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De l’entrepreneur à l’entrepreneuring
Vers une approche processuelle et critique
Coordonné par Sandrine EMIN et Nathalie SCHIEB-BIENFAIT
leur laboratoire et leur engagement académique. Ces travaux ont comme point commun
d’investiguer des problématiques entrepreneuriales originales, pour en dégager l’état des
débats scientifiques. Ils s’efforcent aussi de révéler les insuffisances voire les carences de
recherches antérieures en entrepreneuriat, de manière à renouer avec l’épaisseur, la
densité et la complexité des phénomènes entrepreneuriaux. À cet effet, leurs recherches
décloisonnent l’entrepreneuriat au travers de connaissances issues de la théorie des
organisations, de la psychologie, des sciences de gestion et du management et des sciences
humaines et sociales.
Repères historiques
Au cours des trois dernières décennies, deux tournants théoriques majeurs ont marqué le
champ de l’entrepreneuriat, avec l’affirmation d’une perspective processuelle et celle d’une
perspective critique. Ils ont opéré une rupture avec la tradition fonctionnaliste et
normative qui a longtemps dominé le champ. Ils ont aussi permis de se défaire, voire de
remettre en cause certaines représentations et stéréotypes dominants, notamment la
figure héroïque de l’entrepreneur, la prédominance de la rationalité téléologique, le poids
de l’intention délibérée, pour privilégier des problématiques visant à mieux se saisir des
pratiques entrepreneuriales, de manière à la fois plus holistique, contextualisée et
phénoménologique. Rappelons que le passage du centre d’intérêt en entrepreneuriat de
l’entrepreneur vers le processus entrepreneurial s’est opéré à la fin des années 1980 avec
les travaux de Gartner (Gartner, 1989 ; Bygrave et Hofer, 1991) ; il s’est illustré par de
nouvelles questions, relatives au comportement de l’entrepreneur, invitant les chercheurs
à privilégier un travail de terrain, de description pour mieux connaître ses activités
effectives (à l’instar des recherches de Mintzberg sur les activités du manager). Plus
récemment, comme le rappellent Jacquemin et al. (2017), le champ a connu une ouverture
à l’approche critique, que l’on peut dater d’un numéro spécial d’Entrepreneurship and
Practice paru en 2005, consacré aux perspectives alternatives en entrepreneuriat, puis d’un
numéro spécial d’Entrepreneurship and Regional Development de 2013, où sont questionnés
plusieurs mythes et hypothèses de la discipline. Sur la base de ces constats, nous avons
donc – à travers le titre de cet ouvrage –, délibérément privilégié l’emploi du gérondif
entrepreneuring, pour signifier le choix de ce fil rouge, afin de mettre en exergue ces
tentatives de dépassement du réductionnisme individualiste – à la fois sur le plan
théorique et méthodologique – et leurs incidences sur la production de connaissance, et ce
quels que soient les objets d’analyse dans le champ de l’entrepreneuriat.
De l’entrepreneur à l’entrepreneuring
Dans cette introduction générale, nous situons brièvement le courant de recherche centré
sur le processus, dans une perspective dynamique et holistique, que nous qualifierons
d’entrepreneuring par rapport aux grands courants de la recherche en entrepreneuriat, et
2
notamment le courant centré sur l’individu et le courant centré sur l’interaction individu-
contexte, en vue de mieux en préciser la portée et les enjeux pour la recherche en
entrepreneuriat.
Rappelons d’abord que la recherche en entrepreneuriat est relativement jeune. Elle a été,
jusqu’aux années 1980, le « parent pauvre de la recherche en gestion », la création
d’entreprise étant considérée comme un « épiphénomène sans importance », la gestion
étant l’affaire des grandes entreprises (Vickery, 1985). La première thèse sur le sujet en
France : Création d’entreprise : contributions épistémologiques et modélisation, que l’on doit
à Christian Bruyat (1993), n’a pas encore trente ans. La présentation en grands courants
n’est, elle-même, pas encore totalement stabilisée. Certains ont pu distinguer l’étude « du
quoi ? » (les rô les ou fonctions de l’entrepreneur dans le système économique), « du qui ? »
(les déterminants individuels de l’action entrepreneuriale) et « du comment ? » (les actions
de l’entrepreneur) (Stevenson et Jarillo, 1990). Plus récemment, d’autres ont mis en
évidence différents paradigmes dans le champ : paradigme de l’innovation, paradigme de la
création d’organisation, paradigme de la création de valeur, paradigme de l’opportunité
d’affaires (Verstraete et Fayolle, 2005), qui « laissent dans l’ombre différents courants ou
écoles qui structurent le champ » comme l’école fondée sur les traits ou le courant de la
décision entrepreneuriale, mais aussi la place du processus dans le champ (Messeghem et
Sammut, 2011). D’autres chercheurs encore préfèrent parler de quatre postures en
entrepreneuriat : rationnelle (centrée sur le résultat de l’action de l’entrepreneur – le quoi
–), normative (centrée sur le porteur de l’action, l’entrepreneur – le qui –), cognitive
(centrée sur ses modes de raisonnement), et « projective » (centrée sur l’action et la
3
critique, des travaux avec un ancrage sociologique (Bowen et Hisrich, 1986 ; Aldrich et al.,
1987 ; Filion, 1991) se sont intéressés à la dimension sociale de l’entrepreneur, au rô le des
personnes que l’entrepreneur cô toie et connaît (réseaux et capital social de l’entrepreneur)
et des milieux dans lequel il grandit et évolue (groupe ethnique, famille et proche,
expériences professionnelles…) qui sont autant de sources d’informations et
d’apprentissages.
De nombreux travaux ont alors étudié les effets de l’environnement global/local (accès à
des ressources), social (expérience professionnelle, ethnie, modèles d’imitation, famille…)
et du contexte immédiat (avec la notion de déplacement proposée par Shapero, 1975)
comme médiateur des effets des traits et caractéristiques personnelles sur les
comportements entrepreneuriaux. Dans ce cadre, l’acte d’entreprendre n’est plus
seulement lié aux caractéristiques de l’individu mais est également déterminé par les
facteurs de contexte qui vont agir de manière contingente pour favoriser ou inhiber le
comportement entrepreneurial. Un courant de recherche important s’est affirmé, autour de
l’étude de l’ensemble des facteurs qui agissent sur l’apparition d’une intention
entrepreneuriale (Shapero et Sokol, 1982 ; Krueger, 1993 ; Krueger et Casrud, 1993 ;
Krueger et Brazeal, 1994 ; Krueger et al., 2000), et les choix de carrières entrepreneuriales.
Une des avancées de ce courant porte sur la reconnaissance du phénomène
entrepreneurial comme un phénomène multidimensionnel. Cependant si le créateur n’est
plus le seul élément à prendre en compte, il conserve dans ces travaux le rô le principal. Ils
restent par ailleurs trop normatifs, linéaires et déterministes : l’intention, et à travers elle
des facteurs individuels et situationnels, précèdent et prédisent l’action. Ces recherches ne
prennent pas non plus le temps en considération. Le courant processuel apporte à ces
niveaux un changement majeur.
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l’Entrepreneuriat et de l’Innovatin et l’AIREPME : Association Internationale de Recherche en Entrepreneuriat et PME).
2 Le gérondif est une forme hybride qui possède à la fois les caractéristiques d’un nom et celles d’un verbe, d’où sa difficile traduction en français.
Ce pourrait être l’action d’entreprendre ou plutô t l’entreprendre en action, en train de se faire faisant référence à l’aspect processuel de
l’entrepreneuriat. “The term of ‘entrepreneuring’ following Weick’s (1979) idea that verbs draw attention to actions and processus geared toward
change creation.” (Rindova, V., Barry, D. & Ketchen, D. (2009). Entrepreneuring as emancipation. Academy of Management Review, 34(3), 477-491.
3 Ce terme a été retenu par les auteures, suite aux recherches menées sur l’approche par le projet (cf. numéro spécial de la Revue de
l’Entrepreneuriat de 2011, 10(2), sous la direction d’A. Asquin, R. Condor et C. Schmitt).
4 Rappelons que parallèlement à ces travaux, des auteurs ont tenu compte de l’environnement dans lequel l’entrepreneur agit, comme niveau
d’analyse principal, et notamment de l’influence du macro-environnement sur le nombre de nouvelles entreprises créées dans un périmètre
donné (voir par exemple les travaux du groupe Global Entrepreneurship Monitor).
5 Traduction de Germain et Jacquemin (2017).
PARTIE 1. CERNER L’ENTREPRENEUR(IAT) : NOUVEAUX CONTEXTES
D’INVESTIGATION
Chapitre 1. Une posture critique et processuelle de
l’entrepreneuriat culturel
Joëlle Bissonnette
Introduction
Dans les écrits sur l’entrepreneuriat dans les secteurs des arts et de la culture (musique,
théâ tre, cinéma, arts visuels, etc.), l’entrepreneur culturel étudié peut être artiste
travailleur autonome, propriétaire de microentreprise ou fondateur d’entreprise de
plusieurs employés. Tous ont en commun de générer de nouveaux biens et services
culturels et de les commercialiser (Hausmann et Heinze, 2016). Bien que ces travaux en
offrent une définition plurielle, ils mettent peu en valeur la diversité des entrepreneurs
culturels en termes de contextes sociaux dans lesquels ils œuvrent et de motivations à
entreprendre, notamment. Ces travaux reposent majoritairement sur des connaissances
tirées des épicentres anglo-saxons et euro-américains comme les grandes villes des É tats-
Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Australie et accordent une grande place à l’entrepreneur
culturel blanc, de classe moyenne, masculin et urbain (Alacovska et Gill, 2019). Cet
entrepreneur est souvent dépeint comme jeune, innovant, individualiste et prédisposé à
poursuivre une démarche entrepreneuriale dans un esprit d’exploration de soi et
d’autoréalisation. Cette vision est qualifiée d’« utopique » par certains auteurs, estimant
qu’une foule d’entrepreneurs ne peuvent s’y identifier (Banks et Hesmondhalgh, 2009 ;
Coulson, 2012). Ce chapitre fait état d’efforts réalisés pour questionner nos façons
habituelles de conceptualiser l’entrepreneuriat culturel afin d’en éclairer une plus grande
diversité. Ces efforts passent par une posture critique et processuelle de l’entrepreneuriat,
posture mettant en valeur une diversité de formes d’organisation et d’échanges ainsi
qu’une multiplicité de références de l’entrepreneur. Elle fait la lumière sur le processus qui
conduit un individu à devenir entrepreneur et à construire son identité entrepreneuriale
en relation avec son contexte. Dans ce chapitre, nous expliquons d’abord en quoi l’approche
traditionnelle de l’entrepreneuriat culturel ne permet pas de refléter la diversité des
entrepreneurs des secteurs artistiques et culturels. Puis, nous soulignons l’intérêt d’une
posture critique et processuelle pour analyser l’entrepreneuriat dans ces secteurs, en
prenant notamment appui sur un corpus récent de travaux menés dans des contextes
sociaux marginaux ou excentrés, soit des contextes se situant en périphérie ou en marge
des épicentres anglo-saxons et euro-américains (Bhabha, 1994, cité par Alacovska et Gill,
2019, p. 196). Ces contextes invitent de façon évidente à une lecture plus critique de
l’entrepreneuriat culturel en raison de l’interaction importante entre les éléments
contextuels et l’entrepreneuriat qui s’y déploie, des formes alternatives d’organisation et
d’échanges repérées ainsi que de la nature des pratiques et dynamiques constitutives de
ces organisations. Enfin, nous mettons en évidence les avenues de recherche future que la
posture conceptuelle proposée et les travaux analysés invitent à explorer.
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Chapitre 2. De l’entrepreneur héroïque à l’entrepreneur de
nécessité
Christel Tessier-Dargent
Introduction
Aux cô tés du mythe de l’entrepreneur héroïque célébré par les médias, politiques et
chercheurs, une approche plus critique se fraye une voie, celle d’un entrepreneuriat dit de
nécessité, contraint ou même de survie. Il représente la moitié des entrepreneurs dans les
pays en développement et un cinquième dans les pays dits développés (Nikiforou et al.,
2019). Les entrepreneurs par nécessité sont considérés comme « des individus poussés à la
création d’entreprise car ils ne perçoivent pas de meilleure alternative d’emploi » (Cowling et
Bygrave, 2003, p. 544). Ils sont opposés, dans une dichotomie communément acceptée, aux
entrepreneurs par opportunité, à savoir ceux qui poursuivent une opportunité d’affaires
qu’ils ont identifiée ou créée. Ainsi, en lien avec le terrain, la recherche a ouvert un champ
d’analyse critique du mythe schumpétérien de l’entrepreneur, décrivant habituellement
une logique entrepreneuriale individuelle et victorieuse, pour passer à la description d’un
processus social émergent et fortement contextualisé (Gartner, 1989 ; Hjorth et al., 2008 ;
Jacquemin et al., 2017). Deux approches divergentes orientent cet intérêt : d’une part,
certains voient dans l’entrepreneuriat de nécessité un entrepreneuriat de « deuxième
catégorie », peu contributeur au développement économique avec, en arrière-pensée,
l’objectif de mieux diriger les investissements publics ou privés, non vers ces individus
voués à l’échec, mais vers les gazelles innovantes, créatrices d’emploi et vecteurs de
croissance (Shane, 2009) ; d’autre part, pour répondre aux enjeux des crises économiques
successives, les politiques publiques de nombreux É tats et les instances mondiales
encouragent l’entrepreneuriat, sous toutes ses formes, comme outil de résorption du
chô mage et de réinsertion, invitant chaque individu « désavantagé » à prendre ses
responsabilités et son destin en main . Les critiques de la communauté de recherche à
12
nécessité et par opportunité est issue des travaux de Shapero (1975) sur les motivations
positives et négatives à créer. Shapero démontre que la décision d’entreprendre est
corrélée au contexte dans lequel l’entrepreneur se situe. Il observe que la plupart des
entrepreneurs ont subi un « accident » dans leur vie personnelle ou professionnelle, qu’il
nomme « déplacement » : licenciement, insatisfaction dans le travail, divorce, deuil,
maladie. Cette notion de déplacement ouvre la porte à une vision non plus uniquement
fonctionnelle, mais contingente, de l’entrepreneur. Cette dichotomie a été renouvelée par le
consortium GEM (Reynolds et al., 2002) qui utilise ce terme pour décrire une création
4
d’entreprise par défaut, sans projet préalable, répondant à une nécessité purement
économique, d’obtenir un revenu, faute d’alternative professionnelle perçue.
L’entrepreneuriat de nécessité est motivé par des facteurs négatifs, dits push, tels chô mage,
insécurité dans l’emploi actuel, besoin de flexibilité ou insatisfaction professionnelle,
divorce, maladie, besoin de reconnaissance sociale, pression familiale (Noorderhaven et al.,
2004). La littérature souligne la complexité du concept d’entrepreneur par nécessité et
l’hétérogénéité du phénomène : la dispersion sémantique prouve combien les réalités
couvertes sont polymorphes. Une majorité des définitions, certes, décrivent une création
d’entreprise due à la perte d’un emploi salarié (Block et Wagner, 2010). Certains articles
ont uniquement trait à l’entrepreneuriat de survie (Serviere, 2010) cependant que d’autres
évoquent plus généralement l’entrepreneuriat de nécessité comme solution pour échapper
aux discriminations subies, par les femmes ou les immigrants par exemple. La définition la
plus consensuelle est celle du GEM, basée sur une unique question d’enquête : « menez-
vous ce projet entrepreneurial pour tirer parti d’une opportunité ou parce que vous n’avez
pas de meilleure alternative d’emploi ? ». De fait, la réponse peut être biaisée pour de
nombreuses raisons : différences culturelles, biais déclaratif, incompréhension des termes,
difficulté dans la classification des motivations, évolution dans le temps de ces motivations,
réponse en fonction de la réussite de l’entreprise et non des motivations initiales. De plus,
ces résultats ne peuvent pas être comparés avec les bases statistiques nationales ou
internationales, dont les critères sont plus réducteurs mais plus objectifs, comme le fait
d’être sans emploi ou de bénéficier de minima sociaux. Nous avons recensé dans l’ensemble
des travaux identifiés, une centaine de définitions différentes de l’entrepreneuriat de
nécessité, dont Wennekers et al. (2005) ; Bergmann et Sternberg (2007) ; Van Stel et al.
(2007) ; Block et Koellinger (2009) ; Block et Sandner (2009) ; Caliendo et Kritikos (2010) ;
Block et Wagner (2010) ; Fossen et Bü ttner (2013) ; Van der Zwang et al. (2016). Pour
certains auteurs, la stricte dichotomie motivation de nécessité versus d’opportunité est
beaucoup trop simpliste et ne correspond pas à la réalité entrepreneuriale (Williams et
Williams, 2014). En effet, des travaux mettent en évidence la possibilité qu’un individu
puisse être simultanément mû par des motivations de nécessité et d’opportunité (Caliendo
et Kritikos, 2010 ; Block et Sandner, 2009). Giacomin et al. (2016) évoquent des sous-
groupes d’entrepreneurs avec des degrés de motivations variant de la stricte nécessité à la
stricte opportunité selon un large spectre. Puente et al. (2019) soulignent que cette
dichotomie ne rend pas justice aux entrepreneurs d’Amérique latine par exemple : ils
définissent un troisième profil dit « de transition », soulignant que les entrepreneurs de la
catégorie « par nécessité » peuvent avoir des aspirations de développement de leur
entreprise. S’appuyant sur la théorie de Maslow (1943), Dencker et al. (2019), proposent
une reconceptualisation de l’entrepreneuriat de nécessité, basée sur la satisfaction des
besoins primaires. La théorie de Maslow (1943) étant elle-même largement critiquée, cette
piste a été peu reprise. Par ailleurs, les études quantitatives sur l’entrepreneuriat de
nécessité, recourant le plus souvent aux bases de données de GEM (Wennekers et al., 2005 ;
Bergmann et Sternberg, 2007 ; Van Stel et al., 2007) ou aux statistiques du chô mage (Fairlie
et Fossen, 2018), parviennent à des conclusions non significatives, voire contradictoires
sur bien des thèmes : l’impact de l’â ge sur la création d’entreprise par nécessité (Giacomin
et al., 2007 ; Block et Sandner, 2009 ; Wagner, 2005 ; Bergmann et Sternberg, 2007),
l’impact de celle-ci sur le développement économique, entre autres. Enfin, Welter et al.
(2017) soulignent que cette dichotomie repose sur une vision condescendante et
réductionniste, basée sur un a priori négatif de l’individu et de son potentiel économique,
alors qu’une vision dynamique et contextualisée du projet et non seulement de la personne
est indispensable. Ce pour quoi les approches processuelles (Hjorth et al., 2015), plaidant
l’indétermination de tout parcours entrepreneurial et l’abordant tel qu’il se vit, en
s’approchant au plus près de l’expérience, représentent la piste la plus fructueuse.
Le concept défini et ses contours flous mis en lumière, résumons maintenant les
principales connaissances sur l’entrepreneuriat par nécessité.
2. État des connaissances sur l’entrepreneuriat par nécessité via le cadre d’analyse
de W. Gartner
Les sources d’hétérogénéité de l’entrepreneuriat de nécessité peuvent être identifiées par
application du cadre d’analyse de Gartner (1985) qui suggère de se focaliser sur quatre
dimensions pour décrire et expliciter toute création d’entreprise selon une approche
holistique et approfondie du phénomène : l’individu, l’environnement, l’organisation et le
processus. Recourir au modèle de Gartner (1985) permet de considérer l’ensemble des
variables, entrepreneur, histoire, espace et temps, circonstances, actions et étapes du
processus et de les relier dans une approche descriptive dynamique. Cette revue de la
littérature permet ainsi de saisir clairement que les entrepreneurs dits de nécessité, de
survie, forcés, involontaires, insatisfaits, ou contraints ne sont pas une catégorie homogène,
opposable aux entrepreneurs qui poursuivent de lucratives opportunités d’affaires.
L’entrepreneuriat de nécessité dépend non seulement des motivations des individus, qui
sont évolutives et multiples, mais aussi des situations et du contexte entrepreneurial, car
l’environnement de la création par nécessité influence grandement le couple porteur de
projet-entreprise créée.
2.1. L’individu : pas un mais des entrepreneurs par nécessité
S’agissant de la dimension individuelle, la littérature révèle un ensemble de
caractéristiques des entrepreneurs par nécessité. Ils ont une plus grande aversion aux
risques, plus de doutes et plus besoin d’un accompagnement, que les entrepreneurs par
opportunité (Singh et Denoble, 2003). Ils espèrent retrouver un statut de salarié : le degré
de réticence à devenir ou rester entrepreneur est très élevé. Le besoin d’autonomie et de
réalisation, le contrô le interne, la propension à prendre des risques et l’auto-efficacité sont
faibles (Yanniv et Brock, 2012). La plupart des travaux convergent pour conclure à
certaines caractéristiques sociodémographiques communes aux entrepreneurs par
nécessité, en comparaison avec les entrepreneurs par opportunité : un â ge plus élevé, un
niveau d’études inférieur, une expérience de travail et une capacité à identifier et exploiter
les opportunités entrepreneuriales moindres, un réseau entrepreneurial limité voire
inexistant. Les principaux profils décrits sont les femmes, les seniors, les immigrants, les
ruraux, les chô meurs, les individus peu diplô més et en particulier les jeunes, dont le capital
social et humain est réputé faible (Block et al., 2015). Bayad et al. (2016) proposent une
typologie en quatre profils liés aux différents types de motivations, avec un continuum
entre push et pull. Tessier-Dargent et Fayolle (2016) ont établi une typologie des
entrepreneurs par nécessité en huit profils, éclairant la variété des motivations et des
parcours, approfondie par Tessier-Dargent et Deschamps (2020) pour les repreneurs dits
contraints. Les motivations de ces entrepreneurs peuvent évoluer dans le temps, en
particulier devenir positives si le projet de création se développe. Par ailleurs, les
motivations positives et négatives à créer sont en réalité très intriquées, d’ordre culturel,
situationnel et psychologique. Ainsi, Beaucage et al. (2004) montrent dans leur modèle que
le passage au travail autonome découle le plus souvent d’une décision motivée à la fois par
des aspirations personnelles et professionnelles spécifiques et par des conditions d’emploi
précaires et insatisfaisantes : il y a influence combinée des facteurs « pull » et « push », de
motivations personnelles et de contraintes économiques et sociales. En terme
comportemental, Giacomin et al. (2016) avancent que les entrepreneurs par nécessité ont
des comportements différents des entrepreneurs par opportunité. Par exemple, les
entrepreneurs d’opportunité sont plus orientés vers des objectifs de croissance,
d’innovation, de pérennité et de rentabilité, que les entrepreneurs de nécessité (Block et
Sandner, 2009 ; Hessels et al., 2008). Les entrepreneurs par nécessité agissant par volonté
de pure survie économique pour certains, ils sont davantage préoccupés par leurs besoins
financiers à court terme que par les attentes et les opportunités du marché. Pour
Sahasranamam et Sud (2016), les entrepreneurs par nécessité ne sont pas forcément issus
du chô mage, dans des pays au fort développement, Inde ou Chine, mais peuvent être en
emploi, insatisfaits de leur carrière et revenus, ou poussés par des firmes en baisse
d’activités. Les femmes n’y sont pas non plus surreprésentées. Les travaux de Giacomin et
al. (2007) démontrent aussi qu’il ne faut pas systématiquement associer chô mage et
entrepreneuriat de nécessité. Ainsi, comme le rappelle Couteret (2010, p. 3) : « Tout
chômeur-créateur ne peut pas être qualifié d’entrepreneur contraint. » Explorons ensuite les
connaissances sur l’environnement de l’entrepreneuriat par nécessité.
2.2. L’environnement : des obstacles variables selon les situations
Concernant l’environnement de la création d’entreprise par nécessité, les données restent
contradictoires et non concluantes. Le niveau de chô mage, par exemple, joue un rô le
controversé sur la création par nécessité. Cependant, les pays avec le plus fort taux
d’entrepreneuriat de nécessité sont aussi les moins développés économiquement et
présentent de forts taux de chô mage (Reynolds et al., 2002 ; Wennekers et al., 2005 ; Acs,
2006). Nikiforou et al. (2019) soulignent l’impact négatif de la durée du chô mage sur la
capacité à entreprendre : ils suggèrent des politiques publiques plus personnalisées pour
soutenir de façon adéquate les chô meurs de longue durée devenus entrepreneurs par
nécessité. Les changements structurels du marché du travail jouent aussi un rô le
prépondérant sur l’accroissement de la création par nécessité, via la précarisation, la sous-
traitance et la dérégulation. De même, la culture entrepreneuriale du pays favorise le
succès des créations d’entreprise, même par nécessité. Enfin et surtout, les politiques
publiques « push », réduisant les allocations chô mage, obligeant à prendre des emplois,
mêmes précaires ou mal rémunérés, sont des facteurs forts contribuant à l’augmentation
du nombre d’entrepreneurs par nécessité. Un niveau élevé de corruption a également un
impact « positif » sur la création d’entreprises par nécessité : Chowdhury et al. (2015)
étudient l’impact des institutions formelles et informelles sur l’entrepreneuriat de
nécessité, concluant au rô le potentiellement facilitant de la corruption selon les contextes.
Zheng et Musteen (2018) démontrent eux l’importance des transferts de fonds de la
diaspora pour soutenir les créateurs d’entreprise par nécessité, en particulier dans les pays
émergents. Fuentelsaz et al. (2015), dans une approche théorique institutionnelle,
concluent que la protection de la propriété privée, la liberté d’entreprendre, le capital
financier ou l’éducation fournis par les institutions n’ont que peu d’impact sur
l’entrepreneur de nécessité, préoccupé quel que soit le contexte par sa survie à court terme.
Angulo-Guerrero et al. (2017) avancent même que la libéralisation économique, à savoir la
sécurisation des droits de propriété, le soutien à l’internationalisation, la régulation du
crédit, du Code du travail et du monde des affaires ne contribuent pas au développement
de l’entrepreneuriat de nécessité. Laffineur et al. (2017) concluent que les politiques
publiques d’incitation à la création d’entreprise contribuent au développement de
l’entrepreneuriat de nécessité plus que d’opportunité : comme les entreprises développées
par nécessité créent peu d’emploi, l’impact de ces programmes sur la réduction du
chô mage est pourtant faible. Enfin, la différenciation proposée par Mandjá k et al. (2011),
entre création par nécessité engendrée par des facteurs externes, liés à l’environnement,
tels que le chô mage ou la dérèglementation du marché du travail, et création par nécessité
due à des facteurs internes à l’individu, comme l’insatisfaction au travail, est une piste
intéressante. Penchons-nous ensuite sur les caractéristiques des entreprises créées par
nécessité.
2.3. Les organisations créées : une fragilité liée au contexte et au processus de création
Les taux de défaillance des entreprises créées par nécessité sont plus élevés que ceux des
entreprises créées par opportunité ; taille d’entreprises, contribution économique,
développement des structures et satisfaction des entrepreneurs sont moindres (Acs et
Varga, 2005 ; Block et Koellinger, 2009 ; Block et Wagner, 2010 ; Nikolova, 2019). Les
entrepreneurs fortement contraints développent rarement des activités dans un secteur où
ils bénéficient d’une expérience, contrairement aux entrepreneurs volontaires : plus la
durée du chô mage a été longue pour les créateurs, plus les secteurs d’activités choisis sont
éloignés de leur domaine d’expertise (Nikiforou et al., 2019). De plus, cet entrepreneuriat
est surtout présent dans les secteurs moins complexes, avec peu de barrières à l’entrée,
services à la personne ou secteur informel, réclamant moins d’investissements et plus
immédiatement accessibles (Caliendo et Kritikos, 2010 ; Giacomin et al., 2007). Les
entreprises créées sont de petite taille, subissant une forte concurrence des firmes plus
grandes et expérimentées du voisinage. Les opportunités poursuivies sont peu
rémunératrices, basées sur des stratégies de domination par les coû ts et non de
différenciation (Block et al., 2015). Les organisations sont le signe d’une hybridité nouvelle
des structures, fruit de la précarisation du marché du travail, avec la porosité des frontières
entre les différents états représentés par l’emploi, le chô mage et l’inactivité (Levratto et
Serverin, 2012). Il y a dépendance économique et relative indépendance de statut, sous la
forme du portage salarial et de l’auto-entrepreneuriat français, de la Ich-AG allemande, du
payrolling aux Pays-Bas et en Belgique, des umbrella companies au Royaume-Uni ou encore
des egenanställning en Suède et des coopératives espagnoles. Les avis divergent quant à
l’impact économique et la pérennité de ces organisations créées par nécessité. Ainsi, Maritz
(2004) affirme sur la base des données GEM qu’il y a un lien positif entre entrepreneuriat
de nécessité et croissance. Wong et al. (2005) concluent qu’il n’y a pas de différence en
termes d’impact sur la croissance économique entre entrepreneuriat de nécessité et
d’opportunité. Acs et Varga (2005) démontrent en utilisant des statistiques GEM
également, que la création d’entreprise par nécessité n’a pas d’effet sur le développement
économique d’un pays, contrairement à l’effet d’entraînement et de croissance positif
engendré par l’entrepreneuriat d’opportunité. Pour Sternberg (2011), les entrepreneurs
par nécessité, même s’ils sont minoritaires et qu’ils réussissent globalement moins bien
que les entrepreneurs par opportunité, ont néanmoins une contribution économique
positive, car ils créent des emplois, innovent, exportent et développent la culture
entrepreneuriale des pays. Dencker et al. (2009) soulignent que les entreprises créées par
nécessité, avec des taux de survie relativement élevées, contribuent à la subsistance
économique de leurs créateurs. Cependant, Van Steel et al. (2007) concluent à la
prédominance de l’effet Schumpeter sur l’effet « refuge » : le chô mage peut certes susciter
des créations de nouvelles entreprises, mais c’est principalement la dynamique
économique qui les favorise, celles-ci réduisant le chô mage en créant des emplois en
retour. Abordons le thème des processus entrepreneuriaux par nécessité.
2.4. Le processus : une trajectoire entre désenchantement et résilience
D’une manière générale, les processus de création d’entreprise par nécessité oscillent
entre désenchantement et résilience. Du fait de leur faible motivation, Couteret (2010)
mentionne le faible investissement en début de processus entrepreneurial des
entrepreneurs par nécessité. Kodithuwakku et Rosa (2002) démontrent que les processus
entrepreneuriaux sont déterminants dans la réussite des entrepreneurs développant leur
entreprise avec de faibles ressources et dans des environnements peu prometteurs et
extrêmement contraints : ceux rencontrant le succès dans ces conditions difficiles ne sont
pas plus innovants pour identifier les opportunités d’affaires ; mais ils sont plus créatifs et
persévérants pour mobiliser des ressources rares. Ils exploitent plus efficacement leur
réseau social et leurs contacts pour accumuler du capital et possèdent de bonnes capacités
de gestion. Hernandez (2006, p. 337) affirme cependant que la dimension « décision » est le
plus souvent absente du processus entrepreneurial, en particulier par nécessité :
« L’individu […] apparaît plus souvent comme un agent pris dans un contexte qui le pousse
vers l’entrepreneuriat que réellement comme un acteur décidant en toute connaissance de
cause. » Mandjá k et al. (2011) décrivent les entrepreneurs par nécessité comme des héros
tragiques : mus par des « déplacements » (échec scolaire, divorce, licenciement), ils sont
forcés de faire quelque chose pour lequel ils ne sont ni préparés ni motivés. Et malgré tout,
ils mettent toute leur énergie à accomplir cette tâ che, sachant qu’ils sont, en raison des
circonstances, quasiment voués à l’échec. Anderson (2005) a démontré que les chô meurs et
les inactifs qui créent leur entreprise changent généralement de statut pour retrouver le
chô mage et l’inactivité, plutô t que pour partir vers des emplois salariés, ce qui est un
marqueur d’échec clair de ce type de processus. Block et Koellinger (2009) démontrent
d’ailleurs que les entrepreneurs par nécessité sont significativement moins satisfaits par
leur choix occupationnel que les entrepreneurs par opportunité. Gérer sa société au
quotidien, trouver les ressources pour la pérenniser est souvent source de
désenchantement. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer, dans ces processus, le rô le
positif de la résilience, c’est-à -dire « une opportunité de reconstruction de la personne »
(Bernard, 2008, p. 119) : se lancer dans un projet est une façon de redonner à sa vie, à
partir de soi, une vraie cohérence ; cela alimente estime de soi et confiance en soi, surtout
pour les victimes de l’exclusion, comme les seniors ou les immigrants. Quelques travaux
francophones (Condor et Hachard, 2015) soulignent l’intérêt de l’entrepreneuriat de
nécessité comme mode d’insertion professionnelle alternatif au recrutement classique,
voire comme cursus permettant aux plus démunis de sortir de l’exclusion et de rebondir.
Selon Nikolova (2019), le passage du chô mage à l’auto-emploi contribue à améliorer
nettement la santé psychique des individus, mais dans une moindre mesure que pour les
entrepreneurs par opportunité, et sans impact sur leur bien-être physique. Tobias et al.
(2013), s’appuyant sur le concept d’entrepreneuring, à savoir « un effort pour développer de
nouveaux environnements économiques, sociaux, institutionnels et culturels par les actions
d’un individu ou d’un groupe » (Rindova et Ketchen, 2009, p. 477), démontrent que le
processus entrepreneurial peut ramener la prospérité à des « entrepreneurs ordinaires »
dans des zones de guerre et d’extrême pauvreté.
Nous proposons dans le tableau 1 une synthèse de l’état de l’art des connaissances
acquises par la revue de la littérature sur l’entrepreneuriat par nécessité.
Tableau 1. Spécificités des individus, organisations, processus et de l’environnement concernant l’entrepreneuriat par
nécessité
Caractéristiques
Auteurs
Individus
Plus â gés, moins éduqués que les entrepreneurs par opportunité. Plus souvent des femmes et des individus discriminés,
minorités, handicapés, seniors
Amit et Muller, 1995 ; Bhola et al., 2006 ; Fossen et Bü ttner, 2013
Individus désabusés par le salariat
Tessier et Fayolle, 2016
Faible capital humain, peu de ressources financières, de réseaux, de compétences entrepreneuriales, de soutien familial
Nakara et Fayolle, 2013 ; Van der Zwan et al., 2016
Peu de satisfaction, réticence à rester entrepreneur, souhait de redevenir salarié
Block et Wagner, 2010
Plus grande aversion aux risques, davantage de doutes et plus besoin d’accompagnement que les entrepreneurs par
opportunité
Singh et Denoble, 2003 ; Block et al., 2010
Besoin d’autonomie, de réalisation, contrô le interne, propension à prendre des risques et auto-efficacité faibles
Yanniv et Brock, 2012
Accumulation de facteurs renforçant l’exposition aux aléas (faibles ressources financières, problèmes de santé) et
ampleur de l’impact en cas de réalisation du risque (éloignement du marché du travail, manque de couverture sociale)
Bayart et Saleilles, 2019
Typologie en huit profils différenciés des entrepreneurs par nécessité, sur des critères légaux (sous-traitance imposée),
sociaux (harcèlement, discrimination), économiques (chô mage) ou psychologiques (prise de distance envers le salariat)
Tessier-Dargent et Fayolle, 2016
Organisations
Organisations qui se développent moins, créent moins d’emploi, sont de plus petite taille, moins pérennes, innovantes et
exportatrices que celles créées par opportunité
Hessel et al., 2008 ; Block et Wagner, 2010 ; Van der Zwan et al., 2016
Secteurs d’activités mal maîtrisés et aux barrières à l’entrée faibles (ex. services à la personne) : forte concurrence
d’entreprises plus grandes et expérimentées
Caliendo et Kritikos, 2010 ; Giacomin et al., 2007
Hybridité des structures, fruit de la précarisation du marché du travail : porosité entre emploi, chô mage, inactivité, sous-
traitance forcée et création d’entreprise
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formidable levier de politique publique pour promouvoir une reprise riche en emploi, solidaire, soucieuse de l’environnement et qui contribue à réduire
le chômage des jeunes » – https://www.oecd.org/fr/industrie/g20youngentrepreneurssummit.htm
2 La Commission européenne souligne aussi son objectif de promouvoir l’entrepreneuriat auprès de publics spécifiques, à savoir les femmes, les
seniors, les migrants et les personnes au chô mage, comme « une précieuse opportunité d’inclusion sociale ». Article du site de la Commission
européenne (2013) : Unleashing Europe’s entrepreneurial potential to bring back growth –
https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_13_12
3 L’étude de la littérature internationale indique qu’avant 2000, dix articles ont été publiés sur le thème de l’entrepreneuriat de nécessité dans des
revues de gestion classées A et B par le HCERES (Haut Conseil de l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur), contre plus de
cinquante articles publiés entre 2000 et 2020.
4 Le « Global Entrepreneurship Monitor » (http://gemconsortium.org) est un consortium de recherche académique à but non lucratif dont
l’objectif est de fournir des données rigoureuses sur l’activité entrepreneuriale mondiale. Il s’agit du plus important projet de ce type : initiées en
1999 avec 10 pays, les recherches ont été conduites en 2015 sur plus de 100 pays ; plus de 200 000 entrepreneurs et experts ont été interrogés.
Chapitre 3. L’entrepreneuriat social : une dynamique socio-
économique au service de la communauté
Mariyam Lakhal
Introduction
L’intensification croissante du poids des populations fragiles et de leurs communautés
appelle le monde de la recherche à penser le phénomène entrepreneurial et ses
perspectives différemment. Dès 2006, Seelos et Mair ont observé l’émergence d’un
nouveau type d’entrepreneuriat, dit social, porté par des entrepreneurs soucieux
d’imaginer de nouvelles pratiques et propositions pour le bien d’individus en situation de
dépendance (économique, mentale, physique, etc.). À la tête d’entités qualifiées
d’organisations voire d’entreprises sociales, ces entrepreneurs privilégient un objectif
sociétal, au service des individus et de leur communauté, avec un impératif de financement
suffisant leur permettant d’assurer leur pérennité.
La diversité des projets menés et des formes entrepreneuriales a suscité l’intérêt des
chercheurs, comme en témoignent de très nombreuses publications sur le sujet. Saebi et al.
(2019) ont recensé 395 articles en entrepreneuriat social dans des revues académiques de
langue anglaise jusqu’en 2018 . Situées à la croisée de l’initiative privée et de l’intérêt
1
collectif (Muñ oz et al., 2018 ; Rangan et Gregg, 2019), ces formes entrepreneuriales
cherchent à produire des impacts sociaux, qui supposent l’adoption de nouvelles pratiques
de gouvernance – une gouvernance démocratique, dynamique et durable – (Bacq et
Janssen, 2011 ; Bocken et al., 2014 ; Boughzala et al., 2019 ; Defourny et Nyssen, 2017,
Hlady-Rispal et Servantie, 2018).
Sur le plan théorique, les travaux de Janssen et al. (2012) soulignent la contradiction des
termes « entrepreneuriat » et « social », renvoyant à des concepts, a priori, antagonistes et
alimentant de vifs débats sur la définition de l’entrepreneuriat social (Bacq et Janssen,
2011 ; Zahra et Wright, 2016 ; Dato-On et Kalakay, 2016). Au-delà de cette dualité, entre
performance financière et mission sociétale, l’entrepreneuriat social s’inscrit dans
différents courants de pensée, ce qui soulève de nombreux questionnements d’ordre
théorique et pratique (Lee, 2017 ; Dacin et al., 2010 ; Ndour et Alexandre, 2020).
Pour se repérer dans cette littérature riche et foisonnante, nous proposons, dans un
premier temps, d’examiner les ancrages théoriques de l’entrepreneuriat social, pour être
en mesure de mieux dresser un état des principaux débats. Puis, nous discutons des
nouvelles perspectives qui se dessinent pour la recherche future autour de
l’entrepreneuriat social.
Annette et al. (2018) « l’entrepreneur institutionnel est donc avant tout un acteur qui remet
en question les règles et les pratiques dominantes du champ dans lequel il opère » (p. 40). En
mobilisant les ressources nécessaires à son projet, l’entrepreneur institutionnel agit sur les
normes et les structures organisationnelles. Il œuvre à modifier l’ordre institué parce qu’il
lui apparaît de nature à entraver le développement des dynamiques entrepreneuriales
(Battilana, 2006).
sociaux (plus efficacement que les modèles alternatifs) et qu’elle crée de nouvelles
relations ou collaborations sociales (Dro et al., 2011). Un troisième invariant de ces
dynamiques est le degré d’orientation marché qui peut se manifester par une production
continue, une prise de risque économique, des ressources marchandes et du travail
rémunéré (Huybrechts et Nicholls, 2012 ; Boncler et al., 2013).
Ancien mais toujours nouveau venu sur la scène publique, porteur d’innovations ancrées
dans une histoire lointaine, participant au marché, mais jouant sur la nature des liens
sociaux non marchands, revendiquant son autonomie mais supposant le soutien des
instances étatiques, soulevant l’espoir d’une société plus juste mais se heurtant à un doute
perpétuel quant à sa capacité à l’atteindre, l’entrepreneuriat social dessine régulièrement
de nouvelles perspectives d’action collective, de travail entre parties prenantes plurielles,
où interagissent des dimensions à la fois éthique, politique, économique, pétries de
paradoxes (Grimand et al., 2013). Il apparaît que l’entrepreneuriat social ne relève pas d’un
modèle unique, d’autant qu’il est confronté à l’émergence de nouveaux défis sociaux et
sociétaux. É tudier l’entrepreneuriat social signifie chercher à comprendre, comment agir
« sur le fil du rasoir », entre le pragmatisme de la production des biens et services à finalité
sociale et sociétale et la volonté d’un lendemain meilleur. Cette « tension essentielle »,
comme le disait Kuhn, est au cœur de ces formes d’enjeux d’action collective, qui tout en
cherchant leur institutionnalisation s’efforcent de se distinguer des entreprises
« classiques ».
Se dessine un vaste champ de possibles pistes de recherche futures. Boughzala (2020)
invite les chercheurs à s’interroger sur les caractéristiques des projets et le type
d’innovation développée dans les pays émergents en questionnant les spécificités
culturelles de ces projets. Dans la même veine, Levillain et al. (2016) suggèrent d’analyser
l’articulation des processus d’innovation et l’entrepreneuriat social. Lakhal et Hlady-Rispal
(2018) pointent le rô le évident de l’intention stratégique (Hamel et Prahalad, 1989) dans la
formulation d’une proposition de valeur visant à lutter contre la pauvreté par le biais des
mécanismes de l’activité économique. Les auteures questionnent les modalités
d’intégration de cette proposition de valeur plus finement au cœur de la conception et mise
en œuvre des modèles d’affaires.
D’autres perspectives concernent la compréhension du parcours entrepreneurial,
notamment par la prise en compte de l’influence du macro-environnement et de son impact
sur la dérive de mission. La compréhension des dynamiques entrepreneuriales des projets
sociaux dans un environnement fortement marqué par la présence des dispositifs
numériques, constitue aussi un terrain fertile, au regard des défis d’adaptations, mais aussi
de possibles leviers de création de valeur. Enfin, les chercheurs en entrepreneuriat social
s’interrogent sur les cadres théoriques et méthodologiques susceptibles d’appréhender
conjointement les dimensions individuelles, organisationnelles et contextuelles. De telles
analyses multiniveaux s’imposent au regard de la multiplicité des acteurs et activités et des
différentes facettes constitutives de l’entrepreneuriat social.
Ce chapitre peut servir de point de départ à l’étude du processus entrepreneurial et des
interactions des différents flux de valeur des projets. Finalement, l’adoption d’une
approche critique (Jacquemin et al., 2017) de l’entrepreneuriat social – qui jusqu’ici s’est
largement inscrite dans une vision classique, économique, voire capitaliste – ouvre de
stimulantes perspectives pour défier certaines hypothèses fondatrices, parfois implicites
de l’entrepreneuriat social, et ainsi générer de nouvelles propositions théoriques
intéressantes (Alvesson et Sandberg, 2013).
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1 En mobilisant deux bases de données (Scopus et Web of Science), les chercheurs ont recensé les articles publiés dans les meilleures revues
classées aux rang 3 et 4 par la Chartered Association of Business Schools (2015). Seuls les articles contenant les termes « social entrepreneur »,
« social enterprise », « social business » et « social venture » dans le titre, le résumé ou les mots-clés ont été sélectionnés.
2 Plusieurs entrepreneurs ont été des agents de changement social avec les concepts des « Restaurants du cœur », « Compagnons d’Emmaü s »,
« Médecins sans frontières » et « Médecins du monde », etc.
3 C’est le cas, par exemple, de l’association Haut les filles, créée en 2008 à Avignon dans l’objectif de fédérer les actions et engager des dynamiques
de développement de l’entrepreneuriat féminin.
4 La naissance du microcrédit, avec la création de la Grameen Bank, sous l’impulsion de son fondateur, Mohammad Yunus, relève de
l’entrepreneuriat institutionnel.
5 Dans son article, Fayolle (2015) mobilise plusieurs illustrations pour étayer ce point : « Le Chênelet est un concept de logement social écologique qui
promeut un habitat valorisant pour les personnes à bas revenus. Replic est une entreprise inventant de nouvelles entreprises d’insertion en Languedoc-
Roussillon. Fleurs de Cocagne emploie des femmes en difficulté et propose la production de fleurs de saison issues de l’agriculture biologique. » (p. ٤٧)
PARTIE II. EXPLIQUER LES TRAJECTOIRES ENTREPRENEURIALES :
ENTRÉ E, SORTIE, RETOUR, TRANSFERT
Chapitre 4. Du processus entrepreneurial à l’engagement
entrepreneurial
Laëtitia Gabay-Mariani
Introduction
Depuis les années 1990, les approches dites processuelles ont donné une inflexion
nouvelle à la recherche en entrepreneuriat. Celles-ci ont mis en évidence la place centrale
de la relation dialogique entre l’entrepreneur et son projet de création d’activité (Bruyat,
1993 ; Davidsson, 2006). L’avènement de cette conception a ouvert la voie à un courant de
recherche qui s’est développé à partir des années 1990 autour de modèles psychosociaux
d’intention (Krueger, 1993), donnant lieu à une littérature prolixe sur les fondements
motivationnels de l’agir entrepreneurial (par exemple Audet, 2004 ; Emin, 2004 ; Boissin et
al., 2009 ; Fayolle et Gailly, 2009 ; Boissin et al., 2017). Toutefois, des travaux récents ont
remis en cause la place dominante qu’ils ont pu occuper dans la compréhension du
processus entrepreneurial (Fayolle et Liñ á n, 2014 ; Boissin et al., 2017). Les limites
explicatives de l’intention entrepreneuriale ont en effet été pointées (Schlaegel et Koenig,
2014 ; Moreau et Raveleau, 2006 ; Degeorge, 2016). Un nombre croissant de travaux
s’intéresse donc désormais au passage de l’intention à l’action et à la phase dite
volitionnelle du processus entrepreneurial. Au sein de ce courant émergent, le concept
d’engagement a été identifié comme une voie prometteuse pour mieux comprendre le
passage de l’intention à l’action (Fayolle et Liñ á n, 2014 ; Van Gelderen et al., 2015). En tant
que force contraignante stabilisant le comportement (Becker, 1960 ; Meyer et Herscovitch,
2001), l’engagement est un prisme pertinent pour comprendre le maintien du
comportement entrepreneurial à l’épreuve du réel, des difficultés et des obstacles auxquels
seront confrontés l’entrepreneur naissant. Si l’engagement semble jouer un rô le crucial
dans le processus entrepreneurial, force est de constater que le maintien et la consolidation
des trajectoires entrepreneuriales n’a que très peu été exploré théoriquement et
empiriquement par des chercheurs en entrepreneuriat. Des travaux exploratoires (Fayolle
et Liñ á n, 2014 ; Adam et Fayolle, 2015 ; Adam, 2016 ; Gabay-Mariani et Adam, 2020) se
sont cependant tournés vers la littérature organisationnelle, où le concept d’engagement a
fait l’objet d’une attention importante et a été envisagé comme un phénomène
multidimensionnel et multifactoriel. Ils ont plaidé en faveur d’une adaptation de ces
modèles d’engagement au contexte de l’entrepreneuriat naissant. Ce chapitre retrace
1
revanche lié l’engagement calculé aux motivations de nécessité des entrepreneurs ou aux
coû ts irrécupérables. Gabay-Mariani (2020) a également démontré quantitativement que
chaque dimension de l’engagement était influencée par une combinaison unique de
facteurs. Elle s’est notamment intéressée à l’effet de sept catégories de paris subsidiaires
(Becker, 1960), inspirées de Powell et Meyer (2004), sur les quatre formes de l’engagement
de son modèle : la perception de conditions satisfaisantes, l’expression de soi, l’enjeu de
présentation de soi, les attentes de tiers perçues, l’opportunité perçue, le manque
d’alternative et les ajustements individuels. Ces résultats, qui enjoignent à considérer
l’engagement entrepreneurial comme un phénomène multifactoriel, mériteraient
réplication et approfondissement dans de futures recherches. Ce constat émanait déjà de
travaux analysant l’engagement des salariés envers leur organisation ou encore leur métier
(Meyer et al., 1993), mettant en exergue l’existence de « bases » des différentes dimensions
de leur engagement (Meyer et Allen, 1991 ; Meyer et Herscovitch, 2001). L’engagement
affectif serait ainsi nourri par des expériences positives au travail, une adéquation avec
l’identité et/ou les valeurs de l’organisation ou du projet (Meyer et Herscovitch, 2001 ;
Becker et al., 2012), alors que l’engagement de continuité découlerait principalement des
investissements et sacrifices passés, qui se verraient perdu en cas de rupture du cours
d’action, ainsi que du manque d’alternatives perçues (Meyer et Allen, 1991 ; Powell et
Meyer, 2004).
Des designs longitudinaux permettraient également de mettre en évidence l’importance
de ces facteurs à différents moments du processus entrepreneurial. Fayolle (2007) identifie
par exemple un « momentum », un moment où le processus s’accélère, obligeant
l’entrepreneur à se positionner face à l’éventualité d’un acte plus important et irréversible
que les autres. Une passion harmonieuse en début de processus pourrait, par exemple, se
transformer par la suite en passion obsessive, à mesure que le processus de création
devient pour l’entrepreneur naissant irréversible (Bruyat, 1993). Les coû ts irrécupérables
peuvent jouer un rô le plus important à mesure que l’entrepreneur naissant avance, investit
du temps, de l’énergie, voire de l’argent dans son projet. Les facteurs sociaux peuvent
également connaître des évolutions : les attentes perçues de tiers peuvent donner lieu à des
pressions sociales et une peur de décevoir. Comme le suggère l’école scandinave à propos
du processus d’émergence d’actes entrepreneuriaux (Lindgren et Packendorff, 2003), cette
dimension peut être particulièrement saillante dans la phase naissante du projet, où les
individus cherchent à obtenir le soutien de leur environnement et à développer leur réseau
social pour réaliser leurs objectifs (action-based entrepreneurialism, Lundin et Sö rderholm,
1995). Gabay-Mariani (2020) a identifié trois seuils dans lesquels les facteurs individuels,
sociaux et liés aux investissements jouent un rô le différencié : le seuil initial, le seuil de
résonance et le seuil d’irréversibilité. Elle montre notamment que les facteurs sociaux et
environnementaux déclenchent un engagement affectif plus important de l’entrepreneur
naissant, et que les facteurs liés aux investissements agissent sur l’engagement
instrumental, le faisant basculer au-delà du seuil d’irréversibilité. Ces résultats, obtenus sur
la base de protocoles empiriques cross-sectionnels, pourraient être approfondis par un
suivi temporel de cohortes d’entrepreneurs naissants.
3.3. Le rô le de l’engagement dans le processus entrepreneurial
Le dernier questionnement est relatif au rô le que joue finalement l’engagement dans le
processus entrepreneurial. Adam et Fayolle (2015) ont suggéré que l’engagement pouvait
jouer un rô le modérateur dans la relation intention-action. Ces propositions n’ont toutefois,
à notre connaissance, jamais été opérationnalisées quantitativement sur des populations
d’entrepreneurs naissants. Gabay-Mariani (2020) a construit une taxonomie de profils
d’engagement, associés à des niveaux d’avancement et d’investissement gradués dans le
processus entrepreneurial : un profil faiblement engagé, un profil uniquement
affectivement engagé, et un profil combinant engagements affectif et instrumental. Ces
résultats laissent à penser que l’engagement joue un rô le dans la consolidation des
trajectoires entrepreneuriales. La mise en œuvre de designs longitudinaux pourrait
permettre d’en évaluer le pouvoir prédictif sur les comportements entrepreneuriaux,
notamment d’investissement personnel. Ce type de suivi temporel pourrait également
permettre de déterminer quelles formes d’engagement sont les plus déterminantes dans la
poursuite des efforts à différentes étapes du processus entrepreneurial. La complexité de
ce phénomène multifactoriel invite toutefois à la prudence et posent de nombreuses
questions méthodologiques, propres à l’analyse de l’émergence organisationnelle, en
particulier dans des contextes collectifs, pluriacteurs et pluriniveaux d’analyse (Bréchet et
Schieb-Bienfait, 2011). Une autre piste d’investigation pourrait consister en l’analyse des
effets d’un engagement dual, où différentes cibles d’engagement interagissent, sur le
modèle des travaux de Cohen (2003). Un entrepreneur naissant essentiellement engagé
envers le métier d’entrepreneur, mais faiblement engagé envers son projet, pourrait par
exemple privilégier un investissement dans des projets successifs (serial entrepreneuriat),
préférant la démarche de création au projet qui l’incarne. À l’inverse, un individu surtout
engagé envers son projet, mais faiblement au métier d’entrepreneur, pourrait envisager
plus facilement de le conduire dans un cadre organisationnel préexistant (intrapreneuriat).
Enfin, une analyse de l’engagement au sein des équipes pourrait permettre de mieux
comprendre l’impact de l’engagement individuel de chaque associé sur les dynamiques
collectives.
Conclusion
Nous avons proposé dans ce chapitre de retracer les dernières évolutions de la recherche
sur le processus entrepreneurial, qui ont conduit les chercheurs à s’intéresser davantage
aux dynamiques volitionnelles qu’aux fondements motivationnels du processus
entrepreneurial. Elles complètent les modèles d’intention entrepreneuriale qui se sont
jusqu’à présent concentrés sur le processus par lequel les individus se donnent pour
objectif d’entreprendre. Cette inflexion nouvelle a placé la focale sur les logiques
d’autorégulation par lesquelles ils agissent et s’inscrivent durablement dans des
trajectoires entrepreneuriales. Elle a remis à l’honneur des concepts tels que l’engagement,
pour mieux expliquer ce qui pouvait lier l’entrepreneur naissant à son processus de
création et d’émergence, et le pousser à y persister.
Ce champ émergent dédié à l’engagement entrepreneurial présente l’intérêt de se situer à
la croisée de la littérature entrepreneuriale, de la littérature organisationnelle et en gestion
des ressources humaines. Des premiers travaux exploratoires ont ainsi posé les jalons
d’une adaptation des modèles d’engagement organisationnel au contexte de
l’entrepreneuriat naissant. Les recherches qui s’inscriront dans la continuité de ces efforts
pourront en ce sens contribuer à la fois à une meilleure compréhension du processus
entrepreneurial et aux discussions qui ont animé la littérature organisationnelle autour du
modèle tridimensionnel de Meyer et Allen (1991). La question de la dimensionnalité de
l’engagement dans un contexte de création et d’émergence, mais également du rô le joué
par chaque dimension de l’engagement sur les comportements entrepreneuriaux, restent
notamment entières. Ces questionnements ouvrent en ce sens des perspectives
d’investigation fécondes aux chercheurs désireux d’explorer les chaînons manquants du
processus entrepreneurial.
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1 Ces travaux s’appuient sur une littérature anglo-saxonne utilisant le terme commitment, pour désigner l’engagement psychologique. Le terme
commitment a parfois été traduit dans la littérature française par « implication » (Charles-Pauvers et Peyrat-Guillard, 2012 ; Pasquier et Valéau,
2011). Or, le terme d’implication organisationnelle a également été employé pour rendre compte du « degré d’identification d’une personne à son
travail, au fait qu’elle se montre professionnellement active et qu’elle considère que son efficacité est importante pour elle » (Paillé, 2006, p. 141).
Cette conceptualisation se rapproche du concept anglo-saxon de job involvement, qui désigne une identification et une participation active de
l’individu au sein de l’organisation (Blau, 1985 ; Lodahl et Kejnar, 1965). Nous préférons pour notre part le terme « engagement », qui évite une
potentielle confusion avec le job involvement.
2 Trad. de l’anglais : “an urgent need exists to empirically and theoretically investigate the intention–behavior link” (Fayolle et Liñán, 2014, p. 9).
3 Le modèle dualiste de la passion proposé par Vallerand et al. (2003) distingue la passion harmonieuse et la passion obsessionnelle. Alors que la
passion harmonieuse renvoie à un désir intense mais contrô lable de réaliser une activité, la passion obsessionnelle prend le contrô le de l’individu
à travers des pressions intra – et/ou interpersonnelles.
Chapitre 5. La décision de sortie entrepreneuriale
Marie-Josée Drapeau
Introduction
La sortie entrepreneuriale est une activité intégrante de tout processus entrepreneurial.
Reconnue comme étant une activité qui comporte des bénéfices économiques, elle suscite
de plus en plus d’intérêt auprès des chercheurs, mais demeure un domaine relativement
peu documenté comparativement à celui portant sur l’entrée en entrepreneuriat (Hessels
et al., 2018 ; Shepherd et al., 2014). Il existe deux courants dans le champ de la recherche
sur la sortie entrepreneuriale : l’un centré sur la sortie de l’entreprise d’un marché (Gimeno
et al., 1997 ; Golombeck et al., 2012) et l’autre sur la sortie de l’entrepreneur de son
entreprise (DeTienne, 2010 ; Wennberg et al., 2010). Ce chapitre s’inscrit dans ce second
champ, celui centré sur l’entrepreneur. L’intérêt de la recherche centrée sur l’entrepreneur
repose sur la décision de ce dernier de quitter son entreprise en utilisant des stratégies de
sortie telles que la récolte financière, les stratégies d’intendance ou via la
liquidation/fermeture (DeTienne et al., 2015). La décision de sortie dans ce contexte peut
survenir à n’importe quel moment, peu importe les motivations de l’entrepreneur. Cette
perspective considère la sortie entrepreneuriale comme étant associée à la décision de
l’entrepreneur et fournit une vision globale des différentes stratégies qu’il peut utiliser
pour sortir de son entreprise. D’un point de vue holistique, ce pan de littérature s’inscrit
dans le domaine de la prise de décision entrepreneuriale où la sortie entrepreneuriale est
une décision stratégique nécessitant d’être étudiée davantage (Wennberg et DeTienne,
2014).
Les travaux issus de ce champ expliquent la décision de sortie de l’entrepreneur en
fonction d’un choix qu’il fait par rapport à un autre. Ils montrent « pourquoi » le dirigeant
choisit une stratégie de sortie, ainsi que les facteurs d’influence qui orienteront ce choix.
Cependant, ils s’intéressent moins au « comment » le dirigeant arrive à faire son choix, soit
au processus qui mène vers ce choix. De par la nature récente de cette littérature, les
chercheurs reconnaissent qu’il reste encore beaucoup d’avenues inexplorées qui
pourraient enrichir les connaissances sur différentes stratégies de sortie (Wennberg et
DeTienne, 2014 ; Wennberg et al., 2010). C’est un phénomène complexe puisqu’il est
difficile de définir un « début » et une « fin » au processus en tant que tel (Wennberg et
DeTienne, 2014), ce qui explique peut-être que peu de travaux s’intéressent au processus
menant à la décision de sortie.
Toutefois, ce phénomène est une problématique managériale très actuelle, comme en
témoignent les nombreuses publications (dans les médias populaires) et le grand nombre
d’ouvrages publiés par des consultants ou organismes publics/parapublics. La sortie
entrepreneuriale est donc devenu un sujet répandu auprès des praticiens (DeTienne,
2010 ; DeTienne et Cardon, 2005). Nous proposons d’en clarifier les origines et courants
(section 1) pour mieux préciser la diversité des stratégies de sortie (section 2). La section 3
est consacrée à la caractérisation des déterminants de la sortie entrepreneuriale. Enfin,
nous concluons sur les apports, limites et perspectives de recherche.
1. Les deux courants de recherche sur la sortie entrepreneuriale
Afin de bien positionner la perspective retenue dans le cadre de ce chapitre, cette section
fait état des deux axes de recherche qui constituent le champ de la sortie entrepreneuriale
et présente les aspects définitionnels de la sortie entrepreneuriale centrée sur l’individu.
Le phénomène de sortie entrepreneuriale, bien que récent en tant que domaine de
recherche, est considéré aujourd’hui comme étant un sujet central de la recherche en
entrepreneuriat (Chevalier et al., 2018). Or, ce concept peut être associé à deux
phénomènes très différents. En premier lieu, la sortie entrepreneuriale est considérée, au
départ, comme étant un évènement à connotation négative qui découle d’un échec. En
conséquence, certains auteurs associent la sortie entrepreneuriale à la discontinuité des
opérations d’une entreprise (fermeture, interruption ou abandon), de façon volontaire ou
involontaire (Gimeno et al., 1997 ; Golombeck et Raknerud, 2012 ; Hessels et al., 2011).
L’arrêt des opérations d’une entreprise est associé ici à un signe d’échec, soit à la
conséquence d’une pauvre performance de cette dernière (Cefis et Marsili, 2011). Cette
conception de la sortie entrepreneuriale s’appuie uniquement sur un point de vue
économique en utilisant l’entreprise ou l’industrie comme unité d’analyse (DeTienne et
Cardon, 2005 ; Leroy et al., 2010 ; Leroy et al., 2007).
D’autres chercheurs ont plutô t tenté de comprendre le choix de sortie entrepreneuriale du
dirigeant, ce qui a donné naissance à la deuxième vision du phénomène. La sortie
entrepreneuriale est alors considérée comme une activité qui s’inscrit dans le processus
entrepreneurial. Ceci coïncide avec le développement de l’approche processuelle en
entrepreneuriat qui au départ est orienté vers le processus de création ou d’émergence
organisationnelle (Gartner, 1993), appelé aussi « entrepreneuring » (Steyaert, 2007). En
effet, le processus entrepreneurial est composé d’une variété d’activités ou de
phénomènes : les intentions d’entreprendre (Fayolle, 2007 ; Krueger et al., 2000), la
découverte et l’exploitation d’opportunités d’affaires (Gasse et Tremblay, 2011 ; Shane et
Venkataraman, 2000), la création d’entreprises (Diochon et al., 2007 ; Gartner, 1989), ou le
mode d’entrée entrepreneuriale – reprise ou création – (Cadieux et Deschamps, 2009 ;
Parker et van Praag, 2012). Cependant, DeTienne (2010) mentionne que pour bien
comprendre l’entièreté du processus entrepreneurial, il est essentiel de considérer la sortie
en tant qu’activité entrepreneuriale intégrante de ce processus afin d’en saisir les tenants
et aboutissants (voir aussi Nordqvist et al. (2013)). Cette dernière avance que c’est la sortie
qui conclut le processus entrepreneurial, même si un entrepreneur peut décider de quitter
son entreprise à n’importe quel stade de développement de cette dernière. Ainsi, dans la
conception qui nous intéresse, la sortie entrepreneuriale fait référence à la sortie de
l’entrepreneur et prend l’individu comme unité d’analyse.
Cet axe définit la sortie entrepreneuriale comme étant une décision stratégique du
fondateur d’une entreprise privée pour récupérer ses capitaux et se retirer de la structure
de propriété et décisionnelle de l’entreprise (DeTienne et Cardon, 2005). C’est le processus
par lequel le fondateur d’une entreprise privée quitte l’entreprise qu’il a créée, se retirant
ainsi, à différents degrés, de la propriété et de la structure décisionnelle de l’entreprise
(DeTienne, 2010). La sortie entrepreneuriale est vue comme mettant davantage l’accent
sur le processus de l’individu que sur le résultat de continuité de l’entreprise, car elle est
concernée principalement par la décision individuelle du fondateur ou du propriétaire de
l’entreprise (Leroy et al., 2007).
La notion d’entrepreneur peut référer non seulement à un fondateur d’entreprise, mais
également aux autres types de propriétaires dirigeants qui, eux aussi, devront sortir de leur
entreprise, qu’ils l’aient fondée, achetée ou en aient hérité. Notre vision de l’entrepreneur
rejoint celle de Chevalier et al. (2013) qui spécifient qu’un entrepreneur est une personne
travaillant à son compte, qu’il soit fondateur, repreneur ou successeur, et qu’ils peuvent
donc être simplement définis comme des propriétaires-dirigeants. Bien que nous retenions
cette définition de l’entrepreneur, nous concevons qu’il en existe d’autres, plus extensives,
dans le large champ de l’entrepreneuriat. En ce sens, tout en adhérant à la définition de
DeTienne, nous considérons la sortie entrepreneuriale comme une décision stratégique
d’un dirigeant de PME – un entrepreneur ou propriétaire dirigeant – de se retirer de la
structure de propriété et décisionnelle de l’entreprise, graduellement ou non.
Maintenant que les aspects généraux ont été établis, la section suivante fait état des types
de stratégies de sortie entrepreneuriale identifiés dans la littérature.
Types
Stratégies de sortie
Récolte financière
Vente publique (IPO)
Vente à une autre entreprise
Intendance
Succession familiale
Rachat par les employés
Vente à un individu
Interruption volontaire
Liquidation
Fermeture
Ils catégorisent la vente publique et la vente à une autre entreprise sous le type récolte
financière, puisque le dirigeant bénéficie dans ces cas d’une valeur accrue de son
entreprise. L’intendance fait plutô t référence aux stratégies liées à la succession familiale,
le rachat par les employés ou la vente à un individu. Cette catégorie permet au dirigeant de
continuer d’exercer une certaine influence sur l’avenir et la viabilité de l’entreprise, tandis
que l’interruption volontaire regroupe la liquidation et la fermeture de l’entreprise du
fondateur soit parce qu’elle a rempli sa fonction (fournir un emploi ou des revenus), ou soit
parce que le projet d’entreprise arrive à sa fin. Cette typologie permet une approche plus
holistique du phénomène (Kets et al., 1986) en évitant les classifications éparses d’une
recherche à l’autre.
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Chapitre 6. L’intention de recréer après une sortie
entrepreneuriale
Roxane De Hoe
Introduction
De tout temps, le tissu économique se caractérise par un mouvement constant d’entrée
(création) et de sortie (déclin) d’entreprises, ces dernières permettant la création de
nouvelles. La majorité des travaux de recherche a davantage investigué la création et la
croissance des entreprises. Pourtant, l’étude de leur déclin et de leur disparition est tout
aussi importante (Balcaen et al., 2012 ; Albiol, 2014 ; DeTienne, 2010 ; Wennberg et
DeTienne, 2014 ; DeTienne et Wennberg, 2016), mais elle n’est qu’à ses balbutiements.
L’intention de créer une première entreprise a également été largement étudiée (Shapero,
1984 ; Krueger et al., 2000). Depuis quelques années, en lien avec la littérature sur le déclin
et la disparition des entreprises, les chercheurs ont commencé à investiguer l’intention de
« recréer ». Ce terme suppose qu’un individu ait préalablement eu une expérience
entrepreneuriale pour qu’il puisse manifester une intention de créer à nouveau une
entreprise. Dans ce chapitre, nous recensons les travaux, selon quatre perspectives,
pouvant expliquer cette intention de recréer : la sortie d’entreprise, l’échec d’entreprise,
l’entrepreneuriat compulsif et l’écosystème entrepreneurial. Ces différents travaux
permettent de souligner les différents niveaux d’analyse et facteurs à prendre en
considération pour mieux comprendre et appréhender l’intention de recréer une
entreprise. Pour terminer, nous dégageons des pistes de recherche futures au regard des
limites des recherches antérieures.
Les recherches sur les sorties d’entreprise ont principalement porté sur les déterminants
de la sortie et sur les différentes stratégies de sortie. D’autres auteurs ont tenté de
comprendre quels étaient les déterminants poussant un entrepreneur, ayant quitté une
précédente entreprise, à en créer une nouvelle en investiguant ses caractéristiques
propres. L’â ge (Schutjens et Stam, 2006 ; Wagner, 2002), l’aversion au risque (Wagner,
2002) et la peur de l’échec (De Hoe et al., 2018) réduisent cette intention de poursuivre une
carrière entrepreneuriale. En revanche, le fait d’être un homme (Stam et al., 2008 ; Amaral
et al., 2011 ; De Hoe et al., 2018), d’estimer avoir des compétences entrepreneuriales (De
Hoe et al., 2018), de connaître d’autres entrepreneurs (Wagner, 2002 ; Hessels et al., 2011 ;
De Hoe et al., 2018) et d’avoir connu une récente sortie entrepreneuriale (Hessels et al.,
2011) accroît la probabilité de s’engager à nouveau en entrepreneuriat, à la suite d’une
sortie.
De nombreux sujets restent à explorer, par exemple l’étude de ce qui se passe pour
l’entrepreneur après la sortie de son entreprise. Le type de sortie (volontaire ou
involontaire) et le moment de la sortie (au cours des trois premières années de démarrage
ou plus tard) peuvent jouer un rô le dans la poursuite d’une carrière entrepreneuriale
(Stam et al., 2008). Pour cette raison, nous pensons qu’il est pertinent de prendre en
considération la nature de la sortie (volontaire ou involontaire) pour expliquer l’intention
de créer une entreprise ultérieure . Dès lors, la perspective étudiant l’échec entrepreneurial
2
Conclusion
L’objectif de ce chapitre vise à mieux comprendre comment les caractéristiques
individuelles, une précédente expérience entrepreneuriale et sa nature, ainsi que le
contexte environnemental peuvent influencer un entrepreneur ayant connu une sortie
d’entreprise à vouloir poursuivre une carrière entrepreneuriale. Cette revue de la
littérature démontre la dimension multifactorielle du phénomène. Des facteurs à la fois
individuels, organisationnels et environnementaux sont en jeu. Nous soulignons également
l’importance de continuer à étudier ces facteurs de manière holistique, en les combinant
dans des analyses multiniveaux et en complexifiant les modèles en incorporant des
médiateurs ou modérateurs pour expliquer l’intention de recréer après une sortie
entrepreneuriale.
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1 Pour une recension des travaux sur la décision de sortie, du point de vue de l’entrepreneur, voir dans cet ouvrage, le chapitre 5 de Marie-Josée
Drapeau intitulé La décision de sortie entrepreneuriale.
2 La sortie volontaire dépend d’une décision de l’entrepreneur (et comprend des raisons personnelles, la retraite ou d’autres opportunités
financières ou professionnelles). La sortie involontaire, quant à elle, représente les situations où l’entreprise a de mauvais résultats – se
rapprochant d’une situation d’échec.
Chapitre 7. Les compétences de l’entrepreneur/repreneur : vers
une approche par les compétences sociales
Hedi Yezza
Introduction
Peut-on définir le profil et/ou les caractéristiques de l’entrepreneur ? Peut-on recenser ses
compétences ? Ces questions ont suscité un vif débat dans le champ de l’entrepreneuriat
(Sexton et Bowman, 1985 ; Gartner, 1988 ; Chell, 2013 ; Schmitt et Grégoire, 2019). La
recherche a longtemps considéré l’individu entrepreneur comme acteur principal dans la
mise en place d’un process d’innovation (Schumpeter, 1935), la détection et la saisie des
opportunités (Shane et Venkataraman, 2000), le déroulement du processus
entrepreneurial (Omrane et al., 2011), la création de valeur (Gartner, 1988), et la réussite
de son entreprise (Alexandre, 2016). Si initialement, les recherches s’articulaient autour
d’une perspective centrée seulement sur l’entrepreneur, ses caractéristiques
psychologiques et sur les traits de sa personnalité (Greenberger et Sexton, 1988 ; Shaver et
Scott, 1991), depuis les années 1980, d’autres travaux se sont davantage intéressés aux
aptitudes et comportements (Gartner, 1988), allant même jusqu’à proposer des référentiels
de compétences (Loué et al., 2008). Parmi ces compétences, les compétences sociales des
entrepreneurs ont été récemment mises en évidence (Baron et Markman, 2003 ; Baron et
Tang, 2009 ; Lamine et al., 2014 ; Omrane, 2015 ; Yezza et Chabaud, 2020).
L’objectif de ce chapitre est de montrer l’évolution du champ de recherche partant d’une
description statique des caractéristiques psychologiques et des traits de personnalité de
l’entrepreneur (approche par les traits) et allant vers une vision holistique autour de
l’importance accordée aux compétences comportementales de l’individu (approche
comportementale) où la question des savoirs relationnels prend une place importante. Ce
chapitre recense les principaux travaux sur les compétences de l’entrepreneur et propose
de nouvelles pistes de recherche dans le contexte de la création mais aussi de la reprise
d’entreprise.
Compétences identifiées
Auteurs
L’innovation, la créativité et la capacité à générer de nouvelles idées
Amabile (1990), Ardichvili et al. (2003), Hills et al. (1997), Locke (2000), Locke et Baum (2007), Rubenson et Runco
(1992), Sternberg (2003), Sternberg et Lubart (1995, 1996), Kirton (1976, 1980)
La capacité à identifier, saisir et exploiter les opportunités
Baron (2000), Gaglio (1997, 2004), Gaglio et Katz (2001),
Kirzner (1979, 1997), Shane (2000, 2003), Baron (2004), Frese (2007), Marsili (2002), Chandler et Jansen (1992), Baum
(1995)
La capacité à identifier les besoins du marché et réunir les ressources matérielles nécessaires
Ardichvili et al. (2003), Harper (1996), Shane (2000, 2003), Brush et al. (2001), Stevenson et al. (1985, 1989), Timmons
(1989), Wu (1989), Loué et al. (2008)
La capacité à gérer les risques et assumer des responsabilités dans des conditions d’incertitude
Christiansen et Bower (1996), Harper (1996), Hoy et Carland (1983), Miner et Raju (2004), Timmons et al. (1985), Loué
et al. (2008)
La capacité à analyser les situations, la résolution des problèmes et la prise de décision
Casson (1982, 1995), Schwenck (1988), Schenkel et al. (2009), Wu (1989), Pettersen (2006), Loué et al. (2008)
La résilience et la capacité de faire face aux difficultés
Shapero (1975), Rabow et al. (1983)
La capacité à convaincre les autres, la capacité d’exercer une influence et créer le changement, la capacité de gérer des
équipes, la confiance en soi, la conscience de soi
Jack et Anderson (2002), Krueger et Brazeal (1994), Markman et al. (2002, 2005), Charles-Pauvers et al. (2004), Loué et
al. (2008), Baron et Markman (2003), Witt (1998)
La capacité de créer un réseau social et gérer les relations interpersonnelles
Ardichvili et al. (2003), Baron et Markman (2003), Birley (1985), Chell et Baines (2000), Jack et Anderson (2002), Herron
et Robinson (1993), Loué et al. (2008)
Source : adapté de Loué (2008) et Chell (2013)
Plusieurs auteurs soulignent l’importance de la capacité de l’entrepreneur à motiver son
équipe, gérer son stress et s’adapter à différentes situations sociales (Loué et al., 2008 ;
Loué et Omrane et al., 2011 ; Majdouline, 2015 ; Omrane, 2015). Ces compétences sont
qualifiées de compétences sociales. L’approfondissement de cette veine de recherche
conduit plus récemment à prendre conscience de leur importance dans la réussite de
l’expérience entrepreneuriale (Baron et Markman, 2003).
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1 Nous soulignons que certains passages prennent appui sur des travaux antérieurs réalisés par l’auteur notamment Yezza et Chabaud (2020a,
2020b, 2020c) et Yezza (à paraître).
2 Les premiers travaux sur les compétences sociales ont vu le jour en psychologie avec Thorndike (1920), qui a montré l’impact des compétences
sociales sur la performance des individus.
PARTIE III. É TUDIER L’ENTREPRENEUR ET SON É COSYSTÈ ME :
BUSINESS MODEL, ACCOMPAGNEMENT, FINANCEMENT
Chapitre 8. De la nature et diversité des business models pour
entreprendre
Donatienne Delorme
Introduction
« Quel est votre business model ? » est aujourd’hui l’une des questions incontournables
pour tout porteur de projet entrepreneurial. Plus largement, cette question se pose aussi
aux manageurs et décideurs, à l’affû t de voies de développement innovantes ou d’un
renouveau stratégique. Le business model (BM) permet de formaliser et communiquer un
1
Définitions du BM
Nature
Rôles et fonctions
Chesbrough et Rosenbloom (2002)
“The functions of a business model are to : articulate the value proposition; identify a market segment; define the structure of
the value chain; estimate the cost structure and profit potential; describe the position of the firm within the value network;
formulate the competitive strategy.” (p. 7)
Modèle (logique heuristique)
Résultat d’un processus d’adaptation
Capturer la valeur créée par la technologie.
Identifier, articuler et décrire les choix stratégiques et organisationnels des entreprises performantes.
Osterwalder et Pigneur (2010)
“A business model describes the rationale of how an organization creates, delivers, and captures value.” (p. 14)
Blueprint
Concept
Outil
Créer de la valeur, imaginer de nouveaux modèles d’entreprise, améliorer et transformer une organisation.
Décrire la proposition de valeur (clients), l’architecture interne et externe (réseau) de création de valeur.
Demil et Lecocq (2010)
“The concept refers to the description of the articulation between different business model components or ‘building blocks’ to
produce a proposition that can generate value for consumers and thus for the organization.” (p. 227)
Concept
Outil RCOV
Blueprint
Deux fonctions distinctes :
–une approche statique (blueprint) décrivant la cohérence entre les composantes du BM ;
–une approche dynamique, en tant qu’outil, permettant d’accompagner le changement et l’innovation.
Teece (2010)
“A business model describes the design or architecture of the value creation, delivery, and capture mechanisms employed.” (p.
191)
Modèle conceptuel
Plus générique que la stratégie ; coupler BM et stratégie permet de préserver l’avantage concurrentiel que procure un
nouveau BM.
Articulation de données, d’éléments de preuve, de la logique sous-tendant la proposition de valeur ; description,
explications.
Zott et Amit (2010)
“[It depicts] the content, structure, and governance of transactions designed so as to create value through the exploitation of
business opportunities.” (p. 219)
Template
Système d’activités
Modèle de gestion et de création de valeur pour les parties prenantes.
Approche holistique en tant que système d’activités, allant au-delà des frontières de la firme focale.
Moingeon et Lehmann-Ortega (2011)
« Le business model est la description pour une entreprise des mécanismes lui permettant de créer de la valeur à travers : la
proposition de valeur faite à ses clients, son architecture de valeur, et de capter cette valeur pour la transformer en profits
(équation de profits). » (p. 271)
Cadre d’analyse
Perspective
Unité d’analyse intégrative : analyse porterienne, Resource-Based View (RBV), théorie des coû ts de transaction,
entrepreneuriat.
Accompagnement du renouveau stratégique, de l’innovation.
Verstraete et al. (2012)
« Tout business model possède trois composantes génériques : la Génération d’une valeur appréciée par les marchés, la
Rémunération de cette valeur et le Partage de la réussite avec le “réseau de valeur”, autrement dit les acteurs du système. »
(p. 7)
Modèle GRP
Outil, méthode
Convention
Artefact systémique
Accompagnement de projets entrepreneuriaux.
Outil stratégique et opérationnel.
Organiser de la connaissance construite d’un projet en se basant sur des outils connus.
Baden-Fuller et Mangematin (2015)
“A business model is more than a statement of how ‘value is created and captured’; it is a ‘model’.”
Modèle
Artefact
Dispositif manipulable
« Dispositif manipulable » pouvant aider à comprendre les liens entre la création de valeur et la capture de la valeur ;
artefact pour transmettre des connaissances sur une entreprise et ses spécificités.
En nous interrogeant sur le rô le et les fonctions du BM, nous avons identifié quatre
fonctions principales pour le BM, présentées ci-après :
1.Une approche configurationnelle de l’organisation (Teece, 2010 ; Zott et Amit, 2010) :
le BM est une configuration d’éléments en interaction, susceptible de produire des
résultats et une performance. Cette approche, qualifiée de « business model as a model »
par Baden-Fuller et Mangematin (2015), intègre notamment les relations de cause à effet
ainsi qu’une perspective basée sur les ressources (Penrose, 1959). Cette approche
permet d’identifier des configurations types, telles que les modèles de plateformes, le
freemium ou le classique « razor and blade », certains auteurs allant parfois jusqu’à
qualifier le BM de recette (Sabatier et al., 2010). Cette perspective, très normative, est
intéressante pour guider l’entrepreneur dans ses choix en termes de modèle de revenus,
mais elle présente le risque de limiter l’ampleur de la réflexion à mener autour du projet
entrepreneurial.
2.Dans ses dimensions pratique et pragmatiste, le BM est aussi un schéma linguistique
ou cognitif, pouvant évoluer vers une représentation formelle pour rendre le projet
plus explicite (Massa et al., 2017). Le projet se forme dans un premier temps sous
l’influence des expériences passées de l’entrepreneur, de ses cadres de référence, de
manière implicite et informelle. Lorsqu’il partage son projet, l’entrepreneur va davantage
le formaliser, à l’image par exemple du blueprint évoqué par Osterwalder (2004).
3.Dans une perspective de support de la stratégie, le BM traduit le positionnement de
l’entreprise par rapport à ses parties prenantes (Warnier et al., 2018). L’entrepreneur
doit en effet concilier création, capture et partage de la valeur. La création de valeur
suppose une forme de collaboration, tandis que la capture de valeur et son partage
impliquent une forme de rivalité. Cette perspective place la notion de valeur au cœur du
BM, en soulignant la difficulté des choix que l’entrepreneur devra réaliser. Cette approche
est sans doute la plus ouverte des quatre fonctions identifiées, puisqu’elle ne présuppose
aucun schéma de collaboration, envisageant même le BM dans sa dimension
performative vis-à -vis de son environnement, de son écosystème.
4.Enfin, le BM permet de comprendre la dynamique de l’organisation ou du projet
d’entreprise en tant qu’approche itérative et transformative. Les pratiques itératives
dans l’entrepreneuriat (Lean Startup par exemple) et la mise en œuvre de la logique de
« modelling » positionnent le BM en tant qu’objet manipulable, alimentant les réflexions
du manager ou de l’entrepreneur (Baden-Fuller et Mangematin, 2013, 2015). On retrouve
les apports de Penrose à travers deux compétences managériales complémentaires : la
capacité à opérationnaliser (améliorer l’exploitation des ressources) et la compétence
entrepreneuriale (intégrations de nouvelles ressources ou nouvelles combinaisons de
l’utilisation des ressources par exemple) (Demil et Lecocq, 2010).
Le tableau 2 résume l’ambivalence liée à la mise en œuvre du business model dans une
démarche entrepreneuriale : à la fois concept et outil pour construire, préciser et présenter
le projet, les quatre fonctions identifiées peuvent être mobilisées à différent moments de la
vie du projet.
Tableau 2. Nature et fonctions principales du BM
Nature
Fonctions
Une dualité atypique :
–Concept
–Outil
1.BM en tant que configuration : business model as a model
2.BM en tant que schéma cognitif : business model as heuristics
3.BM en tant que support de la stratégie : strategizing with business model
4.BM en tant qu’approche itérative et transformative : modelling business models.
Ces différentes perspectives nous amènent à un niveau de détail supplémentaire, en nous
intéressant aux composantes du BM. Que ce soit pour opérationnaliser ou mieux étudier le
BM, de nombreux auteurs proposent de manière plus ou moins détaillée un ensemble de
composantes, ou attributs, constitutifs du BM. On identifie quelques points récurrents,
concernant les notions d’offre (par rapport au marché ou aux clients) et de
ressources, ainsi que le thème de la valeur (value network, value proposition, value stream,
customer value, value delivery, etc.), mais chaque approche se veut singulière. Nous avons
repris six approches, parmi les plus répandues, afin de les comparer (Tableau 3) : le choix
des composantes et leur dénomination traduisent la logique sous-jacente des auteurs. Pour
compléter l’analyse, nous avons regroupé les composantes en trois catégories distinctes, en
nous appuyant sur les travaux de George et Bock (2011). Les auteurs proposent en effet
une lecture entrepreneuriale du BM, après l’avoir confronté à la réalité des praticiens, et
identifient trois thématiques dominantes en lien avec le BM : la valeur, les transactions et
les ressources et le design organisationnel.
Cette comparaison permet de confirmer des points d’ancrage : proposition de valeur,
architecture de valeur, ressources, capture et partage de la valeur sont autant de thèmes
récurrents, déjà présents dans les champs du management stratégique et de
l’entrepreneuriat, mais adressés de manière différente grâ ce à l’approche par le BM. Notons
en revanche que l’articulation ou les relations des différentes composantes ne sont pas
précisément décrites, la complexité de l’ensemble étant plus souvent évoquée au travers
des notions de système ou systémique (Zott et Amit, 2010), d’une conception partenariale
(voire symbiotique) de l’organisation ou du projet d’entreprise (Verstraete et Jouison-
Laffitte, 2018) ou plus globalement en évoquant la cohérence de l’ensemble (Chesbrough et
Rosenbloom, 2002 ; Demil et Lecocq, 2010).
En conclusion de cette première partie, nous nous appuierons sur les observations de
Klang et al. (2014) : le BM souffre d’un paradoxe, entre popularité fulgurante et critique
sévère. Appelant à plus d’intégration dans de futures recherches, permettant d’améliorer la
qualité et la richesse dans différents « courants » par exemple, Klang et al. (Ibid.) soulignent
néanmoins l’intérêt de maintenir la pluralité des perspectives, pour une large diffusion et
des contributions nombreuses. La deuxième partie de ce chapitre a ainsi pour objectif de
relever les principaux débats et points de tension alimentant les recherches actuelles sur le
BM.
Tableau 3. Comparaison des composantes de six approches majeures du BM dans la littérature
Catégories
(George et Bock, 2011)
Composantes
Chesbrough et Rosenbloom (2002)
Osterwalder et Pigneur (2010)
Demil et Lecocq (2010)
Zott et Amit (2010)
Moingeon et Lehmann-Ortega (2011)
Verstraete et al. (2012)
Ressources et design organisationnel
Ressources, compétences
Chaîne de valeur
Ressources-clés ; activités-clés
Ressources et compétences ; chaîne de valeur
Contenu : sélection d’activités
Porteurs de projet
Fabrication de valeur (capter, agencer, délivrer)
Réseau (externe)
Position au sein du réseau de valeur
Partenaires-clés
Réseau de valeur
Structure
Organisation
Structure : liens et importance des activités
Architecture de valeur
Transactions
Proposition de valeur
Proposition de valeur
Proposition de valeur
Offre produits et services
Proposition de valeur
Proposition de valeur
Clients
Segment client
Relation client, canaux, segments
Parties prenantes
Rentabilité
Rentabilité potentielle
Marge
É quation de profits
Performances
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1 La traduction de « business model » par « modèle d’affaires » n’est pas totalement satisfaisante, le mot français « affaires » ne recouvrant pas
exactement la notion de « business » en anglais. D’autre part, le « modèle économique » n’est qu’une partie d’un business model, excluant cette
traduction. Nous conserverons donc le terme anglais de business model, qui est aussi largement répandu chez les praticiens. Notons que l’on
trouve parfois l’orthographe business modèle.
Chapitre 9. Les compétences des entrepreneurs dans les
démarches d’innovation ouverte
Simona Grama-Vigouroux
Introduction
L’innovation ouverte (IO) constitue le nouveau paradigme pour faire de l’innovation
(Chesbrough et Bogers, 2014). Il met l’accent sur l’importance de l’implication d’un large
éventail d’acteurs et de sources externes pour réaliser et soutenir l’innovation interne
(Vanhaverbeke et al., 2018). Jusqu’à présent, une grande partie de la littérature sur l’IO
favorisait les grandes entreprises (Spender et al., 2017). Or, l’IO concerne tout type
d’entreprises et présente un réel intérêt particulièrement pour les start-up en raison du
manque de ressources auquel elles sont confrontées (Spender et al., 2017 ; Bogers et al.,
2017) et parce que le rô le de l’entrepreneur y est crucial dans l’élaboration de la stratégie
d’innovation (Spender et al., 2017 ; Grama-Vigouroux et Royer, 2020), pour notamment
explorer de nouvelles opportunités d’affaires, et s’engager personnellement dans le
développement d’un réseau d’innovation (Vanhaverbeke et al., 2018). La littérature
s’intéresse peu à l’IO dans les start-up (Bogers et al., 2017 ; Spender et al., 2017) alors
même que l’adoption de l’IO constitue une nécessité pour celles-ci afin de surmonter à la
fois leurs handicaps en termes de nouveauté et de taille (Eftekhari et Bogers, 2015). En
outre, les domaines de l’IO et de l’entrepreneuriat sont étroitement liés, au regard des
divers processus entrepreneuriaux sur lesquels reposent sur l’IO (e.g., l’exploration et
l’identification des opportunités, la mobilisation de ressources, la performance
entrepreneuriale), mais encore peu de recherches combinent les deux aspects, à l’exception
de quelques études (e.g., Spender et al., 2017 ; Bogers et al., 2017 ; Eftekhari et Bogers,
2015 ; Grama-Vigouroux et Royer, 2020). Il semble donc intéressant de chercher à articuler
les recherches sur l’IO au champ de l’entrepreneuriat.
Dans la plupart des recherches sur l’IO, l’accent est mis sur l’organisation comme unité
d’analyse (Bogers et al., 2018) et moins sur l’individu. La plupart des études sous-estiment
et n’examinent pas suffisamment l’aspect humain de l’IO, peu d’entre elles étudiant la façon
dont les individus font face aux défis de l’IO d’une part, leurs compétences d’autre part
(Podmetina et al., 2018 ; Bogers et al., 2018). L’étude des compétences individuelles pour
l’IO n’en est, pour l’instant, qu’au stade embryonnaire. Les compétences favorisant l’IO
n’ont été étudiées qu’assez récemment sur des professionnels de l’IO (Chatenier et al.,
2010 ; Podmetina et al., 2018 ; Bogers et al., 2018). Le travail séminal de Chatenier et al.
(2010) met en avant un profil constitué par quatre catégories de compétences pour l’IO : le
management de soi, le management des relations interpersonnelles, le management de
projet, le management du contenu des collaborations, auxquelles Grama (2013) a ajouté
une cinquième catégorie : le management technique.
Au regard de ces constats, l’objectif de ce chapitre est d’approfondir la connaissance des
compétences d’IO chez les entrepreneurs et d’établir un état de l’art sur le sujet. Ainsi, nous
présentons d’abord deux sections théoriques pour mieux situer l’IO et les compétences
entrepreneuriales. Ensuite, sont présentées les compétences en matière d’IO comme
catégorie de compétences entrepreneuriales nécessaires pour gérer l’IO ; la présentation
de différentes limites et voies de recherche sur le thème des compétences pour l’IO des
entrepreneurs clô ture ce chapitre.
s’appuyer sur la R&D interne, les organisations s’engagent actuellement de plus en plus
dans l’IO et leur focus change, passant d’un modèle d’innovation fermée à un modèle d’IO.
L’ouverture signifie que les frontières des organisations deviennent poreuses aux idées et
aux ressources qui peuvent y entrer et en sortir (Chesbrough et Bogers, 2014). Malgré
l’intérêt croissant des universitaires et des praticiens pour le concept d’IO, certains auteurs
soulignent l’importance qu’il y a à développer la théorie sur l’IO et à élargir le champ de l’IO
à de nouvelles perspectives. Pour Bogers et al. (2017), la relation entre l’IO et
l’entrepreneuriat est considérée comme essentielle pour analyser l’identification des
opportunités d’affaires par les entrepreneurs et elle se révèle utile pour étudier différents
types d’organisations et de contextes. De plus, Bogers et al. (2017) affirment que la
recherche qui combine les théories et les concepts tirés de deux domaines (i.e., IO et
entrepreneuriat) contribuerait à une compréhension plus approfondie de la façon dont les
diverses approches d’IO conduisent à une variété de phénomènes entrepreneuriaux. Par
exemple, les pratiques d’IO telles que l’acquisition de connaissances scientifiques,
technologiques et entrepreneuriales externes sont cruciales pour la réussite
entrepreneuriale (Spender et al., 2017).
1.1. Les différentes démarches d’IO
Les démarche d’IO comprennent trois grands types d’activités, en fonction des relations
nouées avec les partenaires : les activités « outside-in », les activités « inside-out » et les
activités « couplées » qui combinent celles citées précédemment (Yun et al., 2019). Ces
démarches sont également reconnues dans le champ de l’entrepreneuriat et pratiquées par
les entrepreneurs sous différentes formes (e.g., démarches intrapreneuriales, d’essaimage,
co-entreprise, etc.). Les activités « outside-in » comprennent les partenariats avec
différentes parties prenantes telles que les clients, les fournisseurs, les centres de
recherche et les concurrents en vue d’améliorer l’innovation interne (Vanhaverbeke et al.,
2018). Les entrepreneurs peuvent pratiquer ces activités, par exemple, dans des espaces de
coworking où les entrepreneurs peuvent développer leurs projets en collaborant avec leurs
pairs favorisant la créativité collective (Capdevilla, 2015). En effet, les espaces de
coworking permettent aux entrepreneurs innovants de créer plus facilement un
intermédiaire d’IO favorisant les contacts multiples et capables de soutenir des
dynamiques de collaboration multiacteurs. Outre les espaces de coworking, les living labs
sont également des intermédiaires d’IO qui facilitent les activités de outside-in en
permettant d’intégrer de nombreux acteurs hétérogènes sur un tiers lieu adapté aux
spécificités d’un territoire (Fasshauer et Zadra-Veil, 2020). L’émergence de ces
intermédiaires de l’IO donnent également naissance à des profils d’individus hybrides
appelés « slashers », qui peuvent ainsi être à la fois salariés et autoentrepreneurs (Bohas et
al., 2018). Le phénomène d’hybridation est également organisationnel, les entreprises
développant de plus en plus des politiques d’IO qui consistent souvent à mélanger salariés
(intrapreneurs) et entrepreneurs sur une même plateforme (Bohas et al., 2018).
Les activités « inside-out » comprennent la commercialisation de licences ou de
technologies non utilisées (Yun et al., 2019). En effet, certains entrepreneurs optent pour
commercialiser leurs brevets et des accords de licences dans des entreprises dérivées
appelées spin-off afin de conquérir de nouveaux marchés (Remon, 2012). Grâ ce aux spin-off,
les employés d’une entreprise peuvent devenir des entrepreneurs en créant de nouvelles
entreprises avec le soutien de la société mère, celle-ci leur fournissant les connaissances
internes et les services financiers, le capital humain, les services juridiques et
administratifs nécessaires (Yun et al., 2019). En plus de la vente de leur propriété
intellectuelle ou de leurs licences, l’externalisation des activités (l’outsourcing) constitue
pour les entrepreneurs une autre façon de générer de la valeur grâ ce à de nouvelles
connaissances, des compétences, un développement plus rapide et un partage des coû ts
avec les partenaires de l’IO (Hong et Kim, 2020).
Les activités « couplées » impliquent des collaborations dans le développement conjoint
de produits, de technologies et de connaissances. Ces collaborations peuvent se développer
au sein d’une structure organisationnelle, comme des consortiums de concurrents, de
fournisseurs et de clients, des entreprises et des alliances stratégiques. Les partenariats de
codéveloppement ou les coentreprises sont un type d’activité d’IO couplée qui peut
accroître tant la rentabilité que la capacité d’innovation (Yun et al., 2019). Les
coentreprises et le codéveloppement peuvent améliorer le rendement de la R&D interne en
tirant parti des capacités du partenaire. Les coentreprises peuvent servir de canaux d’IO et
représentent une forme de partenariat souvent utilisé par les entrepreneurs comme phase
intermédiaire de croissance ou de collaboration. Par exemple, beaucoup de ces types
d’alliances stratégiques apparaissent dans le secteur des télécommunications (Yun et al.,
2019). Les risques liés à la coentreprise peuvent être liés au contrô le de la gestion et des
actifs et aux conflits fréquents entre les partenaires (Lepage et Cheriet, 2019).
1.2. De la grande entreprise à la start-up
Ces activités d’IO ont été analysées initialement dans les grandes entreprises innovantes
en examinant leurs écarts par rapport aux méthodes traditionnelles d’innovation
(Vanhaverbeke et al., 2018). En ce sens, un exemple d’IO dans une grande entreprise est
l’iPod d’Apple, où le concept initial a été proposé par un entrepreneur externe (i.e., Tony
Fadell), le système iPod a été développé par une équipe de personnes issues de plusieurs
entreprises externes (e.g., Philips, Ideo, General Magic) tandis que la conception technique
a été gérée par une alliance de plusieurs acteurs (i.e., Wolfson, Toshiba et Texas
Instruments). D’autres entreprises multinationales peuvent répartir les activités
d’innovation en fonction des forces de centres de recherche externes, ce qui leur permet de
rester à l’avant-garde et de lancer de nouveaux produits ou services sur les marchés avant
leurs concurrents (Bigliardi et al., 2021). Ces auteurs indiquent que si les premiers travaux
se sont concentrés sur l’adoption de l’IO dans les grandes entreprises multinationales, ces
dernières années, les PME ont commencé à adopter de plus en plus l’IO, mais toujours
moins que les multinationales en raison des contraintes de ressources et des limites
d’échelle.
L’IO ne concerne pas seulement la grandes entreprises et les PME, mais tout type
d’organisation, quelle que soit son ancienneté sur le marché. Les start-up sont des
organisations intrinsèquement ouvertes, nécessairement engagées dans des processus d’IO
(Spender et al., 2017). Selon la définition de Blank et Dorf (2020, p. XVII), une start-up est
une organisation temporaire conçue pour rechercher un modèle économique reproductible
et évolutif, travaillant dans des conditions d’extrême incertitude. Les recherches existantes
indiquent que la formation de relations avec des partenaires externes est une priorité pour
le succès des start-up (Spender et al., 2017). En raison de leur petite taille, les start-up
souffrent d’un manque structurel de ressources matérielles et immatérielles (Eftekhari et
Bogers, 2015). En effet, les start-up ont peu d’expérience opérationnelle et tentent de
fonctionner en s’appuyant sur des routines immatures et non affinées, étant incapables de
supporter une période prolongée de mauvaises performances. L’adoption de pratiques d’IO
demeure une nécessité pour les start-up, afin de surmonter leur manque de ressources
(Eftekhari et Bogers, 2015). Malgré l’évidente relation de proximité entre les start-up et
l’IO, les recherches sur cette question sont encore très peu nombreuses (Spender et al.,
2017). Pour dépasser la faible reconnaissance sur le marché, les start-up peuvent s’associer
à un grand groupe déjà connu, par exemple pour avoir accès aux ressources nécessaires et
à une bonne réputation. Récemment, Bertin (2019) a mis en évidence les facteurs qui
facilitent les relations entre les start-up et les grandes entreprises, qui sont liés à quatre
types d’aspects : internes à la start-up, internes à la grande entreprise, inter-
organisationnels et écosystémiques. Pour gérer ces activités d’IO, les entrepreneurs ont
besoin de compétences spécifiques. Les start-up étant souvent associées à la personne de
l’entrepreneur (Spender et al., 2017), les compétences de l’entreprise peuvent être
associées à celles de l’entrepreneur. Les travaux dans le domaine des compétences de l’IO
s’inscrivent dans la continuité des recherches sur les compétences entrepreneuriales
(Grama-Vigouroux, 2017 ; Grama, 2013).
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Annexe 1. La liste détaillée des compétences pour l’innovation ouverte des entrepreneurs 2
1 “We define open innovation as a distributed innovation process based on purposively managed knowledge flows across organizational boundaries,
using pecuniary and non-pecuniary mechanisms in line with the organization’s business model.” (Chesbrough et Bogers, 2014, p. 17)
2 La compétence « Explore des hypothèses en sachant quand et comment interrompre un fonctionnement automatique » n’a pas été incluse dans
le tableau à la suggestion de Du Chatenier et al. (2010).
Chapitre 10. Accompagnement entrepreneurial et business
models d’incubateur
Amandine Maus
Introduction
Chaque année en France, un nouveau record du nombre de créations d’entreprises est
annoncé. À titre d’exemple, en 2020, 848 164 entreprises ont été créées avec une
croissance de 4 % par rapport à 2019. Ce contexte de fort dynamisme entrepreneurial est
encouragé par les pouvoirs publics français. Un soutien financier public est notamment
apporté pour développer l’activité des incubateurs d’entreprises, organisations qui ont
pour mission d’accroître les chances de survie des jeunes entreprises. La Commission
nationale d’évaluation des politiques d’innovation (2016) indique que dans le domaine de
l’innovation en France, un budget de 1,4 milliard d’euros est investi par an pour ces
organisations.
Malgré ce contexte favorable à l’entrepreneuriat, depuis le début des années 2000, les
incubateurs font face à un environnement de plus en plus incertain et turbulent (Ahmad et
Thornberry, 2018 ; Lamine et al., 2018). Cet environnement les force à se recentrer sur
eux-mêmes et à s’adapter pour assurer leur survie. Les recherches en entrepreneuriat
tentent de mieux rendre compte de ces transformations en cours en mobilisant des
concepts du management stratégique, ouvrant la voie à un nouveau courant de recherche
stratégique (Baraldi et Ingemansson Havenvid, 2016). Le concept de business model y est
notamment utilisé (Pauwels et al., 2016 ; Cohen et al., 2019). Il est particulièrement
pertinent à mobiliser dans le contexte actuel, car il se focalise sur la façon dont les
organisations créent, proposent et capturent de la valeur (Warnier et al., 2018 ; Best et al.,
2021). La question de la valeur créée, proposée et capturée est primordiale pour les
incubateurs (Calmé et al., 2016 ; Pauwels et al., 2016 ; Cohen et al., 2019). Elle les conduit à
redéfinir leur offre d’accompagnement pour tirer leur épingle d’un jeu concurrentiel de
plus en plus intense (Cohen et al., 2019). L’objectif est d’être plus innovant et plus pertinent
que la concurrence afin d’attirer l’attention des entrepreneurs et l’intérêt des financeurs.
Dans ce cadre, nous nous focalisons sur la question suivante pour structurer ce chapitre :
comment le concept de business model est-il mobilisé dans la littérature du champ de
l’entrepreneuriat pour étudier l’adaptation des incubateurs ?
Pour y répondre, nous explorons la littérature sur les incubateurs. Dans un premier temps,
nous abordons la définition donnée à ces organisations et les apports du courant
stratégique à leur étude. Dans un deuxième temps, nous nous focalisons sur le concept de
business model et sur sa mobilisation pour appréhender les transformations des
incubateurs. Dans un troisième temps, nous concluons sur des pistes de recherche pour de
futurs travaux dans le domaine des business models d’incubateur.
qui s’intéresse aux organisations qui accompagnent l’entrepreneuriat (Bakkali et al., 2013 ;
Vedel et Gabaret, 2013). L’origine du mot « incubateur » provient, selon Aernoudt (2004),
du terme « incubatio » qui qualifie des lieux de culte grecs ou romains permettant d’obtenir
des remèdes aux maladies. Aernoudt (2004) rappelle également que les incubateurs sont
aujourd’hui des instruments médicaux utilisés pour apporter les ressources nécessaires à
la survie et au bon développement d’enfants prématurés. Les incubateurs d’entreprises ont
ce même rô le nourricier pour les start-up qu’ils accompagnent (Amezcua et al., 2020). Leur
mission est de collecter et de coordonner des ressources pour créer un contexte favorable à
la création et au développement d’entreprises. Selon la littérature, les ressources qu’ils
prodiguent sont notamment des bureaux à des prix moins élevés que ceux du marché, des
services partagés (salles de réunion, secrétariat, service d’impression, etc.), des ressources
financières, de l’accompagnement entrepreneurial et un accès à un réseau professionnel
(Dutt et al., 2016 ; Goswami et al., 2019 ; van Rijnsoever, 2020).
Parmi les récents développements de la littérature, un courant de recherche stratégique a
vu le jour dans les années 2005-2010 qui se propose de repenser la définition des
incubateurs (Baraldi et Ingemansson Havenvid, 2016). Il s’est développé à la suite du
constat d’un environnement de l’accompagnement entrepreneurial de plus en plus
turbulent (Vanderstraeten et Matthyssens, 2012 ; Ahmad et Thornberry, 2018 ; Messeghem
et al., 2018). Cette turbulence est alimentée, du cô té de l’offre, par un nombre croissant
d’incubateurs, qui atteint les 7 000 structures dans le monde (van Weele et al., 2017 ; Lukeš
et al., 2019), ce qui contribue à l’émergence d’un contexte de plus en plus concurrentiel. Du
cô té de la demande, les incubateurs doivent répondre aux besoins d’accompagnement
d’une variété croissante de profils d’entrepreneurs de plus en plus exigeants
(entrepreneurs académiques, entrepreneurs créatifs, étudiants-entrepreneurs,
entrepreneurs sociaux, etc.) (Boissin et Schieb-Bienfait, 2012 ; Zahra et al., 2014 ; Fryges et
Wright, 2014 ; Chapain et al., 2018). Ces entrepreneurs sont particulièrement attirés par
des méthodes entrepreneuriales, venues des É tats-Unis, importées grâ ce aux technologies
numériques, à l’image du Lean Startup (Mansoori et al., 2019). Enfin, ces transformations
interviennent en Europe dans un contexte de diminution voire de raréfaction des soutiens
publics qui touche directement le budget des incubateurs (Calmé et al., 2016 ; Maus et
Sammut, 2017 ; Messeghem et al., 2018).
Dans ce contexte, le courant de recherche stratégique appréhende les incubateurs comme
des organisations en perpétuelle évolution (Ahmad et Thornberry, 2018 ; Baraldi et
Ingemansson Havenvid, 2016) qui tentent de répondre aux transformations de leur
environnement (Baraldi et Ingemansson Havenvid, 2016 ; Vanderstraeten et al., 2016 ;
Ahmad et Thornberry, 2018). Pour détailler les adaptations opérées par les incubateurs au
cours du temps afin de répondre aux attentes de leur écosystème, les chercheurs
mobilisent des concepts issus de la littérature du management stratégique, tels que les
stratégies concurrentielles et le business model (Vanderstraeten et al., 2016 ; Maus et
Sammut, 2017 ; Pauwels et al., 2016).
1.2. La recherche en management stratégique au service de l’étude des incubateurs
Les travaux académiques soulignent par exemple les stratégies mises en œuvre par les
incubateurs (Baraldi et Ingemansson Havenvid, 2016 ; Clarysse et al., 2005 ; Pauwels et al.,
2016). Dans un premier temps, les débats portent sur les stratégies qui améliorent la
qualité de la sélection des start-up et de l’accompagnement. Des comparaisons sont par
exemple faites entre le choix de stratégies généraliste et spécialiste pour déterminer la plus
performante pour soutenir les jeunes entreprises (Schwartz et Hornych, 2008, 2010 ;
Vanderstraeten et Matthyssens, 2012). Vanderstraeten et al. (2016) étudient également la
stratégie de personnalisation, focalisée sur la création de programmes d’accompagnement
sur-mesure pour les start-up, déployée pour répondre aux besoins d’accompagnement de
plus en plus spécifiques des entrepreneurs. Dans un deuxième temps, les stratégies
étudiées concernent les relations des incubateurs avec des acteurs de l’écosystème pour
améliorer l’accompagnement et leur performance financière. Des stratégies de
collaboration et de coopétition sont notamment mises en avant (Bruneel et al., 2012 ;
Baraldi et Ingemansson Havenvid, 2016 ; Calmé et al., 2016). Elles ont pour objectif
d’enrichir et de diversifier l’offre d’accompagnement, ainsi que de trouver des réponses à la
baisse des fonds publics en cherchant à développer de nouvelles sources de financement
(Baraldi et Ingemansson Havenvid, 2016 ; Calmé et al., 2016).
Au sein de ce courant stratégique, un concept semble particulièrement clé pour étudier les
incubateurs : le business model. Ce concept souligne des transformations majeures qui
concernent un élément central pour ces organisations : la création de valeur, notamment
économique et financière. Elle est nécessaire à leur survie et à leur développement dans
une industrie de l’accompagnement entrepreneurial très concurrentielle. Les chercheurs
soulignent l’engagement de ces organisations dans un processus de création de valeur qui
dépasse la seule activité d’accompagnement conduite pour les entrepreneurs (Baraldi et
Ingemansson Havenvid, 2016). L’objectif est alors de servir l’ensemble des acteurs de leur
écosystème (financeurs, incubateurs partenaires, plateformes de crowdfunding, etc.) avec
qui ils collaborent, et non plus seulement leurs clients-entrepreneurs. Des voies choisies
par certains incubateurs pour attirer des entrepreneurs et des financeurs publics ou privés
sont ainsi mises en avant.
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1 Bakkali et al. (2013) ainsi que Vedel et Gabbaret (2013) indiquent que le terme « incubateur » qu’ils utilisent fait référence aux travaux anglo-
saxons, quand le terme de « structure d’accompagnement » s’ancre dans une littérature francophone et le contexte français. Le choix du terme
« incubateur » prend ainsi en compte un contexte international plus large que l’environnement francophone. Il s’appuie sur des recherches qui
relèvent des transformations et une concurrence désormais mondiale entre les incubateurs (Baraldi et al., 2016 ; Dutt et al., 2016 ; Pauwels et al.,
2016).
Chapitre 11. La finance entrepreneuriale à la croisée des chemins
Jean-François Sattin
Introduction
L’entrepreneuriat est nécessaire pour la croissance économique (Acs et al., 2018), et la
dimension financière est essentielle pour le déploiement des projets entrepreneuriaux. La
probabilité de créer une entreprise augmente avec l’accroissement du patrimoine des
entrepreneurs, par exemple lors de la perception de donations et d’héritages, en présence
d’une dérégulation facilitant l’accès au crédit bancaire ou encore lors d’une diminution de
la fiscalité. A contrario le manque de fonds disponibles agit comme une contrainte qui peut
limiter l’entrée des entrepreneurs potentiels (Smith, 2012).
Mais qu’entend-on exactement par finance entrepreneuriale ? Quelles sont les frontières
de la discipline ? Suivant Paré et al. (2009), la finance entrepreneuriale étudie les aspects
financiers du processus entrepreneurial. Elle renvoie donc à la fois aux diverses sources de
financement à la disposition des entrepreneurs (business angels, capital-risque,
financement bancaire, crédit commercial, microfinance, crowdfunding, love money, marchés
financiers, financements publics…), et à des problématiques particulières liées au
financement de l’activité entrepreneuriale, dont certaines seulement renvoient à une étape
précise du processus de création d’entreprise (rentabilité de l’activité entrepreneuriale,
formation et attitudes financières de l’entrepreneur, planification et gestion financière de la
firme, choix des modes de financement, rédaction des contrats de financement, « trou »
dans la chaîne de financement, politiques publiques, etc.) (Paré et Rédis, 2011).
Du point de vue académique, la recherche en finance entrepreneuriale se caractérise à la
fois par sa jeunesse, par son dynamisme ainsi que par une focalisation sur un nombre
restreint de modes de financement. Nous avons notamment connu ces dernières années
une croissance notable des travaux en finance entrepreneuriale, ce champ de recherche
ayant gagné progressivement en autonomie (1.). La structuration de la recherche a
toutefois été réalisée en grande partie autour d’un nombre limité d’outils de financement
qui ont successivement attiré l’attention des chercheurs (2.). Ce sont ces particularités
ajoutées aux évolutions récentes de l’écosystème financier qui peuvent conduire à redéfinir
à terme les frontières de la finance entrepreneuriale (3.).
financement, les données utilisées provenant principalement des financeurs et non des
entrepreneurs financés (Cosh et al., 2009). Par ailleurs, on remarque que les bases de
données utilisées en finance entrepreneuriale sont plus aisément disponibles pour certains
acteurs et pour certains types de financement particuliers. Cela explique la présence de
différents biais dans la littérature, dont la surreprésentation des publications pour certains
modes de financement et certains pays (comme par exemple le capital-risque, les business
angels et plus récemment le crowdfunding en Europe et aux É tats-Unis) et, a contrario notre
moindre connaissance des autres types de financement disponibles (comme le love money
par exemple), des autres environnements institutionnels présents, et des divers processus
associés à la gestion financière de l’entreprise (comme la gestion de trésorerie par
exemple).
D’un point de vue pratique, la recherche académique est aujourd’hui largement structurée
autour de l’analyse de 3 modes de financement distincts : le capital-risque, le crowdfunding
et les business angels. Si ces trois objets d’analyse partagent des problématiques
communes, ils ont toutefois aussi des spécificités et des enjeux de recherche qui leur sont
propres.
les pratiques des investisseurs restent toutefois particulièrement hétérogènes. Bien que la
structuration de business angels en réseau ait conduit ces dernières années à uniformiser
un peu les pratiques utilisées, le marché des business angels reste encore aujourd’hui moins
standardisé que l’industrie du capital-risque (Wallmeroth et al., 2018).
D’un point de vue académique, les premiers travaux datent des années 1980 mais, compte
tenu des difficultés d’accès au terrain, la recherche empirique sur les business angels n’a
réellement pris son essor qu’après les années 2000 avec un nombre de publications qui
augmente régulièrement depuis cette date (Tenca et al., 2018).
Les travaux académiques ont tout d’abord cherché à expliciter les caractéristiques des
business angels aux niveaux physique, social, et psychologique, ainsi qu’en matière de
portefeuille détenu et de stratégies déployées (Wetzel, 1983). Suivant Wetzel (1987), un
certain nombre de travaux se sont ensuite intéressés aux déterminants et aux effets
institutionnels de ce mode de financement. L’étude des déterminants de l’offre et de la
demande de financement dans les diverses économies est à ranger dans cette catégorie,
ainsi que l’étude de l’impact du financement business angels sur la croissance économique . 10
business angels reste pour l’heure peu étudiée, même si des travaux montrent son
importance pour réaliser certaines opérations de financement comportant, par exemple,
des risques élevés (Tenca et al., 2018).
2.3. La forte croissance de la recherche sur le crowdfunding
Le crowdfunding est apparu officiellement en 2006 (Wallmeroth et al., 2018). Cumming et
Groh (2018) notent qu’il s’agit d’une pratique dérivée du crowdsourcing et de la
microfinance, dont le principe est de mettre en relation des porteurs de projets avec le
grand public via l’utilisation de plateformes de financement dédiées, généralement sur
Internet . Ce mode de financement a connu un essor sans précédent ces dernières années.
12
ce domaine reste encore limitée compte tenu des difficultés d’accès aux données et de la
relative nouveauté de ce mode de financement (Mochkabadi et Volkmann, 2018). Plusieurs
caractéristiques rendent la recherche sur le crowdfunding spécifique par rapport aux
travaux portant sur le capital-risque ou sur les business angels. D’une part, les financeurs ne
sont généralement pas des professionnels, mais sont issus du grand public et sont donc à ce
titre moins expérimentés que les capital-risqueurs ou les business angels. D’autre part, la
plateforme a aussi son importance car elle est à l’interface entre les demandeurs et les
offreurs de fonds. Enfin, le crowdfunding peut capitaliser sur l’émergence des nouvelles
technologies de financement (fintechs) pour proposer une offre adaptée aux offreurs et aux
demandeurs de capitaux. Tout cela explique que la recherche dans ce domaine soit ouverte
aux apports des autres disciplines, comme les sciences de l’information ou le marketing, en
plus de la finance et de l’entrepreneuriat. Mochkabadi et Volkmann (2018) divisent la
littérature sur l’equity crowdfunding en cinq catégories, suivant que les auteurs
développent une perspective liée aux marchés de capitaux, à l’entrepreneur, aux
institutions, aux investisseurs, ou à la plateforme.
La première catégorie de travaux appréhende le crowdfunding sous l’angle de l’efficience
des marchés et étudie son rô le économique, notamment par rapport aux autres modes de
financement disponibles, et souvent sur la base d’un travail de modélisation théorique. Elle
se place très directement dans l’optique liée aux marchés financiers notée plus haut.
L’approche institutionnelle a par ailleurs été mobilisée pour étudier l’impact de
l’environnement réglementaire sur le développement du crowdfunding, la plupart du temps
en comparant les lois et les pratiques contractuelles présentes dans les différents pays.
Les perspectives liées à l’entrepreneur ont ensuite été souvent traitées par le prisme de la
théorie de l’agence. Belleflamme et al. (2014) ont été les premiers à étudier les
déterminants du recours à l’equity crowdfunding pour les entrepreneurs, tandis que
d’autres travaux se sont ensuite penchés sur la réduction des asymétries d’information
entre entrepreneurs et financeurs (Ahlers et al., 2015 ; Vismara, 2018). Les questions
relatives aux motivations des investisseurs (couple rentabilité-risque ou autres raisons
personnelles), à leurs caractéristiques (sexe, â ge, distance géographique…), et au processus
de sélection mis en place (comportements rationnels ou mimétiques…) ont ensuite trouvé
un certain écho dans la littérature. De même, les caractéristiques du troisième intervenant
dans la transaction, la plateforme, et notamment l’impact de son design, de sa politique de
sélection des campagnes lancées, et de sa capacité à révéler l’information ont aussi été
étudiées par certaines recherches.
différents types de financeurs peuvent collaborer entre eux dans une optique de co-
financement . Il est donc désormais nécessaire d’affiner notre compréhension des
16
stratégies déployées par les différents acteurs de la chaîne de financement, afin de mieux
appréhender les opportunités présentes sur les différents marchés.
D’une façon générale, il semble important d’élargir l’éventail des recherches menées en
finance entrepreneuriale, en l’ouvrant à une plus grande variétés d’objets d’études et
d’approches méthodologiques. Par exemple, parallèlement aux nouveaux modes de
financement, il en existe d’autres plus traditionnels qui semblent ne pas avoir encore reçu
toute l’attention qu’ils méritent compte tenu, notamment, de la focalisation actuelle sur le
financement de l’entreprise innovante. C’est le cas du financement bancaire, qui s’adresse à
la majorité des entrepreneurs, et dont le potentiel semble avoir été longtemps sous-estimé
par la recherche en finance entrepreneuriale (Bellavitis et al., 2017). C’est aussi le cas de
l’assurance-chô mage pour les entrepreneurs en cas d’échec entrepreneurial, qui a reçu
dernièrement une attention accrue de la part du décideur public et de la communauté
académique intéressée par le devenir postfaillite des entrepreneurs (Pommet et Sattin,
17
2020). De même, l’étude des processus de gestion financière mobilisés par l’entrepreneur
semble pour l’heure délaissée (pratiques de recherche de financement, de gestion de la
trésorerie, etc.), malgré un réel potentiel pour de futures recherches.
Par ailleurs, la nécessité de prendre en compte le contexte institutionnel afin de mieux
appréhender la diversité de la finance entrepreneuriale est désormais reconnue. Un certain
nombre d’études sont déjà venues analyser comment les institutions pouvaient favoriser
l’émergence des différents types de financement existants. En suivant l’optique de North
(1990), ces recherches étudient généralement l’impact des institutions formelles
(environnements législatif et réglementaire) et plus rarement informelles (culture,
normes), sur l’émergence et le développement des financements les plus populaires . Aller
18
plus loin nécessite désormais de faire évoluer l’objet d’analyse du cadre institutionnel aux
arrangements institutionnels, entendus comme un ensemble d’institutions formelles et
informelles qui interagissent entre elles et qui définissent ensemble les effets
institutionnels nets pour les entrepreneurs. La question de la complémentarité et de la
substituabilité des institutions entre elles (et notamment entre les institutions formelles et
informelles) doit être explicitement posée dans de futurs travaux pour pouvoir aller plus
loin dans notre compréhension du fait institutionnel en finance entrepreneuriale. La mise
en œuvre de lois protégeant les entrepreneurs en cas de faillite peut par exemple être
rendue inopérante si la stigmatisation de l’échec entrepreneurial reste particulièrement
élevée dans le pays considéré. Des perspectives intéressantes résident aussi toujours dans
le lien entre l’environnement culturel et l’accès aux financements par les entrepreneures.
3.2. La nécessité de réorienter la recherche en finance entrepreneuriale
Compte tenu des données disponibles, les travaux actuels se concentrent généralement
sur un unique moyen de financement à la fois (Cosh et al., 2009). Le développement de la
recherche en finance entrepreneuriale a donc conduit à l’émergence de littératures
distinctes et plutô t cloisonnées. Toutefois, en pratique, les entrepreneurs financent
régulièrement leur activité en mixant les sources de financement. Divers travaux suggèrent
à ce titre que les entrepreneurs peuvent associer plusieurs financements distincts afin d’en
exploiter les complémentarités (Cumming et al., 2019). Par ailleurs, compte tenu de la
fongibilité du capital, les apporteurs de capitaux fournissent aux entrepreneurs des
ressources financières qui s’avèrent généralement substituables , mais qui ont des coû ts
19
relatifs qui peuvent varier avec les déterminants institutionnels, ainsi qu’avec les
caractéristiques propres à chaque étape du processus entrepreneurial.
Il pourrait donc être intéressant ici de changer d’optique pour remettre les pratiques
entrepreneuriales au centre de l’analyse. Ceci permettrait d’étudier les arbitrages réalisés
entre sources de financement alternatives. L’approche institutionnelle des coû ts de
transaction devrait se révéler particulièrement éclairante pour expliciter les choix réalisés
à environnement institutionnel donné. Une analyse des choix effectués par les individus
pourrait par exemple être menée en utilisant des modèles réduits qui se concentrent sur
les différences de coû ts de transaction entre modes de financement alternatifs. On peut
s’attendre à ce que l’entrepreneur choisisse la source de financement qui minimise le coû t
d’acquisition du capital et, plus généralement, de l’ensemble des ressources transmises par
le financeur.
Cela nécessite toutefois d’avoir des bases de données « riches », qui comportent des
informations sur l’ensemble des alternatives de financement à la disposition de
l’entrepreneur. Il est bien entendu ensuite nécessaire d’intégrer la complémentarité
éventuelle entre ces diverses sources de financement à l’analyse. L’explicitation des
stratégies de financement, et de leur intérêt en termes de création de valeur pour
l’entrepreneur, constitue ainsi une ligne de recherche prometteuse. On note ici que la
question de la complémentarité peut aussi s’appréhender dans une optique temporelle, ce
qui revient à étudier les sentiers de dépendance sur lesquels les entrepreneurs peuvent
éventuellement se trouver engagés . Au final, ces différents éléments plaident pour le
20
Conclusion
Après s’être rapidement développée ces dernières décennies, la recherche en finance
entrepreneuriale semble actuellement à la croisée des chemins. Les véhicules de
financement traditionnels, pour lesquels les données étaient bien documentées, ont été
largement étudiés chacun de leur cô té. Poursuivre la construction de connaissances dans ce
domaine nécessite désormais de résoudre un triple challenge lié à l’apparition de nouveaux
objets d’analyse, à une meilleure contextualisation de nos connaissances ainsi qu’à un
décloisonnement des objets de recherche entre eux. Cela passe, pour partie au moins, par
un changement d’optique qui permette de replacer le projet entrepreneurial, incorporant
les comportements et les pratiques de l’entrepreneur, au centre de l’analyse.
Le programme de recherche en finance entrepreneuriale est transversal par nature. C’est
ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse, et il semble désormais nécessaire de promouvoir
un dialogue renforcé entre les chercheurs engagés dans ce domaine.
Or plusieurs difficultés existent. Nguyen et al. (2021) notent à ce titre que la communauté
des chercheurs reconnus dans ce domaine est en partie fermée et adossée à un nombre
limité d’équipes de recherche américaines ou européennes. Par ailleurs Cumming et
Vismara (2017) soulignent que la segmentation n’est pas seulement thématique : elle est
aussi disciplinaire au sein même des sciences de gestion ! Il existe en effet une
segmentation des équipes en finance entrepreneuriale suivant que le rattachement des
auteurs et des supports de publication utilisés est plutô t financier, plutô t économique ou
plutô t entrepreneurial.
Ce point est particulièrement sensible, notamment parce qu’il questionne la capacité de
ces chercheurs à innover et à construire ensemble un corpus théorique unificateur. Or nous
savons qu’il existe une zone d’hétérogénéité « optimale » au sein des groupes de créativité,
en-deçà de laquelle l’uniformité nuit à l’innovation, et au-delà de laquelle tout dialogue
entre les participants devient compliqué. De façon plus inquiétante cette segmentation
disciplinaire peut conduire à s’interroger sur l’existence d’un champ de recherche
autonome et cohérent en finance entrepreneuriale. Un décloisonnement des équipes de
chercheurs impliquées dans les différentes associations académiques francophones nous
semble donc plus que jamais indiqué pour nous permettre d’approfondir nos
connaissances dans ce domaine . 21
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1 Wallmeroth et al. (2018) notent que les premières publications sur le capital-risque ont été réalisées dans des revues qui n’étaient pas
financières.
2 Notamment les approches modélisatrices et quantitatives, ainsi que les perspectives découlant de la théorie de l’agence.
3 La pertinence de cette dernière approche peut toutefois être questionnée (Ang, 1991 ; Paré et Rédis, 2011). En effet, les caractéristiques des
jeunes entreprises cadrent parfois difficilement avec les hypothèses des modèles financiers (importance des relations informelles dans les PME,
diversité des objectifs des créateurs, etc.).
4 Cf. par exemple pour le capital-investissement les travaux qui se penchent sur les modes de sortie alternatifs à la disposition de ces financeurs,
les travaux qui se penchent sur les stratégies mises en place par ces derniers (syndication, spécialisation…), ou encore ceux qui se focalisent sur la
gestion des asymétries d’information dans ce contexte.
5 Pour une présentation des principaux outils de financement à la disposition de la start-up, cf. Pommet et Sattin (2016).
6 Cela conduit les entrepreneurs à céder en moyenne moins de 50 % de leurs parts sociales à la société de capital-risque (Goldfarb et al., 2014).
7 « Le capital-investissement ou private equity accompagne sur une durée déterminée des entreprises non cotées et leur apporte des fonds propres, via
une prise de participation minoritaire ou majoritaire au capital, nécessaires pour financer des projets de croissance et de transformation. Il soutient la
création de start-up (capital-innovation), participe à la croissance et à la transformation de nombreuses PME et ETI régionales (capital-
développement) et contribue à la transmission d’entreprises (capital-transmission). Il favorise ainsi l’émergence de champions nationaux. » (France
Invest, https://www.franceinvest.eu/)
8 « Le capital-innovation (Venture Capital) concerne les entreprises en phase de création ou au début de leur activité. Le financement est destiné au
premier développement du produit et à sa première commercialisation. Selon la maturité du projet à financer, le capital-innovation se subdivise
comme suit :
– L’amorçage : première phase du financement de la création d’entreprise, les fonds propres sont alloués à la recherche, l’évaluation et le
développement d’un concept initial avant la phase de création. Cette phase concerne principalement les entreprises à fort contenu technologique.
– La création : l’entreprise est au tout début de son activité. Le financement est destiné au démarrage de l’activité commerciale et industrielle.
– La postcréation : correspond à un stade de croissance de l’activité commerciale et industrielle de l’entreprise précédent l’atteinte de la rentabilité. »
(France Invest, https://www.franceinvest.eu/)
9 17,7 milliards de dollars vs 18,3 milliards de dollars aux É tats-Unis contre 5,6 milliards de dollars versus 5,3 milliards de dollars en Europe
(Tenca et al., 2018).
10 Via, notamment, la réduction de l’equity gap.
11 Les business angels détiennent leur participation en moyenne pendant quatre ans et la liquident de préférence par une cession industrielle
(Mason et Harrisson, 2002).
12 L’offre de financement participatif est assez variée. On s’accorde généralement pour dire qu’il existe quatre types de plateformes :
– Les plateformes de dons de type donation-based, où la contrepartie reçue en échange du don reste symbolique.
– Les plateformes de type reward-based sur lesquelles le contributeur reçoit une contrepartie en nature contre son apport.
– Les plateformes de type lending-based qui permettent l’octroi d’un prêt. Le financeur est ainsi rémunéré selon un taux d’intérêt prédéfini qui
tient compte du risque du projet.
– Les plateformes de type equity-based encore appelées crowdinvesting, qui prévoient l’émission de titres financiers et particulièrement utilisées
pour le financement des start-up.
13 Notamment en France l’ordonnance du 30 mai 2014 qui fixe le cadre réglementaire de la finance participative, en détaillant deux statuts : celui
de conseiller en investissement participatif et celui d’intermédiaire en financement participatif.
14 Mochkabadi et Volkmann (2018) notent que les recherches sur l’equity crowdfunding ont augmenté de 620 % entre 2012 et 2017. La littérature
avant cette date se focalisait principalement sur les facteurs de succès ou d’échec des campagnes individuelles et était plutô t descriptive comme la
littérature sur le capital-risque dans les années 1980 (Wallmeroth et al., 2018).
15 Par exemple, il arrive que des business angels se regroupent pour proposer des montants de financements qui sont normalement dévolus au
capital-investissement. De même, l’equity crowdfunding permet désormais de lever des montants non négligeables et parfois comparables à ce que
peuvent apporter des business angels. Les business angels investissent aussi sur les plateformes de crowdfunding, etc.
16 Cf. Wallmeroth et al. (2018) pour une revue de littérature sur ce point.
17 La loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel », qui réforme l’assurance chô mage offre depuis le 1er novembre 2019 une
indemnisation aux dirigeants de petites et moyennes entreprises (PME) confrontés à une liquidation judiciaire. La protection offerte semble
toutefois limitée et de futurs travaux seront amenés à préciser la pertinence du dispositif dans son format actuel.
18 Ces recherches sont particulièrement développées pour le crowdfunding, le capital-risque et les business angels (Grilli et al., 2019 ; Mochkabadi
et Volkmann, 2018 ; Tenca et al., 2018).
19 Certaines sources de financement apportent toutefois aussi des ressources complémentaires (business angels, capital-risqueurs…).
20 Pour autant, la dynamique de développement du projet entrepreneurial conduit les entrepreneurs sur des sentiers de dépendance qui
déterminent à leur tour le résultat de l’aventure entrepreneuriale, ainsi que l’efficacité des financements préalablement attribués. Les exemples
sont nombreux, mais ils n’ont reçu pour l’heure qu’une attention limitée. Par exemple, certains auteurs ont noté des effets d’hystérésis concernant
le financement bancaire et le recours au crédit commercial qui méritent d’être étudiés plus avant. Nous savons aussi que la probabilité est plus
élevée d’obtenir une subvention à l’innovation si une telle aide a déjà été obtenue précédemment. Il en est de même des effets de leviers liés à des
financements particuliers, etc.
21 Même si l’Academy of Entrepreneurial Finance est présente au niveau international, une meilleure intégration des équipes et des programmes
de recherche engagés en finance entrepreneuriale par exemple au sein de l’AEI et de l’AFFI pourrait s’avérer très intéressante à ce titre.
CONCLUSION. De l’entrepreneur à l’entrepreneuring : perspectives de
recherche
L’ambition de l’ouvrage était, à partir de revues de littérature critiques, de dresser un état
des lieux de la recherche francophone en entrepreneuriat mais également anglo-saxonne,
de présenter les principaux débats animant la communauté scientifique, et d’identifier les
perspectives de recherche les plus prometteuses dans le champ. Les contributions de cet
ouvrage ont montré de manière éclairante combien l’entrepreneuriat est traversé par un
double mouvement, avec le tournant à la fois processuel et critique et une réelle ouverture
voire une fertilisation croisée avec d’autres disciplines des sciences sociales et des sciences
de gestion et du management.
Cet ouvrage témoigne de la vitalité et de l’originalité des recherches en entrepreneuriat
qui, depuis vingt ans, ont su prendre de la distance avec l’approche instrumentale, pour
accueillir de nouveaux objets de recherche. La (re)découverte ou l’intérêt accordé à des
(nouvelles) réalités entrepreneuriales ou à des phénomènes entrepreneuriaux négligés à ce
jour, permet de confirmer la pertinence de voies critiques, où se trouvent défier / remis en
cause les cadres théoriques, conceptuels et méthodologiques dominants. La richesse et
diversité des premières taxonomies proposées dans cet ouvrage démontrent combien la
discipline a désormais dépassé le stade des débats sur la figure réductrice de
l’entrepreneur et celui de la modélisation universelle de la démarche entrepreneuriale.
Alors que la quête de typologies d’entrepreneurs (notamment sur les traits de personnalité
ou sur les motivations) est demeurée très présente pendant plusieurs décennies, les
différentes contributions de cet ouvrage s’accordent sur le caractère unique et singulier de
tout projet entrepreneurial, qui, par ailleurs renvoie à des démarches entrepreneuriales
complexes et polymorphes.
La remise en cause d’approches universelles, à partir de travaux questionnant à la fois les
perspectives fonctionnaliste et normative, participe d’une émancipation du champ et d’un
ancrage marqué des recherches dans le champ des sciences humaines et sociales ; certains
chercheurs ayant aussi choisi de s’engager dans de fructueux dialogues avec des disciplines
telles que la sociologie, l’anthropologie et la philosophie. Ces différentes voies ont permis à
l’entrepreneuriat de devenir le creuset de débats théoriques qui indubitablement relèvent
aussi des finalités propres aux sciences morales et politiques – au rang desquels se situent
1
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