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Table of Contents

Introduction. L’approche processuelle et critique comme projet de recherche


Repères historiques
De l’entrepreneur à l’entrepreneuring
L’affirmation de la perspective processuelle et de la perspective critique
Un ouvrage structuré en trois parties
Les contributions des auteurs
Bibliographie
Partie 1. Cerner l’entrepreneur(iat) : nouveaux contextes d’investigation
Chapitre 1. Une posture critique et processuelle de l’entrepreneuriat culturel
Introduction
1. L’approche traditionnelle de l’entrepreneuriat culturel
2. Vers une posture critique et processuelle de l’entrepreneuriat culturel
3. L’entrepreneuriat culturel : un devenir entrepreneurial
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Chapitre 2. De l’entrepreneur héroïque à l’entrepreneur de nécessité
Introduction
1. Contours et ambiguïtés du concept d’entrepreneuriat de nécessité
2. É tat des connaissances sur l’entrepreneuriat par nécessité via le cadre d’analyse de W. Gartner
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Chapitre 3. L’entrepreneuriat social : une dynamique socio-économique au service de la communauté
Introduction
1. Entrepreneuriat social : définitions et positionnement des travaux
2. É tat des recherches en entrepreneuriat social
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Partie II. Expliquer les trajectoires entrepreneuriales : entrée, sortie, retour, transfert
Chapitre 4. Du processus entrepreneurial à l’engagement entrepreneurial
Introduction
1. De la phase motivationnelle à la phase volitionnelle du processus entrepreneurial : un champ émergent dans les
approches processuelles en entrepreneuriat
2. De l’engagement organisationnel à l’engagement entrepreneurial
3. É tudier le processus entrepreneurial sous le prisme de l’engagement : propositions de recherche futures
Conclusion
Bibliographie
Chapitre 5. La décision de sortie entrepreneuriale
Introduction
1. Les deux courants de recherche sur la sortie entrepreneuriale
2. Les différents types de stratégies de sortie
3. Les déterminants de la sortie entrepreneuriale
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Chapitre 6. L’intention de recréer après une sortie entrepreneuriale
Introduction
1. Comment expliquer l’intention de recréer : plusieurs perspectives
2. Apports, limites et perspectives de recherche
Conclusion
Bibliographie
Chapitre 7. Les compétences de l’entrepreneur/repreneur : vers une approche par les compétences sociales
Introduction
1. L’entrepreneur : du profil aux compétences
2. Les principales compétences chez les entrepreneurs
3. De la définition des compétences sociales à son application en entrepreneuriat
4. Les spécificités des compétences sociales pour la reprise d’entreprise
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Partie III. É tudier l’entrepreneur et son écosystème : business model, accompagnement, financement
Chapitre 8. De la nature et diversité des business models pour entreprendre
Introduction
1. Nature et fonctions du business model
2. La « malédiction » du BM : débats et points de tension
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Chapitre 9. Les compétences des entrepreneurs dans les démarches d’innovation ouverte
Introduction
1. Innovation ouverte et compétences entrepreneuriales : repérages pour une fertilisation croisée
2. Les compétences pour l’innovation ouverte : des compétences entrepreneuriales
3. Innovation ouverte : à propos des compétences individuelles de l’entrepreneur
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Chapitre 10. Accompagnement entrepreneurial et business models d’incubateur
Introduction
1. Définition des concepts et apports du courant stratégique dans la littérature sur les incubateurs
2. Diversité des approches théoriques et des business models d’incubateur
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Chapitre 11. La finance entrepreneuriale à la croisée des chemins
Introduction
1. La structuration de la finance entrepreneuriale comme champ de recherche autonome
2. Quelques développements récents en finance entrepreneuriale : capital-risque, crowdfunding et business angels
3. Quelles voies de développement pour la recherche en finance entrepreneuriale ?
Conclusion
Bibliographie
Conclusion. De l’entrepreneur à l’entrepreneuring : perspectives de recherche
Bibliographie
Les auteurs
Collection « Lectures/Relectures » dirigée par Denis DARPY, Jean-Philippe DENIS et Aude DEVILLE

De l’entrepreneur à l’entrepreneuring
Vers une approche processuelle et critique
Coordonné par Sandrine EMIN et Nathalie SCHIEB-BIENFAIT

136 boulevard du Maréchal Leclerc


14000 CAEN
© 2022. EMS Editions
Tous droits réservés.
www.editions-ems.fr
ISBN : 978-2-37687-555-0
(Versions numériques)
SOMMAIRE

Introduction. L’approche processuelle et critique comme projet de recherche


Repères historiques
De l’entrepreneur à l’entrepreneuring
L’affirmation de la perspective processuelle et de la perspective critique
Un ouvrage structuré en trois parties
Les contributions des auteurs
Bibliographie
Partie 1. Cerner l’entrepreneur(iat) : nouveaux contextes d’investigation
Chapitre 1. Une posture critique et processuelle de l’entrepreneuriat culturel
Introduction
1. L’approche traditionnelle de l’entrepreneuriat culturel
2. Vers une posture critique et processuelle de l’entrepreneuriat culturel
3. L’entrepreneuriat culturel : un devenir entrepreneurial
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Chapitre 2. De l’entrepreneur héroïque à l’entrepreneur de nécessité
Introduction
1. Contours et ambiguïtés du concept d’entrepreneuriat de nécessité
2. É tat des connaissances sur l’entrepreneuriat par nécessité via le cadre d’analyse de W.
Gartner
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Chapitre 3. L’entrepreneuriat social : une dynamique socio-économique au service de la
communauté
Introduction
1. Entrepreneuriat social : définitions et positionnement des travaux
2. É tat des recherches en entrepreneuriat social
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Partie II. Expliquer les trajectoires entrepreneuriales : entrée, sortie, retour,
transfert
Chapitre 4. Du processus entrepreneurial à l’engagement entrepreneurial
Introduction
1. De la phase motivationnelle à la phase volitionnelle du processus entrepreneurial : un
champ émergent dans les approches processuelles en entrepreneuriat
2. De l’engagement organisationnel à l’engagement entrepreneurial
3. É tudier le processus entrepreneurial sous le prisme de l’engagement  : propositions de
recherche futures
Conclusion
Bibliographie
Chapitre 5. La décision de sortie entrepreneuriale
Introduction
1. Les deux courants de recherche sur la sortie entrepreneuriale
2. Les différents types de stratégies de sortie
3. Les déterminants de la sortie entrepreneuriale
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Chapitre 6. L’intention de recréer après une sortie entrepreneuriale
Introduction
1. Comment expliquer l’intention de recréer : plusieurs perspectives
2. Apports, limites et perspectives de recherche
Conclusion
Bibliographie
Chapitre 7. Les compétences de l’entrepreneur/repreneur : vers une approche par les
compétences sociales
Introduction
1. L’entrepreneur : du profil aux compétences
2. Les principales compétences chez les entrepreneurs
3. De la définition des compétences sociales à son application en entrepreneuriat
4. Les spécificités des compétences sociales pour la reprise d’entreprise
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Partie III. Étudier l’entrepreneur et son écosystème  : business model,
accompagnement, financement
Chapitre 8. De la nature et diversité des business models pour entreprendre
Introduction
1. Nature et fonctions du business model
2. La « malédiction » du BM : débats et points de tension
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Chapitre 9. Les compétences des entrepreneurs dans les démarches d’innovation ouverte
Introduction
1. Innovation ouverte et compétences entrepreneuriales : repérages pour une fertilisation
croisée
2. Les compétences pour l’innovation ouverte : des compétences entrepreneuriales
3. Innovation ouverte : à propos des compétences individuelles de l’entrepreneur
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Chapitre 10. Accompagnement entrepreneurial et business models d’incubateur
Introduction
1. Définition des concepts et apports du courant stratégique dans la littérature sur les
incubateurs
2. Diversité des approches théoriques et des business models d’incubateur
Conclusion et perspectives de recherche
Bibliographie
Chapitre 11. La finance entrepreneuriale à la croisée des chemins
Introduction
1. La structuration de la finance entrepreneuriale comme champ de recherche autonome
2. Quelques développements récents en finance entrepreneuriale : capital-risque,
crowdfunding et business angels
3. Quelles voies de développement pour la recherche en finance entrepreneuriale ?
Conclusion
Bibliographie
Conclusion. De l’entrepreneur à l’entrepreneuring : perspectives de recherche
Bibliographie
Les auteurs
INTRODUCTION. L’approche processuelle et critique comme projet de
recherche
La recherche francophone en entrepreneuriat manifeste une extrême richesse, comme en
atteste le nombre d’articles et d’ouvrages collectifs et individuels publiés, de thèses
soutenues, et de revues spécialisées créées (Revue de l’Entrepreneuriat, Entreprendre et
Innover, Revue internationale PME). Les travaux menés – sous des formes variées –
témoignent du foisonnement des thèmes abordés, et de l’intérêt porté à des
problématiques entrepreneuriales contemporaines (citons notamment les problématiques
éthiques et sociétales avec l’entrepreneuriat social et l’entrepreneuriat de nécessité, les
problématiques de transmission/reprise avec le repreneuriat, les problématiques
managériales avec l’intrapreneuriat).
En 2007, Marchesnay soulignait déjà cette multiplicité d’angles d’attaque, qui peut
s’interpréter comme le signe de la vitalité de la discipline, tout en révélant voire suscitant
des débats, des controverses, au fur et à mesure que les recherches abordent des terrains
empiriques nouveaux (comme l’entrepreneuriat artistique et culturel, l’entrepreneuriat
agricole, l’entrepreneuriat contraint, l’entrepreneuriat institutionnel…). Depuis plusieurs
années, cette activité scientifique se construit dans un dialogue ouvert avec des disciplines
académiques de plus en plus diversifiées – telles que la psychologie sociale, le
comportement organisationnel, les théories cognitives ou la stratégie – mais aussi les
sciences de l’artificiel (Simon, 1996 ; Sarasvaty, 2003), les théories de la complexité
(McKelvey, 2004), le courant institutionnel (Phillips et Tracey, 2007), le courant
interprétatif et phénoménologique (Gartner et Brush, 2007) ou encore le courant
constructionniste (Hjorth et Steyaert, 2004 ; Lindgren et Packendorff, 2006). Désormais, le
champ de l’entrepreneuriat est traversé par de vives questions éthiques et politiques, et ses
fondements théoriques et conceptuels, voire philosophiques sont de plus en plus
questionnés – comme en témoigne la montée en puissance des perspectives processuelles
et critiques.
À partir des dernières recherches francophones menées en entrepreneuriat et des
conversations scientifiques engagées avec les communautés anglophones, nous proposons
de dresser un constat critique, au sens propre du terme, c’est-à -dire susceptible d’engager
une réflexion pour délimiter la zone de pensée et d’action de ce champ, de manière à
dresser un état des connaissances, s’interroger sur ses apports et ses limites, mais aussi ses
perspectives. Cet ouvrage s’appuie sur des contributions de chercheur-es belges, français-
es et québécois-es , inscrit-es dans des univers scientifiques variés comme le démontrent
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leur laboratoire et leur engagement académique. Ces travaux ont comme point commun
d’investiguer des problématiques entrepreneuriales originales, pour en dégager l’état des
débats scientifiques. Ils s’efforcent aussi de révéler les insuffisances voire les carences de
recherches antérieures en entrepreneuriat, de manière à renouer avec l’épaisseur, la
densité et la complexité des phénomènes entrepreneuriaux. À cet effet, leurs recherches
décloisonnent l’entrepreneuriat au travers de connaissances issues de la théorie des
organisations, de la psychologie, des sciences de gestion et du management et des sciences
humaines et sociales.
Repères historiques
Au cours des trois dernières décennies, deux tournants théoriques majeurs ont marqué le
champ de l’entrepreneuriat, avec l’affirmation d’une perspective processuelle et celle d’une
perspective critique. Ils ont opéré une rupture avec la tradition fonctionnaliste et
normative qui a longtemps dominé le champ. Ils ont aussi permis de se défaire, voire de
remettre en cause certaines représentations et stéréotypes dominants, notamment la
figure héroïque de l’entrepreneur, la prédominance de la rationalité téléologique, le poids
de l’intention délibérée, pour privilégier des problématiques visant à mieux se saisir des
pratiques entrepreneuriales, de manière à la fois plus holistique, contextualisée et
phénoménologique. Rappelons que le passage du centre d’intérêt en entrepreneuriat de
l’entrepreneur vers le processus entrepreneurial s’est opéré à la fin des années 1980 avec
les travaux de Gartner (Gartner, 1989 ; Bygrave et Hofer, 1991) ; il s’est illustré par de
nouvelles questions, relatives au comportement de l’entrepreneur, invitant les chercheurs
à privilégier un travail de terrain, de description pour mieux connaître ses activités
effectives (à l’instar des recherches de Mintzberg sur les activités du manager). Plus
récemment, comme le rappellent Jacquemin et al. (2017), le champ a connu une ouverture
à l’approche critique, que l’on peut dater d’un numéro spécial d’Entrepreneurship and
Practice paru en 2005, consacré aux perspectives alternatives en entrepreneuriat, puis d’un
numéro spécial d’Entrepreneurship and Regional Development de 2013, où sont questionnés
plusieurs mythes et hypothèses de la discipline. Sur la base de ces constats, nous avons
donc – à travers le titre de cet ouvrage –, délibérément privilégié l’emploi du gérondif
entrepreneuring, pour signifier le choix de ce fil rouge, afin de mettre en exergue ces
tentatives de dépassement du réductionnisme individualiste – à la fois sur le plan
théorique et méthodologique – et leurs incidences sur la production de connaissance, et ce
quels que soient les objets d’analyse dans le champ de l’entrepreneuriat.

De l’entrepreneur à l’entrepreneuring
Dans cette introduction générale, nous situons brièvement le courant de recherche centré
sur le processus, dans une perspective dynamique et holistique, que nous qualifierons
d’entrepreneuring par rapport aux grands courants de la recherche en entrepreneuriat, et
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notamment le courant centré sur l’individu et le courant centré sur l’interaction individu-
contexte, en vue de mieux en préciser la portée et les enjeux pour la recherche en
entrepreneuriat.
Rappelons d’abord que la recherche en entrepreneuriat est relativement jeune. Elle a été,
jusqu’aux années 1980, le « parent pauvre de la recherche en gestion », la création
d’entreprise étant considérée comme un « épiphénomène sans importance », la gestion
étant l’affaire des grandes entreprises (Vickery, 1985). La première thèse sur le sujet en
France : Création d’entreprise : contributions épistémologiques et modélisation, que l’on doit
à Christian Bruyat (1993), n’a pas encore trente ans. La présentation en grands courants
n’est, elle-même, pas encore totalement stabilisée. Certains ont pu distinguer l’étude « du
quoi ? » (les rô les ou fonctions de l’entrepreneur dans le système économique), « du qui ? »
(les déterminants individuels de l’action entrepreneuriale) et « du comment ? » (les actions
de l’entrepreneur) (Stevenson et Jarillo, 1990). Plus récemment, d’autres ont mis en
évidence différents paradigmes dans le champ : paradigme de l’innovation, paradigme de la
création d’organisation, paradigme de la création de valeur, paradigme de l’opportunité
d’affaires (Verstraete et Fayolle, 2005), qui « laissent dans l’ombre différents courants ou
écoles qui structurent le champ » comme l’école fondée sur les traits ou le courant de la
décision entrepreneuriale, mais aussi la place du processus dans le champ (Messeghem et
Sammut, 2011). D’autres chercheurs encore préfèrent parler de quatre postures en
entrepreneuriat : rationnelle (centrée sur le résultat de l’action de l’entrepreneur – le quoi
–), normative (centrée sur le porteur de l’action, l’entrepreneur – le qui –), cognitive
(centrée sur ses modes de raisonnement), et « projective  » (centrée sur l’action et la
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subjectivité de l’individu en situation) (Schmitt, 2015). Dans ce contexte, nous avons


privilégié une présentation en trois temps – Individu, Interaction individu-contexte,
Processus – en vue de souligner l’évolution de la recherche dans le temps et la
multiplication progressive des niveaux d’analyse, vers une approche à la fois plus
systémique et influencée par l’épistémologie de la complexité (Morin, 1990). C’est ainsi que
les objets d’analyse privilégiés peuvent et ont pu être analysés selon ces trois perspectives.
Comme le rappelle Hedi Yezza dans sa contribution (chapitre 7), la recherche en
entrepreneuriat a longtemps considéré l’individu entrepreneur comme le niveau d’analyse
privilégié. L’entrepreneur est alors vu comme l’acteur principal du phénomène
entrepreneurial qu’il s’agisse d’un processus d’innovation, de la détection et saisie
d’opportunités, de la création d’une organisation. Cette posture s’explique notamment par
l’ancrage historique de la recherche en entrepreneuriat dans les sciences économiques
(l’agir rationnel), qui privilégient la perspective de l’individualisme méthodologique. Les
premiers travaux spécialisés en entrepreneuriat se sont intéressés jusqu’à la fin des années
1980 principalement aux caractéristiques psychologiques de l’entrepreneur et à ses traits
de personnalité – sa motivation – (Greenberger et Sexton, 1988 ; Shaver et Scott, 1991),
jusqu’à la fameuse controverse ayant opposé Gartner (1988) et son approche de
l’entrepreneuriat centrée sur la création d’organisation (Comment – approche par « les
faits ») à Carland et al. (1988) et leur approche centrée sur les traits (Qui – approche par
« les traits »). Avec Gartner, l’intérêt scientifique a alors dérivé à la fin des années 1980 vers
l’étude des tâ ches et actions nécessaires à l’avènement d’une nouvelle organisation et sa
pérennisation ainsi que des aptitudes et des compétences utiles à l’entrepreneur pour les
mener à bien (approche gestionnaire et non plus psychologique).
Ces travaux – approche par les traits, approche par les faits – ont ouvert le champ à une
perspective normative de la création d’entreprise (Schmitt, 2015), dans laquelle sont
étudiés, d’une part, les prédispositions psychologiques qui prédiraient l’acte
entrepreneurial et sa réussite, d’autre part, l’enchaînement des tâ ches à réaliser et
compétences à maîtriser pour entreprendre. Les approches centrées sur les traits ont fait
l’objet de critiques régulières (p. ex., Sexton et Bowman, 1985 ; Brockhaus et Horwitz,
1986 ; Gartner, 1988 ; Low et McMillan, 1988), notamment relativement à leur incapacité à
définir un profil type de l’entrepreneur et à distinguer les entrepreneurs des autres
catégories d’acteurs. Les travaux sur le processus entrepreneurial inscrits dans la
perspective normative ont ouvert la voie à une approche instrumentale et linéaire de la
création d’entreprise, qualifiée de causale depuis les travaux de Sarah Sarasvathy (2001),
approche qui est questionnée aujourd’hui. Partant d’une idée, l’entrepreneur planifie son
action, s’attache à valider son idée sur les plans marketing, commerciaux et économiques
notamment, puis il prévoit le montage juridique et financier de la future entreprise en vue
de définir sa viabilité et sa faisabilité et une stratégie défendable sur le marché. Dans ce
cadre, l’étude de marché et le business plan deviennent des étapes et outils clés
emblématiques de la démarche entrepreneuriale. De nombreux phénomènes
entrepreneuriaux ont été étudiés dans cette perspective (création ex nihilo, reprise,
essaimage, intrapreneuriat) de manière à en préciser les contours, les spécificités et les
étapes clés en termes d’ingénierie.
De manière générale, il est reproché aux approches centrées sur les individus de
considérer que les différentes caractéristiques individuelles ont les mêmes conséquences
quel que soit le contexte dans lequel l’individu entrepreneur est placé . En réponse à cette
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critique, des travaux avec un ancrage sociologique (Bowen et Hisrich, 1986 ; Aldrich et al.,
1987 ; Filion, 1991) se sont intéressés à la dimension sociale de l’entrepreneur, au rô le des
personnes que l’entrepreneur cô toie et connaît (réseaux et capital social de l’entrepreneur)
et des milieux dans lequel il grandit et évolue (groupe ethnique, famille et proche,
expériences professionnelles…) qui sont autant de sources d’informations et
d’apprentissages.
De nombreux travaux ont alors étudié les effets de l’environnement global/local (accès à
des ressources), social (expérience professionnelle, ethnie, modèles d’imitation, famille…)
et du contexte immédiat (avec la notion de déplacement proposée par Shapero, 1975)
comme médiateur des effets des traits et caractéristiques personnelles sur les
comportements entrepreneuriaux. Dans ce cadre, l’acte d’entreprendre n’est plus
seulement lié aux caractéristiques de l’individu mais est également déterminé par les
facteurs de contexte qui vont agir de manière contingente pour favoriser ou inhiber le
comportement entrepreneurial. Un courant de recherche important s’est affirmé, autour de
l’étude de l’ensemble des facteurs qui agissent sur l’apparition d’une intention
entrepreneuriale (Shapero et Sokol, 1982 ; Krueger, 1993 ; Krueger et Casrud, 1993 ;
Krueger et Brazeal, 1994 ; Krueger et al., 2000), et les choix de carrières entrepreneuriales.
Une des avancées de ce courant porte sur la reconnaissance du phénomène
entrepreneurial comme un phénomène multidimensionnel. Cependant si le créateur n’est
plus le seul élément à prendre en compte, il conserve dans ces travaux le rô le principal. Ils
restent par ailleurs trop normatifs, linéaires et déterministes : l’intention, et à travers elle
des facteurs individuels et situationnels, précèdent et prédisent l’action. Ces recherches ne
prennent pas non plus le temps en considération. Le courant processuel apporte à ces
niveaux un changement majeur.

L’affirmation de la perspective processuelle et de la perspective critique


Les travaux successifs de Gartner (approche par les faits, focus sur les activités qui mènent
à une nouvelle organisation) ont ouvert la voie à l’école processuelle, qui s’intéresse à
l’émergence organisationnelle (Gartner, 1993a, 1993b, 1995, 2001), dans le sens
d’organizing, c’est-à -dire comme le processus d’organisation menant à une nouvelle
organisation. Cette perspective vise à réaliser un déplacement de l’objet de recherche de
l’entrepreneur-individu vers l’entrepreneuriat-processus. Dans cette conception,
l’entrepreneuriat privilégie davantage l’organisation en tant que processus que
l’organisation en tant qu’entité (Weick, 1979, 1995), en s’attachant plus particulièrement à
comprendre la dynamique de la formation de l’organisation. Elle met l’accent sur le
processus entrepreneurial, sur le mouvement (Hjorth et al., 2015), elle cherche à montrer
comment ce qui est advenu est advenu (Hjorth, 2017). Selon Steyaert (2007), le concept
d’entrepreneuring traduit également un déplacement dans les études entrepreneuriales
d’une vision individualiste et héroïque vers une approche relationnelle, prenant en compte
la multiplicité des acteurs en jeu et le façonnement conjoint de l’acteur et de la situation.
Comme le rappelle Bissonnette (2020), même si l’entrepreneur demeure un acteur
principal du processus, dans la mesure où il en est l’instigateur, c’est la notion de processus
qui cristallise l’attention : « Le processus montre l’importance du temps et le caractère
organisé des phénomènes en jeu. » Ainsi, l’approche processuelle et relationnelle implique
d’abord un changement de perspective. Elle invite à la compréhension de la complexité des
phénomènes (plutô t qu’à la recherche de la cohérence), à la prise en compte de la
temporalité, à la reconnaissance de la créativité et de l’indétermination de l’agir
entrepreneurial (Hjorth et al., 2015 ; Schmitt, 2015 ; Verduyn et al., 2017). Il s’agit alors
d’étudier concrètement, selon Germain et Jacquemin (2017) « l’entreprendre en train de se
faire ».
Les débats suscités au sein du paradigme de l’opportunité d’affaires sur la nature des
opportunités (préexistantes versus socialement construites) (Chabaud et Messeghem,
2010 ; Short et al., 2010) illustrent cette différence d’approche qui existe au sein des
recherches processuelles entre les conceptions normatives et linéaires d’une part et
systémiques d’autre part. En 2001, la parution des recherches de Sarasvathy sur
l’effectuation a participé d’une vision divergente de l’entrepreneuriat, qui induit des
implications majeures quant à la conception de l’action entrepreneuriale. Dans ses travaux,
elle bouscule la lecture du processus entrepreneurial, en contestant la conception
d’opportunités pré-existantes sur le marché (que l’entrepreneur découvrirait, évaluerait et
exploiterait) et en insistant sur leur nature socialement construite. Ce changement de
perspective a des incidences sur la manière dont sont traitées, en entrepreneuriat, les
questions d’ordre stratégique, marketing, de gestion des ressources humaines, financière
(Alvarez et Barney, 2010). Sur le plan marketing, le marketing mix résulte de la façon dont
l’opportunité émerge (chemin faisant), à partir d’expérimentations, entre construction et
découverte. Les décisions deviennent itératives, inductives et incrémentales. Selon
Sarasvathy, l’entrepreneur est aussi un entrepreneur effectual : il fabrique des
opportunités à partir des réalités de sa vie et de ses systèmes de valeur : “Entrepreneurs
fabricate opportunities by starting with who they are, what they know, and whom they know.”
(2008, préface)
Les travaux menés au sein du courant processuel ont une dimension critique et engagée
plus ou moins revendiquée selon les chercheurs. Il s’en dégage une remise en cause
progressive des hypothèses sous-jacentes qui ont orienté la recherche en entrepreneuriat
et notamment l’approche réductionniste économiste selon laquelle l’entrepreneuriat serait
un phénomène fondé sur le marché et individualiste, dans lequel un certain nombre de
traits de personnalité et de comportements mènent à la création d’entreprise et, en
conséquence, entraîneraient de la croissance économique et de l’innovation (Bissonnette,
2020). Ce faisant, ces recherches visent à « défier et déstabiliser les connaissances existantes
pour ouvrir des compréhensions nouvelles et différentes qui peuvent changer, en bien, la
société » (Verduyn et al., 2017 ). En allant à la découverte de réalités entrepreneuriales
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méconnues (par exemple dans des contextes marginaux ou liminaux), et en se gardant de


tout misérabilisme, ils contribuent à l’élargissement de la compréhension du phénomène
entrepreneurial.

Un ouvrage structuré en trois parties


L’ensemble des textes choisis correspond à des travaux de recherche récents menés sur la
période 2015-2020. Ils permettent tous de mieux se saisir du changement de perspective à
l’œuvre dans le champ – d’un niveau d’analyse individuel vers une « pensée processuelle »
(Hjorth et al., 2015) –, que ce soit en retraçant l’évolution d’une analyse individualiste vers
une analyse plus holistique d’un même objet de recherche ou que ce soit en montrant
comment la prise en compte d’une approche plus processuelle et relationnelle peut
modifier un tel objet.
L’ouvrage est structuré en trois parties, respectivement intitulées : Partie 1 : Cerner
l’entrepreneur(iat) : nouveaux contextes d’investigation ; Partie 2 : Expliquer les
trajectoires entrepreneuriales : entrée, sortie, retour, transfert ; Partie 3 : É tudier
l’entrepreneur et son écosystème : business model, accompagnement, financement.
La première partie met l’accent sur le renouvellement (et la remise en cause) du champ
qui ont été favorisés par l’investigation de nouveaux contextes (entrepreneuriat social,
entrepreneuriat culturel, entrepreneuriat de nécessité).
La deuxième partie traite, quant à elle, de l’étude de nouvelles trajectoires
entrepreneuriales : engagement entrepreneurial, sortie entrepreneuriale et recréation
après une sortie, rendue possible, au sein de l’école de la décision (intention
entrepreneuriale), par l’inscription dans une perspective plus processuelle.
La troisième partie s’intéresse autant à l’entrepreneur qu’à son écosystème (l’ensemble
des parties prenantes avec lesquelles il est en interrelation) – que ce soit pour
l’accompagner ou pour le financer. Elle propose de nouvelles manières d’aborder ces sujets
en prenant appui sur d’autres disciplines ou domaines de recherche, notamment la
stratégie d’entreprise et la finance d’entreprise.

Les contributions des auteurs


Dans la première partie, les travaux de Joëlle Bissonnette (chapitre 1), Christel Tessier-
Dargent (chapitre 2) et Mariyam Lakhal (chapitre 3) nous montrent les avancées que peut
connaître le champ lorsqu’on l’ouvre à de nouveaux contextes tels le domaine social, le
champ artistique et culturel, des contextes marginaux ou liminaux (minorités linguistiques,
précaires et chô meurs). Mariyam Lakhal met en évidence – avec l’entrepreneuriat social –
un champ de recherche qui s’est construit en opposition ou tout au moins en comparaison
avec l’entrepreneuriat économique classique, et qui vise aujourd’hui à s’en émanciper.
É mancipation que choisit de mettre en exergue Joëlle Bissonnette avec l’entrepreneuriat
culturel, en privilégiant les perspectives processuelles, de la pratique et critiques. Dans
cette même perspective critique, Christel Tessier-Dargent s’est intéressée à
l’entrepreneuriat dit de nécessité, contraint ou même de survie.
Après être revenue sur les premiers travaux en entrepreneuriat et les tentatives de
caractérisation de l’entrepreneur des secteurs des arts et de la culture en référence au
capitaine d’industrie classique (à savoir un individu jeune, innovant, individualiste et
prédisposé à poursuivre une démarche entrepreneuriale dans un esprit d’exploration de
soi et d’autoréalisation), Joëlle Bissonnette nous explique en quoi l’approche traditionnelle
de l’entrepreneuriat culturel ne reflète pas la diversité des entrepreneurs des secteurs
artistiques et culturels, notamment à partir de travaux menés sur des contextes sociaux
marginaux ou excentrés, soit des contextes se situant en périphérie ou en marge des
épicentres anglo-saxons et euro-américains. Dans le chapitre Une posture critique et
processuelle de l’entrepreneuriat culturel, elle dresse un état des efforts réalisés pour
questionner cette conceptualisation dominante de l’entrepreneuriat culturel afin de
pouvoir en éclairer une plus grande diversité. À ce titre, elle privilégie une lecture critique
de l’entrepreneuriat culturel, pour accorder de l’attention aux processus qui conduisent à
devenir entrepreneur et à construire son identité. Elle met en évidence l’interaction
importante entre les éléments contextuels et les projets entrepreneuriaux menés, le
déploiement de formes alternatives d’organisation et d’échanges (fondées sur l’entraide et
la réciprocité, notamment) et la nature des pratiques et dynamiques constitutives de ces
organisations. Ces perspectives processuelles, de la pratique et critiques, se révèlent
pertinentes pour identifier des pratiques nouvelles, proposer des taxonomies et
appréhender des jeux de tension. Au-delà de la dénonciation de cette référence
systématique à l’entrepreneur économique, cette recherche enrichit les connaissances des
processus entrepreneuriaux dans l’art et la culture ; elle ouvre plusieurs voies de
dépassement où l’entrepreneuriat culturel est envisagé comme un travail moral, dans le
cadre duquel les activités économiques impliquent toujours des considérations de valeur,
de responsabilité et de solidarité.
Abordant un autre domaine – celui de l’entrepreneuriat de nécessité, qui représente la
moitié des entrepreneurs dans les pays en développement et un cinquième dans les pays
dits développés (Nikiforou et al., 2019) – Christel Tessier-Dargent montre comment, depuis
une quinzaine d’années, cette réalité entrepreneuriale a ouvert la recherche à un champ
d’analyse critique du mythe schumpétérien de l’entrepreneur, fondé sur une logique
entrepreneuriale individuelle et victorieuse, pour s’intéresser et analyser un processus
entrepreneurial, social émergent et fortement contextualisé. Dans le chapitre De
l’entrepreneur héroïque à l’entrepreneur de nécessité, Christel Tessier-Dargent expose les
différentes approches théoriques susceptibles d’appréhender les contours et les ambiguïtés
de ce phénomène, ainsi que les débats et critiques associés à la promotion de ce type
d’entrepreneuriat (dans les pays développés et en voie de développement). Son état de l’art
permet de souligner la complexité du concept d’entrepreneur par nécessité et
l’hétérogénéité du phénomène, comme d’ailleurs le reflète la dispersion sémantique
couvrant des réalités polymorphes (i.e. la création d’entreprise due à la perte d’un emploi
salarié, un besoin de flexibilité ou une insatisfaction professionnelle, un divorce, une
maladie, l’entrepreneuriat de nécessité pour échapper aux discriminations subies, par les
femmes ou les immigrants par exemple, l’entrepreneuriat de survie, par défaut, faute
d’autre alternative professionnelle…), ainsi que l’existence d’individus simultanément mû s
par des motivations de nécessité et d’opportunité. Soucieuse de se dégager d’une
conception condescendante et réductionniste de ces formes d’entrepreneuriat, basée sur
un a priori négatif de l’individu et de son potentiel économique, l’auteure adopte une
approche dynamique et contextualisée du projet et non seulement de la personne. Le choix
du courant processuel (Hjorth et al., 2015), qui insiste sur l’indétermination de tout
parcours entrepreneurial, permet d’aborder ces projets entrepreneuriaux tels qu’ils se
vivent, en s’approchant au plus près de l’expérience des individus.
Enfin, Mariyam Lakhal dans le chapitre L’entrepreneuriat social : une dynamique socio-
économique au service de la communauté nous rappelle que la plupart des écrits sur le sujet
se sont rattachés historiquement à trois écoles de pensée, qui se différencient notamment
sur la conception de l’économie et le rô le de l’entrepreneuriat (Cherrier et al., 2017), mais
laissent toutes peu la place à la compréhension de l’émergence organisationnelle. Le champ
de l’entrepreneuriat social a été largement inscrit dans une vision classique, économique,
voire capitaliste, même si des changements sont en cours. Si la majorité des travaux dans le
domaine ont analysé le processus de manière linéaire, des recherches plus récentes l’ont
abordé par des théories entrepreneuriales processuelles, et notamment celle du bricolage
et de l’effectuation. Ces travaux ont permis de poser de nouvelles fondations pour étudier
l’entrepreneuriat social comme se constituant sur la base d’un processus d’apprentissage
dynamique où le porteur de projet (et le collectif) acquièrent progressivement et
continuellement des connaissances et des compétences indispensables à la réussite du
projet.
Dans la deuxième partie, les contributions respectives de Laëtitia Gabay-Mariani
(chapitre 4), Marie-Josée Drapeau (chapitre 5), Roxane De Hoe (chapitre 6) et Hedi Yezza
(chapitre 7) nous permettent de mieux comprendre la diversité et les ressorts des
trajectoires entrepreneuriales. Entrée, sortie, retour, transfert, reprise, transmission…
autant de trajectoires entrepreneuriales, qui désormais sont abordées comme des
thématiques de recherche à part entière, et qui sont reconnues, comme faisant partie
intégrante du processus entrepreneurial.
Au sein de cette perspective processuelle, Laëtitia Gabay-Mariani constate qu’un courant
de recherche, développé à partir des années 1990 autour de modèles psychosociaux
d’intention (Krueger, 1993), a donné lieu à une littérature prolixe sur les fondements
motivationnels de l’agir entrepreneurial. Toutefois au regard de nombreuses limites
explicatives pointées dans ces modèles de l’intention entrepreneuriale, des chercheurs ont
proposé de s’intéresser au passage de l’intention à l’action et à la phase dite volitionnelle
du processus entrepreneurial. C’est dans ce courant émergent (en entrepreneuriat), que
s’inscrit le chapitre Du processus entrepreneurial à l’engagement entrepreneurial de Laëtitia
Gabay-Mariani. L’auteure retrace l’émergence de ce nouveau champ de recherche, en
engageant un dialogue très stimulant avec la littérature en théorie des organisations. Il
promeut le concept d’engagement comme une voie prometteuse pour mieux comprendre
ce passage de l’intention à l’action et ainsi la persistance et la consolidation des trajectoires
entrepreneuriales. À partir de l’analyse de l’engagement d’entrepreneurs naissants, Laëtitia
Gabay-Mariani constate que l’engagement constitue un prisme pertinent pour analyser le
maintien du comportement entrepreneurial à l’épreuve du réel, c’est-à -dire des difficultés
et des obstacles auxquels les entrepreneurs naissants seront confrontés.
Dans la mesure où la sortie entrepreneuriale connaît une forte actualité dans la presse
managériale et qu’elle fait partie intégrante de tout processus entrepreneurial, Marie-Josée
Drapeau a choisi de documenter ce sujet relativement peu traité (comparativement à celui
portant sur l’entrée en entrepreneuriat). Elle privilégie dans le chapitre La décision de
sortie entrepreneuriale, le courant de recherche relatif à la sortie de l’entrepreneur de son
entreprise. Se démarquant des lectures négatives de la sortie entrepreneuriale, elle inscrit
son travail dans un pan de littérature relatif à la prise de décision entrepreneuriale. La
sortie entrepreneuriale est considérée comme une décision stratégique à part entière, dans
la lignée des recherches de DeTienne (2010), qui – pour bien comprendre l’entièreté du
processus entrepreneurial – aborde la sortie en tant qu’activité entrepreneuriale intégrante
de ce processus afin d’en saisir les tenants et aboutissants. Constatant que c’est un
phénomène complexe dans la mesure où il est difficile de définir un « début » et une « fin »
au processus en tant que tel, Marie-Josée Drapeau s’est intéressée aux différentes stratégies
de sortie de l’individu et à leurs déterminants. Dans ce contexte, la décision de sortie peut
survenir à n’importe quel moment, peu importe les motivations de l’entrepreneur.
L’auteure nous propose une vision globale des différentes stratégies que l’entrepreneur
peut utiliser pour sortir de son entreprise, en s’intéressant à la fois aux facteurs, aux
motivations et aux intentions.
Roxane De Hoe, dans le chapitre L’intention de recréer après une sortie entrepreneuriale,
adopte une approche originale, en choisissant de s’intéresser aux différentes perspectives
pouvant expliquer l’intention de recréer une entreprise après une sortie entrepreneuriale.
À cet effet, elle expose quatre situations exposant à une possible recréation, à savoir : la
sortie d’entreprise, l’échec d’entreprise, l’entrepreneuriat compulsif et l’écosystème
entrepreneurial. L’auteure met en exergue les différents niveaux d’analyse et facteurs à
prendre en considération pour mieux comprendre et appréhender cette intention de
recréer. Cependant, elle constate que les recherches n’appréhendent pas les déterminants
de l’intention de recréer de manière holistique. Or, la présence de déterminants individuels,
organisationnels (liés à l’entreprise quittée) et environnementaux suppose que le
phénomène soit abordé différemment de manière à combiner ces différents déterminants
pour en avoir une meilleure compréhension. La revue de la littérature proposée démontre
la dimension multifactorielle du phénomène, mettant en jeu des facteurs à la fois
individuels, organisationnels et environnementaux.
Enfin, dans le chapitre Les compétences de l’entrepreneur/repreneur  : vers une approche
par les compétences sociales, Hedi Yezza nous rappelle combien le champ de
l’entrepreneuriat a évolué – d’une description statique des caractéristiques psychologiques
et des traits de personnalité de l’entrepreneur (approche par les traits) vers une vision
holistique autour de l’importance accordée aux compétences comportementales de
l’individu (approche comportementale) où la question des savoirs relationnels occupe
désormais une place importante. Il nous montre comment l’étude des compétences
entrepreneuriales – en s’ouvrant à cette perspective plus sociale et relationnelle – permet
d’aborder différemment les processus de reprise d’entreprise, notamment à propos du
phénomène successoral – transmission et reprise dans le cadre du family business.
La troisième et dernière partie de cet ouvrage regroupe des recherches de Donatienne
Delorme (chapitre 8), Simona Grama-Vigouroux (chapitre 9), Amandine Maus (chapitre
10), et Jean-François Sattin (chapitre 11). Ces chercheur-es ont la particularité
d’engager/renforcer le dialogue entre l’entrepreneuriat et d’autres champs disciplinaires
(notamment le management stratégique et la finance). Leurs chapitres montrent
l’importance qu’il y a à étudier l’entrepreneur au sein de son écosystème (écosystème
d’innovation dans les démarches d’innovation ouverte, écosystème entrepreneurial dans
les phases de conception et de réinvention du business model) et à prendre en compte dans
les analyses, non seulement l’entrepreneur mais également les autres parties prenantes ou
apporteurs de ressources (et notamment les acteurs de l’accompagnement et les
financeurs).
Alors que le business model (BM) en tant que concept-outil jalonne tout processus
entrepreneurial, Donatienne Delorme dans le chapitre De la nature et diversité des business
models pour entreprendre dresse un état des avancées concernant la recherche sur le
business model. Elle identifie quatre fonctions principales pour le BM : (1) le BM comme
configuration organisationnelle (Teece, 2010 ; Zott et Amit, 2010) permettant d’identifier
des business models types, (2) le BM comme schéma cognitif, pouvant évoluer vers une
représentation formelle pour rendre le projet plus explicite (Massa et al., 2017) – le fameux
blueprint évoqué par Osterwalder (2004) –, (3) le BM comme support de la stratégie,
traduisant l’articulation de la création et de la capture de la valeur, et (4) ; le BM comme
approche itérative et transformative, dans une logique de « modelling ». Cet état de l’art
pose l’ambivalence liée à la mise en œuvre du business model dans une démarche
entrepreneuriale : à la fois concept et outil pour construire, préciser et présenter le projet,
les quatre fonctions identifiées peuvent être mobilisées à différents moments de la vie du
projet. Elle expose des éléments de réponse aux principaux débats et points de tension
identifiés autour de la notion de BM (notamment à propos de son ancrage théorique, de la
conception de la valeur, et de l’articulation du BM avec l’environnement). Enfin, son propos
final remet en perspective ce concept-outil, soulignant la richesse de l’approche, mais aussi
sa complexité. Donatienne Delorme voit le BM comme un « objet-frontière », propice à
constituer le socle d’un langage commun ou de représentation commune pour concevoir,
échanger, discuter le projet entrepreneurial, au sein d’un collectif d’acteurs, d’une
communauté ou d’un écosystème, afin d’en assurer la mise en œuvre et la pérennité. Cette
proposition ouvre des perspectives de recherche dans le cadre de projets complexes,
multiniveaux, afin de favoriser échanges et itérations au sein d’un écosystème d’innovation.
C’est justement aux écosystèmes d’innovation que s’intéresse Simona Grama-Vigouroux
dans le chapitre Les compétences des entrepreneurs dans les démarches d’innovation ouverte.
Dans une perspective stratégique, proche des problématiques intrapreneuriales, elle traite
le thème de l’innovation ouverte (IO) dans le champ de l’entrepreneuriat et plus
précisément dans les start-up ; thème initialement développé pour traiter des stratégies
d’innovation dans les grandes entreprises. Considérant que les domaines de l’IO et de
l’entrepreneuriat sont étroitement liés, elle dresse le constat que peu de recherches
combinent les deux aspects. En conjuguant la littérature stratégique sur l’innovation
ouverte et celle sur l’entrepreneuriat, elle étudie les différents processus entrepreneuriaux
que requiert l’IO (e.g., l’exploration et l’identification des opportunités, la mobilisation de
ressources, le développement et la survie de l’organisation/innovation impulsée), ce qui lui
permet de dresser un état de l’art des compétences managériales à déployer. L’originalité
de ce croisement entre IO et entrepreneuriat repose sur une approche privilégiant l’aspect
humain et plus particulièrement les compétences de l’individu (et non celle de
l’organisation) dans l’analyse du phénomène. L’auteure s’est ainsi plus particulièrement
intéressée aux compétences des entrepreneurs dans les démarches d’IO. Elle distingue
quatre catégories de compétences pour l’IO : le management de soi, le management des
relations interpersonnelles, le management de projet, le management du contenu des
collaborations, et le management technique.
Dans le chapitre Accompagnement entrepreneurial et business models d’incubateur,
Amandine Maus s’est intéressée au contexte entrepreneurial, et plus particulièrement à
l’activité des incubateurs d’entreprises, organisations qui ont pour mission d’accroître les
chances de survie des jeunes entreprises. Elle a fait le choix d’étudier ces dispositifs
d’accompagnement entrepreneurial, en se focalisant sur leurs stratégies par le prisme de
leurs choix de business models. En effet, ces incubateurs sont amenés à redéfinir leur offre
d’accompagnement entrepreneurial dans un jeu concurrentiel de plus en plus intense afin
d’être plus innovants, d’attirer l’attention des entrepreneurs et le soutien des financeurs.
Cette perspective instrumentale – proposée à l’échelle méso – permet d’appréhender la
diversité des BM et les transformations des incubateurs, et in fine de mieux se saisir des
effets des écosystèmes entrepreneuriaux sur l’accompagnement entrepreneurial et donc
sur le processus entrepreneurial.
Enfin, dans le dernier chapitre La finance entrepreneuriale à la croisée des chemins, Jean-
François Sattin nous présente les frontières de la finance entrepreneuriale, qui – sur le plan
académique – se caractérise par sa jeunesse et par son dynamisme. Dans la mesure où la
finance entrepreneuriale étudie les aspects financiers du processus entrepreneurial, elle
s’intéresse à la fois aux diverses sources de financement à la disposition des entrepreneurs
(business angels, capital-risque, financement bancaire, crédit commercial, microfinance,
crowdfunding, love money, marchés financiers, financements publics…), et à des
problématiques particulières liées au financement de l’activité entrepreneuriale : selon des
étapes précises du processus de création d’entreprise (rentabilité de l’activité
entrepreneuriale, formation et aptitudes financières de l’entrepreneur, planification et
gestion financière de la firme, choix des modes de financement, rédaction des contrats de
financement, « trou » dans la chaîne de financement, politiques publiques, etc.). Bien que ce
champ de recherche ait gagné progressivement en autonomie, les travaux de recherche
portent encore sur un nombre limité d’outils de financement, alors que l’écosystème
financier a connu des évolutions récentes qui conduisent à redéfinir à terme les frontières
de la finance entrepreneuriale. Face aux problématiques particulières que soulève l’activité
entrepreneuriale, l’auteur plaide en faveur de l’étude d’une panoplie plus large de modes
de financement et d’un dialogue renforcé entre les différentes communautés de chercheurs
engagés en finance entrepreneuriale.
Nous espérons que cet ouvrage permettra à des chercheurs, à des futurs chercheurs mais
aussi à des étudiants de s’engager dans des réflexions pluridisciplinaires sur les processus
entrepreneuriaux, et qu’il suscitera des travaux originaux sur des démarches
entrepreneuriales encore inexplorées ou invitera à ré-explorer des objets plus anciens.

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1 Parmi ces chercheurs, cinq d’entre eux ont eu leurs travaux de thèse primés par les associations académiques de la FNEGE (l’AEI : Académie de
l’Entrepreneuriat et de l’Innovatin et l’AIREPME : Association Internationale de Recherche en Entrepreneuriat et PME).
2 Le gérondif est une forme hybride qui possède à la fois les caractéristiques d’un nom et celles d’un verbe, d’où sa difficile traduction en français.
Ce pourrait être l’action d’entreprendre ou plutô t l’entreprendre en action, en train de se faire faisant référence à l’aspect processuel de
l’entrepreneuriat. “The term of ‘entrepreneuring’ following Weick’s (1979) idea that verbs draw attention to actions and processus geared toward
change creation.” (Rindova, V., Barry, D. & Ketchen, D. (2009). Entrepreneuring as emancipation. Academy of Management Review, 34(3), 477-491.
3 Ce terme a été retenu par les auteures, suite aux recherches menées sur l’approche par le projet (cf. numéro spécial de la Revue de
l’Entrepreneuriat de 2011, 10(2), sous la direction d’A. Asquin, R. Condor et C. Schmitt).
4 Rappelons que parallèlement à ces travaux, des auteurs ont tenu compte de l’environnement dans lequel l’entrepreneur agit, comme niveau
d’analyse principal, et notamment de l’influence du macro-environnement sur le nombre de nouvelles entreprises créées dans un périmètre
donné (voir par exemple les travaux du groupe Global Entrepreneurship Monitor).
5 Traduction de Germain et Jacquemin (2017).
PARTIE 1. CERNER L’ENTREPRENEUR(IAT) : NOUVEAUX CONTEXTES
D’INVESTIGATION
Chapitre 1. Une posture critique et processuelle de
l’entrepreneuriat culturel
Joëlle Bissonnette

Introduction
Dans les écrits sur l’entrepreneuriat dans les secteurs des arts et de la culture (musique,
théâ tre, cinéma, arts visuels, etc.), l’entrepreneur culturel étudié peut être artiste
travailleur autonome, propriétaire de microentreprise ou fondateur d’entreprise de
plusieurs employés. Tous ont en commun de générer de nouveaux biens et services
culturels et de les commercialiser (Hausmann et Heinze, 2016). Bien que ces travaux en
offrent une définition plurielle, ils mettent peu en valeur la diversité des entrepreneurs
culturels en termes de contextes sociaux dans lesquels ils œuvrent et de motivations à
entreprendre, notamment. Ces travaux reposent majoritairement sur des connaissances
tirées des épicentres anglo-saxons et euro-américains comme les grandes villes des É tats-
Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Australie et accordent une grande place à l’entrepreneur
culturel blanc, de classe moyenne, masculin et urbain (Alacovska et Gill, 2019). Cet
entrepreneur est souvent dépeint comme jeune, innovant, individualiste et prédisposé à
poursuivre une démarche entrepreneuriale dans un esprit d’exploration de soi et
d’autoréalisation. Cette vision est qualifiée d’« utopique » par certains auteurs, estimant
qu’une foule d’entrepreneurs ne peuvent s’y identifier (Banks et Hesmondhalgh, 2009 ;
Coulson, 2012). Ce chapitre fait état d’efforts réalisés pour questionner nos façons
habituelles de conceptualiser l’entrepreneuriat culturel afin d’en éclairer une plus grande
diversité. Ces efforts passent par une posture critique et processuelle de l’entrepreneuriat,
posture mettant en valeur une diversité de formes d’organisation et d’échanges ainsi
qu’une multiplicité de références de l’entrepreneur. Elle fait la lumière sur le processus qui
conduit un individu à devenir entrepreneur et à construire son identité entrepreneuriale
en relation avec son contexte. Dans ce chapitre, nous expliquons d’abord en quoi l’approche
traditionnelle de l’entrepreneuriat culturel ne permet pas de refléter la diversité des
entrepreneurs des secteurs artistiques et culturels. Puis, nous soulignons l’intérêt d’une
posture critique et processuelle pour analyser l’entrepreneuriat dans ces secteurs, en
prenant notamment appui sur un corpus récent de travaux menés dans des contextes
sociaux marginaux ou excentrés, soit des contextes se situant en périphérie ou en marge
des épicentres anglo-saxons et euro-américains (Bhabha, 1994, cité par Alacovska et Gill,
2019, p. 196). Ces contextes invitent de façon évidente à une lecture plus critique de
l’entrepreneuriat culturel en raison de l’interaction importante entre les éléments
contextuels et l’entrepreneuriat qui s’y déploie, des formes alternatives d’organisation et
d’échanges repérées ainsi que de la nature des pratiques et dynamiques constitutives de
ces organisations. Enfin, nous mettons en évidence les avenues de recherche future que la
posture conceptuelle proposée et les travaux analysés invitent à explorer.

1. L’approche traditionnelle de l’entrepreneuriat culturel


Les recherches sur l’entrepreneuriat dans les secteurs artistiques et culturels présentent
des limites pour aborder la diversité des entrepreneurs évoluant dans ces secteurs.
Premièrement, la description de l’entrepreneur culturel s’avère généralement construite
par comparaison avec une définition simplifiée de l’entrepreneur économique. Elle se
fonde sur des théories économiques traditionnelles comme la théorie de l’innovation de
Schumpeter (Swedberg, 2006), la théorie des traits de l’entrepreneuriat (Enhuber, 2014)
ainsi que la théorie de la découverte et de l’exploitation des opportunités entrepreneuriales
(Scott, 2012). Ces théories présentent l’entrepreneuriat de façon indissociable de la
croissance économique. L’entrepreneur est présenté comme un être spécial capable de
saisir une opportunité d’affaires au travers d’une organisation et de créer de la valeur et de
l’innovation. L’entrepreneur culturel est alors abordé par le prisme de cette définition
simplifiée de l’entrepreneur économique et par la façon dont il s’en distingue, notamment
en raison de la nature économique particulière des biens qu’il produit (Caves, 2000), des
moyens déployés (Enhuber, 2014) et de la valeur créée, valeur économique dans le cas de
l’entrepreneur économique, valeur sociale dans le cas de l’entrepreneur culturel (Klamer,
2011). On justifie cependant souvent le soutien à l’entrepreneuriat culturel par la
contribution à la croissance économique de cette valeur sociale (Oakley et Ward, 2018).
Le recours à ces lectures théoriques économiques classiques met en valeur les
caractéristiques distinctives des biens culturels et les implications qu’elles présentent pour
l’entrepreneur culturel. Par exemple, ce dernier doit composer avec des biens symboliques
et d’information, pour lesquels la demande est incertaine, parce que fortement liée à
l’expérience qu’en fait le consommateur. L’entrepreneur culturel se retrouve ainsi dans une
situation d’incertitude liée au prix qu’il peut attribuer au bien qu’il offre, ainsi qu’aux
résultats qu’il pourra en tirer, par contraste avec un entrepreneur dans un secteur
économique plus traditionnel, qui propose un bien capable de combler un besoin perçu et
définissable dans un marché. Cette compréhension de l’entrepreneuriat culturel par
contraste avec l’entrepreneuriat économique nous amène à omettre des caractéristiques de
l’entrepreneuriat culturel qui ne s’appréhendent pas par ces théories économiques. Daniel
Hjorth soutient d’ailleurs que ces théories s’avèrent souvent a-contextuelles (Hjorth et al.,
2017). Elles s’intéressent peu aux personnes, faisant abstraction des contextes dans
lesquels elles se trouvent.
Deuxièmement, ces écrits se concentrent sur le résultat de ce que signifie être un
entrepreneur culturel et porter cette identité, comme si on arrivait à l’entrepreneuriat
exclusivement en vertu d’aspirations et de caractéristiques individuelles. Ces travaux
accordent peu d’attention aux processus qui conduisent à devenir entrepreneur et à
construire ainsi son identité. Ce caractère descriptif des écrits nous permet certes de saisir
certaines qualités individuelles fréquemment retrouvées chez les entrepreneurs culturels,
comme le charisme, le leadership, l’imagination, la passion, la vision, la disposition au
risque et la capacité à innover (Blaug et Towse, 2011 ; Flew, 2012 ; Swedberg, 2006). Il met
aussi en avant la nature généralement conflictuelle de l’identité de l’entrepreneur culturel.
On y lit que lorsqu’il est artiste ou créateur, l’entrepreneur culturel se montre réfractaire à
la dimension entrepreneuriale de son identité (Lindqvist, 2011). Une tension se crée entre
le principe de l’art pour l’art inhérent au créateur et les logiques commerciales dont
l’entrepreneur doit tenir compte (Townley et Beech, 2010). L’identité entrepreneuriale et
l’identité culturelle se révèlent alors dichotomiques et difficilement réconciliables au sein
d’une même personne (Luxford, 2010). La négociation identitaire se présente avec un
gagnant et un perdant. Plusieurs auteurs critiquent le caractère figé et conflictuel de cette
conception de l’identité de l’entrepreneur culturel, qui omet les dimensions émergentes,
itératives, adaptatives et parfois ambivalentes du processus conduisant à devenir
entrepreneur et à construire son identité entrepreneuriale (Coulson, 2012 ; Loacker, 2012).
Troisièmement, cette tension dans l’identité de l’entrepreneur culturel rejoint d’autres
tensions évoquées dans la littérature sur l’entrepreneuriat culturel, entre l’art et le
commerce, la nouveauté et la familiarité, le local et le mondial (par exemple, Jones et al.,
2016 ; Wilson et Stokes, 2005). Ces tensions sont le creuset de nombreuses pratiques
permettant d’y répondre (DeFillippi et al., 2007 ; Lampel et al., 2000). Cette littérature offre
cependant peu de nuances dans la façon dont ces tensions sont vécues puis gérées suivant
les particularités des contextes. Or, dans certains contextes sociaux, ces tensions ne sont
pas vécues de la même façon et en conséquence, elles n’appellent pas les mêmes pratiques
pour les gérer. Jones et al. (2016) invitent d’ailleurs à davantage de travaux sur le rô le du
contexte dans l’émergence de ces pratiques.
Quatrièmement, et pour renforcer notre propos, les écrits sur l’entrepreneuriat culturel
ont peu exploré les contextes sociaux excentrés ou marginaux, comme les minorités
linguistiques, les petites sociétés et les régions rurales (Bérubé et Gauthier, 2020). Dans ces
contextes, les biens culturels ont un faible potentiel d’exportation et ont plus de difficultés à
se frayer un chemin sur les plateformes internationales de diffusion de la culture. En raison
d’une population de petite taille ou de faible densité, la demande locale pour ces biens
s’avère faible. La rentabilité est difficile à atteindre, les infrastructures professionnelles
s’avèrent moins solides et le soutien institutionnel à l’entrepreneuriat culturel est parfois
inexistant ou peu adapté, comme cela a été démontré dans une grande diversité de ces
contextes (Baillargeon, 2002 ; Rumpel et al., 2010 ; White, 2010). Par conséquent,
l’entrepreneuriat culturel y est reconnu comme étant plus précaire que dans des contextes
hégémoniques. Dans ces contextes sociaux marginaux, l’entrepreneuriat culturel s’exprime
au travers de pratiques informelles et collaboratives peu documentées, parfois ancrées
dans des logiques relationnelles, communautaires et morales, de réciprocité, de sollicitude
et de mutualité répondant aux caractéristiques et tensions du contexte (Alacovska et Gill,
2019, p. 197), comme la tension entre la création artistique et la subsistance (par exemple,
Bissonnette, 2020). Ces pratiques n’y sont pas exclusives ; on les retrouve certes dans
d’autres contextes moins marginaux pour l’entrepreneuriat culturel, de même que dans
l’underground artistique. Elles s’observent cependant de façon particulièrement évidente
dans ces contextes sociaux marginaux. Alacovska et Gill (2019) nous invitent d’ailleurs à
puiser dans les dynamiques vécues du travail créatif et de l’entrepreneuriat culturel en
contextes excentrés pour développer et raffiner les outils analytiques et concepts
théoriques de l’étude de ce travail.

2. Vers une posture critique et processuelle de l’entrepreneuriat culturel


C’est une invitation à laquelle répondent déjà depuis quelques années des chercheurs par
l’adoption d’une perspective critique de l’entrepreneuriat culturel. De façon générale, la
perspective critique en entrepreneuriat conteste l’idée selon laquelle la croissance
économique constitue la seule preuve du succès ; elle remet en cause la tendance du champ
de l’entrepreneuriat à privilégier certaines formes d’action économique, tout en
considérant comme problématiques d’autres formes d’organisation et d’échange plus
collectives (Tedmanson et al., 2012). La perspective critique invite à s’intéresser à la façon
dont les facteurs politiques et socioculturels influencent les processus, identités et activités
entrepreneuriales. Ainsi, adopter une perspective critique consiste à s’intéresser à
l’entrepreneur culturel à travers ses relations interpersonnelles, son expérience réelle et
vécue, plutô t qu’à se concentrer sur la nature économique de l’industrie dans laquelle il
œuvre, de ses intrants et de ses extrants. Cela conduit à s’intéresser à des formes
alternatives d’organisation et d’échanges, à d’autres valeurs et motivations ainsi qu’à
enrichir les références par lesquelles se représenter l’entrepreneur culturel, pour dépasser
sa définition par contraste avec la seule référence de l’entrepreneur économique. La
posture processuelle constitue l’une des réponses de la perspective critique, susceptible
d’ouvrir d’autres possibilités théoriques et méthodologiques dans le champ de
l’entrepreneuriat. Cette posture met en lumière le processus du devenir entrepreneurial
plutô t que le résultat d’être entrepreneur. Telle que la décrit Olivier Germain, l’étude de
l’entrepreneuriat dans une posture processuelle part de « l’expérience sensible et ordinaire
de l’entrepreneur en situation et du caractère profondément indéterminé de l’agir
entrepreneurial » (Jacquemin et al., 2017, p. 23).
2.1. Des formes alternatives d’organisation et d’échange
Les recherches menées dans cette perspective critique sur l’entrepreneuriat culturel
mettent en exergue un vaste éventail de pratiques informelles, relationnelles et non
économiques, fondées sur le régime moral de liens sociaux de proximité ou de parenté.
Plusieurs de ces recherches se penchent sur des contextes sociaux marginaux, où ces
pratiques pallient la précarité que les entrepreneurs culturels rencontrent dans des
contextes souvent marqués par un manque de ressources et d’infrastructures
professionnelles, par de minces perspectives de revenus et par une faible régulation des
industries culturelles. Par exemple, à partir d’une étude menée dans les industries créatives
de l’Albanie et de la Macédoine, Alacovska (2018) montre comment les travailleurs créatifs
passent en toute fluidité de pratiques formelles à informelles et de pratiques marchandes à
non marchandes, comme le troc et l’échange de bons services, abordées par la perspective
théorique du travail relationnel. Aux pratiques de travail reconnues par les autorités,
s’ajoute une multitude de pratiques de travail informelles, payées « sous la table » ou non
payées, que l’on retrouve dans d’autres études du travail créatif en contextes marginaux
(voir, p. ex., Kuleva [2019] en Russie). Chez Alacovska (2018), les relations des
entrepreneurs et travailleurs culturels avec des propriétaires de salles de spectacles, des
collègues, des amis et leur public à l’intérieur de leur communauté locale sont ancrées dans
des croyances morales solides à l’égard de valeurs sociales, dans des obligations de
réciprocité et de mutualité, ainsi que dans la notion de justice. Ces valeurs et obligations,
observées dans les industries créatives d’autres contextes marginaux (voir, p. ex., Maclean
[2019] dans la communauté aymara en Bolivie), tranchent avec les valeurs
d’individualisme et les pratiques contractuelles représentées dans les études du travail
créatif de contextes plus hégémoniques souvent mis en lumière dans l’approche
traditionnelle de l’entrepreneuriat.
Dans le même esprit, Alacovska et Bissonnette (2021) décrivent comment les travailleurs
culturels de minorités linguistiques et de petites sociétés postsocialistes cultivent des
pratiques relevant d’une éthique de la sollicitude (ethics of care). Cette sollicitude s’exprime
à l’égard de leur communauté locale, de leurs collègues, de la scène artistique à laquelle ils
appartiennent et des genres artistiques qu’ils souhaitent y voir se déployer, ainsi qu’à
l’égard de leur langue et de leur culture locale. À titre d’illustration, on y observe du
mentorat offert gratuitement par des entrepreneurs d’expérience à de jeunes artistes
devenus entrepreneurs afin de pallier le manque d’infrastructures professionnelles dans
leur milieu. On voit des artistes-entrepreneurs offrir aux jeunes dans les écoles de la
communauté des ateliers de création d’une diversité de genres musicaux dans la langue
locale afin d’y valoriser la perpétuation de la culture dans cette langue. On trouve encore
des pratiques d’entraide entre musiciens qui, bien que faisant partie de groupes en
compétition, se remplacent en spectacle lorsqu’un membre d’un groupe est malade ou
encore gardent les enfants des membres d’un groupe parti en tournée (pour ne donner que
ces exemples). Ces pratiques soutenues par la solidarité et l’affectivité structurent des
marchés précaires et imprévisibles en permettant aux individus, aux communautés locales,
à une diversité de genres artistiques ainsi qu’aux langues et cultures locales de s’y épanouir
beaucoup plus que si ces marchés étaient mus par des considérations commerciales et des
intérêts individuels.
Dinardi (2019) explique même comment le succès d’un programme de soutien à
l’entrepreneuriat culturel et créatif de jeunes issus de favelas au Brésil est attribué à la
capacité de ce programme de respecter la nature informelle et collectiviste de l’activité
entrepreneuriale dans les favelas. Ces jeunes travaillent au projet, disposent de peu de
formation technique et entrepreneuriale et d’outils de planification stratégique leur
permettant d’accéder à du financement. En donnant de la formation et des ressources
financières à ces jeunes pour les aider à s’organiser, sans jamais exclure les jeunes qui
peinent à respecter des horaires stricts, à tenir une étroite gestion financière et à participer
à des réunions fréquentes, par exemple ; en incluant même ces jeunes dans la réflexion
entourant la conception de politiques culturelles, le programme accroît la visibilité
d’initiatives entrepreneuriales et artistiques issues de ces communautés.
2.2. D’autres valeurs et motivations
Plusieurs recherches menées dans d’autres contextes révèlent des motivations morales et
collectivistes sous-tendant l’entrepreneuriat culturel. C’est le cas d’une recherche menée
sur des maisons de disques micro-indépendantes néerlandaises (Den Drijver et Hitters,
2017). À l’ombre des multinationales de l’industrie musicale britannique et dans la volonté
de s’en distinguer, ces entreprises respectent des principes de coopération, d’entraide,
d’échange et de confiance avec d’autres maisons de disques micro-indépendantes, ainsi
qu’avec des distributeurs, détaillants, programmeurs, studios d’enregistrement et
journalistes. Leur but ne consiste pas à atteindre des gains financiers ou commerciaux,
mais plutô t à créer des réseaux pour cette musique marginale, au regard de la musique
propulsée par les multinationales. Ces entrepreneurs répondent également à des
motivations morales liées à la volonté d’accroître la diversité de la musique en faisant la
promotion, à petite échelle, de musique alternative, qui autrement ne serait pas entendue
tout en sacrifiant la croissance économique et même, souvent, en faisant des sacrifices
personnels.
Ces réseaux de réciprocité, par opposition à des marchés formels, amènent des auteurs à
parler du travail créatif comme d’un entrepreneuriat social. En effet, dans les contextes où
la précarité est présente dans plusieurs domaines de la vie sociale et économique,
l’entrepreneuriat culturel présente le potentiel d’exercer un fort impact social, en
valorisant les cultures et traditions locales, en créant de l’emploi et en participant au
développement social et sociétal, comme le montre une étude menée dans le contexte
malien (Douyon, 2020).
Ces recherches rejoignent une invitation formulée quelques années plus tô t par Banks
(2006) à porter attention à la capacité des entrepreneurs culturels à penser et à agir d’une
façon qui contredit la rationalité de marché  ; à porter aussi attention à la diversité des
contextes sociaux dans lesquels ils agissent, où les valeurs néolibérales n’exercent pas
toujours la même influence sur les choix individuels. Banks invite ainsi à observer les
motivations et actions variées des entrepreneurs culturels, animées par d’autres valeurs
sociales, morales et politiques. Ces valeurs sont d’autant plus visibles dans des contextes
marginaux où l’informalité devient un moyen de s’adapter aux conditions de grande
précarité. Bien que la nature informelle du travail dans les industries culturelles et
créatives soit très largement reconnue dans les écrits (Menger, 2009), elle est rarement
qualifiée positivement. On l’oppose aux pratiques formelles, standardisées et normalisées,
dans le prisme des systèmes économiques des marchés et des organisations. Or, dans une
approche de l’informalité qu’elles veulent plus nuancées, les auteures citées précédemment
(Alacovska, 2018 ; Alacovska et Bissonnette, 2021 ; Dinardi, 2019 ; Kuleva, 2019 ; Maclean,
2019) nous expliquent que ces pratiques ne s’opposent pas aux pratiques formelles. Elles
s’y ajoutent et se révèlent tout aussi centrales au maintien de carrières durables et
significatives, en réponse aux incertitudes radicales inhérentes au travail dans les
industries culturelles, particulièrement en contextes sociaux marginaux.
Ces formes alternatives d’organisation et d’échange nous conduisent à envisager
l’entrepreneuriat culturel comme un travail moral, dans le cadre duquel les activités
économiques impliquent toujours des considérations de valeur, de responsabilité et de
solidarité (Alacovska et Gill, 2019 ; Banks, 2006). Cette approche morale de
l’entrepreneuriat culturel s’inscrit dans une perspective critique de l’entrepreneuriat,
déconstruisant le lien naturel entre l’entrepreneuriat et le développement économique.
2.3. De nouvelles métaphores de l’entrepreneur culturel
En vue de mettre en avant ces valeurs et motivations qui dépassent la rationalité de
marché chez les entrepreneurs culturels, des auteurs proposent d’autres références pour
construire notre définition de l’entrepreneur culturel : les métaphores du bricoleur, du
missionnaire et du bohémien, pour ne nommer que celles-là . Ces métaphores sont aussi
susceptibles d’offrir aux entrepreneurs culturels des repères pour se construire une
identité́ entrepreneuriale reflétant la diversité de leurs motivations.
La métaphore du bricoleur revient souvent pour représenter l’entrepreneur culturel
s’efforçant de dépasser les contraintes de son environnement en matière de ressources
matérielles tout en refusant d’acquiescer aux normes et attentes standardisées de son
industrie (De Klerk, 2015 ; Preece, 2014). La métaphore du bricoleur met en valeur la façon
dont les entrepreneurs culturels bricolent à partir des ressources à leur disposition
(« making do with what is at hand » (De Klerk, 2015, p. 829)). Ce faisant, ils créent quelque
chose qui n’existait pas grâ ce à l’utilisation à de nouvelles fins de ressources écartées, parce
que jugées inutiles, en leur trouvant une valeur que d’autres ne leur voyaient pas. Cela
implique une pensée créative à travers l’improvisation, ainsi que la capacité à travailler en
collaboration avec des parties prenantes capables de donner accès à des ressources
données lorsque les limites s’avèrent trop grandes. Ainsi, des relations se construisent dans
le processus du bricolage, des relations permettant aux individus isolés et déconnectés de
survivre dans un environnement aux ressources et infrastructures limitées.
La métaphore du bricoleur fait d’ailleurs partie d’une taxonomie de métaphores
exprimées par des entrepreneurs de l’industrie musicale de minorités linguistiques dans
leur effort de se définir lors d’entretiens individuels, aux cô tés de la métaphore du poète,
du missionnaire et de l’activiste (Bissonnette, 2021). Chaque métaphore met en lumière
une motivation plus ou moins grande à transformer le contexte linguistique minoritaire
pour qu’il devienne plus propice à la création musicale dans la langue locale. Chaque
métaphore met aussi en valeur des définitions alternatives du succès, qui ne se comparent
ni ne s’opposent à la conception du succès fondée sur la création de valeur économique
(dominant le champ de l’entrepreneuriat). Par exemple, tandis que, selon le bricoleur, le
succès consiste à parvenir à vivre individuellement de son art à partir des ressources à sa
disposition dans son contexte minoritaire, le missionnaire définit son succès par les
capacités qu’il donne au plus grand nombre de créateurs de créer de la musique dans leur
langue dans ce même contexte, au travers de la consolidation d’infrastructures
professionnelles qui rendent cela possible.
Cette taxonomie rejoint les efforts de Cinque et al. (2020) pour illustrer les processus
identitaires mis en œuvre par des acteurs du milieu du théâ tre afin de maintenir leur appel
[« calling »] à l’égard de leur travail dans des environnements de travail précaires. Ces
auteurs présentent trois narratifs – religieux, politique et thérapeutique – qui permettent
aux acteurs de donner du sens à leur travail. Ces narratifs s’expriment à travers différents
processus identitaires relatifs au sacrifice, à la responsabilité et aux soins personnels. Ils
correspondent respectivement aux identités du martyr, du citoyen et de l’accompagnateur.
Ces métaphores expliquent l’appel [« calling »], tel qu’il donne sens au travail artistique et
le justifie dans les épreuves et la précarité. Elles expliquent également les différentes
relations – d’élévation, de résistance et de résilience – qu’entretiennent ces travailleurs à la
société.
Enfin, dans une tentative d’analyser la façon dont les entrepreneurs culturels du milieu du
théâ tre indépendant en Allemagne réconcilient la tension entre l’art et les affaires, Eikhof et
Haunschild (2006) ont étudié leurs modes de vie [« lifestyle studies »]. Ils soutiennent que
l’adoption de certains éléments du mode de vie bohémien (par contraste avec les
conventions bourgeoises), à savoir, la spontanéité, l’emploi sporadique, de faibles revenus,
une improvisation continue et une volonté de jouir de la vie au jour le jour, permet d’opérer
cette réconciliation dans la construction identitaire des entrepreneurs culturels. Le bohème
ne voit pas le travail comme une façon de gagner sa vie, mais plutô t comme un véhicule de
réalisation personnelle. Ce mode de vie renvoie à un égoïsme important, mais aussi à de
fortes valeurs collectives entre les bohémiens, qui permettent à une classe entière de
développer une identité singulière dans les marges de la société. Le mode de vie bohémien
ainsi partagé entre les membres de leur collectivité justifierait de nombreuses
conséquences de la vie de l’entrepreneur culturel, comme l’instabilité financière, la prise de
risque, l’allocation de ressources individuelles et la mobilité.
Hesmondhalgh et Baker (2011) mettent en garde quant au risque que cette métaphore du
bohémien soit utilisée pour légitimer l’informalité et l’irrégularité du travail, susceptibles
de conduire à l’épuisement, à la surcharge de travail ainsi qu’aux revenus faibles et
inégalement distribués dans les industries culturelles. Alacovska et Gill (2019) nous
rappellent cependant qu’au-delà de ces mises en garde, l’informalité du travail doit être
comprise autrement au sein des pratiques relationnelles et communautaires répandues
dans les industries culturelles de contextes marginaux. Elle n’agit pas dans ces contextes
comme un voile sur les dérives et inégalités de ces industries, mais plutô t comme un des
moyens trouvés par des artistes, travailleurs et entrepreneurs de s’organiser pour créer,
produire et diffuser de la culture dans leur contexte précaire.
Prises ensemble, ces métaphores montrent la pertinence de s’appuyer sur ces domaines
(les modes de vie – le bohémien, le bricoleur, le poète –, la religion – le martyr et le
missionnaire – et la politique – le citoyen et l’activiste –) pour conceptualiser différentes
formes de travail dans le monde des arts et de la culture. Ce dernier donne lieu à des
formes alternatives d’organisation et d’échange ainsi qu’à des motivations, valeurs et
définitions du succès qu’une diversité de métaphores dépassant la référence de
l’entrepreneur économique permet mieux d’apprécier.

3. L’entrepreneuriat culturel : un devenir entrepreneurial


S’interroger sur ce qui conduit un individu à devenir entrepreneur est devenu primordial.
Dans certains contextes, l’entrepreneur culturel est possiblement contraint à devenir
entrepreneur ou motivé à le devenir pour transformer son contexte, plutô t que prédisposé
à poursuivre une démarche entrepreneuriale dans un esprit d’exploration de soi et
d’autoréalisation, comme le dépeint l’approche traditionnelle de l’entrepreneuriat culturel.
C’est par une posture processuelle que quelques auteurs commencent à s’intéresser à ce
qui conduit un individu à devenir entrepreneur culturel. Dans une posture processuelle,
l’entrepreneuriat se définit comme le processus de création d’une organisation (Hjorth et
al., 2015). Ce processus de création va bien au-delà de ce qui donne lieu au lancement d’une
entreprise. Il désigne un processus perpétuel de création, partant de l’idée selon laquelle
l’entrepreneur, en interagissant avec son contexte, adapte continuellement son
organisation à ce qui survient. Il suit une trajectoire ouverte et indéfinie, marquée par le
doute, l’hésitation et l’orientation (Nayak et Chia, 2011). Plusieurs approches théoriques
peuvent enrichir cette lecture de l’entrepreneuriat culturel.
3.1. Effectuation, approche phénoménologique et perspective de la pratique
La théorie de l’effectuation (Sarasvathy, 2001) s’inscrit bien dans cette approche
processuelle de l’entrepreneuriat (Steyaert, 2007) pour éclairer le cas d’entrepreneurs
culturels, et de surcroît en contextes marginaux. Ces entrepreneurs sont d’abord mus par
les moyens qui les entourent – ce qu’ils ont, ce qu’ils savent et qui ils connaissent – sur
lesquels ils ont un certain contrô le. Ce n’est qu’après coup, en fonction de ces moyens, qu’ils
définissent et redéfinissent les fins qu’ils peuvent atteindre dans leur contexte et
parviennent à s’adapter aux défis et opportunités (voir, p. ex., Bissonnette et Arcand [2018]
dans des minorités linguistiques et Patten [2016] en Irlande).
Bissonnette (2020) – à partir d’un modèle inspiré de la posture processuelle et de la
perspective de la pratique (Champenois et al., 2019) – montre comment les pratiques
d’entrepreneurs de l’industrie musicale de minorités linguistiques répondent aux défis,
tensions, ressources et opportunités d’un contexte social marginal tout en le transformant.
Ces pratiques pour la plupart informelles et non économiques, comme le bricolage,
l’analogie, la sollicitation de relations informelles et le mentorat, ponctuent un processus de
création organisationnelle en constante interaction avec le contexte de minorité
linguistique. C’est ce contexte qui, par son manque de ressources et d’infrastructures
professionnelles, conduit des créateurs à devenir entrepreneurs. Ils créent une entreprise
pour assurer la viabilité économique de leurs activités artistiques et doivent
continuellement répondre aux tensions induites par le contexte, par exemple entre la
possibilité de créer de la musique dans leur langue et de subsister. En répondant à ces
tensions, leurs pratiques entrepreneuriales transforment ce contexte, qui devient plus
propice à la continuation des activités entrepreneuriales soutenant la création et la
production de musique dans la langue minoritaire.
C’est dans une perspective processuelle encore plus radicale que s’inscrit la thèse de
doctorat de Hauge (2011), sur le processus par lequel des musiciens de la scène métal en
Norvège deviennent entrepreneurs de façon à faire de la musique leur mode de vie de
façon perpétuelle. L’auteure s’appuie sur une lecture phénoménologique de
l’entrepreneuriat en montrant comment leur interprétation du monde en constant
changement les amène à revoir constamment leur mode de vie, soit leur rô le, leurs valeurs
et leurs comportements. Ainsi, leur devenir entrepreneurial correspond à un processus de
conception et de reconception de leur mode de vie afin de s’adapter à leur interprétation de
ce monde et de le changer à leur tour. Dans cette perspective phénoménologique, le mode
de vie est vécu et jamais finalisé  : c’est l’être en train d’être (Heidegger, 1996, cité par
Hauge, 2011, p. vi). Le rô le de ces entrepreneurs culturels, partagés entre leur identité de
musiciens et leur identité d’entrepreneurs, se matérialise dans leur compréhension de la
relation qu’ils entretiennent avec le monde dans lequel ils vivent. Leurs albums, spectacles
et autres biens et services ne constituent que des empreintes laissées derrière dans le
processus continu de leur devenir entrepreneurial.
Dans les secteurs des arts et de la culture, la précarité et l’incertitude nécessitent une
adaptation constante des entrepreneurs afin qu’ils puissent y évoluer, particulièrement
dans les contextes sociaux les plus marginaux. Cette précarité et cette incertitude font
également en sorte que ces contextes se voient transformés par les pratiques
entrepreneuriales. La posture processuelle nous permet alors d’appréhender
l’entrepreneuriat comme un devenir en relation avec son contexte, au sens où il est
influencé par son contexte autant qu’il peut l’influencer.
Dans la même veine, Emin et Guibert (2017) s’intéressent à la façon dont un contexte
organisationnel, celui de la scène musicale punk de Montaigu, en France, se forme par
différentes pratiques entrepreneuriales auto-organisées et émergentes. Plutô t que de se
concentrer sur le résultat de ce qu’est la scène musicale locale dans sa forme actuelle et sur
les individus entrepreneurs qui l’auraient constituée intentionnellement, ils s’intéressent
au processus de sa constitution, à travers les interrelations entre les acteurs, créées
continuellement de façon intentionnelle ou non. Cet intérêt pour « l’entreprendre en train
de se faire » (Germain et Jacquemin, 2017) permet de montrer de quelle façon, tout au long
de la constitution d’une scène musicale locale, des degrés d’organisation variables
soutiennent l’action collective à différents moments. Les entrepreneurs n’agissent ainsi pas
de façon isolée, adoptant un rô le et des qualités stables et uniformes. Ils jouent plutô t un
rô le plus ou moins structurant selon les moments de façon à orienter l’action collective des
citoyens, artistes, amateurs, diffuseurs, etc. vers la persistance de la scène.
Dans ces exemples, la posture processuelle de l’entrepreneuriat met en valeur le
déploiement du devenir entrepreneurial en relation avec le contexte. La perspective de la
pratique en entrepreneuriat offre un complément à cette posture, en postulant que
l’entrepreneur et ses pratiques évoluent dans une relation de dépendance mutuelle avec le
contexte. Elle met ainsi en évidence la façon dont les pratiques, souvent informelles et
collectives, émergent tout au long de ce devenir entrepreneurial pour répondre aux
contraintes et autres particularités du contexte.
3.2. Des processus de construction et de négociation identitaires
Dans cette posture processuelle de l’entrepreneuriat, des auteurs ont commencé à
montrer comment l’identité, le rô le, les valeurs et les comportements de l’entrepreneur
culturel ne sont pas figés, mais se construisent et se redéfinissent continuellement en
relation avec le contexte. À propos de la construction de l’identité, plutô t que de présenter
comme un état de fait le caractère conflictuel de l’identité de l’entrepreneur, des auteurs
tâ chent de retracer le devenir de cette construction identitaire conflictuelle dans les
discours ambiants (Loacker, 2012) ou s’intéressent à la façon dont les entrepreneurs
culturels gèrent ces conflits identitaires présumés (Eikhof et Haundshild, 2007). Cela met
en lumière des processus d’accommodation qui permettent aux entrepreneurs culturels
d’entretenir la frontière entre les logiques artistiques et les logiques commerciales, comme
des horaires de travail souples et personnalisés, des contrats de travail à court terme et des
comportements du mode de vie bohémien, tel qu’évoqué précédemment (Eikhof et
Haunschild, 2006). De cette façon, ils redéfinissent continuellement leur propre situation
entre les dimensions culturelle et commerciale de leur identité. Ce processus constant de
redéfinition en vient à faire partie de leur identité personnelle, qui ne se stabilise jamais.
Dans une perspective plus positive, certains auteurs montrent comment le fait de gérer
continuellement l’atteinte d’un équilibre entre l’identité artistique et l’identité
entrepreneuriale peut se révéler productive. Chez Berglund et al. (2007), cette atteinte de
l’équilibre donne à un artiste-entrepreneur la possibilité de réaliser ses idées artistiques.
En utilisant tour à tour son identité d’artiste et son identité d’entrepreneur pour gagner en
légitimité dans le milieu artistique et dans le milieu industriel, l’entrepreneur culturel peut
aller chercher autant l’énergie que l’argent dont il a besoin pour concrétiser son idée.
Naudin (2007) souligne même que tandis que les travailleurs culturels connaissent les
écueils possibles liés au fait de devenir entrepreneurs, ils demeurent positifs à l’idée de le
devenir. Ils se savent capables de s’approprier des idées de l’entrepreneuriat, comme
l’autonomie, sans consentir à des compromis sur les autres objectifs éthiques, artistiques
ou créatifs qui les habitent. Ils savent subvertir et réinterpréter les identités
entrepreneuriales pour se les approprier de façon active et dynamique. Werthes et al.
(2018), en mettant l’accent sur le « comment » de la construction de cette identité, plutô t
que sur son résultat, révèlent dans le même esprit que l’identité culturelle, qui demeure
dominante, exerce une influence sur le développement de l’identité entrepreneuriale. Elle
permet aux entrepreneurs culturels de se distinguer de l’image négative qu’ils associent
traditionnellement à l’entrepreneuriat, celle de « dudes in suits », « people who just want to
make money » et « people who are lacking emotion ». Ils en viennent même à pouvoir
affirmer que l’association de leurs valeurs culturelles à des principes entrepreneuriaux leur
permet de dépasser certaines conditions de travail négatives dans lesquelles ils évoluent.
Ces auteurs montrent donc l’identité comme un développement plutô t que comme
quelque chose de fini. Ils se concentrent positivement sur la capacité des entrepreneurs
culturels à intégrer à leurs valeurs sociales et culturelles certaines des valeurs de
l’entrepreneuriat économique, plutô t que de tenir pour problématique la rencontre entre
ces deux logiques et de figer l’identité de l’entrepreneur culturel dans un conflit entre les
deux. Dans l’ensemble, ces travaux menés suivant une posture processuelle nous invitent à
un changement d’ontologie dans l’étude de l’entrepreneuriat culturel, soit à nous y
intéresser suivant une ontologie du devenir plutô t qu’une ontologie de l’être. Dans cette
ontologie, l’identité de l’entrepreneur culturel, ses intentions et ses motivations ne sont pas
figées ou stabilisées, mais se transforment et s’adaptent plutô t au gré de son devenir, à
travers ses interrelations avec le contexte, ses interprétations et les transformations de ce
dernier.

Conclusion et perspectives de recherche


Adopter une posture critique et processuelle de l’entrepreneuriat culturel consiste à nous
intéresser à ce qui conduit à devenir entrepreneur et à construire son identité comme telle.
De façon complémentaire, adopter la perspective de la pratique invite à s’intéresser aux
pratiques qui émergent tout au long du processus de création organisationnelle, sachant
que ces pratiques, souvent informelles et collectives, subissent l’influence du contexte et
l’influencent à leur tour. Cela donne voix aux formes alternatives d’organisation et
d’échange qui naissent de ce processus constant d’adaptation et nous invite à explorer la
diversité des valeurs, motivations et définitions du succès qui sous-tendent son entreprise
et ses pratiques. Prises ensemble, la perspective critique, la posture processuelle et la
perspective de la pratique constituent un assemblage conceptuel, susceptible d’ouvrir de
nouvelles avenues de recherche dans le champ de l’entrepreneuriat culturel. D’abord, cet
assemblage permet d’inclure des entrepreneurs culturels d’une plus grande diversité de
contextes sociaux, y compris les plus marginaux, puisqu’il reflète mieux leurs réalités que
ne le font les approches traditionnelles de l’entrepreneuriat culturel. Cela rejoint
l’invitation de Alacovska et Gill (2019, p. 207) de théoriser « l’excentrement » de l’étude du
travail créatif, dans lequel on peut inclure l’entrepreneuriat culturel. Selon ces auteures,
étudier l’informalité et la précarité du travail créatif dans ces contextes excentrés devrait
devenir une source de théorisation capable de contourner le recours encore trop
systématique aux conclusions théoriques universelles tirées de contextes hégémoniques
pour expliquer les dynamiques locales du travail créatif.
Ensuite, l’étude des pratiques informelles et non-économiques qui se déploient dans
l’entrepreneuriat culturel, notamment dans les contextes sociaux marginaux, gagnerait à
être approfondie par l’emploi de lunettes théoriques relevant de la philosophie morale,
comme le proposent Banks (2006), Alacovska (2018, 2020) et Alacovska et Bissonnette
(2021). Approcher l’entrepreneuriat culturel comme un travail moral contribue à
déconstruire le lien naturel entre l’entrepreneuriat et le développement économique afin
d’analyser l’entrepreneuriat culturel en lui-même, plutô t qu’à partir de la référence de
l’entrepreneur économique.
Enfin, la question de l’identité de l’entrepreneur culturel devrait être approfondie par
l’étude de la construction de cette identité. Si la définition de l’entrepreneur culturel se
pluralise autour de modes alternatifs d’organisation et de métaphores puisant à une
diversité de domaines de la vie, il devient possible d’envisager de façon plus nuancée la
façon dont les entrepreneurs culturels se construisent une identité entrepreneuriale.
S’intéresser à leurs motivations à devenir entrepreneurs, aux dimensions spécifiques de
l’entrepreneuriat qu’ils retiennent et au vocabulaire qu’ils emploient pour se nommer dans
leur contexte en tant qu’entrepreneurs constituent des pistes à suivre pour éclairer cette
construction.

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Chapitre 2. De l’entrepreneur héroïque à l’entrepreneur de
nécessité
Christel Tessier-Dargent

Introduction
Aux cô tés du mythe de l’entrepreneur héroïque célébré par les médias, politiques et
chercheurs, une approche plus critique se fraye une voie, celle d’un entrepreneuriat dit de
nécessité, contraint ou même de survie. Il représente la moitié des entrepreneurs dans les
pays en développement et un cinquième dans les pays dits développés (Nikiforou et al.,
2019). Les entrepreneurs par nécessité sont considérés comme « des individus poussés à la
création d’entreprise car ils ne perçoivent pas de meilleure alternative d’emploi  » (Cowling et
Bygrave, 2003, p. 544). Ils sont opposés, dans une dichotomie communément acceptée, aux
entrepreneurs par opportunité, à savoir ceux qui poursuivent une opportunité d’affaires
qu’ils ont identifiée ou créée. Ainsi, en lien avec le terrain, la recherche a ouvert un champ
d’analyse critique du mythe schumpétérien de l’entrepreneur, décrivant habituellement
une logique entrepreneuriale individuelle et victorieuse, pour passer à la description d’un
processus social émergent et fortement contextualisé (Gartner, 1989 ; Hjorth et al., 2008 ;
Jacquemin et al., 2017). Deux approches divergentes orientent cet intérêt : d’une part,
certains voient dans l’entrepreneuriat de nécessité un entrepreneuriat de « deuxième
catégorie », peu contributeur au développement économique avec, en arrière-pensée,
l’objectif de mieux diriger les investissements publics ou privés, non vers ces individus
voués à l’échec, mais vers les gazelles innovantes, créatrices d’emploi et vecteurs de
croissance (Shane, 2009) ; d’autre part, pour répondre aux enjeux des crises économiques
successives, les politiques publiques de nombreux É tats et les instances mondiales
encouragent l’entrepreneuriat, sous toutes ses formes, comme outil de résorption du
chô mage et de réinsertion, invitant chaque individu « désavantagé » à prendre ses
responsabilités et son destin en main . Les critiques de la communauté de recherche à
12

l’égard d’une promotion de cette forme d’entrepreneuriat de nécessité sont vives et


nombreuses (Bergmann et Sternberg, 2007 ; Shane, 2009 ; Levratto et Serverin, 2012 ;
Nakara et Fayolle, 2013) : ceux qui se lancent ont épuisé toutes les possibilités de trouver
un emploi pour acquérir des revenus. Ils subissent plus qu’ils ne le désirent,
l’entrepreneuriat, et les conséquences humaines, sociales et économiques de ce phénomène
sont globalement négatives.
Dans ce chapitre, après un encart méthodologique concernant la revue de la littérature à
l’origine de cette synthèse, nous montrons la difficulté de définir l’entrepreneuriat de
nécessité. Nous détaillons ensuite l’état de l’art des connaissances dans ce domaine, avant
d’aborder les limites du concept et pistes de recherche futures.

Une revue de la littérature selon le principe de la revue systématique de la littérature (1975-2019)


Cette revue est une analyse de contenu qualitative qui tend vers l’exhaustivité. Elle est transdisciplinaire et
multilingue (français, anglais, allemand, espagnol). Nous avons déterminé une liste de mots-clés couvrant le
champ de l’entrepreneuriat de nécessité. Puis nous avons : a) interrogé Google Scholar et les bases de données
académiques sur ces mots-clés ; b) mis en place une stratégie de veille. La pertinence et l’intérêt des documents
ont été déterminés à la lecture du texte intégral ; nous avons : c) effectué des recherches systématiques dans
les principaux journaux classés en entrepreneuriat ; d) revu les papiers des principales conférences en
entrepreneuriat ; e) contacté la communauté des chercheurs travaillant dans ce champ ; f) fait une recherche
bibliographique approfondie pour les auteurs particulièrement prolifiques et pertinents dans ce champ de
recherche, tels Rosa, Block ou Thurik. Nous avons retenu les publications expertisées par des comités
éditoriaux ; les actes de colloques ou conférences, ouvrages collectifs ou individuels, papiers de recherche et
thèses ont été conservés dans la mesure de leur originalité et de leur fiabilité, compte tenu de la
contemporanéité du sujet. Les articles de revues classées et les ouvrages référencés dans des sciences
connexes, dont les thématiques se centraient sur le champ de l’entrepreneuriat de nécessité, ont également été
retenus. Un corpus de 280 références académiques a été obtenu. Après lecture intégrale et rédaction d’un
résumé , une base de données a été constituée, détaillant chaque article (discipline, définition, cadre théorique,
méthode, apports, limites).

1. Contours et ambiguïtés du concept d’entrepreneuriat de nécessité


Les entrepreneurs par nécessité font l’objet d’un nombre croissant de travaux de
recherche depuis le début des années 2000 . La dichotomie entre entrepreneurs par
3

nécessité et par opportunité est issue des travaux de Shapero (1975) sur les motivations
positives et négatives à créer. Shapero démontre que la décision d’entreprendre est
corrélée au contexte dans lequel l’entrepreneur se situe. Il observe que la plupart des
entrepreneurs ont subi un « accident » dans leur vie personnelle ou professionnelle, qu’il
nomme « déplacement » : licenciement, insatisfaction dans le travail, divorce, deuil,
maladie. Cette notion de déplacement ouvre la porte à une vision non plus uniquement
fonctionnelle, mais contingente, de l’entrepreneur. Cette dichotomie a été renouvelée par le
consortium GEM (Reynolds et al., 2002) qui utilise ce terme pour décrire une création
4

d’entreprise par défaut, sans projet préalable, répondant à une nécessité purement
économique, d’obtenir un revenu, faute d’alternative professionnelle perçue.
L’entrepreneuriat de nécessité est motivé par des facteurs négatifs, dits push, tels chô mage,
insécurité dans l’emploi actuel, besoin de flexibilité ou insatisfaction professionnelle,
divorce, maladie, besoin de reconnaissance sociale, pression familiale (Noorderhaven et al.,
2004). La littérature souligne la complexité du concept d’entrepreneur par nécessité et
l’hétérogénéité du phénomène : la dispersion sémantique prouve combien les réalités
couvertes sont polymorphes. Une majorité des définitions, certes, décrivent une création
d’entreprise due à la perte d’un emploi salarié (Block et Wagner, 2010). Certains articles
ont uniquement trait à l’entrepreneuriat de survie (Serviere, 2010) cependant que d’autres
évoquent plus généralement l’entrepreneuriat de nécessité comme solution pour échapper
aux discriminations subies, par les femmes ou les immigrants par exemple. La définition la
plus consensuelle est celle du GEM, basée sur une unique question d’enquête : « menez-
vous ce projet entrepreneurial pour tirer parti d’une opportunité ou parce que vous n’avez
pas de meilleure alternative d’emploi ? ». De fait, la réponse peut être biaisée pour de
nombreuses raisons : différences culturelles, biais déclaratif, incompréhension des termes,
difficulté dans la classification des motivations, évolution dans le temps de ces motivations,
réponse en fonction de la réussite de l’entreprise et non des motivations initiales. De plus,
ces résultats ne peuvent pas être comparés avec les bases statistiques nationales ou
internationales, dont les critères sont plus réducteurs mais plus objectifs, comme le fait
d’être sans emploi ou de bénéficier de minima sociaux. Nous avons recensé dans l’ensemble
des travaux identifiés, une centaine de définitions différentes de l’entrepreneuriat de
nécessité, dont Wennekers et al. (2005) ; Bergmann et Sternberg (2007) ; Van Stel et al.
(2007) ; Block et Koellinger (2009) ; Block et Sandner (2009) ; Caliendo et Kritikos (2010) ;
Block et Wagner (2010) ; Fossen et Bü ttner (2013) ; Van der Zwang et al. (2016). Pour
certains auteurs, la stricte dichotomie motivation de nécessité versus d’opportunité est
beaucoup trop simpliste et ne correspond pas à la réalité entrepreneuriale (Williams et
Williams, 2014). En effet, des travaux mettent en évidence la possibilité qu’un individu
puisse être simultanément mû par des motivations de nécessité et d’opportunité (Caliendo
et Kritikos, 2010 ; Block et Sandner, 2009). Giacomin et al. (2016) évoquent des sous-
groupes d’entrepreneurs avec des degrés de motivations variant de la stricte nécessité à la
stricte opportunité selon un large spectre. Puente et al. (2019) soulignent que cette
dichotomie ne rend pas justice aux entrepreneurs d’Amérique latine par exemple : ils
définissent un troisième profil dit « de transition », soulignant que les entrepreneurs de la
catégorie « par nécessité » peuvent avoir des aspirations de développement de leur
entreprise. S’appuyant sur la théorie de Maslow (1943), Dencker et al. (2019), proposent
une reconceptualisation de l’entrepreneuriat de nécessité, basée sur la satisfaction des
besoins primaires. La théorie de Maslow (1943) étant elle-même largement critiquée, cette
piste a été peu reprise. Par ailleurs, les études quantitatives sur l’entrepreneuriat de
nécessité, recourant le plus souvent aux bases de données de GEM (Wennekers et al., 2005 ;
Bergmann et Sternberg, 2007 ; Van Stel et al., 2007) ou aux statistiques du chô mage (Fairlie
et Fossen, 2018), parviennent à des conclusions non significatives, voire contradictoires
sur bien des thèmes : l’impact de l’â ge sur la création d’entreprise par nécessité (Giacomin
et al., 2007 ; Block et Sandner, 2009 ; Wagner, 2005 ; Bergmann et Sternberg, 2007),
l’impact de celle-ci sur le développement économique, entre autres. Enfin, Welter et al.
(2017) soulignent que cette dichotomie repose sur une vision condescendante et
réductionniste, basée sur un a priori négatif de l’individu et de son potentiel économique,
alors qu’une vision dynamique et contextualisée du projet et non seulement de la personne
est indispensable. Ce pour quoi les approches processuelles (Hjorth et al., 2015), plaidant
l’indétermination de tout parcours entrepreneurial et l’abordant tel qu’il se vit, en
s’approchant au plus près de l’expérience, représentent la piste la plus fructueuse.
Le concept défini et ses contours flous mis en lumière, résumons maintenant les
principales connaissances sur l’entrepreneuriat par nécessité.

2. État des connaissances sur l’entrepreneuriat par nécessité via le cadre d’analyse
de W. Gartner
Les sources d’hétérogénéité de l’entrepreneuriat de nécessité peuvent être identifiées par
application du cadre d’analyse de Gartner (1985) qui suggère de se focaliser sur quatre
dimensions pour décrire et expliciter toute création d’entreprise selon une approche
holistique et approfondie du phénomène : l’individu, l’environnement, l’organisation et le
processus. Recourir au modèle de Gartner (1985) permet de considérer l’ensemble des
variables, entrepreneur, histoire, espace et temps, circonstances, actions et étapes du
processus et de les relier dans une approche descriptive dynamique. Cette revue de la
littérature permet ainsi de saisir clairement que les entrepreneurs dits de nécessité, de
survie, forcés, involontaires, insatisfaits, ou contraints ne sont pas une catégorie homogène,
opposable aux entrepreneurs qui poursuivent de lucratives opportunités d’affaires.
L’entrepreneuriat de nécessité dépend non seulement des motivations des individus, qui
sont évolutives et multiples, mais aussi des situations et du contexte entrepreneurial, car
l’environnement de la création par nécessité influence grandement le couple porteur de
projet-entreprise créée.
2.1. L’individu : pas un mais des entrepreneurs par nécessité
S’agissant de la dimension individuelle, la littérature révèle un ensemble de
caractéristiques des entrepreneurs par nécessité. Ils ont une plus grande aversion aux
risques, plus de doutes et plus besoin d’un accompagnement, que les entrepreneurs par
opportunité (Singh et Denoble, 2003). Ils espèrent retrouver un statut de salarié : le degré
de réticence à devenir ou rester entrepreneur est très élevé. Le besoin d’autonomie et de
réalisation, le contrô le interne, la propension à prendre des risques et l’auto-efficacité sont
faibles (Yanniv et Brock, 2012). La plupart des travaux convergent pour conclure à
certaines caractéristiques sociodémographiques communes aux entrepreneurs par
nécessité, en comparaison avec les entrepreneurs par opportunité : un â ge plus élevé, un
niveau d’études inférieur, une expérience de travail et une capacité à identifier et exploiter
les opportunités entrepreneuriales moindres, un réseau entrepreneurial limité voire
inexistant. Les principaux profils décrits sont les femmes, les seniors, les immigrants, les
ruraux, les chô meurs, les individus peu diplô més et en particulier les jeunes, dont le capital
social et humain est réputé faible (Block et al., 2015). Bayad et al. (2016) proposent une
typologie en quatre profils liés aux différents types de motivations, avec un continuum
entre push et pull. Tessier-Dargent et Fayolle (2016) ont établi une typologie des
entrepreneurs par nécessité en huit profils, éclairant la variété des motivations et des
parcours, approfondie par Tessier-Dargent et Deschamps (2020) pour les repreneurs dits
contraints. Les motivations de ces entrepreneurs peuvent évoluer dans le temps, en
particulier devenir positives si le projet de création se développe. Par ailleurs, les
motivations positives et négatives à créer sont en réalité très intriquées, d’ordre culturel,
situationnel et psychologique. Ainsi, Beaucage et al. (2004) montrent dans leur modèle que
le passage au travail autonome découle le plus souvent d’une décision motivée à la fois par
des aspirations personnelles et professionnelles spécifiques et par des conditions d’emploi
précaires et insatisfaisantes : il y a influence combinée des facteurs « pull » et « push », de
motivations personnelles et de contraintes économiques et sociales. En terme
comportemental, Giacomin et al. (2016) avancent que les entrepreneurs par nécessité ont
des comportements différents des entrepreneurs par opportunité. Par exemple, les
entrepreneurs d’opportunité sont plus orientés vers des objectifs de croissance,
d’innovation, de pérennité et de rentabilité, que les entrepreneurs de nécessité (Block et
Sandner, 2009 ; Hessels et al., 2008). Les entrepreneurs par nécessité agissant par volonté
de pure survie économique pour certains, ils sont davantage préoccupés par leurs besoins
financiers à court terme que par les attentes et les opportunités du marché. Pour
Sahasranamam et Sud (2016), les entrepreneurs par nécessité ne sont pas forcément issus
du chô mage, dans des pays au fort développement, Inde ou Chine, mais peuvent être en
emploi, insatisfaits de leur carrière et revenus, ou poussés par des firmes en baisse
d’activités. Les femmes n’y sont pas non plus surreprésentées. Les travaux de Giacomin et
al. (2007) démontrent aussi qu’il ne faut pas systématiquement associer chô mage et
entrepreneuriat de nécessité. Ainsi, comme le rappelle Couteret (2010, p. 3) : « Tout
chômeur-créateur ne peut pas être qualifié d’entrepreneur contraint. » Explorons ensuite les
connaissances sur l’environnement de l’entrepreneuriat par nécessité.
2.2. L’environnement : des obstacles variables selon les situations
Concernant l’environnement de la création d’entreprise par nécessité, les données restent
contradictoires et non concluantes. Le niveau de chô mage, par exemple, joue un rô le
controversé sur la création par nécessité. Cependant, les pays avec le plus fort taux
d’entrepreneuriat de nécessité sont aussi les moins développés économiquement et
présentent de forts taux de chô mage (Reynolds et al., 2002 ; Wennekers et al., 2005 ; Acs,
2006). Nikiforou et al. (2019) soulignent l’impact négatif de la durée du chô mage sur la
capacité à entreprendre : ils suggèrent des politiques publiques plus personnalisées pour
soutenir de façon adéquate les chô meurs de longue durée devenus entrepreneurs par
nécessité. Les changements structurels du marché du travail jouent aussi un rô le
prépondérant sur l’accroissement de la création par nécessité, via la précarisation, la sous-
traitance et la dérégulation. De même, la culture entrepreneuriale du pays favorise le
succès des créations d’entreprise, même par nécessité. Enfin et surtout, les politiques
publiques « push », réduisant les allocations chô mage, obligeant à prendre des emplois,
mêmes précaires ou mal rémunérés, sont des facteurs forts contribuant à l’augmentation
du nombre d’entrepreneurs par nécessité. Un niveau élevé de corruption a également un
impact « positif » sur la création d’entreprises par nécessité : Chowdhury et al. (2015)
étudient l’impact des institutions formelles et informelles sur l’entrepreneuriat de
nécessité, concluant au rô le potentiellement facilitant de la corruption selon les contextes.
Zheng et Musteen (2018) démontrent eux l’importance des transferts de fonds de la
diaspora pour soutenir les créateurs d’entreprise par nécessité, en particulier dans les pays
émergents. Fuentelsaz et al. (2015), dans une approche théorique institutionnelle,
concluent que la protection de la propriété privée, la liberté d’entreprendre, le capital
financier ou l’éducation fournis par les institutions n’ont que peu d’impact sur
l’entrepreneur de nécessité, préoccupé quel que soit le contexte par sa survie à court terme.
Angulo-Guerrero et al. (2017) avancent même que la libéralisation économique, à savoir la
sécurisation des droits de propriété, le soutien à l’internationalisation, la régulation du
crédit, du Code du travail et du monde des affaires ne contribuent pas au développement
de l’entrepreneuriat de nécessité. Laffineur et al. (2017) concluent que les politiques
publiques d’incitation à la création d’entreprise contribuent au développement de
l’entrepreneuriat de nécessité plus que d’opportunité : comme les entreprises développées
par nécessité créent peu d’emploi, l’impact de ces programmes sur la réduction du
chô mage est pourtant faible. Enfin, la différenciation proposée par Mandjá k et al. (2011),
entre création par nécessité engendrée par des facteurs externes, liés à l’environnement,
tels que le chô mage ou la dérèglementation du marché du travail, et création par nécessité
due à des facteurs internes à l’individu, comme l’insatisfaction au travail, est une piste
intéressante. Penchons-nous ensuite sur les caractéristiques des entreprises créées par
nécessité.
2.3. Les organisations créées : une fragilité liée au contexte et au processus de création
Les taux de défaillance des entreprises créées par nécessité sont plus élevés que ceux des
entreprises créées par opportunité ; taille d’entreprises, contribution économique,
développement des structures et satisfaction des entrepreneurs sont moindres (Acs et
Varga, 2005 ; Block et Koellinger, 2009 ; Block et Wagner, 2010 ; Nikolova, 2019). Les
entrepreneurs fortement contraints développent rarement des activités dans un secteur où
ils bénéficient d’une expérience, contrairement aux entrepreneurs volontaires : plus la
durée du chô mage a été longue pour les créateurs, plus les secteurs d’activités choisis sont
éloignés de leur domaine d’expertise (Nikiforou et al., 2019). De plus, cet entrepreneuriat
est surtout présent dans les secteurs moins complexes, avec peu de barrières à l’entrée,
services à la personne ou secteur informel, réclamant moins d’investissements et plus
immédiatement accessibles (Caliendo et Kritikos, 2010 ; Giacomin et al., 2007). Les
entreprises créées sont de petite taille, subissant une forte concurrence des firmes plus
grandes et expérimentées du voisinage. Les opportunités poursuivies sont peu
rémunératrices, basées sur des stratégies de domination par les coû ts et non de
différenciation (Block et al., 2015). Les organisations sont le signe d’une hybridité nouvelle
des structures, fruit de la précarisation du marché du travail, avec la porosité des frontières
entre les différents états représentés par l’emploi, le chô mage et l’inactivité (Levratto et
Serverin, 2012). Il y a dépendance économique et relative indépendance de statut, sous la
forme du portage salarial et de l’auto-entrepreneuriat français, de la Ich-AG allemande, du
payrolling aux Pays-Bas et en Belgique, des umbrella companies au Royaume-Uni ou encore
des egenanställning en Suède et des coopératives espagnoles. Les avis divergent quant à
l’impact économique et la pérennité de ces organisations créées par nécessité. Ainsi, Maritz
(2004) affirme sur la base des données GEM qu’il y a un lien positif entre entrepreneuriat
de nécessité et croissance. Wong et al. (2005) concluent qu’il n’y a pas de différence en
termes d’impact sur la croissance économique entre entrepreneuriat de nécessité et
d’opportunité. Acs et Varga (2005) démontrent en utilisant des statistiques GEM
également, que la création d’entreprise par nécessité n’a pas d’effet sur le développement
économique d’un pays, contrairement à l’effet d’entraînement et de croissance positif
engendré par l’entrepreneuriat d’opportunité. Pour Sternberg (2011), les entrepreneurs
par nécessité, même s’ils sont minoritaires et qu’ils réussissent globalement moins bien
que les entrepreneurs par opportunité, ont néanmoins une contribution économique
positive, car ils créent des emplois, innovent, exportent et développent la culture
entrepreneuriale des pays. Dencker et al. (2009) soulignent que les entreprises créées par
nécessité, avec des taux de survie relativement élevées, contribuent à la subsistance
économique de leurs créateurs. Cependant, Van Steel et al. (2007) concluent à la
prédominance de l’effet Schumpeter sur l’effet « refuge » : le chô mage peut certes susciter
des créations de nouvelles entreprises, mais c’est principalement la dynamique
économique qui les favorise, celles-ci réduisant le chô mage en créant des emplois en
retour. Abordons le thème des processus entrepreneuriaux par nécessité.
2.4. Le processus : une trajectoire entre désenchantement et résilience
D’une manière générale, les processus de création d’entreprise par nécessité oscillent
entre désenchantement et résilience. Du fait de leur faible motivation, Couteret (2010)
mentionne le faible investissement en début de processus entrepreneurial des
entrepreneurs par nécessité. Kodithuwakku et Rosa (2002) démontrent que les processus
entrepreneuriaux sont déterminants dans la réussite des entrepreneurs développant leur
entreprise avec de faibles ressources et dans des environnements peu prometteurs et
extrêmement contraints : ceux rencontrant le succès dans ces conditions difficiles ne sont
pas plus innovants pour identifier les opportunités d’affaires ; mais ils sont plus créatifs et
persévérants pour mobiliser des ressources rares. Ils exploitent plus efficacement leur
réseau social et leurs contacts pour accumuler du capital et possèdent de bonnes capacités
de gestion. Hernandez (2006, p. 337) affirme cependant que la dimension « décision » est le
plus souvent absente du processus entrepreneurial, en particulier par nécessité :
« L’individu […] apparaît plus souvent comme un agent pris dans un contexte qui le pousse
vers l’entrepreneuriat que réellement comme un acteur décidant en toute connaissance de
cause. » Mandjá k et al. (2011) décrivent les entrepreneurs par nécessité comme des héros
tragiques : mus par des « déplacements » (échec scolaire, divorce, licenciement), ils sont
forcés de faire quelque chose pour lequel ils ne sont ni préparés ni motivés. Et malgré tout,
ils mettent toute leur énergie à accomplir cette tâ che, sachant qu’ils sont, en raison des
circonstances, quasiment voués à l’échec. Anderson (2005) a démontré que les chô meurs et
les inactifs qui créent leur entreprise changent généralement de statut pour retrouver le
chô mage et l’inactivité, plutô t que pour partir vers des emplois salariés, ce qui est un
marqueur d’échec clair de ce type de processus. Block et Koellinger (2009) démontrent
d’ailleurs que les entrepreneurs par nécessité sont significativement moins satisfaits par
leur choix occupationnel que les entrepreneurs par opportunité. Gérer sa société au
quotidien, trouver les ressources pour la pérenniser est souvent source de
désenchantement. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer, dans ces processus, le rô le
positif de la résilience, c’est-à -dire « une opportunité de reconstruction de la personne »
(Bernard, 2008, p. 119) : se lancer dans un projet est une façon de redonner à sa vie, à
partir de soi, une vraie cohérence ; cela alimente estime de soi et confiance en soi, surtout
pour les victimes de l’exclusion, comme les seniors ou les immigrants. Quelques travaux
francophones (Condor et Hachard, 2015) soulignent l’intérêt de l’entrepreneuriat de
nécessité comme mode d’insertion professionnelle alternatif au recrutement classique,
voire comme cursus permettant aux plus démunis de sortir de l’exclusion et de rebondir.
Selon Nikolova (2019), le passage du chô mage à l’auto-emploi contribue à améliorer
nettement la santé psychique des individus, mais dans une moindre mesure que pour les
entrepreneurs par opportunité, et sans impact sur leur bien-être physique. Tobias et al.
(2013), s’appuyant sur le concept d’entrepreneuring, à savoir « un effort pour développer de
nouveaux environnements économiques, sociaux, institutionnels et culturels par les actions
d’un individu ou d’un groupe » (Rindova et Ketchen, 2009, p. 477), démontrent que le
processus entrepreneurial peut ramener la prospérité à des « entrepreneurs ordinaires »
dans des zones de guerre et d’extrême pauvreté.
Nous proposons dans le tableau 1 une synthèse de l’état de l’art des connaissances
acquises par la revue de la littérature sur l’entrepreneuriat par nécessité.
Tableau 1. Spécificités des individus, organisations, processus et de l’environnement concernant l’entrepreneuriat par
nécessité

Caractéristiques
Auteurs
Individus
Plus â gés, moins éduqués que les entrepreneurs par opportunité. Plus souvent des femmes et des individus discriminés,
minorités, handicapés, seniors
Amit et Muller, 1995 ; Bhola et al., 2006 ; Fossen et Bü ttner, 2013
Individus désabusés par le salariat
Tessier et Fayolle, 2016
Faible capital humain, peu de ressources financières, de réseaux, de compétences entrepreneuriales, de soutien familial
Nakara et Fayolle, 2013 ; Van der Zwan et al., 2016
Peu de satisfaction, réticence à rester entrepreneur, souhait de redevenir salarié
Block et Wagner, 2010
Plus grande aversion aux risques, davantage de doutes et plus besoin d’accompagnement que les entrepreneurs par
opportunité
Singh et Denoble, 2003 ; Block et al., 2010
Besoin d’autonomie, de réalisation, contrô le interne, propension à prendre des risques et auto-efficacité faibles
Yanniv et Brock, 2012
Accumulation de facteurs renforçant l’exposition aux aléas (faibles ressources financières, problèmes de santé) et
ampleur de l’impact en cas de réalisation du risque (éloignement du marché du travail, manque de couverture sociale)
Bayart et Saleilles, 2019
Typologie en huit profils différenciés des entrepreneurs par nécessité, sur des critères légaux (sous-traitance imposée),
sociaux (harcèlement, discrimination), économiques (chô mage) ou psychologiques (prise de distance envers le salariat)
Tessier-Dargent et Fayolle, 2016
Organisations

Organisations qui se développent moins, créent moins d’emploi, sont de plus petite taille, moins pérennes, innovantes et
exportatrices que celles créées par opportunité
Hessel et al., 2008 ; Block et Wagner, 2010 ; Van der Zwan et al., 2016
Secteurs d’activités mal maîtrisés et aux barrières à l’entrée faibles (ex. services à la personne) : forte concurrence
d’entreprises plus grandes et expérimentées
Caliendo et Kritikos, 2010 ; Giacomin et al., 2007
Hybridité des structures, fruit de la précarisation du marché du travail : porosité entre emploi, chô mage, inactivité, sous-
traitance forcée et création d’entreprise
Levratto et Serverin, 2012
Processus

La puissance de transformation du processus entrepreneurial (transformative entrepreneuring) permet à des


« entrepreneurs ordinaires », en contexte de grande pauvreté et en zone de guerre, d’atteindre la prospérité
Tobias et al., 2013
Par réplication : conduits par des besoins primaires, ces entrepreneurs copient la structure, l’activité et les processus des
petites entreprises proches, pour obtenir des gains financiers rapides
Dencker et al., 2019
Difficulté à repérer les niches de marché
Van der Zwan et al., 2016
Importance de la dimension humaine de l’accompagnement
Nakara et Fayolle, 2013
Analyse des candidats au microcrédit : grille de motivations entrepreneuriales autour de quatre facteurs ; « les
récompenses extrinsèques (avantages économiques attendus de la situation d’entrepreneur), les récompenses
intrinsèques (avantages liés à la réalisation de soi), l’indépendance / l’autonomie et la sécurité familiale ». Les individus
dont le choix d’entreprise est fait par défaut présentent un risque plus élevé à court et long terme de se décourager
Legrand et al., 2012
Environnement

Corruption élevée, surtout dans les pays en développement


Harbi et Anderson, 2010
Fort taux de chô mage
Acs, 2006 ; Serviere, 2010
Infrastructures défaillantes (système de transport par exemple)
Wennekers et al., 2005
Absence de filet social sécuritaire (retraite et assurance chô mage par exemple)
Acs, 2006
Déstructuration du marché du travail : précarisation, dérégulation
Levratto et Serverin, 2012
Pour conclure, nous évoquerons les nombreuses pistes de recherche ouvertes dans ce
champ de recherche de l’entrepreneuriat par nécessité.

Conclusion et perspectives de recherche


Bien que l’opposition entre un entrepreneuriat par nécessité et un entrepreneuriat par
opportunité semble faire consensus parmi les chercheurs, la définition empirique de
l’entrepreneuriat de nécessité dans la littérature connaît suffisamment de variations pour
demeurer très imparfaite et empêcher des études transverses et des comparaisons
robustes des résultats des travaux de recherche (Fairlie et Fossen, 2018). Les conclusions
parfois contradictoires de ces travaux encouragent à investiguer un cadre conceptuel
différent, comme le proposent Dencker et al. (2019), en s’intéressant par exemple au
capital humain, aux processus et à l’environnement de l’entrepreneur de nécessité, afin de
le contextualiser, au-delà de ses seules motivations, trop réductrices. Le tableau ainsi
dressé des connaissances sur l’entrepreneuriat de nécessité dessine donc un vaste champ
de possibles concernant les pistes de recherche futures, en particulier dans une perspective
critique et processuelle de cet entrepreneuriat. Le débat sur les choix théoriques
susceptibles de pouvoir instruire de façon pertinente ce phénomène complexe et
polymorphe reste ouvert. En particulier, une approche critique du phénomène implique de
le considérer hors des paradigmes actuels, afin de déconstruire les discours dominants,
fondés sur le mythe de l’entrepreneur héroïque ; mais nommer est déjà faire exister
les entrepreneurs par nécessité comme objets sociaux. Il serait intéressant, dans cette
perspective, de se nourrir des réflexions de Rehn et al. (2013). Concernant les thèmes de
recherche, quelques points précis émergent : approche processuelle, analyse du capital
entrepreneurial, du rô le des institutions et politiques publiques, de la dimension effectuale
de cet entrepreneuriat. Tessier-Dargent et Fayolle (2016) suggèrent d’étudier les stratégies
d’accompagnement selon les différents profils identifiés dans les typologies : un repreneur
forcé de reprendre l’entreprise familiale a un contexte, des difficultés et donc un besoin
d’accompagnement fort différents d’un entrepreneur créant pour assurer la survie
économique de son foyer. Il serait également intéressant de déterminer si les formations en
entrepreneuriat destinées aux personnes économiquement fragilisées peuvent réduire les
différences de comportements entre motivations de nécessité et d’opportunité. La
recherche pourrait aussi faire des ponts entre entrepreneuriat par nécessité, hybride et
inclusif. Dans la perspective d’une approche processuelle, relevant du courant de
l’entrepreneuring, des études longitudinales sont particulièrement requises : plus d’une
dizaine de recherches mentionnent la nécessité de ces travaux longitudinaux, portant sur
les résultats et le devenir de ces entreprises, les processus, la satisfaction des
entrepreneurs, leur bien-être, leur santé, l’impact économique, social et psychologique de
leurs entreprises, la pertinence des différents modes d’accompagnement, l’intérêt des
programmes publics. Pour mesurer la portée du processus entrepreneurial et son
évolution, il serait ainsi nécessaire de choisir un échantillon de créateurs naissants, au
début du processus et de les suivre dans le temps. De même, il serait intéressant d’étudier
la situation des créateurs chô meurs avant et après cette expérience. Ces suggestions de
pistes de recherche soulèvent cependant des questionnements théoriques et
méthodologiques importants, notamment en raison de la variété des critères de définition
de l’entrepreneuriat de nécessité selon les pays, dès lors que l’on envisage de mener des
travaux longitudinaux et des comparaisons entre pays. Ces pistes supposent aussi la
conception de protocoles de recherche multiniveaux, associant méthodes qualitatives et
quantitatives de manière à intégrer notamment l’influence des biais culturels et la prise en
compte des politiques publiques.

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1 Discours d’Angel Gurría, Secrétaire général de l’OCDE, G20 Young Entrepreneurs Summit (2011) : « L’entrepreneuriat est à n’en pas douter un
formidable levier de politique publique pour promouvoir une reprise riche en emploi, solidaire, soucieuse de l’environnement et qui contribue à réduire
le chômage des jeunes » – https://www.oecd.org/fr/industrie/g20youngentrepreneurssummit.htm
2 La Commission européenne souligne aussi son objectif de promouvoir l’entrepreneuriat auprès de publics spécifiques, à savoir les femmes, les
seniors, les migrants et les personnes au chô mage, comme « une précieuse opportunité d’inclusion sociale ». Article du site de la Commission
européenne (2013) : Unleashing Europe’s entrepreneurial potential to bring back growth –
https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_13_12
3 L’étude de la littérature internationale indique qu’avant 2000, dix articles ont été publiés sur le thème de l’entrepreneuriat de nécessité dans des
revues de gestion classées A et B par le HCERES (Haut Conseil de l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur), contre plus de
cinquante articles publiés entre 2000 et 2020.
4 Le « Global Entrepreneurship Monitor » (http://gemconsortium.org) est un consortium de recherche académique à but non lucratif dont
l’objectif est de fournir des données rigoureuses sur l’activité entrepreneuriale mondiale. Il s’agit du plus important projet de ce type : initiées en
1999 avec 10 pays, les recherches ont été conduites en 2015 sur plus de 100 pays ; plus de 200 000 entrepreneurs et experts ont été interrogés.
Chapitre 3. L’entrepreneuriat social : une dynamique socio-
économique au service de la communauté
Mariyam Lakhal

Introduction
L’intensification croissante du poids des populations fragiles et de leurs communautés
appelle le monde de la recherche à penser le phénomène entrepreneurial et ses
perspectives différemment. Dès 2006, Seelos et Mair ont observé l’émergence d’un
nouveau type d’entrepreneuriat, dit social, porté par des entrepreneurs soucieux
d’imaginer de nouvelles pratiques et propositions pour le bien d’individus en situation de
dépendance (économique, mentale, physique, etc.). À la tête d’entités qualifiées
d’organisations voire d’entreprises sociales, ces entrepreneurs privilégient un objectif
sociétal, au service des individus et de leur communauté, avec un impératif de financement
suffisant leur permettant d’assurer leur pérennité.
La diversité des projets menés et des formes entrepreneuriales a suscité l’intérêt des
chercheurs, comme en témoignent de très nombreuses publications sur le sujet. Saebi et al.
(2019) ont recensé 395 articles en entrepreneuriat social dans des revues académiques de
langue anglaise jusqu’en 2018 . Situées à la croisée de l’initiative privée et de l’intérêt
1

collectif (Muñ oz et al., 2018 ; Rangan et Gregg, 2019), ces formes entrepreneuriales
cherchent à produire des impacts sociaux, qui supposent l’adoption de nouvelles pratiques
de gouvernance – une gouvernance démocratique, dynamique et durable – (Bacq et
Janssen, 2011 ; Bocken et al., 2014 ; Boughzala et al., 2019 ; Defourny et Nyssen, 2017,
Hlady-Rispal et Servantie, 2018).
Sur le plan théorique, les travaux de Janssen et al. (2012) soulignent la contradiction des
termes « entrepreneuriat » et « social », renvoyant à des concepts, a priori, antagonistes et
alimentant de vifs débats sur la définition de l’entrepreneuriat social (Bacq et Janssen,
2011 ; Zahra et Wright, 2016 ; Dato-On et Kalakay, 2016). Au-delà de cette dualité, entre
performance financière et mission sociétale, l’entrepreneuriat social s’inscrit dans
différents courants de pensée, ce qui soulève de nombreux questionnements d’ordre
théorique et pratique (Lee, 2017 ; Dacin et al., 2010 ; Ndour et Alexandre, 2020).
Pour se repérer dans cette littérature riche et foisonnante, nous proposons, dans un
premier temps, d’examiner les ancrages théoriques de l’entrepreneuriat social, pour être
en mesure de mieux dresser un état des principaux débats. Puis, nous discutons des
nouvelles perspectives qui se dessinent pour la recherche future autour de
l’entrepreneuriat social.

1. Entrepreneuriat social : définitions et positionnement des travaux


Les disparités existantes entre les différentes approches de l’entrepreneuriat social ont
conduit à une prolifération de définitions et de conceptions. L’absence d’une
conceptualisation communément admise (Zahra et al., 2009 ; Dacin et al., 2010 ; Defourny
et Nyssens, 2017) s’explique par les diversités des ancrages théoriques. Comprendre les
différents courants de pensée relatifs à l’entrepreneuriat social (1.1.) permet de le
singulariser au regard d’autres formes entrepreneuriales (1.2.).
1.1. L’entrepreneuriat social : trois écoles de pensée
Sur le plan scientifique, l’entrepreneuriat social est un concept relativement récent
(Levillain et al., 2016) ayant pris une ampleur considérable au cours de ces deux dernières
décennies (Cherrier et al., 2017 ; Chou, 2018). Pour autant, la définition de
l’entrepreneuriat social reste polymorphe, comme en témoignent les différentes revues de
la littérature ayant permis d’approcher les contours de ce phénomène économique et social
(Saebi et al., 2019 ; Doherty et al., 2014 ; Dacin et al., 2010). Après une première décennie
plutô t confidentielle, nul n’aurait pu imaginer l’étonnante percée de l’entrepreneuriat
social dans le langage académique depuis le début des années 2000 (Steyaert et Hjorth,
2006 ; Boncler et al., 2013). La plupart des écrits sur ce sujet se rattachent à trois écoles de
pensée : l’école des ressources marchandes, l’école de l’innovation sociale et l’école de
l’entreprise sociale solidaire (cf. Figure 1). Elles se différencient par leur approche de la
dimension entrepreneuriale et de la dimension sociale des phénomènes étudiés, tout en
permettant de dégager des caractérisations communes de ces dynamiques (Mertens et
Marée, 2012).
Les travaux académiques sur l’entrepreneuriat social diffèrent originellement selon leur
ancrage géographique. Aux É tats-Unis, l’entrepreneuriat social se base essentiellement sur
deux grandes écoles de pensée, à savoir l’école des ressources marchandes centrée sur les
organisations privées non lucratives et l’école de l’innovation sociale (Dees, 1998). Selon la
première école, les entrepreneurs sociaux répondent d’une manière innovante à leurs
propres problèmes de financement en développant des activités de productions
génératrices de revenus. Ils mettent ainsi l’accent sur la nature des ressources mobilisées
(Skloot, 1987). L’école de l’innovation sociale, quant à elle, s’intéresse plutô t aux
dynamiques innovantes, au leadership et à la créativité de l’entrepreneur social pour
proposer des solutions nouvelles aux besoins les plus pressants de la société (Zahra et al.,
2009). Dans ce sens, la littérature anglo-saxonne met en avant la capacité de l’entrepreneur
social à innover socialement. Elle s’inscrit dans la lignée des travaux ayant pour focale
l’entrepreneur. Elle distingue l’entrepreneur social de l’entrepreneur classique par sa
capacité à endosser le rô le de leader d’opinion et à représenter un acteur de changement
social (Boughzala et al., 2019). Il s’agit d’un acteur ambitieux et endurant qui aborde des
2

problèmes sociaux majeurs en proposant de nouvelles idées pour un changement à grande


échelle (Rangan et Gregg, 2019).
Figure 1. Les traditions américaines et européennes de l’entrepreneuriat social
Source : élaboré notamment à partir de Bacq et Janssen (2011) et Boncler et al. (2013)
En Europe, l’entrepreneuriat social est représenté par l’école de l’entreprise sociale qui se
distingue par son approche collective (Defourny et Nyssens, 2010). Ce courant, porté
initialement et principalement par des économistes, s’intéresse davantage à l’entreprise
qu’au processus et en évalue les incidences en termes économiques, sociaux et politiques.
Cette tradition européenne promeut ainsi un entrepreneuriat collectif et met en avant les
spécificités organisationnelles favorisant une dynamique collective (Huybrechts et Nicolls,
2012). C’est au réseau des chercheurs EMES que l’on doit les premières bases théoriques et
empiriques pour une conceptualisation de l’entreprise sociale. Ce réseau a élaboré
progressivement une approche commune fondée sur la définition d’un « idéaltype » (au
sens de Max Weber) de l’entreprise sociale, c’est-à -dire un modèle synthétisant les
principales caractéristiques de l’entrepreneuriat observé dans le milieu social (cf. Figure 2).
Il retient neuf indicateurs organisés en trois composantes : des indicateurs économiques
(une activité continue de production de biens et services, un niveau signifiant de prise de
risque économique, un niveau minimum d’emplois rémunérés), sociaux (un objectif
explicite de services à la communauté, une initiative émergeant d’un groupe de citoyens, la
limitation de la distribution des bénéfices) et des indicateurs caractérisant la structure de
gouvernance (un degré élevé d’autonomie, un pouvoir de décision indépendant de la
détention du capital, une dynamique participative multi parties prenantes).
Figure 2. La définition de l’entreprise sociale selon le réseau EMES
Source : adapté à partir de Nyssens et Defourny (2010) et Bacq et Janssen (2011)
La richesse de l’analyse en termes de faisceaux d’indicateurs est évidente. Elle permet aux
acteurs de se situer par rapport à un idéaltype qui réunirait l’ensemble des indicateurs.
L’idéaltype donne à voir un modèle qui n’existe pas dans sa pureté idéelle mais qui permet
à l’entrepreneur social de comprendre la position de l’entreprise, indicateur par indicateur,
et de guider ainsi sa démarche entrepreneuriale grâ ce à la mise en place d’un modèle
économique au service d’une finalité sociale (Draperi, 2011).
1.2. L’entrepreneuriat social : des débats fondamentaux aux points d’ancrage
Les recherches sur l’entrepreneuriat social se sont développées autour et au cœur de la
cohabitation de ces trois courants de pensée pluriels, qui renvoient à des débats plus
fondamentaux sur la conception de l’économie, la place et le rô le de l’entrepreneuriat
(Cherrier et al., 2017). Dans le contexte européen, l’entrepreneuriat social est orienté vers
« l’économie sociale et solidaire » (ESS) et prend la forme d’une démarche
entrepreneuriale. Il implique la contribution d’un écosystème large et renvoie à une réalité
plurielle, à la croisée de l’initiative privée et de l’intérêt collectif (Boncler et al., 2013). La
primauté accordée aux dynamiques collectives en Europe va à l’encontre de l’intérêt porté,
notamment par l’école américaine de l’innovation sociale, au profil individuel des
entrepreneurs sociaux et à la place centrale qu’occupent ces derniers dans l’approche
anglo-saxonne (Defourny et Nyssen, 2010). Dans ce contexte, le rô le de l’entrepreneur dans
l’identification d’opportunités sociales a souvent été présenté comme étant au cœur de ce
qui constitue l’entrepreneuriat social, tout comme la mise sur le marché de produits ou de
services destinés à des populations défavorisées (Defourny et Nyssens, 2017). En
s’appuyant sur l’expérience du microcrédit et de la Grameen Bank, Muhammad Yunus (prix
Nobel en 2006) expérimente et exporte son modèle de social business à une variété de
biens et de services privés (intrants agricoles, téléphonie mobile, pisciculture, artisanat
textile) mais aussi publics comme l’éducation, l’énergie ou la santé (Elyachar, 2012). Loin
d’être une initiative isolée, le monde imaginé par Muhammad Yunus est partagé par de
nombreux entrepreneurs sociaux qui plaident pour un capitalisme d’un nouveau genre,
qualifié d’« inclusif » (Prahalad, 2010), de « responsable » (Cormack et Gudman, 2009), ou
encore de « bienveillant » (Benioff et Southwick, 2003). En somme, la vision anglo-saxonne
met l’accent sur trois éléments constitutifs : un accent stratégique sur l’impact social, une
approche innovante dans la réalisation de la mission et un rô le entrepreneurial décisif
(Nicholls, 2008). Elle est relayée à un niveau plus large grâ ce à de nombreuses associations,
organisations non gouvernementales ou fondations créées dans le but de soutenir et de
promouvoir ces dynamiques entrepreneuriales.
L’entrepreneuriat social se trouve en concurrence avec l’économie sociale et solidaire
parce qu’il définit une autre mise en perspective théorique et politique des entreprises
sociales (Draperi, 2010). Il ambitionnerait de réunir également des coopératives, des
mutuelles et des associations… au risque de l’éclatement de leur unité et de la remise en
question de leurs statuts juridiques (Sibille, 2009). Sur le plan théorique, il devient donc
difficile de défendre l’un et l’autre de ces deux projets : visant l’émancipation de tous,
soutenue par le principe de la double qualité et s’appuyant sur des statuts réduisant le
pouvoir du capital, l’économie sociale cherche à définir une économie a-capitaliste. Servant
une finalité sociale, sociétale et environnementale, soutenue par les grandes entreprises et
les fondations, l’entrepreneuriat social cherche à définir l’entreprise « humaine ».
Loin d’ignorer ou de réduire ces débats, plusieurs chercheurs y ont vu une source féconde
d’interpellation mutuelle, susceptible d’aider à identifier les défis majeurs de chaque cô té
de l’Atlantique, afin de mieux étudier et documenter les nombreuses initiatives se
développant sur le terrain (Short et al., 2009 ; Defourny et Nyssens, 2006 ; Dees et
Anderson, 2006 ; Bacq et Janssen, 2011). Dans cette veine, Defourny et Nyssens (2010)
rappellent que dans le contexte américain, les acteurs privés semblent dessiner le paysage
des dynamiques entrepreneuriales relevant de l’entrepreneuriat social. Cela va sans doute
de pair, dans le monde des affaires, avec une croyance largement partagée dans les forces
du marché pour résoudre une part importante des problèmes sociaux. Dès lors, même si
certains soulignent la nécessité d’hybrider les ressources, la vague d’entrepreneuriat social
agit en partie comme un processus de hiérarchisation et de sélection des défis sociaux en
fonction de leurs possibilités, avec leur traitement sur un mode entrepreneurial et
marchand.
Ce risque est aussi de plus en plus prégnant dans le contexte européen, particulièrement
dans les pays où les logiques de privatisation et de marchandisation de services sociaux
s’accentuent. Nombre d’entreprises sociales, de plus en plus soutenues par des politiques
publiques volontaristes, visant tantô t la réinsertion de travailleurs marginalisés, tantô t la
fourniture de services à des populations vulnérables, doivent faire face à un autre défi. En
effet, les risques inhérents à de tels appuis publics sont, d’une part, de voir l’innovation
sociale figée à un certain stade par son institutionnalisation, de l’autre, les entreprises
sociales instrumentalisées dans le cadre d’agendas politiques qui les priveraient de
l’essentiel de leur autonomie et de leur créativité. Nous relevons ici la tendance à la
banalisation de l’ESS, par isomorphisme institutionnel, dès lors qu’elle adopte les pratiques
de gestion dominantes, caractéristiques des entreprises capitalistes, par volonté de se
« professionnaliser » ou plus sû rement encore de rationaliser l’activité de travail dans des
environnements où la concurrence s’accroît.
Au-delà de cette diversité de perspectives (Fayolle, 2015), les auteurs s’accordent pour
souligner la place et l’influence de l’entrepreneur social et la primauté sociale du projet. À
propos de l’entrepreneur, il privilégie des objectifs sociaux sur des objectifs lucratifs ; il
investit des secteurs d’activités délaissés aussi bien par le secteur marchand en raison de
leur faible rentabilité, que par le secteur public, qui dans un contexte marqué par l’austérité
budgétaire, cherche à réduire ses dépenses. Le point commun partagé par les auteurs est la
finalité avant tout sociale des activités proposées par ces organisations (Dacin et al., 2010 ;
Nason et al., 2018). Ils en font une singularité lorsqu’ils l’opposent à la finalité économique,
voire lorsqu’ils l’érigent en évidente priorité (notamment pour condamner les dérives du
primat économique).
Ces trois écoles de pensée qui sont aux fondements de l’entrepreneuriat social mettent en
avant une même caractéristique pour étudier les différentes formes de dynamiques
entrepreneuriales sociales : l’entrepreneuriat social est un mouvement qui, à travers une
activité économique de production, poursuit prioritairement et volontairement une finalité
sociale dont la réalisation a des impacts sociaux de nature individuelle, mais aussi
collective (Saeibi et al., 2019). À ce jour, ces différentes traditions convergent
progressivement vers une caractérisation commune des dynamiques entrepreneuriales
sociales autour de quatre critères centraux, qui témoignent tout à la fois du caractère
entrepreneurial et de la finalité sociale de ce type d’initiatives : (1) la poursuite prioritaire
d’impacts sociaux, (2) l’innovation sociale, (3) la mobilisation des recettes (tout du moins
partiellement) marchandes et (4) l’usage de méthodes managériales empruntées au monde
de l’entreprise (Defourny et Nyssens, 2010), et ce, quel que soit le statut de l’organisation
(Perrini et Vurro, 2010 ; Dees et Anderson, 2006).
1.3. Situer l’entrepreneuriat social vis-à -vis d’autres formes d’entrepreneuriat
Instruire ces enjeux peut être délicat d’autant qu’il est parfois difficile de situer la
démarcation entre l’entrepreneuriat social et d’autres formes d’entrepreneuriat, qui
s’adossent à des principes tels que la charité et la philanthropie, la responsabilité sociale,
l’innovation sociale ou encore l’entrepreneuriat durable ou environnemental (Rangan et
Gregg, 2019). Constituent-ils des déclinaisons de l’entrepreneuriat social ?
Afin d’éclairer cette question et mieux situer l’entrepreneuriat social par rapport aux
principales formes qu’il peut revêtir, nous proposons des repères dans le tableau 1,
largement inspiré par Mair (2010) et adapté par Fayolle (2015). Ce tableau montre que
l’entrepreneuriat social n’est pas un phénomène isolé, il fait partie intégrante d’un système
social qui le génère et le légitime. De ce fait, il suppose d’être abordé comme un phénomène
localisé et dépendant fortement d’un contexte spécifique. Toutefois, selon les finalités
poursuivies et les formes prises, l’entrepreneuriat social peut être distingué d’autres
formes d’entrepreneuriat (Tableau 1).
Tableau 1. Les formes possibles de l’entrepreneuriat social
Type d’entrepreneuriat
Caractéristiques principales
Entrepreneuriat durable
La responsabilité des entreprises vis-à -vis des effets qu’elles exercent sur la société
Entrepreneuriat communautaire
La communauté est l’acteur principal et le bénéficiaire de l’action entrepreneuriale
Entrepreneuriat institutionnel
Individus ou organisations qui modifient l’organisation sociale et le système institutionnel entravant le développement
Source : adapté depuis Fayolle (2015)
Relevons tout d’abord le rapprochement évident de l’entrepreneuriat social avec deux
champs de recherches voisins connus sous les termes d’« entrepreneuriat durable » et
d’« entrepreneuriat communautaire ». Le premier a émergé à la croisée des champs de
l’entrepreneuriat et du développement durable ; il se définit comme les « activités centrées
sur la préservation de la nature, de la vie et de la communauté, s’inscrivant dans la poursuite
d’opportunités en vue de créer des produits, processus et services dont le gain économique et
non économique revient aux individus, à l’économie et à la société » (Shepherd et Patzelt,
2011). L’entrepreneuriat communautaire se présente, quant à lui, comme la communauté
agissant ensemble à la fois comme entrepreneur et entreprise, dans la poursuite du bien
commun (Peredo et Chrisman, 2006). É tant donné la proximité entre ces types
d’entrepreneuriat et l’entrepreneuriat social, Janssen et al. (2012) invitent les chercheurs à
étudier les interactions entre l’insertion dans une communauté , un groupe ou un système
3

particulier et la démarche entrepreneuriale sociale.


L’entrepreneuriat institutionnel, quant à lui, trouve sa source dans un questionnement sur
la portée et la nature du changement social (Jacquemin et al., 2017). Dans le prolongement
des travaux de DiMaggio et Powell (1983), ce concept diffère de celui d’entrepreneuriat
social (Dees, 1998), dans la mesure où les acteurs concernés inscrivent leur vocation
entrepreneuriale dans un travail institutionnel se traduisant par la création de nouvelles
institutions ou la transformation de structures existantes (Maguire et al., 2004). Selon
4

Annette et al. (2018) « l’entrepreneur institutionnel est donc avant tout un acteur qui remet
en question les règles et les pratiques dominantes du champ dans lequel il opère  » (p. 40). En
mobilisant les ressources nécessaires à son projet, l’entrepreneur institutionnel agit sur les
normes et les structures organisationnelles. Il œuvre à modifier l’ordre institué parce qu’il
lui apparaît de nature à entraver le développement des dynamiques entrepreneuriales
(Battilana, 2006).

2. État des recherches en entrepreneuriat social


Au regard des enjeux théoriques évoqués précédemment, et de la complexité des formes
d’entrepreneuriat social, nous avons choisi de dresser un état des recherches en focalisant
les débats autour de deux points d’achoppement : la vision du processus entrepreneurial
social (2.1.) et la question de la mission (2.2.).
2.1. Les débats sur la vision du processus entrepreneurial : entre bricolage, effectuation et
planification
Une majorité de travaux sur l’entrepreneuriat social présente ce dernier comme un
processus linéaire, dans la droite lignée du courant dominant de l’entrepreneuriat
(Amintas et al., 2015). Le processus entrepreneurial y est appréhendé comme une
succession d’étapes à franchir de façon définitive, sans modifications, ni ajustements
progressifs du projet aux perceptions/réactions de l’environnement. Réduire
l’entrepreneuriat social à ce seul cheminement conduit, à notre sens, à une impasse. Car
« une création réussie est un processus diachronique lié à la capacité d’apprentissage du
créateur, à l’adéquation des ressources aux fréquents dérapages, à l’évolution de la stratégie
en fonction du marché rencontré » (Hernandez, 2011, p. 89). Au regard des innovations
sociales engagées, le projet d’entrepreneuriat social se constitue progressivement, dans
l’action et l’inaction, s’inscrivant souvent pour les porteurs et entrepreneurs dans un
apprentissage réflexif.
Par ailleurs, confrontés à des contraintes de ressources souvent plus marquées (Peredo et
Chrisman, 2006), les entrepreneurs sociaux explorent et exploitent diverses stratégies
pour assurer le développement de leurs projets et organisations (Sunley et Pinch, 2012). Ils
veillent à surmonter la pénurie des ressources en utilisant les ressources locales à portée
de main ou à combiner de nouvelles ressources afin de répondre aux besoins sociaux, tout
en assurant la viabilité financière (Visser, 2011). Ainsi, si la littérature académique dresse
un constat prolixe et unanime de la rareté des ressources, elle se montre toutefois moins
éloquente et plus partagée sur les modalités permettant aux entrepreneurs sociaux de
surmonter ces difficultés.
Les approches traditionnelles de l’entrepreneuriat basées sur des processus linéaires,
rationnels et planifiés, regroupées dans la perspective dite de causalité (Sarasvathy, 2001,
2008) s’avèrent peu compatibles avec les spécificités d’un entrepreneuriat social dont les
projets se construisent chemin faisant, autour d’une hybridation des ressources dans un
environnement pluriel et incertain. Avec les théories entrepreneuriales du bricolage et de
l’effectuation (Baker et Nelson, 2005 ; Fisher, 2012), se dessinent de nouvelles voies pour
étudier comment les entrepreneurs se concentrent sur les moyens dont ils disposent à
portée de main et comment ils créent de la valeur sociale voire sociétale à partir des
ressources disponibles (Servantie et Hlady-Rispal, 2019). Des études empiriques (Fisher,
2012 ; Chandler et al., 2011 ; Senyard et al., 2009) ont mis en exergue cette prégnance de
cette logique effectuale d’action dans le processus entrepreneurial des entrepreneurs
sociaux, à travers notamment des pratiques dites d’expérimentation sociale qui s’inscrivent
dans des collectifs d’acteurs, c’est-à -dire « un ensemble de réflexions et d’actions menées par
des entrepreneurs sociaux qui procèdent par tâtonnements et essais-erreurs afin de concevoir
progressivement une nouvelle pratique managériale ou une innovation organisationnelle.
Cette innovation est “testée” dans un premier temps à une échelle limitée, compte tenu des
incertitudes à propos de ses effets. Elle se nourrit de la pluralité des acteurs à l’œuvre, de la
possibilité d’interroger les politiques publiques et les besoins sociaux, de l’opportunité
d’expérimenter de nouvelles méthodes de gestion et d’organisation et de développer de
nouvelles propositions de valeur permettant l’employabilité des ressources délaissées »
(Lakhal, 2019, p. 304).
Les entrepreneurs sociaux seraient avant tout des entrepreneurs effectuaux agissant au
départ à partir des moyens dont ils disposent et co-construisant chemin faisant leurs
projets grâ ce à l’engagement des personnes rencontrées / d’organisations sollicitées (les
parties prenantes). En complément de l’effectuation, le bricolage tel qu’il est appréhendé
par l’anthropologue Lévi-Strauss dans les années 1960 permet également de rendre
compte des pratiques effectives en entrepreneuriat social. Selon Lévi-Strauss (1962) l’idée
est de « se débrouiller avec les moyens du bord », c’est-à -dire les moyens à sa disposition,
comme le soulignent Baker et Nelson (2005) : « Se débrouiller en appliquant des
combinaisons des ressources à disposition aux problèmes et opportunités nouveaux. » (p. 333)
Ainsi, avec l’acquisition d’expériences, de nouvelles compétences émergent et permettent
de proposer de nouvelles activités génératrices de vertus sociales et économiques, pour
concevoir et expérimenter un modèle économique ad hoc. Certains auteurs parlent
d’innovation frugale, pour qualifier cette utilisation minimale de ressources, tout en créant
de la valeur, de manière à faire de son mieux avec des ressources disponibles moindres,
d’une manière simple et efficace et à bas coû t (Fagbohoun, 2016).
Ces perspectives théoriques (théories entrepreneuriales du bricolage et de l’effectuation
(Fisher, 2012)) posent de nouvelles bases pour aborder l’entrepreneuriat social comme se
constituant sur la base de processus d’apprentissage dynamique où le porteur de projet (et
le collectif) acquiert progressivement et continuellement des connaissances et des
compétences indispensables à la réussite du projet. Elles permettent de mieux comprendre
le parcours d’un entrepreneur social, analysé comme un processus expérientiel et de saisir
la diversité des logiques d’action mises en œuvre pour surmonter les difficultés de
financement. Toutefois, face aux contraintes de l’environnement, notamment institutionnel,
au contrô le organisationnel et à la concurrence de plus en plus rude entre entrepreneuriats
sociaux, la question de la vision sociale et sa défense deviennent très critiques. En effet, des
entrepreneurs sociaux afin de demeurer sur le « devant de la scène », se voient contraints
(notamment par certains acteurs financiers) d’engager des démarches causales fortement
inspirées de l’entreprise conventionnelle auxquelles on les enjoint de s’ouvrir.
2.2. La question de la mission
La question de la mission sociale et sa possible dérive constitue un point sensible dans les
débats. Comment poursuivre cette mission et faire face aux efforts pour générer des
modèles stabilisés autour de revenus pérennes (Battilana et Lee, 2014 ; Saebi et al., 2019) ?
Ce risque de dérive de mission renvoie, de façon générique, au risque pour l’entrepreneur
social de perdre de vue ses objectifs et les valeurs défendues dans sa lutte pour la survie du
projet ou dans la quête d’efficacité (Santos et al., 2015 ; Gonin et al., 2013). Ce risque
s’accentue et suscite des difficultés quand le projet non lucratif se double d’une activité
commerciale afin de diversifier les sources de financements.
En effet, certains entrepreneurs sociaux sont, parfois, tentés de privilégier les objectifs
commerciaux leur garantissant un avenir (Bacq et al., 2016 ; Santos et al., 2015). A
contrario, en privilégiant uniquement la mission sociale, leur structure peut se fragiliser,
voire ne pas survivre financièrement. L’hybridité des entreprises sociales n’est donc pas
facile à préserver et surtout elle n’est jamais acquise comme en témoignent des recherches
révélant le poids des impératifs économiques (Cornforth, 2014 ; Ebrahim et al., 2014).
Parallèlement, cette activité commerciale n’est pas la seule source de glissement de
mission. D’autres facteurs peuvent également jouer un rô le ; comme par exemple la
dépendance à un seul bailleur de fonds tel que l’É tat ou les fondations, pouvant imposer un
avis divergent sur les politiques à mener et les stratégies à mettre en œuvre (Mertens et
Marée, 2012 ; Jones, 2007). Dans ce cas de figure, l’entrepreneur social délaisse les
stratégies initiales (selon des besoins identifiés), pour privilégier les stratégies dictées par
ces bailleurs de fonds, avec dégradation de la mission initiale (Ebrahim et al., 2014 ; Jones,
2007). Dès lors, ces situations suscitent des tensions, constituant à la fois un problème à
résoudre et un élément singularisant l’hybridité que l’entreprise sociale doit tenir (Smith et
al., 2013 ; Doherty et al., 2014 ; Béji-Bécheur et Codello, 2015) : une hybridité source de
créativité mais également de tensions voire de paradoxes à gérer (Battilana et Lee, 2014).
Selon Lahaye et Janssen (2016), les connaissances actuelles – aussi bien théoriques
qu’empiriques – ne permettent pas de disposer d’une vision fine de ce phénomène de
dérive. En effet, les facteurs ou causes du glissement de la mission sont principalement
étudiés à un niveau individuel alors que les stratégies développées pour limiter la dérive
sont davantage analysées à un niveau organisationnel ou encore sociétal. À propos de cette
dérive de mission liée à la configuration du réseau de financement, Lakhal (2019) suggère
que si pour son financement, une structure à finalité sociale s’adresse à une seule partie
prenante (p. ex, banque classique ou investisseur privé), cela influence le type
d’informations dont elle dispose et probablement, sa façon d’agir. L’auteure montre
également que la confiance que tisse l’entrepreneur avec les parties prenantes, aussi bien
internes (usagers, salariés, bénévoles, membres du CA, etc.) qu’externes (É tat, collectivités
locales, réseaux, entreprises, clients, etc.) rend l’entrepreneur redevable par rapport à sa
mission ; cet état de fait permet d’une manière indirecte de limiter la dérive de cette
mission. Les normes et conventions communément admises au sein de son réseau peuvent
alors constituer des garde-fous pour préserver la mission première et conserver une
certaine inertie contre tout glissement potentiel. La configuration des réseaux internes et
externes pourrait jouer un rô le décisif dans l’émergence, la préservation ou la dérive de la
mission.

Conclusion et perspectives de recherche


La finalité sociale renvoie aux aspects sociaux et environnementaux véhiculés par
l’entrepreneuriat social mais aussi aux processus organisationnels mis en place (Saebi et
al., 2019). Quant à la notion de l’innovation, elle est considérée comme susceptible de
recouvrir des dimensions similaires à celles que l’on peut rencontrer dans le domaine
marchand (à savoir une nouvelle idée de prestation, service, processus, modèle). Mais
l’innovation est qualifiée de sociale , parce qu’elle répond simultanément aux besoins
5

sociaux (plus efficacement que les modèles alternatifs) et qu’elle crée de nouvelles
relations ou collaborations sociales (Dro et al., 2011). Un troisième invariant de ces
dynamiques est le degré d’orientation marché qui peut se manifester par une production
continue, une prise de risque économique, des ressources marchandes et du travail
rémunéré (Huybrechts et Nicholls, 2012 ; Boncler et al., 2013).
Ancien mais toujours nouveau venu sur la scène publique, porteur d’innovations ancrées
dans une histoire lointaine, participant au marché, mais jouant sur la nature des liens
sociaux non marchands, revendiquant son autonomie mais supposant le soutien des
instances étatiques, soulevant l’espoir d’une société plus juste mais se heurtant à un doute
perpétuel quant à sa capacité à l’atteindre, l’entrepreneuriat social dessine régulièrement
de nouvelles perspectives d’action collective, de travail entre parties prenantes plurielles,
où interagissent des dimensions à la fois éthique, politique, économique, pétries de
paradoxes (Grimand et al., 2013). Il apparaît que l’entrepreneuriat social ne relève pas d’un
modèle unique, d’autant qu’il est confronté à l’émergence de nouveaux défis sociaux et
sociétaux. É tudier l’entrepreneuriat social signifie chercher à comprendre, comment agir
« sur le fil du rasoir », entre le pragmatisme de la production des biens et services à finalité
sociale et sociétale et la volonté d’un lendemain meilleur. Cette « tension essentielle »,
comme le disait Kuhn, est au cœur de ces formes d’enjeux d’action collective, qui tout en
cherchant leur institutionnalisation s’efforcent de se distinguer des entreprises
« classiques ».
Se dessine un vaste champ de possibles pistes de recherche futures. Boughzala (2020)
invite les chercheurs à s’interroger sur les caractéristiques des projets et le type
d’innovation développée dans les pays émergents en questionnant les spécificités
culturelles de ces projets. Dans la même veine, Levillain et al. (2016) suggèrent d’analyser
l’articulation des processus d’innovation et l’entrepreneuriat social. Lakhal et Hlady-Rispal
(2018) pointent le rô le évident de l’intention stratégique (Hamel et Prahalad, 1989) dans la
formulation d’une proposition de valeur visant à lutter contre la pauvreté par le biais des
mécanismes de l’activité économique. Les auteures questionnent les modalités
d’intégration de cette proposition de valeur plus finement au cœur de la conception et mise
en œuvre des modèles d’affaires.
D’autres perspectives concernent la compréhension du parcours entrepreneurial,
notamment par la prise en compte de l’influence du macro-environnement et de son impact
sur la dérive de mission. La compréhension des dynamiques entrepreneuriales des projets
sociaux dans un environnement fortement marqué par la présence des dispositifs
numériques, constitue aussi un terrain fertile, au regard des défis d’adaptations, mais aussi
de possibles leviers de création de valeur. Enfin, les chercheurs en entrepreneuriat social
s’interrogent sur les cadres théoriques et méthodologiques susceptibles d’appréhender
conjointement les dimensions individuelles, organisationnelles et contextuelles. De telles
analyses multiniveaux s’imposent au regard de la multiplicité des acteurs et activités et des
différentes facettes constitutives de l’entrepreneuriat social.
Ce chapitre peut servir de point de départ à l’étude du processus entrepreneurial et des
interactions des différents flux de valeur des projets. Finalement, l’adoption d’une
approche critique (Jacquemin et al., 2017) de l’entrepreneuriat social – qui jusqu’ici s’est
largement inscrite dans une vision classique, économique, voire capitaliste – ouvre de
stimulantes perspectives pour défier certaines hypothèses fondatrices, parfois implicites
de l’entrepreneuriat social, et ainsi générer de nouvelles propositions théoriques
intéressantes (Alvesson et Sandberg, 2013).

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1 En mobilisant deux bases de données (Scopus et Web of Science), les chercheurs ont recensé les articles publiés dans les meilleures revues
classées aux rang 3 et 4 par la Chartered Association of Business Schools (2015). Seuls les articles contenant les termes « social entrepreneur »,
« social enterprise », « social business » et « social venture » dans le titre, le résumé ou les mots-clés ont été sélectionnés.
2 Plusieurs entrepreneurs ont été des agents de changement social avec les concepts des «  Restaurants du cœur », « Compagnons d’Emmaü s »,
« Médecins sans frontières » et « Médecins du monde », etc.
3 C’est le cas, par exemple, de l’association Haut les filles, créée en 2008 à Avignon dans l’objectif de fédérer les actions et engager des dynamiques
de développement de l’entrepreneuriat féminin.
4 La naissance du microcrédit, avec la création de la Grameen Bank, sous l’impulsion de son fondateur, Mohammad Yunus, relève de
l’entrepreneuriat institutionnel.
5 Dans son article, Fayolle (2015) mobilise plusieurs illustrations pour étayer ce point : « Le Chênelet est un concept de logement social écologique qui
promeut un habitat valorisant pour les personnes à bas revenus. Replic est une entreprise inventant de nouvelles entreprises d’insertion en Languedoc-
Roussillon. Fleurs de Cocagne emploie des femmes en difficulté et propose la production de fleurs de saison issues de l’agriculture biologique. » (p. ٤٧)
PARTIE II. EXPLIQUER LES TRAJECTOIRES ENTREPRENEURIALES :
ENTRÉ E, SORTIE, RETOUR, TRANSFERT
Chapitre 4. Du processus entrepreneurial à l’engagement
entrepreneurial
Laëtitia Gabay-Mariani

Introduction
Depuis les années 1990, les approches dites processuelles ont donné une inflexion
nouvelle à la recherche en entrepreneuriat. Celles-ci ont mis en évidence la place centrale
de la relation dialogique entre l’entrepreneur et son projet de création d’activité (Bruyat,
1993 ; Davidsson, 2006). L’avènement de cette conception a ouvert la voie à un courant de
recherche qui s’est développé à partir des années 1990 autour de modèles psychosociaux
d’intention (Krueger, 1993), donnant lieu à une littérature prolixe sur les fondements
motivationnels de l’agir entrepreneurial (par exemple Audet, 2004 ; Emin, 2004 ; Boissin et
al., 2009 ; Fayolle et Gailly, 2009 ; Boissin et al., 2017). Toutefois, des travaux récents ont
remis en cause la place dominante qu’ils ont pu occuper dans la compréhension du
processus entrepreneurial (Fayolle et Liñ á n, 2014 ; Boissin et al., 2017). Les limites
explicatives de l’intention entrepreneuriale ont en effet été pointées (Schlaegel et Koenig,
2014 ; Moreau et Raveleau, 2006 ; Degeorge, 2016). Un nombre croissant de travaux
s’intéresse donc désormais au passage de l’intention à l’action et à la phase dite
volitionnelle du processus entrepreneurial. Au sein de ce courant émergent, le concept
d’engagement a été identifié comme une voie prometteuse pour mieux comprendre le
passage de l’intention à l’action (Fayolle et Liñ á n, 2014 ; Van Gelderen et al., 2015). En tant
que force contraignante stabilisant le comportement (Becker, 1960 ; Meyer et Herscovitch,
2001), l’engagement est un prisme pertinent pour comprendre le maintien du
comportement entrepreneurial à l’épreuve du réel, des difficultés et des obstacles auxquels
seront confrontés l’entrepreneur naissant. Si l’engagement semble jouer un rô le crucial
dans le processus entrepreneurial, force est de constater que le maintien et la consolidation
des trajectoires entrepreneuriales n’a que très peu été exploré théoriquement et
empiriquement par des chercheurs en entrepreneuriat. Des travaux exploratoires (Fayolle
et Liñ á n, 2014 ; Adam et Fayolle, 2015 ; Adam, 2016 ; Gabay-Mariani et Adam, 2020) se
sont cependant tournés vers la littérature organisationnelle, où le concept d’engagement a
fait l’objet d’une attention importante et a été envisagé comme un phénomène
multidimensionnel et multifactoriel. Ils ont plaidé en faveur d’une adaptation de ces
modèles d’engagement au contexte de l’entrepreneuriat naissant. Ce chapitre retrace
1

l’émergence d’un champ de recherche nouveau, articulé autour de l’analyse de


l’engagement des entrepreneurs naissants. Il propose une synthèse de ses principaux
fondements théoriques et développements empiriques, ainsi que les voies de recherche
futures qu’il ouvre aujourd’hui.

1. De la phase motivationnelle à la phase volitionnelle du processus


entrepreneurial : un champ émergent dans les approches processuelles en
entrepreneuriat
Nous présentons ici le courant émergent de recherche qui s’est attaché, face aux limites
des travaux sur l’intention, à explorer les « chaînons manquants » du passage de l’intention
à l’action entrepreneuriale (Chabaud et al., 2017). Il se concentre sur les phases dites
volitionnelles du processus entrepreneurial (Gollwitzer, 1990 ; Van Gelderen et al., 2015),
pendant lesquelles l’entrepreneur naissant exerce sa volonté pour réaliser ses intentions,
et déploie des stratégies de persévérance pour surmonter les obstacles qu’il rencontre sur
sa route (Kautonen et al., 2015 ; Van Gelderen, 2012 ; Van Gelderen et al., 2015 ; Delanoë-
Guegen et Fayolle, 2019). Avec ces travaux, l’attention des chercheurs s’est donc
progressivement portée sur les mécanismes d’autorégulation consolidant les trajectoires
entrepreneuriales.
1.1. De l’intention à l’action : à la recherche des « chaînons manquants »
Depuis les années 1980, l’avènement de l’approche processuelle a enjoint les chercheurs
en entrepreneuriat à s’intéresser au processus par lequel des individus sont amenés à créer
et faire émerger une nouvelle activité (Gartner, 1988). La question de la relation dialogique
existant entre l’entrepreneur et son projet de création a progressivement pris une place
centrale dans les conceptions de l’entrepreneuriat (Bruyat, 1993 ; Davidsson, 2006). Cette
inflexion a ouvert la voie à un courant prolifique de recherches psychosociales autour des
modèles d’intention (Bird, 1988 ; Kolvereid, 1996 ; Krueger, 1993), notamment de la
théorie du comportement planifié d’Ajzen (1987, 1991) et de l’évènement entrepreneurial
de Shapero et Sokol (1982), cristallisés dans le modèle adapté par Krueger (1993) de
l’intention entrepreneuriale. Partant du principe que le développement de l’intention
d’entreprendre est le résultat des perceptions de faisabilité et de désirabilité d’un individu,
ces modèles ont prouvé leur robustesse et leur pouvoir explicatif (Kautonen et al., 2015)
pour comprendre les fondements motivationnels de la création d’entreprise.
Les limites de ces approches ont toutefois été progressivement soulevées. Une méta-
analyse conduite par Schlaegel et Koenig (2014) a mis en exergue que l’intention
entrepreneuriale ne permettait d’expliquer que 37 % du comportement entrepreneurial.
Des études comme celles de Moreau et Raveleau (2006) ou, plus récemment, de Degeorge
(2016), ont révélé que le passage de l’intention à l’action n’était ni linéaire, ni systématique.
L’intention peut en effet connaître des trajectoires multiples et varier considérablement en
intensité au fil du temps chez un même individu. La création d’une activité nouvelle
demeure un processus complexe (par exemple Gartner, 1985 ; Bygrave et Hofer, 1992 ;
Sammut, 2001), qui projette l’individu face à un réel peu amène. Il peut alors voir remises
en question les motivations initiales sur lesquelles s’est fondée sa décision d’entreprendre
par la réalité de son action. Ces différents résultats ont progressivement questionné les
approches fondées uniquement sur l’intention entrepreneuriale, en soulignant la nécessité
d’explorer d’autres facteurs pour comprendre le déclenchement, mais également la
poursuite du processus entrepreneurial. Certains auteurs ont récemment enjoint à explorer
les « chaînons manquants » (Boissin et al., 2017 ; Chabaud et al., 2017) du passage de
l’intention à l’action. Fayolle et Liñ á n (2014, p. 9) ont par exemple souligné le « besoin
urgent d’investiguer théoriquement et empiriquement le lien entre l’intention et l’action » 2

entrepreneuriale pour dépasser les limites prédictives de l’intention.


1.2. Phases motivationnelles vs phases volitionnelles : une attention croissante aux logiques
d’autorégulation du processus entrepreneurial
Cet intérêt nouveau a généré un nombre croissant de travaux dédiés au passage de
l’intention à l’action. Ces derniers ont exploré le rô le de facteurs personnels (par exemple
Shinnar et al., 2018 ; Shirokova et al., 2016) ou environnementaux (Weiss et al., 2019), mais
également de mécanismes d’autorégulation, qui renvoient à la manière dont les individus
contrô lent leurs actions en vue d’accomplir leurs buts (Lewin et al., 1944 ; Klinger, 1977 ;
Kuhl, 1987 ; Heckhausen et Gollwitzer, 1987). Van Gelderen et al. (2015) a mis en exergue
les effets modérateurs de la peur, de l’aversion et des doutes relatifs à l’action (action fear,
aversion & doubt) dans le passage de l’intention à la réalisation d’activités
entrepreneuriales. Des contributions récentes ont également exploré le concept d’intention
de mise en œuvre (implementation intention ; Gollwitzer, 1999 ; Adam et Fayolle, 2016 ;
Van Gelderen et al., 2018). Celui-ci se différencie de l’intention d’objectif (goal intention),
dans le sens où il précise les conditions (quand, où ) et la manière (comment) dont le
déroulement de l’action est prévu (Gollwitzer, 1990). Il renvoie ainsi aux étapes
intermédiaires permettant d’atteindre un objectif plus global dans un processus complexe.
Ces contributions ont mis en avant l’intérêt de différencier différentes phases d’action
dans le processus entrepreneurial (Adam et Fayolle, 2015 ; Van Gelderen et al., 2015,
2018 ; Delanoë-Gueguen et Fayolle, 2019). Elles s’appuient notamment sur le modèle du
Rubicon, développé par Heckhausen et Gollwitzer (1987), qui distingue les phases
motivationnelles des phases volitionnelles. Dans les phases motivationnelles, l’état d’esprit
de l’individu est dominé par la délibération et l’évaluation, en vue de faire un choix parmi
des cours d’action possibles. Pour Adam et Fayolle (2015), cette phase correspond à la
formation de l’intention entrepreneuriale, dite intention d’objectif (goal intention). Dans les
phases volitionnelles, un choix a été réalisé et l’individu fait usage de sa volonté, prévoit les
moyens et agit en vue de le réaliser. Pour Van Gelderen et al. (2015), l’intention
d’entreprendre (goal intention) repose principalement sur des évaluations génériques et
abstraites de désirabilité et de faisabilité, ne tenant pas nécessairement compte des étapes
intermédiaires que sa réalisation implique. Ces perceptions sont parfois fondées sur des
suppositions vagues et imprécises quant aux possibles conséquences d’un comportement,
et peuvent se voir remises en cause par la réalité à laquelle se trouve confronté l’individu. Il
lui devient alors nécessaire d’exercer sa volonté pour surmonter les difficultés qui peuvent
se présenter en cours de route et qu’il n’aurait pas anticipées et de déployer des stratégies
de persévérance (Van Gelderen, 2012). La progression des individus dans la réalisation de
leurs buts ne dépend pas uniquement des motivations qui les ont originellement conduits à
les choisir, mais de la manière dont ils contrô lent les actions leur permettant de les
accomplir.
Certains chercheurs ont donc proposé d’étudier l’engagement des entrepreneurs (Fayolle
et Liñ á n, 2014 ; Van Gelderen et al., 2015) pour mieux comprendre la phase volitionnelle
du processus entrepreneurial. En tant que force contraignante qui oblige les individus à
suivre un cours d’action (Meyer et Herscovitch, 2001), l’engagement constitue un
mécanisme d’autorégulation permettant d’expliquer pourquoi certains entrepreneurs
persévèrent, quand d’autres abandonnent, alors que leurs motivations initiales sont
remises en question (Adam et Fayolle, 2015 ; Gabay-Mariani et Adam, 2020).
2. De l’engagement organisationnel à l’engagement entrepreneurial
Les travaux récents se sont donc tournés vers la littérature organisationnelle, où le
concept d’engagement a fait l’objet d’une attention importante pour expliquer qu’un
individu reste employé dans une organisation donnée. Ils ont notamment proposé
d’adapter le modèle tridimensionnel de l’engagement de Meyer et Allen (1991) au contexte
de l’entrepreneuriat naissant (Adam et Fayolle, 2015 ; Adam, 2016). Ce modèle
multidimensionnel présente l’intérêt de caractériser finement le lien entretenu par
l’individu à une ou plusieurs cibles d’engagement, et d’expliquer ainsi la persistance
comportementale. Depuis 2015, plusieurs contributions exploratoires ont investigué les
modalités de son adaptation au contexte entrepreneurial (Adam, 2016 ; Adam et Gabay-
Mariani, 2021 ; Gabay-Mariani et Adam, 2020 ; Gabay-Mariani, 2020).
2.1. Le modèle de Meyer et Allen : une lecture multidimensionnelle et psychosociale de
l’engagement
Les contributions les plus récentes s’intéressant à l’engagement des entrepreneurs
naissants se sont tournées vers des modèles issus de la littérature psychosociale
organisationnelle (Adam et Fayolle, 2015 ; Adam, 2016 ; Gabay-Mariani et Adam, 2020 ;
Gabay-Mariani et Boissin, 2019). Le rô le crucial de l’engagement dans le processus
entrepreneurial avait déjà été souligné par des chercheurs en entrepreneuriat (Bhave,
1994 ; Bruyat, 1993 ; Fayolle et Lassas-Clerc, 2006 ; Fayolle et al., 2011), sans pour autant
donner lieu à une véritable investigation théorique et empirique dans l’analyse du passage
de l’intention à l’action entrepreneuriale (Fayolle et Liñ á n, 2014). La littérature
organisationnelle s’est au contraire montrée prolixe quant au concept d’engagement,
notamment pour comprendre le lien entretenu par un individu à l’égard de l’organisation
qui l’emploie. Parmi les différentes conceptualisations existantes, le modèle
tridimensionnel d’Allen et Meyer (1990) s’est progressivement imposé dans la littérature
organisationnelle comme l’une des plus complètes. Il envisage l’engagement comme une
force liant l’individu à un cours d’action, pouvant être expérimentée sous trois formes
principales :
–L’engagement affectif, renvoyant au lien émotionnel entretenu par l’individu à l’égard
de son organisation ;
–L’engagement normatif, renvoyant au sentiment d’obligation que l’individu ressent vis-
à -vis de son organisation ;
–L’engagement calculé, renvoyant aux coû ts et alternatives perçus par l’individu dans le
cas où il quitterait son organisation.
Les travaux mobilisant ce modèle ont montré que chaque dimension de l’engagement était
associée à des niveaux d’investissement différents du salarié dans son organisation (Meyer
et al., 2002). Alors que l’engagement affectif est considéré comme une forme positive
d’engagement, favorisant des comportements discrétionnaires (performance, citoyenneté
organisationnelle), les engagements normatifs et calculés seraient avant tout associés à des
comportements focaux, les individus restreignant leurs efforts à ce qui est explicitement
requis d’eux (Meyer et Allen, 1991 ; Meyer et Herscovitch, 2001). Le caractère
multidimensionnel du modèle de Meyer et Allen permet ainsi une compréhension fine de
l’investissement des individus dans un cours d’action. Il permet également de caractériser
leur profil d’engagement, en fonction du poids respectif de chaque dimension du modèle.
De premiers travaux théoriques et exploratoires comme ceux d’Adam et Fayolle (2015)
ont plaidé pour une intégration du modèle de Meyer et Allen (1991) à l’analyse du passage
à l’acte entrepreneurial. Cette adaptation pourrait permettre d’identifier des profils
d’engagement chez les entrepreneurs naissants, et de déterminer s’il existe une meilleure
combinaison de formes d’engagement. La robustesse du modèle, éprouvée dans de
multiples enquêtes empiriques, et son potentiel d’extension à d’autres cibles d’engagement
et à d’autres contextes (Meyer et Herscovitch, 2001 ; Becker et al., 2012), enjoint également
à envisager son adaptation au contexte entrepreneurial (Gabay-Mariani et Adam, 2020).
2.2. L’intégration progressive du modèle tridimensionnel au contexte entrepreneurial
Le modèle tridimensionnel de Meyer et Allen (1991) a déjà fait l’objet d’adaptations dans
la littérature entrepreneuriale. Dawson et al. (2014) ont ainsi validé les liens entre les
engagements affectif et normatif et l’intention de reprendre une entreprise familiale.
Mignonac et al. (2015) ont démontré les effets des engagements affectifs et calculé sur les
intentions des franchisés de rester affiliés à leur organisation mère. En construisant des
variables de second ordre à partir d’antécédents supposés de l’engagement
entrepreneurial, tels que la passion, Tasnim et Singh (2016) ont étudié l’engagement des
entrepreneurs à succès. Khelil (2016) a adapté l’échelle d’Allen et Meyer (1990) pour
caractériser des profils d’échec entrepreneuriaux. Plus récemment, l’étude de Valéau
(2017) a confirmé que l’échelle d’Allen et al. (1993) sur la profession pouvait être adaptée
au métier d’entrepreneur. Elle a également souligné le pouvoir prédictif des engagements
affectif et calculé sur l’intention de rester entrepreneur, en comparaison d’une position
salariée. Toutefois, l’ensemble de ces travaux s’est finalement concentré sur le lien entre les
individus et les organisations déjà établies : l’héritier et l’entreprise familiale, le franchisé
et son organisation mère, le dirigeant et l’entreprise qu’il a créée et dirige, parfois depuis
plusieurs années. Les entrepreneurs interrogés par Khelil (2016) avaient créé leurs
entreprises depuis 1 à 3 ans au moment de l’enquête. Enfin, l’enquête de Valéau (2017) a
porté sur un échantillon de chefs d’entreprises membres du MEDEF. Les individus n’étaient
en ce sens pas dans un entrepreneuriat naissant, impliqués dans la création et l’émergence
d’une activité nouvelle, dont le processus n’est pas encore achevé (Bruyat, 1993).
L’utilisation du modèle tridimensionnel de l’engagement pour mieux comprendre la phase
naissante du processus entrepreneurial n’est que récente. Les travaux qui se rattachent à
ce courant émergent demeurent encore aujourd’hui au stade exploratoire. Adam et Fayolle
(2015) ont fait des propositions théoriques pour adapter le modèle de Meyer et Allen
(1990) au projet entrepreneurial. Adam (2016) s’est intéressée dans son travail doctoral
aux profils d’engagement d’entrepreneurs naissants, à partir d’une enquête qualitative.
Adam et Gabay-Mariani (2021) ont également fait des propositions relatives aux
antécédents et conséquences des natures affectives, normatives et calculées de
l’engagement entrepreneurial, à partir d’une enquête qualitative longitudinale. Gabay-
Mariani et Boissin (2019, 2021) ont appliqué quantitativement le modèle à des étudiants-
entrepreneurs du réseau Pépite France. Gabay-Mariani (2020) a également développé et
validé dans son travail doctoral une échelle de mesure sur une population d’étudiants-
entrepreneurs en phase de création. Ces résultats n’ont toutefois pas à ce jour été
généralisés à d’autres populations d’entrepreneurs naissants.

3. Étudier le processus entrepreneurial sous le prisme de l’engagement :


propositions de recherche futures
Comme évoqué précédemment, l’analyse de l’engagement des entrepreneurs naissants
s’inscrit dans un champ émergent de recherches, au sein duquel subsiste encore un certain
nombre de questions.
3.1. Les formes de l’engagement entrepreneurial
La première question est relative aux formes que peut prendre l’engagement dans un
contexte d’entrepreneuriat naissant. La mise en œuvre du modèle tridimensionnel de
l’engagement nécessite en effet la prise en compte des spécificités du contexte dans lequel
il se trouve opérationnalisé. L’adaptation du modèle à d’autres contextes, notamment
culturels, a parfois justifié la reformulation de certaines de ses dimensions (Wasti, 2002).
Dans la littérature organisationnelle et en gestion des ressources humaines, la
dimensionnalité du modèle proposé par Meyer et Allen (1991), a fait l’objet de nombreux
débats (Bentein et al., 2004 ; McGee et Ford, 1987 ; Meyer et Parfyonova, 2010). Le modèle
en deux dimensions proposées par Meyer et al. (2006) éclate par exemple la dimension
normative entre les dimensions affectives et calculées, pour rendre compte de son
caractère dual. D’autres auteurs ont également proposé des modèles remettant en cause la
structure tridimensionnelle de l’engagement (Charles-Pauvers et Peyrat-Guillard, 2012).
Citons notamment la proposition de Cohen (2007), qui propose une conceptualisation en
quatre composantes, intégrant une dimension temporelle. La proposition de Klein et al.
(2012) réactualise quant à elle les propositions faites par Wiener (1982) ou O’Reilly et
Chatman (1986), qui placent l’engagement sur un continuum d’investissement
psychologique et d’adéquation aux valeurs d’une cible. Ces modèles n’ont toutefois, à notre
connaissance, jamais été opérationnalisés. Dans le cas du processus entrepreneurial, deux
aspects sont l’objet de discussion dans la littérature : la dimensionnalité et les cibles d’un
engagement entrepreneurial.
Alors que certains travaux vont, à l’instar de Meyer et Allen (1991), dans le sens d’une
adaptation classique en trois dimensions (Adam et Fayolle, 2015 ; Gabay-Mariani et
Boissin, 2019), des propositions alternatives ont déjà vu le jour. Adam et Gabay-Mariani
(2021) ont par exemple proposé un modèle théorique à quatre dimensions, éclatant
l’engagement calculé en deux dimensions à part entière : l’engagement calculé basé sur les
coû ts irrécupérables et l’engagement calculé basé sur l’absence d’alternative et la nécessité.
Gabay-Mariani (2020) a par la suite validé une échelle de mesure différenciant deux
natures d’engagement entrepreneurial inspiré du modèle de Meyer et al. (2006) :
l’engagement affectif basé sur les valeurs (value-based commitment) et l’engagement
instrumental basé sur l’échange (exchange-based commitment). De futures
opérationnalisations, notamment quantitatives, du modèle pourraient permettre de
confirmer l’une de ces solutions.
Par ailleurs, la conceptualisation de Meyer et Allen (1990) nécessite de préciser les cibles
(foci) d’engagement auquel celui-ci se rattache. Dans la poursuite d’un cours d’action,
l’individu peut en effet être lié à un ou plusieurs points focaux, qu’ils soient sociaux (le
manager, le client, l’organisation) ou non-sociaux (la profession, le changement
organisationnel) (Meyer et Herscovitch, 2001). La littérature s’accorde aujourd’hui à
privilégier deux cibles principales : le projet entrepreneurial et le métier d’entrepreneur
(Adam et Fayolle, 2015 ; Valéau, 2017 ; Gabay-Mariani et Adam, 2020). Ces contributions
tendent en effet à considérer, à l’instar de Bruyat et Julien (2001), le processus
entrepreneurial comme un processus de création de valeur nouvelle dans le cadre d’un
projet entrepreneurial, en même temps qu’un processus de changement pour l’individu qui
le porte et « devient » entrepreneur. Valéau (2017) a adapté l’échelle de mesure d’Allen et
Meyer (1990) au métier d’entrepreneur. Gabay-Mariani et Boissin (2019) ont montré
l’intérêt de distinguer les cibles projet et métier pour comprendre les trajectoires des
étudiants-entrepreneurs. Gabay-Mariani (2020) a développé une échelle de mesure
différenciant les engagements affectifs et instrumentaux ciblant le projet entrepreneurial et
le statut d’entrepreneur. D’autres cibles pourraient également être intégrées, telles que les
associés, les mentors ou les clients. Comme le rappelle de La Ville (2001), la substance
même du processus entrepreneurial résulte de cadrages et recadrages réalisés
collectivement par l’équipe entrepreneuriale et les parties prenantes impliquées dans le
développement de l’entreprise quant à la suite à donner au projet. Ces dernières pourraient
être largement intégrées dans l’analyse de l’engagement des entrepreneurs naissants.
3.2. Les facteurs de développement de l’engagement entrepreneurial
La seconde question est relative aux facteurs participant ou inhibant le développement de
l’engagement chez les entrepreneurs naissants. Des propositions exploratoires ont identifié
des facteurs tels que la passion (harmonieuse ou obsessive), les coû ts irrécupérables (qui
renvoient aux investissements qui se verraient perdus si l’individu arrêtait le processus
entrepreneurial) ou la nécessité d’entreprendre (Adam et Gabay-Mariani, 2021). La
littérature organisationnelle a montré que chaque forme d’engagement – affective,
normative et calculée – était associée à des antécédents spécifiques (Meyer et Allen, 1991 ;
Meyer et al., 2002). Adam et Gabay-Mariani (2021) ont par exemple proposé de lier le
développement de l’engagement affectif aux formes de passion harmonieuse définies par
Vallerand et al. (2003) et l’engagement normatif à ses formes plus obsessives. Elles ont en
3

revanche lié l’engagement calculé aux motivations de nécessité des entrepreneurs ou aux
coû ts irrécupérables. Gabay-Mariani (2020) a également démontré quantitativement que
chaque dimension de l’engagement était influencée par une combinaison unique de
facteurs. Elle s’est notamment intéressée à l’effet de sept catégories de paris subsidiaires
(Becker, 1960), inspirées de Powell et Meyer (2004), sur les quatre formes de l’engagement
de son modèle : la perception de conditions satisfaisantes, l’expression de soi, l’enjeu de
présentation de soi, les attentes de tiers perçues, l’opportunité perçue, le manque
d’alternative et les ajustements individuels. Ces résultats, qui enjoignent à considérer
l’engagement entrepreneurial comme un phénomène multifactoriel, mériteraient
réplication et approfondissement dans de futures recherches. Ce constat émanait déjà de
travaux analysant l’engagement des salariés envers leur organisation ou encore leur métier
(Meyer et al., 1993), mettant en exergue l’existence de « bases » des différentes dimensions
de leur engagement (Meyer et Allen, 1991 ; Meyer et Herscovitch, 2001). L’engagement
affectif serait ainsi nourri par des expériences positives au travail, une adéquation avec
l’identité et/ou les valeurs de l’organisation ou du projet (Meyer et Herscovitch, 2001 ;
Becker et al., 2012), alors que l’engagement de continuité découlerait principalement des
investissements et sacrifices passés, qui se verraient perdu en cas de rupture du cours
d’action, ainsi que du manque d’alternatives perçues (Meyer et Allen, 1991 ; Powell et
Meyer, 2004).
Des designs longitudinaux permettraient également de mettre en évidence l’importance
de ces facteurs à différents moments du processus entrepreneurial. Fayolle (2007) identifie
par exemple un « momentum », un moment où le processus s’accélère, obligeant
l’entrepreneur à se positionner face à l’éventualité d’un acte plus important et irréversible
que les autres. Une passion harmonieuse en début de processus pourrait, par exemple, se
transformer par la suite en passion obsessive, à mesure que le processus de création
devient pour l’entrepreneur naissant irréversible (Bruyat, 1993). Les coû ts irrécupérables
peuvent jouer un rô le plus important à mesure que l’entrepreneur naissant avance, investit
du temps, de l’énergie, voire de l’argent dans son projet. Les facteurs sociaux peuvent
également connaître des évolutions : les attentes perçues de tiers peuvent donner lieu à des
pressions sociales et une peur de décevoir. Comme le suggère l’école scandinave à propos
du processus d’émergence d’actes entrepreneuriaux (Lindgren et Packendorff, 2003), cette
dimension peut être particulièrement saillante dans la phase naissante du projet, où les
individus cherchent à obtenir le soutien de leur environnement et à développer leur réseau
social pour réaliser leurs objectifs (action-based entrepreneurialism, Lundin et Sö rderholm,
1995). Gabay-Mariani (2020) a identifié trois seuils dans lesquels les facteurs individuels,
sociaux et liés aux investissements jouent un rô le différencié : le seuil initial, le seuil de
résonance et le seuil d’irréversibilité. Elle montre notamment que les facteurs sociaux et
environnementaux déclenchent un engagement affectif plus important de l’entrepreneur
naissant, et que les facteurs liés aux investissements agissent sur l’engagement
instrumental, le faisant basculer au-delà du seuil d’irréversibilité. Ces résultats, obtenus sur
la base de protocoles empiriques cross-sectionnels, pourraient être approfondis par un
suivi temporel de cohortes d’entrepreneurs naissants.
3.3. Le rô le de l’engagement dans le processus entrepreneurial
Le dernier questionnement est relatif au rô le que joue finalement l’engagement dans le
processus entrepreneurial. Adam et Fayolle (2015) ont suggéré que l’engagement pouvait
jouer un rô le modérateur dans la relation intention-action. Ces propositions n’ont toutefois,
à notre connaissance, jamais été opérationnalisées quantitativement sur des populations
d’entrepreneurs naissants. Gabay-Mariani (2020) a construit une taxonomie de profils
d’engagement, associés à des niveaux d’avancement et d’investissement gradués dans le
processus entrepreneurial : un profil faiblement engagé, un profil uniquement
affectivement engagé, et un profil combinant engagements affectif et instrumental. Ces
résultats laissent à penser que l’engagement joue un rô le dans la consolidation des
trajectoires entrepreneuriales. La mise en œuvre de designs longitudinaux pourrait
permettre d’en évaluer le pouvoir prédictif sur les comportements entrepreneuriaux,
notamment d’investissement personnel. Ce type de suivi temporel pourrait également
permettre de déterminer quelles formes d’engagement sont les plus déterminantes dans la
poursuite des efforts à différentes étapes du processus entrepreneurial. La complexité de
ce phénomène multifactoriel invite toutefois à la prudence et posent de nombreuses
questions méthodologiques, propres à l’analyse de l’émergence organisationnelle, en
particulier dans des contextes collectifs, pluriacteurs et pluriniveaux d’analyse (Bréchet et
Schieb-Bienfait, 2011). Une autre piste d’investigation pourrait consister en l’analyse des
effets d’un engagement dual, où différentes cibles d’engagement interagissent, sur le
modèle des travaux de Cohen (2003). Un entrepreneur naissant essentiellement engagé
envers le métier d’entrepreneur, mais faiblement engagé envers son projet, pourrait par
exemple privilégier un investissement dans des projets successifs (serial entrepreneuriat),
préférant la démarche de création au projet qui l’incarne. À l’inverse, un individu surtout
engagé envers son projet, mais faiblement au métier d’entrepreneur, pourrait envisager
plus facilement de le conduire dans un cadre organisationnel préexistant (intrapreneuriat).
Enfin, une analyse de l’engagement au sein des équipes pourrait permettre de mieux
comprendre l’impact de l’engagement individuel de chaque associé sur les dynamiques
collectives.

Conclusion
Nous avons proposé dans ce chapitre de retracer les dernières évolutions de la recherche
sur le processus entrepreneurial, qui ont conduit les chercheurs à s’intéresser davantage
aux dynamiques volitionnelles qu’aux fondements motivationnels du processus
entrepreneurial. Elles complètent les modèles d’intention entrepreneuriale qui se sont
jusqu’à présent concentrés sur le processus par lequel les individus se donnent pour
objectif d’entreprendre. Cette inflexion nouvelle a placé la focale sur les logiques
d’autorégulation par lesquelles ils agissent et s’inscrivent durablement dans des
trajectoires entrepreneuriales. Elle a remis à l’honneur des concepts tels que l’engagement,
pour mieux expliquer ce qui pouvait lier l’entrepreneur naissant à son processus de
création et d’émergence, et le pousser à y persister.
Ce champ émergent dédié à l’engagement entrepreneurial présente l’intérêt de se situer à
la croisée de la littérature entrepreneuriale, de la littérature organisationnelle et en gestion
des ressources humaines. Des premiers travaux exploratoires ont ainsi posé les jalons
d’une adaptation des modèles d’engagement organisationnel au contexte de
l’entrepreneuriat naissant. Les recherches qui s’inscriront dans la continuité de ces efforts
pourront en ce sens contribuer à la fois à une meilleure compréhension du processus
entrepreneurial et aux discussions qui ont animé la littérature organisationnelle autour du
modèle tridimensionnel de Meyer et Allen (1991). La question de la dimensionnalité de
l’engagement dans un contexte de création et d’émergence, mais également du rô le joué
par chaque dimension de l’engagement sur les comportements entrepreneuriaux, restent
notamment entières. Ces questionnements ouvrent en ce sens des perspectives
d’investigation fécondes aux chercheurs désireux d’explorer les chaînons manquants du
processus entrepreneurial.

Bibliographie
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1 Ces travaux s’appuient sur une littérature anglo-saxonne utilisant le terme commitment, pour désigner l’engagement psychologique. Le terme
commitment a parfois été traduit dans la littérature française par « implication » (Charles-Pauvers et Peyrat-Guillard, 2012 ; Pasquier et Valéau,
2011). Or, le terme d’implication organisationnelle a également été employé pour rendre compte du « degré d’identification d’une personne à son
travail, au fait qu’elle se montre professionnellement active et qu’elle considère que son efficacité est importante pour elle » (Paillé, 2006, p. 141).
Cette conceptualisation se rapproche du concept anglo-saxon de job involvement, qui désigne une identification et une participation active de
l’individu au sein de l’organisation (Blau, 1985 ; Lodahl et Kejnar, 1965). Nous préférons pour notre part le terme « engagement », qui évite une
potentielle confusion avec le job involvement.
2 Trad. de l’anglais : “an urgent need exists to empirically and theoretically investigate the intention–behavior link” (Fayolle et Liñán, 2014, p. 9).
3 Le modèle dualiste de la passion proposé par Vallerand et al. (2003) distingue la passion harmonieuse et la passion obsessionnelle. Alors que la
passion harmonieuse renvoie à un désir intense mais contrô lable de réaliser une activité, la passion obsessionnelle prend le contrô le de l’individu
à travers des pressions intra – et/ou interpersonnelles.
Chapitre 5. La décision de sortie entrepreneuriale
Marie-Josée Drapeau

Introduction
La sortie entrepreneuriale est une activité intégrante de tout processus entrepreneurial.
Reconnue comme étant une activité qui comporte des bénéfices économiques, elle suscite
de plus en plus d’intérêt auprès des chercheurs, mais demeure un domaine relativement
peu documenté comparativement à celui portant sur l’entrée en entrepreneuriat (Hessels
et al., 2018 ; Shepherd et al., 2014). Il existe deux courants dans le champ de la recherche
sur la sortie entrepreneuriale : l’un centré sur la sortie de l’entreprise d’un marché (Gimeno
et al., 1997 ; Golombeck et al., 2012) et l’autre sur la sortie de l’entrepreneur de son
entreprise (DeTienne, 2010 ; Wennberg et al., 2010). Ce chapitre s’inscrit dans ce second
champ, celui centré sur l’entrepreneur. L’intérêt de la recherche centrée sur l’entrepreneur
repose sur la décision de ce dernier de quitter son entreprise en utilisant des stratégies de
sortie telles que la récolte financière, les stratégies d’intendance ou via la
liquidation/fermeture (DeTienne et al., 2015). La décision de sortie dans ce contexte peut
survenir à n’importe quel moment, peu importe les motivations de l’entrepreneur. Cette
perspective considère la sortie entrepreneuriale comme étant associée à la décision de
l’entrepreneur et fournit une vision globale des différentes stratégies qu’il peut utiliser
pour sortir de son entreprise. D’un point de vue holistique, ce pan de littérature s’inscrit
dans le domaine de la prise de décision entrepreneuriale où la sortie entrepreneuriale est
une décision stratégique nécessitant d’être étudiée davantage (Wennberg et DeTienne,
2014).
Les travaux issus de ce champ expliquent la décision de sortie de l’entrepreneur en
fonction d’un choix qu’il fait par rapport à un autre. Ils montrent « pourquoi » le dirigeant
choisit une stratégie de sortie, ainsi que les facteurs d’influence qui orienteront ce choix.
Cependant, ils s’intéressent moins au « comment » le dirigeant arrive à faire son choix, soit
au processus qui mène vers ce choix. De par la nature récente de cette littérature, les
chercheurs reconnaissent qu’il reste encore beaucoup d’avenues inexplorées qui
pourraient enrichir les connaissances sur différentes stratégies de sortie (Wennberg et
DeTienne, 2014 ; Wennberg et al., 2010). C’est un phénomène complexe puisqu’il est
difficile de définir un « début » et une « fin » au processus en tant que tel (Wennberg et
DeTienne, 2014), ce qui explique peut-être que peu de travaux s’intéressent au processus
menant à la décision de sortie.
Toutefois, ce phénomène est une problématique managériale très actuelle, comme en
témoignent les nombreuses publications (dans les médias populaires) et le grand nombre
d’ouvrages publiés par des consultants ou organismes publics/parapublics. La sortie
entrepreneuriale est donc devenu un sujet répandu auprès des praticiens (DeTienne,
2010 ; DeTienne et Cardon, 2005). Nous proposons d’en clarifier les origines et courants
(section 1) pour mieux préciser la diversité des stratégies de sortie (section 2). La section 3
est consacrée à la caractérisation des déterminants de la sortie entrepreneuriale. Enfin,
nous concluons sur les apports, limites et perspectives de recherche.
1. Les deux courants de recherche sur la sortie entrepreneuriale
Afin de bien positionner la perspective retenue dans le cadre de ce chapitre, cette section
fait état des deux axes de recherche qui constituent le champ de la sortie entrepreneuriale
et présente les aspects définitionnels de la sortie entrepreneuriale centrée sur l’individu.
Le phénomène de sortie entrepreneuriale, bien que récent en tant que domaine de
recherche, est considéré aujourd’hui comme étant un sujet central de la recherche en
entrepreneuriat (Chevalier et al., 2018). Or, ce concept peut être associé à deux
phénomènes très différents. En premier lieu, la sortie entrepreneuriale est considérée, au
départ, comme étant un évènement à connotation négative qui découle d’un échec. En
conséquence, certains auteurs associent la sortie entrepreneuriale à la discontinuité des
opérations d’une entreprise (fermeture, interruption ou abandon), de façon volontaire ou
involontaire (Gimeno et al., 1997 ; Golombeck et Raknerud, 2012 ; Hessels et al., 2011).
L’arrêt des opérations d’une entreprise est associé ici à un signe d’échec, soit à la
conséquence d’une pauvre performance de cette dernière (Cefis et Marsili, 2011). Cette
conception de la sortie entrepreneuriale s’appuie uniquement sur un point de vue
économique en utilisant l’entreprise ou l’industrie comme unité d’analyse (DeTienne et
Cardon, 2005 ; Leroy et al., 2010 ; Leroy et al., 2007).
D’autres chercheurs ont plutô t tenté de comprendre le choix de sortie entrepreneuriale du
dirigeant, ce qui a donné naissance à la deuxième vision du phénomène. La sortie
entrepreneuriale est alors considérée comme une activité qui s’inscrit dans le processus
entrepreneurial. Ceci coïncide avec le développement de l’approche processuelle en
entrepreneuriat qui au départ est orienté vers le processus de création ou d’émergence
organisationnelle (Gartner, 1993), appelé aussi « entrepreneuring » (Steyaert, 2007). En
effet, le processus entrepreneurial est composé d’une variété d’activités ou de
phénomènes : les intentions d’entreprendre (Fayolle, 2007 ; Krueger et al., 2000), la
découverte et l’exploitation d’opportunités d’affaires (Gasse et Tremblay, 2011 ; Shane et
Venkataraman, 2000), la création d’entreprises (Diochon et al., 2007 ; Gartner, 1989), ou le
mode d’entrée entrepreneuriale – reprise ou création – (Cadieux et Deschamps, 2009 ;
Parker et van Praag, 2012). Cependant, DeTienne (2010) mentionne que pour bien
comprendre l’entièreté du processus entrepreneurial, il est essentiel de considérer la sortie
en tant qu’activité entrepreneuriale intégrante de ce processus afin d’en saisir les tenants
et aboutissants (voir aussi Nordqvist et al. (2013)). Cette dernière avance que c’est la sortie
qui conclut le processus entrepreneurial, même si un entrepreneur peut décider de quitter
son entreprise à n’importe quel stade de développement de cette dernière. Ainsi, dans la
conception qui nous intéresse, la sortie entrepreneuriale fait référence à la sortie de
l’entrepreneur et prend l’individu comme unité d’analyse.
Cet axe définit la sortie entrepreneuriale comme étant une décision stratégique du
fondateur d’une entreprise privée pour récupérer ses capitaux et se retirer de la structure
de propriété et décisionnelle de l’entreprise (DeTienne et Cardon, 2005). C’est le processus
par lequel le fondateur d’une entreprise privée quitte l’entreprise qu’il a créée, se retirant
ainsi, à différents degrés, de la propriété et de la structure décisionnelle de l’entreprise
(DeTienne, 2010). La sortie entrepreneuriale est vue comme mettant davantage l’accent
sur le processus de l’individu que sur le résultat de continuité de l’entreprise, car elle est
concernée principalement par la décision individuelle du fondateur ou du propriétaire de
l’entreprise (Leroy et al., 2007).
La notion d’entrepreneur peut référer non seulement à un fondateur d’entreprise, mais
également aux autres types de propriétaires dirigeants qui, eux aussi, devront sortir de leur
entreprise, qu’ils l’aient fondée, achetée ou en aient hérité. Notre vision de l’entrepreneur
rejoint celle de Chevalier et al. (2013) qui spécifient qu’un entrepreneur est une personne
travaillant à son compte, qu’il soit fondateur, repreneur ou successeur, et qu’ils peuvent
donc être simplement définis comme des propriétaires-dirigeants. Bien que nous retenions
cette définition de l’entrepreneur, nous concevons qu’il en existe d’autres, plus extensives,
dans le large champ de l’entrepreneuriat. En ce sens, tout en adhérant à la définition de
DeTienne, nous considérons la sortie entrepreneuriale comme une décision stratégique
d’un dirigeant de PME – un entrepreneur ou propriétaire dirigeant – de se retirer de la
structure de propriété et décisionnelle de l’entreprise, graduellement ou non.
Maintenant que les aspects généraux ont été établis, la section suivante fait état des types
de stratégies de sortie entrepreneuriale identifiés dans la littérature.

2. Les différents types de stratégies de sortie


Les études centrées sur l’entrepreneur issues du champ de la sortie entrepreneuriale
s’intéressent avant tout aux stratégies utilisées par celui-ci pour sortir de son entreprise.
C’est ainsi que la sortie entrepreneuriale est opérationnalisée dans la plupart des études.
Ces stratégies, désignées également en tant que modes, routes ou choix de sortie, indiquent
la façon dont le dirigeant quitte son entreprise (Akhter et al., 2016 ; Battisti et Okamuro,
2010 ; DeTienne et Cardon, 2012 ; DeTienne et Chirico, 2013 ; Kaciak et al., 2020 ; Piva et
Rossi-Lamastra, 2017 ; Ryan et Power, 2012 ; Strese et al., 2018 ; Van Teeffelen et Uhlaner,
2013 ; Wennberg et al., 2010).
À ce titre, il existe plusieurs définitions de stratégies possibles. Par exemple, le choix de
sortie est défini par la vente, le transfert ou la fermeture (Battisti et Okamuro, 2010) ; par
la continuation, la vente à profits, la vente de détresse, la liquidation à profits ou la
liquidation de détresse (Wennberg et al., 2010) ; par le transfert à la famille, la vente à un
individu, la vente à une autre entreprise, la vente à un employé, le rachat public, l’arrêt des
activités de l’entreprise et la liquidation (DeTienne et Cardon, 2005 ; Kaciak et al., 2020) ;
par un transfert à la famille, à une tierce partie, la sortie volontaire ou liquidation et la
sortie involontaire ou faillite (Leroy et al. 2010) ; par la vente à l’interne ou à un acheteur
externe (Piva et Rossi-Lamastra, 2017) ; par une vente à un cofondateur ou à un
investisseur (Strese et al., 2018) ; par la résignation, la vente d’actifs, la vente de
l’entreprise et le transfert (Rahyuda et al., 2017). Bref, il existe plusieurs façons de voir et
de classifier ces stratégies.
DeTienne et al. (2015) proposent de regrouper les stratégies en trois catégories (Tableau
1) : 1) la récolte financière, 2) l’intendance, et 3) l’interruption volontaire.
Tableau 1. Typologie des stratégies de sortie de DeTienne et al. (2015)

Types
Stratégies de sortie
Récolte financière
Vente publique (IPO)
Vente à une autre entreprise
Intendance
Succession familiale
Rachat par les employés
Vente à un individu
Interruption volontaire
Liquidation
Fermeture
Ils catégorisent la vente publique et la vente à une autre entreprise sous le type récolte
financière, puisque le dirigeant bénéficie dans ces cas d’une valeur accrue de son
entreprise. L’intendance fait plutô t référence aux stratégies liées à la succession familiale,
le rachat par les employés ou la vente à un individu. Cette catégorie permet au dirigeant de
continuer d’exercer une certaine influence sur l’avenir et la viabilité de l’entreprise, tandis
que l’interruption volontaire regroupe la liquidation et la fermeture de l’entreprise du
fondateur soit parce qu’elle a rempli sa fonction (fournir un emploi ou des revenus), ou soit
parce que le projet d’entreprise arrive à sa fin. Cette typologie permet une approche plus
holistique du phénomène (Kets et al., 1986) en évitant les classifications éparses d’une
recherche à l’autre.

3. Les déterminants de la sortie entrepreneuriale


Cette troisième section présente de façon plus spécifique les travaux réalisés sur les
déterminants explicatifs de la sortie entrepreneuriale, qui constituent l’essentiel des
travaux engagés à ce jour. L’étude de déterminants explicatifs est associée au choix d’une
stratégie de sortie par l’entrepreneur : elle se fonde sur l’analyse des facteurs individuels,
organisationnels et environnementaux, puis des motivations et enfin des intentions.
3.1. Les facteurs individuels, organisationnels et environnementaux
Plusieurs études montrent l’importance des facteurs individuels en tant que variables
explicatives du choix de stratégie de sortie. Les déterminants du capital humain sont les
plus utilisés pour prédire les comportements de sortie du dirigeant de PME (Hessels et al.,
2018), plus particulièrement l’expérience, la scolarité et l’â ge. Par exemple, l’expérience
entrepreneuriale a un effet positif sur l’intention de transmettre une entreprise (Leroy et
al., 2007). Dans le cas d’une entreprise performante, elle est associée positivement à une
vente ou liquidation d’une entreprise performante où le dirigeant a la possibilité d’une
récolte financière intéressante, et négativement à une vente ou liquidation due à une
pauvre performance de l’entreprise (Wennberg et al., 2010). Van Teeffelen et Uhlaner
(2013) indiquent que plus grande est l’expérience de l’entrepreneur (dans son entreprise
et en acquisition passée), plus la probabilité qu’il vende son entreprise est élevée. Selon ces
auteurs, l’acquisition d’expérience spécifique à la situation vécue est la variable la plus
importante du capital humain pour expliquer le choix de sortie.
Bien que le niveau de scolarité et l’â ge soient des variables présentes dans plusieurs
travaux, elles exercent peu d’influence sur la prédiction d’un choix de stratégie de sortie.
DeTienne et Cardon (2005) affirment toutefois que les individus plus â gés sont plus
susceptibles de posséder une stratégie de sortie. Wennberg et al. (2010) argumentent pour
leur part que l’â ge de l’entrepreneur influence plutô t la volonté de sortir que les habiletés
liées à la sortie. Dans le même ordre d’idées, Battisti et Okamuro (2010) mentionnent que
l’â ge n’influence pas la stratégie, mais plutô t le moment de la sortie. Cependant, DeTienne
et Cardon (2012) postulent que plus un dirigeant est â gé, plus il est susceptible de liquider
l’entreprise au lieu de la vendre. Bref, Leroy et al. (2007) affirment que les individus
détenant une plus grande qualité de capital humain sont meilleurs pour percevoir les
opportunités profitables et ont de meilleures habiletés à gérer la complexité. Il n’en
demeure pas moins que la théorie du capital humain est un outil très général dans
l’explication d’un phénomène aussi spécifique (Van Teeffelen et Uhlaner, 2013), ce qui
implique qu’elle doit être combinée à d’autres théories afin d’avoir un réel impact sur
l’explication du phénomène.
D’autres études font plutô t appel au capital social pour expliquer le choix de stratégies de
sortie des entrepreneurs. Le capital social entrepreneurial est constitué du réseau d’un
entrepreneur avec d’autres entrepreneurs, ainsi que des ressources qui peuvent être tirées
de ces relations (Hessels et al., 2011). Kocak et al. (2010) proposent que le réseau social de
l’entrepreneur sortant est utile afin d’acquérir des conseils et ressources dans un contexte
de réentrée entrepreneuriale suite à une sortie. Tout porte à croire qu’il peut également
influencer la décision de sortie entrepreneuriale. En ce sens, Kaciak et al. (2020) indiquent
que la taille ainsi que l’importance du réseau pour l’entrepreneur sortant peuvent orienter
le choix d’une stratégie de sortie : lorsque la taille d’un réseau à liens faibles est plus
importante que celui comportant des liens forts, l’entrepreneur s’oriente plus vers une
stratégie de récolte financière ou de cessation volontaire ; alors que si le réseau à liens forts
de l’entrepreneur est très important pour lui, il est alors plus susceptible de choisir une
stratégie d’intendance. Cette variable est peu mobilisée dans la littérature alors qu’elle
démontre un certain impact sur la sortie entrepreneuriale (Drapeau et Tremblay, 2020).
Du point de vue organisationnel, les ressources et les caractéristiques de l’entreprise
peuvent aussi avoir un impact sur la sortie entrepreneuriale. Par exemple, la performance
de l’entreprise pourra orienter un dirigeant de PME vers une stratégie de sortie spécifique.
Les performances économiques varient selon le niveau d’aspiration du dirigeant : une
performance au-delà de ses aspirations sociales a un effet négatif sur la probabilité de
liquider l’entreprise et un effet positif sur la probabilité de la vendre (Wennberg, 2009).
Inversement, lorsque la performance est sous ses aspirations sociales, elle a un effet positif
sur les probabilités de liquider et aucun effet sur la probabilité de vendre. La condition
financière de l’entreprise est aussi en lien avec la performance de cette dernière. En ce
sens, Rahyuda et al. (2017) démontrent que des conditions financières déficientes
orienteront l’entrepreneur vers la vente de ses actifs ou vers une vente de l’entreprise. La
performance de l’entreprise influencera aussi la décision de rester dans l’entreprise, en
opposition avec la décision de sortir (Zhu et al., 2018). Or, les résultats de la sortie sont
dépendants de plusieurs facteurs autres que la performance (Marshall et al., 2019 ; Strese
et al., 2018). Les considérations financières ne sont qu’une dimension de la perception
qu’un entrepreneur se fait de la réussite de sa sortie (la performance) parmi plusieurs
autres telles que la réputation personnelle, les bénéfices pour les employés et la
persistance de la mission de l’entreprise (Strese et al., 2018).
Un autre déterminant organisationnel que l’on retrouve dans cette littérature est le degré
de dépendance (ou d’indépendance) (Van Teeffelen et Uhlaner, 2013) de l’entreprise vis-à -
vis de son dirigeant. Van Teeffelen et Uhlaner (2013) considèrent que le degré
d’indépendance opérationnelle de l’entreprise par rapport à son dirigeant est un prédicteur
de sortie important. En effet, plus l’entreprise est indépendante de son dirigeant dans les
opérations quotidiennes et plus le dirigeant a tendance à vouloir la vendre plutô t que de la
liquider. Selon ces auteurs, la performance a une certaine influence, mais moindre que
l’indépendance et la taille de l’entreprise.
La taille de l’entreprise a en effet une certaine influence sur le choix de stratégie de sortie
(DeTienne et Cardon, 2012 ; Van Teeffelen et Uhlaner, 2013). Plus la taille de la PME est
grande, plus elle est en mesure de fonctionner toute seule, ce qui influence positivement la
décision de la vendre (au lieu de la liquider) (Van Teeffelen et Uhlaner, 2013). Ryan et
Power (2012) démontrent également que la taille de l’entreprise affecte l’intention de
transférer ou fermer une entreprise. Selon ces auteures, les dirigeants ayant l’intention de
transférer leur entreprise à un membre de la famille sont plus susceptibles de diriger une
plus grande entreprise que ceux ayant l’intention de la fermer. Battisti et Okamuro (2010)
abondent dans le même sens : les propriétaires de grandes entreprises sont moins
susceptibles d’avoir l’intention de fermer ou de vendre leurs entreprises, privilégiant plutô t
une transmission à leurs successeurs, que les propriétaires de petites entreprises. Ils
expliquent qu’il existe une plus faible probabilité de trouver un repreneur dans les
entreprises de petite taille que dans les grandes.
Bien que les auteurs de ce pan de littérature privilégient l’analyse multiniveau, les facteurs
liés à l’environnement de l’entreprise sont peu présents dans leurs travaux. Wennberg
(2009) identifie des variables de l’environnement influençant la sortie, mais n’offre pas de
conclusion concernant l’impact de ces variables. Pour leur part, Ryan et Power (2012) se
sont intéressées à l’influence de certaines caractéristiques de l’environnement sur la
décision de sortie sans être en mesure de démontrer un lien de cause à effet. Par exemple,
la présence de repreneurs potentiels dans l’environnement de l’entreprise et son secteur
d’activité n’ont pas démontré d’impacts concluants. La seule variable de leur étude ayant
démontré une influence sur la décision de transmettre une entreprise est la proximité d’un
centre urbain important (Ryan et Power, 2012). On pourrait en déduire que la proximité de
grands centres urbains permettrait d’avoir accès à un bassin plus important de ressources
(conseils, financement, repreneurs, etc.) ou d’être plus en contact avec des dirigeants
vivant le même genre de situation (capital social).
3.2. Les motivations de sortie
La littérature s’oriente depuis peu à examiner les motivations des entrepreneurs. Ces
travaux cherchent à identifier les raisons pour lesquelles un entrepreneur décidera de
choisir une stratégie de sortie au lieu d’une autre. Par exemple, DeTienne et Chandler
(2010) utilisent les modèles de comportements décisionnels de causalité et d’effectuation
pour expliquer la décision de sortie de l’entrepreneur et valider l’impact des motivations
personnelles de l’entrepreneur sur les stratégies de sortie choisies. Dans le cadre de leur
recherche, la causalité vise la maximisation des investissements, alors que l’effectuation est
plutô t basée sur des pertes acceptables, les contingences de l’environnement,
l’expérimentation et la flexibilité, ainsi que la recherche d’alliances (les dimensions de
l’effectuation). Cette étude montre que les entrepreneurs utilisant les processus causaux
sont plus enclins à considérer une vente publique (IPO) et moins enclins à sortir via une
liquidation, tandis que différentes dimensions de l’effectuation sont associées à différentes
stratégies de sortie. Par exemple, l’expérimentation est associée positivement à une
stratégie de vente publique alors que les pertes acceptables sont associées positivement à
la liquidation. La flexibilité, pour sa part, est négativement corrélée à la liquidation. En
définitive, les entrepreneurs portés à choisir des stratégies de sortie d’intendance sont
moins motivés par les gains financiers (extrinsèque), que par la recherche d’autonomie
(intrinsèque) (DeTienne et al., 2015).
La recherche de gains financiers ou de maximisation du profit n’est donc pas la seule
motivation dont on doit tenir compte lors d’une sortie entrepreneuriale. Plusieurs études
font état d’autres motivations qui priment dans ce contexte. Par exemple, Wilfling (2012)
affirme que les motivations liées à la sortie entrepreneuriale sont en relation avec certains
aspects des traits de personnalité. Il existe toutefois un nombre limité d’études
s’intéressant à la personnalité de l’entrepreneur pour expliquer le choix de stratégie de
sortie qu’il fera (ou qu’il a fait) (Hessels et al., 2018). Dans le cas spécifique des entreprises
familiales, la préservation du patrimoine est une motivation plus liée aux valeurs
personnelles qu’aux revenus potentiels. Par exemple, certaines motivations telles que la
perte d’intérêt pour l’entreprise ou l’atteinte de l’objectif poursuivi par l’entreprise peuvent
orienter vers des stratégies de liquidation ou dissolution de l’entreprise (DeTienne et
Chirico, 2013). Ce type de motivation peut aussi agir comme facteurs incitatifs ou obstacles
sur la décision de sortie. La présence d’aspects négatifs dans la situation actuelle de
l’entrepreneur, tel le manque de motivation face aux activités professionnelles et une
perception positive de la vie postprofessionnelle, telle qu’avoir plus de temps pour vivre,
sont des motivations incitant à la sortie (Chevalier et al., 2018). À l’opposé, la perception
négative de la retraite telle qu’avoir le sentiment d’être mis de cô té ou les aspects positifs
présents dans la vie de l’entrepreneur tels que le fait d’être fortement lié à son entreprise
agissent comme obstacles à leur sortie de l’entreprise (Chevalier et al., 2018).
De même, dans le cas de portfolio familial d’entreprises, il est démontré que la famille
préfèrera fermer une de ses entreprises satellites non performantes (en conservant les
actifs) plutô t que de la vendre lorsque l’adéquation entre l’identité de l’entreprise satellite
et de la famille est élevée (Akhter et al., 2016). L’identité et la passion entrepreneuriales
qu’éprouve l’entrepreneur amènent également celui-ci à vouloir prendre sa retraite
graduellement et tardivement (Morris et al., 2020). En effet, les motivations personnelles
de l’entrepreneur peuvent le pousser à rester à la tête de son entreprise (Marshall et al.,
2019). L’entrepreneur sortant est souvent préoccupé par la pérennité de son entreprise au-
delà de sa sortie (DeTienne, 2010 ; Graebner et Eisenhardt, 2004 ; Kammerlander, 2016), le
motivant ainsi à rester sur place afin de s’assurer que l’entreprise reste sur les rails.
L’importance accordée aux facteurs liés à l’individu est en partie explicable par le fait que
les éléments psychosociaux (par exemple, le capital humain et les motivations) exercent
une influence indéniable sur la décision (Zhu et al., 2018). De même, l’appropriation
psychologique de l’entreprise par les entrepreneurs aura une incidence sur leur décision de
la quitter, sur le choix d’une stratégie de sortie et sur leurs options de sortie (DeTienne,
2010). Malgré l’intérêt grandissant pour comprendre et expliquer les motivations derrière
les choix de stratégie de sortie, Murnieks et al. (2020) constatent que très peu de
recherches examinent le rô le de la motivation au niveau de la sortie entrepreneuriale.
3.3. Les intentions de sortie entrepreneuriale
Selon Wennberg et DeTienne (2014) l’étude des intentions de sortie est un angle pertinent
pour comprendre la décision de sortie entrepreneuriale. L’intention de sortie est alors
définie comme le désir ou le but futur de l’entrepreneur de quitter l’entreprise (Wennberg
et DeTienne, 2014). Pour Leroy et al. (2010 ; 2015), la transmission d’une entreprise est un
processus de pensée intentionnel qui précède l’action. Par exemple, il est démontré que la
perception de désirabilité d’un transfert d’entreprise et la perception du contrô le sur le
processus influencent les intentions (Leroy et al., 2010 ; Leroy et al., 2015). Autrement dit,
un entrepreneur qui considère son retrait comme étant un évènement positif dans sa vie et
celle de l’entreprise et qui estime avoir un contrô le sur son processus de transmission, aura
davantage l’intention de transmettre son entreprise (familiale plus particulièrement). De
même, le contrô le comportemental perçu, les attitudes personnelles et les normes
subjectives permettent de prédire l’intention d’un entrepreneur de vendre son entreprise
(Leroy et al., 2015). Morris et al. (2020) ajoutent que les entrepreneurs ont une grande
confiance en leur capacité à prendre la décision de partir à la retraite et à gérer ses
conséquences, et qu’ils sont assez indifférents aux pressions ou aux normes sociales qui
pourraient remettre en cause leur autonomie dans la prise de décision concernant la
retraite. En ce sens, leur décision de départ à la retraite est une décision volontaire qu’ils
désirent exercer avec latitude (Morris et al., 2020).
Les intentions de sortie des entrepreneurs peuvent prendre différentes voies menant à
une série de stratégies de sortie possibles (DeTienne et Cardon, 2012). Outre les
déterminants de la sortie exposés dans la section précédente, les études sur les intentions
de sortie amènent un nouveau regard dans cette littérature. Par exemple, en considérant
l’influence de la famille sur les intentions de sortie. L’implication et le soutien familial sont
des aspects importants dans la vie d’un entrepreneur. Le soutien familial diminue
l’intention de sortie des entrepreneurs en réduisant l’évaluation des obstacles relatifs aux
opérations de leur entreprise, les conflits liés au travail-famille, tout en augmentant
l’estime de soi et la responsabilisation (Zhu et al., 2017). En lien avec le support et
l’implication de la famille, Lindblom et al. (2020) mentionnent que la satisfaction associée
au travail et à la vie familiale est liée aux intentions de sortie. En effet, le soutien
émotionnel de la famille interagit avec la satisfaction professionnelle pour prédire les
intentions de rester entrepreneur (Marshall et al., 2019). Cependant, la recherche sur les
intentions de sortie apparaît encore très jeune et nécessite d’être approfondie (Wennberg
et DeTienne, 2014). Bien que la recherche sur les intentions offre des opportunités
d’enrichir ce pan de littérature, les modèles d’intention ne permettent pas toujours de tenir
compte des facteurs liés au contexte de l’entrepreneur.

Conclusion et perspectives de recherche


La littérature sur la sortie entrepreneuriale permet de s’intéresser à la décision de
l’entrepreneur et de centrer la recherche sur l’individu. Elle fournit une vision globale des
différentes stratégies que peut mobiliser un entrepreneur pour sortir de son entreprise en
fonction de différents facteurs et motivations. Or, ce type de décision stratégique, autant
pour l’entrepreneur que pour l’entreprise quittée, nécessite d’être étudiée davantage
(Wennberg et DeTienne, 2014). Cette recension de la littérature permet de dégager des
lacunes importantes et d’identifier des avenues de recherche qui contribueraient à enrichir
notre connaissance de la décision de sortie entrepreneuriale.
Premièrement, l’utilisation des concepts de stratégies de sortie pour expliquer la décision
entretient une certaine confusion entre les termes. La typologie proposée par DeTienne et
al. (2015) offre une opportunité d’étudier le phénomène de sortie d’un point de vue global
tout en ayant la possibilité d’adresser des stratégies plus spécifiques, puisque chaque
stratégie de sortie comporte un niveau de complexité et un mode de fonctionnement
différent dans son exécution. S’inscrire dans cette typologie permettrait d’ajouter une
certaine continuité et une cohérence avec la littérature existante. Au niveau
méthodologique, le champ de la sortie entrepreneuriale est constitué en majorité de
travaux d’ordre quantitatifs ce qui ne permet pas d’approfondir l’étude du phénomène. Afin
d’enrichir cette littérature, des travaux de nature qualitative pourraient explorer,
questionner et développer des propositions pour enrichir les théories sur la sortie
(Wennberg et DeTienne, 2014).
Deuxièmement, on distingue mal la différence entre la décision et les stratégies de sortie.
L’utilisation des stratégies de sortie (la sortie effective) pour expliquer la décision de sortie
est attribuable au fait que la sortie est un évènement plus facilement mesurable
empiriquement parce qu’elle a eu lieu alors que la décision est liée à une intention future,
pouvant évoluer dans le temps (DeTienne et al., 2015). Cependant, en portant l’attention
sur les stratégies de sortie, on examine le résultat de la décision sans véritablement en
comprendre le processus. Théoriquement, cela équivaut à rester à un niveau d’explication
superficielle au lieu d’approfondir ce phénomène. Or, l’étude du processus,
particulièrement en entrepreneuriat, démontre un potentiel important pour développer de
nouvelles propositions théoriques (Steyaert, 2007), en phase avec cette perspective de
« l’entrepreneuring ». Elle suppose une approche pratique de l’entrepreneuriat, relative à
l’étude des pratiques quotidiennes en tant qu’activité humaine (Johannisson, 2011 ;
Steyaert, 2007).
Pour ce faire quels seraient – parmi les nombreux modèles de prise de décision dans la
littérature sur le management stratégique et plus récemment en entrepreneuriat – ceux qui
seraient susceptibles d’offrir des bases théoriques intéressantes et compatibles avec
l’étude du processus de décision de sortie entrepreneuriale (Wennberg et DeTienne,
2014) ? Si la compréhension du processus décisionnel demeure importante, au-delà de la
stratégie de sortie choisie, c’est surtout le cheminement de l’entrepreneur pour en arriver à
ce choix qui est intéressant car il est affecté de différentes façons. Les recherches axées sur
le processus fournissent une perspective d’autant plus intéressante qu’elles cherchent à
comprendre le comment et le pourquoi de l’évolution d’un phénomène dans le temps
(Langley, 1999). L’opportunité de s’intéresser au processus décisionnel apporterait un
1

niveau de compréhension scientifique supplémentaire à cette littérature émergente. Peu


d’études font appel aux modèles de décision entrepreneuriale pour expliquer le choix de
sortie alors qu’ils sont très présents dans l’explication et la compréhension de la décision
de créer et de développer une entreprise (voir Grégoire et Cherchem (2020) et Shepherd et
al. (2014)). La théorie de l’effectuation, parce qu’elle met en avant le processus de
conception de la prise de décision entrepreneuriale (Dew et al., 2008 ; Sarasvathy, 2001),
serait une avenue privilégiée (Arend et al., 2015 ; Fisher, 2012).
Finalement, s’intéresser aux différents niveaux de déterminants pouvant influencer la
sortie entrepreneuriale permet d’offrir une autre explication à la sortie entrepreneuriale
que la maximisation des profits ou le choix de carrière (Akhter et al., 2016 ; DeTienne et al.,
2015 ; Wilfling, 2012). Toutefois, certains déterminants restent à investiguer. Par exemple,
Wennberg (2009) affirme que la création, le développement et la sortie d’une entreprise
sont interdépendants. Pourtant, peu d’études établissent à ce jour des liens entre les
objectifs de départ d’un entrepreneur et ceux de sa sortie, même si DeTienne (2010)
soutient que certains entrepreneurs développent leur stratégie de sortie dès la création de
leur entreprise. Quoique peu documentées, les motivations à l’entrée augmenteraient
l’habileté à sortir d’une entreprise, ainsi que la qualité de la sortie (DeTienne, 2010).
Considérant son impact potentiel, il est surprenant que la recherche ne s’y soit pas encore
intéressée.
Ce chapitre portant sur la sortie entrepreneuriale permet de définir la nature de la sortie
et d’identifier des facteurs spécifiques. Il pointe aussi des lacunes, ouvrant des avenues de
recherche, particulièrement en termes de compréhension du processus de décision de
sortie dans une perspective privilégiant la continuité des pratiques de l’entrepreneur. À
l’instar de DeTienne (2010), nous constatons que peu d’attention a été portée au processus
de décision des dirigeants d’entreprises privées. Bien que les études sur la prise de décision
soient nombreuses, la décision de sortie entrepreneuriale reste un domaine de recherche
encore marginal.

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1 Le processus décisionnel est constitué de différentes phase ou routines, de même que de facteurs dynamiques qui provoquent des itérations (cf.
travaux de Cyert et al., 1956 ; Mintzberg et al., 1976 ; Nutt, 1984).
Chapitre 6. L’intention de recréer après une sortie
entrepreneuriale
Roxane De Hoe

Introduction
De tout temps, le tissu économique se caractérise par un mouvement constant d’entrée
(création) et de sortie (déclin) d’entreprises, ces dernières permettant la création de
nouvelles. La majorité des travaux de recherche a davantage investigué la création et la
croissance des entreprises. Pourtant, l’étude de leur déclin et de leur disparition est tout
aussi importante (Balcaen et al., 2012 ; Albiol, 2014 ; DeTienne, 2010 ; Wennberg et
DeTienne, 2014 ; DeTienne et Wennberg, 2016), mais elle n’est qu’à ses balbutiements.
L’intention de créer une première entreprise a également été largement étudiée (Shapero,
1984 ; Krueger et al., 2000). Depuis quelques années, en lien avec la littérature sur le déclin
et la disparition des entreprises, les chercheurs ont commencé à investiguer l’intention de
« recréer ». Ce terme suppose qu’un individu ait préalablement eu une expérience
entrepreneuriale pour qu’il puisse manifester une intention de créer à nouveau une
entreprise. Dans ce chapitre, nous recensons les travaux, selon quatre perspectives,
pouvant expliquer cette intention de recréer : la sortie d’entreprise, l’échec d’entreprise,
l’entrepreneuriat compulsif et l’écosystème entrepreneurial. Ces différents travaux
permettent de souligner les différents niveaux d’analyse et facteurs à prendre en
considération pour mieux comprendre et appréhender l’intention de recréer une
entreprise. Pour terminer, nous dégageons des pistes de recherche futures au regard des
limites des recherches antérieures.

1. Comment expliquer l’intention de recréer : plusieurs perspectives


Jusqu’à présent, les travaux se sont essentiellement centrés sur les situations (la sortie
d’entreprise, l’échec entrepreneurial et l’entrepreneuriat compulsif) et les contextes
(l’écosystème entrepreneurial) plaçant l’entrepreneur en position de recréer. Ces quatre
éléments constituent les différentes perspectives pouvant expliquer l’intention de recréer
après une sortie entrepreneuriale. Ces dernières présentent des complémentarités et des
divergences, car elles ne portent pas sur les mêmes niveaux et objets d’analyse. Les travaux
que nous présentons ci-après en témoignent.
1.1. La sortie d’entreprise
Depuis deux décennies, plusieurs chercheurs ont accordé une plus grande attention à la
phase de « sortie » des entreprises. Jusqu’alors, cette étape était peu étudiée
comparativement aux phases de création et de croissance des entreprises (DeTienne et
Wennberg, 2016). La recherche sur la sortie d’entreprise a acquis le statut de domaine
spécifique de recherche en entrepreneuriat et a été reconnue comme faisant partie du
processus entrepreneurial, comme en témoignent les publications récentes sur le sujet
ainsi que les mots-clés utilisés dans les revues spécialisées en entrepreneuriat (DeTienne et
Wennberg, 2016).
Dans la littérature, les chercheurs ont considéré la sortie d’entreprise selon deux niveaux
d’analyse : celui de l’organisation ou de l’individu. Au niveau de l’organisation, plusieurs
types de sortie ont été identifiés : la sortie du marché, la sortie technologique, la fermeture
de l’entreprise (Decker et Mellewigt, 2007) ou encore la fermeture ou la faillite de
l’entreprise (Gimeno et al., 1997). D’autres l’opérationnalisent comme la décision de
l’entrepreneur de quitter le travail dit « indépendant » (Evans et Leighton, 1989 ; Stam et
al., 2010 ; van Praag, 2003). DeTienne (2010, p. 204) marque un tournant dans la
littérature en la définissant comme « le processus par lequel les fondateurs d’entreprises
privées quittent l’entreprise qu’ils ont contribué à créer ; se retirant ainsi, à des degrés divers,
de la structure primaire de propriété et de prise de décision de l’entreprise ». Cette définition
souligne donc la décision de l’entrepreneur de quitter son entreprise et la nature
processuelle de cette décision. Pour cette raison, ce niveau d’analyse est plus adapté pour
comprendre l’intention de recréer de ces entrepreneurs. Ajoutons, cependant, que dans
cette définition, l’auteur ne mentionne que le fondateur de l’entreprise, or, un successeur
ou un acheteur peut également quitter l’entreprise qu’il a reprise. Cette définition pourrait
donc être étendue à l’entrepreneur/gestionnaire qui dirige actuellement l’entreprise (De
Hoe et al., 2018). De plus, les faillites d’entreprises ne sont pas incluses dans cette
définition. Dans ces cas, les entrepreneurs sont obligés de quitter ou de fermer leur
entreprise à la demande de leur banque ou de leurs créanciers. Par conséquent, cette
définition ne prend en compte que l’intention de l’entrepreneur de se retirer de
l’entreprise .
1

Les recherches sur les sorties d’entreprise ont principalement porté sur les déterminants
de la sortie et sur les différentes stratégies de sortie. D’autres auteurs ont tenté de
comprendre quels étaient les déterminants poussant un entrepreneur, ayant quitté une
précédente entreprise, à en créer une nouvelle en investiguant ses caractéristiques
propres. L’â ge (Schutjens et Stam, 2006 ; Wagner, 2002), l’aversion au risque (Wagner,
2002) et la peur de l’échec (De Hoe et al., 2018) réduisent cette intention de poursuivre une
carrière entrepreneuriale. En revanche, le fait d’être un homme (Stam et al., 2008 ; Amaral
et al., 2011 ; De Hoe et al., 2018), d’estimer avoir des compétences entrepreneuriales (De
Hoe et al., 2018), de connaître d’autres entrepreneurs (Wagner, 2002 ; Hessels et al., 2011 ;
De Hoe et al., 2018) et d’avoir connu une récente sortie entrepreneuriale (Hessels et al.,
2011) accroît la probabilité de s’engager à nouveau en entrepreneuriat, à la suite d’une
sortie.
De nombreux sujets restent à explorer, par exemple l’étude de ce qui se passe pour
l’entrepreneur après la sortie de son entreprise. Le type de sortie (volontaire ou
involontaire) et le moment de la sortie (au cours des trois premières années de démarrage
ou plus tard) peuvent jouer un rô le dans la poursuite d’une carrière entrepreneuriale
(Stam et al., 2008). Pour cette raison, nous pensons qu’il est pertinent de prendre en
considération la nature de la sortie (volontaire ou involontaire) pour expliquer l’intention
de créer une entreprise ultérieure . Dès lors, la perspective étudiant l’échec entrepreneurial
2

est pertinente pour augmenter la compréhension de l’intention de recréer.


1.2. L’échec entrepreneurial
Les recherches sur l’échec entrepreneurial sont aussi récentes que celles sur la sortie
d’entreprise. À ce jour, il n’existe pas de définition universellement acceptée de l’échec
entrepreneurial. Les auteurs la définissent selon leur propre approche théorique (Smida et
Khelil, 2010). La définition la plus courante réduit ce concept à l’insolvabilité ou à la faillite
(Zacharakis et al., 1999). Même si cette définition apparaît utile pour opérationnaliser et
construire des échantillons (Singh et al., 2007), pour certains auteurs, l’échec
entrepreneurial ne peut être réduit à une simple faillite (McGrath, 1999 ; Cannon et
Edmondson, 2005 ; Singh et al., 2007 ; Smida et Khelil, 2010 ; Ucbasaran et al., 2013).
Outre les aspects économiques, les attentes et les objectifs fixés par l’entrepreneur doivent
également être pris en compte (McGrath, 1999 ; Singh et al., 2007 ; Smida et Khelil, 2010 ;
Ucbasaran et al., 2013), l’échec étant alors perçu subjectivement par l’entrepreneur. Trois
dimensions sont donc prises en compte : (1) l’échec économique de l’entreprise lié à (2) la
déception de l’entrepreneur relativement aux objectifs qu’il s’était fixé qui (3) est contraint
de quitter involontairement son entreprise. Amankwah-Amoah et al. (2016, p. 3388) ont
ajouté la dimension de l’environnement externe et ont défini l’échec entrepreneurial
comme « une situation où l’entreprise cesse ses activités et/ou perd son identité en raison de
son incapacité à répondre et à s’adapter aux changements de l’environnement externe en
temps voulu ».
Comme le notent Jenkins et McKelvie (2016), les chercheurs définissent la défaillance
d’entreprise en considérant soit le niveau de l’entreprise soit celui de l’individu, en utilisant
des critères objectifs ou subjectifs. D’une part, les entrepreneurs peuvent avoir le
sentiment d’avoir échoué dans leur entreprise, mais celle-ci pourrait être reprise avec
succès par un autre individu. D’autre part, si l’entreprise est en situation d’échec, cela ne
signifie pas nécessairement que l’entrepreneur l’est également (Sarasvathy, 2004). Il ou
elle pourrait créer des entreprises florissantes ultérieurement (Sarasvathy et al., 2013).
Les expériences tant positives que négatives façonnent les connaissances des
entrepreneurs et influencent leurs choix futurs (Minniti et Bygrave, 2001). Ces expériences
offrent des opportunités d’apprentissage. Plusieurs auteurs ont investigué ce processus
d’apprentissage à partir de l’échec entrepreneurial (McGrath, 1999 ; Minniti et Bygrave,
2001 ; Shepherd, 2003 ; Cannon et Edmondson, 2005 ; Cope, 2011 ; Jenkins, 2012 ;
Ucbasaran et al., 2013) et la manière dont cet apprentissage pourrait être influencé
(Jenkins, 2012 ; Mueller et Shepherd, 2016 ; Fang He et al., 2017 ; Lafuente et al., 2018 ;
Boso et al., 2019). Les entrepreneurs augmentent leurs connaissances sur quatre
dimensions : (1) individuelle (leurs forces et faiblesses, leurs compétences, leurs capacités
et l’efficacité de leur approche entrepreneuriale), (2) organisationnelle (forces et faiblesses
de l’entreprise, les raisons de l’échec), (3) relationnelle, à travers la nature de leurs réseaux
et de leurs relations (gérer une équipe, travailler avec un partenaire, persuader des
investisseurs, établir des collaborations de valeur) et (4) managériale (développement de
nouveaux modèles de gestion et de croissance des entreprises) (Cope, 2011).
Par essence, l’apprentissage en tant que processus dynamique et progressif, prend du
temps (Cope, 2011). Des chercheurs ont identifié quatre phases que peuvent vivre les
entrepreneurs à la suite d’un échec entrepreneurial (Amankwah-Amoah et al., 2016). Dans
les deux premières, le deuil et la transition, les processus de prise de conscience et
d’apprentissage sont engagés, tandis que les deux dernières, la formation et l’héritage,
permettent aux entrepreneurs d’implémenter leur savoir expérientiel dans une entreprise
ultérieure.
Cet apprentissage peut être entravé par les principaux coû ts liés à cette situation d’échec
entrepreneurial : financiers, sociaux et psychologiques (Ucbasaran et al., 2013). Il dépend
également de la réaction émotionnelle de l’entrepreneur face à l’échec et des attributions
(internes ou externes) qu’il en donne (Jenkins, 2012). Les attributions que les
entrepreneurs donnent à l’échec influenceront leur type d’apprentissage, et ce dernier
aura, à son tour, un impact sur la probabilité de recréer une entreprise. Il a également été
démontré qu’une perte d’estime de soi augmente le chagrin (Jenkins et al., 2014).
Bien que les études précitées aient montré que les entrepreneurs peuvent tirer des leçons
d’un échec entrepreneurial, nous devons atténuer ce point de vue. En effet, ce processus
d’apprentissage peut ne pas se produire chez tous les entrepreneurs ayant échoué. Certains
d’entre eux peuvent être dans le déni (Westhead et al., 2005a), ce qui entrave le processus
d’apprentissage à partir de l’échec entrepreneurial. Ils pourraient préférer n’attribuer leur
échec qu’à des causes externes en évitant de s’interroger sur leurs propres décisions et
comportements.
Le retour à l’entrepreneuriat de ces entrepreneurs ayant connu l’échec a également fait
l’objet d’études. Leur ré-engagement entrepreneurial pourrait s’expliquer par les
enseignements tirés de l’échec (Amankwah-Amoah et al., 2016 ; Boso et al., 2019 ;
Shepherd, 2009) ou par d’autres facteurs individuels. Par exemple, l’impact de l’â ge sur
l’intention de recréer varie en fonction du genre et de l’expérience en équipe
entrepreneuriale (Baù et al., 2018). Contrairement à ce que pensaient les chercheurs
travaillant sur l’apprentissage à partir de l’échec, les émotions négatives ne sont pas un
obstacle au processus de guérison. Grâ ce à un changement d’attributions de l’échec (c’est-
à -dire d’externes à internes) combiné à la perception de contrô le de ces attributions, les
entrepreneurs apprennent et modifient leurs connaissances, les conduisant à poursuivre
leur carrière entrepreneuriale (Williams et al., 2020).
Il arrive que certains entrepreneurs dirigent plusieurs entreprises au cours de leur
carrière, simultanément ou successivement. Dès lors, il convient d’explorer les travaux en
entrepreneuriat compulsif pour comprendre l’intention de recréer après une sortie
entrepreneuriale.
1.3. L’entrepreneuriat compulsif
Les chercheurs utilisent le terme générique « entrepreneuriat compulsif » pour évoquer
les individus détectant et exploitant plusieurs opportunités d’affaires (Parker, 2014) et
lançant de multiples entreprises durant leurs carrières (Spivack et al., 2014). D’autres
synonymes existent également dans la littérature : les entrepreneurs expérimentés
(Ucbasaran et al., 2009) ou « répétitifs » (Guerrero et Peñ a-Legazkue, 2019 ; McGrath et
MacMillan, 2000). Deux catégories d’entrepreneurs compulsifs ont été décelées : les
entrepreneurs en série et les entrepreneurs « portfolio » (Ucbasaran et al., 2009 ; Westhead
et al., 2005a ; Westhead et al., 2005b ; Westhead et Wright, 1998). La première catégorie
concerne les entrepreneurs ayant vendu ou fermé leur précédente entreprise avant de
s’engager dans une autre en la créant, l’achetant ou l’héritant (Westhead et al., 2005b ;
Westhead et Wright, 1998). Ils passent donc d’une entreprise à l’autre de manière
séquentielle tandis que les entrepreneurs « portfolio » héritent, achètent et/ou créent
plusieurs entreprises en même temps. Ils possèdent et dirigent toutes leurs entreprises en
parallèle (Eggers et Song, 2014).
Grâ ce à leur(s) précédente(s) expérience(s), les entrepreneurs expérimentés ont acquis
des connaissances entrepreneuriales (Miralles et al., 2015) accumulées au travers de
l’apprentissage par la pratique (Eggers et Song, 2014). L’avantage de cette expérience
réside dans le fait qu’ils apprennent de leurs expériences passées (Minniti et Bygrave,
2001 ; Parker, 2013) et acquièrent des ressources précieuses (Davidsson et Honig, 2003 ;
Gompers et al., 2010). En ayant géré une entreprise, les compétences (managériales,
entrepreneuriales et techniques) acquises leur permettent d’identifier plus d’opportunités
d’affaires (Ucbasaran et al., 2003 ; Ucbasaran et al., 2006 ; Ucbasaran et al., 2008) et de
poursuivre les meilleures d’entre elles (McGrath et MacMillan, 2000 ; Ucbasaran et al.,
2006). Cette expérience favorise également un rapide retour en entrepreneuriat après une
sortie (Guerrero et Peñ a-Legazkue, 2019). Ils ont également un capital social plus grand
(Westhead et al., 2005a ; Zhang, 2011), leur permettant de lever des capitaux financiers
(Rerup, 2005 ; Hsu, 2007 ; Amaral et al., 2011). Leurs attentes en termes de croissance et
leurs performances dans une entreprise ultérieure sont plus grandes et leurs rendements
économiques sont meilleurs (Toft-Kehler et al., 2014). Grâ ce à toutes ces connaissances
accumulées, ils ont donc une attitude favorable envers l’entrepreneuriat (Miralles et al.,
2015) et sont plus susceptibles de connaître le succès lors de la prochaine entreprise
(Parker, 2013), surtout si l’entreprise précédente était florissante (Gompers et al., 2010).
Cet apprentissage obtenu lors de la gestion d’une précédente entreprise leur sera d’autant
plus bénéfique si le laps de temps entre l’entreprise précédemment quittée et l’entreprise
ultérieure n’est pas trop long (Parker, 2013). En effet, les entrepreneurs ayant connu une
récente sortie sont plus susceptibles de s’impliquer, à des degrés divers, dans une activité
entrepreneuriale (Hessels et al., 2011). Certains d’entre eux en démarrent une nouvelle
directement après leur sortie (Amaral et al., 2011) ou endéans les 7 ans (Schutjens et Stam,
2006).
Finalement ces recherches se centrent fortement sur les déterminants individuels. Or,
l’entrepreneur évolue dans un environnement spécifique. Des déterminants
environnementaux sont donc à prendre en considération. Le concept d’écosystème
entrepreneurial, développé dans la section suivante, nous donne un éclairage sur ceux-ci.
1.4. L’écosystème entrepreneurial
L’environnement (institutions et contextes culturels) est considéré comme un régulateur
important de la qualité et du taux d’entrée des entreprises dans les différents pays (Autio et
al., 2013). Pour Shapero (1984), l’évènement entrepreneurial est constitué à la fois de la
volonté d’un individu de créer une entreprise, ainsi que du soutien (ou de l’absence de
soutien) de l’environnement dans lequel il vit. Une bonne adéquation entre
l’environnement et les attributs de l’individu façonne les intentions entrepreneuriales
(Kristof-Brown et al., 2005 ; Hsu et al., 2017). En effet, les entrepreneurs agissent en
fonction des incitations et des contraintes fournies par leur contexte institutionnel (North,
1990 ; Baumol, 1996).
Le cadre théorique sous-jacent est la théorie institutionnelle, qui considère que le
comportement humain est déterminé par l’environnement institutionnel dans lequel vit
l’individu (North, 1990). Les institutions régulent les interactions entre l’individu et le
monde économique, qui influenceront sa décision de créer une entreprise (Baker et al.,
2005 ; Bowen et De Clercq, 2008) ou d’en créer une autre après une sortie. Les institutions
fournissent aux individus un cadre en réglementant le comportement entrepreneurial, en
réduisant l’incertitude et le risque (Smallbone et Welter, 2012), en créant un sentiment de
confiance et en abaissant les coû ts de transaction liés à la création de nouvelles entreprises.
Cela permet de définir les comportements attendus et inattendus (Bruton et al., 2010). La
culture nationale ainsi que les conditions économiques, politiques ou socioculturelles des
pays influencent la décision des individus de saisir ou non des opportunités d’affaires
(Levie et Autio, 2011 ; Urbano et Alvarez, 2014 ; Autio et al., 2013 ; Fu et al., 2018).
L’environnement et le contexte institutionnel sont encore plus pertinents lorsque l’on
parle de sortie d’entreprise, et plus précisément de sortie involontaire. Pour Jenkins et
McKelvie (2016), la stigmatisation associée à la faillite d’entreprise peut conduire à une
perception négative des entrepreneurs « faillis » par la société.
La perception de l’échec varie d’un pays à l’autre : les Anglo-Saxons le considèrent comme
une étape menant au succès alors que, pour d’autres pays, il signifie la fin de la carrière
entrepreneuriale (Hoogsteyn, 2019). Pour comprendre comment un pays valorise ou non
l’échec des entreprises, des auteurs ont exploré les attributions causales de l’échec du point
de vue de l’environnement (Cardon et al., 2011), la stigmatisation de l’échec (Simmons et
al., 2014 ; Simmons et al., 2019), et le système juridique au travers des lois sur la faillite
(Lee et al., 2011 ; Peng et al., 2010 ; Eklund et al., 2018). Dans leur étude, Cardon et al.
(2011) ont souligné que l’échec a un impact sur la stigmatisation des entrepreneurs et de
l’esprit d’entreprise au niveau local et que cette stigmatisation régionale de l’échec
influence la perception que les entrepreneurs ont d’eux-mêmes. Une autre étude a
démontré que les entrepreneurs en situation d’échec sont plus susceptibles de quitter
définitivement l’entreprise et de choisir d’autres options de carrière si un niveau élevé de
stigmatisation et un contrô le institutionnel important sur les informations relatives à
l’échec sont présents dans leur environnement (Simmons et al., 2014). Par rapport au
système juridique, si les lois sur la faillite sont plus favorables aux entrepreneurs (c’est-à -
dire que les barrières de sortie et d’entrée sont moins élevées), cela stimule le
comportement entrepreneurial (Peng et al., 2010 ; Lee et al., 2011). Toutefois, Lee et
Yamakawa (2012) ont des résultats contrastés. Dans la loi sur les faillites, le droit à un
nouveau départ stimule l’activité entrepreneuriale, tandis qu’une suspension automatique
des actifs (c’est-à -dire une mesure permettant aux entrepreneurs de se remettre de
situations difficiles) diminue le taux d’entrée de nouvelles entreprises. En effet, les
institutions financières appliquent dès lors un taux d’intérêt plus élevé aux prêts, ce qui a
pour effet de réduire le nombre de nouvelles entreprises.

2. Apports, limites et perspectives de recherche


Toutes les études présentées précédemment ont le mérite d’avoir démarré les recherches
visant à mieux comprendre comment l’intention de recréer peut émerger chez les ex-
entrepreneurs. Cependant, elles n’appréhendent pas les déterminants de l’intention de
recréer de manière holistique. Des déterminants individuels, organisationnels (liés à
l’entreprise quittée) et environnementaux devraient être combinés pour avoir une
meilleure compréhension du phénomène. Par exemple, dans le cas d’un échec
entrepreneurial, il serait intéressant d’ajouter les éléments organisationnels suivants : le
moment et l’ampleur de l’échec (voire de la faillite) de l’entreprise, le statut juridique (en
personne morale ou physique) ainsi que le nombre d’échecs ou de faillites vécues par
l’entrepreneur (Ucbasaran et al., 2009). Ces éléments pourraient entraver la volonté des
entrepreneurs « sortants » de poursuivre une carrière entrepreneuriale (Cope, 2011 ;
Ucbasaran et al., 2009). Au niveau individuel, les chercheurs ont investigué le rô le des
compétences entrepreneuriales, des rô les modèles, des degrés d’optimisme et de sur-
confiance en soi (Koellinger et al., 2007) mais d’autres caractéristiques pourraient jouer un
rô le telles que le capital psychologique (De Hoe et Janssen, 2016 ; Luthans et al., 2007), la
robustesse (Maddi, 2013) ou l’intelligence émotionnelle (Mikolajczak et Luminet, 2008).
Ces mécanismes cognitifs ou affectifs peuvent également être pertinents pour promouvoir
ou faciliter l’apprentissage à partir de l’échec et aider les entrepreneurs à rebondir face à
cette expérience d’échec. Ê tre un entrepreneur en série ou portefolio peut également avoir
un impact différent sur l’intention de recréer après une expérience infructueuse. Avoir des
expériences entrepreneuriales plus diversifiées (ce qui est le cas des entrepreneurs
portfolio) conduit à avoir plus de ressources, contrairement aux entrepreneurs en série ou
aux novices (Westhead et al., 2005b). Dans le cas d’une sortie involontaire, la perte
financière occasionnée peut ne pas affecter les entrepreneurs portfolio car ils ont d’autres
revenus provenant des entreprises qu’ils dirigent en parallèle. Par rapport à l’écosystème
entrepreneurial, les études ont souvent mesuré l’effet de certaines caractéristiques
spécifiques du contexte institutionnel pour expliquer l’intention de recréer des
entrepreneurs. Bien qu’il soit pertinent d’analyser l’impact d’une institution formelle
spécifique (c’est-à -dire les lois sur la faillite), il est également utile de considérer le système
dans son ensemble. En effet, des caractéristiques spécifiques interagissent entre elles et
leurs effets pourraient changer en présence d’autres caractéristiques (Á cs et al., 2014 ;
Stam, 2015). En intégrant tous les aspects de l’échec d’une entreprise (individuels,
organisationnels et contextuels), ces nouvelles connaissances permettraient d’élaborer un
soutien plus ciblé pour ces entrepreneurs.
Au niveau des modèles explicatifs de l’intention, ceux-ci pourraient être davantage
complexifiés en intégrant des effets médiateurs ou modérateurs entre la nature de
l’expérience entrepreneuriale (volontaire versus involontaire) et l’intention de recréer. Les
médiateurs ou modérateurs potentiels pourraient être la peur de l’échec, les compétences
entrepreneuriales, le rô le modèle, le capital psychologique, l’intelligence émotionnelle ou
encore l’écosystème entrepreneurial. Ces variables pourraient avoir des effets différents
selon que les entrepreneurs quittent avec succès ou non leur entreprise précédente. Par
exemple, après une expérience négative, les ex-entrepreneurs pourraient avoir davantage
peur de l’échec, ce qui diminuerait probablement leur intention de recommencer.
Les études quantitatives sur le sujet utilisent majoritairement une approche transversale.
Des approches en multiniveaux (Raudenbush et Bryk, 2002) permettraient d’appréhender
plus adéquatement les facteurs explicatifs environnementaux. En outre, une méthode
longitudinale tout au long du processus entrepreneurial (avant le démarrage, pendant la
gestion de l’entreprise, après la sortie et lors du redémarrage) serait pertinente pour
explorer pleinement tous les enjeux s’y déroulant, bien que fastidieuse voire utopique dans
la mise en œuvre et le suivi qu’elle demanderait.
Pour terminer, il serait également approprié d’analyser ce qui se joue entre l’intention de
recréer et le comportement réel, à savoir la re-création effective. L’intention prédit bien le
comportement entrepreneurial (Krueger et al., 2000) mais parfois le comportement ne suit
pas. Quels sont les variables influençant cette relation entre l’intention et la re-création ?
En outre, un réengagement dans l’entrepreneuriat ne signifie pas nécessairement une re-
création. Les entrepreneurs peuvent décider de poursuivre leur carrière entrepreneuriale
par le biais d’une reprise d’entreprise (Cadieux et Deschamps, 2009). Il serait donc peut-
être plus judicieux de parler de l’intention de poursuivre une carrière entrepreneuriale.

Conclusion
L’objectif de ce chapitre vise à mieux comprendre comment les caractéristiques
individuelles, une précédente expérience entrepreneuriale et sa nature, ainsi que le
contexte environnemental peuvent influencer un entrepreneur ayant connu une sortie
d’entreprise à vouloir poursuivre une carrière entrepreneuriale. Cette revue de la
littérature démontre la dimension multifactorielle du phénomène. Des facteurs à la fois
individuels, organisationnels et environnementaux sont en jeu. Nous soulignons également
l’importance de continuer à étudier ces facteurs de manière holistique, en les combinant
dans des analyses multiniveaux et en complexifiant les modèles en incorporant des
médiateurs ou modérateurs pour expliquer l’intention de recréer après une sortie
entrepreneuriale.

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1 Pour une recension des travaux sur la décision de sortie, du point de vue de l’entrepreneur, voir dans cet ouvrage, le chapitre 5 de Marie-Josée
Drapeau intitulé  La décision de sortie entrepreneuriale.
2 La sortie volontaire dépend d’une décision de l’entrepreneur (et comprend des raisons personnelles, la retraite ou d’autres opportunités
financières ou professionnelles). La sortie involontaire, quant à elle, représente les situations où l’entreprise a de mauvais résultats – se
rapprochant d’une situation d’échec.
Chapitre 7. Les compétences de l’entrepreneur/repreneur : vers
une approche par les compétences sociales
Hedi Yezza

Introduction
Peut-on définir le profil et/ou les caractéristiques de l’entrepreneur ? Peut-on recenser ses
compétences ? Ces questions ont suscité un vif débat dans le champ de l’entrepreneuriat
(Sexton et Bowman, 1985 ; Gartner, 1988 ; Chell, 2013 ; Schmitt et Grégoire, 2019). La
recherche a longtemps considéré l’individu entrepreneur comme acteur principal dans la
mise en place d’un process d’innovation (Schumpeter, 1935), la détection et la saisie des
opportunités (Shane et Venkataraman, 2000), le déroulement du processus
entrepreneurial (Omrane et al., 2011), la création de valeur (Gartner, 1988), et la réussite
de son entreprise (Alexandre, 2016). Si initialement, les recherches s’articulaient autour
d’une perspective centrée seulement sur l’entrepreneur, ses caractéristiques
psychologiques et sur les traits de sa personnalité (Greenberger et Sexton, 1988 ; Shaver et
Scott, 1991), depuis les années 1980, d’autres travaux se sont davantage intéressés aux
aptitudes et comportements (Gartner, 1988), allant même jusqu’à proposer des référentiels
de compétences (Loué et al., 2008). Parmi ces compétences, les compétences sociales des
entrepreneurs ont été récemment mises en évidence (Baron et Markman, 2003 ; Baron et
Tang, 2009 ; Lamine et al., 2014 ; Omrane, 2015 ; Yezza et Chabaud, 2020).
L’objectif de ce chapitre est de montrer l’évolution du champ de recherche partant d’une
description statique des caractéristiques psychologiques et des traits de personnalité de
l’entrepreneur (approche par les traits) et allant vers une vision holistique autour de
l’importance accordée aux compétences comportementales de l’individu (approche
comportementale) où la question des savoirs relationnels prend une place importante. Ce
chapitre recense les principaux travaux sur les compétences de l’entrepreneur et propose
de nouvelles pistes de recherche dans le contexte de la création mais aussi de la reprise
d’entreprise.

1. L’entrepreneur : du profil aux compétences


Historiquement, l’entrepreneur a été qualifié de personne particulière, par les chercheurs
soucieux d’identifier des caractéristiques qui conditionneraient le succès de sa démarche
entrepreneuriale (Kolb, 1984 ; Hambrick et Crozier, 1985 ; Milton, 1989). Citons : le besoin
d’autonomie, de pouvoir et d’indépendance (Sexton et Bowman, 1985), l’estime de soi
(Arora et al., 2013), la passion pour la mission (Cardon et al., 2005) et encore la quête du
bonheur et du bien-être (Hahn et al., 2012). Ces auteurs s’inscrivent dans un courant,
mettant en exergue l’importance des caractéristiques psychologiques de l’entrepreneur et
ses traits de personnalité dans le succès de l’expérience entrepreneuriale. Récemment,
selon Miller (2015, 2016) les traits de personnalité tels que l’énergie, la passion et le besoin
d’accomplissement seraient précieux et favoriseraient l’entrepreneuriat, mais les extrêmes
négatifs de ces traits de personnalité (par exemple, l’excès de confiance, le narcissisme,
l’agressivité, la déviance et l’obsession) pourraient aussi avoir un impact négatif sur la
dimension personnelle, organisationnelle et sociétale. De ce premier repérage, il ressort la
nécessité de mener des recherches complémentaires pour comprendre les facteurs et les
trajectoires évolutives susceptibles d’expliquer les dimensions et les antécédents des traits
de personnalité de l’entrepreneur (DeNisi, 2015 ; Miller, 2016). Si cette approche dite –
approche par les traits – a considérablement contribué au développement du champ de
l’entrepreneuriat, en revanche, elle a été critiquée en raison de l’impossibilité de retrouver
toutes ces qualités chez un individu. La réussite entrepreneuriale dépendrait en effet d’une
combinaison de plusieurs autres facteurs, notamment en rapport avec le contexte, l’univers
d’activité ou encore le genre (Fonrouge, 2002 ; Lebègue, 2015). Compte tenu des limites de
l’approche par les traits, des nouvelles perspectives/théories se sont dessinées, privilégiant
une approche dynamique et contextuelle afin de privilégier une analyse du comportement
de l’entrepreneur.
Cette approche dite comportementale a vu le jour à la fin des années 1980, en se focalisant
sur les actions et les comportements que l’entrepreneur engage pendant le processus de
création d’entreprise. L’article de Gartner (1988) constitue un tournant majeur vers cette
nouvelle perspective orientée sur ce que fait l’entrepreneur. Selon Gartner (1988, p. 21)
« research on the entrepreneur should focus on what the entrepreneur does and not who the
entrepreneur is ». L’accent est alors mis sur sa capacité de faire, c’est-à -dire son
comportement et ses aptitudes et non pas sur ses qualités psychologiques. Cette réflexion
suscite encore beaucoup l’intérêt de la communauté de la recherche en entrepreneuriat.
Dans leur critique de l’approche par les traits de personnalité, Klotz et Neubaum (2015)
recommandent d’associer les travaux sur le comportement organisationnel et la
psychologie sociale comme cadre théorique pour faire progresser la recherche en
entrepreneuriat. Plusieurs auteurs considèrent que la dimension affective de
l’entrepreneur, notamment ses sentiments et ses émotions, jouerait également un rô le
déterminant dans l’expérience entrepreneuriale (Baron, 2008 ; Hayton et Cholakova, 2011 ;
Bee et Neubaum, 2014) et qu’elle dépasse la stricte prise en considération des traits de
personnalité de l’entrepreneur (Klotz et Neubaum, 2015). Les traits de personnalité à
caractère négatif tels que l’agressivité et le narcissisme (Miller, 2016) n’engendrent pas
forcément un comportement inapproprié de la part de l’entrepreneur (DiNisi, 2015 ; Klotz
et Neubaum, 2015). Il n’existerait donc pas de relation entre la présence d’un trait de
personnalité et le comportement de l’individu. Selon Baron et Markman (2003),
l’importance des compétences et aptitudes sociales permet de dissimuler l’aspect négatif
des traits de personnalité des individus (DiNisi, 2015). Dans ces recherches sur les
compétences entrepreneuriales, les compétences sociales seraient présentées comme plus
importantes que les traits de personnalité.

2. Les principales compétences chez les entrepreneurs


Cet intérêt accordé aux compétences date des années 1990, il conduit à porter l’attention
sur les aptitudes des entrepreneurs. De nombreux chercheurs ont mobilisé l’approche
comportementale pour identifier les compétences requises chez l’entrepreneur, par
exemple, pour concevoir des produits et services, créer de l’influence dans son réseau
relationnel (Herron et Robinson, 1993), identifier et saisir les opportunités avec la
possession des capacités techniques (Chandler et Jansen, 1992), formaliser une vision du
projet et diriger une équipe, créer une entreprise innovante (Charles-Pauvers et al., 2004)
ou encore gérer des problèmes et prendre des décisions (Pettersen, 2006). Différentes
synthèses des compétences ont été proposées, en distinguant plusieurs catégories. Man et
Lau (2000) ont identifié, via une étude qualitative dans le contexte chinois, 45 compétences
regroupées en 6 catégories (identification des opportunités, compétences relationnelles,
conceptuelles, organisationnelles, stratégiques et enfin compétences d’engagement). Loué
et al. (2008) ont également présenté une synthèse de 53 compétences sous le terme
« référentiel des compétences », scindées en plusieurs catégories de compétences ;
compétences entrepreneuriales, compétences managériales et en communication,
compétences marketing et commerciales, compétences en gestion des ressources
humaines, compétences en gestion financière et enfin compétences comportementales (ou
savoir-être). Ce référentiel fut testé empiriquement dans plusieurs contextes notamment
français, canadien, algérien (Loué et Baronet, 2012 ; 2015) et marocain (Loué et
Majdouline, 2015). Les résultats obtenus montrent que l’importance des catégories de
compétences varient selon le contexte culturel. Par exemple, les entrepreneurs français,
canadiens et algériens, favorisent la détection des opportunités. En revanche dans le
contexte marocain, les entrepreneurs ont tendance à privilégier les relations humaines et le
savoir-être. À partir d’un état de l’art (Loué, 2008 ; Chell, 2013), le tableau 1 résume les
principales compétences identifiées chez l’entrepreneur.
Tableau 1. Synthèse des recherches sur les principales compétences identifiées chez l’entrepreneur

Compétences identifiées
Auteurs
L’innovation, la créativité et la capacité à générer de nouvelles idées
Amabile (1990), Ardichvili et al. (2003), Hills et al. (1997), Locke (2000), Locke et Baum (2007), Rubenson et Runco
(1992), Sternberg (2003), Sternberg et Lubart (1995, 1996), Kirton (1976, 1980)
La capacité à identifier, saisir et exploiter les opportunités
Baron (2000), Gaglio (1997, 2004), Gaglio et Katz (2001),
Kirzner (1979, 1997), Shane (2000, 2003), Baron (2004), Frese (2007), Marsili (2002), Chandler et Jansen (1992), Baum
(1995)
La capacité à identifier les besoins du marché et réunir les ressources matérielles nécessaires
Ardichvili et al. (2003), Harper (1996), Shane (2000, 2003), Brush et al. (2001), Stevenson et al. (1985, 1989), Timmons
(1989), Wu (1989), Loué et al. (2008)
La capacité à gérer les risques et assumer des responsabilités dans des conditions d’incertitude
Christiansen et Bower (1996), Harper (1996), Hoy et Carland (1983), Miner et Raju (2004), Timmons et al. (1985), Loué
et al. (2008)
La capacité à analyser les situations, la résolution des problèmes et la prise de décision
Casson (1982, 1995), Schwenck (1988), Schenkel et al. (2009), Wu (1989), Pettersen (2006), Loué et al. (2008)
La résilience et la capacité de faire face aux difficultés
Shapero (1975), Rabow et al. (1983)
La capacité à convaincre les autres, la capacité d’exercer une influence et créer le changement, la capacité de gérer des
équipes, la confiance en soi, la conscience de soi
Jack et Anderson (2002), Krueger et Brazeal (1994), Markman et al. (2002, 2005), Charles-Pauvers et al. (2004), Loué et
al. (2008), Baron et Markman (2003), Witt (1998)
La capacité de créer un réseau social et gérer les relations interpersonnelles
Ardichvili et al. (2003), Baron et Markman (2003), Birley (1985), Chell et Baines (2000), Jack et Anderson (2002), Herron
et Robinson (1993), Loué et al. (2008)
Source : adapté de Loué (2008) et Chell (2013)
Plusieurs auteurs soulignent l’importance de la capacité de l’entrepreneur à motiver son
équipe, gérer son stress et s’adapter à différentes situations sociales (Loué et al., 2008 ;
Loué et Omrane et al., 2011 ; Majdouline, 2015 ; Omrane, 2015). Ces compétences sont
qualifiées de compétences sociales. L’approfondissement de cette veine de recherche
conduit plus récemment à prendre conscience de leur importance dans la réussite de
l’expérience entrepreneuriale (Baron et Markman, 2003).

3. De la définition des compétences sociales à son application en entrepreneuriat


La notion de compétences sociales est couramment utilisée dans les champs de la
1

psychologie et de l’apprentissage organisationnel. Elle a donné lieu à des applications


2

fructueuses dans plusieurs domaines et contextes notamment en théorie des organisations


(Ferris et al., 2002) et en stratégie commerciale (Wayne et Ferris, 1990). Les compétences
sociales sont appréhendées comme une intelligence émotionnelle et comportementales des
individus (Goleman, 1995, 1998). Au cours des dernières années, plusieurs définitions ont
été proposées : la capacité interpersonnelle et l’aptitude d’une personne à ajuster et
adapter son comportement (Ferris et al., 2002) ou encore la capacité à interagir
efficacement avec les autres (Baron et Markman, 2000). Cette capacité à agir efficacement
avec les autres s’accompagne, en effet, d’un plus grand nombre de contacts (Diener et
Seligman, 2002) ; elle augmente les chances d’être accepté-e dans les entretiens
d’embauche par rapport aux autres candidats (Riggio et Throckmorton, 1988), et elle fait
bénéficier l’individu d’une surévaluation par le supérieur hiérarchique (Robbins et DeNisi,
1994). Ainsi, les compétences sociales améliorent les perspectives de carrière (Belliveau et
al., 1996), représentent une qualité importante dans la formation des leaders (Morin et
Janand, 2019), et permettent l’obtention de meilleurs résultats pendant les négociations
(Baron et Markman, 2003). Si l’intérêt pour les compétences sociales est ancien (Chader et
Ovono Beyeme, 2019), il s’est fortement renforcé ces dernières années, avec les recherches
sur les « soft skills » : ainsi, les compétences sociales apparaissent désormais comme
cruciales au même titre que les compétences techniques (Theurelle-Stein et Barth, 2017).
3.1. La transposition du concept de compétence sociale dans le champ de l’entrepreneuriat
Baron et ses collègues (2000, 2003, 2009) sont les premiers chercheurs à avoir transposé
ce concept des compétences sociales (notées CS) dans le contexte de l’entrepreneuriat ; ils
considèrent que le manque de compétences sociales pourrait expliquer pourquoi certains
entrepreneurs (fortement motivés, ayant de bonnes idées et détenant des compétences
techniques considérables) échouent cependant. Selon ces auteurs, cette incapacité
d’interagir efficacement avec les autres pourrait expliquer l’échec de leur expérience
entrepreneuriale. Baron et Markman (2003) ont conduit deux études auprès de 230
entrepreneurs qui révèlent l’impact des CS sur la performance financière de l’entreprise
dans le domaine de la haute technologie et de l’industrie cosmétique. Selon Baron et Tang
(2009) certaines dimensions des compétences sociales ont un impact positif sur la
performance des nouvelles entreprises. Au cours de la dernière décennie, d’autres travaux
successifs ont montré que les CS permettent à l’entrepreneur de travailler avec les autres
membres de l’organisation d’une manière efficace, en suscitant la motivation et la confiance
(Lamine et al., 2014), d’accéder aux informations importantes et de saisir des opportunités
avec des facilités de financement (Omrane, 2015), de renforcer le nombre de contacts au
sein du réseau social de l’entrepreneur (Kreiser et al., 2013 ; Lans et al., 2015), d’exploiter
efficacement son capital social et les ressources associées (Omrane et al., 2011 ; Omrane et
Zeribi-Ben Slimane, 2014), de favoriser la formation d’alliances commerciales (Baron et
Markman, 2003), d’améliorer la performance (Lans et al., 2016) mais également d’atteindre
la réalisation des objectifs économiques et non économiques dans un contexte de
succession familiale (Yezza et Chabaud, 2020c).
3.2. Les dimensions constitutives des compétences sociales en entrepreneuriat
Bien que demeurent des débats sur le périmètre et l’importance des compétences sociales
(CS), un consensus existe désormais pour considérer la coexistence de plusieurs
dimensions constitutives de ces compétences sociales (Riggio, 1986, 2014 ; Riggio et
Carney, 2003). À la suite des travaux développés en entrepreneuriat (Baron et Markman,
2000, 2003 ; Baron et Tang, 2009), des dimensions ressortent de manière significative : la
perception sociale (la capacité à cerner et percevoir les autres avec pertinence),
l’adaptabilité sociale (la capacité à ajuster son comportement à différentes situations
sociales), l’expressivité (la capacité à exprimer ses sentiments et ses réactions aux
interlocuteurs de façon adaptée), la persuasion et l’influence sociale (la capacité de changer
les points de vue ou le comportement des autres lors de rencontres en face à face) et enfin
l’auto-promotion et les bonnes grâces (la capacité de l’entrepreneur à donner une première
impression favorable aux autres).
Si les compétences sociales apparaissent comme cruciales pour les individus qui
s’orientent vers la création d’entreprise (ex nihilo), qu’en est-il pour ceux qui reprennent
une entreprise dans un contexte familial ? Répondre nécessite de préciser la façon dont les
compétences sociales du successeur pourraient affecter la réussite et/ou la performance de
la transmission d’entreprise.

4. Les spécificités des compétences sociales pour la reprise d’entreprise


Nous regrettons encore le manque de recherches empiriques sur les compétences sociales
du repreneur alors même que la reprise d’entreprise par une personne physique relève
aujourd’hui sur le plan scientifique du champ de l’entrepreneuriat, avec des dynamiques et
processus entrepreneuriaux à investiguer. Historiquement, la transmission familiale a pu
sembler, à première vue, éloignée de l’entrepreneuriat (Brockhaus, 1994). Selon Dyer et
Handler (1994, p. 71) « l’entrée dans le monde des entreprises familiales se produit souvent
au moment où l’entrepreneur prend sa retraite », ils invitent à connecter le champ de
l’entrepreneuriat et celui du family business. Cet appel a suscité de multiples travaux qui
montrent combien entrepreneuriat et entreprises familiales sont connectés (Hoy et Verser,
1994). Dans le contexte francophone, Deschamps (2003) a pour la première fois étudié la
reprise d’entreprise par une personne physique, et montré qu’elle s’inscrit dans une
démarche entrepreneuriale : le repreneur est – à l’instar du créateur – confronté à un
changement important de situation et à la nécessité de se projeter dans une logique de
création de valeur importante. L’approfondissement des travaux sur le phénomène
successoral – transmission et reprise – (De Freyman et Richomme-Huet, 2010) et sur la
comparaison entre la reprise externe et la transmission familiale, conduit à considérer que
la transmission familiale apparaît comme un phénomène entrepreneurial à part entière
(Chabaud et Bégin, 2014 ; Deschamps, 2018). Analyser les compétences sociales du
successeur, à l’instar de celles de l’entrepreneur, est alors judicieux (Long et Chrisman,
2014).
La littérature révèle peu de recherches empiriques sur le rô le des compétences sociales
dans un contexte de succession familiale (Yezza et Chabaud, 2020a). Le seul travail
empirique identifié est celui de Hatak et Roessl (2015) sur l’importance des compétences
relationnelles et sociales dans le transfert des connaissances entre le prédécesseur et le
successeur. Ces auteurs soulignent que les compétences sociales permettent de créer un
climat de confiance entre les deux acteurs. Cette recherche est basée sur une étude
expérimentale auprès des étudiants en management en développant des concepts proches
(compétences relationnelles), mais sans intégrer la littérature qui préexiste notamment les
travaux de Baron et ses collègues (2000, 2003, 2009). Plus récemment, Yezza et Chabaud
(2020a) ont conduit une recherche quantitative auprès de 77 entreprises familiales pour
tester l’impact des compétences sociales sur la performance post-succession. La mesure de
la performance est fondée sur le degré de satisfaction des dirigeants vis-à -vis de certains
indicateurs comme le bénéfice net, flux de trésorerie, marge commerciale et retour sur
investissement. Les résultats montrent que les compétences sociales du successeur
améliorent la performance post-succession. En revanche, il convient d’être attentif à la
diversité des dimensions des compétences sociales ; contrairement aux recherches
conduites dans un contexte de création d’entreprise, l’autopromotion a un effet négatif sur
la performance post-succession. Les auteurs prennent en considération seulement la
dimension économique de la performance post-succession et négligent la dimension non
économique (la richesse socio-émotionnelle de la famille). Pour pallier cette limite, Yezza (à
paraître), a conduit une recherche mixte pour expliquer le rô le et l’impact des compétences
sociales sur les objectifs non économiques de la famille. Les résultats montrent que les
compétences sociales permettent de bâ tir une bonne relation entre les membres de la
famille en identifiant plus facilement les besoins non exprimés, en gérant d’une manière
adaptée les émotions mais également en évitant les conflits professionnels et familiaux
(Yezza et Chabaud, 2020b ; Yezza, à paraître).

Conclusion et perspectives de recherche


Prenant en considération l’importance des compétences sociales de l’entrepreneur – qu’il
soit créateur ou repreneur –, des recherches complémentaires se dessinent pour affiner
l’analyse des différentes dimensions constitutives de ce concept et leur impact sur les
démarches entrepreneuriales. Par exemple, Baron et Tang (2009), dans un contexte de
création d’entreprise, suggèrent que l’autopromotion de l’entrepreneur influencerait
positivement la performance économique de la future entreprise. En revanche, dans un
contexte de reprise familiale, Yezza et Chabaud (2020a, 2020c) montrent qu’une
augmentation de l’autopromotion s’accompagne d’une dégradation de la performance
(impact négatif). Les auteurs ont dégagé deux pistes qui seraient susceptibles d’expliquer la
divergence de ces résultats :
–D’une part, le contexte de la création vs la reprise dans le sens où le successeur qui
réalise une forte autopromotion peut susciter des réactions négatives de la part des
partenaires de l’entreprise, des salariés voire des membres de la famille – qui lui
reprocheraient son manque de modestie, ainsi qu’une tendance à « tirer la couverture à
soi » en sous-estimant le travail de ses prédécesseurs. On conçoit que ce manque
d’humilité – voire de reconnaissance du travail des prédécesseurs et des équipes en place
– puisse être perçu très négativement dans un contexte de succession alors que, dans un
contexte de création, les partenaires pourraient apprécier la capacité de l’entrepreneur à
mettre en valeur son travail ce qui crée une relation de confiance avec ses collaborateurs.
Ces derniers peuvent se sentir beaucoup plus à l’aise avec une personne qui a déjà
surmonté des épreuves. Avoir une idée claire sur le parcours professionnel et le cursus
universitaire du fondateur de l’entreprise peut permettre d’attirer une main-d’œuvre
qualifiée et un personnel motivé, ce qui facilite par la suite les interactions avec les
différentes parties prenantes.
–D’autre part, la perception de l’autopromotion pourrait différer selon les pays et les
cultures. Il serait donc intéressant de répliquer cette étude sur une plus grande échelle,
voire de la combiner avec des études comparatives internationales (qualitatives et
quantitatives) pour analyser plus finement les dimensions des compétences sociales et
leur impact selon les pays et les contextes culturels dans lesquels les enquêtes sont
conduites afin de mieux cerner la portée de ces résultats (Wright et al., 2014).
Dans la même perspective, il serait également intéressant de revisiter les modèles
existants notamment les travaux de Loué et ses collègues (2008, 2012, 2015) sur les
référentiels de compétences. Les auteurs soulignent l’importance des compétences
comportementales (savoir-être) d’une manière générale sans y introduire, par exemple, les
différentes dimensions des compétences sociales identifiées par Baron et ses collègues
(2003, 2009). La collaboration avec des chercheurs d’autres disciplines, notamment la
psychologie sociale, pourrait être envisagée afin de proposer des tests psychométriques
plus avancés et développer des échelles de mesure solides relatives aux principales
dimensions des compétences sociales. La conduite d’études qualitatives en collaboration
avec des chercheurs en sociologie pour comprendre le rô le des groupes sociaux – par
exemple la famille et le cercle relationnel des individus dans le développement de ces
compétences – serait également à mener. Helin et Jabri (2016) montrent l’importance de la
communication entre les membres de la famille et soulignent la nécessité d’avoir une
discussion autour des questions relatives à la succession. À ce stade, les compétences
semblent pertinentes et utiles dans l’identification des divergences et différends pouvant
survenir au sein de la famille concernée par la succession. Ces compétences
sociales permettent d’ailleurs de mener à bien ce dialogue. À ce propos, certains auteurs
ont montré que les caractéristiques des parents, la dynamique familiale et les
comportements des membres de la famille peuvent expliquer les orientations
entrepreneuriales chez les enfants (Chlosta et al., 2012). Ces dernières se traduisent soit
par la décision de créer une entreprise, soit par la reprise de l’entreprise familiale. Ces
résultats confirment d’ailleurs l’émergence d’un nouveau champ :
l’« entrepreneuring family » (Uhlaner et al., 2012), aux confins des recherches en
entrepreneuriat et sur les entreprises familiales. L’intersection entre l’entrepreneuriat et la
famille offre une nouvelle perspective pour mieux comprendre la dimension processuelle
de l’entrepreneuriat (Steyaert, 2007).
Enfin, les compétences sociales pourraient intéresser les chercheurs sur l’éducation
entrepreneuriale (Fayolle et al., 2020 ; Nabi et al., 2017 ; Verzat et Toutain, 2015) mais
également les professionnels de l’enseignement afin d’intégrer les compétences sociales
dans la conception des programmes pédagogiques. Ces dispositifs seraient destinés non
seulement aux formations en gestion et en management mais aussi aux formations d’autres
disciplines, comme par exemple les écoles d’ingénieurs (Pepin et Champy-Remiusenard,
2017).
L’appréciation des compétences sociales de l’entrepreneur/repreneur constitue un
élément important pour mieux comprendre l’expérience entrepreneuriale sous plusieurs
angles et ouvre, ainsi, de riches perspectives de recherche.

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Yezza, H. & Chabaud, D. (2020b). Tu quoque mi fili ! Comment faire accepter la régénération stratégique lors d’une
succession familiale ? Entreprendre & innover, 1(44), 8-15.
Yezza, H. & Chabaud, D. (2020c). Faut-il avoir des compétences sociales pour réussir la succession familiale ?
Finance Contrôle Stratégie, 23(4), 1-27.

1 Nous soulignons que certains passages prennent appui sur des travaux antérieurs réalisés par l’auteur notamment Yezza et Chabaud (2020a,
2020b, 2020c) et Yezza (à paraître).
2 Les premiers travaux sur les compétences sociales ont vu le jour en psychologie avec Thorndike (1920), qui a montré l’impact des compétences
sociales sur la performance des individus.
PARTIE III. É TUDIER L’ENTREPRENEUR ET SON É COSYSTÈ ME :
BUSINESS MODEL, ACCOMPAGNEMENT, FINANCEMENT
Chapitre 8. De la nature et diversité des business models pour
entreprendre
Donatienne Delorme

Introduction
« Quel est votre business model ? » est aujourd’hui l’une des questions incontournables
pour tout porteur de projet entrepreneurial. Plus largement, cette question se pose aussi
aux manageurs et décideurs, à l’affû t de voies de développement innovantes ou d’un
renouveau stratégique. Le business model (BM) permet de formaliser et communiquer un
1

projet entrepreneurial, en articulant plusieurs notions et concepts, empruntant au


management stratégique, au marketing et à l’entrepreneuriat des notions fondamentales
liées aux clients, à l’offre, à l’organisation, aux ressources, à la valeur et à la rentabilité.
Cette transversalité lui vaut néanmoins une forme de défiance, notamment du monde
académique, lui reprochant un manque de concepts clairs et d’outils éprouvés. Car si
l’approche semble simple et a su s’imposer auprès des praticiens, notamment au travers du
BM canvas (Osterwalder et Pigneur, 2010), sa mise en œuvre n’en est pas moins complexe.
Objet de vifs débats, le BM peine à trouver un ancrage théorique fort, et la diversité des
définitions participe au questionnement sur sa pleine légitimité.
Cette contribution se propose de faire le point, de manière éclairée et actualisée, sur les
avancées concernant la recherche sur le BM, et d’identifier et de clarifier les principaux
débats et points de tension actuels. Notre objectif est de permettre au lecteur, étudiant,
praticien, enseignant ou chercheur, de mieux appréhender ce champ de recherche encore
en construction.
Le chapitre se compose de deux parties. Dans la première partie, en nous appuyant sur des
travaux de référence, nous nous intéressons à la nature et aux fonctions du BM. La
deuxième partie présente des éléments de réponse aux principaux débats et points de
tension identifiés autour de la notion de BM. La conclusion synthétise notre propos et
présente les perspectives de recherche autour de ce concept-outil.

1. Nature et fonctions du business model


Sans refaire l’historique du BM, il nous semble important de préciser le contexte dans
lequel cette notion évolue. Un temps largement ignoré par la communauté scientifique,
parfois simplement qualifié de buzzword, le BM est aujourd’hui un phénomène, au sens
scientifique du terme. Se développant sur le terrain, auprès des managers, entrepreneurs et
consultants, il s’est progressivement imposé dans les travaux de recherche, faisant l’objet
de multiples publications académiques ces quinze dernières années (voir par exemple
Massa et al., 2017 ; Wirtz et al., 2016). La notion de BM est néanmoins toujours l’objet de
vifs débats, les chercheurs ne parvenant à s’accorder ni sur une définition claire et
unanime, ni sur l’opérationnalisation du concept. Cette phase de recherche peut être
qualifiée de « phase intermédiaire », au sens d’Edmondson et McManus (2007). En phase
intermédiaire, la littérature est foisonnante, tout en offrant suffisamment de travaux
conceptuels et empiriques pour la rendre riche et intéressante. Concernant le BM, cela se
traduit par une variété de définitions, d’attributs et de conjectures théoriques. Néanmoins,
le tout manque cruellement de clarté. L’objectif de cette première partie est donc de
dresser un état des lieux afin de clarifier la nature du BM et ses fonctions.
Nous ne présenterons pas de revue systématique sur le BM, le nombre de publications ces
quinze dernières années forçant la sélection. En revanche, nous avons étudié plusieurs
revues de littérature récentes (Massa et al., 2017 ; Schneider et Spieth, 2013 ; Warnier et
al., 2018 ; Wirtz et al., 2016), proposant un agenda de recherche, ainsi qu’un ouvrage dédié
au BM (Baden-Fuller et Mangematin, 2015), afin d’identifier les principales tendances.
Nous avons complété ces travaux par une sélection d’articles, issus de revues de référence
dans les champs du management stratégique, de l’innovation et de l’entrepreneuriat,
permettant d’appréhender les débats actuels et voies de recherche privilégiées.
En premier lieu, force est de confirmer, à l’issue de cette analyse, un constat largement
partagé : même après sélection, la notion de BM recouvre de multiples définitions, natures,
rô les et fonctions. Nous illustrons cette diversité au travers de quelques définitions faisant
référence dans différentes communautés, mais toutes largement diffusées et utilisées dans
les sphères académiques ou praticiennes (Tableau 1). Pour qualifier le BM, les termes
employés appartiennent à deux registres distincts, l’un plutô t conceptuel, l’autre plus
opérationnel. Les deux registres sont en effet complémentaires : le concept permet
d’interpréter des données, d’expliquer des phénomènes (Dumez, 2011), alors que l’outil
s’inscrit dans une dimension matérialiste et liée à la performance organisationnelle
(Chiapello et Gilbert, 2013). Mais le concept est parfois assimilé à un outil de gestion, ces
derniers étant fréquemment définis de manière très extensive dans la littérature, tant
managériale qu’académique. Dans notre analyse, le BM est atypique en ce qu’il désigne à la
fois le concept et les outils associés, sans que l’un prenne le dessus sur l’autre, cette dualité
étant souvent source de confusions.
Tableau 1. Définitions, nature et fonctions du BM

Définitions du BM
Nature
Rôles et fonctions
Chesbrough et Rosenbloom (2002)
“The functions of a business model are to : articulate the value proposition; identify a market segment; define the structure of
the value chain; estimate the cost structure and profit potential; describe the position of the firm within the value network;
formulate the competitive strategy.” (p. 7)
Modèle (logique heuristique)
Résultat d’un processus d’adaptation
Capturer la valeur créée par la technologie.
Identifier, articuler et décrire les choix stratégiques et organisationnels des entreprises performantes.
Osterwalder et Pigneur (2010)
“A business model describes the rationale of how an organization creates, delivers, and captures value.” (p. 14)
Blueprint
Concept
Outil
Créer de la valeur, imaginer de nouveaux modèles d’entreprise, améliorer et transformer une organisation.
Décrire la proposition de valeur (clients), l’architecture interne et externe (réseau) de création de valeur.
Demil et Lecocq (2010)
“The concept refers to the description of the articulation between different business model components or ‘building blocks’ to
produce a proposition that can generate value for consumers and thus for the organization.” (p. 227)
Concept
Outil RCOV
Blueprint
Deux fonctions distinctes :
–une approche statique (blueprint) décrivant la cohérence entre les composantes du BM ;
–une approche dynamique, en tant qu’outil, permettant d’accompagner le changement et l’innovation.
Teece (2010)
“A business model describes the design or architecture of the value creation, delivery, and capture mechanisms employed.” (p.
191)
Modèle conceptuel
Plus générique que la stratégie ; coupler BM et stratégie permet de préserver l’avantage concurrentiel que procure un
nouveau BM.
Articulation de données, d’éléments de preuve, de la logique sous-tendant la proposition de valeur ; description,
explications.
Zott et Amit (2010)
“[It depicts] the content, structure, and governance of transactions designed so as to create value through the exploitation of
business opportunities.” (p. 219)
Template
Système d’activités
Modèle de gestion et de création de valeur pour les parties prenantes.
Approche holistique en tant que système d’activités, allant au-delà des frontières de la firme focale.
Moingeon et Lehmann-Ortega (2011)
« Le business model est la description pour une entreprise des mécanismes lui permettant de créer de la valeur à travers : la
proposition de valeur faite à ses clients, son architecture de valeur, et de capter cette valeur pour la transformer en profits
(équation de profits). » (p. 271)
Cadre d’analyse
Perspective
Unité d’analyse intégrative : analyse porterienne, Resource-Based View (RBV), théorie des coû ts de transaction,
entrepreneuriat.
Accompagnement du renouveau stratégique, de l’innovation.
Verstraete et al. (2012)
« Tout business model possède trois composantes génériques : la Génération d’une valeur appréciée par les marchés, la
Rémunération de cette valeur et le Partage de la réussite avec le “réseau de valeur”, autrement dit les acteurs du système. »
(p. 7)
Modèle GRP
Outil, méthode
Convention
Artefact systémique
Accompagnement de projets entrepreneuriaux.
Outil stratégique et opérationnel.
Organiser de la connaissance construite d’un projet en se basant sur des outils connus.
Baden-Fuller et Mangematin (2015)
“A business model is more than a statement of how ‘value is created and captured’; it is a ‘model’.”
Modèle
Artefact
Dispositif manipulable
« Dispositif manipulable » pouvant aider à comprendre les liens entre la création de valeur et la capture de la valeur ;
artefact pour transmettre des connaissances sur une entreprise et ses spécificités.
En nous interrogeant sur le rô le et les fonctions du BM, nous avons identifié quatre
fonctions principales pour le BM, présentées ci-après :
1.Une approche configurationnelle de l’organisation (Teece, 2010 ; Zott et Amit, 2010) :
le BM est une configuration d’éléments en interaction, susceptible de produire des
résultats et une performance. Cette approche, qualifiée de « business model as a model »
par Baden-Fuller et Mangematin (2015), intègre notamment les relations de cause à effet
ainsi qu’une perspective basée sur les ressources (Penrose, 1959). Cette approche
permet d’identifier des configurations types, telles que les modèles de plateformes, le
freemium ou le classique « razor and blade », certains auteurs allant parfois jusqu’à
qualifier le BM de recette (Sabatier et al., 2010). Cette perspective, très normative, est
intéressante pour guider l’entrepreneur dans ses choix en termes de modèle de revenus,
mais elle présente le risque de limiter l’ampleur de la réflexion à mener autour du projet
entrepreneurial.
2.Dans ses dimensions pratique et pragmatiste, le BM est aussi un schéma linguistique
ou cognitif, pouvant évoluer vers une représentation formelle pour rendre le projet
plus explicite (Massa et al., 2017). Le projet se forme dans un premier temps sous
l’influence des expériences passées de l’entrepreneur, de ses cadres de référence, de
manière implicite et informelle. Lorsqu’il partage son projet, l’entrepreneur va davantage
le formaliser, à l’image par exemple du blueprint évoqué par Osterwalder (2004).
3.Dans une perspective de support de la stratégie, le BM traduit le positionnement de
l’entreprise par rapport à ses parties prenantes (Warnier et al., 2018). L’entrepreneur
doit en effet concilier création, capture et partage de la valeur. La création de valeur
suppose une forme de collaboration, tandis que la capture de valeur et son partage
impliquent une forme de rivalité. Cette perspective place la notion de valeur au cœur du
BM, en soulignant la difficulté des choix que l’entrepreneur devra réaliser. Cette approche
est sans doute la plus ouverte des quatre fonctions identifiées, puisqu’elle ne présuppose
aucun schéma de collaboration, envisageant même le BM dans sa dimension
performative vis-à -vis de son environnement, de son écosystème.
4.Enfin, le BM permet de comprendre la dynamique de l’organisation ou du projet
d’entreprise en tant qu’approche itérative et transformative. Les pratiques itératives
dans l’entrepreneuriat (Lean Startup par exemple) et la mise en œuvre de la logique de
« modelling » positionnent le BM en tant qu’objet manipulable, alimentant les réflexions
du manager ou de l’entrepreneur (Baden-Fuller et Mangematin, 2013, 2015). On retrouve
les apports de Penrose à travers deux compétences managériales complémentaires : la
capacité à opérationnaliser (améliorer l’exploitation des ressources) et la compétence
entrepreneuriale (intégrations de nouvelles ressources ou nouvelles combinaisons de
l’utilisation des ressources par exemple) (Demil et Lecocq, 2010).
Le tableau 2 résume l’ambivalence liée à la mise en œuvre du business model dans une
démarche entrepreneuriale : à la fois concept et outil pour construire, préciser et présenter
le projet, les quatre fonctions identifiées peuvent être mobilisées à différent moments de la
vie du projet.
Tableau 2. Nature et fonctions principales du BM

Nature
Fonctions
Une dualité atypique :
–Concept
–Outil
1.BM en tant que configuration : business model as a model
2.BM en tant que schéma cognitif : business model as heuristics
3.BM en tant que support de la stratégie : strategizing with business model
4.BM en tant qu’approche itérative et transformative : modelling business models.
Ces différentes perspectives nous amènent à un niveau de détail supplémentaire, en nous
intéressant aux composantes du BM. Que ce soit pour opérationnaliser ou mieux étudier le
BM, de nombreux auteurs proposent de manière plus ou moins détaillée un ensemble de
composantes, ou attributs, constitutifs du BM. On identifie quelques points récurrents,
concernant les notions d’offre (par rapport au marché ou aux clients) et de
ressources, ainsi que le thème de la valeur (value network, value proposition, value stream,
customer value, value delivery, etc.), mais chaque approche se veut singulière. Nous avons
repris six approches, parmi les plus répandues, afin de les comparer (Tableau 3) : le choix
des composantes et leur dénomination traduisent la logique sous-jacente des auteurs. Pour
compléter l’analyse, nous avons regroupé les composantes en trois catégories distinctes, en
nous appuyant sur les travaux de George et Bock (2011). Les auteurs proposent en effet
une lecture entrepreneuriale du BM, après l’avoir confronté à la réalité des praticiens, et
identifient trois thématiques dominantes en lien avec le BM : la valeur, les transactions et
les ressources et le design organisationnel.
Cette comparaison permet de confirmer des points d’ancrage : proposition de valeur,
architecture de valeur, ressources, capture et partage de la valeur sont autant de thèmes
récurrents, déjà présents dans les champs du management stratégique et de
l’entrepreneuriat, mais adressés de manière différente grâ ce à l’approche par le BM. Notons
en revanche que l’articulation ou les relations des différentes composantes ne sont pas
précisément décrites, la complexité de l’ensemble étant plus souvent évoquée au travers
des notions de système ou systémique (Zott et Amit, 2010), d’une conception partenariale
(voire symbiotique) de l’organisation ou du projet d’entreprise (Verstraete et Jouison-
Laffitte, 2018) ou plus globalement en évoquant la cohérence de l’ensemble (Chesbrough et
Rosenbloom, 2002 ; Demil et Lecocq, 2010).
En conclusion de cette première partie, nous nous appuierons sur les observations de
Klang et al. (2014) : le BM souffre d’un paradoxe, entre popularité fulgurante et critique
sévère. Appelant à plus d’intégration dans de futures recherches, permettant d’améliorer la
qualité et la richesse dans différents « courants » par exemple, Klang et al. (Ibid.) soulignent
néanmoins l’intérêt de maintenir la pluralité des perspectives, pour une large diffusion et
des contributions nombreuses. La deuxième partie de ce chapitre a ainsi pour objectif de
relever les principaux débats et points de tension alimentant les recherches actuelles sur le
BM.
Tableau 3. Comparaison des composantes de six approches majeures du BM dans la littérature

Catégories
(George et Bock, 2011)
Composantes
Chesbrough et Rosenbloom (2002)
Osterwalder et Pigneur (2010)
Demil et Lecocq (2010)
Zott et Amit (2010)
Moingeon et Lehmann-Ortega (2011)
Verstraete et al. (2012)
Ressources et design organisationnel
Ressources, compétences
Chaîne de valeur
Ressources-clés ; activités-clés
Ressources et compétences ; chaîne de valeur
Contenu : sélection d’activités

Porteurs de projet 
Fabrication de valeur (capter, agencer, délivrer)
Réseau (externe)
Position au sein du réseau de valeur
Partenaires-clés
Réseau de valeur

Structure

Organisation
Structure : liens et importance des activités
Architecture de valeur
Transactions
Proposition de valeur
Proposition de valeur
Proposition de valeur
Offre produits et services

Proposition de valeur
Proposition de valeur
Clients
Segment client
Relation client, canaux, segments

Parties prenantes

Gouvernance : qui réalise les activités

Parties prenantes, écosystème


Conventions
Valeur
Revenus
Flux de revenus
Volume et structure des revenus

Source et volume des revenus


Coû ts
Structure des coû ts 
Structure de coû ts
Volume et structure des charges

Rentabilité
Rentabilité potentielle

Marge

É quation de profits
Performances

2. La « malédiction » du BM : débats et points de tension


Foss et Saebi (2018) font partie des auteurs qui tentent depuis de nombreuses années de
légitimer le BM dans le champ du management : les arguments en faveur de l’intérêt du BM
ne manquent pas, et c’est donc sous forme de provocation qu’ils font référence à une forme
de malédiction (wicked) dans leurs travaux. Car un point en particulier cristallise l’essentiel
des débats depuis 20 ans, dans le champ du management stratégique notamment, mais
aussi de l’entrepreneuriat : il s’agit du lien (ou de la différence) entre BM et stratégie. Ce
constat reste d’autant plus d’actualité que le BM a évolué, passant d’une orientation très
technologique à une orientation plus stratégique, d’une vision orientée produit à des
considérations sectorielles, son degré d’abstraction s’élevant (Wirtz et al., 2016).
Michael Porter (2001) publie très tô t un article extrêmement critique dans la Harvard
Business Review, exhortant les dirigeants à penser à leur stratégie, plutô t qu’à leur BM :
« The business model approach to management becomes an invitation for faulty thinking and
self-delusion. » (Ibid., p. 13) Presque 20 ans plus tard, Bigelow et Barney (2020) soulignent
la difficulté, malgré les nombreux travaux sur le sujet, à distinguer le concept de BM de
celui de stratégie dans son acception traditionnelle. En contrepoint, Lanzolla et Markides
(2020) soulignent la vacuité de ces débats, préférant adopter une définition du BM en tant
que système d’activités, se concentrant ainsi sur les interdépendances internes et externes
entre les activités, reliant création et capture de valeur. Dans cette optique, les activités et
les interdépendances elles-mêmes sont des variables indépendantes, permettant de
développer une stratégie à deux niveaux. En positionnant le BM en tant qu’approche
systémique, ils rejoignent ainsi les propositions de Foss et Saebi (2018), permettant de
dépasser la critique initiale.
Le deuxième point que nous souhaitons aborder ici fait état cette fois non pas d’un débat,
mais d’une absence de débat : la notion de valeur est omniprésente dans l’approche par le
BM, mais trop rarement définie alors que ne préexiste aucune évidence. Dans la
perspective entrepreneuriale, l’approche par le BM positionne le plus souvent une
hypothèse implicite d’exogénéité dans la création de valeur ; la littérature sur la stratégie
avance le plus souvent la probabilité d’une création de valeur endogène (Bigelow et
Barney, 2020). Trois « états » de valeur coexistent : la création de valeur, sa capture et son
partage.
La vision classique en management stratégique souligne l’existence de liaisons externes
entre la firme et ses clients et fournisseurs, s’intégrant ainsi dans un système de valeur. Si
initialement la firme est au centre et à l’origine de ce système, dans sa version étendue la
chaîne de valeur devient réseau de valeur. La création de valeur s’affirme par sa nature
interactive et devient co-création de valeur (Vargo et al., 2008). Chaque acteur tient
plusieurs rô les, devenant acteur générique, tour à tour ou simultanément « bénéficiaire » et
« fournisseur » dans le système de service. Schéma processuel, la création de valeur se
construit en situation dans un arbitrage entre parties prenantes (Desmarteau et al., 2020).
Elle ne peut dès lors que s’envisager dans sa dimension plurielle, au travers de bénéfices et
coû ts de différentes natures, que l’on peut répartir en quatre catégories : (1) bénéfices /
coû ts techniques, renvoyant à l’ordre de la fonctionnalité, (2) économiques, renvoyant à
l’ordre de la rentabilité (3) symboliques, considérant la nécessité de créer du sens et (4)
politiques, en référence aux valeurs sociétales, aux bénéfices collectifs et à l’utilité sociale.
Mais comment intégrer la dimension plurielle de la valeur dans le BM ?
Yunus et al. (2010), par leurs travaux sur la Grameen Bank, ont été les précurseurs de la
notion de valeur sociale (ou sociétale) d’un BM. Depuis, de nombreux travaux dans
différents champs ont adapté ou transformé le BM pour contribuer à de nouvelles voies de
recherche. Ainsi, dans une perspective résolument soutenable et durable, Joyce et Paquin
(2016) développent un modèle sur trois niveaux : économique, environnemental et social
(cf. Figure 1). Ce modèle s’appuie sur le canvas, permettant une cohérence à la fois
horizontale (au sein d’un même niveau) et verticale (entre les trois niveaux).
Figure 1. Deux niveaux supplémentaires pour le BM canvas : environnemental et social

Source : Joyce et Paquin (2016, p. 1483)


Cet exemple permet de voir que d’autres champs et de nouvelles communautés de
chercheurs s’approprient le concept de BM, pour enrichir les cadres existants, nous
confortant dans l’intérêt de cette approche, certes encore en construction, mais déjà riche
de multiples contributions.
Concernant la capture et le partage de la valeur, les travaux de Warnier et al. (2018) nous
éclairent sur les arbitrages menés par les parties prenantes : la transaction devient
économique dès lors qu’un mécanisme de capture de valeur est mis en place, mais la
création de valeur en tant que telle est neutre. La valeur créée par l’organisation et qu’elle
peut capter ou partager relève d’un choix stratégique relatif aux parties prenantes du
projet (Verstraete et Jouison-Laffitte, 2018 ; Warnier et al., 2018). Afin d’étudier ces choix
stratégiques, les auteurs privilégient l’approche par le business model (BM), élargissant de
fait la perspective du BM de la firme focale à son écosystème.
Le dernier point que nous aborderons dans cette partie est donc celui de la relation de la
firme focale à son environnement au travers du BM. Dans sa conception traditionnelle,
l’entrepreneur est supposé penser sa stratégie par rapport à son environnement : quelles
sont les barrières à l’entrée ? L’intensité concurrentielle du secteur d’activité est-elle
importante ? Quel sera son avantage concurrentiel ? Autant de questions qui n’ont plus lieu
d’être, ou qui doivent être posées différemment, si l’on envisage le BM dans sa dimension
performative (Lecocq et al., 2018). Des choix inédits, un BM disruptif peuvent bouleverser
un secteur d’activité, les exemples sont aujourd’hui nombreux, de « petits » projets nés sur
le Web, devenus géants de l’économie de ce début du XXI siècle.
e

Conclusion et perspectives de recherche


Malgré les critiques et les doutes persistants, le BM est aujourd’hui un axe majeur de
recherche en entrepreneuriat et stratégie. Si les critiques portent, avec raison, sur le
manque de concepts clairs et d’outils éprouvés pour sa mise en œuvre, le succès du BM est
dû en grande partie à ses vertus pédagogiques (Osterwalder et Pigneur, 2010) ainsi qu’à
son caractère transversal et systémique (Foss et Saebi, 2018 ; Osterwalder, 2004 ; Ritter et
Lettl, 2018). La plupart des autres outils ou concepts restent généralement trop ancrés
dans une discipline. Son originalité réside dans sa nature duale et atypique : à la fois
concept et outil, voire cadre d’analyse (Teece, 2010), le BM a su séduire les praticiens par
sa plasticité. Ces mêmes arguments en constituent la principale faiblesse : apparemment
simple à mettre en œuvre, le BM requiert en fait une approche complexe, qui suppose une
certaine maîtrise ou habitude du concept et des outils associés, ainsi qu’une forme de
rigueur dans sa mise en œuvre. Le BM est une nouvelle unité d’analyse, avec ses attributs et
son périmètre. Il constitue en cela une rupture, redéfinissant la relation de l’entreprise à
son environnement.
Difficile donc d’identifier la « meilleure » définition ou le « meilleur » outil pour concevoir
ou étudier le BM d’un projet entrepreneurial. Pourtant l’étape de modélisation d’un projet
est souvent l’une des premières préoccupations des porteurs de projet, afin de pouvoir le
partager, avec l’équipe ou de potentiels partenaires par exemple. Le besoin de modéliser le
projet est motivé par deux objectifs distincts : comprendre et échanger (Le Moigne, 2004).
Comprendre, car tout projet entrepreneurial est complexe en ce qu’il est systémique
(Verstraete et Jouison-Laffitte, 2018), un tout qui ne se réduit pas à la somme de ses
parties. É changer, car le projet entrepreneurial est à la fois individuel et collectif. Il faut un
langage commun ou une représentation commune, le BM devenant « objet-frontière », au
sens de Star et Griesemer (1989, p. 408) :
“As groups from different worlds work together, they create various sorts of boundary
objects. […] Their boundary nature is reflected by the fact that they are simultaneously
concrete and abstract, specific and general, conventionalized and customized. They are often
internally heterogeneous.”
La meilleure approche par le BM sera donc celle permettant à la communauté ou à
l’écosystème concerné de comprendre et d’échanger autour d’un projet, afin d’en assurer la
mise en œuvre et la pérennité. Si besoin, cette approche pourra mobiliser de multiples
artefacts, favorisant la fonction de médiation du BM (Doganova et Eyquem-Renault, 2009).
Ainsi, par itérations, au gré des intermédiations, l’alignement entre différents secteurs de
l’entreprise ainsi qu’entre différents acteurs sociaux sera favorisé. La matérialité est donc
indissociable de la notion de BM et, dans le même temps, vouloir réduire le BM à un modèle
figé en réduirait l’intérêt et la richesse.
En termes de futures recherches, la profusion de publications ces dernières années et le
dynamisme de la communauté impliquent un niveau élevé d’exigence, la diversification des
terrains de recherche et des champs d’application. Ainsi, l’agenda peut être conçu autour
du BM en tant que concept bien sû r, mais sans oublier sa dimension outil : la notion
« d’objet-frontière » nous paraît particulièrement intéressante, notamment dans le cadre
de projets complexes, multiniveaux, afin de favoriser échanges et itérations au sein d’un
écosystème d’affaires ou d’innovation (Delorme, 2019).
Pour dépasser les débats disciplinaires et intégrer la dimension entrepreneuriale, il nous
semble qu’un agenda complet doit intégrer les quatre fonctions précédemment identifiées
comme autant d’axes de recherche possibles. Le BM en tant que configuration soulève la
question des interactions, entre le BM et son environnement et entre ses propres
composantes. Si l’on considère le BM comme dépendant, de son environnement ou des
choix de l’entrepreneur par exemple, alors la question des facteurs d’évolution et
d’innovation se pose à plusieurs niveaux. Au niveau de l’individu, on pourra s’interroger
sur la place et l’impact de la « vision » entrepreneuriale dans le processus de création. Au
niveau de l’environnement, une approche stratégique classique poussera le chercheur à
questionner la nature des leviers impactant le développement du BM dans le cadre du
projet entrepreneurial. D’autres s’intéresseront à la dimension performative du BM, qui fait
aujourd’hui partie des axes de recherche particulièrement prometteurs. Si, à l’opposé, on
considère le BM comme une variable indépendante, se pose la question de la performance
de la firme. Ainsi, cela signifie-t-il, par exemple, que certains BM sont systématiquement
plus rentables que d’autres ? De manière plus large, les recherches concernant le BM en
tant que configuration pourront intégrer la dimension systémique, les interdépendances et
la notion de complexité (Foss et Saebi, 2018 ; Lanzolla et Markides, 2020). 
Concernant le BM en tant que schéma, cognitif ou formel, deux axes nous semblent à
privilégier. Le premier interroge le champ de référence et l’ancrage cognitif : les cadres de
référence sont-ils individuels ou collectifs, uniques ou partagés ? Comment l’entrepreneur
peut-il s’assurer de la bonne compréhension de son projet lorsqu’il le partage ? Les
schémas formels pourront aussi s’enrichir de nouvelles dimensions, témoignant des
préoccupations émergentes, notamment environnementales et sociales (Joyce et Paquin,
2016). En tant que support de la stratégie, la notion de valeur est au cœur du BM, dans sa
création mais aussi dans son partage (Desmarteau et al., 2020 ; Warnier et al., 2018).
Comment apprécier la création de valeur, notamment au-delà de sa dimension
économique ? Quelles sont les options de partage de la valeur qui s’offrent à
l’entrepreneur ? Processus ou résultat, voire processus et résultat dans son acception
pragmatiste, la valeur doit être précisée dans toutes ses dimensions. Enfin, en tant
qu’approche itérative et transformative, le BM peut se combiner avec d’autres cadres de
recherche, certains bien connus comme la Resource-Based View (Demil et Lecocq, 2010) ou
au contraire émergents tels que le Lean Startup (Bocken et Snihur, 2020).
Cette perspective nous amène à questionner la place du BM dans le processus
entrepreneurial : si les mécanismes de conception et de construction du BM sont largement
étudiés, au travers des quatre fonctions présentées dans ce chapitre, il ne faudrait pas
laisser de cô té sa mise en œuvre dans le projet entrepreneurial. Une vision simplificatrice
du projet, le réduisant à un schéma formel ou à une activité de conception autour d’un
modèle de revenu, mettrait en péril son développement. Cette simplification fait partie des
points de vigilance soulignés par la communauté scientifique, notamment envers les
entrepreneurs et les praticiens de l’accompagnement entrepreneurial. En cela, l’approche
entrepreneuriale du BM proposée par Verstraete et Jouison-Lafitte (2018), au travers du
modèle GRP, est une voie intéressante à explorer, en repositionnant les outils au service du
projet. On pourra ainsi s’interroger sur la dimension processuelle du BM en lui-même, et au
sein du processus entrepreneurial, sur les liens à établir entre ces deux dynamiques.
Terminons ce chapitre en abordant la portée normative du BM. À première lecture, celle-ci
se traduit comme une aide : l’approche par le BM a entraîné la mise en place de schémas de
conception, allant jusqu’à la création de typologies de BM. Ces schémas et typologies
doivent aider l’entrepreneur et ses partenaires potentiels dans leurs prises de décision.
Néanmoins, en deuxième lecture, cette dimension soulève deux points de vigilance : tout
d’abord, malgré l’existence de typologies ou de modèles préétablis, il serait illusoire de
penser créer une entreprise en choisissant un modèle « sur étagère ». Mais de manière
paradoxale, il est aujourd’hui difficile de porter un projet entrepreneurial sans faire
référence à son « business model ». L’entrepreneur doit s’approprier les outils et les codes
de l’écosystème entrepreneurial s’il souhaite se faire accompagner ou s’il recherche des
partenaires. Mais où et auprès de qui trouver les bonnes informations, les outils adaptés et
les bonnes pratiques ? Le développement du BM dans les écosystèmes entrepreneuriaux
est aujourd’hui intimement lié à la formation et à l’accompagnement entrepreneurial, que
doit nourrir la recherche.
En conclusion de ce chapitre et pour revenir à notre question liminaire, la réponse à « quel
est votre business model ? » semble finalement bien difficile à résumer en quelques mots
par le porteur d’un projet entrepreneurial. Cette réponse est pourtant une attente bien
réelle de la part des diverses parties prenantes du projet. Le rô le de la recherche est central
pour éclairer et outiller entrepreneurs et praticiens, et pour ce faire, nous pensons qu’il est
temps d’intégrer le BM comme un nouveau courant transdisciplinaire, permettant une
approche renouvelée dans les champs du management stratégique, de l’entrepreneuriat et
de l’innovation.

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1 La traduction de « business model » par « modèle d’affaires » n’est pas totalement satisfaisante, le mot français « affaires » ne recouvrant pas
exactement la notion de « business » en anglais. D’autre part, le « modèle économique » n’est qu’une partie d’un business model, excluant cette
traduction. Nous conserverons donc le terme anglais de business model, qui est aussi largement répandu chez les praticiens. Notons que l’on
trouve parfois l’orthographe business modèle.
Chapitre 9. Les compétences des entrepreneurs dans les
démarches d’innovation ouverte
Simona Grama-Vigouroux

Introduction
L’innovation ouverte (IO) constitue le nouveau paradigme pour faire de l’innovation
(Chesbrough et Bogers, 2014). Il met l’accent sur l’importance de l’implication d’un large
éventail d’acteurs et de sources externes pour réaliser et soutenir l’innovation interne
(Vanhaverbeke et al., 2018). Jusqu’à présent, une grande partie de la littérature sur l’IO
favorisait les grandes entreprises (Spender et al., 2017). Or, l’IO concerne tout type
d’entreprises et présente un réel intérêt particulièrement pour les start-up en raison du
manque de ressources auquel elles sont confrontées (Spender et al., 2017 ; Bogers et al.,
2017) et parce que le rô le de l’entrepreneur y est crucial dans l’élaboration de la stratégie
d’innovation (Spender et al., 2017 ; Grama-Vigouroux et Royer, 2020), pour notamment
explorer de nouvelles opportunités d’affaires, et s’engager personnellement dans le
développement d’un réseau d’innovation (Vanhaverbeke et al., 2018). La littérature
s’intéresse peu à l’IO dans les start-up (Bogers et al., 2017 ; Spender et al., 2017) alors
même que l’adoption de l’IO constitue une nécessité pour celles-ci afin de surmonter à la
fois leurs handicaps en termes de nouveauté et de taille (Eftekhari et Bogers, 2015). En
outre, les domaines de l’IO et de l’entrepreneuriat sont étroitement liés, au regard des
divers processus entrepreneuriaux sur lesquels reposent sur l’IO (e.g., l’exploration et
l’identification des opportunités, la mobilisation de ressources, la performance
entrepreneuriale), mais encore peu de recherches combinent les deux aspects, à l’exception
de quelques études (e.g., Spender et al., 2017 ; Bogers et al., 2017 ; Eftekhari et Bogers,
2015 ; Grama-Vigouroux et Royer, 2020). Il semble donc intéressant de chercher à articuler
les recherches sur l’IO au champ de l’entrepreneuriat.
Dans la plupart des recherches sur l’IO, l’accent est mis sur l’organisation comme unité
d’analyse (Bogers et al., 2018) et moins sur l’individu. La plupart des études sous-estiment
et n’examinent pas suffisamment l’aspect humain de l’IO, peu d’entre elles étudiant la façon
dont les individus font face aux défis de l’IO d’une part, leurs compétences d’autre part
(Podmetina et al., 2018 ; Bogers et al., 2018). L’étude des compétences individuelles pour
l’IO n’en est, pour l’instant, qu’au stade embryonnaire. Les compétences favorisant l’IO
n’ont été étudiées qu’assez récemment sur des professionnels de l’IO (Chatenier et al.,
2010 ; Podmetina et al., 2018 ; Bogers et al., 2018). Le travail séminal de Chatenier et al.
(2010) met en avant un profil constitué par quatre catégories de compétences pour l’IO : le
management de soi, le management des relations interpersonnelles, le management de
projet, le management du contenu des collaborations, auxquelles Grama (2013) a ajouté
une cinquième catégorie : le management technique.
Au regard de ces constats, l’objectif de ce chapitre est d’approfondir la connaissance des
compétences d’IO chez les entrepreneurs et d’établir un état de l’art sur le sujet. Ainsi, nous
présentons d’abord deux sections théoriques pour mieux situer l’IO et les compétences
entrepreneuriales. Ensuite, sont présentées les compétences en matière d’IO comme
catégorie de compétences entrepreneuriales nécessaires pour gérer l’IO ; la présentation
de différentes limites et voies de recherche sur le thème des compétences pour l’IO des
entrepreneurs clô ture ce chapitre.

1. Innovation ouverte et compétences entrepreneuriales : repérages pour une


fertilisation croisée
L’IO a été définie récemment comme : « …un processus d’innovation distribué basé sur des
flux de connaissances gérés de manière intentionnelle au-delà des frontières
organisationnelles, en utilisant des mécanismes pécuniaires et non pécuniaires en accord avec
le modèle économique de l’organisation » (Chesbrough et Bogers, 2014, p. 17) . Plutô t que de
1

s’appuyer sur la R&D interne, les organisations s’engagent actuellement de plus en plus
dans l’IO et leur focus change, passant d’un modèle d’innovation fermée à un modèle d’IO.
L’ouverture signifie que les frontières des organisations deviennent poreuses aux idées et
aux ressources qui peuvent y entrer et en sortir (Chesbrough et Bogers, 2014). Malgré
l’intérêt croissant des universitaires et des praticiens pour le concept d’IO, certains auteurs
soulignent l’importance qu’il y a à développer la théorie sur l’IO et à élargir le champ de l’IO
à de nouvelles perspectives. Pour Bogers et al. (2017), la relation entre l’IO et
l’entrepreneuriat est considérée comme essentielle pour analyser l’identification des
opportunités d’affaires par les entrepreneurs et elle se révèle utile pour étudier différents
types d’organisations et de contextes. De plus, Bogers et al. (2017) affirment que la
recherche qui combine les théories et les concepts tirés de deux domaines (i.e., IO et
entrepreneuriat) contribuerait à une compréhension plus approfondie de la façon dont les
diverses approches d’IO conduisent à une variété de phénomènes entrepreneuriaux. Par
exemple, les pratiques d’IO telles que l’acquisition de connaissances scientifiques,
technologiques et entrepreneuriales externes sont cruciales pour la réussite
entrepreneuriale (Spender et al., 2017).
1.1. Les différentes démarches d’IO
Les démarche d’IO comprennent trois grands types d’activités, en fonction des relations
nouées avec les partenaires : les activités « outside-in », les activités « inside-out » et les
activités « couplées » qui combinent celles citées précédemment (Yun et al., 2019). Ces
démarches sont également reconnues dans le champ de l’entrepreneuriat et pratiquées par
les entrepreneurs sous différentes formes (e.g., démarches intrapreneuriales, d’essaimage,
co-entreprise, etc.). Les activités « outside-in » comprennent les partenariats avec
différentes parties prenantes telles que les clients, les fournisseurs, les centres de
recherche et les concurrents en vue d’améliorer l’innovation interne (Vanhaverbeke et al.,
2018). Les entrepreneurs peuvent pratiquer ces activités, par exemple, dans des espaces de
coworking où les entrepreneurs peuvent développer leurs projets en collaborant avec leurs
pairs favorisant la créativité collective (Capdevilla, 2015). En effet, les espaces de
coworking permettent aux entrepreneurs innovants de créer plus facilement un
intermédiaire d’IO favorisant les contacts multiples et capables de soutenir des
dynamiques de collaboration multiacteurs. Outre les espaces de coworking, les living labs
sont également des intermédiaires d’IO qui facilitent les activités de outside-in en
permettant d’intégrer de nombreux acteurs hétérogènes sur un tiers lieu adapté aux
spécificités d’un territoire (Fasshauer et Zadra-Veil, 2020). L’émergence de ces
intermédiaires de l’IO donnent également naissance à des profils d’individus hybrides
appelés « slashers », qui peuvent ainsi être à la fois salariés et autoentrepreneurs (Bohas et
al., 2018). Le phénomène d’hybridation est également organisationnel, les entreprises
développant de plus en plus des politiques d’IO qui consistent souvent à mélanger salariés
(intrapreneurs) et entrepreneurs sur une même plateforme (Bohas et al., 2018).
Les activités « inside-out » comprennent la commercialisation de licences ou de
technologies non utilisées (Yun et al., 2019). En effet, certains entrepreneurs optent pour
commercialiser leurs brevets et des accords de licences dans des entreprises dérivées
appelées spin-off afin de conquérir de nouveaux marchés (Remon, 2012). Grâ ce aux spin-off,
les employés d’une entreprise peuvent devenir des entrepreneurs en créant de nouvelles
entreprises avec le soutien de la société mère, celle-ci leur fournissant les connaissances
internes et les services financiers, le capital humain, les services juridiques et
administratifs nécessaires (Yun et al., 2019). En plus de la vente de leur propriété
intellectuelle ou de leurs licences, l’externalisation des activités (l’outsourcing) constitue
pour les entrepreneurs une autre façon de générer de la valeur grâ ce à de nouvelles
connaissances, des compétences, un développement plus rapide et un partage des coû ts
avec les partenaires de l’IO (Hong et Kim, 2020).
Les activités « couplées » impliquent des collaborations dans le développement conjoint
de produits, de technologies et de connaissances. Ces collaborations peuvent se développer
au sein d’une structure organisationnelle, comme des consortiums de concurrents, de
fournisseurs et de clients, des entreprises et des alliances stratégiques. Les partenariats de
codéveloppement ou les coentreprises sont un type d’activité d’IO couplée qui peut
accroître tant la rentabilité que la capacité d’innovation (Yun et al., 2019). Les
coentreprises et le codéveloppement peuvent améliorer le rendement de la R&D interne en
tirant parti des capacités du partenaire. Les coentreprises peuvent servir de canaux d’IO et
représentent une forme de partenariat souvent utilisé par les entrepreneurs comme phase
intermédiaire de croissance ou de collaboration. Par exemple, beaucoup de ces types
d’alliances stratégiques apparaissent dans le secteur des télécommunications (Yun et al.,
2019). Les risques liés à la coentreprise peuvent être liés au contrô le de la gestion et des
actifs et aux conflits fréquents entre les partenaires (Lepage et Cheriet, 2019).
1.2. De la grande entreprise à la start-up
Ces activités d’IO ont été analysées initialement dans les grandes entreprises innovantes
en examinant leurs écarts par rapport aux méthodes traditionnelles d’innovation
(Vanhaverbeke et al., 2018). En ce sens, un exemple d’IO dans une grande entreprise est
l’iPod d’Apple, où le concept initial a été proposé par un entrepreneur externe (i.e., Tony
Fadell), le système iPod a été développé par une équipe de personnes issues de plusieurs
entreprises externes (e.g., Philips, Ideo, General Magic) tandis que la conception technique
a été gérée par une alliance de plusieurs acteurs (i.e., Wolfson, Toshiba et Texas
Instruments). D’autres entreprises multinationales peuvent répartir les activités
d’innovation en fonction des forces de centres de recherche externes, ce qui leur permet de
rester à l’avant-garde et de lancer de nouveaux produits ou services sur les marchés avant
leurs concurrents (Bigliardi et al., 2021). Ces auteurs indiquent que si les premiers travaux
se sont concentrés sur l’adoption de l’IO dans les grandes entreprises multinationales, ces
dernières années, les PME ont commencé à adopter de plus en plus l’IO, mais toujours
moins que les multinationales en raison des contraintes de ressources et des limites
d’échelle.
L’IO ne concerne pas seulement la grandes entreprises et les PME, mais tout type
d’organisation, quelle que soit son ancienneté sur le marché. Les start-up sont des
organisations intrinsèquement ouvertes, nécessairement engagées dans des processus d’IO
(Spender et al., 2017). Selon la définition de Blank et Dorf (2020, p. XVII), une start-up est
une organisation temporaire conçue pour rechercher un modèle économique reproductible
et évolutif, travaillant dans des conditions d’extrême incertitude. Les recherches existantes
indiquent que la formation de relations avec des partenaires externes est une priorité pour
le succès des start-up (Spender et al., 2017). En raison de leur petite taille, les start-up
souffrent d’un manque structurel de ressources matérielles et immatérielles (Eftekhari et
Bogers, 2015). En effet, les start-up ont peu d’expérience opérationnelle et tentent de
fonctionner en s’appuyant sur des routines immatures et non affinées, étant incapables de
supporter une période prolongée de mauvaises performances. L’adoption de pratiques d’IO
demeure une nécessité pour les start-up, afin de surmonter leur manque de ressources
(Eftekhari et Bogers, 2015). Malgré l’évidente relation de proximité entre les start-up et
l’IO, les recherches sur cette question sont encore très peu nombreuses (Spender et al.,
2017). Pour dépasser la faible reconnaissance sur le marché, les start-up peuvent s’associer
à un grand groupe déjà connu, par exemple pour avoir accès aux ressources nécessaires et
à une bonne réputation. Récemment, Bertin (2019) a mis en évidence les facteurs qui
facilitent les relations entre les start-up et les grandes entreprises, qui sont liés à quatre
types d’aspects : internes à la start-up, internes à la grande entreprise, inter-
organisationnels et écosystémiques. Pour gérer ces activités d’IO, les entrepreneurs ont
besoin de compétences spécifiques. Les start-up étant souvent associées à la personne de
l’entrepreneur (Spender et al., 2017), les compétences de l’entreprise peuvent être
associées à celles de l’entrepreneur. Les travaux dans le domaine des compétences de l’IO
s’inscrivent dans la continuité des recherches sur les compétences entrepreneuriales
(Grama-Vigouroux, 2017 ; Grama, 2013).

2. Les compétences pour l’innovation ouverte : des compétences entrepreneuriales


Les compétences pour l’IO constituent des compétences entrepreneuriales mais utilisées
plus intensivement dans des contextes d’IO (Grama-Vigouroux, 2017 ; Bogers et al., 2018 ;
Spender et al., 2017). Nous nous intéressons aux compétences du dirigeant de la start-up et
examinons donc le niveau de compétence individuel. Ces compétences sont indissociables
de l’individu qui les met en œuvre (Grama-Vigouroux, 2017). La littérature relative aux
compétences entrepreneuriales a connu plusieurs changements de paradigme. Tout
d’abord, la littérature a privilégié une approche fondée sur les traits personnels, qui a
prévalu jusqu’au milieu des années 1980. Elle était fondée sur l’idée que les
caractéristiques psychologiques et les attributs personnels de l’entrepreneur sont les seuls
responsables de l’activité entrepreneuriale (Greenberger et Sexton, 1988 ; Gartner, 1988).
Sachant que cette approche ne tenait pas compte des actions concrètes de l’entrepreneur,
un deuxième courant de recherche a été proposé dans les années 1990, se concentrant sur
les comportements adoptés tout au long du processus entrepreneurial (Chandler et Jansen,
1992 ; Alsos et Kolvereid, 1998). Les classifications appartenant à ce courant sont
influencées par celle proposée initialement par Chandler et Jansen (1992) incluant : des
compétences de recherche d’opportunités ; des compétences d’effort intensif ; des
compétences conceptuelles ; des compétences humaines ; des compétences politiques ; des
compétences technico-fonctionnelles. La troisième approche est une approche
multidimensionnelle qui indique que les compétences entrepreneuriales font référence à
l’intégration de différents éléments nécessaires à la performance entrepreneuriale : la
compétence cognitive (connaissances en entrepreneuriat), la compétence fonctionnelle
(compétences liées au savoir-faire entrepreneurial) et la compétence comportementale
(savoir se comporter) (Mitchelmore et Rowley, 2010). Dans le même ordre d’idées,
Gumusay et Bohne (2018) ont récemment défini les compétences entrepreneuriales
comme des caractéristiques améliorables de plus haut niveau, comprenant des traits de
personnalité, des aptitudes et des connaissances qui permettent d’accomplir avec succès le
métier d’entrepreneur.
2.1. Compétences entrepreneuriales et phases du processus entrepreneurial
Les compétences entrepreneuriales diffèrent en fonction des différentes phases du
processus entrepreneurial (Omrane et al., 2011 ; Gonzalez-Lopez et al., 2020 ; Gumusay et
Bohne, 2018). Ces phases s’articulent autour de trois étapes : (1) le déclenchement du
processus entrepreneurial ; (2) l’engagement entrepreneurial lorsque l’entrepreneur
consacre l’essentiel de ses ressources à la mise en place du projet et (3) la survie et le
développement de l’entreprise créée lorsque l’entreprise nouvellement créée dépasse son
seuil de rentabilité et qu’elle devient viable et peut prospérer.
Dans la phase de déclenchement du processus entrepreneurial, l’influence est
principalement due à des facteurs liés à l’entrepreneur (e.g., les compétences
émotionnelles, la perception de l’opportunité entrepreneuriale et les compétences
d’identification). De plus, le sentiment d’auto-efficacité entrepreneuriale a une grande
utilité pour cette phase (Mwiya et al., 2019). Kickul et al. (2009) suggèrent que lorsque les
individus traitent l’information de manière plus intuitive, ils affichent une plus grande
perception d’auto-efficacité pour la recherche d’opportunités entrepreneuriales, tandis que
ceux qui adoptent un mode plus analytique se fient davantage à leurs capacités pour la
planification et la mobilisation des ressources. Dans les deux autres phases d’engagement
et de survie-développement, l’accent est davantage mis sur l’influence des facteurs
interpersonnels et organisationnels (e.g., propension à apprendre, compétences sociales et
relationnelles, compétences en matière de développement de projet, etc.). Dans la
deuxième phase, les compétences liées à l’engagement sont considérées comme
particulièrement importantes et représentent un pont entre les intentions
entrepreneuriales et le comportement entrepreneurial (Adam et Fayolle, 2015).
L’engagement est positivement associé aux premières actions entrepreneuriales telles que
les stratégies de recherche et les activités organisationnelles et il est essentiel pour
l’émergence d’une nouvelle entreprise (i.e., le rô le de champion) (Rasmussen et al., 2011).
Dans la troisième phase, les compétences stratégiques et d’organisation deviennent
centrales, permettant de déterminer comment atteindre l’objectif choisi et de développer
des plans spécifiant quand, où et comment le comportement doit être réalisé (Omrane et
al., 2011). Tant les compétences stratégiques (e.g., la capacité perçue de planification et
d’attribution des tâ ches, l’évaluation des tendances du secteur d’activité, etc.), que les
compétences organisationnelles (e.g., la planification des activités, la coordination des
tâ ches, l’organisation et la gestion des ressources), ont une influence sur le déroulement
des tâ ches de planification et de préparation de la création d’une entreprise (Gonzalez-
Lopez et al., 2020). L’entrepreneur doit donc combiner intelligemment ces compétences,
multiples mais complémentaires dans une démarche progressive afin d’augmenter les
chances de succès de son projet. Dans le contexte de l’IO, les entrepreneurs utilisent
spécifiquement ces compétences en faisant appel à certaines d’entre elles de manière plus
intensive, ce qui sera décrit plus loin.
2.2. La gestion des activités d’IO en start-up : un besoin de compétences spécifiques
Pour gérer les différentes activités d’IO, les entrepreneurs ont besoin de compétences
spécifiques (Podmetina et al., 2018 ; Bogers et al., 2018). Cependant, malgré l’importance
des entrepreneurs dans la réussite de leur start-up, les recherches sur l’IO se sont
beaucoup concentrées sur les compétences organisationnelles et moins sur les
compétences individuelles (Podmetina et al., 2018 ; Bogers et al., 2018 ; Grama-Vigouroux,
2017). Par exemple, dans la phase de génération d’idées et de conception, il est nécessaire
de disposer de formes plus exploratoires de compétences organisationnelles afin de fournir
un maximum de flexibilité et d’absorption de connaissances dans le processus d’innovation,
telles que la capacité d’identification et d’assimilation des connaissances, la capacité
dynamique et la capacité d’invention (Hafkesbrink et Schroll, 2014). En revanche, pour les
phases ultérieures du processus d’innovation, des formes de compétences
organisationnelles plutô t exploitatrices sont nécessaires pour garantir une exploitation
efficace des nouvelles connaissances, comme le transfert et la valorisation des
connaissances, la routinisation et l’efficacité (Hafkesbrink et Schroll, 2014). Dans le
contexte de l’IO, une organisation doit utiliser les deux types de compétences
organisationnelles et doit se révéler « ambidextre », c’est-à -dire capable de s’adapter aux
nouvelles idées et conceptions, tout en ayant l’habilité de gérer les phases du processus
d’innovation qui nécessitent une gestion plus stricte (Hafkesbrik et Scroll, 2014). Selon
Hafkesbrik et Schroll (2014), bien que l’ambidextrie soit une caractéristique
organisationnelle, elle se manifeste dans les actions spécifiques des individus à travers
l’organisation. Comme la recherche actuelle manque d’études empiriques, il est difficile
d’établir une relation claire entre les compétences organisationnelles et individuelles pour
l’IO (Podmetina et al., 2018). De plus, et en particulier dans le cas des start-up, où la
division des tâ ches n’est pas nécessairement appropriée car dans de nombreux cas, la start-
up est identifiée à l’entrepreneur, il existe des défis complexes d’ambidextrie contextuelle
dans le sens où un entrepreneur doit remplir simultanément différents rô les dans le
processus d’innovation, ce qui peut causer de nombreuses tensions (Hafkesbrink et Scroll,
2014). Il s’avère donc nécessaire de mieux connecter et comprendre la relation entre les
compétences organisationnelles et individuelles pour l’IO en tenant compte du contexte
organisationnel (Hafkesbrink et Schroll, 2014). D’autres auteurs s’accordent sur la
nécessité de souligner davantage le cô té humain de l’IO (Bogers et al., 2018). Pour cette
raison, nous nous concentrons désormais sur les compétences individuelles pour l’IO.
3. Innovation ouverte : à propos des compétences individuelles de l’entrepreneur
Le thème des compétences individuelles pour l’IO n’en est encore qu’à ses débuts. Certains
travaux académiques ont déjà exploré le sujet spécialement sur des professionnels de l’IO,
en s’appuyant sur le travail séminal de Du Chatenier et al. (2010) (e.g., Grama, 2013 ;
Hafkesbrink et Schroll, 2014 ; Podmetina et al., 2018 ; Bogers et al., 2018). Dans ce travail,
Du Chatenier et al. (2010, p. 273) définissent les compétences pour l’IO comme « …les
caractéristiques comportementales soutenant les activités ou tâches et défis (suivants) : gérer
les processus de collaboration inter-organisationnelle, gérer le processus d’innovation, créer
des nouvelles connaissances en collaboration ». Plus spécifiquement, le profil des
compétences proposé pour l’IO inclut 34 capacités qui sont regroupées en quatre
catégories définies par leur objet : le management de soi, le management interpersonnel, le
management du projet et le management du contenu des collaborations. Cette liste de
compétences est toutefois limitée aux compétences managériales principalement
relationnelles, à l’exclusion de compétences plus techniques. Pour compléter ce profil de
compétences, Grama (2013) a ajouté cinq capacités techniques nécessaires à l’IO à partir de
la littérature managériale (Lindegaard, 2010 ; Mortara et al., 2009) comme, par exemple :
être à l’aise avec les technologies externes et internes de l’entreprise ; gérer la propriété
intellectuelle ; gérer les finances. Nous avons regroupé toutes les catégories liées aux
compétences pour l’IO dans l’annexe 1, pour mieux les exposer dans les paragraphes
suivants.
3.1. Les compétences liées au management de soi
Les compétences liées au management de soi sont liées à la personnalité des
entrepreneurs et elles influencent le succès de la phase de démarrage entrepreneurial
(Gonzalez-Lopez et al., 2020). Elles représentent, selon Gonzalez-Lopez et al. (2020), un
élément essentiel de la réussite entrepreneuriale. Elles semblent l’être également pour les
démarches d’IO, car elles participent au développement des compétences liées aux tâ ches
d’IO (i.e., management des relations interpersonnelles, management de projet et
management du contenu des collaborations) (du Chatenier et al., 2010 ; Grama, 2013).
Pour s’engager dans les démarches de l’IO, les entrepreneurs se lancent dans un processus
d’auto-apprentissage, souvent considéré comme un outil important pour l’amélioration des
performances entrepreneuriales et nécessitant une base théorique large et
multidimensionnelle (Markowska et Wiklund, 2020). Cette capacité d’auto-apprentissage,
importante dans le contexte de l’IO, est également liée à la vigilance entrepreneuriale
nécessaire dans la phase d’initiation du processus entrepreneurial, permettant à
l’entrepreneur de percevoir positivement les opportunités qui s’offrent à lui dans son
environnement, ainsi qu’aux compétences informationnelles lui permettant de rechercher,
collecter, classer et exploiter les informations pouvant servir de base à une bonne gestion
du processus entrepreneurial (Gonzalez-Lopez et al., 2020). Cette capacité d’apprentissage
renvoie également à la capacité de l’entrepreneur à absorber les connaissances dont il a
besoin (Omrane et al., 2011).
Lorsqu’ils se lancent dans une démarche d’IO, les entrepreneurs sont confrontés à
diverses nouveautés constituées, d’une part, de nouvelles idées ou connaissances, d’autre
part, des différents partenaires. Par exemple, Simô es et al. (2012) ont constaté que les
entrepreneurs des spin-off universitaires qui impliquent les partenaires externes de
l’industrie sont davantage susceptibles de commercialiser leur technologie. La gestion
émotionnelle dans un contexte multiculturel de l’IO fait référence à la compétence
interculturelle des entrepreneurs ; elle les aide à utiliser les différences culturelles comme
une ressource d’apprentissage en vue de générer des réponses efficaces (Spender et al.,
2017). La relation avec les partenaires fait également référence à la capacité d’empathie
des entrepreneurs, pour faciliter leurs relations avec leurs pairs et les différents acteurs
dans les activités d’IO en réduisant le sentiment d’isolement (Grama-Vigouroux, 2017). La
gestion du stress constitue également un aspect important des activités IO et
entrepreneuriales, notamment générée par l’absence de ressources (Spender et al., 2017).
Un plus grand sentiment de contrô le personnel peut servir de précurseur à une meilleure
implication dans les initiatives entrepreneuriales (Gonzalez-Lopez et al., 2020).
3.2. Les compétences de management des relations interpersonnelles
Les compétences liées au management des relations interpersonnelles sont impliquées
dans la création du capital social de l’entrepreneur, elles se révèlent essentielles dans le
contexte de l’IO (Spender et al., 2017). Ces compétences sont également propres à la phase
de l’engagement, ainsi qu’à celle de la survie et du développement du processus
entrepreneurial (Gonzalez et Lopez et al., 2020). Schott et Sedaghat (2014) indiquent que la
mise en réseau dans la sphère privée a un effet négatif sur l’innovation, alors que des
avantages substantiels pour l’innovation sont obtenus par la mise en réseau dans la sphère
publique.
Inspirer de la confiance dans les relations avec les partenaires est une compétence
essentielle pour les entrepreneurs dans les activités d’IO. Cette confiance leur permet
d’adopter des positions où ils peuvent aider et agir pour les autres, si leurs différents
partenaires le souhaitent, créant ainsi de nombreuses opportunités de co-création et de
partenariats (Grama-Vigouroux et al., 2020). L’intelligence sociale constitue également une
compétence essentielle pour réussir dans les relations avec les autres, notamment dans le
cadre des démarches d’IO (Vanhaverberke et al., 2018). Certains entrepreneurs ont une
bonne intelligence sociale, qui se traduit par un sentiment de compréhension des autres,
tandis que d’autres peuvent se révéler narcissiques et avoir un fort désir de pouvoir et de
domination, caractéristiques pouvant se révéler préjudiciables aux activités d’IO (Grama-
Vigouroux, 2017). La communication efficace est une autre compétence que les
entrepreneurs utilisent au sein des réseaux d’IO. Par exemple, la communication ouverte et
de soutien, la maximisation de la cohérence entre les messages non verbaux et verbaux et
l’interprétation des messages non verbaux des autres, ainsi que les petites conversations et
les rituels sont des ingrédients importants pour le succès d’une activité d’IO (Bigliardi et al.,
2021). Ces compétences liées au management des relations interpersonnelles peuvent être
mobilisées dans les réseaux d’IO afin d’améliorer les résultats de l’innovation.
3.3. Les compétences liées au management de projet
Si ces compétences sont importantes dans la phase d’engagement entrepreneurial,
spécialement dans la rédaction du business plan, elles deviennent vitales dans la phase de
développement et de survie du projet entrepreneurial (Gonzalez-Lopez et al., 2020) ainsi
que pour la gestion des activités de l’IO (Bogers et al., 2018). Dans le contexte de l’IO
l’entrepreneur exerce des compétences en méthode et conduite de projet, notamment en ce
qui concerne la planification du projet d’IO, le découpage et la décomposition formalisés
des éléments du projet, la répartition et la division des tâ ches dans le temps (Grama-
Vigouroux, 2017). Avant d’entamer la gestion concrète d’une activité de l’IO, les
entrepreneurs exercent différentes formes de comportements exploratoires afin de se
familiariser avec la situation liée au projet. Certains entrepreneurs possèdent une curiosité
divergente, incluant la recherche de la nouveauté ou de la complexité, et motivée par un
état d’ennui (du Chatenier et al., 2010). D’autres font preuve d’une curiosité épistémique,
définie comme étant motivée par la nécessité de résoudre des questions incertaines et les
entrepreneurs de cette catégorie sont plus tentés de s’engager dans des activités d’IO. La
coordination et la synchronisation des activités, des informations et des tâ ches entre les
membres de l’équipe, ainsi que l’aide apportée à l’équipe pour établir les rô les qui
garantissent un équilibre adéquat de la charge de travail, constituent des atouts importants
pour le bon déploiement des activités d’IO et pour les résultats en matière d’innovation de
start-up (Vanhaverbeke et al., 2018).
3.4. Les compétences liées au management du contenu des collaborations
Ces compétences sont utiles dans la phase d’engagement de l’entrepreneur, lorsque celui-
ci entre en contact avec les différentes parties pour s’accorder sur les besoins du projet et
demander un soutien, notamment aux structures d’appui, mais aussi dans la phase de
développement et de survie, lorsque l’entrepreneur gère ses ressources et mène à bien son
projet (Omrane et al., 2011). Dans les activités d’IO, le rô le des entrepreneurs est de
prendre la responsabilité de réduire les coû ts de communication, d’asymétrie
d’information et d’incertitude pour faciliter la communication avec différents partenaires
(Vanhaverbeke et al., 2018). Pour gérer le contenu des interactions avec les différentes
parties prenantes, les entrepreneurs utilisent un jargon professionnel commun, reconnu
par les pairs, en particulier pendant la phase de développement et survie du processus
entrepreneurial afin de ne pas miner, patronner, tromper ou offenser les autres (Omrane et
al., 2011 ; Gonzalez-Lopez et al., 2020). De même, la recherche de significations communes
est particulièrement aiguë dans le domaine des partenariats liés aux activités d’IO. La
négociation offre aux entrepreneurs un moyen concret de mettre à profit les compétences
d’observation, d’écoute et d’expérimentation, ainsi que celles de réflexion, d’expression et
d’enquête, pour rendre les interactions interculturelles spécifiques à l’IO plus efficaces
(Vanhaverbeke et al., 2018). L’efficacité et la réussite des projets spécifiques à
l’environnement de l’IO dépendent de la capacité des entrepreneurs à utiliser leurs
compétences de manière flexible et créative en fonction des besoins spécifiques de chaque
situation (Spender et al., 2017).
3.5. Les compétences techniques de l’entrepreneur
Les compétences techniques sont essentielles surtout dans la phase d’engagement
entrepreneurial, quand l’entrepreneur élabore son business plan, et réalise l’enregistrement
juridique et l’implantation de la nouvelle entreprise, mais ces compétences facilitent aussi
la gestion des différentes ressources dans la phase de développement et survie du
processus entrepreneurial (Gonzalez-Lopez et al., 2020 ; Omrane et al., 2011). De même,
savoir utiliser les plateformes d’IO représente une condition préalable pour faciliter la
collaboration avec les partenaires dans le contexte de l’IO (Hafkesbrink et Schroll, 2014).
Les compétences financières des entrepreneurs sont liées aux différents paramètres,
notamment la tenue de registres, la connaissance des différentes institutions financières,
plans d’épargne et d’investissement, la gestion de l’épargne et les différentes politiques de
crédit ou de prêt (Gupta et Kaur, 2014). L’absence d’un budget dédié à l’IO et une mauvaise
gestion financière peuvent nuire à la réussite du projet (Vanhaverbeke et al., 2018 ;
Bigliardi et al., 2021).
Au-delà des compétences financières, les entrepreneurs se doivent également de gérer la
propriété intellectuelle (i.e., droits de propriété intellectuelle ; investissements dans les
technologies ; barrières à l’adoption de la technologie, etc.), particulièrement critiques pour
les activités d’IO. Le régime de protection de la propriété intellectuelle du pays influence la
manière dont les entrepreneurs gèrent la propriété intellectuelle et encourage une certaine
spécialisation parmi les entrepreneurs. Par exemple, beaucoup d’efforts politiques sont
généralement dirigés vers les aspects de génération de connaissances, en négligeant le rô le
crucial des aspects liés à l’exploitation des connaissances de l’écosystème entrepreneurial
(Grama-Vigouroux et Royer, 2020).

Conclusion et perspectives de recherche


L’objectif de ce chapitre était d’explorer les différentes compétences de l’entrepreneur
nécessaires dans les démarches d’IO. À cet effet, nous avons défini l’IO et mis en évidence
les différentes démarches de l’IO (i.e., les activités outside-in, inside-out et couplées) dans
les grandes entreprises, mais surtout dans les start-up, encore largement négligées par la
recherche (Spender et al., 2017). Pour cette gestion des processus d’IO, les entrepreneurs
ont besoin de compétences spécifiques, d’autant que la start-up se caractérise par une
concentration des compétences sur son dirigeant. À ce titre, nous avons mis en évidence les
particularités des compétences entrepreneuriales, selon les phases du processus
entrepreneurial (i.e., le démarrage, l’engagement entrepreneurial et le développement et la
survie du projet entrepreneurial). Puis nous avons présenté les particularités des
compétences d’IO appréhendées comme les compétences entrepreneuriales les plus
intensément utilisées en contexte d’IO (Bogers et al., 2018). Ces compétences ont été
traitées timidement dans certaines études académiques (e.g., Grama, 2013 ; Hafesbrink et
Schroll, 2014 ; Podmentina et al., 2018 ; Bogers et al., 2018) et ont été influencées par le
travail séminal de Du Chatenier et al. (2010) (autour de 34 compétences réparties en
quatre catégories), complété par celui de Grama (2013). Ce dernier a proposé d’ajouter une
cinquième catégorie, à savoir le management technique, à partir de la littérature
managériale (Mortara et al., 2009 ; Lindegaard, 2010).
Notre chapitre apporte plusieurs contributions théoriques : pour le champ de
l’entrepreneuriat, des indications sur les compétences en matière d’IO des entrepreneurs ;
pour le domaine de l’IO, une meilleure compréhension de l’aspect humain de l’IO (Bogers et
al., 2018) en montrant les caractéristiques des compétences en IO détenues par les
entrepreneurs. En termes d’implications managériales, mieux connaître les compétences
nécessaires à l’IO peut motiver les entrepreneurs à les acquérir par un processus d’auto-
apprentissage (par exemple, tirer profit de leur réseau et trouver des partenaires
possédant déjà les compétences recherchées), ou à s’engager dans des programmes de
formation (Markowska et Wiklund, 2020).
Au-delà de ces premières contributions, des recherches plus poussées devraient se
concentrer sur le lien entre ces compétences et la performance des start-up (Grama-
Vigouroux, 2017). Pour le moment, une étude empirique récente (Grama, 2013) nous
apprend que les compétences pour l’IO liées au management de soi impactent le
développement des compétences pour l’IO liées au management des tâ ches d’IO (i.e.,
management interpersonnel, management de projet et management des contenus de
collaborations). Par ailleurs, cette étude montre également que les entrepreneurs sont
souvent moins armés en termes de compétences liées au management technique et que les
compétences d’IO influencent l’utilisation des services délivrés par les incubateurs
d’affaires et ainsi la performance des start-up incubées que ce soit en termes d’innovation
ou de compétitivité. Cependant, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour
mieux appréhender l’impact spécifique de chacune des catégories liées aux compétences
pour l’IO sur la performance, et pour prendre en considération d’autres contextes d’étude.

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Annexe 1. La liste détaillée des compétences pour l’innovation ouverte des entrepreneurs 2

Les comptétences pour l’innovation ouverte


Le management de soi
A une motivation pour apprendre de nouvelles choses
A une bonne estime de soi
Sait gérer ses sentiments
A une persévérance dans ses actions
Peut gérer des tensions créées par les multiples tâ ches attribuées
Le management des relations interpersonnelles
Est honnête dans ses actions
Partage les informations avec les autres
Agit d’une manière professionnelle dans ses actions
Cherche un équilibre entre ses intérêts et les intérêts des autres
Inspire de la confiance aux autres
Exprime de la compréhension et de l’empathie envers les autres
Sait comment définir sa position dans les relations avec les autres
Est assertif dans ses actions
Est capable de construire des réseaux
Le management du projet
Est attiré par les nouveautés
Est capable de voir les opportunités de business
Est proactif
Est capable de fixer des objectifs
Sait comment coordonner et synchroniser les activités
Est capable d’identifier les ressources humaines et matérielles nécessaires à l’aboutissement du projet
Est capable de superviser, d’évaluer et de donner du feed-back
A une image de l’ensemble du projet
Sait harmoniser les buts à court terme avec ceux liés à long terme
Sait faire face à l’incertitude et au chaos
Le management du contenu des collaborations 2
S’exprime clairement
Est critique mais de manière constructive
Est expérimenté dans le travail en réseau et en partenariats
É coute d’une manière active
Respecte les autres, apprécie leurs valeurs
Apporte de nouvelles solutions
Sait fixer des limites dans les négociations avec les autres
Sait reconnaître les sources des problèmes et conflits
Emploie plus de stratégies gagnant-gagnant que des stratégies gagnant-perdant
Le management technique
Sait utiliser les logiciels sociaux (Twitter, Facebook, etc.)
Comprend la technologie exploitée pour l’innovation de nouveaux produits/services/procédés
A des connaissances concernant le management de la propriété intellectuelle
Sait faire des analyses de risque
Est capable de fixer des budgets
Source : adapté sur la base de Du Chatenier et al. (2010) et Grama (2013)

1 “We define open innovation as a distributed innovation process based on purposively managed knowledge flows across organizational boundaries,
using pecuniary and non-pecuniary mechanisms in line with the organization’s business model.” (Chesbrough et Bogers, 2014, p. 17)
2 La compétence « Explore des hypothèses en sachant quand et comment interrompre un fonctionnement automatique » n’a pas été incluse dans
le tableau à la suggestion de Du Chatenier et al. (2010).
Chapitre 10. Accompagnement entrepreneurial et business
models d’incubateur
Amandine Maus

Introduction
Chaque année en France, un nouveau record du nombre de créations d’entreprises est
annoncé. À titre d’exemple, en 2020, 848 164 entreprises ont été créées avec une
croissance de 4 % par rapport à 2019. Ce contexte de fort dynamisme entrepreneurial est
encouragé par les pouvoirs publics français. Un soutien financier public est notamment
apporté pour développer l’activité des incubateurs d’entreprises, organisations qui ont
pour mission d’accroître les chances de survie des jeunes entreprises. La Commission
nationale d’évaluation des politiques d’innovation (2016) indique que dans le domaine de
l’innovation en France, un budget de 1,4 milliard d’euros est investi par an pour ces
organisations.
Malgré ce contexte favorable à l’entrepreneuriat, depuis le début des années 2000, les
incubateurs font face à un environnement de plus en plus incertain et turbulent (Ahmad et
Thornberry, 2018 ; Lamine et al., 2018). Cet environnement les force à se recentrer sur
eux-mêmes et à s’adapter pour assurer leur survie. Les recherches en entrepreneuriat
tentent de mieux rendre compte de ces transformations en cours en mobilisant des
concepts du management stratégique, ouvrant la voie à un nouveau courant de recherche
stratégique (Baraldi et Ingemansson Havenvid, 2016). Le concept de business model y est
notamment utilisé (Pauwels et al., 2016 ; Cohen et al., 2019). Il est particulièrement
pertinent à mobiliser dans le contexte actuel, car il se focalise sur la façon dont les
organisations créent, proposent et capturent de la valeur (Warnier et al., 2018 ; Best et al.,
2021). La question de la valeur créée, proposée et capturée est primordiale pour les
incubateurs (Calmé et al., 2016 ; Pauwels et al., 2016 ; Cohen et al., 2019). Elle les conduit à
redéfinir leur offre d’accompagnement pour tirer leur épingle d’un jeu concurrentiel de
plus en plus intense (Cohen et al., 2019). L’objectif est d’être plus innovant et plus pertinent
que la concurrence afin d’attirer l’attention des entrepreneurs et l’intérêt des financeurs.
Dans ce cadre, nous nous focalisons sur la question suivante pour structurer ce chapitre :
comment le concept de business model est-il mobilisé dans la littérature du champ de
l’entrepreneuriat pour étudier l’adaptation des incubateurs ?
Pour y répondre, nous explorons la littérature sur les incubateurs. Dans un premier temps,
nous abordons la définition donnée à ces organisations et les apports du courant
stratégique à leur étude. Dans un deuxième temps, nous nous focalisons sur le concept de
business model et sur sa mobilisation pour appréhender les transformations des
incubateurs. Dans un troisième temps, nous concluons sur des pistes de recherche pour de
futurs travaux dans le domaine des business models d’incubateur.

1. Définition des concepts et apports du courant stratégique dans la littérature sur


les incubateurs
Les incubateurs sont des organisations qui se sont largement développées dans le monde
dès les années 1980 (Bruneel et al., 2012). Elles ont pour mission d’accompagner des
projets entrepreneuriaux et de jeunes entreprises en leur fournissant de nombreuses
ressources (Bergek et Norrman, 2008 ; Dutt et al., 2016 ; van Rijnsoever, 2020). La
littérature scientifique s’intéresse désormais à leurs stratégies, propositions de valeur et
business models qu’elles adaptent pour faire face à un contexte particulièrement changeant
(Ahmad et Thornberry, 2018 ; Baraldi et Ingemansson Havenvid, 2016).
1.1. Incubateurs, des organisations stratégiques
Le terme « incubateur » est défini par Bergek et Normann (2008) comme « une
dénomination générale qui regroupe des organisations qui constituent ou créent des
environnements propices à “l’éclosion” ou au développement de nouvelles entreprises » (p.
20). Ce terme nous permet de nous inscrire dans la littérature scientifique internationale 1

qui s’intéresse aux organisations qui accompagnent l’entrepreneuriat (Bakkali et al., 2013 ;
Vedel et Gabaret, 2013). L’origine du mot « incubateur » provient, selon Aernoudt (2004),
du terme « incubatio » qui qualifie des lieux de culte grecs ou romains permettant d’obtenir
des remèdes aux maladies. Aernoudt (2004) rappelle également que les incubateurs sont
aujourd’hui des instruments médicaux utilisés pour apporter les ressources nécessaires à
la survie et au bon développement d’enfants prématurés. Les incubateurs d’entreprises ont
ce même rô le nourricier pour les start-up qu’ils accompagnent (Amezcua et al., 2020). Leur
mission est de collecter et de coordonner des ressources pour créer un contexte favorable à
la création et au développement d’entreprises. Selon la littérature, les ressources qu’ils
prodiguent sont notamment des bureaux à des prix moins élevés que ceux du marché, des
services partagés (salles de réunion, secrétariat, service d’impression, etc.), des ressources
financières, de l’accompagnement entrepreneurial et un accès à un réseau professionnel
(Dutt et al., 2016 ; Goswami et al., 2019 ; van Rijnsoever, 2020).
Parmi les récents développements de la littérature, un courant de recherche stratégique a
vu le jour dans les années 2005-2010 qui se propose de repenser la définition des
incubateurs (Baraldi et Ingemansson Havenvid, 2016). Il s’est développé à la suite du
constat d’un environnement de l’accompagnement entrepreneurial de plus en plus
turbulent (Vanderstraeten et Matthyssens, 2012 ; Ahmad et Thornberry, 2018 ; Messeghem
et al., 2018). Cette turbulence est alimentée, du cô té de l’offre, par un nombre croissant
d’incubateurs, qui atteint les 7 000 structures dans le monde (van Weele et al., 2017 ; Lukeš
et al., 2019), ce qui contribue à l’émergence d’un contexte de plus en plus concurrentiel. Du
cô té de la demande, les incubateurs doivent répondre aux besoins d’accompagnement
d’une variété croissante de profils d’entrepreneurs de plus en plus exigeants
(entrepreneurs académiques, entrepreneurs créatifs, étudiants-entrepreneurs,
entrepreneurs sociaux, etc.) (Boissin et Schieb-Bienfait, 2012 ; Zahra et al., 2014 ; Fryges et
Wright, 2014 ; Chapain et al., 2018). Ces entrepreneurs sont particulièrement attirés par
des méthodes entrepreneuriales, venues des É tats-Unis, importées grâ ce aux technologies
numériques, à l’image du Lean Startup (Mansoori et al., 2019). Enfin, ces transformations
interviennent en Europe dans un contexte de diminution voire de raréfaction des soutiens
publics qui touche directement le budget des incubateurs (Calmé et al., 2016 ; Maus et
Sammut, 2017 ; Messeghem et al., 2018).
Dans ce contexte, le courant de recherche stratégique appréhende les incubateurs comme
des organisations en perpétuelle évolution (Ahmad et Thornberry, 2018 ; Baraldi et
Ingemansson Havenvid, 2016) qui tentent de répondre aux transformations de leur
environnement (Baraldi et Ingemansson Havenvid, 2016 ; Vanderstraeten et al., 2016 ;
Ahmad et Thornberry, 2018). Pour détailler les adaptations opérées par les incubateurs au
cours du temps afin de répondre aux attentes de leur écosystème, les chercheurs
mobilisent des concepts issus de la littérature du management stratégique, tels que les
stratégies concurrentielles et le business model (Vanderstraeten et al., 2016 ; Maus et
Sammut, 2017 ; Pauwels et al., 2016).
1.2. La recherche en management stratégique au service de l’étude des incubateurs
Les travaux académiques soulignent par exemple les stratégies mises en œuvre par les
incubateurs (Baraldi et Ingemansson Havenvid, 2016 ; Clarysse et al., 2005 ; Pauwels et al.,
2016). Dans un premier temps, les débats portent sur les stratégies qui améliorent la
qualité de la sélection des start-up et de l’accompagnement. Des comparaisons sont par
exemple faites entre le choix de stratégies généraliste et spécialiste pour déterminer la plus
performante pour soutenir les jeunes entreprises (Schwartz et Hornych, 2008, 2010 ;
Vanderstraeten et Matthyssens, 2012). Vanderstraeten et al. (2016) étudient également la
stratégie de personnalisation, focalisée sur la création de programmes d’accompagnement
sur-mesure pour les start-up, déployée pour répondre aux besoins d’accompagnement de
plus en plus spécifiques des entrepreneurs. Dans un deuxième temps, les stratégies
étudiées concernent les relations des incubateurs avec des acteurs de l’écosystème pour
améliorer l’accompagnement et leur performance financière. Des stratégies de
collaboration et de coopétition sont notamment mises en avant (Bruneel et al., 2012 ;
Baraldi et Ingemansson Havenvid, 2016 ; Calmé et al., 2016). Elles ont pour objectif
d’enrichir et de diversifier l’offre d’accompagnement, ainsi que de trouver des réponses à la
baisse des fonds publics en cherchant à développer de nouvelles sources de financement
(Baraldi et Ingemansson Havenvid, 2016 ; Calmé et al., 2016).
Au sein de ce courant stratégique, un concept semble particulièrement clé pour étudier les
incubateurs : le business model. Ce concept souligne des transformations majeures qui
concernent un élément central pour ces organisations : la création de valeur, notamment
économique et financière. Elle est nécessaire à leur survie et à leur développement dans
une industrie de l’accompagnement entrepreneurial très concurrentielle. Les chercheurs
soulignent l’engagement de ces organisations dans un processus de création de valeur qui
dépasse la seule activité d’accompagnement conduite pour les entrepreneurs (Baraldi et
Ingemansson Havenvid, 2016). L’objectif est alors de servir l’ensemble des acteurs de leur
écosystème (financeurs, incubateurs partenaires, plateformes de crowdfunding, etc.) avec
qui ils collaborent, et non plus seulement leurs clients-entrepreneurs. Des voies choisies
par certains incubateurs pour attirer des entrepreneurs et des financeurs publics ou privés
sont ainsi mises en avant.

2. Diversité des approches théoriques et des business models d’incubateur


En s’appuyant sur des approches théoriques différentes (théories des ressources,
approches fondées sur les systèmes d’activités, théories des conventions) (Calmé et al.,
2016 ; Pauwels et al., 2016 ; Jouison et al., 2018), les chercheurs ont identifié et caractérisé
plusieurs types de business models d’incubateur (traditionnel, accélérateur, pré-incubateur,
etc.) (Lamine et al., 2018).
2.1. Ancrages théoriques pour les business models d’incubateur
Pour plus de détails sur la définition du concept de business model et sur son lien avec
l’entrepreneuriat, nous renvoyons le lecteur au chapitre dans cet ouvrage rédigé par
Donatienne Delorme : De la nature et diversité des business models pour entreprendre. Nous
nous focalisons uniquement ici sur son utilisation dans la littérature qui porte sur les
incubateurs. La question de la définition du concept de business model pour ces
organisations spécifiques et en majorité publiques en Europe se pose par ailleurs. Nous
proposons de nous intéresser aux développements conceptuels mobilisés par la littérature.
Cette question n’est en effet pas traitée de façon homogène par les travaux de recherche et
fait débat (Calmé et al., 2016 ; Pauwels et al., 2016 ; Jouison et al., 2018). Les ancrages
théoriques et définitions mobilisées diffèrent en effet en fonction des travaux considérés.
La recherche de Calmé et al. (2016) propose un premier ancrage théorique pour les
business models d’incubateur. Les chercheurs mobilisent le cadre théorique développé par
Lecocq et al. (2006) fondé sur l’approche par les ressources de Penrose. Le business model
est alors structuré par trois composants : (1) la proposition de valeur, soit les bénéfices de
l’offre d’accompagnement pour l’entrepreneur, (2) l’architecture de valeur, soit les activités
et acteurs impliqués dans la génération de valeur de l’incubateur, et (3) le modèle
économique, soit les flux monétaires circulant grâ ce à l’activité d’accompagnement. Cette
approche théorique permet aux chercheurs de décrire des effets de réseau existants entre
les business models d’incubateur traditionnel et les business models de plateforme de
crowdfunding. Calmé et al. (2016) soulignent l’enrichissement de la proposition de valeur
de l’incubateur par les fonds collectés via le financement participatif ; et la consolidation de
la proposition de valeur des plateformes de crowdfunding par la sélection des projets et
l’accompagnement opérés par les incubateurs (Calmé et al., 2016).
Un deuxième ancrage théorique mobilisé pour étudier les business models d’incubateur est
développé par Pauwels et al. (2016). Il s’appuie sur les travaux de Zott et Amit (2010) qui
adoptent une approche fondée sur un système d’activités. Cette approche permet de
détailler les activités spécifiques au business model d’accélération, un business model
d’incubateur émergent. Pauwels et al. (2016) identifient plusieurs activités génératrices de
valeur dans ce cadre : (1) la construction du programme d’accélération, (2) la définition de
la stratégie de l’accélérateur, (3) la sélection des entrepreneurs à accompagner, (4) la
gestion de la structure financière de l’incubateur, ainsi que (5) l’entretien de relations avec
les entrepreneurs sortis d’accompagnement. Ces activités permettent notamment à
Pauwels et al. (2016) de souligner que les business models d’accélération génèrent de la
valeur en favorisant l’échange entre pairs et le développement d’un réseau professionnel
étendu.
Enfin, un troisième angle théorique est développé par Jouison et al. (2018). Ces derniers
mobilisent le modèle GRP (Verstraete et Jouison-Laffitte, 2011). Ce modèle, fondé sur la
théorie des conventions, définit le business model comme un outil de création d’une
représentation partagée du projet d’entreprise entre l’entrepreneur et des propriétaires de
ressources. Grâ ce à lui, Jouison et al. (2018) explorent un autre business model d’incubateur
qui fait son apparition dans les années 2010 : le pré-incubateur. Les composants détaillés
pour ce business model sont (1) la génération de la valeur, structurée par le profil du
dirigeant de l’incubateur, les entrepreneurs ciblés, la proposition de valeur créée et les
ressources et compétences mobilisées pour l’accompagnement, (2) la rémunération de la
valeur, composée du modèle économique et de la performance de l’incubateur et (3) le
partage de la valeur, c’est-à -dire les relations nouées par l’incubateur au sein de
l’écosystème entrepreneurial. Au cours d’une recherche-action, le modèle GRP permet de
créer le contenu du business model d’un pré-incubateur positionné au sein de l’Université
de Bordeaux.
Ces trois approches ancrées dans des perspectives théoriques différentes conduisent à
appréhender les business models d’incubateur de façon hétérogène. Les composants des
business models d’incubateur présentés sont variés (architecture de la valeur, réseau de
valeur, activités créatrices de valeur, partage de la valeur, etc.) et démontrent peu les
points communs entre les trois types d’incubateurs exposés. Il est dès lors difficile de
percevoir qu’il s’agit d’une même catégorie d’organisations qui évolue. Cette diversité de
cadres théoriques permet cependant de présenter le foisonnement des business models qui
a aujourd’hui lieu dans l’industrie de l’accompagnement entrepreneurial.
2.2. Pluralité des business models d’incubateur
Les travaux de Lamine et al. (2018) proposent de regrouper cette pluralité de business
models d’incubateur dans une typologie composée de trois types d’incubateur : incubateur
traditionnel, accélérateur et pré-accélérateur, aussi nommé pré-incubateur par Jouison et
al. (2018) (Tableau 1).
Tableau 1. Caractéristiques des business models d’incubateur

Types de business models d’incubateur


Description des composants des business models d’incubateur
Incubateur traditionnel
(Bruneel et al., 2012 ; Lamine et al., 2018)
–Proposition de valeur : des bureaux et services partagés, un accès à un accompagnement (coaching et formation) qui dure
plusieurs années, à du financement et à un réseau professionnel pour les entrepreneurs.
–Architecture de la valeur : les chargés d’affaires salariés délivrent l’ensemble de la proposition de valeur. Ils
accompagnent les entrepreneurs et développent un réseau professionnel (investisseurs, partenaires technologiques,
etc.) pour compléter leurs compétences et offrir un accès à du financement.
–Modèle économique : des subventions d’institutions publiques ou universitaires, des financements d’organisations
privées ou du chiffre d’affaires généré grâ ce aux entrepreneurs accompagnés.
Accélérateur
(Pauwels et al., 2016 ; Lamine et al., 2018 ; Cohen et al., 2019)
–Proposition de valeur : un programme d’accompagnement d’une durée limitée (3 à 6 mois) qui combine mentorat,
formation, accès à des financements et à un réseau pour une cohorte de jeunes entreprises. Le programme se termine
par un évènement spécifique : un demo-day.
–Architecture de la valeur : les salariés coordonnent l’intervention de mentors et organisent des évènements, notamment
le demo-day. Ils créent également une cohésion au sein de la cohorte et développent des connexions avec le réseau de
l’accélérateur pour chaque entrepreneur accompagné.
–Modèle économique : des subventions publiques, des financements issus de grandes entreprises ou l’acquisition de parts
au capital des entreprises accompagnées.
Pré-accélérateur
(Wright et al., 2017 ; Jouison et al., 2018 ; Lamine et al., 2018)
–Proposition de valeur : un programme spécifiquement conçu pour les étudiants-entrepreneurs. Il est fondé sur de
l’enseignement et de l’accompagnement entrepreneurial. L’objectif est de développer des projets d’entreprises
embryonnaires, puis de les aider à entrer dans l’écosystème entrepreneurial en intégrant un incubateur traditionnel ou
un accélérateur.
–Architecture de la valeur : les chargés d’affaires salariés accompagnent les étudiants-entrepreneurs, organisent des
formations et des évènements, coordonnent les interventions de professionnels (entrepreneurs, juristes, comptables,
etc.) et développent le réseau professionnel du pré-accélérateur.
–Modèle économique : des financements provenant d’universités ou de grandes écoles.
Bruneel et al. (2012) indiquent que le business model des incubateurs traditionnels est
structuré par trois générations successives. Une première génération voit le jour dans les
années 1950 et est focalisée sur la mise à disposition pour les entrepreneurs de bureaux à
un coû t inférieur au marché et de services partagés. Une deuxième génération se développe
dans les années 1980 et propose de compléter ces services par de l’accompagnement
entrepreneurial pour participer au développement économique local. Enfin, la troisième
génération d’incubateurs traditionnels née dans les années 1990 additionne aux
propositions de valeur existantes une activité de développement de réseau professionnel
dans l’écosystème entrepreneurial. Au sein de cette troisième génération évoquée par
Bruneel et al. (2012), Calmé et al. (2016) appréhendent trois business models d’incubateur
traditionnel. Ils sont fondés sur des coopérations avec des plateformes de crowdfunding :
(1) un business model fondé sur la complémentarité avec ces plateformes (partage de
ressources et compétences entre partenaires), (2) un business model de juxtaposition
(mises en relation des entrepreneurs accompagnés avec la plateforme partenaire) et (3) un
business model de coévolution (création d’un outil de collecte de fonds commun aux deux
organisations).
Pauwels et al. (2016) détaillent quant à eux le business model d’accélération. Cohen et al.
(2019) indiquent que ce business model est focalisé sur l’accompagnement et l’animation de
cohortes d’entrepreneurs sur de courtes périodes (3 à 6 mois). Ces programmes se
présentent comme intensifs et s’appuient sur un réseau de mentors et d’investisseurs pour
accélérer la croissance de l’entreprise. Les échanges de bonnes pratiques entre pairs au
sein de la cohorte sont particulièrement recherchés lors de l’accélération (Pauwels et al.,
2016 ; Cohen et al., 2019). Pauwels et al. (2016) présentent dans ce cadre trois types
d’accélérateurs : (1) l’accélérateur « concepteur d’écosystème » créé par de grandes
entreprises pour développer un tissu d’entreprises fournisseurs et clientes dans leur
domaine, (2) l’accélérateur « générateur d’investissement » établi par des investisseurs
privés dans l’objectif de trouver des opportunités de prise de part au capital de jeunes
entreprises, et (3) l’accélérateur de « développement économique local » conçu par des
institutions publiques pour favoriser le dynamisme entrepreneurial et le développement
du tissu d’entreprises local.
Enfin, Jouison et al. (2018) présentent dans leur recherche le business model de pré-
incubation. Ce business model a la particularité d’être créé et financé par des universités et
de grandes écoles. Wright et al. (2017) indiquent qu’il cible uniquement des étudiants-
entrepreneurs. L’accompagnement et les formations proposées permettent de structurer
leurs projets d’entreprise embryonnaires. Les pré-incubateurs ou pré-accélérateurs
constituent par ailleurs des tremplins vers l’écosystème entrepreneurial (Lamine et al.,
2018). L’objectif est d’orienter les étudiants-entrepreneurs vers des incubateurs
traditionnels et accélérateurs pour leur faire bénéficier d’accompagnements plus poussés
une fois leur projet mieux structuré.
Ces trois types de business models permettent tout particulièrement de renouveler la
valeur créée pour les entrepreneurs accompagnés et les financeurs d’incubateur. Pour les
entrepreneurs, la valeur créée est fondée sur le développement d’un réseau professionnel,
la cohésion de groupe au sein d’une cohorte et l’échange d’expériences entre pairs
(Pauwels et al., 2016 ; Lamine et al., 2018 ; Cohen et al., 2019). Ces business models fondés
sur des formats provenant des É tats-Unis (accélération, pré-accélération, crowdfunding)
génèrent également de la valeur pour les financeurs publics et privés. La nouveauté, le
dynamisme entrepreneurial et le cachet « Silicon Valley » attirent notamment ces acteurs.
Les services rendus aux financeurs grâ ce à ces business models (opportunité
d’investissement auprès de start-up, création d’écosystèmes spécialisés ou participation au
développement économique local) vont être les moteurs de leur engagement financier pour
les incubateurs (Calmé et al., 2016 ; Pauwels et al., 2016). Cette valeur créée permet aux
incubateurs de capturer de nouvelles ressources financières et non financières (nouveaux
projets à accompagner, notoriété, image de marque) pour survivre dans un environnement
turbulent (Calmé et al., 2016 ; Pauwels et al., 2016).

Conclusion et perspectives de recherche


Ce chapitre s’est focalisé sur un courant de recherche qui étudie les incubateurs d’un point
de vue stratégique. Au sein de ce courant, notre intérêt s’est plus spécifiquement porté sur
la mobilisation du concept de business model. Les ancrages théoriques variés développés
pour ce concept ont permis de présenter de nouveaux business models d’incubateur – dont
l’accélération et la pré-accélération. Ces derniers soulignent un changement dans la valeur
créée pour les entrepreneurs (échange entre pairs, développement de réseaux) et pour les
financeurs (nouveauté des business models, rayonnement de pratiques provenant des É tats-
Unis). L’attrait ainsi regagné aux yeux des entrepreneurs et financeurs conduit les
incubateurs à capturer de nouvelles ressources pour tirer leur épingle d’un jeu
concurrentiel de plus en plus intense.
Pour prolonger cette revue de la littérature, nous souhaitons proposer des pistes pour de
futures recherches. En effet, les travaux portant sur les business models d’incubateur sont à
ce jour peu nombreux (Maus et Sammut, 2017 ; Jouison et al., 2018). Pourtant, leur intérêt
est majeur pour comprendre comment ces organisations se transforment afin de (1) mieux
accompagner les entrepreneurs dans des contextes incertains et (2) mobiliser des fonds
publics et privés pour développer le tissu économique local. Les recherches présentées
dans ce chapitre se focalisent principalement sur la mise en avant de nouveaux business
models (Calmé et al., 2016 ; Pauwels et al., 2016 ; Jouison et al., 2018). Aussi, pour
encourager de prochaines recherches à poursuivre ce développement, trois axes d’étude
nous semblent pertinents. Un premier axe est centré sur l’exploration des capacités qui
conduisent les incubateurs à se transformer et à développer de nouveaux business models.
Un deuxième axe prolonge cette perspective en s’interrogeant sur les acteurs engagés dans
ces transformations. Enfin, un troisième axe de recherche est focalisé sur l’identification
des étapes qui conduisent à l’innovation des business models d’incubateur.
Concernant le premier axe de recherche, la littérature s’est principalement penchée sur les
transformations de l’écosystème entrepreneurial qui poussent les incubateurs à innover et
à réinventer leur business model (concurrence, évolution des besoins des entrepreneurs,
baisse des fonds publics, etc.) (Calmé et al., 2016 ; Ahmad et Thornberry, 2018 ;
Messeghem et al., 2018). Cependant, les mécanismes internes à l’origine de l’émergence de
nouveaux business models demeurent peu explorés. L’étude des capacités
organisationnelles pourrait donc compléter la compréhension de ce phénomène de
transformation. En ce sens, quelques travaux proposent d’explorer les capacités
organisationnelles des incubateurs (Maus et Sammut, 2017 ; Wang et al., 2020). Des
capacités dynamiques d’incubateur sont appréhendées par Maus et Sammut (2017) dans le
contexte français. Ces capacités sont à l’origine d’une démarche entrepreneuriale qui
permet une économie et une efficience de ressources, notamment des ressources humaines
engagées dans l’accompagnement. Wang et al. (2020) appréhendent quant à eux l’influence
de capacités stratégiques d’incubateur sur le développement économique local en Chine.
Les chercheurs en identifient trois particulièrement centrales : (1) la capacité à développer
une atmosphère entrepreneuriale et innovante, (2) la capacité de financement des start-up
accompagnées et (3) la capacité d’incubation. Ces deux recherches ne mettent en revanche
pas en avant des capacités qui enclenchent l’évolution des business models d’incubateur. La
littérature portant sur la théorie des capacités dynamiques pourrait par exemple être
mobilisée dans cet objectif. Plusieurs travaux démontrent le rô le de ces capacités dans
l’innovation engendrée au sein de business models d’entreprise (Achtenhagen et al., 2013 ;
Teece, 2018 ; Best et al., 2021).
L’exploration du niveau organisationnel grâ ce aux capacités des incubateurs conduit
également à s’interroger sur le niveau individuel et les acteurs engagés dans l’évolution des
business models. Les acteurs impliqués et les tensions internes qui peuvent voir le jour lors
de ces transformations constituent également des voies à emprunter pour de futures
recherches. La littérature qui s’intéresse à l’innovation des business models souligne plus
spécifiquement le rô le du dirigeant de l’organisation (Demil et al., 2015 ; Teece, 2018 ;
Warnier et al., 2018). Cet acteur perçoit des opportunités et des menaces qui vont être
mobilisées pour faire évoluer le business model de l’organisation (Warnier et al., 2018). Au
sein des recherches qui portent sur les incubateurs, le directeur est également présenté
comme un acteur majeur, en charge de l’accompagnement des entrepreneurs et de la
gestion stratégique de l’organisation (Ahmad et Thornberry, 2018 ; Jouison et al., 2018).
Cet acteur est présenté comme un intrapreneur responsable de la structuration du
programme d’accompagnement et de la survie de l’incubateur (Jouison et al., 2018).
Cependant, rares sont les recherches qui portent sur son rô le dans la construction et
l’évolution des business models d’incubateur. Une autre boîte noire est constituée par les
interactions et les tensions qui prennent place lors de ces changements organisationnels.
Les stratégies mises en place par les directeurs pour guider le niveau organisationnel de
l’incubateur et les organisations partenaires (financeurs, partenaires, entrepreneurs
accompagnés, etc.) vers l’émergence de nouveaux business models pourraient être
explorées. Ce type d’étude multiniveau permettrait de révéler des stratégies qui créent des
accompagnements de plus grande qualité, et qui permettent de collecter des fonds de façon
pérenne auprès de financeurs publics et privés.
Enfin, en relation avec la mise en place de ces stratégies, l’identification des étapes de la
transformation des business models d’incubateur reste à ce jour inexplorée. La littérature
s’est à notre connaissance uniquement focalisée sur le résultat de cette transformation en
explorant les business models émergents dans l’écosystème entrepreneurial (Calmé et al.,
2016 ; Pauwels et al., 2016 ; Lamine et al., 2018). Les phases qui conduisent au
renouvellement des incubateurs sont à ce jour inconnues. La mobilisation du concept de
business model innovation pourrait permettre de construire une perspective plus
processuelle. Foss et Saebi (2017) définissent le concept de business model innovation
comme l’ensemble « des changements déterminés, novateurs et non triviaux qui concernent
les éléments clés du business model d’une entreprise et/ou l’architecture reliant ces
composants » (Foss et Saebi, 2017, p. 201). Dans ce cadre, ces chercheurs identifient un
courant de recherche processuel qui porte sur l’innovation des business models. Au sein de
celui-ci, les étapes du processus de transformation sont étudiées (Sosna et al., 2010 ;
Achtenhagen et al., 2013 ; Teece, 2018). Pour l’heure, dans la littérature des incubateurs,
aucune recherche ne propose de perspective longitudinale pour déterminer les étapes
d’évolution du business model d’un même incubateur. Pour développer cette approche
inédite, une perspective multiniveau peut être envisagée. Elle révélerait les relations entre
les actions managériales conduites par les directeurs et les étapes d’innovation
développées au sein d’incubateurs positionnés dans un contexte changeant. Des phases
d’essai-erreur pourraient être intéressantes à appréhender afin de déterminer la variété de
stratégies d’innovation mobilisées par les incubateurs. Des phénomènes de bricolage ou
d’effectuation pourraient aussi être observés et venir enrichir les connaissances déjà
développées par la littérature sur les incubateurs.

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1 Bakkali et al. (2013) ainsi que Vedel et Gabbaret (2013) indiquent que le terme « incubateur » qu’ils utilisent fait référence aux travaux anglo-
saxons, quand le terme de « structure d’accompagnement » s’ancre dans une littérature francophone et le contexte français. Le choix du terme
« incubateur » prend ainsi en compte un contexte international plus large que l’environnement francophone. Il s’appuie sur des recherches qui
relèvent des transformations et une concurrence désormais mondiale entre les incubateurs (Baraldi et al., 2016 ; Dutt et al., 2016 ; Pauwels et al.,
2016).
Chapitre 11. La finance entrepreneuriale à la croisée des chemins
Jean-François Sattin

Introduction
L’entrepreneuriat est nécessaire pour la croissance économique (Acs et al., 2018), et la
dimension financière est essentielle pour le déploiement des projets entrepreneuriaux. La
probabilité de créer une entreprise augmente avec l’accroissement du patrimoine des
entrepreneurs, par exemple lors de la perception de donations et d’héritages, en présence
d’une dérégulation facilitant l’accès au crédit bancaire ou encore lors d’une diminution de
la fiscalité. A contrario le manque de fonds disponibles agit comme une contrainte qui peut
limiter l’entrée des entrepreneurs potentiels (Smith, 2012).
Mais qu’entend-on exactement par finance entrepreneuriale ? Quelles sont les frontières
de la discipline ? Suivant Paré et al. (2009), la finance entrepreneuriale étudie les aspects
financiers du processus entrepreneurial. Elle renvoie donc à la fois aux diverses sources de
financement à la disposition des entrepreneurs (business angels, capital-risque,
financement bancaire, crédit commercial, microfinance, crowdfunding, love money, marchés
financiers, financements publics…), et à des problématiques particulières liées au
financement de l’activité entrepreneuriale, dont certaines seulement renvoient à une étape
précise du processus de création d’entreprise (rentabilité de l’activité entrepreneuriale,
formation et attitudes financières de l’entrepreneur, planification et gestion financière de la
firme, choix des modes de financement, rédaction des contrats de financement, « trou »
dans la chaîne de financement, politiques publiques, etc.) (Paré et Rédis, 2011).
Du point de vue académique, la recherche en finance entrepreneuriale se caractérise à la
fois par sa jeunesse, par son dynamisme ainsi que par une focalisation sur un nombre
restreint de modes de financement. Nous avons notamment connu ces dernières années
une croissance notable des travaux en finance entrepreneuriale, ce champ de recherche
ayant gagné progressivement en autonomie (1.). La structuration de la recherche a
toutefois été réalisée en grande partie autour d’un nombre limité d’outils de financement
qui ont successivement attiré l’attention des chercheurs (2.). Ce sont ces particularités
ajoutées aux évolutions récentes de l’écosystème financier qui peuvent conduire à redéfinir
à terme les frontières de la finance entrepreneuriale (3.).

1. La structuration de la finance entrepreneuriale comme champ de recherche


autonome
Selon Paré et Rédis (2011) l’émergence de la finance entrepreneuriale comme champ de
recherche autonome découle d’une double dynamique engagée d’une part par les
chercheurs en entrepreneuriat et d’autre part par les chercheurs en finance. Les
chercheurs en entrepreneuriat se sont progressivement intéressés à la dimension
financière du projet de création d’entreprise, compte tenu de la place prépondérante prise
par le business plan et de l’importance de l’entrepreneuriat innovant. Les chercheurs en
finance, quant à eux, sont longtemps restés en retrait sur cette thématique . Ils ont ensuite
1
progressivement investi le domaine en essayant de redéployer les perspectives théoriques
et les approches méthodologiques habituellement utilisées en finance d’entreprise (Denis,
2004) . Dans cette optique, Wallmeroth et al. (2018) montrent que la plupart des travaux
2

en finance entrepreneuriale peuvent être ordonnés suivant qu’ils étudient les


caractéristiques de l’entrepreneur et celles de son financeur (cognition, connaissances et
compétences), ou qu’ils se focalisent sur les problématiques d’agence traditionnellement
étudiées en finance d’entreprise (incitations et contrô le) .
3

La croissance des travaux académiques dans ce domaine répond à une augmentation


sensible des financements publics et privés dédiés à l’entrepreneuriat dans les pays
industrialisés au cours des dernières décennies (Denis, 2004). Dans cette perspective,
Nguyen et al. (2020) rappellent que ce champ de recherche a connu une très forte
croissance au cours des 40 dernières années. Le nombre d’articles publiés en finance
entrepreneuriale a ainsi cru en moyenne de 19,54 % par an entre 1970 et 2020, avec une
dynamique exponentielle ces dernières années. Les années 1970-1990 ont ainsi été
marquées par une relative marginalisation de ce champ de recherche, avec seulement une
ou deux publications enregistrées par an. Toutefois, depuis les années 1990, nous
connaissons une croissance rapide des travaux académiques réalisés dans ce domaine.
L’apparition de nouvelles sources de financement depuis 2010 (notamment le
crowdfunding) a contribué à l’accélération du rythme de publication en finance
entrepreneuriale ces derniers temps.
D’un point de vue conceptuel, la littérature académique en finance entrepreneuriale
semble à la fois focalisée sur des objets et des thématiques précis.
Les travaux se concentrent tout d’abord sur un nombre limité de thématiques à la fois, par
exemple une partie du processus de financement, une stratégie donnée ou un problème
particulier (Wallmeroth et al., 2018) . La littérature est ensuite segmentée par source de
4

financement, les données utilisées provenant principalement des financeurs et non des
entrepreneurs financés (Cosh et al., 2009). Par ailleurs, on remarque que les bases de
données utilisées en finance entrepreneuriale sont plus aisément disponibles pour certains
acteurs et pour certains types de financement particuliers. Cela explique la présence de
différents biais dans la littérature, dont la surreprésentation des publications pour certains
modes de financement et certains pays (comme par exemple le capital-risque, les business
angels et plus récemment le crowdfunding en Europe et aux É tats-Unis) et, a contrario notre
moindre connaissance des autres types de financement disponibles (comme le love money
par exemple), des autres environnements institutionnels présents, et des divers processus
associés à la gestion financière de l’entreprise (comme la gestion de trésorerie par
exemple).
D’un point de vue pratique, la recherche académique est aujourd’hui largement structurée
autour de l’analyse de 3 modes de financement distincts : le capital-risque, le crowdfunding
et les business angels. Si ces trois objets d’analyse partagent des problématiques
communes, ils ont toutefois aussi des spécificités et des enjeux de recherche qui leur sont
propres.

2. Quelques développements récents en finance entrepreneuriale : capital-risque,


crowdfunding et business angels
L’étude de la répartition de la recherche en finance entrepreneuriale par objet d’analyse
est instructive à double titre.
Elle montre tout d’abord la prédominance des problématiques associées au financement
des jeunes entreprises innovantes au sein de ce domaine de recherche. Compte tenu du
décalage entre le risque supporté par le prêteur/l’investisseur et le bénéfice social de
l’innovation, les entreprises innovantes peuvent se trouver en présence d’échecs de marché
qui justifient certaines politiques publiques dans ce domaine (Hall, 2005). L’É tat peut alors
intervenir pour mettre en place des financements publics dédiés aux firmes innovantes
(subventions, crédits d’impô ts, etc.) et pour créer un écosystème favorable au
développement de solutions de financement alternatives (capital-risque, business angels et
crowdfunding notamment) . 5

Elle montre ensuite un certain renouvellement des thématiques de recherche au fur et à


mesure que de nouvelles solutions de financement émergent et se popularisent. Les études
réalisées sur les bases Google Scholar (Cumming et Groh, 2018), EBSCO (Paré et Rédis,
2011), Scopus (Wallmeroth et al., 2018), et Web of Science (Nguyen et al., 2020) montrent
actuellement une prédominance des recherches portant sur le capital-risque (et plus
globalement le capital investissement) en finance entrepreneuriale. La popularité
académique du capital-risque a toutefois eu tendance à diminuer ces dernières années,
celle-ci étant compensée par un regain d’intérêt pour les business angels, et surtout par la
croissance très importante de la recherche sur le crowdfunding depuis 2010 (Wallmeroth
et al., 2018).
2.1. Le capital-risque, un objet d’étude majeur en finance entrepreneuriale
L’industrie du capital-risque est apparue en 1946 aux É tats-Unis avec la création de
l’American Research and Development Association par le Professeur Doriot. Elle s’est ensuite
développée à partir du milieu des années 1980, suite notamment à la réforme des fonds de
pension aux É tats-Unis qui a conduit à augmenter les ressources mobilisables sur ce
marché (Gompers, 1994). Les pratiques employées ont alors commencé à s’homogénéiser
au sein de l’industrie et à se diffuser dans les différents pays industrialisés.
D’un point de vue formel le métier du capital-risque (appelé encore capital-innovation)
consiste, pour des investisseurs intervenant au sein de structures spécialisées, à lever des
fonds sur les marchés, qui sont ensuite investis dans le capital de jeunes sociétés
innovantes aux risques et à la rentabilité très élevés, en vue de réaliser une plus-value à
terme (Gompers, 1994 ; Gompers et Lerner, 2001) . Contrairement aux autres opérations
6

de capital-investissement, la société financée doit encore être en phase d’émergence pour


solliciter du capital-risque . Ces investisseurs cherchent donc à faire prospérer les
78

entreprises financées afin de maximiser la valeur de revente de leurs droits sociaux au


moment de la liquidation de leurs participations. Dans cette perspective, ils apportent à la
fois des ressources financières, des ressources managériales et des ressources
relationnelles en prenant une part active dans le développement de l’entreprise financée.
La durée moyenne des investissements est comprise entre 5 et 10 ans, et le taux de survie
des firmes financées au sein d’un portefeuille donné dépasse au final rarement 50 %
(Lerner et Nanda, 2020).
D’un point de vue académique, les premières publications ont surtout cherché à détailler
les caractéristiques et les pratiques du métier, ainsi que sa profitabilité (Rotch, 1968). Puis,
les années 1980 ont tout d’abord vu le développement des travaux centrés sur le processus
d’investissement et sur le comportement des capital-risqueurs qui étaient plutô t descriptifs
et dont les résultats ont commencé à être synthétisés à partir du milieu des années 1990
(Gompers, 1994). A contrario, les années 2000 sont celles de la montée en puissance de la
recherche sur le capital-risque avec des études de plus en plus focalisées sur un aspect du
métier ou une problématique particulière liée au processus de financement.
Wallmeroth et al. (2018) distingue quatre ensembles de travaux à partir de cette date.
Certaines recherches s’intéressent tout d’abord à la question de la syndication, qui semble
être utilisée à la fois pour diversifier le portefeuille d’investissement et pour profiter de
l’expertise des autres capital-risqueurs, avec des enjeux plus ou moins importants suivant
le tour de financement considéré (Lerner, 1994). À ces stratégies de syndication s’ajoutent
des stratégies de spécialisation des capital-risqueurs, par secteur et par stade de
développement, dont l’efficacité a été débattue dans la littérature (Pommet et Sattin, 2012).
D’autres travaux se concentrent ensuite sur le processus de détection, sur le processus de
sélection, ainsi que sur le processus d’évaluation des projets financés. Les principales
opportunités d’affaires pour les capital-risqueurs semblent provenir de l’essaimage et des
serials entrepreneurs (Da Rin et al., 2013), même si, depuis Bygrave (1988), nous savons
que les réseaux professionnels de capital-risqueurs ont aussi leur importance. Les autres
sources d’affaires sont moins bien identifiées et peu de recherches ont porté à ce jour sur le
lien entre l’origine des projets financés et l’efficacité du financement par capital-risque. Les
critères de sélection des projets ont aussi été étudiés. Les travaux font par ailleurs état de
l’importance de l’exposition au risque du capital-risqueur, de son expérience, et du facteur
humain au niveau des critères de sélection des entreprises financées (Wallmeroth et al.,
2018).
D’un autre cô té, les recherches traitant du design de l’accord renvoient principalement à la
théorie de l’agence et sont plus proches de la théorie financière traditionnelle. Elles
soulignent notamment l’hétérogénéité des contrats et la multiplicité des instruments
financiers utilisés pour réduire les coû ts d’agence (Cumming, 2005 ; Bengtsson, 2011).
Enfin, de nombreux articles traitent aussi de l’investissement managérial du capital-
risqueur dans l’entreprise financée, ainsi que de la profitabilité du financement par capital-
risque. La question du rapport de gouvernance à mettre en place y est étudiée par rapport
aux caractéristiques de la transaction analysée, et celle du remplacement de l’équipe
dirigeante a aussi été posée à ce niveau (Dubocage et Galindo, 2014). Le retour sur
investissement du capital-risque est évalué de multiples façons (durée de l’investissement
et mode de sortie du capital-risqueur de l’entreprise financée, taux de faillite des
entreprises financées, évaluation des rendements des fonds, etc.). Les résultats sont plutô t
contrastés à ce niveau et, si le rendement trouvé pour le capital-investissement est
généralement positif, il n’en est pas toujours de même avec le capital-risque (Pommet,
2010). L’ensemble de ces questions restent encore aujourd’hui d’actualité, et sont à mettre
en lien avec le constat d’une industrie qui est de plus en plus concentrée et aux mains d’un
petit nombre d’acteurs. Or cette évolution semble avoir un impact non négligeable sur la
gouvernance et sur la rentabilité de cette industrie (Lerner et Nanda, 2020).
2.2. Les business angels et l’étude du capital-risque informel
Contrairement aux capital-risqueurs, qui interviennent au travers de fonds et de sociétés
spécialisés, les business angels sont des personnes physiques. Ils investissent généralement
entre 10 000 $ et 250 000 $ dans le capital d’une entreprise donnée, qui est généralement à
dimension locale, non cotée et indépendante (Cumming et Groh, 2018 ; Wetzel, 1983). Il
s’agit souvent d’anciens entrepreneurs ou de personnes ayant une expérience dans la
direction des entreprises (Wetzel, 1983). Au-delà du financement, les business angels
prennent aussi une part active dans la gestion de l’entreprise financée en lui fournissant un
certain nombre de ressources complémentaires (réseaux professionnels, conseils,
expertises, etc.). À ce titre le financement par business angels est parfois appréhendé
comme le pendant informel du financement par capital-risque (Wetzel, 1987), et il pèserait
actuellement à peu près autant que ce dernier aux É tats-Unis et en Europe . Les profils et
9

les pratiques des investisseurs restent toutefois particulièrement hétérogènes. Bien que la
structuration de business angels en réseau ait conduit ces dernières années à uniformiser
un peu les pratiques utilisées, le marché des business angels reste encore aujourd’hui moins
standardisé que l’industrie du capital-risque (Wallmeroth et al., 2018).
D’un point de vue académique, les premiers travaux datent des années 1980 mais, compte
tenu des difficultés d’accès au terrain, la recherche empirique sur les business angels n’a
réellement pris son essor qu’après les années 2000 avec un nombre de publications qui
augmente régulièrement depuis cette date (Tenca et al., 2018).
Les travaux académiques ont tout d’abord cherché à expliciter les caractéristiques des
business angels aux niveaux physique, social, et psychologique, ainsi qu’en matière de
portefeuille détenu et de stratégies déployées (Wetzel, 1983). Suivant Wetzel (1987), un
certain nombre de travaux se sont ensuite intéressés aux déterminants et aux effets
institutionnels de ce mode de financement. L’étude des déterminants de l’offre et de la
demande de financement dans les diverses économies est à ranger dans cette catégorie,
ainsi que l’étude de l’impact du financement business angels sur la croissance économique . 10

La littérature a ensuite évolué vers l’étude du processus d’investissement des business


angels. Les chercheurs ont notamment porté leur attention sur les spécificités du processus
de sélection des entreprises financées, sur les critères utilisés par les business angels ainsi
que sur leurs réseaux. Les questions relatives à la gestion de la relation postinvestissement
avec l’entrepreneur, ainsi que celles relatives à la valeur ajoutée par les business angels ont
aussi été étudiées, souvent dans une optique qualitative. Enfin, les recherches traitant de
l’impact du financement par business angels sur la performance des entreprises financées
ont conduit pour le moment à des résultats qui, bien que positifs en moyenne, n’en restent
pas moins contrastés compte tenu de la grande variance associée à l’espérance de gains
(Mason et Harrisson, 2002) . La question de l’impact du réseau sur la performance des
11

business angels reste pour l’heure peu étudiée, même si des travaux montrent son
importance pour réaliser certaines opérations de financement comportant, par exemple,
des risques élevés (Tenca et al., 2018).
2.3. La forte croissance de la recherche sur le crowdfunding
Le crowdfunding est apparu officiellement en 2006 (Wallmeroth et al., 2018). Cumming et
Groh (2018) notent qu’il s’agit d’une pratique dérivée du crowdsourcing et de la
microfinance, dont le principe est de mettre en relation des porteurs de projets avec le
grand public via l’utilisation de plateformes de financement dédiées, généralement sur
Internet . Ce mode de financement a connu un essor sans précédent ces dernières années.
12

Le développement des réseaux sociaux a notamment permis de créer de nouvelles


opportunités financières pour les porteurs de projets et les petites entreprises. Par ailleurs,
les entrepreneurs ont besoin de moins de ressources que par le passé pour développer
leurs projets, compte tenu de la diminution des coû ts liés à la gestion de supply chain et de
ceux liés à l’accès aux marchés. Ils ont donc plus souvent que par le passé l’opportunité de
se tourner vers ce type de plateformes (Bellavitis et al., 2017).
Le premier papier sur la question a été publié en 2010 et la littérature académique dans ce
domaine connaît depuis 2015 une dynamique particulièrement importante. Cela provient
en partie de l’essor des plateformes concernées et pour partie des modifications
institutionnelles qui ont permis le développement des plateformes equity-based . La 13

littérature a par ailleurs eu tendance à se recentrer sur l’étude de l’equity-based


crowdfunding à partir de cette date . Même si elle se développe très vite, la recherche dans
14

ce domaine reste encore limitée compte tenu des difficultés d’accès aux données et de la
relative nouveauté de ce mode de financement (Mochkabadi et Volkmann, 2018). Plusieurs
caractéristiques rendent la recherche sur le crowdfunding spécifique par rapport aux
travaux portant sur le capital-risque ou sur les business angels. D’une part, les financeurs ne
sont généralement pas des professionnels, mais sont issus du grand public et sont donc à ce
titre moins expérimentés que les capital-risqueurs ou les business angels. D’autre part, la
plateforme a aussi son importance car elle est à l’interface entre les demandeurs et les
offreurs de fonds. Enfin, le crowdfunding peut capitaliser sur l’émergence des nouvelles
technologies de financement (fintechs) pour proposer une offre adaptée aux offreurs et aux
demandeurs de capitaux. Tout cela explique que la recherche dans ce domaine soit ouverte
aux apports des autres disciplines, comme les sciences de l’information ou le marketing, en
plus de la finance et de l’entrepreneuriat. Mochkabadi et Volkmann (2018) divisent la
littérature sur l’equity crowdfunding en cinq catégories, suivant que les auteurs
développent une perspective liée aux marchés de capitaux, à l’entrepreneur, aux
institutions, aux investisseurs, ou à la plateforme.
La première catégorie de travaux appréhende le crowdfunding sous l’angle de l’efficience
des marchés et étudie son rô le économique, notamment par rapport aux autres modes de
financement disponibles, et souvent sur la base d’un travail de modélisation théorique. Elle
se place très directement dans l’optique liée aux marchés financiers notée plus haut.
L’approche institutionnelle a par ailleurs été mobilisée pour étudier l’impact de
l’environnement réglementaire sur le développement du crowdfunding, la plupart du temps
en comparant les lois et les pratiques contractuelles présentes dans les différents pays.
Les perspectives liées à l’entrepreneur ont ensuite été souvent traitées par le prisme de la
théorie de l’agence. Belleflamme et al. (2014) ont été les premiers à étudier les
déterminants du recours à l’equity crowdfunding pour les entrepreneurs, tandis que
d’autres travaux se sont ensuite penchés sur la réduction des asymétries d’information
entre entrepreneurs et financeurs (Ahlers et al., 2015 ; Vismara, 2018). Les questions
relatives aux motivations des investisseurs (couple rentabilité-risque ou autres raisons
personnelles), à leurs caractéristiques (sexe, â ge, distance géographique…), et au processus
de sélection mis en place (comportements rationnels ou mimétiques…) ont ensuite trouvé
un certain écho dans la littérature. De même, les caractéristiques du troisième intervenant
dans la transaction, la plateforme, et notamment l’impact de son design, de sa politique de
sélection des campagnes lancées, et de sa capacité à révéler l’information ont aussi été
étudiées par certaines recherches.

3. Quelles voies de développement pour la recherche en finance entrepreneuriale ?


Les dernières décennies ont été marquées par un essor sans précédent de la recherche en
finance entrepreneuriale. Toutefois, la question du financement de l’entrepreneuriat reste
encore aujourd’hui un champ d’investigation rempli de promesses et de défis à relever
pour de futures recherches. La diversification des objets d’étude et la mise en œuvre d’un
dialogue avec les recherches processuelles en entrepreneuriat semblent désormais plus
que jamais nécessaires.
3.1. La nécessité de mieux contextualiser la recherche en finance entrepreneuriale
Une contextualisation accrue de la recherche en finance entrepreneuriale passe
notamment par la prise en compte de l’éventail complet des modes de financement à la
disposition des entrepreneurs, et par l’intégration du cadre institutionnel à l’analyse.
Le monde de la finance entrepreneuriale est régulièrement bouleversé par l’apparition de
nouveaux modes de financement à destination des entrepreneurs et de leurs entreprises.
Cela a été le cas par le passé avec tous les modes de financement que nous venons de
présenter. Cela a encore été le cas récemment avec l’apparition des accélérateurs, des
cryptomonnaies, des fonds universitaires d’amorçage, des venture debt, etc. Ces
innovations viennent redéfinir les règles du jeu, et doivent donc être intégrées aux
recherches futures en finance entrepreneuriale.
L’apparition de ces nouveaux modes de financement remet notamment en question notre
vision traditionnelle d’un domaine organisé autour d’une chaîne séquentielle de
financements alternatifs en fonction des stades de développement successifs de
l’entreprise, allant du love money à l’introduction sur les marchés financiers en passant par
le capital-investissement. La réalité est en effet plus complexe. Les nouveaux modes de
financement peuvent par exemple venir compléter ou se substituer aux autres sources de
capitaux plus traditionnelles . Par ailleurs, un certain nombre de travaux suggèrent que les
15

différents types de financeurs peuvent collaborer entre eux dans une optique de co-
financement . Il est donc désormais nécessaire d’affiner notre compréhension des
16

stratégies déployées par les différents acteurs de la chaîne de financement, afin de mieux
appréhender les opportunités présentes sur les différents marchés.
D’une façon générale, il semble important d’élargir l’éventail des recherches menées en
finance entrepreneuriale, en l’ouvrant à une plus grande variétés d’objets d’études et
d’approches méthodologiques. Par exemple, parallèlement aux nouveaux modes de
financement, il en existe d’autres plus traditionnels qui semblent ne pas avoir encore reçu
toute l’attention qu’ils méritent compte tenu, notamment, de la focalisation actuelle sur le
financement de l’entreprise innovante. C’est le cas du financement bancaire, qui s’adresse à
la majorité des entrepreneurs, et dont le potentiel semble avoir été longtemps sous-estimé
par la recherche en finance entrepreneuriale (Bellavitis et al., 2017). C’est aussi le cas de
l’assurance-chô mage pour les entrepreneurs en cas d’échec entrepreneurial, qui a reçu
dernièrement une attention accrue de la part du décideur public et de la communauté
académique intéressée par le devenir postfaillite des entrepreneurs (Pommet et Sattin,
17

2020). De même, l’étude des processus de gestion financière mobilisés par l’entrepreneur
semble pour l’heure délaissée (pratiques de recherche de financement, de gestion de la
trésorerie, etc.), malgré un réel potentiel pour de futures recherches.
Par ailleurs, la nécessité de prendre en compte le contexte institutionnel afin de mieux
appréhender la diversité de la finance entrepreneuriale est désormais reconnue. Un certain
nombre d’études sont déjà venues analyser comment les institutions pouvaient favoriser
l’émergence des différents types de financement existants. En suivant l’optique de North
(1990), ces recherches étudient généralement l’impact des institutions formelles
(environnements législatif et réglementaire) et plus rarement informelles (culture,
normes), sur l’émergence et le développement des financements les plus populaires . Aller
18

plus loin nécessite désormais de faire évoluer l’objet d’analyse du cadre institutionnel aux
arrangements institutionnels, entendus comme un ensemble d’institutions formelles et
informelles qui interagissent entre elles et qui définissent ensemble les effets
institutionnels nets pour les entrepreneurs. La question de la complémentarité et de la
substituabilité des institutions entre elles (et notamment entre les institutions formelles et
informelles) doit être explicitement posée dans de futurs travaux pour pouvoir aller plus
loin dans notre compréhension du fait institutionnel en finance entrepreneuriale. La mise
en œuvre de lois protégeant les entrepreneurs en cas de faillite peut par exemple être
rendue inopérante si la stigmatisation de l’échec entrepreneurial reste particulièrement
élevée dans le pays considéré. Des perspectives intéressantes résident aussi toujours dans
le lien entre l’environnement culturel et l’accès aux financements par les entrepreneures.
3.2. La nécessité de réorienter la recherche en finance entrepreneuriale
Compte tenu des données disponibles, les travaux actuels se concentrent généralement
sur un unique moyen de financement à la fois (Cosh et al., 2009). Le développement de la
recherche en finance entrepreneuriale a donc conduit à l’émergence de littératures
distinctes et plutô t cloisonnées. Toutefois, en pratique, les entrepreneurs financent
régulièrement leur activité en mixant les sources de financement. Divers travaux suggèrent
à ce titre que les entrepreneurs peuvent associer plusieurs financements distincts afin d’en
exploiter les complémentarités (Cumming et al., 2019). Par ailleurs, compte tenu de la
fongibilité du capital, les apporteurs de capitaux fournissent aux entrepreneurs des
ressources financières qui s’avèrent généralement substituables , mais qui ont des coû ts
19

relatifs qui peuvent varier avec les déterminants institutionnels, ainsi qu’avec les
caractéristiques propres à chaque étape du processus entrepreneurial.
Il pourrait donc être intéressant ici de changer d’optique pour remettre les pratiques
entrepreneuriales au centre de l’analyse. Ceci permettrait d’étudier les arbitrages réalisés
entre sources de financement alternatives. L’approche institutionnelle des coû ts de
transaction devrait se révéler particulièrement éclairante pour expliciter les choix réalisés
à environnement institutionnel donné. Une analyse des choix effectués par les individus
pourrait par exemple être menée en utilisant des modèles réduits qui se concentrent sur
les différences de coû ts de transaction entre modes de financement alternatifs. On peut
s’attendre à ce que l’entrepreneur choisisse la source de financement qui minimise le coû t
d’acquisition du capital et, plus généralement, de l’ensemble des ressources transmises par
le financeur.
Cela nécessite toutefois d’avoir des bases de données « riches », qui comportent des
informations sur l’ensemble des alternatives de financement à la disposition de
l’entrepreneur. Il est bien entendu ensuite nécessaire d’intégrer la complémentarité
éventuelle entre ces diverses sources de financement à l’analyse. L’explicitation des
stratégies de financement, et de leur intérêt en termes de création de valeur pour
l’entrepreneur, constitue ainsi une ligne de recherche prometteuse. On note ici que la
question de la complémentarité peut aussi s’appréhender dans une optique temporelle, ce
qui revient à étudier les sentiers de dépendance sur lesquels les entrepreneurs peuvent
éventuellement se trouver engagés . Au final, ces différents éléments plaident pour le
20

développement d’analyses longitudinales plus en ligne avec la logique de l’entrepreneuring,


qui remettent les processus entrepreneuriaux au centre de l’analyse, et qui permettent
d’appréhender les stratégies de financement sur l’ensemble du cycle de vie de l’entreprise,
de sa création à sa disparition.

Conclusion
Après s’être rapidement développée ces dernières décennies, la recherche en finance
entrepreneuriale semble actuellement à la croisée des chemins. Les véhicules de
financement traditionnels, pour lesquels les données étaient bien documentées, ont été
largement étudiés chacun de leur cô té. Poursuivre la construction de connaissances dans ce
domaine nécessite désormais de résoudre un triple challenge lié à l’apparition de nouveaux
objets d’analyse, à une meilleure contextualisation de nos connaissances ainsi qu’à un
décloisonnement des objets de recherche entre eux. Cela passe, pour partie au moins, par
un changement d’optique qui permette de replacer le projet entrepreneurial, incorporant
les comportements et les pratiques de l’entrepreneur, au centre de l’analyse.
Le programme de recherche en finance entrepreneuriale est transversal par nature. C’est
ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse, et il semble désormais nécessaire de promouvoir
un dialogue renforcé entre les chercheurs engagés dans ce domaine.
Or plusieurs difficultés existent. Nguyen et al. (2021) notent à ce titre que la communauté
des chercheurs reconnus dans ce domaine est en partie fermée et adossée à un nombre
limité d’équipes de recherche américaines ou européennes. Par ailleurs Cumming et
Vismara (2017) soulignent que la segmentation n’est pas seulement thématique : elle est
aussi disciplinaire au sein même des sciences de gestion ! Il existe en effet une
segmentation des équipes en finance entrepreneuriale suivant que le rattachement des
auteurs et des supports de publication utilisés est plutô t financier, plutô t économique ou
plutô t entrepreneurial.
Ce point est particulièrement sensible, notamment parce qu’il questionne la capacité de
ces chercheurs à innover et à construire ensemble un corpus théorique unificateur. Or nous
savons qu’il existe une zone d’hétérogénéité « optimale » au sein des groupes de créativité,
en-deçà de laquelle l’uniformité nuit à l’innovation, et au-delà de laquelle tout dialogue
entre les participants devient compliqué. De façon plus inquiétante cette segmentation
disciplinaire peut conduire à s’interroger sur l’existence d’un champ de recherche
autonome et cohérent en finance entrepreneuriale. Un décloisonnement des équipes de
chercheurs impliquées dans les différentes associations académiques francophones nous
semble donc plus que jamais indiqué pour nous permettre d’approfondir nos
connaissances dans ce domaine . 21

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1 Wallmeroth et al. (2018) notent que les premières publications sur le capital-risque ont été réalisées dans des revues qui n’étaient pas
financières.
2 Notamment les approches modélisatrices et quantitatives, ainsi que les perspectives découlant de la théorie de l’agence.
3 La pertinence de cette dernière approche peut toutefois être questionnée (Ang, 1991 ; Paré et Rédis, 2011). En effet, les caractéristiques des
jeunes entreprises cadrent parfois difficilement avec les hypothèses des modèles financiers (importance des relations informelles dans les PME,
diversité des objectifs des créateurs, etc.).
4 Cf. par exemple pour le capital-investissement les travaux qui se penchent sur les modes de sortie alternatifs à la disposition de ces financeurs,
les travaux qui se penchent sur les stratégies mises en place par ces derniers (syndication, spécialisation…), ou encore ceux qui se focalisent sur la
gestion des asymétries d’information dans ce contexte.
5 Pour une présentation des principaux outils de financement à la disposition de la start-up, cf. Pommet et Sattin (2016).
6 Cela conduit les entrepreneurs à céder en moyenne moins de 50 % de leurs parts sociales à la société de capital-risque (Goldfarb et al., 2014).
7 « Le capital-investissement ou private equity accompagne sur une durée déterminée des entreprises non cotées et leur apporte des fonds propres, via
une prise de participation minoritaire ou majoritaire au capital, nécessaires pour financer des projets de croissance et de transformation. Il soutient la
création de start-up (capital-innovation), participe à la croissance et à la transformation de nombreuses PME et ETI régionales (capital-
développement) et contribue à la transmission d’entreprises (capital-transmission). Il favorise ainsi l’émergence de champions nationaux.  » (France
Invest, https://www.franceinvest.eu/)
8 « Le capital-innovation (Venture Capital) concerne les entreprises en phase de création ou au début de leur activité. Le financement est destiné au
premier développement du produit et à sa première commercialisation. Selon la maturité du projet à financer, le capital-innovation se subdivise
comme suit :
– L’amorçage : première phase du financement de la création d’entreprise, les fonds propres sont alloués à la recherche, l’évaluation et le
développement d’un concept initial avant la phase de création. Cette phase concerne principalement les entreprises à fort contenu technologique.
– La création : l’entreprise est au tout début de son activité. Le financement est destiné au démarrage de l’activité commerciale et industrielle.
– La postcréation : correspond à un stade de croissance de l’activité commerciale et industrielle de l’entreprise précédent l’atteinte de la rentabilité.  »
(France Invest, https://www.franceinvest.eu/)
9 17,7 milliards de dollars vs 18,3 milliards de dollars aux É tats-Unis contre 5,6 milliards de dollars versus 5,3 milliards de dollars en Europe
(Tenca et al., 2018).
10 Via, notamment, la réduction de l’equity gap.
11 Les business angels détiennent leur participation en moyenne pendant quatre ans et la liquident de préférence par une cession industrielle
(Mason et Harrisson, 2002).
12 L’offre de financement participatif est assez variée. On s’accorde généralement pour dire qu’il existe quatre types de plateformes :
– Les plateformes de dons de type donation-based, où la contrepartie reçue en échange du don reste symbolique.
– Les plateformes de type reward-based sur lesquelles le contributeur reçoit une contrepartie en nature contre son apport.
– Les plateformes de type lending-based qui permettent l’octroi d’un prêt. Le financeur est ainsi rémunéré selon un taux d’intérêt prédéfini qui
tient compte du risque du projet.
– Les plateformes de type equity-based encore appelées crowdinvesting, qui prévoient l’émission de titres financiers et particulièrement utilisées
pour le financement des start-up.
13 Notamment en France l’ordonnance du 30 mai 2014 qui fixe le cadre réglementaire de la finance participative, en détaillant deux statuts : celui
de conseiller en investissement participatif et celui d’intermédiaire en financement participatif.
14 Mochkabadi et Volkmann (2018) notent que les recherches sur l’equity crowdfunding ont augmenté de 620 % entre 2012 et 2017. La littérature
avant cette date se focalisait principalement sur les facteurs de succès ou d’échec des campagnes individuelles et était plutô t descriptive comme la
littérature sur le capital-risque dans les années 1980 (Wallmeroth et al., 2018).
15 Par exemple, il arrive que des business angels se regroupent pour proposer des montants de financements qui sont normalement dévolus au
capital-investissement. De même, l’equity crowdfunding permet désormais de lever des montants non négligeables et parfois comparables à ce que
peuvent apporter des business angels. Les business angels investissent aussi sur les plateformes de crowdfunding, etc.
16 Cf. Wallmeroth et al. (2018) pour une revue de littérature sur ce point.
17 La loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel », qui réforme l’assurance chô mage offre depuis le 1er novembre 2019 une
indemnisation aux dirigeants de petites et moyennes entreprises (PME) confrontés à une liquidation judiciaire. La protection offerte semble
toutefois limitée et de futurs travaux seront amenés à préciser la pertinence du dispositif dans son format actuel.
18 Ces recherches sont particulièrement développées pour le crowdfunding, le capital-risque et les business angels (Grilli et al., 2019 ; Mochkabadi
et Volkmann, 2018 ; Tenca et al., 2018).
19 Certaines sources de financement apportent toutefois aussi des ressources complémentaires (business angels, capital-risqueurs…).
20 Pour autant, la dynamique de développement du projet entrepreneurial conduit les entrepreneurs sur des sentiers de dépendance qui
déterminent à leur tour le résultat de l’aventure entrepreneuriale, ainsi que l’efficacité des financements préalablement attribués. Les exemples
sont nombreux, mais ils n’ont reçu pour l’heure qu’une attention limitée. Par exemple, certains auteurs ont noté des effets d’hystérésis concernant
le financement bancaire et le recours au crédit commercial qui méritent d’être étudiés plus avant. Nous savons aussi que la probabilité est plus
élevée d’obtenir une subvention à l’innovation si une telle aide a déjà été obtenue précédemment. Il en est de même des effets de leviers liés à des
financements particuliers, etc.
21 Même si l’Academy of Entrepreneurial Finance est présente au niveau international, une meilleure intégration des équipes et des programmes
de recherche engagés en finance entrepreneuriale par exemple au sein de l’AEI et de l’AFFI pourrait s’avérer très intéressante à ce titre.
CONCLUSION. De l’entrepreneur à l’entrepreneuring : perspectives de
recherche
L’ambition de l’ouvrage était, à partir de revues de littérature critiques, de dresser un état
des lieux de la recherche francophone en entrepreneuriat mais également anglo-saxonne,
de présenter les principaux débats animant la communauté scientifique, et d’identifier les
perspectives de recherche les plus prometteuses dans le champ. Les contributions de cet
ouvrage ont montré de manière éclairante combien l’entrepreneuriat est traversé par un
double mouvement, avec le tournant à la fois processuel et critique et une réelle ouverture
voire une fertilisation croisée avec d’autres disciplines des sciences sociales et des sciences
de gestion et du management.
Cet ouvrage témoigne de la vitalité et de l’originalité des recherches en entrepreneuriat
qui, depuis vingt ans, ont su prendre de la distance avec l’approche instrumentale, pour
accueillir de nouveaux objets de recherche. La (re)découverte ou l’intérêt accordé à des
(nouvelles) réalités entrepreneuriales ou à des phénomènes entrepreneuriaux négligés à ce
jour, permet de confirmer la pertinence de voies critiques, où se trouvent défier / remis en
cause les cadres théoriques, conceptuels et méthodologiques dominants. La richesse et
diversité des premières taxonomies proposées dans cet ouvrage démontrent combien la
discipline a désormais dépassé le stade des débats sur la figure réductrice de
l’entrepreneur et celui de la modélisation universelle de la démarche entrepreneuriale.
Alors que la quête de typologies d’entrepreneurs (notamment sur les traits de personnalité
ou sur les motivations) est demeurée très présente pendant plusieurs décennies, les
différentes contributions de cet ouvrage s’accordent sur le caractère unique et singulier de
tout projet entrepreneurial, qui, par ailleurs renvoie à des démarches entrepreneuriales
complexes et polymorphes.
La remise en cause d’approches universelles, à partir de travaux questionnant à la fois les
perspectives fonctionnaliste et normative, participe d’une émancipation du champ et d’un
ancrage marqué des recherches dans le champ des sciences humaines et sociales ; certains
chercheurs ayant aussi choisi de s’engager dans de fructueux dialogues avec des disciplines
telles que la sociologie, l’anthropologie et la philosophie. Ces différentes voies ont permis à
l’entrepreneuriat de devenir le creuset de débats théoriques qui indubitablement relèvent
aussi des finalités propres aux sciences morales et politiques – au rang desquels se situent
1

le droit, l’économie et la gestion.


Sur le plan épistémologique, il ressort que certaines de nos ignorances ou manque
d’intérêt pour des phénomènes entrepreneuriaux demeurent influencés par des principes
d’organisation de la pensée ou paradigmes (Morin, 1990) qui gouvernent notre vision et
notre conception de l’action entrepreneuriale, à commencer par la conception de l’agir
humain (de l’agir rationnel à l’agir projectif pour reprendre notre propos introductif).
Précisément parce que l’action – concept clé des sciences humaines (que ce soit en
économie, sociologie, psychologie, sciences de gestion et du management…) – et de surcroît
l’action entrepreneuriale supposent de s’adosser à un modèle de l’action. Les contributions
choisies dans cet ouvrage abordent/analysent des réalités selon des approches
renouvelées, récusant les lectures parfois trop simplificatrices voire mutilantes de la
richesse de l’agir entrepreneurial. À ce titre, les trois postulats implicites sur lesquels
reposent les deux modèles dominants (mais aussi le discours de la modernité) – à savoir le
modèle rationnel et le modèle normatif – sont désormais questionnés : le caractère
téléologique de l’action, le contrô le corporel de l’acteur, l’individualité autonome du sujet
agissant (Joas, 1992). Les travaux de Hans Joas quant à la révision de ces postulats ouvrent
des voies pour le champ de l’entrepreneuriat pour mieux comprendre les processus
d’action collective à partir d’une théorie sociale plus adaptée aux conditions et défis
contemporains et permettre d’éviter la voie du fonctionnalisme. À ce jour, Desreumaux et
Bréchet (2018) déplorent à juste titre que la question de l’émergence de l’entreprise /
action collective fait encore figure de grande absente alors qu’une théorie de l’entreprise
(ou de l’action collective) se devrait d’être également une théorie de l’entrepreneuriat
(Nooteboom, 2009).
Sur le plan méthodologique, les défis que pose l’étude des processus entrepreneuriaux
conduisent les chercheurs à plaider en faveur d’approches multiniveaux, permettant
d’appréhender les facteurs d’ordre individuel, collectif et contextuel. Ce plaidoyer se
conjugue avec une invitation à engager et privilégier des démarches longitudinales tout au
long du processus entrepreneurial (avant le démarrage, pendant la gestion de l’entreprise,
après la sortie et lors du redémarrage) et à traiter des pratiques effectives. Dernièrement,
les travaux se sont attelés, comme le rappelle Gabay-Mariani (chapitre 4), à explorer les
« chaînons manquants » du passage de l’intention à l’action entrepreneuriale et à répondre
aux limites des modèles décisionnels. La recherche s’est jusqu’ici encore trop focalisée sur
le résultat de la décision sans véritablement en comprendre le processus. Comme le
constate Marie-Josée Drapeau (chapitre 5), ce choix conduit à demeurer à un niveau
d’explication superficielle au lieu d’approfondir le phénomène. En réponse à ces limites, les
travaux entrent dans une phase plus processuelle dans laquelle les chercheurs cherchent à
comprendre le processus décisionnel (qu’il s’agisse de l’entrée, de la sortie ou encore du
retour), c’est-à -dire le cheminement de l’entrepreneur pour en arriver à ce choix qui est
affecté de différentes façons. Cette perspective nouvelle permet de s’intéresser aux
processus de maintien, consolidation, arrêt, reprise des trajectoires entrepreneuriales. La
combinaison de la perspective processuelle et de la perspective critique ouvre là encore
des possibilités théoriques et méthodologiques, où l’accent est mis sur le processus du
devenir entrepreneurial plutô t que sur le résultat d’être entrepreneur. Les prochaines
recherches vont devoir poursuivre et documenter des phénomènes entrepreneuriaux de
plus en plus hybrides (parce que pouvant relever à la fois du social, du numérique, du
culturel, par exemple), voire des phénomènes informels (économie souterraine…). Les
tentatives de catégorisation (entrepreneuriat social, féminin, de nécessité, culturel…)
doivent être avant tout considérées comme des premiers efforts – nécessaires pour se
doter de repères. Pour la communauté des chercheurs, l’enjeu sera de proposer des
recherches fondées sur la prise en compte de la réalité effective et ancrée du travail et des
pratiques formelles et informelles (pratiques de travail, pratiques relationnelles, pratiques
communautaires…) des individus dans leur contexte d’activité.
Le courant de l’entrepreneuring vise bien à affirmer la richesse anthropologique et les
potentialités d’un agir entrepreneurial, à partir de l’analyse de l’expérience sensible et
ordinaire d’individus en situation. Cette approche rejoint ce que l’on désigne aujourd’hui
par « entrepreneurhip-as-practice » (Thompson et al., 2020 ; Teague et al., 2020), en
appliquant au champ de l’entrepreneuriat le « practice turn » (Schatzki et al., 2001) qui
s’est déjà imposé dans les sciences sociales comme en témoignent les nombreux travaux
menés en stratégie et en théorie des organisations. Dans cette perspective, il s’agit de
s’intéresser aux pratiques effectives de l’acteur, à ce qui se joue entre l’acteur et le système,
en étudiant les liens, les interactions, les artefacts (matériels ou non) quand il agit.
Alors que notre société est confrontée à d’importantes mutations, la déconstruction du
lien voire de la référence (soumission) « naturelle » entre l’entrepreneuriat et le
développement économique (l’agir rationnel) semble prometteuse pour re-considérer les
problématiques d’un agir entrepreneurial créatif et projectif : comment les individus
entreprenants (dans leur diversité) s’organisent-ils pour imaginer de nouveaux projets ?
Comment créer, produire et diffuser des activités nouvelles dans des contextes culturels,
sociaux et économiques spécifiques ? Quelles seraient les formes d’action collective et les
formes organisationnelles pour relever les défis du XXI  siècle ? Les perspectives e

processuelles et critiques, et la perspective de la pratique constituent un assemblage


théorique et conceptuel prometteur pour aborder ces questionnements.

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1 Les « sciences morales et politiques » recouvrent le champ de l’étude de l’homme et de la société.


LES AUTEURS
Joëlle Bissonnette est professeure en entrepreneuriat à l’É cole des sciences de la gestion
de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM). Elle a étudié en littérature,
communication, management et entrepreneuriat. Ses expériences professionnelles dans
l’industrie musicale l’ont amenée à s’intéresser à l’entrepreneuriat culturel dans des
contextes et populations en marge. Ses travaux sont notamment diffusés dans le Journal of
Business Ethics, la Revue internationale PME et Artivate: A journal of entrepreneurship in the
arts de même qu’auprès d’instances gouvernementales. Elle est membre du Groupe
Entrepreneuriat Société Transformations (GEST) de l’ESG UQAM.
Roxane De Hoe, après un master en sciences psychologiques, a réalisé une thèse de
doctorat en sciences économiques et de gestion à l’Université Catholique de Louvain
(UCLouvain) auprès du Professeur Frank Janssen. Sa thèse portait sur l’intention de recréer
après une sortie entrepreneuriale. En septembre 2020, elle rejoint une équipe
pluridisciplinaire travaillant sur l’économie de la fonctionnalité au sein de l’ICHEC Brussels
Management School.
Donatienne Delorme, diplô mée de SKEMA et docteure en sciences de gestion (Université
de Nantes), est enseignante-chercheure à l’IDRAC Business School. Chercheure associée au
LEMNA (Laboratoire d’économie et de management de Nantes Atlantique), ses
enseignements et ses travaux portent principalement sur l’entrepreneuriat, les business
models et les écosystèmes d’innovation. Avant de se lancer dans la recherche, elle a occupé
différents postes à responsabilité dans l’industrie et le conseil.
Marie-Josée Drapeau est professeure en management spécialisée en entrepreneuriat et
PME à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Elle est détentrice d’un doctorat en
management de l’Université Laval (QC). Ses intérêts de recherche portent sur l’étude des
dirigeants de PME, la sortie entrepreneuriale en contexte de PME et la transmission des
PME. Issue du monde des affaires, elle est passionnée par l’entrepreneuriat.
Sandrine Emin, normalienne et docteure en sciences de gestion, est maître de
conférences à l’université d’Angers. Elle est chercheure au GRANEM – Groupe de Recherche
Angevin en É conomie et Management. Elle dirige la licence professionnelle Gestion de
projets et structures artistiques et culturels (IUT, département GEA) et est membre du
bureau de l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation. Spécialiste de
l’entrepreneuriat, ses recherches portent notamment sur les dynamiques
entrepreneuriales collectives. Ses terrains d’investigation privilégiés sont l’économie
sociale et solidaire et les activités culturelles et créatives.
Laëtitia Gabay-Mariani est professeure assistante à l’ESSCA en Entrepreneuriat et
Innovation. Elle est également membre du conseil d’administration de l’Académie de
l’Entrepreneuriat et de l’Innovation et du comité de rédaction de la revue Entreprendre &
Innover. Elle a réalisé sa thèse de doctorat sur le rô le de l’engagement dans le processus
entrepreneurial. Ce travail a nourri l’observatoire d’impacts de la chaire Pépite France,
pour lequel elle a mené de nombreuses études sur les profils, les trajectoires et
l’accompagnement des étudiants-entrepreneurs. Il a également reçu le prix de thèse de
l’Association Internationale de Management Stratégique (AIMS) et de l’Académie de
l’Entrepreneuriat et de l’Innovation. Ses travaux de recherche portent sur les dynamiques
et les processus, individuels ou collectifs, de création et d’innovation.
Simona Grama-Vigouroux est professeure associée au sein de SCBS Troyes. Elle enseigne
principalement des cours en innovation et entrepreneuriat. Elle possède un doctorat en
sciences de gestion obtenu à l’IAE de Lyon. Ses axes de recherche sont liés à l’aspect
humain de l’innovation ouverte, le rô le de structures de support comme les technopoles et
les incubateurs d’affaires dans la performance des entrepreneurs et les effets des
compétences des entrepreneurs sur la réussite de leur start-up. Elle est impliquée
fréquemment dans des activités de coaching avec les étudiants du Master ICE (Innovation,
Création et Entrepreneuriat) de SCBS qui réalisent des projets avec les entreprises de la
région. Avant d’intégrer SCBS, elle a travaillé dans l’industrie du recrutement en ligne en
Roumanie.
Mariyam Lakhal est maître de conférences en sciences de gestion à l’Institut
d’Administration des Entreprises de Limoges. Elle est membre du centre des recherches
sur l’entreprise, les organisations et le patrimoine (CREOP). Ses recherches portent
principalement sur le financement de l’entrepreneuriat social, l’entrepreneuriat
numérique, l’innovation sociale et le business model des organisations à finalité sociale.
Amandine Maus est maître de conférences à la Faculté d’É conomie et de Gestion d’Aix-
Marseille Université. Elle est membre du laboratoire CERGAM et de la chaire Légitimité
Entrepreneuriale. Ses travaux de recherche portent sur les incubateurs. Elle étudie plus
spécifiquement l’innovation de leurs business models et leurs processus de légitimation. Ses
enseignements concernent les domaines de l’entrepreneuriat, de la stratégie et de
l’innovation. Elle dirige d’ailleurs le master 1 Management de l’innovation.
Jean-François Sattin est maître de conférences HDR en sciences de gestion à l’Université
Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où il co-dirige le M2 Innovation Management des Technologie
et Entrepreneuriat (IMTE). Il est aussi vice-président du CNU 06 et secrétaire général de
l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation. Ses recherches actuelles portent sur le
financement des projets entrepreneuriaux ainsi que sur le rebond entrepreneurial.
Nathalie Schieb-Bienfait, diplô mée de l’EDHEC, de l’université Paris Dauphine, docteure
en sciences de gestion, est maître de conférences HDR à l’IAE de l’Université de Nantes. Elle
est chercheure au sein du LEMNA (laboratoire d’économie et de management Nantes
Atlantique) et associée au LABEX Entreprendre (Université Montpellier). Ses recherches
portent sur les dynamiques entrepreneuriales et les processus d’innovation. Elle est
membre du bureau de l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation et du comité
scientifique de la Revue de l’Entrepreneuriat. Elle dirige le Master 2 Management et
administration des Entreprises (MBA) en formation continue de l’IAE de Nantes.
Christel Tessier-Dargent est enseignante en créativité, innovation et entrepreneuriat à
Grenoble INP, Université Grenoble-Alpes, et chercheure associée au CERAG. Diplô mée
d’ESCP Business School, agrégée du secondaire en économie-gestion, docteure en sciences
de gestion, elle a préalablement mené une carrière internationale de conseil en stratégie et
systèmes d’information. Ses travaux portent sur l’entrepreneuriat dit de nécessité, hybride
et inclusif, le repreneuriat contraint et le capital entrepreneurial, avec une approche
qualitative.
Hedi Yezza est professeur associé à EDC Paris Business School (France), professeur
adjoint en entrepreneuriat à l’école de gestion – Université de Sherbrooke, Québec
(Canada) et chercheur affilié à la chaire Entrepreneuriat Territoire Innovation de l’IAE
Paris (Sorbonne Business School) – France (http://chaire-eti.org/). Ses recherches
s’intéressent principalement aux entreprises familiales notamment le processus de
succession, la régénération stratégique, la gestion des conflits et le capital social. Il a publié
de nombreux articles sur ces sujets dans des revues académiques, colloques nationaux et
internationaux ainsi que des chapitres d’ouvrages. Il a reçu le « Prix de Thèse » décerné par
l’Association Internationale de Recherche en Entrepreneuriat et PME (AIREPME). Il occupe
depuis 2020 le poste de secrétaire de rédaction de la Revue de l’Entrepreneuriat / Review of
Entrepreneurship.

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