
cible est compétitif.

Les « unitrancheurs »
La dette unitranche est offerte par des fonds de dette spécialisés. Ces fonds ont
une organisation proche de celle des fonds de LBO. La différence principale
est que ces fonds visent des investissements en dette et non en capital. Le
niveau de risque est donc inférieur mais le rendement également. Par rapport
aux banques traditionnelles, ces « unitrancheurs », comme ils sont appelés,
sont très souples et réactifs. Ils peuvent se positionner rapidement sur un
dossier. C’est la raison majeure de leur succès.
Ces fonds sont également ceux qui investissent dans les dettes mezzanine.
L’essentiel de leur activité reste cependant l’investissement dans les dettes
unitranche. Compte tenu de la simplicité de cet instrument, la dette unitranche
est en effet de plus en plus populaire dans le financement des LBOs de taille
moyenne, en Europe comme aux États-­Unis. En France, les « unitrancheurs »
les plus actifs sont Ares, ICG, Tikehau ou Alcentra.

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Le leveraged buyout

Cas 2 Michael Milken et les high yield bonds


Peu de banquiers auront autant marqué l’histoire de la finance que Michael Milken.
En créant de presque rien le marché des junk bonds dans les années 1970, il est
sans conteste le père du LBO et de la désintermédiation financière.

„ Drexel Burnham Lambert


Né à Los Angeles en 1946, Michael Milken est très vite passionné par les
chiffres. Doté d’une mémoire phénoménale qui impressionne ses professeurs,
Milken fait de brillantes études. Il obtient une licence d’économie à Berkeley
avant de faire un MBA à Wharton.
Une fois diplômé, Milken rejoint une petite banque d’affaires américaine,
Drexel Firestone, sur les conseils de l’un de ses professeurs. Secouée par la
chute de la bourse au début des années 1970, Drexel est rachetée en 1973
par Burnham, une firme new-yorkaise de second rang, spécialisée dans la
distribution de produits financiers. La banque change de nom et devient
Drexel Burnham.
En 1976, suite à une nouvelle fusion avec une filiale américaine de la société
belge Groupe Bruxelles Lambert1, la banque prend le nom définitif de Drexel
Burnham Lambert. Ce n’est alors qu’une des plus petites banques d’affaires
américaines. Dix ans plus tard, grâce à Michael Milken, Drexel Burnham
Lambert sera l’établissement le plus profitable de Wall Street2.

„ Le pari de Michael Milken


Lors de ses études à Berkeley, Michael Milken découvre par hasard les
recherches de Braddock Hickman, un économiste américain qui s’est inté-
ressé au marché du crédit et a montré au travers d’études empiriques que
les obligations considérées comme non-­investment grade (ou high yield) par les
agences de notations, bénéficient d’un meilleur rapport rendement-­risque
que les obligations investment grade. En clair, cela veut dire que même si les
titres high yield sont plus risqués que les obligations classiques, le surplus de
rentabilité qu’ils offrent fait plus que compenser le risque additionnel.

1. Groupe Bruxelles Lambert est une holding belge cotée sur Euronext. C’est l’une des plus grosses capitalisations
boursières de Belgique.
2. Sur la base des rapports annuels publiés au 31 décembre 1986.

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Les différents acteurs

À l’époque des débuts de Michael Milken, le marché du high yield est encore
très étroit. Il est composé principalement « d’anges déchus », c’est-­à‑dire de
titres émis à l’origine avec une notation investment grade mais dont la note a
été revue à la baisse suite à des performances financières décevantes de l’émet-
teur. Sur ce marché, les titres s’échangent avec de fortes décotes par rapport
à leur valeur d’émission. Un trader attentif peut donc générer un rendement
bien supérieur à celui qu’il peut obtenir sur un portefeuille d’obligations
classiques, même en prenant en compte la probabilité de défaut plus élevée.
Les opportunités qui existent sur cette classe d’actifs s’expliquent princi-
palement par la faible liquidité du marché. Les titres non-­investment ­grade
sont perçus comme mauvais, d’où leur surnom de junk bonds. De nombreux
investisseurs (assureurs, caisses d’épargne, fonds de pension) ne peuvent pas,
du fait de leurs règles internes de gestion, acheter ou conserver ce type de
titres. Si une obligation émise à l’origine avec une notation correcte est par
exemple dégradée sous BBB– ils doivent s’en séparer. La décote des titres sur
ce marché est donc forte, et bien supérieure à celle causée par l’augmentation
du risque de crédit.

„ Les débuts
Michael Milken rentre à l’origine chez Drexel comme analyste obligataire. Suite
à la fusion avec Burnham, il convainc son nouveau patron, Tubby Burnham,
lui aussi un ancien de Wharton, de lui laisser développer une activité de tra-
ding de junk bonds. Les débuts sont spectaculaires et Milken génère pendant
plusieurs années des performances supérieures à 100 % par an.
Là où les investisseurs regardent le risque uniquement, Michael Milken ana-
lyse le rendement ajusté au risque. Pour lui, ces titres sont donc extrêmement
attractifs. En outre, contrairement aux obligations les mieux notées, elles ont,
compte tenu de la décote qu’elles subissent, un véritable potentiel à la hausse.
Rapidement, Michael Milken devient la nouvelle star de Drexel et la coque-
luche de Wall Street. En 1976, il a trente ans et son salaire annuel est estimé à
5 millions de dollars. Son aura est telle qu’en 1978, Drexel l’autorise à déplacer
toute son équipe de New York à Beverly Hills, où il souhaite résider, pour se
rapprocher de ses parents.

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Le leveraged buyout

„ La naissance du marché des high yield bonds


En 1977, la révolution entamée par Michael Milken sur le marché des junk
bonds prend un nouveau tournant. En avril, Drexel organise en effet sa pre-
mière émission obligataire high yield et lève 30 millions de dollars pour Texas
International, une petite société d’exploration pétrolière. Cette transaction
est historique et ouvre la voie à un nouveau marché au potentiel fantastique :
les émissions de titres classés non-­investment grade dès l’origine.
Sur ce nouveau marché, Drexel est un leader incontesté. Durant la décen-
nie 1980, la banque contrôle, selon les années, entre 40 et 70 % du marché.
Michael Milken et ses équipes font tout : ils courtisent les sociétés qui souhaitent
émettre des obligations high yield, ils organisent ces émissions, placent les titres
auprès des investisseurs et assurent une liquidité sur le marché secondaire.
La période est porteuse. Le double choc pétrolier et la crise des caisses d’épar-
gnes américaines au début des années 1980 resserrent fortement l’offre de
crédit des banques à destination des sociétés de taille moyenne. Pour beau-
coup d’entre elles, le recours aux émissions de titres high yield est alors une
évidence. Comme Michael Milken le dit lui-­même, Drexel « démocratise le
financement ».
Le marché des junk bonds évolue fortement durant cette période. Réservé
jusque-­là aux titres déclassés, il devient une terre d’accueil pour les obligations
des entreprises en croissance mais trop petites ou trop risquées pour être cor-
rectement notées par les agences de notation. Parmi les sociétés que Drexel
finance à cette époque, on trouve des futurs géants de l’industrie des médias
comme CNN ou le groupe Murdoch. De nombreux projets immobiliers ou
de casinos à Las Vegas ou Atlantic City sont également financés par Milken.

„ L’apparition des LBOs


La naissance de ce nouveau marché contribue par ricochets au développement
des LBOs. En offrant de nouvelles solutions de financement par l’intermé-
diaire du high yield, Michael Milken ouvre en effet la voie aux acquisitions
organisées avec un fort effet de levier. Ce n’est pas un hasard si KKR et les
autres fonds LBO prennent leur envol dans les années 19801.

1. Blackstone est ainsi créé en 1985 et Carlyle en 1987. Pour KKR, nous renvoyons le lecteur au chapitre 2, para-
graphe 2.1 de cette partie.

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Les différents acteurs

Du fait de sa capacité à placer de très importantes sommes d’obligations high


yield à des investisseurs, Michael Milken devient le point de contact privilégié
de tous les fonds de LBO et de tous les raiders qui souhaitent s’emparer de
sociétés cotées à travers des OPA hostiles. Il finance alors à cette époque cer-
tains des plus gros deals jamais arrangés. En 1985, il soutient l’offre hostile
de Ronald Perelman sur le géant des cosmétiques Revlon et en 1989, il place
la dette high yield pour le rachat du groupe RJR Nabisco par KKR, le plus gros
LBO jamais réalisé1.
Sur ce marché du LBO, Drexel a très peu de concurrents. La plupart des
autres banques d’affaires ont en effet pour clients les sociétés qui sont poten-
tiellement les cibles de ces raids. Elles sont donc mal à l’aise pour arranger
ce type de transactions. Drexel en profite alors pour développer son activité
de fusions-­acquisitions et rivalise bientôt dans ce secteur avec les meilleures
banques d’affaires2.

„ Le banquier le plus puissant depuis JP Morgan


Malgré les succès grandissants des autres départements de Drexel, Milken
reste la star de la banque. En 1987, sa rémunération annuelle atteint 550 mil-
lions de dollars, le plus gros salaire jamais versé dans la finance américaine
– et encore jamais égalé à ce jour. À titre de comparaison, cette année-­là, ses
équivalents dans les banques d’affaires rivales gagnent entre 2 et 7 millions
de dollars.
Cette somme extraordinaire qui, à l’époque, choque Wall Street – sans doute
par jalousie – s’explique par la façon dont Michael Milken est rémunéré.
En 1974, il négocie avec son employeur d’obtenir un pourcentage sur toutes
les transactions qu’il génère. Drexel est à l’époque une petite banque d’affaires
et personne n’imagine que le jeune banquier, qui a alors 28 ans, arrivera un
jour à redessiner le paysage financier américain.
Car c’est sans doute cela, le plus important dans l’histoire de Michael Milken.
Au-­delà de ses salaires extraordinaires, il est sans conteste le financier le plus
influent depuis John Pierpont Morgan, l’homme qui sauva, en 1907, le système
bancaire américain alors que la FED n’existait pas encore. En popularisant les
high yield bonds, Michael Milken est le père de la désintermédiation financière,
1. RJR Nabisco restera le plus gros LBO de l’histoire jusqu’à HCA Healthcare (un groupe hospitalier) en juin 2006.
Corrigé de l’inflation, il reste la plus importante transaction de LBO jamais réalisée.
2. Le patron du département M&A de Drexel est à cette époque Leon Black, le futur fondateur d’Apollo Global
Management.

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Le leveraged buyout

ce phénomène qui permet aux entreprises de se financer directement auprès


des marchés financiers, sans avoir recours aux banques. En rendant pos-
sibles les LBOs et les raids boursiers, il a aussi contribué à la réorganisation
du capitalisme américain. Sous la pression d’OPA hostiles désormais plus
faciles, les grands groupes ont peu à peu abandonné leurs organisations en
conglomérats généralistes pour se focaliser sur un seul type d’activité.

„ La chute
Malgré cette influence extraordinaire, la chute de Michael Milken est bru-
tale. En 1986, un célèbre trader, Ivan Boesky – qui inspira le personnage de
Gordon Gekko interprété par Michael Douglas dans le Wall Street d’Oliver
Stone – est arrêté pour délit d’initié. Pour diminuer sa peine, il propose de
livrer des informations compromettantes sur Michael Milken et Drexel
Burnham Lambert.
Une double enquête de presque trois ans – de la Security Exchange Commission
(SEC), le gendarme de la bourse américain, et du procureur du district Sud de
New York, un certain Rudolph Giuliani – conclut que Michael Milken et
ses équipes se livrent à des délits d’initiés. Ils achètent en effet, pour leur
compte, des actions de sociétés qu’ils savent menacées par des OPA hostiles
non encore rendues publiques mais sur lesquelles ils travaillent. Pire encore,
les enquêteurs découvrent qu’ils proposent également aux gérants de fonds
qui achètent la dette high yield placée par Drexel de participer, avec eux, à
ces achats d’actions.
Pour tous ces faits, Michael Milken est condamné à dix ans de prison et à
payer une amende et des indemnités à divers investisseurs pour un total de
1,1 milliard de dollars. De son côté, Drexel négocie un accord avec la SEC
au titre duquel la banque doit également s’acquitter d’une amende record et
céder, en plus, une partie de ses activités. Quelques mois plus tard, plusieurs
transactions malheureuses mettent Drexel en grande difficulté. La banque
recherche un nouveau partenaire mais sa réputation et la crainte d’autres
procès limitent l’enthousiasme des acquéreurs potentiels. En février 1990,
Drexel jette l’éponge et dépose le bilan.

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Les différents acteurs

„ Épilogue
Michael Milken ne fera au final que vingt-­deux mois de prison. Libéré pour
bonne conduite, il est diagnostiqué par hasard peu après d’un cancer très
avancé lors d’un check-­up de routine. Il réussit, contre toute attente, à survivre
et consacre aujourd’hui l’essentiel de sa large fortune à la recherche contre
cette maladie et à la promotion de l’accès à l’enseignement.
Le 18 février 2020, Michael Milken est pardonné pour ses fautes par le président
Donald Trump, qui souligne son impact positif sur la « démocratisation de la
finance » en permettant « aux femmes et minorités d’avoir accès à des capitaux
qui leur étaient indisponibles ». Ce pardon fait bien évidemment scandale
et relance la polémique sur la collusion des élites financières et politiques.

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Chapitre 3 Le processus du LBO

1. Le processus de vente

1.1. Analyse préalable


La période d’analyse préalable est une phase pendant laquelle les fonds ou
les repreneurs individuels analysent les opportunités d’acquisition. Si une
boutique de M&A ou une banque d’affaires a obtenu un mandat de vente de
la part du vendeur, le processus se fait souvent en deux étapes :
− une présentation très succincte de la cible (teaser) est adressée aux acqué-
reurs potentiels. Celle-­ci décrit généralement simplement la société et
son secteur d’activité ;
− si un acquéreur potentiel est intéressé par ce teaser, il signe un accord de
confidentialité (non-­disclosure agreement ou NDA) dans lequel il demande
à recevoir davantage d’informations sur la cible mais s’engage à ne pas
les divulguer. Le document contenant les informations additionnelles
prend le nom d’info-­mémo (information memorandum ou IM).1
Une fois l’info-­mémo reçu, les acquéreurs potentiels confrontent l’opportunité
d’investissement avec leur grille d’analyse. S’ils estiment qu’un projet rentre
dans leurs critères d’investissements (taille, secteur, potentiel de croissance,
etc.), ils se mettent au travail et évaluent la cible en profondeur. Ils essaient
également d’identifier concrètement les opportunités de faire croître sa valeur.
Très souvent, les acquéreurs potentiels ont l’occasion de rencontrer le mana-
gement de la cible durant cette étape. Cette rencontre peut être organisée
lors d’une présentation institutionnelle de la société à tous les acheteurs
potentiels ou dans le cadre de meetings bilatéraux. Cette rencontre permet
aux acheteurs potentiels d’affiner leur analyse de la cible.

1. Alternativement, il arrive parfois que le NDA doive être signé avant réception même du teaser.

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Le leveraged buyout

1.2. Valorisation
La valorisation de la cible est un moment clé du LBO. Pour les grosses
opérations, la valorisation de la cible se fait conformément aux techniques
financières classiques. Nous renvoyons à des ouvrages spécialisés les lecteurs
qui s’intéressent tout particulièrement à ce sujet. Pour les autres, nous allons
tenter de présenter simplement les méthodes communément admises pour
valoriser une société.
Pour simplifier, on peut dire qu’il existe deux façons d’évaluer une entreprise :
la méthode intrinsèque ou la méthode comparative. Rien de surprenant à
cela ; c’est la façon dont nous valorisons tous nos achats. Au supermarché par
exemple, nous déterminons si un produit est cher en comparant son prix au
besoin qu’il satisfait chez nous (méthode intrinsèque) ou en le confrontant aux
produits concurrents qui ont les mêmes propriétés (méthode comparative).

Méthode comparative
La méthode comparative est la plus intuitive. Elle est en fait proche de ce qui
se pratique pour l’immobilier. Il suffit de regarder les prix des transactions
similaires effectuées récemment et d’en déduire une valorisation de la cible.
C’est une méthode pertinente mais qui souffre du fait qu’il existe moins de
comparables fiables pour une entreprise que pour un appartement. Il n’est
en effet pas toujours possible, au moment de valoriser la cible, de trouver
une référence de vente récente dans le même secteur d’activité.
Concrètement, si l’acheteur réussit à identifier une ou plusieurs opérations
sur des sociétés comparables, il va rapporter le prix de vente appliqué lors
de chacune de ces transactions à différents critères propres à chaque société
(chiffre d’affaires, résultat d’exploitation, EBITDA, etc.). Ceci permet de déter-
miner la valorisation de chacune de ces sociétés en fonction d’indicateurs clés.
Grâce à cette méthode, on peut savoir pour quel multiple (de son chiffre
d’affaires ou de son résultat d’exploitation ou de son EBITDA, etc.) cha-
cune des sociétés comparables a été valorisée. On peut alors en déduire des
moyennes pour le secteur qui peuvent constituer des indicateurs de référence
pertinents pour négocier le prix de la cible. On peut ainsi découvrir que les
sociétés comparables ont en moyenne été cédées pour 7 fois leur EBITDA.
Il suffit alors d’appliquer ce multiple à l’EBITDA de la cible pour en déduire
une valorisation potentielle. Pour cette raison, cette technique de calcul
comparative est appelée, en finance, méthode des multiples.

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Le processus du LBO

Dans cette technique de valorisation, il est important de sélectionner l’indi-


cateur à multiplier le plus pertinent. C’est en général l’EBITDA ou le résultat
d’exploitation (ou EBIT). Comme nous l’avons déjà expliqué, l’EBITDA est le
solde entre les produits et les charges d’exploitation d’une société. Il donne
donc une réelle indication de la profitabilité d’une entreprise. En cela, il est
un indicateur de performance pertinent sur lequel appliquer la méthode des
multiples. L’EBITDA est cependant calculé avant amortissements ; il ne tient
donc pas compte des dépenses d’investissement nécessaires pour que la société
puisse continuer son activité. Il est donc en général préférable d’appliquer la
méthode des multiples à un indicateur comme l’EBIT.
Dans les faits, la méthode des multiples est un peu plus complexe car on peut
toujours légitimement discuter de la pertinence des comparables. Chaque
société a ses particularités et le petit jeu entre acquéreur et vendeur sera, selon
l’intérêt de chacun, de mettre en lumière ou de minimiser ces différences.
Encore une fois, on peut faire là une l’analogie entre la méthode des multi-
ples et la façon de valoriser un bien immobilier. La moyenne des prix dans
une ville peut être de 5 000 euros par m2 mais c’est une moyenne sur toute la
ville, ce qui inclut des appartements refaits à neuf en centre-­ville et des biens
décrépis en périphérie. On peut donc avoir d’importants écarts à la moyenne
(dit écart-­type). Alors qu’en immobilier ces écarts viennent de l’état du bien
ou de sa situation géographique, ces écarts viennent, en valorisation d’entre-
prise, de sujets comme par exemple la croissance des résultats de la société
sur les dernières années ou le Return on Invested Capital (ROIC) – c’est-­à‑dire le
profit opérationnel après impôts ramené à toutes les sommes investies par
les actionnaires et les prêteurs1.

Méthode intrinsèque
La méthode intrinsèque, dite des cash flows actualisés (ou en anglais, Discounted
Cash Flow method, DCF) est un peu plus complexe. Elle consiste à dire que la
valeur d’une entreprise est forcément égale à la valeur de l’ensemble des flux
financiers (cash flows) qu’elle permet de dégager sur le long terme. Il suffit
donc de calculer ces flux pour en déduire la valeur d’origine. Dans ce cas, la
difficulté est double :

1. Pour ceux qui aiment les formules, ROIC = profit opérationnel net /(total des fonds propres + dette nette).

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Le leveraged buyout

1. Il faut d’abord essayer de déterminer les flux financiers futurs générés


par l’entreprise. Pour cela, il faut faire un certain nombre d’hypothèses
crédibles sur la croissance du chiffre d’affaires, les besoins d’investisse-
ment, l’évolution des coûts, etc.
2. Il faut ensuite convertir (on dit actualiser) en euros d’aujourd’hui les
flux financiers que l’entreprise générera dans le futur. Avoir un euro
aujourd’hui est en effet différent d’avoir un euro dans le futur. L’euro
d’aujourd’hui est certain et peut être investi pour générer un rendement.
Sa valeur est donc supérieure à l’euro touché dans le futur.
Le taux auquel convertir les flux futurs en euros actuels est appelé taux d’ac-
tualisation. D’un point de vue théorique, le taux d’actualisation est le taux
auquel un investisseur est prêt à renoncer à une somme aujourd’hui pour
gagner une somme supérieure dans le futur. En d’autres termes si un inves-
tisseur possède 100 euros mais est prêt à réaliser un certain investissement
pour toucher 110 euros l’année prochaine, le taux d’actualisation est de 10 %.
Appliqué à la valorisation d’entreprise, cela signifie que les flux futurs de
l’entreprise doivent être actualisés au taux qui correspond aux attentes de
rendement moyennes de ceux qui ont financé l’entreprise, c’est-­à-­dire les
prêteurs et les actionnaires. Le taux d’actualisation à utiliser est donc le coût
moyen pondéré du capital (ou, en anglais, Weighted Average Cost of Capital ou
WACC), c’est-­à-­dire la somme pondérée du rendement attendu par les prêteurs
et du rendement espéré par les actionnaires.
Une fois déterminés les flux futurs espérés et le WACC de la société cible, il
est alors possible de calculer la valeur de l’entreprise selon la méthode intrin-
sèque. Si, en réalité, les calculs sont un peu plus complexes (il faut notamment
prendre en compte qu’il devient compliqué au-­delà d’un certain nombre
d’années de faire des projections de cash flows pertinentes), l’esprit de cette
méthode de valorisation est celui que nous venons de décrire.

Détermination du prix de l’offre


Dans les faits, la valorisation d’une cible et la détermination d’une offre d’achat
dans le cadre d’un LBO sont un peu différentes. Si les acheteurs potentiels
utilisent les deux méthodes mentionnées ci-­dessus pour comprendre la valo-
risation d’une cible, le prix de leur offre est souvent fixé de la façon suivante :

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Le processus du LBO

− Ils modélisent d’abord les flux financiers futurs que la cible peut générer
sur leur horizon d’investissement (5 ans environ) en faisant un certain
nombre d’hypothèses de croissance et de coûts. Ils y intègrent les amé-
liorations potentielles qu’ils pensent pouvoir apporter.
− Ils anticipent un multiple de sortie à cette date. En d’autres termes, ils
fixent une valorisation théorique de la cible dans 5 ans en fonction d’un
multiple (en général l’EBIT ou l’EBITDA, comme indiqué plus haut).
− Ils soustraient de cette valorisation théorique, le montant de dette
qu’ils pensent que la structure de LBO devrait avoir à cette date. Ils en
déduisent la valeur des capitaux propres de la cible, c’est-­à-­dire la part
qui leur revient.
− Enfin, compte tenu des objectifs de rendement de leur fonds, ils sont
capables de trouver, à partir de cette valorisation des capitaux propres
de la cible dans 5 ans, le montant qu’ils sont prêts à investir aujourd’hui
pour acheter la cible.

1.3. L’offre préalable


Lorsqu’un acquéreur confirme son intérêt pour une cible, il le fait par l’in-
termédiaire d’une offre non engageante (Non-­Binding Offer ou NBO), parfois
également appelée lettre d’intention (letter of intent ou LOI). Cette NBO est
un document non-­engageant dans lequel l’acquéreur déclare au vendeur que,
compte tenu des informations dont il dispose, il est intéressé par l’achat de
la cible et demande par conséquent à avoir accès à des informations plus
confidentielles pour confirmer ou infirmer son intérêt.
Plus précisément, une NBO contient obligatoirement les éléments suivants :
− les termes de la transaction : s’agit-­il d’une proposition de rachat de
l’entreprise dans son ensemble ou seulement d’une filiale ou d’une
activité ? Certains actifs de la cible sont-­ils exclus de l’offre ? ;
− le prix de la transaction : à quel prix l’acquéreur valorise-­t‑il la cible et
sur quelles hypothèses s’est-­il appuyé ? Le prix est parfois fixé dans une
fourchette et il est toujours précisé que le prix final pourra être revu en
fonction des nouvelles informations qui seront portées à la connaissance
de l’acquéreur potentiel ;
− la structure du paiement : la totalité du prix d’achat est-­il payé à la
signature ou une partie est-­elle payée en différé ? ;

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Le leveraged buyout

− l’étendue de l’audit d’acquisition (dit aussi processus de due diligence) :


quels sont les éléments que l’acquéreur va vouloir vérifier et quels sont
les éléments dont il aura besoin ? Demande-­t‑il à contacter des fournis-
seurs, des clients ou des employés ? ;
− le calendrier de l’opération : quelles sont les dates retenues pour les due
diligences et pour l’acquisition ? En général, les fonds prévoient un délai
de douze semaines entre la signature de la NBO et la cession éventuelle ;
− une clause de non-­concurrence : l’acquéreur demande-­t‑il au vendeur
de renoncer à investir à nouveau dans le secteur de l’entreprise dont il
se sépare ? Si oui, cette clause de non-­concurrence a-­t‑elle des limites
géographiques et temporelles ?
Il arrive fréquemment qu’un vendeur reçoive plusieurs NBOs à l’issue d’un
processus de mise en vente. Selon les cas, il peut décider avec son conseil d’éli-
miner à ce stade un certain nombre d’acheteurs potentiels. Il continue alors
l’opération uniquement avec les candidats qui ont remis les meilleures offres.
Cette sélection préalable d’un nombre limité d’offres permet d’éliminer les
candidats les moins compétitifs et de diminuer la charge de travail du vendeur
lors des prochaines étapes. Cela permet aussi d’envoyer un signal positif aux
candidats sélectionnés.

1.4. Due diligence


La période de due diligence est un autre moment clé du LBO. Elle correspond à
une phase pendant laquelle le vendeur va permettre aux acheteurs potentiels
sélectionnés à l’issue de la phase de NBO de vérifier les hypothèses qui leur ont
permis de calculer leur prix. À ce stade, le vendeur met donc à la disposition
des acheteurs des informations sur tous les aspects de l’entreprise : gestion
opérationnelle, comptabilité, contrats, état du matériel et des immobilisa-
tions, listes des clients, etc.
Dans cette mission d’analyse, les acquéreurs potentiels sont accompagnés par
une équipe de conseils, composée principalement d’une banque d’affaires,
d’experts-­comptables et d’avocats. Au cas par cas, les fonds peuvent également
demander l’aide d’autres professionnels : consultants en stratégie, experts
environnementaux, spécialistes en fiscalité, etc.

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Le processus du LBO

1.5. Structuration et transaction


À l’issue de la phase de due diligence, les acheteurs encore en course sont
invités à transmettre une offre ferme au vendeur. Si les acheteurs potentiels
ont pu consolider leurs hypothèses de travail, ils transmettent une offre
conforme au montant évoqué dans la NBO. Dans le cas contraire, ils peuvent
mettre un terme aux discussions ou formuler une offre révisée à la baisse. Le
montant d’achat final peut également être supérieur au prix indiqué dans la
NBO. Le vendeur sélectionne l’heureux élu sur la base de ces offres fermes.
Parallèlement aux due diligences, les acheteurs potentiels mènent des dis-
cussions avec les prêteurs au sujet du financement de l’acquisition. Cela leur
permet de sécuriser un financement et de remettre une offre ferme au vendeur.
Une fois choisi, le candidat sélectionné entre en négociations exclusives avec le
vendeur, finalise les négociations avec les prêteurs et boucle son financement1.

1.6. Après l’acquisition


Bien qu’on en parle moins, la mission des acquéreurs continue après l’achat
de la cible. C’est évidemment vrai pour un repreneur individuel, qui assume
la direction de l’entreprise mais c’est également vrai pour un fonds d’inves-
tissement, qui joue alors un rôle d’actionnaire impliqué.
Le fonds détermine notamment la nouvelle stratégie de la société cible et
accompagne les dirigeants dans la mise opérationnelle de celle-­ci. Le manage-
ment et les équipes du fonds sont en contact régulier. Cela permet au sponsor
de suivre en temps réel les évolutions de la cible et aux dirigeants la société
rachetée de sentir le soutien de l’actionnaire principal.

1. Dans les opérations plus petites, où l’acheteur est un repreneur individuel, il arrive souvent que la phase d’ex-
clusivité commence après la remise de la NBO. Les repreneurs individuels ont en effet un budget plus serré
et ne souhaitent lancer les dépenses liées aux due diligences que lorsqu’ils ont un minimum de confort. Le
marché des petites transactions étant plus atomisé, il est d’ailleurs rare qu’il fonctionne via enchères. Ce sont
souvent des négociations bilatérales, un peu comme la vente d’un bien immobilier par exemple.

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Le leveraged buyout

2. La sortie des investisseurs


Comme nous l’avons déjà dit, un repreneur individuel n’a, en général, pas
de stratégie de sortie à court terme. Il peut certes revendre un jour la société
mais cela se fait souvent bien plus tard, par exemple au moment de partir
en retraite.
À l’inverse, lorsqu’un fonds LBO acquiert une entreprise, il a en tête, dès
l’origine, la cession de celle-­ci après quelques années. Cette revente peut être
structurée de différentes façons mais elle doit toujours, si possible, permettre
le remboursement des emprunts non encore amortis et offrir une plus-­value
à l’acquéreur en ligne avec ses objectifs de rendement.

2.1. L’introduction en bourse


De toutes les options de sortie offertes à un fonds, l’introduction en bourse
est la plus fascinante. On touche ici en effet au mythe intégral du LBO : un
fonds d’investissement ayant identifié une belle endormie qu’il a suffisam-
ment redressée pour justifier une introduction en bourse. C’est l’exemple
notamment de Harley-­Davidson, vu plus tôt dans le livre. Plus récemment,
en France, c’est aussi le cas de Verallia, une entreprise spécialisée dans l’em-
ballage en verre pour les boissons et les produits alimentaires. Achetée à
Saint-­Gobain par Apollo via un LBO en 2015, la société a été introduite en
bourse avec succès en octobre 2019.
Les LBO qui se terminent par une introduction en bourse sont dans les faits
plutôt rares. Seuls les plus gros LBOs peuvent être dénoués de cette façon.
La cible doit avoir une taille suffisante pour qu’il soit logique de la coter sur
un marché réglementé.
L’introduction en bourse est également une sortie plus risquée. Si elle peut,
dans certains cas, offrir des valorisations plus élevées, elle expose le vendeur
à la volatilité des marchés. C’est en outre un processus plus complexe d’un
point de vue réglementaire et juridique.
Enfin, contrairement aux autres options de sortie, une introduction en bourse
suggère un retrait par étapes du vendeur. Il est rare en effet que l’acquéreur
cède la totalité de sa participation rapidement. La sortie s’étale souvent sur
plusieurs années.

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Le processus du LBO

2.2. La vente

À un industriel
La vente de la cible à un industriel est un processus plus simple qu’une intro-
duction en bourse. L’idée est attractive. Du point de vue de la théorie financière,
cela signifie que la cible, une fois remise sur les rails grâce à un management
de qualité, devient plus attractive pour de nouveaux investisseurs. Les groupes
industriels, qui peuvent dégager d’éventuelles synergies en rachetant la cible
sont logiquement ceux qui sont prêts à la valoriser au mieux.
La vente de la cible peut se faire par appartements, c’est-­à‑dire que les diffé-
rentes activités de l’entreprise ne sont pas nécessairement cédées à un même
industriel. C’est la stratégie adoptée par KKR pour le fameux deal RJR Nabisco.

À un autre fonds LBO


Le troisième type de sortie est la cession de la cible à un autre fonds LBO. Il y
a encore quelques années, une sortie de ce type était assimilée à une opération
de LBO ratée. Elle laissait penser que le fonds vendeur n’avait pas su réveiller
la cible. Aujourd’hui, la cession à un fonds est devenue l’option de sortie la
plus fréquente. En France, de nombreuses sociétés ont connu plusieurs LBOs
successifs, notamment Picard Surgelés (passé par Candover, BC Partners puis
Lion Capital), le groupe de maisons de retraite Colisée (Eurazeo, IK Partners
et EQT) ou la société de fabrication de système de stockage industriel Averys
(LBO France, Equistone, Blackstone).
La vente d’une cible à un autre fonds s’est peu à peu imposée comme l’option
de sortie numéro un pour différentes raisons. Les fonds de LBO se sont mul-
tipliés et forment désormais une très large galaxie d’acheteurs. En outre, les
cibles potentielles pour un LBO ne sont pas illimitées. Les contraintes sont
telles que beaucoup de fonds visent le même type de sociétés.

2.3. Le dividend recapitalization


La technique de dividend recapitalization permet à un fonds LBO de monétiser
en partie son investissement sans pour autant céder sa participation. Cette
technique consiste à refinancer la transaction pour verser un dividende
exceptionnel à l’acquéreur. Faute de mieux, c’est une alternative temporaire
à une réelle sortie.

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Le leveraged buyout

Dans les faits, l’amortissement d’une partie de la dette d’acquisition et, logi-
quement, l’augmentation de la valorisation de la société cible (si le fonds a
bien fait son travail) peut permettre à la HoldCo de lever, après plusieurs
années, un nouveau financement plus important que le montant de la dette
restant due. Le refinancement de la dette d’acquisition par un emprunt d’une
valeur supérieure permet de disposer de trésorerie au niveau de la HoldCo et
de distribuer une partie de celle-­ci à l’actionnaire.
La réalisation effective d’une telle opération dépend de critères juridiques
dans le pays en place. Il faut en effet que la HoldCo ait légalement le droit de
distribuer ses liquidités à son actionnaire sans contrevenir à son intérêt social
propre. Ce refinancement suppose également que des prêteurs acceptent de
participer à l’opération (certains peuvent être réticents à financer indirec-
tement ce qui est dans les faits un dividende exceptionnel à l’actionnaire).

3. LBO et private equity


Il n’est pas possible, à nos yeux, de terminer une étude consacrée au LBO sans
faire un point sur les techniques financières avec lesquelles on le confond
parfois.
Du point de vue de la théorie financière, le LBO appartient à un sous-­ensemble
qualifié de private equity, littéralement « capital privé », c’est-­à‑dire la partie
de la finance qui s’intéresse aux opérations de modification de capital des
sociétés non-­cotées1. En effet, une société sous LBO ne peut pas, par défini-
tion, être une entreprise cotée. La seule exception est lorsqu’un fonds décide
de sortir par une introduction en bourse de façon graduelle. Pendant une
certaine période, le fonds contrôle une société qui est partiellement cotée.
S’il fait partie intégrante du monde du private equity, le LBO n’est cependant
que l’une des techniques financières relatives à cet ensemble. On distingue en
général trois familles principales dans le private equity : (i) le capital-­risque,
(ii) le capital développement et (iii) le LBO. Même si ces trois ensembles ont
évidemment des points communs, il est fondamental de bien les distinguer.

1. À l’opposé, une public company correspond, dans le monde anglo-­saxon, à une société cotée, c’est-­à‑dire à une
société dont les actions peuvent être acquises sur un marché réglementé. Une public company n’est pas une
entreprise d’État et n’a aucun rapport avec la notion française de service public.

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Le processus du LBO

Afin de mieux situer le LBO dans l’univers du « non-­coté », nous proposons


donc ici au lecteur une légère digression. Nous l’invitons à plonger avec nous
dans l’univers du capital-­risque et du capital développement. Nous pourrons
ensuite mieux mettre en valeur, pour conclure, les spécificités du LBO.

3.1. Rappel sur le capital-­risque et le capital développement

Capital-­risque
Le capital-­risque (ou venture capital) est une activité qui consiste à investir en
capital dans une société jeune et à fort potentiel pour lui donner les moyens
de se développer rapidement. Le but ultime est ensuite de revendre cette
participation en dégageant une plus-­value.
L’un des exemples les plus emblématiques du capital-­risque est l’investisse-
ment réalisé par le fonds américain Sequoia Capital dans Google. En 1999,
ce fonds de capital-­risque de la Silicon Valley acquiert 10 % de Google pour
12,5 millions de dollars. En 2004, lors de l’introduction en bourse, Sequoia
Capital reçoit 23,9 millions d’actions à un prix de 85 dollars, soit plus de deux
milliards de dollars – ou encore plus de 162 fois son investissement initial.
Le capital-­risque permet à des entrepreneurs aux moyens limités de financer le
développement de leur société en vendant une partie de leurs parts à un inves-
tisseur extérieur, qui peut être un fonds d’investissement spécialisé (comme
Sequoia) ou un riche investisseur (dit alors business angel). De nombreuses
success stories américaines récentes ont eu recours à ce type d’arrangement.
Parmi les fonds de venture capital les plus connus, on trouve notamment
Sequoia Capital (Apple, Yahoo, Cisco, Electronic Arts, Google, YouTube,
PayPal, LinkedIn ou WhatsApp), Kleiner Perkins (Amazon, Google, Twitter) et
Greylock Partners (Facebook, Airbnb, LinkedIn). Ces fonds ont une organisation
juridique similaire à celle des LBOs. Ils sont en réalité de sociétés de gestion
spécialisées qui lèvent des fonds auprès de limited partners via des véhicules
d’investissement dédiés et dans lesquels ils assument de rôle de general partner.
Dans la mesure où il est toujours très compliqué de prévoir le succès d’une
société qui a un faible historique, le venture capital est une activité très risquée :
les succès mentionnés ci-­dessus ne doivent pas masquer les nombreux échecs
auxquels les capitaux-­risqueurs ont apporté leurs fonds. Ceci étant dit, les
fonds mentionnés ci-­dessus ont une méthodologie d’investissement qui leur
permet de limiter ce risque.

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Le leveraged buyout

Histoire du capital-­risque
Il est compliqué de donner avec précision une date de naissance exacte au
capital-­risque. Investir dans des projets naissants et prometteurs est en effet
une activité très ancienne qui date de bien avant l’apparition de la finance
moderne. On trouve d’ailleurs des formes d’investissement en capital-­risque
dès l’Antiquité sans que, pour autant, les acteurs de l’époque n’aient théorisé
leur démarche comme on le fait aujourd’hui. Sans remonter aussi loin, cer-
tains auteurs décrivent le financement de l’expédition de Christophe Colomb
en 1492 comme l’une des plus symboliques opérations de capital-­risque de
l’Histoire. On trouve en effet un entrepreneur (Christophe Colomb) qui
mène un projet totalement novateur (accéder aux Indes par une nouvelle
route), qui cherche de l’argent (pour armer trois navires) auprès de personnes
capables de le financer (Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon), et qui est
prêt à abandonner une partie de ses gains potentiels (9/10e en l’occurrence).
On a même un contrat qui documente cet arrangement (les capitulations
de Santa Fe).
Les origines du venture capital moderne datent cependant d’après la Deuxième
Guerre mondiale. C’est à cette époque que le Français Georges Doriot1 crée
le premier fonds de capital-­risque au sens moderne du terme : American
Research and Development Corporation (AR&D). AR&D est un fonds qui
fonctionne comme une entreprise d’investissement et qui ne dépend pas de
la fortune d’une seule personne. Il s’adresse à un ensemble d’investisseurs,
personnes physiques ou morales, qui sont décidées à dédier une partie de leur
argent au financement de jeunes entreprises prometteuses dans l’espoir de
céder plus tard leur participation et de réaliser un bénéfice.

Capital développement
Le capital développement (ou growth capital) est également une forme d’in-
vestissement en capital dans les entreprises. Il intervient en général plus
tard que le capital-­risque, c’est-­à‑dire une fois que l’entreprise a trouvé son
marché et éprouvé l’idée de départ. Il s’agit souvent d’une prise de participa-
tion minoritaire par un fonds d’investissement pour permettre à la société
de réaliser un projet bien précis (lancement d’un nouveau produit, dévelop-
pement à l’international, etc.). Une entreprise peut donc ouvrir son capital à
des capitaux-­risqueurs peu après sa création et l’ouvrir à nouveau quelques
1. Personnage au destin exceptionnel, Georges Doriot est un Français qui émigre aux États-­Unis pour faire un
MBA à Harvard. Il y deviendra professeur avant de fonder sa société de capital-­risque en 1946 puis de créer
l’INSEAD, à Fontainebleau, en 1957.

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Le processus du LBO

années plus tard à des capitaux-­développeurs pour financer une nouvelle


phase de croissance.
Aux États-­Unis, des fonds comme JMI Equity, Summit Partners ou TA
Associates sont actifs sur ce marché. En France, le growth capital est dominé
par des sociétés de gestion spécialisées dans le LBO qui ont levé des fonds
dédiés au capital développement. Ces fonds sont gérés par des équipes dédiées
(Eurazeo Growth, Ardian Growth) qui ont leur propre logique d’investissement
et des cibles de rendement bien différentes des fonds de LBOs classiques.

3.2. Le LBO comparé au capital-­risque et au capital développement


Même s’il appartient à la même grande famille du private equity que le capital-­
risque et le capital développement, le LBO est par essence un jeune cousin un
peu à part. On peut notamment souligner les singularités suivantes :
− le leveraged buyout est une technique de financement d’acquisition, pas
une technique de financement d’entreprise. Alors que le capital-­risque
et le capital développement offrent à des sociétés le moyen de financer
leur croissance, un LBO est une technique permettant à un acquéreur
de financer son investissement ;
− contrairement aux autres techniques de private equity, le LBO implique
un changement de l’actionnariat de la société cible. Il ne s’agit pas de
co-­investir auprès des actionnaires existants ;
− dans un LBO, l’investissement en capital dans la société cible est financé
en partie par dette. Cet effet de levier permet de doper la rentabilité de
la mise en fonds propres de l’acquéreur. À l’inverse, dans une opération
de capital-­risque ou de capital développement, la prise de participation
des fonds ou des business angels est financée en fonds propres unique-
ment. Le seul levier qui permette de multiplier l’investissement de ces
nouveaux actionnaires est la capacité du business sous-­jacent à générer
des profits ;
− alors que le capital-­risque et le capital développement s’intéressent à des
sociétés relativement jeunes, le LBO privilégie les entreprises matures ;
− le LBO est une technique récente. Son envol date des années 1980
alors que, comme nous l’avons vu, le capital-­risque est une technique
financière très ancienne ;

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Le leveraged buyout

− contrairement au capital-­risque et au capital développement, le LBO


peut impliquer un changement de dirigeants, notamment dans le cas
d’un MBI ou d’un build-­up. Au contraire, le venture capital et le growth
capital consistent toujours à aider les dirigeants en place ;
− enfin, alors que le capital-­risque et le capital développement sont sys-
tématiquement envisagés avec l’optique de sortir du capital quelques
années plus tard, cette logique n’est valable dans le LBO que pour les
opérations mises en place par les fonds. Pour les transactions initiées
par des personnes physiques, la sortie n’est pas un objectif, tout du
moins à court terme.

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Lecture rapide

Lecture rapide
Leveraged buyouts : qu’avons-­nous appris ?
y Un LBO est une technique de rachat d’entreprise par endettement à travers une
société ad hoc, dite société holding. Cette société holding est financée par capital
et par dette sans recours. Cette technique permet de prendre le contrôle d’une
société cible avec un capital limité.
y La société holding rembourse la dette d’acquisition grâce aux dividendes que lui
verse la société rachetée. Ce sont les dividendes de la société cible qui permettent
en fait d’en financer l’acquisition.
y Le LBO est aussi un montage fiscal : les acquéreurs profitent des dispositifs
d’intégration fiscale qui permettent à des sociétés du même groupe de déclarer
leurs revenus conjointement, comme si elles étaient une seule et même entreprise.
L’acquéreur peut donc fusionner les résultats fiscaux de la holding et de la cible,
compensant ainsi les profits de la cible par les pertes structurelles de la holding
(qui reçoit les dividendes de la cible en franchise d’impôts et qui déduit fiscalement
les intérêts de la dette d’acquisition).
y Un LBO repose aussi sur un levier humain : les dirigeants de la société cible sont
intéressés au capital de la holding, soit parce qu’ils sont eux-­mêmes les acquéreurs,
soit parce que l’acheteur leur octroie une part du capital (ou des options).
Les dirigeants ont donc tout intérêt à travailler dans l’optique de valoriser la cible
– et donc leur patrimoine – au mieux.
y Les plus gros LBOs concernent des acquisitions par des fonds d’investissement
spécialisés mais des opérations peuvent également être réalisées par des repreneurs
individuels qui rachètent des petites PME.
y Les repreneurs individuels rachètent l’entreprise pour accomplir un projet
entrepreneurial mais les fonds d’investissement procèdent à des acquisitions
dans le but de revendre la cible quelques années plus tard avec une plus-­value.
Cette sortie de l’opération peut se faire à travers une introduction en bourse ou
une vente à un industriel ou un autre fonds LBO.
y Il existe parfois plusieurs tranches de dette au niveau de la holding. La dette
senior est remboursée en priorité par rapport à la dette junior. Cette dernière peut
prendre la forme de dette mezzanine, dont une partie du rendement dépend de
la valeur de la société à la revente. Alternativement, la dette peut être structurée
comme une unitranche, c’est-­à-­dire une tranche de dette unique qui remplace
dette senior et mezzanine et dont le rendement est la moyenne pondérée des deux.

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Partie 2
Le financement de projet

Un financement de projet correspond à un montage financier qui permet


la construction et l’opération d’une large infrastructure. Si son application
à grande échelle date uniquement du début des années 1970, c’est pour-
tant une technique financière aux origines lointaines. Les financements de
projets ont donc l’honneur d’être la plus ancienne des quatre techniques
présentées dans ce livre.
Les spécialistes s’accordent en général pour dire que le premier financement
de projet date de la fin du xiiie siècle. En 1299, le roi d’Angleterre, Édouard Ier,
finance en effet l’exploration et le développement des mines d’argent du
Devon avec la banque Frescobaldi. Selon l’arrangement contractuel signé
à l’époque, les Italiens obtiennent en échange du financement l’intégralité
des revenus de la mine pendant un an, sans recours sur la couronne si
la valeur du minerai extrait s’avérait être inférieure aux investissements
consentis. À l’issue de cette période d’un an, les infrastructures doivent
être laissées au Royaume d’Angleterre qui peut alors exploiter les mines
pour son compte propre.
En dépit de l’ancienneté de ce premier exemple, le recours à des montages
structurés pour financer de grands projets reste pendant longtemps en
grande partie confidentiel. Ce n’est qu’à partir de la révolution industrielle
que ces financements deviennent plus populaires, du fait – évidemment
– du développement économique. Un peu plus tard, au xixe siècle, le canal
de Suez et la tour Eiffel sont tous les deux financés au moyen de ce type
de montages.
Ce n’est pourtant qu’après les deux chocs pétroliers des années 1970 que les
financements de projets prennent réellement leur envol. Le coût croissant
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Le financement de projet

du développement des énergies alternatives et d’exploitation des nouveaux


champs de pétrole (notamment en mer du Nord) rend en effet nécessaire le
recours à des montages structurés. Ces derniers prennent cependant – nous
le verrons – une forme juridique bien différente du schéma mis en place
autrefois par Édouard Ier et les Frescobaldi.

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Chapitre 1 Introduction

1. Définition

1.1. L’objet d’un financement de projet


Comme nous l’avons évoqué plus haut, le but des financements de projets
(project finance en anglais) est de rendre possible la construction et l’exploita-
tion d’une infrastructure publique ou privée de grande envergure, souvent
dans le domaine de l’industrie, du transport ou de l’énergie. Pour reprendre
les exemples de la préface, on parle ici de la technique de financement qui a
rendu possible la construction de nombreux aéroports, de Disneyland Paris,
du tunnel sous la Manche ou de la tour Eiffel.
Parmi les projets qui font l’objet de ce type de financements, on trouve éga-
lement (sans que cette liste soit limitative) des autoroutes, des lignes ferro-
viaires, des installations photovoltaïques ou éoliennes, des mines, des usines
de traitement d’eau et des infrastructures de télécommunication. Tous ces
projets ont en commun :
− un coût élevé ;
− une période de construction relativement longue ;
− une durée de vie de plusieurs dizaines d’années et ;
− un caractère unique1.

1.2. Une technique financière à part


Les financements de projets se caractérisent autant par les types de sous-­
jacents financés que par les techniques financières utilisées. On peut donc
tenter d’affiner la définition donnée plus haut en précisant qu’un finance-
ment de projet est :

1. En effet, même s’il existe par exemple de nombreuses similitudes entre deux autoroutes, les contraintes seront
toujours différentes d’un projet à l’autre : tracé, acquisitions des terrains, topographie, cadre juridique du pays
concerné, contraintes environnementales, etc.

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Le financement de projet

Le financement d’une infrastructure au moyen de prêts sans recours accordés à


une société ad hoc, créée par un actionnaire industriel ou financier dans le seul
but de permettre la construction et l’exploitation de l’infrastructure en question.
Cette définition permet de tirer dès maintenant les conclusions suivantes :
− un financement de projet est un schéma ad hoc. Il s’agit d’un montage sur
mesure mis en place pour financer la construction d’une infrastructure ;
− ladite infrastructure est financée à travers une société ad hoc (Special
Purpose Vehicle, SPV ou société projet) créée dans l’unique but de construire
et d’exploiter l’actif ;
− la construction et l’exploitation du projet sont en général déléguées
par le SPV à des sociétés spécialisées ;
− à l’issue de la phase de construction, le SPV vend à un ou des tiers la
production de biens ou de services générée par le projet ;
− le SPV est constitué par un actionnaire ou un ensemble d’actionnaires
appelés sponsors. Ces sponsors sont en général les sociétés opérationnelles
qui ont un intérêt économique à ce que le projet soit construit (un géant
de l’énergie pour une ferme éolienne ou une société de construction
pour une autoroute par exemple). Le sponsor peut cependant égale-
ment être un fonds d’investissement spécialisé dans le domaine des
infrastructures. On parle alors de sponsor financier, par opposition au
sponsor industriel mentionné ci-­dessus ;
− le montant du financement qui n’est pas apporté par les sponsors est
mis à disposition par des banques ou des prêteurs spécialisés. Ces prêts
sont remboursés uniquement par les cash flows générés par le projet.
Les banques renoncent à tout recours sur les autres actifs des sponsors
et reçoivent généralement en échange un nantissement sur les titres (et,
si c’est possible, une hypothèque sur les actifs) du SPV. Comme la dette
LBO, la dette dans un financement de projet est donc dite sans recours ;
− le projet fonctionne de manière totalement autonome. La dette est
calibrée pour que les revenus tirés de l’exploitation du projet couvrent
les charges de construction et d’exploitation, le remboursement des
prêts et le paiement de dividendes au sponsor.

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Introduction

1.3. Schéma de financement simplifié


Pour mieux comprendre les interactions entre les différents acteurs d’un
financement de projet, prenons l’exemple d’une ferme éolienne que le groupe
EDF décide de construire à l’étranger (cf. diagramme 2.1). Pour réaliser ce
projet, EDF établit un SPV dans l’unique but de construire et d’exploiter
cette ferme. En ligne avec la définition donnée plus haut, ce SPV est financé
par des prêts sans recours et un apport en capital d’EDF.
Le SPV étant une société ad hoc, il n’a pas les moyens humains de réaliser
le projet. Il délègue donc à EDF la conception de la ferme. Il contracte par
ailleurs l’achat des turbines auprès d’un fabricant et engage une société pour
Financement de projet – schéma 2.1
assurer la construction du projet.

Schéma 2.1 : structure simplifiée d’un financement de ferme éolienne

EDF Prêteurs EDF

Conception du
projet
Capital Dette Entreprise de
construction
Construction
du projet
Autorisations
administratives
SPV Achat des Turbinier
turbines

Achats
divers Autres
Fourniture
Paiements
d’électricité fournisseurs
Contrat de
maintenance

Etat Client ou marché EDF

Une fois les différentes autorisations administratives obtenues (permis divers,


certification environnementale, etc.) et la construction de la ferme terminée,
l’exploitation du projet peut commencer. 3
Le SPV délègue cette exploitation
à EDF. En parallèle, le SPV vend l’électricité qu’il produit, soit directement
sur le marché, soit via un contrat d’achat long terme qu’il a pu négocier avec
un acheteur privé ou le gouvernement du pays dans lequel la ferme est située.
Les revenus que le SPV tire de la vente d’électricité permettent à celui-­ci de
financer les dépenses d’exploitation et le remboursement de la dette. Si, après
charges, le SPV dégage des flux financiers positifs, il peut alors les distribuer
au sponsor.
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Le financement de projet

2. Pourquoi choisir un financement de projet ?


Lorsqu’un groupe industriel décide de développer un projet, il a, schémati-
quement, le choix entre deux options de financement : soit il lève de la dette
et met le projet directement sur son bilan (corporate finance), soit il le loge
dans une société projet qui a pour rôle de mettre en place les financements
adéquats (project finance).
Dans la première option, les prêteurs financent directement le sponsor.
Le remboursement de leurs engagements est assuré par la totalité des revenus
générés par les différentes activités de celui-­ci. Les prêteurs sont donc dans
la situation de n’importe quel autre créancier : ils sont en risque de crédit
sur le sponsor.
Dans la seconde option en revanche, ce sont uniquement les cash flows générés
par le projet qui assurent le remboursement de la dette. Les prêteurs n’ont
aucun recours sur les autres actifs ou revenus du sponsor (concept de dette
sans recours évoqué plus haut).

2.1. Les avantages d’un schéma ad hoc

Isoler les risques


Pour un sponsor, le recours à une structure de financement de projet permet
d’isoler les risques dans une autre entité juridique. La société projet doit alors
être créée sous forme de société de capitaux, dans laquelle la responsabilité
des associés est limitée à leur apport. En cas d’échec du projet, le sponsor
n’a pas à s’acquitter de la dette levée par le SPV. Sa perte se limite à son
investissement en capital. À l’inverse, dans le cas d’un financement corporate,
le sponsor est contraint de continuer à rembourser la dette, quelle que soit
l’évolution du projet.

Augmenter l’effet de levier


Le recours à un financement de projet permet en outre souvent d’augmenter
la part de la dette dans le financement d’une infrastructure. Alors que l’octroi
d’un financement corporate est lié à la qualité de crédit globale de l’emprun-
teur, l’attribution d’un prêt dans un financement de projet est uniquement
guidée par la capacité du projet à générer des cash flows.
Lorsqu’une infrastructure bénéficie de cash flows stables à long terme (par
exemple via un contrat d’achat long terme comme évoqué ci-­dessus pour la
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Introduction

ferme éolienne), le levier financier dans un financement de projet peut être


colossal. En rendant un projet spécifique totalement autonome, les risques
liés aux autres actifs du sponsor ne viennent pas polluer l’analyse des prêteurs.
Ces derniers sont donc capables de prendre des positions agressives en terme
ratio dette/fonds propres si la visibilité sur les cash flows du projet le permet.

Allonger la durée de financement


Si le projet a des cash flows futurs suffisamment certains, les prêteurs peuvent
accorder des financements à très long terme, parfois au-­delà de 20 ans. La durée
des emprunts dans un financement de projet est donc bien supérieure à ce
qui est la norme pour les prêts corporates, rarement octroyés pour une durée
supérieure à cinq ans.

Seule solution de financement pour les petits sponsors


Le recours aux financements de projets pour financer des infrastructures
est par ailleurs souvent la seule solution disponible pour les petits spon-
sors industriels. Compte tenu de leur faible taille de bilan, ces sponsors ne
peuvent pas financer leur projet via des prêts corporate. Ils n’ont pas accès à
une liquidité bancaire suffisante.
On trouve souvent ce type de situation dans le secteur des énergies renouve-
lables, dans lequel de petites entreprises peuvent développer de grands projets.
Lorsqu’ils développent une ferme éolienne ou photovoltaïque, la seule option
de financement disponible pour ces acteurs est le financement de projet.

Seule solution de financement pour les sponsors financiers


Les fonds d’investissement actifs dans le secteur des infrastructures ont un
fonctionnement proche des fonds de LBO vus précédemment. Ce sont en
fait des sociétés de gestion qui lèvent des fonds auprès de limited partners pour
investir dans des infrastructures. Pour cette raison, ces fonds ne peuvent pas
lever de dette corporate. Ils ne peuvent financer des projets qu’en utilisant
de la dette sans recours.

2.2. Les contraintes de la structure de financement de projet


Malgré les avantages indéniables évoqués ci-­dessus, la mise en place d’un
financement de projet comporte quelques inconvénients par rapport à un
financement traditionnel :

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Le financement de projet

− l’arrangement contractuel est complexe. Les banques notamment, qui


sont fortement exposées, conduisent une analyse détaillée du projet et
exigent une documentation juridique extrêmement précise ;
− le coût de suivi du projet est en général très élevé : les prêteurs ont d’im-
portantes exigences de suivi technique, financier et juridique ;
− du fait du risque additionnel pris par les banques (absence de recours
sur le bilan du sponsor et levier important), le coût du financement est
souvent supérieur à un financement corporate.
Du fait de ces inconvénients, le recours aux financements de projets est limité
aux infrastructures de grande envergure. Il n’est en effet pas rentable pour un
sponsor d’engager des dépenses juridiques conséquentes, de payer de larges
commissions d’arrangement aux banques et de rentrer dans des négociations
complexes pour de petits projets.

2.3. Financements classiques et financements de projets


Compte tenu des contraintes évoquées ci-­dessus, il est donc parfois préfé-
rable de financer certains projets au moyen d’un prêt classique accordé au
sponsor plutôt que d’avoir recours à un montage ad hoc. C’est vrai pour les
infrastructures de taille modeste mais aussi pour certains projets très stan-
dards dont la construction est rapide et les risques faibles.
Plutôt qu’un long discours, nous proposons au lecteur de comparer dans
le tableau 2.2 les mérites respectifs des deux options. Ce comparatif est en
quelque sorte une grille de lecture qui permet, pour un projet donné, d’ef-
fectuer un arbitrage et de choisir un financement.

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Introduction

Tableau 2.2 : principales différences entre un financement corporate


et un financement de projet

Financement corporate
Financement de projet
classique accordé au sponsor
Aucune. La banque est
un créancier chirographaire1. Nantissement des actions du
En cas de faillite du sponsor, SPV et, si c’est juridiquement
Garanties données la banque n’est remboursée possible, hypothèque sur les
à la banque qu’après l’État et les employés actifs. Le prêteur n’a aucun
(créanciers super-­privilégiés) recours sur les autres actifs du
et les créanciers ayant une (ou des) sponsor(s)
garantie (créanciers privilégiés)
Capacité de l’entreprise
Risque pris Capacité du projet à générer
menant le projet à générer
par la banque des cash flows
des cash flows
Analyse bilancielle
de l’entreprise et recours
Analyse
à des analyses externes Analyse du projet
de la banque
(rating des agences
de notation)
Dépend du bilan Dépend des cash flows
Effet de levier
de l’emprunteur du projet
Très longue durée possible
(20 ans) si la durée de vie
Durée
Rarement plus de 5 ans du projet et la prédictibilité
du financement
des cash flows futurs
le permettent
La marge est fonction du risque La marge est fonction
Coût de la dette
de crédit du sponsor des risques du projet
Même en cas d’échec
Risques Risques limités à l’apport
du projet, il doit continuer
pour le promoteur en capital mis dans la société
à honorer les échéances
(ou sponsor) projet
du financement
Structuration Simple Complexe
1. Un créancier chirographaire est un créancier qui ne bénéficie pas de garanties ou de sûretés particulières.

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Le financement de projet

Cas 3 Le financement de la tour Eiffel


Lorsqu’il présente, en 1886, son projet de tour métallique de 300 mètres en
plein Paris, Gustave Eiffel est déjà un ingénieur respecté, célèbre notamment
pour avoir conçu et fabriqué la structure interne de la statue de la Liberté.
Révolutionnaire pour l’époque, son idée de tour est une réponse à un appel
d’offres du comité d’organisation de l’Exposition universelle de 1889 qui
souhaite faire construire à Paris le plus haut monument du monde, pour
célébrer le centenaire de la Révolution.
Dans la compétition ouverte par l’appel d’offres, Eiffel dispose d’un avantage
de taille. Alors que les autres candidats n’ont que 18 jours pour proposer
leur réponse, Eiffel et ses équipes planchent déjà sur leur projet depuis plus
de 2 ans. Du fait des relations très proches qu’il entretient avec Édouard
Lockroy, le président du comité d’organisation de l’Exposition universelle,
Eiffel guide en effet la rédaction de l’appel d’offres pour que celui-­ci exige la
construction d’un bâtiment dont les critères soient proches de la tour sur
laquelle il travaille.

„ Le cadre légal
Le 8 juillet 1887, un peu plus d’un an après la sélection du projet, Gustave
Eiffel, Édouard Lockroy et le préfet de la Seine, Eugène Poubelle, signent un
accord de concession tripartite qui règle la question du financement et de l’ex-
ploitation de la tour. Selon cet accord de douze pages1, Gustave Eiffel devient
– en son nom propre – responsable de la conception, de la construction et du
financement du projet. En échange, à l’issue de l’Exposition universelle, la
ville de Paris s’engage à lui accorder un droit de jouissance et d’exploitation
de la tour pendant 20 ans.
Le contrat prévoit également que Gustave Eiffel reçoive une participation de
l’État de 1,5 million de francs pour les travaux. Cette subvention doit être
versée en trois tranches de 500 000 francs, respectivement à l’achèvement du
premier, du second puis du troisième étage. En contrepartie, la convention
fixe les tarifs maximums que Gustave Eiffel peut appliquer aux visiteurs de
la tour pendant sa période de jouissance.

1. Ce chiffre est à mettre en lumière des contrats de financements de projets d’aujourd’hui qui, entre les aspects
opérationnels et financiers, comportent souvent plusieurs milliers de pages.

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Introduction

„ Des débuts difficiles


Le coût de la tour est estimé à l’époque à 6,6 millions de francs : 6,5 millions
de coûts de construction plus 100 000 francs de frais divers. Pour compléter
l’aide de l’État, Gustave Eiffel doit donc trouver un apport additionnel de
5,1 millions de francs. Bien qu’il construise ce qui est aujourd’hui l’un des
plus célèbres monuments du monde, Eiffel éprouve de grandes difficultés
à réunir cette somme. Construire en plein Paris une structure en métal de
300 mètres est perçu comme trop risqué d’un point de vue technique.
Pour convaincre les banques, Eiffel fait procéder à une analyse financière
du projet par un expert indépendant. En se basant sur d’autres monuments
touristiques, ce dernier anticipe sur plusieurs années le nombre de visiteurs
quotidiens. Très sophistiqué pour l’époque, le modèle financier de l’expert
distingue les revenus de la tour selon les jours de la semaine, le temps qu’il
fait et les saisons. Il ressort des calculs que la valeur actuelle nette des cash
flows d’exploitation est bien supérieure, sur 20 ans, à 5,1 millions de francs.
Grâce à ces données, Eiffel réussit à convaincre trois banques de participer au
projet : la Société Générale, la Banque franco-­égyptienne et le Crédit Industriel
et Commercial. Cet accord n’intervient cependant qu’en juillet 1888, soit
deux mois après l’achèvement du premier étage. En clair, cela signifie que
Gustave Eiffel a porté seul le risque du projet jusque-­là.

„ Le montage financier
En échange de leur participation au projet, les trois banques demandent à
Eiffel de transférer tous ses droits et obligations relatifs à la construction
et à l’exploitation de la tour à une société ad hoc, la Société de la tour Eiffel
(STE). Le capital de STE est réparti de la façon suivante :
− 10 200 actions ordinaires remboursables, d’une valeur de 500 francs
chacune, souscrites par Gustave Eiffel (10 000 actions) et des amis
(200 actions). Dès leur émission, la moitié de ces actions sont acquises
à leur prix d’origine par les banques, ce qui signifie concrètement que
l’apport d’Eiffel et de ses amis est de 2,55 millions de francs et celui des
banques également1 ;
− 10 200 actions fondateurs, sans valeur faciale, toutes attribuées à Gustave
Eiffel.
1. Si l’on ajoute le montant des subventions (1,5 million), on retrouve bien les 6,6 millions nécessaires à la
construction.

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Le financement de projet

L’arrangement financier prévoit que les deux classes d’actions donnent un


droit égal aux dividendes mais indique également qu’aucune distribution ne
peut intervenir tant que la valeur faciale des actions ordinaires n’a pas été
entièrement remboursée. En d’autres termes, cela signifie que les apporteurs
de capital (ceux qui ont souscrit les actions ordinaires) doivent retrouver les
5,1 millions de francs qu’ils ont investis avant que des profits puissent être
distribués de façon égale entre tous les actionnaires. Une fois que ce rembour-
sement a été effectué, les deux classes d’actions sont strictement identiques.
Selon l’accord, les banques ont également l’option d’acheter 25 % des actions
ordinaires pour 500 francs par action jusqu’à 4 mois après la fin de l’Expo-
sition universelle. En outre, les banques ont pour mission de vendre sur le
marché, au travers d’une introduction en bourse, les 25 % d’actions ordinaires
restantes. Elles obtiennent, en rémunération de ce service, 45 % des actions
fondateurs et une commission de 125 000 francs. Gustave Eiffel peut, de son
côté, disposer librement des 55 % d’actions fondateurs qu’il lui reste.

„ Après la construction
Le chantier de la tour Eiffel est achevé sans accident, dans le budget et le
calendrier prévus. Bien qu’inférieurs aux attentes, les revenus des visites de
la tour pendant l’Exposition universelle permettent de générer un profit de
5,6 millions de francs, soit 500 000 francs à distribuer aux actionnaires après
remboursement des actions ordinaires.
Grâce à ce succès industriel, le montage financier permet aux banques de
réaliser une belle opération. Le premier jour de leur cotation, les actions de
STE atteignent 770 francs et plus de 1 000 francs quelques semaines plus
tard. La transaction est également un succès financier pour Eiffel. Elle lui
permet notamment d’acquérir un luxueux hôtel particulier dans le VIIIe
arrondissement de Paris.

„ Épilogue
Malgré un nombre de visites décevant les années suivantes, la tour n’est pas
démontée à l’issue de la période initiale de 20 ans, comme il en est question
un moment. Gustave Eiffel obtient même en 1910 que la concession soit
renouvelée à STE pour 70 années supplémentaires. La tour joue alors un rôle
important de relais pour les communications civiles et militaires. Ce n’est
qu’après la Seconde Guerre mondiale cependant que le développement du
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Introduction

tourisme de masse permet à la tour Eiffel de devenir le succès commercial


que l’on connaît aujourd’hui.
À partir de 1980, l’exploitation de la tour est confiée successivement à diffé-
rentes sociétés, toutes directement ou indirectement contrôlées par la ville
de Paris. La tour Eiffel accueille aujourd’hui plus de 6 millions de visiteurs
par an, ce qui en fait l’infrastructure de loisir la plus rentable au monde.

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Chapitre 2 Structuration

1. Les différents types de projets


Les praticiens des financements de projets classent souvent les projets qu’ils
analysent en fonction des flux financiers que ces projets génèrent. On trouve,
pour simplifier, trois grandes catégories d’infrastructures :
1. Les projets qui sont exposés à un risque dit, selon les cas, marchand ou
de trafic. Dans ces projets, le SPV vend sa production ou ses services à
une multitude de clients finaux. Il est pleinement exposé à un risque
de marché.
2. Les projets qui vendent leur production via un contrat d’achat long
terme.
3. Les projets qui perçoivent des loyers en fonction de la performance de
l’infrastructure.

1.1. Les projets exposés au risque de marché


Les projets de ce type sont souvent des concessions, comme par exemple
la tour Eiffel, vu dans l’étude de cas précédente. Dans ces projets, les spon-
sors obtiennent d’une autorité publique le droit de bâtir et d’exploiter une
infrastructure et reçoivent en échange le droit de vendre pour leur profit le
bien ou le service que le projet produit. Dans le cas de sa tour, Gustave Eiffel
avait effectivement obtenu le droit de vendre des tickets aux visiteurs de la
tour pendant 20 ans, période d’ailleurs étendue par la suite à soixante-­dix
années supplémentaires.
On trouve des schémas de rémunération similaire dans le domaine des
autoroutes en France. Le gouvernement attribue en effet la construction
et l’exploitation d’autoroutes à des groupements privés. Ces groupements
financent la construction de l’infrastructure mais perçoivent en échange les
revenus (péages) générés par l’autoroute.
Ce type de projet expose le SPV à un risque souvent qualifié de marchand
ou de trafic. En d’autres termes, le SPV est exposé à un risque de demande.
Si les clients décident de ne pas visiter la tour Eiffel ou de ne pas prendre
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Le financement de projet

l’autoroute, le SPV ne percevra pas de revenus et ne pourra pas rembourser


la dette qui a été levée pour financer la construction de l’actif. Avant de se
lancer, les sponsors qui s’engagent dans ce type de projet doivent donc faire
une analyse particulièrement fine du potentiel commercial du projet qu’ils
vont bâtir. Les prêteurs font bien évidemment de même.
Pour compenser le risque pris par les sponsors, il arrive que l’autorité publique
qui accorde le droit de construire le projet donne une subvention au SPV. C’est
le cas de certaines autoroutes en France, dont on anticipe par avance qu’elles
ne seront pas rentables. Ce fut le cas aussi de la tour Eiffel. Son constructeur
a en effet perçu une subvention pour une valeur de 1,5 million de francs.

1.2. Les projets avec contrat d’achat long terme


Les projets de ce type vendent la totalité de leur production à un acheteur
via un contrat d’achat à prix fixe sur longue période (offtake agreement). On
trouve de nombreux projets de ce type dans le domaine des énergies renou-
velables. En effet, pour encourager la transition énergétique et le décollage
de l’industrie solaire ou photovoltaïque, de nombreux gouvernements ont
octroyé des tarifs d’achat d’électricité sur longue période à prix garantis aux
producteurs d’électricité qui ont construit des fermes photovoltaïques ou
éoliennes.
Toutes choses étant égales par ailleurs, les projets de ce type sont bien évi-
demment moins risqués que les projets qui exposent les exploitants de l’in-
frastructure à un risque de marché. Les sponsors et les prêteurs connaissent
par avance la qualité de crédit de leur client. Ils savent également qu’ils ont
un débouché garanti sur longue période pour leur production. Dans le
domaine de l’énergie, ces contrats sont généralement appelés Power Purchase
Agreements (PPA).
Un exemple récent de projet bénéficiant d’un PPA est le projet de ferme
éolienne en mer de Saint-Nazaire, octroyé en 2012 au groupe EDF et à des
partenaires. Entré en construction en 2019, le projet bénéficie d’un contrat
d’achat d’électricité à tarif garanti, indexé sur l’inflation, avec l’État français.
La qualité de ce contrat d’achat a permis au SPV créé pour l’occasion de lever
une dette long terme auprès d’un large groupe de banques pour financer la
construction du projet.
S’ils sont moins risqués que les projets exposés à un risque marchand, ces
projets ne sont pourtant pas sans risque. Dans le cas d’une ferme éolienne
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Structuration

par exemple, les sponsors et les prêteurs sont exposés au risque qu’il n’y ait
pas assez de vent. Si des études météorologiques poussées sont faites pour
limiter ce risque, le projet n’est malgré tout pas à l’abri d’événements clima-
tiques exceptionnels sur une ou plusieurs années.
Les contrats d’achat long terme de type PPA ne sont pas uniquement passés
entre un SPV et une entité gouvernementale. Il arrive que certaines entre-
prises décident de sécuriser un approvisionnement quelconque sur longue
période au moyen de ce type de contrats. C’est par exemple le cas du groupe
Google, qui s’est engagé à n’utiliser que de l’énergie verte pour alimenter ses
serveurs. Google signe donc dans le monde entier des PPAs privés (private
PPAs ou corporate PPAs) avec des sociétés projets qui détiennent des fermes
éoliennes ou photovoltaïques.

1.3. Les Partenariats Public-­Privé (PPP)


On utilise souvent l’expression de PPP pour désigner des projets récents, dans
la lignée des contrats publics-­privés apparus au Royaume-­Uni en 1992. Cette
année-­là, le gouvernement de John Major lance la Private Finance Initiative
(PFI), un cadre légal de partenariat entre public et privé, qui propose de délé-
guer à grande échelle à des entreprises privées l’élaboration, la construction
et le financement d’infrastructures publiques sans dimension marchande.
Un exemple typique de PPP consiste par exemple, pour la National Health
Service (NHS), le système de santé britannique, à déléguer à un consortium
privé sélectionné sur appel d’offres la construction et l’exploitation d’un
hôpital. Le chantier est financé et exécuté par une société projet – mise en
place par les sponsors qui ont gagné l’appel d’offres – qui, une fois les travaux
terminés, est responsable des activités non médicales de l’hôpital : sécurité, res-
tauration, maintenance, propreté, etc. Afin de pouvoir utiliser le bâtiment et
bénéficier des services associés, la NHS verse un loyer à la société projet. Détail
important : dans ce schéma, la NHS garde la main sur toute la partie médicale
du projet (choix et sélection du personnel, liste des soins prodigués, etc.).
Bien évidemment, les loyers payés à la société projet servent à rémunérer
les différents services et à rembourser les prêts souscrits pour financer la
construction du site. Dans la majorité des cas, la société projet sous-­traite
auprès d’entreprises extérieures ces différentes missions. Les principaux sous-­
traitants du SPV, à commencer par l’entreprise en charge de la construction,
sont en général également les actionnaires de la société projet.

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Le financement de projet

Dans un PPP, l’actif construit et financé par le secteur privé ne permet pas
d’exploitation marchande. Les revenus ne proviennent donc pas de la mise
à disposition d’un service à des utilisateurs privés mais de la location d’une
infrastructure à l’État ou à une collectivité publique. Pour assurer une exploi-
tation de qualité, les loyers versés à la société projet sont indexés à des critères
de performance. Il existe en général un loyer standard que l’on ampute de
montants prédéterminés si la qualité de l’exploitation est insuffisante au
regard du cahier des charges rédigé à l’origine par la collectivité qui a passé
l’appel d’offres (absence de chauffage ou d’électricité, matériel défectueux,
maintenance insuffisante des équipements, propreté négligée, nuisances
diverses, etc.). Pour cette raison, ces loyers sont souvent appelés par l’expres-
sion anglaise d’availability payments (qui explique bien que les loyers doivent
être payés si l’infrastructure est « disponible » pour l’utilisateur).
Devant le succès de l’expérience britannique et les impératifs de contrôle de
la dépense publique dans de nombreux pays, le modèle du partenariat-­public
privé (PPP) s’étend à l’étranger à partir des années 1990. De nombreux gou-
vernements ou collectivités locales font aujourd’hui appel à des PPPs pour
financer la construction de métros, d’écoles, de prisons, de bâtiments publics,
de tribunaux, etc. Du point de vue de l’État ou de la collectivité publique,
l’avantage d’un tel schéma est de faire porter au secteur privé l’ensemble des
risques de construction et d’exploitation d’une infrastructure pour mieux
se concentrer sur le cœur des missions de service public.
En France, les PPP voient le jour en 2004 sous la forme de contrats de par-
tenariats. Contrairement aux marchés publics traditionnels, dans lesquels
le secteur privé n’a que le chantier de construction à réaliser, les contrats de
partenariats accordent durant plusieurs années à un consortium privé la
gestion du bien construit, en échange d’un loyer payé par l’État (ou la col-
lectivité territoriale), dont le montant est fixé lors de la signature du contrat.
Parmi les projets menés avec succès dans ce cadre, on peut évoquer l’amé-
nagement de l’INSEP, le centre d’entraînement des sportifs français de haut
niveau. Dans le schéma définitif, la rénovation et l’exploitation pendant 30 ans
de la partie non sportive du centre (hébergement, restauration, formation)
ont été confiées à un consortium privé réunissant les groupes Vinci, Accor
et Casino au sein d’une société projet.
Compte tenu de la qualité de crédit des utilisateurs finaux (gouverne-
ments, collectivités), les PPPs sont considérés comme les moins risqués des

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Structuration

financements de projets. C’est aussi dû en partie au fait qu’il s’agisse souvent


d’infrastructures simples à construire. Pour ces raisons, ce sont en général
des projets dans lequel le levier financier est élevé, la dette très longue et la
marge plutôt faible.

2. L’analyse préalable du projet


Les financements de projets sont extrêmement complexes. Il s’agit en effet de
financer une société sans aucun historique, qui procède à de lourds investisse-
ments et qui – du fait de la période de construction du projet – sera incapable
de générer des cash flows pendant plusieurs années.
Si l’on compare project finance et LBO, on retrouve bien évidemment certaines
similitudes. Dans les deux cas, on finance un actif (entreprise ou infrastruc-
ture) par dette et capital à travers une société ad hoc. Dans les deux schémas
également, le remboursement de la dette et le rendement de l’actionnaire
proviennent uniquement des cash flows générés par l’actif financé. Enfin,
dans un LBO comme dans un financement de projet, tout échec est sans
recours sur les sponsors1.
Les deux montages présentent cependant une différence fondamentale : dans
un financement de projet, il ne s’agit pas d’acquérir un actif qui dégage déjà
des cash flows mais de construire l’actif qui permettra de générer les cash
flows. En somme, ce qui fait la spécificité d’un financement de projet, c’est
qu’au début de la transaction, l’actif n’existe pas encore. C’est une différence
avec le LBO mais aussi avec les techniques que nous verrons ensuite (le finan-
cement d’actifs et la titrisation).
En financement de projet, il est par conséquent fondamental de mener une
analyse détaillée de chaque dossier avant de prendre une quelconque décision
d’investissement. Il faut identifier toutes les sources potentielles de risque et
s’assurer que, dans chaque cas, une solution a été apportée.

2.1. La faisabilité technique et le risque de construction


Financer un projet n’a de sens que si celui-­ci est techniquement possible.
Les prêteurs doivent donc s’assurer de la faisabilité des projets envisagés.

1. Nous invitons à ce stade le lecteur à retrouver le schéma d’un financement structuré standard évoqué page 17,
dans l’introduction. Project finance et LBO cadrent parfaitement avec ce graphique simplifié.

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Le financement de projet

Un élément important dans leur analyse est l’identité des sponsors. Si le ou


les sponsors ont une forte expérience et ont déjà mené à terme des projets
similaires, c’est pour eux un élément rassurant. Les sponsors expérimentés
savent gérer un projet et sélectionner les bonnes contreparties, notamment
pendant la phase de construction. Ils peuvent dans certains cas choisir une
entreprise qui leur est liée pour réaliser le projet. C’est notamment le cas des
entreprises de concessions autoroutières, qui prennent en général comme
sous-­contractant pendant la phase de construction une filiale du même
groupe (c’est le cas des entreprises comme Eiffage ou Vinci, présents à la fois
dans les activités de construction et de concession).
Pour minimiser le risque de construction, les sponsors travaillent en général
avec des sociétés qui ont de l’expérience dans ce domaine. C’est aussi évi-
demment la préférence des prêteurs. Ces entreprises, qu’elles soient liées ou
non aux sponsors, s’engagent en général sur un délai précis et un montant
maximum des travaux. De tels engagements minimisent les risques du projet,
surtout si l’entreprise qui les fournit est une société expérimentée qui dispose
d’un large bilan et d’un rating investment grade1.
Pour accompagner les prêteurs dans leur analyse technique du projet, un
expert indépendant est généralement nommé par les sponsors. Cet expert,
appelé en anglais Lenders’ Technical Advisor (ou LTA) a pour rôle de rendre
un avis technique indépendant sur le projet au profit des banques. Il se pro-
nonce dans son rapport sur les différents risques du projet (notamment la
construction) et la façon dont les sponsors ont tenté de les minimiser.

2.2. La viabilité économique (ou le risque financier)


Un projet n’est viable d’un point de vue économique que si la valeur actuelle
nette des cash flows qu’il dégage est supérieure à son coût. Si l’on considère
que le coût de construction a été correctement calculé (le LTA peut être amené
à se prononcer sur ce point), il faut donc s’assurer que les revenus générés
soient supérieurs à l’investissement initial et aux dépenses d’entretien.
Dans leur travail d’analyse, les prêteurs doivent évaluer le potentiel commer-
cial du projet. Ils doivent être capables de déterminer s’il existe un marché
pour la production ou le service fourni. Bien évidemment, le contenu de cette
1. Les sponsors financiers choisissent bien évidemment pour la construction d’un projet des entreprises qui
ne leur sont pas liées. C’est aussi le cas de certains sponsors industriels. Pour un projet éolien ou solaire par
exemple, un développeur de projets renouvelables (type EDF ou autre) va souvent sous-­traiter la construction
à une entreprise spécialisée sur le sujet.

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Structuration

analyse varie très fortement selon les cas. Il est difficile de comparer un spon-
sor impliqué dans un PPP, qui construit une école et attend ses loyers d’une
collectivité locale, à un sponsor impliqué dans une concession autoroutière :
− Dans le cas du PPP, le travail des prêteurs se résume à l’analyse du risque
crédit de la collectivité publique qui paie les loyers à la société projet.
Pour un projet bénéficiant d’un contrat d’achat, le principe est simi-
laire : les banquiers doivent être à l’aise avec le risque de contrepartie.
− Dans le cas de la concession autoroutière, l’analyse stratégique doit être
très précise : il faut connaître l’offre des concurrents (train, avion, routes
nationales), tant en termes de prix que de service (temps, agréabilité
du trajet). Il faut également pouvoir mesurer combien les voyageurs
qui utilisent jusqu’à présent les moyens de transport existants seraient
prêts à payer pour utiliser l’autoroute. Ces analyses peuvent être menées
par des experts spécialisés ou des consultants en stratégie généralistes
(McKinsey, Roland Berger, BCG, etc.).

2.3. Le risque de performance


Certains projets, même s’ils bénéficient d’un contrat d’achat à long terme
sont exposés à un risque additionnel : l’insuffisance de ressources naturelles
nécessaires au bon fonctionnement de l’infrastructure. Dans le cas d’un projet
éolien ou solaire par exemple, la viabilité économique dépend de la présence
de vent ou de soleil. Des sociétés spécialisées, mandatées par les sponsors, ont
pour rôle d’estimer avec précision le niveau moyen du vent et des radiations
sur la zone du projet. Les prêteurs exigent parfois que plusieurs analyses
indépendantes soient menées.
On retrouve la même problématique pour certains projets pétroliers ou gaziers.
Les prêteurs doivent s’assurer que le niveau de ressources est suffisant pour
générer les revenus qui permettront de rembourser la dette et de fournir une
rentabilité aux sponsors.

2.4. Le risque de taux


Il est essentiel pour les prêteurs d’éliminer au maximum le risque de varia-
tion des taux d’intérêt. La dette représentant la majeure part des fonds mis
à la disposition du SPV, il existe un risque que la rentabilité du projet soit
fortement dégradée en cas d’augmentation des taux. Ce risque est d’autant
plus grand que le projet est long.
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Le financement de projet

Pour se prémunir contre ce risque, le SPV doit transformer ses emprunts à


taux variables en emprunts à taux fixes. Le moyen d’y parvenir est de signer
un swap de taux (Interest Rate Swap ou IRS) par lequel la société projet verse
à une institution financière un taux fixe et reçoit en échange un montant
variable. Ce montant variable est calibré pour compenser le taux variable
que la société projet doit verser à la banque prêteuse au titre du service de la
dette. Au global, c’est comme si la société projet avait transformé un prêt à
taux
Financement de variable
projet en prêt
– schéma 2.3à taux fixe.
Le schéma 2.3 illustre comment fonctionne dans les faits un tel arrangement
contractuel. Si une société projet a emprunté sur 20 ans à LIBOR + 300 points
de base1, elle peut entrer dans un swap de taux dans lequel elle paye 4 % et
reçoit LIBOR2. Au total, dans notre exemple, le coût de la dette pour la société
projet devient synthétiquement un taux fixe de 7 % (4 % + 3 %).

Schéma 2.3 : couverture de taux dans un financement de projet

Prêt Taux fixe 4%


Contrepartie pour
Prêteur Société Projet
le swap
Libor + 3% Libor

Un lecteur qui découvre les notions de financement bancaire avec ce livre


sera peut-­être surpris par cette notion de taux variable. En France, en effet,
la plupart des prêts immobiliers sont à taux fixes. Il s’agit cependant d’une
exception mondiale et cela signifie en réalité que la banque prête aux parti-
culiers à taux variable et inclut d’une façon ou d’une autre un swap de taux
dans son offre de prêt, sans rien dire à son client.
Les taux d’intérêt – qui correspondent concrètement au loyer de l’argent (un
prêt n’est rien d’autre qu’une location de liquidités : un emprunteur paye un
taux d’intérêt pour utiliser une somme d’argent avant de la rendre à la banque)
– sont en effet, comme tout autre bien et service, soumis à la loi de l’offre et
de la demande. Compte tenu de l’abondance d’offre (de la part des banques)
et de demande (de la part des emprunteurs) au niveau macroéconomique,

1. Pour rappel, l’annexe 1 reprend la définition des concepts de LIBOR et de point de base.
2. Le taux fixe (que nous donnons ici au hasard) est dans les faits déterminé au moment de la conclusion du swap
en fonction des anticipations du marché pour le LIBOR sur la période considérée, ici 20 ans. Ce taux fixe est
donc en quelque sorte la moyenne des taux variables anticipés sur les 20 prochaines années. Au moment de
la conclusion du swap, cela veut dire que recevoir le taux fixe sur 20 ans ou les taux variables anticipés sur la
même période est équivalent.

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Structuration

c’est un marché extrêmement développé dans lequel des transactions sont


constamment conclues. Les prix (c’est-­à‑dire les taux d’intérêt) évoluent donc
sans cesse.

2.5. Le risque de change


Un risque de change apparaît lorsque les revenus et les charges de la société
projet sont libellés dans des monnaies différentes. C’est le cas par exemple
d’un projet industriel qui vend sa production en dollars (USD) mais doit
payer ses coûts de construction et ses fournisseurs en monnaie locale. Toute
baisse du dollar entraîne alors une diminution de la rentabilité du projet.
Pour limiter ce risque, la société projet s’assure en général de payer les coûts
de construction dans la devise dans laquelle la vente de la production sera
libellée. Si ce n’est pas possible, la société projet contracte des swaps de change
pour éviter d’être exposée à ce risque.
En outre, à de très rares exceptions, la dette projet long terme est levée dans
la devise dans laquelle le projet vend sa production. On évite ainsi tout risque
de change et on s’assure qu’il n’est nul besoin de mettre en place des couver-
tures de change long terme, en général fort coûteuses.

2.6. Le risque technologique


Le risque technologique existe dès lors que le succès du projet dépend du
recours à une technologie précise et qu’il existe un risque que celle-­ci soit
inefficace ou rapidement obsolète. En général, si un tel risque est identifié,
le projet n’est pas poursuivi car les prêteurs refusent de s’engager.

2.7. Le risque opérationnel


Le risque opérationnel est inhérent à tout projet. Les prêteurs limitent ce
risque en s’associant avec des sponsors qui ont déjà exploité avec succès des
projets similaires. Ils conduisent en outre également des vérifications tech-
niques et juridiques (ou due diligences) sur la façon dont l’infrastructure sera
exploitée sur le long terme. Il est fréquent que le LTA, mentionné plus tôt,
se prononce sur ce point dans son rapport.

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Le financement de projet

2.8. Le risque politique


Le risque politique existe dans tous les financements de projets. Il ne se
résume pas, comme on l’imagine souvent, aux menaces directes (destruction,
blocage) ou indirectes (nationalisation) qui peuvent peser sur un projet.
Il désigne l’ensemble des risques qui peuvent émaner de la sphère publique.
En cela, tout changement législatif remettant en cause l’économie d’un projet
constitue un risque politique potentiel. L’introduction de normes environ-
nementales plus sévères peut par exemple entraîner des surcoûts imprévus
pour un projet industriel. De même, des évolutions fiscales peuvent modifier
les profits anticipés d’un SPV et changer ses capacités de remboursement (on
parle cependant souvent dans ce cas de « risque de changement de loi », pour
indiquer que, s’il s’agit bien d’un risque politique, c’est cependant un risque
très différent d’un risque politique avec violence).
Pour se prémunir contre ces risques, les banques adoptent une double stra-
tégie, qui dépend du niveau de risque politique :
− si le projet a lieu dans un pays qu’elles jugent trop dangereux, les banques
refusent tout simplement de s’impliquer. Les prêteurs ont en général
une liste noire – régulièrement mise à jour – de pays avec lesquels ils
ne souhaitent pas travailler ;
− si un projet a lieu dans un pays dans lequel elles acceptent de prêter, les
banques demandent que la documentation juridique prévoie que les
surcoûts dus à un changement législatif soient à la charge des sponsors.
Selon les cas, ces derniers peuvent être contraints d’augmenter leur par-
ticipation au capital, d’octroyer un prêt d’actionnaire ou d’indemniser
directement les banques si elles subissent des pertes.

2.9 Les cas de force majeure


Ce type de risque est constitué par toutes les circonstances imprévues et
incontrôlables qui empêchent la mise en service d’un projet ou son exploi-
tation. Cela peut être un événement propre au projet, comme une grève, ou
un événement extérieur, comme une catastrophe naturelle.
Les prêteurs insistent en général pour être protégés de tout risque de perte
causée par un cas de force majeure. La plupart de ces risques (feu, tremblement
de terre, etc.) peuvent être couverts par des assurances adéquates. Le contrat
de prêt intègre donc généralement l’obligation pour le SPV de souscrire à de
telles assurances.
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Structuration

2.10 Assurances et autres risques


Les prêteurs ont également accès à la totalité des polices d’assurance sous-
crites par le SPV. Ces documents sont revus par un expert spécialisé, nommé
par la société de projet mais qui travaille au profit des prêteurs. Cet expert en
assurance, aussi appelé Lenders’ Insurance Advisor (ou LIA) s’assure notamment
que la société de projet a souscrit :
− une assurance dommage, qui lui permet d’être indemnisé en cas de
dommage causé par des tiers à l’infrastructure et,
− une assurance responsabilité civile, qui permet à l’inverse au SPV de
bénéficier d’une couverture au cas où le projet viendrait causer des
dommages à des tiers.

3. La structuration juridique du projet


Du fait des risques que nous venons d’évoquer, le financement de projet exige
une documentation juridique particulière. Sans pour autant faire de ce livre
un manuel de droit, il est néanmoins essentiel de s’arrêter un moment sur
l’articulation des principaux contrats.

3.1. La création de la société projet

Caractéristiques de la société projet


Comme nous l’avons déjà dit, le recours à une société projet s’explique par
la volonté d’isoler un projet dans une entité juridique spécifique.
− Cet isolement peut être vu d’une façon défensive : en cas d’échec du
projet, le sponsor n’est pas responsable financièrement sur ses biens
propres. Sa responsabilité, et donc sa perte potentielle, est limitée à
son apport en capital. Les créanciers de la société projet ne peuvent pas
se retourner vers le sponsor. Comme nous l’avons déjà expliqué, il est
donc impératif de constituer ce SPV sous forme de société de capitaux
(limited liability company).
− Cet isolement peut également être vu de façon positive : la lecture du
projet est simplifiée pour les banquiers car le remboursement du prêt
ne vient pas être pollué par les échecs possibles des autres activités du

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Le financement de projet

sponsor. En outre, si le projet est poussé conjointement par plusieurs


sociétés (ce qui reste la norme), le recours à un SPV est la seule solution
pour accommoder la présence de plusieurs sponsors.
Nous invitons le lecteur à ne pas confondre société projet et filiale de grand
groupe. La société projet a un objet social très limité qui consiste uniquement
à assurer la construction et l’exploitation du projet. Son rôle est fixé dès
l’origine et sa stratégie ne peut pas évoluer au gré des réorganisations ou des
changements de direction. Ni sa gestion, ni son financement, ni sa trésorerie
ne sont intégrés au reste du groupe comme c’est souvent le cas pour les filiales.

Personnel
Une société projet emploie en général très peu, voire pas du tout de personnel.
Elle n’a pas besoin d’équipes importantes car elle sous-­traite souvent massi-
vement la construction, la maintenance et l’exploitation du projet.
Les contrats de sous-­traitance signés par le SPV impliquent parfois la mise à
disposition de personnel spécifique, ce qui signifie que même si des employés
sont affectés sur le projet à plein-­temps, ils ne sont pas pour autant des sala-
riés de la société projet.
On trouve quelques exceptions à cette règle pour des projets pharaoniques.
On pense notamment à Eurotunnel et Disneyland Paris, deux transactions
dans lesquelles les sociétés projet ont eu recours à un personnel important.
Ces exemples sont cependant un peu particuliers. Dans les deux cas, les socié-
tés étaient cotées et devaient justifier auprès des autorités boursières qu’elles
avaient bien les moyens de réaliser leur objet social de façon autonome.

3.2. Le contrat de prêt

Tirage du prêt
Le contrat de prêt signé entre la (ou les) banque(s) et le SPV est le document
central d’un financement de projet. Son objet est très strict : il doit servir
uniquement à financer la construction du projet. Toute entorse à cet objet
de la part du SPV entraîne une obligation de remboursement anticipée
immédiate du prêt.

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Structuration

Le contrat de prêt contient classiquement deux phases :


1. Une phase de tirage, pendant laquelle le prêt est tiré graduellement
pour financer les différentes phases de la construction du projet. Les
tirages sont calibrés pour permettre au SPV de faire face aux échéances
qu’il doit honorer. Selon le calendrier de construction, cette phase de
tirage peut prendre plusieurs années.
2. Une phase de remboursement qui commence à partir de l’instant où
le projet génère des revenus. Les flux captés par le SPV sont dès lors en
partie utilisés pour rembourser le prêt (le solde des revenus permettant
de financer l’exploitation et l’entretien du projet et de verser un divi-
dende aux sponsors).
Pour limiter les risques portés par les banques pendant la phase de tirage, la
construction du projet est divisée en plusieurs phases. Chaque phase a un
coût spécifique et correspond à la réalisation concrète d’une partie du projet.
Les fonds servant au financement de la construction d’une phase ne peuvent
pas être tirés par la société projet tant que l’achèvement de cette phase n’a
pas été officiellement constaté.
À côté du prêt principal, destiné à financer la construction du projet (et appelé
en général prêt senior ou senior loan), on trouve d’autres lignes de crédit, dont
l’horizon de remboursement, comme les taux applicables, peuvent varier :
− un prêt additionnel est en général accordé pour faire face aux éventuels
surcoûts du projet. En clair, les prêteurs intègrent dès le début un mon-
tant maximal de dépassement acceptable des coûts de construction.
Cela évite de renégocier le contrat de prêt en cas de dérapage modeste.
Le montant de ce prêt est déterminé en pourcentage du coût total du
projet ;
− une ligne dite de crédit TVA permet au SPV de financer la TVA applicable
aux dépenses engagées au titre de la construction du projet1.
Cas de défaut
Un cas de défaut (event of default) est une situation dans laquelle les banques
ont le droit d’exiger le remboursement de leur prêt de façon anticipée.
Les cas de défaut sont explicitement listés dans la documentation juridique.

1. Dans la mesure où le SPV ne génère pas de revenus pendant la phase de construction, il ne facture pas de TVA
sur laquelle il peut venir imputer la TVA déductible qu’il paye à ses fournisseurs. Il se trouve donc en crédit
de TVA. Ce crédit lui est bien sûr remboursé par l’État, mais après plusieurs mois seulement. Le « crédit TVA »
sert à couvrir cette avance de TVA.

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Le financement de projet

De façon évidente, on y trouve les cas de faillite ou de banqueroute du SPV


et les situations dans lesquelles ce dernier ne fait pas face à ses obligations de
remboursement. Les cas de défaut peuvent également inclure le non-­respect
de certains engagements financiers pris par le SPV, notamment l’engagement
de maintenir le ratio de cash flows du SPV/obligations de remboursement
au-­dessus d’un certain niveau. Nous verrons plus bas (cf. chapitre 3, para-
graphe 3.2) comment cette obligation se contractualise et se structure.
Dans la pratique, l’occurrence d’un event of default n’entraîne pas nécessai-
rement une demande de remboursement anticipée de la part des prêteurs.
La société projet n’a en effet en général pas assez de liquidités pour faire
face à un remboursement anticipé. Il est donc plus pertinent pour les prê-
teurs de travailler, aux côtés des sponsors à une restructuration de la dette.
Si aucun accord n’est possible, les prêteurs pourront alors toujours acter le
défaut, demander un remboursement du prêt et actionner leurs garanties
(cf. ci-­dessous).

3.3. Les garanties

Le security package
En contrepartie de leur engagement financier, les banques exigent un certain
nombre de sûretés. Communément désignées sous le terme générique de
security package, elles incluent généralement les éléments suivants :
1. Un nantissement des actions de la société projet. Ce nantissement peut
être exercé en cas de non-­remboursement du prêt et permet aux banques
de prendre le contrôle du SPV en vue d’une restructuration ou, si c’est
possible, d’une cession à d’autres investisseurs.
2. Une hypothèque sur les actifs du projet. Cette hypothèque s’applique
dès le début du projet, y compris pendant la phase de construction.
Elle peut être exercée en cas de défaut du SPV. Il n’est cependant pas
toujours juridiquement possible pour les banques de prendre une
hypothèque. C’est le cas notamment si le projet est de type concessif
et qu’il est prévu que le projet, bien que construit et exploité par un
SPV reste juridiquement la propriété de l’autorité publique à l’origine
du projet. Dans ce cas, le SPV ne possède pas le projet, juste le droit de
l’exploiter. Il ne peut donc pas constituer une hypothèque.

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Structuration

3. La mise en place de mécanismes de substitution de l’actionnaire (step-­in


rights). De tels arrangements donnent aux prêteurs la possibilité de
prendre le contrôle effectif de la société de projet – souvent de façon
temporaire et dans un but précis – sans pour autant en obtenir la pro-
priété juridique. De tels droits peuvent être utiles en cas de négligence
de l’actionnaire (oubli de renouvellement d’autorisations administra-
tives, de paiement à un tiers, etc.) pouvant entraîner un cas de défaut
au titre du prêt. Dans une telle situation, les banques peuvent effectuer
certaines actions en lieu et place des sponsors pour éviter un défaut ou
empêcher le recours juridique de tiers contre le SPV.
4. Un nantissement des créances de la société projet : les banques peuvent
se faire payer directement par les créanciers et les clients du SPV, sans
que les flux ne transitent par ce dernier. L’activation de ce droit ne
dépend pas nécessairement de l’occurrence d’un cas de défaut. On peut
en effet prévoir dès la mise en place du projet qu’une partie des revenus
de la société projet soit directement affectée aux banques au titre du
remboursement de leurs prêts. En France, le mécanisme de cession
Dailly permet aux entreprises de céder facilement leurs créances pro-
fessionnelles à leurs propres créanciers.
5. Un nantissement sur les comptes de la société projet : une sûreté de
ce type permet aux banques de prendre contrôle de l’ensemble de la
trésorerie de la société projet.
Analyse des garanties
La densité de ce security package ne doit pas masquer la position délicate dans
laquelle se trouve une banque lorsqu’un projet est confronté à des difficultés.
Toutes les garanties sont en effet directement liées au projet financé. Il est
donc probable que tout événement qui affecte la pérennité du projet ait un
impact négatif sur la valeur des sûretés.
Il s’agit là d’une situation inhabituelle pour un prêteur et propre aux finan-
cements structurés. Les banques cherchent en effet en général à obtenir des
sûretés ou garanties dont la valeur est indépendante du risque de crédit sup-
porté. Ainsi, par exemple, dans un financement immobilier à un particulier,
la banque prend un risque sur la capacité de remboursement d’un ménage
et obtient une garantie sur le bien immobilier, deux éléments dont la valeur
n’est pas corrélée.

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Le financement de projet

Ceci étant dit, le security package accordé aux prêteurs dans un financement
de projet a une réelle valeur. Au Royaume-­Uni par exemple, la M6 toll road,
une autoroute de 43 km près de Birmingham a été reprise par les prêteurs
suite à la faillite du projet en 2013. Le consortium de 27 banques a exercé ses
droits et l’actionnaire de l’époque, Macquarie, a été contraint de leur céder
le projet. Quatre ans plus tard, les banques revendaient la société à IFM, un
sponsor financier d’origine australienne.

3.4. Les autres documents financiers

Equity agreement
Ce document est le pendant du contrat de prêt. Il indique à quelles étapes du
projet les sponsors doivent réaliser leurs apports. Le calendrier du versement
des sponsors est en général calqué sur celui des banques pour permettre
de maintenir pendant toute la phase de construction le ratio dette/capital
décidé par les parties. Il se peut cependant que le projet exige que le capital
soit entièrement versé avant que la dette soit tirée.

Convention de prêt
Même si un projet se déroule sans accrocs, la société projet et les banques
sont en contact permanent. Un léger retard de construction peut par exemple
obliger le SPV à solliciter un accord des prêteurs pour modifier le calendrier
des tirages du prêt. Pour être en mesure de prendre rapidement des décisions
collectives, les banques doivent trouver le moyen de formaliser la façon dont
elles se mettent d’accord entre elles.
Le but de la convention de prêt (intercreditor agreement) est de structurer les
relations entre prêteurs. Elle contient donc les règles concernant la façon dont
les décisions sont prises par le syndicat bancaire : droits de vote en fonction
de la part dans le prêt, modalités du vote, délais, pouvoirs, procuration, etc.
Cette convention est d’autant plus importante que, dans un financement
de projet, le nombre de prêteurs est parfois très élevé (cf. l’étude de cas n° 4
sur Disneyland Paris).

3.5. Les contrats autour du projet


Ces contrats désignent l’ensemble des documents juridiques qui permettent
la réalisation et l’exploitation du projet.

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Structuration

Contrat de construction
Le contrat de construction doit être signé avec une contrepartie de qualité.
Comme nous l’avons déjà évoqué, cette contrepartie peut être une société liée
au sponsor (sans que ce soit une obligation). Dans le cas d’une concession
autoroutière octroyée au groupe Vinci Concessions par exemple, la construc-
tion sera confiée à Vinci Construction.
Il est impératif que le coût de la construction soit fixe et connu d’avance, ce
qui permet d’optimiser la visibilité des banques et des sponsors. En cas de
malfaçon, défaut de fabrication ou retard de livraison, le contrat doit prévoir
le versement d’indemnités compensatoires. Dans ce contexte, banques et
sponsors préfèrent idéalement travailler avec des entreprises de construction
qui ont une grande expérience et un rating investment grade. Cela permet de
s’assurer que les délais seront tenus et qu’en cas de problème, le coût de
construction restera inchangé et qu’éventuellement des indemnités pourront
effectivement être payées.

Contrat de maintenance
Le contrat de maintenance permet d’assurer l’exploitation du projet. Il doit
prévoir un strict encadrement des coûts ainsi que des possibilités de termi-
naison du contrat de la part de la société projet si le sous-­traitant ne remplit
pas ses obligations. À l’inverse, les possibilités de rupture du contrat offertes
à la société de maintenance sont en général limitées.

Accord d’exploitation (ou contrat de location)


Un projet qui n’est pas exposé au risque marchand ou de trafic bénéficie d’un
contrat d’achat ou de location avec un tiers. Cet accord lui permet de disposer
de revenus stables et, par conséquent, de lever des financements. C’est donc
un contrat que les prêteurs analysent avec attention.
Dans le cas d’un PPP (cf. paragraphe 1.3 ci-­dessus), cet accord prend la forme
d’un contrat de location dans lequel l’autorité publique verse un loyer fixe
duquel on déduit éventuellement des pénalités si le service offert par l’in-
frastructure n’est pas au niveau de qualité attendu. Si le projet bénéficie d’un
contrat d’achat long terme (offtake agreement, cf. paragraphe 1.2), l’accord
permet au SPV de vendre sa production à une entité publique ou privée.
Les prêteurs dans un financement de projet étudient avec attention la qualité
de crédit des contreparties de ces contrats. Les niveaux de marge et de finan-
cement offerts en dépendent. La durée de ces contrats détermine en outre
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Le financement de projet

la maturité de la dette. Plus un contrat est long, plus un SPV peut lever des
financements long terme.
Dans la plupart des cas, la dette d’un financement de projet s’amortit totale-
ment avant la fin du contrat d’achat ou de location, ce qui donne un certain
confort aux prêteurs. On parle alors de positive tail. Si la dette s’amortit totale-
ment après la date de fin du contrat, on parle alors de negative tail. Ce type de
structure de dette n’existe cependant que si l’infrastructure reste opération-
nelle à l’issue du contrat initial. C’est par exemple le cas de fermes éoliennes
ou solaires, qui bénéficient en France de contrats d’achat de vingt ans mais
qui ont une durée de vie de trente ou trente-­cinq ans. Il est donc admis que le
projet pourra générer des cash flows au-­delà de la période du contrat initial.
Certains prêteurs acceptent alors de prêter sur une durée plus longue. À ce
stade cependant le niveau de dette est extrêmement faible, ce qui minimise
le risque des prêteurs.

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Structuration

Cas 4 La presque faillite de Disneyland Paris1


Il a fallu à peine un an, en 1992, pour que Disneyland Paris passe du succès
écrit d’avance à la presque faillite. Une histoire aux multiples leçons qui
illustre à la fois :
(i) qu’il est complexe de déterminer avec certitude les cash flows d’un
projet – même s’il semble exister des comparables fiables ;
(ii) que l’effet de levier peut parfois se retourner contre celui qui l’utilise
et ;
(iii) qu’il est essentiel, en financement de projet, de loger l’infrastructure
dans un véhicule ad hoc qui limite la responsabilité du sponsor à son
apport en capital.

„ Genèse du projet
Lorsque Michael Eisner, le PDG de Disney, signe en 1985 un protocole d’ac-
cord avec l’État français et la région Ile-­de-­France pour l’établissement d’un
parc de loisir près de Paris, tous les voyants sont au vert pour un incroyable
succès commercial. La marque Disney a en effet une aura fantastique en
Europe où ses dessins animés génèrent traditionnellement plus de profits
qu’en Amérique du Nord.
Le groupe américain bénéficie en outre de l’expérience acquise dans trois autres
parcs de loisirs ouverts précédemment : en Californie en 1955, en Floride en
1971 et à Tokyo en 1983. Le projet est donc minutieusement mené et c’est
la ville de Marne-­la-­Vallée, à l’est de Paris, qui est choisie au terme d’une
sélection au cours de laquelle pas moins de quarante sites sont considérés en
Allemagne, en Espagne, en France, en Italie et au Royaume-­Uni.
Marne-­la-­Vallée s’impose dans la dernière ligne droite face à un site proche
de Barcelone. Même si le climat y est moins clément, la région parisienne a
un plus grand bassin de population que la Catalogne. L’Île-­de-­France est en
outre plus facile d’accès pour les visiteurs étrangers et a, grâce à Paris, un
potentiel touristique très largement supérieur.

1. Le parc a changé plusieurs fois de nom depuis son ouverture. Par soucis de clarté, nous avons décidé d’utiliser
ici uniquement le nom en vigueur aujourd’hui.

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Le financement de projet

„ Calibrage du projet
Au moment de débuter la planification de son projet, le groupe Disney fait
une constatation paradoxale : bien que les trois parcs déjà construits soient
chacun des succès commerciaux, le groupe n’a jamais trouvé la bonne formule
pour maximiser ses revenus. En Californie, un terrain trop petit a empêché
Disney de construire une infrastructure hôtelière suffisante. Ce sont donc les
hôtels des environs qui profitent de la manne financière que représentent les
clients du parc. En Floride, c’est le conservatisme financier du groupe qui l’a
incité à rester mesuré et à limiter la construction d’hôtels. Là encore, ce sont
des groupes hôteliers sans liens avec Disney qui accueillent l’essentiel de la
clientèle qui passe la nuit sur place. Enfin, au Japon, c’est un partenaire local
qui a construit et qui exploite le projet : Disney ne touche que des royalties et
ne profite donc que très partiellement de l’immense succès du parc.
Confiant dans la force de sa marque, le groupe Disney ne manque pas
d’ambition pour le parc européen. Pour éviter la frustration des situations
américaine et japonaise, il prévoit d’inclure dès l’origine un grand complexe
hôtelier et de ne pas avoir de partenaire local. Le coût total du projet est estimé
à 4,4 milliards de dollars, soit plus de trois fois le parc de Tokyo.
Le parc japonais est une référence capitale pour Disney dans son approche
de l’Europe. Premier projet d’envergure en dehors des frontières américaines,
ce parc a été réalisé à peine dix ans plus tôt et, chaque année, le nombre
de visiteurs a dépassé les anticipations. Il enregistre d’ailleurs, à l’époque,
des affluences moyennes supérieures aux parcs de Floride et de Californie.
D’un point de vue financier, le site est un succès. Le partenaire japonais de
Disney, Oriental Land Company, qui avait financé par dette 80 % du coût de
construction du parc (soit 1,1 milliard de dollars), a remboursé son emprunt
en trois ans.

„ Accord cadre avec le Gouvernement français


Alors que le site de Marne-­la-­Vallée est encore en concurrence avec Barcelone,
le Gouvernement français promet, dès 1985, des avantages financiers directs
et indirects pour le parc de loisirs. C’est une démarche classique dans ce type
de situation, compte tenu des retombées anticipées en termes d’emploi et
de recettes fiscales. Dans ce cas précis, l’accord cadre est cependant d’autant
plus favorable à Disney que le groupe américain a fait jouer intelligemment la

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Structuration

concurrence entre la France et l’Espagne. Un contrat de partenariat définitif


est finalement signé en 1987. Il prévoit, de la part du gouvernement :
− la vente de terrains à un prix inférieur de 30 % aux prix de marché de
l’époque ;
− le financement et la construction d’une station de RER, d’un parking,
d’une gare routière et du raccordement du parc à l’autoroute ;
− l’octroi de prêts pour une valeur totale de 4,8 milliards de francs à un
taux de 7,85 %1 ;
− l’application du taux de TVA réduit de 5,5 % sur la totalité des produits
vendus dans le parc, même ceux qui sont habituellement soumis à un
taux supérieur.
En échange de ces avantages, Disney prend notamment les engagements
suivants :
− garantir un trafic minimum dans les transports publics en direction
du parc (concrètement, si ce nombre n’est pas atteint, Disney doit
indemniser le Gouvernement français) ;
− ouvrir une attraction qui mette en valeur la culture française ;
− ne pas construire un autre parc à thème Disney à moins de 800 km de
Marne-­la-­Vallée pendant une durée déterminée ;
− garder une part significative du contrôle du projet pendant au moins
cinq ans.

„ Structure de financement2
Alors qu’il est un moment envisagé que le parc soit financé par des emprunts
levés au niveau du groupe Disney lui-­même, les Américains finissent par
choisir de créer un véhicule de financement spécifique, dans l’esprit d’un
financement de projet. Le montage repose sur la création d’une société
ad hoc, Euro Disneyland SCA (dit Eurodisney), qui a la charge de construire
le parc et les hôtels. Eurodisney exploite également la marque (et verse pour
cela des royalties à la maison mère), prend les décisions relatives au projet,
détermine la stratégie du parc, emploie et rémunère le personnel et reçoit les
paiements des clients.

1. Soit un taux inférieur au taux de financement de l’État français à l’époque.


2. La structure ici présentée a été volontairement simplifiée pour faciliter la lecture.

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Le financement de projet

Le financement est assuré par un apport en capital de la part du groupe


Disney et une introduction en bourse de la société. Le solde du financement
est assuré aux moyens de deux prêts syndiqués sur 20 ans, l’un réunissant
39 banques sous l’égide de la BNP sert à financer le parc, l’autre, apporté par
30 banques sous la direction d’Indosuez, a pour objet le financement des
hôtels (cf. schéma 2.5).
L’introduction en bourse d’Eurodisney, qui a lieu en avril 1989, trois ans
Financement de projet – schéma 2.4
avant l’ouverture du parc, est l’une des plus grandes jamais réalisée pour
une société sans historique. Valorisée 72 francs par le conseil de Disney, la
banque britannique SG Warburg1, l’action est sursouscrite plus de 10 fois.

Schéma 2.4 : structure de financement simplifiée de Disneyland Paris

Investisseurs
Groupe Disney
(bourse)

51% 49% Royalties

Tickets
d’entrée et Eurodisney
nuits d’hôtel

Prêt Prêt

Syndicat de 30 Syndicat de 39
banques (hôtels) banques (parc)

Ce montage astucieux permet au groupe Disney de cumuler plusieurs avantages :


− la dette levée dans le cadre du montage est une dette projet : elle est
sans recours sur les autres actifs du groupe ;
− l’ouverture du capital permet de minimiser l’investissement de départ
de Disney ;
− le paiement de royalties permet au groupe Disney de recevoir des
paiements même si Euro Disney SCA ne réalise pas de bénéfices. Les
royalties sont en effet calculées en pourcentage du chiffre d’affaires.
Lors de l’ouverture, en avril 1992 et malgré un surcoût de construction pour
le parc, Disneyland Paris semble voler vers le succès. L’action se négocie à
1. SG Warburg est une ancienne banque d’affaires britannique qui fait aujourd’hui partie d’UBS. Fondée par
Siegmung George Warburg en 1946, elle n’a aucun lien avec la Société Générale comme on l’entend parfois.

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Structuration

165 francs, en hausse de plus de 120 % sur 3 ans. En octobre 1992, Michael Eisner
est même fait chevalier de la Légion d’honneur par le Premier ministre de
l’époque, Pierre Bérégovoy.

„ Le problème de la dette
Très rapidement cependant, il apparaît que le projet n’a pas été correctement
dimensionné. Les revenus sont trop faibles pour permettre le rembourse-
ment d’une dette qui se monte à plus de 3,5 milliards de dollars au total.
Fin 1993, pour sa première année d’exploitation, le parc enregistre une perte
de 900 millions de dollars. Le projet n’est plus en mesure de servir la dette et,
en novembre, l’action dévisse à 11 francs.
Le parc cumule les mauvais points. Disney a mal calibré son projet, notam-
ment le volet immobilier. Les hôtels sont jugés chers et les clients préfèrent
rentrer directement chez eux ou, s’ils sont touristes, passer la nuit sur Paris
pour un prix comparable. Disney, qui avait également prévu de vendre une
partie des terrains à des groupes hôteliers doit vite renoncer à cette idée,
d’autant que la remontée des taux en France à partir de 1990 entraîne une
crise immobilière.
Il est vite évident que l’ouverture du parc a lieu à contretemps. L’Europe
traverse en 1993 la pire crise de son histoire depuis la guerre. La France est
en récession et la situation est identique dans le reste de l’Europe, Royaume-­
Uni excepté. Les visiteurs sont donc moins nombreux que prévu, d’autant
que la politique du franc fort renchérit le coût d’une visite pour les familles
étrangères.

„ Des erreurs de calibrage du projet


Dans ce contexte, toutes les petites bourdes du groupe américain, qui auraient
pu passer inaperçues, prennent un relief inattendu. Les familles sont généra-
lement satisfaites des attractions, moins de la restauration. Disney pensait
que les Français, contrairement aux Américains, ne prendraient pas de petit-­
déjeuner sur place. C’est une erreur ; les familles arrivent tôt et souhaitent se
restaurer mais les conditions d’accueil ne sont pas suffisantes. La frustration
continue à midi où, pendant les premiers mois, il est impossible de trouver du
vin pour accompagner son déjeuner : la politique « sans alcool » du groupe en
vigueur dans les autres parcs va à contre-­courant de la culture européenne.

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Le financement de projet

Le parc est également mal adapté au climat parisien. Alors qu’il y fait bien
plus froid qu’en Californie, en Floride ou à Tokyo, les attractions sont les
mêmes. Le chiffre d’affaires diminue donc fortement dès que l’automne
arrive. En outre, les Américains pensaient que les Français n’auraient pas de
scrupules à faire rater une journée d’école à leurs enfants pour venir au parc
comme c’est le cas aux États-­Unis. Là aussi, l’erreur est flagrante et les visites
pendant la semaine sont nettement inférieures aux prévisions.
Il serait trop facile, avec le recul, d’accuser les Américains d’avoir voulu imposer
un modèle sans l’adapter au goût local. L’exemple japonais – le plus grand
succès du groupe jusqu’à présent – plaidait en faveur d’un projet très forte-
ment américanisé, avec très peu de concessions. À Tokyo, les seules mains
tendues à la culture locale sont la présence d’un restaurant de sushis et les
kimonos que Mickey et Minnie enfilent le jour de l’an.

„ Restructuration
La direction du parc prend rapidement des mesures pour limiter les pertes.
Une nouvelle stratégie marketing est mise en place. Le prix des hôtels dimi-
nue fortement, les tarifs et les attractions s’adaptent pendant l’hiver et des
accords sont signés avec des tour-­operators et des agences de voyages pour
faire venir des visiteurs. Par ailleurs, là où c’est possible, le parc adapte l’offre
de nourriture et de boissons au goût européen.
Un moment évoqué dans la presse, la fermeture du parc n’est pas à l’ordre
du jour chez Disney. Le groupe s’est trop engagé pour faire marche arrière
sans écorner son image. Au moment où le financement doit être renégocié
avec les banques, Disney est cependant ravi d’avoir privilégié une solution
dans laquelle la dette est sans recours sur les autres actifs du groupe. Cela le
place dans une situation plus favorable.
Le schéma de restructuration finalement accepté par les deux syndicats
bancaires comprend un renoncement à 18 mois d’intérêt et à un report du
remboursement du principal de la dette pendant 3 ans. En parallèle, une
augmentation de capital a lieu, souscrite à 51 % par les banques et à 49 %
par Disney. En 1994, les banques vendent leurs parts au prince saoudien Al-­
Waleed, qui devient le second actionnaire du parc après Disney.
En contrepartie de cet accord, Disney renonce à tout versement de royalties
pendant 5 ans et accepte de diminuer, à l’issue de cette période, le montant
des paiements de royalties initialement prévus.
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Structuration

„ Épilogue
Grâce à cette restructuration, Disneyland Paris trouve peu à peu son rythme
de croisière. Le parc s’adapte à l’hiver parisien, construit de nouvelles attrac-
tions et dégage même des bénéfices. Beaucoup pensent alors que, comme
pour le parc en Floride, il fallait juste quelques années pour que le complexe
trouve enfin son public. En 2002, le groupe Disney décide d’ailleurs d’ouvrir
un second parc (Walt Disney Studios) juste à côté du premier.
Les déboires de Disneyland Paris ne sont pas terminés pour autant. En 2004,
le projet est rattrapé par ses démons et doit une nouvelle fois renégocier sa
dette. A posteriori, il apparaît que le coût du nouveau parc a été sous-­estimé.
Plombé par une dette colossale et des royalties généreuses, Disneyland Paris
doit en 2012 puis en 2014 rééchelonner, respectivement, une troisième et une
quatrième fois sa dette. En 2017, le groupe Disney décide alors de tourner
une page. Il rachète les minoritaires de sa filiale et lance une OPA sur les titres
cotés. Disneyland Paris en termine alors enfin avec son aventure boursière.

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Chapitre 3 Aspects financiers

1. Le financement de la transaction

1.1. Le capital

Sponsors industriels
Comme nous l’avons déjà indiqué, les sponsors industriels sont des entreprises
opérationnelles qui ont un intérêt industriel à construire et opérer un projet.
C’est le cas de Vinci par exemple dont nous avons déjà parlé, actif dans les
concessions autoroutières et aéroportuaires et qui délègue la construction
de ses projets à une filiale du groupe. On retrouve la même stratégie chez
de nombreux géants de la construction : Eiffage en France, Sacyr et ACS en
Espagne, etc.
Dans le domaine de l’énergie, les sponsors industriels sont également très
présents. L’exemple d’EDF, évoqué plus tôt, n’est pas isolé. Engie, RWE,
Iberdrola, Enel, Equnior et bien d’autres suivent la même stratégie. Ils par-
ticipent en capital à des projets d’énergie renouvelable dont ils assurent la
conception, la maintenance et l’exploitation.

Sponsors financiers
Les sponsors financiers constituent un ensemble de plus en plus important
dans le monde des financements de projets. Leur logique est différente de
celles des sponsors industriels et se rapproche plutôt de celle des fonds de
LBO1. La seule différence est qu’au lieu de prendre une participation dans
une société classique, ils prennent une participation dans une société dont
le but est de permettre la construction et l’exploitation d’une infrastructure.
Leur objectif est cependant identique : réaliser un investissement en capital
pour espérer un retour sous forme de dividendes et de plus-­value à la revente.
De plus en plus d’investisseurs institutionnels qui ne réalisaient autrefois
que des investissements LBO, développent désormais une activité énergie ou
1. Le fonctionnement de ces sponsors est identique à ce que nous avons vu dans la partie précédente sur le LBO :
ce sont des sociétés de gestion qui gèrent des fonds levés auprès d’investisseurs divers. Seul leur champ d’in-
tervention est différent.

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Le financement de projet

infrastructure. KKR, l’une des principales sociétés de private equity – et dont


nous avons parlé en détail dans la précédente partie – en est un bon exemple.
Après avoir lancé un premier fonds infrastructure en 2012 (1bn$), la société
de gestion a lancé un second fonds en 2015 (3.1bn $) et un troisième en 2018
(7.4bn $). Un quatrième, qui vise 15bn $, est en cours de levée à l’heure où
nous écrivons ces lignes.
Ces fonds infrastructure sont bien évidemment gérés par des équipes dis-
tinctes des équipes LBO. Ils visent des actifs d’infrastructure, par nature plus
résilients et protégés par des barrières à l’entrée plus importantes compte
tenu notamment des coûts de construction et des contraintes géographiques.
L’augmentation croissante de la taille des fonds de KKR au cours du temps
démontre l’engouement de cette thèse d’investissement dans le monde du
private equity. Certaines sociétés de gestion sont d’ailleurs spécialisées dans
l’infrastructure, comme le français Antin IP, entré en bourse en 2021 sur une
valorisation record.
Le succès des fonds infrastructure s’explique par la nature même de la classe
d’actifs. Les projets visés génèrent des revenus stables et sur longue période,
deux critères attractifs aux yeux des limited partners qui investissent dans ces
fonds et qui sont souvent des fonds de pension ou des assurances qui visent
un rendement à long terme.
Contrairement aux sponsors industriels, les sponsors financiers ont une pré-
férence pour investir dans des projets qui ont passé la phase de construction.
On parle alors de projets brownfield, en opposition aux projets à construire
ou en phase de construction, que l’on appelle projets greenfield. Les sponsors
industriels qui jouent généralement un rôle dans la phase de construction
préfèrent eux souvent, à l’inverse, accompagner un projet dès le début.
Pour cette raison, il n’est pas rare de voir un projet commencer par des
sponsors industriels et changer partiellement d’actionnaires après la phase
de construction. À ce stade, le profil de risque du projet attire davantage les
sponsors financiers, qui peuvent racheter une participation dans le projet à des
sponsors industriels. Il existe ensuite une forte activité de fusions-­acquisitions
autour de ces projets car certains fonds ont un horizon d’investissement limité
et doivent céder leur participation à un tiers au bout de quelques années.
Il arrive donc fréquemment qu’un sponsor financier cède une participation
dans un projet ou un ensemble de projets à un autre sponsor financier.

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Aspects financiers

Même si cela reste rare, certains fonds d’investissement sont présents dans
les phases amont des projets. C’est le cas par exemple du fonds danois
Copenhagen Infrastructure Partners (CIP) qui a développé dans une JV avec
Iberdrola le premier projet éolien en mer aux États-­Unis (Vineyard Wind),
financé avec succès en 2021.

Introductions en bourse
La bourse ne joue pas directement un rôle majeur dans les financements de
projets. Il est rare qu’une société projet soit cotée. La taille des projets et leur
objet social limité sont en général peu compatibles avec une cotation sur les
marchés.
Ceci étant dit, certains industriels dans le domaine des énergies renouvelables
ont parfois logé dans une filiale spécifique, qu’ils ont ensuite partiellement
introduite en bourse, l’ensemble de leurs projets. C’est le cas notamment des
industriels espagnols ACS et Abengoa dans les années 2010.
De telles structures, appelées Yieldcos, car elles ont l’objectif de verser un coupon
régulier à leurs actionnaires du fait de la nature des actifs sous-­jacents, ont
aujourd’hui perdu en popularité. Pour grandir, ces filiales doivent en effet
acquérir régulièrement de nouveaux projets et ont en général un droit privilégié
de rachat de projets développés par leur maison mère. Dans la mesure où la
filiale a d’autres actionnaires, cela crée souvent des risques de conflit d’intérêts
(à quel prix acheter les projets ?) que les marchés financiers apprécient peu.

1.2. La dette
Par simplification, nous avons jusqu’à présent, dans ce chapitre, utilisé indif-
féremment les termes banque ou prêteur, soulignant implicitement que les
deux notions étaient des synonymes parfaits. La réalité est cependant plus
complexe.

Les banques
Les banques constituent l’essentiel des prêteurs en financement de projet.
Les banques d’investissement qui font partie d’un groupe lié à une banque
de détail sont en général actives sur ce créneau. Elles ont un accès facile à
la liquidité et peuvent donc plus naturellement prêter à long terme. C’est
notamment vrai en Europe où les banques françaises généralistes (BNPP,
Société Générale, CA-­CIB, Natixis) figurent parmi les acteurs les plus actifs
du marché.
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Le financement de projet

Les prêteurs obligataires


Le marché obligataire est en règle générale contraint du fait du profil des cash
flows d’un projet. Alors qu’un investisseur sur le marché obligataire attend
de son investissement le paiement d’un coupon régulier et le remboursement
in fine de son capital, le prêteur dans un financement de projet doit verser
son apport sur plusieurs années (phase de construction) et reçoit ensuite le
remboursement de son capital sur longue période (phase d’exploitation).
Les financements obligataires ne sont pas nécessairement en concurrence avec
les financements bancaires ; ils sont complémentaires. Il arrive souvent qu’un
projet soit d’abord financé par de la dette bancaire (plus flexible pendant la
phase de construction) puis refinancé par de la dette obligataire une fois que
le projet est opérationnel. On peut également structurer en parallèle deux
facilités : l’une bancaire qui s’amortit au fur et à mesure et l’une obligataire
qui s’amortit uniquement sur les dernières années du projet.

Les fonds de dette


Les investisseurs institutionnels n’interviennent pas uniquement via des
financements obligataires. Ils sont capables aujourd’hui de financer des
projets sous format de prêt du fait d’évolutions réglementaires récentes qui
ont assoupli le monopole bancaire en Europe. Depuis quelques années, de
nombreux asset managers ont donc créé des fonds de dette infrastructure
qui peuvent investir dans de la dette projet à côté des banques.
Ces fonds sont en général liés à des compagnies d’assurances (Allianz Global
Investors, AXA-IM, etc.), à des banques (BNPP AM), ou à des asset managers
traditionnels (Blackrock, IFM, etc.). Le format prêt et non obligataire leur permet
de rejoindre davantage de transactions et donc de participer plus activement
au financement d’infrastructures. Ces fonds de dette sont aujourd’hui des
acteurs majeurs du financement de projet.

Les banques de développement


Aux côtés des prêteurs traditionnels, on retrouve également une longue liste
de prêteurs institutionnels dont le rôle est de favoriser le développement
économique. Leur implication varie selon la nature et la localisation des pro-
jets. L’International Finance Corporation (IFC), membre du Groupe Banque
Mondiale est un acteur incontournable dans les pays en voie de développe-
ment. L’IFC accorde des prêts à des projets d’infrastructure dans le monde

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Aspects financiers

entier. Localement, il existe également dans chaque continent des banques


régionales de développement.
En Europe, la Banque Européenne d’Investissement (BEI), dont le capital
appartient aux pays membres de l’Union européenne, a pour objet de finan-
cer des projets d’infrastructure favorisant le développement économique
en Europe. Son actionnariat lui permet de bénéficier d’un excellent rating
(AAA) et de lever sur les marchés les sommes nécessaires pour refinancer sans
difficultés la dette qu’elle investit dans des projets.

1.3. Les subventions


Dans certains cas, les subventions publiques représentent, aux côtés de la dette
et du capital, une source additionnelle de financement. Si des subventions
sont prévues, le calendrier du versement de celles-­ci est en général condi-
tionné à la matérialisation de certains événements. Il s’agit le plus souvent de
l’achèvement d’une phase de construction ou de l’exploitation satisfaisante
du projet pendant une période donnée et selon certains critères de qualité.
C’est le cas par exemple pour la tour Eiffel dont nous avons parlé plus tôt :
les trois tranches de subventions octroyées par l’État ont été chacune versée
à la fin de la construction d’un étage.
Plus subtilement, certaines subventions sont données de façon indirecte.
La puissance publique prend alors la responsabilité d’une partie du projet.
Il peut s’agir notamment de construire certaines infrastructures d’accès à
l’actif principal. Dans le cadre du projet Disneyland Paris par exemple, l’État
français avait pris l’engagement de faire construire une station de RER et
une gare TGV pour permettre l’accès au parc de loisir. Le but recherché était
d’attirer le groupe Disney à privilégier une installation en France plutôt
qu’en Espagne et à créer une zone d’activité dans l’est de la région parisienne
(cf. étude de cas n° 4).

2. La modélisation financière
L’une des étapes les plus complexes d’un financement de projet est la modé-
lisation des flux financiers. Cette phase est capitale et peut être comparée,
dans le principe, à la rédaction d’un business plan pour une société tradi-
tionnelle. Il faut en effet déterminer l’ensemble des revenus et des charges

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Le financement de projet

sur plusieurs années afin de calculer les besoins de financement et le retour


sur investissement des sponsors.
Par rapport à un business plan classique, on peut cependant identifier
plusieurs différences, qui rendent encore plus critique la réalisation de
projections pertinentes :
− la durée d’un financement est souvent de l’ordre d’une vingtaine
d’années : il faut donc modéliser les cash flows de la société projet sur
une durée très supérieure à ce qui est la norme pour les business plans
traditionnels (souvent 3 à 5 ans) ;
− la part de dette dans le financement total est importante : toute erreur
d’estimation des revenus futurs peut donc avoir un impact sur les
capacités de remboursement du SPV et menacer la pérennité du projet ;
− l’objet de la société projet est limité. Il est donc compliqué voire souvent
impossible de faire évoluer sa stratégie en cas de difficultés. En d’autres
termes, il n’existe pas de plan B.
La modélisation d’un financement de projet passe par les trois étapes sui-
vantes : (i) identification des revenus et des dépenses sur la durée de vie de
la transaction, (ii) élaboration d’un calendrier des apports des sponsors et
des banques et, (iii) enfin, mise au point d’une politique de distribution des
revenus.

2.1. Identification des cash flows opérationnels


La mise au point d’un modèle financier exige d’abord de calculer les cash flows
opérationnels. Concrètement, cette étape consiste à identifier tous les flux
positifs ou négatifs de la transaction avant flux financiers. C’est uniquement
en fonction de cette étape que seront calibrés les apports en dette et capital.
Le modèle financier officiel de la transaction est souvent mis au point par le
sponsor ou par une banque d’affaires qui agit comme conseil de l’opération.
Dans la plupart des cas, il s’agit d’une banque qui participe au financement.
C’est ce modèle financier qui fera foi dans les négociations. Le tableau 2.5
reprend les principaux flux à prendre en compte pour calculer les cash flows
opérationnels d’un projet.

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Aspects financiers

Tableau 2.5 : calcul des cash flows opérationnels d’un projet

Cash flows opérationnels nets

+ Revenus
– Coûts d’exploitation et de maintenance
– Assurances
– Impôts et taxes
= Cash flows opérationnels bruts
– Augmentation du Besoin en fonds de roulement (BFR)
= Cash flows opérationnels nets

Traditionnellement, la mise en lumière des cash flows opérationnels nets


d’un projet permet de distinguer deux phases :
− une phase de construction, pendant laquelle les emplois du SPV sont
supérieurs à ses ressources propres ;
− une phase d’exploitation, pendant laquelle l’accumulation de trésorerie
permet au SPV d’atteindre son point mort puis de le dépasser.
Il existe bien évidemment des situations dans lesquelles les périodes de construc-
tion et d’exploitation se chevauchent partiellement. C’est le cas notamment
des projets de fibre optique qui prennent du temps à être déployés totalement
mais qui génèrent rapidement des revenus sur les parties installées.

2.2. Les apports financiers des sponsors


Le calendrier et le montant des apports des sponsors sont arrêtés de façon
définitive une fois que les cash flows opérationnels ont été correctement
modélisés.

Montants des apports des sponsors


Le montant des apports des sponsors dépend tout à la fois des risques inhérents
au projet et des conditions de marché. Un principe fondamental s’applique
cependant dans tous les cas : les cash flows opérationnels nets doivent être
supérieurs aux obligations de remboursement au titre du contrat de prêt
(principal et intérêts). Il est d’ailleurs toujours explicitement expliqué dans
le contrat de prêt que le rapport cash flows opérationnels/obligations de
remboursement doit être supérieur, sous peine de sanctions, à un montant

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Le financement de projet

prédéterminé. Ce point est l’une des obligations financières de la société


projet au titre du contrat de prêt que nous avons déjà rapidement évoqué
dans notre paragraphe sur les events of default et que nous verrons en détail
au chapitre 3 ci-­dessous (coverage ratios).
Le niveau de capital investi par les sponsors est donc le fruit d’une négociation
entre les prêteurs, qui veulent couvrir au maximum leurs échéances de rem-
boursement par les cash flows opérationnels, et les sponsors qui cherchent
à augmenter la rentabilité de leur investissement.

Forme juridique de l’apport des sponsors


On peut préciser ici que l’apport des sponsors se fait rarement en capital
uniquement. Il prend souvent, en partie au moins, la forme de prêt d’action-
naires. Un tel arrangement permet de s’affranchir des contraintes juridiques
qui pèsent sur la distribution de dividendes. En règle générale en effet – et
même si les modalités varient selon les pays – la distribution de dividendes
est décidée par l’assemblée générale des actionnaires sur la foi de comptes
certifiés. Elle ne peut donc avoir lieu qu’une fois par an.
Si l’apport se fait en partie sous forme de dette (apportée par les actionnaires
et subordonnée à la dette projet classique), il est plus facile de distribuer
des revenus aux actionnaires une fois que le projet a des cash flows positifs.
Il suffit de procéder au remboursement de cette dette ou de payer des intérêts
sans attendre de clôturer un exercice. Les sponsors peuvent ainsi par exemple
percevoir des revenus tous les trimestres.
Pour les banques, le fait que l’apport des sponsors puisse se faire partiellement
sous forme de dette ne change rien. Leur prêt est en effet un prêt senior par
rapport à cette dette, ce qui signifie qu’il est toujours remboursé en priorité,
que l’apport des sponsors soit sous forme de capital ou de prêt d’actionnaire.

Existe-­t‑il un rapport dette/capital idéal 1 ?


Toutes choses étant égales par ailleurs, plus un projet est risqué, plus l’apport
des sponsors doit être important. Il n’existe donc pas de rapport dette/capi-
tal idéal. Celui-­ci dépend de chaque type de projet. Le point de départ d’une
négociation entre sponsors et prêteurs sera donc souvent l’étude du rapport
dette/capital dans les transactions similaires mises en place récemment.

1. Dans ce paragraphe, nous entendons par capital l’apport des sponsors, qu’il soit effectivement fait sous forme
de dette subordonnée ou de capital.

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Aspects financiers

Comme nous l’avons expliqué, le rapport dette/capital peut être modifié à


la faveur d’événements nouveaux. La matérialisation d’un risque peut par
exemple obliger les sponsors à faire un apport en capital additionnel. Plus
généralement, en cas d’échec du projet, une restructuration de la transaction
modifie le rapport dette/capital pour adapter le passif du SPV à la nouvelle
situation. C’est par exemple ce qui s’est produit lors de la restructuration de
Disneyland Paris.

Ajustement par la maturité de la dette


La négociation entre sponsors et prêteurs ne porte pas uniquement sur la
quantité de dette. La maturité de celle-­ci est aussi un objet de négociation
important. Une dette très longue favorise les sponsors mais expose plus long-
temps les prêteurs aux risques du projet. À l’inverse, une dette qui s’amortit
rapidement diminue naturellement le rendement des sponsors car une part
importante de la trésorerie du projet est affectée, non au versement d’un
dividende mais au remboursement du prêt.
Pour trouver un compromis, il peut arriver que la dette projet ne soit pas
totalement amortissable mais soit en partie bullet. On dit alors que la dette
a un balloon. Ce balloon peut être de 30 % (ou 40 % ou autre) du notionnel du
prêt initial. Concrètement, cela signifie que 70 % (ou 60 % ou autre) de la dette
est remboursé pendant la durée de vie du prêt et que le solde est remboursé
à échéance. Dans la mesure où la société projet n’a pas le cash nécessaire
pour payer en une fois ce montant final, cela signifie que le projet doit être
refinancé avant l’échéance du prêt. Dans ce cas, le nouveau prêt permet de
rembourser la dette existante et de repousser l’échéance finale.
Ce profil de financement comporte cependant un risque supplémentaire
pour le sponsor dans la mesure où il est exposé à un risque de refinancement.
Il doit en effet espérer que le marché de la dette projet sera ouvert lorsqu’il
refinancera son prêt.
En outre, un financement avec balloon n’est possible que si les cash flows
de l’actif permettent réellement un refinancement du projet. Il faut en effet
que les prêteurs qui participent au refinancement soient assurés que les cash
flows du projet post financement initial puissent rembourser la dette qui sera
mise en place au refinancement. Il faut donc que la durée de vie du projet
soit supérieure à la maturité de la dette initiale.

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Le financement de projet

2.3. Les comptes de réserve


Il est fréquent qu’un financement de projet comporte ce qu’on appelle des
comptes de réserve. Ces comptes ont pour but de permettre au SPV de mettre
de côté une partie de sa trésorerie pour faire face à des échéances futures.
− Le compte de réserve de la dette (Debt Service Reserve Account ou DSRA
en anglais) est un compte que la société projet doit alimenter réguliè-
rement jusqu’à ce qu’un certain montant prédéterminé soit atteint. La
trésorerie de ce compte permet au SPV de faire face à des échéances du
prêt au cas où le projet ne génère pas suffisamment de cash flows. C’est
une réserve de trésorerie qui permet dans les faits d’éviter un défaut ou
une restructuration de la dette. C’est un élément de structuration utile
si les difficultés du projet sont uniquement transitoires.
− Le compte de réserve opérationnel (Major Maintenance Reserve Account
ou MMRA en anglais) oblige le SPV à mettre régulièrement de côté une
partie de sa trésorerie pour constituer une réserve qui sera utile pour
financer de larges dépenses futures (notamment de l’entretien lourd
que la société de projet ne peut pas financer par sa trésorerie courante).
Les comptes de réserve doivent être maintenus sur la durée du projet. Le SPV
doit y apporter une partie de ses revenus tant qu’une somme prédéterminée
n’est pas atteinte ou, si une partie des fonds a été utilisée, tant qu’elle n’a pas
été entièrement reconstituée. La balance maximale de ces comptes de réserve
est l’objet de négociations entre les parties.
Le montant du compte de réserve de dette est en général un multiple du
service mensuel de la dette du SPV. Cela permet de mesurer avec précision
combien de mois la société projet peut continuer à rembourser ses emprunts
si elle n’a plus de cash flows. Le montant du compte de réserve opérationnel
est lui fonction des besoins de maintenance de l’actif.

2.4. Le waterfall
La façon dont les cash flows opérationnels du projet sont partagés entre
prêteurs, sponsors et comptes de réserve prend le nom waterfall (cascade). Ce
terme illustre le fait qu’ils se déversent, de haut en bas, selon un agencement
précis.
Les détails du waterfall sont laissés à l’appréciation des parties. Ils s’organisent
autour des principes suivants :

124

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Aspects financiers

− priorité aux prêteurs : les prêts sont remboursés, en principal et en


intérêts, avant que les dividendes ne soient distribués aux sponsors ;
− priorités aux prêteurs seniors : si plusieurs prêts ont été accordés, les
prêts seniors sont remboursés en priorité par rapport aux prêts subor-
donnés. En conséquence, plus un prêt est subordonné, plus son coût
(taux d’intérêt) est élevé pour la société projet ;
− après remboursement des prêts, et avant distribution des dividendes,
une partie des revenus est affectée aux comptes de réserves.
Ce type de répartition permet de garantir un niveau de protection optimal
aux prêteurs. Ceux qui ont la rémunération la plus faible figurent en haut
du waterfall et ont priorité sur les autres apporteurs de fonds. Le tableau 2.6
illustre le waterfall possible d’un financement de projet.

Tableau 2.6 : waterfall dans un financement de projet

Waterfall illustratif possible pendant la phase d’exploitation

+ Cash flows opérationnels nets


– Intérêts sur le prêt senior
– Principal du prêt senior
– Intérêts sur le prêt subordonné (s’il y en a un)
– Principal du prêt subordonné (s’il y en a un)
= Cash flows disponibles pour les sponsors
– Provision pour réserve de dette
– Provision pour opération et maintenance1
– Dividendes (ou assimilés) pour les sponsors

3. Les Coverage Ratios


Comme nous l’avons évoqué plus tôt, les prêteurs dans un financement de
projet exigent que le SPV respecte tout au long de la transaction un certain
nombre de ratios financiers, dits ratios de couverture ou coverage ratios. Leur
non-­respect peut entraîner, selon les situations, une modification des taux

1. Il arrive parfois que l’obligation d’abonder les comptes de réserves ait lieu avant paiement des prêteurs juniors.

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Le financement de projet

d’intérêts applicables ou un cas de défaut (cf. paragraphe 3.2 du chapitre 2


de cette partie, consacrée au contrat de prêt).

3.1. Le Debt Service Coverage Ratio (DSCR)


Pour les prêteurs, il est impératif que les cash flows opérationnels nets d’un
projet soient supérieurs aux obligations de remboursement de la dette. Les
prêteurs demandent donc qu’un matelas de protection leur assure que le taux
de couverture de la dette par les cash flows opérationnels nets soit supérieur
à 1. Ce matelas doit figurer dans la documentation comme une obligation
à respecter par le SPV.
Le DSCR est le ratio qui mesure ce taux de couverture. Il se calcule comme
la somme annuelle des cash flows opérationnels nets divisés par la somme
annuelle des remboursements de la dette (incluant les intérêts), soit en termes
mathématiques :
DSCR = OCFt / (P + I)t
Avec OCF = Operating Cash Flows
P = Montant du remboursement en Principal
I = Montant du remboursement en Intérêts
Et t = une année donnée
Le DSCR exigé par les banques varie selon le type de transaction, principale-
ment entre plus de 2 pour un projet industriel et moins de 1,5 pour un PPP.
Il existe souvent plusieurs DSCR pour une même transaction :
(i) le niveau de DSCR tel qu’il ressort du modèle financier et qui corres-
pond au niveau de DSCR attendu en cas de fonctionnement normal
du projet ;
(ii) le niveau de DSCR à partir duquel les sponsors ne peuvent plus se
verser de dividendes ou rembourser leurs prêts d’actionnaires (lock up
DSCR) et ;
(iii) le niveau de DSCR sous lequel le SPV est en défaut (default DSCR).
Le principe du DSCR protège les prêteurs. Il permet effectivement que le
défaut du projet puisse avoir lieu alors que la société projet est toujours en
position de repayer sa dette. Cependant, les cash flows sont à ce moment tel-
lement justes que les prêteurs peuvent légitimement s’inquiéter. Avoir le droit
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Aspects financiers

de déclencher un défaut avant que le projet ne soit en banqueroute permet


aux banques d’être en position de force pour négocier un repositionnement
du projet, restructurer la dette ou exercer leurs droits sur les actions du SPV.

3.2. Le Loan Life Coverage Ratio (LLCR)


À l’inverse du DSCR qui est uniquement une mesure de la capacité du projet
à faire face aux échéances bancaires à un instant t, le LLCR donne une pers-
pective sur les capacités de remboursement futures du projet. Il mesure le
taux de couverture des cash flows futurs disponibles pendant la période de
financement par rapport à l’endettement total du SPV. Il se calcule de la
façon suivante :
LLCR = (∑ (OCFt /(1+i) t) + DR) / D
Avec OCF = Operating Cash Flows
i = le taux d’actualisation
DR = montant disponible dans le compte de réserve de dette
D = montant total de la dette
Et t = une année donnée
En somme, le LLCR additionne la valeur actualisée des cash flows opérationnels
nets futurs et la trésorerie disponible à un moment précis dans le compte de
réserve et les rapporte au montant dû aux prêteurs à ce même instant. Le LLCR
exigé par les banques varie selon le type de transaction, principalement entre
plus de 2,5 pour un projet industriel et moins de 1,5 pour un PPP.

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Lecture rapide

Lecture rapide
Financements de projets : qu’avons nous appris ?

y Le financement de projets est une technique financière qui permet le financement


d’une infrastructure publique ou industrielle (ferme éolienne ou solaire, autoroute,
etc.) au moyen d’une société créée dans l’unique but de permettre la construction
et l’exploitation de ladite infrastructure.
y Cette société ad hoc – aussi appelée société projet ou SPV – est constituée par
un actionnaire ou un ensemble d’actionnaires appelés sponsors. Ces sponsors
peuvent être des sociétés opérationnelles qui ont un intérêt économique à ce
que le projet aboutisse (entreprise de construction par exemple) ou des fonds
d’investissement spécialisés dans le financement d’infrastructures. On parle alors,
selon le cas, de sponsor industriel ou de sponsor financier.
y Le montant du financement qui n’est pas apporté par les sponsors est mis à
disposition par des prêteurs. Le recours de ces prêteurs est limité aux actifs du
SPV, ce qui signifie que cette dette est remboursée uniquement par les cash flows
générés par le projet. Les banques renoncent à tout recours sur les autres actifs
des sponsors et reçoivent en contrepartie un nantissement sur les actions du SPV.
y Cette technique permet à des prêteurs de financer des infrastructures par de la dette
long terme (20 ans), ce qui n’aurait pas été possible si le projet avait été financé sur
le bilan du sponsor directement. Pour les mêmes raisons, cette technique permet
aussi d’offrir un levier financier plus important qu’un prêt corporate classique.
y Pour l’industriel, un tel schéma permet d’isoler les risques spécifiques au projet
en dehors de son bilan.
y Pour limiter leurs risques, les prêteurs doivent mener une analyse détaillée du projet
(faisabilité technique, viabilité économique, etc.), s’assurer de l’existence de cash
flows récurrents sur le long terme (si possible au moyen d’un contrat d’achat)
et prévoir que ces flux financiers couvrent les obligations de remboursement de
la société projet.
y Pendant la phase de construction, le SPV utilise les apports des prêteurs et des
sponsors pour construire l’infrastructure. Une fois le projet achevé, les cash flows
du SPV qui ne sont pas affectés à l’exploitation de l’infrastructure sont distribués
prioritairement aux prêteurs (par ordre de séniorité, éventuellement) puis aux
actionnaires, selon un waterfall préétabli.

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Partie 3
Le financement d’actifs

Les financements d’actifs sont des opérations destinées à financer des actifs
mobiliers comme des navires, des avions ou des trains. Même si l’essor de
ces montages ne date que des années 1970 (et de la création des premières
sociétés de leasing d’avions comme ILFC et GPA), les premiers schémas de
financements d’actifs apparaissent au xviie siècle. À cette époque, les marchands
hollandais mettent en place des financements spécifiques pour construire des
navires afin de commercer avec l’Asie. Compte tenu du risque des expéditions
de l’époque, ces financements ressemblent davantage à des investissements
en capital-­risque qu’à des financements bancaires. Les financiers n’exigent
pas un remboursement avec intérêts mais offrent plutôt un apport en capi-
tal contre une part significative des profits que le navire permet de générer.
Dans les siècles suivants, la normalisation du commerce maritime change peu
à peu les structures de financement. On passe alors lentement d’un modèle
dans lequel le remboursement d’un prêt est directement lié à la vente d’une
cargaison à un modèle dans lequel des banquiers financent un armateur
tout en prenant une garantie sur le navire. En d’autres termes, on glisse
d’une logique de financement d’expédition à une logique de financement
de compagnie maritime.
Les financements d’actifs couvrent aujourd’hui une large famille de techniques
financières. Certaines d’entre elles sont les montages les plus simples que
nous verrons dans ce livre, d’autres – peut-­être – les plus complexes.

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Chapitre 1 Définition

1. Le champ des financements d’actifs

1.1. Les actifs


Dans la grande famille des montages structurés, le financement d’actifs (asset
finance) est sans doute la technique la moins connue. L’une des explications
possibles est le flou qui existe, en finance, autour du terme « actifs ». C’est
en effet un mot dont le sens est si vaste qu’il désigne à peu près tout, d’un
immeuble à un titre financier.
Au risque de décevoir notre lecteur, la définition du mot actif – en asset finance
– est à géométrie variable. Il nous faudra d’ailleurs presque la totalité de cette
partie pour en saisir le sens. On peut cependant préciser dès maintenant que
les actifs ont souvent les caractéristiques suivantes :
− ce sont des actifs physiques ;
− ce sont également des actifs mobiliers ;
− enfin, ce sont des actifs coûteux1.
Dans les faits, les techniques d’asset finance sont surtout utilisées pour finan-
cer l’achat d’avions, de navires ou de trains. Dans leur immense majorité, les
entreprises qui ont recours à ce type de structures sont donc des compagnies
aériennes, des armateurs ou des entreprises ferroviaires. On trouve parfois
également des groupes industriels qui utilisent des avions ou des navires dans
leur cycle d’exploitation. Ainsi, une banque pourra parfois financer un avion
pour DHL ou un supertanker pour une major du pétrole.
Certaines banques ont fait des financements d’actifs l’une de leurs spéciali-
tés. Les banques japonaises et françaises sont notamment très présentes sur
ce secteur. Certaines ont d’ailleurs en portefeuille un nombre d’avions très
supérieur à la flotte dont disposent les plus grandes compagnies aériennes.

1. Sans qu’il existe pour autant un montant minimal formellement établi, cela signifie que les financements
d’actifs concernent plutôt un montage à 100 millions d’euros que l’achat d’un photocopieur ou d’une machine
à eau – qui sont pourtant tous les deux des actifs physiques et mobiliers.

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Le financement d’actifs

1.2. Les montages


À la différence des techniques vues précédemment, les financements d’actifs
regroupent plusieurs types de schémas. Alors que nos études des LBOs et du
project finance tournaient dans les deux cas autour d’un seul montage, nous
étudierons ici trois structures différentes :
(i) prêt hypothécaire,
(ii) leasing financier (finance lease) et
(iii) location opérationnelle (operating lease).
Cette démarche nous amènera parfois un peu loin de la définition des finan-
cements structurés donnée en introduction, mais elle permettra au lecteur de
mieux comparer les vertus des montages simples et des schémas complexes.

2. Pourquoi des financements ad hoc


et non des prêts classiques ?

2.1. Rappel sur les financements traditionnels


Une fois délimité le champ des financements d’actifs, on peut légitimement
se demander pourquoi les banques mettent en place des montages spéci-
fiques lorsque leurs clients souhaitent financer des avions, des bateaux ou
des trains. Elles pourraient en effet, en théorie, accompagner leurs clients au
moyen de prêts bancaires classiques, structurés, soit de façon bilatérale entre
une banque et un client, soit sous forme de club, c’est-­à-­dire avec plusieurs
banques réunies dans un même financement.
L’octroi de tels prêts (dits prêts corporate) dépend uniquement de la situation
financière du client et de ses perspectives. Dès lors que l’analyse faite par
la banque montre que la société qui sollicite un emprunt est capable de le
rembourser, un financement peut lui être accordé. Le remboursement de
ce prêt ne dépend pas directement du succès des projets particuliers que le
client souhaite financer avec cet emprunt mais dépend uniquement de la
capacité de ce client à générer suffisamment de liquidités pour faire face à
ses engagements.

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Définition

Dans la mesure où ces outils sont connus de tous et relativement simples,


pourquoi donc chercher à mettre en place des schémas spécifiques de finan-
cements d’actifs ?

2.2. Des opérations de financement risquées : étude de cas Air Brazil


Plutôt qu’un long discours théorique sur le mérite sur les montages d’asset
finance, nous proposons au lecteur de mettre en lumière la pertinence des
schémas de financements d’actifs à travers un cas pratique. Nous l’invitons
à se mettre à la place d’un banquier qui doit analyser la demande de finan-
cement déposée par la compagnie imaginaire Air Brazil pour l’achat d’un
nouvel appareil.

Le dilemme du financement d’Air Brazil


Tout banquier avec de l’expérience (ou tout lecteur sensé), sait bien qu’avant
de regarder les états financiers d’un client, un prêteur doit d’abord se forger
une conviction sur la dynamique du secteur dans lequel opère la société qui
sollicite un prêt. Dans notre cas, cela veut dire qu’il faut détailler les risques
et les opportunités du transport aérien.
S’il fait bien son travail, notre banquier-­lecteur doit, à l’issue de cette première
phase d’analyse, arriver aux conclusions suivantes :
1. Le coût du projet est significatif. Selon le type d’appareil, le coût d’un
Airbus ou d’un Boeing neuf varie environ entre 50 et 250 millions de
dollars1. Pour une banque, quelle qu’elle soit, accepter de financer un
tel montant n’est pas une décision anodine.
2. Pour le client, le retour sur investissement est particulièrement long.
Ramené au coût de l’appareil, le chiffre d’affaires généré par chaque vol
est extrêmement faible. Si la banque a recours à un financement clas-
sique, disons sur 5 ans, la banque se retrouve alors à financer à moyen
terme un actif qui n’est rentable qu’à long terme. Cela signifie donc
que, pris isolément, les revenus générés par l’avion sont insuffisants
pour rembourser la dette. La compagnie doit alors trouver d’autres
sources de revenus pour faire face à ses engagements. Dans la mesure

1. Un lecteur attentif remarquera que les prix annoncés ici sont très inférieurs aux tarifs présentés officiellement
par les deux géants de l’aéronautique. Les prix communiqués au grand public sont des prix dits « catalogue »,
avant négociation, et ne sont bien évidemment pas ceux payés par les clients finaux.

133

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Le financement d’actifs

où la totalité – ou presque – des cash flows de la compagnie provient


de l’exploitation d’avions, c’est la quadrature du cercle si chaque avion
est financé de cette façon.
3. Du fait notamment du prix des appareils et du carburant, les coûts fixes
de l’industrie du transport aérien sont particulièrement importants.
Le point mort de la compagnie Air Brazil est donc nécessairement élevé.
Pour rappel, le point mort est le niveau d’activité (c’est-­à‑dire le chiffre
d’affaires) pour lequel l’ensemble des produits d’une entreprise couvre la
totalité de ses charges. À ce niveau d’activité, le résultat est nul. En clair,
cela veut dire qu’Air Brazil doit générer un chiffre d’affaires important
avant de pouvoir couvrir ses charges. Toutes choses étant égales par
ailleurs, c’est nécessairement un mauvais point pour un banquier.
4. Enfin, le transport aérien est une industrie très cyclique (au-­delà même de
la spectaculaire crise liée à la Covid-­19). Tout ralentissement économique
implique une baisse des revenus des compagnies aériennes, en général
d’ailleurs supérieure à la baisse d’activité générale. Ceci s’explique parce
qu’il s’agit d’un budget facile à contrôler, pour les ménages, comme
pour les entreprises qui font voyager leurs cadres.
Risques
Pour mesurer le risque que prend une banque lorsqu’elle finance un acteur
du secteur aérien, nous invitons le lecteur à songer à la longue liste des com-
pagnies disparues : PanAm, TWA, Sabena, Swissair, Air Liberté – pour ne citer
que les plus connues. Plus récemment, en 2019, une année pre-­Covid sans
crise majeure, pas moins de 27 compagnies aériennes ont fait défaut selon
KPMG. Parmi elles, Aigle Azur, Flybmi, Germania, Thomas Cook ou XL
Airways. Sur un ton amusé, Richard Branson, le fondateur de Virgin Atlantic,
a d’ailleurs dit un jour : « Si vous rêvez d’être millionnaire, commencez par
un milliard et lancez une compagnie aérienne. »
À cette longue liste, on peut ajouter les compagnies aériennes américaines
comme US Airways, United Airlines, Northwest Airlines, Delta Airlines ou
American Airlines qui se sont toutes placées à un moment ou un autre sous
la protection de la loi sur les faillites – le fameux Chapter 11 – le temps de res-
tructurer leur dette, de mettre de l’ordre dans leurs activités voire de fusionner
avec un concurrent. Pour rappel, aux États-­Unis, quand une entreprise n’est
plus en mesure de payer ses créanciers, elle peut déposer une demande pour
être placée par un juge fédéral sous la protection du chapitre 11 de la loi sur

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Définition

les faillites. Cette protection suspend automatiquement les remboursements


d’emprunts par le débiteur et permet de mettre en place un plan de restruc-
turation de la société, qui va souvent de pair avec un rééchelonnement de la
dette et des abandons de créances de la part des banques. Cette protection
une fois levée, l’entreprise reprend le cours normal de son activité. Si la res-
tructuration est impossible, l’entreprise est tout simplement liquidée : ses
actifs sont vendus pour essayer de rembourser les créanciers.

Opportunités
En continuant l’analyse du projet d’investissement d’Air Brazil, on peut
malgré tout souligner plusieurs éléments positifs. D’abord, même si c’est
une industrie compliquée, le secteur du transport aérien n’a pas été victime
de ruptures technologiques qui le condamnent au déclin. Rien à voir, par
exemple, avec la presse ou l’industrie du disque qui ont été bouleversés par
l’arrivée d’internet. D’ailleurs, le succès des compagnies low cost comme
Easyjet, Ryanair ou Southwest montre bien qu’on peut gagner de l’argent
dans le transport aérien. Une banque peut donc s’aventurer dans ce secteur.
Il faut sans doute mener une analyse de crédit plus poussée.
En creusant, on s’aperçoit que le transport aérien présente certaines spéci-
ficités positives :
− un avion de ligne est un actif standard. L’essentiel des flottes provient
de deux constructeurs uniquement1, ce qui renforce la valeur d’usage
de l’actif. En outre, c’est un actif qui n’a pas de substituts : les autres
moyens de transport (train, autobus, voiture) ne constituent pas des
alternatives crédibles, sauf pour des distances très courtes ;
− les avions sont des actifs dont la durée de vie est longue. Il est possible
d’utiliser un Airbus ou un Boeing pendant plus de 25 ans ;
− pour les deux raisons mentionnées ci-­dessus, les avions de ligne sont
des actifs pour lesquels il existe un réel marché secondaire. De nom-
breuses compagnies vendent leurs avions au bout de quelques années
si les standards ou les modèles ne correspondent plus à leur stratégie.
Des compagnies plus jeunes, à la recherche d’avions moins chers ou
qui ont un besoin immédiat (les listes d’attente chez Airbus et Boeing
sont parfois longues) peuvent de leur côté décider d’acheter des avions

1. Nous négligeons ici volontairement les constructeurs d’avions régionaux (Embraer, Bombardier, ATR) ou privés
(Cessna, Dassault Aviation) qui ne représentent qu’une faible part du marché en valeur et qui proposent des
avions qui ne concurrencent pas directement Airbus et Boeing.

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Le financement d’actifs

d’occasion. Ce marché est très structuré et il existe de nombreux inter-


médiaires spécialisés dans le trading d’avions. Il existe même des experts
spécialisés qui établissent de façon indépendante la valeur des avions
(appraisers).
Conclusion du cas Air Brazil
Au moment de devoir passer à une analyse des comptes d’Air Brazil, notre
banquier-­lecteur sera peut-­être un peu perplexe. Nous avons en effet identifié
tout à la fois des risques et des éléments positifs. Pour essayer d’y voir clair,
il convient sans doute de reprendre point par point les éléments de l’analyse.
Nos conclusions sont résumées dans le tableau 3.1.

Tableau 3.1 : risques et opportunités d’un financement d’actif

Risques Opportunités
Important financement requis Actif standardisé et sans substitut
Industrie avec des coûts fixes élevés Longue durée de vie de l’actif
Industrie cyclique Marché secondaire

Une lecture attentive du tableau permet de réaliser que les risques proviennent
de la nature du transport aérien et que les opportunités sont davantage liées
aux caractéristiques intrinsèques de l’actif. Avant même de devoir se pencher
sur les comptes d’Air Brazil, notre banquier-­lecteur en déduit donc que, s’il
veut un jour financer son client, il doit mettre en place un montage qui s’ap-
puie sur les opportunités mentionnées dans le tableau 3.1.

3. Les caractéristiques des financements d’actifs


Contrairement aux autres financements analysés dans ce livre, les finance-
ments d’actifs regroupent plusieurs types de montages : le prêt hypothécaire, le
crédit-­bail financier (finance lease) et la location opérationnelle (operating lease).
Avant d’expliquer ces trois structures en détail, nous proposons au lecteur
de souligner leurs points communs. Sans surprise, ces trois solutions sont
des montages qui permettent de profiter de la valeur et de la durée d’usage
des actifs financés.

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Définition

3.1. Des financements ad hoc


Pour limiter les risques de la banque, il faut d’abord d’envisager un finan-
cement ad hoc, c’est-­à‑dire un financement de l’actif lui-­même et non un
financement classique. En clair, il s’agit pour la banque de prendre une sûreté
spécifique sur l’appareil. Le principe n’est pas très éloigné de ce que fait une
banque lorsqu’elle accorde un prêt immobilier à un particulier et prend une
hypothèque. Cette solution peut donc sembler intuitive aux lecteurs néophytes
mais elle pourtant très différente de la plupart des prêts aux entreprises ou
des émissions obligataires.
Cette sûreté peut prendre différents aspects que nous verrons dans les pro-
chains chapitres. Quelle que soit sa forme juridique cependant, cette démarche
permet de limiter les risques pris par la banque. En cas de défaut de son client,
celle-­ci peut en effet exercer sa sûreté.
Bien qu’il soit différent d’un financement hypothécaire, le leasing procède
de la même philosophie ; c’est également une forme de financement ad hoc.
Le propriétaire de l’avion loue un bien précis et clairement identifié à son
client. En cela, c’est une solution de financement ciblée et spécifique. En cas
de non-­paiement des loyers, le loueur peut par ailleurs retirer l’actif à son
client. C’est, d’une certaine façon, une sanction similaire à celle d’une banque
qui exerce ses droits au titre d’une hypothèque et vend l’actif sur lequel elle
a une hypothèque pour rembourser son prêt.

3.2. Des financements longue durée


Du fait de la durée de vie exceptionnelle des actifs considérés, le financement
accordé (sous forme de prêt ou de leasing) peut être un financement de longue
durée, compris entre 10 ou 15 ans. Encore une fois, cela peut sembler en ligne
avec un prêt immobilier mais cela reste très long dans l’univers de la finance.
La durée des prêts traditionnels aux entreprises, dont nous avons parlé plus
haut, dépasse rarement plus de sept ou huit ans1.
Un lecteur sans grande expérience financière sera peut-­être surpris par la faible
durée des financements traditionnels. Il faut cependant garder à l’esprit qu’il
est tout simplement impossible d’avoir une idée précise du risque de crédit
d’une société sur longue durée. Financer sur dix ou quinze ans est donc une

1. Dans les faits c’est souvent moins, surtout pour les entreprises qui ne sont pas investment grade.

137

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Le financement d’actifs

exception et les banques ne le font que si elles disposent d’une sûreté ou d’une
garantie sur un actif de qualité.

3.3. Des financements corporates


Bien que les banquiers aient une sûreté sur l’actif ou que les loueurs louent
un avion précis, ces structures de financement restent généralement des
solutions de financement corporate, c’est-­à‑dire des financements accordés à
la société qui réalise l’investissement et non une structure adossée au cash
flows de l’actif financé. En d’autres termes, les remboursements du prêt
octroyé par la banque (ou le paiement des loyers du lease) ne sont pas liés à la
rentabilité particulière de l’avion financé mais au fait que l’entreprise cliente,
prise dans son ensemble, dégage les cash flows nécessaires pour faire face à
ses obligations.

3.4. Financement d’avion et financement maritime


Bien que nous ayons, jusqu’à présent, limité nos exemples aux financements
d’avions (aircraft finance), le lecteur ne doit pas croire que les montages évoqués
ci-­dessus concernent uniquement le transport aérien. Les banques les utilisent
en effet pour financer d’autres actifs, notamment les navires. Certaines banques,
plus particulièrement les banques allemandes, ont d’ailleurs développé une
véritable expertise dans ce secteur (shipping finance).

Le financement maritime
L’industrie du transport maritime présente à bien des égards des similitudes
avec le secteur aérien. Ainsi, si notre banquier-­lecteur avait été confronté à
l’armateur Brazil Shipping plutôt qu’à la compagnie Air Brazil, il aurait pu
avoir des conclusions relativement similaires. D’un point de vue financier, le
secteur du transport maritime est en effet également une industrie cyclique.
L’essentiel du commerce mondial transite par navires et tout ralentissement
économique se ressent donc sur les taux de fret et les revenus des armateurs.
De même, navires et avions ont également, pour un banquier, de nombreux
points communs. Dans les deux cas, il s’agit de biens :
− dont le prix est élevé et ;
− pour lesquels il existe – du fait de la durée de vie des actifs et de leur
standardisation – un marché secondaire.

138

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Définition

Bien évidemment, cette standardisation est moindre pour les navires. Il existe
plus de chantiers navals que de constructeurs d’avions, et plus de types de
bateaux que de types d’aéronefs (on trouve en effet des porte-­containers, des
vraquiers, des tankers, des gaziers, etc.). Néanmoins, l’importance grandis-
sante des normes environnementales ou de sécurité (navires double coque
– double hull – par exemple) et la généralisation de standards de taille fluidifient
grandement le marché secondaire1.
Pour toutes ces raisons, les banques appliquent aux financements maritimes
les mêmes principes qu’aux financements d’avions. Elles mettent en place
des structures ad hoc qui permettent de prendre une sûreté sur le navire et
d’offrir un financement longue durée.

Vers une définition plus précise des financements d’actifs


À ce stade, l’analogie entre transport maritime et aérien nous permet de
compléter la définition des financements d’actifs que nous avions donnée en
début de chapitre. Nous avions en effet exposé qu’il s’agissait de financer des
actifs physiques, mobiliers et coûteux. Comme le lecteur l’aura compris, l’actif en
question doit aussi avoir une réelle valeur d’usage et doit pouvoir être revendu
en cas de défaut de la contrepartie. De ce fait, les financements de navires et
d’avions constituent l’essentiel des montages de financements d’actifs.

1. Ces standards de taille proviennent en partie des contraintes portuaires (port en eaux profondes ou non par
exemple) mais également des limites imposées par la largeur des plus célèbres points de passage. Ainsi, on
appelle Suezmax ou Panamax les navires qui ont la taille maximale autorisée pour franchir, respectivement, le
canal de Suez ou celui de Panama.

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Chapitre 2 Prêt hypothécaire

Au-­delà des principes généraux évoqués dans le chapitre précédent, les tech-
niques de financement d’actifs couvrent une large famille de structures finan-
cières. Sans rentrer pour l’instant dans les montages les plus complexes (que
nous gardons pour le chapitre suivant), nous invitons le lecteur à découvrir
les bases du financement d’actifs : le prêt hypothécaire.

1. Montage

1.1. Schéma de financement


Un prêt hypothécaire est une solution de financement très simple. C’est d’ail-
leurs une option qui ne rentre pas totalement dans la définition des finan-
cements structurés donnée en introduction – qui, rappelons-­le, suggérait la
mise en place d’un SPV pour organiser un financement. Son étude constitue
cependant un passage obligé pour mieux comprendre les transactions les
plus complexes.
Pour illustrer ce schéma, on peut imaginer par exemple qu’Air France sou-
haite acquérir un Airbus A350-­900, soit un investissement de 150 millions de
dollars. Une banque finance 80 % de ce montant, soit 120 millions de dollars.
Le solde est apporté directement par Air France qui accorde en parallèle à la
banque une hypothèque sur l’avion. Le schéma 3.2 représente la structure
de financement mise en place. Les montants y figurent en dollars. Dans la
mesure en effet où le marché des avions d’occasion fonctionne dans cette
monnaie, c’est dans celle-­ci également que les banques préfèrent générale-
ment libeller leurs prêts.

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Le financement d’actifs

Schéma 3.2 : financement hypothécaire d’un A350-­900 pour Air France

Banque

Prêt de Hypothèque
$120m sur l’actif

$150m

Airbus Air France

A350-900

Cette structure est au final assez proche de ce que les banques utilisent pour
financer les achats immobiliers de leurs clients particuliers. La principale
différence est que, dans le monde du financement aéronautique, plusieurs
banques peuvent décider de travailler ensemble pour partager le risque dans
le cadre d’un club deal1.

1.2. Arrangement contractuel


Dans ce schéma, la banque signe un contrat de prêt avec la compagnie et
6
reçoit dans le même temps une hypothèque sur l’avion. Dans le cas où le
financement est accordé conjointement par un groupe de banques, chacune
d’entre elles obtient une part de l’hypothèque proportionnelle à sa partici-
pation dans le prêt.
Si Air France est en défaut et n’est pas en mesure de rembourser la dette, la
banque peut exercer son hypothèque et vendre l’avion. Si la vente de l’ac-
tif rapporte à la banque plus que le montant restant dû par Air France, le
surplus est rendu à la compagnie. Dans le cas contraire, la compagnie reste
redevable à la banque de la partie de la créance non couverte par la vente de
l’avion. La banque se retrouve, pour cette part, dans la même position que
les créanciers chirographaires, c’est-­à‑dire les créanciers qui ne bénéficient ni
de garanties ni de sûretés spécifiques (par exemple les banques ayant octroyé
des prêts corporate classiques à Air France).

1. Pour les lecteurs intéressés, nous détaillons les mécanismes de la syndication et des clubs deals dans l’annexe 2.

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Prêt hypothécaire

2. Durée et montant du prêt

2.1. Durée du financement


Comme indiqué dans le chapitre précédent, la longévité de l’actif permet aux
banques d’envisager un financement long terme, d’une durée généralement
comprise entre 8 et 15 ans. Le profil d’amortissement du prêt varie selon la
compagnie, les banques et les conditions de marché. Un prêt peut s’amortir
jusqu’à zéro ou exiger un remboursement final important. On parle alors
de prêt avec balloon, un type de prêt à mi-­chemin entre un prêt amortissable
classique et un prêt in fine dans lequel le capital est remboursé uniquement
à la fin. Si une banque fait un prêt de 80 millions de dollars sur 10 ans avec
un balloon de 20 millions, cela signifie que la compagnie rembourse 60 mil-
lions de dollars sur dix ans (plus intérêts) et qu’en année 10, elle effectue un
paiement final de 20 millions.
Plus le balloon final est élevé, plus le profil du prêt est favorable à la compa-
gnie. Cette dernière ne paie en effet que de faibles remboursements pendant
la durée du financement et peut, à l’issue du prêt, rembourser le balloon,
généralement en sollicitant un nouveau prêt auprès d’une nouvelle banque.

2.2. Loan to value

Définition
Lorsqu’elles accordent un prêt, les banques surveillent avec attention la loan
to value (LTV) du financement, c’est-­à‑dire le ratio qui rapporte le montant
de leur prêt (loan) à la valeur de marché de l’actif financé (value). Pour limiter
leurs risques, les banques prennent un matelas de sécurité et ne prêtent jamais
100 % de la valeur de l’actif. En général, et même si cela varie en fonction de
la compagnie, de la liquidité de l’appareil et des conditions de marchés, elles
financent entre 60 et 80 % du prix de l’actif.
Les banques surveillent la LTV d’un prêt pendant toute la durée du finance-
ment. Pour maintenir la qualité de sa sûreté, la banque doit en effet s’assurer
que la valeur de l’actif décline moins vite que son exposition. Autrement dit,
il faut que les remboursements du prêt soient supérieurs à la diminution
anticipée de la valeur de l’avion. Si c’est le cas, la banque a une sûreté dont
la valeur de marché reste supérieure à son engagement financier sur toute la
durée du financement.
143

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Le financement d’actifs

Les banques préfèrent en général les prêts qui s’amortissent totalement et


acceptent difficilement un balloon conséquent. La LTV d’un financement
d’actif a donc tendance à s’améliorer au fil du temps. Un simple calcul rapide
permet de le démontrer :
− Si une banque finance sur 10 ans, au moyen d’un prêt sans balloon,
80 % de la valeur d’un avion de 100 millions de dollars, cela signifie que
le client doit rembourser 80 millions sur 10 ans. En simplifiant, on
peut dire que l’exposition de la banque diminue de 8 millions par an1.
− En parallèle, si la durée de vie de l’avion est de 25 ans, cela signifie
que la valeur de l’actif devient nulle après 25 années, soit – toujours
en simplifiant – une perte de valeur de 4 millions par an2. En d’autres
termes, l’exposition de la banque diminue plus rapidement que le prix
de marché de l’avion (– 8 millions contre – 4 millions par an). C’est l’un
des miracles du financement d’actif : la LTV de la banque, donc son
risque, a paradoxalement tendance à s’améliorer avec le temps.
Illustration chiffrée
Pour illustrer ce propos de façon plus précise, le tableau 3.3 présente le calcul
de la LTV de la transaction suivante :
− valeur de l’avion : 100 millions de dollars (par simplification) ;
− montant du prêt : 80 % de la valeur de l’actif, soit 80 millions ;
− taux d’intérêt : 4 % pour la période ;
− durée du prêt : 10 ans sans balloon ;
− valeurs anticipées de l’avion : calculées sur la base de données fournies
par différentes sociétés d’évaluation (appraisers) pour un avion de type
Boeing 7773 et rapportées à la valeur de 100 millions de dollars ;
− LTV : calculée en rapportant le montant du prêt restant dû à la colonne
« valeur de marché anticipée de l’avion ».

1. On néglige ici les intérêts pour faciliter la démonstration.


2. On considère également que la dégradation de la valeur de marché de l’actif est linéaire, ce qui est une
approximation.
3. Données agrégées par l’auteur : l’évolution du prix de l’avion prend en compte une diminution de la valeur de
marché de l’avion de 7,5 % en année 1, de 6,5 % des années 2 à 4, de 6 % en années 5 et 6 puis de 5,5 % ensuite.
Bien sûr, personne n’est capable de déterminer les prix dans le futur et les estimations des appraisers ne font
pas exception. Elles sont cependant utiles car elles se fondent sur des données statistiques passées, calculées
sur un très grand nombre d’appareils. Même si ces chiffres ne sont qu’une approximation grossière, ils sont
relativement pertinents car la volatilité sur le marché secondaire des avions est plutôt faible.

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Prêt hypothécaire

Tableau 3.3 : calcul de la LTV pour un financement de 80 % d’un avion


d’une valeur de 100 millions de dollars

Valeur de
Paiement Paiement Échéance marché
Année Exposition LTV
du principal des intérêts totale anticipée de
l’avion
80 000 000 100 000 000 80 %
1 73 336 724 6 663 276 3 200 000 9 863 276 92 500 000 79 %
2 66 406 918 6 929 807 2 933 469 9 863 276 86 487 500 77 %
3 59 199 919 7 206 999 2 656 277 9 863 276 80 865 813 73 %
4 51 704 640 7 495 279 2 367 997 9 863 276 75 609 535 68 %
5 43 909 550 7 795 090 2 068 186 9 863 276 71 072 963 62 %
6 35 802 657 8 106 894 1 756 382 9 863 276 66 808 585 54 %
7 27 371 488 8 431 169 1 432 106 9 863 276 63 134 113 43 %
8 18 603 071 8 768 416 1 094 860 9 863 276 59 661 736 31 %
9 9 483 919 9 119 153 744 123 9 863 276 56 380 341 17 %
10 0 9 483 919 379 357 9 863 276 53 279 422 0%

On voit dans ce tableau que la LTV de la transaction s’améliore rapidement


au fil du temps. En fin de compte, les premières semaines d’un financement
aéronautique sont les plus risquées. La valeur d’un avion décroît fortement
le jour de sa livraison du simple fait que l’avion n’est plus neuf1. À cette date
en revanche, l’exposition de la banque est encore maximale. Théoriquement,
c’est le moment où la LTV est la plus élevée. Cette dernière peut même, en
attente du paiement de la première échéance du prêt, être légèrement supé-
rieure à 80 %. La situation s’améliore ensuite pour la banque dans la mesure
où la valeur de l’avion décroît de moins en moins rapidement alors que la
dette s’amortit à l’inverse de plus en plus vite. En effet, comme le montre le
tableau 3.3, en cas de remboursements constants (cas le plus fréquent), la part
des intérêts dans l’échéance du prêt est de plus en plus faible au fil du temps.
Dans le tableau, elle représente ainsi 3,2 millions en année 1 et uniquement
379 357 dollars en année 10.

1. Le phénomène est identique pour les voitures mais il est ici amplifié car un avion bénéficie toujours d’amé-
nagements propres à la compagnie qui le possède. Tout acheteur d’un avion sur le marché secondaire doit
donc modifier le plan de l’appareil, changer les sièges, les couleurs, etc. Ce surcoût implique donc une décote
supplémentaire.

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Le financement d’actifs

3. Analyse des risques

3.1. Les deux phases d’un financement d’actif


Une autre façon d’interpréter l’amélioration théorique de la LTV au cours du
temps est de considérer qu’il y a au final, en termes de risques, deux phases
distinctes au cours d’un financement d’actif.
1. Dans la première phase, la banque accepte un risque corporate. Cette
phase correspond aux premières années du financement, en général 3
ou 4 ans. Comme indiqué dans le tableau 3.3, la banque a encore à ce
moment une LTV relativement élevée, supérieure à 70 %. La banque est
donc exposée à une forte variation des prix sur le marché secondaire
des avions. Ces mouvements de prix peuvent avoir lieu pour différentes
raisons : surcapacité, ralentissement économique, événements rares de
type 11 septembre ou Covid-­19, etc. Pendant cette première phase, les
considérations autour de la valeur de l’actif sont presque secondaires.
L’avion est une sûreté uniquement. Le risque premier de la banque est
un risque de crédit sur la compagnie. En toute logique, ce risque est
maîtrisé car le prêteur n’a accordé un financement que parce qu’il était
à l’aise avec les états financiers et les perspectives de son client.
2. Le financement rentre cependant rapidement dans une seconde phase
bien différente. Qui peut prétendre en effet, avoir une vision certaine de
l’évolution d’une compagnie aérienne sur une durée de 10 ou 12 ans ?
Cette incertitude – qui grandit au fil du temps – est néanmoins com-
pensée par une LTV qui, à l’inverse, s’améliore constamment. Dans
cette seconde phase, on peut donc presque dire que la banque ne fait
pas un pari sur son client mais un pari sur le secteur aérien dans son
ensemble. Elle estime que la LTV sera tellement favorable que, même
en cas de défaut de son client, la vente de l’actif sur le marché secon-
daire pourra lui permettre de rembourser le solde de son prêt. Dans le
tableau 3.3 par exemple, en année 7, la valeur anticipée de l’avion est
de 63,1 millions de dollars. Même si le marché est déprimé, la banque
ne subit pas de perte tant que l’avion n’est pas vendu pour moins de
27,3 millions de dollars.

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Prêt hypothécaire

3.2. Situations particulières


La LTV est un thermomètre que les banquiers regardent dans tous les
financements d’actifs. Dans certaines transactions, il est même prévu que la
LTV soit calculée chaque année en référence à une valeur fixée par un expert
indépendant. C’est notamment parfois le cas dans le secteur du shipping : le
marché secondaire des navires de commerce est en effet très cyclique (bien
plus que celui des avions).
Dans certains financements de navires, lorsque le calcul de la LTV montre
que, suite à une forte diminution de la valeur de marché du bateau, la LTV se
retrouve au-­delà d’une limite fixée dans la convention de prêt (souvent 80 %),
il peut être demandé au propriétaire de l’actif de rembourser par anticipation
une partie du financement pour rétablir la LTV à un niveau acceptable.

3.3. Un effet de levier colossal


Au final, la force d’un prêt hypothécaire est d’offrir un effet de levier impor-
tant aux sociétés qui l’utilisent. Dans notre exemple d’A350-­900 pour Air
France, financer 80 % de la valeur d’un avion signifie, que sur cet actif précis,
la société possède un ratio endettement sur fonds propres (gearing) de 4/1.
C’est un ratio exceptionnel compte tenu de la cyclicité du transport aérien
et de l’intensité capitalistique requise.

4. Amélioration du bilan réglementaire de la banque


Paradoxalement, si la mise en place systématique de prêts hypothécaires
permet aux compagnies aériennes de bénéficier en moyenne d’un niveau
d’endettement supérieur aux entreprises des autres secteurs, la mise en
place d’un financement ad hoc permet également d’optimiser le bilan de la
banque. En effet, l’obtention d’une garantie permet de diminuer les RWAs
d’un financement, selon le principe vu en introduction.

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Le financement d’actifs

4.1. Les banques optimisent l’utilisation de leurs fonds propres


Si une banque finance une compagnie aérienne notée BBB par un prêt clas-
sique sans sûreté ni garantie pour un montant de 100 millions de dollars, les
régulateurs1, en se fondant sur les dispositions des accords de Bâle, vont exiger
que cette somme soit prise en compte pour 100 % dans le bilan réglementaire
de la banque. En somme, la valeur des RWAs correspondants à cet engagement
sera de 100 millions de dollars. Selon la réglementation en vigueur, la banque
doit alors financer cette somme par au moins 8 millions de dollars de fonds
propres (8 % du total). Si, en revanche, la banque possède une hypothèque
sur l’avion, le montant des RWAs diminue fortement ( pour atteindre, selon
les accords de Bâle, environ 30 % de la créance, soit 30 millions de dollars2).
Dans ce cas, le montant minimal de fonds propres que la banque doit allouer
à la transaction est de 2,4 millions de dollars uniquement (8 % × 30).
Cette différence entre 100 % et 30 % peut surprendre le lecteur mais elle est
somme toute assez logique. Les accords de Bâle ont en effet pour objectif de
limiter le risque de défaut des banques et de promouvoir la stabilité financière
mondiale. Les rédacteurs des accords considèrent donc à juste titre qu’il est
moins risqué pour une banque de prêter à une contrepartie si elle obtient
une hypothèque. En effet, si la société à laquelle la banque a prêté fait défaut,
cette dernière peut exercer sa sûreté et limiter sa perte.

4.2. Augmentation de la rentabilité des capitaux propres


Du fait de ce principe, la banque immobilise moins de fonds propres pour
un financement ad hoc que pour un financement corporate sans garantie
ou hypothèque. Dit autrement, cela veut dire que l’effet de levier auquel
la banque a recours pour un financement d’actif peut être plus important
que pour une opération classique. Dans le premier cas, la banque utilise,
pour financer son client, 8 millions de fonds propres et 92 millions d’autres
passifs (dépôts de clients, emprunts interbancaires, etc.). Dans la deuxième
situation, la banque n’utilise que 2,4 millions de dollars de fonds propres :
elle peut donc s’endetter à hauteur de 97,6 millions.

1. Par régulateurs, nous entendons ici la banque centrale et l’autorité de contrôle bancaire du pays dans lequel
la banque est située.
2. Comme évoqué dans l’introduction, le chiffre de 100 % peut se retrouver facilement avec une lecture attentive
des accords de Bâle. Le chiffre de 30 % est en revanche une approximation car il est, dans les faits, fixé de façon
bien plus complexe et dépend de la politique interne de contrôle de la banque. En clair, ce chiffre peut varier
d’un établissement à l’autre.

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Prêt hypothécaire

Cela n’a l’air de rien, mais cela signifie, qu’à fonds propres constants, une
banque augmente sa capacité à prêter et donc à générer des profits si elle
prend des hypothèques sur les biens de ses clients. Si par exemple la banque
n’a que 8 millions de fonds propres, elle ne peut prêter que 100 millions si
elle ne fait que des prêts corporates simples mais peut prêter 333,33 millions
si elle prend des hypothèques de façon systématique (8/2,4 × 100). Toutes
choses étant égales par ailleurs, pour un même montant de fonds propres, la
banque perçoit donc, avec la deuxième option, des profits 3,33 fois supérieurs.
En d’autres termes, le recours à des financements avec hypothèque permet à
une banque d’obtenir un meilleur retour sur capital (Return on Equity, RoE)
qu’une banque qui ne ferait que des prêts sans sûretés ni garanties.

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Chapitre 3 Crédit-­bail et location

Lorsqu’un client souhaite financer un actif, il peut, en alternative à un prêt


hypothécaire, préférer une solution locative. Un tel choix peut alors l’en-
traîner vers des options de location long terme avec option d’achat, dites
de crédit-­bail (ou leasing) financier, ou des transactions de location simple
(leasing opérationnel).

1. Le crédit-­bail financier
Un crédit-­bail financier (finance lease) est une location longue durée dans
laquelle le locataire (i) conserve la propriété économique du bien et (ii) dispose
d’une option d’achat attractive à l’issue de la période de location. C’est une
technique de financement très souvent utilisée en asset finance.

1.1. Arrangement contractuel et financier


Dans une telle transaction, la banque ne finance pas directement la compagnie.
Elle crée un SPV dont l’unique objet est d’acquérir un actif et de le donner
en location à un client. À titre d’exemple, on retrouve dans le schéma 3.4, le
cas du financement d’un A350-­900 par Air France, mais cette fois au moyen
d’un crédit-­bail financier. Le SPV est créé avec un capital minimum (soit de
1 à 1000 dollars).

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Financement d’actif – schéma 3.4

Le financement d’actifs

Schéma 3.4 : crédit-­bail financier d’un A350-­900 pour Air France

Banque

Prêt
Capital
de$120m

$150m
Airbus SPV
A350

Crédit-bail Dépôt de
Loyers
financier $30m

Air France

Dans ce schéma, c’est le SPV qui achète l’avion auprès d’Airbus et le donne en
location à Air France. Le financement du SPV est assuré par la banque à hau-
teur de 80 % sous la forme d’un prêt de 120 millions de dollars. Le solde, soit
20 % (30 millions de dollars) est apporté directement par la compagnie sous
la forme d’un dépôt rémunéré qui fait office de dette junior. Alternativement,
ce dépôt peut prendre une autre forme juridique, par exemple, une avance
7
sur loyers pour l’utilisation du bien. Le libellé de cet apport importe peu et
dépend surtout des contraintes juridiques qui existent dans le pays concerné.
L’essentiel est de permettre au client de participer au financement de son
actif pour limiter la LTV de la banque.

Les loyers
Dans un crédit-­bail financier, les loyers payés par la compagnie (le locataire
ou le lessee) au SPV (le loueur ou le lessor) pour l’utilisation de l’actif sont
strictement égaux aux remboursements que le SPV doit à la banque au titre
du prêt (plus éventuellement ce que doit le SPV à la compagnie au titre de
remboursement du dépôt). Le montant des loyers fixé dans le contrat de
location fait d’ailleurs explicitement référence à un taux d’intérêt, là aussi
calculé comme la somme d’un taux LIBOR (ou EURIBOR, etc.) et d’une
marge. Ces données sont bien évidemment les mêmes que celles utilisées pour

152

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Crédit-­bail et location

calibrer l’emprunt du SPV. Ainsi, la société ad hoc n’est qu’une coquille de


financement dont la position en termes de trésorerie est nulle.
Pour la compagnie aérienne, un crédit-­bail financier est donc très proche
d’un montage avec hypothèque sur actif. Au lieu de rembourser directement
un prêt, elle paye des loyers qui permettent au SPV de rembourser son prêt.
La partie du loyer qui concerne le remboursement du dépôt est neutre, car
ce que doit la compagnie en tant que locataire au SPV est strictement égal
à ce que doit le SPV à la compagnie en tant que financeur du dépôt. Dans
les faits, ces paiements sont d’ailleurs souvent compensés et n’existent que
comptablement.

À l’issue du crédit-­bail
Le prêt octroyé au SPV s’amortit généralement presque intégralement sur
la durée de la transaction (souvent entre 8 et 15 ans, comme pour un prêt
hypothécaire). Le balloon final est extrêmement faible, de l’ordre de 1 000 dol-
lars environ, et correspond à la valeur de l’option d’achat que le SPV offre à
la compagnie à l’issue de la période locative. Cette option est dans les faits
toujours exercée car même dans l’hypothèse où la compagnie ne souhaiterait
pas garder l’avion, elle peut l’acheter puis le revendre pour un prix largement
supérieur sur le marché secondaire.

1.2. Propriété de l’actif


S’il semble simple a priori, le concept de propriété de l’actif doit être analysé
sous trois angles différents : juridique, économique et fiscal.

Propriété juridique
Comparé à un prêt hypothécaire, le leasing financier offre une sécurité
juridique supérieure à la banque. L’établissement de crédit est en effet (au
travers du SPV qu’il contrôle) le propriétaire juridique de l’avion. En cas de
défaut de la compagnie1, le SPV peut récupérer l’actif et cesser de le mettre à
la disposition du locataire.
Quel que soit le droit applicable aux contrats, il est en général plus facile de
faire valoir un droit de propriété qu’une hypothèque. Cette différence semble
théorique mais elle a dans les faits une importance réelle. Il faut en effet avoir
à l’esprit que l’avion qui a fait l’objet d’un financement peut être n’importe où
1. Cette fois-­ci en tant que locataire au titre du contrat de crédit-­bail et non en tant qu’emprunteur au titre de
la convention de prêt.

153

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Le financement d’actifs

au moment du défaut éventuel de la compagnie. En cas de litige, c’est donc


un juge du pays où l’avion est situé qui devra se prononcer sur les droits de
chacun. Une banque peut alors par exemple être amenée à devoir faire valoir
ses droits au titre d’un contrat rédigé en droit anglais devant un juge japonais
ne parlant pas un mot d’anglais et sans expérience de la Common Law. Dans
ces cas-­là, il est plus facile de démontrer l’existence d’un lien de propriété que
la présence d’une hypothèque1.

Propriété économique
Bien que le SPV possède l’actif, il n’en assume pas pour autant la gestion quo-
tidienne. Celle-­ci est déléguée à la compagnie à travers le contrat de crédit-­bail
qui prévoit que le locataire choisit l’équipage, les spécificités de l’avion et les
affectations de l’appareil. Il doit en plus assurer la maintenance et prendre
en charge les réparations et tous les frais habituellement à la charge du pro-
priétaire. L’avion loué en crédit-­bail fait intégralement partie de la flotte de
la compagnie et rien ne le distingue des autres appareils. On dit alors que le
SPV laisse au locataire la propriété économique de l’actif.
Vis-­à‑vis des tiers, la compagnie assume également le rôle de propriétaire.
Elle reconnaît, dans le contrat de location, que le SPV n’est le propriétaire
juridique de l’avion que pour les raisons du montage financier et s’engage
en conséquence à assumer l’entière responsabilité de la propriété et de la
gestion de l’actif. Elle couvre ainsi notamment le SPV et la banque contre
tout recours juridique de tiers. Ces dispositions contractuelles, qui mettent
la banque et le SPV à l’abri des tracas opérationnels, sont particulièrement
utiles dans le cadre de financement de navires : en cas de pollution ou de perte
de marchandise par exemple, ni la responsabilité du SPV ni celle la banque
ne peuvent être engagées.

Propriété fiscale
D’un point de vue fiscal, et même si cela peut varier selon les pays, c’est en
général le propriétaire juridique de l’actif qui amortit l’appareil. Il bénéficie
alors des réductions d’impôts générées par cette charge. Un crédit-­bail finan-
cier permet en conséquence de transférer l’avantage fiscal lié à la propriété
de l’actif de la compagnie aérienne vers le SPV.

1. Afin de faciliter des éventuelles démarches juridiques en cas de faillite ou de litiges, une plaque située à gauche
dans la cabine de pilotage indique toujours l’identité du propriétaire juridique de l’avion. De nombreux pays
ont également signé une convention internationale, la Convention du Cap, pour faciliter la reconnaissance
des droits des créanciers et des loueurs dans des opérations de financement d’actifs.

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Crédit-­bail et location

1.3. Intégration fiscale de la société ad hoc

Définition
Dans la mesure où le SPV appartient à 100 % à la banque, celle-­ci peut déci-
der d’intégrer fiscalement le SPV. Cela signifie que la banque et le SPV, bien
qu’étant des entités juridiques distinctes, peuvent choisir de déposer une
déclaration fiscale commune, qui additionne les résultats fiscaux des deux
sociétés. C’est exactement le même principe que celui qu’on trouve dans le
levier fiscal du LBO. Dans un cas, on fusionne le résultat fiscal de la cible
et de la HoldCo pour bénéficier de la déductibilité des intérêts de la dette
d’acquisition au niveau de la holding de reprise, dans l’autre, on ajoute le
résultat fiscal du SPV à celui de la banque pour que celle-­ci puisse profiter
de l’amortissement de l’actif.

Résultat fiscal du SPV


Comme évoqué plus haut, dans ce type de transaction, la position du SPV
en termes de cash flows est nulle. Les loyers payés par le locataire sont en
effet strictement égaux aux échéances du prêt souscrit par la société ad hoc.
Fiscalement cependant, la position du SPV est plus subtile et nécessite un
calcul.
Le résultat fiscal du SPV se décompose de la façon suivante :
+ Loyers
– Intérêts (sur le prêt et le dépôt)
– Amortissement de l’actif
= Résultat Fiscal du SPV
Si la durée d’amortissement de l’actif n’est pas supérieure à la durée de la
location, alors la somme totale des loyers sur la durée du crédit-­bail est égale
à [Intérêts + Amortissement]. C’est le cas parce que (i) la valeur de l’actif (donc
le montant des amortissements) est égale à la somme du prêt et du dépôt et
que (ii) les loyers couvrent intégralement le remboursement du prêt et du
dépôt. En conséquence, le résultat fiscal du SPV est égal à 0 sur le long terme.
Cependant, si l’équation [Loyers – Intérêts – Amortissements = 0] est vraie
sur la durée de location, elle n’est pas nécessairement vraie chaque année.
Si la durée de location est par exemple de 12 ans alors que la durée d’amor-
tissement de l’actif est de 8 ans, le résultat fiscal du SPV sera très fortement

155

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Le financement d’actifs

négatif les huit premières années puis positif les quatre années suivantes. En
d’autres termes, la banque qui forme un groupe fiscal avec le SPV diminue sa
charge fiscale sur huit ans et paie plus d’impôts les quatre années suivantes.
Bien que le montant des économies d’impôts pendant huit ans soit égal au
montant de l’impôt payé ensuite, cela représente un véritable avantage pour
la banque compte tenu de la valeur temps de l’argent, un concept vu au cha-
pitre 3 de la partie 1.
Compte tenu de cette valeur des flux fiscaux, la banque est même prête à
investir un certain montant de capital dans le SPV pour bénéficier de cet
avantage fiscal. Ce montant vient réduire le montant du dépôt et donc le coût
de l’actif pour la compagnie aérienne. C’est d’ailleurs l’unique raison pour
laquelle les compagnies aériennes entrent dans des opérations de crédit-­bail.
Pour illustrer ce propos, prenons un exemple de crédit-­bail pour une com-
pagnie aérienne avec les hypothèses suivantes :
− coût de l’actif : 100 m $ ;
− prêt bancaire : 80 m $ ;
− dépôt de la compagnie aérienne : 18 m $ ;
− investissement en capital par la banque dans le SPV : 2 m $ ;
− taux d’intérêt (sur le prêt et le dépôt) : 5,5 % ;
− durée du crédit-­bail : 12 ans ;
− durée d’amortissement de l’actif : 8 ans ;
− taux d’actualisation : 5,5 % ;
− taux d’impôt sur les sociétés : 30 %.
En intégrant ces hypothèses à un fichier de calcul (tableaux 3.5 et 3.6), on
constate que la banque dégage un gain fiscal actualisé de 1.2 m $ en partici-
pant à cette transaction.

156

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Financement d’actif – tableau 3.5
Modifié
Crédit-­bail et location

Tableau 3.5 : calcul des loyers d’un crédit-­bail

Prêt Dépôt Loyers


(a) (b) (c) (d) (e) (f) (c)+(f)=(g)
Montant Rembourse Service de la Montant du Rembourse Service de la Total loyers
Intérêts Intérêts
nominal du prêt ment dette (SD1) dépôt ment dette (SD2) (SD1+2)
Start date 80 000 000 18 000 000
Année 1 75 117 662 4 400 000 4 882 338 9 282 338 16 901 474 990 000 1 098 526 2 088 526 11 370 865
Année 2 69 966 794 4 131 471 5 150 867 9 282 338 15 742 529 929 581 1 158 945 2 088 526 11 370 865
Année 3 64 532 630 3 848 174 5 434 165 9 282 338 14 519 842 865 839 1 222 687 2 088 526 11 370 865
Année 4 58 799 586 3 549 295 5 733 044 9 282 338 13 229 907 798 591 1 289 935 2 088 526 11 370 865
Année 5 52 751 224 3 233 977 6 048 361 9 282 338 11 869 025 727 645 1 360 881 2 088 526 11 370 865
Année 6 46 370 203 2 901 317 6 381 021 9 282 338 10 433 296 652 796 1 435 730 2 088 526 11 370 865
Année 7 39 638 226 2 550 361 6 731 977 9 282 338 8 918 601 573 831 1 514 695 2 088 526 11 370 865
Année 8 32 535 990 2 180 102 7 102 236 9 282 338 7 320 598 490 523 1 598 003 2 088 526 11 370 865
Année 9 25 043 131 1 789 479 7 492 859 9 282 338 5 634 704 402 633 1 685 893 2 088 526 11 370 865
Année 10 17 138 165 1 377 372 7 904 966 9 282 338 3 856 087 309 909 1 778 617 2 088 526 11 370 865
Année 11 8 798 425 942 599 8 339 739 9 282 338 1 979 646 212 085 1 876 441 2 088 526 11 370 865
Année 12 0 483 913 8 798 425 9 282 338 0 108 881 1 979 646 2 088 526 11 370 865
Financement d’actif – tableau 3.6
Modifié
Total 80 000 000 111 388 062 18 000 000 25 062 314 136 450 376

Tableau 3.6 : calcul de l’avantage fiscal dans un crédit-­bail

Fiscalité Investissement fiscal


(h) 8
(g)-(a)-(d)-(h)=(i) 30%*(i)
Amortissement de
Résultat fiscal Impôt Investissement Flux actualisés
l'actif
Start date 2 000 000 -2 000 000
Année 1 12 500 000 -6 519 135 1 955 741 1 853 783
Année 2 12 500 000 -6 190 188 1 857 056 1 668 477
Année 3 12 500 000 -5 843 148 1 752 944 1 492 831
Année 4 12 500 000 -5 477 021 1 643 106 1 326 343
Année 5 12 500 000 -5 090 757 1 527 227 1 168 534
Année 6 12 500 000 -4 683 249 1 404 975 1 018 952
Année 7 12 500 000 -4 253 328 1 275 998 877 168
Année 8 12 500 000 -3 799 761 1 139 928 742 776
Année 9 9 178 752 -2 753 626 -1 700 720
Année 10 9 683 584 -2 905 075 -1 700 720
Année 11 10 216 181 -3 064 854 -1 700 720
Année 12 10 778 071 -3 233 421 -1 794 259

Total 100 000 000 -2 000 000 600 000 2 000 000 1 252 445

1.4. Le crédit-­bail fiscal (tax lease)

Principe
Le principe d’un schéma comme celui-­ci repose sur le décalage entre la durée
de l’amortissement de l’actif et la durée de remboursement du prêt. Ce déca-
lage a une valeur et les banques sont donc prêtes à payer pour en bénéficier.
Le montant mis en capital dans la société ad hoc par les banques est donc
en quelque sorte une somme investie à perte : les banques n’attendent pas de
dividendes de leur investissement dans le SPV mais souhaitent simplement

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Le financement d’actifs

bénéficier d’économies fiscales (supérieures, évidemment, à leur investisse-


ment initial). On dit alors que la banque joue le rôle d’un investisseur fiscal
(tax investor).
Du côté de la compagnie aérienne, le montant investi en capital par la
banque dans le but de bénéficier d’économies d’impôts correspond à une
réduction du coût total de l’investissement. En effet, dans la mesure où la
banque n’attend pas de retour sous forme de dividendes mais uniquement
au travers des réductions d’impôts, cette somme de 2 m $ est acquise par la
compagnie aérienne.

Arbitrage fiscal du client


Si ce schéma paraît a priori très attractif pour la compagnie aérienne, un lecteur
attentif ne manquera pas de remarquer que dans la mesure où c’est le SPV
qui amortit fiscalement l’actif, la compagnie aérienne ne bénéficie plus des
avantages fiscaux liés à cet amortissement (alors qu’elle en bénéficiait dans
la transaction de prêt hypothécaire). Dans un sens, on peut en fait affirmer
que, dans un crédit-­bail de ce type, la compagnie aérienne réalise un arbitrage
entre la valeur future qu’elle peut attendre des économies fiscales dégagées
par l’amortissement de l’actif et la réduction du coût de l’investissement dont
elle bénéficie immédiatement.
Comparons l’impact fiscal des deux scénarios (prêt hypothécaire ou crédit-­
bail) pour la compagnie aérienne :
Si la compagnie aérienne finance l’actif via un prêt hypothécaire, son résultat
fiscal sera le suivant :
– Intérêts sur le prêt sur 12 ans
– Amortissement de l’actif sur 8 ans
= Résultat Fiscal
Si la compagnie aérienne finance l’actif via crédit-­bail financier, son résultat
fiscal sera le suivant :
– Loyers sur 12 ans
+ Intérêts perçus sur le dépôt pendant 12 ans
= Résultat Fiscal

158

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Crédit-­bail et location

Dans la mesure où les loyers correspondent à la valeur de la dette (c’est-­à-­dire


98 m $) et des intérêts, ce résultat fiscal peut aussi s’écrire :
– Partie des loyers qui rembourse le principal du prêt (12 ans)
– Partie des loyers qui rembourse le principal du dépôt (12 ans)
– Partie des loyers qui couvre les intérêts du prêt (12 ans)
– Partie des loyers qui couvre les intérêts du dépôt (12 ans)
+ Intérêts perçus sur le dépôt pendant 12 ans
= Résultat Fiscal
Ou encore :
– Partie des loyers qui rembourse le principal du prêt (12 ans)
– Partie des loyers qui rembourse le principal du dépôt (12 ans)
– Partie des loyers qui couvre les intérêts du prêt (12 ans)
= Résultat Fiscal
En somme, si l’on compare cette équation avec le résultat fiscal d’une com-
pagnie aérienne qui aurait choisi un prêt hypothécaire, la différence est
que dans le cas d’un prêt hypothécaire, la compagnie amortit fiscalement
100 m $ sur 8 ans, alors qu’elle ne déduit que 98 m $ sur 12 ans si elle choisit
le crédit-­bail (soit la somme des loyers qui remboursent le principal du prêt
et du dépôt). Synthétiquement, dans ce crédit-­bail, la compagnie aérienne
reçoit donc immédiatement 2 m $ pour abandonner un avantage fiscal futur
(il est en effet plus avantageux fiscalement d’amortir 100 m $ sur 8 ans que
de déduire 98 m $ sur 12 ans).
Une autre façon de formuler cette idée est de dire que la compagnie aérienne
monétise des avantages fiscaux futurs en les cédant à un tiers. En somme,
pour une compagnie aérienne, monétiser des économies d’impôts répond
à une véritable stratégie financière. On appelle crédit-­bail fiscal (tax lease)
tout schéma de financement qui permet cette monétisation immédiate des
amortissements futurs.

Vers une définition plus précise des financements d’actifs


Bien évidemment, le champ du tax lease n’est pas limité au transport aérien
(ou maritime). D’une certaine façon, dès lors qu’un actif peut s’amortir fis-
calement sur une période inférieure à la période de location potentielle, il

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Le financement d’actifs

existe la possibilité de mettre en place un crédit-­bail fiscal. Cette affirmation


invite à compléter la définition du champ des financements d’actifs donnée
au début de ce chapitre puis complétée après l’étude de cas Air Brazil :
Les financements d’actifs sont une famille de montages financiers utilisés pour
financer les actifs physiques, mobiliers et coûteux, plus particulièrement ceux qui
ont une réelle valeur de marché et/ou pour lesquels la durée d’amortissement est
sensiblement inférieure à la durée d’usage réelle.
Au final, même si, comme nous l’avons dit, ce sont les avions ou les navires
qui font l’objet de la plupart des financements d’actifs, on peut cependant
trouver au cas par cas des transactions effectuées pour des actifs sans réelle
valeur de marché (équipements industriels divers) si le risque de crédit de
l’emprunteur est bon et s’il existe la possibilité de structurer une transaction
fiscale.

Investisseurs fiscaux
Comme évoqué plus haut, le concept de crédit-­bail financier met en évidence
l’existence d’investissements réalisés dans une optique purement fiscale.
L’investisseur participe au capital du SPV, non parce qu’il espère un dividende
ou un coupon mais parce qu’il anticipe des réductions d’impôts.
Cet investisseur fiscal (tax investor), que nous avons pour l’instant assimilé à
la banque peut être, dans les faits, n’importe quelle société désireuse d’op-
timiser sa position fiscale. Certaines banques ont d’ailleurs développé une
expertise dans la syndication d’investissements fiscaux (dits investissements
en tax equity ou equity fiscale). Les investisseurs visés sont des sociétés qui ont
idéalement une grande visibilité sur leurs résultats fiscaux car le schéma ne
prend évidemment tout son sens que si l’investisseur anticipe, sur la durée
de vie d’amortissement de l’actif, des résultats fiscaux positifs sur lesquels il
pourra venir imputer les pertes fiscales générées par le montage.
Bien évidemment, la documentation juridique d’une telle transaction prévoit
clairement que l’investisseur fiscal est tenu à l’écart de la gestion opération-
nelle de l’actif. Cet investisseur est indemnisé par la compagnie aérienne (ou
toute autre société qui a recours au montage pour financer ses équipements)
si l’investissement venait à avoir des conséquences d’ordre matériel. Le risque
de l’investisseur se limite donc à un risque fiscal uniquement.

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Crédit-­bail et location

Tax leases et financements structurés


Comme le lecteur l’aura noté, on retrouve, avec ce schéma de crédit-­bail fiscal,
la structure de base des financements structurés évoquée en introduction.
On a en effet un SPV, financé par capital et dette (avec un fort effet de levier),
qui acquiert un actif pour offrir du rendement à des investisseurs.
Bien évidemment, dans ce cas, la structure présente plusieurs spécificités.
D’abord, le rendement des actionnaires est composé de flux fiscaux et non
de dividendes. Ensuite, ce ne sont pas les cash flows de l’actif mais ceux de
la compagnie qui permettent de rembourser la dette.

Tax leases dans le monde


Bien évidemment, la rentabilité d’un tax lease pour un investisseur fiscal est
maximale lorsque la durée d’amortissement de l’actif est minimale. Le cas
extrême d’un amortissement accéléré sur un an permet de dégager une renta-
bilité spectaculaire. La localisation géographique d’un SPV et des investisseurs
fiscaux est donc dictée par l’existence, dans un pays, de mesures permettant
d’amortir des actifs mobiliers de façon accélérée.
Les pays mettent en général en place des mesures dérogatoires d’amortisse-
ment (c’est-­à‑dire des mesures permettant d’amortir un actif sur une durée
très inférieure à la durée d’usage) lorsqu’ils souhaitent, pour des raisons poli-
tiques ou industrielles, favoriser l’investissement dans un type d’actif donné.
En effet, permettre d’amortir rapidement un actif signifie que l’acquéreur
de l’actif bénéficie de réductions d’impôts immédiates et non étalées sur
plusieurs années1. C’est une réelle incitation à investir dans l’actif.
De nombreux pays proposent des modalités d’amortissement accéléré pour
certains actifs. Il est donc parfaitement possible pour les sociétés qui achètent
ces actifs de monétiser, si elles le souhaitent, les réductions d’impôts liées à
ces amortissements. Les gouvernements sont en revanche, depuis plusieurs
années, devenus plus regardants sur l’identité de l’entreprise qui utilise l’actif.
En effet, aux États-­Unis dans les années 1990, le schéma dit du US tax lease,
permettait notamment aux entreprises ferroviaires européennes (SNCF,
Deutsche Bahn, etc.) de bénéficier du système américain d’amortissement
accéléré. Il suffisait à ces entreprises de faire acquérir leurs rames par un SPV
situé aux États-­Unis et financé en capital par un investisseur fiscal américain.
Le système du tax lease touchait là ses limites car le schéma profitait alors à
1. Si la somme arithmétique des deux façons d’amortir l’actif est la même, la valeur actuelle de l’économie fiscale
est plus intéressante en cas d’amortissement accéléré.

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Le financement d’actifs

des sociétés européennes réalisant des investissements en Europe alors même


que l’amortissement était effectué aux États-­Unis1. Le statut du US tax lease
a donc évolué pour empêcher ce type de transactions.
Aujourd’hui, l’un des pays les plus favorables à ce type de structures est le
Japon. L’amortissement accéléré des avions y est permis sous conditions et
de nombreux montages sont donc mis en place sous la forme d’un Japanese
Operating Lease with Call Option (ou JOLCO).

2. Le marché secondaire du crédit-­bail fiscal

2.1. Optimiser l’optimisation


Bien qu’elle soit déjà relativement puissante, la transaction fiscale présentée
plus en haut au paragraphe 1.3 peut être encore optimisée. Le gain de l’in-
vestisseur fiscal est en effet maximal après huit ans. À cette date, il a en effet
bénéficié de l’amortissement de l’actif sur huit ans mais n’a pas encore payé
les impôts sur les quatre années suivantes.

2.2. Le processus de vente du SPV

Cession du SPV
Dans ce type de situations, on peut donc imaginer céder la propriété du SPV
dès que celui-­ci dégage des profits taxables. Ce type de transaction est connu
sous le nom de lease tail (ou queue du crédit-­bail en français), ce qui indique
que la transaction est cédée dès que la position fiscale du SPV se retourne,
passant de négative à positive.
Précisons que ce type de cession n’a rien à voir avec les opérations traitées
par les départements fusions-­acquisitions des banques. Dans le cas qui nous
intéresse, le SPV dégage certes des profits mais n’a aucun cash flows (les
loyers servent à rembourser la dette). En outre, du fait de la documentation
très contraignante signée lors de la mise en place de la transaction, le SPV
est sur pilote automatique et ne peut sortir de son objet social étroit qui est
de louer l’avion à une compagnie aérienne.
1. L’amortissement ayant lieu aux États-­Unis, la déduction profitait à l’investisseur fiscal américain. En somme,
le gouvernement fédéral américain constatait un manque à gagner fiscal… qui profitait à des entreprises euro-
péennes pour des investissements en Europe.

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Crédit-­bail et location

Qui pourrait cependant vouloir acquérir un SPV sans cash flows nets, dont
l’activité est totalement restreinte et dont la seule caractéristique est de générer
des profits et donc d’obliger son propriétaire à payer des impôts ?
Les seules entreprises candidates au rachat sont, dans les faits, des sociétés
pour lesquelles intégrer fiscalement un SPV profitable n’aura aucun impact.
Ce sont donc des entreprises structurellement déficitaires, souvent parce
qu’elles ont de forts reports fiscaux déficitaires. Pour rappel, le report fiscal
déficitaire permet à une entreprise déficitaire en année N de garder pour les
années suivantes le bénéfice de ces pertes fiscales. Ainsi, si une société réalise
une perte de 100 en année N et réalise un profit de 120 en année N +1, alors
l’entreprise ne sera taxée, en N +1, que sur la différence entre son bénéfice de
l’année N +1 et sa perte de l’année N (soit 20).
Dans les faits, certaines entreprises qui ont réalisé des investissements hasar-
deux et fait des pertes colossales sans pour autant faire faillite peuvent ainsi
reporter des pertes fiscales pendant de très nombreuses années. Elles peuvent
ainsi cumuler des reports déficitaires et être certaines de ne pas payer d’im-
pôts pendant longtemps. C’est à ce type de sociétés que les SPV mis en place
pour des transactions fiscales sont vendus. En quelque sorte, ces sociétés
monétisent leurs pertes fiscales.

Détermination du prix de vente


Paradoxalement, dans cette situation, le vendeur est désireux de payer l’acheteur
pour se débarrasser du SPV. En effet, c’est bien lui qui cherche à économiser
des flux d’impôts futurs. Il est donc prêt à payer pour cela. Comme il est
légalement très compliqué de justifier qu’un vendeur doive payer un acheteur
pour qu’il acquière un bien, ces transactions sont en général groupées avec
des cessions d’actifs plus classiques, faites avec une décote.

Les lease tails aujourd’hui


Pour des raisons évidentes, les lease tails sont des transactions extrêmement
profitables. Elles se sont cependant raréfiées ces dernières années du fait de la
volonté de nombreux pays de limiter l’optimisation fiscale pratiquée par les
banques suite à la crise de 2008. Les gouvernements ont en effet peu apprécié
de devoir sauver les banques de la faillite et constater en même temps que
celles-­ci pouvaient être imaginatives quand il s’agissait de limiter le mon-
tant de leurs impôts. Il existe donc aujourd’hui dans de nombreux pays des
lois ou directives qui empêchent la structuration de lease tails. Ce sont donc
désormais des transactions extrêmement marginales.
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Le financement d’actifs

3. La location opérationnelle

3.1. Une solution flexible

Définition
La location opérationnelle (operating lease) offre aux sociétés qui utilisent des
actifs mobiliers une alternative au prêt hypothécaire et au leasing financier.
C’est une location simple, sans option d’achat, dans laquelle le propriétaire
d’un actif le loue à un locataire pour une durée donnée. À l’issue de la période
de location, l’actif est rendu par le locataire à son propriétaire. Le leasing
opérationnel est très commun dans le secteur de l’aviation commerciale.
Dans ce schéma, et contrairement au leasing financier, le propriétaire de
l’actif assume un rôle de loueur et non uniquement de financier. Il court
un risque réel sur la valeur de l’actif, appelé aussi risque de valeur résiduelle.
Il accepte notamment l’idée que l’actif puisse ne pas être loué suite à la pre-
mière phase de location. Les loyers dus par le locataire intègrent ce risque,
ce qui fait en général du leasing opérationnel une solution de financement
relativement chère.

Attrait du leasing opérationnel


Malgré ce coût, le leasing opérationnel est une solution de financement dont la
popularité n’a cessé de croître dans le secteur aéronautique depuis ses débuts
dans les années 1970. Aujourd’hui, plus de 45 % des avions commerciaux en
opération sont la propriété de loueurs spécialisés.
La location opérationnelle offre trois bénéfices majeurs aux utilisateurs :
− Elle permet aux clients d’obtenir 100 % du montant du financement
d’un actif. Contrairement aux solutions hypothécaires ou de crédit-­
bail financier, la compagnie aérienne n’a pas à financer une partie de
l’actif (20 ou 30 %) au moment de la mise en place de la transaction.
C’est donc une solution extrêmement attractive dans un secteur aux
coûts fixes très élevés et dominé par des acteurs non-­investment grade. En
somme, la location opérationnelle permet aux locataires d’optimiser
leur trésorerie. L’étude de cas n° 5 montre comment Virgin Atlantic a
pu tirer parti de cet avantage.

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Crédit-­bail et location

− La location opérationnelle évite aux locataires d’être exposés au risque


de valeur résiduelle sur l’actif. En d’autres termes, le locataire n’est
pas exposé au prix de vente de l’actif à la fin de la période de location.
De nombreuses compagnies ne souhaitent pas conserver leurs avions
pendant 25 ou 30 ans. Elles souhaitent renouveler régulièrement leur
flotte. C’est le cas notamment d’Emirates, une compagnie connue pour
la qualité de son service et de sa flotte et l’un des plus gros utilisateurs
mondiaux de location opérationnelle. La location simple permet à ces
compagnies de renouveler régulièrement leurs avions sans être expo-
sées au risque de variation des prix des actifs sur le marché secondaire.
Elles se concentrent alors uniquement sur l’exploitation des actifs. Leur
rentabilité ne dépend pas du trading éventuel des avions sur le marché
secondaire mais uniquement de leur capacité à optimiser au meilleur
coût le transport de passagers. Elles laissent le risque de trading à des
acteurs spécialisés : les loueurs opérationnels.
− Enfin, le leasing opérationnel offre une grande flexibilité à ses utilisateurs.
Si une compagnie possède directement tous les avions qu’elle exploite,
elle ne peut pas répondre efficacement aux variations du trafic – qui
sont pourtant monnaie courante dans le secteur. Tout ralentissement
obligerait cette compagnie à vendre des appareils (dans de mauvaises
conditions de marché), à maintenir des avions au sol (une solution
coûteuse) ou à faire voler des actifs peu remplis (une alternative éga-
lement onéreuse). Avoir des avions en location offre aux compagnies
aériennes la possibilité d’adapter la taille de leur flotte aux conditions de
marché. Cette stratégie suppose de bien bâtir son portefeuille d’avions
en location et d’avoir chaque année un certain nombre d’avions dont
la période de location se termine. En cas de retournement de marché,
une partie des locations n’est pas renouvelée.
Les loueurs opérationnels (operating lessors)
Même si offrir des solutions de location à moyen ou long terme est une forme
indirecte de financement, le leasing opérationnel est fondamentalement dif-
férent des solutions évoquées précédemment (prêt hypothécaire et leasing
financier). Le propriétaire n’offre pas un financement garanti par un avion,
il possède un actif qu’il essaye de louer, de gérer et de monétiser au mieux.
Il prend un réel risque industriel. Il est notamment exposé à la possibilité
de ne pas trouver de locataire pour son avion du fait d’un ralentissement de
marché ou de l’obsolescence de l’actif.

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Le financement d’actifs

Pour cette raison, les acteurs engagés dans la location d’actifs ne sont pas
des banques. Ce sont des sociétés de location spécialisées, appelées loueurs
opérationnels (ou, en anglais, lessors ou operating lessors). Dans le domaine
aéronautique, les lessors ont des profils capitalistiques très divers. Certains
sont des sociétés cotées, d’autres des filiales de banques, d’autres enfin sont
détenus par des fonds d’investissement, de type private equity ou des fonds
souverains.
Le tableau 3.7 donne la liste des dix principaux loueurs d’avions, classés selon
la taille de leur flotte au 31 décembre 2020. Annoncé en début d’année 2021,
le rachat de GECAS par AerCap a été effectif en novembre 2021, donnant
naissance au leader incontesté du leasing d’avions.

Tableau 3.7 : les 10 principales sociétés de leasing dans le secteur aérien


au 31 décembre 2020

Nombre
Rang Loueur Commandes1 Actionnaires
d’avions
1 AerCap 1,022 288 Coté sur le NYSE
2 GECAS 989 253 General Electric
Bohai Leasing (70 %) et Orix
3 Avolon 578 240
Corporation (30 %)
Onex (35 %), GIC (30 %),
4 BBAM 516 –­
et management (35 %)
Nordic Aviation Martin Møller (fondateur),
5 483 72
Capital EQT, GIC
SMBC Aviation
6 473 223 SMBC
Capital
7 ICBC Leasing 457 108 ICBC
Bank of China (70 %), coté
8 BOC Aviation 404 135 sur le Hong Kong Stock
Exchange – HKEX (30 %)
Steven Udvar-­Hazy
Air Lease
9 396 369 (fondateur),
Corporation
côté sur le NYSE
Investment Corporation
10 DAE Capital 365 –­
of Dubai (ICD)

1. Avions commandés par le loueur aux différents constructeurs mais non encore livrés.

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Crédit-­bail et location

Durée des contrats de location opérationnelle


La durée des contrats de location opérationnelle est très variable. En règle
générale, les avions neufs sont loués sur longue période, souvent10 à 12 ans.
Ce type de durée arrange toutes les parties :
− Les loueurs, qui ont acheté un avion neuf et donc réalisé un investisse-
ment substantiel, ont une visibilité long terme sur les cash flows que
cet actif va générer. C’est une façon pour eux de diminuer le risque de
valeur résiduelle.
− Pour les compagnies aériennes, c’est un moyen de sécuriser l’usage d’un
avion neuf pendant une longue période. La location se termine quand
l’avion commence à entrer dans la seconde phase de sa vie.
Les durées de location après cette première phase sont plus variables. Les
loueurs cherchent en général à allonger au plus la durée de vie de la location
pour sécuriser leurs cash flows mais ils veulent également optimiser leur
risque de contrepartie, c’est-­à-­dire louer aux compagnies dont ils estiment le
risque de défaut le plus faible possible. C’est un élément d’analyse d’autant
plus important que plus un avion vieilli, plus les locataires possibles sont
loin d’être des compagnies de premier plan. Les compagnies les plus jeunes
ou les moins solides ne sont souvent pas en mesure de supporter le coût de
location d’avions neufs.
Cette diminution graduelle de la qualité des locataires au fil de la vie de l’avion
explique qu’il n’est pas rare qu’un avion soit vendu par un loueur à un autre
loueur. Certains lessors ont une stratégie de niche et sont spécialisés dans la
location d’appareils en milieu ou fin de vie. Ils achètent donc des avions à des
loueurs qui ont un positionnement plus traditionnel avec l’objectif de louer
ces avions sur leurs dernières années, puis de les démanteler pour revendre
une partie des pièces détachées.

Plusieurs types de contrats de location


Il existe différents contrats de location opérationnelle. En général, un loueur
conserve la propriété juridique de l’actif mais il en transfère à son client
l’usage économique total. Pendant toute la période de la période de loca-
tion, le locataire adapte l’avion à ses couleurs, choisit l’équipage, détermine
les trajets, doit le faire réviser, etc. Ce type de location prend le nom de dry
lease. Dans ce sens, le leasing opérationnel est une véritable alternative à un
financement longue durée.

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Le financement d’actifs

Dans certains cas, plus rares cependant, la location de l’appareil inclut égale-
ment la mise à disposition d’un équipage, la prise en charge de la maintenance
et la gestion des assurances. On parle alors de wet lease. Ce sont souvent des
locations de dépannage, utilisées par des compagnies aériennes – mais aussi
des entreprises et certains gouvernements – qui ont un besoin ponctuel. Dans
ce cas-­là, l’operating lessor garde la propriété économique et juridique de l’avion.

3.2. Stratégies de financement des loueurs opérationnels


Même si le lecteur l’aura sans doute déjà compris, les loueurs profession-
nels ont recours aux mêmes solutions de financement que les compagnies
aériennes. Il est donc possible – et même fréquent – qu’une banque octroie
un prêt hypothécaire à un operating lessor ou qu’elle mette en place pour lui
une opération de crédit-­bail financier.
Les plus gros loueurs opérationnels financent cependant également une
grande partie de leur activité via de la dette bancaire (ou obligataire) classique.
Malgré une maturité relativement limitée comparée à la durée de vie des actifs
des loueurs, ces instruments ont l’avantage de la simplicité. AerCap a ainsi
levé en 2018 plus de 2.3 milliards de dollars de dette obligataire en quatre
émissions uniquement. Obtenir une telle somme via des prêts hypothécaires
individuels aurait été tout simplement impossible. Le coût et le temps de
structuration auraient été trop importants.
Cette dette corporate permet également aux loueurs de disposer de finance-
ments qui ne sont pas directement adossés à leurs actifs. C’est un élément très
important pour eux. Cela leur permet de financer les acomptes qu’ils doivent
payer aux fabricants pour réserver la livraison d’avions. Parmi les lessors opé-
rationnels, Air Lease est à la pointe de cette stratégie de financement. Plus de
98 % de sa flotte ne fait pas l’objet de financements ad hoc.
Les financements corporate ne sont cependant disponibles que pour les
loueurs les plus importants. Un parallèle peut être fait avec les compagnies
aériennes. Parmi celles-­ci, seules les plus importantes ont un accès aux finan-
cements dits unsecured, c’est-­à-­dire qui n’offrent pas de garantie ou de droit
particulier sur un actif.

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Crédit-­bail et location

3.3. Politique de financement des compagnies aériennes


Comme chacun des trois schémas de financement étudiés présente des avan-
tages, les compagnies aériennes tentent idéalement de financer leurs actifs
par un mélange des trois solutions évoquées. Le tableau 3.8 récapitule les
caractéristiques de chacune des trois options.

Tableau 3.8 : comparaison entre les différentes options de financement

Crédit-­bail
Prêt hypothécaire Crédit-­bail financier
opérationnel

Durée 8 à 15 ans 8 à 15 ans Très variable


Loyers payés à un SPV
Paiements Remboursement
qui permettent au SPV Loyers de marché
par le client d’un prêt
de rembourser sa dette
Propriété
Compagnie Loueur
juridique SPV
aérienne opérationnel
de l’actif
Oui, à un prix
Option
NA très attractif à l’issue Non
d’achat
de la période de location
Compagnie
Propriété aérienne (dry lease)
Compagnie
économique Compagnie aérienne ou loueur
aérienne
de l’actif opérationnel
(wet lease)
Amortissement Compagnie Loueur
SPV
de l’actif aérienne opérationnel
Flexibilité,
La compagnie
Monétisation immédiate pas de dépôt
garde le bénéfice
des amortissements payé au début
de l’amortissement
Avantages de l’actif à travers de la transaction,
de l’avion.
une diminution du coût pas de risque
Elle peut céder
d’achat de valeur résiduelle
l’actif facilement
pour la compagnie
Il est plus compliqué
La compagnie pour la compagnie
perd le bénéficie de céder l’actif par
Contraintes des amortissements anticipation car cela Loyers élevés
si elle est a des incidences
déficitaire sur la partie fiscale
de la transaction

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Le financement d’actifs

Cas 5 Richard Branson


et le financement de Virgin Atlantic
Comment lancer une compagnie aérienne lorsqu’on veut limiter son inves-
tissement à 2 millions de livres sterling et qu’un Boeing 747 en coûte plus
de 200 ? C’est à cette question que dut répondre Richard Branson lors du
lancement de Virgin Atlantic en 1984.

„ Virgin Records
Confronté en 1970 aux difficultés du magazine Student qu’il a créé trois ans
plus tôt, Richard Branson décide de se lancer, à vingt ans, dans une nouvelle
aventure. Son projet est de monter à Londres un magasin de disques à prix
cassés. Devant le succès de la première boutique ouverte sur Oxford Street,
Branson en ouvre rapidement plusieurs autres. Surfant sur ce succès, il fonde
deux ans plus tard, avec deux amis, la maison de disques qui le rendra célèbre,
Virgin Records.
Le premier album paru sous le label Virgin est « Tubular Bells » de Mike
Oldfield, en 1973. Cet album s’avère être un succès colossal qui permet à
Virgin de dégager rapidement des profits et d’être en position de signer
d’autres artistes, notamment les Sex Pistols, Phil Collins ou Culture Club.
Virgin se diversifie peu à peu. Branson investit dans une boîte de nuit puis
développe une société de production et de distribution de vidéos, Virgin
Vision, qu’il revend rapidement. Branson est un touche-­à‑tout. Lorsqu’un
vendredi soir, il découvre sur son bureau une proposition d’investissement
dans une compagnie aérienne, il est très vite séduit.

„ Une compagnie aérienne ?


Branson sait bien qu’il n’est pas le premier investisseur potentiel contacté
par les auteurs du business plan. Il est dans l’industrie du disque, pas dans le
transport aérien. Il devine donc que beaucoup d’autres avant lui ont refusé
d’investir. Mais, c’est plus fort que lui : il trouverait « sympa » d’avoir sa propre
compagnie.
L’idée d’Alan Hellary et Randolph Fields, les auteurs de la proposition, est
de lancer une compagnie transatlantique 100 % classe affaires. Le patron de
Virgin garde la partie transatlantique du projet mais rejette immédiatement
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Crédit-­bail et location

le concept d’une compagnie sans classe économique. Comment remplirait-­il


l’avion les jours fériés et pendant les vacances ?
Pour se faire une idée du marché, Branson tente de réserver le soir même
un billet pour New York. Impossible : les lignes sonnent toujours occupées.
Il réessaie le lendemain, même résultat. Dans un raccourci intuitif, Branson
en conclut que soit les compagnies aériennes sont toutes inefficaces, soit la
demande est telle que les lignes sont toujours saturées. Dans les deux cas,
c’est un excellent signe.
Lorsqu’il leur présente l’idée, les associés de Branson chez Virgin sont en
revanche plus sceptiques. L’industrie du transport aérien est un secteur à
coûts fixes très élevés dans lequel les acteurs historiques ont accès aux plus
grands aéroports et aux meilleurs créneaux horaires. D’ailleurs, si le projet
dont il parle est sur les rails c’est uniquement parce que deux ans plus tôt,
la compagnie Laker Airways a fait faillite, laissant disponibles des créneaux
quotidiens pour des vols Londres – New York, qui n’ont toujours pas trouvé
preneur.

„ Le lease avec Boeing


Branson ne se démonte pas, l’idée lui plaît. Il ne connaît rien au transport
aérien mais se dit qu’en contrôlant les coûts, il est possible de réussir. Il dit à
ses associés que son apport restera minimal et leur promet, quoiqu’il arrive,
de ne pas investir plus de 2 millions de livres dans le projet. Dans ce contexte,
maîtriser le coût du premier appareil est un impératif.
En se limitant à une somme aussi faible, il est bien sûr compliqué d’acheter un
avion. Louer l’appareil à court terme, sur un an, est la seule option possible.
Au culot, Branson appelle directement le siège de Boeing à Seattle. Après avoir
été transféré de service en service, il tombe sur un ingénieur qui lui dit qu’ils
ne louent en général pas d’avions mais qu’il se trouve, qu’exceptionnellement,
ils ont en ce moment un 747 d’occasion dont ils n’ont pas besoin.
La location opérationnelle d’avions est, à l’époque, encore peu répandue.
Plus de 90 % des appareils sont détenus directement par les compagnies
elles-­mêmes. Le solde appartient déjà essentiellement aux deux principaux
loueurs : ILFC, créée en 1973, et GPA Group, créé deux ans plus tard par
l’Irlandais Tony Ryan, futur patron et fondateur de Ryanair. À titre de com-
paraison, les loueurs opérationnels détiennent aujourd’hui plus de 45 % de
la flotte mondiale.
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Le financement d’actifs

Lorsque les représentants de Boeing arrivent à Londres, ils confient à Branson


que c’est la première fois qu’ils négocient une location de ce type. Les discus-
sions sont compliquées, Branson ne voulant pas s’engager sur plus d’un an.
L’ambiance est malgré tout décontractée. Rapidement, les discussions qui
avaient lieu dans les bureaux de Virgin se déplacent sur la péniche de Branson,
amarrée dans le nord de Londres, près de Regent’s Park.
Au final, un contrat de 96 pages est signé entre les parties. Si elle y ressemble
étrangement, l’opération n’est techniquement pas une location à court terme.
Virgin achète le 747 à crédit et paie chaque mois une fraction du prix d’achat.
Au bout d’un an, Virgin a l’option de revendre l’avion à Boeing pour un prix
déterminé à l’avance et qui correspond au solde du prix d’achat non encore
versé. Cerise sur le gâteau, si la valeur de marché de l’appareil telle qu’estimée
par des experts indépendants est, à cette date, supérieure à l’option d’achat,
Boeing s’engage à racheter l’appareil pour sa valeur de marché.
En somme, Branson négocie une excellente opération :
− si la compagnie ne marche pas comme espéré, l’aventure peut prendre
fin au bout d’un an : Virgin Atlantic rend l’appareil, Branson limite ses
pertes à deux millions de livres et peut passer à autre chose ;
− si l’échec de Virgin coïncide avec une reprise du marché secondaire
des 747, la compagnie bénéficie de cette hausse, ce qui vient en partie
compenser ses pertes ;
− enfin, si Virgin Atlantic est un succès, la compagnie n’exerce pas son
option de vente et peut garder l’appareil.
L’équipe de Boeing confiera plus tard que c’est tout à la fois la transaction
la plus dure et la plus « sympa » qu’ils ont jamais réalisée. Ils diront même à
Branson qu’il est plus difficile de négocier le lease d’un avion avec lui que de
vendre des flottes entières de Boeing à PanAm ou American Airlines.

„ Lancement de la compagnie
Les débuts de la compagnie ont lieu très rapidement après. Branson veut lancer
Virgin Atlantic en juin, pour ne pas rater l’été, la meilleure période de l’année
en termes de chiffre d’affaires pour une compagnie aérienne. Les premiers
jours sont épiques : des chanteurs sous contrat avec Virgin Records viennent
remonter le moral d’un personnel débordé et sont présents pendant le vol
inaugural.

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Crédit-­bail et location

„ Épilogue
Malgré cette transaction inventive, Richard Branson est rapidement rattrapé
par la nature du transport aérien. Dès 1985, pour financer les coûts fixes de
Virgin Atlantic, il décide, à contrecœur, d’introduire en bourse une partie de
son groupe. Sept ans plus tard, en 1992, au milieu d’une dispute commerciale
majeure avec British Airways, il est contraint de vendre sa maison de disques
pour éviter la faillite de Virgin Atlantic.
Cette aventure est pourtant le début d’une longue histoire d’amour entre
Branson et le transport aérien. Virgin acquiert en 1996 la compagnie Euro
Belgian Airlines et la rebaptise Virgin Express, avant de la fusionner avec
Brussels Airlines et de la vendre à Lufthansa. Virgin lance ensuite Virgin Blue
en 2000 (aujourd’hui Virgin Australia), puis Virgin Nigeria en 2005 (disparue
depuis) et enfin, en 2007, Virgin America (revendue à Alaska Airlines en 2016).
Au-­delà de ces ventes et acquisitions, Richard Branson reste célèbre pour
les innovations apportées au secteur du transport aérien. Virgin Atlantic
est notamment la première compagnie à intégrer des écrans dans les sièges
passagers et à inaugurer des bars à l’arrière des appareils.

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Lecture rapide

Lecture rapide
Financements d’actifs : qu’avons-­nous appris ?
y Le financement d’actif est une famille de montages qui permet le financement
d’investissements mobiliers onéreux de type avions, navires ou trains.
y On distingue trois sous-­techniques de financement : le prêt hypothécaire, le
crédit-­bail financier et la location opérationnelle.
y Comparé à un financement classique sans garantie, un prêt hypothécaire permet
de structurer un prêt plus long et d’offrir un effet de levier plus important (jusqu’à
80 % de la valeur de l’actif, à comparer avec le taux d’endettement moyen d’une
entreprise). Cet effet de levier et cette maturité s’expliquent par la durée de vie des
actifs en question et de l’existence d’un marché secondaire structuré sur lequel la
banque peut revendre l’actif en cas de défaut de son client.
y Les sociétés peuvent aussi financer leurs actifs à travers un crédit-­bail financier.
Dans ce cas, une banque octroie un prêt à un SPV qui achète l’actif et le donne
en location au client sur longue durée. Les loyers payés par le client permettent au
SPV de rembourser sa dette. À l’issue de la période de location, le SPV a remboursé
la banque et le client a l’option d’acquérir l’actif pour un montant symbolique.
y Dans cette situation, c’est le SPV, en tant que propriétaire, qui amortit fiscalement
l’actif. C’est donc l’actionnaire du SPV qui bénéficie des économies d’impôts liées
à cet amortissement. Son apport en capital est remboursé uniquement par ces
réductions d’impôt, ce qui signifie que, pour le client, cet apport correspond à
une réduction du montant à financer pour acquérir l’actif. Tout se passe comme
si le client vendait des économies d’impôt futures en échange d’une réduction
immédiate du coût de l’actif.
y Hormis cette subtilité fiscale, le crédit-­bail financier est similaire à un prêt
hypothécaire : il permet d’octroyer un financement longue durée pour un montant
important.
y Les actifs, et notamment les avions, peuvent également être financés par le biais
de location simple, dite de leasing opérationnel. Dans ce cas, l’avion est loué
par la compagnie aérienne auprès d’un loueur professionnel. C’est une solution
flexible qui permet de financer 100 % de la valeur d’un actif.

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Partie 4
La titrisation

De toutes les techniques de financement étudiées dans ce livre, la titrisation


est de loin la plus controversée. Cela s’explique en grande partie par la crise
des subprimes – sur laquelle nous reviendrons – et par le rôle que la titrisation
a joué dans la distribution massive de ces crédits douteux aux investisseurs
du monde entier.
Loin pourtant de commencer en 2008, la titrisation apparaît à Wall Street en
1977. La première transaction est arrangée par le département obligataire de
Salomon Brothers, une banque d’affaires américaine aujourd’hui disparue
et intégrée à Citigroup suite à divers rachats. L’histoire est belle comme une
success story américaine : Lewis Ranieri, le banquier à l’origine de la première
opération, a commencé sa carrière au service courrier avant de gravir un à un
les échelons de la banque. Un parcours « à l’ancienne » qui contraste avec la
modernité de cette innovation financière, sans conteste la plus considérable
de l’après-­guerre.
Au-­delà de quelques années de folie que nous verrons en détail (2003-­2008),
la titrisation correspond depuis plus de 40 ans à un formidable outil de ges-
tion du risque et de transfert d’actifs. C’est aussi, et surtout, une technique
de financement emblématique de la révolution financière à l’œuvre depuis
la fin des années 1970.

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Chapitre 1 Les mécanismes de la titrisation

1. Transformer des actifs illiquides en titres négociables

1.1. Définition
La titrisation est une technique financière qui permet de convertir des actifs
illiquides en titres financiers négociables. Plus précisément, la titrisation fait
référence à une vente d’actifs générant des cash flows (prêts aux entreprises,
prêts aux particuliers, créances diverses) par une entité (banque ou entreprise)
à une société spécialement créée pour l’occasion (Special Purpose Vehicle ou SPV).
Le SPV finance l’achat des actifs grâce à l’émission de titres financiers. Le ren-
dement de ces titres, désignés par le mot générique Asset-­Backed Securities (ou
ABS), provient uniquement des cash flows générés par les actifs logés dans le
SPV. Ces ABS sont généralement acquis par des investisseurs institutionnels
(banques, compagnies d’assurances, asset managers, fonds de pension ou
des hedge funds1).

1.2. Illustration
Pour aider le lecteur à se faire une idée plus précise du concept de titrisation
(securitization en anglais), prenons l’exemple d’une banque qui décide de titriser
un portefeuille de prêts immobiliers aux particuliers. Dans une telle transac-
tion, la banque sélectionne les prêts qu’elle souhaite céder et les vend à un
SPV qui émet alors des titres pour financer l’achat de cet ensemble de prêts.
Une fois les actifs cédés, la totalité des remboursements, en principal et en
intérêts, payés par les emprunteurs à la banque au titre des prêts immobiliers,
sont reversés au SPV. La banque n’est donc plus qu’un conduit et ne conserve
aucun revenu sur les actifs transférés. Ces paiements sont donc intégralement
versés au SPV. Ce dernier les distribue ensuite aux investisseurs, comme l’il-
lustre le schéma 4.1.

1. Un hedge fund est un fonds alternatif qui utilise en général un fort effet de levier et qui pratique souvent la vente
à découvert de titres financiers.

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Titrisation – schéma 4.1
Modifié

La titrisation

Schéma 4.1 : le principe de la titrisation

Transfert des créances et Emissions des titres et


Remboursements des remboursements versement des intérêts

Emprunteur 1 Investisseur 1
Banque /
Emprunteur 2 SPV Investisseur 2
cédant
Emprunteur… Investisseur…
Prêts Achat des Achat des titres
créances

En transmettant ces prêts immobiliers au SPV, la banque ne transfère pas


uniquement les revenus de ces actifs, elle en cède la propriété intégrale.
En clair, cela signifie que si l’un de ces prêts fait défaut, la banque n’est pas
affectée. La perte est subie par le SPV et donc, au final, par les investisseurs.
Dans une titrisation, l’entité qui vend ses actifs au SPV transfère également
les sûretés ou cautions liées à ces actifs.
10 Dans l’exemple du schéma 4.1, la
banque transfère donc au SPV, si elle en a, les hypothèques attachées aux
prêts cédés. Ces hypothèques bénéficieront aux titres émis. Ainsi, si un défaut
intervient sur un prêt bénéficiant d’une hypothèque, le SPV et les investisseurs
pourront, le cas échéant, faire valoir cette sûreté. En revanche, dans la mesure
où le transfert des actifs au SPV est sans recours sur la banque, ni le SPV, ni
les investisseurs ne pourront se retourner vers cette dernière pour exiger un
remboursement ou une indemnité.
Les ABS émis sont librement cessibles sur le marché de gré à gré. Si ce marché
est bien évidemment moins actif que celui des actions cotées sur un marché
réglementé, il n’en reste pas moins que la titrisation a permis de transformer
un portefeuille de prêts immobiliers aux particuliers, tous individuellement
illiquides, en actifs servant de garantie à des titres financiers facilement
négociables.

2. Le tranching des titres

2.1. Différents niveaux de rendement et de risque

Différentes tranches
Les ABS émis par le SPV et souscrits par les investisseurs ne sont pas tous
identiques. Ils sont regroupés en différentes catégories, appelées tranches.
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Les mécanismes de la titrisation

Le nombre de ces tranches varie selon le type d’actifs titrisés. Il existe en effet
des normes de marché pour chaque catégorie de collatéral (prêts immobiliers,
créances professionnelles, prêts aux entreprises, etc.).
Pour ce qui est des prêts aux entreprises – qui est l’exemple que nous analy-
serons plus bas – la norme est souvent de structurer une opération avec six
ou sept tranches (même si rien n’empêche juridiquement, techniquement
ou financièrement d’en avoir plus ou moins). Quel que soit leur nombre,
chacune de ces tranches offre un rendement et un niveau de risque différent.

Affectation des profits du SPV


Les profits du SPV (moins certains frais de gestion et de fonctionnement dont
nous parlerons plus tard) sont entièrement distribués aux investisseurs selon
une règle bien précise : plus les titres d’une tranche ont un rendement faible,
plus ils sont prioritaires dans l’ordre d’affectation des profits. Ce n’est qu’une
fois que les coupons des titres de la première tranche ont été intégralement
payés que les titres de la tranche suivante perçoivent le leur. Le paiement des
coupons se poursuit selon cette logique jusqu’à la dernière tranche. Cet effet
de cascade est appelé waterfall, un terme qui ne surprendra plus le lecteur.
Au final, les titres de la dernière tranche ne perçoivent leurs coupons qu’une
fois que les titres de toutes les autres tranches ont perçu le leur. Ils ont le
rendement le plus élevé mais leurs détenteurs courent le risque qu’il ne reste
plus assez de revenus disponibles dans le SPV du fait de défauts dans le por-
tefeuille d’actifs collatéralisés.
Le tableau 4.2 est emprunté à une situation réelle sur laquelle l’auteur a
travaillé. Elle concernait la titrisation de prêts bancaires aux entreprises. Ce
tableau donne la répartition des différentes tranches (six dans ce cas) pour
un montant total de titres d’une valeur de 700 millions de dollars. La tranche
la moins risquée est celle pour laquelle le coupon est le plus faible.

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La titrisation

Tableau 4.2 : tranching d’une titrisation de 700 millions de dollars

Taux d’intérêt Ordre


Nom des titres Montant applicable de distribution
à la tranche des profits
USD Libor
Class A Notes 479 500 000 1
3 m+0.63 %
USD Libor
Class B Notes 52 500 000 2
3 m+1.00 %
USD Libor
Class C Notes 42 000 000 3
3 m+2.00 %
USD Libor
Class D Notes 35 000 000 4
3 m+3.25 %
USD Libor
Class E Notes 35 000 000 5
3 m+5.70 %
Subordinated
56 000 000 Non applicable 6
Notes
Total 700 000 000

Comme on le voit, la tranche la plus risquée n’offre pas de rendement fixe.


Les investisseurs reçoivent en fait l’intégralité des revenus qui n’ont pas encore
été distribués. Cette tranche est souvent désignée par le terme Subordinated
Notes (titres subordonnés) dans les arrangements contractuels mais elle est plus
communément appelée equity tranche par les professionnels. Son rendement
s’apparente en effet davantage à un dividende qu’à un coupon obligataire.

Approche par le risque


Une autre façon d’appréhender le tranching du SPV est de raisonner, non
en termes de rendement mais en termes de risques. Au lieu de dire que les
tranches prioritaires ont le coupon le plus faible, on peut dire qu’en cas de
défaut dans le portefeuille d’actifs sous-­jacents, c’est d’abord la tranche la
plus risquée qui est affectée et qui voit son rendement diminuer. Si le nombre
de défauts est tel que le SPV ne peut plus distribuer de revenus aux porteurs
de la tranche equity, c’est ensuite les autres tranches qui sont impactées, dans
le sens inverse de priorité de distribution des coupons : Class E Notes puis
Class D Notes et ainsi de suite.

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Les mécanismes de la titrisation

Comparaison avec les autres montages structurés


Au final, ce concept de tranching des titres fait écho ce qui a été vu dans les
parties précédentes, notamment celles sur le LBO et le financement de projets.
Dans les trois cas, on a en effet un actif (ou un portefeuille d’actifs) isolé dans
un SPV et financé par dette et capital. L’affectation des cash flows tirés de
l’actif (ou du portefeuille d’actifs) se fait selon un ordre prédéterminé, dans
lequel les détenteurs de capital figurent en dernière position. On retrouve
ici encore le schéma de financement structuré simplifié présenté en intro-
duction (page 17).

2.2. La notation des tranches

Principe
Afin de faciliter leur placement auprès des investisseurs et d’améliorer la
liquidité du marché secondaire, les ABS sont notés par une agence de notation
dont le rôle est d’évaluer la probabilité de défaut de chacune des tranches. Ces
agences sont le plus souvent Moody’s, Standard & Poor’s ou Fitch Ratings,
mais d’autres agences moins connues du grand public sont aussi très actives
(Scope Ratings, KBRA ou DBRS). Selon la répartition classique, sur les six
ou sept tranches, on trouve :
− quatre tranches dites investment grade1 ;
− une ou deux tranches sub-­investment grade et ;
− une tranche non notée, la tranche equity.
La notation des tranches correspond au risque intrinsèque de chacune d’entre
elles. Celles qui sont le moins exposées au risque de défaut du collatéral sont
les mieux notées. Ainsi, la tranche prioritaire en termes de distribution est
notée AAA, la suivante AA et ainsi de suite. Dans le langage courant, la tranche
notée AAA est dite tranche senior alors que les autres tranches de dettes sont
appelées conjointement mezzanine (tranches AA, A, BBB, BB et potentiellement
B s’il y a sept tranches). Le bilan du SPV mis en place pour l’occasion peut
donc être représenté de façon simplifiée comme sur le schéma 4.3.

1. Pour rappel, les titres de dettes dits investment grade sont des titres dont la notation est au moins égale à BBB-­.

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Titrisation – schéma 4.3
La titrisation

Schéma 4.3 : bilan simplifié d’un SPV

SPV

Actif Passif

AAA Tranche
senior

Cash Flows
Portefeuille

Pertes
de créances
(collatéral) AA
Tranche
A mezzanine
BBB
BB
Tranche
Equity
equity

Titres investment grade


Titres non-investment grade
Titres non notés

Comme indiqué sur le schéma, les différentes tranches n’ont pas une taille
identique. La tranche senior est généralement la plus large et représente
souvent 60 à 70 % de la transaction. La taille précise des tranches dépend de
11
chaque transaction et des exigences des agences de notation.

Évolution de la notation
Bien évidemment, la notation des tranches dont nous parlons ici est valable
uniquement lors de la mise en place de la transaction. En fonction des évé-
nements qui affectent ultérieurement le collatéral, les agences de notations
peuvent revoir les notes attribuées à une ou plusieurs tranches.
C’est notamment ce qui est arrivé au moment de la crise de 2008. La dégra-
dation de la situation économique a en effet entraîné une augmentation de
défauts sur de nombreux actifs (prêts immobiliers, prêts aux entreprises, etc.).
Dans ce contexte, les agences de notation ont parfois revu à la baisse les notes
données à des tranches dont le rendement pouvait potentiellement être
affecté par ces défauts. À l’inverse, lorsque la situation s’est améliorée et que
certains des défauts attendus dans les portefeuilles sous-jacents ne se sont
pas matérialisés, les agences de notations ont revu leurs notes à la hausse.
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Les mécanismes de la titrisation

2.3. Les différents produits


La variété d’actifs pouvant être titrisés est très vaste. Derrière le terme géné-
rique d’ABS se cachent en effet des réalités très diverses : presque tout actif
générant des flux financiers peut faire l’objet d’une titrisation. Comme l’in-
dique le tableau 4.4, certains titres, adossés à des actifs couramment titrisés,
ont une dénomination spécifique.

Tableau 4.4 : différents titres de titrisations

Nom des titres Type d’actifs titrisés


Residential Mortgage-Backed Securities
Prêts immobiliers résidentiels
(RMBS)
Commercial Mortgage-Backed Securities
Prêts immobiliers commerciaux
(CMBS)
Collateralized Loan Obligations (CLO) Prêts aux entreprises
Obligations, prêts aux entreprises
Collateralized Debt Obligations (CDO)
et titres de dette divers

Par défaut, lorsque les titres n’ont pas de sigle propre, ils sont appelés ABS.
Le terme ABS est donc un sigle un peu trompeur puisqu’il désigne à la fois
un terme générique et les titres de titrisation n’ayant pas de nom spécifique.
Par souci de clarté, on précise donc souvent le type d’ABS dont il s’agit.
On parle donc de :
− student loans ABS : titrisation de prêts étudiants ;
− aircraft ABS : un operating lessor regroupe plusieurs avions loués à dif-
férentes compagnies aériennes et les cède à un SPV qui émet des ABS
pour en financer l’achat ;
− credit card ABS : titrisation par les banques ou des sociétés comme
American Express des avances faites à leurs clients au moyen de cartes
de paiement ;
− etc.
Afin de clarifier un point qui porte parfois à confusion, on peut préciser ici
que les termes employés pour désigner les titres émis dans le cadre d’une
titrisation (CDO, CLO, etc.) sont parfois également utilisés par les profes-
sionnels du milieu pour désigner le véhicule de titrisation (c’est-à-dire le SPV)
qui émet lesdits titres.

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La titrisation

Cas 6 La titrisation des droits d’auteur


de David Bowie
Réalisée en 1997, la titrisation des droits d’auteur du chanteur David Bowie
est l’une des opérations de financement les plus originales jamais effectuées.
Elle montre ainsi qu’il est théoriquement possible de titriser n’importe quel
actif générant des cash flows.

„ Le contexte
Les négociations autour des « Bowie Bonds » commencent fin 1996. La genèse
de l’idée est encore incertaine. Le banquier David Pullman, qui a arrangé
l’opération, prétend en être à l’origine mais Paul Trynka, dans sa biographie
consacrée au chanteur, explique c’est une idée de William Zysblat, le conseiller
financier de David Bowie à l’époque.
En 1997, David Bowie a 50 ans. Il s’est remarié cinq ans auparavant et pré-
voit d’avoir un enfant. Malgré sa réussite exceptionnelle et des tubes comme
« Heroes », « China girl » et « The man who sold the world », l’artiste n’a pas la
situation financière qu’on peut attendre de quelqu’un qui a vendu autant d’al-
bums. Les raisons sont multiples : train de vie dispendieux, divorce coûteux et,
surtout… contrat avec son ancien manager, selon lequel il doit reverser à celui-­ci
jusqu’à 50 % des droits d’auteur sur les titres sortis pendant leur collaboration.

„ La transaction
Pour stabiliser sa situation financière, David Bowie, aidé par ses conseillers,
décide de s’inspirer des montages de titrisation mis en place pour refinancer
l’immobilier américain. À l’inverse de la plupart des chanteurs, l’artiste possède
en effet à la fois les enregistrements originaux et les droits d’auteur de la plupart
de ses œuvres. Il décide donc de céder, pour dix ans, 287 de ses chansons et
enregistrements. L’acquéreur est un SPV qui finance cet achat par l’émission
de titres financiers appelés les « David Bowie Class A Royalty-­Backed Notes ».
Les titres sont acquis par l’assureur américain Prudential en 1997 au cours
d’un placement privé et sont émis pour une durée de dix ans. Ils sont notés
Aaa par Moody’s, soit l’équivalent du fameux AAA chez Standard & Poor’s.
À la différence de la plupart des opérations de ce type, le SPV n’émet qu’une
seule et unique tranche de titres.

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Les mécanismes de la titrisation

L’émission de ces ABS, d’un montant modeste pour une transaction de ce


genre, rapporte la somme de 55 millions de dollars à l’artiste. Sur ce montant,
27 millions environ, soit près de la moitié, sont versés par le chanteur à son
ancien manager pour mettre un terme définitif à l’arrangement qui les liait.
Selon les termes de la transaction, le SPV reçoit l’ensemble des revenus lié aux
287 chansons cédées : royalties dues à la diffusion sur les ondes ou lors de
concerts, utilisation à des fins commerciales, licences, etc. Les ABS délivrent
un coupon de 7,9 % et, en cas de défaut, Prudential a le droit de prendre pos-
session définitive des enregistrements originaux et des droits.
Bien que critiquée à l’époque par une partie de la presse musicale1, la tran-
saction est un succès financier. Le timing est parfait car à cette époque, les
maisons des disques vendent encore des CDs à des prix indécents. Deux ans
plus tard, la création de Napster dynamite l’industrie musicale et rendra ce
type d’opérations totalement impossible.
La concurrence du téléchargement sur internet affecte d’ailleurs très légè-
rement les Bowie Bonds. En 2004, la baisse des revenus liés à la vente de
disques entraîne en effet la révision de leur notation par Moody’s de Aaa à
Baa1 (équivalent de BBB+). Cette dégradation n’a cependant pas d’effet
majeur sur Prudential dans la mesure où les coupons des titres sont toujours
payés et que l’assureur ne cherche pas à les céder. La transaction prend donc
fin sans accrocs, comme prévu, en février 2007. À cette date, David Bowie
retrouve l’intégralité des droits cédés dix ans plus tôt, sans plus rien devoir
à son ancien manager.

„ Épilogue
Si pour les raisons évoquées ci-­dessus, le marché de la titrisation des droits
d’auteur se tasse dès la fin des années 1990, la transaction faite par David Bowie
ouvre néanmoins la voie à des opérations financières sur des actifs immaté-
riels. Ainsi, en mai 1999, Morgan Stanley et WestLB arrangent une opération
similaire sur les droits télévisuels de la Formule 1. D’un montant de 1,4 mil-
liard de dollars, l’émission des « Bernie Bonds2 », représente plus de 25 fois
le volume de la titrisation Bowie.

1. Le journaliste Mark Steyn eu notamment un joli mot d’esprit : “Once upon a time, rock stars weren’t rated by
Moody’s. They were moody” (autrefois, les rock stars n’étaient pas notées par Moody’s, elles étaient d’humeur
changeante).
2. Surnom donné en référence à Bernie Ecclestone, grand argentier de la Formule 1 et négociateur de l’opération
avec les banques.

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La titrisation

Cas 7 Les covered bonds


Les covered bonds (ou plus rarement, en français, « obligations sécurisées »)
sont des obligations émises par des établissements de crédit et adossées à
un portefeuille d’actifs. Elles sont parfois, à tort, confondues avec des ABS.

„ Définition
Apparu historiquement en Prusse en 1769 sous le nom de Pfandbriefe pendant
le règne de Frederick le Grand, un covered bond est une obligation dont les
deux principales caractéristiques sont (i) qu’elles sont émises exclusivement
par des banques et (ii) qu’elles sont garanties par un portefeuille d’actifs
détenus par l’émetteur. Le but d’un covered bond est de créer une obligation
extrêmement peu risquée et donc peu coûteuse pour son émetteur. Compte
tenu de la garantie additionnelle dont ils bénéficient, les covered bonds sont
en général notés au moins AA par les agences de notation.
Parfois confondus avec des ABS, les covered bonds sont pourtant bien diffé-
rents. Si les deux types de titres sont adossés à un portefeuille d’actifs, un ABS
est cependant sans recours sur l’entité qui a cédé ses actifs au SPV. En clair,
cela veut dire que si certains actifs du portefeuille vendu au SPV font défaut,
l’investisseur qui a acquis les ABS ne peut demander une quelconque indem-
nisation à la banque ou la société qui a, à l’origine, cédé les actifs au SPV.
À l’inverse, un covered bond a toutes les caractéristiques d’une obligation
traditionnelle. Il offre à son détenteur un recours plein et entier sur l’insti-
tution financière qui a émis l’obligation. Cependant, à la différence d’une
obligation traditionnelle, un covered bond offre aux investisseurs le bénéfice
d’un collatéral additionnel : le portefeuille d’actifs.

„ Le marché des covered bonds


Les covered bonds représentent le deuxième plus grand marché de dette
privée en Europe après les obligations bancaires classiques (sans collatéral) et
avant les obligations d’entreprises. C’est un marché pour l’essentiel européen
même si des institutions financières nord-­américaines ou asiatiques émettent
régulièrement ce type de titres.

186

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Les mécanismes de la titrisation

Le recours aux covered bonds permet d’émettre de la dette à un coût extrême-


ment compétitif. Compte tenu du niveau de sécurité offert aux investisseurs,
le rendement de ces obligations est en effet très modeste.
Dans la mesure où ils présentent le double avantage d’être peu risqués et très
liquides, les covered bonds constituent une opportunité d’investissement
attractive pour de nombreux investisseurs, y compris des banques. Ils per-
mettent en effet à ces dernières de satisfaire à leurs obligations réglementaires
et plus particulièrement aux exigences du Liquidity Coverage Ratio de Bâle III1.
De même, pour les compagnies d’assurances, Solvency II assigne aux covered
bonds un statut préférentiel en termes de charges de capital.2

„ Aperçu des actifs donnés en garantie


La plupart des covered bonds sont adossés à des portefeuilles de prêts immo-
biliers hypothécaires (80 % environ) ou de prêts au secteur public. Le reste
des actifs compte pour moins de 5 % du total des montants émis. On trouve,
pêle-­mêle, des portefeuilles diversifiés ou constitués de prêts hypothécaires
sur actifs (avions ou navires) ou de prêts aux PME.
Les covered bonds sont en général « sur-­collatéralisés », ce qui signifie que la
valeur des actifs donnés en garantie est supérieure à la valeur nominale des
titres émis. C’est souvent une obligation juridique dans le pays de l’émetteur
mais aussi une exigence des agences de notation. Ces dernières demandent
en effet que la valeur du collatéral excède la valeur de l’obligation de 10 à
20 %. Pour elles, c’est une condition indispensable à l’obtention d’un rating
très élevé.

1. Introduit par les accords de Bâle III en 2010, le Liquidity Coverage Ratio (LCR) oblige les banques à maintenir
constamment un niveau d’actifs liquides supérieur à leurs besoins de trésorerie pour les 30 prochains jours.
C’est un ratio de liquidité court terme qui doit permettre d’assurer la survie des banques en cas d’absence de
liquidité prolongée sur les marchés. Il a été introduit en réaction à la faillite de Bear Stearns, Lehman Brothers
et Washington Mutual en 2008. Au titre de ce ratio, les covered bonds comptent pour des actifs liquides, ce
qui explique l’intérêt des banques à en acheter.
2. Solvency II est le nom donné à la directive qui réglemente le secteur de l’assurance dans l’Union Européenne.
L’objectif de cet ensemble de règles est assez proche des principes édictés par les accords de Bâle pour les
banques. Les compagnies d’assurances doivent démontrer qu’elles sont gérées de façon prudente et qu’elles
financent leurs actifs avec un certain niveau de capital. Ce niveau est fixé par Solvency II et dépend du risque
de chaque actif. En l’occurrence, l’achat de covered bonds ne génère pas une forte charge en capital pour les
compagnies d’assurances.

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La titrisation

„ Quels risques ?
Tant que l’émetteur ne fait pas défaut, les coupons dus sur les covered bonds
sont payés sur les revenus d’exploitation de l’émetteur plutôt que sur les reve-
nus générés spécifiquement par le portefeuille d’actifs donnés en garantie.
Si une banque émettrice de covered bonds fait défaut, le portefeuille d’actifs
auquel ils sont adossés est retiré du bilan de l’émetteur et continue à être
exploité indépendamment par un administrateur. Si ces actifs sont insuffi-
sants pour couvrir le montant dû aux investisseurs, les détenteurs de covered
bonds se retrouvent, pour la part de leur créance non couverte, avec une
créance sur l’émetteur de rang égal à celles des créanciers chirographaires
(principe du « double recours »).

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Chapitre 2 Les acteurs de la titrisation

Avant de plonger plus loin dans les détails de la structuration d’une titrisation,
nous proposons au lecteur de nous arrêter un moment sur le rôle concret de
chacun des acteurs dans une opération de ce type.

1. Les débiteurs
Titrisation – schéma 4.5

Nous appelons ici « débiteurs » les personnes ou entités sur lesquelles existent
les créances qui sont transférées au SPV. Cette catégorie regroupe donc l’en-
semble des personnes physiques ou morales qui contribuent à générer des
revenus pour les actifs titrisés (cf. schéma 4.5).

Schéma 4.5 : rappel sur la place des débiteurs dans le processus de titrisation

Transfert des créances et Emissions des titres et


Remboursements des remboursements versement des intérêts

Emprunteur 1 Investisseur 1
Banque /
Emprunteur 2 SPV Investisseur 2
cédant
Emprunteur… Investisseur…
Prêts Achat des Achat des titres
créances

1.1. Leur rôle


Pour cette catégorie d’acteurs, la titrisation est sans effet. Les particuliers ou les
entreprises dont les prêts font l’objet d’une telle opération ne sont en général
pas au courant de ce transfert. Ils continuent à rembourser leurs emprunts à
la banque comme avant. De la même façon, le processus d’achat d’un disque
de David Bowie était identique à celui12des albums des autres artistes.

1.2. Leur intérêt


Paradoxalement, même si les débiteurs ne savent que très rarement (voire
jamais) que leur créance est titrisée, cette opération est capitale pour eux.
En effet, mécaniquement, d’un point de vue macro-­économique, la titrisa-
tion augmente l’offre de crédit disponible. De la même façon que le marché

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La titrisation

obligataire offre aux grandes entreprises une alternative au crédit bancaire, la


titrisation permet aux marchés financiers de prendre le relais des banques sur
le financement des particuliers, des PME, des LBOs, des cartes de crédit, etc.
La titrisation s’inscrit pleinement dans le processus de désintermédiation
dont nous avons parlé dans l’étude de cas n° 2 consacrée à Michael Milken.
Elle accompagne le changement de modèle de financement de l’économie : on
passe d’une situation dans laquelle les entreprises et les particuliers étaient
financés par les banques (et dans laquelle les banques se refinançaient auprès
de ceux qui avaient des liquidités : particuliers, entreprises, assurances, fonds
de placement ou de retraites) à une économie où ceux qui détiennent des
liquidités les affectent directement à ceux qui ont des besoins de financement.
Dans un contexte marqué par l’augmentation des contraintes réglemen-
taires qui pèsent sur les établissements de crédit, la titrisation représente
une formidable alternative au financement bancaire. Dans la mesure où tout
crédit accordé par une banque doit nécessairement être financé en partie
par des fonds propres1, l’offre de prêt des banques est en effet sous tension.
Ces dernières se détournent des investissements les plus risqués (car ce sont
ceux qui exigent le plus de fonds propres) et sont ravies de pouvoir les céder
à des investisseurs qui n’ont pas les mêmes contraintes : fonds de pension,
hedge funds, etc.

Titrisation – schéma 4.6


2. Le cédant
Le cédant est l’entité qui possède à l’origine les créances titrisées (cf. schéma 4.6).
Comme nous l’avons dit à l’origine, il s’agit le plus souvent d’une banque,
même si d’autres entreprises titrisent fréquemment leurs actifs.

Schéma 4.6 : rappel sur la place du cédant dans le processus de titrisation

Transfert des créances et Emissions des titres et


Remboursements des remboursements versement des intérêts

Emprunteur 1 Investisseur 1
Banque /
Emprunteur 2 SPV Investisseur 2
cédant
Emprunteur… Investisseur…
Prêts Achat des Achat des titres
créances

1. Contraintes imposées par les accords de Bâle successifs comme le sait maintenant le lecteur.

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13
Les acteurs de la titrisation

2.1. Le rôle du cédant


Pour le cédant, le principal travail consiste à sélectionner les actifs à vendre
au SPV. Cette sélection est souvent faite conjointement avec une banque
d’investissement, qui agit comme arrangeur de la transaction. Le choix des
créances à titriser est fait en fonction des besoins du cédant mais aussi des
exigences attendues des agences de notation. Il faut en effet que les tranches
obtiennent un certain rating pour pouvoir être facilement placées. Il faut
donc, en amont, que le portefeuille d’actifs remplisse un certain nombre de
critères de qualité et de diversification.
La vente des actifs est un processus parfois complexe. Il faut en effet évaluer
au mieux la valeur des actifs cédés au SPV. Compte tenu des variations de
taux, les cessions de prêts ne se font pas toujours pour la valeur nominale de
ceux-­ci. En effet, dans le cadre d’un CDO, si l’une des obligations cédées au
SPV est notée AA et paye un coupon fixe, la valeur de cession de cette obliga-
tion dépendra des taux au moment de la cession. Si ceux-­ci sont supérieurs
au taux du coupon du titre, l’obligation sera cédée avec décote. Dans le cas
contraire, le titre sera cédé pour un prix supérieur au nominal1.
D’un point de vue technique, on distingue donc trois scénarios : les actifs
peuvent être cédés au prix d’achat, au prix de marché ou au fair price, ce der-
nier étant une estimation de la valeur de marché de l’actif s’il n’a jamais été
vendu et que les comparables sont rares.

2.2. L’intérêt du cédant


Pour l’entité cédante, les transferts d’actifs dans le cadre d’une titrisation
recouvrent en général trois raisons principales. Bien évidemment, celles-­ci
ne sont pas mutuellement exclusives.

Raison 1 : besoin de liquidités


Le recours à la titrisation peut s’expliquer par un besoin de liquidités de
la part du vendeur, soit pour rembourser des dettes, soit pour financer un
nouveau plan de développement, soit pour toute autre raison. D’une certaine
façon, c’est le cas de notre exemple des Bowie bonds (cf. étude de cas n° 6).

1. Ceci s’explique parce que les investisseurs réalisent constamment des arbitrages. Si un titre noté AA émis il y
a deux ans distribue un coupon 2 % et que les nouveaux titres de ce type sont soudainement émis (du fait de
certaines conditions de marché) avec un taux de 1,5 %, les investisseurs vont chercher à acquérir le titre émis
il y a deux ans car il est plus rémunérateur que les nouveaux pour un risque équivalent. L’augmentation de
l’offre pour le titre ancien va faire monter son prix jusqu’à ce que son rendement ne soit plus que de 1,5 %.

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La titrisation

Raison 2 : optimisation du bilan


Le recours à la titrisation permet aux banques de céder des actifs et donc
d’optimiser leur bilan, souvent dans le cadre des contraintes réglementaires
imposées par les accords de Bâle. En clair, en cédant des prêts, elles se libèrent
de l’obligation d’utiliser une partie de leurs fonds propres pour financer ces
prêts. Elles peuvent donc consacrer les fonds propres qui ne sont plus immo-
bilisés à d’autres opérations qui offrent un meilleur rendement.

Raison 3 : gestion du risque


Ces cessions s’inscrivent parfois dans le cadre d’une politique de gestion du
risque : elles peuvent en effet tout simplement permettre aux banques de
diminuer leur exposition sur une classe d’actifs donnée. Cela ne signifie pas
toujours que la banque n’a plus confiance dans la qualité des actifs cédés.
Cela peut seulement vouloir dire que, compte tenu de l’évolution du marché
et de la taille de son bilan, la banque juge plus prudent de revoir son alloca-
tion d’actifs.
Cette politique de cession peut, paradoxalement, également permettre de
céder certains actifs pour continuer à en acquérir. C’est le cas souvent des prêts
immobiliers aux particuliers. Si, par exemple, en France, une banque estime
être trop exposée au marché immobilier aux particuliers, elle peut alors avoir
recours à la titrisation. En effet, la banque en question souhaite peut-­être
ne plus augmenter son exposition sur cette classe d’actifs pendant un temps
mais elle ne peut décemment pas refuser de prêter à ses clients. Ce serait un
vrai suicide commercial, car les prêts immobiliers sont la principale raison
pour laquelle les particuliers s’adressent aux banques. En cédant une partie
de son portefeuille de prêts immobiliers à des investisseurs tiers par le biais
d’une titrisation, elle se donne donc une marge de manœuvre pour continuer
à prêter à ses clients sans prendre des risques qu’elle juge inconsidérés.

3. Autour du SPV : la vie de la transaction


La création de la société ad hoc (cf. schéma 4.7), l’arrangement de l’opération
et la vie de la transaction font intervenir différents acteurs : SPV, banque
d’affaires, agence de notation, trustee et servicer.

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Titrisation – schéma 4.7

Les acteurs de la titrisation

Schéma 4.7 : rappel sur la place du SPV dans le processus de titrisation

Transfert des créances et Emissions des titres et


Remboursements des remboursements versement des intérêts

Emprunteur 1 Investisseur 1
Banque /
Emprunteur 2 SPV Investisseur 2
cédant
Emprunteur… Investisseur…
Prêts Achat des Achat des titres
créances

3.1. Le Special Purpose Vehicle (SPV)


Comme nous l’avons déjà dit, la société qui acquiert les actifs est une entité
ad hoc. C’est une société sans personnel dont l’objet social se résume aux
actions nécessaires pour permettre la mise en place et le maintien de l’opération.
Ce SPV est une entité juridique 14
indépendante, mise en place, selon les pays
sous forme de trust ou équivalent1. En d’autres termes, le SPV n’est pas
contrôlé par le cédant. Il est totalement autonome et ne répond à aucun autre
objectif que celui de servir un rendement aux investisseurs qui ont acquis les
titres émis par le SPV.
Si en Europe de nombreuses titrisations sont domiciliées au Luxembourg, il
existe cependant en France un cadre juridique propice à la titrisation. Les Fonds
Communs de Créances (FCC) ont été créés par la loi du 23 décembre 1988.
Ce sont des fonds d’investissement spécialisés dont l’objet est l’achat et le
refinancement de créances. En 2008, le Fonds Commun de Titrisation (FCT)
remplace le FCC afin d’améliorer l’efficacité juridique du véhicule français
de titrisation.

3.2. L’arrangeur
L’arrangeur est une banque d’affaires dont le rôle est de structurer l’opéra-
tion. Sa mission est d’aider le cédant à sélectionner les créances qui doivent
être transférées au SPV et de se mettre en lien avec les agences de notation
pour connaître leurs exigences en matière de constitution du portefeuille
d’actifs sous-­jacents.

1. Le trust est une notion de droit britannique dans laquelle une personne morale ou physique cède des actifs à
une entité autonome (le trust). Les actifs sont contrôlés par une personne (le trustee) pour le bénéfice d’une
autre (le bénéficiaire). Ni le cédant, ni le trustee, ni le bénéficiaire ne possèdent le trust. Celui-­ci est totalement
indépendant.

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La titrisation

L’arrangeur agit également en tant que placement agent. Son rôle est d’identi-
fier les investisseurs potentiels et de leur faire acheter les ABS. Pour ce faire,
il rédige l’offering circular relatif à la transaction, c’est-­à-­dire le prospectus qui
présente de façon exhaustive les risques et les opportunités de l’investissement.
Préparer un offering circular est en général, dans chaque pays, une obligation
légale pour tout investisseur qui émet des titres.
L’arrangeur travaille toujours de concert avec un cabinet d’avocat. Ce dernier
rédige l’ensemble des documents et des contrats nécessaires au bon fonction-
nement de la transaction (statuts du SPV, contrat de cession des actifs, etc.)
et l’assiste dans la rédaction de l’offering circular.

3.3. Les agences de notation


En notant les titres émis, les agences de notation participent à la liquidité du
marché de la titrisation. Les notes attribuées permettent aux investisseurs de
se faire rapidement une idée du profil de risque d’un titre et en facilitent le
placement. La notation permet également d’assurer l’existence et la pérennité
d’un marché secondaire.
Les arrangeurs connaissent en général très bien les exigences des agences de
notation et les prennent en compte lorsqu’ils structurent une opération. Les
agences elles-­mêmes peuvent être impliquées très en amont dans la structu-
ration d’une transaction. Elles peuvent en effet donner à l’arrangeur leurs
indications sur la meilleure façon de structurer des tranches pour obtenir
les notes souhaitées.
Même si on peut être extrêmement critique sur le rôle joué par les agences
de notation pendant la crise des subprimes (cf. étude de cas n° 8), il faut
garder en tête le rôle qui est le leur. Les notes doivent faciliter la transmis-
sion d’informations financières et donc par ricochet la liquidité du marché.
Même si les analystes dans ces agences sont des professionnels, leur avis
n’engage qu’eux-­mêmes. L’attribution d’une bonne note à un titre financier
– quel qu’il soit ! – ne doit pas dispenser un investisseur qualifié de faire une
analyse de son côté.

3.4. Le trustee
Le trustee est l’entité responsable de l’administration du SPV. Son rôle couvre
donc une multitude de tâches :

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Les acteurs de la titrisation

− il s’assure d’abord que les actifs ont bien été transférés au SPV ;
− il récupère les flux générés par les actifs ;
− il organise le paiement des coupons et le remboursement du principal
des obligations émises ;
− il gère toutes les dépenses de fonctionnement du SPV (paiement des
comptables, des auditeurs et des avocats) et ;
− il fournit aux investisseurs tous les reportings prévus dans la documen-
tation juridique.
Le trustee est un acteur clé du processus de titrisation. Son rôle est dans les
faits de protéger les intérêts des investisseurs, en s’assurant à la fois de la
bonne marche de la transaction et en leur fournissant toutes les informations
nécessaires sur la performance du portefeuille sous-­jacent.

3.5. Le servicer
Le servicer est l’entité en charge des aspects les plus opérationnels d’une
titrisation. Son rôle est notamment de collecter effectivement les paiements
dus au SPV, de recouvrer les impayés et d’exercer en cas de défaut les sûretés
éventuelles associées aux créances. Il arrive souvent que le servicer soit l’entité
qui a cédé ses actifs au SPV. Elle est en effet très bien placée pour s’occuper
de ces aspects très concrets.

4. Les investisseurs
Les investisseurs dans les opérations de titrisation (cf. schéma 4.8) sont géné-
ralement des hedge funds ou des investisseurs institutionnels mais sont aussi
parfois des family offices1 ou des banques privées2.

1. Un family office est une société d’investissement qui gère les actifs de familles extrêmement fortunées. Certains
family offices se concentrent sur la gestion de la fortune d’une seule famille, d’autres s’occupent de plusieurs
familles en même temps.
2. Des banques privées sont des banques spécialisées dans la gestion du patrimoine de clients fortunés. Elles
s’adressent à des clients plus aisés que les banques de détails mais beaucoup moins que les family offices.

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Titrisation – schéma 4.8

La titrisation

Schéma 4.8 : rappel sur la place du SPV dans le processus de titrisation

Transfert des créances et Emissions des titres et


Remboursements des remboursements versement des intérêts

Emprunteur 1 Investisseur 1
Banque /
Emprunteur 2 SPV Investisseur 2
cédant
Emprunteur… Investisseur…
Prêts Achat des Achat des titres
créances

4.1. Leur intérêt


Pour les investisseurs, la titrisation représente le moyen d’investir dans des
classes d’actifs auxquelles ils n’avaient pas accès auparavant. Un petit inves-
tisseur institutionnel belge peut ainsi par exemple acheter sans difficultés des
RMBS s’appuyant sur des prêts immobiliers au Royaume-­Uni ou des CDOs
15
regroupant des prêts LBO aux États-­Unis.
Sans la titrisation, cet investisseur n’aurait pas pu accéder à ces marchés.
Au mieux, il aurait pu acheter les actions d’une banque britannique très
exposée à l’immobilier ou investir dans les titres d’une banque américaine
qui souscrit de nombreux prêts LBO. Dans les deux cas, ces stratégies d’in-
vestissement par défaut auraient cependant eu pour conséquence d’exposer
l’investisseur à des actifs autres que ceux qu’il souhaitait initialement acheter.
Il aurait en effet dû porter le risque total sur les deux banques et non pas le
risque lié uniquement aux actifs qui l’intéressent.
La titrisation permet en somme aux investisseurs de réaliser eux-­mêmes leur
allocation d’actifs. En ayant désormais un choix d’actifs beaucoup plus large,
tant en termes de sous-­jacents (CDOs de toute sorte, aircraft ABS, etc.) que
de profil de risques (de equity à AAA), les investisseurs, même les plus petits,
peuvent créer directement le portefeuille qui correspond le plus à leur vision
du marché.

4.2. Le cas des cédants-­investisseurs


Le lecteur sera peut-­être surpris d’apprendre qu’une banque peut parfois
investir dans des titres adossés à des actifs qu’elle a elle-­même titrisés. Ce type
de transaction peut sembler contre-­intuitif mais s’explique avant tout par
des raisons réglementaires. En clair, la banque cédante cherche à diminuer

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Les acteurs de la titrisation

ses RWAs pour allouer son capital à d’autres transactions tout en conservant
une exposition (et des revenus) à des actifs qu’elle connaît bien.
Concrètement, on peut imaginer le cas suivant :
− une banque décide de titriser une partie de son portefeuille de titres
high yield ;
− ces titres de dette étant très risqués, leurs équivalents en RWAs sont de
l’ordre de 100 à 150 % de leur montant nominal1. Du fait des contraintes
réglementaires, la banque immobilise donc beaucoup de fonds propres
pour financer ces actifs ;
− le SPV mis en place à l’occasion de l’opération de titrisation, acquiert la
totalité du portefeuille de la banque et émet six tranches de titres – dont
cinq de dette (notées de AAA à BB) et une d’equity – pour le financer ;
− la banque souscrit la totalité de la tranche senior émise par le SPV et
place les cinq autres tranches auprès de divers investisseurs.
Dans une telle transaction, la banque garde une exposition aux titres high
yield qu’elle détenait mais conserve uniquement la partie la moins risquée
de son portefeuille. D’un point de vue conceptuel, on peut alors dire qu’elle
a échangé un portefeuille de prêts high yield (très consommateurs de fonds
propres) contre des liquidités et un plus petit portefeuille de titres notés AAA
(faiblement consommateur de fonds propres).

1. Règles Bâle II, reprises par Bâle III.

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La titrisation

Cas 8 La crise des subprimes


La crise des subprimes est sans aucun doute l’un des exemples historiques d’écla-
tement de bulle financière les plus traumatisants. Il est facile de prétendre,
comme on le lit parfois, que tout était écrit d’avance. Il est plus complexe en
revanche de comprendre la lente mécanique de la formation de cette bulle
et d’analyser les interactions entre tous les acteurs qui, chacun à leur niveau,
ont contribué à cette crise.

„ La politique de la Réserve Fédérale américaine (FED)


En toile de fond, on peut rappeler que la décennie précédant l’éclatement de
la bulle immobilière est marquée par une forte expansion du crédit, alimentée
notamment par la politique de taux accommodante de la Réserve Fédérale
américaine (FED). Au début des années 2000, la FED prend la décision – pour
limiter les risques de récession suite à l’éclatement de la bulle internet – de
baisser sur une période très courte les taux directeurs de façon spectacu-
laire. Ces derniers passent de 6,5 % en mai 2000 à 1,75 % en décembre 2001.
Ils atteignent même 1 % en 2003, un plus bas historique depuis 45 ans.
La permanence de taux faibles conduit naturellement les banques à prêter
davantage. C’était d’ailleurs le but explicite de cette politique. En revanche,
ce que la FED n’avait pas prévu c’est la formation d’une bulle immobilière.
Profitant des conditions de crédit favorables, les ménages américains s’endet-
tent pour acheter des logements et investir dans la pierre. Les prix s’envolent
peu à peu et, certains États comme la Californie, l’Arizona, Hawaï et le Nevada
enregistrent pendant plusieurs années des augmentations moyennes de prix
à deux chiffres.
Dans les années 2000, le pourcentage d’Américains propriétaires atteint un
niveau historique. En parallèle, de nombreux ménages multiplient les achats
immobiliers d’investissement. En 2005, ces derniers représentent 28 % des
achats résidentiels aux États-­Unis. Dans certaines régions, et notamment à
Miami ou dans le sud de la Californie, les achats à but spéculatif (flipping) se
multiplient : les acheteurs revendent leurs biens peu après l’achat, sans même
les avoir habités ou donnés en location, dans le seul espoir de profiter de la
hausse des prix immobiliers.

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Les acteurs de la titrisation

„ La politique de logement américaine


C’est dans ce contexte très particulier qu’il faut revisiter la politique du loge-
ment aux États-­Unis des années 1990 et 2000. Dans l’intention – louable à
l’origine – d’aider les ménages américains les plus modestes à devenir pro-
priétaires, les administrations Clinton (1993-­2000) puis Bush (2001-­2008)
demandent à Fannie Mae et Freddie Mac1 de s’impliquer activement dans le
financement des prêts immobiliers accordés aux familles les plus pauvres.
Dans cette optique, l’État fédéral autorise, en 1995, Fannie Mae et Freddie
Mac à acquérir des CDOs de prêts subprimes, c’est-­à‑dire des ABS adossés
à des prêts à des ménages très modestes2. En 2004, le US Department of
Housing and Urban Development, l’équivalent américain du Ministère du
Logement, revoit ces objectifs à la hausse et pousse les deux institutions à
acquérir encore davantage de CDOs subprimes, accroissant ainsi à nouveau
la liquidité disponible au refinancement des prêts de faible qualité.

„ Les Negative-­Amortizing Adjustable Rate Mortgages


Au-­delà d’un accès facile au crédit, c’est la forme même des prêts qui souligne
l’existence d’une bulle immobilière. Au milieu des années 2000, il est de plus
en plus rare de la part des banques d’exiger un apport personnel pour l’achat
d’un logement. En outre, on assiste à la généralisation des prêts à taux variable
(ARM) et, plus encore, à la multiplication des interest only negative-­amortizing
adjustable-­rate subprime mortgage qui sont, en clair, des prêts à taux variable
non amortissables à destination des ménages les plus modestes.
Ces ARM non amortissables sont d’une attractivité redoutable. Ils offrent la
possibilité de différer une partie des remboursements pendant deux ans. Ainsi,
dans ce système, un ménage peut par exemple emprunter 500 000 dollars à
10 % sur 15 ans et n’avoir à payer, les deux premières années, que des intérêts
très faibles, de l’ordre de 2 %. Ce système ne fonctionne bien évidemment que
parce que les intérêts restant dus viennent s’ajouter à la somme empruntée.
En clair, pour le ménage, la situation est la suivante :

1. Fannie Mae et Freddie Mac sont deux sociétés privées qui bénéficient d’une garantie implicite de l’État fédéral
en échange de la réalisation de missions de service public dans le domaine du logement.
2. L’expression subprime désigne les ménages qui ont une faible qualité de crédit. Littéralement, elle signifie que les
emprunteurs se situent sous la catégorie des emprunteurs prime, c’est-­à‑dire considérés comme naturellement
solvables.

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La titrisation

− la première année, il doit payer à la banque 2 % sur 500 000 dollars, soit
10 000 dollars. Dans le même temps, son emprunt augmente de 8 %,
soit la valeur des intérêts dus et non payés. L’endettement du ménage
se monte donc à 540 000 dollars à la fin de la première année ;
− La seconde année, le ménage doit payer 2 % sur 540 000 dollars, soit
10 800 dollars. Sa dette progresse en parallèle de 8 % pour atteindre
583 200 dollars.
Le système est donc extrêmement pernicieux. Il n’existe que parce que tous les
intervenants croient en une hausse constante des prix de l’immobilier. La pro-
position commerciale de la banque est en effet très simple : si une maison vaut
aujourd’hui 500 000 dollars, on peut prêter cette somme à un ménage pour
en financer l’acquisition. Comme les prix de l’immobilier montent sans cesse,
cette maison aura dans deux ans une valeur bien supérieure. Elle doit donc
sans problème pouvoir servir de collatéral pour lever, deux ans plus tard, un
financement d’une valeur minimale de 583 200 dollars. Ce nouvel emprunt
doit permettre de rembourser l’ancien et de repartir avec le même schéma :
taux préférentiel sans remboursement de principal pendant deux ans puis
refinancement grâce à un nouveau financement (et ainsi de suite).
Cet incroyable montage est d’une fragilité extrême. Il reste vulnérable, non pas
seulement à une baisse des prix mais à une diminution de la hausse. En effet,
dans notre exemple, si les prix de l’immobilier augmentent moins vite que
8 % par an, il devient impossible, après deux ans, de refinancer son bien car
celui-­ci a une valeur de marché inférieure au notionnel du prêt. L’emprunteur
fait donc défaut car il lui est impossible de faire face à l’échéancier du prêt
qui lui a été accordé à l’origine.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la crise éclate en 2007. C’est en effet deux ans
plus tôt, en 2005, que ce type de prêts devient très populaire. La faible hausse
des prix de l’immobilier cette année-­là provoque des défauts en cascade chez
les ménages les plus modestes, incapables de refinancer leurs prêts. Parmi les
tristes histoires de la crise, on trouve en Californie, l’exemple d’un cueilleur
de fraises mexicain ne parlant pas un mot d’anglais, dont le salaire annuel
était de 14 000 dollars et auquel on a prêté 724 000 dollars, soit la totalité de
la valeur de la maison qu’il souhaitait acquérir.

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Les acteurs de la titrisation

„ La titrisation comme canal de distribution


Pour recycler l’ensemble de ces prêts, l’industrie bancaire américaine a recours
à la titrisation. Des compagnies d’assurances, des fonds de pension, des hedge
funds et des investisseurs étrangers acquièrent des tranches de CDO adossés
à des prêts immobiliers subprimes. La galaxie des prêteurs s’accroît et, avec
elle, le montant des prêts consentis. Le marché américain des subprimes
est multiplié par 200 en 10 ans. Il passe de 3 milliards de dollars en 1995 à
130 milliards en 2000 pour atteindre 625 milliards en 2005. Sur cette somme,
507 milliards sont placés sous forme de CDOs à des investisseurs.

„ Le rôle des banques d’affaires


Cette croissance incroyable est bien sûr rendue possible par l’implication
grandissante des banques d’affaires américaines. Dès la fin des années 1990,
elles se positionnent en effet fortement sur le marché de la titrisation et
plus particulièrement sur celui des CDOs subprimes. Elles arrangent alors
de nombreuses transactions dans lesquelles elles convainquent des banques
commerciales et des caisses d’épargne de titriser leurs portefeuilles de prêts.
Pour que les tranches de CDOs obtiennent les meilleures notes possibles de
la part des agences de notation, les banques exploitent en outre allègrement
les failles du système censé noter la capacité de remboursement des ménages
américains. Inventée dans les années 1950, la grille de notation FICO (du
nom de la société qui l’a élaborée, Fair Isaac Corporation) doit permettre
de se faire une idée rapide de la solvabilité d’un client à travers quelques
données personnelles. Ainsi, un score FICO élevé démontre une qualité de
crédit excellente alors qu’un score faible souligne que les chances de défaut
sont importantes.
Rapidement, les plus grandes banques d’affaires comprennent que les agences
de rating, dans leur processus d’attribution des notes, ne prennent en compte
que la moyenne des scores FICO du portefeuille de prêts sous-­jacents. Afin
d’obtenir des moyennes acceptables, les banques mélangent donc, dans
chaque SPV, des prêts accordés à des emprunteurs mal notés et des prêts à des
emprunteurs bien notés. Elles savent pourtant que la probabilité de défaut
d’un tel portefeuille est en réalité supérieure à celle d’un portefeuille composé
uniquement de prêts accordés à des emprunteurs moyennement bien notés.
Les emprunteurs bien notés ne sont, en outre, pas toujours ceux qu’on attend.
L’une des grandes faiblesses de FICO est en effet de permettre aux ménages
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La titrisation

sans historique de crédit d’obtenir de très bonnes notes. Les immigrés à faibles
revenus qui n’ont jamais emprunté peuvent donc obtenir un score excellent
pour peu qu’ils n’aient pas fait défaut sur leurs cartes de crédit.
Enfin, pour entretenir l’illusion que les portefeuilles de prêts présentent
une relative diversité, les banques mélangent entre elles, voire inventent, de
nouvelles sous-­catégories de prêts subprimes : les prêts Alt-­A (alternative aux
emprunteurs notés A), les HEL (Home Equity Loan), les HELOC (Home Equity
Line of Credit), les prêts midprimes … Ironie de l’histoire, pendant que certains
départements des banques d’affaires structurent des CDOs de plus en plus
risqués, d’autres départements, dans les mêmes établissements, investissent
dans ces titres qui offrent – en apparence – la sécurité d’un AAA.

„ La responsabilité des agences de notations


Lorsque Standard & Poor’s note AAA un titre financier, cela signifie, dans
son modèle interne, que ce titre n’a que 0,12 % de chance de faire défaut
dans les cinq prochaines années. Dans les faits, 28 % des CDOs notés AAA
par Standard & Poor’s sur la période précédant la crise ont fait défaut1. C’est
200 fois plus qu’estimé à l’origine.
Les raisons avancées pour expliquer ces erreurs sont multiples mais il est
clair a posteriori que l’augmentation continue des prix de l’immobilier a
endormi la méfiance de beaucoup d’analystes travaillant dans les agences
de notation. Négligence ou incompétence, le modèle financier de Moody’s
qui permet de noter les CDOs utilise certes des données statistiques jusque
dans les années 1980 mais se limite au marché américain, une période pen-
dant laquelle les prix de l’immobilier ont toujours été stables ou en hausse.
Personne n’envisage la possibilité d’une crise immobilière exceptionnelle
comme le Japon en a connu dans les années 1990.
Dans une titrisation, les agences de notation sont en outre les clientes des
banques d’affaires et elles ne sont payées que si les transactions qu’elles
doivent noter se réalisent. Elles ont certes une réputation en jeu mais remettre
en cause chaque transaction, c’est courir le risque de ne pas être mandaté
pour la prochaine. Les enjeux financiers sont colossaux. Chez Moody’s,
les profits de la division structured finance augmentent de 800 % entre 1997

1. Source : Standard & Poor’s.

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Les acteurs de la titrisation

et 2007. L’entreprise est d’ailleurs celle qui a la meilleure marge du S&P 5001
pendant 5 ans.
Un autre biais, plus pernicieux encore, vient également perturber le travail
des agences de notation : la plupart de leurs salariés rêvent de rejoindre une
banque d’affaires. Ils ont en général déjà postulé et ont été recalés. L’une des
expressions célèbres à New York à l’époque est de dire « que ceux qui n’arrivent
pas à avoir un job à Wall Street, prennent un job chez Moody’s ». La phrase
est cruelle mais pas totalement inexacte. Les analystes dans les agences de
notation sont donc souvent davantage occupés à faire passer leur CV aux
banquiers avec lesquels ils travaillent qu’à analyser des CDOs. Pour rappel,
en 2005, la rémunération annuelle moyenne d’un employé de Moody’s était
de 185 000 dollars contre 520 000 chez Goldman Sachs.

„ L’éclatement de la bulle
La somme de ces petites erreurs, de ces omissions et de ces mensonges
débouche en 2007 sur les premiers défauts de prêts subprimes. La crise
s’étend rapidement, entraînant la chute de nombreuses sociétés spécialisées
dans le crédit hypothécaire, puis celle de Bear Stearns et finalement celles de
Lehman Brothers et Washington Mutual, les deux plus grandes faillites de
l’histoire américaine.
Ultime ironie de cette histoire, c’est ceux-­là mêmes qui n’avaient pas vu la
crise venir, voire qui l’ont provoquée, qui doivent mettre en place les solutions
pour la résoudre : Henry Paulson, secrétaire d’État au Trésor (ancien PDG
de Goldman Sachs de 1998 à 2006), Thimothy Geithner, qui remplacera
Paulson après l’élection d’Obama (ancien président de la Réserve Fédérale
de New York2) et Ben Bernanke, chairman de la FED (après avoir siégé à son
conseil d’administration de 2002 à 2005).

1. L’un des principaux indices boursiers américains.


2. Et qui donc avait pour responsabilité de superviser et de réguler les banques situées à New York.

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La titrisation

Cas 9 Le Big Short de Michael Burry1


C’est au début de l’année 2004 que Michael Burry, un jeune fund manager de
33 ans atteint du syndrome d’Asperger2, se penche pour la première fois sur
l’étude de la titrisation et du marché des subprimes. Son sentiment profond
est que le marché immobilier est surévalué et qu’il est sans doute temps de
se positionner pour profiter d’une baisse.

„ Se positionner à la baisse
Poussé par son obsession du détail, Michael Burry est à cette époque sans
doute le seul à lire avec attention les documentations juridiques de très
nombreuses transactions de CDOs et de RMBS. Il y découvre que la qualité
des emprunteurs des prêts hypothécaires sous-­jacents s’est dégradée au fil
des années et que le recours aux ARM non amortissables3 s’est généralisé.
Pour commencer, Michael Burry, qui dirige à l’époque son propre fonds,
Scion Capital, décide d’acheter des CDS4 sur les principales sociétés de crédit
immobilier américaines. Il prend bien sûr cette position sans pour autant
posséder la dette de ces entreprises. Il accepte donc de s’assurer contre un
risque qu’il ne court pas. En clair, il parie sur la faillite de ces sociétés : il verse
une prime d’assurance (minime) dans l’espoir de voir ces sociétés faire faillite
et de toucher une indemnité (maximale). C’est une façon de shorter la dette
de ces sociétés.
Rapidement, Michael Burry comprend cependant qu’il a plus intérêt à shorter
les CDOs ou les RMBS directement. En effet, même s’il pense que les sociétés
de crédit immobilier ou les banques vont faire des pertes du fait des défauts
des emprunteurs, il n’est pas dit pour autant qu’elles seront dans l’impossi-
bilité de faire face à leurs obligations financières.

1. Le titre de cette étude de cas est un hommage à l’excellent ouvrage The Big Short de Michael Lewis, dont le
présent chapitre est librement inspiré.
2. Le syndrome d’Asperger est une forme d’autisme sans retard mental.
3. Cf. étude de cas précédente sur la crise des subprimes.
4. Un CDS est un produit financier qui fonctionne comme une assurance-­crédit : celui qui l’achète paie une prime
pour être protégé en cas de défaut d’un titre financier. Il est donc indemnisé si ce titre fait effectivement défaut.
Nous renvoyons le lecteur peu familier des CDS à l’annexe 3 dans lequel leur fonctionnement est expliqué de
façon détaillée.

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Les acteurs de la titrisation

„ L’achat de CDS sur CDOs


Pour profiter au maximum du crash immobilier qu’il anticipe, Michael Burry
décide donc d’acheter des CDS sur les tranches de CDOs ou de RMBS ados-
sées à des prêts subprimes. À l’époque cependant, un tel produit n’existe pas.
Il contacte donc l’ensemble des banques d’affaires pour savoir si elles peuvent
mettre au point un tel produit. Dans un premier temps, seules Goldman
Sachs et Deutsche Bank reviennent vers lui. Elles l’aident à mettre au point
un contrat-­cadre, qui régit les conditions de paiement des primes de CDS et
de remboursement en cas de défaut des actifs sous-­jacents.
En juin 2005, l’ISDA, l’International Swap and Derivatives Association, l’associa-
tion professionnelle en charge de fournir des contrats types sur les produits
dérivés, officialise un document final et permet à Michael Burry d’acheter
des CDS sur CDOs. La formule retenue est un pay-­as-­you-­go, c’est-­à‑dire que
le vendeur de CDS doit indemniser l’acheteur au fur et à mesure des défauts
du portefeuille sous-­jacent.
Très rapidement, Goldman Sachs et Deutsche Bank vendent à Scion Capital
pour plusieurs centaines de millions de CDS. À l’autre bout de la chaîne, ils
cèdent leur exposition à plusieurs investisseurs, dont l’assureur américain
AIG, qui devient rapidement la plus grande contrepartie de Michael Burry,
puis des autres hedge funds qui feront le même pari.
En vendant de très nombreux CDS sur des tranches de CDOs notés AAA, AIG
pense faire une excellente affaire. Les traders de l’assureur considèrent en effet
que ces titres, compte tenu de leur notation, n’ont qu’une faible chance de
défaut. Cette stratégie est la cause directe des pertes abyssales d’AIG pendant
la crise. En 2008 au travers de ses CDS, AIG assure en effet un portefeuille
de plus de 57 milliards de dollars de prêts subprimes.

„ L’analyse de Michael Burry s’ébruite


Parmi les traders qui permettent à Scion Capital d’acheter les CDS vendus par
AIG, un trader senior de Deutsche Bank, Greg Lippman, tente de comprendre
les motivations de Michael Burry. En étudiant à son tour les sous-­jacents avec
attention, il comprend rapidement que la présence de nombreux ARM non
amortissables dans les portefeuilles d’actifs titrisés rend les CDOs vulnérables,
non pas à un effondrement du marché immobilier mais à un simple ralen-
tissement. Comme il le dira lui-­même, « zero means zero », c’est-­à‑dire qu’une

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La titrisation

croissance nulle du marché immobilier rend impossible le refinancement


des ARM et doit mécaniquement entraîner le défaut de nombreux CDOs.
En voulant trouver de nouveaux acheteurs de CDS, Greg Lippman ébruite
rapidement l’analyse de Michael Burry. Il en parle à de nombreux investis-
seurs. Bientôt, John Paulson achètera pour plusieurs centaines de millions
de CDS. D’autres hedge funds feront de même : Cedar Hill Capital Partners,
Elliott Associates, Harbinger Capital Partners, Hayman Capital et quelques
autres. Au total cependant, le nombre de participants à ce pari est faible. Sans
doute moins de 20 hedge funds selon les chiffres les plus optimistes.
La beauté du pari est que les acheteurs de CDS n’ont bien évidemment pas à
détenir les CDOs. Les montants assurés ne dépendent donc plus directement
du nombre de prêts sous-­jacents. Ils dépendent uniquement de l’appétit
d’investisseurs à vendre des CDS. En somme, tant qu’il y a des investisseurs
pour croire que les CDOs subprimes contenant des ARM méritent un AAA
et que c’est un pari facile que d’en assurer le défaut, le marché est sans fin.

„ Épilogue
Paradoxalement, bien qu’il ait été le premier à voir la faille dans le marché des
subprimes, Michael Burry n’est pas celui qui en a profité le plus. La taille des
investissements d’un hedge fund est en effet limitée par les montants que ce
dernier a sous gestion. De ce point de vue, Scion Capital, est plutôt un petit
fonds. Avec seulement 500 millions de dollars sous gestion, il reste un acteur
très modeste. À titre de comparaison, Paulson & Co, le fonds qui enregistrera
les plus gros gains en spéculant contre les subprimes gère, à l’époque, plus
de 12 milliards de dollars.
En outre, en ayant été, dès la fin du premier semestre 2005, le premier à ache-
ter des CDS, Michael Burry a été celui qui a payé les primes d’assurance le
plus longtemps. Cette situation lui mettra certains de ses investisseurs à dos.
Fin 2006, Gotham Capital, un fonds new-yorkais ayant investi 100 millions
de dollars dans le fonds de Michael Burry, demande ainsi à récupérer son
investissement du fait de la faible performance du fonds. Sûr de lui, Burry
refuse de rendre son argent à Gotham Capital et est à deux doigts du procès
avant que l’éclatement de la bulle des subprimes vienne faire changer d’avis les
gérants de Gotham, très heureux, au final, de participer à une telle opération.

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Chapitre 3 Structuration d’une transaction

Après avoir établi les grands principes de la titrisation et détaillé le rôle des
différentes parties, nous pouvons désormais évoquer des points plus com-
plexes liés notamment à la structuration des transactions.

1. Composition du portefeuille d’actifs titrisés


Comme un lecteur averti l’aura compris, l’élément clé d’une titrisation réussie
est de correctement sélectionner les actifs transférés au SPV. Si possible, bien
sûr, il faut d’abord éviter de choisir des sous-­jacents aussi mauvais que ceux
qui avaient été achetés pendant la crise des subprimes (cf. étude de cas n° 8).
Si cette condition est remplie, le portefeuille d’actifs du SPV doit respecter
et concilier trois principes : réunir en grand nombre, des actifs similaires et non
corrélés.

1.1. Granularité : un large portefeuille d’actifs


Pour qu’une titrisation soit réussie, il faut d’abord idéalement que le SPV
détienne un très grand nombre d’actifs sous-­jacents. On dit alors que la granu-
larité du portefeuille doit être très élevée. C’est seulement dans ces conditions
que l’arrangeur, sur les conseils des agences de notations, pourra trancher
le risque de façon pertinente. Inclure un grand nombre de créances dans le
portefeuille titrisé, c’est s’assurer que les revenus du SPV sont suffisamment
diversifiés pour ne pas être trop affectés par le défaut d’un actif particulier.

1.2. Similarité : une même famille d’actifs


Le second ingrédient d’une titrisation réussie est de créer un portefeuille
d’actifs similaires. Si un SPV réunit à la fois des prêts aux PME américaines,
des prêts hypothécaires aux particuliers en Europe, des prêts LBO, des leases
d’avions et des prêts étudiants, la lecture du risque sous-­jacent devient très
compliquée pour un investisseur.
On pourrait certes penser qu’une grande variété d’actifs diminue le risque
des investisseurs mais, comme nous l’avons expliqué au chapitre précédent,
ceux-­ci préfèrent en général faire directement leur propre allocation d’actifs.
207

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La titrisation

Ils préféreront donc, par exemple, toujours souscrire à deux titrisations


indépendantes, l’une immobilière et l’autre de cartes de crédit, plutôt qu’à
une seule opération dont le portefeuille sous-­jacent serait composé de ces
deux types d’actifs.
En outre, si un SPV acquiert des prêts aux entreprises et aux particuliers
de tous montants, sur tous types de sous-­jacents et dans tous pays, le SPV
devient en quelque sorte une petite banque généraliste. À cette opportunité,
les investisseurs préféreront toujours les actions ou obligations de véritables
établissements bancaires : les titres en effet sont plus liquides et les banques
peuvent, en cas de difficultés, être recapitalisées, bénéficier des avantages de
lois sur la faillite ou de soutiens publics.

1.3. Diversification : des actifs non corrélés

Principe
Même si la similarité des actifs du portefeuille doit être forte, il faut cependant
s’assurer que leur corrélation ne soit pas absolue. En effet, si tous les actifs
détenus par le SPV sont parfaitement corrélés, cela signifie que le défaut de
l’un d’entre eux entraîne nécessairement le défaut de tous les autres. Si c’est le
cas, il n’y a aucun intérêt à regrouper un grand nombre d’actifs au sein d’un
même portefeuille. Par ricochet, cela signifie aussi que le tranching des titres
n’a pas de sens puisque cela signifie que soit tous les ABS sont performants,
soit ils font tous défauts.

Risque idiosyncratique et risque systémique


Une autre façon d’exprimer cette notion de diversification est de dire que le
SPV accepte d’être exposé au risque intrinsèque de chaque titre (dit risque
idiosyncratique) mais doit éviter d’être exposé à un risque systémique, c’est-­à‑dire
à un risque qui toucherait l’ensemble de son portefeuille.
Dans les faits, le risque systémique est impossible à éliminer totalement.
De nombreux actifs financiers sont en effet en partie corrélés, surtout s’ils sont
similaires. Ceci étant, il est possible de maintenir ce risque sous contrôle en
sélectionnant avec attention les actifs à inclure dans le portefeuille sous-­jacent.

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Structuration d’une transaction

2. Transactions managées

2.1. Transactions statiques et transactions managées

Transactions statiques (ou bilancielles)


Pour aider notre lecteur à mieux appréhender les grands principes de la titri-
sation, nous avons pour le moment simplifié la réalité de cette technique.
Nous avons en effet considéré que la mise en place d’une titrisation était
uniquement dictée par la volonté d’une banque ou d’une entreprise de céder
un portefeuille d’actifs. Ainsi, au paragraphe 2 du chapitre 2, nous avons
expliqué qu’un cédant procède à une titrisation :
− pour optimiser son bilan ;
− pour arbitrer ses risques ou ;
− pour dégager des liquidités.
En reprenant ces critères, on peut dire qu’une titrisation est dans ce cas une
transaction visant d’abord à servir les intérêts du cédant. Le SPV acquiert ses
actifs auprès d’un seul vendeur et n’a pas vocation à les céder avant qu’ils
arrivent à maturité. On parle alors de transaction statique1.
En Europe, le groupe Volkswagen est un grand utilisateur de titrisation de ce
type. Sa filiale Volkswagen Bank vend en effet régulièrement via des ABS des
portefeuilles de prêts (prêts octroyés aux clients qui ont acheté une voiture
fabriquée par le groupe). Cela permet de soulager le bilan de Volkswagen et de
limiter l’exposition de la société au risque de crédit de ses clients. Volkswagen
reste ainsi donc d’abord un constructeur automobile exposé au succès de la
vente de ses véhicules plutôt qu’une banque exposée au défaut potentiel de
ses débiteurs.

Transactions managées (ou d’arbitrage)


L’existence de transactions statiques (ou bilancielles) ne doit pas masquer
qu’aujourd’hui, de nombreuses transactions sont des titrisations dites managées
(ou d’arbitrage) dans lesquelles le SPV acquiert des actifs auprès de différents
cédants et peut réinvestir le montant des créances arrivées à maturité, voire,
dans certains cas, céder des actifs pour les remplacer par d’autres avant qu’ils
n’arrivent à échéance.

1. On utilise aussi les termes de transactions bilancielles, pour souligner l’effet de la titrisation sur le bilan du
cédant.

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La titrisation

Si le fonctionnement de ces transactions managées est similaire aux opéra-


tions que nous avons vues jusqu’à présent, leur optique est un peu différente.
On passe en effet d’un modèle orienté « cédant », dans lequel il s’agit d’abord
de permettre à une banque ou une entreprise de céder des créances, à un
modèle orienté « investisseurs » dans lequel on souhaite avant tout offrir une
nouvelle opportunité de placement à des investisseurs.

Le collateral manager
À la différence d’une transaction bilancielle, une opération d’arbitrage n’est pas
donc pas initiée par un cédant mais par un gestionnaire d’actif (ou collateral
manager). Ce collateral manager est une société de gestion dont le rôle est de
mettre en place un SPV, de trouver des investisseurs et d’identifier des actifs
à acquérir. Tout se passe en fait comme si le collateral manager créait un fonds
d’investissement spécialisé dans l’acquisition de titres de dette. On parle alors
souvent, selon le cas, de CLOs ou de CDOs d’arbitrage (arbitrage CLO/CDO)1.
Le collateral manager peut être une société de gestion spécialisée uniquement
dans la tritrisation ou appartenir à un groupe plus large, qui gère des fonds
de private equity, des fonds de dette de type unitranche ou mezzanine, des
fonds immobiliers, etc. Dans tous les cas, même si ces sociétés sont actives sur
plusieurs marchés, les équipes de gestion sont distinctes. Parmi les collateral
managers les plus actifs, on retrouve notamment PIMCO, Carlyle, Blackstone,
Ares Management, etc.
Les actifs logés dans le SPV d’une transaction managée ne sont pas achetés
auprès d’un seul vendeur uniquement. Ils proviennent de différents acteurs
(banques, assurances, gestionnaires d’actifs, autres fonds) et sont même
souvent acquis directement sur le marché primaire. Les CDOs d’arbitrage
sont en effet très actifs sur le marché du high yield, de la dette de LBO (senior
ou mezzanine) mais aussi des prêts classiques. On peut retrouver dans le
graphique 4.9 une représentation schématique d’une titrisation managée.

1. Nous rappelons ici au lecteur que les termes CDO ou CLO désignent les obligations émises par les SPV mais
également, par extension, les SPV qui émettent ces CDOs ou CLOs.

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Structuration d’une transaction

Schéma 4.9 : le principe d’une titrisation managée

Les investment guidelines


Même s’il est libre de choisir les actifs du SPV, le collateral manager n’a pas
pour autant la possibilité de faire n’importe quoi. Les critères d’investissement
auquel il s’astreint figurent dans les investment guidelines de la transaction et
sont bien évidemment consultables par tout investisseur potentiel.
Ces critères d’investissement se répartissent en trois catégories : (i) les cri-
tères d’éligibilité, (ii) les tests de portefeuille et (iii) les tests sur la qualité du
collatéral.
− Les critères d’éligibilité (eligibility criteria) sont les critères auxquels chaque
actif acheté par le SPV doit répondre individuellement. Ces critères
déterminent par exemple si les achats de dette non-investment grade
sont permis, s’il est possible d’acheter de la dette non-tirée, de la dette
immobilière, de la dette mezzanine, de la dette liée à un financement de
projet, etc. Ces critères fixent aussi notamment la maturité maximum
et minimum de chaque actif.
− Les tests de portefeuille (portfolio profile tests) permettent d’assurer la
diversification du portefeuille. Ils imposent au collateral manager de
vérifier que chaque catégorie d’actifs dans le portefeuille ne représente
pas plus d’un pourcentage déterminé du total. Ces tests peuvent fixer
par exemple que les actifs notés sous CCC+ ne représentent pas plus
de 10 % du total. Ils limitent également la concentration par émetteur
ou par secteur.

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La titrisation

− Les tests sur le collatéral (collateral quality tests) imposent au collateral


manager que l’acquisition de nouveaux actifs ne détériore pas la qualité
moyenne du portefeuille sous un niveau fixé au préalable (rating moyen
des actifs, durée moyenne des prêts, etc.).
Compte tenu de ces spécificités, les déterminants d’investissement sont dif-
férents pour une transaction bilancielle et une transaction managée. Dans
une opération statique (comme celle des Bowie Bonds), c’est la qualité des
actifs sous-­jacents qui est au cœur de la décision d’investissement. Dans une
opération d’arbitrage en revanche, les déterminants de la décision de sous-
cription des CLOs sont autant les actifs en portefeuille que la réputation du
collateral manager et le contenu des investment guidelines.

D’un modèle de refinancement à un modèle de financement


Comme un lecteur attentif l’aura noté, l’apparition des transactions mana-
gées change en partie la nature de la titrisation. Alors que dans un modèle
classique, la titrisation n’est qu’un outil de refinancement, c’est davantage
une technique de financement dans le cas d’une transaction managée. Pour
permettre au lecteur d’y voir plus clair, nous récapitulons dans le tableau 4.10
les différences et similitudes entre une transaction statique et une opération
managée.
Le passage d’un modèle de refinancement à un modèle de financement cor-
respond également à une modification de l’impact de la titrisation. En effet,
les transactions managées sont plus simples et moins contraignantes à mettre
en place. Inutile d’attendre qu’une banque souhaite céder des actifs. Il suffit
de créer un SPV et d’avoir une démarche active de sélection des créances à
acquérir.

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Structuration d’une transaction

Tableau 4.10 : comparaison entre les transactions statiques et managées

Transaction statique Transaction managée


Les créances sont acquises
auprès de différents
Les créances sont acquises cédants et/ou directement
Origine des actifs par le SPV auprès d’un seul sur le marché
cédant de la dette
ou sur le marché
obligataire
Théoriquement, tout type Essentiellement de la dette
Caractéristique des actifs
de créances bancaire ou obligataire
Similarité des actifs
Oui Oui
du portefeuille sous-­jacent
Active : lorsqu’une créance
arrive à échéance, le SPV
peut acquérir un autre
actif.
Gestion de la transaction Passive
Selon les cas, le SPV
peut également céder
les créances avant leur
échéance
Qualité des actifs du SPV
au moment
Critères qui motivent de la souscription
la décision d’achat Qualité des actifs du SPV des titres.
des ABS/CDOs Track record/performance
du collateral manager.
Investment guidelines du SPV
Refinancement
des créances du cédant.
Financement direct
Opportunité
de l’économie
Intérêt de la transaction d’investissement
par les acteurs non
pour les investisseurs
bancaires
institutionnels
ou alternatifs

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La titrisation

2.2. Les trois phases d’une transaction managée


À l’image d’une transaction statique, une titrisation d’arbitrage a également
une date de fin. Celle-­ci figure dans les statuts du SPV (by-­laws) et se situe
souvent une grosse dizaine d’années après la date de début de l’opération.
On distingue en général trois phases dans la vie d’une titrisation d’arbitrage :
− la période initiale ;
− la période de réinvestissement et ;
− la période finale.
Période initiale (ramp-­up period)
Pendant la période de ramp-­up, le collateral manager bâtit le portefeuille du
SPV. Il réalise les achats d’actifs grâce à l’aide d’une banque d’affaires qui va
à la fois l’aider à identifier les actifs et à les acquérir grâce à l’octroi d’un prêt
(warehouse loan bridge). Ce prêt doit permettre au SPV de disposer de liquidités
avant même d’avoir émis des titres.
Une fois que le portefeuille a atteint une certaine taille critique, souvent 75 %
de l’objectif final, le SPV émet les titres et rembourse ainsi le warehouse loan
bridge. On dit alors que la transaction est close (closed). Une fois que les inves-
tisseurs ont souscrit la totalité des titres émis par le SPV, ce dernier dispose
des fonds nécessaires pour finaliser la constitution de son portefeuille et
acquérir les 25 % d’actifs restants. La banque d’affaires qui place les titres est
en général la même que celle qui aide le collateral manager à identifier les actifs.

Période de réinvestissement (reinvestment period)


Cette phase correspond à une période intermédiaire pendant laquelle le porte-
feuille sous-­jacent est totalement constitué mais pendant laquelle le collateral
manager a encore la liberté de gérer le portefeuille du SPV. Il remplace donc
par d’autres actifs les prêts arrivés à échéance. Il peut même parfois, comme
nous l’avons dit, céder certains titres par anticipation pour en acheter d’autres
(cela dépend bien évidemment des investment guidelines de la transaction).

Période finale (post-­reinvestment period)


À l’issue d’une période de réinvestissement de plusieurs années, la transaction
entre dans une période finale, c’est-­à‑dire une période pendant laquelle le
collateral manager n’a plus la possibilité d’acheter ni de céder des actifs. Cette
période correspond à l’extinction de la transaction. Si un actif sous-­jacent

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Structuration d’une transaction

arrive à maturité pendant cette période, le principal est affecté au rembour-


sement des titres, avec priorité pour la tranche AAA.
À l’issue de la période finale, les actifs qui ne sont pas encore arrivés à échéance
sont liquidés et les investisseurs sont remboursés de leur participation. Dans
le cas où la valeur des actifs est supérieure à la valeur d’investissement initiale,
l’intégralité du surplus est affectée aux détenteurs de la tranche equity. Si cette
valeur est inférieure, ce sont également eux qui subissent la perte en priorité.

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Lecture rapide

Lecture rapide
Titrisation : qu’avons-­nous appris ?
y La titrisation est une technique de financement qui permet de convertir des actifs
illiquides en titres financiers négociables. Elle consiste, pour une banque ou une
entreprise, à vendre des actifs générant des cash flows – prêts aux entreprises,
prêts aux particuliers, créances diverses – à une société spécialement créée pour
l’occasion (Special Purpose Vehicle ou SPV).
y Le SPV finance l’achat des actifs grâce à l’émission de titres, appelés Asset-­Backed
Securities (ABS). Le rendement de ces ABS provient uniquement des cash flows
générés par les actifs transférés au SPV.
y Dans certains cas, les titres émis par le SPV peuvent prendre des dénominations
plus spécifiques. On parle par exemple de CLO (Collateralized Loan Obligation) si
les actifs détenus par les SPV sont des prêts aux entreprises ou des prêts LBO.
y Un SPV émet en général plusieurs tranches de titres qui offrent chacune un couple
rendement/risque différent. La distribution des profits du SPV se fait selon la règle
suivante : plus une tranche est prioritaire dans l’ordre d’affectation des revenus
du SPV, plus son rendement est faible. La tranche la plus risquée offre le meilleur
rendement mais ses détenteurs courent le risque qu’il n’y ait plus assez de profits
à distribuer du fait de défauts dans le portefeuille sous-­jacent.
y Toutes les tranches, sauf la plus risquée, sont notées par une ou plusieurs agences de
notation. La tranche la moins risquée (AAA) est appelée tranche senior, la tranche
non notée est appelée equity et les autres tranches sont appelées collectivement
mezzanine. La notation des tranches permet d’en renforcer la liquidité.
y Les investisseurs qui souscrivent des ABS sont des investisseurs institutionnels,
des hedges funds, des family offices ou des banques privées. Ils ont ainsi accès à de
nouvelles opportunités d’investissement sur des classes d’actifs autrefois illiquides.
y Dans certains cas, les SPV sont gérés de façon active par un gestionnaire d’actif
– appelé collateral manager – qui a la liberté d’acheter et de vendre les actifs sous-­
jacents avec l’objectif de servir au mieux les investisseurs. Le SPV peut donc acquérir
des créances auprès de différents vendeurs, souscrire directement des obligations
ou participer à des syndications bancaires (corporate ou dans le cadre de LBOs).
y On parle, dans ce cas, de transaction managée (ou d’arbitrage), par opposition
aux transactions statiques (ou bilancielles) dans lesquelles les mêmes actifs sont
conservés du début à la fin de l’opération, sans possibilité pour le SPV de les céder
ou de les remplacer s’ils arrivent à échéance.

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Conclusion

Les financements structurés : qu’avons-­nous appris ?


(le bilan)
Comme nous avons essayé de le montrer, les raisons qui conduisent les
banques à mettre en place des financements structurés sont extrêmement
diverses. On retrouve cependant souvent les six déterminants mentionnés
en introduction.

1. Les financements structurés permettent d’isoler un actif hors d’un bilan


C’est la conséquence de la création d’un SPV. Cet isolement permet soit
d’obtenir un niveau de garantie plus élevé (financement d’actif), soit d’être
exposé uniquement aux cash flows de l’actif – ou du portefeuille d’actifs
– financé (LBO, financement de projets, titrisation). La dette est en général
sans recours sur les investisseurs en capital.

2. Les financements structurés permettent d’offrir un niveau de levier plus important


C’est l’un des principaux apports des financements structurés. Dans le cas
d’un LBO, d’un financement de projet ou d’un financement d’actif, l’endette-
ment atteint des niveaux bien supérieurs à ce que recommande l’orthodoxie
financière pour le financement d’une entreprise classique.

3. L es financements structurés permettent aux prêteurs


de mieux sélectionner leur risque
Les financements structurés renforcent le champ d’investissement des prê-
teurs. Ces derniers peuvent choisir, non de financer une entreprise dans sa
totalité mais d’être exposés à un risque très précis. Les financements structurés
élargissent les options des prêteurs. De nombreux fonds spécialisés se sont
d’ailleurs créés pour profiter de ces opportunités d’investissements, que ce
soit dans le secteur du LBO, des financements de projets ou de la titrisation.

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Conclusion

4. P
 our un même montage, les investisseurs peuvent choisir le niveau de risque
qu’ils acceptent de prendre
Dans chaque montage, on retrouve différents types de financiers : des appor-
teurs en capital et en dette. Les investisseurs peuvent donc choisir leur position
dans l’ordre de priorité de distributions des revenus du SPV. C’est particuliè-
rement vrai pour les LBO, les financements de projets et la titrisation mais,
d’une certaine façon, on retrouve également ce concept dans un financement
d’actif. En effet, un investisseur a, là aussi, le choix entre un investissement
en dette ou en equity fiscale.

5. L es financements structurés permettent à des investisseurs d’être exposés


à de nouveaux types de produits
C’est en partie le corollaire du point 3 ci-­dessus. Les investisseurs peuvent
choisir des risques qu’ils ne pouvaient pas sélectionner auparavant. C’est
tout particulièrement le cas de la titrisation, qui leur permet d’être exposés
à une vaste liste d’actifs nouveaux, ou des financements d’actifs, qui offrent
des opportunités d’investissements fiscaux.

6. Les financements structurés permettent aux banques d’optimiser leur bilan


C’est évidemment vrai pour la titrisation : la cession de certains actifs par les
banques leur permet de consommer moins de capital. Plus généralement,
l’obtention de garanties dans des financements a également le même effet.

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Conclusion

Tableau récapitulatif simplifié des différents financements


vus dans ce livre (le rappel)

Financement Financement
LBO Titrisation
de projet d’actif
Principalement Portefeuille
Sous-­jacent Entreprise Infrastructure avions, navires de créances
ou trains ou de prêts
Variable mais
une dizaine
8 à 15 ans
Durée Autour de 5 ans Jusqu’à 20 ans d’années
en général
pour les CDOs
d’arbitrage
Oui, sauf pour
les montages
SPV Oui Oui Oui
hypothécaires
simples
Dividendes versés Loyers payés
Origine Cash flows Rendements
par la société en échange
des revenus générés des actifs cédés
cible et cession de l’utilisation
du SPV par le projet au SPV
de cette dernière de l’actif
Une ou deux
Une seule Souvent cinq
tranches, selon En général
Propriétés tranche ou six tranches,
les transactions une seule
de la dette de dette notées de AAA
et la taille tranche de dette
en général à BB (ou B)
des cibles
Principalement
des banques
En général Banques,
ou des fonds
Variable selon une banque assurances,
de dette.
les transactions (même si banques
Apporteurs Après la phase
(banques, des transactions privées, familly
de dette de construction,
unitrancheurs, obligataires offices, hedge
la dette bancaire
CLOs) existent aux funds, fonds
peut être
États-­Unis) de pension
refinancée par
des obligations
Loueurs
opérationnels
Fonds de LBO Sponsors
Apporteurs (operating Cf. apporteurs
ou repreneurs industriels
d’equity lease) ou de dette
individuels ou financiers
investisseur
fiscal (tax lease)

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Conclusion

Quel futur pour les financements structurés ?


(la prospective)
Bien que ce soit quasiment un passage obligé à la fin d’un ouvrage, il est tou-
jours périlleux de se livrer à des analyses prospectives. Malgré notre prudence,
nous pouvons cependant avancer que les changements à l’œuvre depuis la
fin des années 1970 ne vont sans doute pas s’arrêter. Il est même fort pro-
bable que les financements structurés deviennent de plus en plus populaires.
Non seulement, ils offrent trop d’avantages aux clients et aux banques mais
ils s’inscrivent en outre dans un mouvement de fond d’évolution du système
financier. Un glissement en trois phases, que nous résumons ci-­dessous.

Étape 1 : les financements traditionnels

Conclusion –Dans un modèle


schéma 5.a traditionnel, l’octroi de financements répond à la logique
du schéma 5.a : les banques prêtent à leurs clients pour que ces derniers aient
les moyens nécessaires de réaliser des investissements, des acquisitions ou des
projets de développement divers. Les fonds dont disposent les banques pro-
viennent de leurs actionnaires, des déposants, des épargnants et d’investisseurs
divers (nommés conjointement « porteurs de liquidités » dans le schéma).

Schéma 5.a : mécanisme d’un financement bancaire traditionnel

Dette
bancaire
Entreprise Banque

Allocation
Investissement
des fonds

Porteurs de
Actif / projet
liquidités

Étape 2 : la désintermédiation bancaire


Comme le sait notre lecteur, ce fonctionnement traditionnel a fortement
évolué au cours du xxe siècle. Une part croissante des financements est en effet
obtenue aujourd’hui par les entreprises directement auprès des porteurs de
liquidités, sans passer par les banques. C’est ce qu’on appelle la désintermé-
diation : le financement se fait alors souvent sous la forme de dette obligataire,
comme dans le schéma 5.b.
220

17

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Conclusion

Schéma 5.b : mécanisme de la désintermédiation classique

Entreprise Banque

Allocation Dette
des fonds obligataire

Porteurs de
Actif / projet
liquidités

À l’œuvre depuis longtemps, ce phénomène de désintermédiation a été


renforcé par l’apparition puis le durcissement des dispositions des accords
de Bâle. En demandant aux banques de financer une part de plus en plus
importante de leurs prêts par des fonds propres, les régulateurs ont en effet
mécaniquement réduit la profitabilité des opérations de prêt pour les banques.
Il devient alors plus rentable pour elles d’arranger des émissions obligataires,
pour lesquelles elles n’ont pas de fonds propres à mobiliser.
Conclusion. Schéma 5.c
Étape 3 : l’apport des financements structurés
Après la lecture de ce livre, on peut désormais dessiner (en pointillé) une
troisième phase de l’évolution du système financier.
18 Après avoir éliminé l’in-
termédiaire bancaire, on supprime en effet, quand c’est possible, le porteur
de projet. Le financement de l’économie répond alors au schéma 5.c.

Schéma 5.c : désintermédiation grâce aux financements structurés

Entreprise Banque

Porteurs de
Actif / projet
Financement liquidités

Dans ce nouveau modèle, les porteurs de liquidités se concentrent sur un


actif uniquement. C’est un paradigme qui peut sembler excessif mais qui est
en fait déjà à l’œuvre. Dans un LBO par exemple, les détenteurs de titres high
221

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Conclusion

yield ne financent pas l’acheteur, ils financent l’acquisition. De même, dans


une titrisation, on finance des actifs précis (et non un client) par le moyen
d’une émission de titres.
Cette évolution – permise par les financements structurés – est, selon nous,
amenée à se poursuivre. Elle correspond en effet à une logique de cloison-
nement des risques. Dans la structure de financement traditionnelle, men-
tionnée au schéma 5.a, le porteur de liquidités est exposé à trois niveaux de
risques : (i) celui de la banque à laquelle il confie ses fonds, (ii) celui du client
et (iii) celui du projet d’investissement. Dans le schéma 5.c en revanche, il fait
uniquement face au risque final. L’avènement d’un tel système permet à un
porteur de liquidités de ne pas subir les risques qu’il ne souhaite pas prendre.
Tout fonctionne comme s’il faisait lui-­même intégralement son allocation
d’actifs, alors que dans les schémas précédents, il laissait à la banque et l’en-
treprise (schéma 5.a) ou à l’entreprise seule (schéma 5.b) le soin de diversifier
pour lui son portefeuille.
Sans pour autant dire un seul instant que les financements bancaires tradi-
tionnels vont disparaître, nous percevons ici une réelle tendance de fond et
une sorte d’approfondissement de la logique de désintermédiation. Ce mou-
vement a d’ailleurs déjà en partie commencé. Les financements d’actifs et de
projets font ainsi, par exemple, depuis quelques années, de plus en plus appel
à des structures obligataires. La titrisation de son côté, après un passage à vide
suite à la crise des subprimes, s’est affirmée comme un outil indispensable
au financement de l’économie. Tout semble donc à nos yeux confirmer la
poursuite de cette évolution.

222

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Annexe 1 Comment les banques
fixent un taux d’intérêt ?

Le taux d’intérêt qu’une banque facture à un client est fonction de deux


éléments :
(i) le risque de crédit de la contrepartie et,
(ii) le coût de la liquidité pour le prêteur.
Dans un financement structuré, comme dans tout autre financement, le taux
d’intérêt à payer par l’emprunteur est fixé dans le contrat de prêt comme la
somme de ces deux éléments.

1. Le risque de crédit de la contrepartie


Le risque de crédit de la contrepartie est déterminé par le prêteur lors de son
analyse de la transaction. Plus le risque est perçu comme important, plus la
marge demandée est élevée. Cette marge est exprimée en points de base, avec
un (1) point de base (basis point ou bp) égal à 0,01 %. Une marge de 300 points
de base (soit 3 %) correspond ainsi à un risque de crédit plus élevé qu’une
marge de 90 points de base (soit 0,90 %).

2. Le coût de la liquidité

Définition
Le coût de la liquidité est le coût que représente, pour la banque, l’acquisi-
tion des liquidités qu’elle va prêter à son client. Par simplification, ce coût
est aujourd’hui fixé en rapport avec les taux interbancaires, c’est-­à‑dire les
taux que les banques s’appliquent les unes aux autres lorsqu’elles se prêtent
des fonds. C’est bien évidemment une approximation car la banque peut
s’être procurée ces liquidités d’une autre façon (dépôts des clients, émissions

223

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Annexe 1

obligataires ou fonds propres notamment) mais c’est une référence facile à


obtenir et qui peut être vérifiée par les deux parties, prêteur et emprunteur.
Pour les transactions en dollars, le coût de liquidité retenu par les parties est
en général le taux LIBOR (London Interbank Offered Rate). Il existe différents
taux LIBOR calculés chaque jour dans cinq monnaies différentes (euro, franc
suisse, livre sterling, US dollar et yen) et pour sept maturités (de 1 jour à 1 an).
Il existe bien sûr, selon les places financières, d’autres taux interbancaires.
Pour les transactions en euros, c’est l’EURIBOR qui est généralement utilisé.
Comme le LIBOR, l’EURIBOR existe pour différentes maturités. Il n’est
cependant calculé que pour une seule monnaie, l’euro.

Calcul du taux LIBOR


Chaque jour ouvré, un panel de banques, qui varie selon la monnaie concer-
née, est consulté pour savoir à quel taux elles accepteraient d’emprunter des
fonds interbancaires si elles devaient le faire ce jour avant 11 h du matin,
heure de Londres. Les réponses les plus élevées et les plus faibles de chaque
panel ne sont pas prises en compte. La moyenne constitue le taux LIBOR qui
est publié chaque jour à 11 h 30, heure de Londres.
En Europe continentale, la fixation quotidienne des différents taux EURIBOR
fonctionne également par sondage auprès des banques les plus actives. Il existe
sept maturités différentes et les moyennes des réponses des banques pour
chacune de ces maturités sont publiées chaque jour à 11 h, heure de Paris.

3. Le calcul du taux d’intérêt

Calcul du taux d’intérêt


Le taux d’intérêt applicable à un emprunteur est la somme (i) de la marge et
(ii) du taux de référence. C’est la durée qui sépare deux échéances de paiement
d’intérêt qui détermine quelle doit être la maturité du taux de référence.
Ainsi, si une entreprise a emprunté 100 millions d’euros le 15 janvier et que
les échéances de remboursement sont trimestrielles, les parties utiliseront le
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Annexe 1

taux EURIBOR 3 mois fixé le 15 janvier pour déterminer le taux de référence


qui servira au calcul des intérêts dus le 15 avril.
Si l’entreprise emprunte à un taux EURIBOR 3 m + 200bp, et que le taux
EURIBOR 3 m le 15 janvier est de 2,5 %, alors l’entreprise devra payer le 15 avril
des intérêts pour une somme de 100 × 4,5 %/360 × 901, soit 1,125 million
d’euros.

Scandale du LIBOR
En 2008, quelques mois avant la faillite de Lehman Brothers, un article du
Wall Street Journal révèle que certaines banques manipulent le LIBOR pour
masquer leurs difficultés à sécuriser des liquidités. Elles communiquent à
l’association des banques britanniques (chargée à cette époque de publier le
taux LIBOR) des taux bien en dessous des taux auxquelles elles se financent
réellement.
Cette révélation déclenche une série d’enquêtes qui montrent que le LIBOR a
en fait été manipulé depuis des années. Plusieurs banques sont sanctionnées
financièrement et le management de Barclays est poussé vers la sortie.
Suite à ce scandale, il est proposé de remplacer le LIBOR, un taux prospectif
partagé par les banques, par des taux plus fiables, observés dans le marché.
Aux États-­Unis, le SOFR (Secured Overnight Financing Rate), le taux au jour le
jour utilisé par les prêts sécurisés par des titres du gouvernement américain
devrait remplacer le USD LIBOR. Au Royaume-­Uni, c’est le SONIA (Secured
Overnight Index Average), le taux des transactions monétaires en GBP qui devrait
remplacer le GBP LIBOR. Comme le SOFR, le SONIA présente l’avantage
d’être un taux passé et donc une donnée sûre.
Malgré ces changements de taux de référence et les implications techniques
que cela peut avoir, ces évolutions ne modifient pas le fait qu’un taux d’inté-
rêt est toujours fixé comme la somme d’un taux de référence et d’une marge
de crédit.

1. La convention jour varie selon les taux. L’EURIBOR considère qu’il y a 30 jours dans un mois et 360 dans une
année (convention dite ‘30/360’) alors que le LIBOR utilise une convention ‘actual/360’ (sauf pour le GBP
LIBOR pour lequel la convention est ‘actual/365’).

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Annexe 2 Syndication

1. Définition
La syndication est un processus financier qui permet à plusieurs banques de
travailler ensemble pour accorder conjointement un financement à un client.
Le regroupement des banques en syndicat se fait pour des transactions dont
les montants sont particulièrement élevés. Le but est de permettre aux banques
d’accompagner leurs clients sur des projets d’investissement colossaux tout
en limitant leur participation individuelle et donc leur risque de perte en
cas de défaut.
Le processus de syndication est dans les faits relativement normé. Une ou
plusieurs banques sont mandatées par le client pour arranger le financement
et en négocier les clauses avec lui. Moyennant des commissions de structura-
tion et de placement, le travail de ces banques (underwriters) consiste ensuite
à faire la promotion de cette opportunité et à identifier les banques ou les
fonds qui souhaitent participer au prêt. Le syndicat qui avait accordé en
1986 à Eurotunnel un prêt de 5 milliards de livres sterling dans le cadre d’un
financement de projet avait par exemple réuni plus de 200 établissements.
Il existe deux types de syndications : la syndication avec placement garanti et
la syndication best efforts. Une troisième variante, un peu différente, le club deal
permet également aux banques de travailler conjointement, mais en général
sur des transactions plus petites.

2. Syndication avec placement garanti


Le plus souvent, une syndication se fait avec placement garanti (firm underwri-
ting), c’est-­à-­dire que les arrangeurs prennent l’engagement ferme d’apporter
au client la totalité du financement qu’il recherche. Proposer une syndication
ferme est un argument commercial fort de la part d’une banque. Cela offre
à l’emprunteur le confort de négocier le financement avec un nombre limité

227

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Annexe 2

de prêteurs uniquement et d’être assuré de disposer des fonds quel que soit
l’appétit du marché pour le prêt.
Seules les banques d’investissement les plus sophistiquées prennent le risque
de proposer des underwritings fermes. Il faut en effet être sûr de sa capacité
de placement. Les underwriters prennent le risque de se retrouver à assumer
une partie du financement pour un montant bien supérieur à leurs objectifs
initiaux. Cela peut arriver s’ils ne trouvent pas suffisamment de prêteurs
avec lesquels partager le risque. On dit alors que les banques arrangeuses
sont « collées ».
Offrir un underwriting ferme permet aux banques d’améliorer leur renta-
bilité. Elles touchent en effet des commissions, dites de syndication (ou
underwriting fees) pour rémunérer leur risque de placement. Pour un même
ticket dans un financement, un underwriter touche donc plus qu’un simple
participant1. Si tous les prêteurs touchent en effet la marge et l’upfront fee2,
seuls les underwriters perçoivent des commissions de structuration (structuring
fees) et de syndication (underwriting fees).

3. Syndication best efforts


Une syndication best efforts est une transaction dans laquelle les banques
qui syndiquent la transaction ne s’engagent pas sur le total du montant du
financement mais promettent uniquement au client de faire leurs « meilleurs
efforts » pour identifier des prêteurs désireux de participer à l’opération.
Les arrangeurs ont ainsi une obligation de moyens, pas de résultats.
Traditionnellement, les syndications best efforts sont utilisées pour les emprun-
teurs risqués ou les investissements complexes. Elles peuvent également devenir
la norme quand les marchés se tendent, comme on a pu le voir notamment
en Europe et aux États-­Unis après la crise de 2008 ou en Asie après la crise
de 1997-­1999. Dans les autres cas, une offre de syndication best efforts n’a que
très peu de valeur.

1. C’est ainsi qu’on appelle les établissements qui prennent part au financement sans l’avoir arrangé, ni underwrité.
2. L’upfront fee est une commission payée aux prêteurs au moment du tirage du prêt. C’est une commission
versée à tous les prêteurs, même à ceux qui n’ont pas participé à l’arrangement de la transaction.

228

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Annexe 2

4. Dispositions spécifiques
Même si elle reste importante, la différence entre syndication best efforts
et syndication avec placement garanti s’est quelque peu atténuée depuis
l’introduction fréquente dans les années 1990 de market flex clauses dans les
documents liant arrangeurs et emprunteurs. Ces clauses permettent aux
arrangeurs, en cas de modifications radicales des conditions de marché, de
modifier les termes du prêt envisagé pour en faciliter la syndication (montant,
marge, structure, conditions, garanties, etc.).
À l’inverse, on trouve parfois des clauses dites de reverse flex qui permettent
à l’emprunteur de bénéficier de conditions de marché favorables. Ainsi, en
cas de sursouscription du financement, l’arrangeur peut proposer une dimi-
nution de la marge aux prêteurs qui souhaitent participer au financement.
Si suffisamment de banques sont d’accord et que la somme des engagements
ne descend pas en dessous du montant recherché, la marge sur le prêt est
revue à la baisse.
Les clauses de market flex ne doivent pas être confondues avec les MAC clauses
(Material Adverse Change) qui permettent à des arrangeurs de se retirer d’un
deal si la situation devient telle qu’il n’est plus possible d’envisager une
transaction. Alors que les clauses de market flex ou de reverse flex permettent
d’adapter une transaction à de nouvelles conditions de marchés, la MAC
clause représente une option de sortie de la transaction. Les conditions
d’application de cette dernière sont bien évidemment très réduites et liées
à des situations extrêmes, listées ou non dans le contrat de prêt (guerre,
catastrophe naturelle, etc.).

5. Club deal
Un club deal est une forme de coopération entre prêteurs utilisée pour des
financements de taille modeste. Il ne s’agit pas d’un processus bien hiérarchisé
et coordonné par des arrangeurs mais d’un accord direct entre un emprunteur
et des banques dont il est proche.
Dans un club deal, tous les prêteurs participent à la négociation de la tran-
saction. Le club deal doit permettre d’arriver à une décision rapide entre
contreparties qui se connaissent bien (d’où le terme club). Un club deal est
utile lorsque le montant d’un financement est trop élevé pour une banque
229

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Annexe 2

seule mais insuffisant pour justifier une syndication. C’est typiquement le


genre de processus qui a lieu dans une opération de financement d’actif : le
montant du financement d’un avion est suffisamment élevé pour être partagé
mais pas assez important pour nécessiter la mise en place d’une syndication
avec hiérarchie entre prêteurs.

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Annexe 3 Dérivés de crédit

Il est parfois compliqué pour une banque de diminuer son exposition à cer-
tains risques en syndiquant un prêt ou en le cédant sur le marché secondaire.
C’est notamment le cas pour les engagements d’une banque auprès de ses
clients historiques. Dans ces situations, les banques peuvent avoir recours
à des dérivés de crédit et vendre ainsi leur exposition de façon synthétique.

1. Les Credit Default Swaps (CDS)


Apparus dans les années 1990, les CDS sont des contrats de protection
financière qui permettent de transférer l’exposition d’un titre de dette (prêt,
Annexe 3. Schéma 6.a
obligation) d’une contrepartie à une autre. L’acheteur du CDS, qui souhaite
obtenir une protection contre le défaut d’un instrument de dette, paye une
prime au vendeur qui s’engage en retour à indemniser l’acheteur en cas de
défaut du titre sous-­jacent (cf. schéma 6.a).

Schéma 6.a : principe du Credit Default Swap

Paiement de
Remboursement la prime de
du prêt CDS
Institution
financière
Société Banque (agissant
comme
assureur)
Prêt Vente du
CDS

La banque est indemnisée


de la perte sur son prêt si la
société fait défaut

Dit simplement, le CDS est une sorte d’assurance-­crédit dans laquelle le


vendeur du CDS agit comme assureur et l’acheteur comme assuré. Le paie-
ment effectué par l’acheteur au vendeur peut ainsi être assimilé à une prime
d’assurance. La valeur de la prime payée par l’acheteur de CDS (appelée CDS

231

20

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Annexe 3

spread) est calculée en fonction du risque de crédit du titre sous-­jacent et


s’exprime en points de base1.
Les parties à un CDS n’ont pas de documentation complexe à rédiger. Toutes
les transactions font référence à un contrat standard mis au point par l’asso-
ciation professionnelle des opérateurs sur les marchés des produits dérivés,
l’ISDA (International Swaps and Derivatives Association). En d’autres termes,
les parties à un CDS doivent simplement préciser entre elles le titre de dette
pour lequel l’acheteur souhaite bénéficier de protection et le montant total
pour lequel il souhaite être assuré.
Les principaux événements de crédit reconnus par l’ISDA sont les suivants :
− la faillite, la liquidation judiciaire ou toute procédure assimilée de l’en-
treprise qui a émis le titre de dette qui fait l’objet du CDS (bankrupcty) ;
− le défaut de paiement sur les intérêts ou le principal aux dates prévues
(failure to pay) et ;
− la restructuration défavorable de la dette (restructuring).
En cas d’événement de crédit, le règlement entre acheteur et vendeur peut se
faire de deux façons :
− le règlement physique (physical settlement) consiste pour l’acheteur à livrer
au vendeur le ou les titres sous-­jacents, en échange de quoi le vendeur
paye à l’acheteur un montant égal au pair ;
− le règlement en numéraire (cash settlement) permet d’éviter la livraison de
titres. Dans ce cas, au moment du dénouement, le vendeur de protection
paie à l’acheteur un montant égal au pair moins la valeur constatée,
après défaut, des titres de référence.
Du fait de leur extrême simplicité, les CDS sont des outils fantastiques de
gestion du risque. Ils permettent à certaines banques (agissant en tant qu’ache-
teurs) de couvrir facilement leur risque et à d’autres banques, compagnies
d’assurances ou hedge funds (agissant en tant que vendeurs) de prendre des
positions sur des risques de crédit avec lesquels ils sont à l’aise sans avoir à
mobiliser leurs liquidités. C’est aussi, comme le montre notre étude de cas
n° 9, un outil de spéculation formidable pour parier sur le défaut d’un titre.
Malgré sa grande flexibilité, un CDS ne permet pas d’éliminer totalement
un risque de crédit. L’acheteur d’un CDS est en effet exposé au risque du

1. Pour rappel, un point de base = 0,01 %. Une prime de 200 points de base correspond donc à un paiement égal
à 2 % du montant notionnel servant de référence à l’indemnisation par le vendeur.

232

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Annexe 3

« double défaut », c’est-­à‑dire du défaut simultané du vendeur du CDS et du


titre sous-­jacent. Dans une telle situation, l’acheteur de CDS ne peut en effet
pas compter sur une indemnisation de la part du vendeur.

2. Les Credit Linked Notes (CLNs)


Les CLNs sont une autre forme de dérivés de crédit. Ils prennent la forme
d’obligations émises par une entité à la recherche d’une protection de crédit
sur un titre particulier (émetteur) et souscrites par un acteur prêt à assumer
ce risque (investisseur). Comme toute obligation, le CLN paie un coupon à
l’investisseur. La valeur de ce coupon est liée au rendement du titre pour lequel
l’émetteur souhaite se couvrir. Ce titre sous-­jacent peut être une obligation,
un prêt ou encore un CDS.
Le nominal du CLN souscrit par l’investisseur est égal à la totalité du mon-
Annexe 3. Schéma
tant6.b
pour lequel l’émetteur souhaite être protégé. Ce montant est placé dans
des titres dits sans risques (bons du Trésor américain par exemple) dans une
poche d’investissement bien distincte, que l’émetteur ne peut céder, sauf à
échéance ou en cas de défaut du titre sous-­jacent (cf. schéma 6.b).

Schéma 6.b : principe du Credit Linked Note

Paiement du
Remboursement coupon du
du prêt CLN
Institution
Banque financière
Société (émetteur du (agissant
CLN) comme
assureur)
Prêt Souscription
du CLN

Investissement d’un La banque ne peut accéder à


montant égal à la ces actifs sauf en cas de défaut
souscription du CLN du prêt accordé à la société.

Actifs sans
risques

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Annexe 3

Si le titre sous-­jacent ne fait pas défaut, l’investisseur reçoit son coupon et


récupère son investissement initial à échéance. En cas de défaut du titre sous-­
jacent, deux solutions se présentent : (i) l’émetteur du CLN prend possession
des actifs sans risques et transfère à l’investisseur le titre sous-­jacent (cas de
physical settlement) ou, alternativement, (ii) si un règlement en numéraire (cash
settlement) a été prévu, l’émetteur peut vendre les titres sans risques et verser à
l’investisseur le montant du CLN initialement souscrit moins la perte subie
sur le titre sous-­jacent.
À la différence d’un CDS, le CLN présente l’avantage de ne pas faire courir
à l’acheteur de protection de risque de crédit sur le vendeur. Le CLN permet
par ailleurs à des acteurs qui ne peuvent acheter de CDS d’être exposés au
marché du crédit, comme, en France, certaines SICAV obligataires.

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Index des entreprises présentes
ou passées citées dans cet ouvrage

A BNP Paribas 110, 117, 118


BNP Paribas AM 118
Abengoa 117
Boeing 133, 135, 144, 170, 171, 172
Accor 92
BP 79
ACS 115, 117
British Airways 9, 11, 173
AerCap 166, 168
Brussels Airlines 173
Aermacchi 34
Burger King 10, 12, 23, 38, 240
AIG 205
Aigle Azur 134
Airbnb 69 C
Airbus 133, 135, 152
Carlyle 43
Air France (ou Air France-KLM) 9, 11, 141,
Casino 92
142, 151, 152
Cedar Hill Capital Partners 206
Air Liberté 134
Chelsea FC 10
Alaska Airlines 173
Cinven 43
Alcentra 51
Cisco 69
Allianz 20, 21, 22
Citigroup 175
Allianz Global Investors 118
CNN 54
Amazon 69
Colisée 38, 67
American Airlines 172
Copenhagen Infrastructure Partners
American Express 10, 11, 183
(CIP) 117
American Research and Development
CVC 28, 43
Corporation (AR&D) 70
Antin IP 116
Apollo 66 D
Apple 69 DBRS 181
Ardian 43, 71 Deutsche Bahn 161
Ares Management 210 Deutsche Bank 205
Avolon 166 DHL 131
AXA-IM 118 Disney 107, 108, 109, 110, 111, 112, 119
Disneyland Paris 10, 12, 77, 100, 104, 107,
B 110, 119, 123
Domidep 38
Banque Européenne d’Investissement
Domusvi 38
(BEI) 119
Drexel Burnham Lambert 50, 52, 56
BC Partners 43
Bear Stearns 14, 42, 203
Beatrice Foods 13 E
Blackrock 118 Easyjet 135
Blackstone 43, 67, 210 EDF 79, 90, 94, 115
BNP 110

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Index des entreprises présentes ou passées citées dans cet ouvrage

Eiffage 94, 115 I


Electronic Arts 69
Iberdrola 115, 117
Elliott Associates 206
ICBC 166
Enel 115
ICBC Leasing 166
Engie 115
ICG 51
EQT 67, 166
IFM 104, 118
Equistone 67
IK Partners 38, 67
Eurazeo 28, 67, 71
ILFC (International Lease Finance
Euro Belgian Airlines 173
Corporation) 171
Euronext 52
Indian Motorcycle 33
Eurostar 10, 11
Indosuez 110
Eurotunnel 12, 100, 227
International Finance Corporation
(IFC) 118
F Investment Corporation of Dubai
(ICD) 166
Facebook 69
Fair Isaac Corporation (FICO) 201
Fannie Mae 199 J
Fitch Ratings 50, 181
JMI Equity 71
Flybmi 134
JP Morgan 55
Fraikin 28
Freddie Mac 199
K
G Kawasaki 34
KBRA 181
GE Capital Aviation Services (GECAS) 166
KKR 42, 43, 54, 55, 67, 116
Germania 134
Kleiner Perkins 69
GIC 166
KPMG 134
Goldman Sachs 34, 203, 205
Google 69, 91
Gotham Capital 206 L
GPA 129, 171 Laker Airways 171
Greylock Partners 69 LBO France 67
Groupe Bruxelles Lambert 52 Lehman Brothers 203
Léon de Bruxelles 38
H LinkedIn 69
Lufthansa 173
Harbinger Capital Partners 206
Harley-Davidson 10, 12, 31, 33, 34, 36, 39,
66 M
Hayman Capital 206 Macquarie 104
Heller Inc 36 Manchester United 10, 12
Hertz 9, 12 Morgan Stanley 185
Hilton Hotels 9, 12, 39
Honda 34, 35, 36

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Index des entreprises présentes ou passées citées dans cet ouvrage

N T
Napster 185 TA Associates 71
Natixis 117 Thalys 10, 11
New York Stock Exchange (NYSE) 166 Thomas Cook 134
Nordic Aviation Capital 166 Tikehau 51
Total 131, 180
Toys R Us 38
O TWA 134
Oriental Land Company 108 Twitter 69
Orix Corporation 166

V
P Verallia 66
PAI Partners 43 Vinci 92, 94
PanAm 134, 172 Vinci Concessions 105
Paulson & Co 206 Vinci Construction 105
PayPal, 69 Virgin America 173
Permira 43 Virgin Atlantic 134, 164, 170, 172, 173
Picard Surgelés 9, 12, 38 Virgin Australia 173
PIMCO 240 Virgin Blue 173
Prudential 184, 185 Virgin Express 173
Virgin Nigeria 173
Virgin Records 170, 172
R
Visa 10, 11
Revlon 13, 55 Volkswagen 209
RJR Nabisco 13, 55, 67 Volkswagen Bank 209
RWE 115
Ryanair 135, 171
W
Washington Mutual 203
S
WestLB 185
Sacyr 115 WhatsApp 69
Saint-Gobain 66
Salomon Brothers 14, 175
Scion Capital 204, 205, 206 X
Scope Ratings 181 XL Airways 134
Sequoia Capital 69
SG Warburg 110
SMBC 166 Y
SMBC Aviation Capital 166 Yahoo 69
SNCF 161 Yamaha 34
Société de la Tour Eiffel (STE) 85 YouTube 69
Société Générale 85, 110
Southwest 135
Standard & Poors 20, 50, 181, 184, 202
Summit Partners 71
Suzuki 34
Swissair 134
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Bibliographie

Ouvrages en Anglais
Bierman, Harold Jr., Private equity, transforming public stock to create value.
Hoboken NJ : J. Wiley and Sons, 2003.
Branson, Richard, Loosing my virginity, the autobiography. London : Virgin Books,
first edition, 1998.
Cohan, William D., House of cards, a tale of hubris and wretched excess on Wall Street.
New York : Doubleday, 2009.
Finnerty, John D., Project financing, asset-­based financial engineering. Hoboken NJ :
J. Wiley and Sons, 2007.
Gatti, Stefano, Project finance in theory and practice. London : Academic Press,
second edition, 2013.
Kadlec, Daniel J., Masters of the universe, winning strategies of America’s greatest
dealmakers. New York : HarperCollins, 1999.
Larreur, Charles-­Henri, Structured finance. Leveraged buyouts, project finance, asset
finance and securitization. London : J. Wiley and Sons, 2021.
Lewis, Michael, Liar’s poker. New York : WW Norton & Company, 1989.
Lewis, Michael, The big short : inside the doomsday machine. New York : WW Norton
& Company, 2010.
Pearl, Joshua & Rosenbaum, Joshua, Investment banking. Valuation, leveraged
buyout and mergers & acquisitions. Hoboken NJ : J. Wiley and Sons, 2009.
Sliver, Nate, The signal and the noise. Why so many predictions fail – but some don’t.
New York : The Penguin Press, 2012.
Smith Roy C. & Walter Ingo, Global financial services : strategies for building
­competitive strengths in international commercial and investment banking.
New York : Harper Business, 1990.
Stewart, James B., Den of thieves. New York : Simon & Schuster, 1991.

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Bibliographie

Ouvrages en Français
Lyonnet du Moutier, Michel, L’aventure de la tour Eiffel, réalisation et financement,
Paris : Publication de la Sorbonne, 2009.
Le Fur, Yann & Quiry, Pascal, Finance d’entreprise 2014 – Pierre Vernimmen.
Paris : Dalloz, 2014.

Articles et publications professionnelles


Athanassakos, George & al., Harley Davidson Inc. Ivey Publishing, August 8th
2008, p. 3-­7.
Baghat, Tamer & al., High yield bonds and leverage loans. A converge of terms.
Ashurst, 2018.
Baker, Georges, K-­III : A leveraged build-­up. Harvard Business Publishing,
May 15th 2002, p. 1-­6.
Baldwin, Clariss Y. & Quinn James W., The auction for Burger King (A). Harvard
Business Publishing, October 10th 2012, p. 1-­9.
Chaplinsky, Susan, Formula one : intangible-­asset-­backed securitization. Darden
Business Publishing, February 2001, revised March 2003.
Cortes Gonzalez, Ana & al., Viewing covered bonds through a structured finance
lens. PIMCO letter of information, October 2013.
Kester, Carl & Morley, Julia. Harley Davidson, Inc. – 1987. Harvard Business
Publishing, December 15th 1991, p. 1-­8.
Pope, Hugh, Caspian – Pipeline financing solidifies U.S. policy, Wall Street Journal,
February 3rd 2004.
Schlaman, William A., Risk and reward in venture capital. Harvard Business
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Tozer-­Pennington, Victoria & al., The aviation industry leaders report 2021: route
to recovery, KPMG Aicraft Finance Report, 2021.
Ward, Andrew J. & Sonnenfeld, Jeffrey A., Firing back. How great leaders rebound
after career disasters, Harvard Business Review, January 2007, p. 8.

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