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Éditorial

Marie LÉON

L a Société française de Gestalt (SFG) a fêté ses 40 ans d’exis-


tence au mois d’octobre 2021. C’est en septembre 1981, qu’une
trentaine de gestaltistes se réunissent pour imaginer la création
d’une association loi 1901. Un mois plus tard, les statuts sont
proposés, adoptés et déposés. La SFG voit le jour et va contri-
buer par la dynamique de ses fondateurs, dont entre autres Jean-
Marie Delacroix, Anne et Serge Ginger, Daniel Grosjean, Marie
Petit et Jean-Marie Robine, à faire connaître la Gestalt-thérapie.
Les statuts stipulent que la SFG a pour objectif de promouvoir
un programme d’action, d’échanges, de coordination des forma-
tions, de respect de la déontologie et de recherche en Gestalt. En
1990, sous l’impulsion de Jean-Marie Robine la revue Gestalt fait
paraître son premier numéro : Frederick S. Perls, 20 ans après.
Dans son « Pré-textes » Jean-Marie écrivait : éternel cercle
vicieux : pour diffuser une pensée, il faut qu’elle soit connue,
pour être connue, il faut qu’elle soit diffusée… Sans pour autant
qu’elle cherche à devenir à son tour une autoroute de la pensée
psychothérapeutique [...], puisse la Gestalt-thérapie suffisamment
faire entendre sa voix pour que l’Homme d’aujourd’hui sache qu’il
dispose de choix dans les moyens d’aborder sa souffrance et
de poursuivre sa croissance. Et dans la présentation de la revue,
le directeur de publication, Francis Vanoye déclarait : … Nous
nous faisons connaître et tentons de faire connaître la Gestalt :
le lecteur spécialiste ou non-spécialiste devrait pouvoir prendre
ici la mesure des convergences, des différences d’interprétation
ou d’appréciation, des points de vue qui traversent la pratique

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gestaltiste, ainsi que des fondements historiques, philosophiques,


psychothérapeutiques qui traversent sa dynamique.
40 ans après la création de la SFG et 31 ans après la parution
de premier numéro de la revue où en sommes-nous ?
Depuis 1981, l’enseignement de la Gestalt n’a cessé de se
développer. Les instituts de formation se sont, au fil des années,
structurés et perfectionnés dans le souci de donner à leurs étu-
diants une formation solide et qualifiante. Les journées d’étude
annuelles de la SFG, ainsi qu’en 2008 les États Généraux en
collaboration avec le CEG-t, ont contribué à affiner, clarifier et
éclaircir notre posture théorico-clinique par des échanges, des
confrontations, des élaborations mais aussi, parfois dans la dou-
leur, par la reconnaissance et l’acceptation de nos divergences
théoriques. La revue Gestalt depuis son origine et au fil de ses
publications a participé à faire connaître la pensée, la clinique
gestaltiste et ses orientations. Depuis 1996, après la création du
Collège de Gestalt-thérapie, les Cahiers de Gestalt-thérapie avec
leur parution bi-annuelle ont aussi grandement participé à dispen-
ser un enseignement et une réflexion de haute qualité.
À l’occasion des 40 ans de la SFG, nous avons souhaité faire le
point sur notre héritage. Comment la pensée anarchiste de Paul
Goodman qui cherchait à définir des rapports nouveaux entre
l’homme et son environnement en vue d’une société non-aliénante
a-t-elle évolué ? Comment s’est-elle enracinée ou pas dans l’ADN
des Gestalt-thérapeutes ? Notre époque contemporaine nous
donne à vivre des moments de forts bouleversements : les luttes
sociales, la crise sanitaire, l’urgence climatique, les conflits géo-
politiques et j’en passe. Ces événements peuvent nous conduire
à revoir ou à tordre nos positionnements gestaltistes pour nous
ajuster, voire nous en remettre à une pensée dominante, nor-
mée et rassurante ou au contraire nous conduire à nous appuyer
irréductiblement sur les fondements de notre théorie c’est-à-dire
revenir à la chose même telle qu’elle se donne à voir et à tou-
jours garder raison pour partir de ce que notre expérience des
situations nous fait comprendre, nous fait savoir par le sensible
et ses singularités. Il y a un impératif à questionner, à penser
les affirmations péremptoires ou les décisions qui exigent une
adhésion à la doxa sous peine d’être condamné par la vindicte

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sociétale. Que diraient nos pères fondateurs à propos de l’époque


actuelle ? Nous conseilleraient-ils, encore et toujours, la culture
de l’incertitude qui nous oblige à ralentir, à déplier et à nous
tenir en curiosité pour tenter d’y percevoir la complexité de toute
chose ? Ce sont ces conditions qui nous amènent à une meilleure
­compréhension des enjeux et des conséquences possibles de
nos choix pour aujourd’hui et pour demain.
L’écologie environnementale, mais aussi l’écologie sanitaire et
relationnelle sont des enjeux majeurs de notre monde et Paul
Goodman mais aussi à leur façon Laura et Frederick Perls y étaient
particulièrement sensibles. Ils étaient des personnes engagées et
rien de ce qui concernait la marche de notre monde ne leur était
indifférent. Aujourd’hui comme nous le voyons régulièrement dans
nos consultations ou sur nos lieux d’intervention, beaucoup de nos
patients/clients se soumettent aux dictats des politiques menées
par ceux qui détiennent un pouvoir – quelle que soit la nature de
ce pouvoir – mais y consentent-ils pour autant ? N’oublions pas
que se soumettre ne veut pas dire consentir.
Nos pères fondateurs, s’appuyant entre autres sur les apports
de l’existentialisme et de la phénoménologie, ambitionnaient une
meilleure liberté pour l’Homme, une plus grande capacité de dis-
cernement, une plus grande conscience de notre indissociabilité
avec l’environnement. Ils cherchaient à désaliéner, autant que
faire se peut, notre manière d’être au monde. Leurs enseigne-
ments et leurs écrits contribuent à déployer notre regard et notre
compréhension sur la complexité de l’humain en situation pour
nous tenir à distance de l’interprétation abusive et de son florilège
de généralisations. Ils nous invitent à penser notre monde, son
langage, ses mots pour mieux panser nos maux, mais aussi et
surtout pour permettre à chacun de faire des choix éclairés visant
une orientation plus ajustée.
De ses débuts à nos jours la communauté des gestaltistes
n’a cessé de croître forte de ce riche terreau. Aujourd’hui le mot
Gestalt ne sonne plus comme un mot « barbare » et nombreux
sont ceux qui connaissent la Gestalt-thérapie.
Les Gestalts-thérapeutes exercent dans divers lieux : en cabinet
libéral, en entreprise, dans l’éducation et dans les institutions
sociales ainsi que dans les hôpitaux. Certains Gestalt-thérapeutes

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ont été sensibles au fait qu’une grande partie de la population


ne pouvait pas s’offrir des séances de psychothérapie ou des
entretiens de soutien thérapeutique, car nous ne sommes pas
encore reconnus par notre système de santé et la Sécurité Sociale
ne rembourse donc pas nos prestations. De ce fait, seuls les
plus nantis peuvent bénéficier de notre accompagnement. Par la
volonté et l’altruisme de certains, des associations ont vu le jour :
l’ Apsos, les Psys du cœur, les Écouteurs de rue, la Traversée,
soutiennent, grâce à l’engagement de gestaltistes bénévoles, les
plus fragiles financièrement.
Ce numéro 57 de la Revue nous donne à percevoir la richesse
de notre clinique et de notre pensée, mais aussi la diversité de
nos lieux de pratique.
Parmi les auteurs, il y a des anciens, ceux de la première et
deuxième génération et il y a aussi ceux de la nouvelle génération
qui perpétuent et enrichissent l’héritage des fondateurs au travers
de nos trois associations gestaltistes, la SFG, le CEG-t et la toute
nouvelle FPGT.
Bonne lecture à vous.

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