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d’internationalisation
Nouveaux enjeux d’ouverture
des organisations, des activités
et des territoires
management sup
Stratégies
d’internationalisation
Nouveaux enjeux d’ouverture
des organisations, des activités
et des territoires
3e é d i t i o n
entièrement refondue
Jean-Paul Lemaire
© Dunod, Paris, 2013
ISBN 978-2-10-056355-5
Table des matières
Partie 1
Évolutions et défis de l’ouverture internationale pour les
territoires, les activités et les organisations
1 L’intensification de l’ouverture internationale 17
V
Stratégies d’internationalisation
Partie 2
L’audit d’internationalisation des organisations
5 Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation 275
VI
Mode d’emploi : Une
démarche renouvelée
pour un environne
ment en mutation
accélérée
D epuis les premières éditions de cet ouvrage, l’environnement des flux d’échanges
et d’investissements internationaux s’est trouvé profondément bouleversé, deve
nant, à la fois, plus ouvert et complexe, agité de convulsions plus fréquentes, plus vio
lentes et de plus grande ampleur. L’« ouverture internationale » désoriente, désormais,
un nombre croissant d’acteurs publics et privés, individuels et institutionnels qui, aupa
ravant, raisonnaient à partir de bases moins incertaines. La vision holiste des macroéco
nomistes cherchant des interprétations universelles de la réalité ne suffit plus à l’expliquer
et à construire des réponses adaptées à chacun. Cette approche venant « du haut » (top
down) serait à combiner à une approche venant « du bas » (bottom up). Même si celle-ci
est, par nature, parcellaire, elle met davantage l’accent sur les signaux forts et, surtout,
les signaux faibles renvoyés par le terrain, qui ouvrent à de nouvelles implications, géné
rales et particulières, pour l’analyse et pour la décision.
C’est cette démarche, combinant ces deux approches, que nous proposons ici, en
deux temps :
• Le temps de l’analyse de l’environnement (1re partie), souligne les transformations
rapides de l’ouverture internationale (plutôt que la « globalisation »), telle qu’elle
a évolué depuis trois décennies. Nous considérerons leur impact, non seulement
sur les organisations (entreprises, ONG, collectivités…), mais aussi sur les activi
tés (secteurs ou industries) affectées, les unes et les autres, de façon très différente,
ainsi que sur les territoires, désormais plus ouverts, soucieux de leur prospérité et
de leur rayonnement.
• Le temps de la décision, particulièrement pour les organisations (2e partie), pro
pose la structure d’un audit d’internationalisation qui mobilise les concepts et les
outils (macro, meso et microéconomiques) développés précédemment. Cet audit
VII
Stratégies d’internationalisation
1. La plupart des cas introductifs et des cas d’application sont disponibles, en version anglaise et en version
française, à la Centrale des Cas et des Moyens Pédagogiques (CCMP), sous une forme plus ou moins développée
(moins de 10 p. en formule agrégée, de 20 à 30 p. en formule complète) accompagnés d’une fiche pédagogique
détaillée, d’un jeu de transparents, de propositions de sujets d’examens et de quiz d’évaluation.
VIII
Remerciements
1. www.atlas-afmi.com
IX
Stratégies d’internationalisation
professionnels, cités au fil de cet ouvrage, avec lesquels j’ai développé des cas dans
leurs pays respectifs.
Tout comme les interactions avec les chercheurs et doctorants de notre groupe
« Management International » de l’ESCP Europe ont également contribué à stimuler
et préciser ma démarche : Jean-Louis Paré, Milena Viassone, Florence Gervais,
Karina Jensen, ainsi que Marc Hostert, Gérard Cazabat, Josiane O’Brian, Benédicte
Geraud et Cécile Montier.
Je ne veux pas oublier, à l’issue de ce processus, mes collègues enseignants-
chercheurs du corps professoral des cinq campus d’ESCP Europe, et, particulière
ment du Département Marketing (Jean-Claude Andréani, Olivier Badot, Jérôme
Bon, Boris Durisin, Michaël Haënlein, Benoît Heilbrunn, Frédéric Jallat, Andreas
Kaplan, Allan Kimmel, Sandrine Macé, Delphine Manceau, Marcelo Nepomuceno,
Alain Olivier, Raphaëlle Pandraud, Elizabeth Tissier-Desbordes, Tom van Laer,
Luca Visconti, Fabrizio Zerbini), comme son équipe administrative (Anna Walters
ainsi que Marilyn Panzer et Svetlana Telman). Un grand merci aussi pour l’aide
constante apportée par l’équipe des bibliothécaires d’ESCP Europe, Valérie Aime-
Bourelly, Claire Le Peutrec, Béatrice Marchand, Isabelle Sergent, Ntahlie Trzon,
ainsi qu’Elizabeth Laparra, Thierry Coquery et Chantal Geudar-Delahaye. Avec une
pensée, enfin, pour Chloé Abellan et Odile Marion, mes interlocutrices aux éditions
Dunod.
X
Introduction
1. Telle qu’elle ressort de l’analyse pour 2012 de l’économiste en chef, de la Compagnie Française d’Assurance
pour le Commerce Extérieur, Yves Zlotowski, La Tribune, 17 janvier 2012.
2. Cf. repère 1.3 « Le dilemme grec ».
3. Cf. repère 1.5 « Le libéralisme économique remis en question par ses plus ardents défenseurs ».
4. « The visible hand », The Economist, 21-23 janvier 2012 ; « Capitalism under fire », Time, 6 février 2012.
1
Stratégies d’internationalisation
d ental, en soulignant les interrogations qu’il soulève, même chez certains libéraux,
depuis le déclenchement de la crise mondiale, en 2008.
La Chine, plus rapidement que prévu dans la cour des grands1 ?
Ce n’est pas seulement parce qu’elle a atteint le deuxième rang mondial en termes de
produit national brut, dépassant le Japon, après l’Allemagne, et qu’elle est promise à
contester très vite la première place des États-Unis, que la montée en puissance de la
Chine s’affirme ; c’est aussi parce qu’elle montre sa capacité à étendre sa puissance éco
nomique bien au-delà de ses frontières en commençant à concrétiser son ambition de
devenir leader technologique dans certains secteurs clé2.
Les « champions internationaux » des économies à croissance rapide (ECR) capa
bles de prendre très vite pied au cœur des économies matures3 ?
Les acquisitions d’entreprises occidentales et, notamment, européennes, par les entre
prises issues des ECR ne se démentent pas dans de nombreux secteurs. Au-delà des
opérations très médiatisées ayant touché la sidérurgie4 ou l’automobile5, certaines entre
prises clés d’autres activités, moins visibles, passent dans le giron de ces nouveaux
acteurs des ECR.
1. Cf. tableau 1.2 « Économies matures et émergentes : évolution de leur poids respectif dans l’économie mon
diale ».
2. Cf. cas introductif du chapitre 4 « Huawei la montée en puissance d’un leader technologique mondial ».
3. Cf. repères 4.4 à 4.11, « Les incitations à l’internationalisation pour les “champions internationaux” chinois,
indiens et brésiliens ».
4. Comme la prise de contrôle hostile du leader européen franco-hispano-luxembourgeois Arcelor par l’Indien,
après de longs affrontements boursier et même politiques en 2006.
5. Avec l’exemple, en 2010, du rachat du Suédois Volvo cars après un bref passage sous contrôle américain par
la firme automobile chinoise Geely quasi inconnue en Occident.
2
Introduction
sance rapide), de tailles beaucoup plus modestes, mais aux ressources et/ou à l’influ
ence sans commune mesure avec celles-ci, ont la possibilité de jouer un rôle
appréciable dans leur région comme à une échelle géographique beaucoup plus
large, comme le montrent l’exemple du Qatar4 ou celui du Luxembourg5. Comme
1. Ainsi, les organisations non gouvernementales ONG qui jouent un rôle croissant auprès de l’opinion et, aussi,
comme relai de nombreuses organisations gouvernementales, nationales et internationales. Cf. repère 1.9 « La montée
en puissance des organisations non gouvernementales internationales et de la société civile internationale ».
2. Les crises qui n’ont cessé de se succéder au cours des dernières années, et, particulièrement, la crise bancaire
et financière provoquée par la spéculation immobilière aux États-Unis, révélatrice de la crise de la dette souveraine
mettant, cette fois, en cause la crédibilité des États occidentaux (cf. repère 1.6 « De la crise des subprimes à la crise
de la dette souveraine »).
3. L’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest et le Japon.
4. Cf. exemple 2.2 « Un nouveau venu très actif sur la scène internationale : le Qatar ».
5. Cf. exemple 2.1 « Le Luxembourg en quête d’un nouveau modèle économique ».
3
Stratégies d’internationalisation
les grands pays, ils tendent à mettre à profit, avec beaucoup d’efficacité, les atouts
dont ils disposent.
Le but recherché ici est, en partant d’une analyse des tendances fortes de l’envi
ronnement international et des différents types d’incitations à l’ouverture interna
tionale, de proposer une démarche systématique à laquelle peuvent se raccrocher la
plupart des organisations, quels que soient leur activité, leurs caractéristiques
propres et leur niveau d’engagement à l’international.
Même si l’approche retenue s’appuie sur des éléments conceptuels et méthodolo
giques issus de divers champs disciplinaires de la gestion et des sciences humaines,
cette démarche ne se veut pas uniquement théorique : s’inscrivant dans une perspec
tive délibérément opérationnelle, elle vise à faciliter la prise de décision dans ces
organisations en trois temps :
––l’analyse des évolutions de l’environnement, à caractère conjoncturel aussi bien
que structurel (mondial, continental ou régional), dans lequel s’inscrit leur déve
loppement international ;
––le diagnostic d’internationalisation qui peut leur être appliqué, puis la formulation
de leur stratégie d’internationalisation ;
––la mise en œuvre et le contrôle, tout en permettant leur remise en cause et leur
redéfinition périodique.
Bien que les formes nouvelles de compétition qui résultent de l’ouverture crois
sante des économies n’affectent que progressivement les positions acquises par les
organisations dans leur espace économique d’origine, celles-ci, quelle que soit leur
taille, se trouvent d’ores et déjà confrontées à de nouvelles opportunités comme à de
nouvelles menaces. Elles peuvent difficilement envisager leur développement à
moyen terme, ou, même, évaluer leur compétitivité, si elles ne s’inscrivent pas dans
une logique qui place la dimension internationale au cœur même de leur réflexion
stratégique.
L’internationalisation apparaît comme une donnée permanente des préoccupa
tions stratégiques des organisations. L’intensification de la concurrence et l’interdé
pendance des marchés, dans un nombre croissant de secteurs et d’activités en font
une dimension incontournable pour une proportion de plus en plus large d’entre
elles. Elle les oblige à sortir du cadre régional ou national, ou encore du cercle des
pays de proximité, dans lequel nombre d’entre elles ont pu longtemps rester canton
nées, pour se projeter dans un espace économique bien plus ouvert.
4
Introduction
rencontrés.
Dans le cas des entreprises multinationales (EMN) comme dans celui des PME, le
caractère limité de ces approches respectives se justifiait encore largement, en dépit de
la progression déjà remarquable des flux d’échanges et d’investissements, par l’ouver
ture encore réduite des économies nationales, par le caractère encore dominant des
relations économiques bilatérales entre les pays et, donc, par le volume et l’éventail
plus restreints des opérations. Qui plus est, un grand nombre de pays – en particulier,
parmi ceux qui connaissent actuellement la progression la plus remarquable – était
encore fermé et/ou encore figé à un stade de développement très élémentaire.
1. Cf. l’exemple 4.1 sur la lente déconfiture de Kodak, au bord de la faillite en janvier 2012, « Kodak au bord de
l’agonie », ou, à un moindre degré, celle de Nokia, faute d’avoir su prendre à temps le tournant du smatphone.
2. A. Sampson, ITT, l’État souverain, Alain Moreau, 1973.
5
Stratégies d’internationalisation
Les évolutions des trente dernières années ont sensiblement bouleversé la donne
avec l’abaissement des barrières de tous ordres isolant ces économies, pour beau
coup, progressivement gagnées au libéralisme ; mais, aussi, du fait de l’expansion
très rapide des technologies de communication et de traitement de l’information, du
transport et de la circulation des capitaux qui ont fortement contribué aussi à accen
tuer ce désenclavement.
1. Cf. exemple 1.2, « Région toulousaine : partir, revenir ? ». Voir aussi sur les délocalisations et relocalisations,
C. Mercier Suissa et al., Entre délocalisations et relocalisations Mobilité des entreprises et attractivité des terri
toires, HEM-Karthala-IAE de Lyon, 2011.
6
Introduction
c Repère I.1
Les questions que se posent le plus souvent les organisations
dans le contexte de leur ouverture internationale1
••Quelles sont les raisons qui nous poussent, dans le contexte de nos activités ou de nos
missions :
––à initier, accentuer ou infléchir ;
––à repousser, ralentir ou restreindre notre développement international ?
••Dans quelle mesure pouvons-nous l’assumer :
––de quels moyens disposons-nous ?
––quelles sont nos forces et faiblesses face aux enjeux de l’internationalisation ?
••Quelle place devrons-nous accorder, respectivement :
––aux opportunités externes ;
––à nos caractéristiques propres, dans la définition de notre stratégie de développement
international ?
••Quelles seront :
––les principales options stratégiques retenues (entités/localisations cibles, choix de nos
modes d’entrée/de nos modes d’accueil, etc.) ?
––les étapes successives de leur mise en œuvre, au-delà de leur identification et de leur
sélection ?
•• Quelles contraintes fonctionnelles (financières, juridiques, fiscales, logistiques, etc.)
devront être alors prises en compte, de quelle manière et dans quel cadre ?
••Comment, ensuite, conviendra-t-il :
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Une telle démarche s’inscrit, bien sûr, dans la durée. Elle commande tout autant à
l’organisation de faire preuve de réactivité face aux chocs conjoncturels, comme de
1. Ce qui suppose d’adapter constamment leur modèle économique et leur portefeuille d’implantations dans un
environnement ouvert et turbulent (cf. exemple 4.16 « Dentressangle : de la recherche de la masse critique à celle
des spécialités porteuses à l’international »).
7
Stratégies d’internationalisation
tirer parti d’effets d’aubaine1. Ses dirigeants devront aussi anticiper, en se montrant
proactifs, les phases du développement futur, face aux enjeux qui se dessinent, en
fixant de nouveaux objectifs qui prendront le relais de ceux précédemment atteints
(ou remis en cause, en cas d’échec)2.
1. « Lorsqu’un acteur économique s’efforce d’inciter les autres acteurs à agir de telle manière, il les appâte en
général en leur offrant un avantage s’ils se comportent de la façon souhaitée : par exemple baisse de prix, prime,
cadeau, etc. Il y a effet d’aubaine si l’acteur qui bénéficie de cet avantage avait eu, de toute façon, l’intention d’agir
ainsi même si l’avantage n’avait pas été accordé », www.alternatives-économiques.fr, 22 janvier 2010.
2. Cf. exemple 2.14 « Duralex, le retour d’une PME « historique » à la conquête de marchés extérieurs.
3. Voir Markusen, 1984, Glass, 2008.
4. Voir Helpman, 1984, cf. figure 4.9. La croissance « éclatée » (l’exemple de GHCL) (1) et exemple 4.15
GHCL, la structure « éclatée ».
5. Cf. exemple 3.9 « L’Europe peut elle passer à côté de la révolution de l’éclairage ? ».
6. Cf. figure 1.1 « Impact des grandes mutations de l’environnement international sur les organisations ».
8
Introduction
1. Cf. exemple 3.7 « Grande consommation : mondialisation à marche forcée des géants de la bière et de la
mode. »
9
Stratégies d’internationalisation
1. Initiées, notamment, dans le courant des années 1980, par Robinson et Root (voir bibliographie).
10
Introduction
1. MACROÉCONOMIQUE
ANALYSE DE L’ ENVIRONNEMENT POLITICO
Accélération RÉGLEMENTAIRE,
Instabilité ÉCONOMIQUE ET SOCIAL, TECHNOLOGIQUE
Intégration pressions externes observées à court, moyen et long terme
Croissantes de l’environnement impactant l’espace géographique pertinent
Global ËRégional pour l’organisation concernée
2. MESOÉCONOMIQUE
Évolution DYNAMIQUE SECTORIELLE
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J.-P. Lemaire
11
Stratégies d’internationalisation
12
Partie
1
L’intensification de l’ouverture internationale Chapitre 1
Dynamique internationale des territoires Chapitre 2
Dynamique internationale des activités Chapitre 3
Dynamique internationale des organisations Chapitre 4
Évolutions et défis
de l’ouverture
internationale pour
les territoires, les activités
et les organisations
1. Ce modèle a été développé à partir de 1992-1993 dans le cadre des enseignements dispensés par l’auteur à
l’EAP, puis mobilisé plus particulièrement pour le secteur bancaire européen dans l’ouvrage Vers l’Europe Bancaire
(J.-P. Lemaire et P.-B. Ruffini, Dunod, 1993, p. 77, avant d’être appliqué à tous les secteurs dès la première édition
du présent ouvrage, en 1997) et, désormais, à tous les espaces géo-sectoriels.
––Le chapitre 1 évaluera, au niveau macroéconomique, « l’intensification de
l’ouverture internationale », autrement dit, les transformations profondes de
l’environnement international ayant conduit à une ouverture internationale accrue,
au cours des trente dernières années, remettant, du même coup en question, les
grilles de lecture communément admises, en proposant une première caractérisa
tion des « pressions externes », politico-réglementaires, socioéconomiques et tech
nologiques, traduisant ces mutations.
––Le chapitre 2, à l’articulation du macroéconomique et du mesoéconomique,
appréciera « la dynamique internationale des territoires » en mettant en évi
dence l’impact de ces pressions externes (PREST, niveau 1), qui favorisent ou
contrarient l’insertion des territoires, désormais acteurs à part entière de l’ouver
ture internationale, dans les flux d’échanges et d’investissements, en mesurant
l’attractivité qu’ils peuvent présenter pour les autres acteurs.
–– Le chapitre 3 étendra, la démarche au niveau mesoéconomique, à « la dynamique
internationale des activités », en soulignant l’hétérogénéité qui caractérise ces acti
vités comme celle des acteurs qui y opèrent face aux défis – d’adaptation, de
redéploiement, de concurrence – (PREST, niveau 2), résultant des mutations de
l’environnement international.
––Le chapitre 4, enfin, s’attachera à « la dynamique internationale des organisa
tions » en faisant ressortir les facteurs qui soutiennent et stimulent leur dynamique
d’internationalisation respective ainsi que les leviers – innovation, profitabilité,
structuration – (PREST, niveau 3), sur lesquels elles peuvent agir pour déployer
avec succès leurs activités hors frontières.
Chapitre
L’intensification
1 de l’ouverture
internationale
c Repère 1.1
opèrent.
Mondialisation/Globalisation ou Décloisonnement/Régionalisation ?
Les facteurs de convergence politico-réglementaires, socio-économiques et technolo
giques n’ont cessé de se multiplier et de se renforcer dans le monde au fil des vingt der
nières années, surtout depuis la chute du mur de Berlin, en 1991 (tableau 1.1). Ils ont pu
contribuer à la diffusion de la conviction largement partagée que le monde, était, désor
mais, « plat »1, accréditant l’utilisation généralisée des termes « mondialisation » et
« globalisation », comme qualificatifs les plus courants de phénomènes d’intégration
déjà amorcés au cours des périodes précédentes : intégration intra-zone (comme l’Union
européenne) ou inter-zones (à une échelle plus large ; encouragés notamment en
cela par l’augmentation du nombre des pays adhérents à l’Organisation mondiale du
commerce (OMC).
Il n’est qu’à se référer en effet :
––d’un point de vue politico-réglementaire, à l’adhésion d’un certain nombre de nou
veaux adhérents clés, comme la Chine, en 2001, ou le Vietnam, en 2007, venus
rejoindre, après la création de l’Organisation mondiale du commerce en 1994, les
membres du GATT2 auquel il faisait suite ; tout comme la création de nouvelles
☞
1. Comme en témoigne le succès mondial de librairie de l’ouvrage de Thomas Friedman, La Terre est plate, une
brève histoire du XXIe siècle, (2006), vendu à quatre millions d’exemplaires, paru en France aux éditions Saint
Simon.
2. General Agreement on Tariffs and Trade, conclu en 1947, et rassemblant une vingtaine d’États-membres à
l’issue du second conflit mondial, et reposant sur la conviction que le développement du libre commerce serait le
meilleur garant de la paix universelle.
18
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
☞
structures économiques régionales facilitant les échanges de biens et de services à
l’image de l’Union européenne (comme le Mercosur, l’Alena, l’Apec, etc.)1 ;
––d’un point de vue socio-économique, à l’intensification des flux d’échanges et d’inves
tissements et au rapprochement de certaines pratiques de production et de consomma
tion par un nombre croissant de clients et de fournisseurs, traduisant un phénomène
plus large de diffusion des cultures, comme le redéploiement international sans précé
dent des chaînes de valeur des entreprises comme des réseaux de distribution ;
––d’un point de vue technologique, à la généralisation des transferts de technologie, à
l’évolution de la diffusion et du traitement de l’information, les améliorations conti
nues des modes de transport aérien, maritime, ferroviaire, routier, comme le trans
port combiné multimodal 2, et le développement – certes laborieux – de normes
propres à faciliter la distribution et la diffusion des produits et des services, tout en
préservant un environnement de plus en plus menacé par ce surcroît d’activité.
Cependant, ces phénomènes qui semblent suggérer une convergence, voire une har
monisation des modes de production, de consommation, sinon des références cultu
relles, ne doivent pas faire perdre de vue le caractère fondamentalement dissymétrique
de cette intégration : certaines zones géographiques s’ouvrent plus vite que d’autres3,
et, même celles qui semblent s’être engagées résolument dans ce processus – qu’il
s’agisse d’économies émergentes ou d’économies matures4 – peuvent tarder à remplir
leurs engagements, voire les remettre purement et simplement en question.
Pankaj Ghemawat5, démontre d’ailleurs, chiffres à l’appui, que le phénomène de
« globalisation » est encore, dans l’absolu, très circonscrit, en soulignant que les éco
nomies nationales demeurent très largement « domestiques ». En se référant à l’appré
ciation de l’ouverture internationale que fournit le ratio d’internationalisation
Export+Import/PIB il observe que la moyenne mondiale ne représente pas plus de
20 %, tandis que le ratio d’investissement étranger IDE/FBCF6 n’atteint pas 10 % ; ne
dépassant pas de beaucoup, les niveaux record atteints lors de la « première mondia
lisation7 », juste avant la Première Guerre mondiale.
☞
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1. Cf. repère 1.3 « La ‘résistible’ progression du décloisonnement à l’échelle régionale ».
2. Combinaison de modes de transport différents pour effectuer un parcours donné, comme le ferroutage
(comme il se pratique en Suisse, notamment, qui comporte le chargement des camions sur un train pour une partie
de la traversée du pays) ; mobilisant aussi des plateformes multimodales facilitant le transfert d’un mode de trans
port à un autre, généralisant aussi l’utilisation de conteneurs de dimensions standardisées (20 et, surtout 40 pieds)
susceptibles d’être chargés sur un camion, sur un train, sur un cargo porte conteneurs… et facilement déplacés à
l’aide de moyens de levage et de chargement, spécialement conçus pour leur manutention ; des systèmes de gestion
et de suivi en temps réel, souvent relayés par satellite, permettant une parfaite traçabilité de chaque « boîte » tout
au long de leur parcours, de l’entrepôt de départ à l’entrepôt d’arrivée.
3. Cf. repère 1.2 « La Russie finit par rejoindre d’OMC ».
4. Ibid.
5. Ghemawat P, « Why the World isn’t flat », Foreign Policy n°159 Mars-Avril 2007 et « Distance still matters :
the hard reality of global expansion », Harvard Business Review,vol 79 (8), 2001.
6. Investissement Direct Étranger / Formation Brute de Capital Fixe (total de l’investissement réalisé au cours
d’une année dans un pays donné).
7. Ibid.
19
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
Il souligne également que les communications téléphoniques internationales ne repré
sentent que 2 % du trafic global et que 18 % seulement du trafic Internet traverse les
frontières nationales. Il précise également qu’en ramenant les flux d’immigration à
leurs vraies proportions, seulement 3 % de la population mondiale vit dans un pays
différent de son pays de naissance… Et de conclure que « les échanges commerciaux
entre deux pays sont inversement proportionnels à la distance qui les sépare1 ».
Sans doute, ces chiffres gagneraient à être précisés en soulignant la dynamique d’évo
lution, qui caractérise certains d’entre eux, particulièrement au cours des deux ou trois
dernières décennies. Mais ils conduisent d’ores et déjà à considérer que l’ouverture
internationale indéniable du monde d’aujourd’hui est fragmentée et fluctuante, d’un
pays et d’une zone à l’autre. Ainsi, est-elle susceptible de régresser lorsque des crises
comme la crise mondiale qui sévit encore affectent les flux d’échanges2 comme
d’investissements3.
1. Il ajoute même (p. 21) : « toutes choses égales par ailleurs, les échanges entre deux pays sont 42 % supérieurs
s’ils se font dans la même langue, 47 % plus élevés s’ils se font à l’intérieur du même bloc commercial, 114 % plus
importants s’ils s’effectuent dans la même monnaie et 118 % si, à un moment de leur histoire, un des pays partie
prenante à l’échange a colonisé l’autre. »
2. Par exemple, de juillet à août 2012, les exportations chinoises vers l’Europe ont baissé de 5 %, alors que les
importations ont également fléchi : ces exportsations ont ainsi diminué de 7,9 % vers l’Allemagne, de 8,6 % vers la
France… et de 26 % vers l’Italie ! (J.J. Mével, « Un sommet Europe-Chine sous tension », Le Figaro Economie,
20/9/2012).
3. De leur côté les grands fonds souverains qui gèrent les investissements chinois à l’étranger ont limité leurs
opérations d’acquisition en Europe au cours de l’année 2011, n’y investissant que 3,1 milliards d’euros alors qu’ils
disposent de réserves qui dépassent les 3 000 milliards (ibidem).
4. Comme la théorie économique nous l’enseigne, le bâtiment suit des fluctuations à moyen terme, intermé
diaires entre les cycles courts de quelques mois à quelques années et les cycles longs qui peuvent dépasser plusieurs
dizaines d’années.
20
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
Le plan du chapitre
Section 1 ■ Portée et limites de l’ouverture internationale
Section 2 ■ Le renouvellement des théories de l’échange international
Section 3 ■ Introduction au modèle prest
Cas introductif
Cemex pris au double piège de la crise immobilière
et de la crise financière1
Localisée dans la partie septentrionale du Mexique dans la vallée peu accessible de
Monterrey, berceau de nombre d’activités industrielles, la firme cimentière, créée
en 1906, a connu longtemps un développement local, avant d’accompagner
l’expansion économique de la région puis du pays. Ce n’est que dans les années
1960 que les prédécesseurs de l’actuel dirigeant de l’entreprise – figure embléma
tique du patronat latino-américain, le charismatique Lorenzo Zembrano – avaient
entamé le processus d’acquisition de nombreuses cimenteries aux quatre coins du
pays, pour en faire un leader national incontesté. Ce n’est, en effet, qu’à la troisième
génération que la vocation internationale du groupe a pu s’affirmer, lorsqu’il a pris
pied, tout à la fois, en Amérique Latine, en Amérique du Nord et en Europe.
Soutenu par les investisseurs locaux de la région de Monterrey, assurant à l’entre
prise une autonomie de décision qu’aurait limitée une ouverture plus large de
l’actionnariat aux investisseurs extérieurs, Cemex a rapidement développé sa pré
sence hors frontières : en procédant à des acquisitions financées essentiellement par
des prêts bancaires à moyen terme, mais remboursés de manière anticipée dans la
plupart des cas. Ceci grâce à une démarche redoutablement efficace, la Cemex way,
permettant de rationnaliser rapidement la gestion des filiales nouvellement acquises,
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21
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
Avec le retournement du marché immobilier nord américain, dont Cemex se trou
vait donc particulièrement dépendant, dès la fin de 2007, comme avec la saturation
quasi simultanée du marché espagnol, son principal point d’ancrage en Europe,
l’entreprise a dû faire face, dans un laps de temps très court, à une chute de la
demande de ciment, générant une baisse brutale de son activité sur ses deux prin
cipaux marchés.
Fortement dépendante des banques pour son financement, Cemex s’est trouvée
également très vite touchée par la crise de confiance qui a affecté, dès l’annonce
de la faillite de la banque d’investissement new-yorkaise, Lehman Brothers, en
septembre 2008, l’ensemble de la communauté bancaire, fragilisée par l’impor
tance de ses engagements immobiliers, caractérisés par des prêts trop libéralement
consentis, par des refinancements accordés sans suffisamment de discernement et/
ou par des investissements souscrits sans mesurer les dangers latents qu’ils présen
taient.
Cemex, au pic de son endettement, du fait de ses multiples acquisitions pour un mon
tant équivalent son chiffre d’affaires (environ 22 milliards de dollars à l’époque) repré
sentant plus du double de sa capitalisation boursière d’alors, se trouvait pris en tenaille
entre la baisse de son activité, la baisse de sa capacité à générer des profits, d’une part,
et, d’autre part, son incapacité à rembourser les concours bancaires qui lui avaient été
consentis avec, en toile de fond, contraction brutale du marché bancaire et financier.
Il devenait, en conséquence, difficilement envisageable de renouveler ces concours dont
la première échéance importante était fixée à décembre 2009.
Le fameux dicton « Too big to fail » – trop gros pour faire faillite –, qui laissait pré
sumer un traitement privilégié par les institutions financières, ne semblait même
plus devoir s’appliquer à coup sûr, dans un contexte profondément bouleversé où
les établissements bancaires et financiers – et non les moindres, comme la célèbre
investment bank new-yorkaise déchue – ne semblaient plus, eux-mêmes, à l’abri de
la banqueroute.
Dès lors, comment réagir, pour faire face à l’urgence et à la remise en cause struc
turelle du modèle économique et financier sur lequel s’était appuyée l’entreprise
pour soutenir sa spectaculaire expansion ? Comment assurer la pérennité de l’orga
nisation alors que les plus grands acteurs du secteur, engagés eux aussi, pour la
plupart, dans la course à la taille, se trouvaient également touchés par cette double
crise ?
Vendre massivement des actifs – vraisemblablement à perte – au risque de déman
teler le groupe et de remettre en cause ses acquis ? Aliéner son indépendance et son
autonomie en ouvrant davantage le capital (à supposer qu’un autre groupe, en
meilleure santé, soit en mesure de jouer le rôle du « chevalier blanc » ou à supposer
que les investisseurs lui fassent confiance) ? Courber l’échine, en combinant ces
différents pis-aller, en attendant des jours meilleurs ? C’est effectivement ce que les
dirigeants ont été contraints de faire. Comment et pour quels résultats ?
Dans un premier temps, dès 2009, le cimentier s’était déjà attaché à rassurer la
communauté financière, en annonçant un plan d’urgence permettant de réaliser
150 millions de dollars d’économies, en 2010, et 250 millions supplémentaires, en
2011, pour passer à un rythme annuel de 400 millions, à partir de 2012, tout en
☞
22
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
☞
licenciant 17 000 employés. Ce qui a sans doute facilité le placement de deux émis
sions d’actions pour un montant total de 1,7 milliard de dollars. Mais c’est surtout
en cédant à Holcim, en août 2009, les activités australiennes héritées de Rinker
pour 2,02 milliards de dollars (soit seulement 6,6 fois l’excédent brut d’exploitation-
Ebitda1- des activités cédées , alors que le groupe de Monterrey les avait acquises
sur la base de plus de 12 fois l’Ebitda), que Cemex est parvenu à honorer l’échéance
de 2,3 milliards de dollars du 31 décembre 2009.
Cela aura-t-il suffi ? Encore endetté à hauteur de 17,5 milliards de dollars au prin
temps 2011, « le groupe doit résister en attendant la reprise. Les marchés américain
et espagnol, où Cemex est très implanté, restent fragiles. Mais le marché mexicain
montre déjà des signes de reprise », répondait alors, avec optimisme, Martin
Gonzalez, un analyste financier spécialiste du secteur, avant de préciser que le
groupe misait sur le lancement, en 2012, du plan d’infrastructure du gouvernement
américain. Le temps presse : Cemex s’est engagé à rembourser 9,7 milliards de dol
lars de crédits bancaires entre 2012 et 2014 et les dernières nouvelles des banques
espagnoles, à la mi 2012, ne sont guère encourageantes.
Quel que soit l’avenir réservé à Cemex, largement dépendant d’un environnement
international incertain, les dangers de l’euphorie entretenue trop longtemps et la
rapidité de transmission des crises à l’échelle planétaire ont constitué un sérieux
coup de semonce pour l’étoile montante du secteur cimentier mondial.
Quels seraient, dès lors, les éléments favorables et défavorables dans l’environne
ment géographique et sectoriel dans lequel évolue Cemex ? Quelles seraient alors
l’éventail des voies possibles d’évolution ? Conduiraient-elles plutôt à un rebond,
ou, à l’inverse, à un repli ? À quel prix, en termes de gouvernance (maintien ou
départ des dirigeants actuels), en termes de déploiement géographique (abandon
provisoire ou définitif de certaines localisations, réorientation vers d’autres horizons
plus prometteurs), en termes de mode d’entrée (poursuite de la politique d’acqui
sition à tout va ou jeu plus subtil d’alliances avec des partenaires locaux ou, même,
avec les grands concurrents) ? Autant de questions soulevées par cette crise sans
précédent aux dirigeants de l’entreprise qui nécessitent la prise en compte et l’éva
luation de différentes hypothèses d’évolution du contexte international, comme des
caractéristiques propres à l’entreprise, son histoire, sa culture, la vision de ses diri
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
geants…
1. Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization, indicateur financier d’origine américaine,
proche de notre excédent brut d’exploitation (EBE), largement diffusé dans le monde, quoique non réellement
normé, qui met en évidence le résultat de l’activité, sans tenir compte des charges financières, des impôts et taxes
et de l’amortissement de l’outil de production.
23
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
1. Cf. figure 1.9.. Sur quels « leviers » peuvent agir les organisations opérant dans l’espace de référence en
réponse aux « enjeux » ? (modèle PREST/3).
2. Cf. figure 1.7. « À quelles pressions externes se trouve soumis l’espace de référence ? (modèle PREST/1) » et
figure 1.8. « À quels “enjeux géo-sectoriels” se trouvent soumises les organisations opérant dans l’espace de réfé
rence ? (modèle PREST/2) ».
24
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
Section
1 Portée et limites de l’ouverture
internationale
Depuis la Seconde Guerre mondiale, et, surtout, le début des années 1980/1990,
période au cours de laquelle les facteurs d’accélération du changement se sont mul
tipliés, aussi bien sur le plan politique qu’économique (cf. tableau 1.1), plusieurs
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
À l’échelle mondiale, comme à l’échelle régionale, les vingt dernières années ont
vu le décloisonnement de nombreux espaces1 jadis isolés – voire autarciques –.
Comme aiment à le faire valoir les observateurs qui se réjouissent de l’ouverture
1. Voir Védrine H., Abecassis A., Bouabdallah, Continuer l’Histoire, Fayard, 2007.
25
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
1. L’ancien patron du Medef, Ernest-Antoine Seillière, pouvait ainsi déclarer : « à part la Corée du Nord et Cuba,
il n’existe aujourd’hui plus aucune alternative au capitalisme » (Le Figaro Magazine 25/2/2012) ; ce qui reste,
cependant, à nuancer, (cf. repère 1.5 « Le Libéralisme économique remis en question par ses plus ardents défen
seurs »).
26
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
☞
1993 Recherche d’un nouvel ordre Abaissement des obstacles quantitatifs/
Fin de l’Uruguay commercial libéral qualitatifs aux échanges + quête de
Round/création OMC moralisation
1997/1998/2001 Fragilité des processus de crois Institutionnalisation de l’arbitrage des
Crises asiatique/russe/ sance des économies émergentes, organismes multigouvernementaux (FMI,
argentine accroissement, de leur impact Banque mondiale)
régional
2001 Déstabilisation de la puissance Lutte anti-terroriste, tentatives de
Attentat du 11 septembre dominante sanctuarisation de ses refuges (Irak,
Montée en puissance du risque ter Afghanistan)
roriste
2002 Accélération des processus de Intégration croissante des marchés finan
Éclatement de la bulle transmission des crises entre mar ciers
Internet chés financiers
2008/2009 Mondialisation des crises et diffé Renforcement des processus de coordi
Crise des subprimes renciation accrue économies nation multigouvernementaux anticrise
Faillite de Lehman Brothers matures / économies émergentes création du G20
2010/2012+ Accentuation des faiblesses struc Adoption généralisée de plan d’austérité
Crise de la dette souveraine turelles des pays occidentaux Efforts accrus de coordination régionale
Récession des pays occiden (Union européenne)
taux
C’est ainsi qu’en Asie, par exemple, des puissances majeures, comme la Chine,
ou des acteurs régionaux clés, comme le Vietnam, ont, l’un après l’autre, rejoint
l’OMC, intensifiant du même coup leurs relations commerciales avec le reste du
monde et en attirant des flux croissants d’échanges et d’investissements vers leur
territoire. Elles ont non seulement valorisé leurs avantages compétitifs initiaux
liés, notamment, au faible coût de leur main-d’œuvre, mais elles ont été aussi en
mesure de les développer et de les élargir très vite, en bénéficiant des politiques
locales très actives et du soutien de la communauté internationale. D’autres éco
1. Ainsi le Vietnam avait dès 1986, manifesté son souci de « renaissance » (le Doi Moi) tandis que la Chine de
Deng Xiaoping avait, dès décembre 1978, initié son programme « Gǎigé kāifàng », littéralement « réforme et ouver
ture », qu’il développera dans les années 80 avec le programme des « Quatre modernisations » (industrie et
commerce, éducation, organisation militaire et agriculture) et « un pays, deux systèmes » (le communisme et le
capitalisme).
27
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
c Repère 1.2
La Russie finit par rejoindre l’OMC1
Cela faisait 18 ans – plus qu’aucun autre pays candidat à l’OMC –, que la Russie avait
initié le processus d’adhésion à cette organisation. Stoppée à plusieurs reprises pour
des raisons politiques, elle signait le protocole d’adhésion le 11 décembre 2011,
encouragée en cela par le président Medvedev, partisan déterminé d’une conclusion
rapide de l’accord. Pour lui, elle consituait un gage de modernisation et augmenterait
l’attrait du pays pour les investisseurs. L’OMC ayant donné son ultime feu vert, il
suffisait, en principe, d’une ratification par la Douma pour que l’adhésion devienne
effective.
Le principe même de cette adhésion restait susceptible d’être remise en cause par le
retour de Vladimir Poutine à la présidence : réputé méfiant vis-à-vis de l’économie de
marché, il avait déjà interrompu le processus en 2009, dans une logique d’indépen
dance. Cette posture n’était d’ailleurs pas nouvelle, comme en témoignent un certain
nombre d’ouvrages qui analysent sur la longue période le positionnement géopolitique
de la Russie2. Finalement, le 21 Juillet, le président a signé la loi ratifiant le proto
cole3.
C’est l’intérêt même qu’a la Russie à adhérer qui l’a finalement emporté : avec la
perspective de revenus additionnels annuels d’au moins 50 milliards de dollars,
comme de l’accélération de la modernisation économique et politique qu’espèrent
certains dans le pays. La situation structurelle de la Russie serait aussi amenée à évo
luer : au-delà des hydrocarbures, qui assurent les deux tiers des exportations du pays,
la compétitivité de ses produits s’en trouverait stimulée ; tout comme en seait facilitée
la réduction du niveau élevé de corruption, des entraves à la concurrence, de l’état de
déshérence du système éducatif.
À ce titre, les pays, comme la Russie, jusqu’à 2012, ou l’Algérie qui renacle
encore, longtemps isolés, du fait de contextes politiques, sociaux et culturels par
1. Voir site OMC, « Accessions : Fédération de Russie », 2012 ; Challenges “La Russie récidive avec Poutine”,
n° 272, 13 10 2011, traduit de The Economist et The Economist, « ’In’ at last ; Russia and world trade », 5 Novembre
2011, vol.401, n°8758,
2. Voir, notamment, G. Sokoloff, « La Puissance pauvre », Fayard, 1993 et A.de Custine, « La Russie en 1839 »,
T. 1 & 2, Solin, 1990.
3. RIA Novotsi, 22/8/2012.
28
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
rieures (quotas et droits de douane), son tarif extérieur commun, ses politiques
1. Les pays producteurs de pétrole, comme la Russie ou l’Algérie, dans une situation comparable vis-à-vis de
l’OMC, dont le volume de production leur permet d’être largement exportateurs, auraient tendance à ne pas déve
lopper leur compétitivité dans les autres secteurs et compromettraient, à terme, le devenir de leurs échanges avec
leurs pays partenaires. Le phénomène avait été identifié lorsque, il y a plus d’une trentaine d’années, on avait pu
observer, à la suite de la découverte d’importants gisements de pétrole en mer du Nord, un déclin relatif,
appréciable, mais temporaire des exportations manufacturières hollandaises. Une des causes, mais pas la seule, mise
en avant, était la détérioration de la compétitivité prix des produits fabriqués dans le pays et de l’appréciation consé
cutive de la devise nationale à la suite de ces découvertes et de l’accroissement consécutif de l’exportation de ses
richesses minérales. (cf. W. Max Corden, J. Peter Neary, « Booming Sector and De-Industrialisation in a Small Open
Economy », The Economic Journal, vol. 92, no 368, Décembre 1982), pp. 825-848. Ce qui n’est pas le cas de la
devise algérienne ou russe dont la convertibilité respective reste limitée.
2. À la fin de 2011, 153 pays étaient membres de l’organisation. Cf. cas d’application du chapitre 1 « Vietnam :
les défis de l’Organisation mondiale du commerce ».
29
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
communes (comme la politique agricole commune), son union monétaire (entre les
17 pays de la zone euro).
Elle constitue encore la forme la plus aboutie d’intégration économique supra
nationale, en comparaison avec la zone de libre-échange qui ne possède que le pre
mier attribut (comme l’Alena), l’Union douanière qui ne possède que les deux pre
miers (comme le Mercosur) ou l’Union économique ou le Marché commun (pour
les pays de l’Union européenne, non membres de la zone euro1).
Dès lors, à l’instar des entreprises américaines qui l’avaient très vite compris, en
s’implantant dans différents pays membres dès les années 60, les entreprises euro
péennes, avec le passage du marché commun au marché unique, en 1992, en sont
venues à considérer, de plus en plus, l’ensemble du territoire européen comme un
espace naturel d’expansion pour leurs activités2. Aussi, ont-elles entrepris d’y déve
lopper leurs réseaux de commercialisation et leurs centres de production, en recher
chant des localisations optimales et en se rapprochant d’entreprises présentant de
bonnes complémentarités dans le but de réaliser des accords de partenariat ou de
fusions-acquisitions transfrontières.
Mais cette dynamique est loin d’avoir progressé de manière linéaire, d’être univer
s ellement acceptée et les critiques, là encore, encouragées par la crise, dénoncent
une trop rapide intégration, tant sur le plan économique que sur le plan monétaire,
dont la crise grecque marque un paroxysme, remettant, tout à la fois, en cause la
manière dont l’élargissement a été accompli, la viabilité de la zone euro et le futur
de l’Union européenne elle-même, en donnant le signal de l’éclatement de la crise
de la dette souveraine.
1. En Afrique, notamment, a été créée, dans le prolongement de l’ère coloniale, une zone monétaire intégrée
utilisant le franc CFA (Communauté financière d’afrique) désormais rattachée à l’euro, qui s’appuie sur deux orga
nisations : l’Union Économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) prolongeant l’Union monétaire (UMOA)
regroupant 8 pays de l’Afrique de l’Ouest en vue de réaliser l’unification des espaces économiques nationaux et
créer un marché porteur et attractif pour les investisseurs, avec des politiques économiques et budgétaires et une
monnaie commune. La Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), regroupe 6 pays
au sein de l’Union monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC) et de l’Union économique de l’Afrique Centrale
(UEAC), avec pour mission d’éliminer les entraves au commerce entre ses pays membres, promouvoir des pro
grammes de développement et les projets industriels.
Il existe également, en Afrique, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la
Communauté de développement d’Afrique australe (SADEC, South African Development Economic Community) et
le Marché commun de l’Afrique Orientale et Australe aussi connu sous son acronyme anglais COMESA (Common
Market for Eastern and Southern Africa),
2. Lafay G., Siroën J.-M., Maîtriser le libre échange, Économica, 1994, p. 98.
30
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
c Repère 1.3
Le dilemme grec1
Longtemps masquées par une croissance de plus de 4 % par an, de 2000 à la veille de
la crise financière, les faiblesses structurelles de la Grèce, caractérisées par une dette
publique rapportée au PIB supérieure à 100 %, un secteur public pléthorique, une
fraude fiscale chronique, facilitée par une corruption omniprésente et, même, par le
maquillage des comptes publics2, se sont révélées au grand jour, dès lors qu’ont été
affectés directement les deux secteurs clés du pays, le tourisme et le transport maritime,
entraînant un recul quasi immédiat de la croissance.
Le pays s’est vu imposer, pour prix de l’aide communautaire, une discipline budgétaire
drastique se traduisant, pour des pans entiers de la population, par une hausse vertigi
neuse du chômage et par des coupes sombres dans les revenus et les prestations
sociales, jusque-là largement assurés par l’endettement extérieur qui alimentait les
régimes sociaux – santé et retraite –, comme l’entretien des 800 000 fonctionnaires (sur
les 5 millions de Grecs actifs).
Les programmes de sauvetage successifs3, caractérisés par des aides substantielles
apportées par les partenaires européens, comme par l’annulation d’une partie des
dettes bancaires n’ont pas suffi à empêcher les dégradations successives de la Grèce
auprès des agences de notation et l’envolée corrélative des taux de la dette grecque à
10 ans, sans que s’efface le spectre de la banqueroute.
Au printemps 2012, la menace semblait même se préciser ; différents scénarios étant
évoqués, incluant la mise en faillite de la Grèce et sa sortie de l’euro, qui fragiliseraient
encore davantage bon nombre de banques européennes4, sans que ne soient à exclure
l’« effet domino » ou l’« effet Lehman Brothers »5 que pourrait déclencher une telle
issue sur les autres « maillons faibles » de l’Union monétaire – Portugal, Espagne, Italie –.
Ce sont eux que certains traders, analystes financiers et journalistes spécialisés placent
à la suite de la Grèce sur la liste des faillis potentiels, n’hésitant pas à les désigner sous
l’acronyme révélateur, particulièrement méprisant, de « Pigs » (Portugal, Italy, Greece,
Spain) ; ceci sans préjudice des effets à craindre sur d’autres pays, plus septentrionaux,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
également très endettés, qui pourraient, à leur tour, faire l’objet de la méfiance des
investisseurs.
Dès lors l’Europe est tenue de prendre ses responsabilités, soit en se désolidarisant et
en risquant l’implosion de la zone euro, avec, au mieux, la coupure de l’Europe en
☞
1. A. Bauer et M. Prandi, Les Échos, 06/10/2011 ; The Economist, « Greece Lightning », 5/11/2011, pp. 83-84.
2. Qui s’est manifesté au grand jour en novembre 2009, lorsque le nouveau gouvernement socialiste multiplie
par deux l’estimation de déficit budgétaire pour la porter à 12,7 % du PIB (ibid. Les Échos).
3. Le second plan d’aide de février 2012 s’est monté à 237 milliards d’euros, après le plan précédent de
110 milliards, treize mois avant (ibid. Les Échos).
4. On estime à 30 % la décote de la dette grecque qui serait à provisionner par ses détenteurs. Par ailleurs, en cas
de défaut de la Grèce, la perte serait à partager entre les 17 banques actionnaires de la BCE.
5. Cf. repère 1.6 « De la crise des subprimes à la crise de la dette souveraine ».
31
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
deux, soit en choisissant d’aller de l’avant dans la voie de l’harmonisation, en complé
tant le dispositif de convergence budgétaire et fiscale – « la règle d’or » dont la ratifi
cation est en cours –, par un volet « croissance ». Lequel suppose non seulement la
mise en œuvre de véritables politiques structurelles et industrielles destinées à relancer
les économies européennes tout en accroissant leur compétitivité respective, mais,
également, en assouplissant les règles d’intervention de la Banque centrale européenne
(BCE), allant même, peut-être, en dépit de l’opposition de l’Allemagne, jusqu’à mettre
en œuvre une mutualisation des dettes souveraines en adoptant la formule des euro
bonds1.
Des initiatives plus récentes, comme la constitution de l’ALENA, entre les trois
pays de l’Amérique du Nord – Canada, États-Unis et Mexique –, ou encore le
Mercosur, entre les économies les plus prometteuses de l’Amérique du Sud, sont
porteuses de cette même dynamique, sans parler des regroupements qui se dessinent
ou se renforcent en Asie, au-delà de l’ASEAN, avec la création de l’APEC2. Mais,
là encore, des résistances nationales se font jour qui freinent une progression
susceptible de compromettre des équilibres fragiles.
c Repère 1.4
Le Mercosur entre expansion continentale et repli national3
Créé en 1991 (traité d’Asunción), entre l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay,
le Mercosur s’inspire davantage de l’Union européenne que de l’Accord de libre-
échange nord-américain (ALENA)4, en choisissant d’adopter non seulement la libre
☞
1. Les euro bonds (ou euro-obligations) seraient des instruments financiers permettant, sous l’égide de la Banque
centrale européenne, d’émettre des obligations susceptibles de couvrir les besoins de financement de l’ensemble des
pays de la zone euro, permettant de faire ressortir un taux unique, allégeant du même coup les charges d’emprunt
des pays les plus endettés, en leur permettant de bénéficier d’un taux un peu supérieur au taux allemand ou français,
mais bien inférieur au taux actuels, très élevés appliqués aux pays d’Europe du Sud. L’opposition de l’Allemagne
résulte, tout à la fois, de la crainte du renchérissement de la charge de sa propre dette, que des effets dissuasifs qu’un
tel procédé pourrait avoir sur les pays les plus endettés, en matière de mise en œuvre les mesures de rigueur que
Bruxelles exige d’eux (voir notamment, C. Gatinois, « Un outil mettant fin aux divergences de taux d’emprunt »,
Le Monde, 15/08/11).
2. L’Organisation de Coopération économique de l’Asie-Pacifique (APEC) a été créée en 1989 à l’initiative des
États-Unis et de l’Australie, comme une institution informelle pour faciliter le dialogue dans la région autour d’un
groupe de 12 membres qu’elle comprenait au départ. Elle rassemble désormais 21 pays membres : Australie, Brunei,
Canada, Chili, Chine, Corée du Sud, États-Unis, Hong Kong, Indonésie, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-
Zélande, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Pérou, Philippines, Russie, Singapour, Taiwan, Thaïlande, Vietnam. Ces pays
totalisent 50 % de la population mondiale, 60 % du produit brut mondial, 45 % du commerce international.
3. Cf. M. Dobal, « Mercosur cumple 20 años sin unión aduanera y con menor peso comercial », El País, 26 mars
2011 ; « El Mercosur destaca el elevado nivel de madurez en materia de integración », EFE, 26 mars, 2011 ;
« Mercosur cumple 20 años lejos de sus objetivos originales pero aún vigente », AFP, 25 mars 2011.
4. En anglais, NAFTA : North American Free Trade Association.
32
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
☞
circulation des biens, des services et des capitaux, mais également, comme l’UE et à
la différence de l’ALENA, un tarif extérieur commun (TEC) assorti de politiques de
convergence économique entre pays membres. L’élargissement, régulièrement discuté,
est à l’ordre du jour depuis le début des années 2000, avec le rapprochement d’avec
les pays du Pacte Andin (Bolivie, Colombie, Équateur, Pérou, Venezuela), comme du
Chili, du Guyana et du Surinam, ainsi que du Mexique.
Cependant, même si les échanges intra-Mercosur ont décuplé entre sa création et son
vingtième anniversaire, en mars 2011, la mise en œuvre du TEC reste très incomplète :
au-delà des divergences politiques et des oppositions entravant la progression de
l’intégration, ce sont les réticences aux abandons de souveraineté qu’exige l’adoption
de politiques communes, comme les disparités importantes entre les niveaux de
richesse des différents pays du sous-continent, comme, aussi, l’opposition chronique
entre les deux pays leaders – Argentine et Brésil – qui suscitent le plus d’interrogations
sur le devenir de l’intégration économique de l’Amérique Latine dont le Mercosur est
porteur.
33
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
INTÉGRATION FINANCIÈRE
Intégration des flux de capitaux,
montée en puissance de la finance de
marché et transmission des crises
Avec la crise financière et ses conséquences sur la croissance, comme avec la mon
tée en puissance des économies à croissance rapide, ce modèle qui tendait à s’impo
ser depuis le début des années 80 est de plus en plus contesté.
c Repère 1.5
Le libéralisme économique en question par ses plus ardents défenseurs1?
Se référant à un index canadien mesurant le freedom index2, le très libéral hebdoma
daire britannique The Economist souligne qu’après avoir progressé, en moyenne, en
quatre décennies de 5,5 (sur 10) à 6,7 à la veille de la crise, en 2007, celui-ci serait en
passe de régresser. Les États seraient en effet conduits à intervenir directement, en
régulant de façon plus étroite leur économie et en s’efforçant de l’adapter à l’ouverture
internationale, tout en agissant à travers des acteurs économiques qu’ils contrôlent
directement.
☞
1. « The visible hand », The Economist, 21-23/01/2012, « Capitalism under fire », Time, 06 février 2012.
2. Proposé par le think tank canadien The Fraser Institute (www.fraserinstitute.org), à partir de 42 indicateurs
accordant une importance équivalente à cinq dimensions : importance des dépenses publiques, des impôts et du
secteur public ; cadre légal, sécurité et droits de propriété ; rattachement à une monnaie forte ; liberté des échanges
internationaux ; réglementation du Crédit, du Travail et des Affaires.
34
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
☞
S’agissant des économies émergentes et, particulièrement des ECR, la croissance
impressionnante de la Chine, à une moyenne annuelle de 9,5 %, avec 18 % de pro
gression de ses échanges internationaux en volume, depuis 30 ans, tendrait à valider
un modèle plus dirigiste. Force est aussi de prendre en considération la place que les
sociétés d’État y occupent dans des secteurs clés comme les produits de base, les infra
structures, les institutions financières…
Sans rien renier de leurs convictions libérales, les journalistes britanniques observent que
de nombreux pays émergents, comme l’Afrique du Sud ou le Brésil, sans tradition d’éco
nomie centralisée, font la part de plus en plus belle au dirigisme, en développant leurs
politiques industrielles, en créant des fonds souverains1, leur permettant de soutenir plus
directement l’orientation de leur économie et, plus particulièrement, de leurs entre
prises. Le débat ferait aussi rage parmi les jeunes économistes des grands organismes
multigouvernementaux, comme la Banque Mondiale entre le libéralisme conquérant
des dernières décennies et le retour en grâce d’un certain interventionnisme étatique.
Dans le magazine américain, Time, le son de cloche recueilli auprès d’un panel asso
ciant à un dirigeant de multinationale, un banquier, l’animateur d’un fonds d’investis
sement, une syndicaliste et un académique résonne de manière comparable, en
renvoyant, lui aussi, les deux capitalismes dos à dos. Tout en prenant acte de l’évolu
tion libérale inéluctable des capitalismes d’État des pays émergents, y est clairement
exprimée par ses membres la nécessité, dans les économies matures, de gouverne
ments plus efficaces pour corriger les excès du capitalisme libéral, comme pour le
normer, afin de protéger les agents économiques, consommateurs et producteurs, des
effets pénalisants de l’ouverture internationale et de préserver la cohésion sociale.
vices tels que la finance, les télécommunications et, à un moindre titre, la banque1.
L’abandon des quotas d’exportation par pays et par produits qui avaient été mis en
place en 1974 pour protéger la filière textile des pays industrialisés2, a sensiblement
fait évoluer la donne en permettant, à partir de 2006, l’accroissement dans ce sec
teur, de la pression concurrentielle de pays comme la Chine et l’Inde3 sur les écono
mies matures.
1. Cf. exemple 2.2 « Un nouveau venu très actif sur la scène internationale : le Qatar. »
2. Jusqu’à la fin du Cycle de l’Uruguay (Uruguay Round), les contingents relatifs aux textiles et aux vêtements
étaient négociés bilatéralement et régis par l’Arrangement multifibres (AMF). Cet instrument prévoyait des règles
pour l’imposition de restrictions quantitatives sélectives lorsque des pics d’importations portaient, ou menaçaient
de porter un préjudice grave à la branche de production du pays importateur (source : site OMC, http//www.wto.
org/indexfr.htm).
3. Tout en réduisant la marge préférentielle dont bénéficiaient les pays non soumis à des quotas d’importation,
comme la Tunisie et le Maroc.
35
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
1. J.F. Dufour, Made by China. Le secret d’une conquête industrielle, Dunod, 2012.
2. Cf.exemple 3.8 « Airbus installe une ligne de production (pour la famille des A 320) en Alabama » et
exemple 3.10 « Peut-on rapatrier la fabrication des iPhones de Chine aux États-Unis et y faire revenir les
emplois ? »
3. Source : CHÉLEM-CEPII. À noter que ces évolutions peuvent relever de phénomènes aussi divers que la
baisse de la demande mondiale, l’excès de l’offre (se traduisant par une baisse des prix) ou encore la substitution
d’importation (voir Lafay G. et Siroën J. M., op. cit.). Cela n’exclut pas des retournements de tendance (cf. redres
sement de la position américaine dans la filière électronique) ou la relocalisation en Europe de certaines productions
automobiles (japonaises notamment, comme Toyota à Valenciennes).
4. Voir, infra, théorie d’Akamatsu, de développement « en vol d’oies sauvages » et figure 3.4. Le développement
« en vol d’oies sauvages » d’Akamatsu Akamatsu K., « A Historical Pattern of Economic Growth in Developing
Economies », The Developing Economies, Preliminary Issue n°1, Mars 1962. Voir également le cas introductif du
chapitre 4, « Huawei, la montée en puissance d’un leader technologique mondial. »
5. L. Marcaillou, « Actia veut ouvrir une deuxième usine low cost à l’étranger », Les Échos, 21/2/2012 et « À
Villemur-sur-Tarn, Labinal affiche produit en France », Les Échos, 23/2/2012.
36
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
En termes d’échanges, cette évolution sensible des soldes extérieurs se traduit par
un accroissement des déficits des économies matures, au bénéfice des économies
émergentes, asiatiques en particulier.
En définitive, les projections disponibles font ressortir un renversement relatif des
positions dominantes des économies mondiales, avec une réduction sensible du
poids des pays de la Triade, la confirmation de l’envolée chinoise, avec une montée
en puissance plus limitée de l’Inde et des pays de l’ASEAN.
25 25
20 20
15 15
10 10
5 5
0 0
EU-27 USA Japon Chine Inde ASEAN-5
37
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
au-delà des limites de ce pays, en particulier dans la plupart des économies matures,
amorçant une crise financière qui se prolonge encore plusieurs années après son
éclatement.
c Repère 1.6
De la crise des subprimes à la crise de la dette souveraine
Issue, aux États-Unis de la constitution d’une bulle immobilière, associée aux excès de
l’ingénierie financière incontrôlée, la crise des subprimes a durablement compromis la
stabilité de systèmes bancaires et financiers devenus de plus en plus interconnectés.
Amorcée dès 20071, elle a été à l’origine, en septembre 2008, d’une crise de confiance
généralisée entre banques alimentée par les doutes portant sur leur solvabilité2 qui
s’est, plus récemment, trouvée prolongée par la crise de la dette souveraine affectant
de nombreux États, européens, particulièrement.
L’enchaînement, dans un premier temps, a été fatal entre une classique spéculation
immobilière favorisée, par la conjonction de taux d’intérêt historiquement bas aux
États-Unis, une offre de prêts libérale à l’intention d’une clientèle peu solvable (dite
« subprime »), illusoirement assurée qu’elle était, de pouvoir avantageusement revendre
son bien sur un marché caractérisé par une augmentation continue des prix jusqu’en
2006. Pour désengorger le bilan des banques et pour fluidifier le marché des créances
immobilières, les ingénieurs financiers des investment banks américaines avaient
titrisé3 ces créances sous la forme de produits d’investissement spéciaux (S.P.V., special
purpose vehicles4) associant des créances de qualité diverses cédées par les banques
et en les proposant aux investisseurs – fonds de pension, fonds spéculatifs, compagnies
d’assurance, comme aux banques elles-mêmes… –, aux États-Unis comme sur
l’ensemble des marchés financiers mondiaux désormais largement décloisonnés5.
À la suite de la faillite de la banque Lehman Brothers, la méfiance s’est emparée de
l’ensemble de la communauté financière et s’est manifestée en particulier sur les mar
chés monétaires sur lesquels les établissements financiers en excédent de liquidités les
prêtent à court terme à ceux qui, à l’inverse, en ont besoin. Chaque établissement igno
rant à quel point ses interlocuteurs habituels, ses « contreparties », étaient détentrices
de ces créances dépréciées, ces marchés s’étaient brutalement contractés, provoquant
du même coup une restriction brutale de l’octroi de nouveaux crédits aux autres agents
économiques.
☞
1. « Subprimes : les banques pourraient perdre 2 000 milliards de dollars », Le Monde, 21 novembre 2007.
2. « La SEC lance le grand procès de la crise des subprimes » V. Robert, Les Échos, 5 juin 2009.
3. Cf. Les Techniques de titrisation montrées du doigt, Les Échos, 20 août 2007.
4. Fonds commun de créance.
5. Joseph E. Stiglitz, Le Triomphe de la Cupidité, Babel, 2010.
38
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
C’est cette situation1 que n’ont pu que partiellement endiguer les efforts de renfloue
ment des banques centrales ; cette crise se trouvant relayée par la crise de la dette
souveraine lorsque, avec la crise grecque2, le doute a gagné les investisseurs sur la sol
vabilité des pays eux-mêmes et les a dissuadés de souscrire aussi largement qu’avant
aux émissions destinées à couvrir une dette publique en constante progression.
Subissant, en effet, le ralentissement de leur croissance et le poids accru de cet endet
tement, seuls en mesure de couvrir les déficits budgétaires et les régimes sociaux, ce
sont désormais les gouvernements, confrontés à une crise de confiance qui les met
directement en cause et dont l’issue est toujours incertaine, qui sont devenus les
maillons faibles, sans pour autant que les établissements financiers aient retrouvé la
santé3. Les conséquences de ce nouveau rebondissement de la crise financière, dans
un espace financier largement mondialisé, sur les flux d’échanges et d’investissements,
pourraient être considérables, les conduisant à s’infléchir, diminuer ou, dans les pires
scénarios, à se détourner de zones entières, dans un monde marqué désormais par une
menace « globale » de récession, cette fois…
ciers mondiaux. Sans, pour autant, que la réaction protectionniste soit plus ras
surante, dans la mesure où elle pourrait provoquer les mêmes effets, par l’anémie
que provoquerait la diminution corrélative des échanges, alors contrariés par l’érec
tion de nouvelles barrières qui les entraveraient. La voie est donc désormais étroite
pour sortir de cette situation qui, à terme, peut provoquer des dommages généralisés
à l’échelle planétaire, comparables à ceux qu’avait provoqués, en son temps, la crise
1. Les banques dans la tempête, S. de Boissieu, Investir n°1753, 11 août 2007.
2. Cf. repère 1.3 « Le dilemme grec ».
3. Voir la détérioration brutale du crédit des banques espagnoles, à la fin du printemps 2012, elles-mêmes minées
par les créances immobilières douteuses, issues non pas des subprimes mais d’une « bulle immobilière » purement
espagnole, qui pourrait, comme la crise de la dette souveraine grecque, entraîner l’affaiblissement de nombreux
investisseurs, dont nombre d’établissements financiers ayant apporté leur concours à leurs confrères espagnols…
(cf. J. Berthereau, « L’agence Fitch dégrade l’Espagne de trois crans », Les Échos, 9/6/2012).
39
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
c Repère 1.7
Les approches « Base de la pyramide » (bottom of the pyramid, « BoP »)
Popularisé par l’ouvrage de Prahalad1, The fortune at the bottom of the pyramid, paru
en 2004, le nouveau concept de BoP s’attache à faire ressortir le potentiel que recèle
le marché des quatre milliards d’humains qui, sur la planète, vivent avec moins de 2 $
par jour. Négligées par la plupart des multinationales, certaines comme Unilever ont
cependant compris que vendre en quantité des dosettes de shampoing d’un seul usage,
plutôt que des conditionnements plus importants, en s’appuyant sur un réseau alter
natif de femmes, à la fois distributrices et consommatrices, pouvait constituer, pour
l’entreprise, une source de revenus prometteuse. Une telle approche a suscité, par
☞
1. The Fortune at the Bottom of the Pyramid. Eradicating Poverty Through Profits, Prentice Hall (2004), paru en
français sour le titre 4 milliards de nouveaux consommateurs : Vaincre la pauvreté grâce au profit, Édition Village
Mondial, 2004.
40
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
☞
ailleurs, l’apparition de nouveaux modèles économiques à l’initiative d’entreprises
issues des économies à croissance rapide elles-mêmes, inspirant même une diffusion
dépassant l’espace d’origine, pour en étendre l’application à d’autres zones où les
groupes de population les plus pauvres sont également majoritaires1, en attendant que
la paupérisation malheureusement à craindre dans certaines économies matures n’en
suggèrent le transfert vers elles2.
Un tel concept conduit aussi à soulever des questions importantes d’insertion des orga
isations à but lucratif, particulièrement, dans les pays qu’elles approchent, renvoyant
n
à l’application de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise dans de nouveaux environ
nements de plus en plus ouverts, où on attend d’elles une attitude « citoyenne » qui
doit se traduire dans les conduites à adopter pour se faire accepter3.
nois, relayées par la sous-traitance locale alors qu’on pouvait observer la montée en
puissance des nouveaux « champions internationaux » chinois qui essaiement désor
mais dans le monde entier5.
1. Comme celui de l’opérateur téléphonique indien Bharti qui offre à sa clientèle des communications très bon
marché qui a reproduit cette offre dans 15 pays d’Afrique.
2. Voir Yunus M., Vers un monde sans pauvreté, J.C. Lattès, 1997.
3. Dans son livre vert de 2001, l’Union européenne définit la RSE comme « l’intégration volontaire des préoc
cupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties
prenantes. Être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques
applicables, mais aussi aller au-delà et investir davantage dans le capital humain, l’environnement et les relations
avec les parties prenantes ».
4. Cf. cas introductif chapitre 4, « Hua Wei à la conquête du leadership mondial».
5. Cf. figure 4.8. « L’expansion concentrique de Huawei (1988-2012) ».
41
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Ceci ne doit pas faire oublier que l’ouverture de nouveaux espaces ne promet pas
systématiquement le développement de nouvelles opportunités d’affaires. Il peut y
avoir, aussi, des reculs appréciables, comme l’ont montré, à la fin des années 90, les
crises asiatiques et russes, suivies, en décembre 2001, de la crise argentine. Elles ont
révélé les faiblesses structurelles persistantes de certaines de ces économies, tant en
termes d’infrastructures que d’instabilité politique et sociale susceptibles d’affecter
durablement les flux d’échanges et d’investissements1.
Vues des pays occidentaux, les évolutions des pays émergents sont souvent consi
d érées d’un point de vue naturellement empreint des valeurs des observateurs issus
des premiers, qu’ils tendent à projeter sur les seconds. Ils ne prennent pas toujours
en compte les réalités politiques, économiques, sociales, culturelles qui déterminent
les comportements des acteurs politiques et économiques locaux ; comme en
témoigne la retombée des espoirs économiques occidentaux suscités par les « prin
temps arabes2 ».
Dans les économies matures, des mouvements de fond, suscitant des réactions
inattendues, sont, aussi, susceptibles de modifier la donne. En témoigne la mul
tiplication de mouvements sociaux, souvent originaux, aux quatre coins du
monde, en écho aux crises venues de l’extérieur, comme en réponse à des évé
nements locaux plus spécifiques. Israël, l’Espagne, les États-Unis et le Canada
en ont donné l’exemple. Ils se sont déclenchés, le plus souvent, de façon inat
tendue, depuis le début des années 2010, laissant présager des effets à plus long
terme qui, immanquablement, détermineront une transformation plus ou moins
durable des climats d’affaires3 dans ces pays, sans présumer des effets de pro
pagation de ces mouvements qu’autorise désormais la circulation instantanée de
l’information.
42
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
c Repère 1.8
La croisade mondialisée des « indignés »
Relayant les manifestations antimondialistes qui accompagnent traditionnellement
les réunions du G8, largement médiatisées par les images des rassemblements de la
Puerta del Sol, au centre historique de Madrid, et « l’occupation » de Wall Street,
la montée en puissance du mécontentement lié à la détérioration de la situation
économique dans de nombreux pays – occidentaux, particulièrement –, ces mani
festations remettent, le plus souvent, en question un capitalisme sans frontières.
Celui-ci est rendu responsable, à tort ou à raison, de maux tout à fait réels se déve
loppant partout, pour des raisons et avec des manifestations identiques ou diffé
rentes. Quoi qu’il en soit, 900 villes dans plus de 80 pays1 auraient été touchées par
le mouvement.
De fait, le déclencheur a été l’emploi des jeunes, en particulier (plus de 17 % de taux
de chômage aux États-Unis, plus de 20 % en moyenne, en Europe, avec un pic de
46 %, en Espagne, fin 2011 !), relayé parmi les aînés qui voient leur retraite menacée
comme leur couverture maladie, jusque-là garanties par des États (encore) providence
et désormais confrontés à des déficits publics croissants2.
Ces mouvements, dans leur convergence, comme dans leurs particularismes, comme
en Israël, à l’été 20113, ou au Québec, au printemps 20124, dénoncent en fait l’impuis
sance de nombreux gouvernements à proposer des solutions en dehors de l’austérité
et, dans certains cas, de la répression.
En dernier lieu, dans un tel contexte, caractérisé par des tensions croissantes,
c’est la montée en puissance de nouveaux acteurs, au premier rang desquels les
ONG – les organisations non gouvernementales – qu’il convient de souligner.
Elles sont désormais bien présentes comme porteuses de projets et promotrices
d’intérêts de différentes natures, pouvant, tout à la fois ou selon les cas, contester
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43
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
c Repère 1.9
La montée en puissance des organisations non gouvernementales
internationales et de la « société civile internationale 1 »
Les organisations non gouvernementales internationales (ONGI) ne datent pas d’hier,
puisqu’on peut en relever l’existence dès le milieu du xixe siècle2. Elles recouvrent des
structures très différentes, ne recherchant pas le profit, du moins de manière directe,
comme les entreprises. Certaines cherchent à procurer un certain nombre de services
et de bénéfices à leurs membres partageant les mêmes centres d’intérêt (profession
nels, syndicaux, politiques, culturels, religieux, etc.), tandis que d’autres s’attachent
à servir une cause, le plus souvent humanitaire (défense de la paix, des droits
civiques, aides de toutes sortes destinées à des populations en difficulté…), sans qu’il
soit toujours possible de faire le partage de façon claire entre ces deux types
d’organisations.
Leur nombre s’est considérablement accru au cours des années, passant de moins
d’une dizaine, au milieu du xixe siècle, à plus de 60 000 à la fin de la première décen
nie du siècle3. Elles connaissent une croissance exponentielle depuis la Seconde
Guerre mondiale, mais sans que ce processus de croissance puisse être considéré
comme linéaire4 ; les guerres mondiales, la Grande Dépression ayant marqué des
phases de repli significatif. À l’inverse, les ONGI ont fortement bénéficié de
l’environnement porteur du développement économique, du retour à la paix comme
des avancées technologiques – en matière de transport et de télécommunications,
particulièrement –, qui ont grandement facilité leur expansion.
Elles jouent un rôle important comme groupes de pression, auprès des autorités gouver
ementales comme des organisations multi-gouvernementales, souvent comme relais
n
de celles-ci pour démultiplier leur action, se substituant aussi à des activités produc
tives et/ou marchandes, particulièrement dans des espaces économiques où le pouvoir
d’achat des populations rend celles-ci peu ou pas accessibles.
1. Voir T. R. Davies, « The rise and fall of transnational civil society, the evolution of international
non-governmental organizations since 1839 », Centre for International Politics, Working Paper CUTP/003,
avril 2008.
2. G. P. Speeckaert, Les 1978 Organisations Internationales Fondées depuis le Congrès de Vienne (Bruxelles :
Union of International Associations, 1957.
3. Source : Union of International Associations, ibidem.
4. John Boli et George Thomas, Constructing World Culture: International Non Governmental Organizations
Since 1875, Stanford University Press, 1999.
44
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
DÉCLOISONNEMENT
PROGRESSIF DES ESPACES
ÉCONOMIQUES
Convergence/Intégration
des espaces Intensification de la
Redéploiement constant
économiques pression concurrentielle
des opportunités
-Effets de « grand -Irruption de nouveaux
-Focalisation vers les
marché » entrants
zones de croissance
-Protection vis-à-vis -Guerre des prix et
-Recherche des facteurs
des tiers course à l’innovation
de production les plus
-Préférence acteurs -Contestation des
avantageux
internes leaderships
-Politiques communes
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OUVERTURE INÉLUCTABLE
DES ORGANISATIONS
45
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Elles ne doivent pas, pour autant, minimiser les réalités locales, auxquelles elles se
trouveront confrontées, dans un contexte dont elles ne doivent pas sous-estimer les
particularismes et l’instabilité.
Section
2 Le renouvellement des théories
de l’échange international
La stratégie de développement international nécessite une approche pluridiscipli
naire, tendant à associer les apports de différents champs.
À un premier niveau, plus « théorique », certains concepts, débouchant sur des
schémas opérationnels, seront utilisés pour mieux justifier et expliquer la démarche
proposée.
c Repère 1.10
Principaux courants de référence théoriques
Commerce/marketing international
s !NALYSE ET APPROCHE Stratégie
DES MARCHÏS ÏTRANGERS s $ÏMARCHE STRATÏGIQUE
s !DAPTATION DES PRODUITS s !NALYSE SECTORIELLECONCURRENTIELLE
ET DES DÏMARCHES s $IAGNOSTICDÏCISIONPLAN
s -ODALITÏS DE RÒGLEMENT
ASSURANCEFINANCEMENT
Démarche proposée
s )DENTIFICATION DE L’ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL
s 3TRATÏGIE DENSEMBLEENJEUX DE L’INTERNATIONALISATION
s &ORMULATION DE LA STRATÏGIE D’INTERNATIONALISATION
s 3ÏLECTION DES i LOCALISATIONS CIBLES w
s #HOIX DES MODES DE PRÏSENCE
s !CCOMPAGNEMENT LOGISTIQUE JURIDIQUE FINANCIER
ET FISCAL DE L’INTERNATIONALISATION
s -ISE EN UVRE ET PLANIFICATION DU DÏVELOPPEMENT
46
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
☞
•• Dans le champ de l’économie internationale, au-delà de certains aspects des théories
du commerce international qui ont, elles-mêmes, bien évolué depuis Adam Smith et
David Ricardo, on empruntera aux courants de réflexion liés aux unions douanières, à
la multinationalisation des entreprises ainsi qu’aux approches explicatives du processus
d’industrialisation et d’insertion des nations émergentes dans les échanges interna
tionaux.
•• Du champ de l’économie industrielle et de la nouvelle microéconomie, on tirera diffé
rents éléments d’analyse de la concurrence, mettant en évidence les barrières à l’entrée,
ainsi que les éléments d’interaction entre les structures de production, les comporte
ments et les performances des acteurs, dans le cadre des différents marchés de biens et
de services.
••Dans le champ de la stratégie, en dehors des outils permettant une définition de l’orien
tation à long terme de l’entreprise, on s’appuiera, entre autres, sur l’analyse concurren
tielle, dont la transposition et l’utilisation à l’échelle internationale constituera un élément
clé de la démarche de développement international proposée.
••Dans le champ du marketing international, on puisera, aussi bien dans les approches du
marketing stratégique et celles du marketing à l’étranger, sans préjudice d’une réflexion
de plus en plus riche consacrée aux différentes dimensions interculturelles associées au
développement international des organisations…
Mais aux côtés de ce faisceau de sources de références, différents autres champs dis
ciplinaires et fonctionnels devront être pris en compte dans la mise en œuvre opéra
tionnelle de la démarche de développement international :
––les dimensions techniques, telles que l’assurance/le règlement/le financement des
biens de consommation et/ou des biens d’équipements et des projets internationaux,
les financements et garanties des investissements internationaux, l’optimisation du
transit et du transport international, la définition du cadre juridique et fiscal, dans un
contexte « transfrontières ».
––les dimensions méthodologiques pour faire face, par exemple, aux problèmes orga
nisationnels et humains liés à la confrontation de cultures nationales différentes, lors
de la mise en œuvre pratique – structuration et planification opérationnelles – du
développement international de l’organisation.
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En tout état de cause, ces différentes contributions théoriques et pratiques seront mobi
lisées et coordonnées dans le cadre de la démarche dynamique de développement
international proposée, qui s’efforcera de ne laisser de côté, à quelque stade d’interna
tionalisation où se trouve l’organisation concernée, aucun paramètre important à
prendre en compte aux différentes étapes de la décision.
47
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Ce qui conduit :
––à souligner, à partir des transformations des économies émergentes et des écono
mies matures, les réorientations des activités productives et des flux d’échanges,
telles qu’elles ont pu être observées au cours de la période récente ;
––à mettre en évidence les nouveaux enjeux auxquels se trouvent désormais
confrontées les organisations, en présentant de nouveaux schémas de réflexion,
susceptibles de guider les choix des acteurs concernés.
C’est, tout d’abord, au niveau, macroéconomique1, de notre réflexion, que les réfé
rences théoriques peuvent se révéler utiles pour mieux comprendre les mutations de
l’environnement et pour mieux envisager les conditions du développement interna
tional des organisations.
Elles devront permettre de s’interroger sur le degré de pertinence des approches
libérales, qui, depuis Adam Smith, poussent à la libération des flux d’échanges et
d’investissements et privilégient la levée des obstacles qui les contrarient, expliquant
en grande partie l’ouverture internationale dont l’objet du présent chapitre est de
dégager les caractéristiques.
La remise en question partielle de ce premier grand courant, toujours dominant –
aujourd’hui, comme par le passé – permettra (chapitre 2) de mesurer l’influence,
sous-jacente plus qu’affirmée, qu’exerce toujours le protectionnisme, qui peut per
mettre de mieux appréhender les conditions dans lesquelles les territoires (États,
régions, villes…) peuvent se positionner plus avantageusement pour leurs parties
prenantes.
Sans préjudice ultérieur (chapitre 3) du recours aux théories néo-factorielles et
néo-technologiques qui permettront de mieux approcher, à un niveau plus
mesoéconomique l’impact de ces deux courants sur les industries, les secteurs ou les
activités, dont un nombre croissant est à considérer à une échelle mondialisée,
ménageant une place désormais essentielle aux économies émergentes. Ce qui
conduit à reconsidérer les bases de la spécialisation internationale pour mieux appré
hender la réorientation des activités productives et les flux d’échanges.
D’autres références, plus microéconomiques seront mobilisées plus tard (cha
pitre 4) pour mieux comprendre la dynamique de développement international des
organisations, en invoquant les nouveaux modèles de multinationalisation, se
situant, tout à la fois, dans la mouvance de la nouvelle microéconomie, de l’écono
mie industrielle et de l’économie internationale.
1. On s’attachera au chapitre 4 à d’autres références théoriques, également indispensables permettant, notamment,
de mettre en évidence l’intérêt de nouveaux modèles de multinationalisation, se situant tout à la fois dans la
mouvance de la nouvelle microéconomie, de l’économie industrielle et de l’économie internationale. Ceux-ci
proposent un ensemble d’indicateurs et un cadre explicatif propres à faciliter les choix d’internationalisation de
l’entreprise.
48
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
c Repère 1.11
Les deux grands courants de la réflexion économique sur le commerce
et la spécialisation internationale
Si on s’attache à identifier les grands courants de pensée qui fondent l’économie inter
ationale, deux approches dominent :
n
––la théorie de l’échange international, d’inspiration libérale, s’inscrivant dans la mou
vance d’Adam Smith et de David Ricardo, dont les principes inspirent encore les
orientations dominantes, telles qu’elles s’expriment au niveau régional – avec
l’Union européenne par exemple – et au niveau mondial – avec l’Organisation mon
diale du commerce ;
––le courant mercantiliste et néo-mercantiliste qui, des bullionistes espagnols et du docteur
Quesnay, en passant par Keynes et la politique commerciale stratégique de Krugman,
propose un modèle bien différent, qui n’en est pas moins utile pour comprendre les
politiques économiques et les positions de certains pays.
Plusieurs étapes marquent, tout d’abord, le courant de l’échange international qui
s’attache à démonter les avantages de l’échange international et les bienfaits qu’il peut
apporter à l’échelle planétaire :
––avec la théorie de l’avantage absolu, présentée en 1776, Adam Smith fonde sa
réflexion sur les conditions nécessaires au développement de l’échange interna
tional : « Si un pays étranger peut nous fournir une marchandise à meilleur marché
que nous sommes en état de l’établir nous-mêmes, il vaut bien mieux que nous la lui
achetions avec quelque partie de notre industrie, employée dans le genre dans
laquelle nous avons quelque avantage1 » ;
––David Ricardo, avec la théorie de l’avantage comparatif, fonde la théorie de la spé
cialisation internationale, en démontrant que, considérant deux biens de même
nature produits dans deux pays différents, chacun a intérêt à se spécialiser dans celui
pour lequel il a la position relative la plus forte, comme le démontre le fameux
exemple du drap et du vin, faisant ressortir que, si la productivité du Portugal est
supérieure à celle de l’Angleterre pour l’un comme pour l’autre, ce pays a intérêt à
se spécialiser dans le second, dans la mesure où son avantage relatif y est supérieur.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Gallimard, coll. Idées, Smith A., 1976,
p. 258, cité par Grejbine A., « Les théories de l’échange international », Les Cahiers français, n° 229, janvier-février
1987.
2. Asley W.-J., Principles of political economy, Londres, Longmans, Green & Co, 1909, Grejbine, op. cit.
49
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
––au début du siècle1, Hecksher et Ohlin puis Samuelson se sont attachés, dans le
cadre de la théorie des proportions des facteurs, à expliquer l’avantage comparatif
par la dotation initiale de facteurs de production (terre, capital, travail). Ceux-ci
poussent chaque pays à se spécialiser dans les productions nécessitant des facteurs
qu’il possède en plus grande quantité que les autres pays et sans préjudice, comme
le souligne Léontief, de la prise en compte d’aspects qualitatifs, tels que le niveau de
qualification des personnels et les gains de productivité qu’elle permet.
Le courant mercantiliste et néo-mercantiliste place, quant à lui, l’échange international
dans une perspective beaucoup plus nationale, en cherchant à valoriser les exporta
tions, tout en limitant les importations. Partant du bullionisme espagnol, qui s’attachait
à maximiser le stock d’or national en fermant les frontières aux importations, en pas
sant par le colbertisme, à la française, qui valorisait les industries nationales, dans le
but de développer les exportations, et qui, au travers de la maîtrise des mers par l’Acte
de navigation de Cromwell, voulait donner à l’Angleterre la mainmise sur le commerce,
l’approche mercantiliste n’est pas restée sans postérité.
Pour Keynes, les exportations peuvent devenir un excellent levier de relance conjonc
turelle en procurant des débouchés à la production que la demande locale ne suffit pas
à absorber.
Enfin, plus récemment, Krugman, avec la Politique commerciale stratégique, en pro
pose une remise à jour, en préconisant la stimulation par l’État d’un certain nombre
d’industries clés permettant au pays de bénéficier d’effets de rente, là où son action
peut aider les entreprises nationales à acquérir une supériorité mondiale.
Les nouvelles contributions qui seront ici évoquées s’inscrivent dans le droit fil des
théories de l’avantage absolu d’Adam Smith et de l’avantage relatif de David
Ricardo, complétées par Heckscher et Ohlin, puis Samuelson. Elles mettent en évi
dence les avantages respectifs dont disposent les différents espaces économiques et
devraient permettre aux organisations, en fonction de ces avantages, et à supposer
qu’elles opèrent en contexte de « concurrence pure et parfaite », de mieux s’insérer
dans le cadre des échanges internationaux.
Même s’ils ont été progressivement perfectionnés, ces modèles souffrent d’un cer
tain nombre de faiblesses dans leur capacité à expliquer la réalité et a fortiori dans
leur dimension prescriptive :
––ils ne se préoccupent pas a priori des obstacles à l’échange et, plus généralement,
du caractère imparfait de la concurrence ;
50
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
1. Voir, notamment, B. Bayard, « Zara ou les secrets de la méthode Inditex », Le Figaro, 18 juillet 2011.
51
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
chaque zone d’implantation, sans, pour autant, essayer de diffuser les tendances sus
ceptibles d’avoir un écho au-delà ;
–– la logistique : en s’appuyant sur des plateformes d’acheminement, particulièrement en
Galice, centre névralgique de l’organisation centralisant en permanence les demandes
des magasins du monde entier et y faisant transiter les vêtements fabriqués sur place
ou à l’autre bout du monde, pour les expédier dans les délais les plus brefs, dans chacun
des points de vente du réseau de distribution, désormais mondial, de la firme.
Un tel système souvent imité, jamais égalé, de « mode à petit prix » ou de « fast fashion »
a permis à la firme d’afficher une santé florissante, même aux pires moments de la crise,
en jouant sur l’accessibilité des produits une mobilité comme une flexibilité des facteurs
qui remettent profondément en cause, dans ce secteur, comme dans bien d’autres, les
dogmes traditionnels de la théorie économique.
c Repère 1.12
La théorie de l’avantage comparatif « revisitée » par Michael Porter :
de l’analyse à la prescription
Selon la théorie classique d’Adam Smith et de David Ricardo, les phénomènes de spé
cialisation géographique (qui déterminent l’importance et la nature des courants
d’échanges internationaux) reposent sur l’existence d’avantages comparatifs, fondés sur
le coût des facteurs, plus favorables dans certains pays que dans d’autres. Ces avan
tages de coût s’appuieraient eux-mêmes sur le fait que certains pays bénéficient d’une
☞
1. Système de gestion des approvisionnements permettant de gérer au plus près de manière visuelle les stocks
(kanban = étiquette).
2. Dans cette perspective de limiter les stocks et les coûts associés aux stocks, cette méthode mobilise un cer
t ain nombre de moyens logistiques et commande les relations clients fournisseurs, de manière à optimiser la
productivité.
3. T. Ohno Toyota Production System : Beyond Large-Scale Production, Productivity Press, 1988.
52
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
☞
dotation naturelle – ou initiale – de facteurs très favorables ; ces facteurs sont généra
lement des ressources de base (énergie, matières premières, main-d’œuvre bon mar
ché, etc.), dont les pays considérés bénéficient.
Dans les économies avancées, dont les secteurs de pointe constituent l’épine dorsale, les
sources d’avantages compétitifs reposent, non sur les dotations initiales de facteurs, mais
sur des facteurs de différenciation qui ont été créés par les entreprises et leur milieu envi
ronnant. Ils proviennent d’un effort permanent d’innovation, d’adaptation à des contextes
difficiles et de recherche de la qualité, voire de l’excellence. Ils s’inscrivent dans des
environnements locaux spécifiques, propices à l’innovation et au développement.
Porter relève quatre déterminants de la compétitivité d’une nation ou d’un environne
ment local, en se référant, d’ailleurs, de manière privilégiée, à certains pays comme le
Japon ; ce qui appelle quelques réserves :
––l’état des facteurs de base, qui prend moins en compte l’abondance des ressources
naturelles « tangibles » (minérales, par exemple, qui, parfois, peuvent constituer un
handicap1), que l’existence de ressources « intangibles » (main-d’œuvre qualifiée,
infrastructures d’éducation, de communication ou de recherche publique évoluées) ;
––les conditions de la demande et, notamment, les niveaux d’exigence des clients et la
sophistication de leurs besoins (ce qu’il convient de nuancer, en particulier pour les
petits pays, comme le Luxembourg, dont la demande locale est négligeable par rap
port à la demande externe) ;
––la qualité du tissu socio-économique environnant et des secteurs amont et aval de
chaque industrie (encore une fois, les petits pays, comme Singapour, Dubaï, ne dis
posent pas, vu l’étroitesse de leur territoire, de ce tissu, sauf, comme Hong Kong, à
s’appuyer sur un arrière-pays proche comme la zone de Shenzen). La densité des
entreprises, leur degré de compétitivité développent l’émulation entre agents écono
miques et facilitent les phénomènes de « fertilisation croisée », puissants stimulants
de l’innovation ;
––l’existence d’une concurrence locale intense, qui contraint les entreprises à innover loca
lement et à se déployer internationalement pour valoriser leur avantage compétitif.
Au-delà de ces facteurs favorables, qui s’appliquent assez bien aux économies matures
d’une certaine taille, d’autres facteurs favorables, comme le climat, la paix sociale, la
qualité du cadre juridique… méritent d’être pris en compte, comme on s’attachera à la
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53
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
Porter explique aussi qu’il existe des effets de renforcement mutuel entre ces détermi
nants de la compétitivité, qui constituent un système interactif qu’il représente comme
un « diamant », dont chacune des pointes serait une des quatre sources de l’avantage
compétitif
Tissu environnemental
1. C’est ce qu’il développera dans sa théorie des clusters qui a donné lieu au développement, dans de nombreux
pays de « pôles de compétitivité », regroupant dans un espace de proximité des industriels et des sociétés de service,
le plus souvent innovants, complémentaires et, parfois concurrents, opérant dans des secteurs identiques ou proches
et permettant à l’ensemble des organisations ainsi rapprochées de maximiser les effets d’entraînement existants et
potentiels.
54
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
1. « Les modèles traditionnels du commerce international, de concurrence parfaite, avec rendements
constants, ont été complétés et même supplantés par une nouvelle génération de modèles mettant l’accent sur les
rendements croissants et la concurrence imparfaite », Krugman P., « Is free trade passé ? », Economic perspec
tives, 1 (2), p. 131-144, cité par Ravix J.-T., « Économie internationale et économie industrielle, une mise en
perspective de quelques travaux récents », Revue d’économie industrielle, n° 55, 1er trimestre 1991.
2. Assimilable au capital en général, voir Findlay R.-L. et Kierzkowski H., « International Trade and Human
Capital : a General Equilibrium Model », Journal of Political Economy, décembre 1983, cité par Mucchielli J.-L.,
Relations économiques internationales, Paris, Hachette, 1991.
3. Leontief W., « Production domestique et commerce international ; réexamen de la position capitalistique des
EU », in : Lassudrie-Duchêne B., Échange international et croissance, Paris, Économica, 1972.
4. Ibid. Mucchielli (1991)…
55
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
1. Vernon R., « International Investment and International Trade in the Product Cycle », Quarterly Journal of
Economics, mai 1966.
56
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
3. Produit à maturité
a. La consommation du produit
devient mondiale
b. La production se déplace vers
les pays émergents/à bas salaires
c. Le prix de revient devient
l’élément clé de la décision
du consommateur
d. Production standardisée ;
séries de plus en plus longues
2. Produit en développement 2
a. La consommation se développe sur
4
les autres marchés développés
b. Transfert de production vers les 4. Produit en déclin
autres pays industrialisés via les a. De nouvelles technologies
multinationales rendent le produit obsolète
c. Le prix devient un élément clé b. La production de versions
de la décision du consommateur spécialisées est concentrée
d. Les séries de production dans les pays aux technologies
tendent à s’allonger et aux revenus du plus haut
niveau
1 1. Nouveau produit
a. Consommation concentrée
sur l’espace domestique et sur
quelques autres marchés développés
b. Production domestique, exportation
vers les marchés étrangers
c. Qualité et fiabilité recherchées
prioritairement au prix par le
consommateur
d. Processus de production encore
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
57
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Exemple 1.3 – La théorie du cycle international du produit en échec : dans le secteur
automobile
Au cours des décennies 70 et 80, un certain nombre de constructeurs ont adopté des for
mules de délocalisation de la production de modèles à maturité : ainsi, Volkswagen, au
Brésil et au Mexique avec la Coccinelle, ou, plus récemment, avec la Santana, en Chine,
Citroën, au Portugal, avec la 2 CV, ou Renault, en Roumanie, avec la R12/Dacia, ont
rencontré de réels succès.
Cette période a cependant vu son terme dès la fin des années 90, avant même l’avènement
de l’ère Internet, comme PSA a pu en faire les frais pour les modèles Peugeot en fin de
vie en Europe auxquels elle avait voulu offrir une seconde carrière en transférant les
chaînes de montage en Inde et en Chine, où la demande ne s’est pas trouvée au rendez-
vous et d’où elle a dû se retirer, son image durablement affectée par ces échecs.
1. Comme on peut l’observer, comme dans le secteur des smartphones où les lancements, ceux d’Apple comme
ceux de Samsung, notamment, sont quasiment simultanés et annoncés par des campagnes soigneusement coordon
nées par les médias traditionnels mais, surtout, et de plus en plus, par Internet qui rend désormais impossible des
lancements séquencés.
58
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
Seules les ressources naturelles – la terre, les matières premières minérales – sont,
en effet, immobiles, quand elles ne sont pas substituables. Les déplacements de
main-d’œuvre, les transferts de technologie, les mouvements de capitaux, etc., faci
lités par les progrès spectaculaires des techniques de transport et de la diffusion des
modes de communication, ont profondément modifié l’allocation initiale des res
sources.
Ces transformations ont surtout rendu possible une évolution beaucoup plus
rapide de la distribution des produits et des services ou de l’accessibilité des fac
teurs de production, etc., sans, pour autant, supprimer les résistances institution
nelles, économiques et/ou politiques susceptibles de l’entraver.
L’ouverture internationale, telle qu’elle se manifeste depuis le début des années
1990, remet donc profondément en cause les théories de l’échange international,
telles qu’elles semblaient s’être imposées depuis le xixe siècle, certes, au prix de
transformations progressives, mais dans un contexte d’immobilité relative des fac
teurs, encore peu bouleversé par les transformations qui se sont accélérées au cours
de cette période récente.
Sans oublier les grilles d’analyse proposées par les théories traditionnelles, ces
transformations, en rendant la plupart des facteurs plus mobiles et en décloison
nant, au moins partiellement, et inégalement, les espaces géographiques et secto
riels, suggèrent d’adopter, des grilles nouvelles, permettant, tout d’abord, de mieux
déterminer les mutations de chaque environnement, large ou resserré, dans lequel
opèrent les organisations, quelle que soit leur nature.
Section
3 Introduction au modèle prest
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59
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
s’exerçant sur son ou ses espace(s) de référence pertinent(s), qui détermineront les
évolutions qu’elle aura à prendre en compte et qu’il faudra, dans un premier temps,
identifier et apprécier.
Cette indispensable première étape permettra, ensuite, d’en mesurer l’impact géo
raphique (chapitre 2) puis sectoriel (chapitre 3), en les assortissant des « défis »
g
sectoriels qu’auront à relever les organisations qui envisageraient ou auront choisi
de s’y développer et à partir desquels, pourront, enfin (chapitre 4), être déterminés
les « leviers » opérationnels qu’elles auront, quelle que soit leur nature, privée ou
publique, à mettre en œuvre pour les relever, pour autant qu’elles en aient l’accès et
la maîtrise.
À ce premier stade de l’analyse – celui de l’environnement macroéconomique,
c’est donc la délimitation de l’espace de référence qui constitue le préalable à
l’application du processus d’analyse. Il permettra, ensuite, de recenser les pressions
externes – à caractère politico-réglementaire, économique et social, technologique
– qui s’exercent sur lui et en déterminant les évolutions et les mutations. Celles-ci
seront, plus tard (2e partie) indispensables pour dégager les lignes de force de l’envi
ronnement le plus large ou des environnements plus spécifiques dans lesquels
l’organisation aura décidé de se développer :
––en distinguant, d’une part, les pressions positives (diminutions, des contraintes
réglementaires, augmentation du niveau de vie, plus grande transparence des mar
chés, innovations technologiques…), qui, y stimulent le développement de la ou
des activités retenues dans l’espace de référence visé, où elles créent des opportu
nités pour les acteurs qui, comme elle, y opèrent, des pressions négatives (phéno
mènes inverses), qui, symétriquement, les freinent ou les compromettent, en
constituant, pour eux tous, des menaces ;
––pour faire le partage, d’autre part, entre celles qui comportent un caractère struc
turel (adhésion à une organisation multigouvernementale, mise en exploitations de
ressources naturelles importantes…), et à ce titre sont susceptibles de s’exercer
durablement sur cet espace de référence, de celles, plus éphémères, à caractère
conjoncturel, dont les effets, même temporairement intenses (poussée inflation
niste, explosion d’une bulle spéculative…), ne sont généralement pas amenées à
se perpétuer au-delà d’un certain laps de temps.
Le modèle PREST (Politico Réglementaire, Économique et Social, Technolo
gique)1 permet d’analyser de manière dynamique l’évolution de l’environnement
des espaces de référence visés par l’organisation qui cherche à définir ou à redéfinir
sa stratégie d’internationalisation. Il combine – à la différence de certains modèles
postérieurs qui se concentrent le plus souvent sur le premier niveau, macroécono
mique2 – trois différents niveaux successifs :
60
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
(MODÈLE PREST / 1)
PRESSIONS PRESSIONS
POLITICO-RÉGLEMENTAIRES TECHNOLOGIQUES
Ouverture de nouveaux Développement des systèmes
espaces économiques sous l’égide d’information :
de l’OMC Décloisonnement - transparence internationale
progressif Intégration économique de l’offre et de la demande
d’espaces supra-nationaux - Intégration accrue de la gestion
(mais instabilité politique, montée (réactivité accrue des clients,
en puissance du terrorisme) des fournisseurs et des concurrents)
Libéralisation, déréglementation, Espace de Évolution constante
levée progressive des obstacles référence des technologies
à la circulation des biens, développement des
services, et investissements
Géographique transferts de technologie
(OMC, UE...), et/ou Sectoriel (menace d’obsolescence et de
Difficultés de « moralisation des perte de propriété industrielle)
échanges » Résurgence de
mesures protectionnistes
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Divergences de la démographie et des Intégration des marchés Convergence relative des goûts
niveaux de vie (économies Internationaux et des besoins
matures/émergentes). (financiers, matières premières...) Fluctuations de la demande
Déplacement de la demande et instabilité économique (effets de mode)
de l’offre (accroissement (crises, inflation, insolvabilité.) Exigences de compétitivité prix
des inégalités Instabilité de l’emploi) de respect de l’environnement (pollution)
PRESSIONS de l’éthique (cf. travail des enfants)
SOCIO-ÉCONOMIQUES
61
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
+++
intensification
de la PRESSIONS
PRESSIONS la concurrence TECHNOLOGIQUES
POLITICO-RÉGLEMENTAIRES (pays industrialisés fortes
fortes et pays émergents)
Réponses
de
l’entreprise ++
+++ nécessité
re-déploiement d’édaptation
Géo-sectorielle de l’offre
pays industrialisés Redéfinition
--> pays émergents des « concepts »
PRESSIONS SOCIO-ÉCONOMIQUES
très fortes
1. On considérera ici les industries comme un ensemble de secteurs, et les secteurs comme des ensembles d’acti
ités. Par exemple, à l’instar des Britanniques, on considérera la banque comme une industrie, ses principaux sec
v
teurs étant la banque de détail, la banque d’investissement et la gestion d’actifs, et, à l’intérieur de la banque
d’investissement, on pourra considérer comme activités distinctes les fusions-acquisitions, les augmentations de
capital (actions), les émissions de dette (obligations), les opérations à effet de levier (LBO) etc. ; d’autres segmen
tations pouvant d’ailleurs être adoptées, mais la nature et les limites des unes et des autres devront être définies
préalablement à la détermination de l’espace de référence ou d’expansion internationale retenu.
2. Sources : Lemaire J.-P., mimeo doc. EAP/SBIE, 1992. Lemaire J.-P., Ruffini P. B., Vers l’Europe bancaire,
Dunod, Paris, 1993, p. 77. Lemaire J.-P., Dynamique bancaire et intégration financière, Thèse, Paris I, 1995.
62
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
+++
intensité de
la concurrence
PRESSIONS
PRESSIONS TECHNOLOGIQUES
POLITICO-RÉGLEMENTAIRES fortes
fortes
amélioration focalisation
rentabilité intégration
+++ ++
nouveaux
produits
process
+++ ++ ++
redéploiement adaptation
géo-sectoriel de l’offre
PRESSIONS SOCIO-ÉCONOMIQUES
très fortes
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
C’est donc ce modèle dont la première partie de cet ouvrage développe les trois
dimensions successives : partant de l’analyse de l’environnement et pour faciliter,
au final, la prise de décision à l’issue de la démarche stratégique internationale dont
la seconde partie proposera la mise en œuvre.
Ayant appliqué initialement ce modèle à l’analyse des secteurs à l’international1,
comme on le fera au chapitre 3, on l’appliquera également, dès le chapitre 2, aux
1. Sources : Lemaire J.-P., mimeo doc. EAP/SBIE, 1992. Lemaire J. P., Ruffini P. B., Vers l’Europe bancaire,
Dunod, Paris, 1993, p. 77. Lemaire J.-P., Dynamique bancaire et intégration financière, Thèse, Paris I, 1995.
63
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Zones distantes
géographiques
et/ou culturelles
Ventes de
proximité Exportations
distantes
Achats de
proximité En provenance
de la zone d’origine
pour produire comme
pour vendre
Zones de proximité
géographiques
et/ou culturelles
FLUX SORTANTS Importations
DE CAPITAUX distantes
D’EQUIPEMENTS
ET DE TECHNOLOGIES
J.-P. Lemaire
64
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
• à une seconde approche, « focalisée » (inbound), qui cherche à tirer parti du poten
tiel de développement qu’offre déjà à l’organisation ou promet de lui offrir un
espace, plus restreint, qui constitue un axe géographique et économique, particu
lier et spécifique, de son orientation actuelle ou future ; cette approche peut se
justifier, pour l’organisation concernée, par la nouveauté et par l’attrait que pré
sente pour elle cet espace, ou encore, si l’organisation s’y développe déjà, pour y
accentuer sa présence ou, à l’inverse, pour s’en retirer.
L’INTERNATIONALISATION, DE QUEL POINT DE VUE ?
dans une perspective d’ « horizontalisation » ou de « verticalisation »
Ventes de
FLUX ENTRANTS proximité
DE CAPITAUX Exportations
D’EQUIPEMENTS ET distantes
DE TECHNOLOGIES
Internationalisation
à partir
de la zone d’origine
pour produire comme Importations
pour vendre distantes
J.-P. Lemaire
Se référant à l’exemple de Cemex, il peut être, tout d’abord, nécessaire, pour cette entre
prise, de mener une approche d’ensemble, tous azimuts, pour déterminer quels seront ses
axes prioritaires de développement (comme ses axes éventuels de repli). Une telle
démarche s’avérera indispensable dans un contexte de concurrence globalisée, dans le
but de mieux équilibrer son portefeuille géographique, et d’éviter désormais, comme cela
a été le cas, de supporter, de façon simultanée, une crise de l’immobilier, catastrophique
pour son activité, dans ces deux espaces qui ont représenté, hors du Mexique, ses cibles
(trop) privilégiées.
De manière plus précise, cette entreprise pourra être, aussi, amenée à appliquer une
approche focalisée :
–– pour reconsidérer plus spécifiquement l’approche qu’elle aura de tel ou tel espace clé
où elle a subi des revers, à commencer par l’Espagne et les États-Unis ;
1. Voir cas introductif au présent chapitre : Cemex pris au double piège de la crise immobilière et financière
65
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
–– pour envisager de nouvelles zones cibles parmi les économies à croissance rapide,
notamment, comme l’Inde ou la Chine – où son développement lui permettrait de
trouver de nouveaux relais de croissance, tout en diversifiant son exposition aux
risques.
1. Voir cas d’application du présent chapitre : « Vietnam : les défis de l’Organisation mondiale du commerce »
66
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
C’est à travers cette première approche que l’on s’attachera à amorcer la réflexion
qui aboutira, à son terme, à préciser les enjeux et contraintes qu’elle aura à affron
ter ainsi que les voies possibles entre lesquelles elle devra arbitrer ou qu’elle aura
à combiner.
67
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
––sur les espaces de référence sectoriels (chapitre 3), qui constituent, le cadre d’ana
lyse indispensable à l’identification des contraintes liées à leur spécialisation que
devront maîtriser les différentes organisations qui cherchent à s’y développer.
C’est à travers la grille de lecture des pressions externes que les transformations
macroéconomiques pourront être prises en compte dans une perspective opération
nelle, afin de préciser les enjeux auxquels les différents acteurs seront confrontés,
avant de sélectionner les orientations qui leur permettront d’y parvenir.
Cas d’application
Vietnam : les défis de l’Organisation mondiale du commerce1
Le centre historique de Hanoï, agrémenté de plans d’eau et de petits immeubles,
conserve en apparence son charme suranné et son calme provincial d’ancienne
capitale coloniale ; métropole principale du Nord, comme sa trois fois plus peuplée
ville sœur du sud, Ho Chi Minh Ville, l’ex-Saïgon, est pourtant toujours sous pres
sion. Si, finalement, après une longue période d’attente, l’adhésion du Vietnam à
l’Organisation mondiale du commerce a, enfin, été acquise après des années de
négociation, beaucoup reste encore à faire.
La croissance a d’ailleurs longtemps été au rendez-vous : elle dépassait dès 2006 la
barre des 8 %, avec un chômage en chute libre, d’après la Banque mondiale, à
moins de 5 %, alors qu’il était encore officiellement à 20 % (et plus probablement
à 40 %), cinq ans auparavant. Avec un million et demi de jeunes gens qui se pré
sentent chaque année sur le marché du travail, le défi est d’importance. Avec près
de 90 millions d’habitants, une moyenne de 2,2 enfants par famille, face aux
60 millions de Thaïs, aux 13 millions de Cambodgiens, et aux maigres 6 millions de
Laos, même si, à sa frontière nord, commence un « pays au milliard », le Vietnam
fait, de plus en plus, figure d’acteur majeur dans la région. Mais, sans dramatiser à
outrance la situation six ans après l’intégration à l’OMC, celle-ci apparaît moins
favorable, après la poussée inflationniste durement enrayée par les autorités en
2007-2008 et une fois enregistré l’impact de la crise mondiale sur les activités
d’exportation et les flux touristiques : au premier trimestre 2012, les indicateurs de
croissance se situeraient davantage aux alentours de 4 % !
En réalité, vu de l’intérieur comme de l’extérieur, le Vietnam apparaît comme une
terre de contrastes dans une région où tout change à grande vitesse, dans un tour
billon que la « renaissance » du Doi Moi – le programme de réformes annoncé dès
1986 – tendait opportunément à anticiper. Depuis, avec une grande prudence
cependant, le pouvoir s’est efforcé de devenir le catalyseur des ajustements inévi
tables déterminés par les multiples pressions politico-réglementaires, économiques
☞
1. Ce cas dans sa version développée (avec notice pédagogique), est disponible en français et en anglais à la
Centrale des Cas et des Moyens Pédagogiques.(Jean-Paul Lemaire et Bui Lan Huong, « Vietnam, les défis de
l’Organisation Mondiale du Commerce » et « Vietnam the WTO Challenge », parution 2012-2013).
68
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
☞
et sociales, comme technologiques, internes et externes, institutionnelles et
entrepreneuriales, régionales et intercontinentales, dont il a à ternir compte. Il a pu
et peut toujours s’appuyer pour cela sur un peuple résistant, au tempérament trempé
dans l’adversité, s’appuyant sur une diaspora non négligeable, les Viet Khieu1,
déployée entre l’Europe et l’Amérique du Nord, même si les lourdeurs héritées de
l’administration socialiste postcoloniale et la corruption rampante, plaie de l’Asie
tout entière, l’empêchent encore de prendre tout son essor.
À l’évidence, lorsqu’on a l’opportunité de visiter régulièrement le pays, on mesure
facilement, dès que l’on quitte l’aéroport flambant neuf, les mutations rapides des
infrastructures comme du tissu économique : de nouveaux ponts se construisent, les
routes s’élargissent, des tuyaux d’adduction d’eau ou d’assainissement attendent
d’être posés, tandis que, sur des rangées de poteaux électriques à peine dressés, les
fils d’alimentation se tendent…
À l’inverse, dans les campagnes, où vit encore 70 % de la population, le cycle des
saisons et des récoltes semble régler le rythme immuable de l’activité. Les véhicules
doivent souvent emprunter le milieu de la route pour éviter le riz mis à sécher direc
tement sur l’asphalte, de part et d’autre, le long des rizières. Mais, là aussi, les
choses sont en train de changer, en dépit des apparences : le collectivisme dans les
zones rurales a été abandonné dès 1993 et les rendements se sont envolés, passant
d’à peine 5 tonnes à l’hectare à 13 tonnes, générant des profits de 7 % permettant
d’investir.
Mais le Vietnam doit désormais faire face à l’ouverture de ses frontières, de manière
à en optimiser les effets : valoriser ses atouts dans les secteurs ayant un potentiel,
particulièrement dans la péninsule Indochinoise, attirer les investissements étran
gers et s’insérer harmonieusement dans les flux d’échanges internationaux. Mais,
même si le Vietnam est déjà membre de l’ASEAN, aux côtés de tous les autres pays
du Sud-Est Asiatique, son adhésion à l’OMC a dû attendre, alors que sa candidature
date de 1995. En 2004, encore, on doutait que cette intégration puisse avoir lieu
rapidement.
L’observation de la balance du commerce extérieur vietnamienne révélait alors une
aggravation du déficit des échanges, qui avaient crû de 15 %, entre 2002 et 2004,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
69
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
En toute hypothèse, la structure des exportations jusqu’à aujourd’hui demeure fra
gile, dans la mesure où les produits de base, constituent toujours l’essentiel des
ventes internationales du Vietnam. Mais le problème se situe, avant tout, au niveau
des structures de production, même dans les secteurs où la dotation naturelle de
facteurs du pays peut lui procurer un avantage concurrentiel déterminant ; comme
le thé, où, faute d’une filière performante, les résultats sont décevants, puisqu’au
Vietnam même on consomme plus volontiers du thé indien que du thé local1.
Une préoccupation majeure pour les autorités vietnamiennes du commerce exté
rieur reste liée à l’évolution des taux de change qui amplifient les variations des prix
des marchés internationaux. Le dong vietnamien est, en effet, étroitement lié au
dollar dont il suit les fluctuations, par rapport aux monnaies japonaise et euro
péennes. Ce qui procure, certes, au pays, un avantage à l’export, mais le handicape
fortement à l’import ; pour les achats de biens d’équipement, en particulier.
Pour les importations, en effet, le dynamisme a été encore plus marqué que pour les
exportations, dans le but d’aider différents secteurs à améliorer la productivité et la
qualité, comme pour renforcer les infrastructures domestiques. Les importations
sont aussi dépendantes des évolutions, à court comme à long terme, des prix mon
diaux2.
Pour les infrastructures, il est clair, pour les autorités, que les investissements directs
étrangers devraient alléger le poids des sommes considérables que le pays ne peut
mobiliser et qu’il convient de leur consacrer face à une demande croissante : par
exemple, pour la construction de nouvelles centrales électriques ou celle des infra
structures portuaires qui font encore cruellement défaut. Le recours à des formules
concessionnelles3 constitue une solution toute trouvée pour autant que la sécurité
de l’investissement comme sa rentabilité puisse être garantie sur le long terme…
Consécutivement, les investissements directs étrangers – incluant ceux provenant de
la diaspora vietnamienne – pourraient contribuer significativement à compenser le
déficit extérieur. Mais la confiance des investisseurs constitue une pierre d’achop
pement sérieuse ; surtout après une aussi longue période d’isolement, se traduisant
par la rémanence de multiples obstacles administratifs, des problèmes de corruption
et d’une protection légale incertaine, reposant sur des accords de réciprocité insuf
fisants.
D’autres carences structurelles existent toujours, même si elles s’améliorent, comme
le système bancaire, sur lequel les investisseurs étrangers ne peuvent guère encore
compter pour obtenir les concours au jour le jour dont ils ont besoin en dépit des
améliorations enregistrées ; du fait, notamment des réglementations restrictives et
des obstacles qui sont mis à l’implantation de banques et de compagnies d’assurance
étrangères qui pourraient contribuer à élever sensiblement le niveau et l’efficacité
des services rendus aux entreprises comme aux particuliers.
☞
1. « Tea association plans significant changes », Viêt Nam News, vol XIV, n°4551, 20 avril 2004.
2. La croissance chinoise, particulièrement dans les années 2008-2011, a littéralement fait s’envoler les prix de
l’acier dans la région comme dans le monde, affectant directement les achats du Vietnam.
3. Cf. exemple 4.2 « La centrale thermique de Hub River ».
70
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
☞
Tout au long de l’année 2004, des arguments avaient déjà été largement échangés
dans le pays entre décideurs et leaders d’opinion1. Ce débat est toujours d’actualité,
même s’il est moins vif.
Le choix apparaissait, à l’époque, tout à fait clair entre :
––l’exposition très rapide d’une économie encore affaiblie mais très dynamique à la
concurrence internationale et aux menaces venant de l’extérieur, au niveau régio
nal comme au niveau international ;
––et une ouverture progressive, comme en Russie2, au risque d’élargir son écart et
son retard en termes d’échange et d’investissement par rapport à ses pays voisins
et à ses concurrents ; un prix à payer élevé, en termes de croissance.
Trouver une orientation appropriée passait alors, comme elle passe aujourd’hui, par
une réflexion nécessaire sur les facteurs macroéconomiques qui affectent positive
ment et négativement le pays : à travers le repérage des pressions externes, les
enjeux qui en résultent pour les parties prenantes publiques et privées, en termes de
mise à niveau, particulièrement, en distinguant les principaux secteurs, agricoles,
industriels, ainsi que les que services. Cette analyse reste nécessaire pour préciser
les politiques prioritaires à engager par les autorités, pour envisager les moyens de
rendre les entreprises des principaux secteurs plus compétitives et pour attirer les
investisseurs directs étrangers. Elle l’est plus que jamais, aujourd’hui, pour accom
pagner un développement bien amorcé mais toujours fragile.
Questions de réflexion
1 ■ Étant entendu que ce qui est en jeu pour le Vietnam, comme précédemment pour
la Chine et pour d’autres pays émergents ayant précédemment adhéré à l’Orga
nisation mondiale du commerce, c’est son insertion dans les flux d’échanges et
d’investissements, le Vietnam a-t-il adhéré trop tôt à l’OMC, aurait-il dû atten
dre ? Dans ce dernier cas, pour quelles raisons et jusqu’à quand ?
2 ■ Dans le cadre du processus d’intégration du Vietnam dans cette organisation
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71
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
L’essentiel
72
L’intensification de l’ouverture internationale ■ Chapitre 1
☞
sortissants, tout autant que les organisations non gouvernementales amenées à
jouer un rôle croissant, sans pour autant rechercher un profit financier.
Pour distinguer et anticiper, dans la mesure du possible, les mutations constantes
de cet environnement, force est donc de prendre en compte les diverses dimen
sions de ce nouveau contexte, caractérisées par les trois groupes de pressions
externes s’exerçant sur les espaces de référence ou d’expansion, où évoluent (ou
vers lesquels cherchent à se développer) ces différents acteurs voulant tirer parti
de l’ouverture internationale :
––les pressions politico-réglementaires, marquées par la montée en puissance du
libéralisme et l’ouverture des frontières qui a prévalu au moins jusqu’à la crise ;
––les pressions économiques et sociales, qui révèlent les composantes de la nou
velle dynamique de la production et de la consommation ;
–– sans sous-estimer l’importance des pressions technologiques qui accélèrent les
évolutions que dessinent les deux autres séries de pressions en accroissant la
mobilité des facteurs de production, des biens et des services et des données, tout
en créant de nouveaux défis résultant de l’innovation permanente et de la nécessité
de prendre en compte les nouvelles normes assurant leur diffusion toujours plus
large, tout en s’efforçant de préserver un environnement de plus en plus menacé.
C’est sur cette première approche de l’environnement macroéconomique que
doivent être fondées les étapes suivantes de l’analyse, qui s’attachera, dans le
cadre de cette ouverture internationale, à la dynamique des territoires puis à celle
des activités, avant d’en tirer les conséquences pour clarifier le processus de déci
sion des organisations.
73
Chapitre
Dynamique
2 internationale
des territoires
C’est pour mesurer la portée de l’évolution de leur rôle, qu’il conviendra, succes
sivement :
––d’envisager ce contexte en se plaçant du point de vue des territoires eux-mêmes,
en cherchant à identifier les déterminants de leur dynamique d’ouverture, tout
autant que les réactions protectionnistes qui peuvent s’y faire jour ; ainsi que les
conditions dans lesquelles ils s’attachent, en conséquence, à faciliter le développe
ment de flux d’échanges et d’investissements, comme de flux migratoires béné
fiques ;
––pour caractériser et évaluer, à partir des pressions externes qui peuvent positive
ment ou négativement affecter leur devenir et donc leur attractivité, les enjeux
auxquels ils ont ou auront à faire face, de manière à mieux déterminer les orienta
tions qui leur sont offertes au bénéfice de leurs ressortissants, face à des concur
rents qui peuvent se révéler très proches1 ;
––tout en prenant en compte la diversité des entités économiques extérieures qui sont
en relation avec eux, pour vendre, pour acheter, pour s’installer, se former, les visi
ter, en recensant les risques potentiels qu’ils ont à considérer, aussi bien du fait
d’aléas provenant de l’environnement (macrorisques) que des transactions aux
quelles prennent part ces entités (microrisques).
Traditionnellement, les États, espaces souverains mais aussi espaces de prospérité
– voire, de bien-être – 2, déterminent avec une grande liberté d’action leurs orienta
tions prioritaires ; quitte, pour les plus libéraux d’entre eux, à laisser une très large
liberté d’action aux agents économiques qui opèrent à l’intérieur de leurs frontières.
Ils constituent l’incarnation privilégiée du territoire, tant sur le plan politique
qu’économique et représentent des interfaces incontournables entre les activités éco
nomiques « domestiques » et « l’international », en tant que points de passage obli
gés pour les agents économiques étrangers (personnes physiques et personnes
morales) qui doivent se plier aux réglementations et aux autorisations qu’ils fixent
et délivrent pour réaliser leurs transactions.
Si la situation n’a pas fondamentalement changé, certaines tendances institution
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1. En témoigne la déclaration du Premier Ministre britannique, David Cameron, à l’ouverture de la réunion du
G20, à Los Cabos, au Mexique, le 18 juin 2012, offrant aux entrepreneurs français concernés par l’instauration
d’une nouvelle tranche d’impôts à 75 % « de leur dérouler le tapis rouge » à travers la Manche (!), afin qu’ils
puissent y délocaliser leur entreprise et venir y payer leurs impôts et financer les écoles anglaises (sic). Cf. Le
Monde, 19/6/2012.
2. Depuis le développement du concept de « Welfare State », de l’« État Providence », à l’initiative lointaine de
Bismark, puis de Beveridge, qui ont inspiré les politiques sociales des Trente Glorieuses : bien que battu en brèche
par la montée en puissance du libéralisme à partir des années 80, le concept reste une référence bien présente dans
les pays occidentaux, particulièrement en Europe, comme aux États-Unis, où le président Obama s’est attaché à le
faire progresser, en particulier pour l’extension de la couverture maladie, dont la Cour Suprême a confirmé en juin
2012, la compatibilité avec la constitution américaine.
75
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
1. Comme en témoignent les débats entre dirigeants européens sur la mise en œuvre de la mutualisation des
dettes souveraines européennes à travers un Fonds européen de stabilité et ou la Banque centrale européenne, et leur
accompagnement par des abandons de souveraineté, en particulier au niveau de la politique budgétaire des États
(cf. le projet d’« Union budgétaire » discuté lors du sommet européen des 27 et 28 juin 2012).
2. Cf. repère 1.3 « Le dilemme grec » et repère 1.4 « Le Mercosur entre expansion continentale et repli national ».
3. D’autres régions du monde ont également subi, dans les pays de la Triade, l’impact de phénomènes compa
rables, ayant eu tendance à se perpétuer au fil des décennies. Ainsi, le Japon ne s’est jamais totalement relevé de
l’éclatement de la bulle immobilière du début des années 1990 ; tout comme les régions industrielles nord améri
caines du Nord et du Sud-Est, qui ont, presque toutes, du mal à trouver un second souffle, même si certains terri
toires ont su se relever, comme, aux États-Unis, Chicago, à la différence de Détroit.
76
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
• C’est d’abord, comme entités clés, comparables à d’autres organisations, telles les
entreprises, plongées dans le bain de la concurrence internationale, face à des
concurrents similaires, de taille comparable, qui cherchent à valoriser leurs propres
atouts : des villes capitales, comme Paris rivalisant avec Londres pour les Jeux
Olympiques de 2012, des carrefours maritimes, comme Rotterdam, face aux
grandes cités portuaires du Nord de l’Europe, ou encore, des métropoles tendant à
dépasser leur dimension régionale, comme Lyon, tentant d’imposer sa marque en
France1. À l’étranger, ce pourront être aussi des régions, cherchant à affirmer leurs
avantages compétitifs propres par rapport à leurs semblables, proches ou dis
tantes2, avec lesquels, par exemple, les investisseurs pourraient hésiter pour y
localiser une implantation.
• C’est aussi comme supports, sinon comme « protecteurs », des agents écono
miques locaux et, aussi étrangers – investisseurs directs, particulièrement – qui
contribuent à sa richesse et fondent ses ambitions, en leur procurant un environ
nement favorable, doté d’infrastructures tangibles (routes, ports, aéroports, ser
vices collectifs…) et intangibles (cadre juridique, système éducatif, sécurité…),
indispensables à leur développement. Ce qui n’exclut pas de les favoriser par rap
port à la concurrence étrangère ou même d’ériger des barrières propres à l’entra
ver, parfois à la limite des engagements qu’ils ont pris et des règles auxquelles ils
sont assujettis ou qu’ils doivent faire appliquer3.
• C’est, enfin, comme régulateurs et garants de la souveraineté. Ce qui se traduit par
la volonté des autorités qui les animent – particulièrement au niveau des États,
mais sans exclusive – d’exercer un contrôle étroit de secteurs et de fonctions, pour
elles, stratégiques – services publics ou exploitation de ressources naturelles,
appels d’offre ou octroi des financements… Ce qui peut même les conduire, au
nom de leur souveraineté territoriale, si elles jugeaient excessive l’influence des
acteurs étrangers, à encadrer leur gestion ou à limiter leurs ambitions, dans un
cadre pouvant se révéler, parfois, très astreignant, sinon, à l’extrême, à les
contraindre, purement et simplement, au retrait4.
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C’est donc dans une perspective, tout à la fois, offensive et défensive, qu’il faut
envisager les stratégies des territoires – quel que soit leur niveau, supranational,
national, régional ou municipal… –, dans un contexte d’ouverture internationale
accrue.
En témoigne la situation de l’Argentine, à la suite de la crise de 2001, qui permet
de mesurer, tout à la fois, l’impact des politiques développées par ses dirigeants
77
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
– avant comme après la crise – et les implications qu’elles ont déterminées et déter
minent encore pour les partenaires économiques étrangers au pays – importateurs et
donneurs d’ordres, exportateurs et investisseurs –. Lesquels ont été, à cette occasion,
confrontés à des macro et microrisques accrus et à la nécessité consécutive de
reconsidérer leurs modes d’approche de ce pays à fort potentiel mais présentant tou
jours beaucoup d’incertitudes.
Le plan du chapitre
Section 1 ■ Développement des territoires : protection ou promotion ?
Section 2 ■ Positionnement dynamique des territoires
Section 3 ■ La prise en compte du risque : « macrorisques »
et « microrisques »
Cas introductif
Promesas Argentinas1
L’histoire économique de l’Argentine, depuis le milieu du xixe siècle, apparaît
comme une longue succession de hauts et de bas. Ce pays qui occupait le qua
trième rang des économies mondiales à la veille de la Première Guerre mondiale a,
depuis, perdu cette place avantageuse. Il n’en demeure pas moins la seconde puis
sance d’Amérique du Sud et est, à ce titre, membre du G20.
L’activité économique longtemps dominée par une oligarchie terrienne ayant érigé
l’élevage en priorité nationale, avait fait de l’Argentine, restée neutre pendant les
deux conflits mondiaux, « la boucherie du monde ». L’industrie ne constituait qu’un
pan secondaire de son économie, avec des activités de substitution aux importa
tions qui avaient, cependant, progressé sous le régime populiste du général Peron,
jusqu’à ce que le coup d’état du général Videla, instaurant un ultralibéralisme éco
nomique, associé à une ouverture brutale des frontières, n’en ruine l’essentiel.
Depuis le retour à la démocratie, à la fin des années 80, l’économie argentine a paru
rapidement reprendre de la vigueur avec une progression spectaculaire de son PNB,
sous la tutelle vigilante des organisations multi gouvernementales – FMI et Banque
Mondiale – pour prix de leur soutien financier. La réduction du déficit constituait une
priorité, de même que la libéralisation de l’organisation économique, conduisant à
une privatisation systématique des actifs détenus par l’État depuis la période
☞
1. Ce cas dans sa version développée (avec notice pédagogique), sera disponible en français et en anglais en
2013-2014 à la Centrale des Cas et des Moyens Pédagogiques. (Jean-Paul Lemaire et Diego Lopez, Promesas
Argentinas).
78
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
☞
péroniste, avec, pour résultat, un afflux d’argent frais et une réduction significative
de l’endettement du pays ; mais, hélas, sans mesures supplémentaires d’accompa
gnement, propres à limiter les dépenses publiques, et, donc, à terme, conduisant à
la reprise et à la progression inéluctables du déficit budgétaire.
L’inflation, qui avait atteint des sommets pendant la dictature militaire1 avait été endi
g uée en établissant un lien fixe entre le peso, et le dollar – le currency board –, sur la
base d’un peso pour un dollar, présentant, cependant, le risque d’une surévaluation
pénalisante pour les exportations nationales. L’ouverture des frontières, engendrait des
flux d’importations, stimulées par la prime de change qui leur était offerte. De plus,
elle facilitait les sorties de capitaux, bénéficiant à court terme au consommateur, mais
handicapant les producteurs locaux qui ne pouvaient, ni rivaliser avec les économies
d’échelle de leurs concurrents étrangers, ni s’appuyer sur les ressources financières
qu’auraient pu leur apporter le rapatriement des capitaux ayant quitté le pays. En
conséquence, l’endettement extérieur se creusait à nouveau, s’alourdissant progressi
vement tout au long des années 90, affaiblissant l’économie en la rendant plus sen
sible aux contrecoups des crises régionales, comme la crise mexicaine de 95 – la crise
de la Tequila –, comme les hauts et les bas du grand voisin brésilien…
Paradoxalement, l’Argentine, désormais bon élève du FMI, connaissait une crois
sance apparente, artificiellement entretenue par les investissements étrangers, se
traduisant par des acquisitions, ou de la croissance organique, alors que les déficits
publics, comme les importations de produits manufacturés ne cessaient d’augmen
ter. Ce qui alimentait une dette extérieure, inlassablement financée par les banques
étrangères, se fiant au soutien des institutions financières internationales, persua
dées sans doute qu’elles ne pouvaient laisser le pays faire faillite…
Lorsque Fernando de la Rua prit la succession de Carlos Menen, en octobre 1999,
les finances du pays étaient en ruine. 15 à 20 millions d’Argentins, selon les esti
mations d’alors, sur 37, vivaient en dessous du seuil de pauvreté. La dette s’était
accrue de 12 milliards pour la seule année 1999. La situation s’assombrissant
encore avec la poursuite de l’appréciation du dollar sur les marchés des changes,
entraînant à la hausse le peso, alors que le réal brésilien, lui, dévaluait.
Le refus du FMI, fin 2001, de libérer au profit de l’Argentine une nouvelle tranche
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de prêt, mettait un terme à cette fuite en avant, sonnant le glas du currency board
et du régime de libre convertibilité, tandis que les autorités mettaient en place le
corralito, limitant de façon drastique à 250 $ par semaine les retraits à partir des
comptes en banque des individus comme des entreprises, gelant ainsi les dépôts
bancaires. À quelques heures de la publication de la décision des autorités, début
décembre, les pesos s’échangeaient déjà, à deux pesos pour un dollar dans le vent
de panique qui commençait à souffler et qui devait, au cours des semaines sui
vantes, jeter dans la rue jusqu’aux Argentins des classes moyennes, conscients de
basculer dans la précarité. Les gigantesques concerts de casseroles, les cacerolazos,
se déclenchèrent dans tout le pays, doublés d’émeutes et de pillages qui firent une
trentaine de morts, jetant le discrédit sur une classe politique incapable d’assumer
ses responsabilités et poussant finalement le président de la Rua à la démission. À
l’issue d’une année de crise, la production industrielle s’était littéralement effon
drée, comme le pouvoir d’achat, avec une hausse du chômage et une nouvelle et
☞
1. 650 %, encore en 1985, au lendemain du retour à la démocratie.
79
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
spectaculaire augmentation de la pauvreté. L’inflation connaissait une forte pous
sée1, même si la balance commerciale accusait un excédent de près de 14 milliards
de dollars, au prix d’une diminution de près de 60 % des importations2.
Mais la situation du pays, un temps isolé par le contrôle des changes, avec une dette
colossale à rembourser3, en situation d’« économie de guerre » allait progressive
ment s’améliorer4 : aux « vingt piteuses » (1982-2002), allaient succéder des « trois
glorieuses » (2003-2005)5 avec une croissance de 9 % en moyenne ; moindre,
cependant, depuis, en dépit de la santé longtemps remarquable du grand voisin
brésilien et du maintien à un niveau relativement élevé, malgré la crise mondiale,
des prix des ressources minérales et des denrées agricoles dont le pays regorge.
En contraste avec le libéralisme dominant qui l’avait longtemps précédé, le régime
populiste instauré en mai 2003 par le président Kirchner, auquel a succédé dans la
même ligne politique son épouse, élue présidente après sa disparition, a, tout
d’abord, donné la préférence au redressement à court terme. Il favorisait simultané
ment, au nom du patriotisme économique, la création de sociétés étatiques ou
contrôlées par l’État6, remettant en question, du même coup la présence de certains
investisseurs étrangers, les encourageant parfois même, purement et simplement, à
quitter le pays. Tel a été le cas d’entreprises européennes – françaises7 en particulier8 –,
tandis que Nestor Kirchner9, en juin 2006, n’hésitait pas à mobiliser la moitié de son
gouvernement pour l’inauguration de la nouvelle ligne de production de PSA à
Palomar, dans la banlieue de Buenos Aires.
☞
1. Les prix de gros progressant de 120 % au cours de l’année en raison de la dévaluation du peso (le dollar se
négociant alors à 3,6 pesos).
2. Le niveau des exportations diminuant lui-même de 6 %.
3. Cf. Joseph Stiglitz, « Leçons d’Argentine », Les Échos, 21 janvier 2002.
4. Il faudra trois années pour que les créanciers de l’Argentine s’entendent dans le cadre d’une nouvelle procé
dure pour décider de la liquidation de 75 % de la dette (cf. Sgard J. « Restructuration de la dette : le cas argentin »,
Problèmes Économiques, 1er février 2006).
5. Trucy J.P., Planque M., Situation économique de l’Argentine (printemps 2006), Ambassade de France en
Argentine, Mission Économique.
6. Comme Enarsa, destinée à réagir, selon le gouvernement argentin, dans le secteur énergétique, notamment, au
sous investissement des investisseurs privés (production, industrialisation, transport et commercialisation du pétrole,
du gaz et de l’électricité).
7. Et les Français n’étaient pas les seuls dans le collimateur : Shell ayant voulu répercuter en 2005 la hausse
mondiale des prix du pétrole sur les prix à la pompe, provoquait immédiatement, de la part de la plus haute autorité
de l’État, un appel au boycott de toute les stations service de la compagnie, obligeant celle-ci à faire marche arrière,
après avoir enregistré une baisse de ses ventes de 70 %… !
8. Comme EDF qui décidait, à la fin du premier semestre 2005, de vendre 65 % d’Endenor, qui alimentait en
électricité le Nord de Buenos Aires, à Dolphin, un fonds d’investissement privé argentin (cf. D’Erceville B. « EDF
peaufine sa sortie d’Argentine avant celle du Brésil », La Tribune, 30 juin 2005).
9. En réponse à l’interdiction d’augmenter ses tarifs, Suez annonçait, de son côté, en septembre, son retrait
d’Aguas Argentinas (compagnie en charge de l’assainissement et de la distribution des eaux dans la région du Grand
Buenos Aires) ; le gouvernement mettant fin à sa concession en mars 2006 et transférant les actifs à AySa, une
société d’État nouvellement créée, suivant en cela un mouvement déjà amorcé depuis plusieurs mois de reprise par
l’État de sociétés de service public. Au passage, les distributeurs Carrefour et Casino étaient eux-mêmes accusés
par le président Kirchner, dans le cadre d’une très médiatique campagne anti-inflation, de « porter atteinte au por
tefeuille des Argentins », (cf. Ubertalli O. « Argentine, faites le pari de l’entreprise ! », Le Moci, n°1746, 16 mars
2006). Plus récemment l’entreprise pétrolière espagnole, Repsol, vient de connaître un sort comparable à celui de
Suez (voir, infra, dans le présent chapitre, repère 2.1 « Les remontées du Protectionnisme : le constat »).
80
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
☞
C’est dans un tel contexte, faisant, tout à tour, souffler le chaud et le froid, que les
investisseurs étrangers avaient à se déterminer quant à la poursuite de leur dévelop
pement dans le pays ; certaines activités ayant le vent en poupe et présentant des
attraits certains, malgré une instabilité économique toujours persistante et des réac
tions teintées d’opportunisme des dirigeants locaux. Ce qui explique la prudence
persistante des organismes d’assurance-crédit, comme la Coface française, le
Ducroire belge ou l’ECGD britannique1.
Mais, en dehors des entreprises anciennement implantées souvent, fortement capi
talistiques qui ont longtemps lutté pour leur survie, il est des secteurs attractifs pour
les investisseurs étrangers : précisément ceux où l’on a besoin de leur savoir-faire et,
qui, symétriquement, peuvent bénéficier des avantages locaux (compétences tech
niques, managériales ou linguistiques, ressources naturelles, climat…). Certains de
ces secteurs relèvent essentiellement des services, comme les technologies de
l’information, ne nécessitant pas d’investissements considérables, et pouvant tirer
parti de la qualité des personnels du pays, comme du faible niveau des coûts d’une
main-d’œuvre très qualifiée dans des activités qui en sont très consommatrices.
Dans le domaine agricole, certains ont également pu tirer avantage de la crise, atti
rés, qu’ils étaient, par des coûts d’acquisition très avantageux des actifs locaux, tout
en apportant leur savoir-faire, comme en témoigne l’installation de nombre de viti
culteurs étrangers – installés dans la région de Mendoza2, notamment –, imités par
des industriels internationaux de l’agroalimentaire3.
L’investissement direct en Argentine suppose donc de vaincre nombre de difficultés
structurelles, de franchir bien des obstacles et d’affronter bien des incertitudes ; sans
parler des lourdeurs administratives et de la corruption4, même si l’Argentine est
loin d’en avoir le monopole…
Comment, dès lors, caractériser le « risque argentin », pour les investisseurs, mais,
aussi, pour les exportateurs et les importateurs étrangers de biens et de services ?
Quels en sont les causes permanentes ? Les causes conjoncturelles ? Quelles sont
les opportunités que présente ce pays pour les agents économiques étrangers (les
individus comme les organisations) ? Dans quels secteurs particulièrement ? Pour
quels types de transactions commerciales, pour quels types d’investissements
directs ? Quelles seraient les précautions à prendre pour ces différentes opérations
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afin de minimiser l’exposition aux risques ? Quels modes d’entrée (filiale, succursale,
partenariat local ou étranger…) seraient, en conséquence, plus particulièrement à
préconiser ?
81
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
L’ambiguïté de l’attitude des autorités locales – ici, dans le cas de l’Argentine, des auto
rités nationales –, souligne, au passage, le rôle qu’elles jouent dans le développement des
relations entre le territoire qu’elles administrent et dont elles souhaitent promouvoir les
avantages compétitifs et les agents économiques étrangers qui essaient d’y développer des
transactions. Ressortent aussi, plus généralement, de ce cas la complexité et la spécificité
de chaque contexte, comme la nécessité de procéder à leur analyse dans une perspective
de court terme, sans négliger pour autant les enseignements de l’Histoire.
Se retrouvent, aussi, la diversité des rôles des autorités et leur recherche, tout à la
fois, du développement du territoire, en s’appuyant sur les ressources venues de
l’extérieur, comme de la protection des acteurs locaux qu’elles administrent et dont
elles se font souvent les hérauts. Elles se placent ainsi dans une tradition protection
niste tout en dessinant de nouvelles dynamiques conciliant ces deux impératifs, à
leurs yeux, complémentaires plus que contradictoires.
Après avoir souligné l’existence de rémanences – sinon de résurgences – protection
istes, ce sont ces dernières que l’on s’attachera à formaliser et d’essayer de clarifier, à
n
l’aide du modèle PREST, appliqué ici aux territoires1 : tout d’abord en identifiant les
pressions externes, positives et négatives, conjoncturelles et structurelles, susceptibles
de s’exercer ici sur eux (niveau 1 du PREST), pour en déduire, dans un second temps,
les défis que les autorités auront à relever (niveau 2 du PREST), leur permettant
d’opérer les « leviers » appropriés dans le cadre de leurs politiques économiques
(niveau 3 du PREST).
Cette première étape permettra, ensuite, de proposer une grille de positionnement
des territoires en termes d’attractivité (le modèle « 4 x i »), qui sera appliquée ici
aux territoires nationaux, et, plus particulièrement, aux pays émergents, en se réfé
rant aux deux pays que l’on vient de mobiliser comme exemples ; l’un – le Vietnam
– comme cas d’application du chapitre précédent, l’autre – l’Argentine –, comme
cas introductif du présent chapitre. Ce qui permettra de mieux dégager les implica
tions opérationnelles auxquelles conduit la mise en œuvre de ce modèle : niveau
d’attractivité, opportunités et menaces respectives qu’ils présentent, comme modes
d’entrée consécutivement envisageables pour les organisations désirant développer
leurs relations avec l’un et/ou avec l’autre.
En complément de cette approche des territoires, il sera opportun, du point de vue
des organisations qui ont établi ou établissent des relations économiques avec eux,
de préciser les risques, auxquels elles se trouveront exposées ; aussi bien ceux, résul
tant des particularités de leur environnement macroéconomique (macrorisques) que
des risques opérationnels (microrisques), qui en découlent bien souvent.
1. Au chapitre suivant, il sera appliqué aux espaces de référence « géo-sectoriels » se concentrant sur un secteur,
une industrie ou une activité dans un espace géographique donné, par exemple, le secteur du vin en Argentine
(cf. cas introdutif chapitre 3, « Wines of Argentina »), permettant de focaliser davantage l’approche d’un point de
vue qui sera davantage celui d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises que celui du territoire, comme partie
prenante principale à la définition d’une stratégie d’internationalisation.
82
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
Section
1 Développement des territoires : protection
ou promotion ?
c Repère 2.1
Les remontées du protectionnisme : le constat2
À l’approche du sommet du G20 à Los Cabos, au Mexique, en juin 2012, à l’occasion
de la publication de son neuvième rapport sur l’état du protectionnisme l’Union euro
péenne fait état d’une montée considérable du protectionnisme à l’échelle mondiale
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avec l’apparition de 128 nouvelles restrictions, soit 25 % d’augmentation au cours des
huit mois précédents, soit 534 mesures défensives répertoriées depuis le début de la
crise, en octobre 2008.
Le fait que les pays émergents souffrent de la crise, par contrecoup du ralentissement
de l’activité économique dans les économies matures expliquerait qu’ils figurent au
premier rang des « mauvais élèves » : l’Argentine, avec 119 mesures défensives, la
Russie, 86, l’Indonésie, 59, le Brésil, 38, la Chine, 30, l’Inde, 24, l’Afrique du Sud, 22.
Certaines de ces mesures sont plus particulièrement mises en exergue dans le rapport :
après l’expropriation du groupe pétrolier espagnol Repsol de sa filiale YPF, les nou
velles procédures de pré-enregistrement des importations de marchandises décidées par
☞
1. C’est le cas des mesures transitoires prévues dans les procédures d’adhésion.
2. Cf. « Les barrières protectionnistes se multiplient dans le monde », M.C. Corbier, Les Échos, 7/6/2012.
83
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
l’Argentine, la préparation par la Russie, pourtant proche de l’issue de son processus
d’adhésion à l’OMC, d’une législation préférentielle pour les véhicules de fabrication
nationale dans le cadre des marchés publics, ou encore, l’augmentation de 30 %
décidée par le Brésil des taxes sur les produits industriels et l’interdiction par l’Inde, en
mars, de l’importation de coton.
Ce qui n’empêche pas ces pays de se justifier, les uns en opposant, comme Cristina
Kirchner, le « protectionnisme légal » des pays développés au « protectionnisme popu
liste » des émergents, les autres en engageant, comme la Chine, l’Union européenne à
ne pas recourir au protectionnisme, en écho à la résolution du Parlement européen à
s’opposer à la « concurrence déloyale » de leurs entreprises.
Ces pratiques, structurées dans le cadre d’ensemble défini par chaque pays
concerné, ont été désignées sous le terme de « politiques commerciales straté
giques » par Krugman1, qui retient essentiellement les motivations et les mesures de
protection et de promotion sans toujours considérer l’ensemble du contexte qui sert
de référentiel aux mesures que les États auraient à engager. Face à ce que l’on pour
rait qualifier de « nouveau protectionnisme », l’analyse des pressions externes appli
quée aux territoires permettra de prendre en compte les principaux déterminants de
l’ouverture internationale de chaque espace considéré et d’en déduire les enjeux
auxquels il se trouve confronté. Ce qui devrait faciliter l’identification, au niveau de
chaque territoire, des « leviers » qu’il serait possible d’utiliser pour améliorer son
positionnement.
Cette approche représente, dans une certaine mesure, une résurgence du « protec
tionnisme éducateur2 », et a toujours connu la faveur de certaines autorités natio
nales – en particulier, l’administration américaine –, spécialement pendant les
périodes de crise. Elles remettent en cause, en effet, au moins partiellement, la thèse
du libre-échange.
Selon ses promoteurs, dans les secteurs où règne la concurrence pure et parfaite
– une multitude de vendeurs étant confrontée à une multitude d’acheteurs –, les prin
cipes de la libre concurrence doivent être appliqués. Mais, à l’inverse, dans certains
1. Voir, notamment, Krugman P., « Import Protection as Export Promotion : International Competition in the
Presence of Oligopoly and Economies of Scale », in : H. Kierzkowski, Monopolistic Competition and International
Trade, Oxford, Clarendon Press, 1984.
2. Appliquée de manière privilégiée aux « industries naissantes », cette thèse justifie l’existence de barrières
tarifaires et non tarifaires élevées et d’une politique de soutien active des pouvoirs publics, en particulier lorsqu’un
pays connaît des retards sectoriels importants par rapport à ses concurrents, Voir aussi, Système National d’Écono
mie Politique, F. List, Elibron classics ; pour la première fois publié en 1840.
84
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
particulièrement dans les pays émergents, et ont justifié les mesures de protection
déployées autour d’elles. Elles ont été et restent des priorités dans nombre de pays,
surtout si elles présentent un caractère stratégique, liées à la défense ou permettant
au pays d’échapper à une dépendance excessive de l’extérieur, comme dans les sec
teurs dominés par les oligopoles mondiaux. Mais d’autres modes de développement
peuvent leur être préférés, par le biais de mesures incitatives au transfert de techno
logie, en obligeant les entreprises étrangères désireuses de s’implanter de constituer
des entreprises conjointes, des joint ventures, avec des acteurs locaux ou en leur
1. Levinson M., « Is Strategic Trade Fair Trade? », Across the Board, juin 1988, in : Problèmes économiques,
n° 2128, 7/6/88.
2. Cf. cas introductif du chapitre 4 « Huawei, la montée en puissance d’un leader technologique mondial ».
3. Voir aussi, « Made by China. Les secrets d’une conquête industrielle », J.F. Dufour, Dunod, 2012.
4. Voir supra, Introduction §3.
85
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
proposant des contrats de transfert de technologie contre l’accès à des marchés d’un
volume sans équivalent dans le monde1. Les pays émergents concernés en profi
teront pour mettre à niveau leurs compétences techniques et managériales, tout en
favorisant la sous-traitance, jouant, tout simplement, sur le différentiel de coûts de
la main-d’œuvre disponible sur leur territoire.
Symétriquement à l’appui au développement d’« industries naissantes » dans les
pays émergents, ou des « champions internationaux » qui en proviennent, une
logique similaire peut suggérer, dans les économies matures, l’application de
mesures de protection comparables pour relancer des « industries vieillissantes ou
déclinantes2 », tout aussi stratégiques, ou jugées telles, ou pour limiter les incidences
sociales de suppressions massives d’activités.
Si les critères de choix des secteurs protégés restent très généraux, et la détermi
nation des outils à mettre en œuvre peu précise, elle est en pratique, sous des formes
diverses, dans un certain nombre de pays occidentaux, comme les États-Unis, où
cette thèse fait l’objet d’un large débat, comme la France – où la tradition colbertiste
reste vivace –, ou dans certains pays asiatiques, comme le Japon.
c Repère 2.2
Des surenchères gouvernementales au bilatéralisme actif
Au cours des trois dernières décennies, les différents pays membres de l’OCDE se sont
livrés à une concurrence intense sur les marchés mondiaux, les gouvernements
essayant de soutenir les efforts des entreprises de leur espace économique respectif
aussi bien par des mesures d’aide à l’assurance, au financement et à la recherche active
de nouveaux marchés, que par un soutien politique déterminé, dans le cadre des rela
tions bilatérales entretenues avec les pays de leurs clients potentiels.
Dans les économies matures, pour le premier type de mesures, on retiendra, par
exemple, le rôle clé joué, au Japon, par le MITI (ministère de l’Industrie et du
Commerce Extérieur), organisme de coordination et d’orientation des entreprises dans
la conquête des marchés étrangers. Plus proches de nous, des organismes comme la
Coface, en France, l’ECGD, au Royaume-Uni ou encore Hermès, en Allemagne, ont
apporté à leurs industriels respectifs des formules d’aides, plus ou moins largement
subventionnées par des subsides gouvernementaux ; même si certains de ces orga
nismes, comme la Coface, ont vu l’essentiel de leurs activités passer dans le domaine
privé et obéissent désormais à une rationalité différente.
☞
1. Comme, par exemple, la proposition faite, en 2004, dans le cadre du projet China Railway High-Speed, aux
quatre grands constructeurs mondiaux de trains à grande vitesse, dont trois -Bombardier, Kawasaki et Alstom- ont
accepté de fournir aux deux grands fabricants chinois de matériel roulant les technologies nécessaires dans le cadre,
notamment, de fabrications sous licence (ibidem, J.F. Dufour).
2. Ayant justifié la mise en place des Accords Multifibres évoqués plus haut, caducs au 1er janvier 2005 (Vietnam,
WTO challenges).
86
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
☞
De leur côté, parmi les émergents, les économies à croissance rapide n’hésitent pas à
mobiliser l’arme monétaire en jouant sur la sous-évaluation de leur devise, mais aussi
en s’appuyant sur une diplomatie très active qui peut s’appliquer avec succès dans cer
taines parties du monde. C’est ainsi qu’à l’instar de la Françafrique, on parle désormais
de la Chinafrique1 qui touche de nombreux pays du continent, de l’Algérie à l’Afrique
du Sud, en passant par l’Angola, le Nigeria, le Soudan et le Sénégal, où les autorités
chinoises appuient notamment la signature de contrats d’infrastructure très compétitifs
en termes de prix, par une active politique de dons, de prêts avantageux et d’assistance
technique, n’hésitant pas à exiger aussi, en contrepartie certains gages politiques2.
1. M. Beuret, S. Michel et P. Woods, Chinafrique, Grasset, 2008 ; E. Nguyen, Les relations Chine-Afrique,
Studyrama Perspectives.
2. Comme la reconnaissance d’une Chine unique à l’exclusion de Taiwan, ibidem.
3. En interdisant en particulier dans certains zones géographiques les prêts à taux bonifiés à l’appui d’offres
effectuées dans le cadre d’appels d’offres internationaux de biens d’équipement ou d’infrastructures qui faussaient
la concurrence entre compétiteurs.
87
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
c Repère 2.3
Vers un nouveau protectionnisme des économies matures4 ?
Face à la désindustrialisation de nombre d’économies matures, à la montée du chô
mage, à la perte de parts de marché qu’enregistrent bon nombre de pays de la Triade,
de plus en plus nombreuses sont les voix qui réclament le rétablissement de protec
tions aux frontières et de modifications des règles du jeu de l’échange de biens, de
services et de capitaux. Elles dénoncent :
☞
1. Comme l’appel d’offres du TGV Coréen, où s’étaient opposés l’allemand Siemens au français Alstom (alors
Alsthom) . Voir Rouach D., « Opportunités des risques des transferts de technologie. Le cas du TGV Corée et GEC
Alsthom », Revue française de Marketing, n°157-158, 1996.
2. Comme cela ressort de l’affichage qu’en fait Ubifrance (www.ubifrance.fr).
3. Adapté de : Izraelewicz E., « Un VRP nommé Bill Clinton » et Siegele de L., «L’État allemand à la res
cousse », Le Monde, 28/6/1994. Depuis la crise, le Ministère du Commerce Extérieur, à l’initiative d’Anne Marie
Idrac, qui en était titulaire entre 2008 et 2010, a constitué une « Équipe de France », rassemblant les différentes
institutions soutenant le développement international des entreprises françaises (Coface, Ubifrance, les Conseillers
du Commerce Extérieur...). Les autorités françaises à l’instar de celles des États-Unis, ont identifié des pays cibles
à privilégier vers lesquels les efforts de ces différentes institutions devraient converger, en s’attachant à faire jouer
entre eux leurs synergies existantes et potentielles (voir le site www.ubifrance.fr).
4. Voir, notamment, S. Moatti « Pourquoi la Mondialisation est réversible », Problèmes Économiques, n° 3038,
29 février 2012, p. 10-16 (initialement publié dans Alternatives Économiques, n°303, juin 2011, sous le titre « Mon
dialisation, le début de la fin ? » ; voir aussi The Economist, « And now, protectionism », 15 octobre 2011, p.14-15,
« Les débats de l’Obs : Faut-il démondialiser ? , le face à face Jean-Pierre Chevênement/Nicolas Baverez », Le
Nouvel Observateur, 8/9/2011, n°2444, p. 106-109.
88
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
☞
––le « dumping social » expliquant la compétitivité prix de nombreux produits et
composants en provenance des pays émergents, notamment du fait de la faiblesse ou
de l’absence de charges sociales dans nombre de pays fournisseurs ;
––le « dumping monétaire », résultant de la sous-évaluation de la monnaie nationale
par rapport aux monnaies occidentales ;
––le maintien de dispositifs destinés à favoriser les Pays en développement (PED), pra
tiquant, parallèlement, des politiques discriminatoires s’appliquant aux exportateurs
ou investisseurs occidentaux, y restreignant leur expansion, tout en les obligeant à
céder leur technologie.
Le renouveau consécutif du protectionnisme dans les économies matures peut se tra
duire par des initiatives parlementaires, comme en témoigne, particulièrement aux
États-Unis, la longue série de projets de lois, dits « anti-Chine », tirant argument de la
sous-évaluation du Yuan que l’OMC ne reconnaît pas comme subvention déguisée.
Dans une perspective plus large, en Europe, le refus par la France et les Pays-Bas, en
2005, d’une Europe qui servirait de « cheval de Troie à la mondialisation », peut s’ana
lyser comme une manifestation de cette volonté d’endiguer un mouvement que de
nombreux leaders d’opinion – pas seulement « populistes » ou « souverainistes » –
dénoncent. Ce qui se répercute, au niveau mondial de l’OMC, sur les négociations de
Doha sur les réductions tarifaires sur les produits industriels ; les économies matures
pressant les économies émergentes, et, particulièrement, les grandes économies à
croissance rapide de s’ouvrir plus largement.
Il reste que l’exploitation qui est faite de cette approche, en termes de valorisation
à l’international, d’efforts de recherche largement subventionnés par l’argent public,
tant en France qu’aux États-Unis, est plus limitée que dans des pays comme le
Japon, dont les entreprises sont passées maîtresses dans l’acquisition des techno
logies et dans la manière d’en tirer parti, en maximisant les synergies entre domaines
de recherche et entre recherche et application, en s’appuyant sur les soutiens gou
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
89
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Rupture technologique
fréquente
Transfert difficile
Secteur Secteur
défense grand
aéronautique public
espace
États-Unis
Europe
Licences
Coopération Implantations
Importations Exportations
Balance des Japon Balance
échanges de commerciale
technologie Produits positive
Programmes de R & D Produits
négative systèmes propres de l’entreprise systèmes
Programmes
nationaux Branche Branche
de R & D défense et Centre de produits
aérospatial R&D: grand public
synthèse
et réorientation
technologique
Entreprise
japonaise à
valorisation
technologique
1. Source : Euroconsult : CPE Étude, « Japon : la mutation technologique des années 1980 », n°62, juillet
1985.
2. Réunion de travail organisée le par M. Hostert et J.P. Lemaire, à la Chambre de Commerce de Luxembourg,
avec la participation de représentants de la « Trilatérale » luxembourgeoise, le 20 mars 2010.
90
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
1. Comme Tracfin : créé en 1990, à la suite du sommet du G7, dit « sommet de l’Arche », Tracfin a pour mission
de lutter contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. À ce
titre, Tracfin reçoit de la part de professions définies à l’article L.561-2 du code monétaire et financier français des
informations signalant des opérations financières atypiques qui font l’objet, le cas échéant, d’investigations complé
mentaires (www.economie.gouv.fr).
91
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Exemple 2.2 – Un nouveau venu très actif sur la scène internationale : le Qatar
Il y a encore quelques décennies, le Qatar, à l’entrée du golfe Persique n’apparaissait que
comme une excroissance désertique de la péninsule arabique, plantée au flanc de son
puissant et richissime voisin, l’Arabie saoudite. Depuis la découverte et la mise en
exploitation du premier gisement gazier mondial, qu’il partage avec son vis-à-vis l’Iran,
la situation de ce petit pays de 1,7 million d’habitants, dont bon nombre d’expatriés, à
bien changé, surtout depuis que son souverain actuel, le Cheik Hamad Ben Khalifa
al-Thani, a renversé son père et affirmé sa volonté de jouer un rôle majeur sur la scène
régionale et mondiale, à partir d’une image construite autour des médias et du sport, mais
sans s’y limiter :
–– en créant la chaîne de télévision Al-Jazira, dont la diffusion, en arabe et en langues
étrangères, ne cesse de s’étendre ;
–– en développant le réseau et la réputation de Qatar Airways pour en faire un des majors
mondiaux du secteur aérien ;
–– en obtenant l’accueil de grandes manifestations sportives, comme la coupe du monde
de football de 2022 ;
–– en créant, surtout, un fonds souverain, le Qatar Investment Authority, avec un porte
feuille atteignant déjà 60 milliards de dollars, qui en fait un des premiers investisseurs
du monde1, dans des secteurs comme dans l’hôtellerie, l’immobilier, l’environnement
et les infrastructures…
Et ce n’est pas le développement de Dubaï que le Qatar cherche à copier, même s’il s’en
inspire : se portant de façon bien comprise au secours de pays européens en difficulté,
comme la Grèce, ou en investissant de façon privilégiée sur le territoire de certaines puis
sances clés, susceptibles de l’appuyer politiquement et stratégiquement, comme le
Royaume-Uni, l’Allemagne et, surtout, la France, c’est un nouveau modèle économique
territorial et, plus encore, politique que ce petit pays tend à promouvoir de manière par
ticulièrement déterminée2.
1. Bien loin derrière, cependant, des grands fonds souverains chinois, comme la CIC (Chinese Investment Cor
poration).
2. Cf. Challenges, 16/2/2012, Le Monde 26/27 février 2012.
92
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
Exemple 2.3 – OnlyLyon
Comme les grandes métropoles européennes et internationales avec lesquelles Lyon,
« seule ville en France, avec Paris, à apparaître dans n’importe quel top 20 de l’attractivité
des villes dans le monde1 », veut faire jeu égal, la capitale des Gaules et des « Gônes »,
a pris conscience des enjeux auxquels elle avait à faire face pour satisfaire ses ambitions,
nationales et internationales : devenir, le challenger de Paris et se positionner comme une
alternative à des cités qui ont su bâtir leur image et dont elle s’inspire des modèles,
comme Barcelone, Amsterdam, Berlin ou même Londres, sur la base de leur marque
propre. L’objectif serait, pour Lyon, de développer une offre multiproduits/multiservices
cohérente, en rassemblant tous les acteurs qui ont longtemps œuvré en ordre séparé vis-
à-vis de prospects a priori différents, mais en négligeant des synergies potentielles bien
réelles : l’agence de développement économique, Aderly, l’office du tourisme, les
aéroports de Lyon, la Chambre de Commerce, le Centre des Congrès, les collectivités
locales, les universités, les grandes écoles…
La première étape a été, pour la ville, de créer, elle aussi, une marque et de se donner une
image cohérente « hors ses murs », en se présentant de manière coordonnée dans les
manifestations internationales, en valorisant les avantages de l’agglomération et son offre
territoriale pour y attirer les flux commerciaux, touristiques, les investissements directs,
les talents propres à stimuler son développement. La marque anagramme OnlyLyon2 est
déjà déclinée par les différentes parties prenantes de l’agglomération, tout comme le lan
cement d’une campagne mondiale de communication (All your lives in one city) a ren
forcé l’identité commune ; mais sans atteindre encore le niveau de Londres, vainqueur au
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
finish de Paris pour les Jeux Olympiques de 2012, qui regroupe d’ores et déjà différentes
fonctions chargées du développement de la capitale britannique – en l’occurrence tou
risme et développement économique –, sous la même direction, au sein du même orga
nisme.
L’étape suivante serait donc de fédérer encore davantage les initiatives pour être en
mesure de dessiner une stratégie et de regrouper des moyens nécessaires à sa mise en
œuvre, de manière à en optimiser les bénéfices pour l’ensemble de l’agglomération.
93
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Pour Lyon, comme pour le Qatar, le Luxembourg, mais, également, pour des ter
ritoires plus vastes qui peuvent offrir, il est vrai, des opportunités à toute autre
échelle, en termes de marché potentiel, de facteurs de production, de savoir-faire, la
question clé est l’attractivité qu’ils présentent, vis-à-vis d’une grande variété
d’agents économiques, au premier rang desquels les investisseurs, mais aussi les
donneurs d’ordres industriels, les touristes, les recruteurs ou, symétriquement, les
personnels qualifiés qui seraient heureux d’y exercer leurs compétences…
c Repère 2.4
Existe-t- il des environnements plus favorables que d’autres
à l’international1 ?
« Même si la globalisation et Internet changent la donne, plus un marché domestique
est grand, moins il est favorable à l’international et inversement. Ainsi, aux États-Unis,
en Chine, Inde, Indonésie… une PME peut devenir une énorme entreprise nationale
avant que la question de l’international se pose. Elle dispose alors de moyens impor
tants pour faire le pas, souvent par le biais d’alliances et d’acquisitions.
En Suisse romande, Finlande, Suède, par contre, on ne trouve pratiquement aucune
entreprise nationale, mais des acteurs mondiaux tels Nestlé, Swatch, Firmenich,
Serono, et autres. La France est entre deux avec un marché domestique important mais
où la capacité à l’international devient vite un facteur de survie. »
Le marketing territorial, comme celui que pratiquent avec succès des villes comme
Lyon, à l’image de ses prestigieuses concurrentes, même s’il peut beaucoup y contri
buer, ne suffit pas y à attirer les activités. Une démarche d’ensemble se révèle néces
saire pour positionner le territoire et valoriser l’ensemble de ses atouts, avant de
définir les orientations à privilégier de manière à y parvenir.
Ce sont les deux pays – le Vietnam et l’Argentine – auxquels se rapportent les cas
qui articulent ces deux chapitres, 1 et 2, qui serviront à illustrer la présentation de la
démarche préconisée, appliquant les deux premières étapes du modèle PREST aux
territoires.
1. J. Fendt, directeur scientifique de la Chaire Entreprenariat Ernst & Young à ESCP Europe, Interview
Y. Vilagines , Les Échos, 01/09/2011.
94
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
S’attachant, tout d’abord, à proposer une grille d’analyse des pressions externes
qui s’appliquent aux territoires (niveau 1 du PREST), la démarche dégagera de cette
analyse les principaux enjeux (niveau 2 du PREST), auxquels seront confrontés les
acteurs qui y opèrent, ou se développent à partir d’eux ou vers eux.
Cette démarche fera ressortir les axes qui permettront de positionner les territoires,
en termes d’attractivité, de manière à guider les acteurs économiques étrangers – et,
particulièrement, les investisseurs que l’on privilégiera ici –, qui pourront déduire de
ce positionnement les modes d’approche les plus appropriés, en fonction des risques
et des opportunités qu’il présentera.
Pour les autorités locales, la volonté d’attirer des flux d’investissements crois
sants, en faveur desquels elles déploient des politiques de mise à niveau des infra
structures et d’ajustement des cadres réglementaires, n’est pas sans conditions et
sans restrictions. Si le but premier de leurs politiques est de maximiser les bénéfices
attendus, tant en termes d’afflux de ressources financières, de création d’emplois, de
transferts de technologie et de mise à niveau des pratiques managériales locales,
elles n’en comportent pas moins des limites tangibles susceptibles de contrarier
– voire de décourager – les investisseurs étrangers. Ces autorités procèdent, en effet,
souvent, de manière antinomique, encourageant le renforcement des relations avec
l’extérieur, sans pour autant laisser aux acteurs qui en proviennent toute latitude
d’expansion ;
––par souci de protéger les acteurs locaux contre une concurrence exacerbée venant
de l’extérieur qui pourrait mener, localement, à leur exclusion de certains secteurs
à fort potentiel de croissance, qui leur interdisait, dans le futur, la possibilité de se
déployer à leur tour vers l’extérieur ;
––par volonté d’exercer un contrôle étroit des secteurs stratégiques – services
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. Les paragraphes suivants reprennent, pour l’essentiel, des développements du chapitre 2 « Les autorités
locales et les entreprises étrangères. L’enjeu paradoxal des investissements directs étrangers dans les économies à
croissance rapide », J.-P. Lemaire, pp. 59-74 in Les paradoxes de la globalisation des marchés, E. Milliot et N.
Tournois Vuibert, 2009.
95
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Exemple 2.4 – Vietnam et Argentine, quelle attractivité pour les investisseurs et les
acteurs économiques étrangers ? (1) Rappel de leur situation respective
au début des années 2000.
–– Le Vietnam, dans le cadre de son ouverture progressive et raisonnée, ayant abouti à son
adhésion officielle à l’Organisation mondiale du commerce en janvier 2007, est une
« économie en transition » héritière d’un système centralisé d’inspiration communiste
– à l’image de la Russie, de la Chine et, même, de l’Inde – et, comme ces pays, s’est
résolument engagé dans un processus progressif et structuré d’adhésion,
–– L’Argentine, réinsérée dans les flux d’échanges et d’investissements à la suite de la
crise de décembre 2001, constitue de longue date, à l’opposé du Vietnam, une écono
mie libérale. Mais, du fait de l’accumulation de déficits budgétaires et extérieurs, frap
pée de plein fouet par une dévaluation, elle a brutalement rompu ses relations avec ses
partenaires économiques extérieurs et, de ce fait, s’est trouvée confrontée à la nécessité
de rétablir la confiance, avec eux, et notamment, avec les investisseurs.
96
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
AU NIVEAU MACROÉCONOMIQUE DU
TERRITOIRE D’ACCUEIL
Ouverture, stabilité et fiabilité des autorités locales
Objectifs de mise en valeur de l’espace
économique national/régional/local
Restrictions imposées et avantages offerts
1. Source : J.-P Lemaire, « Les autorités locales et les entreprises étrangères », Les paradoxes de la
globalisation des marchés, E. Milliot et N.Tournois, Vuibert, 2009.
97
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
1. Ainsi, si le territoire est un pays : agrégats économiques (PNB, revenu par tête, déficits/excédents budgétaires,
déficits/excédents extérieurs, etc.) et indicateurs politiques et sociaux (indice de Gini qui mesure le degré d’inégalité
de la distribution des revenus dans une société donnée, indice de développement humain combinant éducation, santé
et niveau de vie, etc.). S’ils s’agit d’un groupe de pays, ou, à l’inverse, d’une région ou d’une métropole, il convien
dra, à partir des données disponibles, de construire des indicateurs qui permettent à la fois la comparaison d’un
territoire à un autre (dans une même catégorie, supra ou infra nationale) et la mesure de leur évolution dans le
temps.
2. Cf. figure 5.3 « Structuration du système de veille » et repère 5.1 « Besoins et utilisation de l’information aux
différents stades du processus d’internationalisation ».
98
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
99
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
Les pressions affectant (+/–) structurellement Les pressions affectant (+/–) conjoncturellement
le cadre réglementaire du territoire considéré le cadre réglementaire du territoire considéré
–– mesures de dé/re-réglementation destinées à adap –– évolution (+/–) de la solvabilité du pays vis-à-vis de
ter le cadre dans lequel sont susceptibles de se la communauté financière internationale et capa
développer les IDE ; cité d’endettement/de placement ;
–– mesures de privatisation et de restructuration du –– résistance (+/–) de groupes de pression hostiles à
secteur public et/ou des secteurs précédemment l’évolution projetée, grèves et mouvements sociaux,
nationalisés ; tensions inter ethniques, flambées xénophobes…
–– politiques d’adaptation des grands secteurs d’infra
structure (transports, services financiers, distribu
tion…).
100
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
101
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
102
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
Section
2 Positionnement dynamique
des territoires
L’identification de l’ensemble de ces pressions conduit donc les autorités locales,
comme les organisations étrangères, à mieux apprécier les principaux défis à relever
dans la perspective d’une intensification de leurs relations économiques avec l’exté
rieur et, notamment, des flux d’investissements directs étrangers. Leur analyse
103
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
respective (PREST niveau 2) peut les mener à des conclusions largement conver
gentes :
––pour les autorités, il s’agira de mettre en valeur et, donc, d’améliorer les facteurs
de production locaux et de maximiser les avantages compétitifs que possède le
territoire, en augmentant son attractivité sur un plan général, comme, pour les
organisations, d’en tirer parti de la manière la plus efficace dans les domaines où
elles peuvent se montrer particulièrement performantes ;
––en tenant compte, toutefois, de la possible existence de divergences d’intérêts,
qu’il conviendra de concilier, afin qu’autorités locales et organisations étrangères
tirent, les unes et les autres, le meilleur parti de leurs relations économiques
mutuelles, qui ne pourront être optimisées, de jure ou de facto, qu’en privilégiant,
entre elles, la coopération.
En tenant compte des différentes catégories de pressions externes, les trois sortes
de défis s’articulent suivant une logique qui s’impose aux autorités comme aux orga
nisations étrangères :
• Ils partent de la nécessité de faire évoluer rapidement l’offre locale pour pérenni
ser les activités et les faire évoluer harmonieusement (enjeu d’adaptation). Les
territoires en phase de croissance, comme les économies émergentes ou en phase
de ralentissement, comme les économies matures, doivent, les unes comme les
autres, faire preuve, non seulement de réactivité, mais également de pro-activité.
• Ce qui conduit, les unes et les autres, à reconsidérer en permanence, dans leurs
processus de décision respectif, comme dans le cadre d’une concertation qui peut
avoir sa place, les activités comme les orientations géographiques à privilégier
(enjeu de redéploiement) pour mieux tirer parti de l’amélioration des facteurs de
production locaux, comme des nouvelles opportunités susceptibles de se manifes
ter dans le territoire lui-même ou hors frontières.
• Pour leur permettre de disposer d’un cadre clair pour tous, s’appuyant sur des
structures de mieux en mieux adaptées et adaptables pour affronter dans de
meilleures conditions, dans le territoire considéré, comme à partir de ce territoire,
une concurrence locale et internationale (enjeu concurrentiel), entre espaces éco
nomiques, comme entre organisations opérant dans des secteurs similaires.
104
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Ë les autorités : positionner le pays de façon plus attirante vis-à-vis des IDE
. soutenir la modernisation et les acteurs locaux
. empêcher la concurrence étrangère de dominer les secteurs clés
Ë les organisations étrangères : se faire admettre dans le contexte local
. accéder à des parts de marché/des facteurs de production avantageux
. assumer la concurrence locale et ses pratiques
Pressions Pressions
politico-réglementaires : technologiques :
REDÉPLOIEMENT ADAPTATION
Ë les organisations étrangères : Ë les organisations étrangères :
. optimiser leur réseau d’implantations locales . adapter ses produits/services à la demande locale
/internationales . ajuster ses processus de production/
. sélectionner/faire évoluer leur mode d’entrée distribution au contexte local
Pressions économiques et sociales :
Figure 2.3 – Les enjeux d’ouverture des territoires pour les autorités
locales et les organisations étrangères1
Dynamique internationale des territoires
1. Source : J.-P Lemaire, « Les autorités locales et les entreprises étrangères »in Les paradoxes de la globalisation
■ Chapitre
105
2
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
L’enjeu d’adaptation porte sur l’offre respective des deux parties prenantes :
––Pour les autorités locales, l’enjeu d’adaptation concerne tout particulièrement la
mise à niveau des infrastructures ; ce qui englobe, notamment, le cadre politico-
réglementaire, les équipements collectifs ou l’éducation, dans un environnement
qu’elles doivent rendre le plus accueillant possible aux organisations étrangères ;
–– Pour les organisations étrangères, l’enjeu d’adaptation aux conditions de production
locales comme aux besoins et attentes de la demande locale et internationale, en
matière de biens et de services produits et vendus localement comme de biens et de
services produits localement et vendus à l’extérieur du territoire considéré, comme
aux attentes des autres parties prenantes (cf. responsabilité sociale de l’entreprise).
En se rapportant au contexte respectif de chacun des deux espaces économiques
retenus pour appliquer cette démarche – Vietnam et Argentine –, l’enjeu d’adapta
tion auquel se trouvent confrontées les autorités locales semblerait, a priori, plus
difficile à relever pour le Vietnam, compte tenu des multiples handicaps structurels
qu’il a à rattraper. Les autorités argentines n’en ont pas moins, en dépit du caractère
conjoncturel de la crise que le pays a à surmonter, à envisager des transformations
profondes qui doivent toucher les bases mêmes de son système économique et, avant
tout, le comportement de ses agents économiques.
Exemple 2.8 – Vietnam et Argentine, quelle attractivité pour les acteurs économiques
étrangers ? (5) Les autorités territoriales face à l’enjeu d’adaptation :
Au Vietnam, les autorités ont dû, en priorité, s’attacher à des chantiers aussi divers que la régle
mentation, les équipements collectifs ou l’éducation pour relever le niveau d’attractivité et
promouvoir leur territoire. Elles ont démontré, dans cette perspective, une capacité impression
nante à mobiliser leurs ressources et à agir avec pragmatisme pour obtenir des résultats appré
ciables dans des délais relativement courts, en faisant évoluer rapidement les états d’esprit.
C’est ce qu’a prouvé leur capacité à venir à bout du long processus d’adhésion à l’OMC,
auprès de laquelle ce pays fait désormais figure d’élève modèle, tout en pouvant se réclamer
d’une croissance qui, depuis 2003, est restée soutenue jusqu’au ralentissement enregistré
depuis 2011 et, ce, en dépit de poussées inflationnistes qui ont été combattues avec vigueur.
L’Argentine, en revanche, en dépit des atouts indéniables qu’elle possède, a révélé, après
une période de reprise remarquable, que ses faiblesses structurelles et les comportements
du passé (tant ceux de ses gouvernants que ceux de certains de ses groupes sociaux) n’ont
pas disparu. En témoigne l’imprévisibilité des décisions, des uns, tout comme le maintien
à l’étranger d’une large proportion des avoirs privés et le sens limité de la solidarité natio
nale, des autres. En dépit des avantages que donne au pays la sous-évaluation de sa devise
nationale depuis sa dépréciation, bien des facteurs d’instabilité demeurent, comme la
reprise de l’inflation1 et le caractère récurrent des désordres sociaux2…
1. L’évolution des prix à la consommation s’est traduite par une diminution de 1,1 % en moyenne annuelle, en 2001,
puis un accroissement de 25,9 % en 2002, de 13,4 % en 2003, de 4,4 % en 2004, pour remonter à 9,6 % en 2005, pour
s’envoler jusqu’au coup d’arrêt de 2007 (source : Ambassade de France en Argentine, Mission Économique).
2. Comme en attestent les difficultés rencontrées par les autorités pour faire accepter une augmentation des taxes
à l’export, destinées, à éviter d’assécher l’offre interne au bénéfice d’une demande externe offrant de meilleures
marges, à renflouer les caisses de l’État et à soutenir les populations et les secteurs les plus défavorisés.
106
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
Exemple 2.9 – Vietnam et Argentine, quelle attractivité pour les acteurs économiques
étrangers ? (6) Les organisations étrangères face à l’enjeu d’adaptation
Au Vietnam, les pressions externes, comme l’attitude des autorités permettent à ces der
nières – et, même les incitent – à s’inscrire dans une démarche de long terme,
d’horizontalisation et, dans une certaine mesure, de verticalisation, y compris dans des
activités fortement capitalistiques, même si de nombreux facteurs d’instabilité et le
caractère encore très dirigiste des autorités locales demeurent des sujets de préoccupa
tion, particulièrement lorsque, comme en 2011-2012, se dessinent des changements au
sein des organes de direction politique et économique du pays.
En Argentine, en dépit de fondamentaux économiques largement favorables, l’instabilité
persiste. Le comportement des pouvoirs publics conduit les organisations étrangères à
rester très attentistes face à l’imprévisibilité de l’environnement politique et social et du
pilotage de l’économie1, en tirant parti des avantages immédiats offerts par le pays
– comme l’excellent rapport qualification/coût de la main-d’œuvre –, pour des activités
nécessitant peu d’immobilisations, particulièrement celles qui sont tournées résolument
vers les marchés extérieurs (verticalisation).
C’est la conjonction de cette double prise en compte des enjeux d’adaptation, par
les autorités locales, d’une part, et par les entreprises étrangères, d’autre part, pour
faire évoluer leur offre respective, qui va suggérer les orientations susceptibles
d’être retenues pour les investissements directs étrangers. Celles-ci concerneront le
choix des activités comme les modes de présence à privilégier. Au Vietnam, cette
analyse encouragera l’engagement des organisations étrangères. En Argentine, à
l’inverse, elle les incitera à conserver, pour un certain temps encore, « profil bas »,
autant que faire se peut – dans certains secteurs, à tout le moins –.
L’enjeu de redéploiement, conduit les parties prenantes à revoir respectivement,
pour les autorités locales de leur territoire, le cadre de l’organisation économique et
les priorités sectorielles et, pour les organisations étrangères, leur portefeuille
d’activités et la structuration de leur chaîne d’approvisionnement et de production,
comme leur portefeuille de localisations :
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• Pour les autorités locales, cela suppose de prendre en compte les priorités de déve
loppement des infrastructures (en fonction de l’évolution du rythme de croissance
du territoire) et de reconsidérer les orientations sectorielles et industrielles
majeures à y privilégier, allant même jusqu’à faire évoluer l’image du territoire, en
mettant en avant un véritable « concept » qui y soit associé2 ;
107
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
• Pour les organisations étrangères, cela les engage à justifier et à faire évoluer leur
présence en fonction du potentiel local (débouchés, ressources) et de sa dynamique
d’ouverture internationale d’ensemble qui commande une optimisation permanente
de son déploiement géographique pour maximiser son efficacité (maîtriser au maxi
mum ses contraintes de coût, de respect des délais, de réduction des risques…). Cela
suppose aussi de multiplier les efforts pour s’intégrer à l’environnement local.
Concernant, les choix de secteurs, les atouts que chaque territoire a à développer
comme les handicaps qu’il a à combler, associés aux efforts d’adaptation que les
autorités ont engagés doivent constituer des signaux clairs pour les organisations
étrangères et leur permettre d’arrêter leurs choix stratégiques dans l’espace de réfé
rence ou d’expansion qu’il constitue pour elles, de manière à s’y insérer et à y évo
luer le plus harmonieusement possible.
1. Noter, en particulier pour les services financiers, que l’émission monétaire –le droit de battre monnaie- qui
échoit aux banques, sous le contrôle, il est vrai de la Banque Centrale, constitue, dans chaque pays, avec l’armée et
la police, un des trois attributs majeurs de la souveraineté nationale…
2. Ainsi PSA n’a pas hésité à développer son usine de montage dans la banlieue de Buenos Aires. Renault, il est
vrai, a préféré ne pas augmenter ses capacités locales en préférant de développer d’autres localisations, ailleurs, dans
le Mercosur (cf. Lemaire et Lopez, op.cit., 2008).
108
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
Exemple 2.11 – Vietnam et Argentine, quelle attractivité pour les acteurs écono
miques étrangers ? (8) Les organisations étrangères face à l’enjeu de
redéploiement :
Au Vietnam, il s’agira, pour les organisations étrangères, de chercher à satisfaire les
besoins d’infrastructure locaux comme à satisfaire les besoins de consommation courante
(F.M.C.G., fast moving consumer goods) et durable (durables). Ce n’est que dans un
second temps qu’elles pourront envisager de développer la production de biens et de ser
vices destinés à servir la demande internationale, en attendant, à un horizon plus lointain,
de proposer des produits et services originaux, dans des secteurs propres à tirer la plus
grande valeur ajoutée possible des avantages compétitifs locaux les plus originaux et les
mieux maîtrisés, en s’appuyant sur des infrastructures qui restent encore à développer.
En Argentine, à l’inverse, la priorité sera de minimiser leur exposition à l’instabilité
locale encore mal contrôlée par les autorités et d’échapper à l’arbitraire dont peuvent
faire preuve les dirigeants politiques. Cela revient donc à éviter les secteurs d’infrastruc
ture et à n’envisager des investissements consommateurs de capital que dans le cadre
d’une verticalisation bien comprise1, tout en retenant en priorité ceux qui sont aussi
insensibles que possible à la demande locale et offrant le moins de prise aux revirements
des politiques nationales. Les organisations étrangères doivent conjuguer au mieux
l’accès aux meilleures ressources locales pour des prestations essentiellement destinées
à des marchés extérieurs, en recourant à la participation des investisseurs locaux, dès lors
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que des immobilisations importantes sont à envisager, pour autant, toutefois, que ceux-ci
consentent à s’engager (comme, par exemple dans le secteur vini/viticole)…
Mais c’est la concurrence et son évolution qui vont constituer, à l’intérieur du ter
r itoire d’accueil comme sur les principaux marchés internationaux vers lesquels ses
agents économiques ont vocation à développer leurs exportations (et dans certains
cas leurs investissements), un élément décisif supplémentaire de la détermination de
l’orientation géographique des flux d’échanges et d’investissements.
L’enjeu concurrentiel, en effet, suppose de prendre la mesure des acteurs internes
et externes, privés et publics, des pays ou des territoires originaires ou destinataires
1. L’accès au Mercosur peut constituer pour des investisseurs directs étrangers une incitation supplémentaire à
s’implanter en Argentine, dans la mesure où il offre, dans une perspective d’« horizontalisation élargie », des débou
chés proches multipliés par rapport au seul potentiel du pays.
109
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
110
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
En définitive, rien n’est acquis dans le contexte des zones émergentes, ni pour les
autorités territoriales, ni pour les organisations étrangères ; sans doute parce que
l’ouverture croissante des territoires s’y effectue dans un contexte d’internationali
sation accélérée, faisant sans cesse évoluer les pressions de l’environnement,
internes comme externes. Les opportunités et les menaces y évoluent sans cesse,
rendant difficile la maîtrise de la conjoncture, la stabilité des intérêts respectifs des
parties et, donc, la pérennité des options stratégiques prises.
Ce qui conduit, en continuant à se référer à l’exemple de ces deux pays, à proposer
un cadre de positionnement et de prise de décision susceptible d’être utilisé par les
investisseurs, mais aussi par les donneurs d’ordre, importateurs et exportateurs,
orientés vers l’un ou vers l’autre. Ce cadre d’analyse pouvant, bien sûr, être appliqué
à une grande variété d’autres territoires
En associant les éléments de synthèse qui viennent d’être dégagés aux deux
premiers niveaux du modèle PREST appliqués aux exemples d’espaces de réfé
rence comme le Vietnam et l’Argentine, deux axes pourraient être privilégiés
pour les positionner les uns par rapport aux autres en termes d’attractivité et pour
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1. Voir ibidem J.-P.Lemaire, in E.Milliot et N.Tounoisop.cit., voir aussi J.-P. Lemaire, « Pays émergents : les
investisseurs au pied du mur », L’Expansion Management Review, juin 2010.
111
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
–– d’autre part, la cohésion sociale qu’on peut observer entre les groupes sociaux et
culturels, de quelque nature qu’ils soient, sur la base d’une valorisation de leurs
différences plutôt que de leur exacerbation, au sein du territoire considéré.
• Un second axe correspondrait aux « ressources », autrement dit à la capacité du
territoire à tirer parti de ses ressources et à développer ses infrastructures, au
profit de ses ressortissants comme de ses partenaires étrangers. Ces « ressources »
s’envisageraient, respectivement :
–– en termes d’actifs matériels « naturels » (matières premières, climat, paysages,
cadre de vie, patrimoine culturel visible…) et immatériels (image, histoire et
culture, niveau de sécurité, qualité de l’accueil des habitants…) ;
–– en termes d’infrastructures tangibles (routes, ports, aéroports, accès aux « uti
lités » -électricité, eau, gaz, télécommunications, Internet haut débit…-) et
intangibles (système éducatif, cadre juridique, réactivité/pro activité des admi
nistrations…).
Ces deux axes appliqués à l’attractivité des territoires, permettent, tout à la fois, de
dessiner – sinon de prescrire à coup sûr – un certain nombre d’orientations opéra
tionnelles pour les parties prenantes, autorités territoriales et organisations étran
gères, en leur permettant, notamment :
–– de déterminer dans quelle perspective – horizontalisation et/ou verticalisation – les
relations de production et/ou d’échange pourraient être prioritairement envisagées ;
––d’identifier les secteurs, où l’offre ou les besoins locaux bénéficient du contexte le
plus favorable pour développer des transactions et/ou mener à bien des
implantations ;
––d’estimer le niveau des immobilisations (cf. investissements) et des engagements
(cf. encours de crédit client) acceptables, pour minimiser l’exposition aux risques
locaux ;
––d’envisager le mode de présence ou de relation le plus approprié, permettant un
contrôle et un partage satisfaisant de ces risques, en partenariat ou non avec des
acteurs locaux ou étrangers.
En croisant ces deux axes « résilience » et « ressources », le modèle « 4 x i » pro
ose quatre quadrants qui permettent de faire le partage entre les territoires et que
p
l’on peut, en l’occurrence, appliquer aux pays émergents, envisagés du point de vue
des investissements directs étrangers, sans préjudice d’applications à d’autres caté
gories de territoires – régions, municipalités… – évoquées plus haut – 1 et de tran
sactions (import, export, sous-taitance…).
1. L’indexation de ce modèle fait l’objet d’une recherche permettant, notamment, d’identifier les index existants
les plus propres à mesurer les différentes dimension invoquées et de les pondérer pour procéder, d’une part au posi
tionnement des pays ou des territoires considérés, d’autre part, à l’analyse dynamique de leur évolution. Cette
recherche comporte la consultation d’organismes spécialisés dans l’analyse du risque international (ECA, Export
Credit Agencies) ainsi que d’ institutions multi gouvernementales (Banque mondiale, FMI, OMC…), pour détermi
ner la pertinence de certains indices – Gini, Indice de Développement Humain, etc.
112
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
+
« INSISTANTS » « INCONTOURNABLES »
« IMMATURES » « INCERTAINS »
(prenant en compte les différents niveaux de l’analyse PREST, à partir des pressions externes,
structurelles et conjoncturelles politico-réglementaires, économiques et sociales,
technologiques, s’appliquant aux territoires/espaces de référence ou d’expansion)
Dans une démarche partant de l’analyse jusqu’à la prise de décision, ces quatre
quadrants permettent de positionner les différents territoires considérés et d’en
observer l’évolution dans le temps, pour permettre aux autorités, comme aux orga
nisations étrangères d’en tirer les implications opérationnelles qui en découlent.
1. Le Qatar pourrait-il s’intégrer, s’il ne s’intègre déjà, dans ce groupe (cf. exemple 2.2 « Un nouveau venu très
actif sur la scène internationale : le Qatar ». ) ?
113
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
114
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
Pour les autorités locales, issues souvent d’une tradition dirigiste, ou, à l’inverse,
possédant ou ayant su acquérir une culture consensuelle facilitant la conciliation
entre les différents groupes sociaux, ethniques et/ou économiques1, la difficulté est
de progresser dans tous les domaines à la fois, souvent dans un cadre géographique
et économique et/ou social, hétérogène. Il conviendra, pour elles, en faisant évoluer
les mentalités – les leurs, comme celles des différents groupes sociaux et écono
miques qui se contoient sur le territoire considéré –, de hiérarchiser les priorités dans
un cadre suffisamment souple pour s’adapter aux mutations plus ou moins brutales
de leur environnement. Il leur faudra aussi contrôler les dérapages inévitables (gou
lots d’étranglement), en s’appuyant, autant que faire se peut, sur les organisations
étrangères et internationales, publiques et privées susceptibles de leur apporter les
ressources qui leur font le plus cruellement défaut et qu’elles tarderaient trop long
temps à acquérir par elles-mêmes.
Pour les organisations étrangères, l’insuffisance des infrastructures et la montée
en puissance de la consommation qui caractérisent le plus souvent ces territoires
désignent tout naturellement les secteurs cibles – infrastructures et produits de
grande consommation –, la nature de leur démarche d’approche – en l’occurrence,
conquête de parts de marché (horizontalisation plutôt que verticalisation)- comme
les modes d’entrée à privilégier (permettant une importante exposition au risque.
Pour faciliter les relations avec les autorités et avec l’environnement local et/ou si
l’organisation ne souhaite pas assumer seule des risques et des coûts d’immobilisa
tion trop élevés (sole venture), une entreprise conjointe avec un acteur étranger ou
un partenaire local – surtout si les autorités l’imposent – (joint venture) constitue un
mode d’entrée envisageable, au moins à titre transitoire, dans la perspective d’un
contrôle à 100 % si l’évolution favorable attendue se confirme et si le cadre insti
tutionnel se révèle suffisamment évolutif.
1. Ce pourra être le cas, notamment de pays africains, comme l’Afrique du sud ou du Ghana, qui ont su déve
lopper, bien que parfois dans la douleur, une véritable approche démocratique, rendant le dialogue plus facile, au
niveau économique, en interne comme en externe. Cf. L. Zinsou, « Dynamiques économique et politique », in « La
démocratie en Afrique », Pouvoirs n°129 - avril 2009 -. « Afrique : les chemins de la croissance » dans Problèmes
économiques, La Documentation française, n°2.906, 13 septembre 2006.
2. Comme le montre la difficile reconversion, en Russie, de certaines activités tournées vers la défense.
115
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
internes et externes de la conjoncture (cf. dépendance des prix des matières pre
mières qui représentent souvent pour eux la source première de leurs revenus).
Les autorités locales, gagneraient à développer, au-delà des difficultés à gérer le
court terme et les tensions éventuelles entre groupes sociaux, religieux et/ou eth
niques1, une approche à plus long terme, intégrant davantage les attentes et les
comportements des partenaires économiques étrangers, dans les secteurs clés
offrant les interactions les plus fructueuses pour les différentes parties prenantes.
Le but visé serait de pérenniser les relations avec ces organisations étrangères, en
cherchant à conforter progressivement l’image du territoire vis-à-vis de celles-ci,
tout en stimulant, en interne, la prise de conscience des bénéfices d’une plus grande
ouverture internationale, comme la volonté de se ménager les moyens d’en tirer
parti.
Les organisations étrangères, en dépit de l’attrait que présentent ces territoires en
termes de ressources et, à un moindre titre, d’infrastructures, ont à considérer le
risque comme un élément majeur, en limitant autant que faire se peut leur exposi
tion. Ce qui suppose, de leur part, de privilégier la verticalisation plutôt que
l’horizontalisation, dans des secteurs peu capitalistiques, jugés non stratégiques par
les autorités, en mettant en œuvre les facteurs de production locaux à plus forte
valeur ajoutée, en partageant les investissements avec des partenaires locaux et/ou
étrangers, en visant des clientèles non domestiques, pour ne pas dépendre de l’insta
bilité de la demande locale.
1. L’après « Printemps arabe » a révélé, après la disparition de régimes autoritaires laïcs, l’intensité des conflits
latents opposant différentes religions ou groupes religieux, et dont la liberté reconquise a permis l’expression, créant
une réelle difficulté à établir, en Tunisie, en Lybie, comme en Égypte, un pouvoir politique stable, largement accepté
par la population, et, a fortiori, à relancer les activités économiques dans un climat apaisé (voir « The Arab
awakening : Revolution spinning in the wind », The Economist, 16/7/2011).
116
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
Le Vietnam, caractérisé par un niveau d’infrastructures encore limité et par une appré
ciable stabilité économique et politique, mais aux autorités locales animées d’une grande
détermination, pourrait figurer dans la catégorie des « insistants », avec la perspective
d’évoluer, à un horizon, certes, encore éloigné, vers le groupe des « incontournables ».
Ce qui engagerait les organisations étrangères à s’impliquer dans le secteur des infra
1. Cf. souvent financières, comme la Banque Asiatique de Développement, la Banque inter américaine de déve
loppement, la Banque Asiatique de Développement, au niveau continental, et, bien sûr, le Fonds Monétaire Interna
tional, la Banque Mondiale, la société financière Internationale, etc., mais aussi, spécialisées, comme l’Organisation
Mondiale du Commerce, l’Organisation Mondiale de la Santé, l’Organisation Internationale du travail… dans les
situations de conflit ouvert, c’est à des organisations comme l’ONU ou l’OTAN d’intervenir pour essayer de faire
cesser les violences et rétablir dans la mesure du possible l’état de droit. Pour les organisations non gouvernemen
tales, voir repère 1.9. La montée en puissance des Organisations Non gouvernementales et de la « Société Civile
Internationale »
2. C’est le schéma adopté par les entreprises chinoises, en Afrique notamment (cf. supra)
117
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
structures (incluant les filières à réhabiliter et à mettre à niveau, dans le secteur énergé
tique, touristique ou agroalimentaire, notamment), pour autant, comme cela semble être
actuellement le cas, que les autorités leur en ouvrent les portes de manière motivante et
avec des garanties suffisantes. Pourraient être aussi envisagés des investissements dans
les secteurs où la demande est actuellement forte, en tirant parti de la hausse du niveau
de vie, en particulier dans les zones urbaines (cf. automobile, deux roues, équipement du
foyer, biens de grande consommation, grande distribution…), avec, cependant, le risque
de voir les acteurs locaux monter en puissance…
L’Argentine, bénéficiant d’un niveau d’infrastructures d’assez bonne qualité et d’une
grande variété de ressources, tant minérales qu’agricoles, souffrant cependant, d’une
instabilité chronique – dépendant davantage du comportement des acteurs politiques et
économiques que de l’instabilité de l’environnement externe –, pourrait être placée parmi
les « incertains ». Les investisseurs devraient donc plutôt se diriger vers les secteurs
structurellement exportateurs (miniers et de première transformation, agroalimentaires,
ou encore, à valeur ajoutée technologique), sur lesquels la demande interne aurait relati
vement peu d’impact. Dans les autres secteurs, les perspectives seraient plus difficiles à
déterminer, du moins tant que les orientations des autorités locales resteront imprévi
sibles vis-à-vis des investisseurs ; ce qui n’engage pas, même à moyen terme, à considé
rer autrement les opportunités qu’offre ce pays.
L’analyse de l’attractivité des territoires conduit donc, comme ici, à travers l’appli
cation successive du modèle PREST puis du modèle « 4 x i », aux espaces émergents,
pris ici comme exemples, à mieux identifier les enjeux qui découlent des contraintes
de l’environnement et de distinguer les différents choix stratégiques possibles. Chaque
territoire peut être utilement positionné de façon dynamique, pour autant que l’on soit
attentif à l’évolution de son environnement, en suivant celle des pressions externes,
pour faire évoluer les stratégies déployées, de manière à tirer le plus grand avantage
des opportunités qu’il offre, mais aussi en tenant compte de ses handicaps.
Il convient donc de s’attacher, à titre complémentaire, à partir de leur perception
au niveau des territoires, aux risques, omniprésents dans cette analyse, dont il
apparaît nécessaire de préciser la nature, d’apprécier l’ampleur, de mesurer l’impact
opérationnel pour les acteurs, afin de mobiliser les modes de couverture appropriés,
auxquels les organisations peuvent avoir recours pour s’en prémunir.
Section
3 La prise en compte du risque :
« macrorisques » et « microrisques »
Pour les organisations, les mutations de l’environnement international doivent
également être perçues en termes de contraintes externes ou de menaces – notam
ment, de risques – à anticiper. Ce qui suppose, pour les organisations, l’adaptation
118
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
de leur structure et de leurs procédures pour en limiter l’exposition et pour les cou
vrir, lorsque l’on ne peut les éviter.
Mais, tout autant que les risques, à proprement parler, ce sont des obstacles de
toutes sortes à surmonter qui peuvent considérablement contrarier le développement
de courants d’affaires en direction de nombre de pays. Il est des indicateurs qui ne
trompent guère sur les difficultés que les firmes étrangères peuvent rencontrer dans
certains territoires, comme le fameux index « Ease of doing business » que publient
tous les ans la Banque mondiale et sa filiale, la Société financière internationale.
c Repère 2.5
Ease of doing business index
À la différence des indicateurs de risque pays des agences de notation, des sociétés
d’assurance-crédit ou des cabinets spécialisés, cet indicateur est destiné à mesurer les
dispositions légales et réglementaires qui affectent directement le développement des
courants d’affaires, sans directement prendre en compte la proximité des marchés clés,
la qualité des infrastructures, l’inflation ou la sécurité. Le classement des pays est basé
sur la moyenne de 10 sous indicateurs, prenant d’abord en compte, de façon compo
site, un certain nombre de données pratiques, comme le temps des formalités, leur
complexité, leur coût, etc., lesquels concernent :
––le démarrage d’une affaire ;
––l’obtention d’un permis de construire ;
––le recrutement du personnel ;
––l’enregistrement d’un local commercial ;
––l’obtention d’un crédit ;
––la protection des investisseurs ;
––le paiement des taxes ;
––le passage en douane ;
––l’entrée en vigueur des contrats ;
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119
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Les différences sont très marquées et, si on s’attache à aller plus avant dans la
compréhension de ce classement, particulièrement dans les ECR, on découvre des
rigidités structurelles qui rendent difficile l’établissement et le développement de
courants d’affaires dans de nombreux secteurs, comme de grandes disparités entre
régions. Ce qui oblige, au-delà de l’attractivité d’un pays considéré dans son
ensemble, à prendre en considération des éléments plus précis pour cibler, à l’inté
rieur du territoire visé, surtout s’il est grand, un ou des sous-ensembles géo-
économiques plus restreints avec lesquels les transactions comme l’implantation
seraient facilitées. En témoigne le cas de l’Inde dont le caractère composite, l’exis
tence de grandes différences entre États, tout comme la difficulté à faire évoluer la
législation fédérale qui régit les activités économiques limitent considérablement
l’accès aux opportunités que recèle ce « marché au milliard ».
1. C’est ainsi que titrait le dossier spécial consacré à l’Inde de The Economist du 28/9/2012, « India : in serach
of a dream ».
120
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
en Orissa et dans plusieurs autres États limitrophes. D’autres États du Nord, comme le
Penjab, riche État agricole, faisant, cependant, exception dans cette partie moins dyna
mique du pays.
La décentralisation du pouvoir et les particularismes – culturels, juridiques, fiscaux… –,
des États constitutifs de cet énorme espace fragmenté, qui est loin de constituer un « mar
ché unique », expliquent la relative difficulté à y faire circuler les marchandises, les droits
indirects, comme les droits d’accise1 ou les octrois, s’appliquant notamment au passage
des frontières internes. La mise en oeuvre de la taxe à la valeur ajoutée, la Generalised
Sales tax (GST), si longtemps retardée, par l’opposition de certains Etats est désormais
laissée à la discrétion de chacun d’entre eux par un vote de la majorité du Congrès.
Les initiatives prises par les autorités locales de créer des « zones économiques spé
ciales », zones franches où les lois fédérales jugées rétrogrades par de nombreux chefs
d’entreprise, ne s’appliquent pas, fragmentent encore plus un tel espace. À leur corps
défendant, car ils mesurent bien le risque que présente la concentration de l’activité dans
ces parties appelées à devenir les plus riches du pays, de nombreuses entreprises
indiennes s’y sont déjà concentrées, comme nombre d’entreprises étrangères. Elles y
bénéficient, les unes et les autres d’avantages, financiers et, surtout, fiscaux, sous forme,
en particulier, d’exonérations de taxes, les tax holidays. Sans parler de la possibilité
d’échapper à un droit du travail particulièrement contraignant, dont les multiples dis
positifs – notamment concernant le droit de licenciement – paralyseraient certaines
activités, comme le très saisonnier secteur de la confection. L’esprit tatillon et la corrup
tion qui leur sont reprochés dirigent sur les inspecteurs du travail, chargés de le faire
respecter, les feux de la critique. La fin des Accords Multifibres, en 2005, qui devait faire
exploser les exportations indiennes de produits textiles, avec sa main-d’œuvre bon mar
ché et sa production locale d’un excellent coton, est loin d’avoir tenu ses promesses :
même si elles ont sensiblement augmenté, elles représentent six à huit fois moins que
celles des Chinois.
Mais ce n’est pas pour autant que les investisseurs directs étrangers ont la vie plus facile
que les entrepreneurs locaux : un certain nombre de secteurs leur sont encore fermés,
comme, la grande distribution, dont l’ouverture est cependant annoncée depuis long
temps, mais dont on craint qu’elle ne ruine les centaines de milliers de kirana stores,
micromagasins qui assurent l’essentiel de l’approvisionnement des citadins indiens.
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121
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Même si les formalités d’installation, et même l’obtention des licences, se sont sensible
ment allégées, en particulier dans certaines grandes villes, le red tape – la contrainte
administrative – reste omniprésent, comme son corollaire, la corruption, qui, aux niveaux
les plus modestes de la hiérarchie, vient compenser la faiblesse des salaires, mais affecte
toujours, de haut en bas, l’ensemble du système économique et contribue à ralentir les
flux d’échanges et d’investissements entre ce pays si prometteur et l’extérieur. Les défis
structurels, tels que les meilleurs observateurs indiens1 les identifient, conditionnent les
transformations nécessaires qui devraient éviter le retour au taux de croissance « à
l’indienne » (3 %), à opposer aux taux records de 8 à 9 % atteints depuis 2003 et avant
la crise financière : ce sont l’« inclusion » des 600 millions de ruraux parmi les bénéfi
ciaires de la croissance, la montée en puissance et le rattrapage des Etats les plus pauvres,
la génération et la diffusion de l’innovation à travers le pays, le primat de l’éducation et
la mise en valeur des ressources humaines qui éviteront cette stagnation relative. C’est au
prix considérable d’un plus large consensus politique, si difficile à obtenir, gage d’une
plus grande cohésion sociale, et d’une plus large confiance en eux que les habitants de ce
vaste pays pourront réaliser ce « rêve indien », encore bien lointain, auquel, de l’exté
rieur, nombre d’acteurs économiques veulent déjà et voudront s’associer.
Au-delà de ces difficultés multiples, dans des espaces aussi complexes, la prise en
compte des risques proprement dits conduit à en distinguer deux catégories sur un
plan externe (par opposition aux risques internes à l’entreprise2) :
––les opportunités et menaces inhérentes aux différents contextes locaux (macro
risques ou risques pays) ; ceux, précisément, qui sont directement liés aux terri
toires avec lesquels l’organisation développe ou souhaite développer ses
relations ;
––les risques spécifiques, opérationnels, associés aux différents aspects et étapes des
opérations internationales de vente, d’achat, de sous-traitance ou d’investissement
(microrisques) ; souvent envisagés sans prendre en compte le contexte géogra
phique dans lequel elles se déroulent, alors que cet environnement, où se déve
loppent, bien souvent, des macrorisques en sont à l’origine, comme « faits
générateurs de sinistre »3.
1. Comme en faisait état Tarun Das, ancien dirigeant de la Confédération of Indian Industry, dans un article inti
tulé « Is India heading back to ’Hindu’ rate of growth ? », The Straits Times, 26/9/2012.
2. Ceux qui résultent de retards, liés à des grèves ou à des disfonctionnements internes, ou encore de défauts
d’organisation. Ceux, aussi, qui relèvent de malfaçons ou de défauts de conception ou de fabrication imputables aux
équipes du fournisseur ou de fabrications réalisées sous sa responsabilité. Ils se traduisent par des performances
insuffisantes, inférieures à celles prévues au contrat ou au cahier des charges. Particulièrement dommageables aux
entreprises de biens d’équipement réalisant souvent « sur mesure » des commandes complexes, ces risques suppor
tés par le client font l’objet de clauses contractuelles qui peuvent se révéler très couteuses pour le fournisseur :
pénalités de retard, de performance, suscitant la mise en place de cautions de bonne fin ou de bonne exécution (per
formance bonds), dont l’invocation souvent abusive par le client peut constituer un risque en soi pour le fournisseur.
(cf. Lemaire J.-P. et J.Klein, Financement international des entreprises, Explicit, Vuibert, 2006).
3. Selon l’expression traditionnelle utilisée par la Compagnie Française d’Assurance pour le Commerce Exté
rieur, la Coface.
122
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
c Repère 2.6
Du risque politique au risque pays1
Dans la terminologie des compagnies d’assurance spécialisées dans la couverture des
risques propres aux opérations internationales, comme la Compagnie française
d’assurance du commerce extérieur, la Coface, longtemps entreprise publique avant
d’être privatisée en 1994, la catégorie des « risques politiques » recouvrait traditionnel
lement trois types de « faits générateurs de sinistre » :
––les risques politiques proprement dits : guerre civile, guerre étrangère, changement
brutal de régime (exemple : le renversement du chah d’Iran en 1979 et la dénoncia
tion par le nouveau régime de tous les engagements pris par son gouvernement à
cette date vis-à-vis des entreprises originaires des pays occidentaux) ;
––les catastrophes naturelles, pour autant qu’elles aient un caractère suffisamment
important pour affecter une zone économique particulière (comme le tsunami du 26
décembre 2004 dans le Sud-Est asiatique ou la « triple catastrophe ayant frappé le
Japon, le du 11 mars 2011,) ;
––l’interruption de transfert, engendrée par une décision gouvernementale ou résultant
de l’incapacité du système financier d’un pays à faire face aux engagements de paie
ment et de remboursement de ses dettes pour le compte des agents économiques du
pays (par exemple, la crise argentine de décembre 2001).
Ces différents types d’événements – à caractère macroéconomique – peuvent entraîner,
au niveau microéconomique, la suspension des paiements dus à un fournisseur par un
client exerçant son activité dans le pays où ils se produisent. Ainsi, une interruption de
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
123
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
du risque commercial. Celui-ci constitue un fait générateur de sinistre de nature micro
économique, puisqu’il procède de l’insolvabilité – temporaire ou permanente – du client,
directement liée à sa gestion et indépendamment de l’influence de l’environnement.
Au-delà du « risque politique, du risque catastrophique et du risque de non-transfert »,
qui en constituent toujours le cœur, le concept de « risque pays » tend à le dépasser,
en y incorporant d’autres facteurs d’instabilité ou d’incertitude propres à affecter les
transactions commerciales ou les investissements. Sans prétendre à l’exhaustivité, des
facteurs comme l’instabilité des réglementations ou la non-application des garanties
légales, la partialité des juges, la corruption, etc., sont désormais retenues, tout comme
l’inflation galopante, les désordres sociaux (cf. grèves, émeutes…), comme, de manière
générale, tout facteur susceptible d’affecter directement ou indirectement le déroule
ment ou la bonne fin d’une négociation, le déroulement ou la conclusion d’une tran
saction ou l’exploitation d’un investissement.
Les risques pays font, de plus en plus, l’objet d’évaluations spécifiques – non seulement
de la part des sociétés d’assurance – crédit1 mais également des agences de notation
(Moody’s, Standard & Poor’s) dont les évaluations peuvent, elles aussi, influencer le
cours des opérations :
––ex ante, pour être prises en compte par les responsables stratégiques, commerciaux
et/ou financiers décidant de leur engagement dans telle ou telle opération d’import
ou d’export ou dans tel ou tel investissement, dans un pays donné ;
––ex post, pour déterminer le montant des « primes de risque » qu’il y aura à supporter
(majoration de taux d’intérêt ou de prime d’assurance), en fonction de l’évaluation
du risque et de son évolution anticipée.
c Repère 2.7
L’évolution récente de la localisation des risques pays2
Le risque d’incident de paiement en Europe du Sud est désormais supérieur à celui des
grandes économies à croissance rapide (ECR), comme l’Inde, le Brésil ou la Chine. Les éco
nomies de l’Espagne et de l’Italie, où les impayés des entreprises ont progressé de 50 % en
2011, obtiennent la note A4, soit la même que la Turquie, alors que la Chine, l’Inde et le Bré
sil obtiennent une meilleure note : A3. Cette vulnérabilité, selon la Coface qui attribue ces
notes, ne relève pas seulement de la conjoncture mais se trouve aggravée par des problèmes
structurels, comme, notamment, la faiblesse des investissements en R & D.
1. Ainsi, dans leur approche du risque pays, les experts du Ducroire, d’un point de vue macroéconomique, ana
lysent la liquidité du pays (obligations de paiement à court terme par rapport aux ressources telles que le niveau des
réserves en devises) et quantifient la confiance des marchés financiers dans le pays. Lorsque le risque est extrême
ment élevé, ils examinent l’existence (ou la probabilité) d’une guerre ou d’un embargo dans le pays. L’analyse
résultant de ces deux éléments est basée sur les sources d’informations les plus fiables, telles que le Fonds Monétaire
International, la Banque Mondiale, l’« Institute of International Finance », l’« Economist Intelligence Unit », etc.
Le résultat final prend également en compte leur propre expérience de paiement ainsi que celle d’autres assureurs-
crédit. Ce résultat est alors traduit en une notation (http//www.ondd.be).
2. Cf. exemple I.1, « La roue tourne ».
124
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
1. Source : J.-P. Lemaire « La composante financière, élément essentiel du marketing international des biens
d’équipement et des projets », Revue française du marketing, n° 127-128, 1990, p. 2-3.
125
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Pour l’approche générale du risque pays (cf. tableau 2.4), et, à des fins de compa
raison, entre différentes orientations géographiques possibles ou entre localisations
déjà retenues par l’entreprise, la méthode multicritères a été adoptée par certaines
agences spécialisées1. Ces agences évaluent un certain nombre de variables, sur la
base des opinions d’un panel d’experts (méthode Delphi). Elles débouchent sur une
comparaison des opportunités/menaces correspondant aux différents pays, en adop
tant alternativement le point de vue de l’entreprise exportatrice, de l’entreprise en
quête d’investissements à l’étranger ou des banques appelées à financer des opéra
tions de développement international.
Pour l’approche et l’évaluation de l’environnement d’un projet déterminé, la méthode
des scénarios2 permet la description de systèmes complexes, soit en s’appuyant sur
l’analyse des discours des représentants des parties prenantes, soit, en référence aux
événements successifs qui ponctuent la progression d’opérations similaires, en analy
sant les évolutions possibles de « chaînes d’événements ». Se référant au passé, à l’envi
ronnement sociologique, économique, politique et culturel, sur la base d’une analyse
cohérente des enjeux, cette méthode permet d’anticiper, pour chaque hypothèse rete
nue, non seulement ses conséquences sur le niveau général de l’activité, mais encore
son incidence spécifique sur chaque domaine d’activité de l’entreprise considérée. Sur
la base des analyses ainsi réalisées, plusieurs stratégies sont possibles :
––dans le cadre d’une approche générale du risque pays, opérer des choix entre dif
férentes implantations et définir les modes de présence les plus appropriés ; cette
démarche constitue un élément clé de l’approche stratégique internationale et, en
particulier, de la sélection des localisations – cibles et du choix des modes de pré
sence (chapitre 8)3;
––dans le cadre d’un projet d’envergure, de décider ou non de sa poursuite (go – no
go), qu’il s’agisse de la réponse à un appel d’offres important, d’une entreprise
conjointe ou même d’un contrat cadre avec un ou des clients, dans une perspective
de long terme4;
––rechercher, de manière anticipée, les possibilités existantes de prévention ou de
couverture5, de manière à minimiser l’exposition aux menaces ainsi identifiées, en
s’appuyant sur une organisation et des cadres juridiques adaptés, ou en dévelop
pant des liens de dépendance mutuelle avec les partenaires et les institutions
locales.
1. Comme, aux États-Unis, le BERI ou Frost & Sullivan, ou en France, Credit Risk International.
2. Voir aussi Godet M., Prospective stratégique, tomes 1 et 2, Dunod, 2007.
3. Cf. repère 8.1 « La démarche d’établissement d’une grille comparative des opportunités de localisation ».
4. Cf. exemple 2.16 « Agrima ».
5. Cf. tableau 2.5 « Un exemple d’analyse multi critères ».
126
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
1. Les Échos, 9 février 2012 et « Indestructible Duralex », Le Monde, 4 mars 2010.
2. OSEO propose aux PME et entrepreneurs français de financer leurs projets : Création, Innovation, Investisse
ment, Développement International, Transmission (www.oseo.fr).
127
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
2. possible
50% 10% 100% 24%
Très élevé Engagements
maximum
3. à « geler »
40% Assurance 75% 21%
Élevé (- 3 % en
indispensable
20% francs
4. (COFACE ou
25% maximum constants) 50% 18%
Assez élevé équivalent)
pas plus que
5. Assurance l’inflation
10% 25%
Modéré souhaitable
6. 70 %
5% Augmentation
Faible minimum
(y compris pays maximum
7. 13.2%
Confiance industrialisés) 13% 10% 0%
Assimilable 12%
0% (10% réels)
pays Toute liberté
industrialisés
1. Nord-Sud Export/Credit Risk International. De l’analyse à la décision, 4 paramètres, 12 facteurs, 100 critères
Source : J.-L. Terrier, Dossier annuel, « Classement pays », Nord-Sud, Export, 1994.
128
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
couverts, soit par les assureurs export – notamment, la Coface, en France –, soit par
les banques ou certains opérateurs financiers spécialisés, les factors ou sociétés
d’affacturage, qui rachètent et, éventuellement, financent les créances sur l’étranger.
Période de Période de
Période d’exécution
prospection règlement/crédit
Période de
garantie
Risque d’acheminement
– Assurance transport
Risque de Risque Risque de
prospection d’annulation crédit
– Clause d’indexation
– Garantie risque économique
(cf. COFACE, biens d’équipement)
Risque de change
1. Source : adapté de : J.-M. De Leernsnyder et A. Simon op. cit, J.-P. Lemaire, Maîtrisez vos risques à l’expor
tation, Action Commerciale, mai 1983 ; « La composante financière, élément essentiel du marketing international
des biens d’équipement et des projets », Revue française du Marketing, n°127-128, 1990, p. 2-3.
129
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Au cours du salon, les responsables d’Agrima établissent des contacts fructueux avec les
représentants de groupements d’exploitants agricoles sud-africains, intéressés par les
matériels présentés par l’entreprise. Ils estiment que ces machines, particulièrement puis
santes et perfectionnées (vendues en France, départ usine, 85 000 euros/l’unité) seraient,
au prix de quelques légères modifications techniques (en faisant appel à des sous-
ensembles fournis par des firmes britanniques et canadiennes), mieux adaptées aux
besoins actuels de leurs adhérents que les produits présentés par la concurrence. Les Sud-
Africains envisageraient même, dans l’immédiat, la commande de 10 unités (à livrer
suivant l’INCOTERM1 DDP Delivered Duty Paid, Rendu Droits Acquittés, Capetown,
dans les entrepôts portuaires du groupement, avant la fin du mois de mars suivant), avec
des commandes – au moins équivalentes – pour les trois ans à venir. Ils souhaitent pou
voir bénéficier d’une assistance au montage et à la mise en route ainsi que de l’accès à
un service de maintenance local pour assurer l’entretien courant.
L’équipe des responsables d’Agrima (marketing, finance, production, achats), dont les
opérations internationales se sont bornées jusqu’à présent à l’Europe de l’Ouest, se
concertent pour évaluer les contraintes et la faisabilité de l’opération qui, par ailleurs,
semble venir à point pour compléter un carnet de commandes peu rempli.
Ils s’interrogent, notamment :
–– sur les compétences que doit maîtriser leur entreprise pour prendre en charge cette opé
ration ;
–– sur les phases successives et les points clés de l’opération ;
–– sur le contexte économique et politique sud africain, ainsi que sur les incertitudes, sus
ceptibles de peser sur ce possible courant d’affaires et, plus précisément ;
–– sur la succession des risques opérationnels2 associés à une telle vente internationale,
tout au long de son déroulement ;
–– sur les contraintes à prendre en compte par les services qui seraient impliqués en cas
d’aboutissement positif des négociations ;
–– sur les appuis externes accessibles pour les aider à mener à bien cette « première »
sud-africaine.
* société fictive
130
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Compagnies risques
logistique d’assurance
transport
Inspection Organismes
/agréage d’assuranc
Compagnie Cabinets
d’assurance e-crédit:
d’avocats
Transporteur transport cf. Coface
spécialisés
Factors
Transitaire Banques
Douane
commerciales
Banques
Chambres de spécialisées
commerce ENTREPRISE
(info, entrepôts). EXPORTATRICE
Sociétés de
Conseils Ubifrance Organismes crédit-bail
import/export Bilatéraux
Missions Cf. Agence française
économiques de développement
Conseillers du à l’étranger Organismes de financement
commerce extérieur multilatéraux
de la France Cf. Banque Mondiale BAD…
information financement
J.P. Lemaire
Figure 2.6 – Les parties prenantes externes à une opération de vente internationale (l’exemple français)
Dynamique internationale des territoires
■ Chapitre
131
2
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Avant tout, il convient de repérer les risques susceptibles d’être couverts par des
clauses spécifiques, dans le cadre des contrats de vente ou d’achat international
(cf. tableau 2.5), ou lors du montage d’opération d’investissement ou de partenariat
international. Par exemple, pour un contrat complexe portant sur la cession ou
l’acquisition d’un bien d’équipement (cf. Agrima), les points à surveiller plus parti
culièrement seront les suivants :
––le respect des délais aux différents stades de l’opération ;
––le respect des éventuels engagements sur les performances, sur le montage, sur la
maintenance ;
––le domaine et les conséquences de l’application de clauses de force majeure,
d’annulation, etc.
L’incidence de tels microrisques peut, bien sûr, être considérable et son apprécia
tion doit être effectuée le plus en amont possible dans la conception et la définition
de la stratégie de développement international, quelle que soit la forme (ou les
formes) que revêt ou revêtira sa mise en œuvre.
Ainsi, dans le cas d’« Agrima », les conditions de réalisation impliquent la prise
en compte de contraintes importantes liées aux risques inhérents à la nature et au
déroulement de l’opération, et à la logistique (du fait du choix de l’INCOTERM
Delivered Duty Paid /Rendu Droits Acquittés, – voir présentation des incoterms
132
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
c Repère 2.8
Les garanties bancaires dans le cadre des opérations de vente et d’achat
international : les cautions et le crédit documentaire1
1. Pour plus de précisions sur le crédit documentaire, les garanties de paiement, les mécanismes de transfert, les
cautions liées à l’export, voir J.P. Lemaire et J. Klein, « Financement international des entreprises », Explicit,
Vuibert, 2006, troisième partie, « Les outils financiers internationaux », p. 95 et suivantes.
133
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
restitution d’acompte), ou encore le risque résultant d’une non-exécution par le vendeur
de ses engagements au titre de la garantie pendant la période définie contractuellement
(risque de garantie). Pour s’en prémunir, en particulier pour les opérations importantes,
l’acheteur exige, habituellement, du vendeur, la mise en place, pour tout ou partie de
ces risques, de cautions, sous forme de lettres d’engagement de paiement, d’une
somme généralement forfaitaire qui lui servira, le cas échéant, par appel de la caution
correspondante, à obtenir le montant figurant sur cette lettre.
Les cautions sont le plus souvent mises en place par les banques (mais, parfois aussi,
par des compagnies d’assurance ou encore par une société mère), le plus souvent
avec un caractère irrévocable, c’est-à-dire sans possibilité d’annulation unilatérale, de
la part du vendeur ; avec, pour l’acheteur, la possibilité d’en obtenir le versement
immédiat, « à première demande », c’est-à-dire, sans avoir à justifier le bien fondé de
« l’appel à caution » (ce qui ouvre naturellement la porte aux appels abusifs de cau
tion, qui constituent un risque réel pour le fournisseur qui se trouve ainsi engagé).
Par ailleurs, ces cautions, donnant lieu à paiement de commissions prorata temporis,
courent (et coûtent) jusqu’à ce qu’elles aient fait l’objet d’une « main levée » (c’est-
à-dire d’une renonciation ou d’une restitution) formelle de la part de son bénéficiaire
sauf clause de « main levée » automatique.
134
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
c Repère 2.9
Les principales solutions de couverture du risque de change1
Du fait des variations de change, les entreprises exportatrices ou investisseuses (qui,
pour les premières, acquièrent des produits, des composants, des sous-ensembles, ou
encore, pour ses secondes, des actifs) les payent souvent dans la monnaie de leur pays
d’origine. Les premières rapatrient ensuite le montant du paiement effectué par leur
client ; les secondes, leurs bénéfices, dans une devise différente. Elles sont confrontées
à deux types d’exposition à ce risque :
––Le risque de change de transaction, est lié à la conversion des recettes perçues en
devises au titre d’une exportation, ou encore, à l’achat de devises, rendu nécessaire
par le règlement d’une importation. Il est susceptible de se concrétiser immédiate
ment par une perte (ou un gain) sur le différentiel de change (dépréciation/apprécia
tion intervenue entre la conclusion du contrat de vente ou d’achat et ce règlement) ;
–– Le risque de change de traduction ou de consolidation, est lié à la présentation des
comptes de l’entreprise, dont les éléments de calcul peuvent être affectés par l’aug
mentation ou la diminution de la valeur des actifs possédés par celle-ci, hors du
pays de la monnaie de référence (en général, celle du pays d’origine). De ce fait,
l’entreprise supporte un préjudice virtuel dans la mesure où ces actifs n’ont pas été
cédés (et sont donc susceptibles de bénéficier ultérieurement de variations moné
taires de sens inverse), avec, en termes réels, une « déformation » des postes
concernés et du résultat ; lequel peut être favorable ou défavorable, suivant le
cours de change utilisé pour le calcul de leur contre-valeur dans la monnaie de
consolidation.
Les modes de couverture (risque de transaction) sont variés, et peuvent s’appuyer :
––sur les clauses contractuelles : en choisissant pour la facturation la monnaie dans
laquelle les dépenses de fabrication sont libellées, ou en introduisant une clause
d’indexation aux fluctuations de change, ou une monnaie de compte ;
––sur l’organisation de la trésorerie de l’entreprise, en adoptant un système de compen
sation interne devise par devise (netting), s’attachant à faire coïncider le plus pos
sible, dans chaque devise utilisée, à des échéances déterminées, les flux créditeurs
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
135
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Biens de
consom- Facture Commande INCOTERM
mation pro forma
Entrée en
créance née
Lemaire J.-P.
Figure 2.7 – Les contraintes et leur prise en charge aux différents stades d’une
opération internationale
136
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
sements). C’est là le lien qu’il est nécessaire d’établir entre les microrisques et les
macrorisques analysés plus haut.
Ces contraintes devront être examinées :
––du point de vue des menaces (autrement dit, des « faits générateurs de sinistre »)
que cet environnement peut receler, et des opportunités qui peuvent s’y manifester,
compte tenu de ses ressources et/ou de sa dynamique économique propre ;
––du point de vue des conditions de réalisation ou de pérennisation de la relation
avec le pays ou la zone concernée, en prenant en compte sa stabilité économique
et politique, mais aussi ses composantes sociales et culturelles, son climat, etc.
Tous ces domaines relèvent de l’analyse préalable et permanente de la dimension
macroéconomique du développement international, et sont essentiels, non seule
137
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
ment à la bonne fin des opérations, mais aussi, plus en amont, dans le choix des
priorités géographiques et sectorielles opérées par les entreprises.
138
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
propre à lui faire proposer et obtenir des conditions lui permettant de faire valoir ses
intérêts en cas de différends avec ses clients, fournisseurs ou partenaires.
Elle peut recourir aux différents organismes et procédures de couverture externe
qui, au prix d’une prime d’assurance ou d’une commission, procurent à ceux qui en
font le choix ou qui n’ont que ce recours, les moyens de limiter ou de compenser
une perte, voire, dans certains cas, plus exceptionnels, d’en tirer des avantages ou
des bénéfices supplémentaires.
En cela, la prévention et la couverture du risque, comme la mise à profit des
opportunités déterminées par l’environnement international, constituent un aspect
primordial du développement international des organisations. Elles requièrent une
démarche préalable et permanente particulièrement attentive, devant s’intégrer à
la réflexion d’ensemble sur leurs choix d’orientation à l’international. Elles
complètent et précisent les analyses et les évaluations des facteurs qui les incitent
à initier, accentuer, modifier, faire évoluer leur processus de développement inter
national.
À ce titre, elles s’associent à l’indispensable démarche de veille (chapitre 5), qui
devient, de plus en plus, partie intégrante de leur démarche. Elles soulignent ainsi
la nécessité, pour elles, de considérer, parmi les réponses à l’évolution rapide de
l’environnement international, tout à la fois l’adaptation de leurs structures et pro
cédures internes et la prise en compte des risques, contraintes et opportunités
externes.
c Repère 2.10
Les différentes sources de risque et leur prise en compte stratégique
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
139
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
Les risques internes (risque « intérieur »)
Leur origine :
––la R & D, le processus industriel, la capacité de production (incidents de réalisation,
diffusion de la technologie) ;
––l’évaluation de l’opération, la maîtrise des coûts et des fournisseurs, sa mise en
œuvre (fiabilité technique, respect des délais, dérive des coûts, etc.) ;
––la capacité de financement de l’entreprise (capacité d’endettement, etc.).
Leur prise en compte :
––le diagnostic interne (capacités techniques, financières, ressources humaines, etc.) ;
––l’évaluation de l’opération (financière, technique, logistique, organisationnelle,
etc.) ;
––la couverture contractuelle (aléas, limitation de responsabilité, etc.).
Cas d’application
Morhul Design Jaipur*,
l’usine des champs ou « l’indo-french connection »1
Contrastant avec le grouillement de la ville qu’observaient discrètement, jadis, les
dignitaires de la Cour de Jaipur, derrière le fameux Mur des Vents qu’il surplombait
de son ocre rose, les petites routes de la plaine du Rajasthan, à quelques kilomètres
de sa capitale, semblent désertes. Des villages minuscules se succèdent ; où l’on ne
croise que quelques groupes de femmes, souvent superbement drapées dans leur
☞
* Dénomination fictive.
1. Ce cas dans sa version développée (avec notice pédagogique), est disponible en français et en anglais à la Cen
trale des Cas et des Moyens Pédagogiques. (Jean-Paul Lemaire, « Morhul Design Jaipur », disponible en 2013).
140
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
☞
sari ou, toujours hiératiques, en simple shalwar kamiz. Des enfants au sourire écla
tant se précipitent et font de grands signes d’amitié à Rahul, au volant de l’impo
sante Ambassador, aux formes surannées des années 50, encore fabriquée quarante
ans après, à la suspension indifférente aux fondrières…
Une imposante porte métallique protège l’entrée d’un ensemble de constructions ne
dépassant pas un étage, aux murs crépis d’un enduit jaune réfléchissant puissam
ment un soleil encore chaud de fin de l’après-midi. Sur la gauche, en entrant : un
entrepôt à claire-voie est bondé de meubles emmaillotés dans d’épaisses feuilles de
plastique à bulles, soigneusement arrimées avec de larges bandes adhésives, prêts à
être chargés dans un des containers de quarante pieds, qui partent d’ici, à une
cadence moyenne de 5 par mois pour fournir divers grossistes et détaillants occi
dentaux ou orientaux ; ce qui est loin d’être une bagatelle pour une si modeste
« usine » de campagne. Mais, ici, pas d’amateurisme ; le chargement s’effectue sui
vant les règles de l’art. Sur la droite, le service administratif, hébergé dans ce qui
serait, en Europe, une maison de gardien, avec quelques employés se dépêtrant
avec sérénité, d’une paperasse invasive qu’ils semblent maîtriser, alors que l’embal
lage se termine sous leurs yeux. Dans le prolongement de l’entrée, un bâtiment en
construction, encore hérissé d’échafaudages rudimentaires : il sera bientôt consacré
à la teinture et au travail des tissus d’ameublement.
Au milieu, une pelouse, plus prometteuse encore que fournie, combat résolument
la canicule grâce à un maillage dense de fins tuyaux d’irrigation ; de petits arbres
fruitiers quadrillent cet espace voué à la fraîcheur par l’hôtesse, Monique, chaleu
reuse provençale, qui accueille les visiteurs avec un large sourire et un accent chan
tant. Rahul l’a rencontrée en lui faisant visiter sa ville. Il se contentait, alors, entre
deux visites guidées, de collectionner les diplômes – de français, en particulier, mais
aussi, d’archéologie et de sociologie –, tandis que Monique, en rupture de ban pro
visoire avec ses magasins de l’Île de Beauté, ne se résolvait pas, même en vacances,
à vraiment décrocher : elle voulait, trouver des approvisionnements réguliers de
meubles anciens indiens pour les vendre à ses clients, en quête d’originalité pour
leur villégiature corse.
Dans un premier temps Rahul l’avait aidée de son mieux, s’escrimant à convaincre
pour elle les négociants locaux les plus retors d’être de parole, aussi bien sur les
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
délais, sur les marchandises promises, que sur les prix. Tant bien que mal, les tran
sactions se concluaient, les meubles, « copies d’ancien » (dans la nomenclature
douanière…) partaient et finissaient par arriver. Dans quel état et dans quels délais ?
C’était une autre histoire ! Mais pour Monique et, surtout, pour Rahul, ayant, entre-
temps, découvert la France, cette période a, sans doute, été l’occasion d’envisager
les choses différemment : désormais, ils maîtrisaient mieux, l’un et l’autre, ce qui
était susceptible de plaire au public occidental, s’étant même découvert des talents
de créateurs qu’ils ne soupçonnaient pas.
Bientôt, ils n’hésitent pas à envisager les choses différemment : par exemple, asso
cier des pièces anciennes à des meubles plus contemporains ; et, aussi – : pourquoi
pas ? – rechercher les techniques et les artisans qui maîtriseraient encore la
fabrication traditionnelle et leur demander de réaliser meubles et objets pour pro
poser des créations résolument « ethniques », en allant au-devant des goûts d’une
clientèle que Monique et, désormais, Rahul, ont appris à mieux cerner. La logique
☞
141
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
ne serait-elle pas de s’installer au cœur même du Rajasthan, au cœur de cette tra
dition, à portée de cette expertise, au contact même d’une main-d’œuvre familière
et, bien sûr, peu coûteuse ?
C’est en répondant progressivement à ces différentes questions qu’ils en sont arrivés
à maîtriser, une bonne partie de la filière – de la création à la distribution –, d’élar
gir leur clientèle, sans se limiter aux traditionnels estivants des rivages méditerra
néens. Et c’est, sans doute, l’usine champêtre du Rajasthan qui incarne le mieux leur
modèle à succès. Son organisation se lit dans le plan d’occupation d’un espace qui
concentre, en une presque parfaite unité de lieu, l’essentiel de la création, de la
production et de l’administration de l’entreprise. Au-delà de la « pelouse », un long
entrepôt fait figure de caverne d’Ali Baba : des meubles peints ou en bois sombre
– armoires, commodes, vaisseliers, mais aussi bibliothèques, tables basses, têtes de
lit… –, des créations composites mettant en valeur des éléments anciens souvent
récupérés avant qu’ils ne deviennent du bois à brûler, du fer forgé, accommodé en
éléments de mobilier – lits, chaises, étagères, paravents –, en accessoires de déco
ration – lampes, appliques, boutons de porte, cadres… –, des objets de verre et des
tentures aux couleurs vives, encore achetées à des fournisseurs locaux, mais qui
seront bientôt teintes et taillées sur place… Devant, se trouve le bureau de design
où sont reçus les prospects, qu’ils aient été « détournés » au centre ville ou ren
contrés fortuitement dans un train ; qu’ils aient été sensibilisés par le bouche-à-
oreille ou accrochés en surfant sur le net, ou encore, qu’ils fassent partie du réseau
de revendeurs qui référencent les produits de la petite entreprise franco-indienne…
Mais tout n’a pas été aussi vite : dans un premier temps, Monique et Rahul ont
continué à chiner dans tout le Rajasthan et au-delà ; mais, très vite, ils sont passés
à la fabrication : avec quelques artisans, débusqués dans des villages parfois loin
tains, encore au fait des techniques ancestrales du bois, du fer, du verre ou du tex
tile, la production s’est effectivement organisée sur place. C’est dehors, dans un
espace ouvert, adossé à l’entrepôt, sous un auvent de paille, les pieds s’enfonçant
profondément dans un tapis de copeaux, à côté des réserves de bois sélectionnés
par leurs deux commanditaires, que les compagnons indiens travaillent, avec toute
leur équipe. Outre les matières premières qu’ils sont tenus de leur fournir, Monique
et Rahul ont mis, petit à petit, à leur disposition, pour compléter l’équipement léger
qui leur appartient et qu’ils emportent avec eux, des outils à main, puis électriques.
Ce que ces itinérants qui passent auprès d’eux quelques semaines, le temps de
répondre à une commande, apprécient ; tout comme ils apprécient les cubes de
briques qui s’alignent le long du mur d’enceinte, constructions simples mais suffi
santes pour les abriter de la chaleur de l’été, comme du froid et de l’humidité qui
peuvent descendre, l’hiver, des montagnes proches.
Mais, même si les compagnons et leurs équipes se plaisent particulièrement dans ce
havre laborieux qui respecte leur indépendance, même s’il n’est pas difficile de
trouver 100 paires de bras supplémentaires pour faire face à un surcroît de travail,
les coutumes locales peuvent réserver des surprises. Ainsi, lorsqu’une fête ou un
mariage distrait de sa tâche tel ou tel compagnon, il peut s’absenter plusieurs jours
ou davantage, pour travailler, à son retour, sans discontinuer, vingt-quatre heures sur
vingt-quatre, de manière à tenir l’échéance. Ce qui ne rassure pas forcément
Monique, qui traque en permanence les malfaçons et revoit dans le détail chaque
☞
142
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
☞
expédition, afin de pallier les incertitudes consécutives à un mode de production
peu adapté aux standards modernes de qualité.
À leurs débuts, l’Inde, que l’administration Rao, en 1991, venait de décider d’ouvrir
aux échanges et de dégager progressivement d’un étatisme omniprésent, inspiré par
une relation de longue durée avec l’URSS, vivait dans un état de quasi-autarcie. Les
lourdeurs administratives, qui le doivent, aussi, à un formalisme tatillon hérité de
l’ère coloniale, atteignaient alors un paroxysme : l’obtention de la moindre autori
sation pouvait prendre des jours et exiger le versement à des fonctionnaires sous-
payés de dessous de table conséquents. Depuis, les choses ont évolué de manière
perceptible, le pays s’ouvrant chaque jour davantage, dans les principes comme
dans les faits : l’avènement de l’Organisation mondiale du commerce et l’abaisse
ment des barrières douanières nationales à l’import permettant, à titre de réci
procité, aux produits locaux d’être moins taxés à leur entrée sur les marchés
étrangers. Quant à la suppression, au 1er janvier 2005, des accords multifibres, elle
permettrait de faire de l’Inde un des principaux bénéficiaires potentiels de cette
ouverture, particulièrement pour ses produits d’artisanat et son textile, un des sec
teurs de prédilection de l’entreprise.
De fait, la diffusion internationale de leur production n’a cessé, au fil des années,
de se développer : tout d’abord à l’usage exclusif des boutiques corses de Monique,
puis en réponse à des commandes d’antiquaires et décorateurs amis, qui se sont
multipliées. Ils constituent désormais, les principaux clients d’une indo-french
connection, originale dans sa conception comme dans son organisation. Et son
réseau de contacts s’élargit, vers d’autres pays d’Europe, comme l’Espagne ou
l’Allemagne, et vers les États-Unis. C’est aussi du Golfe que vient une demande qui
s’amplifie, d’acheteurs sensibles aux designs orientaux. Si le site Internet de
« Morhul Design Jaipur » n’est pas toujours accessible, certains de ses produits sont
dûment répertoriés sur divers portails d’achat en ligne qui permettent à sa zone de
chalandise virtuelle de s’étendre encore…
Pour Monique et Rahul, au départ, peu familiers des complexités de l’export, ces
nouveaux déploiements ont pu constituer, parfois, un vrai casse-tête, en dépit de
l’expérience déjà acquise, laborieusement, dans le négoce d’antiquités : il leur a
fallu se mettre en contact avec des transitaires et des transporteurs pour acheminer
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leur production jusqu’à Bombay, la faire charger et la diriger vers les destinations
les plus diverses, rédiger des contrats, se familiariser avec les circuits et les modes
de règlement, évaluer les nouveaux risques et les nouveaux besoins de leur acti
vité.
Dans le cadre de leurs opérations devenues plus régulières, ils ne sont, en effet, plus
de simples négociants, puisqu’ils fabriquent désormais eux-mêmes. De plus, une
partie importante de leur fabrication est destinée à des nouveaux clients, naturelle
ment moins souples que leurs habituels « clients maison ». Les liens s’étant noués
de plus fraîche date, ils sont, bien sûr, plus formalistes : le niveau de confiance
mutuelle pouvant varier considérablement. En conséquence, le problème se pose,
notamment, de choisir un mode de règlement adapté à chaque relation commer
ciale et à son évolution dans le temps pour en limiter les risques et les coûts ; tant
pour eux-mêmes que pour des clients qui imposent, le plus souvent, des conditions
techniques, commerciales ou financières spécifiques (fabrications sur mesure,
☞
143
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
exclusivité sur certaines zones, larges délais de crédit, dates de livraison pré
cises…).
Entre l’ami grossiste toulousain ou parisien, la chaîne de meubles exotiques améri
caine, l’importateur australien, le négociant de Dubaï, pour ne citer que quelques
profils types, les paramètres à prendre en compte sont très divers : le premier est un
interlocuteur, certes, ancien et régulier, mais sa surface financière est limitée, la
seconde, très exigeante, commande des volumes souvent très importants et se
montre particulièrement à cheval sur les délais de livraison, tirant systématiquement
à l’extrême – jusqu’à 90 jours – les échéances de paiement, le troisième, client
encore très irrégulier, tend à imposer des adaptations spéciales, aux goûts de sa
clientèle, quant aux derniers, certes, plus rapides dans leurs règlements, ils ne sont
pas toujours clairs dans l’expression de leurs besoins.
Désormais, aussi, le risque de change est devenu une préoccupation majeure, même
si la roupie n’a guère tendance à être surévaluée, à la satisfaction des exportateurs
indiens. Proposant des tarifs en euros à ses clients et prospects européens, Rahul et
Monique tiennent à rétrocéder une partie du bénéfice de change résultant de l’évo
lution favorable des cours à leurs clients privilégiés. Ils restent, cependant, à leur
merci, lorsqu’une remontée de la roupie vient, à l’inverse, écorner leur marge.
Par ailleurs, si les temps de fabrication sont relativement courts (quelques semaines),
le transport dure à peu près autant et ils doivent accorder à certains de leurs distri
buteurs des délais de règlement suffisamment longs pour leur permettre d’écouler
une proportion raisonnable des marchandises expédiées… Cela se traduit, soit par
des retards de paiement, soit par la négociation de délais prolongés qui tendent à
assécher leur trésorerie.
Le système bancaire indien qui se développe rapidement, mais encore très tourné
vers les seules transactions domestiques, a encore beaucoup de progrès à faire pour
répondre aux nouveaux besoins générés par l’intensification des flux d’échanges
internationaux ; en particulier pour les petites entreprises qui doivent supporter une
bonne partie des risques et accorder d’importants délais de crédit à leurs clients.
Elles ne peuvent encore s’appuyer sur des partenaires financiers suffisamment réac
tifs, capables, tout à la fois, de leur proposer les solutions de couverture et les solu
tions de financement correspondant à leurs besoins. Quant aux banques étrangères,
elles sont toujours très étroitement réglementées et ne peuvent se déployer autant
qu’elles le voudraient sur le territoire ni proposer l’ensemble des services qui leur
sont nécessaires.
Un jour, aussi, – la question du financement de la croissance de l’entreprise se
posera – si elle ne se pose déjà – ; non seulement pour faire face à l’augmentation
du besoin en fonds de roulement, mais, également, pour soutenir un passage éven
tuel à une taille supérieure, autorisant de plus gros volumes de production, et une
approche commerciale plus systématique en Europe, en Amérique, comme dans le
Sud-Est Asiatique.
Sans doute, Monique et Rahul, tout au plaisir d’améliorer chaque jour leur entre
prise modèle, d’y créer leurs produits et d’en suivre la fabrication, au contact de
compagnons devenus souvent des amis, ne voient pas et ne veulent pas voir forcé
ment très grand.
☞
144
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
☞
À deux pas de l’usine, dans la fraîcheur que la nuit finit, enfin, par apporter, proté
gée par l’enclos du petit jardin qui donne directement sur la campagne qui s’endort,
sous l’auvent de sa petite maison à l’atmosphère toute « méditerranéenne », dans
ce village, à tout le moins, banal, Monique se plaît à évoquer ses petits enfants à ses
hôtes ; avec affection mais sans nostalgie particulière, loin, aussi, des magnifiques
rivages corses qu’elle retrouve périodiquement. On sent que, pour elle, sa vie,
comme son projet, s’enracinent, désormais, ici.
Questions de réflexion
1 ■ Comment décrire le modèle économique de l’entreprise ? Dans quelle mesure
paraît-il susceptible de résister aux aléas de son environnement ? Indien ?
Occidental ? Quelles contraintes financières pèsent sur l’entreprise ? À quels
risques se trouve-t-elle exposée dans ses transactions avec ses clients ? Avec
ses fournisseurs ? Dans cette perspective, comment segmenter les différents
types de clientèle ? En fonction de quels critères ? À quels risques se trouvent
exposés leurs propres clients (comme Monique, auparavant, vis-à-vis de ses
fournisseurs indiens de meubles anciens) ? Comment, en particulier, ceux-ci
auraient-ils tendance à les minimiser ?
2 ■ Par ailleurs, pour nos deux protagonistes, leurs coûts de fourniture et de
fabrication sont réglés en roupies et leur facturation effectuée en € ou en $ ;
de la même façon, une partie des capitaux et des biens d’équipement ont été
acquis en € ou en $. En conséquence, dans quelle mesure l’entreprise se
trouve-t-elle exposée au risque de change ? Et comment peut-elle le prendre
en compte dans sa facturation et dans ses résultats (si elle les consolide en
France) ?
3 ■ Enfin, comment voyez-vous l’évolution du modèle économique de l’entre
prise dans l’hypothèse où Rahul et Monique décideraient de développer
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145
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
L’essentiel
146
Dynamique internationale des territoires ■ Chapitre 2
☞
les difficultés et contraintes pratiques, à court ou à plus long terme, qu’une orga
n isation peut y rencontrer pour vendre, acheter, sous-traiter, s’implanter, seule ou
en partenariat. Lié au positionnement des territoires, ce niveau macroéconomique
de l’analyse des macrorisques dessinera, au-delà des « faits générateurs de sinis
tres, politiques, catastrophiques, non transferts » qui menacent les organisations
étrangères en relation avec eux, sur un plan pratique, les microrisques. Ceux-ci
peuvent se traduire, pour elles, par des démarches de prospection tournant court,
l’annulation de contrats, le non-paiement total ou partiel de leurs livraisons ou de
leurs prestations, ou encore, par des litiges survenus au court de l’exécution de la
transaction.
C’est dire l’importance de l’approche des territoires, dans le cadre d’un monde
fractionné, se « décloisonnant » de manière hétérogène, mais, aussi, dans le cadre
d’une ouverture internationale bien engagée. Le territoire et les groupes de terri
toires constituent un élément indispensable de définition de l’espace de référence
ou d’expansion dans lequel se déploie l’organisation. Sauf à réfléchir à la straté
gie d’internationalisation des territoires eux-mêmes, il convient pour l’organisa
tion qui cherche à définir ou redéfinir sa propre stratégie, de « croiser » cette
dimension géoéconomique avec l’activité, le secteur ou l’industrie à laquelle elle
appartient.
147
Chapitre
Dynamique
3 internationale
des activités
1. Cf. repère 2.4 « Existe-t-il des environnements plus favorables que d’autres à l’international ? »
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
tifs, en l’occurrence – que sont susceptibles d’adopter, hors de leur pays d’origine,
les producteurs d’un même secteur, issus du même territoire, en s’appuyant sur la
coordination d’acteurs publics et privés ;
–– à observer, enfin, le comportement d’autres acteurs du secteur, issus d’autres pays,
producteurs et distributeurs, qui n’hésitent pas à saisir les nouvelles opportunités
qu’offrent les mutations sectorielles, à la fois, au niveau global, et, au niveau local.
1. Porter M. (sous la direction de), Competition in Global Industries, chapitre 1. « Competition in global indus
tries : a conceptual framework » Harvard Business School Press, Boston, 1986. et Bartlett C. et Ghoshal S.,
Managing Across Borders : the Transnational solution, , HBS Press, Boston, 1991.
2. C’est, notamment, ce que propose avec brio l’académicien-économiste Erik Orsenna avec sa série de « Petits
précis de mondialisation » : Voyage au pays du coton (Fayard, 2006), L’avenir de l’eau (Fayard, 2008), Sur la route
du papier (Stock, 2012).
3. Cf. cas introductif du chapitre2, Promesas Argentinas.
149
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Le plan du chapitre
Section 1 ■ Portée de la distinction « global/local » dans la définition
des activités
Section 2 ■ Dynamique internationale des secteurs : facteurs de mutation
intra-sectoriels
Section 3 ■ Les enjeux de l’ouverture internationale pour les acteurs
et les parties prenantes des secteurs
Cas introductif
« Wines of Argentina » dans un secteur mondial
du vin en pleine évolution1
Le secteur mondial du vin s’est profondément transformé depuis trente ou quarante
ans et, particulièrement depuis le début des années 70 : la consommation comme
la production s’étant redistribuées de façon spectaculaire entre les pays et les conti
nents2.
•• Dans les pays à forte tradition vini/viticole on a pu enregistrer une diminution
significative de la consommation par tête, dans un laps de temps relativement
court, à partir du début des années 60, pour se stabiliser au début des années
2000 : de 120 à 56 litres, par personne et par an, en France ; de 110 à 48, en Italie,
de 60 à 34, en Espagne ; de 80 à 30, en Argentine. Seule, l’Allemagne, productrice
de longue date, mais dans des proportions moindres, a enregistré une progression,
de 15,7 à 24,6 litres par personne et par an.
•• L’évolution a, été inverse dans nombre de pays sans véritable tradition de produc
tion, comme les pays anglo-saxons : les États-Unis, dont la consommation a pro
gressé au cours de la même période de 1,8 à 7,7 litres, le Royaume-Uni, de 1,1 à
16,9, l’Australie, de 1,9 à 20,5. À noter aussi que, le Royaume-Uni mis à part, la
production de vin y a elle – même progressé de façon spectaculaire. À noter, der
rière les États-Unis (+ 26,94 millions de caisses entre 2009 et 2010) la progression
spectaculaire de la Russie (+ 5,56 millions de caisses) et, surtout, la Chine (+ 20,76
millions de caisses) !
☞
1. Ce cas dans sa version développée (avec notice pédagogique), est disponible en Français et en Anglais à la
Centrale des Cas et des Moyens Pédagogiques (Jean Paul Lemaire et Diego Lopez, « Arriba Mendoza», parution
prévue en 2013).
2. Déjà, en 2003, les réalisateurs du film Mondovino s’interrogeaient sur l’évolution et le futur du secteur mon
ial du vin, à travers une série d’enquêtes et de reportages sur plusieurs continents, faisant ressortir les transforma
d
tions en cours , en soulignant, en particulier la progression remarquable des « Vins du Nouveau Monde ».
150
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
☞
C’est donc dans les pays où la consommation de vin était encore limitée, comme
l’Europe du Nord, l’Amérique du Nord, et, surtout, l’Asie, où le vin était pratique
ment ignoré, qu’est apparue une nouvelle catégorie de consommateurs, pour qui il
est devenu un marqueur social et économique de réussite et d’ouverture culturelle ;
et où, à côté des plus riches, une nouvelle classe moyenne lui manifeste un intérêt
croissant
Fait encore plus marquant, encore, au niveau de la production et de la commercia
lisation, le vin est passé du stade artisanal au stade industriel. Le domaine agricole
qui est consacré à la culture de la vigne s’est largement développé, suscitant des
investissements considérables, l’acquisition et l’exploitation de nouvelles terres
comme la création de véritables usines de vinification, dont l’Australie constitue
l’illustration la plus manifeste ; avec, par exemple, l’impressionnant développement
de Jacobs Creek, à l’initiative de Pernod Ricard.
Car c’est à un véritable changement du modèle productif auquel on assiste, marqué
par des contrastes très marqués, entre le « Vieux Monde », et ses « Appellations
d’origine contrôlées » (les fameuses AOC), se rattachant à des domaines précisé
ment délimités, les « terroirs », où s’appliquent des règles professionnelles, aussi
bien aux modes de culture de la vigne qu’aux processus de vinification, et les « Vins
du Nouveau Monde » qui se développent dans un cadre beaucoup plus souple. À
la différence du « Vieux Monde », les producteurs y sont affranchis des contraintes
de production des « terroirs » ; sans exclure pour autant, du moins pour certains
d’entre eux, le respect des règles de l’art, comme en Afrique du Sud ou en Argen
tine, où la tradition de production est ancienne, mais aussi, en Australie ou aux
États-Unis où elle est beaucoup plus récente.
Cette évolution, n’a, cependant, pas pris de court tous les producteurs européens :
les grandes maisons de champagne, comme Moët et Chandon ou Roëderer, n’ont
pas hésité, en parallèle à leur production très réglementée et, surtout, bornée au
territoire étroit d’un terroir très délimité autour de Reims, en Champagne, à appli
quer la « méthode champenoise » à une production effectuée dans les règles de
l’art, en Californie ou en Argentine. À l’inverse, les producteurs de « vins de table »,
du sud de la France, mais, aussi, d’Italie, d’Espagne, comme de Roumanie ou de
Hongrie – fameuse aussi pour son tokay –, lorsqu’ils n’ont pas accepté les primes
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151
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
la montée en puissance de nouveaux producteurs, et, surtout de nouveaux acteurs
qui mettent l’accent sur la commercialisation pour pouvoir dialoguer plus efficace
ment avec la grande distribution, tout en intégrant souvent la production1. Dans ce
secteur, en effet, l’élasticité de la demande et les fluctuations saisonnières de la
consommation peuvent provoquer des replis brutaux remettant en cause les inves
tissements réalisés dans un espace mondial où la surproduction est structurelle2.
Les producteurs de vin argentins, dont le centre névralgique se trouve dans la région
de Mendoza, à proximité de la cordillère des Andes, eux aussi, se trouvent confron
tés à ces évolutions rapides : le pays, au cinquième rang dans le monde pour sa
production, consomme encore plus de 80 % de ce qu’il produit. Les raisins blancs,
de qualité inférieure, constituent encore la majeure partie des variétés cultivées,
mais les variétés rouges, comme le cépage le plus réputé, le Malbec, avec le Cabernet
Sauvignon, le Merlot et le Syrah, sont les plus appréciés, à l’intérieur, comme à
l’extérieur du pays.
De manière générale, deux changements clés sont intervenus :
––comme dans les autres pays de tradition vini/viticole, s’est manifestée l’évolution
vers le « moins mais meilleur » ; le vin de table s’y trouvant aussi remplacé par la
bière, les sodas ou l’eau minérale ; mais avec, toutefois, un doublement de la
consommation domestique des vins de qualité ;
––le secteur argentin a bénéficié de la prime de change consécutive à la dépréciation
provoquée par la crise de 2001, augmentant de manière spectaculaire la compé
titivité prix des vins argentins et faisant progresser la production jusqu’à 30 % par
an, à la fois, du fait de l’appréciation du dollar et, surtout, de l’euro par rapport au
peso argentin, et par la diminution du prix de la terre, permettant d’attirer de nom
breux investisseurs étrangers.
Théoriquement, donc, cette période favorable, surtout, jusqu’à la crise de 2008,
aurait dû permettre aux vins argentins de gagner des parts de marché importantes
et, surtout, durables, particulièrement sur les marchés de niche des vins de qualité.
Cela n’a malheureusement pas été le cas, dans la mesure où ont été surtout exportés
les vins de table de qualité médiocre, générateurs de profits rapides, ne contribuant
pas à améliorer sur les marchés importateurs l’image des vins argentins. D’où la
nécessité de développer des actions spécifiques dans ce sens.
Un premier élément de réponse, coordonnée, à ce « besoin d’image » est venu de
l’initiative privée, soutenue rapidement par les pouvoirs publics, sous la forme
d’une association d’exportateurs « Wines of Argenina3 », créée à l’initiative de la
douzaine de membres du groupe « Argenina top wines », constitué en 1993, au
sein de l’Association Vinicole d’Argentine, qui rassemble désormais 70 produc
teurs environ et représente 95 % des exportations du pays. En associant les orga
nismes publics nationaux et ceux de la région de Mendoza – principale région
productrice de vins de qualité – et le secteur privé, par la signature en 1995, de
☞
1. Ibidem.
2. Comme, récemment, en Australie, et dès avant la crise mondiale, avec la faillite et la reconversion de
nombreux petits producteurs de raisins et de petits viticulteurs (cf. J. Baudoin, « Gouvernance du vignoble austra
lien, ’les temps de la crise’ », 2008, www.ades.cnrs.fr/IMG/pdf/JBaudouin.pdf).
3. www.winesofargentina.org
152
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
☞
l’« Accord pour la promotion des vins fins argentins à l’étranger »1 la voie était
ouverte à la création de la marque « Origin Argentina » et au développement plus
systématique de campagnes de promotion, notamment dans le cadre des manifes
tations et expositions professionnelles internationales. Ces campagnes ont été ini
tiées au Royaume-Uni, premier pays importateur du monde, où fut installé le
premier bureau de représentation d’un réseau qui en compte désormais 28 dans
50 villes dans le monde2.
Depuis, aussi, se sont multipliées les manifestations – dégustations, campagnes de
presse, campagnes publicitaires –, destinées à promouvoir la qualité des vins argen
tins dans une perspective de long terme, sans doute moins payante à court terme
que la vente massive à prix cassés de vins de qualité médiocre. Les ventes ont pro
gressé à partir de 2005-2006, pour atteindre un pic en 2008. Ensuite, avec la crise,
les ventes ont marqué le pas ; sans préjudice, cependant de la montée en puissance
de nouveaux pays cibles, comme la Chine, dont les importations de vin argentin
continuent de progresser en volume comme en valeur, tout comme le Royaume-
Uni3, mais dans une moindre mesure. Les efforts collectifs semblent, cependant y
avoir été utiles, surtout en comparaison des États-Unis, qui reste le premier débou
ché, mais où un certain fléchissement se fait sentir.
En conséquence, pour le vin argentin, dans un contexte incertain pour l’ensemble des
acteurs mondiaux, la question se pose de savoir si cette action collective se révélera
suffisante pour assurer l’avenir d’un secteur si important pour l’économie du pays.
Sur un plan général, quels ont été les changements majeurs intervenus sur l’offre
comme sur la demande de vin au niveau mondial au cours des 30 dernières
années ? Comment se segmenterait le marché mondial du vin, tant pour la produc
tion que pour la consommation ? Comment pourrait évoluer dans les prochaines
années cette segmentation ? Comment, à l’intérieur de ce secteur, pourraient se
redéployer les échanges entre différents pays producteurs et consommateurs ? Les
producteurs du « Vieux Monde » peuvent-ils espérer conserver leur leadership dans
la catégorie des vins « haut de gamme » et dans quelle mesure les producteurs du
« Nouveau Monde » les menaceraient-il ? Comment les vins argentins se posi
tionnent-ils actuellement et comment, surtout, pourraient-ils faire évoluer ce posi
tionnement ? En quoi la coopération entre acteurs privés et publics, au sein de
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1. Les signataires sont les gouvernements, national et provincial (Chancellerie de la Nation, les Fondations
Exportar et Pro Mendoza, et Promex, du Ministère de l’Agriculture).
2. En 2002, Wines of Argentina (WoA) a organisé son premier séminaire-atelier afin de définir le nouveau profil
de l’organisation et d’évaluer les ressources nécessaires pour lui permettre d’atteindre ses objectifs. Un an plus tard,
à la suite d’études de marché réalisées pour établir les attributs et le statut de la marque argentine et des vins argen
tins à l’étranger, WoA conçoit la nouvelle image de l’organisation et lance, en 2004, sa première campagne publi
citaire aux États-Unis, en Angleterre et au Brésil, avant d’atteindre progressivement son déploiement de relais dans
le monde. Ainsi, dans l’avenir, l’objectif de WoA est de développer son image et sa marque sur les marchés viticoles
grâce à la communication, à des formations aux plus récentes technologies et à une recherche constante d’excel
lence en matière de qualité des vins argentins. (ibidem, site Wines of Argentina).
3. qui représente encore quatre fois plus que la Chine en termes d’importations de vins argentins et six fois moins
que les États-Unis.
153
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Le cas des producteurs de vin argentins, en fait, à mi-chemin entre les deux
« mondes » du vin, fait donc ressortir, dans le contexte d’ouverture internationale
rapide du secteur, les avantages, liés à l’antériorité comme aux traditions et aux
cultures locales, des acteurs du « Vieux Monde », d’une part. Ils soulignent, d’autre
part, les avantages, que donne la vision plus entrepreneuriale, novatrice et proactive
du secteur, des acteurs du « Nouveau Monde », allant au-devant d’une nouvelle
clientèle qu’ils ont fortement contribué à développer.
Auprès des amateurs de vin appartenant aux segments de consommateurs les
plus marqués par la tradition, en particulier dans les pays européens, les avantages
dont bénéficient les producteurs sont tels que les nouveaux compétiteurs étrangers
qui voudraient faire leur place dans cet espace de référence se trouvent de facto en
position difficile. Les premiers sont, en effet, dépositaires des savoir-faire les plus
éprouvés et détenteurs des crus les plus réputés Les seconds n’en sont pas moins en
mesure d’abattre des atouts originaux auprès des consommateurs de nouveaux seg
ments, même dans les pays de tradition, en particulier auprès de ceux écartés long
temps de produits hors de portée, du fait de leur prix, et, surtout, de leurs habitudes
de consommation. A fortiori, les vins du « Nouveau monde » ont-ils encore plus leur
chance dans les pays « neufs » qui « s’éveillent » à ce type de produit.
Dans une perspective d’internationalisation, force est de constater qu’une acti
vité déterminée – en l’occurrence, le vin – se caractérise par des contextes secto
riels locaux fort différents, d’un pays à l’autre. Leurs caractéristiques doivent donc
être analysées de façon spécifique, tant pour la production que pour la consomma
tion, dans chaque zone concernée, en croisant les données propres au secteur avec
les données propres à l’espace géographique considéré, sans perdre de vue le point
de vue particulier des organisations – acteurs ou des groupes d’acteurs – qui y
opèrent.
Ces deux dimensions, géographique et sectorielle, définissent l’espace de réfé
rence, en partant de la « posture » adoptée par les organisations qui cherchent à
définir leur stratégie. On peut ainsi, pour ce qui concerne le « cas argentin » consi
déré, définir cet espace de différentes manières :
• Il peut être envisagé, tout d’abord, à partir de l’Argentine, en considérant le mar
ché mondial du point de vue des exportateurs de « Wines of Argentina », comme
un ensemble de marchés potentiels où se développe une concurrence de plus en
plus large, dont il faut déterminer quelles sont les mutations d’ensemble. Ce qui
conduira à mieux identifier, pour l’ensemble des membres de l’association, où se
situent les meilleures opportunités pour leurs produits, dans le cadre d’une
approche « tous azimuts »1 ;
• Mais, une fois déterminés le ou les espaces cibles à privilégier, comme, par
exemple, le Royaume-Uni, premier marché importateur mondial, il convien
1. Cf. figure 1.10 « L’approche “tous azimuts” (outbound) » et figure 1.11 « L’approche “focalisée” (inbound) ».
154
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
dra, pour ces acteurs argentins, de préciser, de manière plus spécifique, les
caractéristiques et les évolutions de cet espace cible, pour décider des orienta
tions à adopter pour satisfaire les goûts des différents segments porteurs de la
clientèle et les atteindre, à travers le système de distribution, en s’appuyant sur
la promotion la plus appropriée, dans le cadre, cette fois, d’une approche
« focalisée ».
Mais le secteur mondial du vin comme le secteur du vin argentin, peut lui –
même être pris en considération par des producteurs, investisseurs directs poten
tiels, originaires du « Vieux Monde », notamment, soucieux de se diversifier et/
ou d’échapper au carcan trop contraignant des « terroirs ». Ils auraient alors, de
leur point de vue d’investisseurs, à considérer, dans le cadre d’une approche
« tous azimuts », l’espace de référence « monde » pour déterminer les localisa
tions d’investissement direct à privilégier dans le secteur, avant d’analyser plus
particulièrement, s’ils le retiennent, le secteur argentin (s’ils ne l’ont pas,
d’emblée, identifié comme une cible privilégiée) et méritant, à ce titre, une
approche « focalisée ».
Pour évaluer les opportunités, comme les menaces sectorielles, pour se
comparer à la concurrence et pour élaborer des stratégies gagnantes dans son
secteur, l’espace de référence/d’expansion pertinent (cf. figure 3.1), serait a
priori à définir :
––du point de vue de l’exportateur comme de l’investisseur, l’« approche » retenue :
« focalisée » ou « tous azimuts » (composante géographique) ;
––du point de vue de l’exportateur, les caractéristiques des marchés visés, partagées
par divers marchés ou particulières à certains, autrement dits, convergentes ou
divergentes (composante marchés) ;
––du point de vue de l’investisseur, la dominante du produit que l’on compte
développer mondial/standardisé ou local/spécifique (composante produits/
métiers).
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155
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
particulières adaptée
/ divergentes / spécifique
« focalisée »
/ locale
partagées
/ convergentes standardisée
« tous azimuts » / universelle
/ globale
composante
composante
« marchés » : « produits/métiers » :
(attentes clients/ composante (savoir-faire,
segments, autres parties géographique: produits/services)
prenantes) (ancrage économique)
J.P. Lemaire
1. Source : adapté de J.-P. Lemaire, Dynamique bancaire et intégration financière, 1995.
156
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
1. Les économies d’échelle (economies of scale) correspondent à une baisse des coûts unitaires de production
qui peuvent être attendus d’une augmentation des volumes de production, observés dans de nombreuses industries.
Particulièrement importantes dans les industries où les coûts fixes sont très élevés, les diminutions des coûts uni
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taires ne sont pas pour autant indéfinies : passés certains seuils de volume, les coûts peuvent, en effet, remonter,
lorsque, par exemple, les outils de production ont atteint le maximum de leur capacité.
2. Les économies de gamme ou d’envergure (economies of scope), mises en évidence par Panzar et Willig en
1975, particulièrement importantes dans la distribution, permettent d’obtenir un meilleur rendement d’une structure
d’une agence ou d’un portail internet de commercialisation, dans la mesure où l’offre de produits ou de services qui
y sera accessible sera plus large et multipliera les occurrences de transactions par ce canal et, partant, sa rentabili
sation.
3. Cf. chapitre 4 cas introductif « Huawei, la montée en puissance d’un leader technologique mondial ».
4. Cf. repère 3.1 « Lecture de grille “global/local” ».
5. Ces théories sont présentées, infra, au chapitre 4.
6. Sont, notamment considérés comme tels, dans le secteur de la pharmacie, par exemple, les médicaments dont
les ventes mondiales génèrent un chiffre d’affaires d’un demi milliard de dollars au moins. Se dit, de la même façon,
des films, des expositions ou des livres (les fameux best sellers) à grand succès (cf. F. Martel, Mainstream. Enquête
sur la guerre globale de la culture et des médias, Flammarion, 2011).
7. Cf. exemple 4.15. GHCL, la structure « éclatée » et exemple 4.3 « Archos ou la persévérance récompensée
d’une born global à la française ».
8. Cf. figure 4.9 « La croissance « éclatée » (l’exemple de GHCL) (1).
157
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Bien sûr, un grand nombre d’activités peuvent se trouver dans des positions inter
médiaires de type « global/local », et, surtout, en situation de migrer – progressive
ment ou, parfois même, très rapidement – d’une position, généralement à dominante
locale, vers une position où prédominent les forces de globalisation. Cela signifie :
––qu’au-delà de la nécessité de caractériser « le degré de globalisation » de chaque
activité (secteur ou industrie), à un moment donné ; autrement dit, de déterminer
les facteurs permettant de positionner cette activité sur une grille « global/local »,
adaptée de Bartlett et Goshal1 (cf. figure 3.2) ;
––il est essentiel de bien percevoir, en recourant au modèle PREST (niveau 1), la
dynamique internationale de la dite activité, c’est-à-dire ses facteurs d’évolution
internes ou externes (en se référant, notamment, à la diversité des parties prenantes
et aux relations qui s’établissent entre elles ) et qui sont susceptibles, à court ou à
plus long terme, de modifier ce positionnement ;
––et d’en mesurer les implications spécifiques pour l’ensemble des acteurs qui y
opèrent, en identifiant les enjeux (modèle PREST, niveau 2) auxquels ils se trouvent
et se trouveront tous confrontés, au niveau pertinent d’analyse – « focalisé » ou
« tous azimuts » – que ce positionnement suggérera aux uns ou aux autres.
Corrélativement, c’est l’ensemble de la démarche stratégique qui devra tenir
compte des particularités de chaque activité (secteur ou industrie), en tenant compte
de son degré de « globalisation », ainsi que de la manière dont ses acteurs réagissent,
aux mutations de l’environnement et aux défis auxquels ils sont confrontés.
C’est, dans la première partie de cet ouvrage, la recherche d’une meilleure compré
hension du positionnement des activités et de leur évolution qui sera privilégiée, sans
préjudice, ultérieurement, d’une approche plus systématique de l’analyse sectorielle,
préalable à la formulation et à la mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation
telle qu’elle sera développée dans le cadre de la deuxième partie (chapitre 6).
Section
1 Portée de la distinction « global/local »
dans la définition des activités
L’approche sectorielle et l’utilisation de la grille « global/local » permettent, pour tout
secteur, de mieux discerner le potentiel d’internationalisation qu’il offre aux organisa
tions qui y opèrent. Porter, repris et précisé par Doz et Prahalad2, suggère que l’on peut
représenter le potentiel d’internationalisation de toute activité (secteur ou industrie), en
la positionnant sur une grille dite « globale/locale », de manière à visualiser :
1. Bartlett C. et Ghoshal S., Managing across borders : The Transnational Solution, Harvard Business Review Press, 2002.
2. Prahalad, C.K. et Doz, Y. L. 1987. The Multinational Mission, Balancing Global Integration with local
Responsiveness. New York : Free Press ; London : Collier Macmillan.
158
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
––en ordonnée, l’intensité, au sein d’une activité donnée, des forces ou des facteurs
dits de globalisation, qui poussent à l’internationalisation de l’activité ;
––en abscisse, l’intensité des forces ou des facteurs dits de localisation ou d’adapta
tion locale qui, pour leur Quel
part,est
engagent à son «géocen
le degré d’ouverture trage ».du secteur?
international
Activités
à dominante
globale Activités
à dominante
mixte
+ - Internationalisation de la clientèle
- Importance des coûts de développement / de R&D
- Potentiel d’économies d’échelle, d’économies de gamme
- Potentiel d’optimisation de la logistique et de la chaîne d’approvisionnement
- Capacité de transférer la technologie (techniques, formation, procédures..)
- Importance des NTIC dans le modèle économique
FORCES /FACTEURS
DE GLOBALISATION, Besoin de nouveaux profil s
DE DIFFUSION ET professionnels et culturels
Redéploiement géographique des unités
D’INTEGRATION de commercialisation, de production de R&D
Développement de nouvelles pratiques
de management Activités
à dominante
locale
c Repère 3.1
Lecture de la grille « global/local » (quel est le degré d’ouverture interna
tionale du secteur ?)
1. Lorsque, au sein d’une activité, les forces/facteurs de globalisation jouent très forte
ment et que les forces d’adaptation locale ne s’exercent que faiblement, nous considé
rerons qu’il s’agit là d’une activité à dominante globale (cf. figure 3.2). Dans ce type
d’activité, la compétition est mondiale ; elle est le fait de grands acteurs qui développent
☞
1. Source : adapté de Prahalad et Doz, The Multinational Mission, op. cit.
159
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
des stratégies de volume et de compétitivité par les coûts, au travers d’un effort de stan
dardisation de leur offre et d’une couverture géographique maximale du marché.
La recherche de compétitivité par les coûts conduit les entreprises à concentrer et à spé
cialiser leurs capacités de production – en vue de dégager des économies d’échelle –,
tout en cherchant à localiser ces capacités de manière optimale. La gestion d’activités,
géographiquement dispersées, doit être étroitement coordonnée et intégrée en vue
d’atteindre une efficience économique maximale dans le management de chacune des
fonctions de l’entreprise.
Ainsi, les fonctions de marketing – produit, de recherche – développement ou d’achat
seront gérées de manière centralisée et souvent concentrées en un même lieu. Seules
les fonctions « logistique aval » et marketing aval seront éclatées, géographiquement,
tout en étant étroitement contrôlées par le siège.
2. À l’opposé, lorsque les forces de globalisation jouent de manière limitée, mais que
la pression s’exerce fortement dans le sens d’une adaptation locale indispensable, nous
considérerons que nous sommes en présence d’une activité à dominante locale.
Dans ce type d’activité, la compétition est le fait d’acteurs locaux bénéficiant, à la fois,
d’une bonne proximité et d’une grande familiarité avec le marché. S’il s’agit de
démembrements d’entreprises étrangères, ils fonctionnent selon un mode décentralisé,
de manière à pouvoir jouer la carte de l’adaptation locale. Le marketing et le dévelop
pement des produits s’opèrent localement, tout comme, souvent, l’assemblage final et
la distribution des produits.
3. Entre ces deux configurations extrêmes, se trouvent des activités à statut mixte, de
type « global/local », qui appellent des réponses fines, en matière de degré de décen
tralisation et de choix de localisation des fonctions.
Si l’organisation à dominante globale, comme l’organisation à dominante locale,
peuvent se caractériser par un certain nombre de critères, ceux-ci renvoient aussi, le
plus souvent, à des caractéristiques sectorielles bien déterminées, qui, elles-mêmes,
évoluent au fil du temps, du fait des pressions externes – politico-réglementaires, éco
nomiques et sociales, technologiques-, qui s’exercent sur le secteur et dans l’espace de
référence, large ou étroit, que l’on aura choisi, de privilégier, en fonction de l’approche
spécifique, – plus ou moins « focalisée » ou « tous azimuts » –, privilégiée par l’orga
nisation dont on s’attachera à définir ou à redéfinir la stratégie d’internationalisation.
Les caractéristiques des trois groupes d’activités, tels que déterminées par la grille
« global local », vont permettre de mieux identifier les secteurs qui auraient vocation
à entrer dans chacune d’entre elles.
160
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
c Repère 3.2
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
L’effet d’expérience
L’effet d’expérience, mis en évidence par le Boston Consulting Group en 1966, à partir
de l’expérience de Texas Instruments, établit, pour chaque famille de produits une rela
tion mathématique entre la baisse du coût unitaire total du produit et l’accroissement
du volume de la production cumulée.
☞
1. À titre d’exemple, l’investissement que représente la nouvelle usine d’Airbus qui doit être installée aux États-
nis , à Mobile, Alabama, pour répondre aux commandes américaines, à partir de 2018, devrait se monter à 600
U
millions de $ (Wall Street Journal, 5/7/2012, « Airbus over Alabama »), cf. exemple 3.8 « Airbus installe une ligne
de production (pour la famille des A 320) en Alabama ».
161
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
Il peut ainsi s’exprimer : « Le coût unitaire total d’un produit, évalué en unité de mesure
constante, décroît d’un pourcentage constant chaque fois que le volume de production
cumulé de ce produit double. »
Cumulant les effets de réduction des coûts liés aux économies d’échelle, à l’effet
d’apprentissage et aux innovations courantes sur le produit et les procédés, il peut être
représenté sous forme d’une « courbe d’expérience ».
Cet effet d’expérience est très différent, selon les activités : de plus de 50 %, pour cer
tains composants électroniques, à moins de 5 % sur des activités de service à fort
contenu « sur mesure ».
Il est à noter que l’« effet d’expérience » n’a pas de caractère strictement automatique
et suppose des efforts permanents de rationalisation de l’organisation et un suivi rigou
reux des coûts.
Heures de main d’œuvre
par unité de poids
d’avion fabriqué (livré)
Mercure
(17)
7h
6h
5h
4h
3h Lookheed
Tristar Boeing 727
Airbus 300-310 Boeing 737
(250) (1830)
(820) (6000+)
2h DC 10 Boeing 747
(450) (1520) Airbus 320-310
(7900)
1h
20 ---- 400 600 800 1000 1200 1400 1600 1800 ---- -- 2800 3000 ---- 6000 ---8000
162
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
c Repère 3.3
L’internationalisation « tirée » par les grands « donneurs d’ordres »
Au fur et à mesure que les industriels de l’automobile internationalisaient leurs activités
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
de production, ils ont entraîné, dans leur sillage, nombre de leurs fournisseurs et sous-
traitants. Les ensembliers exigeants, vis-à-vis de leurs fournisseurs de sous ensembles
ou d’équipements, les Original equipment manufacturers (OEM), les composants dont
ils auront besoin, au moment où ils en auront besoin (juste à temps/just in time)1, de
manière à n’avoir à supporter aucun stock et de ne subir aucun délai.
De la même manière, la plupart des fournisseurs d’équipements et de services aux
grandes compagnies pétrolières, comme Schlumberger, se sont déployés de longue
date dans de multiples localisations dans le monde, de manière à leur assurer les pres
tations que ces « grands comptes internationaux » attendent, où qu’ils opèrent dans le
monde, à des niveaux de qualité constants et garantis, en s’appuyant, autant que de
besoins, sur des partenaires locaux.
1. Cf. cas d’application du présent chapitre : « Le secteur automobile européen : ceux qui rient et ceux qui
pleurent ».
163
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Pour qu’une activité puisse être qualifiée de « globale », il faut, enfin, que les coûts
de transport et, d’une manière générale, que les coûts d’« approche » logistiques ne
soient pas rédhibitoires : en effet, il ne peut y avoir de globalisation de la concur
rence et d’internationalisation des ventes que si celui qui exporte, qui transfère des
productions intermédiaires ou qui opère à distance ne connaît pas de handicap
majeur lié à la distance, et cela pour deux raisons :
––parce que ces coûts se trouvent minimisés par des conditions de transport très
avantageuses ou très rationalisées (par la spécialisation des navires, par exemple,
comme le pratiquent les constructeurs japonais d’automobiles, ou de manière plus
générale, par la conteneurisation), ou par un rapprochement des sites de produc
tion des marchés utilisateurs ou consommateurs, comme le montrent l’exemple de
la délocalisation des chaînes de montage d’Airbus, d’abord en Chine puis en
Alabama ;
––parce que la forte valeur ajoutée du produit par unité de poids ou de volume trans
portée ne représente qu’une part très limitée du coût total (comme pour les appa
reils photographiques ou le matériel informatique, ou encore, les produits de
luxe).
La nécessité pour les industriels d’opérer « sur un mode global » et d’intégrer leurs
activités mondialement se verra encore renforcée si, dans l’activité considérée,
s’exerce une forte pression sur les prix et sur les coûts du fait, par exemple, d’une
concurrence intense associée à une forte baisse de la demande, comme c’est le cas,
en 2012 et 2013, dans le secteur automobile en Europe.
164
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
1. Source : adapté de R. Sarathy, « Global Strategy in Service Industry », Long Range Planning, vol. 27, n°6,
p. 116. 1994.
2. Voir ci-dessus, Tableau 3.1 « Conditions d’internationalisation des activités de service ».
165
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
taires et financières (mais aussi des pratiques culturelles1) ; ça l’est également pour
l’édition et pour la communication, activités très « sensibles », aux différences cultu
relles et linguistiques ; c’est tout aussi vrai des activités qui requièrent une protection
particulière de la santé ou de la sécurité du consommateur ou de l’utilisateur et qui
se prêtent bien à la mise en place de normes spécifiques à chaque pays.
––Elles donnent aussi, souvent, lieu à des pratiques professionnelles différentes ; les
professions du droit ou de la comptabilité en constituent une assez bonne illustra
tion, en dépit de la diffusion rapide, au cours des dernières décennies, des pra
tiques anglo-saxonnes dans ces domaines et de l’entrée progressive sur les
différents marchés nationaux européens de grands cabinets opérant à une échelle
intercontinentale voire mondiale.
––Les liens existant entre acteurs nationaux en place, rendent, enfin, difficile aux
nouveaux entrants étrangers l’accès à leurs chasses gardées nationales, en contra
riant l’acquisition d’entreprises locales, ou en jouant de leur pouvoir de marché ;
souvent, d’ailleurs, ceux-ci s’appuient sur la réglementation ou la spécificité des
pratiques professionnelles nationales.
Ainsi, dans les domaines relevant des activités bancaires et financières, comme le
montre l’exemple 3.2, il existe, à l’entrée de nombreux pays, des barrières adminis
tratives et, même « régaliennes », qui rendent difficiles les implantations. Aussi,
dans de nombreux pays, comme en Inde, les banques étrangères se trouvent-elles
cantonnées à une gamme d’activités très limitées, sans pouvoir réellement entrer
pleinement en compétition avec les acteurs locaux.
1. Les différences de relation à l’argent, mis en lumière par Max Weber, dans l’Éthique protestante et l’esprit du
capitalisme, se traduit par des comportements particuliers qui varient sensiblement entre pays, même voisins : ins
truments de paiement, taux d’épargne, pratique du crédit.
166
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
dérivés1), ou pour mettre en relation l’espace national avec les marchés internationaux de
capitaux et accompagner les investisseurs directs étrangers…
Cependant, lorsqu’il s’agit, pour ces établissements, de créer et de développer leur acti
vité de Banque de détail, pour collecter des dépôts et octroyer des prêts à plus grande
échelle, les obstacles se multiplient., Il leur est, en effet bien difficile, au-delà de l’obten
tion d’une licence, à l’issue d’un processus complexe, de pouvoir se développer, dans le
cadre des activités autorisées, notamment en ouvrant des agences, comme ils le souhai
teraient, à un rythme correspondant à l’évolution des besoins économiques de ce sous-
continent en pleine expansion.
Dans ce pays, comme dans d’autres en voie d’ouverture, comme le Vietnam ou la Chine,
les autorités tendent à considérer que le secteur bancaire, n’est pas exactement réductible
aux autres. Après tout, avec la police et l’armée, ce sont les trois attributs majeurs de la
puissance régalienne des États ! En est-il d’ailleurs autrement dans des espaces que l’on
supposerait plus ouvert, comme la France, où un seul établissement bancaire étranger a
pu prendre le contrôle d’un réseau de taille appréciable, depuis 15 ans : le Crédit commer
cial de France, prospère banque moyenne, contrôlée désormais par HSBC ?
L’hétérogénéité des goûts et des usages locaux constitue une limite naturelle à
la standardisation de l’offre et induit des coûts d’adaptation, souvent importants, de
la part des entreprises.
c Repère 3.4
Les convergences socioculturelles dans les pays de l’OCDE/de la Triade : d’une
approche géocentrée à une approche globale/transversale2
––Atomisation des structures familiales : chute de la natalité, vieillissement de la popu
lation, multiplication des divorces, fléchissement de la nuptialité, développement de
la « monogamie séquencée », etc.
––Évolution des rôles dans le couple : développement du travail féminin, partage plus
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
équitable des tâches et des responsabilités du foyer, substituabilité des rôles, etc.
––Uniformisation des styles de vie : progression des revenus (classes moyennes et supé
rieures), rapprochement des modes de consommation et du niveau d’utilisation des
biens d’équipement du foyer (téléphones, hi-fi, TV, voitures), sensibilité accrue à
l’innovation technologique, etc.
☞
1. Les produits dérivés, comme les options (il existe aussi d’autres produits financiers similaires, comme les
futures),servent à garantir sur les marchés organisés où opèrent les acteurs financiers qui souhaitent couvrir leur expo
sition aux risques de variation de change ou de taux, ou encore la variation de prix des matières premières. Ils les
mobilisent face à des « contreparties », en position plus spéculative, qui vont leur faire supporter une « prime » liée
à l’importance du risque anticipé comme à la durée de l’exposition. Ces opérations, qui peuvent faire aussi l’objet de
transactions de gré à gré /over the counter ou OTC se traitent habituellement sur les marchés financiers dont ils consti
tuent un des compartiments. (voir JP Lemaire et J Klein, Financement international des entreprises, op.cit.).
2. Adapté de Terpstra V., International Marketing, Dryden, New York, 1987. et Keegan W.J., Multinational Mar
keting Management, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, N.J., 1984.
167
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
––Rapprochement des références culturelles : diffusion des films de cinéma, des pro
grammes et des séries de télévision, rapprochement des pratiques de loisirs (cultu
relles, sportives), attrait des produits de luxe, des « marques1 », accessibilité accrue
aux modes de transport distants, aux télécommunications, etc.
––Confrontation à des informations et à des enjeux de société comparables, rapproche
ment des préoccupations quotidiennes : criminalité et fléaux sociaux, santé/épidémie,
atteintes de l’environnement, préoccupations humanitaires, éthique professionnelle
et citoyenne, approche des déséquilibres économiques, etc.
Les exemples de ce type de limites sont nombreux dans les domaines de l’agroali
entaire ou des produits culturels, même si, sous la pression d’acteurs majeurs de
m
ces secteurs – tels Coca-Cola, McDonald’s ou Disney –, on voit les goûts et les
usages s’uniformiser dans des zones géographiques de plus en plus larges. Le déve
loppement des grands réseaux de communication, tel Internet2, devraient encore
accentuer ces rapprochements.
Les différences dans les circuits de distribution et dans l’infrastructure logis
t ique peuvent aussi conduire à des modes d’action spécifiques à des contextes
locaux, comme dans la grande distribution, la restauration et, en général, dans les
activités de services ou de produits de grande consommation.
1. Voir Martel F., Mainstream. Enquête sur la guerre globales de la culture et des médias, Flammarion, 2011.
2. Cf. exemple 8.3 : Wikipedia, la multinationale « non profit » de la connaissance.
168
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
du client et, de ce fait, exigent d’opérer sur un mode local ou multilocal, sauf à pou
voir être totalement ou partiellement dispensés à distance via internet.
Dans des contextes de ce type, comme celui des produits « culturels »1 – dits à
dominante locale2 – les acteurs en place sont relativement à l’abri de la concurrence
internationale et ils ont plus intérêt à se développer par diversification « concen
trique » – ou, même « distante3 », autour de leur métier de base, par « foisonne
ment », à partir de leur clientèle existante, ou en s’appuyant sur les diasporas4, par
exemple, plutôt que de s’internationaliser au prix de coûts d’adaptation considé
rables.
1. Les spécialités agr-alimentaires consitituent un bon exemple de ces produits « culturels », comme le kimshi ,
condiment coréen très relevé à base de chou chinois et de piments fermentés, qui nécessite pour l’apprécier un cer
tain temps d’accoutumance, de préférence dans le pays d’origine, en accompagnement de la cuisine locale. Mais les
modèles gastronomiques ayant tendance à diffuser de plus en plus hors frontières, sa consommation pourrait y être
moins confidentielle que par le passé.
2. Pour identifier quelques catégories clé de ces produits, se reporter figure 3.4. « Le positionnement des activi
tés sur la grille « global/local ».
3. À noter que, dans le secteur du vin, nombre des acteurs les plus dynamiques du secteur ont choisi de se déve
lopper sur une base « concentrique », intégrant dans leurs activités d’autres boissons, alcoolisées (bière, spiritueux)
ou, même non alcoolisées (eaux minérales), comme les groupes français Pernod-Ricard ou Castel, l’américain
Gallo, ou le britannique Diageo ; les diversification « distantes », comme celle de LVMH s’étant effectuées vers
certains types de boisson (cognacs, champagnes, grands crus), en cohérence avec le métier de base du groupe, le
luxe (C. Pivot, op.cit.).
4. Voir les commentaires de la figure 4.6 « Déterminants externes et incitations internes à l’internationalisation
et particulièrement sur les zones de proximité géographiques et culturelles ».
5. Cf. cas introductif chapitre 4 « Huawei, la montée en puissance d’un leader technologique mondial ».
169
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
1. Atamer T., Calori R., Diagnostic et décisions stratégiques, Dunod, 2011.
2. Voir cas « La cimenterie Nationale (Liban) », J.-P. Lemaire, disponible en 2013 (en français et en anglais,
avec notice pédagogique) à la Centrale des cas et des Moyens pédagogiques de la CCIP.
3. Cf. chapitre 1, cas introductif : « Cemex pris au double piège de la crise immobilière et financière ».
170
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
ché. C’est le cas des chaînes hôtelières qui visent des segments de clientèle dont les
modes d’usage sont identiques : clientèles d’affaires, tourisme de masse, et qui, pour
satisfaire le client, là où qu’il se trouve, doivent reproduire à l’identique, partout à
travers le monde, le même concept de service1.
Bien qu’il n’y ait pas de réelles possibilités d’économies d’échelle, ce type
d’industries, peut néanmoins bénéficier d’économies de gamme (ou d’« économies
de champs » ou d’« envergure2 »), au travers des transferts de savoir-faire et d’un
certain nombre de partages de ressources et d’effets de synergie, qu’il est possible
de développer entre les différentes entités locales. Ce seront, par exemple dans
l’hôtellerie, un système intégré de réservation ou des structures de commercialisa
tion largement déployées géographiquement et susceptibles d’être partagées entre
un grand nombre de localisations ou de faciliter le développement d’un ensemble
plus étendu de produits.
Cependant, les avantages liés à ces « économies de gamme » ne sont généralement
pas tels que les acteurs locaux ne puissent pas opposer une bonne résistance à la
concurrence internationale, pour autant que les représentants de celle-ci ne se soient
pas ménagé un leadership technologique ou une image de marque et aient atteint un
niveau de qualité difficilement contestable, même localement.
Ces trois types d’activités ont donc des profils assez contrastés, encore qu’il soit
difficile de les figer de manière définitive, dans la mesure où leurs caractéristiques
respectives sont susceptibles d’évoluer rapidement en tenant compte des transfor
mations technologiques, tout comme des évolutions socio-économiques et politico-
réglementaires.
À travers les activités mentionnées, aussi bien dans les secteurs industriels que les
services, des transformations profondes sont intervenues au cours des dernières
décennies, qui ont profondément modifié le degré de globalisation des secteurs
comme leur structure :
––certains d’entre eux apparaissent concentrés entre un nombre restreint d’acteurs
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
171
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Plusieurs dimensions sont donc à retenir pour positionner les activités, puis les
acteurs, dans le contexte d’ouverture internationale actuel et dans la logique « glo
bale/locale » qui vient d’être développée, en faisant ressortir :
––pour le positionnement des activités, tout d’abord, la manière dont elles évoluent
entre les axes global et local, en tenant compte du degré de concentration qui
caractérise chacune et, aussi, pour les secteurs les plus oligopolistiques, du degré
de stabilité de la position des acteurs qui la dominent ;
––pour le positionnement des organisations, ensuite, leur degré respectif de couver
ture géographique des marchés et le déploiement de leur chaîne de valeur entre les
différentes zones, pour en tirer les conséquences en termes de définition ou de re-
définition de leurs stratégies ainsi que pour l’évolution de leurs structures.
1. Cf. figure 4.1 « La “flexibilisation” de l’organisation multinationale ». Adaptation du modèle d’« usine mon
diale », de Buckley et Ghauri, « The Globalization, Economic Geography and the Strategy of Multinational
Enterprises », Journal of International Business Studies, vol. 35, N° 2.
2. Cf. figure 3.4 « Le positionnement des activités sur la grille global/local ».
172
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
des sursauts protectionnistes mentionnés plus haut, tout en prenant en compte la néces
sité d’éviter des fractures trop profondes au sein du corps social : en définitive, en
donnant leur chance aux acteurs, les plus dynamiques quelle que soit leur origine.
• Les pressions économiques et sociales, reflètent, notamment, l’élargissement dans
de nombreuses zones géographiques et économiques de la base de clientèle, résul
tat de l’impact combiné de l’évolution démographique, de l’augmentation du pou
voir d’achat et des changements de comportement de consommateurs1, souvent
mieux informés par la nouvelle transparence et la diffusion accélérée de l’infor
mation via Internet. Elles déterminent des réponses plus rapides aux offres éma
nant des firmes les plus novatrices.
• Les pressions technologiques, désormais essentielles déterminent la globalisation
de nombre de secteurs. Elles conduisent les acteurs clés de chacun d’entre eux à
faire adopter des standards d’usage ou de consommation2 – sinon des normes –,
d’application géographique aussi large que possible, par les clients et les usagers
de leur secteur – professionnels, pour les activités B to B, individus et ménages,
pour les activités B to C, grand public.
tèle de particuliers, issue des classes moyennes et supérieures en ascension, acquises aux
nouvelles technologies, et voulant profiter des développements les plus récents offerts sur
un marché, désormais mondialisé, de ces produits.
Sans préjudice, sur le plan politico-réglementaire, du rôle joué par les pays émergents
dont les gouvernements n’ont pas empêché ces transformations, et les ont même facili
tées, en encourageant l’accès de ce nouveau moyen de communication aux plus pauvres.
Ils ont en effet pris conscience des possibilités offertes par la téléphonie mobile et sa
démocratisation permettant un désenclavement indispensable de groupes sociaux les
moins favorisés, isolés, notamment, dans les zones rurales et périurbaines, qui risquent
1. Cf. chapitre 5, cas d’application « Rien ne va plus chez HP, en quête d’un nouveau “modèle d’affaire” ».
2. Voir cas introductif chapitre 4 « Huawei, la montée en puissance d’un leader technologique mondial ».
3. Cf. G. de Grandi, « Les échéances de Nokia », LesEchos.fr, 26/9/2012. Cf. figure 7.2. « Sony Ericsson, la
rédemption Android ».
173
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
de demeurer les laissés pour compte de la croissance dont bénéficient les autres groupes
sociaux.
C’est d’ailleurs la carte qu’a joué Nokia, fin 2011, alors lorsqu’il envisageait de suppri
mer 3500 emplois, et de délocaliser sa production de Roumanie en Asie. Il ciblé alors les
marchés émergents, en y vendant deux mobiles acceptant deux cartes SIM à 18 millions
d’exemplaires. Il lui faut désormais, un an après, y conserver ses positions. C’est ce qu’il
tente de faire en lançant deux smartphones low cost. Tout risque alors de se jouer sur ces
nouveaux produits, car sur le segment haut de gamme sur lesquels l’entreprise souhaitait
réaffirmer sa présence, ses nouveaux smartphones « Lumia », n’ont pas suscité un grand
enthousiasme lors de leur sortie, alors que l’arrivée de l’iPhone 5 était annoncée à grand
tapage.
+ Composants Equipements
électroniques opérateurs télécom
Activités à Fournisseurs
d’accès internet Assurances
dominante
globale
Cosmétiques Gaz industriels
et médicaux
Hôtellerie
Pharmacie Ensembliers
Pression des
forces de automobiles Utilities* Grande Services
Détergents distribution
globalisation médicaux
Tour operator
Banque Activités
d’investissement « mixtes »
Engrais
Vin Services à la
Banque de détail Activités à personne
Ciment dominante
locales
ONG
développement
– Officiers
Ministériels**
1. Voir E.Milliot, « La dynamique plurielle de la globalisation des marchés, une dialectique paradoxale », in
E.Milliot et N.Tournois, Les paradoxes de la globalisation des marchés, Vuibert, 2009, se référant à Fraser J. et
Oppenheim R., « What’s new about globalization ? », The McKinsey Quarterly, n°2, 1997, dressant un tableau (qui
n’a pas été mis à jour depuis) du degré de globalisation atteints par différents secteurs d’activité en 1995.
174
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
175
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
c Repère 3.5
L’organisation dans une perspective globale : de Perlmutter à Rugman
Dans le nouveau contexte de mondialisation des activités, se sont développées, depuis
la fin des années 90, des organisations d’un nouveau type : après les propositions de
classement de Permutter, celles que Bartlett et Goshal, Doz et Prahalad qualifient de
« mondiales » ou de « globales » et qui développeraient une vision d’ensemble, en
couvrant la plupart des espaces économiques de la planète, oscillant entre le « Penser
local, agir mondial », et le « Penser mondial, agir local3 ».
La réalité suggère aux organisations de penser et d’agir, à la fois local et global :
––en fonction de la nature des produits et des services offerts, de l’optimisation de la
chaîne d’approvisionnement, du niveau d’adaptation exigés par les contextes locaux ;
––dans le cadre d’ espaces de référence géo-sectoriels plus ou moins larges, définis en
fonction de leur cohérence, au sein desquels leurs structures doivent se développer
le plus « agilement » possible, sans, pour autant, négliger la recherche, à tout instant,
d’une cohérence d’ensemble entre les différents espaces dans lesquelles elles
seraient déployées.
Dans l’approche de Bartlett et Goshal, les organisations globales répondent aux cri
tères suivants :
☞
1. Cf. A.M. Rugman, Préface, in U. Mayrhofer, Le management des firmes multinationales, Vuibert, 2011.
2. H. Perlmutter (1969), « The Tortuous Evolution of the Multinational Corporation », Columbia Journal of
World Business, janvier-février, 1969.
3. Jolly V., « Portrait-robot de l’entreprise mondiale », in « L’art du Management », Les Échos, 2-3 mai
1997.
176
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
☞
––disposer d’un produit standard ou d’un produit de base, ou encore d’un « concept »
reconnu mondialement, et vendu partout de manière uniforme ;
––pouvoir mobiliser tous les actifs nécessaires (financiers, techniques, technologiques,
etc.) dans les meilleures conditions, en interne comme en externe ;
––être en mesure de rentabiliser, où que ce soit, les moyens requis (qu’il s’agisse de l’amor
tissement de la R & D, des infrastructures de production, ou de la promotion, etc.) ;
––combler rapidement une quelconque avance d’un concurrent, sur le terrain techno
logique (nouveau produit ou process), marketing (distribution novatrice), financier
(accès à de nouvelles sources de liquidités) ou stratégique (prises de contrôle permet
tant des gains de taille ou de capacité de diversification) ;
––optimiser la mise en œuvre de ses fonctions dans une perspective intégrée, quelle
que soit son origine mondiale ou locale.
Pour Rugman1, qui s’appuie, en 2005, sur une enquête menée sur 365 firmes de « For
tune 500 », depuis 2001, sans discuter de leurs caractéristiques ci-dessus, la globalisation
procéderait cependant du mythe, la plupart de ces entreprises majeures se cantonnant
à un niveau régional, ou deux, parmi les « grands ensembles régionaux » qu’il dis
tingue : Amérique, Europe et Asie. Au-delà du débat adaptation/standardisation, très peu
d’entreprises étudiées seraient véritablement « globales » mises à part, à l’époque,
moins d’une dizaine, telles, IBM, Sony, Coca-Cola, qui se définiraient comme ayant, au
moins, 20 % et, au plus, 50 % de leurs ventes dans chacune de ces trois régions.
Il est, cependant à se demander si, depuis 2005, le nombre de ces entreprises couvrant
l’ensemble des continents ne s’est pas multiplié, non seulement parmi les firmes de « For
tune 500 », mais également au niveau des firmes de taille plus modeste, et, notamment,
des « champions internationaux » des économies à croissance rapide que le BCG2
s’applique désormais à recenser et dont il repère la progression d’années en année.
La taille, à première vue nécessaire pour remplir les critères ci-dessus, n’est pas
toujours, en effet, un élément suffisant pour distinguer les firmes « mondiales » des
autres firmes internationales : certaines peuvent se focaliser sur des segments, certes
mondiaux, mais très étroits, leur permettant d’être d’emblée compétitives – voire
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
dominantes – sur tous les marchés accessibles. Ces organisations que l’on pourrait
qualifier de « mini multinationales », comme Sidel, l’un des premiers mondiaux
pour la fourniture de solutions d’emballage de liquides alimentaires3, doivent,
cependant, être en mesure de mobiliser leurs ressources, où que ce soit, pour faire
échec à la concurrence. Ce qui peut mettre en cause l’indépendance des plus petites
ou même celle des plus grandes, surtout, lorsque leur profitabilité est remise en
cause par des chocs conjoncturels4.
1. Rugman, A. M., The Regional Multinationals, MNEs and « Global » Strategic Management, Cambridge :
Cambridge University Press 2005, voir, aussi, Mayrhofer, « La firme multinationale : une entreprise en perpétuelle
évolution », in U. Mayrhofer, Le Management des firmes multinationales, Vuibert, 2011.
2. Cf. repère :“BCG Global Challengers ».
3. Cf. cas d’application chapitre 4 « Sidel, une dynamique internationale « tous azimuts ».
4. Cf. cas introductif du chapitre 1 « Cemex pris au double piège de la crise immobilière et financière. »
177
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Indépendamment des types de stratégies qui seront évoquées plus loin1, il serait
possible, à ce stade de l’analyse, de distinguer, plus simplement, par catégories
d’activités, les organisations en fonction des changements susceptibles de modifier
leur positionnement dans chacun des environnements géographiques où elles sont
susceptibles de se développer.
En reprenant la typologie des activités – globale, locale et mixte –, on peut souli
gner, au niveau sectoriel, les facteurs de changement les plus propres à y faire évo
luer le positionnement des acteurs et à mettre en cause la solidité de leur position :
––Ce qui caractérise les activités « à dominante globale », en dehors de la capacité
à bénéficier des effets volumes, c’est la dominance technologique (particulière
ment pour les activités B to B) et/ou la possession d’une marque mondiale (parti
culièrement pour les activités B to C) ; les plus puissants facteurs de changement
se situeront à ces différents niveaux :
–– avec l’apparition de nouveaux leaders2 technologiques, annihilant l’avance des
acteurs dominants en place ;
–– avec l’altération de l’image de marque de produits phares à la diffusion mon
diale, comme on a pu l’observer à la suite des scandales ayant touché certains
blockbusters pharmaceutiques3 ;
–– ou même, le brouillage d’image d’entreprises majeures de secteurs comme le
secteur pétrolier, consécutif à certaines catastrophes écologiques4.
Remarque
Dans ces secteurs, de plus en plus nombreux, les acteurs concernés, même les mieux éta
blis, peuvent voir leur prédominance contestée, aussi bien comme leaders technologiques
que comme acteurs pouvant se prévaloir d’une véritable « marque mondiale »5.
1. Voir, infra, Chapitre 7, Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation et Chapitre 8, La mise
en œuvre de la stratégie d’internationalisation. Voir aussi U. Mayrhofer, « La firme multinationale : une entreprise
en perpétuelle évolution ? » in U. Mayrhofer Le management des firmes multinationales, Vuibert, 2011 ; voir éga
lement, Milliot Éric, « Stratégies d’internationalisation : une articulation des travaux de Porter et Perlmutter »,
Management & Avenir, 2005/1 n° 3.
2. Cf. exemple 3.5 « La révolution de la téléphonie mobile ».
3. Selon les études commandées par l’Afssaps (l’Agence de sécurité sanitaire des produits de santé), le Mediator,
des laboratoires Servier, aurait provoqué entre 500 et 2000 décès, entraînés par des maladies cardiaques depuis
2006. Il n’est retiré qu’en 2009 entraînant la mise sous surveillance de 77 autres médicaments (Le Monde, pour Le
Monde.fr, 01/02/2011).
4. Cf. de la catastrophe du Torrey Canyon, affrété par l’Union Oil of California, en 1967 et l’Amoco Cadiz, par
la Standard Oil, en 1978, dans la Manche, en passant par celle de l’Exxon Valdez, en Alaska, en 1989, les marées
noires provoquées par l’Erika, affrété par Total en 1999, jusqu’à l’explosion de la plateforme de BP Deepwater
Horizon dans le golfe du Mexique à laquelle est associée le nom de BP, en 2010.
5. Ibidem exemple 3.5 « La révolution de la téléphonie mobile ».
178
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
Remarque
Dans une perspective de libéralisation/déréglementation, les acteurs locaux résisteront
mieux, en principe, dans les secteurs influencés par la culture locale (culture driven ou
culture bound) ; ce sera plus difficile pour eux dans les secteurs directement influencés
par les évolutions technologiques rapides (technology driven ou culture free) et offrant
des produits ou des services standards3.
––Et pour les activités « mixtes », enfin, les organisations peuvent se trouver sou
mises à des contraintes de proximité déterminées par la faible valeur ajoutée uni
taire de leur production, combinée à des coûts d’acheminement (ciment) ou à des
coûts ou à des déperditions élevés liés au transport (« utilités » : eau, gaz, électri
cité), à leur caractère périssable (produits frais de base), ou encore, à la nécessité
de développer des réseaux de distribution spécifiques pour une clientèle locale
(télécommunications, grande distribution, banque de détail). Les facteurs de trans
formation sont, pour elles, nombreux : dans les économies matures comme, de
plus en plus, dans les économies émergentes, avec le développement des nouvelles
technologies de l’information et de la communication (NTIC) et la diffusion
rapide d’Internet ; sans, pour autant, négliger la prise en compte indispensable du
développement durable, qui suscite l’apparition, dans de nombreux secteurs,
d’offres de substitutions moins polluantes4, plus décentralisées (énergies renouve
lables) ; à l’inverse, certaines de ces activités permettent une appropriation rapide
par les acteurs locaux des savoir-faire apportés par les premiers entrants étrangers
(grande distribution5).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
179
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Exemple 3.7 – La mondialisation à marche forcée des géants des secteurs de la bière
et de la mode/fast fashion
Ces deux secteurs, présentant tous deux une structure d’oligopole à franges1, connaissent
depuis une dizaine d’années un mouvement de concentration particulièrement marqué,
avec des logiques similaires, mais en suivant des voies différentes, l’une pratiquant la
croissance externe à tout va, l’autre privilégiant la croissance organique.
Pour le secteur de la bière, comme pour le secteur de la mode (ou, plus précisément, de
la confection ou de la fast fashion), les incitations à l’internationalisation des acteurs du
secteur sont, en effet, similaires :
–– D’une part, la demande mondiale de bière progresse en dépit de la crise (ainsi la
consommation de bière passerait de 190 milliards de litres en 2011, à 217 en 2016) ;
compte tenu des spécificités du marché de la mode une évaluation précise est plus dif
ficile, même si la tendance à la croissance est claire.
–– D’autre part, les marchés, dans l’espace de référence d’origine des leaders de chacun
des deux secteurs sont sinon en décroissance durable, du moins en phase de consolida
tion, les relais de croissance étant, dans l’un et l’autre cas, à rechercher dans les éco
nomies émergentes.
Mais, si les incitations sectorielles à la croissance et à la diffusion géographique sont
similaires, les modalités de cette croissance divergent :
–– Pour les leaders du secteur de la bière2, la course à la taille, se traduit entre les acteurs
de l’oligopole mondial (AB Inbev, SAB Miller et Heineken) représentant déjà à eux
seuls, en 2012, 60 % environ du marché, par la généralisation de fusions et d’absorp
tions, parfois hostiles : le groupe belgo-brésilien ayant donné naissance au premier
groupe mondial AB Inbev, avec la méga fusion réalisée (à 52 milliards de dollars) avec
Anheuser Bush (connu pour sa célèbre Budweiser) et la reprise du capital restant du
Grupo Modelo (brasseur de la Corona) l’ensemble du groupe ainsi constitué contrôle
plus de 25 % du marché mondial, avec un chiffre d’affaires de plus de 35 milliards de
dollars, alors qu’en 2011, le Britannique SAB Miller a jeté son dévolu, à l’occasion
d’une offre publique d’achat hostile sur l’Australien Foster’s, avec, désormais, une part
de marché mondial dépassant 10 %, devant Heineken qui lui a soufflé, en 2010, le
numéro deux mexicains Femsa. Cette consolidation et cette internationalisation accé
lérées du secteur ne semblent pas prêtes à se ralentir, d’autant plus qu’en Asie, où la
consommation progresse le plus, les groupes chinois, Tsingtao, Beijing Yangjing
Brewery et China Resouces Enterprise, également parmi les dix premiers mondiaux,
sont en embuscade…
–– Pour les leaders du secteur de la mode3, l’Espagnol Inditex/Zara (avec un chiffre d’af
faires de 13,8 milliards d’euros), le suédois H & M (12,4), l’américain Gap (10,9) et le
Japonais Uniqlo (9), cette course à la taille passe par la croissance interne, avec la mul
tiplication des magasins dans le monde entier pour échapper à la morosité relative de
leur marché d’origine qui représente encore – sauf pour Zara avec 45 % seulement –
plus des deux tiers de leurs ventes : les créations vont représenter plusieurs centaines
180
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
de magasins – entre 200 et 500 pour chaque enseigne, chaque année (sauf pour Gap
qui suit, pour l’instant, un rythme plus lent). Leur focalisation principale se fait sur les
ECR et, particulièrement la Chine qui fait l’objet de toutes les attentions, même si les
droits de douane obligent ces quatre leaders, comme leurs concurrents étrangers à s’y
positionner dans la catégorie premium. Ils accélèrent leur croissance en multipliant,
comme les brasseurs, les marques proposées à la clientèle, à cette différence près que
ce sont des marques « maison » plutôt qu’héritées de reprises d’entreprises locales, en
menant, aussi des opérations d’implantation systématique sur ces nouveaux marchés à
partir de magasins porte-drapeau – flagship – dans les capitales ou les villes principales
des pays visés et en développant de plus en plus, à l’instar des grands acteurs du luxe,
des campagnes de publicité massives.
Une double dynamique de sens opposé pourra donc animer cet ensemble de sec
teurs mixtes combinant les caractéristiques des deux précédents, Elle sera suscep
tible d’entraîner les acteurs :
––soit vers les activités à dominante globale, en s’appuyant sur les progrès des trans
ports et de la communication, comme sur la standardisation progressive des pres
tations attendues des utilisateurs et des clients, l’alignement de l’offre sur une
demande de plus en plus mondialisée et la mobilité accrue des équipes (banque
d’investissement, assurances) ;
––soit vers les activités à dominante locale, pour les activités qui portent sur des
produits et des services encore très influencés par la culture locale, avec le soutien
plus ou moins appuyé des autorités (cf. grande distribution), sans pour autant que
ces activités mixtes – comme, d’ailleurs, le groupe des activités à dominante
locale –, n’échappent à un mouvement général de rapprochement de l’axe global.
Dans chaque secteur, les acteurs et, en particulier les leaders, suivent donc, à une
cadence qui peut varier sensiblement de l’un à l’autre, une logique de développe
ment qui s’inscrit dans leur évolution respective vers la « globalisation ». Il convient
de noter, toutefois, que, pour ceux qui présentent déjà une structure oligopolistique,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
cette évolution sera plus sensible. Ce qui ne présume pas du maintien des positions
acquises, surtout si l’innovation, l’organisation et la compétitivité1 ne sont pas là
pour soutenir cette progression ; en particulier pour faire face à la concurrence mon
tante des « champions internationaux des économies à croissance rapide (ECR) ».
Mais, s’agissant précisément de ceux-ci, le changement de la donne qu’ils
amorcent souligne et prolonge d’autres évolutions apparues dans les économies
matures, essentielles, elles aussi, pour comprendre la dynamique d’internationali
sation des secteurs.
1. les « leviers » qui ressortent de l’analyse au niveau 3 du PREST (voir chapitre 1 section 3 et chapitre 4,
section 3)
181
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Activités à Organisations
+ Huawei
Intel dominante mondiales
globale
HSBC
LVMH Unilever L’Oréal
Inditex-Zara Accor AB Inbev
Goldman Sanofi
Sachs AXA Organisations
continentales
Yara Renault -Nissan Casino
Cemex multi-continentales
Pression des Veolia Enda
forces de Air Liquide Tiers Monde
globalisation Activités
« mixtes » Bharti
La Voute
Organisations
régionales
Comin Asia
Cimenterie
Nationale
Activités à
dominante Organisations
locales domestiques
–
Section
2 Dynamique internationale des secteurs :
facteurs de mutation intra-sectoriels
Indépendamment de l’évolution plus ou moins rapide de très nombreux secteurs vers
la globalisation/mondialisation, à des rythmes et dans des conditions différentes selon
leur degré de concentration, il faut souligner aussi les évolutions des relations intra-
branches et plus uniquement à l’intérieur de zones de proximité ou de zones écono
miques intégrées, comme l’Union européenne, le Mercosur, l’Alena ou l’APEC…
Le développement du commerce croisé intra-zone, dans le cadre de chaque secteur
tend à profiter du décloisonnement qui s’établit, non seulement à l’intérieur de
cadres géopolitiques dont les membres ont décidé de s’ouvrir entre eux à la concur
rence. Il progresse aussi entre zones, au fil de la diffusion de règles partagées
– certes, encore de façon très imparfaite – dans le cadre de l’Organisation mondiale
du commerce ou de la signature d’un certain nombre d’accords bilatéraux, entre
182
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
pays ou entre pays et zones1. Comme les autres mutations identifiées précédemment,
ils remettent en cause la spécialisation internationale traditionnelle, pour souligner,
au niveau des secteurs, une nouvelle répartition tendancielle de la production entre
zones et entre acteurs.
1. Cf. entre la Chine et l’APEC/ASEAN, entré partiellement en vigueur en 2005.(J.P.Baquiast, 01/02/2010, http//
www.europesolidaire.eu), voir aussi cas d’application du Chapitre 1, Vietnam, le défi de l’OMC, cas CCMP, 2013,
accords bilatéraux Vietnam/États-Unis , et Vietnam/Union européenne, avant l’adhésion du Vietnam à l’OMC.
2. Linder S.-B., An essay on Trade and Transformation, New York, Wiley, 1961.
3. Grubel H., Llyod P., Intra-Industry Trade, Londres, Mac-Millan, 1975.
4. On parle alors d’optimum de second rang, dans la mesure où l’une des conditions de la concurrence pure et
parfaite n’est pas remplie, certains obstacles à l’entrée demeurant pour les pays tiers . Ce qui est le cas pour les
unions douanières, avec l’existence d’un tarif extérieur commun, et pour les zones de libre échange, avec le maintien
de barrières aux frontières de chaque pays membre.
183
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
184
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
Exemple 3.8 – Airbus installe une ligne de production pour la famille des A 320
en Alabama
La nouvelle est tombée début juillet 2012 : au grand dam de son concurrent Boeing, Air
b us a rendu publique sa décision d’installer en Alabama une ligne de montage de mono
couloirs de la famille A 320 (A 319S, A 320S et A 321S), les concurrents directs de la
famille 737. La décision apparaît logique, dans la mesure où les ventes mondiales d’Air
bus représentent environ 50 % du marché des moyens courriers, alors qu’elles ne repré
sentent, aux États-Unis, que 17 %.
Si on ajoute à cela que ce marché des moyens courriers représente 70 % des 26 000 appa
reils qui seront commandés d’ici à 2030 et, qu’à lui seul, le marché américain « pèsera »
40 % de cette catégorie, se rapprocher des compagnies aériennes américaines se justifie
pleinement ; d’autant qu’il s’agit là d’une extension de marché qui fournira du travail aux
usines européennes du groupe : selon les experts2, la création d’un emploi aux États-Unis
(1 000 sont prévus pour la nouvelle usine, qui coûtera 600 millions de $), en générera 13
à 14 en Europe, dont 9 chez les sous-traitants.
Par ailleurs, les coûts de la valeur ajoutée apportée par la structure américaine seront
libellés en dollar et, donc l’exposition du risque de change du groupe sera allégée
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
d’autant. Sans parler, comme le déclarait Tom Enders, le patron d’Airbus, que cet enga
gement s’inscrit dans une imbrication étroite des industries aéronautiques des deux côtés
de l’Atlantique, étendant la présence du groupe aux États-Unis et en Alabama particuliè
rement, État où la législation du travail n’est pas trop contraignante : « Nous employons
200 personnes dans notre centre de recherche de Mobile. Nous avons ouvert un bureau
d’ingénierie à Wichita, au Kansas. Nous achetons pour plus de 11 milliards de dollars par
an aux entreprises locales. Nous avons confié à l’américain Spirit la conception d’une
partie clef du fuselage de l’A 350. Nous avons de nombreux clients américains… » et le
but est de développer les relations avec ceux-ci, comme d’en trouver d’autres. D’ailleurs,
depuis qu’en 2004 Eurocopter a implanté une usine au Mississipi, sa part de marché a
doublé aux États-Unis, atteignant les 50 %.
185
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
186
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
––à accélérer les transferts de technologie, à travers les relations passées avec les
fournisseurs et investisseurs étrangers des économies matures ;
––et, désormais, de plus en plus, à encourager des « champions internationaux1 »,
capables, par eux-mêmes, de développer de nouvelles technologies ou à les acqué
rir en prenant le contrôle d’entreprises des économies matures, propres comme
Lenovo ou Geely, à leur fournir les savoir-faire leur faisant défaut.
c Repère 3.6
La Chine et l’Inde, un parallélisme décalé
Alors que l’enjeu, pour la Chine de la fin des années 70, a consisté à libérer progres
sivement les prix et à désengager l’État des activités productives en « laissant se créer »
un secteur privé jusque-là inexistant, l’enjeu en a été pour l’Inde de s’affranchir d’un
système bureaucratique (également d’inspiration soviétique), initialement destiné à
assurer une juste répartition des ressources dans un pays où le secteur privé s’était
développé de longue date2.
En revanche, l’ouverture sur l’extérieur s’est effectuée de façon tout à fait comparable,
en libéralisant, dans l’un et l’autre pays – à quelques années d’intervalle, suivant des
modalités différentes, propres aux disparités structurelles entre les deux pays – le
commerce extérieur et en s’ouvrant aux investissements étrangers.
En Chine, cette ouverture s’est principalement effectuée par le démantèlement du
monopole de l’État sur le commerce extérieur, alors qu’en Inde, l’ouverture s’est
appuyée sur le démantèlement des tarifs douaniers et des quotas d’importation.
Sur le plan monétaire, la convertibilité de la Roupie comme du Yuan reste tributaire
d’un contrôle étroit des autorités monétaires des deux pays, depuis longtemps sou
cieuses de les faire évoluer en corrélation étroite avec le dollar3, l’Inde se montrant plus
encline à évoluer vers une flottaison sur les marchés de change, tandis que la Chine ne
laisse que très lentement et de manière très contrôlée sa monnaie s’apprécier, en par
ticulier par rapport aux devises des économies matures4. De manière plus contrastée,
la Chine a autorisé plus vite (après une très longue période de « partenariat obligé » ;
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
formule qui reste d’ailleurs dominante) tous les types de montage en matière d’implan
tation étrangère (jusqu’aux filiales à 100 %), que l’Inde, qui a longtemps limité la par
ticipation étrangère à 51 % dans de nombreux secteurs ; quand elle ne les a pas
maintenus fermés, comme la grande distribution. Dernier point clé, dans ce domaine :
le cadre juridique, est plus rassurant pour l’investisseur étranger en Inde, malgré ses
lourdeurs administratives, qui se comparent favorablement au vide juridique chinois
qui tarde à se combler.
☞
187
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
Sur le plan du risque, en dépit d’une nouvelle orientation libérale officiellement revendi
quée par le gouvernement Rao, au début des années 1990, face à la continuité socialiste
affichée par les dirigeants chinois, le « risque » indien est longtemps apparu sensiblement
plus élevé que le risque chinois. En Inde, la vie politique, très agitée, parfois violente, a
conduit à le surestimer quelque peu ; mais d’autres facteurs, comme le niveau plus faible
de l’épargne et son utilisation prioritaire au financement d’un déficit budgétaire et d’une
dette publique importants, ont longtemps obéré la croissance du pays, comparativement
à celle de son grand voisin1. Désormais, cependant, la situation s’est améliorée et les
investissements étrangers en Inde se sont très sensiblement développés2.
Au-delà de ces différences de forme, de rythme et d’environnement politique, pour l’un
comme pour l’autre, le lien entre exportation et croissance s’établit à trois niveaux :
––au niveau de l’avantage compétitif que constitue, dans les deux pays, le bas coût de
la main-d’œuvre qui permet, par la simple réorientation de l’investissement vers les
secteurs exportateurs, d’améliorer la productivité du capital ;
––au niveau du desserrement de la contrainte extérieure, c’est-à-dire de la levée d’un
certain nombre d’obstacles aux importations de biens d’équipement, qui encourage
la croissance des exportations ;
––au niveau de la confrontation des entreprises à la concurrence internationale, ce qui
stimule le progrès de ces dernières en matière de productivité et la montée en puis
sance de « champions internationaux » issus de ces deux pays.
Ces convergences ne signifient pas, pour autant, que la Chine et l’Inde en sont au
même point dans leur processus de développement et dans leur insertion dans
l’échange international : même si l’Inde, plus tardivement ouverte, a sensiblement pro
gressé depuis 2003-2004, elle reste surclassée par la Chine, tant pour le volume de ses
exportations que pour les investissements étrangers qu’elle attire. Pour autant, l’Inde a
sensiblement amélioré sa position, sur un mode moins structuré que la Chine, en dépit
des disparités considérables d’un État à l’autre et de la faiblesse relative de ses autorités
fédérales. Elle ferait presque figure, du fait de sa moindre dépendance de l’extérieur,
particulièrement depuis la crise mondiale, de foyer de stabilité au regard du reste de
l’Asie, avec des taux de croissance qui tendent à rejoindre ceux de son dynamique
voisin, contraint désormais de réajuster son modèle de développement à une nouvelle
donne internationale qui la force, à son tour, à rechercher sur son propre territoire les
relais de croissance qui lui sont nécessaires pour les maintenir3.
1. Si le risque pays en Chine reste faible, selon la Coface, les collectivités locales chinoises, particulièrement
endettées, et des PME qui représentent plus de 60 % de l’activité productive, sont à surveiller, devant faire face, tout
à la fois, à des pressions salariales fortes, à l’appréciation du yuan et et à des problèmes d’accès au financement. En
Inde également, l’endettement croissant des entreprises privées est couplé à un problème de gouvernance induit par
des problèmes de corruption. Mais, si la qualité de l’environnement des affaires en souffre, l’Inde affiche un risque
pays relativement faible (cf. colloque Coface risque pays, 16/1/2012). Voir aussi Chapitre 2, section 2, Repère 2.5.
Easyness of doing business in India.
2. Cf. figure 1.2 « Économies matures et émergentes ».
3. « L’Asie dans la tempête globale », sous la direction de T. de Montbrial et de P. Moreau Defarges, Ramses
2010, Ifri, Dunod, 2009.
188
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
les matières premières produites dans le pays, en vue d’acquérir en contrepartie les
produits finis manufacturés en provenance des pays industrialisés.
1. Krugman P.-R., Obstfeld M., in : Économie internationale, Pearson, 2006 , « La politique commerciale dans
les pays en développement ».
2. Suivant le modèle du Japon de remontée filière et de développement « en vol d’oies sauvages » (cf. figure 3.6.
Le développement « en vol d’oies sauvages » d’Akamatsu, la Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan ont
rapidement atteint un niveau de développement qui les situe au niveau des économies les plus développées.
3. Cf. figure 1.5 « Le Diamant de Porter ».
189
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Volume
Importations
Production
Importations Production
Exportations
Exportations
Temps
« Les oies sauvages vont en automne au Japon, en provenance de la Sibérie où elles retoument
au printemps, et elles volent selon des formes en V inversées, qui se recouvrent en partie. »
1. Source : K. Akamatsu, “A Historical Pattern of Economic Growth in Developing Economies”, The Developing
Economies, Preliminary Issue, No. 1, March-August. 1962;
2. Le secteur automobile japonais fournit un bon exemple de ce double phénomène de « remontée de filière » :
dans un premier temps, les industriels japonais ont été en mesure d’assurer sur place l’ensemble du processus dc
production, puis de concevoir et de fabriquer leurs propres modèles. Ils ont, progressivement, appliqué la même
démarche aux équipements destinés à équiper les chaines de production, devenant même leaders technologiques
dans ce domaine, en particulier en matière de robotisation des chaînes de production ; sans parler de leur capacité
à créer une référence mondiale en termes de système de production, pour le secteur automobile (et d’autres secteurs
industriels qui s’en sont inspirés), le Toyota Production System (TPS).
190
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
par les coûts logistiques. L’exemple d’Havells Sylvania, entreprise d’origine indienne,
qui emploie 250 personnes dans son unité de production belge est, à ce titre révélateur :
elle y trouve son compte en matière de réduction de son besoin en fonds de roulement ;
un produit asiatique met en effet, en dépit des progrès de la logistique, cinq à six semaines
pour atteindre l’Europe.
La riposte technologique européenne sur les produits de masse s’organise d’ailleurs, avec
l’aide des autorités de Bruxelles, à l’image de ce qui s’observe déjà en Asie et aux États-
Unis où les pouvoirs publics ont à cœur de soutenir l’éclairage LED. Des places sont
d’ailleurs, d’ores et déjà à prendre dans le « sur-mesure » pour les Européens, justifiant
une nouvelle « division internationale du travail1 » : si, « pour un produit simple, comme
un ruban lumineux pour les magasins, les semi-conducteurs viennent de Corée et du
1. Voir, supra , chapitre 1, 1.2.1. Le renouvellement des theories de l’échange international et la remise en cause
relative de la specialization international.
191
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Japon, les LED sont montés en circuit en Asie, et les profilés d’aluminium sont fabriqués
en Turquie. Sur les briques de verre éclairées, plus haut de gamme, la connectique et les
câbles viennent du Mexique la carte LED est achetée à Taiwan, et le tout est assemblé à
Vendôme en France. La salle de réception de l’émir d’Abou Dabi, peu sensible au prix,
l’éclairage est entièrement [si on peut dire] Made in France1 ».
1. I. François-Feusrtein, « Les fabricants de LED veulent plus de soutien de Bruxelles » Les Échos, 29/2/2012.
192
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
L’innovation ne suffit plus pour s’assurer d’un délai de lancement satisfaisant, c’est-à-
dire le plus court possible pour prendre position sur une nouvelle technologie ou imposer
un nouveau produit : le time to market, dépend aussi de nouveaux savoir-faire et de condi
tions d’organisation du travail bien spécifiques, que sont susceptibles d’offrir certains
territoires pour certaines activités. Indépendamment des conditions de travail qui ne
rentrent guère dans les normes pratiquées chez les donneurs d’ordre et qui évolueront
sans doute dans le futur comme il ressort des mouvements sociaux qui commencent à se
faire jour en Chine. Ce sont des compétences particulières, des avantages compétitifs
uniques dans le domaine de l’organisation et de la réactivité qui sont ainsi disponibles et
qui ne laissent rien augurer de bon de la réindustrialisassion des économies matures ;
dans certains secteurs, du moins.
Les relations intra-branche et, de plus en plus, inter-zones, dans une activité (un
secteur ou une industrie), remettent en cause les schémas traditionnels de la spécia
lisation internationale pour faire découvrir, au-delà d’une certaine déspécialisation
entre économies matures et économies émergentes, un nouveau type de spécialisa
tion. Celle-ci n’oppose plus, dans certains secteurs du moins, activités de concep
tion et de pilotage (localisées dans les économies matures) aux activités d’exécution
(localisées dans les économies émergentes), mais donne aux acteurs des pays
émergents, à certains stades de la chaîne de valeur, la complète maîtrise de savoir-
faire devenus indispensables, lorsque ce n’est pas la maîtrise complète de la chaîne
de valeur du secteur qu’ils réussissent désormais, de plus en plus souvent, à acqué
rir pour parvenir à devancer les acteurs dominants traditionnels du secteur.
C’est ce que vise à dégager l’approche des enjeux sectoriels dans les espaces de
référence ou d’expansion « géo-sectoriels », croisant la dimension géographique et
la dimension sectorielle, que les organisations qui y sont engagées doivent simulta
nément prendre en compte pour définir leurs orientations stratégiques avant de les
mettre en œuvre.
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193
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
bien entre territoires qu’activités, conduit, sur un plan opérationnel, à analyser les
enjeux de l’environnement, en croisant, pour chaque organisation envisageant son
développement international, les deux dimensions, géographique et sectorielle, au
niveau d’approche approprié pour elle, tant pour ce qui concerne :
––sa taille, son expérience, la transposabilité de ses atouts hors frontières et ses res
sources lui permettent1;
––le degré de globalisation du secteur auquel elle appartient, la structure – plus ou
moins oligopolistique – qui le caractérise, et les relations intra-sectorielles qu’on
y observe ;
––les comportements des autorités et des institutions dans les différents territoires,
aussi bien pour l’accueil qu’ils peuvent réserver aux acteurs étrangers que pour le
support qu’ils offrent aux acteurs issus de leur espace économique.
À ce titre, l’approche géo-sectorielle, doit être faite, selon la posture, « tous azi
muts » ou plus ou moins « focalisée » retenue, que l’on pourrait illustrer, par
l’exemple des activités évoquées dans les développements qui précèdent :
––l’aéronautique, en se plaçant dans une perspective « tous azimuts », face aux
transformations qui sont intervenues au cours de la période récente, du point de
vue des deux leaders du marché mondial des moyens (et gros) porteurs, jusqu’à
présent duopole, mais, aussi de celui des challengers, canadien, brésilien et, plus
particulièrement, russes et chinois, déjà prêts à contester leur suprématie ;
––la téléphonie mobile, en se plaçant dans une perspective « focalisée », dans une
zone géographique à fort potentiel, comme la Chine, en adoptant le point de vue
des acteurs étrangers majeurs – Samsung, Nokia, LG… – et des « locaux » – ZTE
et Huawei2 – qui y opèrent.
C’est la démarche « tous azimuts » que l’on privilégiera ici, sachant qu’elle pourra
être, ensuite, déclinée, en fonction des orientations géo-sectorielles prioritaires qui
en ressortiront, en une ou plusieurs démarches « focalisées », utilisant le même
cadre, mais appliquée à un espace de référence ou d’expansion plus restreint, mais
présentant des caractéristiques spécifiques plus homogènes qui détermineront des
conclusions plus précises et plus adaptées à son environnement.
Dans une perspective « tous azimuts », qui se justifie pour l’analyse des transfor
mations et de la dynamique d’activités « à dominante globale », il convient d’appré
1. Voir chapitre 4 section 1 et, particluièrement, le repère 4.1 « La théorie OLI ».
2. Que nous retrouverons comme cas introductif du chapitre 4 et dont les éléments pourront servir à structurer
une démarche identique , « tous azimuts » ou « focalisée »…
194
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
c ier leurs lignes de force et leurs mutations en cours ou en gestation, avant d’en
mesurer les enjeux consécutifs pour les différents types d’acteurs qui y opèrent.
Ce qui mobilise les deux premiers niveaux du modèle PREST, à la fois :
––pour faire ressortir les pressions externes (niveau 1) – politico-réglementaire, éco
nomiques et sociales, technologiques – qui s’appliquent au secteur dans l’espace
de référence – mondial, en l’occurrence –, en faisant ressortir les principaux élé
ments convergents, mais aussi divergents, qui les caractérisent ;
––pour en déduire les enjeux sectoriels (niveau 2) – adaptation, redéploiement,
concurrence – auxquels l’ensemble des acteurs du secteur se trouvent actuellement
et se trouveront confrontés dans les années à venir, auxquels ils devront répondre
selon les moyens respectifs dont ils disposent.
Une telle démarche « tous azimuts », pour un secteur déterminé, pourra se révéler
utile aux organisations à différents niveaux d’internationalisation – du global au
régional (au sens d’un groupe de pays, et, même, de pays de proximité) :
• Elle pourra s’appliquer, comme ici, à des organisations (leaders ou challengers)
qui se positionnent d’emblée ou souhaitent se positionner sur un marché global,
comme celui de l’aéronautique commerciale, et particulièrement, du marché très
convoité et en évolution rapide des moyens courriers.
–– Pour les acteurs qui y opèrent, comme Airbus, c’est une analyse indispensable qui doit
être constamment remise à jour, en fonction des événements marquants (commandes
passées lors d’un salon international, ou pour vérifier que telle ou telle hypothèse
d’évolution se vérifie ou non dans les délais d’occurrence que l’on aurait fixé (cf. crois
sance ou décroissance de la demande internationale, évolution des prix des hydrocar
bures, évolution des taux de change, entrée d’un nouveau concurrent…).
––Cela ne présume pas, comme cela vient d’être indiqué, de la nécessité de dévelop
per, au-delà de cette approche « tous azimuts » une approche « focalisée » sur un
espace de référence plus restreint : un grand pays, comme les États-Unis, la Chine
ou le Brésil, une zone, l’Asie du Sud Est, le Moyen-Orient… ou un pays clé,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
comme Dubaï1.
• Elle pourrait aussi s’appliquer, à des organisations de taille plus modeste, qui
cherchent à déterminer leurs priorités dans un espace d’expansion plus restreint,
dans lequel elles envisagent de se déployer, à court ou plus long terme. Des entre
prises moyennes, comme des PME, opérant dans une activité mixte, voir locale
(avec un espace de référence de proximité) pourront y avoir recours. Ce sera le cas
pour des organisations de taille modeste, dans des activités présentant peu de
caractéristiques globales, comme la Cimenterie Nationale2, entreprise familiale,
1. Où se situe le siège d’Emirates, avec, à proximité immédiate, Etihad à Abou Dhabi et Qatar Airways à
Doha.
2. Cas « La Cimenterie Nationale (Liban) », J.-P. Lemaire, disponible dans sa version développée en français et
en anglais à la Centrale des cas et des données pédagogiques, parution prévue en 2013.
195
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
située au nord du Liban, dont le site unique de production, quoique bien situé, ne
peut envisager a priori qu’un espace d’expansion restreint, accessible par le réseau
autoroutier régional ou par le port en eau profonde dont elle dispose. L’approche
« tous azimuts » ne concernera donc, en dehors de destinations occasionnelles plus
lointaines, qu’une zone de proximité ne couvrant, en plus du Liban, que quelques
pays proches, que l’instabilité régionale, économique et, surtout, politique,
commandera de reconsidérer en permanence pour redéfinir les cibles géogra
phiques et les modes d’approche à privilégier.
1. Voir, ci-dessus, repère : l’effet d’expérience, section 1 et Exemple : la construction aéronautique, un duopole
menacé ?, section 2.
2. Un nouveau jugement a été rendu en 2011 dans la guerre juridique qui oppose à l’OMC les deux leaders de
l’aéronautique, un chiffre de subventions illégales de 5,3 milliards d’euros étant même mentionné comme montant
versé à Boeing par les gouvernement américain, tandis que les 20 milliards dont aurait bénéficié Airbus, selon
Boeing, ne sont pas prises en compte. Ce qui satisfait Airbus, pourtant condamné pour l’octroi d’avances rembour
sables dont il avait bénéficié et qui avait été considéré en juin 2010 comme faussant la concurrence. (« Match nul
entre Airbus et Boeing à l’OMC », Challenges, 7/4/2011).
196
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
le transport intérieur des grands ECR, qui donnent à celles-ci un pouvoir de marché
considérable et de bonnes raisons de diminuer au maximum, et leurs coûts d’équipe
ment, et leur dépendance extérieure.
–– Les pressions technologiques, sont également déterminées, à la fois :
––par la nécessité de faire diminuer, au niveau de la conception des appareils, les coûts
d’exploitation et l’empreinte carbone des avions, en améliorant la motorisation des
appareils et en utilisant de plus en plus des matériaux composites, tout en améliorant
la sécurité des vols ;
––tout en tirant parti des améliorations de la chaîne logistique qui permettent d’aug
menter l’efficacité des processus de production et la flexibilité du réseau de localisa
tion des productions entre des sites proches et distants, à l’intérieur des zones géo
graphiques de production ou entre elles.
(MODÈLE PREST / 1)
PRESSIONS PRESSIONS
POLITICO-RÉGLEMENTAIRES TECHNOLOGIQUES
Nécessité d’améliorer les matériaux
et la motorisation des appareils
Montée en puissance du libéralisme pour diminuer leurs coûts
Déréglementation du transport aérien d’acquisition/exploitation
Soutien des constructeurs nationaux
(économies matures/émergentes)
Préférence nationale Nouvelles possibilités de flexibilisation
Encouragement des de la chaîne d’approvisionnement
« champions nationaux » Espace de référence Besoin d’amélioration
à la production des moyens courriers géo-sectoriel de l’efficacité
mondial des processus de production
Construction
aéronautique
Moyens courriers
Explosion de la demande de transport aérien Fluctuation des prix de Démocratisation du transport aérien
Augmentation spécifique de la demande l’énergie, des prix des Conditions d’exploitation difficiles des
moyens courriers des grandes ECR matières premières, des compagnies aériennes
Rééquilibrage géographique taux de change et des taux Importance de l’empreinte carbone et
progressif de la demande d’intérêt sensibilité croissante de l’opinion
(économies émergentes/économies matures) à la pollution
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
PRESSIONS SOCIO-ÉCONOMIQUES
J.-P. Lemaire
L’identification des pressions externes permettent de faire ressortir les trois séries
d’enjeux qu’elles induisent dans l’espace de référence mondial pour les acteurs du
secteur, les leaders comme les challengers :
197
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
––enjeux d’adaptation de leur offre, sur le plan mondial, en fonction des attentes que
manifestent les différents types de clients existants et les clients potentiels ; ce qui
recouvre les produits et les services, les conditions de prix, les conditions de livrai
son, les modalités de financement, et la relation client ;
––enjeux de redéploiement géographique et sectoriel que dicte l’évolution de la loca
lisation des besoins, entraînant l’optimisation de leur chaîne d’approvisionnement,
les étapes du processus de fabrication qu’elles « internalisent » et ceux qu’elles
« externalisent », notamment, en les sous-traitant, leurs relations avec leurs sous-
traitants et OEM (original equipmement manufacturers) ;
––enjeux de concurrence qui ressortent de la manière dont se développe la rivalité
entre les acteurs en place (et les acteurs potentiels), les éléments sur lesquels elle
va porter de manière privilégiée, à un moment donné (les coûts ? l’innovation ?...),
la menace et les délais d’arrivée de nouveaux entrants.
Exemple 3.12 – Les enjeux auxquels sont confrontés les acteurs du secteur mondial
des avions moyen courrier
Comme résultant des principales pressions externes qui s’appliquent à ce secteur et qui
viennent d’être présentées, les enjeux géo-sectoriels font clairement ressortir pour les
deux organisations en place, comme pour leurs challengers, la nécessité de réagir et
d’anticiper par rapport aux mutations qu’elles traduisent ou qu’elles annoncent :
–– L’enjeu d’adaptation présente deux aspects contradictoires à résoudre pour les avion
neurs : d’une part, l’augmentation de la demande et la nécessaire montée en puissance
consécutive de leurs structures de production, dont les cadences doivent s’accélérer
pour l’accompagner ; d’autre part, les conditions de la concurrence entre compagnies
aériennes, dont les conditions d’exploitations fluctuent au gré d’une conjoncture très
instable, déterminant des incertitudes quant à leur solvabilité comme la nécessité de
resserrer les prix et les coûts d’acquisition comme d’exploitation
–– L’enjeu de redéploiement géo-sectoriel, porte sur la nécessité corrélative de recompo
ser le portefeuille géographique de clientèle et le portefeuille d’activité, en prenant en
compte les besoins de renouvellement des flottes les plus anciennes (économies
matures), les besoins nouveaux des compagnies plus récentes souvent en plein déve
loppement (économies émergentes et compagnies low cost). Ce qui suppose aussi
d’envisager de rapprocher la production des marchés les plus importants, tout en limi
tant les risques variés qui peuvent y être associés (du risque de change à la perte de
technologie) et de faire évoluer la gamme en fonction des besoins des nouveaux clients
ou des nouveaux besoins des anciens clients, en créant, en conséquence de nouveaux
modèles et/ou en renouvelant les modèles existants.
–– L’enjeu concurrentiel, doit intégrer les changements d’un secteur dont, pourtant, les
barrières à l’entrée sont très élevées. Il engage les acteurs en place, comme les acteurs
nouveaux, à bien identifier à tout moment les déterminants sur lesquels agir pour
gagner ou conforter des parts de marché et/ou fidéliser la clientèle sur le long terme :
les prix, l’innovation, les services associés à l’équipement (la maintenance, les solu
tions de financement…). Il oblige à distinguer chez le concurrent de longue date,
198
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
comme chez le nouvel entrant les avantages compétitifs qu’ils sont en mesure de faire
valoir, comme les champs éventuels de coopération (de coopétition) qui peuvent exister
pour éviter des relations trop conflictuelles (guerre des prix, procès…).
(MODELE PREST / 2)
PRESSIONS PRESSIONS
POLITICO-RÉGLEMENTAIRES TECHNOLOGIQUES
Enjeu d’intensification de la
la concurrence (économies matures/émergentes)
- Identifier les déterminants des gains de parts de marché et de la fidélisation de la clientèle
(prix, innovation, services associés...)
- Anticiper l’arrivée des nouveaux entrants et les nouveaux avantages compétitifs des acteurs en place
« Leviers »
Enjeu de re-déploiement géo-sectoriel à mobiliser par Enjeu d’adaptation de l’offre
pays industrialisés--> pays émergents l’organisatiron Redéfinition des « concepts »
-Reconsidérer la segmentation et les besoins produits/services
de la clientèle
-Évolution de la gamme en fonction des nouveaux Montée en puissance des capacités de production
Prise en compte des fluctuations de la demande
clients et des nouveaux besoins comme des éléments de coût
PRESSIONS SOCIO-ÉCONOMIQUES
Jean-Paul Lemaire
Figure 3.8 – Les enjeux géo-sectoriels auxquels se touvent confrontés les acteurs
du secteur mondial des moyens courriers
C’est donc en réponse à ces enjeux en perpétuelle évolution, qui pourront donc
être déclinés, dans ce cas de démarche « tous azimuts », une ou plusieurs démarches
« focalisées », s’attachant à un pays déterminé, ou à un groupe de pays, selon les
conclusions de cette approche embrassant l’ensemble de l’espace de référence ou
d’expansion de l’organisation considérée.
À la suite de ces deux étapes macro et mesoéconomiques (PREST niveau 1 et
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
PREST niveau 2), qui font ressortir la dynamique des activités dans un espace de
référence déterminé (mondial, en l’occurrence), l’analyse devra être poursuivie, à un
niveau microéconomique : celui où se prennent les décisions des organisations, sur
la base de leurs dynamiques respectives, pour déterminer les « leviers » stratégiques
(PREST, niveau 3) qu’elles pourront opérer dans l’espace de référence considéré et
qu’elles devront adapter, une fois qu’ils auront été identifiés, en fonction de leurs
propres caractéristiques (stratégie d’ensemble, ressources disponibles, expérience,
compétences…).
C’est une démarche du même type qui est proposée ci-dessous, à appliquer à un
autre secteur manufacturier, le secteur automobile et dans un espace géographique
plus restreint même s’il a déjà atteint un niveau élevé de globalisation.
Dans un secteur automobile aussi contrasté que le secteur européen, en 2012, c’est véri
tablement la capacité à bien discerner, à partir d’une bonne identification des pressions
199
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
externes, les enjeux sectoriels qui a permis aux meilleurs d’opérer les bons leviers et de
tirer leur épingle du jeu de manière avantageuse, tandis que d’autres sont à la peine.
Cas d’application
Le secteur automobile européen ; ceux qui rient
et ceux qui pleurent1
En 2012, la situation du marché européen de l’automobile n’est guère engageante.
Une fois les primes à la casse supprimées par des gouvernements en quête d’éco
nomies, la réalité crue s’affiche pour les producteurs, ensembliers et équipementiers :
les ventes européennes sont tombées, en 2011, à 13,6 millions de véhicules, pour
une capacité de production installée totale de 20,6 millions et la situation ne
s’annonce pas meilleure au premier semestre 2012 ! Or, dans la profession on
s’accorde pour considérer qu’une usine ne gagne de l’argent que si elle tourne à
plus de 80 % de sa capacité, avec trois équipes, 24 h/24 h.
Dans un certain nombre de pays, et, particulièrement, en France, on est loin du
compte. Sur leurs sites de production de l’Hexagone, les constructeurs nationaux,
Renault et PSA, sont en dessous du compte, tout comme Opel, la filiale de General
Motors, la firme américaine qui a repris la première place mondiale puis l’a
reperdue face à Toyota. Elle n’a dû son redémarrage qu’à l’appui de l’État américain.
C’est avec elle que PSA vient de conclure une alliance stratégique. Les décisions
concernant la fermeture du site d’Aulnay attestent de la passe difficile que traversent
les constructeurs nationaux dans leur pays et dans leur zone d’origine.
En cette période de crise ce sont plutôt les modèles haut de gamme à forte image et
les modèles d’entrée de gamme qui se vendent sur les marchés français et Ouest
européens. Or, pour les deux constructeurs français, les seconds sont plutôt produits
dans des pays d’Europe Centrale, où les coûts de main-d’œuvre sont sensiblement
plus bas. Et, s’agissant des premiers, les marques françaises ne retireront qu’à partir
de 2018 les fruits du développement de leurs nouveaux modèles, premium, comme
la série des DS de Citroën, à la différence de leurs confrères allemands – exception
faite d’Opel dont les usines, même en Europe, tournent à plein régime2.
Avec le succès d’Audi, Volkswagen, en embuscade pour se hisser à la première
marche du podium mondial, s’est doté d’une marque capable de rivaliser avec
Mercédès et BMW, toujours au zénith des ventes, tout en continuant à prendre des
parts de marché avec ses modèles d’entrée de gamme, même en Europe. Le groupe
de Wolfsburg, fait carton plein en couvrant tous les segments du secteur automo
bile, sans parler des poids lourds : avec Volkswagen, Audi, Skoda, Bentley,
Lamborghini et Bugatti. Même s’il perd de l’argent avec Seat, il a un portefeuille de
marques sans égal. Grâce à ses usines dans 26 pays il optimise, tout à la fois, sa
☞
1. Cas disponible dans sa version développée en français et en anglais à la Centrale des cas et des moyens
pédagogiques, J.-P. Lemaire et G. Petit.
2. « VW conquers the World », The Economist, 7/7/2012.
200
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
☞
proximité avec les marchés porteurs et la répartition de sa chaîne d’approvisionne
ment. Son pari, il y a trente ans, sur le potentiel du marché chinois s’est, à ce titre,
révélé payant : il en contrôle 18 %, tout en se prévalant de 22 % de parts de marché
au Brésil et de 9 % en Russie…
S’en tirant bien dans le reste du monde, le constructeur allemand souffre moins en
Europe, même si le länder de Basse Saxe, toujours détenteur d’une minorité de blo
cage, l’ancre solidement à sa terre d’origine. Mais ce n’est pas uniquement cette
présence sur tous les segments, ce portefeuille de marques prestigieuses ou patiem
ment construites au fil des années, qui expliquent cette santé insolente, à comparer
à celle des autres constructeurs, européens : la Volkswagen way peut désormais se
comparer avantageusement au TPS, le Toyota Production System, que les construc
teurs du monde entier ont longtemps admiré avant que des problèmes de qualité ne
marquent un coup d’arrêt à la progression de la marque japonaise phare. Moins
obsédé par la réduction des coûts, le constructeur allemand a mis plutôt l’accent
sur le partage systématique de pièces entre les modèles et sur l’innovation, sans
parler de son souci du détail et de sa capacité de prendre des risques à bon
escient.
Mais VW n’est pas le seul à faire figure de bon élève en Europe, même s’il est, pour
l’heure, sans doute, le meilleur de la classe1 : Toyota reste dans la course avec son
usine d’Onaing, près de Valenciennes, où sont fabriquées les Yaris dont 90 % sont
exportées, en grande partie vers les États-Unis ; de son côté, Daimler, à Hambach
en Moselle, pour les Swatch dispose d’un centre de production récent, travaillant en
trois équipes, couvrant une surface inférieure de 30 % à celle d’un site classique où
le groupe veut investir 200 millions d’euros. Comme l’explique un associé de
Roland Berger, « Une usine automobile est conçue pour une durée de vie de trente
ans. Les plus récentes permettent d’avoir des machines plus performantes, d’être
plus flexibles, de construire plusieurs modèles sur une même ligne de production
et, enfin, d’alimenter cette dernière en pièces au fur et à mesure, grâce à des petits
convoyeurs automatiques. Tout cela diminue le poids de la main-d’œuvre2 ».
Même les Britanniques, dont on pensait qu’ils avaient abandonné le secteur auto
mobile, font bonne figure, avec leurs structures de production toujours actives3,
dans cet environnement européen automobile bien morose : ainsi, dans son usine
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
de Sunderland, avec 5 000 salariés, Nissan produit 500 000 voitures par an (contre
650 000 pour Renault dans ses six usines françaises4). Est-ce à dire, en suivant
l’exemple des constructeurs américains qui avaient fermé quinze usines en 2008-
2009, qu’il faut en Europe, pratiquer la même politique ? On avait préféré, en
France, notamment, rationnaliser les installations et prendre des mesures d’écono
☞
1. J. Dupont-Calbo, « La botte secrète de Toyota et Daimler », Le Monde, 3/7/2012.
2. S. Amichi, propos rapportés par J. Dupont-Calbo, ibidem.
3. Sept milliards d’euros d’investissement y auront été effectués en dix huit mois par les constructeurs interna
tionaux qui s’y sont installés (E. Albert, « Le réveil de la Grande Bretagne », Le Monde, 3/7/2012). À noter que le
PdG de PSA, Ph. Varin, déclarait, à l’Assemblée Nationale, avoir investi 700 millions d’euros en France ces der
nières années, montant la cadence à 1,5 milliards en 2010/2011, tandis que devant la même commission, C. Tavares,
le DG de Renault, mentionnait un chiffre d’investissement de 6 milliards sur la période 2006 à 2013.
4. Selon G. Toulemonde, analyste à Deutsche Bank, cité par P. Jacqué, « Peut-on encore produire des voitures
en France ? », Le Monde, 3/7/2012.
201
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
mie ; mais c’était, semble-t-il, reculer pour mieux sauter. Rescusiter la prime à la
casse apparaît mission impossible dans cette période de réduction des déficits et ne
constituerait qu’un remède conjoncturel. Bruxelles ne souhaite pas relancer les
aides pour soutenir la demande, pour éviter d’enfreindre ses propres règles, et pré
fère les limiter à la recherche et à l’innovation dans le secteur1.
Mais, mis à part les VW, Daimler et BMW, les autres constructeurs européens ne
manquent pas cependant d’atouts, même s’ils sont moins bien armés qu’eux pour
traverser cette passe difficile :
Renault consolide son alliance avec Nissan, se renforce sur son activité low cost
avec Dacia et en décline le modèle industriel et commercial sur plusieurs continents
– au Maroc, en Colombie, en Russie (où l’Alliance vient de monter aux deux tiers
environ du capital d’Avtovaz/Lada) ; ce qui devrait lui permettre de contrôler près
de 35 % du marché russe, en espérant atteindre 40 % en 20162. En pointe sur les
véhicules électriques, sa coopération avec Daimler se révèle prometteuse, sur la
base d’une modeste participation croisée de 3,1 % entre les deux groupes, qui
devrait permettre à Renault d’augmenter le taux d’utilisation de ses usines françaises
(et, symétriquement à Daimler de résoudre son problème de sous capacité) et
d’acquérir des compétences supplémentaires pour maîtriser le haut de gamme3
(comme, à son partenaire, de mieux maîtriser l’entrée de gamme).
PSA, dont la production en France est proportionnellement plus importante que celle
de son concurrent, est, sans doute, le constructeur qui souffre le plus de la situation
actuelle, l’Europe constituant toujours son principal débouché. Ses ventes y ont
chuté de 15 % au cours des cinq premiers mois de 2012 et ses stocks se gonflent.
Le groupe licencie en Slovaquie et en République Tchèque. Seule la Chine où
Citroën est implantée de longue date reste un marché porteur, même si le groupe y
a connu certains déboires4. Face à des pertes de près de 1,5 milliard d’euros sur le
premier trimestre de 2012, la firme de Sochaux lance un plan d’économie, vend son
siège et certains actifs non stratégiques, comme le transporteur Gefco. L’alliance
avec General Motors devrait cependant bientôt produire ses effets.
Quant à Fiat, même si la firme courbe l’échine en Europe, elle dispose d’un certain
nombre d’atouts : elle peut se prévaloir du remarquable redressement de Chrysler,
trois ans après sa prise de contrôle du fabriquant américain, avec, dans le groupe
Fiat un portefeuille de marques bien équilibré entre le haut (Alfa Roméo) et le très
haut de gamme (Ferrari). Sans avoir atteint la taille critique pour conforter sa posi
tion à l’échelle mondiale, le constructeur de Turin peut considérer que son pilote,
Sergio Marchionne, a plutôt avantageusement mené la barque5…
1. R. Honoré, « Bruxelles laisse les constructeurs gérer seuls leurs surcapacités », Les Échos, 7/7/2012.
2. C. Pluyette, « Renault-Nissan s’empare du russe Lada », Le Figaro Économique, 4/5/2012.
3. I. François-Feurstein, « Renault et Daimler, l’improbable entente », Les Échos, 6-7/4/2012.
4. P. Jacqué et H. Thibault, « La DS pour faire oublier à la Chine les erreurs du passé », Le Monde, 30/6/2012.
5. B. Saporito, A. Hills, « Power steering :: How the boss of Fiat and Chrysler is driving an auto-industry
revival », Time, 19/12/2011.
202
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
Questions de réflexion
1 ■ Le secteur automobile vous paraît-il plutôt global ou plutôt local ? Qu’est-ce
qui en fait l’homogénéité ? Dans quelle mesure est-il justifié de considérer
l’Europe comme un espace de référence à privilégier ? Pour quels acteurs
(constructeurs) et pour quelles autres parties prenantes ? Dans quelle perspec
tive ?
2 ■ Comment qualifier, à partir des éléments fournis dans ce cas, la situation du
secteur automobile européen en 2012, du point de vue de la commercialisa
tion, comme du point de vue de la production des véhicules ? Les difficultés
traversées vous paraissent-elles le résultat d’un épisode conjoncturel difficile
ou d’une situation structurelle susceptible de se prolonger ensuite ? Quelles
pressions externes – politico-réglementaires, économiques et sociales, tech
nologiques –, positives et négatives, s’appliquant au secteur automobile euro
péen, seraient susceptibles d’expliquer cette situation ?
3 ■ En conséquence, à quels défis – adaptation, redéploiement géographique et
sectoriel, concurrentiel – les acteurs du secteur se trouvent-ils confrontés,
dans le court terme et à plus long terme ? Ces défis sont-ils les mêmes pour
tous les acteurs mentionnés ? Quels sont ceux qui souffrent plus que les
autres ? Quelles en sont les raisons ? Quels sont ceux qui semblent avoir le
mieux relevé ces défis ? Pourquoi ? Y aurait-il un « modèle économique » qui
ferait référence pour le secteur, en Europe, dans le monde ? Quelles en
seraient les caractéristiques ? Quels seraient les moyens à privilégier pour les
acquérir ?
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
203
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
L’essentiel
204
Dynamique internationale des activités ■ Chapitre 3
☞
––activités à dominante globale, à l’autre extrémité, dont les acteurs sont essen
tiellement des structures multinationales – voire mondiales –, qui se déve
loppent ou ont vocation à se développer, partout, selon un schéma organisation
nel et des procédures homogènes et coordonnées ;
––activités « mixtes », à un niveau intermédiaire, où se côtoient des activités plu
rilocales/pluridomestiques – répondant à des besoins comparables dans des
conditions qui exigent une production locale –, et des activités transnationales
– développant des produits et des services à vocation globale, mais dont une
large partie de la valeur ajoutée doit être apportée localement. Les unes et les
autres s’organisent selon une structure internationale, déployée géographique
ment, de manière plus ou moins large, mais selon des schémas qui peuvent
sensiblement varier d’une zone à l’autre.
D’autres facteurs influant sur la dynamique des activités complètent cette appro
che du positionnement global/local des activités, que les mutations permanentes
de l’environnement font constamment évoluer. Le décloisonnement des terri
toires, comme l’amélioration constante des moyens de communication, sont à
intégrer à la réflexion : en particulier l’intensification des échanges croisés, intra-
branches, longtemps concentrés au sein du même espace économique, entre éco
nomies matures, se manifeste de plus en plus à une échelle plus large (inter-zones),
incluant les économies émergentes et, particulièrement les ECR.
Ces facteurs favorisent une évolution de la spécialisation internationale, dans
laquelle les économies émergentes jouent un rôle de plus en plus important en
démontrant une capacité croissante à la remontée de filière, suscitant l’apparition
de « champions internationaux », comme en développant des compétences spé
cifiques, qui en font, désormais, des acteurs incontournables, à certains stades
particuliers de la chaîne d’approvisionnement internationale, sinon à tous.
La prise en compte des deux dimensions, géographique et sectorielle, de l’espace
de référence ou d’expansion choisi par l’organisation, quel que soit son position
nement sur la grille global/local, permet de plus précisément faire ressortir, une
fois les pressions externes qui s’y exercent convenablement identifiées, les enjeux
géo-sectoriels auxquels elle aura, tout comme ses concurrents, à faire face dans
cet espace. De ces enjeux découleront plus facilement les « leviers » stratégiques
sur lesquels l’organisation considérée pourra agir pour évoluer à son avantage
dans le cadre de sa dynamique internationale.
205
Chapitre
Dynamique
4 internationale
des organisations
Q
uelles incitations poussent les organisations à s’internationaliser ? Ces inci
tations sont-elles les mêmes pour toutes, quel que soit leur pays d’origine ?
De nouvelles incitations sont-elles apparues du fait des transformations récentes de
l’environnement international ? Quel rôle jouent les différentes parties prenantes
dans leur processus d’internationalisation ? Existe-t-il un cheminement progressif
type, des étapes, des phases, permettant aux organisations de passer d’une orienta
tion purement nationale ou régionale, à une orientation plus internationale, voire
multinationale ou, même, mondiale ? Et quels « déclencheurs » les poussent à passer
d’un stade d’internationalisation à l’autre ? Certaines organisations ne sont-elles
pas vouées à être, d’emblée, « globales » ? Sur quels « leviers » peuvent-elles agir
pour progresser à l’international ? Ce cheminement est-il le même pour les
organisations provenant des économies matures et des économies émergentes ?
Les dynamiques d’internationalisation qui peuvent s’observer au niveau des terri
toires et des activités s’inscrivent dans un environnement en mutation rapide, sur
lequel s’exercent des pressions externes – socio-économiques, politico-réglementaires
et technologiques – très évolutives et souvent convergentes. Elles tendent, certes, à
intégrer de plus en plus d’espaces économiques différents dans une perspective géo
graphique de plus en plus large, mais n’en présentent cependant pas, pour autant, des
caractéristiques uniformes :
• Les territoires ne disposent pas des mêmes atouts pour s’insérer dans les flux
d’échanges et d’investissements, tant par les politiques d’ouverture qu’ils déve
loppent que par les ressources dont ils disposent et qu’ils ont à valoriser. Ils four
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
d’entre elles, « nées globales »/born globals sont, désormais, d’emblée, tournées vers
l’extérieur. Cette dynamique concerne aussi les nouvelles organisations originaires
des économies à croissance rapide, qui profitent d’un environnement plus porteur,
tant sur le plan interne que sur le plan externe, pour prendre une place croissante dans
les échanges internationaux. Elles deviennent pour leur pays d’origine des « cham
pions internationaux » qui relaient à l’extérieur leur croissance interne, déjà stimulée
par leur activité exportatrice et l’afflux des investisseurs directs étrangers.
Les unes et les autres suivront donc des logiques et obéiront à des incitations à
l’internationalisation qui contrasteront (à certains égards, du moins), avec celles des
multinationales privilégiées par de nombreux auteurs.
L’entreprise chinoise choisie ici pour le cas introductif – Huawei –, devenue lea
d er mondial dans le secteur clé des équipements de télécommunication, a bénéfi
cié, d’une part, de la dynamique de croissance de son pays d’origine, comme de
207
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Le plan du chapitre
Section 1 ■ Les logiques du développement international des organisations
Section 2 ■ Les déterminants internes et externes de la dynamique d’inter
nationalisation des organisations
Section 3 ■ Les réponses internes de l’organisation aux mutations de l’envi
ronnement international
Cas introductif
Huawei la montée en puissance d’un leader
technologique mondial
Fondée en 1988 à Shenzen, à proximité de Hong Kong, l’entreprise présente un
modèle de développement international révélateur d’une Chine qui dépasse large
ment le cliché habituel d’« usine du monde » qui lui avait été attribué en référence
à des secteurs, comme le textile, le jouet, l’outillage ou les pièces détachées auto
mobiles, dont la faible valeur ajoutée et les possibilités d’innovation restent limitées,
même si les sous-traitants et les filiales étrangères de ces secteurs contrôlent désor
mais des parts de marché majoritaires sur tous les continents.
En 20111, Huawei, avec plus de 30 milliards de dollars de chiffre d’affaires figure
dans le peloton de tête des entreprises mondiales dans son activité historique, la
fourniture d’équipements, et, particulièrement, de commutateurs, destinés aux opé
rateurs télécom qui représente toujours 75 % de son chiffre d’affaires. Elle a pour
clients 45 des 50 premiers opérateurs du monde et elle est présente dans plus de
150 pays. Talonnant le suédois Ericsson, tout en ayant déjà laissé loin derrière elle
le Franco-Américain Alcatel-Lucent et le Germano-Finlandais Nokia-Siemens, son
succès s’est bâti très rapidement, en accordant la priorité à l’innovation et en faisant
progressivement évoluer son modèle économique, suivant un schéma devenu clas
sique en Asie, de « remontée de filière »2, mais en en accélérant les effets.
À l’inverse de nombreuses entreprises-ateliers, son dirigeant historique, désormais
président d’honneur, Ren Zhengfei a, en effet, accordé, depuis sa fondation, la
☞
1. Voir P. Escande, « Huawei à l’école de la globalisation », Les Échos, 6/6/2012.
2. Voir chapitre 3 « La remise en cause de la spécialisation internationale des secteurs » et figure 3.6 « Le déve
loppement “en vol d’oies sauvages” d’Akamatsu ».
208
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
☞
priorité à l’innovation et au développement technologique : depuis 2008, l’entre
prise figure régulièrement dans le groupe des quatre premiers déposants de propo
sitions de brevets au monde1, tout en jouant désormais un rôle de pilote dans la
définition des standards des futures générations d’équipement.
Cette saga, qui a débuté depuis un quart de siècle suivant un schéma original et évo
lutif, peut préfigurer les percées à venir d’un certain nombre d’entreprises chinoises
– et d’autres organisations originaires des ECR – dans des secteurs particulièrement
prometteurs, mais encore dominés par les firmes des économies matures, comme
l’électroménager2, l’automobile, les trains à grande vitesse ou l’aéronautique.
209
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
•• Dans le même temps, sont créés les centres de R & D de Bangalore, en Inde, au
cœur de la recherche informatique et de Stockholm, en Suède, à proximité des
industriels scandinaves, leaders incontestés du secteur des télécommunications,
suivis très rapidement de quatre nouveaux centres aux États-Unis ; les liens
entretenus avec la recherche universitaire se sont révélés ainsi des plus fruc
tueux.
•• Parallèlement, de très nombreuses alliances stratégiques et partenariats ont été
conclus – très tôt, avec Siemens, Alcatel et Motorola – et avec de très nombreuses
autres firmes1, particulièrement occidentales, détentrices de technologies avan
cées, qui ont permis à l’entreprise de Shenzen d’accélérer l’appropriation des
technologies, comme la maîtrise des processus industriels et managériaux indis
pensables au schéma de développement rapide qu’elle esquissait alors.
Le déploiement international se poursuit ensuite, avec, l’entrée jusqu’à 2002 dans
une quarantaine de territoires, incluant, l’Allemagne, l’Espagne, le Brésil, la Russie,
la Corée, la Thaïlande, l’Arabie saoudite, Singapour. Huawei réussit une première
opération européenne d’envergure en équipant l’opérateur hollandais Telfort, en
2004, après avoir fourni des services UMTS (universal mobile telecommunication
system), représentant la troisième génération de téléphonie mobile à Etisalat, l’opé
rateur des Émirats Arabes Unis, en 2003.
En dehors du dynamisme commercial sans pareil dont fait preuve la firme de
Shenzen, ses investissements technologiques se sont révélés payants à tous points
de vue, puisque Huawei est devenu, avec son rival chinois ZTE, une des organisa
tions majeures participant à la définition des nouveaux standards techniques pour
les générations à venir de la téléphonie mobile. En 20092, Huawei participait acti
vement à non moins de 83 associations de standardisation, dont les principales
devant donner naissance aux NGN (New Generation Networks), en ayant même la
présidence de nombreux groupes de travail au sein du plus important d’entre eux
l’IMS, l’IP Multimedia subplatform, qui doit permettre la connexion de multiples
applications (TV, filaire, sans fil, etc.). Tard venu sur les solutions GSM de la
deuxième génération des réseaux de communication (2G), Huawei a donc rattrapé
spectaculairement son retard pour se positionner, avec ZTE, au premier rang des
technologies UMTS et CDMA, fondatrices de la 3G, et se trouve désormais en
pointe pour la quatrième génération (LTE, long term evolution)3.
En dépit des difficultés rencontrées et de l’importance des efforts nécessités par la
mobilisation des équipes composées de nombreux ingénieurs dédiés à ces activités
de standardisation, Huawei s’est diversifiée en développant de nouveaux produits
et services autour de son activité de base d’équipements télécom destinés aux opé
rateurs. Désormais, Huawei dépasse le cadre des activités B to B pour développer
des activités B to C, en proposant des produits et des applications grand public et
☞
1. Mais aussi Intel, Texas Instruments, Freescale Semiconductors, Qualcomm, Infineon Microsoft, IBM, Sun
Micorsystems, HP, Oracle,.. cf. Ying Zang, Alliance-based Network View on Chinese Firms’s Catching –up : Case
Study of Huawei Technologies Co. Ltd., United Nations University, UNU-MERIT, Working Paper Series, #2009-
039.
2. Cf. W.F.Foster, « Why Huawei is going to be the number one manufacturer in the world », Proceedings of the
Western conference of the Association for Asian Studies, 23/10/2009.
3. Cf. J.F, Dufour, op.cit.
210
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
☞
entreprises, comme les smartphones, qu’elle avait commencé à fabriquer pour le
compte des opérateurs télécom avant de les commercialiser sous marque propre.
211
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
Parmi les plus gros défis que l’entreprise aurait à relever, en dehors des défis externes
qui se dessinent à travers l’ évolution rapide de son environnement géo-sectoriel,
figure la croissance et la rentabilité, avec la nécessité d’adapter une organisation
devenue énorme, qui recrute annuellement près de 30 000 collaborateurs, sans
pour autant perdre les valeurs d’agressivité commerciale et l’esprit de conquête qui
ont fait son succès. La diversification autour du métier des réseaux des télécommu
nications, peut paraître, elle aussi, problématique, pour autant qu’au-delà de la
continuité technique sur laquelle elle s’appuie, le passage du B to B au B to C
comporte de nouvelles astreintes, comme celle de construire une marque.
Mais ce ne seraient pas les premiers défis à relever pour l’entreprise de Shenzen, et il y a
fort à parier qu’elle saura trouver, une fois encore, les moyens de faire face et de prolon
ger cette success story emblématique caractéristique, à elle toute seule, de bien des nou
velles voies ouvertes au développement des champions internationaux issus des ECR.
Quelle logique et quelles principales étapes a suivi Huawei au fil de son développe
ment depuis sa création, particulièrement en termes d’internationalisation ? Quels
ont été les principaux ressorts de sa croissance spectaculaire ? Quelles incitations
ont pu pousser les dirigeants de l’entreprise à ces différentes étapes de son évolu
tion ? En quoi la firme présente-t-elle un profil original par rapport aux autres entre
prises chinoises, par rapport aux autres acteurs de son secteur ? Lesquelles tiennent
à l’entreprise elle-même, à son leadership, à ses valeurs, tels que cette présentation
les laisse entrevoir ? Lesquelles tiennent à l’environnement chinois, plus particulière
ment ? Lesquelles tiennent, enfin, au secteur des télécom ? Quelles différences
seraient à relever avec les processus de développement international présentés dans
ce chapitre à travers les diverses contributions concourant à expliquer la dynamique
internationale des organisations ? Dans quelle mesure cet exemple suggère-t-il de les
renouveler ? En mettant en évidence quels nouveaux types d’incitations ? Dans
quelle mesure ce modèle de croissance internationale, tel que défini déjà par sa
logique et les incitations qui l’ont stimulé, est-il transposable à d’autres secteurs, à
d’autres organisations, originaires des ECR ? à d’autres organisations originaires des
économies matures ?
212
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Section
1 Les logiques du développement
international des organisations
Jusqu’à une époque récente, il n’y a eu guère d’exemples d’organisations, même
opérant dans des activités à dominante globale, qui aient pu d’emblée envisager une
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
expansion globale1. Leur aurait fait défaut les moyens nécessaires à une telle ambi
tion, sauf à aliéner leur indépendance, sinon leur autonomie, au profit d’une struc
ture plus puissante. Depuis, le modèle des « nées globales »/born globals, semble
faire école 2 Et, dans une certaine mesure, au moins pour la deuxième phase – accé
lérée – de son développement international, une entreprise comme Huawei peut
s’inscrire dans cette mouvance.
1. C’est, probablement dans les secteurs, comme la micro-informatique, à la fin des années 1970 et au cours de
la décennie 1980, que l’on relève le plus grand nombre d’exceptions à ce constat, dans la mesure où le secteur lui-
même était en phase d’émergence, et présentait bon nombre de caractéristiques d’une vocation globale. Un certain
nombre d’entreprises de l’époque, comme Apple ou Microsoft, devenues rapidement des « stars », sur des marchés
en évolution très rapide, autorisaient des marges très confortables qui permettaient de financer un développement
technologique, industriel et international à grande échelle, tout en conservant leur autonomie.
2. Voir infra, 4.2.2. « Développement concentrique contre développement éclaté ou accéléré ».
213
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
214
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Remarque
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. Hymer S., « La grande corporation internationale », Revue économique, novembre 1968.
2. Cf. C.K Kindleberger, American Business Abroad, New Haven, Yale University Press, 1969.
215
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Remarque
Mais, là encore, les transformations de l’environnement international remettent en ques
tion la possibilité pour les multinationales de tirer parti d’un décalage de maturité qui a
largement disparu et conduisait à considérer les économies émergentes comme des espa
ces d’expansion relais, destinés à prolonger la vie des produits. Aujourd’hui, dans de
nombreux secteurs – sinon dans tous – les consommateurs et les utilisateurs avertis, où
qu’ils se trouvent, refusent des produits dont ils sont mieux à même, désormais, d’iden
tifier le caractère obsolète ; quitte, comme les nouveaux amateurs de photographie des
pays émergents, évoqués ci-dessus à adopter d’emblée la photographie digitale, en « sau
tant » la génération technologique précédente de l’appareil à pellicule.
1. Cf. The Economist 14/01/2012, et lemonde.fr avec AFP et Reuters, 19/01/2012.
2. Cf. figure 1.6 « Les étapes du cycle international du produit » (d’après R. Vernon).
216
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Remarque
Ainsi, à l’heure actuelle, dans les secteurs, « tirés par l’offre », où le renouvellement des
technologies est particulièrement rapide, l’existence d’une firme innovatrice, bénéficiant,
qui plus est, d’une image exceptionnelle, comme Apple dans le domaine de l’électro
nique grand public, en fait « l’acteur de référence », sur lequel se « calent » ses concur
rents, quitte à chercher à se différencier par rapport à l’offre de ce leader1.
1. Ce que fait Samsung, en se positionnant, par exemple, avec sa Galaxy S2 , à un niveau intermédiaire entre le
Smartphone de référence, l’iPhone, et la tablette dont Apple a été le créateur avec l’iPad.
217
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
––dans celle de courants de pensée s’inscrivant davantage encore dans une perspec
tive stratégique – comme Doz et Prahalad ou Bartlett et Goshal –, précisant les
voies de transition, pour l’entreprise, entre la réflexion et l’action.
À l’instar de Grubel et Lloyd1, la théorie éclectique de la firme multinationale
reclasse et hiérarchise les différentes incitations à l’internationalisation, sans les
replacer d’emblée dans la perspective d’un développement international progressif.
En revanche, elle se propose de les utiliser pour l’aide aux décisions stratégiques, en
indiquant les modes d’internationalisation envisageables pour chaque combinaison
d’incitations.
c Repère 4.1
La théorie OLI
Sous le terme générique de paradigme OLI (pour Ownership, Location, et Internalization),
elle distingue trois grandes catégories d’incitations à l’internationalisation (cf. tableau 4.1).
••La première correspond aux avantages spécifiques/ownership advantages dont dispose
l’organisation (proche du concept identifié par S. Hymer évoqué ci-dessus), qui constitue
un pré requis indispensable à l’internationalisation. Elle recouvre, en particulier les actifs
intangibles, découlant de la taille et des positions acquises par l’organisation (capacité
d’innovation et maîtrise technologique, personnel qualifié, capacité de financement,
etc.). Son impact se trouve démultiplié dès lors que l’entreprise agit déjà dans une
perspective internationale et possède une capacité à saisir les opportunités se présentant
hors de l’espace d’origine.
••La seconde recense les avantages de localisation/location advantages, et exploite certains
apports de la théorie de la dotation initiale de facteurs et de la politique commerciale
stratégique. Elle met l’accent sur un développement comportant une dimension spatiale
et sur l’attractivité des territoires2: elle se focalise sur le transport, l’accessibilité de la
main-d’œuvre, les barrières culturelles et réglementaires, le potentiel du marché, pour
mesurer aussi bien leurs attraits que leurs aspects dissuasifs (ou les contraintes de contour
nement qu’ils imposent) sur le développement d’exportations ou d’implantations.
••La troisième, centrée sur les avantages d’internalisation/internalization advantage, sou
ligne, dans une perspective organisationnelle, les bénéfices qu’est susceptible de tirer
l’organisation de la création, au sein même de sa structure, de son propre système de
transaction. Celui-ci lui permet, par exemple, d’organiser indépendamment des marchés,
dans le cadre même de ses structures, sa production et ses approvisionnements ainsi
qu’une gestion plus efficace de son risque de change, ou encore la mise à profit d’un
système d’information étendu.
1. Voir les échanges intra branche, chapitre 3, 3.2.1 et tableau 3.2 « L’intensification des échanges intra branche :
une approche “éclectique” ».
2. Voir chapitre 2, 2.2. « Mise en oeuvre du positionnement dynamique des territoires : des défis environnemen
taux aux choix stratégiques ».
218
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Adapté de : J.-H. Dunnig, S.-K. Kundu, « The internatlonalization of the Hôtel Industry
Journal of International Business/MIR/Management International Review
février 1995, Gabier Verlag, Wiesbade
ficatif ; ce qui signifie que l’entreprise doit avoir déjà réussi dans son espace d’ori
gine ;
––que l’investissement n’est envisageable que si deux1 – sinon les trois – types
d’avantages se conjuguent ;
––que l’exportation et la cession de licence peuvent s’envisager au cas où l’avantage
à la localisation serait insuffisant.
1. Deux pourraient suffire dans une perspective d’horizontalisation ; en revanche les trois avantages sont néces
s aires dans une perspective de verticalisation, qui nécessite une approche intégrée correspondant un niveau d’inter
nalisation déjà élevé.
219
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Avantages
O L I
Mode de pénétration
des marchés étrangers
Investissement direct + + +
Exportation + − +
Cession de licence + − −
220
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
c Repère 4.2
Les défis de l’incertitude pour l’entreprise mondialisée1
B. Kogut cite le cas de l’incapacité de diverses grandes entreprises2 opérant au niveau
international de faire face à certaines situations critiques :
––une multinationale européenne qui continue pendant une longue période, à investir
massivement sur le marché d’un pays latino-américain hyper inflationniste, avant de
se rendre compte de la détérioration corrélative de la position concurrentielle de ses
produits, du fait de la dévaluation de la monnaie locale ;
––l’état-major d’une grande entreprise américaine qui se réjouit d’une prise de
commande de première importance pour apprendre, incidemment, que son concur
rent majeur avait été sa propre filiale japonaise ;
––une division d’une autre grande entreprise américaine qui s’engage dans une joint
venture pour suppléer à ses lacunes en matière de marketing international, avant de
réaliser qu’une autre division de son groupe possédait une expérience de plusieurs
dizaines d’années en la matière.
En conséquence, l’incertitude caractérise aussi bien les phases initiales d’internationa
lisation de l’entreprise que ses choix de réaction concurrentielle – fixation de prix ou
mode d’approche des marchés – ultérieurement. Cela doit se traduire, par comparaison
entre stratégie domestique et stratégie globale, moins par l’élaboration de plans straté
giques à long terme, que par le développement de sa flexibilité opérationnelle, qui
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
permet d’exploiter rapidement les fluctuations des cours de change, les changements
de l’environnement concurrentiel, comme l’évolution des politiques gouvernemen
tales. Pour l’organisation qui maîtrise de telles capacités d’arbitrage et de tels effets de
levier, cela signifie aussi qu’elle possède d’ores et déjà un large éventail d’« avantages
d’internalisation », au sens du paradigme OLI de Dunning.
1. Kogut B., « Designing Global Strategies Comparative and competitive Value-Added Chains », Sloan Mana
gement Review, Summer 1995 ; « Designing Global Strategies : Profiting from Operational Flexibility », Sloan
Management Review, Fall 1995.
2. À noter que les grandes enterprises ne sont pas les seules à être confrontées à de telles situations : le cloison
n ement de firmes de plus petite taille, opérant à l’international, organisées en centres de profit autonomes les uns
des autres ou comportant une séparation trop grande entre responsabilités fonctionnelles, peuvent priver l’organisa
tion de bénéfices potentiels significatifs si elle ne veille pas à y remédier (voir, chapitre 5, Exemple 5.5. Sudelec).
221
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
c Repère 4.3
Développer la flexibilité opérationnelle et l’avantage d’internalisation
des firmes multinationales
Pour parvenir à davantage de flexibilité opérationnelle, l’organisation doit, en fait, être
en mesure d’agir – et de réagir – au niveau de six champs d’action privilégiés. En uti
lisant une terminologie financière, les quatre premiers relèveraient de l’arbitrage, les
deux autres, de l’effet de levier :
••Arbitrage entre facteurs de production, par voie de redéploiement de la production, pour
répondre aux fluctuations de change, en prenant bien garde à ce que les avantages obte
nus ne soient pas inférieurs aux désavantages supportés en matière d’économies d’échelle
ou de création de surcapacités de production.
•• Arbitrage institutionnel dans la recherche de l’optimisation fiscale, en tirant partie des
prix de transfert entre implantations, de manière à localiser le bénéfice là où la taxa
tion est la plus légère, ou encore, en jouant sur les différences de taux d’imposition
frappant les différentes sources de revenus, dividendes, redevances, commissions,
intérêts.
••Arbitrage financier, de manière à profiter des capacités d’emprunt ou des subventions les
plus avantageuses, par exemple en adaptant les politiques d’approvisionnement, de
manière à localiser les exportations là où elles se trouveront les mieux soutenues par les
dispositifs nationaux.
••Arbitrage de l’information, en développant les systèmes de veille, dans le but de mieux
rapprocher vendeurs et acheteurs, pour mieux s’acquitter de ses obligations de compen
sation, ou encore, pour mieux repérer, de par le monde, les avancées technologiques et
en tirer parti dans des secteurs ou dans des zones où elles seront mieux exploitées.
••Effet de levier de la coordination à une échelle globale, non plus en jouant sur les diffé
rences de prix entre actifs (comme pour l’arbitrage), mais en tirant parti d’une vision glo
bale et du pouvoir exercé sur un ensemble de marchés, en agissant, par exemple, sur la
possibilité de différencier ses prix de l’un à l’autre (en multipliant les subventions croisées
entre produits), de manière à entraver les offensives de certains concurrents.
••Effet de levier de la dissémination et du contrôle du risque politique, susceptible de don
ner à certaines entreprises un véritable pouvoir de marchandage ou, même, de rétorsion
vis-à-vis des autorités de pays dépendant de leur technologie ou de leurs commandes de
matières premières (ou encore souhaitant bénéficier de leurs investissements).
Pour atteindre, dans ces six domaines le degré de flexibilité voulu, l’entreprise doit
pouvoir s’appuyer sur une organisation efficace et sur une centralisation suffisante pour
assurer sa vision d’ensemble, sans pour autant négliger, la stimulation des différentes
parties prenantes internes au niveau des différentes implantations.
222
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
1. Buckley P.J. et Ghauri P. « The globalization, Economic Geography and the Strategy of Multinational
enterprises », Journal of International business Studies, vol.35, N° 2.
2. Prise en charge de certains stades de fabrication par une structure interne – filiale ou succursale – faisant par
tie de l’entreprise.
3. Prise en charge d’autres stades de fabrication par une structure externe – fournisseur ou sous traitant –
n’appartenant pas à l’entreprise considérée.
4. Cf. exemple 4.3 « Archos ou la persévérance récompensée d’une born global à la française ».
5. Voir, U. Mayrhofer, « La firme multinationale : une entreprise en perpétuelle évolution ? », in U. Mayrhofer,
Le management des firmes multinationales, op.cit.
6. Cf. exemple 1.1 « Zara excelle à combiner innovation produit et innovation de processus ».
223
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Sous traitance
FONCTIONS
ingéniérie Sous traitance
Sous traitance « CŒUR « DU
R&D design MODÈLE
ÉCONOMIQUE
Cœur d’activité:
- création de nouveaux produits
- stratégie de marque
- stratégie marketing... SUPPLY CHAIN
INTERNATIONALE
Fourniture Fourniture OPTIMISÉE
de composants Fourniture de composants EN PERMANENCE
de composants
Fourniture Fourniture
de composants de composants
UNITÉ UNITÉ
Fourniture D’ASSEMBLAGE D’ASSEMBLAGE
Fourniture
de composants de composants
Fourniture
de composants
ADAPTATION
DISTRIBUTION
Marchés « LOCALISÉE »
cibles Marchés Marchés Marchés Marchés
cibles cibles cibles cibles
J.P.Lemaire
1. Voir K.Jensen, « Accelerating Global Product Innovation through Cross-cultural Collaboration : Organization
Mechanisms that Influence Knowledge-sharing within the MNC », PhD dissertation, Cnam et ESCP Europe.
2. Cf. notamment, les grands groupes français comme Véolia, Vinci, Bouygues, Areva... qui opèrent mondiale
ment.
224
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Autorités locales
concédantes Fournisseur
Pool bancaire de combustible
Contrat de
Contrat de concessions
Contrat de
prêt vente
Médias
Organisation Leaders d’opinion
non gouvernementales
SOCIÉTÉ
Contrat
PROJET d’achat
Contrat de Concessionnaire
construction (construction
et exploitation Acheteur
durée 25 ans) d’énergie
Consortium de
(société distributrice
construction
d’électricité)
Groupes
d’intérêt locaux
Adapté de J.P. Lemaire et J. Klein , Financement International des entreprises, Vuibert, 2006.
Adapté de J.P. Lemaire et J. Klein, Financement International des entreprises, Vuibert, 2006
1. Ici, à la fois, chef de file de la société projet (associant autour du fournisseur principal des équipements, maître
d’œuvre de l’infrastructure, l’opérateur en charge de son exploitation, souvent co-chef de file, les associés actifs
dans la construction et l’exploitation du projet et les associés investisseurs financiers) et chef de file du consortium
de construction (rassemblant l’ensemble des fournisseurs co-contractants et sous traitants).
225
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Délégation
complète
construction
et exploitation
NIVEAU
Écoulement Écoulement
D’ENGAGEMENT total ou partiel total ou partiel
DU FOURNISSEUR de la de la
/ MAÎTRE production production
D’ŒUVRE Formation du Formation du Formation du
personnel et personnel et personnel et
encadrement encadrement encadrement
managerial managerial managerial
Intégration des Intégration des Intégration des Intégration des Intégration des
composants et composants et composants et composants et composants et
montage sur montage sur montage sur montage sur montage sur
site site site site site
Conception Conception Conception Conception Conception Conception
et livraison et livraison et livraison et livraison et livraison et livraison
des des des des des des
composants composants composants composants composants composants
Projet Projet Projets projets Projets Projet
conçu conçu « clés « produits « marché Concessionnel
1960 livré livré/monté en mains » en mains » en mains » BOT 2000 +
1. Par opposition à une simple obligation de moyens, qui se limitait, par exemple, à la fourniture de certains
équipements, dont chacun pouvait être couvert par des garanties techniques spécifiques, l’« obligation de résultat »
présente un caractère plus global, qui se traduit par l’exigence systématique, à travers des clauses de réception et de
garantie (au contenu et aux échéances de plus en plus étendus) d’atteindre et d’assurer sur la longue période un
niveau de performance déterminé.
2. Marois B., « Les transferts de technologie internationaux : analyse conceptuelle et étude empirique », Les
cahiers de recherche du CESA, CR 1371,1980.
226
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
c Repère 4.4
Des « équipementiers » aux gestionnaires délégués ou associés
L’évolution des relations entre clients et fournisseurs dans le domaine des grands pro
jets d’infrastructure et ensembles industriels (cf. figure 4.3).
Cette évolution a été sensible à deux niveaux :
––dans l’extension du rôle des prestataires, qui tendent à devenir des « ensembliers »,
puis des « pilotes techniques » et enfin les responsables effectifs du fonctionnement
technique et commercial de l’équipement, qu’il s’agisse de raffineries, de centrales
thermiques ou atomiques, d’usines de transformation de matières premières ou de
produits finis, comme de chaînes de fabrication d’automobiles, mais aussi d’infra
structures routières, portuaires, aéroportuaires.
––dans l’engagement juridique et économique que suppose une telle progression de
l’implication managériale qui fait évoluer les fournisseurs d’équipements vers des
statuts très sensiblement différents, de partenaires, « coproducteurs » et/ou « co-
commercialisateurs » – voire de véritables entrepreneurs locaux, pouvant être même
amenés à assumer une délégation de service public.
Initialement cantonnés à la conception et à la livraison d’équipements, de sous-
ensembles, de composants, puis à leur intégration dans le cadre d’ensembles indus
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. Ceux-ci recouvrent, notamment, pour le financement de projets et d’infrastructures aussi divers que routes,
ports, aéroports, parkings, prisons, hôpitaux, etc., des formules de concession et de délégation confiant à un opéra
teur privé, souvent, successivement, maître d’ouvrage puis exploitant, la complète responsabilité du projet, moyen
nant le paiement d’une redevance ou d’un loyer ; plus faciles – sinon moins lourds – à supporter financièrement,
sur la base d’un budget annualisé, pour les autorités du territoire considéré, que l’investissement lui-même.
227
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
de son exploitation et, de fil en aiguille, à la recherche de marchés à l’extérieur du pays,
à l'installation et au « copilotage », à la rentabilisation jusqu’à la responsabilité
d’ensemble, sur une base provisoire, ou même définitive.
En termes juridique et financier, l’engagement croissant qui découle de cette mutation
économique a progressivement fait évoluer le fournisseur principal ou le coordinateur :
––du statut de fournisseur, tenu à réaliser un ensemble de prestations, moyennant règle
ment au fil de l’engagement des dépenses, puis en fonction de l’avancement de réa
lisation, et, enfin, de l’atteinte des niveaux de performance requis ;
––au statut de partenaire technique et commercial du donneur d’ordre local, souvent
tenu de se rétribuer sur la base de la reprise d’une partie de la production sortie des
lignes de fabrication ou des structures de production, conçues et réalisées sous sa
responsabilité (selon la formule du buy back)2 ;
––et, de plus en plus, au statut d’« entrepreneur de substitution », dans le cadre de
véritables régimes de concession, (cf. exemple 4.2) qui supposent que le fournisseur
principal, le consortium rassemblant les principaux fournisseurs ou encore des inves
tisseurs indépendants, assument les risques et les coûts de l’investissement ; charge
à eux de les amortir pendant une durée contractuellement définie avec le donneur
d’ordre (ici, le concédant), en en assurant l’exploitation et en se faisant payer par les
usagers ou les clients (projet concessionnel, BOT/BOOT) souvent dans le cadre du
PPP.
1. Pratiquée à partir des années 1970, par des entreprises comme Thomson (grand public), qui avait accepté de
construire une usine de « produits blancs » (réfrigérateurs « table top », de 150 litres dans les pays de l’Est, à
l’époque), dont le paiement avait été assuré par la reprise d’une partie de la production.
2. Adapté de : Anne Feitz, « Financements de projets, les nouvelles règles du jeu », Option finance, 15 mai
1995.
3. Voir cas recouvrant les aspects stratégiques et financiers des projets concessionnels « Power Plants in Asia »,
Jean Paul Lemaire, avec notice pédagogique, disponible en Français et en Anglais à la Centrale des Cas et des
Moyens Pédagogiques, 2013.
228
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Posséder, Exploiter, Transférer) et autres BOT, BOO, BOL…, héritiers du vieux régime
concessionnel : le projet est isolé dans une société ad hoc, dite « société projet », qui
contracte elle-même les financements nécessaires à la construction de l’ouvrage ; charge
à elle, ensuite, de l’exploiter afin de rembourser ces crédits sur la durée du contrat (géné
ralement de vingt à trente ans), grâce aux flux de revenus (cash flows) dégagés.
En l’occurrence, pour Hub River, les investisseurs privés attendaient un rendement de
18 %, théoriquement assuré par des volumes et des tarifs garantis contractuellement, de
vente de fuel, en amont, et d’achat de courant électrique, en aval, par des organismes
d’État pakistanais, mais sur la base de cash flows libellés en monnaie locale. Ce qui
explique le caractère quelque peu risqué de telles opérations, comme l’a confirmé, par la
suite, la crise asiatique, en 1997-1998, qui a entraîné, dans l’ensemble de la zone, de
nombreux sinistres.
1. Voir l’introduction de l’ouvrage de Prahalad C.-K. et Doz Y. The Multinational Mission. Balancing Global
Integration with Local Responsiveness, Free Press, Collier Macmillan, New York/London, 1987, op. cit.
2. Voir, supra, chapitre 3, 3.1. « Portée de la distinction « global/local » dans la définition des activités ».
3. Cf. figure3.4 « Le positionnement des activités sur la grille ’global/local’ » et figure 3.5 « Le positionnement
des organisations sur la grille “global/local” ».
4. Cf. infra, Exemple 4.3 « Archos ou la persévérance récompensée d’une born global à la française ».
5. partagée avec Joffre P., Comprendre la mondialisation de l’entreprise, Économica, Paris, 1994.
229
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
1. L’article fondateur de cette démarche, paru en 1975 dans Journal of Management Studies, Vol 12, de J.
Johanson et de F. Wiedersheim-Paul est d’ailleurs intitulé « The Internationalization of the Firm : Four Sweedish
Cases studies ».
2. auxquelles on peut rattacher l’approche OLI, qui ne prend pas uniquement en compte, les firmes multinatio
nales comme on le verra dans la section 2 du présent chapitre
230
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Décisions
d’internationalisation
de l’organisation
Où ? Quoi ? Quand ?
Ëespace de référence Ëéléments de la chaîne Ëdélai, calendrier
/ d’expansion de valeur concernés étapes successives
Réduction de l’incertitude
Développement de l’expérience internationale
Comment ?
Ëchoix du mode d’entrée et évolution des modes de présence
répartition des responsabilités Centre/Périphérie/Partenaires/Fournisseurs
J.-P. Lemaire
1. O. Meier et P.X. Meschi, « Approche Intégrée ou Partielle de l’Internationalisation des Firmes : Les Modèles
Uppsala (1977 et 2009) face à l’Approche« International New Ventures » et aux Théories de la Firme », Manage
ment International, Vol. 15, N°1, Automne 2010.
231
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
c Repère 4.5
D’Uppsala 1 à Uppsala 21
Les deux modèles proposés par Johanson & Vahlne, en 1977, puis en 2009, s’appuient
tous les deux sur le postulat que les organisations ont à faire face à un « handicap » lié,
dans la première version du modèle, à leur caractère « étranger » (liability of foreigneness)
et, dans la seconde, à leur absence de réseau (liability of outsidership) ; l’un ou l’autre
☞
1. Ibidem, O.Meier et P.X. Meschi.
232
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
☞
handicap traduisant leur manque de familiarité avec les espaces d’expansion vers les
quels elles souhaiteraient se développer ; les rendant, de ce fait, réticentes à le faire.
Il convient aussi de noter qu’ au fil des trente années séparant la présentation des deux
modèles, les « motivations » -celles-là mêmes que Kindelberger (cf. supra) considérait
comme les conditions nécessaires à l’internationalisation- sont devenues, de plus en
plus pressantes, avec l’intensification de la compétition dans les économies matures à
croissance lente, y rendant le développement difficile, et la montée en puissance des
économies à croissance rapide, y offrant de nouveaux – sinon les principaux- relais de
croissance aux organisations les plus dynamiques.
Dans l’un comme l’autre des modèles d’Uppsala est privilégiée, d’ailleurs, une démarche
d’horizontalisation (autrement dit, de conquête de parts de marché, plutôt que de
verticalisation, soit d’optimisation internationale de la chaîne de valeur). Ces deux
modèles successifs postulent, en effet, que les organisations, sont censées adopter, dans
chaque espace d’expansion, une succession de modes de présence, qui ponctuent la pro
gression de l’engagement local de leurs ressources (financière, humaines, etc.) : recours à
des intermédiaires commerciaux locaux (agents, distributeurs), création d’une filiale ou
d’une succursale commerciale, ensuite, puis d’une filiale de production, aboutissant à la
constitution d’une filiale intégrée. Cette « chaîne d’établissement », qui s’apparente à
d’autres démarches – comme celle de Yip1 –, sera susceptible d’intégrer d’autres modes
de présence (notamment partenariaux, alliance stratégique, entreprise conjointe, etc.).
Le premier modèle comme le second présentent, l’un comme l’autre une suite de
quatre séquences qui se succèdent comme un processus intégré du développement
international de la firme :
••Dans le modèle Uppsala 1, centré sur l’expérience interne accumulée par l’entreprise par
rapport aux espaces d’expansion vers lesquels elle envisage de se diriger :
––l’analyse partira de l’évaluation de l’engagement envisagé de l’organisation sur les
« marchés » (les espaces de référence ou d’expansion) étrangers ;
––pour déterminer ensuite le besoin qu’elle a de développer sa connaissance des
espaces étrangers de manière à réduire l’incertitude associée à leur approche ;
––afin de fonder et de finaliser ses décisions d’engagement à l’international ;
––pour évaluer, enfin, le résultat des choix effectués.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
••Dans le modèle Uppsala 2, centré sur l’accès à l’expérience externe que procure l’appar
tenance à un réseau :
––le point de départ portera sur les conditions d’accès de l’organisation considérée à
un réseau et sur la position qu’elle occupe dans ce réseau ;
––pour identifier, ensuite, les connaissances expérientielles que peut lui apporter le
réseau dans sa démarche d’internationalisation ;
––avant de déterminer les liens plus spécifiques à établir/renforcer avec tel(s) ou tel(s)
membre(s) du réseau pour l’aider dans cette démarche ;
––et, enfin, mesurer les résultats des relations ainsi établies au sein du réseau, en termes
d’apprentissage et de confiance.
1. Cf. Yip G., Loewe P. et Yoshino M., « How to Take Your Company to the Global Market ? », Columbia Jour
nal of World Business, Hiver 1988. Cf. figure 7.12 « L’évolution des modes d’entrée/de présence ».
233
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
En dépit des éléments introduits en 2009, par les « pères » du modèle, nombreuses
ont été les réserves qui lui ont été faites. Elles ont eu le mérite de faire ressortir les
éléments à prendre en compte pour compléter une approche qui apparaît des plus
appropriées pour les organisations, petites et moyennes, opérant dans le domaine
manufacturier traditionnel, plus particulièrement. Les organisations de plus grande
taille, le plus souvent multinationales, ayant déjà capitalisé, en interne, une vaste
expérience des environnements étrangers, et ayant accès à des réseaux aux multiples
ramifications, susceptibles de leur faciliter l’ouverture à des espaces d’expansion où
elles ne seraient pas encore présentes, peuvent, cependant, toujours tirer avantage de
cette approche.
Ce pourrait, par exemple, être le cas de multinationales, implantées d’ores et
déjà sur plusieurs continents, comme Renault, qui peut compter sur son partenaire
Nissan, au sein de l’Alliance qu’elle a constituée avec elle en 1999, pour appro
cher plus efficacement la Chine, où elle n’est pas encore présente de façon signi
ficative. Elle peut aussi, sans doute, s’appuyer sur ses « équipementiers », OEM
(original equipment manufacturers, comme Boch ou Valeo), qui y sont déjà
présents, pour lui apporter l’expérience dont elle aura besoin pour le développe
ment de ses projets d’implantation, comme sur un grand nombre de parties pre
nantes propres à lever les obstacles aux « flux d’informations entrants et sortants
du marché ».
Mais les exceptions les plus importantes à ce « schéma standard » renouvelé pro
viennent, là encore, de l’évolution très rapide de l’environnement international.
Elles recouvrent, tout à la fois, la multiplication des nouveaux acteurs qui tendent à
« brûler les étapes » de l’approche séquentielle du modèle d’Uppsala ; lequel se
trouvera aussi quelque peu remis en cause par les schémas de développement des
champions internationaux des économies à croissance rapide.
1. Selon Meier et Meschi, op.cit.,, le terme a été proposé pour la première fois par A. Bonnacorsi (« On the
relationship between firm size and export intensity », Journal of International Business Studies, vol. 23, N°4, 1992),
le concept ayant été développé par B. Oviatt et P. McDougall (1995 et 2005), qui utilisent le terme de « international
new venture ».
234
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
1. Publiée sous le titre Ambitious, Adept and Agile. How Global Entrepreneurs Are Changing the World,
l’enquête menée par Ernst & Young, auprès de 300 born globals montre que, au cours des trois dernières années, le
développement international a tiré la croissance de ces entreprises à hauteur de 72 % et a contribué pour 51 % à
l’amélioration de leur profitabilité (citée par Y. Vilagines, « Born Global, le nouveau paradigme des entrepreneurs
en quête de croissance », Les Échos, 1/9/2011).
2. Voir chapitre.3 ,3.2.2.2 .
3. Voir chapitre.8 « La diversité des interactions intercuturelles et leurs enjeux ».
4. Cf. F.R.Root, «Entry Strategies for International Markets », Lexignton Books, Lexington/Mass USA, 1987.
Voir chapitre 7, 7.2.2.1, figure 7.8 « Les types de stratégies d’internationalisation (Pourquoi ?) ».
235
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
1. Cf. C. Maussion, « Archos, au prix d’un appel local », Libération, 18/3/2011, et P. Grandmaison, « Le high
tech made in France », Le Figaro Magazine, 13/4/2012.
236
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
237
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
1. Cf. exemple 2.2 « Un nouveau venu très actif sur la scène internationale : le Qatar ».
2. Dunning, J.H., « Reevaluating the benefits of foreign direct investment », Transnational Corporations, Vol.3
N°1, 1994.
3. À rapprocher de ces incitations internes pour faire ressortir l’impact de cette double dynamique – interne et
externe – (cf. J.-P.Lemaire, « Le développement des “champions internationaux” originaires des grandes économies
à croissance rapide : le cas du Brésil, face à celui de la Chine et de l’Inde », in. F. Pinot, Le développement des
entreprises à l’international : regards sur le Brésil, ESCP-EAP Publication, Paris, 2007).
238
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
visées, à y acquérir une plus grande expérience, de manière à exploiter les avan
tages compétitifs – notamment, le prix ou l’adaptabilité à leur contexte spécifique –
acquis au sein de l’économie d’origine. Il s’agit aussi, pour les champions
internationaux de ces ECR, de diversifier leur portefeuille géographique, comme
d’accroître leurs compétences, au contact de la concurrence locale et étrangère.
1. Comme l’illustre, notamment, le cas de Mittal Steel dans le domaine de la sidérurgie, entreprise pour laquelle
la recherche d’une sécurisation des approvisionnements ne représente toutefois qu’un motif parmi de nombreux
autres à la politique de croissance internationale ininterrompue menée ces dernières années.
2. À noter, la découverte de nouveaux et très importants gisements d’hydrocarbures sur le littoral brésilien qui
risque de chager la donne pour ce pays.
3. La croissance du PIB brésilien apparaît assez fluctuante : 4,3% en 2000, 1,3 en 2001, 1,9 en 2002, 0,5 en 2003,
7,5 en 2010, 2 ,7 en 2011, 4,5 prévus en 2012, 5,1 prévus en 2004. ( DGTPE 2005 et La Tribune, 6/3/2012, « En
2011, l’économie brésilienne a fortement ralenti »).
4. Ibid. Dunning, 2004.
239
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
1. Avec des enterprises comme Ambev ; à noter, cependant, la fusion intervenue entre cette entreprise et le bras
s eur belge Interbrew , dont les perspectives géographiques dépassent largement la région, donnant aux anciens
actionnaires d’Ambev 44 % de Stitching Interbrew, la compagnie holding de l’entité fusionnée (en Belgique) sous
le nom d’InBev AS, devenu AB Inbev après la fusions avec Anheuser Bush. Cf. exemple 3.7 « Mondialisation à
marche forcée des géants des secteurs de la bière et de la mode ».
240
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
241
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
dards de qualité des économies les plus évoluées, répondre aux attentes des consomma
teurs les plus exigeants correspond bien à la logique de déploiement d’Haier aux
États-Unis comme en Europe1, tout comme ces motivations expliquent largement l’ins
tallation des « champions internationaux » chinois de l’électronique, TCL, Lenovo, ou
des télécom, Huawei et ZTE, dans ces deux zones ou encore, celle de grands
équipementiers automobiles chinois, comme SAIC ou Wanxiang au Royaume-Uni ou en
Corée.
De même, les Indiens, comme TCS et Ranbaxy, aux États-Unis, en Europe et même en
Chine, obéissent à des incitations similaires, mesurant l’importance, au-delà du dévelop
pement de leurs ventes et du rapprochement de leur clientèle, de l’obtention d’une véri
table reconnaissance dans les marchés de référence actuels ou potentiels les plus
importants.
À ce niveau, les entreprises brésiliennes apparaissent encore faibles, même si les entre
prises citées précédemment pour leur quête d’efficacité pourraient être également men
tionnées à ce stade. Elles apparaissent, cependant, moins engagées que leurs homologues
chinois ou indiens, et avec de moindres ambitions.
Parmi ces quatre incitations, une entreprise comme Huawei, à forte valeur ajoutée
technologique aura très vite donné la priorité à la recherche d’actifs stratégiques et
à la recherche d’efficacité, notamment à travers la création de son réseau interna
tional de centres de recherche, lui permettant, concurremment, de développer la
recherche de marchés. En revanche, dans son activité, la recherche de ressources
n’aura pas la même importance.
Mais si une bonne partie de sa dynamique internationale peut paraître entraînée
par ces motivations, celles-ci ne suffisent pas à l’expliquer complètement. D’autres
facteurs externes, liés à l’environnement de cette organisation, tout autant que ces
facteurs internes permettent d’en avoir, pour elle, comme pour ses semblables, une
explication plus complète.
À noter que les « champions internationaux » des ECR et d’autres organisations
issues, notamment, des économies matures partagent largement, selon leur secteur
d’activité, la majorité des incitations internes à l’internationalisation. En revanche,
les déterminants externes évoqués ci-dessous, trouvent leur terrain de prédilection,
à l’heure actuelle, dans les pays émergents qui tendent à en accroître les effets sti
mulants, au bénéfice de leurs « entreprises ressortissantes ».
242
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Internationalisation
des « champions
internationaux »
des grandes ECR
Recherche Recherche
de débouchés d’efficacité
• Accès à des marchés de diversification • Réduction des coûts,
et de volume, gain d’expérience et meilleure adaptation des produits,
contournement d’obstacles protectionnistes subventions aux investissements
1. En termes de levée des obstacles à la circulation des biens et des services, mais aussi en termes de politiques
économiques plus efficace et mieux coordonnées entre les pays membres.
243
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Exemple 4.8 – La mise à profit de « l’effet de grand marché » par les champions inter
nationaux chinois, indiens et brésiliens
Avec de tels niveaux de population, dont le dynamisme peut varier, il est vrai, considéra
blement, l’Inde et la Chine sont, sans conteste, les économies au monde qui, de ce point
de vue, sont les plus avantagées. Il convient, cependant, de considérer cet avantage avec
circonspection, en fonction du niveau de vie et de la répartition des revenus au sein de la
population pour en apprécier les limites1. Il convient aussi d’apprécier les obstacles inté
rieurs qui peuvent, comme en Inde, contrarier la circulation des marchandises et en ren
chérir significativement le coût2.
Face à ces deux géants, avec ses 180 millions d’habitants, le Brésil ne peut, bien sûr, sup
porter la comparaison. Il n’en demeure pas moins que son niveau de revenu par habitant est
sensiblement supérieur3, même si sa progression est plus faible et, surtout, plus irrégulière ;
ce qui nuance, sans fondamentalement la modifier, son infériorité dans ce domaine.
• Un second élément à retenir pour ces champions internationaux sont, sans doute,
les opportunités des zones de proximité, tant pour les débouchés qu’elles sont sus
ceptibles de leur procurer, pour les ressources naturelles qui leur font défaut et
qu’elles pourraient leur fournir, comme pour les possibilités de sous-traitance
qu’elles pourraient leur offrir et qui leur permettraient d’optimiser leur chaîne de
production.
Peut être assimilé à ce facteur externe déterminant, l’importance des diasporas,
dont il est difficile de mesurer l’impact mais dont certains gouvernements ont d’ores
et déjà compris qu’elles pouvaient constituer un levier de développement crucial
pour les acteurs économiques de leur pays, tant comme source d’informations et de
savoir-faire que de capacité d’investissement4.
Exemple 4.9 – La mise à profit des « opportunités des zones de proximité » par les
champions internationaux chinois, indiens et brésiliens
À ce titre, le Brésil possède une longueur d’avance sur les deux grandes économies de
référence, dans la mesure où le Mercosur se révèle comme une zone en voie d’intégration
relativement rapide, avec des perspectives d’extension à l’ensemble de l’Amérique
Latine5, qui en font pour nombre d’entreprises brésiliennes un prolongement naturel ;
même si tous les obstacles à l’échange et à l’investissement sont loin d’avoir disparus.
1. Le marché de l’automobile en Inde, malgré sa progression remarquable ne représente encore qu’un volume
annuel inférieur à celui de chacun des quatre plus grands pays de l’Europe de l’Ouest. Les constructeurs locaux
comme les étrangers en mesurent actuellement la saturation relative.
2. Cf. exemple 2.14 « L’Inde, en quête d’un rêve ».
3. Source : DGTPE Statistiques Brésil, www.dree.org/economie.
4. Voir chapitre 2, section 1, repère L’importance des diasporas.
5. Cf. notamment, « Le Brésil et l’Argentine veulent faire du Mercosur le noyau dur Latino-américain », Les
Échos, 23 Juin 2003.
244
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Si, certes, la Chine est dotée d’un fort pouvoir d’influence politique et économique régio
nal, elle n’a que récemment signé un accord avec les dix pays membres de l’ASEAN et
l’orientation de ses flux d’exportation et d’IDE, comme ceux de l’Inde, régionalement
encore plus isolée, sont, comme elle, davantage tournés vers les pays industrialisés –
États-Unis et Union européenne – . Même si leur ouverture respective vers les zones de
proximité, comme vers les zones économiques à maturité comparables d’Asie Centrale,
d’Europe de l’Est, d’Afrique, voire d’Amérique Latine apparaît inéluctable et est, d’ores
et déjà, bien engagée.
Exemple 4.11 – La mise à profit de « l’effet de diffusion des IDE » par les champions
internationaux chinois, indiens et brésiliens1
De ce point de vue, c’est la Chine qui a connu la progression la plus spectaculaire en
matière d’IDE dès la fin des années 1990, tandis que l’Inde devait, pendant l’essentiel de
la période, se contenter de montants qui ne représentaient qu’une fraction des flux
d’investissement qui se dirigeaient vers son grand voisin, avant de progresser significati
vement, depuis les années 2004 et 2005, et s’en rapprocher, sans, toutefois, pouvoir pré
tendre le rattraper. À noter qu’au-delà du volume des flux sont à considérer leur nature
et, partant, le potentiel de diffusion qu’ils représentent2.
Pour ce qui est du Brésil, l’établissement de multinationales et les flux d’investissement
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
étrangers sont plus anciens et ont fortement contribué à constituer le tissu économique du
pays, lui permettant, dans ses secteurs d’excellence, de renforcer la position de ses
« champions internationaux »3. Après avoir connu des pics à la fin des années 90, ils ont
progressé régulièrement, depuis le début de la décennie, concernant, outre le secteur pri
maire, les services et, particulièrement, les télécommunications et la finance, secteurs
récemment privatisés et nécessitant une rapide modernisation, permettant une améliora
tion rapide de leur productivité.
1. Dans le World Investment survey 2010-2012, la CNUCED, souligne que ces trois pays occupaient les trois
premières places du classement mondial de 2009, devant les États-Unis, la Chine avec plus de 100 milliards, l’Inde
et le Brésil, pratiquement au même niveau avec près de 70 milliards. (7/9/2010, www.contrepoints.org).
2. Avec, par exemple, l’installation de la première usine non européenne d’Airbus à Tianjin en Chine, voir, Cha
pitre 3. Exemple 3.8. Airbus installe une ligne de production pour la famille des A 320 en Alabama.
3. Barros, de O. et J. Santiso, 2002.
245
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Exemple 4.12 – La mise à profit de « l’appui de l’État » par les champions interna
tionaux chinois, indiens et brésiliens
En la matière, les différences sont assez marquées, même si les autorités des grandes
économies à croissance rapide se montrent toutes trois très actives dans la mesure où
leurs modes d’intervention diffèrent sensiblement ; en fonction, notamment, de niveaux
de ressources budgétaires inégales, de priorités sectorielles divergentes, comme de modes
de gouvernance bien distincts.
–– La Chine, plus centralisée, favorise ses « champions » à de multiples égards, sur la base
d’un système de gouvernance qui associe étroitement les autorités locales et la hiérar
chie du Parti communiste chinois aux dirigeants des entreprises – qu’elles soient
d’État, dépendantes des provinces ou des municipalités et, aussi, privées –, selon les
principes de l’« économie de marché socialiste3 », dans le cadre de politiques écono
miques décidées au plus haut niveau. Outre l’appui diplomatique dont elles bénéficient,
les aides qui leur seront dispensées passent par les crédits généreux auxquels elles
auront accès auprès des grandes banques d’État qui s’inscrivent dans une tradition de
financements publics, même si elles ont progressivement ouvert leur capital aux capi
taux privés locaux et internationaux.
–– L’Inde présente des caractéristiques très différentes, avec un pouvoir fédéral beaucoup
plus faible, même si certains dispositifs légaux et des politiques nationales sont claire
ment définis et profitent à un certain nombre d’acteurs nationaux dans des secteurs
jugés stratégiques comme l’aéronautique et l’espace. C’est donc au niveau des Etats,
plus ou moins entreprenants, que se manifeste aussi le soutien à un certain nombre de
« champions », dans des secteurs clés, pour leur permettre d’atteindre en interne une
masse critique suffisante4, leur permettant d’aller affronter, dès à présent ou, plus tard,
246
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Pour une entreprise comme Huawei, c’est bien l’effet de grand marché, qui a per
mis, dans un premier temps, la constitution d’une base d’activité consistante ; mais
c’est le financement de sa croissance dispensé par les banques, comme les subventions
– de recherche, notamment – apportées par les autorités, qui ont surtout été décisives.
L’a été aussi, l’effet de diffusion mis à profit à travers les multiples alliances nouées
avec les firmes étrangères, souvent installées en Chine, qui ont largement contribué à
lui apporter les savoir-faire techniques et managériaux dont elles avaient besoin pour
rattraper son retard initial avant d’être capable, de voler de ses propres ailes et de faire
la course en tête, en devenant elle-même leader technologique.
Internationalisation
grand marché des « champions des IDE
• Accès à une clientèle élargie internationaux » • Transferts de technologie, de
savoir-faire
• Économies d’échelle des grandes ECR • Références des acteurs locaux
Recherche Recherche
de débouchés Opportunités de d’efficacité
• Accès à des marchés de diversification proximité • Réduction des coûts,
et de volume, gain d’expérience et • Intégration régionale meilleure adaptation des produits,
contournement d’obstacles • Liens avec zones voisines subventions aux investissements
protectionnistes
247
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
1. Cette approche est partagée avec un certain nombre d’auteurs ; notamment S.P. Douglas et C.S. Craig (« Evolution
of global Marketing strategy : Scale, Scope and synergy », Columbia Journal of World Business, Automne 1989).
De manière empirique, un groupe de travail animé par B. Leblanc et J.-P. Lemaire, en 1991-1992 à l’EAP, est
arrivé à une analyse similaire : un panel de dirigeants d’entreprises à vocation internationale, issues de différents
secteurs, recherchaient les profils des personnels les mieux adaptés aux besoins de leurs structures en voie d’inter
nationalisation ; le groupe en est rapidement venu à la conclusion que ces besoins variaient sensiblement en fonction
du niveau d’engagement à l’international de chaque entreprise. Ce qui a conduit, sur la base de leur expérience, les
participants à dégager et à définir les trois phases reprises ici.
248
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Activités multilocales
INTERNATIONALISATION INITIALE s’appuyant sur des
(first landing) structures et des réseaux
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
délocalisés
En extension hors frontières
des activités domestiques
et/ou dans une perspective
d’exploration sur la base de relations
et de structures de proximité
J.-P. Lemaire
249
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
demeure quelque peu attentiste sur son engagement. Elle se cantonnera, alors, à des
relations limitées, voire occasionnelles, ou à une implantation légère – voire provi
soire – dans le ou les territoires de l’espace d’expansion dans le(s)quel(s) elle envi
sage de les développer ; adoptant une approche, en cela, conforme au modèle
Uppsala 1.
À ce stade, elle peut, tout autant, en fonction de la nature de son activité et de ce
qu’elle attend de son internationalisation, évaluer le potentiel des marchés locaux ou
des conditions de production locales. Elle multipliera alors les prises de contact en
étudiant diverses hypothèses d’approche.
Les solutions retenues auront souvent un caractère provisoire, voire expérimental,
se traduisant par des modes de présence peu impliquants, faisant la part belle aux
intermédiaires et partenaires locaux (agents ou distributeurs, fabricants sous licence),
qui compenseront sa connaissance réduite du marché ou des conditions de produc
tion locales, au moins pour un temps, avant que l’organisation soit en mesure de
trancher entre le « faire » et le « faire faire », aussi bien pour vendre ou acheter que
pour fabriquer.
Même si cette phase peut être amenée à se prolonger longtemps, elle débouche le
plus souvent, au bout de quelques années, soit sur un retrait pur et simple, soit sur
un engagement plus significatif, parfois même « décalé » par rapport aux hypothèses
de développement initialement envisagées (activité différente de la première activité
développée, production locale, plutôt que simple exportation ou fabrication sous
licence).
1. Voir cas « Elton, le défi sénégalais aux majors des hydrocarbures », « Elton, le défi sénégalais aux majors des
hydrocarbures », 2013, avec notice pédagogique, disponible en français et en anglais à la Centrale des cas et des
moyens pédagogiques).
250
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Créée en août 2000, ELTON associe un fonds d’investissement contrôlé par des Ex-
Cadres d’une entreprise chimique et des professionnels sénégalais du secteur, tous
anciens cadres de Multinationales, qui ont apporté leur expertise. Les a rassemblés
l’ambition de créer un concept nouveau et de remettre en cause le monopole des majors
du secteur, en profitant d’une disposition légale obligeant la société locale de raffinage,
leur filiale commune, à fournir tous les distributeurs aux mêmes conditions de prix.
Déjà leader en Gambie, pays enclavé dans le territoire sénégalais, la question est pour
Elton de devenir « panafricaine », en transposant dans la sous-région – l’Afrique de
l’Ouest – son image « performante, dynamique et citoyenne, soucieuse d’assurer la
meilleure qualité de service à la clientèle et de contribuer au développement de
l’Afrique ». À quelles conditions le pourrait-elle ? En suivant quel parcours ?
Le luxe, à première vue, un secteur très spécifique, mais très révélateur d’un certain
Japon, qui ne se cantonne pas aux grandes artères de Ginza ou d’Omotesando, les quar
tiers tendance de Tokyo, où il règne en maître et confronte les leaders mondiaux, pourtant
installés de longue date, à des défis permanents. Comportant, en effet, un éventail de
consommateurs beaucoup plus large qu’ailleurs, ce n’est probablement pas un hasard si
le Japon est, par habitant, le plus grand marché du luxe au monde. Leur appartenance à
la classe moyenne, représentant une très large majorité de la population, donne les
moyens à de très nombreux Japonais – et pas seulement aux offices ladies en attente de
mari- de posséder un ou plusieurs articles de luxe qu’ils exhibent volontiers aux grandes
occasions, comme dans la vie de tous les jours.
251
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Ce qui vient de l’extérieur et de loin est fort apprécié, pour autant qu’il incarne ces valeurs
traditionnelles auxquelles les Japonais sont si attachés. C’est probablement ce qui explique
la place privilégiée qu’occupe le luxe dans l’univers de la consommation japonais, en par
ticulier le luxe européen et, notamment, français. Même si les données disponibles sont
tant soit peu hétérogènes, du fait de la difficulté de définir ce à quoi correspond précisé
ment le luxe, la proportion du chiffre d’affaires réalisé au Japon par un certain nombre de
marques et d’entreprises du secteur, dont le positionnement ne prête pas à confusion,
comme Baccarat, Bulgari, Burberry, Hermès, Gucci, Tiffany, Louis Vuitton est impres
sionnant : entre 25 % et 35 % de leurs ventes mondiales sont réalisés dans ce pays !
Les goûts de la clientèle jeune, évaluée à 25 % des consommateurs du luxe par le repré
sentant d’un groupe dominant du secteur, évoluent, on l’a constaté, du conformisme à
l’affirmation de soi, du culte exclusif de la marque haut de gamme, au panachage, avec
la fast fashion, du « tout à l’extérieur » au cocooning et au well being. Elle n’est sans
doute pas perdue pour le luxe, mais son budget lui est moins largement consacré que dans
un passé encore récent.
D’où l’importance que revêtent les autres catégories, qui constituent la plus large part de
la clientèle, notamment les 35/45 ans et les plus de 45 ans, dont il faut savoir ranimer
constamment la flamme du désir d’achat. Pour les femmes, qui ont mis le luxe entre
parenthèses après leur mariage, comme pour les plus âgées, il ne faut pas perdre de vue
leurs attentes spécifiques comme les évolutions de celles-ci, tout en créant des attentes
nouvelles.
Fidélisation et pro-action sont les maîtres mots pour ranimer, entretenir et perpétuer la
magie de ce type d’achat. Les hommes ne sont d’ailleurs pas en reste, qui représente
raient une fraction croissante de la clientèle, même s’ils sont probablement plus sensibles
aux crises que les femmes. Ils font, de plus en plus, l’objet d’approches spécifiques et
requièrent également une attention toute particulière.
Pour eux comme pour elles, la fidélisation passe par le service associé à la vente et à la
vie du produit. Le propre du luxe – l’horlogerie, la joaillerie, la maroquinerie, les arts de
la table – est, en effet, d’accompagner toute une vie et, même, au-delà, de se transmettre
d’une génération à l’autre. Beaucoup de clients apprécient que des artisans – joaillers,
horlogers, maroquiniers. – soient désormais mis à leur disposition dans certains points de
vente pour assurer l’entretien et le suivi de ces objets symboles qui feraient presque par
tie d’eux-mêmes ; manière habile de perpétuer l’acte d’achat initial et d’en susciter de
nouveaux.
Mais c’est la recherche de l’exclusivité et de la personnalisation des articles qui rencontre
le plus grand succès. Ce qu’ont bien compris nombre d’acteurs prestigieux du secteur qui
n’hésitent pas à multiplier les séries limitées et à proposer des produits personnalisés en
offrant même la customisation à l’unité, allant de l’impression du monogramme de
l’acheteur à la coloration sur mesure – en dehors de la gamme standard – de l’accessoire
convoité.
Se sentir reconnu, bénéficier d’un accueil personnalisé fait partie des exigences de la clien
tèle la plus traditionnelle – et, aussi, la plus riche et, proportionnellement, de plus en plus
nombreuse –, soucieuse de l’harmonie et du détail. Ce qui a poussé, paradoxalement, à la
mise en œuvre d’une gamme de nouveaux outils permettant de mieux maîtriser la relation
à cette clientèle ; en particulier, dans le magasin, en intensifiant la formation des vendeurs,
et, hors du magasin, en développant les sites internet et les bases de données clients.
252
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
C’est probablement par un constant souci d’innovation dans la distribution, que les lea
ders du luxe se sont le mieux adaptés aux mutations de leur clientèle : en affinant la
segmentation des magasins, qui, désormais, peuvent être destinés exclusivement aux
clients les plus âgés, aux jeunes sophistiqués, aux hommes... ; en faisant aussi assaut de
créativité, en recourant aux décorateurs et aux architectes stars les plus « tendance » pour
leur siège japonais ou pour leurs magasins phares.
À ce titre, le Japon est devenu un véritable banc d’essai, qui attire, à chaque nouvelle
ouverture, les professionnels venus de l’Asie entière et, même, d’au-delà. Les formules
qui y sont ainsi développées et testées sont même susceptibles d’être reproduites dans le
monde entier.
pose, enfin, après avoir multiplié les implantations locales, de ne plus considérer les
localisations de manière spécifique, comme des opérations isolées, mais comme les
éléments d’un tout coordonné, en cherchant à gérer l’ensemble qu’elles constituent
de façon optimale.
Se trouve au centre des préoccupations de l’organisation l’harmonisation des pro
c édures et, éventuellement, des structures, permettant, en principe, une circulation
plus efficace des informations et des prises de décision plus rapides. Certaines fonc
tions – financière (comme la gestion du risque de change) ou fiscale – sont gérées
de façon sinon centralisée, du moins, coordonnée. Certains services fonctionnels
(par exemple juridiques) sont alors en mesure d’opérer de façon « transversale »,
pour tout ou partie des implantations, à des niveaux variables de décentralisation1.
1. Voir chapitre 8, cas d’application « Yara, une structure souple et homgène pour un leadership mondial ».
253
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Ce sont alors moins les formes juridiques de ses implantations que leur contrôle
qui s’imposent, sur un plan international, à l’organisation, avec, pour corollaire, le
renforcement de la culture organisationnelle, au détriment des cultures des pays des
différentes implantations.
À ce dernier stade, c’est l’image internationale, voire globale, de l’entité qui est
en jeu, non seulement sur le plan commercial et marketing, mais également sur le
plan financier (à travers, par exemple, sa capacité à « lever » des capitaux sur les
grands marchés financiers). C’est aussi sa capacité à allouer ses ressources de
manière optimale, à maximiser ses marges et, donc, à développer sa capacité d’auto
financement et d’investissement, pour conforter ses positions et stimuler sa crois
sance à long terme.
Plus une entreprise progresse dans son internationalisation, plus elle peut, donc,
bénéficier d’un effet de taille, dans le cadre d’une organisation et d’une planification
rigoureuses.
Pour des entreprises de taille modeste, comme le montre l’expérience de l’Indo-
French connection1, ce sont souvent les contacts fortuits avec des clients ou parte
naires étrangers, lors de voyages, de salons professionnels, de prises de contact
spontanées ou relevant du simple hasard qui expliquent, en particulier, leur ouver
ture initiale et la prise de conscience de possibles perspectives – justifiées ou non –
d’internationalisation.
Cela signifie qu’aux premières phases de l’internationalisation les organisations
peuvent s’appuyer sur l’empirisme, la chance et, même, l’inconscience. À l’inverse,
il arrive aussi que l’internationalisation soit prise en considération trop tardivement,
lorsque les ressources nécessaires ne sont plus disponibles, du fait d’une trop forte
détérioration de leur position locale.
Des leaders mondiaux ont fait les frais de ce manque de réactivité, des géants,
comme Gap (cf. exemple 4.15). Cela a été aussi le cas de plus modestes, comme
Majorette, dans le secteur du jouet ; un temps, pendant les années 1980, champion
mondial des voitures miniatures, mais victime, au début des années 2000, de la
« ringardisation » de ses produits qui n’avaient guère su évoluer, laminée par la mon
tée en puissance de ses grands concurrents faisant plus tôt qu’elle fabriquer en
Thaïlande ou en Chine2. Pour l’un comme pour l’autre, un tournant difficile à
prendre, dans des conditions qui ne donnent aucun droit à l’erreur.
1. Voir chapitre 2, cas d’application « L’usine des champs ou l’Indo-French connection ».
2. À la suite de bien des péripéties, une succession de reprises, un transfert de l’intégralité de la production en
Thaïlande, Majorette est devenue une simple marque, de retour dans le giron de Smoby dont il avait été un temps
filiale. L’entreprise emblématique de Rieux la Pape, son site principal désormais fermé, n’emploie plus que 30 sala
riés aujourd’hui, cf. « Majorette, l’ex fleuron des petites voitures, revient dans le giron de Smoby », La Dépêche,
2/2/2010.
254
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Il n’en demeure pas moins que c’est le plus souvent par défaut que par excès
d’audace que pèchent les organisations, qui se contentent de leur marché naturel,
sans se poser suffisamment tôt la question de l’internationalisation, soit que la vision
des dirigeants se trouve trop concentrée sur le court terme, soit que leur expérience
ou leur âge les incitent peu à envisager cette voie de développement.
En dehors de ces situations extrêmes, l’internationalisation est cependant le fruit
de prises de décision s’appuyant sur des incitations, ou encore, des « déclencheurs »,
internes et externes, auxquels les dirigeants sont, il est vrai, plus ou moins sensibles,
amorçant ou infléchissant un processus d’internationalisation qui se traduit généra
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
lement par une progression par cercles successifs (cf. figure 4.8.), allant d’une pru
dente internationalisation initiale, à caractère expérimental, à une éventuelle
multinationalisation, avec une ambition globale dans certains cas remarquables
(cf. cas d’application « Sidel, une dynamique internationale “tous azimuts” »?).
1. Adapté de N. Tatu, « Banana Republic ouvre à Paris : L’étranger sauvera-t-il Gap ? », Le Nouvel Observateur,
24/11/2011.
255
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
1. Voir, ci-dessous, divers cas d’application qui illustrent cette situation : chapitre 7, cas introductif : Comin Asia
à la croisée des chemins et Chapitre 8, cas d’application Yara, op.cit.
2. Voir Joffre P., L’entreprise et l’exportation, Vuibert, 1987, p. 82 ; Comprendre la Mondialisation de l’entre
prise, Economica/gestion poche, 1994, décrivant l’expansion internationale de Moulinex de 1955 à 1976.
256
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Diversification
géographique
Diversification
Diversification
de clientèle
de l’offre
Développement
sur les marchés matures
et couverture mondiale systématique
00’/10’
Grand public B to C
Cf. terminaux
modems, box,
Développement smartphones
Sur les marchés de maturité
similaire
90’/00’
B to B
Opérateurs
Cf. infrastructures
télécom
Développement télécom
Initial sur le
marché chinois
80’/90’
1. Adapté de P. Joffre, L’entreprise et l’Exportation, Vuibert, 1987, p. 82, « L’expansion internationale de
Moulinex de 1955 à 1976 ».
257
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
pro activité – plus encore que leur réactivité – suggéreront des modalités de déploie
ment de plus en plus innovatrices, combinant l’utilisation des relais virtuels, des
réseaux relationnels et, aussi, de profils de managers beaucoup plus multiculturels
et accoutumés à assumer avec plus de facilité la diversité et la complexité.
Même dans un contexte, en apparence, plus traditionnel, le projet de M. Dalmia
peut préfigurer, ci-dessous, cette capacité à générer de nouveaux schémas éclatés, en
concevant très rapidement, sinon d’emblée, des chaînes de valeur « globalisées »,
pouvant servir des clients sur de nombreux continents.
258
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
Modèle 3
Logique entrepreneuriale : « éclaté »
Recherche d’ouvertures géographiques Linge de maison
et saisie d’opportunités (rachat d’actifs décotés) Ancrage initial: Etats-Unis
Approche multi-sectorielle / multi-continentale Ë suply chain: Pakistan,
Leadership visionnaire Inde, Mexique, Etats-Unis,
Equipe multiculturelle efficace Europe..
Modèle 2
« projeté »
Centre d’appel:
Etats-Unis
Logique industrielle :
Appréhension globale
Modèle 1 des contraintes et opportunités
« centré » Optimisation de la chaîne de
Production de soude : Inde production/approvisionnement
Ë Extension géographique: Diversification des cibles géographiques
Europe de l’Est Capacité de pilotage d’une organisation
« globalisée »
Au-delà des déterminants externes et des incitations internes, des étapes ou des
schémas traduisant les différentes facettes de la dynamique des organisations, la
progression heureuse (ou malheureuse) de l’organisation s’inscrit dans la réponse
aux enjeux géo-sectoriels et aux pressions externes qui les déterminent dans l’espace
de référence/d’expansion dans lequel elle a décidé d’opérer. Ces réponses aux
« pressions », puis aux « enjeux », conduit à identifier les « leviers » auxquels
chaque organisation peut ou ne peut pas avoir accès. Ceux-ci peuvent être mis en
évidence pour chacune d’entre elles, à travers l’analyse de l’espace de référence
qu’elle envisage. Ce qui diffère de l’une à l’autre, cependant, c’est la maîtrise que
chaque organisation peut avoir de chacun de ces « leviers » et de sa capacité à les
mobiliser conjointement, de la manière la plus efficace, afin de déterminer et de
mettre en œuvre la stratégie la plus appropriée et la plus conforme à ses finalités.
259
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
Enjeu
d’intensitfication de
la concurrence
Profitabilité :
Structuration
amélioration
Organisation
coûts/revenus
Innovation
Enjeu de produits Enjeu
redéploiement process d’adaptation
géo-sectoriel de l’offre
PRESSIONS SOCIO-ÉCONOMIQUES
J.-P. Lemaire
1. Adapté de : Lemaire J.-P., doc. EAP/SBIE, Paris, 1992, Lemaire J.-P., Ruffini P.-B., Vers l’Europe bancaire,
Paris, Dunod, 1993, p. 77 et Lemaire J.-P., Dynamique bancaire et intégration financière, thèse pour le doctorat de
sciences économiques, Paris I Panthéon-Sorbonne, 1995.
260
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
lés à des rentes, comme ce fut longtemps le cas dans certaines activités de service
dont le niveau de résultats financiers était garanti par une véritable « cartellisation »
nationale (dans les services bancaires, par exemple) ou internationale (comme dans
le transport aérien1).
Par ailleurs, dans les industries manufacturières liées à la consommation finale ou
à l’équipement du foyer (l’habillement, l’électroménager ou l’automobile), diffé
rents facteurs de disparité (coûts salariaux, productivité, taux de change) se
combinent de façon permanente pour remettre en question la « compétitivité prix »
des produits et, par là même, fragiliser la rentabilité des entreprises.
1. Pour la banque, cette cartellisation s’est longtemps caractérisée par la fixation des prix, soit de manière auto
r itaire et centralisée, par l’institut d’émission – dans le système français des années 70, par exemple –, soit par une
entente entre les principaux concurrents, comme dans certains autres systèmes bancaires européens. Pour les trans
ports aériens, voir chapitre 1.
261
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
262
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
• Cependant, dans une perspective plus positive, dans ces mêmes secteurs, cet
impact n’apparaît pas irréversible. On peut même observer des différences, tenant
à une autre lecture des contraintes stratégiques : en particulier, pour mieux exploi
ter leurs avantages compétitifs, de nature technologique, certaines entreprises
n’hésitent pas – à une échelle, certes, réduite – à relocaliser une partie de leurs
structures de production dans leur pays d’origine où il est fait appel à une main-
d’œuvre très qualifiée1.
Le débat chômage/ouverture internationale apparaît, en fait, plus complexe qu’il
n’y paraît, dans la mesure où, dans la réalité, le coût de la main-d’œuvre ne constitue
pas le seul déterminant de la « compétitivité prix » internationale.
S’y trouvent associés des facteurs tout aussi décisifs, tels que les gains de produc
tivité, qui compensent une partie du handicap de coûts de main-d’œuvre des pays
industrialisés par rapport aux économies émergentes, ou encore l’évolution des taux
de change qui peuvent profondément l’affecter, toutes choses étant égales par
ailleurs.
Un second mode de réorganisation/restructuration, à dominante externe, résulte,
cette fois, aussi bien de l’intensification de la concurrence et des contraintes exer
cées sur la rentabilité, que, plus en amont, des mutations politico-réglementaires,
technologiques et socio-économiques. Il se manifeste par des mouvements de
concentration, des rapprochements ou des réallocations d’activités, chez – ou entre
– les acteurs, à l’intérieur des secteurs ou entre secteurs.
L’objectif de tels mouvements peut être, tout d’abord, à un même stade du proces
s us productif, d’acquérir une masse critique, en termes de parts de marchés, de capa
cité d’investissement ou de R & D, de potentiel marketing, sur le marché domestique.
À une échelle plus large, il permettrait de mieux faire face aux différents enjeux de
ce nouvel environnement, dans lequel s’estompent frontières géographiques et sec
torielles.
Une organisation peut, également, essayer d’intégrer différentes étapes du proces
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
sus productif, soit en amont, au niveau des matières premières ou de certains compo
sants, soit en aval, au niveau de la distribution, par exemple, pour obtenir un meilleur
contrôle de l’ensemble des déterminants de la valeur ajoutée et pour faire ainsi
preuve d’une efficacité plus grande vis-à-vis de la concurrence.
Une alternative consiste à se rapprocher, sans prise de contrôle, d’autres structures
ayant des compétences (commerciales, R & D, financières, etc.) complémentaires et
trouver des modes de coopération, « en réseau », plus ou moins formalisés, sans
pour autant que cela aboutisse fatalement à une fusion ou à une absorption.
D’autres modes de restructuration ont pu également se développer, obéissant à une
logique interne. C’est le cas de la sous-traitance – autre mode de délocalisation vers
263
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
les pays à faibles coûts de fabrication –, pour des phases du processus de production
ne faisant pas appel à des compétences clés de l’entreprise. C’est ce qu’illustrent de
multiples exemples, aussi bien dans les secteurs de biens de consommation que dans
les secteurs des biens d’équipement1.
Les organisations peuvent également se recentrer sur leur métier de base, mieux
maîtrisé, permettant ainsi de maximiser les effets de leur expérience industrielle et
commerciale avec, pour objectif, de minorer les coûts et de valoriser leurs avantages
compétitifs. De nombreuses expériences en témoignent, en particulier dans les sec
teurs en expansion ou dans ceux qui offrent certaines niches de marché particulière
ment favorables.
1. Cf. figure 4.2 « Exemple de schéma relationnel dans le cas d’un projet d’infrastructure concessionnel ».
2. Adapté de : « Dentressangle taille la route », Le Figaro Économique, 18 avril 1995. Actualisation 2012
www.norbert-dentressangle.fr.
264
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
1. Voir cas introductif chapitre 7 « Comin Asia, à la croisée des chemins ».
265
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
c Repère 4.6
Innovation produit, innovation process
Deux types d’innovations sont à envisager :
––les innovations de processus, s’appliquent aux infrastructures et à leurs applications,
touchant aussi bien les procédures que les modes de conception, d’organisation ou
de diffusion ; cela peut correspondre aux progrès des télécommunications ou de
l’informatique en général ou, en particulier, à l’utilisation de nouveaux outils ou
méthodes, comme la conception assistée par ordinateur, ou les systèmes EDI, néces
saires pour mettre en place une organisation industrielle en juste à temps ;
––les innovations de produit, s’apprécient en fonction d’un usage, au niveau de la
consommation intermédiaire ou de la consommation finale, et peuvent trouver leur
place sur le marché, grâce à leur caractère techniquement novateur, leur moindre
coût, leur design, qui les font préférer aux produits existants et se substituer à eux.
Dans un cas comme dans l’autre, sauf sur certains marchés très vastes comme
celui des États-Unis, le cadre national se révèle trop exigu pour permettre un niveau
suffisant d’amortissement des dépenses engagées au titre de la recherche, faute d’un
volume suffisant.
C’est donc en fonction de ces différentes dimensions de contexte que le dévelop
pement international de l’organisation doit être envisagé : l’intensité de chacun des
trois ordres de contraintes identifiés (pressions externes) peut, certes, varier consi
dérablement d’une période à l’autre, d’un secteur à l’autre (les niveaux de régle
mentation sont, par exemple, très disparates, de même que le niveau de sensibilité
aux fluctuations conjoncturelles).
En toute hypothèse, pour nombre de secteurs, l’évolution des pressions consécu
tives à l’ouverture internationale, quelle qu’en soit la nature dominante – réglemen
taire, technologique ou socio-économique – se traduit en termes d’enjeux, non pas
par un repli sur un territoire national qu’il est de moins en moins possible de « sanc
tuariser », mais, bien au contraire, par une propension importante à l’adaptation et
à la diffusion des produits et à l’implantation des entreprises hors frontières.
Ce mouvement, particulièrement inéluctable (cf. cas « Sidel »), suppose l’applica
tion d’une démarche rigoureuse d’analyse aboutissant à la détermination des
« leviers » les plus opérants pour assurer la détermination des axes de développe
ment international les mieux adaptés aux caractéristiques de l’organisation. Leur
maîtrise, en amont de la démarche d’internationalisation, et tout au long de sa mise
en œuvre, constitue un déterminant essentiel de son succès.
C’est cette démarche que l’on déroulera tout au long de la seconde partie de cet
ouvrage qui s’attachera, à la formulation à la mise en œuvre de la stratégie d’inter
nationalisation des organisations, sur la base de la compréhension de l’ouverture
266
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
internationale et des ressorts de ces trois dynamiques – des territoires, des activités
et des organisations- qui y participent, et en mobilisant les outils d’analyse qui y ont
été présentés.
Cas d’application
Sidel, une dynamique internationale « tous azimuts1 »
Le succès de Sidel, leader mondial des machines de soufflage pour la fabrication
d’emballages plastiques écologiques, traduit bien sa capacité à transformer de nou
velles opportunités internationales en avantages compétitifs ainsi que son habileté
à faire évoluer son organisation en vue d’une meilleure adaptation au contexte
changeant de son activité.
Sidel a été créée en 1961 par Lesieur, pour satisfaire ses nouveaux besoins en
emballages légers pour les liquides alimentaires. Depuis, l’entreprise a connu une
expansion remarquable : d’abord simple atelier produisant à l’aide d’une seule
machine d’extrusion-soufflage, Sidel s’est rapidement autonomisée, devenant une
entreprise à part entière. En 1972, elle faisait l’objet d’une cession à Pont-à-Mousson
avant d’être reprise, quelques années plus tard, par ses cadres, lors d’une opération
de RES (reprise d’entreprise par les salariés). Introduite en Bourse, l’entreprise, qui
a atteint alors un chiffre d’affaires de l’ordre de 0,5 milliard d’euros, a acquis dans
un premier temps, un savoir faire industriel original, centré sur le développement
des machines de soufflage des bouteilles en plastique PET, 100 % recyclables.
Ces résultats spectaculaires ont été le fruit, pendant toute cette première période de
son expansion, de l’exploitation judicieuse de diverses opportunités externes :
•• L’explosion de la demande d’emballages alimentaires – principalement, dans le
secteur des petits conditionnements pour boissons –, où les boîtes en aluminium
occupent une part de marché encore importante ; les experts tablaient alors sur
une croissance de 6 à 8 % par an jusqu’à l’an 2000 et au-delà.
•• Le besoin croissant de produits écologiques, répondant à l’évolution de la sensibi
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. Adapté de : Isabelle Hadkan, « Sidel : une entreprise soufflante », Le Figaro Économie, 24 avril 1995. Actua
lisation M. G. Lemaire, I.C. Bourse 2003 ; D.Hugue,« Le fabricant de machines d’emballage vient d’acquérir
Newtec Case Palletizing, qui renforce son expertise dans la palettisation et lui ouvre de nouveaux marchés à l’ex
port. » Les Échos 23/05 /2012. Ce cas développé (J.-P. Lemaire et R. Magnier Watanabe) avec notice pédagogique
sera disponible, en français et en anglais, courant 2013-2014, à la Centrale des cas et des moyens pédagogiques.
267
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
☞
Dans un tel contexte, Sidel, qui s’est adossée en 2003, à Tètra Laval a su répondre
à ces contraintes, tout en exploitant les opportunités offertes par ces transforma
tions, en réussissant, tout à la fois :
––à contenir efficacement la concurrence – son rival direct, Corpoplast, filiale du
groupe allemand Krupp, qui envisageait alors de l’acheter – et conquérir le leader
ship dans divers segments stratégiques du secteur ; ainsi, l’entreprise contrôlait dès
la fin des années 90, 90 % du parc mondial des machines de soufflage de PET à
cadence rapide ;
––à dégager une rentabilité particulièrement élevée – résultat net supérieur à 10 %
par rapport à un chiffre d’affaires, lui-même en croissance rapide – tout en limitant
la taille de ses effectifs et en en accroissant sa productivité ; le chiffre d’affaires
moyen par salarié s’établissait alors à près de 0,5 million d’euros ;
––à développer sans cesse sa capacité d’innovation – 4 % du chiffre d’affaires consa
cré à la recherche et développement –, en se diversifiant et en intégrant des métiers
complémentaires (remplissage, étiquetage, emballage), le plus souvent par voie
d’acquisition ;
––à chercher en permanence à optimiser son organisation et à en améliorer la flexi
bilité par un recours massif à la sous-traitance, pour la fabrication des composants
et pour l’assemblage, dans sa plus grande part ; tout en conservant la maîtrise des
fonctions considérées comme stratégiques, telles que la conception des équipe
ments, la mise au point des moules, l’assemblage, le réglage final et la mise en
route des machines chez les clients et, enfin, le service après vente.
C’est l’acquisition de nouvelles entreprises qui, avant la reprise par Tetra Laval, a
entraîné une perte de confiance des marchés financiers, qui n’ont pas compris la
logique de l’extension de gamme que mettait en œuvre l’entreprise et la considé
raient comme une diversification hasardeuse ; en constatant, surtout, qu’au moins
pour un temps, elle ne permettait pas de dégager les mêmes taux de croissance et
la même profitabilité que l’activité de base de l’entreprise.
En fait, Sidel n’abandonne pas, en tant que division industrielle de Tetra Laval, son
objectif de fournir à ses grands clients des solutions complètes couvrant l’ensemble
de la ligne de conditionnement des liquides alimentaires. Après avoir élargi sa
gamme, avant son rapprochement avec Tetra Laval, aux convoyeurs, avec Gebo, aux
fardeleuses (machines de groupage des petits colis), aux encaisseuses et aux
palettiseuses, avec Cermex, la démarche est poursuivie avec d’autres ; ainsi l’acqui
sition de la firme italienne Simonazzi (remplisseuses, laveuses, rinceuses, mixers,
carbonateurs, pasteurisateurs.).
Aujourd’hui, bien au-delà des emballages PET, son cœur de métier d’origine, Sidel
a considérablement élargi son offre
––couvrant l’ensemble des liquides alimentaires : bouteilles plastique et verre, boîte
boisson métalliques, convenant aussi bien à l’eau, aux boissons gazeuses, à
l’huile, à la bière, aux boissons alcoolisées etc. ;
––pour proposer un ensemble complet d’équipements, partant du soufflage des bou
teilles PET, des équipements de remplissage, d’étiquetage, de fardelage, de palet-
tisation, ainsi que des machines de traitement de ces liquides (carbonateurs,
mixeurs et pasteurisateurs).
268
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
☞
Son expertise dans cet ensemble de techniques et de moyens, sans cesse élargies,
comme, encore, en 2012, par la nouvelle acquisition d’une entreprise de
palettisation par Cermex, permet désormais au groupe de proposer des solutions
complètes, d’ingénierie de ligne de remplissage/emballage et d’intégration d’équi
pements.
La politique d’acquisition menée au fil des années lui a aussi permis d’étendre pro
gressivement son portefeuille de clientèle à l’échelle internationale la plus large,
suscitant des synergies intra groupe très fructueuses. Ainsi, en 2012, la division Sidel,
avec un chiffre d’affaires de près de 1,5 milliard d’euros, regroupant l’ensemble des
filiales qui lui sont rattachées, est forte de plus de 5 000 collaborateurs, installés de
par le monde, dans 190 pays, d’un parc de plus de 30 000 machines, fabriquées
dans des sites répartis sur les cinq continents – Le Havre, Atlanta, Shangaï, San Paolo
et Guadaljara, au Mexique, en particulier – (appuyés par des filiales commerciales
et des services techniques présents sur de nombreux autres sites). Elle s’affirme
comme un véritable groupe multiculturel dans lequel se côtoient une soixantaine
de nationalités.
Collaborant avec tous les majors de l’industrie alimentaire, – Coca-Cola, Pepsi,
Heineken, Nestlé, Danone…– la firme dont le berceau est au Havre n’en a pas
moins traversé, à nouveau, des moments difficiles, lors de la crise de 2008, à la suite
de laquelle son déploiement international a même été remis en question.
Questions de rélexion
1 ■ Dans quel secteur d’activité opère Sidel ? Quels sont ses principaux clients ?
Dans quelle mesure l’entreprise ne pouvait-elle pas envisager d’opérer uni
quement au niveau domestique ? Quels facteurs l’ont le plus conduit, dès les
années 90 à envisager son activité à une autre échelle géographique ? À élar
gir sa gamme d’activités au-delà des machines d’embouteillage PET (son
cœur de métier originel) ? Que pouvait lui apporter cette diversification ? En
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269
Partie 1 ■ Évolutions et défis de l’ouverture internationale
L’essentiel
270
Dynamique internationale des organisations ■ Chapitre 4
☞
dominées par la course à l’innovation, conférant au temps une importance
déterminante.
Les nouvelles « nées globales »/born global, dont le modèle économique incor
pore d’emblée la nécessité de diffuser le plus rapidement possible et le plus lar
gement possible des innovations en perpétuel renouvellement ou de déployer dès
le départ, dans plusieurs pays, les différentes étapes de la chaîne d’approvision
nement et de fabrication (supply chain) rentrent moins facilement dans ces
cadres. Il en va de même pour les nouveaux « champions internationaux » issus
des économies à croissance rapide (ECR), qui couplent à des incitations internes
très fortes à l’internationalisation, des stimulants externes. Ceux-ci sont essen
tiellement issus de l’environnement porteur que leur procure le dynamisme de
leur marché intérieur comme le soutien que leur offrent leurs autorités locales.
Lesquelles les accompagnent dans leur démarche, en leur fournissant un cadre
aussi favorable que possible, tant pour leur apporter les soutiens financiers et
diplomatiques nécessairres que pour acquérir les expertises, tant techniques que
managériales, qui leur font défaut pour devenir des leaders mondiaux.
Mais, au-delà d’un modèle explicatif et d’un simple recensement des facteurs qui
expliquent la dynamique de développement international de ces organisations,
c’est le repérage des processus de croissance, les étapes successives que l’on peut
mettre en évidence qu’il importe d’identifier. En partant des formalisations scan
dinaves, associées aux modèles d’Uppsala, la « théorie des phases », qui, il n’y
a pas si longtemps, souffrait peu d’exceptions, pouvait apporter une réponse
quasi universelle. Sans préjudice, désormais, des cheminements qu’adoptent de
nouveaux acteurs, évoluant plus rapidement, sans toujours marquer les temps
successifs du modèle de référence.
Mais à l’issue de cette analyse, faisant ressortir les parcours les plus traditionnels,
qui s’appliquent encore à de nombreux acteurs, comme les parcours plus origi
naux qui sont en passe de se multiplier et de leur offrir de nouvelles alternatives,
ce sont les « leviers » nécessaires à l’infléchissement et à l’optimisation des tra
jectoires internationales des organisation qui doivent être mis en lumière :
––le levier d’amélioration de la rentabilité, qui conditionne le niveau de ses res
sources et la qualité de son image financière ;
––le levier d’adaptation et d’optimisation des structures, qui détermine la réacti
vité de l’organisation et sa capacité à assumer et maîtriser croissance organique
et/ou croissance externe dans des environnements de plus en plus variés ;
––le levier d’innovation, peut-être le plus déterminant dans un monde où le per
pétuel renouvellement des produits, mais, également des processus, dicte sa loi
et met au premier rang ceux qui savent le mieux susciter l’innovation ou se
l’approprier.
271
Partie
Structuration de la démarche
2
d’audit d’internationalisation
Chapitre 5
1. Il s’agira ici, à l’instar du business plan anglo-saxon, de traduire de la manière la plus exhaustive possible, les
différentes dimensions de l’activité d’une organisation – économiques, techniques, financières, sociales et sociétales
– en référence au « business model » (figure 5.5), étant entendu que le « modèle d’affaire » d’une organisation
devient international dès lors que son activité dépasse le cadre des frontières de son pays d’origine. Il précisera alors
ses zones d’implantation hors frontières, ses modes de présence, etc.
274
Chapitre
Structuration de
la démarche
5 d’audit d’interna
tionalisation
276
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
Le plan du chapitre
Section 1 ■ Les étapes de la démarche d’audit d’internationalisation
Section 2 ■ Du « modèle d’affaire » international aux problématiques
d’internationalisation et à la détermination de l’espace
de référence
Cas introductif
ESCP Europe, et les défis de la « globalisation académique1 »
Dans l’ensemble des activités (secteurs ou industries), l’enseignement supérieur est,
sans doute, parmi celles qui ont connu sur l’échelle globale/locale2 une des évolu
tions les plus rapides – sinon les plus brutales –, en un laps de temps si court. Qui
avait entendu parler, au tout début des années 2000, du « classement de Shanghai »,
ou du classement du Financial Times, ou encore, a fortiori, du classement de l’école
des Mines de Paris ? Personne ! Et pour cause3!
Échappant aux dérives, justement contestées4, des rankings, les accréditations, par
ticulièrement dans le domaine de la gestion, fixent des standards s’appliquant à des
programmes MBA (AMBA5) ou à l’ensemble de l’institution concernée (AACSB6
pour la norme américaine, Equis7, pour la norme européenne), qu’ils appliquent
dans le cadre de processus rigoureux appliqués à des intervalles variables, à chaque
établissement, en fonction de l’évaluation précédente8.
C’est dire le bouleversement introduit par cette « globalisation académique » dans
un secteur auquel les traditions et les cadres réglementaires à dominante nationale
ont conféré longtemps un caractère « géo-centré » manifeste.
☞
1. Ce cas développé (J.-P. Lemaire) avec notice pédagogique sera disponible, en français et en anglais, courant
2013-2014, à la Centrale des cas et des moyens pédagogiques.
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277
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
Dans ce nouveau contexte, ESCP Europe est loin de faire pâle figure : elle se situe
en tête d’un certain nombre de rankings1, et arbore fièrement la « triple couronne »
– AMBA, Equis, AACSB –. Elle fait partie d’un des nouveaux regroupements – « Pôles
de recherche et d’enseignement supérieur » (PRES) – les plus prestigieux2, en France
et, surtout, elle présente, sur le plan international, une configuration qui reste
exceptionnelle, sinon, toujours, unique.
L’institution, dans son périmètre actuel, datant de 1999, lors de la fusion de deux
établissements de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris – désormais CCI
Paris Île-de-France – (qui finance encore 20 % environ, de son budget3), bénéficie
d’un double héritage : celui de l’École supérieure de Commerce de Paris, créée en
18194, dans la mouvance des grandes écoles scientifiques, « à la française »-comme
Polytechnique- (et bien avant son institution sœur, HEC, qui n’a vu le jouer « qu’en »
1881) et celui de l’École des Affaires de Paris (EAP), elle-même véritable born glo
bal5, puisque, dès sa création, en 1973, ses étudiants suivaient son cursus de grande
école de gestion sur trois sites européens – à l’origine, Paris, Oxford et Düsseldorf
–, devenus cinq depuis -Paris, Londres, Berlin, Madrid et Turin-.
Dans la continuité des règles de recrutement appliquées très tôt par l’EAP, la nou
velle institution née de la fusion, a rapidement retrouvé un rapport « 50/50 » entre
étudiants Français et « non Français » atteint à l’EAP, leur assurant une ouverture
internationale permanente, notamment dans le cadre des circuits proposés – origi
nellement « 3 ans, 3 pays » –, et celui des travaux de groupe largement pratiqués
dans la pédagogie, quelle que soit l’implantation dans laquelle ils étudient. Outre
la langue des pays de localisation de chaque implantation, l’Anglais est devenu une
langue « bis » pour nombre d’enseignements qui se dispensent dans la langue de
l’implantation et/ou en Anglais.
Avec ses 4 000 étudiants, environ, participant à ses différents programmes6, forte de
plusieurs dizaines d’accords d’échanges avec des institutions prestigieuses implan
tées dans le monde entier, ses liens, avec certains partenaires, se sont même trans
☞
1. Ainsi, en 2010, ESCP Europe est classée n°1 en Europe, au classement du Financial Times, pour son pro
gramme Master in Management. En 2011, il y figure à la troisième place dans le monde (cf. Financial Times, Busi
ness school rankings, 2011).
2. Le PRES « HESAM », Hautes Études-Sorbonne-Arts et Métiers, , est un pôle de recherche et d’enseignement
supérieur porté par différents établissements d’enseignement supérieurs basés à Paris et dans sa région associant des
institutions de premier rang :
– « fondatrices » : Arts et Métiers ParisTech, Conservatoire National des Arts et Métiers, École française
d’Extrême-Orient, École des Hautes Études en Sciences Sociales, École Nationale des Chartes, École Pratique
des Hautes Études, ESCP Europe, École Nationale supérieure de Création Industrielle, Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne.
– « associées » : École du Louvre, École Nationale d’Administration, Institut national d’histoire de l’art, Institut
National du Patrimoine, Institut national d’études démographiques.
3. Qui représente 75 millions d’euros, environ, auquel contribuent aussi à Berlin, à hauteur de 50 %, le Sénat du
länder, et, à Turin, la Cofindustria.
4. Sans doute, l’une des plus anciennes du monde, s’y plait-on à rappeler.
5. Voir chapitre 4, .
6. Master in Management/MiM (ou « programme Grande École », en trois ans), Master in European Business/MEB,
Executive MBA et ses 18 mastères spécialisés (MS), très prisés des participants ayant suivi une formation hors du
champ de la gestion, ainsi que 8 MS en temps partagé (formation permanente).
278
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
☞
formés en double diplôme1. L’école entretient aussi des liens privilégiés avec des
« campus associés », dont la CCIP a été à l’origine, comme le Centre Franco Viet
namien de Gestion, à Hanoï et à Ho Chi Minh Ville, l’École supérieure des Affaires
à Beyrouth ou l’École Supérieure Algérienne des Affaires, à Alger. Cette très forte
« exposition internationale », associant également un Corps Professoral de plus en
plus multiculturel, fort de 130 enseignants environ, assure aux étudiants qui le sou
haitent l’accès, non seulement à un « premier cercle » européen, véritable propé
deutique de l’international, mais aussi à un deuxième et, même, à un troisième
cercle, plus lointains2, où la « distance psychique3 » est sensiblement plus impor
tante pour ceux d’entre eux qui choisissent de l’assumer.
Un modèle unique et précurseur qui n’en a pas moins suscité nombre d’émules et
une montée en puissance d’ institutions « concurrentes », écoles et universités, fran
çaises et étrangères, à travers la multiplication des accords d’échanges européens
encouragés par la mise en place du programme Erasmus, mais aussi par le dévelop
pement de nombre d’implantations lointaines permanentes : notamment dans les
économies en forte croissance, comme l’Asie, où d’autres institutions, dont l’établis
sement principal est en France, en Europe ou aux États-Unis, ont planté leur dra
peau, comme, par exemple, l’Insead ou l’Essec, à Singapour, indépendamment des
partenariats qu’elles ont également multipliés de par le monde.
Pour ESCP Europe, par ailleurs, la coordination doit s’effectuer entre les cinq cam
pus dotés de statuts différents avec, le plus souvent, des modes de gouvernance
spécifiques, Berlin, co-administré avec le Sénat de la ville, ayant un statut d’univer
sité, Londres un statut de « Charity »4, Turin, en partenariat avec l’Université de
Turin… De plus, les nombreux accords avec des institutions partenaires sont, eux-
mêmes, assujettis à des cadres de différents types.
Le fonctionnement de cette structure mobilise beaucoup d’énergie pour les parties
prenantes à l’organisation, aussi bien à Paris que dans chaque implantation, entre
la gouvernance et l’administration de l’école, d’une part, et la direction de l’Ensei
gnement de la CCI, d’autre part ; en particulier dans ce contexte de « globalisation
académique ». Celle-ci n’est pas uniquement incarnée par les rankings et les accré
ditations, mais aussi par la prise en charge des étudiants étrangers en programme
d’échange et des participants de programmes internationaux executive, en lien
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
avec les établissements partenaires dans le monde entier. Cette « exposition inter
nationale » croissante détermine des changements profonds, à tous les niveaux : le
formatage des cours, les critères de qualité qui s’y appliquent et, surtout, le nouvel
équilibre à trouver, pour l’institution et les membres du Corps Professoral, entre
enseignement et recherche, en tenant compte des autres tâches qui leur sont
dévolues.
Du fait des « profils internationaux » requis par les standards des organismes
d’accréditation comme par ceux que suggèrent les critères des rankings, le recrute
☞
1. Comme avec City University à Londres, ou Carlos III à Madrid, pour le MiM ou encore, avec le MDI à
Gurgaon, en Inde, ou le TEC de Monterrey, au Mexique, pour le MEB.
2. Cf. figure 5.7 « Le déploiement international de l’organisation, l’exemple d’ESCP Europe ».
3. Cf. repère 4.5 « D’Uppsala 1 à Uppsala 2 ».
4. Equivalent britannique d’Association d’intérêt public.
279
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
ent des enseignants s’internationalise, désormais, bien au-delà des implantations.
m
Les candidats doivent être, avant tout, susceptibles de publier dans les revues aca
démiques à comité de lecture les plus cotées1, mais on attend aussi d’eux qu’ils
soient de bons performers, en mesure d’animer leurs amphis avec efficacité et
talent, en formation première comme en formation permanente, d’entretenir des
relations étroites avec les entreprises, en publiant aussi des cas, avec une bonne
visibilité au sein de la communauté académique, sans préjudice d’une présence
médiatique.
Avec la crise économique qui rend l’équilibre budgétaire plus précaire, en dimi
nuant tendanciellement les ressources apportées par la CCI, et en dépit des efforts
de rationalisation développés, les investissements considérables que requiert,
notamment, cette priorité accrue accodée à la recherche, suggèrent de considérer
de nouvelles options, à partir des problématiques dégagées.
De nombreuses autres institutions dédiées à l’enseignement de la gestion, – particu
lièrement, consulaires –, partagent, elles aussi, ces contraintes, sans, pour autant,
disposer des mêmes atouts que ESCP Europe. Ce qui pourrait permettre, à partir de
leurs caractéristiques propres, d’appliquer des critères similaires pour établir les
bases d’un audit d’internationalisation.
Comment définir dès lors, le domaine d’activités dans lequel opère ESCP Europe ?
Quelle a été l’évolution de l’ouverture internationale de l’institution au fil des
années ? Quels ont été les moments clés de son évolution ? Quels chiffres significa
tifs seraient à retenir pour caractériser sa taille, son volume d’activités, sa progres
sion, son ouverture internationale… ? Comment évaluer l’importance et la qualité
de son réseau de partenariats ? Comment analyser sa gouvernance, identifier ses
valeurs, caractériser sa culture organisationnelle ? Comment faire ressortir son carac
tère unique et les avantages compétitifs qu’elle a développés au fil des années (sous
réserve des conclusions d’un audit complet) ? Comment identifier et hiérarchiser, a
priori, les problématiques prioritaires auxquelles elle se trouverait confrontée ? Quel
serait, enfin, l’espace de référence ou l’espace d’expansion à retenir en fonction de
ses problématiques d’internationalisation ?
Pour cette organisation (qui dispose de son propre dispositif d’audit2 et bénéficie
aussi du retour de divers évaluateurs externes), et pour toutes les organisations, à la
fois confrontées à l’ouverture internationale et, également, engagées à tirer parti,
dans des délais plus ou moins courts, d’une évolution significative de leur activité
– du « local » et du « géo centrage » au « global » –, l’audit d’internationalisation,
ou toute démarche équivalente adaptée à leur situation et à leur structure, peut les
aider à effectuer les choix essentiels et à les mettre en application.
1. Là aussi, des classements des revues académiques se multiplient, distinguant, chacun, en moyenne, trois ou
quatre catégories différentes, avec , par exemple, en France, le classement du CNRS qui attribue des « étoiles » ou
celui de la Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion (FNEGE). Ces classements vont être pris en
compte, dans les établissements privés ou consulaires et dans le système de promotion de l’Education Nationale,
pour l’attribution des primes ou la progression de carrière de chaque enseignant.
2. Particulièrement, les audits internes dont elle fait l’objet dans le cadre de la CCIP.
280
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
Section
1 Les étapes de la démarche
d’audit d’internationalisation
La démarche proposée engage chaque organisation à suivre un processus struc
turé, s’appuyant sur un système de veille et sur une mutualisation organisée des
informations, destinés, l’un et l’autre, à :
––limiter les effets inhibants d’une incertitude croissante1 ;
––poser aussi correctement que possible les problèmes suscités par l’évolution
rapide de son environnement ;
––mieux délimiter l’espace dans lequel elle aura le plus intérêt à porter ses efforts,
en fonction de ses atouts et ressources.
La succession des étapes de l’audit d’internationalisation doit être étroitement
reliée au système de veille et d’intelligence économique, entendu comme le mode
de collecte des données externes et internes, le mieux adapté à l’organisation, sus
ceptible d’éclairer – voire de déterminer – ses décisions d’internationalisation. C’est
ce qui explique qu’à chaque étape de l’audit, doivent être identifiées les informations
nécessaires à son élaboration, les sources et les données accessibles, ainsi que leur
mode d’exploitation.
Son objectif est de recenser en permanence les éléments révélateurs des transfor
mations de l’environnement et de les prendre en compte dans le processus de
réflexion et de décision stratégique, mais, aussi, aux niveaux – fonctionnels ou orga
nisationnels – de sa mise en œuvre. Il s’agira de réagir et, si possible, d’anticiper,
dans le cadre du système de gouvernance, comme dans celui de la culture propre à
l’organisation, qui ne manquera pas, lui-même, d’évoluer pour s’adapter avec plus
« d’agilité »2 aux contraintes et tirer parti des opportunités qui ressortiront, les unes
comme les autres, de l’analyse de ces éléments contextuels.
Les différentes données internes – concernant l’organisation – et externes –
concernant son environnement géo-sectoriel dans l’espace de référence qui aura été
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281
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
Mise en œuvre
multifonctionnelle,
Mise en œuvre multiculturelle et
opérationnelle Organisationnelle ajustements culturels,
(Chap 8) organisationnels et
coordination multifonctionelle
actions prioritaires
(implantations, fusions & acquisitions,
lancement de nouveaux produits...)
J.-P. Lemaire
1. Comme celle préconisée par F.-R. Root, op. cit. [1987].
282
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
d’activités – comme, par exemple – les biens d’équipement et les projets d’infra
structure, dont le processus d’internationalisation est largement centré sur les
appels d’offres internationaux1.
Le processus susceptible de s’appliquer dans le cadre de ces opérations comporte,
comme pour les précédentes (cf. figure 5.2) :
––une approche stratégique élargie similaire (identification des opportunités et diag
nostic des ressources de l’organisation), en conformité avec son modèle d’affaires
international ;
––permettant de définir la stratégie d’internationalisation (SDI), intégrant, pour les
biens d’équipement et les projets d’infrastructure, comme pour les biens de
consommation courants ou durables ou les services, le degré d’engagement, les
types de marché (nature, zones) et tous les autres paramètres à caractère straté
gique (comme les limites de transfert de technologie) ;
–– aboutissant aux décisions clés (projets prioritaires et mode d’implication de l’orga
nisation), jusqu’à la mise en œuvre et au suivi technique, financier et commercial.
Les principales étapes de l’audit d’internationalisation
adaptation du processus d’audit à l’approche projet
Identification
du modèle d’affaire
et des problématiques
des projets internationaux
(Chap 5)
Approche Identification des projets Évaluation de
et formulation Internationaux accessibles la capacité de l’organisation à
de la SDI dans l’espace de référence Les prendre en charge
(Chap. 6) (Chap 7)
Formulation de la
Stratégie d’Internationalisation
Et détermination des projets cibles
dans l’espace de référence retenu
(Chap. 7)
Mise en œuvre
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de la sélection de projets
Mise en œuvre de réponse et néogciation
opérationnelle des appels d’offres Ajustements culturels,
(Chap 8) organisationnels
et coordination
multifonctions
J.-P. Lemaire
283
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
Pour les biens d’équipement comme pour les biens de consommation et les ser
vices, pourront être mobilisés les différents recours et aides accessibles – en externe,
particulièrement –, avec le souci permanent de réduire les risques1 et d’éviter des
engagements qui pourraient menacer le devenir de l’organisation.
Dans cette perspective, pour les uns comme pour les autres, il sera nécessaire de
suivre, dans leur logique – sinon dans leur détail –, les grandes étapes qui structurent
la démarche stratégique de développement international, sans préjudice, ultérieure
ment, d’une formulation plus complète.
Les trois première étapes des figures 5.1 et 5.2 fournissent le cadre de la définition
des étapes préliminaires de la démarche proposée :
––l’identification et/ou d’analyse (screening) des opportunités internationales ;
––l’évaluation des ressources mobilisables dans cette perspective ;
––en relation avec les « valeurs » essentielles de l’organisation et ses axes straté
giques d’ensemble (pour autant qu’ils aient été préalablement déterminés).
À partir de ces trois première étapes de l’analyse, il sera alors possible d’envisager :
––la définition des grands axes de la stratégie de développement international (SDI),
C’est-à-dire la détermination du niveau et des limites d’engagement à l’interna
tional et la définition des objectifs quantitatifs et qualitatifs retenus ;
––les modalités de la mise en œuvre, liées à la sélection des localisations cibles et au
choix des modes de présence, ainsi que leurs implications fonctionnelles et orga
nisationnelles.
284
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
modèle d’affaire international commun qui s’est progressivement mis en place s’atta-
chant à concilier ces deux axes, comme à prendre en compte les transformations obser
vées de l’enseignement et de la recherche en gestion dans un cadre géographique élargi.
Pour ESCP Europe, comme pour la plupart des institutions d’enseignement supérieur
opérant dans ce domaine académique, de par le monde, une fois identifiées les caracté
ristiques de l’institution, pourront être privilégiées1 :
–– soit des problématiques réactives, axées sur l’optimisation du déploiement de ses
moyens en fonction de ses ressources existantes, des nécessités d’adaptation des pro
grammes, de l’évolution des publics et des demandes du marché, susceptibles d’inté
grer les recommandations émises par les organismes d’accréditation, le nouveau
contexte de recrutement des enseignants-chercheurs et de leur intégration au sein de
l’institution, la redéfinition de leur rôle – entre enseignement, recherche, direction de
programme, formations executive. – etc. ;
–– soit des problématiques pro-actives, de développement de nouvelles synergies entre les
différentes implantations et campus associés, d’anticipation et d’évolution de leur sys
tème de gouvernance, de mutualisation de moyens avec d’autres institutions – particu
lièrement des institutions partenaires –, de recherche de ressources supplémentaires
auprès des entreprises, des organismes de soutien, d’optimisation et d’extension des
programmes en lien avec l’image et le projet de l’institution, avec les entreprises sup
port, les anciens élèves, etc. ;
–– soit, encore de problématiques combinées, associant ces deux premières probléma
tiques, en fonction de l’urgence, comme des défis à long terme qui seront considérés
comme essentiels par la gouvernance de l’organisation.
L’espace de référence et d’expansion, quant à lui, pourra s’envisager à différents niveaux
possibles :
–– au niveau ouest européen et nord américain dans le cadre d’une approche plus
« focalisée », dans l’hypothèse où l’audit serait mené dans la perspective d’une amé
lioration de la compétitivité de l’école par rapport aux leaders occidentaux qui domi-
nent encore les rankings et, plus largement, en fonction d’une concurrence venant de
la part d’autres institutions, écoles de gestion, Instituts d’Administration des Entre
prises (IAE) et Universités comportant d’importants départements de gestion, en
France, en Europe de l’Ouest, aux États-Unis et/ou au Canada ;
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285
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
286
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
C’est donc, à ce stade de l’audit, des éléments dynamiques qu’il faudra dégager à
partir de la mise en forme des données disponibles2 sur l’espace géo-sectoriel consi
déré. Ils vaudront, bien sûr, pour l’organisation auditée, mais également pour
l’ensemble des acteurs ou groupes d’acteurs avec lesquels elle se trouve en compé
tition. Il conviendra aussi, lors de cette étape de l’audit, de prendre en compte les
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287
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
288
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
per, comme celles pour lesquelles elle devra, au contraire, durablement ou temporai
rement, adopter une position de repli ;
––sur le « Où ? » : les pays ou les régions cibles qu’elle devra privilégier, de manière
temporaire (saisie d’opportunité) ou plus permanente, en envisageant de s’y locali
ser, tout en sélectionnant les activités à y développer de façon prioritaire ;
––sur le « Quand ? » : en décidant, soit d’adopter un rythme rapide, en mettant à profit
ses avantages compétitifs dans les domaines d’activités les plus immédiatement pro
metteurs, soit, au contraire, consolider les acquis ;
––sur le « Comment ? » : en déterminant les modes d’entrée les plus appropriés comme
les évolutions de sa gouvernance, en fonction des réponses aux questions précé
dentes, dans l’espace de référence/d’expansion considéré, et en envisageant leurs
évolutions possibles au cours des phases ultérieures de son développement.
C’est au cours de cette étape de l’audit, que l’organisation sera en mesure de pas
s er de l’analyse à la décision, en recueillant les fruits de l’analyse externe des lignes
de force dans l’espace géo-sectoriel qu’elle aura choisi de viser, tout en prenant
bien en compte les caractéristiques de l’organisation, telles qu’elles ressortent du
« modèle d’affaire international » qui aura été dégagé auparavant. Dès lors le diag
nostic de ses atouts et handicaps, s’inscrivant dans cet espace de référence, comme
les contraintes et opportunités ressortant de l’analyse externe, ne devraient, en prin
cipe, mener qu’à un éventail restreint de choix, tout à la fois réalistes et susceptibles
d’être mis en œuvre sans difficultés insurmontables.
289
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
La mise en œuvre d’une telle implantation ex nihilo, comportant des phases suc
cessives bien distinctes, suppose donc de mobiliser les principales fonctions – ici,
plus particulièrement, logistique, ressources humaines, marketing...– de l’organisa
tion qui en assure la mise en œuvre. Pour d’autres modes d’entrée – distribution ou
sous-traitance locale, création de filiale ou d’entreprise conjointe commerciale ou
industrielle, fusion-acquisition, projet d’infrastructure…–, c’est le même type de
décomposition des opérations décidées dans le cadre de la stratégie, leur séquencement
et leur coordination dans le temps et dans l’espace qui rentreront dans cette dernière
phase de la démarche.
Ainsi distinguées, ces phases successives permettent de couvrir l’ensemble du
processus pour un éventail très large d’organisations, originaires de très nom
breux espaces d’origine et se développant dans une grande diversité d’espaces de
référence ou d’expansion. Ce qui rend d’autant plus important, au fil de ce pro
cessus, d’obtenir et d’exploiter toutes les données susceptibles d’être rassem
blées.
290
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
1. Ces éléments peuvent, en effet varier très sensiblement d’une culture à l’autre. Les cultures à contexte faible
(Hall, 76) vont davantage rechercher des informations quantitatives (étude de marché, bilan…), alors que les
cultures à contexte fort vont s’orienter vers des éléments plus qualitatifs (réputation du partenaire potentiel, qualité
de son réseau …).
En particulier, les cultures collectivistes ont tendance à obtenir ces informations par le biais de réseaux (ex. : les
guanxi en Chine), alors que les cultures individualistes ont davantage recours à des sources formelles.
Voir Rouach D. La veille technologique et l’intelligence économique, coll. QSJ, PUF, 3e édition, 2005.
291
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
292
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
–– le repérage des gisements d’affaires internationaux les plus prometteurs et de son posi
tionnement par rapport à la concurrence ;
–– le mode d’organisation permettant de « traiter » l’information de manière plus efficace
et de coordonner l’exploitation des sources internes et externes ;
–– sur un plan plus large, le rôle des « personnels clés » (ingénieurs d’affaires, respon
sables produits, gestionnaires de projets) appartenant, non seulement au département
« Projets internationaux », mais également aux autres départements de l’entreprise,
directement ou indirectement concernés par ces opportunités.
Dans un cas comme celui-ci, la mise en place d’un système de veille procède à la fois
d’une démarche de base, applicable à la plupart des industries et des secteurs, et d’un
besoin d’adaptation aux spécificités de ce domaine des équipements industriels :
––d’un point de vue général, le système de veille doit se rattacher le plus possible à
la succession des phases du processus1 qui le fait apparaître comme une ressource
permanente, au fil des besoins nécessaires à la réflexion et aux choix d’interna
tionalisation, faisant simultanément appel aux données secondaires et au terrain,
aux sources d’informations internes et externes et à une interaction constante entre
l’amont et l’aval, l’expérience et l’anticipation ;
––d’un point de vue particulier, il s’attache à sélectionner les sources en fonction des
spécificités de l’industrie, du secteur ou de l’activité, tenant compte du degré de
globalisation, des types de clientèle, des financements accessibles, etc., pour cana
liser, à chaque étape du processus, les informations en fonction des besoins perçus
par les différents responsables en interne.
c Repère 5.1
Besoins et utilisation de l’information aux différents stades
du processus d’internationalisation
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1. Cf. figure5.2 « Les principales étapes de l’audit d’internationalisation (Adaptation du processus à l’approche
projet) »
293
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
5. Détermination des localisations cibles : approfondissement de l’étude exploratoire
+ étude terrain.
6. Choix du/des mode(s) de présence : approfondissement de l’étude exploratoire +
étude terrain.
7. Prise en compte opérationnelle des contraintes de mise en œuvre : étude terrain +
évaluation/recherche des ressources internes/externes requises.
8. Planification, réalisation et coordination : mise en forme/mise en œuvre du pro
gramme (business plan).
9. Suivi et contrôle : données terrain + actualisation des données précédemment col
lectées.
10. Redéfinition/adaptation : bilan des résultats + données terrain ; prise en compte des
autres informations internes/externes.
294
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
Sources
Sources
domestiques/nationales :
opérationnelles
Organismes support
Responsables géographiques
(assureurs, banques,
Responsables lignes de produits
transitaires, transporteurs, )
Responsables de projets
prescripteurs/correspondants
Intermédiaires/agents
sociétés d’ingénierie
Animation
Collecte des de la veille : Analyse
données financières Intégration des techno et Marketing
sources commerciales, de la concurrence
sources sources
externes politico-réglementaires Suivi risques et opportunités
documentaires internes
économiques et sociales et des réseaux Retour sur la faisabilité
technologiques internes/externes et la mise en œuvre
Identification des
Sources
Sources opportunités
Détermination fonctionnelles
locales/internationales : menaces
des projets Services financiers
Institutions multi
clibles Évaluation/ et comptables
gouvernementales, bi latérales
sélection des Servce juridique
Prescripteurs, correspondants, Élaboration/ appels d’offres Service après
cocontractants, concurrents optimisation des vente/maintenance
Leaders d’opinion offres gagnantes
Journalistes, experts Négociation
finalisation des
Suivi/contrôle contrats
d’ensemble
et par contrat Réajustement
Adaptation du
processus
Jean-Paul Lemaire
Figure 5.3 – Structuration du Système de veille international
que l’on possède devrait permettre de cerner plus précisément les besoins du pros
pect et/ou de faire conjointement des propositions techniques, commerciales ou
financières plus attrayantes, en faisant jouer, de manière originale par rapport aux
concurrents, les synergies internes existantes ou potentielles ;
–– aux services techniques – production, logistique, achats/approvisionnements,
etc. –, en contact avec d’autres niveaux de la structure des clients, et qui sont
donc en mesure de suggérer une modification de l’approche retenue, de susciter
des propositions issues de leur propre perception des besoins, d’attirer l’atten
tion sur l’importance de tel ou tel prescripteur ou de telle ou telle démarche,
jusqu’alors négligés ;
–– aux services fonctionnels – financiers, juridiques, fiscaux, etc. – qui peuvent se
révéler de très bons relais internes de veille vis-à-vis des sources externes, en
collectant, dans la perspective du développement international de l’organisa
295
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
296
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
leur système de veille pour se concentrer sur les sources de changement, qu’il
s’agisse de la mode et de ses déterminants1, des tendances culturelles lourdes, des
nouveaux modes de distribution, etc.
1. Voir exemple 1.1 « Zara ou l’innovation motrice et l’amélioration permanente de la chaîne de valeur interna
tionale ».
2. Adapté de : M. Roland, « Lafuma à l’affût du marché », La Tribune Desfossés, 4 décembre 1992 ; Actualisa
tion : M. G. Lemaire, I.C. Bourse 2003, B. Leblanc « Le marché français est fondamental pour développer Lafuma »
[archive] L’Usine Nouvelle, 3 décembre 2010 ; D. Rouach, « Cas Lafuma », in : La veille technologique et l’intel
ligence économique, Que Sais-je ?, PUF, 1996.
3. Le chiffre d’affaires du groupe se répartit désormais entre Lafuma (44,1 %), Oxbow (28,2 %), Millet (16,3 %)
et Le Chameau (11,4 %).
297
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. Vêtements (62,5 %) ; sacs, accessoires et équipements (12 %) : sacs à dos, sacs de couchage, couvertures,
porte-billets, cordes de montagne, poussettes, etc. ; chaussures et bottes (13,1 %) ;mobilier de camping (12,4 %) :
fauteuils pliants, chaises, tables, etc.
298
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
1. Voir chapitre 1, section 3, définition des approches « focalisée »/ « tous azimuts » et inbound/outbound
2. Dans la perspective du modèle Uppsala 2, voir Chapitre 4, Repère 4.5. « D’uppsala 1 à Uppsala 2 ».
299
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
ESPACE DE ESPACE DE
REFERENCE INITIAL REFERENCE INITIAL
Organisation
« exposée » Organisation
« engagée »
Stratégie Stratégie
d’internationalisation d’internationalisation
Réactive Pro active
J.-P. Lemaire
300
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
Des activités,
des implantations,
des clientèles et des fournisseurs
domestiques/internationaux
Ë Modèle économique
Des ressources,
une prise en compte des risques,
des besoins financiers, assumés
en lien avec les actionnaires
Ë Modèle juridico-financier
J.-P. Lemaire
loppement de son activité hors frontières (volume des ventes hors du pays d’ori
gine, nombre et évolution du nombred’implantations, type de déploiement – de
proximité, multicontinental, global –, orientations géographiques domi
nantes…) ;
–– mais aussi des éléments intangibles, moins facilement mesurables : son image/
sa réputation (vis-à-vis de ses clients, de ses fournisseurs, de ses partenaires), la
reconnaissance de sa ou de ses marque(s), son image internationale (que ten
1. Voir exemple 4.13. «Le luxe au Japon, s’adapter à tout prix à une clientèle incomparable ».
2. Voir l’évolution de la gamme de produits chez Huawei (cas introductif, chapitre 4).
3. Cf. chapitre 3 « La construction aéronautique, un duopole menacé ? » La position actuelle –désormais pro
gressivement contestée– d’Airbus et de Boeing, sur le marché mondial des aéronefs de plus de 100 passagers.
301
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. Que l’on peut estimer de façon simplifiée, comme la différence entre sa valeur boursière ou la valeur qui
résulte d’une valorisation effectuée à l’occasion d’une introduction en bourse ou d’une acquisition totale ou par
tielle, d’une part, et la valorisation de ses seuls actifs tangibles (la book value ), d’autre part. La différence éventuelle
peut mesurer ponctuellement, ou de manière plus permanente lorsqu’une société est cotée, l’impact positif ou néga
tif de ces éléments intangibles sur cette valorisation.
2. Voir exemple d’Apple mais aussi d’Archos, qui délèguent à des sous-traitants ce qui n’est pas le « cœur »
conception/marketing de leur activité.
3. Voir supra, l’exemple de Huawei (cas introductif chapitre 4), mais aussi celui de Kodak (exemple 4.1.),
4. Comme le Toyota Production System qui a beaucoup contribué à l’image de qualité et d’efficacité de la firme
japonaise, imité par de nombreuses firmes dans de nombreux secteurs ; ce qui n’exclut pas l’existence de modèles
industriels alternatifs, comme chez Volkswagen, par exemple (cf. cas d’application du chapitre 3, « Le secteur auto
mobile européen »)
5. Qu’illustre bien de manière constante, une entreprise comme Michelin.
302
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
duel ou collectif (comme les fonds de pension) est susceptible d’imprimer profon
dément sa marque sur les orientations que les managers souhaitent donner à la
stratégie de l’organisation1 et qui les astreignent à une transparence accrue2.
• Le modèle social et sociétal comporte, lui aussi, deux dimensions, l’une, concer
nant les relations au sein de l’organisation, la seconde, liée à la relation entre
l’organisation et son environnement :
–– au-delà de la dimension « relations du travail » qui règle les conditions de tra
vail, marquées par des traditions syndicales très contrastées dans les différentes
économies, matures comme émergentes3, c’est la question des délocalisations,
du dumping social 4 qui sont regardées de très près par les observateurs, comme
les ONG et les leaders d’opinion, qui n’hésitent pas à déclencher des opérations
de boycott à l’encontre d’organisations transgressant les règles – notamment
auprès de l’Organisation Internationale du Travail – ; de plus, dans le contexte
de crise qui se pérennise depuis 2008, les autorités des pays occidentaux,
confrontés à une montée alarmante du chômage, surveillent de très près les
entreprises ressortissantes qui envisagent de licencier pour délocaliser, mais,
également, les investisseurs directs étrangers qui seraient tentés de les imiter5 ;
–– autres composantes importantes de cette facette du modèle d’affaire interna
tional : avec le respect de l’environnement – conformité aux règles anti-pollu
tion, préservation de l’environnement, en liaison avec les autorités des territoires
d’accueil – la montée en puissance de la responsabilité sociale de l’entreprise
(RSE)6, marque une étape supplémentaire dans la nécessité pour les organisa
tions de prendre en compte dans leur modèle d’affaire leur intégration harmo
nieuse au sein des environnements qui les accueillent, leur « indigénisation » en
développant, notamment, des projets bénéficiant aux communautés qui y sont
représentées, en s’associant aux grandes causes nationales, etc.
1. Un exemple souvent cité est celui de Danone, dont le dirigeant, Frank Riboud, souhaitait, en 2000, avec son
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équipe, prendre le contrôle de la marque de boisson énergisante Gatorade, et de Quaker Oats, qui dût reculer face
aux avis négatifs d’une majorité des analystes financiers qui suivaient la valeur et jugeaient ces acquisitions trop
chères, entraînant une chute spectaculaire du cours boursier de Danone et contraignant l’initiateur de l’opération de
reprise à renoncer à son projet d’acquisition. Celui-ci, qui devait permettre à Danone de renforcer significativement
sa position dans ses métiers « santé » et sur le marché des États-Unis, était pourtant bien avancé et avait été salué
par un nombre non négligeable – mais, il est vrai, minoritaire- d’autres analystes et d’investisseurs. (cf. « La bourse
contraint Danone à renoncer à Quaker Oats », L’Expansion, 22/11/2000) et M.G. Lemaire.
2. Avec la généralisation, sur un certain nombre de places financières, de la publication non plus seulement
annuelle, mais de plus en plus semestrielle et même trimestrielle des résultats des entreprises.
3. Voir exemple 2.14, « L’Inde en quête d’un rêve ? », faisant ressortir les caractéristiques du droit du travail
indien, perçu comme très contraignant par les employeurs indiens et certains investisseurs directs étrangers.
4. Comme l’implication de Nike à travers ses sous traitants asiatiques dans un vaste scandale d’emploi de
mineurs à la fabrication de ses produits, dénoncé par Michaël Moore dans son film « the Big One ».
5. Cf. le bras de fer engagé par les autorités françaises avec le groupe Mittal à Gondrange, en Lorraine, à la suite
de l’extension des hauts fourneaux sur ce site et de ses conséquences sur l’emploi local.
6. Voir, Kolk, A. et van Tulder, R. (2010). « International Business, Corporate Social Responsibility and
Sustainable Development », International Business Review, Vol. 19, N° 2.
303
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
Dans une perspective internationale, le modèle d’affaire doit donc désormais inté
grer un certain nombre de composantes qui sont loin de se limiter aux aspects éco
nomiques et juridico-financiers qui constituaient leurs principales caractéristiques
jusqu’à une époque récente. Ce modèle intègre non seulement ces diverses dimen
sions de l’organisation, sur un plan général, mais celle-ci doit aussi les décliner et
les faire accepter, dans son pays d’origine, comme dans l’ensemble des pays de son
espace de référence.
Mais le modèle d’affaire international ne s’analyse pas seulement sur le plan sta
tique, à un moment déterminé de l’existence de l’organisation, il doit aussi s’envi
sager dans une perspective « évolutionniste », en considérant sa trajectoire
temporelle et géographique, avec des périodes de progression et des périodes de
consolidation – et, parfois, de recul –. Cette dynamique s’inscrit dans le temps
comme dans l’espace.
Quelle que soit l’organisation, il est, en effet, essentiel de retracer dans le temps et
dans l’espace son évolution qui permet de dégager la logique de développement
qu’elle a retenue, quitte d’ailleurs à la remettre en question, si ses résultats révèlent
un affaiblissement de sa position au fil des années.
Le séquencement temporel (ou « l’approche longitudinale », ou la timeline), tout
d’abord, permet de mettre en évidence de manière chronologique les moments clés
– sinon les « incidents critiques » – qui ont ponctué l’évolution de l’organisation
considérée : l’évolution de ses activités, son déploiement géographique, ses princi
pales opérations de croissance (fusions acquisitions, implantations greenfield) son
insertion dans son espace géo-sectoriel, ses principaux défis financiers.
À ce titre, le cas de Samsung, souligne les principales mutations du modèle éco
nomique de cette typique chaebol coréenne, se diversifiant dans l’électronique à la
toute fin des années 1960, pour intégrer l’ensemble des activités de cette filière – des
puces électroniques jusqu’aux produits finis, téléviseurs, ordinateurs et, surtout, télé
phones cellulaires –, dont la firme est devenue l’un des principaux acteurs mon
diaux, face à Nokia qui a su moins bien qu’elle prendre le virage du smartphone.
Cette chronologie, ne révèle pas seulement la progression de ses activités, sa
conquête de nouveaux marchés et le déploiement mondial de sa production, elle fait
aussi apparaître les difficultés rencontrées – en l’occurrence une progression inquié
tante de son endettement – et indique la manière dont elle les a surmontées, avec
l’aide de ses « coopétiteurs », Apple, Intel et Dell, trop dépendants d’elle pour ne
pas la soutenir, et, aussi, grâce au développement spectaculaire de ses ventes de
composants (puces électroniques) et de produits vedettes – téléphones cellulaires, en
particulier –.
304
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
Un pari sur le futur Une gamme Integration & Une “vision digitale”
de l’électronique électronique complète Globalisation pour le 3° millénaire
1974 : Acquisition de
50 % de Korea Semi- 1983-89 : 1996 : Export 2001 : Signe avec
conductor Co ; Developpement des du premier Dell un contrat de
première approche puces DRAM chipset téléphone fourniture de 16-
du secteur des filiale aux Etats-Unis cellulaire milliards de dollars
puces électroniques à Hong Kong Reduit son
endettement
1999 : Intel, Apple, Dell
1977 : Fusion avec contribuent à la réduction
Samsung Electro - du ratio d’endettement
Mechanics de Samsung
Adapté de : BHADADA Swati | DARRÉ Claire| LENGYEL Tamas | LU Weixing | NGUYEN T. M. Le REIS Ana Sofia |
TAN Charmain (voir « International Business Developement », J.-P. Lemaire, ESCP Europe)
1. Dans la mesure, où, dès son origine, le modèle d’affaire de l’EAP reposait sur une localisation sur plusieurs
sites et un parcours systématique des étudiants au fil des trois années de leur formation.
305
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
Économies
matures Troisième cercle :
partenariats distants
Deuxième cercle :
enseignants
partenariats proches
chercheurs
invités Premier cercle :
Doubles cadre institutionnel
diplômes
Turin Madrid Doubles échanges
diplômes d’étudiants
Londres
Berlin
échanges
d’étudiants Campus
Paris
associés
enseignants
chercheurs
invités Économies
émergentes
Jean-Paul Lemaire
306
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
307
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
+ « néo-globales » « globales »
Petites organisations à l’activité à Grandes organisations à l’activité
dominante globale à dominante globale
- « engagées » Ë cherchent « tous azimuts » - « engagées » Ë cherchent à se « focaliser »
un déploiement global sur des espaces à fort potentiel de marché ou
Degré de - « exposées » Ë cherchent « tous azimuts » de savoir faire
à préserver leurs positions acquises à une - « exposées » Ë cherchent « tous azimuts »
Globalisation échelle déjà globale une nouvelle stratégie d’internationalisation
de l’activité
- Taille de l’organisation +
- / + 1 milliard d’euros
J.-P. Lemaire
La figure 5.8, appliquée aux organisations citées en exemple, permet de les posi
tionner pour esquisser les problématiques auxquelles chaque catégorie pourrait être
principalement confrontée et déterminer l’espace de référence ou d’expansion
qu’elles pourront retenir pour leur audit d’internationalisation :
• Pour les grandes organisations, appartenant à des secteurs d’activité à dominante
globale (les « globales ») :
–– les plus « engagées », issues des économies matures (cf. L’Oréal1, Airbus,
Volkswagen, Samsung…), comme des économies à croissance rapide
(Huawei, Haier, Cemex) chercheront des relais de croissance ou de nou
veaux espaces propres à combler leurs handicaps technologiques ou mana
gériaux comme à conforter leur leadership :
¼¼elles privilégieront donc les approches « focalisées » sur les espaces d’expan
sion les plus prometteurs et/ou ceux où elles sont encore insuffisamment
positionnées ;
1. Voir cas introductif du chapitre 6, « Le secteur des cosmétiques en Inde, une création ex nihilo »
308
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
–– les plus « exposées » (cf. Hewlett Packard1, Kodak…) seront en quête d’une
nouvelle « vision » stratégique internationale d’ensemble, leur permettant de
tirer parti de leurs atouts, alors qu’elles se trouvent malmenées ou prises de
court par l’ouverture internationale ;
¼¼elles devront privilégier les approches « tous azimuts », à l’échelle globale
dans le but de déterminer leurs activités et leurs zones cibles prioritaires.
• Pour les petites organisations, appartenant à des secteurs d’activité à dominante
locales ou mixtes (les « régionales ») :
–– les plus « engagées », issues des économies matures comme des pays émergents
(cf. Comin Asia2) chercheront les meilleures opportunités, à l’intérieur de
l’espace de proximité géographique ou culturel où leur expérience est significa
tive, sans préjudice de l’élargissement progressif de cet espace de référence ;
¼¼elles privilégieront donc les approches « tous azimuts » dans les espaces
d’expansion les plus prometteurs et/ou ceux où elles sont encore insuffisam
ment positionnées ;
–– les plus « exposées » (cf. Duralex) seront en quête d’une nouvelle « vision »
stratégique régionale, voire supra régionale d’ensemble (proximité géogra
phique et culturelle, expérience acquise, appartenance à des réseaux), leur per
mettant de tirer parti de leurs atouts alors qu’elles ont dû réduire leur espace de
référence à la suite d’erreurs de gestion ou d’évolutions défavorables des pres
sions externes dans leur espace géo-sectoriel traditionnel ;
¼¼elles devront privilégier les approches « tous azimuts », à l’échelle régionale
ou suprarégionale, en essayant de déterminer les activités et les zones cibles
les plus appropriées à leurs capacités et à leurs ressources.
• Pour les grandes organisations, appartenant à des secteurs d’activité à dominante
locale ou mixte (les « supra régionales ») :
–– les plus « engagées », issues des économies matures (cf. Dentressangle), comme
des pays émergents (Bahrti3.) chercheront des relais de croissance ou de nou
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veaux espaces propres à tirer parti de leurs avantages compétitifs, mais dans des
zones présentant des similarités avec leur espace de référence initial ;
¼¼elles privilégieront donc les approches « focalisées » dans les espaces
d’expansion les plus prometteurs, proches ou distants qui offrent ces
perspectives favorables ;
–– les plus « exposées » (cf. PSA), comme leurs semblables de la catégorie des
« globales », seront en quête d’une nouvelle « vision » stratégique interna
tionale d’ensemble, leur permettant de tirer parti de leurs atouts, alors qu’elles
se trouvent malmenées ou prises de court par l’ouverture internationale ;
309
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
¼¼elles devront privilégier, elles aussi, les approches « tous azimuts », à une
échelle plus large que celle dans laquelle elles se sont déjà développées en
essayant de déterminer les activités et les zones cibles les plus favorables,
ainsi que les partenariats ou les réseaux dont elles pourraient tirer parti.
• Pour les petites organisations, appartenant à des secteurs d’activité à dominante
globale (les « néo-globales »), en fait des born global :
–– les plus « engagées », issues des économies matures comme des économies à
croissance rapide, chercheront les meilleures opportunités, à l’échelle globale ;
leur modèle étant conçu pour s’appuyer sur des implantations réparties dans
différents environnements géographiques (cf. ESCP Europe) ou les obligeant à
se développer très rapidement à l’échelle la plus large possible pour tirer parti
d’un avantage compétitif éphémère (cf. Archos) ;
¼¼elles privilégieront donc les approches « tous azimuts » pour déterminer les
espaces d’expansion les plus prometteurs et/ou ceux où elles sont encore
insuffisamment positionnées ;
–– les plus « exposées » (cf. Agrima1) seront en quête d’une nouvelle « vision »
stratégique globale, susceptible de leur permettre de tirer parti de leurs atouts,
alors qu’elles doivent faire face à de nouvelles pressions externes remettant en
cause leur position, comme à des problèmes internes qui ont limité leurs possi
bilités de rebond ;
¼¼elles devront privilégier les approches « tous azimuts », à l’échelle globale,
en essayant de déterminer les activités et les zones cibles les plus appro
priées à leurs capacités et à leurs ressources.
Sans considérer que cette distinction puisse couvrir toutes les contextes d’interna
tionalisation pour tous les types d’organisations, cette approche permet de faciliter
le cadrage de l’audit d’internationalisation à l’aide des trois critères retenus (taille
de l’organisation, « globalité » de l’activité, attitude de l’organisation vis-à-vis de
l’ouverture internationale).
Le cas d’application ci-dessous prend en compte une organisation globale,
Hewlett-Packard, longtemps « engagée », devenue récemment « exposée », désor
mais confrontée à une profonde remise en question de certaines dimensions de son
modèle d’affaire. Elle doit opérer une révision rapide de son positionnement pour ne
pas risquer de connaître le sort d’autres organisations aux atouts comparables mais
qui se sont révélées incapables de les exploiter de manière satisfaisante2.
310
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
Cas d’application
Rien ne va plus chez HP,
en quête d’un nouveau modèle d’affaire1
Hewlett-Packard, fait tout à la fois figure de précurseur et de géant en difficulté, en
cette fin de 2011, alors même qu’elle elle est toujours sur la liste des entreprises 40
de l’indice Dow Jones, avec un chiffre d’affaires approchant les 120 milliards de
dollars et plus de 300 000 collaborateurs de par le monde !
Le vent a, en effet, tourné depuis les années fastes : en l’espace d’un an, entre
novembre 2010 et novembre 2011, l’action a « dévissé » de plus de 60 % et
l’ancien patron de la firme, Leo Apotheker, a été remercié, à la suite d’une succes
sion d’acquisitions malheureuses, perçues, à la fois, comme trop couteuses et, sur
tout, comme propres à compromettre la cohérence du modèle d’affaire de
l’entreprise géante. Ce qui traduit, en fait, le désarroi des investisseurs, qui ont perdu
confiance dans une organisation, qui, de plus, « sous performe » par rapport aux
autres acteurs du secteur, avec une rentabilité honorable, certes, mais inférieure à
10 %, pendant que ceux-ci – IBM, Oracle et Apple – caracolent entre 15 et 30 %.
Plus grave : la conservation, au sein de la compagnie, de son activité principale, les
PC, représentant près d’un tiers de son chiffre d’affaires, se trouve remise en ques
tion pour rentabilité insuffisante, alors même que les synergies existantes avec la très
rentable ligne de produits « Image et impression » sont largement reconnues.
Après avoir un moment hésité, la nouvelle dirigeante, Meg Whitman, transfuge
d’eBay, est revenue sur la décision de son prédécesseur remercié. Mais, pour autant,
le problème n’est pas réglé : la direction d’HP hésite entre une nouvelle orientation
logiciels et services, stockage de données et serveurs – la cheville ouvrière du cloud
computing 2 –, d’une part, et, d’autre part, le PC, dont le marché est en berne. Elle
n’a pas encore tranché ; sinon pour conserver, pour l’instant, l’un et l’autre.
La firme légendaire de Palo-Alto, fondée en 1939 par deux ingénieurs électriciens
dans un garage avec un capital de moins de 600 dollars, a connu une croissance
impressionnante, la menant dans le peloton de tête des entreprises du Fortune 500,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
où elle occupait encore la neuvième place en 2009. Elle avait su faire évoluer son
modèle d’affaire de manière remarquable, en jouant un rôle, longtemps incontesté,
de leader technologique dans le domaine de l’informatique. Après des débuts dans
la conception et la production d’instruments de mesure, dans les années 1940,
l’entreprise était passée avec bonheur à l’informatique, encore naissante, en lançant
une série de calculatrices professionnelles qui ont longtemps fait référence, en
créant le standard, avant de proposer des modèles novateurs d’ordinateurs de
bureau, en élargissant ses lignes de produits aux périphériques, en multipliant les
opérations de croissance externe, ponctuées d’acquisitions dont le rachat de
Compaq, en 2002.
☞
1. Cf. P. Loubière, « Hewlett-Packard bascule dans l’ère post PC », Challenges, 25/8/2011 et « HP mouline ses
solutions d’avenir », Challenges, 3/11/2011. Ce cas développé (J.-P. Lemaire) avec notice pédagogique sera
disponible, en français et en anglais, fin 2014, à la centrale des cas et des moyens pédagogiques.
2. Voir chapitre 4, cas introductif Huawei.
311
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
Le flot des acquisitions ne s’est d’ailleurs pas interrompu jusqu’à une période
récente, mais avec une évolution vers les services informatiques, avec celle d’EDS
une des principales SSII du marché, pour plus de 13 milliards de dollars, en 2008,
suivi de celle de Palm, destinée à doter le groupe d’une activité smartphone, pour
un coût bien moindre, certes, mais dont l’opportunité avait suscité la polémique,
pour cause d’obsolescence technologique. Pour couronner cette série, le rachat,
au cours de l’été 2011 du Britannique Autonomy Corporation pour un montant
jugé excessif de 12 milliards de dollars provoquait l’éviction du dirigeant en
place.
Au point où en étaient les choses à l’automne 2011, HP, après une brutale restruc
turation, marquée par une longue série de licenciements, représentant 20 % environ
de son effectif, se trouve partagée en deux groupes, qui s’opposent au sein même
de son conseil d’administration et dans l’ensemble de sa structure : ceux qui veulent
conserver le modèle d’affaire à l’identique et ceux qui veulent le transformer en
profondeur, mais sans clairement proposer d’alternative crédible.
En attendant, HP, même au prix de cette série de licenciements massifs, demeure
une sorte de monstre, à la taille démesurée, présent dans un nombre très (trop ?)
important d’activités, dont certaines sont encore en cours d’intégration, et dont les
synergies sont – du moins, pour certaines – encore à démontrer.
À l’intérieur, comme à l’extérieur, de l’entreprise, parmi les collaborateurs comme
parmi les actionnaires, c’est le manque de cohérence et le caractère erratique des
prises de décision qui ressort des témoignages et des commentaires. Les premiers se
plaignent d’avoir été transformés d’ingénieurs en vendeurs, les seconds, de consta
ter que les rachats portant aussi bien sur des entreprises de logiciels que sur des
produits grand public, accentuent l’image de dispersion des activités.
Et ce n’est pas la succession de dirigeants – quatre en tout depuis 2000 –, initiateurs
successifs de transformations profondes, dont on peut s’interroger sur la conver
gence, qui est supposée rassurer les uns comme les autres.
La nouvelle du départ du prédécesseur de la dirigeante actuelle, après avoir mis un
coup d’arrêt à la cession de la division PC, semble favorable à un recentrage sur une
clientèle B to B, au renforcement des services, et, au-delà de l’acquisition des logi
ciels permettant de développer le cloud computing, au développement des serveurs
et des capacités de stockage qui lui sont indispensables. La quadrature du cercle ?
312
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
Questions de réflexion
1 ■ Quels sont les domaines d’activité dans lesquels HP opère à l’heure actuelle ?
Comment situer ces domaines d’activité sur l’axe global/local ? Quel a été le
cheminement qui a mené, depuis la fondation de la firme, à la constitution du
portefeuille d’activités actuel ? Quelles synergies semblent se dégager des
activités ? Quelles en sont les limites ? L‘entreprise apparaît-elle comme
« engagée » ou « exposée » ? Pour quelles raisons ? Quelles sont les parties
prenantes internes et externes à prendre en considération pour bien cerner la
dynamique de l’organisation ?
2 ■ Quelles sont les caractéristiques de l’organisation à retenir pour comprendre
le « modèle d’affaire » de HP ? Plus particulièrement, les actifs tangibles et
intangibles ? Quelle importance respective leur accorder dans le cas d’HP ?
Quelles sources d’informations seraient à mobiliser pour « nourrir » cette
première partie de l’audit d’internationalisation ? Quelle configuration
serait à donner au système de veille, de collecte coordonnée des données,
et/ou de mutualisation des informations d’HP ?
3 ■ Quelles problématiques semblent se dégager prioritairement des éléments
fournis ? À quelles dimensions du modèle d’affaire se raccorderaient-elles
principalement ? Compte tenu des caractéristiques de ce modèle, quel type
de problématique pourrait être privilégié dans le cadre de l’audit ? Porte
raient-elles sur l’ensemble des zones où l’entreprise se trouve déployée ?
Porteraient-elles sur l’ensemble de ses activités ? Quel espace de référence
ou d’expansion serait, en conséquence, à considérer ? Quelle approche serait
à préconiser, « tous azimuts » ou « focalisée » ? Pour quelles raisons ?
313
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
L’essentiel
Après s’être attaché à traduire l’impact des mutations de l’environnement inter
national, en termes d’ouverture internationale, puis avoir essayé de mettre en
évidence, au niveau des territoires, des activités et des organisations, les bases de
la dynamique internationale qui en résulte, cette seconde partie se concentre sur
les différentes étapes de l’audit d’internationalisation.
Le processus de l’audit d’internationalisation peut se décomposer en quatre
étapes successives :
––la caractérisation du « modèle d’affaire international » de l’organisation,
aboutissant à la détermination de ses problématiques d’internationalisation et
à la délimitation de l’espace de référence ou d’expansion approprié pour y
répondre ;
––l’identification des lignes de force de l’activité dans l’espace de référence
retenu, en mesurant son attractivité, la dynamique concurrentielle, qui s’y
manifeste, pour mettre en évidence les facteurs clés de succès à maîtriser et les
stratégies gagnantes à envisager ;
––l’appréciation du degré de maîtrise des facteurs clés de succès par l’organisa
tion considérée, celle des avantages compétitifs à cultiver et des handicaps à
combler dans le cadre d’une formulation stratégique internationale dégageant
les principales orientations à privilégier ;
––la mise en œuvre de ces orientations, au niveau des principales fonctions, en
tenant compte des dimensions organisationnelles et culturelles inhérentes à
tout processus d’internationalisation, devant conduire à l’élaboration d’un plan
d’affaire propre à en faciliter la réalisation.
Ces différentes étapes devront être « informées » par un système de veille ou
d’intelligence économique, bien structuré combinant la collecte des données
internes et externes, quantitatives et qualitatives, s’appuyant sur une organisation
évolutive pour permettre à l’organisation de se projeter plus facilement dans
l’avenir.
La détermination des caractéristiques du « modèle d’affaire international » et de
la dynamique d’internationalisation de l’organisation, constituera la première
étape de l’audit :
––en décomposant, tout d’abord, les différentes dimensions du modèle d’affaire
international : le modèle économique, le modèle juridico-financier, le modèle
technique, le modèle social et sociétal, qui devront prendre en compte la diver
sité des contextes locaux dans lesquels l’organisation se développera ;
––en mettant en évidence la dynamique d’internationalisation à deux niveaux :
☞
314
Structuration de la démarche d’audit d’internationalisation ■ Chapitre 5
☞
––à travers l’approche chronologique du développement international de
l’organisation (sa timeline) faisant ressortir les principales étapes de sa pro
gression, pour les différentes activités et dans les différentes zones dans les
quelles elle se sera successivement développée, en marquant bien les
moments critiques ayant ponctué ces périodes successives ;
––à travers le déploiement géographique, marquant les espaces « couverts » de
manière plus ou moins systématique par l’organisation, dans une perspective
d’horizontalisation ou de verticalisation ;
––en faisant ressortir enfin, les deux éléments de conclusion de cette première
étape :
––la ou les problématiques d’internationalisation à laquelle/auxquelles, l’audit
aura à répondre prioritairement, dans le cadre de l’approche « tous azimuts »
ou « focalisée » qui aura été privilégiée ;
––la délimitation de « l’espace de référence » et/ou de « l’espace d’expansion »
dans lequel cet audit devra être mené, pour bien répondre à ces probléma
tiques.
315
Chapitre
Analyse
de l’activité
6 dans l’espace
de référence
1. Les sources de la démarche sont nombreuses, mais il convient de partir du « père » de la démarche d’analyse
stratégique, M. Porter, à travers les publications qui la décrivent : Choix stratégiques et concurrence et L’avantage
concurrentiel ; voir aussi son premier article synthétique paru en français sur la méthode « Analysez votre indus
trie » (Harvard/L’Expansion, été 1979). Voir également les différents manuels de base de stratégie : Strategor (op.
cit.) et surtout Atamer T. et Calori R. (op. cit.) qui y consacrent le chapitre 3 de leur ouvrage à l’« Analyse des sys
tèmes concurrentiels », ainsi que les articles consacrés aux aspects de l’analyse concurrentielle comme celui de
Leidecker B., « Identifying and using critical success factors », Long Range Planning, vol. 17, février 1984.
D’autres approches, plus « littéraires » n’en présentent pas moins d’intérêt dans la mesure où elles permettent de
resituer l’activité dans un contexte historique et géo-politique autant qu’économique, comme s’attache à le faire
l’académicien- économiste Erik Orsenna dans ses trois petits précis de mondialisation consacrés au coton, à l’eau
et au papier (cf. bibliographie).
317
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
c Repère 6.1
Principes et finalités de l’analyse sectorielle
La démarche de l’analyse sectorielle est ici décrite dans une perspective plus particu
lièrement internationale.
À partir d’une première analyse des lignes de force macroéconomiques, puis mesoécono
miques, destinée à mesurer l’homogénéité (et fixer les limites) ainsi que l’attractivité (ou la
« valeur ») de l’industrie, du secteur ou de l’activité considérée, la démarche est la suivante :
–– identifier, classer et associer les éléments d’environnement de l’ensemble géo-
sectoriel étudié1, en identifier les pressions externes – politico-réglementaires, éco
nomiques et sociales, technologiques – ;
––en définir les limites et apprécier la dynamique qui l’anime, en particulier pour les
acteurs, confrontés à différents enjeux (adaptation, redéploiement, concurrence)
résultant des pressions précédemment analysées ;
––en évaluer l’évolution potentielle en termes de croissance potentielle de la demande
et de facteurs de remise en cause (fluctuations conjoncturelles et impact des crises,
obsolescence, revirements réglementaires).
Dans le cadre d’un positionnement dynamique2 :
–– situer les différents « acteurs », qui s’affrontent dans le cadre du « groupe concurrent » ;
–– mesurer, dans la filière considérée, le pouvoir des fournisseurs, en amont, comme
celui des clients et prescripteurs, en aval ;
–– apprécier les menaces d’éventuels « nouveaux entrants » et « substituts » ;
L’objectif final est de dégager les voies d’évolution stratégiques qui s’offrent à l’entreprise au
profit de qui l’étude sera réalisée sur la base des facteurs clés de succès requis ainsi que les
« stratégies gagnantes » dans l’espace de référence ou dans l’espace d’expansion retenu.
1. Le terme « analyse sectorielle » (d’autres auteurs emploient le terme « analyse concurrentielle ») correspond à une
démarche qui peut s’appliquer successivement à plusieurs niveaux. La progression la plus souvent rencontrée recouvre :
– d’abord, le stade du « secteur » ou de l’« industrie » – au sens anglo-saxon du terme – qui s’identifie habituelle
ment à des ensembles économiques très vastes et au contenu hétérogène. Ainsi parle-t-on de secteur ou d’indus
trie « agro-alimentaire », ou même d’industrie de la « banque » ou de l’« assurance » ;
– ensuite, le stade de l’« industrie » au sens où l’entend M. Porter;elle constitue un ensemble déjà plus homogène
qui se définit comme « un groupe d’entreprises qui produisent des biens ou services, proches substituts les uns
des autres, et qui, de ce fait, sont en concurrence sur le marché ». À ce stade, on parlera d’industries des « produits
laitiers », de la « banque de détail » ou de l’« assurance dommages » ;
– puis, le stade des « activités » (ou « domaines d’activités stratégiques ») qui présentent des éléments de cohérence
suffisants, en termes de compétences et de ressources requises pour y réussir ; il peut s’agir d’activités telles que
les « produits laitiers frais », les « produits laitiers de longues conservation » ou les « produits laitiers secs »... ;
– enfin, les « macrosegments » – pour reprendre les termes d’Atamer et Calori – concentrent l’approche sur cer
taines catégories de clientèles ou de canaux de distribution. Il peut s’agir des produits laitiers frais pour la grande
distribution, pour le commerce de détail ou pour les collectivités.
À noter que l’empirisme des utilisateurs l’emporte, le plus souvent sur un dogmatisme méthodologique ; ce qui ne
signifie pas qu’il faille négliger la rigueur dans l’application, qui conditionne l’efficacité et la pertinence de la démarche.
2. À noter que le schéma de Porter des cinq forces de la concurrence, sous sa forme ultime, incorpore le rôle de
l’État, mais de façon sommaire. Dans l’approche proposée, c’est, en amont de l’analyse concurrentielle, au niveau
macroéconomique, c’est-à-dire des lignes de force de l’environnement de l’espace géo-sectoriel considéré que
l’ensemble des pressions externes sont prises en compte (et pas seulement les pressions politico-réglementaires).
C’est pourquoi, à ce niveau mésoéconomique on s’en tient aux aspects essentiellement sectoriels.
318
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
tions provoquées par l’ouverture des frontières et par les principales transforma
tions de l’environnement domestique et international ;
––soit sur les zones géographiques et/ou culturelles de proximité ou facilement
accessibles, comme les DOM/TOM ou les ACP1, susceptibles de faire l’objet de
projets de commercialisation, de délocalisation de fourniture ou de production
(achats, sous-traitance, fabrication locale…) ;
––soit sur des zones de référence supranationales devenues pertinentes – comme
l’Union Européenne, le Mercosur, l’Alena, l’Asean… –, ou sur des activités ou
« macro segments », susceptibles d’intéresser plusieurs pays ou plusieurs zones.
1. Pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (d’où l’acronyme ACP), rassemblant les anciennes colonies des pays
membres de l’Union Européenne et qui, à ce titre, bénéficient, à travers les conventions de Lomé, de conditions
d’accès privilégiées au marché européen et d’aides particulières.
319
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
Le plan du chapitre
Section 1 ■ L’analyse des lignes de force dans l’espace géo-sectoriel considéré
Section 2 ■ Le positionnement concurrentiel
Section 3 ■ Les voies d’évolution stratégique
Cas introductif
Le secteur des cosmétiques modernes en Inde,
une création ex nihilo2 !
L’ethnicisation3 est devenue le maître mot pour le secteur des cosmétiques. Produi
sant essentiellement en Occident pour les Occidentaux, les firmes leaders ne l’ont
découvert que récemment : cette révélation, pour L’Oréal, par exemple, est venue
des États-Unis, en 1998, lors de l’acquisition de deux firmes locales, Softsheen et
Carson, avec le constat que la consommatrice « afro-américaine » consacrait aux
cosmétiques un budget moyen trois fois supérieur à celui de la consommatrice
« caucasienne ».
Dès lors, l’approche des marchés africains, latino-américains et, surtout, asiatiques
allait prendre une toute autre tournure ; particulièrement dans des espaces émergents
☞
320
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
☞
encore à découvrir, comme l’Inde, où la firme n’était distribuée que depuis le début
des années 90, une première implantation n’ayant suivi qu’en 19941.
Dix ans après, aux environs de 2005, dans ce pays en phase d’urbanisation rapide, avec
une forte montée en puissance de la classe moyenne, un pouvoir d’achat en hausse et
un accès de plus en plus immédiat à l’information, via internet notamment, cette ten
dance s’était clairement affirmée : les consommatrices, de plus en plus présentes dans
la vie professionnelle (comme, de plus en plus, les consommateurs) exprimaient déjà
des attentes croissantes, en matière de traitement et de teinture du cheveu, de soins du
visage et de la peau, de maquillage, de parfumerie, avec un intérêt accru pour tous les
produits de la cosmétique moderne susceptibles d’améliorer leur apparence physique,
sans renier, pour autant, leurs traditions. Alors que les marchés d’Europe de l’Ouest et
des États-Unis représentaient encore, pour les firmes occidentales, respectivement,
45 % et 25 % environ de leur activité, mais avec une croissance inférieure à 5 %, leur
progression en Inde atteignait plus de 40 % dès 2005-2006.
Et pourtant, dans ce même pays, à la fin des années 1990, le secteur des cosmé
tiques – au sens occidental du terme – n’existait littéralement pas ! Non que les
soins de la peau et des cheveux, ou encore que les parfums, n’y aient pas eu leur
place. Bien au contraire ! Mais les besoins y étaient encore satisfaits autrement que
par ce à quoi les grandes firmes occidentales ou japonaises étaient habituées à offrir.
À l’époque, à tous les coins de rue, les barbiers, comme on peut l’observer encore
à certains endroits, suspendaient un miroir à un mur, plaçaient un siège de fortune
devant et offraient leurs services aux passants.
L’essentiel de la population avait recours à des produits naturels, peu coûteux, pré
parés et administrés dans un cadre de proximité – la famille, le village ou le quartier
–. Seule une très mince frange – la plus aisée – avait accès à des produits importés
à grands frais, assujettis à des droits de douane dépassant les 100 %, disponibles
uniquement dans les grandes villes, à travers des réseaux de distribution très sélec
tifs. Qui plus est, ils n’étaient pas conçus pour les complexions et les pilosités par
ticulières des très diverses catégories de populations de cet immense pays, des
Dravidiens du Sud aux Indo-Aryens du Nord, avec une population rurale à plus de
70 %, et 400 millions d’habitants vivant en dessous du seuil de la pauvreté. Ceci,
sans parler de comportements de consommateurs, très contrastés, entre la ressortis
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
321
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
« moyennes » dépassant déjà le million d’habitants. On ne s’étonne plus d’apprendre
qu’elle consacre beaucoup de temps à sa toilette et que, par ailleurs, ce n’est peut-
être pas – ou plus – le prix qui constitue, pour elle, l’obstacle majeur à l’accès aux
cosmétiques modernes, puisque certains produits à succès là-bas se vendent à des
niveaux très proches de ceux pratiqués en Occident.
Rien d’étonnant, dès lors, que la concurrence ait explosé et que les firmes étran
gères se soient multipliées : dès les années 2005/2006, de nouveaux acteurs occi
dentaux ont fait leur entrée, le plus souvent en s’appuyant sur les grands distributeurs
locaux, Baccarosse, Quest Retail, MKP Distributors ou AP Distributors, mais aussi,
directement, en créant une filiale, comme, dans le très haut de gamme, Chanel ou
Estée Lauder, avec MAC pour les professionnels, au moment où L’Oréal complétait
sa gamme avec l’arrivée de sa division « Produits de Luxe » et le lancement de
Ralph Lauren et Cacharel ; ou encore, dans le haut de gamme, Max Factor, Body
Shop que venait de racheter L’Oréal ; Art Deco et Red Earth, commençant à ouvrir
des boutiques, le plus souvent via des distributeurs.
Certains acteurs, au premier rang desquels, L’Oréal, qui a, sans doute, beaucoup
contribué à « créer » le secteur en Inde, avaient déjà pris une sérieuse longueur
d’avance, en choisissant comme ambassadrice l’icône du cinéma indien, l’hyper
médiatisée Aishwarya Rai, ex-Miss Inde, ex-Miss Univers, connue, jusqu’au village le
plus reculé du sous-continent, dans chaque foyer indien. Un atout décisif d’un autre
ordre a été la création, non loin de Mumbay, à Pune, d’une unité de production,
répondant au niveau d’exigence le plus élevé des « good hygiene practices » du
groupe, et lui permettant de fabriquer sur place, en contournant la barrière des droits
de douane et en économisant des frais logistiques importants, à des coûts très compé
titifs, une grande partie des produits distribués dans le pays. Mais ce qui a aussi contri
bué très vite au développement local a été le travail effectué, autour de l’International
Hairdresing Academy lancée par L’Oréal Professionnel, en 2006, pour la formation de
ceux qui allaient contribuer à la création des très nombreux salons de beauté qui ont
essaimé sur l’ensemble du territoire et qui constituent un formidable réseau de pres
cription pour ses produits grand public. L’idée pourrait être aussi, comme Jean – Paul
Agon, le PdG de L’Oréal, en évoquait la possibilité, d’acquérir une entreprise locale,
même de taille modeste, pour en faire, « une rampe de lancement » d’une gamme de
produits naturels ayurvédiques dans le monde entier (comme Softsheen et Carson,
pour d’autres clientèles, dès 1998), à l’instar de ce qu’à d’ailleurs développé Estée
Lauder, avec sa marque Aveda qui a fait des débuts prometteurs aux États-Unis.
Mais l’approche de L’Oréal, d’ailleurs très vite copiée – sinon égalée – par ses nom
breux challengers plus récemment installés, n’est pas la seule à faire référence : le
leader historique, filiale du géant anglo-hollandais Unilever, Hindustan Lever, long
temps cantonnée dans les produits d’hygiène, avait fait l’acquisition, dès le milieu
des années 90, de la firme locale pionnière en matière de cosmétiques, Lakme.
« HLL » a su, d’ailleurs, conserver une longueur d’avance, avec son « projet
Shakti », en s’adressant à la « base de la pyramide », à travers des groupes d’entraide
féminins, les « self help groups » qui achètent des produits en doses individuelles et
les distribuent via les magasins ruraux1.
☞
1. Voir repère 1.7 Les approches « Base de la Pyramide » (ou BoP, « bottom of the Pyramid »).
322
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
☞
Mais le véritable verrou du marché indien des cosmétiques, que ce leader historique
contrôle particulièrement bien, est resté longtemps et reste encore la distribution,
apanage des 12 millions de kirana stores, micro-boutiques souvent de moins de 10
ou 20 m2, faisant vivre des familles entières, réparties sur tout le territoire et qui
apportent un service incomparable à la clientèle de proximité – exécution quasi
immédiate des commandes, livraison/rangement des produits dans leur logement,
crédit-client –, et qui constituent une base électorale non négligeable dans la « plus
grande démocratie du monde ».
C’est ce qui explique la lente progression de la grande distribution moderne, qui
tarde à s’ouvrir à la concurrence internationale, mais qui dépasserait désormais les
15 % de la distribution totale, en attendant les 25 % annoncés pour 2015. Un certain
nombre d’acteurs locaux y ont pris position, en particulier, dans la distribution spé
cialisée : Shoppers Stop, Lifestyle, Pyramid ou Pantaloon, ont, d’ores et déjà, prospéré
et des grands groupes, comme Tata, Birla, RPG ou Reliance sont sur les rangs, s’ils
n’ont pas déjà créé leur propre réseau de magasins généralistes, où les rayons cosmé
tiques peuvent trouver tout naturellement leur place. Pour les étrangers, à l’instar de
l’allemand Metro, c’est au niveau de la vente en gros, aux collectivités et aux entre
prises – le cash and carry – que la porte s’est entrouverte. C’est de cette manière que
Walmart, avec Bahrti, comme partenaire local et exploitant franchisé de l’enseigne
pour le commerce de détail, s’engage dans ce secteur, qui devrait représenter près de
500 milliards de dollars en 2015. Dans son sillage, on peut s’attendre à ce que Tesco
et Carrefour en fassent autant, si, toutefois, les autorités indiennes se résolvent, enfin,
à libéraliser pour de bon le secteur et l’ouvrir à la concurrence étrangère.
L’autre grand levier sur lequel peuvent, aussi, dès à présent, jouer les acteurs étran
gers et domestiques du secteur des cosmétiques pour distribuer plus activement
leurs produits, est le développement très rapide des malls, ces grands espaces
commerciaux rassemblant des boutiques à l’enseigne des marques qu’elles distri
buent et qui se comptent désormais par centaines, présentes dans la quasi-totalité
des agglomérations, comme à Gurgaon, dans la banlieue de Delhi, qui connaît la
concentration la plus importante du pays, où leur surface moyenne avoisine 60 000 m2
mais où les plus importants dépassent déjà les 100 000 m2..
Des perspectives attractives, mais qui restent soumises à des aléas non négligeables ;
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
323
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
existantes traditionnelles, comme des structures modernes en plein développement ?
Quels sont les principaux acteurs ou groupes d’acteurs qui y opèrent ? Qu’est ce qui
explique la présence d’un nombre croissant d’étrangers ? Comment semblent-ils
s’être positionnés de manière privilégiée ? Quel rôle jouent les « locaux » par rapport
à eux ? Comment les positionner les uns par rapport aux autres ? En fonction de quels
éléments discriminants ? Quels pourraient être les différents scénarios d’évolution du
secteur des cosmétiques en Inde dans les années à venir ? Quels facteurs clés de
succès serait-il essentiel d’y maîtriser ? Quels types de stratégies gagnantes seraient
envisageables et pour lesquelles de ces catégories d’acteurs ?
Quelle stratégie
serait à retenir pour
l’organisation
auditée ?
324
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
Section
1 L’analyse des lignes de force dans l’espace
géo-sectoriel considéré
Elle a trois objectifs :
––délimiter le champ de l’investigation et faire ressortir les principales caractéris
tiques, quantitatives et qualitatives, statiques et dynamiques, de l’activité (du sec
teur ou de l’industrie) dans l’espace de référence/d’expansion considéré ;
––mesurer l’impact des mutations de l’environnement et l’ouverture internationale,
en analysant la nature, l’importance, les caractéristiques et la rapidité d’évolu
tion des pressions externes qui les traduisent ;
–– déterminer, pour les organisations impliquées, les enjeux consécutifs qu’elles auront
à surmonter, les unes et les autres, et d’où ressortira, l’attractivité de l’activité consi
dérée dans cet espace, pour elles, comme pour d’éventuels nouveaux entrants.
Le champ d’investigation peut porter, suivant, les cas, sur l’ensemble d’un secteur,
d’une industrie, d’une activité, voire d’un macro-segment dans l’espace de référence
retenu.
325
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
326
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
des efforts d’harmonisation ont été entrepris) des nomenclatures douanières, des
niveaux de qualité ou des normes de fabrication qui peuvent constituer autant
d’éléments susceptibles de permettre une délimitation du champ d’analyse ; ce qui
n’exclut pas d’autres approches.
• On pourra ainsi se référer :
–– au type d’applications dans lequel et pour lequel les entreprises du secteur vont
opérer ; ainsi les TGV, le matériel d’éclairage urbain ou la signalétique, l’équi
pement de bureau, l’alimentation pour bétail ou l’habillement ;
–– à la ou les technologie(s) mise(s) en œuvre, tels les machines à commandes numé
riques, les pelles hydrauliques, les appareils de chauffage électriques, les circuits
imprimés, les piles photovoltaïques, les vins cuits ou les whiskies purs malt ;
–– ou à la combinaison de plusieurs de ces indicateurs, entre eux ou avec des seg
ments de clientèle, constituant un premier niveau de segmentation stratégique1.
Exemple 6.3 – Les cosmétiques en Inde ; le positionnement dans la filière industrielle (3)
Pour les cosmétiques, comme dans nombre de secteurs, le positionnement dans la filière
s’envisage :
–– Par rapport à l’amont (matières premières, composants, acheminement, etc.), c’est-à-
dire par rapport aux phases précédant leur intervention ; pour les cosmétiques, ce
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. Voir E. Milliot, « La segmentation stratégique revisitée » Actes du premier colloque Atlas-AFMI, ESCP
Europe et Université de Paris Dauphine, Paris, 26-27 Mai 2011.
327
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
La filière industrielle
(exemple du secteur des cosmétiques en Inde)
Prestataires
FOURNISSEURS
Équipements Consommables LOCAUX
de services
Import
Centre de
Barrières Recherche
à l’entrée : local
- Coûts de
transport CONCEPTION /
- Droits de PRODUCTION
douane
- Coûts de
fabrication Fabrication Fabrication
- Risque de délocalisée locale
change
Distribution Nouvelle
Distribution Détaillants locaux DISTRIBUTION
Sélective distribution
Sélective traditionnels
(boutiques moderne LOCALE
(franchisée) (kirana stores)
en propre) généraliste
J.-P. Lemaire
1. Voir figure 6.7 « L’analyse des forces de la concurrence du secteur des cosmétiques en Inde ».
328
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
certaines de ses étapes clés –. Ce pourra être le cas du secteur du ciment, où l’inté
gration de la production suscite la concentration géographique, même s’il est pos
sible de concevoir une certaine internationalisation de la fabrication elle-même, et
de la production en multipliant les sites de production de par le monde et en concen
trant dans certaines localisations la gestion de la logistique3 ou la Recherche et
Développement. Ce pourra être aussi le cas de la Haute Couture, où la proximité de
la conception et de la fabrication est indispensable, comme celle des fournisseurs de
1. Voir cas « La Cimenterie Nationale (Liban) », Jean Paul Lemaire (avec notice pédagogique), disponible en
français et en anglais à la Centrale des Cas et des Moyens Pédagogiques, à paraître, 2013).
2. Voir chapitre 3, cas d’application : « Le secteur automobile européen : ceux qui rient et ceux qui pleurent. »
3. C’est ainsi que le cimentier suisse Holcim a pu créer à Madrid un centre de gestion logistique où sont analy
sées en temps réel les demandes qui émanent du monde entier et que sont optimisées les livraisons destinées à les
satisfaire.
329
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
tissus et d’accessoires rares et celle des artisans spécialisés, qui expliquent la place
privilégiée qu’occupe encore Paris dans le secteur. Pourtant, pour ces deux secteurs,
si différents soient-ils, et pour bien d’autres, qui ont des caractéristiques compa
rables, l’évolution rapide des modes de transport et les progrès de la logistique inter
nationale, comme la révolution de la communication des quinze dernières années,
sont en passe de modifier sensiblement la donne.
En revanche, de plus en plus nombreux sont les secteurs pour lesquels on peut
observer un niveau de déploiement international croissant, lié à deux facteurs pré
cédemment soulignés : d’une part, l’évolution des différentes pressions politico-
réglementaires, économiques et sociales comme technologiques, qui fluidifient les
échanges de biens et de servies et les investissements, comme, d’autre part, la néces
sité que rencontrent nombre d’organisations dans de nombreux secteurs de se rap
procher des grandes concentrations de clientèle propres à leur fournir les relais de
croissance dont ils ont besoin. Le secteur de l’aéronautique en constitue un bon
exemple avec une organisation comme Airbus qui réussit à intégrer différents sites
de production répartis dans l’Europe entière et dont, par ailleurs, on a pu observer
qu’il n’avait pas hésité à délocaliser ses sites d’assemblage d’A320 en Chine et aux
États-Unis ; pour des raisons, certes, un peu différentes, mais dans le but similaire
de se rapprocher de leurs clients locaux.
330
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
L’arène stratégique
(exemple de la banque de détail)
Services
non financiers
Opérateurs
de réseaux
télécom
Banque
de détail
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Fournisseurs et
distributeurs
de biens de consommation
Services courants et durables
financiers non
bancaires
331
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. Dans ce domaine, General Electric a rencontré un tel succès que sa filiale financière GE Capital, désormais
présente dans de très nombreux pays dans le monde, réalise des profits bien supérieurs aux profits des activités
industrielles du groupe, de la vente des centrales électriques aux grille-pain.
2. Comme l’entreprise indienne Bahrti, dans son pays et désormais dans plusieurs pays d’Afrique.
332
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
Volume
de l’activité
Phase 3 : Activité mature Phase 4 : Activité déclinante
0 % < G < 10 % G<0%
Compte tenu de son caractère très récent, le secteur des cosmétiques modernes en Inde,
qui affichait des taux de croissance impressionnants dès 2005-2006, le situe, à l’évidence,
à l’amorce de la phase de développement dans les grandes agglomérations indiennes,
mais encore en phase d’émergence dans les zones semi-rurales ou rurales du pays.
Pour autant, peut se poser la question du lancement des produits nouveaux, surtout depuis
que la concurrence internationale s’est considérablement renforcée dans le pays. Une seg
mentation précise des clientèles conduira de plus en plus les acteurs du secteur acteurs en
place, comme nouveaux entrants-, à repenser l’approche en termes de « fenêtres d’oppor
tunités » en fonction des segments de clientèle et des réseaux de distribution.
1. Cf. Vernon, R. « The Product Cycle Hypothesis in a New International Environement », bulletin of Economics
and Statistics, Oxford, Mars 1979.
2. Voir K. Jensen, Accelerating global Product Innovation through Cross-Cultural Collaboration, op.cit.
333
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
On peut supposer que, pour les produits de luxe et les produits haut de gamme de la typo
logie des produits de L’Oréal utilisée plus haut, destinés essentiellement à des consom
matrices très aisées et très bien informées, vivant au cœur des « metro » du pays, les
« fenêtres d’opportunités » indiennes se superposeront avec celles des marchés matures
occidentaux ; les lancements de nouvelles lignes de produits ou de nouveaux produits
devant alors être simultanés (incluant les adaptations nécessaires au marché indien).
En revanche, les produits « grand public » et, surtout, ceux qui sont destinés aux classes
moins aisées, voire aux clientèles BoP, obéiront à des approches plutôt adaptées, définies
plus spécifiquement par les centres de R & D locaux, dans le cadre d’approches décalées
– voire totalement distinctes –, par rapport aux marchés matures.
334
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
ment cible de clientèle, les comportements de consommatrices ne seront pas les mêmes
entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest du pays, et qu’une approche géographique plus
fine serait à réaliser par État, ou par agglomération de taille significative.
Ce qui n’exclut pas la collecte de données quantitatives (et qualitatives) permettant
d’identifier d’autres macro-segments, notamment, chez les hommes qui sont devenus des
consommateurs importants de produits de soin de la peau et des cheveux.
Enfin – sans préjudice de l’identification de segments plus étroits (mais que peut signifier
« étroits » sur un marché d’une telle taille ?), comme le potentiel énorme que représente
le « BoP ».
Une fois menées ces différentes approches, l’espace géo-sectoriel se trouvera plus
précisément délimité ; permettant, au-delà des différences observées entre les diffé
rents segments analysés, de dégager ses caractéristiques de fond.
La synthèse de celles-ci donnera un premier aperçu de la dynamique d’ensemble
de cet espace, mais nécessitera encore, dans une perspective d’anticipation, d’iden
tifier les mutations de l’environnement susceptibles de déterminer l’évolution de ces
données pour mieux évaluer les enjeux qu’elles comportent, au-delà du court terme,
pour les acteurs, tant pour l’ensemble de l’espace analysé que par macro-segment
(ou groupe de macro-segments).
335
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. Voir tableaux 3.5. « À quelles pressions externes se trouvent soumis les constructeurs aéronautiques dans un
espace de référence mondial ? » et tableau 3.6, À quelles enjeux géo-sectoriels se trouvent confrontés les construc
teurs aéronautiques dans un espace de référence mondial ?
2. Voir exemple 3.4 : Les équipements de télécommunication.
3. Benoun M., Durant-Réville B., Commerce et distribution, les chemins de la mondialisation, L’Harmattan,
2012.
336
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
Exemple 6.8 – Les cosmétiques modernes en Inde, les pressions externes (PREST 1) (6)
–– Dans cet espace géo-sectoriel, les pressions politico-réglementaires 1 pourront traduire :
––sur le plan politique, le fort degré d’hétérogénéité qui caractérise les 28 États de la
« plus grande démocratie du monde », où le consensus est bien difficile et long à
obtenir, la corruption y restant, par ailleurs, préoccupante ; même si elle est désor
mais activement combattue, en soulignant, aussi, l’insécurité externe (avec le
Pakistan) et interne (le terrorisme naxalite) ;
––sur le plan réglementaire, un protectionnisme encore très marqué (cf. secteur de la
distribution) ; le libéralisme et l’ouverture internationale y faisant, cependant, leur
chemin, même si de nombreux obstacles, légaux, fiscaux, administratifs, rendent
toujours difficile l’établissement des investisseurs étrangers -davantage dans les sec
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
teurs de service (banque, assurance, distribution) que dans les secteurs de biens de
consommation courante, comme les cosmétiques-.
–– Parmi les pressions socioéconomiques, seront ditinguées :
––les pressions quantitatives, d’une part, évolution de la démographie, du niveau de
vie, progression et répartition des revenus ;
––les pressions qualitatives, d’autre part, – goûts, habitudes de consommation –, qui
peuvent se révéler plus directement porteuses, en particuliers vis-à-vis de certains
segments de population (jeunes femmes urbaines actives) ; de même que les condi
tions de production locale (réglementation du travail) ; à prendre en compte, cepen
dant, l’instabilité économique, les poussées inflationnistes, les fluctuations du change
avec les grandes devises occidentales, les variations de prix des composants, au gré
des marchés mondiaux de matières premières.
337
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
–– Les pressions technologiques, enfin, peuvent, elles aussi, constituer une contrainte,
en termes de qualité des infrastructures (réseau électrique ou téléphonique, infra
structures de transport…). Mais il convient de souligner que le niveau d’éducation
s’améliore, comme les compétences techniques et managériales des collaborateurs
locaux, le traitement et la transmission rapide des données, avec des effets positifs
sur les conditions d’exercice et d’organisation des activités. Le climat est, par
ailleurs, très favorable à l’innovation, tant du point de vue de la production que de la
consommation (avec le rejet des produits obsolètes) avec l’attente d’offres conforme
à « l’état de l’art ».
PRESSIONS SOCIO-ÉCONOMIQUES
très fortes/très porteuses dans l’ensemble
J.-P. Lemaire
338
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
1. Voir notamment V. Dougnac, « L’économie indienne n’échappe pas à la crise », La Croix, 27/7/2012.
339
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
Enjeu
concurrentiel
intensification de la
concurrence locale/internationale
réduction des barrières à l’entrée
Secteur Indien
des
cosmétiques
Enjeu Enjeu
de redéploiement d’adaptation
géographique technique et culturelle des produits
(villes moyennes et espace rural) et des approches marketing
Accès aux canaux de distribution à la diversité des segments locaux
PRESSIONS SOCIO-ÉCONOMIQUES
très fortes/très porteuses dans l’ensemble
J.-P. Lemaire
340
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
Les différentes lignes de force ainsi dégagées au fil de l’analyse révèlent donc le
potentiel que recèle l’espace géo-sectoriel considéré, dans le cadre d’une approche
« tous azimuts » mondiale, ou géographiquement plus restreinte (multicontinentale,
continentale, ou, seulement limitée aux pays de proximité), ou encore, dans le cadre
d’une approche « focalisée » s’attachant à un pays ou à un groupe de pays présen
tant une certaine homogénéité géographique et/ou culturelle.
L’analyse de ce potentiel – et, partant, de l’attractivité – de l’espace considéré,
dans une perspective d’« horizontalisation » (conquête de parts de marché) ou de
« verticalisation » (optimisation de la chaîne de valeur internationale), devrait aussi
permettre d’anticiper la pérennité de cette attractivité, sans préjudice d’un suivi
régulier de l’ensemble des données quantitatives et qualitatives mobilisées.
Section
2 Le positionnement concurrentiel
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Une fois dégagées les lignes de force de l’activité (du secteur ou de l’industrie)
dans l’espace de référence ou d’expansion retenu, en mettant l’accent sur les muta
tions de son environnement et sur leur impact, il convient, de préciser les caracté
ristiques de l’offre et du système concurrentiel. En effet, les acteurs qui y opèrent,
non seulement ont à réagir aux pressions externes auxquelles ils sont tous soumis et
à faire face aux enjeux auxquels ils sont tous confrontés, mais ils doivent, également,
chacun, s’efforcer, sinon de prendre le meilleur sur tous les autres, du moins, de
s’assurer des positions solides et durables.
Cette démarche suppose de s’attacher successivement à trois aspects :
––les caractéristiques du système concurrentiel, propres à faire ressortir l’existence
d’éventuels leaders et les caractéristiques des différents groupes d’entreprises
impliqués dans l’activité ;
341
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
––les forces qui s’exercent sur l’ensemble du groupe concurrent, non seulement tous
les acteurs du secteur, mais aussi, tous ceux qui interviennent de l’amont à l’aval
de la filière, en mesurant, notamment l’intensité du pouvoir qu’exercent les four
nisseurs et les clients (comme les prescripteurs et les distributeurs) ; étant encore
à considérer, les menaces de nouveaux entrants ou de produits substituts ;
––le positionnement des différents acteurs ou groupes d’acteurs et leurs probables
évolutions respectives au cours des périodes à venir, pouvant être représenté sous
forme de carte concurrentielle.
Elles ressortent tout d’abord du type de système concurrentiel, défini sur la base
du « poids » respectif des différents acteurs ou groupes d’acteurs, en s’appuyant sur
les concepts utilisés par la microéconomie et l’économie industrielle, pour décrire la
situation de la concurrence dans une industrie ou un secteur déterminé :
––la structure de l’offre, constituée d’un nombre plus ou moins élevé d’acteurs, de
tailles plus ou moins différenciées ;
––la structure de la demande, qui peut, certes, correspondre à une multitude de
clients ou à des segments déterminés, mais aussi être limitée à un nombre restreint
de donneurs d’ordres – voire à un seul.
342
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
acquisition de The Body Shop élargit encore son portefeuille de marques et sa visibi
lité. Ce qui n’empêche pas de nouveaux acteurs étrangers, comme Max Factor ou
Chanel, depuis 2004-2005 de se poser en challengers sur certains segments de clien
tèle, avec une prédilection pour le haut de gamme et les produits premium ; il est vrai
plus faciles à distribuer.
343
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. Lemaire J.-P., Ruffini P.-B., Vers l’Europe bancaire, Paris, Dunod, 1993 ;
Lemaire J.-P., « Strategic Changes in European Banking », European Management Journal, mai 1993 ;
Lemaire J.-P., Secteur bancaire et financier : les nouveaux enjeux stratégiques, Paris, Aster, 1996
2. Notamment, avec la suppression de dispositifs interdisant le développement des établissements bancaires dans
plus d’un État et la pratique dans la même institution du retail banking et de l’investment banking.
3. Voir repère 1.6 « De la crise des subprimes à la crise de la dette souveraine. »
4. Cf. A. Villechenon « Crise des banques espagnoles : comment en est-on arrivé là ? », Le Monde.fr, 29.05.2012.
344
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
En fait, ces réorientations stratégiques résultent, tout autant, des rivalités internes
au secteur, des perturbations liées aux crises, intensifiées par l’ouverture interna
tionale, que des pressions qui s’exercent à partir de l’amont et de l’aval de la filière,
ou encore des menaces que font peser les nouveaux entrants et le développement de
produits ou services de substitution.
Dans les industries ou les secteurs au caractère global déjà marqué, les forces de
la concurrence reflètent deux aspects :
–– une profonde transformation des relations avec les fournisseurs et avec les clients ;
––la montée de nouvelles menaces émanant de nouveaux concurrents, proposant des
solutions techniques qui se plient à des exigences nouvelles sortant du registre
habituel des prestations proposées par les acteurs en place.
En amont de la filière, on assiste en effet – dans un certain nombre d’industries
désormais plus ouvertes – à un double mouvement :
––Pour les composants et les produits intermédiaires banalisés, à forte intensité de
main-d’œuvre, ce sera la multiplication des concurrents, cherchant à valoriser le
faible niveau de leurs coûts. Ce qui place les acteurs des secteurs – comme dans
celui de la construction automobile – qui se situent en aval, en position de force
pour négocier, sinon sur la qualité et les délais, du moins sur les prix ; sauf, pour
certains (cf. textile), à se voir imposer leurs fournisseurs par leurs propres clients,
originaires de la même zone.
––En revanche, pour les composants à forte valeur ajoutée, fortement dépendants
des efforts de recherche et développement – comme dans le domaine informa
tique, ceux des puces électroniques ou des systèmes d’exploitation –, se crée, pour
les entreprises opérant en aval, une forte dépendance, propre à infléchir leurs
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
orientations stratégiques.
En aval de la filière, dès que le secteur atteint un niveau d’ouverture significative,
les clients voient leur pouvoir de négociation sensiblement augmenter. Ce qui leur
permet, grâce à la mise en concurrence de fournisseurs plus nombreux, d’exiger, non
seulement des diminutions ou des aménagements de prix, mais également des ser
vices associés (logistique, montage, assistance à la production, à la commercialisa
tion, etc.). La seule manière, pour un acteur du groupe concurrent, de résister à cette
pression est de disposer d’une taille et/ou d’une technologie, d’une qualité suffisam
ment indiscutables, pour rester ou devenir un interlocuteur incontournable.
De la même manière, les menaces de nouveaux entrants peuvent se préciser au fur
et à mesure que les barrières réglementaires baissent, souvent avec les encourage
ments des organisations supranationales, régionales – comme l’Union européenne
– ou mondiales – comme l’Organisation mondiale du commerce –.
345
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
C’est sur les secteurs en plein développement (par exemple, la téléphonie mobile,
sur lesquels un avantage technologique peut être valorisé, ou sur les secteurs plus
matures (par exemple, la banque ou l’automobile), marqués par l’innovation de pro
duit ou de processus, que les menaces sont les plus fortes, pour autant que les auto
rités locales et les acteurs du secteur ne s’associent pas pour figer les positions
acquises.
En revanche, c’est sur les marchés mûrs, ou nécessitant de forts investissements
industriels ou promotionnels (comme les cosmétiques), ou encore ceux que les États
peuvent encore légitimement protéger (comme la santé) que les positions acquises
sont les plus défendables, au niveau domestique, comme à un niveau plus interna
tional.
Enfin, les menaces de produits substituts peuvent résulter de divers facteurs :
––innovations produits ou de processus, susceptibles de bouleverser les fonctions
d’usage des gammes existantes ou d’en abaisser le prix dans des proportions sen
sibles ;
––révisions fondamentales, impulsées au niveau national ou supranational, des régle
mentations ou des conditions d’accès précédemment imposées ;
––variations de la conjoncture économique, rendant la situation du consommateur/
utilisateur moins (ou plus) favorable ;
––mutations structurelles des goûts ou des besoins, affectant directement la produc
tion ou les prestations du secteur.
En conséquence, l’internationalisation impose de rechercher, à une échelle désor
mais plus large, une domination de marché, sinon dans un large secteur, du moins
dans une ou, de préférence, plusieurs niches de marché, en maintenant une avance
technologique de qualité ou de différenciation de prestation, sans trop dépendre de
ses fournisseurs.
346
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
–– Le groupe concurrent, devrait rester marqué par la dominance des organisations « loca-
les » (cf. « HLL ») et des firmes étrangères établies de plus longue date (cf. Revlon ou
L’Oréal), sans préjudice de la montée en puissance d’acteurs locaux, comme étrangers
plus récemment arrivés, qui pourraient être dominants dans certains macro-segments.
Pour eux tous, l’accès à la distribution, constituera un enjeu majeur pour les clientèles
clés visées (cf. jeunes femmes actives urbaines).
–– Le pouvoir des fournisseurs sera réduit, compte tenu de l’implication des acteurs du
secteur eux-mêmes, très en amont dans la filière, pour ce qui est des composants. Les
fournitures d’équipement, pour ceux qui fabriquent sur place, pourront souffrir des dif
ficultés d’accès au pays. Les produits importés se heurteront aux mesures protection
nistes, à l’instabilité de la demande et aux risques déjà repérés (cf. risque de change).
–– Le pouvoir des clients sera croissant, d’autant plus que son accès à l’information ne
cesse de s’élargir, aussi bien sur l’offre localement accessible que sur l’offre étrangère,
uniquement disponible hors frontières. Le rôle des prescripteurs (avec la multiplication
des salons, particulièrement) se développera, rendant essentiel le contrôle d’un réseau
plus ou moins captif et la mobilisation d’un mix promotionnel aussi complet et nova
teur que possible.
NOUVEAUX ENTRANTS
étrangers et locaux
approches de niche
entrée progressive
marques spécifiques
SUBSTITUTS
locaux
produits et traitements
traditionnels
peuvent s’ajouter à la gamme
347
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
3 La carte concurrentielle
Une fois identifiés les principaux acteurs du secteur et les lignes forces qui déter
minent l’intensité concurrentielle, à l’intérieur et autour du « groupe concurrent »,
peuvent être envisagées :
––le positionnement respectif de chaque organisation ou ensembles d’organisations
comparables, suivant des axes simples et suffisamment discriminants pour faire
ressortir les principales différences entre leurs forces et faiblesses respectives ;
––leurs évolutions respectives potentielles, anticipées à partir de leurs orientations
stratégiques observées, de l’évolution de leurs résultats et des transformations pro
bables de l’environnement sectoriel international.
Dès lors, devront être surmontées deux types de difficultés :
––la détermination de deux variables discriminantes permettant de contraster judi
cieusement les positions et orientations des différents acteurs ou groupes
d’acteurs,
––la mesure, pour chacun d’entre eux, du niveau auxquels ils se situent sur les axes
ainsi déterminés.
Dans une perspective internationale, le choix des variables discriminantes est sou
vent fonction des caractéristiques de l’espace de référence retenu :
• Si on vise un espace de référence continental, multicontinental ou global, multi-
activité, (comme la banque, cf. exemple 6.11) : on pourra positionner chaque
acteur ou groupe d’acteurs en fonction du degré de couverture ou de « déploie
ment » géographique, ou en relation avec l’étendue de la gamme d’activités ou de
prestations proposées (« déploiement » sectoriel).
• Si on se situe, à ces mêmes niveaux, dans des secteurs plus homogènes (comme
l’automobile) on positionnera ces acteurs suivant leur dominante stratégique et le
type d’avantage recherché – : stratégie de taille, destinée à abaisser les coûts, ou
348
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
« Avon ladies », régressait progressivement depuis 2001. Estée Lauder arrivée tardive
ment, se contentait des résultats encore limités de MAC et de ceux, symboliques, de
Clinique. Quant à L’Oréal, un des plus actifs de ce segment, il y propose des produits
originaux spécialement conçus pour le consommateur indien, positionnés haut de
gamme, avec L’Oréal Paris et avec Maybelline, et visant davantage la classe moyenne.
–– La résistance des acteurs locaux se caractérise, pour le géant Hindustan Lever, par un
effritement de la part de marché de sa marque Lakmé, jadis dominante et pourtant tou
jours attachée à comprendre les besoins de la femme indienne, tandis que celle de sa
marque Aviance, dans le segment du luxe, demeure très limitée. En revanche, Colorbar,
qui promet à ses clients des produits innovants à des prix attractifs, a progressé de
manière appréciable, en moins de cinq ans.
349
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
Carte concurrentielle
du secteur des cosmétiques en Inde
(produits de coloration)
Estée Lauder
MAC, Clinique
Déploiement
géographique
L’analyse des évolutions que traduit la carte concurrentielle fait ressortir le caractère fluc
tuant des positions des différents acteurs et la très forte sensibilité à l’innovation, tout
autant qu’à la compétitivité prix ; mais aussi aux offres haut de gamme, même si celles-ci
ne garantissent pas les parts de marché les plus importantes.
350
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
c Repère 6.2
Exemple de mise en œuvre de la méthode DELPHI1
Application à l’évolution du secteur bancaire (applicable, par exemple, aux activités de mar
c hé, aux activités grandes entreprises/corporate ou encore à la banque de proximité).
1er « tour » : Recherche documentaire sur l’espace de référence choisi, constitution et
mise à jour d’une base de données et première consultation d’experts (travaux acadé
miques, publications professionnelles, périodiques économiques, entretiens informels
avec différents spécialistes du domaine) :
–– élaboration d’une première analyse des grandes tendances intéressant l’évolution des
activités ou groupes d’activités bancaires retenues ;
–– formulation d’un certain nombre d’hypothèses concernant leur développement futur ;
–– identification d’un premier groupe (panel) d’experts (professionnels spécialisés, localisés
dans un ensemble d’établissements jugés représentatifs, originaires de différentes zones
géographiques pertinentes, en fonction de la ou des activités bancaires retenues) ;
–– élaboration et administration d’un questionnaire semi-directif et/ou demande de
réaction des différents experts sollicités sur un court résumé de l’analyse et des pre
mières hypothèses formulées.
2e étape : Recueil des réactions écrites/orales des experts sollicités, révision / reformu
lation des hypothèses, rédaction d’une synthèse et seconde consultation des experts :
––analyse des différentes réactions obtenues et mise en évidence des éléments conver
gents/contradictoires apportés à la synthèse ;
–– élaboration d’une seconde synthèse faisant ressortir clairement les différentes orien
tations possibles ;
––transmission aux mêmes experts, éventuellement complétés par d’autres, dans la
mesure où le « 1er tour » en a fait ressortir la nécessité.
3e étape : Validation/Suivi :
––même processus que pour la 2e étape et élaboration d’une nouvelle synthèse ;
––nouvelle soumission éventuelle au panel d’experts ; synthèse finale.
––reproduction de l’ensemble de la procédure, à intervalles périodiques, d’autant plus
rapprochés que l’évolution de l’environnement est rapide (dans le cas de la banque
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deux investigations successives avaient été menées à 3-4 ans d’intervalle auprès d’un
panel comparable).
1. Cf. Lemaire J.-P., Dynamique bancaire et intégration financière, op. cit. Une méthodologie équivalente est
utilisée dans le cadre d’une étude comparative menée sur l’évolution des secteurs bancaires dans les économies en
transition (Chine, Inde, Vietnam, Russie), d’une part, et, dans le cadre d’une autre étude portant sur les investisse
ments directs étrangers au Japon .
Quant à la méthode Delphi : « Utilisée initialement aux États-Unis à des fins stratégiques par la Rand Corpora
tion, cette procédure vise à dégager de la consultation d’un groupe d’experts une prévision commune fiable. Pour y
parvenir, elle use d’une procédure par questionnaires individuels, ce qui évite la confrontation directe entre experts,
et une phase finale de correction qui permet de réduire la divergence à un niveau acceptable » cf. Demory G.,
Spizzichino R., « Une méthode de prévision par consultation d’experts : la procédure Delphi », in : Gestion, octobre
1968 ; voir aussi Fiche S.11, « Delphi », in : Guide du Management, Le Seuil, Paris, et Linstone H.-A. et Turoff
M., The Delphi Method, Techniques and Applications, Addison Wesley, London, 1975. Voir aussi, Loo, R. (2002).
The Delphi method : A powerful tool for strategic management policy. International Journal of Policy Strategies
and Management, 25(4) et Okoli, C., et Pawlowski, S.D. (2004). “The Delphi method as a research tool : An
example, design considerations and applications”. Information & Management, 42(1).
351
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
Section
3 Les voies d’évolution stratégique
Elles se dégagent essentiellement :
––de la mise en évidence des facteurs clés de succès, liés à la demande et à l’offre,
et au degré de maîtrise qu’en possède chaque acteur ou catégorie d’acteurs ;
––des scénarios d’évolution de l’environnement sectoriel, sur le plan global et dans
les différentes zones géographiques concernées,
pour déboucher sur la détermination des stratégies gagnantes, dont chaque entre
prise intéressée pourra s’inspirer pour définir ses propres objectifs, en fonction de
ses avantages concurrentiels spécifiques.
352
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
c Repère 6.3
Les différents facteurs clés de succès à l’international
Ces facteurs clés de succès peuvent ainsi se définir :
••Du côté de la demande, ils sont requis par les clients ou mis en évidence par leurs pres
cripteurs privilégiés, comme par les distributeurs et intermédiaires. Ils se traduisent par la
nécessité de suivre l’évolution des besoins et des critères de choix (image, réputation,
qualité perçue du produit et du service, prix, capacité d’adaptation, etc.), émanant de
chacun de ces groupes, sur chacun des macro-segments, ou dans chacune des zones
géographiques, de manière spécifique, ou en tenant compte des éléments de conver
gence se dessinant à une échelle plus globale.
••Du côté de l’offre, ces facteurs clés sont dépendants des technologies, de l’organisation
et des synergies susceptibles d’être mises en œuvre aujourd’hui et de celles qui s’impo
seront demain – ce qui suppose un minimum de veille technologique et commerciale
(voir chapitre 5) –, en mettant l’accent sur la capacité des organisations à combiner les
différents facteurs de production, à une échelle qui dépasse le seul cadre national, et à
surmonter les difficultés suscitées par la complexité qui en découle.
••Ils sont, enfin, largement tributaires des innovations produit ou process de la concurrence
qui tente, en permanence, de modifier, à son profit, les règles du jeu et les standards de
l’activité. Ce qui suppose de posséder, encore une fois, un bon système de collecte
d’informations et une forte capacité à réagir et à s’adapter.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Exemple 6.14 – Les cosmétiques en Inde, la mise en évidence des facteurs clés
de succès (11)
À travers les différentes étapes de l’analyse de l’espace de référence géo-sectoriel « cos
métiques en Inde », les facteurs clés de succès (FCS) nécessaires aux différents acteurs,
tant locaux, qu’étrangers, se sont dégagés progressivement, aussi bien ceux qui sont liés
à la demande que ceux qui sont liés à l’offre :
–– Pour ce qui concerne les FCS liés à la demande, sont à mettre en avant :
––la capacité d’adaptation aux besoins des consommatrices et des consommateurs
locaux (sans transposer, pour les organisations étrangères, de manière trop simpliste,
les produits destinés aux Occidentaux ou aux Japonais au « microcosme de l’huma
nité » que représente l’Inde) ;
353
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
––la capacité à distinguer les différents segments de clientèle dans une société très
complexe, traditionnellement fragmentée, contrastée sur le plan climatique, (corres
pondant à la diversité de leurs caractéristiques physiologiques, de leurs régions,
mais, aussi, de leur mode de vie, etc.) ;
––la compétitivité prix, dans la mesure où l’Inde constitue un pays très « sensible aux
prix » ; sans, pour autant, que ce qui y va de soi pour les produits « grand public »,
se vérifie pour les segments « luxe » et « haut de gamme » (premium).
–– Pour ce qui concerne, les FCS liés à l’offre, on retiendra :
––la capacité d’innovation et la constitution d’équipes de R & D performantes suscep
tibles de trouver des formules propres à séduire des consommatrices et des consom
mateurs particulièrement exigeants et sensibles à la nouveauté ;
––la capacité de production locale, permettant de tirer le maximum d’avantages de
cette présence, pour bénéficier de coûts de main-d’œuvre avantageux, pour éviter les
droits de douane et les démarches administratives à l’entrée, pour minimiser les coûts
logistiques et le risque de change ;
––la maîtrise des canaux de distribution, généralistes et spécialisés, surtout si l’organi
sation dispose d’une gamme très complète de produits destinés à différents segments
et un portefeuille de marques diversifié, susceptible de viser plus spécifiquement les
uns ou les autres.
Innovation
Enjeu de produits adaptation
redéploiement process de l’offre
géo-sectoriel
ËCapacité d’innovation,
en réponse aux besoins
locaux
Ëcapacité d’identifier les
segments pertinents
PRESSIONS SOCIO-ÉCONOMIQUES
J.-P. Lemaire
354
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
Ils ont à être définis aussi bien au niveau global qu’au niveau de chaque zone géo
g raphique ou même de chaque segment de clientèle internationale retenu en fonction
du type d’approche retenue. Ils peuvent s’appuyer sur les informations recueillies au
cours des phases précédentes de l’analyse et concernant :
––les évolutions de l’environnement domestique et international de l’industrie ou du
secteur, autour des trois types de pressions externes : politico-réglementaire, tech
nologique, socio-économique ;
––les mutations propres au secteur, à travers les réactions des entreprises qui y
opèrent, en terme organisationnel et structurel, comme en termes d’innovation ou
de recherche de rentabilité (sans, pour autant, négliger d’y introduire la dimension
humaine et l’aléatoire qui peuvent faire évoluer les stratégies de certains concur
rents de façon inattendue).
c Repère 6.4
La construction des scénarios
Ces scénarios reposent sur des variables de deux types, externes et internes au secteur,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
dont l’évolution est anticipée, aussi bien à partir des données quantitatives disponibles qui
devront être extrapolées, qu’à partir des données qualitatives pertinentes, liées aux straté
gies des acteurs et de l’appréciation qui sera faite des évolutions de l’environnement.
Les méthodes permettant de bâtir de tels scénarios doivent donc associer et synthétiser
un grand nombre d’informations, organisées autour de variables pertinentes, relevant
de ces deux catégories, de manière à ne négliger aucun élément important susceptible
d’affecter le devenir du champ étudié. Aussi est-il crucial de baser sa réflexion, non
seulement sur la synthèse permanente des données collectées et analysées dans le
cadre du système de veille, mais aussi de l’enrichir et de la valider, en s’appuyant sur
la contribution d’experts couvrant ses différents aspects ; cela en utilisant, par exemple,
la méthode des scénarios associée à la méthode Delphi, qui se prêtent conjointement
très bien à l’anticipation.
En combinant les différentes tendances jugées significatives qui se dégagent, il est
généralement possible d’élaborer :
☞
355
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
––soit plusieurs scénarios présentant des chances voisines d’occurrence, surtout si une
forte incertitude pèse sur un certain nombre d’éléments pris en compte, risquant
d’ouvrir la voie à des évolutions très différentes ;
––soit une voie moyenne probable, si, à l’inverse, l’évolution est plus harmonieuse, les
infléchissements beaucoup plus prévisibles et les aléas plus circonscrits.
Dès lors, il sera possible d’envisager, face à chacun d’entre eux, des voies stratégiques
possibles, propres à en limiter les effets négatifs ou à en accentuer les retombées posi
tives pour l’organisation ; autrement dit, à compléter et renforcer, à partir de ces anti
cipations, les facteurs clés de succès précédemment identifiés.
356
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
Le rôle des scénarios à cette étape quasi ultime de la démarche, ainsi que leur
mise à jour permanente, est donc essentiel, à la fois :
––pour synthétiser et combiner des données multiples, de nature très diverse, en
constante évolution et comportant des risques d’interprétation appréciables ;
––pour anticiper les changements les plus propres à affecter les activités considérées,
là où elles se sont développées ;
––pour définir ou ajuster les options stratégiques et leur mise en œuvre.
c Repère 6.5
Le benchmarking ou l’imitation des meilleurs
L’identification et l’imitation des leaders sont devenues une nécessité pour un nombre
croissant d’organisations. Elles leur permettent de mettre en évidence leurs faiblesses,
d’y suppléer ou même de creuser, en leur faveur, l’écart qui les sépare de leurs princi
paux concurrents. Dans un premier temps, le benchmarking met en évidence des
variables clés de la performance, en relation avec les FCS du secteur, en référence aux
meilleurs (qui n’en sont pas toujours tous, ou systématiquement, les leaders). Ces
variables correspondent, le plus souvent, à :
––la maîtrise des coûts ou de certains coûts, évalués à partir d’indicateurs soigneuse
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
ment sélectionnés (ainsi, pour un bureau d’étude ou dans le cadre d’un projet de
recherche et développement : nombre de prototypes nécessaires, nombre de dessins
modifiés, coût d’introduction d’un nouveau produit) ;
––la maîtrise des délais de conception, de fabrication, de livraison, de réaction à une
sollicitation de service après-vente, de fourniture de pièces détachées ;
––la maîtrise de la qualité évaluée en nombre de produits rebutés ou ayant nécessité
une reprise ou une rectification, d’interventions au titre de l’après-vente ou de la
mise en jeu de la garantie.
Une fois le constat établi, le benchmarking suppose la recherche d’une ou plusieurs orga
nisation(s) de référence, dans les domaines d’amélioration prioritaires ; ce qui ne signifie
pas, en général, copier tel ou tel concurrent, mais plutôt trouver, dans une activité compa
rable – ou même totalement différente, comme Motorola s’inspirant jadis de Domino’s
Pizza pour améliorer ses délais de livraison –, une organisation digne d’être imitée, en toute
connaissance de cause ; ce qui n’exclut pas, parfois, un véritable échange d’expertise.
357
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. Avec la déréglementation et l’ouverture internationale des marchés financiers, les entreprises ont désormais
beaucoup plus facilement accès à des compartiments de marché qui n’existaient pas jusqu’alors, ou leur étaient
fermés : c’est le cas, par exemple, du NASDAQ américain qui attire quelques entreprises moyennes françaises,
soucieuses, tout à la fois, de lever des capitaux « frais » et de reconnaissance internationale.
2. Voir figure 7.8 « Les types de stratégies d’internationalisation (Pourquoi ?) » la distinction, inspirée de
F.-R. Root, à l’international, entre « stratégies d’écrémage », axées sur la rentabilisation rapide, hors frontières, d’un
produit ou d’un process et « stratégies de pénétration » correspondant à l’investissement patient sur des marchés
peu accessibles, malgré leur fort potentiel présent où à venir.
358
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
+
Daimler
LVMH Avantage total
Avantage de différenciation Activités multi niches
Exploitation d’une niche exploitant au niveau
auprès de segments de international les synergies
clients très spécifiques, et les composants standard
Mise à profit de l’image pour (chaîne d’approvisionnement
multiplier les clients JP Morgan optimisée) BMW
Focalisation touchés Chase
sur des Hermès
marchés Alstom Huawei
globaux VW
étroits Wines of
Argentina Avantage par les coûts
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
359
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
niveau international, des segments de clientèle très étroits ou des prestations « au coup
par coup », comme le conseil en fusion et acquisition entre très grandes entreprises1,
l’ingénierie d’équipements non standard, la restauration de prestige ; toutes activités
faisant appel à des compétences difficilement interchangeables et dupliquables.
Les stratégies dites « d’avantage total », s’efforcent de cumuler les deux approches
de deux façons :
––Elles peuvent, en sous-segmentant une stratégie de volume et en faisant bénéficier
chaque prestation sur mesure de ressources communes, permettre d’en abaisser
fortement les coûts. Le prix s’en trouvera donc limité ou la marge augmentée –
comme la fabrication de véhicules haut de gamme à partir de composants en large
proportion standard2.
––Elles sont susceptibles aussi d’être développées en systématisant une prestation
sur mesure. Ce qui supposera d’identifier, puis d’exploiter simultanément, en les
combinant, différentes applications, compétences ou avantages compétitifs sans
affecter la qualité et l’image de la prestation, ni celle du prestataire – comme cela
peut être le cas dans le conseil international en stratégie3-.
Mais la réussite de certains acteurs majeurs du secteur n’est pas automatiquement
transposable aux autres acteurs, dans la mesure où les facteurs clés de succès mis en
œuvre par les premiers ne sont pas toujours à la portée des seconds – du moins, pas
tous –.
À ce point de l’analyse, il convient donc de distinguer :
––les stratégies gagnantes des leaders en part de marché et/ou en rentabilité, dans
une perspective de court terme ou de plus long terme, telles qu’elles résultent de
l’ensemble de l’analyse sectorielle ;
––de la définition nécessaire, pour chaque acteur du secteur, en fonction des résultats
de l’analyse et du diagnostic international qui aura été parallèlement effectué, des
options stratégiques optimales qui sont à la portée de ses ressources et de ses avan
tages concurrentiels propres ; ce qui sera développé au chapitre 7.
En définitive, on retiendra qu’en dehors des applications multiples de l’analyse
sectorielle internationale – pour les clients, les fournisseurs, les investisseurs ou les
banquiers prêteurs, en relation avec les acteurs de l’espace géo-sectoriel étudié –,
son principal intérêt réside dans l’appui qu’elle apporte à la définition de la straté
gie internationale d’ensemble des organisations, ainsi qu’à leur stratégie particu
lière, dans un espace plus limité, qu’il s’agisse du pays d’origine ou de certaines
zones géographiques privilégiées pour son développement.
1. Comme le pratique, par exemple, un des leaders mondiaux, Lazard, qui réussit sur ce créneau étroit, à réaliser
un chiffre d’affaires très important avec un nombre de transactions très limité.
2. À la manière de Toyota, qui fabrique des voitures de grand sport dans des conditions beaucoup plus écono
miques que Ferrari ; comme vu également, voir cas d’application du chapitre 3 « Secteur automobile européen : ceux
qui rient et ceux qui pleurent ».
3. Comme le pratique McKinsey ou le BCG.
360
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
Cas d’application
Menez votre propre analyse sectorielle internationale
Vous pourrez la mener, soit à partir de cas, comme ceux qui sont utilisés dans le
présent ouvrage et développés de manière plus complète dans les cas déposés ou à
déposer auprès de la Centrale des Cas et Moyens Pédagogiques (voir rubrique « Cas
de références » de la bibliographie).
Ainsi, à partir des premiers éléments disponibles dans cet ouvrage et, de manière
plus exhaustive, à partir des cas qui seront disponibles en 2013/2014 à la CCMP,
vous pourrez envisager différentes applications :
––à un niveau global, dans une perspective « tous azimuts » : équipements télécom,
ciment, construction aéronautique (moyens courriers), enseignement supérieur de
gestion, et aussi, banque de détail, engrais, vin, bière, fast fashion.
––à un niveau continental, régional ou national, dans une perspective « focalisée » :
automobile en Europe, grande distribution au Vietnam, cosmétiques en Inde, luxe
au Japon, études de marché en Thaïlande.
Vous pourrez également appliquer cette méthodologie d’analyse externe, comme la
démarche complète de l’audit d’internationalisation, dans le cadre d’un mémoire de
recherche ou dans le cadre de l’organisation qui vous emploie ou vous emploiera, en
référence aux éléments suivants :
––secteur auquel appartient votre organisation et son degré d’internationalisation actuel et
potentiel – global, continental ou centré sur des zones géographiques particulières – ;
––secteur dans lequel vous souhaitez développer des marchés pour votre organisa
tion, ou dans lequel vous souhaitez trouver des fournisseurs réguliers ;
––expérience passée dans un secteur déterminé, que vous souhaitez valoriser, ou de
l’intérêt pour un secteur que vous avez découvert/comptez découvrir, à l’occasion
d’un stage ou d’un processus d’embauche ;
––ou encore industrie ou activité, à l’intérieur de laquelle vous recherchez un poste
ou une mobilité.
Vous choisirez une industrie, un secteur ou une activité, pour lequel vous suivrez,
pas à pas, les différentes étapes, et en vous référant aux indications méthodolo
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
361
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
Quelques orientations pédagogiques
Au fil des différentes étapes du processus et de la focalisation progressive de la
démarche, la difficulté sera de collecter, de synthétiser et de vérifier les données
pertinentes permettant de progresser, sans laisser de côté aucun aspect important.
La collecte des informations pourra se faire, de façon préférentielle, auprès des orga
ismes publics et professionnels établissant régulièrement des statistiques sur l’acti
n
vité et sur la ou les zones géographiques qui vous intéressent. Votre première tâche
sera donc de rechercher les données écrites concernant l’ensemble des points à
informer dans le cadre de la démarche en direct ou via Internet :
––auprès des bibliothèques universitaires, professionnelles ou publiques ;
––des fédérations et syndicats professionnels, d’Ubifrance ;
––des services d’information économique des ambassades et représentations diplo
matiques ;
––des centres de documentation des représentations des organisations internationales
(OCDE, Union européenne, etc.) qui vous seront accessibles (de la visite physique
à la visite de leur site).
La synthèse des données ainsi collectées se fera en suivant les différentes étapes
indiquées et en dégageant progressivement les éléments suivants :
––les principaux enjeux ;
––les caractéristiques essentielles du contexte concurrentiel ;
––les facteurs clés de succès et les stratégies gagnantes.
Ne pas hésiter à extrapoler et à anticiper sur la base des transformations de l’envi
ronnement et des mouvements stratégiques des acteurs, tels qu’ils ressortent des
éléments disponibles.
Les principales conclusions, aux différentes étapes du processus, pourront être
mises en évidence, préalablement à leur vérification et à leur validation, auprès
d’un ou plusieurs experts du secteur (spécialistes internationaux des organismes
professionnels, responsables d’entreprises impliquées, spécialistes sectoriels
d’Ubifrance ou des ambassades et organismes internationaux, etc.), qui pourront
réagir soit en répondant à un questionnaire portant sur les principales questions que
vous vous posez encore après l’exploitation des données écrites et chiffrées, soit en
critiquant la synthèse des données précédemment élaborée que vous leur aurez
envoyée en reprenant les différents points qui viennent d’être énumérés.
Les réactions recueillies permettront alors de corriger et de compléter cette syn
thèse, sans préjudice d’une seconde présentation de la synthèse ainsi revue aux
différents membres du panel d’experts contactés et d’une seconde révision de ce
texte (cf. repère 6.2 « Méthode Delphi »).
362
Analyse de l’activité dans l’espace de référence ■ Chapitre 6
L’essentiel
Pour évaluer le potentiel et les conditions de développement d’une industrie,
d’un secteur, d’un groupe d’activités, d’une activité – voire, d’un macro-segment –,
ainsi que pour positionner une organisation par rapport à ses concurrents, dans
un cadre géographique déterminé, être en mesure d’anticiper les évolutions et de
prendre les bonnes décisions stratégiques, il est nécessaire de conduire une véri
table analyse dynamique de l’espace géo-sectoriel considéré. Celle-ci se situera,
successivement, à trois niveaux, permettant de guider la collecte des données,
d’en organiser le traitement et d’en tirer des conclusions suffisamment précises
pour, ensuite, orienter la prise de décision.
L’analyse des lignes de force au sein de l’espace géo-sectoriel retenu a pour but
de mesurer le niveau d’homogénéité et d’attractivité du domaine étudié, en fai
sant ressortir, en particulier :
––les éléments qui permettent de le définir et de déterminer la dynamique de
l’activité, dans l’espace géographique retenu, en la resituant dans sa filière, en
évaluant son niveau de maturité, en analysant l’évolution de ses « grandeurs
caractéristiques » et des éléments plus qualitatifs qui influencent la structure et
les fluctuations de la demande et de l’offre ;
––l’impact de l’environnement et de l’ouverture internationale qui se traduit par
les pressions externes – politico-réglementaires, technologiques et socio-éco
nomiques –, susceptibles d’affecter sa dynamique, de manière positive ou
négative, mais aussi par la mesure de son degré d’ouverture à l’international,
en relation avec le degré de globalisation de la ou des activités concernées.
Le positionnement concurrentiel vise à mesurer l’intensité de la confrontation
interne et externe au secteur, à travers trois éléments :
––l’identification des caractéristiques du groupe concurrent dans le contexte
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
363
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
Le développement des voies d’évolution stratégiques, ouvertes à ces acteurs ou
groupes d’acteurs, requiert alors :
––la mise en évidence des facteurs clés de succès, perçus par les clients et les
prescripteurs ou susceptibles d’accroître la compétitivité des acteurs ; elle sert
de base à une réflexion sur la manière de valoriser ceux qui sont maîtrisés et
de combler les lacunes identifiées ;
––la détermination, à partir de variables pertinentes, d’un scénario moyen d’évo
lution du domaine, si celles-ci ont une évolution prévisible, ou de plusieurs
scénarios – pessimistes ou optimistes – en fonction d’incertitudes plus
grandes ;
––l’identification des stratégies gagnantes – de leader ou de suiveur, de volume
ou de différenciation –, qui serviront de référence au moment de la formulation
stratégique, pour chacun des acteurs, à la lumière de ses finalités et de ses res
sources propres.
364
Chapitre Diagnostic
7
et formulation
de la stratégie
d’internationalisation
1. Cf. cas d’application du chapitre1 : Vietnam : les défis de l’Organisation Mondiale du Commerce.
366
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
Elle s’y trouve confrontée à une série de défis portant, aussi bien, sur la composition
de son portefeuille d’activités, leur déploiement au sein de son espace de référence,
les modes de présence à y privilégier et à y faire évoluer. Et, ceci, sans préjudice des
effets que ces défis pourraient avoir sur sa gouvernance et sur sa structuration, la
nature et le niveau des ressources qu’elle pourrait mobiliser et la vision à long terme
qui serait susceptible de guider son développement futur.
Le plan du chapitre
Section 1 ■ Le diagnostic international de l’organisation
Section 2 ■ La formulation de la stratégie d’internationalisation
Cas introductif
Comin Asia à la croisée des chemins1
Par cette fin de matinée de printemps 2012, lourde et humide, dans le quartier hérissé
de grues des faubourgs d’Hanoï, où se situent les nouveaux locaux spacieux et fonc
tionnels de Comin Asia dans lesquels son siège vietnamien vient de déménager – pour
la troisième fois, au moins, et toujours pour plus grand !– les commentaires sont miti
gés sur les perspectives du marché de l’immobilier, qui représente, à ce moment, une
grande part de l’activité locale de l’entreprise. De l’étage élevé d’où on l’observe, le
spectacle des chantiers illustre bien la perplexité de Frantz, le manager de la filiale :
si certains sont en pleine agitation, les grues semblent figées au dessus des autres. La
bulle immobilière n’en finit plus d’éclater, tandis que des projets cyclopéens sortent
toujours de terre, après la tour Vatanak, au Cambodge, le plus gros de la firme, l’hôtel
le Meridien, au Vietnam, mobilise ses forces vives, dans ce pays où elle réalise désor
mais une grande part de son activité, après avoir connu dans toute la péninsule indo
chinoise une expansion impressionnante au cours des dix dernières années.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Créée par le représentant d’une famille enracinée au Cambodge depuis trois géné
rations, Comin Asia, plus connue, au départ, sous sa raison sociale cambodgienne,
Comin Khmere, héritée d’un groupe danois qui y faisait du négoce jusqu’à l’entrée
des Khmers Rouges dans Phnom Penh, l’entreprise avait repris son activité, en 1992,
repartant de zéro, à la mise en place du mandat des Nations Unies au Cambodge.
Presque simultanément, elle avait obtenu un premier contrat avec Électricité du
Vietnam, et y créait, en 1993, Comin Vietnam.
☞
1. Ce cas a été développé depuis 2004, en relation avec Dominique et Pierre-Yves Catry, ainsi que Frantz Vaganay
et leurs équipes, auxquels l’auteur tient à exprimer toute sa gratitude pour l’accueil, l’écoute et les échanges dont il
a pu bénéficier de leur part. Il a aussi tiré parti des retours des nombreux groupes d’étudiants et de participants aux
programmes de l’ESCP Europe et du CFVG, à Hanoï et à Ho Chi Minh Ville, ainsi que de l’Université Royale de
Droit et d’Économie de Phnom Penh. Sous une forme développée, avec une notice pédagogique complète, la publi
cation de ce cas sous le titre « Comin Asia », en Français et en Anglais est prévue pour 2013, avec un film
d’accompagnement réalisé avec Bertrand Louis, « Pierre-Yves ou les promesses du nouveau Cambodge ».
367
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
Mais pendant plusieurs années, c’est au Cambodge que l’essentiel de l’activité s’est
développée ; pour vendre des équipements électriques à EDC (Électricité du Cambodge)
mais aussi pour fournir en générateurs, en climatiseurs et en petit matériel électrique
les structures hôtelières et autres bâtiments à reconstruire les restaurants qui commen
çaient à s’ouvrir dans la capitale encore fantôme revenant doucement à la vie après le
départ des troupes vietnamiennes : des rues défoncées, des maisons en ruine, des jar
dins à l’abandon comme s’en souviennent encore Dominique et son fils Pierre-Yves,
venu très vite le rejoindre. Les fils pendaient encore de poteaux électriques à demi
arrachés et autour des canalisations éclatées se lisait encore la trace profonde de rigoles
asséchées de longue date.
Petit à petit, la jeune organisation, tout d’abord, essentiellement importatrice, dans
le cadre de ses activités de trading, en relation avec ses fournisseurs, comme les
Français Merlin-Gerin, l’Américain Carrier, et de nombreux autres, s’est diversifiée
vers l’installation de ces équipements importés. Elle a commencé alors à soumis
sionner à des appels d’offres portant sur des projets de plus en plus importants,
susceptibles d’atteindre plusieurs millions de dollars chacun. C’est ce qui explique
la croissance accélérée du chiffre d’affaires de l’entreprise, depuis le début des
années 2002/2004. Ainsi, cette activité de contracting n’a cessé de progresser au fil
des années, avec une implication toujours forte dans le secteur de l’énergie, se tra
duisant, notamment, par la construction de centrales électriques de moyenne puis
sance, comme celle de Kampot, aux portes de Phnom Penh, en coopération avec le
finlandais Wartsila, pour le compte d’investisseurs privés.
Depuis, Comin Khmere, a étendu son réseau de points d’appui à l’ensemble du
Cambodge, où elle est implantée dans les villes importantes, comme Siem Reap, aux
portes des temples d’Angkor, en profitant du boom touristique, mais, aussi, en
s’impliquant de façon permanente dans ce pays. L’organisation a fait de même au
Vietnam ainsi qu’en Thaïlande, avec une présence plus occasionnelle au Laos, au
Myanmar, tout en pouvant plus récemment s’étendre jusqu’aux Maldives, en portant
dans toute cette zone une grande variété de projets : centrales électriques, infrastruc
tures aéroportuaires, usines clés en mains, hôpitaux, ensembles administratifs, etc.
Progressivement Comin Khmere, avec Comin Vietnam et Comin Thai, créée en 2006,
rassemblées sous la houlette de Comin Asia, chapeautant l’ensemble, était devenue
pour les investisseurs et les équipementiers étrangers, tout comme pour les entrepre
neurs privés et donneurs d’ordre publics locaux, la cheville ouvrière de nombreuses
opérations : un véritable « facilitateur » technique, bon connaisseur du terrain, pouvant
jouer, avec une très grande fiabilité, le rôle de maître d’œuvre associé ou de sous-
traitant des plus efficaces. La reprise à un contractant local défaillant du chantier de la
nouvelle ambassade des États-Unis à Phnom Penh, dont elle n’avait pas initialement
obtenu le marché, car trop chère, a ainsi marqué un jalon – parmi d’autres – dans l’éta
blissement dans toute la région d’une réputation qui ne s’est pas démentie depuis.
C’est de son centre technique et commercial névralgique de la périphérie de Phnom
Penh, comme, désormais, à partir de ses bases vietnamiennes et thaïes, que ce
groupe d’ingénierie a été en mesure d’offrir à ses clients des solutions sur mesure,
dans des domaines aussi variés que l’énergie, l’hôtellerie, l’installation industrielle,
les infrastructures, etc. Elle maîtrise désormais des technologies très variées – élec
tricité, eau, télécommunications, ascenseurs, climatisation, systèmes de sécurité.
☞
368
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
☞
etc. –, qui s’étendent à la préservation de l’environnement et aux énergies renouve
lables. Au-delà de l’importation et de l’installation, la maintenance est devenue, en
association avec un partenaire d’origine britannique spécialisé, PCS, un domaine
d’activité prolongeant logiquement les autres, même si le concept d’entretien met
du temps à faire son chemin auprès de la clientèle locale.
Après les dix premières années de son existence, au cours desquelles le chiffre
d’affaires ne dépassait guère le million de dollars, l’activité a rapidement décollé,
bondissant de 5 millions de dollars, puis à 20, en 2004-2006, pour plus que tripler
au cours des années suivantes, essaimer vers la Thaïlande, en y « suivant » un client,
promoteur dans le secteur du tourisme, qui voulait y développer des resorts, et, sur
tout, pour connaître au Vietnam une explosion de ses marchés.
Une croissance aussi rapide, s’appuyant sur un encadrement constitué d’expatriés
européens mais également asiatiques – particulièrement des Philippins, qui jouissent
là-bas d’une grande réputation de sérieux, de fiabilité et de souplesse vis-à-vis de la
main-d’œuvre locale –, n’a pas manqué de soulever des difficultés : de recrutement,
de fidélisation des équipes, de financement face à des clients – étrangers et, surtout,
locaux –, exigeants mais peu enclins à s’acquitter ponctuellement de leurs règle
ments aux échéances contractuelles.
Avec un système bancaire encore embryonnaire, difficile pour Comin Asia d’obtenir
les crédits nécessaires et même les services financiers de base – paiements, garan
ties, facilités de caisse, couvertures de risques, etc. Ces concours devenaient de plus
en plus pressants, du fait de la multiplication des opérations d’étude technique, de
négoce, ou d’installation, suscités par la montée en puissance de ses besoins
d’exploitation comme des investissements nécessités par cette rapide expansion !
Heureusement que certains fournisseurs – européens, notamment – acceptaient de
n’être payés que lorsque Comin Asia était, elle-même, réglée.
Face à elle, une concurrence, bien réelle, constituée d’acteurs locaux, cambodgiens,
vietnamiens ou thaïs et, désormais, d’acteurs chinois, peu chers et de plus en plus effi
caces. Une autre concurrence, aussi, plus virtuelle, provenait d’équipementiers et
d’acteurs occidentaux, plus « autonomes », en mesure de prendre en charge l’ensemble
de la réalisation des projets. Dans ce « groupe concurrent », se remarquait déjà, au début
des années 2000, une entreprise similaire, RM Asia, créée, elle aussi, au Cambodge, il y
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
a un peu plus de vingt ans, au profil et au parcours longtemps parallèle au sien, pouvant
se réclamer d’une qualité de service comparable, et qui allait, finalement, la retrouver.
Comin Asia a, en effet, en 2011, intégré le groupe RM Asia qui a connu, quant à lui, une
considérable expansion, à l’image de ces économies à croissance rapide, familières de
la démesure, puisque son chiffre d’affaires avoisine le milliard de dollars.
RM Asia, a, en effet, bénéficié à plein du formidable essor de la région, s’étant
considérablement développée au cours des cinq dernières années, en particulier,
dans le secteur automobile, dans le matériel et les équipements de chantier, comme
agent, d’abord, puis en association avec Ford, Land Rover et d’autres constructeurs
pour adapter leurs véhicules aux conditions difficiles d’exploitation locale, pour le
compte d’une nombreuse clientèle privée et publique. Présente aussi dans l’engi
neering, elle est surtout, devenue leader dans le secteur du facility management,
autrement dit de la gestion déléguée des fonctions support des organisations et des
structures projet (notamment les bases vies). Installée très tôt en Afghanistan, elle y
☞
369
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
a connu une croissance remarquable Ce développement « tous azimuts » a procuré
à RM Asia une puissance financière qui offre à Comin Asia, désormais dans son
giron, un soutien précieux, tant sur le plan financier que sur le plan organisationnel,
en lui donnant accès à l’expertise des dirigeants internationaux de haut niveau
qu’elle a pu s’adjoindre et qui, désormais, lui assurent leur concours dans certaines
fonctions clé comme la finance, l’organisation et le contrôle de gestion.
À l’heure actuelle, avec un millier de collaborateurs environ, Comin Asia et ses
filiales s’intègrent au groupe RM Asia, notamment, au Vietnam, où les deux organi
sations font jouer leurs synergies dans leurs différents domaines d’activités. Celles-ci
se manifestent, en particulier, à l’occasion de la soumission aux appels d’offres
importants, pour lesquels la première se heurtait à un problème chronique d’« éli
gibilité » ; dans la mesure où elle ne présentait pas une taille et une surface finan
cière suffisantes pour être sélectionnée et, a fortiori, être retenue comme contractante
principale. De son côté, Comin Asia, apporte, entre autres compétences et expé
riences, à RM Asia, sa connaissance approfondie de l’environnement vietnamien et
ajoute à son portefeuille d’activités locales, la représentation des firmes automobiles
et d’équipements auxquelles RM Asia souhaite bénéficier de son expérience.
Au-delà du renforcement de sa position dans la péninsule indochinoise, au
Cambodge, au Vietnam, en Thaïlande ainsi qu’au Laos et au Myanmar, l’ex-Birmanie,
qui semble enfin s’ouvrir, les perspectives de développement géographique peuvent
aussi s’élargir à d’autres espaces voisins, y compris la Chine, vis-à-vis de laquelle le
Vietnam peut jouer dans certaines activités le rôle de base arrière pour des organisa
tions chinoises qui souhaiteraient y délocaliser certaines activités.
Après avoir connu une période de « décollage », à partir de 2006, Comin Asia vient
donc de connaître sa période d’« atterrissage » en opérant cette importante muta
tion qui lui ouvrira sans aucun doute de nouvelles perspectives dans un cadre
élargi.
Comment décrire le cheminement de Comin Asia, au fil des vingt-cinq dernières
années ? Comment distinguer les périodes successives de son développement ? Quels
ont été les moments clés de son évolution ? Comment s’est transformé son modèle
d’affaire au fil de ces périodes ? Sur quels avantages compétitifs – particulièrement,
par rapport à ses concurrents – s’est bâtie sa croissance et son succès ? À quelles pro
blématiques se trouvait-elle confrontée, en 2006 ? en 2010 ? Dans quel espace de
référence ? Qu’est ce qui a poussé ses dirigeants, dès l’origine, à s’établir simultané
ment dans ces deux pays ? Puis à se développer de façon ponctuelle et/ou perma
nente dans les autres pays de la « zone du Grand Mékong » ? À quelle étape de son
développement international – internationalisation initiale, développement local ou
multinationalisation - se trouvait l’organisation, en 2005 ? en 2008 ? en 2011 ? Qu’est
ce qui a pu, au fil de ces périodes, d’une part, faciliter, d’autre part, freiner, la poursuite
de son internationalisation ? Quelles forces et quelles faiblesses fonctionnelles pou
vaient ressortir de la situation de l’organisation entre 2006 et 2011 ? Quelles nouvelles
perspectives s’ouvrent désormais à elle depuis son intégration au groupe RM Asia ?
Comment les deux organisations peuvent-elles tirer le meilleur parti de leurs atouts res
pectifs ? Dans quel espace de référence ? Pour quelles activités ?
370
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
Section
1 Le diagnostic international de l’organisation
Le diagnostic international de l’organisation est donc destiné à évaluer les res
sources et les lacunes de l’entreprise dans une perspective d’expansion dans l’espace
de référence retenu au départ de l’audit.
Comme l’analyse du cas introductif l’a fait ressortir, Comin Asia développe une
dynamique d’ouverture et de saisie d’opportunités qui la situent sans ambigüité
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
parmi les organisations proactives qui n’hésitent pas, non sans précautions, à dépas
ser les limites de son espace de référence initial, le Cambodge et le Vietnam. Et,
au-delà de cette dynamique, c’est tout ce que traduit cette dynamique – l’identifi
cation des incitations à l’internationalisation, des forces et faiblesses, des avantages
et des handicaps – qui contribueront, sur la base des enseignements de l’analyse
externe, à inscrire la formulation de la stratégie d’internationalisation dans le champ
des possibles.
C’est donc sur la base de l’exemple de cette organisation, associé à d’autres illus
trations, que l’on va s’attacher à structurer, en préalable à la formulation de la
stratégie d’internationalisation, le diagnostic international et ses deux compo
santes : tout d’abord, la dynamique d’internationalisation et, ensuite, les forces et
faiblesses fonctionnelles à prendre en compte, comme les atouts à valoriser et han
dicaps à combler, particulièrement par rapport à la concurrence.
371
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
c Repère 7.1
La démarche de segmentation stratégique1
La segmentation stratégique dans une industrie ou une entreprise peut être évidente,
dans les cas où il existe des familles de produits ou des couples produits-marchés clai
rement identifiés. Dans de nombreux cas – par exemple ceux du service informatique
ou des télécommunications – cette segmentation peut être difficile à opérer. Aussi
s’aide-t-on fréquemment d’un système de représentation à trois axes2 qui permet
« d’éclater » les activités d’une entreprise ou d’une industrie selon trois dimensions qui
sont généralement :
☞
1. Adapté de : G. Petit, document pédagogique INT. Voir aussi E. Milliot, “La segmentation stratégique revisi
tée », Actes du Colloque Atlas-AFMI, Paris, 26-27 Mais 2011.
2. Dit « schéma de Abell », du nom de son promoteur, Derek Abell (voir bibliographie).
372
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
☞
––les technologies de base (technologies de procédé ou de produit) mises en œuvre ;
––les applications développées -ou fonctions d’usage du client-, satisfaites à partir des
technologies et produits ou services mis en œuvre par l’entreprise ou l’industrie ;
––les groupes de clients servis ou susceptibles de l’être.
Chaque « cellule élémentaire » résultant du croisement des trois axes retenus se carac
térise par un « mix homogène et spécifique de facteurs clés de succès », tant techno
logiques que marketing et managériaux. On peut, ensuite, regrouper au sein de
domaines d’activité stratégiques les segments élémentaires qui partagent un grand
nombre de facteurs clés de succès communs.
environnement
second œuvre
équipement
électrique
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Applications
clients investisseurs
Appels d’offres
importation locaux étrangers
installation Clientèles
maintenance
J.-P. Lemaire
–– Sur l’axe des clientèles, tout d’abord, les clientèles de départ, « petits clients locaux » –
commerces et petites entreprises- se sont rapidement élargies aux donneurs d’ordres publics
(cf. Électricité du Cambodge, Électricité du Vietnam) et, aujourd’ui les grands groupes
373
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
publics, comme PetroVietnam, les clients privés locaux (entreprises et riches particuliers),
les investisseurs directs étrangers (usines ou ateliers clés en mains, équipements hôte
liers…) ; les grands projets constituant désormais une part importante du chiffre d’affaires.
–– Sur l’axe des technologies, la génération et la distribution d’électricité demeurent des
activités « cœur » pour l’organisation (qui possède, d’ailleurs, une division « power »).
De leur côté les activités de second œuvre se sont beaucoup élargies :de l’épuration et
de la distribution d’eau et de la climatisation, aux ascenseurs, réseaux de télécommu-
nication et systèmes de sécurité. Enfin, de toutes nouvelles sont apparues, comme les
énergies renouvelables et les équipements antipollution.
–– Sur l’axe des applications, enfin, l’importation (aujourd’hui division « trading »), acti
vité de base de Comin Asia, tout en continuant à être une activité clé, laisse le meilleur
à l’installation, qui est représentée par la division « contracting » et par la division
« power », déjà mentionnée. La maintenance commençe à prendre de l’ampleur depuis,
surtout, la constitution d’un partenariat avec le spécialiste PCS.
Au sein de ces différents axes et entre eux, les synergies sont nombreuses, que faci
litent la constitution de plateformes technico commerciales ou hubs, à l’image du
regroupement initial qui s’était fait dans les nouveaux locaux de Phnom Penh, rappro
chant les équipes des différents DAS – trading, power, contracting, maintenance –. A
été envisagé ensuite, la création de hubs fonctionnant sur le même modèle, l’un à domi
nante contracting, à Phnom Penh, l’autre à dominante Power, à Ho Chi Minh Ville. Et
il est vraisemblable que l’intégration entre RM Asia et Comin Asia donne le signal
d’une nouvelle distribution des activités pour maximiser les synergies entre elles.
Dans le contexte d’économies plus matures, l’axe des technologies demeure
moteur, du moins dans un certain nombre d’activités où elles « tirent » la demande ;
les nouvelles technologies de la communication et les énergies renouvelables,
notamment. Ce seront le renforcement ou l’apparition de certains segments de clien
tèle, de nouvelles applications, ou encore, la mise à profit de synergies latentes qui
stimuleront la croissance ou la reprise.
374
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
375
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
LOCALISATION
FORCES DE GÉO-CENTRAGE
376
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
CAMBODGE
HAUTE
VN
THAILANDE
LAOS
MALDIVES
MOYENNE MYANMAR
FAIBLE CHINE
INDONESIE
377
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
progression avait été souvent freinée par les obstacles plus nombreux et plus
importants qui existaient alors. Elle avait donc pu prendre des décennies, nécessi
tant donc de recourir à une chronologie portant sur des périodes beaucoup plus
longues, avec des évolutions moins marquées.
• À l’inverse, pour les born globals, qui, dès leur création, mettent en place un
modèle d’affaire nécessitant d’être implantées dans plusieurs localisations
simultanément, comme l’agence Magnum photo3 ou ESCP Europe4, ou qui
378
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
travail –, mais où les opérations ont pu être, ensuite, poursuivies sur des bases perma
nentes. Un peu plus tard, une série de projets importants ont pu même être menés à bien
aux Maldives, démontrant que l’organisation avait, en très peu de temps, acquis cette
« capacité de projection » qu’elle doutait encore de maîtriser quelques années aupara
vant. Elle se trouvait confrontée, cependant, à la difficulté de gérer simultanément trois
entités distinctes, dans trois pays différents, face à une progression impressionnante de
leurs chiffres d’affaires respectifs.
–– Depuis 2011, les efforts de rationalisation ont déjà permis de mieux coordonner les
trois implantations permanentes, d’harmoniser les procédures et de consolider l’orga
nisation. L’intégration à RM Asia va conduire à l’adoption de règles plus rigoureuses
et d’un management plus intégré, qui vont pouvoir être partagés entre les différentes
structures du groupe et permettre à celui de déployer ses différentes compétences – y
compris celles apportées par Comin Asia – dans un espace de référence et d’expansion
sensiblement élargi.
379
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
2011+
Accès réseau
RM Asia
Ensemble de l’Asie
2006-2010 MULTINATIONALISATION
implantation /GLOBALISATION
Thaïlande
Projets Maldives
2002-2006 Activités sur plusieurs pays
Internationalisation plusieurs continents, ou
occasionnelle : sur le monde entier
Laos, Birmanie... DÉVELOPPEMENT LOCAL s’appuyant sur des structures
(go native) coordonnées et harmonisées
J.-P. Lemaire
1. Douglas S.-P, Craig C.-S., « Évolution of Global Marketing Strategy : Scale, Scope and Synergy », Columbia
Journal of World Business, Fall 1989.
2. Voir repère 4.1. La théorie OLI.
380
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
clientèle, en suivant hors frontières les clients de son espace d’origine (stratégie,
« follow the customer »)1.
• Mais ce pourra être aussi, lorsque son marché d’origine est quelque peu saturé ou
cyclique, limitant ou menaçant son développement domestique, que l’organisation
se sentira « poussée » hors de ses frontières ; sutout si elle bénéficie du soutien et
des encouragements étatiques à l’export et à l’internationalisation, en particulier
sous la forme de subventions propres à faciliter leur expansion2.
• Enfin, un « déclencheur » important de l’internationalisation initiale d’une organi
sation réside, de plus en plus, dans la nécessité de prévenir ou de réagir à la
menace de la concurrence étrangère, à court, moyen ou long terme, sur son propre
marché d’origine, même si elle se trouve en situation de domination monopolis
tique ou oligopolistique.
groupe.
1. Les banques ont été fréquemment amenées à accompagner leurs clients à l’étranger et à concevoir pour eux
de nouveaux services, inexistants jusqu’alors ou développés dans des conditions bien différentes. Ce fut notamment
le cas, dès la fin des années 60, des banques américaines, qui durent créer, presque de toutes pièces, des services de
cash management, de manière à faciliter les transferts de fonds intra-européens et Europe/États-Unis de leurs clients
américains, qui n’avaient pas trouvé, alors, à satisfaire ce besoin, dans un climat de suffisante « intelligence cultu
relle », auprès des établissements financiers du Vieux Continent (cf. J.P. Lemaire et P.B. Ruffini, Vers l’Europe
bancaire, Dunod, 1993).
2. En France et aux États-Unis, les industries d’armement et l’industrie aérospatiale ont pu bénéficier de plus de
70 à 80 % des subventions à l’industrie.
381
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. Ainsi, pour les industries biomédicales (équipements médicaux, imagerie, instrumentation), la présence des
entreprises européennes du secteur sur des marchés de référence, comme les États-Unis, connus pour le niveau de
la technologique et des exigences des utilisateurs, se justifie en grande partie par le souci de se prémunir des avan
cées déjà réalisées par la concurrence américaine et susceptibles d’être rapidement transférées sur les marchés
européens (source : Snitem, syndicat français des industries bio-médicales).
2. Voir chapitre 4, « Déterminants externes et incitations internes à l’internationalisation »
382
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
Opérant dans le service de proximité, le groupe s’est d’emblée considéré comme multi-
local, tout en constituant un réseau international, lui permettant de « suivre ses clients »,
leaders mondiaux de leur secteur, comme Nestlé ou Kraft Foods (et 80 % des 20 premiers
groupes de l’alimentaire et de la distribution). C’est donc sous des formes appropriées,
que commande la nécessité de s’adapter à des contextes très différents et à des réglemen
tations très hétérogènes, et avec une organisation répondant à ces conditions différentes
qu’Eurofins installe sa domination sur son secteur dans le monde
Le groupe s’est d’abord essentiellement développé en Europe, qui représente encore plus
de la moitié de son chiffre d’affaires, en multipliant les acquisitions, avant de s’intéresser
aux pays émergents, à partir de 2006 ; où il commence par l’Europe Centrale et Orientale,
en train de s’aligner sur les normes européennes. Mais au Brésil, en Chine, en Inde, à
Singapour et en Thaïlande, il renonce à la croissance externe, faute de cibles locales aux
standards européens. La création de laboratoires ex nihilo a donc été privilégiée : cinq en
Chine, prioritaire, deux, en Inde, sur les quinze ouverts depuis 2010. En dépit du coût
élevé d’investissement, comme d’exploitation de chacune de ces implantations, la crois
sance va s’y poursuivre.
Mais d’ores et déjà, l’« internalisation » commence à faire évoluer l’organisation sur
la voie de la multinationalisation, puisque, par exemple, la R & D, – certes, adaptée à
chaque environnement – est la priorité mise en avant par le groupe, et que le dévelop
pement international est orchestré par une cellule d’experts qui évalue les opportunités
en permanence. Pour son PdG, Gilles Martin, « le monde est devenu notre terrain de
jeu ». Ce qui n’empêche pas les laboratoires de continuer à y jouir d’une certaine auto
nomie.
vilégie les approches locales, sans systématiquement rechercher les bénéfices qui
proviendraient d’une approche plus large.
• S’y associe la nécessité de disposer de systèmes d’information étendus, perfor
mants et intégrés, dont la capacité à enregistrer, traiter et transmettre constitue,
pour les organisations concernées, un élément vital de leur survie comme de leur
expansion, à cette échelle.
• S’y ajoute, comme pour Eurofins, ci-dessus, dont cela hâtera l’adoption d’une
organisation multinationale, l’apparition de « clients globaux », opérant eux-
mêmes dans de nombreux pays, suivant un modèle déjà multinational, dans une
perspective qui s’apparente beaucoup, à un niveau plus élevé de déploiement géo
graphique, à la logique follow the client, déjà retenue comme un des principaux
« déclencheurs » de l’internationalisation initiale.
383
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
Capacité d’optimisation Accès à des zones de maturité/ Mise à profit d’une image de qualité
des approvisionnements de besoins comparables dans une zone élargie
Adapté de Dunning
384
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
c Repère 7.2
Les trois niveaux d’approche du diagnostic international
385
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
Exemple 7.7 – Comin Asia (3), l’application du diagnostic à l’approche des trois phases
Ces trois types de diagnostic peuvent être successivement appliqués à Comin Asia, en
suivant la progression de son internationalisation, au fil de sa chronologie/timeline, telle
qu’elle ressort du cas, à l’approche de chaque « seuil » qu’elle aura franchi ou pourra
franchir :
–– en 2002-2006, dans une perspective d’internationalisation initiale (phase 1, « first
landing »), lorsque ses dirigeants ont commencé à craindre une saturation des marchés
des deux pays constitutifs de son espace de référence initial (baisse des relais de crois
sance au Cambodge, montée de la concurrence locale et étrangère au Vietnam) et ont
manifesté leur intérêt pour une première diversification géographique vers le Laos, la
Birmanie, la Thaïlande, à travers quelques opérations ponctuelles ;
–– en 2006-2010, dans une perspective de développement local (phase 2, « go native »),
lorsque l’organisation a pu développer suffisamment ses capacités à « projeter » ses
équipes au-delà de cet espace initial, en tablant sur le succès de son implantation en
Thaïlande et sur celui d’une série d’opérations ponctuelles plus importantes, comme
les différents projets réussis aux Maldives (sans que la taille du marché y justifie une
présence permanente) ;
–– depuis 2011, dans une perspective de multinationalisation (phase 3), en s’appuyant sur
l’expérience et le réseau que possède son repreneur RM Asia, dans un espace de réfé
rence élargi à la faveur de l’ intégration des deux organisations, permettant une ratio
nalisation d’un certain nombre de fonctions et une expansion géo-sectorielle à plus
large échelle, en mettant en place une coordination, une intégration, une optimisation
de leurs activités.
386
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
c Repère 7.3
Les points clés du diagnostic fonctionnel d’internationalisation initiale
(diagnostic préalable)
••Produit/Production :
––compétitivité du produit (design, technologie, prix, qualité, etc.) ;
––« plus » produit (image, reconnaissance des performances, etc.) ;
––adaptabilité (capacité à adapter le produit aux spécificités locales) ;
––potentiel d’économies d’échelle, niveau de coût (intérêt d’une délocalisation) ;
––transférabilité de la technologie et du savoir faire (à des licenciés, sous-traitants, etc.) ;
––capacité de production disponible (besoins permanents/occasionnels de sous-
traitance)…
••Marketing/Vente :
––intérêt spontané au-delà des frontières (niveau de diffusion du produit) ;
––transposabilité du succès national (et des approches marketing) ;
–– connaissance de l’environnement concurrentiel (dans le/les paysenvisagés ) ;
–– éventuelle compétence internationale des vendeurs (accès aux réseaux, pratique de la
négociation dans d’autres pays/contextes) ;
–– relations avec des prescripteurs internationaux ;
–– partenariats possibles à l’étranger (portage commercial1 – piggy back –, distributeurs
privilégiés, etc.).
••Finances :
–– ressources d’investissement disponibles ;
––niveau de la trésorerie ;
–– attitude des banques, des actionnaires, etc. ;
–– capacité d’endettement, de mobilisation de capitaux permanents, etc. ;
–– maîtrise des règlements internationaux ;
–– niveau des stocks requis ;
–– accès aux aides et soutiens publics (pays d’origine, organismes multinationaux, régio
naux ou mondiaux, autorités locales des pays considérés etc.).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
••Stratégie/ressources humaines/organisation :
–– coordination possible des activités domestiques et internationales (lissage de l’activité,
saisonnalité, etc.) ;
–– compétences, capacité de mobilisation des personnels à l’international (formation,
heures supplémentaires, procédures dérogatoires, etc.) ;
–– réactivité face aux changements de l’environnement ;
–– capacités relationnelles, ouverture au partenariat ;
–– volonté d’internationalisation des dirigeants.
1. Le portage ou piggy-back, permet à une organisation sans expérience de l’exportation –en général ou dans un
espace d’expansion qui ne lui serait pas familier- de s’appuyer sur une autre organisation déjà implantée. Les pro
duits de la première sont alors pris en charge par la seconde, dans l’espace ou les espaces considérés, et bénéficient
de son réseau de distribution.
387
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
c Repère 7.4
L’audit export (diagnostic séquentiel)
(applicable aussi aux licences et aux franchises, sous réserve des adaptations néces
saires)
••La maîtrise de l’amont : capacité à prendre en compte les contraintes (marketing, risques,
financements, composantes juridiques et fiscales, logistiques, etc.).
••La maîtrise de la négociation : capacité à prendre en compte les enjeux (composantes
multiculturelle, tactique, juridique, marge de négociation, etc.).
••La maîtrise de la réalisation : capacité d’organisation (administration des ventes, coordi
nation interne/externe, suivi des financements, règlements, risques et garanties).
••Le diagnostic de capacité à s’implanter sur un ou plusieurs marchés extérieurs, préalable
à la phase 2, s’appuie sur une grille d’analyse comparable des différents points figurant
dans le diagnostic fonctionnel et dans le diagnostic séquentiel, faisant ressortir les forces
et les faiblesses de l’organisation envisageant de s’engager de façon durable dans un cer
tain nombre de zones géographiques, dans le but de commercialiser et/ou de fabriquer/d’y
faire fabriquer, voire d’y concevoir, tout ou partie de ses composants et de ses produits
finis.
388
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
c Repère 7.5
Les points clés du diagnostic d’implantation1
Analyse de même nature mais plus approfondie que le diagnostic fonctionnel d’interna
t ionalisation initial, avec une insistance particulière sur les trois éléments suivants :
••La capacité à apprécier les risques et les besoins en ressources associés :
––à chaque choix de pays ;
––à chaque mode de présence.
••La capacité à mobiliser les ressources nécessaires :
––sur le plan financier (investissement/exploitation) ;
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389
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
Au niveau du siège
Compétences managériales
Volonté de et fonctionnelles Capacité à formuler
s’internationaliser Ressources financières une offre adaptée
et techniques
Au niveau local
390
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
391
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. Comme celle des voitures allemandes, particulièrement haut de gamme, aux États-Unis ou des produits de
luxe français, au Japon et aux États-Unis
2. Comme pour la téléphonie mobile, dans les économies en croissance rapide, alors même que les besoins sont
en augmentation exponentielle, (comme dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Est)
3. Lorsque, par exemple, des protocoles financiers favorisent certains types d’opérations d’exportation ou
d’infrastructure, en les subventionnant directement, (ainsi, l’équipement de certains pays en développement, parmi
les plus pauvres, dans le cadre de l’OCDE)
4. À caractère régional (Banque européenne d’investissement, BERD, etc.) ou mondial (Banque mondiale, AID,
Société financière internationale, etc.)
5. Dans le cadre d’une approche «focalisée», il aurait été aussi possible d’effectuer cette même comparaison
– pour L’Oréal, opérant dans le secteur des cosmétiques, en Inde, (cas introductif du Chapitre 6)
– pour Big C (Casino), dans le secteur de la grande distribution au Vietnam, pour « La Cimenterie Nationale
(Liban) » (à paraître, l’un et l’autre, à la CCMP, voir bibliographie),
– ou encore, pour Elton, dans celui de la distribution d’hydrocarbures dans la «sous région», de l’Afrique de
l’Ouest francophone (exemple 4.13, présenté dans le Chapitre 4).
392
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
Arcor1. L’approche sera similaire, mais dans un espace géo-sectoriel beaucoup plus
large, couvrant l’ensemble des zones et impliquant les principaux acteurs mondiaux.
Dans les deux cas – et, tout d’abord, celui de Comin Asia, ci-dessous –, on repérera
donc les facteurs clés de succès à maîtriser selon qu’ils sont liés à l’offre ou à la
demande et les acteurs de référence à retenir (c’est-à-dire, outre l’organisation auditée,
ceux qui sont les plus représentatifs de la concurrence). On en déduira donc, pour
celle-ci, les FCS qui peuvent être considérés comme des avantages compétitifs dans la
mesure où cette organisation les maîtrise mieux que ses compétiteurs de référence.
Exemple 7.8 – Comin Asia (4), le degré de maîtrise des facteurs clés de succès
Dans son espace de référence du Sud Est asiatique, Comin Asia, se trouve confrontée à
plusieurs groupes principaux d’acteurs :
–– Les acteurs locaux, le plus souvent de petite taille, comme au Cambodge, qui disposent
de deux avantages compétitifs principaux, liés, l’un comme l’autre, à la demande :
––d’une part, leur insertion dans les réseaux locaux (notamment dans les cercles du
pouvoir), qui leur permet de bénéficier d’un accès privilégié aux décideurs, comme
de tirer parti de leur « proximité culturelle » ;
––d’autre part, leur plus grande compétitivité prix (aux dépens de la qualité, parfois).
–– Les acteurs originaires de la Triade, comparables à Comin Asia, mais, presque tou
jours de plus grande taille, comme Cegelec, du groupe Vinci, lequel est parfois son
client, mais qui n’est pas directement implanté sur place, et le groupe RM Asia, repre
neur de Comin Asia en 2011, très présent au Cambodge, mais moins présent au
Vietnam. L’un et l’autre présentent des complémentarités avec Comin Asia : très com
parables à elle pour les FCS liés à la demande, pouvant seulement être plus compétitifs
en prix du fait de leur taille et de leur capacité de négociation des approvisionnements.
L’un et l’autre sont mieux positionnés pour les FCS liés à l’offre, dans la mesure où ils
possèdent une taille et une surface financière bien supérieure. Bien engagés dans la
phase de multinationalisation, ils disposent d’expertises organisationnelles de tout pre
mier plan, dans le cadre d’un déploiement géographique et à un niveau d’intégration
déjà très développé.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
D’autres groupes concurrents, non pris en compte dans la figure ci-dessus, seraient à
considérer dans les années à venir, comme les grands groupes d’ingénierie régionaux
– chinois, indiens, mais aussi, thaïs, malaisiens, indonésiens, etc. –, qui entreraient dans
la catégorie des « champions internationaux » des économies à croissance rapide. Dans
le contexte d’ouverture de la région (cf. ASEAN) ils peuvent déjà soumissionner aux
appels d’offres de l’espace de référence retenu, en présentant les avantages compétitifs,
à la fois, comparables à ceux des groupes locaux, comme à ceux des groupes originaires
de la Triade ; quoique, dans l’un et l’autre cas, là encore, à un moindre niveau.
1. Dans le cadre d’une approche «tous azimuts», il aurait été aussi possible de le faire de même - pour Cemex,
pour le secteur cimentier mondial (cas introductif du Chapitre 1),
– pour ESCP Europe et le secteur global de l’enseignement supérieur de gestion.
– pour HP, pour le secteur global des PC et terminaux informatiques (Cas d’application du Chapitre 5)
– ou encore pour Yara, pour le secteur global des engrais (cas d’application du Chapitre 8)
393
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
FCS À MAÎTRISER 1 2 3 4 5
Image/Fiabilité contractuelle
Compétitivité prix
Couverture géographique
Financement du développement
Adaptabilité organisationnelle
Acteur Comin RM
Facteur clé de succès lié à la demande local Asia
Facteur clé de succès lié à l’offre Asia
J.-P. Lemaire
À l’issue de cette analyse interne permettant de passer en revue, sur un plan dyna
mique, les différentes dimensions de l’organisation auditée, doivent ressortir plus clai
rement, tout d’abord les avantages compétitifs traduisant les atouts que celle-ci a su
déjà mettre à profit dans l’espace de référence d’expansion retenu, comme les handi
caps qui lui restent à combler qui participeront de la formulation de la SDI.
Section
2 La formulation de la stratégie
d’internationalisation
Ce sera l’objet de cette nouvelle étape de l’audit d’internationalisation que de
mettre en évidence les orientations majeures à envisager dans l’espace de
référence/d’expansion retenu – sans préjudice des ajustements ou des révisions pro
fondes à opérer au niveau des finalités ou options de base de son modèle d’affaire et
de son système de gouvernance adoptés jusque-là –. Il sera, dès lors, possible de défi
nir ou de redéfinir les orientations de son développement à considérer régulièrement
– sinon de façon permanente – dans cet espace (« Quoi ? », « Où ? », « Quand ? » et
« Comment ? »), sans perdre de vue les évolutions parallèles de ses options de base,
autrement dit de son modèle d’affaire et de sa stratégie d’ensemble.
394
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
1. Cf. figure 5.4 « Organisation réactive ou pro active face à l’ouverture internationale ? »
395
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. Cf. cas d’application, chapitre 3 : le secteur automobile européen, ceux qui rient et ceux qui pleurent.
2. Voir, supra, section 1, tableau des DAS de Comin Asia.
396
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
Asia. Dans d’autres secteurs, comme la banque, la croissance externe peut être
systématiquement privilégiée, surtout dans les zones où le marché est déjà saturé
ou celles, plus émergentes, où les autorités estiment – comme au Mexique ou en
Europe de l’Est – que la prise de contrôle par des acteurs issus ces économies
matures est le meilleur moyen de mettre rapidement le secteur à niveau1.
Ces exemples, comme ceux de bien d’autres organisations, permettent aussi de
souligner que ces finalités et options de base qui sous-tendent le modèle d’affaire
s’inscrivent dans une logique qui procède aussi bien de l’analyse externe que de
l’analyse interne et expliquent les ajustements qui peuvent affecter et faire évoluer
ce modèle de façon progressive et même, parfois rapide. Ils soulignent donc la
remise en cause permanente des options de base du modèle d’affaire de l’organisa
tion que suscite l’ouverture internationale.
Rentabilité /
Recentrage / Masse critique
Court/Long
Diversification
terme
FINALITÉS
Préférences permanentes
des dirigeants Autonomie/
Croissance
Culture d’entreprise Partenariat
externe/organique
Attitude vis-à-vis du risque
Modalités de valorisation :
- des avantages spécifiques
- des avantages de localisation
- des avantages d’internalisation
J.-P. Lemaire
397
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. Comme, l’abandon de l’activité biscuits par Danone, en 2007, pour un recentrage sur le pôle santé, la nutrition
infantile et médicale.
398
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
En définitive, ces trois séries de facteurs – les finalités1 de l’organisation, son envi
ronnement géo-sectoriel2 et diagnostic international3 faisant remonter son niveau de
ressource –, déterminent les grandes orientations à l’international, en agissant sur les
trois séries d’avantages mis en évidence par la « théorie éclectique, OLI »4, pour
préciser les orientations qui structureront la formulation de la SDI :
––l’avantage spécifique, en prenant position sur la nature des activités à privilégier,
des prestations et/ou des produits et services, leur renouvellement, leur qualité,
leur développement ; ce qu’a recherché Comin Asia, en développant, par exemple,
ses offres dans le domaine des énergies renouvelables ;
––l’avantage de localisation, en élargissant (ou en restreignant) l’espace de réfé
rence, en fonction de l’évolution de l’attractivité que présentent les différents
zones géo-sectoriels accessibles pour l’organisation ; comme ce pourrait être bien
tôt le cas, pour Comin Asia, si, entre autres oppoprtunités géographiques, l’ouver
ture et la démocratisation de Myanmar se confirmait ;
––l’avantage d’internalisation, en conduisant à une coordination, harmonisation et
optimisation de l’organisation ; ce qui dans notre exemple procéderait de l’intégra
tion de Comin Asia au groupe RM Asia, en termes de complémentarité de gamme
et d’implantations locales, de synergies commerciales, comme d’optimisation de
la chaîne de valeur.
Ces orientations stratégiques internationales se déclineront donc dans le cadre de
la formulation stratégique d’ensemble à appliquer dans l’espace de référence et/ou
d’expansion retenu par l’organisation, comme en termes de,
––produits et processus à privilégier (Quoi ?) ;
––localisations cibles à sélectionner, pour vendre et/ou pour produire (Où ?) ;
––rythme à imprimer au développement de l’organisation (Quand ?) ;
––modes d’entrée à adopter ou à faire évoluer au fil du temps (Comment ?).
Pourquoi ?
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Quoi ? Où ?
SDI
Quand ? Comment ?
399
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
400
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
401
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
––le degré d’accessibilité du marché, qui détermine l’importance des obstacles ins
titutionnels ou concurrentiels à surmonter ; ce qui peut être illustré par le parcours
de longue haleine que doivent suivre les produits pharmaceutiques avant de pou
voir se développer sur de nouveaux marchés (du fait des procédures locales
d’homologation/autorisation de mise sur le marché) ;
––le niveau d’investissement à consentir pour espérer conquérir une part de marché
ou, plus simplement, vendre son produit dans une nouvelle zone, à l’étranger ;
certains marchés géographiques, comme les États-Unis ou l’Allemagne, nécessi
tant des années de présence et d’efforts pour séduire les prescripteurs ou les
consommateurs locaux ;
––le délai de rentabilisation espéré, plus ou moins long, suivant la durée « d’instal
lation » du produit ou du service sur le marché approché ; il peut être rapide pour
des activités en plein développement (téléphonie mobile, services internet, fast
fashion, etc.) et, à l’inverse, beaucoup plus lent pour des activités à maturité ; ceci,
bien sûr, en fonction de la localisation cible retenue.
Ainsi se dessinent, d’après Root (1987), en combinant ces quatre variables, tout
d’abord, deux grands types de stratégies de conquête de parts de marché, correspon
dant à des situations opposées et de fréquence inégale :
• D’un côté, les stratégies d’écrémage sont mises en œuvre pour tirer parti du succès
rencontré par un produit à faible durée de vie, porté par l’engouement des consom
mateurs, que l’on cherchera logiquement à diffuser rapidement et aussi largement
que possible – sur un maximum de marchés facilement accessibles –. Elles se
retrouvent fréquemment dans le domaine des biens de consommation, mais, aussi,
désormais, de certains produits technologiques, comme les smartphones1…
• De l’autre, les stratégies de pénétration s’attachent à des produits à cycle plus
long, nécessitant des investissements plus lourds et qui, par conséquent, n’autori
seront qu’une montée en puissance très progressive, en termes de nombre de mar
chés. Elles sont, le plus souvent, appliquées à des biens d’équipement lourds ou
même légers nécessitant, aussi, une certaine adaptation à la demande, comme à
l’environnement2.
Comme le montre, plus loin, la figure 7.12, les premières supposent une multipli
c ation rapide des implantations, pour la plupart peu mobilisatrices de ressources,
tandis qu’aux secondes correspondront des approches plus progressives et plus
impliquantes, nécessitant un niveau d’engagement bien supérieur de la part de
l’organisation concernée.
402
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
Par ailleurs, les deux autres types de stratégies correspondent à des situations plus
spécifiques :
• Les stratégies d’exploration obéissent au souci de prendre position sur des mar
chés encore peu accessibles, comportant, cependant, un potentiel prometteur dans
l’attente d’une ouverture probable, mais avec un horizon temporel incertain. La
présence de nombreuses entreprises occidentales en Chine a, par exemple, obéi à
cette logique au cours des années 90.
• Les stratégies de dumping, en dernier lieu, caractérisées par la vente à perte1,
peuvent répondre à des préoccupations bien différentes : ou bien elles sont occa
sionnelles, destinées à alléger, à très court terme, l’entreprise d’un excès de stock
ou bien elles procèdent d’une démarche de plus longue haleine et juridiquement
plus contestable, destinée à prendre le meilleur sur des marchés très concurren
tiels, où l’élasticité de la demande au prix est forte.
Ces deux derniers types de stratégie, comme la stratégie d’écrémage, peuvent ne
constituer que des étapes préalables à des stratégies de pénétration.
Ë Ecrémage : Ë Dumping :
- Cycle de produit court - Déstockage ou recherche
- Marchés facilement accessibles d’éviction des concurrents
- Niveau d’investissement limité - Marchés à forte sensibilité prix
- Rentabilisation rapide - Niveau d’investissement variable
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Ë Exploration : Ë Pénétration :
- Cycle produit long - Cycle produit long
- Adéquation produit /marché à définir - Marchés peu accessibles
(marchés émergents) - Niveau d’investissement élevé
- Niveau d’investissement élevé - Rentabilisation à long terme
- Rentabilisation à long terme
1. À supposer qu’elles ne tombent pas sous le coup des autorités en charge, au niveau national ou supranational,
du respect des règles de concurrence.
403
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
En règle générale, les situations ne sont guère figées, dans la mesure où toutes
peuvent se transformer, au fil des années, pour suivre l’expansion des marchés ou
même, parfois, pour faire face à un repli de l’activité là où, précédemment,
l’organisation s’était bien développée1.
Les stratégies multifonctionnelles (où l’approche de verticalisation prédomine)
mobilisent -au-delà de la seule fonction marketing- la fonction production, la
recherche et développement, la gestion des ressources humaines, les fonctions finan
cières et fiscales. Toutes ces fonctions – ensemble ou séparément –, peuvent être
prises en compte – en termes d’efficacité, d’optimisation des coûts et des charges –,
lors des différentes phases de l’internationalisation et donc être associées aux sché
mas stratégiques et organisationnels dans lesquelles elles s’inscrivent. Elles peuvent
aboutir à une véritable intégration internationale de la chaîne de valeur de l’entre
prise en mettant en œuvre une chaîne logistique, d’approvisionnement et de fabrica
tion2 associée à une répartition des fonctions support (RH, Finance, Contrôle, etc.),
l’une et l’autre optimisées.
Cette « multifonctionnalisation » des stratégies d’internationalisation, plaide en
faveur de structurations évolutives et flexibles ; ceci pour éviter, au passage d’une
phase à l’autre, de privilégier exagérément telle ou telle d’entre elles – si importante
soit-elle, comme le marketing ou la production – et de chercher trop longtemps un
dispositif efficace, aussi bien au niveau de l’organisation d’ensemble que des choix
de localisation et de mode d’entrée. C’est au niveau de la mise en œuvre que les
conséquences organisationnelles de cette évolution seront notamment évoquées.
1. L’internationalisation de la grande distribution en fournit de bons exemples, à travers les retraits de leaders
mondiaux aussi incontestables que Carrefour ou Walmart, soit parce qu’ils avaient mal évalué la demande locale ou
sous estimé la difficulté du marché (cf. Walmart, en Allemagne ou en Corée du Sud), soit parce qu’ils s’étaient
trouvés débordés par les acteurs locaux ou étrangers (Carrefour au Japon ou au Mexique). Voir Benoun M. et
Durand-Réville B., Commerce et Distribution, les chemins de la mondialisation, L’Harmattan, 2012.
2. Voir supra, Chap. 4, exemple 4.15 « GHCL, la structure éclatée ».
3. Voir exemple 7.1 «Comin Asia (1), l’évolution des DAS».
404
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
CIBLE CIBLE
GÉOGRAPHIQUE GÉOGRAPHIQUE
Nouvelle INITIALE/ ÉTENDUE/
gamme de EXTENSION EXTENSION
prestations DE GAMME DE GAMME
Ë Ë EXPANSION
NOUVEAU CONCEPT MULTIDIMENSIONNELLE
CIBLE CIBLE
GÉOGRAPHIQUE GÉOGRAPHIQUE
Gamme de INITIALE/ ÉTENDUE/
prestations CONCEPT CONCEPT
existantes TRADITIONNEL TRADITIONNEL
Ë CONSOLIDATION Ë EXTENSION Cibles
OU RETRAIT GÉOGRAPHIQUE
géographiques,
Ë Espaces de
Cibles Nouvelles référence
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géographiques cibles
traditionnelles géographiques
Quoi ?
(adaptation de la matrice d’Ansoff au contexte de l’internationalisation)
J.-P. Lemaire
405
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
406
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
ESPACE D’EXPANSION
DISTANT
Maldives
ESPACE DE RÉFÉRENCE Indonésie ?
DE PROXIMITÉ
Europe
« CŒUR »
Thaïlande
GEOGRAPHIQUE :
Laos
Cambodge
& Vietnam
États-Unis
Myanmar Chine?
Chine
Afghanistan ?
Inde
J.-P. Lemaire
407
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
correspond mieux à des secteurs dont les produits ont un cycle de vie court ; dont le
succès est lié à la mode ou dont la technologie se renouvelle rapidement. Ce qui est
le cas de nombreux biens de consommation (y compris les biens de consommation
durables, comme les téléphones mobiles1).
Quand, à quel rythme ?
Nombre de
marchés
approchés
Nombre optimal
de marchés
Temps
Source : Ayal I., Zif J., « Market expansion strategies in multinational marketing »,
Journal of Marketing, Vol. 43, printemps 1979.
408
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
Comment ?
Niveau
d’engagemement
Stratégie d’exploration Filiale/succursale
intégrée
Concession
BOT/BOOT
Entreprise
conjointe
majoritaire Filiale/succursale
Entreprise de production
conjointe Filiale/succursale
minoritaire de distribution
Stratégie de pénétration
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Cession de Franchise
licence
Contrat de Management
distribution délégué
Stratégie d’écrèmage
Niveau
de contrôle
Adapté de Yip, De Leersnyder, Root
409
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. Danone, en Chine, s’était trouvée obligée de s’associer à un partenaire local Wahaha, dont elle s’est aperçu
qu’il violait délibérément leurs accords et concurrençait directement leur entreprise commune. Voir aussi exemple
8.4. La culture de Danone au défi de la concurrence et de l’ouverture internationale.
410
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
Cas d’application
Arcor, « latino globale » familiale, envers et contre tout1 ?
L’histoire d’Arcor est, tout d’abord, l’histoire d’un rêve devenu réalité. Celui du fils
d’un modeste boulanger italien débarqué en Argentine en 1924, qui voulait devenir
le premier producteur de confiserie de son pays. C’est à Arroyito, ville de la pro
vince de Cordoba, au centre du pays, où son père s’était installé près de vingt-cinq
ans auparavant, que Fulvio Pagani inaugure, en 1951, sa première usine, qui monte
rapidement en puissance (d’où le nom « Ar-Cor », choisi pour raison sociale, pour
la compagnie qu’il crée à cette occasion).
Son créateur était, en effet, persuadé que les économies d’échelle dans cette activité
constituaient la meilleure garantie d’une productivité élevée et de coûts limités.
Avec la même conviction, il croyait que l’intégration, en amont et en aval, des dif
férentes étapes du processus de production, en y incluant la production de la quasi-
totalité des ingrédients nécessaires, pouvait assurer un niveau de qualité optimal.
Dans un pays comme l’Argentine, où les poussées inflationnistes sont fréquentes,
contrôler la production du lait et de la canne à sucre dans ses propres fermes, quitte
à en écouler le surplus sur le marché, a sans doute beaucoup contribué à sécuriser
les approvisionnements de la firme, comme à bâtir une image très positive de son
offre auprès de sa clientèle.
Ses clients, Arcor va d’abord les chercher sur tout le territoire argentin, en établissant
des relations privilégiées, à travers un réseau de distribution aux multiples ramifica
tions, avec les centaines de milliers d’exploitants de kiosques, ces très modestes points
de vente tenus par des familles. Ils sont devenus très vite les meilleurs truchements de
l’entreprise auprès de la clientèle, devenue friande des nombreuses spécialités à base
de sucre et de chocolat qu’elle lui propose : les spécialités alimentaires (sucrées et,
aussi, un peu salées), vendues sous la marque Arcor, les barres chocolatées et les glaces
vendues sous marque « Aguila », les cookies « Bagley » et les fameux « Bon o Bon »,
ces alfajores – doubles biscuits fourrés, nappés de chocolat, à la recette multiséculaire,
héritée des Arabes et importée de la province de Murcie, en Espagne et si populaires
dans toute l’Amérique Latine –. Ces détaillants, Fulvio va les « soigner », en les appro
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
visionnant avec une logistique sans faille et en n’hésitant pas à les informer et à les
former sur la gamme et sur son évolution, ne manquant pas, de son côté, d’enregistrer
les précieuses remarques qu’ils lui font remonter via ses équipes de vente.
Les premières exportations se font dès 1964, une fois la position de la firme solide
ment établie dans le pays : en Uruguay, au Paraguay, au Chili et au Brésil, les pays
limitrophes, aux systèmes de distribution si proches du sien ; mais, aussi, en Europe,
sous forme de produits à base de glucose. Les premières exportations vers les États-
Unis, le premier marché du monde, s’effectueront dès 1968 et, en 1970, le stand
d’Arcor dispose d’une visibilité maximum à la Convention Internationale de la
Confiserie, à Cologne, en Allemagne.
☞
1. Sources : E. Alejandro, I.Barbero J. Forteza Kosacoff B., and Parrth F., Going global from Latin America : the
Arcor case, McGrawHill, Buenos Aires, 2002, Ghemawat P., Rukstad M.G., Illes J.I., « Arcor : global Strategy and
Local Turbulence » Harvard Business School case, 9-704-427, Nov. 2005 et A. Etienne, N. Jing, J. Ferraro,
« Arcor’s International challenge », International Business Management report, ESCP Europe, avril 2011,
411
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
Ayant déjà réparti ses unités de production dans toute l’Argentine, avec plus de
vingt usines, la firme d’Arroyito, dans les années 1980, commence à créer de nou
veaux sites de production hors frontières, au Brésil, au Chili, au Pérou et au
Mexique. Malheureusement, Fulvio ne verra pas la poursuite de cette expansion
remarquable, puisqu’il disparaît dans un accident, en 1990. C’est son fils ainé,
Luis, entré dans l’entreprise familiale dix ans avant, qui en reprend la direction
générale et qui en poursuivra le développement, avec les mêmes principes et le
même succès.
Celui-ci se montre toujours fidèle aux principes fondateurs – économies d’échelle,
avec des usines de grande capacité et une intégration maximum, en amont comme
en aval de la filière (une grande usine d’emballage est aussi construite) –. La crois
sance organique est complétée par quelques acquisitions, comme celle du leader
chilien de la confiserie. Contrairement à ses principaux concurrents qui s’étaient
laissé absorber par les « géants » du secteur – les Nestlé, Kraft et autres Mars –, qui
commencent à s’intéresser au « cône sud » du sous-continent, Arcor décide de
mener lui-même sa propre campagne d’acquisitions en Amérique Latine. Par
ailleurs, c’est dans près d’une centaine de pays dans le monde, déjà, que depuis le
début des années 2000, Arcor écoule près de 20 % de sa production.
La crise de décembre 20011 oblige cependant Arcor à marquer un sérieux temps
d’arrêt, enregistrant un fléchissement temporaire de près de 40 % de la demande,
et devant, en conséquence, ralentir le rythme de ses usines qui travaillaient pour la
plupart, 24/ 24, 7/7. Au cours de cette période difficile, l’organisation tire pourtant
pleinement parti de son fort niveau d’intégration, ne dépendant de (presque) qui
conque pour ses approvisionnements, et assurant la distribution de ses produits
jusqu’aux détaillants. À leur demande, les prix sont adaptés, autant que faire se
peut, sans compromettre la qualité ; en réalisant des innovations qui se révèlent
payantes. Une ombre importante au tableau, cependant : l’imprévisibilité des déci
sions prises par les autorités, qui n’hésitent pas à taxer l’exportation pour éviter que
le marché domestique ne soit pas servi. Les marchés extérieurs devenaient, en effet,
beaucoup plus attractifs du fait de la dévaluation du Peso argentin et de la hausse
de la demande émanant des économies à croissance rapide, elles, en plein boom.
Malgré un endettement significatif, certes limité par rapport à la moyenne des entre
prises locales (sensiblement inférieur à 50 % des fonds propres, pour Arcor ; mais
en majorité contracté en dollars), l’équilibre financier est préservé. Mais les capaci
tés de lever de nouvelles ressources pour le développement se trouvent diminuées
pour cette entreprise dont le capital reste résolument familial.
En 2005, une alliance stratégique est conclue avec le géant français Danone s’asso
ciant au sein d’une entité commune, Bagley Latinoamerica SA, pour constituer
l’organisation la plus puissante du Mercosur pour la production et la commerciali
sation des cookies, des alfajores et des barres chocolatées.
Appartenant au premier tiers du « top 500 » des entreprises latino-américaines,
ayant réalisé un chiffre d’affaires de plus de 2 milliards de dollars, en 2010, avec,
en 2011, 22 000 employés, 40 usines -dont 29 en Argentine ; les autres en Amérique
Latine-, elle exporte désormais dans près de 120 pays, avec des bureaux commer
☞
1. Cf. cas introductif du chapitre 2, Promesas Argentinas.
412
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
☞
ciaux dans tout le sous-continent, mais également, aux États-Unis, au Canada, en
Afrique du Sud, en Espagne et en Chine.
Arcor figure parmi les pionniers argentins et latino-américains de la responsabilité
sociale de l’entreprise ; à travers, notamment, sa fondation dédiée à l’enfance, et fait
partie des organisations les plus respectées du pays et de la région.
Pour autant, les défis ne lui manquent pas, à l’intérieur comme à l’extérieur. Ainsi,
la structure de la distribution reposant sur une constellation de petits détaillants
individuels, est assez comparable dans l’ensemble des pays limitrophes. Elle s’orga
nise, cependant, bien différemment dans des pays comme les États-Unis, où il faut
traiter avec les différentes chaînes de distribution, avec lesquelles elle n’hésite pas
à passer des accords à long terme, comme avec Walmart et Sara Lee.
Il lui faut aussi être à l’écoute des tendances et consciente des différences culturelles
dans les nouvelles zones vers lesquelles elle envisage d’intensifier son expansion.
Figurant au 13e rang des industries agro-alimentaires mondiales, elle doit faire face,
hors de son pré carré où se concentre l’essentiel de sa production et de ses ventes, à
des acteurs redoutablement efficaces, à la gamme plus étendue, plus solidement
implantés dans de nombreuses économies matures. Elle doit aussi, dans les écono
mies à croissance rapide, faire face à des barrières à l’entrée, de tous ordres, difficiles
à franchir.
Pour s’implanter plus efficacement et durablement dans les unes comme dans les
autres, il lui faut envisager des investissements lourds qu’une organisation, même
saine et profitable, comme elle (en dépit de marges relativement réduites), aura de
mal à assumer seule ; sauf à parvenir à lever des fonds et à profiter de l’expérience
d’autres organisations, en poursuivant la politique d’alliances stratégiques déjà ini
tiée avec certains. Il lui reste donc, au-delà de l’Amérique Latine, du chemin à par
courir pour devenir véritablement « globale ».
Questions de réflexion
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
413
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
L’essentiel
À la suite de l’analyse externe, l’analyse interne -ici le diagnostic international- vise
essentiellement à identifier pour l’organisation auditée, dans l’espace de référence
et/ou d’expansion retenu, son degré de maîtrise des facteurs clés de succès, permet
tant d’y mettre en évidence ses avantages à valoriser et ses handicaps à combler.
Cette nouvelle étape de l’audit d’internationalisation passe par une meilleure com
préhension de la dynamique du modèle d’affaire de l’organisation considérée :
––de ses activités, avec l’évolution, au fil du temps, de ses domaines d’activité
stratégiques ;
––du positionnement global/local de ses activités.
Le diagnostic devra, ensuite, déterminer la phase d’internationalisation qu’ aura
atteint l’organisation, en précisant :
––les incitations à l’internationalisation, qui seront essentielles pour franchir les
seuils qui ponctueront sa progression de phase en phase ;
––avant de réaliser le diagnostic fonctionnel des forces et faiblesses pour établir,
dans l’absolu, un premier relevé des points d’amélioration à retenir.
Restera à les hiérarchiser, à travers une analyse comparative :
––qui fera ressortir son degré de maîtrise des facteurs clés de succès (FCS) iden
tifiés, à l’issue de l’analyse externe, par rapport à celui de ses concurrents de
référence ;
–– pour aboutir à la détermination des avantages compétitifs que l’organisation pos
sédera comme les handicaps qu’elle aura à combler, par rapport à ceux-ci.
☞
414
Diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 7
☞
Dès lors pourra être engagé le processus de formulation de la stratégie
d’internationalisation (SDI), en considérant, tout d’abord, l’interaction entre
les orientations internationales, telles qu’elles découlent de l’analyse externe
et de l’analyse interne, et les options de base qui structurent le modèle d’af-
faire de l’organisation.
Seront alors distinguées les stratégies de conquête de parts de marché (dans une
perspective d’horizontalisation) des stratégies multifonctionnelles (dans une
perspective de verticalisation) qui fourniront, en relation avec les finalités et les
options de base de l’organisation, la réponse à la première question préalable à
la formulation de la SDI : « Pourquoi ? ».
––Pourront alors être déclinées les quatre questions permettant le « cadrage » de
la SDI dans l’espace de référence et/ou d’expansion, dans la perspective
« tous azimuts » ou « focalisée » retenue : « Quoi ? » (Quels produits/ser
vices ? Quels processus ?), « Où ? » (Quelles localisations prioritaires ?),
« Quand ? » (À quel rythme ?), « Comment ? » (Avec quels modes d’entrée/
de présence ?).
415
Chapitre
Mise en œuvre
8 de la stratégie
d’internationalisation
417
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
Le plan du chapitre
Section 1 ■ La dynamique des modes d’approche
Section 2 ■ Évolution des schémas organisationnels et intégration de la
composante culturelle
Cas introductif
Jérôme ou l’osmose thaïe1
Pour Jérôme, arrivé en Thaïlande au lendemain de la crise qu’avait connu le sud-
est asiatique en 1997-1998, envoyé par une grande société d’études de marché
occidentale, dont il avait dirigé la filiale au Kenya, tout était à faire, en partant de
zéro.
Il n’était pas, pour autant, sans expérience ; ne serait-ce que du fait de son parcours
personnel et professionnel qui l’avait naturellement ouvert à la diversité du monde
et des cultures : fils de militaire, balloté d’un pays à l’autre au gré des affectations
☞
1. Ce cas dont le héros est bien réel, a été développé en 2006, en relation avec Jérôme Hervio et ses équipes,
auxquels l’auteur tient à exprimer toute sa gratitude pour l’accueil, l’écoute et les échanges dont il a pu bénéficier
de leur part. Sous une forme développée, avec une notice pédagogique complète, la publication de ce cas, en
français et en anglais est prévue pour 2013/2014, à la Centrale des Cas et des Moyens Pédagogiques.
418
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
☞
paternelles, ayant lui-même visité, à l’issue de ses études, une vingtaine de pays
avant d’embrasser, un peu par hasard, les études de marché, il avait suivi les étapes
successives d’un parcours qui l’avait fait évoluer d’Europe vers l’Afrique, puis
l’Asie.
Pour l’organisation qui l’emploie, l’Asie est alors perçue comme un eldorado en
devenir, avec toutes les incertitudes mais aussi toutes les promesses de cette période
de reprise annoncée ; sans, pour autant, qu’elle veuille y consacrer des moyens
considérables. À l’arrivée de Jérôme, les grands chantiers maillant la conurbation
tentaculaire et hyper polluée de Bangkok sont encore paralysés, sans que le grouille
ment de la vie, ou de la survie, au quotidien, n’en soit interrompu, comme le trafic
intense des véhicules en tout genre qui mettent tout déplacement à la hauteur d’un
exploit, sauf en deux roues.
C’est donc du Novotel qui lui sert initialement de base de travail, en achetant sur
ses propres deniers une demi-page dans un grand quotidien local, qu’il lance sa
campagne de recrutement, lui ouvrant le choix, entre plus d’un millier de candidats,
souvent d’excellente qualité, à un moment où le chômage connait un pic. Le vrai
défi, qu’il relèvera brillamment, ce sera de conserver les meilleurs, dans un pays (et
une région) où le turnover peut atteindre 30 %, pour les emplois qualifiés, comme,
par exemple, dans la grande distribution moderne. Pour cela, il lui faudra passer
beaucoup de temps, lors de l’embauche, à expliquer l’organisation, son projet, à
comprendre les motivations et les attentes du nouveau collaborateur. À côté du
contrat légal, il y a le contrat moral, comme il le comprendra très vite.
Avec la petite équipe qu’il a ainsi constituée, tout est donc à créer dans le domaine
des études marketing, dans ce pays et dans cette région où la consommation
redécolle, dès la reprise de la croissance, qui arrive très opportunément en tournant
du nouveau millénaire : la demande de biens de grande consommation, celle de
biens de consommation durable explosent. Les leaders occidentaux – américains,
suédois, hollandais, français, allemands ou britanniques –, comme les asiatiques –
japonais, coréens et, bientôt, chinois – sont tous conscients qu’il y a là, comme dans
l’ensemble de la zone, des opportunités à saisir.
Les organisations locales, aussi, pour qui l’avis des clients et des consommateurs était,
jusqu’alors, loin d’être primordial, découvrent les études marketing. Bien plus impor
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tant était jusqu’alors, pour elles, de développer leurs relations au sein des instances
gouvernementales, d’obtenir des concessions, par exemple, dans les télécoms, ou de
bénéficier d’avantages réglementaires et administratifs. On pouvait ainsi s’étonner des
décisions d’autorisation ou de refus d’agrément de nouveaux produits émanant de la
Food and Drug Administration locale, souvent surprenantes, et, même, parfois, bien
peu explicables.
Mais, au fond, dans un pays ayant échappé à la colonisation, grâce à l’habileté de
ses souverains, et dont le dernier conflit armé remonte à la fin du xviiie siècle, la
vérité passe traditionnellement après l’harmonie, l’individuel après le collectif. Si,
en Europe, une bonne étude marketing est une étude qui dérange, chez les Thaï,
conformément à la philosophie bouddhiste, le « moi » n’est qu’une illusion. L’indi
vidu se méfiera donc de ses préférences et cherchera à se fondre au sein de la
communauté à laquelle il se rattache.
☞
419
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
La communauté, ce sera, bien sûr, la famille, au sens large, puisque les générations
cohabitent couramment sous le même toit, mais aussi le proche voisinage : il est
fréquent que les occupants de quelques maisons du même quartier, le « soï »,
effectuent leurs achats conjointement et mettent même leurs véhicules en commun.
Dès lors, qui peut être le décideur pour les produits d’entretien, pour l’achat de
friandises, pour la prochaine sortie collective au cinéma ? Comment mesurer
l’impact d’une nouvelle campagne de publicité et auprès de qui ? Autant de cas de
figure, pour lesquels la réponse et, surtout, la méthode employée, seront diffé
rentes.
Un tel contexte soulève donc de nombreux problèmes éthiques et méthodologiques
pour le professionnel occidental : ainsi, il n’est pas rare que le représentant du client
intervienne avant la présentation finale des résultats et demande des modifications
pour ne pas remettre trop brutalement en question des convictions trop largement
partagées dans son organisation. Pour certains donneurs d’ordre, la fonction essen
tielle de l’étude serait, même, précisément, de conforter des décisions déjà prises
en interne, le plus souvent de manière concertée.
Au-delà des attentes des clients, le recueil et l’interprétation des données néces
sitent des approches spécifiques, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Il a donc
fallu à Jérôme et à ses équipes beaucoup d’esprit inventif pour forger des outils de
collecte et d’analyse adaptés, au-delà de l’approximation, notamment dans cette
capitale tentaculaire dont nul ne connaît précisément les chiffres de la population.
C’est, par exemple, en comptant les toits sur les photos aériennes de certains quar
tiers et en envoyant ses enquêteurs sur place pour évaluer le nombre moyen
d’habitants sous chacun, que des bases de données plus fiables ont pu être consti
tuées.
Aux méthodes « scientifiques » et « universelles », pratiquées en Occident, faisant
intervenir la « marge d’erreur » ou « l’intervalle de confiance », se substituent des
méthodes plus ethnographiques, reposant sur l’observation directe des comporte
ments, dans les écoles, dans les bureaux, dans les familles même. On doit parfois
utiliser une caméra, afin de comprendre comment on prépare les repas, comment
on regarde la télévision, comment on achète. Ce qui suppose des périodes d’inser
tion incontournables, et, donc, des coûts importants, dans le but d’identifier des
conduites, le plus souvent, inconscientes et automatiques.
Et gare aux généralisations hâtives ! Ce qui est vrai pour la Thaïlande ne l’est pas
obligatoirement pour les pays voisins, ou d’une communauté à l’autre. Même si
l’importance du collectif s’y retrouve, comme dans de nombreux pays émergents,
d’énormes différences s’y révèlent, procédant des religions, de l’histoire, des visions
du monde. Mais, en dépit de ces difficultés d’appréhension, et, même, à cause
d’elles, le « business » ne manque pas ici avec la reprise de la croissance, à nouveau
proche de 6 % par an, avec un taux d’endettement qui a plus que doublé en
quelques années. Même s’il vit en respectant de près ses traditions, le Thaï se soucie
peu du passé, et encore moins de l’avenir. Dans ce pays où le sexe est mis sur le
même pied que la gastronomie, la seule référence est le présent.
Il en va de même pour le management. Dans son secteur de services, Jérôme ne
peut qu’admirer, la capacité de travail de ses cadres et employés : certes, payés
quatre fois plus que la concurrence, ils travaillent avec une efficacité décuplée.
☞
420
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
☞
Dans cette société très hiérarchique, où les castes tendent à se perpétuer, où les fils
de famille peuplent en priorité les meilleures universités et partent volontiers se for
mer à l’étranger, de nouvelles élites tendent à s’affirmer. Point n’est besoin d’enca
drer de trop près ces collaborateurs soigneusement sélectionnés ; il faut, avant tout,
leur faire confiance.
Il a fallu à Jérôme quelques années pour le comprendre et pour s’ajuster à eux ; ce
qui a puissamment contribué à le motiver lui-même : en passant beaucoup de temps
à expliquer ce à quoi on veut arriver, mais sans se préoccuper outre mesure de la
mise en œuvre. Si un client appelle le vendredi soir pour la réalisation d’une étude
pendant le week-end end, pas de problème, fiez vous à vos collaborateurs qui
prennent en charge le problème. S’il faut hisser au cinquième étage d’un hôtel une
voiture, voire plusieurs, pour un « car clinic » comparatif, acceptez d’ignorer
comment a été réalisé cet exploit. Si vous y aviez mis le nez, vous pouvez être sûr
que cela n’aurait pas marché.
Dans un « people business » comme celui de Jérôme, sans automatismes, où rien
n’est récurrent – ni les missions, ni les processus-, une telle attitude est incontour
nable et requiert d’éviter toute dérive « colonialiste », en croyant que telle décision
sera meilleure parce qu’elle correspondra à ses propres valeurs ou s’inscrira dans
ses propres pratiques culturelles. Comme ces Anglais qui croient certains collabo
rateurs plus intelligents, plus « égaux » que les autres, parce qu’ils maîtrisent mieux
leur langue et sa pratique sournoise à plusieurs vitesses. A contrario, dans cet envi
ronnement d’affaires anglophone, ce handicap linguistique devrait être ici un avan
tage pour un expatrié français : contraint à plus de patience, à moins d’émotion et
de nuances dans l’expression, il se fera paradoxalement mieux comprendre, avec
un langage plus simple, par des interlocuteurs amenés, comme lui, à ne pas utiliser
leur langue maternelle. Si on y perd en subtilité, on y perd aussi – heureusement !-
en arrogance.
Mais ce n’est pas, pour autant, facile pour Jérôme d’imposer le modèle familial qu’il
souhaiterait imprimer à son entreprise, en souhaitant peu de distance hiérarchique
dans une société qui n’est guère égalitaire. Son mode de management s’efforce de
gommer le plus possible cette distance, d’éviter le formalisme bureaucratique, de
bannir les réunions de cadres routinières. Il tend, au contraire, à privilégier le « sur
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421
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
Comment auraient pu être formulés, à l’arrivée de Jérôme, les objectifs et les orienta
tions de la stratégie d’internationalisation de la filiale de son entreprise en Thaïlande ?
Dans quelle mesure la Thaïlande pouvait constituer un point d’entrée privilégié pour
une société d’études marketing en Asie ? Quel mode d’entrée et de présence – agent,
partenaire local, filiale ou succursale- pouvait être pour l’organisation le mieux
adapté pour s’engager dans ce pays ? Quel mode de relation – autonomie ou assu
jettissement au siège- était-il imaginable de mettre en place ? Qu’est-ce qui prédispo
sait Jérôme à prendre la responsabilité du lancement, puis du développement de la
filiale thaïe de l’organisme d’études marketing auquel il appartient ? À quelles prin
cipales contraintes de mise en œuvre s’est-il trouvé confronté ? Pour quelles fonc
tions, en particulier ? En quoi affectaient-elles l’activité cœur de l’entreprise ? En quoi,
et sur quels plans, Jérôme et ses équipes ont-ils su répondre dans le contexte local et
en tenant compte de ses particularités ? Quels différents défis Jérôme a-t-il eu à rele
ver dans le domaine du management de ses équipes ? Comment s’en est-il acquitté ?
Quelles tâches, en amont de son arrivée à Bangkok, et ensuite, Jérôme a-t-il eu à
identifier et programmer ? Comment déterminer les ressources nécessaires à leur réa
lisation pour, ensuite, en évaluer l’enveloppe ? Dans quelle mesure le cadre de cette
planification opérationnelle a-t-il pu être amené à évoluer au fil du temps, au-delà de
la phase initiale de démarrage de l’activité en Thaïlande ?
Section
1 La dynamique des modes d’approche
Une fois définis les grands objectifs et formulée la stratégie d’internationalisation
dans l’espace de référence et/ou d’expansion, il s’agira, tout d’abord, de finaliser les
priorités géographiques retenues et les modes d’entrée envisagés, sur la base du
repérage effectué en amont, lors de la formulation stratégique.
422
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
1. Cf. figure 7.3 « Positionnement des zones cibles (matrice attraits/atouts) » appliquée à Comin Asia.
423
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. En réponse aux questions de H.Bolle, pour Challenges (« Varin en est certain, l’automobile ira bien »,
8/12/2011), Philippe Varin président du Directoire de PSA, déclarait ainsi, « Autant je suis très clair sur les désa
vantages que nous avons en France sur le segment B [celui des citadines, comme la Peugeot 207 ou la Citroën C3]
par rapport à nos concurrents d’Europe Centrale : je l’évalue entre 700 et 800 euros par modèle. Autant la situation
est tout à fait différente sur les moteurs, qui sont des produits technologiques, où la part de main-d’œuvre n’est pas
aussi prépondérante que dans l’assemblage d’une voiture. ».
2. Voir chapitre 4, exemple 4.15 « GHCL, la structure éclatée ».
424
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
425
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
• Sur le plan quantitatif, les objectifs seront souvent fixés en termes de niveaux de
parts de marché ou de répartition de production entre implantations et/ou sous
traitants. Pour la plupart des multinationales citées -par exemple, dans les secteurs,
de l’automobile, de l’aéronautique, des cosmétiques, du vin ou de la grande
distribution-, il s’agira d’équilibrer leur chiffre d’affaires et, souvent, leur produc
tion, au niveau mondial. Elles tiennent compte, en effet, du déplacement progres
sif du centre de gravité des activités (offre et demande) vers les pays émergents à
fort potentiel qui, comme l’Asie et, à un moindre titre, l’Amérique Latine, doivent
représenter à cinq, dix ou quinze ans, suivant les secteurs, les marchés principaux,
pour tout ou partie des activités de ces organisations.
• Sur le plan qualitatif, la conquête de marchés de référence et la pénétration de
certaines zones essentielles, à la fois pour leur potentiel direct et pour leur carac
tère prescripteur pour d’autres zones, expliquent la priorité donnée chez Huawei,
dès le début des années 2000, avec ses équipement 3G, aux marchés occidentaux,
chasse gardée d’acteurs locaux, comme Alcatel Lucent. En dépendait, aussi, son
succès sur les marchés prometteurs des pays émergents, qui ont souvent coutume
de s’aligner sur les standards internationaux. De manière plus générale, en Europe,
notamment dans des secteurs technologiquement évolués, une réussite en
Allemagne (en termes de vente, de production, de R & D, de partenariat) pour une
firme originaire d’un autre pays -européen ou non-, confère un label exploitable
dans le monde entier et constitue un excellent stimulant en interne.
Ce sont donc, tout à la fois, les précisions apportées aux critères d’« attraits » des
localisations à sélectionner (potentiel économique des zones, faible niveau des coûts
de production, etc.) et d’ « atouts » que l’organisation souhaite valoriser (avance
technologique, capacité d’adaptation, réserves financières, etc.), sur la base des
objectifs ressortant d’une formulation claire de la SDI, qui vont permettre :
––d’en finaliser la liste, d’une part ;
––de déterminer un mode d’évaluation satisfaisant pour chacun d’entre eux, d’autre
part.
Ce qui permettra, ensuite, un rapprochement, sur une grille comparative, des dif
férentes possibilités de localisation, aboutissant à une hiérarchisation des unes par
rapport aux autres.
426
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
c Repère 8.1
La démarche d’établissement d’une grille comparative des opportunités
de localisation
Elle constitue la formule la plus simple, susceptible de s’appliquer aux organisations
qui se sont assigné des objectifs de développement sur des marchés de proximité, vis-
à-vis desquels elles possèdent des avantages compétitifs équivalents. Cette démarche
se décompose de la façon suivante :
––identifier les critères d’attraits pertinents pour l’organisation ;
––les évaluer, suivant une échelle permettant de les comparer les uns aux autres ;
––les pondérer en fonction de l’importance respective que l’organsation estime devoir
leur accorder ;
––les appliquer aux localisations retenues lors de l’étape d’identification des localisa
tions cibles (screening).
La détermination des critères de sélection peut s’opérer autour de plusieurs axes, tels
le potentiel de marché, les risques politiques, les risques économiques, les risques de
marché retenus, en fonction du secteur et de l’activité de l’entreprise considérée, d’une
part, et des objectifs de la SDI (souvent liés aux ressources dont elle dispose, qui sont
déterminantes pour la fixation de son niveau d’engagement et des modes d’approche
qui y correspondent), d’autre part.
Une fois effectué le choix des critères, il reste à établir une échelle unique d’évaluation,
applicable à l’ensemble d’entre eux, même s’ils sont de nature différente et suscep
tibles d’être étayés ou non par des données quantitatives. Cela supposera, d’intégrer à
la même grille :
––des critères de potentiel de marché, quantifiables (par exemple, dans le secteur auto
mobile, en fonction du volume du parc existant ou de la production annuelle de
véhicules) ;
––et des critères plus qualitatifs, difficiles à relier à un index existant.
En conséquence, on s’attachera, au cas par cas, pour les uns comme pour les autres, à
établir une échelle de notation (de 1 à 10 ou de 1 à 5, par exemple) de manière à
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Exercice
Se reporter au chapitre 7, « Comin Asia » (cas introductif et figure 7.3 « Positionnement
des zones cibles (matrice attraits/atouts) ».
••Vérifier ci-dessous la pertinence des variables retenues.
••Apprécier, en fonction des activités (trading, power, contracting, maintenance), le bien
fondé du coefficient appliqué à chaque variable.
☞
427
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
••Appliquer, aux quatre pays retenus dans la figure 7.3. et établir entre eux un ordre de
priorité pour l’organisation considérée.
••Comparer le classement final à celui que suggère la matrice « attraits/atouts ».
Tableau 8.1 – Application d’un tableau de sélection de zones cibles à Comin Asia
Critères Coef. Laos Myanmar Chine Indonésie
Potentiel de marché (taille x croissance) 25
c Repère 8.2
L’établissement d’une matrice « attraits/atouts »
Appliquée à la sélection des localisations cibles, elle combine deux approches :
––la hiérarchisation des opportunités locales, de la même manière que dans la
démarche précédente, sur laquelle elle peut s’appuyer, et qu’elle peut compléter et
valider ;
––la hiérarchisation des avantages que possède l’organisation pour approcher chaque
localisation, en fonction de son degré de maîtrise des facteurs clés de succès requis
pour y réussir et de l’intérêt que chacune présente dans le cadre des objectifs définis
dans la SDI.
Tout d’abord, la hiérarchisation des opportunités locales se réfèrera à la note de syn
thèse accordée à chaque localisation, dans le cadre de l’établissement de la grille
comparative, pour la situer sur un axe vertical, mesurant l’attrait spécifique – fort,
moyen ou faible – de chaque localisation envisagée. Cette hiérarchisation peut
comporter différents types de préoccupations :
☞
428
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
☞
Une préoccupation dominante à caractère marketing (horizontalisation), traduira
l’intérêt porté, avant tout, aux caractéristiques des marchés retenus (leur taille, leur
maturité, leur taux de croissance, etc.) et à la facilité d’accès que chacune ménagera à
ses produits (contraintes réglementaires, intensité de la concurrence, attitude des pres
cripteurs, accessibilité des canaux de distribution, etc.).
••Une préoccupation dominante à caractère logistique et industriel (verticalisation) pourra
devenir prépondérante, dès lors que les organisations – une fois vérifié le potentiel de
certains marchés extérieurs et prise en compte de leur expérience de l’internationalisation
– envisagent une production délocalisée, totale ou partielle. Elle s’attachera alors davan
tage, à la stabilité politique et économique à long terme et aux conditions d’accueil des
investissements (appuis locaux, partenariats potentiels, subventions et avantages fiscaux,
protection des actifs et des personnels, etc.).
Ensuite, le niveau de maîtrise des facteurs clés de succès par l’organisation, ses atouts
ou avantages compétitifs, pour chaque localisation envisagée, en relation avec les
caractéristiques de chaque environnement géo-sectoriel, pourra leur suggérer soit de
commercialiser leurs produits et services, soit de les fabriquer sur place, en fonction :
––de leur solidité financière, compte tenu de l’importance et de la durée de l’effort de
pénétration (comme sur les marchés chinois ou nord-américains, pour Airbus) ou de
la période d’amortissement requise (en cas de rachat de structures existantes, comme
Cemex ;
––d’une image favorable dans le contexte local considéré, comme celle des voitures
allemandes, particulièrement haut de gamme, aux États-Unis ou des produits de luxe
français, au Japon ; laquelle permettra aux organisations qui peuvent s’en prévaloir
de bénéficier, d’emblée, d’un avantage concurrentiel décisif par rapport à la concur
rence locale ou étrangère ;
––d’une capacité d’innovation, d’une créativité ou d’une réactivité leur permettant de se
positionner avantageusement dans des pays où la demande est très évolutive, comme
pour la téléphonie mobile, dans les économies à croissance rapide où les infrastruc
tures de télécommunication sont inadaptées, alors même que leurs besoins sont en
augmentation exponentielle, (comme en Chine et dans de nombreux pays d’Asie du
Sud-Est) ;
––d’un appui particulier de la part des autorités (ou des institutions financières) du pays
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
d’origine, lorsque des financements spécifiques sont accessibles (pour les « cham
pions internationaux » chinois, par exemple) ou encore, lorsque des protocoles finan
ciers favorisent certains types d’opérations d’exportation ou d’infrastructures (ainsi,
l’équipement de certains pays en développement) ; à ceci pouvant s’ajouter ou se
comparer la capacité à mobiliser concours, aides et subventions de la part de certains
organismes internationaux, à caractère régional (Banque européenne d’investisse
ment, BERD, etc.) ou mondial (Banque mondiale, AID, Société financière internatio
nale, etc.).
Le niveau de ces différents « atouts » varie, à la fois, d’une organisation à l’autre et,
pour chaque organisation, d’une localisation à l’autre. Il sera donc nécessaire pour une
organisation considérée (ou pour un groupe homogène d’organisations), de mesurer
ses atouts vis-à-vis de chaque localisation potentielle, en tenant compte, bien sûr,
comme pour la hiérarchisation des opportunités de l’attrait des pays, de la perspective
d’approche privilégiée (horizontalisation ou verticalisation).
429
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
C’est en fonction des enjeux auxquels elle va se trouver confrontée dans chaque
espace de référence ou d’expansion et, finalement, dans chaque pays qui y aura été
sélectionné, que l’organisation décidera du mode d’entrée dans ses nouveaux pays
cibles ou de l’évolution éventuelle de son mode de présence dans les pays où elle est
déjà implantée.
Avant d’avoir pris pied dans un nouvel espace géo-sectoriel – région, pays ou
groupe de pays –, l’organisation considérée devra, en effet, envisager sa localisation
dans une perspective exploratoire en termes de « mode d’entrée ». Par la suite, il sera
plus approprié de raisonner en termes de « mode de présence », dans une perspective
dynamique d’adaptation aux transformations de l’environnement considéré et d’évo
lution des positions concurrentielles dans cet espace.
430
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
431
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
négligé par les organisations, dans la mesure où elles ne mesurent pas toujours les
engagements que supposent certains choix ; non seulement lors de la phase
d’internationalisation initiale, à un moment où l’expérience leur fait encore défaut,
mais, aussi, lors du passage à la multinationalisation.
Au début de leur développement international, les organisations sont, le plus sou
vent, guidées par l’opportunisme : rencontre avec un importateur local ou un licen
cié potentiel, prêt, pour le premier, à distribuer, le plus souvent avec une clause
d’exclusivité, leur produit dans une zone déterminée, pour le second, à le fabriquer
et à en assurer la distribution dans un espace géographique ou à une clientèle bien
circonscrite. Que faire si ces accords n’ont pas été suffisamment préparés et négo
ciés, sans précautions ou précisions suffisantes, au cas où l’intermédiaire commer
cial ou le partenaire industriel freinerait, faute de dynamisme ou de moyens, le
développement du produit dans la zone impartie ? Comment, en particulier, sans
l’avoir prévu, rompre avec un agent qui ne souhaite pas remettre en question son
contrat, alors que son mandant souhaite créer une succursale ou une filiale
commerciale ?
À une phase plus avancée de son internationalisation, l’organisation peut plus faci
lement éviter de telles erreurs, l’expérience aidant. Mais le contexte devient sensi
blement plus complexe et suppose de peser soigneusement les avantages et les
inconvénients de chaque alternative, en prenant en compte l’impact de chaque déci
sion possible sur les différentes fonctions qu’elle serait susceptible d’affecter. Et
cela peut conduire à remettre profondément en cause certains choix antérieurs et à
réviser de manière spectaculaire les orientations prises en matière de présence hors
frontières1.
1. C’est ainsi que Benetton avait, dès la fin des années 90, relocalisé une partie de sa production en Italie,
pour mieux contrôler sa fabrication et, surtout, pour tirer parti de ses nouvelles avancées technologiques en
matière de production. D’autres mobiles, comme les risques de contrefaçon, peuvent conduire à de telles réorien
tations ; tout comme, à l’inverse, le rapprochement des marchés a conduit certaines organisations de la mode ou
même du luxe, comme Hermès, à se délocaliser, sur un mode plus original. comme le montre l’exemple ci-
dessous.
2. A. de la Grange, « Hermès, donne naissance à une marque de luxe chinoise », Le Figaro.fr, économie , le
16/09/2010 et « Hermès lance sa marque de luxe en chine »Le Monde.fr avec AFP (16.09.2010 )
432
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
posant des vêtements, de la maroquinerie, des meubles, etc., dans des matières très asia
tiques : cachemire de Mongolie, porcelaine ou bambou..
Après l’ouverture d’un premier magasin dans le quartier Xintiandi, au cœur de Shangaï,
d’autres sont prévus, notamment à Paris. Totalement indépendante d’Hermès, la marque
aura une existence propre, « Nos produits ne sont pas destinés au seul marché chinois,
mais à être vendus dans le monde entier », annonce sont animatrice.
Et le PdG d’Hermès de préciser, «… les produits Shang Xia ne seront pas vendus dans
les boutiques Hermès dans le monde ». Et d’ajouter : « Si Shang Xia devient un concur
rent d’Hermès, ce sera un succès ».
Pour ce dirigeant, « … les deux marques sont totalement séparées et ne partagent que
deux choses : la philosophie d’artisanat de qualité qui a fait le succès d’Hermès et
l’actionnariat ». Pour l’entreprise de luxe, cette opération s’inscrit dans le droit fil de sa
tradition exclusive de croissance organique : les actions resteraient contrôlées pour plus
de 90 % par Hermès, le reste étant détenu par Jiang Quion-er.
433
434
Partie 2
Fonctions
■ L’audit
Filiale de
Joint-venture commercialisation
Fonction commercialisation
Agent
commerciale/ Concessionnaire Filiale
Marketing Agent locale intégrée
Importateur /
distributeur mandataire Vente/
Franchise Production Entité
Coordonnée
Filiale de Internnatio-
Fonctions production nalement
R&D de R&D Procédures
Production/
Joint-venture Communes
supply chain Système d’infor-
Licence de production/R&D
mation
global
d’internationalisation des organisations
Phase de
Autres développement
fonctions : international/
Centre de Filiale de Mode
RH, finance, formation refacturation
fiscalité Stockage à d’entrée/de
l’étranger présence
dominant
Figure 8.1 – L’évolution des modes d’entrée/de présence par fonction au fil des phases de l’internationalisation
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
1. Voir figure 7.13 « La progression des modes d’entrée à l’international (engagement/contrôle) ».
435
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
c Repère 8.3
Les différents types d’intermédiaires
Courtiers : rapprochent acheteurs et vendeurs (sans être parties prenantes à l’opéra
tion) : vendent leur connaissance du marché)
Intermédiaires agissant : pour le compte de au nom de :
Agents mandataires de l’exportateur de l’exportateur
Agents commissionnaires de l’exportateur sous leur nom
Négociants importateurs pour le leur sous leur nom
Négociants exportateurs pour le leur sous leur nom
––Les structures indirectes peuvent constituer une base encore satisfaisante, surtout
si elles donnent lieu à un renforcement des liens :
–– en matière de commercialisation, entre l’organisation et son agent, ce dernier
élargissant la gamme de ses prestations (en matière de stockage, de facturation,
de service après-vente, etc.) en bénéficiant d’un appui croissant de la part de son
commettant (information/formation technique, aide à la promotion et à la publi
cité, etc.), supposant aussi une délégation plus large et un suivi plus étroit ;
436
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
1. Voir exemple 4.3 « Archos ou la persévérance récompensée d’une born global à la française ».
2. Voir cas introductif du chapitre 3.
3. Structures en général légères, destinées à identifier des prospects et des courants d’affaires, tout autant que de
faire connaître l’entreprise localement ou générer des affaires qui seront traités par d’autres implantations, le plus
souvent, proches, ou, même, par le siège. Ce mode d’entrée est fréquent dans la banque, soit dans une perspective
exploratoires, soit lorsque le volume des activités espérées ne justifie par une implantation plus significative.
437
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
en vigueur, sous le contrôle de la société mère, mais avec une image plus
« locale », surtout si elle a été constituée par voie de croissance externe et utilise
une raison sociale distincte de celle de la société mère.
Lorsque l’internationalisation plus systématique, assortie d’un besoin d’engage
ment et de contrôle encore plus élevé, est devenue une nécessité pour l’organisation
opérant, en particulier, dans une activité globale, en phase de multinationalisation,
ce sont moins les modes d’entrée ou de présence que leur coordination et l’intégra
tion de leur organisation, qui apparaissent essentielles.
• Certaines formules spécifiques aux structures multinationales, comme les socié
tés de refacturation ou l’éventuelle relocalisation du siège pour des raisons
d’optimisation fiscale, constituent des manifestations du souci, de la part de
l’organisation qui y a recours, de maximiser ses bénéfices. Mais c’est surtout le
besoin de coordination internationale des structures qui détermine, lors de cette
phase de multinationalisation, l’intégration du dispositif international :
––par voie d’unification des modes de présence adoptés dans les différentes locali
sations, en vue d’en harmoniser les règles de gestion, le suivi des résultats, la
diffusion des innovations de produit et de processus ;
––par la mise en commun de ressources clés, dans certaines localisations particu
lières (un centre de formation international, par exemple) ;
––par la centralisation de certaines fonctions (financière, par exemple : voir, à la fin
du présent chapitre, le cas d’application Yara) et la mise en place d’un système
d’information efficace reliant, en temps réel, les différentes implantations et per
mettant, selon la nature des activités et le caractère spécifique des opérations, de
centraliser/décentraliser les décisions de manière plus souple.
Mais les mutations de l’environnement imposent de plus en plus, dans les secteurs
les plus évolutifs, de constituer rapidement des structures originales pour atteindre
plus vite une dimension globale, tout en allant au-devant des besoins des usagers, en
leur apportant des solutions novatrices, tant sur le plan technique que sur le plan
commercial.
Ainsi, les modes d’approche ou les formes de présence tendent à s’ajuster en
permanence aux nouveaux enjeux correspondant à la progression de l’ouverture
internationale de l’organisation, pour autant que l’évolution de l’environnement – en
particulier, les initiatives de la concurrence –, ou des difficultés d’ordre interne, rele
vant de la qualité de la gestion, ne la conduisent à « réduire la toile », sinon à remettre
en question son déploiement international (comme le montre l’exemple de Cemex1).
Face aux bouleversements rapides de son environnement, une organisation comme
celle qui vient d’être mentionnée, si grande soit son expérience et si positifs soient
ses résultats passés, doit cultiver, plus que jamais, la flexibilité qui constitue sa
meilleure sauvegarde dans le court terme et sa meilleure chance de redémarrage et
1. Voir cas introductif du Chapitre 1, « Cemex pris au double piège de la crise immobilière et financière »
438
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
de reprise de croissance, à plus long terme ; une fois surmontées les difficultés qui
ont compromis sa progression.
Ce qui suggère, après l’identification et la sélection des modes de présence, d’envisa
ger plus spécifiquement d’autres aspects essentiels de la mise en œuvre de la SDI.
Les dirigeants doivent, en effet, veiller à ce que les principales fonctions, comme
la fonction financière, mais également la fonction marketing, la fonction RH ou la
fonction de production s’adaptent au fur et à mesure de la progression de son inter
nationalisation, comme pour faire face aux transformations structurelles ou aux
fluctuations conjoncturelles.
Les besoins par fonction, en effet, évoluent comme doivent évoluer les réponses à
y apporter. De la même manière, les schémas organisationnels d’ensemble, doivent
suivre les avancées (ou les phases éventuelles de repli) qui ponctuent ce chemine
ment.
Ces schémas doivent également prendre en compte la dimension interculturelle dans
le cadre des relations de l’organisation avec son environnement, mais aussi, l’adapta
tion de son modèle culturel qui constitue un déterminant essentiel de son succès.
Section
2 Évolution des schémas organisationnels
et intégration de la composante culturelle
Au-delà de la sélection des localisations et du choix des modes de présence la
dimension organisationnelle et les mutations structurelles constituent un élément clé
de la mise en œuvre, pour les organisations de grande taille comme pour les organi
sations de taille plus modeste, à toutes les phases de leur développement interna
tional. L’adéquation des schémas organisationnels, prenant en compte les différentes
fonctions comme leur coordination d’ensemble, à une échelle géographique éten
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439
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
440
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
FONCTIONS
DE BASE
Marketing Appro
/ss ttance
Relations Production
publiques
R&D
FONCTIONS Contrôle
Ajustement
DE
permanent
STRUCTURE
managérial et
Pol.
Logistique
stratégique Ress.Hum.
Ficalité
& taxes
Gestion
comptable
Juridique
Propriété
Industrielle
Finance
FONCTIONS
SUPPORT
1. Voir repère 3.1 « Lecture de la grille « global/local » dans la définition des activités ».
2. Cf. l’exemple des délocalisations de structures d’assemblage des Airbus moyen courrier, en Chine, puis aux
États-Unis.
441
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
sées grâce aux faibles coûts de main-d’œuvre à l’étranger avec la plus grande
efficacité, le meilleur contrôle de la production et de la propriété industrielle
d’une production ou d’approvisionnements localisés dans la zone d’origine1 ;
––ensuite, l’arbitrage à effectuer, pour chaque étape du processus de production
(et, par extension, pour chaque élément de la chaîne de valeur), entre internali
sation et externalisation, en prévoyant, de manière pragmatique, des solutions
suffisamment ouvertes et souples pour faire face aux fluctuations générées par
un environnement concurrentiel plus ouvert2 ;
–– enfin et, plus particulièrement en matière d’approvisionnements/achats, la ques
tion du mode de relation avec les fournisseurs, susceptible de varier entre, d’une
part, la mise en concurrence permanente, se traduisant par des opérations « au
coup par coup », occasionnelles ou sans réelle continuité, souvent retenues pour
les fournitures standard, sans transmission de savoir-faire, dans le but essentiel de
limiter les coûts, et, d’autre part, le partenariat avec des fournisseurs sélectionnés
(cf. OEM), associés aux efforts de qualité du donneur d’ordres, en particulier dans
les pays émergents, et, de plus en plus, à la conception des sous-ensembles,
comme c’est le cas dans les économies matures.
––La fonction recherche/développement, également très liée à la production, peut,
aussi donner lieu quant à elle :
––à des interrogations sur sa centralisation ou sa décentralisation, au niveau
international, en fonction du degré de globalisation de l’activité, par rapport au
siège ou par rapport à une organisation par lignes de produits ;
––au cloisonnement ou, au contraire, au développement de relations interactives
entre lignes de produits et entre applications (ou même, entre zones géogra
phiques) : la concentration des sites de recherche favorisant les rapprochements
technologiques informels3 ou l’utilisation extensive d’un Intranet entre cher
cheurs répartis dans différents laboratoires ou centres de recherche de l’entre
prise, de par le monde, sont, l’une et l’autre, de plus en plus souvent privilégiées
dans les secteurs à caractère largement pluridisciplinaires4;
––à la mise en relation de la R & D avec l’analyse marketing et même le marketing
terrain, dans les activités très évolutives, où les tendances sont particulièrement
incertaines (voir cas introductif du présent chapitre).
• Les fonctions de moyens constituent le second groupe de fonctions amenées à
s’internationaliser, lorsque l’organisation sort de son cadre national, lorsque se
développent, par croissance organique ou par croissance externe, des structures
délocalisées.
1. Cf. Mercier Suissa op. cit. et exemple 1.2 « Région toulousaine partir, revenir »
2. Voir cas d’application du présent chapitre : « Yara, une structure souple et homogène pour un leadership
mondial »
3. Voir figure 2.1 « Cheminement technologique via une entreprise japonaise à valorisation technologique »
4. Voir K. Jensen, op.cit., « Accelerating Global Product Innovation through Cross-cultural Collaboration ».
442
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
443
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
444
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
ent international. À ce titre, ils doivent faire l’objet d’une planification précise en
m
utilisant des méthodes rigoureuses (« business plan »), définissant, pour chacune
d’entre elles, des missions à accomplir et des objectifs à atteindre, désignant des
responsables, des équipes ou des groupes de projet, auxquels seront affectés un
ensemble approprié de moyens humains, financiers, logistiques, assortis d’un calen
drier de réalisation réaliste, en permettant le suivi.
phase d’inter
nationalisation Phase 1 Phase 2
Phase 3
approches internationalisation développement
multinationalisation
fonctionnelles/ initiale local
transversales
prise en compte des recherche de intégration gestion
risques (change, crédit…) financements locaux du risque/cash
fonction finance financements consolidation des management
commerciaux comptes, accélération des coordination de la
transferts collecte des capitaux
ajustement produit/ étude de marché locale, coordination.
marché, recherche adaptation du Mix communication, étude de
fonction marketing
d’intermédiaires marketing, recherche de produits/services globaux
positionnement produit partenariats locaux
formation administration recrutement, formation constitution de « viviers »
fonction ressources des ventes, recrutement des personnels locaux internationaux, transferts
humaines développeurs de préparation à d’expérience, projets
marché… l’expatriation d’entreprise
contrats internationaux choix de statuts locaux optimisation fiscale
(vente, distribution, contrats locaux protection du capital
fonction juridique
licence.) protection ajustement à la fiscalité communication avec les
propriété industrielle locale actionnaires
veille d’ opportunités étude secteur locale amélioration chaîne
(achat, vente) et diagnostic d’internalisation de valeur, coordination
fonction stratégique
domestique ajustmt org. siège/filiales multifonctionnelle et
centres de décision
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coordination internationale
recoupements fréquents entre phase 1 et phase 2,
ou entre phase 2 et phase 3
Jean Paul Lemaire
445
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
Exemple 8.2 – Laibin B, ou les dimensions multifonctionnelles d’un projet BOT en Chine1
La référence à la mise en place d’un des premiers projet de construction d’une centrale
thermique chinois en BOT est destiné à faire ressortir la diversité des approches néces
saires à la mise en œuvre multifonctionnelle d’une opération complexe, comme la réali
sation d’un BOT tel que celui-ci, ainsi que celle de l’ensemble des projets qui se situent
dans des cadres comparables, en particulier, de réponse à des appels d’offres internatio-
naux. Cette analyse s’étendra à l’ensemble du déroulement du projet, depuis la décision
par l’organisation, chef de file du projet, de soumissionner à l’appel d’offres internatio-
nal, jusqu’à la fin de la réalisation du projet.
En amont de la négociation, une fois prise la décision stratégique de s’engager dans le
processus d’appel d’offres concernant cette opération,
–– se situe tout d’abord, la phase stratégique de constitution du consortium qui associera
les promoteurs de l’opération, principales parties prenantes de l’opération : en l’occu
rence Alstom (alors GEC Alsthom) – le concepteur technique et équipementier –
et EDF – l’opérateur de l’équipement, une fois la centrale électrique entrée en phase
d’exploitation- ;
–– intervient alors la phase de conception technique, incluant la conception d’ensemble
du projet, l’identification des fournisseurs locaux et étrangers des sous ensembles et
des prestataires de service, l’identification des contraintes logistiques, la sous-traitance
locale ; le chiffrage de l’opération, en tenant compte de ses différentes dimensions
industrielles, logistiques, financières et juridiques, en lien avec les partenaires finan
ciers, assurance, etc., susceptibles d’être mobilisés en cas de succès ;
–– pour se conclure par la phase de finalisation de la réponse à l’appel d’offres, elle-même,
associant les différentes composantes, – techniques, juridiques, financières, organisa
tionnelles de l’opération –, pour aboutir à une détermination du prix de production au
kwh susceptible d’être facturé à la société locale de distribution d’électricité.
Au niveau de la négociation, lorsque le consortium se trouve pré-sélectionné dans la
short list, puis lorsqu’il a été définitivement retenu, on s’attachera successivement, dans
le cadre contractuel d’ensemble :
–– à l’ajustement juridico-économico-technique des termes de la transaction, à partir des
attentes respectives des deux parties ;
–– aux démarches auprès des différentes parties prenantes « officielles » (autorités du pays
d’origine susceptibles de soutenir le projet, autorités du pays d’accueil susceptibles
d’apporter les garanties concernant différents macro-risques inhérents au projet) ;
–– à la rédaction des différents contrats2 couvrant les différentes facettes du projet, tout
au long de son déroulement (concession, fourniture de combustible, vente de l’énergie
produite..) et des différents documents qui les accompagnent.
Au niveau de la construction de l’infrastructure, seront à mettre en œuvre les divers
aspects fonctionnels de la réalisation :
1. Voir cas (avec notice pédagogique), recouvrant les aspects stratégiques et financiers des projets concessionnels
disponible en Français et en Anglais à la Centrale des Cas et des Moyens Pédagogiques. (Jean Paul Lemaire « Power
Plants in Asia », 2013)
2. Voir chapitre 4, section 1, « Exemple de schéma relationnel dans le cadre d’un projet d’infrastructure
concessionnel » et « Grands projets : l’évolution de la relation client/fournisseur ».
446
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
–– l’organisation du chantier, (sur une base non exhaustive) : le recrutement des équipes
locales, la sélection des sous-traitants locaux, l’accueil des équipes expatriées et la pré
paration des bases vie qui leur seront nécessaires, l’acheminement et le séquencement
de l’approvisionnement du chantier ;
–– le suivi et le contrôle de l’avancement et de la réalisation : suivi des délais, suivi de la
qualité de réalisation et des prestations des sous-traitants, prise en compte des écarts
(cf. pénalités de retard, pénalités sur perfomance), résolution des problèmes et conflits
éventuels, à caractère relationnel et interculturels ;
–– la réception provisoire puis définitive : permettant de prendre acte du respect des délais
et des performances de l’équipement au cours des phases de test, comme au moment
de la mise en service, en appliquant si nécessaire les mesures correctives prévues dans
les contrats.
Au niveau, enfin, de l’exploitation : tout au long de la période qui aura été fixée au
contrat de concession :
–– pour assurer le bon fonctionnement de l’équipement, son suivi technique, sa mainte
nance, pour limiter les périodes d’interruption de son fonctionnement ;
–– pour assurer le bon équilibre économique de l’opération : ajustements des prix du
combustible fourni et de l’énergie produite, conversion des recettes en monnaie locale
en devises convertibles, prise en compte du risque de change ;
–– pour assurer, en fin de contrat de concession, le transfert de l’équipement, aux entités
désignées par l’autorité concédante et à leurs équipes.
La mise en œuvre des projets suppose donc, autour d’une opération bien identifiée
mais pouvant comporter des phases successives bien distinctes, de mobiliser les
principales fonctions – ingénierie, approvisionnement, ressources humaines,
finance, contrôle… – de la ou des organisations qui en coordonnent la mise en
œuvre. Pour d’autres situations et stratégies d’internationalisation – distribution ou
sous-traitance locale, création de filiale ou d’entreprise conjointe commerciale ou
industrielle, fusion-acquisition... –, c’est le même type de décomposition des opéra
tions qu’il convient de décliner : leur séquencement et leur coordination dans le
temps et dans l’espace qui rentreront dans cette dernière phase de la démarche.
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447
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. Cf. B.Trévidic, « Fabrice Bréguier veut réorganiser Airbus pour rendre l’avionneur plus agile et interna
tional », Le Monde, 3/9/2012.
448
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
Flexibilisation de la
chaine de valeur et prise en Adaptation aux besoins
Évolution
compte plus systématique et contextes locaux DYNAMIQUE
des opportunités de Réaménagement de la D’EXPANSION
marché internationales chaîne de valeur MULTIFONCTIONNELLE
J.-P. Lemaire
449
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. La structure fonctionnelle avec un département “international » peut également être adoptée, comme c’est le
cas dans de nombreuses PME.
2. Cf. exemple 7.6.
3. Correspondant à des activités que Bartlett et Goshal, Atamer et Calori qualifient d’« internationale ».
4. Voir site Saint Gobain, www.saint-gobain.com.
450
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
451
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
compétences, au service des divisions. D’où le caractère croisé des structures s’ins
pirant de cette approche.
C’est pourquoi la tendance a été, depuis la fin des années 1970 et surtout au cours
des années 1980, de développer, au sein de la même organisation multinationale, des
structures distinctes – géographiques, lignes de produits, clients/marché ou fonc
tionnelles –, sans privilégier, a priori, l’une ou l’autre de ces dimensions. Cette ten
dance permettait de tirer parti, selon les cas, de la structure la mieux placée pour
saisir une opportunité, prendre la direction des opérations ou du projet, à laquelle les
autres viendraient apporter leur concours. Ce qui suppose, pour la direction géné
rale, de concilier en permanence des intérêts souvent conflictuels entre, par exemple,
les lignes de produits et les zones géographiques. D’où l’importance que revêt le
« contrôle stratégique » dans le cadre de telles structures.
c Repère 8.4
Les enjeux du contrôle stratégique des structures matricielles
En suivant Prahalad et Doz1, pas moins de quatre dimensions devraient être simultané
ment prises en compte par le siège pour analyser les enjeux de ces types de structures,
les animer et les contrôler :
––une dimension cognitive, liée à la perception de l’environnement que chaque
structure mentionnée peut considérer de manière fort différente ;
––une dimension stratégique, directement liée, elle aussi, à la perception de l’environ
nement, et engendrant de la part des responsables de chaque type de structure, des
manières différentes de réagir aux menaces, et aux opportunités ;
––une dimension politique, qui suppose de localiser la source du pouvoir parmi les
différents responsables dans la définition et la mise en œuvre d’une stratégie ;
––une dimension administrative, enfin, pour mobiliser les ressources – humaines,
notamment – et harmoniser les systèmes – comptables, par exemple –, pour définir
le mode de consolidation à retenir (par ligne de produits ou par zone).
Dès lors, trois mécanismes doivent, selon ces auteurs, être développés pour permettre
le fonctionnement de ces systèmes complexes dits « hybrides » ou « matriciels » :
––les systèmes d’information, qui permettent de réguler les flux de données et de
décisions au sein de l’organisation ; en font partie le système comptable, le processus
budgétaire et la planification, les systèmes d’information managériaux ;
––les mécanismes de gestion des dirigeants, qui s’appuie sur les systèmes de nomination,
de rémunération, de formation, d’évolution de carrière, d’évaluation et d’intégration
au corps social qu’est l’entreprise ;
––les mécanismes de résolution de conflit, en particulier dans un environnement
pluriculturel, en déployant des outils tels que les groupes de projet, les comités de
planification, les groupes de coordination, de définition de missions.
1. « An approach to Strategic Control in MNCs », été 1981 ; « Headquarters Influence and Strategic control in
MNCs », Sloan Management Review, automne 1981.
452
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
d’axes bien distincts (produits, clients et/ou grands comptes, zones géographiques,
etc.) et pour les entités de taille plus modeste, en définissant des missions dis
tinctes pour les mêmes responsables ou structures.
Même dans une entité de taille modeste, en effet, un tel mode d’organisation, si
ses caractéristiques le justifient, peut apporter une réponse adaptée, dès lors, par
exemple, que l’entreprise opère sur des niches globales.
Les structures matricielles peuvent n’apporter qu’une réponse transitoire à un
contexte global ou multi local donné, pour deux raisons :
––soit, elles offrent la possibilité de tester, concurremment, plusieurs types de
structures, dont l’une pourra finalement être retenue de façon plus durable1 ;
1. Comme, par exemple, les structures globales par fonctions, envisageables lorsqu’il existe un marché parfaite
ment homogène pour une ligne de produits relativement restreinte (ainsi, le secteur minier).
453
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
––soit, elles constituent une étape vers d’autres structures encore plus flexibles (sans
pour autant que l’adoption, même provisoire, d’une structure matricielle constitue
un passage obligé).
Face à cette transformation des structures multinationales, l’approche « réseau »
s’oriente, quant à elle, davantage encore vers la recherche de la flexibilité et de la
réactivité, introduisant grâce, notamment, à de nouveaux facteurs d’environnement,
en matière de systèmes d’information, de communication ou de qualité, des solutions
encore plus souples et adaptables aux facteurs externes et internes de changement.
c Repère 8.5
L’organisation en réseau de la firme transnationale1 gagnante
selon C. Bartlett et S. Goshal
Déjà, à la fin des années 1980, certains auteurs percevaient une tendance à l’adoption
des structures en réseau, transcendant les modèles d’organisation culturellement
caractéristiques qui avaient été, jusque-là, exportés à partir des modèles nationaux res
pectifs des trois grandes zones de la Triade.
Qu’il s’agisse des firmes européennes, américaines ou japonaises, observées pendant
cinq ans par C. Bartlett et S. Goshal2, aucune de leurs approches stratégiques tradition
nelles respectives ne paraissait plus devoir convenir à l’environnement déjà mouvant
des années 1990.
Dans l’organisation des entreprises européennes, dominées par une tradition de
contrôle familial, les liens personnels comptent davantage que les liens formels ; à
l’international les activités sont animées par des hommes de confiance, rattachés au
siège par des liens de contrôle informels et assez lâches, constituant donc davantage
une fédération décentralisée.
À l’opposé, leurs homologues américaines s’inscrivent dans une tradition managériale
où les systèmes de planification et de contrôle jouent un rôle majeur ; est donc
privilégiée, dans le cadre de leur développement hors frontières, une fédération coor
donnée, associée à des liens étroits entre la société-mère et les filiales, dépendantes en
matière de technologie et de savoir faire.
Quant aux firmes japonaises, très imprégnées par leur pratique culturelle originale des
communications internes intensives, elles ont eu quelques difficultés à transposer ce
modèle organisationnel à l’étranger, sauf à conserver au siège, le « moyeu » (hub)
centralisateur, le point de concentration des ressources et des décisions ; les filiales ne
jouent qu’un rôle de distributeur des produits, à l’échelle globale.
☞
1. Le terme « transnationale » est entendu ici dans un sens large, c’est-à-dire couvrant l’ensemble des structures,
en particulier internationales et multinationales.
2. Bartlett C., Goshal S., « Managing across borders : the transnational solution », Harvard Business Press,
2002.
454
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
☞
Dans une perspective idéale de réseau intégré, avec des compétences réparties entre
les différentes localisations, interdépendantes pour les produits, les ressources et
l’information, les opérations s’inscrivent dans un cadre homogène et interactif ; ce qui
suppose que, dans chaque tradition managériale, des transformations devront s’effec
tuer de la façon suivante :
––pour les entreprises japonaises, dans le sens d’un déplacement des actifs et des res
sources vers les filiales, avec un accroissement parallèle des responsabilités attri
buées aux non-Japonais ;
––pour les entreprises européennes, en limitant l’autonomie des structures locales, en
concevant et en mettant en œuvre un système coordonné, aussi bien au niveau de
l’espace continental européen qu’à l’échelle du monde ;
––pour les entreprises américaines, qui semblent les plus proches de ce modèle, forgé
dans le cadre du marché des États-Unis, le plus grand et le plus riche du monde, avec
leur système de coordination, de planification et de contrôle, en prenant en compte
les mentalités locales et en les considérant comme des facteurs d’enrichissement et
non comme des contraintes dont il conviendrait de limiter le plus possible les effets
sur un système bien rôdé.
L’idée d’entreprise en réseau est donc issue d’une vision critique des schémas
d’organisation existants, en intégrant, depuis cette première formulation, de nou
veaux éléments suggérés par l’évolution de l’environnement politico-réglementaire,
socio-économique et technologique. Les réseaux ont ainsi bénéficié, au cours des
années 1990, de l’ouverture croissante des économies, de l’accélération du traite
ment et de la transmission des données, et de l’harmonisation progressive de la
demande de certains produits, donnant, du même coup, plus de réalité à « l’organi
sation mondiale », dont la réalité a été précédemment discutée1.
Le développement de celle-ci s’inscrit dans une réflexion plus large, intéressant
l’ensemble des organisations, insistant sur le rôle central des « compétences-clés »2,
et permettant, à travers le contrôle d’une technologie ou d’un savoir faire essentiel,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
d’exercer une influence déterminante sur l’ensemble d’une filière jusqu’au produit
final (cf. exemple 8.5).
Au niveau international, se dégagent progressivement, en particulier dans les secteurs
qui relèvent du global ou du transnational, de nouvelles structures, que l’on pourrait
qualifier d’« organisations concept ». Celles-ci exploitent une démarche orientée vers
des catégories déterminées d’utilisateurs – et susceptibles d’évoluer avec le temps –,
à un niveau de qualité élevé et reconnu, autour desquelles va se composer et se recom
poser, de façon permanente, la chaîne de valeur, avec des délocalisations et des reloca
lisations constantes, en fonction des opportunités de commercialisation ou de
1. Voir, supra, 4.1.2., « De la théorie éclectique de la firme multinationale à la définition de stratégies glo
bales ».
2. Définies dans le célèbre article de G. Hamel et Prahalad C.-K., « The Core competence of the corporation »,
Harvard Business Review, mai-juin 1990.
455
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
1. «Wikipedia’s fund raising : Free but not easy », The Economist, 5/11/2011 et articles “Wikipedia” et
“Wikimedia”, Wikipedia, the free encyclopedia, 11/08/2012.
456
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
1. Comme le propose E.Milliot, marqué par la forte convergence des typologies d’organisations internationales
de Porter et de Perlmutter, avec son modèle composite, non déterministe, soulignant l’importance et la spécificité
de l’alignement interactif des stratégies d’internationalisation et des profils organisationnels. Il contribue à préciser
le projet d’organisation, à vérifier la compatibilité des choix et des moyens, à améliorer la communication entre les
parties prenantes et à assurer la cohérence de l’action dans le temps.(voir E. Milliot, « Stratégies d’internationali
sation : une articulation des travaux de Porter et Perlmutter », Management & Avenir, 2005/1 n° 3).
2. Ces analyses reprennent aussi des réflexions communes menées avec Nathalie Prime, par ailleurs auteure, avec
Jean-Claude Usunier, de « Marketing International, marchés, cultures et organisations », Pearson, 2012. Celles-ci
ont été présentées, lors du cycle « Internationalisation et Management Interculturel organisés à ESCP Europe en
2004, avec des responsables de différentes multinationales telles que Carrefour, Accor, Bouygues, Degrémont... Elles
se sont poursuivies depuis, donnant lieu à un certain nombre de communications communes, notamment lors des
premières rencontres de la diversité, organisées par l’IAE de Corse, à Corte, en octobre 2005 (J.-P.Lemaire et N.
Prime, « De la culture d’entreprises à la culture groupe : l’enjeu de la diffusion internationale »).
3. Davel, E., Dupuis, J.P. et Chanlat, J.-F. (sous la direction de) (2008). La gestion en contexte interculturel :
Problémtiques, approches et pratiques, Les Presses de l’Université Laval et Télé-Université du Québec.
457
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
puis le fonctionnement au jour le jour de cette implantation), comme sur le plan externe,
avec, notamment, les clients et les autres parties prenantes concernées. Si ce cas justifie
aussi le choix du mode d’entrée qui a été retenu, avec un contrôle à 100 % de la maison
mère, il fait, cependant, s’interroger sur le risque d’échec considérable que comportait
l’envoi d’un homme seul1, sur les épaules duquel reposait la réussite du projet.
À travers cet exemple, transparait la diversité des situations d’interactions
culturelles liées à la mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation, comme la
manière dont elles peuvent être la source de difficultés, de malentendus -pas seule
ment d’ordre linguistique2 –, mais aussi d’opportunités qui pourront doter
l’organisation d’avantages compétitifs supplémentaires vis-à-vis de ses concurrents.
Surtout si celle-ci cherche à enrichir sa culture d’entreprise de cette diversité3.
1. Repère 8.7. « Quel profil pour piloter quelle phase de l’internationalisation ? »
2. Kassis-Henderson J.,The Implications of Language Boundaries on the Development of Trust in International
Management Teams, in Sanders M.N.K., Skinner D., Dietz G., Gillepsie N., Lewick R.J. (ed.), Oragnizational Trust,
a cultural Perspective, Cambridge Companions of Management, Cambridge University Press, 2010.
3. Lemaire J.-P., Prime N., « Préparer l’organisation à l’aventure internationale » in L’Art de la Croissance,
ESCP/Bain & Company, Edition Village Mondial, 2007. (article publié à l’origine dans Les Echos hors série L’Art
de la Croissance 5, 14 Décembre 2006).
4. Lemaire J.P. « L’approche multiculturelle des affaires », le MOCI, n°955, 14/1/1991.
458
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
Niveau
d’interaction
interpersonnelle
/d’intégration
organisationnelle
1. Cf. H.C. Triandis, « The Self and Social Behavior in different Cultural Contexts », Psychological Review, Vol..
96, 1989, cité par N. Prime, « Culture et Mondialisation: l’unité dans la diversité », L’Expansion Management
Review, Septembre 2001.
2. Ce qui renvoie, pour les enjeux instrumentaux, comme pour les enjeux fondamentaux, à l’ouvrage de Philippe
d’Iribarne, cité plus haut, « La logique de l’honneur » qui souligne que «les traditions où chaque peuple s’enracine
modèlent ce que ses membres révèrent et méprisent ; et qu’on ne peut gouverner sans s’adapter à la diversité des
valeurs et des mœurs».
459
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
• Ensuite, les enjeux fondamentaux seront plus porteurs d’effets pérennes, en intéressant
les institutions qui interagissent entre elles, plus que les individus qui les repré
sentent : dans le cas thaï, ils concerneront les interactions entre l’implantation locale
et ses entités clientes, entre l’implantation locale et sa société mère, ses partenaires
locaux éventuels, ses prestataires et fournisseurs, comme avec les institutions locales
(administrations, banques, etc.). De la qualité de ces interactions dépendra la progres
sion de l’intégration de l’implantation dans l’espace géo-sectoriel de référence ou
d’expansion ; et, dans ce cas, le passage de l’internationalisation initiale à la phase de
développement local. De la maîtrise de ces enjeux dépendra aussi l’établissement
réussi de liens contractuels avec des clients, l’obtention de licences auprès des auto
rités, la mise à disposition de ressources supplémentaires par le siège, etc. ; marquant
ainsi la pérennisation et le développement de l’entité considérée.
Ces enjeux fondamentaux engagent à l’établissement de relations à long terme
avec des interlocuteurs incontournables avec lesquels un climat de confiance devra
s’établir, tant en interne qu’en externe. Ces relations elles-mêmes devront se struc
turer (par exemple, par l’institutionnalisation de consultations régulières pour tout
nouveau projet), avec un souci systématique de convergence (en développant des
approches gagnant-gagnant entre les entités concernées).
Ils soulignent aussi l’importance de la relation au temps qu’il convient de prendre
en compte, en fonction, par exemple, du contexte local thaï et de ses caractéristiques.
Ce à quoi invitent les cinq1 dimensions de Hofstede (cf. repère 8.6) qui soulignent,
entre autres caractéristiques culturelles à forte implication managériale, la relation
-particulièrement souple- au temps, en Asie. Dominée par la flexibilité des échéances,
par rapport à la programmation plus stricte en usage aux Etats-Unis et en Europe du
Nord. D’autres contributions, comme celles de Hall, marquent aussi la capacité des
Asiatiques, comparable, d’ailleurs, à celle des Latins, à mener simultanément plu
sieurs tâches à la fois, faisant preuve d’un « polychronisme » étranger aux cultures
anglo-saxonnes, et, surtout, germaniques, quant à elles, plus « mono chroniques »2.
Cet auteur fait ressortir l’importance du contexte dans le cadre des relations inter
individuelles, particulièrement en Orient et en Extrème Orient, régions à contexte
« fort », où les échanges verbaux ont moins d’importance que le contexte. Dans la
communication, l’information explicite, précise et verbale, essentielle dans un envi
ronnement américain ou occidental, y laisse plutôt place à une communication plus
informelle, subjective, plus floue et non verbale, où les gestes et les attitudes revêtent
une importance décisive3.
1. Hofstede en a d’ailleurs suggéré d’en introduire une sixième en 2009, opposant indulgence et sévérité
(Hofstede G., Hofstede G.J., Minkov M., Cultures et organisations : nos programmations mentales, 3ème édition,
Pearson Education, 2010).
2. Hall, E. T. (1978). La dimension cachée. (1ère édition en anglais : 1966, NewYork : Doubleday). Paris : Seuil.
Hall, E. T. (1984). La danse de la vie. Temps culturel, temps vécu. (1ère edition en anglais : 1983, New York :
Doubleday / Anchor Books). Paris :Seuil.
3. Hall, E. T. (1979). Au-delà de la culture. (1ère édition en anglais : 1976, New York, Doubleday). Paris : Seuil.
460
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
c Repère 8.6
Les cinq dimensions de Hofstede appliquées à la Thaïlande1
Le modèle de Hofstede, à cinq dimensions, permet de cerner les particularités de la
culture thaïe et d’en tirer les implications managériales générales comme opération
nelles ; sans pour autant que les pratiques de Jérôme, comme les attitudes de ses col
laborateurs, ne coïncident toujours parfaitement avec celles-ci :
••La distance hiérarchique, tout d’abord : en dépit d’un score de 64 sur 100 pour la
Thaïlande (légèrement inférieur à la moyenne asiatique de 71), traduit un pays où la ligne
hiérarchique est respectée et un certain protocole observé. Chacun reste à sa place ; les
inférieurs marquant loyauté, respect et déférence pour leurs supérieurs ; ceux-ci leur
accordant en retour protection et soutien.
¼¼Ce qui traduit un management paternaliste, une attitude formelle vis-à-vis des diri
geants, un contrôle plutôt étroit de ces derniers sur les flux d’informations.
••L’individualisme, ensuite : avec un score de 20, la Thaïlande apparait comme un pays for
tement collectiviste, où les liens sont forts entre les membres de groupes étendus allant
bien au-delà de la famille. Le refus du conflit y est marqué, «oui» n’y signifie pas systé
matiquement l’acquiescement, et le sens de la face, spécialement devant des membres de
son groupe, est, également très élevé.
¼¼Etablir des liens personnels est donc essentiel pour gérer des équipes thaïes et cela
prend du temps pour bâtir une relation durable avec un collaborateur.
••La masculinité (opposée à la féminité) met en avant les meilleurs, par opposition aux
sociétés qui recherchent la prise en compte de tous et la qualité de la vie : avec un score
de 34, le pays peut être considéré comme plus féminin que masculin (par rapport à une
moyenne asiatique de 53)
¼¼Prendre soin de son personnel sera donc un impératif pour un responsable ; tout
comme il pourra s’attendre à ce que son personnel ait le même souci à son égard.
••L’aversion pour l’incertitude, est caractéristique d’une société dont les membres
appréhendent les incertitudes de l’avenir et privilégient des croyances et des institutions
qui tendent à les réduire ou à les éviter. Avec un score de 64, la tendance y est clairement
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
«adverse» à l’incertitude.
¼¼En conséquence, il faut s’attendre de la part de ses équipes locales à une certaines
résistance au changement et à un certain refus du risque.
••L’orientation vers le long terme, enfin, est étroitement reliée au confucianisme et peut être
interprétée comme une recherche pragmatique de la vertu et de l’harmonie : un score de
56, presqu’autant que les autres pays d’Asie, expliquant l’importance accordée en
Thaïlande au travail et à la modération.
¼¼Cette caractéristique conduit les Thaïs à se montrer souples dans la négociation, sans
souci particulier du respect des échéances et à renforcer leur rejet du conflit.
1. Voir D. Bollinger et G.Hofstede, Les différences culturelles dans le management. Paris, Les Éditions d’Organi
sation, 1987. Basées sur un projet mené au sein du départment de recherche de la société IBM, G.Hofstede a d’abord
étudié les différences culturelles entre les personnels des filiales de cette multinationale dans 64 pays. D’autres études
complémentaires ont été menées ensuite pour les compléter. Ces travaux ont abouti à la détermination de quatre dimen
sions indépendants des différences culturelles nationales, complétées par une cinquième ultérieurement. Les données
présentées ici pour la Thailande proviennent du site officiel de G. Hofstede, <geert-hofstede.com>.
461
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
c Repère 8.7
Quel profil pour piloter quelle phase de l’internationalisation
de l’organisation?1
••À la phase d’internationalisation initiale : des « pionniers » capables de…
––repérer les opportunités et les « facilitateurs » locaux
––structurer le cadre contractuel/ technique/relationnel de base
––identifier les compétences locales à mobiliser (intermédiaires/correspondants)
––l’ajuster et le faire accepter à la structure mère
••À la phase de développement local : des « développeurs »… capables de…
––faire accepter l’implantation à l’environnement local (indigénisation)
––développer les réseaux et les relations avec les parties prenantes locales de l’organisation
––structurer les équipes (amalgame entre expatriés et locaux)
––concilier les contraintes locales avec celles du siège
••À la phase de multinationalisation : des « intégrateurs »… capables de…
––organiser un cadre relationnel multipolaire et interactif
––assurer la collaboration des équipes entre les différentes implantations
––les faire évoluer en fonction des mutations internes et externes
––envisager sur un plan élargi et harmonisé les relations avec les différents interlocuteurs
externes
1. Ces défintions de profil ont été élaborées en relation avec les responsables GRHI de plusieurs groupes multi
ationaux, français - tels Bouygues, Dégrémont, Accor, Carrefour..- ayant témoigné dans le cadre du ‘Cycle Inter
n
nationalisation et Management Interculturel » (Janvier-Avril 2004), organisé par ESCP-EAP, (coordination
scientifique de J.-P.Lemaire et N. Prime).
462
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
Dans le cas introductif, Jérôme possède les qualités qui lui ont permis d’assumer
dans les meilleures conditions les deux premières étapes. Sans présumer de sa capa
cité de faire face aux qualités qui lui seraient nécessaires pour la troisième, il faudra,
le plus souvent, faire appel à des profils distincts, en termes de compétences
techniques, managériales et linguistiques, d’expérience interculturelles, de capacité
d’interaction interne et externe, pour assumer les missions correspondant à chaque
phase.
––La composante organisationnelle peut s’appuyer, elle aussi, sur la succession
des phases et, plus particulièrement, sur l’évolution des relations entre le siège et
les implantations, au fil du parcours permettant de passer de l’une à l’autre.
Agent
(pays tiers)
Agent
client
(pays tiers)
direct occasionnel
Présence
exploratoire
SIEGE Distributeur
Fournisseur local
ponctuel
Zone cible
Sous traitant initiale
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
local
463
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
Agent
Grand (pays tiers)
Compte
(multi zones)
Développement
Sous traitant
multi-local
local
(clients/fournisseurs
-cibles) SIEGE
JV locale
Production
464
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
3. La coordination et l’interoperabilite :
de l’ajustement multifonctionnel à la quasi intégration et à l’intégration
Filiales
Commerciales
locales
Fournisseurs
SIEGE Distributeurs
Filiale Quasi-intégrés
Intégrée
(régionale)
Coordination
et optimisation
des fonctions
JV
Prod/distrib
locale
465
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
L’un des problèmes de fond de l’internationalisation, pour toutes les fonctions, est
la question de la standardisation et de l’adaptation. Quand on l’applique à la fonc
tion gestion des ressources humaines, on s’aperçoit qu’il y a certains facteurs de
contingence qui influent sur les décisions.
• Le premier facteur important, correspond à la nature des métiers et à l’intensité
technologique : dans les métiers qui sont « culture free1 », c’est-à-dire déconnectés
de la culture nationale, comme les industries à fort contenu technologique, il est
plus facile de standardiser les métiers et les procédures. En revanche, dans les
métiers qui sont très liés à la culture nationale, « culture bound », comme les ser
vices et, en particulier, les études marketing, en Thaïlande, dans le cas introductif,
l’adaptation locale est indispensable.
• Un deuxième facteur dépend du mode d’implantation et du niveau de contrôle du
siège. Plus le siège détient un contrôle étroit sur le savoir-faire et s’engage sur le
plan financier, plus le lien avec les équipes locales sera facile à établir et les
procédures à standardiser. Et plus les besoins de formation seront élevés, comme
dans les économies en croissance rapide, plus il sera aisé d’y standardiser les
politiques de GRHI, alors que, dans les économies matures, certaines résistances
pourront se manifester2.
• Enfin un troisième facteur – essentiel- procède de la culture d’entreprise elle-
même. En effet, dans un même secteur peuvent coexister des cultures d’entreprise
tout à fait originales3, des identités organisationnelles spécifiques4, des manières
de faire particulières5. Le caractère centralisé ou décentralisé de l’organisation se
reflètera sur la culture d’entreprise, avec, aussi, un impact sur la GRHI : plus la
centralisation sera marquée, plus les procédures et la gestion des ressources
humaines risqueront d’être standardisées.
Ainsi de la maîtrise des interactions culturelles au sein de l’organisation, aux dif
férentes phases de l’internationalisation et de leur déclinaison au niveau des
différentes fonctions, dépendra largement le succès ou l’échec de la mise en œuvre
de la SDI. Et, dans cette perspective, la culture d’entreprise et sa capacité de diffu
sion internationale, comme de se nourrir des apports venant d’ailleurs, pourraient
constituer un véritable catalyseur de l’internationalisation de l’organisation.
1. Cf. R.M. Mason, “Culture-Free or Culture-Bound? A Boundary Spanning Perspective on Learning in
Knowledge Management Systems”, Journal of Global Information Management, 11(4), 20-36, Oct-Dec 2003
2. Cf. Barmeyer Ch., Davoine E., Güsewell A., “La Gestion des compétences interculturelles dans le groupe
Bosch”, in Peretti J.M. Tous talentueux, Editions d’Organisation, 2008.
Barmeyer Ch., Mayrhofer U., « The Contribution of Intercultural Management to the Success of International
Mergers and Acqusitions : an analysis of EADS Group », International Business Review, 17 (1), 2008.
3. Qu’exprime bien le terme de « L’Oréalien » en usage dans la firme de Clichy, ou, au Japon, pour « les gens
de Mitsui » dans le paragraphe suivant.
4. Comme le Toyota Production System.
5. Comme chez Huawei, la nécessité, jusqu’à une période récente, au moins, d’avoir « fait ses classes » dans les
pays émergents d’Afrique ou d’Asie avant de pouvoir prétendre à prendre des responsabilités plus importantes dans
un environnement plus « confortable », au siège ou dans les implantations européennes de la firme.
466
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
Salariés CLIENTS
et managers et Prospects
Symboles,
rituels et normes
Actionnaires langage, style, organisation,
et investisseurs sous-cultures,.. Autorités
locales
Fournisseurs
et prestataires Leaders d’opinion
et Grand Public
« Cœur » :
image, valeurs
partagées ou
imposées ?
Environnements Environnements
d’implantation Culture Culture d’implantation
« métier » sectorielle
Histoire
d’entreprise
Environnements leaders / fondateurs Environnements
d’implantation d’implantation
Environnement d’origine
1. Cf. les analyses de Philippe d’Iribarne, à vingt ans d’intervalle, d’abord, dans son ouvrage clé La Logique de
l’honneur (1989), dans lequel il comparait, avec une approche ethnologique, à travers trois usines du groupe Saint-
Gobain -en France, aux Etats-Unis et en Hollande-, l’impact des cultures nationales des modes de fonctionnement
très contrastés, ensuite les convergences comme les divergences de valeurs qu’il a pu observer au sein du groupe
Lafarge dans L’épreuve des différences (2009).
467
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
à des géants, comme Nestlé ou Kraft. Ces étapes ont progressivement créé et nourri très
fortement la culture d’entreprise, comme elles ont pu la faire évoluer, au fil des années.
Ainsi, pour Danone, en quelques années, toute la branche condiments a disparu de l’orga
nigramme, tout comme, plus récemment, la branche biscuits et grignotage ; le redéploie
ment géographique a changé d’échelle, à travers, notamment, la multiplication des
acquisitions, dans les économies à croissance rapide..
De provinciale à nationale puis continentale, l’organisation, confrontée à une pression
concurrentielle de plus en plus intense, exposée désormais, comme en Chine, à des contex-
tes de consommation, mais aussi, institutionnels, difficiles, peut, de moins en moins,
s’accorder de la culture paternaliste qui est restée la sienne pendant des décennies.
c Repère 8.8
La métaphore de l’arbre1
Une manière de représenter cette mutation et ce métissage est d’assimiler l’organisa
tion en voie d’internationalisation à un arbre et à son éco système : si l’on part des
racines, on mesure la solidité de l’embase, les apports du terreau originel et de ses
adjuvants, à travers l’histoire de l’entreprise, l’empreinte de ses fondateurs et de ses
dirigeants successifs, les évolutions de son environnement. La culture nationale s’y
combine généralement, de manière étroite, avec une culture métier et une culture sec
torielle. Au gré des transformations du modèle économique, le développement de
nouvelles implantations, de nouvelles activités va faire évoluer cette culture initiale
sans, bien sûr, la faire disparaître.
Le tronc correspondra aux valeurs partagées ou imposées, aux procédures, aux
systèmes de contrôle et la partie haute, les branches, pourraient représenter les sym
boles, les rituels, les langages… ; celles-ci sont visibles, beaucoup plus que les racines
et se traduisent en interactions avec le milieu ambiant, par l’intermédiaire des salariés
et des dirigeants, parties prenantes les plus proches du tronc. Ce « milieu ambiant »
inclura aussi les actionnaires et les investisseurs, comme les fournisseurs réguliers ;
comme les clients et les prospects, les autorités locales ou multi gouvernementales, les
leaders d’opinion et le grand public. Et, plus on ira vers l’international, plus c’est cette
partie haute qui tendra à s’élargir.
Si le développement international se fait par transplantation d’une pousse dans un nou
v eau terreau, aura-t-il plus de chance de prendre qu’en ont de se mêler harmonieusement
les ramures de deux arbres aux racines déjà bien enfoncées dans leur sol respectif ?
Une grosse erreur des joint-ventures, au sens très large, mais, aussi des fusions d’entre
prises, c’est souvent un manque de vision claire qui fait que, finalement, on obtient
quelque chose qui ne ressemble à rien. Ainsi, dans le cas du rapprochement de
Daimler Benz et de Chrysler, le défaut, au départ, d’une vision commune a conduit
l’arbre le plus gros, le plus fort à phagocyter l’autre. Par la suite, lors du rapprochement
de Fiat et de Chrysler, une vision plus claire et partagée a permis à chacun des deux
partenaires de mieux tirer parti du rapprochement.
468
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
Global
Diffusion
univoque de
central la culture
d’origine
Naissance Diffusion
et développement de la culture d’origine Multi-local
de la culture et stimulation des
d’entreprise « effets retour » Enrichissement
extensif et interactif
Apports de la d’une culture d’entreprise
diversité des partagée
local
cultures Décloisonnement
locales
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
organisationnel
(géo-sectoriel, et
Internationalisation Développement Multinationalisation culturel)
initiale local
J.P.Lemaire, adapté de J.P.Lemaire et N.Prime (2002)
Toute la question résidera donc dans la façon de répondre à cette nécessité de dif
fuser et d’enrichir, tout à la fois, la culture d’origine pour en faire une culture par
tagée : cela supposera de prendre en compte et de maîtriser les facteurs, qui, d’une
1. Prime N., Usunier J.C., Marketing international. Marchés, cultures et organisations, Pearson, 2011.
2. Lemaire, J.-P. et Prime, N. (2007). « L’enjeu de la diffusion internationale de la culture », in Bournois, F.,
Duval-Hamel, J., Roussillon, S. et Scaringella, J.L. (sous la direction de), Voyage au cœur de la dirigeance, Editions
d’Organisation.
469
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
c Repère 8.9
Maîtriser les facteurs inhibant et facteurs stimulant la diffusion et l’enri
chissement de la culture de l’organisation internationale1
Pour ce qui est des facteurs qui inhibent, on retiendra les plus fréquents :
••Tout d’abord, l’ethnocentrisme, ou, plus précisément, le « corpo centrisme », fait se
considérer l’organisation qui s’internationalise comme la seule détentrice de la vérité ; ce
qui est souvent perçu comme de l’arrogance, en particulier par ses partenaires étran
gers.
••Ensuite, l’ignorance, traduit souvent une mauvaise compréhension des autres envi
ronnements. Les images nationales croisées sont, à ce titre, très importantes et font que
l’on se représente les autres de façon négative, multipliant par là les occasions de malen
tendus et les conflits.
••Il y a aussi, souvent, la distance culturelle, qui résulte des différences de valeurs, de
références, de comportements qui rendrait la collaboration plus difficile au-delà de l’ère
culturelle d’origine.
••Enfin, d’un point de vue plus « biologique », se manifeste souvent l’absence d’attention
à long terme, après la transplantation du modèle culturel du pays d’origine. Transférer sa
culture d’entreprise d’emblée ne suffit pas ; il faut ensuite l’enrichir et favoriser son
assimilation, en particulier dans le cadre des acquisitions multiples que l’on peut observer
dans des groupes internationaux qui ont grossi très vite.
Il y a, par ailleurs, d’autres facteurs inhibants spécifiques, comme la croyance dans le
fait que la connaissance est une prérogative des élites et non de l’ensemble de l’orga
nisation ; comme, aussi, le caractère tacite et spécifique de certaines connaissances
(« sticky » , autrement dit, « collantes »), que l’on a, de ce fait, du mal à transférer. S’y
ajoutent, réciproquement, la difficulté à mettre en œuvre les éléments importés dans
un autre ou d’autres environnement(s) ; ainsi que la résistance à ce qui vient de l’exté
rieur, comme l’intolérance à l’erreur,
Il y a aussi, heureusement, des facteurs qui stimulent la diffusion et l’enrichissement.
••Ils résident, dans l’adoption d’une posture initiale favorable à la diffusion de la culture
d’entreprise, en se focalisant sur les savoirs clés à transférer, en adoptant une langue
commune (une bonne pratique de l’anglais et/ou d’une seconde langue), en n’hésitant
pas à développer l’innovation hors de la maison mère (comme la localisation du design
européen de Toyota à Nice).
☞
470
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
☞
••Ils résident aussi dans l’affichage d’une vision précise, communiquée et partagée, du
développement stratégique et organisationnel de l’institution, s’appuyant sur la convic
tion que « la motivation est dans le projet ». Ils se traduisant par un engagement visible
des états-majors, une mise en œuvre, une appropriation et un suivi soigneux des compo
santes clés de la culture d’entreprise (comme le Toyota Production System à Valen
ciennes), la systématisation du travail en réseau, en équipes multiculturelles,
indépendamment des hiérarchies traditionnelles (approche projet généralisée, task-force
spéciale pour harmoniser les initiatives et redistribuer le savoir). Ils favorisent, enfin, la
mise en œuvre d’un véritable Management Stratégique du Knowledge et des Ressources
Humaines à l’International.
471
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
––en développant une perception plus aigue des attentes des pays d’implantation
et une réactivité plus grande1, et, surtout en développant la responsabilité
sociale de l’entreprise (RSE), qui ménage une meilleure insertion de l’organi
sation dans le corps social local, en l’associant à la prise en charge et à la réso
lution de défis transversaux – santé, éducation, lutte contre la pauvreté… –, ou
infra nationaux – vis-à-vis de certaines populations, communautés ou groupes
sociaux etc. – ;
––en s’attachant à la diffusion de son image et en facilitant la communication de son
concept, tout en limitant son recours à la publicité, comme Zara, qui figure parmi
les toutes premières marques identifiées par la clientèle féminine dans le monde
entier.
1. Comme a pu le démontrer Perrier, il y a quelques années, en retirant immédiatement des linéaires américains
toutes ses bouteilles à l’annonce de traces de benzine identifiées dans quelques bouteilles.
2. Cf. www.nature.org, www.dow.com , B. Walsh, “Paying for Nature”, Time, 21/2/2011. À noter que cette
compagnie a été un des producteurs du célèbre Agent Orange utilisé au cours de la guerre du Vietnam et qu’elle est
également responsable de la plus grande catastrophe naturelle de touts les temps à Bhopal, en décembre 1984, où
les émissions de gaz toxiques émanant de son usine ont tué 8000 indiens en en intoxiquant plusieurs dizaine de
milliers (cf. O.Bailly, « Bhopal, l’infinie catastrophe », Le Monde Diplomatique, décembre 1984).
472
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
effet, pour autant qu’on la réalise, une meilleure synchronisation et une meilleure
coordination entre les différentes implantations de l’organisation. Elle concourt à
l’adoption d’une approche systématique de la capitalisation d’expérience, mettant à
profit succès et erreurs. Elle conduit à une évolution du « gouvernement d’entre
prise », valorisant les apports de ses parties prenantes internes, stimulant la créativité
au niveau des implantations, pour aboutir, enfin, à de meilleures performances et à
une meilleure évaluation/reconnaissance de l’organisation.
Ce sont ces différents éléments, qu’une organisation multinationale comme Yara,
s’efforce de maîtriser dans le cadre de sa structure et de ses fonctions déployées sur
les cinq continents, en recherchant les solutions les plus à même de mettre en œuvre,
aussi efficacement que possible, ses orientations internationales dans un espace
d’expansion tendant à couvrir le monde entier.
Cas d’application 1
Yara, une structure souple et homogène
pour un leadership mondial
Dans un secteur très atomisé dont les trois ou quatre leaders mondiaux contrôlent
moins, à eux tous, de 20 % de la production mondiale, Yara, démembrement (spin
off ) de la principale firme norvégienne, Norsk Hydro, a affirmé très tôt son ambi
tion. Elle envisageait, en effet, juste avant la crise financière, quelques années à
peine après son introduction à la bourse d’Oslo, en mars 2004, de contrôler 10 %
du marché mondial en 2011.
Les engrais constituaient une activité historique pour le géant norvégien, qui avait
développé, au début du XXème siècle, une technologie d’avant-garde, appuyée
dans un premier temps par l’énergie hydroélectrique très largement exploitée alors
dans le pays. Mais, progressivement, depuis, en dépit d’un développement, domes
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473
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
rables quantités d’énergie, dans d’énormes usines, comme Qafco 5 et bientôt
Qafco 6, qu’elle exploite en joint venture avec l’Etat du Qatar. Elle produit aussi de
l’ammoniac et de l’urée qui constituent également des composants fabriqués en
amont. La firme est aussi en très bonne position en aval, en étant n°1 dans le monde
ou en Europe pour les applications azotées, les engrais de spécialité et, surtout, pour
le marketing et la distribution. Elle possède des usines, des terminaux ou des dépôts
dans plus de cinquante pays et commercialise ses produits dans plus de 150.
Ce très large déploiement international lui assure un meilleur lissage de ses ventes,
puisque, dépendante à 50 % environ des marchés européens -où elle continue de
se renforcer, cependant-, elle peut compter sur les nouvelles économies à crois
sance rapide, où elle est de plus en plus présente et où la hausse des revenus indi
viduels détermine une augmentation de la demande de produits alimentaires et,
particulièrement, de protéines animales. C’est aussi une évolution envisagée que
l’élargissement de l’offre des engrais proprement dits aux « solutions agrono
miques », autrement dit, des produits aux services.
Par ailleurs, Yara a développé, une activité industrielle qui contribue largement à son
chiffre d’affaires et à ses résultats, sur la base de la commercialisation des sous-
produits de la fabrication, en amont de la filière, des composants des engrais.
Elle a, cependant, été touchée sévèrement par la crise financière, juste après 2008.
Les « fondamentaux » de son activité sont soumis, par ailleurs, à des fluctuations
très importantes : particulièrement en amont, le prix des intrants, – énergie, matières
premières – comme, en aval, celui des extrants – les produits finis –, tout comme
des coûts logistiques, sans parler du change, constituent, avec les taux d’intérêt, des
facteurs de risque qu’il faut sans arrêt prendre en compte. Pour autant, en 2011, les
résultats financiers ont été remarquables : avec une forte croissance du chiffre
d’affaires et des profits par rapport au niveau déjà record qu’ils avaient atteint en
2010, Yara affiche, avec un chiffre d’affaires de 13 milliards de dollars, environ, et
un EBITDA dépassant sensiblement le milliard, une excellente santé qui reste, mal
gré tout, tributaire des aléas de l’environnement – économique-social et politico-
réglementaire, particulièrement – : les événements en Lybie l’ont ainsi amenée à
interrompre la production de l’usine qui venait d’entrer en service, contribuant au
plafonnement de sa production en volume au cours du dernier exercice.
Mais Yara place au premier rang des avantages compétitifs qu’elle s’attache à culti
ver par rapport à la concurrence, la flexibilité de son organisation, tout comme sa
présence tout au long de la filière industrielle, les économies d’échelle qu’elle y
réalise, notamment en amont, et sa présence sur un très grand nombre de mar
chés.
C’est là-dessus qu’elle table pour développer sa position, en la renforçant par crois
s ance organique ou dans le cadre de joint-ventures, en créant, de nouvelles usines
hautement productives pour ses composants, en Europe, au Moyen Orient et en
Amérique du Nord, pour n’évoquer que les plus récentes. Elle procède également
à des acquisitions importantes, comme elle l’a fait au cours des dernières années,
en Australie, en Finlande, au Brésil.., s’assurant, du même coup, une présence sans
cesse plus importante dans tous les espaces géo-sectoriels clés, comme dans les
plus prometteurs, pour son activité principale.
☞
474
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
☞
Son organisation, longtemps concentrée en l’Europe, entre son siège d’Oslo, demeuré
de taille modeste, et son implantation parisienne, située près de la Défense, a essaimé
au cours des dix dernières années : Bruxelles est devenu le centre -le hub- pour
l’Europe continentale, Singapour, pour l’Asie, Sao Paulo pour l’Amérique Latine, Paris
étant toujours en charge de la zone méditerranéenne et de l’Afrique.
Si le siège s’attache à donner les orientations, à stimuler la performance et à préparer
les dirigeants de demain, les différents centres continentaux ou subcontinentaux, plus
proches du terrain, plus au fait de ses caractéristiques, de ses cultures, de ses pra
tiques, en assurent l’ adaptation, l’application et la mise en œuvre opérationnelle.
Disposant donc d’une réelle autonomie, les équipes ont donc largement le senti
ment de contribuer au développement de la firme, se sentent valorisées et, où
qu’elles se trouvent, parties prenantes de l’organisation. L’engagement, le sentiment
d’appartenance et la loyauté des collaborateurs constituent donc, pour les respon
sables du siège une des caractéristiques remarquables de l’organisation.
En devenant indépendante, Yara a hérité des trois valeurs d’Hydro Agri, qui constituait,
avant 2004, le département engrais de Norsk Hydro : la loyauté, la responsabilité et
l’esprit d’équipe, en y ajoutant, depuis, l’ambition. Elle explique, au-delà de leur valeur
symbolique, la réussite de projets de développement tels que Qafco 5 et 6, au Qatar,
où la joint venture, combine l’expertise d’ingénieurs, d’agronomes et d’autres spécia
listes qui concourent à élaborer les meilleures pratiques en travaillant en étroite
collaboration. Tous ces développements, cependant, n’ont pas toujours été couronnés
de succès, comme au Nigéria, où la corruption, l’instabilité politique et économique
chroniques et le faible développement du marché l’ont conduit au retrait.
Même si le Conseil d’Administration et le Comité de Direction sont encore compo
s és dans leur grande majorité de Norvégiens, l’éventail des nationalités représentées
parmi les 7500 collaborateurs de l’organisation est de plus en plus ouvert. Les
citoyens du pays d’origine n’y représentent que 10 %, en nombre moins important
que les Brésiliens qui atteignent 13 % de l’effectif. Cette diversité constitue un
incontestable facteur d’enrichissement pour l’ensemble de l’organisation, même si
elle engendre son lot de difficultés dans les relations, sur le plan linguistique et
interculturel, comme, parfois, des malentendus.
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475
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
Une voie particulière a, notamment, été privilégiée pour faciliter cette évolution : la
constitution d’un vivier de jeunes cadres à fort potentiel, ayant l’expérience de
l’« exposition » aux différences culturelles, dont le parcours international et la for
mation permettent et permettront à l’organisation de disposer des talents nécessaires
pour assurer sa croissance, en renforçant son homogénéité.
Le défi est, en effet, d’articuler harmonieusement, au niveau des fonctions, comme,
par exemple, les ressources humaines ou la finance, la gestion la plus efficace pos
sible des contraintes et des opportunités, aussi bien au niveau central qu’au niveau
local, en faisant le partage entre ce qui doit y être respectivement administré.
Ainsi, en amont de la filière, les prix des matières premières ou les produits semi
transformés – le gaz, l’ammoniac ou l’urée- sont très fluctuants et, le plus souvent,
négociés en dollars et en quelques monnaies véhiculaires. En aval, les ventes
s’effectuent en devises locales, avec une dominance de l’euro en zone européenne
(mais la devise norvégienne ne fait pas partie de la zone euro), et d’une multitude
de devises, dont bon nombre fluctuent davantage autour du dollar. La question se
pose alors de localiser convenablement la gestion des risques1, comme la gestion
de la trésorerie et de répartir les rôles et responsabilités entre le siège et les différents
hubs continentaux ou subcontinentaux de l’organisation ; de manière à ce que le
développement du modèle économique puisse s’appuyer sur un modèle financier
propre à satisfaire ses besoins dans le cadre de l’évolution dynamique de la structure
d’ensemble.
Questions de réflexion
1 ■ Dans quel secteur d’activité opère Yara ? Quelles en sont les principales
contraintes et comment évolue la demande dans les économies matures, dans
les économies émergentes ? Quelles fluctuations la caractérisent ? Comment
se positionne Yara dans ce secteur ? Quelles sont ses ambitions ? Comment
peuvent se résumer ses principales orientations ? Quelles implications
comportent-elles en termes de mise en œuvre ? En quoi la culture d’entre
prise est-elle en mesure de faciliter cette mise en œuvre ? En quoi cette
culture a-t-elle évolué depuis la dissociation de Yara et de Norsk Hydro ?
2 ■ Quelles sont les principales contraintes organisationnelle de Yara ? Quelles
conséquences pour l’organisation présente sa présence aux différents étapes
de la filière ? Comment est pris en compte le déploiement géographique ?
Quelle place respective occupent le siège, d’une part, les implantations,
d’autre part ? Comment se répartissent les rôles sur un plan général ? Quelles
difficultés cela pose-t-il ? Comment sont-elles résolues ? En particulier, quel
système d’organisation a été adopté par activité, par zone géographique, par
fonction ? Matriciel ? En réseau ? Une combinaison de plusieurs d’entre
1. Voir supra, chapitre 2, section 3, “La prise en compte du risque : « macro-risques et micro-risques »
476
Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
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Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
L’essentiel
Une fois définis les grands objectifs de la SDI et choisie la nature de la stratégie
d’internationalisation, il s’agira, en termes de mise en œuvre, tout d’abord, de
déterminer les priorités géographiques retenues et les modes d’approche à privi-
légier.
La démarche de sélection des localisations-cibles s’inscrit dans une logique
consistant à mobiliser une première série de critères simples pour retenir un cer
tain nombre de localisations potentielles pour y commercialiser les produits ou
services, comme pour y délocaliser tout ou partie de la production ou y sous-
traiter certains composants ou sous-ensembles.
C’est la formulation de la SDI qui aura permis, dans un premier temps, de pré
ciser ces critères et d’en pondérer l’importance des uns par rapport aux autres,
pour établir des priorités. Il s’agira, au stade de la mise en œuvre, de désigner
les grandes options retenues, de déterminer des limites d’engagement compa
tibles avec les ressources de l’entreprise, de fixer les objectifs géographiques à
atteindre et le rythme de cette approche, tout en combinant, au-delà de l’utili
sation de grilles comparatives, les attraits de chaque localisation potentielle avec
les atouts dont l’entreprise y dispose.
Le choix du ou des modes d’approche à l’international, quant à lui, s’effectuera
en fonction des enjeux liés à chaque localisation retenue, des types de formules
accessibles et des anticipations pouvant être avancées sur l’évolution du potentiel
offert par chacune de ces localisations.
En effet, l’intérêt des modes d’approche peut être apprécié en fonction du niveau
d’engagement que chacun requiert, associé au niveau de contrôle qu’il autorise
pour l’entreprise qui les pratique, et de la compatibilité que peuvent présenter ces
différentes formules avec ses impératifs de coordination d’ensemble, ainsi
qu’avec les évolutions qu’ils permettent vers d’autres formules.
Par ailleurs, la dynamique des modes d’approche dessinera des schémas d’évo
lution et de transformation de l’organisation, à partir de la palette des solutions
envisageables aux trois phases du développement international de l’entreprise,
aussi bien au niveau de chaque localisation que de l’organisation d’ensemble.
Elle fera ainsi ressortir des « cheminements », qui peuvent varier selon la nature
de l’activité et les fonctions de l’entreprise, en distinguant des cheminements à
dominante commerciale (intermédiaires, structure commerciale en partenariat ou
en propre, structure intégrée, etc.), de cheminements à caractère industriel (ces
sion de licence, partenariat ou filiale de production, filiale intégrée, etc.), sans
préjudice de toutes les variations et ajustements, déterminés par les contraintes
☞
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Mise en œuvre de la stratégie d’internationalisation ■ Chapitre 8
☞
de rythme de croissance, la focalisation sur certaines activités ou encore des fac
teurs psychologiques ou la nécessité de réagir par rapport à une opportunité.
Mais la mise en œuvre ne peut se limiter à la finalisation des localisations cibles
et au choix des modes d’entrée, elle va recouvrir d’autres aspects qui concoure-
ront de manière décisive à son heureux aboutissement :
L’évolution des schémas organisationnels constitue un aspect particulièrement
complexe, dans la mesure où les structures traditionnelles se trouvent remises en
question par les nouvelles orientations déterminées, notamment, par l’accéléra
tion de la globalisation et le développement de supports de communication qui
modifient considérablement les données du problème, particulièrement pour les
born global.
Au fur et à mesure que l’entreprise accentue sa globalisation, ces structures tra
ditionnelles tendent, habituellement, à transformer ce qui était à l’origine une
organisation domestique comportant des services ou une division internationale,
en structure multinationale, à dominante géographique (en particulier, si ses acti
vités sont diversifiées et/ou ont un caractère très localisé) ou à dominante ligne
de produits (pour les firmes à la gamme d’activités, à la fois, plus restreinte et,
surtout, plus technologique, pour des produits standardisés, à vocation plus glo
bale).
Mais l’instabilité de l’environnement a conduit de plus en plus d’entreprises à ne
plus trancher en donnant la prééminence aux lignes de produits ou aux zones
géographiques, tout en prenant davantage en compte d’autres dimensions essen
tielles, comme les grandes fonctions, les segments de clientèles ou les donneurs
d’ordres principaux. Elles ont ainsi suscité l’apparition de structures matriciel
les, qui, en dépit de la flexibilité qu’elles veulent donner à l’ensemble de l’orga
nisation, peuvent y introduire de fortes tensions. L’accélération de l’ouverture
internationale et de l’innovation, dans certains secteurs, comme les NTIC, peu-
vent déterminer l’apparition de structures en réseau, constituant des « entre
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prises concepts » opérant à un niveau global, sans préjudice d’un grand souci
d’efficacité locale. Elles recherchent une flexibilité maximum, tant au niveau de
leurs lignes de produits, de leurs orientations géographiques, que de l’optimi
sation de leur structure fonctionnelle. Elles n’hésitent pas à recomposer en per
manence leur chaîne de valeur, à la recherche d’une amélioration en continu de
leur organisation.
L’intégration des interactions culturelles constitue, enfin, une dimension essen
tielle de la mise en œuvre, pour autant que sa réussite dépende d’une bonne
identification de ces interactions tant avec les parties prenantes externes qu’avec
les parties prenantes internes, en distinguant leurs enjeux à court terme (instru
mentaux) de leurs enjeux à plus long terme (fondamentaux).
☞
479
Partie 2 ■ L’audit d’internationalisation des organisations
☞
La prise en compte de ces interactions culturelles s’adaptera à chaque environ
nement interculturel, à travers le mode de management développé localement,
comme à travers les relations entre le siège et les implantations, quelle que soit
leur forme, que l’organisation aura déployées dans le (ou les) différent(s)
espace(s) géo-sectoriel/d’expansion où elle opère.
Le développement d’une culture d’entreprise largement diffusée et partagée au
niveau international constituera, enfin, l’élément fédérateur propre à cimenter
l’organisation, en tirant parti des différences, plus qu’en les subissant, pour opé
rer un véritable « levier culturel » constituant pour elle un avantage compétitif
déterminant vis-à-vis de la concurrence comme vis-à-vis de l’ensemble des par
ties prenantes internes et externes.
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Conclusion :
De l’audit
au plan d’action
international
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Conclusion : De l’audit au plan d’action international
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Stratégies d’internationalisation
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Stratégies d’internationalisation
litant les relations et en limitant les malentendus auxquels elles pourraient donner
lieu.
À noter que cette mobilité est déjà exploitée par un certains nombre de pays hôtes
qui cherchent à bénéficier de cet apport de compétences pour combler des déficits
catégoriels -de techniciens ou d’ingénieurs, en particulier- que réclame leur crois
sance1ou, comme dans un nombre croissant d’économies matures, pour compenser
leurs déficits démographiques2.
À l’inverse, dans certaines économies à croissance rapide, les autorités prennent
de plus en plus conscience de l’importance de leur diaspora, de l’acquisition par
leurs ressortissants émigrés de savoirs et de savoir-faire utiles à la mère patrie, ou de
capitaux, propres à y être réinvestis. Ils favorisent de plus en plus, en conséquence,
leur retour et/ou encouragent le rapatriement de tout ou partie de leurs actifs finan
ciers3.
Mais, au-delà de cette catégorie plus éduquée, qui cherchera à valoriser ou à déve
lopper ses compétences, ce sont aussi d’autres flux -non qualifiés et, souvent,
clandestins-, qui défient les frontières et les bras de mer, souvent au péril de leur vie,
en quête d’un mieux être pour eux-mêmes ou pour leur famille. Alors que la géné
ration qui les précédait avait été, pendant la période de croissance des économies
mature, jusqu’au début des années 1970, le plus souvent, encouragée à immigrer, la
génération actuelle reste animée, du Sud du Rio Grande, au Maghreb et à l’Afrique
sub-saharienne, mais aussi à l’Asie, par cet espoir de vie meilleure, alors même que
les pays qui les attirent ne souhaitent plus les accueillir. Ils n’en constituent pas
moins, désormais, des communautés importantes dont le potentiel pourrait être, lui-
aussi, mieux canalisé et valorisé dans les pays hôtes4 comme dans les pays d’origine.
Pour une seconde catégorie d’individus, qui demeure, elle, dans son pays d’ori
gine, l’impact de l’ouverture internationale peut se révéler déterminante sur le
cours de leur existence. Pendant longtemps, notamment au sein de l’Union euro
péenne, c’est le bénéfice consommateur qui a été mis en avant. Il reste, bien sûr,
appréciable. Mais dans un certain nombre de pays, ce sont plutôt, particulièrement
en période de crise, les aspects négatifs qui frappent l’opinion publique. Ce sont,
ainsi, dans les économies matures, les délocalisations et les cessations d’activité
provoquées par la montée en puissance de la concurrence internationale, jugée res
1. C’est ainsi le cas du Canada, qui lance de véritables campagnes de recrutement à l’occasion de déplacements
de certains de ses ministres, comme, par exemple, en Europe et, plus particulièrement, en France au printemps
2012.
2. Comme l’Allemagne, qui devient une véritable terre d’accueil pour les jeunes diplômés –ingénieurs,
notamment- des pays d’Europe du Sud, en proie à une progression spectaculaire du chômage consécutive à la
crise.
3. C’est, en particulier, le cas de l’Inde et de sa nouvelle prise en compte au plus haut niveau des « N.R.I. », Non
Resident Indians.
4. Ce qui a donné lieu, en août 2012, à la régularisation de plusieurs dizaines de milliers d’immigrants clandes
tins par l’administration Obama.
486
Conclusion : De l’audit au plan d’action international
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Stratégies d’internationalisation
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Conclusion : De l’audit au plan d’action international
Les ressources intangibles, par ailleurs, s’avèrent tout autant nécessaires pour tirer
le maximum des ressources tangibles ainsi mobilisées.
Elles correspondent à l’expérience des membres de l’organisation, leur connais
sance des environnements étrangers, leur capacité à appréhender des situations qui
les caractérisent et à répondre aux défis qu’elles suscitent. Elles incluent le réseau
propre de relations et de contacts de chacun d’entre eux, leur pratique des interac
tions culturelles, leur familiarité, au-delà de l’espace d’origine, avec les procédures,
les usages, les institutions etc.
Elles recouvrent, aussi, l’expérience capitalisée de l’organisation et sa capacité à
l’utiliser, dans le cadre d’opérations répétitives, comme à la transférer et à l’adapter
à des opérations nouvelles. Ce management du savoir et du savoir-faire international
-ce knowledge management-, dépasse le cadre technique et commercial, pour inté
grer les procédures et leur pratique, avec leurs dimensions objectives et subjectives.
Il nécessite, de la part de l’organisation, non seulement la capacité de définir la struc
ture et les modalités de capitalisation et d’exploitation de cette «mémoire collec
tive», mais, également, celle de motiver et de stimuler ses équipes à y contribuer et
à l’enrichir, pour constituer, en lien avec le système de veille, un outil opérationnel,
accessible en permanence.
La programmation a pour fonction de structurer le déroulement des opérations
internationales engagées, tout en lui ménageant une flexibilité et une adaptabilité
indispensables pour faire face aux divers aléas. Ceux-ci pourront, dans une certaine
mesure, être anticipés, en fonction, notamment, de l’analyse préalable des risques et
de l’expérience que possède l’organisation de contextes opérationnels similaires ou
comparables.
Cette programmation doit, tout d’abord, préciser et intégrer, les différentes phases
du processus d’opérationnalisation, en les séquençant suivant un ordre qui dépendra
de la nature de l’opération ou de l’ensemble des opérations internationales envisa
gées. Autour de la chronologie de base pourront être aussi identifiées certaines
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Stratégies d’internationalisation
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Conclusion : De l’audit au plan d’action international
tures et les fonctions dans lesquelles ils opèrent. C’est à ce niveau que les qualités
relationnelles, organisationnelles, interculturelles des responsables devront per
mettre l’unité d’action d’ensembles humains et de structures, souvent très
disparates, dans un contexte international. Responsables de projets, d’implanta
tions, de fonctions ainsi que leurs superviseurs, au siège, comme dans le cadre de
subdivisions territoriales ou de groupes d’activités, devront donc faire l’objet d’un
« profilage » attentif. Celui-ci devra prendre en compte, là encore, l’expérience
capitalisée de l’organisation mais, aussi, anticiper les situations auxquelles chacun
pourra se trouver confronté, compte tenu des mutations de l’environnement dans
lequel va se situer chaque opération.
Mais c’est, en définitive, au niveau de la vision d’ensemble du développement
international que l’on «boucle la boucle» entre le plan d’action et l’analyse. Elle
établit l’unité, dans les organisations, encore en phase initiale d’internationalisation
491
Stratégies d’internationalisation
1. Comme Zembrano, chez Cemex, Owen Jones, chez L’Oréal, Ren Zengfei, chez Huawei, Goshn, chez Renault-
Nissan, etc..
492
Conclusion : De l’audit au plan d’action international
Sans doute, la réponse à ces questions participe des deux. Mais, à l’issue de cette
série de réflexion sur les stratégies d’internationalisation, l’importance de la vision
d’ensemble, de sa cohérence avec les actions entreprises à l’international comme
avec la mobilisation efficace des équipes et des ressources, se révèlent les meilleurs
garants de leur réussite. Elles exigent de combiner à bon escient, de manière tout à
la fois, réactive et pro-active, en permanence, les «leviers»1 que constituent l’inno
vation des produits et services comme des processus, la flexibilité organisationnelle,
la recherche de la profitabilité à long terme, reposant à la fois sur la productivité et
la qualité, face à une concurrence plus large et plus offensive dans l’espace décloi
sonné qui est, désormais, le leur pour longtemps.
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Bibliographie
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© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
503
Stratégies d’internationalisation
504
Bibliographie et cas de référence
chapitre 7)
Bui L.H., Lemaire J.P, « Big C au Vietnam » (parties 1 & 2) (cas complémentaire,
chapitre 7)
505
Stratégies d’internationalisation
506
Bibliographie et cas de référence
Lemaire J.-P, Petit G., « Le secteur automobile européen : ceux qui rient et ceux qui pleu-
rent » (cas d’application)
•• Mutations du secteur de l’automobile et évaluation de son degré de globalisation, identi
fication des groupes d’acteurs nationaux et des stratégies développées (chapitre 3)
•• Analyse externe étape par étape du secteur de l’automobile dans l’espace européen :
lignes de force, dynamique concurrentielle et facteurs clés de succès (chapitre 6)
•• Diagnostic international, identification des stratégies de développement d’acteurs euro
péens clés (cf. PSA, VW) à partir de cet espace de référence, (chapitre 7)
Baron-Renault B., Lemaire J.-P, Petit G., « Le résistible développement du secteur ban
caire russe » (cas complémentaire)
•• Les obstacles au développement d’un secteur bancaire moderne dans une économie en
transition dans un cadre politique et économique instable (chapitre 3)
•• Analyse externe étape par étape du secteur bancaire en Russie : lignes de force, dyna
mique concurrentielle et facteurs clés de succès (chapitre 6)
•• Stratégies de développement des banques étrangères en Russie : les différentes options
stratégiques (chapitre 7)
chapitre 8)
507
Stratégies d’internationalisation
508
Bibliographie et cas de référence
509
Stratégies d’internationalisation
510
Bibliographie et cas de référence
Bui L.H., Lemaire J.P, « Big C au Vietnam » (partie 1 & 2), (cas complémentaire)
•• Les deux « époques » de Big C (Bourbon puis Casino), diagnostic et formulation de la SDI
« focalisée » appliquée respectivement aux deux organisations (chapitre 7)
•• Évolution de l’attractivité du Vietnam dans un secteur nouvellement créé, avant et après
l’adhésion à l’OMC, (chapitre 2)
•• Évolution du secteur de la distribution moderne au Vietnam : pressions externes, enjeux
géo-sectoriels, « leviers » (application du modèle PREST) (chapitre 3)
•• Incitations à l’internationalisation à ces deux époques, pour les deux sociétés mères suc
cessives, (chapitre 4)
Lemaire J.P., Arcor, « latino globale » et familiale, envers et contre tout, (cas d’applica
tion)
•• Diagnostic et formulation d’une stratégie d’internationalisation dans un espace géo-
sectoriel de proximité puis globalisé (chapitre 7)
•• Incitations et séquencement du développement international d’une multinationale fami
liale latino-américaine (passage entre phases 1, 2 et 3) (chapitre 4)
•• Évolution du modèle économique et de la gouvernance au fil de son développement, déter
mination de son espace d’expansion géo-sectoriel, (chapitre 5)
introductif)
Lemaire J.-P., Rien ne va plus chez HP, en quête d’un nouveau « modèle d’affaire » (cas
d’application, chapitre 5)
Lemaire J.-P., « Amadou à la recherche d’un management à l’Africaine », (cas complémen
taire, chapitre 8)
511
Stratégies d’internationalisation
512
Index des concepts
et auteurs
Bullionisme espagnol 50 D
Bureaux de représentation 437
Buy back 228 Décloisonnement des économies 2, 18, 25, 29
Délocalisation 262, 263, 319
Dérégulation 35
C Déterminants externes de l’internationalisation 243
Développement
Capitalisme libéral 1, 35 concentrique 256
Capitalismes d’État 35 éclaté 256
Carte concurrentielle 287, 342, 348 en vol d’oies sauvages 189
Cautions 133 local (ou go native) 215, 251, 381, 433, 464
Chaîne Diagnostic fonctionnel 385
de production d’approvisionnement (supply Diamant de Porter 54, 237
chain) 6, 8, 201, 223 Diasporas 169, 244
de valeur 19, 235, 258, 330 Dirigeants 235
Champions internationaux 2, 20, 41, 85, 177, Distance psychique 232, 279, 289, 388
181, 192, 207, 212, 230, 236, 382, 393 Distribution 290, 323
Chinafrique 87 Division internationale du travail 191
Climat d’affaires 42 Dominante « réactive »/dominant « proactive »
Colbertisme 50 300
Commerce croisé intrabranche 183 Donneurs d’ordre 225, 226, 265, 329
Concurrence 184 Dotation initiale de facteur 50, 52, 183, 218
monopolistique 184, 381 Dotation naturelle de facteurs 70
oligopolistique 85, 184, 381 Doz et Prahalad 172, 176, 218
Consensus 87 Dumping monétaire 89
Conteneurisation 164 Dumping social 89, 303
Contrôle des changes 80 Dunning 214, 217, 219, 381
Coopétition 199
Cosmétiques 325
Courant mercantiliste et néo-mercantiliste 49, E
50
Coûts des approvisionnements 6 Ease of doing business index 119, 120
Crédit documentaire 133 Échanges intra-branches 186
Crise École d’Uppsala 214
bancaire 21 Économie
de la dette souveraine 30, 37, 38 en transition 96
des subprimes 21, 38, 65 libérale 96
économiques mondiales 196 à croissance rapide (ECR)/mature 2
financière 37 d’échelle 157, 161, 162, 165, 171, 222, 241,
immobilière 21 243, 343, 359, 405, 412
mexicaine 79 de gamme ou d’envergure 157, 171, 175, 331,
mondiale 2 332, 343, 359
Croissance Effet
externe (brownfield) 180, 264, 265, 383, 392, d’apprentissage 162
436 de diffusion des IDE/spillover effect 245, 247
interne 436 de grand marché 243, 247
organique (greenfield) 180, 264, 392, 423 d’expérience 161
Culture d’aubaine 8
bound driven 179, 466 Enjeux géo-sectoriels (niveau 2)
d’entreprise 467 concurrentiel 103, 109, 195, 336
free technology driven 179, 466 d’adaptation 103, 106, 195, 336
Cycle de redéploiement 103, 107, 195, 336
de vie international du produit 183, 216, 257, Entreprise conjointe 85, 290, 450
326 332, 333 Espace de référence/d’expansion géo-sectoriel
du bâtiment 20 59, 64, 154, 161, 194, 213, 259, 284, 290, 299,
306, 317, 324, 325, 395, 407
514
Index des concepts et auteurs
515
Stratégies d’internationalisation
516
Index des concepts et auteurs
S V
Sampson (Anthony) 5 Ventes de biens d’équipement 224
Saut de la grenouille/leapfrogging 58, 216
Vernon 56, 57, 216
Scénarios 287, 355
Verticalisation 8, 58, 96, 107, 112, 114, 233, 235,
Segmentation stratégique 326
241, 307, 341, 400, 404, 410, 423, 429, 449
Smith (Adam) 47, 48, 49, 89
Sociétés d’État 35
Sous-traitance 263, 290, 386, 387, 410, 436
Spécialisation internationale 48, 49, 58, 183, 186 Y
Start-up 157, 236 Yip 233
Stratégie Yuan 89
gagnantes 287, 357
globales 217
proactives 401
réactives 401
Z
Stuart Mill 49 Zone de libre-échange 30, 76, 183, 185
Succursale 437, 450
Syndrome hollandais 29
Système de veille 98, 222, 281, 291
517
Index
des organisations,
des activités
et des territoires
A Australie 150, 255
Automobile/Composants automobiles 2, 164,
AB Inbev 180 185, 209, 223, 240, 261, 345, 346, 348, 361,
Actia 36 375, 398, 424, 426, 450
Aéronautique 85, 162, 185, 194, 195, 209, 223, Avic 175
240, 330, 336, 426 Avions moyen courrier 196, 198
Afrique du Sud 35, 119, 151, 413 Avon 349
Agence Française de Développement 292
Agents 256
Agrima 129, 132 B
Agro-alimentaires 413
Airbus 36, 164, 175, 185, 186, 195, 308, 329, Bahrat 240
330, 424, 425, 429, 448 Bahrti 309, 323
Air Liquide 170 Baidu 375
Alabama 164, 185 Bangalore 210
Alcatel-Lucent 169, 208, 210, 426 Bankia 344
Alena 19, 30, 32, 182, 319 Banque 166, 179, 261, 344, 346, 348, 397, 450
Algérie 28 Banque centrale européenne (BCE) 32
Allemagne 2, 119, 150, 210, 302, 402, 426 de détail 165, 179, 331, 332, 361, 398
Alstom 446, 451 d’investissement (Investment banks) 32, 181
Amsterdam 93 Banque mondiale 78, 119
APEC 19, 32, 66, 182 Barcelone 93
Apple 173, 192, 223, 236, 253, 265, 304, 311 Beijing Yangjing Brewery 180
Arabie Saoudite 210 Berlin 93
Arcelor 2 Bharti 375
Archos 223, 235, 236, 257 Biens de consommation courante 296, 336
Arcor 393, 411 Biens de consommations durables 223, 332, 336
Argentine 78, 94, 96, 99, 100, 101, 106, 107, Biens d’équipement 264, 296
108, 109, 110, 115, 117, 119, 150, 151, 412 Bière 152, 361
Asean 319 Birla 323
ASEAN 32, 37, 66, 245, 393 Birmanie 379
Assurances 165, 181, 344 BMW 200
Assureurs 332 BNP Paribas 166, 450
Audi 200 Boch 234
Boeing 175, 329
Stratégies d’internationalisation
520
Index des organisations, des activités et des territoires
France 1, 119, 150, 167, 192, 279, 343 Indonésie 379, 424
Fuji 216 Industries pharmaceutiques 359
Informatique 265, 311, 345
Informatique grand public et professionnel 157
G Infosys 240
Ingénierie 240
G20 83 Insead 279
Gallo 151 Intel 175, 304
Gap 180, 254, 255 Internet 157, 375, 402
GATT 27 Investissement 166
Gaz industriels ou hospitaliers 170 Invoxia 236
Geely 187 Israël 42
Geigy 53 Italie 119, 124, 150
General Motors/Opel 200
Ghana 114
GHCL 258, 259, 330, 424, 425 J
Google 236, 374, 375, 379
Grande distribution 168, 179, 181, 327, 332, Jacobs Creek 151
361, 426 Japon 2, 36, 41, 53, 119, 191, 192, 251, 336, 361
Grèce 31, 92 Jouet 208
JP Morgan Chase 344
H
K
Haier 240, 241, 242, 308
Haute Couture 329 Kodak 5, 215, 216, 309
Havells Sylvania 191 Kraft 412, 467
HDFC 166 Kraft Foods 383
Heineken 180, 269 Krupp 268
Hermès 86, 123, 432, 457
Hewlett Packard 309, 311
Hindustan Lever 349 L
Hindustan Lever Ltd 342
HLL 347 LaCie 236
H & M 180, 255 Lafarge 20, 170
Hoffman-La Roche 53 Lafuma 297
Holcim 20, 23, 170 Laibin B 446
Hong Kong 53, 119, 208, 237, 256 Laos 379
Hongrie 151 La Roche 53
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Stratégies d’internationalisation
522
Index des organisations, des activités et des territoires
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