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Luce Janin-Devillars

Bruno Erba
Introduction

Nous sommes aujourd’hui régulièrement sollicités par des livres,


des articles, des recherches variées destinés à développer une
meilleure conscience de soi. Les termes bonheur, épanouissement,
réalisation individuelle et collective, plénitude, sérénité, bien-être y
reviennent en boucle pour définir notre besoin de parvenir à un état
psychique et physique différent, plus harmonieux et plus serein. Il
s’agit de mieux vivre en modifiant sa façon de consommer, de se
nourrir, de respirer, de faire du sport, de s’exercer au yoga ou à la
méditation, de gérer son stress.
Mais comment faire le tri entre les différentes options proposées ?
Comment être certain d’atteindre l’objectif souhaité  ? Doit-on être
mieux dans sa tête, dans son corps ou les deux à la fois  ? Penser le
mieux de l’un au détriment de l’autre, être tout esprit ou tout corps ?
Ou plutôt comment s’y prendre pour trouver la bonne méthode afin
de réaliser la synthèse des deux ?

La pensée au cœur du bien-être


Partant de notre expérience de psychothérapeutes et de coachs,
nous nous sommes aperçus que toutes les méthodes étaient bonnes
mais que leurs effets demeuraient limités si elles ne s’accompagnaient
pas, au préalable, d’une modification de notre manière de penser.
Jusqu’à présent les psychothérapies, la psychanalyse, le coaching,
toutes les techniques d’accompagnement et de développement
personnel ont ouvert la porte à des changements positifs dans nos
existences sans, pour autant, faire forcément de lien entre ce qui se
passait dans notre tête d’un point de vue biochimique et les
transformations que nous attendons presque tous, à un moment ou à
un autre. Ces disciplines ont exposé des cas, souligné des
changements survenus après un travail personnel, mais n’ont pas
toujours expliqué ce qui se passait réellement à l’intérieur de cette
« boîte noire » que constitue le cerveau. Elles n’ont pas toujours fait le
lien entre une pensée et une attitude différente qui permettrait d’aller
mieux, de modifier son cap et, surtout, de viser le bonheur. Pas le
bonheur absolu, béat, surgi de nulle part, mais une façon d’être qui
pourrait transformer notre existence de manière positive.
Or, depuis de nombreuses années, les découvertes des
neurosciences, celles de la physiologie du comportement, le
développement des médecines alternatives, l’importance accordée à
la respiration dans la capacité de s’épanouir démontrent comment
nous sommes capables de développer une attitude qui favorise notre
bonheur individuel comme celui de notre entourage et même, plus
largement, de tous les hommes en général.
Il nous arrive de nous demander quel est le sens de l’existence. À
quoi aspirons-nous, que voulons-nous ? Faut-il sauver le monde, nous
soucier d’abord des autres ou ne nous consacrer qu’à notre petit
cocon personnel ? L’existence elle-même a-t-elle un sens ? Difficile de
répondre à ces questions si nous ne marquons pas un temps d’arrêt
pour «  nous penser  », interroger notre lien avec nous-mêmes, la
valeur que nous nous accordons, puis, dans un second temps,
interroger le lien qui nous relie aux autres et à l’Univers.
En travaillant avec des patients, en les aidant à se construire, à se
reconstruire, à grandir, à guérir de leurs blessures, nous avons
continué à travailler sur nous-mêmes, car les autres nous enseignent
tout le temps. Le thérapeute n’est pas un maître, c’est un éternel
apprenti. En écoutant ceux qui nous faisaient confiance, nous avons
découvert que, quelle que soit leur existence présente, leurs
expériences passées, les actions dont ils étaient fiers ou celles qu’ils se
reprochaient, leurs croyances religieuses ou leur idéal laïque, tous
étaient plus ou moins à la recherche du bonheur.

Le bonheur, un hasard ?
Mais qu’est-ce que le bonheur  ? Le sentiment de bien-être que
nous éprouvons devant une tâche achevée, une activité
professionnelle choisie, la maison de nos rêves, la guérison après une
maladie éprouvante, une jeunesse et une santé sans limites, la
rencontre amoureuse tant désirée  ? Cette énumération, non
exhaustive, pourrait bien ressembler à une liste de mots à la Prévert,
à l’Air du Catalogue de Don Giovanni. En l’écrivant, nous nous
sommes souvenus d’un patient, en thérapie de couple, qui nous
disait  : «  J’ai souvent rencontré le bonheur mais ça ne m’a pas
toujours rendu heureux. » Cette personne était témoin de son propre
bonheur mais elle ne l’accueillait pas, elle ne se sentait pas
concernée. Elle ne prenait pas conscience de son bonheur car elle ne
le « pensait » pas.
Le bonheur n’est ni quantitatif ni qualitatif, il existe, mais il a
besoin d’être pensé. Autrement dit, si nous ne changeons pas notre
manière de penser, les meilleurs événements du monde ne nous
permettront pas d’atteindre une certaine plénitude. Nous serons
comme celui à qui l’on offre un verre d’eau mais qui se plaint qu’il
soit à moitié vide. En somme, il ne suffit pas que nos attentes se
réalisent –  un mariage d’amour, l’enfant qui naît, l’achat de
l’appartement idéal, un emploi agréable et bien rémunéré – pour que
nous soyons heureux, un autre mot pour désigner le bonheur.
En ancien français, le terme heur signifie «  avoir de la chance  ».
On pourrait alors conclure que celui qui est heureux a de la chance et
que celui qui se targue d’être dans le bonheur, ou le bon heur, a
encore plus de chance puisque celui-ci se renforce par une « bonne »
chance. Nous serions donc heureux et même «  bonheureux  » ou
plutôt bienheureux, à condition que la chance nous sourie.
En même temps, la chance est une sorte de superstition car le
monde se divise en deux : ceux qui en ont et ceux qui n’en ont pas.
C’est en effet un concept qui exprime la réussite d’un événement sans
qu’il y ait nécessairement de lien de cause à effet entre le désir et sa
réalisation. La chance semble régner en dehors de tout contrôle, sans
que rien, ni personne ne puisse exercer la moindre influence sur elle.
La chance n’est pas loin du hasard. Nous ne serions donc heureux que
par hasard ou par chance.
Pourtant, de nombreuses histoires témoignent, au contraire, qu’il
existe un lien de cause à effet entre ce que nous appelons la chance –
  ou le bonheur  – et les événements qui surviennent dans notre vie.
L’une des plus connues s’est déroulée aux Pays-Bas. Jusqu’à une
certaine époque, les habitants croyaient que le nombre de cigognes
qui s’installaient dans un village était analogue au nombre de
nouveau-nés. Certains villageois prétendirent donc qu’elles
apportaient les enfants. On finit par comprendre que le toit plat de
quelques maisons favorisait la sécurité des cigognes et leur nidation.
De plus, en présence d’un nouveau-né, les familles augmentaient le
chauffage de cette maison. Or, les cigognes nichent près des
cheminées chaudes. Pour avoir la chance d’héberger des cigognes,
mieux vaut donc posséder une maison bien chauffée avec un toit
plat…

Sur le chemin de l’épanouissement
Ainsi, il serait possible d’envisager notre bonheur, autant que
notre malheur, comme la résultante de liens forts ou ténus entre des
causes et des effets. C’est ce à quoi ce livre vous propose de réfléchir.
Dans un premier chapitre, nous avons cherché à repérer et
comprendre ce qui contribuait à nous figer  : nos idéaux, nos
convictions, nos certitudes, nos croyances au sens large, celles qui
nous portent, nous rassurent mais aussi nous limitent et peuvent
parfois nous rendre malades.
Le deuxième chapitre est consacré aux méthodes anciennes ou
plus récentes. Nous avons souhaité montrer comment elles
impactaient le fonctionnement du cerveau et pouvaient modifier le
comportement de manière positive.
Dans le troisième chapitre, nous sommes allés à la rencontre de ce
qui unit le cœur et le cerveau, les émotions qui s’ancrent dans le
corps et les pensées qui surgissent de l’esprit. Et comment la manière
de se penser soi et de penser les autres dans l’amitié, l’amour ou la
compassion constituait des médicaments naturels au service de notre
mieux-être.
Enfin, le dernier chapitre ajoute de nouvelles clés. Le trousseau
n’est sûrement pas complet, chaque lecteur ajoutera la sienne  : un
soutien, une confirmation, d’autres pistes.
Nous n’avons pas eu pour objectif de vous confier des secrets
millénaires, des recettes et des potions magiques, des rituels
mystérieux pour trouver ou retrouver le chemin du bonheur. Notre
souhait est de vous montrer comment des usages séculaires –  la
méditation, le recueillement, l’intention – rencontrent aujourd’hui les
avancées des neurosciences, de la médecine, du développement
personnel et des psychothérapies pour influer le cours de l’existence
dans le sens du mieux-être.
Car il n’y a plus aucun doute aujourd’hui : mieux penser permet
de mieux vivre.
CHAPITRE 1

Comment faire soi-même


son malheur

Notre pensée n’en fait qu’à sa tête ! Et pour notre plus grand
malheur parfois… Ce chapitre vous explique comment. Et vous
propose de commencer à changer de point de vue sur vous-
même, les autres, le monde.

Repenser la pensée
« Tout ce que nous sommes résulte de nos pensées.
Avec nos pensées, nous bâtissons notre monde. »
BOUDDHA

RÉALITÉ OU PERCEPTION DU RÉEL ?


Il n’existe pas de pure réalité objective. Ce qui fait la différence de
perception, ce n’est pas forcément la réalité mais notre manière de la
regarder et de la penser. Tout ce que recèle l’Univers, y compris nous-
mêmes, est soumis au prisme de notre regard et à notre façon de
ressentir ce qu’il contient.
C’est la maya, un terme sanskrit qui pourrait se traduit par
«  mirage  » ou «  illusion  ». Pour les mystiques indiens, la dualité de
l’Univers phénoménal est en effet une illusion. Ainsi pouvons-nous
penser : « Je suis moi et je regarde cette forêt, ou cette table ou cette
autre personne qui n’est pas moi, qui est séparée, qui est une entité à
part. »
En fait, le soi (chacun d’entre nous) et l’Univers ne font qu’un.
Dans le bouddhisme, il n’existe pas non plus de nature propre des
phénomènes. Ce que nous croyons percevoir ressemble au reflet de la
lune dans l’eau. Dans un recueil de sûtras, des « choix d’instruction »,
du bouddhisme ancien, on peut lire : « Le monde existe en raison des
actions causales. Toutes les choses sont produites par les actions
causales, tous les êtres sont régis et conditionnés par les actions
causales, tout comme la roue du chariot en mouvement fixée à
l’essieu par la cheville 1. »
Ce qui se produit dans notre existence ne serait donc pas le fait du
hasard mais plutôt de ce que nous pensons et faisons dans une
relation causale, c’est-à-dire une relation de cause à effet. Le
philosophe allemand Arthur Schopenhauer reprend d’ailleurs cette
e
idée au XIX  siècle alors que les textes de la tradition philosophique et
religieuse indienne commencent à être connus. Il écrit  : «  C’est la
maya, le voile de l’illusion, qui recouvre les yeux des mortels, leur fait
voir un monde dont on ne peut dire s’il est ou s’il n’est pas, un monde
qui ressemble au rêve, au rayonnement du soleil sur le sable, où de
loin le voyageur croit apercevoir une nappe d’eau, ou bien encore à
2
une corde jetée par terre qu’il prend pour un serpent . »
La fable du casseur de pierres
Charles Péguy, écrivain français du XIXe  siècle, poète et essayiste, était un
militant socialiste et un anticlérical convaincu jusqu’à ce qu’il se convertisse au
catholicisme en 1907, sept ans avant sa mort. En 1910, il publie une réflexion sur
les mystères de l’incarnation et de la rédemption. Sa conversion lui a inspiré un
autre regard sur le monde, le rendant moins attaché aux seules valeurs sociales et
politiques, plus ouvert à une réflexion d’ordre philosophique. On prête à Péguy
l’aventure suivante.
De passage à Chartres, il remarque un homme sur le bord de la route qui est en
train de casser des cailloux à grands coups de maillet. Les gestes de l’inconnu sont
empreints de fureur, sa mine est sombre. Intrigué, l’écrivain s’arrête et l’interroge :
– Que faites-vous, Monsieur ?
– Vous voyez bien, lui répond l’homme, je casse des pierres.
Et d’ajouter, d’un ton teinté d’amertume :
– J’ai mal au dos, j’ai soif, j’ai faim. Mais je n’ai trouvé que ce travail pénible et
stupide.
Un peu plus loin sur le chemin, Péguy aperçoit un autre homme qui casse lui
aussi des pierres. Pourtant, son attitude semble différente. Son visage est plutôt
serein et ses gestes harmonieux.
– Que faites-vous, Monsieur ? questionne de nouveau l’écrivain.
– Je suis casseur de pierres. C’est un travail dur, vous savez, mais il me permet
de nourrir ma femme et mes enfants.
Il esquisse un sourire et ajoute :
– Et puis bon, je suis au grand air, il y a sans doute des situations pires que la
mienne.
Plus loin encore, Péguy rencontre un troisième casseur de pierres. Son attitude
est complètement différente. Il affiche un large sourire et abat son maillet avec
enthousiasme sur chaque pierre.
– Que faites-vous ? demande encore Péguy.
– Moi, répond l’homme, je bâtis une cathédrale !

DE L’INFLUENCE DE CE QUE L’ON CROIT


Ces conceptions sur l’influence que nous exerçons sur les gens et
sur les choses et, bien évidemment, sur nous-mêmes ont été mises en
lumière par un psychologue américain, Robert Rosenthal. Il a
démontré que les expériences validaient les hypothèses intérieures,
conscientes ou non, de l’expérimentateur. On peut dire que, chaque
fois qu’une expérience a lieu, la présence de celui qui expérimente va
« biaiser » le résultat de celle-ci.
Cette conséquence a été mise en évidence dans de nombreuses
disciplines comme la médecine, la psychologie ou l’éducation. C’est la
raison pour laquelle des chercheurs obtiennent des effets et des
résultats que leurs successeurs ont des difficultés à reproduire.
Rosenthal, dans une étude appelée «  l’effet Pygmalion  », va ainsi
démontrer le rôle des attentes et des préjugés des enseignants sur les
performances de leurs étudiants. Si ces enseignants présupposent de
bons résultats et se montrent confiants dans l’évolution de leurs
élèves, ces derniers réussiront beaucoup mieux que si leurs maîtres
ne croient pas en eux. Il appelle ce phénomène une «  prophétie
autoréalisatrice ». Des mécanismes de réussite ou d’échec qui seraient
constitués par la somme des « projections » des enseignants sur leurs
étudiants.
En psychanalyse, la projection désigne une opération au cours de
laquelle une personne transfère ses propres sentiments et sensations
sur quelqu’un d’autre – comme le ferait un projecteur sur un écran de
cinéma. L’individu «  projeteur  » n’a généralement pas conscience
d’appliquer ce mécanisme car ce qu’il ressent pour son propre compte
lui est intolérable. Ici, ce qui serait intolérable pour le professeur, ce
serait son propre échec en termes d’enseignement. Il n’a pas envie de
penser qu’il est un mauvais pédagogue mais, en même temps, il le
craint.
Bien entendu, l’effet Pygmalion s’applique aussi bien au milieu
familial qu’aux rapports professionnels. Avec l’un de ses collègues, le
médecin américain Edmund Jacobson a réalisé de nombreuses
expérimentations sur le sujet. L’une d’elles, «  l’expérience de
Rosenthal et Jacobson », a d’ailleurs été effectuée sur des rats. On a
demandé à des étudiants, divisés en deux groupes
d’expérimentateurs, de tester leurs performances en les notant. À l’un
des groupes, on a présenté les rats comme des cobayes spécialement
sélectionnés pour leur intelligence, à l’autre groupe, comme des
sujets spécifiquement peu doués –  tous les rats appartenaient
évidemment à la même population. Au final, les étudiants ont affiché
des résultats qui établissent des différences en mieux ou en moins
bien entre les deux groupes. Ce qui montre l’influence de ce qui leur
a été énoncé sur leurs propres avis.

DE L’INFLUENCE DE CE QUE L’ON DIT


Mais ce ne sont pas seulement la pensée et l’action qui sont
impliquées dans les effets que nous produisons sur les autres. Ainsi la
pragmatique, une des branches de la linguistique, étudie non
seulement l’usage du langage dans la communication et dans la
connaissance mais encore dans la reconnaissance de ce qui est ou de
ce que nous croyons qui est. On peut considérer qu’elle naît en 1955
à Harvard, où John Austin, un philosophe, introduit la notion
complètement nouvelle d’« actes de langage ».
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Austin s’y élève contre la tradition qui veut que le langage serve
à décrire la réalité. Il évoque, de manière péjorative, une «  illusion
descriptive » car le langage sert aussi à accomplir des actes. Il fonde
cette théorie du langage sur l’examen de certains énoncés, réalisés
sous une forme affirmative, à la première personne du singulier, qui,
en dépit de leur forme grammaticale, ne décriraient rien. Ils ne
seraient donc ni vrais ni faux mais correspondraient en fait à
l’exécution d’une action.
Ainsi quand nous déclarons à quelqu’un «  Tu es tout à fait en
mesure d’occuper ce poste  » ou, au contraire, «  Tu es incapable de
prendre des responsabilités  », nous ne décrivons pas forcément la
réalité, ni même ce que nous pensons constituer la réalité. Nous
agissons aussi sur la personne en lui offrant la possibilité de se
développer ou, a contrario, de perdre toute confiance en elle.
La théorie des actes de langage se fonde sur l’illusion qui prétend
que le langage a pour fonction première de décrire la réalité et que
les énoncés affirmatifs sont toujours soit justes, soit erronés. Elle
soutient que le rôle du langage est aussi d’agir sur la réalité en
permettant à celui qui parle d’entraîner une réaction. Cette fonction,
même dans les phrases déclaratives, serait alors moins de décrire le
monde, les choses, les gens, tels qu’ils sont ou tels que nous nous
imaginons qu’ils sont, mais de faciliter ou, mieux, d’induire des
actions. Ainsi, le salarié, à qui son manageur affirme qu’il est
incapable, aurait le choix entre se soumettre, se rebeller, se défendre,
voire déprimer.
À partir de là, se développe la notion de «  performativité  »  : un
signe linguistique (énoncé, phrase, verbe) va représenter en lui-même
ce qu’il expose. Dire un mot, une phrase, en les prononçant
verbalement ou en les écrivant, mais aussi en les exprimant de façon
non verbale (à l’aide d’un geste ou d’un clignement d’yeux) réalise
déjà l’action qui est décrite. Par exemple, le simple fait de dire «  Je
promets  » constitue en soi une promesse. Faire un rictus ou un clin
d’œil en écoutant son interlocuteur est peut-être la marque d’un
assentiment mais aussi d’un désaccord, d’une moquerie. En somme,
nous agissons sur le monde en disant quelque chose… Mais aussi en
nous parlant à nous-mêmes car nous pensons avec des mots et des
phrases.

★ Marc, le médecin qui voulait devenir cuisinier


C’est l’histoire de Marc, un patient que nous avons reçu
dans l’une de nos sessions de développement personnel.
Marc est médecin, fils et petit-fils de médecin. Il possède un
cabinet de généraliste en région parisienne et travaille une
soixantaine d’heures par semaine pour, dit-il, «  avoir des
revenus convenables et justifier dix ans de galère à
répondre à des QCM 4 et apprendre des cours par cœur ». Il
n’a jamais eu envie d’être médecin. Il s’est engagé dans
cette voie par loyauté familiale, parce que c’était le désir de
sa lignée, et non par vocation. Il assure convenablement sa
tâche, c’est un bon médecin, soucieux du mieux-être de ses
patients, à l’écoute. Sauf qu’il s’ennuie. Il le dira sans
ambages dès la première heure de session. «  On était une
famille unie mais j’ai passé toute mon enfance à écouter
des histoires de maladies et d’hospitalisations. Mon père,
mon grand-père paternel à la retraite qui habitait chez nous
et ma mère, elle-même infirmière, ne parlaient que
médecine. Je crois que je n’ai jamais pu prendre un repas
sans être noyé sous des informations concernant tel ou tel
médicament, telle publication scientifique qui faisait le
point sur le diabète, les troubles artériels, etc. À la maison,
je jouais au docteur en permanence. Ça m’amusait, ça me
donnait le sentiment d’en savoir plus que les autres à
l’école, d’être plus grand. En même temps, les
conversations familiales me donnaient souvent mal au
cœur parce que personne ne se gênait pour entrer dans les
détails. Et l’analyse d’urine de monsieur Machin et les selles
de madame Untel  ! Je rêvais qu’on parle de la pluie, du
beau temps, des vacances… Mais, même en congé à
Trouville, où nous allions tous les ans, mes parents
recevaient les soignants du coin. Petit à petit, je me suis
pris au jeu. J’écoutais et je devenais incollable à l’école,
avec les copains, sur n’importe quelle info médicale. À
12  ans, je lisais déjà Le Quotidien du médecin, un journal
spécialisé. La famille était ravie, j’allais reprendre le
flambeau. Combien de fois ai-je entendu : “Il faudra que tu
fasses une spécialité en médecine, la cardio par exemple.
Surtout pas psychiatrie, c’est bon pour les plus mal notés.
Tu recevras moins de monde et tu gagneras beaucoup
d’argent. Tu pourrais même ouvrir une clinique  !” Quand
mes deux tantes venaient, les sœurs de maman, avec leur
mari et leurs enfants, tout le monde m’appelait “Dr  Marc
junior”. J’étais fier mais, en cachette, je rêvais de devenir
cuisinier, un grand chef bien sûr, pour ne pas décevoir les
ambitions familiales. Avant mon grand-père, tout le monde
était agriculteur en Normandie. “Des gardeurs de vaches”,
comme disait ma mère avec une pointe de mépris.
J’achetais des revues de cuisine avec mon argent de poche.
Mais je n’ai jamais osé en parler à la maison. J’ai repris le
flambeau parce que j’avais subi un vrai lavage de cerveau.
C’est pour ça que je suis là. Je viens d’avoir 40 ans, je suis
célibataire et je passe tous mes week-ends à préparer des
dîners fins pour mes amis. Je fais d’ailleurs partie d’un
atelier “La cuisine des chefs”. J’ai envie d’arracher de ma
tête tous les mots qu’ils y ont enfoncés comme des clous.
Ces clous, c’est ma maladie. J’ai envie de guérir. J’ai envie
d’être moi. Mes médicaments, ce sont le tournedos Rossini
et les quenelles à la sauce Nantua. »

Le point de vue psy
En remettant ses pas dans la tradition familiale, Marc s’est coupé de ses
aspirations profondes. À force d’écouter le discours de ses parents, de son grand-
père, il a fini par croire que leur univers était le sien. Il ne s’est pas complètement
différencié comme doit le faire chaque individu pour devenir autonome, découvrir
sa propre voie. Les conversations familiales ont composé les matériaux d’une sorte
d’infiltration de sa personnalité. En somme, des soignants, des gens de bonne
volonté qui pensaient faire son bien, l’ont «  contaminé  », enfermé au lieu de lui
ouvrir les portes de ses désirs singuliers. Les enfants, surtout quand une famille est
unie, bienveillante, prennent généralement les adultes qui les entourent pour
modèles. Ils ont envie de leur ressembler parce qu’ils les admirent. Ils veulent
«  faire comme  ». Ils s’oublient eux-mêmes car ils s’imaginent que leurs parents
détiennent forcément le savoir. Ils se mettent de côté pour leur faire plaisir aussi,
capter leur amour. Les conseils et les anecdotes portant sur la santé, parce qu’elles
étaient aussi des marques d’affection, sont devenus pour Marc des «  actes de
langage », des machines de guerre qui ont façonné son destin.

L’histoire de Marc n’a rien d’exceptionnel. Nous sommes tous, à


des degrés divers, le produit de notre éducation, de notre culture, de
notre histoire généalogique, des croyances de nos parents et, de
manière plus vaste, de notre famille élargie. Et c’est nécessaire, car un
être humain ne peut se développer à partir de rien. Il n’a pas
seulement besoin d’aliments mais aussi de nourriture psychique, d’un
lien qui soit à la fois affectif et porteur de sens  : ces valeurs, ces
règles, ces explications lui rendent le monde plus intelligible.
Souvenons-nous des orphelins roumains découverts après
l’effondrement de l’URSS, des enfants élevés par des professionnels,
ayant très peu de contacts physiques avec ceux-ci, à l’intérieur d’un
environnement vide, globalement dépourvu de jouets et d’objets à
manipuler. Beaucoup d’entre eux, au moment de l’adolescence,
parfois même avant, étaient devenus psychotiques. Faute d’un monde
à explorer, de liens avec ce monde, ils avaient préféré, pour survivre,
se bâtir leur propre univers imaginaire.
Pour ne bas basculer dans une soumission absolue aux idées de
son groupe d’appartenance, pour ne pas en devenir fou quelquefois, il
est donc nécessaire d’évaluer, de trier, ce qu’il en est de notre héritage
psychologique, social, culturel, et ce qui nous revient en propre. Ce
qui fait que nous sommes absolument singuliers. Tout en sachant que
cette singularité est tissée de fils aux mille couleurs : ce qui vient des
autres et que nous avons repris, ce dont nous nous sommes
débarrassés, ce que nous avons découvert nous-mêmes… et le tissage
original qui résulte de tous ces fils entremêlés.

Identifier les « prédictions
performatives »
« Comment faire des choses avec des mots ? »
John Langshaw AUSTIN

Si penser c’est agir, nous pouvons dire qu’un très grand nombre de
nos propos ou de nos pensées, vis-à-vis des autres comme de nous-
mêmes, constituent ce qu’on pourrait appeler des «  prédictions
performatives  ». Exactement comme si, à notre insu, nous nous
transformions en voyants et médiums.
Dans notre pratique de psychothérapeutes, cette assertion se
vérifie chaque fois que nous recevons un(e) patient(e). Il n’est pas
d’histoire individuelle qui ne soit traversée par ce type de paroles
reçues dans l’enfance. Nous tous avons d’ailleurs été victimes de ce
qu’entre nous nous appelons «  timbre  », en référence à l’analyse
transactionnelle, un outil de travail personnel inventé par le
psychiatre américain d’origine québécoise, Eric Berne.
Selon Berne, des ressentis négatifs accumulés dès l’enfance, non
exprimés sur le moment et conservés, vont se retrouver dans une
sorte d’album et constituer une «  collection de timbres  » de taille
variable qui pourra se transformer en dépression, en violence, en
échecs variés ou, plus simplement, affecter notre confiance en nous.
Or, ces sentiments négatifs ne tombent pas du ciel. Ils sont portés par
les informations, verbales et non verbales, que nos parents d’abord,
puis, au fil du temps, les personnes que nous rencontrons, nous
transmettent.
Il existe donc un méta-modèle linguistique constitué de mots et de
formules usuelles qui contribuent à diminuer et fausser les
communications interpersonnelles. Ces mots s’insinuent dans la
psyché en y laissant des traces, parfois indélébiles. Nous en avons
listé quelques-uns, et vous y retrouverez certainement des termes, des
phrases que vous avez entendus très tôt et que vous entendez encore
de la part d’un parent, d’un conjoint, d’un ami, d’un collègue de
travail ou de votre boss. Ces formules entrent aussi dans le cadre de
celles que vous vous dites à vous-même.
Les identifier et les interroger vous permettront d’y voir plus clair
et d’avancer.

LES QUANTIFICATEURS UNIVERSELS

Ils sont constitués d’adverbes ou de locutions génériques,


particulièrement imprécis, qui tendent à vous faire croire que vous
êtes victime d’une sorte de fatalité dont vous ne pourrez pas vous
sortir. Les voici  : jamais, toujours, tout/tous, personne, les gens,
chaque fois.
Et voici quelques exemples d’utilisation :
– « Tu n’as jamais été bon en maths ! » Cette remarque, peut-être
entendue depuis la sixième, ne vous a certainement pas aidé à être
meilleur…
– « Je suis toujours le dernier à être informé. » Certes, c’est peut-
être vrai. Mais vous êtes-vous demandé pourquoi vous ne conservez
pas des informations indispensables à votre vie de famille ou à votre
travail  ? Êtes-vous distrait ou systématiquement en retrait lors des
discussions importantes  ? Ou bien est-ce que vous ne vous affirmez
pas assez, ce qui contribue à vous faire oublier ?
–  «  Ils sont tous au courant…  » Sous-entendu, sauf moi. Nous
ferons là les mêmes remarques que dans le paragraphe précédent en
y ajoutant ceci : Êtes-vous certain que les autres n’ont pas seulement
le souci de vous ménager  ? Et si tel est le cas, peut-être leur
apparaissez-vous comme une personne fragile, peu encline à
supporter certains messages  ? Cependant, si, au contraire, il s’agit
d’une information délicate (un futur licenciement qui vous concerne,
par exemple), interrogez-vous sur la raison pour laquelle vous seriez
la dernière personne à être tenue au courant  : maltraitance, souci
d’éviter une riposte de votre part, crainte d’une réaction trop
douloureuse  ? Ce n’est sans doute pas une bonne raison, mais ceci
explique peut-être cela.
–  «  Personne ne m’écoute.  » Personne, autrement dit des…
fantômes ? Pouvez-vous jurer qu’il existe un consensus, une sorte de
complot dont vous pourriez être la victime  ? Prenez une feuille de
papier et un crayon et notez le nom des « personnes » en question.
– « Les gens m’en veulent. » Là, il s’agit de ne pas perdre la tête.
Qui sont ces gens  ? Listez-les, nommez-les. Pour l’instant, c’est une
masse informe, une opacité sémantique.
–  «  Quand j’étais petit, chaque fois que je demandais quelque
chose, ma mère le refusait. Et maintenant ça continue.  » C’est bien
possible. Mais êtes-vous certain d’avoir mémorisé la totalité de vos
demandes depuis le jour où vous êtes en mesure de parler  ? Vous
seriez alors un superhéros de la mémoire  ! Quoi qu’il en soit,
aujourd’hui vous êtes devenu grand. Et les personnes qui vous
entourent ne sont pas forcément des succédanés de votre mère, non ?

LES OPÉRATEURS INTERNES

Ce sont des injonctions que nous nous donnons à nous-mêmes et


dont nous ne mesurons ni le poids, ni la portée  : la nécessité et
l’impossibilité.
La nécessité : « Je dois arriver au bureau le premier. » C’est peut-
être nécessaire si vous avez besoin d’être au calme et de travailler
sur un dossier sans être perturbé par vos collègues ou des appels
téléphoniques. Mais est-ce bien utile tout au long de l’année ?
L’impossibilité  : «  Mes parents m’ont répété que je ne pourrais
jamais m’en sortir sans avoir le bac.  » Oui, le baccalauréat
constitue effectivement un viatique. Pour autant, il existe de
nombreux contre-exemples de personnes qui ont brillamment
réussi sans posséder le précieux diplôme. François Pinault, 59e
fortune mondiale, en fait partie !

LES ORIGINES PERDUES

Il s’agit d’une sorte de sentence, énoncée en peu de mots, qui


résume un principe et cherche à caractériser une situation sous un
angle singulier. En voici des exemples :
« C’est mal de mentir. »
« Je dois supporter son caractère. »
« C’est mon devoir. »
« La vie ne m’a pas gâté(e). »
« J’aimerais mieux mourir que… »
Qui donc a ordonné cela ? Pourquoi est-ce mal de mentir ? Qu’est-
ce qui vous oblige à supporter le comportement de – au choix et dans
le désordre  – votre conjoint, enfant, parent, ami, collègue,
manageur ? De quoi parlez-vous lorsque vous évoquez votre devoir ?
Le devoir possède tant de sens  : rendre une copie scolaire ou un
dossier, s’atteler aux obligations familiales et/ou sociales, prendre les
armes pour défendre son pays, faire sa prière, se laver les dents après
chaque repas… Et vous aimeriez mieux mourir plutôt que quoi ? Que
d’accepter telle ou telle réalité  ? Lâcher une petite part de votre
héritage pour améliorer le quotidien de l’un de vos frères et sœurs,
par exemple  ? Accepter que votre fille épouse un étranger  ?
Reconnaître que, décidément, vous n’êtes pas fait pour reprendre le
commerce que vos parents vous ont légué ?
Quel dommage  ! Car en réagissant de la sorte, vous vous
conformez aux préceptes d’un donneur d’ordres inconnu. En effet, qui
a ordonné cela, ces empêchements, ces butées  ? Rien ni personne,
sinon vos «  croyances limitantes  », un des concepts de la PNL, la
programmation neurolinguistique, une méthode de thérapie et de
développement personnel.

LES INFORMATIONS GÉNÉRIQUES

Ce sont des indications globales qui ne renseignent pas vraiment


sur la nature de la situation ou des circonstances. Elles expriment
seulement une assertion le plus souvent négative. Quelques exemples
tirés du monde professionnel :
« La communication dans mon entreprise est nulle. »
« La nouvelle organisation ne sert à rien. »
Encore une fois, c’est possible. Néanmoins, personnelle ou
partagée par vos collègues, l’information ne dit rien du
fonctionnement de votre entreprise. Qu’est-ce qui cloche vraiment  ?
Pouvez-vous apporter des preuves fiables, circonscrites, concrètes, de
ce que vous avancez  ? Ce qui constituerait le point de départ de
suggestions à faire à la direction ou aux ressources humaines…

L’AUTEUR DISPARU

L’affirmation semble aller de soi, exister en elle-même et ce,


depuis des lustres. Ceux qui la prononcent et ceux qui l’écoutent, s’ils
ne la remettent pas en question, se soumettent à des on-dit, des
convictions nébuleuses sorties on ne sait d’où :
« Les Japonais ne montrent pas leurs sentiments. »
« Les seniors sont minutieux mais leur rythme de travail est plus
lent. »
«  Les garçons aiment jouer aux voitures, les filles préfèrent les
poupées. »
Bravo ! Vous venez donc de réaliser une enquête mondiale sur les
habitudes et les comportements des uns et des autres. Hélas  !
l’eussiez-vous faite que vous en tireriez des conclusions moins solides.
En effet, les us et coutumes des individus, les façons de faire, les
expressions du visage se fondent tout autant sur la culture,
l’environnement familial que sur des facteurs singuliers propres à
chacun.

LES JUGEMENTS DE VALEUR
Ils correspondent au hugh des Indiens d’Amérique du Nord, un
mot qu’ils emploient pour indiquer la sagesse. Ils l’accompagnent
souvent d’un geste, celui de lever une main, la paume ouverte vers
l’avant. C’est aussi une sentence, bonne ou mauvaise, et une manière
d’adouber l’autre s’il s’agit d’une personne :
« C’est bien/C’est nul. »
« C’est normal/C’est injuste. »
«  Nous sommes incapables d’avancer/Nous avancerons contre
vents et marées. »
Vous voilà devenu juge, capitaine, professeur des écoles, seul
maître à bord  ! Êtes-vous certain d’avoir complètement examiné
toutes les facettes de la situation, du comportement, des méthodes
que vous venez d’évaluer  ? Si votre jugement est à la baisse, vous
risquez de laisser passer des opportunités qui vous auraient aidé à
mieux comprendre votre interlocuteur ou les événements. S’il est à la
hausse, tant mieux, vous venez de renforcer votre confiance en vous.
Cependant, n’oubliez pas qu’il est toujours utile de conserver une
vision ouverte sur une personne ou une situation.

LES OMISSIONS SIMPLES

Ce sont des aphorismes, des déclarations incontournables


exprimées avec un minimum de mots. Par exemple :
« Je suis fâché(e). »
« Il (elle) est nettement plus intelligent(e). »
D’accord, vous êtes fâché. Mais si vous en restez là, si vous
n’ajoutez rien, que vous vous parliez à vous-même ou que vous
parliez à quelqu’un d’autre, vous ne risquez pas d’éclairer votre
sentiment, de le comprendre et, donc, de trouver des solutions.
Quant à dire qu’« il » (elle) est plus intelligent(e), il serait intéressant
de savoir à qui vous comparez cet individu. D’autant que la notion
d’intelligence est complexe. À quels référents faites-vous allusion ? À
l’intelligence émotionnelle, l’intelligence des situations, la culture, la
faculté de compréhension ?

L’ABSENCE D’INDEX DE RÉFÉRENCE

La phrase débute par un pronom au singulier ou au pluriel,


souvent indéfini non pas grammaticalement mais dans la formulation
qui suit : « il », « elle », « on », « cela », pour n’en citer que quelques-
uns :
« Cela n’a pas d’importance. »
« Ils ne se rendent pas compte ! »
Qu’est-ce qui n’a pas d’importance ? Seriez-vous en mesure de le
clarifier  ? Comment mesurer l’impact réel de «  cela  » si vous êtes
incapable de le définir avec des mots circonstanciés, soigneusement
choisis. Et puis, «  se rendre compte  » est un peu court. Car si vous
voulez que certaines personnes vous «  rendent des comptes  », il va
falloir les nommer puis désigner ce qu’elles vous doivent en termes
d’informations ou de reconnaissance, par exemple. D’ailleurs, êtes-
vous absolument certain que lesdites personnes n’ont rien repéré  ?
Elles font peut-être semblant afin de conserver leur tranquillité, de
vous embêter… Une liste non exhaustive.
En conclusion, toutes ces petites phrases en apparence anodines
constituent en réalité des formatages qui vont impressionner notre
pensée, induire notre comportement, nous faire perdre confiance en
nous-mêmes, impacter notre relation avec les autres et… contribuer à
produire de la réalité.
Les voyants, les médiums, même s’ils sont honnêtes, font souvent,
sans même le savoir, des prédictions performatives. Croyant « voir »
sur un support quelconque (des cartes, une boule de cristal ou dans
leur propre tête) la survenue d’un événement, ils ne font que planter
une graine dans l’esprit de leur client. Dans la continuité, il est
évidemment malaisé de vérifier si leur prédiction fut une véritable
vision ou une simple prédiction performative, du vieux français
performer, « faire advenir », qui a donné aujourd’hui performance.

Repérer les drivers et les injonctions


« La croyance que rien ne change provient soit d’une mauvaise vue,

soit d’une mauvaise foi.

La première se corrige, la seconde se combat. »


NIETZSCHE

Les drivers ou «  pilotes inconscients  » constituent des méta-


modèles linguistiques imaginés par le psychologue américain Taibi
Kahler, à partir de l’analyse transactionnelle, pour mieux comprendre
nos comportements. On les nomme méta-modèles de pensée en ce
sens qu’ils affectent et figent le fonctionnement d’un individu.
Construits dans l’enfance, à partir du discours parental, ils sont
complètement « internalisés » par chacun de nous et structurent notre
discours comme nos manières de faire. Qu’est-ce que
l’internalisation  ? C’est la reproduction d’une exigence éducative et
sociale en l’absence de toute pression externe. L’individu adulte sera
capable de la généraliser dans la plupart des situations qu’il
rencontre.
Le professeur Joan Grusec de l’Université de Toronto écrit  : «  Le
but principal des agents de socialisation est que les valeurs soient
internalisées, c’est-à-dire que les valeurs sociétales soient considérées
par l’enfant comme étant les siennes, de telle sorte que les
comportements socialement acceptables soient motivés, non par
l’anticipation de conséquences externes, comme les récompenses ou
les punitions, mais par des facteurs intrinsèques ou internes. Pour
qu’une valeur soit internalisée, sa manifestation comportementale
doit venir d’une croyance apparemment naturelle et innée en son
bien-fondé 5. »

LES DRIVERS

Nos pilotes inconscients – ou, plus précisément, ce qui constitue le


pilotage automatique de nos pensées et de nos actes  – sont au
nombre de cinq.

1. « Sois parfait »

Le droit à l’erreur, aux hésitations, aux doutes est interdit. Nos


actes et nos productions en porteront donc la marque. Quelles que
soient la tâche impartie et/ou la demande, que celles-ci viennent de
nous ou d’un tiers, nous devrons nous caler sur une exigence de
perfection absolue, faire la chasse aux ratures, aux gribouillis, au
flou, à la bavure, au défaut, à la déficience, à la lacune…

2. « Fais plaisir »

Le droit de dire non, de refuser un service, d’exprimer son


désaccord, son désappointement, son irritation, sa colère est lui aussi
interdit.

3. « Dépêche-toi »
Prendre son temps, se donner le loisir de la réflexion, buller,
flâner, se reposer, réfléchir, reprendre un dossier, une lettre,
investiguer pour mieux faire ne sont pas permis.

4. « Sois fort »

Il convient ici de vivre au quotidien, comme le géant Atlas, un


Titan assigné à porter le monde sur ses épaules. Pas question de
baisser les bras, de demander de l’aide, de s’autoriser une faiblesse !
Fragilité et expression des émotions sont prohibées.

5. « Fais un effort »

Le plaisir est prohibé. Que ce soit dans la vie personnelle ou


professionnelle, il faut se fatiguer, souffrir, faire des sacrifices.
L’existence ne vaut que si l’on en bave.
En principe, nous ne possédons que deux drivers prévalents. Les
autres peuvent se mettre en place en situation de stress ou ne jamais
nous concerner. Et ces drivers ne portent pas seulement la marque de
nos limites. Ils donnent aussi des indications sur ce qui nous est
favorable.
Un Sois parfait est généralement réfléchi et prudent ; la qualité de
son travail est remarquable. Un Fais plaisir est attentif aux besoins
des autres ; il a le souci constant de ne pas les blesser. Un Dépêche-toi
sera rapide et capable de réfléchir très vite face à une nouvelle
demande  ; sa réactivité est un atout. Un Sois fort est en mesure de
supporter de très grosses difficultés  ; il constitue un appui pour les
autres. Un Fais un effort est volontaire et persévérant  ; on peut lui
confier des tâches ardues et complexes.
Dans tous les cas, ce n’est pas la situation réelle et actuelle qui est
en jeu. Les drivers n’en tiennent pas compte. Il s’agit de se conformer,
de manière stéréotypée, à un modèle ancien, intégré dans
l’inconscient, comme un organe est naturellement intégré à l’intérieur
du corps.
Lorsqu’ils sont utilisés de manière inadéquate, ce qui est le cas le
plus fréquent tant que nous n’en avons pas conscience, les drivers
sont en réalité de « fausses permissions ». Nous croyons œuvrer pour
notre plus grand bien et celui des autres, alors que nous nous
identifions à un cadre établi qui n’a pas forcément sa raison d’être.
Mais pourquoi, direz-vous, s’y conforme-t-on encore ? Parce que c’est
ainsi que nous pensons pouvoir conserver l’amour des autres comme,
autrefois, l’amour de nos parents.

LES INJONCTIONS
Les injonctions ont été conçues par deux psychothérapeutes
américains, Bob et Mary Goulding. Ce sont des interdits issus de
notre histoire familiale, des messages parentaux internalisés qui
constituent des freins à notre évolution et à notre bien-être. Ils
restreignent notre liberté individuelle de manière illusoire car ils nous
murmurent à l’oreille des messages qui nous emprisonnent. Ces
injonctions sont au nombre de douze. À vous de voir s’il en existe une
ou plusieurs qui pourraient bien correspondre à votre ressenti.

1. « N’existe pas »

C’est une injonction axée sur la dévalorisation de soi, le sentiment


de n’être pas digne de recevoir de l’amour. Portée à son paroxysme,
elle peut être à l’origine de comportements suicidaires. Ce sont des
menaces parentales, transmises par des comportements durs, voire
brutaux, ou marqués par l’indifférence, qui en sont à l’origine.
Quelles menaces  ? «  Si je n’étais pas tombée enceinte, j’aurais pu
terminer mes études et je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui » ou
« Ton père nous a abandonnés quand tu es né », sous-entendu « Il est
parti à cause de toi  ». Cette injonction fait parfois écho à une
tentative d’avortement qui n’a pas abouti. Elle est extrêmement
destructrice.

2. « Ne sois pas toi-même »

Ce message est à l’origine de comportements qui vont se calquer


sur le modèle érigé par nos parents  : être sportif, posséder l’oreille
musicale, faire preuve d’excellence à l’école… Il entre en résonance
avec l’identité (les goûts, les valeurs, les croyances), le comportement
(être extraverti ou en retrait) et avec la sexuation (être garçon ou
être fille). Sur ce versant, l’injonction est liée à la déception des
parents qui auraient préféré avoir un garçon plutôt qu’une fille ou le
contraire  : «  Tu es bien comme ton père  » ou «  Toutes les femmes
pleurnichent ».

3. « Ne sois pas un enfant »

Cette affirmation provoque une décision précoce : il n’est pas bien


de s’amuser et d’avoir du plaisir. Les parents qui ont tenu ce discours
se sont sentis eux-mêmes menacés à la naissance de leurs enfants
dans leur propre état infantile (nous conservons en nous une part
d’enfance). Petits, ils devaient être propres très tôt, bien se tenir à
table, prendre soin de leurs frères et sœurs. Cette injonction
s’exprime par des phrases telles que «  Tu es vraiment trop grande
pour te conduire ainsi » ou « Arrête de faire le bébé ».

4. « Ne grandis pas »


La formule est à l’origine de choix prématurés fondés sur l’idée
qu’il ne faut pas devenir adulte, sexué, réfléchi. Elle provient de
parents qui, à partir de la naissance de leur enfant, s’instituent
d’abord comme un «  bon père  » ou une «  bonne mère  » en mettant
plus ou moins de côté leur rôle d’homme et de femme. Ils ne
souhaitent pas que leurs enfants grandissent en quittant le foyer
parental  : qu’adviendrait-il alors du statut parental qu’ils se sont
exclusivement attribué ? Leur crainte se manifeste par des remarques
telles que «  Tu es vraiment trop jeune pour partir en
randonnée/sortir/te marier  » ou «  Tu ne peux pas nous quitter
comme ça ».

5. « Ne réussis pas »

Après un tel énoncé, on retrouve des comportements d’échec où


l’individu se saborde lui-même. L’injonction provient d’un parent qui
envie son enfant, en faisant inconsciemment référence à son propre
enfant intérieur et à ce qu’il estime avoir lui-même raté. Son système
se manifestera par des propos tels que «  Si tu passes un master, tu
resteras au chômage comme tout le monde » ou « Si tu apprends le
chinois, tu ne trouveras pas de travail ici et tu seras obligé de partir
là-bas », autrement dit « de me quitter ». Cette injonction sous-entend
aussi que l’amour dispensé par le parent pourrait diminuer.

6. « Ne fais pas »

Ce précepte engendre de constantes hésitations face à une prise


de décision. L’individu attend que les autres décident pour lui-même.
Il provient d’un parent qui, toujours dans son propre état d’enfant, a
peur que son rejeton n’ait un accident, ne déclenche une catastrophe,
etc. Il se matérialisera par des remarques comme « Attention ! On sait
ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on retrouve  » dans le cas d’une
séparation, par exemple, ou «  Pourquoi t’engager dans une
reconversion, tu as un bon métier » sur le plan professionnel.

7. « N’aie pas de valeur (à tes propres yeux) »

Ce message surgit quand il s’agit de demander quelque chose,


d’occuper le devant de la scène, de se mettre en valeur. L’injonction
peut concerner le domaine professionnel ou familial, voire les deux.
Elle vient d’un parent qui indique à son enfant que ses besoins ne
sont pas importants mais, aussi, que lui-même, en tant qu’être
sensible, ne l’est pas non plus.

8. « N’aie pas d’attaches »

Cette sentence entraîne des comportements solitaires, une


incapacité à se sentir à l’aise dans un groupe. Une attitude qui frôle
parfois la phobie sociale. Elle vient de parents qui sont eux-mêmes
solitaires, repliés sur leur couple et/ou sur leur seule famille. Ils ne
font partie d’aucune association, d’aucun groupe, ont peu ou pas
d’amis. Parlant d’eux-mêmes, ils disaient (et disent encore) «  Nous,
nous sommes différents » (du voisinage, de la famille) ou « On n’est
pas comme eux » (les autres, les pauvres ou les riches, les Noirs ou les
Blancs). Une pareille injonction amène aussi un complexe social, tant
de supériorité que d’infériorité. Les parents ont répété à leur enfant
qu’il était « unique », « différent des autres ».

9. « Ne sois pas intime »

Cette nouvelle injonction peut encore s’exprimer sous la forme


d’un «  Ne fais confiance à personne  » ou «  Ne t’attache pas  ». Elle
entraîne une perte de confiance vis-à-vis des autres, voire un rejet.
Elle est fondée sur le comportement de parents qui interdisaient et,
souvent, interdisent encore la proximité physique, les câlins, les
embrassades. Mais elle provient aussi de parents qui ont disparu
précocement.

10. « Ne sois pas sain (d’esprit) »

L’affirmation génère des comportements hypocondriaques ou des


troubles psychiques, surtout si elle a été présentée sous la forme
d’une exclamation « Cet enfant n’est pas normal ! » ou « Tu sais bien
que tu es trop fragile pour faire ceci ou cela ». Elle trouve son origine
chez des parents qui ne disposaient pas de beaucoup de temps et/ou
d’envie pour s’occuper de leur enfant. Ils ne lui accordaient vraiment
leur attention que quand celui-ci était souffrant, soit parce qu’ils y
trouvaient alors une légitimité – il faut s’occuper des malades –, soit
parce que, dans une sorte de dévoiement de l’affection parentale, ils
ne pouvaient accorder leur attention qu’à une personne affaiblie. Ils
s’ancraient alors dans une posture de domination inconsciente.

11. « Ne pense pas »

Autrement exprimé «  Fais ce qu’on te dit et rien d’autre  ». La


phrase provoque un malaise au moment où il faut prendre une
décision. Elle bloque les capacités de réflexion de l’individu, les idées
qui le traversent deviennent confuses, il les exprime de façon obscure
et la solution peine à venir. Cette injonction vient d’un parent qui n’a
pas laissé à l’enfant la possibilité de s’exprimer en mettant en avant
ses propres décisions, voire d’un parent qui le dévalorisait
régulièrement, parent dont les propos récurrents pouvaient être «  Il
ne faut pas penser à ces choses-là (le sexe, la mort) » ou « Je t’interdis
de me répondre  », une variante du «  Ne pense pas comme tu
l’entends mais comme je le veux ».

12. « Ne ressens pas »

Cette expression donne lieu à la difficulté d’éprouver des


sensations physiques (la fatigue, le sommeil, la faim). L’individu est
aussi coupé de ses émotions. Or, celles-ci ne sont pas seulement
constituées de composantes psychologiques. L’émotion est une
expérience psychophysiologique où le sujet réagit à des influences
biochimiques internes mais aussi environnementales. L’émotion inclut
encore une composante comportementale et la notion de conscience.
Le «  Ne ressens pas  » instaure donc un blindage psychique et
physique, contraire à l’évolution et à la créativité. Il prend sa source
avec des parents qui ont eux-mêmes réprimé leurs sensations et leurs
sentiments. Il s’agit tantôt de ne pas éprouver tel ou tel sentiment,
tantôt de ne ressentir que ce que ressent le parent. L’injonction
s’exerce alors par des « Il ne faut jamais pleurer » ou « C’est curieux
d’avoir faim à cette heure-ci, ça ne m’arrive jamais ».

13. « Ne sache pas »

Nous évoquions ci-dessus douze injonctions principales, mais il en


existe une treizième. « Ne sache pas » ou encore « Ne découvre pas »
a été identifiée par une psychothérapeute française, Gysa Jaoui. Cette
injonction suscite la passivité de l’individu au moment où il a besoin
d’informations afin de développer de nouveaux apprentissages. Face à
la multiplicité des documents concernant un sujet donné, il panique.
Il n’arrive pas à se concentrer, la lecture lui donne mal à la tête, il
affirme ne pas avoir de mémoire, se plaint de sa vision qui serait
déficiente… Cette injonction s’adosse à des parents qui voulaient
maintenir leur position dominante en confinant leur enfant dans la
passivité. Ils n’ont pas répondu aux questions qu’il leur posait, disant
« Tu sauras plus tard », « Ce n’est pas de ton âge », « Je ne veux plus
t’entendre  », «  Je ne veux pas le savoir  » ou encore «  Ça suffit
maintenant ».

DEUX EXERCICES POUR AVANCER

Identifier vos drivers et reconnaître en vous ce qui relève des


injonctions parentales est à votre portée et vous aidera à mieux vous
connaître et avancer. Comment concrètement procéder ?

• L’introspection

Listez d’abord les drivers –  deux ou trois au plus  – qui vous


paraissent le mieux correspondre à votre tempérament. Passez
ensuite aux injonctions. Pour ce faire, il vous suffira de vous livrer à
une investigation sincère de vos ressentis, émotions et sentiments,
comportements.
Par exemple, votre difficulté à prendre une décision provient-elle
de la nécessité de vous donner du temps ou comptez-vous sur votre
entourage pour décider à votre place  ? Avez-vous vraiment la
vocation pour vivre en ermite ou votre retrait vis-à-vis des autres,
votre difficulté à participer à une réunion (qu’il s’agisse d’amitié ou
de travail) s’inscrivent-ils dans la «  sauvagerie  » dont vos parents
faisaient preuve ?
Les drivers comme les injonctions constituent des « freins » et des
«  contraintes  ». Quand nous avons un projet et désirons le réaliser,
mais que nous manquons de confiance en nous, il est fréquent d’être
envahis par des craintes variées  : «  Je n’y arriverai pas, je suis trop
vieux », « Ma famille ne sera jamais d’accord », « Je me demande ce
que vont en penser mes collègues  »… Ces freins ne sont pas des
empêchements formels : ce sont juste des obstacles que nous mettons
nous-mêmes sur notre route afin de nous entraver dans notre
démarche.

★ Anne ou l’excuse de l’âge


Dans un groupe de parole que nous animons, Anne, une
secrétaire qui a envie de devenir fleuriste, affirme qu’elle
ne peut pas se reconvertir comme elle le souhaite  : «  À
50 ans, la mémoire ne fonctionne plus comme avant. C’est
impossible.  » Or, cette patiente est en parfaite santé  ! Elle
bénéficie en outre du soutien de sa famille pour changer de
métier, et ses deux enfants, déjà grands, sont parfaitement
capables de se débrouiller sans elle. Elle a bien conscience
de tout cela mais croit dur comme fer à cette donnée
« scientifique » : son cerveau est trop vieux pour avancer.

Le point de vue psy
Anne a mis en place un frein, adossé au fantasme qu’un cerveau de 50 ans n’est
plus aussi performant. Il faut toute l’intervention du groupe et la nôtre, durant
plusieurs séances, pour la convaincre qu’il s’agit d’une croyance erronée et que le
cerveau est malléable. Les scientifiques sont nombreux aujourd’hui à en vanter
l’extraordinaire plasticité. Pour s’engager dans la voie de son choix, Anne doit
identifier cette croyance limitante et ne plus considérer sa conviction comme un
empêchement.

Les contraintes, elles, constituent de véritables empêchements,


des blocages absolus ou des difficultés qu’il nous faudra prendre le
temps de contourner. Si, par exemple, vous ne jurez que par
l’informatique mais avez encore du mal à vous servir d’un traitement
de texte et qu’on vous demande, tout à trac, de vous improviser
«  administrateur système réseaux  », il va falloir vous remettre aux
études, potasser la théorie et la pratique. Vous n’avez guère de
chances non plus de devenir danseuse étoile en démarrant la danse
classique à 40 ans. Mais dans l’ensemble, à moins d’être un pessimiste
impénitent, nos désirs, nos objectifs se heurtent surtout aux freins qui
polluent notre esprit.

• L’exercice des 360 degrés

Si vous n’arrivez pas à reconnaître vos drivers, les injonctions qui


vous ont formaté, si vous distinguez mal ce qui du frein ou de la
contrainte vous empêche de vous réaliser, livrez-vous à l’exercice du
360 degrés.
Importée des États-Unis au milieu des années  1980, la méthode
consiste notamment à faire évaluer les comportements, aptitudes et
compétences d’un individu par son supérieur hiérarchique, ses
collègues, ses subordonnés, ses clients internes ou externes,
fournisseurs, partenaires… À l’origine, il s’agit donc d’un outil
professionnel mais que, comme psychothérapeutes, nous avons
adapté à nos pratiques de suivi des patients, au sein de nos ateliers de
développement personnel.
Pour vous, il va s’agir de demander à toutes les personnes de votre
entourage, celles qui acceptent de jouer le jeu, de vous évaluer sur
des critères plus intimes et plus personnels que votre vie
professionnelle. À qui allez-vous le réclamer  ? À votre conjoint,
compagnon ou compagne, à vos parents, votre parentèle élargie, à
vos amis, à des proches en qui vous avez confiance. Évitez les enfants
s’ils sont trop jeunes (pas avant 10  ans) et les adolescents qui
risquent de ne pas être fiables s’ils traversent une période de rébellion
qui obscurcira leur jugement. Évitez aussi les personnes qui vous
détestent… Choisissez des gens qui vous apprécient et qui se
sentiront libres de dévoiler ce qu’ils pensent.
Les questions auxquelles ils devront répondre s’appuient sur les
cinq drivers et les treize injonctions. Établissez un questionnaire écrit
en séparant bien les drivers des injonctions. Demandez à vos proches
de répondre sans trop réfléchir, le plus spontanément possible.
Voici quelques exemples de questions :
«  D’après vous, suis-je plutôt un Sois parfait ou un Dépêche-toi ?
Ou les deux ? »
« Avez-vous l’impression que je ne me donne pas tous les moyens
pour avancer (Ne réussis pas) ? »
«  Pensez-vous que mon activité professionnelle et/ou mes loisirs
ne correspondent pas vraiment à mes désirs profonds (Ne sois pas
toi-même) ? »
In fine, vous ferez une synthèse et une analyse des informations
récoltées et pourrez dès lors identifier les messages parentaux que
vous avez incorporés, contourner les impasses qui vous limitent et
laisser tomber les croyances de survie que vous avez apprises dans
votre enfance. À vous de décider ensuite, en conscience, de ce dont
vous avez vraiment besoin pour avancer et de définir votre « plan de
progrès » sur mesure.
L’exercice des 360 degrés peut être répété plusieurs fois au cours
de l’existence. Car nous changeons et nos aspirations se transforment.
Ce dont nous avions envie hier s’amenuise, nos buts existentiels –
  réalisés ou non  – se modifient. Des drivers s’estompent tandis que
d’autres se renforcent ou se conjuguent. Nous pouvons utiliser cette
méthode pour nous-mêmes mais la proposer aussi à nos amis, nos
enfants, des parents et, nous l’avons vu, des collaborateurs.

★ Julien ou l’association de pilotes inconscients


Après avoir commencé des études de droit puis s’être inscrit
à HEC, Julien a abandonné ces deux cursus. À 28 ans, il est
aujourd’hui cadre dans une entreprise agroalimentaire. Il
s’occupe des achats des matières à transformer. On lui
propose un poste de manageur. Il doit encadrer quatre
personnes, mais il hésite. « Je n’ai pas assez d’autorité, dit-
il. J’ai du mal à me sentir adulte. Le week-end, je passe une
partie de mon temps avec les enfants à jouer à des jeux
vidéo. Même quand je suis fatigué, je continue… Ils sont
tellement contents d’avoir un papa disponible ! Ma femme
me reproche mon manque d’ambition, mais je crains de ne
pas être à la hauteur en acceptant ce poste. Je le prendrai si
vraiment elle insiste. Je ne voudrais pas la décevoir. En
même temps, mon N+1 dit que j’en suis tout à fait capable,
que je suis méticuleux, attentif, mais qu’il me faudrait
simplement une formation au management durant six mois
pour développer mes compétences. Il insiste, il me pousse.
Ça me fait peur, j’ai toujours eu beaucoup de mal à me
concentrer. Quand je lis, j’oublie dans la journée ce que l’ai
lu. J’ai fait un séminaire de trois jours pour améliorer ma
mémoire mais ça n’a rien donné. Ce sont peut-être mes
lunettes ? Parfois, j’ai des migraines après avoir lu… »
Le point de vue psy
Julien vient d’arriver pour un coaching de vie. Pour l’instant, tout ce que nous
savons de lui c’est que son père, un militaire très souvent absent du foyer, ne
parlait presque pas. Sa mère était une femme au foyer, soumise, entièrement
dévouée à ses deux fils, à son époux, à sa maison. Il évoque un monde clos, assez
triste, où les enfants n’ont pas le droit de parler à table et où leurs questions
restent sans réponse. La mère les renvoie à leur père et celui-ci reste mutique.
Manifestement, Julien est un Sois parfait que son chef a sans doute repéré comme
tel. C’est aussi un Fais plaisir qui tait son désir pour satisfaire ses enfants et craint
de mécontenter sa femme en refusant le poste qui lui est offert. Mais, dans le cadre
des injonctions, c’est encore un Ne grandis pas puisqu’il s’estime incapable
d’assurer l’autorité inhérente à un responsable. C’est également un Ne fais pas qui
attend que les autres décident à sa place, sa femme d’abord, son N+1 ensuite. Et,
plus encore, c’est un Ne sache pas qui met sur le dos de la mémoire, de la
concentration et de la vue, son incapacité à s’engager dans de nouveaux
apprentissages. Pourtant, quand il joue avec ses enfants, il est capable de fixer son
attention et ne se plaint pas de sa vision.

Cette série d’injonctions et de drivers ne constitue pas une


exception. Si nous sommes attentifs à nous-mêmes, si nous prenons le
temps de faire une pause, de nous investiguer sincèrement, nous
constaterons que nous traînons avec nous des casseroles qui freinent
notre capacité à nous développer et réussir.

Le cerveau, pour le meilleur et pour


le pire
« Les miracles ne sont pas en contradiction avec les lois de la nature
mais ce que nous savons de ces lois. »
SAINT AUGUSTIN

L’EFFET PLACEBO
Tout le monde, ou presque, connaît l’effet placebo – ce qui signifie
en latin « je plairai » –, utilisé dans la recherche pharmaceutique pour
tester de nouveaux traitements médicaux. On choisit deux
populations distinctes. À l’une, on prescrit le véritable médicament ; à
l’autre, un succédané. Les sujets concernés croient recevoir un
produit actif alors que la substance placebo ne contient que des
composés chimiques neutres ou n’interférant pas avec l’évolution de
la maladie. Or, dans des cas avérés par de nombreuses études, des
améliorations et des guérisons ont été constatées.
Parallèlement, de manière tout à fait surprenante, les placebos
peuvent également avoir un effet positif chez des patients qui sont
informés de ce qu’ils prennent, c’est-à-dire un leurre. Dans les deux
cas, les améliorations relevées s’appuient sur des mécanismes
psychologiques qui agissent en interaction avec des mécanismes
physiologiques, à l’intérieur d’une intrication corps/esprit.
La chirurgie fictive
L’effet placebo ne concerne pas seulement les médicaments. Il est utile pour évaluer
l’impact et les suites d’une opération chirurgicale. Ainsi la Sham surgery (chirurgie
Sham) où l’on fait croire au patient qu’il a été opéré en incisant simplement
l’épiderme afin de laisser des cicatrices. On le panse normalement et, après
l’anesthésie, il ne doit pas pouvoir se rendre compte s’il a été l’objet ou non d’une
intervention chirurgicale. C’est en 1939 qu’un chirurgien italien, Fieschi, a conçu
cette technique. Pour soulager les douleurs de l’angine de poitrine, il a eu l’idée de
pratiquer de minuscules incisions sur certaines des artères coronaires. Les résultats
ont été spectaculaires. Les trois quarts des patients ont vu leur état de santé
s’améliorer, et un tiers d’entre eux ont été guéris. En 1959, le National Institute of
Health
a demandé à un jeune cardiologue américain, le Dr Leonard A. Cobb, de procéder à
un nouveau test de la technique Fieschi. Cobb l’a exploitée sur 17 patients. Le New
England Journal of Medicine en a publié les conclusions. Les opérations fictives
avaient réussi aussi bien qu’une véritable intervention. Depuis, pour des raisons
éthiques, ces expériences sont devenues rares. Cependant, elles comptent toujours
d’ardents défenseurs dans le monde médical et scientifique.

L’effet nocebo – signifiant en latin « je vais nuire » – est beaucoup


moins connu. C’est l’exact contraire du précédent. Son jumeau
maléfique en quelque sorte. Dans les études en double aveugle, où
l’on utilise un placebo pour tester un médicament, certains patients,
qui pensent absorber un «  vrai  » médicament, vont présenter des
effets indésirables. Ces réactions sont de nature psychologique. Après
avoir lu la notice d’utilisation et sa rubrique alarmante «  effets
secondaires  » ou parce que les médias, leurs amis en ont parlé de
façon négative, 20 à 30 % des sujets – en parfaite santé – se plaignent
de maux de tête, de nausées et de somnolence.
Le terme nocebo est apparu dans les années  1960 en révélant
qu’une attitude pessimiste pouvait produire des effets nocifs sur la
santé. On a également remarqué que le phénomène était parfois
«  contagieux  ». Des médecins ont observé des cas inexpliqués de
propagation de symptômes à l’intérieur d’un groupe. Cette
particularité est connue sous le nom de « phénomène psychogénique
de masse ».
Deux psychologues de l’Université de Hull en Angleterre, Irving
Kirsch et Giuliana Mazzoni, se sont penchés sur cette question. Ils ont
constitué un groupe d’étudiants volontaires et demandé à certains
d’entre eux de respirer des échantillons d’air en leur racontant que
ceux-ci contenaient une substance nocive, capable d’entraîner
nausées, maux de tête, démangeaisons et somnolence. La moitié du
groupe devait ensuite visionner un film montrant une femme qui
avait développé lesdits symptômes après avoir respiré l’échantillon.
Le résultat a montré que les étudiants qui avaient respiré l’échantillon
étaient plus susceptibles que les autres de présenter les symptômes
décrits. Il a également souligné que ceux-ci étaient plus prononcés
chez les personnes de sexe féminin ayant regardé le film.

L’EFFET « VAUDOU »

À la fin des années 1970, un patient américain, Sam Shoeman,


apprend qu’il est atteint d’un cancer du foie en phase terminale. Il ne
lui resterait plus que quelques mois à vivre selon ses médecins. Il va
effectivement mourir quelques semaines après l’annonce du
diagnostic. Pourtant, les résultats de l’autopsie pratiquée révèlent que
les médecins se sont fourvoyés. La tumeur était minuscule, et le
malade ne présentait pas de métastases, la propagation des cellules
malignes vers une autre partie du corps.
Le professeur Clifton Meador, professeur à l’école de médecine
Vanderbilt de Nashville, explique : « Il n’est pas mort du cancer, il est
mort parce qu’il croyait qu’il était en train de mourir du cancer.
Quand tout le monde vous traite comme un mourant, vous finissez
par croire que vous êtes mourant. Tout votre être est convaincu qu’il
va mourir.  » Selon Giuliana Mazzoni, ces expériences mettent les
médecins dans une position particulièrement difficile  : «  D’un côté,
les gens ont le droit de savoir à quoi s’attendre, écrit-elle ; de l’autre,
le fait de les informer peut augmenter le risque d’apparition des effets
6
annoncés . »
Robert Hahn, anthropologue au Centre de contrôle et de
prévention des maladies d’Atlanta aux États-Unis évoque, à propos de
cette forme extrême de l’effet nocebo, la «  mort par incantation
vaudou ».

Transformé en zombi !
On sait que le terme vaudou s’applique à une religion originaire d’Afrique où
elle est encore pratiquée mais qui s’est surtout développée en Haïti. Dans ce pays,
cette pratique religieuse est notamment associée à des rituels magiques, en
particulier celui de la zombification. Le bokor, un sorcier, ou le hougan, un prêtre
vaudou, plonge une personne dans un état de catalepsie en lui administrant une
drogue puissante, la «  poudre à zombi  ». La victime, qui passe pour morte, est
ensuite enterrée. Au bout d’un certain temps, le sorcier ou le prêtre vient déterrer
le corps tout en récitant des formules magiques. Il lui administre rapidement une
pâte ou un liquide qui élimine les effets de la drogue et l’aide à sortir de sa
léthargie. Ensuite, il fait absorber à la victime un produit hypnotique pour la rendre
amnésique. Il peut désormais l’obliger à faire tout ce qu’il veut. Privé de conscience,
le malheureux est devenu corvéable à merci. L’individu, transformé en zombi,
s’instaure donc comme un mort-vivant qui a perdu une part de sa conscience et de
son humanité. Vu sous un angle occidental, on pourrait dire que c’est un
toxicomane ou un malade, une personne prisonnière physiquement et
psychologiquement.
Le professeur Jon-Kar Zubieta, neuropsychiatre à l’Université du
Michigan, qui travaille sur le métabolisme du cerveau a montré en
2012 que l’effet nocebo était notamment lié à une baisse de la
dopamine et de l’activité opioïde. La dopamine est un
neurotransmetteur impliqué, entre autres, dans la façon dont nous
ressentons l’environnement médical et, en particulier, la relation
médecin/patient. Quant aux opioïdes, ce sont des substances dont les
effets sont similaires à ceux de l’opium pour le traitement de la
douleur.
Les travaux de Zubieta ont permis de mieux comprendre
comment le stress, des réponses inadaptées aux événements, la peur,
l’anxiété jouaient un rôle important dans l’apparition des maladies,
de nombreux symptômes et l’augmentation de la souffrance, tant
physique que psychique, voire la mort.
Il faut donc être attentif à la manière de formuler un diagnostic
afin de ne pas majorer ses effets négatifs. En somme, même si le cas
de Sam Shoeman est extrême, certaines personnes peuvent être
confrontées à des symptômes, uniquement parce qu’on les a
prévenues qu’elles risquaient d’en éprouver. On pense aussi que ceux
qui craignent d’être sujets à certaines maladies ont plus de
possibilités d’en être atteints que ceux qui sont persuadés du
contraire.
Ainsi peut-on tomber malade, et parfois en mourir, juste parce que
nous ne croyons plus en nos capacités de guérison ou parce qu’un
tiers, un soignant, un «  sorcier  » blanc, nous l’a fait croire. C’est
pourquoi, même si dans une famille on note plusieurs cas de cancers
et même si l’on sait que des facteurs génétiques peuvent y contribuer,
il n’est pas bon de penser que tous ses membres y seront confrontés.
En effet, la plupart des maladies graves ont des origines
multifactorielles, et le genre de vie que nous menons, nos façons de
penser, notre foi en la vie contribuent aussi à nous assurer une bonne
santé.
En 2012, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel a publié les
résultats d’une expérience menée sur des patients atteints de troubles
coronariens. On leur a administré un traitement dont l’un des effets
secondaires « pouvait » être une baisse de la libido. Certains d’entre
eux étaient avertis de cette difficulté, d’autres non : 31 % de ceux qui
étaient informés ont témoigné de troubles sexuels contre 3  % pour
ceux qui l’ignoraient.
Des médecins anesthésistes ont ainsi comparé la sensation de
douleur ressentie par des femmes enceintes lors de l’injection d’un
produit anesthésiant. Le groupe nocebo était préparé à la piqûre par
l’avertissement suivant  : «  Vous allez ressentir comme une intense
piqûre d’abeille. C’est la partie la plus désagréable de la procédure. »
Le groupe placebo était informé en ces termes  : «  Nous allons vous
donner un anesthésique local qui vous engourdira, pour que vous
vous sentiez bien pendant la procédure 7.  » L’étude a permis de
montrer que l’utilisation de mots apaisants entraînait un impact
positif sur la sensation de douleur et le degré de confort lors des
procédures chirurgicales.
C’est dire si notre cerveau, que certains scientifiques ont comparé
à une « usine à médicaments », est capable de produire ce qui peut lui
nuire comme ce qui peut lui faire du bien et même le guérir. La
plupart d’entre nous ne croiraient pas un quidam vêtu en indien avec
une coiffe de plumes sur la tête qui nous annoncerait que nous
sommes très malades et que nous allons mourir. Mais songeons à ce
que nous ressentirions si un médecin, bardé de diplômes, nous
prédisait la même chose… La cause initiale de l’effet nocebo ne relève
donc pas tant du domaine de la neurochimie que de celui de la
croyance.
LE CERVEAU MÉDECIN

La première utilisation expérimentale documentée d’un placebo


date de 1800. Le médecin américain Elisha Perkins invente les
« tracteurs de Perkins », des baguettes métalliques qu’il fait breveter
car il prétend qu’elles sont réalisées dans un alliage original doté de
pouvoirs de guérison. Elles sont censées soulager toutes sortes de
maladies, des rhumatismes aux maux de tête. Or, le médecin obtient
des résultats probants…
Tandis que Perkins présente ses baguettes à Londres, un
épidémiologiste, le Dr  John Haygarth, répète ses expériences en
utilisant des baguettes métalliques et des baguettes de bois. Il n’a pas
cru bon de les faire breveter car leurs composants n’ont rien de
particulier. Cependant, il obtient lui aussi de bons résultats, et il
publie la même année une description de l’effet placebo 8.
En 1955, le Dr  Henry K. Beecher, un médecin anesthésiste
américain, raconte qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale, sur le
front d’Italie, il a injecté aux blessés une solution saline à la place de
la morphine dont le stock était épuisé. En constatant l’effet
antalgique, il a établi par la suite un protocole expérimental en
double aveugle, c’est-à-dire en injectant tantôt de la morphine, tantôt
du sérum physiologique, sur des douleurs postopératoires. Le
protocole portant sur 1 082 patients a débouché sur un effet placebo
évalué à 35 %.
On sait aujourd’hui, de façon scientifique, que le cerveau
constitue une formidable mine de médicaments. C’est une sorte
d’usine de production dont il est possible de stimuler l’activité. Ainsi,
si l’on fait absorber à un patient une pilule « neutre », dépourvue de
toute substance active, mais qu’on la lui présente comme ayant un
effet antalgique, on constate la production de molécules « naturelles »
identiques à la morphine.
Le praticien, en tant que personne, doit aussi participer au
processus de guérison en ne rédigeant pas seulement des
ordonnances mais en commentant celles-ci avec conviction. Il doit
parler des substances qu’il prescrit, de leurs effets positifs, des
objectifs qu’elles poursuivent, des raisons pour lesquelles il a choisi ce
médicament plutôt qu’un autre.
Dans Le Monde du 3  juin 2008, le Dr  Jean-François Bergmann,
spécialiste de thérapeutique à l’hôpital Lariboisière de Paris, explique
que « la façon dont un médicament est donné participe pleinement à
l’effet pharmacologique. Il doit l’être avec conviction  ». On se
demande comment une personne étrangère à nous, fût-elle médecin
et vouée à soigner les autres, peut posséder un tel impact sur notre
capacité de guérison  ! Et ce en dehors des médicaments et des
traitements qu’elle nous propose.
Le transfert, une notion appartenant à la psychanalyse, y répond
en partie. Il constitue le moteur de tout travail psychanalytique, et
sans lui, soit le patient s’en va, soit la cure ne fonctionne pas. Il est
fondé sur le savoir que le patient suppose au psychanalyste : le sujet
est en effet persuadé que le thérapeute connaît déjà les réponses aux
questions qu’il se pose. En vérité, ce n’est pas le cas. Mais le patient a
besoin de s’appuyer sur cette certitude pour aller au-devant de son
propre inconscient et y trouver les réponses appropriées.
Il rejoue aussi avec lui les relations qu’il a entretenues avec toutes
les personnes importantes de son histoire. C’est pourquoi, au cours
du travail, il peut tantôt «  aimer  » son thérapeute, tantôt lui en
vouloir, et même le détester. Une relation qui ressemble, toutes
proportions gardées, à celle qu’un malade entretient avec son
médecin, surtout s’il le rencontre très régulièrement, comme lors d’un
séjour hospitalier.
En fait, toutes nos relations, quelle que soit leur nature (amitié,
travail, famille), sont traversées par le transfert. Nous prêtons
beaucoup aux autres. Nous projetons sur eux, comme sur un écran de
cinéma, des envies et des fantasmes, des doutes et des désirs. Ce
transfert fonctionne évidemment dans les deux sens. Comme le
médecin n’y échappe pas, il y a des malades qu’il préfère et d’autres
qu’il soigne parce que c’est son métier.

LE SECRET DE L’INTENTION

Le second moteur de la guérison, c’est l’« intention ». Cette notion


a été popularisée par de nombreux best-sellers. Il est fort probable
que vous ayez entendu parler de celui de Rhonda Byrne, Le Secret, ou
de l’ouvrage de la journaliste scientifique Lynne McTaggart, La Science
de l’intention : utiliser ses pensées pour transformer sa vie et le monde.
D’un point de vue étymologique, l’intention provient du latin
intento qui signifie l’action de «  diriger vers  ». Sous un angle
sémantique, c’est la volonté délibérée d’accomplir un acte. Pour
autant, il ne s’agit pas de se dire «  Un jour, j’ai l’intention d’aller
visiter la Mongolie ». Encore faut-il que notre détermination soit sans
faille, pleine et entière, que notre motivation soit absolue.
Pour Rhonda Byrne, nos pensées exercent une influence sur la
réalité physique. Il suffit que l’intention, une pensée dirigée, soit
suffisamment forte pour obtenir tout ce que nous désirons  : amour,
santé, bonheur mais aussi pouvoir, argent, biens matériels… C’est la
« loi d’attraction », une recette simple, dure à avaler pour les esprits
cartésiens, car l’ouvrage est, selon eux, saupoudré de magie et de
philosophie New Age. Il est aussi reproché à l’auteure de mélanger
spiritualité et désirs matérialistes.
La même année paraît l’ouvrage de la journaliste américaine
Lynne McTaggart. Truffé de références scientifiques, il s’appuie sur les
travaux de chercheurs de haute volée. Grâce à eux, elle y démontre
que la « pensée dirigée » ne serait pas une simple croyance et pourrait
bien influencer la réalité. Elle écrit  : «  Les plus récentes études de
l’effet de l’esprit sur la matière semblent indiquer que l’intention a
des effets variables qui dépendent de l’état du sujet, ainsi que du
moment où il émet une pensée et de l’endroit où il se trouve.
L’intention a déjà été employée dans maints domaines, notamment
pour guérir les maladies, modifier des processus physiques et
influencer des événements. Il ne s’agit pas d’un don spécial mais
d’une compétence apprise et aisément enseignée. En réalité, nous
utilisons tous déjà l’intention dans de nombreux aspects de notre vie
quotidienne. »
En 2008, Christian Bérubé, un ostéopathe québécois, réalise une
thèse sur l’intention. La question est  : l’intention du thérapeute
possède-t-elle une influence qui soit mesurable sur les tissus du
patient  ? La recherche est réalisée avec le concours de 126
volontaires et montre qu’il est possible d’observer des changements
quantifiables dans la physiologie d’un individu.
Bérubé note d’abord que, même si l’ostéopathie est un travail
essentiellement manuel, elle nécessite une multitude de
connaissances sur le corps humain, son métabolisme, sa physiologie.
Il écrit : « Pour améliorer l’efficacité du thérapeute en ostéopathie, on
évoque parfois des notions telles que la présence, le centrage, le
lâcher-prise ainsi que d’autres notions dans cette même veine.
Certaines de ces notions font appel à des processus qui se déroulent
dans le monde intérieur du thérapeute ; dans son esprit et dans son
cœur le plus souvent.  » Un monde qui est, à la fois, conscient et
inconscient.
Pour l’auteur, si le praticien veut être efficace, ce monde doit aussi
faire l’objet de plus de conscience. Or, l’outil majeur de cet
élargissement est l’intention, puisque « aussitôt que nous sommes en
contact avec nos patients, des processus mentaux s’activent en
9
nous  ».
Il cite David Bohm, prix Nobel de physique, qui assurait que les
êtres humains étaient reliés, à la manière d’un hologramme, à tous
les aspects du monde (visible et invisible) et de la conscience. La
première particularité d’un hologramme, un procédé de photographie
en relief, est que nous sommes face à une image tellement réelle que
nous avons l’impression de pouvoir la toucher. Seconde particularité :
une fraction de l’hologramme permet de reconstituer toute l’image ;
le tout est ainsi contenu dans la partie. L’individu s’inscrit dans un
monde « holomorphe » où la séparation entre les êtres, mais aussi les
êtres et les choses quelle que soit leur nature, n’est qu’une illusion.
Il semblerait que la capacité potentielle de changer le monde
sommeille donc en chacun de nous…

1. Sutta-Nipata, 654.
2. A. Schopenhauer, Le Monde comme volonté et représentation, 1818/1819, vol. 2, 1844
(nouvelle traduction de Ch. Sommer et coll. en 2 volumes), Gallimard, « coll. Folio », 2009.
3. J. L. Austin, Quand dire c’est faire, Le Seuil, Paris, 1970 (traduction par Gilles Lane de How
to do things with Words: The William James Lectures delivered at Harvard University in 1955,
Ed. Urmson, Oxford, 1962).
4. QCM : questionnaire à choix multiple, utilisé pour vérifier les connaissances des étudiants.
5. J. E. Grusec, « Le rôle des explications causales dans l’internalisation des valeurs », in J.-L.
Beauvois, N.  Dubois & W.  Doise (dir.), La Construction sociale de la personne, Presses
universitaires de Grenoble, 1999.
6. W. Lorber, G. Mazzoni, I. Kirsch, « Illness by suggestion: expectancy, modeling, and gender
in the production of psychosomatic symptoms », Annales of Behavioral Medicine, février 2007.
7. D. Varelmann, C. Pancaro, E. C. Cappiello, W. R. Camann, « Nocebo-induced hyperalgesia
during local anesthetic injection », Anesth Analg, vol. 110, no 3, mars 2010, p. 868-870.
8. J. Haygarth, Of the Imagination, as a Cause and as a Cure of Disorders of the Body  ;
Exemplified by Fictitious Tractors, and Epidemical Convulsions, Crutwell, 1800.
9. Pr Christian Bérubé, « L’influence de l’intention du thérapeute sur les tissus du patient »,
thèse présentée au Jury international de Montréal, Collège d’études ostéopathiques de
Montréal, juin 2008.
CHAPITRE 2

Les pouvoirs de la pensée
sur le réel

Est-il possible de véritablement changer le cours des choses ?


Notre pensée, notre conscience, notre cerveau ont-ils du
pouvoir  ? Avant de passer à la pratique, quelques explications
scientifiques s’avèrent nécessaires.

Qu’est-ce que la pensée ?
« Fais de ta vie un rêve
et de ton rêve une réalité. »
Antoine de SAINT-EXUPÉRY

Classiquement, la pensée est une activité psychique. Elle s’élabore


à partie des perceptions sensorielles, des sensations, des émotions,
des images, des souvenirs et des concepts que l’être humain associe
afin d’agir et de créer. Elle est en principe consciente, mais les
données de la psychanalyse permettent de comprendre que notre
inconscient est également porteur de pensées. D’elles, nous ne savons
rien évidemment. Pourtant, elles peuvent se manifester sous la forme
de passages à l’acte et de symptômes.
La pensée est aussi la représentation psychique d’un ensemble
d’idées propres à un individu ou à un groupe  : une façon de juger,
une opinion (notre façon de penser) et un trait de caractère (avoir
une pensée rigoureuse, être confus dans ses pensées…).
Souvent associée au Cogito ergo sum de Descartes –  « Je pense
donc je suis  »  –, elle constitue également, en termes de concept, un
héritage de la philosophie antique et des traditions judéo-chrétiennes,
pour ne citer que celles-ci, puisque l’« acte de pensée » est universel…
Dans son ouvrage sur la nature de l’être, Le Sophiste, Platon définit la
pensée comme un « discours intérieur que l’âme tient en silence avec
elle-même 1 ». La pensée est en lien direct avec le cerveau et, en tant
qu’individus, nous ne saurions penser en son absence. Elle implique
l’existence de la conscience, un phénomène malaisé à définir de
manière précise en raison de la difficulté à comprendre sa nature et
ses contours. D’autant que, pour essayer de comprendre la
conscience, il faudrait utiliser… la conscience elle-même  ! «  Le
couteau ne peut se couper lui-même  », disent fort justement les
bouddhistes…
Selon la psychologie, c’est la faculté mentale qui permet
d’appréhender de façon subjective les phénomènes extérieurs (les
sensations) ou intérieurs (les pensées, les émotions). Elle nous
permet aussi d’appréhender notre propre existence. Si nous nous
rendons compte que nous sommes joyeux ou tristes, nous avons alors
conscience de notre état affectif et mental.
D’un point de vue éthique, c’est encore la faculté de discerner le
bien et le mal, la « conscience morale ».
On le voit, derrière la pensée se cache… un monde !
Un peu de physique quantique
« Il faut bien avouer qu’il n’y a rien dans la physique et la chimie
qui ait un rapport, même éloigné,

avec la conscience ».
Niels BOHR,

prix Nobel de physique

ET LA CONSCIENCE DANS TOUT ÇA ?

Le philosophe australien David Chalmers 2, un spécialiste de la


conscience, a élaboré une étude des théories existantes sur la relation
entre cerveau et conscience. Il décrit trois modèles principaux.
– Le premier est le « matérialisme moniste » fondé sur l’idée que
tout est matière. Puisque le cerveau est constitué de neurones, eux-
mêmes soumis à des processus chimiques, il suffit de les expliquer
pour expliquer également la conscience.
–  Le deuxième modèle part du principe que la conscience est
analogue à des processus cérébraux dans la mesure où il y a un lien
entre certaines activités cérébrales et certaines expériences de
conscience.
–  Le troisième modèle reconnaît qu’un certain nombre de
modalités de la conscience, comme les expériences de mort
imminente, par exemple, ou les états modifiés de conscience, ne
permet pas de réduire son expression à des fonctions cérébrales.
Chalmers se demande d’ailleurs comment une abstraction aussi
immatérielle que la conscience pourrait bien émerger de quelque
chose d’aussi inconscient que la matière.
Grâce aux protocoles techniques développés par les
neurosciences, l’activité cérébrale peut aujourd’hui être mesurée
précisément. Cependant, ces mesures restent forcément cantonnées
dans le champ matériel. On mesure un phénomène physique concret
en l’associant, arbitrairement, à un phénomène abstrait. De sorte que
l’activité mesurée n’est pas la conscience en tant que telle, qui, elle,
reste non quantifiable.
En effet, identifier des processus cérébraux ne peut pas nous
renseigner sur le vécu personnel, intime, d’un individu. Quelle
conscience a-t-il de lui-même et du monde  ? Comment le deviner
sans l’interroger ? Comment sonder le contenu de sa conscience sans
faire appel à ses souvenirs, à ses émotions, à ses valeurs, à tout le
réservoir d’images singulières dont il est empli ?
C’est l’«  intrication quantique  », dite encore «  non-localité  », qui
répond à cette question pour un certain nombre de scientifiques. Elle
découle du « paradoxe EPR » – abréviation d’Einstein-Podolsky-Rosen,
trois physiciens qui l’ont présenté en 1935. Selon la non-localité, des
liens existent au niveau microscopique, et à une plus petite échelle
encore, qui se jouent de l’espace et du temps.
Deux particules associées puis séparées conservent un lien. Tout
changement qui concerne l’une va donc, instantanément, affecter
l’autre. Cela suggère le caractère «  non local  » de la conscience,
laquelle ne paraît pas reliée aux repères habituels de l’espace-temps
tels que le cerveau et le temps présent. La conscience ne serait donc
pas une propriété strictement humaine qui aurait émergé dans
l’organisation et le fonctionnement du cerveau.
Un tel point de vue pourrait élargir notre regard sur des
phénomènes extrasensoriels comme la précognition (la vision du
futur), la voyance, la télépathie, la guérison à distance… La physique
quantique suggère que le « réel » dans lequel nous baignons, et dont
nous-mêmes faisons partie, participe d’une dimension où tout est lié,
hors de l’espace et du temps, et où le lien ne se rompt jamais.
Pour le physicien Henry Stapp, de l’Université de Berkeley en
Californie, notre cerveau constituerait un outil nous permettant
d’accéder à un «  espace quantique  », complètement indépendant du
temps et de l’espace tels que nous les définissons habituellement.
C’est pourquoi il estime que les neurosciences, quand elles sont
exclusivement fondées sur la biologie et sur la physique classique,
constituent une absurdité. Il note en effet que si le cerveau est
composé de molécules, puis d’atomes, donc de particules, il est
nécessairement le siège de phénomènes quantiques.
Il note aussi qu’un phénomène quantique ne se produit que s’il est
observé et reste indéterminé tant qu’il ne l’est pas. Le rôle de
l’observateur apparaît donc comme central. Or, observer c’est devenir
conscient de quelque chose. De sorte que si la conscience –  celle de
l’observateur  – est essentielle à la compréhension de la physique
quantique, il faut sans doute admettre que la physique quantique est
indispensable à la compréhension de la conscience.
Un des points clé de la théorie de Stapp est «  l’effet Zénon
quantique  ». Zénon, un philosophe grec auteur de nombreux
paradoxes, racontait l’histoire de la flèche et de l’arc. Si l’on observe
une flèche tirée d’un arc durant un temps extrêmement court – temps
au cours duquel elle n’occupe que son propre espace –, la flèche, à cet
instant, semble immobile. Si l’on applique le raisonnement à « tous »
les instants, la flèche devient complètement immobile. Par analogie,
on appelle « effet zénon quantique » une situation où l’observateur va
figer une particule atomique instable en l’observant en continu.

DIRIGER SA CONSCIENCE

C’est ce qui se produit quand nous faisons un effort « conscient »


d’attention, effort dont nous sommes tous capables grâce à notre
volonté.
Cette théorie a été mise en œuvre dans le cadre de la
neuroplasticité dirigée appliquée à des états pathologiques.
Rappelons que la neuroplasticité est la capacité du cerveau à créer,
défaire ou réorganiser les réseaux de neurones. Le cerveau peut donc
ainsi être qualifié de malléable ou de plastique. Contrairement à ce
que l’on pourrait croire, la plasticité cérébrale n’est pas réservée aux
enfants. Elle intervient durant la vie adulte en cas de maladies
(lésions, tumeurs) mais aussi lors d’apprentissages, de méditations et
de psychothérapies.
Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) entrent dans
le cadre des expériences de neuroplasticité dirigée. On les utilise
notamment pour des patients atteints de troubles obsessionnels
compulsifs, dont le cerveau fonctionne de manière «  automatique  ».
Les obsessions, les comportements répétitifs (se laver les mains sans
cesse), les rituels (éviter de marcher sur les rainures des trottoirs)
prennent le dessus. La TCC aide le sujet à reprendre le contrôle de
son fonctionnement mental. À la fin du traitement, on constate, grâce
à l’imagerie cérébrale, qu’un réseau neurologique « sain » a remplacé
le réseau pathologique qui tournait en rond. La modification des
chaînes neuronales apparaît de façon « visible » sur une IRM.
La méditation est une autre façon de modifier l’activité cérébrale.
Elle nécessite une attention constante puisqu’il s’agit d’être conscient
de ce qui se produit en nous et autour de nous, en évacuant émotion
et jugement intellectuel. Or, on pense que cette attention pourrait
moduler l’activité du cortex préfrontal, une région du cerveau qui est
le siège de fonctions cognitives telles que le langage, la mémoire de
travail, le raisonnement, mais aussi le goût et l’odorat. Cette région
gère aussi les fonctions dites «  exécutives  », comme la planification,
l’organisation, l’élaboration de stratégies, la gestion des détails et
celle du temps et de l’espace.
Une fois de plus, nous mesurons l’impact que l’action de l’esprit
possède sur le corps et sur le comportement, puisqu’une attention
dirigée peut à la fois modifier l’expérience consciente d’un individu et
son état cérébral. Si nous nous référons à un espace quantique, il est
donc possible d’envisager que la conscience ne se situe pas dans le
corps. Une hypothèse partagée par certains tenants de la physique
quantique et certains praticiens.

OÙ EST LA CONSCIENCE ?

De nombreux médecins ont été confrontés à des expériences de


mort imminente (EMI), lesquelles les ont amenés à postuler
l’existence d’une conscience indépendante de l’activité neuronale.
3
Le Dr  Jean-Jacques Charbonier est un anesthésiste réanimateur
français. Selon lui, l’électroencéphalogramme devient plat dans les
15  secondes qui suivent un arrêt cardiaque. Comme il existe une
période incompressible d’au moins 2 minutes pour porter les premiers
secours, il estime que «  toutes  » les victimes d’arrêt cardiaque ont
expérimenté une mort clinique. Par conséquent, celui ou celle dont le
cœur s’est arrêté n’est pas « proche de la mort », il est vraiment mort.
Après avoir repris connaissance, il peut parfois décrire précisément
les événements qui se sont déroulés autour de lui durant l’arrêt de ses
fonctions cérébrales. Dans certains cas, il affirme même être sorti de
son corps et raconte en détail des événements qui se produisent
« derrière lui » mais aussi « en dehors » de l’hôpital.
4
Le Dr Pim Van Lommel , cardiologue aux Pays-Bas, a partagé les
mêmes expériences. Il compare la conscience à un poste de radio, un
émetteur-récepteur capable d’entrer en contact avec un espace
quantique, un univers énergétique. Le poste de radio ne parle pas de
façon autonome. Qui oserait soutenir cela ? En revanche, il reçoit des
ondes électromagnétiques et en extrait le signal sonore. Ce qui va
nous permettre d’écouter nos émissions favorites grâce à des ondes
qui se propagent à la vitesse de la lumière !
Et pour Niels Bohr 5, un physicien danois, s’interroger pour savoir
si la lumière est une onde ou une particule n’a aucun sens. À un
philosophe qui lui demandait où pouvaient bien se situer les photons
(des particules associées aux ondes électromagnétiques, aux ondes
radio, aux rayons gamma et à la lumière visible), Bohr répondit  :
« Où sont-ils ? Qu’est-ce que ça peut vouloir dire “être” ? »
La conscience d’une personne et certaines facultés de perception
comme, par exemple, la télépathie ou la voyance existeraient donc
indépendamment de l’activité cérébrale. En somme, l’«  esprit  » est
une réalité dont l’existence ne se situe pas dans le corps physique.
Mais on sait aussi que les cellules du corps humain communiquent
entre elles. Elles perçoivent leur microenvironnement et y répondent
correctement. C’est la base de leur développement qui préside,
notamment, à la cicatrisation, au bon fonctionnement du système
immunitaire et à l’homéostasie, notre équilibre général. Quand le
traitement de l’information cellulaire dysfonctionne, des affections
comme le cancer, le diabète ou les maladies auto-immunes sont
susceptibles d’apparaître. Et si les cellules communiquent entre elles,
tout en étant séparées, rien ne prouve qu’elles ne puissent pas le faire
hors du corps, une fois que celui-ci a disparu. Autrement dit, quand
ceux qui ont vécu une EMI racontent une rencontre avec un être
décédé, généralement un être cher, on peut penser qu’il s’agit aussi
d’une expérience quantique.
L’énergie de la pensée
« La vie ce n’est pas les molécules mais les liens qui existent entre
elles. »
Professeur Linus PAULING,

prix Nobel de chimie et prix Nobel de la paix

LA NOÉTIQUE

Le terme noétique provient du grec ancien noûs, «  l’esprit, la


conscience », qui a donné noêsis, signifiant « l’acte d’intelligence par
lequel on pense  ». Il concerne tout ce qui a trait au domaine de la
pensée et de l’esprit, mais au sens spirituel du terme. Les sciences
noétiques considèrent la connaissance comme une quête qui associe
la recherche scientifique et une démarche spirituelle afin d’approcher
les mystères de la vie et de l’Univers. L’énigme de la conscience est
l’une de leurs préoccupations majeures, tout comme l’étude des états
modifiés de conscience.
C’est pourquoi la noétique présente des liens étroits avec la
métaphysique. Elle a été influencée par des philosophes tels
qu’Anaxagore, Aristote et Platon. Anaxagore, qui est à l’origine du
concept, soutient que c’est l’intelligence qui est la cause de l’Univers.
L’intelligence serait organisatrice et directrice du monde. Celui-ci
serait formé de substances diverses qui n’auraient ni naissance ni fin
mais s’agenceraient seulement par combinaisons et séparations.
Pour Anaxagore, l’être et la matière ne sont pas différenciés de
manière constitutionnelle. Ils ne se produisent pas et ne se créent pas.
On lui doit la formule « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà
existantes se combinent, puis se séparent de nouveau », une formule
reprise par Lavoisier qui est devenue célèbre : « Rien ne se perd, rien
ne se crée, tout se transforme. »
Edgar Mitchell a marché sur la Lune
Edgar Mitchell est capitaine dans la Navy lorsqu’il s’embarque pour la mission
Apollo 14, le 31 janvier 1971. Âgé de 41 ans, c’est le sixième des douze astronautes
qui vont marcher sur la Lune. En quittant celle-ci, alors que la capsule file vers la
Terre, il vit un état modifié de conscience : il se sent entièrement relié à l’Univers,
solidaire de tous les autres êtres vivants mais aussi profondément indifférencié de
tout ce qui l’entoure. Profondément bouleversé par cette expérience, il ne supporte
pas d’être fêté comme un héros strictement américain. Il a maintenant envie
d’explorer les liens entre l’espace extérieur et intérieur. Sa réponse consistera dans
la fondation, en 1973, de l’Institut des sciences noétiques qui se propose
d’encourager la recherche sur la conscience et les capacités psychiques. Les
programmes de l’institut portent notamment sur la médecine non conventionnelle,
la rémission spontanée en cas de maladie et la survie de la conscience après la mort
physique.

Notre conscience ne serait donc pas enfermée dans notre boîte


crânienne. Elle se présenterait comme une substance qui irradierait
en dehors des limites du corps physique. Ce serait une sorte d’énergie
ordonnée qui aurait la faculté de traverser l’espace et le temps.
Précisons d’ailleurs que les pensées sont une des formes
d’émission des biophotons, ces particules de lumière porteuses
d’énergie, qui sont émises par tous les organismes vivants Elles
produisent une énergie qui émane de nous en permanence.
Le fait d’orienter ses pensées vers un objectif précis semble alors
produire une énergie suffisamment forte pour modifier la réalité
physique. C’est ce que les scientifiques mais aussi de nombreux
soignants, les chamanes, les guérisseurs, les praticiens des médecines
alternatives, nomment l’« intention » ou « intentionnalité ».

L’INTENTIONNALITÉ
Bien que les magnétiseurs soient fréquemment consultés par des
personnes de tous horizons, leur pratique demeure souvent mal
connue. Pour beaucoup d’entre nous, ils représentent encore des
personnages mystérieux qui seraient dotés de pouvoirs surnaturels.
Quand ils ne font pas partie de notre tradition familiale, on fait appel
à eux si la médecine traditionnelle a échoué. En fait, les «  bons  »
magnétiseurs, les magnétiseurs sérieux, ne prétendent pas tout guérir.
Ils connaissent les limites de leur pratique et ils l’annoncent. En
revanche, ils peuvent accompagner un traitement médical lourd,
produire une action antalgique lorsque ce dernier est douloureux. Ils
peuvent aussi lutter contre la dépression, les ruminations morbides
qui traversent les personnes obligées de se battre pour vivre.
Le magnétiseur Jean-Luc Bartoli 6, naturopathe de formation et
ancien sportif de haut niveau, décrit l’intention comme de la
compassion, de l’amour qu’il envoie à son client. Il explique que sa
main est le prolongement de son cœur. Et il avoue aussi que les
passes magnétiques ne sont que des «  habillages techniques  »  :
l’intention pourrait suffire. C’est pourquoi, selon lui, le « guérissage »
marche aussi à distance.
Pour les guérisseurs, comme pour beaucoup d’autres praticiens,
les psychothérapeutes, les tenants des médecines alternatives, la
maladie mais aussi le stress, le mal-être sont des messagers qui
attirent notre attention sur un comportement nocif, un déséquilibre.
Ils considèrent l’esprit et le corps comme un tout, un ensemble
indissociable.

PENSÉES ET DIFFICULTÉS

En conséquence, les maladies, les difficultés psychiques qui


peuvent se manifester par des petites affections, des rhumes à
répétition,  des démangeaisons d’origine inconnue ne sont que  des
«  incarnations  » d’émotions négatives. Ce sont des  problématiques
non résolues, des informations ou des événements que nous n’avons
pas digérés, des leçons de la vie que nous n’avons pas retenues.
Chaque émotion négative entraîne la constitution d’un «  nœud
énergétique  » qui se fixera dans un endroit symbolique du corps,
représentatif de ce qui nous pose problème.

★ Le chirurgien qui était mal dans sa peau


C’est l’histoire d’un scientifique et auteur reconnu. Le
7
Dr Thierry Janssen raconte qu’il commence ses études de
médecine à 18 ans avec l’objectif de devenir chirurgien. Se
consacrant à ses études, il se coupe du reste du monde
mais a le sentiment de sacrifier sa jeunesse. Il est aussi
déçu par l’enseignement qu’il reçoit. «  Je cherchais, dit-il,
des maîtres, capables de témoigner et d’accompagner. Je
n’ai trouvé que des personnes savantes qui me
demandaient de répéter leur savoir.  » À 33  ans, il obtient
un poste académique à l’Université de Bruxelles.
Seulement, il n’est pas heureux  : «  Malgré tout ce que
j’avais, je n’étais pas satisfait… ou plutôt je commençais à
ne plus être satisfait ! Je ressentais une sorte d’inconfort :
j’étais tendu et agressif. Je me mettais facilement en colère,
c’était incontrôlable, j’étais devenu caractériel et
franchement infernal  !  » Il souffre aussi d’eczéma et de
conjonctivites à répétition. Mais il ne réagit pas quand un
confrère dermatologue lui dit : « Tu dois être bien mal dans
ta peau.  » Ni quand un ami psychiatre lui demande  :
« Qu’est-ce que tu ne veux pas voir ? »
Le point de vue psy
Être mal dans sa peau peut entraîner des troubles dermatologiques  ; et une
affection de l’œil, indiquer quelque chose que nous refusons de voir… La suite de
l’histoire de Janssen montre que sa véritable vocation était de construire un pont
entre le corps et l’esprit. Tout en restant un médecin du corps, il est devenu aussi
psychothérapeute. Il attache sa pratique à la compréhension clinique des
interactions entre nos pensées et nos difficultés physiques ou psychiques. Moins
nous sommes porteurs de blocages énergétiques, et plus nous pouvons résister aux
agressions extérieures, réaliser notre plein potentiel.

Chacun doit se responsabiliser, lutter contre ses tensions, s’ouvrir


à son intuition pour retrouver le plaisir de vivre en parfaite santé
mais aussi en pleine conscience. Cependant, quand nous ne sommes
ni guérisseurs, ni chamanes, ni physiciens quanticiens, ni praticiens
des médecines alternatives, nous avons du mal à imaginer que la
pensée puisse influencer la réalité.
Ce pouvoir de la pensée et de l’intention a été observé dans de
nombreuses circonstances. Une étude américaine 8, qui impliquait
plusieurs couples, s’est ainsi penchée sur la neuro-imagerie du
sentiment amoureux. Dans l’une des expériences proposées, un
partenaire devait envoyer à l’autre et à distance des pensées de
compassion et de guérison. L’équipe a alors constaté une corrélation
significative entre l’activité physiologique de l’émetteur et du
récepteur. Les chercheurs ont également observé plusieurs
phénomènes de synchronie entre les différentes parties du corps des
sujets qui se prêtaient à l’expérience  : rythme cardiaque, ondes
cérébrales…
Les recherches se multiplient. Un autre rapport de l’Institut
national de médecine de Washington a montré que l’amour, les
relations entre les personnes avaient une incidence sur la
prolongation de la vie et des effets notables sur le maintien d’une
bonne santé. Selon William Corbly Gump, neurochirurgien américain,
les relations humaines constituent un dispositif de protection
cardiaque. Des études menées en Scandinavie et au Japon ont aussi
montré que l’espérance de vie des personnes isolées ou déconnectés
des autres était réduite.
En somme, au sein du monde quantique, tout ce que nous avons
souvent considéré comme irrationnel est en train de devenir
plausible.

1. Platon, Œuvres complètes, Edition de Léon Robin, Les Belles Lettres, CUF, Paris, 1970.
2. David Chalmers, L’Esprit conscient, Les Éditions d’Ithaque, 2010.
3. Jean-Jacques Charbonier, Les Preuves scientifiques d’une vie après-vie, éditions Exergues,
2008.
4. Pim Van Lommel, Mort ou pas, les dernières découvertes médicales sur les expériences de mort
imminente, Intereditions, 2012.
5. François Lurçat, Niels Bohr et la physique quantique, Le Seuil, coll. « Points », 2001.
6. J.-L. Bartoli, Se guérir entre les mains d’un guérisseur, une énergie transmise pour
s’autoguérir, coécrit avec Françoise Perriot, Le Courrier du Livre, 2011.
7. www.inrees.com/articles/Ecouter-sa-voix-intérieure-Janssen, 30 mars 2010.
8. S. Ortigue, F. Bianchi-Demicheli, N.  Patel, C.  Frum, J.  W. Lewis, « La neuro-imagerie de
l’amour : IRMF méta-analyse – Preuve vers de nouvelles perspectives en médecine sexuelle »,
The Journal of Sexual Medicine 7 (11), p. 3541-3552.
CHAPITRE 3

Quand l’esprit fait le bonheur

Nous avons tous à cœur de faire notre bonheur. Et s’il suffisait


de changer d’état d’esprit  ? Ce chapitre vous propose méthodes
et exercices pour garder la santé, mieux vivre et mener à bien vos
projets.

Des méthodes pour mieux vivre – de


la pensée positive au neurofeedback
« Peu importe ce que les gens vous disent,

les mots et les idées peuvent changer le monde. »


Robin WILLIAMS

LA PENSÉE POSITIVE

Pour Emmet Fox, un philosophe spiritualiste américain du


e
XIX   siècle, «  nous sommes ce que nous pensons  ». Autrement dit, si
nous nous pensons pauvres, malades, démunis, nous le serons. Au
sein du christianisme américain, Emmet Fox est un pasteur, une
figure de la Nouvelle Pensée (New Thought), un courant de réflexion
philosophique et religieux né aux États-Unis et qui existe encore de
nos jours. Ses émules adhèrent à une théorie de la guérison mentale
selon laquelle toute maladie est provoquée par des croyances
erronées. Par conséquent, une « pensée correcte » posséderait un effet
guérisseur.
Ce principe s’appliquerait à d’autres aspects de l’existence  :
trouver un emploi agréable, acheter la maison de ses rêves,
rencontrer le véritable amour, ne plus avoir de soucis d’argent. Ainsi,
il existerait une loi d’attraction, le concept n’est donc pas récent. Une
pensée positive, quand elle est dirigée vers un but déterminé,
aboutirait à sa concrétisation dans la réalité.

Le pouvoir de l’amour
Pour Fox, l’amour est ce qu’il y a de plus important au monde. Il écrit  :
«  L’amour est invincible. Il n’existe pas de difficulté qu’assez d’amour ne puisse
vaincre, pas de maladie qu’assez d’amour ne sache guérir, pas de porte qu’assez
d’amour ne puisse ouvrir, pas de précipice qu’assez d’amour ne soit capable de
franchir, pas de mur qu’assez d’amour ne puisse abattre, pas de péché qu’assez
d’amour ne rachète. Si grave que soit votre préoccupation, si désespérées que
soient les apparences, si embrouillé que paraisse votre problème, si grande que soit
votre faute, qu’importe  ! Rien de tout cela ne subsistera si vous prenez
suffisamment conscience de ce qu’est l’amour. Si vous pouviez aimer assez,
vous seriez l’être le plus heureux, le plus fort du monde 1. »

Les concepts de Fox s’inscrivent sur le versant de la «  pensée


positive  », un courant de réflexion dont l’origine remonterait à
Paracelse, médecin et alchimiste suisse du XVe siècle. Celui-ci pensait
que la maladie et, plus généralement, les difficultés existentielles,
étaient provoquées par un déséquilibre entre «  énergie positive et
énergie négative  ». Il proposa à ses clients un «  magnétisme
spirituel », pratique reprise par un médecin allemand du XVIIIe siècle,
Messmer, sous le nom de « magnétisme animal ».
Selon ce dernier, un fluide physique subtil emplit l’Univers. Il sert
d’intermédiaire entre l’homme et la Terre et entre les hommes eux-
mêmes. Ce fluide est susceptible d’être canalisé et transmis à d’autres
personnes afin de les guérir. En 1780, comme il a plus de patients
qu’il ne peut en traiter, il introduit une méthode de traitement
collectif, dite du « baquet », où il peut soigner plus de 30 personnes à
la fois.
C’est un adepte de Messmer, le philosophe américain Phineas
Parkhurst Quimby, guérisseur, magnétiseur et médium à ses heures,
qui a l’idée de relier magnétisme et pensée. Il professe que les
déficiences physiques sont causées par des pensées négatives et des
croyances erronées. Il met donc au point une méthode de guérison
mentale par la pensée positive.

LA MÉTHODE COUÉ
Un Français, Émile Coué, psychologue et pharmacien, s’engage
dans la même direction en réalisant l’influence qu’il opère en tant que
pharmacien sur la guérison de ses clients. Il invente, au début du
e
XIX  siècle, une théorie, la fameuse « méthode Coué », tant décriée et
raillée, fondée sur la suggestion et l’autohypnose.
Coué considère que toute idée qui se grave dans notre esprit tend
à devenir une réalité si elle s’inscrit dans l’ordre du possible. Il écrit :
«  Si étant malade, nous nous imaginons que la guérison va se
produire, celle-ci se produira si elle est possible. Si elle ne l’est pas,
nous obtiendrons le maximum d’améliorations qu’il est possible
2
d’obtenir . »
Selon lui, ce n’est pas tant la volonté qui nous fait agir que notre
imagination qui plonge largement dans l’inconscient. Quand nous
réalisons ce que nous voulons, cela signifie que nous nous imaginons
pouvoir le faire. Il conçoit donc l’inconscient de l’individu comme une
ressource qu’il faut utiliser en y introduisant des pensées positives.
Son postulat de base est le suivant  : chaque fois que la volonté et
l’imagination entrent en conflit, c’est toujours l’imagination qui
gagne. Il va donc résumer ses assertions sous la forme de quatre
principes constituant les bases de sa méthode.
–  Quand la volonté et l’imagination sont en lutte, c’est
l’imagination qui l’emporte sans aucune exception.
–  Dans le conflit entre la volonté et l’imagination, la force de
l’imagination est en raison directe du carré de la volonté.
–  Quand la volonté et l’imagination sont d’accord, l’une ne
s’ajoute pas à l’autre mais l’une se multiplie par l’autre.
– L’imagination peut être conduite par l’autosuggestion consciente.
En outre, Coué recommande à ses patients de répéter, vingt fois
de suite et trois fois par jour, la formule suivante : « Tous les jours et à
tous points de vue, je vais de mieux en mieux. »
Dès sa création, la méthode Coué est très bien reçue par les
Américains, qui surnomment son auteur «  le petit marchand de
bonheur ». En France, et depuis quelques années, elle a retrouvé une
certaine autorité parce qu’elle entre en résonance avec un nouveau
paradigme  : l’émergence d’une conscience quantique et
l’extraordinaire avancée des neurosciences.

L’AUTOGUÉRISON
Dès notre plus jeune âge, nous sommes confrontés à des chocs
physiques, des chutes, des coupures, des griffures, des plaies, des
bosses et des blessures variées. La plupart du temps, ces bobos qui
nous font souffrir et pleurer disparaissent d’eux-mêmes. La plaie
cicatrise, la bosse se résorbe toute seule, les bleus s’effacent en
quelques jours ou semaines, selon l’importance du choc.
Nous vivons aussi, en permanence, dans un environnement
« hostile » qui comporte des bactéries, des micro-organismes toxiques,
des microbes, des virus. La plupart du temps, quand notre système
immunitaire fonctionne normalement, il est capable de repousser les
ennemis qui tentent de nous attaquer. Même les fractures se
consolident. Les plâtres ou les bandages ne servent qu’à maintenir le
membre immobile et à favoriser cette consolidation.
Nous pouvons dire aussi qu’à de très nombreuses reprises nous
avons été confrontés à des risques d’infection auxquels notre
métabolisme et notre corps ont su résister, sans même que nous nous
en apercevions. Cependant, même si le phénomène passe inaperçu,
cela ne signifie nullement que le processus s’opère sans notre
consentement psychique. Autrement dit, il repose aussi sur notre
faculté d’accepter d’être guéris.
Or, le stress, les idées morbides, les pensées négatives, le désir de
vengeance, la colère perpétuelle, le découragement et le manque de
confiance en soi ne contribuent pas à la guérison. Même les médecins
les plus fermés à l’idée d’une relation corps-esprit savent bien qu’un
malade avec un bon moral aura beaucoup plus de chances de se
rétablir.
Les principes de l’autoguérison restent encore mal connus et mal
définis, du moins en Occident. Pourtant, de nombreux résultats ont
été confirmés par des médecins universitaires, des praticiens de
médecines alternatives et par les patients eux-mêmes.
Le principe de la santé repose sur l’homéostasie, du grec homoios,
«  similaire  », et stasis, «  se tenir debout  ». Définie par le grand
médecin français que fut Claude Bernard, l’homéostasie est la
capacité que possède un système quelconque de conserver son
équilibre en dépit des contraintes extérieures. Tous les paramètres
physico-chimiques de l’organisme doivent rester relativement
constants.
Nous pourrions donc penser que l’autoguérison est une sorte de
manifestation naturelle de la vie et de son équilibre, un signe de
notre bonne santé. Une santé si évidente que nous n’aurions pas
besoin d’y prêter attention. C’est seulement quand la maladie survient
que nous nous interrogeons. Qu’est-ce qui se passe ? Quelque chose
s’est arrêté, mais quoi ?
Même les personnes qui considèrent la maladie sous un angle
exclusivement physiologique se posent ces questions. Combien de
fois, dans notre pratique de psychothérapeutes, avons-nous entendu
des imprécations du type  : «  Mais qu’est-ce que j’ai fait pour en
arriver là  ?  » Là, c’est-à-dire dans les douleurs du corps, dans la
souffrance psychique. Notons que ce sont surtout les non-croyants qui
s’expriment de la sorte. Comme si, devant les épreuves, ils avaient
soudain besoin de (re)trouver une sorte de filiation avec le divin ; un
divin proche de la superstition qui leur permettrait d’expulser au-
dehors d’eux ce qui se passe en dedans.
Pour de nombreuses traditions, comme le bouddhisme ou le
chamanisme, mais aussi pour certains praticiens de médecines
alternatives, pour les psys et les tenants de la médecine
psychosomatique, les processus d’autoguérison ne se font pas tout
seuls. Ils ne tombent pas du ciel et, encore une fois, ne se réalisent
pas sans notre consentement. La maladie constituerait l’illustration de
ce non-consentement.
Naturellement, il existe aussi des maladies qui ne relèvent pas de
notre propre assentiment  : l’exposition au virus Ebola, un accident
dont nous ne sommes pas responsables, certains troubles psychiques
graves (la psychose, par exemple) ou encore des maladies d’origine
génétique.
Cependant, dans le cas d’un accident de la circulation, un
psychothérapeute se demande toujours quelle a été la part de
responsabilité de l’individu dans ce qui lui est arrivé. Le conducteur a-
t-il eu besoin d’adrénaline en conduisant trop vite  ? Était-il distrait,
sous le coup d’une émotion, de pensées qui modifiaient sa vigilance ?
Si un piéton a été renversé, était-il lui-même peu attentif à la
circulation ? A-t-il voulu traverser alors que le feu menaçait de passer
au vert  ? Qu’est-ce qui est en jeu dans un accident, le défaut
d’attention, le sentiment d’être invincible, le désir inconscient de
provoquer le destin ?
L’autoguérison pose de troublantes questions. Prenons l’exemple
du système immunitaire dont le rôle dans l’organisme est de lutter
contre les infections qui le guettent  : virus, microbes, bactéries,
parasites. Les globules blancs et les lymphocytes T nous protègent –
 on les appelle aussi « killers » car ce sont des combattants chargés de
préserver notre immunité. Dans certaines affections comme le cancer,
le système immunitaire ne répond plus. Pourtant, on note des
guérisons spontanées chez un petit nombre de personnes. Elles sont
troublantes pour les soignants car elles ne répondent pas aux critères
habituels de la guérison.
Peut-on alors imaginer que le système immunitaire puisse être
contrôlé par la pensée ? Le lien, en tout cas, est établi.

LES NOUVELLES VOIES DU BIEN-ÊTRE

Il existe aujourd’hui de nombreuses méthodes qui nous


permettent d’améliorer notre santé et notre confort psychique.
La psycho-neuro-immunologie, qui étudie notamment les effets du
psychisme sur l’immunité, a montré que la dépression, l’asthénie
(fatigue chronique), les pensées morbides récurrentes pouvaient avoir
une incidence sur la santé. Le stress ferait diminuer le nombre de
globules blancs et constituerait le facteur déclenchant de certaines
maladies comme le diabète. De la même façon, les effets de la
relaxation, de la méditation, de l’autosuggestion positive,
l’optimisme, ainsi qu’un solide soutien affectif ont montré leur apport
dans la restauration du système immunitaire et la récupération de la
santé.
Depuis quelques années, un nouveau paradigme a vu le jour en
termes de santé physique et psychique. Des chercheurs comme le
moine bouddhiste Matthieu Ricard, le philosophe Frédéric Lenoir, le
chirurgien devenu thérapeute Thierry Janssen ou le psychiatre
Christophe André, pour n’en citer que quelques-uns, ont mis en
lumière l’importance des pensées et des sentiments positifs pour
améliorer notre état mental et, par conséquent, physique. Leurs
recherches s’appuient sur les avancées de la psycho-neuro-
immunologie.

• La méditation

La méditation, du latin meditari, «  donner des soins à  », est une


pratique vieille de deux mille cinq cents ans. Pour Matthieu Ricard,
elle est on ne peut plus moderne et permet à l’esprit de se libérer en
évacuant les ruminations morbides telles que le ressentiment,
l’autodévalorisation, l’envie, la jalousie, la haine de soi et bien
d’autres problématiques.
La méditation désigne une pratique mentale ou spirituelle. Elle
consiste en une attention totale portée sur une pensée, une phrase ou
sur soi, afin d’atteindre un état de paix intérieure. Le méditant doit se
concentrer sur un seul point de référence  : méditer un principe
philosophique afin d’en approfondir le sens, par exemple.
Pour Frédéric Lenoir, la quête du bonheur passe par la
réconciliation des anciennes traditions de sagesse de l’Orient et de
l’Occident avec les récentes découvertes des neurosciences. Ces
découvertes montrent l’impact de la méditation mais aussi de l’amour,
l’amour de la vie, l’amour des autres, sur la neuroplasticité, c’est-à-
dire la capacité du cerveau à réagir aux apprentissages et, plus
largement, à toutes les formes de développement personnel. C’est le
fondement de la psychologie positive.

• L’optimisme

Thierry Janssen affirme que sortir de la négativité et de la peur


représente pour chaque être humain la possibilité de se transformer
et d’accéder à plus de bien-être. Il écrit : « Les récentes découvertes
de la psycho-neuro-immunologie ont clairement démontré les
bénéfices des émotions positives pour la santé […] Une attitude
optimiste face à la vie est le médicament le plus puissant et le moins
3
coûteux que l’être humain ait jamais eu à sa disposition . »

• La pleine conscience

Selon Christophe André, qui a popularisé la notion de «  pleine


conscience », il s’agit de tourner son esprit, le plus souvent possible et
de manière intentionnelle, donc en émettant une « intention », vers le
moment présent. Il faut alors accepter ce qui vient sans y introduire
le moindre jugement, ni analyse ni parole. Nous devons nous
contenter d’observer et d’éprouver. La pleine conscience est une
forme de méditation, qui possède des racines orientales et une
codification occidentale. Ces vertus sont avérées autant pour les soins
du corps que de l’esprit.

La psycho-neuro-immunologie
Cette science étudie l’impact des événements psychiques sur le système
immunitaire. Elle montre qu’il existe des relations entre le système nerveux central,
le système neuroendocrinien et le système immunitaire qui sont sensibles à des
facteurs psychologiques et environnementaux. C’est une approche interdisciplinaire
qui intègre les données de la
psychologie, des neurosciences, de la psychiatrie, de la médecine comportementale,
de l’immunologie, de la physiologie, de l’endocrinologie, de la pharmacologie, de la
biologie moléculaire, des maladies infectieuses et de la rhumatologie. Ainsi, le
système nerveux central est le centre de commande de tout l’organisme. Il contrôle
tous les mouvements et interprète les informations sensorielles. De son côté, le
système endocrinien possède des fonctions de régulation du métabolisme, de la
croissance et des fonctions sexuelles. D’où la nécessité de comprendre à quel point
l’influence de nos pensées sur notre santé et sur notre mieux-être est fondamentale.

• La relaxation

La relaxation vise, grâce à des exercices de respiration et à des


postures particulières, à réduire le stress et les tensions en général.
Elle va diminuer le rythme cardiaque et respiratoire ainsi que la
tension artérielle. Elle est associée à une démarche de « vide mental »
afin d’entraîner un lâcher-prise à la fois psychique et physique qui
permettra l’abaissement des tensions.

• La visualisation

Après un temps de relaxation, des visualisations peuvent être


proposées en fonction des besoins de la personne : agir sur l’anxiété
et la peur, soulager des migraines, améliorer une lésion, mais aussi
favoriser la confiance en soi ou la créativité pour réaliser un projet.
L’autosuggestion reprend les principes de la méthode Coué mais
trouve une variante avec la technique de la «  représentation
mentale  ». Celle-ci vise à imaginer des idées négatives, une pensée
parasite par exemple ou une pathologie, afin de les faire disparaître
psychiquement. Quant au trouble somatique, la représentation
mentale permettrait de l’affaiblir et de le rendre plus sensible aux
traitements médicaux.
Un des exercices consiste à faire entrer dans une boule de couleur
bleue –  le bleu étant habituellement associé aux vacances, à un ciel
sans nuages, à la mer transparente… – toutes les tensions, les idées
noires, les craintes qui nous traversent. Dans un premier temps, la
boule est logée dans la tête. Dans un second temps, il s’agira de
l’expulser par le sommet du crâne en soufflant fortement.

• La sophrologie

La sophrologie, ou «  étude de la conscience sereine  », est une


méthode de développement personnel. Elle a été fondée par un
neuropsychiatre colombien, Alfonso Caycedo, dans les années  1960.
Grâce à des exercices de respiration, des postures et des mouvements
spécifiques, elle vise à augmenter l’équilibre entre pensées, émotions
et comportement.

• Le yoga

Le yoga, lui, représente une des branches philosophiques de


l’hindouisme. Par le biais de la méditation, de l’ascèse et d’exercices
corporels spécifiques, il vise la réalisation de l’être humain dans ses
dimensions physique, psychique et spirituelle.
★ Fabienne, ses migraines et le reiki
Fabienne souffrait depuis l’adolescence de migraines
récurrentes et «  idiopathiques  »  : aucun examen médical
n’avait indiqué l’origine de son trouble. Après avoir essayé
de nombreux traitements médicamenteux, ainsi que le yoga
et la relaxation, Fabienne, sur les conseils d’une amie qui
souffrait du même symptôme, s’est tournée vers le reiki 4.
Elle raconte : « Je n’accrochais à rien et j’avais le sentiment
de tourner en rond. Mes migraines devenaient de plus en
plus fréquentes, je n’arrivais plus à travailler normalement
et j’étais en congé maladie. C’est à ce moment-là que j’ai
consulté un maître reiki, une femme également
psychologue, qui exerçait près de chez moi. Je suis allée la
voir trois fois par semaine pendant un mois pour des
séances qui duraient environ 1 heure 30. La première fois,
je me suis allongée sur la table de massage de son cabinet,
la lumière était tamisée, et j’entendais une musique très
douce. Elle m’a demandé de fermer les yeux, de respirer
lentement par le ventre, de me laisser aller et de ne penser
à rien. Puis j’ai senti ses mains au-dessus de ma tête qui
descendaient lentement le long de mon corps jusqu’aux
pieds. Elle a recommencé plusieurs fois de suite, puis ses
mains se sont concentrées sur le haut de mon crâne, mes
tempes et mon visage. Elle a aussi soulevé ma tête en
apposant longuement ses mains à la base du crâne. Je dois
dire qu’à certains moments ses mains étaient vraiment
posées sur mon corps et, à d’autres, non. Je sentais leur
énergie mais je ne sentais pas leur contact. Au bout de la
deuxième séance, je n’avais plus qu’une migraine par
semaine au lieu de tous les jours. À la sixième séance, je
n’en avais plus. Mais j’ai continué. Je n’y croyais pas
vraiment. Je me disais que mes migraines reviendraient si
j’arrêtais. Au bout d’un mois, elles avaient complètement
disparu. Aujourd’hui, je m’offre moi-même régulièrement
er 
une séance de reiki car j’ai suivi formation du 1 degré qui
le permet. »

Le point de vue psy
Le reiki est aujourd’hui utilisé dans un certain nombre d’hôpitaux, notamment au
Québec. Ainsi, une étude pilote a évalué ses effets sur les niveaux d’anxiété et de
douleur de 22 femmes opérées pour une hystérectomie, l’ablation de l’utérus. Les
patientes étaient soumises à deux protocoles d’intervention : soins standard pour
les unes  ; association de reiki et de soins standard pour les autres. Les patientes
ayant reçu du reiki ont témoigné d’une douleur moins importante, ce qui a
diminué leur prise d’analgésiques, les médicaments antidouleur.

Pour résumer, ce qui compte dans un processus de guérison, ce


n’est pas seulement le médicament, la technique employée, c’est aussi
le geste thérapeutique, ce sont les paroles prononcées, l’intention du
soignant mais aussi notre propre intention, celle de guérir, le
dispositif mental, psychologique, dans lequel nous nous trouvons.
Avons-nous le désir avéré de nous en sortir  ? Faisons-nous
confiance à nos propres capacités de guérison  ? Sommes-nous en
accord avec les soins, les protocoles que notre médecin, une équipe
médicale, notre psychothérapeute, notre guérisseur nous proposent ?
Notre volonté d’aller mieux s’oppose-t-elle à nos croyances comme,
par exemple, imaginer que la souffrance est une sorte de fatalité
contre laquelle nous ne pouvons rien  ? Ou encore, qu’il s’agit d’une
forme de punition ? Si tel est le cas, et même si notre soignant est le
meilleur et le plus prestigieux du monde, nous risquons de ralentir la
démarche thérapeutique…
LE NEUROFEEDBACK, OU COMMENT MUSCLER SON CERVEAU

Le neurofeedback fut découvert aux États-Unis dans les années


1970, à partir d’études sur le comportement des chats. Il repose sur le
postulat suivant : un être humain peut pratiquement tout apprendre à
condition de recevoir une information sur l’action qu’il a accomplie.
Ainsi, nous serions incapables d’apprendre à conduire si nous n’étions
pas en mesure de nous concentrer et de repérer les différentes
manœuvres nécessaires.
Cette méthode est notamment indiquée dans les déficits de
l’attention et de la mémoire, en cas de migraine, de troubles du
sommeil, de bruxisme (grincement des dents) ou d’énurésie. Comme
il est admis que certains troubles peuvent dépendre d’un dérèglement
des fonctions cérébrales, le neurofeedback va nous aider, à l’aide
d’exercices appropriés, à retrouver des fonctions normales.
Mais comment être informé de ce qui se joue à l’intérieur de notre
cerveau ? Voici comment cela se passe.
L’expérimentateur s’installe confortablement devant un écran
d’ordinateur. On lui fait écouter une musique douce, tandis que des
capteurs, reliés à l’ordinateur, sont posés sur son cuir chevelu. Ils sont
destinés à repérer les ondes électromagnétiques qui trahissent le
fonctionnement cérébral. La technique d’imagerie et de visualisation
va permettre à l’expérimentateur de contempler son cerveau en
temps réel. Quand des coupures se produisent dans la musique, à
l’image d’un disque vinyle rayé, c’est le signe que le logiciel a détecté
un changement d’activité indiquant un dysfonctionnement. Les
images vont aussi permettre à l’opérateur de désigner des pics
d’activité jugés anormaux sur lesquels l’expérimentateur doit
travailler. On va alors lui proposer de fixer son attention sur des idées
reposantes, des sons ou des souvenirs agréables, lui demander de
réaliser certains mouvements.
Quand un manque d’attention survient, nous le percevons mais,
généralement, trop tard. Cela nous est tous arrivé, notamment à
l’école : tout à coup, nous ne comprenons plus rien au cours de maths
ou d’histoire, nous avons perdu le fil, parce que nous avons un instant
pensé à autre chose, au moment même où le professeur insistait sur
un point crucial.
La séance de neurofeedback, qui dure environ 1  heure, va
permettre de détecter immédiatement les phases d’inattention. Grâce
aux exercices proposés, le cerveau apprendra progressivement à
maintenir son état d’attention. Des résultats encourageants ont été
enregistrés avec des personnes, plutôt jeunes, souffrant
d’hyperactivité et, par conséquent, de difficultés de concentration. Par
la seule force de la pensée, nous pouvons moduler délibérément
certaines zones du cerveau.

Des exercices pour mener à bien


ses projets
« Les choses ne changent pas.

Change ta façon de les voir, cela suffit. »


LAO-TSEU

UTILISER L’INTENTION

L’intention et ses bénéfices reposent sur un concept, la loi


d’attraction, dont nous avons parlé précédemment. Rappelons que
celle-ci part du principe que tout, dans l’Univers, est constitué
d’énergie et émet une fréquence spécifique. Y compris nos actes, nos
attitudes et nos pensées qui auraient le pouvoir d’agir sur notre
environnement.
Le terme apparaît dès 1906 sous la plume d’un Américain,
William Walker Atkinson, éditeur et auteur. Dans un de ses livres 5, il
insiste sur les pouvoirs de la volonté, de la concentration et de la
suggestion dans les processus de guérison et le mieux-être.
Des sentiments comme la colère, la rancune, l’envie, la jalousie,
mais aussi le chagrin persistant, la déprime larvée induisent des
champs d’énergie négative qui attirent vers nous des expériences
néfastes, de mauvaises rencontres. Au contraire, l’amour au sens de
philia, la gratitude, la compassion envers tous les êtres vivants vont
favoriser la survenue d’événements positifs et de belles rencontres.
La plupart des choses qui nous arrivent, bonnes et mauvaises,
répondent à nos pensées et à nos comportements. Nos problèmes
relèvent de notre responsabilité et du désir –  généralement
inconscient – de les créer, de les maintenir et de les accepter… Même
si nous nous insurgeons contre eux et en souffrons. Même si nous
nous abritons derrières des considérations matérielles, économiques,
morales qui ne sont pas sans valeur mais qui constituent néanmoins
un écran derrière lequel nous préférons nous réfugier.
Cette réflexion ne s’éloigne pas des hypothèses psychanalytiques
en la matière. Quand nous, thérapeutes, rencontrons une femme
battue ou victime d’un conjoint pervers narcissique – cela arrive aussi
aux hommes mais dans une moindre proportion, semble-t-il  – nous
nous attachons à comprendre les raisons pour lesquelles elle est
restée, jusque-là, avec un compagnon maltraitant.
Nous essayons notamment de comprendre ce qui, dans son passé,
a pu en quelque sorte l’«  habituer  » à supporter de telles pratiques.
Nous cherchons l’empreinte d’un père ou d’une mère eux-mêmes
maltraitants ou maltraités. Nous nous penchons sur son parcours
scolaire. A-t-elle été la victime d’un enseignant agressif, par exemple,
que ce soit en paroles ou en actes  ? Nous constatons généralement
qu’il existe à chaque fois un ou plusieurs événements qui l’ont
« conditionnée » à recevoir la souffrance comme une sorte de fatalité.
La douleur est devenue une donnée de base, inscrite dans ses
modèles de pensée et ses circuits neuronaux, impossible à effacer.
Notre tâche va alors consister à aider la victime à prendre conscience
qu’elle répète aujourd’hui ce qui s’est produit il y a longtemps.

★ Agnès, Philippe et le poids du passé


Nous avons reçu Agnès et Philippe dans le cadre d’une
cothérapie de couple. Mariés depuis dix ans, parents de
deux enfants de 11 et 5 ans, ils n’arrivaient plus à se parler
«  normalement  ». Catholiques pratiquants, ils refusaient
d’envisager un divorce. Nous nous sommes aperçus très vite
qu’en fait de dialogue c’était surtout Philippe qui
s’exprimait et, très souvent, sur un mode procédurier et
agressif. Il reprochait à son épouse de ne pas travailler,
mais se moquait d’elle, de préférence en public, quand elle
en exprimait le souhait. Il critiquait aussi son manque de
goût en matière de décoration, mais quand elle tentait un
changement ou donnait son avis, il n’avait pas de mots
pour fustiger son peu de créativité, ses idées banales ou
malencontreuses. L’éducation des enfants, elle-même,
n’était pas à la hauteur. Philippe trouvait son épouse tantôt
laxiste, tantôt trop sévère. Bref, rien de ce qu’elle faisait ne
trouvait grâce à ses yeux. Agnès avait déjà suggéré qu’ils
puissent se séparer sans divorcer. Philippe montait alors sur
ses grands chevaux, alléguant qu’il ne voyait pas de
différence entre une séparation (admise par l’Église) et un
divorce. Puis il lui reprochait de ne pas se conformer aux
préceptes du catholicisme. Dans un second temps, il
s’effondrait en affirmant qu’il ne supporterait pas un
abandon. De son côté, Agnès se soumettait la plupart du
temps. Elle adoptait une attitude muette et passive en
espérant le calmer.

Le point de vue psy
Grâce à l’anamnèse, le récit de son histoire, nous avons découvert que Philippe
était né hors mariage d’un père déjà marié. Ce père avait reconnu son fils et
contribué aux dépenses de son éducation, mais il était resté au sein de sa première
famille.
Sa mère avait beaucoup souffert, tant sur le plan émotionnel (elle aimait cet
homme) que spirituel (très pratiquante, elle culpabilisait de sa « faute »). Quand
Philippe rencontre Agnès, il dit, et ce sont ses mots, qu’il ne peut « se retenir ». Il
l’aime et la désire tellement qu’au bout de six mois de fréquentation elle tombe
enceinte. Il reproduit donc le comportement de son père et ne peut se le pardonner.
Mais sa honte est si forte qu’il est obligé de «  projeter  » sur sa femme sa propre
culpabilité. L’histoire d’Agnès n’est pas banale non plus. Petite dernière d’une
fratrie qui comptait cinq garçons, elle avait été très attendue, choyée, bichonnée
par ses parents. Ses frères n’avaient pas supporté ce qu’ils estimaient être une
injustice. Le plus âgé l’avait régulièrement battue sous n’importe quel prétexte et
les autres ne manquaient jamais une occasion de l’humilier  : «  Tu es trop petite
pour jouer avec nous  », «  Les garçons sont forcément plus intelligents que les
filles », « Tu n’es qu’une grosse vache »… Généralement, Agnès ne réagissait ni à
leurs sarcasmes, ni à leurs coups. Et quand, trop rarement, elle l’avait fait, ses
frères avaient été punis mais elle en avait payé le prix. Ils avaient redoublé de
maltraitance. Elle avait donc appris à se taire, à museler ses sentiments. Et c’est
ainsi qu’Agnès et Philippe rejouaient aujourd’hui le scénario appris dans leur
enfance.

En thérapie, les patients apprennent à conscientiser l’intention.


Mais si pour nous tout va bien ou à peu près, si nous n’avons aucune
envie de « consulter », comment pouvons-nous maîtriser l’intention ?
De quoi avons-nous besoin ?
• La motivation

Si nous désirons quelque chose, changer de travail, de maison,


faire une rencontre sentimentale, demandons-nous d’abord ce qui
nous motive. Notre activité professionnelle nous pèse, certes, mais
est-ce notre profession ou l’entreprise qui nous emploie ? Avons-nous
envie de devenir notre propre chef d’entreprise ?
Prenons un autre exemple. Nous avons envie de déménager. Cela
correspond-il à une nécessité concrète (un nouvel enfant qui
s’annonce ou la nécessité d’avoir un bureau à la maison)  ? Ou bien
est-ce l’envie de changer de cadre, de quartier, de quitter la ville pour
la campagne, voire de changer de pays ?
La motivation est la sœur de l’intention. Quand nous savons
exactement ce que nous voulons, nous sommes bien plus capables de
le mettre en œuvre, de découvrir les idées, les bonnes personnes qui
vont nous aider à réaliser notre projet. En même temps, l’intention
explique aussi qu’il n’est pas nécessaire de se préoccuper des moyens
pour parvenir à son but. Il suffit de se concentrer par la pensée sur
son objectif, de le «  programmer  » mentalement, de prier pour les
croyants, de méditer pour les autres, en se focalisant sur le but à
atteindre.

• L’intuition

Pour être certain que votre intention est juste, vous pouvez vous
fier à votre intuition. C’est un mode de connaissance immédiat,
détaché de la raison, qui prend la forme d’une évidence. Nous
«  savons  » sans pour autant pouvoir nous l’expliquer de façon
rationnelle. L’intuition est en lien avec notre monde intérieur, nos
désirs singuliers. Elle nous offre des informations, des idées qu’il est
nécessaire de savoir capter pour réussir.
Mais peut-être êtes-vous de ceux qui disent «  Moi je n’ai pas
d’intuition  ». C’est une erreur car l’intuition est un outil que nous
possédons tous. Quand nous ne la percevons pas, c’est que notre
entendement est brouillé par une foule de messages inutiles et
généralement négatifs : « Je n’y arriverai pas », « Je ne sais pas vers
qui me tourner  », «  Je n’ai pas assez de diplômes  », «  Je n’ai pas le
temps »… Figés par nos doutes, notre manque de confiance en nous,
nous ne savons pas lâcher prise, nous détendre, faire le vide pour
laisser la place à ce qui vient.
Essayez simplement de repérer, dans toutes les situations, les
manifestations de vos perceptions intuitives. Soyez à l’écoute, et votre
intuition s’exprimera. Prenons deux exemples très concrets :
–  La recherche d’un emploi. Vous venez de passer un entretien
d’embauche qui s’est déroulé de manière positive. Vous êtes content
de la manière dont vous avez répondu et le recruteur vous a laissé
entendre que vous aviez vos chances. Cependant, vous n’êtes pas
complètement satisfait. Vous ressentez au fond de vous comme une
crispation, un manque. Cette sensation se manifeste par un
pincement au creux du plexus. Quel sens donner à cette
manifestation  ? Le recruteur vous a-t-il été antipathique ou, du
moins, vous ne l’avez pas « senti », comme on dit ? Si ce n’est pas un
de vos futurs employeurs (DRH, DG) mais le consultant d’un cabinet
spécialisé, ce n’est pas forcément très grave. Vous l’avez intéressé, il
vous l’a dit et vous ne travaillerez pas avec lui. S’il s’agit de votre
futur manageur, soyez prudent car votre intuition vous alerte. Elle
vous recommande de ne pas vous engager à la légère. Qu’avez-vous
perçu de cette personne, quelle exigence sans limite, quel trait de
caractère secret  ? Ou bien est-ce l’organisation de l’entreprise qui
vous met mal à l’aise ? Écoutez-vous. Même si on vous l’a présentée
comme une société éthique où les salariés ont de gros avantages…
–  La rencontre amoureuse. Vous venez de rencontrer quelqu’un.
La personne vous plaît, vous aimeriez la revoir et, en même temps,
un signal d’alarme s’enclenche. Malgré votre désir de la rappeler,
vous n’arrivez pas à décrocher le téléphone. Votre interrogation peut
prendre le ton d’un dialogue intérieur : « Est-ce que je suis certain(e)
d’avoir envie de le (la) revoir  ?  », «  Est-ce que j’ai envie de
l’embrasser  ?  », «  Suis-je prêt(e) pour une nouvelle aventure  ?  »
N’hésitez pas à mettre des images sur vos questions, à visualiser les
situations que vous évoquez. Laissez vos sensations se développer.
Sont-elles agréables (une sensation de chaleur vous envahit, par
exemple)  ? Ou désagréables (vous êtes crispé(e), vous avez mal au
ventre) ?

• L’attention

N’oubliez pas que l’intuition, à l’instar de l’émotion n’est pas


seulement un ressenti abstrait. Les deux se manifestent toujours dans
le corps. En lâchant prise, en faisant taire votre mental, de nouvelles
informations émergeront, des associations d’idées, des souvenirs… Ce
peut aussi être un flash visuel qui s’impose soudain comme une
évidence : « Je dois fuir cet homme, cette femme ou cette boîte ! » Ou
au contraire : « C’est le boulot de mes rêves », « C’est la personne que
j’attendais ».
Attachez-vous aussi à capter les signes qui surgissent autour de
vous afin de faire émerger ou de valider votre choix intuitif. Vous
marchez dans la rue, vous êtes distrait et repensez à ce job qui vous
intéresse ou à cette personne que vous venez de rencontrer. Soudain,
en levant la tête, vos yeux se posent sur une affiche : « Voilà ce que
vous attendiez ! » dit le message publicitaire. Peu importe le produit.
Il peut s’agir d’une voiture comme d’un yaourt. Le message
important, c’est « Voilà ce que vous attendiez », car il vous donne une
réponse. Il sera généralement suivi d’associations d’idées qui vous
permettront de renforcer votre choix.
Autre cas de figure, vous entrez dans une librairie, vous feuilletez
un livre et, là, vos yeux sont attirés par une phrase  : «  Sophie (ou
Kevin) s’aperçut que l’homme était volage. Il papillonnait d’une
femme (d’un homme) à l’autre dans le jardin où se tenait la
réception. » Un hasard, vraiment ? Ce peut être aussi une rencontre
fortuite. Un ami que vous n’aviez pas vu depuis belle lurette vous
raconte ses déboires amoureux. Ou, au contraire, la belle rencontre
qui a transformé sa vie…
N’oubliez pas que l’intention se fonde d’abord sur l’observation
puis sur la concentration. Votre objectif aussi doit être clairement
posé. Il n’est pas question de l’associer à de vagues pensées ou à des
vœux pieux  : «  Si je gagnais au Loto, je pourrais me payer une
croisière aux Caraïbes. » Essayez de bien préciser votre intention et, si
vous en avez plusieurs, ne les mélangez pas. Traitez-les l’une après
l’autre.

• L’action

Certains partisans de la loi d’attraction insistent sur la nécessité de


ne pas se préoccuper des moyens pour aboutir. Selon nous, c’est vrai
et… c’est faux. En effet, si vous n’achetez jamais de billet de Loto,
vous n’avez aucune chance de gagner. Votre objectif restera un
fantasme. Nous pensons, en revanche, que le fait de se fixer un but
précis n’exclut nullement de passer à l’action  : consulter les petites
annonces, contacter son réseau en cas de recherche d’emploi ; soigner
son apparence physique, sortir, fréquenter une salle de sports, une
association quand on souhaite faire une rencontre amoureuse.
L’intention n’exclut pas l’action, elle la renforce. Une fois le but
déterminé, vous devez y penser régulièrement, prendre quelques
minutes chaque jour pour vous vider l’esprit et vous polariser sur
votre dessein. Pensée et action, on l’a vu, se conjugueront pour vous
guider. Vous recevrez probablement des appels, vous « tomberez » sur
les bonnes personnes. En tout cas, il n’est pas question de se mettre
au lit et d’y demeurer 24  heures sur 24 en récitant votre intention
comme un mantra. Quand vous obtiendrez des résultats, vous vous
demanderez peut-être qui, « de l’œuf ou de la poule », a commencé.
Peu importe  ! Ce qui compte c’est l’aboutissement de votre projet,
non ?

JOUER AUX MIND GAMES

Nous proposons souvent à nos clients de travailler leurs objectifs


avec la technique des mind games, les programmes mentaux. Cette
méthode est un « jeu de l’esprit » qui ne nécessite qu’un papier et un
stylo.
Prenons un exemple. Vous voulez déménager, quitter la ville pour
le grand air. Donnez un « gros titre » à votre feuille comme « Depuis
le 10 mars 20…, je suis installé dans ma maison à la campagne ».
Projetez-vous alors dans le temps et faites le récit détaillé de votre
environnement à ce moment-là. Vous ouvrez vos volets sur un
superbe jardin fleuri. Les oiseaux chantent, un cheval est en train de
hennir dans la propriété voisine. Vous devez rédiger votre programme
en le conjuguant au présent, comme si vous y étiez déjà. Évitez
d’utiliser des formules négatives du type «  Je ne suis plus jamais
stressé  ». L’inconscient ne comprend pas la négation et vous êtes en
train d’y planter de petites graines.
Au cours de la rédaction, montrez-vous attentif à ce que vous
ressentez. Notez vos émotions  : «  Je respire, j’adore le bruit du
feuillage dans les arbres  », «  Je me sens libéré de toutes mes
tensions  ». Si, au contraire, vous ressentez un malaise, à l’évocation
de votre futur paradis, notez-le aussi. Ainsi, «  Je regrette le
bouillonnement culturel de Paris  » constitue une alerte. Votre projet
ne correspond peut-être pas exactement à ce que vous désirez. Vous
aviez cru que votre intention était de vivre à la campagne, mais peut-
être avez-vous simplement besoin d’un coin de verdure dans un
pavillon de banlieue.

★ Martin, celui qui « voyait » à long terme


Martin, 34 ans, est aujourd’hui training manager dans une
entreprise informatique. Il pilote une équipe commerciale
de dix personnes. Après avoir quitté l’école à 16  ans car,
dit-il, il ne trouvait « aucun intérêt aux études », il a galéré
un certain temps en exerçant des petits boulots  : serveur
dans un fast-food, livreur de pizzas, gardien de nuit dans un
garage… À 27 ans, survient le déclic. « J’en avais assez de
jouer les ados attardés, une chambre chez mes parents, pas
d’argent de côté. Je me suis dit que je pouvais mieux faire.
J’ai cherché sur Internet et j’ai trouvé une école privée,
payante, mais qui acceptait des étudiants sans le bac pour
les former aux métiers de la vente. Mon idée, c’était de
travailler dans l’informatique, et j’étais plutôt bon, bien que
je sois un autodidacte en ce domaine. Les études duraient
deux ans. Du coup, je travaillais le soir pour les payer. Mes
parents n’étaient pas riches et tout ce qu’ils pouvaient
m’offrir c’était le gîte et le couvert. Une fois mon cursus
terminé, j’ai d’abord travaillé dans un magasin
d’informatique, puis je suis rentré dans une boîte où j’aidais
un analyste programmateur. Il m’a tout appris.
Techniquement, j’étais béton  ! Après, j’ai trouvé mon
employeur actuel. Si je ne m’étais pas pris en main, je
serais encore chez mes parents. Je me lamenterais en me
disant que je n’ai pas d’avenir. Pendant toutes mes études,
je n’ai pas arrêté de penser au moment où j’intégrerais une
équipe de vente mais pas n’importe laquelle. En dehors de
mes bouquins de classe, je lisais tout ce qui me tombait
sous la main sur l’informatique. Je me constituais des fiches
avec des dossiers parus sur Internet, je ne parlais que de ça.
J’en ai soûlé beaucoup ! Mais c’est comme ça que je me suis
investi dans mon projet. »

Le point de vue psy
Nous pensons parfois que nos aspirations se heurtent à la réalité. Nous n’avons
pas fait d’études, ce qui nous empêche de prétendre au métier dont nous rêvons.
Nous venons d’un milieu défavorisé et pensons que notre situation est un état de
fait, un espace figé, que nous ne pourrons jamais modifier. En fait, les exemples
pullulent de personnes qui ne sont pas nées avec une petite cuillère en argent dans
la bouche et qui s’en sont sorties. Dans son livre, Aziz Senni fait le récit de son
parcours de jeune de banlieue à celui de chef d’entreprise. L’auteur est né au Maroc
en 1976 et a passé son enfance dans la cité du Val Fourré à Mantes-la-Jolie dans
les Yvelines. Il est l’aîné de six enfants, son père est cheminot et sa mère s’occupe de
la famille. En 2000, il crée sa première entreprise, une société de taxis collectifs à
destination des entreprises et des particuliers. «  Plus rapide qu’un bus et moins
cher qu’un taxi  », tel est son slogan. Il intégrera HEC et l’ESSEC par la voie
professionnelle. En 2007, il fonde le premier fonds d’investissement consacré au
développement économique des banlieues. Depuis, il n’a cessé de collectionner les
prix, les projets et les livres. Il a aussi reversé les droits d’auteur de son premier
ouvrage à des collégiens de Mantes-la-Jolie.

ÊTRE ATTENTIF À L’EFFET PAPILLON

Petites causes, grandes conséquences… Chaque jour, nos choix,


nos décisions, nos actions, aussi minimes soient-ils, peuvent
bouleverser le cours de notre existence. Les changements auxquels
nous aspirons commencent souvent par un premier et petit pas.
Dans une nouvelle de science-fiction publiée en 1952, « Un coup
de tonnerre  », l’écrivain Ray Bradbury 6 imagine un voyage dans le
temps. Si un retour vers le passé était possible et qu’un élément en
était modifié, cela aurait un impact sur l’avenir. En somme, si nous
pouvions retourner en arrière et changer quelques détails de notre
vie, tout ce qui en découle serait modifié. Dans cette nouvelle, un
« voyageur du temps » écrase un papillon au Jurassique, un incident
qui a des conséquences dramatiques 60 millions d’années plus tard.
7
L’idée est reprise en 1972 par un météorologue, Edward Lorenz  :
«  Si un seul battement d’ailes d’un papillon peut avoir pour effet le
déclenchement d’une tornade, alors, il en va ainsi également de tous
les battements précédents et subséquents de ses ailes, comme de ceux
de millions d’autres papillons, pour ne pas mentionner les activités
d’innombrables créatures plus puissantes, en particulier de notre
propre espèce. »
Quelques années auparavant, le scientifique avait découvert
qu’une infime variation dans un système pouvait y provoquer des
changements radicaux. Selon cette théorie, un papillon qui volerait
au-dessus d’un arbre pourrait, au passage, faire tomber une feuille.
Or, la feuille pourrait tomber sur un ruisseau et en faire onduler la
surface… Ainsi, de proche en proche, une série de phénomènes
mineurs pourraient se produire et entraîner un changement
atmosphérique majeur à des centaines et des centaines de kilomètres.
C’est la «  théorie du chaos  » dont parle l’astrophysicien Trinh Xuan
Thuan  : «  L’expérience du quotidien nous induit à croire que les
choses ont une réalité objective autonome, mais ce mode
d’appréhension des phénomènes n’est qu’une construction de l’esprit.
Le bouddhisme soutient que c’est uniquement en relation et en
8
dépendance avec d’autres facteurs qu’un événement peut survenir . »
Tout le vivant mais aussi la matière, l’espace sont engagés dans un
immense réseau de connexions qui s’entrecroisent et produisent des
changements en fonction des circonstances.
L’histoire d’Adolf Hitler en est un exemple. L’un de ses professeurs
à Linz considérait que l’adolescent était un excellent dessinateur.
Après s’être engagé dans l’étude de la musique, Hitler tente d’entrer à
l’École des beaux-arts de Vienne parce qu’il rêve de devenir peintre.
Mais il n’est pas autorisé à passer l’épreuve car, quoique bon
dessinateur, il est incapable de se soumettre à la discipline de fer de
9
cette école prestigieuse. Mortifié, il écrira bien des années plus tard :
« J’étais si persuadé du succès que l’annonce de mon échec me frappa
comme un coup de foudre dans un ciel clair. »
Et si Hitler avait été admis aux Beaux-Arts  ? S’il était devenu
peintre  ? Quelle aurait été sa vie  ? Quelle aurait été l’Histoire  ? À
notre échelle, essayons de nous montrer plus attentifs et plus
conscients. Ce que nous faisons aujourd’hui influe sur ce que nous
vivrons demain. Comme le chante Bénabar  : «  C’est très loin la
couche d’ozone mais c’est d’ici qu’on la perce »…

OPTER POUR L’IMAGINATION ACTIVE

L’imagination active est un concept de la psychologie analytique


de Jung. Il l’a conçu en 1913. Il s’agit pour lui d’élargir notre
conscience en construisant mentalement des représentations avec les
images de l’inconscient. Cela consiste à fixer son attention sur nos
émotions, nos fantasmes, nos affects en les laissant se développer
librement, ce qui donne vie à des images spontanées qui vont relier le
conscient et l’inconscient.
Comment pouvez-vous vous exercer à l’imagination active ? Dans
un premier temps, vous devez vous débarrasser du flux de pensées
qui circulent continuellement en vous. Pour cela, mettez-vous en état
de relaxation en utilisant la respiration et la détente musculaire afin
de faire le vide dans votre esprit.
Vous pouvez effectuer cet exercice assis ou adossé à des coussins,
sur votre lit ou sur un canapé. Choisissez un environnement calme où
vous ne serez pas dérangé. Prévoyez de vous munir d’un stylo et d’un
grand cahier afin de noter tout ce qui vous vient. Vous pouvez
également vous installer devant une table et décider que vous allez
dessiner ou peindre.
Une fois que tout ce dont vous avez besoin est prêt, laissez venir
les images, les idées, les sensations, les émotions qui surgissent. Si
vous avez envie de parler à voix haute ou de chanter, faites-le, mais
notez ensuite ce que vous avez exprimé. Enfin, certains d’entre vous
auront peut-être envie de se déplacer ou de danser. Là aussi, lâchez-
vous et inscrivez ensuite tout ce qui s’est passé.
Il peut arriver que vous ayez envie de vous adresser à une partie
de vous-même, une petite voix qui émerge et vous chuchote des
informations, ou encore de converser avec une partie de votre corps,
votre cœur, votre ventre, certains organes qui constituent des caisses
de résonance de votre inconscient.
Ne vous précipitez pas pour comprendre le sens de ce qui remonte
à la surface. Laissez aller vos idées, vous avez un large territoire à
observer. Vous n’êtes pas simplement en train d’élaborer une esquisse
de ce qui émerge, vous devez en faire un tableau avec des détails, de
la couleur, des ombres et des lumières. Rappelez-vous également que
vous n’êtes pas en état de transe. Le Moi de l’imagination active est le
même que celui de la vie quotidienne.
L’exercice va vous donner la possibilité de vous adresser à ce que
Jung appelle des «  sous-personnalités  », des parties de vous qui
peuvent entrer en conflit avec votre Moi. La plupart du temps, nous
n’en avons pas conscience. «  Nous vivons fragmentés, nous sommes
en réalité un personnage au bureau, un autre dans notre foyer…
Nous est-il possible d’appréhender tous nos états de conscience pour
devenir des êtres humains achevés  ?  » écrit le philosophe indien
Krishnamurti.
Le conflit entre les sous-personnalités est fréquent. Ainsi une
femme de type «  séductrice  » peut se retrouver en conflit avec elle-
même au moment de la naissance de son premier enfant. Pour elle, la
«  mère  » va s’opposer à la «  femme  », celle qui a toujours envie de
plaire mais pense que son nouveau statut la rend moins attrayante.
La dysharmonie entre les personnages variés qui nous habitent
entraîne tensions et souffrance. Il existe de nombreuses sous-
personnalités, et nous n’en citerons que quelques-unes. À vous de
repérer celles qui vous concernent.
L’«  enfant sage  » craint de vivre son originalité, il est tellement
sage que cela peut devenir une pathologie.
L’« adolescent » rebelle et antisocial nous interdit de nous faire des
amis.
Le « parent critique » nous répète que nous sommes incapables de
réussir quoi que ce soit.
L’«  adulte qui doute  » pense systématiquement que ses projets
échoueront.
L’adulte « moins intelligent » est celui qui se pense toujours moins
intelligent que les autres.

LA MÉDITATION DES SOUS-PERSONNALITÉS
Voici un exercice que vous pourrez effectuer afin de réaliser un
projet, améliorer une relation, comprendre les raisons pour lesquelles
une situation est paralysée. Choisissez un domaine de votre vie sans
décider, à l’avance, de la sous-personnalité avec laquelle vous allez
travailler. Vous le découvrirez durant la méditation.
Asseyez-vous dans un lieu agréable et confortable, à l’intérieur ou
à l’extérieur. Respirez lentement par le ventre, videz votre mental,
laissez passer les idées parasites sans vous contraindre à les faire
disparaître. Vous devez être comme un client à une terrasse de café
qui regarde passer les badauds.
Ressentez votre environnement, écoutez les sons à l’extérieur et
en vous (votre souffle, le gargouillis de votre ventre), humez les
odeurs, éprouvez la vibration de l’air.
Prenez alors contact avec votre Moi supérieur, cette partie de
vous-même qui est dans l’ouverture du cœur et la compassion, votre
«  vieux sage  » intérieur. Si vous n’êtes jamais entré en contact avec
celui-ci, imaginez-le. Il peut prendre n’importe quelle forme, humaine
ou non.
Invitez maintenant la sous-personnalité qui est en train de faire
obstacle à votre projet. Regardez-la venir vers vous. Est-elle
masculine ou féminine, jeune ou vieille, à quoi ressemble-t-elle,
quelle est son attitude ? Ressentez-vous de la crainte en la voyant, de
l’énervement, vous fait-elle sourire ?
Engagez une conversation avec elle et demandez-lui d’abord son
nom. Dites-lui ensuite que vous l’avez conviée afin qu’elle vous
raconte ce qu’elle pense de votre projet. Écoutez sa réponse et,
simultanément, envoyez-lui de l’amour et de la compassion.
Lorsqu’elle aura terminé ses explications, invitez-la à vous
accompagner au sommet d’une colline. Pour vous y rendre, vous
pouvez marcher, voler, vous servir d’un oiseau ou d’un hélicoptère
que vous piloterez. Une fois arrivés au sommet tous les deux,
suggérez à votre sous-personnalité d’admirer le paysage qui s’étend
devant vous. Il symbolise votre évolution, vos forces, une nouvelle
donne, votre nouvelle vie.
En tant que Moi supérieur (ce que vous êtes en ce moment),
demandez à votre sous-personnalité ce qu’elle peut faire pour vous,
ici et maintenant. Soyez ferme et précis. Exigez des détails. Puis
remerciez-la et montrez-lui votre gratitude pour toute l’aide qu’elle
vous a apportée jusqu’à ce jour.
Maintenant racontez-lui quels sont vos plans à venir et, en
particulier, ce qui vous préoccupe le plus (une relation, un objectif, un
besoin) et qui concerne votre méditation d’aujourd’hui. Puis
interrogez-la : quels sont ses doutes, ses inquiétudes, ses craintes à ce
sujet ? Vous devrez l’écouter attentivement et avec beaucoup d’amour.
Ne vous laissez pas abattre par ce qu’elle vous dira. Restez ferme
dans votre intention et demandez-lui de vous aider à réussir.
N’oubliez pas de souligner que vous l’avez écoutée et qu’elle reste
importante pour vous en tant que sous-personnalité.
Proposez-lui d’inviter, avec son accord, un être de lumière à venir
parmi vous. Accueillez-le et demandez-lui de l’aide pour votre sous-
personnalité car il sait comment l’aider à se transformer. Une fois qu’il
lui aura transmis une énergie de guérison, remerciez-le et invitez la
sous-personnalité à revenir vers vous.
Comment est-elle maintenant  ? Son apparence a-t-elle changé  ?
Son attitude est-elle différente  ? Après l’avoir observée
soigneusement, demandez-lui si elle est prête à vous accompagner
dans votre projet actuel et dans ceux que vous ferez par la suite.
Prenez le temps du dialogue. Elle doit s’engager auprès de vous.
Demandez-lui aussi de vous confier trois modus operandi afin de
vous appuyer dans votre projet. Il se peut qu’elle vous les confie, mais
il n’est pas forcément nécessaire que vous les connaissiez. Ils agiront
de toute façon.
Enfin, remerciez-la, installez-la devant vous et créez un immense
halo de lumière pour vous deux. Voyez-le, respirez-le, sentez-le, puis
faites quelques mouvements pour détendre vos muscles avant de
retrouver la réalité ordinaire.
Vous pourrez noter vos impressions dans un cahier, ainsi que les
changements qui se produisent en vous dans les heures et les jours
qui suivent. Enfin, vous y consignerez le résultat de votre méditation.
Cette méditation n’est qu’un modèle, une grille sur laquelle vous
allez pouvoir vous appuyer, pour construire la vôtre en choisissant
des questions qui vous paraissent mieux adaptées à votre situation
personnelle. En effet, le propre de l’imagination active est de
développer votre propre imagination.

LA VISUALISATION POSITIVE

Quelle que soit notre situation actuelle, un changement peut


advenir. Nous sentons, de manière impérieuse, que le temps est venu,
que nous sommes prêts. À condition que notre intention soit solide,
que notre désir de renouveau soit réel.

• La carte du trésor

De nombreux exercices permettent de fortifier notre volonté, de


dépasser nos peurs et de réaliser nos désirs. L’un d’eux s’appelle « La
10
carte du trésor   » et nous l’utilisons régulièrement pour sortir des
impasses, quand un patient est confronté au «  ou… ou  » –  par
exemple, « ou j’obtiens une augmentation ou je démissionne ». Nous
l’employons aussi pour créer mentalement les conditions de la
réussite d’un projet.
L’exercice consiste à prendre une grande feuille de papier blanc,
d’au moins 50 x 65 cm, et de réaliser un collage de tous les désirs qui
vous sont chers, la santé, la beauté, une nouvelle maison, un travail
qui vous plaît vraiment… N’hésitez pas à vous lâcher et, si chacun de
vos projets nécessite une feuille à lui tout seul, prenez un classeur où
chaque feuille aura pour titre un des objectifs qui vous tient à cœur.
Vous trouverez les éléments de votre collage dans des magazines,
des publicités. La réalisation doit être soigneuse, colorée, précise et
correspondre aussi clairement que possible à vos attentes. Une fois
votre collage terminé, posez-le sur une table ou scotchez-le sur un
mur, respirez profondément plusieurs fois avec le ventre, videz-vous
la tête et laissez-vous imprégner du décor que vous avez construit.
Fermez les yeux pendant quelques minutes et essayez de visualiser
mentalement votre tableau.
Puis rangez-le dans un tiroir, une armoire et ressortez-le
régulièrement en recommençant l’opération. Si à ce moment-là votre
projet a évolué, ajoutez ce qui vous semble nécessaire et enlevez ce
qui ne vous paraît plus opportun.

• Le programme mental

De notre côté, nous avons aussi mis au point des exercices


destinés à développer la visualisation positive. Au début, il est
important de suivre à la lettre toutes les étapes que nous vous
proposons. Mais, avec le temps, vous verrez que vos «  programmes
mentaux » peuvent se réaliser en quelques minutes et n’importe où :
dans le métro, le train, au bureau…
Il peut s’agir d’un voyage que vous aimeriez faire, d’un objet que
vous voudriez posséder, d’un événement que vous souhaiteriez, d’une
situation que vous auriez envie de vivre ou d’une particularité de
votre vie que vous aimeriez améliorer (arrêter de fumer, être plus ou
mieux entouré, gagner davantage d’argent…).
Allongez-vous confortablement dans un endroit où vous ne
risquez pas d’être dérangé. Respirez profondément et lentement avec
le ventre en comptant mentalement jusqu’à 10. Concentrez-vous sur
votre respiration en répétant dans votre tête «  Je suis calme, je suis
parfaitement calme, je suis tranquille, tous mes muscles se
détendent ».
Concentrez-vous alors sur votre objectif. Quand vous serez
profondément relaxé, vous commencerez à visualiser, à imaginer
mentalement l’objet de votre désir dans ses moindres détails.
S’il s’agit d’un voyage, mettez-vous dans la peau du voyageur  :
vous êtes le voyageur, vous regardez le paysage, il est exactement
comme vous le pensiez. Vous sentez les parfums, observez la nature,
les personnes et les animaux qui y vivent. Vous repérez aussi des
éléments nouveaux auxquels vous n’aviez jamais songé. Si c’est un
objet, prenez-le dans vos mains et soupesez-le, caressez-le, montrez-
le fièrement à votre entourage. S’il s’agit d’une situation, d’un
événement, installez-vous «  dedans  », comme si vous y étiez
réellement. Plantez le décor, les protagonistes, et imaginez que tout
se déroule comme vous en aviez envie. Vous pouvez faire parler les
personnages, dialoguer avec eux, les faire bouger à votre gré, vous
déplacer. L’important est que la scène imaginée soit le plus vraie
possible.
Une fois que celle-ci est posée, formulez mentalement une
assertion positive  : «  Quelles merveilleuses vacances, je suis si
heureux(e)  », «  J’adore ce travail, il est fait pour moi  ». Terminez
l’exercice en affirmant mentalement  : «  Mon objectif ou quelque
chose de mieux encore se réalise pour mon plus grand bien et le bien
de tous.  » Cela afin d’accepter que votre programme n’est peut-être
pas le plus judicieux mais qu’il peut vous conduire à en imaginer un
autre.
Si, au cours de cet exercice, vous êtes traversé par des idées
parasites, des pensées incongrues qui n’ont rien à voir avec ce que
vous êtes en train de faire, ne vous inquiétez pas. Laissez-les passer
comme une vache regarde passer un train. L’animal reste calme et
continue tranquillement de brouter.
Pratiqué régulièrement, cet exercice permet à votre esprit de
s’imprégner de vos projets. Vous fabriquez une sorte de « programme
mental  » que vous inscrivez dans le disque dur de votre cerveau, à
l’instar d’un ordinateur. Au bout d’un moment, des idées vous
viendront pour atteindre votre objectif mais aussi pour recevoir de
l’aide. Des amis téléphoneront avec une proposition, un recruteur
vous «  chassera  », vous tomberez sur l’objet convoité dans une
brocante…
Ces exercices constituent des outils pour mettre en cohérence nos
ressources conscientes et inconscientes, conduire tout notre être dans
une même direction. La graine que vous plantez doit germer, mûrir
jusqu’à devenir une réalité pour modeler votre vie.
Nos attitudes, notre comportement, nos croyances et nos valeurs,
notre éducation, l’idée que nous nous faisons du monde, façonnent la
manière dont nous vivons. Ces éléments constituent des sortes de
racines et sont si profondément enfouis en nous qu’ils sont, pour la
plupart, largement inconscients. Nous les tenons pour acquis sans
jamais les interroger. Ils nous contrôlent à notre insu.
Or, une méthode de travail personnel comme la programmation
neurolinguistique (PNL) a coutume d’affirmer que « la carte n’est pas
le territoire  ». La carte c’est notre «  petit  » monde, celui de nos
références singulières. Le territoire c’est l’immensité du monde,
composé de toutes les cartes de tous les individus singuliers et de
l’univers dans lequel ils s’inscrivent. La plupart du temps, nous
pensons que cette carte représente la réalité dans son ensemble alors
qu’elle n’en forme qu’une infime partie. Ce qui nous amène à
imaginer que nos croyances propres sont des réalités absolues.

Les dieux sont-ils tombés sur la tête ?


Les dieux sont tombés sur la tête est un film réalisé par le Sud-Africain Jamie
Uys et sorti en 1980. Dans une tribu isolée du Kalahari, sans aucun contact avec la
« civilisation », un miracle a lieu : un objet inconnu, dur et transparent, tombe du
ciel. Les Bochimans sont perplexes. À quoi peut-il bien servir ? Est-ce un pilon, une
flûte ou autre chose de plus mystérieux ? En fait, il s’agit d’une bouteille de Coca-
Cola vide que le pilote d’un hélicoptère, peu scrupuleux, a jeté par-dessus bord.
Pour ce peuple où la règle est de tout partager, l’objet donne lieu à d’incessantes
querelles car chacun pense qu’il ne peut s’agir que d’un «  cadeau des dieux  ». À
cause d’un vulgaire déchet, la belle entente de la tribu se fissure. Le conseil des
anciens se réunit donc et décide que Xhixho, un de leurs membres, ira jusqu’au
bout du monde afin de rendre aux dieux leur cadeau empoisonné. Car sans nul
doute… les dieux sont tombés sur la tête.

Bien entendu, se servir de l’intention chaque fois que cela nous


paraît nécessaire ne lève pas tous les obstacles. Ceux-ci font partie
des aléas de l’existence. En revanche, cet outil nous apprend à
considérer nos difficultés comme des occasions d’ajuster nos envies et
nos besoins, comme les signes qu’un changement d’orientation
devient peut-être nécessaire.

L’imagination, une alliée de choix


« Ils ont échoué parce qu’ils n’avaient pas commencé par le rêve. »
SHAKESPEARE

UNE INCROYABLE SOURCE DE MIEUX-ÊTRE

L’imaginaire est une incroyable source de mieux-être.


Contrairement à ce que nous croyons parfois, il ne constitue pas un
objet illusoire, voire mensonger. Il désigne tout ce qui, en nous, se
manifeste par des images  : les rêves nocturnes bien sûr, ceux que
nous faisons dans la journée, nos fantasmes, mais aussi, selon le
psychanalyste Jung, les mythes et les légendes qui font partie de
notre histoire collective. En médecine psychosomatique, l’imaginaire
est une fonction importante qui contribue à diminuer ou guérir
certaines maladies. Dans les psychothérapies, la psychanalyse, le
praticien sollicite l’imaginaire de son patient pour lui permettre de
sortir de certaines impasses. Il l’aide à s’ouvrir à d’autres solutions, de
nouvelles idées.
Pour Jung, les mythes et les légendes représentent des
informations collectives dont notre esprit, notre âme, a besoin pour
se nourrir sur le plan spirituel. Rédigés sous forme d’images, de
contes philosophiques et moraux, ces deux éléments nous enseignent
de grandes vérités : la puissance du pardon, le rôle de la compassion
ou encore le pouvoir du mal.
Si nous nous y intéressons, ils nous permettent de découvrir des
clés pour mieux nous comprendre, trouver une solution à un
problème. Ils répondent également à nos désirs conscients et
inconscients, au même titre que les rêves que nous faisons chaque
nuit, dont Freud disait qu’ils étaient une « voie royale » pour accéder
à l’inconscient.
Le rêve, une fonction biologique
Certains d’entre nous affirment «  qu’ils ne rêvent jamais  ». En fait, et pour le
coup, voilà la véritable illusion  ! Car le rêve est une fonction biologique
programmée, au même titre que d’autres fonctions vitales de l’être humain. Dans la
chaîne du vivant, le rêve – et son corollaire le sommeil paradoxal – est apparu chez
les oiseaux et les premiers mammifères il y a 180  millions d’années. Nous rêvons
surtout durant cette phase du sommeil, une étape de notre vie nocturne découverte
en 1961 par le neurophysiologiste français Michel Jouvet. Le sommeil paradoxal
renforce nos performances cérébrales, nos capacités d’apprentissage et nos
potentiels de survie en milieu hostile. Il fait aussi partie des mécanismes
d’adaptation au stress. Autrement dit, lorsque nous sommes stressés, mieux vaut
nous coucher pour « faire de beaux rêves » !

Depuis une dizaine d’années, différentes études en neurosciences


ont montré que la vision et l’imagination sollicitaient les mêmes
zones cérébrales. Plus précisément, être assis en face de votre
meilleur ami ou l’avoir en tête, que l’image soit issue d’un souvenir
réel ou d’une construction fantasmatique, revient au même.
Une équipe de l’Université de Berkeley aux États-Unis a même été
plus loin. Elle a posé des électrodes sur le lobe temporal supérieur
d’une quinzaine de volontaires, lobe en charge de l’audition et de
certaines étapes de la parole. Les participants écoutaient certaines
phrases préalablement enregistrées pendant que les chercheurs
enregistraient, eux, leur activité neuronale. Résultat : ils parvenaient
à identifier les phrases en analysant l’activité cérébrale.
Brian Pasley 11, encore étudiant en neurosciences quand il a
conduit cette recherche, explique : « Que vous écoutiez votre chanson
favorite ou que vous la fredonniez dans votre tête, nous avons
remarqué que les mêmes zones du cerveau auditif étaient activées.
C’est comme si vous entendiez réellement cette chanson alors que la
pièce dans laquelle vous vous trouvez est bel et bien silencieuse.
Cette étude inciterait donc à penser que la perception auditive et
l’imagination peuvent être assez similaires dans le cerveau. »
Par conséquent, si le fait d’imaginer, de voir ou d’entendre relève
des mêmes circuits neuronaux, comment notre esprit pourrait-il faire
la différence entre le réel et l’imaginaire ?
Pour de nombreuses traditions spirituelles, l’imagination
représente l’un des outils fondamentaux du travail sur soi. Dans le
bouddhisme tibétain, la visualisation constitue l’un des avatars de la
transmission des enseignements. Dans la cosmologie chamanique, il
existe un « monde du rêve » qui a tout autant d’existence que notre
monde que les adeptes nomment «  monde du milieu  ». Les visions,
des images provoquées par la transe, permettent au chamane d’entrer
en communication avec les esprits afin d’aider ceux qui le consultent.
Si le rêve peut se constituer comme un rêve éveillé, qu’il soit
diurne ou nocturne, il va représenter une sorte de simulateur, et nous
entraîner dans un univers virtuel pour nous permettre de créer de
nouvelles situations, de devenir notre propre réalisateur en mettant
en scène un désir, sans nous exposer au moindre risque.
Avec le rêve, on peut détruire ses ennemis, les hacher menu sans,
pour autant, leur causer le moindre tort. À condition de ne pas s’y
consacrer chaque minute de chaque heure puisque, vous vous en
souvenez, la pensée est aussi un acte. Avec le rêve on peut également
projeter, sur l’écran de notre esprit, la rencontre extraordinaire qui
fera de nous le plus heureux des hommes ou la plus heureuse des
femmes. Quand ce rêve est répété, il devient un programme,
analogue à celui que vous pourriez implanter dans votre ordinateur.
C’est le moteur et le carburant de votre intention.

LE RÊVE A-T-IL UNE FONCTION ?


La fonction exacte du rêve reste encore débattue entre ceux qui
n’y voient qu’une des manifestations du sommeil, dépourvue de toute
fonction propre, et ceux qui pensent qu’il joue un rôle dans la
régulation de notre psychisme. Selon certains chercheurs, le rêve
contribuerait à l’amélioration de notre créativité en associant de
nouvelles combinaisons d’idées et d’images avec la liberté que confère
le côté virtuel de l’expérience. Le rêve aurait donc une action sur la
12
qualité de la vie psychique, intellectuelle et biologique de l’individu .
Pour les psychanalystes, toute fiction possède une valeur de
vérité. Même si nos rêves ou nos fantasmes peuvent nous paraître
absurdes, les uns et les autres véhiculent des pans entiers de notre
personnalité. Celle que nous connaissons mais aussi une autre, plus
intime et plus secrète. Cela vaut pour les petites histoires, les contes
que nous nous racontons dans la journée, les scénarios que nous
inventons. Leur rôle à tous  : évacuer nos tensions, notre stress,
réaliser nos désirs les plus cachés, nous reconnecter avec l’enfant que
nous avons été et l’autoriser à réaliser ce dont il a vraiment envie…
C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, il serait tout à fait
imprudent de considérer un monde où les dormeurs ne rêveraient
plus. Des expériences ont été menées sur le sommeil paradoxal avec
des chats par Michel Jouvet. Équipés d’électrodes, les animaux
étaient réveillés au moment où le tracé de l’électroencéphalogramme
indiquait l’émergence d’un rêve. L’expérience a montré que ce
traitement entraînait parfois des réactions de mauvaise humeur, du
stress et de l’agressivité. Mais la réaction la plus marquante a été le
besoin de se rendormir aussitôt afin de replonger dans le sommeil
paradoxal. Un effet identique a été constaté chez des êtres humains.
Mais pour d’autres, comme Sartre, l’idée qu’il puisse y avoir un
inconscient n’est qu’une pirouette, un acte de mauvaise foi, le refuge
de notre lâcheté et de nos démissions. Comme si nous nous disions
régulièrement : « Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ignore la raison pour
laquelle j’ai agi ainsi, ce doit être mon inconscient qui m’a joué un
tour.  » Il n’a pas tout à fait tort puisque l’inconscient nous mène
parfois par le bout du nez.

★ Sandra et le banquier
Sandra avait soigneusement noté ce rendez-vous sur son
agenda. Elle devait rencontrer son banquier pour discuter
de la possibilité d’un crédit. Malheureusement, elle n’aimait
pas «  le bonhomme  », elle ne l’avait «  jamais senti  ». Elle
aurait préféré consulter un autre professionnel,
recommandé par l’un de ses amis. Cependant, elle n’avait
pas osé, une histoire de loyauté, la crainte de devoir
changer de banque. Bref, le jour prévu, à l’heure dite, elle
décide tranquillement d’aller au cinéma puisque, cet après-
midi, Sandra n’avait pas prévu de travailler. Elle regarde
paisiblement le film. Elle est heureuse, elle passe un bon
moment, elle a échappé à la routine journalière. Mais en
sortant, badaboum, le souvenir du rendez-vous lui revient.
Que penser de ce « raté » ?

Le point de vue psy
Il serait intéressant de s’interroger sur la raison profonde de ce loupé, de ce fameux
«  acte manqué  » comme disent les psys. Psys qui ajoutent, selon une formule
consacrée par l’expérience, qu’«  un acte manqué est toujours un acte réussi  ».
«  L’image est une force agissante, il est légitime de la faire agir  », écrivait le
psychanalyste Charles Beaudoin. C’est pourquoi Freud nous convie à rendre
l’inconscient le plus conscient possible en nous recommandant d’affronter nos idées
bizarres, nos fantasmes inavouables et à interpréter nos rêves, qu’ils soient
nocturnes ou éveillés.
INTERPRÉTER SES RÊVES NOCTURNES

L’interprétation des rêves constitue l’un des points centraux de la


cure analytique. Mais vous n’avez peut-être pas envie de vous lancer
dans ce travail. Le projet vous semble trop long ou trop coûteux ou…
les deux  ! Pourtant, l’interprétation de nos rêves comme de nos
fantasmes est fort simple.
Occupons-nous d’abord des rêves que vous faites en dormant.
Prenez quelques minutes pour les noter dès votre réveil, que ce soit le
matin ou en pleine nuit. Quelques feuilles de papier ou mieux un
cahier «  des rêves  » et un stylo posés sur votre table de nuit sont
nécessaires. Notez votre rêve immédiatement au risque de le
condamner presque immanquablement à l’oubli.
Rédigez le contenu de votre rêve de manière aussi détaillée que
possible, en laissant un espace suffisant entre chaque ligne. Cela vous
permettra d’inscrire également toutes les idées qui vous viendront à
l’esprit, au fur et à mesure, selon la méthode des «  associations
libres » utilisée en psychanalyse.
Par exemple  : alors que vous traversez une rue, vous apercevez
une forme indistincte en plein milieu de la voie, qui est en train de
vous faire des signes. Curieusement, vous vous sentez furieux. Cela
vous rappelle immédiatement la présence d’un agent de police qui
assurait la circulation la veille. Dans la réalité, vous vouliez traverser
car le feu était au vert, mais le fonctionnaire vous a demandé de ne
pas bouger alors que vous étiez pressé.
Continuez votre rédaction en intercalant les souvenirs tirés de
votre expérience récente comme d’expériences plus anciennes  : des
personnes, des événements, qui vous reviennent subitement en
mémoire. Mieux vaut écrire les associations libres dans une couleur
différente ou les surligner avec un Stabilo.
Quand vous aurez terminé, relisez ce qui a été rédigé dans une
autre couleur. Ou surligné. Vous verrez souvent apparaître une autre
histoire que celle dont vous avez rêvé. C’est le contenu « latent » bien
différent du contenu « manifeste ». Il ressemble à ce qui se passerait
si nous recevions un message rédigé à l’encre sympathique. En
chauffant le papier, nous verrions apparaître ce que notre
correspondant a voulu nous dire. Le rêve est une sorte de rébus dont
l’inconscient code les informations.

FAVORISER LE RÊVE LUCIDE


Le rêve lucide est celui dans lequel le dormeur a conscience qu’il
est en train de rêver.
Se savoir en train de rêver va offrir au dormeur la possibilité
d’agir sur le contenu du rêve et son déroulement. Elle va aussi lui
permettre d’exercer un meilleur contrôle sur ses actions lorsqu’il est
éveillé.
Selon le psychologue allemand Paul Tholey, il est possible
d’induire les rêves lucides, dont les critères sont :
Le rêveur sait qu’il rêve.
Il dispose de son libre arbitre.
Il dispose d’une faculté normale de raisonnement.
Ses perceptions sensorielles sont normales.
Il conserve facilement le souvenir du rêve à l’état de veille.
Il est capable d’interpréter son rêve à l’« intérieur même » du rêve.
Différentes méthodes favorisent le rêve conscient. Le plus
important est de maintenir la sensation d’être présent dans le rêve, ici
et maintenant, afin de pouvoir le contrôler.

• L’endormissement conscient
Il s’agit de s’engager délibérément dans un rêve à partir de l’état
de veille. Faites l’expérience 1 heure avant de dormir, un soir où vous
avez l’occasion de dormir seul et où vous n’êtes ni épuisé ni agité.
Optez pour la pénombre dans votre chambre en utilisant une
veilleuse. Maintenez aussi le calme. Vous ne devez pas être distrait
par le tic-tac de votre réveil ou tout autre bruit.
Allongez-vous, un coussin sous la nuque et les bras le long du
corps. Respirez lentement avec le ventre jusqu’à ce que vous soyez
complètement détendu. Concentrez-vous sur votre respiration, elle
doit être le centre de votre pensée. Pour vous y aider, vous pouvez
vous répéter mentalement  : «  L’air entre par mes poumons  », «  L’air
sort de mes poumons » à chaque inspiration et expiration. Fixez-vous
ensuite sur les battements de votre cœur. Leur rythme alterné doit
être votre unique point de réflexion.
Laissez-vous aller, vous êtes de plus en plus détendu, votre corps
est lourd, les battements de votre cœur se sont ralentis, vous êtes en
train de respirer tout doucement comme un paisible dormeur. Ça y
est, vous êtes prêt à entrer directement dans le rêve.

• La prise de conscience dans le rêve

Cette prise de conscience s’appuie sur l’autosuggestion. Choisissez


une journée où vous êtes seul et complètement disponible. Réveillez-
vous tôt et, durant 45 minutes, demeurez en état de veille avec
l’autosuggestion suivante  : «  Je vais me rendormir facilement et je
vais prendre conscience de mon prochain rêve. »

• L’utilisation de stimuli externes

Cette méthode repose sur le principe que des stimuli externes


vont être émis durant la phase de sommeil paradoxal, des sons variés,
des vibrations, des lumières. Ces stimuli vont permettre à la personne
de se rendre compte qu’elle rêve.
Keith Hearne, un parapsychologue américain, a utilisé un appareil
qui déclenche un choc léger au poignet quand il détecte un
changement de rythme respiratoire annonçant une phase de rêves.
Un autre procédé a été mis au point par le «  père  » du rêve lucide,
Stephen LaBerge. Des lunettes opaques munies de capteurs détectent
sous les paupières fermées du dormeur ses mouvements oculaires,
caractéristiques de la phase paradoxale où l’on rêve. Un ordinateur
analyse ces signaux et, quand il identifie des mouvements, déclenche
des flashs lumineux dans les lunettes. Le rêveur comprend alors qu’il
est train de rêver. L’ordinateur et les lunettes ne tiennent pas plus de
place qu’un gros livre, et on peut les commander par Internet.
L’usage des appareils devra être associé à une préparation mentale
comme la relaxation, la méditation, des visualisations, une attention
particulière à la respiration, aux battements du cœur ou à toute autre
sensation physique. Il s’agit de faire le vide dans son mental afin d’y
intégrer les images d’un rêve ordinaire.

• La méthode « réflexive-critique »

Elle vise à exercer durant la journée ses facultés critiques vis-à-vis


de l’environnement et de la conscience de soi. Concrètement, le sujet
doit s’efforcer de mettre en doute la réalité de ce qui l’entoure en
réalisant des «  tests de réalité  ». On retrouve ce modèle dans les
enseignements bouddhistes. Il s’agit d’accroître son attention à soi-
même, de se montrer attentif à tout ce qui se passe autour de soi. Ce
qui doit permettre, au cours de la nuit, d’induire une lucidité
onirique.
Ces tests de réalité sont d’une simplicité déconcertante :
Se boucher le nez et inspirer.
Compter ses doigts.
Vérifier sa vision sans ses lunettes puis les remettre.
Éteindre la lumière une fois que vous êtes couché, puis la
rallumer.

• Le maintien dans l’univers onirique

Il arrive que nous nous réveillions la nuit pendant de courts


instants. On appelle cela des « microréveils ». À ce moment-là, restez
immobile, respirez tranquillement, fermez les yeux afin de vous
retrouver dans un rêve lucide.

• Le WBTB ou wake back to bed

Appelée «  interruption du sommeil  », cette technique consiste à


interrompre votre sommeil 1  heure avant votre lever habituel. Une
fois éveillé, donnez-vous le temps d’émerger tranquillement du
sommeil, ne bougez pas, bâillez, étirez-vous doucement, et enfin
levez-vous.
À ce moment-là, vous pourrez relire votre cahier des rêves,
méditer, marcher dans votre chambre, faire des mots croisés, sortir
sur votre balcon ou dans votre jardin… Faites cela durant une
trentaine de minutes, puis retournez vous coucher pour dormir. Le
principe se fonde sur le fait qu’en stimulant votre esprit – mais sans
excès  – vous serez plus apte à reconnaître que vous rêvez dans vos
prochaines phases de rêve.

ENTRETENIR SA LUCIDITÉ ONIRIQUE


L’exercice qui consiste à se rappeler le plus grand nombre possible
de rêves et à tenir à jour un cahier de leur contenu est très utile. Car
beaucoup d’entre nous prétendent qu’ils ne s’en souviennent pas.
L’autosuggestion va vous aider à contourner ce problème. Chaque soir,
avant de vous endormir et après vous être relaxé et avoir fait le vide
dans votre esprit, répétez-vous mentalement  : «  Je m’endors
tranquillement, paisiblement, ma nuit est calme et tranquille et, au
réveil je me souviens de mes rêves. »
Si l’interprétation de vos rêves et le rêve lucide vous intéressent,
faites-en une priorité, exactement comme vous vous brossez les dents
chaque jour. N’oubliez jamais de les noter. Ne vous réfugiez pas dans
la flemme, le laisser-aller, la procrastination. Les rêves sont la plupart
du temps fugaces. Ils disparaissent de notre mémoire rapidement.
Si vous êtes doué pour le dessin, vous pouvez agrémenter votre
cahier de rêves avec des croquis  : les rêves eux-mêmes ou les
émotions, les idées qu’ils vous inspirent. Vous pouvez aussi utiliser les
collages, des crayons de couleur, de la peinture, ajouter de petits
objets destinés à clarifier votre rêve et à le singulariser le plus
possible. Des paillettes, des plumes, des perles, des feuilles ramassées
dans le jardin… tout est possible et contribue à mieux comprendre le
sens caché de vos scénarios nocturnes.

MENER À BIEN SES PROJETS

Quand nous avons un problème, lorsque nous nous posons des


questions, quand nous avons besoin de prendre une décision, de
définir des pistes afin de réaliser un projet, il est fréquent que nous
disions : « Bon, on verra ça demain, je vais dormir là-dessus. » Sans le
savoir, nous nous conformons alors à une pratique employée dans de
nombreuses traditions.
Rêver ses talents
Les Ojibwa, une tribu indienne qui vivait près des Grands Lacs aux États-Unis,
à la frontière du Canada, avaient coutume d’exiger des jeunes pubères du groupe
qu’ils s’engagent dans une «  quête de visions  », c’est-à-dire de rêves, dans un
endroit isolé. Ils devaient jeûner, prier et méditer jusqu’à ce qu’ils reçoivent des
révélations et des directives sur leur vie à venir et les talents qu’ils possédaient mais
ne connaissaient pas encore. Une fois de retour au sein de la tribu, ils avaient le
devoir de partager et d’appliquer ces talents au profit de la communauté. Cette
expérience constituait un rituel de passage entre l’enfance et l’âge adulte.

• Trouver des solutions

Vous vous posez une question fondamentale  ? Couchez-vous en


mettant d’abord en place un protocole de relaxation, puis imprégnez
votre esprit de l’interrogation qui vous préoccupe. Bannissez de votre
vocabulaire mental des verbes impératifs tels que « Je veux » ou « Il
faut  ». Évitez aussi la conjugaison au futur comme «  Je saurai
comment me comporter avec mon chef demain  ». Faites comme si
votre besoin s’était déjà réalisé en l’exprimant à l’aide de phrases
simples  : «  Je lui dis clairement ce que je pense et il m’écoute  »
(n’oubliez pas de nommer la personne) ou «  Mon projet est bouclé,
j’ai trouvé les bons moyens de le réaliser ».
Demandez ensuite à votre esprit de recevoir un rêve qui vous
apportera la réponse. Celle-ci ne vous parviendra peut-être pas
immédiatement, mais vous aurez mis le processus en marche. Une
13
rencontre fortuite, un coup de fil inattendu, un insight , un livre que
vous ouvrirez vous donneront la réponse nécessaire. Quand ce n’est
pas l’événement lui-même qui se produira de manière imprévue,
imprévue bien sûr consciemment.
• Se débarrasser de la peur

Pour les deux prochains exemples, nous nous appuierons sur des
témoignages.

★ Marius dans le métro


Marius nous consultait pour des problèmes de phobies. Il
avait peur de prendre le métro et d’être confronté à un
incendie. Il ne supportait pas les ascenseurs modernes qui
ne comportent pas de vitres pour regarder à l’extérieur et
bien d’autres situations liées à des craintes d’enfermement.
Comme il pratiquait déjà le rêve lucide, nous lui avons
suggéré d’utiliser celui-ci pour accélérer sa guérison. Il s’est
entraîné et, après quelques essais infructueux, il raconte le
rêve suivant : « Je suis dans une prairie, il fait beau, le ciel
est bleu, il y a des fleurs partout mais je me sens mal à
l’aise, inquiet. J’ai du mal à marcher, à bouger mes bras et
mes mains. Soudain, je m’aperçois qu’en fait je suis
complètement ligoté par une sorte de cocon fait de milliers
d’insectes qui grouillent. De grosses mouches, des fourmis,
des araignées et, surtout, des guêpes qui font un raffut
d’enfer. J’essaie de me secouer, de m’en débarrasser, mais
les bestioles me collent à la peau, elles sont gluantes. Je
parviens à en arracher quelques-unes avec les doigts et ce
sont mes mains qui se transforment en cocons géants. Ce
que je retire d’un côté, je le retrouve de l’autre. C’est alors
que j’aperçois une rivière, je sais qu’il me faut la traverser
absolument, mais à ce moment-là je me réveille en sueur.
Au lieu de me lever, de faire autre chose, de me calmer en
fumant une cigarette, je suis resté allongé en respirant
lentement. Je me suis astreint à calmer les battements de
mon cœur tout en me disant mentalement “Je vais
reprendre mon rêve et traverser la rivière”. Je me suis
rendormi, il n’y avait plus d’insectes, juste des morceaux
qui collaient encore et je suis entré dans l’eau, j’ai nagé
tranquillement et je me suis retrouvé sur l’autre rive. Là, je
me suis aperçu que j’étais propre et, de plus, parfaitement
sec. Dans un coin, il y avait ma sœur aînée qui avait l’air
terrifiée et mécontente mais je l’ai ignorée. Le lendemain,
pour me rendre au bureau, j’ai pu prendre le métro au lieu
du bus qui me faisait perdre 40 minutes tous les matins et
tous les soirs. J’étais un peu inquiet mais j’ai pu descendre
les escaliers. Avant, c’était là que je commençais à paniquer.
Et sur le quai, j’étais devenu un voyageur comme les
autres. »
Le point de vue psy
Bien entendu, nous avons accompagné Marius quand il s’est lancé dans les rêves
lucides. À chaque séance, nous lui avons fait raconter, exprimer ses ressentis. Nous
l’avons aidé à « conscientiser » tout ce qu’il éprouvait, son incertitude quant à la
réussite du processus, sa peur de favoriser des cauchemars nocturnes, son envie de
reprendre des somnifères pour ne pas penser, s’enfoncer dans le trou noir d’une
nuit sans images. Nous l’avons aussi incité à décrypter ce que représentait la
présence de sa sœur aînée dans le rêve. Celle-ci avait souvent pris la place de sa
maman débordée par son travail et les tâches ménagères, car elle vivait seule avec
quatre enfants. Il s’est souvenu que tout petit, alors qu’il commençait à marcher,
elle le ligotait dans son lit afin d’être tranquille pour regarder la télé. Lui-même
aurait voulu la rejoindre, fasciné par cet écran plein d’images et de couleurs. Il
s’est rappelé aussi qu’elle lui attachait les mains car, vers 8 ans, il avait commencé
à se ronger les ongles. S’il pleurait ou menaçait de se plaindre à leur mère, elle
criait et cherchait à lui faire peur en racontant qu’il était insupportable, qu’il
l’empêchait de faire ses devoirs. Du coup, Marius est devenu un enfant calme, en
retrait, parlant peu et complètement soumis aux désirs de sa sœur comme des
adultes. Le cocon d’insectes ne constituait donc qu’une métaphore de
l’enfermement qu’il avait dû subir précocement. Devenu adulte, cet enfermement
s’était manifesté par des phobies qui remettaient en scène des situations plus
anciennes.

• Réussir

L’un de nos amis, coach sportif, emploie le rêve lucide dans le


cadre de ses entraînements. Spécialisé dans l’accompagnement des
tireurs à l’arc, il leur demande de visualiser un tir réussi avant de
s’endormir, puis d’affirmer  ; «  Je m’entraîne toute la nuit et toutes
mes flèches atteignent leur cible. » Là encore, nous illustrerons cette
partie d’un témoignage.

★ Jérôme atteint la cible


Jérôme raconte : « Je devais me préparer pour la compét de
dimanche. Avant de me coucher j’ai pris mon recurve 14 dans
les mains comme d’habitude, je l’ai caressé, palpé dans tous
les sens, je me suis concentré sur l’épreuve à venir en
imaginant la flèche au cœur de la cible, et j’ai décidé
d’incuber ce programme. Une fois endormi, j’ai rêvé que
j’étais tellement fatigué avant la compét que je n’arrivais
plus à bander les muscles de mes bras. Le coach était là. Il
me disait que j’aurais dû l’écouter et aller voir le masseur
avant car je m’étais trop entraîné. Ses mots exacts étaient :
“Tu as trop tiré sur la corde.” Je me suis réveillé juste après
et j’avais effectivement mal aux poignets et aux avant-bras.
J’ai décidé de reprendre le fil du rêve et de le changer. Ça
s’est passé comme je voulais. Je suis allé voir mon kiné
dans le rêve, et il m’a dit : “Oh ! lala ! toi tu nous prépares
une tendinite.” Le lendemain matin, au réveil, je
n’éprouvais plus aucune gêne mais j’ai pris rendez-vous
avec lui. Il a confirmé que mes muscles étaient un peu
endoloris et que j’avais bien fait de venir. Le dimanche
suivant, j’ai été classé dans les trois premiers. »
Le point de vue psy
Si vous ne vous lancez pas dans l’expérience du rêve lucide, rappelez-vous que le
monde et toutes les possibilités qu’il offre sont à la disposition du rêveur. Nous
pouvons être le héros de notre propre histoire, rencontrer l’amour, faire fortune,
réussir des exploits sans précédent et surmonter tous nos handicaps, qu’ils soient
physiques ou psychiques. Les frontières de l’imagination constituent notre seule
limite, mais notre inconscient est bien présent pour y puiser des ressources
incroyables, des sons et des couleurs ineffables. Les bornes imposées par l’âge, le
sexe, nos origines sociales et culturelles, notre religion ou la couleur de notre peau
disparaissent. Les lois habituelles de la physique ne s’appliquent plus. Nous
sommes capables de voler, de léviter, de passer à travers des objets solides ou de
respirer sous l’eau. Même les personnes en situation de handicap sont
parfaitement valides dans leurs rêves. Elles peuvent accomplir, dans l’espace
onirique, des actes qu’elles ne parviennent pas à réaliser dans la vie réelle. Ce qui
leur permet, parfois, de se rendre compte qu’elles peuvent utiliser d’autres
solutions pour aboutir à leurs fins que celles proposées par la réalité ordinaire.

Même si certains scientifiques affirment qu’ils ne savent pas très


bien pourquoi tout le monde rêve, y compris vous, et même si vous
vous en souvenez plus ou moins bien, pourquoi se priver d’un
matériau aussi riche  ? Pourquoi ne pas considérer que les rêves
nocturnes valent bien les rêves diurnes, les fantasmes, qu’ils nous
aident à nous évader hors de la réalité mais aussi à la consolider  ?
Car rêver, s’en souvenir le plus souvent possible, c’est, dans tous les
cas, ouvrir son imaginaire, s’arroger le droit de dépasser ses limites,
d’abord de façon virtuelle puis concrètement.
Quant au rêve lucide, si vous tentez l’aventure, vous pouvez
suivre les traces de certains moines bouddhistes tibétains qui
l’utilisent comme point de départ sur le chemin de l’illumination
spirituelle et de l’accomplissement. Ils ont en effet développé une
forme de yoga, le « yoga du rêve », destiné à maintenir, à l’intérieur
de celui-ci, un état de conscience analogue à celui de l’état de veille.
Le rêve lucide s’est aussi développé en Inde et en Occident dans les
années 1940 sous l’impulsion d’un maître, Swami Satyananda, qui a
conçu le yoga nidra basé sur des exercices de respiration et de
visualisation qui induisent un état de relaxation profond. Enseigné
aujourd’hui dans le monde entier, c’est un outil de croissance
personnelle dont les effets sont aussi d’améliorer la qualité du
sommeil.

1. Emmet Fox, Le Pouvoir par la pensée constructive, éditions Astra, 1991.


2. Émile Coué, La Méthode Coué, la maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente,
Marabout, 2013.
3. Thierry Janssen, La Solution intérieure, Pocket, 2007.
4. Méthode de soins énergétiques par imposition des mains, fondée par Mikao Usui, un
moine bouddhiste japonais, dans les années 1920.
5. William Walker Atkinson, La Vibration de la pensée et la loi de l’attraction dans le monde de
la pensée, trad. fr. Marcelle Auclair, éditions Astra, 1996.
6. Ray Bradbury, Chroniques martiennes, Gallimard, 2002.
7. Dans une conférence à l’American Association for the Advancement of Science intitulée
« Prédictibilité : le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au
Texas ? ».
8. Trinh Xuan Thuan, Le Chaos et l’Harmonie, la fabrication du Réel, Fayard, coll. « Le temps
des sciences », 1998.
9. Adolf Hitler, Mein Kampf, 1928.
10. Exercice issu de Shakti Gawain, Techniques de visualisation créatrice, J’ai Lu, coll.
« Aventure secrète », 2003.
11. B. Pasley, S. V. David, N. Mesgarani, A. Flinker, S. A. Shamma, N. E. Crone, R. T. Knight,
E. F. Chang, « Reconstructing speech from Human auditory cortex », Journal : PLoS Biology,
2012.
12. U. Wagner, S. Gais, H. Haider, R. Verleger, J. Born, « Sleep inspires insight », Nature, vol.
427, no 6972, 2004, p. 352–355.
13. L’insight pourrait se traduire par «  sagacité  », «  perspicacité  », «  aperçu  », «  idée  », un
nouveau regard qui surgit, la plupart du temps, de façon impromptue. Au lieu de procéder
par essai et par erreur et de nous rapprocher, graduellement, de la solution, nous recevons
une prise de conscience évidente et lumineuse.
14. La partie de l’arc sur lequel s’appuie la flèche.
CHAPITRE 4

Le bonheur est (aussi) dans


le cœur

Les sentiments positifs affectent notre bien-être physique et


psychique. Ils font le lit de notre quiétude, comme les sentiments
négatifs font celui de nos malaises. Et si nous mettions un peu de
cœur à l’ouvrage qu’est notre bonheur ?
 
Le 10  décembre 1996, le Dr  Jill Bolte Taylor, neuroanatomiste,
professeur de médecine à la Harvard Medical School, est victime d’un
accident vasculaire cérébral (AVC). Hospitalisée rapidement, elle ne
sait plus ni parler, ni écrire, ni lire. Recroquevillée en position fœtale
dans sa chambre d’hôpital, elle ne possède plus aucun souvenir de sa
vie. Son AVC est dû à la rupture d’un vaisseau sanguin dans le
cerveau gauche.
Cerveau droit, cerveau gauche
Le cerveau gauche est celui avec lequel nous raisonnons de manière
séquentielle et analytique, nous examinons les choses point par point. C’est le
siège de la raison, du pragmatisme. C’est surtout le siège du langage, une fonction
unique, et qui nous est presque exclusive dans l’ordre du vivant. À lui les mots et
les lettres, les mouvements complexes, la mémoire et la lecture, l’écriture et
l’arithmétique. Le cerveau droit, lui, traite l’information de façon globale,
holistique. La différence entre ces deux hémisphères pourrait ressembler à celle de
deux inspecteurs de police  : l’un examine le terrain quand l’autre essaie de
«  sentir  » l’ambiance. Heureusement, les deux cerveaux sont reliés par le corps
calleux, ce qui va nous permettre d’avoir accès à la totalité des informations.

Cependant, l’histoire de Jill Bolte Taylor est saisissante. Privée


d’une partie de ses fonctions cérébrales, elle fait une expérience
unique  : «  Je me suis aperçue, écrit-elle, que le babil incessant de
mon cerveau, qui me familiarisait d’ordinaire en permanence avec
mon environnement, ne correspondait plus à un flot de paroles
prévisibles. Une profonde quiétude m’a peu à peu envahie. Je me suis
sentie presque euphorique, touchée par la grâce dans le silence de
mon hémisphère gauche, soudain indifférent à tout ce qui composait
son quotidien. Mes souvenirs du passé et mes projets d’avenir se sont
évanouis au cours de ce silence bienvenu 1. »
En somme, Jill Bolte Taylor semble vivre une expérience
mystique, comme certains maîtres spirituels mais aussi comme des
personnes ordinaires lors de séances de méditation, de transe et, plus
généralement, d’état de conscience modifiée. L’individu s’inscrit dans
un « ici et maintenant » où rien n’est séparé, où la notion même de
différenciation entre soi et l’Univers n’a aucun sens.
Selon elle, notre hémisphère droit serait programmé pour le
bonheur, la paix et la compassion. Elle explique d’ailleurs que le
circuit neuronal de la colère, en cas de discorde, ne se mobiliserait
que durant 1 minute 30. Après quoi la tension retomberait. Nous
serions par conséquent tout à fait libres d’y donner suite ou pas. Elle
écrit encore  : «  La plasticité des neurones donne à chacun la
possibilité de “virer à droite” et de choisir la paix et l’amour plutôt
que l’affrontement. » En effet, les neurotransmetteurs, qui assurent la
transmission de messages variés au sein du cerveau, sont en constant
renouvellement.
 
Résumons-nous. Le cerveau constitue un formidable outil de
soins, une véritable usine à médicaments, la possibilité de maintenir
ou de recouvrer une bonne santé grâce à l’effet placebo, à la
méditation, au neurofeedback et à bien d’autres pratiques décrites au
chapitre précédent. L’effet placebo nous fournit des médicaments
internes comme les endorphines, dont les effets sont proches de la
morphine, un puissant antidouleur. La méditation, en contrôlant les
émotions, le stress, l’anxiété, a une action sur le système immunitaire
et permet de reconfigurer le cortex. Le neurofeedback, une sorte de
gymnastique de l’esprit, agit sur le cerveau en le remodelant par des
exercices appropriés.
Mais qu’en est-il de l’amour, de la compassion, de l’altruisme, de
la générosité, de la paix, du pardon… ?
Et d’abord, sont-ils des sentiments, des émotions ou des
pratiques  ? Les trois à la fois  ! Car comment pourrait-on parler de
générosité ou de pardon sans les mettre en pratique  ? Comment
connaître l’amour sans l’éprouver, sans le faire, sans le partager, qu’il
lie un couple, une famille ou, plus largement, l’humanité ?
La puissance de ces notions, quand nous les vivons, peut-elle
influencer notre existence et favoriser notre bien-être en nous reliant
aux autres et à nous-mêmes ? La réponse est oui !

É
Éprouvez
« Seul l’amour peut garder un être vivant. »
Oscar WILDE

L’amour procède de trois termes, eros, philia et agapè :


Eros est celui auquel nous pensons d’abord, le lien qui unit deux
êtres, l’amour passion, l’amour érotique, mais aussi l’amour
tendresse et confiance. Il est enchevêtré dans des pulsions
contradictoires. Il nous arrive parfois de détester ceux qu’on aime
ou qu’on a aimés. Il ouvre au sacrifice  : «  Je t’aime plus que
moi » ; mais aussi à l’envie ou à la jalousie : « Je ne supporte pas
qu’il (elle) me trompe ».
Philia s’instaure dans le partage : « Tu me donnes et je te donne ».
C’est le souci de l’autre, la solidarité, les sentiments désintéressés.
Nous l’offrons d’abord à nos enfants puis à nos amis.
Agapè est la philia poussée jusqu’à l’universel. C’est un don offert
sans contrepartie dans une dimension mystique et spirituelle.
Agapè n’attend rien pour soi, il n’a pas d’«  amour-propre  », cet
amour de soi sous le regard de l’autre. Par définition, dans l’agapè,
on peut aimer sans être aimé dans un pur amour universel où le
Moi tend à se dissoudre.
Dans tous les cas, l’amour, ce lien qui fait sens, est inséparable de
l’être humain.

DE L’AMOUR
Des neuropsychologues américains ont étudié la relation
amoureuse, de l’étreinte passionnée à la tendresse en passant par la
scène de ménage. Sous scanner, la neuroanatomie d’un baiser montre
que le cerveau des deux amoureux se synchronise. Le cortisol, un
indicateur de stress, baisse tandis que les anticorps, ces gardiens du
système immunitaire, augmentent. A contrario, une dispute entraîne
des effets négatifs. La qualité du système immunitaire diminue et le
fonctionnement cardio-vasculaire entre en souffrance. L’amour nous
répare donc autant qu’il peut nous détruire quand nous l’avons perdu
ou lorsqu’il devient conflictuel. Il n’est pas rare de souffrir de toutes
sortes de symptômes, voire de tomber malade à la suite d’une
rupture.
Comment l’amour est-il capable de nous restaurer, de nous donner
soudain des ailes et l’envie de vivre mieux et plus fort ?
Nos rencontres ne doivent rien au hasard. La foudre a besoin d’un
paratonnerre pour tomber sur une maison… Comme la foudre,
l’autre nous adresse des signes subtils, des messages non verbaux qui
parlent à notre conscient comme à notre inconscient. La façon dont
nous avons été aimés dans notre enfance, regardés, bercés, caressés
nous rend sensibles à des signaux qui sont véhiculés par le corps de
l’autre, sa posture, le son de sa voix. Souvent, nous tombons
amoureux de celui (celle) qui ravive les traces de notre passé, des
traces que nous avons besoin de retrouver.
C’est la raison pour laquelle nous tombons aussi amoureux de
personnes toxiques. Celles-ci vont réveiller de vieilles douleurs,
d’anciennes tensions jamais apaisées. La « compulsion de répétition »
est à l’œuvre quand, au lieu de nous panser, l’autre rouvre nos
blessures.
Cependant, les carences du passé peuvent aussi devenir un facteur
de stabilité à l’intérieur du couple. Nous allons nous donner du mal
afin de réparer ce qui a été brisé dans notre histoire infantile : nous
montrer plus tendres ou plus sincères, ne pas faire la tête, dire notre
tendresse. La relation amoureuse est un facteur de résilience, cette
capacité que possède toute personne à s’adapter, à accepter le passé
sans le reproduire de manière névrotique. Grâce à elle, nous allons
pouvoir nous appuyer sur ce qui existe de solide et de constructif en
nous pour bâtir un nouveau présent et favoriser le futur.
Les organes sexuels constituent également de puissants centres
d’énergie. Selon le Tao, c’est le souffle (le chi chez les Chinois, le qi
chez les Japonais) qui permet de se relier aux forces cosmiques. Du
point de vue de la médecine énergétique chinoise, la maladie, qu’elle
soit psychique ou physique, surgit lorsqu’un organe manque de chi.
Les médecins traditionnels chinois préconisent alors certaines façons
de faire l’amour, certaines positions, qui permettraient d’augmenter
notre force vitale, de conserver notre jeunesse et de préserver notre
santé. Car l’énergie sexuelle est spontanément conduite en direction
de l’organe défaillant.
Le Tao distingue trois centres d’énergie principaux : le cerveau, le
cœur et les organes sexuels. Chacun de ces centres canalise l’énergie
et la répartit dans tout l’organisme. Cependant, ils ne canalisent pas
tous une capacité de production et de réserve d’énergie identiques.
Ainsi, le cerveau ne ferait circuler l’énergie que lorsqu’il est sollicité
dans le cadre du travail, de l’apprentissage ou du jeu. Si,
généralement, nous savons parfaitement faire fonctionner notre
cerveau, nous oublions parfois notre cœur et notre sexualité.
Être amoureux accroît la vitalité. Faire l’amour est un puissant
remède contre le stress, la morosité, les tensions – se « réconcilier sur
l’oreiller » ne procède pas d’un autre principe… Les trois principaux
centres d’énergie se nourrissent mutuellement mais n’ont pas les
mêmes effets. Le cœur génère de l’amour alors que les organes
sexuels provoquent excitation et orgasme. Quand nous éprouvons
amour et orgasme en même temps, les deux forces s’associent, et
l’énergie vitale est à son comble.
Le Dr Léonard Laskow, un gynécologue et obstétricien formé à la
médecine psychosomatique et holistique, étudie les pouvoirs de
guérison par l’amour depuis plus de trente ans. Selon lui 2, l’amour, au
sens le plus large, la relation à deux, l’amitié, le souci des autres, la
compassion, le pardon constituent des atouts pour freiner, de manière
significative, la croissance de cellules tumorales mais aussi le
développement des bactéries ou des microbes.
Nous sommes tous reliés les uns aux autres, mais notre culture,
notre éducation nous ont enseigné que nous constituions des entités
séparées. Cette théorie holistique, qui recoupe celle de la physique
quantique, met en lumière la manière dont nous pouvons libérer une
formidable quantité d’énergie soignante, dès lors que nous cessons de
nous considérer comme séparés, isolés.

DE L’AMITIÉ

L’amitié a ceci de commun avec l’amour qu’elle est fondée sur


l’intimité. Mais il s’agit d’une intimité psychique, spirituelle et non
physique –  même si l’amitié amoureuse est parfois teintée de
sensualité. C’est une relation complice, un lien de proximité fait de
confiance, d’honnêteté, de partage, de confidences. C’est encore une
inclination réciproque entre deux personnes qui, en principe,
n’appartiennent pas à la même famille. Elle existe néanmoins entre
frères et sœurs, entre cousins, entre parents variés, mais, dans ce cas,
l’expérience clinique montre qu’elle se construit, non pas à cause des
liens du sang, mais plutôt malgré ces liens.
Les amis nous aident à grandir. Ils peuvent nous soutenir et nous
aider à réaliser ce dont nous avons envie ou, au contraire, nous
orienter vers un autre chemin. A priori, l’amitié dépasse les valeurs
individuelles et temporelles, les notions de sexe, de race, de religion
et de croyances variées.
Pourtant, comme dans l’amour, les liens amicaux qui vont unir
deux ou plusieurs personnes ne reposent pas seulement sur la
reconnaissance (un service rendu, une vie sauvée, une oreille
attentive) mais encore sur des affinités secrètes, des combinaisons
subtiles en relation avec le passé. On cherche aujourd’hui un nouveau
« meilleur ami », parce que l’on a perdu celui de notre enfance ; on a
manqué d’amis à l’adolescence  ; on n’a pas osé se lier d’amitié avec
un professeur en raison de son statut.
Cependant, quand l’amitié surgit, qu’elle soit instantanée comme
le coup de foudre ou fondée sur une longue fréquentation, nous ne
l’interrogeons pas. Nous sommes plutôt dans une sorte
d’émerveillement, d’évidence, comme Montaigne qui disait de La
Boétie : « Parce que c’était lui et parce que c’était moi. »
Nombre de nos patients affirment qu’ils sont « seuls ». Mais, en les
écoutant, nous nous apercevons que, très souvent, ils ont quelques
amis, font partie d’un cercle relationnel plus ou moins important. En
fait, ce qu’ils nomment solitude c’est le célibat ou l’absence de
relation amoureuse régulière. Comme si eros, l’amour désirant,
l’amour charnel, devait forcément prendre le pas sur philia, l’amour
amitié, celui qui s’instaure entre un parent et son enfant, un
enseignant ou un maître et son élève, et même, selon les Grecs, celui
qui devait se tisser entre tous les citoyens de la cité.
Le mythe de l’amour entre deux êtres, de l’amour absolu et
éternel, semble rester l’objectif vers lequel chacun de nous devrait
tendre. Il a pourtant largement été égratigné par la réalité. Le divorce
est devenu banal, et l’amour passion ne durerait que trois ans selon
certains experts. Que reste-t-il ensuite, quand les couples ne se
séparent pas, quand ils font un premier enfant, lorsqu’ils construisent
un projet, bâtissent une maison, montent une entreprise  ? Ce qui
demeure alors c’est précisément philia, un amour teinté de tendresse
et de confiance, d’amitié et de sécurité. Ce qui n’exclut pas eros, le
désir…

Quels amis sur la Toile ?


Rencontres et amitiés sur les réseaux sociaux ne sont pas forcément une
illusion faite de contacts virtuels avec de parfaits inconnus. Les études sont
formelles : nous y retrouvons très souvent des amis que nous connaissons déjà et
pouvons aussi y faire de belles rencontres. Les réseaux sociaux encouragent en effet
de nouvelles formes d’expression, qui
rassurent les timides et les introvertis, tous ceux qui ont du mal à se constituer un
cercle amical dans la « vraie vie ».
Internet favorise une sorte d’intimité, fondée sur l’immédiateté et le dialogue,
entretenue à distance, qui va prolonger et étoffer l’amitié comme les différentes
formes de copinage. La sociabilité ne réside pas seulement dans le face-à-face
physique. Cependant, si la mise en scène de soi entraîne de puissantes satisfactions
narcissiques, le sentiment amical, quand il en reste au stade de la « pixellisation »,
ne parvient probablement jamais à nous offrir cette «  souveraine et parfaite
amitié » dont parle Montaigne à propos de La Boétie. Car on ne saurait comparer
un «  like  » avec la possibilité de recevoir, de la part d’un ami, un encouragement
sincère ou une manifestation authentique d’affection, voire une vérité peu agréable
à entendre.

Qui, mieux qu’un ami, est capable de nous dire ce que nous ne
voulons pas voir, pas entendre  ? Nous nous embourbons dans un
métier parce que c’était le choix de nos parents ; nous souffrons d’un
amour en gris, d’un amour en berne, mais nous n’osons en parler à
personne –  et surtout pas à celle ou à celui qui est directement
concerné.
Comme tout engagement, l’amitié comporte aussi une prise de
risque  : celui d’être déçu par le comportement de l’autre. Il tarde à
répondre à notre appel, elle ne nous écoute pas comme nous le
voulons, ils ne nous disent pas ce que nous aimerions entendre.
L’amitié, comme l’amour, engendre parfois une souffrance affective.
Nous espérons de l’écoute, du partage et de la réciprocité. Aussi
quand le soutien attendu tarde à venir, nous pensons que notre
confiance a été abusée. Ceux à qui nous faisions presque aveuglément
confiance nous apparaissent alors comme des traîtres.
Sommes-nous dans le vrai  ? Ou refusons-nous d’accepter la
moindre faiblesse de la part de l’autre ? Une relation se tisse toujours
à deux. Les circonstances peuvent-elles expliquer ce que nous
ressentons comme un manque ? Notre ami est-il lui-même dans une
passe difficile  ? Peut-être avons-nous nous-mêmes manqué
d’attention  ? Sommes-nous certains d’avoir été infaillibles à son
égard  ? Nos attentes ne sont-elles pas parfois excessives  ? Cette
investigation intérieure va nous permettre de prendre notre part de
responsabilité dans la relation et de relativiser notre déception.
Il convient aussi, probablement, de prendre notre temps avant
d’accorder à quelqu’un le statut d’ami. L’emballement, le coup de
foudre au sens amoureux du terme, constitue une prise de risque
supplémentaire. Mieux vaut donc attendre afin de mieux nous
connaître, nous comprendre, nous accepter tels que nous sommes
dans ce qu’il y a de meilleur et, quelquefois, de moins glorieux.
Enfin, il est indispensable de ne pas mettre tous nos amis dans le
même panier  ! De savoir distinguer les amis des copains et les
copains des simples relations. Établissons une sorte de baromètre
amical et ne partageons pas la même chose avec tous.
Cela dit, vrais amis ou simples copains, les relations amicales
embellissent l’existence. Elles nous rendent plus vivants, plus
généreux, et nous ouvrent à d’autres manières de penser et de réagir.
Elles nous font découvrir des histoires, des métiers, des
comportements parfois voisins des nôtres, parfois radicalement
différents. En ce sens, l’amitié est un voyage, une manière de
déchiffrer des territoires inconnus.
Bref, l’amitié se constitue dans une interaction subtile entre ce qui
nous rassemble et ce qui nous différencie.

Enterrez la hache de guerre


« On se trompe toujours lorsqu’on ne ferme pas les yeux pour
pardonner ou pour mieux regarder en soi-même. »
Maurice MAETERLINCK,

prix Nobel de littérature

PARDONNER VAUT MIEUX QUE RUMINER

La colère, la tristesse, le ressentiment ne sont pas bons pour la


santé. Or, il existe un remède particulièrement efficace : le pardon.
Il est souvent plus facile de demander pardon que de pardonner.
Le pardon nécessite une certaine abnégation. Il nous faut prendre de
la distance avec ce qui nous a blessés, humiliés ou avec ce qui a fait
souffrir un autre. Car le pardon ne se joue pas exclusivement à partir
des meurtrissures ou des traumatismes subis. Nous pouvons avoir du
mal à pardonner ce qui concerne nos proches, ceux que nous aimons,
voire, plus largement, un pays, une ethnie.
En outre, il est fréquent de confondre le pardon et l’oubli. Or, il
est parfois difficile d’oublier ce que nous avons vécu de bouleversant
ou ce qui a bouleversé un proche. Comment pardonner
l’impardonnable  ? L’enfant renversé par un chauffard, une erreur
médicale, l’extermination de toute une population, l’offense et les
violences endurées, il y a parfois des dizaines d’années, par la
communauté à laquelle nous appartenons : la Shoah si nous sommes
juifs, le génocide si nous sommes rwandais.
En réalité, le pardon existe pour, précisément, pardonner ce
qu’aucune excuse ne saurait excuser, les événements désespérés, les
situations insoutenables. Mais il existe aussi pour des événements
«  mineurs  »  : des propos déplacés, une parole blessante, une gifle
physique ou morale, des insultes, une malveillance.
Quand nous ne sommes pas directement touchés, nous suggérons
aisément à un ami, un collègue, un parent de pardonner. Mais c’est
une autre paire de manches lorsque la question nous concerne.
Faire acte de pardon ne signifie pas oublier. Bien au contraire,
pour pardonner, il est nécessaire de se souvenir de l’affront qui a été
commis. En psychothérapie, nous rencontrons souvent des patients
en difficulté parce qu’ils ont «  refoulé  » des vexations, des outrages,
des maltraitances de leur passé. Ils n’ont pas confiance en eux, ne
parviennent pas à se réaliser mais ont «  effacé  » les raisons de leur
mal-être. Afin qu’ils puissent vivre ou survivre, leur inconscient s’est
employé à repousser dans des zones obscures tout ce qui a été
difficile à supporter. Notre tâche va consister, par le biais de la parole,
des rêves, du travail sur les émotions, à faire remonter ce passé
enfoui.
Dans un premier temps, la remémoration va entraîner du chagrin,
de la colère et, quelquefois, un désir de vengeance. C’est une réaction
saine et utile. Mais dans un second temps, nous essayons de les aider
à ne pas s’inscrire éternellement dans une dette de haine. C’est le
pardon qui va les en délivrer en les libérant d’un passé qui continue à
se jouer au présent.
★ Myriam, ou comment pardonner l’impardonnable
Dès l’âge de 9  ans, et pendant trois ans, Myriam a été
violée par un voisin. Elle n’a jamais osé en parler à ses
parents car l’homme la menaçait du pire… De temps en
temps, afin d’affermir son pouvoir et d’exiger son silence, il
était violent. Puis le voisin a déménagé. La vie est devenue
plus douce pour Myriam. Mais une sorte de brume, de voile
s’est étendue sur ce qui s’était passé. Elle raconte : « J’avais
décidé de ne plus y penser. Quand ça arrivait, au début, je
me mordais l’intérieur des joues jusqu’au sang. Je voulais
remplacer ma douleur par une autre douleur. J’avais
souvent des aphtes dans la bouche auxquels mes parents ne
comprenaient rien. Après, je me suis mise à la
gymnastique, au judo, j’avais pris la décision que plus
jamais un homme ne me ferait mal de cette façon. Je suis
devenue une accro du sport, plus mes muscles me faisaient
mal, plus je continuais. Je tombais, j’avais des bleus, mais
chaque douleur effaçait de plus en plus ce que j’avais
enduré. Vers 15  ans, j’étais devenue amnésique. Tout était
devenu blanc, un écran vide. Même les événements
agréables s’étaient effacés  : mon BEPC avec mention, le
vélo dont j’avais rêvé, l’amour de mes parents… En
revanche, je me rongeais les ongles, je buvais de la bière en
cachette, je dormais mal et je ne savais pas pourquoi. Il m’a
fallu presque quatre ans de thérapie pour m’apercevoir que
j’étais une femme tronquée. J’avais égaré trois ans de ma
vie. »
Le point de vue psy
Quand nous avons rencontré Myriam, elle avait déjà 40  ans. Les faits étaient
prescrits d’un point de vue pénal et le coupable était mort. Il nous fallait donc
travailler sur le pardon afin de l’aider à retrouver la paix, la sérénité et sa
sensibilité de femme. Nous lui avons demandé d’écrire une lettre à son bourreau
mais aussi à ses parents pour leur expliquer ce qu’elle avait supporté. Elle leur en
voulait de ne pas avoir été suffisamment attentifs. En silence, elle leur avait envoyé
des messages  : son brusque décrochage scolaire, ces longues heures passées seule
dans sa chambre, ses larmes. À la fin de sa thérapie, Myriam était libérée : « J’ai
pardonné à tout le monde parce que j’ai compris que je ne pouvais pas réécrire le
passé. Et que ça n’était pas une raison pour me couper de l’avenir. »

Avant de nous ouvrir au pardon, soyons honnêtes. Et révisons


quelques-unes de nos réactions négatives. En effet, nous avons vite
fait d’interpréter de travers une parole, un événement anodin, un
regard ou un geste. Et puis, nous portons des jugements hâtifs sur
nous-mêmes, sur les autres. Notre tendance est enfin de faire une
histoire personnelle de ce qui arrive à un proche.
Le pardon est une sorte de médicament, un antibiotique destiné à
combattre les effets de nos bactéries et de nos microbes psychiques :
l’autocritique, les jugements négatifs, la culpabilité, la rancune. Il
nous contraint à nous investiguer sincèrement, à nous remettre en
cause, à assumer notre part de responsabilité en acceptant nos limites
et celles de l’autre.
Rappelons-le, pardonner ne consiste pas à excuser n’importe quoi,
à valider toute action maltraitante, les mauvais propos, les injures, la
trahison ou les coups. Il ne s’agit nullement d’affirmer que tout va
bien, tout le temps, de courber la tête et de serrer les dents comme si
rien ne s’était produit. Mais il n’est pas non plus question de désigner
systématiquement un coupable à punir, qu’il s’agisse de nous-mêmes
ou de quelqu’un d’autre.
Quand bien même le coupable existe, dans le cas d’un génocide
par exemple, c’est le pardon qui nous permet de continuer à vivre
ensemble, coupables et victimes, et de conserver notre paix
intérieure. Et pour ce faire, nous devons prendre conscience de notre
souffrance, ne pas l’éluder. Nous devons cesser de nous blâmer, sortir
de notre rôle de victimes en alléguant que ce sont les autres qui ont
toujours tort. Il nous faut apprendre à exprimer notre colère et ne pas
craindre de nous confronter aux événements ou à ceux qui nous ont
blessés.

LES ÉTAPES DU PARDON
Dans les groupes de parole que nous animons autour du pardon
mais aussi dans nos thérapies, nous procédons en cinq étapes.

1. La prise de conscience

Il est fréquent que nos patients, tout en exprimant du


ressentiment vis-à-vis de personnes qui les ont meurtris, soient
incapables d’exprimer la rage et la douleur qui les animent.
Ils rationalisent : « Mes parents ne pouvaient pas faire autrement,
ils n’avaient pas le temps de nous aider à faire nos devoirs, ils
travaillaient trop. On a dû se débrouiller tout seuls. Ma sœur s’en est
sortie, moi pas. Je voulais faire de la musique, je travaille dans une
banque. »
Ils normalisent : « Quand on est sept enfants à la maison, on ne
peut pas se préoccuper des petits chagrins de tout le monde. Quand
j’ai commencé à boire de l’alcool en cachette à 13  ans, personne ne
s’en est aperçu. Je n’étais jamais ivre, on disait que j’étais gai, que je
faisais un peu trop le fou. Mais à 18 ans, j’ai fait ma première cure de
désintoxication. »
Les personnes oublient, elles refoulent. Le refoulement, un des
concepts majeurs de la psychanalyse, consiste à évacuer de sa
conscience l’ensemble des souvenirs, des désirs et des idées qui sont
tenus pour pénibles ou répréhensibles. Il joue un rôle important dans
la plupart des troubles psychiques. Nous oublions donc les brutalités
dont nous avons été victimes car s’en souvenir nous ferait trop mal
aujourd’hui. Exactement comme si ces brutalités faisaient partie de
notre présent.
Pis, nous refoulons nos traumatismes mais ceux-ci se manifestent
grâce à des symptômes actuels. Enfant de «  riches  », confiée à des
nurses dès son plus jeune âge, Anne-Lise ne supporte pas aujourd’hui
le moindre différend, la moindre distance avec l’un de ses proches,
qu’il s’agisse de son conjoint, de ses enfants ou d’un collègue. Une
dispute, des tensions, une décision prise sans elle la ramènent
immanquablement à la terreur d’être seule, abandonnée, ballottée de
main en main.
Pour pardonner, il va donc falloir être conscient de notre ressenti
émotionnel, nous le dire ou l’exprimer à un tiers afin de partager
douleur, colère ou rancune. Lorsqu’une situation s’est avérée trop
insupportable, nous décidons souvent de l’éliminer en l’expliquant, en
la rationalisant ou en l’évacuant de notre conscience, comme si elle
n’avait jamais eu lieu. Malheureusement, cette ignorance volontaire
ou inconsciente, ce tour de passe-passe psychique est analogue à une
anesthésie générale : si nous endormons une émotion, nous prenons
le risque de les endormir toutes.

2. Cesser l’autocritique
Se sentir entièrement responsables de ce qui nous arrive, ne pas
faire la part des choses (la part de l’autre, sa responsabilité), s’en
vouloir, se flageller, est un excellent moyen pour se donner l’illusion
que la situation est sous contrôle. Inutile de songer à pardonner à qui
que ce soit et encore moins à nous-mêmes puisque notre
responsabilité, au moins, c’est du solide. Nous pouvons nous y
accrocher en demeurant maîtres du système.
La très grande majorité des enfants se vivent ainsi comme les
thérapeutes de leurs parents. Si ceux-ci font preuve de
comportements inadéquats (ils sont violents ou indifférents, leurs
exigences vis-à-vis des résultats scolaires ou de la politesse sont sans
limite), les enfants pensent qu’ils en sont responsables. Ils croient que
s’ils se montraient plus sages, plus ordonnés, leurs parents se
conduiraient autrement. Cette croyance se perpétue fréquemment à
l’âge adulte dans nos relations avec autrui.

3. Sortir de la victimisation

Quand nous lisons un vilain fait divers dans le journal, quand un


collègue ou une voisine nous rapportent des actions préjudiciables à
son encontre, nous sommes souvent outrés. Nous nous disons  :
« Comment cette violence est-elle possible ? » Nous leur disons : « Je
me demande comment vous avez pu supporter ça. »
Seulement, le rôle de victime n’offre pas que des désavantages. Il
permet de s’abandonner à la rumination, de se raconter que nous ne
valons pas grand-chose, que nous sommes nuls et sans avenir. Il
permet de se faire plaindre, de cultiver la rancune, des rancœurs, de
solliciter un dédommagement.
La plainte n’est pas seulement la dénonciation d’une infraction, ni
la demande, parfaitement justifiée, de réparation. Elle est aussi un cri
de douleur destiné à attirer l’attention. Pour un certain nombre
d’entre nous, c’est un moyen comme un autre d’exister. Un moyen
qui, d’ailleurs, fonctionnait très bien quand, petits, nos besoins et nos
désirs n’étaient pas suffisamment entendus, et quand nous nous
sommes aperçus qu’en étant tristes ou malades nous devenions
soudain un centre d’intérêt et de soins pour nos parents.

4. Oser la colère

Pour aller vers le pardon, il est nécessaire d’oser ressentir et


exprimer la colère que nous éprouvons à l’encontre de ceux qui nous
ont blessés. La ressentir, c’est nous autoriser à la penser, à la dire  :
« Je leur en veux », « Pourquoi m’ont-ils fait ça ? », « Je ne méritais
pas un tel traitement ».
Plus nos « bourreaux » nous sont proches en termes d’affect, plus
nous avons tendance à nous interdire ce genre de pensées.
Exactement comme si ces réflexions étaient dangereuses à la fois
pour nous-mêmes et pour ceux à qui elles sont destinées.
Dangereuses pour nous parce qu’elles font ressurgir de la culpabilité
et son corollaire, le spectre d’être puni de nos « mauvaises » pensées.
Dangereuses pour eux car nous fantasmons que notre colère risque
de les impacter dans la réalité, de les mettre en difficulté, de les
rendre malades.
Nous l’avons vu précédemment, la pensée est en effet créatrice.
Elle produit une énergie qui peut se répercuter sur l’action.
Cependant, tolérer notre colère, mieux l’accepter, de manière
ponctuelle, ne constitue pas un programme mental préjudiciable pour
ceux à qui nous en voulons. Un programme mental serait de nous
répéter, tous les jours, façon méthode Coué : « Je veux qu’Untel soit
puni, qu’il souffre autant que moi, qu’il ait un accident. »
Oser la colère c’est seulement reconnaître que nous avons le droit
de poser des limites, de dire non. Quand nous avons enfin pu la
reconnaître, il est très utile de l’exprimer à haute voix devant un tiers,
un psychothérapeute, un coach, un prêtre, un groupe de parole. De
préférence, ce tiers doit être neutre. Il ne doit pas être concerné par
la situation, partie prenante de notre histoire. Il n’a pas à nous dire
«  Tu as raison  » ou «  Tu devrais oublier  » ou «  Si j’étais toi, je me
vengerais »… Car personne ne peut se mettre à notre place.
Ce dont nous avons besoin, c’est de quelqu’un qui ne prenne pas
position, qui soit juste en posture d’écoute et d’accueil afin de
favoriser la catharsis, un mot qui en grec ancien signifie
«  purification  ». C’est l’évacuation des émotions par le biais de la
représentation dramatique. L’idée est qu’en assistant à un spectacle de
théâtre une personne va pouvoir se libérer de ses pulsions, de ses
angoisses et de ses fantasmes en les revivant à travers les héros et les
situations représentées sous ses yeux.
La catharsis désigne donc le processus de transformation et
d’élaboration de l’émotion en sentiment et en pensée. En
psychanalyse, le concept a été employé par Freud pour désigner la
prise de conscience d’une idée ou d’un sentiment jusque-là refoulé.
Les psychanalystes parlent aussi de « perlaboration », un néologisme
traduit de l’allemand pour désigner « le travail à travers ». Il s’agit de
ce travail qui consiste, au cours de la cure, à répéter encore et encore
les mêmes scènes, à reparler des mêmes événements jusqu’à ce que
l’amnésie soit mise en échec. Une conscientisation des symptômes
peut alors se mettre en place, ce qui permet de les supprimer.

5. La confrontation avec l’autre

Cette étape entraîne souvent des échanges houleux et des mises


au point pénibles. Soudain, la relation est remise en question. Ceux
qui nous ont meurtris contestent souvent notre réaction, surtout
quand ils n’ont jamais réalisé les conséquences de leurs actes. Mais
l’échange amène aussi, en particulier chez celui qui l’initie, une
ouverture presque spirituelle : c’est une ouverture à l’autre, à tous les
autres, qui tient de l’agapè, l’amour universel, celui qui se donne sans
contrepartie.
Cependant, la confrontation directe avec ceux (celles) qui nous
ont fait souffrir ou humiliés n’est pas toujours nécessaire. Le pardon
est d’abord un processus que l’on met en place pour soi. En
particulier lorsque toute communication a cessé ou que les
protagonistes ont disparu. Mais la confrontation peut s’avérer
indispensable quand il s’agit de personnes âgées ou malades, dont le
décès pourrait figer notre processus de pardon.

★ François, la paix avant tout


« Mon frère, explique François, était séropositif. Nous nous
étions perdus de vue depuis cinq ans au moment où j’ai
appris qu’il souffrait d’une “affection qui allait l’emporter à
plus ou moins long terme”. Nos rapports avaient toujours
été déplorables. C’était mon aîné de quatre ans. Lorsque
nous étions enfants, comme il était plus fort, il me
menaçait, me battait. Je pense qu’il n’a jamais supporté ma
naissance, de se retrouver en seconde position, ni que je
sois un garçon. Il se mettait en rivalité avec moi. Il n’a pas
du tout réagi de la même manière à l’arrivée de ma sœur
deux ans après lui. Au contraire, il la protégeait, se
comportait avec elle en “petit père”. À l’adolescence, c’est
devenu pire. J’avais 15  ans, lui 19, il savait tout,
comprenait tout, voulait me conseiller sur mes vêtements,
mes amis, mes copines. Il en a même dragué une dont
j’étais très amoureux. Je ne lui ai pas pardonné. Ensuite, il
a quitté la maison, il est parti travailler en Afrique et c’est là
qu’il a attrapé le sida. Je l’ai su par nos parents mais je ne
l’ai pas appelé. Jusqu’à ce que j’apprenne son
hospitalisation, la dernière. Il y en avait eu d’autres et je
n’avais pas réagi. Là, je me suis senti vraiment coupable. Je
me détestais. Je me disais que j’étais un égoïste, un lâche,
incapable de me comporter en adulte et de passer l’éponge.
Un jour, ma mère m’a téléphoné pour me dire que ses jours
étaient comptés. Après son appel, je me suis mis à sangloter
et j’ai décidé d’aller à l’hôpital. Notre mère était là, je lui ai
demandé de nous laisser seuls. J’ai dit à mon frère que je
regrettais de ne pas être venu plus tôt, que je ne lui en
voulais plus. Ce n’était pas tout à fait la vérité mais je me
sentais sur le chemin du pardon. Il m’a répondu que, ces
derniers mois, il avait beaucoup pensé à moi, il s’était remis
en question. Il avait fini par comprendre qu’il était
“embourbé dans la jalousie”. Moi qui croyais qu’il m’avait
toujours méprisé, je découvrais qu’il m’avait admiré, qu’il
me trouvait plus beau, plus intelligent que lui. Certain que
les parents s’en rendaient forcément compte, il n’avait
d’autre choix que de m’humilier. On a pleuré, on s’est
embrassé et il est mort trois jours plus tard. Ça fait six
mois… Quand je repense aujourd’hui à notre enfance, il
m’arrive encore d’avoir le cœur serré. Alors, je me
remémore notre dernier moment passé ensemble, son
repentir, nos larmes, je suis ému et je ressens une grande
joie à l’idée d’avoir fait cette démarche. Il m’arrive de prier
en pensant à lui, de prier à ma manière, je ne suis pas
vraiment croyant. Je lui demande pardon pour ma rancune,
je demande pardon à, je ne sais pas, disons à une énergie…
Et je me souviens de son regard à l’instant où l’on s’est
embrassé une dernière fois. C’était un regard fiévreux mais
tellement lumineux, un regard qui me rend plus adulte. »

Le point de vue psy
Le pardon, qu’on le vive en présence de ceux qui nous ont humiliés ou qu’il se forge
dans l’intimité du cœur, constitue toujours un acte de libération. C’est la marque
de notre force intérieure, le signe que nous sommes capables de nous dépasser. Il
nous confronte aux turbulences de notre humanité : la capacité de détruire et de
construire, d’accéder à une forme de transcendance. Il nous permet de reprendre
en main les rênes de notre histoire, de nous reconnaître et de reconnaître les
autres comme des personnes susceptibles de transformation, capables de retrouver
le chemin du bien. Le pardon n’est donc ni une grande lessive de printemps, ni un
coup d’éponge que nous passerions sur la réalité. C’est une sorte de (re)création
dont nous sommes les metteurs en scène, qui nous permet de revisiter des
événements, de les examiner en faisant la part de nos fantasmes, de nos
projections, de notre propre responsabilité. Au lieu de visionner continuellement le
même film, nous pouvons remanier le script, éclairer autrement les scènes.

Si la pratique du pardon se réalise souvent à deux dans le cadre


de la psychothérapie, on peut aussi la proposer en petits groupes en
choisissant parmi les patients ceux qui ont besoin de faire ce travail.
Effectué de manière collective, il nous apporte l’expérience des
autres, nous montre que nous ne sommes pas seuls à souffrir et haïr,
et à nous détester d’éprouver de tels sentiments.

LE PARDON POUR TOUS

Si les groupes de pardon et la notion elle-même se sont beaucoup


développés aux États-Unis et en Suisse, certains thérapeutes 3
protestent contre l’élargissement de cette pratique. Ils s’insurgent
contre l’emploi d’un mot à caractère mystico-religieux qui ferait la
confusion entre les victimes et les coupables. Pourquoi les victimes
devraient-elles se questionner longuement sur leurs propres
responsabilités, et les coupables ne plus être clairement désignés
comme agresseurs ?
Néanmoins, surtout quand il s’agit de violences ethniques,
interraciales ou religieuses, à l’échelle d’une région ou d’un pays, le
pardon, même s’il est très difficile, est nécessaire à l’instauration et à
la continuité d’un processus de paix. Il a ainsi joué un rôle important
dans l’évolution du protocole de réconciliation entre les Noirs et les
Blancs après la fin de l’apartheid en Afrique du Sud.
Ce processus de pardon officiel et collectif s’inscrit dans la
démarche de solidarité transgénérationnelle initiée par Iván
Böszörményi-Nagy, un psychiatre américain, pionnier dans les
domaines de la thérapie familiale et de la psychogénéalogie. En
croisant les données de la psychanalyse et de l’analyse systémique, il
va forger une approche «  contextuelle  » qui souligne les liens entre
ceux qui donnent et ceux qui reçoivent, qu’il s’agisse de bons ou de
mauvais traitements.
La notion de contexte montre qu’il existe toujours une
interdépendance entre les personnes. L’autre constitue une
contrepartie essentielle de soi. L’ensemble des personnes impliquées
dans un échange est responsable de la relation. Il ne s’agit nullement
de valider de mauvaises actions mais de montrer comment en les
perpétuant dans la vengeance elles vont se réactualiser dans les
actions des générations suivantes. Qui sème le vent récolte la
tempête…
L’approche contextuelle se fonde sur deux postulats :
Les décisions et les actes d’une seule personne peuvent influencer
l’existence de toutes celles qui lui sont reliées.
La vie relationnelle de quelqu’un est solidaire de la responsabilité
des personnes qui ont contribué à ses modes d’existence.
Autrement dit, même lorsque nous n’avons pas participé à une
mauvaise action, nous pouvons en rester débiteurs comme si nous
devions payer les fautes de nos parents ou de nos ancêtres.
Il s’agit donc d’instaurer un nouveau paradigme au sein de la
pratique psychothérapeutique, celui de l’éthique relationnelle. Le
thérapeute doit travailler les notions de confiance, de loyauté, de
justice et d’injustice, de dette, afin de restaurer les relations et l’équité
au sein de la famille.

SE FAIRE PARDONNER

Mais après tout… peut-être est-ce nous qui sommes coupables ! Il


nous faut donc nous excuser.
Les excuses ne constituent pas seulement un rituel social, une
manière de nous comporter dans le monde en faisant preuve de
bonnes manières. Elles permettent de souligner que nous éprouvons
du respect et de l’empathie pour la personne que nous avons lésée. Si
les excuses ne peuvent évidemment pas modifier le contenu des
actions ou des paroles passées, elles peuvent en améliorer le
caractère négatif. Elles permettent à celui qui a été offensé de
mesurer notre capacité à reconnaître nos erreurs, notre désir
d’apaiser sa rancœur et notre volonté de restaurer les liens.
L’excuse ne doit pas apparaître comme une manipulation. Elle doit
être présentée avec sincérité, venir de l’intérieur, se communiquer à la
fois de manière verbale et non verbale dans notre regard, le son de
notre voix, nos gestes. Elle suppose :
La responsabilité. Nous reconnaissons pleinement nos torts en ne
cherchant pas de « bonnes excuses » pour adoucir les faits. Nous
n’essayons pas d’impliquer notre interlocuteur dans un système de
coresponsabilité  : «  C’est toi qui as commencé  » ou «  Si tu ne
m’avais pas dit… »
Le regret. Nous faisons preuve d’empathie face à ce qui est
ressenti par l’autre, peine ou colère.
La réparation. Si nous ne pouvons pas modifier ce qui s’est passé,
nous pouvons nous engager à améliorer le présent et le futur en
affirmant que nous ne répéterons pas les mêmes erreurs.
Les excuses sont parfois difficiles à prononcer  : elles blessent
notre ego, elles nous donnent le sentiment de nous abaisser, nous
considérons que l’autre est, en partie, responsable… Pourtant, elles
vont généralement nous conférer un sentiment de liberté. Au lieu de
remâcher notre gêne, d’assister, impuissants, à la débâcle de la
relation, nous pouvons au contraire décider de la poursuivre, d’en
modifier le contenu et l’intensité. Nous pouvons aussi choisir de
l’interrompre.

Acceptez ce qui est
« Il faut accepter les coups de pied de la vache comme on accepte
son lait et son beurre. »
proverbe indien

ACCEPTER DE RECEVOIR

Le dictionnaire propose deux définitions du terme « accepter » :


recevoir volontairement ce qui est offert ;
se résigner à ce qui est inévitable.
À première vue, recevoir semble plus sympathique que se
résigner… Il est évidemment plus facile d’accepter un mot gentil, un
sourire, un cadeau qu’un reproche ou l’attitude décevante d’un
proche. Mais curieusement, nombre d’entre nous ont du mal à
recevoir le positif, un compliment par exemple. Ils ne s’estiment pas
assez pour admettre qu’on les apprécie. Ce qu’ils ne s’accordent pas,
ils refusent qu’un autre le leur attribue. Souvent, ils imaginent que ce
signe d’attention est une manœuvre pour mieux souligner leur
manque de valeur. Les orgueilleux estiment qu’on n’a pas
suffisamment flatté leur ego, et les humbles sont gênés d’être
considérés.
Positif ou négatif, il nous est donc difficile d’accepter ce qui est :
une bonne ou une mauvaise parole, un succès ou un échec, mais
aussi notre âge, notre physique, notre métier, tout ce qui constitue
notre vie en ce moment. Certains éléments de celle-ci peuvent être
transformés  : nous pouvons changer de profession, renoncer à une
relation toxique, faire du sport ou un régime pour modifier notre
apparence. En revanche, nous devons faire avec notre âge. Quels que
soient les soins que nous lui accordons, notre corps portera plus ou
moins les outrages du temps.
Nous sommes révoltés  ! Quels que soient nos motifs, nous nous
rebellons, nous refusons l’évidence, nous ne tolérons pas ce qui est. Et
cela nous plonge dans le désespoir, la colère, les regrets, la
frustration, bref, un ensemble de souffrances psychiques qui, parfois,
vont faire le lit de la maladie.
En réalité, ce que nous dénions, ce qui nous effraie, c’est le
changement. Or, à chaque instant, une page se tourne  : des cellules
de notre corps meurent et de nouvelles cellules apparaissent  ; une
ride se forme  ; une idée n’a plus cours. Mais nous restons sourds à
cette évidence car elle échappe à notre regard et à notre lucidité.
Nous nous contemplons dans un miroir et soudain – pourquoi à ce
moment-là, sommes-nous fatigués ou de mauvaise humeur  ? – nous
constatons que nous ne sommes plus les mêmes. Un compagnon nous
quitte, et nous ne savions même pas que la relation battait de l’aile.
Notre travail nous écrase sans que nous ayons pris conscience de
notre lassitude, des signaux que nous envoyaient notre esprit ou
notre corps.
L’acceptation passe par la découverte de soi-même. Nous devons
mener une investigation régulière, faire preuve de perspicacité et de
finesse pour interpréter les bons messages : un mal de tête récurrent,
une fatigue sans rime ni raison, des échanges avec une personne
aimée qui se raréfient, le sentiment de passer à côté de la vie.
Tout se métamorphose, mais nous aimerions figer le temps, en
faire un continuum solide, stable, afin de préserver notre sécurité.
Comme si le présent qui, par définition, est un moment fugitif en
perpétuel mouvement devait durer. Nous nous accrochons à nos
acquis ainsi que des toxicomanes à leur produit car nous voulons
garder la main, nous maintenir en position de contrôle. Nous tenons
à nos idées, à ce que les événements se déroulent selon nos souhaits,
à être parfaits, à faire de nos expériences des modèles définitifs.
Lorsque la réalité entre en conflit avec nos idéaux, nous nous
révoltons : « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter cela ? »

FAIRE SON DEUIL

Parfois, la vie nous joue un vilain tour. Ce que nous jugions


immuable soudain vole en éclat et brise notre équilibre.

★ Franca et le choc de la rupture


Franca a toujours tout réussi dans la vie, des études
brillantes, des parents soutenants, un couple harmonieux,
deux enfants qui lui donnent satisfaction. Quand Pierre,
son mari, lui annonce qu’il a une liaison, elle tombe des
nues  : «  J’ai cru à une blague quand il m’a parlé de sa
maîtresse. C’est quelqu’un de joueur et, comme il sait que
je suis assez jalouse, il lui est déjà arrivé de me parler de
certaines clientes qu’il trouvait jolies pour me titiller. Mais
quand j’ai vu sa mine ennuyée, presque compassée, son
corps qui ne bougeait pas, j’ai compris qu’il était sérieux. En
tant qu’avocate, je m’étais souvent dit qu’un coup de canif
dans le contrat ne nécessitait pas les bouleversements d’un
divorce, surtout quand il y avait des enfants. Mais devant le
fait accompli, j’étais affolée, mon cœur battait à cent à
l’heure, même si j’essayais de ne rien laisser paraître. J’étais
obnubilée par une idée fixe : “Il faut sauver notre couple, il
faut sauver notre couple.” Au fond, je pense que j’avais
honte de me retrouver, moi, spécialiste du droit, une pro de
la séparation, experte en garde d’enfant alternée et en
liquidation de communauté, dans une situation analogue à
celle de mes clients. J’ai proposé à Pierre, qui est avocat lui
aussi, de nous séparer quelque temps. Il pouvait s’installer
un peu chez ses parents, et moi, conserver l’appartement.
Restait en commun notre cabinet mais puisqu’on disposait
de deux espaces différents… “Justement”, m’a-t-il rétorqué.
Ce “justement” voulait dire que son amie était l’une de nos
collaboratrices associées, une femme importante pour le
maintien du chiffre d’affaires. Il voulait donc déménager
son cabinet, emmener sa maîtresse pour mieux développer
“leur” clientèle. Il a laissé, comme il me l’a dit, le “reste en
suspens”. Je me suis effondrée. Je n’en revenais pas, je
n’avais rien vu. Pourtant, depuis plusieurs mois déjà, il ne
m’accompagnait plus à certaines soirées, il avait repris le
sport de façon intensive, son air était absent, ses réponses
monosyllabiques, on ne faisait plus l’amour… Je ne m’en
étais même pas aperçue. J’avais mis tout ça sur le compte
du temps qui passe, un compte normal, ordinaire.
Aujourd’hui, Pierre est remarié avec elle. »

Certains événements nous sont insupportables  : le décès d’un


proche, l’annonce d’une maladie grave, d’un licenciement ou d’une
rupture. Il nous faut « faire le deuil » d’une présence, d’un équilibre,
d’une sécurité. Le docteur Elizabeth Kübler-Ross, une psychiatre
américaine, a formalisé les différentes étapes du deuil  : le choc, le
déni, la colère, le marchandage, la tristesse voire la dépression,
l’acceptation et la reconstruction.

1. Le choc

Très souvent, il s’agit d’une phase très courte. La personne


n’exprime pas forcément d’émotion. L’annonce l’a laissée mutique, elle
retient son souffle, son regard est fixe. Mais elle peut aussi se mettre
à trembler de façon convulsive alors que son visage n’exprime rien.
C’est un état de stupeur émotive qu’on appelle en psychologie
« sidération ». Il répond à la brutalité des paroles entendues : « Je te
quitte » ou « Vous ne faites plus partie du personnel ».

2. Le déni

3. La colère et le marchandage

L’individu se confronte avec la réalité et se révolte contre lui-


même et/ou celui qui l’a blessé. Il bat sa coulpe  : «  Je vais
m’amender ». Ou bien il promet la vengeance : « Tu me le paieras ».
Mais il s’oriente aussi vers une phase de marchandage, qui prend
parfois une tournure magique et religieuse. Nous nous en remettons à
Dieu, croyants ou non, à une sorte d’entité supérieure devant qui
nous nous engageons à changer, pourvu que tout soit comme avant.
Reproches et remords, agression et séduction s’arrogent tour à tour le
devant de la scène. Nous voudrions faire plier l’autre.

4. La tristesse et/ou la dépression

C’est la phase la plus difficile car nous pouvons passer de la


tristesse, plus ou moins profonde, à la vraie dépression, celle qui va
nous obliger à prendre des médicaments, à consulter un thérapeute,
voire nous conduire à l’hôpital. C’est un état de désespérance intense
où nous avons l’impression que, sans l’autre tant aimé ou sans ce job
qui nous assurait un avenir, nous ne sommes plus rien. Nous nous
demandons ce que nous allons devenir. Demain nous semble morne
et sans projets car l’objet perdu constituait un étayage, une colonne
vertébrale destinée à nous faire tenir debout. Du moins est-ce ce que
nous pensons.

5. La résignation

Nous abandonnons la lutte, nous n’avons plus de force pour


combattre, nous sommes fatigués et avons l’impression d’avoir « tout
essayé » pour revenir en arrière. Souvent, nous ne savons plus quelle
conduite tenir : « Faut-il déménager pour oublier le couple que nous
avons formé  ?  », «  Est-ce que je dois changer de voie
professionnelle  ?  » Nous nous laissons fréquemment porter par les
événements, nous voguons au fil des opportunités.
6. L’acceptation

Au cours de cette phase, nous acceptons la réalité telle qu’elle est.


Nous acceptons la perte de l’être cher, celle de notre travail. Nous
conservons les bons moments de ce qui a été vécu mais nous
reconnaissons aussi les autres, les tensions, les disputes, les
frustrations. Notre estime de nous remonte, et le présent comme
l’avenir ne nous paraissent plus aussi sombres. Il nous arrive encore
de nous retourner vers le passé mais nous pensons : « Maintenant, je
vais mieux et je vais me sortir complètement de cette histoire. »

7. La reconstruction

Nous prenons conscience que le fait d’avoir accepté la situation ne


suffit pas. Nous nous mettons alors à réorganiser notre vie sans la
personne aimée, sans cet emploi qui nous tenait à cœur, dans cette
autre ville ou cette autre maison qui est maintenant la nôtre. Cette
reconstruction nous conduit à mieux nous connaître. Nous
découvrons des ressources mais aussi de nouveaux désirs. Nous nous
disons maintenant  : «  Je sais que je vais rencontrer quelqu’un
d’autre » ou « Je vais profiter des circonstances pour me reconvertir
professionnellement ».

LÂCHER PRISE

Ces différentes étapes permettent de comprendre qu’un des


fondements du mieux-être est le lâcher-prise. Il ne s’agit nullement
d’abandonner tous ses idéaux, de se laisser porter par les événements
comme une coquille de noix sur l’océan, mais de reconnaître que
nous ne sommes pas tout-puissants, qu’il faut parfois s’incliner devant
une volonté qui nous dépasse : un enfant qui a envie de prendre son
indépendance, un homme ou une femme qui ne nous aime plus, une
entreprise qui ferme.
Et c’est l’étape de reconstruction qui va nous assurer de nouvelles
idées, nous permettre de faire face malgré les difficultés financières,
la nostalgie du passé. Selon le bouddhisme, l’attachement constitue
l’un de nos plus grands écueils. Il est naturel de s’attacher à nos
proches, notre conjoint, nos enfants, nos parents, la famille au sens
large, les amis… Mais est-il si nécessaire de rester ficelés dans nos
jugements, nos valeurs, les maisons ou les objets qui font partie de
notre décor habituel  ? Ceux que nous aimons possèdent une
existence propre. Par conséquent, ils peuvent nous décevoir, nous
quitter. Un appartement, des meubles, des bibelots sont nécessaires à
la qualité de notre vie. Mais est-il obligatoire de penser que nous ne
pourrions jamais nous en séparer ?
Une rencontre amoureuse heureuse, un changement de situation
professionnelle peuvent un jour nous amener à changer de cadre, à
remiser à la brocante ou au grenier tous ces objets auxquels nous
tenions tant. Ce n’est pas du goût de l’autre, ça ne correspond plus à
notre idée d’un environnement qui nous plaît. Savoir cela, en prendre
conscience profondément, n’implique ni séparation ni rejet de ce à
quoi nous tenons aujourd’hui. Il s’agit juste de penser tout lien en
termes «  d’ici et maintenant  », de relativiser nos liens et de lâcher
prise.

Désencombrez-vous
« On peut aussi bâtir quelque chose de beau avec les pierres
du chemin. »
GOETHE
LA PEUR DU VIDE

La société dans son ensemble nous pousse à accumuler. La crise


économique nous incite à conserver ce que nous possédons et nous
oblige parfois à multiplier les activités professionnelles afin de vivre
convenablement. La pub, avec ses soldes et ses promotions en tout
genre, nous fait courir pour acheter, stocker ce dont nous n’avons pas
forcément besoin afin de pallier notre peur de manquer.
Ce pseudo-manque repose également sur l’illusion qu’une
existence «  bien remplie  » se fonde forcément sur la possession de
tout ce qui nous est offert, permis, accessible, qu’il s’agisse de mode,
d’équipements ménagers ou de décoration. Certains souhaitent aussi
« remplir » leur esprit. Ils « consomment » le nouveau film, le dernier
spectacle, le petit restaurant à la mode. Résultat, nos poubelles sont
pleines de jouets qui n’ont quasiment jamais servi, de matériel
informatique en parfait état de marche mais devenu obsolète –  il
nous faut la dernière tablette, le tout nouveau portable. Même si
notre espace vital s’en ressent, nous avons du mal à jeter, et nos
maisons comme nos esprits ne désemplissent pas.
Parallèlement, la situation économique nous invite à la
décroissance. Le succès de la méditation, notamment la pleine
conscience, entre en contradiction avec certains de nos idéaux. Faire
le plein a du mal à faire bon ménage avec faire le vide. Car nous
craignons de perdre notre richesse intellectuelle, d’être contraints de
vivre pauvrement.
Comment concilier nos aspirations spirituelles et notre souci
légitime de bien vivre ? En apprenant d’abord à distinguer le désir du
besoin.
Ce qui est convoité dans le désir est la jouissance, un état dans
lequel nous profitons de ce que nous obtenons, mais nous en
profitons en solitaires. L’orgasme, même partagé, reste une expérience
individuelle, de même qu’un excellent repas. Quelle que soit la
personne qui nous accompagne, au lit ou à table, aucune ne pourra
exactement ressentir ce que nous éprouvons. Une fois la jouissance
obtenue, celle de l’amour ou des aliments, celle d’un objet ou de la
drogue, nous éprouvons un manque même si, durant quelque temps,
nous ressentons un sentiment de satisfaction.
Mais cette satisfaction s’ouvre sur une béance. Il va nous falloir
recommencer encore et encore, dans un manque perpétuel qui est
constitutif du désir lui-même. On pourrait comparer notre marche
vers le désir à un homme qui espère atteindre l’horizon  : plus il
avance, plus l’horizon recule. Va-t-il finir par comprendre que sa
quête est vaine ?
Le désir est souvent mimétique  : nous voulons nous approprier
l’objet des désirs de l’autre, sa réussite, sa voiture, le bel homme ou la
jolie femme qui se pend à son bras. L’autre et ce qu’il possède sont le
vecteur d’une certaine image de soi. Sans cela, nous ne désirerions
rien. Nous nous contenterions de satisfaire nos besoins  : celui de
boire et de manger, celui de vivre sous un toit, de travailler ou d’être
pris en charge, d’être protégé des dangers extérieurs.
« Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient
jamais entendu parler de l’amour  », écrivait La Rochefoucault 4. Au
contraire du besoin, le désir n’implique pas une nécessité. Il est
simplement bon, utile à notre confort psychique et physique. Et au-
delà, il nous invite à la réflexion sur la multiplication de nos
prétendus besoins ou, plus précisément, des désirs camouflés en
besoins.

L’ART DU DÉSENCOMBREMENT
Avons-nous réellement besoin d’une trentaine de paires de
chaussures et des sacs qui vont avec  ? Pouvons-nous affirmer en
conscience que nous profitons de chacun d’eux  ? Est-il obligatoire
d’accumuler les petits appareils électroménagers qui rouillent dans
notre placard au lieu de profiter pleinement de la grosse machine
« qui fait tout » – et qui nous a d’ailleurs coûté le prix d’une semaine à
Ibiza ? Est-il capital de multiplier les relations au lieu de faire grandir
les liens avec une dizaine de personnes sûres  ? Pourquoi laisser
proliférer des bibelots de petite facture alors que nous sommes en
possession de deux ou trois beaux objets qui viennent de notre
famille ?
Nous consommons beaucoup car nous sommes assez rarement
satisfaits de ce que nous détenons. Nous ne pensons pas toujours à
remplacer la quantité par la qualité. Pour y remédier, une seule
solution existe : faire le vide en soi et autour de soi. Quelques pistes
pour vous mettre sur la voie :
Donnez, vendez ou jetez les vêtements qui ne vous vont plus et
ceux que vous ne portez jamais  ; les objets ou les ustensiles
tellement inutiles ou invisibles que vous ne savez même plus où
ils sont ; les meubles encombrants mais peu pratiques ; les livres
qui n’ont pas de valeur sentimentale.
Ne dépensez pas plus que ce que vous gagnez, cessez de vivre à
crédit sauf pour les achats importants.
Privilégiez des aliments aussi peu transformés que possible  ;
étudiez les étiquettes, notre organisme n’a pas besoin de tous les
additifs qui y figurent. Faites la cuisine avec des produits simples,
une cuisine de base qui respecte votre peu de temps à y consacrer
mais aussi vos papilles.
Maintenez et développez de bonnes relations avec les personnes
en qui vous avez réellement confiance  ; conservez une certaine
réserve avec les autres.
Donnez-vous du temps  ; installez-vous régulièrement dans un
espace où vous pourrez être seul et vous immerger dans le
silence ; vous avez besoin de tranquillité.
Vivre de peu (ou de moins) ne signifie pas vivre dans la
médiocrité, le repli, la famine ou la pénurie. C’est un moyen pour
profiter pleinement de tout ce que nous possédons en nous et autour
de nous. Une manière de ne plus aller quêter ailleurs la richesse qui
existe là, ici et maintenant.

Soyez bon
« J’appelle l’amour et la compassion une religion universelle.

Telle est ma religion. »
Le DALAÏ-LAMA

LA COMPASSION

La compassion vient du latin com patir, «  souffrir avec  », et du


grec sym patheia, qui a donné sympathie. C’est un état qui nous incite
à percevoir et reconnaître la souffrance d’autrui, dans un mouvement
de solidarité. Nous sommes en lien émotionnel, en sympathie avec
l’autre. La compassion peut aussi s’exercer vis-à-vis de nous-mêmes :
nous nous soutenons quand une contrariété survient.
Dans le bouddhisme, elle se définit comme l’aspiration à mettre
fin à toutes les souffrances et à leurs causes. Pour les chrétiens, c’est
un acte de partage et de fraternité où nous engageons notre
humanité tout entière pour accompagner ceux qui sont dans
l’affliction. La compassion s’inscrit aussi dans l’islam à travers le
zakât, troisième pilier de cette religion, qui exige que tout bon
musulman fasse preuve d’attention et de charité envers les pauvres.
Elle est également l’un des principes importants du judaïsme, la
tsedaqa, qui est l’obligation de donner aux plus pauvres. C’est le
principe de l’aumône.
Si l’on confond souvent la compassion et la pitié, elles sont
pourtant différentes. La pitié s’instaure comme une émotion ressentie
devant le malheur d’autrui. C’est une forme d’empathie déguisée qui
se teinte souvent d’un peu de condescendance. Nous éprouvons de la
pitié pour le sans-abri, nous lui donnons une pièce et l’oublions…
Quand notre pitié s’exprime, il est fréquent qu’elle renforce la
souffrance de son destinataire – en même temps que notre ego. Notre
«  Mon pauvre  » fait tout aussi bien référence aux difficultés que
rencontre autrui qu’à notre soulagement de ne pas être dans une
situation analogue. Mieux encore, nous nous sentons valorisés par
notre élan de pseudo-sympathie…
La compassion est la forme que prend l’amour altruiste (agapè)
quand il est confronté à la souffrance de l’autre. Il faut donc que nous
prenions conscience de sa douleur, que nous nous sentions concernés
par son équilibre, que nous souhaitions son bien-être, son
rétablissement. Et que nous soyons prêts à nous mobiliser en ce sens.
Il est rare que la compassion nous soit étrangère lorsqu’il s’agit
d’un proche. Mais avons-nous songé qu’elle pouvait s’étendre à tous
les êtres vivants  ? Et plus encore à la nature, aux forêts, aux cours
d’eau, à la mer, à l’air que nous respirons ? Si oui, pollutions diverses
et maladresses environnementales en seraient, du même coup,
évitées.

★ Charly et l’accident de voiture


« On rentrait ma femme et moi d’une soirée un peu arrosée.
On riait et on chantait dans la voiture. À un carrefour, une
autre voiture a surgi et je n’ai pas pu l’éviter. Notre fils de
18 mois était mal attaché, il est passé par-dessus la
banquette, je l’ai vu voler vers le pare-brise. Heureusement,
personne ne roulait vite car il y avait du brouillard.
Gaspard est resté un moment dans le cirage mais,
heureusement, il n’avait presque rien, ma femme non plus.
Nous étions terrifiés, nous tenions notre petit garçon dans
nos bras, il avait les yeux fermés… Ma femme sanglotait. Je
n’avais jamais ressenti un tel sentiment de détresse. Je
n’éprouvais rien d’autre que la souffrance de mon fils. Je la
ressentais comme si c’était la mienne, dans un sentiment
d’angoisse et d’impuissance. Nous sommes restés là,
hébétés, la voiture arrêtée sur le bas-côté jusqu’à ce qu’une
femme, complètement affolée, frappe à la vitre. Elle criait :
“Sauvez ma mère, sauvez ma mère.” Je suis sorti pendant
que ma femme appelait les secours, et j’ai découvert une
vieille dame, la tête appuyée contre le pare-brise éclaté de
l’autre voiture. La jeune femme tremblait de façon
convulsive. Elle regardait sa mère et m’a dit  : “Elle est
cardiaque, elle a 86  ans.” Puis elle a failli s’évanouir et je
l’ai retenue. Je la tenais dans mes bras et, à ce moment-là,
un sentiment de “fusion” avec elle m’a envahi. J’étais “sa”
souffrance et la souffrance de sa mère. J’étais mon fils et
ma femme, j’étais tout le monde, toute la souffrance du
monde. »
Le point de vue psy
Même si nous n’en avons pas toujours conscience, nous sommes tous
interdépendants. Nous recherchons généralement le bonheur et essayons de
souffrir le moins possible –  en dépit de nos petites névroses singulières et des
valises que nous traînons. Si nous en prenons conscience, il est facile d’imaginer
qu’il en est de même pour tous les autres, et pas seulement pour notre entourage,
nos proches, ceux que nous aimons. Quand nous comprenons l’importance de la
compassion, nous nous apercevons qu’elle est utile à l’échelle du monde, qu’elle
concerne tous les êtres, quelles que soient leur origine, leur culture, leur religion ou
leur couleur de peau. Dans un travail de psychothérapie, une fois que le patient a
exprimé sa colère, qu’il a été entendu, que personne ne lui a dit que cela n’était pas
« convenable », il peut alors s’engager dans la compassion, laquelle va le libérer de
ses tensions, lui permettre de se sentir soudain plus léger.

Richard D. Davidson, professeur de psychologie et de psychiatrie à


l’Université de Madison dans le Wisconsin, explore les relations de la
science et du bouddhisme. Il y a une dizaine d’années, il se lance
dans l’étude de la compassion chez des moines tibétains en
contemplation. Ceux-ci pratiquent une méditation spécifique appelée
« état de pure compassion » ou « compassion non référentielle », soit
une compassion qui ne porte sur aucun objet précis.
Grâce à l’imagerie par résonance magnétique et un
électroencéphalogramme, il constate que leur état entraîne une
augmentation des ondes gamma, des ondes cérébrales de haute
fréquence, reliées à des activités complexes comme la perception et
l’attention. Il note que la clarté de la perception s’amplifie comme si
un « brouillard mental » se levait. Plus les méditants sont avancés –
 entre 3 000 000 à 50 000 heures de méditation –, plus leurs ondes
gamma sont intenses.
Ces ondes sont présentes chez tout un chacun quand le cerveau
exerce une activité soutenue (l’attention, la mémorisation). Les
chercheurs se sont aperçus qu’elles reliaient et synchronisaient les
différentes populations. La «  cohérence de l’activité cérébrale  » est
augmentée. Une augmentation qui se maintient même après les
séances de méditation, comme si une restructuration du cerveau se
produisait sur le long terme, proportionnelle au nombre d’heures de
méditation.
On observe aussi chez les méditants une activation du cortex
préfrontal gauche, le siège des émotions positives. La compassion, et,
mieux encore, la «  méditation sur la compassion  », est donc une
pratique qui nous permet de transformer notre cerveau  ! Il est
parfaitement possible d’activer de nouvelles connexions cérébrales
qui seront à l’origine d’émotions positives et d’une plus grande
attention à nous-mêmes, aux autres, au monde.
Les recherches ont également montré que la pratique de la
méditation modifie certaines zones du cerveau dont la taille va
s’épaissir ou augmenter, notamment dans le cortex préfrontal droit.
Or, cette zone nous permet d’intégrer nos pensées et nos émotions au
quotidien. Ainsi, la compassion nous rend-elle à la fois plus humains,
plus joyeux et plus intelligents.
N’adressons pas seulement cette si belle compassion à l’autre  :
nous la méritons tout autant. Cessons de nous autocritiquer en
permanence et apprenons à nous réconforter en cas d’échec ou de
souffrance. Généralement, nous attendons des autres qu’ils comblent
nos besoins d’amour et de sécurité, d’acceptation et de
reconnaissance. Mais nous pouvons aussi les trouver en nous-mêmes.

L’ALTRUISME

L’altruisme est un mot employé pour désigner un comportement,


des actes qui ne présentent pas de bénéfices pour celui qui les
exécute mais qui profiteront à d’autres. Ainsi le sacerdoce de certains
soignants ou religieux qui vont consacrer leur vie à soulager des
malades. Il désigne aussi un amour désintéressé des autres, le souhait
que ceux-ci-ci soient heureux sans rien en attendre en retour.
À ce sujet, la neurobiologie a permis de faire deux découvertes
d’importance.
En 1996, le neurologue italien Giacomo Rizzolatti découvre
l’existence de «  neurones miroirs  » présents chez les macaques, des
primates installés sur trois continents –  ce qui est rare  – et chez les
humains. Ces neurones sont notamment activés quand un individu
observe l’action d’un autre individu et en éprouve le ressenti : il voit
l’autre manger, il a faim. Ainsi les neurones de la douleur se mettent
en action aussi bien chez celui qui souffre que chez celui qui le
regarde souffrir. En somme, la formule «  Votre peine me fait mal à
moi aussi » serait, physiologiquement, fondée.
L’autre découverte majeure concerne les zones cérébrales de la
satisfaction –  ou, à l’inverse, celles de dégoût. Elles «  s’allument  »
autant à la vue d’un objet répugnant que devant une situation
d’injustice. En clair, nous sommes tout aussi satisfaits par un bon
repas que par un geste de générosité.
L’altruisme n’attend pas le nombre des années. On a pu observer
des comportements d’aide désintéressée chez de tout jeunes enfants
de 14 à 16 mois. Il s’agirait d’un penchant spontané, « naturel », qui
n’est ni la conséquence de la culture, ni celle de l’éducation. En
revanche, éducation et culture vont se montrer déterminantes dans
l’apparition des valeurs et des attitudes ultérieures. Selon les idéaux
transmis par leurs parents, les enfants se montreront plutôt
égocentriques ou à l’écoute d’autrui, ils développeront un esprit de
compétition ou un sens de la générosité, ils seront plutôt bienveillants
ou critiques.
Des recherches ont été conduites à l’Institut d’anthropologie Max
Planck de Leipzig, en Allemagne. Les volontaires étaient
accompagnés de leur enfant, âgé de 1 à 3  ans. Celui-ci est installé
dans un environnement inconnu mais ses parents restent dans la
pièce afin qu’il ne soit pas effrayé. En revanche, ils n’interviennent
pas, ne lui donnent aucune indication et ne lui adressent pas la
parole. Un homme entre dans la pièce, les bras encombrés de paquets
et se dirige vers un placard, dont les portes sont closes, avec
l’intention manifeste d’y déposer ses paquets. Comme ses bras sont
chargés, il n’y parvient pas, il recule, il semble agacé et, finalement,
abandonne la partie en examinant le placard d’un air dépité. Le petit
observe la scène et finit par avancer afin d’ouvrir le placard. Dans
certaines séances, les enfants ne savaient pas encore marcher, mais ils
se sont dirigés vers la porte, à quatre pattes, afin de l’ouvrir.
Dans d’autres tests, les chercheurs ont compliqué la situation en
entourant l’enfant de jouets afin que son attention soit captée. Il s’y
est intéressé mais cela ne l’a pas empêché de se lever pour aider
l’individu en difficulté. Dans d’autres expériences, il s’agissait de
ramasser une pince à linge tombée à terre de l’autre côté d’un muret.
Là aussi, les enfants se sont efforcés d’aider la personne en difficulté.
Les chercheurs ont donc estimé que de très jeunes enfants étaient
spontanément disposés à accorder leur aide. Leur conclusion est que
l’apprentissage de la socialisation ne consiste pas à lutter contre des
dispositions naturellement égoïstes mais, au contraire, à s’appuyer
sur des aptitudes innées à l’altruisme 5.
Les médias nous offrent à lire, à entendre ou à regarder le
panorama d’un monde envahi de violence et d’égoïsme. Mais les actes
de bonté et de générosité, d’aide sans attente de retour, existent bel et
bien. Il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner avec attention ce qui
se passe dans notre environnement le plus proche, notamment, dans
les associations, les fondations qui œuvrent pour le mieux-être de
tous. Partout, des volontaires de tout âge se mobilisent pour visiter
des personnes âgées, des malades, des prisonniers. D’autres se
préoccupent de l’enfance en péril, de notre environnement ou de la
condition animale.
Il semble qu’il existe deux types d’amour altruiste. Le premier se
manifeste spontanément selon des facteurs biologiques hérités de
l’évolution. Il nous conduit à prendre soin de tous ceux auxquels nous
sommes attachés, nos enfants, nos proches, nos amis. Le second, au
contraire, est impartial. Il peut s’étendre à l’humanité tout entière
dans une bienveillance sans limites. La plupart du temps, et chez la
plupart d’entre nous, il n’est pas spontané, il exige d’être cultivé, il est
fonction des discours que nous avons entendus dans notre enfance,
des expériences vécues.
Cet altruisme-là se construit et s’entretient. Il nécessite une
attention quotidienne aux autres. Cet enfant, le petit voisin qui traîne
régulièrement seul dans la rue, est-il solitaire parce qu’il n’ose pas
aller vers les camarades de son âge  ? Pourquoi ne pas l’inviter à
partager les jeux de nos propres enfants ? Cette vieille dame que vous
avez repérée, toujours à la même heure, assise tristement sur un
banc, est peut-être isolée, ses enfants sont loin, ne viennent plus la
voir. Pourquoi ne pas engager la conversation, l’inviter à boire un
café, un thé ? Les occasions de faire le bien, de s’intéresser aux autres
sont multiples. Elles permettent de développer une société plus
ouverte et plus coopérative, construite sur des valeurs de solidarité et
de fraternité.
L’altruisme malveillant ?
En psychanalyse, l’altruisme constitue un « mécanisme de défense », le moyen
de sublimer notre agressivité. Anna, la fille de Freud, dira même qu’il n’est qu’une
« manifestation du masochisme », une sorte de posture sacrificielle qui nous évite
de reconnaître nos besoins en faisant passer ceux d’autrui avant. En fait, l’altruisme
ne s’instaure pas comme un effacement de soi mais comme une ouverture. Il
n’apparaît plus seulement comme une valeur morale, mais comme une attitude
pragmatique. En considérant l’évolution des espèces, on remarque que la
coopération apporte des progrès infiniment plus importants que la compétition.
Selon de nombreux chercheurs, l’altruisme serait ainsi une inclination naturelle,
inscrite dans notre biologie, au même titre que l’agressivité ou la violence. Il ferait
partie de la nature humaine avant même que l’éducation et la culture n’entrent en
jeu.

Pourtant, le biologique ne résume pas l’être humain. Nous


possédons tous des zones d’ombre, des territoires psychiques secrets
qui, pour l’instant, n’ont pas délivré d’explications.
Attention, cependant, au piège de l’altruisme. Certains de nos
patients sont tombés malades à force de vouloir protéger et satisfaire
un proche, un père, une mère. L’une des tâches du psychanalyste, du
psychothérapeute, est précisément de libérer son patient des
empoisonnants «  Après tout ce que j’ai fait pour toi  » ou «  Tu me
remercieras plus tard ».
Se dévouer corps et âme peut aussi constituer un piège qui va
nous empêcher de nous connecter à nos vrais besoins, aux valeurs
que nous avons envie de défendre. En demeurant prisonniers des
idées défendues par l’autre, de ses conventions, de ses diktats, nous
mutilons notre propre créativité, notre capacité à inventer notre
histoire au fur et à mesure. Le «  don total de soi  » constitue une
impasse. Il nous place en posture de sacrifice comme l’agneau devant
le loup.

LA GENTILLESSE

Il faut toujours se méfier des idées reçues : la gentillesse n’a rien à


voir avec la naïveté et encore moins la bêtise. Il ne s’agit pas de dire
oui à tout sans jamais s’autoriser une remarque, une critique ou un
avis contraire. La gentillesse est une manière d’être et de s’exprimer :
nous osons nous affirmer face à l’autre, et avec assertivité, une
bienveillance assumée.
Parlons d’abord de l’assertivité. Le concept a été développé par un
psychologue américain, Andrew Salter, dans la seconde moitié du
e
XX   siècle. Il désigne la capacité à défendre ses droits sans empiéter
sur ceux des autres. Nous pourrions le traduire par «  affirmation de
soi ».
Une personne assertive fait montre d’assurance, elle sait identifier
ses réactions qu’elles soient positives ou négatives, elle est capable de
les comprendre et de les modifier. Elle respecte autrui mais sait
également se faire respecter. Du coup, devant des comportements
agressifs ou manipulateurs, elle saura comment répondre. Elle ne va
pas développer d’attitudes réactives et elle pourra communiquer de
manière efficace.
L’assertivité est, aujourd’hui, enseignée dans certaines entreprises
car elle est très utile dans les relations interpersonnelles et le
management. Concrètement, comment faire  ? Il existe plusieurs
techniques.
La technique de l’affirmation par un «  je  » permet de formuler
ses attentes, ses opinions et ses valeurs sans jamais opposer de
jugement sur les points de vue de votre interlocuteur. Si celui-ci
vous explique, par exemple, qu’il ne peut vous offrir le poste que
vous convoitez en raison de votre âge et/ou d’un manque de
diplômes, ne revenez pas sur ces questions. Il est inutile de lui
rétorquer que « la valeur n’attend pas le nombre des années » ou
de décrire toutes les formations que vous avez suivies et réussies
depuis le bac. Contentez-vous de soutenir fermement ce que vous
attendez. En faisant fi des critiques larvées qu’on vous adresse
(manque de maturité, de diplômes), vous montrez, de manière
silencieuse, que ces remarques vous semblent inadaptées sans,
pour autant, alimenter la polémique.
La technique de la «  requête négative  » consiste à exiger un
surcroît de critiques, nettement plus spécifiques. Ainsi, vous
pouvez demander « À partir de quel âge le poste en question peut-
il valablement être occupé  ?  » ou réclamer la liste des diplômes
nécessaires, tout en évoquant ceux que vous avez et en mettant
l’accent sur votre expérience professionnelle. Dans les deux cas,
vous obligez votre interlocuteur à s’interroger, à déterminer de
façon précise ce qui se cache derrière ses réticences.
La technique du « fogging », un mot construit à partir de l’anglais
fog (brouillard), consiste à essayer de déterminer un terrain
d’entente dans une discussion en isolant les points sur lesquels un
accord est possible. Cela avant de contester la partie du discours
avec laquelle on n’est pas d’accord. Vous refusez, par exemple, de
faire des heures supplémentaires comme votre employeur vous le
demande. Celui-ci fait valoir que les heures en question ne seront
pas payées davantage comme la loi l’y contraint mais viendront en
revanche augmenter le temps des RTT. Cependant, la boîte est
encore jeune, le marché est tendu et le boss se refuse à
embaucher. Les jours de congé sont donc difficiles à prendre dans
cette petite entreprise familiale. Au lieu de vous opposer
frontalement à votre patron, faites-lui remarquer que vous
comprenez parfaitement sa position, que vous êtes d’accord pour
vous « serrer les coudes » (un argument récurrent dans la bouche
de votre responsable), mais que, en conséquence, il est
indispensable de répartir ces heures entre tous les salariés. Vous
pouvez suggérer de planifier les heures supplémentaires en
fonction des possibilités de chacun, y compris des siennes bien
entendu.
La technique du «  disque rayé  » consiste à réitérer une requête
chaque fois que vous rencontrez une résistance, un refus qui ne
vous semble pas légitime. L’expression a été forgée à partir des
disques microsillons qui, une fois rayés, répètent indéfiniment la
même séquence sonore. Vous allez continuer à écouter votre
interlocuteur, le laisser exprimer son opinion, mais, au moment
qui vous paraîtra le plus judicieux (il s’interrompt et attend votre
avis, il fait une pause), vous répéterez votre demande jusqu’à ce
qu’il en tienne compte. Une technique dont il faut user avec
modération car votre interlocuteur peut l’interpréter comme une
tentative de manipulation.
L’assertivité est un des outils au service de la gentillesse quand
nous sentons qu’il ne suffit pas d’être ouvert à l’autre, de se montrer
bienveillant. Elle nous aide à nous adapter aux enjeux relationnels
dans un lien égalitaire et authentique.
Aujourd’hui, il est reconnu que, pour réussir dans la vie mais aussi
réussir sa vie, il ne convient plus d’être cynique et égoïste. La
gentillesse, qui s’élargit à la bienveillance et à la générosité, à
l’acceptation et au pardon, voire à l’altruisme, est devenue
incontournable pour favoriser la possibilité de vivre et de travailler
ensemble, le bonheur d’être soi.
Des études philosophiques et médicales, des recherches
scientifiques axées sur les neurosciences, mais aussi l’économie,
démontrent qu’elle constitue un facteur important de santé physique
et psychique. Matthieu Ricard a notamment souligné combien les
valeurs de coopération progressaient et comment elles contribuaient
à majorer le bien-être individuel et collectif. Pour lui, la gentillesse et
ses corollaires ne sont pas un vœu pieux, ni une utopie, mais une
nécessité face à un monde de plus en plus interdépendant, une
mondialisation qui s’accélère.
Cependant, la vraie gentillesse nécessite que nous n’entrions pas
en conflit avec nos valeurs. Elle ne doit pas non plus être portée par
une stricte obligation sociale ou par le souci de ne pas déplaire, d’être
aimés. Ainsi Dieter Zapf 6, professeur de psychologie à l’Université de
Francfort, a étudié les comportements de stress de 4 000 personnes,
des opérateurs travaillant dans un centre d’appels. Ceux qui se
forçaient à se montrer aimables, quel que soit leur interlocuteur – et
même si celui-ci s’avérait acariâtre  –, montraient un rythme
cardiaque élevé, y compris après leur temps de travail, et une
tendance plus marquée à la dépression. En conclusion, soyons gentils
mais sans faux-semblants car ce n’est pas bon pour la santé.
Il nous arrive aussi de présenter le masque de la gentillesse quand
nous désirons être remarqués, reconnus. Ce masque dissimule, en
réalité, le souci d’éviter une dispute. C’est encore la «  gentillesse en
miroir  », celle qui consiste à montrer à l’autre le comportement que
nous souhaiterions qu’il ait avec nous. La gentillesse est aussi un
comportement destiné à nous faire aimer, un désir partagé par tous…
sauf quand il entre en conflit avec nos besoins profonds.
En effet, il nous arrive d’être gentils pour ne pas sembler
méchants. Nous avons peur de l’autre comme de nous-mêmes. Nous
craignons de dévoiler notre part d’ombre, nos craintes, nos
mesquineries, les sentiments d’envie, de jalousie qui nous traversent
parfois. La gentillesse feinte nous évitera, croyons-nous alors, la
tristesse de la solitude. Seulement, elle nous empêchera aussi d’entrer
en relation de manière profonde.
En nous montrant flatteurs, obéissants, dévoués à l’excès, nous
balayons nos désirs au profit de ceux de nos interlocuteurs. Certes,
cette attitude présente des bénéfices secondaires  : nous évitons de
prendre des responsabilités, ne sommes jamais désignés responsables
d’un échec ou d’une tension. En réalité, ce que nous visons –  notre
objectif suprême  – est de ne pas être abandonnés. Nous nous
conduisons comme des enfants soumis à l’autorité parentale toute-
puissante et développons une « pathologie de l’enfant sage ».
Mais nous prenons également des risques. La volonté supposée de
l’autre est-elle réelle  ? Ne peut-elle pas être le fruit de notre
imagination, de nos fantasmes  ? Nos partenaires, nos collègues, nos
amis vont-ils profiter de cette soumission pour abuser de notre
serviabilité  ? Ou nous repousser en jugeant envahissante notre
pseudo-gentillesse ? Autant de questions qui nécessitent d’être posées
afin de ne pas confondre contestation et méchanceté.

★ Morgane est au service des autres


Morgane et sa mère vivent une relation fusionnelle. Cette
dernière ne supportait pas son ex-mari, pas plus qu’elle
n’apprécie son nouveau compagnon Nicolas. Leurs rares
rencontres en famille ont toutes dégénéré : de l’agressivité,
des insultes, des reproches… La jeune femme a dû trancher
et ne la reçoit plus chez elle chaque week-end comme
c’était le cas. En dehors des fêtes traditionnelles, elle
déjeune avec elle une fois par semaine. Mais les reproches
maternels continuent puisque le côté fusionnel de leur
relation s’est évidemment amoindri. Les deux femmes se
disputent régulièrement, la mère appelle Nicolas pour râler,
et le couple finit, lui aussi, par se quereller. Ce ne sont pas
tant les coups de téléphone (Nicolas s’est habitué et ne
répond plus) qui sont à l’origine de leur conflit que
l’attitude de Morgane. Quand elle déjeune avec sa mère,
elle rentre énervée, tendue. Elle s’en prend à son
compagnon, lui explique que sa mère, une fois de plus, lui
a reproché de ne pas venir plus souvent, hurle qu’elle n’en
peut plus de ses perpétuelles exigences… À la fin, c’est
toujours à Nicolas qu’elle en veut de se montrer, lui aussi,
exigeant  ! Le jeune homme tente de remettre les choses
dans l’ordre. Rien n’y fait. Morgane se bloque et tempête
qu’elle en a «  marre de se montrer gentille avec tout le
monde  », qu’elle voudrait bien que «  les gens tiennent
compte de ses besoins », qu’elle n’en peut plus de se « sentir
en permanence au service des autres ».

Le point de vue psy
Morgane confond la demande de sa mère avec celle de son ami. Inconsciemment,
elle ne souhaite pas perdre la relation fusionnelle construite depuis l’enfance. Elle
ne peut donc s’empêcher de réitérer avec Nicolas le dialogue fait d’amour et de
haine qu’elle entretient avec sa mère. L’amour, l’amitié, toute relation ne rime pas
avec dépendance, pas plus qu’avec asservissement ou assujettissement. Les liens
affectifs, quelle que soit leur nature, sont entachés d’ambivalence. Nous aimons et
nous n’aimons pas. Nous apprécions des façons d’être de l’autre mais pas certaines
de ses facettes. Nous avons alors envie de grogner et non de sourire. Il est donc
parfois nécessaire de s’opposer, de contester, voire de se révolter avant d’être
assertifs, totalement en accord avec nous-mêmes lorsque nous disons non.
Pleinement centrés sur nos besoins authentiques, nous pourrons à ce moment-là
être pleinement gentils.
Les travaux de l’Américain Wayne W. Dyer, un docteur en
psychologie qui travaille notamment sur les pouvoirs de l’intention,
ont montré qu’un seul vrai geste de bonté stimulait la production de
sérotonine. Ce neurotransmetteur est engagé dans la régulation des
émotions ; sa carence entraîne anxiété, angoisse et agressivité. Le rôle
de la plupart des médicaments antidépresseurs consiste d’ailleurs à
stimuler la production de sérotonine. Dyer souligne que la gentillesse
augmente non seulement le taux de sérotonine chez la personne
émettrice comme réceptrice, mais également chez les témoins de ces
échanges. Autrement dit, la bonté fait du bien à tout le monde !
Un Autrichien, le docteur Hans Selye, endocrinologue, inventeur
du concept de stress, montre aussi que le fait de se montrer
bienveillant et généreux vis-à-vis des autres entraîne du plaisir. Or, ce
plaisir diminue la sécrétion de cortisol, l’une des hormones du stress.
Il préconise un comportement «  altruiste égoïste  »  : faisons du bien
aux autres pour nous faire du bien à nous. La gentillesse serait un
calmant 100 % écologique et naturel.
Enfin, la gentillesse agirait aussi sur l’estime de soi. C’est en tout
cas le point de vue de deux psychologues américaines de l’Université
de Stanford qui ont travaillé sur un modèle expérimental de
« bonheur durable 7  », qui pourrait être enseigné  à tous. Selon elles,
les actes de bonté, la capacité à exprimer sa gratitude, l’optimisme, la
possibilité de manifester sa joie devant les événements agréables de
l’existence représentent la voie la plus prometteuse pour accéder au
bonheur.
Dans l’une de leurs expériences, des étudiants était divisé en deux
groupes pendant dix semaines. Au premier groupe, il a été demandé
de s’engager dans des actions altruistes  : aider les autres, rendre
service, ne pas oublier de saluer quelqu’un. Au second groupe, rien de
particulier n’a été demandé. Au bout des dix semaines, les étudiants
qui avaient régulièrement pratiqué la gentillesse étaient de bonne
humeur et, surtout, avaient développé une meilleure image d’eux-
mêmes.
La gentillesse est un art de vivre qui, à l’instar des autres arts, se
développe parce que nous le cultivons. N’oublions pas de « faire des
gammes  » comme celui qui apprend le piano et rêve de jouer
parfaitement ses morceaux préférés. Comment faire de la gentillesse
une première et non une «  seconde nature  »  ? Comment nous
entraîner à l’entraide, à la collaboration et à la solidarité  ? Voici
quelques idées :
Rendez service chaque fois que vous le pouvez et que vous en
ressentez le besoin sincère.
Invitez une personne isolée à prendre un café, à déjeuner ou à
dîner.
Si vous manquez de temps pour le faire, passez un coup de fil,
envoyez-lui un courriel.
Aidez un collègue à finaliser un dossier, un voisin à porter ses
courses.
Remerciez-les si c’est eux qui vous ont aidé (un petit mot, un
courriel).
Sur votre lieu de travail, n’hésitez pas à apporter des friandises,
des chocolats au moment des fêtes. Offrez-en à tout le monde.
Partagez aussi les cadeaux que vous recevez de la part de vos
clients ou de vos fournisseurs.
Osez faire des compliments sincères, même à une personne du
sexe opposé. Remarquez sa coiffure, son nouveau look.
Proposez toujours à une personne âgée, à un parent embarrassé
par ses jeunes enfants et son Caddie, de passer à la caisse du
supermarché avant vous, dans la mesure où vous n’êtes vous-
même pas trop pressé.
Dans la rue, le métro, le bus, montrez-vous avenant avec les
inconnus – oui, même ceux qui vous bousculent ou vous marchent
sur les pieds  ! C’est le meilleur moyen de ne pas alimenter un
conflit.
Prévenance, attention, amabilité, douceur, coup de main… la
gentillesse peut prendre bien des formes. À vous de choisir la vôtre en
fonction du moment et de qui vous êtes.

LA BIENTRAITANCE

La bientraitance ne relève pas seulement du domaine de l’éthique.


S’il s’agit de « bien traiter » autrui, l’enfant comme l’adulte, valides ou
non, la personne âgée, handicapée, le malade, la victime comme le
coupable, et même l’animal, elle est encadrée par de nombreuses lois,
tant françaises qu’internationales  : la déclaration universelle des
droits de l’homme, celle des droits des enfants, des personnes
handicapées, la charte des droits de la personne âgée dépendante,
celle des droits fondamentaux de l’Union européenne, pour n’en citer
que quelques-unes.
La bientraitance nous concerne tous. Elle recouvre un ensemble
d’attitudes et de pratiques positives qui doivent s’exercer de manière
constante vis-à-vis de chacun, même si les lois qui l’encadrent sont
d’abord destinées aux personnes et aux groupes en situation de
vulnérabilité et de dépendance. Elle implique l’expression de marques
de confiance, des manifestations d’aide et d’encouragement, une
manière de parler et de se comporter qui favorise l’autonomie et le
respect de chacun. L’usage de la bientraitance doit s’exercer dans tous
les domaines, physique et psychique, sentimental et sexuel, moral et
financier, privé et professionnel.
Cependant, on ne saurait définir clairement la bientraitance sans
décrire son obscur corollaire, la maltraitance. L’une n’est pas opposée
à l’autre, mais on ne peut les étudier sans les comparer. Car c’est le
descriptif de la maltraitance, extrêmement précis, qui nous permet de
saisir de manière précise ce que doit être la bientraitance.
Les coups, les abus sexuels, les injures… nous savons
généralement repérer les actes de maltraitance car ils sont définis
dans un cadre juridique, une tradition, des règles éducatives
auxquelles nous nous soumettons peu ou prou. Mais nous n’avons
qu’une image parcellaire de la maltraitance. Celle qui est avérée, celle
qui nous vient tout de suite à l’esprit, qui nous choque, qui nous
« frappe » au sens littéral, est une « violence en bosse ».
Malheureusement, les «  violences en creux  » sont bien plus
fréquentes. De quoi s’agit-il  ? D’un abus qui n’a l’air de rien, d’une
pratique anodine, d’un geste insignifiant. Leur auteur dira « Je ne l’ai
pas fait exprès  » ou «  Je ne vois pas ce qu’on me reproche  ». C’est
aussi une violence spirituelle car elle constitue une tentative
d’agression, voire de mort contre l’esprit, le maintien de la
conscience, du sens de l’existence… Cette violence-là est faite de
petites exactions, de gestes apparemment insignifiants, de
brusqueries mineures qui, répétés, vont donner le ton. Elle est
appelée la « maltraitance ordinaire ».
Et c’est la chose la mieux partagée du monde, très souvent à notre
insu. Alors, comment faire ? Nous l’avons vu, il s’agit d’être logique.
Finalement, être bientraitant, c’est d’abord s’abstenir de toute forme
de maltraitance envers tous ceux qui nous entourent.

• Le respect du corps

Qu’il s’agisse d’un enfant ou d’un malade, d’une personne âgée ou


handicapée, nous pouvons, parent ou soignant, faire preuve de
brusquerie  : ne pas regarder son visage, ne pas lui adresser le
moindre message, ne pas reconnaître que le sujet existe malgré sa
«  déficience  », celle du tout-petit ou celle de l’individu en difficulté.
Nous pouvons aussi faire fi de sa pudeur en « manipulant » son corps
sans respect.
N’oublions jamais qu’une personne âgée ou handicapée a aimé,
désiré, qu’elle a été aimée et désirée ou qu’elle aurait voulu l’être.
Son corps ne doit pas être traité comme un meuble qu’il s’agit de faire
briller. Le «  corps machine  » n’est plus alors qu’un support au
narcissisme de l’aidant. Il lui permet de se convaincre et de montrer à
l’extérieur que la personne est convenablement traitée.
De bonne foi, nous pouvons aussi câliner, caresser, embrasser un
individu en situation de dépendance. Nous voulons ainsi lui exprimer
notre affection, notre compassion. Mais sommes-nous certains qu’il
recevra nos marques de tendresse comme nous l’espérons ? Ne peut-il
imaginer autre chose, de l’amour, du désir, un abus ?
De même, les repas constituent un moment où la maltraitance est
fréquente. L’intéressé doit manger rapidement. Le temps manque au
parent ou il ne se le donne pas. S’il s’agit d’un patient, d’un résident,
il n’est pas question de déroger à la stricte observance médicale de
son régime. « C’est le pédiatre qui décide » ou « Le docteur l’a dit »
sont des antiennes, même si le simple bon sens permettrait de faire
autrement.
Notons enfin que la dépendance, la vieillesse ou la maladie
peuvent souvent produire, chez l’accompagnant, une inquiétude, une
tension, la peur – en miroir – de se retrouver dans la même situation.

• Le respect du territoire et de l’intimité

Il est parfois nécessaire de fermer la porte d’une chambre par


souci de protéger son occupant, pour qu’il se repose ou par pudeur.
Mais la tenir close en permanence c’est aussi cadenasser ce qui lui
permet de se maintenir dans la lumière, le bruit du monde, le
mouvement des uns et des autres. Une porte ouverte nous enracine
dans l’humanité et nous permet de «  suivre des yeux  » les pas et
gestes que nous n’arrivons plus à réaliser. A contrario, une porte
perpétuellement ouverte assigne l’individu à être, en permanence,
exposé. C’est beaucoup plus commode pour surveiller si tout va bien.
Mais le sujet, moralement dénudé, interdit d’espace à lui, n’aura plus
qu’à prendre la posture d’une statue ou à panser ses plaies en public
dans une attitude involontairement exhibitionniste, qui lui sera peut-
être reprochée.
On peut aussi laisser une personne au lit toute la journée  :
l’enfant est malade, le malade est hospitalisé. On le fait par souci de
garder du temps pour soi. Si c’est une personne âgée en maison de
retraite, il se peut que ce soit dimanche, l’équipe est réduite. La mise
au placard apparaît comme une nécessité. Mais, là encore, l’individu
est traité comme un objet, un véhicule que l’on remiserait au garage
faute de conducteur.
Quand on rend visite à quelqu’un, on appuie en principe sur la
sonnette, on frappe à la porte. On dit bonjour, au revoir. Dans les
institutions, le personnel est souvent pressé, débordé. Et puis, il sait
bien qu’il doit entrer. Lorsque le corps est défait, quand l’esprit
bascule, les serrures de l’intimité ne tiennent plus. Souvent, on frappe
quand même, par habitude, et on entre… sans attendre d’y être
invité. On accède au monde de celui qui est cloué dans son lit comme
on pénètre dans un moulin.
Dépossédé de son espace, l’accueilli est devenu la propriété de
l’accueillant. Une fenêtre, une porte se doivent d’être ouvertes ou
fermées. À la maison, on en décide au gré du temps qu’il fait et/ou de
son humeur. Dans l’institution, la pseudo-nécessité fait loi. Il faut
«  aérer  » ou, au contraire, «  garder la chaleur  ». Nous décidons du
froid et du chaud, de la pureté de l’air ou non, nous ouvrons, nous
fermons, tel un geôlier.

• Le respect du langage

Il arrive que les enfants nous… soûlent ! Ils crient, leur babil nous
assomme. Les personnes en situation de handicap sont exigeantes, les
malades aussi. Les personnes âgées, elles, radotent. De tous, on
connaît le discours par cœur. Et c’est fatigant.
Seulement, on oublie que le langage, les jeux, la turbulence sont
nécessaires à l’enfant pour grandir  ; faire du bruit le soulage de ses
tensions, l’aide à se construire. On ignore que radoter c’est se
rapporter au passé, se souvenir, se tenir en vie  ; la remémoration
permet de continuer à donner du sens à une existence qui s’est
rétrécie.
Parfois, on donne des surnoms à ceux dont on a la charge  :
Superman, Chouchou… On raccourcit leur prénom  : Coco pour
Colette, Fred pour une Frédérique… Ces sobriquets ne sont pas
toujours péjoratifs, du moins en apparence. Ils renvoient à des
qualités spécifiques ou à un comportement particulier. Ils indiquent
notre désir illusoire mais naturel de ne pas voir nos enfants grandir.
Le sobriquet, quand il sonne gentiment comme « Bichette », fait écho
à l’enfance, aux «  petits  » noms, aux douceurs de la langue
maternelle. Cependant, continuer à se faire appeler «  Bichette  » à
40  ans ou être affublé d’un «  Chouchou  » quand on approche de la
retraite est parfois difficile à supporter.
Les sobriquets sont le terreau des noms propres. La plupart
d’entre eux ont été formés à partir d’une particularité physique
(Legrand), de l’appartenance à une ville, à un pays (Paris, France).
Mais, précisément, en n’appelant pas les gens par leur nom, on oublie
que le nom « propre », au sens de ce qui est « à soi », est constitutif de
l’identité. On ne se souvient plus que le prénom personnifie le sujet,
perdu au milieu de tous ceux qui portent un nom analogue. Enfin,
nommer l’autre c’est aussi le faire exister. Utiliser le surnom pour
appeler un adulte est donc une manière d’affirmer que la maladie, la
retraite, le handicap renvoient l’être humain vers un interminable
état d’enfance.
On parle souvent d’un enfant ou d’un patient à la troisième
personne : il est là mais on fait comme s’il ne l’était pas. « Il a encore
été se traîner dans la boue », dit-on d’un enfant qui a sauté dans des
flaques. Les «  vieux  » avec leurs déficiences variées (démarche mal
assurée, discours haché, divagations, gestes malhabiles, incontinence)
sont vite reconsidérés comme des enfants. On les traite donc comme
tels  : «  Elle a bien pris ses comprimés  ?  », «  Et maintenant il se
couche ? »…
De sujet la personne est devenue objet. On ne lui adresse pas
directement la parole pour la gronder ou lui demander ce qui arrive.
La formule permet de faire passer l’information mine de rien, sans
avoir à gérer un reproche ou une inquiétude en face à face. On peut
aussi s’adresser directement à l’individu tout en faisant comme s’il
était absent. On s’esclaffe en lui demandant s’il entend toujours la
voix de son frère (histoire vraie issue d’un hôpital psychiatrique). On
lui dit, s’il demande quelque chose qui nous ennuie : « Arrêtez, vous
savez bien que vous n’avez plus toute votre tête » (entendu dans une
clinique).
Dans tous les cas, l’usage de la troisième personne permet de tenir
à distance ce qui nous fait peur  : la vieillesse et sa dégradation, la
folie et ses « bêtises », tout ce qui pourrait aussi nous arriver.
Lorsqu’il s’agit d’adultes, le tutoiement doit également être manié
avec précaution. En France, il est d’usage de tutoyer les enfants, dans
la mesure où nos traditions familiales ne nous imposent pas le
vouvoiement. En dehors de la cellule familiale, les adolescents et les
jeunes adultes seront tantôt tutoyés, tantôt voussoyés, selon les
circonstances.
Le « tu » témoigne de la qualité d’une relation. Il dit, en principe,
notre proximité avec l’autre. Mais il en appelle également à des
rapports hiérarchiques, celui du maître et de l’élève, du chef et de ses
employés. Évidemment, le tutoiement s’est beaucoup banalisé. Dans
les entreprises, les salariés se tutoient souvent, y compris s’il existe
des différences hiérarchiques importantes entre eux. Pourtant, on
tutoie rarement le grand patron, sauf dans certaines organisations.
Les cadres se tutoient entre eux mais ils ne tutoient pas forcément
leur secrétaire. Dans tous les cas, le tutoiement nécessite des
précautions, une réflexion. Il ne doit pas se fonder sur le besoin de
dominer l’autre mais sur celui de témoigner d’une proximité avec lui,
et ce avec son accord.

• Le respect des liens

Nous infantilisons les jeunes, les patients, les résidents, nous


abusons de notre autorité, de notre savoir sans forcément le vouloir
ni même en prendre conscience parce que la relation d’aide est, par
nature, une situation de dépendance. Notons d’ailleurs que cette
dépendance fonctionne dans les deux sens puisque sans enfants à
éduquer, sans personnes âgées à soutenir, sans handicapés à
accompagner ni malades à soigner, les parents comme les
professionnels seraient… au chômage !
Dans les faits, cette dépendance ne s’institue généralement que
sur un seul mode : d’un côté, il y a un adulte qui « sait », de l’autre,
un «  mineur  » (la particularité de celui qui est diminué) ou un
déficient caractérisé par ses manques. Le sujet en difficulté se doit
donc d’obéir (accepter les règles de la maison ou de l’établissement)
et de faire confiance (suivre les conseils du parent ou prendre le
traitement prescrit par le médecin) sans pour autant avoir reçu les
informations nécessaires.
Dans une situation inconsciente de transfert, le parent ou le
soignant se trouve confronté à une inversion des rôles. Quels que
soient son éthique et son bon vouloir, il se conduit comme sa famille
autrefois. La relation éducative ou aidante le renvoie à l’enfance,
quand il dépendait lui-même de ses parents.
Petits, nous encaissons des frustrations régulières. La socialisation
est à ce prix  : on ne peut pas faire ce qu’on veut, où l’on veut, ni
quand on veut. Avec le temps, on s’en arrange, on mûrit, on refoule
les petites humiliations et les grandes vexations de notre enfance.
Puis nous devenons parents à notre tour, de nos enfants comme
de ceux que nous accompagnons à un titre ou à un autre. Nous
oublions notre histoire, faisons la trêve avec notre propre famille.
Pacifiés, nous devenons professionnels jusqu’au bout des ongles.
Alors, pourquoi crier régulièrement sur un enfant qui ne mange pas
assez vite ? Pourquoi donner des soins à une personne sans lui parler,
sans la regarder, comme si elle était un objet ?
Parce que l’autre, ce n’est ni madame Dupont, une retraitée, ni
Paul, notre fils. C’est un écran blanc sur lequel nous projetons notre
roman familial, notre film personnel. Madame Dupont et Paul sont
des supports qui servent de cibles au retour de ce qui a été refoulé. Ils
remplacent les acteurs initiaux, les vrais protagonistes de l’histoire. La
maltraitance c’est la revanche de l’enfant, de l’adolescent, de l’adulte
vis-à-vis de ce qu’il a lui-même subi. À méditer…
L’éthique du care
La bientraitance repose pour partie sur l’éthique du care. Ce mot anglais est à
la fois un verbe signifiant « s’occuper de », « faire attention à », « prendre soin de »,
«  se soucier de  », et un substantif qu’on peut traduire par «  attention  » et
«  sollicitude  ». Cette éthique est une norme morale récente, née dans les pays
anglo-saxons et issue des recherches féministes. Elle fait le constat que les valeurs
de prévenance, de responsabilité, d’attention éducative, de compassion et
d’attention aux besoins des autres sont traditionnellement associées aux femmes
quand elles ne leur sont pas dévolues. Le mouvement s’interroge donc sur le bien-
fondé de cette qualité morale traditionnellement attachée au seul genre féminin.
En s’appuyant sur des études de genre qui ont répertorié ce qui définit le masculin
et le féminin dans différents lieux et pays, et à différentes époques, il souligne la
manière dont les normes se reproduisent, au point de paraître « naturelles ». Le
care n’est pas seulement une compétence technique réservée aux femmes ou aux
professionnels de l’aide et du soin, mais une qualité morale indispensable à chacun.
Nous sommes tous dotés de cette capacité, tant à titre professionnel que personnel.

Après ce passage en revue des comportements qu’il est


souhaitable de ne pas adopter avec nos enfants et les personnes dont
nous nous occupons, voyons ce qu’il en est avec ceux et celles que
nous pensons trop rarement à «  bien traiter  »  : nos collègues  ! Ou,
plus globalement, nos relations professionnelles. Mieux vaut :
Rédiger des courriels qui ne soient pas de simples notes
télégraphiques mais des courriers incluant les formules habituelles
de politesse.
Privilégier le contact direct plutôt que le téléphone ou l’ordinateur
pour s’entretenir avec un collègue ou un collaborateur dont le
bureau se trouve à proximité, voire à quelques pas.
Garder une certaine discrétion, même dans un open space  :
personne n’est tenu de voir ce sur quoi vous travaillez, ni
d’entendre votre conversation téléphonique.
Conserver un langage courtois avec chacun, même pour signaler
une erreur ou adresser une critique. Évitez de « déborder » sur des
considérations personnelles  : «  Vous êtes plus préoccupé par vos
enfants que par votre travail » ou « À votre âge, il est normal que
votre mémoire soit défaillante ». N’utilisez pas d’adverbes comme
«  toujours  » ou «  jamais  » qui stigmatisent l’intéressé et
n’apportent pas de solutions.
Se montrer positif et communiquer sur les tâches réalisées en
commun, les projets de l’entreprise, ses intentions futures en
termes d’organisation.
Informer toute personne concernée par la mise en place d’une
réunion, d’un projet. Pensez aussi à ceux qui, sans être
directement concernés, ont intérêt à être tenus au courant.
Apprendre à se connaître. La bientraitance au bureau, à l’atelier,
dans un commerce, un cabinet, nécessite que chacun accepte ses
différences.
Ne pas confondre consignes managériales et rapports de force. Le
chef a toujours raison… à condition qu’il respecte ses
collaborateurs. Il préfère d’ailleurs le management participatif au
management pyramidal et directif.
Choisir le dialogue plutôt que la bouderie ou la mesure de
rétorsion. Nous sommes tous confrontés à des conflits, conflits
d’opinion, conflits de pouvoir, conflits de sens. La communication
et l’échange permettent d’y remédier.
Reconnaître et valoriser autrui. Faire un compliment, féliciter un
collègue, ce n’est pas de la lèche, c’est un cadeau qui va lui
permettre d’éprouver un sentiment de bien-être.
La bientraitance favorise toujours l’estime de soi. Plus nous
embellissons nos relations, plus notre valorisation personnelle
augmente.
Rebondissez
« Pour trouver le bonheur, il faut risquer le malheur. Si vous voulez
être heureux, il ne faut pas chercher à fuir le malheur à tout prix.
Il faut plutôt chercher comment, et grâce à qui, l’on pourra
le surmonter ».
Boris CYRULNIK

LA RÉSILIENCE

Classée dans les phénomènes psychologiques, la résilience est la


capacité d’un sujet à surmonter un traumatisme sans sombrer dans la
dépression et à se reconstruire. Elle est suscitée par les expériences
positives vécues dans l’enfance –  avant l’événement traumatisant  –,
mais aussi par la réflexion, la parole ou une psychothérapie.
Cependant, certaines personnes résilientes ont connu une enfance
particulièrement difficile et ne se sont pas engagées dans un travail
de reconstruction avec un professionnel. Ainsi, la résilience serait une
aptitude qui nous permettrait de traverser les situations pénibles, de
négocier avec une réalité traumatisante et d’en sortir apaisés, voire
plus forts.
Chacun possède des capacités de résilience. L’étymologie du terme
est intéressante puisqu’elle provient du verbe latin resilire signifiant,
au sens littéral, «  sauter en arrière  », qui a aussi donné le mot
« résiliation », l’acte de se libérer d’un contrat. Le résilient serait donc
celui qui se libère d’une sorte de «  contrat psychique  » l’assignant à
une place de victime perpétuelle, quelqu’un qui aurait la capacité
d’éviter les conséquences d’un choc en rebondissant ou en sautant en
arrière.
Il s’agit d’opérer une déliaison entre soi, un soi profond,
intangible, et les effets d’un traumatisme. Ce n’est donc pas le
pouvoir de résister à tout ce que nous vivons de douloureux mais la
capacité de se reconstruire après.
À l’origine, la résilience est, d’ailleurs, un terme utilisé en
physique pour caractériser les propriétés de certains matériaux à
retrouver leur état initial après un impact. Autrement dit, la résilience
consiste à prendre acte d’un traumatisme (un abandon, un deuil, des
violences, des abus sexuels, la maladie, la guerre), à savoir «  vivre
avec  », puis à rebondir en changeant de perspective. Dans la
résilience, le malheur est perçu comme une étape qu’il est possible de
dépasser.
Ce sont deux psychologues scolaires américaines, Werner et Smith
qui ont été, dans les années 1940, les pionnières du concept. Elles
travaillaient à Hawaï auprès d’enfants souffrant d’un environnement
familial dysfonctionnel, donc en principe condamnés à présenter des
troubles de la personnalité. Après les avoir suivis durant une
trentaine d’années, elles ont remarqué qu’un certain nombre d’entre
eux s’en sortait, grâce à des qualités individuelles mais aussi à des
opportunités qu’ils ont su saisir au bon moment.
En Europe, c’est d’abord le psychiatre et psychanalyste anglais
John Bowlby qui introduisit la notion de résilience dans ses textes sur
l’attachement. Selon lui, l’enfant, pour connaître un développement
social et émotionnel normal ultérieur, doit développer une relation
d’attachement avec « au moins » une personne qui prendra soin de lui
de manière continue et sécurisante.
Le nourrisson, le tout jeune enfant, a besoin de ce qu’on appelle
«  une sécurité psychique de base  », fondée sur un contact physique
(le sein, par exemple) et des interactions sociales (lui parler, jouer
avec lui). Cette sécurité n’est pas subordonnée au nourrissage même
si cela compte. L’attachement n’est pas non plus synonyme d’amour et
d’affection, même s’ils peuvent exister entre la mère et l’enfant.
Notons ici que la mère biologique est en général la première figure
d’attachement, mais que ce rôle peut être tenu par un proche qui
adopte un comportement maternel, comme le père, la nounou, la
grand-mère.
Après Bowlby, le concept de résilience a été vraiment popularisé
par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, auteur de nombreux livres sur
le sujet. La résilience est un vecteur d’espoir dans de nombreuses
situations car elle montre combien nous sommes capables de
surmonter des épreuves parfois terribles à l’aide de processus qui se
sont mis en place dès les premiers jours de la vie.
Il existerait, pour chacun d’entre nous, des facteurs innés et acquis
qui nous prédisposeraient à la résilience. Ainsi le cerveau de certains
individus ne produirait pas la même dose de dopamine et de
sérotonine, des neurotransmetteurs qui activent les signaux plaisir et
récompense (pour la dopamine) et régulent l’humeur et la tendance à
la dépression (pour la sérotonine). Certains enfants seraient donc
plus actifs, plus joyeux et, psychiquement, plus solides que d’autres
dès la naissance.

LES FACTEURS DE RÉSILIENCE
Dans les années 1950, deux psychologues américains, Jack et
Jeanne Block, ont tenté d’identifier les capacités d’une
« personnalité » résiliente. Ils en dénombrent quatre :
sécurité émotionnelle
disposition à nouer des liens avec les autres
faculté à s’engager dans un travail productif (études, vie
professionnelle)
aptitude au bonheur.
Un enfant qui aurait intégré très tôt ces «  qualités  » serait alors
plus armé pour affronter les difficultés de l’existence.
Cependant, on l’a vu, la sécurité émotionnelle dépend étroitement
de nos premières expériences sensorielles, sociales et affectives. Si
l’on suit ce raisonnement, notre rapport au monde et notre aptitude
au bonheur reposeraient pour beaucoup sur le climat familial. Pour
être potentiellement résilients, il nous faudrait avoir connu une
enfance sécurisante, des parents heureux, une famille unie, un réseau
social et amical soudé, etc.
Autant de paramètres dont les résilients n’ont pas toujours
bénéficié… Les enfants abandonnés dans les orphelinats roumains en
sont un triste exemple. Si 40 % d’entre eux sont morts, les autres ont
parfois été sauvés, « résiliés », grâce à des personnes qui les ont pris
en charge ultérieurement.

Anne Frank résiliente ?


À la question « Diriez-vous qu’Anne Frank, dont le Journal est connu de tous,
avait une personnalité résiliente  ?  » Boris Cyrulnik répond  : «  Oui, elle est même
souvent citée comme modèle de personnalité résiliente. Car elle avait mis en place,
au cours des années d’enfance, les ressources internes d’“attachement secure”, c’est-
à-dire qu’elle avait acquis l’aptitude à aller chercher les personnes ou les lieux avec
lesquels elle se sentait en sécurité. Et ce sentiment de sécurité est nécessaire pour
qu’un enfant puisse se développer. De plus, elle était capable d’écrire,
de faire de la poésie, alors qu’elle vivait dans un monde totalement désespéré et
qu’il n’y avait pas autour d’elle les ressources externes qu’auraient dû lui proposer
la famille et la société, et pour cause : sa famille était fracassée et la société était
folle.  » La créativité, voire la création, pourrait donc constituer une réponse, une
source de reconstruction au service de la résilience.
La dimension sociale de la résilience apparaît comme l’un des
éléments majeurs du processus, en particulier lorsque l’enfant est en
train de se construire dans une interaction constante avec ses parents
et leur environnement. Les familles coupées du monde extérieur,
repliées sur elles-mêmes, où l’on reçoit peu, où l’on sort peu – même
avec des membres de la famille  –, où l’on ne travaille pas dans
certains cas, où les relations sont entachées par des disputes, de la
violence, présentent une certaine toxicité.
C’est parfois le modèle de la «  famille nucléaire  », une structure
familiale héritée de la société romaine et fondée sur la notion de
couple, qui s’oppose à la « famille élargie », où plusieurs générations
peuvent cohabiter ou, du moins, entretenir des liens de proximité
forts. Dans cette famille nucléaire, c’est donc le couple, avec enfants
ou non, qui prévaut. Ces derniers font souvent l’objet d’une attention
extrême, mais on ne leur offre pas suffisamment de possibilités de
rencontres, d’échanges multiples avec l’environnement, de sorties, de
réunions avec des camarades.
Ces enfants vont quelquefois percevoir l’école comme un univers
dangereux puisqu’on y fait des rencontres qui, par nature, sont
variées, non codifiées par le système familial. Dans une famille où les
échanges sont pauvres, l’enfant ne peut pas faire de comparaisons. Il
ne sait pas s’il préfère, même momentanément, sa mère ou son
institutrice, son père ou son prof de sport… parce que la maîtresse
l’écoute davantage que sa maman, débordée par son travail, parce
que le prof de sport lui a promis qu’il pourrait développer ses muscles
alors que son père le trouve chétif.
En revanche, quand une famille est ouverte, l’enfant peut établir
des distinguos entre les personnes avec lesquelles il se sent plus ou
moins bien. Ce qui lui permet de prendre des distances avec ses
parents, de relativiser certaines obligations et règles familiales et de
s’autonomiser. C’est là que se mettent en place des fondements de la
résilience.

★ Jeanne et la liberté
Jeanne a été élevée par une dyade formée de ses seules
mère et grand-mère, étroitement unies dans une relation
d’amour et de haine, de scènes violentes et de
réconciliations tout aussi fracassantes. Elle raconte  :
«  J’avais parfois l’impression de ne pas exister tant leur
relation était fusionnelle. Elles passaient leur temps à se
disputer, à s’insulter, ma grand-mère s’enfermait dans le
mutisme pendant plusieurs jours et ma mère ne cessait de
pleurer. Parfois, elle ne pouvait plus aller travailler
tellement son visage était défiguré par les larmes. Après
quoi, j’avais droit à une grande scène d’amour où elles
préparaient un dîner en commun avec nappe blanche,
verres en cristal et bougies parfumées. Et là, elles
n’arrêtaient plus de se faire des excuses, de se répéter
combien elles s’aimaient. Bien sûr, elles m’associaient à la
fête mais comme une vedette américaine. J’étais là pour, si
j’ose dire, “tenir la chandelle”, sourire, ne pas intervenir
dans la conversation, servir et desservir. Évidemment, on
ne voyait personne. Quand j’ai emmené ma meilleure amie
de CM2 à la maison, elles l’ont reçue très froidement. Ma
mère la trouvait prétentieuse et ma grand-mère a déclaré
qu’elle était sans intérêt. Jusqu’au jour où, à l’âge de
16 ans, je suis rentrée plus tard du lycée, 19 heures au lieu
de 17 heures. Ma mère a voulu me gifler. Ce n’était pas la
première fois, elle avait la main leste, et, quand elle était
fâchée contre moi, elle m’insultait, me donnait des coups,
exactement comme avec sa mère. Un vrai cauchemar. Mais
cette fois-ci, je ne me suis pas laissée faire. J’ai hurlé aussi
et je lui ai dit que si elle s’approchait je lui tapais dessus. Ça
a été une scène atroce. Elle a reculé, toute blanche, elle
s’est mise à taper sur le mur avec ses poings. Ma grand-
mère est arrivée et m’a tiré par les cheveux. Je l’ai
bousculée et elle est tombée. Puis ça a été l’heure des
gémissements et des reproches. Pendant plusieurs jours,
l’ambiance est restée glaciale, puis elles ont repris leurs
mamours et leurs coups de sang. Moi pas. J’étais en loques,
je n’arrivais pas à me reconstruire, d’autant qu’elles avaient
pris de la distance à mon égard. Plus de reproches, non,
mais des sous-entendus, des petits rires, des réflexions…
Finalement, c’est ma meilleure amie, la fameuse personne
“sans intérêt”, qui m’a tiré de là. Elle avait raconté mon
histoire à ses parents, et j’aimais être auprès d’eux. Ils
étaient gentils avec moi, ils avaient l’air unis, et il y avait
toujours plein de monde. Le frère de mon amie, déjà à la
fac, recevait ses copains. Bref, c’était une ambiance festive,
vivante, avec plein de gens différents. Ce sont eux, leur
confiance, qui m’ont permis de m’en sortir, de vivre. »

Le point de vue psy
Ce qui a libéré Jeanne c’est l’opportunité de sortir de ce cocon familial toxique et
étouffant. Mais c’est aussi, en amont, sa réaction à 16 ans quand sa mère veut la
maltraiter physiquement. Cela entraîne une crise générale, extrêmement
douloureuse pour tout le monde, mais aussi salutaire pour elle.

SURMONTER UNE CRISE EXISTENTIELLE


Le mot crise vient du grec krisis qui signifie « jugement ». La crise
s’instaure donc comme une prise de conscience, une rupture dans une
existence jusque-là balisée. Elle peut se produire à n’importe quel
moment de la vie, pendant l’adolescence souvent, à la quarantaine, à
l’âge de la retraite ou après des événements traumatiques (la perte
d’un emploi, un accident, une maladie grave, un deuil, une
catastrophe naturelle).
On parle de « crise existentielle » ou de « crise de vie ». Au cours
de notre existence, nous allons généralement en connaître plusieurs,
qui induiront des changements dans notre perception des
événements, dans la conception que nous avons du monde, des
autres et de nous-mêmes.
Dans la théorie du stress de Selye, la crise est une énorme tension
nerveuse qui débouche, en principe, sur une adaptation, une
reconstruction qui fondera la résilience. Cependant, personne ne
connaît à l’avance la forme qu’elle prendra. Après un traumatisme, de
nouveaux comportements peuvent surgir  : certains commencent
d’abord par déprimer, d’autres adoptent ou renforcent un
comportement addictif (le tabac, l’alcool ou encore le sexe), prennent
des psychotropes, changent radicalement de vie.
Mais on voit aussi apparaître des attitudes altruistes  : un plus
grand souci des autres, le pardon ou l’acceptation de ce qui, jusque-
là, avait été rejeté, combattu. Certains de ces comportements
s’instaurent de manière durable, d’autres seront fugitifs. Dans tous les
cas, ils témoignent de la formidable capacité de vie et de changement
que nous possédons tous.
Ces transformations renvoient aujourd’hui aux découvertes des
neurosciences, avec la plus importante d’entre elles, la
neuroplasticité, déjà évoquée plus haut. On l’a vu, le cerveau est
capable de remaniements incessants qui peuvent se mettre en place à
n’importe quel âge. Nous établissons sans arrêt de nouvelles
connexions neuronales, nous acquérons des compétences, nous
sommes capables d’apprendre, de tenir compte des leçons du passé et
de remanier notre avenir.
Et pas seulement parce que nous en avons envie ! Mais parce que,
in situ, notre cerveau suit le mouvement. Le Polonais Kazimierz
8
Dabrowski , un psychiatre qui était aussi psychologue et
psychanalyste, physicien et poète, estimait, quant à lui, que la crise
existentielle s’inscrivait dans ce qu’il appelait la «  désintégration
positive  », un moment dynamique où l’individu va se défaire d’un
certain nombre de limitations pour s’engager dans un processus
d’évolution de la personnalité.
Bien sûr, on ne se reconstruit pas du jour au lendemain après un
choc. Plusieurs étapes vont nous permettre de contrecarrer les affects
négatifs, lesquelles ne sont pas sans rappeler celles du deuil :
–  La révolte. La personne éprouve un sentiment de rébellion
devant ce qui vient de lui arriver en refusant d’être vouée au malheur.
Elle décide de comprendre et de chercher à se battre.
–  Le défi. Elle imagine le pire, qu’elle aurait pu subir un trauma
plus fort et s’en sortir. Elle fantasme de plus grandes épreuves qui
auraient pu advenir.
– Le déni. Elle refuse la pitié de l’entourage et s’efforce de cacher
sa fragilité. Ce refus peut aller jusqu’au déni afin de préserver une
bonne image d’elle-même : « Je vais bien » ou « On se sort de tout ».
– La mégalomanie. La personne fantasme des projets grandioses,
des situations incroyables : « Je vais montrer aux autres qui je suis, ce
dont je suis capable ».
–  L’humour. Elle développe une forme d’humour et pratique
l’autodérision, ce qui lui permet de ne pas se complaire dans les
ruminations et de ne pas apparaître comme une victime  : «  Je peux
même sourire de moi. »
– La créativité. Elle s’engage parfois dans une période de création.
Elle écrit, dessine, une façon d’exorciser la souffrance et de marquer
sa différence.
Toutes ces réactions ne signifient pas que le résilient ne souffre
pas  ! Il n’est pas invulnérable. Il essaie simplement d’envoyer à lui-
même et aux autres un message optimiste. Il refuse de s’engager dans
le fatalisme, il essaie du mieux possible de promouvoir un réalisme
non dénué d’espérance. S’il s’est inscrit dans un processus de
rebondissement créatif, c’est pour redonner du sens à sa vie
personnelle et sociale.
Nous tous pouvons traverser une crise existentielle, connaître la
souffrance, la dépression. Mais nous tous avons les capacités de
rebondir. Même si cela prend du temps.

1. Dr Jill Bolte Taylor, Voyage au-delà de mon cerveau, J’ai Lu, 2011.
2. Guérir par l’amour, éditions Valentine, 2011.
3. B. Geberowicz, S. Czernichow, J. Aussauberg, Violences familières, éditions Syros, 1994.
4. F. de La Rochefoucauld, Réflexions ou sentences et maximes morales et réflexions diverses,
Honoré Champion, 2002.
5. J. Lecomte, La Bonté humaine, altruisme, empathie, générosité, Odile Jacob, 2012.
6. « False happiness causes illness, says expert », interview donnée au journal The Telegraph,
mai 2008.
7. J. K.  Boehm, S. Lyubomirsky, «  The promise of sustainable happiness  », in S. J.  Lopez
(Ed.), Handbook of positive psychology (2nd ed.), CR Snyder, Shane J. Lopez, 2009.
8. Kazimierz Dabrowski, Le Dynamisme des concepts –  Dictionnaire de la terminologie
dabrowskienne, éditions Saint-Yves, Ottawa, Canada, 1972.
CHAPITRE 5

Les comportements porte-
bonheur

Si l’esprit et le cœur jouent en faveur du bien-être, nos


comportements, eux, le cultivent au quotidien. Nous pouvons
« faire » au sens propre notre bonheur en adoptant des attitudes
justes.

Le discernement
« L’homme qui a pour conducteur le discernement et pour rênes
la pensée parvient à l’autre rive de son voyage. »
Katha Upanishad

CAPACITÉ, MÉTHODE OU PHILOSOPHIE ?


Qu’est-ce que le discernement ? Un art, une qualité, une méthode,
un outil ? Il est tout cela et, plus encore ! Le fondateur de l’ordre des
Jésuites, Ignace de Loyola, en a fait la base d’un enseignement
spirituel transposable dans la vie laïque.
La capacité d’établir des distinctions, de faire la part des choses,
est nécessaire à la connaissance et/ou à l’action. Grâce au
discernement, qu’il s’agisse d’une personne ou d’une situation, nous
sommes capables de lire, de filtrer, de deviner même, ce qui sera
nécessaire, utile à la réalisation d’un projet, à la mise en place d’un
objectif. Le discernement nous permet de sérier le bon du mauvais, le
juste de l’injuste, l’honnête du malhonnête, le possible de
l’impossible. Il contribue à nous protéger, à préserver notre sécurité.
Nous évitons de nous engager dans des relations ou des actes qui
seraient contraires à notre éthique, à nos désirs, et conservons ainsi
une certaine tranquillité.
La capacité de discerner s’appuie sur différents canaux : ceux des
sens (la vue, l’ouïe, le contact physique), celui de l’émotion (ce que
nous ressentons intrinsèquement) et celui de l’esprit (l’intelligence, le
raisonnement, la pensée).
Le discernement se rapproche parfois de l’intuition car il nous
permet de deviner que telle situation ou telle personne sera pour
nous positive ou négative. Toutefois, il s’en différencie. Alors que
l’intuition se constitue comme une prise de conscience immédiate,
individuelle et singulière, le discernement associe plusieurs modes
d’appréhension et, en particulier, le raisonnement. Même si Descartes
affirmait : « Il n’y a pas d’autres voies qui s’offrent aux hommes, pour
arriver à une connaissance certaine de la vérité, que l’intuition
évidente et la déduction nécessaire. »

DÉVELOPPER SON DISCERNEMENT
Comment exercer cet art au quotidien ? Ces quelques propositions
devraient vous éclairer.
La signification des signes. Ils sont ce qui dans une situation, un
événement, chez une personne nous alerte, nous apporte une
information. Il peut s’agir d’une impression de déjà-vu, une
sensation de bien-être ou de malaise, lors d’une réunion par
exemple. Ce peut être aussi le son d’une voix, sa tonalité, les mots
employés par une personne quand elle s’adresse à nous.
Le repérage des symboles. Le symbole peut être un objet, une
image, un mot écrit ou un son  : il peut donc se trouver dans la
décoration d’une pièce ou sur les vêtements que porte un individu
(badge, écusson, insignes). Par convention ou par association, le
symbole va donner une information. Il en existe qui sont connus
de tous : la main jaune « Touche pas à mon pote », la tortue qui
symbolise la lenteur mais aussi la longévité, ou encore les
illustrations qui renseignent sur le Code de la route.
L’identification des personnes, d’après leurs réactions. Par
exemple, quand un sans-abri passe dans le métro pour obtenir
une pièce, certains obtempèrent de bon cœur, d’autres lui
sourient, plus loin on baisse la tête, on continue à lire ou on lui
fait remarquer qu’il pourrait travailler comme tout le monde !

L’origine du symbole
Dans la Grèce antique, le sumbolon était constitué de deux morceaux de
poterie qui devaient s’emboîter parfaitement. Une fois réunis, ils faisaient la preuve
de leur origine commune. Ils étaient utilisés comme signe de reconnaissance par
deux personnes liées par contrat. Le sumbolon devenu symbolum en latin est une
sorte de mot de passe signifiant «  ce qui rassemble  », en opposition au diabolum
(qui a donné le mot diable), « ce qui divise ».
Le discernement active les prises de conscience et permet de faire
respecter la justice dans sa propre vie et celle de son entourage. Pour
mieux comprendre son fonctionnement et sa nécessité, on peut le
comparer au firewall, littéralement le « mur de feu » anglais, qui, en
informatique, bloque toute intrusion de virus, spam ou logiciels
malveillants. S’il est inactivé, un pirate peut prendre le contrôle de
l’ordinateur, dérober des informations privées, des codes bancaires.
Dans la vie de tous les jours, si nous oublions d’activer notre
«  mur de feu  » personnel, nous pouvons commettre des erreurs
d’appréciation. Nous ne repérons pas l’arnaque dans le baratin
commercial d’un vendeur. Nous nous laissons subjuguer par le
discours séducteur d’un pervers. Nous sommes bernés par des
compliments qui flattent notre ego, sans repérer l’intention cachée
derrière la pommade verbale qui nous enchante.

★ Karim, quand l’expérience enseigne


L’un de nos jeunes patients était désireux de devenir
comédien. Malheureusement, il s’est ainsi laissé abuser. Il
raconte  : «  Sur Internet, j’ai découvert une agence photo
qui proposait de réaliser vingt clichés, dix en couleur et dix
en noir et blanc dans le “style de la maison Harcourt”,
écrivait-elle. Elle offrait en plus une centaine de
composites, sortes de cartes de visite en images avec des
informations techniques sur le mannequin. Cela à condition
que nous soyons sélectionnés. En plus, elle nous
garantissait de travailler immédiatement en faisant des
photos pour de grandes marques. Le tout pour 100 euros !
J’ai sauté sur l’occasion, je me suis dit que cette manne me
permettrait de payer mes cours de théâtre et de me faire
connaître. J’ai pris rendez-vous. L’agence était située dans le
VIIIe  arrondissement de Paris. Immeuble haussmannien,
parquets cirés, lumières douces et hôtesse vraiment canon.
J’ai été pris en charge par un photographe qui m’a examiné
des pieds à la tête et m’a affirmé que je “prenais bien la
lumière”. J’ai posé, reçu les produits promis avec
l’assurance d’être recontacté au bout de 15 jours. Le temps,
m’a-t-on dit, de présenter mon profil à leurs clients. Après
un mois, je n’avais toujours pas de nouvelles. J’ai téléphoné
et la secrétaire m’a fait patienter en me racontant qu’un de
leurs agents commerciaux, celui qui “gérait mon profil”,
était sur un “gros coup” : une série de clichés mode à Doha
au Qatar. Pour moi qui n’avais jamais voyagé plus loin que
Lyon où ma famille habite, c’était vraiment le paradis. En
même temps, la “négo était difficile”, les Qataris durs en
affaires, et je devais patienter encore un mois. Mais, au
bout de ce mois-là, toujours rien. J’ai commencé à appeler
tous les jours et personne n’était jamais disponible pour me
répondre : la secrétaire n’était pas au courant du suivi, mon
agent était en déplacement… Au finish et au bout de
quatre mois, je suis tombé sur une boîte vocale qui
m’indiquait que le numéro de téléphone n’existait plus. »
Le point de vue psy
Karim a été victime de l’une de ces arnaques qui font florès sur la Toile dans bien
des domaines. Emporté par son désir de devenir comédien et, parallèlement, la
nécessité de subvenir à ses besoins, il n’a pas réalisé que la somme demandée pour
les prestations proposées était vraiment minime. Discerner c’est donc aussi
connaître le «  prix des choses  », s’informer lorsqu’on est encore novice dans un
domaine. C’est aussi poser des questions, ne pas se laisser séduire par un décor si
luxueux soit-il, ni berner par des professionnels de l’escroquerie. Professionnels
eux-mêmes probablement victimes, puisque l’hôtesse et le photographe, plus ou
moins au courant de la magouille, n’étaient que de simples salariés… Karim s’en
rendra compte trop tard en discutant avec des comédiens qui connaissaient le
stratagème. En réalité, c’est le taulier qui gagne.

S’ENTRAÎNER À LA VIGILANCE

Le discernement est aussi synonyme de prévoyance. Comment


éviter, en amont, les situations ou les personnes qui seront
préjudiciables à vos projets ?
N’accordez pas votre confiance trop rapidement. Donnez-vous du
temps pour examiner une situation ou une proposition.
Demandez des conseils aux personnes plus expérimentées.
Informez-vous, ne sautez pas sur la première offre venue  : la
« bonne occasion » est parfois un invendable, un tuyau crevé.
Prenez garde aux détails. « Le diable est dans les détails » assure
le dicton… Ne vous laissez pas abuser par des marques appuyées
de gentillesse, un accueil trop chaleureux, l’acceptation immédiate
de votre candidature. S’il s’agit d’une activité professionnelle,
exigez un contrat, une lettre de mission qui précise les
engagements de part et d’autre.
Ne soyez pas impressionné par un décor, des vêtements de
marque, un discours truffé de mots techniques destinés à vous
embrouiller.
Tempérez votre tendance à la crédulité. Quand, par nature, nous
sommes gentils, bienveillants, nous sommes souvent aussi, en
contrepartie, relativement naïfs.
La fonction de l’imaginaire, développée en psychanalyse, nous
aide à vivre et même à bien vivre. Sans elle, un jardin ne serait qu’un
ensemble d’arbres assemblés et un tableau, des taches de couleurs sur
une toile. D’ailleurs, les dépressifs ne perçoivent plus que le « réel »,
un amas brut de choses ou de personnes dépourvues de toute
signification symbolique. Une pomme est un fruit, ils aiment en
manger ou pas, mais ce n’est pas le produit symbolique de l’arbre de
la connaissance.
L’imaginaire constitue donc notre représentation du monde. En ce
sens, il est virtuel. Pour gérer nos relations, la masse d’informations
que nous recevons chaque jour, il est nécessaire, dans bien des cas, de
sortir de notre « petit Moi », de regarder la réalité en face et de ne pas
confondre imaginaire et imagination. L’imaginaire est un atout,
l’imagination peut nous jouer des tours.
Nous devons apprendre à voir clair, en nous comme en l’autre,
pour mieux gérer nos relations et la masse d’informations qui nous
parvient chaque jour. Sortons de notre bulle psychique et appuyons-
nous sur la réalité la plus concrète. Le discernement nous permet de
mieux appréhender les interactions sociales, de sortir de la confusion
et de résister aux bourrasques émotionnelles.

Le « parler vrai »
« Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux
principes majeurs er rigoureux de tous ceux qui feraient mieux
de la fermer avant de l’ouvrir. »
Pierre DAC
L’IMPORTANCE DU LANGAGE
Selon la psychanalyste Françoise Dolto, le langage, verbal ou non
verbal, est au cœur de toute relation humaine. Dans l’un de ses
livres 1, elle démontre que la parole de l’adulte est déjà « entendue »
par le tout-petit avant que lui-même ne s’exprime, et même par le
fœtus dans les semaines qui précèdent sa naissance.
On sait désormais que l’audition se met en place entre la 26e et la
28e  semaine de gestation. Grâce aux sons qui lui sont parvenus in
utero, le nouveau-né analyse et décrypte un certain nombre
d’informations. Il reconnaît et «  préfère  » la voix de sa mère, ses
inflexions. Il serait même capable de distinguer le générique du
feuilleton qu’elle a regardé durant toute sa grossesse !
Mais qu’entend-il cet enfant encore lové dans le ventre maternel ?
Dans une étude finlandaise, le chercheur Eino Partanen explique  :
« En plaçant une main sur la bouche et en parlant, on peut avoir une
idée assez juste de ce qu’un fœtus entend lorsqu’il est dans le ventre
de sa mère 2. »
Si le langage peut impacter le fœtus et atteindre le nourrisson
quand il n’est pas encore entré dans la parole, que dire de
l’importance de nos échanges entre personnes dotées du langage ?
Quand nous parlons, nous exprimons bien plus que des mots ou
des idées. Nos propos sont empreints, que nous le sachions ou non,
d’éléments et d’informations qui dépendent étroitement du moment,
de ce que nous sommes et de la personne à laquelle nous nous
adressons.
La communication est toujours prise dans un faisceau langagier
entendu (les mots énoncés, les intonations) et vu (les gestes, les
mimiques) qui seront perçus par les deux interlocuteurs, de manière
consciente et inconsciente. Mais elle est aussi teintée d’affects, ceux
de l’émetteur comme ceux du récepteur  : les émotions de celui qui
parle et de celui qui écoute, la valeur octroyée par l’un et l’autre à
certains mots. En somme, il est nécessaire de «  savoir ce que parler
veut dire ».
Nos propos, quel que soit leur destinataire, révèlent toujours des
traits essentiels de notre Moi profond. Ils dévoilent des traits de
caractère même si, au moment où nous nous exprimons, nous nous
efforçons de rester neutres. C’est pourquoi il est si important, y
compris quand nous pensons utile de mentir pour ne pas blesser, de
maintenir néanmoins une « sincérité relationnelle ».
Mais comment s’y prendre alors  ? Devant un malade, par
exemple, mieux vaut éviter de déclarer, la mine réjouie, que tout va
bien. Il s’agit de rester dans ce que Lacan appelle le « mi-dire » : une
énonciation vraie de la réalité mais qui ne provoque pas d’affolement
chez la personne malade.
D’autant que la vérité finit toujours par affleurer… Dans certains
cas, elle émerge dans une indiscrétion, une parole malheureuse, un
lapsus. Dans d’autre cas, cette vérité n’a pas accès à la conscience
mais elle taraude l’individu sans qu’il le sache, et elle devient
épuisante pour l’esprit. C’est le cas des salariés qui «  savent  », sans
que rien n’ait été révélé dans leur entreprise, ni dans les médias, que
leur société va mal, que des menaces de fermeture se profilent.
Échanger, parler à deux ou à plusieurs, s’entretenir de choses
importantes ou futiles est au cœur de la dynamique humaine. Nous
nous adressons aussi à nos animaux  : nous leur parlons, avec des
mots mais aussi avec des gestes (caresses ou tapes).
Ainsi, toute l’existence ressemble à une longue suite de
conversations. Mais c’est aussi une longue suite de malentendus, de
blessures et de souffrances car nous ne savons pas toujours parler
vrai. Et nombre de nos échanges verbaux sont loin de mériter le titre
de conversation. D’un point de vue étymologique, ce mot vient du
latin cum, qui signifie « avec », et de versare, « tourner ». Autrement
dit, la conversation est l’art de «  tourner ensemble  » ou, plus
explicitement, d’aller dans la bonne direction, de trouver un
consensus, de s’entendre sur une conduite à tenir, de faire le point
dans une relation sans s’énerver ni se fâcher.
Dans le « parler faux », nous ne contrôlons pas nos affects et nous
en disons souvent trop. Selon la formule consacrée, les mots
dépassent notre pensée. Nous pouvons aussi ne pas tout dire ou
demeurer en retrait. Nos phrases sont pauvres et nos gestes contenus.
Cependant, notre interlocuteur le perçoit puisque le langage est
toujours verbal et non verbal. Celui à qui nous nous adressons ne
manque pas de l’entendre ou de le « sentir ». Dans le « parler faux »
encore, le mutisme est roi. Non, ce n’est pas de silence dont il s’agit
mais de mutisme. Ce blanc, cette coupure dans le fil de la parole où
nous intercalons, de façon sourde, ce qui refuse d’être dit. Un
mutisme tout aussi parlant que la parole, alors que «  faire silence  »
c’est laisser une place à l’autre, ne pas lui « couper la parole ».
Nous entendons – et disons – fréquemment : « Ce n’est pas que je
ne voulais pas le lui dire, c’est que je ne pouvais pas.  » C’est vrai,
nous ne pouvions peut-être pas lui dire « de cette manière-là », dans
la brutalité, le coup de poing, la révélation qui assomme. Mais il était
nécessaire de réfléchir, de prendre un peu de temps, afin de « trouver
les mots  ». Les mots qui expliquent et qui apaisent. Ceux qui
objectivent au lieu de tenir l’autre à distance.
Parler vrai consiste donc à mettre en forme sa parole ainsi que
nous le ferions avec un dossier, un livre à écrire, n’importe quel
ouvrage exigeant soin et rigueur. Le « parleur » vrai cherche les mots
justes, les idées simples et claires qui préciseront sa pensée. Il a envie
d’exprimer un besoin, d’échanger des opinions, de clarifier une tâche
ou une relation et, pour ce faire, « il ne cède jamais sur son désir ».
Cette formule de Lacan souligne que, quand nous nous soumettons à
la norme sociale (être trop poli, ne pas dire ce que l’on pense
vraiment, croire que le mensonge est toujours «  pieux  »), nous en
payons, tôt ou tard, le prix. Ce prix est celui de l’amertume, de la
tristesse, voire de la dépression. Parler vrai, tout en demeurant
civilisé, c’est emprunter le chemin buissonnier du « J’ai envie » plutôt
que la grand-route des « Il faut ».

PARLER VRAI : MODE D’EMPLOI

Pourquoi parle-t-on  ? Pour se distraire, pour échanger des idées,


pour partager des informations, développer un partenariat, une tâche
commune, manifester toute la gamme de ses sentiments, dépeindre
une émotion… et tant de choses encore ! En ce cas, mieux vaut faire
de nos échanges une source de plaisirs et d’apprentissages plutôt
qu’un terreau de tensions et de conflits. Car ce qui compte ce n’est
pas seulement ce que nous disons, mais la manière dont nous
l’exprimons.

• Créer un espace de parole

L’espace de parole est parfois un lieu géographique. Mieux vaut


éviter d’annoncer un drame entre deux portes ou au téléphone…
Mais c’est, avant tout, un espace intérieur. Il s’agit de retrouver une
certaine sérénité afin de faire le point sur ce que vous avez à dire.

• Clarifier ses intentions

Quelle que soit l’information que vous souhaitez partager, il est


indispensable de savoir clairement ce que vous voulez dire. Qu’il
s’agisse de quitter vos parents pour voler de vos propres ailes, de
poser votre candidature ou de quitter votre boîte, d’avouer votre
amour ou votre infidélité, c’est l’intention qui sera votre meilleure
alliée. Celle-ci, rappelez-vous, est le dessein délibéré, conscient,
d’accomplir un acte, de réaliser un objectif. Certes, elle est consciente,
mais si elle vous habite entièrement, si vous en faites une sorte de
mantra, elle parlera aussi à votre inconscient, ce qui vous aidera à
formuler votre désir. Plus nos intentions sont claires et plus nos
propos sont puissants. Un parfait contre-exemple est le jargon de
certains politiciens, ces «  éléments de langage  » fournis par des
agences spécialisées et qui ne trompent personne.

• Parler clairement de ses sentiments

Nous avons parfois envie de dire des choses mais nous manquons
d’arguments et refusons de blesser. C’est souvent le cas quand
l’amour s’en va. Qu’il est difficile alors d’exprimer clairement ce que
l’on ressent  ! La technique de la «  chaise vide  » peut alors vous y
aider. Il s’agit de vous adresser préalablement à l’intéressé comme s’il
était là. En son absence, les mots peuvent venir plus aisément et les
sentiments s’exprimer plus librement.

• Communiquer avec respect

Vous engager dans une conversation avec respect ne signifie pas


seulement avoir des égards pour l’autre, lui exprimer votre
considération, utiliser des mots justes qui définissent précisément
votre pensée. C’est aussi «  regarder en arrière  », comme l’indique
l’étymologie du mot respect, du latin respicere. Pourquoi regarder en
arrière ? Pour considérer le contenu de votre relation : qu’est-ce cette
personne vous a apporté de bon  ? Que lui devez-vous en termes
d’appui, de soutien, d’amour ou d’apprentissages ?

• Tenir compte d’autrui

Vous avez peut-être des reproches légitimes à formuler. En ce cas,


n’oubliez pas que votre interlocuteur n’en a pas forcément
conscience. Nous sommes tous faillibles, même vous. Certes, il existe
des gens entièrement mauvais dont le seul objectif est de meurtrir les
autres, mais ils sont rares. Le plus souvent, leur cas relève de la
pathologie, laquelle prend racine dans leur propre histoire. C’est
pourquoi, en dehors de situations extrêmes, vous vous efforcerez de
tenir compte de la personnalité de l’autre, de son « humanité ».

• Utiliser les bons mots

Tâchez de trouver les tournures de phrases qui précisent votre


pensée sans, pour autant, entrer dans les reproches, la remise en
question. Mieux vaut dire « J’ai été blessé par ton attitude » que « Tu
es vraiment blessant  ». Le «  tu  » résonne comme une agression
directe, il « tue ». Dans le même ordre d’idée, dites plutôt « Je ne me
sens pas écouté  » que «  Tu ne m’écoutes jamais  ». Ici, le «  tu  » est
renforcé par l’adverbe «  jamais  », une allégation nécessairement
fausse. Comment imaginer une relation où votre interlocuteur ne
vous aurait «  jamais  » écouté  ? Y compris pour des informations
factuelles comme «  Il pleut  » ou «  J’ai perdu mon écharpe  »  ? C’est
une absurdité. Bannissez les locutions telles que «  jamais  »,
« toujours », « à chaque fois » et « systématiquement ».

★ Joséphine, ou comment être écouté


Joséphine est persuadée que sa mère ne l’a «  jamais  »
écoutée. Elle dit : « À l’adolescence, j’ai eu envie de changer
ma garde-robe, de me maquiller, de me faire couper les
cheveux. À “chaque fois”, ma mère me remettait à ma
place. “Ma pauvre fille, disait-elle, tu te crois adulte parce
que tu changes de look. Mais c’est à l’école qu’il faut
travailler.” Il est vrai que je n’étais pas une élève très
assidue. Du coup, je me suis rapprochée de mes copines.
On formait une bande de filles, on faisait les magasins, on
échangeait des fringues. Quand ma mère me faisait une
remarque, je ne disais rien. Un jour, une psychologue
scolaire est venue dans mon établissement pour parler des
rapports mère/fille. Elle a raconté qu’au moment où une
adolescente “se transforme”, devient jeune fille, sa mère se
sent régresser. Comme si elle n’était plus une femme aussi
séduisante. Elle a dit que cela entraînait de la jalousie,
l’émergence d’une forme de rivalité. Cette conférence m’a
fait beaucoup de bien. Par la suite, j’ai insisté pour que ma
mère m’accompagne dans les boutiques. Je lui montrais des
vêtements en lui disant que ça lui irait bien, qu’elle ferait
plus jeune ainsi. En plus, je le pensais vraiment. Je l’ai
obligée à aller chez le coiffeur aussi et à abandonner ses
horribles permanentes ! Elle a de très beaux cheveux raides
mais épais qui se prêtent bien à une coupe près des oreilles.
Cette coupe, elle l’a encore d’ailleurs… Bref, je pense, pour
parler comme vous (comme un psy), que je l’ai aidée à se
renarcissiser. »
Le point de vue psy
Le respect de l’autre ne provient donc pas toujours des mots qu’on emploie pour lui
parler. Il est porté par nos actes, notre comportement, la manière dont nous
devinons ses souffrances secrètes. La mère de Joséphine ne pouvait évidemment pas
exprimer son sentiment d’insuffisance vis-à-vis de la transformation de sa fille.
L’idée même de rivalité lui aurait sans doute écorché l’esprit. Grâce à la
psychologue, à la vitalité de ses copines aussi, Joséphine a su le comprendre. Elle a
fait preuve d’empathie, qui est un des maîtres mots, une des attitudes
emblématiques du respect.

La gestion des priorités
« Le temps, ça se prend ou ça se perd !

Si vous voulez en disposer, vous ne pouvez que l’attraper, le choper,


le ravir.

C’est un choix à faire dans les priorités que vous vous donnez. »


Hubert NYSSEN

De quoi avons-nous vraiment envie dans notre existence ? Qu’est-


ce qui est indispensable ? De quoi pouvons-nous nous passer ? Quelle
est notre priorité, ici et maintenant, en tenant compte de notre
humeur  ? Pour quoi ou pour qui roulons-nous  ? Quels sont les
moteurs de notre existence  ? Savons-nous ce qui est profond ou
superficiel, accessoire ou nécessaire ? Autant de questions auxquelles
il est souvent difficile de répondre avec lucidité. L’ère du temps est à
la vitesse, à la multiplication des tâches et des loisirs, à
l’éparpillement général. Or, pour cultiver le bonheur et s’épanouir au
quotidien, il est indispensable de se poser, de réfléchir et d’établir la
liste de ses priorités.
VIE PRO OU VIE PERSO ?

Pour des raisons à l’évidence économiques, le travail constitue


l’une de nos priorités. Mais l’équilibre entre la « vie pro » et la « vie
perso » concerne aussi la mère (ou le père) au foyer qui, sans exercer
d’emploi rémunéré, consacre une grande partie de son temps à la
famille, la maison. Il concerne aussi le retraité dont la pension ne
suffit pas toujours. Il concerne enfin les écoliers et les étudiants qui
ont un «  temps de travail  » souvent supérieur à 35  heures par
semaine.
Pour certains, le travail constitue seulement une nécessité
économique. Ils n’ont pas choisi leur emploi, ni l’entreprise dans
laquelle ils exercent. Faute d’études suffisantes, d’entregent, de
réseau, ils sont obligés de se contenter de ce que leur offre le marché.
Pour d’autres, au contraire, le travail correspond à une vocation, voire
à une passion. Il est la continuité de leurs études et de leurs
aspirations. Dans tous les cas, le travail donne du sens à notre vie. Il
nous confère une identité. Mieux vaut avoir un emploi, même non
choisi, que d’être au chômage  : les conséquences financières mais
aussi émotionnelles sont lourdes.
Cependant, si le travail contribue à notre valorisation, il peut
aussi conduire au burn-out, au stress, à la dépression. Heureusement,
les entreprises sont aujourd’hui au fait de tous ces risques
psychosociaux. Le travail a un coût, et cela à plus d’un titre. S’il nous
rapporte de l’argent, il en coûte à notre employeur –  qui en gagne
grâce à nous –, il en coûte à la Sécurité sociale lorsque nous tombons
malades, et il nous en coûte en termes de santé physique et psychique
quand nous ne le voyons plus comme un moyen de gagner notre vie
et/ou de donner un sens à notre existence. Ce qui arrive lorsque nous
ne savons plus pour quoi nous travaillons et quand nous n’arrivons
pas à prioriser les tâches qui nous sont imparties.
Pour les sociologues, il existe des facteurs de motivation
intrinsèques et extrinsèques au travail. Ainsi l’argent et le statut social
sont désignés comme des facteurs extrinsèques car le travail y
constitue un but en soi. Tandis que les facteurs intrinsèques sont le
besoin d’affirmer nos compétences et nos talents, de vivre une sorte
de passion, de se démarquer du commun. C’est ainsi que se pose la
question cruciale  : devons-nous préférer un emploi très largement
rémunéré, mais exigeant en termes de temps et d’engagement, à un
emploi au salaire modeste, mais peu chronophage ? Une activité qui
nous laisse du temps libre et la possibilité d’en exercer d’autres ?
Évidemment, nous avons tous besoin d’argent pour vivre. Mais,
dans le monde occidental, l’accumulation des biens, des services
présente fréquemment un caractère addictif. À l’instar de la drogue,
cette accumulation ne dispose pas, la plupart du temps, de
mécanismes de régulation interne. Dans nos séances de
psychothérapie, nos groupes de parole, nos coachings, nous
constatons combien les gens sont privés de sécurité émotionnelle,
qu’ils essaient de compenser par un apport matériel.

★ Nadine et le burn-out
Nadine est directrice des ventes dans une société
d’agroalimentaire. Elle a renoncé à l’amour et à fonder une
famille afin de privilégier sa carrière professionnelle. Entrée
dans l’entreprise il y a cinq ans comme simple stagiaire, elle
a gravi les échelons grâce à ses compétences et sa
détermination, mais à coup « d’horaires de folie », comme
elle le déplore elle-même. Elle raconte  : «  Je suis sur le
pont de 8 heures du matin à 20 heures le soir, parfois plus.
Je prends mon déjeuner sur le pouce… quand je mange. Il
y a un mois, j’ai craqué. Ce jour-là, mon patron m’a fait
remarquer que le marché X aurait déjà dû être conclu. Je
galérais dessus depuis des semaines avec un client
particulièrement difficile, toujours en train de rogner les
marges. J’étais sur le point de signer, et mon boss
m’engueule. J’ai éclaté en sanglots, ça ne m’était jamais
arrivé. On m’avait toujours vue comme un modèle de
réserve et de calme. Je contrôlais tout : le temps réservé à
mes amants de passage, pas question de s’attacher. J’avais
refusé plusieurs propositions de mariage. Je ne partais plus
en voyage alors que j’adore découvrir de nouveaux pays,
des gens, des cultures différentes. J’étais devenue un robot
au service de la sacro-sainte organisation. Résultat, le
docteur a diagnostiqué une dépression. Maintenant, je
prends des cachets pour réduire l’anxiété, pour dormir,
pour m’autoréguler, sinon je suis dans le cirage toute la
journée. J’en ai marre et c’est pourquoi je suis là. »

Le point de vue psy
Nadine s’est installée, depuis l’enfance, dans le syndrome de l’élève parfaite, la
« pathologie de l’enfant sage », pour répondre aux exigences de ses parents, tous
les deux enseignants. Sa mère, pas très heureuse en ménage, lui répétait aussi que
«  les hommes sont égoïstes  », que «  le mariage est toujours un esclavage
domestique », que « les enfants sont chronophages », que « l’argent ne fait pas le
bonheur mais qu’il y contribue largement  »… La jeune femme a donc répondu
strictement aux ordres  : major de promotion dans son école de commerce, elle a
multiplié les stages non rémunérés en entreprise, avec l’espoir de se faire
remarquer. Puis, une fois embauchée, elle s’est engagée corps et âme dans son
travail. Jusqu’à ce qu’elle « craque » et soit obligée de mieux s’écouter.

PRIORISER LES TÂCHES
L’art de prioriser les tâches est extrêmement simple. Il s’agit
simplement de faire le tri entre :
ce qui doit être fait immédiatement
ce qui ne nécessite pas un traitement trop rapide
ce qui peut attendre.
Bien entendu, cette priorisation est soumise aux sollicitations,
voire au despotisme de certains supérieurs hiérarchiques. Mais faites
preuve de pédagogie et démontrez à votre manageur les avantages de
cette technique. Si vous vous exercez à mettre sur la pile du haut
certains dossiers, tout en évaluant le temps dont vous avez besoin
pour les traiter, ce qu’ils réclament en termes d’approfondissement,
de consultation de documents, vous irez de toute façon plus vite.
Toutefois, n’en profitez pas pour faire du zèle. Ne soyez pas plus
royaliste que le roi. Songez que votre entourage est important : vous
avez des enfants, des amours et des amis qui apprécient votre
disponibilité. Vous avez aussi besoin de vous évader, de faire du sport,
de méditer peut-être. Et même de ne rien faire du tout.

MÉNAGER LES ENFANTS

Emportés par les aspirations –  et les craintes  – de leurs parents,


nombre d’enfants ont aujourd’hui un véritable planning de chef
d’entreprise. Entre l’école, les devoirs, les cours de rattrapage ou de
soutien, la pratique d’un sport, celle d’une activité artistique, ils ne
savent plus où donner de la tête. Leur planning de la soirée et du
week-end ressemble à un marathon. Il leur faut concilier l’excellence
scolaire, la performance et la beauté physique, la culture et le savoir.
Cependant, les enfants aussi dépriment. Ils sont usés et, à leur
échelle, peuvent connaître un burn-out  : échec scolaire, refus de
pratiquer une activité, extrême fatigue. Abreuvés de préconisations
multiples, de régimes alimentaires ad hoc, ils leur arrivent de préférer
les frites aux «  cinq fruits et légumes  », et le farniente au
développement parfait de leur personnalité et de leur corps.
Cela n’est évidemment pas un plaidoyer pour l’école buissonnière,
l’absence totale d’activité physique ou la malbouffe. En revanche, il
existe une différence notable entre se remplir et s’empiffrer. On a
supprimé le bonnet d’âne, pourquoi le remplacer par le plumage de
l’oie à gaver ?

★ Michaël ou le mythe de l’enfant performant


Michaël est surnommé «  Mickey  » par ses proches. Il faut
dire qu’il a la vivacité et l’humour du héros de Disney  !
C’est un «  sur petit bonhomme  ». À 12  ans, il est ceinture
marron de judo, il donne des concerts de piano en solo
chaque trimestre et présente des résultats étonnants à
l’école. Ses parents, des gens simples ayant eux-mêmes fait
peu d’études, sont éblouis par ses performances. Du coup,
ils ont décidé de consulter un psychologue afin de vérifier
qu’il est bien ce qu’ils croient  : un surdoué  ! Ils en sont
tellement certains qu’ils ont déjà contracté un prêt afin de
régler les frais d’une école spécialisée.
Le point de vue psy
Les tests de Michaël ne révéleront qu’un très bon QI (quotient intellectuel),
d’excellentes capacités de mémoire et de concentration et, surtout, une forte
combativité axée sur la prouesse et la compétitivité. Derrière ces qualités, se
dissimule en réalité la crainte constante de déplaire à ses parents, la volonté de les
dépasser dans une perspective œdipienne et la crainte du qu’en-dira-t-on. Son père
comme sa mère sont en effet obsédés par le regard des autres, famille, voisins,
employeurs, car leur histoire de vie avec leurs propres parents a été traversée par
des situations humiliantes. Comme la plupart des enfants, Michaël avait donc
pour mission de réparer ce qui, dans leur propre biographie, était resté en
souffrance  : honte sociale, crainte de perdre la face. L’annonce qu’il n’est pas un
enfant surdoué, outre la déception parentale, entraînera chez le garçon une
période de laisser-aller total à l’école et à la maison. Il arrivera en retard en classe,
multipliera les absences scolaires sans prévenir quiconque, cessera de faire ses
devoirs, de ranger sa chambre. Bref, il lâchera prise… pour son plus grand bien,
comme le confirmeront le psychologue scolaire et un pédiatre consulté pour
l’occasion. Après quelques semaines de «  repos  », il reprendra ses bonnes
habitudes. Mais sur un rythme plus raisonnable.

S’OCCUPER DE SOI

Apprendre à être bien dans sa tête et dans son corps, donner et


recevoir de l’amour, cultiver l’amitié, se passionner pour une ou deux
activités sportives, artistiques, culturelles, découvrir son quartier, sa
ville, sa région, son pays, des pays étrangers, autant d’activités
nécessaires à notre bien-être.
Mais, pour y parvenir, il faut d’abord accepter de prendre du
temps pour soi, juste du temps pour soi. Ce qui n’exclut pas de le
partager avec tous ceux qui apprécient les mêmes choses. Toutefois,
dans un premier temps, essayez de vous accorder ce temps-là en
solitaire. Vous pourrez faire le point, mieux vous connaître, vous
valoriser et trouver votre point de sécurité intérieure.
Quand on a perdu l’habitude de s’écouter, de ne rien faire qui soit
totalement utile et même de ne rien faire du tout, il est souvent
nécessaire de s’adresser à un coach ou à un psy pour retrouver le
chemin de son intériorité. En fonction de vos convictions
personnelles, ce peut aussi être un prêtre, un directeur de conscience,
une sorte de mentor. En tout cas, une personne neutre qui ne vous
dira pas ce qu’il faut faire, et comment, en fonction de ses propres
centres d’intérêt et de ses projections.
Pour vous sentir bien dans votre corps, une activité sportive, à
dose raisonnable, est nécessaire. La marche peut suffire. Un régime
alimentaire adapté à votre âge, à votre morphologie et à vos activités
est, lui aussi, indispensable. Enfin, n’oubliez jamais que le corps est le
véhicule de l’esprit. C’est pourquoi la méditation, le yoga, des
exercices de pleine conscience, un engagement spirituel
contribueront aussi à votre équilibre.
Vous êtes réticent  ? Peut-être avez-vous peur  ? Peur de ne pas y
arriver, de ne pas y arriver du premier coup, de ne pas y arriver aussi
bien que les autres… Peut-être aussi êtes-vous trop occupé ? Vous ne
prenez tout simplement pas le temps. Pour faire le plein de bien-être
et d’équilibre, il faut donc faire le vide. Lâcher le superflu, utiliser le
discernement à tout moment. D’autant que les physiciens l’ont
démontré  : le vide quantique est en réalité un réservoir d’énergie
potentielle. Des expériences ont prouvé qu’il était possible de faire
naître des électrons du néant. Ainsi l’Univers a-t-il émergé d’un océan
infini d’énergie qui a pourtant l’apparence du néant. Faites le vide
dans votre vie : vous pourrez ainsi le remplir à bon escient.

Les émotions
« Toutes les grandes découvertes sont faites par ceux qui laissent
leurs émotions devancer leurs idées. »
Charles Henry PARKHURST

Du rire aux larmes en passant par le courroux, la crainte et la


répugnance, il existerait cinq émotions de base : la joie, la tristesse, le
dégoût, la peur et la colère. On note aussi des émotions
«  secondaires  », appelées également «  mixtes  », car elles combinent
plusieurs ressentis. Il en est ainsi de la honte, un mélange de peur et
de colère, bloquée ou retournée contre soi-même, ou encore de la
nostalgie, qui associe la tristesse à la remémoration de certains
souvenirs.
Le mot émotion vient du latin motio, qui indique le mouvement et
a donné notamment motivation. Dans la perception que nous en
avons, l’émotion est un éprouvé, une sensation. Elle est agrégée à
l’humeur, au comportement. Pourtant, c’est aussi une expérience
psychophysiologique complexe qui va modifier l’état d’esprit d’un
individu à partir d’influences externes (une parole, un événement) et
internes (des modifications biochimiques).
En effet, face à un événement heureux ou malheureux, même si
nous contrôlons notre comportement, si nous nous efforçons de rester
impassibles, notre organisme va réagir  : augmentation du rythme
cardiaque, sensation de froid ou de chaud, transpiration… L’émotion
agit toujours dans un arc corps/esprit. Elle nous fait rougir ou pâlir,
trembler, respirer plus vite ou retenir notre respiration.
Charles Darwin, le fondateur de la théorie de l’évolution, la
définissait comme une faculté d’adaptation et de survie des êtres
vivants. Il estimait qu’elle était innée, universelle et communicative.
D’un point de vue comportemental, l’émotion est considérée comme
une source de motivation, une entité qui influe le choix d’un individu
en fonction de stimuli variés. Elle nous permet de nous adapter au
changement et contribue à nous faire interréagir les uns avec les
autres.

L’INTELLIGENCE DE L’ÉMOTION

Il faut cependant distinguer l’émotion et les conséquences de


celle-ci. Devant une situation donnée, nous ne réagissons pas tous de
la même façon. Si nous essuyons un reproche, par exemple, nous
pouvons en sourire, nous en moquer. Mais nous pouvons aussi
devenir agressifs, grossiers. Globalement, on note trois axes de
réponse :
la colère nous fait combattre
la peur nous fait fuir
la tristesse nous fait subir.
Le monde dans lequel nous évoluons est perpétuellement en
mouvement, et aujourd’hui plus qu’hier. Professionnellement, nous
devons nous adapter à des changements, des mutations, des
licenciements, des reconversions… D’un point de vue familial, les
configurations sont multiples, recomposées, nouvelles. Notre façon
d’appréhender l’existence devient alors déterminante si nous voulons
continuer à nous construire, avancer, faire des projets. Bref, être
heureux.
Pour ce faire, le quotient émotionnel (QE) est fondamental. De
nombreuses expériences montrent, d’ailleurs, que les personnes qui
«  réussissent  » sont dotées d’une forte intelligence émotionnelle. Le
quotient intellectuel (QI) est battu en brèche  ! Avoir un bon QI ne
suffit pas pour grimper dans l’échelle sociale. Nous devons être
capables d’échanger avec les autres, de savoir communiquer les
bonnes informations ou de cultiver notre réseau. À QI égal, certains
s’épanouissent et prospèrent mieux que d’autres car ils s’appuient
également sur leur QE.
Les premières études sur l’intelligence émotionnelle (IE) ont
émergé dans les années 1990 et sont dues aux travaux de Salovey et
Mayer, deux professeurs de psychologie américains. Pour eux,
l’individu possède, outre ses capacités intellectuelles, un large
éventail de compétences émotionnelles qui influent sur sa façon de
penser et d’agir. Ces compétences, telle la capacité de maîtriser ses
sentiments ou celle de comprendre les affects d’autrui, représentent
donc une forme d’intelligence.
Leurs recherches ont, par exemple, montré que les messages de
promotion de la santé, ceux qui permettent de changer un
comportement à risque (le tabagisme, l’infection au VIH), étaient plus
efficaces s’ils faisaient appel à l’émotion plutôt qu’à la raison.

L’ÉMOTION (TOUT) CONTRE LA RAISON

En 1995, Antonio Damasio 3, professeur en psychologie et en


neurosciences, démontre comment le Cogito ergo sum, «  Je pense
donc je suis », devrait plutôt se décliner en « Je ressens donc je suis ».
Dans la lignée de Spinoza, il s’oppose à la coupure entre le corps et
l’esprit, inaugurée par le cartésianisme. Comme ce dernier, il y voit le
fondement même de la survie et de la culture humaines. Contre toute
attente, émotion et raison ne s’opposent pas. Quand ils sont
dépourvus d’émotion, nos raisonnements sont biaisés, des choix
simples peuvent déboucher sur des décisions saugrenues ou
déraisonnables.

★ Phinéas Gage, quand l’émotion prend le dessus


En 1848, le contremaître Phineas Gage participe à la
construction d’une ligne de chemin de fer dans le Vermont
aux États-Unis. C’est un jeune homme athlétique de 25 ans,
considéré pour son sérieux au travail. Alors qu’il est en
train de bourrer de la poudre explosive dans une faille
rocheuse, la barre à mine dont il se sert heurte le rocher,
entraîne une explosion, et le bourroir vient lui perforer le
crâne. Cette barre de 1,10 mètre et de 6 kilos est entrée par
la joue gauche et ressortie par le sommet de la tête. Gage
est soigné par le médecin local, le docteur Harlow, qui
nettoie les plaies et referme la plus grande blessure, en
haut de la tête, avec des sangles adhésives. Le tout est
recouvert d’une compresse humide. En dépit de ce
traitement plutôt sommaire, le contremaître s’en sort sans
déficit neurologique. Il parle, ne souffre pas de paralysie et
sa démarche est assurée. Il a seulement perdu la vue de
l’œil gauche mais le droit reste fonctionnel. Cependant, en
dépit de son rétablissement physique général, c’est son
caractère qui change. Considéré jusque-là comme une
personne attentive et sociable, Gage devient capricieux, fait
des crises et ne peut s’empêcher de proférer des
grossièretés. Les conseils et les remontrances de Harlow n’y
changent rien. Gage « ne peut » pas se contenir. Gage n’est
plus Gage. Un personnage nouveau est apparu qui, selon
toute vraisemblance, lui est constitutif, comme l’était le
Gage gentil et socialisé.
Le point de vue psy
En 1994, Damasio et son épouse Hanna, qui est aussi neuroanatomiste,
reconstituent par ordinateur le trajet de la barre à mine. Ils utilisent le crâne de
Gage qui a été conservé au Warren Anatomical Museum de l’Université de
Harvard. L’expérience montre que l’atteinte concerne surtout le lobe frontal
gauche. Or, les fonctions des lobes frontaux sont de gérer et de contrôler le
raisonnement et la parole, le jugement et la prise de décision, la mémoire, les
mouvements, mais également la personnalité. Bref, ce qu’il est convenu d’appeler
les «  fonctions mentales supérieures  ». Ce sont des fonctions cognitives, qui nous
permettent de penser, d’agir, d’apprendre, de raisonner et de nous souvenir. Mais
les lobes frontaux contiennent aussi l’amygdale, un noyau pair, impliqué dans la
reconnaissance des stimuli sensoriels, internes et externes, et de l’émotion. Les
recherches sur des patients atteints de lésions du lobe frontal vont montrer que
ceux-ci sont parfaitement capables d’analyser, de manière rationnelle, tout ce qui
se passe dans leur environnement. En revanche, ils sont incapables de prendre une
décision cohérente pour ce qui concerne les aspects sociaux et personnels de leur
existence. Afin de faire face à la multiplicité des choix qui lui sont proposés,
l’individu est capable de construire des représentations et différents scénarios
d’action. Toutes ces images, à peine esquissées, entraînent, par le biais de
l’amygdale, une réaction émotionnelle adaptée avec des réactions somatiques
(transpiration, tachycardie, souffle court…) appropriées au contenu des images.
C’est la « théorie des marqueurs somatiques », dont la fonction consiste à associer
à chaque image une réaction corporelle spécifique, positive ou négative. Elle
démontre, selon Damasio, qu’il existe bien une complémentarité entre émotion et
cognition. Mais elle montre aussi que ces processus dépassent largement les
mécanismes d’évaluation rationnelle en rapidité et en efficacité. Ils assurent une
prise de décision dans des situations où l’analyse logique des différents choix
possibles est insuffisante.

Pour conclure, les travaux des neurobiologistes montrent qu’une


part de subjectivité est nécessaire pour adopter un comportement
sociable efficace. Les émotions nous permettent de nous comporter
normalement parmi nos semblables, de prendre des décisions
logiques et pragmatiques. Le cerveau qui pense et qui réfléchit, celui
qui calcule et analyse plusieurs alternatives, n’est pas différent de
celui qui aime, rit ou pleure. La neurobiologie confirme en somme la
célèbre phrase de Pascal  : «  Le cœur a ses raisons que la raison ne
connaît point. »

1. Françoise Dolto, Tout est langage, Gallimard, coll. « Folio essais », 2002.
2. E. Partanen et al., « Learning-induced neural plasticity of speech processing before birth »,
PNAS, 2013, sur le site : www.pnas.org/content/early/2013/08/14/1302159110.abstract
3. A. R. Damasio, L’Erreur de Descartes : la raison des émotions, Odile Jacob, 1995.
CHAPITRE 6

Un, deux ou trois cerveaux ?

Avant de refermer cet ouvrage, nous tenions à vous en dire


plus sur nos autres… cerveaux  ! Si l’objet de ces pages était de
mettre à profit notre esprit pour accéder au bien-être, au mieux-
être, deux organes ont leur importance dans notre équilibre
psychique.

Le ventre
« Méfie-toi de l’homme dont le ventre ne bouge pas quand il rit ».
dicton cantonais

LE DEUXIÈME CERVEAU
Il y a quelques années, des scientifiques ont découvert chez
l’homme l’existence d’un second cerveau  : son ventre  ! C’est le
«  cerveau entérique  », autrement appelé «  système nerveux
entérique  » (SNE). Il produit 95  % de sérotonine, un
neurotransmetteur qui participe à la gestion des émotions. Il contient
environ 200  millions de neurones qui veillent sur notre digestion et
communiquent des informations au premier cerveau, celui contenu
dans la tête. Autant dire qu’il est au moins aussi important.
Le premier « pense » tandis que le second « sent ». Et tous deux
échangent grâce au nerf vague, un nerf crânien qui véhicule les
informations motrices, sensitives, sensorielles et parasympathiques de
l’un à l’autre. Ce dialogue ouvre la porte de grands espoirs
thérapeutiques. Deux chercheurs de l’Institut national de la santé et
de la recherche médicale (INSERM), Michel Neunlist et Pascal
Derkinderen, ont ainsi découvert qu’une biopsie du côlon permettait
de retrouver, à l’intérieur des neurones digestifs, la présence
d’anomalies également présentes dans le cerveau des patients atteints
de la maladie de Parkinson. Une avancée qui leur a permis de
résoudre une question pratique : étudier ces lésions sur des personnes
vivantes. Ce qui était jusqu’alors impossible puisqu’il aurait fallu
disséquer leur cerveau  ! À terme, les médecins pourront utiliser les
biopsies pour déterminer des marqueurs précoces de la maladie.
Nos «  tripes  » seraient donc dotées d’une certaine intelligence.
1
Dans son livre , Michael Gershon, professeur au Département
d’anatomie et de biologie cellulaire de l’Université Colombia à New
York, avançait déjà cette hypothèse. Il écrit  : «  200  millions de
neurones, autant que dans le cerveau d’un chien, tapissent la paroi
intestinale. Ces cellules proviennent du même feuillet embryonnaire
que celles du cerveau, qu’elles quittent à un stade précoce du
développement pour migrer dans le ventre, où elles forment un
système nerveux entérique. »

UN VENTRE « ÉMOTIONNEL »
Nous savions que les émotions pouvaient retentir sur le système
digestif. Nous découvrons que l’inverse est vrai. Régime alimentaire,
rythme des repas et flore intestinale (ce qu’on appelle aujourd’hui
«  microbiote  ») ont une répercussion sur le psychisme. Ainsi, des
chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA)
ont transféré le microbiote d’une souris obèse à une autre qui ne
l’était pas. Le résultat est que cette dernière s’est mise à grossir, et son
attitude vis-à-vis de la nourriture s’est radicalement transformée. Elle
a commencé à manger de façon gloutonne et compulsive, préférant
soudainement d’autres aliments.
Le contenu de notre estomac influencerait donc le fonctionnement
du cerveau en modifiant nos actions et nos préférences. Le ventre
concentre aussi plus de 70 % des cellules du système immunitaire qui
servent à nous protéger. Il sait réagir en cas de danger sans en référer
au cerveau, en provoquant par exemple des vomissements afin
d’expulser un produit toxique. Pour Neunlist, il constituerait même
notre «  premier  » cerveau. En effet, les tout premiers organismes
unicellulaires n’étaient composés que d’un simple tube digestif.
Avec d’autres neurotransmetteurs que la sérotonine, le ventre
digérerait non seulement nos aliments, mais également nos émotions.
Selon Gherson, grâce à ses substances psychoactives endogènes, il a
le pouvoir de provoquer l’enthousiasme ou le découragement, un
sentiment d’accomplissement ou la dépression. Il serait doté de
mémoire et recélerait les archives de notre vie émotionnelle,
constituant « la matrice biologique de l’inconscient » et contribuant à
la création de nos rêves nocturnes.
Cette hypothèse donne foi à des métaphores telles qu’avoir «  la
peur au ventre », l’« estomac noué », ne pas supporter quelqu’un de
manière «  viscérale  », «  avoir des tripes  » ou «  digérer  » des propos
qui nous sont « restés sur l’estomac »…
Pour le Dr Gherson, le cerveau du ventre n’a pas besoin de l’aval
du cerveau crânien pour se livrer à des actions de son propre chef. Il
affirme  : «  Contrairement au reste du système nerveux, le système
entérique ne suit pas nécessairement les commandes qu’il reçoit du
cerveau ou de la moelle épinière. Et il ne leur envoie pas forcément
non plus les informations qu’il collecte. Le système nerveux entérique
peut, quand il le choisit, gérer des données que ses récepteurs ont
relevées par eux-mêmes, et agir sur la base de ces données. Le
système entérique n’est donc pas un esclave du système nerveux
central mais un opposant doté d’un esprit libre. »
Si l’intelligence du ventre est capable de fonctionner toute seule, il
est probable qu’elle comporte également ses propres névroses. C’est
pourquoi il est fréquent de dire, à propos de nos réactions
instinctives, qu’elles sont viscérales. Crampes, ballonnements,
constipation, diarrhées ne constituent pas, pour la plupart d’entre
nous, des troubles virtuels. Ils correspondent à de grandes et petites
émotions.
Cependant, d’où vient le signal d’alarme  ? Du système nerveux
central, le cerveau, ou du système nerveux entérique, le ventre ? Car
le SNE gère des milliers de réactions à l’environnement, autant de
variations possibles dans nos ressentis. Il serait le principal
fournisseur de données de notre inconscient.
Or, si le ventre est capable de nous rendre malades, sans doute
possède-t-il aussi des compétences pour nous guérir. Le massage
biodynamique repose sur cette théorie. Il a été mis au point par la
norvégienne Gerda Boyesen, à partir des travaux de Reich sur
l’énergie et le rapport qu’il établit entre tensions musculaires et
émotions réprimées. Ce massage s’appuie sur l’idée que les effets du
stress sont associés au système digestif. Si les intestins sont chargés
de digérer les aliments, ils ont aussi pour fonction de digérer les
résidus métaboliques de tous les stress de la vie quotidienne. Grâce à
des techniques de relaxation et de massage, il est possible de
débloquer cette fonction quand elle est arrêtée.
Il est aussi possible de la renforcer en s’occupant de ce qui nous
est «  resté sur l’estomac  ». Deux chercheurs, Dean Radin et Marilyn
Schlitz, ont décidé de mesurer les possibilités de perception du SNE.
Ils ont réuni 26 volontaires et les ont équipés d’un
électrogastrogramme (EGG), un appareil susceptible de détecter
l’activité électrique des neurones à l’intérieur du ventre  ; ils les ont
aussi équipés d’un appareil mesurant la résistance galvanique de la
peau, sa résistance électrique. Ils les ont ensuite fait mettre par deux
en précisant que l’un serait l’émetteur et l’autre le récepteur, avant de
les assigner dans une pièce différente.
L’émetteur devait visionner des images destinées à provoquer de
fortes réactions  : tristesse, désir, dégoût, tendresse… tout en
regardant, de temps à autre, le récepteur sur un écran différent.
Après plus de 200 tests, les chercheurs ont conclu que « les lectures
de l’EGG du sujet récepteur étaient notamment plus élevées et
correspondaient à celles du sujet émetteur lorsque celui-ci éprouvait
d’intenses émotions, positives ou négatives ».
Débarrassons-nous donc de ce qui nous est « resté sur l’estomac »,
de tout ce que nous n’avons pas digéré. C’est notre ventre qui le dit !
Écoutons-le au moins autant que notre esprit…

La peau
« Le corps est la chair de l’esprit.

Chaque tourment de l’âme laisse sous la peau une fêlure et dessus


une foulure. »
Éric FOTTORINO
LE « MOI-PEAU »

C’est le psychanalyste Didier Anzieu qui va développer le concept


de Moi-peau, dont il fera le titre d’un ouvrage éponyme 2. Il part du
principe que, durant la gestation, le fœtus est «  contenu  » dans un
environnement sécurisant, le ventre maternel. Au moment de la
naissance, ses repères changent brutalement. Pour survivre, il va
devoir s’appuyer sur les sensations qu’il ressent à la surface de sa
peau, cette peau qui était en contact constant avec l’épiderme
maternel. Le concept du Moi-peau se présente donc comme un
paradigme qui permet de comprendre en partie la construction
psychique de l’individu et les mécanismes à l’œuvre dans la formation
du Moi.
L’hypothèse est d’autant plus pertinente que l’embryologie, la
science du développement des organismes à partir d’un œuf fécondé,
démontre que la parenté entre la peau et le psychisme n’a rien d’une
vue de l’esprit. En effet, au stade embryonnaire, peau et cerveau sont
issus d’un feuillet (le tissu conjonctif) analogue  : l’ectoderme. Une
origine commune qui fait de notre système cutané le plus sensible de
nos organes. D’autant qu’il représente aussi le plus étendu de nos
outils de perception puisqu’il mesure environ 18 000 cm2 et constitue
à peu près 18  % de notre poids  ! La peau comporte encore toutes
sortes de récepteurs variés qui captent en permanence les
stimulations venues de l’intérieur comme de l’extérieur : le plaisir et
la douleur, le chaud et le froid, une forme, une pression. Au fond,
c’est une sorte de grand « cerveau étalé » car on peut vivre aveugle,
sourd, privé d’odorat et de goût. Mais on ne peut vivre sans peau, ni
sans cerveau.

PEAU ET NON-DITS
La fameuse sagesse populaire ne s’y est d’ailleurs pas trompée
puisque les expressions concernant la peau sont très nombreuses  :
« Je l’ai dans la peau » ou « C’est une histoire de peaux » témoignent
d’un attachement amoureux et sensuel aigu  ; une histoire ou un
événement «  nous colle à la peau  »  ; nous sommes «  touchés  » par
une parole, un visage, une situation  ; et il n’est pas étonnant que
nous tenions tant à « sauver notre peau ».
Curieuses coïncidences  ? Certaines maladies de peau, comme le
psoriasis, la dyshidrose ou l’eczéma, dont on ne connaît pas
précisément l’origine, apparaissent quand nous sommes tourmentés
par l’anxiété, la frustration ou le stress. La peau est donc un miroir
qui réfléchit nos émotions et, parfois, les matérialise de façon
concrète, somatique.
Ainsi, 80  % des maladies de peau seraient d’origine
3
psychologique . Les patients auraient, en réalité, des choses à dire
mais ne parviendraient pas à  les exprimer. Ils se mettraient alors à
parler avec leur peau. L’eczéma serait une manifestation de l’angoisse,
un psoriasis évoquerait plutôt une colère étouffée, et la calvitie serait
liée à une autre perte.
L’une des autres manifestations «  éloquentes  » de la peau est le
prurit. On ne trouve pour ces démangeaisons aucune étiologie. Elles
semblent apparaître sous l’influence de certaines émotions, qui ne
sont pas toujours repérées par la personne elle-même. Au fond, il
suffit de «  gratter  » un peu pour trouver, sous le prurit, une envie
d’être mieux compris, mieux écouté, mieux aimé. Notre épiderme
possède donc son langage propre, une langue secrète et parfois
douloureuse, chargée de dévoiler les non-dits de notre existence.

★ Élisabeth ou la peau qui parle


Élisabeth est née avec de l’eczéma sur les orteils qui s’est
ensuite répandu sur tout le corps. Pendant treize ans, ses
parents ont consulté des généralistes, plusieurs
dermatologues, des homéopathes, un naturopathe. Ils ont
essayé la phytothérapie, des bains associés à des produits
destinés à lutter contre le dessèchement, les
démangeaisons, et même des « herbes chinoises conseillées
par un voyant  ». Au moment de la puberté, c’était une
adolescente complexée qui refusait de faire du sport (elle
n’osait pas se mettre en short) et d’aller à la piscine (le
chlore la faisait souffrir). Chaque matin, elle devait
s’enduire le visage de crème teintée très couvrante afin de
dissimuler ses rougeurs et ses plaies. Pourtant, de l’avis de
tous, elle possédait un joli visage et une silhouette
agréable. Curieusement, l’arrivée de ses règles a marqué
une régression de la maladie, puis sa disparition complète.
En revanche, jusqu’à l’âge de 40  ans, âge où nous l’avons
suivie pour une psychothérapie, elle faisait encore des
poussées d’eczéma chaque fois qu’elle était contrariée. En
l’écoutant, nous avons compris qu’il ne s’agissait pas de
n’importe quelle contrariété. Les crises ne se produisaient
qu’en cas de rupture  : rupture amoureuse (la raison pour
laquelle elle nous avait contactés), décès d’un proche,
éloignement d’une amie, dispute ou simple conflit. Ainsi, la
disparition de sa grand-mère, survenue un an avant sa
rupture amoureuse, avait-elle provoqué une éruption
majeure qui lui avait fait craindre le retour fracassant de la
maladie. L’anamnèse, la remontée des souvenirs, a montré
qu’elle n’était pas une enfant désirée  : «  Ma mère me
racontait souvent qu’elle avait tout essayé pour me faire
“passer”, en suivant les conseils d’une faiseuse d’anges.
Mais elle n’avait pas osé aller jusqu’au bout… Elle me
disait  : “Finalement, tu as tenu le coup et je suis bien
contente que tu sois là.” Je me souviens que ces
confidences me hérissaient. J’avais l’impression de vivre
avec une sorcière ! Pourtant, c’est elle qui m’a traînée chez
tous les médecins du monde pour soigner mon eczéma. Je
voyais bien que ça la faisait souffrir presque autant que
moi. Mais je ne pouvais pas me débarrasser de mon
sentiment d’inquiétude vis-à-vis d’elle. Car, en plus, elle
était bizarre dans sa relation avec moi : il n’y avait que mon
corps, ma peau, ma santé qui comptaient. L’affection, les
câlins, je les recevais de façon “alternative”, selon son
humeur. Généralement, elle se montrait distante, presque
froide. Quant à mon père, c’était son toutou ! Tantôt elle le
caressait, tantôt elle lui donnait un coup de patte. Ses
coups de patte, elle les donnait avec la langue, avec les
mots. Parfois, pas souvent, mon père explosait et la traitait
de langue de vipère. Avec moi, sa fille unique, je crois qu’il
était contrarié. Je faisais peur, en fait. Aux filles, aux
garçons. Eux, je les fuyais, d’ailleurs. Je me souviendrai
toujours du surnom qu’un gamin de sixième avait inventé :
“Scotch-Brite”. Comme l’abrasif. »
Le point de vue psy
Dès sa naissance, l’existence d’Élisabeth ressemble à une «  longue suite de
contrariétés  ». Des contrariétés qui commencent d’ailleurs avant sa naissance
puisque les relations mère/enfant s’engagent in utero. Les diverses méthodes
utilisées par sa mère pour avorter ont été probablement ressenties par le fœtus
qu’elle était. Elle a perçu alors le rejet, la coupure dont elle était l’objet. Quand elle
vient au monde, tout son corps parle le langage de la détresse, il l’expose au regard
de tous. Il est rouge, il est squameux. Ce n’est pas l’épiderme lisse et rose du bébé
tant attendu… La puberté marque une rupture comme si, devenue femme à son
tour, Élisabeth parvenait à se dégager de l’emprise maternelle. Une emprise
paradoxale : elle l’aime et c’est aussi son infirmière ; mais elle la rejette car elle lui
fait peur. Rejet et rupture vont alors constituer les maîtres mots de la vie
d’Élisabeth. Bien des événements peuvent réveiller l’angoisse : un deuil, un amour
brisé, un déménagement, une dispute, des tensions, un renoncement… La
psychothérapie lui a permis de découvrir qu’elle pouvait devenir son propre
médecin, que son équilibre ne dépendait pas exclusivement de l’extérieur. Elle a
compris qu’elle possédait ses propres mécanismes de régulation intérieure et qu’elle
n’était pas soumise au désir, ou au non-désir, des autres. Et que, du coup, elle
n’était pas obligée d’appeler à l’aide en exposant ses blessures aux yeux de tous. À
la fin de sa cure, Élisabeth dira : « Je m’en rends compte aujourd’hui, j’étais une
écorchée vive. »

UNE INTERFACE ENTRE LE DEDANS ET LE DEHORS

La peau est une interface entre le dedans et le dehors. Elle dévoile


ce que nous ressentons à l’intérieur : un événement nous fait rougir
ou pâlir, par exemple. Les maladies de peau sont aussi des sortes de
stigmates qui désignent à la fois le manque d’amour du sujet et son
incapacité à être aimé puisque ses symptômes le rendent
«  repoussant  ». Un peu comme s’il appelait au secours mais refusait
toute main tendue…
Si l’on essayait de décrire l’être humain de manière très
synthétique, on pourrait évoquer une masse de cellules entourée
d’une enveloppe. L’enveloppe dispose de petits «  hublots  » pour
communiquer avec l’extérieur : les yeux, le nez, les oreilles, la bouche
et, en majeure partie, la peau. Dès la petite enfance, c’est avec elle
que se fonde notre relation au monde puisque, dans un premier
temps, nous ne parlons pas. Nous entendons et nous voyons, plus ou
moins distinctement, mais c’est surtout par le toucher que la relation
s’instaure.
Pour certains auteurs comme Ashley Montagu, un anthropologue
américain, la peau serait l’organe de l’attachement. Nous aurions en
effet conservé de nos ancêtres les primates l’instinct d’agrippement.
Ce réflexe fait grimper le petit singe contre sa mère quand il veut
téter ou se cramponner à elle pour survivre quand elle saute de
branche en branche. Nous en avons hérité le grasping, un réflexe
propre au nouveau-né : quand on met un objet ou l’un de nos doigts
dans sa main, celui-ci la referme avec tant de force qu’on pourrait le
soulever !
Le toucher est aussi le sens le plus chargé de réciprocité  : si je
touche, je sens, mais je suis aussi « touché ». D’où l’importance de ce
mot dans le langage car on peut être «  touché  » par quelqu’un ou
quelque chose sans, pour autant, avoir eu de contact réel. Reprenons
cette expression populaire « une histoire de peaux » qui parle si bien
de l’attirance. Serait-elle une sorte de connivence qui fonctionnerait
sur un mode subtil, énergétique et magnétique, un phénomène
encore mystérieux  ?... On en sait en revanche un peu plus sur la
manière dont nous pouvons «  brûler  » pour quelqu’un. En effet, la
peau émet des infrarouges. La chaleur dégagée est fonction de l’afflux
de sang, vasoconstriction ou vasodilatation, qui va nous faire rosir ou
pâlir, selon notre tempérament et l’émotion ressentie.
Les premiers contacts épidermiques du tout-petit, d’abord avec sa
mère puis avec ses proches, vont laisser une empreinte indélébile
inconsciente et influencer ses futures relations, tactiles ou non.
Certains ne supportent pas d’être touchés, même par ceux qu’ils
aiment. D’autres, au contraire, recherchent cette sensation en
permanence. Nous réactualisons avec la peau nos expériences
sensorielles initiales. Souvent, nous refusons le contact parce que nos
parents ne nous ont pas suffisamment touchés ou, inversement, parce
que leur comportement tactile était invasif. Et nous nous
abandonnons à la caresse avec délectation parce qu’elle est
rassurante et qu’elle nous a manqué.
La culture joue aussi un rôle important dans les rapports
physiques entre les individus, dans la proximité ou la distance des
corps au sein de l’espace public. En Afrique, dans certains pays ou
régions du Bassin méditerranéen, le contact est fréquent. Les
personnes se touchent, se parlent avec les mains, s’embrassent
facilement. A contrario, dans les pays nordiques ou au Japon, la
proximité physique est rare. Cette distance, plus ou moins grande, est
un des concepts de la proxémie, une approche de l’espace introduite
par l’anthropologue américain Edward T. Hall.
Apprenons à prendre soin de cette peau si éloquente. En décodant
les messages qu’elle nous envoie, nous pourrions nous sentir «  bien
dans notre peau », au vrai sens du terme…
Et c’était bien là l’objet de ce livre.

1. M. Gershon, The Second Brain, Harpercollins, 1999.


2. Didier Anzieu, Le Moi-Peau, Dunod, 1995.
3. Danièle Pomey-Rey, La Peau et ses états d’âme, Hachette, 1999.
Postface

Nos amies les bêtes

« Ce qu’on peut critiquer, c’est cette prééminence exclusive donnée


à l’homme, car cela implique tout le reste. Si l’homme se montrait
plus modeste et davantage convaincu de l’unité des choses
et des êtres,

de sa responsabilité et de sa solidarité avec les autres êtres vivants,

les choses seraient bien différentes.

Ce n’est peut-être qu’un espoir. »


Théodore MONOD

En 2013, la télévision américaine rapporte l’histoire de Joseph, un


berger allemand que son maître a laissé attaché à une chaîne
métallique pendant quatre ans. Quand la Progressive Animal Welfare
Society (PAWS), l’équivalent de notre SPA, arrive à son domicile, le
chien est accroché à un arbre, complètement affamé, il porte de
nombreuses traces de coups et souffre de multiples infections. Arrêté,
le propriétaire explique aux enquêteurs que son chien n’est pas un
être humain, et qu’il n’a donc aucune raison de prendre soin de lui.
Durant quatre ans, l’animal est ainsi resté enchaîné à la vue de tous
avant que des voisins ne se décident à donner l’alerte.
Plus près de nous, à Nice en février  2014, treize chats sont
récupérés dans un appartement insalubre par l’Association justice
pour les animaux (AJPLA). L’histoire commence par une banale fuite
d’eau, la propriétaire refuse l’accès à son appartement. Un huissier est
commis, accompagné d’un serrurier et d’un plombier. Ils découvrent
alors des chats moribonds qui vivent au milieu d’excréments, des
restes de chats dans une baignoire et, même, des chats « perfusés ».
Squelettiques, hagards, malades ou agonisants, tous sont dans un état
lamentable. Après enquête, la personne maltraitante a été admise en
hôpital psychiatrique.
Notons que les chiens et les chats bénéficient d’un traitement
particulier et ne sont pas forcément les plus exposés à la
maltraitance. Notons aussi que, quand celle-ci survient, elle n’est pas
toujours le fait de personnes souffrant de troubles du comportement.
Dans un récent ouvrage 1, Franz-Olivier Giesbert relève que l’abattage
des animaux destinés à la consommation comme les porcs, les vaches
ou les poulets n’est pas toujours réalisé dans des conditions qui
garantissent un stress minimum et le moins de souffrance possible
ainsi que l’exige la loi. Que dire encore de leurs conditions de vie
dans des élevages industriels où, pour maximiser la production, on
les entasse sans espace, parfois sans lumière.
C’est le naturaliste anglais Charles Darwin qui, l’un des premiers,
considère que les animaux, comme les humains, sont capables
d’émotions. S’interrogeant sur les origines de l’homme et sa
psychologie, il expose la théorie de l’évolution des espèces en vertu
du processus de sélection naturelle. À propos de la nature universelle
des expressions faciales, il écrit  : «  Les jeunes et les vieux d’un très
grand nombre de races, que cela soit chez les animaux ou les
humains, expriment le même état d’esprit avec les mêmes
mouvements 2.  » Son point de vue sur les origines simiesques de
l’homme lui vaut de nombreuses critiques. Elle entre en contradiction
avec les théories religieuses créationnistes et contraste avec le livre de
Charles Bell, un anatomophysiologiste écossais qui affirme que c’est
un être divin qui a créé les muscles du visage afin d’exprimer les
sentiments humains.
Pour le philosophe Jacques Derrida 3, tuer et consommer des
animaux n’est pas réductible à une nécessité alimentaire. Il analyse ce
processus comme un rituel destiné à promouvoir un concept
considéré comme «  naturel  », mais qui est, en réalité, politique  :
l’animal est un «  autre  », dont l’homme se considère distinct. Par
extension, le terme animal désignerait l’ensemble des êtres vivants
qui peuvent être tués et mangés, par opposition à ceux qui
constituent « réellement » la communauté humaine.
L’animal devient alors une «  catégorie  » qui, de manière à la fois
symbolique et pratique, permet d’inclure certains humains en leur
faisant subir un régime analogue  : les traiter comme des bêtes. La
déshumanisation de certaines catégories d’êtres humains (ceux qui
parlent des langues différentes, dont la couleur de peau n’est pas la
même, dont la sexualité s’oppose à la norme) permettra de les
réduire à des figures de la bestialité. On pourra les sortir du droit et
de la loi, leur faire subir un traitement violent, et ramener ces actes à
des gestes purement techniques. Il affirme donc qu’il est urgent de
remettre en question le rapport de l’homme et de l’animal.
Pour autant, il ne s’agit pas de réduire l’individu à ses seules
caractéristiques biologiques et animales, mais de repenser les
frontières instaurées entre l’humanité et l’animalité. Cela afin de
rendre possible l’existence d’un monde commun où la différence
serait acceptée, y compris celle de cet «  autre  » que représente
l’animal. Son travail constitue une critique de la pensée occidentale
destinée à mettre en évidence un pouvoir culturel et étatique fondé
sur la violence puisqu’il se donne le droit de dévorer une partie des
vivants, alors même que cette pensée se réclame de la raison, de la
civilisation et de la morale.
4
Bartal, Decety et Mason , chercheurs à l’Université de Chicago,
expliquent que les émotions humaines sont liées à des structures
cérébrales communes à l’ensemble des mammifères. Il est encore
impossible aujourd’hui de mesurer l’intensité des sentiments selon les
espèces. On sait seulement que les capacités mentales des êtres
humains leur permettent de mieux utiliser leurs émotions à diverses
fins  : pour développer leur créativité par exemple, élargir leurs
capacités d’empathie, mais aussi faire preuve de plus de cruauté !
Les chercheurs estiment d’ailleurs que l’empathie humaine peut
s’effondrer si ces émotions de base diminuent. Même si penser à ce
que l’autre pense et ressent paraît plus développé chez nous que chez
toute autre créature, ils affirment que les zones cérébrales qui gèrent
les émotions chez le dauphin sont plus importantes que les nôtres.
Les dauphins sont d’ailleurs associés au traitement de certains
troubles mentaux et de déficiences dans le cadre de la
«  delphinothérapie  », une méthode apparue dans les années 1970.
Des enfants et des adolescents autistes ont ainsi bénéficié d’une
thérapie fondée sur le jeu. Les jeunes étaient mis en contact avec le
dauphin, soit dans l’eau, soit sur le bord d’un bassin. Les résultats ont
montré une augmentation du temps de concentration des patients et
l’apparition de réponses socialement adaptées, supérieures à leurs
réponses sociales et relationnelles habituelles.
Mais d’autres animaux, en particulier les chiens mais aussi le
cheval, sont mis à contribution dans le traitement des psychoses, de
la dépression, des difficultés d’apprentissage et de désordres
émotionnels variés.
★ Laura et la « chat-thérapie »
Il y a quelques années, l’un de nous a reçu une jeune
patiente psychotique. Laura vivait à la campagne près de
Paris en compagnie de sa grand-mère. Ses deux parents
étaient décédés, deux ans plus tôt, dans un accident de
voiture. Elle avait 23 ans, n’était pas parvenue à poursuivre
ses études et passait ses journées à de longues promenades
en forêt et en solitaire. Régulièrement, elle sombrait dans
le mutisme et une profonde tristesse, et c’est la raison pour
laquelle elle consultait, en accord avec son médecin qui lui
prescrivait par ailleurs un traitement. Selon Laura, les
médicaments ne produisaient pas d’effets, en dépit de
nombreux essais et changements de molécules. Elle est
venue en consultation pendant environ six mois, à raison
d’une séance par semaine. Pourtant, son état ne se
modifiait guère. Un jour, l’un des chats de la maison a surgi
dans le cabinet car la porte était mal fermée. La jeune
femme est alors sortie de son apathie habituelle, s’est
précipitée sur l’animal et l’a serré dans ses bras. Ce chat
était un nouveau venu dans la maison. Il était apparu un
beau matin dans le jardin, sale, efflanqué, bardé de
cicatrices et souffrant de pelade. Une fois la pelade soignée,
il avait attrapé une conjonctivite puis, quand celle-ci fut
traitée, le coryza… et de nouveau la pelade  ! Bref, il était
bien traité mais il allait mal  ; il était manifestement très
névrosé et, comme nous ne pouvions rien savoir de son
«  histoire infantile  » (mauvais traitements, abandon,
bagarres avec d’autres chats), nous nous contentions de le
nourrir et de lui parler doucement, quand il se laissait
approcher. Les visites chez le vétérinaire se transformaient
en épopée, il hurlait, bondissait et, finalement, il fallait
l’attacher. Or, ce jour-là, avec Laura, il ne fit aucune
difficulté pour se laisser câliner. Il s’installa sur elle et nous
terminâmes la séance ainsi. Quand elle revint, la semaine
suivante, sa première question fut pour le chat. Ça tombait
bien. Lui qui ne surgissait qu’au moment des repas est
opportunément sorti de dessous le divan du cabinet. Et les
câlins ont recommencé de séance en séance. Ça devenait
vraiment difficile de travailler  ! Nos entretiens se muaient
en échanges sur les particularités du chat, son caractère,
son alimentation, ses siestes et longues heures de sommeil
diurnes. Laura s’était mise à sourire et même à rire, et le
chat grossissait. Son pelage embellissait. Normal, il passait
des heures à se lécher et s’y employait bien en vue, car il
avait renoncé à se cacher. Au bout de deux mois, la jeune
femme a demandé si en cas d’absence ou de vacances, on
pouvait lui confier l’animal en pension. Bien sûr, c’était une
demande déguisée de don. Que faire  ? Quelle était là-
dessus l’opinion de la déontologie, de la science, de la
médecine et de la faculté  ? Le thérapeute risquait-il de se
transformer en Diafoirus de Molière  ? La réponse fut
donnée par un ami, psychiatre renommé. Il se mit à rire et
s’exclama : « Vous ne saviez pas qu’on confiait des chats à
des psychotiques en institution  ?  » La messe était dite. Le
chat a déménagé, et Laura a arrêté sa cure quelque temps
plus tard. Elle donne quelquefois de ses nouvelles. Elle n’est
pas guérie mais elle vit mieux, elle a un amoureux, un
travail à mi-temps. Le chat est mort mais elle en a accueilli
un autre.
Le point de vue psy
Il n’est pas question d’affirmer que le chat a soigné Laura. Pourtant, il a favorisé
son mieux-être. Il l’a engagée dans une relation affectueuse où elle se sentait
responsable de « quelqu’un » d’autre. Il a contribué à favoriser ses échanges avec
autrui, à l’ouvrir à une relation amoureuse. Quels que soient les troubles présentés
par une personne, il est toujours indispensable de ne pas se cantonner à son seul
savoir, à sa seule expérience. Il est important de faire preuve d’imagination, de
créativité et de se laisser porter par ses inclinations et ses intuitions comme par
celles de la personne accompagnée. Laura « sentait » que ce petit chat lui ferait du
bien… Or, qui mieux que soi est en mesure de savoir ce qui est bon pour soi ?

Les sentiments et les émotions sont avérés chez l’animal, même si


certains scientifiques en doutent encore, faute de données suffisantes.
Les étudier et les comprendre permet de mieux appréhender nos
propres émotions mais aussi de mieux appréhender nos humeurs, de
comprendre certains troubles psychiques.
Le sentiment est non seulement la perception de l’émotion mais
également celle de la cause de cette émotion  : une bonne ou une
mauvaise nouvelle, un cadeau ou une perte. Les émotions se
ressentent à travers le corps, on pleure de joie par exemple. Les
sentiments, eux, sont des représentations mentales : on « voit », avec
les yeux de l’esprit, le visage de la personne aimée. Les émotions
deviennent des sentiments à partir du moment où nous établissons
des relations de cause à effet des unes aux autres. Or, nous avons tous
remarqué qu’un chien pouvait exprimer de la peur, une émotion ou
un sentiment de culpabilité (s’il a chipé de la nourriture qui ne lui
était pas destinée). Et il le fait quand nous le grondons. Il perçoit
donc « émotionnellement » notre colère, il a peur, et il développe un
sentiment, la culpabilité.
Ce qui fait la différence entre les animaux et nous, ce n’est donc
pas la présence des émotions et des sentiments chez les uns et leur
absence chez les autres. C’est le sens que, en tant qu’humains, nous
sommes capables de leur donner. Néanmoins, cette capacité qui est la
nôtre ne nous autorise pas à considérer les animaux comme des
meubles qu’on caresse en fonction des circonstances et de nos
humeurs.
Depuis le 30 octobre 2014, l’Assemblée nationale a transformé le
statut juridique des animaux : ils ne sont plus des « biens mobiliers »
mais des « êtres vivants doués de sensibilité ». Il s’agissait d’aligner le
code civil sur les codes pénal et rural. Ainsi, le code pénal prévoit-il
amende et prison pour les auteurs d’«  abandon volontaire  », de
« sévices graves ou de nature sexuelle ou d’actes de cruauté » vis-à-vis
d’un animal domestique ou apprivoisé. Pour le code rural, et depuis
1976, «  tout animal, étant un être sensible, doit être placé par son
propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs de
son espèce  ». Quand on pense aux élevages industriels, on est
évidemment loin du compte…
Malgré les avancées de la loi, l’un de ses articles, le 515-14 du
code civil, reste ambigu : « Les animaux sont des êtres vivants doués
de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux
sont soumis au régime des biens corporels. » Autrement dit, il s’agit
d’un être vivant qui est rangé dans la catégorie des biens ! On pense
au terrible article 1124 du Code Napoléon : « Les personnes privées
de droits juridiques sont les mineurs, les femmes mariées, les
criminels et les débiles mentaux. »
L’homme possède des ancêtres en commun avec d’autres espèces.
Son évolution et sa suprématie ne lui confèrent pas, pour autant, une
nature qui serait radicalement différente des hominidés qui nous ont
précédés. Mais, au-delà des avancées des neurosciences et du droit,
ce que nous pouvons reconnaître à l’animal, sans avoir lu ni le code
civil, ni le moindre ouvrage scientifique, c’est sa capacité à ressentir
la souffrance. Pour l’observer, il suffit d’avoir des oreilles et des yeux.
La valeur d’un animal n’est donc pas réductible à un produit
alimentaire, une activité ludique ou un hobby.

1. F.-O. Giesbert, L’animal est une personne. Pour nos sœurs et frères les bêtes, Fayard, 2014.
2. Ch. Darwin, L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux, John Murray, Londres,
1872.
3. J. Derrida, L’animal que donc je suis, Galilée, 2006.
4. I. B-A Bartal, J. Decety et P. Mason, « Empathy and Pro-Social Behavior in Rats », Science 9,
déc. 2011, vol. 334 no. 6061 pp. 1427-1430, DOI : 10.1126/science.1210789.
Conclusion

Cet ouvrage vous aura permis, nous l’espérons, de comprendre les


immenses facultés de l’être humain. Vos facultés…
Nous ne prétendons pas avoir fait le tour de toutes les clés de la
conscience, ni des méandres de l’inconscient. Nous avons
probablement oublié des penseurs, des idées, des théories. Ces
impasses sont volontaires pour certaines  : nous ne connaissions pas
assez ces sujets ou ceux-ci ne correspondaient pas à l’idée que nous
nous faisons du bien-être et de l’épanouissement.
L’écriture est un choix conscient mais aussi inconscient. Avec la
meilleure volonté du monde, elle résulte de ce qu’on est et de ce
qu’on n’est pas ; de ce qui a été conscientisé et de ce qui est resté aux
oubliettes ; de ce dont on ne saurait rêver. C’est dire ! Car rêver c’est
déjà se souvenir un peu.
En revanche, nous avons voulu montrer que, dans un monde
souvent normé, englué dans des habitudes, des us et des règles –
 comme tous les mondes qui nous ont précédés –, il était possible de
vivre autrement, de penser autrement et, ce faisant, de nous faire du
bien. À nous-mêmes comme à autrui.
Beaucoup de certitudes se fissurent aujourd’hui  : des évidences
médicales, scientifiques, sociologiques. Profitons-en ! Une fissure c’est
peut-être dangereux ; mais c’est aussi la possibilité de regarder « en
dessous  », de voir autre chose, de découvrir des strates qui
n’apparaîtraient pas sans elle.
Nous avons simplement eu envie de vous emmener dans cet
étonnant interstice.
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Direction :

Jean-Louis Hocq

Direction éditoriale : Suyapa Hammje

Directrice de collection : Aurore Aimelet

Édition : Maëlle Sigonneau

Composition : Nord Compo Multimédia

Conception graphique et réalisation

de la couverture : Guylaine Moi

Illustrations de couverture : Luciano Lozano

Fabrication : Céline Premel-Cabic

Couverture : Guylaine Moi Illustration Luciano Lozano

EAN : 978-2-263-06857-7

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.

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